(1887) Archives de neurologie [Tome 14, n° 40-42] : revue mensuelle des maladies nerveuses et mentales
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(1887) Archives de neurologie [Tome 14, n° 40-42] : revue mensuelle des maladies nerveuses et mentales

ARCHIVES

DE

NEUROLOGIE*^

ARCHIVES

NEUROLOGIE

NEUROLOGIE

REVUE 1 ? ,

DES MALADIES NERVEUSES ET MENTALES

PUBLIÉE SOUS LA A D t RE C T ! 0 DE

J.-M. CHARCOT

IVCC LA COLLABORATION Dli

MM. ARNAUD, BABINSICI, BALLET, BERNARD, B1TOT (P.-A.), ISLANCIIAlIU,

BLOCQ, BO\NA112E (E.), BONNET (H.), 13oticiirItEAIJ, BRIAND (1.), BRICON (P.),

BItISSAI1D (E.), BItOIIA ItDEL (P.), CIIAnPENTlElI, CHI\1STrAN (J.), COTA Il D, CULLERRE,

DEBOVE (5L) DELASIAUVE, DENY, DUVAL (3lvTnus), PEBBIEÜ,

GILLES DE LA TOURETTE, GOMBAULT, GRASSET, IIUCIIARD, JOFFROY (A.),

1(i,IIAVAL (P.), ICOJEV1YIIC0, LAXUOUZV, LUCAS-f.fIAItIPIO\NIL`BE, HABILLE,

MAGNAN, hIAIBET, MARANDON DE MONTYEL, MARIE, 11E\UELSSOHN,

111EBZEJE\'S1CY, 111ULLEItLYER, mlSGIU YE-CLA Y, NEUHANN, PARINAUD,

PARIS, PIEIHET, PITRES, POPOFF, ltAOULT, RAYMOND, REGNARD (P.),

REGNARD (A.), RENDU (II.), nlr.I1EH (P.), ROUDINOWISC11,

ROUSSELET (A.), SÉGLAS, SEGUIN (E.-C.), SIKORSKY, SOLLIER, SOREL, SOUZA,

LEITE, TALAMON, TAltN01\'SICY, TEINTURIER (1 : .), TIIULte (IL), TROISIER (E.),

vicouitoux (R.), VOISIN (J.).

Rédacteur en chef : BOUItI : VtI.GE

Secrétaire de la rédaction : Cil. Férié

Dessinateur : LEUBA.

Dessma eu . ? \ \ ? 1

Tome XIV. - 1887. \ s}^ "

Avec 4 planches et 17 figures dans letezté : '

PARIS

BU \1 EAU DU PHOQUES MÉDICAL

1 i, rue des Carnaes.

1887

ri

KVHEUX, IMPRIMERIE DE CHAULES 11l ! l\ISEY.

Vol. XIV. Juillet 1887. N" 40

ARCHIVES DE NEUROLOGIE

PATHOLOGIE NERVEUSE

DU ROLE DE LA PRÉDISPOSITION NERVEUSE DANS L'ÉTIO-

. LOGIE DE LA PARALYSIE FACIALE DITE « frigore;

. Par le Dr E. NEU11AN.1.

Lorsque chez un individu atteint d'une paralysie

faciale périphérique, l'hémiplégie ne peut être imputée

ni à la syphilis, ni à un traumatisme, ni à une carie

du rocher, ui à une otite, ni à une compression exer-

cée par quelque tumeur, on s'empresse d'incriminer

le froid, de rattacher la maladie à un refroidissement.

Il est d'ailleurs incontestable que, dans un certain

nombre de paralysies faciales, dites a (l'igol'e ou appe-

lées encore rhumatismales, le froid est intervenu réel-

lement et semble avoir joué un rôle effectif dans la

genèse de l'affection. Un courant d'air, une croisée

ouverte en voiture ou en wagon, une pluie froide, le

séjour dans un lieu humide, etc., telles sont les causes

habituellement invoquées par les malades pour expli-

quer l'origine de la paralysie. Bérard a pensé que dans

ces cas il se produisait, sous l'influence du froid, un

.gonflement inflammatoire du nerf. Depuis lors, ce fait

Archives, t. Xt V. 1

2 . " PATHOLOGIE NERVEUSE. , .

a été accepté par tout le monde, quoiqu'il ne repose

sur aucune espèce de preuve. Erb se range à cet avis,

et va même plus loin : il suppose que la lésion siège

dans des points différents, suivant le plus ou moins

de gravité de la paralysie. Ainsi, dans les cas légers,

la lésion serait hors du canal de Fallope; d'où une

compression légère. Dans les cas graves, la lésion

siégerait dans le canal de Fallope; d'où une forte

compression entraînant la dégénération du nerf et

l'interruption complète de la conductibilité. En réalité,

tout en admettant l'intervention du froid, il faut bien

reconnaître que son mode d'action nous échappe.et la

démonstration anatomique du gonflement du nerf et

de sa compression reste encore à faire.

Si chez certains malades l'action du froid est indé-

niable, elle ne saurait être admise chez beaucoup

d'autres ; il en est ainsi dans les hémiplégies faciales

qui surviennent à la suite d'un choc nerveux, d'une

émotion, d'une impression morale vive et subite, tels

que le chagrin, la colère, la frayeur, etc.; Bellingeri

cite un cas dans lequel la maladie survint après une

frayeur causée par la vue d'un homme épileptique.

Trousseau, dans sa clinique, rapporte une observation

de paralysie faciale produite instantanément chez un

individu qui voyait tomber la foudre près de lui.

Dans d'autres observations, les données étiologiques

font absolument défaut : on ne peut mettre en cause ni i

la secousse nerveuse, ni le froid; l'origine du mal reste

inconnue et la paralysie faciale semble alors spontanée.

Quoi qu'il en soit, que l'hémiplégie survienne sous

l'influence du froid ou de toute autre cause. apparente

ou qu'elle semble se produire spontanément, il est,

DE LA PARALYSIE FACIALE. Il

suivant nous, une condition indispensable à sa produc-

tion : c'est l'existence d'une tare nerveuse héréditaire

chez l'individu frappé.

On sait aujourd'hui qu'une prédisposition nerveuse

constitue la cause dominante daus la genèse de la plu-

part des affections du système nerveux.

. Depuis longtemps déjà, dans ses leçons de la Salpê-

trière, M. Charcot s'est attaché à faire ressortir et à

mettre en évidence, le rôle prépondérant de l'hérédité.

Cette doctrine a été exposée par M. Déjerine dans sa

remarquable thèse d'agrégation et l'auteur l'a étayée

sur de nombreux documents empruntés à la clinique.

La paralysie faciale dite a frigore ne fait pas exception

à cette loi de pathologie nerveuse; ni le refroidisse-

ment, ni l'ébranlement nerveux ne peuvent suffire à

eux seuls pour déterminer chez le premier venu une

hémiplégie de la face. Ce ne sont là que des causes

accidentelles qui jouent le rôle d'agents provocateurs

et dont l'efficacité serait nulle sans doute si elles ne

trouvaient pas un terrain préparé d'avance.

L'individu atteint de paralysie faciale est un névro-

pathe ; il porte en lui depuis sa naissance cet état par-

ticulier qu'on appelle avec plus ou moins de raison

diathèse nerveuse, nervosisme, neurasthénie, mais sur

l'existence duquel tout le monde s'entend, c'est un

état spécial de faiblesse du système nerveux, presque

toujours héréditaire, et qui se manifeste soit par des

névroses variées, soit par des maladies à lésions bien

déterminées de l'axe cérébro-spinal. L'hémiplégie fa-

ciale, toujours en corrélation avec d'autres accidents

nerveux existant soit chez le sujet lui-même, soit chez

ses ascendants, doit être intimement rattachée, de par

4 PATHOLOGIE NERVEUSE.

l'étiologie au faisceau des maladies du système ner-

veux, à la grande famille névropathique, comme l'a

appelée M. Ch. Féré.

Ces considérations sur l'étiologie de la paralysie

faciale dite a frigore ne sont pas une simple vue de

l'esprit : elles nous ont été suggérées par l'étude des

.faits cliniques. Nos observations sont au nombre de 17.

Ce ne sont pas 17 cas que nous avons triés pour les

besoins de notre cause parmi ceux qu'il nous a été

donné d'observer; c'est l'ensemble des paralysies fa-

ciales que nous avons eu à traiter depuis six ans.

Si nous avons cru devoir nous limiter aux faits que

nous avons personnellement étudiés, ce n'est pas que

les observations de paralysies faciales a frigore soient

rares dans la littérature médicale, mais nous n'avons

pu utiliser à notre point de vue spécial ces nombreux

documents; les renseignements sur les antécédents

personnels et héréditaires y font d'ordinaire complète-

ment défaut; d'autres fois ils sont absolument insuffi-

sants pour établir avec quelque certitude la part qui

revient à l'hérédité.

Dans tous les faits rapportés dans ce travail il s'agit

de paralysies faciales périphériques, sine naateria,

portant sur toutes les branches de la septième paire;

faire pour chaque cas une description détaillée eût été

fastidieux, nous nous sommes donc contenté de résu-

mer nos observations au point de vue symptomatique,

nous attachant surtout à mettre en relief les données

relatives à l'étiologie qui seules nous intéressent.

Observation I. M. IL ? trente-cinq ans, caissier dans

une maison de commerce. Antécédents de famille : Père,

soixante-cinq ans, bien portant ; mère morte, il y a quatre

DE LA PARALYSIE FACIALE. 5

ans, nous dit-il, d'une affection nerveuse après être restée pa-

ralysée des deux jambes pendant dix-huit mois ; un frère,

aujourd'hui âgé de vingt-deux ans, a eu de la paralysie infan-.

tile à l'âge de cinq ans ; un autre frère a eu la crampe des

écrivains. Antécédents personnels : Quoique d'apparence déli-

cate, M. H... nous dit que, jusqu'à l'âge de vingt ans, il a été

bien portant ; depuis cette époque, il est devenu très nerveux

et très irritable ; il souffre fréquemment de maux de tête.

M. IL.. avoue avoir fait des excès alcooliques et vénériens;

pas de syphilis.

La paralysie faciale pour laquelle il vient nous consulter le

3 avril 1881 date de trois jours seulement ; elle est survenue,

nous dit-il, le lendemain d'une promenade en voiture décou-

verte par un temps assez froid. C'est le matin en prenant son

déjeuner que le malade s'est aperçu qu'il était paralysé du

côté gauche.

La bouche est déviée du côté droit, le malade ne peut ni

siffler, ni souffler ; la joue gauche est soulevée passivement à

chaque mouvement respiratoire. Les plis du front ont disparu

à gauche. L'oeil gauche ne se ferme pas ; épiphora. En un mot,

paralysie complète du nerf facial gauche. Le malade se plaint

aussi de douleurs au niveau de l'apophyse mastoïde du côté

paralysé. A l'examen électrique aucune altération de la con-

tractilité. Les réactions électriques restèrent normales pendant

toute la durée de l'hémiplégie qui disparut complètement au

bout de quatre semaines.

Observation II. M. N..., trente-deux ans, négociant.

Antécédents héréditaires : Père arthritique, d'ailleurs bien por-

tant ; mère névropathe; un oncle maternel est mort dans une

maison d'aliénés.- Antécédents personnels : M. N... a toujours

été très nerveux; comme maladies d'enfance, il a eu des con-

vulsions et la coqueluche. Migraines périodiques. Caractère

très irritable, impressionnabilité excessive. '

M. N... a eu tout récemment de violents chagrins et de

grands soucis d'affaires. C'est dans ces conditions qu'il a été

pris, le 4 janvier 1882, d'une paralysie faciale du côté droit,

sans qu'il puisse se rappeler avoir pris froid ou s'être exposé à

un refroidissement pendant les quelques jours qui ont précédé.

La paralysie faciale est totale et porte sur toutes les branches

de la septième paire du côté droit de la figure ; douleurs assez

6' PATHOLOGIE NERVEUSE.

vives au niveau de l'apophyse mastoïde. Réactions électriques

normales pendant tout le cours de la maladie ; guérison com-

plète au bout d'un mois.

Observation III. Mlle H'..., dix-huit ans, vient nous con-

sulter le 10 août 1882. - Antécédents héréditaires : Mère bien

portante ; père très nerveux ; un oncle paternel est paralytique

général; une soeur a eu la chorée. - Antécédents personnels :

Convulsions lors de la première dentition ; depuis ce moment

jusqu'à la menstruation, aucune autre manifestation nerveuse.

A partir de cette époque jusqu'à ce jour, M"°F... a eu souvent

des crises convulsives de nature hystérique.

La paralysie faciale qui occupe le côté gauche porte sur tous

les muscles innervés par le nerf de la septième paire, elle est

survenue brusquement sans cause apparente pour la malade

et pour son entourage. Douleurs dans la région mastoïdienne

gauche qui ont apparu la veille de la paralysie et ont persisté

pendant quatre jours. Réactions électriques normales.- Gué-

rison au bout de six semaines. Nous avons revu la malade il v

a trois ans; elle souffrait alors d'une sciatique du côté gauche;

cette névralgie a persisté pendant deux mois environ.

Observation IV. - M"0 D..., seize ans, nous est adressée le

3 janvier 1883. Antécédents héréditaires : Grand'mère pater-

nelle hémiplégique ; père souffre fréquemment de névralgies

faciales; mère bien portante; une soeur de la malade a été

atteinte de mal de Pott.

Mlle D... a eu des convulsions dans sa première enfance.

Elle jouit d'ailleurs d'une bonne santé, cependant elle est très

nerveuse et très impressionnable. La paralysie faciale droite

dont elle est atteinte est survenue brusquement il y a cinq

jours ; les parents, pas plus que la malade, ne savent à quelle

cause rapporter le mal ; la malade ne se souvient pas d'avoir

eu froid ou de s'être exposée à un refroidissement. Tous les

muscles du côté droit de la face sont paralysés. Intégrité par-

faite des réactions électriques. Guérison en cinq semaines.

Nous avons été appelé, il y a deux ans, à donner de nouveau nos

soins à cette jeune fille, qui était atteinte à ce moment de crises

convulsives hystériques avec hémianesthésie du côté gauche.

Observation V. M. X..., trente-deux ans, homme de

lettres, nous est adressé le 3 juin 1883.- Antécédents de famille :

DE LA PARALYSIE FACIALE. 7

Père mortparalytiquegénéral; mère névropathe. - Antécédents

personnels : M. X... n'a eu dans son enfance d'autre maladie

que la rougeole ; il nous dit qu'il est très nerveux, sujet aux

migraines ; nous avons affaire à un névropathe et nous trou-

vons chez lui l'émotivité caractéristique de la neurasthénie

pas de syphilis; - pas d'excès alcooliques.

La paralysie faciale qui date de cinq jours occupe le côté

droit ; elle est complète, le malade ne se rappelle pas avoir été

exposé au froid. Pendant les quinze jours qui ont précédé

l'hémiplégie, il a eu un grand surcroit de travail et il y a eu

chez lui un véritable surmenage intellectuel. Les réactions

électriques sont normales; elles ne subissent aucune modifica-

tion pendant toute la durée de la paralysie dont il ne reste

plus de trace au bout de deux mois.

Observation VI. 1\1lle l..., âgée de quinze ans, vient

nous consulter le 9 juillet 1881.. - Antécédents de famille : Père

bien portant ; mère nerveuse, a souvent des crises convulsives

s'accompagnant de perte de connaissance; frère a eu la çhorée.

Antécédents personnels : Nervosisme très marqué. Convulsions

dans l'enfance. Paralysie faciale du côté gauche datant d'il y a

liuitjours et survenue, d'après ce que nous dit la mère, à la suite

d'un refroidissement; la jeune fille, après avoir eu chaud, est

restée sur un balcon pendant une heure exposée à un courant

d'air très vif. Le lendemain, douleurs lancinantes derrière l'apo-

physe mastoïde; le surlendemain se manifestent tous les signes

de la paralysie faciale du coté gauche ; l'hémiplégie est totale.

Réactions électriques normales. Guérison complète au bout

de cinq semaines.

Observation VII. - ï4lm° l''..., âgée de trente-six ans, nous est

adressée le 22 mars 1885. Antécédents héréditaires : Le père de

la malade est mort aliéné ; un frère est épileptique ; la mère

est bien portante et n'a jamais eu aucune manifestation ner-

veuse. - Antécédents personnels : VIm F... a eudansson enfance

des convulsions ; elle a eu également la coqueluche. Depuis

l'époque de la menstruation, elle souffre fréquemment de né-

vralgies faciales. La malade a deux enfants : l'un, âgé de douze

ans, a toujours joui d'une parfaite santé; l'autre, qui vient

d'avoir neuf ans, a eu de la paralysie infantile à la suite de

laquelle il lui est resté une légère claudication de la jambe

droite. ,

8 PATHOLOGIE NERVEUSE.

La paralysie faciale pour laquelle Mme F... vient nous con-

sulter date de six jours, elle est survenue sans cause détermi-

nante appréciable ; l'hémiplégie qui occupe le côté droit porte

sur tous les rameaux de la septième paire. L'examen électrique

nous apprend que la contractilité farado-musculaire est

notablement diminuée à droite, pas de modifications dans les

réactions galvaniques. - Au bout de quatre mois la guérison

était complète, mais la contractibilité farado-musculaire ne

redevint normale qu'un mois après la guérison.

Observation VIII. M. B..., trente-cinq ans, commerçant,

nous est adressé le I février 1886.- Antécédents de famille : Père

mort d'apoplexie; mère aliénée, s'est suicidée; une soeur hysté-

rique. Antécédents personnels : Ordinairement bien portant

sauf des névralgies du trijumeau tantôt à droite, tantôt à

gauche, qui reviennent assez fréquemment et dont le malade

souffre depuis l'âge de vingt-cinq ans; pas d'excès alcooliques,

pas de syphilis. Il y a cinq jours, hémiplégie faciale droite.

M. B... ne sait à quelle cause attribuer le mal, il ne se rappelle

pas avoir eu froid les jours précédents. L'hémiplégie porte sur

tous les muscles innervés par le nerf de laseptième paire ; dou-

leurs assez vives au niveau de l'apophyse mastoïde. Contrac-

tilité musculaire, normale. Guérison complète en vingt jours.

Observation IX. - M. P..., employé de commerce, âgé de

vingt-deux ans. Antécédents héréditaires : Père atteint depuis

quatre ans de paralysie agitante ; un oncle paternel a un tic

convulsif de la face. Pas d'antécédents nerveux du côté de la

mère. Une soeur du malade est hystérique. Antécédents per-

sonnels : Convulsions à l'âge de deux ans, rougeole à huit ans.

M. P... nous dit que, tout en étant très nerveux, il jouit

néanmoins d'une bonne santé. Il y a huit jours (18 avril 1886)

sans cause appréciable pour lui, il a été frappé d'une paralysie

de la face du côté gauche, paralysie périphérique portant

sur toutes les branches du facial gauche. Diminution assez

notable de la contractilité faradique, contractilité galvani-

que normale ; pas de réaction de dégénérescence. Le malade

est guéri au bout de deux mois.

, Au moment de terminer ce travail, nous avons eu la

bonne fortune de recueillir à la Salpêtrière à la con-

DE LA PARALYSIE FACIALE. 9

sultation de M. le professeur Charcot (26 avril 1887),

l'histoire bien curieuse de trois cas de paralysie faciale

a frigore survenus chez des membres de la même

famille (la soeur et les deux frères).

Voici d'abord les antécédents héréditaires des su-

jets qui font l'objet de cette triple observation : Grand'

mère maternelle morte à la suite d'une affection men-

tale après avoir eu le délire de la persécution; père

mort d'un congestion cérébrale à l'âge de cinquante-

cinq ans, une tante du côté paternel morte à la suite

d'une paraplégie. Mère rhumatisante, très nerveuse,

sujette à des migraines périodiques.

Observation X. Mathilde H..., vingt-huit ans. Anté-

cédents personnels : Rougeole à six ans ; à douze ans, crises ner-

veuses s'accompagnant parfois de perte de connaissance; ces

crises persistèrent pendant trois à quatre mois environ, puis

elles disparurent. 1\1"° H... est très impressionnable, elle rit et

pleure facilement; migraines habituelles. A diverses reprises,

poussées d'eczéma de la face.

Le 28 janvier 1887, M"° H... s'est trouvée exposée à un cou-

rant d'air dans un compartiment de chemin de fer; elle fut prise

le soir même de douleurs ayant leur siège dans l'oreille et au

niveau de l'apophyse mastoïde du côté gauche ; le surlendemain,

hémiplégie faciale gauche. La malade est en traitement depuis

cette époque et elle se présente à nous aujourd'hui (26 avril,

1887), soit' trois mois après le début de l'affection avec une

paralysie faciale incomplètement guérie. La contractilité

volontaire et la contractilité électrique sont normales dans les

muscles innervés par le facial supérieur; cependant l'oeil se

ferme encore avec une certaine difficulté, il y a de plus ut

l'épiphora. Dans la région du facial inférieur, la guérison est

moins avancée, à l'exception du releveur de l'aile du nez et de

la lèvre supérieure; l'excitabilité faradique est notablement

diminuée dans tous les muscles, l'excitabilité galvanique n'est

pas augmentée, mais il y a prédominance de la contraction à

l'anode; en un mot, les muscles présentent les signes de la

réaction de dégénérescence partielle. 0

10 pathologie NERVEUSE.

Observation XI. - Albert H..., trente-trois ans, employé.

- Antécédents personnels : Rougeole dans l'enfance. Migraines

très violentes survenant au moins une fois par semaine.

Albert H... a eu, il y a quatre ans, à la suite d'un refroidisse-

ment, une paralysie faciale du côté gauche; la guérison n'a

pas été complète; l'oeil gauche se ferme difficilement; épiphora.

La contractilité volontaire et la contractilité faradique sont

perdues pour un certain nombre de muscles, et en particulier

pour les zygomatiques.

Observation XII. - Charles H..., trente-sept ans, employé,

a eu, à l'âge de treize ans à la suite d'un froid, une paralysie,

faciale droite qui a duré environ cinq mois et s'est terminée

par une guérison complète. Il y a un an, nouvelle hémiplégie

faciale du même côté ; cette dernière paralysie de la septième

paire a guéri au bout d'un mois sans laisser aucune trace. (Ces

renseignements nous sont fournis par le frère de Charles H...

que nous n'avons pu examiner directement, celui-ci n'habitant

pas Paris.)

Ces trois observations sont particulièrement pro-

bantes au point de vue spécial qui nous occupe et

pourraient suffire à elles seules pour établir le rôle

prépondérant de la tare nerveuse héréditaire dans

l'étiologie de la paralysie faciale a frigore. En présence

de ces trois paralysies faciales survenues chez les

membres de la même famille, de la récidive de la para-

lysie chez l'un des sujets (Obs. Charles H...), on ne

peut guère admettre qu'il se soit agi d'une simple

coïncidence, et il est difficile de ne pas reconnaître

dans l'espèce l'influence de l'hérédité névropathique,

sur l'existence de laquelle les renseignements relatifs

aux antécédents de famille ne laissent d'ailleurs

aucun doute.

Toutes les observations qui précèdent ont trait à des

sujets issus de souche nerveuse; la tare héréditaire est

manifeste et indéniable; il nous reste maintenant à

DE LA PARALYSIE FACIALE. il 1

faire la relation ' de 5 autres cas d'hémiplégie faciale

dans lesquels il nous a été impossible, faute de ren-

seignements précis, d'être nettement fixé sur les anté-

cédents de famille. Mais si, dans les cas suivants, la

preuve absolue de la prédisposition héréditaire nous

fait défaut, les antécédents personnels des malades, les

manifestations nerveuses qui, chez la plupart, ont pré-

cédé ou suivi la paralysie faciale, la coexistence d'autres

états morbides (arthritisme, diabète, obs. XIV), dont les

connexions avec les affections du système nerveux

sont aujourd'hui bien établies, nous permettent d'affir-

mer que dans cette deuxième catégorie d'observations,

comme dans la première série de faits, nous sommes

sur le terrain de la névropathie et que la paralysie

faciale, loin de constituer chez nos malades une mani-

festationaccidentelle, est au contraire liée aune sus-

ceptibilité particulière, à une vulnérabilité spéciale de

leur système nerveux.

Observation XIII. - \h'° A..., âgée de soixante ans, vient

nous trouver le 21 octobre 1884. Pas de renseignements précis

au point de vue des antécédents héréditaires. Mme A... est

arthritique; elle a eu à diverses reprises de l'eczéma de la face.

Il y a quatre ans, elle a été atteinte d'une sciatique (côté droit)

qui a duré près de six mois. Le 14 octobre dernier, elle s'est

aperçue, en voulant souffler une bougie, qu'elle était paralysée

du côté gauche de la face; depuis la veille déjà, elle éprouvait t

des douleurs lancinantes derrière l'oreille gauche. La malade

attribue son hémiplégie faciale à un refroidissement qu'elle

aurait pris deux jours avant en stationnant devant un bureau

d'omnibus. Tous les muscles innervés par le facial gauche sont

paralysés ; guérison complète au bout de quatre semaines.

Observation XIV. Mmo G..., soixante ans. Pas de'

renseignements précis quant aux antécédents de famille.

Mme G... a toujours été très nerveuse; depuis quelques mois, -

12 PATHOLOGIE NERVEUSE.

à la suite de chagrins profonds, son nervosisme s'est beaucoup

accentué. La malade est diabétique depuis plusieurs années

déjà. Il y a huitjours (12 mai 1885), paralysie faciale survenant

brusquement ; la malade ne s'est pas exposée au froid et ne

sait à quelle cause imputer l'hémiplégie. Il s'agit bien d'une

paralysie périphérique complète portant sur tous les muscles

placés sous la dépendance de la septième paire. L'examen

électrique, pratiqué à diverses reprises, nous permet de cons-

tater qu'il y a une diminution sensible de la contractilité

faradique des muscles de la face de côté droit; pas de modifica-

tions de la contractilité galvanique, pas de réaction de dégéné-

rescence.

La guérison ne survint qu'au bout de huit mois, et encore

est-elle incomplète; les muscles orbiculaires des paupières,

frontal et releveur de la lèvre supérieure n'ayant recouvré

qu'imparfaitement la contractilité volontaire.

OBSERVATMNXV. M. D... trente-sept ans, nous est adressé

le 18 octobre 1885. Pas de renseignements au point de vue des

antécédents de famille. M. D... est très nerveux; depuis un an

il a eu des préoccupations morales, des chagrins qui, d'après

lui, ont encore augmenté son nervosisme. C'est dans ces con-

ditions, et sans s'être exposé au froid, qu'il a été pris, il y a

cinq jours, d'une paralysie de la septième paire occupant le

côté gauche de la face. M. D... nous apprend qu'il a déjà eu

antérieurement deux hémiplégies faciales, l'une il y a trois ans

(nerf facial gauche), l'autre il y a dix-huit mois environ (nerf

lacial : droit) ; c'est donc pour la troisième fois que M. D... est

atteint d'une paralysie de la septième paire. Tous les muscles

innervés par le facial gauche sont paralysés, mais incomplète-

ment seulement; l'examen électrique ne nous révèle d'ailleurs

aucune modification dans les réactions faradique et galvani-

que et nous permet de porter un pronostic très favorable. Au

bout de trois semaines, la paralysie avait totalement disparu.

Observation XVI. M. M..., vingt-huit ans, négociant.

Antécédents de famille : Pas de renseignements positifs au

point.de vue de l'hérédité. Antécédents personnels : Convulsions

dans Ja première enfance; à l'âge de dix ans, tic convulsif

du membre supérieur droit, qui a persisté pendant plusieurs

années; deux ans plus tard, bégaiement qui a duré assez

longtemps et qui a à peu près disparu aujourd'hui.

, DE LA PARALYSIE FACIALE. 13

Le 25 mars 1886, M. M... a été exposé à un violent courant

d'air ; le lendemain, douleurs vives au niveau de l'apophyse

mastoïde ; le surlendemain, paralysie du nerf facial droit; la

paralysie est complète. Abolition de la contractilité faradique,

augmentation de la contractilité galvanique, réaction de dégé-

nérescence.

Les signes de la réaction de dégénérescence ont disparu

depuis le mois d'août ; la contractilité volontaire n'a pas tardé

à revenir insensiblement au mois de décembre, soit neuf mois

après le début de la paralysie ; les muscles se contractaient

normalement sous l'influence de la volonté mais le retour de

la contractilité faradique s'est fait attendre jusqu'à la fin du

mois de février (1887).

Observation XVII. M. F..., vingt-six ans, pianiste, nous

est adressé le 29 juillet 1886. Pas de renseignements quant

aux antécédents de famille. Antécédents personnels : Migraines

périodiques depuis l'adolescence. Impressionnabilité excessive,

tendance à l'hypochondrie; sommeil irrégulier avec cauche-

mars ; dyspepsie, constipation habituelle. M. F... qui accuse,

comme on voit, les symptômes caractéristiques de la névropa-

thie, a été surmené et obligé depuis quelques années de se

livrer à un travail excessif pour subvenir à ses besoins. C'est

dans ces conditions essentiellement défectueuses au point de

vue du système nerveux et sans autre cause apparente qu'est

survenue la paralysie faciale. Elle date déjà de six semaines

quand nous voyons le malade pour la première fois.

Paralysie complète de toutes les branches de la septième

paire (côté gauche), diminution notable de l'excitabilité faradi-

que des rameaux nerveux, tant pour le facial inférieur que

pour le facial supérieur; pas d'accroissement de l'excitabilité

galvanique, mais contraction plus forte à la fermeture avec

l'anode qu'avec le cathode (réaction de dégénérescence par-

tielle). Au bout de trois mois, amélioration notable; guérison

dans le courant de février dernier, c'est-à-dire neuf mois après

le début de la paralysie.

Les faits cliniques que nous venons de relater nous

paraissent suffisamment démonstratifs pour mettre en

lumière la part prépondérante qui doit revenir à la

prédisposition nerveuse dans l'étiologie de l'hémiplé-

14 PATHOLOGIE NERVEUSE. DE LA PARALYSIE FACIALE.

gie faciale friore et pour faire ressortir les liens

étroits qui unissent cette paralysie aux autres maladies

du système nerveux et, en particulier aux névroses.

Que le froid, les émotions morales vives puissent in-

tervenir dans un grand nombre de cas à titre d'adju-

vants, en tant qu'éléments étiologiques occasionnels,

nous ne le contestons pas : de même que le trauma-

tisme peut produire une contracture chez l'hystérique,

un accès dégoutte chez le goutteux, de même le froid

peut provoquer une paralysie faciale chez le névro-

pathe ; mais ce n'est là qu'une cause déterminante,

accessoire et seuls les sujets prédisposés en subissent

les effets;-la cause vraie, la cause nécessaire de l'hémi-

plégie faciale a frigore, c'est la prédisposition ner-

veuse héréditaire. C'est elle qu'il faut incriminer et

chaque fois qu'on se trouve en présence d'un sujet

atteint de paralysie faciale, survenue en dehors de

toute lésion organique, on doit l'examiner avec le plus

grand soin au point de vue de ses antécédents person-

nels, au point de vue de ses antécédents de famille;

et le plus souvent, toujours à notre conviction, une

enquête minutieuse et bien conduite fera découvrir la

tare nerveuse héréditaire sans laquelle toutes les causes

occasionnelles(froid, etc.) eussent été absolument im-

puissantes pour provoquer une hémiplégie de la face.

Affection essentiellement nerveuse, la paralysie fa-

ciale rhumatismale doit donc être définitivement rayée

du cadre, de plus en plus restreint d'ailleurs, des

maladies a frigore pour prendre dans la grande fa-

mille neuropathologique la place qui lui appartient de

par son origine.

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'HYSTÉRIE CHEZ L'HOMME. -

TROUBLES DE LA'SENSIBILITÉ CHEZ LES ORIENTAUX. LES

AISSAOUA; '

, Par le Dr JU3'r LUCAS-CHA11PI0\NIÈIE, '

. Chirurgien de l'hùpital Sainl-Louis.

Depuis quelques années, on a beaucoup étudié l'hys-

térie chez l'homme, et on l'a bien étudiée. Dans l'ar-

deur des nouvelles recherches, on a peut-être trop

oublié d'anciennes et très intéressantes descriptions.

Comme tous ceux qui ont eu l'honneur d'être élèves

de Beau, je me suis toujours étonné qu'on ne se fut

plus souvenu que le regretté maître protestait contre

l'opinion qui voulait faire de l'hystérie une maladie

propre à la femme. Il affirmait qu'elle existait chez

l'homme; il la décrivait avec soin; il montrait les phé-

nomènes communs à la femme et à l'homme, établis-

sant l'identité des manifestations morbides. Non seu-

lement il faisait tous les ans, sur ce sujet, des leçons

que suivait un public nombreux, mais ces leçons ont

été même publiées plus ou moins complètement dans

divers recueils, et on en retrouve des indications dans

son Traité (posthume) de la dyspepsie. Mais surtout

ses élèves doivent avoir conservé la mémoire de son

enseignement.

Les troubles de la sensibilité, l'analgésie hystérique

attiraient tout particulièrementsonattention. Il montrait

comment on rencontrait l'analgésie chez l'homme

comme chez la femme. Puis, avec l'esprit ingénieux

qu'il apportait en toutes ses observations, il faisait

16 PATHOLOGIE NERVEUSE.

remarquer que l'insensibilité de certains individus

avait dû être le point de départ de certains actes

extraordinaires, où des individus avait follement bravé

la douleur. Parmi les héros de l'histoire auxquels il

attribuait rétrospectivement l'analgésie hystérique, il

citait au premier rang MusciusScévola. Il estimait, avec

toute apparence de raison, que l'acte de l'homme qui

fait lentement brûler sa main sans manifester de dou-

leur ne s'explique que parce que l'individu est doué

d'une insensibilité spéciale, quelque puisse du reste

être sa bravoure.

J'ai toujours conservé dans la mémoire les en-

seignements de Beau et ce doit être la raison pour

laquelle, à une époque où on oubliait, avec ce nom

de Beau, ses études très complètes sur l'hystérie chez

l'homme, j'observais avec intérêt tout ce qui touche à

cette question. J'ai d'abord reconnu, comme le disait

Beau, que l'hystérie chez l'homme n'est pas rare, avec

cette réserve peut-être que les cas complets présentant

toutes les grandes manifestations de l'hystérie sont

moins communes chez l'homme que chez la femme.

Toutefois, j'en ai observé longtemps deux cas, qui

étaient si remarquables à certains égards que je ne

puis résister au désir de les signaler rapidement,

quoique ces observations assez anciennes (l'uneremonte

à 1872, l'autre à 1875) aient été prises fort incom-

plètement. Il n'y a eu aucune étude régulière de la

sensibilité; cependant, dans ces deux cas, je n'avais

point trouvé d'analgésie, mais plutôt de l'hyperesthésie.

Observation I. Le premier cas, que j'ai observé le moins

longtemps, était celui d'un homme qui s'est présenté à mon

observation en 1875. C'était un jeune homme d'une trentaine

DE L'HYSTÉRIE CHEZ L HOMME. 17

d'années, qui avait un petit paquet d'hémorrhoïdes et qui au

moment où je venais de l'examiner eut devant moi, dans mou

cabinet, le plus bel accès d'hystérie que l'on puisse imaginer.

La'sensation de boule qui montait à la gorge et l'étranglait,

était très bien décrit par lui. L'accès dura de vingt à vingt-

cinq minutes, il eut des sanglots bien nets ; puis les accidents

se dissipèrent, il se remit de son émotion en prenant un petit

verre d'eau-de-vie auquel il paraissait accoutumé. Il avait de

ces accidents plus ou moins fréquents depuis trois ans et les

rapportait à un séjour qu'il'avait fait sous l'équateur, mais il

rapportait encore beaucoup de circonstances avec une imagi-

nation désordonnée. Je pris sur lui des renseignements et

j'appris qu'il avait deux soeurs qui avaient des attaques d'hysté-

rie; sa mère avait également des attaques d'hystérie et une

grande bizarrerie de caractère. Le père était indemme de tout

cas pathologique. Quant à lui, son nervosisme habituel était

connu depuis l'enfance, de tous ses parents et amis. Personne

ne put me renseigner exactement sur le début de ses accès.

Lui me raconta qu'ils survenaient quelquefois sans causes

connues, mais qu'ils étaient fréquents aussi sous l'influence

d'une émotion vive, d'une grande fatigue ou d'une irritation

douloureuse.

Observation II. J'ai donné des soins en 1872 et années

suivantes, à deux personnes, le frère et la soeur. La soeur avait

tous les caractères des hystériques, accusait des troubles

légers tels que boule hystérique, douleur fixe de la tête. Elle avait t

une douleur ovarienne, mais elle avait eu un phlegmon péri-

utérin, ce qui empêchait de ce côté une observation nette. Elle

disait n'avoir pas d'attaques de nerfs, mais des membres de la

famille m'ont affirmé qu'elle en avait eu à plusieurs reprises.

Son frère avait le tempérament nerveux, développé d'une

façon très remarquable. A la suite de quelques fatigues, modé-

rées toutefois, il devint très dyspeptique, puis tout d'un coup

éclatèrent des accidents hystériques très violents. Il vomissait

régulièrement chaque matin et très souvent plusieurs fois dans

la journée, à des intervalles variables et surtout quand il était

en proie à une vive émotion, il était pris subitement d'accès

de dyspnée des plus singuliers. Il accusait un état d'angoise

extrême, il se sentait étrangler; puis il avait des mouvements

convulsifs qui prenaient de temps en temps un véritable

caractère de violence. Il n'avait pas une perte de connaissance

Archives, t. XIV. 2

18 PATHOLOGIE NERVEUSE.

complète. Cependant il conservait seulement un souvenir con-

fus des- circonstances de l'attaque. Après quelque temps les

attaques revenaient presque chaque jour.

Des toniques, l'arsenic et surtout les douches froides admi-

nistrées avec beaucoup de constance, ont amené la disparition

des accidents. En plusieurs années ils n'ont été observés que

très rarement et très atténués.

Bien que nous n'ayons jamais eu de renseignements très

complets sur les parents, on croyait que la mère avait eu des

attaques de nerfs dans sa jeunesse.

Cet individu était, même avant cette époque, d'une émoti-

lité extrême. Il pleurait avec une grande facilité et il nous

rapporta que même en état de santé parfaite, il vomissait sous

l'influence de la moindre émotion, du dégoût le plus léger,

et même à certaines époques sans cause excitante appréciable.

Après une période de bonne santé, ce jeune homme dont

l'éducation était excellente et qui n'avait antérieurement

aucune habitude alcoolique devint dipsomane; il arriva à un

état de cachexie fort avancée puis il s'améliora sous l'in-

fluence de la suppression absolue de l'alcool. Bien que sa

santé fut fort délabrée, depuis l'alcoolisme il n'avait plus eu

d'accidents convulsifs, et les vomissements étaient devenus

fort rares. Il avait eu des hémorrhagies nasales fréquentes, il

avait maigri beaucoup, présentait de l'oedème des jambes, de

la somnolence. Son état général était assez nouveau pour

qu'on pût pronostiquer une fin prochaine.

Il n'avait plus d'attaques convulsives; mais son caractère

était devenu très bizarre; et, bien qu'il fut très faible, à propos

des sujets des plus futiles, il entrait dans des colères violentes

qui se terminaient habituellement au milieu de flots de lar-

mes. '

Bien que les apparences fussent excessivement graves, sous

l'influence de la suppression de l'alcool, sous l'action de dou-

ches, la rapidité de l'amélioration fut grande. Il se comporta

encore dans cette circonstance, comme les hystériques. Après

de nouveaux accès de dipsomanie, il finit par succomber à l'al-

coolisme sans que j'aie eu l'occasion de le soigner à nouveau.

Ce sont là, sans contredit, des faits d'hystérie très

complète dont les phénomènes ont été grossièrement

étudiés, je l'accorde, et ne diffèrent pas de ce que l'on

DE L'HYSTÉRIE CHEZ L'HOMME. 19

observait en général chez les femmes. Si j'en parle,

c'est que ces deux observations renferment au point

de vue des antécédents des détails importants et inté-

téressants. Les observations de ce genre se multiplient

aujourd'hui avec des malades beaucoup mieux étu-

diés que les miens. On a observé chez l'hommeà peu

près tout ce que l'on peut observer chez la femme. On

a même vu, et je veux insister sur ce point à cause

de l'étude qui va suivre, on a vu, dis-je, que la dou-

leur du ventre, dite douleur ovarienne, existe chez

l'homme comme chez la femme,

A la Société médicale des Hôpitaux, M. Debove rap-

portant une curieuse observation, a signalé l'existence

chez son malade, d'une douleur apparaissant par la

pression dans la région qui correspond à celle de l'o-

vaire chez la femme. Selon M. Debove, la présence de

ce point chez l'homme était une preuve que, chez la

femme hystérique, la douleur dite ovarienne n'a pas

son siège dans l'ovaire. Ceci cadre fort bien, du reste

avec les faits connus : l'extirpation des ovaires sains

ou malades n'a pas fait disparaître la douleur dite

ovarienne.

J'ai moi-même, comme d'autres observateurs, en-

levé des ovaires chez les femmes hystériques et cons-

taté la persistance de la douleur abdominale. J'ai

constaté aussi dans d'autres circonstances, comme je

le dirai plus loin, la douleur abdominale chez l'homme.

Cela ne me paraît pas démontrer du tout que la

douleur ne siège pas dans l'ovaire chez la femme.

Cela démontre tout au plus que l'ovaire n'est pas le

seul siège possible des douleurs abdominales chez les

hystériques.

20 PATHOLOGIE NERVEUSE.

Chez la femme qui a subi la castration, la douleur se

localise dans le moignon ou en un point plus élevé. Chez

l'homme elle se fixe, dans les plexus de l'abdomen.

Tout cela paraît assez simple. Ce sont des phénomènes

qui se produisent à peu près dans la même région et

qui ont une telle parenté qu'il est presque impossible

de les distinguer l'une de l'autre.

Si l'hystérie de l'homme s'observe si nette, si com-

plète, on doit penser que les cas où on rencontre des

manifestations limitées imparfaites sont bien plus

fréquentes encore. Parmi les manifestations limitées

de l'hystérie, il y en a une qui devait appeler mon

attention plus que toute autre, celle des troubles de la

sensibilité amenant une insensibilité à la douleur,

soit que cette insensibilité fût primitive, soit qu'elle

résultât de l'action de causes extérieures, soit qu'elle

fût créée par des manoeuvres voulues.

C'est d'abord un fait vulgaire pour les chirurgiens

que l'absence totale du sentiment de la douleur chez

certains individus. Nous l'observons plus rarement

aujourd'hui que l'on anesthésie tous les sujets qui

doivent subir des opérations très douloureuses. Mais,

dans le cas de certaines petites opérations, comme l'ex-

traction des dents, il est évident qu'il y a des indivi-

dus qui ne souffrent pas.

Comme Beau , je ne leur fais pas gloire de

leur bravoure. Il y a des gens qui n'ont pas de ma-

nifestations, tout simplement parce qu'ils sont insen-

sibles. Il serait très intéressant de voir dans quelle

mesure ces gens, à insensibilité habituelle, se rap-

prochent des hystériques vrais. Je ne sache pas que

cela ait jamais été fait, mais je suis bien convaincu

DE l'hystérie CHEZ l'homme. 21

qu'on trouverait parmi eux des gens à rappro-

cher de ces types si bien étudiés par M. Charcot, qui

a montré, chez l'hystérique homme, l'insensibilité

au chaud, au froid, à la douleur.

A côté de cette insensibilité, qui résulte d'un état

organique, il fait placer l'insensibilité temporaire qui

résulte decertaines commotions morales. Il y abien long-

temps que l'on a signalé ce fait, que, dans l'ardeur

de la bataille, les combattants ne s'apercevaient pas

des blessures, mêmes graves, qui les atteignaient.

Là, l'acte est assez complexe, et l'on considère que

les blessures sont moins douloureuses qu'on ne pour-

rait se figurer aussi. Mais on a fait remarquer en

même temps que ces mêmes combattants, encore

sous l'influence de l'excitation de la lutte, subissent

sans broncher des opérations chirurgicales, évidem-

ment douloureuses. Les mêmes blessés, quelques

jours plus tard, sortis de la période d'excitation, de-

viennent sensibles quelquefois à un haut degré. Il

semble même pour quelques-uns qu'ils aient passé de

l'anesthésie à l'hypéresthésie.

J'ai vu la terreur produire des effets analogues,

Il m'est arrivé bien souvent de faire des opérations

courtes à des individus très effrayés par la perspective

d'une opération, sans qu'ils s'en fussent aperçus. Ils

croyaient l'opération à faire quand elle était ter-

minée, et cependant elle était douloureuse. Jamais je

n'ai vu le phénomène plus marqué que chez un in-

dividu très pusillanime que j'accompagnai chez un

dentiste, devant le chloroformer pour l'extraction de

deux dents. 11 était en proie à une double terreur de

l'opération et du chloroforme qui devait, disait-il,

22 . pathologie NERVEUSE.

le faire mourir. Aussitôt que je lui mis la compresse

sur le nez il devint blème avec la respiration courte,

le pouls petit, sans avoir encore respiré de chloroforme.

Voyant cet état de terreur dans lequel je me souciais

peu de l'endormir, je fis signe au dentiste qui, avec la

clef, lui arracha vivement ses deux molaires. Il res-

sentit si peu de douleur qu'il était convaincu qu'il

avait été anesthésié avec le chloroforme. Ce ne fut

que par la suite qu'il fut détrompé. C'était un sujet

très impressionnable, mais n'ayant aucun antécédent

neuropathique et n'ayant jamais présenté de carac-

tère hystérique. Il avait eu, d'autres fois, des dents

arrachées et avait ressenti vivement la douleur dans

ces cas précédents.

Il y a quelques années, un médecin américain fai-

sait connaître un procédé d'anesthésie générale assez z

singulier qui consiste à faire faire au patient, le plus

vite possible, une série d'inspirations profondes et

précipitées ; au bout de quelques instants, le sujet

subit une anesthésie générale très passagère qui

permet de lui faire une courte opération.

Je n'ai pas eu l'occasion d'appliquer ce procédé,

mais je sais qu'un de nos confrères de l'armée, le

Dr Accolas, a fait cet essai et obtenu des résultats assez

curieux. Il résulte des ces essais que. les sujets sont

très inégalement impressionnés par cette méthode.

Mais il y en a qui au bout de quelques minutes ont de

certains troubles de la vue (ils voient rouge) et sont

parfaitement anesthésiés pour quelques secondes. Je

n'insiste pas sur ces différents faits. Mais je tiens à

faire remarquer que sur des sujets prédisposés une

impression morale vive suspend la sensibilité; je fais

DE l'hystérie CHEZ l'homme. 23

remarquer aussi qu'il y a des sujets prédisposés chez

lesquels certains actes purement mécaniques suffisent

à faire disparaître la sensibilité pour quelques instants.

Pourobserverdesaccidents hystériques chez l'homme

ou simplement pour observer des troubles remar-

quables de la sensibilité, nous devons réunir des faits

exceptionnels en tous cas peu communs. Mais est-il

impossible que si nous observions dans d'autres cli-

mats, en particulier dans les pays chauds, sur des

races différentes, habituées à une alimentation diffé-

rente, dans des conditions de civilisation et d'impres-

sion différentes, est-il impossible que la proportion

fût renversée et que ce qui était rare devînt commun ?

Ne pouvons-nous nous trouver en présence d'indivi-

dus chez lesquels les troubles de la sensibilité sont

très fréquents, dont le système nerveux est facile à

l'excitation, à l'épuisement ? En étudiant ces phéno-

mènes avec soin, en appliquant en grand la méthode

que Beau appliquait à l'interprétation de certains faits

de l'histoire, nous trouverions sans doute l'explication

de bien des faits extraordinaires, de choses dites inex-

plicables, qui ont paru si étranges qu'il a semblé sou-

vent plus simple de les nier que de les interpréter.

N'oubliant rien des leçons premières que j'avais re-

çues au début de mon éducation médicale, j'ai observé

des indigènes pendant quelques voyages que j'ai faits en

Orient. Ayant séjourné quelque temps en Algérie, il

m'est arrivé de voir des indigènes subir des opéra-

tions et j'ai observé leur attitude devant la douleur.

.I'ai vu des séances d'Aissaouas qui m'ont vivement

intéressé; et cherchant toujours dans le même ordre

d'idées, j'ai vu quelques phénomènes qui m'ont paru

24 pathologie NERVEUSE.

avoir échappé à d'autres observateurs. J'ai de mon

mieux interrogé tous ceux qui pouvaient me renseigner

sur la matière, et j'ai appris quelques détails extrême-

ment instructifs, en particulier ceux que j'ai recueillis

chez un médecin indigène, le Dr l\Iohamed-ben-Larbey

(d'Alger).

Nous entendons sans cesse parler des aventures mys-

térieuses d'Orient, des épreuves douloureuses, extraor-

dinaires supportées par certaines races et enfin des pra-

tiques bizarres et cruelles de certaines manifestations re-

ligieuses. La raison principale de tous ces faits extraor-

dinaires me paraît tout simplement que ces races sont

plus faciles aux phénomènes nerveux favorisés du reste

par le climat et le genre de vie de ces gens.

La conséquence c'est que, chez eux, des troubles

de la sensibilité (analgésie surtout) sont infiniment

plus communs que chez nous. C'est encore que s'ap-

puyant sur cette prédisposition, ils sont arrivés depuis

longtemps à des pratiques où le magnétisme empirique

joue un rôle considérable. Ils sont venus à provoquer

une partie des phénomènes qu'on a tant étudié chez

nous depuis peu et dont la parenté avec l'hystérie est

reconnue. Même, comme je le dirai plus loin, ils pa-

raissent engendrer communément des accidents hysté-

riques qui jettent un jour fort intéressant sur le pro-

cessus de ces pratiques mystérieuses. Nous nous aper-

cevons une fois de plus qu'ils ont découvert depuis

longtemps ce que la science moderne étudie chez nous

et que, dans la pratique, ils nous ont devancés d'une

incalculable période.

Tous les médecins qui ont observé les populations

indigènes du nord de l'Afrique etbeaucoup d'Orientaux

DE l'hystérie CHEZ L'HOMME. 25

s'accordent à dire que la douleur est supportée d'une

étonnante façon par ces gens. J'ai eu moi-même

quelques occasions de le constater au cours de quelques

opérations que j'ai vu pratiquer à Alger par mon col-

lègue et ami le Dr Bruch. J'ai été très frappé de cette

manière de supporter l'opération, indifférente en

quelque sorte, et comme si on la pratiquait sur le voi-

sin. Il ya là une grande distinction à faire de ce cas et

de celui de l'homme courageux qui ne veut laisser

surprendre les manifestations violentes de son émo-

tion mais dont la figure se contracte et qui est sans

cesse trahi par quelques mouvements involontaires.

Est-ce à dire qu'ils méprisent la douleur et tiennent

à la braver comme on le pense souvent. Je ne le crois

pas beaucoup. Ils ont une attitude que l'on a mal

comprise. Ils ressemblent avant tout à ces individus

qui n'ont conscience ni du froid ni du chaud et qui ne

bravent le froid ou l'extrême chaleur que parce qu'ils

sont incapables de les apprécier et de les mesurer. Ils

ne se plaignent pas parce qu'ils ne sentent pas.

Pourquoi ne manifesteraient-ils pas s'ils souffraient ?

L'indigène d'Algérie, par exemple, n'est-il pas un ma-

nifestant avant tout, bruyant pour la moindre des

causes, criant pour un objet qui nous ferait à peine

parler plus haut. La douleur serait la seule impres-

sion qui le trouverait silencieux.

Contrairement à ce que l'on dit, il redoute parfaite-

ment la douleur, même la douleur atténuée, la seule

qu'il connaisse. Il ne tient pas à la braver s'il la prend

pour certaines opérations chirurgicales. Le Dr Ac-

colas, médecin-major, nous en signalait une preuve

bien curieuse. Il a longtemps exercé à l'Oued Atme-

26 pathologie NERVEUSE.

nia, province de Constantine. Il avait très vite re-

connu que les indigènes, qui sont si défiants de tout

ce qui vient de nous, ont cependant très vite appris ce

que valait le chloroforme. Ils acceptaient bien les opé-

rations qui leur paraissaient devoir leur rendre service,

mais à la condition expresse d'être endormis par le

chloroforme; ils ne cherchent donc pas à braver la

douleur. Mais il est bien certain que dans les circons-

tances ordinaires de leur vie, ils mesurent fort mal la

douleur. Même, on peut dire qu'elle leur est assez in-

différente pour qu'ils ne puissent pas comprendre ce

qui s'y rattache.

J'ai été bien frappé d'une conversation que j'eus

1881 à Biskra avec un thoubib. Il me donnait des ren-

seignements sur la trépanation du crâne, et il me disait

que, si je voulais rester deux jours de plus à Biskra, il

trouverait bien quelqu'un à trépaner devant moi. Je

m'étonnais de la facilité de ses compatriotes à accep-

ter cette opération pratiquée par le thoubib avec des

instruments grossiers et qui me semblait forcément

douloureuse et longue. Cet homme, qui était fort in-

telligent, qui avait répondu d'une façon intéressante

à toutes mes questions, ne pouvait pas arriver à com-

prendre celle-ci ; cette idée de douleur n'avait aucune

importance pour lui, et il avait été lui-même trépané

quatre fois.

Ces individus normalement peu sensibles à la

douleur ont une impressionnabilité bien autrement

grande que la nôtre. Leur imagination est toujours

- en éveil. Individuellement, ou en masse, ils subissent

des entraînements qui nous sont inconnus. Ce système

nerveux si excitable est encore à la merci d'une ali-

DE l'hystérie CHEZ l'homme. 27

mentation qui n'est même pas comparable à celle

des plus pauvres de nos paysans. Pour les gens riches

eux-mêmes la sobriété est extrême et le jeûne rigou-

reux est commun.

Il serait bien intéressant de savoir d'une façon

exacte si chez eux l'hystérie de l'homme est pluscom-

mune que chez nous. D'après quelques renseignements,

j'ai tout lieu de le penser; mais, comme je ne pourrais

le démontrer, je n'insisterai pas sur ce point. Mais ce

qui est très curieux, c'est qu'un certain nombre de

ces gens évidemment prédisposés réussissent à produire

artificiellement chez eux-mêmes une série de phéno-

mènes caractéristiques de l'hystérie, une véritable hys-

térie artificielle. J'ai observé de ces pratiques qui

constituent des expériences physiologiques de réelle

importance et qui méritent d'être étudiées.méthodique-

ment.

L'hystérie a toujours joué un rôle important dans

les manifestations religieuses et l'onsait que certaines

religions actuellement existantes en Orient en usent

largement. L'islamisme, à ce point de vue, nous inté-

resse spécialement. Il utilise beaucoup le nervo-

sisme, et chose très remarquable, il s'adresse exclusive-

ment à l'homme. Dans cette religion, la femme ne

joue aucun rôle. Individuellement elle n'a aucun droit

d'entrée au paradis; elle n'y entre qu'utilisable sous

la forme de houri, ou comme propriété du Prophète

ou d'un saint. Les cérémonies religieuses la tiennent

absolument à l'écart et marquée de quelque signe qui

rappelle son infériorité. A l'homme la religion réserve^

toutes ses épreuves. L'ascétisme, la méditation s'u-

nissent à des cérémonies entraînantes et conduisent

28 pathologie NERVEUSE.

à des manifestations où le fait de braver la douleur

joue un rôle important.

Les Aissaouas appartiennent à une secte qui paraît

avoir réduitle principal de sesmanifestations religieuses

à ces séances pendant lesquelles ils doivent subir des

épreuves douloureuses ou dégoûtantes.

Les épreuves publiques comportent deux parts;

l'une d'acrobatisme assez vulgaire et l'autre d'insensi-

bilisation par un 'procédé complexe. Il est inutile d'en

rééditer la description qui a été bien des fois re-

produite, mais en énuméraut rapidement les faits de

la séance on peut donner une idée nette des conditions

dans lesquelles ils se produisent.

Dans un local ordinairement mal éclairé, habituel-

lement resserré se groupent les musiciens et les dan-

seurs. Les musiciens forment un demi-cercle et font

face aux danseurs. Toutefois au début de la séance

les musiciens sont plus ou moins mêlés aux danseurs

et ceux-ci jouent même des instruments.

Celui qui dirige les exercices, et qui est le chef des

musiciens, fait au début une sorte de prière, puis

commence la musique c'est-à-dire un mélange d'un

chant monotone accompagné par des coups de tam-

bourins d'abord bien rythmés puis augmentant de

violence et arrivant à un véritable vacarme. Au bout

d'un temps de musique toujours long, un, puis plu-

sieurs individus rangés auprès des musiciens se lèvent

et se livrent aux mouvements rythmiques de la tête

sur lesquels nous reviendrons.

Après une longue préparation viennent les exercices.

Ceux-ci sont en général gradués. Les plus compliqués

ne se produisent guère qu'à la fin de la séance. Au

DE l'hystérie chez l'homme. - 29

début, on en fait peu à la fois; à la fin, plusieurs

sujets travaillent simultanément. La séances longue :

trois ou quatre heures; puis, celle-ci terminée, les

danseurs haletants, fatigués, se retirent et les musiciens

font, avec plus ou moins de négligence, une prière.

Il y a deux ordres de faits à observer au cours de

cette séance : 1° un ensemble de moyens employés

pour déterminer l'insensibilisation du danseur; 2° les

exercices proprement dits et la portée qu'ils peuvent

avoir.

Le procédé d'insensibilisation est assez curieux à

étudier parce qu'il comporte plusieurs éléments. L'en-

traînementreligieux neparaîtjoueraucunr8le. La céré-

monie commence bien par une prière, mais à-laquelle

personne ne parait prêter d'attention. La musique au

contraire joue un rôle très important, si on peut

donner le nom de musique aux coups frappés d'une

façon régulière sur un immense tambourin dont la

forme rappelle assez bien les grands tamis à confitures.

Les coups frappés avec une grande monotomie accom-

pagnent un chant tout aussi monotone, qui garde sa

régularité, tandis que l'accompagnement va ens'accé-

lérant pendant les exercices. Pendant ceux-ci, les

musiciens élèvent leurs tambourins au-dessus de la

tête de l'acteur et l'enveloppent en quelque sorte de

ce bruit étrange. La musique est [continuée pendant

une période considérable. Souvent, une demi-heure

s'écoule avant que ce qu'on appelle la danse débute.

En tous cas, un quart d'heure à vingt minutes parais-

sent un minimum nécessaire. Je ferai remarquer dès

à présent que cette musique assez sauvage, qui vous

impressionne d'abord fort désagréablement, vous donne

30 pathologie NERVEUSE.

au bout de quelque temps une sensation singulière

d'étourdissement, un petit vertige, auquel on résiste

sans doute mais qui doit être ressentie assez vivement

par les natures impressionnables. Lorsque cette mu-

sique exécutée par un nombre variable de musiciens

a duré quelque temps, un des membres de la troupe

se lève brusquement, fait face aux musiciens et le

corps incliné en avant, se met à balancer la tête par

un mouvement impossible à décrire. Il semble que

les vertèbres du cou n'existent pas et que la tête lan-

cée en l'air par un ressort retombe devant le tronc

par son propre poids, pour être de nouveau rejetée

en l'air ou de côté pour recommencer sa course.

Ce manège est longtemps continué. A Alger le

danseur qui s'y livre le fait en fixant la flamme d'une

sorte de cierge placé à côté du chef des musiciens.

Cette flamme paraît jouer un rôle important dans le

développement de l'insensibilité; mais tous les Ais-

saouas n'en usent pas. J'ai vu une troupe qui n'avait pas

de bougie devant elle. Je n'ai pu m'assurer s'il n'y

avait pas quelque autre point brillant fixé par le dan-

seur. J'y reviendrai.

Pendant ces mouvements qui ont l'air désordonnés,

mais qui sont très réguliers, la coiffure tombe; le

danseur se dépouille de presque tous les vêtements,

sauf le pantalon. S'il est seul, il se déplace peu sur

le devant de la scène. Si plusieurs dansent ensemble,

ils se tiennent enlacés et joignent au balancement de

la tête une sorte de déplacement latéral qui se marie

très bien au premier mouvement rythmique.

Ces mouvements ayant duré une demi-heure, et

souvent beaucoup plus, les exercices commencent.

DE 1, hystérie CHEZ L'HOMME. 31

Mais d'autres éléments de préparation paraissent en-

core se joindre aux précédents. Des matières odorifé-

rantes et surtout du benjoin sont projetées sur des

fourneaux et l'acteur vient exposer sa figure à ces

vapeurs qu'il aspire avidement. Il y a du reste, au-

devant des musiciens, un cercle de fourneaux allumés,

de réchauds sur lesquels ils chauffent la peau de leur

tambourin, et si la séance a lieu dans un endroit clos

il règne toujours une atmosphère insupportable de

vapeurs de charbons. Certains des acteurs exposent

leur tête fort longtemps au-dessus du réchaud qu'a-

nime un des musiciens en agitant le tambourin au-

devant de lui.

Lorsque tous ces exercices sont en train, la face se

congestionne, bleuit; il y a une sorte d'exophtalmie;

les yeux sortent de la tête; les épaules, les bras sont

couverts de sueur ; le front ruisselle. L'acteur com-

mence alors ses exercices.

Ces cérémonies sont beaucoup moins épouvantables

qu'on ne l'a dit souvent; et l'observateur non prévenu

estime immédiatement que les sujets sont acrobates

dans une certaine mesure. L'acrobatisme n'est pas

très compliqué, et cela se conçoit car la période d'ini-

tiation est courte; les Aissaouas sont les premiers

venus. La plupart de leurs exercices ne sont ni diffi-

ciles ni bien dangereux. Manger des feuilles de cactus,

mâcher des étoupes enflammées, lécher ou frapper

avec la main de gros fers rouges, mâcher et ava-

ler des scorpions ou des couleuvres ou des pou-

lets vivants, même des moutons, s'enfiler les joues, les

narines ou les paupières avec des aiguilles plus ou

moins acérées. Tout cela est dégoûtant, désagréable,

32 pathologie NERVEUSE.

douloureux, mais point dangereux. Les seuls exercices

dangereux consistent à monter pieds nus sur une lame de

sabre, ou à se coucher dessus le ventre portant sur le fil I

de la lame, enfin mâcher du verre et l'avaler ensuite.

Les derniers exercices ne sont guère pratiqués que

par quelques spécialistes qui s'y sont préparés sans

doute par des études plus ou moins longues. Le tour

de la lame de sabre est exécuté d'une façon assez

grossière et ne serait certainement pas en dehors des

facultés des acrobates de nos foires. Celui du verre à

mâcher est plus difficile mais point trop. Cette alimen-

tation excentrique est pour eux beaucoup plus dange-

reuse qu'ils ne le disent, puisqu'ils ont la prétention

d'être tout à fait indemnes aussitôt la terminaison de

leurs séances. On m'a cité entre autres à l'hôpital de

Mustaffa un des ces Aissaouas qui vint mourir après

avoir avalé des clous.

Je ne voudrais pas oublier parmi ces exercices

celui qui consiste à enserrer le corps du danseur par

une corde sur laquelle les camarades se mettent à tirer.

Le danseur, saisi, se trouve ainsi par le milieu du

corps réduit à sa plus simple expression. C'est le seul

exercice pour lequel je les ai vus quelquefois mani-

fester de la douleur. C'est celui qui m'a paru en général

le plus mal supporté et j'ai vu plusieurs fois le chef de

la troupe intervenir pour le faire suspendre.

Ce qui caractérise la cérémonie, qui frappe le spec-

tateur attentif, c'est l'état d'insensibilité relative du

danseur, coexistant avec la conservation de la cons-

cience. - Cette conservation de la conscience au

premier abord paraît complète puisque ledanseur s'in-

terrompt, choisit des exercices, parle même aux spec-

DE l'hystérie CHEZ l'homme. 33

tateurs. Toutefois, il arrive très souvent que l'individu

parait ivre au point d'avoir perdu la raison. Il se dirige

mal. Peut-être irait-il plus loin qu'il n'est prudent. Il

est alors l'objet de la surveillance très exacte de ses

compagnons, musiciens ou danseurs, qui l'arrêtent ou

le guident dans ses exercices. Quelquefois même, ils

l'empêchent absolument de s'y livrer, le retiennent et

attendent que la conscience soit un peu revenue. Ils

rappellent alors absolument les gens qui retiennent

les ivrognes en cours d'excentricités.

L'individu est insensible absolument ou relativement,

car quel que soit le stoïcisme que l'on attribue à ces

races, il serait inadmissible s'il était sensible qu'il

pût se piquer la langue soit avec les épines du figuier de

Barbarie qui bardelées pénètrent les chairs en les irri-

tant vivement, soit avec des épines d'acacia ferox, soit

avec de longues aiguilles destinées à cetusage, et qui,

par leur forme rappellent un peu les brochettes très

employées dans nos restaurants. II montre encore son

insensibilité en se piquant avec la pointe du poignard,

mais ne manoeuvre jamais le tranchant sur la peau.

Le tranchant ne joue de rôle que quand il monte sur

le sabre; et, dans cet exercice acrobatique, la lame

est déviée en avant ou en arrière, de façon à éviter

toute coupure.

L'exercice du fer rouge est très intéressant parce

qu'il démontre à la fois la conscience persistante de

l'individu et son insensibilité. Il montre aussi très

bien l'action de l'acrobate connaissant parfaitement

les propriétés du fer rouge et les utilisant. Le fer

rouge employé rappelle assez bien nos anciens cau-

tères. La surface en est large, étalée, et fait dire aux

Archives, t. XIV. 3

34 pathologie nerveuse.

spectateurs qu'ils lèchent des pelles rougies au feu.

Leurs exercices principaux sont en effet les suivants :

Ils lèchent la pelle, ils la frappeutavec la paume de la

main. Ils la frappent aussi avec un ou deux doigts

ensemble ou séparément. L'action de lécher sans acci-

dents s'explique par l'humidité constante et les lois

de Boutigny. L'action de la chaleur rayonnante désa-

gréable mais non dangereuse pour la face est négligée

à cause de l'insensibilité dont ils jouissent. Elle est

atténuée, du reste, par l'abondance de la sueur qui la

recouvre. Ils ne frappent avec la paume de la main

que lorsque celle-ci est très humide de sueur, ce qui est

tout naturel, étant donné la violence de leurs exer-

cices et les conditions dans lesquelles ils lespratiquent.

Ils sont pendant le cours des exercices, constamment

couverts d'une sueur abondante. La peau est donc en

ce cas tout naturellement protégée contre le calorique.

Mais ces exercices avec le fer rouge, très effrayants

pour le public, très appréciés des hommes et surtout

des femmes indigènes, sont entourés de beaucoup de

précautions pour éviter des accidents. Ces individus agi-

tés, hors d'eux, ivres, qui poussent des rugissements

de fauves, qui semblent ne plus rien voir autour d'eux,

ces individus ne prennent jamais le cautère par le

mauvais bout. Ils saisissent délicatement d'une main

l'extrémité froide ou peu chauffée et font les exercices

d'épreuve sur la main du côté opposé. Pour celle-ci

même, s'ils ne la trouvent pas assez humide, ils

prennent grand soin de lécher les doigts avec lesquels

ils frappent sur le fer rouge.

Il y a encore un exercice qu'ils font avec beaucoup

d'adresse : ils font courir sur le thorax ou sur la peau

DE L'HYSTÉItIE CHEZ l'homme. 35

du ventre une sorte de masse armée de grandes pointes.

Ils la saisissent bien au bout du manche et la passent

sur la peau de façon à ce qu'aucune pointe ne pénètre

profondément. Jamais ils ne placent la paume de la

main sur les pointes de la masse.

On serait également éloigné de la vérité en se con-

tentant de considérer des Aissaouas comme de vul-

gaires et médiocres acrobates ou en considérant les

résultats qu'ils obtiennent comme mystérieux et inexpli-

cables, ou en les embellissant à l'exemple d'une

description célèbre de Théophile Gautier.

Il y a, dans l'étude attentive de ces acrobates mys-

tiques plusieurs éléments qui frapperont certainement

et qui jettent un certain jour sur la physiologie et la

pathologie générale de certaines races :

1° Tous leurs exercices sont bien et méthodiquement t

groupés pour obtenir une excitation nerveuse détermi-

née, favorable à une anesthésie relative; 2° cette

expérience se fait sur des races différentes de la nôtre

dont l'excitabilité est très différente et qui présentent

certainement un terrain très favorable; 3° dans cette

race, ce sont surtout les individus prédisposés qui

sont choisis et qui subissent un entraînement spé-

cial.

Le jeûne et la prière ont probablement joué au dé-

but un rôle important dans la préparation. Le jeûne

est pratiqué en Orient avec une facilité et une persis-

tance qui est inconnue aux habitants des climats

froids, et l'on conçoit aisément son rôle préparatoire.

Mais dans la plupart des tribus d'Aissaouas, le côté

religieux est fort abandonné. Le jeûne est probable-

ment fort négligé aussi. La plupart ne quittent leurs

36 pathologie NERVEUSE.

occupations ordinaires que peu avant la séance; aussi

cette préparation ne compte guère.

Dans la séance nous voyons accumulés divers moyens

d'hypnotisme. Le cierge qui occupe le milieu de la

cour forme une sorte de centre pour tous leurs mou-

vements rythmiques. Sa présence est habituelle; la

direction de leur regard est constamment conservée

vers la lumière. Mais d'autres objets brillants sont là

devant eux. Si le cierge manque, il y a le foyer pour

les charbons ou les lames des poignards et des sabres.

Leurs mouvements ont deux caractères constants : ,

ils impriment des secousses régulières au bulbe et au

cerveau. Il s'y joint plus ou moins de mouvements

du corps en avant et en arrière. Mais le mouvement

de circumduction de la tête paraît être le mouvement

capital; ceux qui essaient de s'y livrer n'y arrivent

pas d'emblée, très loin de là. Aussi les chefs ne per-

mettent aucun exercice à ceux qui s'essayent et qui

ne l'exécutent pas encore avec une grande perfection.

J'en ai vu prendre part à la danse et chercher à par-

tager les exercices; ils étaient alors repoussés et les

initiés me dirent que ces gens ne faisaient que com-

mencer et ne pourraient agir sans danger.

Le bruit rythmé des grands tambours joue aussi un

très grand rôle dans l'entraînement, et entre eux ils

attachent une grande importance à un bon accompagne-

ment. Le musicien est du reste, un personnage soldé

et important, c'est lui qui entreprend la représenta-

tion au point de vue industriel. Quiconque a suivi ces

séances se rend assez bien compte de l'effet de la musi-

que, du bruit des tambourins qui vousabasourditd'abord,

finit par vous envelopper, vous entraîner, vous donner

DE l'hystérie chez l'homme. 37

une sorte de vertige contre lequel il faut se raidir. Et

l'on conçoit très bien comment des assistants qui ne

devaient pas prendre part à la fête se lèvent tout à

coup et comme entraînés dans un mouvement irrésis-

tible, viennent se mêler aux acteurs en se contentant

de danser ou eu prenant part aux actes malpropres mais

non dangereux ou très douloureux. Je ferai remarquer,

dureste que la vibration très intense du tambourin est

recherchée.On n'emploie pas pour cette musique le petit

tambourin qui accompagne les danses ordinaires, ni les

tambourins à cymbales. C'est un immense tambourin de

48 à 50 centimètres de diamètre, fait avec grand soin ;

la lame vibrante est sous-tendue de cordes en boyaux

qui donnent un grésillement particulier et modifient

le son, de façon à lui donner plus de monotonie, si

possible. Le musicien le chauffe au-dessus des four-

neaux, ce qui le tend et donne beaucoup plus d'inten-

sité au son.

J'ai remarqué à plusieurs reprises une manoeuvre

qui m'a paru être propre à ajouter à l'anesthésie. L'ac-

teur expose sa tête au-dessus des fourneaux et "le mu-

sicien évente le fourneau de façon à lui envoyer dans

la figure tous les produits de combustion. Souvent on

jette quelques fragments de benjoin sur le foyer et

les camarades tenant le danseur pantelant sous les

bras exposent sa tête au-dessus du foyer. Je pense que

c'est là un moyen additionnel pour déterminer l'anes-

thésie nécessaire.

N'est-ce pas le procédé d'excitation qui était appli-

qué à la pythonisse antique ? Cependant je dois ajou-

ter que le Dr Mohamed-ben-Larbey considère cette

pratique comme destinée plutôt à modérer l'individu

38 pathologie nerveuse.

trop entraîné par l'ardeur de la danse. Il n'y a

pas jusqu'aux you you des femmes spectatrices qui

ne jouent un rôle dans l'entraînement de ces dan-

seurs.. .'

Comme on le voit, les moyens employés par les

Aissaouas sont en somme, assez simples. Ils insistent

avec une grande persistance. La longue durée des mou-

vements de la tête et de la musique paraît un élément

important pour la perte de la sensibilité. Au début

d'une séance, ils ne font jamais les expériences qui

pourraient être très douloureuses.

Lors du voyage d'une troupe d'Aissaouas à Paris,

cette nécessité du long entraînement lui causa un

échec complet aux Folies-Bergères. Au bout de quelques

minutes, le public réclamait déjà les exercices. Peut-

être aussi, le bruit qui se faisait autour de l'enceinte

déterminait-il une sorte de distraction. Toujours est-il

que la danse et les exercices devinrent tout à fait insi-

gnifiants. On dut chercher alors un local plus calme

pour les produire dans de meilleures conditions.

Comme on l'observe dans toutes les expériences de

magnétisme, il faut des sujets non seulement prédispo-

sés mais entraînés. Si les Aissaouas sont gens de toutes

sortes et de races différentes il est absolument inexact

de dire, comme l'ont affirmé des narrateurs que

l'on voit des assistants entraînés par le spectacle se

mêler à leurs exercices. On voit, en effet, des individus

venir balancer la tête ; mais là, se borne leur partici-

pation. Les dilettanti de ces réunions vous expliquent

du reste avec détails, comment les danseurs arrivent

progressivement à s'instruire dans l'art de faire l'Ais-

saoua. Ils vous signalent les progrès des gens qui ont

DE l'hystérie CHEZ l'homme. 39

débuté depuis peu. J'ai eu, à cet égard des renseigne-

ments très complets.

Le résultat obtenu me paraît assez simple à analy-

ser. Après ces exercices le danseur haletant, le corps

couvert de sueur, a la face congestionnée, l'oeil hagard;

il pousse des cris que l'on compare à ceux des fauves

et qai ressemblent surtout à ceux des hystériques avec

plus de violence. Il est, en somme, atteint d'un état

aigu d'hystérie artificielle, pendant laquelle il jouit

d'une insensibilité relative. Ce n'est pas là une vue de

l'esprit, et l'on constatera certains caractères qui per-

mettent de l'affirmer. Ce ne sont point seulement ces

cris qui nous font dire cela. D'abord la suppression de

la douleur est évidente. Un homme vaillant peut à la

rigueur, supporter sans réaction nerveuse apparente

une douleur de courte durée. Mais, quelle que soit

cette vaillance, la longue durée de l'épreuve ne per-

met de supposer ici rien de pareil. Il est facile de s'en

convaincre en examinant attentivement la figure de

chaque danseur pendant les exercices; l'on voit qu'au-

cun mouvement de physionomie ne trahit le phéno-

mène douleur ; ils ne la bravent pas, ils sont indifférents.

Cependant de ces exercices, certains sans être très

dangereux devraient être très douloureux : les piqûres

sur certaines régions (lèvres et nez) les attouchements

avec les feuilles du figuier de Barbarie, et l'acte de

mâcher les mêmes feuilles.

L'insensibilité s'accompagne d'un phénomène com-

mun chez les hystériques. On sait que sur les membres

anesthésiés, fréquemment les piqûres ne saignent pas

ou au moins les hémorrhagies sont peu abondantes.

C'est un fait sur lequel les Aissaouas attirent cons-

40 pathologie NERVEUSE.

tamment votre attention; ils vous montrent sans cesse

les points où l'instrument a passé pour bien faire voir

qu'il n'a laissé aucune trace et qu'il ne coule pas de

sang. Cependant ces phénomènes ne sont pas constants;

si la plaie porte dans une région très vasculaire, ils

saignent parfaitement. Un jour j'en ai vu un qui avait

été mordu à la lèvre par un serpent. Il saigna tant que

dura la représentation.

Un autre, qui avait roulé sur sa poitrine la masse

armée de piques avait sans doute atteint quelque

veine superficielle, car il se mit à saigner. Ces évé-

nements parurent leur être désagréables; ils les dissi-

mulèrent d'abord de leur mieux. Puis, quand l'écou-

lement se renouvelant, il devint impossible de le cacher,

ils se piquèrent à côté pour bien montrer quela plaie

nouvelle ne saignait pas comme l'ancienne. De fait

ils évitent avec le plus grand soin toute région manifeste-

ment vasculaire.

Ils ont pourtant aussi la prétention d'être invulnéra-

bles ; ils affirment que leurs épreuves ne sauraient entraî-

ner de conséquences fâcheuses.Or, c'est là une assertion

absolument contraire aux faits. Les accidents sont

rares parce qu'ils prennent les plus grands soins pour

éviter les régions dangereuses. Pour les exercices en

apparence menaçants, ils ont un acrobatisme suffisant.

Mais pour l'ingestion des corps étrangers par exemple,

il peut être mis en défaut; et on montre au musée, de

l'hôpital de Mustapha, l'estomac d'un Aissaoua qui

avait voulu avaler des clous et qui avait succombé

avec l'estomac perforé après en avoir ingéré du reste

des quantités considérables.

Au point de vue de leur invulnérabilité, que valent les

DE l'hystérie CHEZ l'homme. 41

exercices des serpents et du scorpion ? Ils disent se

faire piquer par des vipères et avaler des scorpions

vivants. En fait de vipères, je n'ai vu qu'un animal

qui ressemblait à une couleuvre et avait l'air sérieuse-

ment malade et je ne puis dire dans quelle mesure

les scorpions avaient été rendus inoffensifs. Cela me

paraît rentrer dans ce qui fait la part de l'acrobatie.

La conscience est un peu mieux conservée chez eux

que chez les individus en attaque d'hystérie vraie.

Mais cette conservation de la conscience est loin

d'être toujours égale; dans la troupe, le chef et cer-

tains musiciens suivent attentivement le danseur; et,

s'ils le trouvent trop excité, trop inconscient, ils l'em-

pêchent de faire les exercices avant qu'il ne soit

revenu à un état favorable. Et ceci arrive vite. L'état

d'excitation de l'Aissaoua est passager, et, si le même

individu doit faire plusieurs exercices à la suite, il est

obligé de recommencer lesdits préliminaires d'exci-

tation jusqu'à ce que l'état favorable qui était tombé

soit revenu. Cette chute rapide de l'état hystérique

nécessaire explique comment, la séance terminée, l'Ais-

saoua paraît calme et comment, le lendemain, il peut

être rendu à ses occupations habituelles. Mais il

existe une preuve plus claire encore de l'état hysté-

rique, les-convulsions. Deux fois, j'ai vu naître des

convulsions caractérisées chez un adulte, et chez un

jeune garçon de quinze ou seize ans. Ces attaques con-

vulsives furent de courte durée. Chose très intéressante,

les deux fois le chef intervint pour les arrêter par le

procédé classique de la compression du ventre. Il se

mit à genoux sur les côtés du patient et avec les deux

poings fermés il comprima vigoureusement le ventre;

le 2 pathologie NERVEUSE.

cela lui était d'autant plus facile, que le patient, dé-

pouillé de la plupart de ses vêtements pendant la danse

avait le ventre découvert.

Chez l'adulte, les convulsions durèrent un peu; chez

le jeune garçon, leur disparition fut presque instanta-

née. Cet incident n'était évidemment pas désiré, et

quelques camarades, cherchant à entourer le convul-

sionnaire, le masquaient au public.

Aussitôt la convulsion passée, le danseur, par ordre

du chef, prit du repos dans un coin.

Je ne sache pas que l'on ait attiré l'attention sur ce

point. Ce petit fait me paraît jeter un grand jour sur la

physiologie pathologique de l'Aissaoua. En somme,

l'intervention du chef est exactement celle des infir-

mières des services d'hystériques et d'hystéro-épilep-

tiques. Ce n'est pas en pratique la compression directe

des ovaires que l'on fait pour arrêter les convulsions,

c'est la compression du ventre, du bassin. Les ovaires

sont sans doute médiatement comprimés, mais tous les

plexus du ventre sont comprimés de la sorte; on sait

même que les infirmières réduisent souvent la com-

pression des ovaires à sa plus simple expression en

s'asseyant sur le ventre de la patiente.

Il serait très intéressant de savoir quel genre de

sujets se livrent à ces pratiques d'Aissaoua. Il est plus

difficile que l'on ne saurait croire de se procurer de

ces renseignements, et tout ce que j'avais pu apprendre

d'abord, c'est que l'Aissaoua n'appartient à aucune

profession; il y avait parmi les troupes que j'ai vues

des gens de toutes professions : l'un était un crieur pu-

blic, l'autre un portefaix, un autre était tailleur, un

autre vendait des poteries, etc., etc. Seulement, on

de l'hystérie chez l'homme. 43

rencontre dans le même groupe plusieurs membres de

la même famille. J'y ai vu le père et les deux fils.

M. le Dr Mohamed-ben-Larbey me donna quelques

renseignements intimes qui ne manquent pas d'inté-

rêt. Il a vu à plusieurs reprises des gens présentant

des antécédents nerveux. Il m'en citait un qui avait un

père épileptique, l'autre un frère goitreux et idiot, etc.

Souvent les sujets qui se livrent à ces exercices

sont des gens vicieux. La pédérastie qui n'est pas rare

en Orient, est particulièrement fréquente chez eux.

Souvent, ce sont de mauvais sujets qui se battent sans

cesse. En dehors de ses exercices, l'Aissaoua reste fort

peu sensible. Il semblerait qu'il ne recouvre jamais

complètement la sensibilité que ses exercices lui ont

fait perdre. Ce renseignement nous a été donné, nous

n'avons pu le vérifier. »

La plupart d'entre eux sont atteints d'une véritable

boulimie. Ils mangent avec une voracité étonnante;

aussi la chose est passée en proverbe; on dit : « Manger

comme un Aissaoua.

J'aurais voulu savoir si le fait des convulsions au

cours de la danse se reproduisait souvent, et si la

compression du ventre était employée par tous, mais je

ne pus arriver à m'en assurer. M. le Dr Mohamed-ben-

Larbey me dit seulement que la douleur de ventre

était très commune chez eux dans l'intervalle de leurs

exercices. Il en avait vu plusieurs s'en plaindre.

Il y aurait intérêt à savoir quelle nature d'individu

on rencontre parmi les Aissaouas et le motif qui les

détermine à faire ces exercices, On admet générale-

ment qu'ils obéissent à un entraînement religieux.

Peut-être cela s'est-il produit autrefois; peut-être

44 pathologie NERVEUSE.

observait-on là une détermination de l'ordre de celle

que l'on voit chez les fanatiques qui se mutilent à

Constantinople pour certaines fêtes, de ceux qui se

précipitent sous les pas des chevaux et des Indousqui

se font écraser par les roues des chars sacrés. Mais,

dans la pratique actuelle, il faut écarter ce motif. Il

semble même que les Aissaouas affectent d'être moins

religieux que beaucoup de leurs congénères.

Est-ce la cupidité qui les entraîne. Je ne le crois pas

davantage. D'abord, sauf les grandes villes, les spec-

tateurs généreux sont si peu communs, que les troupes

ont de la peine à se procurer les éléments nécessaires

à la cérémonie, moutons, poulets, serpents, scorpions

(crevettes de terre). Et puis, même quand ils trouvent

des spectateurs disposés à payer, l'Aissaoua n'a pas

de profit. Les musiciens sont les entrepreneurs de la

fête et la recette leur est abandonnée en paiement de

leur peine. Il y a bien la satisfaction, d'étonner de se

donner en spectacle à des admirateurs. Mais ce ne

serait pas là un motif suffisant pour encourager à des

pratiques qui demandent un si long entraînement, qui

déterminent une véritable fatigue, chez des gens qui

ne sont pas prodigues d'efforts inutiles.

Il est probable que ces gens trouvent un plaisir,

une satisfaction dans ces pratiques. Il est bien possible

même que leurs exercices déterminent une certaine

excitation génésique. II paraît certain qu'au cours de

ces exercices il se produit assez souvent une éjacula-

tion.

La pratique de ces danses désordonnées suivies d'une

violente agitation n'est pas un fait isolé chez les Ais-

saouas. On les retrouve en plusieurs contrées. En eau-

DE L'HYSTÉRIE CHEZ L HOMME. 45

sant avec le regretté Bastien Lepage d'une séance

d'Aissaouas dont le pittoresque l'avait beaucoup frappé,

j'appris un autre cas de ce genre. A l'époque de la

guerre du Zoulouland, il avait vu à Londresunbar-

num qui avait amené un lot de naturels du Zoulouland

pour les exhiber, puis l'autorisation, d'abord donnée,

lui avait été refusée. Or, la troupe attendait, avait des

loisirs et le barnum, pour les occuper, avait dû leur

donner une vaste salle nue, où ils se livraient sans

témoins à des danses de ce genre à la suite desquelles

dans une sorte d'ivresse, ils cassaient tout ce qu'ils

rencontraient, se blessaient, et cela pour leur satis-

faction intime puisqu'ils n'avaient pas de spectateurs.

Bastien Lepage avait assisté à un bacchanal de ce genre

et me signalait sou analogie avec la séance des Ais-

saouas.

Je n'ai pas la prétention d'avoir rien découvert en

signalant ce cas. Je le cite surtout parce qu'il appar-

tient à des peuplades sauvages dont l'entraînement

religieux ne présente pas une grande intensité et qui

paraissent agir ainsi pour le plaisir des sens. Si on

cherchait au contraire des pratiques de ce genre où le

côté religieux joue un rôle considérale on en rencon-

trerait beaucoup en Orient.

Il y a deux ans, M. Zambaco (de Constantinople)

publiait une note fort intéressante où il s'occupait

surtout de la secte des Naxi Bendi qui se livrent à des

exercices rappelant en quelques points ceux des Ais-

saouas.

Les séances religieuses où le magnétisme paraît

jouer un rôle important, se terminent par des cris, des

convulsions, de véritables attaques d'hystérie. Ces pra-

46 PATHOLOGIE NERVEUSE. - DE L'HYSTÉRIÈ.

tiques religieuses offrent, ceci de particulier qu'elles

sont suivies par des femmes.

Il y a bien d'autres faits semblables encore et

on ne finirait pas de les citer. Ne les connaissant pas

de visu, je me garderais bien d'en déterminer le caractère

intime. Mais il suffit de savoir qu'ils existent pour

conclure qu'ils indiquent, pour la plupart des Orien-

taux, un système nerveux beaucoup plus émotif que

le nôtre.

Il est probable que chez ces gens des faits que nous

avons quelque peine à constater chez nous, sont chose

vulgaire. Il est bien probable que si on les étudiait en

leur pays comme on étudie les hommes ou les femmes

à la Salpêtrière, on arriverait à des résultats très intéres-

sants. Je crois bien que, chez eux, on compléterait d'une

étonnante façon l'étude de l'hystérie chez l'homme.

On expliquerait ainsi bien des faits singuliers et l'on

donnerait la raison de troubles de la sensibilité qui

démontrent une fois de plus les différences profondes

qui séparent les races humaines. L'unité de l'espèce

humaine est le résultat d'une conception philosophique.

Au point de vue de la physiologie et de l'anatomie, elle

est sans cesse démentie par les faits.

PSYCHOPHYSIQUE

RECHERCHES CLINIQUES SUR LA PSYCHOPHYSIQUE : ÉTUDE

SUR LA PERCEPTIBILITÉ DIFFÉRENTIELLE » ;

Pai Maurice MENDELSSOH.N et F.-C. MULLER-LYER.

INTRODUCTION

Depuis que la psychologie est descendue des ré-

gions nébuleuses de la métaphysique sur le terrain

positif des sciences naturelles, on voit s'établir une

union intime entre la psychologie, devenue une science

indépendante, et la physiologie et la pathologie céré-

brale. Toutes ces sciences venant en aide l'une à l'autre

tendent à s'éclaircir mutuellement et contribuent ainsi,

loin de toute spéculation transcendante, à la connais-

sance exacte des phénomènes psychiques. Mais si la

psychologie a déjà largement profité des méthodes et

des données qui lui ont été fournies par la physiologie

du système nerveux, il n'en est pas de même pour ce

qui concerne la pathologie cérébrale. La psychologie

n'a que depuis peu de temps droit de cité dans la cli-

nique, et c'est surtout aux efforts incessants de 11'I. Cllar-

cot qu'on doit la prise de possession de la psychologie

par les méthodes positives de l'observation médicale.

' Travail du laboratoire clinique de M. le professeur Charcot à la Salpê-

trière.

48 PSYCHOPHYSIQUE.

Malgré ces efforts, qui font honneur à l'école de la

Salpêtrière et à son éminent maître, la psychophysique,

cette plus belle et plus exacte partie de la psycho-

logie, n'a pas encore pris pied dans la clinique et, au

moment où nous avons entrepris les recherches qui

font l'objet du travail présent (le 1 ex mai 1885), nous

n'avons eu connaissance d'aucun travail ayant trait à

l'étude des phénomènes psychophysiques chez les ma-

lades. Il est même surprenant que le clinicien, ayant

à chaque instant à analyser la «sensation », ce phéno-

mène psychologique primitif et irréductible, qu'on

trouve à l'origine de tous les processus psychiques,

n'ait pas été tenté de recourir à des procédés psycho-

physiques, les seuls qui permettent, comme on va le

voir tout à l'heure, de mesurer les sensations avec

une précision pour ainsi dire mathématique.

D'autre part, les recherches psychophysiques faites

sur l'homme malade présentent un très grand intérêt

non seulement pour le clinicien, mais aussi pour le

physiologiste. Ce dernier doit nécessairement aborder

ce champ d'investigation, comme le seul où toute

vivisection devient impossible, la physiologie des sens

ne pouvant se faire sur l'animal que dans des limites

très restreintes. Or, le processus morbide remplace très

avantageusement la vivisection, en éliminant la fonction

d'une partie ou de tout un organe dégénéré, et en

mettant en évidence la fonction voisine. C'est ainsi que

la méthode pathologique est la seule praticable dans

l'étude des fonctions isolées d'un appareil sensoriel

qui fonctionne comme un tout, comme une entité.

Aussi, nous avons cru utile d'entreprendre au cours

de l'année 1885 et de la première moitié de l'an-

DÉ LA PERCEPTIBILITÉ DIFFÉRENTIELLE 49

née 1886, dans le laboratoire clinique de M. Charcot

à la Salpêtrière, une série de recherches sur les modi-

fications que les lois psychophysiques subissent sous

l'influence des maladies du système nerveux'. Nous

avons commencé nos recherches par l'étude de la per-

ceptibilité différentielle du sens de la vue, et ce sont les

résultats de ces recherches qui font l'objet de notre

travail présent, ce dernier n'étant disons-le tout de

suite, que le premier d'une série de mémoires que nous

nous proposons de publier plus tard sur la psycho-

physique pathologique. Avant d'aborder notre sujet,

nous croyons utile de résumer, aussi brièvement que

possible, les principales données de la psychophysique.

Lorsqu'un excitant doué d'une énergie suffisante

vient à rencontrer l'appareil terminal d'un nerf con-

ducteur centripète, une sensation nait par là même

dans la conscience. Un phénomène initial purement

physique a donc été ici la cause déterminante d'un

phénomène ultérieur psychique. Aussi le processus

dans son ensemble est-il qualifié, depuis Fechner, de

« psychophysique ».

Sous le nom de psychophysique, on entend l'étude

des rapports fondamentaux entre les phénomènes dé-

terminants et les phénomènes psychiques déterminés;

il s'agit ici surtout des rapports de grandeur. Mesurer

ces deux phénomènes, afin d'établir avec certitude les

' Qu'il nous soit permis d'exprimer ici notre profonde reconnaissance

à notre illustre maître, M. le professeur Charcot, pour le précieux con-

cours qu'il a prête'; à noire travail, pendant toute la durée de nos recherches.

Nous remercions également M. le D' l'arinaud, chef du service ophtal-

mologique de la Salpêtrière, de l'amabilité avec laquelle il a mis à

noire disposition les instruments de son laboratoire, qui nous étaient d'un

grand secours dans nos études.

Archives, 1. XIV. 4

50 PSYCHOPHYSIQUE.

rapports en question, telle est la tâche que se propose

la psychophysique considérée comme science expéri-

mentale. - Mais les deux phénomènes en question,

le premier seulement est susceptible de mesure directe.

Nous pouvons dire en effet, en nous basant sur une

mensuration directe : l'action de tel poids sur le sens

de la pression est trois fois celle de tel autre; telle

lumière a une intensité triple de telle autre; quant

aux sensations qui en résultent, nous ne pouvons

qu'accuser leur énergie relative, dire d'une manière

générale, que telle est plus forte que telle autre. Il

nous est impossible de déterminer combien, ou quel

nombre de fois par exemple, une sensation lumineuse

est plus intense qu'une autre; et il n'existe pas jus-

qu'ici de méthode qui permette de déterminer ces

valeurs d'une manière positive et directe.

Le chemin est donc fermé de ce côté à la psycho-

physique, au moins provisoirement ; par le bonheur,

il existe une autre méthode, dont la découverte est

due au père de la physiologie métrique à 1 ? 1. Weber.

Cette méthode consiste à chercher les rapports mu-

tuels non pas de l'excitant et de la seusatiou, mais

de la différence entre deux excitants d'une part, et de

celle entre deux sensations (perception différentielle)

de l'autre. - Nous allons donner les explications

nécessaires.

Supposons qu'un ton musical d'une tenue égale

ayant une intensité donnée, a, frappe notre oreille et

produise une sensation. Si ce ton vient à subir une

modification d'une certaine rapidité, qu'il soit par

exemple renforcé de manière à atteindre une intensité,

b, nous n'aurons pas seulement deux sensations suc-

DE LA PERCEPTIBILITÉ DIFFÉRENTIELLE. 51

cessives, dont l'une correspondra au ton a, l'autre au

ton b, mais nous percevrons encore le « renforcement »

c'est-à-dire la différence qui existe entre a et b et c'est

là ce qu'on appelle une perception différentielle. On

peut ainsi chercher pour toute une série d'intensités

a, b, c... du même ton, les accroissements a, p, y,

capables d'être perçus. Nous savons déjà, par l'expé-

rience de chaque jour, que l'oreille ne saisit pas tout

renforcement d'un bruit, mais que le renforcement

pour être perçu, doit être plus considérable que le bruit

en question est plus intense. On parvient ainsi à éta-

blirune série numérique, où se révèlent les connexions

mathémathiques entre les valeurs d'une grandeur psy-

chique (perception différentielle) et celle d'une gran-

deur physique (différence entre deux excitants ou

entre deux états successifs d'un même excitant). Etant

admis que les « perceptions différentielles limites »,

c'est-à-dire celles qui, dépassant à peine zéro, entraî-

nent un état conscient minimum, sont d'égale gran-

deur, on a ainsi une série de valeurs psychiques égales

en relation mathématique avec divers des phénomènes

physiques susceptibles de mesure. Ainsi se trouve

posée une des bases de la psychophysique.

E.-H. Weber le premier a dirigé ses recherches de

ce côté, et sans négliger les autres points, il s'est atta-

ché d'une manière spéciale au sens de la pression. Il

s'est demandé : étant donnée une série de poids a,

b, c, de quelles quantités a, p, y, il fallait augmenter

chacun de ces poids pour rendre l'augmentation appré-

ciable, et c'est ainsi qu'il réussit à formuler la loi

célèbre « la loi de Weber », d'après laquelle » l'accrois-

sement doit, pour être à peine perçu, être propor-

52 PSYCHOPHYSIQUE.

tionnel à l'excitant, auquel il s'ajoute ». Ainsi le

renforcement d'un bruit d'intensité double doit être

également doublé pour être perçu, en tant qu'accrois-

sement comme l'était le bruit simple.

La loi de Weber est la base réelle qui a servi à

Fechner pour établir la psychophysique ; à la recher-

che d'une mesure applicable aux grandeurs psychiques,

il a tàché de déduire de la loi précédente des for-

mules mathématiques pour la mensuration de la sen-

sation, de la perception différentielle, de la somme

des sensations, et d'autres valeurs encore. Mais cet

ordre de faits n'étant pas accessible à l'expérimen-

tation nous n'entrerons pas dans ces détails, d'autant

plus on ne saurait se le dissimuler, - que les déduc-

tions psychophysiques de Fechner sont fortement atta-

quées et même renversées sur divers points. Par contre,

nous pouvons dire quelques mots de la nomenclature

psychophysique telle qu'elle a été créée par Fechner

et qu'elle est admise généralement dans la science, ainsi

que du dispositif expérimental requis pour cet ordre de

recherches, ces deux points étant d'une importance

majeure pour l'intelligence du présent travail.

Tout excitant pour être perçu doit atteindre une

grandeur déterminée, au-dessous de laquelle il ne se

produit aucune sensation : c'est ainsi que, pour em-

prunter un exemple à Fechner incapables de per-

cevoir le bruit d'une chenille qui mange, nous enten-

dons fort bien celui d'une légion de ces insectes en

train de dévorer les feuilles; et cependant ce bruit

n'est pas autre chose que celui d'une chenille isolée

multiplié un certain nombre de fois par lui-même.

DE LA PERCEPTIBILITÉ DIFFÉRENTIELLE. 53

Cette valeur, qui doit atteindre l'intensité de l'excitant

pour être généralement susceptible, reçoit le nom de

seuil, parce que l'excitant franchit là en quelque sorte

le seuil de la conscience; on lui donne en outre le

qualificatif de simple pour la distinguer du « seuil dif-

férentiel » qui est la valeur que doit atteindre la dif-

férence entre deux excitants pour être perçue soit

comme différence entre deux excitants distincts, soit

deux états successifs d'un même excitant.

La différence entre deux excitants peut être conçue

comme une grandeur absolue, ou bien comme une

valeur relative à l'un des deux excitants. Soit deux

poids distincts, l'un de 99 grammes et l'autre de 100,

la différence absolue est de 1 gramme : la différence

relative un 1/99 par rapport au plus faible des deux

poids, et de 1/100 par rapport au plus fort.

Sous la dénomination de « perceptibilité différentielle »

en entend la faculté de percevoir des différences entre

deux excitants de même nature. La perceptibilité dif-

férentielle se mesure par la réciproque de la différence

relative donnée : on dit que la perceptibilité différen-

tielle est de 1/100 lorsqu'à un excitant la centième

partie doit s'ajouter pour pouvoir être perçue en tant

qu'accroissement; elle est dans ce cas vingt fois plus

considérable que si c'était la plus petite fraction de

l'excitant qui dût s'ajouter pour devenir perceptible.

Abordons maintenant la partie expérimentale

de la psychophysique. Depuis l'appréciation faite

par Fechner de leur importance, les travaux de

Weber ne sont pas seulement devenus la base des

déductions mathématiques , psychologiques et philo-

54 PSYCHOPHYSIQUE. DE LA PERCEPTIBILITÉ.

sophiques les plus étendus, elles ont aussi provoqué

la réunion d'une foule de documents expérimentaux

sur la perceptibilité différentielle. Cette percep-

tibilité, on l'a solidement établie pour tous les organes

des sens dans les conditions normales; on lui a trouvé

des valeurs très diverses, suivant la nature de l'organe

sensoriel : de 1/100 pour le sens de la vue, elle est de

1/3 pour le sens de la pression, de la température et

du son, et de 1/17 pour l'effort musculaire.

Après les différences de quantité, celles de qualité

sont entrées dans le domaine des recherches (par

exemple les différences entre tel et tel son chromatique

ou musical). On a découvert que la validité de la loi de

Weber en général comportait des restrictions de plus

d'un genre. C'est ainsi qu'une base expérimentale

large et solide a été donnée à la psychophysique.

C'est aussi la partie expérimentale de cette science

que nous prendrons comme point de départ, lorsque

nous étudierons les lois psychophysiques dans des

conditions pathologiques. Nous chercherons non seule-

ment la façon dont ces lois se comportent dans l'orga-

nisme malade, mais aussi nous tenterons à déterminer

le rapport qui existe entre les modifications des phé-

nomènes psychophysiques et le processus morbide dont

elles résultent. Nous croyons ainsi pouvoir justifier

notre tentative de psychophysique pathologique et

revendiquer pour cette science le même droit de cité

dans la clinique, que la physiologie pathologique y

a conquis déjà depuis bien longtemps.

Ces préliminaires nous ont paru indispensables

pour l'intelligence des faits que nous allons exposer

maintenantet qui ont trait à la perceptibilité différen-

DE L'ÉPILEPSIE procursive. 55

tielle du sens de la vue chez l'homme sain et malade,

en particulier dans les maladies du système nerveux.

(A suivre.)

CLINIQUE NERVEUSE

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE1;

Par BOURNEVILLE et P. BRICON.

Il. Historique.

L'épilepsie procursive, quoique peu commune, a

déjà été signalée depuis longtemps; nous avons pu,

en effet, en relever un certain nombre d'exemples

dans les auteurs de notre siècle et des siècles pré-

cédents. D'abord décrite sous le nom d'epilepsiaprocllr-

siva, puis sous celui de chorea procursiva seu festinaa7s,

elle est enfin classée par les auteurs de la première

moitié de ce siècle parmi les chorées, genre vague où

entraient et entrent encore un grand nombre de

névroses; confondue alors souvent avec la paralysie

agitante, on en trouve encore des observations publiées

sous les noms de chorea cia·cacmrotatoria, rotatoria,

circumambulatoria, saltatoria, etc. Les mouvements invo-

lontaires de Wicke, la musculation irrésistible de Roth,

les impulsions systématisées de Jaccoud, les spasmes

1 Voy. Archives de Neurologie, vol. XIII, no 39, mai 1887, p. 321.

56 clinique nerveuse.

coordonnés ! de Romberg, etc., etc., sont tous des termes

de classification basée sur un ou plusieurs symptômes

isolés embrassant également en partie l'ancienne épi- .-

lepsie procursive. C'est à Thomas Eraste \ notre con-

naissance, qu'est due la première observation se rap-

portant réellement à cette forme d'épilepsie.

Observation III. - Début de l'épilepsie à la suite d'une chute.

- Tournoiement, puis course; parfois accès ordinaire.

« J'ai guéri, dit-il, l'année passée, un adolescent qui, étant

tombé d'une hauteur considérable et s'étant meurtri la tempo,

était sujet, depuis cette époque, à des accès d'épilepsie, pendant t

lesquels il tournait rapidement sur lui-même trois ou quatre

fois, puis se précipitait involontairement en avant, si l'on ne

l'en empêchait. Avant de tomber, ce qui arrivait du reste très

rarement, il se frottait rapidement le visage avec les mains.

En revenant à lui, il ne savait rien de ce qui s'était passé. »

Eraste en ces quelques lignes a retracé le tableau

exact de l'épilepsie procursive : course en avant, par-

fois suivie de chute consécutive; frottement de la

face, etc. Ajoutons qu'ici, la phase propulsive était pré-

cédée d'une rotation.

Nous empruntons l'observation suivante à Bootius3.

Il en fait précéder l'exposé de quelques réflexions

judicieuses qu'il nous semble bon de rappeler. « Plu-

sieurs médecins, dit-il, ont déjà noté que les épilep-

tiques ne tombaient pas toujours dans les accès, que

1 Les deux observations que llomberg a relatées en entier dans son

Traité sont deux cas d'hystérie.

Cornitis montant vicentini noui medicorum ceusoris quinque librorunz

de morbis nuper editorunz viva analonze : in 1'"î midta artis medicoe capila

accuralissime declal'ant1l1' a Thoma Erasto, philosopho et medico. l3asillæ,

iDXXCf, pars II, p. 195.

3 Bootius. Obsei-valioncs medicæ de alTecliblls omissis. Londini, 1619.

De epilepsiâ p,'oc1l1'sivd, caput sextum.

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 57

quelques-uns restaient debout, que d'autres s'as-

seyaient, ou bien encore exécutaient soit des mouve-

ments de manège, soit des mouvements irréguliers. Il

nous paraît intéressant de rapprocher de ces cas ce

que nous avons observé sur un enfant de douze ans.» »

Observation IV. Enfant de douze ans. Accès procursifs . -

Courses accompagnées d'abolition de la vue et de l'intelligence.

Chaque fois que cet enfant était pris d'un accès, il courait

droit devant lui et ne s'arrêtait que s'il rencontrait un obstacle

pouvant l'empêcher de poursuivre sa course et sur lequel il

se précipitait avec impétuosité. Ni l'eau, ni le feu, ni les préci-

pices ne pouvaient le faire dévier de sa route; on ne l'en pré-

servait qu'en le retenant, car, durant ces accès il ne voyait ni

ne comprenait. Il est fort probable que si ces accès se fussent

produits en plaine où une plus grande étendue de terrain lui

eût permis de courir assez longtemps, il n'aurait pu tomber à

terre de toute la durée de l'accès. Mais ce point n'a pu être élu-

cidé par nous, car le malade, toujours retenu dans une enceinte,

ne pouvait être pris d'accès qu'à la maison ou dans des cours.»

Dans le cas de Bootius comme dans celui d'Eraste,

on ne peut douter qu'il ne s'agisse d'un malade atteint

d'épilepsie procursive ; mais quoique plus longue que

la précédente cette observation est moins complète que

celle d'Eraste. On ne saurait classer parmi les cas

d'épilepsie procursive, comme l'ont fait ce temps-ci

quelques auteurs, l'observation publiée par Tulpius'.

Il s'agit en effet d'un malade qui courait jour et nuit,

si rapidement et avec des mouvements du corps si

ininterrompus que la sueur lui coulait de partout; le

besoin du sommeil seul l'arrêtait. Il est probable qu'il

ne s'agit là ni d'épilepsie procursive ni de chorée,

niais bien de paralysie agitante.

1 Tulpius. 06 ! e''M. naéd. Amsterdam, 1672.

58 CLINIQUE NERVEUSE.

Dans sa Pratiqzieden2édecine spéciale, Etmùl 1er ' divise

l'épilepsie en trois degrés : le premier comprend

l'absence et le vertige ; le second comprend les cas dans

lesquels le « corps est tourmenté par diverses secousses,

sans la perte du sentiment et de la raison ou avec

quelque dépravation de ces facultés »; puis l'auteur

ajoute qu'il y a quelques exemples de cette variété

d'épilepsie dans la Pathologie du cerveau de Willis,

dans la Pratique de Rivière , dans les Epîtres deTimeus,

dans les Histoires de Salmuth, etc. De ce genre est

« l'épilepsie dont parle Bootius {Traité des affections

omises, ch. vi) d'un malade qui courait durant tout le

paroxysme (voir p. 57); et l'épilepsie d'un homme des

environs de Leipsick qui ne faisait que pirouetter du-

rant le paroxysme. »

Paullini 2 cite le cas d'un enfant de cinq ans qui

ne tombait pas au moment de l'accès mais courait per

lutum et aquam. Le même auteur avait publié en

1687 une observation qui rentre peut-être dans le cadre

de l'épilepsie procursive.

Observation VI. Course suivie le plus souvent de chute.

. Course après l'accès.

« Un enfant norvégien (on ne dit pas son âge) courait devant

lui environ trente pas, et s'il tombait, ce qui lui arrivait sou-

vent, il se relevait et continuait à courir; puis il s'appuyait

1 Etmuller. Pratique de médecine spéciale de Michel Etmiillel' sur

les maladies propres des hommes, des femmes et des petits enfants, etc.

Lyon, 1691, thèse XXIII, de l'épilepsie, p. 531. - Nous n'avons pu con-

sulter quelques-uns des auteurs cités par Etmuller, mais dans la Pratique

de Rivière, édition française de Lyon, 1692, nous n'avons rien trouvé

se rapportant à l'épilepsie procursive.

' Paullini. Ephenzerid. Nat. Curios., déc. 3, ann. 3, observ. 181,

1696, p. 313.

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 59

contre un mur, ou bien, si l'accès le prenait dans la rue, dans

la campagne, il s'arrêtait tout à coup, immobile comme une

statue. Au bout d'une heure, il tombait à terre, s'il n'était pas

soutenu, poussait de profonds soupirs, versait des larmes et

s'endormait. Pendant son sommeil, il transpirait beaucoup ; à

son réveil, il se levait de fort bonne humeur, comme si rien ne

s'était passé. »

D'après Itard', Nicolas Becker aurait publié dans

les Ephémérides des curieux de la nature le cas d'«une

jeune fille qui, à lasuite d'une peur causée par un orage,

était forcée, durant ses accès, bien que maîtresse de ses

sens, de courir le long des murs de sa chambre »-

Brescon, dans son Traité 2 fait une simple allusion

au sujèt qui nous occupe : « Il y a cependant, dit-il,

des auteurs, dont l'un en a vu qui ne tombaient pas,

un autre qui restaient debout, d'autres enfin qui cou-

raient. »; .

Welsch 3 ne donne dans sa thèse aucune observa-

tion nouvelle d'épilepsie procursive, mais cite un cas

qui aurait été rapporté, d'après un autre auteur, par

Bootius et qui ne figure pas dans l'ouvrage de ce mé-

decin que nous avons consulté : « A l'épilepsie associée

à des phénomènes extraordinaires, se rattache aussi

l'epilepsia cursoria, dans laquelle les malades courent

d'ordinaire jusqu'à ce qu'ils tombent à terre. L'auteur

cité par Bootius nous en fournit un exemple; il s'a-

git d'un ouvrier forgeron qui, pris d'accès, se mita

courir comme un fou, se précipita hors de l'atelier et

mourut ( ? ). »

' Ephenaer. 1'atur. curiosor., déc. I, observ. 71. -Citation empruntée

au travail de Itard.

2 Brescon (Pierre). - Traité de l'épilepsie avec sadescriplion, ses dilré-

rences, ses causes, etc., 1 vol, in-8. Bordeaux, 1742, p. 2.

3 Welsch. Deet7c ? <i. Iena, 1719, p. 26-27.

60 CLINIQUE NERVEUSE.

Les cas de Sauvages et de Gaubius, de Thilenius, de

Wichmann, cités comme exemples de musculation in-

volontaire ou de spasmes coordonnés, nous paraissent

se rapporter plutôt à la paralysie agitante qu'à l'épi-

lepsie procursive : tous ces malades étaient âgés de

plus de cinquante ans. Les cas de J. Franck et de

J. Bernt 3 ne sont pas assez détaillés pour que l'on

puisse aussi les ranger parmi les observations d'épilepsie

procursive. Le cas de Sagar 4 est plus difficile à inter-

préter : « Vidi, dit-il, Virum vindobense ultra 50 annos

natum qui invitus : cucurrit, nec capax erat direc-

tionem mutandi vel deviandi obstacula qui simul ptya-

tismo laboravit. » Caillau' a rapporté en 1797 le fait

suivant :

Observation VII. Course, puis chute.

Un citoyen, âgé de soixante-cinq ans, ne marchait pas, il

courait, ayant l'air d'un homme qu'on poursuit et qu'on force

à courir; sa démarche était égale, quoique précipitée, élevant

ses jambes alternativement d'une manière assez uniforme. Ce

mouvement singulier, qu'il est impossible de bien caracté-

riser, se prolongea durant tout l'intervalle qui existe entre

3-4 arbres de la plantation de Fourny. Ce citoyen arrêta enfin

sa course; mais, dans ce moment, il tomba au pied d'un arbre; il

1 Ces cas se trouvent rapportés sur le nom de Scelotyrbe festinans,

danse de Saint-Guy précipitée.

IJ. Franck. Traité de Pathologie interne, trad. de Bayle. Paris,

1838, t. 111, p. 336. L'auteur dit en note avoir vu plusieurs fois des

cas semblables à celui de Bootius. Dans la note suivante, il cite un

enfant de onze ans qui tournait en rond avant de tomber. Voir aussi

à l'article Chorée, p. 821, l'observation rapportée à la note 29.

3 Bernt. - blonographia sancti Vili. Prague, 1810, p. 25.

* Sagar. - Systema nzorborum symptomaticum. Vindoben.t, 1763,

pars Il, p. 121. '

5 Caillau. Journal de santé et d'histoire naturelle, par le citoyen

Capelle. Bordeaux, vol. I, p. 118, an V.

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 61

n'en résulta d'autre blessure qu'une légère excoriation à la

joue droite.

Deux spectateurs l'aidèrent sur-le-champ à se relever et à se

traîner vers un des sièges de cette promenade; je m'approchai

de lui et, lorsqu'il eut repris ses sens, je lui fis plusieurs ques-

tions, auxquelles il répondit avec beaucoup de netteté et de juge-

ment. Il m'apprit qu'il n'avait éprouvé la première invasion

de cette maladie, sur un grand chemin, que quelque temps

après avoir été guéri de douleurs rhumatismales, qu'il en avait

déjà ressenti plusieurs accès, que dans le moment de l'inva-

sion il éprouvait une violente démangeaison de prendre sa course,

qu'Une pouvait retenir celte ardeur, et qu'une chute terminait

toujours cet accès. Il demeura un quart d'heure assis, un

citoyen l'aida ensuite à se conduire chez lui ; je le suivis jus-

qu'au bout de la rue Sainte-Catherine ; il s'arrêtait de temps en

temps pour s'appuyer contre la muraille; le désir de précipiter

ses pas ne l'aiguillonna point une seconde fois, car il pouvait à

peine se traîner vers sa demeure.

Dans ce cas, il semble difficile de déterminer si l'on

avait affaire à une aura procursive ou à un véritable

accès d'épilepsie procursive, car l'auteur se borne à

dire que la course se terminait par une chute, sans

indiquer si, au moment de la chute il y avait ou non

des convulsions. La description des phénomènes pré-

sentés par le malade ne laisse du reste aucun doute

sur la nature épileptique de l'affection.

Au commencement de notre siècle, Hufeland publiait

dans son Journal une nouvelle observation d'épilepsie

procursive.

Observation VIII. -'Accès spasmodiques à dix ans, guéris en

peu de jours. - Nouveaux accès à treize ans : nonchalance ;

inappétence, difficulté de la parole; - course, parfois saut,

sans perte de connaissance. Traitement par les sels de zinc.

C. D..., âgé de treize ans, d'une santé assez bonne, s'étant

' Journal de Hureland, juin 1811, vol. XXXII, p. 88.

62 CLINIQUE NERVEUSE.

refroidi à l'âge de dix ans, avait été attaqué d'accès spasmo-

cliques qui avaient été guéris en peu de jours. Depuis deux

mois et demi environ, il était retombé malade. On remarqua

d'abord chez lui de l'indifférence pour toutes choses et une si

grande nonchalance qu'il lui répugnait de faire ce qu'il aimait

le mieux. Cet état ne dura pas longtemps.

L'appétit disparut, la parole devenait quelquefois inintelli-

gible, quelquefois il était incapable de prononcer certains mots.

On observa des contractions de la face; au moindre effort pour

les comprimer survenaient des mouvements involontaires de

la mâchoire inférieure, des tressaillements dans le bras droit

et dans le côté gauche du corps. La maladie s'exacerba ainsi de

jour en jour, jusqu'à ce qu'elle occupât tout le corps. Lorsque

l'enfant entra à l'hôpital, elle se caractérisait ainsi :

Regard fixe, timidité, grimaces, mouvement anormal des

mâchoires et de la langue ; quelquefois parole embrouillée ou

même impossible. Balancement de la tête, tressaillement des

muscles du cou, et mouvements involontaires, anormaux, de

tout le corps, en sorte que le malade ne pouvait rester quel-

ques minutes seulement en repos, quelque effort qu'il fit.

Souvent il était obligé de courir rapidement d'une place à une

autre, sans pouvoir se retenir, d'autres fois de sauter. Il savait

parfaitement ce qu'il faisait, et il pouvait de même se rappeler

le passé. Toutes les fonctions étaient d'ailleurs peu troublées,

à l'exception de l'appétit.

Depuis le commencement jusqu'à la fin du traitement, le

malade ne reçut que du zinc, d'abord l'oxyde de zinc, 5 centi-

grammes trois fois par jour ; puis, au bout de trois jours, la

même dose une seule fois par jour. Aucune amélioration ne se

faisant remarquer au bout de deux jours, on augmenta la dose,

qu'on porta progressivement jusqu'à 40 centigrammes :

l'amélioration fut sensible. Après quinze jours de traitement,

les mouvements involontaires avaient entièrement disparu; il

ne restait plus qu'un peu de difficulté à mouvoir le bras

gauche et un peu de bégaiement. La dose fut portée à 80 cen-

tigrammes, mais il éprouva des malaises qui forcèrent à redes-

cendre à 60 centigrammes. Au bout de huit jours, l'état du

bras s'était aussi amélioré : il ne restait plus que le bégaiement.

On remplaça alors le zinc pur par le sulfure de zinc, 10 centi- .

grammes par jour en solution aqueuse, à doses ascendantes.

Arrivé à 30 centigrammes par jour, cinq semaines après le

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 63

commencement du traitement, le malade fut parfaitement

guéri.

Cette observation paraît plutôt appartenir à un cas

de chorée; seuls la course et le saut ne s'accordent pas

avec les phénomènes ordinaires de la chorée et sont

susceptibles d'être rattachés à l'épilepsie procursive.

Il est difficile de se prononcer et le doute est légitime.

Quelques années après cette publication, Lau' consi-

gnait dans le même recueil le fait ci-après.

Observation IX. - Enfant de quinze ans.

Henri S..., âgé de quinze ans, a souffert pendant la denti-

tion de spasmes, d'éruption à la tête, de vers, et surtout de

scrofules. Les glandes abcédèrent, à l'âge six ans, guérirent

très lentement et laissèrent au cou d'assez grandes cicatrices.

A dix ans, il fut pris d'une fièvre nerveuse; à quatorze ans, à

l'exception des vers, sa santé était assez bonne; mais exposé

aux intempéries des saisons, il se plaignait de douleurs dans

les membres, auxquelles une fièvre se joignit plus tard , les

douleurs dans les membres cessèrent, et il se crut parfaitement

guéri. La maladie avait en effet disparu, mais pour revenir

huit jours après, sous une forme dangereuse, sous celle de

spasmes dans le bras et dans le pied gauche, légers d'abord,

plus violents ensuite, en sorte que, le 18 février 1822, il fut

obligé d'entrer à l'institut clinique de Berlin. Voici quel était'

son état :

Taille élancée, air de santé, mouvements précipités et

anxieux, pouls petit, contracté, spasmodique ; respiration un

peu embarrassée; parole bégayante, incompréhensible, à peine

perceptible ; le malade ne pouvait tenir en repos la langue qui

lui sortait de la bouche; mais il était obligé de la remuer invo-

lontairement de droite à gauche, en avant, en arrière ; le bras

et le pied du côté gauche ne discontinuaient non plus de re-

muer. Voulait-il prendre quelque objet avec la main, c'était

toujours par un mouvement circulaire qu'il y parvenait, et s'il

' Lau. Hufeland's Journal, vol. L, vu, décembre, p. 61, 1823.

64 CLINIQUE NERVEUSE.

le tenait pendant quelque temps, il le laissait bientôt échapper

involontairement. En marchant, il décrivait toujours un arc

avec le pied gauche, tournant le poing en dehors, et, debout,

il lui était absolument impossible de le tenir en repos ; il ne

cessait de l'agiter. Au dire de la mère, ces mouvements con-

vulsifs étaient par moments si violents, que le bras était sur-

tout violemment soulevé, puis retombait, absolument comme

pour atteindre un objet élevé. Dans cet état, le globe gauche

de l'oeil, disait-elle, roulait dans son orbite, agité d'un mouve-

ment convulsif, la tète se penchait du côté gauche, le malade

courait du haut en bas de l'escalier et remontait à pas très

précipités, ne pouvant, dans sa hâte, régler ses mouvements.

Si on le maintenait fortement, les mouvements se changeaient t

en tressaillements, et le malade était en proie à une grande

agitation anxieuse. Cet état, du reste, n'était accompagné

d'aucune espèce de malaise ; le malade riait, était sobre de

paroles, mais il possédait sa connaissance. Au bout d'un quart

d'heure ou d'une demi-heure de paroxysmes, les mouvements

convulsifs s'affaiblissaient et ils finissaient par se changer en

simples tressaillements des muscles du bras et du pied du côté

souffrant. Ce tressaillement ne le quittait jamais cependant,

non plus que le tremblement de la langue, et la parole était

toujours incompréhensible. Toutes les autres fonctions étaient

normales, et les muscles du côte droit parfaitement soumis à

la volonté.

L'intelligence et la mémoire étaient très faibles chez co

jeune homme. Le rhumatisme supprimé fut regardé comme la

cause de la maladie. On administra l'extrait d'aconit et de

gayac comme sudorifique sous la forme de poudre, après avoir

administré d'abord un laxatif de calomel et jalap et un élec-

tuaire anlhelminlique. Le malade ne rendit pas de vers ; le

sudorifique fut continué, depuis le 21 février jusqu'au 20 mars,

à doses ascendantes ; il parut un exanthème miliaire et des

furoncles au bras et au dos, et la guérison s'ensuivit.

Cette observation qui se rapproche delà précédente

nous paraît concerner un cas de chorée avec accidents

procursifs concomitants. Nous l'aurions même écartée

s'il ne nous avait paru intéressant de la mettre en

regard de celle d'IIufeland et de montrer combien il

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 65

est parfois difficile, par suite de renseignements incom-

plets, et d'un examen insuffisamment prolongé, de

porter un diagnostic précis.

Les Archives générales de médecine ont inséré en

1825 un travail très intéressant d'Itard' contenant un

très grand nombre d'observations. Parmi elles, deux

peuvent se rapporter à l'épilepsie procursive.

Observation X. A cinquante ans, course sans perte de con-

naissance; abattement, sueur et sécrétion abondante d'urine

consécutifs. Nouveaux accès procursifs.

Un homme de cinquante ans était en voyage et venait de

quitter sa chaise de poste pour faire quelques minutes d'exer-

cice à pied, quand, tout à coup, il sentit que le mouvement de

ses jambes s'accélé1'aif malgré sa volonté et que ce mouvement

rapide, qui l'e7atraïnait droit devant lui, l'écartait de la direc-

tion du chemin qui faisait un détour en cet endroit, et se

trouvait d'un côté bordé de précipices. La terreur que lui cau-

sait un mouvement si extraordinaire et le danger visible qu'y

ajoutaient les localités le frappaient vivement; il voyait bien,

ainsi qu'il le racontait lui-même, fort plaisamment, qu'il cou-

rait à sa perte; mais, poussé par une force supérieure à sa

volonté, il ne pouvait ni s' arrêter, ni se détourner, ni se jeter par

terre, ainsi qu'il en eut successivement l'idée. Heureusement

qu'après avoir franchi diagonalement la partie tournante du

chemin quelques pouces du précipice, il se trouvait en suivant

toujours la même direction courir parallèlement à la route, ce

qu'il aurait pu faire sans danger pendant plusieurs minutes.

Mais presque aussitôt, l'accès, après avoir duré à peu près deux

minutes en tout, se termina sans autre circonstance notable

qu'un grand sentiment de faiblesse, une sueur générale et une

sécrétion abondante d'urine. Quelques heures après, il n'éprou-

vait plus le moindre ressentiment.

Deux nouveaux accès, peu de temps après, à un intervalle

de quelques semaines, lui survinrent dans les promenades

1 Itard. Mémoire sur quelques fonctions involontaires des appareils

de la locomotion, de la préhension et de la voix. (Archives générales de

médecine, 182,ï, ao année, t. VIlI, p. 385-t01.)

Ancmves, t. XIV. 5

66 CLINIQUE NERVEUSE.

publiques; il resta, malgré l'usage des sangsues (tous les mois

douze au fondement), des bains de gélatine, de ventouses sèches

le long de l'épine, de la valériane en poudre à la dose de deux

gros par jour, dans le même état, conservant toutes ses forces

et ses facultés mentales.

Observation XI. Homme de soixante ans, sujet depuis

quelque temps à des vertiges. - Course sans perte de connais-

sance. Hébétude consécutive, trois jours après, embarras de

la parole. Mort le sixième jour après deux nouvelles attaques

convulsives.

M. de la F., âgé de soixante ans environ, ayant le cou assez

court, mais peu d'embonpoint et le visage peu coloré, m'entre-

tint, dans un dîner, fort au long, de bourdonnements d'oreille,

d'étourdissements auxquels il était sujet depuis quelque temps.

Huit ou dix jours après cet entretien, par une température très

froide à l'ombre et brûlante au soleil (c'était en mai 1819),

ayant passé quelque temps aux Tuileries, immobile et exposé

au soleil sous les fenêtres du roi, il fut pris d'un de ces étour-

dissements qu'il éprouvait depuis quelque temps. Il cherche à

le dissiper en se dirigeant vers un banc pour y reposer quel-

ques instants. Remis incomplètement de cette indisposition, il

se lève pour quitter le jardin et rentrer chez lui. Mais, après

avoir fait quelques pas pour gagner doucement la grande allée,

il s'aperçoit que sa marche s'accélère malgré lui et qu'il lui est

impossible, soit de la ralentir, soit de la diriger ou de s'arrêter.

Ainsi poussé devant lui, plutôt courant que marchant, avec la

parfaite connaissance de son état, du danger immédiat qu'il

lui faisait courir, et de la curieuse attention dont il était

devenu l'objet; il était parvenu non loin du grand bassin où il

se serait infailliblement jeté, s'il n'eùt été reconnu par un de

ses amis attiré par la foule dont il commençait à être suivi.

Cet ami vint à lui, le saisit dans ses bras, le conduisit avec

beaucoup de peine sur une chaise, et, après quelques moments,

dans une voiture de place. Arrivé chez lui, le malade put,

quoique fort lentement, monter à son appartement, diriger

à sa volonté le mouvement des jambes, mais qu'il sentait et

qu'on voyait manifestement être faibles et tremblantes. Il lui

restait aussi beaucoup d'abattement moral ou plutôt de cette

torpeur stupide qui succède aux violents accès d'épilepsie. Elle

était dissipée le lendemain. Le troisième jour, la parole s'em-

DE l'épilepsie PROCURSIVE. 67

barrassa; le sixième, le malade succomba après deux courtes

attaques de convulsions. Le cadavre ne fut point ouvert.

Serres parle, à propos des maladies de la protubé-

rance, de deux hommes observés l'un en 1822,

l'autre en 1825, qui, « au moment de l'attaque

ressentirent une douleur des plus vives, poussèrent

des cris et coururent devant eux comme pour éviter

un grand danger. Ils tombèrent au bout de cent pas

environ. Chez tous les deux, la tendance à se porter

en avant avait été spontanée. A l'autopsie, chez tous

les deux aussi, on constata que la protubérance avait

été détruite dans toute sa profondeur ».

Les trois cas de Toulmouche°- cités par Roth dans

son chapitre sur la musculation irrésistible, ne nous

paraissent pas se rapporter à l'épilepsie procursive et

nous les laissons de côté. Semulola3 a relaté, en 1834,

sous le nom d'epilepsia dromica et trochaica, l'histoire

d'un malade atteint d'épilepsie procursive.

OBSERVATION XII. Début des accès procursifs à onze ans. -

Aura. Courses en ligne droite avec perte de connaissance.

Transformation de ces accès en accès ordinaires.

Un jeune homme de vingt-six ans, né de parents sains,

d'une constitution très irritable, fut attaqué dans sa onzième

année, d'une forme particulière de convulsions, dont les accès

avaient lieu tant le jour que la nuit. Il poussait des cris vio-

lents et perdait subitement connaissance. Puis il se mettait

à courir en ligne droite devant lui avec une rapidité incroyable,

' Serres. - Anatomie comparée du cerveau, t. II, p. 634. Paris, 1828.

- Toulinouclie. - Mémoires de l'Académie de médecine, 1833, vol. II,

p. 371.

3 Semmola. Sopra due nzallatie non ancora descritta (c'est du moins

ce que croyait l'auteur). Napoli, 1831, p. 6. - Nous n'avons pu trouver

cette brochure ; mais Roth, puis Berger ont publié l'observation com.

plète.

68 CLINIQUE NERVEUSE.

ne se détournant ni à droite ni à gauche, et ne se laissant

arrêter, par aucun obstacle, à moins qu'il ne fût insurmon-

. table. Il arrivait quelquefois que, saisi d'un paroxysme au pied

de l'escalier, il montait en ligne droite avec une rapidité

incompréhensible. Si on ne l'arrêtait pas, il courait ainsi pen-

dant quelques secondes à la distance de vingt ou trente pas.

Alors il restait tout à coup tranquille, la connaissance lui

revenait; son visage se colorait d'un rouge vif, il ne se rappe-

lait pas de ce qui s'était passé, seulement il prétendait avoir

ressenti, peu de temps avant la perte de connaissance, une

bouffée de chaleur lui montant des pieds à la tête, le long de

la colonne vertébrale.

Pendant sept ans, les accès se renouvelèrent une ou deux

fois par jour à des intervalles irréguliers, après quoi la mala-

die changea de forme. Au début de l'accès, le malade tombait

à terre, se roulait en ligne droite dix ou douze pas autour de

son axe longitudinal, au milieu de cris continuels et avec perte

complète de la connaissance. Le malade n'est pas encore guéri.

Les paroxysmes de cette dernière forme reviennent plus fré-

quemment la nuit, et il se passe peu de jours sans qu'ils se

renouvellent. Tous les médicaments employés ont échoué.

Cette observation, des plus intéressantes, peut être

rapprochée de celle de Grand... (voir t. XIII, p. 323) :

même course rapide en ligne droite, même fréquence

des accès, puis même transformation de l'épilepsie pro-

cursive en épilepsie ordinaire, enfin même insuccès

des divers traitements employés'.

