(1887) Archives de neurologie [Tome 13, n° 37-39] : revue mensuelle des maladies nerveuses et mentales
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(1887) Archives de neurologie [Tome 13, n° 37-39] : revue mensuelle des maladies nerveuses et mentales

ARCHIVES

DE

NEUROLOGIE

ÉVIIEUX, IMPRIMERIE DE CHAULES HÉRISSEY.

ARCHIVES

DE "

NEUROLOGIE

REVUE

DES MALADIES NERVEUSES ET MENTALES

PUBLIEE SOUS LA DIRKCTION DE

J.-M. CHARCOT

AVEC LA COLLABORATION oe

MM. AIINAUD, BABINSKI, BALLET, BERNARD, BITOT BLANCIIAIID,

BLOCQ, 170\NAIIIE (E.), BOUCHEHEAU, BItIANU(11.),BRICOYIP.), BRISSAUI) (1 : .),

131tOlIAIiUEL (P.), CHAItPL'iNT[1 : 1t, f.031BUMALLE,COTAItU, CULLERRE, DEB01'E (M.)

))ELAS[AUV ? DENY, UUVAL (Mirus), FERRIER, GÉRENTE,

GILLES DE H TOUIIETTE, GOMBAULT, GRASSET, 11031E\, HUBLÉ, IIUCIIAIII),

JOFFBOY (A.), KËLLEH, I(I,ItA1-AL (P.), KOJEWNIKOF, LANDOUZY, LEGRAIN,

;11ABILLE, MAGNAN, MA1RET, MARAN170\ UE >IONT1'GL, MARIE, MAYOR,

1111EI1ZI : JI ? \\SICY, AIUSGIi.IYE-CLA1', PAlil\AL17, PIEIlItI : T, l'ITIIES, POPOFF,

liAl'1V10ND, REGNAI ! » (P.). REGNAI ! » (A.), IUf.111 : 11 (P.), ROUBI\O1VISCH. SÉGLAS.

SEGIIIN (E.-C.), SIKOHSKY, SOUZA LE1TE, TALAMON, TAHNOWSKY,

1'l'sINTUItIEII (l's.), THU1.11 : (H.), TIt01SIElt (li.), VA1LLA111), \'lG11111SOlIY (11.), OISIN (J.).

Rédacteur en c/;e ? 0OUItNEVII,LE

Secrétaire de la rédaction : Cli. Férié

Dessinateur : LEUBA.

Tome XIII. - 1887.

Avec une planche et 6 figures dans le texte.

PARIS

BUKEAUX DU P/ ! 0(;/tÉ MÉDICAL

11, rue des Carmes.

1887

Vol. XIII. Janvier 1887. N" 37,

ARCHIVES DE NEUROLOGIE

THÉRAPEUTIQUE

DE L'EMPLOI DE L'ACËTDPHÉNONE (HYPNOSE)

EN ALIÉNATION MENTALE;

Par MM. A. MAIRET et COMBEMALE.

L'acétophénone, qu'on désigne encore sous les

noms de métlaylure, de benoïle, de phényl-métliyl-

acétone, de p/My ? Ay/-caroM ! 7e, a été découverte

en 1857 par M. Friedel'. C'est un liquide jaune clair,

d'une densité de 1032, dont l'odeur rappelle celle des

amandes amères; il bout à 198° et cristallise à + 14°.

Etudiée en 1879 par Nencki 2, au point de vue des

transformations qu'elle subit dans l'organisme, l'acé-

tophénone n'est entrée dans le domaine thérapeutique

qu'au mois de novembre dernier, sous les auspices

de MM. Dujardin-Beaumetz et Bardet'.

' Friedel. Note sur la constitution des acétones in Compt. rend, de

l'Acad. des se, Séance du 14 décembre 1857, p. 1013.

2 Nencki a constaté que l'acétophénone s'élimine par les urines, sous la

forme d'hippurates provenant de l'acide benzoïque de l'acétophénone

oxyde. (Journ, f. prakt. chimie, t. XVIII, p. 2sus ; analysé in Bull. de la

Société chimique de Paris, 98ô0, t. X1111, p. 235.)

a Dujardin-Beaumetz et Bardet. Sur un nouvel hypnotique in Bull.

de l'Acad. de : e6 ! . Séance du 10 novembre 1885, p. 1503.

Archives, t. XIII. 1

2 THÉRAPEUTIQUE.

Dans une communication faite le 9 novembre à

l'Académie des sciences et le lendemain à l'Académie

de médecine, ces médecins attribuent à l'acétophénone

des propriétés hypnotiques puissantes, si puissantes

même qu'ils proposent de désigner cette substance

sous le nom d'Hypnone, terme qui rappellerait en

même temps ses propriétés et sa nature.

La communication de MM. Dujardin-Beaumetz et

Bardet a provoqué de divers côtés des recherches

ayant pour but de vérifier l'assertion qu'elle renferme.

Ces recherches ont porté sur' les animaux et sur

l'homme sain ou en état d'insomnie et sont dues à

différents auteurs : Grasset\ Laborde', Huchard',

Constantin Paul', Labbé8, Dubois et Bidot'; nous

n'insisterons pas sur ces travaux et nous ferons seu-

lement ressortir les deux points suivants, qui s'en

dégagent : ,

1° L'acétophénone administrée à dose thérapeutique

chez les animaux et l'homme sain ou malade n'ayant

pas d'insomnie, ne produit pas le sommeil (Grasset,

Laborde, Huchard), sauf peut-être lorsqu'elle est admi-

nistrée par la voix pulmonaire (Grasset); dans ce der-

nier cas, on constaterait un sommeil léger, avec éveil

i Grasset. In Seni. méd., 9 décembre 1885 et Conipt. rend, de la

Soc. de Biologie, séance du 19 décembre, p. 750.

' Laborde. Conipt. rend. de la Soc. de Biol., séances du 18 et 19 dé-

cembre 1885.

a Huchard. Société de thérapeutique, séances du 25 novembre et du

9 décembre 1885.

Constantin Paul (Société de thérapeutique, séance du 25 novembre).

Labbé (Société de thérapeutique, séance du 16 novembre).

Dubois et Bidot (Compte rendu de la Société de biologie, séance du

26 novembre 1885).

de l'acétophénone EN aliénation mentale. 3

des sens. -Pour produire le sommeil chez les animaux,

il faut employer des doses toxiques (Laborde).

2° Dans les cas d'insomnie, l'action hypnotique de

l'acétophénone, sans être constante, se produirait

assez souvent (Huchard, Labbé, Dujardin-Beaumetz') ;

. 1

Dès que nous eûmes connaissance de, la communi-

cation de MM. Dujardin-Beaumetz et Bardet, nous

instituâmes des expériences dans le but d'étudier

l'action physiologique et thérapeutique de l'acétophé-

none ; nous voudrions, dans le présent travail, indiquer

les résultats que nous a donnés l'emploi de cette

substance chez l'aliéné agité et atteint d'insomnie.

Quelques mots seulement avant cela sur nos recher-

ches physiologiques en ce qu'elles peuvent intéresser

le point de vue thérapeutique que nous envisageons,

renvoyant, pour plus de détails, le lecteur soit aux

Comptes rendus de l'Académie des sciences* soit sur-

tout au Montpellier médical 3.

Chez les animaux et l'homme sain, l'acétophénone,

employée à doses thérapeutiques, n'a jamais produit le

sommeil, elle produit parfois ,un peu d'abattement et

de parésie musculaire.

Chez les animaux, à doses plus élevées, mais non

toxiques, en même temps que se manifeste une parésie

du train postérieur et même, dans certains cas, du

train antérieur, apparaît un état de somnolence léger

et passager que fait cesser la moindre excitation des

' Dujardin-Beaumetz {Gazette méd., 29 janvier 1886).

laii,et et Combemale. - Etude physiologique sur l'acétophénone. (Note

transmise par M. Charcot, séance du 26 décembre 1885).,

3 Mairet nt Combemale. Recherches sur l'action physiologique de

l'acétophénone. (Montpellier médical, février, mars et avril 1886.)

4 THÉRAPEUTIQUE.

sens qui restent en éveil, et qui est de très courte

durée, de quelques minutes généralement, de une

heure ou deux au plus. Cet état de somnolence, nous

l'avons obtenu, peu importe la voie par laquelle était

administrée l'acétophénone; nous l'obtenions, que

cette substance ait été introduite dans l'économie par

le système veineux, par la voie hypodermique, par

l'estomac ou par les poumons; c'est simplement une

question de dose.

Administrée à des doses toxiques, l'acétophénone

produit rapidement un état comateux qui n'a rien de

commun avec le sommeil ; les différentes sensibilités

et l'intelligence s'éteignent alors progressivement, la

température s'abaisse, la respiration et les battements

cardiaques se précipitent de plus en plus et l'animal

succombe.

A l'autopsie, à côté de lésions congestives et in-

flammatoires portant sur les poumons, les reins, le

foie, etc., et traduisant ainsi les propriétés irritantes

de l'acétophénone, laquelle s'élimine évidemment par

ces divers émonctoires, ainsi que le prouvent l'odeur

de l'haleine et la présence d'hippurates dans les urines,

on retrouve au contraire, du côté du système nerveux,

un état d'anémie qui, suivant les doses, est limité à

l'extrémité inférieure de la moelle ou s'étend à l'en-

semble de ce système. Cette anémie, qui se traduit

par la vacuité des vaisseaux sanguins et par la pâleur

des substances blanches et grises, et qui tranche ainsi

nettement sur les lésions irritatives que produit l'acé-

tophénone du côté des autres organes, prouve évi-

demment que cette substance a une action toute

particulière et primordiale sur les centres nerveux.

DE L'ACÉTOPHÉNONE EN ALIÉNATION MENTALE. 5

Au point de vue physiologique, nos recherches sont

donc confirmatives de celles des auteurs dont nous

avons rappelé précédemment les noms; l'état de som-

nolence que nous avons signalé est, en effet, trop

léger pour nous permettre de regarder l'acétophénone

comme un hypnotique. Mais de ces résultats négatifs,

en ce qui concerne l'action somnifère de cette subs-

tance chez les animaux et l'homme sain, nous ne

pouvons conclure à une action semblable chez l'homme

malade atteint d'insomnie. L'acétophénone anémie,

en effet, nos autopsies le démontrent, les centres

nerveux, et réalise ainsi un état de ces centres qu'on

regarde assez voloutiers aujourd'hui comme étant

celui dans lequel ils se trouvent sous l'influence du

sommeil. Il peut se faire que la maladie rende la

cellule nerveuse plus impressionnable à l'action de

l'acétophénone et cjàe cette substance produise dans

ces conditions un véritable sommeil, sommeil qu'elle

ne fait qu'ébaucher à l'état physiologique, et cela

encore à des doses trop élevées pour qu'elle puisse

être employée chez l'homme.

Quoique négatives au point de vue de l'action hyp-

notique de l'acétophénone, nos recherches physiolo-

giques nous conduisent donc à rechercher si, chez

l'homme malade et atteint d'insomnie, cette substance

peut produire le sommeil; d'ailleurs, nous l'avons dit,

les tentatives faites jusqu'ici par divers auteurs dans

cette dernière direction semblent indiquer qu'il en est

ainsi.

Nous avons donc reporté l'étude de l'acétophénone

dans le domaine pathologique et étudié l'influence

qu'exerce cette substance chez l'aliéné atteint d'in-

6 THÉRAPEUT1QUE.

somnie. Mais pour nous guider dans son administra-

tion chez l'homme malade, et cela plus particulière-

ment au point.de vue de la dose à administrer, nous

avons dû encore, faire appel à nos expériences physio-

logiques.

Dans la communication que nous avons rappelée

plus haut, MM. Dujardin-Beaumetz et Bardet, se basant

sur l'action toxique de l'acétophénone chez le cobaye,

lequel succombait à l'injection sous-cutanée de 50 cen-

tigrammes de cette substance, administraient celle-ci

à l'homme à la dose de 5 à 6 gouttes, dosé qu'ils ont

portée plus tard à 40 centigrammes.

A en croire nos recherches, la toxicité de l'acéto-

phénone serait beaucoup moindre que le pensent ces

auteurs, et nous aurions pu, sans crainte d'empoison-

nement, dépasser de beaucoup, surtout par la voie

gastrique, la dose indiquée par' nos confrères. Par

cette voie, en effet, nous avons pu, à des chiens

pesant de 16 à 20 kilogrammes, administrer jusqu'à

6 grammes d'acétophénone sans produire la mort, sans

même que les effets immédiats aient été très marqués.

Mais agir ainsi eût été imprudent; une étude attentive

de l'action de l'acétophénone sur la nutrition nous a

montré que cette substance, même administrée à des

doses relativement' faibles, avait sur cette dernière

une action manifeste qui, entre autres symptômes, se

traduit par une diminution du chiffre de l'hémogio-

bine et une perte de poids \ Ainsi, lorsque, pendant

Dans un article paru dans le numéro du 15 janvier du Bulletin de

thrapeuttque, \111. Dujardin-Beaumetz et Bardet nient l'influence exercée

par l'acétophénone sur l'hémoglobine; malgré toute l'importance que

nous attachons à l'opinion de ces auteurs, les faits nous obligent de

maintenir notre dire. '

DE L'ACÉTOPHÉNONE EN ALIÉNATION MENTALE. 7

plusieurs jours consécutifs, on administre à un chien

une dose quotidienne d'acétophénone ne dépassant

pas 90 centigrammes, dose qui ne produit aucun effet

ou peu d'effet immédiat, on voit cependant, si on exa-

mine le sang de l'animal, le chiffre de l'hémoglobine

baisser, et, si on pèse le chien, son poids diminuer.

Or, si le médecin a le droit et le devoir de calmer

l'insomnie chez un malade, il ne peut et ne doit le

faire, dans les conditions ordinaires,' au détriment du

fonds, c'est-à-dire au détriment' de- la nutrition. Nous

devions donc, au point de vue des doses d'acétophé-

none à administrer aux malades, ne pas atteindre une

dose entraînant la dénutrition. Le problème envisagé

ainsi, nous avons été amenés à ne pas administrer à

nos malades plus de 45 centigrammes et à nous main-

tenir souvent au-dessous de ce chiffre.

Ces prémisses physiologiques établies, disons encore

avant d'aborder nos recherches thérapeutiques pro-

prement dites, que nous administrions l'acétophénone'

en émulsion dans la glycérine et l'eau , émulsion

que nous aromatisions avec un peu d'essence de men-

the ou de citron, et que cette potion était donnée le

soir avant le coucher en deux fois à un quart d'heure

d'intervalle et parfois en une seule fois.