Nous devons citer maintenant une observation de

Bérard aîné 2, concernant un malade atteint de phéno-

1 Le professeur Semmola, dans une lettre qu'il nous adressa il ce sujet

le 28 mai 1882, paraît ignorer complètement la publication que fit son

père de cette affection. « J'ai fait allusion, dit-il, dans une leçon cli-

nique, il cette espèce d'épilepsie propulsive, en soutenant qu'il n'y avait

pas lieu de considérer cette forme clinique comme appartenant à l'épi-

lepsie. »

' Bérard aîné, citation d'Olivier d'Angers, Traité des maladies de la

moelle épinière, t. II, p. 143. Paris, 1847. ,

. DE L EPILEPSIE PROCURSIVE. 69

mènes procursifs ayant précédé de cinq heures le décès.

L'autopsie qui l'accompagne en fait surtout l'intérêt.

Observation XIII. Course, puis chute avec perte de connais-

sance. - Hémorrhagie protubérantielle.

Un homme étant à travailler se plaint tout à coup d'un bour-

donnement d'oreilles. Quelques instants après, une douleur

vive lui arrache des cris,' il se met à courir comme pour échap-

en au danger qui le menace, tombe bientôt, et présente les

symptômes qui suivent : perte complète de connaissance;

immobilité sans dilatation des pupilles, qui sont égales en

diamètre; immobilité du globe de l'oeil; bouche entr'ouverte,

et sans torsion apparente; quelques mouvements dans la

langue sans déviation permanente de sa pointe. Mouvements

respiratoires fréquents, irréguliers, par moments stertoreux.

Les ailes du nez se contractent convulsivement avec les mus-

cles de la respiration. Deux fois il y a eu éternuement violent,

pendant lequel le malade, qui était couché sur le dos, s'est

courbé en avant. Les membres sont dans un état de roideur

qu'on peut surmonter assez facilement. Cette contraction, pen-

dant laquelle les bras sont contournés dans la rotation en

dedans et les pouces fortement fléchis, n'est pas entièrement

permanente. La contraction des muscles du cou n'est pas non

plus assez énergique pour empêcher la tête d'obéir aux lois de

la pesanteur. Les seuls signes de la sensibilité générale furent

un mouvement convulsif du bras droit au moment où l'on

pinça la peau de ce membre, et un mouvement semblable au

moment où l'on incisa les téguments en pratiquant une sai-

gnée. Le malade succomba cinq heures après l'invasion des

premiers accidents, et ne fut pas observé pendant les deux

dernières heures. A l'examen du cadavre, on trouva la pro-

tubérance cérébrale changée en une poche remplie de sang en

partie coagulé et mêlé à quelques débris de substance nerveuse

ramollie et colorée par ce liquide.

De cette observation, nous ne retiendrons, pour

l'instant que, les phénomènes procursifs qui paraissent

avoir été occasionnés par t'M ! on'a'e ? 'oe ? '6'M'< ? ?

nous aurons lieu plus tard, au chapitre de l'Anatomie

70 CLINIQUE NERVEUSE.

pathologique, de revenir sur ce cas et de l'interpréter.

En 1855, M. Moynier' danssa thèse inaugurale, donne

une observation d'une malade épileptique présentant

une aura procursive.

Observation XIV. Fille âgée de dix-sept ans. Mère et

tante maternelle épileptiques. - Vertiges et mouvements

convulsifs dès l'enfance, puis accès. Aura procursive.

Chorée.

B... (Louise-Laurence), née à Paris, âgée de dix-sept ans.

Ayant perdu sa mère à l'âge d'un an et demi, a été élevée par

les soeurs de Notre-Dame. On nous raconte que déjà elle avait

des mouvements nerveux dans les lèvres ; dès sa plus tendre

enfance, elle a eu des étourdissements ; on fut obligé de la

placer à l'Enfant-Jésus ; là, ses étourdissements ou plutôt ses

vertiges ont augmenté ; elle perdait connaissance, poussait de

grands cris, mais c'est à cette époque que les personnes qui pre-

naient soin de cette jeune fille font remonter ce qu'elles appel-

lent le grand mal. L'enfant pousse un cri aigu, perd connais-

sance, s'agite un instant, puis ses membres deviennent le

siège de fortes secousses. Ces accès ont une certaine intensité;

avant qu'elle fût réglée, elle n'avait ses attaques qu'une fois

par mois; elles se renouvelaient pendant deux ou trois jours ;

mais depuis que ses règles sont établies, les attaques sont plus

fréquentes ; d'abord tous les huit jours, puis une, deux ou

trois fois par semaine ; enfin, depuis deux mois, c'est-à-dire

depuis l'apparition d'accidents choréiques qui constituent

aujourd'hui l'élément dominant de la maladie, ses accès se

montrent tous les jours ou même plusieurs fois par jour. La

malade dit qu'elle est prévenue de la prochaine arrivée d'une

attaque par un sentiment irrésistible qui la pousse à courir; elle

fait alors plusieurs fois le tour de 'la salle, pousse des cris,

comme si elle cherchait à éviter un danger, ou comme si elle

était poursuivie. Elle ne peut nous expliquer les sensations

qu'elle éprouve dans ces moments. Toujours est-il que cette

sorte d'aura est un avertissement pour les personnes qui la

surveillent et qui peuvent ainsi se rendre auprès d'elle afin de

prévenir une chute qui pourrait être dangereuse. Ces acci-

1 111oynier. De la chorée, observi IV, p. 27, 1855,

- DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 71

dents d'ailleurs surviennent sans cause occasionnelle. Après

l'accès, elle éprouve du malaise et de la courbature.

Depuis deux mois, une nouvelle affection s'est montrée. Le

8 décembre 1850, la jeuneB..., après une nuit assez tranquille,

s'est réveillée agitée par un tremblement choréique occupant plus

spécialement certaines parties du corps. Pendant les jours qui

ont précédé cet accident, elle a eu très souvent ses accès, ses

idées étaient troublées, elle travaillait moins bien que d'habi-

tude. La journée du 7 décembre s'était passée sans rien de

remarquable ; la nuit avait été calme ; à son réveil, la malade

s'est trouvée toute drôle (c'est son expression), son bras gauche

ne pouvait rien saisir avec précision, tous les mouvements

étaient irréguliers, involontaires ; au dire de la malade, le

membre gauche était refroidi, surtout les doigts ; ce qu'il y a

de certain, c'est qu'elle éprouvait dans ce membre une sensa-

tion de froid.

Les secousses se sont étendues rapidement à tout le côté

gauche de- la face et du corps ; pendant huit à dix jours, les

accidents se sont bornés là ; puis la jambe droite a été prise,

enfin le bras et tout le côté droit ont été agités à leur tour ;

mais les accidents ont été toujours plus intenses du côté gauche

que du côté droit. Et maintenant encore (trois mois après le

début) on constate une différence entre les accidents des deux

côtés du corps. La maladie a fait de rapides progrès ; tous les

membres sont agités de mouvements désordonnés, tous les

muscles sont le siège de contractions irrégulières; la marche

est gênée, difficile, saccadée ; aussi la malade reste-t-elle ordi-

nairement assise ; les mains saisissent les objets avec diffi-

culté. Si on se fait serrer la main par la malade, on sent

qu'elle ne le peut pas faire d'une manière uniforme ; les mou-

vements sont saccadés ; par moments, les doigts n'obéissant

plus du tout à la volonté, elle ne peut pas serrer du tout ; la

parole est brève, saccadée, quelquefois impossible; les lèvres,

les paupières, la face, en un mot, sont toujours grimaçantes ;

les fonctions de nutrition se font bien ; cependant la maigreur

est extrême.

Il n'y a rien de régulier dans la marche de la chorée ; cer-

tains jours, la malade est tranquille; dans d'autres, elle est

très agitée, cela sans cause appréciable. Les accès d'épilepsie

n'ont aucune influence sur la danse de Saint-Guy et récipro-

quement. Depuis l'apparition de la chorée, l'épilepsie ne s'est

72 . CLINIQUE NERVEUSE.

en rien modifiée ; la menstruation a été supprimée, malgré

toute espèce de remède depuis deux époques.

L'épilepsie et peut-être la chorée trouvent chez cette enfant

une cause dans l'hérédité. Sa mère était épileptique, et, au

rapport d'une de ses tantes, elle aurait eu des mouvements ir-

réguliers des muscles de la face et des membres. Une de ses

tantes, du côté de sa mère, a eu aussi des attaques d'épilepsie.

Quant aux causes de la chorée, M. Bastien, à qui est due

l'observation, se demande si elles tiennent aux accès plus fré-

quents d'épilepsie, à la suppression des règles ; ou si la diffi-

culté de la menstruation serait au contraire causée par ce

nouvel élément morbide ; ou si tous ces accidents ne sont là

que comme coïncidence. -. Tous les traitements ont échoué

contre l'épilepsie et aussi contre la chorée. A la fin de l'année

1851, lajeune fille n'avait encore éprouvé aucune amélioration.

L'épilepsie s'accompagna ici de chorée qui ne survint

que longtemps après le début des accès épileptiques.

Cette observation nous fournit un bel exemple d'accès

précédés d'une aura procursive.-Le cas suivant a été

publié par Romberg' dans son Traité des maladies

nerveuses.

Observation XV. Homme de soixante-onze ans. - Cépha-

lalgies et vertiges. Hémiplégie gauche. - Accès procur-

s ? fs de plus en plus fréquents; mort. - Hémorragie de

la capsule interne avec irruption dans le ventricule latéral

gauche.

Un homme de soixante-onze ans, qui avait souffert aupara-

vant de maux de tête et de vertiges; et qui, déjà une fois, était

tombé sans connaissance au milieu de la rue, éprouva au mois

de juillet 1836 unenouvelle attaque de paralysie du côté gauche

de laface avecperte du sentiment de lajambe gauche, et, bientôt

après, il ressentit une grande propension du corps ci se précipi-

ter en avant. Pour mieux l'observer, le docteur Friedheim

l'accompagnait souvent à la promenade. Ils marchaient paisi-

' Romberg. Lehrbuclz der Nervenkrankeiten der 31enschen; Der

Lehre der j/o< : 7t'M<-VettroseH, p. 630, Schwindelbewegungen mit Inipuls

nach der Laneen4xe. I, Nach Vorn. Berlin, 1857. .

DE l'épilepsie PROCURSIVE. 73

blement l'un à côté de l'autre pendant cinq ou dix minutes,

puis le malade hâtait tout à coup le pas, et il finissait par être

saisi d'un si violent accès de propulsion qu'il fallait s'empresser

de le saisir et le contenir avec force.

Dans les derniers mois de sa vie, le malade eut des accès

beaucoup plus fréquents, même en se promenant dans la

chambre, et il raconta, ce que ses parents confirmèrent, que si

au moment où il perdait l'équilibre, il voulait saisir un objet

pour se retenir, comme par exemple un arbre, il devait encore

tourner involontairement deux ou trois fois autour après l'avoir

saisi. Il mourut le 3t mars 1837.

Autopsie. A l'examen du cerveau fait par M. Henle, on

trouva la substance cérébrale solide, compacte, gorgée de sang,

et dans le ventricule latéral gauche, un épanchement assez

considérable d'un sang noir, coagulé, qui avait pénétré de

l'hémisphère voisin par une déchirure pratiquée entre les cou-

ches optiques et les corps striés. Le corps strié droit présentait

une excavation longitudinale étroite, revêtue d'une membrane

brun foncé et entourée de substance cérébrale un peu dure.

Le réseau vasculaire à la base du cerveau était en grande par-

tie incrusté.

Ce cas, comme le précédent, est surtout intéressant

en raison de l'autopsie qui l'accompagne. Nous cite-

rons encore, parmi les observations parues dans la

première moitié de notre siècle, c'est-à-dire durant

une période où l'on considérait les accidents que

nous étudions comme appartenant à la chorée, le cas

de Salgues (de Dijon)'.

Observation XVI. Début à trois ans et demi. -Accès pro-

cursifs fréquents et quotidiens. - Traitements divers.

Une petite fille de trois ans et demi, à la suite d'une vive

frayeur, fut frappée des accidents propres à la chorée. A neuf

ans, cette maladie n'avait point cessé. Elle n'avait été suspen-

due, pendant cette période de plus de cinq ans, que pendant six

' Salgues. Revue nzédico-chirurgicale de Paris, 1827, p. 168.

74 CLINIQUE NERVEUSE.

mois, suspension, d'ailleurs, dont la cause est restée inconnue.

La chorée de cette enfant était généralement caractérisée par

des mouvements précipités qui l'entraînaient violemment à cou-

rir, la malade ne s'arrêtait que lorsque ses jambes se croisant,

rendaient ainsi toute locomotion impossible. Alors elle se

renversait fortement en arrière, puis en avant, imitant parfai-

tement l'inclinaison que donnent au torse l'opistothonos et

l'emprosthotonos. Ces phénomènes morbides se présentaient

sous la forme de courts accès, revenant un grand nombre de

fois dans la journée, et dans l'intervalle desquelles les membres

étaient souvent un peu agités.

Cette affection avait été combattue jusqu'alors à l'aide de la

valériane, de l'oxyde de zinc, de quelques purgatifs, et des bains

froids; le tout en vain. Lorsque la jeune malade entra à l'hô-

pital de Dijon, on tenta derechef l'oxyde de zinc à dose pe7'-

tU7'bat7'ice, puis les affusions froides dans toute la longueur du

rachis ; puis les bains de Barèmes, secondés de frictions narco-

tiques et éthérées sur l'épine dorsale; le tout sans succès. Deux

forts purgatifs, répétés coup sur coup, ne réussirent pas mieux.

Enfin, en désespoir de cause, M. Salgues eut recours à l'énaé-

tique à haute dose; chaque jour, pendant huit jours, l'enfant

prit trente centigrammes de tartre stibié en potion. La pre-

mière dose décida une très forte perturbation avec vomisse-

ments et diarrhée abondante. Les autres, parfaitement tolé-

rées, ne produisirent aucun effet apparent, si ce n'est do

l'anorexie et la cessation complète de tous les accidents carac-

téristiques de la chorée. Le quatrième jour de cette médication

on posa dix sangsues sur les parties latérales du cou, dans le

but de détruire une légère hypérémie encéphalique. Le résultat

en fut bon, et, finalement, la malade est aujourd'hui parfaite-

ment guérie.

Les phénomènes observés ne permettent pas de con-

clure avec l'auteur que sa malade était atteinte de

chorée. La longue durée de la maladie, les accès pro-

cursifs fréquents, les accidents tétaniformes qui les

accompagnaient, la rémission même observée, etc.,

parlent en faveur de l'épilepsie procursive. Nous ajou-

terons qu'il serait téméraire de croire avec Salgues il

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 75

la guérison de sa malade; l'observation sous ce rap-

port est absolument incomplète.

Nous ne pouvons que mentionner l'observation de

Roth; l'auteur n'a pas observé sérieusement le malade

qu'il n'a jamais interrogé et qu'il avait eu seulement

l'occasion de voir dans la rue. Sa description d'ailleurs

écourtée ne permet guère d'en tirer des conclusions

certaines.

Dans la seconde moitié de ce siècle, les phénomènes

procursifs sont de nouveau considérés par tous les

auteurs comme relevant de l'épilepsie. Voici d'abord

un cas de Trousseau'.

Observation XVII.

Il s'agit d'un architecte de Paris, qui, épileptique depuis

longtemps, ne craint pas de monter sur les échafaudages les

plus élevés des maisons en construction. Il n'ignore point

cependant que ses accès se sont déclarés souvent alors qu'il

marchait ainsi sur des planches étroites, situées à une assez

grande hauteur. Jamais il ne lui est arrivé d'accident. Au

moment de sa crise, on le voit courir précipitamment sur les

échafaudages, prononçant ou plutôt criant son nom d'une

voix haute et brève. Un quart de minute après, il reprend son

travail, se remet à parler à ses ouvriers, à leur donner ses

ordres; mais si on ne le lui disait, il n'aurait aucune idée de

l'acte singulier auquel il vient de se livrer.

Ce cas appartient incontestablement à l'épilepsie

procursive; il est généralement considéré par les au-

teurs modernes comme étant le premier exemple connu

de cette forme de l'épilepsie. M. Hammond 2 relate

deux observations dans son Traité.

' Trousseau. Clinique médicale de l'HGtel-Dieu. 4e édition, 1873,

t. Il, épilepsie, p. 112.

' Hammond. -- « Traité des maladies nerveuses; traduction française,

1876, p. 785.

76 CLINIQUE NERVEUSE.

Observation XVIII. - Accès ordinaires d'épilepsie. - Accès

procursifs accompagnés parfois de sauts ou de rotation et

d'un cri inarticulé particulier.

J. H..., atteint d'épilepsie, vint me consulter dans l'été de

1869. Les accès habituels étaient parfaitement développés,

mais dans deux circonstances ils présentèrent un tout autre

caractère. Une première fois on le vit, pendant qu'il surveillait

ses ouvriers, porter la main à la tête et prendre ensuite subite-

ment sa course vers une haie, au-dessus de laquelle il sauta avec

légèreté. Après avoir franchi cet obstacle, il se trouva dans

l'arrière-cour d'une 'maison voisine de la sienne, il y prit un

bâton et frappa avec violence à la porte et aux fenêtres. Tan-

dis qu'il se livrait à ce singulier exercice, il fut surpris par

plusieurs hommes, saisi et maintenu malgré les efforts déses-

pérés qu'il fit pour se dégager. Il était- encore entre leurs mains

quand il revint à lui, mais il ne se souvenait de rien de ce qui

s'était passé après qu'il avait porté les mains à sa tête; ce geste

avait été provoqué, suivant lui, par une douleur violente, ac-

compagnée de vertige. La durée de cet accès n'avait pas dépassé

trois minutes. '

Dans une autre circonstance, il avait été pris de douleurs et

de vertige, pendant qu'il était en train de payer une note à un

marchand de charbon. Il se précipita dans la rue et commença

à tourner rapidement sur lui-même. Il fut saisi et maintenu

jusqu'à ce qu'il reprit sa connaissance. Cette attaque dura en-

viron quatre minutes.

. Outre cet accès, il en eut un autre semblable dans mon ca-

binet de consultation. Il devint subitement très pâle, son regard

fixe, et ses pupilles oscillèrent. 11 se leva soudain de sa chaise,

saisit un instant le rebord de la cheminée, et puis se mit à

courir en tous sens dans mon cabinet en agitant les bras, et

en poussant un cri inarticulé tout particulier. Je me gardai

bien de l'arrêter dans sa course précipitée, et en moins de deux

minutes il se calma. Pendant toute la durée de cet accès, sa

face était pâle, et à la fin les pupilles étaient dilatées. Il ne se

rappelait rien de ce qui était survenu après qu'il s'était levé

de sa chaise, mais il se souvenait cependant avoir été pris

de vertige à ce moment-là.

Dans ce cas, le malade avait des accès ordinaires et

des accès procursifs, ceux-ci accompagnés parfois de

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 77

sauts et de mouvements rotatoires, tous phénomènes

qui se trouvent parfois associés dans ces sortes d'accès.

Le cri inarticulé sur lequel l'auteur ne s'appesantit

pas pourrait peut-être être attribué, comme chez

Grand..., à un tremblement des lèvres. (OBS. I, t. XIII,

p. 323.)

Observation XIX. - Epilepsie procursive sans accès ordinaires.

Courses inconscientes.

Dans un autre cas, il s'agissait d'une petite fille amenée à

ma clinique de l'hôpital Bellevue pendant l'été de 1869. Elle

venait de faire une chute et s'était violemment contusionné le

crâne contre un tas de vieille ferraille. A la suite de cet acci-

dent, les os de la voûte cranienne furent atteints de nécrose

et une partie de la table externe fut éliminée par exfoliation.

Les parents nous racontèrent que, pendant qu'elle était à

l'école, elle se dressait subitement sur ses pieds et faisait plu-

sieurs fois le tour de la classe. Elle n'avait pas sa connaissance

et semblait absolument insensible à tout ce qui se passait

autour d'elle. Dès que l'accès était passé, elle retournait à sa

place. La durée de l'attaque n'excédait pas une minute et il n'y

avait ni excitation ni délire.

Cette seconde observation de M. Hammond est un

cas d'épilepsie procursive pure; il aurait été intéres-

sant de suivre cette malade, d'avoir une description

plus précise des caractères de l'accès et de savoir si

ses accès se seraient par la suite modifiés.

Dans son article sur l'épilepsie 1, M. Nothnagel, après

avoir fait remarquer que « quelquefois les convulsions

manquent entièrement et sont remplacées par des

mouvements ambulatoires et des courses », cite briève-

1 Nothnagel. - Epilepsie und Eklampsie. Vertigo. (Handbuclz der spe-

ciellen Pathologie und 1'erapie de Giemssezz, Bd. XIT, 1877.- Ki,a21khettelb

der Neraensystems, 4, 2.) Unregelmdssige Formai der anfcïlle, p. 2 il.

78 CLINIQUE NERVEUSE. - DE L'ÉPILEPSIE.

ment un cas d'épilepsie procursive : « J'ai eu moi-

même, dit-il, en traitement un malade chez lequel, au

lieu des paroxysmes ordinaires, on notait des accès

qui commençaient et finissaient par une course dans

la chambre dont le malade n'avait pas conscience. Je

ne puis m'empêcher d'exprimer que dans ces cas, il ne

s'agit pas d'une épilepsie idiopathique, mais d'une

forme sympathique qui reconnaît pour cause de gros-

sières lésions anatomiques du cerveau. »

Nous aurons lieu de citer plus loin, aux chapi-

tres II, III, V et VI, un certain nombre d'autres observa-

tions qui, selon nous, ne se rapportent qu'indirectement

à l'épilepsie procursive', telles sont, entre autres, quel-

ques-unes de celles publiées par 0. Berger dans sa thèse

sur la Pathologie des états épileptoïdes, celle plus récente

suivie d'autopsie, et que M. Meschede a insérée dans

les Archives de Virclaouz (1880). - Nous aurons éga-

lement à parler incidemment sans nous y arrêter lon-

guement de quelques autres phénomènes impulsifs,

mouvements de manège, mouvements de rotation,

observés également sur des sujets épileptiques, actes

difficiles encore à classer et qui ne pourront l'être qu'à

la suite d'une longue série d'observations suffisamment

prolongées et appuyées sur de nombreuses autopsies.

Peut-être y aurait-il lieu d'admettre ici d'autres formes

d'épilepsie, par exemple, l'épilepsie rotatoire, etc.

(A suivre.)

1 La quatrième observation de Cheneau, que MM. Salhlras et Bourgui-

gnon classent parmi les vertiges épileptiques, et qu'ils rapprochent des

observations d'Itard, n'appartient pas au groupe de l'épilepsie procur-

sive ; il s'agit là d'un épileptique ordinaire. (Sandras et Bourguignon.

Traité pratique des maladies nerveuses, 2° édit., t. 1, p. 278, 18G0.-Ghe-

neau. Recherche* sur le traitement des maladies nerveuses, ,1811, p. 32.)

RECUEIL DE FAITS

PARALYSIE GÉNÉRALE. ALCOOLISME CHRONIQUE.

TROUBLES TABÉTIQUES; PARALYSIE GÉNÉRALE CONFIRMÉE.

LÉSIONS DE DÉNUTRITION ;

Par Henry BONNET,

Médecin en chef de l'agile d',tliénés de Châlons-sur-Marnc.

Le nommé P ? ouvrier caviste, entre pour la deuxième fois, on

1886, dans mon service. -Lors de la première entrée, il était atteint

de manie aiguë, suite d'alcoolisme, et offrant différentes trému-

lations qu'on ne pouvait faire rentrer que dans un délirium

tremens primitif. Il fut très agité et, en même temps, très

congestif; d'énormes poussées sanguines cérébrales nécessitèrent

un traitement très énergique. Dès lors, les paroxysmes d'excita-

tion cessèrent; mais, on pouvait apercevoir, et très concurremment, t,

la déchéance des fonctions organiques s'unissant à celles des

fonctions intellectuelles et rationnelles; la dénutrition de tout

l'être s'affirme de plus en plus à mesure qu'une poussée cérébrale

se produit. Ces poussées congestives, successives par inter-

mittence, dénotent, chez notre sujet, comme chez ses congénères,

la lutte vitale que la congestion cherche à remplir pour les répa-

rations de nutrition à chaque limite infinétisimale de notre être

et pour laquelle elle devient impuissante. - Après chaque

poussée congestive, la dénutrition générale apparaît de plus en

plus; l'organisme devient impuissant à faire de nouvelles con-

gestions ; le marasme de tous les systèmes se produit; les actions

vaso-motrices s'éteignent une à une; et il y a quelque chose de

très spécial dans la paralysie générale, c'est que l'individu tombé

dans le marasme verra toutes ses fonctions hygidess'en aller une

à une et que la mort, résistant à la vie, n'apparaîtra que lorsque

tous les systèmes auront été entrepris et auront eu leur pénul-

tième dénutrition.

Chez l'homme qui fait, aujourd'hui, le sujet de mon obser-

vation, on a remarqué, et très subitement, une incurvation des

plus prononcées des huitième et neuvième eûtes droites; l'incur-

vation dépasse un angle-de cinquante degrés et fait une énorme

80 RECUEIL DE FAITS. DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE.

saillie sous la peau. - C'est le plus bel exemple qu'on puisse

présenter des conditions de dénutrition dans la paralysie générale

et, en particulier, du système osseux. Il y longtemps que le

professeur Charcot avait appelé l'attention sur l'étal pathologique

osseux, mais dans l'ataxie locomotrice. - Mais, pour la paralysie

générale, il est certain, et nos investigations de chaque jour

affirment la vérité, que le grand sympathique est le premier

atteint et très lésé ; il n'y a pas lieu de s'étonner que la dénutri-

tion s'épidémise à tous les points de l'organisme.

Dans le cas actuel, il est indéniable qu'il y a raréfaction des

matières minérales des côtes; la matière organique prédomine

et, par conséquent, l'incurvation est fatale. On ne peut présenter

un meilleur exemple à tous ceux qui veulent, et à toute force,

voir une méningo-encéphalite diffuse dans la paralysie générale,

pour prouver la dénutrition de l'organisme dérivant des lésions

irrémédiables des centres vaso-moteurs. Avantque le marasme

ultime se produise chez le sujet de notre observation, il est arrivé

ce qui se passe chez tous les paralysés généraux, à bien peu d'ex-

ception près. Dès le principe, la scène pathologique s'est

ouverte par la congestion : la congestion détruit, chaque jour, les

conditions hygides; elle s'est implantée chez le paralysé général,

et sans amener, par un phénomène bizarre, ce qu'on voit cons-

tamment en pathologie classique, c'est-à-dire les grands troubles

organiques que l'on connaît et, parfois, la mort immédiate.

Chaque poussée congestive, et souvent immense, se résoud, dans

la maladie qui nous préoccupe, par une dénutrition de plus en

plus forte de l'organisme; il arrive, un instant, que les poussées

congestives ne peuvent plus se faire parcequelo malade est arrivé

au dernier marasme; il succombe, pièce par pièce, de son être.

La maladie vaso-motrice est telle que, depuis longtemps, j'ai

affirmé et j'affirme cet axiome qu'il faut que tous les systèmes

de l'organisme soient perdus, un par un, pour que le paralysé

général meurt. Il n'y a donc rien d'étonnant à ceque je four-

nisse, aujourd'hui, comme preuve partielle, mais indéniable des

idées du professeur Poincaré et de moi, un exemple d'une dénu-

trition osseuse des plus caractéristiques qui vient confirmer toutes

les prémisses de notre thèse.

A la suite de cela, on est à se demander pourquoi tous les

auteurs parlent de méningo-encéphalite dans la paralysie géné-

rale lorsque eux-mêmes, dans leurs observations, établissent une

congestion.

REVUE CRITIQUE

LE SENS MUSCULAIRE;

Par PAUL SOLLIER.

I. L'existence de sensations spéciales, émanant des muscles,

semble avoir échappé aux anciens auteurs, ce qui n'a rien de

surprenant lorsqu'on songe que pendant longtemps aucune

distinction n'existait entre les diverses sensations données par

la sensibilité tactile.

D'après William Hamilton ce serait à deux médecins italiens

du XVIe siècle, César Scaliger et Ccesalpinus d'Arezzo, qu'il

faudrait faire remonter l'hypothèse d'un sens musculaire

spécial. Ils auraient établi, à l'insu l'un de l'autre, que l'exer-

cice de notre faculté de mouvement est le moyen par lequel

nous sommes à même d'estimer les degrés de « résistance »,

et cela grâce à une faculté de « compréhension active » qu'ils

opposaient au toucher comme « capacité de sensation ou

simple conscience de passion » .

Vers la fin du xv me siècle, Darwin établit aussi un « sens

de l'extension » distinct du toucher, dans lequel certains au-

teurs ont voulu voir la « sensation d'activité musculaire ». (Bel-

lion. Recherches historiques sur la pathologie et la physiologie

des sensations tactiles. Th. Paris, 1853.) - Dans un livre sur

l'llisloÙ'e nalul'elLe de l'âme, publié en 1789, et que M. Char-

cot rappelait il y a peu de temps (OEuvl'es complètes, t. III),

Rey Régis (de Montpellier,) parle de paralysies motrices dé-

pendant de la perte du « souvenir de la force motrice » cau-

sée par la lésion de certaines parties du cerveau. A la fin de ce

même siècle, des physiologistes et des philosophes allemands

avaient aussi établi une distinction entre le toucher actif et

le toucher passif, et avaient donné au toucher actif le nom

de muskelsinn, sens musculaire. Cette distinction avait d'ail-

leurs été faite par de Tracy, un des élèves de Condillac.

Ancxma, t. XIV. 6

82 REVUE CRITIQUE.

Thomas Brown, au commencement de notre siècle, introduisit

ces idées en Ecosse.

On peut aussi trouver épars, soit chez les physiologistes,

soit surtout chez les philosophes, quelques aperçus sur la no-

tion du sens musculaire, mais c'est à Charles Bell (Physio-

logische und pathologische untersuchungen des nervezzsystems)

que revient surtout l'honneur d'avoir établi nettement l'exis-

tence des sensations émanées des muscles, auxquelles il donna

définitivement le nom de sens musculaire.

Cette opinion fut ensuite développée par E.-H. Weber (art.

Tastsinn und gemeingefùhl, p. 582, in Ilandiv. de T'Vagner),

qui appela ce nouveau sens « sens de la force ». J. Mûller en

étudia la nature dans son Hand. der physiol. des Menschen,

t. II, p. 500). Gerdy, dans ses différents travaux, l'étudie

aussi et lui donne le nom de « sentiment de l'activité muscu-

laire ». [Recherches physiol. sur les sensations en général.

Arch. de méd. 1837. - De la sensation du tact et des sensa-

tions cutanées; Bull, de l'Acad. de huez., 1841 . Physiologie phi-

losophique des sensations et de l'intelligence, 1846.)

C'est surtout à partir de 1845 que l'étude du sens muscu-

laire entre dans une phase nouvelle marquée par de nombreux

travaux. Ce sont tout d'abord les observations de Pulchelt,

de Heidelberg (Gaz. méd. de Paris, 18a5), puis de Gendrin,

en 1816 et 1847, qui montrent que chacune des sensations

tactiles peut être isolément modifiée, les autres restant in-

tactes. D'après Leroy d'Etiolles et Becquerel, Sandras con-

naissait la paralysie du sentiment musculaire et on faisait

mention dans ses leçons. La première élude sur ce sujet

paraît cependant appartenir légitimement à Landry quipublie

en 1852, et réclame la priorité de cette découverte contre Du-

chenne (de Boulogne) qui la donne comme la sienne propre

dans son Trailé de l'électrisation publié en 1854. Le sens

musculaire reçoit encore de ces deux auteurs de nouvelles

dénominations. Pour Landry, c'est le sentiment de l'activité

musculaire ; pour Duchenne c'est la « conscience muscu-

laire ».

William Bain dans ses Notes et Dissel'tations sur Reid, en

1846, distingue avec soin entre ce qu'il appelle la faculté lo-

comotrice et le sens musculaire. C'est donc à tort que cer-

tains auteurs pensent qu'il a désigné le sens musculaire sous le

nom de «faculté locomotrice «.Parmi les auteurs qui ont surtout

LE SENS MUSCULAIRE. 83

étudié cette question, il faut placer Ludwig on 1852 dans son

Traité de physiologie, puis Bain dans la première édition de

son ouvrage « The senses and the intellect, en 1855 où il ap-

pelle le sens musculaire « sens du mouvement ». Landry dans

ses mémoires sur la paralysie du sentiment de l'activité mus-

culaire en 1852 et 1855, et ensuite dans son Traité des Para-

lysies en 1859 en a fait l'objet de recherches sérieuses et origi-

nales. G.-H. Lewes (Physiology of common Life. 1860).

Schiff, dans sa Physiologie des muscles et des nerfs, Trousseau

dans ses Cliniques sur l'ataxie locomotrice, émettent sur le

sens musculaire des opinions à peu près semblables que nous

examinerons plus loin. Wundt émet une théorie spéciale sur

sa nature dans différents travaux et ouvrages ; il lui donne le

nom de « sens de l'innervation. (Beilrâge zur théorie der sin-

neswah1'nehnung, , p. 400. Vorlesungen iibe2 die menschen und

thierseele, I, p. 222, Psychologie physiologique, t. I, 418.) -

Ferrier ouvre un champ nouveau à cette étude avec ses ma-

gnifiques expériences sur les localisations cérébrales. (Fonc-

tions of the Bain, 1876.) Weir Mitchell (Injuries of Nerves,

1872), tire aussi d'intéressantes remarques de ce qui se passe

chez les amputés en ce qui concerne les rapports des illusions

des mouvements chez eux et la notion du sens musculaire.

Ch. Bastian y est revenu à plusieurs reprises, la première

fois en 1869 dans le British médical journal, puis dans son

livre sur le Cerveau organe de la pensée et tout dernièrement

enfin dans une longue revue critique parue dans le journal

Brait en avril 1887. Pour plus de commodité, il désigne tou-

tes les impressions diverses qui se combinent pour parfaire

« le sens du mouvement » sous le nom d'impressions kines-

thétiques. '

Comme on le voit, c'est à l'étranger que le sens musculaire

a été surtout étudié dans les vingt-cinq dernières années.

Citons cependant Jaccond en Franco, dans son livre sur les

Paraplégies et l'Atraxie du mouvement. Ch. Richet y insiste

fort peu dans ses Recherches sur la sensibilité (1877). Vul-

pian (art. Moelle du Dict. encyclop.) n'admet pas l'existence

du sens musculaire, - opinion qu'il partage avec Bernstein.

(Uzterszcch. ùber den Erregungsvnrgang., p. 239.) Enfin,

cette question a été remise en honneur aujourd'hui par l'école

de la Salpêtrière, dans les études sur l'hystérie, et M. Ba-

binski a fait cette année même une communication à la So-

84 REVUE CRITIQUE.

ciété de Psychologie physiologique sur laquelle nous n'insis-

terons pas, l'auteur devanty revenir prochainement avec plus

de développement.

Bien des noms seraient certainement encore à citer. Mais

nous n'avons voulu faire qu'une rapide énumération des prin-

cipaux travaux auxquels on peut se reporter pour l'étude du

sens musculaire, nous réservant de citer dans le cours de

cette revue les mémoires moins importants qui sont venus

grossir cette bibliographie déjà respectable.

Il. On peut juoler d'après les nombreuses dénominations qu'il

a reçues qu'un grand désaccord existe entre les auteurs sur

ce qu'on doit entendre par sens musculaire, et comment il

faut l'interpréter, les uns confondant sous ce terme toutes

les impressions que nous recevons de nos membres en mou-

vement, ou des mouvements en général, les autres au con-

traire, ne désignant~par sens musculaire que certaines de ces

impressions. Pour les uns, le sens musculaire nous donne

l'appréciation de la contraction de nos muscles; pour d'autres,

il nous fournit les notions de pression, ou encore de poids et

de résistance. Pour un grand nombre ce serait surtout la

notion de position des membres qui constituerait le sens

musculaire. Pour certains, il proviendrait seulement de la

sensibilité musculaire, tandis que pour d'autres les sensations

provenant de toutes les parties profondes des membres, apo-

névroses, tendons, articulations et muscles, contribueraient à

le constituer. Les impressions de la peau devraient aussi y

être rattachées. C'est cet ensemble d'impressions diverses

constantes, plus ou moins définies, auxquelles Ch. Bastian a

donné le nom d'impressions kinesthétiques qu'il propose

de substituer au terme vague de sens musculaire, opinion à

laquelle se rattache M. Charcot. Pour Ferrier aussi cette

expression serait préférable. Outre les impressions conscientes

kinesthétiques, M. Bastian pense qu'il y a en outre une série

fort importante d'impressions non senties qui guident l'acti-

vité motrice du cerveau, en les mettant automatiquement en

rapport avec les différents degrés de contraction de tous les

muscles qui peuvent être en jeu.

E.-H. Weber, qui étudia le premier après chez Ch. Bell le

sens musculaire, sous le nom de a sens de la force », se basa

sur la sensibilité qui se manifeste par les différences de poids

LE SENS MUSCULAIRE. 85

pour le distinguer du sens tactile. Par la pression cutanée, en

effet, nous ne pouvons percevoir que des différences d'un tiers

du poids, quel qu'il soit, mis en contact avec notre peau, tan-

dis que si nos muscles sont appelés à jouer, nous apprécions

des différences de 1/17 du poids que nous supportons. Ces

expériences, confirmées par d'autres auteurs, montrent bien

qu'il existe en nous une capacité distincte pour apprécier les

différents degrés de poids ou de résistance par les impressions

qui résultent des états variés de tension ou de contraction

de nos muscles. Cette faculté est perdue dans certaines

maladies, et son absence donne lieu à des mouvements

désordonnés quand les yeux sont fermés, et à la perte de la

notion de position de nos membres. Nous y reviendrons à

propos du siège du sens musculaire dans le cerveau.

Peu après Weber, Millier, à propos de ses expériences, fit

ressortir' que, dans ces cas, une sensation accompagnant

l'innervation centrale, pourrait bien intervenir et il dit, dans

sa Physiologie : « Nous avons une notion fort exacte de la

quantité de force nerveuse partant du cerveau, qui est néces-

saire pour produire un certain mouvement. Il serait fort

possible que l'appréciation du poids et de la pression, dans

le cas où nous soulevons et résistons, soit en partie du moins,

non une sensation dans le muscle, mais une notion de la

quantité de force nerveuse que le cerveau est excité à mettre

en jeu. » William Hamilton soutient une opinion à peu près

semblable. Pour lui, la résistance et le poids sont principa-

lement mesurés par la « faculté locomotrice », tandis que

l'appréciation, par cette faculté, de la force plus ou moins

grande de notre « énergie mentale motrice » est toujours

accompagnée et aidée « par des sensations dont les conditions

sont, d'une part, le. nisus ou repos musculaire, et, d'autre

part le corps résistant ou pressant ». De ces sensations, les

premières c'est-à-dire les sentiments liés aux états de tension

et de relâchement, ont leur siège entièrement dans les mus-

cles, et appartiennent à ce qu'on a quelquefois appelé le sens

musculaire. Les dernières, c'est-à-dire les sensations déter-

minées par la pression externe ont leur siège en partie dans

la peau et appartiennent alors au sens du toucher proprement

dit, ou à la sensation cutanée, et en partie dans la chair,

auquel cas elles appartiennent au sens musculaire. Ces im-

pressions sont de simples modifications des nerfs sensitifs qui

86 REVUE CRITIQUE.

se distribuent aux muscles et à la peau. » Pour Millier et

Hamilton, le sens musculaire dérive donc à la fois d'une

faculté d'origine centrale motrice, la faculté locomotrice; et

d'autre part des impressions sensitives des membres en mou-

vement, impressions centripètes émanant des muscles, ou

émanant de la peau. Ludwig pense aussi « qu'il est conce-

vable et non invraisemblable que l'effort de la volonté ait

précédé, comme moyen de jugement, les connaissances et le

discernement qui nous arrivent par les muscles volontaires

mis enjeu.

D'après Wundt, « le siège des sensations de mouvement ne

paraît pas être dans les muscles mais bien dans les cellules

nerveuses motrices... Nous n'avons pas seulement la sensation

d'un mouvement exécuté, mais celle d'un mouvement à

exécuter. La sensation de mouvement est donc liée à l'inner-

vation motrice, c'est pourquoi nous l'appelons sentiment

d'innervation ». Il dit ailleurs (Psych. physiol., trad. française,

p. 421) : « Les physiologistes ont essayé de faire dériver,

autant que possible, toutes les sensations de mouvement d'une

seule source. Dans cette intention, ils ont cherché : 1° à les

ramener aux sensations dépression delà peau; 2° ils ont

voulu y voir des sensations musculaires spécifiques, qui,

dépendant des appareils sensibles et des nerfs situés à l'inté-

rieur des muscles, seraient considérées en quelque sorte

comme les sensations d'un sixième sens, le sens musculaire;

3° enfin, selon une autre supposition, ce sont des sensations

d'innervation ; elles dépendent uniquement de l'innervation

centrale des organes moteurs et leur origine serait donc plu-

tôt centrale que périphérique. On voit aisément que chacune

de ces trois hypothèses sur le sens musculaire est insuffi-

sante, mais chacune contient, évidemment une partie de la

vérité, et par conséquent les sensations du mouvement sont

pour nous des produits fusionnés complexes, provenant de

sensations d'origine différente. » Il estime (Menschen u.

Thie2,secle, p. 222, t. I), comme le plus probable, que les sen-

sations accompagnant la contraction des muscles naissent

dans les fibres nerveuses qui transmettent l'impulsion mo-

trice du cerveau aux muscles, car si elles étaient ducs aux

nerfs sensitifs des muscles elles croîtraient et décroîtraient

constamment avec le degré de travail interne et externe

accompli par le muscle. Mais ce n'est point là le cas, car la

LE SENS MUSCULAIRE. 87

force de la sensation dépend seulement de l'influence motrice,

partant du centre, qui excite l'innervation des nerfs mo-

teurs. » Comme preuves il cite des cas de paralytiques ou de

parétiques qui peuvent encore sentir qu'ils accomplissent un

grand effort musculaire, bien qu'ils remuent à peine leur

membre. D'après cela, la conscience de l'effort serait indé-

pendante de la contraction musculaire elle-même. Ferrier

répond à cela que « nous trouvons une explication de l'effort

considérable en apparence ne produisant qu'un léger mou-

vement, dans les associations formées par l'expérience passée.

Bain soutient une opinion analogue à celle de Wundt

quoique en différant légèrement. Pour lui aussi les impres-

sions du sens musculaire dérivent des muscles par les nerfs

moteurs et son siège est du côté moteur, et la conscience de

nos contractions musculaires est indépendante des impres-

sions centripètes nées de l'acte même de la contraction mus-

culaire. Dans les différentes éditions de son livre sur les sens

et l'intelligence, il accentue de plus en plus ses idées dans

ce sens, et il s'exprime ainsi : « Comme les nerfs qui se

rendent aux muscles sont surtout des nerfs moteurs grâce

auxquels les mouvements musculaires sont excités par le

cerveau et les centres nerveux, ce que nous en pouvons

déduire avec le plus de certitude, c'est que la sensibilité qui

accompagne les mouvements musculaires coïncide avec le

courant centrifuge de l'énergie nerveuse et ne résulte pas,

comme dans le cas de sensation pure, d'une influence affluant

par les nerfs centripètes ou sensitifs. » Selon lui, les impres-

sions du sens musculaire seraient appréciées par un « sens

d'énergie déployée » concomitant avec le courant centrifuge,

et par conséquent auraient leur siège du côté moteur. Les

découvertes de Sachs, montrant que les muscles possèdent des

nerfs sensitifs, ayant un trajet et une distribution différents

des nerfs moteurs, et pénétrant dans la moelle par les racines

postérieures, ont fait rejeter complètement le sentiment

d'innervation, ce qui est sans doute trop absolu.

Dans l'hypothèse de Bain, les centres et les nerfs moteurs

seraient donc à la fois les agents de la contraction musculaire

et de la conscience de l'effort musculaire. A l'appui de cette

hypothèse on invoque les expériences de W. Arnold (Die

Verruchlugen der lvitrzebi der Idüclvenmaolcscaeraen, 1844,

Heidelberg) et de CI. Bernard, qui, en enlevant la peau d'un

88 REVUE CRITIQUE.

des membres d'une grenouille, ou en coupant ses racines

postérieures d'un côté, ont montré qu'elle se servait avec

autant de précision de ses deux membres, et que par consé-

quent elle devait avoir conservé la conscience de l'effort mus-

culaire. Toutefois, Ferrier objecte que'les mouvements coor-

donnés ne sont pas dus aux sensations, mais sont produits

par la simple mise en jeu des mécanismes réflexes de la moelle

épinière, de la même façon que les animaux, privés de

leur cerveau, nous présentent des mouvements bilatéraux

parfaitement coordonnés.

G.-H. Lewes, dans son premier ouvrage (Physiology of

Common Life, 1860) admettait que le sens musculaire dérivait

de courants centripètes ou impressions émanées des muscles,

et rapportées aux centres volitionnels par les nerfs moteurs

eux-mêmes. Les centres et les nerfs moteurs dans cette hypo-

thèse étaient donc simultanément ou à peu près, témoins de

courants centrifuges et centripètes. Lewes est revenu depuis

sur cette opinion dans laquelle tout se passait aux dépens

des centres et nerfs moteurs, et admet aujourd'hui les sensi-

bilités passives comme composantes du groupe complexe des

impressions émanées des muscles, c'est-à-dire du sens muscu-

laire. Dans ses Clzinzcal and physiol. Researches on the 2îeîvous

System, 1876, Hughling Jackson se montre partisan des idées

de Wundt et de Bain, pour qui notre conscience de l'activité

musculaire est en grande partie centrale, initiale et réalisable

dans les centres moteurs.

Ferrier rapporte aussi aux centres moteurs les impressions

du sens musculaire. A côté de ces théories absolues se placent

des opinions intermédiaires, faisant une part aux impressions

motrices et aux impressions sensitives. C'est ainsi que

Bernhardt (Archiv. für Psychiatrie, 1872) pense que des

notions de résistance et de poids dérivent principalement

d'une appréciation du degré d'énergie centrifuge partant du

centre volitionnel, bien qu'en partie aussi d'impressions cen-

tripètes ordinaires. Dans ses expériences avec Leyden (Ar-

chiv. de Virclanio., t. XLVII, p. 330), il a montré que dans des

cas d'anesthésie cutanée, si le trouble de la sensibilité est

borné à la peau, la sensibilité pour l'élévation des poids peut

persister et avoir sa grandeur normale. Il faut donc admettre

que cette sensation de mouvement, indépendante de la peau,

réside dans une sensibilité particulière aux muscles, ou dans

LE SENS MUSCULAIRE. 89

une sensation d'origine centrale, accompagnant l'innervation

volontaire des muscles. Bernhardt penche à considérer le

sens musculaire comme une fonction du cerveau, aidée seu-

lement par des impressions centripètes. Il a établi, en

outre, qu'une distinction de poids peut être faite lorsque les

muscles sont contractés par le courant électrique seul. Il

montra de plus que la sensation de pression nous permet

d'apprécier beaucoup plus faiblement des différences de

poids que les mouvements d'élévation. La contraction muscu-

laire, le sens musculaire, joue donc un rôle important et

nous fournit bien là des impressions centripètes.

Weir Mitchell soutient également une opinion intermédiaire.

Il rapporte des observations très intéressantes touchant aux

hallucinations sensorielles des amputés qui croient encore

faire agir leur membre perdu. Il s'exprime ainsi (Injuries of

nerves, 1872) :

« Dans quelques cas, par 'exemple dans les amputations de

l'avant-bras à la partie inférieure, les muscles moteurs des doigts

subsistent en tout ou en partie et éprouvent des contractions

réelles sous l'influence de la volonté. Le sensorium peut donc

avoir connaissance des mouvements exécutés par les changements

survenus dans l'état de ces muscles. D'autres fois, par exemple

dans la désarticulation de l'épaule, dans les amputations de l'hu-

mérus, les muscles qui agissent sur la main font complètement

défaut. Et cependant ici, comme tout à l'heure, il y a une sensa-

tion nette et consciente des mouvements des doigts et de leurs

déplacements. Autrement dit, la volonté de mouvoir certaines

parties est accompagnée de conditions mentales qui représentent

devant la conscience le mouvement lui-même, la force avec la-

quelle il s'accomplit, et la série de changements de position dont

il se compose. -Aujourd'hui les physiologistes n'admettent que

les notions de ce genre, relatives au mouvement des parties que

nous voulons faire agir, nous sont fournies par les contractions

musculaires et les changements de position réellement exécutés.

Cependant, li résulterait de tous les renseignements que nous

avons fournis, que telle n'est pas l'explication véritable ; il semble

que lavolonté du mouvement et la conscience de ce mouvement

soient des faits contemporains, s'accomplissant simultanément

dans les centres nerveux. On pourrait alors invoquer la puissance

de l'habitude qui aurait associé certaines formes d'activité céré-

brale avec certaines idées de mouvements produits. La mémoire

aurait conservé le souvenir de cette association. Mais dans

quelques observations, l'amputation datait du plus jeune âge,

90 REVUE CRITIQUE.

d'une époque dont les souvenirs sont très confus. Il est probable

que ces idées, que nous sommes censés obtenir par le sens mus-

culaire, sont provoquées et nécessitées par l'impulsion volontaire

elle-même ; ce sont des avertissements envoyés au sensorium par

les ganglions spinaux que la volonté a mis en activité.

Il a fait en outre des expériences électriques montrant que

si on électrise les troncs nerveux dans un moignon ou au-

dessus on provoque l'illusion de mouvements d'extension et

de flexion des doigts, et des parties dont le blessé avait perdu

conscience depuis des années peuvent réapparaître.

«Il est évidemment impossible d'admettre, dit-il, que les nerfs

moteurs puissenttransmettre des impressions vers les centres. Dès

lors, il faut admettre que les excitations de certains nerfs sensitifs

peuvent apporter au sensorium l'impression particulière des mou-

vements dans les muscles. Lorsque nous voulons un mouvement,

il naît en même temps dans les mêmes centres spinaux des im-

pressions qui vont renseigner le sensorium sur l'exécution de

l'acte voulu, sur les déplacements dont il se compose, sur la

force avec laquelle il est accompli. A chaque volition surgit dans

l'intelligence la conscience de l'acte à accomplir avec ses qua-

lités ; c'est à tort ce que ces phénomènes sont attribués à des

impressions venant des pcutiespériphériquos. En second lieu, pen-

dant l'accomplissement d'un mouvement, certains nerfs périphé-

riques transportent au cerveau des impressions qui viennent

compléter les notions nées dans les centres en même temps que

la volonté ; de là des renseignements complémentaires sur l'eaé-

cution des actes musculaires. »

Duchenne (de Boulogne) peut être également rangé parmi

ceux qui regardent le sens musculaire comme ayant il la fois

une origine centrale et une origine périphérique. 11 subdivise

même le sens musculaire en sensibilité musculaire et cons-

cience musculaire.

« 11 ne faut pas confondre la conscience musculaire, dit-il, qui,

dans l'acte des mouvements volontaires, semble précéder et dé-

terminer la contraction, avec la sensation qui donne le sentiment

de la pesanteur, de la résistance, etc., et qui a été appelée sons

musculaire par Ch. Bell, et sensation d'activité musculaire par

Gerdy. Cette dernière sensation est le résultat ou le prodnit de la

contraction musculaire; l'observation clinique m'a démontré que

cette sensation est un phénomène qui dépend plutôt de la sen-

sibilité articulaire que de la sensibilité musculaire. La conscience

musculaire peut exister indépendamment de la sensation d'acti-

LE SENS MUSCULAIRE. 91 t

vité musculaire. Elle est nécessaire a la contraction musculaire

volontaire et à la cessation de cette contraction.» »

Pour lui la sensibilité musculaire n'est qu'un phénomène de

sensibilité générale qui n'offre aucun titre particulier à être

rangée parmi les sens.

Nous en arrivons maintenant à l'opinion qui considère le

sens musculaire comme étant d'ordre essentiellement sen-

sitif. Lotze (Medicinische psychologie, 1852, p. 293) paraît

avoir été le premier à soutenir que les sensations qui accom-

pagnent nos mouvements ou en résultent sont afférentes et

non efférentes, quand il dit que nous ne sentons pas la force

que nous mettons à produire un effet, mais seulement ce qui

se passe dans nos organes en mouvement après que la force

a exercé son action. Landry (Traité des Paralysies, 1859),

s'appuyant sur des données pathologiques et psychologiques,

émet la môme opinion qu'Hamilton relativement à l'existence

d'impressions donnant des sentiments de tension et venant

des muscles par les nerfs sensitifs. Seulement, au lieu de

regarder comme Hamilton ces impressions comme secon-

daires, elles sont au contraire pour lui les plus importantes,

sinon les seules. Pour lui les notions de résistance, de poids,

de position, etc., ne peuvent venir ni du cerveau ni de

n'importe quelle autre source en dehors des parties mêmes

qui sont en mouvement, ainsi que le prouve d'ailleurs le

passage suivant :

« Le moi a une conscience directe des phénomènes de volition;

il sait immédiatement qu'il y a eu un stimulus volontaire et vers

quelle partie du corps il est dirigé; quant aux effets produits il

n'en est informé que d'une manière médiate, et peut les négliger.

L'action nerveuse qui excite le mouvement ne peut donc fournir

à la conscience qu'une idée de la volition et non de son exécution.

H est nécessaire que l'effet de l'excitation centrale, c'est-à-dire la

contraction, soit produit pour que le cerveau puisse percevoir; et

il perçoit, en même temps, à la fois le siège et le degré de con-

traction. Le mouvement lui-même est donc la source d'où zzousvien-

nent les notions de ce genre. »

Schiff et Trousseau no reconnaissent pas, en réalité, l'exis-

tence d'un sens musculaire, car, pour eux, les impressions

qui nous fournissent les notions de poids et de résistance

ainsi que la connaissance de la position de nos muscles et de

leurs mouvements, nous sont fournies non par les muscles

92 REVUE CRITIQUE.

mais par les sensibilités cutanée et articulaire seulement. -

Pour eux, néanmoins, on voit que les impressions qui

constituent pour nous le sens musculaire ont une origine

périphérique et une voie centripète.

C'est surtout Ch. Bastian qui s'est montré le défenseur de

cette opinion. Dans son premier mémoire sur le sens muscu-

laire (Brit. Med. Journal, 1869), il se rattache à l'opinion de

Landry. Le sens musculaire ne dépend pas de nos notions de

la quantité de force nerveuse mise en liberté durant un

effort volitionnel, ou autrement dit, de la conscience qu'a

l'esprit de sa propre énergie centrifuge. Le sentiment d'énergie

déployée n'est pas contenu dans l'acte volitionnel et n'en

est pas un apanage, mais dérive d'impressions émanant des

organes même en mouvement. Nos perceptions de résis-

tance et de poids sont en réalité composées d'impressions

tactiles, en partie de sensations passives émanant de nos

muscles et de nos articulations, et des déductions basées là-

dessus ». Il admet qu'il existe en outre des impressions trans-

mises par les nerfs sensitifs ordinaires des membres en mou-

vement, par exemple des muscles, des articulations et de

la peau, d'autres impressions, inconcientes celles-là, venant

par des nerfs afférents spéciaux des centres moteurs spinaux.

11 accorde même à ces dernières un rôle prépondérant. Dès

lors, admettant que les impressions du sens musculaire sont

pour la plupart inconscientes, il n'y a pas de faculté digne du

nom de « sens musculaire ». Ces impressions qu'il désigne

sous le nom d'impressions kinesthétiques, diffèrent de celles

de toutes les autres facultés sensorielles en ce qu'elles sont,

tout d'abord, résultats plutôt que causes de mouvement, et

ne sont ensuite employées que comme guides pour provoquer

la continuation des mouvements déjà commencés.

III. Quel est maintenant le rôle du sens musculaire ? Pour

que la volonté puisse exécuter un mouvement il lui faut non

seulement la conception du but à atteindre, l'excitation des

contractions en groupes fonctionnels et leur coordination,

mais aussi la sensation exacte de ce que les muscles sont en

train de faire, pour que l'énergie des contractions musculaires

ne dépasse pas ou ne reste pas au-dessous du but proposé.

Ces notions, c'est le sens musculaire qui les donne. « Toute

discussion psychologique, dit Maudsley (Physiol, de l'Esprit)

LE SENS MUSCULAIRE. 93

sur la valeur du sens musculaire, comme guide du mouve-

ment est superflue, vu l'observation pathologique qui prouve

jusqu'à l'évidence que lorsque ce sens manque, les mouve-

ments en question ne peuvent être exécutés qu'à une condi-

tion, à savoir qu'un autre sens vienne remplacer celui-là. Ce

n'est pas un sens activement conscient, comme la vue ou le

toucher : il est plutôt du genre des sensations organiques,

contribuant inconsciemment ou avec une conscience confuse

au résultat final. La vue peut le remplacer quand il est

absent. » Plus loin Maudsley se demande quel est le rapport

du sens musculaire à l'intuition motrice. Ce rapport lui

semble être analogue à celui d'une sensation d'un sens spécial

avec l'idée correspondante. Le sens musculaire jouerait le

même rôle que les autres sens réceptifs. Il servirait à la for-

mation des idées fondamentales de solidité, de grandeur, de

forme et de distance, au moyen des impressions qu'il reçoit

du dehors et transmet à l'intérieur, et des adaptations internes

subséquentes; il fournirait en outre à la réaction externe in-

telligente de l'individu, par les idées qu'il fait naître, un

guide, grâce auquel l'individu peut diriger ses mouvements

et régler la force qu'il doit leur imprimer dans les cas parti-

culiers. Telle était aussi l'opinion de Landry quand il dit :

« La sensation d'activité musculaire qui fournit l'idée de résis-

tance sert à déterminer la quantité de force nerveuse néces-

saire pour produire un mouvement, un résultat donné. Ce

n'est pas encore là tout son rôle. Par elle, et par elle

seule, nous connaissons la force de contraction actuelle des

muscles, l'étendue, l'énergie, la direction des mouvements,

la position de nos membres, en un mot les effets de l'incita-

tion centrale. - Fait-elle défaut, toutes ces notionsmanquent

avec elle, et par conséquent aussi, la possibilité de rectifier

les erreurs de la contraction. Cette sensation remplit le rôle de

dynamomètre à l'égard de l'influence nerveuse. »

Nous avons vu d'après la façon dont Wundt interprète la

nature du sens musculaire, que pour lui la sensation du

mouvement est liée à l'innervation motrice. Chaque sensation

du mouvement est pour lui une résultante provenant de trois

facteurs différents, sensation de pression de la peau et des

parties sous-cutanées, sensation de contraction des muscles,

et sensations d'innervation centrale, qui ne peuvent jamais être

séparés à l'état normal, l'innervation centrale amenant sur-le-

9 le REVUE CRITIQUE.

champ une modification dans l'état des muscles. Meynert sou-

tient aussi (Psychiatrie) une opinion analogue.

M. Jaccoud professe une opinion analogue à celle de Landry

et de Maudsley. Pour lui, la coordination motrice, qui apparaît

comme un fait unique et indivisible, procède en réalité de

deux opérations distinctes : la coordination volontaire ou en-

céphalique, la coordination mécanique ou spinale. La coor-

dination volontaire a pour effet d'adapter incessamment le

mouvement fonctionnel au but voulu en modifiant les qualités

finales selon les exigences variables de l'acte conçu ; or, pour

que le sensorium puisse intervenir avec opportunité et me-

sure, il faut qu'il soit instruit à chaque instant des qualités

du mouvement produit. Ces notions indispensables, l'encé-

phale les obtient directement par la vue, ou bien il les

déduit indirectement des renseignements qui lui arrivent tou-

chant la situation des parties qui se meuvent et l'état des or-

ganes contractiles qui les meuvent ; ces renseignements sont

des impressions fournies par le sens musculaire. Dès qu'un

mouvement, quelque complexe qu'il soit, est convenablement

appris, dès que l'organisme se l'est assimilé, l'appréciation des

qualités du mouvement cesse de se faire par la vue, et le sens

musculaire intervient. C'est le seul , dit Jaccoud, qui soit

mis en usage, à l'état physiologique, pour les mouvements

de la marche et de la préhension.

E. Fournie (Physiol. du syst. nerveux) est aussi d'accord sur

l'importance de ces sensations de mouvement par rapport

aux autres impressions sensorielles comme guides des mou-

vements en général. Il a pleinement reconnu la part impor-

tante prise par le rappel des sensations de la contraction

musculaire dans l'accomplissement des mouvements volon-

taires ou distinctifs. Il soutient que le sens musculaire est une

condition indispensable pour la direction de nos mouvements,

et que sans notre pouvoir de rappeler, de raviver les impres-

sions musculaires à notre esprit, nous ne pourrions jamais

apprendre parfaitement de nouveaux mouvements, et que

l'exécution des mouvements serait un éternel apprentissage.

Au commencement d'un mouvement, il nous faut évoquer

la conception des qualités de ce mouvement, ce que l'expé-

rience antérieure nous permet de faire, avant de passer à

l'acte. James Mill a soutenu que les impressions du sens

musculaire interviennent et prennent part à l'opération,

LE SENS \IUSCUL11RE. 95

comme agents déterminants, à une phase immédiatement

postérieure à la conception, et antérieure à l'accomplissement

réel du mouvement volontaire. Si on remplace les impres-

sions du sens musculaire par le terme impressions kinesthé-

tiques, nous avons l'opinion de Bastian. Cet auteur admet

que le rappel idéal ou conception des qualités sensitives des

mouvements nécessités, c'est-à-dire des impressions kines-

thétiques, opère comme point de départ, en permettant à l'iu-

dividu de déterminer, en s'appuyant sur une base déjà exis-

tante et en partie instinctive, comment agir et quelle force

employer, tandis que pendant la continuation des mouvements,

il serait aussi en partie influencé par des sensations réelles,

se réalisant dans les mêmes parties du cerveau, et lui disant

comment il agit et quelle force il emploie.

11 reconnaît aussi la nécessité de l'aide de la vue dans l'édu-

cation des mouvements complexes. « Mais au bout de quel-

que temps les impressions qui appartiennent au sens muscu-

laire deviennent assez librement associées avec celles de la

vue, et avec les conducteurs nerveux et les mécanismes ner-

veux d'organisation nouvelle, pour permettre aux mouve-

ments que nous avons étudiés de s'accomplir sous la direc-

tion immédiate des seules impressions kinesthétiques, sans

qu'il soit plus besoin d'une direction auxiliaire fournie par le

sens de la vue.

C'est par des impressions kinesthétiques que nous sommes

ensuite continuellement instruits des qualités des mouve-

ments actuellement produits. D'abord conscientes, elles finis-

sent par passer inaperçues, et nous arrivons à accomplir

une foule d'actions sous la direction de simples impressions

kinesthétiques inconscientes. « Les actions d'abord volon-

taires passent ainsi dans la catégorie des automatiques secon-

daires. »

W. James professe les mêmes idées que Bastian et fait

partir, comme lui, des centres sensoriels, seuls capables de

recevoir les impressions kinesthétiques centripètes, le pro-

cessus du mouvement volontaire. Ils arrivent à cette conclu-

sion « que les actes volontaires ne sont en fait que des actes

dont les centres moteurs sont constitués de telle sorte qu'ils

peuvent être excités par les centres sensoriels dont l'excita-

tion était primitivement l'effet. Pour eux, toutes nos idées

de mouvement, grâce au rappel des impressions du sens

96 REVUE CRITIQUE.

musculaire, sont ravivées dans les centres sensoriels, et les

idées motrices n'existent pas.

M. Charcot (OEuvres, t. III, p. 463) fait avec soin la part

des représentations motrices et des impressions kinesthéti-

ques. « J'ai été conduit à admettre, dit-il, avec bon nombre

d'auteurs, que les représentations motrices qui précèdent né-

cessairement l'accomplissement d'un mouvement volontaire

s'effectuent dans les centres moteurs corticaux où elles trou-

vent leur substratum organique, et plus précisément dans les

cellules nerveuses motrices de ces centres. Elles seraient

principalement constituées par le sentiment d'innervation »,

de « décharge nerveuse », et auraient une origine centrale.

Les notions fournies par ce qu'on nomme proprement le sens

musculaire (s. kinesthétique de Bastian) consisteraient au

contraire en des impressions venues de la périphérie, à sa-

voir de la peau, des muscles, des aponévroses, des tendons,

des capsules articulaires enfin; ces impressions s'emmaga-

sineraient dans les centres sensitifs corticaux où pourrait avoir

lieu leur rappel idéal. » S'appuyant sur ce qui se passe chez

certains hystériques dont la sensibilité superficielle et la sen-

sibilité profonde sont complètement éteintes, et qui, les yeux

ouverts exécutent tous les mouvements avec précision, tandis

que, les yeux fermés, ils tàtonnent, mais sans incoordination

toutefois, il ajoute : « Ces modifications qui se produisent

dans l'exercice des mouvements, chez les malades de ce genre,

lorsque le concours des impressions kinesthétiques et visuelles

est supprimé nous permettent de discerner jusqu'à un cer-

tain point en quoi consiste normalement le jeu de l'appa-

reil fondamental des mouvements volontaires. Par contre

l'étude des cas de paralysie psychique, portant uniquement

sur le mouvement, fera reconnaître le rôle vraiment secon-

daire, tout important qu'il soit, des représentations visuelles

et kinesthétiques dans l'accomplissement normal des mouve-

ments volontaires. Peut-être d'ailleurs existe-t-il, à l'état nor-

mal, des variétés à cet égard. Il

IV. Nous avons vu qu'au point de vue du mode par lequel

nous pouvons apprécier les impressions du sens musculaire, les

différents auteurs se divisent en trois groupes. Pour les uns, ie

sens musculaire est d'origine motrice centrale : telle est l'o-

piuion de Wundt, deMeynert, de Bain, d'Huglings Jackson, etc.

LE SENS MUSCULAIRE. 97

Pour d'autres, le sens musculaire est d'origine à la fois

motrice et sensorielle, centrale et périphérique, opinion sou-

tenue par J. Muller, Hamilton. Enfin pour Landry, Schiff,

Trousseau, Bastian, il est d'ordre exclusivement sensitif.

L'étude des localisations cérébrales a naturellement amené à

rechercher s'il n'existait pas dans l'écorce un centre spé-

cial pour le sens musculaire.

Nothnagel pense que l'affection de la motilité consécutive

à la destruction des centres moteurs est due à la paralysie

du sens musculaire. Le fait de la restauration du mouvement

au bout d'un certain temps, chez le chien, prouverait, d'après

lui, que le centre du sens musculaire n'est pas lui-même dé-

truit, mais que la destruction des centres corticaux n'a fait

qu'interrompre le trajet des impressions centripètes.

Hitzig estime, d'après ses expériences avec Fritsch, que le

centre lui-même du sens musculaire est détruit dans ces cas.

Il croyait qu'il restait encore un chemin de l'ame au muscle,

puisque le mouvement n'était pas complètement paralysé,

mais qu'il y avait une interruption quelconque dans le trajet

des impressions centripètes venues des muscles. « Cette inter-

ruption siège, dit-il, dans le centre détruit. » (Reiclcert 's u.

Dubois Reymond's Archiv. 1870, 1873, 1874.) Plus tard, il

évite l'expression de sens musculaire, et dit dans ses derniers

travaux que la destruction des centres corticaux a pour effet

la perte de la conscience musculaire.

Schiff (Archiv. sur Experim. Pathologie und. Pharma-

colo,qaé, 1874), regarde les mouvements résultants de l'ex-

citation des centres moteurs comme de nature réflexe,

tandis que l'affection de la motilité résultant de leur destruc-

tion est d'ordre ataxique, et produite par la perte de la sen-

sibilité tactile. Les centres moteurs de Ferrier devraient donc

être regardés plutôt comme des centres du toucher.

Ferrier répond à cela : c Savoir si la sensation est excitée

avant que se produise le mouvement musculaire, est un pro-

blème qui ne peut être résolu chez les animaux inférieurs,

mais le fait de convulsions localisées chez l'homme, lors

d'irritation de l'écorce, font bonne justice de cette supposi-

tion ; car l'on trouve que dans ces cas, où il se produit des

convulsions limitées, les mouvements ne sont précédés de, ni

associés à aucune sensation autre que celle qui accompagne

les contractions musculaires violentes. Mais la preuve la plus

Archives, t. XIV. 7

98 REVUE CRITIQUA.

concluante de l'll7SOlitenabilitt; de l'hypothèse de Schilf,

consiste en ce fait que la sensibilité à la douleur, au tou-

cher, etc., est absolument intacte après la destruction de ces

centres. » De plus, il montre que « l'état qui peut, avec

vérité, être décrit sous le nom de perte du sens musculaire ou

de conscience musculaire dépend de la lésion d'une région

entièrement différente (des centres moteurs) du cerveau,

savoir de la région de l'hippocampe, ou centre de la sensibilité

tactile ». Ferrier se montre opposé aux idées de Wundt et de

Bain, et refuse de regarder les notions de résistance et de

poids comme appréciées par les centres moteurs. Les expé-

riences qu'il a faites avec Lauder Brunton montrent que

l'appréciation musculaire de poids est indépendante de l'acte

volitionnel, puisqu'elle peut s'exercer lorsqu'on fait con-

tracter artificiellement les muscles en les excitant par l'élec-

tricité.

En somme, Ferrier admet, pour centre du sens musculaire,

les circonvolutions de l'hippocampe, siège du sens tactile.

Les centres d'impulsions centrifuges ou motrices, dit-il, sont

anatomiquement distincts de ceux des impressions centripètes

ou sensitives. Les uns peuvent être détruits, les autres

restant intacts. Les centres corticaux pour les mouvements

des membres sont en rapport uniquement avec les impulsions

centrifuges et se différencient clairement des voies et des

centres terminaux des impressions centripètes sur lesquelles

s'appuie le discernement musculaire. La destrnction des

centres centripètes abolit le sens musculaire, ou conscience

musculaire, bien que la faculté du mouvement subsiste. La

destruction des centres centrifuges abolit la faculté de mou-

vements volontaires et empêche par suite l'exercice du

discernement musculaire, mais la transmission et la percep-

tion d'impressions centripètes continuent à se faire norma-

lement. »

Maudsley se rattache à' l'opinion que c'est dans les cen-

tres moteurs corticaux que « sont emmagasinés les résidus

des sensations musculaires dont nous tirons nos intuitions

motrices... Les parties qui agissent comme centres moteurs

sont le siège de la conception du degré et de la qualité de

l'innervation musculaire, c'est-à-dire, de ce qu'on a appelé

inductions musculaires. »

Bastian a combattu avec le plus de persistance les idées

LE SENS MUSCULAIRE. - 99

de Ferrier. « Des contres moteurs, où qu'ils soient situés,

sont des parties dont 1"activité parait être absolument libre

de phases subjectives concomitantes. Il ne semble pas que

des reproductions « idéales » aient jamais lieu dans ces

centres; ils sont mis en activité par des courants centrifuges,

et pour, autant que nous en avons la preuve, l'arrivée en eux

de mouvements moléculaires qui, immédiatement après, se

rendent aux muscles par les nerfs moteurs, craniens et

spinaux, est un simple phénomène physique. C'est le chan-

gement de condition du muscle ainsi excité et des parties

contiguës, changement occasionné par le mouvement qui

engendre un groupe d'impressions centripètes dont le ter-

minus est le centre kinesthétique. Celui-ci est donc un véri-

table centre sensitif, et des mouvements idéaux peuvent être

ravivés en lui, soit isolément, soit associés à des impressions

visuelles qui s'y rapportent. Cela ne saurait produire que

la plus grande confusion, si l'on attribue l'activité de ce centre

sensitif à celle' des centres moteurs. Le substratum céré-

bral de l'esprit ne comprend donc, en aucune manière, les

processus qui ont lieu dans les centres moteurs du cerveau,

où qu'ils puissent être situés. En d'autres termes, on ne peut

regarder légitimement les opérations mentales comme étant

en partie immédiatement dues à l'activité des centres mo-

teurs. »

Dans son dernier mémoire, cet auteur s'élève de nouveau

contre l'opinion de Wundt et de Bain. Il rapporte des cas

bien connus de Demaux, de Landry, de Bazire, de Trous-

seau, dans lesquels il y avait disparition du sens musculaire,

alors que les centres volitionnels, moteurs spinaux, les nerfs

moteurs et les muscles pouvaient être mis en jeu comme à

l'état normal (ces cas se rapportent à des ataxiques). « Ce qui

prouve, dit-il, que la connaissance de l'état et de la con-

traction des muscles ne vient pas des impressions concomi-

tantes des courants efférents de l'énergie nerveuse. » - « Je

vais plus loin, ajoute-t-il, et je maintiens que les processus

prenant place dans les centres moteurs et dans les nerfs

moteurs sont des processus purement physiologiques, com-

plètement dépourvus de conscience, c'est-à-dire que, depuis

le moment où l'excitation motrice quitte les centres kinesthé-

tiques jusqu'à celui où les contractions musculaires arrivent,

nous avons seulement affaire à une série de processus physio-

100 REVUE CRITIQUE. LE SENS MUSCULAIRE.

logiques se passant dans les différents centres des nerfs mo-

teurs. »

Pour lui, les idées motrices n'existent pas ; toutes nos idées

de mouvement sont ravivées dans les centres sensoriels. Dès

lors, il en arrive à nier les centres moteurs.

« Si, dit-il, nos sensations de mouvement sont concomitances

des courants ell'érents ; et si nous avons des idées des mouve-

ments il y a des motifs sérieux d'admettre des centres moteurs

dans l'écorce. Mais si c'est erroné et si toutes nos connaissances

de mouvements viennent par les centres sensoriels il n'y a plus

de raison d'admettre des centres moteurs, et ce dont on a seule-

ment besoin, c'est l'existence des registres sensoriels des impres-

sions produites par mouvement. En d'autres termes, les centres

Inesthétiques doivent exister dans l'écorce au même titre que

les autres centres d'impressions sensorielles avec lesquelles ils sont

en relation fonctionnelle intime, tandis que la nécessité actuelle

de l'existence des centres moteurs n'a pas encore été démontrée. a

Il s'appuie sur les opérations de Horsley rapportées par cet

auteur (Bl'itish méd. Journal, 1886) dans une communication

à la Bristish medical Association ', pour placer ses centres

kinesthétiques au niveau des circonvolutions limitant la scis-

sure de Rolando. c'est-à-dire au point même où se trouvent

les centres moteurs de Ferrier, nouvel argument pour qu'il

admettre les centres kinesthétiques exister seuls, à l'ex-

clusion des centres moteurs. Comme nous l'avons dit plus

haut, M. Babinski se propose de publier prochainement

une nouvelle note tendant à prouver au contraire le rôle

des centres moteurs. Nous avons vu quelle était à cet égard

l'opinion de M. Charcot, qui considère les représentations

motrices, précédant le mouvement, qui s'effectuent dans les

centres moteurs, comme les seules indispensables à l'exécu-

tion du mouvement voulu. Tel est à peu près le résumé des

opinions qui ont eu ou ont encore cours sur le sens muscu-

laire. Comme on le voit, la question est loin d'être élucidée

d'une façon définitive et les opinions les plus divergentes

règnent encore à cet égard. Il faut espérer que l'étude plus

approfondie des cas pathologiques où on observe la dispari-

tion du sens musculaire, en particulier dans l'hystérie 2,

' Voir la traduction de ce travail par : \1. Sorel dans le tome XIII des

Arch. de neurologie.

' Voir Iconographie phologr. de la Satpèt1'ière, t. II.

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 1ù1

permettra d'arriver à des données plus positives sur cette

question des plus intéressantes tant au point de vue du mé-

canisme des mouvements qu'au point de vue plus général du

fonctionnement du cerveau lui-même et des rapports qui

existent entre la sensation et le mouvement.

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE

1. 10,NOI'LEGIA ANÆ5TlllnICA; par le professeur Adamkiewicz.

(Wielle/' Mediziiiischeiz, Bldtter, nOS 4 et 5, 1887.)

Il s'agit d'une jeune fille de dix-neuf ans.

Antécédents héréditaires nuls. - La mère, deux frères et deux

soeurs bien portants. Père rhumatisant, mort récemment.

Début. - En septembre 1885, apparition soudaine et sans cau<e

connue de douleurs dans le bras droit; gonflement du dos de la

main et des doigts. Douleurs surtout la nuit, avec chaleur et sécré-

tion sudoralesur le bras et dans la paume de la main; ces douleurs

durent quelques semaines puis diminuent. En octobre, apparition

d'une grosse vésicule et consécutivement d'un ulcère du dos de la

main droite près de l'articulation du poignet. Usage du bras ab-

solument conservé. La malade faisait la cuisine et se brûlait sou-

ventsans s'en douter, ce qui explique lesphénomènes précédents.

Ce fut ainsi qu'on s'aperçut qu'elle présentait une anesthésie

complète du bras droit. Soignée sans succès.

Etat actuel (avril 1886). Fille bien constituée, intelligente.

Etat psychique normal. - 1 part les troubles observées au bras

droit, rien d'anormal dans les autces parties du corps. Pas de

douleur ovarienne, pas de douleur sur les apophyses épineuses.

Organes des sens normaux. l'as d'amblyopie, ni de dyschroma-

topsie. Pas de troubles sensitifs de la peau ou des muqueuses.

Réflexes tendineux, fonctions des muscles et réactions élec-

triques ne présentant rien de pathologique.

Bras droit. Rien de particulier à la palpation. Douleur

nulle à la pression sur les troncs nerveux, sur le plexus brachial,

au-dessus et au-dessous de la clavicule. Pouls identique à celui du

côté sain. Rien aux articulations ni aux muscles. La peau de-

102 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.

vient livide à la pression, froide, humide, légèrement oeJématiér.

Doigts un peu plus épais du côté malade, par suite de l'oedème.

Eschare durant plusieurs semaines à la face dorsale de la

deuxième phalange du médius, Traces de brûlure sur le dos de

la main.

Anesthésie complète de la peau au toucher, à la pression, à la

piqûre, à la brûlure. On peut la tirailler avec des pinces, la trans-

percer sans résultat. Les courants électriques les plus forts et le

pinceau faradique ne donnent rien ou n'éveillent qu'une sensa-

tion très légère dans le creux de l'aisselle et au bout des doigts.

L'anesthésie occupe la face antérieure et postérieure du bras,

l'épaule et toute la région de l'omoplate, sauf l'angle de l'os qui

est épargné. En arrière elle arrive presque jusqu'à la colonne ver-

tébrale ; en avant elle recouvre une partie de la clavicule et de

l'ucromion. Elle s'étend en haut jusqu'à la moitié du bord libre du

trapèze. -Sens musculaire aboli. Si on ferme les yeux de la ma-

lade, elle perd complètement l'usage de son bras et ne sait plus

le trouver. Au contraire, elle s'en sert à merveille quand elle a les

yeux ouverts, pour n'importe quel ouvrage, grossier ou délicat;

elle coud, tricote, écrit, etc...

Diagnostic. - Les anesthésies reconnaissent deux causes princi-

pales : 1° ou bien il y a suppression de l'activité des appareils ner-

veux récepteurs (organes terminaux sensitifs de la peau), ou per-

cepteurs (centres sensoriels de l'écorce); - ` ? ° ou bien il y a

interruption des conducteurs nerveux qui vont de l'un à l'autre de

ces organes. Dans le cas actuel la première hypothèse peut être

écartée. - 11 n'y a pas de lésion des organes terminaux sensitifs

de la peau, car, dans ce cas, ou bien l'anesthésie est durable, et

alors il y a destruction nécessaire de ces organes et de la peau,ou

bien elle est passagère et cesse avec la cause qui la provoque

(narcotique, froid, troubles de la circulation).

On pourrait croire plus volontiers à une parésie des centres

sensoriels de l'écorce, et à une anesthésie hystérique. La diffusion

de l'anesthésie qui n'est pas limitée à un département nerveux

spécial, mais s'étend à une large surface cutanée (caractère de

l'anesthésie hystérique d'aprèsCharcot) semble plaider en faveur de

cette hypothèse. Il en est de même du faitque le bout des doigts et

le creux de l'aisselle présentent encore un certain degré de sensibi-

lité, qu'il y apour ainsi diredes îlots de sensibilité dans un territoire

d'anesthésie. Mais notre malade ne présente aucun phénomène

hystérique, ni psychique, ni sensoriel. Au contraire, l'anes-

thésie s'accoinpague ici de phénomènes indiquant un substratum

organique de la lésion, à savoir : de la cyanose, de l'oedème, de

l'augmentation de la .sueur et des troubles trophiques qui se ma-

nifestent surtout parla ténacité des ulcérations cutanées.

D'autre part, certains caractères de l'anesthésie fonctionnelle

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 103

font défaut. L'application de <inapi<;ll1cs ne produit pas le phéno-

mène du transfert, comme cela se voit souvent dans l'hystérie.

Chez le malade dont il est question on n'a obtenu aucun résultat

même par des applications prolongées (5 heures). La peau avait

rougi, s'était enflammée et couverte de vésicules, mais l'anesthésie

ne s'était pas modifiée. M. Adamkiewicz écarte, à cause de cela,

l'hypothèse d'hystérie. Il s'agit par conséquent ici d'une lésion

des conducteurs nerveux, c'est-à-dire soit des nerfs périphé-

riques, soit des voies de conduction médullaires, soit des voies de

conduction cérébrales.

On peut écarter la première hypothèse; en effet, outre quelques

branches du plexus cervical, tous les nerfs sensitifs du plexus

brachial sont malades; or ils sont intimement liés aux rameaux

moteurs du même plexus; les affections qui pourraient les inté-

resser (névrite, tumeur) se manifesteraient, par conséquent,

non seulement par des symptômes sensitifs, mais aussi par

des phénomènes moteurs. De plus, rien dans les antécédents

n'autorise l'hypothèse d'une maladie des nerfs périphériques;

d'autant plus que dans ce cas, l'anesthésie n'aurait pas une élen-

due aussi considérable. En effet, même dans le cas d'arrachement

du plexus brachial, Ross a montré que l'anesthésie n'intéresse pas

le bras tout entier, mais seulement la main et l'avant-bras jus-

qu'au pli du coude. Elle dépasse le pli du coude sur la face anté-

rieure et s'étend sous forme de languette jusqu'à environ la moitié

du biceps.

On ne doit pas admettre non plus de lésion médullaire, car

dans ce cas l'anesthésie se réduit à une parésie, à des paralysies

partielles intéressant tel ou tel mode de sensibilité, occupant en

général les deux côtés du corps et s'accompagnant de troubles de

la motilité. Ainsi, dans le cas d'anesthésie alterne, l'autre bras ne

serait pas épargné; il y aurait paralysie motrice, hyperesthésie et

troubles trophiques de ce côté, toutes choses qui n'existent pas

dans le cas qui nous occupe, et dans lequel il y a, de plus, absence

totale de signes généraux. - On doit écarter également l'idée

d'une lésion cérébrale. ·

Quelle peut donc être la lésion ? La malade n'a pas de para-

lysie motrice; elle a de l'anesthésie, des anomalies delà sécrétion

sudorale, des troubles trophiques et circulaloires. La lésion doit

donc se trouver dans un point où les nerfs sensitifs, sécrétoires et

tiophiques du bras droit sont réunis, sans qu'ils se mélangent aux

fibres motrices. Ce point correspond à l'endroit où les racines pos-

térieures sont unies aux ganglions intervertébraux. La lésion de

celte région entraîne non seulemeutl'unesllésie, mais encore des

troubles trophiques soit indirectement, par suite de la perte de la

sensibilité et des réllexes. soit directement; StricUer a démontré,

en effet, que les racines postérieures contiennent des nerfs vao-

IO4 se REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.

moteurs et trophiques bien que la grande niasse de ces derniers

passe par les racines antérieures pour aller au grand sympa-

thique.- Pour le membre supérieur, ils liassent par le 3° gan-

glion cervical, mais le peu d'importance des troubles trophiques

dans uotre cas, écarte toute idée d'altération de ce ganglion.

Les anomalies de la sécrétion de la sueur s'expliquent par le

retentissement de l'affection des ganglions intervertébraux et des

racines postérieures sur les nerfs de la sueur qui ne proviennent

pas seulement du grand sympathique, mais en majeure partie du

système cérébro-spinal, et qui sortent de la moelle avec les ra-

cines antérieures.

Etant donné l'état général excellent de la malade on devrait

penser à une lésion localisée et bénigne. Les douleurs violentes

' du début qui reparaissaient avec les changements de temps, firent

songer à une affection rhumatismale légère, à une sorte de pa-

chyméningile cervico-brachiale intéressant seulement les racines

postérieures et ayant amené un exsudat dans les parties voisines

ou dans la gaine de ces racines. Dans ces conditions M. Adam-

kiewicz tenta d'agir d'une façon « catalytique * sur' la partie

malade a l'aide du courant continu, en combinant ce/ traitement

avec des bains tièdes et l'iodure de potassium à l'intérieur.

Traitement électrique. Séances de peu de durée avec courants

faibles; pôle négatif sur les tious de conjugaison des vertèbres

cervicales inférieures et sur le sympathique cervical ; pôle positif

sur les troncs nerveux du plexus brachial. De temps à autre,

quelques secousses galvaniques dans tout le plexus.

Au début, retour très passager de la sensibilité ; puis retour du-

rable, mais l'anesthésie reparaissait d'une façon transitoire avec

les changements de température. A la fin de juin, trois mois

après le commencement du traitement, la malade pouvait être

considérée comme guérie. L'affection n'a pas reparu depuis.

Peut-être certaines aiiesLileSleS.1-IIL[inaLisiiiales toxiques rentrent-

elles dans le même cadre. Mais comme les symptômes cliniques dé-

pendent non pas du processus pathologique, mais de l'organe

atteint, on peut réunir toutes ces affections des racines posté-

iieures, sous le nom de monoplégie anesthésique, quand il s'agit

d'un membre. On ajoutera à cette dénomination l'épithète de rhu-

matismale, toxique, etc., suivant les cas.

Cette observation est très intéressante, mais nous devons

dire que nous ne partageons pas l'avis de l'auteur au sujet du

diagnostic. M. Adamkiewicz se fonde, comme on le voit, pour

rejeter le diagnostic d'hystérie sur les motifs suivants :

1° absence de stigmates hystériques et en particulier absence

de l'état mental propre aux hystériques ; -2° présence de

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 105

troubles trophiques. Qu'il nous soit permis de soumettre à la

critique les arguments invoqués par M. Adamkiewicz.

Tout d'abord on peut se demander si réellement dans ce cas

tout stigmate de l'hystérie faisait défaut. En effet, en ce qui

concerne les phénomènes oculaires, l'auteur fait remarquer

qu'il n'y avait pas d'amblyopie, ni de dyschromatopsie, mais

il ne dit pas si le champ visuel a été exploré, si la polyopie

monoculaire a été recherchée. Or cette polyopie spéciale et le

rétrécissement du champ visuel constituant des caractères de

l'hystérie d'une impoitance fondamentale, il eût été bon de

spécifier si l'examen a été pratiqué à ce point de vue. Pour-

tant, admettons qu'il en a été ainsi et que le résultat a été né-

gatif. Est-ce là une raison suffisante pour rejeter catégorique-

ment l'hypothèse d'hystérie ? Non certainement. Ne sait-on

pas que cette névrose peut se manifester quelquefois par des

phénomènes isolés ? Il est' même assez commun de rencontrer

des cas de contracture spasmodique des membres inférieurs,

de mutisme, de hoquet, qui sont, à n'en pas douter, sous la

dépendance de l'hystérie, et qui constituent ses seules mani-

festations, sans qu'il soit possible d'observer chez les malades

aucun stigmate. C'est là l'hystérie monosymptomatique. Je

crois aussi utile de faire observer ici que cette mobilité dans les

idées et dans l'humeur, ces tendances impulsives des malades à

rire et à pleurer sans motif, que l'on observe fréquemment

chez les hystériques, sont loin de constituer, comme beaucoup

de médecins semblent le croire, un caractère essentiel. Cet

état psychique particulier fait souvent défaut, et il existe beau-

coup d'hystériques avérés dont l'état mental est pourtant tout

à fait normal.

Passons maintenant à la question des troubles trophiques.

Les phlyctènes, les ulcérations étaient dues surtout, comme

le fait remarquer M. Adamkiewicz lui-même, à des brûlures

qui résultaient de l'anesthésie du membre et n'étaient pas

par conséquent de véritables troubles trophiques. Du reste,

c'est une erreur de croire que l'hystérie soit à l'abri d'altéra-

tions nutritives. L'amyotrophie elle-même peut se développer

dans l'hystérie et atteindre même de fortes proportions. En ce

qui concerne les troubles vaso-moteurs et sécrétoires, le refroi-

dissement (r'tin membre anesthésie, la sudation excessive, ce

sont là des phénomènes vulgaires dans l'hystérie.

Arrivons enfin J'anesthésie, Les caractères sont à tous les

106 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.

points de vue semblables à ceux que M. Charcot a relevés dans

les observations de monoplégie brachiale hystéro-traumatiques

qu'il a publiées'. La limite supérieure de l'anesthésie est en

particulier digne d'être relevée, car dans tous les cas de mono-

plégie brachiale hystéro-traumatique, et dans les monoplé-

gies que l'on développe par suggestion chez des hypnotiques,

on retrouve toujours la même disposition. Parfois, lorsque la

monoplégie disparait, l'anesthésie persiste et se présente en-

core sous le même aspect. C'est ce qui a eu lieu en particulier

chez un des malades, le nommé Porcen... dont M. Charcot s'est

servi pour établir les caractères de la monoplégie hystéro-trau-

matique. On peut voir sur la figure 1 un schéma représen-

tant l'étendue de l'anesthésie dans ce cas, et on peut consta-

ter que ses limites sont exactement celles que l'on observe

dans le cas de M. Adamkiewicz en comparant cette figure à la

figure 2, qui est la reproduction du schéma de M. Adam-

kiewicz. La persistance de la sensibilité à l'extrémité des doigts,

l'intensité de l'anesthésie, la disparition de la sensibilité dans

1 Charcot. Leçon* sur les maladies du système nerveux, t. III.

Pig. I.

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 107

ses divers modes (tact, douleur, température), la perte du sens

musculaire sont aussi des caractères que l'on note fréquem-

ment dans l'anesthésie hystérique. Enfin, le retour de la sensi-

bilité sous l'influence du traitement électrique appartient aussi

à cette espèce d'anesthésie.

Nous croyons avoir démontré par ce qui précède qu'il n'y a pas

un seul argument permettant de rejeter l'hypothèse d'hystérie.

Voyons maintenant si le diagnostic porté par M. Adamkie-

wicz est de son côté soutenable. Nous sommes d'avis qu'il est

passible d'objections fondamentales. En effet, admettons d'a-

bord, ce qui pourrait même être sujet à discussion, qu'une

lésion occupant le siège présumé par M. Adamkiewicz puisse

produire une anesthésie occupant les limites sus-indiquées, et

poursuivons. S'il s'agit d'une légion nerveuse organique, en

supposant qu'elle soit superficielle, il est impossible de com-

prendre l'intensité de l'anesthésie , et'en supposant qu'elle

soit profonde, on ne peut concevoir le retour si rapide de la sen-

sibilité par le simple passage de courants électriques.

Fin- 2.

108 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.

D'après nous cette anesthésie ne peut être due qu'à une

modification dynamique du système nerveux, à une névrose,

à l'hystérie. - Mais l'opinion que nous émettons ne prête-t-elle

pas à son tour à la critique, et ne pourrait-on pas soutenir

qu'en l'absence de tout stigmate hystérique, il est plus logique,

tout en rejetant l'hypothèse de lésion matérielle, d'admettre

qu'il s'agit là d'une névrose, produisant une anesthésie analo-

gue à l'anesthésie hystérique, mais indépendante de l'hystérie ?

Si l'on soutient une pareille thèse, il faut, pour être logique

jusqu'au bout, admettre autant d'espèces morbides qu'il y a

de manifestations hystériques, puisque, comme nous l'avons

fait remarquer plus haut, chacune de ces manifestations peut

se développer à l'état isolé. Il nous semble que ce serait là

créer inutilement des espèces tout artificielles. N'est-il pas

bien plus naturel de considérer les cas de cet ordre comme

appartenant à l'hystérie et en constituant simplement une va-

riété qu'on peut appeler l'hystérie locale, ou l'hystérie mono-

symptomatique suivant l'expression de M. Charcot.

Nous résumerons notre argumentation de la façon suivante :

1° le cas d'anesthésie du membre supérieur observé par

M. Adamkiewicz présente tous les caractères de l'anesthésie

hystérique; 20 aucune lésion organique ne pourrait produire

une pareille anesthésie ; 3° à moins de créer, ce qui nous

parait illogique, une espèce nouvelle de névrose qui se mani-

festerait par une anesthésie identique, à tous les points de vue,

à l'anesthésie hystérique, il faut reconnaître que ce cas d'ânes.

thésie doit rentrer dans le cadre de l'hystérie '. Babinski.

II. Surdité verbale, APIIÉ ! 11 ? IIÉllLINI : STIIESIE droite ; pll' LhEIiIIET.

(Lyon médical, 1880, t. XLI.)

Ce travail estfondésur l'observation d'une maladequi, à la suite

d'une attaque d'apoplexie, resta bémianestbésirrne du côté droit

et aphasique (aphémie et surdité verbale). Celte femme ayant

succombé quelque temps après à une pneumonie, on lrouva en

faisant sonautopsie un vaste foyer de ramollissemaut qui occupait

les ciicowolutions de l'insula, les trois quarts postérieurs des cir-

convolutions temporo-sphénoïdales, les lobules pariétal supérieur

et inférieur et la plus grande partie du lobe occipital.

1 M. Freud (Neui-ologisches Centralblatt, n" 6, 1887) a analysé le travail

de M. Adamkiewicz, et il est aussi d'avis qu'il s'agit la d'une anesthésie

hystél iyue.

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 109

Celte observation, que l'autour rapproche d'un fait analogue

publié par M. Déjerll1e, semble confirmer l'opinion des auteurs

qui pensent que la localisation de la faculté du langage ne doit

pas être restreinte à la circonvolution de Broca, dont l'intégrité

était complète dans ce cas ainsi que les parties sous-jacentes du

centre ovale. Jusqu'à présent toutefois, les troubles du langage

produits par une lésion du lobule de l'insula ne paraissent pas

différer de ceux qui résultent de la destruction de la circonvolution

de Broca. Le ramollissement des circonvolutions temporo-sphénoï-

dales explique d'une façon suffisante la surdité verbale; quant à

l'hémianesthésie, l'intégrité de la capsule interne, du centre ovale

et des ganglions centraux démontre qu'il s'agissait d'une hémia-

nesthésie d'origine corticale. G. DENY.

III. CRISES Ü>ILEPTIFORMES provoquées par une otite moyenne

chronique ; par AI. le Dr Noquet. (Bull. méd. du Nord, 1886.)

L'observation qui constitue la base de ce travail est celle d'un

homme de quarante et un ans, sans antécédents héréditaires, qui

depuis un an était sujet a des crises épileptiques qu'on ne savait

à quoi attribuer. L'examen des oreilles dénota l'existence d'une

otite chronique moyenne du côté droit dont le malade ne se dou-

tait pas. Des insufflations d'air et de vapeurs dans la caisse répé-

tées pendant plusieurs mois amenèrent laguérison. Ledit Noquet

en conclut que c'est à l'augmentation de pi ession du liquide intra-

1 ah} rinthique et à la compression des filets nerveux, qu'il faut

attribuer dans ce cas les crises épileptiques. Il s'agirait en un mot

d'une épilepsie réflexe. Cet accident est certainement plus rare

que les vertiges et les chutes, qui ne s'accompagnent ni de perte,

de connaissance, ni de convulsions, mais il est impossible dans

l'état actuel de la science, de rendre compte de cette différence.

G. D.

IV. MÊNINGOCÈLE EMPÊCHANT LE TRAVAIL : SPINA BIFID\;par A. LoxToN.

(Bristish med. Joum., mai 1887.)

Le 23 avril, je fus appelé auprès d'une femme de trente et un

ans, pour son premier accouchement. A l'examen, je trouvai les

diamètres du bassin normaux, et les parties molles, pour une pri-

mipare de son âge, remarquablement élastiques. Je diagnostiquai

une présentation du sommet, mais il y avait près de la tête quelque

chose de très embarrassant au toucher. Le travail progressa rapi-

dement jusqu'à ce que l'occiput fût sous le pubis. Alors, quoique

les douleurs fussent fortes et fréquentes, la tête refusa de chan-

ger de place, et le pétitiée ne se distendit pas. Il y avait suffisant-

110 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.

nient de place sur les côlfs, mais il était évident que le diamètre

antéro-postérieur de la tête ne pouvait permettre à l'extension

de se produire, et la face restaitpar conséquent dans la concavité

du sacrum. Après avoir attendu d'être complètement certain que e

l'enfant ne pourrait pas. naître sans intervention, j'appliquai le

forceps et fis iadélivrance. A l'inspection, la tête avait l'apparence

d'être énormément développée en arrière. Le péricrâne était

normal et les proportions semblaient correctes, sauf le grand

diamètre du nez à l'occiput. A la palpation je pouvais distinguer

les bords postérieurs des pariétaux, la protubérance occipitale,

et d'un côté une substance mince, comme du carton, que je sup-

posai être les lames non réunies de l'occipital. Occupant cette

position c'était une tumeur fluctuante, sessile, grosse comme une

petite orange, oblitérant complètement la suture lambdoïde, et

couverte apparemment par les tissus normaux du péricrâne.

C'était seulement quand l'enfant criait qu'on notait une lividité

anormale, et que la tumeur devenait très tendue. La pulsation

n'était pas bien marquée. En tournant mon attention du côté de

l'épine dorsale je trouvai une fente au niveau des deux dernières

vertèbres dorsales et des trois vertèbres lombaires supérieures.

Il n'y avait pas de tuméfaction ici, sauf quand l'enfant criait ou

qu'on lui pressait sur sa tête. La peau s'arrêtait brusquement sur

le bord de cette fente par un bord élevé, dans lequel on pouvait

sentir les lames d'os mal développées. La fente était recouverte

par une membrane transparente, rouge, qui commença bientôt

à suppurer. La communication existant entre les deux anomalies

fut prouvée après la mort : en pressant sur le rnéningocèle et sur

le spina bifida, on déterminait de la fluctuation et le gonflement

augmentait et diminuait alternativement. A tous les autres points

de vue l'enfant, une fille, était bien développée. Elle était inerte,

ne criait pas, ne prenait pas le sein, ne remuait pas les jambes.

Elle mourut LI ente-six heures après sa naissance. S.

V. Note sur UN cas DE paralysie radiculaire spontanée

du PLEXUS brachial; par le Dr E. DUFOURT. (Loa méd.,

1886, t. LI.)

Il s'agit d'une malade âgée de trente etun ans, sans antécédents

héréditaires, qui présentait du côté gauche une paralysie avec

atrophie des muscles deltoïde, biceps, brachial antérieur, long

et court supinateur, sous-épineux et grand dentelé avec perte

absolue de la contractilité faradique, réaction de dégéné-

rescence pour la contractilité galvanique, retard et diminution

de la sécrétion sudorale, sans troubles de la sensibilité, sauf une

douleur à la pression au point de Erb.

REVUE DE pathologie NERVEUSE. III 1

Se fondant sur l'ensemble des caractères précédents, l'autour

conclut à l'existence d'une lésion des cinquième et sixième '

racines cervicales à leur point d'envergure entre les scalènes :

tvpo supérieur des paralysies radiculaires du plexus brachial.

Les paralysies de cette nature se produisent habituellement

sous l'influence du traumatisme ou de la compression; dans

ce cas, au contraire, les accidents sont survenus spontanément

et paraissent devoir être attribués au froid, la malade travaillant

souvent le cou et la poitrine découverts. G. DENY.

VI. SUR L1 perte DU réflexe rotulien dans le diabète sucré;

par P. Marie et G. GUINON. (Revue de médecine, 188(j, t. VI, p. 640.)

Les auteurs se sont appliqués à démontrer l'importance de la

constatation du signe de Westphall chez les diabétiques pour le

diagnostic et le pronostic tant à l'aide de quatre observations

nouvelles que d'une statistique empruntée au professeur Bouchard

à qui l'on doit d'avoir le premier mis le fait en lumière. MM. Gui-

non et Marie pensent en outre qu'il y aurait peut-être matière a

intéressante observation sinon même élément utile de diagnostic

à tenter chez les diabétiques le rappel du réflexe rotulien aboli

par le procédé de Jendrassik, sous l'influence des mouvements du

tronc et des membres supérieurs.

Quoi qu'il en soit, la disparition du phénomène tendineux, im-

propre aussi bien à constituer une forme nouvelle de diabète qu'a

réédifier une théorie nerveuse de cette affection (de Ferry de la

Bellonne), ne s'observe que dans la période de cachexie, alors que

le malade se trouve sous la menace des complications graves, cause

ordinaire de la mort des diabétiques. Le taux de la mortalité chez

les diabétiques privés du réflexe patellaire est le double au moins

du taux de la mortalité chez les diabétiques qui l'ont conservé.

On verra dans la troisième observation, dans un cas de troubles

neveux disparates, combien furent utiles la recherche et la décou-

verte de la glycosurie, commandées par la perte du réflexe rotu-

lien. Le signe de Westphall imposera donc presque toujours l'ana-

lyse des urines et le résultat de cette analyse seul permettra de

distinguer le tabès du pseudo-tabes diabétique. D. BERNARD.

VII. LES tumeurs DES plexus choroïdes; par J. AUDItY.

(Revue de médecine. 1886, n° 11.)

Si ces néoplssies peuvent être l'objet de descriptions précises et

curieuses d'anatomie pathologique, leur sylnplomatoloie, quand

elles en ont une, ne diffère en rien de celle de l'hydropisie ven-

trlculaire, de celle des tumeurs cérébrales en général.

112 REVUE DE pathologie nerveuse.

L'auteur con,idèrc successivement les tumeurs des plexus cho-

roïdes dues au développement exagéré d'un élément normal de

VoTga.ne(épithéliome, lipome, angiome, psammome,fibrome elmyxome),

celles que constitue un élément étranger à leur structure (enchon-

drome, ostéome, tubercules, carcinome, tumeurs parasitaires), enfin

leur hypertrophie simple et leur dégénérescence kystique. Plusieurs

de ces descriptions manquent de précision, notamment celles du

fait recueilli par lui et des tumeurs épithéliales auxquelles il le

rattache. Aussi la ressemblance de ces néoplasies avec celles de

la pie-mère externe est-elle affirmée, mais point démontrée. Les

explications abondent dans ce mémoire, empruntées aux auteurs

les plus divers de l'Allemagne pour nous faire pénétrer la patho-

génie de la dégénérescence kystique des plexus. La plus simple et

la plus vraisemblable a échappé. Ces kystes résulteraient simple-

ment de l'absence de soudure par points des deux feuillets de la

pie-mère interne qui engaine les plexus (Ch. Féré). Ceci démontre.

d'ailleurs que l'anatomie descriptive de ces parties n'a point

moindre importance que leur anatomie de texture. Ni l'étiologie,

ni la symptomatologie, patiemment relevées par l'auteur dans les

vingt-cinq observations qu'il a réunies, n'offrent au clinicien

aucun signe même incertain pour établir le diagnostic de ce genre

de productions. Elles constitueront donc encore longtemps des

trouvailles d'autopsie, trouvailles assez fréquentes à l'amphithéâtre

de la Salpêtrière du moins. D. B.

VIII. Cas d'hydrocéphalie chez un adulte, avec augmentation DE

VOLUME DE LA TÈTE ET ÉCOULEMENT DE LIQUIDE CLAIR PAR LE NEZ;

par J. Toppi-4 (de Bermondsey). (Médical Press, 20 avril 1887,

p.370.) '

II s'agit dans cette observation d'un malade âgé de soixanle-

neuf ans, que le Dr Toppin trouva ayant la face tuméfiée, surtout

auniveaudes paupières inférieures, avec une teinte terreuse; il pré-

sentait en outre une hernie double et une hydrocèle, ainsi que

de l'oedème des jambes, surtout à droite ; celle-ci avec une teinte

érysipélateuse.De l'iodure de potassium fut ordonné, et le médecin

revint l'après-midi ; il trouva le malade debout, quoique se tenant

difficilement, ponctionna l'hydrocèle. Le lendemain le malade

était encore plus abattu, et l'auteur remarqua chez lui un écou-

lement de liquide clair par le nez. La femme du patient lui raconta

que cet écoulement existait depuis vingt mois. Vingt-deux ans aupa-

ravant, il avait eu un érysipèle de la jambe droite ; deux ans

après il tomba sur le dos. Depuis ce temps, il porta une hydrocèle,

qui fut ponctionnée plusieurs fois. Depuis douze mois environ,

était survenu un écoulement incessant de liquide limpide par le

nez, qui ennuyait beaucoup le malade. Cet écoulement était plus

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 113

prononcé le matin; le patient était somnolent, s'endormait souvent

sur sa chaise. Depuis ce temps, sa femme avait remarqué une

tuméfaction de la tête. L'auteur trouva une proéminence de

forme ovale, commençant au niveau de la fontanelle antérieure

et s'étendant en arrière sur une longueur de deux pouces. En

arrière il remarqua une dépression au niveau de la suture coronale,

et une autre au niveau de la suture lambdoide où on sentait, entre

les os du crâne, un écartement de près d'un quart de pouce.

Quelque temps auparavant le malade s'était aperçu que son cha-

peau etait trop étroit pour sa tête. Le troisième jour, le malade

présentait la respiration de Cheyne-Stokes, le pouls battait 110 pul-

sations, la température était de 97°,6 (36°,40). L'urine contenait des

flots d'albumine. On ne put recueillir du liquide s'écoulant par le

nez. Le malade mourut le cinquième jour avec tous les signes du

mal de Bright. L'autopsie ne put être faite. Il est fâcheux que l'ob-

servation n'ait pu être complétée, car il s'agit là d'un fait très

rare sinon unique, dont la constatation anatomo-pathologique

aurait seule pu montrer la cause. Une chose nous étonne : c'est

l'écartement des os du crâne qui à l'âge du malade sont solide-

ment soudés depuis longtemps. A. RAOULT.

IX. Note sur UN cas de PÉfiIPACHYUÉNING1TE spinale ;

par le Dr W.-H. Morse.

L'observation, que relate l'auteur, est celle d'un jeune homme

présentant des antécédents héréditaires nombreux. C'est ainsi

que ses deux grands-pères étaient morts d'apoplexie; sa grand'

mère avait longtemps présenté des phénomènes de mélancolie;

sa mère était paralytique et son père mourut d'apoplexiependant

la durée de l'observation. Enfant, il était d'une intelligence très

vive, à dix-neuf ans, on dut l'empêcher d'étudier à cause des mi-

graines dont il souffrait. Un jour ayant été mouillé par une pluie

froide, il présenta des douleurs dans le cou du côté droit. Le

Dl Morse diagnostiqua un abcès sous-cutané de cette région.

Quatre semaines après, il devint subitement paralysé de tout le

côté-droit. L'électrisation faradique si t disparailre presque entière-

ment ces phénomènes, au bout d'un traitement de cinq mois.

L'abcès du cou avait pris l'aspect d'une masse indurée. La para-

lysie se guérit complètement, et le malade avait recouvré la santé,

qui se continua sans retour pendant trois ans. A la fin d'octobre

1886, il présenta de la céphalalgie, des vertiges, de l'insomnie

avec des douleurs musculaires dans la région dorsale, sans aucune

cause apparente, sauf quelques abus d'alcool. Le cinquième jour,

il fut pris de somnolence et de douleurs dorsales, qu'il comparaît

à de nombreuses piqûres d'aiguilles. On découvrit onze tumeurs

adhérentes douloureuses au niveau du rhomboïde; une d'entre

Archives, t. XIV. 8

-Il4 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.

elles était à gauche de la seconde vertèbre dorsale ; son ouverture

laissa écouler du pus de mauvaise nature ; d'une autre sortit une

esquille osseuse. Bientôt après cette dernière ouverture, survin-

rent des convulsions pendant quarante secondes; trois nouveaux

accès se produisirent. Le malade tomba dans le coma, et dix

heures après, survint un spasme violent, suivi de la mort. Durant

les six dernières heures, le pouls ne s'était pas modifié.

A l'autopsie, on découvrit au niveau des abcès de la région dor-

sale, une poche, s'étendant près de la colonne vertébrale sur une

longueur de cinq pouces et demi. La dure-mère était entourée

d'une masse, épaisse de plus de trois millimètres, àpartir du niveau

du foyer jusqu'à la dixième dorsale. La dure-mère et la pie-mère

avaient une apparence normale ; la moelle était comprimée, mais

ne présentait aucun signe de myélite. Les muscles et lesgros troncs

nerveux portaient des signes de processus inflammatoire.

Pendant la vie, ces symptômes de péripachyméningite avaient

bien été différenciés par fauteur de ceux d'une méningite spinale

à laquelle on eût pu penser par suite de l'absence de céphalalgie,

de contracture et d'exagération des réflexes. (Médical Record.

New-York, janvier 1887.) A. ReooLT.

X. Névrites multiples; par BUZZARD. (Médical Record New-York,

25 septembre 1886.)

Le Dr Buzzard a fait un heureux choix en prenant les névrites

pour sujet de ses « Harveian Lectures » faites l'hiver dernier, car

dans ces cinq dernières années lesneurologistes ont fait quelque

notable progrès dans l'étude de la question. Le point le plus

important est la preuve donnée que la cause des cas de paralysies

extensibles, de types très variés, est l'inflammation de la dégéné-

rescence des nerfs périphériques seulement, sans que les centres

nerveux soient touchés. Les formes de paralysies par suite de

névrites multiples n'ont pas été décrites systématiquement dans

les livres classiques, quoiqu'on ait publié des histoires cliniques

à différentes époques depuis le Dr Lettsom, il y a un siècle; le

Dr Buzzard cite une excellente description du Dr Graves d'une

épidémie de névrite à Paris en 1828.

La névrite multiple, ordinaire, est une maladie due à quelque

agent toxique ou à quelque miasme qui pénètre dans l'organisa-

tion. Elle se présente à l'état épidémique au Japon et dansl'Amé-

rique du Sud sous le nom de beri-beri ou kakké. Dans l'Inde elle

a été décrite sous le nom d'ignipédités et en France sous celui

d'acrodynie. Quoique causée par une infection, elle peut naître

à la suite d'une exposition au froid ou à l'humidité et produire la

forme «rhumatismale» ; beaucoup plus souvent, dans cette contrée

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 115

et en Europe, elle est due aux excès alcooliques, à la diphthérie, à

l'arsenic, au plomb et peut être à d'autres poisons métalliques.

Les symptômes dans les cas types sont ceux qui suivaient naturelle-

ment une irritation ou une perte partielle ou complète de la fonc-

tion des nerfs des extrémités. Les malades ont d'abord des trou-

bles sensitifs, des picotements, des fourmillements dans les mains

et dans les pieds, puis une sensation de brûlure, des douleurs

cuisantes, une grande sensibilité de la plante des pieds et peut-

être de toutes les extrémités.

Avec les symptômes sensitifs, apparaît graduellement une

faiblesse motrice et dans les mauvais cas une paralysie complète

dont souffrent davantage les extrémités inférieures. Dans quelques

cas les nerfs de la face et des yeux sont gris et le malade est sur

son lit comme un naufragé sans secours. Il y a très rarement

des douleurs en ceinture, comme il arrive dans la myélite, ni

troubles vésicaux, ni rectaux.

Les muscles s'atrophient peu à peu et ont des réactions de

dégénérescence partielle ou totale. 11 y a souvent une sensibilité

exagérée au toucher surtout sur les points moteurs et le long du

trajet des nerfs. Quelquefois, surtout dans les cas alcooliques et

diphthéritiques, les symptômes ressemblent à ceux de l'ataxie

locomotrice. Il y a abolition des réflexes tendineux et une ataxie

très marquée sans grande perte de force musculaire ; ces cas sont

connus sous le nom de pseudo-tabès alcooliques ou diphthériti-

ques. Ils peuvent tromper le médecin s'il n'y prend garde et l'a-

mener à un pronostic et à un diagnostic faux.

Le pronostic dans la névrite multiple est généralement bon. Le

malade guérit, quoiqu'il faille souvent longtemps attendre la

guérison. Le complet retour à la santé est impossible seulement

dans les cas où il y a une trop grande atrophie musculaire.

Les anatomo-pathologistes divisent la névrite en deux classes :

la névrite interstitielle et la névrite parenchymateuse. Les deux

formes généralement sont plus ou moins mélangées. La forme

interstitielle prédomine dans les cas plus localisés dus à l'influence

du rhumatisme, à la diphthérie, aux fièvres infectieuses et aux

traumatismes. C'est la forme parenchymateuse qu'on trouve dans

la névrite multiple que nous venons de décrire. On a remarqué

que la névrite parenchymateuse n'atteint souvent que certains

segments des nerfs etpar suite on l'a appelée névrite segmentée.

La névrite multiple a une durée de plusieurs semaines et la

longueur de la convalescence dépend de la gravité du cas et sur-

tout de l'étendue de l'atrophie musculaire. Pour le traitement, il y

a d'abord peu de choses à faire si ce n'est de calmer les symptômes.

Plus tard le traitement électrique, mécanique et tonique est

indiqué. pLLLfET.

SOCIÉTÉS SAVANTES

SOCIÉTÉ MÉDICO-PSYCHOLOGIQUE

Séance du 25 avril 1887. Présidence de M. Magnan.

Pria; Esquirol. La Société n'avait à décerner cette année

qu'un seul prix, celui d'Esquirol. Après lecture du rapport de

M. Charpentier, le président ouvre le pli cacheté contenant le

nom du candidat récompensé et proclame lauréat M. Pichou,

chef de clinique à Sainte-Anne.

Eloge de Moreau (de Tours). La fin de la séance est consacrée

à la lecture, par M. RITTI secrétaire général, d'un remarquable

éloge de Moreau, de Tours.

Le soir un grand banquet réunissait chez Brébant les membres

de la Société. Plusieurs toasts ont été portés aux progrès et à

l'avenir de la médecine mentale. M. B.

Séance du 23 mai 1887. Présidence de M. Magnan.

Présentation de malades. M. CIIAMBARD présente un homme de

vingt-trois ans, ancien alcoolique, débile, mais nullement hysté-

rique, porteur de deux affections cutanées rares et intéressantes :

l'une, du domaine de la dermatologie pure, est un érythrasma,

dermatose érythéinalo-squame use parasitaire, due à la végétation

au sein de la couche cornée de l'épiderme du mic1'ospo¡'US minu-

tissimus. L'autre, plus rare encore, intéresse davantage les neuro-

logistes. Elle est caractérisée par une urticaire artificielle dont on

peut suivre toutes les phases et qui succède avec la plus grande

facilité aux excitations mécaniques de la peau; de sorte que l'on

peut voir s'y dessiner, d'abord sous forme de ligne anémique

très fugitive, puis sous celle de traînée congestive plus durable,

enfin avec un relief considérable, l'empreinte des corps que l'on

y a appliqués ou la figure du dessin que l'ou trace à sa surface

avec un corps mousse quelconque. M. Chambard appelle neuro-

dermatose bliréographique cette névrose vaso-motrice, dont on ne

connaît que peu d'exemples et qui s'était rencontrée jusqu'ici à

peu près exclusivement chez les hystériques.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 117

Paralysie générale avec délire hypochondriaque et attaques hysté-

riformes. M. CHAMBARD lit ensuite un travail sur un cas de pa-

ralysie générale avec délire hypochondriaque et attaques hystéri-

formes chez un homme. L'individu était un héréditaire ; il entrait

à Ville-Evrard avec le délire hypochondriaque que M. Baillarger

croit propre aux paralytiques, mais sans le moindre trouble ap-

parent de la motilité et présentait pendant son séjour de nom-

breuses attaques hystériformes. Ce n'est que peu de temps avant sa

mort, survenue au bout de cinq semaines par pneumonie, que

l'on put constater chez lui un commencement d'eschare dorsale et

de l'inégalité pupillaire. A l'autopsie l'on trouva des lésions très

manifestes de méningo-encéphalite diffuse : épaississement et

adhérences des méninges avec ramollissement cortical aux lieux

d'élection, granulations épendymaires, etc.

Ce cas est apporté à l'appui des idées de M. Baillarger, sur la spé-

cificité du délire hypochondriaque des paralytiques et comme un

exemple des difficultés du diagnostic, lorsque le délire existe seul

et est assez restreint pour empêcher de juger du niveau mental

des malades. Le diagnostic de la paralysie générale ne pouvait,

dans l'espèce, qu'être soupçonné jusqu'à une époque voisine de

la mott, malgré le caractère du délire, l'histoire de l'affection et

la coexistence des attaques hystériformes ; l'apparition tardive

de l'eschare et l'inégalité pupillaire ont rendu plus probable,

mais ce n'est qu'à l'autopsie que cette probabilité devint voisine

de la certitude.

M. Magnan ne croit pas qu'il y ait certitude de paralysie géné-

rale : l'inégalité pupillaire et l'eschare peuvent s'expliquer par la

pneumonie ultime. Il n'accepterait, pour sa part, ce diagnostic

comme rigoureux que si l'examen microscopique des lésions l'a-

vait confirmé.

M. CHAMB \RD regrette de n'avoir pu procéder à cet examen mi-

croscopique ; l'observation lui a cependant paru intéressante à

rapporter, précisément à cause des difficultés du diagnostic; il ne

se dissimule pas d'ailleurs que, considéré isolement, chacun des

faits cliniques et anatomo-pathogiques sur lesquels son diagnostic

repose n'a qu'une valeur relative. La spécificité du délire hypo-

chondriaque de M. Baillarger a trouvé depuis 1860 beaucoup d'ad-

versaires ; l'eschare et le trouble pupillaire peuvent être le fait de la

pneumonie et cette affection s'accompagne parfois d'un certain

degré de méningite; il estime cependant que la concordance de

tous ces faits lui confère, sinon une certitude absolue, du moins

une très grande probabilité.

M. le Président , remercie M. Chambard de ses intéressantes

communications.

Du délire chronique (suite de la discussion). M. Christian.

118 SOCIÉTÉS SAVANTES.

Dans les discussions qui viennent de se succéder dans nos séances,

sur les folies héréditaires d'abord sur le délire chronique ensuite, je

crois apercevoir une tendance générale à laquelle, pour ma part,

je serais heureux d'applaudir sans réserve, si elle me paraissait

actuellement réalisable, celle de grouper d'une façon rationnelle

les différentes formes décrites de la folie.More ! avait déjà fait'cet

essai. S'il n'a pas réussi, du moins y avait-il dans sa tentative

quelque chose de vrai et de fondé, car, depuis lui, ses idées ont été

reprises par des observateurs distingués qui n'ont rien négligé

pour les faire triompher. Suivant eux, la folie des persécutions ne

serait en aucun cas une affection accidentelle, survenant dans le

cours de l'existence; ce serait au contraire « un processus telle-

ment net et défini que l'on peut prédire lasérie des phases succes-

sives que va parcourir le délire, depuis le stade initial jusqu'à une

terminaison inexorablement la même ». Ce serait, en un mot,

comme dans la nature : la fleur succédant au bourgeon, et abou-

tissant au fruit. De cette façon, le délire des persécutions, cette

magistrale création de Lasègue, ne serait plus qu'un épisode dans

ce que MM. Magnan, Garnier, Briand et beaucoup de nos distingués

collègues proposent d'appeler le délire chronique : théorie sédui-

sante, mais que je ne saurais accepter sans réserve et à laquelle je

vous demande la permission de présenter quelques observations.

M. Christian, passant ensuite en revue les opinions précédem-

ment émises, reconnaît volontiers que le délire des persécutions

est toujours précédé d'une période d'incubation hypochon-

driaque, mais il ne pensp pas que le passage de la première pé-

riode à la seconde soit nécessaire et fatal. De telle façon, qu'en

disant que le délire des persécutions succède au délire hypochon-

driaque, on avance certainement un fait vrai, mais on n'établit

pas une loi générale : il reste à dire pourquoi tel hypochondriaque

devient un persécuté, tandis que tel autre, en apparence, tout

semblable, ne sera jamais qu'un hypochondriaque ? Laproposition

d'après laquelle le délire des persécutions ne serait qu'une étape

devant mener au délire ambitieux, parait aussi beaucoup ¡trop

absolue à l'orateur; il a connu un grand nombre de persécutés

qui sont restés persécutés toute leur vie et qui jamais, à aucun

moment, n'ont présenté d'idées de grandeur. «Ni M. Garnier, ni

M. Briand, dit-il, ne veulent admettre ces faits : pour eux, l'appa-

rition du délire ambitieux est fatal; tôt ou tard il doit survenir ;

s'il n'y a pas d'idées de grandeur maintenant, il y en aura dans

un mois, dans un an, dans dix ans ! Il n'y a qu'à attendre. Mais

si d'aventure, le malade meurt après avoir rabâché pendant trente

ou quarante ans ses idées de persécution sans avoir eu la moindre

bouffée ambitieuse, que devient l'argumentation de nos collègues ?

Et que l'on ne croie pas que j'invente des faits pour les besoins

de ma cause : il s'agit d'observations qui m'avaient frappé depuis

SOCIÉTÉS SAVANTES. 119 j

longtemps, et je les cite d'autant plus volontiers que les malades

dont il s'agit sont connus de plusieurs d'entre vous. MM. Foville

et Ritti me permettront d'en appeler à leur témoignage. »

M. Christian rapporte ensuite un certain nombre d'observations

à l'appui de sa thèse : d'abord celle du capitaine A., qui a tué le

Dr Marchand; il n'a jamais été ambitieux; puis celle d'un fonc-

tionnaire poursuivi depuis plusieurs annéespar une Société secrète

(la Camora); et qui n'est pas encore mégalomane. Il existe même,

selon M. Christian, une catégorie de persécutés chez lesquels on peut

affirmer que jamais, à aucun moment, il ne surviendra de délire

des grandeurs : ce sont ceux dont le délire repose exclusivement

sur des troubles de la sensibilité génitale. Ces malades n'ar-

rivent jamais à la mégalomanie. "Je citerai entre autres, ajoute

M. Chrislian, cet ancien officier de marine qui est resté à Cliaren-

ton pendant vingt-sept ans, et dont j'ai rapporté l'observation ici

même, il y a quelques années, mais à un autre point de vue : ce

malade était absolument remarquable par son délire qui s'alimentait

presque exclusivement dans de fausses sensations génitales. Jamais

il n'a été mégalomaniaque.

Après avoir cité quelques autres observations fort intéressantes,

M. Christian, passant en revue les rares aliénés chez lesquels la

transformation s'opère, nie que le raisonnement logique soit pour

rien dans cette tranformation : elle s'effectuerait plutôt à la suite

de troubles sensoriels, illusions et hallucinations. Si l'on consi-

dère enfin comme signes caractéristiques de la démence ses deux

symptômes fondamentaux qui ne manquent jamais - l'aila : blls-

sement intellectuel et la perte de la mémoire les persécutés,

selon lui, ne deviendraient pas déments par le seul fait de l'évo

lution de leur délire.

M. Briand. Je voudrais avant la clôture de la discussion répon-

dre quelques mots à M. Christian : Notre honorable collègue,

nous oppose, avec son talent habituel, l'observation d'un certain

nombre d'aliénés chez lesquels le délire des persécutions ne se

transforme pas en idées ambitieuses; il nous dit notamment que

ceux dont le délire repose sur des troubles de la sensibilité géni-

tale ne deviennent jamais mégalomanes. De sorte que cette

transformation qui, pour nous, est une règle n'est pour lui qu'une

exception. Ces cas choisis ne me semblent pas infirmer notre

doctrine dont M. Garnier a fait l'exposition avec clarté. Il nous

serait facile de répondre à M. Christian par un choix plus consi-

dérable que le sien de délirants chroniques conformes à notre

type. Si la discussion s'engage dans cette voie, il faut faire fran-

chement appel à la statistique. Que chacun de nous apporte ici

les observations qu'il aura pu recueillir, nous arriverons alors,

à l'aide de ces documents, à catégoriser avec exactitude les cas où

la transformation est l'exception et ceux, à mon sens beaucoup

120 SOCIÉTÉS SAVANTES.

plus nombreux, où elle' est la règle. La Société pourra alors être

appelée à se prononcer avec connaissance complète de cause.

11 est un autre point du discours de M. Christian, auquel je

voudrais répondre encore pour l'écarter définitivement du débat

Nous ne faisons pas de la déduction logique, comme semble le

croire notre savant contradicteur, la cause exclusive de la trans-

formation du délire à chacune de ses étapes. J'ai simplement

voulu dire, pour ma part, que ces malades échafaudent si bien.

leur délire qu'il semblerait être, dans certains cas, la conséquence

d'une logique mal appliquée. Mais, à côté de ces faits, j'aurais pu

vous en citer d'autres bien différents : j'ai observé, dans le service

de M. Magnan, un délirantchronique chez lequel les idées ambi-

tieuses étaient survenues à la suite d'une hallucination de l'ouïe :

en sortant de chez un marchand de vins, il entendit une voix

qui, pour la première fois, le salua du nom de Napoléon. Il se

présenta aussitôt dans un poste de police pour demander qu'on

l'aidât à monter sur le trône. Le lendemain, il entrait à Sainte-

Anne pour la seconde fois : « Vous ne me prendrez plus, disait-

il, pour un fou, vous comprenez, comme moi, maintenant le motif

de leurs persécutions : ils voulaient m'empêcher de gouverner. »

Ce malade était, en outre, atteint d'un eczéma de la lèvre supé-

rieure pour lequel l'épilation avait été jugée nécessaire. On eût

toutes les peines du monde à obtenir qu'il s'y soumit : «Un Na-

poléon, disait-il, doit toujours conserver la moustache.» »

M. Doutrebente. En l'absence de 111. Foville, dont 11. Christian

invoque le témoignage, je dois à la vérité de dire que j'ai suivi

pendant mon internat à Charenton, l'un des malades qu'il nous

cite comme n'ayant pas eu d'idées ambitieuses; je veux parler

de l'officier de marine très célèbre par différentes particularités,

d'un délire reposant sur des troubles de la sensibilité génitale.

Eh bien, ce même aliéné nous était, dès cette époque, présenté

par Calmeil comme un type de mégalomaniaque.

M. Briand insiste pour que la société prenne bonne note de l'opi

niondeM. Uoutrebente qui intervient fort à propos dansladiscus

sion.ll n'est pas toujours commode, ajoute-t-il, de faire avouer par

lesdélirants chroniques leursidées ambitieuses qu'ils cachent par-

fois avec grand soin ; elles jurent tellement avec le bons sens,

elles ont si souvent attiré des algarades aux malades qu'ils les

dissimulent souvent plus volontiers qu'ils ne dissimulent leurs

idées de persécutions; celles-ci reposent sur des faits, à la grande

rigueur, possibles sinon vraisemblables et moins susceptibles d'en-

traîner l'incrédulité et la moquerie de l'entourage. Peut-être

trouvera-t-on dans ce fait la cause du petit nombre apparent de

délirants chroniques ambitieux.

11. InLnr : r croit, comme 111* Briand, que dans une discussion

SOCIÉTÉS SAVANTES. 121 t

de ce genre, la statistique a un rôle tout marqué et;il demande

que la discussion soit continuée.

M. LE Président. Le délire chronique continuera à figurer à

l'ordre du jour de nos séances. MARCEL Briand.

CONGRÈS DES ALIÉNISTES RUSSES A MOSCOU

(Suite').

V. M. Vtcrorsors lit ensuite son travail Sur l'assistance des

alienés dans le département de Moscou. Dans ce département le

nombre d'aliénés était, d'après la statistique de 1886, de 1,662

dont 995 hommes et 667 femmes. La grande majorité de ces ma-

lades est abandonnée aux soins de leurs parents, car les hospices

de Moscou ne recevant pas les subsides du zemstwo refusent de

recevoir des aliénés. Parmi ces abandonnés il y a au moins

300 maniaques violents qui restant en liberté présentent un grand

danger pour la sécurité publique. Le rapport constate que [le dé-

partement et la ville de Moscou n'ont pas des moyens pour se-

courir leurs aliénés. Ainsi l'hospice Preobrajensky a dû refuser en

1885 353 aliénés et pendant les premiers neuf mois de 1886, 207.

Il faut remarquer que la plupart de ces aliénés sont originaires

du département et de la ville en question. Cette triste situation

des aliénés devient encore plus frappante lorsqu'on compare les

données statistiques sur le nombre de lits pour les aliénés à

Moscou et à Saint-Pétersbourg. La ville de Moscou, dans tous ses

hospices d'aliénés y compris les hospices privés cet les annexes

spéciales des hôpitaux généraux, possède en tout 637 places pour

les aliénés, tandis que Saint-Pétersbourg a 1,955 places; autrement

parler : à Moscou, il y a 1 lit pour 1,183 personnes; dans le gou-

vernement de Moscou, avec la capitale, 1 lit pour 3,241 per-

sonnes ; à Saint-Pétersbourg, 1 lit pour 441 personnes; dans le

gouvernement de Saint-Pétersbourg et la capitale, 1 lit pour

828 personnes 2.

En présence de ces faits, l'auteur conseille au zemstwo du dé-

1 Voir les Archives, t. XIII, no 38, p. 309.

2 A Moscou (statistique de 1882), la population est de 753,469 habitants ;

dans le département de Moscou avec la capitale, 2,070,978 ; à Saint-

Pétersbourg (statistique de 1881), elle monte à 861,303 habitants; dans

le gouvernement de Saint-Pétersbourg avec la capitale elle est de

1,618,614.