1 L'acétophénone est soluble en toutes proportions dans l'alcool à 960,

et dans l'éther sulfurique; elle est soluble dans six parties de chlo-

roforme ou de benzine. L'eau, la glycérine, l'huile d'amandes douces, le

pétrole l'émulsionnent; il faut douze parties de glycérine, quatre parties

d'huile d'amandes douces et seize parties de pétrole pour émulsionner

complètement une partie d'acétophénone. L'émulsion de l'acétophénone

dans l'eau et la glycérine, ne se maintient pas longtemps, mais elle se

reproduit facilement par l'agitation ; l'émulsion dans l'huile d'amandes

douces est plus persistante.

8 THÉRAPEUTIQUE.

Nos recherches thérapeutiques sur l'acétophénone

ont porté à ce jour sur plus de trente malades ; nous

nous contenterons dans ce qui suit de rappeler les ré-

sultats que nous avons obtenus chez vingt-deux d'entre

eux; ce sont ceux qui nous ont servi à établir les

conclusions que M. le professeur Charcot a bien voulu

communiquer à l'Académie des sciences dans la séance

du 18 janvier dernier. A ces faits, nous en ajouterons

seulement un (robs. XIV), parce que dans ce cas l'acé-

tophénone a produit le sommeil. z

Tous les malades sur lesquels nous avons expéri-

menté étaient des aliénés agités et atteints d'insomnie,

mais la nature de l'aliénation mentale était différente

et à ce point de vue, les malades purent être classés

de la manière suivante :

Manie simple. -Démence consécutive à la manie.

Illusions et hallucinations. Agitation consécu-

tive à des attaques d'épilepsie. - Démence par alcoo-

lisme. Démence paralytique. - Démence par athé-

romasie.

Indiquons brièvement les résultats que nous avons

obtenus pour chaque malade.

Manie simple.

Observation I. Mm° S..., quarante-sept ans, à l'asile

depuis quelques jours, manie rémittente (cinquième séjour à

l'asile), héréditaire franche. Etat physique bon. Agitation

excessive, insomnie, tapage nocturne.

En huit jours, la malade prend 2 gr. 60 d'acétophénone à

des doses variant par vingt-quatre heures entre 15 et 45 centi-

grammes. Aucun effet hypnotique même léger, aucune séda-

tion musculaire ne sont obtenus; pendant toute la durée de

la médication, la malade ne cesse de crier, chanter, gamba-

der, etc.

DE L'ACÉTOPHÉNONE EN ALIÉNATION MENTALE. 9

Observation II. Mue F ? vingt-trois ans, à l'asile depuis

quelques jours. Manie (troisième accès) chez une névrotique;

anémie et dénutrition. Agitation et égarement.

Pendant quatre jours consécutifs on donne de 15 à 20 centi-

grammes d'acétophénone, en tout 65 centigrammes. Excitabi-

lité moindre, agitation musculaire diminuée, un peu de som-

nolence, mais sans sommeil proprement dit. Quelques jours

après, les chants et les-cris avaient repris avec leur première

intensité.

Observation III. - M. A... (Joseph), vingt-un ans, à l'asile

depuis un an et demi. Manie avec accès d'agitation constitués

par des chants, des cris et de l'insomnie.

De 15 à 45 centigrammes d'acétophénone sont administrés

pendant quatre jours, soit en tout 1 gr. 20. Agitation muscu-

laire diminuée, pas de sommeil. L'hémoglobine tombe de

12 gr. p. 100 à 10,5 p. 100, dans ce laps de temps.

Observation IV. A4"d Est..., vingt-cinq ans, à l'asile

depuis cinq ans. Accès violents d'agitation maniaque à forme

consécutive, entée sur une idiotie considérable (microcéphalie).

Dans l'un de ces accès, de 15 à 45 centigrammes d'acétophé-

none sont administrés, en tout 1 gr. 80 en cinq jours (du 15

au 19 décembre 1885). Diminution progressive de l'agitation

nocturne à mesure qu'on augmente la dose, mais pas de som-

meil. L'hémoglobine a baissé de 13,5 à 11,3 p. 100.

Un homme et trois femmes atteints d'insomnie par

suite d'agitation maniaque ont reçu pendant plusieurs

jours consécutifs des quantités d'acétophénone variant,

par vingt-quatre heures entre 15 centigrammes, chiffre

minimum et 45 centigrammes, chiffre maximum. Ce

médicament reste absolument sans effet dans un cas

(OBs. 1) ; dans tous les trois autres, il ne procure pas le

sommeil , mais diminue l'excitabilité musculaire.

Tandis qu'en dehors de l'administration de l'acéto-

phénone, les malades se levaient, parlaient à haute

voix, etc., et cela sans qu'aucune observation puisse

les retenir, sous l'influence du médicament, même à

10 O thérapeutique.

faible dose, ces mêmes malades restent dans leur lit,

parlent à voix basse, et les observations ont plus de

prise sur eux.

Démence simple consécutive à la manie.

Observation V. Mmo L..., cinquante-huit alls, à l'asile

depuis treize ans. Démence consécutive à la manie. Athéro-

masie. *

Dans ses accès d'agitation, cette malade ne cesse la nuit de

parler, de converser à haute voix ou de réciter des prières; le

chloral et la digitale, l'ergotine, les bromures, la morphine,

l'atropine ont été employés sans succès, la fatigue musculaire

pendant le jour, la surveillance pendant la nuit, la reconstitu-

tion de la santé physique n'ont pas produit de meilleurs

résultats.

Du 26 novembre au 7 décembre, l'acétophénone a été donné

des doses variant entre 12 à 36 centigrammes, en tout

2 gr. 30. Sous l'influence de ce médicament la malade n'a

pas plus dormi qu'à l'ordinaire, seulement le bavardage a été

diminué, et il y a eu un peu plus de calme musculaire.

Une seconde tentative, faite quelques jours après, n'a pas

amené de meilleurs résultats ; l'intolérance gastrique et un

faciès fatigué nous ont, du reste, forcé à suspendre l'adminis-

tration du médicament. Pas de variations dans l'hémoglobine.

Observation VI. MmoT..., cinquante-neuf ans, à l'asile

depuis vingt-un ans. Démence consécutive à la manie.

L'agitation nocturne chez cette malade est continuelle, avec

des exacerbations par accès d'une violence inouie. Dans l'un de

ces accès, du 8 au 11 décembre 1885, on donne de 15 à 30 cen-

tigrammes d'acétophénone, en tout 90 centigrammes. Ardeurs

épigastriques au moment de la prise; pas'de sommeil, pas

d'apaisement musculaire.

OBSERVATION VII. Mme B..., cinquante-deux ans, à l'asile

depuis neuf ans. Démence consécutive à la manie. Agitation

continue, irritabilité considérable, insomnie; santé physique

assez bonne. A l'un de ces accès on a opposé pendant quatre

jours (du 14 au 17 décembre 1885) de 30 à 45 centigrammes

de l'acétophénone EN aliénation mentale. 11

d'acétophénone, en tout 1 gr. 50; consécutivement, le calme

musculaire a été obtenu, l'excitabilité a diminué, la malade a

été plus obéissante, mais pas de sommeil. ' L'hémoglobine a

chuté de 2,7 p. 100.

Observation VIII. Mmo Pi.... trente-sept ans, à l'asile

depuis sept ans. Démence consécutive à la manie. Accès d'agi-

tation violents et très rapprochés. Etat physique bon.

Les accès ont été précédemment traités avec succès par

l'association du chloral et de la digitale. 1 gr. 20 d'acétophé-

none sont administrés en trois jours, à raison de 30 et 45 cen-

tigrammes par jour. Aucun effet hypnotique; toutefois, légère

dépression des phénomènes musculaires, moindres cris, plus de

crachotement. Pas de variations de l'hémoglobine.

Observation IX. M. B..., cinquante-trois ans, à l'asile

depuis quinze ans. Démence incomplète consécutive à la manie

avec illusions diverses. Agitation par accès.

Des doses de 15 à 45 centigrammes d'acétophénone sont

administrées pendant six jours, en tout 1 gr. 95. Pas de varia-

tions sensibles de l'hémoglobine. De l'aveu du malade, calme

musculaire marqué, besoin de mouvement moins considérable,

perversions sensorielles moinsnombreuses, excitabilité moindre.

De la tendance à la somnolence, mais pas de sommeil.

Observation X. M"" Gal..., soixante-trois ans, à l'asile

depuis vingt-neuf ans. Démence consécutive à la manie avec

illusions. Dans le présent accès d'agitation, cette malade est

très turbulente. La nuit, elle reste couchée, mais chante, crie,

parle sans répit. Du 8 au 11 décembre, on donne 0,90 centi-

grammes d'acétophénone à des doses variant de 15 à 30 centi-

grammes ; on n'a jamais obtenu le sommeil; deux fois apaise-

ment marqué des cris et du tapage.

Nous retrouvons dans les observations qui précè-

dent des résultats semblables à ceux que nous avons

obtenus dans les cas d'agitation liés à la manie; pas

plus ici que là, l'acétophénone ne produit le sommeil ;

elle produit seulement un apaisement de l'agitation

musculaire, apaisement plus ou moins considérable,

suivant les cas et qui peut parfois manquer (OBs. VI).

12 thérapeutique.

Illusions et hallucinations.

Observation XI. - 1T. Dup... Démence avec illusions viscé-

rales, abdominales et auditives, et idées de persécution. Agi-

tation par accès. Imbécillité.

80 centigrammes d'acétophénone lui sont administrés en

quatre jours, et à des doses de 15 à 30 grammes, à cause du

bavardage continuel se renouvelant chaque nuit. Le médica-

ment a supprimé le parlottage peu à peu, mais n'a pas procuré

le sommeil.

Observation XII. M"" A..., quarante-quatre ans, à l'asile

depuis sept ans. Hérédité cérébrale. Illusions viscérales se rat-

tachant à une tuberculose pulmonaire. La malade s'imagine

que, pendant la nuit, on lui serre la poitrine, on l'étouffé ; de

là récriminations, excitabilité et insomnie.

Pendant quatre jours on donne l'acétophénone aux doses de

15 à 45 centigrammes, en tout 1 gr. 20; cessation des perver-

sions sensorielles ; sommeil peu profond, mais certain. Faible

chute de l'hémoglobine.

Si chez D... (Ces. XI), nous n'avons pas obtenu,

sous l'influence de l'acétophénone, de meilleurs effets

que chez les malades que nous avons étudiés jusqu'à

présent, il n'en est pas de même chez M"° A... Chez

cette malade, en effet, non seulement la sédation mus-

culaire s'est produite, mais l'acétophénone a amené

le sommeil. Nous reviendrons plus loin sur ce fait.

Epilepsie.

Nous n'avons qu'une observation d'agitation avec

insomnie liée à des attaques d'épilepsie : chez ce

malade, l'acétophénone a été absolument sans effet.

Et cependant chez lui, le sommeil est facilement obte-

DE L'ACÉTOPHÉNONE EN ALIÉNATION MENTALE. 13 H

nu par l'emploi combiné du chloral et de la digitale.

Voici l'observation :

Observation XIII. M. Pal..., soixante-dix ans, à l'asile

depuis deux ans et demi. Agitation consécutive à une série

d'attaques épileptiformes, calmée par l'association du chloral

et de la digitale.

L'administration de 30 centigrammes d'acétophénone ne

diminue pas l'agitation, et ne procure pas le sommeil.

Démence par alcoolisme.

Observation XIV.M"" B..., chiffonnière. Démence simple

par alcoolisme, érotisme.

Se réveille plusieurs fois la nuit, parle et crie. Cette malade

prend pendant deux jours 30 centigrammes d'acétophénone, le

sommeil bon, régulier, dure sept heures environ. Les deux

jours suivants, on prive la malade de la potion : l'agitation

nocturne se manifeste comme auparavant par des cris, du par-

lottage, l'absence de sommeil. Pendant quatre jours on reprend

l'acétophénone à la dose de 30 centigrammes, les mêmes effets

sur le système musculaire et sur l'encéphale se reproduisent la

nuit, alors que le jour l'excitabilité reste la même; l'acétophé-

none a dû être supprimée, parce qu'il se produisait des troubles

marqués de la nutrition.

Observation XV. M. M..., quarante ans, scieur de long,

à l'asile depuis dix-huit mois. Démence par suite d'absin-

thisme chronique.

L'agitation actuelle s'est manifestée il y a quelques jours ; le

malade ne repose pas du tout la nuit et ne cesse de parler à

haute voix. Pendant cinq jours consécutifs (du 13 au 17 dé-

cembre) on administre de 15 à 45 centigrammes d'acétophé-

none dans la potion ordinaire, en tout 1 gr. 65. Dès le premier

jour, M. M... ne parle plus qu'à voix basse, mais pas de som-

meil. L'hémoglobine a chuté de 12,45 à 10,40 p. 100.

Observation XVI. M. Ch... (Albert), trente-quatre ans, à

l'asile depuis deux mois. Démence avec agitation par alcoolisme

chronique.

Chaque nuit, depuis son entrée, ce malade se réveille peu

1 t. thérapeutique.

après le coucher, pleurniche, chuchotte, s'habille à plusieurs

reprises jusqu'au matin. Du 8 au 17 décembre 1885, on donne

de 15 à 45 centigrammes d'acétophénone, soit en tout 0 gr. 90.

Pendant tout ce temps, le sommeil vrai n'a pas été obtenu.

Les premiers jouis de l'administration, le parlottage avait

diminué; mais, au bout de quelques jours, l'eflet a été nul.

L'hémoglobine de 12 est descendue à 11,30 p. 100.

Deux fois (Cas. XV et XVI), dans les trois observa-

tions qui précèdent, l'influence de l'acétophénone sur

le sommeil a été nulle, et seule la diminution de l'a-

gitation musculaire a été obtenue. Une fois (OBS.

XIV) l'acétophénone a produit le sommeil et, dans ce

cas, cette action ne peut être attribuée à une simple

coïncidence. Supprimions-nous l'acétophénone, l'in-

somnie réapparaissait, reprenions-nous l'administra-

tion du médicament, nous obtenions aussitôt le som-

meil ; seulement faisons remarquer que malgré les

doses relativement faibles (30 centigr.) d'acétophénone

employées, nous avons dû suspendre l'administration

de ce médicament à cause des troubles nutritifs pro-

duits.

Démence paralytique.

Observation XVII. M"e N... (Pélagie), âgée de trente-huit

ans, à l'asile depuis six mois; hérédité puissante (père et mère

morts à l'asile). Paralysie générale. Agitation actuelle se rat-

tachant à une suractivité de travail organique.

Depuis plusieurs nuits, la malade ne dort pas, ne se couche

même pas, et ne cesse de parler à très haute voix dans le dor-

toir de ses projets d'union princière, de ses richesses; l'irrita-

bilité est excessive. Pendant quatre jours (du ils au 17 décembro

1885), on donne progressivement de 30 à 45 centigrammes

d'acétophénone dans la glycérine et l'eau, en tout 1 gr. 50.

Aucun effet sédatif ne s'est produit sur le système muscu-

DE L'ACBTOPI31 : NONE EN ALIÉNATION MENTALE. 15 5

laire et sur l'activité cérébrale ni le jour ni la nuit. L'hémo-

globine baisse pendant ce temps de 13 p. 100 à 11,5 p. 100.

Observation XVIII. M"° P..., trente-cinq ans, à l'asile

depuis six mois. Paralysie générale se rattachant à des excès

de toute sorte (fille publique). Cachexie syphilitique. Agitation

nocturne par accès de plusieurs jours de durée. En six jours,

la malade prend 1 gr. 20 d'acétophénone par doses de 10 à 30

centigrammes. La malade n'a plus que peu crié; aucune

influence sur le sommeil. '

Observation XIX. - M. B..., trente-neuf ans, à l'asile

depuis quatre mois. Démence avec paralysie généralisée. Agi-

tation continue.

Le 4 décembre 1885, on donne 15 centigrammes d'acéto-

phénone dans le véhicule ordinaire. Pas de sommeil; monolo-

gues habituels.

Observation XX. M"" Mar..., quarante-quatre ans, à

l'asile depuis six mois. Démence avec paralysie généralisée à

prédominance très marquée du côté droit. Agitation nocturne

quotidienne à la suite d'une attaque remontant à un mois en-

viron, et ayant entraîné une hémiplégie droite; excitabilité,

récriminations, injures écho.

Du 6 au 11 décembre 1885, on donne à cette malade par

doses de 10 à 30 centigrammes 1 gr. 20 d'acétophéaone. Aucun

résultat positif; mêmes cris aigus, mêmes tentatives pour

s'habiller, même insomnie.

Observation XXI. Mlle A... (Virginie), vingt-six ans, à

l'asile depuis deux ans. Hérédité tuberculeuse. Démence avec

paralysie généralisée entée sur une idiotie incomplète. Accès

d'agitation passagers. Etat physique médiocre. A deux reprises,

en tout six jours, on donne de 10 à 30 centigrammes d'acéto-

phénone, soit en tout 1 gr. 50.

L'excitabilité a été bien moindre, mais toujours il y a eu

quelques monologues dans la nuit, pas d'influence sur le som-

meil.

Les observations qui précèdent démontrent que

l'effet hypnotique de l'acétophénone a été absolument

nul dans les cas de démence paralytique, où nous

16 ô thérapeutique.

l'avons administrée et que, sous l'influence de ce

médicament, l'agitation musculaire a été moindre que

dans les autres formes d'aliénation mentale.

Démence par athéromasie.

Observation XXII. M. Bern... Démence avec agitation

continue et idées de crainte, se rattachant à des troubles nutri-

tifs généralisés (athéromasie).

Depuis son entrée, ce malade ne dort pas la nuit et ne cesse

de parler, jeter des cris d'épouvante. Pendant dix jours consé-

cutifs, on administre l'acétophénone à des doses variant pro-

gressivement de 15 à 45 centigrammes, en tout 3 grammes. Si

l'on fait la part des rémissions dans l'agitation nocturne, le

malade n'a pas dormi sous l'influence de l'acétophénone, mais

le calme musculaire a été assez nettement obtenu, et les obser-

vations des surveillants amenaient facilement l'apaisement.

L'hémoglobine de 13,25 p. 100 est descendue à 9,5 p. 100 pour

revenir quelques jours après la cessation de l'administration à

12,5 p. 100.

Dans le seul cas qui constitue ce groupe l'effet hyp-

notique de l'acétophénone a été absolument nul. Cette

substance n'a produit qu'un effet sédatif sur le sys-

tème musculaire.

Si nous envisageons dans leur ensemble les vingt-

deux observations qui précèdent, nous voyons que sur

vingt-deux cas (nous pourrions dire sur plus de trente

cas), et cela peu importe la forme revêtue par l'alié-

nation mentale, peu importe la nature fonctionnelle

ou organique du travail cérébral qui tenait sous sa

dépendance l'agitation maniaque et l'insomnie, peu

importe l'état de vascularisation du système nerveux,

nous n'avons réussi, par l'emploi de l'acétophénone,

à procurer le sommeil aux malades que deux fois,

DE L'ACÉTOPHÉNONE EN ALIÉNATION MENTALE. 17

dans un cas d'illusions viscérales et dans un cas de

démence par alcoolisme. A quoi tiennent ces succès ?

L'un d'eux s'explique aisément : dans ce cas (OBS.

XII), l'insomnie se rattachait à des illusions viscérales

liées à des lésions tuberculeuses des poumons. Sous

l'influence de ces lésions, la malade ressent pendant

la nuit des douleurs et une oppression qu'elle attribue

à des individus qui lui compriment la poitrine et l'em-

pêchent ainsi de dormir; l'acétophénone, dont l'action

sur le poumon est très énergique, ainsi que le démon-

trent nos expériences physiologiques, supprime ces

sensations et amène le sommeil. Chez cette malade

donc l'action somnifère de l'acétophénone est indi-

recte.

Quant au second succès (Cas. XIV) faut-il l'attribuer

à une véritable action hypnotique de l'acétophénone ?

C'est très douteux, les insuccès que nous avons obte-

tenus, même avec des doses plus élevées, chez des

malades présentant une aliénation mentale de même

nature, c'est-à-dire par alcoolisme (Cas. XV et XVI),

prouvent évidemment que c'est dans des conditions

individuelles qu'il faut rechercher le pourquoi de ce

succès. L'acétophénone a-t-elle agi dans ce cas, en

calmant, comme le dit la malade, des douleurs d'es-

tomac, nous ne savons, l'état mental du sujet ne nous

permet pas d'élucider complètement cette question.

Notons seulement que, chez cette malade, l'acétophé-

none à une dose ne dépassant cependant pas 30 centigr.

a eu une action dénutritive puissante, action qui nous

a obligé à suspendre son administration.

Les deux succès que nous avons obtenus à la suite

de l'administration de l'acétophénone ne prouvent donc

Archives, t. XIII. 2

18 THERAPEUTIQUE. DE L'ACÉTOPHÉNONE.

pas que cette substance ait des propriétés hypnotiques

directes et ils laissent intact l'enseignement qui se

dégage de tous les autres cas dans lesquels cette

substance ne produit aucun effet de ce genre, ensei-

gnement qui nous oblige à dire que, chez les aliénés,

l'acétophénone ne peut être considéré comme un

hypnotique. Et qu'on ne nous dise pas que la dose de

médicament administrée n'était pas assez élevée; les

recherches que nous avons pratiquées sur le sang et

qui, dans beaucoup de cas, nous ont montré, sous l'in-

fluence de cette substance, une diminution du chiffre

de l'hémoglobine, ne nous permettaient pas d'élever

davantage les doses. D'ailleurs c'est à des doses sem-

blables que M. Dujardin-Beaumetz dit avoir procuré

e sommeil.

En aliénation mentale donc, malgré l'espoir que

pouvait faire naître la communication de MM. Dujardin-

Beaumetz et Bardet qui attribuaient à l'acétophénone

des propriétés somnifères si puissantes qu'ils avaient

cru trouver dans cette substance l'hypnotique par

excellence, d'où le nom d'hypnone qu'ils lui avaient

donné, en aliénation mentale, disons-nous, les faits

démontrent que l'acétophénone n'est pas un hypno-

tique. Nos recherches cliniques nous donnent donc

des résultats aussi négatifs que nos expériences phy-

siologiques.

Toutefois, l'Observation XII démontre que, dans

certains cas, l'acétophénone produit indirectement le

sommeil en supprimant des sensations provenant

d'organes malades autres que le cerveau, sensations

qui entraînent après elles l'insomnie, et à cet égard

peut-être cette substance mérite-t-elle d'être maintenue

DE LA PYROMANIE. 19

dans la thérapeutique psychiatrique. Notons encore,

pour justifier cette maintenue, l'action sédative mani-

feste, et qui pour ne pas être constante, n'en est pas

moins assez générale, que cette substance exerce sur

l'agitation musculaire. Dans la plupart des faits que

nous avons relatés, nous voyons en effet cette sédation

musculaire se produire sous l'influence de ce médica-

ment même administré à faible dose. Nous retrouvons

ainsi chez nos malades, du côté du système musculaire,

cette action si puissante de l'acétophénone que nous

révèlent nos recherches physiologiques, action qui,

chez les animaux, peut aller suivant les doses, depuis

la simple parésie musculaire jusqu'à la paralysie com-

plète. Mais cette agitation musculaire est-elle une in-

dication suffisante pour réclamer l'emploi d'un médi-

cament ? Nous laissons à nos confrères le soin déjuger

cette question.

MÉDECINE LÉGALE

DU DIAGNOSTIC MÉDtCO-LÉGAL DE LA PYROMANIE

PAR L'EXAMEN INDIRECT ;

Par le D' E. MARANDON DE MONTJEL,

Directeur-médecin en chef de l'asile public d'aliénés de Dijon.

Les pyromanes sont, par excellence, des aliénés

rusés, dissimulés, menteurs, et par pyromanes j'entends

parler non des malades qui mettent le feu pour obéir

à des perversions sensorielles ou à des conceptions

20 MÉDECINE LÉGALE.

délirantes, mais de ceux qui y sont entraînés par une

impulsion irrésistible intermittente. Arrêtés, ils nient

être les auteurs des forfaits dont ils sont accusés; au

médecin chargé d'examiner leur état mental ils persis-

tent à ne rien avouer. Cette ténacité dans le mensonge

est embarrassante pour l'expert, car elle le met dans

l'impossibilité d'analyser l'intellect de ses clients et de

déterminer son fonctionnement physiologique ou pa-

thologiqueau moment des crimes. Comment apprécier,

en effet, à sa juste valeur la responsabilité d'un indi-

vidu sain d'esprit lors de l'expertise et qui refuse de

donner le moindre renseignement sur ses dispositions

psychiques à l'époque des incendies, qui répond à

toutes les questions : « Je ne suis pas coupable, je ne

sais de quoi vous me parlez ? » L'examen direct ne sau-

rait être dans ces cas, et ce sont les plus nombreux,

d'un bien grand secours. Sans doute il permettra de

diagnostiquer le degré de développement intellectuel

du prévenu et de constater chez lui des signes phy-

siques de dégénérescence, s'il en présente, mais il

n'apprendra rien, absolument rien, sur les phénomènes

intellectuels et moraux qui se déroulaient dans son

esprit, tandis que sa main s'armait de la torche incen-

diaire. Or, ce sont ces phénomènes intellectuels et

moraux que le médecin a mission de préciser. L'affai-

blissement intellectuel, la dégénérescence physique,

révélatrice delà dégénérescence psychique, découverts

par l'observation du sujet, ne fourniront aucune donnée

positive pour affirmer ou infirmer la pyromanie.

Cette dissimulation, si constante, peut-on dire, des

pyromanes, est chose vraiment curieuse, quand on

pense à la franchise des autres impulsifs. Quelle diffé-

DE LA PYROMANIE. 21

rence, par exemple, sous ce rapportentre l'impulsif au

feu et l'impulsif à l'homicide. Celui-ci non seulement

est prompt à se dénoncer, son besoin de meurtre ou

de sang assouvi, mais souvent, au milieu même de son

anxiété maladive, il s'empresse de révéler le mal dont

il est tourmenté, de supplier ses parents, ses amis de

le mettre dans l'impossibilité d'être nuisible. Jamais

à ma connaissance, on a vu un pyromane trahir le

secret de ses préoccupations et solliciter comme une

grâce de ne pouvoir mettre le feu. D'où vient ce con-

traste ? Je me le suis souvent demandé sans jamais

trouver une réponse très satisfaisante. Est-ce parce

que la pyromanie exerce surtout ses ravages parmi les

paysans, gens de leur nature sournois et peu sincères ?

Est-ce parce qu'elle est l'apanage des faibles d'esprit

dont l'arme favorite est la ruse ? Ne serait-ce pas

plutôt le peu de traces laissées par leurs crimes qui

donnerait à ces infortunés l'espoir d'échapper par

la fourberie aux poursuites judiciaires ? Je ne sais, mais

ce que je sais bien c'est leur dissimulation profonde,

leurs mensonges audacieux qui enlèvent à l'expert

tout moyen de pénétrer directement dans le mécanisme

de leur espritet le condamnent à chercher ses éléments

d'appréciation dans le seul examen indirect.

Sans doute on rencontre quelques pyromanes plus

francs. Ceux-là, après avoir tout d'abord nié avec

énergie, car un impulsif au feu qui avoue spontané-

ment ne se rencontre guère ou s'empresse de retirer

dès le lendemain les paroles compromettantes échappées

dans l'effroi de l'arrestation, ceux-là dis-je, reconnais-

sent au bout de quelque temps leur culpabilité ; mais

ils sont pour la plupart des faibles d'esprit, s'ils ne

22 I-J MÉDECINE LÉGALE.

sont pas des imbéciles; incapables de la moindre ana-

lyse psychologique, ils ne savent rendre compte des

modifications de leur moi au moment où l'impulsion

s'emparait de leur esprit qu'elle maîtrisait et se bornent

à répondre au médecin : «Je ne sais pas, c'est une idée

qui me passait parla tête ». Inutile de les interroger sur

es troubles physiques concomitants qui jetteraient un

grand jour sur leur état; ils n'y ont pas pris garde ou

leur mémoire rudimentaire n'en a pas gardé le souve-

nir. Avec ces pyromanes francs, l'expert n'est guère

plus avancé qu'avec les dissimulateurs : il lui faut

encore se contenter du seul examen indirect. Aussi je

me demande comment font nos confrères étrangers

dans les pays où les parquets persistent à refuser

communication de la procédure.

On le voit, en médecine légale de la pyromanie,

l'examen indirect n'est pas seulement la partie la plus

essentielle de l'expertise dans l'immense majorité des

cas, souvent elle est encore la seule possible. C'est

pour cela que je ne crois pas inutile de réunir en quel-

ques pages les particularités qui permettront l'expert

de poser son diagnostic alors même que tout élément

d'appréciation directe lui ferait défaut. Les hasards de

la clinique m'ont mis à même depuis deux ans d'exa-

miner coup sur coup un nombre relativement assez

élevé d'impulsifs au feu, six, dont les observations

servent de base à ce mémoire. En les rapprochant les

unes des autres, j'ai constaté la fréquence de caractères

qui, sans doute, ont été notés par d'autres dans des

cas isolés, mais qu'il ne sera pas dépourvu d'intérêt de

grouper dans une étude synthétique. Leur valeur res-

sortira davantage et frappera mieux l'esprit.