122 SOCIÉTÉS SAVANTES.

partement de Moscou, de construire une maison d'aliénés au moins

pour 400 lits. Les dépenses qn'exigera cette construction mon-

tent à 800,000 roubles (2,000,000 fr.)

VI. Après ce rapport M. KOJEVNIKOFF aborde l'intéressante

question d'enseignement clinique des maladies mentales. Sa

communication est intitulée ainsi : Sur la construction des cliniques

psychiatriques en général et de celle de Moscou en particulier. Après

avoir indiqué les conditions auxquelles doit satisfaire une clinique

universitaire spécialement consacrée à l'enseignement de la patho-

logie mentale, l'auteur s'arrête sur la clinique de Moscou qui vient

d'êtreconstruite avec des ressources fournies par une riche proprié-

taire, 1-1 Morozoff. Il vaut mieux, dit-il, avoir une petite clinique

mais bien appropriée qu'un hospice ordinaire même très grand.

Cette clinique doit être en communication intime avec les autres

cliniques aussi bien à cause des rapports qui unissent ta patho-

logie mentale avec les autres branches de la médecine (et surtout

avec la neuropathologie), qu'à cause de la facilité qu'on aurait

dans ce cas de fréquenter plusieurs cliniques à la fois sans perdre

inutilement son temps. Elle doit, en outre, avoir la possibilité de

renouveler de temps en temps la population malade, ce qui

sera facile à faire en se servant des hospices du département

et de la ville. Une annexe spéciale de la clinique doit être réser-

vée pour le placement préliminaire de l'examen des aliénés.

Toutes ces conditions sont remplies par la clinique de Moscou. A

cette communication M. Kowalewsky (de Kharcpw) a fait observer

que dans les facultés de province qui n'ont pas de cliniques

psychiatriques à part, il faudrait imposer aux hospices civils de

donner un certain nombre des salles à la Faculté et dans le cas où

l'administration de ces hospices ne voudrait consentir, on pourrait

faire intervenir tout simplement le pouvoir duhaut gouvernement

comme lorsqu'il s'agit, par exemple, d'exproprier un terrain privé

pour la construction des chemins de fer, etc.

VII. La communication suivante, appartenant à M. Bajenoff,

rend compte de la nouvelle maison d'aliénés du département de

Ria--(in. Cette maison est construite sur le type des pavillons sé-

parés. On aadopté ici le système du patronage familial, consistant,

comme on sait, en ce qu'un certain nombre des malades chro-

niques sont placés chez les paysans des villages d'alentour avec

lesquels ils vivent d'une vie commune en les aidant dans leurs

travaux agricoles.

VIII. M. ROUBIKOVITCH (de Paris) a envoyé une communication

sur l'assistance des aliénés indigents qui sortent convalescents des

établissements publics. Cette communication, lue par M. le profes-

seur Kowalewsky (de ICharcow), attire l'attention du congrès sur

l'existence à Paris, d'un établissement fonde en 1848 par Falret

SOCIÉTÉS SAVANTES. 123

père, et ayant pour but la protection morale et matérielle des

aliénés guéris, mais restés sans moyens d'existence etabandonnés

par leurs familles. Après avoir démontré le mode de fonction-

nement de cet établissement dont le principe philantropique est

plein du sentiment moral, l'auteur conseille au congrès de prendre

sur lui l'initiative pour l'institution d'établissements semblables

en Russie.

IX. M. 1111NOR traite ensuite l'importante question du traitement

des alcooliques dans les établissements spéciaux. L'existence en

Amérique, en Angleterre et en Allemagne, d'établissements des-

tinés au traitement des buveurs est pour l'auteur l'indice de la

nécessité d'établissements semblables en Russie. Il démontre, et

un grand nombre des membres du congrès sont de son avis,

qu'une certaine partie d'ivrognes habitués, sont des malades et

ont besoin des mesures législatives toutes autres que celles qui

existent actuellement.

X. M. D.1NILL0 a présenté son rapport sur l'assistance des aliénés

criminels ou prévenus de crime. Selon l'auteur la différence qui

existe entre un aliéné criminel et non criminel est l'effet d'un

simple hasard. Au point de vue clinique aucune distinction ne

saurait être établie entre ces deux genres d'aliénés, d'où il suit

que la séparation ne trouverait pas sa rdison d'être. Il faut avoir

une section à part pour les malades violents, criminels ou non.

Xi. La même question est traitée ensuite par M. JAKOVENM dans

une communication intitulée ainsi : Faut-il placer les aliénés cri-

minels avec les autres aliénés ou séparément' ! Il arrive à la même

conclusion quele rapporteur précédent avec cette seule différence

qu'il conseille, en outre, d'instituer, à l'exemple de l'Europe occi-

dentale et de l'Amérique, des maisons spéciales pour les jeunes

idiots et épileptiques. Il considère cette institution comme une

mesure préventive. contre les crimes commis très souvent par ce

genre de malades.

XII. M. Korsakoff a parlé de l'assistance des aliénés chez eux ou

par le patronage familial. Il décritle fonctionnement du patronage

familial à Ilten (Hanovre). Ce système présente, d'après l'auteur,

de grands avantages économiques. De plus, il empêche un en-

combrement outré des maisons d'aliénés. Il sera donc utile, dit

M. Korsakoff, d'essayer ce système dans certaines localités russes.

Les malades seront placés dans les familles qui habitent tout près

de la maison d'aliénés, de façon à ce qu'ils soientcontinuellement

sous la surveillance des médecins. Les aliénés indigents auront

droit à une protection particulière de la société et de l'adminis-

tration. Dans ce but, on imposera au commissaire de police de

chaque village l'obligation d'informer le médecin de la etreons-

121 fez SOCIÉTÉS SAVANTES.

cription de chaque 'cas nouveau d'aliénation mentale chez un ha-

bitant. Si le médecin trouve que le traitement du malade ne

pourra se faire dans un milieu de famille, il ordonne son placement

dans un établissement spécial, lequel sera obligé de le recevoir.

Les frais de transport du malade dans l'établissement tomberont

sur la commune(Zemstwo). Lerapport veut défendreaux parents de

prendre un aliéné auquel la sortie est encore nuisible; il propose

dans ce but, de donnera l'administration le droit de garder les

malades autant qu'elle le jugera nécessaire. Quant au paiement

pour le traitement, l'administration doit avoir le droit de dispense

de cette charge ou de sa réapplication, si les parents pour des

intérêts personnels, ne voulaient pas prendre un aliéné qui pour-

rait parfaitement vivre dans sa famille. L'auteur pense, en effet,

que le traitement des aliénés n'impose pas nécessairement leur

placement dans ;les maisons de santé ; il existerait même

certaines formes d'aliénation mentale qui exigent un traitement

en famille, d'autres pour lesquelles l'hôpital est indispensable. En

tout cas, ce n'est pas dans la famille à eux que les aliénés doivent

être placés, mais bien dans les familles qui se sont spécialement

consacrées à cette sorte d'occupation comme celles des aliénistes

ou celles qui se trouvent sous la surveillance directe d'aliénistes. Ce

placement devrait se faire librement sans formalités compli-

quées. Relativement à la législation des aliénés, il y a lieu d'y

introduire un certain nombre de modifications qui doivent avoir

pour but non seulement de prévenir la possibilité de traiter un

homme sain comme un aliéné, mais aussi de mettre à la portée

de tous, tous les moyens possibles de traitement et même de les

imposer, de veiller à ce que l'aliéné ne soit dangereux ni pour

lui-même, ni pour la société, et aussi que sa fortune ne soit pas

gaspillée. Pour garantir ces modifications législatives, les rè-

gles suivantes devraient être mises en vigueur : a) pour la po-

pulation rurale, l'information au médecin de la circonscription de

chaque cas d'aliénation mentale est obligatoire pour les autorités

du village; le placement de l'aliéné dans un hospice est aussi

obligatoire; b) pour les classes aisées, le traitement estobligatoire

ou, au moins, est obligatoire la surveillance du médecin sur la

régularité du placement du malade; c) si le médecin considère

tel ou tel traitement du malade comme impropre ou nuisible

pour lui ou dangereux pour la société, il en informe l'administra-

tion, qui, après avoir vérifié la conclusion du médecin, émet une

décision correspondante; et d) les conditions d'administration de la

fortune d'un aliéné doivent être modifiées par l'introduction d'une

tutelle préliminaire désignée aussitôt que la maladie sera cons-

tatée par le médecin.

XIII. M. Greidenberg a lu son rapport sur la nécessité de la

réorganisation des maisons d'aliénés des zemshwa. Le rapporteur

SOCIÉTÉS SAVANTES. 125

a décrit la situation anormale des maisons d'aliénés et des alié-

nistes devant l'administration hospitalière et le zemstwo. Comme

conséquence de la subordination des maisons d'aliénés à l'admi-

nistration hospitalière, qui ne compte pas dans son sein des mé-

decins spécialistes, résultait une situation détestable des malades,

sans parler des aliénistes eux-mêmes qui avaient toujours de quoi

se plaindre aussi. C'est pour cela que la situat : on actuelle de la

plupart des maisons d'aliénés a besoin d'une réorganisation com-

plete au point de vue administratif et économique. Il faut tout

d'abord que la maison d'aliénés soit tout à fait indépendante et

séparée des hôpitaux généraux. Cette condition est absolue ; sans

elle toutes les autres réformes n'amélioreront nullement l'état

actuel des choses. Cette condition étant remplie, il est nécessaire

d'élaborer un type normal d'une maison d'aliénés pour tous les

zemstwa auquel ce type serait imposé parle gouvernement im-

périal. C'est dans l'élaboration de ce type normal que doit con-

sister une des tâches les plus importantes du premier congrès des

aliénistes russes. Les debats qu'a provoqués cette communication

sont ajournés jusqu'à l'audition du rapport suivant relatif au même

sujet.

XIV. C'est le rapport de M. DUOZNES, sur la réorganisation des an-

ciennes maisons d'aliénés. La nécessité de l'indépendance des mai-

sons d'aliénés et des aliénistes est aussi la note dominante de

cette communication. Les débats ont été très animés. L'opinion de

M. Kowalewky (de Kbarcow) mérite particulièrement d'être rap-

portée. Le grand obstacle au développement régulier des maisons

d'aliénés dans les provinces réside le plus souvent dans la per-

sonne du médecin principal de l'hôpital. Ce médecin n'est pas

spécialiste dans la plupart des cas ; étant cependant investi d'un

pouvoir administratif absolu aussi bien sur l'hôpital général que

sur son annexe d'aliénés, il est souvent hostile à des propositions

émanant des médecins spécialistes attachés au~service d'aliénés,

propositions dont il n'est pas en mesure de comprendre toute la

portée. Ces .collisions entre les aliénistes et les médecins admi-

nistrateurs sont, cela va sans dire, très nuisibles d'une part

parce qu'elles immobilisent la situation impossible des mai-

sons d'aliénés; d'autre part, parce qu'elles sont la' cause des dé-

missions trop fréquentes des aliénistes qui ne veulent pas se

soumettre au despotisme d'un médecin ordinaire. Il faut donc

donner une autonomie administrative aussi bien que médicale

aux maisons d'aliénés en les sépaiatit des hôpitaux généraux et

en leur donnant comme direcleui's des spécialistes, telle est

la conclusion de.M.KowaIewsky, qu'il proposa au Congrès de sou-

mettre à l'approbation du gouvernement. D'autres opinions encore

ont été émises; nous ney nous arrêterons pas. Qu'il nous suffise

de présenter la série de conclusions adoptées par le Congrès et

126 BIBLIOGRAPHIE.

formulées d'une façon très précise par M. Mierjewesky. Considé-

rant que le traitement et l'assistance des aliénés diffère essentiel-

lement sous beaucoup de rapports du traitement et del'assistance

des malades ordinaires, qu'une maison d'alienés et son adminis-

tration ne ressemblent en rien à un hôpital général, que les soins

dus aux aliénés, leur nourriture, leurs vêtements, leurs travaux et

distractions portent un cachet tout àfait spécial, que pour un trai-

tement approprié des aliénés aussi bien que pour l'administration

d'un hospice, il est nécessaire d'avoir des connaissances approfon-

dies des maladies mentales et une expérience pratique qu'on ac-

quiert seulement en travaillant dans les cliniques et les maisons

d'aliénés, considérant, en somme, que la question du traitement

régulier et de l'assistance des aliénés est mise à l'ordre du jour,

de telle façon même que quelques zemstwa ont déjà construit des

maisons spéciales pour les aliénés, tandis que d'autres se prépa-

rent à cette construction ; le premier congrès des aliénistes russes

conclut qu'il est absolument nécessaire de transformer les an-

nexes actuelles d'aliénés en maisons d'aliénés tout à fait indépen-

dantessous les rapports : médical, économique et administratif,

de placer la tête de ces maisons des médecins spécialement pré-

parés, d'établir les rapports de ces maisons avec tous les autres

organes administratifs au moyen d'un règlement approuvé par le

ministre des affaires intérieures, et de fonder dans la capitale

une administration centrale de toutes les maisons d'aliénés.

Une commission a été ensuite nommée pour l'élaboration d'un

règlement-type des maisons d'aliénés. Ont été nommés : MM. Ko-

walewsky, Sikorsky, Greidenberg, Droznes, Fscheschott, Schtein-

berg, Litvinoff et Ilialtzeff. (A suivre.)

J. ROUBINOVITCII.

BIBLIOGRAPHIE

I. Les Démoniaques dans l'AI't; par J.-M. Charcot (de l'Institut),

et P. Richer ; avec 67 figures intercalées dans le texte. Paris,

Delahaye et Lecrosnier, 1887.

« Nous nous proposons seulement de montrer la place que les

accidents extérieurs de la névrose hystérique ont prise dans l'Art,

alors qu'ils étaient considérés non point comme une maladie,

bibliographie.

127

mais comme une perversion de l'âme due à la présence du démon

et à ses agissements. » Telle est la définition que donnent

MM. Charcot etRicher du terme « démoniaques» ; existe-t-il encore

réellement à l'heure actuelle des gens qui puissent de bonne foi

contester que possession et hystérie soient synonymes ? S'il s'en

trouvait la lecture de ce livre ne tarderait guère à les convaincre.

En publiant ce volume, MM. Charcot et Richer ne se sont pas

bornés à enrichir le domaine

commun d'un grand nombre

d'oeuvres d'art précieuses à plus

d'un titre et parfois d'une rareté

extrême; ils ont soumis celles-ci

à une analyse délicate qui sépa-

rant ce qu'avait créé la seule

imagination de ce qui était le fruit

d'une observation éclairée et

quelquefois géniale, leur a per-

mis d'établir la valeur documen-

taire de ces oeuvres diverses. Ils

ont ainsi montré d'une façon ir-

réfutable que les prétendues con-

vulsions des démoniaques n'é-

taient que des attaques hystéro-

épileptiques et qu'à ce point de

vue les caractères de l'hystérie

dans les siècles passés ne diffé-

raient en rien de ceux qu'on ob-

serve aujourd'hui.

Les oeuvres d'art les plus diver-

ses ont été mises à contribution :

peintures, dessins, miniatures, sculptures, gravures, mosaïques,

tapisseries, émaux, ivoires, plombs historiés, faïences ont fourni

de curieux témoignages. (Fig. 3, 4, 5,6, 7, 8.)

Pour donner une idée de la série des âges embrassés par ces

intéressantes recherches, il suffira de noter qu'elles s'étendent du

v° siècle à la fin du xvni0. L'époque de la Renaissance occupe

d'ailleurs dans cette série la place prédominante qui lui est due

à tous égards. L'ordre chronologique suivi par MM. Charcot et

Bicher rend leur livre d'autant plus précieux au point de vue de

l'Histoire de l'Art.

Mais malgré l'adoption de l'ordre chronologique les auteurs ont

su classer aussi leurs documents suivant certains groupes naturels,

et à ce propos il faut signaler tout spécialement ceux qui ont

trait : aux transfigurations (Stefano de l'école de Giotto, Raphaël,

Déodat del Mont, Groupes de Varallo), aux épidémies dansantes, à

la série des possédées de Rubens, aux Convulsionnaires de Saint-

Fig. 3. - Le Christ délivrant un

possédé. D'après un ivoire

du ve siècle. Fragment de la

couverture d'un évangéliaire de

la bibliothèque de Ravenne.

128 bibliographie.

Médard. On trouve là réunis et comparés entre eux d'une façon

fort ingénieuse de nombreux documents dont l'intérêt devient de

la sorte encore plus grand.

Quant aux appréciations que formulent MM. Charcot et Richer

sur les différentes oeuvres soumises à leur analyse, le mieux à

Fig. 4. -Possédés guéris par le Christ. D'après un livre de choeur

à Sienne.

BIBLIOGRAPHIE.

129

faire est de laisser la parole aux auteurs : « La plupart des pos-

sédés créés par l'imagerie religieuse- n'offrent guère qu'un in-

térêt historique et ne sauraient fournir aucun document sérieux

à l'appui de la thèse de l'ancienneté que nous formulions en com-

mençant.

11 n'en est pas de même pour les oeuvres des maîtres de la

Renaissance. Certaines d'entre elles, celles du Dominiquin, d'An-

dre del Sarte, de 1W bens, pour ne citer que les plus célèbres,

portent avec elles les preuves d'une scrupuleuse observation de la

Archives, t. XIV. 9

Fig. 5. Guérison d'une femme possédée au tombeau d'un saint. Dessin

extrait (d'après une photographie) d'un fragment d'une fresque de

Francesco de Giorgio au Palais public. Sienne.

130

BIBLIOGRAPHIE.

nature. Nous retrouvons dans la figure du possédé tout un

ensemble de caractères et de signes que le hasard seul n'a pu

réunir, et des traits si précis que l'imagination ne saurait les

avoir inventés. (Fig. 9, 0, il.) .)

Bien plus, nous pouvons ajouter que du moins dans les cas par-

ticuliers dont il s'agit, le modèle dont s'est inspiré le peintre n'é-

tait autre qu'un sujet atteint de grande hystérie, et ce n'est pas

une des moindres preuves do la perspicacité et de la sincérité de

l'artiste, que ce diagnostic rétrospectif d'une affection nerveuse

alors méconnue et attribuée à une cause surnaturelle.

D'autres artistes, il est vrai, parmi lesquels se place Raphaël,

ont peint des démoniaques dont les convulsions nous n'hésitons

pas à le déclarer après Charles Bell ne répondent à rien d'es-

sentiellement réel, ni même de connu.

En parcourant les différentes pièces de notre collection, on peut

constater d'une façon générale qu'au sur et à mesure que l'Art,

quittant le langage symbolique, se transforme par l'étude détaillée

de la nature, la figure du démoniaque dépouille les signes de la

convention archaïque ou de la fantaisie personnelle pour revêtir

Fig. 6. - Saint Philippe de Néri délivrant une possédée. Groupe dans

une fresque de André del Sarte, dans el cloître de l'Annunziata, à

Florence.

BIBLIOGRAPHIE.

13

Fig. 7. Dama de Saint-Guy. Groupe tiré d'une grawre de l1oll,lius,

d'après Pieire Breughet

Fi ? 8. - Danse de Saint-Gtty. Groupe tiré d'une gravure de Ondins

d'après Breughel.

132

BIBLIOGRAPHIE.

des caractères puisés dans la réalité et qu'il nous a été facile de

reconnaître pour la plupart, comme appartenant à la grande

névrose hystérique. »

A la suite de la partie du volume consacrée aux démoniaques

proprement dits se trouve le chapitre des Convulsionnaires de

Sainl-Médard qui en quelques pages met le lecteur au courant

des principales péripéties de cette singulière épidémie.

Ayant rassemblé tous les éléments nécessaires, les auteurs com-

parent alors toutes ces descriptions du passé à ce qui se voit

actuellement; en regard des démoniaques d'autrefois ils mettent

XXII. Ma

Fig. 10. Sainte Catherine de Sienne délivre une possédée. Gravure

extraite d'une suite relative li vie de 5amle et exécutée

, d'après les dessins de Friiicoseo Yanm. .

134. rue

BIBLIOGRAPHIE.

les clélii 0 litqîtcs Co lv Il ls;oll1(til-es (i* ci zijoii ? -tl'hui,eL étudiant point par r

point les manifestations qu'on observe chez ceux-ci ils montrent

que toutes leurs attitudes, tous leurs mouvements sont bien ceux

que présentaient les anciens possédés. Ici, en pleine période con-

temporaine, ce ne sont plus d'anciennes gravures qui sont mises

à contribution pour illustrer le texte, mais les dessins deM. P. Ri-

cher ; ni au point de vue del'intensité de l'expression, ni au point

de vue de la valeur artistique ceux-ci n'ont rien à envier à leurs

devanciers, et comme les précédents ce chapitre ne cesse pas de

justifier son titre « les Démoniaques dans l'Art D.

Les dernières pages sont consacrées à l'étude de l'extase, et non

sans raison car ce n'est là qu'une forme dela possession, mais com-

bien différente de celle étudiée auparavant ! Tout à l'heure c'était

le diable et ses plus hideux démons qui tenaient earnison au

dedans du malheureux patient, maintenant c'est la divinité elle-

Fig. 11. Sainte Catherine de Sienne en extase. Fragment d'une

fresque de Sodoma dans l'église Saint-Dominiyue, il Sienne.

-SÉNAT. 13.">

même qui s'empare de l'homme, qui entre en communion intime

avec lui ; mais aussi quels effets opposés : là, convulsions atroces

de tous les membres, rictus hideux de la face, ici, au contraire,

calme profond, absolu de tout le corps, transfiguration céleste

duvisage; là, exorcisme avec ses pratiques les plus sévères et par-

fois torture, ici vénération, adoration universelles; les exta-

tiques en un mot ne pourraient-ils être définis « les aristocrates

de la possession». A cet égard les auteurs ont donc été bien ins-

pirés en accordant aux extatiques une place parmi « les Démo

iliaques dans l'Art ». m·and honneur

Au point de vue typographique ce volume fait grand honneur

à MM. Delahaye et Lecrosmer; choix du format, beauté du papier

et de l'impression, perfection des fac-similés, rien ne laisse à dé-

siler. Pierre Marie.

SÉNAT

DISCUSSION DU PROJET DE LOI SUR LES ALIÉNÉS'

Suite de la séance du mardi 30 novembre 1S861. 1.

M. LE Président. La parole est à M. Lacombe.

M. Lacombe. Messieurs, je crois qu'il est indispensable de bien

préciser les termes de laquestion posée au Sénat. Je craindrais, en

effet, qu'après ce que viennent de dire successivement à la tribune

M. le rapporteur et M. le commissaire du Gouvernement, il n'y

eût quelque confusion entre les dispositions de l'article ? et celles

de l'article 8 : l'article 7, le seul dont ait parlé M. le rapporteur,

l'atticle 8, le seul ou à peu près dont ait parlé M. le commissaire

du Gouvernement. Je crois, du reste, comme le disait tout à

l'heure ce dernier, qu'il y a entre ces deux articles un lien tel,

qu'il est, non seulement difficile, mais même impossible de dis-

cuter l'un sans indiquer tout au moins les dispositions prévues

dans le second et sans rechercher quelles sont les modifications

qui doivent êlre apportees à son texte.

Cherchons donc bien il préciser la question. Il y a un aliéné

1 Voy. Archives de Neurologie, t. XIII, p. 13a, 2a8 ci É39.

136 SÉNAT.

dans une famille ; cet aliéné n'est pas placé dans un établis-

sement public, ni dans un établissement faisant fonction d'éta-

l>lissement public. Plusieurs hypothèses sont encore possibles; elles

sont tour à tour prévues par les divers paragraphes des articles 7

'et 8. Je vais aussi les examiner successivement. Il peut se faire

que l'état d'aliénation soit tel que le malade soit tranquille et

facile à soigner; qu'il n'y ait pas de coercition à exercer vis-à-vis

de lui, suivant l'expression qui était employée à la dernière séance

par l'honorable M. Delsol au nom de la commission. Il n'y aura

donc pas dans ce cas de séquestration dans le sens qu'indiquait

M. le commissaire du' Gouvernement, lorsqu'il signalait la séques-

tration comme le grand danger à l'encontre duquel le Gouverne-

ment voulait se prémunir par la rédaction proposée. Voilà donc

une première distinction : d'une part, le cas où il y séquestration;

d'autre part, le cas où cette mesure n'est pas rendue nécessaire

par l'état du malade. Mais il y a d'autres considérations à peser et

il faut encore faire une sous-distinction suivant la manière dont

se fera le traitement.

En restant donc toujours dans l'hypothèse où le malade est

soigné par un de ses proches parents sauf à discuter plus tard

sur le degré de parenté auquel notre énumération devras'arrêter

- nous distinguerions avec la commission le cas où il vivra dans

le domicile de ce proche parent qui lui donne personnellement

des soins, ce sont les termes mêmes employés par la commission,

et le cas où il sera soigné dans toute autre condition, par exemple,

dans un domicile distinct ou par l'intermédiaire d'un tiers. Telles

sont les diverses suppositions en présence desquelles la commission

s'est placée. Quelles sont les solutions proposées par la commission

pour chacun de ces divers cas ?

Dans le premier, c'est-à-dire si l'aliéné est tranquille et qu'il n'y

ait pas de séquestration; s'il est, en outre, traité dans sa famille

par son père ou l'un de ses ascendants ou descendants, son con-

joint ou son tuteur, son frère ou sa soeur ; si, enfin, ce parent

rapproché a avec le malade un domicile commun, et lui donne

personnellement ses soins; dans ce cas, dis-je, il n'y a rien dans

la loi : pas de nécessité de déclaration, pas de surveillance de

l'autorité publique; la situation reste dans le projet ce qu'elle est

aujourd'hui.

Mais si c'est la seconde hypothèse, ce malade tranquille et pour

lequel il n'est pas question de séquestration est soigné dans d'au-

tres conditions; si, par exemple, il l'est, même par son père et

par sa mère, dans une maison spéciale au lieu de l'être dans leur

propre domicile, une déclaration est exigée et doit être faite,

d'après le projet de la commission, dans le mois, au procureur de

la République de l'arrondissement. Et il ne faut pas croire que

cette déclaration soit une vaine formalité ! ... A iiioiiieiit

SÉNAT. '137

où elle est faite, la mai-on où l'aliéné est soigné môme seul,

même, ainsi que je le dirai tout à l'heure, par le père de famille

ou par son préposé sous sa surveillance et sa responsabilité, -

cette maison est assujettie à tous les règlements, à toute les visites

de médecins, de magistrats, de fonctionnaires de l'ordre admi-

nistratif, tout comme s'il s'agissait d'un asile public d'aliénés ou

d'un asile privé faisant fonction d'asile public. Voilà, messieurs,

ce que la commission a proposé dans l'article 7.

Puis, arrive enfin le troisième cas, celui où l'état du malade

oblige de le tenir enfermé, celui que l'on appelait tout à l'heure

le cas de séquestration. Dans cette hypothèse prévue à l'article 8

du projet de loi, que le malade soit soigné par ses plus proches

parents ou par des étrangers, qu'il reste dans la maison paternelle

ou qu'il soit en dehors, que ce soit le père lui-même, si on le veut,

qui lui prodigue personnellement ses soins, il importe peu : à par-

tir du jour où la nécessité de la séquestration a duré plus de trois

mois, il doit être fait une déclaration au procureur de la Répu-

blique, et alors, messieurs, ainsi que j'aurai l'occasion de l'ex-

pliquer tout à l'heure au Sénat, nous nous trouvons soumis à

l'arbitraire absolu de ce magistrat, qui peut réglementer, comme

il l'entend et sans contrôle, les mesures de surveillance qui doi-

vent être appliquées. Voilà, dans les trois hypothèses successives,

le système adopté par Ja commission.

Je conviens, messieurs, que l'idée qui a présidé à la rédaction

des articles 7 et 8 met en présence deux grands intérêts : d'un

côté, l'intérêt social, la mission de surveillance et le devoir, que

je reconnais parfaitement incomber à l'Etat, de protéger le faible,

celui qui ne peut pas se défendre. De l'autre, un intérêt aussi con-

sidérable, l'intérêt de la famille, un devoir aussi impérieux et

un droit aussi respectable, celui qu'a le père ou le chef de la

'famille de surveiller ses proches lorsqu'ils sont malades, même

lorsqu'ils sont atteints d'aliénation mentale, de leur assurer des

soins efficaces et de présider à leur traitement.

Je conviens que la conciliation entre ces deux intérêts peut pré-

senter des difficultés sérieuses; je reconnais qu'on peut hésiter

beaucoup, et je vous avoue que ce n'est pas sans de grandes

hésitations que, moi-même, j'ai cru devoir prendre parti et

dire : La mission de surveillance de l'Etat doit s'exercer jusqu'à

tel point, et le droit de la famille doit être respecté jusqu'à telle

limite. Ce n'est qu'après une étude très sérieuse du rapportsicom-

plet de l'honorable M. Théophile Roussel et de ses intéressantes

annexes que j'ai cru pouvoir me faire une opinion sur ces divers

points, opinion qui a abouti à la rédaction des amendements que

j'ai eu l'honneur de présenter sur les articles 7 et 8.

Je vous demande maintenant la permission de vous faire con-

naître dansquelle mesure j'ai cru devoir proposer des modifications

138 SÉNAT.

au projet de la commission. D'abord pour le premier cas, c'est-à-

dire pour les malades tranquilles, qu'ils soient ou non soignés

par leurs plus proches parents et au sein de leur famille, le Sénat

se trouve en présence d'un premier système, mais qui n'émane

pas de moi : celui qui a élé exposé tout à l'heure à la tribune par

l'honorable M. Roger-Marvaise. Je crois que ce système serait

aussi la conséquence logique des considérations présentées par

M. le commissaire du Gouvernement.

On pourrait peut-être dire en sa faveur que du moment qu'il n'y

a pas de séquestration, qu'il n'y a pas de fait extérieur saisissable

et alors qu'il n'y a pas non plus d'atteinte portée à la liberté

individuelle, il est inutile que l'État intervienne. S'il n'y a pas

de séquestration, son rôle est de se tenir à l'écart et son devoir

ne l'oblige nullement à interposer sa surveillauceou son autorité.

La conséquence de l'adoption de ce système serait le rejet de l'ar-

ticle 7 et le remaniement de l'article 8, et alors nous ne resterions

plus en présence que des cas de séquestration.

Malgré l'importance incontestable de ces observations, je n'ai

pas cru devoir aller jusque-là et, déférant aux considérations

nombreuses qui ont été invoquées dans le rapport de la com-

mission, j'ai admis que, même dans le cas où il n'y a pas de

séquestration proprement dite, même dans le cas où on se trouve

en présence d'un aliéné tranquille...

M. le Rapporteur. En traitement ! Le mot employé par la

commisssion, c'est « l'aliéne traité ». Le traitement ne se fait pas

dans la maison sans qu'on exerce une certaine aclion sur l'aliéné

pour sa sûreté même, on ne peut pas le traiter sans cela !

C'est pour cela que l'on a pas mis : « en séquestration », ni

« retenu par contrainte », mais « en traitement ».

M. Lacombe. Je sais très bien que l'article 7 ne prévoit pas le

cas de coercition ; je viens de dire, au contraire, qu'il s'appli-

que au cas où il n'y pas de séquestration, mais seulement au

cas où le malade est traité dans des conditions ordinaires pour

cause de maladie.

Mais vous m'accorderez bien que. si on le traite, c'est dans son

intérêt; c'est une circonstance favorable que je pomrais relever

que celle du traitement, et il n'entrera pas sans doute dans les

idées de la commission de considérer d'un oeil moins favorable la

famille qui fait traiter son malade que celle qui le laisse sans

soins !

Je disais donc que, lorsqu'un aliéné est ainsi traité, les con-

sidérations d'ordre social invoquées part. le rapporteur m'avaient

fait admettre dans certains cas une certaine surveillance. Mais je

n'ai pas consenti 1 en étendre les limites aussi loin que la com-

mission. La commission dit : Nous nous abstiendrons do surveillance

sénat. 139

dans le cas seulement où le père, la mère, le tuteur, le conjoint,

le frère ou la soeur habitant dans le même domicile que l'aliéné

lui donneront personnellement leurs soins. Eh bien, je dis qu'il

y a là une exagération des précautions à prendre. Il y a notam-

ment un cas qui n'a pas été prévu et qui se présentera cependant

très fréquemment, celui où, malgré la diversité des domiciles,

les soins personnels de la famille ne feront pas défaut à l'aliéné.

Je combats donc d'abord l'article de la commission, en ce qu'il

exige la coexistence des deux conditions en ce qu'il impose la

nécessité silmutanée de la cohabitation et de la personnalité des

soins. En etfet, si le proche parentqui a la charge du malade habite

le même domicile que lui, c'est bien évidemment qu'il ne se

désintéresse pas du traitement qu'on donne à ce malade avec

lequel il cohabite. Et, d'un autre côté, il est très possible, il peut

même être très fréquent, avec une maladie telle que l'aliénation

mentale, que celui qui soigne le malade, mais qui n'est peut-être

pas libre de toutes ses actions, ne puisse pas, dans l'intérêt même

des autres membres de sa famille, demeurer avec l'aliéné; qu'il

ne puisse pas, sans s'exposer aux plus graves inconvénients, avoir

le même domicile que lui. 11 peut alors lui faire construire un

pavillon, comme on le disait tout à l'heure, en citant un passage

du rapport de M. le docteur Blanche, ou bien le mettre dans une

maison à côté de lui, dans la même rue ou dans le voisinage, ou

encore lui faire donner des soins par une personne de confiance

qu'il ira d'ailleurs surveiller fréquemment et dont il contrôlera la

fidélité à l'exécution de ses ordres.

Et vous voulez que, si un père de famille fait soigner son enfant

à côté de lui, dans une maison voisine, dans une rue rapprochée,

s'il préside réellement aux soins qui lui sont donnés, par cela seul

qu'il ne les lui donne pas chez lui et dans son propre domicile, et

alors d'ailleurs, ne l'oublions pas, qu'il n'y a pas séquestration,

vous voulez, dis-je, établir une surveillance qui sera la même que

celle à laquelle sont soumis les asiles publics d'aliénés, c'est-à-dire

une surveillance qui s'exercera par des visites très fréquentes des

membres de la commission permanente, ou par celles des divers

magistrats de l'ordre administratif ou judiciaire que vous autorisez

ou quevous obligez se présenter à des intervalles rapprochés dans

ces établissements ? Je ne le crois pas possible. Pour moi, messieurs,

toutes les fois que le malade sera traité sous la surveillance et sous

l'autorité du père de famille ou d'un proche parent en qui vous

devez avoir "confiance, et que d'un autre côté il n'y aura pas de

séquestration, je vous dirai : Laissez le père de famille accomplir

sa tâche, ne le soumettez pas ainsi aune surveillance que je

trouve exagérée et respectez en lui les droits de famille.

Voilà pourquoi, sur l'article 7, l'amendement que j'ai proposé

tend à substituer à la commission la rédaction suhaole : « à

71 O SÉNAT.

moins que l'un des parents je discuterai tout à l'heure le degré

de parenté «n'ait son domicile dans la même maison que le

malade « ou» ne préside personnellement aux soins qui lui sont

donnés... » Et pour éviter toute équivoque sur cette expression :

« préside personnellement aux soins », j'ajoute encore ceci :

« soit d'ailleurs qu'il lui donne lui-même ses soins, soit qu'il les

fasse donner par un tiers sous sa surveillance et sa responsabilité. »

En un mot, ce que je veux, c'est que si un père de famille, je sup-

pose, faitsoignerson enfantparune personne qui a sa confiance s'il

surveille personnellement, els'il assume sur lui-même la responsa-

bilité des soins qui lui sont donnés; je veux qu'à celui-là vous

n'imposiez pas la surveillance exagérée, à mon avis, qui n'est

édictée qu'en vue des établissements publics d'aliénés. (Vive ap-

probation sur tous les bancs.)

Il y a maintenant une question que j'ai provisoirement laissée

de côté et que je dois aborder. Jusqu'à quel degré de parenté

irons-nousdans cette dispense des règles générales de surveillance

édictées par la commission ? 2

La commission s'arrête au degré de frère et de soeur; le projet

primitif du Gouvernement s'arrêtait à un degré plus éloigné, au

quatrième degré, c'est-à-dire au degré de cousin germain ; l'ho-

norable lli.Iio;er-lllarvaise, dans son amendement, va encore plus

loin : il va jusqu'au huitième degré. Dans ma proposition j'ai cru

devoir reprendre le degré de parenté admis par le projet primitif

du Gouvernement, c'est-à-dire le quatrième degré.

Dans les explications que j'ai données à la commission lors-

qu'elle m'a fait l'honneur de m'appeler dans son sein, j'ai même

admis que je pouvais abandonner certains parents du troisième et

du quatrième degré. Je conviens qu'un cousin germain peut ne

pas vous présenter toutes les garanties désirables; mais au moins

faudrait-il à mes yeux, dans tous les cas, assimiler au père de

famille les collatéraux de la branche ascendante, les oncles, les

tantes, les grands-oncles, lesgrand'-tantes. Je ferais ainsi abandon

du privilège de la parenté pour les neveux, les petits-neveux, les

cousins germains, les autres cousins à un degré intermédiaire.

Pourquoi cela ? Parce que, ainsi qu'on l'a dit bien souvent, dans

les familles, l'affection descend et ne remonte guère. Nous pou-

vons être à peu près certains de l'affection des membres de la

branche ascendante de la famille pour la génération qui vient

après elle, tandis qu'il ne serait pas toujours vrai de dire que les

neveux ont pour leurs oncles, et les cousins pour leurs cousins,

un degré d'affection susceptible d'équivaloir aux garanties que la

commission a entendu se réserver. Voilà pourquoi je me rallie au

projet primitif du Gouvernement, qui restreignait la parenté dans

le cas de l'article ? aux collatéraux du quatrième degré, en accep-

tant même une nouvelle restriction, celle qui limite la dispense

SÉNAT. 141

des oncles, aux tantes, aux grands-oncles et grand'tantes parmi

les collatéraux du troisième et du quatrième degré.

J'arrive enfin, messieurs, à la dernière hypothèse, celle où, par

suite de la gravité de l'affection mentale, la séquestration devient

nécessaire. Alors je comprends que l'on soit plus exigeant et que

l'on ne pousse pas aussi loin la dispense de surveillance qu'on l'a

fait pour le cas précédent, cela soit au pointde vue des formalités

à remplir, soit au point de vue de,la parenté appelée à profiter

d'une faveur exceptionnelle.

Dans le cas de séquestration, j'admets que l'on exige une décla-

ration à faire au procureur de la République toutes les fois que le

malade ne se trouve pas confié aux soins de ses parents les plus

proches. Ici, je ne ferai d'exception que pour les ascendants

et descendants, pour l'époux et l'épouse ; pour tous les autres, je

laisserai subsister cette obligation d'une déclaration à faire au

magistrat du parquet.

La raison en est, comme le disait très justement l'honorable

M. Roger-Marvaise, qu'ici il y a un fait patent et saisissable : celui

de la séquestration; il y a une atteinte à la liberté individuelle

justifiée, il est vrai par l'état mental du malade. Je compreuds due

dans ce cas, vous demandiez une déclaration ; je comprends en-

core que vous en imposiez l'obligation à un parent d'un degré

plus rapproché, que lorsqu'il s'agissait des simples soins ¡iL donner

à un aliéné tranquille. Mais faudrait-il aller plus loin et dire,

comme la commission, que lorsque le procureur de la République

aura reçu cet avertissement ilrestera absolument libre deprendre

toutes les mesures de surveillance qu'il lui conviendra ? Je ne

crois pas qu'on puisse aller jusque-là, et je ne pense pas que le

Sénat approuve en ce point le projet de la commission ainsi

conçu :

« Le procureur de la République, après avoir transmis ces pièces

au secrétariat de la commission permanente des aliénés et pris

l'avis de cette commission peut, tant qu'il n'aura pas jugé néces-

saire de recourir aux moyens de surveillance établis par la pré-

sente loi, décider, etc. »

J'admets, sans doute, le droit de surveillance du procureur de

la République ; j'admets même que Ce droit de surveillance se

manifeste par la nécessité de certificats périodiques de médecins,

certificats qui, d'après la commission, devraient être remis à des

intervalles déterminés ne pouvant pas excéder trois mois. C'est

même là, à mes yeux, une prescription d'une rigueur excessive;

quant àmoi, il me paraitrait bien suffisant d'en (fournir un tous les

trois mois. C'est, du reste, un point sur lequel je pourrai revenir

lorsque j'arriverai à discuter spécialement l'article 8, et je pourrai

alors insister utilement sur cette prescription. Mais si le procureur

de la République croit nécessaire d'arriver à une surveillance plus

H2 ` ? SÉNAT.

efleclive, lui snffiia-l-il de dire : Je prends sur moi de prescrire

telle ou telle mesure de surveillance ?

Il ne devrait pas en être ainsi. D'après notre législation, le pro-

cureur de la République, magistrat du ministère public, a un pou-

voir d'action ou de réquisition ; il n'a pas un pouvoir de décision;

et puisque la commission est arrivée à remettre - on ne peut que

J'en féliciter la surveillance des aliénés et les garanties d'ordre

public qui peuvent sembler nécessaires, aux décisions des tribu-

naux, je ne vois qu'une combinaison admissible, c'est la suivante ;

si le procureur de la République, sur les renseignements qui lui

seront donnés, sur les certificats qui seront produits, sur les en-

quêtes qu'il pourra faire officieusement, estime que d'autres ga-

ranties sont nécessaires, il les fera ordonner par le tribunal. Telle

est la seule conciliation possible à mes yeux, entre les droits de

la famille d'un côté, et les droits ou les intérêts de la société de

l'autre.

Voilà donc, messieurs, l'imporlance des amendements que je

soumets au Sénat. Je lui demande en premier lieu d'étendre le

cercle de la famille un peu plus loin que ne le fait la commission;

je lui demande encore d'admettre que toutes les fois que ce sera

un membre rapproché de la famille qui soignera un malade par

lui-même ou qui le fera soigner sous sa direction, sous sa sur-

veillance et sous sa responsabilité, il y aura dispense de surveil-

lance et de déclaration, si toutefois il n'y a pas séquestration ; et

enfin, au cas où la séquestration est indispensable je demande que

tout au moins on respecte le droit le plus naturel, le droit du père

de famille.

L'amour paternel ne peut pas être suspecté; c'est un amour qui

survivra certainement, quoiqu'en ait dit M. le rapporteur tout à

l'heure, à cette maladie redoutable de l'aliénation mentale, à

toutes ses tristes conséquences : il sera toujours, par son dévoue-

ment à la hauteur des circonstances. Je crois donc qu'il faut tenir

un grand compte de ce lien de famille, le considérer comme ga-

rantissant d'une manière suffisante que le malade recevra tous les

soins nécessaires, à plus forte raison qu'il n'aura pas à subir les

mauvais traitements que l'on paraît redouter pour lui.

Je sais bien qu'on fait une grave objection : on nous oppose

les abus qui ont eu lieu, parait-il, et dont nous entretient le rap-

port. Ces abus, nous dit-on, où se commettent-ils ? Ce n'est pas

dans les hospices privés ou publics d'aliénés, c'est bien plus sou-

vent dans les familles. Je ne viens pas contester ce point; je veux

aller avec la commission jusqu'à admettre cette constatation

comme certaine. Je dirai tout au moins une chose : 'c'est que,

d'une manière très générale, si l'on a pu justement faire de sem-

blablesreproches à des collatéraux avides et dépourvus d'affection,

ce n'est pas aux parents vis-à-vis de leurs enfants qu'on peut jus-

SÉNAT. l 'f3

f.ement les étendre. Sans doute, la nature nous donne parfois le

spectacle de quelques monstruosités, de quelques difformités

physiques ou morales : mais ce n'est pas en vue des exceptions

qui peuvent se présenter à de rares intervalles que le législateur

fait la loi, c'est pour la généralité des cas.

Prenez garde : en développant ainsi outre mesure selon moi, le

droit de l'Etat, en l'introduisant comme un surveillant jaloux,

même au sein de la famille, vous vous engagez dans une voie re-

doutable où la logique peut vous mener fort loin. Vous dites que

vous voulez surveiller les aliénés d'une manière spéciale, parce

qu'ils sont faibles, qu'ils ne peuvent pas se défendre, et que c'est

au sein de leur famille qu'ils ont le plus de chance d'être mal-

traités.

Mais ce que vous dites de l'aliéné, ne pourriez-vous pas le dire

de l'enfant ? Lui aussi est faible; lui aussi est incapable de se dé-

fendre. Or. ce n'est pas dans les établissements publics que fré-

quentent les enfants qu'ils sont parfois maltraités; s'ils le sont, et

on ne peut constester que le fait ne se produise quelquefois, no-

tamment au cas de convoi de l'un des conjoints survivants, -

vous pouvez dire aussi que c'est dans votre propre famille. Eh

bien, alors, qu'est-ce que vous ferez ? Ferez-vousplus que d'établir

une répression pour les faits délectueux ou criminels dont la

preuve aura été rapportée ? Irez-vous jusqu'au point où vous allez

dans la loi actuelle ? '1

Etablirez-vous, non plus seulement une répression pénale, mais

un système préventif ? car, remarquez-le bien, c'est là le but ou

tout au moins le résultat de vos articles 7 et 8; vous redoutez que

les mauvais traitements se produisent, qu'un délit soit commis, et

vous voulez essayer de les arrêter en édictant un régime préven-

tifs. Mais cette tendance est absolument contraire aux principes

mêmes de notre droit. Depuis déjà bien longtemps, on a renoncé

au système préventif et on se borne à attendre qu'un délit ou un

crime ait été commis pour en assurer la répression.

En matière politique même, n'est-il pas vrai qu'on n'a considéré

la liberté comme acquise qu'à partir du jour où l'on a renoncé au

régime préventif; que l'on a poursuivi sans relâche l'abrogation

de toutes les lois qui disaient aussi : Nous voulons empêcher tel

crime ou tel délit, et en prévenir la possibilité par telle ou telle

mesure préalable ? Eh bien, si nous avons gagné quelque terrain

du côté de la liberté politique, faut-il le perdre du côté de la li-

berté civile ? Et ce régime préventif, si vous en rejetez l'applica-

tion aux crimes et aux délits politiques, n'y a-t-il pas de plus

grandes raisons encore pour ne pas l'introduire dans la vie privée

du citoyen.

Si vous édictez de pareilles mesures vis-à-vis de l'aliéné, il n'y

aura aucune espèce de raison pour ne pas la faire vis-à-vis d'un

144 SÉNAT.

être aussi faible que lui, aussi incapable de se défendre que lui,

vis-à-vis de l'enfant, et vous devez sous peine de faire banqueroute

à la logique établir aussi au système préventif pour la protection

de l'enfant dans la famille aussi bien que pour celle de l'aliéné.

Je ne crois pas que le Sénat veuille aller jusque-là. J'admets

que lorsqu'il s'agit de parents peu rapprochés vous ayez recours à

certaines garanties; que lorsqu'il y a séquestration pendant trois

mois; que quand un fait aussi grave qu'une atteinte à la liberté

individuelle vientà se produire,vous interveniez avec plus de soin

encore et que vous imposiez une plus sérieuse surveillance ; mais

je n'admettrai pas cette intervention illimitée de l'Etat dans la

famille et surtout dans la famille la plus rapprochée. N'avez-vous

pas remarqué, de plus,- et c'est la dernière considération que je

veuille invoquer devant vous - que vous demandez au père de

famille une déclaration bien pénible pour lui et de nature par-

fois a produire des résultats bien fâcheux ?

En effet, je ne veux que signaler il nouveau, sans m'y appesantir

comme je le pourrais, cette considération qui a déjà été émise

dans ce débat. L'on sait combien il est douloureux de venir dé-

clarer que l'un do ses parents est atteint d'aliénation mentale.

Vous aurez beau inscrire cette obligation dans la loi, je doute

qu'elle soit observée; elle aura les moeurs contre elle, et les

moeurs, on l'a proclamé souvent, sont plus puissantes que les lois.

Je crois que vous vous heurterez à un sentiment que vous serez

les premiers à trouver profondément irrespectable. N'édictez donc

pas des dispositions dont vous n'oseriez pas imposer l'obligation

et qui, ou bien resteraient lettre morte si, comme cela m'a semblé

ressortir des dernières explications de M. le rapporteur, la sanc-

tion prévue par la loi ne s'y applique pas, ou qui entralneraient

des peines exorbitantes si, en se tenant au texte du projet de la

commission, on devait voir appliquer en pareil cas l'article 67.

Vous vous trouveriez dans cette situation qu'un père de famille

qui donnerait tous les soins possibles à l'un de ses fils ou à l'une

de ses filles aliénés, après même s'être entouré des médecins les

plus propres à l'éclairer sur le traitement à suivre ; que ce père de

famille, après avoir donné de pareilles preuves de son affection

et de son dévouement, par cela seul qu'il n'aura pas livré aux

quatre vents de la publicité le malheur qui l'a frappé, l'alié-

nation mentale de son fils ou de sa fille, serait déclaré coupable

d'un délit correctionnel et passible d'amende et de prison !

Je ne sais pas si vous trouveriez un tribunal pour appliquer, en

un cas pareil, une pénalité aussi exorbitante. Mais, au surplus,

vous ne pourriez le faire sans vous mettre en contradiction avec

les moeurs, et le sentiment public vous empêcherait d'exiger l'ap-

plication de la loi que vous auriez édictée. Je crois, messieurs, en

avoir assez dit pour justifier les amendements que j'ai eu l'hon-

SÉNAT. 145

neur de déposer, et je vous demande de les sanctionner par un

vote favorable. (Approbation sur plusieurs bancs.)

M. le Président. La parole est à M. le rapporteur.

M. LE Rapporteur. Je demande à faire une observation en ré-

ponse aux dernières paroles del'honorableM. Lacombe. A propos

des pénalités, il disait que la commission n'avait pas osé aller

jusque-là; il n'avait pas bien compris ce que j'ai voulu dire. La

commission n'a pas cru qu'il fallait édicter une pénalité particu-

lière pour un cas particulier; mais elle n'a pas non plus en-

tendu soustraire la personne qui garderait un aliéné dans sa

maison aux pénalités générales qui sont édictées par l'article 67

dont je vais donner lecture. Il y est dit : « Les contraventions aux

dispositions des articles 7, 8, 16, » etc. Il me suffit de lire ces

premiers mots où l'article 7 est visé pour faire comprendre que le

procureur de la République, dans le cas où un fait lui paraîtrait

délictueux ou coupable, pourrait demander l'application de l'ar-

ticle 67

La commission, dans sa rédaction, se borne àdire qu'en dehors

de l'hypothèse d'un délit auquel l'article 67 serait applicable, il

pourrait yavoir lieu à prendre des mesures dans l'intérêt de l'a-

liéné. La commission avait pensé et cela résulte de l'ensemble

de son travail que le procureur de la République qui, après la

déclaration faite, a en quelque sorte la responsabilité de la sur-

veillance du malade, pourrait provoquer le placement d'office de

ce malade s'il lui paraissait être dans des conditions où il ne re-

cevrait pas tous les soins nécessaires. Voilà ce que je voulais dire

tout à l'heure; mais je n'ai pas dit que la commission n'avait pas

osé établir de pénalités. Elle n'a pas établi de pénalités particu-

lières, elle s'est tenue aux pénalités générales, qui sont édictées

dans l'article 67.

M. LE PRÉSIDENT. La parole estàM. Roger-Marvaise.

M. Roger-Marvaise. Messieurs, je voudrais répondre quelques

mots aux observations qui ont été présentées au Sénat par M. le

commissaire du Gouvernement. M. le commissaire du Gouverne-

ment a nettement précisé la question que soulève l'article 7 en

ce moment en discussion. Il s'agit, a-t-il dit, de prévenir la séques-

tration. On vous propose ce texte : « Est assimilée, sur le rap-

port de la commission de surveillance, aux asiles privés toute

maison où un aliéné est traité, même seul. »

Cette disposition, suivant moi, n'est pas complète parce qu'elle

peut donner lieu à l'arbitraire. Il est impossible, en effet, de dé-

finir d'une manière exacte ce que l'on entend par un « aliéné est

traité ». Où commence le traitement ? Cela est absolument impos-

sible à déterminer d'une manière précise. (Très bien à gauche.)

Archives, t. XIV. 10

)46 SÉNAT.

Aussi, lorsqu'il s'cst ngi de l'aliéné qui reste dans la fa-

mille, le projet s'est-il attaché à un fait, à un fait certain, à un

fait patent; et il décide que l'aliéné qui est traité au sein de la

famille doit être l'objet d'une certaine surveillance de la part de

l'administration, mais seulement lorsqu'il doit être séquestré,

c'est-à-dire lorsque la nécessité de le tenir enfermé est démontrée.

C'est la mention de cette nécessité que je demande au Sénat, afin

d'empêcher toute espèce d'arbitraire, de vouloir bien introduire

dans le paragraphe 1 cr où il s'agit des aliénés traités dans une

maison autre que la maison paternelle. Je propose purement et

simplement d'ajouter ces mots : « Est assimilée, sous le rapport

de la surveillance, aux asiles privés toute maison où un aliéné est

traité avec nécessité de le tenir enfermé.» De cette manière, vous

définissez, autant qu'il est possible de le faire, l'objet de la pro-

tection que vous voulez exercer. Vous dites alors que cette protec-

tion s'applique à l'aliéné réellement atteint d'aliénation mentale

puisqu'il doit être tenu enfermé.

Du reste, messieurs, je ne touche pas au surplus de l'article 7,

et je maintiens les autres garanties qui y sont édictées. C'est

pour cela que je conserve ce second paragraphe : « Nul ne peut

soigner un aliéné dans les conditions prévues au paragraphe pré-

cédent ', c'est-à-dire avec nécessité de le tenir enfermé, « sans

qu'il en soit fait la déclaralion, dans le délai d'un mois à partir

de la mise en traitement de la personne malade, au procureur de

la République de l'arrondissement du domicile de celle personne.»

Je conserve donc toutes les garanties de la commission ; seule-

ment, je prie le Sénat de vouloir bien ajouter ces mots : « ... avec

nécessité de le tenir enfermé », parce qu'il apportera dans la loi

une précision qui doit empêcher tout arbitraire. (Très bien sur

plusieurs bancs.)

M. BAR.\GNON. Qui est-ce qui déclarera cette nécessité ?

M. LE Ministre DE l'intérieur. Messieurs, la question soumise à

l'heure actuelle au Sénat a une gravité particulière : il s'agit d'une

des modifications les plus considérables proposées àla loi de 1838

parla commission. Cette loi n'avait prévu, édicté aucune mesure

de protection ni pour la personne, ni pour les biens de l'aliéné

traité dans sa famille ou traité à domicile par un étranger. Eh

bien, il a été constaté depuis que la loi de 1838 est pratiquée, que

des abus nombreux se sont produits en ce qui touche les aliénés

de cette catégorie.

M. DE GAVARDIE,. On n'a jamais cité de faits.

M. LE Ministre DE l'intérieur. Le gouvernement et la commission

vous demandent de combler cette lacune de la loi de 1838. L'ho-

norableAl. Roger-Marvaise et l'honorable M. Lacombe sont venus

combattre la disposition proposée. Mais il y a une différence con-

rV 4T. 147

sidérable entre la doctrine qui a été soutenue tout à l'heure par

M. Roger-Marvaise et celle qu'a apportée à cette tribune M. La-

combe. Sur la question de principe posée par l'article 7 décidant

qu'il y a lieu d'étendre la protection de l'Etal à l'aliéné traité

dans sa famille ou à domicile, nous sommes d'accord avec l'ho-

norable M. Lacombe, puisqu'il a reconnu que la surveillance de

l'Etat doit être établie; nous ne sommes séparés de lui que sur

le point de savoir dans quelle mesure cette surveillance doit

s'exercer.

Il n'en est pas de même pour l'honorable M. Roger-Marvaise,

qui, lui, semble n'admettre en aucune manière l'intervention et

la surveillance de l'Etat. Si je ne me trompe et si je résume bien

son opinion, il a dit : Toutes les fois qu'un aliéné sera traité

dans sa famille ou qu'il sera traité à domicile, même par un

étranger, s'il n'est pas séquestré, la loi n'a pas à intervenir. L'Etat

doit s'abstenir, et le Sénat n'a point à s'occuper de ces aliénés. S'il

en est ainsi et si vous partagez ce sentiment, il faut maintenir

purement et simplement la loi de 1838, car l'honorable M. Roger-

Marvaise ne vous demande pas autre chose. Il n'admet en effet

l'action et la surveillance de l'Etat que lorsqu'il y aura séquestra-

tion, séquestration arbitraire, c'est-à-dire dans le cas prévu par

le code pénal. ·

Messieurs, je ne puis pas en ce qui me concerne, accepter la

doctrine de M. Roger-Marvaise. Je crois que la protection de l'Etat

doit s'étendre sur les aliénés soignés dans leur famille ou chez

un étranger. Les articles 7 et 8, ainsi que l'a très bien expliqué

tout à l'heure l'honorable M. Lacomhe, visent deux cas parfaite-

ment distincts. Pour l'application de l'article 8 il faut qu'il y ait

séquestration; l'article 7, au contraire, s'occupe de l'aliéné non

séquestré qui est traité dans son domicile par ses parents à un

degré rapproché, et dans ce cas, l'Etat n'intervient pas et nous

admettons qu'il ne doit pas intervenir.

Je pense, en effet, que lorsqu'un aliéné reste confié aux soins

de son père ou de ses enfants, de son conjoint, ou de ses frères

et soeurs, les liens de la famille sont assez puissants pour offrir

des garanties sérieuses et acceptables. Mais si, au contraire,

l'aliéné est gardé par des collatéraux ou par des étrangers, je

soutiens pour ma part qu'à côté des droits de la famille vient se

placer le devoir de l'Etat. Le devoir de l'Etat est de protéger et

de défendre tous ceux qui sont incapables de se protéger eux-

mêmes. (Très bien ! très bien ! sur divers bancs.) Voilà, messieurs,

le principe de la loi. Voilà la. pensée qui a inspiré la disposition

que nous vous demandons d'adopter.

Est-ce que nous portons atteinte aux droits de la famille ? Nul-

lement ! Qu'est-ce que nous demandons par l'article 7 qui est

soumis à vos délibérations ? Des parents à un degré rapproché,

148 sénat.

nous n'exigeons rien. Alais aux parents, éloignés, aux étrangers

nous demandons une simple déclaration au procureur de la

République. Est-ce que le procureur de la République, représen-

tant l'autorité judiciaire, n'est pas le tuteur né de tous les inca-

pables, de tous les faibles, de tous ceux qui sont impuissants.à se

défendre ? (Assentiment à gauche.)

Nous aurons à discuter plus tard la mesure dans laquelle devra

s'exercer la surveillance de l'Etat, et peut-être me trouverai-je

d'accord, à ce moment, avec l'honorable M. Lacombe et avec

l'honorable M. Roger-Marvaise pour demander certaines modifi-

cations aux dispositions qui ont été arrêtées par la commission,

au sujet de cette surveillance; mais la question qu'il est néces-

saire de trancher immédiatement, est celle de savoir si l'Etat

doit remplir un devoir de surveillance et de protection à l'égard

de tous les aliénés. Or, je prétends que ce devoir s'impose plus

impérieusement quand l'aliéné est abandonné à des collatéraux

dont les intérêts sont, la plupart du temps, opposés à ses intérêts

propres. (Très bien ! très bien ! ) Il faut défendre l'aliéné contre

les calculs avides, contre les spéculations de gens qui sont ou

peuvent devenir ses héritiers et qui quelquefois ont intérêt non

seulement à ne pas le soigner, mais peut-être à abréger sa vie

par de mauvais traitements. C'est, messieurs, cette question de

principe que vous allez voter; si vous n'adoptez pas la disposition

de l'article 7, vous aurez rejeté une des meilleures réformes

apportées à la loi de 1838.

M. DE GAVARDIG. Elle est détestable ! (Rumeurs à gauche.)

M. LE MINISTRE. 11 y avait véritablement sur ce point, dans la

loi de 1838, une lacune considérable, et, en vérité, j'avoue que je

ne comprends pas bien la distinction que faisait tout à l'heure

l'honorable M. Lacombe. Il admet l'intervention de l'Etat quand

la famille placera un aliéné dans un asile privé, c'est-à-dire dans

un asile qui reçoit un certain nombre de malades, et dans ce

cas il reconnaît qu'il faut prendre des précautions très sérieuses,

minutieuses même, dans l'intérêt de l'aliéné et de la liberté indi-

viduelle. Et, quand la famille placera cet aliéné chez un étranger,

dans une maison où lui seul sera reçu et retenu, il n'y aurait

aucune garantie à demander ?

M. 'l'ENAtLLE-S.1LICIVY. 11 n'y aura pas de contrôle !

M. LACOMBE.. On le surveillera personnellement.

M. LE Ministre. On le surveillera personnellement, dites-vous ?

A cela je réponds que les dispositions inscrites dans votre amen-

dement rendraient cette surveillance absolument illusoire. La

surveillance, à mon avis, devra être plus active, elle sera plus

nécessaire dans une maison particulière fermée au public où

SENAT. 149

l'aliéné est soigné par un étranger, que dans un asile privé ou-

vert à plusieurs malades, où il existe un nombreux personnel, où

le public peut pénétrer dans une certaine mesure et où, par con-

séquent, les mauvais traitements et les abus sont moins à craindre

que chez un particulier. (Vive approbation au centre et à gauche.)

La surveillance de l'Etat sur les aliénés gardés à domicile

constitue, je l'ai montré au Sénat, la partie la plus importante

de ce projet de loi; ainsi que je le disais au début de la discus-

sion, ce n'est pas dans les asiles publics que les abus les plus

graves ont été commis; c'est dans les asiles privés, c'est surtout

dans les familles et dans les maisons particulières. Vous n'avez

qu'à lire les journaux judiciaires : vous y trouverez la preuve de

ce que j'avance.

On nous dit : Mais il s'agit de faits isolés ! Les lois ne sont pas

faites pour des cas exceptionnels. Messieurs, les lois sont faites

pour réprimer les abus, quand ces abus sont fréquents, quand ils

ont pour résultat de porter atteinte à la liberté individuelle,

quand ils compromettent des intérêts dignes de respect et de

sollicitude. (Nouvelle approbation sur les mêmes bancs.) Pour ma

part, je serais tenté d'aller plus loin et d'affirmer que la protec-

tion de l'Etat doit être établie non seulement au point de vue de

la personne, mais au point de vue même des biens de l'aliéné.

Ainsi, à l'heure actuelle, si nous consultons le code civil, nous

constatons que tant que l'interdiction n'a pas été demandée, il

n'est pas permis au procureur de la République d'intervenir

d'office pour protéger les biens de l'aliéné. Or, vous savez com-

bien sont rares les demandes d'interdiction à l'égard des aliénés,

parce qu'elles constituent une procédure difficile et coûteuse qui

n'est pas à la portée de tous.

Je me suis demandé moi-même s'il n'y avait pas quelque chosa

à faire de ce côté, et s'il ne faudrait pas, dans certains cas, per-

mettre au procureur de la République de provoquer d'office l'in-

tervention de l'autorité judiciaire en faveur de cet être, de ce

citoyen impuissant à se défendre. Ne l'oubliez pas, en effet, mes-

sieurs, la loi que vous discutez en ce moment, a pour objet prin-

cipal de substituer l'autorité judiciaire à l'autorité administra-

tive pour la protection des aliénés. (C'est cela ! - Très bien ! à

gauche.) C'est l'intervention de l'autorité judiciaire qui domine

tout ce projet de loi. Que l'aliéné soit admis dans un asile public,

qu'il soit placé dans un asile privé, ou qu'il soit gardé dans sa

famille ou chez des étrangers, c'est l'autorité judiciaire seule qui

a qualité pour le priver de sa liberté. Voilà le principe de la loi.

(Très bien ! très bien ! sur les mêmes bancs.)

Cette loi n'est pas une loi de police, c'est une loi d'assistance.

Nous voulons protéger la personne et les biens de l'aliéné et nous

voulons, dans la mesure du possible lui faire donner les soins que

150 sénat.

comporte sa situation d'esprit; tout à l'heure l'honorable M. Ca-

zelles, directeur de l'assistance, donnait au Sénat des renseigne-

ments vraiment saisissants, qui sont tirés d'une statistique établie

sur des données précises. Lorsque les aliénés sont traités au début

de la maladie, environ 80 p. 400 sont guéris. Quand le traitement

au contraire, n'est entrepris qu'après un délai de six mois, le

nombre des guérisons tombe à 2o p. 100.

Croyez-vous que l'Etat puisse se désintéresser absolument de

cette catégorie d'aliénés et abandonner sans surveillance et sans

contrôle à la spéculation des collatéraux, à des familles avides,

le soin de protéger ceux de leurs membres que le malheur a

frappés ? Pour ma part, je ne puis me résigner à cet abandon;

je vous en conjure, messieurs, examinez la question sous tous ses

aspects, pesez tous les arguments qui ont été portés à la tribune

par l'honorable M. Roger-Marvaise et par l'honorable M. Lacombe,

et demandez-vous s'il est possible de déclarer que l'Etat n'a

aucun devoir de surveillance et de protection à l'égard des aliénés

placés chez des collatéraux ou des étrangers. L'honorable M. La-

combe lui-même reconnaît que cela n'est pas possible. Il admet

comme nous l'intervention de l'Etat.

Je le répète, messieurs, à l'heure actuelle il s'agit de statuer

sur le principe même de la protection due aux aliénés par l'Etat.

Nous vous demandons de dire hautement, nettement, que le

Sénat ne peut pas, qu'il ne veut pas se désintéresser de toute sur-

veillance sur les aliénés gardés par des collatéraux ou par des

étrangers. (Très bien ! très bien ! et applaudissements.)

M. Rocen-llAnvaisr. Je demande la parole. (Aux voix ! aux

voix ! )

M. LE Président. Vous avez la parole; mais je vous fais ob-

server que vous avez déjà parlé deux fois sur le même sujet.

M. ROGER-IARVAISE. Messieurs, il m'est extrêmement difficile de

ne pas répondre au discours qui vient d'être prononcé, attendu

que M. le ministre de l'intérieur m'a prêté des idées qui ne sont

nullement les miennes. Je ne viens pas, en effet, combattre le

principe même de l'article 7 du projet de loi. Jamais je n'ai dit

que l'Etat ne devait pas exercer une surveillance sur les aliénés;

jamais je n'ai émis semblable théorie à cette tribune; jamais je

n'ai dit qu'il fallait laisser subsister la lacune de la loi de 1838.

Seulement ce que j'ai proposé au Sénat, c'est un léger amende-

ment à la proposition faite par la commission et par le Gouver-

nement, afin de donner au texte une précision qui empêchât

toute espèce d'arbitraire ou plutôt qui prévînt autant que possible

l'arbitraire.

Ainsi j'admets l'article 8 du projet de loi, c'est-à-dire cette

obligation dans laquelle se trouve la famille de faire une décla-

- SÉNAT. 151

ration dans le cas déterminé par cet article, lorsqu'il est néces-

saire d'enfermer l'aliéné, c'est l'expression même dont se sert

l'article 8. '

L'article 8, en effet, n'exige une déclaration de la part de la

famille que lorsque la nécessité de tenir l'aliéné enfermé a duré

trois mois; tant que cette nécessité n'est pas constatée, la famille

est affranchie de toute espèce de déclaration. Eh bien, cette né-

cessité de tenir l'aliéné enfermé, je demande que vous l'intro-

duisiez dans l'article 7, afin d'empêcher toute espèce d'arhitraire

dans l'application de la loi. Je vais même beaucoup plus loin. A

mon sens, c'est une opinion que j'émets, je puis me tromper,

il me semble que l'article 7 de la loi, par lequel on établit la

surveillance de l'Etat sur les aliénés qui sont traités souvent chez

un ami, souvent chez un proche parent, toujours chez une per-

sonne qui est investie de la confiance du père de famille, il me

semble, dis-je, que l'article 7 ne dit pas à quel moment la sur-

veillance de l'Etat devra intervenir, ni à quel moment on pourra

constater que c'est en effet le traitement d'un aliéné que le

malade subit. Il n'y a à cet égard aucune précision dans l'article.

C'est afin d'écarter tout arbitraire que je voudrais introduire plus

de précision dans le texte, en y insérant deux ou trois mots.

Quant au reste de l'article,' j'admets parfaitement toutes les

garanties pruposées par la commission et par le Gouverne-

ment..

Par cela même, je trouve suffisamment que je ne suis pas

hostile au principe contenu dans l'article 7. Je reconnais avec

M. le ministre que c'est l'article capital et fondamental de la loi,

parce qu'il est appelé à déterminer - et je crois qu'il doit le

faire d'une manière précise l'étendue des droits de l'Etat et

des droits de la famille, tout en respectant la liberté individuelle.

C'est parce que cet article a cette immense importance, que je

me suis permis d'insister devant le Sénat pour que l'on y intro-

duisit, afin d'empêcher toute espèce d'arbitaire, ces mots : «Avec

nécessité de le tenir enfermé. »

M. LE Président. Quelqu'un demande-t-il la parole sur l'amen-

dement de M. Roger-Marvaise, qui s'éloigne le plus de la propo-

sition de la commission ? ' !

M. de Gavanntc, de sa place. Jusqu'à présent, la vraie question,

à mon point de vue, n'a pas été complètement traitée, je veux

parler de la question de principe qu'exposait tout à l'heure M. le

ministre de l'intérieur. Les divers orateurs que vous avez en-

tendus acceptent le principe, bien qu'avec des modifications;

mais certains membres de cette Assemblée le repoussent absolu-

ment, et c'est cette opinion qui ne s'est pas encore produite.

Voix nombreuses. Parlez ! parlez ! 1

152 SENAT.

M. DE Gavardie. Je demande la parole sur ce point, si personne

ne la demande.

M. LE Président. La parole est à M. de Gavardie.

M. de GAVARDIE,. Messieurs, tout à l'heure l'honorable ministre

de l'intérieur faisait ressortir l'importance de l'innovation car

c'est, une véritable innovation que vous êtes appelés à voter.

Elle est tellement grave, -elle est tellement dérogatoire à tous les

principes de notre législation, au point de vue de notre droit

civil et de notre droit public; elle va même tellement à rencontre

des prétendus précédents empruntés aux législations étrangères,

qu'on ne saurait sans une discussion très approfondie voter ce

principe dangereux et attentatoire à tout ce qu'il y a de plus

sacré. Tout à l'heure, l'honorable M. de Marcère, qui est un

vieux et excellent magistrat... (Interruptions et rires.), vieux d'ex-

périence, veux-je dire, M. de Marcère demandait un renseigne-

ment précieux. Mais enfin, monsieur le rapporteur, disait-il, citez-

nous des faits. '

M. LE Rapporteur. Tous les faits sont pour nous.

M. DE Gavardie. Nous connaissons ces expressions. Tous ceux

qui ont fait partie des tribunaux les connaissent. Quand un avocat

est embarrassé, il dit : Tous les principes sont pour moi. Et quand

on lui objecte : Mais quels sont ces principes ? il ne répond rien.

(Interruptions à gauche.)

Vous, vous dites : Tous les faits sont pour nous. C'est ce que

nous allons voir. Le meilleur moyen de connaitre les abus qui

sont commis, c'est évidemment de consulter la statistique cri-

minelle. Eh bien, messieurs, je me suis livré à ce travail. M. le

garde des sceaux est là, il pourra contrôler mes allégations, et il

est absolument nécessaire qu'il fasse connaitre son opinion dans

cette question. (Sourires.) J'ai vérifié, dis-je, les statistiques cri-

minelles depuis dix années; eh bien, dans cet espace de dix ans,

j'ai trouvé quinze faits de séquestration suivis de condamnation !

Un sénateur à gauche. Quand il n'y en aurait qu'un !

M. de Gavardie. Malheureusement, on n'entre pas dans les

détails. Aussi, je prie M. le garde des sceaux de vouloir bien

prendre note de ces observations d'une manière bienveillante,

afin qu'à l'avenir on indique la nature des séquestrations et qu'on

fasse connaître si, par exemple, il s'agit d'aliénés. Il n'y a aucune

indication de ce genre et il est absolument impossible de savoir

à quels individus s'appliquent ces séquestrations. On parlait tout

à l'heure d'aliénés qui ont été parqués. Oui, c'est vrai, cela est

arrivé quelquefois; mais combien de fois ? Voilà ce qu'il faudrait

savoir. Les séquestrations se sont, en effet, très souvent produites

à l'égard d'individus qui n'étaient pas des aliénés. Par consé-

quent, vous n'avez pas de base sérieuse de statistique, base qui

SÉNAT. 153

est cependant absolument nécessaire pour asseoir des conclusions

aussi hasardeuses et aussi téméraires que celles que vous nous

apportez ici. Et la famille, messieurs ! Jusqu'à présent, qui avait

donc osé y pénétrer ? C'est la République qui, la première, a eu

cette audace 1

Mon Dieu ! et je parle ici de la République au point de vue

théorique : j'ai la prétention d'être tout aussi bon républicain

qu'un autre. (Exclamations et applaudissements ironiques à

gauche.) Attendez ! c'est un vieux mot. On parlait souvent, avant

,1789, de République, entendez-le bien; mais celle-là, c'était la

vraie. A ce point de vue, je suis républicain et beaucoup plus que

beaucoup d'entre vous; quant à votre République, à votre mau-

vaise République, elle empêche ce mode de gouvernement de

s'affermir dans notre pays. Si vous agissiez autrement, est-ce

qu'en définitive la République ne serait pas solidement assise ?

Que m'importent à moi les formes de gouvernement...

M. BLAVIER. Parfaitement !

M. DE Gavardie... si vous me donnez ce qui forme en quelque

sorte le capital social; le respect de la liberté, le respect de la

famille, le respect de la propriété ? Que m'importent vos formes

vaines...

M. BL.ViËR. Vous avez cent fois raison !

M. de GAVARDIE... à moi, fils dévoué de l'Eglise qui, en défini-

tive, a accepté toutes les formes de gouvernement ? 11 m'importe

peu que ce soit une formule ou une autre, pourvu que je trouve

la garantie des droits sacrés sur lesquels toute société est fondée.

Un sénateur à gauche. Et l'article 7 ?

M. DE Gavardie. Je vaisy arriver. Je suis d'ailleurs beaucoup plus

dans la question que vous ne le pensez. Je dis que c'est votre

République qui a, la première, introduit l'autorité de l'Etat dans

le sanctuaire de la famille. Elle y est entrée déjà par les lois

scolaires (Exclamations à gauche), et aujourd'hui elle cherche à

y pénétrer grâce à la loi sur les aliénés. Ah ! cette loi, si vous

arrivez jusqu'au bout, pourrait être appliquée à beaucoup de

gens. (Hilarité.)

Si vous voulez bien accorder toute liberté à mes paroles

vous verrez, plus tard, si elles ne sont pas justifiées, lorsque nous

serons arrivés au dernier terme de cette discussion, si ce n'est

aujourd'hui, ce sera du moins les jours suivants je vous dirai

qu'on pourrait peut-être enfermer avec beaucoup plus de raison

une partie de ceux qui l'auront volée, que ceux auxquels elle

est destinée ! (Hilarité générale.) Vous voulez entrer dans la fa-

mille ! Et de quel droit ? Vous me parlez d'individus arrêtés, et

vous prétendez qu'il vous importe, à vous, Etat, de savoir s'ils

sont traités comme ils ne doivent pas l'être dans la famille !

154 ' SÉNAT.

Mais quelle meilleure garantie avez-vous, si ce n'est la sollicitude

de la famille ? Sous prétexte d'abus vous pourrez intervenir par-

tout et toujours.

Je crois que cette observation a été présentée tout à l'heure,

mais il est bon d'y revenir. Dans la société antique, l'enfant ap-

partenait à l'Etat, qui s'en emparait; vous, vous cherchez à vous

en emparer de plus en plus. Aliéné ! Mais qu'en savez-vous ? Com-

ment ! voilà un homme qui n'a pas ces mouvements désordonnés

'qui appellent nécessairement l'attention publique et en vue des-

quels vous êtes armés; voilà un prétendu aliéné qui ne trouble ni

la décence ni l'ordre publics, qui est gardé par la sollicitude

inquiète et affectueuse de sa famille ; quel mal fait-il au point de

vue social ? Vous croyez que cet individu ne sera pas mieux soigné,

mieux traité puisque vous tenez tant à cette expression dans

sa famille ? On invoquait tout à l'heure une statistique; je la

connais parfaitement, et je n'ignore pas que, lorsque, dans les

trois ou quatre premiers mois, l'aliéné ne peut pas être ramené à

la raison, il y a presque impossibilité d'arriver à la guérison.

Mais savez-vous à quel moment a commencé le traitement dans

la famille ?

Lorsqu'il a été constaté dans le sanctuaire de la famille que le

traitement domestique, le traitement religieux par excellence

n'avait pas pu réussir, alors on abandonne le malade aux soins

de l'asile, soit public, soit privé, suivant les circonstances, mais

vous ne savez pas, quand on vous remet un aliéné ou un prétendu

aliéné, à quel moment a commencé l'aliénation, et, par consé-

quent, vos statistiques sont vaines. M. le ministre de l'intérieur et

M. le commissaire du Gouvernement vous disaient : Ce sont sur-

tout les indigents que nous voulons protéger.

Véritablement, il ne faut jamais avoir vu les choses judiciaires

pour émettre des assertions de cette nature-là ! Mais enfin, j'ai

bien vu, moi, dans les divers départements où j'ai administré la

justice, que ce ne sont pas les indigents qui gardent les aliénés ;

ils ne demandent pas mieux que de s'en débarrasser !

Vous prétendez que c'est la cupidité ? Mais il faut les nourrir

dans une certaine mesure, et il vaut beaucoup mieux s'en débar-

rasser ! S'ils ont assez d'humanité pour ne pas garder les leurs, ils

s'en débarrassent très volontiers ! Ne parlez donc pas des indigents,

et, s'il y a des abus, le ministère public est là ! Est-ce que vous

croyez que dans une commune on ne sait pas vite si un aliéné est

séquestré ou ne l'est pas ? Est-ce que ce ne sont pas là des faits

qui tombent sous le coup de l'opinion publique ? Est-ce que les

voisins ne sont pas là, et Dieu sait s'ils parlent, les voisins, et les

voisines surtout ! (Hilarité générale.)

Messieurs, à l'égard des indigents, cette législation anglaise

qui entre dans tant de détails en pareille matière, cette législa-

SÉNAT. 155

tion anglaise qui n'est pas au fond aussi humaine, aussi démocra-

tique bien que je n'aime pas ce mot-là, mais enfin il est à la

mode ! - (Rires) que la loi de 1838, loi excellente, vous allez le

voir, d'après les médecins eux-mêmes ; la législation anglaise,

elle, fait une distinction entre ceux qui sont indigents et ceux

qui ne le sont pas, et elle défend même l'intervention de l'auto-

rité judiciaire à l'égard de ceux qui ne sont pas indigents. Par

conséquent, elle ne permet pas d'entrer dans les familles dans

les conditions, au moins, que vous indiquez, et M. Roger-

Marvaise avait raison de dire que, après avoir parcouru toutes

les législations étrangères, il n'avait rien trouvé de comparable

à ce texte-là ! On dit : Il y a un délai et, par conséquent, il n'y

aura pas d'abus ! Mais, est-ce que le principe n'est pas violé

pour cela ? La durée de cette détention - je me sers du pre-

mier mot qui me vient à l'esprit- la durée de cette détention.

dans la famille sera d'un, de deux, de trois, de quatre mois,

mais les faits extrinsèques ne changent pas, et si véritablement

l'opinion publique n'est pas émue, si aucun mauvais traitement

n'est pas exercé sur la personne de cet individu qui reste sous la

protection sacrée delà famille, pourquoi et de quel droit vous,

Etat, voulez-vous intervenir ?

11 y a des abus ? Mais où n'y en a-t-il pas ? Vous pouvez alors

remonler le cours des siècles et revenir, comme je le disais tout à

l'heure, à la législation païenne, vous emparer complètement des

enfants ! 11 a une école qui le demande; mais j'espère que vous

n'êtes pas encore assez avancés pour cela ! Messieurs, il s'agit

d'émettre un vote sur ce principe sacré, de bouleverser toute la

législation, d'ouvrir une porte à des abus bien plus graves, en

définitive, que ceux contre lesquels vous voulez réagir, et je vous

demande au nom de ce qu'il y a de plus sacré dans notre droit

public, dans notre droit civil et au nom de l'humanité, de ne pas

accorder ce vote !

A gauche. Aux voix ! aux voix !

M. LE Président. Personne ne demande plus la parole ? ... Je

donne une nouvelle lecture de l'amendement de M. Roger-Mar-

vaise. Le premier paragraphe de l'article ayant été voté, il est

inutile que j'en rappelle les termes au Sénat.

M. Rocen-1ll : nvarsE. Je demande la division, monsieur le prési-

dent.

M. LE Président. Je donne d'abord' lecture de votre amende-

ment ; vous demanderez ensuite la division, monsieur Roger-

Marvaise. «Est assimilée, sous le rapport de la surveillance, aux

asiles privés toute maison où un aliéné est traité avec nécessité

de le tenir enfermé.

156 SÉNAT.

M. Roger-Marvaise. Je demande qu'on mette d'abord aux voix

ce paragraphe.

M. LE Président. Laissez-moi lire l'ensemble; on prendra une

idée plus exacte des dispositions de la loi, et, ensuite, nous pro-

céderons par voie de division.

«Nul ne peut soigner un aliéné avec nécessité de le tenir en-

fermé sans qu'il en ait fait la déclaration, dans le délai d'un

mois à partir de la mise en traitement de la personne malade au

procureur de la République de l'arrondissement du domicile de

celte personne. » Puis enfin, dernier paragraphe : « Ces disposi-

tions ne sont pas applicables à l'aliéné soigné soit dans son do-

micile soit dans celui de son tuteur ou de ses parents jusqu'au

huitième degré. » Nous allons procéder, messieurs, par voie de

division...

M. DE Gavardie. Monsieur le président, il vaudrait beaucoup

mieux, ce me semble, mettre d'abord aux voix la question de

principe sous forme do suppression de l'article 7 tout entier.

M. LE Président. On vote contre un article, monsieur de Gavar-

die ; on ne met pas une suppression aux voix.

M. de Gavardie. Oh ! monsieur le président, il y a de mauvais

précédents en pareille matière ! Je demande la parole pour un

rappel au règlement.

M. LE Président. Comment voulez-vous que je mette aux voix

une négation ? Ce n'est pas possible. Vous avez la parole contre

le règlement (Sourires), mais veuillez vous contenir dans ses li-

mites.

M. de Gavardie. Messieurs, je ne demande pas la parole, comme

le dit M. le président, contre le règlement : je la demande pour

l'interprétation saine du règlement. C'est, pour la première fois

en 1871, sous la présidence de l'honorable M. Grévy, que cette

tradition s'est introduite. Autrefois, dans toutes les Assemblées

parlementaires, on votait la suppression d'un article tout entier

ou de paragraphes de ce même article, et de cette manière la

question se posait d'une façon très simple. 11 m'est arrivé à moi,

plusieurs fois, et très certainement cela est arrivé à d'autres de

mes collègues, de me tromper sur le vote, avec cette manière

compliquée et savante dont parle M. le président et qu'il voudrait

maintenir.

Pourquoi ne pas voter, quand une question de principe est

nettement posée comme elle l'a été par M. Je ministre de l'inté-

rieur, pourquoi ne pas la-résoudre do la manière la plus nette en

votant sur la suppression de l'article tout entier ? Après viendront

les distinctions savantes et les chinoiseries dont on vous parle.

(Rumeurs sur divers bancs.) Oh ! je dis « chinoiseries » sans mau-

vaise intention.

SÉNAT. 157

M. LE Président. Quelle proposition faites-vous ?

M. de Gavardie. Je demande qu'on vote sur l'ensemble, pour ou

contre l'article tout entier.

M. LE Président. Je dois d'abord mettre aux voix les para-

graphes, et puis, sur l'ensemble de l'article, chacun pourra voter

contre, si cela lui convient. Je ne puis procéder autrement. Je

mets aux voix le premier paragraphe proposé par M. Roger-Mar-

vaise, et j'en donne une nouvelle lecture : « Est assimilée, sous

le rapport de la surveillance, aux asiles privés toute maison où

un aliéné est traité avec nécessité de le tenir enfermé. » (Ce para-

graphe, mis aux voix, n'est pas adopté.)

M. Roger-Marvaise. Je retire le reste.

M. LE Président. Nous arrivons alors à l'amendement de M. La-

combe. J'en donne une nouvelle lecture.

« § 2. Est assimilée, sous le rapport de la surveillance, aux

asiles privés toute maison où un aliéné est traité même seul,

à moins que le tuteur, autorisé par le conseil de famille à se

charger du traitement, le conjoint, l'un des ascendants, l'un des

descendants, ou l'un des collatéraux jusqu'au quatrième degré

inclusivement, n'ait son domicile dans la même maison que le

malade ou ne préside personnellement aux soins qui lui sont

donnés, soit d'ailleurs qu'il lui donne lui-même ses soins, soit

qu'il les fasse donner par un tiers sous sa surveillance et sa res-

ponsabilité. »

M. Lacombe. Monsieur le président, je vous demanderai de

mettre aux voix ce paragraphe à l'exception des mots « ou l'un

des collatéraux jusqu'au quatrième degré inclusivement », car je

reconnais que c'est là une seconde question et qn'ily a des séna-

teurs qui pourraient vouloir voter ce paragraphe et ne pas éten-

dre la distance jusqu'au quatrième degré.

M. DELSOL, de sa place. Je demande à rappeler, au nom de la

commission...

Plusieurs sénateurs. A la tribune !

111. DELSOL, à la tribune. Messieurs, je monte à la tribune pour

que la question soit nettement posée. L'honorable M. Lacombe

propose, dans son amendement, une première modification à

la rédaction de la commission, qui est celle-ci : « A moins que

le tuteur, autorisé par le conseil de famille à se charger du

raitement. » Cette addition a été acceptée par la commission,

qui demande au Sénat delà voter. Je m'arrête là puisqu'on peut

v oter sur cette partie...

M. B.1RDOU1. Expliquez le reste !

M. DELSOL. Je m'explique sur le reste. La seconde niodificatioti

1 58 SÉNAT.

demandée par l'honorable M. Lacombe est celle-ci : « Le conjoint,

l'un des ascendants, l'un des descendants ou l'un des collatéraux

jusqu'au quatrième degré inclusivement. »

La commission n'a pas accepté celte seconde paitie de l'amen-

dement ; elle maintient sa première rédaction, qui n'excepte que

les ascendants, les descendants, le conjoint, le frère ou la soeur.

Elle s'en lient à cette première rédaction et je crois qu'il est inu-

tile que le développe devant le Sénat les motifs de sa décision

(Approbalion.)Mon honorable collègue et ami M. Lacombe pro-

pose une troisième modification, qui est ainsi conçue :

' A moins que le parent « n'aitson domicile dans la même mai-

son que le malade, ou ne préside personnellement aux soins qui

lui sont donnés ». Il substitue la disjonctive « ou » à la copula-

tive « et », qui se trouve dans la rédaction de la commission.

La commission n'accepte pas non plus celle substitution; elle

pense que lorsque le malade est dans une maison autre que celle

où réside le parent qui est chargé de le soigner et de veiller sur

son traitement, il n'y a plus là la garantie que la présence du pa-

rent donne dans l'hypothèse adoptée par la commission, et, en

conséquence, elle vous demande de conserver la rédaction que

nous avons d'abord proposée. (Très bien ! ) Enfin, la dernière par-

tie de l'amendement ajoute : « soit d'ailleurs qu'il lui donne lui-

même ses soins, soit qu'il les fasse donner par un tiers sous sa

surveillance et sa responsabilité. » Cette partie de l'amendement

disparait évidemment du moment que nous conservons la rédac-

tion de la commission et que nous n'admettons pas la substitution

de « ou » à « et » qui se trouve dans notre texte. -

M. LE Président. Dans ces conditions, si c'est l'avis de la com-

mission, il me semble impossible de procéder par division : car

enfin nous mettrons aux voix, si nous procédons par division exac-

tement la nouvelle rédaction de la commission.

M. Lacombe. Monsieur le président, je demande que l'on mette

aux voix le paragraphe entier, à l'exception des mots : «ou l'un des

collatéraux jusqu'au quatrième degré inclusivement.'» On procé-

derait alors à un second vote sur cette partie de l'amendement.

M. DELSOL. Maintenant, je dois m'expliquer sur la fin de l'a-

mendement de M. Lacombe.

Plusieurs sénateurs. Tout à l'heure ! Aux voix ! 1

M. LE Président. Monsieur Delsol, il vaudrait mieux réserver

cette partie de l'amendement. La question est déjà assez compli-

quée comme cela.

M. MoRrLLET. Je demande la parole.

M. LE Président. La parole est à M. Morellet.

M. 1\IOII.LLET. Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour une

SENAT. 159

question de mise en oeuvre de ce qui me parait être la pensée gé-

nérale du Sénat. Ce n'est point une proposition que je viens faire;

je recherche la lumière là où peut-être elle ne se trouve pas d'une

façon assez complète. Il y a, m'a-t-il semblé, deux questions bien

distinctes dont nous avons à nous occuper en ce moment : d'une

part, l'hypothèse où un aliéné est traité dans le domicile d'une

personne étrangère à sa famille ou bien dans le domicile de cer-

tains de ses parents à un degré éloigné; d'autre part, l'hypothèse

du traitement de l'aliéné chez certains de ses proches.

Eh bien, pour ces deux hypothèses profondément distinctes en

elles-mêmes, on me paraît avoir eu tort de les rassembler dans

un seul paragraphe sur lequel on vous propose de voter : le

paragraphe 2 de l'aiticle. lime semble quela loi ne perdrait

rien au fond et qu'elle gagnerait beaucoup en clarté si, au lieu de

nous présenter ces deux hypothèses absolument différentes, ma-

riées dans un seul paragraphe, on les disjoignait, on en faisait

deux paragraphes séparés.

Je n'ai pas la prétention de vous proposer un texte ; mais voici

à peu près qu'elle serait ma pensée : A partir du paragraphe 2,

l'article serait conçu, par exemple, en termes tels que ceux-ci;

« Paragraphe 2. - Tout chef de maison chez lequel une personne

est traitée, même seule, pour aliénation mentale est tenu d'en

adresser la déclaration écrite, dans le délai de... à partir de la

mise en traitement, au procureur de la République du domicile

de la personne traitée. » Voilà la première hypothèse réglée.

Quant à la seconde, voici, me semble-t-il, un texte auquel peut-

être la majorité du Sénat pourrait se rallier. « Paragraphe 3. -

Le chef de maison est dispensé de cette déclaration s'il est le

tuteur, le conjoint, l'un des ascendants ou l'un des descendants,

le frère ou la soeur du malade, s'il préside lui-même au traitement

et s'il réside dans la maison où il a lieu. » On ajouterait ensuite

un 4e paragraphe : « § 4.-Dans le cas prévu par le paragraphe 2

ci-dessus, la maison où a lieu le traitement est, pour la sur-

veillance, assimilée aux asiles privés. o

C'est exactement la pensée de la commission, je crois. Il n'y a

de différence que quant à la forme. Cette différence est de

nalure à diviser des choses qui sont absolument distinctes, et

peut-être à permettre un vote plus clair pour la plupart d'entre

nous.

M. DrLSOr., membre de la commission. Messieurs, la commission

n'accepte pas la rédaction nouvelle proposée par notre honorable

collègue. Elle vous demande de voter la rédaction qu'elle vous a

déjà soumise. (Très bien ! très bien ! à gauche.) Cette rédaction

est celle même que le Gouvernement vous avait proposée dans

son premier projet; nous nous y sommes ralliés et nous la con-

sidérons comme parfaitement claire. La disjonction proposée par

160 SÉNAT.

notre collègue n'ajouterait rien à cette clarté. (Marques d'appro-

bation sur les mêmes bancs.) En effet, la rédaction du Gouverne-

ment adoptée et proposée au Sénat par la commission, pose un

principe général, qui est celui de la surveillance, et tout de suite,

à côté du principe général, elle constate l'exception. Evidemment,

c'est la meilleure manière de donner du reliefà la fois au principe

qui est au commencement de la rédaction et à l'exception qui se

trouve à la fin. (Très bien ! Aux voix ! aux voix ! )

M. le Président. Insistez-vous, monsieur Morellet, pour qu'on

vote sur votre amendement ? Je crois que vous feriez bien d'atten-

dre la deuxième délibération ; ces amendements ainsi improvises

à la tribune jettent dans le débat une certaine confusion.

M. Morellet. Je n'insiste pas quant à présent. J'ai voulu faire

remarquer seulement qu'il est regrettable que deux hypothèses

absolument distinctes soient confondues dans un même para-

graphe.

M. LE Président. Maintenez-vous votre proposition ?

M. 1\101lELET. Je.la rattacherai à un amendement que je pro-

poserai plus tard, lors de la seconde délibération.

M. LE Président. Nous revenons alors à l'amendement de

M. Lacombe. Je mets aux voix le paragraphe dont j'ai donné

lecture et sur lequel la commission vientde s'expliquer,àl'excep-

tion des mots « ou l'un des collatéraux jusqu'au quatrième degré

inclusivement ». (Bruit.)

M. LE Président. L'amendement est accepté par la commission.

(Bruit.)

M. LE Président. Messieurs, si on n'écoute pas, je renonce vrai-

ment à expliquer le vote au Sénat. Je viens de dire qu'il était par-

faitement exact que, en dehors de la question que vous avez

adressée à M. Lacombe, la rédaction de la commission était, en

réalité, le fond de l'article de M. Lacombe ; mais M. Lacombe per-

si,tant à maintenir, dans son amendement, des dispositions que

vous repoussez, je dois mettre aux voix son amendement. (Assen-

timent.)

Voix à droite. Vous avez raison.

M. le Président. Je consulte donc de nouveau le Sénat sur l'a,

amendement présenté par M. Lacombe, sous la réserve des mots :

« ou l'un des collatéraux jusqu'au 4° degré inclusivement. »

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. LE Président. Je mets aux voix la second paragraphe proposé

par la commission et dont je donne une nouvelle lecture : « Est

assimilée, sous le rapport de la surveillance, aux asiles privés

toute maison où un aliéné est traité, même seul, à moins que le

SENAT. 161

tuteur autorisé par le conseil de famille, le conjoint, l'un des as-

cendants ou l'un des descendants, le frère ou la soeur du malade

n'ait son domicile dans la même maison et ne préside personnel-

lement aux soins qui lui sont donnés. » (Le paragraphe est

adopté.)

M. LE Président. Nous arrivons au troisième paragraphe. Je

donne lecture de l'amendement de M. Lacombe.

M. Lacombe. Il n'a plus d'utilité, monsieur le président, en pré-

sence de la modification proposée par la commission.

M. LE Président. Alors nous revenons à la rédaction de la com-

mission. J'en donne une nouvelle lecture :

« Nul en dehors des personnes ci-dessus exceptées peut soigner

un aliéné dans un domicile privé sans qu'il ait fait la déclaration

dans le délai d'un mois à partir de la mise en traitement de la

personne malade, au procureur de la République du domicile de

cette personne. » (Adopté.) « A défaut de déclaration, il pourra

être pourvu au placement de ladite personne conformément à

l'article 23 ci-après. » (Adopté.)

M. LE Président. Je mets aux voix l'ensemble de l'article 7. (L'en-

semble 7, mis aux voix est adopté.)

M. LE Président. Nous arrivons à l'article 8 : « Art. 8. Lors-

qu'un aliéné est traité dans son domicile ou dans le domicile de

son tuteur, de son conjoint ou de l'un des proches parents men-

tionnés au paragraphe 2 de l'article précédent, et que la nécessité

de le tenir enfermé a duré trois mois, le tuteur, conjoint ou parent

qui préside au traitement est tenu d'en faire par écrit, la déclara-

tion au procureur de la République de l'arrondissement de son

domicile. Il est joint à cette déclaration un rapport dressé par

un docteur en médecine conformément aux prescriptions du pa-

ragraphe 5 de l'article 16 de la présente loi.

« Le procureur de la République, après avoir transmis ces

pièces au secrétariat de la commission permanente des aliénés et

pris l'avis de cette commission peut, tant qu'il n'aura pas jugé né-

cessaire de recourir aux moyens de surveillance établis par la pré-

sente loi, décider que le tuteur, conjoint ou parent qui fait traiter

un aliéné dans les conditions ci-dessus indiquées est tenu seule-

ment d'envoyer un nouveau rapport médical à des intervalles dé-

terminés, et qui ne pourront pas excéder trois mois. »

M. LE Rapporteur. Je demande la parole.

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. le rapporteur.

M. LE Rapporteur. Messieurs, je n'ai pas été assez prompt pour

trouver avant la lecture que vient de faire M. le président, le texte

qui a été rédigé hier, d'accord avec le Gouvernement, à la suite

des observations présentées, dans la dernière séance, par l'hono-

Archives, t. XIV. il

162 SÉNAT.

rable M. Lacombe au sujet de l'amendement qu'il propose à l'ar-

ticle 8. La commission et M. le ministre de l'intérieur ont examiné

l'article 8, et se sont arrêtés en commun au texte que voici. M. le

président vient de donner lecture de l'article 8 ; mais au para-

graphe 2, il faut lire ainsi :

a Il est joint à cette déclaration un rapport circonstancié dressé

et signé par un docteur en médecine. Ce rapport doit indiquer

la date de la dernière visite faite au malade par le signataire,

sans que cette date puisse remonter à plus de huit jours; les

symptômes observés et les preuves de folie constatés personnelle-

ment par le signataire, ainsi que son appréciation sur la suffisance

des soins qui peuvent lui être fournis dans sa famille. »

Vient ensuite le paragraphe suivant, qui est ainsi modifié : « Le

procureur de la République peut, sur l'avis du médecin-inspec-

teur, décider que le tuteur, conjoint ou parent qui fait traiter un

aliéné dans les conditions ci-dessus indiquées, est tenu seulement

d'envoyer un nouveau rapport médical à des intervalles déter-

minés et qui ne pourront pas excéder trois mois. )1 .

L'article est complété par un paragraphe que je vais lire : « Dans

le cas où des mesures de surveillance plus complètes seraient

reconnues nécessaires, elles seront prises par le tribunal en

chambre du conseil. Le tribunal sera saisi, soit par le procureur

de la République, soit par un délégué spécial du conseil de famille.

La décision sera prise en présence du tuteur ou parent ou après

qu'ils auront été mis en demeure d'intervenir. »

La raison de ce dernier paragraphe est celle-ci : la commission

s'en rapportait dans le dispositif à la décision que prendrait le

procureur de la République, décision qui était celle ou de ne rien

faire, de laisser l'aliéné dans la situation qui existait précédem-

ment, ou bien, s'il s'assurait qu'il y avait quelque chose à faire,

de prendre une mesure, de s'adresser au tribunal qui seul, en

vertu de la loi nouvelle, peut prononcer un internement, un pla-

cement définitif de l'aliéné.

Mais on a insisté vivement en disant que cette dernière solution

que le procureur de la République pouvait apporter la situation

de l'aliéné pour décider un internement, il était bon qu'elle fût

insérée dans l'article de la commision, que cela complétait la loi

d'une manière précise ; et il y a quelque chose de plus, c'est

qu'on voulait laisser aux parents, représentés par un délégué du

conseilde famille, le droit de provoquer lui-même cet internement.

Il a paru à la commission que ce cas pouvait se présenter, qu'il

pouvait y avoir utilité pour un aliéné à ce qu'un membre de la

famille dans ces conditions pût s'adresser au tribunal. Aussi le

dernier paragraphe dont je viens de donner lecture a-t-il été

accepté par la commission et par le Gouvernement. (Marques

d'approbation sur plusieurs bancs.)

SÉNAT. 163

M. LE Président. Sur cet article 8, il existe un amendement de

M. Lacombe qui reçoit, je crois, satisfaction par la nouvelle

rédaction.

M. LACOMBE. Pas complètement, monsieur le président.

M. LE Président. La parole est à M. Lacombe.

M. Lacombe. Messieurs, le Sénat comprendra aisément combien

il est difficile, sur la lecture assez rapide qui a été faite à la tri-

hune d'un article un peu long comme celui qui est soumis en

ce moment à vos délibérations, d'apprécier d'une manière exacte

tout ce qui peut résulter de la nouvelle rédaction proposée. J'ai

cherché cependant à suivre très attentivement le texte nouveau

proposé par la commission, et voici, je crois, les seuls points sur

lesquels je diffère aujourd'hui de cette nouvelle rédaction. Ils'agit

d'un cas où un aliéné est séquestré, c'est-à-dire où il est retenu

chez lui par la force.

J'avais demandé à la commission d'introduire ces mots « par

voie de coercition » dans le texte même de l'article. Je l'avais

demandé, parce que cet article, tel qu'il a été rédigé par la

commission, m'avait paru trop vague. J'en trouvais la preuve en

ce que, à la dernière séance, l'honorable M. Roger-Marvaise n'avait

pas compris qu'il s'agissait dans l'article 8 du cas seulement où

une coercition est nécessaire. C'est un membre de la commission,

M. Delsol, qui estvenuapportercetteappréciationde lacommission

à la tribune. J'ai demandé qu'une déclaration aussi importante

ne restât pas noyée dans le débat oral, et que ces mots « par voie

de coercition » figurassent dans le texte même de l'arlicle.

Mon amendement avait un autre but : c'est de dispenser l'ascen-

dant et le conjoint de toute déclaration. Il me semble que, quels

que soient les doutes que l'on a émis tout à l'heure sur l'insuffisance

des soins que pouvait efficacement donner la famille au cas d'alié-

nation mentale de l'un de ses membres, lorsque c'est par les

parents les plus proches, par ceux dont l'affection est considérée

comme offrant la garantie la plus indiscutable, que les soinssont

donnés, on devrait établir la dispense de toute mesure spéciale de

surveillance. Je conviens qu'il faut être plus réservé que lorsqu'il il

s'agissait des dispositions de l'article 7, et que l'on ne peut exiger

en ce cas un degré de parenté plus rapproché; aussi ai-je limité

l'exception au cas où les soins seraient donnés par l'ascendant et

le conjoint. C'est à ce point de vue que je maintiens mon amen-

dement. l.

M. DELSOL,. Je demande la parole.

. M. LE Président. La parole est à M. Delsol.

M. DELSOL. Messieurs, les observations que mon honorable

collègue et ami M. Lacombe vient de présenter au Sénat, s'appli-

quent à deux points de son amendement. D'abord il a demandé

164 '1 SÉNAT.

que le Sénat ajoutât à ces expressions qui figurent dans le projet

de la commission : « la nécessité de le tenir enfermé », ces mots :

« par voie de coercition ». A la dernière séance, j'avais déclaré

au Sénat, et je déclare encore aujourd'hui que cette expression :

« la nécessilé de tenir le malade enfermé », implique par elle-

même une idée de contrainte et de coercition.

La commission, après avoir délibéré sur l'addition proposée par

M. Lacombe, a pensé que véritablement elle n'étaitpas nécessaire.

Nous employons les expressions les plus fortes ; nous disons qu'il

y a nécessité de tenir le malade enfermé. Cela veut bien dire

évidemment qu'il subit une contrainte sur sa personne, une

coercition, qu'il est enfermé dans un local où il ne peut s'échap-

per. Nous ne pensons donc pas que la confusion que redoute

l'auteur de l'amendement puisse jamais se produire, et nous main-

tenons notre rédaction telle que nous l'avions d'abord proposée.

En second lieu, notre honorable collègue propose de dispenser

les ascendants et le conjoint de toute déclaration, même lorsqu'il

y a eu contrainte physique, coercition exercée sur le malade pen-

dant une période de trois mois. Nous : ne sommes pas d'avis de

leur accorder cette dispense. Il y a là, en effet, une circonstance

extrêmement grave : il y a eu privation de la liberté individuelle

depuis plus de trois mois, et il n'y a qu'une présomption qui ne

peut être complètement justifiée.

M. DE GAVARD1E. C'est justement là la question !

M. DELSOL. Dans tous les cas, il est possible que ce malade, qui

est évidemment un agité, qui a des accès de fureur, ne puisse

pas recevoir dans sa famille les soins qui sont indispensables à sa

santé et à sa sécurité. En conséquence, en présence de ce fait de

contrainte, de coercition durant plus de trois mois, nous deman-

dons que les ascendants et le conjoint soient soumis à la règle

générale qui les oblige à faire une déclaration. (Très bien ! très

bien ! )

M. LE Président. Personne ne demande plus la parole ? ... Nous

allons procéder par voie de réserve et par voie de division.

M. Lacombe demande l'adjonction de ces mots : « par voie de

coercition », et, de plus, il demande « que les ascendants et le

conjoint ne soient pas tenus de faire la déclaration prévue par

le paragraphe 1er de l'article 8 ». Je vais donc consulter le Sénat

sur ce paragraphe sous cette double réserve, que je soumettrai

ensuite au Sénat. (La première partiede l'article 8, mise aux voix,

est adoptée.)

M. LE Président. Après ces mots : «le tuteur, conjoint ou parent

qui préside... » M. Lacombe demande qu'on joigne ceux-ci : « les

ascendants elle conjoint. » Je consulte le Sénat. (Cette disposition

additionnelle n'est pas adoptée.)

SENAT. 165

M. LE Président. Je mets maintenant aux voix ces mots : «... par

voie de coercition. » (Cette disposition additionnelle n'est pas

adoptée.)

M. LE Président. Je donne une nouvelle lecture du paragraphes :

« Il est joint à cette déclaration un rapport circonstancié

dressé et signé par un docteur en médecine. Ce rapport doit

indiquer la date de la dernière visite faite au malade par le

signataire, sans que cette date puisse remonter à plus de huit

jours ; les symptômes observés et les preuves de folie constatées

personnellement par le signataire, ainsi que son appréciation sur

la suffisance des soins qui peuvent lui être fournis dans sa fa-

mille.» (Adopté.)

« § 3. Le procureur de la République peut, sur l'avis du

médecin-inspecteur, décider que le tuteur, conjoint ou parent

qui fait traiter un aliéné dans les conditions ci-dessus indiquées,

est tenu seulement d'envoyer un nouveau rapport médical à des

intervalles déterminés et qui ne pourront pas excéder trois mois. »

M. Lacombe. Je demande à présenter une observation de ma

place. Ce paragraphe préjuge la création des fonctionnaires ins-

pecteurs. Jusqu'à présent, on avait réservé tout ce qui était relatif

à cette création.

M. LE Ministre DE L'INTÉRIEUR. Vous avez parfaitement raison !

M. DELSOL. La commission accepte l'ajournement du para-

graphe.

M. LE PRÉSIDENT. M. Lacombe demande, d'accord avec la

commission et le Gouvernement, que le paragraphe soit réservé.

Il n'y a pas d'opposition ? ... (Le paragraphe est réservé.)

M. DE GAVARDIE On devrait réserver l'article tout entier.

M. LE Président. Non, monsieur de Gavardie, ce n'est pas lace

qui a été proposé ; si vous le voulez, vous pouvez en faire la pro-

position pour votre compte.

M. DE GAVARDIE,. J'en fais alors la demande au Sénat.

M. LE Président. M. de Gavardie propose de réserver l'article

tout entier. Je mets aux voix cette proposition. (Le Sénat, con-

sulté, n'adopte pas la proposition de M. de Gavardie.)

M. LE Président. Je donne lecture du dernier paragraphe :

« Dans le cas où des mesures de surveillance plus complète

seraient reconnues nécessaires, elles seront prescrites par le tri-

hunal en chambre du conseil. Le tribunal sera saisi, soit par le

procureur de la République, soit par un délégué spécial du con-

seil de famille. La décision sera prise en présence du tuteur ou

parent, ou après qu'ils auront été mis en demeure d'intervenir. »

(Le paragraphe, mis aux voix, est adopté.)

166 sénat.

M. LE Président. Je ne mets pas aux voix l'ensemble, puisqu'il

y a un paragraphe réservé.

M. DE GAVARDIE. Peut-on demander la parole sur l'ensemble des

paragraphes votés ?

M. LE Président. Non, monsieur de Gavardie, vous aurez la parole

quand on votera sur l'ensemble de l'article.

M. de GAV.aRDIE. Il y aura alors un préjugé...

M. LE Président. Veuillez me laisser vous répondre. C'est déjà

par exception qu'on vous accorde, à vous, personnellement le

droit de parler sur l'ensemble d'un article. Mais il ne s'agit pas de

cela pour le moment; ce n'est que quand le Sénat sera appelé à

voter sur l'ensemble de l'article que vous pourrez prendre la

parole.

M. DE Gavardie. Et je vous le promets ! (Rires.)

M. LE Président. Je n'en doute pas, monsieur de Gavardie.

(Nouveaux rires.)

« Art. 9. Des règlements d'administration publique déter-

mineront :

« 1° Les devoirs et attributions des commissions de surveillance

administrative et financière des asiles publics d'aliénés, des

médecins-directeurs, médecins en chef et adjoints, et autres fonc-

tionnaires et employés de ces établissements; des médecins pré-

posés responsables, des préposés responsables, des médecins

adjoints des quartiers d'hospice; des médecins en chef et adjoints

des asiles privés faisant fonction d'asiles publics ;

« 2° Les conditions auxquelles sont accordées les autorisations

énoncées en l'article 7; les cas où ces autorisations peuvent être

retirées; les obligations auxquelles sont soumis les établisse-

ment prives autorisés; les bases sur lesquelles doit être calculé le

montant des cautionnements ;

« 3° Lesconditions d'organisation et de fonctionnement des asiles

privés faisant fonction d'asiles publics, ainsi que les conditions

du retrait d'autorisation et de la mise en régie de ces établisse-

ments, prévues par l'article 5 de la présente loi ;

« 4° Les conditions d'organisation, de fonctionnement et de

surveillance des établissements prévus par les deux derniers

paragraphes de l'article 1 cr de la présente loi; des quartiers d'ob-

servation annexés aux établissements publics ou privés d'aliénés

ainsi que les quartiers ou locaux établis pour le dépôt provisoire

des aliénés non encore internés, ou pour les expertises médico-

légales sur l'état mental des inculpés, dans l'hospice ou hôpital

de tout chef-lieu judiciaire où il n'existe pas un asile public d'a-

iénés ou un asile privé faisant fonction d'asile public;

« 5° Les bases sur lesquelles seront établies les taxes propor-

VARIA. 167

tionnelles pour frais de surveillance des aliénés et autres dépenses

en vue desquelles est constitué le fonds commun prévu par l'ar-

ticle 48 de la présente loi ;

« 6° Les bases générales du concours des communes à la dépense

des aliénés indigents et les règles à suivre pour appliquer ces

bases aux diverses communes et fixer la proportion du concours

à exiger d'elles;

« 7o Les conditions de recrutement, de traitement, d'avan-

cement et de mise à la retraite des surveillants et gardiens em-

ployés dans les établissements publics d'aliénés. »

M. LACOMBE. Je demande qu'on réserve le paragraphe ;i.

M. LE Ministre de l'intérieur. Je le demande également. Ce

paragraphe prévoit, en effet, la taxe proportionnelle sur les alié-

nés. Or, avant d'établir les bases sur lesquelles cette taxe sera

établie, il faut savoir si la taxe elle-même sera acceptée par le

Sénat. C'est pourquoi je me joins à M. Lacombe pour demander

que le paragraphe 5 soit réservé. (Très bien ! ) ! )

M. de Gavardie. Il faut réserver tout l'article ! (A suivre.)

VARIA

COURTE NARRATION

SUR

-UNE JEUNE FILLE QUI VÉCUT SANS BOIRE NI MANGER

Par GÉRARD BUCOLDIANUS

Il existe une ville appelée Roed, cité de l'empire, située sur

le Rhin, et distante d'environ deux milles de Spire. En

l'an 1539, il y avait dans cette ville une jeune fille appelée

Marguerite. Son père se nommait Sevfrit Vueis et sa mère

Barbara. Parvenue à peu près à l'âge de dix ans, elle fut

prise à la Saint-Michel de douleurs de tête et de ventre. Mais,

le mal était plus persistant qu'intolérable, et ne la forçait pas

à garder le lit. Durant ce temps, elle commença cependant à

ressentir de jour en jour un plus grand dégoût pour les ali-

ments. Ses excréments diminuaient graduellement. Depuis

168 VARIA.

le dimanche de la Nativité, dernier jour où elle prit quelque

nourriture, elle ne put désormais absorber quoique ce fut.

Pourtant, elle n'avait pas encore l'horreur de la boisson.

A l'approche de l'année r ç4o, comme elle se plaignait

encore beaucoup de douleurs de ventre et de tête, et que, vers

le commencement de cette année, ses pieds et ses mains

quasi-contractés, ne pouvaient plus remplir leurs fonctions.

Le père inquiet sur le sort de sa fille, et dans l'espoir de trou-

ver guérison à sa maladie, recourut aux consultations des

médecins. Une vieille femme que les paysans du pays con-

sultent pour tous les maux, bien plus que les médecins, lui

ordonna de lui faire prendre deux bains par jour, et de lui

faire faire usage d'une décoction de certaines herbes. On en

fit en vain l'essai pendant huit jours, après lesquels on s'ar-

rêta. Peu de temps après, une autre femme, du genre de ces

charlatans qui passent de temps à autre dans les bourgs et

dans les villes, et vendent aux habitants des campagnes toutes

sortes de drogues, donna au père quelques racines d'herbes

à propriétés merveilleuses. On fit avec ces plantes, des bains

qu'elle prit deux fois par jour, un avant, et l'autre après midi.

Au bout de quatre semaines, la jeune fille recouvra sa santé

première. L'usage des pieds et des mains qu'elle avait aupara-

vant perdu, lui revint en même temps.

Ces faits se passaient quelque temps après Pâques. Tout à

coup, elle fut saisie comme jadis d'un tel dégoût de la nour-

riture et de la boisson, qu'après les fêtes et jusqu'à ce jour,

elle refusa absolument de manger, ne but même pas et ne

rendit pas la moindre goutte d'urine. Toute cette année 1540,

et surtout l'été, furent d'une chaleur et d'une sécheresse

extrêmes, telles que de mémoire d'homme, on n'en avait

encore jamais vu. Aussi, le singulier phénomène de voir une

jeune fille refuser toute boisson à pareille époque, attira-t-il

grandement l'attention sur son pays.

L'année suivante, I 5 3 r, la renommée de la jeune fille se

répandait déjà de toutes parts. Elle parvint aux oreilles du

suzerain de ce lieu, l'évêque de Spire. Ce dernier donna mis-

sion au juge même de la ville de s'adjoindre une personne

sûre et de lui faire un rapport sur le mal dont souffrait la

jeune fille. Deux gardiens furent donnés à celle-ci. Pendant

dix jours et dix nuits, ils se tinrent en observation auprès

d'elle. A cet effet, on l'avait transportée dans la maison du

varia. 169

prêtre du lieu, qu'on nomme vulgairement pasteur. Cette

expérience fut faite pendant la semaine sainte, et comme, on

put prouver qu'aucune fraude ne s'était produite, on la

laissa aller, et elle put retourner, chez elle. Quelques mois

après, le gouverneur d'une citadelle voisine, dépendant d'un

fief de l'évêque et que nous appelons Ciffelinck, fut délégué

pour étudier plus particulièrement le cas. Il fit venir la jeune

fille et la fit enfermer dans la citadelle, où il la garda cinq

jours. Durant ce temps, comme elle n'avait eu aucun besoin

de manger ni de boire, le gouverneur, convaincu que ce

qu'elle avait fait auparavant était vrai, la renvoya chez ses

parents.

Toute cette année s'écoula sans qu'elle ne but ni mangeât.

L'an suivant, I sq.2, au moment où Ferdinand, roi des Ro-

mains, allait entreprendre la guerre contre les Turcs, ce

grand monarque se rendant à la diète impériale, se rendit à

Spire. Plein de confiance sur le cas présenté par la jeune

fille, et, poussé par la curiosité, il la fit venir vers lui au mois

de février. Elle était seule avec son père. L'enfant avait à

cette époque dépassé sa douzième année, et, pour son âge,

elle était bien proportionnée sous tous les rapports, comme

taille et comme ensemble. Ses yeux tiraient d'une façon indé-

cise entre le bleu et le vert, et, pour une fille de campagne,

elle possédait un visage distingué. Son esprit était gai et

naturel. Sa Majesté, convaincue des preuves irrécusables

qu'on lui avait faites sur ce jeûne si étonnant, qui, non seule-

ment avait attiré l'attention de tous les grands personnages,

mais encore celle de ses physiciens, pensa qu'il pouvait y

avoir intérêt pour la gloire de son pays, à faire examiner ce

cas le plus promptement possible.

Pour ces raisons, il voulut que je la reçusse dans mon hôpi-

tal et que je procédasse sur-le-champ à son examen. On fit

venir un homme habitué à la garde des malades. Il se nom-

mait Hans Grau, natif de Vienne, reconnu pour son hono-

rabilité et son activité. Il fut chargé d'assister la jeune fille et

de ne pas la quitter des yeux un seul instant. On fit déposer

à cette dernière ses vieux vêtements, elle fut revêtue d'ha-

bits tout neufs offerts par le roi, et, hâtons-nous de le dire,

elle fut examinée avec la plus grande diligence. Pressée

durant ce temps de boire ou de manger certaines de ces frian-

d ises qu'on aime tant à cet âge, elle refusa toujours.

170 VARIA.

Ce qui causa surtout le plus grand étonnement, c'est que,

quoiqu'elle n'eut absorbé ni liquides ni solides, à la suite

d'une de ces contrariétés si communes aux enfants de son

âge, elle se mettait à pleurer, et d'abondantes humeurs sor-

taient de son nez ainsi que de ses yeux. Il arriva bien plus :

son corps tout entier se recouvrit de boutons et de pustules

phlegmoneuses. Elle se trouvait au mieux dans un lit bien

chaud, la transpiration étant peut-être plus grande et com-

battant la faiblesse de son corps. Toutefois, un sommeil tout

à fait naturel et tranquille la saisit. Mais, à l'inspiration

comme à l'expiration, la partie de l'estomac et celle du bas-

ventre qui est légèrement rentrée, ne se dilate pas comme il

faut. Quant aux viscères, le foie et la rate ne présentent rien

de sensible au palper. Après un examen approfondi de sa

bouche nous la trouvons toujours sèche et en sécrétant jamais

aucune salive. En priant le sujet avec instance de boire quel-

que chose, elle consent à tremper le bout de ses lèvres dans

un verre contenant de l'eau ou du vin; mais elle ne peut

rien garder dans sa bouche un seul instant, pas même une

gouttelette, sans la rejeter immédiatement, tant sa répugnance

est grande.

Nous poursuivions cette opération depuis douze jours.

L'idéede boire et de manger n'entraient jamais dans ses désirs,

et, malgré cela, les battements de son pouls, l'état station-

naire de son ensemble, en un mot, toutes les facultés du corps

persistaient continuellement. Sa Majesté royale la fit rappeler

près d'elle, et Ferdinand, rempli d'admiration, la combla de

présents, puis il la fit reconduire chez ses parents.

Eh ! bien, Dieu me damne ! ceci pourra sembler extraor-

dinaire aux philosophes et aux physiciens : la jeune fille se

porte bien, grandit. Une chaleur naturelle règne en tout son

corps. La respiration est normale, les yeux, les narines et les

oreilles exhalent leurs humeurs particulières, le corps est

recouvert de pustules phlegmoneuses, elle parle, elle plcure,

elle rit, fait tout ce que font les enfants de son âge, selon le

lieu où ils se trouvent et d'après l'époque de la saison, mais,

durant cela, elle ne mange pas, ne boit aucunement et ne

rend ni urine ni excréments solides ! 1

D'après les expériences faites sur les individus, il a été

prouvé que la chaleur du corps, en desséchant les parties

humides, avait toujours eu une action efficace, et que le feu

VARIA. 171

régnant dans le coeur, avait toujours été alimenté par une

inspiration et une expiration continuelles de l'air.

D'où vient cependant chez notre sujet, la suppression totale

de l'envie de manger et de boire, puisque tout ce qui est

absorbé doit s'éliminer et disparaître par la transpiration ?

Comment se fait-il qu'une si grande chaleur naturelle per-

siste chez cette jeune fille, puisque son coeur réclame un con-

tinuel rafraîchissement ? Sur ce point (on y est amené par la

singularité du fait), tous les jugements sont différents. Je n'y

vois à vrai dire, et les événements en sont la cause, que toutes

les personnes qui l'ont observée ne sont pas d'accord, et pour

ma part, je dois avouer que tout le monde s'entend pour

mettre cet étonnant prodige sur le dos du diable ou de Dieu,

ou l'attribuer à quelque sortilège. Il me semble que tout

cela me paraît bien invraisemblable et n'est pas de ma com-

pétence, et je comprends volontiers que les physiciens ne

sachent à quoi s'en tenir sur ces deux versions.

En premier lieu, l'humeur qui par suite de la maladie a

séjourné longtemps dans le corps, n'aurait-elle pas pu servir

de nourriture à l'organisme ? Si cela est vrai, il ne faut pas

regarder ces phlegmons et ces pustules comme lymphatiques

et bilieux, car le sang qui nourrit tout le corps est l'humeur

médiane et essentielle qui se répand dans les pustules et les

phlegmons, ainsi que dans la lymphe et dans la bile. Si on

laisse à ces humeurs acides le temps de se convertir en sang,

elles peuvent servir de nourriture au corps. Bien plus, elles

sont consumées parce qu'elles ont dépassé la température du

sang, et étant devenues à l'état d'excréments indéfiniment

retenus, ne nourrissent plus il est vrai le corps, mais ne

peuvent lui nuire. Ces faits prouvent que ceux qui préten-

dirent qu'un jour à Rome, un homme avait vécu de l'hu-

meur bilieuse, se sont grandement trompés, et il n'y a que

des auteurs ignorants pour faire venir la bile de l'humeur

phlegmoneuse.

En second lieu, il peut se présenter dans cette dissertation

une nouvelle hypothèse. Par l'inspiration et l'expiration, et

par suite du sommeil long et tranquille, dont jouit la jeune

fille, le coeur ne pourrait-il pas, pendant ce sommeil, en

humectant le cerveau, conserver aussi la chaleur vitale et

animale, et, certaine matière pénétrante et séreuse, en redes-

cendant de la tête dans les parties inférieures du corps, ne

172 VARIA.

restituerait-elle pas à ce dernier ce qui s'en exhale ou trans-

pire ? Mais, que l'alimentation du corps soit faite par l'hu-

meur phlegmoneuse ou par les viscosités, qu'elle vienne du

coeur, d'une grande humidité du cerveau ou de toute autre

cause, je n'ai.pas la prétention d'approfondir le fait. Je mets

en première ligne ce que j'ai avancé, laissant à chacun la

liberté de juger le cas comme il l'entend, de peur de passer

pour paradoxal, en voulant rendre naturel et compréhen-

cible un mystère plus obscur que l'origine des Cimmériens',

mon dessein n'ayant été que de rapporter brièvement ce que

j'ai vu comme une chose certaine. C'est pourquoi, s'il se trouve

des personnes qui ne soient pas convaincues et qui traitent

d'invraisemblable ce que j'ai vu durant le jeûne de la jeune

fille, le seul mal que je leur souhaite, c'est qu'ils ne se voient

jamais forcés de subir eux-mêmes cette maladie, même quel-

ques jours, et amenés de la sorte, et bien malgré eux, à cette

conviction. C'est ce que je désire également pour moi, qui,

avant d'avoir examiné ce cas, étais l'homme le plus incrédule

du monde, et aujourd'hui ne le suis plus.

Voici tout ce qu'a écrit Bucoldianus sur la jeune fille de

Spire. Bien qu'il n'eût pour cette histoire qu'une médiocre

admiration, et l'eût mise à la fin de ses narrations choisies

parmi quelques récits de cette nature sur les jeûnes extraor-

dinaires, nous avons jugé convenable de publier dans ce

livre ce qu'il a recueilli des auteurs mêmes de ces récits,

et de reproduire fidèlement ce qu'ils ont avancé. Nous' com-

mençons donc par mettre en première ligne la savante

lettre écrite sur cette même jeune fille par Jean Langius.

(Traduit du latin par Atsm Rousselet.) (A suivre.)

Assistance publique : les aliénés dans LES hôpitaux ET hospices

DE province.

On croirait qu'après la réforme dont Ph. Pinel a été le promo-

teur, après les améliorations réclamées par Esquirol, Ferrus et

leurs élèves, après les transformations rendues nécessaires par la

loi du 30 juin 1838, l'assistance publique des aliénés est parfaite.

Eh bien ! il n'en est malheureusement pas ainsi et il y a encore

bien des réformes à opérer. Voici quelques faits à l'appui :

1 Les Cimmériens étaient un peuple fabuleux de l'Italie.

varia. 173 3

1° A 1 Hôtel-Dieu de Cbâleau-Tbierry, les deux cabanons sont

situés au premier étage de l'ancien bâtiment de la boulangerie,

au-dessus de « l'ensevelissoir», très loin de l'hôpital et loin de tout

secours. Chaque cabanon possède une demi-fenêtre et une porte

munie de deux forts verrous et percée d'un judas. Dans l'un des

cabanons, sont disposés quatre montants en bois avec traverse,

servant à recevoir une paillasse; dans l'autre il y a un lit eu fer

mobile. Les aliénés sont conservés quinze jours et quelquefois

davantage. Les médecins de l'hôpital se plaignent d'autant plus

vivement de cet état de choses qu'il n'y a personne pour garder

ces malades.

2° L'118te1-Dieu d'Epernay dispose de deux cabanons, sans sur-

veillance, éclairés par une ouverture pratiquée dans le toit, rap-

pelant la forme d'une cheminée et dont la porte est munie de

verrous et de barreaux. La fenêtre qui existait dans chaque cel-

lule a été supprimée à la suite de la pendaison d'un aliené. On

envoie les malades au bout de deux ou trois jours, rarement plus,

à l'asile de Châluns.

3° La Maison des vieillards et des orphelins de Lunéville possède

deux cellules, situées dans un petit bâtiment de la basse-cour,

contiguës d'un côté à la porcherie, de l'autre àla salle des morts,

loin de toute surveillance. Ces cellules ont été construites en

1885-1886. Les malades sont gardés 4, 8 ou 6 jours.

4° A l'hôpital civil et militaire de Saint-Dié, le cabanon unique

est placé dans un petit bâtiment isolé situé dans un coin du clos, à

côté d'un ancien cabanon transformé en salle d'autopsie. Le ma-

ladey est abandonné à lui-même. Le cabanon a une porte pleine,

sans judas, et est éclairé par une toute petite fenêtre munie de

barreaux, percée immédiatement au-dessous du plafond. Les alié-

nés n'y séjournent que 24 ou 48 heures. Ils sont envoyés à

l'hôpital d'Epinal et de là àMaréville.

5° Les trois cabanons de l'hôpital-hospice de Remiremont se

trouventdans un petit pavillon isolé situé dans la courdelabuan-

derie, des chantiers et de la salle des morts. Le jour provient d'une

petite fenêtre, de 20 centimètres sur 50 environ, située au voi-

sinage du plafond. On ne peut s'en servir en hiver, parce qu'ils

ne sont pas chauffés. En général, les malades sont dirigés sur

l'hôpital d'Epinal au bout de deux ou trois jours. Onal'habitude,

qui est loin d'être exempte de dangers, de conserver les aliénés

tranquilles; nous en avons vu deux au mois de septembre dernier.

6° L'hôpital Saint-Maurice d'Epinal est doté d'un pavillon d'un

étage, isolé de l'hôpital, placé dans un vaste jardin potager. Il

est divisé en deux parties par un couloir et l'escalier. A droite

sont les hommes et à gauche les femmes. Le rez-de-chaussée

comprend les cellules avec préau extérieur, un cabinet avec bai-

gnoire, un réfectoire, le bureau des gardiens, etc. Le premier

174 varia. ·

étage est divisé en deux dortoirs. Le service est fait par un infir-

mier etune infirmière. Le pavillon reçoit les autres aliénés des

autres hôpitaux du département. On les garde durant dix à

quinze jours en observation, puis on les renvoie s'ils sont guéris,

ou, en cas contraire on les dirige sur Maréville.

7° A Belfort, les cabanons sont au rez-de-chaussée d'un bâtiment

dont le premier étage, dans un état misérable, est consacré à une

autre catégorie de malades déshérités, les vénériennes. Ces caba-

nons qui servent de cachot à ces derniers' sont auprès de la buan-

. derie et séparés par une cour du reste de l'hospice. Les aliénés y

séjournent deux, trois semaines, parfois un mois avant d'être en-

voyés à l'asile de Dôle.

8° L'hôpital de la Charité de Langres possède deux cabanons si-

tués dans le sons-sol, à côté des bains. Les aliénés n'y resteraient

pas plus d'un jour ou deux.

9° A l'hôpital Saint-Nicolas de l3arsur-Auhe, les aliénés sont

logés dans deux cabanons situés dans un des bâtiments de la

basse-cour où on les garde une, deux ou trois semaines avant

de les envoyer à l'asile de Saint-Dizier.

10° A Troyes, les cabanons sont dans un bâtiment isolé qui leur

est commun avec les vénériennes. A cause de cette disposition, la

surveillance laisse moins à désirer. On les conserve huit, quinze

ou vingt jours avant de les envoyer à l'asile de Saint-Dizier.

Tous ces faits montrent combien l'assistance des aliénés laisse

encore à désirer et que toute trace d'emprisonnement est loin

d'avoir disparu. On doit blâmer la mauvaise organisation des

cabanons ou plutôt des cachots ; leur situation dans des bâti-

ments éloignés du reste de l'hôpital, dans des communs, à côté

d'écuries, de telle sorte que le malade est absolument en dehors

de toute surveillance. On doit blâmer le 5éjoll1'p¡'olongé des aliénés

dans des cabanons-cachots et parfois aussi leur transfert d'un hô-

pital dans un autre, alors qu'il y aurait le plus grand intérêt à

diriger le malade de suite sur l'asile de la circonscription.