DE LA PYROMANIE. 23

Ce travail sera ainsi le complément de mon essai,

publié dans ce recueil en novembre 1885, sur les in-

cendies multiples à mobiles futiles. J'avais alors pour

but d'établir que la présence d'un mobile, quelque

futile qu'il fût, était la preuve péremptoire que l'in-

cendiaire, malgré la multiplicité de ses crimes,

n'avait pas agi sous l'empire de la pyromanie, mais

de l'affaiblissement intellectuel, de la perversion mo-

rale ou de l'irritabilité émotive. Je ne reviendrai pas

sur les arguments que j'ai évoqués à l'appui de cette

opinion et je considérerai comme démontrée l'absence

de tout mobile dans l'impulsion irrésistible à mettre le

feu ; je me bornerai à dire en quelques lignes, pour

éviter toute équivoque, en quoi consiste pour moi la

pyromanie. Cette courte digression ne sera pas inutile,

quelques-uns niant cette maladie comme forme mor-

bide spéciale, et la rattachant à des états mentaux

essentiellement différents.

Les aliénés qui commettent des crimes d'incendie

sont atteints de troubles psychiques très divers qu'il im-

porte de bien distinguer; car ce que nous dirons d'un de

ces troubles, celui qui nous occupe, la pyromanie, ne

saurait s'appliquer aux autres. Quand le crime d'in-

cendie est l'acte inconscient d'un idiot ou d'un dément,

l'acte étourdi d'un maniaque, l'acte passif d'un hallu-

ciné, l'acte logique d'un délirant systématisé, l'acte

pervers d'un fou moral ou l'acte exubérant d'un émo-

tif, il ne relève pas de la pyromanie. Pour appartenir

à cette maladie mentale, il doit être la satisfaction

donnée à un besoin qui, né spontanément dans l'esprit

de l'incendiaire, n'est ni le produit de ses dispositions

psychiques antérieures, ni une adaptation àdesphéno-

24 ruz MÉDECINE LÉGALE.

mènes extérieurs morbidement interprétés, et qui, par

lui-même, constitue la manifestation essentielle, carac-

téristique de la maladie. Je sais qu'une telle forme

morbide a été niée; les faits que j'ai observés ne me

permettent pas de la mettre en doute. Je ne dis pas,

qu'on veuille bien le remarquer, que ce besoin de

mettre le feu constitue toute la maladie mentale ni

qu'il est susceptible de se produire à l'improviste dans

un intellect absolument équilibré. Les observations

rapportées plus loin montreront au contraire chez nos

pyromanes des défectuosités mentales nombreuses,

mais ces défectuosités mentales ne constituaient pas

par elles-mêmes une espèce de folie, ce qui la cons-

titua ce fut précisément ce besoin soudain d'incendier

qui semblait jaillir du plus profond de l'inconscient.

J'ajouterai même que les confidences de quelques

rares pyromanes assez francs pour parler en toute

sincérité et assez intelligents pour analyser leur état,

s'en souvenir et le dépeindre, ne laissent aucun doute

sur des troubles physiques marqués, tels que maux de

tête, palpitations de coeur, anxiété précordiale, écla-

tant en même temps que l'impulsion et disparaissant

avec elle. Tout cela prouve que la pyromanie prend

naissance dans un organisme troublé et au sein d'un

esprit déjà ébranlé, mais elle n'en reste pas moins

spontanée et essentielle.

Telle est la maladie mentale qui, à notre avis, répond

au mot pyromanie. Maintenant que toute équivoque

est impossible, exposons les données qui permettront

à l'expert de la reconnaître à l'aide du seul examen

indirect.

DE LA PYROMANIE. 25

La première sera évidemment relative au mobile.

Pour peu que l'instruction en ait trouvé un, quelque

futile qu'il soit, dès que sa présence est démontrée,

la pyromanie se trouve de ce seul fait écartée, ainsi

que je l'ai établi dans mon premier travail. Il importe

donc de commencer l'étude de la procédure par ce

point. Si les incendies sont sans mobiles, s'ensuit-il né-

cessairement que le coupable aitcédé à des impulsions ?

Certes non; il est dans le cas d'être pyromane, voilà

tout; le mobile quoique existant a pu échapper à la

sagacité du magistrat instructeur. La constatation de

l'absence de mobiles dans les crimes d'incendie n'au-

torise donc pas, à elle seule, le diagnostic de pyroma-

nie ; ce diagnostic n'est autorisé que par la réunion en

outre chez l'accusé, sinon de tous, au moins des prin-

cipaux caractères que nous allons décrire, et qui devront

se rencontrer toujours en plus ou moins grand nombre,

puisque l'impulsion au feu n'est pas un simple accident

dans la vie d'un hommes mais bien une manifestation

de dégénérescence psychique. Ces caractères se divi-

sent naturellement en deux groupes, selon qu'ils sont

propres aux actes incriminés ou aux prévenus.

Il est remarquable que le pyromane n'est, pour ainsi

dire, jamais découvert après son premier crime. Ce que

j'ai observé et les recherches que j'ai faites à ce sujet,

s'accordent à démontrer que l'arrestation d'un impulsif

au feu après un premier sinistre est tellement rare,

que le fait d'un seul incendie à la charge d'un prévenu

milite contre l'idée de pyromanie. Dans mes obser-

vons, le nombre des incendies varie de deux à huit.

La ruse, l'habileté de dissimulation de ces malades

26 MÉDECINE LEGALE.

en fournissent l'explication. Alors seulement que les

incendies se répètent, de petites particularités insi-

gnifiantes qui avaient passé tout d'abord inaperçues

se groupent et dirigent les soupçons sur eux, mais ils

ont eu le temps d'allumer huit, dix foyers, quelquefois

davantage encore.

Ces incendies multiples se produisent presque cons-

tamment dans des matières inflammables et n'exigeant

guère que l'approche d'une allumette. Toule la pré-

méditation et toute la ruse des malades tendent à les

soustraire à la vue d'autrui, mais, relativement aux

incendies eux-mêmes, ils ne combinent rien, et se ser-

vent des moyens les plus simples et les plus expéditifs.

Incendiaires désireux de mettre le feu pour apaiser

un besoin qui les bouleverse et les opprime, en même

temps de ne pas se trahir, ils choisissent l'occasion la

plus favorable, la moins dangereuse. Dans mes six

observations, les choses se sont passées ainsi.

Les dimanches et jours de fête, à l'heure de la

sortie du cabaret, voilà l'instant habituel où les im-

pulsifs au feu cèdent à leur penchant, plusieurs de

mes observations en témoignent. Il y en a même

parmi eux qui n'opèrent qu'à ce moment; nos deux

premiers malades étaient dans ce cas. Sous l'influence

de l'alcool, ces aliénés sont, en effet, plus tourmentés

par leurs impulsions. Or, le paysan qui, comme nous

dirons dans un instant, paie le plus lourd tribut à la

pyromanie, ne sort guère que les dimanches et jours

de fête; les jours ouvriers, il estsobre. Ce qui montre

encore toute la part qui revient à l'alcool, ce sont les

incendies allumés durant la semaine quand, pour une

DE LA PYROMANIE. 27 7

cause ou une autre, sortant de ses habitudes, le paysan

impulsif au feu a bu. On en trouvera encore la preuve

dans mes observations. Les liqueurs fortes, chacun le

sait, ont la dangereuse propriété, à la première période

de leur action sur le cerveau, d'exagérer les mauvais

instincts en affaiblissant en même temps les forces de

volition. Celle double perturbation nerveuse se com-

bine donc pour entraîner au crime le malheureux

aliéné ; et tel, qui avait pu jusqu'alors lutter contre

son mal et en triompher, succombe sous le choc

d'un ou deux petits verres qu'il aura peut-être con-

sommés, l'infortuné, pour chasser de son esprit l'ob-

session douloureuse et qui, loin de combler son

espérance, auront porté son mal à l'apogée en le ren-

dant criminel. "Et, dans ce cas, il faudrait se garder

' d'attribuer à l'ivresse ce qui est dû à l'action spéciale

de l'alcool sur les cerveaux des dégénérés. Une dose

très insuffisante à enivrer suffit chez ces prédisposés à

occasionner de graves désordres cérébraux.

Enfin, tous ces incendies se produisent à la cam-

pagne et ils se produisent là, car les pyromanes sont

des paysans. Nous voici amené à parler des caractères

propres à ces individus. Tous nos six impulsifs au

feu étaient des gens de la campagne et c'est là une

règle à peu près générale : la pyromanie est inconnue

à la ville. Pourquoi ? La raison, je le crois, en est

surtout dans l'imitation. Les maladies mentales ne sont

pas à ce point des espèces déterminées qu'elles aient,

chacune, une étiologie spéciale; elles relèvent toutes

des mêmes causes et la forme qu'elles revêtent est

plutôt déterminée par des influences secondaires.

28 MÉDECINE LÉGALE.

Ainsi les héréditaires ne viennent pas au monde avec

une prédisposition à la manie ou à la lypémanie ; ils

naissent avec une prédisposition à une folie quel-

conque qui évoluera ou n'évoluera pas selon les cir-

constances et les milieux et qui, évoluant, aboutira à

telle ou telle forme morbide, selon ces circonstances

et ces milieux. Eh bien ! l'imitation est parfois appelée

à jouer un rôle capital dans la genèse de ces formes.

Elle n'est en effet, en dernière analyse, au moral

comme au physique, que le résultat de cette pro-

priété de la cellule nerveuse de reproduire, comme

par une nécessité impérieuse, ce qui l'impressionne

et nécessite, pour se manifester, une impression et

une prédisposition normales dans l'ordre physiolo-

gique, morbides dans l'ordre pathologique. Dans les

cas dont nous nous occupons, la prédisposition mor-

bide existe, car, ainsi que nous l'établirons plus loin,

les pyromanes sont des héréditaires, bien plus des dé-

générés à intelligence faible, et c'est le propre de la

dégénérescence psychique, on le sait, de donner nais-

sance à des impulsions. Le terrain est donc admira-

blement préparé et apte à réagir à l'impression. Or,

si, en ville, les incendies sont rares et dans tous les

cas ne sont jamais un sujet de grande préoccupation,

il en est tout autrement dans les campagnes où ils

sont fréquents et un objet de crainte continuelle. On

s'en préoccupe, on en cause, on cherche à s'en pré-

server. Voilà pourquoi la folie impulsive chez le

paysan se manifestera par un besoin de mettre le feu,

tandis que chez le citadin elle se révélera par des

excès de boissons ou des vols. L'impression aura dé-

terminé la forme. De fait, l'expérience démontre que

DE LA PYROMANIE. 29

beaucoup de pyromanes ont assisté à des incendies,

deux de nos observations sont très nettes à cet égard,

et je suis certain que si ces malades étaient moins

cachotiers, s'ils voulaient et si ceux qui le veulent

pouvaient se retracer fidèlement leurs impressions,

on verrait que tous, à un moment donné, ont été émus

par des incendies ou des récits d'incendies.

D'un autre côté, le campagnard dégénéré, désireux

de mettre le feu, a pour satisfaire sa passion morbide

une facilité et une sécurité qui ne se retrouvent plus

dans les villes, facilité et sécurité qui sont autant de

stimulants propres à fortifier et à développer son mal.

Ne lui suffit-il pas d'approcher une allumette des

gerbes gisant sur -le sol ou pendant par les ouvertures

des granges ? Par contre, mettre le feu dans une habi-

tation, en ville, est' chose compliquée, partant dan-

gereuse, car les difficultés même de l'entreprise

augmentent les chances d'arrestation. L'occasion fai-

sant le larron, dit le proverbe, le campagnard, toutes

choses égales par ailleurs, aura succombé depuis

longtemps quand le citadin luttera encore. L'impunité

l'encouragera; il renouvellera ses crimes. Quoi qu'il

en soit de ces considérations, un fait clinique reste

indéniable : les pyromanes se recrutent parmi les

paysans.

Des autres caractères propres aux impulsifs au feu,

il en est deux que l'instruction ne manque jamais de

relever à leur charge comme établissant la responsa-

bilité : leur habileté durant l'enquête judiciaire et

dans la perpétration de leurs crimes, ainsi que leur

réputation de n'être pas aliénés. L'opinion publique

30 MÉDECINE LÉGALE.

affirmait que cinq des six malades que j'eus à examiner

n'avaient jamais donné aucun signe de folie. Pour se

convaincre combien peu ces deux caractères militent

contre l'existence de la pyromanie chez un accusé, il

suffit de se rappeler comment nous avons défini et

limité cette maladie. On verra alors qu'ils doivent

le plus souvent au contraire se constater. Le temps

est loin où la préméditation, la simple ruse même,

excluait la folie ; il est admis aujourd'hui sans conteste

que nombre d'aliénés ne diffèrent en rien sous ce

double rapport des criminels les plus endurcis, mais

s'il est une variété d'aliénation mentale dans laquelle

la préméditation et la ruse se doivent rencontrer sou-

vent, n'est-ce pas dans la folie impulsive, qu'elle

tende à l'homicide ou à l'incendie ? Entraînés au mal

pour calmer le besoin anxieux qui les pousse et ne

s'apaisera que par la satisfaction de l'instinct morbide,

l'impulsif assiste conscient au trouble de son esprit et

à la perte de sa volonté. Au début, l'impulsion est

faible, le malade en a vite raison; mais par le temps

et mille circonstances, elle se fortifie. Pour triompher,

la volonté doit maintenant lutter et lutter avec

énergie; puis elle s'accroît encore, devient irrésistible,

et le crime est commis. Si le malheureux a gardé pour

lui seul, et c'est le cas dans la pyromanie, le secret

de la lutte douloureuse de son esprit contre la marche

envahissante de la folie, nul ne soupçonnera son état

et l'acte criminel sera ainsi la seule manifestation dé-

lirante, le seul signe de la maladie mentale. Comment

l'opinion publique le déclarerait-elle aliéné ? Dès que

l'impulsif a pris la résolution de satisfaire sa passion

vésanique, une détente commence à se produire;

DE LA PYROMANIE. 31

l'impulsion, si je puis ainsi dire, se fait plus patiente,

certaine que satisfaction lui sera donnée et laisse à

celui qui doit l'assouvir le temps de prendre ses pré-

cautions. Ainsi s'expliquent la préméditation, la ruse,

l'habilité déployées. Après l'accomplissement de l'acte

la détente est complète, l'impulsion disparaît pour un

temps plus ou moins long, mais, hélas ! elle revient

dans les mêmes conditions psychiques pour dispa-

raître et reparaître encore. On comprend dès lors com-

ment ces infortunés semblent jouir de la plénitude de

leurs facultés non seulement dans l'intervalle de leurs

crises, mais aux instants même de la perpétration de

leurs forfaits; on comprend pourquoi, durant l'ins-

truction, ils jouent au plus fin avec le magistrat ins-

tructeur.