Pour remédier cette triste situation, il y aurait à réaliser trois

réformes, dont deux n'entraîneraient aucune dépense.

Le Ministre de l'intérieur peut exiger de ses préfets et sous-

préfets que les malades aliénés soient transférés dans les vingt-

quatre heures à l'asile départemental. On ne conçoit pas qu'avec

le télégraphe qui permet d'avoir vite une réponse sur les forma-

lités administratives et avec les chemins de fer qui existent

presque partout et ont rendu les communications rapides et com-

modes, on abandonne les malades dans des cabanons, sans soins,

sans traitement, exposés à des accidents de tout genre. Nulle

' Cette pratique existe dans d'autres hôpitaux.

faits DIVERS 175

difficulté non plus, au sujet de l'interdiction du transfert succes-

sif des aliénés dans deux hôpitaux : un ordre formel aux préfets et

ces voyages dispendieux, et non sans périls, seraient supprimés.

Reste la transformation des cabanons en chambres d'isolement

convenablement disposées et ne rappelant plus en rien le souvenir

de l'emprisonnement. Nous estimons qu'elle pourrait s'opérer fa-

cilement par l'intermédiaire des préfets donnant des instructions

précises aux maires, présidents des commissions hospitalières,

et aussi par l'intermédiaire des inspecteurs des établissements de

bienfaisance, qui verraient comment et dans quelle mesure les.

prescriptions ministérielles ont été exécutées. 13ounncmLL. -

FAITS DIVERS

Asiles D'ALIÉNÉS.- Nominations : M. le Dr LEMOINE, médecin ad-

joint à l'asile public d'Armentières, est nommé aux mêmes fonctions

a l'asile public de Bailleul (arrêté du 28 mai). M. le Dr Gilbert

PETIT, ancien interne des asiles publics de la Seine, est nommé

médecin adjoint (2e classe) à Armentières, en remplacement de

M. Lemoine (arrêté du 28 mai). M. le Dr P. KÉRAVAL, médecin

en chef de la colonie d'enfants arriérés de l'asile de Vaucluse, a

été nommé médecin-directeur de l'Asile de réforme d'Izeure

(Allier), appartenant au département de la Seine.

La manie DE construire DES asiles EN ECOSSE. - On dit des Ecos-

sais qu'ils sont très portés à l'économie. On ne le croirait pas à

voir leur passion croissante pour les énormes asiles du nord de

la Twed, si ça n'était pas un fait acquis que la construction des

asiles est positivement une manie. S'il n'en était pas ainsi, un

peuple clairvoyant et de sens ne serait jamais assez entêté pour

dissiper plusieurs centaines de mille livres chaque année, comme

nous faisons, à chercher des asiles pour les fous, au lieu de se

pourvoir d'hôpitaux de moyenne grandeur pour leur cure rapide.

Nos lois et notre système d'asiles tend directement à la culture

des maladies mentales dans leurs formes chroniques. Les obs-

tacles que la loi dans sa bêtise bienveillante met à un prompt

traitement et la pratique de grouper les fous dans de vastes

caravansérails, et de les traiter par catégories et non individuel-

lement, se combinent pour rendre improbable une guérison rapide.

11 n'y aura pas de changement radical à cet égard, tant qu'on

ne regardera pas les fines lésions du cerveau, aussi bien que les

lésions de l'écorce, comme une maladie ordinaire. C'est la sépa-

tion entrc les maladies physiques avec symptômes mentaux elles

176 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

maladies physiques sans ces phénomènes nommés arbitraire-

ment psychiques, quoiqu'il puisse y avoir du délire ou de l'exci-

tation impulsive, qui crée l'auomalie et fait tout le mal. Nous

sympathisons de tout coeur avec les contribuables qui gémissent

de l'aménagement des futurs asiles d'aliénés, et nous espérons

seulement qu'ils auront le courage d'y mettre un terme. (The

Lancet, février 1887.) En d'autres termes, mais sans être aussi

absolu, nous dirons que la tendance vraiment progressive c'est

de rapprocher le plus possible les Asiles des Hôpitaux ordinaires.

Nécrologie. Le Dr James STEWART JEWELL, de Chicago, et dé-

cédé le 18 avril dernier. Il était malade depuis environ cinq ans,

et depuis longtemps déjà, sa santé était très affaiblie. Né le 8 sep-

tembre 1837 à Galena, il prit ses grades au collège médical de

Chicago en 1860, et deux ans après, s'établit dans cette ville, où il

resta, s'occupant avec activité de sa clientèle jusqu'au moment de

sa mort. De 1864 à 1869, il fut professeur d'anatomie, et,

depuis 1872, il occupa la chaire des maladies mentales et ner-

veuses. En 1874, il fonda le Journal des maladies mentales et ner-

veuses, dont la prospérité ainsi que l'érudition sont connues. Le

Dr Jewell organisa encore l'American neurological Association.

C'était un espiit philosophique et laborieux, un médecin savant et

pratique à la fois. Il a rendu en neurologie de sérieux services à

la science américaine. (Médical Record, N. Y., 23 avril I g87. (A. R.)

Bibliographie méthodique des livres de médecine, chirurgie, pharmacie,

Art vétérinaire, etc., 1860-1887, suivie de la table générale des noms d'au-

teurs par ordre alphabétique. Brochure in-8° de 50 pages. - Cette

Bibliographie sera envoyée gratuitement aux abonnés des Archives de

Neurologie sur leur demande. S'adresser à M. Maloine, libraire, 91,

boulevard Saint-Germain.

Bzcner (Ch.). Essai de psychologie générale. Volume in-18 de

175 pages. Prix : 2 fr. Paris, 1887. Librairie F. Alcan.

LICHTIVITZ (L.). Les anesthésies hystériques des muqueuses et des

organes des sens et les zones hystérogènes des muqueuses. Recherches

cliniques. Volume in-8- de 182 pages. - Prix : 3 fr. - Paris, 1887.

Librairie J.-B. Baillière et fils.

LEEGAARD (Chr.). Elehtrotlaerapie. En kort FrcmsliUjng for Luger oy

studerente. Kristiania, 1887. Forlagt of H. Aschehoug et Ce.

Ziemssen (H.). Die eleklricilat in der medicin. Volume iii-8- de

462 pages, avec 60 figures et une planche lithographique. Berlin, 1887,

Hirschwal.

LLOYD (J.-11.1. - Moral izzsanity : A plea for a more exact cérébral

pathology. Brochure in-8o de 17 pages. Extrait du Journal ofnervous and

mental diseuse. - New-York, 1886. - Vail et C°, publishers. '

' Le rédacteur-gérant, BOURNEVILLE.

IhreU1. Ch. linnisser, 1111t : . - 787.

Vol. XIV. Septembre 1887. Nu 41

ARCHIVES DE NEUROLOGIE

PATHOLOGIE NERVEUSE

CONTRIBUTION A L'HISTOIRE DES MONOPLÉGIES PARTIELLES

DU MEMBRE SUPÉRIEUR, D'ORIGINE HYSTÉRO-TRAUMA-

TIQUE ;

Par H. RENDU, médecin agrégé de l'hôpital Necker.

La réalité des paralysies hystéro-traumatiques n'est

plus aujourd'hui à démontrer, et depuis deux ans,

grâce aux travaux de M. Charcot et de ses élèves, la

question a fait assez de progrès pour avoir pris droit

de domicile dans la pathologie courante. On sait ac-

tuellement que tous les ébranlements qui impression-

nent brusquement certains ' organismes prédisposés

peuvent déterminer des accidents divers, d'ordre pure-

ment psychique, caractérisés tantôt par une douleur

fixe articulaire, tantôt par une contracture rigide, le

plus souvent par une paralysie flasque.

Il n'est pas besoin pour, produire ces effets d'un

traumastisme intense : un simple choc, à peine dou-

loureux par lui-même, est susceptible, dans des con-

ditions déterminées, d'éveiller la prédisposition ner-

veuse et d'amener tous les phénomènes considérés

comme caractéristiques de l'hystérie; et cela, non seu-

Archives, t. XIV. 42

178 pathologie nerveuse.

lement à l'instant où s'exerce le traumatisme, mais

plusieurs jours, plusieurs semaines après. Les leçons de

M. Charcot, les thèses de Renard', de Quinqueton2,

de Batailler de Méchin4, celle si complète de M. Ber-

bez sont pleines de faits de ce genre, qui jettent un

jour tout nouveau sur l'interprétation de certaines pa-

ralysies plus ou moins généralisées, du sentiment et

du mouvement.

Notre intention, dans cette note, n'est pas de reve-

nir sur l'histoire générale de la paralysie psycho-trau-

matique, mais d'insister sur certaines monoplégies

partielles dont les allures cliniques sont assez spéciales,

encore incomplètement connues, et qui, bien que liées

intimement à l'hystérie, pourraient être au premier

abord facilement méconnues, tantla névrose qui leur

donne naissance est peu évidente. Nous voulons parler,

plus spécialement, de la paralysie partielle limitée à la

main et à une portion de l'avant-bras que nous avons

observée récemment sur une jeune fille à titre d'acci-

dent névropathique exclusif, et dont il existe quelques

autres exemples.

Avant d'exposer l'histoire de notre malade, il con-

vient de revenir en quelques lignes sur la description

des monoplégies hystéro-traumatiques du membre su-

périeur, afin d'être bien fixé sur leurs allures cliniques.

Les monoplégies complètes du bras et de l'avant-

bras sont assez fréquentes : il semble même que ce

1 Gilbert Renard.- De la contracture hystérique traumatique. Tl.1886.

Quinqueton. De l'hystérie chez l'homme, 1886.

3 Bataille. Traumatisme et névropathie, 1886.

. Méchin. Contribution à l'étude clinique des monoplégies bra-

chiales hystériques. Thèse 1887.

5 Berbcz. Hystérie et traumatisme. Thèse de Paris 1887.

DES MONOPLÉGIES PARTIELLES DU MEMBRE SUPÉRIEUR. 1 j ! )

soient les plus communes parmi les paralysies psy-

chiques d'origine traumatique. Elles affectent d'or-

dinaire la forme flasque, celle dans laquelle le membre

pend le long du corps, incapable d'être soulevé ou

écarté du tronc. Tous les muscles sont en pareil cas

intéressés, y compris ceux de l'épaule. Il n'y a ni con-

tracture, ni roideur musculaire, ni crampes, ni dou-

leurs spontanées : l'inertie est totale. La sensibilité ne

manque jamais d'être affectée d'une façon parallèle, et

toutesses modalités sont simultanément touchées à des

degrés variables, y compris la sensibilité articulaire.

M. Charcot a insisté surdeux caractères qui, à pre-

mière vue, prouvent d'une façon presque absolue la

nature psychique de ces paralysies. Le premier con-

siste dans la circonscription très particulière des trou-

bles de la sensibilité et du mouvement, qui s'arrêtent

brusquement, en procédant par segments de membres,

sans suivre la topographie anatomique des nerfs : le

second est tiré de la façon dont se comportent les mus-

cles sous l'influence de l'électricité. La contractilité

faradique en effet, n'est point abolie au niveau des ré-

gions paralysées, et l'on n'a jamais constaté jusqu'à

présent la réaction de dégénérescence, quelle que fût

l'ancienneté de la paralysie.

D'ordinaire, avons-nous dit, la monoplégie bra-

chiale est flasque d'emblée : cependant il y a des

exceptions à cette règle, et la première phase des acci-

dents peut être une contracture. Ainsi, dans l'obser-

vation de Chauffard', une chute sur la paume des

mains, à la suite de la rupture d'une échasse, donne

' A. Chauffard. Ga. hebd. de méd., 11° 21, p. 31l, 1886.

130 PATHOLOGIE NERVEUSE.

lieu à une vive douleur dans le membre supérieur

gauche. D'abord limitées à l'avant-bras et à la main,

ces douleurs s'étendent en quelques jours jusqu'à l'é-

paule et s'accompagnent d'une impotence fonction-

nelle de plus en plus grande. En moins de huit jours,

survient une contracture de tout le membre accompa-

gnée de rigidité et d'hypéresthésie cutanée, qui per-

siste pendant une année entière. Puis brusquement, à

la suite d'application de courants continus, cette con-

tracture disparaît et fait place à une paralysie flasque

fonctionnelle, laquelle dure deux ans et ne cesse que

sous l'influence du massage.

Il est à remarquer que dans ce fait, ainsi du reste

que dans la plupart des cas de paralysie psycho-trau-

matique, il n'y a pas une corrélation immédiate ni

instantanée entre la paralysie (ou la contracture) et le

choc. C'est d'ordinaire plusieurs jours après l'accident

que se montre l'impotence fonctionnelle; tout d'abord

.

le malade est endolori, comme après une simple con-

tusion ; la gêne dans les mouvements, la lourdeur et

l'inertie du membre, ne viennent que tardivement :

on dirait que le malade prépare et médite sa paralysie :

l'expression est-de M. Charcot.

Cela est si vrai, que l'intensité du choc joue en réa-

lité un rôle secondaire, et que les faits cliniques nous

montrent la monoplégie brachiale succédant aussi

franchement à une contusion médiocre qu'à un violent

traumatisme. Le relevé des observations les plus con-

nues de paralysie du membre supérieur est, à cet égard,

singulièrement instructif.

Voici des cas où le traumatisme initial paraît avoir

eu une certaine importance.

DES MONOPLÉGIES PARTIELLES DU MEMBRE SUPÉRIEUR. 181

Le malade présenté par Troisier à la Société médi-

cale des hôpitaux (23 mars 1885) et adressé par lui à

M. Charcot, était un cocher qui, tombant de son siège,

se contusionna fortement l'épaule. La paralysie du mou-

vement et de la sensibilité survint cinq ou six jours

après l'accident. (Voir Charcot, 111° vol., 20e et 21' le-

çons.)

Dans le' fait de Mercklen également étudié par

M. Charcot (lue volume, appendice 1, 2. p. 458 et

Berbez, obs. XXVI de la thèse), il s'agissait d'un

homme de peine tamponné à l'épaule entre un wagon

et une locomotive : malgré une forte contusion ac-

compagnée d'ecchymose, il n'y avait eu ni fracture ni

luxation; mais l'ébranlement et aussi l'impression

morale avaient été assez intenses pour que le malade

perdit connaissance pendant vingt minutes. Les jours

suivants, il y eut de l'affaiblissement progressif des

membres, et finalement, une monoplégie complète du

membre supérieur s'accentuant d'autant plus que la

motilité revenait dans les membres inférieurs. 'Ici en-

core, le développement de l'inertie fonctionnelle avait

été progressif ! .

Citons enfin le fait de Duponchel (Gaz. des hôpit.,

16 oct. 1886) qui concerne un cavalier lequel tombe

de cheval et se fait une fracture du radius. On le panse,

on l'immobilise, et ce n'est qu'après la levée de l'appa-

reil, deux mois après l'accident, que l'on constate une

monoplégie brachiale, évidemment hystérique.

En regard des observations où le choc a été violent

et capable de causer un ébranlement général, il en

1 Ces malades ont été présentés par JI. Terrillon il la Société de chi-

rurgie, 29 mai 1883.

f83 PATHOLOGIE NERVEUSE.

est d'autres où la paralysie a succédé à un trauma-

tisme insignifiant. Ainsi, un jeune homme de vingt

ans, observé par Féréol, eut une monoplégie tenace

du membre supérieur, à la suite d'un léger coup sur

l'épaule; un autre individu, soigné par le même mé-

decin, avait eu également une parésie analogue, sous

l'influence d'un choc (cité par Berbez). Nous avons eu

nous-même l'occasion de présenter à la Société des

hôpitaux (27 novembre 1885) un malade atteint de

monoplégie du membre supérieur droit, avec hémi-

anesthésie sensitive et sensorielle, consécutive à une

compression légère de l'épaule, survenue pendant le

sommeil de l'ivresse. Là encore, les phénomènes para-

lytiques furent aussi accusés et aussi durables que

dans les cas de traumatismes graves.

Ce qui frappe dans l'histoire de tous ces malades,

c'est la présence constante, avec fort peu de variantes,

des stigmates de l'hystérie. A côté du fait matériel de

la paralysie, on retrouve les principaux traits de la

névrose, avant tout les troubles de la sensibilité géné-

rale et spéciale. L'hémianesthésie sensitive et senso-

rielle fait rarement défaut; quelquefois' même, la sur-

face totale des téguments est frappée d'insensibilité,

ou bien encore présente des plaques d'anesthésie

disséminées. Ailleurs, ce seront des zones hypéresthé-

siques, alternant avec l'anesthésie, qui décèleront la

nature de la névrose, Enfin, la recherche des points

hystérogènes, susceptibles de déterminer par com-

pression, soit de vraies attaques de nerfs, soit des auras

incomplètes,' vient encore presque toujours confirmer

le diagnostic.

De tous ces stigmates hystériques, le plus constant

DES MONOPLÉGIES PARTIELLES DU MEMBRE SUPÉRIEUR. 183

et le plus sûr est sans aucun doute le rétrécissement

concentrique du champ visuel dont M. Charcot a dé-

montré toute l'importance. Les modifications dans la

perception des couleurs, signe clinique moins facile-

ment palpable, mais très topique quand il existe; la

polyopie monoculaire accompagnée le plus souvent de

perte de l'appréciation de la grandeur des objets (ma-

cropie ou micropie), enfin l'anesthésie pharyngienne

constituent des signes confirmatifs qui dans les cas

douteux rendent les plus grands services.

Nous sommes maintenant en mesure d'analyser les

cas frustes de monoplégie brachiale psycho-trauma-

tique, ceux dans lesquels un segment de membre, le

plus souvent la main et l'avant-bras, se trouve seul

intéressé.

Tout d'abord, il est des circonstances où le diagnos-

tic s'impose en quelque sorte; c'est quand la paralysie

partielle est manifestement consécutive à une attaque

d'hystérie bien caractérisée. Dans ces conditions,

l'impotence fonctionnelle de la main n'est qu'un épi-

sode (souvent tenace et durable, il est vrai) d'une mo-

noplégie, voire même d'une hémiplégie passagère.

Lumbroso', dans un intéressant mémoire sur la para-

lysie hystérique cite un fait de ce genre. Nous le repro-

duisons en le résumant.

Observation I. Cesira Poli, âgée de vingt-trois ans,

modiste, raconte que sept jours auparavant, elle fut prise d'un

accès convulsif qui dura une heure, sans perte de connaissance,

' Giacomo Lumbroso. Contributo alla diagnosi delle paralisi iste-

rische (Lo Speriuteialale, uov. et décembre 1886).

1811 - PATHOLOGIE NERVEUSE.

ni morsure de la langue, ni coma consécutif. Immédiatement

après l'attaque, elle remarqua qu'elle éprouvait une certaine

difficulté à remuer le bras droit, lequel était d'autre part,

animé de certains mouvements rhytmés involontaires (athé-

,tose). Ces mouvements allèrent s-atte-

nuant, à mesure que l'impotence fonc-

tionnelle faisait des progrès : bientôt la

parésie s'accusa dans tout le membre

supérieur.

Au moment de son entrée à l'hôpital,

on constate l'état suivant : Parésie du

membre supérieur droit, portant exclu-

sivement sur la main et sur le poignet.

Les muscles de l'épaule, du bras et de

l'avant-bras ont conservé leur force. La

malade peut à peine fermer la main et

tenir sa cuiller pour manger : le long

supinateur est épargné. Pas de rigidité

musculaire sous l'influence des mou-

vements passifs ; réflexes tendineux

normaux, réflexes cutanés abolis ; sens

musculaire perdu. La sensibilité sous

toutes ses formes est nulle jusqu'à un

centimètre au-dessus du poignet ; là la

zone anesthésique se termine par une

manchette circulaire. La sensibilité gé-

nérale est un peu diminuée dans tout

le côté droit du corps, mais cette dimi-

nution de la sensibilité n'est pas com-

parable à l'anesthésie absolue de la

main et du poignet. L'odorat et la vue sont diminués à droite,

l'ouïe et le goût normaux. Il existe de l'ovaralgie gauche et

des points hypéresthésiques au sternum et le long de la co-

lonne vertébrale. Dyschromatopsie légère pour le rouge et le

vert. Application de courants continus de la nuque à l'avant-

bras ; disparition rapide de la paralysie et de l'anesthésie, per-

sistance de l'hypéresthésie et des troubles visuels. {Fig. 12.)

L'interprétation de ce fait ne laisse ici aucun doute.

L'attaque d'hystérie ouvre la scène, entraîne à sa

Fig. 12.

DES MONOPLÉGIES PARTIELLES DU MEMBRE SUPÉRIEUR. 185

suite l'impotence fonctionnelle de tout le bras, avec

des mouvements choréiformes, et la paralysie sensi-

tivo-motrice de la main et du poignet est la consé-

quence évidente de l'ébranlement nerveux dont la

crise convulsive était la manifestation.

Voici maintenant un cas plus complexe où la mono-

plégie partielle de la main et de l'avant-bras se montre

à l'occasion d'un traumatisme léger chez un individu

atteint déjà de paraplégie psycho-traumatique à la

suite d'une contusion des membres inférieurs. Nous

empruntons cette; curieuse observation aux Leçons de

1\f.Charcot, III" volume, appendicen" 1,1887 (Obs. XXIV,

p. 106;, rapportée dans la thèse de M. Berbez'.

Observation II. Joseph Lelogeais, vingt-neuf ans, gar-

çon de cuisine, raconte que, traînant une charrette à bras, il a

été heurté par une voiture de blanchisseur qui l'a renversé et

dont une roue lui a passé au travers du corps, vers la racine

des membres inférieurs. On le relève sans connaissance. Ren-

seignements pris, le fait est reconnu inexact la roue de la voi-

ture ne lui a nullement passé sur le corps, et tout se borne à une

chute violente sur le trottoir, à une ecchymose de la hanche

et à une très vive impression de frayeur. Le malade reste sans

connaissance pendant deux jours, puis reprend ses sens, se

remet à marcher et quitte l'hôpital au bout de six jours, encore

souffrant mais nullement paralysé.

Quelque temps après, étant chez lui, il éprouve un senti-

ment de malaise, une boule qui lui remonte vers le larynx et

perd connaissance. On le transporte à l'Hôtel-Dieu, où il reste

quatre jours inconscient, en proie à de violents maux de tète,

et presque paraplégique. Il reste incessamment sous le coup de

l'impression de son accident, dont il évoque le souvenir dans

ses rêves.

On constate les symptômes suivants : Amnésie très accusée,

faiblesse extrême, anesthésie complète des membres inférieurs

' Nous résumons les grands traits de l'histoire de ce malade, renvoyant

pour les détails 1 la lecture du texte original.

18G PATHOLOGIE NERVEUSE.

à la piqûre et au froid, se terminant brusquement par une

ligne circulaire qui suit le pubis et le pli de l'aine jusqu'au

coccyx en arrière. Sens musculaire et

sensibilité articulaire abolis ; le malade

n'a pas la notion de la position de ses

membres.

Les mouvements sont nuls aux cuisses

et aux jambes, bien que les muscles

puissent encore se contracter, et qu'il

soit capable de remuer -les orteils; la

résistance, aux mouvements passifs est

nulle.

Il existe également de nombreux stig-

mates hystériques : céphalée gravative,

hémispasme de l'orbiculaire buccal, ré-

trécissement du champ visuel, abolition

de l'odorat du côté droit et du goût,

anesthésie pharyngienne et cornéenne.

Accès de suffocation amenant du spasme

laryngé et des phénomènes de cyanose.

( ! % ig. 13 . )

« Six mois après, à la fin de décem-

bre, le malade se mord le dos de la main

dans une attaque et se fait une ecchy-

mose légère. Il survient une paralysie

en manchette de l'avant-bras (sensibi-

lité et mouvement). Cette paralysie

monte jusqu'au coude. Disparition su-

bite de la paralysie le 5 janvier au réveil. »

Il est regrettable que l'observation de M. Berbez ne

donne pas plus de détails sur cette dernière paralysie

localisée à l'avant-bras et à la main : toutefois, l'en-

semble de l'histoire de ce malade ne laisse place à

aucun doute sur la nature de ce phénomène. Il s'agit

bien là d'un sujet chez lequel un traumatisme violent

et surtout une frayeur considérable éveillent une hys-

térie grave et une paraplégie psychique des membres

inférieurs. Pendant des mois, les membres supérieurs

Fig. 13.

DES MONOPLÉGIES PARTIELLES DU MEMBRE SUPÉRIEUR. 187

sont respectés, lorsque, dans une crise, le malade se

mord accidentellement et légèrement le dos de la

main. Immédiatement cette main se paralyse. Evi-

demment, il faut faire la part de l'attaque qui a mis

le système nerveux dans un état de vibration spéciale ;

mais on ne saurait méconnaître le rôle de la morsure,

si légère fût-elle, car c'est elle qui semble avoir

déterminé la localisation de cette dernière paralysie.

Il se passe là des phénomènes absolument compara-

bles à l'engourdissement momentané qui suit un choc

sur la main, et qui disparaît au bout de quelques

secondes : seulement, chez les prédisposés, cette im-

pression persiste et engendre la notion cérébrale d'une

paralysie plus ou moins durable.

L'observation suivante que M. Charcot a eu l'obli-

geance de me communiquer, rentre dans la même

catégorie. Il s'agit encore d'une irritation légère, mais

persistante, de l'articulation du poignet gauche, qui

détermine, en même temps que des phénomènes

d'hystérie générale, une paralysie partielle sensitivo-

motrice de la main et de l'avant-bras gauche. Chez

cette malade comme chez le précédent, la paralysie

semble avoir été la première manifestation d'une hys-

térie demeurée jusqu'alors absolument latente.

Observation 111. - Amélie Bonnefons, âgée de quatorze

ans et demi, entre le 9 mars 1887 dans le service de M. le

professeur Charcot, salle Duchenne de Boulogne. Les antécé-

dents héréditaires sont incomplètement connus. Son père est

bien portant, mais la malade ne connait pas sa mère, et de ce

côté, l'hérédité névropathique peut exister sans qu'on puisse

la démontrer. Personnellement, cette jeune fille n'a jamais eu

d'autre maladie qu'une grave atteinte de choléra, en 1884.

Un 1885, il s'est développé, au niveau de l'articulation radio-

188

PATHOLOGIE NERVEUSE.

carpienne gauche, une petite tumeur de la grosseur d'une noi-

sette, qui la faisait souffrir, surtout à la pression. Soignée à

Saint-Antoine par des applications de teinture d'iode et l'im-

mobilisation, elle fut guérie en six mois. Mais, à partir de cette

époque, la main gauche a commencé à s'affaiblir et la malade

dut être retirée de la maison où elle était en apprentissage.

Elle ne souffrait plus du poignet ; les mouvements étaient con-

servés, mais la main était devenue extrêmement faible et lais-

sait tomber les objets. Depuis deux mois, il existe quelques

mouvements choréiques aux membres supérieurs.

Au moment de son entrée à l'hôpital (9 mars 1887), on cons-

tate les signes suivants la forme et l'aspect du membre supé-

rieur gauche ne sont pas modifiés. Il existe une parésie du

membre supérieur, il est très diffi-

cile à la malade de porter la main

sur la tête. La face n'est point pa-

ralysée. Le goût, l'odorat, sont

diminués à gauche. L'examen des

yeux montre l'existence d'un rétré-

cissement concentrique prononcé

du champs visuel de l'oeil gauche.

Rien à droite. Il y a, du côté

gauche , une hémianesthésie au

tact, à la douleur et à la tempéra-

ture ; le sens musculaire est aboli.

(1% 'g. 14.)

On applique le jour de l'entrée

un aimant auprès du bras gauche.

Au bout de trois quarts d'heure,

la sensibilité est revenue partout,

sauf à la partie inférieure de l'a-

vant-bras gauche et à la main. La

parésie s'est atténuée ; le transfert

l'autre côte du corps ne s'est pas produit.

25 avril. L'état actuel est devenu le suivant : pas de

modifications dans la forme, l'aspect extérieur, la colora-

tion et la température du membre affecté.

Mouvements. - Rien d'anormal dans les mouvements do

l'épaule, du bras et du coude. Ceux de l'articulation radio-

carpienne sont conservés, mais très affaiblis ; de môme pour

Fig. 11. r.

A, anesthésie totale ; - B, aneslhé-

sie incomplète;- C, sensibilité légè-

rement diminuée.

DES MONOPLÉGIES PARTIELLES DU MEMBRE SUPÉRIEUR. t89

les 'mouvements des doigts. La main semble lourde à la

malade, elle laisse tomber les objets qu'elle porte.

Les muscles de la main ont conservé leurs propriétés élec-

triques, mais il sont un peu amaigris et moins forts qu'à l'état

normal. Le mouvement d'opposition du pouce, par exem-

ple, estpossible, mais affaibli, de même pour l'action des inter-

osseux. Au dynamomètre, on obtient : pour la main droite, 22 ;

pour la main gauche, 15.

Sensibilité. La sensibilité cutanée est peu développée en

général. Ainsi, du côté sain, on peut enfoncer une épingle

assez profondément dans la peau du bras sans faire crier la

malade qui accuse seulement un peu de douleur. La diminu-

tion de la sensibilité de ce côté porte sur la moitié antérieure

du tronc et sur le membre supérieur tout entier. Le ventre et

les membres inférieurs ont leur sensibilité normale. A gauche,

la sensibilité est également émoussée sur le tronc et sur le

membre supérieur (voir le schéma), mais les phénomènes les

plus intéressants s'observent au poignet et à la main. Celle-ci

présente une anesthésie absolue qui remonte à 2 ou 3 centi-

mètres sur le poignet, de façon à figurer un véritable gant. Sur

toute l'étendue de la main, la malade ne sent pas quand on la

pique et elle ne distingue pas le chaud du froid.

La sensibilité profonde est abolie; le sens musculaire est

perdu en ce qui concerne les doigts et le poignet. - L'odorat,

l'ouïe, le goût sont normaux et il n'y a aucune différence

entre le côté gauche et le droit. Pas d'anesthésie du pha-

rynx, pas de rétrécissement du champ visuel; aucun point

hystérogène. Il est impossible de provoquer des contractions

à l'aide de la bande d'Esmarch. Depuis quelques jours, les

mouvements choréiques qui existaient lors de la rentrée de la

malade à l'hôpital et qui avaient disparu ont de nouveau

reparu.

30 avril. Même état. Mais le sens musculaire a reparu au

poignet et aux doigts.

Dans les trois cas que nous venons de passer en

revue, les stigmates de l'hystérie étaient assez accen-

tués pour permettre sans hésitation, d'affirmer la na-

ture psycho-traumatique de la paralysie. Voici mainte-

nant un fait encore plus curieux, dans lequel la mo-

1 ut PATHOLOGIE NERVEUSE.

noplégie partielle constitue l'unique manifestation de

la névrose. Il s'agit d'une jeune fille à laquelle je

donne des soins depuis deux ans, qui n'a jamais pré-

senté la moindre tendance aux crises nerveuses et

chez laquelle, même maintenant, l'observation la plus

attentive ne peut déceler aucun stigmate hystérique.

Il y a quelques années, la genèse de cette monoplé-

gie eût été inexplicable, et même avec les notions

actuelles sur les paralysies psychotraumatiques, nom-

bre de médecins hésiteraient encore aujourd'hui à se

prononcer devant un fait aussi insolite. Néanmoins

l'analogie absolue des symptômes et de la marche de

ce cas, comparé aux précédents, ne laisse suivant moi,

aucune prise au doute.

Observation IV. - M"° V..., âgée de dix-sept ans, grande et

bien constituée, jouissait d'une parfaite santé, lorsqu'elle est

tombée accidentellement, il y a près de quatre ans, en faisant

un faux pas dans un escalier, et s'est foulé le poignet droit. Il

en est résulté une douleur assez vive et la nécessité de garder

la main en écharpe pendant une dizaine de jours. L'accident

en lui-même fut insignifiant.

Cependant, à partir de cette époque, Mlle V... remarqua que

les mouvements du poignet sans être plus difficiles, étaient un

peu gênés. C'était surtout en jouant du piano qu'elle s'en aper-

cevait ; elle se fatiguait plus vite à cet exercice. Tout d'abord,

sa mère n'y prit pas garde, et crut même que sa fille saisissait

ce prétexte pour se dispenser d'étudier sa musique. Les choses

en restèrent là pendant plus d'un an, la jeune fille se plai-

gnant toujours d'une certaine fatigue de l'avant-bras droit, et

incapable au demeurant de jouer du piano plus d'une heure

de suite.

En 1886, sous l'influence de quelques troubles de la santé

générale qui avaient amené un notable degré d'anémie, cette

fatigue musculaire locale s'accrut considérablement, et il devint

impossible à M"° V... de jouer du piano, sans éprouver des

malaises notables. Au bout de quelques minutes, elle coin-

DES MONOPLEGIES PARTIELLES DU MEMBRE SUPERIEUR. 191 1

mençait à ressentir dans l'avant-bras des crampes et des dou-

leurs assez vives qui ne cessaient que par le repos de la main,

et qui même ne disparaissaient pas de suite. Après avoir essayé

de diminuer les heures d'étude, puis de les supprimer momen-

tanément pendant quelques jours, il fallut y renoncer complè-

tement, et suspendre pendant deux mois toute leçon de mu-

sique. C'était d'ailleurs la saison des vacances, et le séjour au

grand air, joint au repos complet de l'avant-bras, ne tarda pas

à faire disparaître toute douleur. La malade se crut guérie, et

à son retour à Paris, au mois de novembre dernier, elle se

remit à l'étude comme par le passé, ne conservaut plus, en

apparence, aucune trace de son affection. Mais ce mieux ne

fut pas de longue durée. Trois semaines après, les douleurs

reparaissaient, non plus sous la forme de crampes, mais avec

les allures d'une fatigue douloureuse du poignet : en même

temps la faiblesse s'accentuait, au point que Mille V... avait de

la peine à soulever de la main droite des objets d'un poids

peu considérable et qu'elle portait difficilement une carafe

pleine d'eau. Ce fut seulement alors que Mm0 V... attira mon

attention sur l'état de sa fille et me pria de l'examiner au point

de vue de cette faiblesse qui lui semblait étrange.

Voici ce que je constatai :

A première vue, l'avant-bras et la main du côté droit, pa-

raissent tout à fait normaux et absolument semblables à leurs

congénères du côté gauche. Les téguments ne sont ni pâles,

ni violacés; la circulation s'y fait bien; rien n'indique l'appa-

rence d'un état morbide.

Les mouvements voulus du poignet et de la main sont tous

possibles. il1110 V... peut redresser, fléchir le poignet, le porter

dans l'abduction ou dans l'adduction, sans aucune difficulté

quand on le lui commande, même lorsqu'elle a les yeux fer-

més. Il n'y a donc pas de paralysie, au sens propre du mot. 11

n'y a pas non plus de contracture, car les mouvements spon-

tanés, de même que les mouvements provoqués, s'exécutent

sans aucune roideur musculaire.

Il en est de même des mouvements des doigts qui ont con-

servé leur agilité et courent sur les touches du piano comme

par le passé, avec cette différence que la fatigue arrive de

suite au bout de quelques, minutes d'exercice.

Les symptômes les plus saillants sont la perte de la force

musculaire, et les troubles de la sensibilité. La diminution des

192

PATHOLOGIE NERVEUSE.

forces est telle, qu'il est impossible u 1VI"° V... de tenir un

objet tant soit peu lourd avec sa main droite. Instinctivement

elle se sert de sa main gauche pour tous les mouvements qui

demandent un certain effort, tels que déplacer une chaise,

porter une carafe, etc. Au dynamomètre, elle donne facile-

ment avec la main gauche une pression de 40 kilog., tandis

que de la main droite elle n'arrive pas à 4 kilogr. Il y a donc

une impotence fonctionnelle complète de ce côté, bien que

tous les mouvements soient en apparence conservés.

La sensibilité présente des perturbations non moins consi-

dérables. Le contact est encore perçu bien qu'il soit émoussé.

En touchant légèrement le dos ou la paume de la main avec le

pulpe du doigt, la malade ne s aperçoit

pas de la sensation de contact, quand

elle n'a pas vu le doigt se poser sur elle,

et pourtant elle apprécie encore des

sensations assez fines. Ainsi elle ramasse

sans difficulté une aiguille ou une épin-

gle, même sans les voir, quand on lui

place la main dessus ; elle se rend compte

également de la présence d'une feuille

de papier interposée entre sa main et la

table, etc. Il y a donc, en somme, affai-

blissement, mais non disparition de la

sensibilité tactile.

Par contre, la sensibilité à la douleur

et l'appréciation de la température sont

presque complètement abolies. On peut

pincer, piquer la peau, sans que la ma-

lade perçoive autre chose qu'une im-

pression de contact : elle est également incapable de distin-

guer le chaud du froid, sauf pour les températures extrêmes :

il y a quelques semaines, elle s'est brûlée accidentellement un

doigt avec de l'eau chaude sans le sentir.

La sensibilité articulaire est également altérée. On peut

croiser les doigts, les placer dans des positions anormales, les

faire chevaucher les uns sur les autres, sans que la malade

ait la notion de la position de ses phalanges. En redressant les

doigts de façon à forcer le mouvement de l'articulation méta-

carpienne, la malade n'éprouve ni douleur, ni sensation pé-

nible, bien que cette extension anormale soit poussée à ses

Fig. 15.

DES MONOPLÉGIES l'ARTIELLES DU MEMBRE SUPÉRIEUR. 193

plus extrêmes limites. La sensibilité propre des surfaces arti-

culaires est donc totalement abolie.

Il semble également que le sens musculaire'soit très émoussé.

La malade n'a évidemment pas la conscience nette du degré

d'effort à faire pour produire un mouvement déterminé, pour

fournir une pression un peu soutenue par exemple : mais il

est possible que l'anesthésie joue le principal rôle dans ce

phénomène.

La distribution de ces troubles sensitifs est très particulière.

L'anesthésie occupe toute la main droite, la région du poi-

gnet et s'arrête brusquement à 8 ou 9 centimètres au-dessus

de l'interligne articulaire, n'atteignant pas tout à fait la moitié

de l'avant-bras.

Elle dessine donc une sorte de manchette, dont la partie

supérieure se termine par un sillon circulaire presque régu-

lier. Au-dessus, les téguments ont leur sensibilité normale,

au-dessous, l'analgésie est absolue, sans zone de démarcation

intermédiaire. Cette disposition est bien caractéristique, car

elle ne concorde ni avec la distribution anatomique des nerfs

cutanés superficiels de l'avant-bras, ni avec celle des bran-

ches profondes.

Les réactions électriques méritent également d'être étudiées.

La contractibilité faradique est parfaitement conservée, et les

muscles de l'avant-bras et de la main droite répondent à

l'excitation électrique aussi promptement et aussi vigoureu-

sement que ceux du côté sain, avec cette différence que la

douleur due au contact des éponges est très nettement perçue

par la main gauche, tandis qu'elle n'est pour ainsi dire pas

sentie par la main droite. C'est le résultat de l'analgésie que

nous avons signalée comme un des principaux symptômes.

Ainsi, la sensibilité électrique est émoussée mais la contrac-

tion musculaire reste intacte, fait très important qui prouve

l'intégrité de la fibre musculaire.

Les courants continus ne provoquent aucune réaction appré-

ciable : avec une pile de Chardin de 12 éléments, la peau rou-

git, et au moment de l'interruption 'du courant la malade

éprouve la sensation de la secousse musculaire, mais tout se

passe comme à l'état normal et l'on n'observe pas la réaction

de dégénérescence.

Il semble cependant qu'il y ait un léger degré d'atrophie

musculaire au niveau des muscles de l'éminence thénar, par-

ARCHIVES, t. XIV. 13

194 PATHOLOGIE NERVEUSE.

ticulièrement du court adducteur du pouce droit. Comparé à

son congénère du côté opposé, il paraît un peu aminci, moins

épais, comme s'il avait subi un certain amaigrissement;

l'espace interdigital offre un petit méplat qui n'existe pas à

gauche, mais somme toute, il s'agit là de nuances peu pro-

noncées, et qu'il faut de l'attention pour découvrir.

Il n'existe aucun trouble trophique au niveau des régions

anesthésiées : la peau de la main n'est pas altérée, on ne

constate, ni sueurs locales, ni effacement des plis des phalan-

ges; ni modification des ongles, ni changements dans la tem-

pérature locale.

La santé générale est bonne. Cependant la malade est pâle

et offre un certain degré d'anémie, elle est restée longtemps

sans appétit et mal réglée, mais depuis quelques mois, ses

fonctions digestives ont repris toute leur activité, et la mens-

truation est redevenue régulière.

Bien qu'impressionnable, la malade n'a jamais eu d'atta-

ques de nerfs, ni aucun phénomène hystériforme (sensation

de boule, etc.), elle est fort intelligente, très maîtresse d'elle-

même et nullement habituée à s'écouter; l'énergie est même

la qualité dominante de son caractère, et elle n'aime pas à

s'occuper de sa santé.

L'examen des organes des sens ne révèle aucune modifica-

tion fonctionnelle appréciable. Il n'y a ni rétrécissemont du

champ visuel ni perte de la sensation des couleurs ; pas de

troubles de l'odorat, du goût et de l'ouïe, aucune différence

entre la sensibilité générale du côté droit et du côté gauche

de la face, point d'anesthésie pharyngienne ni de points hys-

térogènes ; aucun des stigmates, en un mot, qui indiquent

l'existence de l'hystérie.

Au point de vue de ses antécédents personnels, il n'y a qu'un

détail à relever, indépendamment de la tendance à la chlorose

qu'elle a présenté à plusieurs reprises. C'est une arthritique

avérée, qui, il y a deux ans, a eu un accès de goutte parfaite-

ment net au gros orteil du pied gauche, accompagné de gon-

flement, de rougeur *de l'articulation et de desquammation

épidermique. Cette disposition constitutionnelle est du reste

héréditaire dans sa famille. Son grand-père maternel était

goutteux; sa mère a de temps en temps, aux époques catamé-

niales principalement, des crises de douleurs épigastriques

intolérables, avec flatulence et tympanisme, qui sont évidem-

DES MONOPLÉGIES PARTIELLES DU MEMBRE SUPÉRIEUR. 195

ment d'origine spinale et qui nécessitent souvent l'application,

de pointes de feu le long du rachis ; il s'agit là évidemment z

d'une névrose du plexus solaire, car ces crises durent depuis.

près d'une trentaine d'années sans avoir altéré la santé géné-

rale. Enfin l'oncle maternel de cette jeune fille est un neuras-

thénique à type spinal, fortement entaché d'hypochondrie et.

atteint d'une paralysie fonctionnelle sans atrophie musculaire

et sans lésions évidentes de la moelle. Il y a donc chez cette-

jeune fille une filiation diathésique double; l'arthritisme

d'une part, le nervosisme de l'autre, c'est-à-dire, les deux fac,

teurs les plus habituels des névroses.

En présence de ces symptômes, et malgré l'absence de phé-

nomènes hystériques généraux et de troubles sensoriels, je

portai le diagnostic de monoplégie partielle de l'avant-bras.

hystéro-traumatiquo, et j'instituai le traitement suivant :

friction, deux fois par jour, avec du liniment ammoniacal cam-

phré sur l'avant-bras, électrisation quotidienne avec les cou-

rants interrompus ; huile de foie de morue et hydrothérapie à

titre de toniques généraux.

Ce traitement fut suivi rigoureusement pendant près de six

semaines, au grand bénéfice de la santé générale, mais sans

aucune amélioration de la paralysie locale, qui garda les

mêmes caractères que le premier jour. La faiblesse musculaire

était toujours aussi considérable et la malade pouvait à peine

fournir une pression de 4 ou 5 kilogrammes avec sa main

droite, alors que de la gauche elle atteignait 40 kilogrammes.

Les courants continus furent substitues à la faradisatioh et

continués pendant près d'une quinzaine de jours; ils se mon-

trèrent aussi peu efficaces que les autres ; l'anesthésie et l'anal-

gésie semblèrent cependant un peu diminuées. Je m'adressai

alors à M. le professeur Charcot, qui voulut bien m'aider de ses

conseils et confirmer mon diagnostic. Dans le but de réveiller

l'image psychique des mouvements de l'avant-bras, il recom-

manda à la malade d'exercer une pression sur un dynamomètre

quatre fois par jour, pendant quelques minutes; et fit appli-

quer un aimant la nuit, perpendiculairement à l'axe du poi-

gnet. Les suites de ce traitement furent des plus favorables,

Un mois après, je constatai l'état suivant : .

10 mai. - La sensibilité tactile est absolument revenue à

l'état normal, l'analgésie a disparu, ainsi que la perte de la

sensibilité articulaire ; cette dernière a été la première à revenir,

196 PATHOLOGIE NERVEUSE.

huit jours à peine après le début du traitement. Le sens mus-

culaire est également récupéré; M110 V... a la notion de l'effort à

faire pour accomplir un mouvement voulu. Elle donne mainte-

nant, sans effort, une pression de 30 kilogrammes au dynamo-

mètre avec sa main droite, mais n'atteint pas encore le degré

de force de la main gauche.

Un nouveau symptôme s'est produit : à la place de l'anesthé-

sie, l'avant-bras est devenu le siège de fourmillements doulou-

reux et de crampes assez pénibles : bien que la force soit

revenue, la malade ne peut encore jouer du piano, parce que

les chocs des phalanges sur le toucher de l'instrument provo-

quent une sensation douloureuse : celle-ci se produit même au

repos. Il semble donc qu'un certain état d'hypéresthésie mus-

culaire ait succédé à l'abolition du sens musculaire, car les

téguments de l'avant-bras et de la main ne sont pas doués

d'une sensibilité anormale. En résumé, le traitement moral et

la reproduction fonctionnelle des mouvements ont produit le

meilleur effet, et malgré l'exagération de la sensibilité, l'état

actuel du membre se rapproche presque complètement de la

normale.

A la fin du mois de mai, cette hypéresthésie musculaire a

presque complètement disparu à son tour. Il ne reste qu'une

sensibilité un peu insolite au niveau du court adducteur du

pouce, lequel est douloureux à la pression : sauf ce léger

malaise, la malade peut être considérée comme guérie.

J'ajouterai peu de réflexions à la description qui

précède, car les faits parlent d'eux-mêmes.

Il ne paraît pas douteux que chez Mlle V..., la para-

lysie de la main et de l'avant-bras n'ait été la consé-

quence de la chute sur le poignet. De même que chez

la malade de M. Charcot, qui n'est devenue monoplé-

gique que plus de six mois après l'apparition de la

tumeur du poignet, l'impotence fonctionnelle, chez

M"° V..., a mis longtemps, près de quatre ans, à se

produire. Nous avons vu que c'est la règle pour les

paralysies psychotraumatiques : néanmoins la durée

des accidents prémonitoires (fatigue douloureuse des

DES MONOPLÉGIES PARTIELLES DU MEMBRE SUPÉRIEUR. 197

doigts de la main et du poignet), a été ici beaucoup

plus longue qu'on ne l'observe d'habitude.

Malgré l'absence complète de crises nerveuses et

de stigmates hystériques, malgré l'intégrité des sens

spéciaux, nous n'hésitons pas à dire que la monoplé-

gie de Milo V... ne pouvait être qu'une manifestation

hystérique. En effet, elle présentait au plus haut

degré tous les caractères que l'on retrouve toujours

eu pareil cas; la paralysie motrice incomplète, associée

à la conservation de la contractilité électrique et à

la perte du sens musculaire : l'anesthésie absolue,

portant sur toutes les modalités de la sensibilité arti-

culaire. Or cette dernière variété d'anesthésie (qui peut

manquer dans certaines paralysies hystériques) a une

valeur considérable quand on la rencontre, car elle

ne s'observe pour ainsi dire jamais en dehors de l'état

névropathique. Ajoutons que la circonscription de

l'anesthésie offrait ce caractère typique qui à lui seul

suffisait pour faire affirmer la paralysie nerveuse, à

savoir la terminaison brusque en manchette circulaire,

comprenant tout un segment de membre sans tenir

compte de la distribution des fibres nerveuses. Enfin,

il n'est pas jusqu'aux résultats du traitement qui ne

militent en faveur de l'origine purement nerveuse de

cette paralysie. L'anesthésie qui pendant près d'un

mois avait résisté aux révulsifs, aux frictions, à l'élec-

trisationfaradique et galvanique, disparaît en quelques

jours sous l'influence du traitement par les aimants :

la force musculaire qui était nulle revient graduelle-

ment par la seule évocation du mouvement lui-même,

en exerçant méthodiquement des pressions sur le dyna-

momètre.

198 PATHOLOGIE NERVEUSE.

Ces quatre observations nous montrent donc la

série graduelle des manifestations hystériques, qui

précèdent, accompagnent ou suivent la monoplégie

du membre supérieur sous l'influence de la provoca-

tion du traumatisme. Tantôt, c'est la grande attaque

qui commence avec son cortège classique d'accidents

sensitifs, sensoriels et paralytiques; la monoplégie n'est

alors qu'un incident du tableau général, comme chez

,'a malade de Lombroso. Ailleurs, le traumatisme

éveille une hystérie grave, avec perte de connaissance,

anesthésie diffuse, paralysie plus ou moins générali-

sée : la monoplégie qui se développe secondairement

trouve alors le terrain tout préparé, et il suffit d'une

secousse minime pour la faire éclore : c'est le cas du

malade de Berbez. Dans une forme atténuée, la mo-

noplégie est d'emblée partielle, et se montre comme

la conséquence d'un traumatisme léger, mais persis-

tant tel que la tumeur douloureuse du poignet, que

portait la malade de M. Charcot, mais l'hystérie se

révèle par ses stigmates habituels. Enfin, la paralysie

partielle peut constituer l'unique manifestation de

l'état névropathique, en dehors de tout autre symp-

tôme ; c'est ce que nous avons vu chez notre malade.

Ces dernières formes de monoplégie, évidemment

rares, sont de beaucoup les plus intéressantes, parce

qu'elles pourraient donner lieu à des erreurs de dia-

gnostic et être considérées comme des paralysies pé-

riphériques liées à des névrites partielles. On recon-

naîtra toujours leur véritable nature en considérant

que la paralysie motrice est en général beaucoup moins

prononcée que l'anesthésie sensitive, ce qui est le con-

traire de ce qui a lieu pour les névrites : d'autre part,

DES MONOPLÉGIES PARTIELLES DU MEMBRE SUPÉRIEUR. 199

que cette anesthésie se circonscrit à un segment de

membre, sans suivre la distribution des nerfs de la

région, et qu'elle s'accompagne d'ordinaire de la perte

du sens musculaire et de la sensibilité articulaire.

Enfin, la conservation absolue de la contractibilité

électrique même au bout de plusieurs mois, achèvera

la démonstration de la nature névropathique de ces

paralysies fonctionnelles.

NOTE ADDITIONNELLE

Au moment de mettre sous presse, je viens de prendre

connaissance d'un mémoire du professeur Adamkiewicz (de

Cracovie), paru le 5 juin dernier dans le Wiener Medizinische

Presse, et intitulé Olonoplegia anestlaetica. Déjà, au commen-

cement de l'année, une observation du même genre avait été

publiée par cet auteur dans un autre journal de Vienne, le

lVZ'el1el' Blâlter (n° 4-5, 1887). Il me parait intéressant de

résumer ces deux faits et d'analyser l'interprétation que

donne le professeur allemand, ne serait-ce que pour faire voir

les lacunes, au point de vue clinique, d'une éducation mé-

dicale basée exclusivement sur la physiologie dite ration-

nelle.

La première de ces observations concerne une jeune fille

qui, sans cause connue, est atteinte d'une impotence fonction-

nelle du bras droit, sans paralysie motrice véritable, mais

avec une anesthésie et une analgésie complètes.

Observation V. mule C..., âgée de dix-neuf ans, est prise

brusquement en septembre 1885,. de douleurs vives du bras droit,

qui s'accompagnent de gonflement des téguments du dos de la

main et des doigts. Sur tous ces points existent des sueurs locales

abondantes. Les douleurs durent trois semaines, assez intenses

pour amener de l'insomnie : puis, à partir de cette date, elles

vont progressivement s'atténuant et disparaissent au mois

d'octobre. Vers celte époque, la malade constate sur le dos de la

main droite une vésicule qui ne tarde pas il se rompre et qui

dégénère en une ulcération ayant peu de tendance à guérir. Des

bulles analogues se développent sur les phalanges, sans provo-

quer aucune douleur. A ce moment, la malade s'aperçoit que la

200

PATHOLOGIE NERVEUSE.

sensibilité est très émoussée et presque abolie dans le membre

supérieur droit.

Etat actuel. Fille robuste, nullement nerveuse, n'ayant jamais

fait de maladies sérieuses, ne paraissant point émotive, répondant

avec calme et netteté aux questions qu'on lui pose, bien équili-

brée au physique et au moral. Elle ne présente aucun signe

apparent d'hystérie, pas de douleurs ovariennes ni de points d'hy-

péresthésie rachidienne, pas d'amblyopie, ni de rétrécissement

du champ visuel, ni de cécité.des couleurs, ni de troubles sensi-

tifs de la peau ou des muqueuses. Les phénomènes morbides sont

exclusivement concentrés sur le bras droit.

Celui-ci, en apparence, est normal et l'on ne constate point de

douleur locale le long du trajet des nerfs ou des branches d'origine

du plexus brachial : le sympathique n'est pas sensible dans son

trajet cervical. Les articulations sont absolument saines, les

muscles répondent bien à toutes les excitations et ne sont pas

atrophiés.

Sur le dos de la main, les téguments sont encore livides, cya-

nosés légèrement oedématiés; les phalanges un peu plus grosses

qu'à l'état normal, présentent les traces des érosions mal cicatri-

sées qui ont succédé à l'éruption vésiculeuse.

Le symptôme prédominant est une anesthésie absolue à tous les

modes de la sensibilité : contact, douleur, température, sensibi-

lité faradique, tout est aboli : il y a une anesthésie et une anal-

gésie complète. Cette anesthésie occupe le membre supérieur droit

Fig. 16.

Fig. 17.

DES MONOPLÉGIES PARTIELLES DU MEMBRE SUPÉRIEUR. 201

dans sa totalité, y compris le moignon de l'épaule : elle s'arrête,

en haut, à la clavicule et à l'acromion, en avant au sillon pectoro-

deltoïdien ; en arrière, elle déborde à peine le bord spinal de

l'omoplate. Dans le creux axillaire, la sensibilité n'est pas aussi

complètement abolie que sur les autres points, mais elle est

atteinte.

La force musculaire est très diminuée, il y a un certain degré

d'impotence fonctionnelle tenant exclusivement à l'anesthésie.

Quand la malade a les yeux fermés, elle est incapable de tenir

un objet : les yeux ouverts, au contraire, elle peut s'occuper

presque aussi bien qu'en santé, prendre des objets d'un certain

poids, écrire, etc.

Il est évident que le cas de cettejeune fille est presque iden-

tique, à la circonscription près, à celui de lit V..., que nous

venons de relater. Nous retrouvons au début une période de

douleurs fonctionnelles, puis des troubles de sensibilité très'

prononcés, coïncidant avecune anesthésie du sens musculaire.

La seule différence tient à la présence de quelques troubles

vaso-moteurs et d'une éruption localisée au dos de la main.

Néanmoins, M. Adamkiewicz n'admet pas l'hystérie chez sa

malade ; il repousse ce diagnostic, parce que les signes géné-

raux de l'hystérie manquent, et à cause des troubles trophi-

ques ou vasomoteurs dont le membre anesthésié était le siège.

Nous savons aujourd'hui que ces troubles de nutrition sont

parfaitement compatibles avec la névropathie pure, et n'exi-

gent pas, pour se produire, la présence d'une lésion matérielle

démontrable.

Du reste, après avoir repoussé l'idée d'une monoplégie hys-

térique, force est bien à l'auteur d'avouer que les autres hypo-

thèses ne s'adaptent pas mieux aux particularités cliniques de

ce cas. Ainsi, il ne peut être question d'une névrite radicu-

laire du plexus brachial, car il y aurait de l'atrophie muscu-

laire, une paralysie motrice complète, une anesthésie moin-

dre, des réactions électriques différentes. A plus forte raison,

ne peut-on s'arrêter à l'idée d'une lésion du cerveau ou de la

moelle. Par exclusion, il suppose une altération primitive,

isolée, des racines sensitives et trophiques des nerfs du mem-

bre supérieur et porte le diagnostic suivant : affection rhu-

matismale probable des enveloppes de la moelle (pachymé-

ningite cervico-brachiale ? ) portant sur les racines postérieures

des nerfs et ayant déterminé à leur niveau des exsudats inflam-

matoires. Il serait facile, au nom de la clinique et de l'anato-

202 PATHOLOGIE NERVEUSE.

mie pathologique, de prouver l'inanité d'une pareille hypo-

thèse, puisque précisément la conséquence de la pachyménin-

gite est d'amener une atrophie musculaire bilatérale avec

réaction de dégénérescençe et fort peu de troubles sensitifs.

D'ailleurs, l'évolution même de la monoplégie chez la malade

d'Adamkiewicz, démontre la nature purement fonctionnelle

de l'affection. Le traitement a été ainsi institué : à l'intérieur,

de l'iodure de potassium, puis des applications de courants

continus faibles (7 éléments), le cathode étant placé au

niveau des apophyses articulaires des vertèbres cervicales et

l'anode le long des branches du plexus brachial. Au bout de

quelques séances la sensibilité avait commencé à reparaître, et

'en moins de trois mois, la guérison était complète, sans

aucune modification appréciable des muscles ni des tégu-

ments. La guérison a persisté depuis.

La seconde observation est encore plus instructive. En

voici le résumé :

Observation VI. Un homme de quarante et un ans, d'une bonne

santé habituelle, se réveille un matin, au commencement de l'an-

née 1384, avec une sensation de chaleur insolite dans la jambe

droite. Le début de ce trouble fonctionnel est absolument subit, non

précédé de prodromes fébriles, ni de phénomènes douloureux.

Presque en même temps, le malade s'aperçoit que sa jambe est in-

sensible aux excitations douloureuses et complètement analgésique :

la sensibilité thermique pour le froid est également perdue. Cette

analgésie se limite exactement à tout le membre inférieur droit,

elle se termine brusquement à la racine de la cuisse, suivant une

ligne qui passe en avant de l'épine iliaque antéro-supérieure à la

symphyse pubienne et qui, en arrière, longe la crête iliaque pour

tomber perpendiculairement sur le rachis au-dessus du sacrum.

Les fonctions motrices sont intactes du côté analgésique, ainsi

que les réflexes tendineux.

Quelques semaines plus tard, le membre inférieur gauche se

prend à son tour, brusquement et sans cause appréciable : il

devient le siège de sensations anormales de froid, mais la sensi-

bilité tactile générale et la motilité n'ont subi aucune atteinte, si

bien que le malade ne s'en préoccupe pas et continue de vaquer à

ses affaires.

Au bout de deux ans, l'affection entre dans une nouvelle phase

survenue non moins brusquement que les précédentes. La jambe

gauche est le siège de vives douleurs qui rendent la marche

impossible et forcent même le malade à garder le lit. L'impo-

DES MONOPLÉGIES PARTIELLES DU MEMBRE SUPÉRIEUR. 203

tence fonctionnelle est complète, la vessie devient paresseuse. Les

muscles de la cuisse subissent un certain degré d'atrophie, et les

réflexes tendineux s'exagèrent. Cette période d'aggravation

dure environ trois mois : puis rapidement se produit une conva-

lescence complète, et tous les accidents se bornent comme par lé

passé, à des troubles de la sensibilité limités à un seul membre,

sans aucun désordre de la motilité.

Il est impossible, à la lecture de cette observation, de ne

pas être frappé de l'analogie singulière qui la rapproche des

faits que nous avons publiés. La brusquerie du début, la limi-

tation de l'anesthésie à un seul membre, sa circonscription

très spéciale, l'absence de troubles moteurs, la conservation

des réflexes et des réactions électriques, tout milite en faveur

de désordres nerveux purement fonctionnels, vraisemblable-

ment d'origine psychique ^ il n'est pas jusqu'à ce brusque

transfert des accidents de membre droit au membre gauche,

qui ne soit encore une preuve confirmative de la nature de la

maladie. Nous savons qu'un certain degré d'atrophie muscu-

laire n'est pas incompatible avec la paralysie hystérique, et

d'ailleurs cette lésion paraît avoir été transitoire chez le

malade d'Adamkiewicz, puisqu'il ne dit pas ce qu'elle est

devenue et qu'il enregistre purement et simplement sa guéri-

son. Or, l'hypothèse do la paralysie et de l'analgésie hysté-

riques, qui dans ce cas nous semble évidente, n'est même pas

soulevée par l'auteur allemand, et voici la singulière argumen-

tation sur laquelle il base son diagnostic.

« Quelle peut être, dit-il, la lésion des centres nerveux

capable de donner lieu à une analgésie limitée à un membre,

tandis que, momentanément, son congénère est atteint dans

sa motilité ? * Evidemment les nerfs périphériques doivent

être mis hors de cause. Leur lésion occasionnerait bien une

monoplégie partielle, mais intéressant simultanément la sen-

sibilité et la motilité, dans un territoire anatomique déter-

miné. Il ne peut être question non plus d'une altération d'un

hémisphère cérébral , qui se traduirait nécessairement par

une hémiplégie.

Reste la moelle. S'agit-il d'un des faits d'hémiparaplégie

décrits par Brown-Séquard ? L'auteur discute gravement cette

hypothèse, en faveur de laquelle militeraient les raisons sui-

vantes : Limitation de l'anesthésie à la jambe droite, parésie

motrice à gauche, puis atrophie musculaire et troubles vési-

204 PATHOLOGIE NERVEUSE. DES MONOPLÉGIES PARTIELLES.

eaux. Il rejette cependant ce diagnostic sur ce motif assuré-

ment plausible, qu'une hémilésion de la moelle aurait déter-

miné ces symptômes simultanément et non successivement,

que la parésie motrice eût été le symptôme prédominant et

enfin que la jambe gauche paralysée eût présenté de l'hypéres-

thésie, ce qui n'était pas. Il semble malaisé, en effet, d'ad-

mettre qu'une altération de la moelle ainsi localisée puisse

attendre deux ans avant de se manifester par l'un de ses

symptômes capitaux, à savoir la paralysie motrice.

Par exclusion, et faute d'explication meilleure, l'auteur

admet qu'il a existé chez son malade une altération spinale

ayant pendant deux ans intéressé les racines postérieures

sensitives du côté droit dans toute la région correspondante

aux origines des plexus lombaire, ischiatique et honteux interne.

Puis cette altération aurait fini par gagner secondairement

les cornes antérieures de la moelle lombaire gauche ou les

racines spinales antérieures correspondantes, et déterminé

l'atrophie des muscles de la cuisse. Il ne se demande pas si la

distribution segmentaire de l'anesthésie est bien en rapport

avec l'origine réelle des racines nerveuses sensitives sus-dé-

nommées ; il trouve fort naturel que cette propagation d'une

lésion des racines postérieures droites se soit faite vers les

cornes antérieures gauches, sans avoir touché les cordons

postérieurs ni les cordons latéraux ; il ne cherche pas à s'ex-

pliquer comment, dans cette hypothèse, la malade n'ait pré-

senté ni phénomènes ataxiques, ni contracture, ni exagération

des réflexes tendineux. Il ne s'étonne pas, enfin, de voir gué-

rir en trois mois de pareils troubles moteurs sans laisser de

trace, alors que les désordres sensitifs, cause première du

mal, persistent sans modification.

Au nom de la physiologie doctrinale, il édifie de toutes

pièces une maladie nouvelle, caractérisée par une lésion pri-

mitive des racines postérieures spinales et des ganglions ner-

veux intervertébraux. Cette maladie, dont le substratum ana-

tomique est encore à découvrir, il en décrit avec précision les

symptômes, la marche, les terminaisons, le pronostic et le

traitement. C'est pour lui une entité démontrée.

Nous reconnaissons, sans humiliation aucune, que nous

sommes moins prompts, en France, à tirer des conclusions

cliniques. II. Rendu.

PATHOLOGIE MENTALE

RECHERCHES SUR L'ÉTIOLOGIE DE LA. PARALYSIE GÉNÉRALE

CHEZ L'HOMME;

Par le Dr Jules CHRISTIAN,

Médecin dc In Afaison nationale de Charenton.

Dans l'article Paralysie générale que mon col-

lègue Ritti et moi nous avons décrit pour le Diction-

naire encyclopédique des sciences médicales, nous avons

pu dire : « L'étiologie de la paralysie générale, malgré

« les documents accumulés, est encore le chapitre le

« plus obscur de son histoire », et cette proposition

n'a pas soulevé de contradiction.

Je reprends cette question aujourd'hui, pensant

qu'il ne m'est pas permis de laisser sans emploi les

nombreux matériaux qui se sont offerts à moi dans les

services dont j'ai été successivement chargé, à Maréville

d'abord, et, depuis 1879, à Charenton.

Mes recherches portent : 1° sur 84 cas observés à

Maréville de 1876 à 1879; z" sur 256 cas traités à la

maison nationale de Charenton, du 1er janvier 1879

au 15 mars 1887 ; au total 340 paralytiques généraux,

que tous j'ai personnellement connus et soignés.

Le hasard ayant fait que je n'aie jamais été placé

qu'à la tête de services d'hommes, j'ai cru devoir

laisser complètement de côté tout ce qui a trait à la

206 PATHOLOGIE MENTALE.

paralysie générale chez la femme, me bornant stricte-

ment à relater ce que j'ai vu et observé moi-même.

Ce seront des documents à ajouter à ceux que la

science possède déjà.

Ce qui rend cette étude singulièrement complexe et

difficile, c'est que, dans la paralysie générale comme

dans toute autre maladie 'mentale, on se trouve en

présence, non pas d'une cause unique, mais d'un en-

semble de causes, parmi lesquelles il est malaisé de

discerner celle qui 'a été réellement efficiente. Cela

explique en partie comment les opinions les plus di-

verses et même les plus exclusives ont pu' être dé-

fendues : elles ont toutes pour elles une part de

vérité.

La première question qui se pose est celle-ci : la pa-

ralysie générale n'étant connue et décrite que depuis

1822, en faut-il conclure qu'elle n'existait pas aupa-

ravant ? On comprend toute l'importance de ce pro-

blème. Si, en effet, il était démontré que la paralysie

générale n'est apparue qu'au commencement du siècle,

il serait légitime de conclure qu'elle est due à des

causes qui n'existaient pas auparavant, et il y aurait

lieu de rechercher comment et pourquoi ces causes

ont surgi : nous aurions chance de trouver une étio-

logie nette et précise de la maladie.

Mais tout au contraire : les causes que nous voyons

invoquer sont de celles qui ont agi de toute éternilé;

il est donc infiniment probable que la paralysie géné-

rale elle-même a toujours existé. C'est mon entière

conviction. Il est arrivé à la paralysie générale ce qui

s'est produit pour d'autres maladies (la fièvre typhoïde

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE. 207

par exemple), qui, elles aussi, ont de tout tempsaffligé

l'espèce humaine, et pourtant n'ont été dégagées à

l'état d'entité morbide qu'à une époque rapprochée de

nous. Encore, pour la paralysie générale, quelques-uns

de ses symptômes ont été vus et signalés (IIaslam), et

peut-être, si l'on fouillait les écrits que les anciens

nous ont laissés sur ce qu'ils appelaient phrénitis, trans-

port au cerveau, méningite aiguë, etc., y trouverait-on,

non pas une description complète de la maladie, mais

du moins celle de l'accès d'agitation maniaque qui en

marque le début. Seulement, qu'arrivait-il quand le

médecin rencontrait un cas de ce genre ? Le patient

était mis à la diète, saigné à blanc; en quelques jours

il avait disparu. La paralysie générale ne pouvait con-

quérir sa place légitime 'que du jour où les aliénés,

réunis et traités dans des services hospitaliers, furent

considérés comme des malades semblables aux autres.

Fréquence. - Il est une autre question, d'un inté-

rêt plus immédiat et plus pratique, c'est de savoir si,

depuis qu'elle est connue, la maladie a augmenté de

fréquence. Calmeil le croit. Après avoir constaté d'a-

bord que la paralysie générale entrait pour -^- dans le

chiffre des hommes reçus dans les asiles d'aliénés, il

avait fini par trouver une proportion de '-4 à 3.

A Charenton, le nombre des paralytiques généraux

admis a été sensiblement le même en 1886 qu'en 1879,

et la proportionnalité sur le nombre total des admis-

sions n'a pas varié non plus. En effet, en 1879, sur

122 hommes admis, il y avait 37 paralytiques; en

1886, sur 119 hommes admis, il y avait 35 paralyti-

ques. Dans l'intervalle se sont produites les fluctua-

208 PATHOLOGIE MENTALE.

tions inévitables, mais dans des limites très res-

treintes 1. A ne juger que par ces chiffres, il semble

que rien n'autorise à admettre que la maladie se ré-

pande de plus en plus, car le milieu dans lequel se

recrute la population de Charenton n'a pas changé

dans l'intervalle. Planès est arrivé à un résultat iden-

tique dans ses Recherches sur le mouvement de l'aliéna-

tion mentale à Paris (1872-85). Le chiffre ;de 1885

(172) est presque le même que celui de 1873 (174).

(Ann. méd. psychol., mars 1887, p. 245.)

On peut objecter à ces chiffres qu'ils ne portent que

sur une période d'une dizaine d'années. Dans un

temps plus long, les résultats seraient peut-être diffé-

rents. Je n'en serais pas étonné, car j'incline à croire

moi-même que la paralysie générale devient réelle-

ment plus fréquente. J'en déduirai les raisons plus

loin. -t'

Age. Bayle disait : « Elle (la paralysie générale,

« ou comme il l'appelait, la méningite chronique) ne

« survient pas dans la période la plus orageuse de la

a vie, celle où l'homme, entraîné par la violence de

« ses passions, se livre souvent à toutes sortes d'excès,

« tandis qu'elle se manifeste toujours à l'époque où

« il jouit de la plénitude de ses facultés et deses fonc-

« tions ; où, poussé par le désir d'établir sa famille,

« d'acquérir de la fortune, des honneurs et des places,

DE. LA PARALYSIE GENERALE. 2()9

« il est essentiellement dominé par l'ambition, et

« exposé par conséquent, à tous les chagrins qui suc-

« cèdent à des espérances bien souvent trompées, et

« souvent aussi à des malheurs de tout genre. »

(Bayle, Méningite chronique, p. 404.)

Cette opinion de Bayle a été confirmée depuis, par

tous les observateurs; il reste établi que la paralysie

générale est une maladie de l'âge mûr; elle frappe de

30 à 50 ans. Toutes les statistiques sont d'accord sur

ce point; les cas de paralysie générale précoce (avant

25 ans), ou tardive (après 60 ans), restent absolument

exceptionnels, et ne doivent être admis qu'après une

critique sévère. Mes 340 observations donnent, au point

de vue de l'âge, les 'résultats suivants :

210 PATHOLOGIE MENTALE.

Etat civil. Sur mes 340 paralytiques généraux,

212 étaient mariés;

107 célibataires;

17 veufs;

Chez 4 l'état civil est resté inconnu.

La maladie frapperait donc de préférence les

hommes mariés, ce qui vient à rencontre de l'opi-

nion généralement reçue sur la fàcheuse influence

du célibat. Encore parmi mes célibataires, y en avait-

il un très grand nombre qui auraient mérité de figu-

rer parmi les gens mariés, car depuis de longues

années ils vivaient maritalement avec la même com-

pagne. Les uns ne s'étaient pas mariés légalement,

c'étaient les militaires, parce qu'ils n'avaient pu

réunir la dot réglementaire : ils attendaient l'heure

de la retraite pour régulariser une situation déjà

'ancienne. D'autres s'étaient heurtés à des difficultés

d'un autre ordre, les préjugés de leurs familles, l'op-

position formelle de leurs ascendants, etc. Leur exis-

tence n'en était pas moins celle des gens dont l'union

a été consacrée parla loi..

Je n'exagère pas en disant que la moitié au moins

des 107 célibataires se trouvait dans ces conditions.

Dès lors la proportion des gens mariés devient encore

plus forte, et nous serons obligés d'admettre que «la

paralysie générale frappe de préférence les hommes

mariés ». A vrai dire, ce résultat n'est pas pour éton-

ner ; car, si les célibataires mènent en général, ce

qui resterait à prouver, une vie moins régulière

que les gens mariés, ceux-ci, par contre, voient le

mariage leur amener un cortège de soucis, de préoc-

cupations, d'inquiétudes, qui, tout compte fait, coin-

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE. 211

pense et au delà les inconvénients problématiques du

célibat.

Professions. Il n'est aucune profession, depuis

la plus humble jusqu'à la plus élevée, dans laquelle

on ne rencontre des exemples de paralysie générale.

Ainsi, à 119aréville, sur 84 malades, je compte 21 ou-

vriers, journaliers, la plupart illettrés; 16 autres,

appartenant aux professions manuelles (maçon, bou-

cher, serrurier, potier, sellier, tailleur, coiffeur, etc.) ;

3 domestiques; en d'autres termes, près de la moi-

tié des cas se sont rencontrés chez des individus dont

la culture intellectuelle avait été nulle ou à peu près.

Il va de soi que Charenton ne pouvait fournir des

résultats analogues. Maréville est un asile départemen-

tal recevant les aliénés indigents de plusieurs dépar-

tements ; Charenton ne s'ouvre qu'à des pensionnaires

appartenant la plupart aux classes aisées. Dans mes

deux relevés, cependant, il est un fait qui doit appe-

ler l'attention : c'est que la population agricole ne

figure que dans une proportion infime.

Par contre, je signalerai à Charenton un nombre

considérable de commerçants, employés de commerce,

comptables; il y en a 68, soit environ 27 p. 100. A

Maréville, je n'en ai trouvé que 7, à peine 8 p. 100.

De même aussi Charenton fournit un contingent

notable de professions libérales (médecins, avocats,

professeurs, artistes, ingénieurs, fonctionnaires), tan-

dis que cette catégorie de malades est à peine repré-

sentée à Maréville. Je réunis tout ce qui est relatif

aux professions dans le tableau suivant :

212 PATHOLOGIE MENTALE.

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE. 213

Ce tableau ne peut avoir pour signification que de

montrer, contrairement à une opinion généralement

reçue, que la paralysie générale n'est pas exclusive

aux hommes des classes élevées, instruites, et même

qu'elle ne les frappe pas de préférence. Du haut en

bas de l'échelle sociale, elle fait des victimes dans

toutes les conditions : aucune n'est épargnée. Il en est

cependant qui ont été plus spécialement incriminées

et notamment la profession militaire.

État militaire. - Calmeil, en 1826, avait signalé

l'influence néfaste de la carrière des armes, qu'il

expliquait par les fatigues de la guerre, les excès, les

commotions morales inspirées par le combat. Bayle, à

la même époque, notait combien les militaires de vien-

nent fréquemment paralytiques généraux, mais il

accusait surtout le passage d'une vie active à une

existence sédentaire.

Pour s'expliquer l'opinion de Bayle et de Calmeil, il

importe de se reporter à l'époque où ils écrivaient.

C'était après les longues guerres de la Révolution et

de l'Empire, au lendemain des événements de 1815,

qui avaient si profondément bouleversé la vie d'un

grand nombre de militaires. Aux fatigues et aux

blessures de vingt ans de guerre incessante, s'ajoutait

maintenant le chagrin de la défaite, et, pour beau-

coup, celui d'être rayés des contrôles de l'armée,

réduits à une existence précaire, et obligés de se créer

des ressources nouvelles pour vivre.

Toutes ces causes ne sauraient être invoquées

actuellement; celle notamment à laquelle Bayle faisait

jouer un rôle important, n'intervient pas, puisque nos

91 PATHOLOGIE MENTALE.

militaires sont frappés, non pas au moment de leur

retraite, mais en pleine période d'activité. Remarquons

aussi que, si la paralysie générale est fréquente dans

l'armée, elle l'est moins que ne le feraient croire les

relevés de Charenton; car Charenton reçoit le plus

grand nombre des militaires, et surtout des officiers,

aliénés, non pas seulement d'une circonscription dé-

terminée, mais de toute l'armée.

Les soldats de tout grade figurent dans mes relevés

au nombre de 90 : 74 à Charenton, 16 à lllaréville.

Sur ce total, les officiers forment la grande majorité :

69 sur 90 : il semble donc que la maladie frappe

davantage les officiers. Mais il convient de se rap-

peler que, dans notre organisation actuelle, les sous-

officiers et les soldats, âgés de trente à cinquante ans,

sont devenus extrêmement rares; ils étaient nombreux

autrefois, et on en trouve un grand nombre dans les

observations de Bayle et de Calmeil.

Mon expérience personnelle me fait croire, en

dehors de toute statistique précise, que, pendant

les années qui ont suivi les événements de 1870-71,

le nombre des militaires atteints de paralysie générale

était devenu plus considérable; les événements de la

guerre avaient dû manifestement jouer un rôle im-

portant, au moins comme cause occasionnelle. Il y

avait d'ailleurs, toute proportion gardée, quelque

analogie avec la situation de 1815.

Hérédité. On tend généralement à croire, depuis

les travaux de Lunier et Doutrebente, que la paralysie

générale n'est pas héréditaire à la façon de la folie

proprement dite, que son hérédité est une hérédité

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE. 215

de tendances congestives ou cérébrales. Bail et Régis

ont encore renchéri sur cette opinon : dans une statis-

tique de 100 familles de paralytiques généraux, com-

prenant ,565 membres, ils n'ont trouvé que 5 aliénés.

(Régis, Manuel, p. 337.)

Je suis arrivé à des résultats différents. Dans les

cas où j'ai pu être renseigné (environ 200), j'ai trouvé

15 fois le père ou la mère aliénés; 6 fois le grand-

père ou la grand'mère; 11 malades avaient un frère

ou une soeur atteints de folie, et, parmi ces 11, il en

était 2 dont le frère était paralytique général ; 9 avaient

un oncle ou une tante aliénés. Dans un cas j'ai noté

l'hérédité en retour : une nièce était folle; 2 malades

avaient leur mère épileptique; chez 3 autres, le frère

ou la soeur étaient atteints d'épilepsie; enfin 14 fois

j'ai noté l'hérédité congestive (père alcoolique 5;

mère somnambule 2; père ou mère hémiplé-

giques 6, etc.).

Si incomplets que soient ces chiffres, - et l'on sait

combien les questions d'hérédité sont difficiles à élu-

cider, ils me font supposer cependant que là para-

lysie générale ne diffère pas essentiellement des

autres maladies mentales, et qu'il n'y a pas lieu d'ima-

giner pour elle une hérédité spéciale.

Excès alcooliques. J'ai vu un si grand nombre de

paralytiques généraux qui avaient été toute leur vie

d'une sobriété exemplaire, et, d'un autre côté, j'ai

connu un si grand nombre d'alcooliques, qui, après

10, 15 (et davantage) attaques de delirium tremens,

n'étaient pas devenus paralytiques, que je suis

resté très sceptique à l'endroit de cette cause, que

216 PATHOLOGIE MENTALE.

beaucoup d'auteurs, et des plus recommandables,

n'hésitent pas à considérer comme prépondérante.

N'est-on pas frappé d'ailleurs de ce fait que, parmi

mes 310 malades, il n'y a que 8 marchands de vin,

aubergistes, et 12 seulement à profession entraînant

presque fatalement à l'intempérance (sommelier,

cocher de fiacre, marchand de chevaux, etc.) ' ? ?

Je demeure convaincu que l'alcoolisme n'est que

très rarement la cause de la paralysie générale. Il est

vrai que presque tous les paralytiques, quand débute

l'accès maniaque qui va nécessiter leur placement,

font des excès de boisson; mais c'est alors un fait

purement accidentel, symptomatique de la maladie.

Il est vrai aussi, et Magnan a insisté sur ce point,

que certains alcooliques finissent par présenter les

symptômes de la paralysie générale : ne serait-ce pas

la pseudo-paralysie générale alcoolique, dont la marche

diffère notablement de celle de la paralysie générale

classique ?

Excès vénériens. =Ce que je viens de dire des excès

alcooliques, je le dirai également des excès sexuels,

dont certains auteurs ont voulu faire le facteur étiolo-

gique principal, sinon unique. Mais là encore on

confond les excès que le malade commet au début de

l'accès, avec ceux qui auraient pu réellement pro-

voquer la maladie. En écoutant les confidences des

familles, j'ai appris bien souvent que ces paralytiques,

qui, depuis quelques semaines, étaient en proie à

une excitation génésique, portée au plus haut degré,

' A noter aussi la rareté de la maladie en Suède et en Irlancle, où

cependant l'alcoolisme est très répandu. '

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE. 217

se montraient en réalité, depuis des années, d'une

frigidité tout à fait anormale. Et enfin, si l'on y re-

garde de près, on voit que l'excitation génésique du

début est presque toujours tout intellectuelle : c'est

un roman qui se passe dans la tête, qui se fait jour

dans les écrits, mais qui ne pourrait devenir que

difficilement un roman en action. Il n'y a pas de saty-

riasis ; et ce n'est que très exceptionnellement que

l'on observe de l'onanisme, ou des pertes séminales

nocturnes; ce qui prouve bien que l'excitation ne

porte pas sur les organes génitaux eux-mêmes.

On objectera évidemment à ma manière de voir

qu'il y a des paralytiques généraux qui ont fait, à

n'en pas douter, des excès in Baccho et in Venere;

je ne le nie pas, et moi-même j'en ai connu un assez

grand nombre. Mais je crois que ces excès n'ont

jamais pu intervenir que comme cause accessoire, et

que leur rôle a été singulièrement exagéré.

L'abus du tabac, et surtout du tabac à fumer, ne

pouvait manquer d'être incriminé. Mais, si le tabac

exerce une influence réelle, comment expliquer que

la maladie soit presque inconnue dans des pays où

l'on fume continuellement (Espagne, Turquie), et

qu'elle ne soit pas plus répandue dans d'autres con-

trées où la consommation du tabac atteint ses dernières

limites (Hollande, Allemagne) ?

Syphilis. Beaucoup de paralytiques généraux

ont eu, à une époque antérieure de leur existence,

la syphilis. De là à attribuer à la syphilis la paralysie

générale elle-même, il n'y avait qu'un pas, qui a été

franchi d'autant plus facilement, que cette hypothèse

218 PATHOLOGIE MENTALE.

permettait d'espérer la guérison par un traitement

approprié, au moins dans un certain nombre de cas.

Ajoutons que la syphilis, quand elle atteint le cer-

veau, y détermine des accidents qui peuvent jusqu'à

un certain point simuler la paralysie générale (psczcdo-

paralysie générale syphilitique) .

En réalité, je ne puis croire que la paralysie géné-

rale soit jamais de nature syphilitique. La syphilis est

une cause d'affaiblissement général; elle amène avec

elle un cortège de chagrins, d'inquiétudes, de préoc-

cupations de toutes sortes; et à ce titre, elle ne peut

manquer d'exercer une influence fâcheuse. Lorsqu'elle

se traduit par une lésion cérébrale, on peut considérer

qu'elle agit à la façon d'un traumatisme, en troublant

profondément le fonctionnement du cerveau; mais la

méningo-encéphalite de la paralysie générale n'est pas

une altération de nature syphilitique.

La syphilis du cerveau, se traduisant par la gomme,

est toujours localisée en un point, d'où elle gagne de

proche en proche, en profondeur plus encore qu'en

surface. De telle sorte qu'une gomme, qui débute par

le crâne, envahit rapidement les méninges, puis le

tissu cérébral ; ou bien, si elle a pris naissance dans

l'encéphale même, elle se propage aux enveloppes,

puis aux os. Jamais rien de pareil ne se voit dans

la paralysie générale, dont les lésions anatomiques

ont toujours, et dans tous les cas, la même étendue et

le même siège.

Une gomme cérébrale, quelque graves accidents

qu'elle ait déterminés, guérit par le traitement spé-

cifique : jamais, dans aucune circonstance, si éner-

gique et si bien conduit qu'ait été le traitement,

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE. 219

jamais je n'ai vu la paralysie générale enrayée dans

sa marche.

Il y a mieux : quand, en même temps que les

symptômes de la paralysie générale, existaient chez

le malade des altérations de nature non douteuse

(ulcérations, plaques muqueuses, éruptions cutanées),

j'ai toujours constaté que les spécifiques font dispa-

raître ces accidents réellement vénériens, mais res-

tent sans influence aucune sur la maladie principale.

C'est donc chez moi une conviction absolue, que,

si la paralysie générale atteint souvent d'anciens

vérolés, elle n'est jamais elle-même de nature

syphilitique; et je n'ai rien à changer aux conclusions

par lesquelles je terminais un travail lu en 1880 à la

Société de médecine de Paris (Bull. de la Soc. de méd.

de Paris, 1880).

Vingt-trois de mes malades avaient été antérieure-

ment infectés; chez aucun le traitement antisyphi-

litique n'a produit la moindre amélioration Quelque-

fois même j'ai dû me demander s'il n'avait pas été

nuisible. Enfin j'ai fait l'autopsie de paralytiques,

qui avaient eu autrefois la syphilis : je n'ai jamais

trouvé que les lésions classiques de la paralysie géné-

rale.

Traumatismes du crâne. Je les ai notés trente-

huit fois. Chez 7 malades, le traumatisme avait eu

lieu dans l'enfance, et il était resté une cicatrice ou

une déformation caractéristiques. 'l'ous les autres

avaient été frappés dans )'âge adulte, et de la façon

la plus variée (chute d'un lieu élevé, chute de cheval,

coup à la tête par éclat d'obus, coup de sabre, etc.)..

220 PATHOLOGIE MENTALE.

Si l'influence des- traumatismes du crâne n'est pas

douteuse, il est permis de se demander si les. blessures

graves des autres organes doivent être regardées

comme indifférentes. Dans un travail récent, publié

dans les Archives de physiologie, 1886, n° 8, p. 392,

M. Strauss a relaté quelques faits de tabes survenu

après un traumatisme grave (fracture du tibia, fracture

de la rotule, arthrite traumatique du coude). Je con-

nais des faits similaires pour la paralysie générale :

chez un malade, il y avait eu, deux ans auparavant,

fracture du fémur; - chez un autre, chute de voi-

ture, fracture compliquée de la jambe gauche, qui n'a

guéri qu'après des mois de traitement, et après que

plusieurs fois l'amputation avait paru indispensable;

un troisième avait été criblé de blessures à Gra-

velotte (sans plaie à la tête), etc. Je pense, comme

M. Strauss, que, sans exagérer l'importance de ces

faits, il convient d'en tenir compte et de les noter.

Insolation. - C'est la cause, presque toujours in-

voquée, chez ceux, principalement les militaires et

les marins, qui ont été dans les pays chauds. A cette

influence, qui ne paraît pas douteuse, on peut com-

parer, dans une certaine mesure, celle exercée par

les professions qui exposent à un foyer ardent (cuisi-

nier, pâtissier, boulanger, chauffeur); 10 malades

appartiennent à cette catégorie. La fâcheuse influence

de ces professions avait déjà été signalée par Calmeil.

Si l'action de la chaleur ne semble pas discutable,

il en est peut-être de même du froid. Un de mes para-

lytiques, contrôleur des contributions, s'étant égaré

pendant la nuit dans une tourmente de neige, ne

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE. 221

retrouva son chemin qu'au matin. Il rentra chez lui

transi de froid, et, à partir de cette époque, il éprouva

de violentes douleurs dans les membres. Deux ans

après, ces douleurs cessèrent, et il commença à dé-

lirer.

Maladies antérieures. Une influence étiologique

qu'il n'est pas permis de négliger, c'est celle des ma-

ladies antérieures. Chez beaucoup de paralytiques, il

y a eu, soit dans l'enfance ou à la puberté, ou même

à l'âge adulte, des incidents pathologiques graves,

tels que méningite, convulsions, fièvre typhoïde,

typhus, choléra, fièvres intermittentes rebelles ou

même pernicieuses : il ne me parait pas douteux que

ces causes aient dû exercer une influence prédispo-

sante à la paralysie générale, même lorsque celle-ci n'a

éclaté que longtemps après; soit que, de leur fait, ait

persisté un état de faiblesse générale, soit au contraire

qu'elles aient laissé une altération permanente, une

épine, dans l'organe cérébral. Des maladies graves ont

été signalées dans les antécédents d'un grand nombre

de mes malades, et j'ai la conviction que les chiffres

que j'ai recueillis sont de beaucoup au-dessous de la

réalité. '

Mais il faut se demander aussi si les maladies dont

je viens de parler, ou d'autres du même genre, peu-

vent déterminer directement la paralysie générale. On

sait qu'à la suite de certaines affections aiguës, telles

que la variole, la diphthérie, la fièvre typhoïde, il se

produit souvent des accidents paralytiques, principa-

lement dans les membres inférieurs, le voile du pa-

lais, etc. Ces paralysies généralisées, décrites pour la

222 2 PATHOLOGIE MENTALE.

première fois par Gubler, n'ont absolument rien de

commun avec la paralysie générale; elles sont d'une

tout autre nature et susceptibles de guérir dans le

plus grand nombre de cas. Cette distinction bien éta-

blie, il ne me paraît pas impossible cependant que la

paralysie générale survienne peu de temps après une

maladie fébrile grave, et dans ce cas il peut bien y

avoir une relation de cause à effet. En voici deux

exemples :

Un voyageur de commerce, quarante-trois ans,

entre en avril 1886. Ce malade, qui a toujours été

sobre et rangé, a perdu sa femme il y a quelques

années, ce qui lui a causé un profond chagrin. 11 y a

quinze mois, c'est-à-dire au commencement de 1885,

il se trouvait en Russie, où l'appelaient ses affaires,

quand il fut atteint d'une maladie fébrile extrêmement

grave (fièvre typhoïde ? ), qui le tint au lit pendant

plusieurs semaines. A partir de cette époque on s'a-

perçut qu'il avait des faiblesses fréquentes, qu'il de-

venait subitement pâle et froid, que sa mémoire avait

diminué et qu'il ne comprenait plus bien ce qu'on lui

disait. Il est mort à la fin de 1880, de convulsions

épileptiformes.

Le second cas se rapporte à un négociant grec,

marié, père de plusieurs enfants, âgé de quarante-

huit ans, au moment de son admission, octobre 1880.

Jusqu'au commencement de cette année, il avait par-

faitement géré ses affaires, menait une vie très régu-

lière, et paraissait jouir d'une excellente santé. A cette

époque, il fut atteint d'une affection fébrile très grave( ? )

contre laquelle ou lui fit prendre de très fortes doses

de quinine. Il eut de la peine à se remettre ; la cou-

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE. 223

valescence fut interminable, et on lui : conseilla de

faire un voyage en France pour achever la guérison;

sur le bateau même éclatèrent les premiers symptômes

de délire, et, à peine arrivé en France, le malade dut

être placé à Charenton. Il est mort dans le courant

de 1882.

D'autres affections, qu'on s'attendrait à rencontrer

fréquemment dans les antécédents des paralytiques

généraux, ne paraissent au contraire exercer qu'une

influence très modérée : telle l'épilepsie. Je n'ai connu

que deux épileptiques qui soient devenus paralytiques

généraux :

L'un, âgé de trente-trois ans, employéde commerce,

épileptique depuis son enfance (son père était également

épileptique). Il s'était cependant marié, perdit bientôt-

sa femme, ce qui lui causa un profond chagrin. Entré

en mars 1881, il mourut dans le marasme en août

1884, et, chose bien extraordinaire, pendant les trois

ans qu'il passa dans mon service, il n'eut jamais d'at-

taque épileptiforme.

Le second, âgé de quarante-deux ans au moment

de son admission, janvier 1887, avait depuis l'enfance,

et à propos de la moindre contrariété, des syncopes : .'

il pâlissait, perdait connaissance, tombait même par

terre, et en revenant à lui, se plaignait de forts maux

de tête. Cependant il gérait un commerce important,

s'était marié et avait trois enfants. La mère de ce ma-

lade présente exactement les mêmes symptômes, et

on les constate déjà chez deux des enfants. Les pre-

miers signes d'affaiblissement intellectuel remontent à

un an environ, et sont attribués à des contrariétés

clans les affaires. Ce malade n'est resté que deux mois

22 le PATHOLOGIE MENTALE.

à Charenton : pendant ce temps il n'a eu aucune deses

syncopes.

Si l'influence de l'épilepsie est si minime, il en est

autrement de celle de. l'ataxie locomotrice progressive.

Depuis les travaux de Baillarger, qui le premier a

signalé cette coïncidence, un assez grand nombre d'ob-

servations ont été publiées, et l'on a cherché à cette

complicationune explication qui a paru toute naturelle :

l'ataxie tenant à une sclérose de la moelle épinière et

la paralysie générale s'accompagnant d'une sclérose

du cerveau, on s'est dit que dans certains cas la lé-

sion de la moelle pouvait se propager de bas en haut.

Je me suis déjà élevé contre cette théorie', qui ne me

paraît justifiée en aucune façon. Cliniquement d'ail-

leurs, la paralysie générale ne survient que très rare-

ment chez les ataxiques : je n'en ai que trois cas

parmi mes 340 observations. Par contre, dans la même

période de temps, j'ai vu un assez grand nombre d'a-

taxiques devenus aliénés, j'en ai encore en ce mo-

ment dans mes salles : ce ne sont pas des paralytiques

généraux.

L'érysipèle de la face a été signalé par notre maître

Baillarger. Je n'ai qu'un seul cas où cette cause ait été

invoquée. Il s'agit d'un lieutenant de dragons, âgé de

quarante-un ans, peu intelligent et presque illettré : il

n'était devenu officier que grâce aux événements de

1870, et j'ai pu juger des efforts que le malheureux

devait s'imposer pour remplir les obligations de son

grade. En 1878, au mois d'août, il se fit opérerd'une

tumeur qu'il avait au front (loupe ? ) : érysipèle de la

i Bulletin de la Soc. de médecine de Paris, 1879.

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE. 225

face consécutif. A peine remis, il dut partir pour les

grandes manoeuvres, au retour desquelles il commença

à délirer. Entré en avril 1879, il succomba au bout

de deux ans.

A cette observation je rattacherai la suivante : un

gendarme, âgé de trente-deux ans, reçoit de son

cheval un coup de tète qui lui' fait une forte contusion

à la face. Consécutivement un abcès se développe

(dans le sinus maxillaire sans doute), et dure pendant

plus d'un an; enfin, il finit par guérir, mais on s'a-

perçoit alors que le gendarme perd .la mémoire, qu'il

se met à boire; on le transfère au Val-de-Grâce et de

là à Charenton, où il arrive en proie à une agitation

maniaque tout à fait caractéristique : il fut retiré par

sa famille après six mois de séjour. Y avait-il unrappoit t

à établir entre l'abcès du siuus maxillaire et la paralysie

générale : c'est ce que je me suis souvent demandé.

En résumé, la question des rapports de la paralysie

générale avec les affections aiguës, ou chroniques, an-

térieures, est encore fort obscure : elle mérite à tous

égards d'attirer l'attention.

Causes morales. Un très grand nombre de

malades ont eu à supporter .de violents chagrins :

perte de la fortune, mort d'un enfant, mort de -la

femme, ambition déçue, déceptions de toutes sortes.

Ce sont même les causes le plus généralement invo-

.quées par les familles; leur action est lente, progres-

sive. Mais quelquefois, la cause morale agit à la façon

d'un traumatisme,' elle produit un choc violent, sou-

dain, dont le malade ne se relève plus. J'ai vu mourir

à Maréville un négociant qui, conseiller municipal de

. Archives, l, XIV. 1

226 . PATHOLOGIE MENTALE.

son village en 1870, avait été arrêté par les Prussiens

et sur le point d'être fusillé. Un médecin avait

couru le même danger pendant la Commune, et n'avait

échappé que par miracle. Un négociant avait vu

son magasin envahi, pillé, incendié, lui-même menacé

de mort, etc. '.

Dans la revue qui précède, j'ai essayé de faire le

relevé, aussi complet que possible, des causes qui ont

pu être signalées, avec apparence de raison, dans

mes observations. Il est évident qu'en pareille ma-

tière, on ne saurait jamais se flatter d'arriver à

l'exactitude absolue, et l'on n'apprendrait pas grand'

chose sur la genèse véritable de la maladie, si l'on se

bornait à cette énumération.

Dire que chez tant de malades on a trouvé telle

cause, chez tant d'autres telle autre cause, pour

arriver en définitive à une simple comparaison de

chiffres, ne me semble pas le moyen de dégager

une conception étiologique plausible. D'autant plus,

que dans la réalité, on ne voit jamais aucune de ces

causes agir isolément; elles se mêlent, se compliquent,

se combinent de mille façons. On peut en juger par

les exemples suivants :

I. A., boucher, cinquante-six ans, sans être alcoolique, n'était

pas sobre; depuis une dizaine d'années, il souffrait de bourdon-

nements d'oreilles, quand, en 1870, dans une rixe avec des soldats

allemands, il fut frappé violemment à la tête (coups de poing et

coups de crosse de fusil). En 1873, il perd un fils aîné âgé de dix-

huit ans; depuis ce moment le dérangement mental s'accentue.

Il meurt dans le marasme en janvier 1877.

' En résumé, ces conclusions ne diffèrent guère de celles que nous

avons données, le D' Hitti et moi, dans notre article Paralysie générale,

du Dictionnaire de Decliambre.

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE. 227 t

Le cas suivant est encore plus complexe :

II. V ? capitaine d'artillerie, quarante-trois ans; fils unique de

petits cultivateurs, il arrive, à force de travail et de peine, à l'école

polytechnique, et sort dans l'artillerie. Quelques années après, il

s'attache à une veuve, mère d'un enfant, et vit maritalement avec

elle. Pendant de longues années, il eut à s'imposer toutes sortes

de privations pour entretenir ce ménage, dont il fallait absolu-

ment cacher l'existence à ses parents. La femme devint folle, et

dut être placée dans un asile d'aliénés ; mais elle avait eu le temps

de faire des dépenses extravagantes, ce qui jeta le malheureux

officier dans des embarras absolument inextricables. Un jour que

V... était allé visiter la malade, celle-ci, au moment où il sortait

de la cour, se précipita d'une fenêtre du deuxième étage et vint

tomber, grièvement blessée, à ses pieds; elle succombait quelques

mois après. Déjà V... donnait des signes non douteux de paralysie

générale : des attaques épileptiformes l'emportèrent deux mois

environ après son entrée.

On voit ici le surmenage cérébral, les préoccupa-

tions, les chagrins, les difficultés de l'existence, se

réunir pour agir sur le cerveau de V... : le dernier

coup lui est porté par une secousse terrible.

Aces deux faits, que j'ai choisis parmi ceux qui m'ont

été le mieux connus, j'en ajouterai quelques autres :

111. F ? artiste sculpteur, vingt-huit ans, petit-fils d'un des

grands peintres du siècle dernier. Double prédisposition héréditaire :

grand-père maternel et oncle paternel morts aliénés. A mené une

jeunesse dissipée, a eu la syphilis et a subi un traitement spéci-

fique énergique. Dans les derniers temps a épousé sa maîtresse, et

s'est trouvé dans une situation fort embarrassée. Déceptions artis-

tiques ; quelques-unes de ses oeuvres avaient été accueillies avec

faveur : il rêvait le chef-d'oeuvre qui devait le mettre hors de pair

et lui apporter gloire et fortune. 11 vient de s'éteindre à Cha-

renton.

IV. M ? capitaine d'infanterie, cinquante-deux ans. Un frère

et une soeur idiots. A plusieurs idiots et aliénés dans sa famille.

Il y a douze ans, coups de sabre sur la tête. Se marie et se trouve

dans une situation gênée, avec une femme presque constamment

malade.

V. D ? employé de commerce, quarante-cinq ans. Terrible

frayeur pendant la commune, a failli être exécuté. Quelques an-

nées après, violent chagrin de la mort de sa femme.

7 228 PATHOLOGIE MENTALE.

VI. D ? trente-huit ans, capitaine d'infanterie. Prédisposition

héréditaire : l'un des parents (père ou mère ? ) aliéné. En 1870,

pendant la guerre, violente frayeur : le train dans lequel il était

transporté avec sa compagnie déraille; il échappe heureusement

1'1 la mort, mais voit périr sous ses yeux plusieurs de ses soldats.

En 1873, chute de cheval. En 1878, insolation en Algérie; à par-

tir de ce moment les troubles intellectuels s'accentuent ; il suc-

combe en 1879.

Je terminerai par l'observation suivante' : F... a

eu un père alcoolique, un oncle aliéné; cependant,

jusqu'à l'âge de quinze ans, il ne présente rien de

particulier; il était très intelligent et l'un des pre-

miers de sa classe. A quinze ans, fièvre typhoïde, qui

lui fait tomber les cheveux et les sourcils, et lui fait

oublier tout ce qu'il avait appris; il fallut recom-

mencer toutes ses études, et l'on s'aperçut, à partir

de ce moment, qu'il n'était plus capable d'une atten-

tion soutenue, qu'il était devenu bizarre, excentrique.

En 1870, au moment de la guerre, il partit comme

soldat (il avait 21 ans), mais il fut bientôt renvoyé

dans sa famille avec un certificat d'aliénation mentale.

Devenu chanteur de café-concert, il acquit une très

grande vogue; mais son existence ne fut qu'une suite

d'extravagances et de gaspillages avec des maîtresses

qui l'exploitaient. Un jour, clans une dispute avec

l'une d'elles, celle-ci lui lança au front une carafe,

qui lui fit une profonde blessure, dont la cicatrice

reste visible : elle eut pour résultat un strabisme diver-

gent de l'oeil du côté blessé. Vers 1882, premiers

signes de la paralysie générale à laquelle il succomba

trois ans plus tard.

Ces exemples, que j'aurais pu multiplier, montrent

1 Elle a été reproduite récemment dans une thèse.

r

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE. 229

que dans l'étiologie de la paralysie générale, il faut

toujours s'attendre à rencontrer des causes multiples;

mais aussi que ces causes n'offrent rien de spécifique :

c'est la remarque que j'ai déjà faite plus haut.

Au fond cependant, tous ces faits ne sont pas si

dissemblables qu'ils le paraissent de prime abord, et

en y regardant de près, il me paraît possible d'en

tirer une donnée générale, de faire en quelque sorte

la synthèse de cette étiologie d'apparence si diverse.

Les auteurs qui se sont occupés de cette question

ont généralement cédé à la tendance d'invoquer une

cause unique. Pour les uns, le seul coupable c'est

l'alcool, et leur principal argument c'est que la para-

lysie générale augmente de fréquence parallèlement

aux progrès de l'alcoolisme. Les autres accusent ex-

clusivement les excès vénériens; d'autres encore la

syphilis.

Je crois que le problème n'est pas aussi simple, et

j'ai essayé de montrer que toutes ces causes sont

loin d'avoir l'influence qui leur a été attribuée.

Cependant, étant donnée l'identité de lésions et de

symptômes qui se retrouve chez tous les paralytiques

généraux, il est permis de se demander s'il n'y a pas,

dans tous les cas, et à l'origine de la maladie, une

influence étiologique toujours la même.

Tout d'abord il convient de se demander s'il n'existe

pas une prédisposition à la paralysie générale. Or, à

cet'égard uu premier point me paraît à noter : lorsque

l'on étudie les paralytiques généraux au point de vue

de leur état cérébral, antérieur à la maladie, on cons-

tate (c'est du moins le résultat de mon expérience)

que presque tous n'avaient qu'une capacité inlellec--

- * 230 PATHOLOGIE MENTALE.

tuelle médiocre, ne dépassant pas la moyenne, ou

même restant en dessous. Chez ceux que l'on pouvait

citer pour leurs facultés brillantes, il existait en même

temps des lacunes singulières : il n'en est aucun qui

se fît remarquer par une intelligence supérieure, bien

pondérée.

Cette faiblesse intellectuelle (faiblesse toute relative,

cela va sans dire) n'a pas toujours la même origine.

Chez les uns elle est congénitale : ce sont des

héréditaires, des dégénérés, qui, en venant au monde,

avaient déjà cette défectuosité psychique dont ils

- devaient porter la peine plus tard; chez eux on peut

constater les stigmates physiques si caractéristiques :

asymétrie du crâne ou de la face, implantation vicieuse

des oreilles, etc.

Chez les autres au contraire, elle est survenue acci-

dentellement, dans l'enfance, à l'époque de la puberté,

ou même plus tard, sous l'influence de causes telles

que les convulsions, la fièvre typhoïde, un traumatisme

du crâne, une insolation, une frayeur, une émotion

violente, etc. Tous ces individus, à cerveau ainsi

amoindri, sont exposés à tous les chagrins, à tous les

déboires, à toutes les déceptions de l'existence. Mais

ces chagrins, ces déboires, ces déceptions, qui sont

comme la monnaie courante de la vie, nul, dans la

carrière même la plus heureuse, ne peut se vanter d'y

échapper; et il n'est personne qui arrive à l'âge moyen,

sans avoir eu à pleurer un de ceux qui lui étaient par-

ticulièrement chers, sans avoir éprouvé quelque perte

d'argent, ou quelque déception d'amour-propre, ou

des contrariétés de toute espèce. Cependant ceux-là

seuls succombent à qui manque la force de résistance

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE. 231

nécessaire, et c'est dans cette catégorie que je range

les prédisposés à la paralysie générale.

Pour eux également, le moindre écart devient un

excès; ils supportent mal la boisson, les plaisirs véné-

riens, et, sans être ni des alcooliques, ni des débau-

chés, ils dépassent facilement la mesure de ce qui leur

est permis.

Enfin, quelle que soit d'ailleurs leur position sociale,

s'ils sont astreints à un effort intellectuel continu, et

qu'il faille renouveler chaque jour, cet effort intellec-

tuel, si minime qu'il soit, sera encore de trop pour

eux; il les surmènera, et la paralysie générale sera le

résultat final.

D'ailleurs, que l'on ne s'y trompe pas : le surmenage

ne suppose pas nécessairement un effort exagéré, vio-

lent ; il y a surmenage chaque fois que l'effort demandé

est disproportionné avec la capacité de l'organe*.

Aussi est-il une troisième catégorie de malades; ce sont

ceux qui, ne présentant aucune tare, ni congénitale, ni

1 J'ai déjà touché cette question de surmenage dans une noie que j'ai

lue à la Société de médecine de Paris {Union médicale, 9 avril 1887), et

j'ai montré que, contrairement à ce que l'on pouvait supposer, ce ne

sont pas les officiers sortis des écoles spéciales (Polytechnique, St-Cyr,

Navale), qui fournissent le plus fort contingent à la paralysie générale.

Ainsi, sur 68 officiers paralytiques généraux, 2 seulement étaient d'an-

ciens polytechniciens, 6 avaient passé par St-Cyr, 1 par l'Ecole navale :

tous les autres sortaient des rangs. Et en effet le surmenage doit être

plus fréquent chez ces derniers. Les officiers sortis des écoles se recru-

tent parmi les enfants, qui, dès leur début au collège, ont été reconnus

assez intelligents pour continuer leurs études, et qui, soumis à un entraî-

nement progressif, sont arrivés, sans trop d'efforts, au résultat qu'ils

ambitionnaient. Chez eux, les effets du surmenage se seraient fait sentir

beaucoup plus tôt, avant même l'entrée à l'école, ou tout de suite après

la sortie. Il n'en est plus ainsi de ceux que des circonstances favorables,

souvent inattendues, font sortir des rangs inférieurs où devait s'achever

leur carrière, pour les porter à une situation plus élevée, à laquelle ils

n'étaient pas préparés, et où ils n'ont pu se maintenir qu'au prix d'efforts

inouïs. Beaucoup ont été ainsi victimes d'un avancement de grade : ils

ont bientôt fléchi sous le poids de leurs nouvelles obligations.

232 . PATHOLOGIE MENTALE.

acquise, par conséquent aucune prédisposition, suc-

combent cependant, parce qu'ils ont demandé à leur

cerveau plus qu'il ne pouvait donner. Ces exemples ne

sont pas rares; nous en avons tous rencontré.

En résumant les considérations qui précèdent, je crois

que l'étiologie de la paralysie générale peut se réduire

aux termes suivants :

1° Causes prédisposantes : faiblesse relative du cer-

veau, congénitale ou acquise (au moins dans le plus

grand nombre des cas);

2° Causes occasionnelles : tout ce qui est susceptible

de déterminer une fatigue prolongée de l'organe (cha-

grins, veilles, excès de travaux intellectuels ou physi-

ques, etc.). Ces dernières causes peuvent se résumer en

un mot : le surmenage.

De telle sorte que, si je voulais résumer tout ce qui

précède dans une formule générale, je dirais que « la

cause de la paralysie générale, c'est le surmenage du

cerveau dans l'âge adulte ».

Si ces vues sont exactes, il serait possible de pous-

ser l'analyse plus loin et d'arriver par induction à dé-

terminer la lésion originelle de la maladie. Car si l'on

examine de près toutes les causes que j'ai énumérées,

celles dont l'action est soudaine et violente (frayeur,

émotion vive), aussi bien que celles qui n'agissent que

lentement et insidieusement (chagrins, préoccupations,

contention d'esprit), il n'est pas douteux qu'elles se

traduisent toutes par des modifications, brusques ou

lentes, dans la circulation cérébrale. J'en dirai autant

des causes physiques (traumatisme, insolation, excès,

' C'est la conclusion de M. le professeur Lefèvre de Louvain; mais il y

est arrivé par des considérations toutes différentes.

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE. 233

insomnie, etc.). Au début, le trouble circulatoire est

purement fonctionnel et passager ; mais il ne tarde

pas à devenir organique et permanent, et il aboutit à

ces lésions vasculaires, qui pour beaucoup d'auteurs

sont le point de départ des altérations que nous cons-

tatons dans le tissu même de l'encéphale. On voit que,

cliniquement, j'arrive aux conclusions auxquelles se

sont arrêtés des observateurs, tels que Meyer, Lubi-

moff, Rindfleisch, Magnau, etc., qui n'hésitent pas à

placer dans les vaisseaux cérébraux l'origine des lé-

sions de la paralysie générale \

Un dernier mot pour expliquer ce que je disais en

commençant au sujet de l'augmentation de fréquence

de la paralysie générale depuis qu'elle est connue. Cette

augmentation me paraît réelle, car, si les causes que

j'ai examinées ne sont pas nouvelles, si elles existaient

autrefois tout comme aujourd'hui, il faut reconnaître

cependant qu'elles exercent maintenant leur action

dans des conditions toutes différentes : notre état social

diffère profondément de ce qu'il était il n'y a qu'un

siècle (pour ne prendre que ce terme de comparaison).

Ily a cent ans à peine, chacun en naissant trouvait en

quelque sorte son existence toute tracée : les choses

étaient arrangées de telle façon que, dans la carrière

où le hasard l'avait fait naître, la concurrence fût réduite

au minimum. Sans grands efforts, sans compétition

' C'est aussi l'opinion de Luys : qu'il s'agisse, dit-il, « d'incitation d'ordre

moral, de chagrins, de déceptions, d'une surexcitation intellectuelle pro-

longée, de nuits passées sans sommeil. Qu'il s'agisse de substances

étrangères introduites dans l'économie, de liqueurs alcooliques surtout...,

qu'il s'agisse de méningites traumatiques ou d'origine syphilitique, le

processus pathogénique est toujours le même au fond : c'est un travail

d'hyperemie congestive ([ni s'organise, qui se perpétue, et donne nais-

sance à des néoplasies scléreuses, etc. » 1) . 5î9).

234 PATHOLOGIE MENTALE. DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE.

ardente, chacun arrivait presque sûrement à son but;

généralement il vivait et mourait, non seulement dans

la ville ou le village, mais dans la maison même où il

était né, et il n'avait qu'à cheminer paisiblement dans

l'ornière que son père avait tracée. Il en est tout

autrement aujourd'hui : les conditions de l'existence

sont profondément changées. Chacun a devant lesyeux

un horizon sans limites, et peut se dire que de lui seul

il dépend d'arriver à la place qu'il souhaite : toute

ambition lui est permise et est légitime. Il en résulte

que partout augmente le nombre des concurrents ; le

combat pour la vie devient chaque jour plus âpre, et

ceux qui entrent dans la mêlée sans être suffisamment

armés sont presque sûrs de succomber. Tel qui, dans

une condition donnée, aurait pu, jadis, fournir une

carrière honorable et paisible, est obligé aujourd'hui,

pour arriver au même résultat, de déployer une somme

d'efforts sous lesquels il fléchit bientôt.

C'est ainsi que le nombre des surmenés augmentant

fatalement, il me paraît que le nombre des paralyti-

ques généraux doit lui-même augmenter, et, si mes

vues sont justes, rien n'autorise à penser que cette

augmentation doive actuellement s'arrêter. Mais ce

n'est pas la civilisation qu'il faut accuser, car la civili-

sation, mot vague, et dont on abuse, renferme plus

de bien que de mal, et rend meilleures les conditions

de l'existence. Le seul coupable, c'est le surmenage,

qui frappe fatalement ceux qui ne sont pas de taille à

supporter « le combat pour la vie ».

CLINIQUE NERVEUSE

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE' ;

Par BOURNEVILLE et P. BRICON

ÉPILEPSIE AVEC AURA PROCURSIVE

Nous distinguerons les malades qui, sans avoir eu,

du moins à notre connaissance, des accès procursifs

isolés, ont des accès précédés d'une course, de ceux

qui, atteints auparavant d'épilepsie procursive isolée

antérieure, ont encore des phénomènes procursifs

constituant alors une sorte d'aura de l'accès ordinaire.

Ces malades doivent-ils être considérés comme at-

teints d'une des formes de l'épilepsie procursive, en

présentent-ils les lésions anatomiques jusqu'ici consta-

tées ? C'est un point sur lequel il nous est impossible

de nous prononcer pour l'instant, nos documents élant

insuffisants. Ces auras procursives peuvent encore être

rapprochées des actes automatiques préépileptiques

et n'en sont peut-être qu'une exagération.

Observation XX. - Epilepsie. - Père, hémiplégie droite.

Mère nerveuse ; grand-père maternel, mort à quatre-

1 Voy. Archives de Neurologie, vol. XIII, n 39, mai 1887, p. 321, et

vol. XIV, n" 40, p. 55.

236 CLINIQUE NERVEUSE.

" vingt et un ans d'une pneumonie ; - grand'mère maternelle

morte à quatre-vingts ans d'une hémiplégie droite. -

Asphyxie à la naissance ; convulsions à dix-huit mois; -

parole et marche tardives ; - rougeole; - ophthalmie. -

Premier accès à dix-sept ans; vertiges ; aura procur-

sive ; - violences.

Jan.... (François-Ferdinand), né le 2 juillet 1815, est entré

le 16 décembre 1881 à Bicêtre. (Service de M. BOUE,NE-

VILLE.)

Renseignements fournis par sa mère (9 décembre 1885).

Père, fabricant de chapeaux, intelligent, fort, de taille

' moyenne, très sobre ; marié à l'àge de trente ans, est mort à

cinquante-deux ans, des suites d'une hémorrhagie cérébrale ( ? )

(hémiplégie droite avec aphasie, intelligence conservée) qui

avait été précédée pendant trois ans de violentes céphalalgies.

[Père, fabricant de chapeaux, mort à trente et un ans. Mère,

morte à soixante-dix ans, sans qu'on puisse dire de quelle

maladie. - Pas de renseignements sur les grands-parenls, et

renseignements confus sur les collatéraux. Pas d'épilepti-

ques, de difformes, de criminels, de suicides, etc., dans la

famille.]

Mère, soixante-quatorze ans et demi, coloriste; elle est très

impressionnable, éprouve parfois, à la suite de chagrins, des

serrements de gorge avec claquements des dents. Elle est

de taille moyenne, maigre, porte une moustache qui a toujours

été très fournie, même dès sa jeunesse ; bien réglée, elle s'est

mariée à vingt-six ans, et n'a jamais été malade. - [Père,

mort à quatre-vingt-un ans d'une pneumonie. Mère, morte à

quatre-vingts ans des suites d'une hémiplégie droite survenue

quatre ans auparavant ; elle était vive, impressionnable, mais

n'a jamais eu d'attaques nerveuses. On n'a aucuns rensei-

gements sur les grands-parents. Pas d'épileptiques, etc., dans

la famille.] - Pas de consanguinité.

Cinq enfants, quatre fausses couches (à 6, 4, et 3 mois) :

1° fille, modiste, bien portante, intelligente, pas de convul-

sion ; 2" garçon, né avant terme, mort en nourrice à l'âge

d'un mois ; 3° notre malade ; 4° fille, onze ans, im-

pressionnable, tumeur fibreuse de l'utérus, pas de convulsions;

5° garçon, mort à l'àge de six ans et demi, on ne sait de

DE l'épilepsie PROCURSIVE. 237

quoi. -- Il vomissait depuis longtemps. - Pas de convul-

sions :

Notre malade. Lors de la conception le mari faisait de

mauvaises affaires, souffrait de céphalalgies avec étourdisse-

ments. Grossesse bonne, sauf les chagrins occasionnés par

le mauvais état de leurs affaires. Accouchement à terme,

rapide. - Asphyxie à la naissance. - Elevé en nourrice au

sein et au biberon (lait de chèvre). Première dent à cinq

mois. A dix-huit mois, étant encore en nourrice, il aurait

eu, à diverses réprises, des convulsions assez graves pour

qu'un instant on le crùt mort. Il a marché et a été propre à

deux ans; il n'a parlé assez bien qu'à trois ans. Vers quatre

ans, rougeole. - A huit ans, opltthalmie grave (taie sur l'oeil

droit), pas d'autres maladies, sauf des furoncles.

Il a fréquenté l'école de sept à dix-sept ans; il a appris à

lire et à écrire, mais toujours l'intelligence a été peu dévelop-

pée ; il était joueur, taquin; aimant à vagabonder avec d'autres

enfants, mais n'a commis aucun acte repréhensible. D'un

caractère très emporté, il aurait battu sa mère si l'on ne s'y

était opposé. - Il a été mis en apprentissage, comme relieur,

à dix-sept ans chez un patron avec lequel il buvait de l'aGsilz-

the. Il y est resté un an. - C'est à cette époque que s'est

déclaré le premier accès ; il venait de prendre de l'absinthe.

Les accès assez rapprochés (tous les huit jours) ont d'abord été

nocturnes. - Les accès se sont ensuite rapprochés, éclataient

aussi bien de jour que de nuit, mais surtout à la suite de con-

trariétés ou d'émotion. On n'aurait noté de vertiges et de

secousses ( ? ) que depuis l'âge de vingt ans.

Actuellement l'accès présente les caractères suivants : il est

précédé d'une sorte de fatigue, ou bien le malade éprouve un

besoin irrésistible de s'en aller, de courir; il lui est arrivé

quelquefois de descendre ainsi cinq étages avant d'aller tomber

ensuite dans la cour; il pâlit, tombe comme une masse sans

cri initial. - Périodes tonique et clonique'. Pas d'écume.

- Coma. - Pas de troubles intellectuels à la suite des

accès. Voici la marche des accès :

1 A la fin de la période clonique, au dire de sa mère, il s'accrochait

aux objets environnants. Celle-ci prétend <¡ue, dans la rue, t'accès n'était

pas précédé de course.

238

CLINIQUE NERVEUSE.

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 239

leur diminution, puis ensuite par leur disparition

depuis près d'un an.

Observation XXI. Idiotie. Epilepsie. Grand-père,

grand'mère paternels, tante paternelle, cousine, morts à

la suite d'attaques d'apoplexie. - Grand-père maternel, alcoo-

lique. Grand'mère et oncle maternels morts de phthisie.

Chute pendant la grossesse. - Première crise procursive

à trois ans. Pleurésie. - Mort.

Autopsie. - Pleurésie purulente enkystée droite.

Noyaux de sclérose tubéreuse sur les circonvolutions et les

ventricules latéraux.

Cail... (Adolphe), vingt et un ans, entré le 18 juillet 1872 à

l'hospice de Bicêtre (service de M. BOURNEVILLE), décédé le

21 octobre 1879.

Renseignements fournis par les parents. - Père, cinquante-

trois ans, joaillier, bien portant, n'a eu aucune maladie ner-

veuse, ni cutanée, il a perdu par des attaques d'apoplexie son

père à soixante-quatre ans, sa mère à cinquante-cinq ans;

celle-ci serait restée quelque temps paralysée. Un frère bien

portant; une soeur est morte paralysée consécutivement aune

attaque d'apoplexie. Il n'y a dans sa famille ni aliénés, ni dif-

formes, etc.

Mère, quarante ans, sans profession, n'a eu ni migraine, ni

dartres; elle est très impressionnable, a quelquefois des fai-

blesses et même des pertes de connaissance. [Père, cordon-

nier, alcoolique, a succombé à une affection génito-urinaire.

Mère morte d'accidents pulmonaires sans avoir jamais eu

d'affection nerveuse. Un frère bien portant, un autre mort de

la poitrine, une smur morte subitement d'un anévrysme à

trente-trois ans. Ni aliénés, ni épileptiques, ni suicides, etc.,

dans la famille]. -Pas de consanguinité.

Deux enfants : 1° un mort de scrofules à quatre ans sans

avoir eu de convulsions; il était très intelligent;

2° Noire malade. Sa mère fit deux chutes pendant sa

grossesse : la première fois elle tomba sur le ventre, avecperte

de connaissance ; la deuxième fois elle tomba dans une cave,

elle était au troisième ou sixième mois de sa grossesse. Elle eut

aussi des scènes de colère à éprouver de son mari, ce qui lui

240 CLINIQUE NERVEUSE.

était d'autant plus sensible qu'elle avait été gâtée chez ses pa-

rents. Le développement du ventre pendant sa grossesse était

tel qu'on soupçonnait une grossesse gémellaire. Accouchement

à terme, laborieux, mais naturel. Il y eut issue d'une grande

quantité d'eau. Elevé au sein par une nourrice jusqu'à quatre,

ou cinq mois, par une autre durant un mois, enfin élevé

au biberon avec du lait de chèvre. Ce qui frappa chez l'en-

fant ce fut le développement exagéré de la. tête. Il a commencé

à marcher à trois ans, à parler à cinq ans répétant ce que

l'on disait; il n'a jamais été intelligent.

C'est à trois ans qu'il eut son premier accès convulsif : tout

d'un coup il quitta la main de sa mère, fut précipité en avant

comme s'il courait et tomba en proie à des convulsions. Pen-

dant plusieurs années il courait en hurlant à chaque crise et se

levait si l'accès le prenait lorsqu'il était couché 1. Il avait en-

core ses courses en avant à son entrée Bicètre. On ne sait pas

exactement à quelle époque elles ont disparu; dans les accès

de ces dernières années il poussait des cris violents, se tordait,

devenait de toutes les couleurs, il écumait peu, ne se mordait

pas la langue. Ses accès étaient plutôt diurnes que nocturnes.

- Pas de folie, ni de kleptomanie, ni de pyromanie; il aimait à

arracher les fleurs des arbres. - Pas d'onanisme, pas de pro-

pension génitale; il gâte quelquefois dans ses accès.

Affectueux pour ses parents, il n'est pas violent. L'intelli-

gence ne s'est jamais développée, il n'a pu apprendre que ses

lettres, ne savait pas compter spontanément ; il répondaitassez

mal aux questions qu'on lui posait, ne disant que oui ou non,

et encore il fallait insister; alors il répétait ce qu'il avait en-

tendu. Il n'ajamais eu de gourme, ni aucune maladie, si

ce n'est une carie vertébrale pour laquelle il a été soigné à

l'hôpital des Enfants malades et qui a laissé des cicatrices.

1879. 17 octobre. -Le malade ne s'est couché que le 17 oc-

tobre. -Le 16 on n'avait rien remarqué de particulier, il allait

et venait, se promenait (de préférence dans les endroits soli-

taires), et cela comme d'habitude, il mangeait au réfectoire;

on n'avait pas observé qu'il eut moins d'appétit. Dans la nuit

du 16 au 17, le veilleur avait noté un peu d'oppression; néan-

1 Selon une note prise par 11. Delasiauve le 1G août 1872, « sa mère

affirme qu'il était hydrocéphale dans sa jeunesse, qu'il a eu de noni-

'breuses et violentes convulsions jusqu'à l'âge de six ans ».

DE l'épilepsie PROCURSIVE. 241

moins, le malade s'était levé spontanément, avait pris suivant

une vieille habitude une tablette de chocolat et était descendu

dans la cour; c'est là que le surveillant, auquel le veilleur avait

signalé le malade, le vit, constata qu'il était souffrant et l'en-

voya à l'infirmerie. Le malade ne s'était plaint et ne se plain-

gnait de rien, il ne pouvait d'ailleurs donner aucun renseigne-

ment, en raison de son état d'imbécillité. - Durant l'examen,

pas de parole, pas de toux ou toux incomplète. L'auscultation

dénote des râles sibilants et ronflants mêlés de quelques râles

sous-crépitants disséminés dans les deuxpoumons. La percussion

donne à droite une submatité remontant assez haut et dimi-

nuant à mesure. que l'on s'élève et se confondant en bas avec

la matité du foie sans donner une ligne de séparation nette

entre la percussion du foie et du poumon. Rien d'anormal

au coeur. La matité du foie remonte un peu haut et descend

à deux travers de doigts des fausses côtes. La palpation du

foie au-dessous des fausses côtes droites confirme ce renseigne-

ment. -Pas d'augmentation apparente de la rate. T. R. 38°,2.

Soir : oppression extrême, lèvres bleuâtres, cyanosées.

Vingt ventouses sur la poitrine calment un peu l'oppression.

T. R. 39°,6.

18. On remarque du mucus nasal et palpébral en assez

grande quantité. La paupière supérieure droite est rosée et

gonflée. P. petit régulier à 136; R. à 56. T. R. 39°,1.

Soir : 39°, 2. Traitement : 60 ventouses sèches; ipéca stibié ;

potion avec infusion d'ipéca ogr) 215 et rhum.

19. L'oppression est constante, pas d'accès de dyspnée;

cependant elle est plus marquée le soir. Râles sous-crépitants,

sibilants et ronflants des deux côtés dans toute la hauteur. -

40 ventouses sèches en arrière. Vésicatoire en avant. P. 120;

T. R. 38°,8.

20. Le malade est un peu plus éveillé; montre sa langue

qui est humide. A l'auscultation, râles variés, mais surtout

râles sibilants, quelques râles sous-crépitants à la base du pou-

mon droit. Garde-robe régulière, ne gâte pas. P. 120; R. 40;

T. R. 380. Soir : 400. ;

21. - C... a pris du potage, du lait, un oeuf. Une garde-

robe liquide. Muguet. P. petit, irrégulier, à 120; R. à 48; T.

R. 38°,8. La face et les traits sont altérés ; cyanose des lè-

vres et des conjonctives, mort l'après-midi à une heure.

Archives, t. XIV. 16 G

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DE L EPII.EPSIE PROCURSIVE. 243

Autopsie, le 23 octobre 1879. Thorax. Poumon gauche.

Très adhérent au thorax et au diaphragme, pas de liquide dans

la plèvre. Injection très prononcée des bronches. Congestion

du poumon avec un peu d'oedème à la partie postérieure du

lobe inférieur. -Poumon droit. Adhérence telle qu'il faut en-

lever la plèvre pariétale pour sortir le poumon du thorax. La

plèvre a près de 2 millimètres d'épaisseur. On trouve une pleu-

résie enkystée siégeant en avant dans les deux tiers inférieurs

de la poitrine, refoulant le coeur un peu à gauche et en bas,

abaissant le foie et s'étendant seulement latéralement. La poche

semble séparée incomplètement en deux autres : 1° la gauche

plus petite ayant un prolongement infundibuliforme vers le

diaphragme, la paroi de la poche est amincie ; 2° la droite

plus profonde se prolonge vers la base de la poitrine jusqu'à

l'hypochondre. Le poumon droit refoulé en arrière occupe

toute la cavité droite du thorax; il est très congestionné sur-

tout à sa partie postérieure. L'épanchement siégeait principa-

lement dans la partie antérieure et médiane de la plèvre

diaphragmatique et était de nature purulente. - Coeur. Hyper-

trophie du ventricule gauche (330 gr.); quelques caillots

fibrineux dans le ventricule droit. Quelques taches laiteuses sur

la valvule tricuspide et la mitrale. Pas de sclérose. Quelques

plaques athéromateuses de l'aorte.

Abdomen. Estomac. Rien d'anormal. Rate. Volumi-

neuse (290 gr.); tissu ferme, congestionné. Foie. Assez vo-

lumineux (1,640 gr.),non congestionné. - Reins. Très volumi-

neux et très congestionnés (260 gr.) ; le droit présente un petit

kyste de la grosseur d'un pois et une cicatrice très foncée ré-

sultant d'un autre kyste.

Crâne. Epaisseur normale en avant, un peu augmentée

en arrière. Encéphale (1,600 gr.). - Pie-nère, un peu con-

gestionnée à la base surtout, un peu adhérente aux lobes

frontaux. Artères et organes de la base, rien de particulier.

Le cerveau a une longueur de 20 centim. et une hauteur de

14 centim. -L'laémisplzère cérébral gauche pèse dix grammes

de moins que l'autre. La décortication de la pie-mère, un peu

épaissie, transparente, est facile.

Les circonvolutions sont assez développées, les sillons pro-

fonds. Sur la face interne de la première frontale on découvre

une portion de la circonvolution qui est indurée, blanche, for-

244 CLINIQUE NERVEUSE.

mant un léger relief; même hypertrophie sur la partie posté-

rieure du lobe carré.

Autres foyers ou mieux îlots de sclérose formant tumeurs à

l'origine de la circonvolution du corps calleux, au-dessous du

précédent sur la circonvolution frontale; sur la face convexe

de la deuxième frontale à sa racine, à la partie la plus posté-

rieure et la plus élevée de la scissure de Sylvius, Insula, gan-

glions centraux, corne d'Ammon,rien. Sur le ventricule latéral

non dilaté il existe de petits noyaux scléreux de la membrane

ventriculaire.

Hémisphère droite Pie-mère comme de l'autre côté. On note

des foyers d'induration avec hypertrophie à la partie antérieure

de la face interne de la portion horizontale de la première fron-

tale ; sur la circonvolution du corps calleux immédiatement

en avant de la couche optique; sur le pli qui va de la cir-

convolution du corps calleux à la première frontale (face

interne); - sur la partie inférieure et interne du coin (face

convexe de l'hémisphère). Mêmes noyaux dans le ventricule

latéral droit. Cervelet et isthme, 200 gr.

L'attention n'ayant pas à cette époque été attirée

sur les lésions possibles du cervelet dans cette forme

d'épilepsie, cet organe n'a été l'objet que d'un examen

superficiel, fait qui dénote une fois de plus l'utilité,

non seulement de faire les autopsies aussi complètes

que possible, mais de noter aussi l'absence de lésions.

Notons seulement le poids un peu élevé de cet organe.

Le poids moyen est, en effet, chez l'homme adulte de

143 gr. pour le cervelet, 23 gr. pour l'isthme et 8 gr.

pour le bulbe, soit 173 gr. pour l'ensemble de ces

organes. Rappelons que l'encéphale pesait 1,600 gr.,

poids élevé, dû peut-être aux îlots de sclérose tubé-

reuse' .

' Cette observation de sclérose tubéreuse s'ajoute à celles que avons pré-

cédemment publiées.

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 245

Chez Caill..., il semble, d'après les renseignements

peu précis que nous avons reproduits plus haut, que

l'accès ait dès le début, puis pendant de longues

années, été précédé de procursion; l'accès n'aurait

jamais été limité à l'acte procursif seul. Quoique

cette forme d'accès diffère de celle dont nous avons

rapporté précédemment des observations, nous devons

noter la transformation progressive des accès avec

aura procursive en accès vulgaires. On sait, du reste,

que les épileptiques à aura voient le plus souvent

cette aura disparaître après un temps plus ou moins

long et que fréquemment l'aura n'est signalée que

lors des premiers accès.

III. Épilepsie POST-PROCUItSIVE.

Les phénomènes post-procursifs, et ici nous n'enten-

dons pas parler des actes automatiques (marche, etc.),

observés fréquemment après les accès, sont relati-

vement peu communs. Nous devons à l'obligeance de

M. Cullerre, médecin-directeur de l'asile de La Roche-

sur-Yon, l'observation suivante :

Observation XXII. Fièvres intermittentes. Attaques

éclamptiques à l'âge de six mois. Petit mal consécutif.

Accès caractérisés par une impulsion irrésistible à courir.

Plus tard, grands accès incomplets suivis de la même impul-

sion. Imbécillité avec mauvais instincts.

G... (Marie-Léontine), âgée de dix ans, est admise à l'asile

de La Roche-sur-Yon, le 15 mai 1880, avec le certificat sui-

vant : « Idiotie congénitale, est une cause de préoccupation

tant sur le rapport moral vis-à-vis des enfants de son âge

246 CLINIQUE NERVEUSE.

que sous le rapport des dégâts matériels dont elle se rend

journellement coupable. » Voici les renseignements fournis

sur ma demande par le médecin traitant : « Elle est née de

père et de mère bien portants, non parents. Du côté paternel

aussi bien que du côté maternel, il n'y a aucune trace d'héré-

dité morbide ; ses ancêtres sont morts à l'extrême vieillesse.

Une soeur aînée, bien portante et intelligente ; sa mère est

morte quelque temps après sa naissance, à la suite d'accidents

puerpéraux. En 1870, étant âgée de six mois, elle fut prise

de phénomènes éclamptiformes à la suite d'accès de fièvre

intermittente ; combattus par le sulfate de quinine, les acci-

dents diminuèrent de fréquence, d'intensité, mais le paludisme

s'invétéra ; l'on vit chaque mois se renouveler pendant plu-

sieurs années, presque à jour fixe, ces accès convulsifs. L'in-

telligence s'obscurcissait peu à peu et la raison ne se développa

pas. »

Nous ne savons quelle foi il convient d'ajouter à cette étiolo-

gie ; nous devons remarquer toutefois qu'en Vendée, en ma-

tière d'idiotie, l'intoxication alcoolique du père au moment de

la conception doit toujours être soupçonnée.

Mai 1880. Cette enfant, grande, assez bien développée,

sans difformité appréciable, présente un certain degré de mi-

crocéphalie. Le front est bas, la voûte palatine très ogivale en

avant est au contraire étalée en arrière. Kérato-conjonctivite

scrofuleuse à répétition. Elle s'exprime bien sans défaut de

langue. Elle saitépeler, mais n'a jamais pu apprendre à lire;

elle a une notion nette des couleurs. C'est une imbécile bien

plutôt qu'une idiote. On relève chez elle une grande tendance

aux actes instinctifs, au vol, à la méchanceté, elle se plait à

faire des niches aux personnes qui l'entourent.

- Avril 1881. On commence à constater chez elle des phé-

nomènes épileptiformes jusqu'ici inobservés. En voici la

description sommaire : elle pâlit subitement, puis se met à

marcher droit devant elle. Quand elle rencontre une porte,

elle frappe, ou regarde par la serrure; si à ce moment on

l'interroge, elle répond en général qu'elle se livre à tel ou tel

de ses actes journaliers. Au bout de quelques secondes, elle

revient à elle sans se souvenir de ce qui vient de se passer.

Elle urine parfois au lit.

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 247

22. Elle a un de ses vertiges habituels pendant la prome-

nade. Soudain, elle rebrousse chemin vers l'asile. Interro-

gée, elle répond qu'elle veut s'en retourner.

12 mai. Elle a eu ce matin une petite crise ; elle s'est

déshabillée, s'est mise au lit, puis s'est affaissée sans avoir de

convulsions.

27. - Nouveau vertige ce matin; elle a couru jusqu'au

fond de la salle. Aussitôt l'accès s'est terminé.

25 juin. - Ses accès revêtent parfois une forme nouvelle,

elle reste assise sur sa chaise, a quelques contorsions de la

face, et frappe avec violence le sol de ses talons, semblant

ainsi piétiner sur place. Quand elle reprend connaissance,

elle a quelques moments d'égarement.

zig. Prise d'un accès à la chapelle, elle se met à courir,

rentre au quartier, monte les escaliers jusqu'au grenier et la

crise se termine. Une lacune existe ici dans mes notes. Elles

reprennent en 1886.

1880. 29 novembre. Actuellement, l'accès débute par une

chute sur le dos, sans cri, sans aura, sans écume à la

bouche. Quelques mouvements convulsifs de la tête et des

bras, qui manquent parfois; grande pâleur, urination involon-

taire. Au bout de quelques secondes, elle se relève avec viva-

cité, jette autour d'elle des regards égarés, puis soudain

prend sa course, allant droit devant elle, ne s' arrêtant que quand

elle rencontre un obstacle. Tantôt elle s'enfuit jusqu'au bout

du jardin, tantôt elle enfile un escalier et ne s'arrête qu'à la

porte du grenier, etc.

A ce moment il lui arrive de s'endormir quelques instants.

Quand elle revient à elle, ne comprenant pas ce qui vient

de lui arriver, elle cherche à s'expliquer sa présence dans ce

lieu inusité par quelque besogne à accomplir.

Alors, bien que ce ne soit pas l'heure, elle descend les

ustensiles de ménage ou les bassins de garde-robe, etc. Elle

urine quelquefois au lit.

Elle a considérablement grandi depuis son entrée à l'asile.

Elle est réglée depuis deux ans d'une façon régulière. Son

intelligence ne s'est pas développée dans les mêmes propor-

tions. On n'a pu lui apprendre à lire ; les religieuses préten-

dent cependant qu'elle est douée d'une certaine mémoire

et qu'elle a pu apprendre le catéchisme. Elle a appris à

248

CLINIQUE NERVEUSE.

coudre et à tricoter, mais est incapable de conduire seule un

tricot.

Santé physique en général satisfaisante, les kératites ont

disparu. Taille l-,60.

Déformation de la face;" saillie de la fosse frontale droite; la

joue de ce côté est plus étalée et plus saillante. Voûte palatine

ogivale. Dents à peu près régulières. Voici les mensurations

de la tête :

DE l'épilepsie PROCURSIVE. 249

nomène caractéristique de l'épilepsie pendant quelques

années, puis nous voyons apparaître ces sortes de

tapotements sur place dont nous avons parlé pré-

cédemment à propos de Vall... (Obs. II) et enfin les

accès présentent le type vulgaire, mais sont suivis

d'une course soudaine et précipitée. Les phénomènes

automatiques proprement dits que présente également

cette malade ne sont observés qu'à la suite du sommeil

dans lequel il tombe après l'acte procursif.

Observation XXIII. - Mère : névralgie, phthisie. - Oncle

mate1'l1el phthisz"que. Cousin issu de germain, épileptique.

- Consanguinité. Convulsions dans l'enfance. Absen-

ces [treize ans). Accès (dix-huit ans). Augmentation

des accès et diminution des absences vers vingt-six ans.

Accès surtout nocturnes. Course en ligne droite après les

accès. Traitements divers sans succès. - Diminution de

l'intelligence à partir de vingt-cinq ans. Démence.

Car... (Alexandre), né le 24 mai 1841, entré à Bicêtre (ser-

vice de M. BOURNEVILLE) le 6 mai 1874, est décédé le 9 dé-

cembre 1886.

Renseignements fournis par le père. Père, soixante-dix-

huit ans, bien portant, marié à vingt-huit ans, a eu une fluxion

"de poitrine il y a cinq ou six ans. [Père et mère morts âgés

(quatre-vingts ans).]

Mère mariée à trente ans, morte à soixante-cinq ans,

phthisique, un peu nerveuse, vive, pas de migraines ; elle

avait des crises douloureuses survenant subitement dans une

oreille et disparaissant instantanément mais l'obligeant à

fléchir sur elle-même, elles revenaient deux ou trois fois par

an ; elle ne tombait pas ; cette névralgie n'a débuté que vers

l'âge de cinquante ans, elle l'a gardée jusqu'à soixante-quatre

ans. [Père et mère morts vieux. Un cousin germain du

côté paternel est atteint d'épilepsie.]

250 CLINIQUE NERVEUSE.

Consanguinité : le père et le mère du malade étaient cousins

germains et portaient le même nom.

Deux enfants : 9 un mort mort-né ;

2° Notre malade. Né à terme, élevé au sein par sa mère. Pen-

dant la première et la deuxième année, il a eu plusieurs fois

des convulsions ; n'a pas été en retard pour la parole, la marche

et la propreté. De cinq à douze ans, il a été en classe; pendant

ce temps, il n'a pas été malade, se développait, apprenait bien.

A douze ans, il a été placé chez un architecte; celui-ci s'est

aperçu que l'enfant avait des absences, mais il paraît qu'alors,

elles étaient peu fréquentes. A quatorze ans, il est entré

au chemin de fer comme dessinateur; là les absences ont

été remplacées par des vertiges qui sont devenus tellement

nombreux qu'il a été forcé de donner sa démission au bout

de deux ans. Ensuite son père l'a gardé chez lui, où il a

continué à dessiner, les absences ont persisté, on avait été

obligé de placer près de lui un homme pour le garder parce

qu'il lui arrivait souvent de s'échapper en courant et qu'une

fois l'accès passé, il ne savait plus où il était et ne se souvenait

de rien; il fallait le reconduire chez lui. Il lui a échappé une

fois, et ce n'est que deux jours plus tard qu'il a été reconnu à

Bercy par un ami de sa famille : il n'avait pu indiquer son

adresse. - On s'apercevait de l'arrivée de la crise procursive

parce que ses yeux changeaient, devenaient hagards, que la

face pâlissait et qu'il balbutiait. Durant ses courses, il ne

semblait rien entendre, évitait les obstacles et parfois faisait

entendre une sorte de bourdonnement. A la fin de la course,

la face était tout à fait décomposée et, quelquefois, on enten-

dait une sorte de ronflement passager, et on observait un peu

de bave, mais jamais d'écume ni d'évacuation involontaire. Le

regard restait égaré durant quelques instants. Le malade était

long à se remettre, s'assoupissait pendant deux heures au

moins. La mémoire était obscurcie pendant une journée et

même davantage. ,

Si l'accès prenait le malade dans la chambre, il ne cassait

pas les objets. On parvenait assez bien à le maintenir sans

provoquer de violence. La nuit, on le maintenait sur son

lit avec des sangles. Dans la rue, il ne s'est jamais blessé.

Le plus souvent, même après l'apparition des accès ordi-

naires, les accès procursifs étaient isolés; quelquefois, un

accès convulsif venait arrêter brusquement la course.

DE L EP1LEPSIE PROCURSIYE. 231

Outre ses accès procursifs, Car... avait des accès rotatifs :

tantôt il décrivait des cercles à court rayon, qui se terminaient

souvent par un accès convulsif ordinaire; tantôt il décrivait

des cercles irréguliers à grand rayon, évitant les personnes,

les arbres, etc. Son père ne saurait dire si la rotation s'opérait

toujours dans le même sens et quel il était. A l'époque de sa

sortie du chemin de fer (dix-huit ans), il a eu ses premiers

accès, il tombait comme une masse, était roide, avait des

mouvements convulsifs pendant un instant et del'écume buccale.

Pas d'incontinence d'urine à la suite des accès. Après les grands

accès il cherchait aussi à s'échapper, pendant une heure ou

deux il fallait le surveiller. Revenu à lui, il ne se souvenait de

rien, se plaignait de mal de tête et restait sombre pendant une

heure ou deux. D'habitude, rien ne faisait présager l'arrivée de

l'accès ; quelquefois cependant, Car... avait plusieurs petits mou-

vements nerveux. Peu à peu les accès sont devenus de plus en

plus nombreux. Vers l'âge-de vingt-six ans, il a eu 48 accès

dans la nuit, suivis d'une rémission de trois mois. Toujours les

accès ont été plus fréquents la nuit. Les vertiges ont diminué

en même temps que les accès augmentaient, mais les courses

persistaient encore après l'admission. Il a travaillé seule-

ment jusqu'à vingt-cinq ans. Les facultés intellectuelles ont

décliné peu à peu; néanmoins, quand il est entré à Bicètre

(trente-huit ans), il causait encore un peu, lisait le journal, etc.

Voici comment a été provoqué son internement : Etant sorti

aux environs de sa demeure avec une tante, il s'est mis subi-

tement à courir, et si vite que sa tante n'a pu le rejoindre;

puis il a été pris d'un accès ordinaire. Les sergents de ville

ont essayé de le maintenir, lui ont froissé les poignets. L'accès

fini, comme il ne pouvait donner aucun renseignement, il a été

conduit au poste puis au dépôt de la préfecture de police, de

là à Sainte-Anne et enfin à Bicêtre1.

1879. 6 octobre. Bromure de potassium : gr.

1880. 28 juin. Bromure de camphre : 3 gr.

3 septembre. - C... prend 8 gr. de bromure de camphre

depuis le commencement du mois de juin. Suspendu jusqu'au

6 septembre.

' Nous avons revu le père de Car... le 13 août 1887. 11 nous a confir-

mé, en les complétant, tous les détails qui précèdent. Il a aujourd'hui

quatre-vingts ans, est tout à fait valide et possède encore ses facultés.

252 CLINIQUE NERVEUSE.

4 septembre. Purgatif. G. 3 capsules de bromure de

camphre. 10. 4 capsules. 15. 5 capsules. 25,

6 capsules. 30. 8 capsules.

26 décembre. Suppression du bromure de camphre. Trai-

tement par le bromure de potassium : 4 gr. jusqu'au 5 janvier;

G gr. jusqu'au 15 janvier ; 8 gr. jusqu'au 30 janvier.

1881. 30 avril. Suppression du bromure de potassium.

2 mai. Traitement hydrothérapique. Mémoire confuse,

sait ses nom et prénoms, ignore le jour, le mois et l'année ;

il dit être à Bicêtre depuis sa naissance ou depuis deux ans ;

il s'habille seul, mais très lentement; est encore propre.

14 octobre. Suppression du traitement hydrothérapique.

- Le malade est en démence ; ce n'est qu'avec la plus grande

difficulté qu'on est arrivé à lui faire prendre les douches. Il

est encore propre, mange seul, mais on est obligé de l'aider

à s'habiller.

1882. -Avril. Un essaie inutilement de le soumettre à

niveau au traitement hydrothérapique.

1883. 3 décembre. Car... se rappelle son nom, ignore les

dates, ignore où il est, dit qu'il est avec des serruriers. On

constate une paralysie incomplets de la face ; le sillon naso-

labial droit est effacé, la commissure labiale gauche est tirée à

gauche ; pas de déviation, ni de tremblements de la langue.

Parole libre ; pupilles égales, normales. Il court après ses

accès.

1884. 2 juillet. - Parfois Car... s'habille ou se déshabille

seul, mais le plus souvent il faut l'habiller. Il mange seul,

mais ne se sert pas du couteau ; il se lave mal. Pas de trem-

blement des lèvres, ni de la langue ; il ne répond que par

quelques mots incohérents.

1885. 9 janvier. Il est maintenant incapable de s'habil-

ler et de se déshabiller seul. - Langage incohérent; on ne

peut lui faire dire son nom.

31 décembre. Le malade urine au lit toutes les nuits, il

est quelquefois grand gâteux. Léger embarras de sa parole;

pas de tremblement des lèvres et de la langue.

DE l'épilepsie PROCURSIVE. 253

1886. Novembre. Le malade est dans le même état,

allant et venant comme d'habitude.

3 décembre. Car... s'alite; l'appétit avait diminué depuis

deux ou trois jours ; mais il ne se plaignait de rien, on avait

remarqué qu'il maigrissait, qu'il fléchissait sur les jambes.

9 décembre. La température à 36°,G le soir du 7 descend

progressivement à 34° (9 heures du soir). Hier il a encore

mangé comme d'habitude et le matin il voulait encore se lever,

puis il est tombé dans le coma et a succombé.

Description d'un accès (3 octobre 1886). Le malade pousse

un bourdonnement rauque et tombe lentement en avant sans

se blesser. Le corps étant entièrement étendu à terre sur l'ab-

domen, les bras s'écartent lentement du tronc jusqu'à angle

droit; les jambes s'écartent également de 50 centimètres envi-

ron de la ligne médiane. Pas d'urination, ni de défécation', ni

de morsure de la langue.

Le ronflement est fort, pas d'écume; la main gauche reste

contracturée pendant environ vingt minutes après l'accès. La

durée de l'accès est d'environ trois minutes; le malade se lève

et continue sa promenade interrompue.

Durant les années précédentes, on a souvent constaté la

course consécutive aux accès, Car. courait droit devant lui

après s'être levé d'un bond.

Selon une note de l'infirmier du chauffoir, ce malade, avant

de tomber, tourne plusieurs fois sur lui-même en poussant un

cri prolongé; puis se baisse doucement sur le côté gauche

jusqu'à ce qu'il touche la terre où il s'allonge la face tournée

sur le terrain. Alors il devient raide, la figure grimace, elle

est pourpre. -Lorsque l'accès est passé, il fait aller les jambes

à droite et à gauche, les ramènent sur la poitrine trois ou

quatre fois, puis se relève, tourne encore, se met à marcher

vite, court même quelquefois, mais avec la démarche d'un

homme ivre. Voici le tableau des accès :

' Il gâte parfois dans ses accès. Il se livre quelquefois à des actes de

violence après les crises.

M

0'

4.1

o

f

5

S g

C

a

R

m

r-i

CI.

w

a

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 255

Poids. 1879. Novembre : 61 kil. 500 gr.

- 1880. 16 septembre : 59 kil. 300 gr.

- 1882. 31 juillet : 62 kil.

- Janvier : 63 hil. 700 gr.

Juin : 63 kil. 100 gr.

1883. Janvier : 63 kil. 400 gr.

- 30 juin : 61 kil. 200 gr.

1884. 31 janvier : 60 kil. 400 gr.

Juillet : 60 kil. 100 gr.

1885. Janvier : 57 kil. 300 gr.

- Août : 62 kil. 200 gr.

1886. Janvier : 63 kil.

- 8 août : 52 kilo

6 décembre : 43 kil. 500 gr.

9 (après décès) : 43 kil.

Taille : 4 67 ; 4 m 65 ; 1 m 66 1/ ? .

Autopsie (le 11 décembre). Poumon droit : emphysème

et congestion assez prononcée du sommet où existent un

noyau crétacé et une caverne. Légère adhérence du sommet.

OEdème de la base. Poumon gauche : léger emphysème du

sommet et des bases; petite masse crétacée du volume d'un

petit pois à l'extrémité supérieure du lobe inférieur; conges-

tion assez prononcée du lobe inférieur. Cceur : 230 grammes,

sain.

Abdomen. Rate chagrinée (70 grammes). Foie : .'

(920 grammes), un peu congestionné. - Rein droit (120 gram-

mes), lobuté, petit kyste de la grosseur d'un gros pois. z

Rein gauche (120 grammes), même aspect, petit kyste plus

petit qu'à droite dans la substance corticale.

Tête. Cuir chevelu, moyennement épais, sans ecchymo-

ses. - Dure-mère assez fortement congestionnée. Sinus

presque vides. Les os du crâne sont durs et épais ; les diffé-

rentes parties de la calotte et de la base paraissent symétri-

ques, le trou occipital est normal. Les artères de la base de

l'encéphale, les nerfs, les tubercules musculaires, etc., ne pré-

sentent rien d'anormal.

Encéphale : 4,360 gr. Cervelet et isthme : 165 gr.

Hémisphère cérébral droit : 605 gr. Hémisphère cérébral

gauche : 590 gr. Cervelet : 150 gr.

Hémisphère droit. La pie-mère est légèrement conges-

tionnée, sauf au niveau du pli pariétal supérieur où il existe

une ecchymose; elle est mince, mais s'enlève facilement

256 CLINIQUE NERVEUSE.

sans entraîner de substance grise, si ce n'est au niveau du pli

pariétal supérieur. Pas de lésions en foyer. Ventricule laté-

ral, couche optique, corps strié, corne d'Ammon, etc., rien de

particulier.

Hémisphère droit. La scissure de Sylvius est normale; le

sillon de Rolando est très profond, sinueux.-La scissure perpen-

diculaire externe, également très profonde, va se jeter dans la

scissure interpariétale. Le Lobule orbi taire présente des

scissures et des circonvolutions normales.

Face convexe. Lobe frontal. En avant de la circonvo-

lution frontale ascendante, il existe une scissure profonde,

parallèle, partant du bord interne de l'hémisphère interrompue

par deux plis de passage allant de la seconde circonvolution

frontale à la frontale ascendante, puis se continuant en des-

sous de ceux-ci jusqu'à la scissure de Sylvius; elle sépare ici le

pied de la troisième frontale de la circonvolution frontale

ascendante. - La scissure frontale inférieure est très irrégu-

lière, interrompue par des plis de passage se rendant de la

deuxième à la troisième frontale; elle communique largement

à sa partie postérieure avec la scissure frontale supérieure,

séparant ainsi le tiers postérieur de la deuxième frontale de

ses deux tiers antérieurs. La scissure frontale supérieure

est profonde surtout en arrière. La première circonvolution

frontale, bien conformée, large, est dédoublée dans sa partie

médiocre. La deuxième circonvolution frontale, également

large, est irrégulière, s'insère par deux plis de passage à

niveau et parallèles à la circonvolution frontale ascendante;

elle envoie deux plis de passage à la troisième circonvolution

frontale, qui est également de même irrégulière, comme

tassée; quoiqu'elle soit peu développée, son V médian pré-

sente des traces de dédoublement, ou plutôt une scissure mé-

diane partant de sa pointe dans la scissure de Sylvius; cette

partie médiane se trouve inférieurement située à un demi-cen-

timètre environ au-dessus du pied de la circonvolution. Dans

son ensenble, le lobe frontal parait normal et très bien déve-

loppé dans sa partie postérieure, mais en avant, quoique très

plissé, il semble ramassé sur lui-même, et le sillon de Rolando

se trouve par suite plus rapproché de l'extrémité antérieure

que de l'extrémité postérieure.

Les circonvolutions frontale et pariétale ascendantes sont bien

développées, sinueuses, normales. - Le lobule pariétal supé-

DE L'EPILEPSIE PROCURSIVE. 2S7

rieur' est moyennement développé; il envoie à son extrémité

inférieure et antérieure un pli de passage étroit au lobule

pariétal inférieur qui est bien conformé, très plissé. La scissure

interpariétale forme en arrière de la pariétale ascendante une

'scissure parallèle complète; elle est interrompue au commen-

cement de sa courbe par le pli de passage signalé plus haut,

puis se poursuit dans le sillon occipital supérieur jusqu'au

sillon transverse. - Le pli courbe est assez développé, sinueux.

Le lobe occipital est bien conformé.

Lobe temporal. La première circonvolution temporale est

normalement confirmée avec deux circonvolutions temporales

transverses se rendant au fond de la scissure de Sylvius. La

scissure parallèle est très profonde, elle se prolonge jusqu'à la

scissure interpariétale en divisant le sommet du pli courbe. -

La deuxième circonvolution temporale, le deuxième sillon tem-

poral et la troisième circonvolution temporale sont bien déve-

loppés et ne percutent pas d'anomalies. Il existe un sillon pré-

occipital complet qui partant de l'incisure préoccipitale va se

terminer à 5 mill. de la scissure interpariétale en face de la

scissure perpendiculaire externe, dont il est séparé par un pli

de passage, allant du pli courbe au lobe occipital. Ce sillon

délimite nettement le lobe temporal du lobe occipital. -Le

lobule dc l'insula ne possède que deux digitations qui sont bien

développées, larges et subdivisées.

Face interne. Lobe temporo-ocdpital. -Les circonvolutions

et les deux scissures temporo-occipitales sont bien dévelop-

pées : au tiers antérieur existe une scissure profonde divisant

transversalement tout le lobe.

Lobe frontal. La scissure calloso-ina2ginale semble pren-

dre son origine au centre même du lobule paracentral par

deux branches, une oblique postérieure; une verticale anté-

rieure. Ces deux branches très profondes et atteignant le

rebord interhémisphérique ne sont pour l'antérieur que l'exa-

gération du sillon médian paracentral prolongé en haut et

en bas. La scissure fronlo-pariétale interne est ici constituée

par la branche oblique postérieure. La scissure calloso-margi-

nale ne possède pas de prolongement postérieur et ne fournit

pas d'incisure préovalaire; celle-ci est seulement indiquée par

une très légère dépression. La première circonvolution frontale

interne est bien développée, normale, très découpée; elle

envoie vers son milieu un pli de passage maigre, à niveau, à la

Archives, t. XIV. 17

238 CLINIQUE NERVEUSE.

circonvolution du corps calleux. Le lobule paracentral, bien

développé, est mal délimité en avant et en arrière. -Le lobule

quadrilatère, large, a un pli depassage pariéto-limbique anté-

rieur, complètement isolé par une scissure verticale profonde

atteignant presque la circonvolution du corps calleux. Il existe

aussi un pli pariéto-limbique postérieur mal délimité en avant

par la scissure sous-pariétale qui est très irrégulière. La

scissure perpendiculaire interne, très profonde, se prolonge jus-

qu'au niveau du bourrelet du corps calleux. La circonvolution

du corps calleux, la fissure calcarine, le coin, le corps calleux,

ne présentent rien de particulier.

Hémisphère gauche. - Légère vascularisation de la pie-mère

qui s'enlève facilement. Ventricule latéral, corps strié, etc.,

normaux. La scissure de Sylvius, normale, envoie trois ra-

meaux antérieurs ascendants. Le sillon de Rolando, très si-

nueux, profond, se termine dans la scissure de Sylvius à 3 ou

4 mill. environ du lobule de l'insula. La scissure perpendi-

culaire externe n'est constituée que par une simple encoche

d'un centimètre environ; elle est séparée de la scissure inter-

pariétale par un pli de passage à niveau, reliant le lobe occi-

pital au lobule pariétal supérieur. Le lobule orbitaire est

bien conformé.

a). Face convexe. On trouve en avant de la circonvo-

lution frontale ascendante une scissure parallèle frontale in-

terrompue à sa partie médiane par deux plis d'insertion de la

deuxième circonvolution frontale. La scissure frontale infé-

rieure sinueuse, est interrompue par un pli de passage allant

de la deuxième circonvolution frontale au cap de la troisième.

La scissure frontale supérieure est légèrement sinueuse, cou-

pée à son extrémité antérieure par un pli de passage venant

de la première circonvolution frontale qui est assez bien

conformée, un peu maigre à son extrémité antérieure et s'in-

sère à la frontale ascendante par un pli sinueux et grêle.

La deuxième circonvolution frontale très développée dans sa

moitié postérieure, l'est peu dans sa moitié antérieure. La

troisième circonvolution frontale possède un pied grêle ; son

cap est subdivisé en trois parties par les deux rameaux anté-

rieurs ascendants supplémentaires de la scissure de Sylvius,

mais ces parties réunies ne donnent pas un volume plus

grand que celui d'un cap ordinaire bien conformé.

Les circonvolutions frontale et pariétale ascendantes sont

DE LEPILEPSIE PROCURSIVE. 25 ! 1

bien développées, normales. - Le lobule pariétal supérieur,

régulier, est peu volumineux; en effet la scissure interpariétale

présente une courbe très accentuée qui remonte à un centi-

mètre de la scissure interhémisphérique; le lobule pariétal

inférieur est sinueux, très découpé, très développé au détriment

du lobule pariétal supérieur. - Le pli courbe est assez gros

également. La scissure interpariétale forme en arrière de la

pariétale ascendante une scissure parallèle presque complète.

Elle se continue en arrière avec la scissure occipitale supé-

rieure au delà de la scissure occipitale transverse. Le lobe

occipital est bien conformé; mais la scissure occipitale trans-

verse n'existe que dans sa partie supérieure; en dessous de la

scissure interpariétale continuée elle est interrompue par un

pli de passage se dirigeant vers la deuxième circonvolution

occipitale. A un centimètre en avant du pôle occipital se trouve

une scissure transverse assez profonde allant de la scissure

interhémisphérique à la deuxième scissure occipitale.

Lobe temporal. La première circonvolution temporale

assez bien développée, sinueuse, envoie à son quart antérieur

un pli de passage à niveau, grêle, à la deuxième circonvolution

temporale qui, elle, est très développée et pousse trois plis de

passage à niveau à la troisième assez bien développée. Il existe

quatre circonvolutions transverses temporales se rendant au

fond de la scissure de Sylvius. La scissure parallèle, profonde,

sinueuse, a un trajet très élendu par suite de la hauteur du pli

courbe; en avant d'elle et parallèlement il existe une autre

scissure empiétant d'un centimètre sur la première circonvo-

lution temporale et se terminant dans le lobule pariétal infé-

rieur à 3 millimètres environ de la scissure interp'ariétale ; à sa

partie médiane une scissure transverse assez profonde la met

en communication avec la scissure parallèle. Il existe un sillon

préoccipital complet, qui, partant de l'incisure préoccipitale,

profonde, va rejoindre la scissure parallèle au niveau de sa

courbe et isole ainsi nettement le lobe occipital. Le lobule de

l'insu la n'a que deux digitations principales.

b. Face interne. -Lobe temp01'o-ocdpital. Les circonvolutions

sont bien développées; elles sont toutefois un peu en retrait

sur un espace d'un centimètre au niveau de l'incisure préocci-

pitale. Les scissures sont irrégulières, sectionnées par de nom-

breux plis de passage; une scissure oblique fait communiquer

la première scissure temporo-occipitale avec la seconde.

260 CLINIQUE NERVEUSE.

Lobe frontal. - La scissure calloso-maigiiiale est irrégulière,

semble se perdre en avant dans la circonvolution du corps calleux;

elle communique, d'une part, avec la scissure sous-pariétale et

d'autre part avec un sillon vertical profond médian du lobule

paracentral à la partie inférieure de la scissure fronto-pariétale

interne; à ce niveau, on trouve un pli de passage profond qui,

devenu plus bas à niveau, interrompt en allant à la circonvolu-

tion du corps calleux la continuité de la scissure calloso-mar-

ginale. - La première circonvolution frontale interne est très

développée, découpée par de nombreux sillons verticaux; elle

envoie vers sa partie médiane un pli de passage à niveau à la

circonvolution du corps calleux; en avant de ce pli se trouve

une scissure parallèle au corps calleux qui semble être la con-

tinuation normale isolée de la scissure calloso-marginale dont

nous avons signalé un autre prolongement de 3 centimètres

environ dans la circonvolution du corps calleux qui est assez

bien développé. - Le lobule paracentral bien développé envoie

à sa partie inféro-antérieure un pli de passage assez gros à ni-

veau, à lapremière circonvolution frontale interne.- Le lobule

quadrilatère, large, possède un pli de passage pariéto-limbique

postérieur, séparé du reste du lobule par une scissure profondes

contournantlascissure interhémisphérique et se terminantdans

le lobule pariétal supérieur à un demi-centimètre de la scissure

interpariétale. - La scissure sous-pariétale est très irrégulière.

La scissure perpendiculaire interne, très profonde, très

large et subdivisée à son origine, se prolonge jusqu'au bour-

relet du corps calleux. La fissure calcarine, le coin, la cir-

solution de l'hippocampe, le corps calleux ne présentent rien

de particulier.

Cette observation est très intéressante et si nous

avions eu plus tôt les derniers renseignements qui

nous ont été fournis par le père du malade, nous l'au-

rions mise à côté de celle de Grandid... et de Wall...

Elle peut se résumer en ces points : 1° absences ;

2° vertiges; -30 accès procursifs parfaitement caracté-

ristiques et accès rotatifs ; 4° accès ordinaires pré-

cédés rarement de phénomènes de procursion et sou-

vent de phénomènes de rotation; 5° persistance

DE l'épilepsie PROCURSIVE. 261

concurremment pendant plusieurs années des vertiges,

des accès procursifs et des accès ordinaires. Enfin,

disparition des accès procursifs, augmentation des

accès ordinaires et des vertiges, déterminant enfin la

démence. Le tableau des accès comprenant une période

de treize ans mérite aussi de fixer l'attention.

Observation XXIV. - Père tourneur en cuivre, alcoolique.

Grand-père et oncle paternels alcooliques et phtisiques.

Mère, névralgies. Grand-père maternel, apoplectique. -

Oncle maternel, délire aigu. Grand-oncle maternel, imbé-

cile.

Vertiges procursifs à trois ans et demi. Premier accès

à huit ans. Accès suivis de course. Caractère violent.

- Onanisme. Affaiblissement des facultés intellectuelles.

- Mort en état de mal.

Alép... (Auguste), né le 24 mars 1872, est entré à Bicêtre

(service de M. BOURNEVILLE), le 13 février 1882 et y est dé-

cédé le 6 juin 1883.

Renseignements fournis par sa mère (27 février 1882).

- - Père, trente-six ans, tourneur en cuivre, a quitté sa femme

il y a trois mois, il fait de nombreux excès de boisson (absinthe,

vin, eau-de-vie, etc.). Lorsqu'il a bu, il est très méchant, vio-

lent, a battu sa femme plusieurs fois. Marié à vingt-quatre ans,

il a toujours bu beaucoup, même dès le début du mariage.

Caractère doux à l'état normal. Pas de migraines, pas de ma-

ladies de peau. Il travaillait peu; établi tourneur, il a tout bu

et sa femme a dû se placer comme domestique. [Père mort de

la poitrine à trente-huit ans, tourneur en cuivre, quelques excès

de boisson. Mère, soixante ans, n'a jamais été malade, pas

d'accidents nerveux. Trois frères ; un poitrinaire, faisait des

excès de boisson; il aurait été condamné pour vol d'une chaise

un jour de débauche, il était marié et courait les femmes. Un

deuxième a été tué en mai 1871 (fédéré), il buvait aussi et au-

rait eu des hémoptysies ? ]

Mère, trente ans, travaillait aux champs avant le mariage ;

actuellement elle est domestique; chataine foncée, très impres-

sionnable, très colérique, elle l'est devenue de plus en plus

262 . CLINIQUE NERVEUSE.

par les ennuis que lui a causé son mari. Intelligente, phy-

sionomie régulière assez agréable, n'a jamais eu que des né-

vralgies violentes. [Père, laboureur, sobre, mort à cinquante-

neuf ans, d'une attaque d'apoplexie foudroyante en dix-neuf

heures. - Mère, soixante-quatorze ans, bien portante, n'est

pas en enfance, travaille encore un peu aux champs, pas

d'attaques de nerfs, a souvent le sang à la tête. Quatre

freines, l'un est mort en huit jours, d'accidents cérébraux con-

sécutifs, à la peur des Prussiens qui avaient dégainé sur sa

femme. « Ça lui bouillait dans sa tète, il se sauvait de son lit,

il avait le transport. » (Délire aigu.) Les trois autres sont

bien portants; un est marié, a quatre enfants en bonne santé

et n'ayant pas eu d'accidents nerveux. Les deux derniers

frères ne sont pas mariés. Un oncle paternel est mort très

vieux (soixante-seize ans), et a toujours été « bonasse, imbé-

cile ». Pas d'épileptiques, pas de difformes, etc.]

, Pas de consanguinité.

Trois enfants : 1° Garçon mort-né durant la guerre ; bien

conformé ; il était énorme et pesait bien dix livres ; 2° Notre

malade ? 3° Garçon, huit ans, bien portant, intelligent,

apprend bien, pas de convulsions.

Notre malade.- Conception. -Pas derapportshabituels dans

Jes ivresses. «Une pensait qu'àdormiret il était quatre ou cinq

jours sans metoucher, car il était malade, vomissait tout vert. » -

.Grossesse, beaucoup de contrariétés et de fortes colères « parce

que mon mari, n'était jamais chez nous », ni coups, ni chutes,

ni compression. Pas de peurs, sauf celles que lui occasionnait

son mari quand il rentrait ivre. - Pas d'alcoolisme. Accou-

chement naturel, à terme, sans chloroforme. A la nais-

sance pas d'asphyxie; il était chétif, mignon. -. Elevé au sein,

en province, jusqu'à dix-sept mois, repris alors, il n'avait pas

eu de convulsions, était bien venant quoique chétif. Il a mar-

ché à dix mois, a parlé à dix-sept mois, a été propre vers

deux ans. A trois ans on a repris son frère de nourrice.

C'est à ce moment que notre malade est devenu drôle, il sem-

blait jaloux de son frère et le battait quelquefois en cachette.

Vers trois ans et demi il a eu des vertiges qu'on appelait un

grand tic nerveux.

« « Le regard se portait en haut.puis au bout de quelques ins-

.tants, l'enfant se levait et courait, il n'aimait pas qu'on lui

parle dans ces moments-là. Il avait peur; sitôt que ça allait le

DE L EPILEPSIE PROCURSIVE. 263

prendre, il devenait d'abord très pâle, puis rouge après. Ces

accidents venaient irrégulièrement, quelquefois deux fois par

jour et parfois il était cinq à six jours sans rien. Conduit plu-

sieurs fois aux Enfants-Malades et à l'hôpital Trousseau on lui

a donné des bains, de la tisane et du sirop antiscorbutique,

mais pas de bromure de potassium.

Vers août 1880, sans que les vertiges soient devenus plus

fréquents, Alép... a eu souvent des accès; voici comment on

décrit le premier : Etant debout, on s'aperçut que sa figure

grimaçait, qu'il était pâle, qu'il allait tomber; sa mère l'a pris

sur elle, tout le corps était roide également des deux côtés,

pas de secousses, pas d'écume, mais un peu de ronflement; il

est revenu à lui de suite et s'est mis à courir dans la chambre.

Le deuxième accès est venu huit jours après. Ils sont allés en

se rapprochant depuis septembre 1881. Maximum des accès

en 24 heures, 3. Le plus long intervalle entre deux accès a été

huit jours. Accès à peu près également diurnes et nocturnes.

Persistance des vertiges.

Jamais Alép... n'a prévenu de l'arrivée de ses crises. On a

remarqué qu'il devenait sombre aux approches de l'accès;

quelquefois il portait la main au creux de l'estomac et disait :

ça va méprendre. Parfois, euh 1 euh ! euh ! Rigidité, secousses

cloniques qui sont survenues seulement, il y a six mois. Peu

de ronflement; pas d'écume; plusieurs fois urination invo-

lontaire et défécation.

Après les accès il veut se sauver, il a la parole embarrassée,

on dirait qu'il va devenir paralysé. Pas de morsure de la

langue. Pas de folie consécutive. Le caractère a toujours

été violent, il est resté le même.

Depuis l'âge de trois ans, l'enfant est allé en classe et n'a

jamais rien appris; il connaît seulement ces lettres, ba, be,

bi, etc. Quand il y avait un répitaprès des accès, il apprenait,

puis après les accès il oubliait. On l'a renvoyé de l'école depuis

le début de ses accès.

Pas de kleptomanie, ni de pyromanie. On pense qu'il se

touche un peu depuis longtemps même dès son retour de nour-

rice.

Croûtes dans les cheveux ; glandes cervicales dont l'une ab-

cédée ; pas d'ophthalmies, pas d'otites ; pas d'engelures ni de

dartres. On ne croit pas qu'il ait eu la rougeole; il semblerait

264

CLINIQUE NERVEUSE.

avoir eu la rubéole ? Coqueluche pendant six semaines. Enfin

il aurait eu de temps en temps des fièvres éphémères.

Ni succion, ni balancement. Digestion régulière, selle quo-

tidienne, pas de rumination ni de salacité.

Alép... est peu caressant, très turbulent; il paraissait très

intelligent jusqu'à trois ans. On attribue la maladie aux ennuis

et aux chagrins de la grossesse. L'enfant dit qu'il a eu peur

d'un mouton.

DE l'épilepsie PROCURSIVE. 265

le coma à 5 heures du matin, et meurt à 10 heures du matin.

Traitement : Eau-de-vie allemande, sangsues. T. R. à

5 heures du matin, 38°, à 10 h. 1/2 : 38°,8.

Autopsie (7 juin 1883). Thorax. Coeur normal (130 gr.),

rien dans le péricarde. Poumons congestionnés vers le

bord, surnageant. (P. droit. 225 gr. ; p. gauche, 210 gr.)

Abdomen. - Foie normal (800 gr.), un peu de péri-hépatite

ancienne. Rien dans la vésicule. Reins normaux (droit,

80 gr.; gauche, 70 gr.). Rate (70 gr.). Rien dans l'esto-

mac, l'intestin, la vessie.

Tête. -- Cuir chevelu assez épais. - Os du crâne de consis-

tance ordinaire. Base du crâne symétrique. Liquide cé-

phalo-rachidienen quantité normale. -Encéphale volumineux

(H50 gr.). Les différents organes de la base du cerveau sont-

symétriques (artères, nerfs, etc.), pourtant le tubercule mamil-

lairegaucheetlc pédoncule cérébral du même côté sont un peu

plus petits. Pie-mère congestionnée également dans toute

son étendue; adhérente par place à la substance cérébrale,

elle s'enlève assez difficilement quoique assez épaisse. Hémis-

phères cérébraux égaux, substance très molle. Cervelet et

isthme (195 gr.) ne présentent rien d'anormal. Hémisphères

cérébelleux égaux.

Hémisphère gauche, face convexe. La première circonvolu-

tion frontale sinueuse, double en avant, sans pli de passage,

s'insère de niveau sur la frontale ascendante; la deuxième

circonvolution frontale, très volumineuse, dédoublée à sa par-

tie moyenne où elle est très large, s'insère de niveau sur la

circonvolution frontale ascendante. La troisième circonvolu- ! ion frontale sinueuse possède une insertion de niveau; pas

de plis de passage, sillons assez profonds entourant les cir-

convolutions, sillons secondaires peu profonds. La frontale

ascendante, sinueuse, est assez large. Le sillon de Rolando est

profond. La pariétale ascendante, plus épaisse que la

frontale ascendante, est volumineuse. Le pli pariétal infé-

rieur est assez plissé. - Le pli pariétal supérieur est volumi-

neux comme dédoublé. Le pli courbe, irrégulier, assez si-

nueux, envoieun prolongement très gros à la partie postérieure

du pli pariétal supérieur. - Le lobe occipital, assez plissé, est

très volumineux. Longueur de l'extrémité antérieure du lobe

frontal à la partie moyenne de la face postérieure de la pa-

riétale ascendante, 12 centimètres. Longueur de ce dernier

266 CLINIQUE NERVEUSE.

point à l'extrémité postérieure du lobe occipital, 11 centi-

mètres et demi'.

Le lobule de l'insula a 3 digitations doubles.

La première circonvolution temporale, très sinueuse, envoie

un prolongement très volumineux au pli pariétal inférieur au

pied de la scissure de Sylvius; elle a également en avant un

pli de passage la reliant à la deuxième circonvolution tempo-

rale, sinueuse à sa partie confondue, à la troisième par de

nombreux plis.

Face interne. La première circonvolution frontale est vo-

lumineuse avec des sillons tout à fait superficiels se confon-

dant en arrière avec le lobe paracentral. Le sillon calloso-

marginal est peu profond. - Le lobule paracentral est séparé

du lobe quadrilatère par un sillon profond avec un sillon cen-

tral oblique de bas en haut et d'arrière en avant. Le lobe

quadrilatère, très long (7 centimètres à sa partie moyenne),

est plissé et possède des sillons superficiels. Le coin et le lobe

occipital sont composés de petites circonvolutions. La circon-

volution de l'hippocampe est lisse 1.

Hémisphère droit. a). Face convexe. La première circon-

volution frontale est sinueuse, plissée, dédoublée incomplète-

ment en avant; insertion de niveau; pas de plis de passage. La

deuxième circonvolution frontale très volumineuse, mais surtout

dans les deux tiers postérieurs, envoieun pli de passageàla troi-

sième circonvolution frontale, s'insère par 2 insertions de ni-

veau. La troisième circonvolution frontale assez courte s'insère

aussi de niveau. - En avant sur le lobe frontal les sillons

sont peu profonds, ils le sont beaucoup en arrière. La

circonvolution frontale assez sinueuse, assez volumineuse, est

séparée en haut presque complètement par un sillon trans-

versal situé entre l'insertion de la première frontale et l'inser-

tion supérieure de la deuxième frontale, Le sillon de Rolando

est assez peu profond. La circonvolution pariétale ascendante

est volumineuse avec des sillons transversaux, les uns super-

ficiels, l'un assez profond : on dirait des pavés irréguliers en-

tassés les uns sur les autres. Le sillon qui sépare la pariétale

1 Comme on le voit, les parties postérieures du cerveau étaient relati-

vement très développées.

' Au moment de ce dernier examen fait le 24 septembre 1884, les

masses centrales et la paroi ventriculairesont très irrégulières, ce qui est

dû probablement au séjour dans une solution insuffisante.

DE l'épilepsie PROCURSIVE. 267

ascendante du pli pariétal inférieur est très profond. Le pli

pariétal supérieur est sinueux, envoie deux plis de passage à

la pariétale ascendante et un en arrière. Le sillon situé en

arrière du lobe paracentral est très accusé. La scissure paral-

lèle est également très prononcée; elle se divise en deux par-

ties embrassant une circonvolution quadrangulaire qui envoie

un pli de passage vers le lobe occipital et en reçoit un du pli

pariétal inférieur. Le lobe occipital est assez plissé et volumi-

neux. Les digitations du lobule de l'insula sont assez mar-

quées. La première circonvolution temporale, volumineuse,

sinueuse, envoie deux prolongements dans le fond de la scis-

sure de Sylvius'.

b). Face interne. - La première circonvolution frontale, très

volumineuse en partie dédoublée sur toute sa longueur par un

sillon assez superficiel, se confond en arrière avec le lobule

paracentral qui est très irrégulier, incomplètement séparé

du lobe quadrilatère, tandis qu'à droite la séparation est

très marquée. Le sillon calloso-marginal est peu profond. La

circonvolution du corps calleux , lisse, offre, en arrière du lobe

pariétal, le renflement normal qui fait défaut à gauche. Le

lobe quadrilatère, un peu irrégulier, mesure qualre centimètres

et demi. En arrière de lui existe un sillon assez profond dans

lequel existe une petite circonvolution qui semble plutôt se

rattacher au coin. Le coin et le lobe occipital peu sinueux

sont assez développés. Les masses centrales des deux côtés

n'offrent rien de particulier. '

Cette observation que nous avons classée dans l'épi-

lepsie'post-procursive aurait également pu trouver place

parmi les cas de vertiges procursifs. Il n'est pas dou-

teux en effet qu'ici, d'après les renseignements fournis

sur les vertiges, nous n'ayons eu affaire à de véri-

tables vertiges procursifs. Nous noterons encore leur

disparition totale pendant la dernière année de la vie

du malade. (A suivre.)

' Les deuxième et troisième circonvolutions temporales, ainsi que la

circonvolution de l'hippocampe, ont été en partie détruites par le défaut

de surveillance des pièces déposées à l'amphithéâtre.

RECUEIL DE FAITS

NOTE SUR UN CAS D'ATAVISME;

Par le D'ALEXANDRE PARIS

Médecin adjoint de l'asile de Châlons-sur-31arne.

G... (Juliette-Charlotte), née le 4 août 1872, est nièce d'une

idiote, fille d'un individu ne jouissant pas de toutes ses facultés

intellectuelles, soeur cadette d'un enfant mort à l'âge de seize

mois par suite de méningite; elle eut, à six mois, des convulsions

auxquelles ses parents attribuent son état d'idiotie.

Cette enfant est dans un asile depuis le 28 août 1883, c'est-à-

dire dès l'âge de onze ans. Ses parents n'ont pu la conserver avec

eux parce qu'elle avait besoin d'une surveillance que leur situation

précaire ne leur permettait pas de lui donner ; elle mangeait ses

excréments, elle s'adonnait à des pratiques de nature vicieuse

depuis l'âge de cinq ans et il n'était pas possible de cherchera la

corriger sans provoquer une très grande irritabilité qui se tradui-

sait par des cris inarticulés, des morsures, etc.

Juliette G... est de taille presque moyenne pour son âge

(1 m. 27), de constitution faible, de tempérament lymphatique. La

peau et les muqueuses sont pâles, anémiées. La boite crânienne

offre un développement considérable, indice de l'hydrocéphalie.

Voici, du reste, ses principales dimensions :

NOTE SUR UN CAS D'ATAVISME. 269

les objets très lumineux sont seuls vus et à la condition d'être

très proches. - Les dents sont irrégulièrement implantées, mar-

quées la plupart d'un sillon transversal dénotant une nutrition

défectueuse et les incisives sont en double rangée; la voûte pala-

tine est très grande. Les oreilles sont bien conformées et l'ouïe

est le plus fin des cinq sens. Les mains et les membres supérieurs

n'oifrent rien de particulier; les membres inférieurs relativement

peu développés, sont inertes et ne supportent que le poids du

corps.

Juliette G..., complètement privée de l'usage de la parole, est

gâteuse, malpropre; elle mange ses excréments et elle a des

habitudes d'onanisme qu'il est très difficile de combattre ; elle

pousse de temps en temps des cris inarticulés et, à la moindre

contrariété, se mord les mains; elle est affectée de mouvements

de balancement du tronc d'arrière en avant et vice versa.

Le 15 mai 1884, éclate un accès convulsif épilepliforme de

courte durée; le 6 juin suivant. Une attaque bien caractérisée

d'épilepsie se produit et, depuis ce moment, l'enfant est sujette à

des accès éloignés d'épilepsie.

En septembre 1886, elle est atteinte de fièvre muqueuse avec

complications du côté des méninges, mais l'état physique et

mental ultérieur est le même qu'auparavant.

Jusqu'à présent nous avons passé sous silence un phéno-

mène qui a été remarqué chez Juliette G... par plusieurs mé-

decins depuis quatre ans environ ; nous l'avons fait dans le

but d'attirer spécialement l'attention sur ce point de l'histoire

de notre petite malade. Juliette qui ne peut pas prononcer un

seul mot, qui n'a jamais parlé, qui est incapable de rece-

voir même l'éducation la plus élémentaire que l'on puisse

donner à une idiote, fredonne chaque jour assez gen-

timent et correctement quelques airs anciens, toujours les

mêmes, toujours dans le même ordre et sans leur faire subir

la moindre altération d'un jour à l'autre.

La littérature médicale est peu riche en faits de ce genre et

celui-ci nous a semblé devoir être rapproché de l'histoire du

tambour, de Morel ; cet'auteur a publié, en effet, l'observation

d'un idiot qui, fils et petit-fils de maîtres-tambours, exécuta

du premier coup un roulement lorsqu'on lui présenta un tam-

bour et ses baguettes. - Juliette G... ne compte aucun ins-

trumentiste parmi ses ascendants « mais toute la famille aimait

« à chanter, nous écrit sa mère, et l'enfant n'a jamais entendu

« que le père et la mère qui lui chantaient des chansons ».

270 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.

Il a toujours été complètement impossible de faire jaillir la

moindre étincelle sur n'importe quel point du territoire ner-

veux de cette dégénérée, à l'exception d'un seul. Il est donc

bien évident que ce seul point était préparé par hérédité et

que Juliette devait naitre avec quelques instincts musicaux,

absolument comme le tambour de Morel. Tout le système ner-

veux de la vie animale étant resté constamment et entière-

ment muet chez cette idiote hydrocéphale et épileptique,

quels qu'aient été les excitants mis en jeu, il y a lieu de croire

plutôt à un simple phénomène d'atavisme qu'à une résultante

de l'hérédité et de l'éducation d'un sens au détriment de tous

les autres.

REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE

· I. Paralysie générale, des aliénés; par TH. MEYNERT.

(Jahi,bùch. f. Psych., VI, 1-2-3.)

Article de pathogénie : Deux élément symptomatiques concou-

rent au syndrome paralytique. Un élément d'obnubilation

psychique tend à décomposer, à dissocier les associations d'idées,

à renverser l'ordre de leur genèse, par suite de la déchéance des

éléments anatomiques. Les divers centres associatifs les plus

complexes subissant la décomposition organique, les coordina-

tions délicates ratent en même temps et de la même manière que

la coordination motrice; les phénomènes se simplifient, mais se

désagrègent; le moi perds on jeu si fin pour ne se traduire que par

un ensemble de manifestations terre à terre. Puis les images

elles-mêmes devenant indistinctes, par suite de la déchéance des

cellules corticales, la démence finit par de l'asymbolie sensorielle

et motrice. P. K.

II. Description ET explication des hallucinations de la vue qui se

produisent avant le SOMMEIL ; par HOPPE. (Jahrbùch, f. Psych.,

VI, 2-3.)

On peut, et l'auteur l'a fait sur lui-même, avant de s'endormir

en regardant pour ainsi dire à l'intérieur de son oeil, en sollici-

REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 271

tant la rétine par la mise en mouvement des milieux de l'oeil, pro-

voquer la formation de fantasmes qui se projettent ensuite au

dehors, en tant qu'hallucinations hypnagogiques. Hallucinations

d'origine entoptique, ayant en somme le même mécanisme que le

rêve. Ce mémoire les décrit avec une grande richesse d'expressions

et de coloris. P. K.

III. DE LA FOLIE DES persécutés PERSÉCUTEURS (PROCESSIFS, chicaniers;

gens se plaignant sans cesse); par J. FR1TSCH. (Jahrbicch. f. Psych.,

Vl, 1.)

Le délire provient d'un excès de la sensibilité morale, qu'il y

ait ou non lacune du jugement, lésion du raisonnement. L'auteur

distingue à cet égard trois grandes catégories : l'une est caracté-

risée par un fond de débilité mentale manifeste. La seconde té-

moigne d'un véritable délire. La troisième consiste, pendant bien

longtemps du moins, uniquement en une impulsion irrésistible à

chicaner, sans anomalie psycbopathique proprement dite. M. Fritsch

donne trois observations de délires chroniques systématiques

ayant affecté cette forme. " P. K.

IV. Contribution A L'ÉTUDE des TROUBLES mentaux transitoires ;

par A. HoLLOENDER. (Jahrbùch. f. Psych., VI, I.)

La plupart d'entre eux seraient, d'après l'auteur, des équivalents

psychiques de l'épilepsie. Il est vrai que ces équivalents psychi-

ques peuvent' remplacer des attaques épileptiformes symptoma-

tiques. M. Holloender donne trois observations à l'appui de cette

manière de voir : Observation I. Manie furieuse de plusieurs

heures à début et à disparition rapides actes de violence. Am-

nésie consécutive. Démence paralytique. Observation Il. Incohé-

rence et désordre dansles idées de plusieurs heures. Amnésie chez

un paralytique. Plus tard reproches contre lui-même se transfor-

mant tout à coup en délire des grandeurs. Syphilis. Observa-

TION III. Etat d'obnubilation psychique avec idées délirantes de

teneur dépressive. Amnésie, tabes. La quatrième observation

concerne un rhumatisme articulaire avec chorée; périodes d'an-

goisse, hallucination; puis allure maniaque pendant cinq jours;

amnésie. Le mémoire n'est pas encore fini. P. K.

V. L'HYSTÉRIE dans l'armée ; par le Dr Em. DUPONCHEL.

(Rev. de méd., 1886.)

L'hystérie occupe actuellement dans la neurologie générale de

l'armée une place importante, grâce aux récents travaux de

272 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.

M. Charcot; Un bon nombre de soldats qui étaient autrefois con-

sidérés comme des simulateurs ont été reconnus depuis comme

de véritables hystériques. M. Duponchel en cite plusieurs exem-

ples. La connaissance des stigmates de l'hystérie permet aujour-

d'hui d'éviter de semblables erreurs en l'absence même de la

constatation directe des attaques par le médecin, ce qui est le cas

le plus habituel.

Au point de vue de la médecine légale militaire, l'existence de

l'hystérie soulève une importante question. Il conviendrai ! , dit

M. Duponchel, de compléter l'instruction ministérielle du 27 fé-

vrier 1877 sur les causes d'exemptions en y faisant figurer l'hys-

térie, mais tous les cas d'hystérie mâle ne paraissant pas a priori

absolument incompatibles avec le service armé, il est nécessaire

avant d'arrêter des dispositions définitives de multiplier les re-

cherches et les observations.

On peut affirmer pourtant sans attendre plus longtemps que

les paralysies hystériques survenant à l'occasion d'un trauma-

tisme pourront entraîner, quand l'accident résultera d'un service

commandé, ce que l'on appelle la réforme ne 1 avec gratification

renouvelable. Elles resteront en effet dans la catégorie des mala-

dies aggravées à l'occasion du service. Dans aucun cas, ces para-

lysies ne sauraient conférer des droits à la retraite, puisqu'elles

sont de leur nature transitoires et curables. G. DENY.

VI. Crampe des pianistes; par le Dr VIVIA ? Q POORE.

L'auteur attire l'attention de ses auditeurs dans une leçon

clinique, sur certains troubles nerveux qu'il a observés chez

des pianistes. Cette affection a une certaine analogie avec

la crampe des écrivains, mais elle est plus rare. L'auteur n'en

a réuni que deux cas, tandis qu'il a observé huit fois plus sou-

vent cette dernière lésion. Sauf deux fois, ce sont des femmes

qui ont présenté ce phénomène. Pour que le jeu du piano

puisse s'effectuer, il faut une grande aisance dans les mouve-

ments des articulations du membre supérieur, et une intégrité

complète des muscles dé ce dernier. De même que dans la

crampe des écrivains, où ce sont les muscles soumis à une

contraction incessante pour maintenir la plume, plutôt que

ceux destinés au mouvement de celle-ci, chez lesquels se pro-

duit la crampe, il semblerait, d'après l'examen des faits dans

la crampe des pianistes, que ce soient les muscles destinés à

l'extension du poignetqui sont atteints. Lesmouvements ryth-

miques de contraction et de relâchement des muscles faisant

. REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 273

mouvoir cette articulation ne doivent pas produire la contrac-

ture pas plus que les mouvements rythmiques du coeur sur le

myocarde. Les professeurs ont adopté une méthode dite de

Stuttgart, dans laquelle le poignet est maintenant constam-

ment étendu ainsi que les doigts, sauf sur ces derniers, quand

ils sont appliqués sur les touches. Dans ces mouvements, les

extenseurs du poignet et des premières phalanges sont à l'état

de tension (extenseur commun des doigts, extenseur de l'in-

dex et du petit doigt). La plupart des malades du Dr V. Poore

ont présenté des symptômes du côté de ces muscles et du

nerf radial. Le terme de « crampe des pianistes » n'indique

pas le trouble ressenti par les malades.

Dans neuf cas, ce sont des contractions des extenseurs, au

moment où le pianiste fait des accords, immobilisant la main

dans la position qu'elle avait pour exécuter ces derniers. La

sensibilité nerveuse qui accompagne ses troubles se traduit :

1° par de l'incapacité musculaire, se manifestant dans l'action

de jouer du piano, et dans les autres actes; 2° par un trem-

blement plus ou moins accusé ; 3° par de la douleur ou une

fatigue rapide pendant la contraction musculaire; 4° une sen-

sation de faiblesse du membre, surtout la nuit et empêchant de

le placer dans une bonne position dans le lit. Cette sensation

tient souvent le malade éveillé. Les nerfs sont sensibles à la

pression et dans l'extension du membre. Ce même fait de

douleur localisée aux points où le nerf est tiraillé dans les mou-

vements a été observé par le Dr Poore chez un malade atteint

de névrite alcoolique.

A ces symptômes, le D Warrington Haward ajoute des signes

de refroidissement de la main, avec aspect violacé et conges-

tion veineuse. De plus, les phénomènes que nous avons men-

tionnés s'observent le plus souvent à la main gauche, qui, du

reste, est celle que l'on exerce le plus. L'excitation faradique

des muscles donnait lieu à une contraction propagée des

muscles voisins.

Dans quatre cas, il y avait simplement de la difficulté à

jouer, sans localisation au niveau des extenseurs et du nerf

radial. Dèux fois la lésion semblait exister à l'épaule. Dans

deux cas, le traumatisme semble avoir été la cause de la

lésion ; mais le plus souvent ce sont des individus nerveux ou

présentant certaines affections (anémie, rhumatisme, goutte,

dyspepsie) qui sont atteints de cette crampe.

Archives, t. XIV. 18

274 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.

Les douleurs de la crampe des pianistes ne se montrent pas

seulement au moment du jeu du piano, mais dans d'autres

actes, ce qui est opposé aux phénomènes de la crampe des

écrivains; l'auteur attribue cette différence à ce que dans la

première, les muscles intéressés sont plus volumineux, plus

nombreux et d'un emploi plus fréquent que les interosseux

incriminés dans la seconde.

Comme traitement, l'auteur fait diminuer le temps des

séances de piano, soigner les maladies constitutionnelles.

L'arsenic à l'intérieur, les douches, les frictions et surtout le

massage doivent être employés.

On sait combien les pianistes ont de difficulté à faire ma-

noeuvrer l'annulaire, qui a des mouvements indépendants

très restreints. Cette gène est due à l'absence d'extenseur

propre de ce doigt. Pour y remédier, des auteurs américains

ont proposé de diviser avec le ténotome les expansions fi-

breuses unissant le tendon extenseur de l'annulaire à celui des

doigts voisins. Le Dr V. Poore ainsi que le Dr Warrington

Haward rejettent cette intervention qui ne doit avoir pour ré-

sultat que d'immobiliser encore davantage l'annulaire par la

production de tissu cicatriciel. (British Med. Journ., 26 févr.

et 26 mars 1887.) A. RnouLT.

VII. Remarques adressées A la théorie du professeur Arndtsur

les hallucinations et les illusions. [Traité de psychiatrie,

p. 110-112, ch. xIx'); par HOPPE. (Tahrbùch. f. Psych., VI, 2-3.)

Pour M. Hoppe, les hallucinations de la vue émanent purement

et simplement d'impressions périphériques prenant leur source

dans les éléments anatomiques intra-oculaires. Que l'on ajoute

par la pensée quelque chose à ces impressions, elles deviennent

des perceptions délirantes. Toutes les hallucinations ont pour ori-

gine l'organe sensoriel. Tout le monde peut donc s'halluciner en

se mettant dans les conditions en question ; la facilité est plus ou

moins grande, voilà tout. P. K.

VIII. DES réactions galvano-électriques DES nerfs auditifs ET

optiques chez les hallucinés; par E. KONRAD (Tahrbùch. f.

Psych., VI, 2-3.)

Dans l'immense majorité de cas d'hallucinations vraies (douze

faits sur vingt malades), on constate de;l'liypéresthésie (avec ou sans

1 Voy Arch. de Neurologie, t. XIII.

REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE. 275

modifications de la formule normale) du côté de l'acoustique;

il semble que ce résultat ne se produise pas dans les cas d'hallucina-

tions frustes sur les douze faits en queslion d'hallucinations véri-

tables, plastiques, on note dix cas d'hypéresthésie de l'auditif à

l'égard du courant; un cas de simple modification de la formule,

un cas de torpeur du nerf. Telle est la substance .utile de ce mé-

moire. P. K.

IX. Etats d'affaiblissement psychique congénitaux EN médecine LÉ-

GALE criminelle; par de KRerrr-EBiNG. (Jahrbuch. f. Psych.

VI, 2-3.)

Sept rapports médico-légaux concernant des cas relatifs à

la pratique de chaque jour. Relief élémentaire. I. Meurtre

de sa soeur par un imbécile ; a été exécuté sous une influence

émotive. II. Incendie par un idiot. III. Incendie sous une

influence passionnelle par un débile congénital, atteint d'épi-

lepsie traumatique. IV. Vol, débilité mentale. - V. Attentat,

faiblesse intellectuelle. VI. Attentat. Idiotie. VII. Acte de

violence publique. Haut degré de débilité mentale et d'émotivité.

P. K.

X. Du RENVOI DÉFINITIF DES ALIÉNÉS CRIMINELS GUÉRIS; par A. PICR.

(Allg. Zeitsch. f. Psych., XLIII, 1-2.)

Ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de le faire décider par une

commission mixte composée de médecins, d'administrateurs, de

juges, conformément à l'opinion du procureur général Barbier et

du rapporteur sur la Loi française, Th. Roussel. P. K.

XI. CONTRIBUTIONS A la connaissance DES psychoses dans l'armée;

par W. Sommer. (All. Zeitscla. f. Psysh., XL111, 1-2.)

Étude statistique très complète et fort judicieuse de laquelle il

ressort que, en temps de paix comme en temps de guerre, ce

n'est pas le service qui rend fou ; ce sont la tension d'esprit et les

préoccupations de la responsabilité jointes aux travaux intellec-

tuels qui provoquent de concert, avec les excès et les exigences so-

ciales, l'aliénation mentale. Aussi, sont-ce les sous-officiers et

les officiers qui lui paient le plus fort tribut. Et encore faut-il faire

la part dans l'espèce des prédispositions psychopatiques congéni-

tales ou acquises qui sont celles de tout le monde, vie de garnison

comprise. Conclusion. Examinez avec le plus grand soin

les jeunes hommes à leur début au service ; examinez-les encore

au régiment, n'hésitez pas à les faire traiter dans un asile dès

276 REVUE DE PATHOLOGIE MENTALE.

que débute l'aliénation mentale. Quant aux modalités morbides

et à leur évolution, M. Sommer montre que c'est la mélancolie

qui se produit le plus souvent; elle se manifesterait dans la se-

conde moitié du temps du service. La manie atteint surtout les

recrues et guérit promptement. On rencontre peu de folies cu-

rables chez les sous-officiers; prédominance de la paralysie géné-

rale et de la folie systématique. Les officiers sont encore plus af-

fectés sous ce rapport ; cinquante pour cent de paralytiques

généraux ; trente-six pour cent de folies systématiques (religieuses

ou hypochondriaques) ; quatorze pour cent de guérisons. P. K.

XII. Aperçus sur l'histoire DE l'assistance DES aliénés allemands

au MOYEN AGE ; par ICIRCHn01P. (Ally, Zeitsch. f. Psych., XLIII,

1-2.)

Conclusion.- Il ne faut pas croire que le traitement des aliénés

fût aussi inhumain qu'on le pense. Sans doute, on n'avait pas

constitué de traitement psychiatrique correspondant au nôtre,

sans doute on se préoccupait surtout de séquestrer dans un but

de préservation sociale, mais on ne les traitait pas non plus

comme des malfaiteurs. P. K.

XIII. DE l'importance DES asiles d'aliénés POUR PRÉSERVER LES

psychopathes du suicide; par F. >11UEHLBEAGER. (Allg. Zeitsch. f.

Psycla., XLIII,1-2.)

Statistique de l'asile du grand-duché deHesse, par Heppenheim.

XIV. Du trouble du langage écrit chez les demi-idiots ET de sa RES-

semblance avec les vices d'articulation. [Balbutiement et bé-

gaiement) ; par BEREH.fN. (Arch. f. Psych., XVII, 3.)

Nouveaux spécimens d'écritures montrant que, sous la dictée,

les débiles ou les imbéciles omettent des lettres, dans l'espèce,

l'r et l'l. Ces deux linguales font défaut ensemble exactement

comme chez les balbutieurs. C'est donc du balbutiement écrit. P. K.

SOCIÉTÉS SAVANTES

SOCIÉTÉ MÉDICO-PSYCHOLOGIQUE

Séance du 27 juin 1887. Présidence de M. Magnan.

L'acétanilide dans l'épilepsie.- MM, MABILLE et RAfADIEIt commu-

niquent à la Société le résultat de leur expérimentation de l'acé-

tanilide dans l'épilepsie. La conclusion est que cet agent, loin

d'avoir les propriétés thérapeutiques qu'on lui avait attribuées, est

d'un effet presque nul, sinon contraire au but poursuivi. Chez un

certain nombre de malades, les crises ont augmenté, mais dans

la plupart des expériences, le médicament est resté sans effet à la

dose de trois grammes par jour.

Amnésie traumatique. M. RITTI donne lecture d'une observa-

tion deJarchi (de Buckarest), relative à un cas d'amnésie consé-

cutive à un traumatisme crânien chez une femme. Après trois

semaines, la malade a guéri mais n'a jamais depuis retrouvé le

souvenir de son accident, ni des événements accomplis pendant

la durée de la maladie.

Du dédoublement de la personnalité chez un hystérique. M. MA-

bille, qui a suivi la malade de MM. Bourru et Burot dont l'his-

toire est revenue à différentes reprises devant la Société', apporte

la confirmation de certains faits avancés par les premiers pré-

sentateurs.

Du délire chronique. (Suite de la discussion.) M. Canrsrrarr :

Lorsque, dans la dernière séance, e vous exposais que, selon moi,

les persécutés dont le délire reposait sur des troubles de la sensi-

bilité génitale n'arrivaient jamais à formuler d'idées ambitieuses,

M. Doutrebente m'a objecté qu'à une certaine époque, l'officier

de marine dont j'invoquais la typique observation avait eu des

conceptions très nettement orgueilleuses. Je vous apporte aujour-

d'hui les documents officiels de Charenton, et vous verrez qu'à

aucune époque rien de semblable n'a été noté. M. X... s'est bien

cru en 1854 frère de l'empereur, mais dans sa généalogie écrite

de sa main, il ne fait nullement mention de cette parenté.

1 Voir Archives de Neurologie, vol. X, 1885, p. 212, 230.

278 SOCIÉTÉS SAVANTES.

M. DOUTREBENTE. Il me semble alors que j'ai annoncé un fait

exact, puisque vous reconnaissez avec moi qu'en 1854 il se disait

allié à la famille impériale.

M. CHRISTIAN. Oui, mais cela n'a pas duré.

M. DOUTIiEDENTE. J'ai aussi retrouvé les notes que je prenais au

jour le jour sur ce malade et j'y vois qu'il était poursuivi par

un préfet de police invisible, à cause de sa parenté avec l'empe-

reur. « Je me garde bien, nous écrivait-il confidentiellement, de

jamais parler de mon frère, parce qu'ils me tourmenteraient

davantage. u Plusieurs lettres que le malade m'a remises sont

remplies de conceptions orgueilleuses; si dans les notes médicales

il est à peine question de cette tendance, cela tient surtout à ce

que, ne connaissant pas cette dernière transformation du délire

chronique, on ne la recherchait pas.

Affaire du baron Seillère. M. BnIAND. En présence des

attaques dont deux de nos collègues qui sont des maîtres estimés

et respectés, sont l'objet depuis quelques jours, il me semble que

la Société médico-psychologique a un devoir à remplir. Les

insultes dont on abreuve MM. Falret et Motet rejaillissent sur nous

tous. Je vous demande de donner une nouvelle preuve de confra-

ternité et de solidarité médicale en votant l'ordre du jour

suivant :

« La Société médico-psychologique adresse à MM. Falret et Motet

« l'expression de sa plus vive sympathie à l'occasion des attaques

« aussi inqualifiables qu'imméritées dont ils ont été récemment l'objet

« dans une certaine presse. »

L'ordre du jour est voté par acclamation.

M. Motet, après avoir remercié en termes émus la Société de

l'ordre du jour qu'elle vient de voter, demande à exposer en

quelques mots l'affaire du baron Seillère, non pas, dit-il, pour se

disculper ou se défendre, mais pour revendiquer hautement de-

vant ses pairs sa part de responsabilité.

« Mêlé dès le début à cette affaire, dit-il, si j'y suis intervenu,

appelé par la famille, c'est que déjà, dans une circonstance non

moins pénible pour elle, j'avais été chargé de constater l'état

mental d'un des siens. J'ai vu M. le baron Seillère pour la première

fois le 18 mai 1887; j'ai dit, en mon honneur et conscience, ce que

je pensais de son état, et depuis j'ai laissé sans réponse tout ce

que les journaux ont publié. J'aurais manqué à tous les devoirs

de ma profession en donnant des détails; j'aurais violé le secret

médical : je me suis tu.

« Mais, depuis l'interpellation portée devant la Chambre des dé-

putés le 24 juin 1887, par M. J. Gaillard, député du déparlement

de Vaucluse, j'ai bien le droit de penser qu'il n'y a plus de secret

SOCIETES SAVANTES. 279

médical à garder et que, si malgré les efforts de M. le Ministre

de l'intérieur, de M. le Président de la Chambre, on a pu jeter à

tous les vents les secrets d'une famille cruellement atteinte, que

si, sans pitié, on a pu se livrer à des attaques sans mesure, je

pouvais venir devant vous, non pour me défendre, non pour me

justifier, mais pour revendiquer hautement la responsabilité du

conseil que je devais donner et rétablir pour vous la vérité des faits

que je veux bien encore, supposer inconsciemment altérés. »

M. Motet communique ensuite à la Société : 4 une consulta-

tion en date du 18 mai 1887; 2° une consultation signée de M. le

professeur Charcot, en date du 24 mai; 3° une série d'écrits du

baron Seillère.

Dans la première consultation, celle qui a précédé l'interne-

ment, M. Motet détermine sous le nom d'accès d'excitation ma-

niaque, l'état du baron Seillère. Les violences du langage, les me-

naces contre plusieurs membres de sa famille, non moins que les

exagérations vaniteuses, caractérisent suffisamment cet état. Ce-

pendant M. Motet laissait encore entrevoir la possibilité d'un re-

tour au calme et ne concluait à la nécessité de l'internement que

dans le cas où l'excitation persisterait. Ce qui décida la famille de

M. le baron Seillière à agir, ce fut à la fois l'agitation croissante

du malade et une lettre de son conseil judiciaire qui, ému de

l'état de M. le baron, crut de son devoir d'avertir son frère de

l'exaltation inquiétante dans laquelle il serait de le voir et de

l'impossibilité où il s'était trouvé de traiter avec. lui les affaires

d'intérêt dont il avait à lui rendre compte. Ce placement eut lieu

sans violence et les scènes du domestique qui se serait emparé du

malade est une pure invention. Le malade a été conduit à Vanves

par un de ses amis, le colonel X...

La consultation, en date du 24 mai, a été rédigée à la suite

de la visite de M. le professeur Charcot à la maison de santé.

L'état de M. Seillère, à ce moment, y est exposé avec détails. Ce

qui frappe les médecins consultants, c'est l'indifférence du malade

sur sa situation, son intarissable loquacité, une attitude, une ma-

nière d'être générale qui n'est pas celle d'un malade de fraîche

date : ils expriment l'opinion que le baron pourrait bien avoir

eu déjà des accès du même genre; ils insistent sur la nécessité de

l'isolement dans une maison de santé spéciale et la considèrent

comme la seule mesure qui puisse sauvegarder le malade contre

les entraînements auxquels il est incapable de résister.

Le même jour, 24 mai, M. le Dr Laborde constatait, conformé-

ment à la loi, l'état mental de M. le baron Seillère et adressait au

préfet de police un rapport dans lequel il concluait aussi à la

nécessité de l'internement. Plus tard, M. Garnier, médecin en

chef de l'infirmerie spéciale du dépôt de la préfecture de police,

était envoyé par Ai. lePréfet qui lui demandait d'urgence un rap-

280 sociétés savantes.

port. Entre tous les médecins qui ont visité M. le baron Seillère,

il n'y a pas eu dissidence dans l'affirmation d'un trouble mental

qui, progressivement, a passé de l'excitation maniaque au délire

maniaque avec des idées de grandeur incohérentes, contradic-

toires ; on les retrouve dans ses écrits dont M. Motet lit les pas-

sages suivants :

« Du 19 juin 4886. - Ma généalogie précise, Jupiter et Junon,

Confucius, Moïse, Salomon, Jules César Un rejeton appa-

rait dans le désert, Mahomet, puis moi. A chercher naturellement

la filiation de ma famille récente, on trouvera que j'ai, pas très

loin, une aïeule de sang maure.

« Je suis le petit-fils de don Juan d'Autriche et d'une fille maure

de sang pur de Mahomet, qu'il a faite prisonnière à la bataille de

Lépante. Mon instinct m'a fait acheter, il y a trois ans, un bijou

souvenir de mon aïeul don Juan, portant une inscription que per-

sonne ne comprend. J'étais très à court d'argent et rien n'a pu

m'empêcher de l'acheter. Salut et souvenir à mon grand-père

don Juan, mon humble respect à ma grand'mère du sang des

Purs.

«En traduisant Seillère en espagnol, puis en maure, on aura le

nom de ma grand'mère don Juan. Mon nom est celui de la fille de

Mahomet, l'unique de sang pur, Cheillire de la Seillire. La logique

de ma filiation est bien claire et je porte mon nom francisé qui

veut dire en maure : chef, et Mahomet ne l'a pas donné à la

légère à sa fille.

« 20 juin.- Mohammed eut une seule fille légitime, ma grand'

mère, dont je porte le nom. Par un hasard, sa progéniture est

faite prisonnière à Lépante par don Juan qui devait avoir

quelques traces de sang pur dans les veines. Son affinité lui a

fait épouser devant Dieu cette Mauresque, et il n'ose l'avouer à

cause du préjugé de religion. Puis moi, dont je vais expliquer

l'incarnation et qui résume tous mes ancêtres. Ma vie jusqu'à ce

jour est une vie de passion aussi sublime que celle de Jésus, qui,

versant son sang pour la Rédemption de l'humanité, paya la

faute de ses ancêtres.

« 21. Les forêts, les produits de la terre, tout cela est faux.

Le charbon de ferre, c'est nos anciens arbres des forêts enfouis, et

en faisant renaître le paradis terrestre que Dieu a changé en

désert, vous aurez là la végétation, les légumineuses et les vrais

aliments créés par Notre Père pour ceux créés par lui à son

image. Tout cela va renaître par Dieu qui se sert de moi comme

instrument inconscient et se pliant toujours sans aucune exception

comme cela a été l'emblème de ma vie passée comme dans ma

vie future pour être le vrai Messie attendu et annoncé depuis la

première faute de l'homme créé à son image. Gloria, Gloria, Glo-

SOCIÉTÉS SAVANTES. 281

ria Dei Patris Noster. Inconsciemment, j'ai été nourri par la manne

pure comme mon ancêtre Moïse, etc., etc.

« Marie CIIEILLIRE. »

Dans ces écrits, il n'y a plus seulement de l'excitation maniaque :

le délire sous forme de délire des grandeurs y apparaît avec les

exagérations morbides les plus manifestes confirmant le récit

publié par les journaux, de l'entrevue de M. le Préfet de police

avec le malade.

M. Motet, en mettant en relief certains passages de ces écrits,

montre que le délire a des racines profondes dans le passé et que

si, aujourd'hui on est en présence d'un état aigu, la préparation a

été longue. Semblables accidents ne sont en effet que la manifes-

tation d'une lésion déjà ancienne et insidieuse dans sa marche

progressivement envahissante.

M. Motet termine ainsi son intéressante communication :

« Si M. Gaillard, député du Vaucluse, s'était posé eu défenseur

de la liberté individuelle; son inexpérience, son ignorance à peu

près complète de la question qu'il prétendait traiter, eurent été fort

excusables. Mais sans autre argument que celui-ci : « On a enfermé

un homme qui n'était pas fou, s'il l'est aujourd'hui, c'est qu'on l'a

rendu fou », M. Gaillard s'est livré à des appréciations aussi erro-

nées qu'injustes sur des médecins. Peut-être partage-t-il l'opinion

de ses collègues qui ont lancé cette phrase : « La plupart des alié-

nistes sont des aliénés. » Je comprends alors qu'il ait tenu en si

pauvre estime les consultations qui ne disaient pas brutalement :

M. le baron Seillère est atteint d'aliénation mentale et qu'il en ait

conclu que notre malade n'était pas fou. '

« Si M. Gaillard, de Vaucluse, veut bien permettre à un aliéniste

qui, jusqu'à présent, n'est pas arrivé à un état d'aliénalion men-

tale grave (du moins il l'espère) de lui donner un renseignement

d'ordre scientifique, il saura désormais qu'aliénation mentale est

un terme très général qui comprend toutes les variétés du genre

et qu'un certificat médical disant tout simplement, comme le vou-

drait M. Gaillard, qu'un homme est atteint d'aliénation mentale,

nous paraîtrait insuffisant et nous laisserait tout le diagnostic à

faire. Si nous disons excitation maniaque ou dépression mélan-

colique, si nous y ajoutons quelques détails comme tremblement

fibrillaire des muscles de la face, inégalité de la dilatation pupil-

laire, hésitation dans la parole, cela pourra bien sembler à M. Gail-

lard, de Vaucluse, aussi amusant que la sputation fréquente si

heureusement trouvée par Molière. Peut-être cela prendrait-il pour

lui plus d'importance, s'il savait que ces « petits symptômes »

dont on rit si agréablement à nos dépens, sont pour nous des

signes d'une exceptionnelle gravité et nous permettent d'affirmer

282 SOCIÉTÉS SAVANTES.

que le malade qui nous les présente est atteint d'une lésion

cérébrale qui ne pardonne pas.

a Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas nous défendre contre

des accusations odieuses. Nous n'avons pas le droit de livrer des

secrets que nous avons reçus dans l'exercice de notre profession.

Nous n'avons qu'une chose à faire, nous conduire comme le con-

seillait un des vétérans de la presse, M. Ranc, en parlant des

affaires d'honneur : «Il n'y a qu'un moyen, disait-il de se tirer

d'affaire, c'est de se conduire le plus correctement possible, sans

se préoccuper le moins du monde de ce que diront les badauds. e

« J'espère, messieurs, vous avoir donné la preuve que rien dans

ma conduite ne prête à une interprétation douteuse. Votre juge-

ment, les témoignages de sympathie et d'estime que vous m'avez

spontanément donnés ainsi qu'à mon excellent et si honorable

collègue, M. Falret, me suffisent et je vous en remercie. » r

M. Falret, après avoir adressé ses remerciements à la Société,

expose les craintes que l'état du baron lui inspire. 11 vient d'avoir,

dit-il, quelques syncopes suivies d'une crise d'excitation très vio-

lente accompagnée de perte complète du souvenir. Ensuite il est

redevenu ce qu'il était avant, tantôt persécuté, mystique ou am-

bitieux, mais toujours incohérent. On me reproche de le soustraire

à ses visites... mais la maison ne serait pas assez grande pour con-

tenir la foule d'amis inconnus qui se présentent quotidiennement.

Pour vous donner un état de son inconscience, je ne veux vous

citer qu'un fait. Le colonel X..., qui l'avait conduit chez moi,

étant venu voir son malade, celui-ci l'a déshabillé des pieds à la

tête; puis, se déshabillant à son tour, il s'est mis à danser tout nu

autour du colonel.

La mobilité de ses idées est telle qu'on ne peut les suivre. Der-

nièrement il prétendait que la sainte Vierge lui avait recom-

mandé de jeûner pendant quarante jours et il refusa toute nour-

riture ; plus tard il mangea avec avidité, en disant que les

quarante jours étaient écoulés.

On comprend combien .il est difficile de poser un diagnostic

précis. Il peut se faire que le baron Seillère en soit quitte pour un

accès d'agitation maniaque simple, mais il faut aussi craindre

une paralysie générale peul-être spécifique. M. Falret conclut

qu'en tout cas on lui ferait bien plaisir en le débarrassant du ma-

lade, qui peut succomber dans une de ses attaques congestives.

M. Garnier a vu deux fois le baron. Entre ses deux visites,

le délire s'est considérablement modifié. De soupçonneux et mé-

fiant, il était devenu communicatif et exubérant. Il pense que la

syphilis cérébrale chez un fou héréditaire pourrait expliquer les

anomalies que présente cet état mental.

. M. Voisin se demande si en présence des déraillements de l'opi-

SOCIÉTÉS SAVANTES. 283

nion publique, il ne serait pas bon de faire choix d'un journal

pour y publier une chronique des faits et gestes des aliénés en

liberté. M. B.

Séance du 25 juillet 1887. Présidence de M. Magnan.

Du délire chronique. (Suite dela discussion.) -M. Bail rapporte

l'observation de deux malades atteints de délire ambitieux d'em-

blée, sans avoir traversé les étapes successives assignées au délire

chronique. Il en conclut que les exceptions à la règle sont très

fréquentes et propose ensuite de donner à la maladie le nom de

délire des persécutions de Lasègue en souvenir de l'homme qui a

décrit le premier lapériodeprédominante du délire, la période des

persécutions.

Affaire du baron Seillère. M. GARNIER tient à donner à la

Société des explications sur la nouvelle tournure que vient de

prendre l'affaire Seillère, il tient surtout à expliquer dansquelles

conditions la sortie du malade s'est effectuée, et rectifier ainsi les

appréciations malveillantes de la presse. Dans un premier rap-

port que j'avais été appelé à fournir au Préfet de police sur le

baron Seillère, dit-il, j'avais laissé entrevoir la possibilité d'une

amélioration rapide. C'est cetle amélioration que j'ai constatée

dans le rapport ci-dessous rédigé d'après une nouvelle invitation

du Préfet à examiner le malade qui a déterminé la mise en liberté

du baron. Mais je tiens à le proclamer bien haut pour éviter toute

interprétation inexacte, ce rapport résume ainsi la pensée de

de M. Falret en ce qui concerne l'état mental du malade :

«Monsieur le Préfet. Depuis la dernière visite que j'ai été appelé

à faire à M. Seillère, un changement bien remarquable s'est

produit dans sa manière d'être. Je n'ai plus retrouvé l'exalté ma-

niaque, le délirant dontj'avais noté les extravagances, les propos

incohérents et les divagations ambitieuses. Il s'est présenté avec

des dehors raisonnables et c'est en termes posés et sur un ton

tranquille qu'il m'explique que, se sentant guéri, il désiresa mise

en liberté et espère qu'on pourra faire droit à sa demande.

« M. R. Seillère a conscience de l'état morbide qu'il vient de

traverser ; il parle de l'affection cérébrale dont il a subi le choc,

en homme qui a la perception des désordres qui en ont été la

conséquence. 11 ne fait aucune difficulté à reconnaître que, sous

cette influence, il a perdu la notion exacte des choses, qu'il n'était

plus maître de ses idées et de ses actes, qu'il a été le jouet d'illu-

sions et d'hallucinations nombreuses; il accorde enfin, avec toutes

les apparences de la sincérité, que les mesures prises à son égard,

dans le but de le traiter et de le protéger contre des entraine-

284 SOCIÉTÉS SAVANTES.

ments irrésistibles et dans un intérêt de sécurité sociale étaient

commandées par les circonstances, par la gravité de sa maladie

mentale, il est heureux, ajoute-t-il d'avoir rencontré dans l'infor-

tune qui l'a frappé, des médecins aussi bienveillants, aussi dévoués

dont les soins éclairés et assidus lui ont été si utiles.

« Fait-on allusion, pour donner à l'interrogatoire une portée plus

précise, à certaines interprétations délirantes auxquelles M. Seillère

s'abandonnait, tout récemment encore, il convient, confesse que

sa maladie a fait de lui, pendant ces dernières semaines un être

bien extravagant ! ... Il demande que tout cela soit oublié puisqu'il

n'y pense plus lui-même... Il est certain toutefois que des réser-

ves très grandes sont à faire, quant à la valeur de la rémission

qu'il m'est donné de constater dans le laps de temps signalé. La

disparition de l'excitation et du délire est, assurément, de date

beaucoup trop récente pour qu'on puisse répondre de l'avenircéré-

bral, même prochain de M. Seillère. On doit craindre que la ma-

ladie après un temps d'arrêt plus ou moins long, ne se rencontre,

soit sous forme d'un accès similaire, soit pour évoluer d'une ma-

nière continue et progressive. Mais la menace d'une rechute ne

détruit pas le fait même de la rémission qui s'affirme par des

signes suffisamment manifestes, bien que l'équilibre mental reste

instable et fragile.

«J'ajoute qu'il serait désirable que M. Seillère fût tenu, autant

que possible, pendant quelque temps encore, à l'abri de toutes

les causes de fatigue et d'excitation cérébrale; que sa convales-

cence se poursuivit dans des conditions de calme, de repo, d'af-

fectueuse surveillance et d'hygiène morale dont il ale plus grand

besoin. S'il existe de ce chef des indications spéciales, il convient

de déclarer que là ne réside point pour l'administration l'oblira-

tion de prolonger un internement que l'intérêt de la sécurité pu-

blique n'impose plus...

, « 19 juillet 1887. »

Vous le voyez, ajoute M. Garnier, que c'est bien à tort que l'on

a parlé de divergences entre les médecins appelés à voir M. Seillère.

De même que j'ai partagé l'opinion de MM. Charcot, Decaisne,

Laborde et Motet à l'époque delà séquestration'du malade, de

même, mes honorés confrères auraient été de mon opinion s'ils

avaient vu le baron la veille de sa sortie. Entre M. Falret se dis-

posant dans ces derniers jours, comme il le disait lui-même, à lais-

ser sortir son malade pour le faire conduire à la campagne dans

un château appartenant à la famille, entre cettemanière d'appré-

cier la situation etmon dernier rapport, il n'y a pas de différence ;

je ne vois donc pas pourquoi la presse a cherché à nous opposer

l'un à l'autre.

- M. Falret. Dans ces derniers jours, une amélioration sensible

SOCIETES SAVANTES. 285

s'était en effet manifestée et je me proposais de solliciter pour mon

malade une sortie provisoire dans des conditions de surveillance

parfaite, destinée surtout à éviter au convalescent certain entou-

rage interlope dont il a été question dans les journaux. D'accord

avec la famille, on préparait une installation dans un château lui

appartenant, à la campagne, où il eût été placé pour quelques

jours sous la surveillance d'un médecin prêt à intervenir en cas

d'alerte ; mais je n'aurais pas osé proposer encore une sortie dé-

finitive d'un malade dont cependant j'aurais bien aimé à être dé-

barrassé. Au moment où M. Garnier a examiné le baron, celui-ci

ne délirait pas, mais peu après le départ de notre confrère, il

nous racontait, à 111. Cotlard et moi, qu'il avait, comme les am-

phibies, la faculté de vivre dans l'eau, grâce à sa double aspira-

tion ; son urine était douée de propriétés curatives surprenantes

et il promettait de revenir après sa sortie en faire l'expérimen-

tation sur nos pensionnaires. Ce sont ces faits qui faisaient hésiter

M. Falret, médecin traitant, auquel la famille avait confié le ma-

lade, devantunemise en liberté immédiate.

M. Motet regrette que M. Falret, qui a soigné son malade avec

tant de dévouement, n'ait pas eu la satisfaction de proposer le

premier la sortie du malade à l'autorité administrative.

Marcel Briand.

SOCIÉTÉ PSYCHIATRIQUE DE BERLIN

Séance du 15 juin 1886 1. - Présidence de M. LOEHR.

Après avoir transmis les salutations des membres empê-

chés d'assister à la séance, le président fait un rapport sur

les travaux de la Société pendant l'année précédente. Il pro-

pose que, désormais, le bureau comprenne cinq collaborateurs,

dont deux seront secrétaires. La Société élit sur-le-champ

MM. Loehr, Mendel, Zinn, Guttstadt et Moeli, ces deux derniers

secrétaires.

M. IDELER. Folie épileptique. Accusation de banqueroute fraudu-

leuse. - Il s'agit d'un banquier de Berlin qui, après avoir fait

1 V. Archives de Neurologie, séance du 15 décembre 1885, p. 252.

286 SOCIÉTÉS SAVANTES.

honneur à ses affaires depuis 1876 jusqu'en 1883, fit à cette der-

nière époque des spéculations malheureuses qui finirent par

amener la catastrophe le 25 février de cette année-là. Après

avoir brûlé la plus grande partie de ses livres de commerce, il prit

la fuite en emportant 75,000 marks (93,750 fr.). Une enquête effec-

tuée le 2 mars, démontra qu'il ne restait en caisse que 1,000 marks

(1,250 fr.) et qu'il avait été dissipé 350,000 marks (437,500 fr.). Peu

de jours, après le banquier était arrêté à Munich chez une amie de

sa femme. 11 se trouvait, d'après la constatation même du magis-

trat chargé de l'arrestation, dans un tel état d'agitation et de

désordre des idées que l'on prescrivit, afin d'éviter une tentative

de suicide, de le surveiller dans un local spécial. Son médecin

fournit un certificat d'après lequel, lorsqu'il avait pris la fuite, son

état mental ne saurait être tenu pour normal. Connu jadis pour

un homme d'un esprit solide, d'une raison éprouvée, ce qui était

conforme à la réalité du reste, il manifestait depuisquelque temps

une propension à la prodigalité, contrastant d'une façon criarde,

avec une économie simultanée tout à fait irrationnelle. Achetant

sans besoin, sans emploi raisonnable, des objets d'or, des bagues

en brillants, des montres de valeur, tandis qu'il faisait contrôler

le poids de son pain, il faisait cadeau à sa fille d'une poupée de

75 à 112 fr. 50 en même temps qu'il lui refusait une paire de bot-

tines de rechange, au point de la forcer à demeurer au lit jusqu'à

ce qu'on eût réparé la vieille paire. Il s'était affilié également à la

société des végétariens. Conclusion : Altération de l'intelligence

à la suite de spéculations de bourse. En prison, il est en proie à des

attaques épileptoides commençant par un cri, puis les poings se

ferment convulsivement, la tête se tourne irrésistiblement vers

le dos, les yeux deviennent larmoyants. L'accès laisse après lui

une perte de connaissance manifeste et un sentiment de profonde

lassitude et de grand abattement. Un peu d'élévation de la tem-

pérature. On n'a pas assisté à de véritables convulsions généra-

lisées, mais un matin, au réveil, on a constaté une petite blessure à

la tête, ainsi qu'une ecchymose au bras droit. Céphalalgies, sur-

tout à la région temporale gauche : face pâle, sommeil agité.

Humeur changeante à tout bout de champ; impossibilité de

suivre un entretien; désorientation absolue en ce qui a trait aux

plus simples rapports de temps et de lieu. Ne s'intéressant à rien,

dépourvu d'énergie et d'initiative, ne s'inquiétant aucunement de

son avenir, il est parfois agité, en proie à une inquiétude cha-

grine, versant bruyamment des larmes et soupirant profondément

surtout quand on lui parle de sa fille. La mention de sa femme

et d'un autre enfant le laisse froid. Interrogé sur l'acte incriminé,

il avoue avoir brûlé des papiers, en mettant cela sur le compte

d'une angoisse, d'une agitation voisine du délire; il prétend

avoir en même temps ressenti un extrême malaise dans toute

SOCIÉTÉS SAVANTES. 287

son économie. C'est presque sans y penser qu'il aurait pris le

train pour Munich; il ne serait revenu à lui qu'en faisant la ren-

contre pendant ce voyage, d'un négociantde ses amis. Ce négociant

témoigne en effet, que de temps en temps 1 e banquier lui parut très

agité, qu'il changeait constamment d'humeur, et se montra très

incohérent; il lui fit même remarquer qu'un paquet de billets de

banque sortait à même de la poche de sa redingote ; c'est alors que

le banquier pensa à l'envelopper d'un journal. Les experts conclu-

rent à l'existence d'une perturbation psychique ayant déterminé

la perte du libre arbitre, mais ils ne purent répondre unanime-

ment à la question formulée par le président du tribunal. L'accusé

est-il capable de soutenir les débats ? La cour ordonna un rapport

écrit et motivé des experts, afin de décider quel était l'état mental

du banquier en 1882, et daus les premiers mois de 1883, c'est-à-

dire à l'époque de l'acte incriminé, et quel est son état mental

actuel. A cet égard, la fuite de l'accusé est caractéristique. Il

ignore comment il est arrivé à la gare, comment il a pris son

billet pour Munich ; il ne reprend connaissance que lorsque le

train est sorti de la gare; il va à Munich dans une famille amie,

et là on le voit inactif, inerte; rester étendu sur un sofa, jusqu'à

ce que la police vienne l'arrêter. Avant de s'enfuir, il brûle au

hasard des livres quelconques et non pas seulement ceux qui le

peuvent compromettre sans systématisation, sans falsification

spéciale. Il n'a du reste conservé qu'un souvenir sommaire de ce

qui s'est passé ; il semble qu'il ait rêvé. Il est donc certain qu'il a

été en proie à une perte de connaissance pathologique, à la ma-

nifestation prolongée d'absences épileptiques. C'est d'ailleurs un

individu touché par une tare héréditaire. Quatre de ses frères et

soeurs présentent maintes anomalies, maintes originalités psychi-

ques.

Conclusions. 1° Il est incapable de se rendre compte de la

conséquence de ses actes.- 2° Il y a lieu de penser qu'à l'époque

de l'acte incriminé, il était atteint d'une perturbation psycho-

pathologique, excluantson libre arbitre. 3°II Il était, selon toutes

probabilités, aliéné à la fin de 1882. Ces conclusions furent adop-

tées par le tribunal. Les événements subséquents ont vérifié le

diagnostic.

Discussion. M. MUELLER. Ce malade m'a été confié pendant

l'été de 1884. Quand il est entré il était sous l'influence d'un état

d'épuisement somatique et psychique notable; il a depuis pré-

senté, à des intervalles irréguliers des accès d'épilepsie, laissant

après eux une longue hébétude. Les anamnestiques démontrè-

rent que, pendant son service militaire, il avait fait une lourde

chute de cheval et avait été traîné à terre par l'animal. Depuis

lors, le pariétal gauche est resté marqué d'une cicatrice sensible

288 SOCIÉTÉS SAVANTES.

allant, comme une gouttière, du sommet de la tête à la partie an-

térieure. Depuis cette époque aussi il ressent des bourdonnements

dans la tête qui lui enlèvent le sentiment, et le torturentconstam-

ment. A l'ophlalmoscope, on constate, du côté gauche, une atro-

phie concentrique de la rétine; le champ visuel est diminué

latéralement; engourdissements dans les mains et les pieds; dé-

marche incertaine, parole anxieuse avec bégaiement. Diagnostic.

Affection organique du cerveau, par inflammation de la table in-

terne et des méninges. Les accidents épileptiformes durent en-

core ; le dernier, observé le 16 avril, est manifestement d'origine

cérébrale. Le patient a récupéré ses facultés et son calme.

M. IDELEIt. Au début, j'avais pensé, d'après la manière d'être du

malade, à un commencement de paralysie générale.

M. JASTROWITZ. A-t-on abandonné l'action judiciaire ? 2

M. IDELER.. On l'a suspendue.

M. Jastrowitz. Au moment de la catastrophe, son frère, qui

était son associé, mais que le public avait qualifié du sobriquet

d'Abruti, s'est fait recevoir dans une maison de santé en accusant

des malaises psychiques mal déterminés. Il paraissait vouloir qu'on

le considérât comme aliéné. Mais j'avais souscrit à sa détention.

III. FALK, La question relative à la capacité pour un individu donné

de soutenir des débats judiciaires n'a rien de médical. Quand je

ne puis m'éviter d'y répondre, exactement comme lorsque je ne

peux me dispenser de répondre à la qnestion de responsabilité,

je décris l'ensemble de l'état mental, en insistant plus particuliè-

rement sur la sensibilité morale, le jeu de l'humeur, et le dis-

cernement, laissant aux juges le soin de conclure. S'il est de

prime abord certain que les maniaques ou les simulateurs agités

semblent incapables de soutenir les débats, il est d'autres aliénés

desquels on ne peut en toute certitude en dire autant.

M. IDELER. Tel n'est pas mon avis. Le spécialiste devant les

juges a pour mission de déterminersi un aliéné, sur l'état mental

duquel il s'est formé un jugement, est ou non capable de partici-

per aux débats. Le banquier en question était complètement

affaibli intellectuellement, il était incapable de suivre des débats,

de soutenir des arguments contradictoires, parce qu'il ne possé-

dait pas un discernement bien net sur sa situation, sur les condi-

tionsdans lesquelles ilse trouvait placé; aucune conscience de ses

actes; il était encore sous l'influence des éléments morbides qui

lui avaient ravi, à l'époque où il avait commis l'acte qu'on lui

reprochait, la liberté volontaire, le libre arbitraire.

M. JASTROWITZ. Evidemment celui-là seul est capable de partici-

ciper aux débats qui peut saisir la réponse aux questions qu'on

lui adresse et la portée des accusations. Les juges englobent dans

SOCIETES SAVANTES. 289

le terme posé plus haut la faculté de comprendre et celle d'é-

mettre des propos intelligibles, quand par exemple un aliéné

doit être appelé comme témoin. C'est alors qu'il convient d'ou-

vrir l'esprit des juges au domaine psychopathologique, et de leur

indiquer dans quelle mesure ils .doivent accorder créance aux

assertions du malade : ainsi, en présence du baragouin des simula-

teurs, nous devons dire qu'il ne s'agit pas là des symptômes de l'alié-

nation mentale. Les débats relèvent du magistrat.

M. EDEL. Je rappellerai le procès Zoemisch qui a eu un certain

retentissement il y a environ deux ans. Huit spécialistes ont été com-

mis. Ceux qui tenaient l'accusée pour aliénée, ontdemandé si elle

élait capable de soutenir les débats, c'est-à-dire si l'on pouvait

discuter avec elle comme avec toute accusée. Six d'entre eux ont

déclaré que oui ; un seul de ceux-là a limité cette possibilité à un

moment des débats. Deux autres, dont moi, soutinrent que non

parce que c'était une aliénée.

M. `VENDU. Il faut se borner à expliquer l'état mental en détail.

M. H.\NS-LOEIIR. Un cas de tumeur cérébrale. Une femme de

vingt-huit ans, jusque-là bien portante est, depuis le mois de mai

1884, en proie à des accès de céphalalgie et de rachialgie avec

vomissements et lassitude durant un jour et se reproduisant à

plusieurs semaines d'intervalle. Elle accuse une étude-immodérée

de la musique : cinq à six heures par jour. En juin 1884, sus-

pension des règles qui ne reparaissent qu'en octobre. Les cépha-

lalgies se sont établies graduellement ; la nutrition a décru. Pen-

dant l'été de -18S5, assez fréquemment, vertiges avec battements

de coeur, et flammes devant les yeux pendant une minute, rem-

plaçant les céphalalgies. Garde-robes paresseuses, appétit faible,

oppression stomacale une heure après les repas. Du 30 octobre

1875, au 10 mai 1886, loici ce que l'on constate : nutrition lamen-

table, muqueuses anémiées, globes de l'oeil un peu proéminents ;

égalité des pupilles réagissant bien. Aucune autre anomalie soma-

tique, sice n'est un pouls accéléré (0-100) ; rien au coeur, rien dans

l'urine, grande apathie et indifférence psychiques, fatigue rapide,

constantes céphalalgies d'une intensité variable, grande lassitude;

inappétence, puis appétit normal. Tous les deux jours, puis plus

souvent et plusieurs fois par jour, perte de connaissance avec

pâleur, ronflement, affaissement, sans convulsions; durée quelques

minutes; puis, plus rien, sicen'estpendant quelque temps, douleurs

au sommet de la tête et à la nuque. Depuis, repos au lit : les syn-

copes deviennent rares, et ne se produisent qu'en allant aux lieux

d'aisances. En novembre, troubles de la vue (perte soudaine de la

vue toute passagère), mais non à la suite des pertes'de connaissance.

En décembre, cécité définitive de l'oeil droit ; à gauche demi-

acuité avec rétrécissement concentrique du champ visuel; rétinite :

Archives, t. XIV. 19 9

290 SOCIÉTÉS SAVANTES.

les deux papilles gris rougeâtres, un peu floues et légèrement

tuméfiées sansaltération de volume des vaisseaux ; plaques blan-

châtres plus ou moins volumineuses sur la rétine, surtout adroite,

avec de petites hémorrhagies extrêmement nombreuses ; en un

mot, aspect de la rétinite albuminurique. Au milieu de janvier,

neuro-rétinte avec papille étranglée. Puis, des deux côtés, dévelop-

pementgraduel d'une atrophie du nerf optique, avec cécité absolue,

inertie de la pupille à la lumière de même que pour les besoins

de la convergence. Aucun trouble de la motililé ; force égale des

deux côtés; intégrité partout de la sensibilité tactile, thermique,

douloureuse ainsi que du sens musculaire ; conservation de la

sensibilité à la pression sur tout le cuir chevelu, le front, le

long de la colonne cervicale et dorsale supérieure, à la région

latérale du cou. Intégrité de l'odorat, de l'ouïe, du goût, des

réflexes tendineux et cutanés. En décembre, sentiment de pa-

ralysie des extrémités droites sans aucune anomalie objective;

sensation constante de chaleur anormale ; aucune modification de

la température somatique. Dans les derniers jours de janvier jus-

qu'au 2 février, augmentation considérable des céphalalgies, sen-

sibilité de la région temporale gauche à lapercussion, douleurs uni-

formes dansles régions frontale etoccipitale. Assez souvenldouleurs

dans la jambe droite, pendant quelques minutes, depuis les orteils

jusqu'àla hanche; augmentation des réflexes tendineux ; le clonus

podalique existe des deux côtés, le réflexe plantaire est plus fort

à droite, l'excitabilité faradique plus prononcée à droite aussi ; un

peu d'hébétude, mais bonne humeur, rires souvent sans motifs plau-

sibles, réponses lentes. Le2 février au matin, pertes de connaissance

courtes pendant deux heures, en même temps, rougeur de la face,

forte céphalalgie initiale; l'accès est suivi de violentes douleurs

occipitales et à la nuque. Les jours suivants, accès de forte cépha-

lalgie et de douleurs dans la jambe droite, accompagnés d'accé-

lération du pouls pendant quelques minutes (90 à 100). Le 8 février,

la malade s'habille pour la première fois depuis quelques semaines;

elle tombe alors soudain à terre, sa tête se fléchit en arrière; les

yeux sont fixes, immobiles, largement ouverts, les pupilles sont

normales; des deux côtés, le corps est raide et les membres in-

flexibles ; pas de convulsions; ronflement; P., 80 ; rien à la face;

dix minutes après, raideur persistante, fortes convulsions du

corps entier mais, surtout des extrémités (chaudes) durant une

demi-heure, puis la connaissance reparaît, les céphalalgies s'é-

vanouissent, l'humeur est gaie. Réapparition les jours suivants, des

mêmes accès de courte durée, suivis à plusieurs reprises de dou-

leurs dans la jambe droite . 11 arrive assez souvent qu'après le retour

de la connaissance, la malade mange, mais plusieurs fois aussi

elle vomit. Pendant les accès, pas de vomissements. Le 18 février,

hypertrophie modérée de la glande thyroïde, indolore du reste;

SOCIÉTÉS SAVANTES. 291

bruit systolique indistinct ; P., 100. Les autres jours, apathie, peu

d'appétit, répétition des accès sus-décrits. Le 21,' assouplissement

durant presque tout le jour ; humeur gaie, pleine d'espoir ; elle

vomit le soir; la nuit, céphalalgies. Les jours suivants, règles;

gaîté ; bon appétit sans accidents. Les 27 et 28, six accès de perte

de connaissance de dix minutes avec ronflement et légères plaintes.

Ces accès sont fréquemment suivis de violents tremblements, sur-

tout dans les bras ; toujours douleurs dans la jambe droite, quel-

quefois nausées. Dans l'intervalle, grande somnolence, mais

humeur amicale. Pas d'élévation de température après les accès.

P., 90. Jusqu'au 10 mars, mêmes accès, souvent plusieurs par jour

d'intensité variable ; souvent aussi la connaissance ne disparaît

pas complètement, mais la patiente gémit, se prend la tête dans

les mains, répond quelques mots aux questions qu'on lui adresse ;

on constate aussi des tremblements nerveux sans raideur. Dans

l'intervalle des accès, fortes douleurs céphaliques, douleurs violentes

à la nuque et dans les jambes ; parfois aussi vertiges; il lui semble

qu'elle tombe ou que son lit est obliquement soulevé. Le 12 mars,

agitation, rigidité, perte de connaissance avec cri perçant, les

yeux largement ouverts et tournés à gauche ; P., 50 ; sept minutes

de gémissements, puis retour de la connaissance, fortes douleurs

dans la jambe droite, mais la malade n'est pas tout à fait en

pleine possession d'elle-même, elle parle à tort et à travers ; elle

prend du laitage. Le soir, la connaissance s'efface à nouveau ;

raideur, difficulté de mouvoir la jambe et le bras droits. Emission

mécanique de mots; une demi-heure plus tard, tremblement dans

les extrémités, surtout à droite, moindre résistance à l'égard des

mouvements qu'on veut leur imposer; la malade s'étire, remue

les bras, rit, grimace, répète un tas de mots, ne répond pas,

mais dit tout à coup : « Ne vous tourmentez pas » ; un sommeil

paisible met graduellement fin à la crise. Les jours suivants sorte

d'assoupissement; P., 90 à 100; plusieurs attaques de longueurs

diverses ; démarche incertaine et chancelante; exagération des

réflexes tendineux ; aucune anomalie de la motilité ni de la sen-

sibilité ; à plusieurs reprises nausées; tuméfaction très notable delà

thyroïde. L'hypertrophie porte uniformément sur les deux lobes

latéraux de la glande qui gagnent le bord des sterno-cléido-mastoï-

diens, maisl'organe lui-même est demeuré mou, indolore, même à la

pression; on yperçoitun bruit systolique très net, un peu soufflant.

Rien du côté du coeur. P., 90-100. Dans la seconde moitié de mars,

les accès sont plus faibles; souvent au milieu d'un discours ou en

mangeant elle s'affaisse brusquement, puis revient à elle et continue

à parler o à à manger, croyant avoir dormi ; légers tremblements con-

vulsifs dans les deux épaules et ralentissement du pouls (54). Dimi-

nution desaccès, des douleurs, bon appétit, bonne humeur; chants

etrires, elle se lèvepour faire sa toilette et prendre ses repas; la

292 SOCIÉTÉS SAVANTES.

thyroïde diminue de volume. En avril, les attaques syncopales

diminuent de nombre et de longueur. Le 10 tremblement par tout le

corps; poulslentetirrégulier ; immédiatement après, vomissements.

Depuis, l'appétit est mauvais; des douleurs se font sentir partout,

surtout dans la jambe droite devenue sensible à la pression même

légère. La malade dort beaucoup, mais son sommeil est agité;

elle parle beaucoup pendant son sommeil, tandis qu'elle demeure

des journées entières hébétée et sensible au moindre bruit; elle

vomit assez souvent. Au début de mai, nouvelle amélioration ; on

ne constate ni accès, ni vomissements : bon appétit, humeur gaie,

rarement un peu excitée; affaiblissement psychique; nulle part

d'anesthésie ; force égale des deux côtés ; réflexes tendineux,

phénomène du genou et phénomène du pied vigoureux. Crâne

également douloureux à la pression et à la percussion des deux

côtés; rien du côté des urines. Goitre peu volumineux. P., 90-100.

Nutrition générale sensiblement améliorée; de novembre à

février, la malade a gagné 13 livres; de février en mai, elle a gagné

3 livres ; régularité des époques mensuelles. Elle regagne son

pays, la Finlande, le 10 mai. On a utilisé comme traitement : le

repos physique et psychique, l'administration de Kl jusqu'à la

dose de 3 gr. 50, des compresses froides autour de la tête ; la gal-

vanisation du grand sympathique à l'aide de faibles courantsiui avait

occasionné un accès syncopal. Diagnostic : C'est une tumeur

cérébrale car on a constaté des céphalalgies, des attaques épi-

leptoïdes, des troubles d'épilepsie larvée, de l'hébétude, de l'af-

faissement, enfin des accidents caractérisques dans le fonds de

l'oeil. Cette tumeur devait siéger à gauche, car les phénomènes

enregistrés portaient surtout sur la moitié droite du corps, tandis

que la moitié gauche du crâne témoigna à plusieurs reprises d'une

exagération de la sensibilité. Cette tumeur n'occupait pas la base

puisque les nerfs crâniens étaient restés intacts; par conséquent,

elle résidait dans l'hémisphère cérébral gauche. La nature en est

inconnue ; la maladen'étaitcerlainementni tuberculeuse, ni syphi-

litique. Mais, ce qui est singulier et ce qui donne à l'observation

un relief particulier, ce sont les symptômes de maladie de

Basedow (légère exophtalmie, fréquence du pouls, goitre hypé-

rémique vasculaire non solide avec souffle) qui se produisent

en même temps que les accès ou plutôt en même temps que les

accès accompagnés d'hypérémie céphalique, et disparaissent quand

revient le calme, ce qui permettrait de se rendre compte de leur

genèse, étant donné les connexions entre les vaisseaux de l'encé-

phale et ceux du corps thyroïde. Quant à savoir si ces symptômes

sont une complication ou dépendent de la tumeur cérébrale, on

ne saurait en décider encore. (lllg. Zcilsch1-. f. Psych., XLIII,,

4-5.) P. KERAVAL.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 293

XXe CONGRÈS DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ DES ALIÉNISTES

DE LA BASSE-SAXE ET DE WESTPHALIE

Session de H1NOVRE. - Séance du 4er Mai 1886.

M. SNELL est choisi comme président. Secrétaire : M. TANNEN.

M. SNELL. Du mutisme chez les aliénés. La perte de la parole,

abstraction faite de l'aphasie, est un accident assez fréquent chez

les aliénés; on la rencontre dans l'idiotie, dans la démence secon-

daire, dans la mélancolie, dans la folie systématique. Les idiots

ne parlent pas, parce que leur développement- intellectuel ne se

plie pas à l'apprentissage de la parole ou ne se prête qu'à un ap-

prentissage rudimentaire. Les déments à la suite de mélancolie

sont plus souvent muels que les déments à la suite de manie ou

les déments primitifs. Le mutisme des déments est toujours as-

socié à une obtusion psychique très prononcée qui cependant

n'empêche pas les occupations mécaniques de ces malheureux.

C'est à la même catégorie de faits qu'appartient le mutisme de

maints paralytiques généraux arrivés au dernier stade de leur

maladie. Le mutisme du mélancolique relève du grand domaine

des états cataleptoïdes, de la stupeur, toute stupeur notable s'ac-

compagnant de mutisme. La stupeur, comme l'on sait, peut durer

assez longtemps, mais il n'est pas rare qu'elle soit suivie de com-

plète guérison et alors voici ce que raconte l'individu guéri : il

éprouvait pendant son mutisme comme une sensation d'arrêt des

opérations intellectuelles, un vide psychique, ou bien obéissait à

des hallucinations très vives, voire à des conceptions délirantes.

Tel malade, par exemple, assiste à des combats qui se livrent au-

tour de lui, tel autre reçoit un ordre qui lui enjoint de ne pro-

noncer aucune parole, de tenir les yeux si fixement fermés que

les bords palpébraux s'enflamment. Ceci peut avoir lieu pendant

le stade mélancolique de la folie circulaire.

Une malade observée par l'auteur était pendant des mois en

proie à un stade d'agitation maniaque excessivement violent,

proférant sans cesse des propos incohérents; durant ce stade

d'exaltation, l'amaigrissement était considérable, puis survenait

un stade de dépression se prolongeant aussi des mois pendant

lequel, absolument muette, elle récupérait promptement son em-

bonpoint. Le mutisme est beaucoup plus rare dans les délires sys-

294 sociétés Savantes.

tématiques de la mélancolie. L'auteur rappelle l'histoire de ce

malade trouvé près d'IIildesheim', sur lequel on ne put découvrir

aucune espèce de renseignement, qui séjourna huit ans à l'asile

sans prononcer un mot ni un son articulé, s'occupant, travaillant,

ne manifestant aucun désordre dans les actes : de temps à autre

un léger sourire, de petits mouvements des lèvres indiquaient des

hallucinations, mais on n'en pouvait tirer aucun son.'Il est proba-

ble qu'il était sous l'empire d'hallucinations. A Hildesheim encore,

est un aliéné qui depuis neuf ans ne parle pas : âge quarante-

deux ans; aucune tare héréditaire ; c'est un agriculteur marié et

père de trois enfants, adonné à la boisson; à la suite de courtes

attaques de perturbation psychique, il demeurait sous le coup

d'une aliénation chronique pendant l'été de 1876, et dès lors,

calme, fermé, misanthrope, il essayait deux fois de se suicider.

Le 10 avril 1877, on l'amenait à l'asile ; les premiers jours, il par-

lait encore peu, demandait à s'en retourner chez lui, mais depuis

il est resté muet. Après quelque dépression, il est devenu gai,

bon travailleur, intelligent, écoutant et exécutant sensément ce

qu'on lui dit, pratiquant avec beaucoup d'assurance et d'attention

le jeu de cartes, mais n'y jouant que par signes. Sa femme est

venue le voir une fois ; il ne lui a pas adressé la parole et s'en

est détourné. Il est indubitable que ce sont des idées délirantes

qui sont le moteur de ce mutisme. Bien des faits semblables sont

connus de l'orateur, mais il n'a jamais réussi à trouver le genre

des idées délirantes parce que les malades de cette catégorie

restent d'ordinaire malades jusqu'à la fin de leur vie.

Bien des fois on constate chez les délirants chroniques un mu-

tisme périodique. Deux exemples en ce moment à Hildeslieim.-

I. Homme de trente-sept ans de l'est de la Prusse, incendiaire

en 1880, qui est devenu fou au bagne après avoir subi six à huit

mois de cette peine (idées délirantes religieuses). Amené à Hil-

desheim en février 1881, il déclare qu'il est un nouveau Messie

envoyé par Dieu pour réformer, convertir, punir les méchants.

En même temps, idées d'empoisonnement. Hallucinations de l'ouïe

et de la vue. Un refus de nourriture pendant trois jours; le

Christ a bien jeûné pendant quarante jours. Il reste de six à

huit jours sans parler; et s'exprime alors par signes : c'est un

ordre de Dieu.-II. Homme de trente ans, dans les premiers mois

de 1884, idées de persécution avec hallucinations sensorielles.

« On l'insulte, on le tourmente avec l'électricité et le magné-

tisme », il s'est tiré, sans se blesser dangereusement, un' coup de

révolver dans la poitrine, et prétend que c'est l'électricité qui

s'est déchargée sur lui. Depuis le mois d'août, systématisation dé-

lirante très mobile, portant cependant toujours au fond sur les

' Voy. Archives de Neurologie, séances antérieures.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 295

tracasseries surnaturelles de ses ennemis. Mutisme périodique

ayant commencé l'année précédente par des accès de quelques

jours; puis le mutisme a duré plusieurs semaines et a fini par se

prolonger plusieurs mois. Il refuse d'expliquer les raisons de ce

mutisme. Comme ses allures sont commandées par des halluci-

nations, il est indubitable que son mutisme aussi dépend d'hal-

lucinations.

Conclusions : le mutisme (il n'est pas question ici d'aphasie)

dépend : 1° d'un affaiblissement congénital ou acquis des facultés

intellectuels ; 2° d'une paralysie de la volonté (mélancolie) ;

3° d'idées délirantes imposant aux malades le silence.

Discussion. M. HERSE. A vu une malade demeurer sept ans

sans parler, puis elle a récupéré la parole pendant trois mois,

enfin elle est redevenue muette. M. SCIIOLZ. A vu à l'asile de

Brème deux malades ne pas parler; l'un depuis trois ans, l'autre

depuis un an. M. EN6ELKEN. Un de ses malades ne parle pas

depuis quinze ans ; mais il joue comme tout le monde aux cartes

et aux échecs. HI11. SCIIOL% et SNELL. Certains individus ne par-

lent pas afin de simuler. '

M. Otto SNELL. - De la coloration des cellules de l'écorce du cer-

veau à l'aide des couleurs d'aniline. - Présentation simultanée de

pièces. Le traitement consiste : 1° à durcir dans l'alcool ; 2° à

effectuer les coupes ; 3° à les faire passer dans une solution

aqueuse d'aniline; 4° à décolorer à l'aide d'alcool et d'essence de

girofles; 5° à monter dans le baume du Canada. On emploie

principalement le rouge Magenta de G.-A. Hesterberg, de Berlin,

et de G. Grübler, de Leipzig; le brun Bismarck, la vésuvine, le

dahlia. Les écorces cérébrales de divers animaux et celles du

même animal à divers âges de son développement exigent diver-

ses substances colorantes. L'écorce cérébrale de l'homme adulte

est magnifiquement colorée par le rouge Magenta; celle du nou-

veau-né donne de plus belles préparations au brun Bismarck

qu'au rouge Magenta. La vésuviue agit presque comme le brun

Bismarck. On laisse les coupes vingt-quatre heures ou davantage

dans la solution aqueuse d'aniline, ou, si l'on veut une coloration

rapide, on les chauffe jusqu'à ce qu'il se produise des vapeurs.

- L'alcool décolore; les cellules restent seules colorées et font relief

sur un fond incolore. L'essence de girofles complète l'élection.

Après avoir chassé l'essence de girolles par la benzine ou le

chloroforme, la coupe est incluse dans le baume du Canada. Si

l'on ajoute le baume à la coupe prise dans l'essence sans avoir

préalablement fait agir la benzine ou le chloroforme, il se pro-

duit un précipité coloré. Il est nécessaire de comparer chaque

préparation pathologique à une préparation normale, colorée de

même manière et empruntée à des endroits identiques du cerveau.

296 SOCIÉTÉS SAVANTES.

Dans ce but, l'auteur cherche dans le cerveau normal et dans le

cerveau pathologique à étudier deux places se correspondant

exactement. Il coupe deux disques de quelques millimètres d'é-

paisseur, de sorte que ces deux disques coupés dans le même sens,

représentent la même partie de la même circonvolution. L'un

des disques est marqué pour que l'on reconnaisse l'organe dont

il provient par une entaille à la lisière de la substance blanche.

Tous deux sont traités à la celloïdine, placés côte à côte sur le

bouchon du microtome et orientés comme ils étaient orientés

dans le cerveau. Le tout est arrosé de celloïdine et porté dans

l'alcool à 80 p. 100. En exécutant des coupes sur cette préparation,

on obtient des disques de celloïdine qui chacun contiennent des

coupes des deux cerveaux différents se correspondant exactement.

On les traite alors par la méthode de Nissl. L'essence de girofle

dissolvant la celloïdine sera remplacée par l'essence de berga-

motte qui est en même temps moins colorée par les couleurs

d'aniline, de sorte qu'elle demeure utilisable pendant un plus

long temps et permet de se passer de benzine ou de chloroforme

avant l'inclusion dans le baume. L'alcool absolu attaque aussi la

celloïdine; on emploiera donc l'alcool étendu, et seulement en der-

nier lieu et pendant très peu de temps l'alcool absolu, ou bien on

placera les coupes dans la situation qu'elles doivent conserver

plus tard sur le porte-objet et avant de les mettre en contact avec

l'alcool absolu.

Sans doute il n'est pas facile déposséder des cerveaux normaux,

car ceux des gens qui viennent de se suicider et de personnes

mortes de maladies ne peuvent êlre tenus pour normaux. L'ora-

teur présente, par comparaison avec un cerveau pathologique,

un cerveau provenant d'un homme sain d'esprit et de corps, âgé

de trente-six ans, mort d'uu coup de couteau qui lui avait traversé

le péricarde, l'artère pulmonaire, l'aorte ascendante. Aucune

autre anomalie à l'autopsie faite vingt-sept heures après la mort.

Le cerveau avait été recueilli dans de la ouate imbibée d'alcool

et mis dans l'alcool quelques heures plus tard.

Sur l'invitation du président, M. liESSE fait une petite commu-

nication en quelques mots sur le développement ultérieur des soins

donnés aux aliénés dans les familles à Ilten 1. Maintenant quatre-

vingt-quatre aliénés sont traités dans des familles soit à Ilten

même, soit dans les villages environnants. Jusqu'àprésent, on n'a

confié aux familles que des hommes aliénés et pas plus de deux

par famille. Chaque nourricier reçoit annuellement 270 marks

(337 fr. 50) par malade. On a grand soin de choisir les malades

' Sujet maintes fois exposé dans les Archives de Neurologie, aux

analyses de la Société, aux revues bibliographiques, à l'étude des rap-

ports médico-administratifs, p. g,

SOCIÉTÉS SAVANTES. 297

qui conviennent aux familles. Jusqu'ici les expériences faites sur ce

terrain sont demeurées extrêmement favorables. On a constam-

ment observé que des malades dont l'intelligence est émoussée

qui ne participent pas à la vie extérieure sont avantageusement

modifiés par ce système et prennent de plus en plus part aux

travaux agricoles de leurs nourriciers.

Discussion. MM. Scholz et ENGELKEN. A Uberueuland, près

Brème', on traite de cette manière quatre-vingt-dix malades, aussi

bien des femmes que des hommes. Suivant le travail que fournis-

sent les malades, on donne aux nourriciers de 4 à 28 marks (5 fr.

à 35 fr.) par mois. Ceux des malades à qui ce traitement ne

convient pas sont ramenés dans l'asile fermé. Ici aussi les expé-

riences paraissent favorables quant à l'action des soins de famille

sur les malades. La prochaine séance aura lieu le 2 mai 1887

à Hanovre, hôtel Kasten. {Allg. Zeitschr. f. Psych., RLlII, 4-5.)

P. ICER.1V : 1L.

CONGRES DES ALIÉNISTES RUSSES A MOSCOU

(Suite et fin t.)

XV. M. BOUTZKÉ a lu sa communication « sur la législation de

l'assistance des aliénés ». Notons quelques propositions relatives

au placement des malades : la famille a le droit de soigner un

parent aliéné comme bon lui semble à condition que le traite-

ment soit dirigé par un médecin spécialiste ; dans le cas conlraire,

l'intervention de la police est nécessaire. De même, l'administra-

tion doit intervenir pour un aliéné placé dans une maison desanté

particulière si sa maladie prend une marche défavorable d'où il

pourrait résulter un danger quelconque pour lui-même ou pour

son entourage. Le placement des malades dans les établissements

publics doit s'opérer par les directeurs de ceux-ci, sous

leur propre responsabilité. Une simple demande des parents ou

du malade lui-même doit être suffisante pour l'admission. Le di-

recteur de l'établissement doit avoir le droit de rejeter toute

demande de placement mal fondée, même lorsqu'elle est adres-

sée par une autorité officielle. Toute personne honorable nu

fonctronnaire de l'Is`tatpeut, sans mandat spécial, contrôler toutes les

' Voy. les Archives de Neurologie, Sociétés, analyses, varia, notamment

le rapport de M. Lorm publié dans le tome XII.

298 SOCIÉTÉS SAVANTES.

affaires d'un établissement psychiatrique. La liberté absolue doit

être accordée aux parents qui désirent l'élargissement de leur

membre de famille interné dans une maison de santépublique ou

privée.

XVI. La communication suivante traitant « de la situation des

aliénés en Sibél'ie» » est intéressante par l'étiologie du développe-

ment progressif des maladies mentales dans ce pays. Pour l'au-

teur de ce travail, M. BRIANT7OFr, ce triste envahissement serait

dû tout d'abord à ce que ce pays présente une sorte de cloaque

dans laquelle la Russie européenne rejette tout ce qu'elle possède

d'inutile, de criminel et de psychopathique. Mais à côté de cette '

cause, assez fondée du reste, il faut compter avec l'alcool dont la

consommation dans le gouvernement d'Irkoutsk, par exemple,

a pris des proportions gigantesques, car par an et par chaque

habitant, y compris les enfants en nourrice, les femmes et les

vieillards, on est surpris d'arriver à une moyenne de 18 litres de

vodka (eau-de-vie), et dans la ville même d'Irkoutsk, on compte

un marchand de cette boisson sur 241 habitants. L'auteur note en-

core comme cause du développement des psychoses le crétinisme

qu'on rencontre sur les bords du fleuve Lénaetsur ceux de l'Ouda.

XVII. M. IConsAgorr a lusa communication «sur le izo-2esti,aiiit».

Dans un historique succinct de la question, l'auteur a démontré

que ce principe dont la première application a été faite en France

par Pinel s'est prononcé dans son développement ultérieur par la

disparition de la coercition sous toutes ses formes dans le traite-

ment des maladies mentales et est allé même jusqu'au « open door

syst,eyn ». L'utilité du système no-restraint est incontestable dans

les maisons de santé d'un nombre normal de malades, présentant

des conditions matérielles suffisantes et une surveillance médi-

cale très active. Dans le cas contraire (et ce cas est malheureuse-

ment celui qui se présente le plus souvent), il n'y a pas moyen

de se passer de la camisole, mais il est de toute nécessité que

celle-ci soit mise d'après l'ordonnance du médecin lui-même et

que la cause de cette mesure coercitive avec la durée de l'applica-

tion soit inscrite dans un livre spécial. En réponse à cette commu-

nication, M. Ragosine a fait remarquer qu'il est difficile d'exiger

du personnel un dévouement en rapport avec ce système.