D'ailleurs, ce qui démontre bien que la prémédita-

tion et la ruse des pyromanes ne prouvent pas chez

eux une nature criminelle, c'est leur empressement à

éteindre les feux qu'ils ont allumés avec tant d'ha-

bileté. Ce caractère doit toujours être recherché, car

il ne manque pas de valeur, il se rencontre dans cinq

de mes observations. L'incendiaire criminel s'empresse

de disparaître du théâtre du crime; il craint que sa

présence n'éveille les soupçons, l'incendiaire pyro-

mane est souvent le premier à donner l'alarme et le

plus ardent à porter secours. Que, dans une certaine

mesure, il agisse ainsi avec le secret espoir d'écarter

la méfiance, c'est possible. Il n'en voulait pas à la

victime, il s'est dévoué pour elle, qui le soupçonnera ?

Mais il cède aussi à un autre sentiment aussi altruiste

que le précédent est égoïste. Revenu à son état normal

par l'assouvissement de son instinct pathologique, il

32 MÉDECINE LÉGALE.

déplore sa mauvaise action et s'efforce de réparer,

dans la mesure de ses forces, le mal dont il a été

l'auteur involontaire quoique conscient.

Autant l'opinion publique est unanime à déclarer

que les pyromanes, abstraction faite des incendies

dont elle ne saisit pas la cause, n'ont jamais été aliénés,

autant elle l'est aussi à les proclamer faibles d'esprit.

Cette appréciation est si constante qu'on peut poser

en principe que la pyromanie ne se rencontre que

chez les gens réputés imbéciles. Cinq des six que j'ai

eus à examiner étaient dans ce cas ; le sixième, intel-

ligent, avait été épileptique; l'expert est donc autorisé

à se méfier des incendiaires qui auraient la réputation

d'être bien doués au point de vue intellectuel ; s'ils

sont aliénés, je doute fort que ce soit par impulsion

irrésistible simple. Je dis imbéciles ou faibles d'esprit,

je ne dis pas idiots. La pyromanietellequenous la com-

prenons et la décrivons ici, avec ses hésitations et ses

luttes intimes, sa préméditation et sa ruse, cadrerait

mal avec la symptomatologie de l'idiotie, dans laquelle

les incendies sont le résultat de l'inconscience ou de

la perversion morale.

La faiblesse intellectuelle de l'impulsif au feu est

sous la dépendance de l'hérédité nerveuse et ce carac-

tère d'hérédité a ici, comme partout, une importance

considérable. Bien entendu, je prends les mots hérédité

nerveuse dans leur acception la plus large. Il est

pourtant à remarquer que les pyromanes sont moins

les descendants d'aliénés proprement dits, que des

gens frappés plus profondément encore de dégénéres-

cence psychique : ils sont le plus souvent fils d'épi-

leptiques et surtout fils d'imbéciles. L'ivrognerie se

LK L. ! 'YItUMAIIH.. 3;(

rencontre aussi parfois parmi les ascendants directs.

Une enquête minutieuse devra donc éclairer l'expert

sur la famille du-prévenu. De nos six malades, un

était enfant trouvé, un fils d'un buveur, quatre issus

de parents peu doués au point de vue intellectuel.

Si les antécédents héréditaires doivent être re-

cherchés avec soin, les antécédents personnels ne mé-

ritetit pas moins de sollicitude. Les prédisposés à la

folie ont été divisés avec raison en trois groupes :

ceux chez lesquels la prédisposition reste absolument

latente jusqu'à l'éclosion de l'affection mentale, ceux

qui, tout en étant bien doués à certains égards, présen-

tent des lacunes ou des anomalies de l'intellect, ceux

enfin qui sont frappés de déchéance intellectuelle.

Nous le savons, ..ce sont ces derniers qui alimentent

la pyromanie. L'enquête ne révélera donc le plus

souvent que de l'infériorité intellectuelle; mais elle

révélera aussi parfois des convulsions dans l'enfance,

comme dans notre Observation IV, une névrose comme

dans nos Observations III et VI, ou l'existence anté-

rieure de maladies fébriles, qui jetteront du jour sur la

vie cérébrale de l'accusé. Parmi ces maladies fébriles,

la fièvre typhoïde semble mériter une mention spé-

ciale. Deux fois je l'ai vue jouer un rôle important.

Une première fois dans notre Observation I et une

seconde fois dans un cas spécial que je résumerai

brièvement. Il s'agit d'un cordonnier, pauvre d'esprit

de tout temps, qui, à quarante ans, à la suite d'une

violente dothiénentérie, fut hanté du désir morbide de

voir le feu. Sans aucun doute pour moi, sa femme

utilisa sa tendance maladive pour lui faire incendier

une vieille maison qu'elle avait eu soin d'assurer, et

Archives, t. XIU- 3

3'(- le MÉDECINE LÉGALE.

dont la municipalité demandait d'urgence la consoli-

dation sous peine de démolition. La folie bien cons-

tatée du cordonnier arrêta les poursuites; les charges

ne parurent pas suffisantes contre la femme.

Les caractères restant à examiner ou sont contem-

porains des crimes ou leur sont antérieurs de peu de

temps : ils sont d'ordre physique et d'ordre psychique.

Le pyromane est un être taciturne dont le caractère

s'assombrit davantage à l'époque des crises : il fuit

alors la société des jeunes gens de son âge, vit à

l'écart et dans les fermes, le soir à la veillée, ne prend

pas part à la conversation. Quand ces dispositions

d'esprit sont intermittentes, séparées par des périodes

de bonne humeur et de jovialité, elles ont une valeur,

surtout si, aux époques de dépression, le sujet mani-

festait la tendance, dans ses rares moments d'expan-

sion, à faire rouler la conversation sur les incendies,

et prenait plaisir à la description de ces sinistres. Par-

fois, en effet, le malheureux pyromane étouffe sous

l'étreinte du mal; n'osant confesser ses angoisses, il se

soulage indirectement par des conversations, comme

le malade de l'Observation IV, ou, d'autres fois, il lui

arrivera de dire en voyant un tas de paille : « Quelle

belle flamme ça ferait ! 1 comme le malade de l'Obser-

vation Vf. Tous ces petits détails ne sont pas à dé-

daigner, car leur réunion permettra à l'expert, privé

des ressources de l'examen direct, de conclure sur les

seules données de l'examen indirect.

Le pyromane, questionné sur sa tristesse et sa misan-

thropie, ne dévoilera pas le secret de son esprit; mais

alléguera plus volontiers comme causes de son attitude

des souffrances physiques qu'il ressent réellement et

DE LA PYROMANIE. 35

qui indiquent la participation du corps aux troubles

de l'intellect. Il se plaindra de violents maux de tête,

de palpitations de coeur et d'étouffements, de lassitude

et de faiblesse générale; même il n'est pas très rare

de voir ces perturbations physiques précéder de

quelque temps la pyromanie. Elles se trouvent très

marquées dans nos Observations III, IV et V et méri-

tent d'être recherchées avec soin dans tous les cas,

par les témoignages de l'entourage; coïncidant avec

la transformation du caractère, elles révèlent l'état

morbide du patient. Nous en avons des exemples dans

nos observations.

Enfin la pyromanie apparaît souvent quand l'or-

ganisme naît et meurt à la vie sexuelle, à la puberté

et à la ménopause.'Parmi nos malades, deux étaient à

l'époque de la première évolution génitale, une au

retour d'âge. Ces deux périodes sont les périodes cri-

tiques de l'existence, celles où l'organe faible suc-

combe ; mais il semblerait que l'impulsion au feu se

présente avec une fréquence relative telle à ces deux

phases de l'évolution vitale qu'un rapport existerait

entre elle et l'état des organes génitaux, d'autant plus

que chez la femme, quand la maladie éclate durant les

années d'activité génésique, elle est habituellement

liée à des troubles de la menstruation, particularité

que l'expert ne doit pas ignorer. Il est connu que les

folies génitales sont caractérisées par la fréquence et

l'intensité des impulsions; entre celles-ci et les fonc-

tions de la génération existe donc un rapport indé-

niable. Peut-être dans la genèse de la forme, l'imita-

tion ,joue-t-elle ici encore le rôle que nous lui avons

assigné plus haut ? J'ignore si la grossesse qui a une

36 MÉDECINE LÉGALE.

influence si marquée sur la kleptomanie en a aussi

une sur la pyromanie.

Telles sont les données qui, à mon avis, permettront

largement à l'expert de diagnostiquer l'impulsion

irrésistible à mettre le feu, par le seul examen in-

direct. Certes, elles ne sont pas toutes d'égale valeur,

celles relatives à l'individu l'emportent sur celles

relatives aux faits encriminés. Celles-ci se classeraient

comme il suit par ordre d'importance : incendies dans

des matières faciles à s'enflammer, multiples, à la

campagne, les dimanches et jours de fête à la sortie

du cabaret. De celles relatives aux individus, cinq

doivent être surtout prises en très haute considération :

en premier lieu, l'absence de mobile qui est de néces-

sité absolue; en second lieu, la faiblesse intellectuelle;

en troisième lieu, les troubles physiques et les modifi-

cations psychiques concomitants des crimes ou immé-

diatement antérieurs, puis les antécédents personnels

et enfin' les antécédents héréditaires qui auraient peut-

être plus de poids que les autres caractères, mais que

nous plaçons en dernier lieu à cause des difficultés

dont leur recherche est entourée. Tant de circons-

tances peuvent induire l'expert en erreur ou rendre

ses efforts infructueux que l'absence d'hérédité, quand

les quatre autres facteurs sont réunis, ne saurait

entrer en ligne de compte. Immédiatement après, je

placerai l'âge de l'accusé, puberté ou ménopause, et

les troubles de la menstruation. Puis viennent l'em-

pressement à porter secours et enfin la ruse et l'habi-

leté déployées ainsi que l'appréciation de l'opinion

publique sur la sanité d'esprit de l'accusé.

Toutefois il sera bien rare^ de trouver chez un

DE LA PYROMANIE. 37

même pyromane toutes ces particularités réunies,

l'essentiel est qu'elles se rencontrent en nombre et en

force suffisants pour permettre le diagnostic. Il appar-

tiendra au médecin de les peser et de les apprécier;

car, il ne faut pas oublier qu'en médecine légale, il

n'y a que des cas particuliers. Cette science, en effet,

n'a pas d'existence propre, elle n'est qu'une science

d'application et chaque cas est une espèce qui doit

être examinée en soi. Les six observations suivantes

confirmeront, je l'espère, les développements dans

lesquels nous sommes entré.

Observation I. Caractères relatifs aux faits incriminés : incendies

multiples (4); dans des matières faciles à enflammer; à la cam-

pagne ; le dimanche ou jour de fête au soir. Caractères relatifs

à l'accusé : paysan; pus de mobile; faiblesse intellectuelle; troubles

physiques et modifications psychiques concomitants des crimes;

fièvre typhoïde; ascendants faibles d'esprit; préméditation, ruse

et mensonge; accusé réputé non aliéné.

Le dimanche 17 février 4884, un corps de bâtiment inhabité,

rempli de paille et de foin, dont la toiture en chaume touchait

presque le sol prenait feu dans lasoiréeàChageller-l'Echo.Al'ins-

tant même où la maison flambait, Emile Mer..., âgé de vingt-quatre

ans, propriétaire cultivateur, entrait dans une habitation voisine

sous un prétexte futile qui étonna les assistants; il semblait gêné

et son embarras s'accrut quand, à quelques pas de là l'incendie fut

découvert; mais il ne donna aucun signe de folie ou d'ivresse.

Dans cette même commune, le dimanche 6 avril, vers dix heures

du soir, le feu éclatait de nouveau dans un autre bâtiment inha-

bité rempli de fourrage. Ayant résolu de passer à travers champs

la nuit pour commettre son méfait, Emile Mer... avait dans la

journée adroitement répandu le bruit qu'il avait pris ce chemin

pour porter du miel chez un ami, et écartait ainsi l'argument des

traces que laisseraient ses pas. Le jeudi 8 mai, deux incendies

furent allumés : l'un à Couroelles, vers neuf heureset demie du soir,

dans un corps de bâtiment inhabité, couvert en paille et conte-

nant du fourrage qui sortait au travers de deux lucarnes donnant

sur le chemin; l'autre à Precy, vers minuit, dans la toiture en

chaume d'un petit bâtiment abritant des porcs. Emile Mer..., ce

jour-là avait fait fête. Parti de son habitation depuis la veille, il

38 MÉDECINE LÉGALE.

avait été à Semur, où il avait bu sans toutefois s'enivrer. En pas-

sant par Courcelles pour rentrer chez lui, il avait mis le feu une

première fois; à deux kilomètres de ce village, il rencontra divers

individus qui l'interrogèrent sur l'incendie dont les lueurs éclai-

raient l'horizon; et, lui, fit l'étonné, se retourna disant qu'il ne

s'en était pas encore aperçu. Il refusa de revenir sur ses pas pour

porter secours et de donner son nom. Il continua sa route vers

Précy où, après avoir mis le feu pour la seconde fois de la soirée,

il alla tranquillement se coucher à l'auberge. Or, il n'avait aucun

motif de commettre ces quatre crimes. Il était dans une situation

de fortune relativement considérable pour un paysan : sa famille

possédait une centaine de mille francs en propriétés, et de plus, il

avait d'excellentes relations avec tous ceux qu'il avait choisis pour

victimes. Né de parents peu intelligents, Emile Mer... avait dans

le pays la réputation non d'un aliéné, mais d'un faible d'esprit;

toutefois, il avait reçu une instruction primaire assez complète.

Tous ceux qui le virent peu avant ou peu après ses attentats ont

témoigné qu'ils n'avaient rien remarqué en lui d'anormal et qu'il

n'était pas gris bien qu'il eût bu un peu. En 1878, il avait eu une

fièvre typhoïde très grave avec délire : le médecin qui le soigna

a déposé que déjà peu intelligent, il était sorti de cette maladie

plus affaibli encore au point de vue intellectuel et moral. Enfin,

à l'époque des crimes, la famille de Mer... avait remarqué chez

lui un caractère plus sombre et plus concentré qu'à l'ordinaire,

une plus grande lenteur des facultés psychiques, une physionomie

hébétée, une parole empâtée. Son passé était excellent.