Etant données les conditions matérielles très peu lucratives dans

lesquelles l'administration tient ses employés, il faudrait tout

d'abord améliorer autant que possible leur situation. M. Rosen-

bach a raconté qu'il a vu lui-même l'emploi de la camisole dans

les meilleures maisons d'aliénés d'Angleterre, ce pays classique

du « no-restraint » de même qu'à la « Charité » de Berlin et dans

beaucoup d'autres cliniques européennes. La camisole, a dit cet

orateur, doit-être considérée comme un moyen curatif, et les mé-

SOCIÉTÉS SAVANTES. 299

decins les plus humains l'emploient sans craindre d'être accusés

de dureté. Beaucoup d'autres spécialistes out émis leurs opinions

sur cette question délicate, et presque tous ont affirmé que dans

chaque établissement d'aliénés, il existe assez souvent des mo-

ments où la camisole est absolument nécessaire dans l'intérêt des

malades eux-mêmes (tendance au suicide, onanisme, affections

chirurgicales, etc.).

XVIII. M. BOTKIN a démontré dans son rapport « sur la loi des

aliénés en Russie » les côtés faibles de la législation et a attiré

l'attention du congrès principalement sur les mots vagues «folie et

« démence » par lesquels la loi désigne toutes les formes de l'alié-

nation mentale.

XIX. M. LEVFNSTEIN dans son rapport « à propos des quelques

articles de la législation russe sur les aliénés » se plaint de l'insuf-

fisance du système d'examen médico-légal exigé par la loi.

XX. La communication de M. Tscerscxoxx traite la même ques-

tion d'examen des aliénés au point de vue de la tutelle.

Le Congrès nomme une commission composée de MM. Botkin,

Boutzké, Korsakoff, Litvinolfet Konstanlinowsky pour étudier cette

question de législation et présenter les conclusions au prochain

Congrès.

XXI. Dans une monographie sur le même sujet, M. KONSTAN-

TINOWSKY expose l'histoire complète de la législation russe sur les

aliénés et adresse ensuite une critique sérieuse à la loi actuelle.

Parmi les conclusions de l'auteur, nous noterons les deux sui-

vantes. Il insiste sur la nécessité de faire disparaître les maisons

d'aliénés particulières voyant dans leur existence une source d'un

grand nombre d'injustices qui peuvent se commettre. Ensuite il

exige que le placement des aliénés se fasse sous un double con-

trôle actif : celui du parquet et celui de médecins.

Cette dernière proposition mise aux voix a obtenu du Congrès

un accueil complètement défavorable. Le Congrès estime que

l'examen médical seul est complètement suffisant.

XXII. M. Roté communique ses « données historiques et statis-

tiques sur les aliénés en Pologne ». L'assistance des aliénés en Po-

logne doit être étudiée à trois périodes bien distinctes. La pre-

mière antérieure à l'année 1650, époque a laquelle les religieux

de l'ordre de St-Jean sont arrivés en Pologne; la deuxième de

1050 à 1840, année de la publication de la loi sur l'assistance des

aliénés; la troisième période est celle de 1840 jusqu'à nos jours.

Dans la période la plus ancienne, la situation des aliénés en Po-

logne était à peu près la même et aussi défectueuse que dans les

autres pays de l'Europe. Au xvi" siècle on trouve en Pologne un

secours organisé pour la première fois au profit des aliénés par

les frères de l'ordre de St-Jean qui ont construit en 1650 une mai-

300 SOCIÉTÉS SAVANTES.

son d'aliénés à Varsovie. Plus tard, ces religieux ont fondé des

maisons semblables à Lublin, à Krakow et dans d'autres villes

encore. L'auteur possède entre les mains, des documents indiquant

que les religieux ont commis un grand nombre d'abus et d'injus-

tices dans la direction des établissements d'aliénés. Depuis 1840,

la situation en Pologne est réglée comme pour toute la Russie par

la « loi sur les aliénés ». Quant aux données statistiques on n'est

pas encore arrivé à connaître le nombre exact d'aliénés en Polo-

gne. L'auteur croit que ce nombre s'élève approximativement à

7,500. Leur situation actuelle est éminemment triste, car tous les

hospices d'aliénés de ce pays annexé possèdent dans leur ensem-

ble 535 places de façon que sur 44 aliénés qui se promènent en

liberté, un seul peut être interné.

XXIII. AI-0 ÏAHNovsKAtA a communiqué au Congrès son étude

« sur la prostitution professionnelle dans ses rapports avec les ma-

ladies nerveuses et mentales ». La doctoresse a fait des recherches

anthropométriques d'une part sur 50 prostituées qui n'étaient pas

depuis moins de deux à trois ans dans les maisons de tolérance

et d'autre part sur 50 paysannes d'origine russe à peu près du

même âge, du même développement intellectuel, etc.. Il résulte

de ces recherches que les prostituées d'habitude présentent une

diminution d'un demi-centimètre dans le chiure des diamètres

principaux du crâne antéro-postérieur et transversal maximum

comparativement au chiffre moyen des mêmes diamètres chez les

paysannes, que les signes physiques de dégénérescence, tels que

l'irrégularité du crâne, l'asymétrie de la face, l'anomalie de la

voûte palatine, des dents, des oreilles, etc., se rencontrent chez

elles en raison de 84 p. 100, que les antécédents héréditaires de

ces femmes abondent de conditions favorables pour une marche

anormale du développement et même pour son arrêt complet,

car dans la grande majorité des cas (82 p. 100) les parents des

prostituées on tété reconnus alcooliques. Ces conclusions permettent

de croire que ces prostituées doivent donner le contingent le plus

grand des personnes prédisposées aux maladies nerveuses et men-

tales, et cependant, dans aucun pays il n'existe de travaux spé-

ciaux, ni de données statistiques relatifs au nombrede prostituées

entrant annuellement dans les maisons d'aliénés. M"" Tarnovskaia

fait en conséquence une proposition tendant à faire entrer dans

les travaux du Congrès la question de la prostitution et de son

.importance dans l'étiologie des maladies nerveuses et mentales.

La proposition est approuvée par acclamation.

XXIV. Ensuite M. KANDtNSKY communique « la classification des

maladies mentales » élaborée par la Société des psychiatres russes

de St-Pétersbourg que nous tâcherons de reproduire textuelle-

ment : 1° mélancolie ; 2° manie; -3° folie primitive : a) aiguë,

SOCIETES SAVANTES. 301

,- b) chronique ; 4° démence : a) à la suite de mélancolie,

- b) à la suite de lésions du cerveau, c) sénile ; 5° paralysie

générale progressive ; - 6° folie hystérique ; - 7° folie épilep-

tique ; - folie périodique ou circulaire; - 9° délire aigu des

alcooliques (delirium tremens potatoruu); - 10o délire aigu

(delirium acutum); - 14° imbécillité; - 120 idiotieet crétinisme;

13° cas particuliers qui n'entrent dans aucunesdes formes pré-

cédentes, tels que morphinisme, etc.

Le Congrès, après des débats peu prolongés, a résolu d'accepter

jusqu'à nouvel ordre cette classification qui doit servir à tous les

aliénistes russes pour guide dans l'appréciation et la compa-

raison dès différentes données relatives aux maisons d'aliénés de

Russie.

XXV. M. Ragosine a présenté un schéma des tableaux synopti-

ques devant servir pour l'inscription de tous les renseignements

médicaux, économiques et administratifs qui peuvent présenter

un intérêt quelconque pour l'appréciation du fonctionnement d'une

maison d'aliénés.

XXVI. M. GREIDENDERG a proposé de sa part un autre schéma

remplissant le même but. Une commission a été nommée

(\I11. Bouizhé, Greidenberg, LitviuofF, Steinberg, Ragosine et

Maltzeff) pour étudier cette question et élaborer un schéma définitif

pour le prochain Congrès.

La deruière séance du Congrès a été consacrée uniquement aux

communications concernant les questions scientifiques de la psy-

chiatrie.

XXVII. M. Rosché lit son étude « sur l'abus des boissons alcooli-

ques en Pologne comparativement aux autres pnys ». Au cours des

dix dernières années on observe une diminution notable dans la

consommation de l'alcool en même temps qu'une augmentation

dans celle de la bière. Dans les pays de l'Europe qui se trouvent

dans les mêmes conditions géographiques et climatériques que

la Pologne, chaque habitant consomme en une année 5 lit. 88

d'alcool en moyenne, tandis qu'enPologne, celte quantité moyenne

n'est que de 4 lit. 36. Parmi les aliénés qu'on admet dansles mai-

sons de santé de Varsovie, l'alcoolisme est constaté chez 14,1 p. 100.

XXVIII. M. Soukatscheff rapporte ses recherches « sur la con-

nervation des forces appliquées à l'interprétation des phénomènes psy-

chiques ». Il conclut que les phénomènes psychiques ne sont que

des mouvements du protoplasma subordonnés à cette loi générale

du mouvement dans la nature : un mouvement partiel se trans-

forme en mouvement de masse et réciproquement. En se fondant

sur cette loi il devient possible d'expliquer d'une façon schémati-

que comment les phénomènes psychiques résultent du mouvement

302 BIBLIOGRAPHIE,

du protoplasma des tissus nerveux et musculaire. Pour l'auteur.-

les phénomènes psychiques ne peuvent avoir lieu dans le tissu

nerveux sans que le tissu musculaire y prenne part en même

temps.

XXIX. M. STEINBEIiG litson étude « sur la mémoire». La mémoire,

dit l'auteur est une fonction de la cellule nerveuse centrale sur

la voie de l'arc réflexe. De cette définition découle l'application

de toutes les propriétés des éléments nerveux à l'étude des lois

de la mémoire. Les fonctions préparatoires de la mémoire, telles

que la faculté de savoir, d'apercevoir, etc., sont soumises aux

simples lois physiologiques d'excitabilité et de conductibilité des

éléments nerveux-cellules et fibres.

XXX. M. Ssonssy a fait une communication « sur la mimique

comme élément de diagnostic de l'aliénation mentale ». La compa-

raison des photographies d'une personne à l'état de santé et de

maladie peut donner des indications positives relativement à la

nature et à la période de la maladie. On peut tirer de cette étude

comparative des signes d'une réelle valeur pour caractériser cer-

taines formes de la folie telles que la mélancolie avec stupeur; la

manie, la dégénérescence psychique, etc.

XXXI. M. VICTOROFF lit ensuite son étude « sur la personnalité

considérée comme un organisme nerveux et psychique».

XXXII. La dernière lecture a été faite par M. 1li.cnBEwsto « sur

l'éducation et la protection des enfants arriérés ». La cause prin-

cipale de la dégénérescence sociale c'est l'hérédité pathologique.

Pour remédier à la funeste importance de celle-ci il est nécessaire

d'instituer des maisons médico-pédagogiques spéciales. L'auteur

est le premier en Russie qui a fondé un pareil établissement à

St-Pétersbourg fonctionnant depuis plusieurs années. Un rôle pré-

pondérant dans l'éducation est donné aux travaux physiques. La

clôture du Congrès a eu lieu le il janvier. J. ROUB1 : 10V1TCII.

BIBLIOGRAPHIE

Il. De l'apoplexie hystérique; par Ch. Acuann.

(Th., Paris, 1887.)

Dans ce travail inspiré par M. Debove, l'auteur étudie une ma-

nifestation de l'hystérie qui, jusque dans ces derniers temps,

bibliographie. 303

n'avait pas été mise en évidence, bien qu'elle eût été rencontrée

déjà par divers observateurs. L'hémiplégie hystérique, dont le

début est parfois subit, peut dans certains cas succéder à une

attaque franchement apoplectique. Cette dernière entraine alors

une hémi-anesthésie sensitivo-sensorielle qui est le phénomène

fondamental et qui présente tous les caractères de l'hémi-anes-

thésie hystérique, notamment la curabilité par les agents oestlié-

siogènes. Il importe, tant au point de vue du pronostic que du

traitement, de connaître l'existence de ces apoplexies et d'en

faire le diagnostic. Tel est l'objet de la thèse de M. Acliard.

Dans un premier chapitre sont rassemblés les faits d'apoplexie

survenue chez des sujets manifestement hystériques. La nature

névropathidue des accidenls est d'ailleurs démontrée, dans un

certain nombre de ces faits, par leur curabilité au moyen des

agents oesthésiogènes ou de la suggestion. Dans les autres cas, les

signes de l'hystérie se montrent en toute évidence.

Une seconde série d'observations comprend des cas ressem-

blant à s'y méprendre aux accidents déterminés par des lésions

cérébrales ; les sujets frappés n'offrent point à première vue les

signes de l'hystérie et le diagnostic de l'apoplexie organique

semble tout indiqué. Toutefois l'hémiplégie consécutive à ces

apoplexies s'accompagne d'hémi-anesthésie cérébrale et les oesthé-

siogènes amènent la disparition de tous les troubles moteurs et

sensitifs. Dès lors on est en droit de conclure à l'absence de

lésion matérielle et à la nature hystérique des phénomènes. A

l'appui d'une semblable conclusion est citée une autopsie de

Vulpian qui permit de constater l'intégrité complète de l'encé-

phale. C'est l'hémi-anesthésie avec ses caractères qui, dans les

cas de ce genre, a pour le diagnostic la plus grande valeur, car

les autres symptômes feraient songer à une lésion, telle que

l'hémorrhagie cérébrale. A ce propos nous devons signaler par-

ticulièrement les faits qu'on aurait pu rapporter à la syphilis

cérébrale et dans lesquels l'application des oesthésiogénes, en

l'absence de toute médication antisyphilitique, fit à la fois le

diagnostic et le traitement.

Un troisième groupe de faits réunit les apoplexies de l'hysté-

rie symptomatique, c'est-à-dire de l'hystérie qui survient dans le

cours des intoxications : saturnine, mercurielle et alcoolique.

C'est le saturnisme qui, dans l'espèce, tient le premier rang

parmi ces intoxications. Un certain nombre de cas sont mention-

nés dans lesquels l'apoplexie et les accidents consécutifs offraient

tous les attributs des phénomènes correspondants observés chez

les hystériques vulgaires. Une autopsie négative de Roussi com-

plète la ressemblance avec les faits précédemment examinés.

Après avoir passé en revue les différentes variétés de l'apo-

plexie hystérique, l'auteur consacre un dernier chapitre au

304 BIBLIOGRAPHIE.

résumé des caractères qu'elle revêt et des accidents auxquels elle

donne naissance. Toutes les formes de l'ictus apoplectique

peuvent être réalisées par l'hystérie, depuis le simple étourdisse-

ment jusqu'à la grande attaque comateuse.

L'hémi-anesthésie est la règle ; l'hémiplégie peut s'accompa-

gner de contracture d'hémi-chorée et aussi lorsqu'elle atteint le

côté droit d'aphasie. La face est parfois déviée, et en pareil cas

il y a lieu désormais d'examiner si cette déviation n'est pas due

à l'hémi-spasme glosso-labié récemment décrit par M. le profes-

seur Charcot. En somme, cette question de l'apoplexie hystérique

offre, comme on a pu le voir, plusieurs côtés intéressants bien

mis en évidence par M. Achard. Sans parler de l'existence et des

caractères de J'attaque apoplectique ni des accidents qu'elle

entraîne et qui forment le sujet principal de son travail, nous

devons signaler, comme s'y rattachant d'une façon accessoire,

plusieurs questions qui n'y ont été qu'effleurées : nous citerons

par exemple l'utilité des agents oesthésiogènes en tant que moyen

diagnostique et thérapeutique, la valeur de l'hémi-anesthésie

sensitivo-sensorielle dans le diagnostic de l'hystérie, l'influence

des intoxications sur le développement de la névrose.

Paul BLOCQ.

111. Des ophtalmies chez les aliénés; par Ch. COUDERc.

(Th., Paris, 1887.)

De sept observations, la plupart incomplètes, M. Couderc con-

clut que chez certains aliénés chroniques, il se produit des oph-

talmies au moment des accès d'agitation. Ces blépharo-conjonc-

tivites disparaîtraient pour se reproduire lors d'un nouvel accès.

P. B.

IV. Coiitribution à l'étude de la sclérose latérale amyotrophique

[Maladie de Charcot); par M. Elouand. (Th., Paris, 4887.),

La thèse de M. Florand, outre un exposé clair et précis de la

sclérose latérale amyotrophique, telle qu'elle est aujourd'hui

connue, grâce aux travaux de M. Charcot, offre aussi une étude

fort intéressante des types moins complets de la maladie, des cas

frustes en un mot. L'auteur a passé en revue l'historique, l'ana-

tomie pathologique, les symptômes, l'étiologie, le diagnostic et le

traitement. Après avoir rappelé que l'honneur de la découverte

d'une atrophie musculaire spéciale revient à M. Charcot qui l'a

séparée du groupe confus encore des atrophies musculaires, les

observations publiées par M. Joffroy en 1869, la thèse de M. Gom-

bault parue en 1877, enfin le remarquable travail inséré par

MM. Charcot et Mario dans les Archives de Neurologie, en 188ï,

BIBLIOGRAPHIE. 301

M. Florand indique les auteurs qui ont ultérieurement étudié la

sclérose latérale amyotrophique et cite particulièrement M. Déje- ,

rine, Vulpian, Kahler et Pick, Kojennikoff et Koth, Friedenreleil à

Leyden, Seeligmuller, Erb. Strümpell.

A l'étude des lésions est annexé l'exposé succinct de l'anato-

mie normale du -faisceau pyramidal qui permet de suivre fruc-

tueusement la description de ces lésions. Ces dernières con-

sistent dans une sclérose du faisceau pyramidal avec atrophie

des cellules de la substance grise des cornes antérieures. La sclé-

rose succède à un travail inflammatoire comme le prouve l'exis-

tence de corps granuleux dans les points atteints ; corps retrou-

vés par M. Marie dans l'écorce grise et la substance blanche des

circonvolutions frontale et pariétale ascendantes, et de là, à tra-

vers le centre ovale, la capsule interne, le bulbe, jusque dans la

substance blanche des faisceaux latéraux et la corne antérieure

de la moelle. La partie intéressante de cette étude anatomo-

pathologique est la localisation possible des lésions sur tels ou

tels points du faisceau pyramidal encéphalique, bulbaire ou

médullaire, l'un d'eux pouvant, par exemple, être profondé-

ment désorganisé tandis' que les autres sont encore presque

indemnes.

De cette localisation exclusive résulte un groupement de symp-

tômes bien fait pour égarer le clinicien qui n'admet le diagnostic

que s'il trouve l'ensemble des symptômes classiques. M. Florand

ayant surtout en vue la localisation bulbaire, fort de l'opinion

autorisée de M. Charcot et de ses propres observations, prises au

reste avec une rigueur scientifique remarquable, affirme l'identité

de la paralysie labio-nloso-lar3·née avec les symptômes bulbaires

terminant souvent la scène dans la sclécose latérale amyotro-

phique. L'analogie des symptômes corroborée par l'analogie

des lésions impose l'obligation de ne plus voir dans la paralysie

bulbaire' une entité morbide distincte mais seulement une forme

de la maladie de Charcot. - C'est ainsi que l'un des symptômes

fondamentaux, paralysie, atrophie musculaire, contracture,

pourra faire défaut. La contracture particulièrement -manquera

parfois en apparence au moins, car elle est toujours représentée

par des phénomènes de même ordre qu'elle. Ainsi l'on pourra

constater l'existence isolée dans les cas de ce genre, de troubles

bulbaires, de la déglutition, de la phonation et enfin de la respi-

ration et de la circulation, ces derniers déterminant la mort par

asphyxie ou syncope, coïncidant avec l'exagération du réflexe

masseterin, et si l'on voulait attendre le développement de trou-

bles médullaires pour porter le diagnostic on risquerait d'être

surpris par le dénouement fatal avant d'avoir pris une décision.

Le diagnostic facile quand tous les symptômes existent sera

ardu dans les formes atténuées : le diagnostic différentiel devra

Archives, t. XIV. 20

306 BIBLIOGRAPHIE.

être fait d'avec l'hystérie, la sclérose en plaques, l'atrophie mus-

claire progressive myélopathique, la myopathie atrophique pro-

gressive de Laudouzy et Déjerine, le tabes dorsal spasmodique,

la pachy-méningite cervicale hypertrophique. De toutes les

causes, telles que traumatisme, froid, syphilis, la plus accréditée

est l'hérédité qui serait vraiment déterminante. Les excès véné-

riens seraient aussi bien des effets que des causes. La sclérose

latérale est un type de myélite parenchymateuse et systématisée.

Son pronostic est des plus sombres.

Le traitement qui semble avoir le mieux réussi est le traitement

révulsif; la médication interne, phosphure de zinc, nitrate d'ar-

gent, offre malheureusement bien peu de ressources. L'hydrothé-

rapie et l'électricité sont absolument contre-indiquées lorsqu'on

constate déjà une contracture commençante annoncée par des

raideurs nocturnes des membres et de l'exagération des réflexes.

P. B.

V. Contribution à l'étude de la descendance des alcooliques ;

par L. Grenier. Th., Paris, 1887.

L'auteur a recueilli un nombre considérable d'observations à

l'appui de cette opinion déjà ancienne que l'alcool est un des

agents les plus actifs de la dégénérescence des races. L'influence

morbide des parents serait maxima quand la conception a lieu

au moment de l'ivresse. Les descendants d'alcooliques de par la

déchéance de leurs parents hériteraient tout d'abord une propen-

sion à commettre des excès et de plus s'intoxiqueraient plusfaci-

lement, mais encore contracteraient de ce fait une tendance aux

névroses convulsives en particulier à l'épilepsie, et aux différentes

formes de délire. Telles sont les principales données mises assez

heureusement en évidence dans ce travail. P. B.

VI. De quelques troubles cérébraux liés à la dilatation de l'estomac;

par H. DuciioN-DoRis. Th., Paris, 1887.

Beaucoup de troubles cérébraux sont sous la dépendance de la

dilatation de l'estomac et le Pr Bouchard dans ses remarquables

travaux sur cette affection avait déjà indiqué ces signes possi-

bles de l'ectasie gastrique. L'auteur insiste surtout sur la mise en

jeu chez des prédisposés des phénomènes nerveux par le déve-

loppement de la gastropathie. Outre un état mental déprimé très

fréquent et permanent, on voit survenir divers accidents inter-

mittents : le vertige, les hallucinations, l'insomnie, les cauche-

mars, la folie, sont parmi ceux-ci les plus habituels. L'influence

heureuse du traitement de l'estomac démontre leur corrélation

avec la dilatation. La pathogénie de l'apparition de ces troubles est

SÉNAT. 307 ï

incertaine. S'agit-il d'intoxication par des ptomaines ? rien n'est

moins prouvé. Il semble plutôt que la dilatation joue le rôle de e

cause déterminante chez des névropathes.

Il est d'une grande importance au point de vue du pronostic et

du traitement de diagnostiquer, la dilatation de l'estomac

coïncidant avec des troubles cérébraux, car ceux-ci peuvent dis-

paraître par le simple traitement de l'affection gastrique. P. B.

SÉNAT

DISCUSSION DU PROJET DE LOI SUR LES ALIÉNÉS

Suite de la séance du mardi 30 novembre 4 886 1. -

M. LE Rapporteur. Je demande la parole.

M. LE Président. La parole est à M. le rapporteur.

M. LE Rapporteur. Messieurs, comme le Sénat vient de le voir,

cet article est comme une table des matières de toutes les

questions qui sont réservées à la réglementation administrative.

Il aurait été peut-être plus opportunément placé à la fin delà

loi ; mais la commission ne voulant pas s'écarter des textes anciens

a reproduit à cette place, qui était celle de l'article 6 de la loi de

1838, cet article qui est formé des articles 9 et 1 du projet du

Gouvernement.

Je crois que, à la seconde délibération, nous ferons bien de

reporter cet article 9 à la fin de la loi. Je viens de dire la raison

pour laquelle la commission l'a laissé à la place qu'il occupe ;

mais il est évident que la question de la taxe elle-même, n'ayant

pas été l'objet d'une délibération du Sénat, la commission ne

peut que joindre à M. le ministre de l'intérieur et à M. Lacombe

pour demander qu'on réserve le paragraphe.

M. LE Président. Il faudrait peut-être mieux, alors, réserver

tout l'article, si l'on doit le mettre à la fin de la loi...

M. DE Gwardie. C'est évident !

' Voy. Arch. de Neurologie. XIII, p. 135, 208, 139 et t. XIV, 135.

308 SÉNAT.

M. le Président... Il peut avoir d'autres dispositions de nature à

amener de nouvelles modifications.

M. LE Rapporteur. Non, monsieur le président, il n'y a lieu de

réserver absolument que le paragraphe 5.

M. de GAVARDIE. Je demande qu'on réserve l'article tout entier,

et je demande à donner quelques explications sur ce point.

M LE PRÉSIDENT. La parole est à M. de Gavardie.

M. de Gavardie. M. le rapporteur vient de répondre lui-même à

la question. Il nous a dit : C'est le résumé de la loi; c'est la table

des matières de la loi.

M. LE Rapporteur. Mais non ! 1

M. de GAVARDIE,. Vous l'avez dit ! 1

M. LE PRÉSIDENT. Contentez-vous d'exposer votre opinion, et ne

donnez pas aux paroles de vos collègues une interprétation qu'ils

n'acceptent pas.

M. LE Rapporteur. Toutes les questions relatives à la réglemen-

tation administrative sont parfaitement déterminées. Il ne reste

à statuer que sur cette question importante, traitée dans le para-

graphe 5, de la taxe porportionnelle. Sur tout le reste il n'y a pas

de délibération à intervenir, et il n'y a lieu, par conséquent, de

rien réserver.

M. de GAVARDIE. Vous avez dit vous-même que cet article était

la table des matières de la loi, et M. le ministre de l'intérieur,

dont je surveille les mouvements...(Hilarité.) Vous allez voir pour-

quoi... Je disais que je surveillais les mouvements de M. le ministre

de l'intérieur, parce qu'il est en désaccord sur plusieurs points

avec vous. Or, M. le ministre vous a dit qu'il était plus logi-

que de réserver l'article tout entier. - Je m'empare de cette

autorité. Tenez, messieurs, on a invoqué tout à l'heure l'opinion

des médecins et spécialement des médecins aliénistes. Eh bien,

voulez-vous que je mette sous vos yeux un passage du rapport du

docteur Blanche ? Voici ce que j'y trouve :

« La loi du 30 juin 1838, inspirée par sentiments les plus élevés

d'humanité et de respect de la liberté individuelle, a été un bien-

fait pour les aliénés. Elle a assuré la protection de leurs personnes

et de leurs biens, en même temps qu'elle leur a procuré les soins

médicaux dont ils étaient presque complètementprivés jusque-là. »

« Elle ne mérite pas les accusations dont elle a été l'objet. »

Voilà ce que dit un homme singulièrement compétent. Je sais

bien qu'il y a des réserves. Mon Dieu, nous connaissons ces

réserves-là ? Les hommes sont si faibles.

M. le PRÉSIDENT. Monsieur de Gavardie, il s'agit-simplement du

changement de place d'un article, et vous recommencez, à ce

propos, la discussion générale.

SÉNAT. 309

M. de Gavardie. Monsieur le Président, vous êtes chargé de

diriger les débats, mais dans une certaine mesure.

M. LE Président. Mon devoir est d'empêcher les orateurs de

sortir de la question, ce que vous faites continuellement.

M. DE Gavardie. C'est votre appréciation, monsieur le président...

M. LE Président. C'est celle du règlement, ce n'est pas la mienne.

Vous sortez de la question, et je vous y rappelle.

M. de GAVARDOE, Oh ! je sais bien que c'est la vieille querelle ! Mais

le nouveau règlement n'est pas encore voté. Messieurs, les abus

qu'on veut réprimer par cette réglementation cette fois-ci je

me sers avec intention du mot par cette réglementation

chinoise... (Rires et exclamations à gauche.) Mais oui ! Et vous

voyez bien que je suis dans la question, monsieur le président.

Voilà des règlements d'administration publique qui portent sur

tous les détails de cette loi. Eh bien, je dis que cela n'est pas

justifié, et voilà pourquoi j'ai le droit de demander qu'on réserve

l'article tout entier. '

M. LE Rapporteur se dirige vers la tribune.

A gauche. Ne répondez pas ne répondez pas ! (M. le rapporteur

regagne son banc.)

M. le Président. M. de Gavardie demande qu'on réserve l'ar-

ticle 9. Je consulte le Sénat. (L'article 9 n'est pas réservé.)

M. LE Président. Quelqu'un demande-t-il la parole survie para-

graphe 10r de l'article 9 ? ... Je le mets aux voix. (Le premier

paragraphe est adopté.)

M. le Président. Je mets aux voix les 2°, 3° et 10r paragraphes.

(Ces trois paragraphes sont adoptés.)

M. LE Président. Le paragraphe 5 est réservé. Je mets aux voix

les paragraphes 6 et 7. (Les paragraphes 6 et 7 sont adoptés.)

M. LE Président. Nous arrivons à l'article 10.

Plusieurs voix. A jeudi ! 1

M. LE Président. Il n'y a pas de discussion sur cet article.

M. de GAVARDIE. Comment ! il n'y a pas de discussion sur cet

article ! Je demande la parole.

M. le Président. Vous avez la parole, monsieur de Gavardie.

M. DE GAVARDIE, Je demande le renvoi de la discussion s'il doit y

en avoir une.

M. LE Rapporteur. Il n'y en aura pas, monsieur de Gavardie.

M. DE Gavardie. 11 n'y aura pas de discussion ? et pourquoi ?

M. LE Rapporteur. L'article 10 est la reproduction de l'article 6

de la lui de 4838, dont vous faites l'éloge.

310 () SÉNAT.

M. LE Président. Monsieur le rapporteur, laissez M. de Gavardie

s'expliquer et ne l'interrompez pas. Vous ne faites ainsi qu'al-

longer le débat sans aucune utilité.

M. de Gavardie. C'est parfaitement vrai ! (Rires.) M. le Rappor-

teur me dit que l'article 10 est la reproduction de l'article 6 de la

loi de 1838 j eh bien, je trouve que cette loi est mauvaise sous ce

rapport-là ! Je n'aurais pas demandé la modification de la loi de

1838 pour ce simple détail; mais puisque en définitive vous portez

sur elle une main téméraire... (Réclamations à gauche.) Mais oui !

Un homme compétent a dit que la loi de 1838 ne méritait pas

- les accusations dont elle était l'objet; mais puisque vous la

remettez tout entière en question, je vais discuter cet article-là.

Vous dites : Les règlements intérieurs des établissements publics

et privés consacrés aux aliénés sont soumis d'une manière géné-

rale, sans aucune espèce de restriction, à l'approbation du ministre

de l'intérieur.

Je comprends très bien que lorsqu'un asile privé fait fonction

d'asile public, - et vous ne faites pas cette distinction dans votre

article, - je comprends que dans ce cas-là, l'asile privé, qui est

devenu public à un certain point de vue, soit soumis à la régle-

mentation de M. le ministre de l'intérieur. Mais je dis qu'il est

attentatoire à l'inviolabilité du domicile et à l'inviolabilité du

principe de la propriété de soumettre la direction d'un asile quel-

conque à l'approbation préalable de M. le ministre de l'intérieur.

Quand M. le ministre de l'intérieur voudra placer aux frais de

l'Etat des aliénés dans cet asile, il interviendra; mais je lui

défends l'accès de tout asile où, lui, Etat, n'a pas le droit d'entrer.

Je n'ai pas de texte de la loi de 183S sous les yeux. M. le rappor-

teur prétend que les termes de l'article -10 sont les termes mêmes

de l'article 6 de la loi de 1838; si réellement de la loi de 1838 a

été rédigée ainsi, je dis que c'est d'une manière abusive, et je

vous demande d'introduire une distinction dans l'article et d'a-

jouter après le mot « privés », ceci : « faisant fonction d'asiles

publics ».

Plusieurs sénateurs à gauche. Aux voix ! aux voix ¡.

M. de GAVARDIE. Aux voix ! Et mon amendement ? (Hilarité.)

M. LE Président. Je mets aux voix l'article 10, sousla réserve de

l'amendement de M. de Gavardie. J'en donne lecture : « Art. 10.

Les règlements intérieurs des établissements publics et privés

consacrés aux aliénés sont soumis à l'approbation du ministre de

l'intérieur. » (La rédaction de la commission est adoptée).

M. LE Président. Je mets maintenant aux voix la proposition de

M. de Gavardie, qui consiste à ajouter après ces mots « établisse-

ments publics et privés n, ceux-ci : « faisant fonction d'asile^

publics ». (L'amendement n'est pas adopté.)

SENAT. 311

M. LE Président. Je mets aux voix l'ensemble de l'article 10.

M. de Gavardie. Je demande la parole sur l'ensemble de l'ar-

ticle 10.

M. le Président. Permettez-moi de vous dire, monsieur de

Gavardie, que c'est véritablement de l'obstruction. (Très bien ! très

bien ! à gauche.)

M. de Gavardie. Eh bien, si vous voulez que je vous dise le fond

de ma pensée, oui, c'est de l'obstruction que je veux faire ! (Pro-

testations à gauche.- A l'ordre ! à l'ordre ! )

M. LE Président. Eh bien, je serai obligé de vous rappeler à

l'ordre.

M. de G1V,\RDIC. C'est la première fois que je prononce cette

parole dans cette assemblée...

M. LE Président. Monsieur de Gavardie, je vous rappelle à

l'ordre.

}1. de GAVARDOE. Permettez-moi, monsieur le président, de vous

rappeler à l'impartialité. (Nouvelles protestations à gauche.)

M. LE Président. Et moi, je vous rappelle au respect de l'assem-

blée dont vous faites partie.

M. de Gwardie. Je respecte cette assemblée dont je fais partie.

Il serait vraiment puéril et dérisoire que je voulusse insultera la

dignité d'une assemblée dont j'ai l'honneur d'être membre.

M. LE Président. Quand on fait de l'obstruction, on ne respecte

pas l'assemblée devant laquelle on parle... (Très bien ! très bien ! à à

gauche et au centre), et vous avez déclaré que vous en faisiez.

M. DE Gavardie. Un homme d'Etat anetais, dont l'autorité n'a

pas besoin d'être discutée, M. Gladstone...

M. DE Pressensé. Assez ! assez ! 1

1. de Gavardie. Comment ! assez ? (Oui ! oui ! assez ! à gauche.)

C'est vous, monsieur de Pressensé, un libéral, qui tenez ce lan-

gage ! vous ! 1 .

M. LE Président. Monsieur de Gavardie, vous n'avez pas le droit

d'interpeller vos collègues. Je vous rappelle une seconde fois à

l'ordre.

M. DE Gavardie. C'est M. de Pressensé qui m'a interpellé.

M. le Président. Il a fait une interruption, il ne vous a pas

interpellé.

M. DE Gavardie. Monsieur le président, véritablement, je ne vois

pas qu'un mot échappe dans l'improvisation... (Exclamations à

gauche.)

M. le Président. C'est un faux fuyant; vous avez dit que vous

vouliez faire de l'obstruction.

312 SÉNAT.

1f. no. Gw.nnm. Je le maintiens...

M. LE Président. Monsieur de Gavardie, je vous ai déjà rappelé

deux fois à l'ordre...

M. de Gavardie... et je l'explique.

Un homme d'Etat qui, je crois, a une autorité assez grande pour

que M. le président s'incline devant elle, M. Gladstone, a donné

raison à l'obstruction irlandaise. Et certes, c'est comme cela qu'il

faut comprendre le régime parlementaire. (Rires à gauche.) Oui,

messieurs ! En d'autres temps, je n'aurais pas dit à cette tribune

que je voulais faire de l'obstruction; mais quand on vient violer

le principe de l'inviolabilité de la famille, j'ai le droit de faire de

l'obstruction, et j'en ferai jusqu'au bout.

Un sénateur à gauche. Allez chez le docteur Blanche !

M. de Gavardie. Je ne recule pas devant des interruptions de ce

genre. Celui qui a osé prononcer cette parole que M. le président

aurait dû réprimer, celui-là aurait dû me précéder à l'asile du

docteur Blanche. (Nouvelles exclamations à gauche.)

M. le Président. Vous oubliez que vous avez dit que ceux qui

voteront la loi mériteraient d'être placés dans un asile d'aliénés

M. de Gavardie. Vous ne comprenez pas la plaisanterie, mon-

sieur le président. (Rires.)

M. le Président. Vous ne comprenez pas davantage celle de

votre collègue. '

M. DE GAVAIIDIE. Celle-là a une autre portée. (Assez ! assez ! )

M. le Président. Je vous prie de rentrer dans la question, mon-

sieur de Gavardie.

M. de Gavardie. Vous allez voir que j'y suis. Vous avez vu, mes-

sieurs, que dans les articles précédents on faisait une distinction

fondamentale entre les asiles privés et les asiles faisant fonction

d'asiles publics. Pourquoi ?

Mon Dieu ! je prends mon bien où je le trouve : c'est l'hono-

rable 111. Clément qui m'a donné tout à l'heure cet excellent argu-

ment que je regrette qu'il n'ait pas présenté lui-même; il l'aurait

fait avec plus d'autorité que moi. Vous savez que M. Clément est

un peu plus modéré que moi. Avec ces assemblées si impression-

nables... (Hilarité à gauche), -mais oui, vous êtes plus impression-

nables et passionnés que moi. Je pourrais vous dire comme

Louis XVI : « Mettez la main sur mon coeur, et vous verrez s'il bat

plus vite qu'à l'ordinaire »... - Il faut, dans les assemblées,

s'habituer un peu à la libre discussion.

M. le Président. Monsieur de Gavardie, je vous prie de rentrer

dans la discussion de l'ensemble de l'article 10, au lieu de donner

des conseils à vos collègues.

VARIA, 313

M, DE GW.\l\DIE. Mais, monsieur le président, qu'est-ce que je

fais donc, si ce n'est pas de la discussion que je fais ? Enfin, mes-

sieurs, vous m'avez compris... (Rires), je l'espère du moins, et

je vous demande de maintenir les termes de mon amendement.

M. LE Président. Le Sénat a voté sur cet amendement.

M. de Gavardie. Mais, monsieur le président, on peut le

reprendre à propos de l'ensemble de l'article.

M. LE Président. Je mets aux voix l'article 10. (L'article 10 est

adopté.)

M. LE Président. « Article Il... »

M. LE Rapporteur. Monsieur le président, la commission, d'ac-

cord avec M. le ministre de l'intérieur, demande le renvoi de la

discussion à la prochaine séance.

M. LE Président. La commission et le Gouvernement deman-

dent le renvoi de la discussion à la prochaine séance. Il n'y a pas

d'opposition ? ... La suite de la discussion est renvoyée à la pro-

chaine séance. (A suivre.)

VARIA

Hommage au surveillant PUSSIN.

Dans la matinée du mercredi 3 août, a eu lieu, à l'hospice de

Bicétre, une double cérémonie, intéressante à plusieurs titres.

M. Poubelle, préfet de la Seine, présidait, assisté de DI11. P>;Yno ?

directeur de l'Assistance publique, et Bourneville, député de la

Seine, directeur de l'enseignement de l'Ecole; nous avons

remarqué dans l'assistance MM. le Dr Chaslin, médecin de Bicêtre;

Imard, inspecteur général de l'Assistance publique; Barbier, secré-

taire général; Mourlan. chef de division; Leclère, chef de bureau

du service des aliénés; Gallois, architecte de Bicêtre; Ventujol, di-

recteur, etAdancourt, économe de l'hospice de Bicêtre; Labouyerie,

directeur de l'hospice des incurables ; Guérin, Mauger, les internes

en médecine et en pharmacie, et les employés de l'établissement.

Tout d'abord il a été procédé à la distribution des prix aux

élèves de l'Ecole municipaled'infirmiersetd'infirmièresdeBicêtre.

Celte cérémonie terminée, les assistants se sont rendus dans la

cour d'entrée de la cinquième division de l'hospice, division con-

sacrée aux aliénés, pour l'inauguration de la plaque commémora-

tive érigée en l'honneur du surveillant Pussin. Cette plaque, en

3314 VARIA.

marbre noir, a lilé fixée dans l'endroit le plus apparent, sur

l'extrémité nord du grand bâtiment de la 2e section actuelle, dé-

corée de drapeaux entourant le buste de la République, et ornée

de cartouches aux initiales R. F. Elle porte, gravée en lettres d'or,

l'inscription suivante :

. Le 3 août 1887,

Monsieur Poubelle étant Piéfet de la Seine,

.Monsieur Peyroh, Directeur de l'Administration générale

de l'Assistance Publique.

Cette plaque

a été placée en mémoire de

Jean - Baptiste PUSSIN,

Surveillant à Bicêtre.

(Du 27 avril 1780 au 20 mai 1802.)

Appelé par Pinel : son plus fidèle collaborateur

et par Parizet : le précurseur de Pinel.

Le voile qui recouvrait la plaque étant tombé, M. le Préfet de

la Seine a pris la parole en ces termes :

« Mesdames, Messieurs,

« Cette inscription est destinée il perpétuer le souvenir de l'un

de vos prédécesseurs, qui, entré comme malade dans cette mai-

son, y guérit, s'y attacha au point de ne vouloir plus la quitter et

devint digne d'être appelé, par Pinel, « son meilleur collabo-

rateur ».

« Cette estime du savant pour le surveillant modeste n'a rien qui

doive nous surprendre : les âmes d'élite se rencontrent à travers

la diversité des conditions, et c'est un acte de justice que nous

.accomplissons en inaugurant, après la statue de l'illustre médecin,

cette plaque de marbre, qui vous rappellera que la République

sait rendre hommage à tous les dévouements et qu'elle ne dis-

tingue pas entre ceux qui ont prodigué leur vie aux souffrants et

aux déshérités.

« Jusqu'à Pinel, en effet, tous les malades, sans distinction entre

la simple idiotie et la démence furieuse, étaient considérés

comme dangereux. C'est ici que Pinel, réagissant contre cette

crainte exagérée, fit tomber leurs fers, et celle méthode nouvelle,

accueillie avec incrédulité au moment où elle fut instituée, eut

pour résultat immédiat de rendre la folie plus calme, les crises

moins dangereuses et moins prolongées.

« Lorsque j'eus l'honneur d'inaugurer, à l'entrée de la Salpê-

trière, la statue de Pinel, mes recherches personnelles, pour arri-

.ver à mieux connaître le grand homme dont je devais prononcer

l'éloge, m'amenèrent à découvrir, à côté de lui, J.-B. Pussin, et,

tout en reconnaissant la grandeur de l'initiative prise par le

VARIA. 3)5

savant, je pensai que le succès obtenu était peut-être dû en par-

tie à cet homme qui, en prodiguant à tout instant, à ces malheu-

reux, ses soins et son dévouement, était, sans doute, parvenu à

réveiller un écho dans ces consciences endormies, à se faire aimer

de ceux qu'il avait sous sa surveillance.

« Certes, les conditions qu'acceptait votre prédécesseur étaient

loin de valoir celles qui vous sont faites : un peu de vin, la table

au second réfectoire et 36 francs de gages par an, telle était sa

rémunération et tel fut le prix dont, pendant vingt-deux ans,

on paya ses services. C'est vous dire que nous ne nous considé-

rons pas comme dégagés par les salaires que nous vous donnons,

et, si nous avons réussi à rendre la vie pour vous plus facile et

plus sûre, il y a une chose que nous ne prétendons pas payer,

parce qu'elle est d'un prix inestimable, c'est la sensibilité, l'abné-

gation, le dévouement de tous les jours : vertus naturelles chez

certains hommes, et qui, dans votre profession, sont des qualités

indispensables.

« Pussin suivit Pinel à la Salpêtrière, mais il passa ici les princi-

pales années de sa vie et c'est bien dans cette maison que nous de-

vions vous le présenter comme un modèle de chaque instant. Vous

n'avez pas attendu cette solennité pour vous inspirer des mêmes

sentiments et les récompenses que nous vous avons décernées

montrent que vous aspirez à l'imiter. Je ne saurais trop vous

répéter que ces malades, ces fous sont susceptibles de comprendre

le dévouement qu'on leur témoigne.

« L'éclipse de leur raison laisse percer encore quelques lueurs :

ils conservent une certaine justesse d'observation qui leur permet

d'apprécier les soins que l'on apporte à leur soulagement. Dans

cette fréquentation quotidienne, l'intelligence, même affaiblie,

sait reconnaître les sentiments affectueux et les actes de violence

sont rares à l'égard d'un infirmier bienveillant. Dans les maisons

de fous, il se forme, croyez-le bien, une opinion publique, sou-

vent plus juste que celle que nous rencontrons extra-muros, car

elle est fondée sur une observation personnelle et sur l'impression

directe des traitements dont chacun est l'objet.

« En inaugurant cette inscription, nous ne voulons pas seule-

ment honorer l'un de vos prédécesseurs, nous entendons aussi

vous rappeler les exemples de dévouement, de patience et d'huma-

nité qu'il a donnés. Nous espérons trouver parmi vous des conti-

nuateurs de Pussin, qui mériteront d'inscrire leur nom à côté

du sien sur les feuillets de pierre du lilre que nous ouvrons

aujourd'hui. »

La chaleureuse allocution de M. Poubelle a été accueillie par

d'unanimes applaudissements et la séance a été levée.

z1 C VARIA,

JOHN GRAY.

La science médicale a fait une grande perte dans la mort de

John GRAY 1. Comme aliéniste, c'était peut-être le plus connu et le

plus apprécié de toute l'Amérique. Né de parents américains le

6 août 1825 à Halfruoon, il fit son éducation à l'école commune,

à l'Académie de Bellefonte et au Déckenson Collège, et il étudia

la médecine à l'Université de Pensylvanie. Il prit ses grades dans

ces deux derniers établissements en 1846 et 4848. - Cette même

année 1848, il fut nommé médecin résident à l'hôpital de Pensyl-

vanie où il attira l'attention par ses capacités et son zèle. En 1851,

il était nommé troisième assistant à l'asile d'Utica, puis deuxième

en 1852, enfin premier en 1853. Il avait alors 38 ans. La même

année il fut nommé superintendant médical à l'asile de Michigan

et fit dresser les plans de l'église de Kalamazoo. En 4854., il

s'établit dans le Michigan et commença sa belle carrière comme

superintendant de l'asile d'Utica. Ses travaux comme directeur en

chef de l'Américan journal of insanity, datent de la même année.

Il abandonna le système qui avait prévalu jusqu'alors de confiner

les malades dans des cellules noires et solitaires et leur donna l'air

et la liberté.

Les études et son expérience le conduisirent bientôt à enseigner

que l'aliénation mentale est une maladie dégénératrice, et

réclame un régime abondant de l'air, de l'exercice, etc. Les théo-

ries attirèrent l'attention sur lui et lui donnèrent une situation

prépondérante dans sa profession. Elles furent bientôt adoptées

par ceux qui les connurent. En 1857, il avait publié un mémoire

plein de recherches et d'idées sur l'homicide et la folie, et en 1858

il fut nommé médecin consultant de l'asile de l'Etat pour les alié-

nés criminels à Auburu. En 1868, dans un mémoire sur les rela-

tions de la folie avec la médecine, il soutint que l'aliénation est une

maladie physique et qu'elle ne doit pas être seulement traitée par

des spécialistes. Beaucoup de gouverneurs et de législateurs lui

demandèrent conseil pour l'aménagement des asiles et des éta-

blissements de charité.

Esprit libéral, intègre, plein de fermeté, il unissait la critique

à la courtoisie et au courage, et se montra le ferme champion des

malades et de l'humanité souffrante. C'était un spécialiste, mais

plus encore. Il arriva presque à créer une science et une littérature

relative à la folie, et à inscrire son nom en caractères doubles dans

l'histoire de la charité publique.

Il avait de grandes facilités pour le travail. Outre la superinten-

dance de l'asile, il surveillait personnellement l'American journal

o/' insanity, et publia une série de mémoires en 1871, La folie dé-

' The Boulon méd. Journal, 17 mars 1887, p. 2G7.

VARIA. 317 î

pend d'une maladie physique ; en 1873, Pathologie de la folie; en

1874, Vue générale de la folie et Pensées sur les causes de la folie.

Cette même année il fut nommé professeur de psychologie et de

jurisprudence médicale au collège de Bellevue. En 1876, le collège

d'Albany le nomma à la même chaire. Il publia ensuite : en 18 ? G,

l'Ilygiène mentale; en 1877, des Recherches pathologiques ; en 1878,

des Extraits de lois relatives à l'aliénation, et un Mémoire sur le

suicide; en 1880, un travail sur la Jusquiame en aliénation; en

1884, l'llérédilé; en 1885, un Rapport sur l'état de science médi-

cale. On ne peut rappeler ici tous les rapports médico-légaux sur

des aliénés criminels qu'il fit à la requête de l'autorité. Outre ses

grades universitaires, il reçut en 1874 ses grades du collège

d'Ilamilton. En 1873, il fut élu membre honoraire de la Société

de Fréniatrie italienne; en 1875, membre de la Société médico-

psychologique anglaise, et en 1878, de celle de Paris. Il était

membre aussi de plusieurs Sociétés scientifiques américaines.

Frappé le 16 mars 1882 par Henry Remshaw, il ne s'était jamais

complètement relevé. Il supporta son mal avec courage, quoique

ses occupations lui fussent beaucoup plus pénibles. Il les aban-

donna pendant l'hiver de 1885, puis revint et se remit à travailler,

mais au bout de trois semaines il fut pris de bronchite; et finale-

ment mourut de coma-urémique, par suite d'un mal de Bright le

29 novembre 1886. SoLLIEn.

Luther ET la maladie DE Ménière.

Luther, à vingt-sept ans, souffrait de bourdonnements dans les

oreilles, et comme il ignorait les sciences physiques, il les attri-

buait au diable. « Ces mots de dents et d'oreilles dont je souffre,

dit-il, sont pis que la peste. Je suis torturé par un bruit et un

bourdonnement dans mon oreille, comme si quelque vent soufflait

dans ma tête. Le diable y est pour quelque chose. Vous ne savez

pas combien est horrible ce vertige. Là, tous les jours, j'ai été

dans l'impossibilité de lire une lettre et même deux ou troislignes

des psaumes. Au bout de ces trois ou quatre mots, le bruit

recommence et je tombe presque de ma chaise. » Ceci avait lieu

en 1510. En 4 530, il écrit : « Quand j'essaie de travailler, ma tête

est remplie de toutes sortes de bruits, de bourdonnements,

de sifflements, d'éclats de tonnerre, et si je ne quitte pas aussitôt

mon ouvrage, je m'évanouis; ces trois derniers jours, je n'ai

même pas pu regarder une lettre. J'ai eu une autre visite du

diable. Ma maladie est le résultat de la faiblesse ordinaire de la

vieillesse, de la tension habituelle d'esprit, et surtout des coups

de Satan. Aucune médecine au monde ne pourra la guérir. » Ces

bruits étaient si confus dans sa tête et ses oreilles, qu'en 1521

quelqu'un lui ayant donné une boite de noix qu'il mit dans sa

318 FAITS DIVERS.

chambre, il crut que le diable venait les secouer. « Quand j'eus

soufflé la lumière et me suis mis au lit, dit-il, il me sembla

qu'aussitôt les noix se mirent en mouvement, non seulement en

sautant dans le sac, mais encore en se cognant violemment les

unes contre les autres, et qu'alors elles vinrent faire du bruit

auprès de mon ! il. Cependant je n'en pris garde et m'endormis;

mais de temps en temps, j'étais réveillé par un grand bruit dans

l'escalier, comme si quelqu'un culbutait des centaines de tonneaux

les uns après les autres. Je me levai aussitôt, m'écriant : « Est-ce

toi, diable ? Soit, je recommande mon âme à Dieu. » Je retournai

à mon lit et m'endormis. Une fois à Wittemberg, j'entendis dis-

tinctement le diable faire du bruit ; il fit trois fois du bruit dans

le grenier, comme si il traînait quelque chose de lourd sur le

plancher. Comme il continuait, je rangeai mes livres et allai me

coucher. Une autre fois, je l'entendis marcher, mais comme je

savais que c'était le diable, je n'y fis point attention et m'endor-

mis. » Une fois, pendant un grand orage, Luther s'écria : « C'est

le diable qui fait cela ! oh 1 comme le diable souffle ! » Et de

nouveau il dit : « Les idiots, les estropiés, les aveugles, les sourds,

sont autant de personnes chez qui le diable a élu domicile. Tous

les médecins qui essaient de guérir ces infirmités comme si elles

provenaient de causes naturelles sont des imbéciles ignorants. Ils

ne connaissent rien, ni au diable ni à ses oeuvres. » (Médical Record

et The Américain Practitioner, vol. 111, 5 mars, p. 159.) A. SoREL.

FAITS DIVERS

Asiles d'aliénés. - Nominations : M. le Dr DetvzET, directeur-

médecin de l'asile du Mans, est nommé en la même qualité à

l'asile de Cadillac, en remplacement de M. le Dr GUILBERT,

nommé directeur-médecin de l'asile de Bordeaux, en remplace-

ment de M. le Dr DbSWATINF.3, nommé directeur-médecin de

l'asile du Mans, en remplacement de M. le Dr Denizet. - ! IL le

Dr GIRAUD, directeur-médecin de l'asile de Fains, est nommé en la

même qualité à l'asile Saint-Yon, en remplacement de M. le

Dr CenTYL, nommé directeur-médecin de l'asile de Bailleul, en

remplacement de M. LEBLOND, retraité (arrêté du 5 juillet). -

M. le Dr Girma, médecin adjoint à l'asile Saint-Luc, est nommé en

la même qualité à l'asile Saint-Yon, en remplacement de 111. le

D B.\R.%NDO,4. mis en disponibilité sur sa demande (arrêté du

FAITS DIVERS. 319

28 juillet). - 111. le Dr LwuA1N, ancien interne des asiles de la

Seine, est nommé médecin adjoint à l'asile de Vaucluse, en rein-

placement de M. le Dr 1ÉR.1V.\L, mis en disponibilé sur sa de-

mande (arrêté du 6 août).

Personnel des asiles. - Dans son rapport biennal sur l'asile

d'aliénés de l'Etat de Kansas à Topeka, le surintendant le Dr B.-D.

Eastman se plaint de la difficulté de trouver des infirmiers ca-

pables de donner des soins aux aliénés. Cette difficulté vient sur-

tout de ce que les individus qui s'engagent comme infirmiers dans

les asiles, font cela comme une occupation temporaire et non

avec le désir de se faire une position durable, comme dans la

plupart des autres pays. On doit demander des hommes préposés

à la garde des aliénés un grand nombre de qualités; il faut qu'ils

puissent à la fois les surveiller, et se faire leurs amis et en même

temps prendre soin de l'établissement dans les moindres détails.

Le rapporteur remarque combien dans la région ces hommes sont

rares à trouver, et quel changement incessant on voit dans le per-

sonnel des asiles. Mais quand on met la main sur un infirmier

consciencieux, fidèle, on l'estime hautement, et « il est assuré

d'amasser des trésors, au figuré, si ce n'est matériellement».

(The N. York méd. JO ! l1'1l., 2u janvier 1887.) A. R.

Abolition DE la répression corporelle A L' « ALABAÜA Insane

HosPITAL ». - Dans son rapport biennal, le surintendant de cet

asile, le D'' Bryce, rend compte des progrès effectués sous ce rap-

port dans cet établissement, depuis cinq ans. Jamais auparavant

on n'avait eu d'aussi bons résultats dans le traitement des aliénés.

C'est une exception quand on est obligé d'enfermer dans [sa

chambre un maniaque ou un excité. Sur 722 malades, pendant

l'année dernière, on n'a enfermé que 37 malades dont : 18 hom-

mes et 19 femmes; le nombre total des heures de réclusion a été

de 204 pourles premières, et de 326 pour les secondes. Depuis plu-

sieurs semaines, on n'a enfermé ni isolé aucun malade, résultat

qu'on n'avait jamais obtenu avec l'ancien système. D'un autre

côté, on s'est à peine servi de narcotiques, auxquels, d'après cer-

tains médecins, on doit avoir recours, si on n'use pas de moyens

de répression avec les aliénés. La quantité de narcotiques admi-

nistrés, depuis le nouveau système de traitement en usage, a con-

sidérablement diminué. C'est ainsi que dans tout l'asile, en une

année, on n'a pas dépensé plus de douze grains d'hyoscyamine,

que l'on emploie beaucoup en Amérique, comme agent hypnotique.

L'hôpital présente dans son aspect un grand changement carac-

téristique. Au lieu du bruit, de l'agitation, la méchanceté, la

défiance qu'offraient les anciens « restraints », actuellement les

malades sont tranquilles, dans leurs quartiers; ils ont l'air heu-

reux, sont confiants et remplis de bonne tolonlé, envers leurs

3'2 0 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

surveillants et infirmiers. Toute cette transformation semble due

en grande partie à la substitution d'une discipline, naturelle et

rationnelle, à l'usage cruel des instruments de coercition. Cette

méthode est du reste approuvée et le nombre desrestraints dimi-

nue de plus en plus dans les hôpitaux bien aménagés. Il n'y a

que dans les cas extrêmes qu'on est obligé d'user de répression,

lorsque la vie du malade ou des autres est en danger. (The

New-Yorlc bleo. Jour., 15 janv. 1887.) A. R.

La garde des personnes prétendues aliénées. - La loi devrait

préciser où et comment une personne qu'on prétend être aliénée

et troubler le repos autour d'elle, doit être protégée pendant le

délai si peu sagement nécessité par les formalités légales jusqu'à

ce qu'elle soit placée dans une asile. Aussi ne sommes-nous pas

disposés à presser les praticiens à sortir de leur rôle en aidant les

magistrats dans la difficulté de leur conduite dans ces cas. Il serait

de meilleure politique , et cela conduirait aux meilleurs résultats

pour les fous et pour ceux qui ne le sont pas, si on laissait suivre

leur cours à ces affaires, de sorte que les défauts de la loi puissent

être vus sous leur véritable aspect, (The Lancet, février 4887.)

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

IONTAN (J.) et SÉGARD (Ch.). - Eléments de médecine suggestive, hyp-

notisme et suggestion. - Faits cliniques. - Volume in-18 de 306 pages.

- Prix : 4 ir. - Paris, 1887, 0. Doin.

François FnANCK. - Leçons sur les fonctions motrices du cerveau (réac-

tions volontaires et organiques) et sur l'épilepsie cérébrale, précédées

d'une préface du professeur Clarcot.- Volume in-8" de 571 pages avec

83 figures. Prix : 12 fr. Paris, 1887, 0. Doin.

BITOT PÈRE. - Le cervelet participe-t-il à l'exercice de l'intelligence ?

- Réponse affirmative, tirée de l'examen des faits d'atrophie cérébel-

leuse. Brochure in-8° de 32 pages, Bordeaux, 1887. G. Gounouilhou.

BOUIINEVILLE, Iscii-Wall, BAUMGAItTEN, hILLIET, Couriurien et BKICON.

Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'épilepsie, ? hystérie et l'idiotie.

Compte rendu du service des épileptiques et des enfants idiots et arriérés

de Bicêtre pendant l'année 1886 (VIl volume de la collection). in-8- de

xlviii-258 pages, avec 3 plans, 25 figures et 5 planches glyptographiques.

Prix : 6 fr. ; pour nos abonnés, 4 fr. - Aux bureaux du Progrès Médi-

cal, li, rue (les Carmes.

Le reclaclclw-,qéaat, 13OU : tNFILIE.

Kvreui, Ch. llswsssr, un ?

Vol. XIV. Octobre 1887. N" 42

ARCHIVES DE NEUROLOGIE

CLINIQUE NERVEUSE

HISTOIRE DUNE HYSTÉRIQUE HYPNOTISABLE

(contribution A l'étude clinique DES caractères SOI1TIQUES fixes

DES attaques DE sommeil spontanées ET provoquées

CHEZ LES hystériques);

Par les Drs J. GRASSET, professeur de Clinique médicale, et A. BROUSSE,

professeur agrégé à la Faculté de médecine de Montpellier.

Parmi les points encore incomplètement élucidés

de l'histoire clinique de l'hypnotisme, il en est un qui

a un intérêt capital et sur lequel de vives divergences

se sont produites dans ces derniers temps : c'est

l'étude des caractères somatiques fixes de l'état llypno-

tique. Quel est l'état spontané, naturel, normal, des

grandes fonctions du système nerveux, en dehors de

toute influence suggestive et de toute éducation arti-

ficielle, dans le sommeil provoqué ? Voilà la question,

grave entre toutes, que les chercheurs contemporains

ont résolue très diversement et à l'élucidation de la-

quelle nous allons essayer de contribuer par l'histoire

d'une malade que nous observons d'une manière pres-

que continue depuis trois ans.

Archives, t. XIV. 21

322 ) CLINIQUE nerveuse.

C'est incontestablement M. Charcot qui a inauguré

l'étude de ce côté de la question et en a révélé l'im-

portance, dans ces belles recherches de 1878 à 1880

qui ont vengé le somnambulisme provoqué des an-

ciennes condamnations académiques et qui ont com-

mencé l'ère scientifique actuelle de son histoire.

L'école de la Salpêtrière a magistralement étudié et

décrit les caractères somatiques fixes de ce que l'on

a appelé le grand hypnotisme et tout le monde con-

naît aujourd'hui la description classique des symp-

tômes dans chacun des trois grands états : léthargie,

catalepsie, somnambulisme provoqué.

Les recherches se sont alors multipliées et un autre

élément a frappé les observateurs plus que tout autre :

c'est la suggestion. Et à Nancy en particulier, où ces

études ont été poussées avec un grand talent, Lié-

bault, Bernheim et d'autres ont étudié la suggestion

avec un soin tout spécial. Il a paru alors à ces mé-

decins que les caractères somatiques fixes n'existaient

pas; tous les symptômes observés dans tous les ordres

de fonctions du système nerveux étaient de nature et

d'origine purement suggestives; il n'y avait donc

en réalité aucun phénomène somatique fixe, indé-

pendant de la suggestion, dans l'état de somnam-

bulisme provoqué.

C'est ainsi que sont nées sur la question qui nous

occupe deux opinions absolument contradictoires et

encore incoiiciliées : d'après l'une, que personnifie

l'école de la Salpêtrière, il y a dans l'état hypnotique

des caractères somatiques fixes, indépendants de la

suggestion; qui sont ceux décrits par M. Charcot pour la

léthargie, la catalepsie et le somnambulisme provoqué.

HISTOIRE D'UNE hystérique HYPNOTISABLE. 323

D'après l'autre, que représente l'école de Nancy, il n'y

a dans l'état hypnotique aucun caractère somatique

fixe indépendant de la suggestion et antérieur à elle,

tout dépend de la suggestion et est commandé par

elle.

La malade dont nous allons parler nous paraît pou-

voir éclairer le débat. Son histoire nous semble en

effet démontrer : 1° contre l'école de Nancy qu'il y a

des caractères somatiques fixes indépendants de la sug-

gestion dans certains cas d'hypnotisme; 2° contre

l'école de la Salpêtrière que ces caractères somatiques

fixes, quand ils existent, ne rentrent pas nécessaire-

ment, pour tous les sujets, dans le cadre tracé par

M. Charcot pour les trois états du grand hypnotisme;

3° enfin que la nature de ces caractères somatiques

fixes, paraît, au moins dans les cas semblables au

nôtre, dominée par la nature des crises spontanées

antérieures que le sujet a présentées avant toute tenta-

tive d'hynotisation. Voici d'abord l'observation détail-

lée de la malade, pour étayer la discussion qui suivra.

F... (Maria), quarante et un ans, couturière, douée d'un tem-

pérament nervoso-sanguin et d'une constitution assez bonne, a

joui d'une bonne santé habituelle jusqu'au début des accidents

actuels. Toutefois, nous trouvons dans ses antécédents, tant héré-

ditaires que personnels, quelques renseignements intéressants.

Sa mère était très nerveuse, elle est restée quatorze ans malade

et est morte d'une maladie de poitrine à l'âge de quarante et un

ans. Son père, rhumatisant et asthmatique, a succombé à une

attaque d'apoplexie à soixante-quatre ans. Elle a deux frères et

deux soeurs bien portants.

Quant à elle, elle a une intelligence assez développée, mais une

impressiounabilité très grande; gâtée par son père, elle a pris un.

caractère capricieux et entêté qui certainement n'est pas étranger

aux divers incidents de son existence. Réglée à onze ans, le jour

de sa première communion, ses règles ont été toujours régulières

mais fort abondantes, ayant une durée de quatre à cinq jours et

321 CLINIQUE nerveuse.

s'accompagnant de violentes coliques qui l'obligeaient quelquefois

à garder le lit.

Pendant la puberté, elle ne présente pas d'accidents chloroti-

ques, mais elle est sujette à des troubles nerveux (crampes d'esto-

mac, névralgies, etc.). -

Mariée à dix-sept ans et demi avec un ouvrier de son père qu'elle

n'aimait pas, elle a eu neuf enfants dont sept dans les huit pre-

mières années de mariage; cinq de ses enfants sont morts en bas

âge, les autres sont vivants et bien portants. Les couches ont été

laborieuses et ont nécessité chaque fois l'application du forceps;

pendant leur durée, elle restait sans connaissance et accouchait

pour ainsi dire, sans s'en douter.

En 1868, à la suite de ses couches, elle eut une ophtalmie de

l'oeil gauche, qui persista plusieurs années avec des alternatives

d'amélioration et de recrudescence. En 1876, l'état de cet oeil

ayant empiré, elle dut entrer à l'Hôtel-Dieu de Lyon, où le pro-

fesseur Gayet lui fit l'iridectomie. Après cette opération, il y eut

une amélioration très sensible de la vue; mais deux ans après,

nouvelle ophtalmie qui aboutit cette fois à la fonte purulente de

cet oeil, aujourd'hui complètement vidé.

Depuis l'âge de trente-deux ans, elle n'a plus eu de grossesse.

Dès lors, en effet, elle vit séparée de son mari; bientôt même elle

prend un amant. Poursuivie pour ce fait, elle est condamnée

comme adultère; elle insulte alors ses juges, ce qui fait porter sa

peine à trois ans de prison. '

Envoyée à la Maison centrale de Montpellier, elle y a unebonne

conduite, travaille bien, et ne présente rien à signaler, sinon une

grande excitabilité nerveuse. Mais, au mois de juillet 1883, ayant

eu une altercation avec la soeur de la prison, elle refuse de se sou-

mettre et est enfermée un mois on cellule : là, elle endure des pri-

vations, et son système nerveux, déjà fort impressionnable, subit

un ébranlement considérable. Une fois sortie de cellule, elle reste

plongée dans un état profond d'anémie qui est encore augmenté

par des métrorrhagies abondantes.

Il semble que ce soit sous cette influence que s'est produite la

première attaque de sommeil, le 22 novembre 1883. F... se trouvait

alors à l'infirmerie en traitement pour une hémorrhagie utérine ;

le matin, au moment de la visite médicale, le Dr Bringuier, mé-

decin de la Maison centrale, la trouve, plongée dans un profond

sommeil accompagné de contractures de tout le corps et d'anes-

thésie généralisée, cette attaque de sommeil ne put être inter-

rompue et se prolongea pendant dix-huit heures. Au réveil la

malade ne se rappelait rien de ce qui s'était passé pendant son

sommeil; elle ne pût pas davantage indiquer la cause provocatrice

de cette crise ni les phénomènes qui en avaient caractérisé le début.

Mais, à partir de ce moment, des attaques de même genre s'étant

HISTOIRE D UNE HYSTÉRIQUE HYPNOTISABLE 325

reproduites fréquemment, M. le Dr Bringuier put en étudier

tous les caractères en même temps qu'approfondir la nature du

sujet et déterminer son aptitude à l'hypnotisation. M. Bringuier a

déjà publiés le résultat de ses recherches, et c'est à son intéres-

sant mémoire que nous allons emprunter les principaux faits qui

suivent.

L'attaque de sommeil quelquefois précédée de prodromes,

débute brusquement, la malade tombe sans connaissance : les

mains se portent derrière le Uos, et les doigts s'entrecroisent avec

tant d'énergie qu'il se creuse des empreintes dans la peau; les

membres sont en contracture, la jambe gauche est croisée sur la

droite, les pieds sont en équin; l'anesthésie est généralisée et

complète. Tous les sens sont abolis, à l'exception de l'ouïe : F...

entend et répond aux questions qu'on lui fait. Chose remarqua-

])le ! pendant cet état, la mémoire est plus développée et plus

lucide qu'à l'état normal : tandis, en effet, qu'à l'état de veille elle

ne se rappelle absolument rien de ce qui s'est passé pendant le

sommeil précédent, dans l'attaque de sommeil elle se rappelle

non seulement ce qui s'est passé dans les attaques précédentes,

mais même les événements de la veille.

La durée de ces attaques est variable : elles se prolongent sou-

vent plusieurs heures et même jusqu'à douze heures, lorsqu'elles

ne sont pas interrompues. Mais on peut les interrompre par la

compression d'une des zones hystérogènes et ces zones compren-

nent les régions ovarienne gauche, sous-mammaire et scapu-

laire droites ainsi que les apophyses épineuses des trois premières

vertèbres dorsales. Le réveil se produit, d'ailleurs, plus facilement

par la compression de l'ovaire : il se fait avec une certaine lenteur

et n'est complet qu'au bout de quelques instants.

Si, pendant l'atttaque de sommeil, on applique sur une partie

du corps une pièce de métal, il se produit une trépidation de cette

partie, qui se généralise ensuite au corps entier. Ce même résul-

tat est obtenu, si on approche du corps un fort aimant. L'appli-

cation ou même la simple approche de la main, donne lieu aux

mêmes effets.

L'attaque de sommeil se produit spontanément, mais elle peut

être provoquée. Pour cela, on a recours à l'un des procédés sui-

vants : compression de l'un des points hystérogènes, ou bien em-

ploi des moyens d'hypnotisation, tels que la vue d'un corps bril-

lant, d'une vive lumière ou la fixité du regard. Ce dernier procédé

a une grande action sur la malade, il produit l'attaque presque

instantanément. L'attaque peut aussi être déterminée par l'im-

pression de tout ce qui frappe l'imagination de la malade, et cette

influence morale s'exerce avec la plus grande facilité. Le même

1 Notes cliniques sur ? ty ! <c''o-e ! 7qM ! e. (Gaz. hebd. des Se. naéd. de

Montpellier, 1886, p. 122.)

326 CLINIQUE NERVEUSE.

effet est produit par l'influence de certaines odeurs, telles que le

castoréun, l'elbcr, la valériane et surtout le musc. Par quelque

influence que l'attaque Lie sommeil soit provoquée, elle se présente

toujours avec les mêmes caractères que l'attaque spontanée.

En dehors des attaques de sommeil, M. Bringuier a observé,

mais plus rarement, de grandes attaques d'hystéro-épilepsie.

Enfin, pendant l'état de sommeil, F... est susceptible de suggestion :

si, en effet, on lui donne alors un ordre, en lui fixant le moment

où il devra être exécuté, elle ne manque pas d'obéir, bien que

personne ne lui rappelle cet ordre et qu'elle paraisse l'avoir com-

plètement oublié. Son action, dans ce cas semble inconsciente et

paraît analogue à celles qui se produisent dans le somnambulisme.

Mais, l'acte accompli, F... tombe immédiatement dans l'attaque

de sommeil.

Parmi les traitements mis en usage, M. Bringuier essaya l'hy-

drothérapie, mais il fallut y renoncer ; la malade s'endormant au

moindre contact de la douche sur une des régions hystérogènes,

Elle s'endormait aussi dans le bain tiède. Tels sont les principaux

phénomènes observés chez F.. par M. Bringuierpendantson séjour

à la Maison centrale.

Sa peine terminée, F... quitte la Maison centrale et entre le

4 juin 1884 à l'Hôtel-Dieu Saint-Eloi, dans le service de la Clinique

médicale, dirigé alors par M. le professeur agrégé Mossé, et où il

nous est donné de l'observer. Elle se présente dans un état pro-

fond d'anémie, lié à la répétition des métrorrhagies; et pourtant

on observe chez elle une hypérémie très prononcée de la face.

Elle mange très peu sans cependant maigrir. Elle est très sujette

à la céphalalgie et aux vertiges.

L'examen des organes génitaux n'a permis de découvrir aucune

lésion organique- pouvant expliquer les hémorrhagies utérines;

celles-ci doivent être très probablement attribuées, étant donné

l'âge de la malade, à l'approche de la ménopause.

En dehors des attaques de sommeil, sa sensibilité, tant géné-

rale que spéciale, est parfaitement normale. Elle accuse une fai-

blesse particulière dans le côté droit, côté où paraissent prédo-

miner les points hystérogènes; mais il n'existe aucune trace de

parésie dans ce côté. Les attaques de sommeil ne tardent pas à

se reproduire etprésenlent les caraclères précédemment signalés.

On les provoque de même par la fixation du regard ou la com-

pression des zone= hystérogènes (ovaii es, régions sous-mammaire

et scapulaire droites), que l'on pourrait appeler pour cela zones

hypnogènes.

L'attaque provoquée peut être analysée avec plus de précision

que l'attaque spontanée ; voici ce qu'on observe : d'abord, si la

malade est debout ou assise, elle tombe, puis les yeux se ferment,

HISTOIRE D'UNE HYSTERIQUE HYPNOTISABLE. 327

les mains se rapprochent, les doigts s'enchevêtrent, les bras s'al-

longent et les mains se fixent au-devant de l'abdomen (tandis que

dans l'attaque spontanée elles se fixent derrière le dos). Les jambes

s'étendent et se croisent l'une sur l'autre, toujours la gauche sur la

droite. La rigidité est alors absolue, aucune articulation ne peut

être fléchie, aucun mouvement ne peut être imprimé aux membres,

les doigts sont tellement serrés que leur extrémité est cyanosée;

la malade ressemble à une véritable barre rigide. L'anesthésie

est absolue et généralisée. On peut traverser la peau avec une

épingle sans déterminer la moindre douleur et sans produire

d'écoulement sanguin ; les sensations de chaleur ou de froid ne

sont pas mieux perçues.

Du côté des organes des sens, nous trouvons les paupières

fermées et l'oeil sain convulsé en haut. L'odorat est aboli, car

elle ne sent pas du tout certaines substances comme l'éther,

qui lui sont très désagréables à l'état do veille. L'ouie seule est

conservée : elle entend ce qu'on lui dit et répond parfaitement

aux questions qu'on lui pose. Quelquefois même, elle parle alors

avec une très grande volubilité et raconte certaines choses qu'elle

ne dirait pas à l'état de veille.

Pendant l'état de sommeil, si on applique une pièce de métal

sur une partie du corps, sur le thorax, par exemple, il se produit,

ainsi que l'avait déjà observé M. Bringuier, une trépidation de

tout le corps. Mais il n'y a là aucune action spéciale du métal, car

on obtient le même effet par l'application du pavillon du stéthos-

cope ou de la main.

Lorsque la main est appliquée sur le front, il se produit des

mouvements désordonnés de la tête qui semble vouloir se débar-

rasser d'un cercle qui l'étreint; il y a quelquefois même projec-

tion du corps à droite, et la malade tomberait si on ne la retenait.

L'aimant donne lieu à des phénomènes analogues : si on approche

un aimant de Charcot à petite distance d'une partie du corps, il

se produit dans cette partie une série de mouvements de transla-

tion qui aboutissent en fin de compte à la projection du corps

entier vers le côté droit. On peut obtenir les mêmes effets par la

simple approche de la main.

Pour réveiller la malade, il faut avoir recours à la compression

de l'une des zones hypnogèncs, mais de préférence à celle des

ovaires. Le réveil ne se fait pas brusquement : avant d'arriver au

réveil complet, le sujet passe par un certain nombre de phases

très remarquables caractérisées par des positions différentes des

membres. D'abord les jambes se décroisent, en même temps qu'il

se produit un certain nombre de mouvements de déglutition; puis

les mains se séparent, les bras s'élèvent au-dessus de la tête,

retombent ensuite en croix, les mains s'étendent et se placent

alternativement en pronation et en supination ; de nouveau les

328 CLINIQUE NERVEUSE.

bras s'élèvent au-dessus de la tête, les doigts se plient dans la

paume des mains, elle frappe alors les deux mains l'une contre

l'autre à plusieurs reprises, puis elle les ouvre, les porte sur ses

yeux, frotte ceux-ci, les ouvre, se couvre si elle est couchée, bou-

tonne son corsage si elle est habillée, enfin dit bonjour aux per-

sonnes qui l'entourent, comme si elle se réveillait d'un sommeil

naturel. En arrêtant la compression, on peut fixer la malade dans

chacune des positions qu'elle prend avant d'arriver au réveil com-

plet, lequel ne s'obtient que par la persistance de la compression

jusqu'au moment où elle se frotte les yeux. Pendant ces diverses

phases du réveil, l'anesthésie persiste et ne disparait que lorsqu'elle

ouvre les yeux.

M. Mossé reprend sur F... les expériences de suggestion déjà

mises en pratique par M. Bringuier. Nous avons vu que pendant

l'attaque de sommeil, elle entend très bien : c'est alors qu'on

peut lui suggérer ce qu'on veut lui faire exécuter. Notons tout

d'abord que tant qu'elle n'est pas sortie de sa crise, elle ne peut

faire aucun mouvement bien qu'elle croie l'exécuter; il y a, en

effet, alors chez elle perte absolue du sens musculaire : si on lui

dit : « Donnez la main », elle croit la donner, mais ne bouge pas,

ses membres étant fixés par la contracture. Mais ce qu'elle ne

peut faire pendant le sommeil, elle l'exécute très bien au réveil.

Voici comment on procède : la malade étant plongée dans le

sommeil spontané ou provoqué, on lui donne un ordre à exécuter

au réveil ; presque toujours elle proteste contre l'ordre donné et

dit qu'elle ne l'exécutera pas; puis on la réveille par la compres-

sion de l'ovaire. Une fois réveillée, après un moment d'hésitation

elle exécute l'ordre et généralement avec beaucoup de précision.

Mais dès que l'ordre est exécuté, elle retombe dans son attaque

de sommeil; ce qui semble indiquer que l'état dans lequel elle a

mis l'ordre à exécution n'est pas le réveil complet, mais plutôt

une sorte d'état de somnambulisme.

Les suggestions qu'on peut produire chez F... sont de divers

ordres. C'est tantôt l'exécution d'actes plus ou moins compliqués;

par exemple prendre un chapeau, une canne, une pièce de mon-

naie et les remettre à un des assistants, etc. Tantôt ce sont des

hallucinations : on lui fait voir des personnes absentes; non seu-

lement elle les voit, mais encore cause avec elles et s'étonne de

ce qu'elles ne lui répondent pas. Tantôt enfin ce sont des paraly-

sies : si on lui suggère d'être paralysée d'un bras, au réveil elle se

trouve paralysée de ce bras; mais cette paralysie n'est pas simple,

elle s'accompagne de contracture et d'anesthésie limitées à ce

membre, et souvent aussi de douleurs vives. Quelquefois la paralysie

suggérée ne se limite pas au membre désigné, mais elle frappe à

la fois les deux membres du même côté, elle affecte-'alors le type hé-

miplégique et s'accompagne toujours de contracture et d'anesthésie.

HISTOIRE D'UNE HYSTERIQUE HYPNOTISABLE. 329

.

Les suggestions réussissent d'autant mieux que les ordres don-

nés sont plus simples et qu'ils doivent être aussitôt mis à exécu-

tion. Elles réussissent moins bien quand ces ordres sont compliqués

et qu'ils doivent s'exécuter à une échéance plus ou moins longue.

Ainsi, un jour M. Mossé lui suggère de dérober une pièce de cinq

francs, de la cacher sous son traversin et de la rendre le lende-

main au chef de clinique; elle exécute bien la première par-

tie de l'ordre, elle prend la pièce, la cache sous son traversin,

mais elle oublie de la restituer le lendemain ; pour faire exécuter

cette seconde partie de l'ordre, il fallut la lui rappeler à plusieurs

reprisespendant le sommeil.

Dans l'état de veille, en effet, F... ne se rappelle nullement des

ordres donnés ipendant l'état de sommeil, alors même qu'elle

vient de les exécuter; tout ce qui se passe pendant la période

hypnotique reste à l'état de lacune dans sa mémoire. Au contraire,

dans l'état de sommeil, elle se rappelle tout ce qui s'est passé

dans les sommeils précédents, les ordres donnés, les ordres exé-

cutés ; non seulement cela, mais encore les événements qui ont

eu lieu à l'état de veille, de sorte que sa mémoire est plus éten-

due que dans la période de réveil.

Un exemple bien frappant de l'oubli complet au réveil des

phénomènes qui se passent pendant le sommeil et pendant

l'exécution des ordres suggérés est le suivant : M. Mossé lui sug-

gère un jour qu'elle va voir son mari pour lequel elle a une haine

implacable, et qu'elle lui demandera pardon ; elle proteste avec

indignation contre un pareil ordre, que l'on maintient malgré ses

protestations. On l'éveille, elle se lève et s'apprête à sortir de la

salle où elle se trouve, quand tout à coup ses yeux deviennent

hagards, prennent une expression de terreur profonde, elle tombe

à genoux, s'écrie : « Ah ! misérable ! » puis est prise d'un véritable

accès de désespoir, dans lequel elle s'arrache les cheveux, déchire

son bonnet, enfin elle tombe en attaque. On la réveille alors et,

au sortir de cette scène dramatique, on la trouve souriante comme

d'habitude, et, quand elle aperçoit son bonnet déchiré, elle se

demande si ce n'est pas une mauvaise plaisanterie qu'on a voulu

lui faire.

Certaines suggestions peuvent s'adresser aux fonctions orga-

niques, dans lesquelles pourtant il semble que l'imagination ne

semble jouer aucun rôle. Ainsi M. Mossé suggère à la malade

qu'on va la purger avec de l'eau de Sedlitz : on lui fait boire une

bouteille remplie d'eau pure et elle va une dizaine de fois à la

garde-robe.

Nous croyons inutile d'insister davantage : les exemples que nous

venons de citer montrent suffisamment combien F... est accessible

aux suggestions de tout ordre. Au bout de quelques jours de

séjour, son caractère capricieux ne lui permettant que difficile-

330 CLINIQUE NERVEUSE.

ment de se plier à la discipline de l'hôpital, elle demande à sortir.

(25 juin.)

Bien qu'elle ne soit plus à l'hôpital, on peut conlinner à l'ob-

server, M. Mosséla faisant venir de temps en temps au laboratoire

de la clinique : on apprend ainsi qu'elle a toujours des métrorrha-

gies abondantes qui l'affaiblissent beaucoup, qu'elle est sujette à

de fréquentes attaques de sommeil se prolongeant quelquefois

une dizaine d'heures et s'accompagnant souvent de chutes sur le

côté droit.

Le 4° septembre, elle allait travailler en journée lorsqu'en pas-

sant devant la porte de l'hôpital, elle se sent fatiguée : elle entre

alors dans l'hôpital, mais à peine entrée elle tombe en attaque de

sommeil. Appelé pour la réveiller, nous lui ordonnons, malgré

ses protestations, de revenir le jeudi suivant, 4, à 3 heures et demie

du soir, au laboratoire de la clinique.

Le 4, elle arrive à l'heure fixée et à l'endroit désigné, et à peine

arrivée tombe endormie. Nous profitons de son sommeil pour lui

défendre d'avoir de nouvelles attaques spontanées et pour lui

ordonner de revenir le 11 à la même heure.

Le 11, elle arrive à l'heure dite. Un élève qui est chargé de

l'observer pendant sa venue la voit marcher imperturbablement

droit devant elle comme une véritable somnambule. C'est, en effet,

dans un état analogue qu'elle vient; voici à ce sujet ce qu'elle

raconte : soit la veille au soir, soitle matin même du jour où elle

doit venir, elle s'endort et ne se réveille que quelques instants

avant l'heure de sa venue, juste le temps de s'habiller et de faire

la route.

A peine arrivée dans le laboratoire, elle tombe en attaque.

Interrogée sur ce qui s'est passé depuis huit jours, elle raconte

que, conformément à l'ordre, elle n'a pas eu de crise hypnotique,

sauf celle qui a précédé sa venue; mais à 11 heures du soir,

heure à laquelle ces crises se produisent, elle était prise de vio-

lents frissons avec tremblement généralisé, à la suite desquels

elle se trouvait anéantie, incapable de rien faire et beaucoup plus

fatiguée qu'après ses attaques spontanées,

Pendant son sommeil, prenant une feuille.de papier blanc, nous

lui suggérons qu'il y a là le portrait de M. Mossé et qu'elle le

reconnaîtra parfaitement. Nous remettons le papier sur la table,

et nous la réveillons par la compression ovarique. Quand elle est

éveillée, nous voyons son regard se fixer sur la feuille de papier

et quand nous lui demandons ce qu'elle regarde, elle'nous répond :

« Le portrait de M. Mossé; oh ! qu'il est ressemblant. » Comme

d'habitude elle retombe ensuite dans son attaque spontanée. Nous

lui ordonnons alors de revenir dans huit jours à la même heure

HISTOIRE D'UNE HYSTERIQUE HYPNOTISABLB. 331

et de n'avoir plus ni attaques de sommeil, ni accès de tremble-'

ment.

Le 18, elle revient à l'heure fixée. Nous essayons l'action de

l'électricité pendant le sommeil et nous pouvons nous convaincre

que, si elle est anesthésique, elle a parfaitement conservé sa contrac-

tilité électrique : un courant faradique, appliqué sur les muscles

de la face, les fait parfaitement contracter.

L'application de l'aimant et de la main, produisent toujours

les mêmes effets, que nous avons précédemment signalés. Par

suggestion, on lui donne une paralysie du membre supérieur gau-

che, avec contracture et anesthésie, suivie de l'apparition du

Dr Bringuier qui la guérit.

Enfin on lui ordonne de revenir le 26, et dans l'intervalle de ne

plus avoir de ces accès de tremblement qui ont remplacé les

crises hypnotiques et qui la fatiguent beaucoup.

Le 26, elle revient suivant l'ordre donné. Elles nous apprend

que ses attaques habituelles de sommeil l'ont reprise et qu'elle

n'a plus eu d'accès de tremblement.

M. le professeur Grasset étant survenu pendant qu'elle est

endormie, elle le reconnaît parfaitement à la voix et engage la

conversation avec lui. On essaie alors sur elle la suggestion néga-

tive : M. Grasset lui dit qu'une fois éveillée elle ne verra plus

M. Brousse qui était là tout à l'heure, qu'il sera parti, mais qu'elle

verra M. Mossé. Une fois réveillée; bien queM. Brousse soit devant

elle, elle ne le reconnaît pas, le prend pour NI. Mossé et à ce titre

lui adresse la parole. Celui-ci lui ayant répondu, elle reconnaît

que c'est la voix de M. Brousse, et s'en étonne beaucoup : « D'où

vient, dit-elle, que j'entends M. Brousse, que je ne vois pas et que

M. Mossé qui est devant moi ne me parle pas. » Cela dit, elle

retombe dans l'attaque de sommeil, comme après l'accomplisse-

ment de toute suggestion.

Pendant quelle est endormie, nous lui ordonnons de revenir à

la clinique le 6 novembre, mais auparavant de se rendre le mardi,

30 courant, chez M. Grasset, à 4 heures et demie du soir;

elle proteste beaucoup contre un pareil ordre, dit qu'elle ne

l'exécutera pas, mais nous le maintenons énergiquement.

Le 30, nous nous rendons quelques minutes avant l'heure fixée

chez M. Grasset, où se trouvent déjà réunis MM. les professeurs

l;ator, Jaunies, Dumas, etc. A 4 heures et demie précises, F...

arrive, et à peine arrivée, tombe endormie. Interrogée pendant

son sommeil sur l'endroit où elle se trouve, après quelques hési-

tations, elle reconnaît se trouver chez M. Grasset et dit y avoir été

envoyée par M. Brousse. On lui demande comment elle a fait

pour venir, elle répond qu'elle s'est endormie le matin au moment

d'aller travailler à la journée, qu'elle s'est reveillée juste au mo-

ment de venir ; ne sachant pas l'adresse de M. Grasset, elle l'a

332 CLINIQUE NERVEUSE.

demandée, on lui a dit, rue Basse, 6, mais dans la rue qu'on

lui a indiqué elle n'a pas trouvé ce nom sur la plaque(il venait d'être

récemment changé en celui de Jean-Jacques Rousseau); elle arrive

pourtant à la porte de M. Grasset, demande l'étage où il loge, on

lui dit le second, elle monte l'escalier mais par erreur va jusqu'au

troisième; ce n'est qu'en entendant parler au second qu'elle des-

cend à l'étage voulu et sonne.

On la réveille par la compression de l'ovaire : une fois éveillée,

elle est tout étonnée de se trouver dans le cabinet de M. Grasset,

ne se rend pas même bien compte au premier abord de l'en-

droit où elle se trouve ; quand on lui demande pourquoi elle est

venue, elle répond qu'elle n'en sait rien et s'excuse de déranger

M. Grasset.

On répète l'expérience de la suggestion négative, qui réussit

parfaitement comme la première fois. Il en est de même pour la

suggestion d'une paralysie brachiale droite, laquelle s'accompa-

gne de contracture et d'anesthésie étendue à tout le côté.

Pendant qu'elle est encore endormie, la malade rappelle que

lors de sa dernière venue à la clinique, on lui a donné rendez-vous

pour le 6 novembre et elle compte le nombre de semaines qui

restent à courir jusqu'à ce jour.

Le 6 novembre 1884, plus d'un mois après l'ordre donné, F...

arrive, à l'heure qui lui avait été désignée, au laboratoire de la

clinique. Dès son arrivée, elle tombe endormie comme d'habitude.

Interrogée pendant son sommeil, elle ne se rend d'abord pas

bien compte de l'endroit où elle se trouve, croit être en journée,

puis finit par se rappeler qu'on lui avait donné l'ordre de venir.

Elle raconte que la dernière fois, lorsqu'elle a quitté, parfaite-

ment réveillée, la maison de M. Grasset, elle a eu beaucoup de

peine à retrouver son chemin pour rentrer chez elle; ce qui

prouve qu'elle avait oublié le chemin parcouru en venant. Les

suggestions d'actes, d'images positives ou négatives réussissent

comme par le passé. On lui ordonne de revenir le 45 à 4 heures

du soir.

Le 15 novembre, elle revient conformément à l'ordre donné.

Pendant son sommeil, nous lui suggérons d'avoir une paralysie

croisée du bras droit et de la jambe gauche; la paralysie croisée

se produit parfaitement au réveil et s'accompagne pour chacun

des membres de contracture et d'anesthésie. Nous lui ordon-

nons ensuite d'aller au fond de la salle voisine chercher une

pièce de monnaie, qui se trouve sur une table, et de nous la rap-

porter, et elle l'exécute très fidèlement.

Pendant les diverses phases qui caractérisent le passage de

l'état de sommeil au réveil complet, on peut en cessant la com-

pression immobiliser le sujet les bras en croix; si on rapproche

alors l'aimant d'un des bras, celui-ci se relève contre la tête.

HISTOIRE D'UNE HYSTÉRIQUE HYPNOTISABLE. 333

Une fois réveillée, la malade nous raconte que depuis deux

mois elle n'a plus ses règles, qui se sont supprimées à la suite

d'un bain froid; depuis lors elle a fréquemment des poussées

congestives vers la tête avec obnubilation de la vue. Nous lui

prescrivons des pilules de Bontius.

Enfin il lui est ordonné de revenir le 21.

Le 21, elle revient et dès son arrivée tombe endormie. Pendant

son sommeil, elle se plaint beaucoup, se dit très souffrante, ne

répond que difficilement aux questions qu'on lui pose. Pour la

réveiller, il faut une compression de l'ovaire plus énergique qu'à

l'ordinaire; le réveil s'obtient péniblement. Une fois éveillée,

elle se plaint d'être très fatiguée, d'avoir des douleurs vives dans

la tête, de ne pouvoir travailler qu'avec la plus grande difficulté.

Il lui est ordonné de revenir le 5 décembre.

Le 24, elle vient spontanément à la clinique pour nous consul-

ter : depuis deux jours, la vue de son oeil sain s'est tellement

obscurcie qu'elle ne peut plus ni coudre ni lire. Un léger purga-

tif lui est prescrit, et ces accidents disparaissent au bout de quel-

ques jours.

Le 5 décembre, elle revient, conformément à l'ordre donné

antérieurement, et nous la présentons à M. le professeur Dupré.

Nous répétons devant lui les expériences déjà faites qui réus-

sissent parfaitement. Puis nous lui suggérons de donner, à son

réveil, le bonjour à M. Dupré, qu'elle ne connaît pas et qui se

trouve dans la salle à côté. Réveillée par la compressionovarique,

elle regarde d'abord si elle ne voit pas autour d'elle la personne

qui lui a été désignée; ne la trouvant pas, elle va dans la salle

voisine jusqu'à M. Dupré, auquel elle dit bonjour, et puis tombe

en attaque. Il lui ordonne de revenir le 20.

Le 15, elle nous fait appeler : elle est plus fatiguée, elle pré-

sente des symptômes d'embarras gastrique compliqué d'une lé-

gère bronchite. Nous lui prescrivons un éméto-cathartique. En

outre, nous l'endormons pour lui suggérer de ne venir que le 24,

au lieu du 20.

Le 24, elle arrive à l'heure fixée. Pendant son sommeil, elle

raconte que le 20, se conformant à l'ordre primitivement donné,

elle est venue jusque dans la cour de l'hôpital, qu'alors elle s'est

rappelée le contre-ordre et est rentrée chez elle où elle ne s'est ré-

veillée qu'à 9 heures et demie du soir. A son réveil, elle s'est aper-

çue qu'elle dormaitdepuis la veille et qu'une cafetière qu'elle avait

mise alors au feu s'était brûlée. Réveillée, elle dit se trouver

mieux et la vue être redevenue plus claire. Il lui est ordonné de

revenir le lojanvier 1885.

Mais par suite de circonstances imprévues, nous la perdons de vue

pendantquelque tempsjseulement nous apprenons que d'autres mé-

decins qui l'ont vu ont constaté les mêmes phénomènes que nous.

334 CLINIQUE NERVEUSE.

Ce n'est que le 30 mai 1885 que nous la revoyons. Elle nous

raconte qu'elle n'a plus d'hémorrhagies utérines; mais elle

souffre beaucoup de la tête, sa vue s'obscurcit et elle est sujette

depuis quelque temps à de grandes attaques d'hystéro-épilepsie

en dehors des attaques de sommeil qu'elle présente toujours.

Nous l'endormons, et nous constatons qu'on obtient toujours

chez elle la reproduction des mêmes phénomènes; que les sug-

gestions, tant positives que négatives, réussissent parfaitement.

L'exécution de l'ordre suggéré se termine toujours par une attaque

spontanée. Nous lui donnons rendez-vous pour le 13 juin.

. Le 13 juin, elle arrive à l'heure fixée et tombe endormie en

arrivant. Elle parait très excitée et répond avec volubilité aux

questions qu'on lui pose pendant son sommeil. Nous essayons sur

elle diverses suggestions.

Nous lui suggérons d'abord d'aller prendre cinq francs dans la

poche d'une personne qui se trouve dans la salle à côté et de

nous les rapporter; elle proteste avec force contre un pareil

ordre, dit qu'elle n'est pas une voleuse, etc. ; nous persistons

dans notre ordre, et nous la réveillons. Après, un moment d'hési-

tation, elle se lève, va dans la salle à côté à la recherche de la

personne désignée, prend cinq francs dans son gousset et nous les

rapporte; quand elle nous les a remis, elle tombe en attaque.

Nous lui suggérons ensuite qu'à son réveil elle ne nous trou-

vera plus. Une fois réveillée, bien que nous soyons devant elle,

elle reste plus d'un quart d'heure sans nous voir, bien qu'elle

reconnaisse notre voix, se fâche contre ceux qui lui disent que

nous sommes devant ses yeux, enfin se précipite sur nous pour

voir si nous ne sommes pas cachés derrière et d'où vient notre

voix, et tombe.

Puis nous lui faisons apparaître M. Grasset : *elle cause avec

lui, le questionne, s'étonne qu'il ne lui réponde pas; un élève

ayant voulu parler pour lui, elle reconnaît que ce n'est pas sa

voix, se fâche, se précipite en avant, et tombe. Enfin nous lui

faisons voir sur une feuille de papier blanc la photographie de

M. Mossé qu'elle reconnaît parfaitement. Après l'exécution de

toutes ces suggestions, nous avons beaucoup de difficultés à la

réveiller complètement.

Le 15 juillet, on vient nous appeler pour aller la réveiller dans

son domicile. Nous la trouvons en grande attaque d'hystéro-épi-

lepsie, avec phénomènes tantôt de contracture, tantôt de grands

mouvements; dans ses diverses attitudes, elle fait souvent l'arc

de cercle. Elle est depuis plusieurs heures dans cet état, pousse

des cris et a des mouvements désordonnés qui obligent à la main-

tenir, pour l'empêcher de tomber de son lit. Ce n'est qu'avec

beaucoup de peine et par une compression ovarique longtemps

prolongée que nous arrivons à la réveiller. Elle nous dit que de-

HISTOIRE D'UNE HYSTERIQUE HYPNOTISABLE 335

puis quelque temps elle est sujette à de fréquentes attaques de ce

genre, bien que les crises hypnotiques n'aient pas disparu. En

outre sa vue s'est beaucoup troublée, au point de lui rendre la

couture impossible. Nous lui prescrivons du bromure de po-

tassium.

Depuis cette époque, elle échappe pendant plus d'un an à notre

observation, mais nous savons par les médecins (MM. Bringuier et

Mossé) qu'elle va consulter de temps en temps qu'elle est tou-

jours dans le même état.

Se trouvant plus fatiguée depuis quelque temps, F... se décide

à rentrer le 24 novembre 1886 dans le service de Clinique médicale

de M. le.professeur Grasset'.

Elle accuse une grande fréquence des crises hypnotiques qui

remplaceraient presque complètement le sommeil naturel. En

même temps elle présente des phénomènes congestifs du côté de

la tête, Raccompagnant de troubles de la vue, qui lui rend difficile

tout travail un peu délicat comme celui de la couture.

Observée attentivement'pendant son attaque de sommeil, on

voit qu'elle présente absolument les mêmes caractères que ceux

précédemment observés, qu'elle s'accompagne toujours de con-

tractures généralisées, que l'ouïe est conservée, que cela permet

de lui donner des suggestions pour le réveil, mais qu'il est toujours

impossible de lui faire rien exécuter pendant le sommeil; enfin

que les phases du réveil, déterminé par la compression d'un des

points hystérogènes, sont toujours les mêmes.

En ce qui concerne les points hypnogènes, ils siègent toujours

dans les mêmes régions, mais ils sont devenus symétriques; tan-

dis qu'autrefois ils siégeaient plutôt à droite, aujourd'hui on les

trouve également des deux côtés, et la compression des régions

ovarienne, sous-mammaire et scapulaire gauches détermine le

sommeil aussi bien que la compression des régions symétriques

du côté droit. Ces points hypnogènes sont en même temps hypno-

frénateurs, car, une fois le sommeil produit, c'est par leur com-

pression qu'on détermine le réveil.

Nous avons déjà vu que si on cesse la compression avant que le

réveil soit complet, on peut immobiliser le sujet dans une des

positions qui caractérisent les phases du réveil; pour continuer à

produire le réveil, il n'est pas nécessaire décomprimer le même

point hypnofrénateur, le réveil se continue par la compression

d'un point hypnofrénateur quelconque.

On essaie à plusieurs reprises de lui faire exécuter des actes

pendant son sommeil : elle croit toujours les exécuter mais n'en

' Rédigé d'après les notes du Dr Sarda, chef de clinique.

336 CLINIQUE NERVEUSE.

exécute aucun. Cela se comprend facilement si l'on se rappelle

que dans le sommeil elle est en contracture permanente et ne

peut remuer aucun membre. M. Grasset lui ordonne alors plu-

sieurs fois de s'endormir sans contractures; mais on ne peut l'ob-

tenir ; une seule fois on obtient qu'elle s'endorme avec les bras

allongés le long du corps, 'au lieu d'être croisés sur la poitrine,

mais il y a toujours contracture généralisée.

On obtient par suggestion qu'elle n'ait plus de crises nocturnes

et qu'elle dorme d'un sommeil naturel. On obtient de même

qu'elle prenne des bains sans s'y endormir, comme cela lui arri-

vait antérieurement.

Le 20 décembre, M. Grasset lui ordonne de s'endormir l'oeil

ouvert et en y voyant. Le sommeil est provoqué par un des pro-

cédés habituels, mais il est plus long à se produire qu'à l'ordinaire.

En outre, ce n'est pas l'attaque habituelle de sommeil qui se

produit, mais une attaque spéciale qui a lieu chaque fois que

l'ordre donné n'est pas exécuté ou que la malade est contrariée :

dans cette attaque il y a bien perle de connaissance et contrac-

ture généralisée, mais les bras sont en croix, le corps est en arc

de cercle, de plus il parait y avoir abolition de l'ouïe et de l'in-

telligence, car elle ne répond pas aux questions qu'on lui fait.

L'ordre de s'endormir l'oeil ouvert, répété les jours suivants, donne

toujours le même résultat.

28. M. Grasset essaie sur F... pendant son sommeil l'influence

de la suggestion mentale : il lui ordonne de penser à la même

personne que lui. Elle semble deviner d'abord, mais ce n'était là

qu'un phénomène de hasard, car l'expérience, répétée au sujet

d'autres personnes échoue absolument. Il lui ordonne alors d'exé-

cuter l'ordre mental à son réveil. Mais dès que celui-ci est pro-

duit, elle retombe en attaque, les bras en croix.

31. M. Grasset découvre un nouveau point hypnogène au

niveau du poignet droit. En comprimant ce poignet, on l'endort;

quand elle est endormie, on la réveille de même par la compres-

sion du poignet. Avec le poignet gauche, on obtient les mêmes

effets.

3 janvier 1887. On essaie de l'endormir par la compression

de l'avant-bras gauche, mais ce moyen échoue. On l'endort alors

par la pression du poignet, et, pendant son sommeil, on lui sug-

gère de s'endormir par la pression de l'avant-bras gauche. Une

fois éveillée, on comprime l'avant-bras, et cette fois-ci la malade

s'endort.

5. Pendant le sommeil provoqué, on lui ordonne d'éternuer

quatre fois au réveil et de dire bonjour après. Au réveil, elle

n'exécute pas l'ordre et tombe dans une attaque avec les bras en

croix.

8. On découvre une nouvelle zone hypnogène, ce sont les

HISTOIRE D'UNE HYTÉRIQUE HYPNOTISABLE. 337

chevilles : par leur compression, on obtient soit le sommeil, soit

quand celui-ci est déjà produit, le réveil.

10 - On l'endort par ordre, en lui disant à plusieurs reprises :

« Dormez. » Une fois endormie, on essaye de faire contracter son

facial en l'excitant avec la pointe d'un crayon, mais on ne peut y

parvenir. Seulement la malade se plaint, comme si elle soufflait,

et accentue son arc à concavité droite, et finalement passe au

second type d'attaque, les bras en croix. Si alors on comprime le

poignet ou tout autre point hypnogène, on la ramène à l'attaque

primitive de sommeil.

14. On l'endort par la pression du poignet gauche et on lui

ordonne de s'habiller à son réveil, d'aller jusqu'au fond de la

salle, de revenir et de se remettre au lit. Réveillée, elle se met à

s'habiller et répond à M. Grasset qui lui en demande le motif :

« J'ai quelque chose à faire, » trouve que c'est embêtant de s'ha-

biller devant tout le monde; une fois habillée, elle se lève, va au

fond de la salle, revient et tombe sur son lit. Au réveil, elle est

tout étonnée de se trouver habillée sur son lit.

15. M. Grasset, tout en» lui comprimant le poignet gauche,

lui dit qu'il ne veut pas qu'elle s'endorme; elle s'endort pour-

tant, mais un peu plus lentement que d'habitude. Pendant son

sommeil, on lui ordonne d'aller le 18, à 8 heures du matin dire

bonjour à M. Grasset à son entrée dans les salles.

17. On l'endort par le tic tac de la montre approchée de son

oreille.

à 8 heures précises du matin, elle vient, suivant l'or-

dre reçu, dire bonjour à M. Grasset, qui se trouve aux premiers

lits de la salle des femmes. Elle tombe immédiatement en crise

de sommeil. On lui ordonne alors de venir saluer M. Combal le

1er mars.

21. - Endormie par ordre, on la fait passer par la compression

du facial ou du vertex en crise du second type avec les bras en

croix et l'abolition de la parole. On la ramène en crise du premier

type par la compression du poignet.

22. L'ayant endormie, M. Grasset lui ordonne de prendre le

stéthoscope qu'il a dans la poche de son tablier, de le cacher dans

son lit et d'accuser du méfait une de ses voisines. Au réveil,

après quelques hésitations, elle n'obéit pas et tombe en crise du

second type, que l'on transforme en crise de sommeil par la

compression du poignet.

24. - On applique à l'index droit de la malade ]'¡'YIJnoscope

du Dr Ochorowitz : c'est un aimant contourné en forme de bague.

Au bout de quelques instants, on constate qu'il s'est produit une

anesthésie complète de ce doigt s'étendant à toute la main et

même à l'avant-bras, et s'accompagnant de fourmillements et de

raideur dans le doigt. Quelques jours après, nous appliquons un

Archives, t. XIV. 22

338 CLINIQUE NERVEUSE.

hypnoscope semblable, mais non aimanté, et obtenons les mêmes

résultats. (Voir la Note publiée par l'un de nous sur ce point

dans la Revue de l'hypnotisme.)

25. La trouvant endormie, on l'éveille par ordre. Le réveil

se produit de la même façon qu'à la suite de la compression d'un

point hypnogène : il faut maintenir moralement tout le temps jus-

qu'à ce qu'elle arrive au réveil complet; sinon, elle s'immobilise

dans une des phases du réveil. Cela indique que si, dans cette

période, elle ne peut parler, du moins elle entend.

26. Nouvelle application de l'hypnoscope au pouce droit, qui

donne les mêmes résultats que précédemment.

Pendant que l'hypnoscope est en place, on comprime le poignet

droit, impossibilité de produire le sommeil, mais celui-ci est pro-

duit très facilement par la compression du poignet gauche.

Pendant le sommeil on lui donne l'ordre de décroiser les mains

et les pieds, et elle l'exécute parfaitement. Mais il n'en est pas

de même quand on lui ordonne d'ouvrir l'ceil : elle a alors une

crise du second type comme chaque fois qu'on lui donne un ordre

qu'elle ne peut exécuter. On transforme cette crise en crise ordi-

naire par la compression de l'ovaire, et on l'éveille par ordre.

28. Elle demande son exeat, qui lui est accordé. Mais aupa-

ravant, on l'endort et on lui suggère de venir saluer M. Grasset

dans les salles le 15 février.

Cet ordre est exécuté à jour fixe ainsi que celui donné le 18 jan-

vier pour le le, mars.

Avant toute tentative d'hypnotisation notre malade

était hystérique. Il est intéressant d'étudier d'abord sa

névrose spontanée; nous parlerons ensuite des phéno-

mènes provoqués et nous pourrons enfin comparer les

deux ordes de symptômes.

I. L'étiologie de l'hystérie est banale et classique

chez F... L'hérédité est à la fois diathésique (tubercu-

leuse chez la mère, arthritique chez le père) et névr-

pathique (nervosisme chez la mère, asthme et apo-

plexie cérébrale chez le père). A cela s'ajoutent une

mauvaise éducation donnée par le père qui laisse se

développer un caractère capricieux et entêté, quelques

troubles de menstruation, un mariage (très jeune) à un

homme qu'elle n'aime pas, un grand nombre de gros-

HISTOIRE D'UNE HYSTÉRIQUE HYPNOTISABLE. 339

sesses rapprochées, l'adultère, le procès, la prison,

les métrorrhagies et la cellule... L'hystérie se déve-

loppe graduellement et éclate bruyamment en 1883

par des attaques à caractères spéciaux.

Ces attaques ne représentent pas le tableau de la

crise hystérique vulgaire.

F... dort, son oeil unique fermé, le pouls et la res-

piration calmes, sans une convulsion clonique, ni un

mouvement. La sensibilité est absolument abolie dans

tous ses modes généraux. Le corps tout entier est en

contracture généralisée : les mains fortement enlacées

et croisées derrière le dos, les deux jambes en exten-

sion complète, le pied gauche sur le pied droit; le

corps entier ne forme qu'une barre rigide. Les muscles

de la tête échappent seuls à cette contracture. Les

sens paraissent éteints ; mais l'ouïe est conservée,

ainsi que la parole. Elle entend tout ce qu'on lui dit,

répond et soutient une conversation suivie... Ce sont

là des attaques de sommeil.

Les crises de sommeil, bien étudiées par Briquet

(Traité del'hyst.), Bourneville etRegnard (IIIe vol. de

Ylconogr. de la Salpêtrière), Richer (Traité de l'ligst6,ro-

épilepsie) et Pitres {Leçons cliniques de 1885), ne sont

pas très fréquentes et leur description présente encore

quelque confusion.

Briquet en décrit trois espèces qu'il considère

comme des degrés de la même modification patholo-

gique : sommeil, coma et léthargie. Dans le premier

type, c'est l'aspect du sommeil naturel avec résolution

des membres, dans le deuxième, au sommeil s'ajou-

tent des phénomènes convulsifs ordinairement toniques

dans la face et les membres et des signes de congés-

340 CLINIQUE NERVEUSE.

tion cérébrale avec gêne de la respiration et dureté du

pouls; dans le troisième, il y a mort apparente.

Richer appelle tout cela de la léthargie et distingue :

1° l'attaque de léthargie simple (c'est l'attaque de som-

meil de Briquet); 2° l'attaque de léthargie avec mort

apparente (c'est l'attaque de léthargie de Briquet);

3° l'attaque de léthargie compliquée : a, de contrac-

tures partielles ou généralisées (c'est l'attaque de coma

de Briquet); b, de l'état cataleptiforme.

L'attaque de notre malade, qui est un type très fixe

toujours le même, ne rentre dans aucune des divisions

de Briquet. Ce n'est pas du sommeil simple, puisqu'il

y a des contractures ; ce n'est pas du coma, puisqu'elle

entend et cause; ce n'est pas de la léthargie, puisqu'il

n'y a pas mort apparente.

Le mieux est d'appeler tout cela des attaques de

sommeil en ajoutant ensuite à ce mot l'énumération

des symptômes caractéristiques présentés par le ma-

lade. Chez F... le premier caractère de ces crises de

sommeil c'est la contracture généralisée.

Bourneville et Regnard parlent peu des contrac-

tures dans les attaques de sommeil : « Le corps et les

membres, disent-ils, offrent des alternatives de rigi-

dité et de souplesse, ou bien sont toujours rigides;

les mâchoires sont parfois contracturées. Les malades

ont des secousses. » Cela ne s'applique guère à notre

cas.

Barth n'en dit pas plus (th. d'agrégation) et parmi

les observations qu'il cite, aucune n'est comparable à

celle de F... Richer, au contraire, consacre un para-

graphe spécial à ce qu'il appelle l'attaque de léthar-

gie compliquée de contractures partielles ou généra-

HISTOIRE D'UNE HYSTÉRIQUE HYPNOTISABLE. 341

lisées. Des trois observations qu'il donne, deux se

rapprochent suffisamment de la nôtre : une de lui,

une du Dr Alexandre (de Livry). Notons, comme diffé-

renciant notre cas, l'absence d'hyperexcitabilité neuro-

musculaire (nous reviendrons plus loin sur ce ca-

ractère), tandis que Richer a constaté cette hyperexci-

tabilité dans ses observations (à un moindre degré du

reste que dans la léthargie provoquée).

L'anesthésie généralisée, que présente ensuite notre

malade, n'est pas un caractère qui lui soit propre :

elle appartient à toutes les attaques de sommeil.

Pour l'intelligence, elle est en général conservée

dans les attaques de sommeil. Seulement, beaucoup de

malades (celles de Richer notamment) parlent, mais

sans entendre; elles causent seules, sans répondre.

Au contraire, celle de Pitres est très semblable sur ce

point à la nôtre. Interpellée sur ce qu'elle pense, elle

répond : « A rien » ; mais, dès qu'elle y est sollicitée,

elle soutient une conversation régulière et suivie,

comme F...

Seulement la différence entre F... et Albertine de

Pitres, c'est que celle-ci n'a aucune contracture, elle

fait ce qu'elle veut de ses muscles; à tel point que

Pitres établit un parallèle entre l'état de ses muscles

et l'état de son intelligence.

Notre malade a donc les muscles comme celles de

Richer et l'intelligence comme celle de Pitres. D'où la

nécessité de ne pas faire d'avance des types trop abso-

lus, des schemas qui généralisent trop les cas parti-

culiers. Il vaut mieux énoncer dans chaque cas la

caractéristique clinique de l'attaque de sommeil. Ainsi

chez F... il y a des attaques de sommeil avec contrac-

342 CLINIQUE NERVEUSE.

tures fixes généralisées, conservation de l'ouïe et de

l'intelligence et perte de la conscience musculaire.

En dehors de ces attaques, que nous appellerons

« attaques du premier type », F... en présente d'autres

un peu différentes.

L'anesthésie et les contractures sont les mêmes;

l'attitude est différente : dans le second type, les bras

sont en croix et le corps tout entier est en arc. Mais

la différence capitale est dans l'état de l'ouïe et de

l'intelligence. Tandis qu'elle entend et parle dans l'at-

taque du premier type, elle n'entend ni ne parle dans

l'attaque du second.

On pense immédiatement à rapprocher cette attaque

des grandes attaques hystéro-épileptiques. Elle repro-

duit évidemment une partie de l'attaque de la Salpê-

trière. Mais quelle partie de cette attaque classique

reproduit-elle ?

Richer, qui étudie les attaques de contractures parmi

les variétés de la grande attaque, les rattache à la

quatrième période, comme les attaques de délire. Et

en effet, dans cette quatrième période de l'attaque

complète, il y a quelquefois aussi des contractures.

Nous trouvons cependant chez notre sujet des objec-

tions sérieuses à la manière de voir de Richer.

D'abord, chez F... il n'y a aucune trace de clo-

nisme, de clownisme, de contorsions, de délire : rien

de cela. D'emblée, elle perd connaissance et s'immo-

bilise en extension avec crucifiement et arc de cercle.

Cela parait donc plutôt être une attaque réduite à sa

première période, à la phase tonique de la période

épileptoïde.

HISTOIRE D'UNE HYSTÉRIQUE HYPNOTISABLE. 343

Du reste, un caractère capital montre que les

attaques de contractures décrites par Richer ne cor-

respondent pas exactement aux nôtres. « Un des

caractères les plus remarquables de ces sortes d'atta-

ques de contractures, dit Richer, est la conservation

complète de l'iî2telligeîîce, qui permet au malade de se

rendre parfaitement compte de toutes ses impressions

pendant tout le temps que dure l'attaque. » Or, ici,

chez F... c'est absolument le contraire : l'intelligence

est abolie, la perte de connaissance est absolue. C'est

cette intégrité de l'intelligence chez ses malades qui

fait classer par Richer les attaques de contractures

dans les variétés de la quatrième période de la grande

attaque et c'est cette disparition de l'intelligence chez

notre malade qui nous fait plutôt classer son attaque

dans les variétés de la première période.

Ceci a donc une certaine portée nosologique. En

dehors des attaques de contractures se rattachant à la

quatrième période, il faut admettre des attaques de

contractures se rattachant à la première. C'est à ce

type qu'appartient F...

Quoi qu'il en soit, l'important est de rappeler que

les attaques spontanées de F... se ramènent à deux

types. Dans les deux, il y a sommeil, contractures

généralisées et anesthésie sur tout le corps. A côté de

ces caractères communs, dans l'attaque du premier

type, l'ouïe et la parole sont conservées, tandis que

dans l'attaque du second type, l'ouïe et la parole sont

abolies. Au fond, ces deux types d'attaque peuvent être

considérés comme deux degrés.

En dehors de ces deux types d'attaques, qui sont

344 CLINIQUE NERVEUSE.

de beaucoup les plus fréquentes, nous avons vu quel-

quefois cheznotremaladede grandes attaques hystéro-

épileptiques complètes, dont on trouvera la descrip-

tion dans l'observation et qui prouvent la parenté de

toutes ces formes symptomatiques.

Ces courtes réflexions nous paraissent démontrer

que déjà la névrose spontanée de notre malade n'est

pas absolument banale dans son histoire clinique.

Passons maintenant à l'étude de la névrose provoquée

ou expérimentale.

II. Nous endormons très facilement F... par di-

vers procédés : 1° la fixation du regard : en la regar-

dant fixement dans son oeil unique, on l'endort très

vite; on réussit alors même qu'elle résiste et ne veut

pas s'endormir; 2° la suggestion : sans la regarder, en

feuilletant le cahier de visite, nous lui disons impérati-

vement : « Dormez ! Pourquoi dormirais-je ? je n'ai

pas sommeil. - Dormez ! » - Elle résiste encore un

peu et puis s'endort; 3° la compression des zones

hypnogènes qui sont situées chez elle dans les régions

ovariennes, aux deux poignets, sous les deux seins,

à la pointe des deux omoplates, aux deux chevilles.

Remarquons en passant que ces faits prouvent l'exa-

gération dans laquelle est tombée l'Ecole de Nancy en

disant que tous les procédés pour endormir reviennent

à la suggestion. Sans doute par la suggestion nous en-

dormons très bien F..., comme Liébeault et Bernheim

le font sur leurs sujets. Mais quand nous la fixons, il

n'est pas nécessaire de lui ordonner de dormir. Nous

avons même réussi à l'endormir par la fixation du

HISTOIRE D'UNE HYSTÉRIQUE HYPNOTISABLE. 345

regard, après lui avoir défendu avec autorité de se

laisser endormir.

Mais la suggestion est encore plus nettement absente

dans la compression de ces zones hypnogènes, bien

étudiées par Pitres chez ses malades et faciles à

retrouver ici. Tout en causant avec elle de n'importe

quoi, vous prenez son poignet et vous le serrez; elle

tombe à la renverse endormie. Absolument de la

même manière, pendant une conversation analogue,

vous comprimez une autre partie du bras; elle ne s'en-

dort pas.Nous concluons donc qu'il est inexact de vouloir

avec l'école de Nancy ramener la suggestion tous les

procédés d'hypnotisation; c'est inexact au moins pour

notre malade et par suite on ne peut plus donner cela

comme une loi.

Les trois ordres de moyens d'hynotisation que nous

venons de distinguer, conduisent du reste notre malade

au même état, à la même crise, au même sommeil.

Nous caractériserons d'un seul mot ce sommeil pro-

voqué, en disant qu'il reproduit absolument le premier

type de sommeil spontané que nous avons décrit. Elle

dort l'oeil fermé, avec une anesthésie de tout le corps

et des contractures généralisées. Elle n'y voit pas,

entend très bien, cause et répond, ne se croit pas en-

dormie, ne peut pas remuer, mais croit le faire, et a

perdu complètement le sens musculaire. La seule dif-

férence (insignifiante du reste) c'est qu'elle a les mains

croisées sur le ventre, tandis que dans l'attaque

spontanée elles sont croisées derrière le dos.

Il est intéressant de démontrer que notre malade ne

rentre pas du tout dans le cadre du grand hypnotisme,

346 CLINIQUE NERVEUSE.

magistralement étudié et décrit à la Salpêtrière. Un

premier caractère capital, qui différencie absolument

notre cas, c'est que nous obtenons d'emblée toujours

la même forme de sommeil. La cause provocatrice

est indifférente : par la suggestion, par la fixation du

regard, par la pression des zones hypnogènes, nous

arrivons toujours au même type. Et cela est vrai depuis

le début, depuis les trois ans qu'on observe la malade.

Ce n'est donc pas le résultat de l'éducation. On remar-

quera que nous réalisons cependant très bien les con-

ditions requises pour obtenir les mêmes résultats qu'à

la Salpêtrière.

« Pour retrouver ces états chez un sujet neuf, disent

Binet et Féré (Magnétisme animal), il faut se placer

dans les mêmes conditions que les expérimentateurs

de la Salpêtrière; ces conditions, nous les avons déjà

signalées; elles sont au nombre de deux : 1° il faut

opérer sur le même genre de sujets, c'est-à-dire sur

des hystéro-épileptiques ; 2° il faut employer les mêmes

procédés opératoires, c'est-à-dire les procédés les plus

simples, fixation du regard, pression du vertex, rayon

électrique, etc. Tout changement introduit dans une

de ces deux conditions altère les conditions des expé-

riences et par conséquent modifie les résultats. » Nous

remplissons bien ici ces deux conditions; notre ma-

lade est une grande hystérique et on l'endort par des

moyens très simples (fixation du regard).

Les mêmes auteurs ajoutent : « Il faut admettre

que, même en agissant sur des hystéro-épileptiques,

on obtiendrait des résultats différents de ceux de

M. Charcot, si on soumettait les malades à un modus

operandi différent, si, en d'autres termes, on leur

HISTOIRE D'UNE HYSTÉRIQUE HYPNOTISABLE. 347

donnait une éducation hypnotique . différente. »

Ici, on ne peut pas nousaccuser de cela. ll n'y a pas

d'éducation hypnotique du tout. Dès le début et sans

parti pris, on a toujours observé les mêmes phéno-

mènes qu'aujourd'hui et depuis lors, on n'a pour ainsi

dire obtenu aucun changement par l'éducation.

Nous l'avons cependant essayé. Qu'avons-nousobte-

nu ? Elle s'endort peut-être plus facilement qu'au dé-

but ; voilà tout. Nous avons voulu, par suggestion,

soit à l'état de veille, soit dans le sommeil, obtenir le

sommeil sans contractures : cela a été impossible.

Nous avons obtenu qu'elle eût les bras le long du corps

au lieu de les croiser sur le ventre : mais tout le corps

était toujours contracturé. Nous avons obtenu artifi-

ciellement que l'oeil restât ouvert; mais elle n'y voyait

pas plus pour cela. Tout le reste de l'ensemble symp-

tomatique n'avait changé en rien.

Donc, rien n'est dû ici à l'éducation hypnotique.

Notre malade constitue un excellent sujet pour

l'étude des phénomènes somatiques fixes de l'hypno-

tisme.

Il est donc déjà curieux de ne pas trouver ici le pre-

mier caractère du grand hypnotisme de la Salpêtrière :

l'existence de trois états différents suivant le mode

d'hypnotisation et le passage possible d'un de ces états

à l'autre.

Voilà une première grande différence qui suffirait

à placer notre malade en dehors du cadre de la Sal-

pêtrière. De plus, non seulement notre malade ne pré-

sente pas les trois états de la Salpêtrière, mais elle n'en

présente aucun. L'attaque de sommeil provoqué, telle

qu'elle la présente, ne peut être assimilée ni à la

z8 CLINIQUE NERVEUSE.

catalepsie, ni à la léthargie, ni au somnambulisme

provoqué du grand hypnotisme.

Les différences avec l'état cataleptique sont nom-

breuses : F.. a les yeux fermés et non ouverts, il n'y

a pas résistance aux mouvements passifs, il y a impos-

sibilité absolue de déplacer les membres; la vue et le

sens musculaire sont abolis; enfin il est impossible de

développer chez elle des impulsions automatiques et

des actes en rapport avec des hallucinationsprovoquées.

On ne peut donc pas dire que F... est en catalepsie;

on ne peut pas plus dire qu'elle est en léthargie.

Le caractère distinctif essentiel est la présence dans

notre cas de contractures généralisées au lieu de réso-

lution musculaire; ses membres sont dans un état

précisément opposé à celui des membres mous, flasques

et pendants de la léthargique. De plus, l'hypérexcita-

bilité neuro-musculaire manque ici d'une manière com-

plète. Nous avons cependant beaucoup recherché ce

phénomène et cette recherche même nous a conduits

à constater quelques faits curieux.

L'excitation du cubital ou d'un autre nerf des

membres par les procédés classiques de Charcot et

Richer ne produit rien. L'excitation du facial à sa sor-

tie du crâne derrière l'oreille ne produit pas de con-

tracture ni de contraction, même passagère des muscles'

de la face; mais elle n'est cependant pas sans effet;

la malade se plaint (plainte inarticulée) comme si elle

souffrait, se met en arc à concavité droite (quel que

soit le facial qu'on comprime), et souvent, étend ses

bras en croix ; en tout cas, on ne peut plus en faire

entendre ni la faire parler.

La compression du facial est donc un procédé pour

HISTOIRE D'UNE HYSTÉRIQUE HYPNOTISABLE. 349

la faire passer du premier au second type de l'attaque

spontanée, du premier au second degré de son som-

meil pathologique. On peut déterminer le passage in-

verse et revenir du second au premier degré en com-

primant une des zones hypnogènes, qui sont en même

temps hypnofrénatrices. On voit que tout cela est fort

intéressant. Mais il n'y a rien là qui ressemble à

l'hypérexcitabilité neuro-musculaire. F... n'est donc

pas en léthargie. Est-elle en somnambulisme provoqué ?

Nous avons essayé la pression sur le vertex (moyen

classique de passer au somnambulisme provoqué) ;

l'effet a été absolument semblable à celui que nous

avions obtenu par la compression du facial : elle est

passée du premier au second type, du premier au se-

cond degré.

Les différences avec l'état de somnambulisme pro-

voqué sont nombreuses : il y a des contractures fixes

au lieu de résolution musculaire, il n'y a rien des

contractures déterminées par les passes ou les fric-

tions légères, rien de la rigidité cataleptoïde ou pseudo-

cataleptique, et surtout rien de la possibilité de pro-

voquer des actes automatiques simples ou compliqués.

En somme, F... ne présente aucun des trois états du

grand hypnotisme. On ne peut même pas parler ici de

ces phases intermédiaires ou de ces états mixtes, qu'ont

étudiés Dumontpallier et Magnin, Pierre Janet et

d'autres.

Il y a chez F... deux éléments qui n'existent dans

aucun des états décrits à la Salpêtrière et qui par con-

séquent la différencient complètement : c'est l'état de

la motilité et l'état mental.

Pour la motililé, il y a des contractures fixes qui im-

350 CLINIQUE NERVEUSE.

mobilisent le corps et qui ne rappellent ni la catalep-

sie, ni la résolution musculaire, ni les contractures

provoquées. Pour l'état mental, il y a une impossibilité

très remarquable à faire rien exécuter pendant le

sommeil : la suggestion post-hypnotique est facile, la

suggestion intra-hypnotique impossible. Notre malade

ne rentre donc pas dans les descriptions de la Salpê-

trière. Rentre-t-elle mieux dans celles de Nancy ? En-

core moins, s'il est possible.

Comme degré de sommeil, c'est entre les cinquième

et sixième degrés de Bernheim, qu'on pourrait classer

l'attaque de F... Mais deux choses la différencient ab-

solument de tous les types de Bernheim. D'abord elle

a un état de la motilité (contractures) très net, tou-

jours le même, et qui n'est pas le résultat de la sugges-

tion : elle a des contractures même quand on lui

suggère de n'en point avoir. C'est un phénomène anté-

rieur et supérieur à la suggestion. Or, Bernheim n'ad-

met que de la catalepsie suggestive, des contractures

suggestives. En cela, notre malade permet de répondre

à Bernheim dans le sens de la Salpêtrière : comme les

malades de Paris, F... a des stigmates moteurs, des

caractères cliniques somatiques fixes, autres que ceux

qu'on lui suggère. C'est là un fait capital dans la dis-

cussion entre les deux écoles. En second lieu, la sug-

gestibilité fait la base de tous les degrés de l'hypno-

tisme de Bernheim. Or, ici il n'y a rien de cela : F...

n'est pas suggestible du tout. Aucune suggestion intra-

hypnotique ne réussit. On ne peut lui rien faire faire

pendant son sommeil.

Donc, en somme, notre malade ne rentre pour son

HISTOIRE D'UNE HYSTÉRIQUE HYPNOTISABLE. 351

hypnotisme, par les caractères de son sommeil pro-

voqué, ni dans les descriptions de la Salpêtrière, ni

dans celles de Nancy, ni dans les variétés ou états

intermédiaires de l'une ou l'autre école. Comment la

classer ? où la placer, comme pierre d'attente pour les

faits analogues que la clinique pourra révéler ulté-

rieurement ?

Une première grande division est nécessaire parmi

les hypnotisés ; il faut séparer ceux qui ont des symp-

tômes somatiques fixes, quelle que soit la suggestion,

et ceux qui n'ont pas de symptômes somatiques fixes,

autres que ceux qu'on leur suggère. Charcot, au moins

au début de ses études, semblait nier les derniers, en

disant que tout l'hypnotisme est dans ses trois types;

Bernheim semble nier les premiers en disant que tout

est commandé par la suggestion. Les uns et les autres

existent.

Notre malade fait partie du premier groupe : c'est

une hypnotisée à caractères somatiques fixes, comme

les malades de la Salpêtrière, dont elle se rapproche

beaucoup plus que des sujets de Nancy. C'est le groupe

des hystériques. Il y a en effet entre les sujets de la

Salpêtrière et les sujets de Nancy, cette différence

dans les antécédents, qui peut expliquer bien des

choses : les premiers sont des hystériques, les seconds

sont des sujets sains, avant toute hypnotisation.

Nous faisons donc cette grande division parmi les

hypnotisables : Ceux qui étaient et ceux qui n'étaient

pas hystériques antérieurement (j'entends la grande

hystérie, à attaques franches, et non l'hystéricisme ou

le nervosisme simple). Chez les premiers, le sommeil

352 CLINIQUE NERVEUSE.

provoqué peut s'accompagner de phénomènes somatiques

fixes; chez les seconds, le sommeil provoqué est entière-

ment dominé par la suggestion.

F... appartient au premier groupe : c'est une hysté-

rique antérieure, une grande hystérique, et son som-

meil provoqué a des caractères somatiques fixes,

indépendants de la suggestion. De ce côté, notre cas

donne donc, dans la discussion entre la Salpêtrière et

Nancy, un argument contre Nancy, en montrant que

tout ne vient pas de la suggestion chez tous les

malades. Mais, une fois placée ainsi dans le premier

groupe, des hypnotisés-hystériques, des hypnotisés à

caractères somatiques fixes, F... montre aussi qu'il

ne faut pas trop généraliser à toutes les hystériques

hypnotisables la description des trois états de la Sal-

pêtrière. Car, elle a des caractères somatiques fixes,

mais ce ne sont ceux d'aucun des états de la Salpêtrière.

Que sont donc ces caractères somatiques fixes de son

sommeil provoqué ? Exactement et tout simplement

ceux des crises d'hystérie spontanée, présentées par

notre malade, déjà avant tout essai d'hypnotisation.

Nous arrivons donc à cette idée qui n'est pas encore

classique, c'est que, ne considérant que les hypnotisés

du premier groupe, c'est-à-dire les hystériques hypno-

tisables, ayant dans leur sommeil provoqué des ca-

ractères somatiques fixes, il faut encore établir une

subdivision parmi les sujets de ce groupe : les uns

répondent à la description de Charcot, les autres repro-

duisent simplement et fidèlement leurs attaques spontanées

d'hystérie antérieure (ces attaques ayant des caractères

divers suivant les malades). C'est dans cette dernière

catégorie que rentre F...

HISTOIRE D'UNE HYSTÉRIQUE HYPNOTISABLE. 353

Donc, la description de notre cas diffère à la fois

de la description de la Salpêtrière et de la description

de Nancy; mais il ne faut pas plus l'opposer aux deux

autres qu'il ne faut opposer les deux autres entre

elles. Notre cas est le type d'un troisième groupe, très

naturel, très précis, et dont les exemples doivent être

plus nombreux qu'on ne croit : le groupe des hystéri-

ques hypnotisables qui, dans leur sommeil provoqué,

reproduisent, simplement et fidèlement dans tous leurs

traits, leurs attaques antérieures de sommeil spontané.

L'hypnotisme devient, chez ces malades, la simple

provocation et reproduction de leur hystérie sponta-

née.

Cette manière de voir est du reste rationnelle. Sans

vouloir faire de théorie, on peut dire que l'hypnotisme

en général est une névrose artificielle, une hystérie

provoquée. Si le sujet sur lequel on développe ces

phénomènes expérimentaux n'était pas antérieurement

hystérique, était vierge de toute névrose antérieure,

la forme du sommeil provoqué dépend de la sugges-

tion et il n'y a pas de caractères somatiques fixes. Si au

contraire le sujet était déjà hystérique, avait eu déjà

des phénomènes spontanés à forme précise et fixe, la

forme du sommeil provoqué n'est plus livrée à la sug-

gestion, elle dépend de la maladie antérieure et il y

a des caractères somatiques fixes, antérieurs et supé-

rieurs à toute suggestion.

Il y aurait d'autres points curieux à mettre en lu-

mière chez notre malade : la facilité avec laquelle s'exé-

cutent les suggestions post-hypnotiques, même compli-

quées et à longue échéance, tandis que les suggestions

Archives, t. XIV. 23

354 PSYCHOPHYSIQUE.

intra-hypnotiques sont impossibles; l'histoire du réveil

et l'action des zones hypnofrénatrices; les paralysies

suggérées qui ont aussi des caractères fixes, supérieurs

à la suggestion et cependant différents de ceux obser-

vés à la Salpêtrière; l'état intermédiaire dans lequel

elle se trouve quand elle exécute à distance et sur

lequel l'un de nous a déjà envoyé une Note à la

Société de biologie (25 juillet 1885); l'action remar-

quable de l'hypnoscope d'Ochorowitz et l'action non

moins remarquable de l'hypnoscope non aimanté...

Tout cela serait fort intéressant, mais nous entraî-

nerait trop loin. On le trouvera dans l'Observation

elle-même que nous avons publiée ci-dessus.

PSYCHOPHYSIQUE

RECHERCHES CLINIQUES SUR LA PSYCHOPIIYSIQUE

ÉTUDE SUR L\ PERCEPTIBILITÉ DIFFÉRENTIELLE1

Par llleumce MENDELSSOHN et F.-C. MULLER-LYER.

A. RECHERCHES CLINIQUES sur la perceptibilité DIF-

FÉRENT1ELLE DU SENS DE LA VUE CHEZ L'HOMME SAIN ET

MALADE.

I. Définitions et historique.

Il nous faut tout d'abord établir une série de défi-

nitions se rapportant aux concepts suivants : percez-

' Voy. t. XIV, il» 40, p. 17.

DE H PERCEPTIBILITE DIFFÉRENTIELLE 355

tibilité différentielle pour la lumière, acuité visuelle, sens

de la lumière, sens de la forme; non pas qu'il s'agisse

ici de choses nouvelles, mais ces idées n'ont pas en-

core été formulées de manière à éviter toute obscu-

rité et toute confusion.

Tout excitant lumineux, qui intéresse la rétine,

doit, pour amener une perception, satisfaire à deux

conditions : 1° il doit se détacher du fond avec une

certaine intensité lumineuse ; 2° il doit atteindre une

certaine grandeur.

Un excitant qui reste au-dessous du « seuil » de la

perceptibilité[peut toutefois, dans des certaines limites,

être rendu perceptible, grâce à deux actions diffé-

rentes, à savoir : '

1° Une modification dans son intensité lumineuse,

sa grandeur demeurant invariable ;

2° Un changement dans sa grandeur, l'intensité,

c'est-à-dire la différence avec le fond, restant la même.

L'excitant a donc une double fonction et suivant qu'on

fait varier l'une ou l'autre, on mesure deux fonctions

différentes de l'appareil visuel à savoir la perceptibi-

lité différentielle ou l'acuité visuelle.

Nous avons dit plus haut que sous le nom de per-

ceptibilité différentielle on entend la faculté de perce-

voir les différences entre deux excitants. Depuis Weber

on la mesure par la différence la plus faible et à

peine perceptible, qui se rapporte à l'un des deux exci-

tants. La perceptibilité différentielle est d'autant plus

grande, que cette différence relative est plus petite;

elle trouve sa mesure dans la réciproque de la diffé-

rence relative, par exemple la perceptibilité différen-

tielle d'un oeil qui perçoit 0,1 de différence, est deux

356 PSYCHOPHYSIQUE.

fois plus grande que celle d'un autre, qui ne perçoit

que 0,2 de différence entre deux sensations lumi-

neuses.

L'acuité visuelle, au contraire, trouve sa mesure dans

la grandeur du plus petit angle sous lequel l'oeil peut

distinguer un objet donné. Par suite, tout ce qui se

rapporte à la grandeur de l'angle, ou, ce qui revient

au même, à l'étendue de l'image rétinienne, se rap-

porte également à l'acuité visuelle.

Si, par conséquent, la différence restant la même,

la grandeur de l'objet varie jusqu'à la limite de per-

ceptibilité, ou même au delà, on détermine l'acuité

visuelle pour la différence donnée; si, au contraire,

c'est la différence qui varie, la grandeur demeurant

la même, on détermine alors la perceptibilité diffé-

rentielle pour la grandeur donnée. Fait-on varier les

deux à la fois, on réalise une opération complexe,

dont l'intelligence exige la connaissance préliminaire

des lois qui régissent les deux fonctions élémentaires

de l'excitant. Nous en sommes restés à la détermina-

tion de la perceptibilité différentielle.

La loi de Weber établit ceci, que la perceptibilité dif-

férentielle reste toujours la même, quelles que soient les

modifications de la grandeur absolue de l'excitant, autre-

ment parler, la perceptibilité différentielle dépendrait

seulement de la différence relative entre les deux exci-

tants, la grandeur absolue de ces derniers étant indif-

férente ; par exemple, étant donné un tiers de percep-

tibilité différentielle pour deux poids différents, la frac-

tion restera toujours la même si on double, triple, etc.,

la grandeur absolue de ces deux poids.

Sous cette forme, la loi de Weber n'a pas été abso-

DE LA PERCEPTIBILITÉ DIFFÉRENTIELLE. 357

Jument confirmée pour le sens de la vue; tous les

observateurs sont d'accord sur ce point, que la loi

en question n'est acceptable en tout cas, que dans des

limites plus ou moins restreintes. Si par exemple, on

diminue l'éclairage, la différence relative doit être

augmentée pour ne pas cesser d'être perceptible. Il

n'est donc pas indifférent de savoir pour quel éclai-;

rage absolu l'on mesure la perceptibilité différentiel le;

cette mesure a d'autant plus de valeur, qu'outre la

différence relative (et en dehors naturellement, de

l'angle visuel donné), on tient compte de la grandeur

absolue de l'un des deux excitants; la mesure ne peut

être considérée comme parfaite, que si elle est effec-

tuée pour toutes les valeurs de l'un des deux excitants,

depuis zéro jusqu'au maximum.

Il suit de là que toutes les déterminations où l'on a

comme données : 1° l'angle visuel, et 2° la différence

relative et dans lesquelles on fait varier l'éclairage

absolu jusqu'à disparition ou réapparition de l'objet,

ne sont pas autre chose que des déterminations de la

perceptibilité différentielle. Pour que la détermination

de cette dernière valeur fût complète, il faudrait encore

pour chaque grandeur de l'image rétinienne (et pour

chacune de ses localisations) tenir compte des diverses

conditions d'éclairage de la rétine, depuis le plus faible

jusqu'au plus intense.

Il en est de même pour la détermination de l'acuité

visuelle. L'expérience démontre que cette acuité dé-

croît avec l'éclairage; de même que la perceptibilité

différentielle, elle doit donc (pour que l'observation

soit parfaite) être étudiée :

1° A tous les degrés d'éclairage; '

358 PSYCHOPHYSIQUE.

2° A toutes les différences données entre l'objet et

le fond. -

Toutes ces questions étant résolues pour la série du

noir, du gris et du blanc, c'est-à-dire pour ce qui con-

cerne de simples différences d'intensité (différences

quantitatives), il reste à les résoudre pour ce qui con-

cerne les différences qualitatives, c'est-à-dire de cou-

leur, ce qui revient à dire que la perceptibilité diffé-

rentielle doit, au même titre quel'acuité visuelle, être

étudiée pour toutes les combinaisons chromatiques.

C'est de cette manière-là, que nous envisageons les

concepts : acuité visuelle et perceptibilité différen-

tielle.

Qu'entend-on par « sens de la lumière » ? C'est ce

qui sera bien vite élucidé, lorsque nous connaîtrons

les procédés de mensuration des auteurs, en fort petit

nombre du reste, qui ont institué des recherches sur ce

sujet.-rorster', le premier qui ait traité cette question

dans des conditions pathologiques mesure le sens de

la lumière (à l'aide de son photomètre) par l'éclairage

nécessaire pour qu'une lettre donnée soit à peine per-

ceptible à une distance donnée. Nous n'avons pas

besoin après tout ce qui vient d'être dit à ce sujet,

d'insister encore sur ce point, qu'il ne s'agit pas ici

d'autre chose que tout simplement d'une détermina-

tion de la perceptibilité différentielle.

Les autres auteurs ne font que suivre le chemin tracé

par Fôrster. La manière bien connue de procéder de

Weber ne représente pas un principe, mais simplement

une modiGcation dans la technique , les deux modes

' Fôrster. liber llemeralopie und die Anwendnng eizzes. photometers

in cl. Ophtalmologie. Breslau, 1857.

DE LA PERCEPTIBILITÉ DIFFÉRENTIELLE. 359

de détermination sont incomplets parce que, comme

Bjerrum1 l'a fait remarquer pour obtenir une déter-

mination parfaite, la série .tout entière des valeurs

de l'excitant serait à trouver.

Enfin nous citerons Wolfssberg2 comme s'étant oc-

cupé de la question ; cet auteur définit le sens de la

lumière de la manière suivante : c'est la faculté de

l'appareil visuel de percevoir les plus faibles excitants

ainsi que les plus petites différences entre deux exci-

tants. Contrairement à l'opinion d'Aubert, il applique

aussi cette définition aux excitants coloriés.

Cette définition rentre dans le cas de notre percep-

tibilité différentielle; mais ce que Wolfisberg a désigné

dans son travail sous la rubrique de « sens de la

lumière », est d'après nos explications, une détermi-

nation de l'acuité visuelle : il mesure le sens de la

lumière par la grandeur d'un objet blanc à peine

perceptible, se détachant sur un fond noir et l'acuité

.visuelle réciproquement par la grandeur d'un objet

noir se détachant sur un fond blanc et également à

peine perceptible.

La loi formulée par Wolfssberg : « L'acuité visuelle

décroît plus lentement que le sens de la lumière avec

la diminution graduelle d'éclairage, » devient plus

claire en adoptant notre terminologie de la manière

suivante : « L'acuité visuelle pour le blanc sur fond

noir décroît plus rapidement que l'acuité visuelle pour

le noir sur fond blanc ».

On pourrait peut-être réserver le mot de « sens de

1 Bjerrum. - Graefe's Arc,, t. XXX, 188 i.

'Wolfssberg. Graefe's Arch., t. XXXI, 1885.

360 . PSYCHOPHYSIQUE

la lumière », pour la perception du seuil de l'ex-

citant, mais il n'échappera à aucun esprit mathéma-

tique que ce seuil n'est qu'un cas particulier de la

perceptibilité différentielle, celui dans lequel la gran-

deur de l'un des deux excitants comparés est égal à

zéro, ce qui semblait échapper à Fechner lui-même.

Le mot sens de la lumière exprimait donc jusqu'ici

une idée vague qui donnait lieu aux plus fâcheuses

confusions. Ce mot d'ailleurs est impropre dans son

acception usuelle, parce que « la lumière étant le seul

excitant physiologique de l'appareil optique », il

.devrait désigner la fonction totale de l'oeil; ajoutons

qu'il est inutile, tout ce que l'on a compris jusqu'ici

sous cette dénomination étant déjà suffisamment ex-

primé par les termes de perceptibilité différentielle et

d'acuité visuelle. Aussi proposons-nous, pour éviter

toute confusion, d'éliminer radicalement le terme de

« sens de la lumière ».

Une quatrième expression nous reste à expliquer :

« le sens de la forme ». Ici encore, ce terme, en tant

qu'il exprime d'une manière générale une fonction

optique, est purement synonyme d'acuité visuelle.

Etant donné qu'un objet, pris dans son ensemble,

paraît sous un angle visuel plus grand que ses parties

prises séparément (lesquelles constituent justement sa

forme), cet objet est généralement perçu; sous un

angle visuel plus faible que ses parties prises séparé-

ment et qui déterminent sa forme. Cette dernière

opération est accomplie, lorsque l'angle visuel, sous

lequel apparaissent les parties isolées, atteint une

grandeur, qui suffit aux exigences de l'acuité. Inutile

d'ajouter que la synthèse visuelle, c'est-à-dire la re-

DE LA PERCEPTIBILITÉ DIFFÉRENTIELLE. 361

combinaison des parties isolées en un tout, est une

fonction purement psychique.

Les concepts ci-dessus mentionnés se réduisent ainsi

logiquement à deux : perceptibilité différentielle et acuité

visuelle. Ces notions indispensables établies, nous allons

maintenant procéder à l'examen des travaux publiés

jusqu'ici sur la question.

Fôrster. a déterminé, à l'aide de son photomètre,

l'intensité de l'éclairage nécessaire pour percevoir

sous un certain angle visuel la forme d'un objet

donné, ainsi que sa différence relative avec le fond.

Il est évident que les recherches de Fôrster se rap-

portent uniquement à la détermination du seuil pour

un objet donné. Ole Bull a a étudié le sens des cou-

leurs dans les maladies de l'oeil.

Jeannik Bjerrum s, dans ses recherches « sur le

sens de la lumière et sur le sens de l'espace dans

diverses affections de l'oeil », laissant de côté la per-

ceptibilité différentielle, s'est attaché à déterminer

l'acuité visuelle dans l'état pathologique de l'oeil à

différents degrés d'éclairage et de différence relative

entre l'objet (une lettre) et le fond.

Wolfssberg * a fait également des recherches sur

l'acuité visuelle. Il a déterminé à divers éclairages la

grandeur de carrés chromatiques perceptibles en tant

que couleurs; d'après notre définition, il a déterminé

l'acuité visuelle pour les couleurs.

1 Forcer, l. c.

' Ole Bull. Archives de GracIe, 'Ja lui ? 1885.

3 Jean Bjerrum, l. c.

Wolfssberg. Examen du sens de la lumière. (Arch. de Graefe),

t, XXXI, 1885.

362 PSYCHOPHYSIQUE

Nos recherches personnelles déjà commencées avant

que nous ayons pu prendre connaissance de ces

travaux publiés dans des recueils ophtalmologiques,

poursuivent, comme on l'a fait pressentir au début,

un double but :

1° On doit déduire des phénomènes éliminatoires

d'origine pathologique (lésions organiques) les condi-

tions physiologiques de la perceptibilité différentielle,

en rapport avec : a), l'acuité visuelle; b), le sens

des couleurs; c), l'étendue de la surface de la

rétine impressionnée (vue indirecte).

2° Nous nous sommes appliqués à rattacher l'examen

de la perceptibilité différentielle comme une méthode

à part aux trois autres modes d'investigation (examen

de l'acuité visuelle, de la perception chromatique et

de la périmétrie) en déterminant le rapport de cette

perceptibilité différentielle avec les différents états

pathologiques et en cherchant à établir la méthode

d'exploration, qui lui correspond sur des bases solides

et pratiques.

II. Méthode et procédés.

Nous allons dire quelques mots sur la méthode que

nous avons adoptée pour ces recherches. Le procédé

si simple des ombres a d'abord été employé. Dans une

grande pièce presque entièrement obscure, aux parois

plutôt brunes que noires (la salle des cours à la Sal-

pêtrière, ayant vingt-cinq mètres environ de longueur),

un tableau noirci était percé d'une ouverture circu-

laire de vingt centimètres, qu'on avait recouverte de

DE LA PERCEPTIBILITÉ DIFFÉRENTIELLE. 363

papier blanc. Devant le cercle blanc ainsi réalisé, on

plaçait une baguette qui y projetait son ombre. A de

certaines distances et sous un angle absolument le

même étaient placées deux bougies, dont l'une était

tour à tour éloignée et rapprochée, jusqu'à ce que

l'ombre projetée par la baguette disparût ou se mon-

trât de nouveau. Le milieu fut alors pris comme seuil,

et la différence entre l'ombre et le fond fût déterminée

d'après une formule de physique bien connue par la

distance des deux bougies; la différence relative fut

alors exprimée en divisant la différence absolue par

le plus petit des deux excitants. Cette méthode était

très simple, mais peu commode ; aussi l'échangeâmes-

nous bientôt contre une autre, en la réservant toute-

tefois comme moyen de contrôle.

L'idée nous vint de fixer une fois pour toutes, des

ombres d'intensité diverse, telles que nous pouvions

en obtenir en reculant plus ou moins la source lumi-

neuse ; après maintes tentatives, nous atteignîmes

le résultat désiré à l'aide de losanges de teintes

décroissantes, peints à l'encre de Chine sur une cer-

taine qualité très épaisse de papier buvard blanc avec

un pinceau large. D'après un procédé depuis long-

temps en usage en ophthalmologie, on construisit

avec ces ombres un alphabet dont les caractères

allaient toujours en décroissant de ton, de sorte que le

patient, par une simple lecture indiquait lui-même les

limites de sa vue. Les tables définitives qui nous

étaient nécessaires dans nos recherches furent dressées

de la manière suivante :

Les caractères, cela va sans dire, étaient tous

d'égale grandeur, hauts de 5 centimètres, épais d'un

364 PSYCHOPHYSIQUE

centimètre.' Chaque « numéro » se composait de trois

caractères, et le ton de ce numéro (son degré de con-

centration) était réglé de telle sorte, qu'il offrait une

dégradation d'environ un dixième sur celui du numéro

précédent.

Les concentrations employées variaient de -5000

à 5,1 (la quantité d'eau restant toujours la même).

Tous ces numéros furent disposés de distance en

distance à des places déterminées : de cette façon nous

avions à notre disposition treize tableaux avec quatre

numéros chacun, en tout cinquante-deux numéros.

A priori, on aurait dû admetlre que les différences

des caractères isolés avec le fond dussent être simple-

ment calculées d'après le degré de concentration de

la teinte. Mais la technique présente ici de telles dif-

ficultés, qu'il a paru nécessaire de mesurer au photo-

mètre chacun des caractères isolément. Nous détermi-

nions à cet effet la valeur du seuil de nos tables à la

lumière (du jour) naturelle (d'intensité moyenne);

puis, dans une chambre noire, en approchant une

lumière, nous obtenions le degré de clarté nécessaire

pour que la valeur du seuil fût atteinte. Grâce à la

méthode de l'ombre portée, nous obtenions alors

pour chaque caractère^une ombre correspondante, et

nous calculions provisoirement la différence entre le

caractère et le fond.

Une semblable méthode de calcul, cela s'entend de

soi, ne saurait prétendre à l'exactitude mathématique,

mais au point de vue pratique, elle est tout à fait suf-

fisante.

II est en somme impossible de déterminer exacte-

ment, à un centième près, une grandeur physiologique

DE LA PERCEPTIBILITÉ DIFFÉRENTIELLE. 365

aussi flottante que la perceptibilité différentielle; d'ail-

leurs il ne s'agissait pour nous que d'une détermina-

tion approximative, et pour le succès de nos recherches

comparatives, l'abaissement de cette perceptibilité

d'un huitième ou d'un neuvième n'importait guère

plus que pour l'acuité visuelle.

La table qui suit peut donner une idée des résultats

de la mesure photométrique mise en parallèle avec le

degré de concentration.

366 PSYCHOPHYSIQUE.

D'une manière générale, on constate donc un cer-

tain parallélisme entre les deux grandeurs (valeur

relative de la différence et la valeur optométrique de

la différence relative entre la lettre et le fond); ce

parallélisme présente toutefois des écarts qui sont par-

fois assez considérables.

Au-dessus du numéro 47, les caractères à une

lumière naturelle d'une moyenne intensité ne sont

plus perçus qu'à l'état de silhouette, mais les lettres

ne sont plus reconnaissables.

Le seuil du caractère pris dans son ensemble est

naturellement plus élevé que celui de ses parties

prises isolément, comme il ressort de ce qui a été dit

à propos du sens de la forme. Mais les exigences de

ce dernier sont satisfaites constamment, puisqu'on a

toujours à lire trois caractères : lors même que tel ou

tel de ces caractères offrirait une forme plus simple

que celle de ses congénères, la synthèse des trois

caractères de chaque groupe y peut aisément remédier.

C'est ainsi que nous avons cru aussi éviter la cause

d'erreur provenant de la lisibilité plus ou moins

grande de certaines lettres.

On pourra, si l'on veut, pour la confection de ces

tables, faire usage, en place de caractères, de

simples points arrondis, d'égale dimension qu'on

pourra numéroter. En outre, au lieu de nuances noires

ou du moins grises sur fond blanc, il est loisible

d'adopter des nuances claires sur fond sombre. Même

ce dernier parti, comme nous le verrons, est plus

avantageux, mais les difficultés de la technique nous

ont empêché d'adopter ce dispositif.

Avec le secours de ces tables ou de tables ana-

DE LA PERCEPTIBILITÉ DIFFÉRENTIELLE. 367

logues à celles-ci, que chacun peut facilement confec-

tionner d'après les indices donnés plus haut, tous

les problèmes posés au début peuvent recevoir des

solutions aussi simples que commodes.

. En modifiant l'éclairage ou bien en lisant à travers

des verres noircis, on peut déterminer la perceptibilité

différentielle pour tous les éclairages imaginables jus-

qu'au seuil.

En se plaçant à des distances variables, on peut

déterminer la perceptibilité différentielle correspon-

dant à chacune des grandeurs de l'angle visuel et

combiner ainsi ensemble les deux problèmes. D'autre

part, en modifiant la couleur des caractères et celle

du fond, ou bien en se servant de verres colorés ou de

la lumière spectrale, on peut établir les conditions du

seuil différentiel qualitatif, etc., etc.

On comprendra qu'un domaine aussi vaste n'ait pu

être abordé par nous jusqu'ici que sur les points iso-

lés et encore d'une manière incomplète et comme

par fragments.

Nous avons examiné jusqu'à ce jour environ deux

cents malades à la clinique de M. Charcot à la Salpê-

trière. Afin d'éviter un démembrement fâcheux, nous

donnerons le résultat de nos recherches dans l'ordre

des formes de maladies (types pathologiques), en ayant

soin de choisir les cas les plus caractéristiques.

Les conclusions générales et la discussion des faits

feront l'objet d'un chapitre à part. Les recherches

faites au moyen des tables ont été opérées à la lumière

naturelle, au degré d'éclairage où le seuil ci-dessus

mentionné, pour l'oeil normal, se trouve justement

atteint. Ce résultat fut obtenu très simplement, en

368 PATHOLOGIE NERVEUSE.

se plaçant à des distances variables des fenêtres.

La perceptibilité différentielle était alors déterminée

pour cet éclairage, et pour cet éclairage seulement.

Nous communiquerons le résultat de nos recherches

dans des conditions d'éclairage variable. Nos tables

étaient placées à une distance de trente à quarante

centimètres de l'oeil des malades. (A suivre.)

PATHOLOGIE NERVEUSE

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE SYAIP'fOAIATOLOGIQUE

DE LA GLIOMATOSE MÉDULLAIRE;

Communication faite au '2° Congrès des Médecins russes A Moscou

(lanvier 1887)

Par V.aDmn ItOTH

Privât docent de, l'Université de Moscou.

Si trente ans auparavant l'on avait mis côte à côte

quelques malades, l'un, par exemple, atteint d'am-

blyopie, l'autre ayant des accès de douleurs intenses

dans la région gastrique, le troisième atteint d'ataxie,

le quatrième affecté de strabisme, et si l'on avait dit

que ces malades souffraient de la même maladie le

tabes dorsualis, alors, les médecins de ladite époque

auraient considéré avec grand étonnement et avec une

incrédulité cette déclaration. Il paraît que le temps de

pareilles surprises n'est pas encore passé. Aujourd'hui

encore, nous pouvons nous représenter ainsi plusieurs

DE LA GLIOMATOSE MÉDULLAIRE. 369

malades : l'un, par exemple, atteint d'une fracture.. ...

de l'épaule, un autre de bulles sur les doigts, le troi-

sième, de névralgie tenace, le quatrième, de parésie,

le cinquième, d'un ensemble de symptômes cliniques,

qui encore aujourd'hui porte le nom d'atrophie mus-

culaire progressive, soit-disant type Aran-Duchenne.

Tous ces malades ne peuvent demander une assistance

médicale que pour les phénomènes pathologiques ci- -

dessus désignés et ne seront traités que pour ces phé-

nomènes (c'est un fait) comme pour des maladies bien

définies; et pourtant il peut arriver, que toutes ces

affections d'apparence différente, ne soient que des

symptômes d'un seul et même processus morbide,

processus qui n'est pas rare, et qui consiste en une

prolifération spéciale de la névroglie, dans la substance

grise de la moelle épinière (et de la moelle allongée).

Jusqu'à ces dernières années, les cas d'hypertrophie

pathologique de la nevrogtie produite dans le voisi-

nage du canal central, accompagnée souvent de for-

mation de lacunes plus ou moins longues, et de cavités

siégeant au milieu d'un tissu de nouvelle formation et

plus ou moins dégénéré (syringomyélie), de même que

les cas d'hydromyélie, avaient un intérêt exclusivement

anatomique. Erb ne leur a consacré que quelques pages

de son manuel des maladies de la moelle épinière,

sous le titre Barra et Curiosa, et ne trouve pas possible

de donner une description clinique bien définie, de ces

formes et de les diagnostiquer pendant la vie. En 1 878 20,

nous avons eu l'occasion de faire plus ample connais-

sance, avec diverses observations concernant les pro-

cessus morbides mentionnés ci-dessus, de les grouper

au point de vue anatomo-pathologique; mais de même

Archives, t. am, 21

370 PATHOLOGIE NERVEUSE.

nous avons dû renoncer à essayer de peindre le tableau

clinique, correspondant à quelqu'une des formes ana-

tomiques établies par nous.

Si d'un côté, les cadres anatomiques restaient vides

de documents cliniques correspondants, d'un autre

côté, on rencontrait des observations qui ne se ran-

geaient nullement dans les formes anatomiques plus

ou moins connues, mais qui doivent s'y rapporter

d'après nos connaissances actuelles. Ainsi le 19 février

1882, nous avons présenté à la Société des Médecins

russes, un malade atteint d'atrophie musculaire pro-

gressive de la main, et d'anesthésie partielle du sens

thermique sur toute la surface du corps, y compris la

face. C'était déjà non seulement un cas rare, mais

absolument exclusif, qui nous laissait dans une grande

perplexité.

On aurait pu supposer l'existence d'un processus

pathologique, dans la substance grise de la moelle épi-

nière et admettre que, grâce à ces mêmes altérations

anatomiques, la conductibilité des impressions ther-

miques était interrompue avec tous les segments de la

moelle épinière situés plus bas ; mais l'anesthésie

thermique dans la sphère du trijumeau restait inex-

pliquée, ce qui nous fit renoncer momentanément à

un diagnostic plus détaillé.

Le professeur Kahler fut plus heureux : chez le ma-

lade qu'il avait décrit dans la Prager lVledicinische

Wochensclarift (18. X. 1882) existait d'abord de la fai-

blesse avec contractures dans le bras gauche, suivis

d'altération de la sensibilité de ce membre, et de la

moitié gauche du tronc. Il n'existait ici dans cer-

tains endroits, que de l'analgésie partielle combinée à

DE LA GLIOMATOSE MÉDULLAIRE. 371

la thermanesthésie; dans d'autres, il existait enfui des

segments où la perception des impressions tactiles était

aussi diminuée; cependant une pression un peu accen-

tuée fut perçue dans toute la région anesthésiée, et le

sens musculaire n'avait pas souffert. L'anesthésie

s'étendait par zones; plus tard elle envahit aussi cer-

tains segments du côté opposé, puis la cuisse et le

front du côté gauche.

La localisation première des troubles du mouve-

ment et de la sensibilité, et la marché ultérieure de la

maladie, permirent à Kahler de définir d'une manière

plus précise, l'endroit atteint de la moelle épinière

et il s'arrêta avec raison sur la syringomyélie, comme

le seul processus connu, qui par sa localisation et par

la marche de la maladie, correspondait aux symp-

tômes cliniques de son malade. Le cas du professeur

Schultze ", publié quelques mois plus tôt, présenteune

confirmation de ce diagnostic. Chez une femme âgée

de trente-sept ans, on voit se développer en quatre

années, une faiblesse accompagnée d'atrophie muscu-

laire des membres supérieurs, une suppression partielle

du sens de la température, de l'analgésie dans les

membres supérieurs et le thorax, puis dans les mem-

bres inférieurs, de l'analgésie de la langue ; en outre

des symptômes bulbaires passagers et des troubles

trophiques de la peau (des bulles à la main droite). A

l'autopsie on trouva une cavité le long de toute la

moelle épinière; la substance blanche en était nor-

male à l'exception de la partie la plus inférieure; plus

haut, la cavité avec la nevroglie hyperplasiée qui l'en-

tourait, occupait exclusivement la substance grise dans

laquelle les cornes postérieures avaient été atteintes

372 PATHOLOGIE NERVEUSE.

plus que les antérieures. La racine ascendante du nerf

trijumeau fut également atteinte. Dans la moelle

allongée se trouvèrent des fissures, et une atrophie de

l'olive gauche.

L'année suivante, rürstner et Zacher 8 décrivirent

un cas plus compliqué, suivi d'autopsie ; mais si nous

laissons de côté les altérations cérébrales et les symp-

tômes cliniques correspondants, nous voyons en ce

qui concerne les phénomènes spinaux, ce cas présenter

une grande analogie avec celui rapporté par l'auteur

précédent. A l'ileiiiiaiialgésie partielle avec paresthé-

sies et altérations trophiques de la peau de la main

droite, perte des réflexes cutanés et diminution des

réflexes tendineux, répondait une gliomatose accom-

pagnée de formation d'une cavité le long de la sub-

stance grise de la moelle épinière, sur toute la lon-

gueur de laquelle la corne postérieure droite avait

été le plus altérée, tandis qu'il y avait altération

un peu moindre de la commissure postérieure et de la

corne antérieure gauche. Le processus s'étendait éga-

lement à la moelle allongée; ce qui se traduisait par

des phénomènes bulbaires correspondants durant la

vie; et, fait curieux à noter, c'est que dans ce cas

aussi, il y avait hyperplasie de la iievroglie le long de

la racine ascendante du trijumeau.

A la suite de ces deux autopsies, Bernhardt a a pu

avec grande raison, diagnostiquer dans un cas d'anes-

thésie partielle aux impressions thermiques et d'anal-

gésie observées sur l'épaule droite, sur la partie supé-

rieure du tronc du même côté, avec lésion limitée de

la face une altération de la substance grise de la

moelle épinière, produite clans la région d'émergence

DE LA GLIOMATOSE MÉDULLAIRE. 373

des racines postérieures, depuis la première cervicale

jusqu'à la huitième thoracique et probablement aussi

de la racine ascendante du nerf trijumeau; il a eu

le droit de supposer que cette altération était due à la

gliomatose (syringomyélie).

Les médecins commençaient à s'habituer à la pos-

sibilité de diagnostiquer parfois la syringomyélie.

Grïnther, l'élève d'Eu]), dans ses études de la réaction

électrique dans l'atrophie musculaire « typique », ad-

met qu'un cas de cette ~ maladie rapporté par lui,

pouvait appartenir à la syringomyélie. Oppenheim "

suppose l'existence d'une syringomyélie, chez un ma-

lade âgé de trente-deux ans, présentant les phénomè-

nes d'anesthésie des'membres supérieurs, du thorax,

du cou et de la nuque. Les sens de la douleur et de la

température étaient le plus atteints, en même temps

qu'on constatait une atrophie des muscles de la main

gauche, des bulles sur les extrémités digitales et des

paresthésies tenaces (sensation de cuisson froide), dans

les extrémités supérieures; ce processus s'était déve-

loppé dans l'espace de deux ans et demi. Remalc (1884.) 19

décrit un fait clinique de gliomatose centrale, carac-

térisée par la perte du sens de la douleur et de la

température, dans la partie supérieure gauche du corps

et dans l'extrémité supérieure correspondante, qui

était en outre le siège de troubles locomoteurs,

d'atrophie musculaire, de troubles trophiques de la

peau et d'altérations articulaires de l'épaule. Le

sens du toucher était altéré à un degré très insigni-

fiant. Enfin Freud décrivit en 1885 un cas « d'atrophie

musculaire avec des troubles de sensibilité étendus »,

limités en haut au thorax jusqu'à la sixième côte et

374 PATHOLOGIE NERVEUSE.

les membres supérieurs, et s'étant manifesté dans ces

régions, principalement par l'analgésie et la therma-

nesthésie ; le toucher ne fut atteint que du côté gau-

che. Freud range son cas côté des cinq observations

plus détaillées des auteurs cités plus haut, et s'ap-

puyant sur les cas suivis d'autopsie, diagnostique chez

son malade la gliomatose centrale avec syringomyélie.

Dans le courant de la même année, Schultze 26 fit une

nouvelle autopsie, se rapportant à un fait non étudié

cliniquement, mais dans lequel le seul symptôme

saillant était la perte du sens de la douleur (et pro-

bablement une fragilité des os). Anatomiquement, ce

cas de même qu'un autre, avec analgésie et thermanes-

thésie partielles, et dystrophie de la peau étudié' par

l'auteur en 1886 27 étaient caractérisés par la glioma-

tose avec lésion prédominante des cornes postérieures ;

dans la deuxième observation, les altérations se mani-

festant par la formation d'une lacune, étaient tout à

fait insignifiantes.

Outre ces deux observations anatomiques, Schultze

donna en 1885, une description de deux cas cliniques

présentant avec un complexus symptomatique qui se

répétait souvent dans les observations citées plus haut,

savoir : de l'anesthésie thermique et analgésie partielles,

de la dystrophie de la peau et du tissu cellulaire sous-

cutané, de la faiblesse et de l'atrophie musculaire dans

les extrémités.

Toutes ces observations prises ensemble, ne suffisent

pas encore bien entendu, à témoigner la fréquence de

la maladie, sur laquelle je voudrais attirer votre atten-

tion. Mais d'abord toutes les observations cliniques

citées par nous, se rapportent à un groupe peu consi-

DE LA GLIOMATOSE MÉDULLAIRE. 375

dérable à symptômes cliniques nettement accusés, dont

le diagnostic semblait établi d'une manière précise,

malgré l'état incomplet de nos connaissances actuel-

les du tableau clinique de la maladie. D'un autre côté,

parmi des cas peu nombreux anatomiquement étudiés,

il y en a dans lesquels les symptômes les plus carac-

téristiques, tels que la thermoanesthésie et l'analgésie

partielles n'attiraient pas l'attention; et cependant

quelques faits (fractures indolentes des os, etc.) prou-

vent que l'analgésie au moins avait figuré parmi les symp-

tômes qui existaient pendant la vie. Si nous prenons

en considération, que les troubles locomoteurs, l'atro-

phie musculaire, les altérations de la peau, etc., peu-

vent faire complètement défaut, il sera facile de com-

prendre que toute une série de cas de cette maladie

passe inaperçue. Mais il suffit à quelqu'un des auteurs

de prêter attention à tel ou tel autre de ces symptômes

caractéristiques, ou d'étudier un grand nombre de

moelles épinières, pour se convaincre de la fréquence

relative des malades appartenant à cette catégorie.

Ainsi, le professeur Schultze à Heidelberg, a étudié

anatomiquement pendant une période de quelques

années, 7 à 8 cas variés de gliome de la moelle épi-

nière et de syringomyélie; et dans cinq observations

il peint le tableau clinique caractéristique qui nous

intéresse en ce moment. M. Morvan, du Finistère, a

vu, durant quelques années dans sa commune et les

deux voisines, ayant une population de 50,000 habi-

tants, 15 cas de la maladie qu'il a décrit sous le nom

de parésie analgésique, et caractérisée par un affai-

blissement unilatéral ou symétrique des muscles des

membres supérieurs, avec anesthésie ou analgésie par-

376 PATHOLOGIE NERVEUSE.

tielle et des lésions de la peau et du tissu cellulaire

sous-cutané. Le sens de la température n'avait pas été

étudié d'une manière spéciale. Néanmoins, la thermoa-

nesthésie partielle accompagnée d'analgésie, des symp-

tômes de fragilité des os et d'autres symptômes carac-

téristiques des cas typiques de la gliomatose centrale,

figurent au nombre des symptômes cités par l'auteur.

Il faut rapporter sans doute à cette maladie, sinon

toutes les observations de Morvan, au moins la plupart

d'entre elles. Ayant vu plusieurs fois l'anesthésie

s'associer aux panaris, gerçures, engelures, etc.,

M. Morvan examina l'état de la sensibilité chez tous

les malades qui étaient atteints d'affection de ce

genre, et réunit ainsi un grand nombre d'observations

cliniques.

Pour notre part, ayant affaire surtout à des névro-

pathes et par conséquent, étudiant fréquemment la sen-

sibilité cutanée, nous avons eu l'occasion d'observer

dans ces dernières années chez dix malades, des trou-

bles caractéristiques qui nous ont fait diagnostiquer

chez eux une gliomatose spinale; le onzième cas

avec troubles limités et peu caractéristiques de la

sensibilité, a été étudié par nous au point de vue ana-

tomique en 1877; deux autres cas encore que nous

n'avons pas pu diagnostiquer alors, ont été observés par

nous au Dispensaire de la Société des Médecins russes

en 1879; il y eut naturellement bien d'autres cas

qui ont passé inaperçus, mais les données de ces

deux seuls ont été conservées (la disposition caracté-

ristique de l'analgésie partielle), et ont permis de les

rapporter à l'affection que nous décrivons.

En outre de tous les cas énumérés plus haut, on

DE LA GLIOMATOSE MEDULLAIRE. 377

trouve assez d'observations se rapportant aux formes

cliniques d'apparences les plus variées, décrites à cause

delacombinaisonextraordinaire dessymptômes qu'elles

présentent, et au fond desquels siège à notre avis la

gliomatose de la moelle épinière. La variété apparente

de ces descriptions casuistiques, dépend en grande par-

tie, de ce qu'elles appartiennent à des spécialistes

divers, qui ont tâché d'attirer l'attention des lecteurs

sur les symptômes qui les intéressaient et qui peut-

être ont ignoré les autres. Ainsi, nous trouvons dans

la littérature deux cas que leurs auteurs identifient

à ceux décrits par Morvan; le premier, celui de Guel-

liot 19 (panaris anesthétique) n'appartient peut être pas

à notre maladie ; le deuxième, celui de Broca '' a été

décrit sous le nom de panaris analgésique. Chez ces

auteurs, le panaris apparaît comme l'affection fonda-

mentale. Chez d'autres : Landois et llosler 13, Dresch-

fjelds, Balmer ', l3eard 2, Leloir '\ etc., l'attention est

attirée sur l'atrophie musculaire compliquée de rares

symptômes d'anesthésie partielle, ou bien de distro-

phies cutanées. Nous pourrions bien entendu, retrouver

encore dans la littérature médicale des observations

cliniques, d'autres cas qui avaient été perdus, dans

lesquels, grâce à une coïncidence accidentellement

signalée de symptômes importants, il est possible de

reconnaître les cas de gliomatose de la moelle épinière.

Ces recherches seraient pourtant inutiles : car des

observations incomplètes et faites à un seul point de

vue, pour la description desquelles on n'aurait pas pris

en considération la symptomatologie de l'affection, que

nous étudions, ne peuvent pas contribuer à l'élucider.

En citant quelques-uns de ces cas, nous avons eu

378 PATHOLOGIE NERVEUSE.

principalement en vue, de réunir un plus grand nom-

bre de faits, pour confirmer ce qui a été dit plus haut :

que la gliomatose de la moelle épinière est loin de

constituer une affection rare. Si jusqu'à présent elle

se diagnostiquait pendant la vie dans quelques cas peu

nombreux, où le tableau de la maladie a été très nette-

ment dessiné, cela venait de ce que les auteurs en igno-

raient les symptômes primaires, et en partie de ce que

le caractère de ces derniers n'était pas frappant. Ils

passaient inaperçus, jusqu'à ce qu'une complication

accidentelle d'une maladie chirurgicale (panaris, frac-

ture de l'os), à marche indolente, ou bien une appari-

' lion de troubles locomoteurs avec atrophie muscu-

laire, ne vint forcer le médecin d'étudier d'une

manière plus attentive l'état de sensibilité du malade.

Dans ces cas, des symptômes fondamentaux plus

précoces l'analgésie et l'anesthésie thermique,

avaient été décrites jusqu'à ce dernier moment, comme

une complication accidentelle.

Grâce à l'habitude prise dans le service de M. le

professeur Kojewnikoff, de rechercher d'une manière

plus soignée l'état de la sensibilité dans les différentes

affections du système nerveux, j'ai réussi pendant

ces dernières années, à diagnostiquer la gliomatose

de la moelle épinière chez des malades, qu'un examen

insuffisant pourrait faire passer pour hypochondriaques,

neurasthéniques, ou atteints de ramollissement des

corps optostriés, de névrites, etc.

Je voudrais maintenant profiter de mes observations,

pour attirer l'attention des médecins, sur les troubles

de la sensibilité mentionnés plus haut. L'analyse de

de ces symptômes à côté des autres, doit contribuer à

DE LA GLIOMATOSE MÉDULLAIRE. 379

faciliter le diagnostic de la maladie, dans les premières

périodes de son développement. En vue de cela, je ne

m'occuperai pas des cas plus rares de la gliomatose

centrale, marchant sans phénomènes d'anesthésie par-

tielle et, je laisserai de côté la symptomatologie des

formes variées de la syringomyélie. Pour la plupart

du temps, elles ne sont pas diagnostiquables pendant

la vie. Par contre, nous avons pour but, de classer

(peut-être provisoirement), sous une forme clinique

type, le plus grand nombre des cas de la maladie, ce

qui est important, tant pour son étude ultérieure que

pour le diagnostic et la thérapeutique de cette affec-

tion. '

Je rapporte mes observations cliniques, quelques-

unes en résume, d'autres succinctes, conséquence

inévitable des conditions dans lesquelles elles furent

prises. Nous verrons en les parcourant, que dans la

moitié des cas, sinon davantage, le premier symptôme

qui paraît n'est pas même de l'analgésie toujours plus

facilement déterminable, mais bien une altération du

sens de la température, n'étant point accompagnée

d'autres troubles de la sensibilité cutanée.

Je disposerai mes observations de telle façon, que

d'après les premiers cas d'affection complètement deve-

loppée, et dans lesquels la somme des symptômes que

nous possédons, ne laisse aucun doute pour le diagnos-

tic, on puisse se familiariser avec les symptômes carac-

téristiques. Ceux-ci nous aideront à diagnostiquer

l'affection, dans d'autres cas où le développement de

la maladie est moins avancé.

380 PATHOLOGIE NERVEUSE.

Observation I

Troubles trophiques et atrophie musculaire du côté droit. -Scoliose.

- Ilémianesthésie thermique gauche. A droite elle est limitée à la

tète et à la face. L'analgésie est disposée à gauche de la même mit-

zzière, à droite elle occupe seulement le cou et la partie supérieure

du thorax .

G. Mihaïloff, paysan de l'arrondissement de Rouza, âgé devinôt-

sept ans. Entré à l'hôpital Catherine le 14 janvier 1885.

Antécédents. - Les parents sont vivants, se portent bien. A ce

qu'il paraît ils n'étaient pas atteints de syphilis. Cependant, de

treize enfants il ne leur en reste que quatre; les autres mouraient

avant l'âge de deux ans. Le malade n'offre pas d'hérédité névro-

pathique apparente. Il a été nourri par la mère; il a toujours joui

d'une bonne santé jusqu'à la maladie actuelle; il s'est marié à

dix-neuf ans, n'a pas eu d'enfants. Il demeure à Moscou depuis

l'enfance, est garçon de magasin et a beaucoup d'occasions de

prendre froid; son logement est aussi humide et froid. Le malade

n'a pas affaire aux poisons métalliques, il n'y a pas eu de trau-

matisme spinal, ni de travail physique épuisant. Il prend de

l'eau-de-vie en quantité modérée. 11 n'a pas été atteint de la sy-

philis.

La maladie actuelle s'est déclarée il y a à peu près trois ans

par une douleur peu à peu développée et augmentant progressi-

vement dans le côté gauche du thorax, empêchant de le fléchir à

droite. Un an après le début de la maladie se lit remarquer une

faiblesse de la jambe droite qui se fatiguait et tremblait après une

marche prolongée ; il était alors forcé de s'arrêter pour se reposer.

Plus tard apparut une douleur assez tenace dans les reins, sur-

tout à la station assise plus intense du côté droit ; neuf mois au-

paravant la main droite commença à faiblir et il y a six mois le

malade s'aperçut pour la première fois de la thermanesthésie de

la main gauche.

Etat actuel. - Le malade est un homme robuste, bien fait,

au teint clair. - La peau du dos et de la jambe porte des taches

pigmentées à la suite de l'eczéma artificiel qu'il avait eu. A la

partie inférieure de l'abdomen sur un espace grand comme la

paume de la main se trouve un eczéma squameux. Sur les doigts,

la couche épidermique est considérablement épaissie. Le tissu

eellulo-adipcuc sous-cutané est bien développé. ,

DE LA GLIOMATOSE MEDULLAIRE 381

La musculature du membre supérieur du coté droit présente un

certain amaigrissement général. La mesure de l'épaule :

382 PATHOLOGIE NERVEUSE.

tonner; il peut cependant prendre une épingle sur la table. L'é-

criture n'est pas ferme, les lettres sont inégales.

Le muscle opposant du pouce est très affaibli : le pouce ne peut

atteindre le petit doigt. L'extension des doigts, de la main et de

l'avant-bras se fait avec très peu de force. Les fléchisseurs de ce

dernier sont plus forts. La pronation, la supination de sa main

ne sont pas faibles. Le malade serre la main assez fort, mais le

dynamomètre ne montre que 24 kilogr. à droite (62 à gauche) et

à l'extension passive de la main on n'obtient pas de chiffre plus

élevé. L'élévation du bas au-dessus de l'épaule est rendue un peu

difficile par la tension du pectoral. Tous les autres mouvements

du membre supérieur droit et tous ceux du gauches sont normaux.

Le pli naso-labial droit est un peu moins accusé que le gauche.

Le reste de la région des nerfs faciaux n'est pas altéré. Lorsque

le malade tire la langue elle est légèrement déviée à droite et l'on

peut y observer des mouvements fibrillaires, mais on ne remarque

pas d'atrophie. Les muscles extérieurs des yeux n'ont pas été at-

teints. Les pupilles sont inégales. La pupille gauche est un peu

rétrécie ; toutes les deux réagissent à la lumière et à la conver-

gence ; l'accommodation n'est pas abolie. Les actes de mastication,

de l'articulation et de la phonation ne sont pas troublés. Le voile

du palais symétrique se contracte bien, mais la déglutition de

grands morceaux de nourriture n'est pas complètement libre.

Les fonctions de la vessie sont un peu troublées : le malade est

obligé d'attendre parfois longtemps que les efforts faits pour l'é-

mission de l'urine soient suivis d'effet. A cette émission, les organes

du bassin sont à l'état normal.

Il n'y a pas de contractures persistantes, mais le muscle sterno-

ciéido-mastoidien et la portion cervicale du trapèze droit sont à

l'état de coutraction (v. plus bas); il y a un sentiment de tension

dans le muscle pectoral et les muscles du thorax du même côté.

Les réflexes tendineux et aponévrotiques sont exagérés dans les

deltoïdes et l'avant-bras droit ; ils le sont très peu dans les mus-

cles de l'avant-bras gauche. Le réflexe rotulien est considérable-

ment exagéré à droite, il est peu apparent à gauche; le réflexe

du tendon d'Achille est exagéré des deux côtés. La trépidation du

pied est nettement accusée à droite ; elle l'est moins à gauche.

Le réflexe aponévrotique dans les membres inférieurs est exa-

géré dans les muscles du mollet droit; il ne peut être produit la

partie antérieure de la jambe. Les réflexes tactiles de la plante du

pied sont variables. Tantôt ils sont exagérés, tantôt abolis.

La contractilité électrique ne présente pas d'altérations marquées.

Le courant induit dans les muscles et les nerfs du bras donne des

chiffres égaux pour les deux côtés (ul'and appareil de Sttihrer à

deux éléments) le nerf médian et le biceps, 23 m., le triceps, 20;

le muscle long supinateur, 19. Courant constant :

DE LA GLIOMATOSE MEDULLAIRE

383

38t le PATHOLOGIE NERVEUSE.

l'épine de l'omoplate à la surface postérieure et une dizaine de cen-

timètres au-dessous de la clavicule à la surface antérieure du tronc.

Le sens de la température est considérablement touché sur tout

le côté gauche du corps où le malade ne perçoit pas la différence

de 10 à 20°. Du côté droit il est normal sur le thorax et les

extrémités, mais à la face; à la tête et à la nuque, il a souffert au

même degré qu'à gauche. Le sens musculaire (la conscience de la

position des membres, l'appréciation des mouvements passifs) est

normal. Les nerfs et les muscles sont insensibles à la pression. Il

existe toute une série de troubles inconstants subjectifs dans la

sphère de la sensibilité, dont il sera question plus bas. La moitié

gauche du corps est frileuse et paraît plus froide au palper que

la droite. Les organes des sens supérieurs sont à l'état normal. Le

fond de l'oeil est normal. Le sommeil est bon. Les facultés intel-

lectuelles ne sont pas altérées. L'humeur est un peu triste, il y a

tendance à l'hypochondrie, le malade observe beaucoup ses sen-

sations et se plaint à chaque visite. Pas de troubles subjectifs, ni

objectifs dans les organes thoraciques. Le foie et la rate ne sont

pas augmentés. L'appétit est bon. Après une nourriture abondante,

il y a pression à l'épigastre, 'parfois des renvois. Le ventre est lé-

gèrement douloureux à la pression; il y a tendance à la consti-

pation. Pendant tout le temps de son séjour à l'hôpital le malade se

plaignait d'une série de phénomènes subjectifs plus ou moins in-

tenses. En somme, la fréquence de leur apparition et de leur in-

tensité allait en diminuant; quelques-uns se sont manifestés en

tout deux ou trois fois.

Douleurs. - Les plus fréquents d'entre ces phénomènes consis-

taient en douleurs variées : dans le côté, les muscles du cou pen-

dant le mouvement, de même que pendant le repos, des douleurs

constrictives et poignantes dans les reins, dans les vertèbres thora-

ciques supérieures; une céphalalgie générale fréquente; douleur

à la nuque et les membres. Une sensation de cuisson inquiétait

souvent le malade : elle se localisait principalement à la tête, la

nuque, la moitié gauche du corps, sur le cou, dans les endroits où

se trouvait la thermoanesthésie; ses degrés étaient divers : tantôt

sensation de chaleur, tantôt cuisson plus ou moins intense allant

jusqu'à la douleur; cette sensation ne comprenait ordinairement

que telle ou telle autre région de la sphère citée. Pendant la nuit,

il éprouvait surtout de la cuisson : dans la journée, celle-ci était

remplacée par une sensation de froid éprouvée dans toute la moi-

tié droite du corps jusque dans le bain à28° 1. De temps en temps,

sensation de fourmillement, qui se répandait de la tête au dos;

vertige parfois au lit, parfois sentiment de chancellement et de

secousses dans le tronc même dans la position assise d'origine ap-

paremment musculaire. Dans le membre supérieur droit il y a eu

des crampes de courte durée, dans les fléchisseurs des doigts, [air-

DE LA GLIOMATOSE MEDULLAIRE. 385

tôt dans l'un, tantôt dans l'autre. D'après l'expression du malade,

il éprouve une sensation de traction dans le dos et le côté, quoi-

que les contractures franches manquent et que la tension du

muscle sterno-cléido-mastoïdien et de la portion cervicale du

trapèze droit existait simultanément avec inclination de la tête à

gauche et par conséquent, ne faisait qu'empêcher la chute de la

tête sur l'épaule gauche. Malgré les plaintes du malade, son état à

l'hôpital continuait à s'améliorer; pendant tout son séjour, la sen-

sation de constriction et de tension musculaire a considérable-

ment diminué : la scoliose s'est amoindrie; il s'est mis à tenir la

tête plus droite, sa démarche est devenue plus normale. .

La force s'est accrue dans la main droite. Le clonusdespieds, l'a-

nesthésie et l'irrégularité pupillaire n'ontpoint éprouvé de change-

ment. Pendant ses quatre mois de séjour à l'hôpital lemalade usait

de bains chauds et de la galvanisation de la moelle épinière trois fois

par semaine. Pendant le premier mois, il prenait de 0,75 à 1 gr.

d'iodure de potassium par jour et durant ce temps, il maigrit et

' pâlit beaucoup. Ce remède avait été abandonné et l'on prescri-

vit le nitrate d'argent.

Un séjour de trois mois à la campagne après la sortie de l'hô-

pital ne fut d'aucun profit. La maladie se mit à progresser de

nouveau, les troubles de la déglutition augmentèrent. G... aban-

donna sa place à Moscou et partit pour la campagne. Je ne sais

rien sur son état ultérieur.

Ce cas satisfait entièrement aux considérations du

diagnostic établies par Schultze. Nous avons : 1° atro-

phie des muscles des membres supérieurs; 2°anesthé-

sie partielle sans symptômes d'interruption de con-

ductibilité (pour les voies sensitives) dans la moelle

' épinière; 3° troubles trophiques, il est vrai que c'est

toujours sous forme d'épaississement de l'épiderme

(eczéma ? ); mais en revanche, nous avons une série

d'autres symptômes caractéristiques : une masse de

troubles subjectifs de la sensibilité et une anesthésie

partielle dans la sphère du trijumeau, indiquant la

lésion des racines ascendantes en même temps qu'il y

avait absence presque complète d'autres symptômes

bulbaires. (A suivre.)

Archives, t. XIV. 25

RECUEIL DE FAITS

DEUX CAS D'ATHÉTOSE DOUBLE AVEC IMBÉCILLITÉ;

Par BOURNEVILLE et PILLIET.

Les deux observations sur lesquelles nous allons appeler

l'attention ont trait à une maladie nerveuse encore peu con-

nue et dont le diagnostic précis nous parait offrir quelque dif-

ficulté.

Observation I. Deux frères ont eu des convulsions dans l'enfance.

Frère probablement épileptique. - Emotion de la mère, trois

semaines avant l'accouchement, et tremblement consécutif.

Parésie et tremblement du malade dès sa première enfance.

Placé en hospice à huit ans. - Difficultés de la marche et chutes

par exagération des mouvements des jambes. Difficulté de man-

ger et de boire due aux mouvements désordonnés des membres

supérieurs. Contorsions du tronc, du cou, des muscles de la

face; signes plus marqués du côté droit. Parole scandée et

embarrassée. Mouvements rares au repos; exagérés par la plus

légère;émotion. - Santé générale satisfaisante; caractère pué-

ril, mémoire bonne. Onanisme; atrophie du testicule gauche.

Dévotion. -Pèlerin age à Lourdes. Amélioration lente des mouve-

, ments sous l'influence de l'hydrothérapie et de la marche avec le

chariot. Transfert du malade aux vieillards; continuation de

l'amélioration.

Dernoed... (Nicolas), né à Paris le 1r mai 1847, est entré à l'hos-

pice de Bicêtre (service de M. 130URNEVILLE), le 23 janvier 1882.

Renseignements fournis par sa sceur (22 février 1882). -Père,

intelligent, d'un caractère doux, a été trente-quatre ans cocher

à la compagnie générale, est mort à soixante-six ans d'une bron-

chite chronique; il était grand, fort; on assure qu'il ne fumait pas

et ne faisait pas d'excès de boisson. Quelques douleurs rhumatis-

males ; pas de maladies de peau, pas de migraines. [Père, maître

d'école en Hollande, pas de détails, ni sur la mère. Deux

DEUX CAS D'ATHÉTOSE DOUBLE AVEC IMBÉCILLITÉ. 387 Î

frères : l'un est maître d'école, bien portant, et a une fille eh

bonne santé; un fils est mort de la petite vérole; l'autre frère

est mort à soixante ans, on ne sait de quoi. Deux soeurs bien

portantes; l'une a trois filles, l'autre a trois filles et un garçon,

également en bonne santé. Dans la famille, pas d'aliénés, d'épi-

leptiques, 'de choréiques, ni de difformes; pas de suicidés, ni de

criminels.]

Mère, soixante ans, journalière, faisait des ménages; asthma-

tique, pas de maladies de peau, ni d'attaques; n'est pas nerveuse,

aucun excès. [Père, mort on ne sait de quoi. Mère, morte en

couches à vingt-sept ans, pas de détails. - Un frère bien portant,

sans enfants. - Trois soeurs bien portantes, l'une a trois enfants

en bonne santé.- Pas d'aliénés, d'idiots, d'épileptiques, etc.] .

Pas de consanguinité (père hollandais, mère lorraine).

8 enfants : 4° un mort-né ; 2° un, mort à trois ans, du choléra,

avec convulsions; 3° notre malade ; 4° garçon, trente-un ans,

aurait eu une fois des convulsions dans l'enfance, est bien portant,

pas de chorée, marié, a eu deux enfants qui sont morts l'un d'une

fluxion de poitrine, l'autre de cholérine, mais sans convulsions;

5° garçon mort à vingt-deux ans et demi d'hémoptysies succes-

sives, pas de convulsions, pas de chorée; 6° garçon, mort à

vingt-deux ans d'un refroidissement après avoir été vingt mois

malade (phthisie); pas de chorée ni de convulsions; - 7° fille,

celle qui nous renseigne; brune, intelligente, figure régulière et

agréable, non mariée ; bien portante, pas de migraines, de cho-

rée, de convulsions; 8° garçon, vingt-un ans, bien portant, in-

telligent, pas de chorée ni de convulsions; mais, depuis trois ans,

il serait sujet à de petits accidents cérébraux que l'on décrit ainsi :

yeux fixes, perte de connaissance, parfois rigidité; écume san-

glante, ronflement. Quelques mouvements de la tête, mais ne se

débat pas. Il aurait eu deux crises la semaine dernière; il n'en

avait pas eu depuis trois mois (épilepsie ? ).

Notre malade. Grossesse bonne; pourtant, à huit mois, la

mère a été émotionnée par la mort de son second enfant. Elle au-

rait été prise d'un tremblement qui a duré trois semaines, jusqu'à

l'accouchement. Celui-ci a eu lieu à terme, naturellement, sans

chloroforme. On pense que l'enfant est resté lontemps au pas-

sage : « ses accouchements étaient longs»; on ne saurait dire

s'il était asphyxié. Elevé au sein par sa mère, sevré à vingt-huit

mois. Le tremblement aurait été remarqué de suite et serait de nais-

semee, « Dès le premier jour, il a tremblé et il a emporté le trem-

blement de notre mère. » Il n'a jamais marché à la maison. Aus-

sitôt qu'il était debout il tombait. » Envoyé à la campagne à cinq

ans, il y est resté jusqu'à son entrée à Bicêtre pour la première

fois à huit ans et demi environ. Il fut ensuite transféré à Rhodez,

388 RECUEIL DE FAITS.

en 1864, de Rhodez à St-Lizier où il est resté jusqu'en 1882, épo-

que où il fut ramené à Bicêtre sur les instances de sa famille.

Il a parlé «en bégayant)), vers deux ans; il a été propre de bonne

heure; on ne croit pas qu'il ait eu d'otites ni d'ophlhalmies, ni

'de fièvres éruptives, ou de maladies d'enfant, du moins chez ses

parents. - On attribue sa maladie à l'émotion et au tremblement

survenus à la fin de la grossesse. « Ma mère a senti un choc en

elle, et a senti l'enfant remuer. »

' Sur la période de 1857 à 1864, nous avons quelques renseigne-

ments très curieux parce qu'ils confirment les détails donnés par

la famille et nous permettent, en comparant les symptômes à deux

époques très éloignées (1857 et 1887) de bien mettre en relief

l'amélioration survenue dans l'état du malade. Le certificat de

M. Lasègue est ainsi conçu : Idiotie, paralysie, épilepsie probable.

z ' Le certificat'de quinzaine, signé de M. Delasiauve, porte :

Chorée, imbécillité ; pas de crises épileptiques. Voici , d'autre part ,

les notes recueillies par notre vénéré maître (1857-1864) : z

« Cet enfant, d'une force médiocre, a un fond d'intelligence ; il

répond à quelques questions en bredouillant. Le certificat de

police mentionne l'idiotie avec accès épileptiques présumés. Cette

dernière affection paraît douteuse; les mouvements irréguliers

dépendraient plutôt d'un état chloréique. L'enfant ne peut, seul,

se soutenir sur les jambes; s'il marche ou remue les bras, il ne peut

prendre une direction fixe. La prononciation a le même caractère.

.Au repos, les phénomènes sont moins sensibles, mais ils existent

à un certain degré... » . - '

Nous relevons ensuite les notes ci-après : « 1857. Novembre :

.Ophthalmie. 1858. Décembre : Malgré les exercices discontinués

'trop tôt, on ne note que peu d'amélioration. - 1859. Avril :

Fièvre scarlatineuse, puis traitement par la liqueur arsénicale de

Fowler. En septembre, ophthalmie. - 1861. Décembre : L'exercice

de la poulie lui donn,e de la force ; il se soutient un peu mieux sur

les jambes et fait un pas en avant. 1862. Juin : Les yeux vont

beaucoup mieux; l'exercice lui a rendu un peu d'agilité. No-

'vembre : Ophthalmie à droite.- 1863. Alai : Facilités pour le calcul

qui ne sont pas les mêmes pour la lecture ; marche moins difficile.

1864. Février : Il l épèleet récite la Cigale et la Fourmi. - Juin :

Oreillons ; ophthalmies palpébrales fréquentes. 1864. Juillet :

Prurigo généralisé. Transféré le 18 septembre à l'asile de Rhodez. »

Le malade assure qu'à son départ il ne marchait pas encore seul,

'qu'il restait tout le temps assis sur un petit fauteuil, que c'est à

Rhodez qu'il a commencé a marcher seul. Nous insistons dès mainte-

nant sur ce fait qui a une grande valeur au point de vue du dia-

gnostic et nous reprenons la suite de l'observation depuis l'époque

où le malade est revenu dans le service.

DEUX CAS D'ATHÉTOSE DOUBLE AVEC IMBÉCILLITÉ. 389

1882.3 () m(l1's.- Reracciné avec succès (une pustule au bras droit).

16 août. - Etat actuel. Poids, 50 kilogr. 80. Tête assez forte.

Pas de saillie de la région occipitale, aplatissement de la région

comprise entre le vertex et l'occipital ; bosses pariétales moyenne-

ment saillantes. Front assez élevé, légèrement fuyant, étroit.

Arcades sourcilières légèrement déprimées.

390 RECUEIL DE FAITS.

escaliers en se tenant fortement à la rampe. Dans la cour, il mar-

che à l'aide d'un chariot. Il assure que la nuit, s'il n'y a pas de

lumière, il est moins solide et ne peut marcher sans son chariot.

Quand Dern... mange, il saisit brusquement les bouchées de

pain préparées par l'infirmier; ses doigts les serrent énergique-

ment. Lorsqu'il porte le pain à sa bouche, la bouche vient en

avant et la tête s'incline, l'avant-bras est relevé également et décrit

des oscillations. Quand Dern... veut prendre sa fourchette,

les doigts s'écartent complètement, puis les quatre derniers l'em-

poignent violemment, le pouce restant en dehors et ne formant

pas crochet; parfois le pouce et l'index se détachent de la four-

chette et exécutent des mouvements. Quand il a saisi le morceau

de viande avec la fourchette, par une sorte de mouvement de

bascule il appuie fortement sur la table l'avant-bras et le rebord

cubital de la main, et la tête vient au-devant de la bouchée en

exécutant de nombreuses oscillations. Parfois, mais rarement, il

se pique la bouche. De préférence il se sert de la main gauche

pour prendre son pain, et les mouvements d'élévation de l'avant-

bras et d'abaissement de la tête sont alors moins marqués que s'il

se sert du bras droit.

1883. Janvier : : Poids, 49 kilogr. 80.-Juillet : Poids, 48 kilogr.

1884. Janvier : Poids, 48 kilogr. 20.-Juillet : Poids, 47 kilogr. 40.

3 novembre. - A deux heures de l'après-midi, le malade étant

debout contre son lit, s'est senti tout à coup défaillir, et s'est

plaint d'une douleur vive dans le flanc droit. Face pâle, sueurs

froides sur la figure et le corps, cou gonflé, pouls faible, lent, ré-

gulier (60 p.). Mouvements respiratoires réguliers (20), soulevant t

les joues. Pupilles égales, contractions musculaires faibles, mais

pas de paralysie. T. 38°,2. Le malade a gardé toute sa connais-

sance.

4 novembre. Appétit, soif vive, constipation. T. R. 37°, 8.

Hier, à deux heures et demie le malade a vomi : il avait, parait-il,

mangé une quantité considérable de pruneaux. Après les vomisse-

ments il a été soulagé.

1885. Janvier : Poids, 47 kilogr. 50.- Juillet : Poids, 49 kilogr. 20.

Notes complémentaires.- Sommeil bon, il s'endort assez lente-

ment « Deux... ou trois... heures... après que... je suis au lit. »

Jamais de cauchemars.

Fonctions digestives bonnes; mastication passable, pas de vo-

missements. Selles quotidiennes; il peut aller seul aux cabinets,

se déshabiller et se rhabiller, mais tout cela se fait très lentement

en raison des mouvements choréiformes. Utination normale.

Moustaches châtaines, peu fournies; favoris et barbe très four-

nis, cheveux noirs assez abondants, sauf sur les tempes; sourcils

bruns très épais.. ,

DEUX CAS D'ATHÉTOSE DOUBLE AVEC IMBÉCILLITÉ. 391

Organes génitaux. -Poils assez abondants au pénil; bourses

pendantes, plus à droite qu'à gauche, verge volumineuse; lon-

gueur 10 c. 1/2, circonférence 91/2. Pigmentation assez pronon-

cée. Gland en partie découvert, découvrable; méat normal. Le

testicule droit est du volume d'une noix moyenne, double du

gauche qui est seulement de la grosseur d'une grosse olive. Poils

assez abondants à l'anus. - Onanisme de quinze à dix-huit ans.

Il affirme qu'il a cessé depuis et qu'il n'a jamais eu de rapports

sexuels. « 11 y a vingt-huit ans et demi que je suis enfermé,

dit-il. »

Mémoire bonne : Der. se rappelle avoir vu l'un de nous à l'asile

de Rhodez, en 1880, « un dimanche », ce qui est exact.

Parole. - La prononciation rappelle celle d'un enfant « J'ai

trente-six ans... etdemi... ma mère... demeure... rue... de Meaux

..... la Villette... La voix est nasonnée et gutturale. Les lèvres

sont presque toujours en mouvement. Parfois la phrase se conti-

nue sans arrêts : « A Rhodez, j'avais une liberté relative... on me

laissait sortir avec un commissionnaire... malade lui-même.» La

parole est scandée par des mouvements. Il peut allonger la langue

et la maintenir quelque temps hors la bouche. Il n'y a pas de trem-

blement, mais parfois une petite trémulation de la base à la pointe,

et vice versa. Rire niais. - Motilité spasmodique, avec plissement

de la face. - Assis, il reste relativement tranquille; cependant

la jambe droite est parfois soulevée, le genou vient buter contre

l'autre. La jambe gauche parait rester immobile. 11 repose ses

mains sur ses genoux et conserve assez longtemps cette position;

parfois, cependant, il a des mouvements des doigts et du bras droit.

C'est ce bras qui est le plus faible - ainsi que la jambe correspon-

dante - et qui présente les mouvements choréiques les plus accusés.

Le malade peut se rhabiller, boucler sa ceinture, se boutonner,

mais lentement. Pour boire, il rapproche les deux mains, les

doigts très largement espacés, et avec des mouvements d'athé-

those. Une fois le vase saisi violemment, il abaisse la tête qui vient

ainsi au-devant du verre, puis il la relève aussitôt en buvant.

Sensibilité. Elle est conservée sur tout le corps; toutefois le

contact, le chatouillement, le chaud et le froid semblent être plus

vivement perçus à gauche qu'à droite, au tronc, aux membres et

à la face ?

La vue est bonne. La vision monoculaire paraît un peu trouble

pour l'oeil gauche ( ? ). Les pupilles sont égales, moyennement dila-

tées, contractiles; le réflexe à la lumière et le réflexe d'accommoda-

tion sont conservés sans être exagérés; le malade distingue net-

tement toutes les couleurs; pas de nystagmus;pas de diplopie; pas

de myopie. - L'ouie est bonne des deux côtés : il entend le tic

tac d'une montre à 40 ou 50 c. de l'oreille. Dern... ne sait pas i

392 RECUEIL DE FAITS.

le nom des odeurs, mais il distingue les agréables des désagréables.

Goût normal.

- Les réflexions, le langage sont un peu puérils. - D... est très

poli, très reconnaissant de ce qu'on fait pour lui. Il se promène

toute la journée dans son chariot. Jamais de vertiges.

1 86. Janvier : Poids, 49 kilogr. 40; taille, lm, 58.

19 août. Nicolas, qui est très pieux, est parti le 16 en pèlerinage

pour Lourdes. Il a été conduit à la gare d'Orléans par son ami

Marson..., ancien malade épileptique, guéri et passé dans les divi-

sions de l'hospice, qui disait : « Nicolas est si dévot qu'on lui

ferait croire que des vessies sont des lanternes, il reviendra comme

il est parti. » Les soins matériels du voyage paraissent avoir été

assez bien entendus, à part ce fait que les pèlerins, au sortir de

la piscine, étaient obligés de-se rhabiller mouillés. A son retour,

Dern... a prétendu se trouver mieux portant et plus ingambe, ce-

que ses camarades contestent... et avec raison.

1'or octobre.-Depuis qu'il est passé aux vieillards', il s'exerce

beaucoup plus librement; plus longuement et plus régulièrement

que quand il était dans la section, parce que son dortoir est au

rez-de-chaussée et qu'il n'est pas obligé de descendre un escalier.

Il arrive à faire de longues courses dans Paris, mais, le plus sou-

vent, avec quelqu'un qui pousse son chariot. Il est plus vigou-

reux ; mais ses mouvements chloréiformes sont les mêmes. Quand

on le rencontre il soulève sa casquette avec un mouvement sac-

cadé tout spécial. Traitement : continue Yhydrothérapie ; pluie

et jet pendant dix secondes, puis jet en éventail pendant quinze

secondes; - exercices du chariot.

22 novembre.- Le malade a continué régulièrement les douches;

il dit que son tremblement diminue et qu'il ne se sabre plus autant

en mangeant. Suspension des douches.

- 1887. - Au commencement de cette année, Dern... était dans

un état satisfaisant au point de vue de la santé générale; mais les

mouvements spasmodiques persistaient presque aussi intenses. Voici

les résultats de notre dernier examen :

Le malade étant assis a la tête un peu tendue en arrière, les bras

allongés, mais tenus par les mains appuyées sur le ventre; les

cuisses rapprochées, les genoux en contact, les jambes rejetées de

côté. On note des mouvements des doigts de la main droite, des

épaules, de la tête et de la jambe droite. Ces- mouvements sont

à certains jours beaucoup plus prononcés, plus fréquents que ce

matin.

' ' Ce passage a eu lieu le 9 novembre 1885. La conduite de D... a

toujours été régulière et nous n'avons pas à regretter d'avoir provoqué

cette-mesure..... - ... - - .1 1 - -.... .. ,

DEUX CAS D'ATHÉTOSE DOUBLE AVEC IMBÉCILLITÉ. 393

La physionomie est un peu niaise et le malade a une tendance

très marquée à rire : « Parfois..., dit-il, je ne puis pas me... re-

tenir... alors, j'éclate. » Quand il rit, tous les muscles de la face

entrent en jeu d'une façon exagérée, la bouche s'ouvre large-

ment, les sillons naso-labiaux se creusent profondément, les plis

de la patte d'oie s'accusent fortement et les paupières se ferment

presque entièrement.

La parole est lente. Il semble qu'il soit obligé de faire un effort

pour parler : la lèvre supérieure a des contorsions, elle s'avance

parfois, les commissures se tirent : on dirait qu'elle est raide.

Parfois aussi, il ouvre la bouche avant de parler. Lorsqu'il parle

un peu à la manière des. enfants - les sillons naso-labiaux se

creusent, les mots sont d'ordinaire scandés, séparés; quelquefois,

il prononce plusieurs mots de suite. Une s'agit pas la : de bégaiement.

Dern... prononce toutes les syllabes simples, et cela nettement.

La langue ne sort jamais de la bouche involontairement. D...

peut la maintenir allongée, sans tremblement durant un assez

longtemps, la porter à gauche et à droite ou l'abaisser, mais il

ne peut l'élever. Il affirme qu'elle ne roidit pas, qu'elle lui obéit

et ne le gêne par aucun mouvement irrégulier.

, Plusieurs expériences ont été faites pour étudier la préhension

et les caractères des mouvements des bras dans cet acte. Quand le

malade veut saisir un verre, placé sur une table devant lui, les

membres supérieurs quittent leur position allongée sur le tronc,

s'écartent, s'élèvent et se rapprochent vers le but en exécutant

des mouvements choréiformes à large amplitude, tout en se diri-

geant vers le verre. Les doigts sont fortement écartés, les pouces

étendus. Le verre est saisi vigoureusement d'une part entre le

pouce et l'index de la main droite (les trois derniers doigts res-

tant écartés) et d'autre part les trois derniers doigts de la main

gauche (le pouce et l'index restant écartés). A partir du moment

où D... soulève le : verre, il n'y a plus de grands mouvements

comme dans la .première partie de l'acte, mais seulement de

petites oscillations. Il est vrai de dire que, afin de diminuer la dis-

tance entre le verre et la bouche, la tête s'est avancée en oscillant.

Quand D... veut prendre une cuiller, la main droite décrit des

oscillations assez grandes, avec conservation de la direction du

mouvement, puis la cuiller étant saisie énargiquement, il la porte

à la bouche, le bras n'étant plus animé que de petites oscilla-

tions. Les caractères des mouvements dans ces deux actes doivent

être retenus, car ils diffèrent de ceux qu'on observe soit dans la

chorée, soit dans la sclérose en plaques.

Quand le malade veut se lever de sa chaise, il garde les bras

allongés, les mains restent en contact, il penche le tronc en

avant, fait un effort considérable pour se mettre debout, effort

accompagné de mouvements athétosiques de la face et des doigts.

394 RECUEIL DE FAITS.

Dans la station verticale, la tête est animée de petites oscillations

le tronc se tient à peu près droit, mais les cuisses sont rappro-

chées, fléchies sur le bassin, et rapprochées de telle sorte que

les genoux sont en contact; les jambes très écartées sont fléchies.

Si la station verticale persiste - sans soutien on observe

bientôt de petites secousses rappelant celles des pantins à ressort.

Dans la marche, D... porte le tronc un peu en arrière et incliné à

droite, la tête dans l'extension ; le bras droit est accolé au tronc,

l'avant-bras très écarté et élevé; le bras gauche est également

appliqué le long du thorax et l'avant-bras dirigé en avant; dans

cette attitude, les avant-bras jouent le rôle d'un balancier afin de

maintenir l'équilibre. Quant aux membres inférieurs, ils conser-

vent leur même degré de flexion. Le pied droit n'appuie que sur

son tiers antérieur et sa pointe est tournée en dedans ; le pied

gauche tourné en dehors, porte davantage et il semble que,

parfois, le talon touche le sol. Les jambes, surtout la droite sont

agitées ;de quelques mouvements choréiformes qui ne sont en

rien comparables aux mouvements de projection des ataxiques. La

seule analogie consiste en ce que les pieds se soulèvent plus que

de raison. Le malade a une légère tendance à s'écarter de la

ligne droite et sort quelquefois du tapis, large de 45 centimètres,

sur lequel, nous le faisons marcher. Tout le corps est roide.

Dern... dit qu'il ne peut, pas se servir de canne à cause des mou-

vements de ses doigts. Tandis que seul, sans aucun secours, il ne

marche que lentement, dans son chariot, il peut marcher assez

vite et faire, comme nous l'avons déjà noté, de longues courses

dans les cours ou aux environs de l'hospice, et même loin dans

Paris, et cela sans grande fatigue.

Un nouvel examen des sens spéciaux confirme ce que nous avons

mentionné plus haut et montre qu'il n'y a pas de différence no-

table entre les deux côtés. Il en est de même de la sensibilité

générale qui paraît plutôt un peu exagérée : « La moindre des

choses qu'on me touche, ça me fait sensation. » Et, de fait, le

moindre chatouillement, une piqûre légère, l'excitent et le font

rire bruyamment.

Le malade couché, on relève les particularités suivantes : La

moitié droite du thorax est un peu aplatie, surtout au-dessous

de l'omoplate ; la colonne dorsale est légèrement incurvée à gauche

et en avant, l'épaule gauche est arrondie et plus élevée que la

droite. Les articulations sont un peu roides, mais s'assouplissent

après quelques. mouvements. Elles ne sont le siège d'aucun cra-

quement. ' , .

La notion de position est conservée. Il n'y a pas d'épilepsie

spinale. Le chatouillement de la plante des pieds produit des mou-

vements réflexes considérables. La recherche du réflexe rotulien est

très difficile, car le malade contracte sans cesse ses muscles, et si,

DEUX CAS D'ATHÉTOSE DOUBLE AVEC IMBÉCILLITÉ. 395

pour y parvenir on essaie de distraire son attention, on exagère,

au contraire, la contraction des muscles. Dern... peut toucher

avec ses pieds la main de l'observateur sans qu'il y ait erreur de

direction; il y a seulement quelques petits mouvements. Il en est

de même si on lui fait porter l'un ou l'autre index sur son nez.

La force musculaire n'est nullement affaiblie. Il parvient à fléchir

les jambes allongées lorsqu'on cherche à s'y opposer. Le dynamo-

mètre Mathieu fort donne pour la main droite 20 et 18 pour la

main gauche, résultat en contradiction avec l'examen.

Le malade étant levé, on le fait marcher pieds nus. On constate

alors que le talon gauche, qui avec les souliers paraissait quelque-

fois toucher le sol, reste élevé et que les orteils, surtout ceux du

pied droit, sont;animés.de mouvements d'athétose. Le signe de Rot-

berg n'existe pas : le malade se tient debout et marche aussi bien

les yeux bandés que lorsqu'il'a les yeux ouverts. Il déclare mieux

marcher avec ses souliers que pieds nus.

Observation II. Père très nerveux, sujet à des accidents probable-

ment épileptiques (vertiges ]JI'oeursifs ? ),. fréquents excès de bois-

sons. Tante paternelle alcoolique et débauchée. Grand-père

maternel, excès de boisson. Oncle paternel et deux cousins ger-

mains maternels, convulsions. - Un frère, convulsions, arriéré.

Deux soeurs mortes de méningite.

Conception durant l'ivresse. Premières convulsions prolongées

à trois mois, secondes convulsions à trois mois et demi.

Gourmes, élisie, état paralytique, prédominant à droite. - Appa-

rition des grands mouvements spasmodiques à l'occasion des

gestes et des mouvements spontanés. Contractures avec les

mouvements provoqués. - Accès de colère. Bave jusqu'à huit

ans. - Impossibilité de marcher, de s'habiller, de parler et de

manger seul jusqu'en 1880. Gâtisme. z- Prédominance des

mouvements du côté gauche, légèrement plus fort que le droit.

Insuccès de la médication arsenicale. - Susceptible d'éducation,

affectueux. Exercices de marche; hydrothérapie. Améliora-

tion progressive. - Il arrive à manger, à marcher dans un chariot,

à dire quelques mots. Guérison du gâtisme.

Lemaig... (Emile-Auguste), né le 48 novembre 4863, est entré à

l31cêtre le 16 octobre 1872.

Renseignements fournis par sa mère (24 avril 1882) Père, char-

retier, mort en 1871 à la Pitié, à la suite d'une fracture dejambe

compliquée qui avait nécessité l'amputation. 11 était assez grand et

gros, faisait, dès l'époque de son ménage (trente etun ails),des excès

de boisson (vin, eau-de-vie). Il était tous lesjours « un peu lancé»;

souvent la nuit, il se levait, sa femme lui ouvrait alors la porte,

396 RECUEIL DE FAITS.

parce qu'une fois il avait sauté par la fenêtre. Il jetait n'importe quel

habit sur lui et se sauvait en courant (vertige procursif ? ). Puis, au

bout de dix à quinze minutes, il revenait se recoucher sans rien

dire. Le lendemain, il ne se rappelait rien. Ceci lui serait arrivé

cinq à six fois; d'autres fois, sa femme est parvenue à le retenir.

Il était violent, disputeur. « Il m'a battu bien souvent et m'a fait t

bien du mal ! » Douleurs de tête consécutives aux excès; pas de

migraines; pas de maladies de la peau; on ne sait s'il a eu la

syphilis; pas d'angines, d'ulcérations, etc.; il fumait très peu. Il n'a

pas eu d'autre maladie durant son mariage qu'une affection osseuse,

consécutive à sa fracture. Il n'avait pas d'attaque, mais était très

nerveux. Il disait que son enfant (notre malade), lui avait emporté

"sa maladie et qu'il était moins nerveux. [Père, garde champêtre,

est mort très âgé; on croit qu'il était sobre. Mère, ménagère,

morte de vieillesse. Deux frères : l'un est mort étant soldat,

d'un refroidissement, l'autre serait mort des suites d'une maladie

vénérienne. Une soeur, fille publique, alcoolique, est morte de la

poitrine; elle aurait eu dans son pays, à quinze ans, un enfant qui

est venu mort; elle est ensuite venue à Paris « faire la noce; » n'a

pas eu d'autres enfants.=Un oncle est mort à Bicêtre aux vieillards.

Pas d'aliénés, d'épileptiques, etc., dans le reste de la famille.]

Mère, quarante-sept ans, couturière, taille ordinaire, physio-

nomie indifférente, assez intelligente cependant. Elle a perdu son

père quand elle avait sept ans : « J'ai été menée à coups de pieds,

à coups de poings, chez l'un, chez l'autre, à la campagne où je gardais

les bestiaux. » Pas de convulsions dans son enfance, croit-elle.

Réglée à douze ou treize ans, mariée à vingt-six, ménopause à qua-

rante-six. Sujette depuis'sept à huit ans à des douleurs de tête;

pas de migraines; pas d'attaques; n'est pas nerveuse. [Père, culti-

tivateur; excès de boissons, mort à la suite d'une chute avec- frac-

ture de côtes. - Mère,' morte à soixante-huit ans, « après avoir

traîné»; travaillait aux champs, était colère, n'avait pas d'at-

taques. - Grands-parents maternels devenus aveugles à la fin de

leur vie; du côté paternel, pas de renseignements. - Quatre frères

vivants et bien portants, qui ont eu deux, six, un et deux enfants,

sur la plupart desquels on n'a pas de renseignements. Pourtant

l'un de ceux qui sont à Paris est bien portant, mais a eu beaucoup

de convulsions étant jeune; il a deux enfants qui ont eu des con-

valsions répétées. - Une soeur, morte à son retour d'âge, n'avait

pas d'attaques. Point d'épileptiques, d'aliénés, de criminels, etc.]

Pas de consanguinité, - Sept enfants : 1° notre malade; -2° gar-

çon, dix-sept ans, cordonnier; a eu des convulsions internes dans la

première enfance; puis, de trois à quatorze ans, des douleurs de

tête sans vomissements, pendant lesquels il devenait « rouge

comme un coq ». Intelligence médiocre : « il n'a pas. trop de

DEUX CAS D'ATHÉTOSE DOUBLE AVEC IMBÉCILLITÉ. 397 I

débouchés»; - 3() fille bien conformée, morte à deux mois «d'une

espèce de méningite, en quinze jours », avec convulsions internes ;

- 5° garçon, treize ans; pas de convulsions; n'est pas fort; mais il

est intelligent et très vif; apprend bien ; 5° garçon mort à trois

jours on ne sait de quoi, était né à terme; pas de convulsions;

6° fille morte à quatre ans et demi de méningite, avec convulsions,

en quatorze jours; 7° fille, morte du croup à trois ans.

Notre malade. Au moment de la conception, le mariage datait de

3 mois. Il est probable que le père était ivre, car il était surtout

porté aux rapports sexuels quand il avait bu. Au point de vue de

l'hérédité paternelle; il ne parait pas y avoir eu d'interposition;

« Bien que j'aie eu beaucoup de misères, dit la mère de l'enfant ?

je n'ai eu que mon mari. » - Grossesse bonne, sauf quelques dis-

putes avec son mari à cause de 'ses excès. Pas de misère exagérée,

pas de coups, de peurs, pas d'alcoolisme. Accouchement à terme,

naturel, sans chloroforme. A la naissance, l'enfant avait trois

fois le cordon autour du cou; cependant on croit qu'il n'était

pas bleu; on ne l'a pas frotté. (Son second enfant avait un cir-

culaire du cordon autour du cou et était cyanosé.) - Elevé au sein

par sa mèrejusqu'à dix-huit mois. A trois. ou quatre mois, premières

convulsions; jusque-là il était fort et paraissait bien venir. Les

convulsions portaient sur les yeux ; on ne peut rien dire des bras

ni des jambes. Ces convulsions ont duré huit à dix jours avec des

intervalles. Il écumait un peu; le ventre était flasque; « les boyaux

tombaient tellement il était faible. » Les secondes convulsions sont

venues environ quinze jours après; elles ressemblaient aux pre-

mières, venaient par intervalles, on ne peut rien dire de l'état

des membres. Il refusait le sein et était « tombé en élisie ». De

six à dix mois, il était si faible qu'il était «comme un enfant mort».

A cette dernière époque, il eut sur la tête des croûtes très abon-

dantes, « comme il n'y en a pas beaucoup ». Elles ont beaucoup

suppuré ; cela a duré jusqu'à treize mois. Il a eu au cou des

glandes qui ne se sont pas abcédées. Jamais d'ophtalmie ni d'otite.

« Cette gourme l'a sauvé, mais il est resté décharné comme un

vrai squelette jusqu'à trois ans. Je le cachais dans une pelisse

parce que je craignais qu'on m'accusât de ne pas le soigner. »

On a essayé de le faire marcher, sans résultat; on lui donnait des

bains de lie de vin, de sel; des bains dans de l'eau de tripes; on

le couchait sur la fougère, etc. Il a commencé vers neuf ans à se

traîner par terre, sur le côté gauche. Il se servait un peu do la

main gauche; par exemple, pour gratter là terre, creuser un trou.

La parole a toujours été absente, il cherchait à se faire comprendre

par signes, par des grognements. La mémoire est bonne; il.suffit

qu'il voie une personne une fois.pour se la rappeler, il affectionne

sa mère, ses frères; il est caressant. Avant l'entrée à l'hospice, il

398 RECUEIL DE FAITS.

était emporté, il fallait lui céder. Il ne déchirait pas, n'était ni

- ,gourmand ni voleur. Il a bavé jusqu'à sept ou huit ans au point

qu'il mouillait tout ce qu'il avait devant lui. Pas de succion, de

rumination, pas d'onanisme; sommeil bon, pas de cris nocturnes,

- pas de douleurs de tête appréciables pour les parents. A partir

de l'âge de six mois, il n'aurait plus eu de convulsions.

Pas de vers; rougeole à cinq ans, pas d'autres lièvres; coque-

luche modérée vers huit ans et demi. Depuis son entrée à Bicêtre,

il n'aurait pas fait de grandes maladies. Il a toujours été sujet aux

engelures et en a eu également ici.

1881. 16 septembre. Poids, 40 kilogr. 300. Taille, 1m,45.

-. Cet enfant est gâteux et par conséquent en robe. On le fait man-

ger. Il'passe d'habitude son temps couché ou assis sur un fau-

teuil. Parole et marche nulles. Traitement : toniques; exercices

de marche; de plus, on le placera trois fois par jour sur le vase

pour le rendre propre.

31 juillet. Poids, 41 kilogr. 20. Taille, i ? 50.

1882. 1" juin. Poids, 41 kilogr. 20. Taille, le,55. - Trni-

tement : mêmes exercices que précédemment. Hydrothérapie du

1er juillet au 30 octobre : deux de ses camarades le maintiennent

sous la douche en le tenant par les bras. - Il s'est amélioré

surtout sous le rapport du gâtisme et a été mis en culotte au com-

mencement de l'année.

30 jztin.-Depuis;près de dix mois, il ne lui estarrivé que quelques

fois d'uriner dans sa culotte, et alors il en est très vexé. Amour-

propre assez développé, très affectueux. On l'exerce tous les jours

à marcher et il commence à y arriver en se tenant aux lits. 11 est

allé au concert le 27, était très heureux, manifestait sa joie par

des « hou hou » et essayait d'applaudir. Dans le service, il joue

presque le rôle de gendarme et, par ses gestes et ses cris, attire

l'attention quand un enfant fait mal. Il mange seul, mais ne peut

se servir que de la cuiller qu'il tient de la main gauche. Montre

qu'il désire continuer les douches.

Décembre. Poids, 40 kilogr. 70. Traitement : injections hypo-

dermiques de liqueur de Fowler. Cinq gouttes par jour (sol. à

zozo. 11 décembre, six gouttes. 15 décembre, sept gouttes.

On augmente quotidiennement la dose et on arrive à onze gouttes

le 28 décembre. Pas de symptômes généraux, pas d'accidents

locaux, sauf de petites indurations avec la solution glycérinée.

1883. Janvier. Poids, 41 kilogr. 70 ; taille,

1 1 janvier. 4 gouttes de liqueur de Fowler. Ni accidents lo-

caux, ni accidents généraux. Les symptômes choréiformes ne

paraissent aucunement modifiés.

16 février. A la suite des injections, il s'est produit trois à

DEUX cas d'athétose DOUBLE avec imbécillité. 399

quatre noyaux sous-cutanés du volume d'une noisette, à la face

postérieure de l'épaule et à la naissance du bras gauche ; ils sont

indurés, douloureux et un peu rouges.

1 cr mars. Les injections ont été continuées à 20 gouttes depuis

le 11 février.

12 mars. - Suppression du traitement, qui n'a produit aucune

amélioration.

26 mai. - Dentition. Mâchoire supérieure, seize dents bien ran-

gées, saines; mâchoire inférieure, treize dents; manquent une

molaire droite, deux premières molaires gauches, une molaire

droite cariée. Articulations normales; voûte palatine profonde

et bien développée; gencives en bon état.

30 juin. - Poids, 39 kilogr. 60; taille, {m,55. - Traitement :

Hydrothérapie du 4 mai au 10 novembre. Le malade est arrivé à

pouvoir marcher soutenu sous les bras ou en allant de lit en lit.

1884. Janvier. Poids, 45 kilogr. 60; Taille, 1 m,55. Hydro-

thérapie du {** avril au 11 octobre, et exercices de marche.

fer juillet. On le descend dans la cour tous les jours, il conti-

nue à être propre. Même état choréique. Il continue à indiquer par

signes ce que les autres font, et avertit en cas d'accidents. Il avait

pris en affection nne personne du service et lui envoyait les

fleurs qu'on lui donnait.

Organes génitaux. Au pénil, poils longs, roux et très fournis.

Verge petite, gland découvrante, méat normal, bourses pendantes,

testicules peu volumineux. Pas d'onanisme : il proteste énergique-

ment contre cette allégation : et dit non, non, avec des gestes

multipliés.

1884. 4 août. - Etat actuel. Crâne ovoïde, régulier, parais-

sant symétrique.

400 RECUEIL DE faits.

Lemai.. contracte souvent sa lèvre supérieure de sorte qu'il

s'y forme des plis verticaux sur la ligne médiane et sur les côtés,

obliques en dehors et en haut. Parfois il rit bêtement, et pince sa

lèvre inférieure entre ses dents. Mâchoires régulières et symétriques.

Cou assez gros, sans rien de particulier. ,

Thorax large, bien conformé. Les creux sus et sous-claviculaires

sont très accusés. Pas de déformation du rachis. Boutons d'acné

' en avant et sur les deux tiers supérieurs du dos.

Membres supérieurs assez bien conformés. L'épaule gauche des-

cend beaucoup plus que la droite.Demande-t-on à L... de donner

une poignée de main, il y arrive assez facilement de la main

gauche. Sa main et ses doigts se mettent alors dans l'extension

;et l'abduction; , et il ne peut rejoindre la main tendue qu'en im-

primant à la sienne de légères oscillations. Au repos, la main

étant dans l'extension, l'annulaire et le petit doigt sontlègèrement

fléchis comme dans la rétraction palmaire. Il tend la main gau-

che le bras fortement tendu, ainsi que l'avant-bras. Quand on

écarte de force le pouce de la paume de la main où il est fléchi,

cette paume se tourne vers le sol, les doigts fortement étendus.

(Planches III et IV.) .)

Membres inférieurs. Ils sont égaux et n'offrent aucune défor-

mation.

Le malade étant couché sur son lit, l'attitude est la suivante :

les cuisses sont légèrement fléchies sur l'abdomen, les genoux

rapprochés, les jambes un peu fléchies sur les cuisses; les pointes

des pieds fortement portées en dedans se touchent. On ne peut

ramener les membres dans l'extension, même avec une certaine

force, à cause de la contracture musculaire. Les mouvements,

même communiqués, sont impossibles dans les articulations tibio-

tarsiennes. Les muscles postérieurs de la jambe sont contracturés.

Le second orteil est croisé sur le premier, qu'il déborde même en

dedans. Voici les mensurations des membres :

a) Membres supérieurs.

DEUX CAS D'ATHÉTOSE DOUBLE AVEC IMBÉCILLITÉ. 40'1

'HIC et l'ouïe sont bonnes; le goût et l'odorat sont conservés. Les

réflexes tendineux sont plutôt exagérés. - Poids, 43 kilogr. 50.

Taille,

1885. Janvier. - Poids, 42 kilogr. 90. Taille, lm,Sb.

Il juillet. - Malade tranquille, a fait quelques progrès sous le

rapport de la marche, de la préhension, etc.

Puberté. - Moustache fine et blonde, barbe assez abondante au

menton et aux deux joues. Poils roux, longs, abondants au pénil.

Bourses pendantes. Testicules égaux, du volume d'une petite noix.

Verge : circonférence 8 c. et demi ; longueur, 7 c. et demi. Gland

en partie découvert, découvrable ; méat normal. Pas d'onanisme.

Poids, 44 kilogr. 700. Taille, 1 m,55. Traitement : hydro-

thérapie du 4 avril au 24 octobre; exercices.

1886. Février. -Poids, 40 kilogr. - Taille, Im, : 55.

28 avril. Se porte bien, mange, bien. Reste le plus souvent

assis dans un fauteuil, avec des mouvements d'athétose, surtout

de la main gauche. Il rit facilement, répond par gestes quand on

l'interroge et continue à s'exercer à marcher dans la salle.

6 mai. - Le malade présente sur chaque second orteil une ulcé-

ration grande comme une lentille, due probablement à sa chaus-

sure.

14 mai. - L... est descendu hier deux heures dans la cour et a

marché en se tenant au dos des bancs. Ce matin, à l'infirmerie,

nous le faisons marcher pour constater ses progrès sous ce rap-

port. Il marche en se tenant aux lits; il rit largement et pousse

des grognements continuels pour exprimer son contentement de

montrer ce qu'il sait faire. Sa marche est gênée considérable-

ment par les mouvements choréiformes exagérés qui lui font

tordre et contracter le tronc, les quatre membres et le cou à

chaque pas qu'il fait. Dans la journée,, il reste assis sur un fau-

teuil, les jambes repliées et croisées très fortement l'une sur

l'autre. Leur attitude un peu forcée est constante et s'exagère à

chaque geste qu'il essaye de faire pour saluer ou essayer de parler

quand on s'approche de lui.

23 juillet. - Le malade est toujours doux et tranquille, d'un

bon caractère. Il continue plus fréquemment qu'autrefois à s'es-

sayer à marcher, soit en se tenant aux lits, soit en poussant le

dos d'un fauteuil devant lui. Dans ce cas, tous ses mouvements

sont exagérés et provoquent par tout son corps des mouvements

réflexes de la plus grande étendue. Quand il veut, par exemple,

lever la jambe, elle se plie à angle droit sur la cuisse qui se plie

elle-même à angle droit, ou même à angle aigu sur le bassin.

L'autre aussi se fléchit en même lemps, ce qui rapetisse le malade

et lui donne une allure ramassée (Planches 111 et IV). Mais ce n'est

pas tout, les membres supérieurs qu'il étend pour se soutenir aux

Archives, t. XIV. 26

40 RECUEIL DE FAITS.

objets voisins dessinent des mouvements très étendus, les avant-

bras se fléchissent sur les bras, les mains s'abattent, grandes ou-

vertes sur les barreaux des lits, en même temps le tronc et le cou

se contournent et les plis de la face, autour de la bouche se firent,

ce qui donne à Lemai.. un aspect grimaçant très marqué. 11 rap-

pelle un peu, quand il essaye de marcher, un polichinelle dont on

tirerait tous les fils, de façon à mettre ses membres dans des atti-

tudes extrêmes. Au repos, nulle exagération des réflexes; parfois

nul mouvement; il reste accroupi dans son fauteuil, les membres

fléchis, les doigts fermés. Il comprend ce qu'on lui dit, fait remar-

quer par ses signes les irrégularités qui se commettent dans la

salle. Il essaye de manger seul, avec une cuiller, mais à caube de

ses grands mouvements, il répand la moitié du potage. Il s'essaye

aussi avec la fourchette et réussit mieux à saisir la viande. Selles

régulières, volontaires, tous les matins. Il saitse faire comprendre

quand il a besoin d'assistance pour aller au bassin. On le fait

descendre tous les jours dans la cour où il marche à l'aide d'un

chariot. Sa mère a pu le prendre en congé pendant huit jours, ce

qui n'avait jamais été possible auparavant.

1er août. - Poids, 40 kilogr. ; taille, lm ? i.

1887. {"janvier. - Poids : 40 kilogr. 200. - Taille : 1 m ? ï5.

Puberté. Moustaches blondes rousses, assez fournies, barbe

assez abondante; poils longs, moyennement abondants sous les

aisselles, rien au sternum ; trois ou quatre poils aux mamelons.

Bourses pendantes, testicules de la dimension d'une grosse noix

à droite, d'une petite à gauche. Poils roux, lungs, raides, assez

abondants sur tout le pénil. Verge : circonférence, 8 ceutim.; lon-

gueur, 8 centim. 5. Gland un peu conique, méat normal. Poils

assez abondants sur les cuisses, aux fesses et à l'anus. Quelques

poils sur les reins ; pas d'onanisme. Il ne gâte plus déjà depuis

longtemps. La miction et la défécation sont normales.

Le caractère de ce malade est toujours doux. Son rire ressemble

à un grognement. Sa parole se traduit toujours par des éclats de

voix. Quand il veut parler, sa figure se contracte, se tord plus ou

moins sur le cou; il hésite comme un bègue et finit par lancer un

son ou un mot très bref. C'est ainsi qu'il dit : « Non, merci. Ah !

merde. » Il comprend ce qu'on lui dit : « Où est ton nez ? » Il

répond : « Là. » Il désigne parfaitement toutes les parties do son

corps. Il est aisé de voir que ce n'est pas un aphasique et que le

tétanisme des muscles vocaux qui se produit dès qu'il essaye de

proférer un son, est le grand obstacle à sa parole. Il mange géné-

ralement seul et assez proprement; mais, pour boire, il est indis-

pensable qu'on l'assiste. Il y a un progrès notable dans les mou-

vements des jambes; il essaye de s'habiller lui-même, dit :

« Attends » à l'infirmier qui veut l'aider. Les mouvements ont un

DEUX CAS d'ATHÉTOSE DOUBLE AVEC IMBÉCILLITÉ. 403

peu diminué d'amplitude, mais ont conservé ce caractère d'être

constants, à l'occasion de tout mouvement volontaire ou provoqué,

et de tendre à se généraliser, quel que soit le groupe musculaire

mis en jeu. Lem.... avance assez bien son chariot. Sa mère le fait

sortir tous les deux mois depuis qu'il est habitué au chariot. -

Il a pris des douches jusqu'au 31 octobre dernier. En raison de

l'amélioration considérable qui s'est produite, nous avons signé le

passage de ce malade dans l'une des divisions de l'hospice.

Un nouvel examen de Lem..., fait en même temps et compara-

tivement avec celui de Derno..., nous a permis de vérifier l'exacti-

tude de la description qui précède, et de la rendre plus précise à

quelques égards.

Assis, Lem... a les bras allongés sur le devant du tronc et tient

sa main droite avec la gauche; la jambe droite est croisée sur la

gauche. Do temps en temps, on observe des contractions des

muscles des membres inférieurs qui sont soulevés, ainsi que les

épaules, des mouvements dans les doigts, des grimaces de la face :

la bouche parait serrée,' comme s'il y avait une contraction per-

manente des lèvres qui se plissent parfois; souvent, la bouche

se fronce et s'ouvre en cul de poule.

La physionomie offre tantôt une expression de niaiserie, tantôt

une sorte d'expression d'inquiétude. Lem.... rit très facilement,

pour la moindre chose; alors, tous les plis de la face sont très

prononcés; la bouche s'ouvre largement, les paupières se ferment

en partie et la patte d'oie se creuse, mais un peu moins que chez

Derno... ..

La parole, chez lui, est très limitée; il dit : « Non, papa, maman,

merde, salope, couillon. » Il répète devant nous, les trois premiers

mots; nous voulons lui faire répéter les autres, ce qui lecontrarie :

ses lèvres se serrent l'une contre l'autre, les commissures labiales

s'abaissent, le menton se plisse, les yeux s'ouvrent. Il parait qu'il

en est ainsi chaque fois qu'il est contrarié. Lorsque Lem... parle,

la langue reste presque tout le temps contre le plancher buccal et

presque toujours, la bouche s'ouvre largement dès que le son est

sorti. Si on essaye de lui faire prononcer d'autres syllabes, il dit :

« la, ia. »

Il allonge la langue, mais il la maintient en appuyant sur elle

la lèvre supérieure; il ne peut la porter à gauche ou à droite, ni

en haut. La difficulté de la tenir allongée et libre est due peut-

être aux contractions énergiques des muscles de la face qui accom-

pagnent chaque effort. La langue ne tremble pas.

La préhension présente des particularités qui ont la plus grande

similitude avec celles que nous avons relevées chez Derno... Quand

Lem... veut prendre un verre, les membres supérieurs décrivent

404 RECUEIL DE FAITS. - DEUX CAS D'ATHETOSE DOUBLE.

de grands mouvements. Le bras droit s'élève, et la main se porte

à la hauteur de la tête et un peu en arrière, en même temps que

le tronc s'incline à droite et en arrière, le côté gauche se tournant

vers l'objet à saisir. Le bras gauche s'allonge et Lem... prend,

après avoir exécuté des-mouvements choréiformes à amplitude

assez larges mais sans déviation du but, le bord du verre entre

le pouce et les autres doigts, puis il porte le verre à sa bouche.

Dans cette dernière phase de l'acte, lesmouvements choréiformes

sont très peu prononcés tandis qu'ils l'étaient notablement dans la

première phase.

La préhension de la cuillère exige les mêmes préparatifs : éléva-

tion du bras droit, inclinaison du tronc, etc. ; puis, il saisit la

cuillère avec des mouvements choréiformes qui la fontquelquefois

sauter sur place; celle-ci étant saisie, âpre : ' quelques courtes

oscillations accompagnant le geste de la remplir, il la porte à la

bouche vivement et presque sans tremblement. Une- fois l'acte

exécuté une fois, il le répète ensuite facilement.

Dans l'acte de se lever de sa chaise, Lem... penche le tronc en

avant, étend fortement les bras dans la même direction ; les

cuisses sont rapprochées, les genoux collés, les jambes très écar-

tées, les muscles de la face se convulsent et semblent faire un

effort considérable absolument comme chez le malade de la pre-

mière observation.

Dans la marche, qui n'est possible qu'avec un aide, Lem... sou-

lève les pieds plus qu'il n'est nécessaire, appuie le pied gaucho

sur l'avant-pied et son bord externe; le pied droit, qui se soulève

plus haut que le gauche, appuie sur la pointe et le bord interne.

Chez Lem..., les caractères de la marche sont absolument sem-

blables à ceux que nous avons constatés chez Derno... avec cette

seule différence que la marche est beaucoup plus imparfaite.

Sous l'influence des émotions même légères les mouvements

des membres et du tronc et les grimaces de la face s'exagèrent à

un haut degré.

Les sens; sont normaux. Lem... parait connaître les coulazers, bieu

qu'il Il'' puisse pas les nommer ; il n'y a pas de nyslagmus, le

réflexe Il la lumière et le réflexe d'accommodation sont intacts.

La sensibilité générale est conservée dans ses différents modes; la

sensibilité au chatouillement est moins exagérée que chez Derno...

La sensibilité des muqueuses auriculaire, oculaire et nasale est

conservée, mais la sensibilité de la muqueuse palatine parait très

obtuse.

L'examen au lit permet de constater que le réflexe rotulien est

Conservé des deux côtés, qu'il en est de même de la force muscu-

laire et de la direction des 711ouvcmcllls, même quand les yeux

REVUE DE PATHOLOGE NERVEUSE. 40

sont fermés. Ajoutons que le malade a un sentiment exact de la

flexion et de l'extension des membres. -- Au dynamomètre Mathieu

moyen on trouve 5 des deux côtés.

Dans la marche à pieds nus, on constate de nouveau que les

pieds s'élèvent outre mesure, que les talons, surtout le droit, ne

touchent pas le sol et que les orteils sont animés de mouvements

d'athétose. La marche ne parait pas modifiée, lorsque les yeux

sont fermés.

Lem... comprend tout ce qu'on lui dit et se rend un compte

exact de tout ce qui se fait autour de lui ; il sait très bien diffé-

rencier ce qui est bien de ce qui est mal, il a une bonne mémoire,

il est affectueux et très émotif.

Dans un prochain article nous ferons ressortir l'analogie du

début, des symptômes et de la marche de la maladie chez les

deux sujets qui font l'objet des observations qui précèdent et

nous essaierons de montrer les différences qui séparent l'affec-

tion dont ils sont atteints, des maladies qui paraissent s'en

rapprocher le plus : la chorée, la.sclérose en plaques, l'ataxie

locomotrice et l'ataxie héréditaire.

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE

XI. Cas d'atrophie musculaire PROGRESSIVE DU A une HYDROMYÉLir;

par M. le Dr C. «'ALLIS.

Un paysan de trente-huit ans avait commencé à s'apercevoir, il

y a dix-huit ans, de l'affaiblissement de sa main droite, puis

bientôt d'une dépression entre les métacarpiens. Les mêmes alté-

rations commencèrent à se produire à la main gauche, il y a

sept ou huit ans. Lors de l'entrée du sujet à l'hôpital Sabhatsberg,

le 3 janvier 1885, la main droite était en forme de griffe («in

Krallenstellung »), avec atrophie des muscles inlerusseux, ainsi

que des éminences thénar et hypothénar. Cet état existait éga-

lement, quoiqu'à un moindre degré, à la main gauche, qui

n'était toutefois pas crochue. Les muscles du bras et de l'épaule

du côté droit étaient a-issi légèrement atrophiés. On constata, en

406 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.

outre, un empyème du côté droit datant du mois d'octobre 1884,

la principale raison qui avait amené le malade à demander son

admission à l'hôpital, et dont il mourut au bout d'une semaine.

A l'autopsie, il fut découvert, outre l'empyème à droite, une

atrophie assez marquée des muscles de la main droite, qui pré-

sentaient de minces faisceaux d'un rouge jaune pâle, englobés

dans de la graisse ; atrophie moins considérable de la main gau-

che. La même atrophie et les mêmes altérations évidentes aux

deux avant-bras, ainsi qu'à un degré notable au niveau du del-

toïde et du muscle grand dentelé du côté droit.

L'examen microscopique montra que sur la plupart des points

des parties atrophiées, les fibres musculaires avaient perdu leurs

stries transversales et se trouvaient en voie de dégénération

graisseuse; le tissu conjonctif interstitiel était très abondant et rem-

pli de graisse. A peu près à un centimètre au-dessous de la moelle

allongée, le canal central de la moelle épinière se dilatait peu à

peu. Au niveau de l'origine de la deuxième et de la troisième

paire cervicales, il atteignait un diamètre de près de cinq centi-

mètres. Une atrophie excessive des cornes antérieures saute im-

médiatement aux yeux, tandis que les cornes postérieures ne sont

pas atrophiées, mais refoulées. La dilatation du canal continue

sans diminution et en conservant une forme parfaitement symé-

trique à travers toute la partie cervicale; passé cette partie, elle

commence à diminuer, de même que l'atrophie des cornes anté-

rieures ; mais ce n'est qu'au commencement de la partie lombaire

que la moelle épinière présente une section transversale parfaite-

ment normale. La moelle épinière n'est évidemment dilatée dans

sa totalité qu'à sa partie cervicale. La paroi du canal central di-

laté se compose d'une membrane scléreuse, blanche, d'environ

un centimètre d'épaisseur contenant un liquide transparent, très

fluide. {Rapport d'exercice de l'hôpital de Sa/.¡bals/'¡e1' ! J, à Stockholm

pour 1885.) A. R.

XII. Paralysies radiculaires supérieures du plexus brachial,

d'origine PIlOFESbIONr>'1;LLE; par C. V1Y.1Y. (Lyon 777,t(L., 1886,

t. LUI.)

L'observation qui fait la base de ce travail est celle d'un indi-

vidu jeune et bien portant qui, à la suite d'une compression per-

manente exercée par une courroie sur la région sus-claviculaire

gauche, a été atteint d'abord de quelques troubles sensitifs fuga-

ces, puis d'une paralysie des muscles de l'épaule et du bras cor-

respondants (type Duchenne-Erb.). Les réactions électriques ont

toujours été normales. La guérison est survenue graduellement,

grâce à l'emploi des courants faradiques, du massage, etc.

G. D.

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 407

XILI. PARALYSIE INFANTILE ; TUBERCULOSE PULMONAIRE ; HÉMIPLÉGIE

DROITE ; DIAGNOSTIC FAIT tuberculose pulmonaire ; hémiplégie

DROITE ; DIAGNOSTIC FAIT AU LIT DU MALADE : « TUBERCULE CÉRÉ-

BRAL ». Autopsie CONFIRMATIVE; découverte du bacille DE Kocu

dans l'intérieur DU tubercule ; par M. Sigaux. (Lyonmèd" 1886,

t. lui.)

Homme de quarante-trois ans qui, à la suite d'une paralysie

infantile, conserva une impotence presque absolue des deux

membres inférieurs et du membre supérieur gauche. Tous les

deux ou trois mois depuis un an, il était sujet à des attaques apo-

plectiformes, sans perte de connaissance. Au mois de février

1886, il eut une attaque d'hémiplégie droite et quelque temps

après mourut de tuberculose pulmonaire. '

A l'autopsie, on trouva dans l'hémisphère gauche un gros tu-

bercule occupant le lobule paracentral et qui empiétait sur les

circonvolutions pariétale et frontale ascendantes et sur la circon-

volution pariétale supérieure. Autour de ce tubercule, il existait

une zone de ramollissement inflammatoire. On constata la

présence de bacilles dans la tumeur. G. D.

XIV. Essai SUR l'hémichorée symptomatique DES maladies DE

l'encéphale ; par H. BIDON. (Rev. de Oléd., 1886.)

Sous le nom d'hémichorée symptomatique l'auteur englobe

tous les genres d'incoordination motrice consécutifs à une

lésion cérébrale, sauf la trépidation épileptoïde. 11 classe ces

divers genres en deux groupes suivant que l'incoordination se

montre soit pendant le repos seul ou durant le repos et le

mouvement (hémichorée proprement dite, athélose, hémipara-

l ? sie agitante) soit seulement pendant les mouvements voulus

(/iëMM<6;.rte, hémisclérose en plaques), puis il passe rapidement

en revue les principaux caractères de ces différents troubles

moteurs.

Etant donné un cas d'hémichorée, la nature de l'altération

causale n'est pas révélée par ce seul symptôme. En général

l'hémichorée se rattache à l'hémorrhagie ou aux ramollisse-

ments centraux mais elle peut aussi se montrer dans les

abcès, les tumeurs, les traumatismes de l'encéphale, etc..

L'aspect clinique est toujours le même malgré la diversité des

conditions étiologiques.

La constatation de l'hémichorée seule ne nous permet pas

davantage de prévoir le siège de la lésion, elle indique seule-

ment que cette lésion occupe un point quelconque du fais-

ceau pyramidal dans son trajet des circonvolutions à la moelle.

408 . REVUE DE pathologie NERVEUSE.

Il n'y a pas de centre distinct pour chaque variété d'incoordi-

nation.

Cette incoordination tient à la déséquilibration de l'antago-

nisme musculaire. L'équilibre est rompu à peu près toujours z

par la contracture (Brissaud), et quelquefois par la paralysie

(Ricoux). Le diagnostic pour être complet doit nous apprendre

à quel type de mouvement nous avons affaire et nous rensei-

gner sur le siège et la nature de la lésion. Quant au traite-

ment, il faut se laisser guider par les indications, prescrire un

traitement général s'il existe une diathèse, surtout la syphilis,

et combattre l'hémichorée elle-même par la gymnastique ra-

tionnelle, les courants continus et surtout l'application de

l'aimant. G.-D.

XV. Un symptôme fréquent de neurasthénie; par 0. 1OSENI3ACIr.

(Centi,albl. f. Nei,venfteik, 18SG.)

Tandis que les individus atteints d'une affection organique des

centres nerveux ferment au commandement sur-le-champ, com-

plètement, vigoureusement, les yeux, les névropathes simples se

mettent d'abord à cligner, ne fermant qu'incomplètement les

paupières, laissant le jour passer à travers une fente étroite, et

rouvrent les yeux immédiatement pour regarder autour d'eux

avec etfroi, avec angoisse. En vain leur renouvelle-t-ou l'injonc-

tion de fermer les yeux complètement, leurs efforts convulsifs de-

meurent vains et la comédie de tout à l'heure recommence; plu-

sieurs injonctions n'aboutissent qu'à une occlusion decourte durée,

ou même ils demeurent impuissants malgré leur bonne volonté.

Il semble que le neurasthénique soit préoccupé jusqu'à l'angoisse

de l'idée qu'il va fermer l'oeil, il craint une surprise désagréable,

soit de la part de l'entourage, soit de la part de son système

nerveux; un vertige, par exemple; en outre ses muscles indisci-

plinés ont peine à obéir à une énergique injonction et toute con-

traction énergique est impossible à obtenir d'un appareil muscu-

laire fatigué. P. K.

XVI. Troubles nerveux chez les arthritiques; par le Dr DELICNx

(DE TOUL). (Lyon Mf'fMc., 1886, t. 1JI.)

Les cinq observations contenues dans ce travail sont celles de

malades qui ont été soignés à Saint-Gervais pour des troubles

nerveux divers (insomnie, tristesse extrême, dégoût de la vie,

frayeurs nocturnes, etc...). Tout en reconnaissant que ces troubles

nerveux ont eu pour cause immédiate des influences dépressives

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE ' /¡OU

(chagrins violents, déceptions, ménopause, etc.), l'auteur croit

qu'ils doivent être rattachés à la dlatltèse arthritique, dont les

malades avaient présenté diverses manifestations (goutte, gra-

velle, rhumatisme, céphalées, etc...) dans le cours de leur vie, et

qu'ils sont le résultat du trouble apporté par cette diathèse à la

nutrition du système nerveux. Au point de vue du traitement,

l'auteur proscrit l'hydrothérapie et conseille une cure thermale

par les eaux chlorurées sulfatées faibles. G. D.

.

XVI. GLYCOSURIE au COURS DE la sclérose en plaques;

par Mon. 13. EDWARDS. (Reu. de Méd., 1886.)

Ayant observé de la glycosurie chez un malade atteint de sclé-

rose en plaques, du service de M. Charcot, Allie BI. Edwards a

rapproché de cette observation quelques cas analogues trouvés

dans les auteurs et tiré de l'examen de tous ces faits la conclu-

sion suivante : dans le cours du tabes, de la sclérose en plaques,

et, en général de toutes les affections des centres nerveux, carac-

térisées par des lésions scléreuses progressives et diffuses, on peut

voir survenir une glycosurie assez persistante qui dépend de

l'existence de ces lésions scléreuses au niveau du plancher du

quatrième ventricule. G. D.

XVIII. SCLÉROSE EN plaques. Grande amélioration SURVENUE A la

suite D'UNE fièvre TYPHOÏDE; par M. le Dr Couturier. (Loire

médicale, 1886.)

Le sujet de colle observation est un homme de vingt-six ans,

peintre-plâtrier, qui était soigné sans succès depuis près de deux

ans pour une sclérose en plaques, d'origine inconnue. L'amende-

ment des symptômes morbides et en particulier de l'épilepsie

spinale, s'est brusquement produit au cours d'une dothiénentérie

intercurrente, alors que tout traitement de l'affection médullaire

était suspendu. G. D.

XIX. NOTE SUR UN cas DE PSEUDO-.\IIN1NGITE hystérique, simulant

UNE méningite tuberculeuse; i par le DT NLI'N.1UD. (Lai1'e méd" 1886.)

Observation d'une jeune fille, âgée de quinze ans, qui présenta

pendant plusieurs jours des symptômes de méningite tuberculeuse

(céphalée, vomissements, constipation, délire, tache méningiti-

que, ralentissement du pouls, etc.), sans élévation notable de

la température. La maladie se termina par la guérison et l'auteur

pense qu'il a eu affaire à un cas de pseudo-méningite de nature

hystérique. La mère de cette jeune fille était névropathe, mais

elle-même n'a jamais présenté aucun des stigmates de l'hystérie.

G. D.

410 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE.

XX. Quelques remarques sur le rapport QUI EXISTE entre LE TABES

OU LA PARALYSIE PROGRESSIVE ET LA SYPHILIS ; par A. STRUEMPELL.

(Neul'ol. Centralbl , l 886.)

Soixante et un pour cent des tabétiques observés par l'auteur

avaient eu certainement la syphilis .antérieurement ; le Labes,

exceptionnel chez les femmes des classes élevées, devient fré-

quent chez celles des classes inférieures. Quand il existe dans

le premier cas, on constate la syphilis à coup sûr ou très proba-

blement (anamnestiques, avortements répétés). Il en est de même

pour la paralysie générale. De plus, ces deux maladies peuvent se

transformer l'une dans l'autre alternativement; elles présentent

nombre de symptômes communs (allures des pupilles, des réflexes,

et autres phénomènes spinaux). Enfin les altérations anatomiques

du tabesse rencontrent très habituellement dans la paralysie géné-

rale. Ce sont donc les mêmes agents nocifs dépendant le plus

généralement de la syphilis, qui atteignent, en un cas, lesyslème

des fibres périphériques et spinales (labes), en un autre, sinon ex-

clusivement, du moins surtout au début, certains territoires du

cerveau (paralysie générale). P. K.

REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE

I. NOTE SUR les NERFS DE l'articulation COXO-FÉMORALE;

par M. R. DUZEA. (Lyon Méd., 1886, t. LU.)

D'après M. Poncet toutes les déformations de la coxalgie

reconnaissent une cause générale constante : la contraction

musculaire réflexe. Désireux de vérifier cette théorie M. Duzea

a commencé par s'assurer, ainsi que l'avaient déjà établi

Beaunis et Bouchard, que les nerfs de l'articulation coxo-fé-

morale proviennent en avant du plexus lombaire et en arrière

du plexus sacré ; il a interrogé ensuite très minutieusement

une série de coxalgiques sur le siège de leur douleur au début

de la maladie, et il a constaté que chez tous les malades ré-

pondant au type de déformation caractérisée par la flexion,

l'adduction cl la rotation en dedans, la douleur avait cons-

tamment siégé au début en avant de l'articulation et que chez

REVUE d'anatomie ET DE PHYSIOLOGIE. 4'H 1

ceux, au contraire, dont le membre était placé dans la flexion,

l'abduction et la rotation en dehors, la douleur initiale siégeait

en arrière un peu en dedans du grand trochanter. M. Duzea a

conclu de ces faits qu'une douleur constante et localisée en un

point défini devait être en relation avec une lésion localisée

au même point et que celle-ci était le point de départ d'un ré-

flexe dont la voie centripète et centrifuge se passait dans le

plexus nerveux et, réagissant sur les muscles correspondants,

produisait un type spécial de déformation. G. D.

II. NOTE sur LES nerfs DE l'articulation COSO-FI3)(OR.\LE j

par A. Ca : ANDELUx. (Lyon mets, 1886, t. Ll.)

Des dissections nombreuses pratiquées par l'auteur résultent

les faits suivants : 1° l'articulation de la hanche reçoit des nerfs

de deux sources bien distinctes. En avant, les filaments nerveux

proviennent du plexus lombaire par la branche musculo-cutanée

interne du crural. En arrière ils sont fournis par le plexus sacré,

soit directement, soit par l'intermédiaire d'une branche muscu-

laire ; 2° les nerfs aboutissent plus particulièrement à la partie

interne de la capsule; 3° la hranche fournie par le crural est une

bifurcation du nerf qui se rend au pectine.

Ces données permettent d'expliquer comment dans certaines

coxalgies d'origine capsulaire, la douleur est réveillée par la

pression directe de la fête fémorale, au-dessous de l'arcade de Fal-

lope, et par les mouvements de rotation en dehors. Les rapports

du nerf articulaire antérieur avec le pectiné, muscle fléchisseur

et adducteur de la cuisse, nous expliquent également qu'il suffit

d'une lésion, de la portion antéro-interne de la synoviale

pour déterminer l'adduction du membre avec rotation du pied

en dehors. G. D.

III. Sur LE centre cortical DE la déviation conjuguée;

par M. Ed. Blanc. (Lyon méd., 1886, t. LU.)

Observation d'une malade qui, à la suite d'une attaque d'apo-

plexie, présenta une hémiplégie droite avec déviation conjuguée

des yeux et de la face à gauche.

A l'autopsie, on trouva dans l'hémisphère gauche un foyer hé-

morrhagique récent occupant le tiers moyen de la frontale ascen-

dante (paralysie complète du bras droit), empiétant un peu sur

le tiers supérieur de celle même circonvolution (paralysie incom-

plète du membre inférieur droit) et qui avait en outre détruit le

pied de la deuxième frontale.

1''L ! REVUE d'anatomie ET DE physiologie.

L'auteur pense que c'est à cette dernière lésion qu'il faudrait

attribuer la déviation conjuguée des yeux. Cette observation vien-

drait donc à l'appui de la théorie de Ferrier qui tend à localiser

le centre rotateur dans le pied do la deuxième frontale. On sait

que d'autres auteurs (Grasset, Landouzy, Charcot, etc.) ont pl acé

au contraire ce centre dans la région du lobule pariétal inférieur.

G. D.

IV. DE la STRUCTURE DE la MOELLE CHEZ LES microcéphales.

Contribution à la connaissance de l'influence qu'exerce le cer-

veau antérieur sur le développement des autres parties du

système nerveux central; par Alexandra STEINLECHNEit-

GRETSCHISCHNIICOFF. Appendice, par M. FLESCH. (A2,ch. f.

Psych., XVII, 3.)

L'auteur fait remarquer ce qui suit sur les deux observa-

tions décrites. Dans ces deux cas, on constate de la micro-

myélie, sans qu'il soit possible de la rattacher à des lésions

localisées ; l'arrêt de développement de la moelle porte sur la

substance blanche et, en particulier, sur les pyramides et les

cordons de Goll, un moindre degré sur les cordons anté-

rieurs, et sur les faisceaux latéraux cérébelleux. Il semble que

la région des cordons cunéiformes soit restée indemne. Une

des préparations relatives au degré le plus accusé de micro-

céphalée témoigne de la diminution d'un certain nombre de

cellules nerveuses. Il semble qu'il y ait dans l'espèce plutôt

agénésie que dégénérescence. Les parties de la moelle les

plus atteintes sont celles qui contiennent des trousseaux de

fibres en rapport immédiat avec le cerveau, mais une partie

des fibres y a persisté ; ce sont celles qui devaient se déve-

lopper ultérieurement qui se sont arrêtées en route.

Conclusions. 1° La formation des libres nerveuses de la moelle qui

correspondent aux pyramides dans les cordons latéraux est défectueuse

dans les cas de destruction précoce du cerveau. La genèse de ces fibres

est donc sous la dépendance directe de certaines parties du cerveau ;

2° dans la région des pyramides, dans les cordons latéraux d'individus

microcéphales, il existe encore, malgré les plus hauts degrés de malfor-

mation, un certain nombre de fibres. Cette région contient donc des fi-

bres qui dépendent de portions centrales situées plus bas que le cerveau ;

3" les cordons de Goll sont aussi en relation avec le développement

normal du cerveau ; 40 les fibres radiculaircs des cordons anté-

rieurs paraissent chez les individus microcéphales moins volumineuses.

Mais, même chez les microcéphales très accentués, on les voit encore

croître, ce qui prouve que leur développement ne dépend qu'indirec-

REVUE d'anATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE. 413

tement du cerveau et que cette dépendance est moins absolue qu'en ce

qui concerne les faisceaux pyramidaux et les cordons de Goll; 50 les

cellules nerveuses des cornes antérieures sont en moins grand nombre

chez les microcéphales très accentués. Donc un trouble prpcoce du déve-

loppement cérébral peut arrêter cette formation cellulaire, et la formation

de la substance grise spinale est soumise à l'influence de l'expansion

cérébrale. P. KÉRAV.1L.

V. DE l'influence DE l'écorce DU cerveau SUR la PRES-

SION sanguine ET l'activité DU COEUR ; par W. BECHTEREW

et 111SSLAVSIiY. (Neurol. Centralbl., 188G.)

Expériences pratiquées sur des animaux curarisés, surtout

chez des chiens : enregistrement; appareil d'induction de du

Bois-Reymond ; utilisation de courants faibles produisant sur

la pulpe du doigt humide, ou môme sur la langue et les lèvres,

une sensation à peine perceptible. Les électrodes sont formées

par des aiguilles distantes l'une de l'autre de 4 à 7 millimètres.

Les excitations corticales ne durentpasplus de trente secondes.