Emile Mer... a été le type du pyromane rusé et

dissimulateur; jamais il n'a été possible d'obtenir de

lui des aveux. Durant plusieurs mois il a lutté de

finesse avec le magistrat instructeur, et il a continué

avec moi pendant de nombreuses semaines ses pro-

testations d'innocence. Sa culpabilité n'était pas dou-

teuse ; les témoignages et les investigations de la justice

faisaient clairement de lui l'auteur des quatre crimes ;

il restait inébranlable devant l'évidence des faits. Une

fois pourtant il perdit son assurance. Je lui déclarai

brusquement un matin à la visite que je savais tout,

qu'il avait mis le feu non pour nuire à autrui, mais pour

apaiser un besoin qui s'emparait quelquefois de lui

DE LA PYROMANIE. 39

après boire et le torturait jusqu'à ce que satisfaction

lui fut donnée. Il .se troubla tout à fait, devint très

pâle, et fut pris de tremblements. Je crus qu'il parle-

rait et je le pressai de questions; il n'en fut rien, il.

se remit vite de son émotion. Après l'arrêt de non-

lieu et son maintien d'office à l'asile en qualité d'a-

liéné dangereux, il persista à nier sa culpabilité. Au

commencement de cette année, il n'avait pas renoncé

à ce système de défense; sa conduite dans l'établisse-

ment était d'ailleurs on ne peut plus correcte. Il se

mit à réclamer sans cesse sa sortie au parquet et au

tribunal ; les magistrats voulaient être couverts par

une déclaration de guérison, dont je refusai de prendre

seul la responsabilité. Sur ma demande, Mer... fut

envoyé à Sainte-Anne et soumis à l'observation de

M. le D' Ball. Je ne crois pas que Mer... ait été plus

franc avec lui. Quoi qu'il en soit, M. Bail déclara que

ce jeune homme avait commis sous ltinfluence de la

pyromanie les crimes dont il avait été accusé, qu'un

retour de la maladie était sans doute à craindre pour

l'avenir, mais que l'aliéné était en ce moment guéri, et

qu'il n'y avait pas lieu dès lors'de prolonger l'isole-

ment. Mer... rendu à la liberté est venu me remercier.

Eh bien ! même alors il n'a voulu rien avouer et a per-.

sisté à se dire innocent.

Des éléments d'appréciation révélés par l'examen

indirect et résumés dans notre observation ne res-

sort-il pas que M. le professeur Bail et moi nous fûmes

dans le vrai en diagnostiquant la pyromanie ? Dans

cette affaire, on trouve tous les caractères relatifs aux

faits incriminés, les cinq principaux caractères relatifs

à l'individu, plus les caractères secondaires de prémé-

40 MEDECINE LEGALE.

ditation, de dissimulation et d'apparence de sanité

d'esprit. Seuls l'âge de la puberté et l'empressement

à porter secours ont manqué. L'observation peut donc

être considérée comme une des plus complètes.

Observation IL Caractères relatifs aux faits incriminés : incendies

multiples (2); dans des matières faciles à enflammer; à la cam-

pagne; le dimanche soir. Caractères relatifs à l'accusé : paysan ;

pas de mobile; imbécillité; père ivrogne; ruse et mensonge; prévenu

réputé non aliéné; empressement à porter secours.

Les deux premiers dimanches d'août 1881, deux meules de

fourrage prenaient successivement feu à onze heures du soir, au

village d'Orville. Les deux meules étaient placées dans les champs

à quelques mètres de la route et pour les enflammer il avait suffi

d'approcher une allumette. Chaque fois l'éveil avait été donné

par le nommé Hippolyte Ed..., âgé de vingt-cinq ans, cultivateur,

qui s'était montré fort empressé à porter secours. L'enquête

judiciaire établit, en dépit de ses protestations d'innocence, que

c'était lui l'incendiaire. Il avait agi sans mobile, car il fut prouvé

par l'instruction qu'il ne savait même pas à qui appartenaient

les meules qu'il a\ait brûlées. Les soirs des crimes il avait bu,

mais il n'était pas ivre. Fils d'un ivrogne qui, bien avant la nais-

sance de son enfant, s'adonnait à la boisson, il passait ajuste titre

dans le village pour un imbécile sans mauvais instincts. Il n'avait

jamais pu apprendre à lire et sa mémoire était rudimentaire,

mais l'opinion publique déclarait en même temps qu'il n'avait

jamais donné aucun signe de folie, et qu'il était parfaitement en

état de se rendre compte de la portée de ses actes.

Tels sont les seuls renseignements que je pus re-

cueillir en faisant prescrire enquête sur enquête par

le parquet. Bien que très incomplets, ils me parurent

pourtant suffisants pour le diagnostic, et sans hésita-

tion je déclarai Hippolyte Ed... atteint de pyromanie.

En effet, non seulement je trouvais dans cette affaire

tous les caractères relatifs aux faits incriminés, mais

l'accusé était fils d'ivrogne, atteint d'une imbécillité

notoire et enfin j'avais la certitude absolue de l'ab-

sence de tout mobile, puisque le coupable ignorait

DE LA PYROMANIE. 41

quels étaient les propriétaires des objets qu'il incen-

diait. Une ordonnance de non-lieu fut rendue sur mes

conclusions.

Observation 111. Caractères relatifs aux faits incriminés : incendies

multiples (8) ; dans des matières faciles à enflammer; à la cam-

pagne. Caractères relatifs à l'accusée : paysanne; pas de mo-

bile ; faiblesse intellectuelle; troubles physiques et modifications

psychiques concomitants des crimes; hystérie; ascendants faibles

d'esprit; préméditation; ruse et mensonge; empressement à porter

secours; accusée réputée non très saine d esprit.

Du 28 juillet 4885 au 49 août, c'est-à-dire dans le court espace

de vingt-trois jours, huit incendies terrorisèrent la commune de

Chaume. Le 28 juillet, le feu était mis a onze heures du soir à des

tas de fagots placés contre une maison; la même nuit, à d'autres

fagots placés contre une habitation peu éloignée de la précédente

ainsi qu'à des amas de paille jetée à l'intérieur de la cour qui ne

fermait pas à clef. Le. lendemain, dans la soirée, on retrouvait

dans une chambre de cette même habitation dont les vitres étaient

brisées, trois sabots remplis de braise. Le 10 août, à onze heures

du soir, huit fagots de branches sèches placés le long de la rue

du village prenaient feu. On les avait enflammés à l'aide de brins

de paille allumés. Le 12 août à sept heures du matin, un incendie

considérable détruisait une des plus belles maisons de la localité.

Le feu avait été mis dans la paille de l'écurie. Dans la nuit du

47 août, soixante mille kilos de fourrage disparaissaient dans les

flammes. Enfin le 19, vers neuf heures du matin, le feu prenait

encore à des tisses qui se trouvaient le long du chemin. L'auteur

de tous ces sinistres, Albertine Phel..., âgée de quarante-sept ans,

avait agi avec beaucoup d'habileté et de préméditation ; car elle

n'avait pu être découverte malgré une surveillance des plus

actives exercée non seulement par les autorités, mais encore par

tous les habitants de la commune affolés de peur. Quand on

veillait d'un côté, le feu éclatait de l'autre. Avant l'incendie du

42 août, dans la matinée même de ce jour, Albertine Phel...

s'était livrée à une étude attentive des lieux et s'était assuiée de

l'absence du propriétaire. Cette femme ne se bornait pas à com-

biner ses crimes et à prendre toutes ses précautions pour n'être

pas découverte, elle s'efforçait encore d'éloigner d'elle les soupçons

en les portant sur d'autres, et elle était la première à paraître

effrayée des dangers qui menaçaient la commune, à porter

secours pour éteindre les incendies qu'elle avait elle-même

allumés. Fille de paysans à esprit très borné, elle avait dans le

2 MÉDECINE LÉGALE.

village la réputation de n'être pas mieux douée que ses parents;

elle était au retour d'âge et c'est à la ménopause que le médecin

"de la localité rattacha ses crimes. D'un autre côté, les actions

criminelles de cette paysanne non seulement étaient sans mobile,

mais frappaient des personnes qui lui étaient chères et portaient

atteinte à ses intérêts; en effet, parmi ses victimes elle comptait

des parents à qui elle avait toujours témoigné une vive affection,

et un débiteur qu'elle mettait pour longtemps dans l'impossibilité

de payer sa dette. Enfin, la prévenue avait été de tout temps

atteinte d'hystérie; depuis dix-huit mois, au dire de son médecin

ordinaire, son état s'était beaucoup aggravé. Au moment des

crimes, elle était devenue très sombre, négligeait son intérieur,

fuyait la société, errait sans but; la nuit, en proie à une insomnie

persistante, elle se promenait dans sa maison ou dans les champs,

accusait de violents maux de tête, des étouffements et annonçait

sa fin prochaine à ceux qui s'informaient de sa santé. Cette

situation physique et psychique était si marquée que dans le

village chacun se disait que la tête d'Albertine Phel... démé-

nageait. Elle n'avait jamais commis d'acte de méchanceté.

Il me semble que dans ce cas le diagnostic ne pou-

vait guère embarrasser l'expert. Tous les caractères

se trouvaient réunis, même les troubles physiques et

les modifications psychiques concomitants, ses crimes

étaient si marqués que l'opinion publique reconnut

d'instinct un état intellectuel anormal chez l'incen-

diaire. Trois fois à l'asile depuis l'ordonnance de non-

lieu Albertine Phil... a eu des crises caractérisées au

point de vue physique par des maux de tête intenses,

de l'insomnie, des crampes d'estomac, des étouffe-

ments, et deux fois pardutympanisme abdominal ; au

point de vue psychique par des idées de mort pro-

chaine, de l'anxiété et une tristesse noire. La dissimu-

lation profonde de la malade n'a pas permis d'obtenir

l'aveu qu'à ces moments le besoin d'incendier la tour-

mentait de nouveau, et la surveillance continue dont

elle était l'objet lui a enlevé la possibilité de toute ten-

tative ; mais je suis certain qu'en liberté elle aurait

DE LA PYROMANIE. 43

alors allumé le feu, car les phénomènes physiques et

psychiques constatés étaient semblables à ceux qu'elle

présenta durant la période criminelle du 28 juillet au

19 août.

Observation IV. Caractères relatifs aux faits incriminés : incen-

dies multiples (2); dans des matières faciles à enflammer; à la

campagne. Caractères relatifs à l'accusé : paysan; pas de

mobile; faiblesse intellectuelle ; troubles physiques et modifications

psychiques concomitants des crimes; convulsions à trois ans ; parents

à intelligence bornée; puberté; empressement à porter secours;

ruse et mensonge; prévenu réputé non aliéné.

Le 4 septembre 4885, le feu éclatait à onze heures et demie du

matin chez le maire d'Orgeux, dans un tas de paille placé dans

l'écurie ; le lendemain 19, à huit heures et demie du soir, il écla-

tait de nouveau chez le même propriétaire et, cette fois, dans la

grange. Le coupable était un nommé Alexandre K..., âgé de

seize ans, domestique de la maison. 11 n'avait aucun motif d'en

vouloir à ses maîtres qui; d'après leur déposition, avaient toujours

témoigné beaucoup d'égards et de bienveillance à leur jeune domes-

tique. L'accusé protestait vivement de son innocence et, à l'appui de

son dire,affirmaitlui-méme qu'il n'avaitqu'à se louerdesbonspro-

cédés de ceux qu'il servait. Alexandre K... ne buvait pas. Fils de

paysans très peu doués au point de vue intellectuel, il avait eu des

convulsions à trois ans et passait pour faible d'esprit, mais aussi

pour bon enfant et pour n'avoir jamais donné aucun signe de

folie; aussi tous les témoins entendus dans l'instruction manifes-

tent-ils leur étonnement de sa conduite criminelle, d'autant plus

qu'on avait été frappé de son empressement et de son ardeur à

éteindre le feu. Vers la fin de l'année précédente, il se plaignit de

céphalalgie et au commencement de ')883, ses maux de tête de-

vinrent tels qu'il dut abandonner son service pour aller se

reposer quelques semaines chez sa mère. Le 13 septembre, cinq

jours par conséquent avant le premier crime, il fut vivement

impressionné par un violent incendie qui détruisit une ferme voi-

sine de celle où il était en condition. Le lendemain, il avait été

sombre et toute la journée avait causé de ce sinistre. Le 15 et

le 16, il ne s'en préoccupa plus et parut de nouveau dans son état

normal. Le 17, il fut de nouveau sombre et taciturne; interrogé

sur sa tristesse, il répondit que ses maux de tête étaient revenus

et, le soir, causa encore beaucoup de l'incendie du 13, de sa

violence, de la hauteur des flammes. Les crimes eurent lieu le

18 et le 19.

41 se MÉDECINE LÉGALE.

Des caractères relatifs aux faits incriminés un seul

manquait. Les incendies avaient eu lieu deux jours

ouvriers et non le dimanche après boire; cette lacune

n'était pas de bien grande importance. Par contre.

tous les caractères relatifs au prévenu se trouvaient

réunis. Je n'hésitai pas à diagnostiquer la pyromanie

et le parquet n'hésita pas à rendre une ordonnance

de non-lieu. Alexandre K..., après avoir longtemps

rusé, dissimulé, arriva à faire des demi-aveux, puis

finit par parler en toute franchise. Ces confidences

méritent d'être rapportées, car elles ne peuvent laisser

de doute sur l'existence de l'impulsion au feu telle

que nous l'avons définie. Trop faible d'esprit pour se

livrer sur lui-même à une analyse psychologique,

l'incendiaire n'a pu nous renseigner complètement sur

l'état de son esprit à ce moment, mais il nous a fourni

certains détails typiques qui sont certainement d'une

exactitude rigoureuse, car où ce paysan faible d'esprit

aurait-il appris ces choses et comment les aurait-il

inventées ? ' L'incendie du 13 septembre, résulte-t-il de

ses aveux, est le premier auquel il ait assisté. Ce

spectacle l'impressionna à ce point qu'il en fut tout

tremblant. Toutefois le surlendemain il n'y pensa plus,

et il en fut ainsi jusqu'au jeudi 17. Ce,jour-là, il se leva

la tête lourde, douloureuse, le souvenir du sinistre lui

revint à l'esprit, et à son grand effroi l'idée de mettre

le feu s'empara de lui, sans qu'il puisse fournir de

renseignements plus précis sur ce point. Son coeur

battit avec force, il était mal à son aise en même temps

qu'il sentait comme un soulagement à la pensée de

satisfaire son désir. Il résista toute cette journée du

jeudi. La tentation n'était pas toujours d'une égale

DE LA YYIt(1.lNlli. 5 5

violence; elle s'apaisait à certains moments pour re-

naître ensuite plus impérieuse. Sur le soir, le malheu-

reux se sentit débarrassé de son tourment; il s'endormit

d'un bon sommeil jusqu'au lendemain. A son réveil

l'idée de mettre le feu reparut plus vive que la veille.