Excitation de la région motrice. - 1° Celle de la partie toute

postérieure du gyrus sigmoïde (en arrière du sillon crucial), du

segment postérieur des première et deuxième circonvolutions

primitives, de la partie médiane de la zone antérieure du gyrus

sigmoïde (en avant du sillon crucial), détermine une augmen-

tation de pression qui s'établit à la suite d'une phase latente

plus ou moins longue ; 2° la pression après avoir diminué

augmente quand on excite différents points de la partie ex-

terne ou moyenne du segment antérieur du gyrus sigmoïde

et la zone adjacente de la deuxième circonvolution primitive ;

quelquefois cependant, dans ces conditions, on ne constate que

de la diminution de pression. 3° L'excitation de la région

de passage entre le segment antérieur et le segment postérieur

du gyrus sigmoïde (bord externe du sillon crucial) détermine

généralement une augmentation de la pression qui s'installe

après une période de latence ; quelquefois cependant la pres-

sion baisse. L'excitation des parties moyennes de l'ltémispltèl'e

(lobe pariétal) en des points déterminés des deuxième et troi-

sième circonvolutions originelles et sur l'extrémité postérieure

de la portion de la quatrième qui environne la scissure de Sylvius

détermine un abaissement de pression qui n'est jamais suivi

d'hyperpression. C'est la région occipitale qui semble prendre

le moins part à l'action vaso-motrice : action nulle sur la pres-

sion sanguine. En ce qui concerne le coeur, quelles que soient

4 H revue d'anatomie ET DE physiologie.

les modifications de la pression que l'on obtienne par l'excitation

de la région motrice, jamais le pouls ne bat plus vite ; quel-

quefois cependant on note au début un peu d'accélération

suivi d'un léger ralentissement. Les autres régions n'ont pas

décelé d'influence à cet égard.

Régions centrales du cerveau. Leur excitation détermine tou-

jours une exagération de la pression sanguine. C'est surtout

celle de la couche optique et du globus pallidus du noyau

lenticulaire qui exerce l'action la plus nette. La pression est

encore manifestement augmentée quand on excite la capsule

interne ; c'est son segment antérieur qui parait exercer la

moindre hyperpression. L'effet le plus faible émane de l'ex-

citation du noyau caudé (corps ou queue). Les résultats ne va-

rient du reste pas lorsqu'on a réséqué les champs corticaux

moteurs de l'animal et qu'on a, de ce fait, déterminé une dégé-

nérescence secondaire des faisceaux pyramidaux; par consé-

quent les ganglions centraux (globus pallidus du noyau lenticu-

culaire et couche optique) ont bel et bien la propriété d'exa-

gérer directement la pression sanguine. Et les hémisphères

cérébraux renferment, en sus des faisceaux pyramidaux, des

fibres corticales qui se rendent aux ganglions centraux et

servent à transmettre les ordres de l'écorce à la tonicité

vasculaire.

MM. Bechtcrew et Misslawsky mentionnent finalement que,

d'après leurs dernières recherches, il arrive très souvent, en

excitant la surface du territoire antérieur de l'écorce, qu'on

observe d'abord de l'accélération du pouls puis du ralentisse-

ment, ou quelquefois inversement mutais mutandis. Si l'on

sectionne les pneumogastriques, l'influence d'arrêt de l'écorce

sur le coeur disparaît.

Substance blanche (ablation couche par couche de l'écorce).

L'excitation d'un point déterminé de la couronne rayonnante

correspondant à la frontale ascendante détermine un ralentis-

sement extrêmement marqué, et, si l'on continue, l'arrêt du

coeur en diastole (comme si on excitait le bout périphérique

du pneumogastrique). 2° L'excitation de la partie posté-

rieure de la couronne rayonnante exagère la pression sans que

le coeur soit en rien atteint. 0

Enfin l'excitation de la portion externe de la couche optique

ralentit d'abord le pouls, puis arrête le coeur en diastole.

P.K.

REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE. 115

VI. DE la pression GERÊURALE ET DE la COIPnESSI01LITÉ DU cerveau-

par Grasiiev. (Allg. Zeitsch. f. Psych., XLIII, 3.) ,

L'auteur a inventé un piézomètre qu'il décrit, et à l'aide duquel

(nous passons la partie technique) il a mesuré la compressibilité du

cerveau à diverses distances de la mort; cette compressibilité

augmente rapidement à mesure que le cerveau de moins en moins

frais, tend vers la putréfaction. Tant que les encéphales de poules

demeurent frais, et cela même vingt-trois heures après la mort, la

compressibilité à une atmosphère n'est que de 36 millionièmes 63,

landisquel'eau bouillie, sous une même pression, a une compres-

de 46 millionièmes'23. Mêmes résultats sur des encéphales

de pigeons sains. Donc, le tissu nelveux des animaux récemment

tués est moins compressible que l'eau bouillie. -En ce qui concerne

la pression contre la manière de voir d'Adamkiewicz ' relative aux

relations et à la dépendance qui existe entre le liquide céphalo-

1 achidien et la pression sanguine, M. Grashey rappelle que cette

mérite physique change quand il s'agit de liquides en mouvement

comme ceux qui occupent l'intérieur du crâne de l'homme vivant.

Il rappelle son expérience ? Un tube élastique (vaisseau sanguin)

traverse une cage fermée (crâne) à parois rigides, remplie de liquide

(céplialo-racliidien), parfaitemen étanche aux points d'arrivée etde

sortie du tube. Fermons un des bouts du tube élastique et introdui-

sons-y une quantité croissante de liquide (pression accélérée du

sang), ou a beau augmenter continuellement la pression par ce

procédé, le tube élastique ne se comprime pas. Si, au contraire,

on ouvre l'extrémité de ce tube, et que par suite il s'établisse un

courant, on le voit se comprimer et la circulation s'arrêter.

P. K.

VII. Remarques sur la structure DES cellules nerveuses ganglion-

NAiRn-z par M. FLESCJI et II, KO;'iEFF, (neural. Centralbl., 1886.)

Kreyssig a trouvé que les cellules nerveuses de la moelle

(1711-choiv,s. Archiv., t. CII, p. 386; présentaient des aptitudes di-

verses à la coloration. Or, il en est de même et il s'agit des

mêmes variétés de colorations, pour les cellules des ganglions spi-

naux, du ganglion de Gas-er, des ganglions du grand sympa-

thique. Cela dépend des variétés de structure (état granuleux,

constitution et variétés d'aspect des noyaux). Toutes les cel-

lules contiennent des vacuoles, et non seulement une vacuole

centrale, mais plusieurs une foule de vacuoles marginales. Sans

' Voy. Archives de Neurologie.

' vos. Archives de Neurologie, t. XI, p. 103j t. XII, p. iOJ.

416 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE.

doute c'est un phénomène cadavérique, mais en rapport avec

les conditions de structure antérieures du protoplasma. (Voyez

principalement le ganglion de Gasser du boeuf et du veau.) L'es-

pace péri-cellulaire tient à leur genèse et à lenr confluence, ou,

du moins, la vacuolisation produit une série de phénomènes en

vertu desquels le protoplasma se détache graduellement de la

capsule. P. K.

VIII. Etat CEPHALOMÊTRIQUE dans la cécité corticale congénitale ;

par M. BENEDII : T. (Neurol. Cenlralbl., 1886.)

Chez un malade de 35 ans, aveugle de naissance, ne présentant

plus que des traces de perception lumineuse de l'oeil gauche,

(altération papillaire, mai 1884), atteint en mai 1883 de choroï-

dite bilatérale avec glaucome de l'oeil droit, on constate une

aplasie manifeste de l'os interpariétal (écaille de l'occipital). 1lI.Be-

nedikt en conclut qu'il existe concurremment une aplasie des lobes

occipitaux, ou des centres visuels de Munit. Il est évident que cet

état ne se rencontre que dans la cécité congénitale ou précoce

procédant d'une aplasie corticale du lobe occipital. Cette obser-

vation est doac des plus intéressantes. P. K.

IX. Contribution A l'étude DE l'innervation DES mouvements DE

l'expression; par P. HOSEi'OE \CII. (New'ol. Centrnl6l., i 886.)

Observation de lésion en foyer probable (absence d'autopsie)

de l'hémisphère droit, n'ayant pas atteint les faisceaux de la mo-

tilité volontaire (hémiplégie passagère, rétablissement presque

complet des mouvements du bras et de la face), mais ayant pro-

duit une paralysie isolée de la mimique dans la moitié gauche de

la face. Par suite, il y a lieu de supposer que les faisceaux céré-

braux qui président à l'innervalion des jeux de la physionomie sont

séparés de ceux qui président à la molilité volontaire. Cette pa-

ralysie de la mimique est associée à do l'hémianopsie ; déficit

des moitiés gauches du champ visuel, permettant de conclure à l'in-

terruption des impressions visuelles qui gagnent le cerveau parla

bandelette optique droite. Celle interruption peut être produite

soit dans la bandelette même, soit dans la terminaison occipitale

de cette dernière, soit dans ses relais (corps genouillés et tuber-

cules quadrijumeaux) au voisinage de la partie postérieure de

la couche optique. Comme, dans l'espèce, il n'y a lieu d'admettre

ni une lésion disséminée, ni une altération des tubercules qua-

drijumeaux, il n'y qu'un seul territoire qui puisse, chez notre

malade, engendrer l'ensemble des symptômes de déficit en ques-

tion, c'est la couche optique. (Voyez notamment Gowers et Gayet

en ce qui concerne la mimique.) P. Kéraval.

BIBLIOGRAPHIE. 417 ï

.

VI. THE comparative ANATOMY OF THE PYRAMID tract; par E.-C.

SPITZKA. (Tirage à part du Journal of Comparative Medicine and

Surgery. New-York, 1886.)

Etude comparative chez les principaux types des mammifères

des éminences en forme de colonnes qui bordent de sillon longitudi-

nal de la face antérieure ou inférieure de la moelle allongée et qui

sont les représentantes des pyramides de l'encéphale humain. On

y rencontre trois espèces d'organes : les vraies pyramides (homme,

carnassiers, rongeurs, chauves-souris), la couche intermédiaire des

olives (éléphants) les olives inférieures (dauphin). Les vraies

pyramides manquent absolument chez ces deux types. Les vraies

pyramides sont de deux catégories : dansjl'une, le long du sillon

longitudinal en question, existe un trousseau puissant qui s'entre-

croise avec un autre du côté opposé (cordon latéral des primates,

des chéiroptères, des carnivores, des rongeurs). Dans l'autre, on

a affaire à un trousseau étroit, mal limité, dépourvu de tout

entre-croisement. Toute vraie pyramide prend son origine dans

la zone motrice de la surface du cerveau, gagne la partie posté-

rieure du genou de la. capsule interne, forme partie constitu-

tive du pédoncule, traverse les fibres transverses de la protubé-

rance, semble séparée de la couche intermédiaire des olives par des

fibres transversales, se trouve dans un plan inférieur par rapport au

corps trapézoïde, en dedans et au-dessous des olives inférieures, et

va rejoindre, après avoir croisé le raphé, la moitié opposée de la

moelle. L'entre-croisement s'effectue de trois manieres : la plus

grande partie des fibres des pyramides gagne le cordon latéral

entre-croisé (primates, carnivores, quelques rongeurs); -chez les

cochons d'Inde et les rats une grande partie des fibres des pyra-

mides gagne le cordon postérieur entre-croisé; -chez les chauves-

souris, l'entre-croisement s'exécute à la surface de l'encéphale, les

fibres gagnant alors la zone-latérale du bulbe. P. K.

BIBLIOGRAPHIE

VII. De la crampe des écrivains et de son traitement; par E. Lallemand.

(Th., Paris, 1887.)

Ce travail ne contient qu'une observation personnelle, mais

prise avec minutie et rigueur scientifique, qui a fourni à l'auteur

l'occasion d'une dissertation peu originale sur la crampe des

Archives, t. XIV. 27

4'J8 s BIBLIOGRAPHIE.

écrivains, et surtout d'un exposé critique des méthodes de traite-

ment, à la suite duquel il préconise le procédé de Neftel.

Notons dans le chapitre consacré à l'étiologie la part que fait

M. Lallemand il l'influence de la prédisposition nerveuse dans le

développement de la névrose professionnelle. Il s'agit encore là

' dans l'espèce d'une application particulière de la loi de l'hérédité

dans les maladies du système nerveux formulée par M. Charcot.

L'auteurénumère les diverses théories auxquelles se sont ralliés

les auteurs quant à la pathogénie de cette affection, mais ne se

prononce en faveur ni de l'origine centrale, ni de l'origine péri-

phérique du spasme. - Le traitement de Neftel auquel il se ral-

lie consiste en applications électriques : courants galvaniques

ascendants au début, puis courants induits, ensuite en augmen-

tantprogressivement leur intensité jusqu'à obtenir la tétanisation.

P. 13LOCQ,

VIII. Etude clinique de la céphalée neurasthénique ; par G. LAFossE.

- (Th., Paris, 1887.)

* L'auteur, dans ce travail inspiré par M. Charcot, s'est proposé

d'explorer un des points de ce territoire encore mal connu qu'on

appelle la neurasthénie, et s'est donné comme but d'étude la

description d'un des symptômes cardinaux de la maladie. Il éta-

blit que parmi les variétés de maux de tête dont se plaignent la

majorité des neurasthéniques, il en est une qui par sa fréquence,

par sa durée, par la constance et la précision de ses caractères,

peut être considérée comme la céphalée régulière, légitime, typique

de la neurasthénie, car cette céphalée si nettement définie se

'différencie aisément de celles que l'on peut rencontrer dans les

autres affections. Aussi M. Lafosse s'est-il cru en droit de créer un

type clinique, qu'il appelle la céphalée neurasthénique.

Après un court chapitre d'historique dans lequel il expose les

phases successives qu'a traversées la neurasthénie avant d'acquérir

une individualité propre, une place bien déterminée dans le cadre

des névroses, il indique l'état des connaissances actuelles sur celte

affection en général. La description détaillée de la céphalée neu-

rasthénique vient ensuite. Elle est presque toujours exclusivement

diurne, son intensité est modérée, c'est une sensation pénible de

pression et de serrement plutôt qu'une douleur au sens propre du

mot. Dans le type complet, la céphalalgie est localisée à une

zone circulaire, à maximum occipital, donnant l'impression d'une

coiffure pesante et étroite à constriction postérieure (casque neu-

rasthénique de M. le professeur Charcot), mais fréquemment la

douleur s'atténue à la partie antérieure de cette zone, et la sen-

sation se réduit à celle d'un demi-casque, enfin elle est parfois

BIBLIOGRAPHIE. 419

moins étendue encore et comparable à un crampon placé à la

région occipitale.

Après l'esquisse d'autres formes moins pures de la céphalée

neurasthénique et quelques mots sur les phénomènes, vertiges,

sensations subjectives diverses, etc., qui peuvent accompagner la

céphalée, l'auteur fait le diagnostic différentiel d'avec les cépha-

lées syphilitiques, d'avec l'encéphalopathie des tumeurs céré-

brales, des adolescents, de l'urémie, etc., et termine par quelques

brèves considérations sur le pronostic et le traitement.

Ce travail fait avec soin s'appuie sur des documents statistiques

d'une valeur scientifique certaine, constitués par le résumé de

toutes les observations de neurasthénie recueillies à la clinique

des maladies nerveuses pendant l'année 1886. Ces observations

ont été prises par les élèves du service avant que l'auteur n'eût

choisi le sujet de son travail. Aussi, plusieurs d'entre elles sont

fort incomplètes à ce point de vue particulier, mais la statistique

n'en est que plus probante. P. B.

IX. Contribution à l'étude pathogénique de l'amyotrophie tabétique ;

par I. Condoléon. (Th., Paris, 1887.) .)

Il s'agit dans ce travail d'une observation bien prise d'amyotro-

phie tabétique à propos de laquelle l'auteur, élève de M. Jeoffroy,

cherche à déterminer ce qui, dans ces troubles trophiques, est sous

la dépendance des lésions nerveuses centrales, et ce qui revient

aux altérations périphériques des nerfs. Les caractères de l'amyo-

trophie sont d'abord précisés : on ne la peut confondre ni avec la

flaccidité et la mollesse musculaires propres au tabes, ni avec l'a-

maigrissement produit par un long séjour au lit. Mais cela ne

suffit pas pour décider si l'amyotrophie est spinale ou névritique.

Plusieurs observations montrent avec la plus grande netteté

l'existence de lésions médullaires, étrangères à l'évolution nor-

male du tabes, et en rapport avec l'apparition de l'atrophie

musculaire.

D'autre part, les faits dans lesquels ou a rencontré des névrites

périphériques ne sont pas absolument probants, cette lésion pou-

vant être mise sur le compte d'affections intercurrentes, tuber-

culose, cachexie, artério-sclérose, etc.

Aussi, dans l'état actuel de nos connaissances, peut-on conclure

que l'amyotrophie tabétique reconnait pour origine une lésion

des cellules motrices des cornes antérieures de la moelle, comme

MM. Charcot et Pierret l'ont démontré; il n'est que vraisemblable

qu'elle puisse être sous la dépendance d'une névrite périphérique.

P. B.

420 BIBLIOGRAPHIE.

X. Recherches cliniques et thérapeutiques sur l'épilepsie, l'hystérie et

l'idiotie. (Compte rendu du service des épileptiques et des

enfants idiots et arriérés de Bicêtre pendant l'année 1886) ; par

Bourneville, ISCH WALL, BAU11GARTIsN PILLIET, COURBARIEN et

BRICON.

Le simple aspect de ce nouveau volume suffit à montrer que

le zèle du distingué médecin de Bicêtre et de ses collaborateurs,

loin de s'amoindrir, ne fait qu'augmenter avec les années. Ce

volume contient, en effet, près de cent pages de plus que

ses aines.

Dans la partie spécialement administrative, nous constatons un

certain apaisement, la période de combat est presque achevée, le

service a pris son équilibre, l'ère des résultats est proche. Et,

d'ailleurs, ceux qu'a obtenus pour cette année M. Bourneville ne

sont déjà pas à dédaigner : en décembre 1886, cent cinquante-trois

malades, parmi les trois cents environ dont se compose le ser-

vice, recevaient l'instruction professionnelle comme menuisiers,

cordonniers, tailleurs, serruriers, vanniers, rempailleurs. Un assez

grand nombre de ces malades est même déja parvenu à une habi-

leté suffisante dans ces divers travaux; de telle sorte que voilà

des adolescents que l'on a mis en possession d'un métier, dont on

a ainsi élargi un peu le cercle des idées, à qui on a évité ce mal

qui empire tous les maux, l'oisiveté. Et cette bonne action, qu'a-

t-clle coûté à l'Assistance publique ? - Rien ! Loin de là, elle lui a

rapporté. Dans le tableau dressé par les soins de M. Bourneville

nous voyons, en effet, que les cinq maîtres chargés de donner

l'enseignement professionnel aux malades ont coûté 11,800 francs

pour l'année, tandis que le travail de leurs élèves représente une

valeur de di;800 francs, soit un reliquat de 6,000 francs. De telle

sorte que ces apprentis arrivent non seulement à payer eux-

mêmes leurs maîtres, mais encore parviennent à indemniser,

dans une certaine mesure, l'administration des dépenses que leur

entretien nécessite. - N'est-ce pas ainsi que l'on doit comprendre

l'assistance publique dans son sens le plus vrai et le plus élevé ? ` ?

L'année ·1886 a été celle de l'ouverture du pavillon d'isolement

qui, d'après la description et les plans qui y sont joints semble

réunir un ensemble de conditions hygiéniques bien rarement t

réalisé en France; c'est ainsi, par exemple, que toutes les mesures

sont prises pour que le personnel affecté à ce pavillon n'ait aucun

contact avec les infirmiers ou les malades des autres salles, et que

des précautions particulières permettent la désinfection immé-

diate du linge sale.

Dans la partie clinique, signalons un très remarquable travail de

MM. Bourneville et Bricon sur « l'idiotie compliquée de cachexie

pachydermique (idiotie crétiiioïde) ». Ce travail comprend deux

SÉNAT. 421 1

grandes divisions : dans l'une sont groupées les différentes obser-

vations d'idiotie compliquées de cachexie pachydermique et no-

tamment l'observation du célèbre « pacha » avec autopsie des

plus minutieuses et nombreuses ligures dans le texte; dans

l'autre, les auteurs se livrent à l'examen des cas où l'extirpation

de la glande thyroïde fut suivie de cachexie pachydermique.

On trouvera encore dans ce volume une observation de tuber-

cule de la protubérance (en collaboration avec M. Isch Wall) à

laquelle sont annexées une revue des cas du même genre et des

considérations sur cette affection.

Parmi les autres cas intéressants suivis d'autopsie dont l'his-

toire clinique est ici rapportée, plusieurs ont trait à des idiots

présentant soit une atrophie cérébrale double, soit une sclérose céré-

brale diffuse, soit une encéphalite avec foyers de ramollissement.

Signalons encore des cas d'épilepsie avec démence, imbécillité,

un cas d'alcoolisme chez un enfant de quatre ans; un cas d'ectro-

mélie unilatérale avec rein unique, etc. '

Le volume se termine par des considérations sur la température

dans l'épilepsie, tant dans les accès isolés que dans les accès sériels

ou dans l'état de mal. M. Bourneville par les nouvelles recherches

auxquelles il s'est livré à ce propos se trouve en mesure de con-

firmer les conclusions qu'il avait formulées en 1870 sur la marche

de la température dans l'épilepsie, conclusions qui, jusqu'alors

adoptées d'une façon générale, avaient été contestées dans un

article récent du Be1'line/' Klin. Wochenschr.

SENAT

DISCUSSION DU PROJET DE LOI SUR LES ALIÉNÉS

Séance du jeudi 2 décembre 18861.

M. le Président. L'ordre du jour appelle la suite de la première

délibération sur le projet de loi portant révision de la loi du

30 juin 1838 sur les aliénés. La parole est à M. le rapporteur

sur l'article 11.

' Voy. Arcli. de Neurologie. XIII, p. 135, 238, 139 et t. XIV, p. 135, 307.

422 2 SÉNAT.

nI. THÉOPHILE RousseL, rapporteur. Messieurs, l'article 11, sur

lequel vous êtes appelés en ce moment à voter, nous amène à la

2° section du titre 1° du projet de loi. Cette section est intitulée

«de la Surveillance des asiles des aliénés ». Elle comprend cinq

articles qui sont si intimement unis l'un à l'autre, qu'avant d'en-

tamer la discussion sur l'article il il est nécessaire que je soumette

au Sénat quelques explications sur la 2° section tout entière.

La commission a ajouté ces cinq articles au projet du Gouver-

nement pour combler la plus grande lacune de la loi de 1838, la-

cune que, suivant nous, le projet ministériel laissait subsister dans

des conditions qui en auraient rendu les conséquences encore plus

graves à cause de l'extension nouvelle aux aliénés traités dans les

domiciles privés.

Je ne reviendrai pas sur les reproches adressés à la loi de 1838

au point de vue de la surveillance qu'elle a instituée, du contrôle

des placements dans les asiles et de la protection des intérêts des

aliénés. Les défenseurs les plus autorisés de cette loi, ceux qui lui

ont rendu justice avec le plus d'autorité pour les grands services

qu'elle a rendus, n'ont pas contesté son insuffisance au point de

vue du contrôle et de la surveillance. J'ai déjà rappelé ici l'aveu

fait en 1867, par M. Suin, au milieu des éloges qu'il lui adressait

devant le Sénat et l'Empire, que cette loi n'avait pas été assez mé-

fiante, n'avait pas assez veillé à l'exécution de ses prescriptions.

La tendance qui a dominé les législateurs de 1838, inspirée par

l'intérêt même qu'ils portaient à l'aliéné, a été de faire une loi

d'exécution prompte et facile, dégagée le plus possible des len-

teurs et des complications de l'action judiciaire. « Nous ne vou-

lons pas faire une loi judiciaire », disait expressément M. Vivien,

le rapporteur de la loi. On voulait faire plutôt une loi administra-

tive et surtout une loi d'assistance; mais on a voulu cependant, et

on l'a sincèrement voulu, établir une surveillance; seulement, on

n'y a pas réussi. Pour s'en convaincre et pour l'expliquer, il suffit

de rappeler les termes de l'article 4 de la loi, dans lequel se trou-

vent réunis et résumés tous les éléments de surveillance établis

par la loi en faveur de la liberté individuelle et du contrôle des

placements dans les asiles.

Cet article est ainsi conçu : « Le préfet et les personnes spécia-

lement déléguées à cet effet par lui ou par le ministre de l'inté-

rieur, le président du tribunal, le procureur du roi, le juge de

paix, le maire de la commune, sont chargés de visiter les établis-

sements publics ou privés consacrés aux aliénés. - Ils recevront

les réclamations des personnes qui y seront placées, et prendront,

à leur égard, tous renseignements propres à faire connaître leur

position. - Les établissements privés seront visités à des jours

indéterminés, une fois au moins chaque trimestre, par le procu-

reur du roi de l'arrondissement. »

SÉNAT. 423

Assurément les intentions du législateur qui faisait appel à l'in-

tervention de tant de fonctionnaires pour surveiller les placements

étaient excellentes. Il témoignait fermement l'espoir que la sur-

veillance qu'il instituait ainsi dans la loi serait effective, constante,

efficace : « La surveillance constante à l'égard des établissements

d'aliénés, disait M. Vivien, est une garantie nécessaire et doit être

comme le préambule des mesures par lesquelles des aliénés seront

placés dans ces établissements. » On comptait que cette garantie

résulterait de la double intervention des représentants de l'admi-

nistration et de la magistrature. « Leur concours, disait encore

M. Vivien, en parlant des délégués de l'administration, aura pour

résultat de rendre la surveillance active et vigilante. Nous espé-

rons qu'elle s'exercera réellement. Nous n'entendons pas prononcer

une oiseuse prescription...; le Gouvernement engagerait grave-

ment sa responsabilité, s'il négligeait d'user de l'autorité que la loi

lui confie ».

Eh bien ! pour être plus bref et ne pas m'arrêter à la longue

série de documents qui permettent d'affirmer que les espérances

du rapporteur de 1838 ne se sont pas réalisées, je m'en tiendrai à

une citation; je l'emprunterai à l'administration elle-même, ou

plutôt à l'un de ses représentants les plus autorisés en cette ma-

tière. M. de Crisenoy qui, comme directeur de l'administration

départementale et communale, s'est trouvé à la tête du service

des aliénés et qui, précédemment, comme préfet degrands dépar-

tements, avait étudié avec soin et de très près le fonctionnement

local de ce service, a publié précisément à l'occasion de la revision

qui nous occupe un travail très étudié, dans lequel il a proposé un

système de contrôle qui comprend les mêmes éléments que celui

de la commission, mais avec plus d'autonomie et des dispositions

plus originales. Lorsque, dans cette étude, il en vient à apprécier

le fonctionnement du système de surveillance de la loi de 1838, il

s'exprime ainsi :

« Le défaut capital de la loi de 1838 est d'avoir établi un système

de surveillance et de contrôle qui n'existe que sur le papier et ne

fonctionne pas réellement, et cela pour deux motifs : le premier,

qu'on a confié la Hlrleillance à un trop grand nombre de per-

sonnes, d'où il résulte qu'aucune d'elles, en particulier, n'en a la

responsabilité; le second, que, ne voulant pas faire les frais de

cette surveillance, on en a imposé la charge à certains fonction-

naires à titre de supplément de fonctions, ou gratuitement à des

personnes de bonne volonté. Or, on peut être certain qu'en fait

tout service exigeant un travail régulier, soutenu, et qui n'est pas

rémunéré, ne s'exécute pas. »

Dans ces lignes, M. de Crisenoy résumait en quelque sorte les

résultats de la même expérience acquise par l'administration sur

l'application de l'article 4 de la loi de 1838. Ce que je viens de

434 Il SÉNAT.

dire s'applique plus particulièrement à la surveillance établie en

vue de la protection de la liberté individuelle. Mais la loi de 1838

avait en vue aussi la surveillance à établir pour la protection des

intérêts matériels et l'administration provisoire des biens des

aliénés. Sous ce rapport, on peut dire que son texte laissait beau-

coup à faire au Gouvernement, qui, en 1881, en a entrepris la re-

vision.

Lorsque le législateur de 1838 traita cette question de l'adminis-

tration provisoire des biens, il s'arrêta à l'idée d'une « commis-

sion de surveillance » et exprima sa pensée, dans l'article 31, en

ces termes' : « Les commissions administratives ou de surveillance

des hospices ou établissements publics d'aliénés exerceront à

l'égard des personnes non interdites qui y seront placées les fonc-

tions d'administrateurs provisoires; elles désigneront un de leurs

membres pour les remplir, etc. » ,

Ainsi, la loi semblait admettre, sans rien préciser à cet égard,

l'existence pour les asiles publics d'aliénés de même que pour les

hospices dans lesquels se trouvent des quartiers spécialement af-

fectés aux aliénés, de commissions administratives ou de surveil-

lance. Elle n'ajoutait rien d'ailleurs aux attributions ordinaires

de ces commissions, si ce n'est pour leur attribuer l'administra-

tion des biens des aliénés.

Les « quartiers d'hospice », dont le nombre est heureusement

restreint aujourd'hui à 13 ou 14, étaient alors au nombre de 24 et

contenaient une très grande partie des aliénés internés. Mais,

malgré cette circonstance, on voit facilement par les détails qui

précèdent combien était indéterminée, vague et insuffisante la

protection donnée par la loi à l'administration des biens des

aliénés.

On le sentit dès qu'il fut question de s'occuper de la mise en

pratique de la loi, et l'ordonnance royale du 18 décembre 1839 dut

régler la constitution, complétée par un arrêté ministériel de

1857, des commissions de surveillance des asiles publics d'aliénés;

elle les composa de cinq membres nommés par les préfets ; elle

leur attribua « la surveillance générale de toutes les parties du

service, les appela à donner leur avis sur le régime intérieur, sur

les budgets et les comptes, sur les actes relatifs à l'administration,

les traités à conclure, etc. ».

Ces commissions, comme on le voit, n'ont eu d'attributions

bien définies que celles qui se rapportent à une surveillance admi-

nistrative et financière du service des asiles publics. Je n'ai pas à

examiner comment, d'une manière générale, elles ont rempli

leurs fonctions; nous n'avons à nous occuper ici que d'une seule

des attributions que leur a faites la loi : l'administration des

biens des aliénés. Je pourrais encore ici éviter les longueurs en

me bornant à citer, pour preuve de la façon dont ce devoir était

. SÉNAT. 425

rempli, ces paroles du ministre de l'intérieur, dans l'exposé des

motifs de l'arrêté du 20 mars 187, « qu'il ne pouvait plus tolérer

cette négligence ».

On voit combien défectueuse était cette partie du service pour

les aliénés internés dans les asiles publics. Pour les aliénés placés

dans les autres asiles, la protection était complètement nulle. La

loi n'ayant rien prévu pour les asiles privés, l'administration, en

présence des abus et des maux qu'on lui signalait, a voulu aller

jusqu'à l'extrême limite de son droit, et, en 1880, elle décida

d'introduire dans les règlements intérieurs des asiles privés faisant

fonctions d'asiles publics lors du renouvellement des traités, les

dispositions propre à garantir le fonctionnement des commis-

sions de surveillance instituées par l'ordonnance de 1839.

La commission du Sénat a voulu savoir quels résultats on avait

obtenus par ce dernier effort de l'administration. Il résulte de la

réponse que nous avons obtenue du ministère de l'intérieur, que

depuis 1860 deux commissions seulement ont été instituées. On

a trouvé aucun document qui permette de savoir comment elles

ont fonctionné. En résumé, messieurs, la commission du Sénat

s'est trouvée en présence de cette situation, à savoir que la double

surveillance prévue mais non assurée, dans la loi de 1838, en vue

de la protection de la liberté individuelle et de l'administration

des biens des aliénés, était à constituer, sinon de toutes pièces,

au moins avec un ensemble de moyens qui ont fait défaut jus-

qu'ici.

La grande commission extraparlementaire qui, en 1881, a pré-

paré les principaux éléments du projet du Gouvernement avait

reconnu cette nécessité, et dans plusieurs des rapports de ses com-

missions elle a réclamé des mesures qui se confondent avec celles

que propose la commission du Sénat. Il est fâcheux que lors du

travail de la dernière heure les conclusions de ces rapports aient

été perdus de vue et que le gouvernement, préoccupé de rassurer

surtout l'opinion publique, de mettre fin aux plaintes et aux

soulèvements d'opinion auxquels donne lieu trop souvent la loi

de 1838, ait cru qu'il suffirait presque pour cela de changer le

caractère de cette loi, d'en faire une loi judiciaire, et de faire

déclarer par le Parlement qu'à l'avenir aucun placement dans un

établissement quelconque d'aliénés ne sera définitif qu'en vertu

d'un jugement rendu parle tribunal en chambre du conseil.

Messieurs, je n'ai pas à examiner en ce moment cette partie du

projet de loi, cette grande « innovation » faite par le Gouverne-

ment suivant l'expression même qui est employée dans l'exposé

des motifs ministériel. Elle soulèvera peut-être dans cette en-

ceinte une lutte qui rappellera celles auxquelles la même question

a donné lieu dans la Chambre de 1837 et 1838, et dans lesquelles

on a vu aux prises des hommes tels que Salverte, Isambert,

426 SÉNAT.

Odilon Barrot, qui voulaient faire uue loi judiciaire, et les orateurs

éminents qui ont fait triompher une opinion contraire. La com-

mission du Sénat ou, pour être plus exact, la majorité de la com-

mission du Sénat a accepté les vues du Gouvernement; el ! e s'y est

décidée, non seulement pour rendre hommage aux principes,

mais pour ne pas se mettre en travers de ce courant d'opinion

auquel le Gouvernement a cru devoir céder et auquel ont cédé

presque tous les pays dans lesquels la législation sur les aliénés a

subi des remaniements récents.

Mais en suivant l'exemple du Gouvernement, en acceptant son

« innovation », la commission y a trouvé une raison de plus d'in-

sister sur la question du contrôle et de la surveillance. Suivant

elle, l'appareil judiciaire introduit dans la loi ne serait qu'une

apparence trompeuse, une vaine formalité, si des moyens de

contrôle nouveaux, plus sérieux, mieux étudiés que dans l'an-

cienne loi, n'étaient pas établis par la loi nouvelle pour éclairer

la justice et être mis à la disposition des tribunaux pour les vingt

mille jugements - environ - qu'ils auront à rendre annuelle-

ment en chambre du conseil pour le placement des aliénés.

Tels sont les motifs, messieurs, qui ont amené la commission

du Sénat à présenter les cinq articles qui forment la 2e section du

titre leur. Elle est convaincue que pour atteindre le but de la revi-

sion qui est demandée au Parlement, c'est-à-dire pour sauvegar-

der la liberté individuelle dans toutes les situations où elle pour-

rait être mise en péril, pour sauvegarder les biens de l'aliéné et

en même temps le bon ordre et l'intérêt social, il était rigoureu-

sement indispensable de créer et d'organiser une surveillance

s'étendant à tous les aliénés auxquels la loi nouvelle doit s'appli-

quer.

Pour être effective, cette surveillance doit être attribuée dans

chaque département à des agents en permanence n'ayant pas

d'autre fonction, à un médecin fonctionnaire de l'Etat et d'une

compétence éprouvée, à un ou plusieurs hommes de loi dans une

situation d'indépendance et d'honorabilité indiscutable et rétri-

bués pour leurs services, ces agents remplissant bien leurs fonc-

tions sous l'oeil de la justice et de l'autorité administrative. 'l'elle

est, messieurs, la constitution de cette commission que nous avons

désignée d'un. nom emprunté à une circulaire ministérielle de

1860 et appelée commission permanente des aliénés.

Au-dessus de ces commissions départementales doit se placer

l'inspection générale du service ayant mission non seulement de

surveiller et de régler au besoin le fonctionnement de ses com-

missions départementales, mais de surveiller le fonctionnement

de tous les établissements spéciaux d'aliénés et l'ensemble du

service. Enfin, au centre du Gouvernement doit être établi un

comité supérieur chargé d'assurer l'unité de ce service, d'éclairer

SÉNAT. 427 1

l'administration dans tous les cas difficiles, décentraliser les résul-

tats des travaux des commissions départementales et de présenter

tous les ans un compte-rendu public du service. Je ne parlerai

pas en ce moment de l'inspection générale des aliénés et de

l'urgente nécessité, reconnue par le Gouvernement, de la rétablir

et de lui assurer des proportions en rapport avec l'importance du

service.

Je ne parlerai pas non plus du comité supérieur, dont le Gou-

vernement reconnaît l'utilité. Sur ces points, il n'y a jamais eu de

dissentiment profond entre la commission et les représentants

du Gouvernement qui ont été reçus dans son sein. Je ne parlerai

que des commissions permanentes, sur l'organisation desquelles

nous nous étions entendus avec les précédents ministères, mais

qui, à la dernière heure pour ainsi dire, ont soulevé les objections

que M. le ministre de l'intérieur a portées à cette tribune au

cours de la discussion générale.

On a pu croire, et on a cru, en entendant ces objections, que

nous apportions, nous aussi, une grande innovation, et une inno-

vation qui devait porter atteinte aux droits de l'autorité adminis-

trative. Cela m'oblige à revenir encore une fois en arrière et à

citer des précédents législatifs et des faits bien connus qui m'au-

torisent à affirmer que l'idée de créer dans chaque département t

une commission spéciale et permanente pour éclairer l'autorité

sur les placements des aliénés est une idée primordiale en quel-

que sorte dans l'histoire de la législation de 1838, qu'elle appa-

rait à l'origine de cette loi et qu'écartée, pour ainsi dire, acciden-

tellement dans les débats de cette époque, elle a reparu sans

cesse depuis, n'a jamais été abandonnée et a pris, dans les études

et les discussions auxquelles la revision de la loi de 1838 a donné

lieu, une consistance et les caractères pratiques qui doivent la

faire entrer dans le cadre de la loi nouvelle.

Le projet de loi primitif, élaboré par le conseil d'Elat et pré-

senté à la Chambre des députés en 1837, par M. de Gasparin,

ministre de l'intérieur, exigeait une autorisation ou un ordre

préalable du préfet pour tout placement d'aliénés daus les asiles.

Cette disposition était complétée par une disposition ainsi con-

çue : «L'autorisation ou l'ordre seront donnés par le préfet, sur

l'avis d'une commission instituée dans les formes qui seront

déterminées par un règlement d'administration publique. »

La Chambre des députés refusa d'admettre cette intervention

préalable de l'autorité préfectorale. On substitua à ce système

celui qui avait été mis en vigueur à Paris par une ordonnance do

police de 1838 et qui est devenu, avec certaines modifications, le

système de la loi de 1838.

La suppression de l'action du préfet parut devoir entraîner

comme conséquence la suppression de la commission proposée

428 SÉNAT.

pour l'éclairer, d'autant plus que les attributions de celle com-

mission étaient restées vagues et mal définies. « Les nouvelles dis-

positions que nous avons adoptées, disait M. Vivien pour justifier

la suppression, nous ont paru ôter toute son utilité à la commis-

sion ; il n'y a plus lieu de consulter sur des autorisations (de pla-

cements) qui ne seront plus données. » Le projet, disait encore le

rapporteur de la loi, tout en ordonnant que celte commission soit

officiellement avertie des placements, ne lui conférait aucune auto-

rité, pas même la faculté de visiter les personnes intéressées. »

C'est ainsi que la commission, dont M. Vivien a été le rapporteur,

obtint qu'on s'en tînt aux mesures contenues dans l'article 4 de la

loi dont j'ai lu tout à l'heure le texte.

Mais ce résultat ne fut pas obtenu sans de vives résistances.

M. Lavieille, soutenu par M. Salverte et M. Dugabé, reproduit,

sous forme d'amendement, le projet primitif du gouvernement de

placer auprès du pi éfet une commission spéciale de surveillance et

de contrôle des placements, et la pensée ou plutôt le besoin qui

avait dicté ce projet et l'amendement Lavieille a reparu sans cesse

depuis.

On la retrouve dans les documents de l'enquête faite par l'admi-

nistration en 1869 et dont j'ai présenté un résumé dans les

annexes de mon rapport. On la retrouve dans une autre enquête,

non moins intéressante, qui fut entreprise en 1871 par la Société

de législation comparée et à la suite de laquelle elle fut mise en

lumière, dans des discussions mémorables, par des magistrats du

ressort de Paris, qui apportèrent en sa faveur la puissance des

arguments qu'ils puisaient dans la propre pratique de la loi de

1838. M. Vaney, substitut du procureur général à Paris;

M. Alexandre Ribot, alors substitut au tribunal de la Seine;

M. Georges Picot, juge au même tribunal, et avec eux les alié-

nistes les plus expérimentés : MM. Falret, Limier, Motet, Blanche,

donnèrent à l'idée de la commission permanente une valeur

pratique qui lui fit prendre place dans un projet de revision de

la loi rédigé par une commission dont un éminent conseiller à la

cour de Paris, M. Ernest Bertrand, était le président et qui fut

voté par la Société.

J'ai eu l'honneur, en 1872, de présenter ce projet à l'Assem-

blée nationale, en mon nom et au nom de deux membres de cette

societé, le très regretté M. Jozon, avocat à la cour de cassation, et

M. Albert Desjardins, aujourd'hui professeur à la faculté de droit

de Paris.

Une commission de l'Assemblée nationale, dont j'ai eu l'hon-

neur d'être le rapporteur, et qui comptait dans son sein nos hono-

rables collègues M. Delsol, 111. Robert de Massy et M. La Caze, a

étudié ce projet. Les préoccupations politiques, qui ont pesé sur

beaucoup de travaux entrepris à cette époque, ne permirent pas

SÉNAT. ! dU

à ceux de la commission dont je parle d'arriver à leur dernier

terme; mais l'institution d'une commission permanente surveil-

lant dans chaque département les aliénés, protégeant leur liberté,

leur personne, administrant leurs biens, avait été acceptée par

elle comme devant donner satisfaction à un besoin incontes-

table.

J'avais donc raison de dire, messieurs, que la commission du

Sénat n'a pas innové ; qu'elle a trouvé la commission permanente

des aliénés dans une tradition constante qui remonte à l'origine

même de la loi sur les aliénés.

La commission du Sénat n'a fait qu'une chose : c'est d'appor-

ter dans la constitution de cette commission permanente un

élément indispensable pour assurer son fonctionnement, et cet

élément, elle l'a emprunté à l'expérience acquise en Angleterre

et dont les résulats ont paru décisifs à tous ceux qui ont examiné

de près le fonctionnement actuel des lois anglaises sur les aliénés;

cet élément, c'est le caractère de fonclionnairessalariés, soigneu-

sement choisis et exclusivement renfermés dans la surveillance et

le contrôle en vue desquels ils sont établis, que nous proposons

de donner aux deux membres essentiels de celte commission,

c'est-à-dire au médecin chargé de veiller sur l'état mental de

l'aliéné et à l'homme de loi chargé de l'administration provisoire

de ses biens.

J'avais dit, en réponse aux objections présentées par M. le mi-

nistre de l'intérieur, que ces deux agents de surveillance et de

protection étaient le fond même et les éléments essentiels de la

commission permanente. Aussi, malgré les critiques formulées

par M. le ministre et qui semblaient faire impression sur le Sénat,

j'ai gardé l'espoir puisque le gouvernement déclarait rester

d'accord avec nous sur le fond - que nous finirions par nous

accorder sur la forme.

Aujourd'hui, cet espoir s'est réalisé, non pas assurément sans

aucun sacrifice péuible de la part de la commission, mais du

moins avec cette consolation qu'en sacrifiant la forme même

d'une commission permanente départementale; mais elle con-

serve les deux agents qui, comme je l'ai répété déjà plusieurs

fois, forment le fond essentiel de cette commission et elle les

conserve dans ces conditions et avec les attributions qui per-

mettent d'attendre de leur action individuelle, et surtout de leur

action combinée, tous les bienfaits que nous étions en droit d'at-

tendre de la commission permanente.

Celle-ci, considérée dans son ensemble avec les éléments dont

le Gouvernement s'est attaché à la dépouiller, devait constituer en

quelque sorte le grand conseil de famille des aliénés. L'article 54

du projet de la commis=ion lui attribuait spre·ément ce

rôle. J'ai haie d'ajouter que la grae lacune qui aurait été 'il cet

430 0 SÉNAT.

égard la conséquence des concessions faites aux vues du Gouver-

nement doit se trouver comblée dans le nouveau texte, qui doit

remplacer celui des articles 11 et 12 de la rédaction de la com-

mission du Sénat.

C'est à notre honorable collègue M. Bardoux qu'est dû le ter-

rain, si je puis ainsi dire, sur lequel s'est faite l'entente entre le

Gouvernement et la commission. L'amendement de M. Bardoux,

dont une nouvelle rédaction se trouve dans notre distribution

aujourd'hui, après avoir été revu de concert avec le Gouverne-

ment et la commission, est devenu le texte par lequel nous pro-

posons de remplacer les articles 11 et 12 du projet de loi.

Dans ce texte, la commission permanente a disparu. Je ne

dirais pas la vérité si je laissais croire qu'elle a disparu sans

emporter de sincères regrets; mais je serais ingrat envers mon

excellent ami M. Bardoux, si je venais en porter le deuil à cette

tribune. J'y serais d'autant moins fondé que je reste convaincu,

comme je l'ai déjà dit, qu'avec le bon vouloir de l'autorité admi-

nistrative, les deux éléments essentiels qui survivent suffiront

pour atteindre le but que nous nous étions proposé. Je laisserai

donc la parole à l'honorable M. Bardoux pour développer et sou-

tenir au besoin son oeuvre.

Je n'ai plus que deux mots à dire sur un autre amendement qui

nous a été remis au début de cette séance et sur lequel la com-

mission n'a pas pu délibérer. Je parle de celui de MM. Combes,

Testelin, Higal, Crézoul, Le Monnier, Dufraigno, Sébire, Combes-

cure. Je me bornerai à faire remarquer sur cet amendement que,

dans une de ses parties essentielles, il ne doit pas trouver sa vraie

place dans la discussion des articles 11 et z du projet de loi,

mais seulement dans la discussion de l'article 21. Si, comme j'en

suis convaincu, cette manière de voir est partagée par les auteurs

de l'amendement, je n'ai pas à m'occuper davantage en ce mo-

ment de cette partie de l'amendement.

Le reste du même amendement, qui correspond à l'article il 1 et

se confond sur beaucoup de points avec l'amendementde M. Bar-

doux, est ainsi conçu : « Dans chaque département, un docteur

en médecine, nommé par le ministre do l'intérieur, sur une liste

de présentation dressée par le conseil supérieur des aliénés, et

après un concours public, surveillera dans sa circonscription, sous

l'autorité du préfet, l'exécution de la présente loi et des règle-

ments relatifs aux aliénés, assurera la protection de leurs per-

sonnes, contrôlera leur placement et leur maintien dans les asiles

publics et privés, surveillera leur séjour, veillera à leur sortie. »

11 n'y a qu'un point à relever en ce moment, je parle de ces

mots : «Après un concours public. » Ces mots, en effet, marquent

une lacune, ou pour mieux dire une omission dans la rédaction

de l'amendement de M. Bardoux. Il n'y est pas, en effet, question

SENAT. 431 1

du concours; mais sur ce point la pensée de M. Bardoux ne peut

pas être différente de celle du Gouvernement et de la commission

du Sénat, qui admettent le principe du concours. Dans la rédac-

- lion de la commission ce principe avait sa consécration dans un

paragraphe de l'article 11. Celte question du concours sera reprise

par le Sénat lorsque nous serons appelés à voter sur le para-

graphe de l'article 6, qui a été réservé dans une précédente

séance. L'omission relevée dans l'amendement de M. Bardoux et

que la lecture de l'amendement de M. Comhes m'a permis de

signaler, pourra ensuite être réparée.

M. LE PRÉSIDENT. Messieurs, vous êtes en présence de deux amen-

dements : l'un de M. Bardoux, qui est accepté par la commission

et le Gouvernement; l'autre, de MM. Testelin, Combes et plusieurs

de leurs collègues. Ces deux amendements diffèrent sensiblement

entre eux. Il me semble que celui de MM. Testelin et Combes s'é-

loigne davantage de la rédaction de la commission. Je donne donc

la parole à M. Combes pour développer son amendement.

M. Combes. Messieurs, je suis à la disposition du Sénat et prêt à

discuter l'amendement dont je suis un des signataires. Mais il

me semble que pour le bon ordre du débat, il vaudrait mieux

ajourner l'examen de la question que l'amendement soulève, jus-

qu'au moment où nous aurons à régler d'une façon générale la

procédure à suivre pour le placement des aliénés. (Assentiment.)

Dans la pensée des signataires de l'amendement, c'était en effet

sur l'article 20 ou 21 du projet de la commission que devaient

porter nos modifications. Mais comme la commission a abandonné

la partie la plus importante de son oeuvre et qu'elle s'est ralliée

à l'amendement de M. Bardoux, qui préjuge dans les deux der-

nières phrases du premier alinéa la solution de la question con-

tenue dans notre amendement, il était nécessaire ou bien de sai-

sir immédiatement le Sénat de celte question, ou bien de faire

des réserves qui nous permettront, lorsque viendront en discus-

sion les articles la du Gouvernement ou 20 et 21 de la commission,

de la reprendre et de mettre le Sénat en état de se prononcer avec

pleine connaissance de cause.

Le débat serait prématuré aujourd'hui, parce que, pour tran-

cher celte question, qui est une question de principe il nos yeux,

il est indispensable que le Sénat soit au courant de la manière

dont la commission organise la procédure du placement. Ainsi

donc, s'il n'y a pas d'opposition, si la commission y consent, nous

réservons tous nos droits de modification de l'amendement de

M. Bardoux pour la discussion de l'article auquel s'applique, dans

notre pensée, celte modification. (Nouvelles marques d'approba-

tion.)

1 ? -) SÉNAT.

M. le Président. La parole est à M. Bardoux.

M. Bardoux. Messieurs, l'honorable rapporteur de la commis-

sion vous a fait un exposé des antécédents de la question soulevée

par l'article 11 du projet de loi. Cet article 11 place comme pre-

mière assise de l'organisation de la protection des aliénés une

commission départementale permanente. Et comme, dans certains

départements, il y a plusieurs asiles publics ou privés, je puis

ajouter que le nombre aussi des commissions départementales

permanentes s'accroîtra en proportion. Il y aurait eu, pour le

département de la Seine, dix ou douze commissions départemen-

tales permanentes.

J'ai saisi la commission d'un amendement; j'ai pensé qu'il

était inutile et vous venez d'entendre le procès qui a était fait

par le rapporteur aux commissions en général - de placer à

côté d'une commission déjà existante, qui subsiste dans ce pro-

jet de loi, c'est-à-dire la commission administrative de surveil-

lance, une autre commission composée de deux éléments : un

élément absolument décoratif et l'élément vraiment utile. J'ai

pensé qu'il valait beaucoup mieux extraire de cette commission

deux agents qui suffiront à protéger d'une manière efficace la

personne et les biens des aliénés, et abandonner complètement

la commission elle-même. Tel est donc le but de mon amende-

ment : créer deux agents, l'un chargé de la partie médicale : le

médecin inspecteur; l'autre, chargé de la portion administrative

pour tous les aliénés qui ne sont pas interdits : l'homme de loi.

Quelles étaient, en effet, messieurs, les lacunes de la très belle

loi de 1838 ? Je ne parlerai pas du silence qui avait été gardé sur

les aliénés criminels; mais les deux lacunes principales étaient,

d'une part, qn'il n'y avait pas une suffisante protection pour l'a-

liéné non interdit, lorsqu'il était enlevé à la gestion de ses inté-

rêts et de sa fortune; et, d'autre part, qu'il n'y avait pas de pro-

tection suffisante pour la liberté individuelle de l'aliéné lorsque

intervenait le placement définitif. Les hommes compétents qui

discutèrent celte loi, les deux éminents rapporteurs à la Chambre

des députés et à la Chambre des pairs, M. Vivien et M. le mar-

quis de Barthélémy, ne pouvaient pas être suspects au point de vue

du libéralisme; ils n'avaient pas l'intention, à coup sûr, de porter

atteinte à la liberté individuelle. Ils croyaient même l'avoir suffi-

samment garantie. Mais, pour eux, le but principal était d'abord

de faire une loi de guérison et ensuite une loi d'administration.

Ils étaient, avant tout, préoccupés de l'état matériel des asiles des

malheureux aliénés qu'on avait laissés dans un état d'abandon

impardonnable.

Depuis quarante ans, la situation a changé. La forme de la for-

lune mobilière s'est agrandie; la gestion des intérêts est devenue

plus compliquée. Les dispositions sur la tutelle elle-même sont

SÉNAT. 433

souvent insuffisantes. A' plus forte raison, étaient-elles insuffi-

santes, quand il s'agissait des aliénés et plus particulièrement des

aliénés pauvres.

C'était surtout l'ouvrier célibataire, enlevé à son métier, qui

laissait à l'abandon ses liardes, ses outils, son linge, le peu de

mobilier qu'il possédait; c'était celui-là qui était le plus misé-

rable, parce qu'en rentrant au logis, après la sortie de l'asile,

tous ces objets avaient disparu ; une rechute était inévitable.

C'était aussi le petit cultivateur ou le petit fermier qui avait deux

ou trois mille francs de biens et d'économies et une maison à

peu près délabrée, et qui se retrouvait également dans une situa-

tion complète d'abandon.

Pour tous ces cas particuliers, la loi de 1838 avait été insuffi-

sante, la magistrature elle-même le reconnaissait. M. le rappor-

teur vous a donné lecture de quelques dépositions qui ont été

faites par des magistrats distingués. Les inspecteurs généraux

mêmes du ministère de l'intérieur le constataient. De telle sorte

que sur ce point il y avait unanimité dans les sentiments de tous

ceux que préoccupait la grave question des aliénés.

Le second point, celui qui touche la liberté individuelle, n'était

pas moins digne de préoccupation. L'opinion publique s'était

émue, les imaginations d'une grande sensibilité avaient bien vite

accepté les histoires qui couraient le monde, et quelquefois même

elles les amplifiaient. Tout ce que racontait la faconde inventive

des romanciers trouvait un écho dans les esprits, et c'est quelque

chose, quand on veut~mettre en application une loi comme celle-

là, que d'avoir de son côté l'opinion publique.

Il faut bien le dire, messieurs, la loi de 1838 avait trop compté

sur l'efficacité du nombre de ceux qui avaient mission de visiter

les maisons d'aliénés. Elle en avait chargé six personnes : le pré-

fet, son délégué, le président du tribunal, le procureur du roi, le

maire et le juge de paix. 11 résulte des enquêtes que c'était sur-

tout le procureur du roi qui remplissait sa mission. Il devait, aux

termes de la loi de 1838, visiter au moins tous les six mois les

asiles publics, et tous les trois niois les asiles privés. Il faut

rendre cette justice aux membres du parquet qu'ils se sont occu-

pés d'une façon continue de cet objet si important de leur mis-

sion. Pour toutes les autres personnes, leur mission se bornait à

parcourir les établissements, à recevoir quelques pétitions; mais

cette visite n'avait pas d'efficacité.

Il fallait donner satisfaction à l'opinion publique et combler

l'insuffisance de la loi de 1838. C'est alors que la commission

sénatoriale, qui a élevé un véritable monument par l'abondance

des documents mis sous vos yeux, a voulu, avec le sentiment de

sa responsabilité et la conscience de son oeuvre, se rendre à

l'étranger. Elle a parcouru l'Europe, et, après avoir pris connais-

ARCHIVES, 1. XIV. ' 28

434 SÉNAT.

sance des progrès considérables réalisés dans la question des

aliénés en Angleterre ; après avoir vu fonctionner ce qu'on

appelle, en Angleterre, les commissionners in Lunacy, chargés de

surveiller les intérêts des aliénés et qui en rendent compte tous

les ans au Parlement lui-même ; c'est alors que la commission

sénatoriale avait proposé l'institution de la commission de per-

manence. Elle avait trouvé ce projet dans un travail préparé par

la Société de législation étrangère, travail qui avait passé dans le

projet de loi déposé en 1872 par notre honorable et savant

collègue 111. Roussel.

L'examen des inconvénients pratiques de cette commission per-

manente a bien vite démontré, qu'il était impossible de compter

efficacement sur le dévouement des personnes qui devaient la

constituer; sur ces cinq personnes, deux étaient des fonctionnaires

exposés à tous les changements de résidence; les autres étaient

nommés, l'un par la chambre des avoués, l'autre par la chambre

des notaires. Un docteur en médecine était seul à la nomination

du ministre de l'intérieur.

Des conflits pouvaient naître, et il fallait bien se garder dans

cette question, d'ébranler l'autorité du Gouvernement, parce que

le véritable principe de l'autorité résidait, après tout, dans le

prefet et le ministre de l'intérieur, qui ont la charge et la respon-

sabilité de la situation des aliénés en France.

L'amendement que j'ai proposé a dès lors été accepté. Il se com-

pose de deux portions : la portion médicale et la portion adminis-

trative. La portion médicale est confiée] à un médecin qui sera

nommé par le ministre de l'intérieur sur la liste de présentation du

comité supérieur des aliénés; je suis d'accord avec mes collègues

qui ont signé l'amendement de M. Combes pour décider que c'est

le concours qui, pour les trois quarts, désignera l'inspecteur de

chaque département.,LLest impossible, messieuTs de ne pas faire

une part à l'expérience de certains médecins qui ne veulent pas

s'exposer à un examen. Voilà pourquoi les trois quarts seulement

seront puisés dans le concours.

Toutes' garanties, par conséquent, au point de vue du savoir sont

données. C'est ce médecin qui jouera le plus grand rôle. C'est lui

qui, dans sa circonscription, sous l'autorité du préfet, surveillera

l'exécution de la loi et des règlements relatifs aux aliénés, assu-

rera la protection de leurs personnes, veillera à leur placement et

à leur maintien dans les asiles publics et privés, et enfin à leur

sortie.

Je ne veux pas soulever actuellement la grosse question que

M. Combes indique dans son amendement, celle de savoir si ce

n'est pas à l'autorité judiciaire qu'il appartiendra de statuer

quand il s'agira du placement définitif. Je suis convaincu que vous

ne voudrez pas ébranler les bases du statut personnel; j'estime

SÉNAT. 435

que le médecin, en matière semblable, ne peut être qu'un expert

et non un juge au point de vue de la maintenue définitive de

l'aliéné.

Le principal élément, pour le juge, pour la chambre du conseil,

sera l'avis de ce médecin inspecteur. Son institution sera la

meilleure des garanties données à la liberté personnelle. Mais,

en dehors de ce médecin inspecteur, nous devons aussi veiller aux

intérêts des aliénés. Et alors, inlervient la nécessité de choisir un

administrateur, qui sera nommé également par le ministre de

l'intérieur sur la liste des anciens notaires ou avoués dressée par

le tribunal civil. Vous aurez encore là toutes garanties de sécu-

rité. Vous le voyez, messieurs : responsabilité d'une part, honora-

bilité de l'autre, savoir enfin, voilà les conditions qui permettent

à ces deux agents de combler la lacune de la loi de 1838.

Ce qu'il faut avant tout dans une loi semblable, c'est assurer

aux malheureux des protecteurs non seulement efficaces et éclai-

rés, mais assidus, qui n'aient pas autre chose à faire, dont ce soit

la tâche unique. Si vous n'arrivez pas à ce résultat, toutes les

améliorations que nous tenterons avorteront. Ce sont uniquement

ces deux fonctionnaires qui permettront d'améliorer la situation

des aliénés. Ne remplissant absolument que leur mission, étant

toujours à leur poste, ils arriveront à ce résultat de supprimer les

séquestrations arbitraires, de donner à l'opinion publique la satis-

faction qu'elle exige et, je le répète, de permettre à l'aliéné de

ne pas voir sa fortune gaspillée. C'est dans cette pensée que mon

amendement a été déposé; je le recommande à la bienveillance

du Sénat, et j'espère que ces explications sommaires suffiront

pour le faire accepter. (Très bien ! très bien ! et vive approbation

sur un grand nombre de bancs.)

M. LE Président. La parole est à M. le commissaire du Gouver-

nement.

M. GAZELLES, commissaire du Gouvernement. Je regrette, mes-

sieurs, que l'absence de M. le ministre, motivée par de graves

devoirs, - la défense du budget de son ministère à la Chambre

des députés, - m'oblige à prendre la parole à sa place, alors que

vous auriez aimé à eutendre sa voix autorisée s'expliquer sur le

projet de la commission et sur l'amendement et vous apporter

l'adhésion du Gouvernement à la proposition de M. Bardoux.

Lorsque le projet de la commission a été discuté par le Gouver-

nement, il y a eu, comme me l'a dit tout à l'heure M. le rappor-

teur, certaines hésitations, certains tâtonnements; mais, en fin

de compte, au moment où la discussion était sur le point de com-

mencer devant le Sénat, le désaccord s'était accentué et le mi-

nistre de l'intérieur faisait connaître, comme il l'a fait à la pre-

mière séance, quels étaient les motifs pour lesquels il ne pouvait

436 SÉNAT.

pas accepter la création, à côté de l'administration départemen-

tale, d'une commission qui déplaçait, à ses yeux, la responsabi-

lité véritable de l'administration des aliénés en France. '

L'amendement de l'honorable M. Bardoux fait disparaître les

objections de M. le ministre de l'intérieur, et je suis heureux de

vous annoncer que le Gouvernement adhère complètement à cette

rédaction. Il ne voit non plus aucune objection à faire à la pre-

mière partie de l'amendement proposé par l'honorable M. Combes

et plusieurs de ses collègues. Cette partie, vous le savez, se réfère

à la création, au chef-lieu du département, d'un louctionnaire

qui sera chargé d'examiner les aliénés soit dans les établissements

publics, soit dans les maisons privées.

Il ne fait de réserves que sur la dernière partie, celle qui com-

prend les trois dernières lignes et qui a déjà été l'objet des

réserves ou plutôt des observations de l'un des signataires, l'ho-

norable M. Combes, et de l'opposition de l'honorable M. Bardoux.

Cette partie nous semble viser une question de procédure de pla-

cement qui trouvera sa place à l'article 21 ou comme amendement

à l'article 21. Dans ces conditions, je ne puis que demander, avec

la commission et les signataires de l'amendement, que cette par-

tie soit réservée, et renouveler l'adhésion du Gouvernement à

l'amendement de l'honorable M. Bardoux.

M. BARD aux. Je donne mon adhésion à ces réserves.

M. RoGER-MApvAisE. Je demande la parole.

M. le Président. M. Boulanger était inscrit avant vous, mon-

sieur Roger-Marvaise. La parole est à M. Boulanger.

M. Ernest Boulanger. Messieurs, je n'ai que de fort courtes

observations à présenter au Sénat. Vous avez vu, par les explica-

tions qui viennent de vous être données, que l'accord s'est établi

entre la commission et le Gouvernement au sujet des dispositions

principales de l'article Il.

Dorénavant, au lieu des commissions qu'on vous avait proposé

d'instituer, il n'y aurait plus que deux agents : le médecin pour

la partie médicale, et un administrateur provisoire pour la partie

relative à la gestion des biens de l'aliéné. C'est sur ce dernier

point que je voudrais présenter trois remarques.

Le texte porte que l'administrateur provisoire sera nommé par

le ministre de l'intérieur. Je n'y fais aucune opposition ; je

demande seulement que M. le ministre de l'intérieur veuille bien

prendre certaines dispositions pour que ces nominations soient

promptes. Il est manifeste que l'administrateur provi,oire n'a

d'utilité que si sa gestion est immédiate, parce qu'il y a à pour-

voir à des cas urgents. Or, si M. le ministre de l'intérieur voulait

se réserver lui-même les nominations à chaque internement, il

est manifeste qu'avec la lenteur des institutions administratives

SÉNAT. 437

ces nominations arriveraient presque toujours trop tard. Mais je

crois que sur ce point il sera facile à M. le ministre de l'intérieur

de prendre des dispositions pour que les nominations nécessaires

soient immédiates. Ma seconde observation se réfère au choix des

gérants.

Le texte de la commission porte : « L'administrateur provisoire

sera nommé par le ministre, sur la liste des anciens notaires ou

avoués dressée par le tribunal civil. » Or, un de nos collègues les

plus autorisés en ces matières me faisait remarquer tout à l'heure

avec beaucoup de raison, que la composition de cette liste était

un peu... éclectique. C'est qu'en effet il y a beaucoup d'arrondis-

sements où il n'y a pas que des notaires et des avoués; il y a

aussi d'anciens magistrats, des greffiers et d'autres agents très

capables d'exercer ces fonctions. Je crois que la commission fera

bien, d'ici à la seconde lecture, d'examiner cette disposition, pour

l'élargir d'avantage, et laisser plus de latitude à l'autorité judi-

ciaire pour la constitution du tableau.

J'appelle aussi son attention sur une situation particulière qui

avait déjà préoccupé le législateur de 1838. On s'était demandé

à cette époque, alors que l'administration provisoire se composait

de deux phases successives, s'il ne serait pas opportun de confier,

dans certains cas, l'administration provisoite aux parents ou aux

héritiers présomptifs de l'aliéné. On se demandait notamment ce

qui arriverait si, le père étant aliéné, le fils était chargé de l'ex-

ploitation de ses biens, et l'on paraissait trouver dur de le dépos-

séder, en fait, de cette gestion, pour en charger un étranger. Je

recommande encore cette observation à l'attention de la com-

mission. Mais ce qui motive surtout ma présence à la tribune,

c'est la dernière partie de l'article 12.

M. Bardoux. Je ne me suis pas expliqué sur l'article 12.

M. LE Président. Il est réservé. ,

M. ERNEST Boulanger. Je n'ai que peu de chose à dire. Si la

commission veut bien m'entendre tout de suite, je n'aurai pas à

remonter à la tribune. L'article 12 dit qu' « un règlement d'ad-

minislration publique déterminera les fonctions de l'administra-

teur provisoire ». Ce terme générique de « fonctions » m'a causé

quelque inquiétude. En effet, si nous le prenons dans son sens

absolu, les fonctions d'administrateur provisoire ne comprennent

pas seulement ses attributions administratives, mais surtout ses

fonctions judiciaires et extrajudiciaires. Il faudrait alors, d'après

la rédaction du texte de la commission, admettre que vous allez

déléguer au conseil d'l;tut le droit de déterminer l'étendue du

mandat de l'administrateur provisoire, de lui dire, par conséquent,

s'il peut vendre du mobilier ou des immeubles, accepter une suc-

cession et faire d'autres actes touchant la capacité des personnes.

438 SÉNAT.

Je ne puis croire que telle soit l'intention de la commission;

comme, d'ailleurs, cette question de capacité du mandataire sera

discutée à propos de l'article 54, et que j'aurai sans doute plu-

sieurs remarques à présenter à ce moment, je demande à la com-

mission de vouloir bien réserver pour ce moment la. discussion

de la partie de l'article 12 sur laquelle je viens de présenter mes

observations. (Très bien ! très bien ! ) : M. BARDOUx. Voulez-vous, monsieur le président, que je m'ex-

plique sur l'article 12 ?

M. LE Président. Vous vous expliquerez plus utilement quand

viendra la discussion sur l'article 12. La parole est à M. Roger-

Marvaise.

M. ROGER-MARVAISE. Messieurs, je ne viens pas combattre l'amen-

'dement de l'honorable M. Bardoux, accepté par la commission;

je voudrais soumettre à la commission et à l'honorable M. Bar-

doux une observation relativement au deuxième paragraphe de son

amendement. Ce paragraphe dit : « Un administrateur, nommé

par le ministre de l'intérieur sur la liste des anciens notaires ou

avoués dressée par le tribunal civil, sera chargé des fonctions

d'administrateur provisoire vis-à-vis des personnes non interdites

placées dans les établissements publics ou privés d'aliénés ». Il me

semble que, dans certains départements, un administrateur ne

pourra pas suffire à la lâche qui lui est donnée par le second para-

graphe. Dans ces conditions, je voudrais ajouter un « ou plusieurs

administrateurs o. (Marques d'approbation.)

M. Bardoux,. C'est parfaitement juste.

M. LE Rapporteur, de sa place. L'observation que l'honorable

M. Roger-Marvaise vient de porter à la tribune est en conformité

parfaite avec la pensée de la commission. Si nous avons fait entrer

dans la commission permanente deux personnes, un avoué et un

notaire, c'est présisément parce que nous étions convaincus que,

dans beaucoup de cas, il faudrait plus d'un contrôleur spécial.

M. Bardoux,. J'accepte entièrement la modification proposée par

M. Roger-Marvaise.

M. LE Président. Alors, monsieur le rapporteur, vous consenti-

riez à mettre « un ou plusieurs administrateurs » ?

M. LE Rapporteur. Oui, monsieur le président.

M. DE Gavardie. Je demande la parole. (Exclamations à gauche.)

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. de Gavardie.

M. DE Gavardie. Messieurs, il est incontestable que l'amende-

ment de l'honorable M. Bardoux améliore les dispositions du pro-

jet de de la commission; je le reconnais très volontiers. Néan-

moins, les dispositions de la loi de 1838 étaient supérieures à

tous les points de vue. En effet, la surveillance générale sur les

SÉNAT. 439

personnes nous parlerons tout à l'heure de la surveillance

relative aux biens la surveillance sur les personnes s'exerçait

de la manière suivante :

Article 4 de la loi de 1838 : « Le préfet et les personnes spécia-

lement déléguées à cet effet par lui ou par le ministre de l'inté-

rieur, le président du tribunal, le procureur du roi, le juge de

paix, le maire de la commune, sont chargés de visiter les établis-

sements publics ou privés consacrés aux aliénés. Ils recevront les

réclamations des personnes qui y seront placées, et prendront, à

leur égard, tous renseignements propres à faire connaître leur

position. Les établissements privés seront visités, à des jours indé-

terminés, une fois au moins chaque trimestre, par le procureur

du roi de l'arrondissement. »

Cette disposition, au point de vue des personnes, suffisait abso-

lument à tout. Je sais très bien que, dans la pratique, les procu-

reurs de la République, par exemple, - à d'autres époques, les

procureurs impériaux ou royaux ne visitaient pas les établisse-

ments d'aliénés... (Interruptions à la gauche.) Attendez, mes-

sieurs ; ils les visitaient lorsqu'il y avait un intérêt à les visiter, et

l'on évitait de cette manière les inquisitions les plus dangereuses.

On ne tient pas compte - et véritablement cela me surprend

qu'il s'agit ici de ce qu'il y a de plus délicat dans la vie humaine

et de plus mystérieux au point de vue de la pudeur des familles.

Il y a, messieurs, des familles qui ont un intérêt suprême - tout

le monde, d'ailleurs, le comprend - à ce qu'on ne sache pas que

tel de leurs membres a été touché par une de ces maladies ter-

ribles. Eh bien, alors que la loi de 1838 versait quelques rayons

de lumière, vous, vous versez une lumière importune, une lumière

cruelle qui ne préviendra aucun abus et qui dévoilera ce qu'il y a

de plus intime et de plus sacré dans la famille. Voilà pourquoi les

hommes honorables et pratiques plus pratiques que les avoués

et les notaires que vous voulez charger de ce soin, ou les délégués du

ministère de l'intérieur, - voilà pourquoi, dis-je, ces hommes

n'intervenaient que dans de très rares circonstances et ne s'occu-

paient efficacement de cette surveillance que lorsqu'il s'agissait de

véritables abus. Ils comptaient sur les préfets, qu'on choisissait

alors mieux qu'aujourd'hui ; ils comptaient sur les fonctionnaires

judiciaires, que l'on choissisait quelquefois aussi, et souvent

même, beaucoup mieux qu'aujourd'hui.

Un sénateur à gauche. Naturellement !

M. Bozérian. On voit bien que vous n'êtes plus magistrat ! 1

M. DE Gavardie. Je déclare, pour ma part, que je n'ai mis, dans

ma vie judiciaire, que deux ou trois fois, peut-être, les pieds dans

un asile public, et j'affirme que sous mon administration, il n'y a

jamais eu d'abus.

440 SÉNAT.

Un sénateur à gauche. A la bonne heure ! (Rires.)

M. DE GAVARDIE. Je suis persuadé que sur tous les points de la

France, les magistrats auxquels je fais allusion pourraient en dire

autant. Je sais bien qu'on nous parle tous les jours et c'est le

langage de notre honorable rapporteur, de cet excellent et dévoué

rapporteur, si plein de son sujet, lorsqu'il veut justifier sa loi

des abus que présentait la loi de 1838. Des abus, nous dit-il, il

en a vu partout. Mais quand on l'invite à citer des faits, il lui est

impossible de le faire ! J'ai invoqué la statistique judiciaire, et j'ai

appelé sur ce point l'attention de M. le garde des sceaux. Je le

répèle parce que c'est un point capital, dans un espace de dix

ans je n'ai pas porté mes recherches plus haut, mais très cer-

tainement je serais arrivé, dans tous les cas, au même résultat

dans les dix dernières années, il y a eu quinze séquestrations.

M. LE Commissaire DU Gouvernement. C'est beaucoup trop !

M. DE G.1V.1RDIE. C'est beaucoup trop, cela est évident ! Mais

mettez en comparaison l'inconvénient auquel votre loi ne remé-

diera pas de laisser effectuer quelques séquestrations et celui

d'entrer dans cette intimité sacrée de la famille. Mais, messieurs,

en ce qui touche l'éducation des enfants, par exemple, il y a des

abus que l'Etat ne pourra jamais empêcher. Est-ce que, cepen-

dant, le principe n'est pas tellement sacré que l'Etat est obligé de

fermer les yeux sur léducation mauvaise qui peut souvent être

donnée aux enfants par les parents ? Est-ce qu'il n'y a pas la un

intérêt plus sacré encore que l'intérêt des enfants eux-mêmes,

l'intérêt de la famille, celui de l'autorité paternelle ?

Je suis frappé, messieurs, d'une tendance singulière de notre

temps, et particulièrement de notre époque contemporaine.

Toutes les fois qu'il y a un abus, on veut réformer toute une lé-

gislation et on ne s'aperçoit pas qu'on ne fait que compliquer les

détails, qu'on ne fait que changer les rouages et que en défini-

tive, la machine reste la même, défectueuse, comme le sont toutes

machines humaines. Voilà ce que l'on perd de vue. En ce qui

regarde les personnes, il y avait donc dans la loi de 1838 une sur-

veillance suffisante. Mais, en ce qui regarde les biens, vous aviez

les articles 31 et 32, qui sont un véritable chef-d'oeuvre, et qui ont

été expérimentés; vous aviez la commission de surveillance de

l'hospice, qui était composée d'hommes si honorables, si dé-

voués, si pratiques, si intelligents ! 1

Vous aviez, dans d'autres cas, lorsqu'il y avait en jeu quelques

intérêts un peu compliqués, l'administrateur provisoire qui, alors,

ne dépendait pas de l'administration, comme le veut l'amende-

ment de M. Bardoux, mais qui était nommée par la justice, en

chambre du conseil. Vous voyez donc bien que tout se trouvait

concilié. Les deux intérêts visés par l'amendement de M. Bardoux

SÉNAT. 441

recevaient une pleine satisfaction, et l'on ne touchait pas, je le

répète, à ce sanctuaire de la famille qu'on ne saurait trop res-

pecter !

Les abus ? - Je vous défie de les éviter ! Il ne suffit pas de dire,

dans un rapport : Il y a ou il y a eu des abus ! - Il faut les citer !

Je vous mets au défi de me citer des faits j'entends des faits

sérieux ! Je parlais tout à l'heure de la statistique criminelle;

mais la statistique criminelle ne nous fait même pas savoir à quelles

personnes s'appliquaient les délits de séquestration. On ne dit pas

si c'était des séquestrations d'aliénés, et c'est là ce qu'il faudrait

savoir. 11 peut y avoir d'autres séquestrations que des aliénés...

M. Laconne. Parfaitement ! Des séquestrations d'enfants, par

exemple.

M. DEGAVARDIE. Oui, il peut y avoir séquestration d'enfants, comme

le dit très bien l'honorable M. Lacombe. Donc, les abus dont on

parle, j'attends encore que l'on en fasse la démonstration. Vous

avez une législation qui a fait ses preuves, et le docteur Blanche,

homme des plus compétents, déclarait dans un rapport qui vous

a été lu par l'honorable 11. Roger-Marvaise et par moi, que cette

loi de 1838 ne méritait pas les attaques dont elle avait été l'objet.

Je sais bien que, dans le même rapport, le docteur Blanche aboutit

à une conclusion un peu différente; il y a la une inconséquence

naturelle, en quelque sorte, chez des hommes qui n'ont pas été

mêlés aux fonctions publiques, qui ne connaissent que certains

côtés de la vie, qui n'ont jamais exercé que les fonctions médicales,

qui n'ont pas été initiés par le rôle qu'ils ontjoué à cette pratique

de la vie qui nous est familière à nous qui avons occupé des si-

tuations diverses.

Je comprends qu'un homme qui n'a pas été mêlé à ces compli-

cations infinies dont je viens de parler se laisse parfois influencer

et arrive à dire, comme fait le docteur Blanche : En somme, la

commission propose quelque chose.de bon. Nous ne nous opposons

pas à cela. Il n'en est pas moins vrai que, malgré cette conces-

sion arrachée à la faiblesse humaine, il reste cet aveu, dont je

m'empare, que la loi de 1838 ne mérite pas les accusations dont elle

a été l'objet. Vous voulez faire des lois parfaites ? Vous n'en ferez

jamais ! Les lois ont toujours besoin; pour leur application, du

concours des hommes.

Faites donc choix de bons directeurs; toutes les lacunes de la

loi de 1838 étaient là. Lorsqu'on parlera de la question des con-

cours publics, si d'autres ne le font pas, je vous dirai comment

il faut nommer les directeurs, et je vous démontrerai que le con-

cours ne présente que des inconvénients. Mais tant que vous

n'aurez pas statué sur cette question de la nomination des direc-

teurs vous n'aurez rien fait. Toutes les complications de votre loi

442 varia.

quelque 'savantes qu'elles soient, sont absolument inutiles; elles

empêcheront une seule séquestration, et nous aurons cet incon-

vénient formidable de jeter en pâture au public, malgré tous les

choix de fonctionnaires que vous pourrez faire et par le fait

même de ces complications multiples que vous introduisez inuti-

lement dans votre loi, des secrets qui devraient rester dans le

mystère inviolable du foyer domestique. (Très bien ! très bien !

sur quelques bancs à droite.)

M. LE Président. Personne ne demande plus la parole sur

l'amendement de M. Bardoux ? (A suivre.)

VARIA

DISTRIBUTION DES prix A l'École départementale D'INFIR-

MIERS ET D'INFIRMIÈRES DE l'Asile CLINIQUE (Sainte-

ANNE).

Cette cérémonie a eu lieu le 30 août sous la présidence de

M. Bourneville. Parmi les invités nous avons remarqué :

MM. les D™ Dubois et Chassaing, Rousselle, Champoudry,

conseillers municipaux de Paris; Bailly, conseiller général;

les Drus Briand, Bouchereau, Chambard, Dagonet, Dubuisson,

Febvré, Pichon, Quesneville, A. Regnard, inspecteur général

des établissements de bienfaisance; M. Babut, chef de division

à la préfecture de la Seine, M. Barroux, directeur de l'asile de

Villejuif, MM. les internes et employés de l'asile. - hui. BouR-

NEVILLE a pris la parole et prononcé le discours suivant :

Mesdames, Messieurs,

De temps en temps, l'attention publique est appelée par la

presse sur l'organisation et le fonctionnement des asiles d'aliénés.

Des événements regrettables survenus récemment dans l'un des

asiles du département du Nord ont été l'objet de polémiques ar-

dentes. Ce n'est ni le lieu, ni le moment de les apprécier. Ce que

nous devons en retenir, c'est que la presse parait vouloir observer

avec plus de soin ce qui se passe dans les asiles. On ne peut que se

féliciter de cette curiosité surtout si elle se traduit, non par des

articles fantaisistes, semés d'attaques personnelles, mais en

articles utiles aux malades.

varia. 443

Dans l'affaire à laquelle j'ai fait allusion on accuse le médecin di-

recteur,-dans d'autres c'était les médecins en chef- de se montrer

trop faciles dans le choix de leur personnel secondaire ; on accuse

ce personnel de mauvais traitements envers les malades; on le

représente sous les couleurs les plus fâcheuses; on met en relief

tous les faits qui sont ou semblent être en sa défaveur, oubliant

trop souvent ceux qui sont en son honneur. Mais, malheureuse-

ment, on néglige de dire que les médecins directeurs ne trouvent

pas dans les conseils généraux, et aussi dans l'administration su-

périeure, le moindre encouragement à marcher dans la voie du

progrès. La grande préoccupation ce n'est pas le bien-être des

malades, ni le souci d'introduire dans nos asiles toutes les amélio-

rations réalisées dans les asiles de l'étranger; la grande préoccu-

pation, c'est l'équilibre du budget, la réduction au chiffre le plus

bas possible du prix de journée. Les écrivains qui publient des

articles à sensation sur les asiles d'aliénés, omettent d'indiquer

les moyens qui pourraient remédier à la situation qu'ils signa-

lent. Ce qu'ils ne font pas, nous allons essayer de le faire, en

nous bornant naturellement à ce qui concerne les infirmiers et les

surveillants.

Ainsi que je vous l'ai dit l'an dernier, dans divers pays, notam-

ment en Angleterre et aux Etats-Unis, on se préoccupe beaucoup

d'avoir dans les asiles de bons infirmiers et de bonnes infirmières.

.Les médecins des asiles ne dédaignent pas d'instruire eux-mêmes

leurs auxiliaires de chaque jour; non seulement, ils font des cours

réguliers à leur personnel, lui donne sans cesse des conseils

dans le cours de leurs visites, mais encore ils mettent à sa disposi-

tion des manuels écrits spécialement pour lui. Nous vous avons

signalé le manuel fait à l'instigation de l'Association médico-psy-

chologique anglaise. Nous aurions dû vous en citer un plus ancien :

celui que le Dr Albertotti Giovanni a publié à Turin en 1877 : hltz-

nuale p1'aticQ ad ztsodegli assistenti atpa ? neinanicomü. Nous en

connaissons deux autres plus récents publiés aux Etats-Unis : l'un

est intitulé : Comment doit-on soigner les aliénés ? par le Dl Gran-

ger, premier médecin adjoint de l'asile de Buffalo'; l'autre :

L'urt de soigner les nerveux et les insensés 2, par le professeur

Charles mille ? Eh bien ! ce qu'on doit faire partout en France,

c'est d'imiter ce qui a été fait à Paris pour les hôpitaux, parle

conseil municipal; ce qui été fait pour les asiles du départe-

ment de la Seine par le conseil général, imitant en cela l'un et

l'autre, l'excellente pratique des pays dont nous venons de parler.

11 est donc du devoir du ministère de l'intérieur duquel dépen-

1 How to care for the Insane. A Manual for Attendant in Insane Asy-

lum.

$Nursiuy 0/' No'UO ! M and Insane.

444 varia.

dent tous les établissements de bienfaisance, de donner des ins-

tructions pour qu'il soit créé à bref délai, dans toutes les grandes

villes et surtout dans celles qui possèdent des écoles de méde-

cine, des écoles d'infirmiers et d'infirmières avec un cours spécial

sur les soins à donner aux aliénés et aux personnes atteintes de

maladies nerveuses. Les infirmiers et les infirmières des asiles ont

besoin d'un enseignement complet, parce que, de même que leurs

camarades des hôpitaux, ils ont à soigner des blessés, à appliquer

des bandages, à faire des pansements, etc., etc.; ils ont besoin d'un

enseignement spécial, car les aliénés, par suite de la nature de leur

maladie, exigent des soins particuliers. Le rôle de l'infirmier et de

l'infirmière des asilesestbeaucoupplus délicat et beaucoup plus dan-

gereux que celui des infirmiers et des infirmières des hôpitaux ordi-

naires. Pour être rempli convenablement, il exige une plus grande

habileté d'observation, afin de bien renseigner le médecin, de l'ai-

der à mieux connaître dans tous ses recoins le délire des malades.

Des agents expérimentés découvrent les côtés accessibles des ma-

lades, savent gagner leur confiance et parviennent à les diriger sans

violence, et pour ainsi dire sans qu'ils sans doutent. C'est surtout

quand ils ont affaire à des malades violents et par conséquent dan-

gereux, qu'ils doivent redoubler d'habileté, et pour les malades

et pour eux-mêmes; qu'ils doivent - que vous devez, mesdames

et messieurs, prendre des précautions, afin de ne pas répondre

à la violence par la violence, et aussi, afin d'éviter d'être blessés.

Le public, ignorant des difficultés de votre tâche, vous blâmera

toujours des coups que vous aurez portés et ne vous tiendrajamais

compte des coups que vous aurez reçus.

Dernièrement, dans un grand asile, un malade était atteint de

folie furieuse. Vous savez qu'en pareil cas, les malades déploient

souvent une vigueur extraordinaire. Deux infirmiers, se fiant trop

à leur force, ayant voulu le conduire en cellule, ont été entraînés

par le malade, et ont roulé avec lui dans l'escalier. Dans cette

chute, le malade a eu une fracture du crâne et des fractures de

côtes. 11 a succombé au bout de quelques jours. Lés deux infir-

miers sont aujourd'hui accusés d'avoir été cause de la mort de

cet aliéné. Ils s'en défendent énergiquement, affirmant qu'ils ont

été entraînés par le malade dans sa chute et que c'est celte chute

seule qui a déterminé les accidents qui ont amené la mort. Ici,

c'est le malade qui a été la victime de l'accident; il aurait pu ar-

river aussi, et ce n'aurait pas été la première fois, que ce fût l'un

des deux infirmiers. On l'aurait enterré, et tout aurait été dit ! 1

113, a un enseignement à tirer de ce fait. C'est que dans des

cas semblables, c'est-à-dire quand il s'agit de malades furieux,

sauf en cas de péril imminent pour leur \ie, vous ne devez les

aborder qu'en nombre respectable. Si au lieu de n'avoir élé que

deux, les infirmiers dont je viens de vous entretenir eussent été

varia. 445

trois ou quatre, on n'aurait pas eu fort probablement à regretter

un malheur. Bien qu'une recommandation semblable vous ait été

certainement faite, j'ai cru devoir la renouveler, car il faut sans

cesse que vous l'aviez présente à l'esprit. Il est assez rare, en

effet, que les malades, même à l'état de fureur, ne se rendent

pas compte, dans une certaine mesure, de l'inutilité de leur

résistance devant trois ou quatre personnes. En tout cas, vous

êtes personnellement plus en sûreté et mieux en mesure d'éviter

de les blesser ou d'être blessés.

L'enseignement spécial sur les soins à donner aux aliénés com-

porte bien d'autres enseignements du même genre. Je ne m'y

arrêterai pas, et je reviens aux mesures à prendre pour assurer

un bon personnel secondaire aux asiles.

Il faut que votre métier ne soit pas considéré par vous, ni

par les administrations, comme un pis-aller, mais comme une

profession honorable et définitive, exigeant pour être bien rem-

plie un réel apprentissage, une instruction particulière. On doit

assurer aux infirmiers et aux infirmières des conditions matériel-

les convenables. Le plus souvent, aujourd'hui, leur salaire est

inférieur à celui des domestiques de la ville où se trouve l'asile. Il

faut que les conseils généraux comprennent que votre profession

exigeant une instruction professionnelle sérieuse, un apprentis-

sage réel, exigeant de votre part des qualités nombreuses et expo-

sant à chaque instant à de graves dangers, doit être rémunérée en

conséquence.

Le conseil général de la Seine l'a parfaitement compris. Il a

augmenté vos modestes appointements; il a créé cette école, il y

a sept ans; il a volé des crédits pour faire quelques cours aux

infirmiers et aux infirmières de Vaucluse, Ville-Evrard et Ville-

juif ; il a décidé qu'au bout d'un certain nombre d'années de ser-

vice, vous auriez droit à une pension; il a décidé que vos années

de service dans les hôpitaux et hospices de Paris vous seraient

comptées quand il s'agira de régler votre retraite*.

Il reste encore quelque chose à faire pour compléter cette

oeuvre et je profite de la présence à celte cérémonie de quelques-

uns de mes amis du conseil municipal pour le leur rappeler : il

faut que l'Assistance publique, de son côté, accorde la réciprocité

aux infirmiers et aux infirmières des asiles, qui passent dans les

1 « Il convient d'ajouter que, selon le voeu de la commission de sur-

veillance, au rapport de M. le Dr Bourneville, les agents comptant des

services dans les hôpitaux et hospices de la ville de Paris, pourraient,

mais après six années au moins de présence dans les asiles, faire valoir

ces services antérieurs pour obtenir du département l'indemnité repré-

sentative du repos, à la condition, bien entendu, qu'ils ne reçoivent pas

cette indemnité de l'Assistance publique. »

446 VARIA.

hôpitaux et les hospices. C'est là une complication qui n'existerait

pas si, comme le voudrait la logique et le bien public, il n'y avait

à Paris qu'une seule administration hospitalière, en d'autres termes

si le service des aliénés était rattaché à l'Assistance publique.

Permettez-moi à ce sujet de vous rappeler que c'est en grande

partie aux efforts de notre ami le Dr G. Rohinet, que nous venons

d'avoir tous la douleur de perdre, que ces résultats sont dus.

Aussi devez-vous conserver précieusement son souvenir dans votre

mémoire.

L'administration préfectorale commence à se pénétrer, elle

aussi, de l'utilité de ces réformes et à voir qu'il est nécessaire

d'entourer votre profession de plus de considération qu'autrefois.

Nous n'en voulons pour preuve que l'hommage qui a été rendu

récemment par M. le préfet de la Seine à l'un de vos anciens, le

surveillant Pussin, qui fut le dévoué collaborateur de l'illustre

Pinel à Bicêlre et à la Salpêtrière '.

Toutes ces mesures, destinées à améliorer votre condition, doi-

vent vous encourager à remplir vos fonctions avec zèle et dévoue-

ment, à éviter avec soin tout acte de violence envers les malades,

et à suivre scrupuleusement les conseils de vos chefs de service,

médecins ouadmiuislraleurs. Le conseil général et l'administration

préfectorale de la Seine compléteront prochainement leur oeu-

vre en perfectionnant l'enseignement donné dans cette école.

Nous avons été chargé par une commission spéciale d'établir le

programme complet de l'enseignement reconnu nécessaire aux

infirmiers et aux infirmières des asiles. Les cours devront être

suivis régulièrement par tous, et à la fin de chaque année scolaire,

dans des conditions nettement formulées, il vous sera délivré des

diplômes. Ces diplômes serviront de base à l'avancement. C'est

dans l'école de cet asile que l'administration prendra plus tard le

personnel nécessaire aux autres établissements, et c'est parmi les

diplômés qu'elle choisira ses sous-surveillants et ses sous-surveil-

lantes.

Vous êtes prévenus, Mesdames et Messieurs. A vous, l'an pro-

chain, de suivre exactement les cours, de faire toutes les composi-

tions qui vous seront données et de participer aux examens pratiques

auxquels vous serez convoqués.

Si vous suivez ces conseils, si vous accomplissez scrupuleuse-

ment vos devoirs envers les malades, vous récompenserez le

conseil général de tout ce qu'il a fait pour vous, vous inspirerez

une réelle confiance à l'administration, vous prouverez que les

laïques sont supérieures sous tous les rapports aux religieuses, et,

par votre exemple, vous montrerez la voie à suivre aux conseils

généraux et aux préfets de toute la République I

1 Voir Archives de Neurologie, t. IV, p. 313.

VARIA. 447

Le président a ensuite donné la parole à M. le Dr DAGONNET,

qui s'est exprimé ainsi qu'il suit :

Mesdames, Messieurs,

Je ne me proposais pas de prendre aujourd'hui la parole; mais,

comme je l'ai fait chaque année avec plaisir, cette fois encore, à

la demande qui m'est adressée, je m'empresse de venir joindre

quelques observations à celles qui vous ont été présentées par notre

dévoué président, M. le Dr Bourneville, et vont vous être pré-

sentés par noire excellent directeur, M. le Dr Taule.

Les cours professionnels, ainsi qu'on vous l'a dit souvent, ont

été institués par M. le Dr Bourneville, dont le zèle est infatigable.

Le conseil municipal et M. le préfet de la Seine s'y intéressent

particulièrement; ils vous en ont donné des preuves nombreuses.

Ces cours sont également établis dans d'autres établissements,

à Bicêtre, à la Salpêtrière, à la Pitié; les comptes rendus publiés

par les journaux nous ont fait connaître les efforts tentés pour les

rendre aussi pratiques que possible et les résultats très satisfaisants

qui ont été obtenus.

M. le directeur de l'Assistance publique a constaté, dans une der-

nière séance publique, que des infirmières absolument illettrées

étaient arrivées, à force de travail et d'énergie, à remporter dans

leurs classes les plus beaux succès. Vous devez suivre cet exemple

et ne pas vous laisser dépasser par vos collègues des hôpitaux.

En fondant ces cours, on a eu la pensée de former un personnel

intelligent, dévoué et pourvu des connaissances nécessaires à l'ac-

complissement des fonctions dont vous êtes chargés, et capable

de remplacer avantageusement les communautés religieuses,

auxquelles avait été confié pendant de longues années le service

des aliénés; on ne saurait donc trop vous engager à redoubler de

zèle et d'assiduité.

Voire intervention dans nos services est considérable, elle ne

peut être véritablement efficace qu'à une condition, c'est que vous

fassiez une application intelligente des prescriptions que vous

avez à exécuter, qui permettront d'obtenir la guérison ou au

moins l'amélioration de nos malades, de prévenir souvent des

accidents auxquels ils sont exposés par leur affection. J'ai eu l'oc-

casion de vous énumérer ces différents accidents et je ne revien-

drai pas sur ce sujet; je veux seulement aujourd'hui appeler, en

quelques mots, votre attention sur un autre côté de la question,

sur l'utilité de votre intervention au point de vue moral, vous faire

voir toute l'influence que vous pouvez exercer sur le malade par

les conseils que vous lui donnez, par vos observations et par votre

conduite vis-à-vis de lui.

Nous n'avons cessé depuis longtemps de réclamer l'amélioration

du personnel attaché au service des aliénés, nos réclamations ont

448 varia.

fini par être écoutées, et sous ce rapport, comme sous tant d'au-

tres, nous avons pu réaliser un progrès considérable dans le trai-

tement de nos malades.

Sans remonter jusqu'à Pinel, il n'y a pas bien longtemps encore,

en 1836,Esquirol nous faisait connaître, dansdes paroles indignées,

les conditions déplorables dans lesquelles vivaient les aliénés. Us

étaient en quelque sorte repoussés de la société; quelquefois

recueillis dans des hospices qui manquaient de l'organisation la

plus élémentaire. Les maisons dans lesquelles ils étaient enfer-

més, n'avaient ni cour, ni jardin ; ils circulaient çàet là, confon-

dus pêle-mêle au milieu d'autres malheureux, atteints eux-mêmes

d'affections repoussantes.

Jeune encore, au début de ma carrière, j'ai assisté à ce triste

spectacle et j'ai vu plusieurs de ces instruments de torture que

l'on décorait du nom de moyens de traitement. Dans quelques

maisons d'aliénés, je l'ai constaté à Maréville, par exemple, près

de Kancy, on voyait des étages de cellules, superposées les unes

sur les autres où de pauvres malades étaient relégués, abandon-

nés à leur triste sort et privés des soins les plus nécessaires.

Bien plus, chose triste à dire, loin d'être soignés, ils étaient

livrés à la brutalité d'un personnel grossier, inhumain, mal payé

et qui souvent trouvait un profit en les exposant à l'indécente

curiosité du public.

Esquirol s'étonnait que même des villes de science, qui avaient'

des facultés de médecine comme Paris, Strasbourg, pouvaient

entretenir ces malheureux dans une semblable situation.

Les temps sont heureusement changés et quel ne serait pas

aujourd'hui l'étonnement d'Esquirol, ce maître de la science, s'il

pouvait voir quelques-uns de nos asiles en tête desquels nous

devons placer les asiles de la Seine, remplissant les meilleures

conditions d'hygiène, de salubrité et dans lesquels on s'est efforcé

de réunir tout ce qui pouvait aider au traitement de l'une des

affections les plus pénibles. Là, plus d'instruments de torture;

l'esprit d'ordre et de discipline qui entoure l'aliéné, à son entrée

dans nos services, les a remplacés.

On éloigne du malade tout ce qui rappelle la prison, même

l'hôpital; les murs eux-mêmes sont en quelque sorte supprimés,

pour permettre aux regards de s'étendre au loin, et à la pensée,

obscurcie par des lèves insensés, de s'échapper librement, dans

les moments de lucidité, de l'enceinte qui prive momentanément

le malade d'une liberté qui lui est chère, mais dont il lui serait

impossible de profiter. t 1

La raison humaine ne reprend en effet sa lucidité que par

intervalles, ce sont des éclairs dans le long égarement de la folie;

les périodes de rémission se rapprochent alors d'autant plus que

la guérison est plus près de se confirmer.

VARIA. 449

Il faut à ce moment tout tenter pour créer autour du malade

cette sorte d'harmonie qui éloigne de lui les impressions désa-

gréables, les causes de surexcitation, tout ce qui viendrait empê-

cher le retour des idées raisonnables, le réveil des sentiments

naturels et le souvenir d'une existence passée à laquelle se ratta-

che avec force l'homme prêt à recouvrer la raison. -

C'est dans ce concours de moyens appropriés que le médecin

trouve en vous un adjuvant puissant, sans lequel il lui serait

impossible d'obtenir un résultat favorable.

C'est à ce moment que votre intervention devient précieuse et

c'est pourquoi, nous, médecins et administrateurs, nous avons

voulu substituer au personnel grossier dont Esquirol se plai-

gnait, un personnel choisi, honnête, intelligent, dévoué, animé

d'intentions bienveillantes et dont nous tenons à coeur de perfec-

tionner l'instruction pour qu'il ait la conscience, le sentiment de

ses devoirs et qu'il sache les remplir ; on a voulu enfin, en ins-

tituant ces cours professionnels, leur donner le caractère médical

qui seul doit leur appartenir.

Ceux d'entre vous qui ont vécu quelque temps au milieu des

aliénés savent parfaitement toute l'influence qu'ils peuvent exer-

cer sur nos malades lorsque, par exemple, ils sont incapables de

fixer leur attention et de comprendre les paroles qu'on leur

adresse, de juger les objets extérieurs, de rappeler leurs souve-

nirs, de coordonner leurs idées, etc...

11 est d'autres malades dont l'intelligence semble avoir conservé

la plus entière lucidité et que l'on voit s'abandonner à un déses-

poir sans bornes, que rien de réel ne vient motiver. Ils apprécient

avec exactitude les choses qui les entourent, leur mémoire est

bien conservée. Que leur manque-t-il donc ? Eux-mêmes vous

l'expliqueront, ils n'ont que trop la conscience du mal qu'ils

éprouvent, c'est une sorte d'inertie, d'absence de volonté qui les

tient enchaînés et dont ils ne peuvent expliquer la raison. Le

malade est triste, dit Morel, il ne sait pas pourquoi, il cherche la

cause de son mal, sans pouvoir la trouver; il implore la science,

il invoque le secours de ses amis et raconte à tout le monde avec

un touchant abandon les peines de son âme et les funestes ten-

dances auxquelles il est entraîné malgré lui.

Pour d'autres, c'est une aspiration de l'âme vers un monde

inconnu, c'est un regret éternel du passé, un dégoût prononcé du

présent, la perte de toute espérance d'un avenir meilleur.

Ils restent sans force et sans énergie, le moindre effort leur est

pénible; à cette situation morale correspond un état physique

fâcheux; c'est une conséquence forcée. L'habitude de l'inertie, le

défaut d'exercice entraîne la diminution de la fonction et engen-

dre par suite les affections les plus diverses.

Cette force morale qui manque à ces malheureux, vous qui

Archives, t. XIV. 29

450 VARIA.

passez tout votre temps au milieu d'eux, vous pouvez la leur ren-

dre en vous y prenant adroitement, par vos conseils, vos exhorta-

tions, vos témoignages d'intérêt et de dévouement, votre conduite

à leur égard. En relevant les forces morales vous aidez à la répa-

ration des forces physiques et bientôt au retour de la santé.

La crainte, l'inquiétude, l'angoisse, sont, vous le savez, des

sentiments pénibles, qui suppriment toute réflexion et paralysent

la volonté. L'individu fuit devant des périls qui n'existent pas et

se précipite, tête baissée, dans des dangers que la plus simple ré-

flexion pourrait lui faire éviter. Ce sentiment d'inquiétude, de

terreur est précisément le symptôme distinctif de certaines formes

d'aliénation mentale.

Le délire alcoolique n'a pas souvent d'autre caractéristique. Le

malade a peur de tout, l'expression de la frayeur est empreinte

sur ses traits.

Eh bien, vous avez là une indication facile à remplir ; il vous

faut à tout prix le calmer, le tranquilliser et vous le mettrez bien

vite dans une disposition d'esprit qui lui permettra de profiter des

autres moyens de traitement.

Georget avait fait remarquer que l'une des principales modi-

fications que l'on devait chercher à amener dans le fonctionne-

ment de l'intelligence chez les aliénés, c'était de trouver le moyen

de fixer leur attention sur des objets étrangers à leur folie, de

communiquer à leur esprit des idées nouvelles, des sentiments

différents, en un mot, des impressions d'une toute autre nature.

En agissant sur l'imagination on produit de véritables miracles,

chez beaucoup de personnes, chez celles surtout qui sont nerveuses,

hystériques, qui sont exaltées et hypochondriaques. Ce pouvoir

sur l'imagination doit être prudemment exercé si l'on veut le

faire tourner au profit de la guérison, autrement il déterminerait

les effets les plus regrettables.

Le mysticisme, cette exaltation de l'imagination qui la porte

vers les choses religieuses, en passionnant outre mesure celui

qui s'y laisse entraîner, a dans plus d'une circonstance exercé une

action puissante sur le développement de l'aliénation mentale.

Les expériences magnétiques, les prétendues communications

avec le monde immatériel ont été souvent dangereuses ; elles ont

eu pour conséquences, à certaines époques, en Amérique surtout,

de nombreux cas de suicide et des cas fréquents de folie.

11 n'est pas jusqu'aux représentations théâtrales qui, chez

quelques malades, en dehors de la distraction qu'elles leur pro-

curent, viennent déterminer des émotions et réveiller certaines

passions qui dans quelques circonstances ont pu hâter les progrès

de la guérison.

En résumé, le traitement moral que vous êtes chargés d'appli-

quer a, comme le traitement physique, une influence considé-

VARIA. 4SI

rable ; il doit être dirigé suivant certaines indications que vous

devez apprendre à connailre, il comprend les moyens divers qui

agissent sur les habitudes et les sentiments des malades, qui

s'attaquent à leurs erreurs, les combattent doucement, qui font

diversion à leurs tristes pensées, réveillent en eux des sentiments

prêts à s'éteindre. C'est alors que votre intervention, faite d'une

manière intelligente deviendra efficace.

Je ne veux pas m'étendre davantage à ce sujet, je me borne

en terminant à vous conseiller de rester dans les bonnes dis-

positions qui vous sont recommandées et de suivre avec zèle les

cours qui sont professés par nos internes, toujours disposés à

rendre service quand on fait appel à leur bonne volonté et à leur

dévouement.

Il me reste enfin à joindre mes remerciements à ceux de l'ad-

ministration pour nos chers collaborateurs : MM. Legrain, qui a

professé l'anatomie; Vrain, la physiologie : Dupain, les panse-

ments et appareils; Malfilâtre, l'hygiène; Delafontaine et Man-

geard, la pharmacie. Nous les remercions de la peine qu'ils se

sont donnée et qu'ils continueront à se donner, nous en sommes

convaincus, eux et leurs successeurs.

Ensuite la parole a été donnée à M. le Dr Taule, directeur

de l'asile :

Mesdames, Messieurs,

L'école d'infirmiers et d'infirmières de Sainte-Anne, fondée en

1882 sous les auspices et par l'initiative de M. le Dr Bourneville,

notre éminent et dévoué président, en est aujourd'hui à sa cin-

quième année d'existence. Grâce à cet enseignement et à l'ensei-

gnement similaire précédemment établi à la Pitié, à la Salpêtrière

et à Bicêtre, l'administration a pu, dans l'espace de quelques

années, pourvoir de sous-surveillantes et de sous-employés instruits

et expérimentés la plupart des hôpitaux de Paris et les quatre

asiles d'aliénés de la Seine. Un tel résultat démontre l'utilité de

l'oeuvre et justifie pleinement l'importance que nous y attachons.

Aussi ne saurions-nous trop remercier les médecins et les in-

ternes de cet asile dont le concours moral et la participation

effective nous ont été, et nous sont encore si précieux pour en

assurer la prospérité. Nous espérons qu'ils voudront bien nous les

continuer à l'avenir.

Mais, pour que le dévouement de : vos maîtres puisse porter

ses fruits, il faut que vous le secondiez par votre bonne volonté

et par votre travail. Or, je suis obligé de constater que l'assiduité

aux cours a été encore insuffisante cette année. De là la faiblesse de

quelques compositions et le nombre restreint des récompenses.

C'est un élève externe, M. Jean Louis, qui a eu le plus de succès,

482 VARIA.

grâce il est vrai à son instruction antérieure mais aussi à sa cons-

tante assiduité. J'espère que vous prendrez votre revanche l'année

prochaine. Du reste, il ne serait pas équitable que les anciens

élèves déjà récompensés pour leurs succès antérieurs concou-

russent avec les nouveaux. Nous établirons, au besoin, comme

nous l'avons déjà fait cette année pour les infirmières, une divi-

sion d'anciens et de nouveaux, afin de récompenser et d'encoura-

ger tous les efforts véritablement méritants.

Il ne serait ni généreux ni habile de fermer la porle aux

élèves du dehors qui peuvent fournir un utile contingent au

recrutement du personnel. Mais il dépend de chacun de vous de

neutraliser dans une certaine mesure les effets de cette concur-

rence en perfectionnant votre instruction professionnelle, avan-

tage que n'ont pas au même degré les personnes étrangères au

service. Les progrès accomplis depuis cinq ans nous permettent

d'ailleurs d'assurer à peu près intégralement le renouvellement

éventuel des cadres du personnel secondaire avec les infirmiers

et les infirmières actuellement en fonction. L'externat ne saurait

donc vous préoccuper outre mesure. Vous pouvez d'ailleurs être

assurés qu'à mérite égal vous serez toujours promus aux grades

supérieurs de préférence aux candidats du dehors.

Plusieurs d'entre vous n'ayant reçu aucune instruction première

avant leur admission à l'asile, se sont abstenus de fréquenter les

cours sous prétexte qu'ils n'étaient pas en état d'en profiter. C'est

là une erreur. Car les connaissances pratiques auxquelles on

cherche surtout à vous initier sont accessibles à toute personne

intelligente et attentive. Vous pouvez d'ailleurs atténuer et même

faire disparaître complètement cette cause d'infériorité en suivant

les cours de l'école primaire. Je dois des félicitations à celles

d'entre vous qui ont suivi depuis deux ans les leçons de l'institu-

trice. Nous avons été heureux de leur en témoigner notre satis-

faction en leur décernant huit prix et quatre accessits. Mais ne

croyez pas que cela vous dispense de suivre les cours de l'école

professionnelle. Vous seriez au contraire désormais sans excuse

en vous en abstenant.

M. le Dr Bourneville déplorait l'année dernière et nous regret-

tions avec lui que l'administration, depuis longtemps en instance

dans ce but, ne fût pas encore parvenue à vous assurer une pension

de repos à la lin de votre carrière. Cette mesure de prévoyance et

de justice s'est heureusement réalisée depuis. Le conseil général,

obligé de reculer devant les exigences financières du conseil d'Etat,

qui auraient imposé de trop lourds sacrifices au budget départe-

mental, a dû renoncer au moins pour le moment à vous faire

bénéficier des dispositions de la loi du 9 juin 1853 sur les pensions

civiles. Mais il a tourné la difficulté en volant une première

annuité de 10,000 fr. destinée à la fondation d'une indemnité

VARIA. 433

représentative de repos, équivalente à la pension de retraite. Cette

décision homologuée par un arrêté préfectoral assure désormais

à chacun de vous, quel que soit son grade ou sa fonction, une

indemnité annuelle et viagère égale à la moitié de son traitement

majoré de la valeur des avantages en nature. Vous aurez droit à

la pension entière, dont le taux varie selon le grade de 1,050 à

530 fr., après vingt-cinq ans de services effectifs, et à la pension

proportionnelle après dix ans de service, en cas d'infirmités; les

services antérieurs dans les hôpitaux ou hospices, de la ville de

Paris et les services militaires vous étant comptés dans l'un et

l'autre cas, pourvu que vous ayez séjourné au moins six ans dans

les asiles de la Seine.

Ce sont là des avantages sérieux, que le conseil complétera

sans doute en accordant la réversibilité de la pension aux veuves

ou aux enfants des titulaires dans les conditions prévues par les

articles 13 à 16 de la loi de 1853; et, comme tout progresse avec

le temps, j'espère bien que ces améliorations ne seront pas les

dernières. , '

Il y a loin en tout cas.de votre situation actuelle à celle qui

était faite il y a à peine un siècle an plus illustre de vos prédé-

cesseurs, J. B. Pussin, ancien surveillant de Bicêtre, qui, par son

dévouement et ses soins éclairés pour les malades, a mérité le

nom de précurseur et de collaborateur de Pinel, qualifications inscrites

sur la plaque commémorative récemment édifiée à sa mémoire.

Dans l'allocution qu'il a prononcée à cette occasion M. le préfet

nous apprend que cet homme de bien recevait, pour tout salaire

de ses services inappréciables, la nourriture, le logement et 36 fr.

par an ! Ce serait à peine croyable, si l'on ne savait dans quel

abandon douloureux étaient laissés les services d'aliénés avant la

Révolution opérée par le grand bon sens et le grand coeur de

Pinel. Le xmu° siècle, si passionné pour la vérité et pour les idées

généreuses, semble indifférent pour les souffrances des aliénés

parce qu'il croit la folie incurable. On ne brûle plus les fous

comme aux siècles précédents, mais on les enferme comme des

criminels dangereux, on les enchaîne et on les oublie dans les

cabanons de Bicêtre. C'est là que Pussin, esprit ouvert et coeur

compatissant malgré sa rudesse apparente, observait ses malades

et proscrivait déjà les moyens violents employés jusqu'alors pour

les contenir. « Que faites-vous, lui disait Pinel, quand ils devien-

nent trop méchants ? Je les déchaîne. - Et alors ? -Ils se cal-

ment. » Avec un tel auxiliaire la réforme de Pinel devait facile-

ment triompher. Les chaînes tombèrent et furent remplacées par

un traitement plus rationnel et plus doux. Ce sont ces principes

et cette méthode que l'on applique aujourd'hui dans nos asiles, et

c'est en grande partie grâce à eux que l'on guérit plusieurs formes

mentales longtemps réputées incurables. Je n'ai pas cru m'écarter

454 FAITS DIVERS.

de mon sujet en rappelant ces souvenirs, bien qu'ils soient pré-

sents à la mémoire de la plupart de ceux qui m'écoutent. Car ils

honorent votre corporation et la nôtre. C'est en vous y conformant

que vous vous montrerez les dignes émules de vos devanciers et

que vous léguerez à vos successeurs de nouveaux exemples. - de

remercie en terminant toutes les personnes qui ont répondu à

notre appel et particulièrement les membres du Conseil général

et de l'Administration supérieure dont la présence a rehaussé

celte cérémonie.

Il a été procédé ensuite à la distribution des prix consistant t

en livrets de caisse d'épargne et en livres.

FAITS DIVERS

Asiles d'aliénés. - Promotions. - M. le Dr Mas-Simon, méde-

cin en chef de l'asile public de Bron (ltliGne), est promu à la

classe exceptionnelle (arrêté du 1er août). M. FABRE, directeur-

médecin de l'asile public de Saint-Alban (Lozère), et M. le Dr \1on-

DRET, médecin en chef de l'asile public du Mans (Sarthe), sont

promus à la première classe (arrêlé du 1er juillet 1887). - M. le

Dr Brusque, médecin adjoint à l'asile public de Vaucluse, est

promu à la classe exceptionnelle à partir du 1er mai. - M. le

Dr RAIADIER, médecin adjoint à l'asile public de Lafond (Cha-

rente-Inférieure), est promu à la Ire classe (1er août 4887).- M. le

Dr Dunuissorr, médecin adjoint à l'asile de Sainte-Anne estpromu

à la 1 ? classe (lor juillet). - Nominations. - 11. le Dr Vernet,

interne à l'asile public de Alaréville, est nommé médecin adjoint

à l'asile public de Pau, en remplacement de M. le Dr Germa, com-

pris dans la 2mo classe (23 août). - M. le Dr B.R&NDOi4, nommé

médecin adjoint à l'asile public de Braqueville (Haute-Garonne),

est maintenu dans la 1 ? classe. - Admission à la retraite.

M. le Dr ESPIAU DE LAMESTRE, directeur-médecin de l'asile de Ville-

Evrard est admis à faire valoir ses droits à la retraite.

Asile d'idiots de LEARSDEN. - L'établissement est fait pour

2,000 malades, 900 hommes et 1,100 femmes. Le coût, par tête,

comprenant Tachai du terrain est de 230 fr. - Les infirmeries, les

quartiers d'épileptiques et les quartiers ordinaires sont tous bien

organisés. - Les plus intelligents et les plus capables des hommes

FAITS DIVERS. 455

et des femmes sont employés plus ou moins activement, dans une

excellente ferme. Au cours de la visite que nous y avons faite, sir

Edwin Galsworthy a défendu le conseil des asiles métropolitains

des charges d'extravagance, qui, a-t-il dit, lui étaient souvent im-

putées, et il l'a fait dans de si excellents termes que les visiteurs

ont emporté la preuve que l'argent public avait été dépensé avec

sagesse et utilité, au bénéfice de Londres et de ses pauvres. (Brit.

met. Journal, p. 140, 1887.)

Asile d'aliénés DE BEVERLEY. - Il y a eu une petite augmenta-

tion dans le nombre des malades en 1886, ce nombre étant de

275 au commencement de l'année et de 292 à la fin. Cette aug-

mentation est presque entièrement due aux malades étrangers

au comté. Il y a eu 68 admissions. Le caractère de ces cas n'était

pas favorable. 32 p. 100 seulement pouvaient être considérés

comme curables et dans le reste une moitié était l'objet de grands

doutes. Les guérisons furent de 38,7 p. 100 du nombre des

admissions, les transferts non compris. 24 malades moururent,

20 fois l'autopsie fut pratiquée. La mortalité a été de 8,6p. 100

tandis que jusque-là elle avait été de 10,9 p. 100. En 1886 un

hôpital détaché pour les fiévreux commença à remplacer le bâti-

ment en bois installé provisoirement en 1884 pour les typhiques.

L'estimation est de 32,500 fr. Les fonds nécessaires sont fournis

par le profit retiré des malades étrangers ou privés. La surveil-

lance de nuit de 29 épileptiques et de 24 folies suicides est encore

confiée aux camarades des malades.-Les commissaires dans leur

visite ont remarqué qu'aucune mort par suffocation, la nuit, ni

aucun suicide n'était encore survenu avec une surveillance si

insuffisante et que c'est peut-être ce qu'on peut dire de mieux en

sa faveur. (Brit. med. Journal, p. 157, 1887.)

Famille DONT les individus ONT six doigts. (Six-fingered family.)

Dans un livre vieux de deux siècles, dû à John Smith Berkeley,

il est question d'une famille de Slimbridge, dont tous les

membres avaient six doigts (un pouce supplémentaire), depuis au

moins quatre générations. Le Dr Beddoe demande que des

recherches soient faites dans ce pays, afin de savoir si ce phéno-

mène continue à se présenter parmi les descendants de cette fa-

mille. (Britisla. Joum. méd., janv. 1887.) A. B.

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

BI.OETE. - Rapport sur le service médical du quartier d'aliénés de

l'hospice général de Nantes, pondant l'année 1886. Brochure in-8° de

35 pages. - Nantes, 1887, imprimerie lI1elhnrt.

CHARCOT (J.-51.). - Leçons sur les maladies du système nerveux, pro-

fessées à la Salpêtrière et recueillies par MM. BABINSKI, BERNARD, Férue,

GUINON, Marie et Gilles de la TounETTE. -Tome III, 2° fascicule. - Un

volume in-8 de 380 pages, avec 61 figures dans le texte. Prix : 9 fr. ;

pour nos abonnés, prix : 6 fr.- Ce fascicule complète le tome troisième.

Dodtrebente. Asile départemental d'aliénés de Blois. - Compte

moral et administratif présenté pour l'année 1886. - Une brochure in-4°

de 40 pages. Blois, 1887.

DFoun (E.). - Asile public d'aliénés de Saint-Robert (Isère). - Compte

rendu du service médical pendant l'année 1885. Brochure in-8° de

19 pages. Grenoble, 1886. - Imprimerie F. Allier.

HOVELACQUE (A.) et HERVÉ (G.). Précis d'anthropologie. Volume in-8°

de 655 pages, avec 20 figures. - Prix : 10 fr. Paris, 1886.- Librairie

A. Delahaye et E. Lecrosnier.

MAIRET et COMBEALE. Recherches sur l'action physiologique et théra-

peutique du methylat. Brochure in-8° de 32 pages. - lllontpellicr,

1887, typographie Ch. Bochm.

Publications DU Progrès médical. - Soeltl' Jeanne des Anges, supérieure

des Ursulines à Loudun, XV 11» siècle. Auto- biographie d'une hystérique

possédée d'après le manuscrit inédit de la Bibliothèque de Tours. - z

Annotée et publiée par MM. les Drs G. LEGUÉ et G. DE la TounETTE.

Préface de M. le professeur Charcot, 'membre de l'Institut. Un beau

volume in-8 de 330 pages. Papier vélin, prix : 6 fr.; pour nos abonnés :

4 fr. Papier Japon, prix : 25 fr. ; pour nos abonnés : 20 fr.

SERGI (G.). La psychologie physiologique. Un volume in-8" de

452 pages, avec 40 figures. Traduit de l'italien par M. MOUTON. -

Prix : 7 fr. 50. - Librairie F. Alcan.

Le rédacteur-gérant, Bourneville.

TABLE DES MATIÈRES

Alcooliques (traitement des dans

les établissements spéciaux), 123;

- (abus des boissons - en Po-

logne comparativement avec les

autres pays), par Hoschi, 301.

Aliéniés (assistance des - à Mos-

cou), 121 ; - assistance des - in-

digents convalescents, 122; - as-

sistance des criminels ou

prévenus, 123 ; - assistance des

- chez eux ,123; - (réorganisa-

tion des anciennes maisons d').

125 ; mutisme chez les - par

Snell, 293; - du renvoi immédiat

des criminels guéris, par Pick,

275; - les - dans les hôpitaux

et hospices civils de province, 172 ;

- assistance des allemands au

moyen âge, par Kirchoff, 276;

situation des - en Sibérie, rar

Briantzoff, 298 ; - (en Pologne),

par Rosé, 299; - (législation de

l'assistance des), par Boutzké,

297 ; - loi sur les - au Sénat,

136, 307, 421; (la garde des in-

dividus prétendus), 320.

Amnésie traumatique, par Ritti, 277.

Arthritiques (troubles nerveux chez

les), par Deligny, 408.

Articulation coxofémorale (nerfs de

1'), par Duzéa, 410; par Chande-

lux, 414.

Asiles (la manie de construire des

- en Ecosse), 175; (personnel

des), 319; - de l'importance des

- pour préserver les psychopathes

du suicide, par Muelsberger, 276;

- abolition de la répression cor-

porelle dans 1' d'Alabama.

d'idiots de Learsden, 454; -

d'aliénés de Beverley, 455.

Atavisme (note sur un cas d'), par

Paris, 263.

Athétose double (deux cas d'- avec

imbécillité), par Bourneville et

Pilliet, 386.

Atrophiemusculaire progressive due

à une hydromyélie, par Wallis,

405.

Baron Seillière (affaire du), par Mo-

tet, 278 ; Garnier, 283.

Bibliographie (apoplexie hystéri-

que), par Achard, 302; - amyo-

trophie tabétique, par Condé-

léon, 419 ; - contribution à la

descendance des alcooliqurs, par

Grenier, 306 ; crampe des

écrivains et son traitement, par

Lallemand, 417; - céphalée neu-

rasthénique, par Lafosse, 418 ;

- les démoniaques dans l'art, par

Charcot et Richer, 126 ; re-

cherches cliniques et thérapeuti-

ques sur l'épilepsie, l'hystérie et

l'idiotie, par Bourneville, Isch

Wall, Baumgarten, Pilliet, Cour-

barien et Bricon, 420; - sclérose

latérale amyotrophique, par Flo-

rand, 304; - troubles cérébraux

liés à la dilatation de l'estomac,

par Duchon-Doris, 306;- Bulletin

bibliographique, 456.

Cécité corticale congénitale (état cé-

phalométrique dans la), par Bene-

dikt, 416.

Cellules nerveuses ganglionnaires

(structure des), par Flesch et Ko-

nell, 415.

Cerveau (coloration des cellules de

l'écorce du - par les couleurs

d'aniline), par Snell, 295.

Congrès des aliénistes russes, 121,

297; des aliénistes de Basse-

Saxe et de Westphalie, 293.

458

TABLE DES MATIÈRES.

Crampe des pianistes, par Vivian

Poore, 272.

Délire chronique, par Christian, 117,

277.

Déviation conjugée (centre cortical

de la), par Blanc, 411.

Doigts (Famille dont les individus

ont six), 455. ,

Enfants arriérés (éducation et pro-

tection des), par 111aliarewsl : i, 302.

Epilppsie (acétanilide dans 1'), par

111abilie et Bamaclier, 277 ; - (pro-

cursive), par Bourneville et Bri-

con, 55, 235.

Epileptiformes (crises- provoquées

par une otite moyennechronique),

par Noquet, 109. -

Expression (innervation des mouve-

ments de 1'), par Rosenbach, 116.

Faisceau pyramidal (anatomie com-

parée du), par Spitzka, 417.

Folie épileptlqùe, par hUer, 285.

Gliomatose médullaire, par Roth,

368.

Hallucination (description et expli-

cation des de la vue qui se

produisent avant le sommeil), par

Hoppe, 270; remarques sur la

théorie de Ardnt sur les - et les

illusions, par Hoppe, 274.

Hallucinés (des réactions galvanoé-

lectriques des nerfs auditifs et op-

tiques chez les), par Konrad, 271.

Hémichorée (essai sur 1' sympto-

matique des maladies de l'encé-

phale), par Bidon, 407.

Hvdrocéphalie chez un adulte, par

1'oppin, 112.

Hystérie (étude de 1' chez l'hom-

me), par I. Lucas-Championnière,

15; - (dans l'armée), par Dupon-

chel, 271.

Hystérique (dédoublement de la per-

sonnalité chez un), par Bourru et

Burot, 277; histoire d'une

hypnotisable, par Grasset et

Brousse, 321.

Langage (troubles du écrit chez

les demi-idiots), par Berkhan,

276.

Mémoire (sur la), par Steinberg,

. 302.

Méningocèle empêchant le travail,

par Loxton, 109.

Méningite hystérique (cas de pseudo-

simulant une méningite tuber-

culense), par Reynaud, 409.

Mentales (classification des mala-

(lies), par Kandinsky, 300.

Mentaux (troubles - transitoires),

par Hoellandcr, 271.

Mimique comme élément de dia-

gnostic en aliénation mentale, par

Sikowsky, 302.

Moelle (stiucture de la - chez les

microcéphales), par Steinlechner,

412.

Monoplégia anoesthetica, par Adam-

kievicz, 101.

Monoplégies partielles du membre

supérieur d'origine hvstéro-trau-

matique, par Rendu, 177.

Nécrologie : Stewart Jewell, 176;

- John Gray, 316.

Neurasthénie (un symptôme fré-

quent de), par Rosenbach, 408.

Névrites multiples, par Buzzard,

114.

Nominations dans les asiles, 175, 454.

No lleslraint, par Korsakoff, 298.

Ophthalmie chez les aliénés par Cou-

derc, 304.

Paralysie faciale a frigore (du

rôle de la prédisposition nerveuse

dans l'étiologie de la), par Neu-

mann, 1.

Paralysie générale, par Bonnet, 79;

par Meynert, 270, - avec délire

hypochondriaque et attaques hys-

tériformes) , par Chambard,117 ;

- recherches sur l'étiologie de la

chez l'homme, par Christian,

205.

Paralysie infantile (tubercule céré-

brale, par Sigaux, 407.

Paralysie radiculaire spontanée du

plexus brachial, par I)ufourt,110;

paralysie radiculaire supé-

rieure du plexus brachial d'ori-

gine professionnelle, par Vinay;

406.

Perceptibilité différentielle (étude

sur la), par Biendelssohn et 111u1-

ler Lyer, 47, 351.

Péripachyméningite spinale, par

Morse, 113.

Persécutés persécuteurs (de la folie

des), par Fritsch, 271.

Plexus choroïdes (tumeurs des), par

Audry, 111.

TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS.

459

Pression cérébrale et compressibi-

lité du cerveau, par. Grashey,

415.

Pression sanguine (de l'influence de

l'écorce du cerveau sur la - et

l'activité du coeur), par Bechte-

rew et Misslawsky, 'if3. '

Prix Esquirol, 116. ,

Prostitution professionnelle dans ses

rapports avec les maladies men-

tales et nerveuses, par n1 ? Tar

noskaia, 300.

Psychique (états d'affaiblissement

congénitaux en médecine légale

criminelle), par Kralft-Ebinn, 275.

Psychoses (étude des - dans l'ai-

mée), par Sommer, 275.

Réflexe rotulien (sur la perle du

- dans le diabète sucré), par

Marie et Guinon, 111.

Revue critique, 81.

Sclérose en plaques -(glycosurie au

cours de la), par Edwards, 409 ;

amélioration d'une à la

suite d'une fièvre typhoïde), par

Couturier, 409.

Sénat, 136, 307, 421.

Sens musculaire, par Paul Sollier,

81.

Société médico-psychologique, 116,

277; psychiatrique de Berlin.

285. -

Surdité verbale, par Perret, 108.

Syphilis (rapports entre le tabès ou

la paralysie générale et la), par

Striempell, 410..

Tumeur cérébrale, par Hans Loehr,

289.

Varia. - Courte narration d'une

jeune fille qui vécut sans boire

ni manger, par Bucoldianus, 167;

hommage au surveillant Pus-.

sin, 313; - Luther et la ma-

ladie de Menière, 318; distri-

bution des prix à l'école' d'infir-

miers et d'infirmières de l'asile

clinique (Sainte-Anne), 412.

TABLE

DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS

Achard, 302.

Aclamloevicz, 101..

Audry, 111.

Babinski, 101.

Baumgarten, 420.

Bechterew, il2.

Benedikt, 416.

Berkhan, 276.

Bernard, 111.

Bidon, 407.

Blanc, 411.

Blocq, 302, 30'r, 30;), 306.

Bonnet, 79.

Bourneville, 55, 172, 235, 386, 420.

Bourru, 277.

Boutzki, 297.

Briand, 116, 277.

Briantzoff, 298.

Bricon, 55, 235, 420.

Brousse, 321.

Bucoldianus, 167.

Buzot, 277.

Buzzard, 114.

Chambard, 117.

CLandelux, 411.

Christian, 117, 205.

Condoléon, H9.

Couderc, 30'r,

Courbarien, 420.

Couturier, 409.

Deligny, 408.

Deny, 108, 109, 110, 271, 406, 107,

108, 409, 411.

460

TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS.

Duchon-Doris, 306.

Duponchel, 271.

Duzea, 10.

Edwards, 409.

Ftesch, 415.

Florand, 304 ?

Fritsch, 271.

Garnier, 283.

Grashey, 415.

Grasset, 321.

Grenier, 306.

Guinon, 111.

Hollander, 271.

Hoppe, 270, 274.

Idler, 285.

Isch Wall, 420.

Kandinsky, 300.

Kéraval, 270, 271, 274, 275, 276.

293,.408, 410, 413, 414, 415, 416,

417.

Kirchoff, 276.

Konetl. 415.

Konrad,274.

Korsakotï, 298.

KratIt-Ebing, 275.

Lafosse, 418.

Lallemand, 417.

Loehr, 289.

Loxton, 109.

Lucas Championnière, 15.

Mabille, 277.

Maliarewski, 302.

Marie, 111, 126.

Mendelssoln, 47.

Meynert, 270.

Misslawsky, 413.

Morse, 113.

Motet, 278.

1\luehlberger, 276.

Muller-Lyer, 47.

Neumann, 1.

Noquet, 109.

Paris, 268.

Perret, 108.

Pick, 275.

Pilliet, 114, 386, 420.

Poore, 272.

Ramadier, 277.

Raoult, 112, 113, 176, 273, 320, 406,

455.

Rendu, 177.

Reynaul, 409.

Ritti, 277.

Roschi, 301.

Rosenbach, 408, 416.

Roté, 299.

Roth, 368.

Roubinovitch, 121, 297.

Sigaux, 407.

Sikorsky, 302.

Sollier, 81, 109, 316.

Sommer, 275.

Sorel, 317.

Snell, 293, 295.

Spitzka, 417.

Steinberg, 302.

Steinlechner, 412.

Striiempell, 410.

Tarnoskaia (llime), 300.

Toppin,112.

Vinay, 406.

Wallis, 405.

Archives de Neurologie T.XIV. PU

EXPLICATION DES PLANCHES

PLANCHE PREMIÈRE

ATIIÉTIIOSE DOUBLE AVEC IMBÉCILLITÉ

OBSERVATION 1

462 EXPLICATION DES PLANCHES.

PLANCHE II

ATIIÉTIIOSE DOUBLE AVEC IMBÉCILLITÉ

OBSERVATION 1

Archives de Neurologie. T. XIV. PU.11

Archives de Neurologie. T. XIV. PL.III

EXPLICATION DES PLANCHES. 463

PLANCHE III

ATIIÉTIIOSE DOUBLE AVEC IMBÉCILLITÉ

OBSERVATION Il

464 EXPLICATION DES PLANCHES.

PLANCHE IV

ATIIli71lOSfs DOUBLE AVEC IMBÉCILLITÉ

OBSERVATION 11

Bireui, Cli. Il ? u,ltI¡ ? uup. - 9.) ?

Archives de Neurologie

T XIV PL IV