Mais il résista encore et se rendit au travail. A onze

heures et demie il ne fut plus maître de lui; l'impulsion

était devenue irrésistible. Sa tête se fendait, son

coeur sautait dans sa poitrine, ses idées étaient con-

fuses. Il quitta le travail pour aller donner satisfaction

à son besoin. Il prit un torchon de paille, se glissa

dans l'écurie en se cachant, monta sur un coupe-racine,

introduisit son torchon de paille entre le mur et la

solive, puis l'enflamma à l'aide d'une allumette.

Aussitôt il rentra, dans son état normal. L'impulsion

disparut pour ne revenir que le lendemain soir à

huit heures et demie. A cette heure-là il était dans

l'écurie des veaux avec un autre domestique qui jouait

de l'accordéon, l'idée reparut avec une violence telle

que toute lutte fut impossible. Il se leva comme mû

pas un ressort, se rendit dans sa chambre, alluma le

bout de bougie qui se trouvait près de son lit et se

glissa furtivement dans la grange. Il essaya alors

de résister, et laissa tomber la bougie qui ne s'éteignit

pas dans la chute; mais l'impulsion était telle, qu'en

dépit de tous ses efforts de volonté, il dut se baisser,

la ramasser et la placer au milieu du fourrage.

Comme la veille l'idée disparut alors tout à coup,

et un grand soulagement se produisit. Relativement à

sou empressement et à son ardeur à porter secours,

ce malade a été très afûrmatif : loin d'en vouloir à ses

maîtres, il les aimait; c'est malgré lui qu'il leur avait

46 MÉDECINE LÉGALE.

occasionné du mal, il était naturel qu'il cherchât à le

réparer dans la mesure de ses forces.

Observation V. -- Caractères relatifs aux faits incriminés : incen-

dies multiples (2) ; dans des matières faciles à enflammer; à la

campagne. - Caractères relatifs à l'accusé : paysan; pas de

mobile; imbécillité très accentuée; mère faible d'esprit ; puberté ;

ruse et mensonge; accusé réputé non. aliéné; empressement à

porter secours ; troubles physiques immédiatement antérieurs au

second crime.

En février 1884, deux fa2ots de bois mort brûlaient dans le

bois de Thomery peu après le passage de Jean-Marie Vi..., qui pour-

tant ne connaissait pas le propriétaire. Le 26 octobre de l'année

suivante, à la ferme où était employé ce garçon des tisses d'avoine

prenaient feu sous un hangar cinq minutes après qu'il eut quitté

cet endroit. Il contribua avec empressement à éteindre le feu

qu'il avait allumé tout comme il avait allumé celui du bois de

Tomery. Fils naturel d'une femme très peu douée au point de vue

intellectuel, Jean-Marie Vi..., âgé de quinze ans, était connu pour

unparfaitimbécile; ilavaitlongtemps fréquenté l'école sans autre

résultat que d'apprendre à épeler avec difficulté; son langage

était même imparfait. Il n'avait aucune raison d'en vouloir aux

maîtres qu'il servait, car, alors qu'il était repoussé de partout, ils

l'avaient accueilli et lui témoignaient de l'affection. Il ne buvait

pas. Au moment des deux incendies, on n'avait remarqué chez lui

aucune modification psychique, et il ne s'était plaint d'aucun

trouble physique. Toutefois, quelques semaines avant le second

crime, il avait été atteint de violents maux de tête avec lassitude

générale et cet état avait persisté une quinzaine de jours sans que

le médecin en trouvât la cause; il avait été assez marqué pour

nécessiter le repos. Son passé était excellent.

Les caractères de cette observation n'étaient pas très

nombreux, mais ils m'ont paru assez marqués pour

justifier le diagnostic de pyromanie. Enrésuméj'avais

affaire à un héréditaire, à l'âge de la puberté, parfait

imbécile, qui deux fois mettait le feu sans mobile

dans des matières faciles à enflammer. Il ne buvait pas,

il n'était pas méchant ni assez idiot, malgré son imbécil-

lité, pour agir avec inconscience, le diagnostic de

pyromanie s'imposait dès lors. '

DE LA PYROMANIE. 47

Observation VI. Caractères relatifs aux faits incriminés : incen-

(lies multiples (7); dans des matières faciles à enflammer ; à la

campagne ; la plupart le dimanche soir à la sortie du cabaret.

Caractères relatifs au prévenu : paysan; pas de mobile; intelli-

gence bien développée; modifications psychiques concomitantes

des crimes; épilepsie à une époque antérieure aux crimes ; pas de

renseignements sur l'hérédité; empressement à porter secours ; pré-

méditation, ruse et mensonge; accusé réputé sain d'esprit.

Le second dimanche de janvier 1882, Vuil..., alors âgé de vingt

ans, étant domestique de ferme à Pont-de-Passy, le feu prenait

dans cette localité vers neuf heures du soir dans un magasin à

fourrage contigu à la maison qu'il habitait et les pertes s'élevaient

à 4,200 francs. Le lendemain lundi, un second incendie éclatait en

face, à onze heures du soir, dans des meules d'orge non battues;

les pertes furent de 7,070 francs. Le dimanche 20 avril l 881.

Vuil... étant garçon d'écurie àMessigny, le feu se déclarait dans

cette commune à onze heures du soir, dans un hangar rempli de

foin, avec 18,050 francs de pertes. Le dimanche 4 mai, un nouveau

voisin de Viii... avait son écurie incendiée dans la soirée. Les

pertes furent insignifiantes, 8 francs. Le 25 août de la même an-

née, à Francheville au Vuil... avait été se mettre en condition,

une grange remplie de gerbes disparaissait dans les tlammes, avec

2p,000 francs de pertes. Vuil... fut accusé ouvertement par l'opi-

nion publique. Quand la gendarmerie voulut l'arrêter, il avait dis-

paru. Il fut retrouvé à Dijon et emprisonné. Au bout d'un mois le

parquet était contraint de rendre une ordonnance de non-lieu.

L'accusé s'était défendu avec une intelligence et une habileté peu

communes; il fit remarquer que le feu n'avait pas pris chez ses

maitres auxquels il aurait pu en vouloir, mais toujours chez ses

voisins qu'il ne connaissait pas, étant dans la localité depuis très

peu de temps; il réfuta adroitement toutes les charges qui pe-

saient sur lui et force fut de le mettre en liberté. Un an après, en

août 1885, il se plaçait comme domestique cultivateur à Saint-

Jean-de-Boeuf. Un dimanche de ce mois, sortant du café pour ren-

trer chez lui, il passa avec un ami devant une grange toute rem-

plie de gerbes et ne put s'empêcher de s'écrier en la comtemplant :

« Qu'elle belle flamme cela ferait ! » Il était onze heures du soir.

A trois heures du matin, la grange était en tlammes, et les pertes

s'élevaient à 20,200 francs. Huit jours après, vers neuf heures du

soir, une seconde grange flambait avec 3,340 francs de pertes.

Vuil... fut de nouveau arrêté. La somme totale des pertes occa-

sionnées par les sept incendies s'élevaient à 70,790 francs. L'accusé

protesta aussi vivement de son innocence que la première fois ; il

fit valoir les mêmes arguments, son ardeur et son empressement

à porter secours, dont chacun témoignait; mais en dépit de toute

t8 MÉDECINE LÉGALE.

son habileté, il ne put cette fois triompher de l'accusation. Les

nouvelles preuves rassemblées établissaient nettement sa culpabi-

lité. Ce Vuil.... était un enfant abandonné, élevé par l'hospice de

Dijon; on ne savait rien de sa famille. Tous les maîtres qu'il avait

servis étaient unanimes à louer hautement ses facultés intellec-

tuelles ; on le considérait comme un domestique précieux, bon a

tout faire. Quant à son caractère, les avis étaient partages : les uns

le présentaient comme un homme irritable, violent, méchant et

buveur; les autres comme un modèle de douceur, d'obéissance et

de sobriété. En rapprochant les dates je m'aperçus que les premiers

avaient été ses maîtres jusqu'en 1882, et les autres l'avaient eu à

leur service de 1882 à 1885. Il m'était dès lors démontré qu'une

transformation complète s'était opérée dans sa manière d'être.

De ceuxqui, l'ayant eu chez eux les trois dernières années faisaient

l'éloge de sou caractère, tandis que quelques-uns le dépeignaient

comme un garçon gai, jovial, aimant a rire, d'autres le représen-

taient taciturne, sombre, fuyant la société, aimant à parler sans

cesse de feu et à raconter qu'il avait reçu une récompense pour

acte de dévouement dans un incendie. Or, ici, encore en rappro-

chant les dates, il était facile de s'apercevoir que les dispositions

noires de son esprit, son besoin de parler d'incendies coïncidaient

avec les époques des crimes et qu3 son humeur joviale se mani-

festait dans l'intervalle. Vuil... avait eu, à des mois de distance

il est vrai, mais enfin il avait eu jusqu'en 1832 des attaques d'épi-

lepsie ; depuis 1882, elles ne s'étaient plus montrées.

II y avait certainement dans ce cas des données

suffisantes pour diagnostiquer la pyromanie. L'absence

de tout mobile, la coïncidence des crimes avec la taci-

turnité et le besoin de parler d'incendies, alors que

d'ordinaire le sujet était gai et expansif indiquaient

clairement le travail morbide qui, à certains moments,

s'opérait dans le cerveau de Vuil...; son empresse-

ment à porter secours n'était pas non plus le fait d'un

criminel; enfin tous les caractères relatifs aux faits

incriminés étaient réunis. Mais Vuil... n'avait pas

seulement la réputation de n'être pas aliéné, il avait

la réputation d'être très intelligent, et ce fait était en

complète opposition avec l'état intellectuel habituel

dans la pyromanie. Un certificat de M. le D' Blondeau,

DE LA PYROMANIE. 49

inspecteur des enfants assistés de la Côte-d'Or, a tout

éclairé : Vuel... qui avait été épileptique jusqu'en 1882

avait cessé de l'être depuis cette époque; du même

coup se trouvaient expliquées et la transformation

psychique du caractère signalée dans l'observation et

l'éclosion de la pyromanie dans un intellect bien

organisé : cette pyromanie était symptomatique, elle

n'était qu'une transformation de l'épilepsie. Tant que

Vuel... avait eu des attaques de haut mal, il s'était

montré le garçon violent, irritable et buveur dont par-

laient certains témoins; en 1882 il cesse d'être épilep-

tique pour devenir pyromane, et du même coup le

voilà doux, obéissant et sobre. Le cas est plein d'intérêt

scientifique. Il n'est pas douteux pour -moi que la

pyromanie de ce garçon ne fût due à une transforma-

tion de l'épilepsie : ce n'est pas la première fois d'ail-

leurs que le fait se présente. Pour ne citer qu'un

auteur, je dirai que lllandsley a rapporté des observa-

tions très concluantes d'impulsions irrésistibles avec

conscience chez des épileptiques qui avaient cessé d'a-

voir des attaques; et en ce moment, j'ai dans mon ser-

vice un exemple très net de cette transformation : il

s'agit d'une épileptique de vingt-cinq ans qui, lorsque

ses attaques ne viennent pas, comme elle dit, a des

impulsions à l'homicide et au suicide dont elle est à

ce point consciente qu'elle demande la camisole et sup-

plie qu'on lui fasse venir ses crises qui, dit-elle, la

débarrasseront de ses mauvaises idées. Dans un cas de

pyromanie chez un malade intelligent, avoir trouvé

que cette pyromanie n'était pas idiopathique, mais

symptomatique de l'épilepsie, ne peut donner que plus

de poids à notre assertion relative à l'infériorité

Archives, t. XIII. 4

50 MÉDECINE LÉGALE.

intellectuelle des impulsifs au feu chez lesquels la

maladie est indépendante de toute autre.

Vuel... a. fini par faire des aveux, et j'en ai été

d'autant plus heureux que son développement intel-

lectuel lui permettait de fournir des indications psy-

chologiques précieuses. Le second dimanche de jan-

vier 1882, il rentrait du café chez lui quand, pour

la première fois, il eut tout à coup un mal de tête très

vif et un désir si violent de voir des flammes que

toute résistance fut impossible ; et il commit immé-

diatement son premier crime. Il est très affirmatif sur

le mobile psychologique qui le poussait : il avait

besoin de voir des flammes, cette vue durant un ins-

tant le ravissait, puis tout rentrait dans l'ordre et

alors il courait au secours. Il attribue son mal à

l'impression vive produite sur lui par l'incendie dans

lequel il se dévoua, et qui lui valut une récompense,

ce qui confirme les considérations dans lesquelles

nous sommes entrés plus haut. Trois fois, ayant lutté,

il a pu surmonter l'impulsion, mais d'ordinaire elle

se présentait avec une violence telle qu'il succombait

à l'instant, et elle se présentait de préférence quand il

avait fait la noce. Une autre fois il put la surmonter

quelques heures, mais fut obligé de se rendre. C'était

en août 1885; en passant devant la grange, son désir de

voir des flammes le saisit,etalors il s'écria : « Quellebelle

flamme cela ferait ! 1 II résista, rentra chez lui et se cou-

cha, mais il ne put fermer les yeux; il était obsédé,

torturé; à trois heures du matin il ne résista plus. Il

se leva, s'habilla, alluma sa lanterne et alla incendier

cette grange dont il ne connaissait pas le propriétaire ! 1

Jamais il n'a voulu mettre le feu chez ses maîtres, il

DE LA PYROMANIE. 51

ne sait pas pourquoi, mais cela lui répugnait. Il expli-

quait son empressement à porter secours tout à la fois

par le remords et le. désir de n'être pas soupçonné.

Des considérations et des observations qui précèdent,

je conclurai :

I. Il existe une maladie mentale caractérisée essen-

tiellement, sinon uniquement, par une impulsion irré-

sistible à mettre le feu, qui semble jaillir spontané-

ment du plus profond de l'inconscient.

II. Dans un très grand nombre de cas le diagnostic

de cette maladie est impossible par l'examen direct,

soit à cause de la dissimulation des accusés, soit à

cause de leur faiblesse intellectuelle qui ne leur per-

met pas de fournir des renseignements sur l'état de

leur esprit au moment des crimes.

III. Dans ces cas le diagnostic peut être rigoureu-

sement établi par certaines données spéciales de l'exa-

men indirect.

IV. Ces données sont relatives aux faits incriminés

et aux accusés.

V. Les données relatives aux faits incriminés, au

nombre de quatre, sont par ordre d'importance :

1° incendies dans des matières faciles à enflammer et

n'exigeant guère que l'approche d'une allumette;

2° multiples ; -3° à la campagne; - 40 les dimanches

et jours de fête à la sortie du cabaret.

VI. Les données relatives aux accusés, au nombre

de dix, sont par ordre d'importance : 1° absence de

mobile; 2° faiblesse intellectuelle; 3° troubles

physiques et modifications psychiques concomitants

des crimes ou immédiatement antérieurs : céphalalgie,

52 MÉDECINE LÉGALE. DE LA PYROMANIE.

palpitations de coeur, étouffements, lassitude, fai-

blesse générale, taciturnité, tristesse, tendance à causer

d'incendies ; 4° antécédents personnels : convul-

sions dans l'enfance; développement et troubles de

l'intelligence ; névroses ; maladies fébriles; 5° hé-

rédité nerveuse; 6° puberté, ménopause ou trou-

bles de la menstruation au moment des crimes; 7°

empressement à porter secours; 8° préméditation

et ruse dans la perpétration des crimes ; dissimulation

et mensonges durant l'instruction; 9° sanité d'esprit

affirmée par l'opinion publique. 10° gens de la

campagne.

VII. Les données relatives à l'accusé ont une bien

plus grande valeur que celle relatives aux faits incri-

minés.

VIII. 11 est très rare que toutes les particularités

énumérées plus haut se rencontrent chez un même

prévenu : il appartiendra à l'expert de les apprécier

dans chaque cas particulier.

IX. Toutefois l'absence de mobile devra toujours

être constatée ; cette absence à elle seule ne suffit pas

à établir la pyromanie, mais cette maladie mentale

est incompatible avec la présence d'un mobile, quel-

que futile qu'il soit, ainsi que nous l'avons précédem-

ment établi '.

1 Archives de Neurologie, t. X, n" 30, 1885.

RECUEIL DE FAITS

CAS D'IDIOTIE AVEC HYPERTROPHIE DU CERVEAU

Par le D' CULLERRE

Directeur-médecin de l'Asile d'aliénés de la ltoche-sur-Yon.

Observation. Semi-idiot adulte et bien conformé, ayant vécu

cinquante-trois ans. Absence complète d'accidents cérébraux pen-

dant tout le cours de l'existence. Mort causée pur un cancer du

foie. Autopsie : Hypertrophie cérébrale avec adhérences ménin-

gées. Description du cerveau.

Le nommé Bard... (Alcide), né le 13 août 4830, est entré une

première fois à l'asile de la Roche-sur-Yon, le 7 juillet 1848, pour

cause d'idiotie avec impulsions dangereuses, et est sorti le 26 sep-

tembre 185 ? sur la demande de sa famille. Il fut réintégré le

12 septembre 1857, à la suite d'une multiplicité d'actes instinctifs

malfaisants. 11 avait entre autres habitudes, celle de frapper avec

le premier objet qui lui tombait sous la main sa mère ou son

frère pour le motif le plus futile.

Ou ne possède aucun renseignement sur ses antécédents de

famille. Son père, ancien gendarme, était mort au moment

de son admission. Sa mère vivait ; elle avait avec elle un autre

fils qui parait avoir été intelligent.

Alcide était un homme d'une taille de lm,70 au moins, d'une

bonne conformation physique, d'un développement complet,

mais d'un tempérament lymphatique très prononcé. Il était sujet

à des suppurations et à des accidents cutanés très fréquents. Sa

tête était grosse, mais d'une conformation régulière, le front haut

à bosses proéminentes, le vertex aplati et largement développé.

Aucune asymétrie dans les traits ou les os de la face et du crâne.

Le visage piésentait un aspect assez repoussant, en raison d'un

strabisme très prononcé, d'un nez extrêmement crochu et d'une

bouche très grande, ne présentant plus que des chicots informes

en place de dents. On ne constatait chez cet individu aucune infir-

mité ; il n'avait pas d'attaques convulsives, et jouissait d'une bonne

54 RECUEIL DE FAITS.

santé habituelle. Doué, d'un appétit féroce, d'une véritable

boulimie, il mangeait à chaque repas cinq à six rations de soupe,

et se gorgeait en outre des restes jetés aux eaux grasses par les

autres malades. Quand il se livrait à cette occupation, il eût été

dangereux de s'approcher de lui et d'essayer de l'en empêcher.

Ses facultés intellectuelles étaient à peu près celles d'un chien

médiocrement intelligent. Son langage était très imparfait; il ne

construisait aucune phrase mais se faisait comprendre à l'aide de

mots prononcés isolément, et d'une façon non seulement défec-

tueuse, mais à peine compréhensible pour les initiés. Le directeur,

c'était «Monsieur leur », l'interne, « Monsieur ilintème », le gar-

dien de la section, « gain ». Quand il était en colère il menaçait

d'un « coup pé » (coup de pied); ou bien s'écriait « mon bot ! »

(gare mon sabot), ou bien « te tue, aller terre toi » (je te tue, tu

vas aller en terre). Il était extrêmement violent et impulsif.

Dans les premiers temps de son séjour à l'asile, il fallait cinq ou

six gardiens pour se rendre maîtres de lui, et alors qu'il était en

cellule, la porte s'était effondrée sous ses coups. A la moindre

contrariété, il se jetait sur son adversaire, cherchait à le mordre

et le frappait tantôt avec le premier objet qui lui tombait

sous la main, tantôt en lui lançant un formidable coup de pied

dans le ventre, ce qu'il faisait en se retournant et, comme les

animaux, en décochant une ruade. Il y a une dizaine d'années,

un autre aliéné frappé de la sorte par lui succomba le lendemain

à une péritonite. Quand il se sentait hors d'état de résister, ses

colères étaient furieuses; il jetait ses vêtements, sa casquette, lan-

çait ses sabots en l'air et trépignait avec rage. Il était très vain,

aimait à porter une casquette galonnée, à orner sa boutonnière

de chiffons voyants, de boutons de cuivre, et quand quelque visi-

teur arrivait, il accourait sur son passage, se pavanant et mon-

trant du'doigt les ornements de son costume avec un gros rire de

satisfaction bestiale; il ne manquait pas chaque matin à la visite

de se présenter cinq ou six fois sur le passage du médecin, en

cherchant à attirer son attention par des saluts et une mimique

des' plus comiques, mais qui ne tardait pas à devenir impor-

tune.

Il collectionnait à la façon des déments toutes sortes de débris

et d'objets disparates : vieux papiers, boutons, ficelles, morceaux

d'ardoises, cailloux, etc... On ne pouvait l'alléger de sa collection

qu'en le mettant au bain, car il défendait son butin avec une

énergie féroce, et la nuit, cachait ses vêtements entre son ma-

telas et son sommier. Il manifestait un érotisme très prononcé,

et non seulement il abusait pour son propre compte de la mastur-

bation, mais encore il la pratiquait sur les autres et cherchait à

les entraîner à la pédérastie. Il était incapable d'aucun travail

sérieux, mais seulement de quelques corvées. Il aidait le garçon

IDIOTIE AVEC HYPERTROPHIE DU CERVEAU. 55

d'amphithéâtre, et après les autopsies, il s'acquittait avec une

joie étrange de sa lugubre besogne. Il montrait quelque attache-

ment pour son gardien habituel, le défendait quand il le voyait

aux prises avec un malade agité en saisissant ce dernier par

derrière; il aimait aussi à exercer une surveillance toute spéciale

sur ceux qui faisaient des tentatives d'évasion ; il accourait

aussitôt prévenir le gardien, et lui dénonçait le coupable. : Au'commencement de mars 1883, Bard... commença à maigrir

- et à avoir des vomissements alimentaires fréquents. Il accusait

une douleur assez vive à la partie inférieure du côté droit; son

indocilité, son inintelligence ne permirent pas un examen fruc-

tueux et le diagnostic resta indécis; la poitrine fut cependant

reconnue saine. Le 23 mars, il fut définitivement arrêté et obligé

de s'aliter; une fièvre vive s'était emparée de lui et les vomisse-

ments étaient devenus incoercibles. Il succomba le 23, à la suite

- d'une période fébrile intense, à un cancer du foie, comme l'a

montré l'autopsie. 11 était âgé de cinquante-trois ans.

Autopsie. Cadavre rigide, embonpoint conservé, cicatrices

d'anciens ulcères aux jambes; on en voit quelques autres sur le

corps et les cuisses, rondes et déprimées, probablement de rupia

ou de suppurations scrofuleuses. Organes génitaux velus, très

développés, hydrocèle de la tunique vaginale droite ; les deux

testicules sont normaux. Les organes thoraciques sont sains,'sauf

un peu de congestion pulmonaire.

A l'ouverture de l'abdomen, le foie apparaît volumineux, par-

semé de taches jaune citron de différentes dimensions, qui sont

l'indice d'autant de tumeurs encéphaloîdes, jaunes, molles, se

déchirant facilement, ne laissant suinteraucun liquide à lacoupe.

Les tumeurs, en nombre considérable, envahissent tout le foie et

varient de la grosseur d'une noisette à celle d'une orange, les

unes plus fermes, les autres en voie de ramollissement. Les autres

organes abdominaux sont sains. ,

Crâne. Les os sont d'épaisseur moyenne, d'une couleur jaunede

graisse, très durs, comme éburnés ; pas de trace de sutures sur la

voûte, ni en dedans ni en dehors. Dure-mère tendue, d'un

blanc jaunâtre, d'aspect normal; quand on l'incise, le cerveau

fait immédiatement hernie à travers l'incision. L'arachnoïde est

soulevée en beaucoup de points par des amas de bulles gazeuses

.très fines; elle est légèrement opalescente, cependant elle laisse

voir par transparence la substance cérébrale étalée et lisse,

comme turgescente presque sans trace de sillons. Les vaisseaux

de la périphérie sont presque exsangues. Une très petite quantité

de sérosité s'échappe lorsqu'on enlève l'encéphale de la boite

crânienne; mis en son entier dans la balance, il pèse

4 530 grammes.

56 RECUEIL DE FAITS.

La pie-mère est adhérente à la substance corticale sur les deux

tiers antérieurs des hémisphères. A droite les adhérences sont

plus généralisées, la pie-mère entraîne avec elle une mince

couche de substance grise, moins épaisse à la vérité que dans les

cas vulgaires de paralysie générale, mais tout aussi uniforme.

Du côté gauche les adhérences sont moins conflueiites et plus

superficielles que du côté droit.

La pie-mère complètement enlevée, les hémisphères pèsent :

le droit GiO gr. et le gauche 645 gr. Le cervelet, l'isthme et le bulbe-

pèsent 200 gr. Les membranes enlevées pèsent donc 45 gr. Le

cervelet est volumineux, mais sans trace d'hypertrophie. L'isthme

et le bulbe ne présentent aucune anomalie, et sont absolument

comme dans l'état normal.

Les ventricules latéraux ne sont pas plus développés qu'à l'or-

dinaire et leurs surfaces ne présentent rien de notable. Des coupes

pratiquées perpendiculairement au grand axe sur chaque hémis-

phère permettent de constater que la substance grise des circon-

volutions est bien développée et très épaisse dans les régions

antérieures; dans les parties postérieures, elle n'offre aucun carac-

tère particulier. Les noyaux gris ne présentent aucune hypertro-

phie, et sont absolument sains dans tous les points; la capsule

interne se présente sur les coupes, avec un développement qui

semble au-dessus de l'état normal.

L'examen microscopique à l'état frais et par dissociation permet

de constater que l'hypertrophie porte sur la matière amorphe

cérébrale, constituant la névroglie et sur les myélocites qui sont

extrêmement abondants, et d'un très beau développement. Les

capillaires les plus fins sont sains, ceux qu'on rencontre isolés

portent accolés à leurs parois de distance en distance de très gros

noyaux. Les capillaires de moyen calibre sont signalés dans les

préparations par des trainées de granulations jaunes réfrin-

gentes de substance graisseuse ; tous sont vides de globules san-

guins.

Les cellules nerveuses qu'on rencontre disséminées dans les

préparations semblent saines pour la plupart. Un certain nombre

cependant sont envahies par des granulations graisseuses, mais

dans toutes le noyau est intact et visible. Enfin, on trouve à

l'état de dissémination dans toutes les préparations une grande

abondance de corps granuleux de toutes dimensions, indiquant

que la substance cérébrale a subi un commencementderégression.

Des fragments de substance cérébrale empruntés à la troisième

frontale et aux circonvolutions centrales de l'hémisphère droit

ont été placés dans une solution de bichromate de potasse, niais

comme, à cause delà mollesse du tissu, j'avais cru devoir plonger

pendant quelques jours le cerveau dans un bain acidulé par l'a-

cide nitrique, afin d'en obtenir plus commodément des épreuves

IDIOTIE AVEC HYPERTROPHIE DU CERVEAU. 57

photographiques, la substance est devenue extrêmement dure et

très friable, et ce n'est qu'avec beaucoup de peine qu'il a été

possible d'obtenir des coupes pour l'examen histologique.

Pour cette raison et aussi pour ne pas m'aventurer en dehors

du cercle de mes connaissances histologiques, je ne décrirai que

ce qui m'a paru d'une évidence incontestable dans mes prépara-

tions.

La substance grise a pris sous l'influence du carmin une colora-

tion rouge uniforme très intense. Les cellules pyramidales parais-

sent en moins grand nombre qu'd l'étatnormal, elles sont de faible

dimension mais sont pourvues de leur prolongement. On ne les

rencontre qu'à la région moyenne. Tout le reste de la substance

grise est occupé par des myélocites très abondants, se présentant

sous l'aspect de noyaux foncés, entourés ou non d'une zone claire,

de dimensions variables.

Les vaisseaux capillaires sont extrêmement abondants et très

sinueux. Ils forment de véritables mailles dans la préparation. On

ne trouve sur leurs parois que de rares noyaux. Enfin, on ren-

contre, principalement aux confinsdes substances griseetbianche,

une grande quantité de cellules araignées de toute dimension

dont quelques-unes poussent leurs prolongements jusqu'à la paroi

des vaisseaux. '- '

Description du cerveau. Ce qui frappe dans l'aspect général

de l'organe, c'est la simplicité, on pourrait dire la rareté des

circonvolutions, et l'énorme hypertrophie de la substance ner-

veuse, surtout dans les lobes frontaux et sphéno-temporalix; le

cerveau est déplissé comme si on l'avait insufflé intérieurement.

On éprouve à le considérer une impression analogue à celle que

produit la vue d'un membre éléphantiasique. Les sillons sont

effacés ou à peine indiqués, les scissures sont droites et tout

d'une pièce. L'hémisphère gauche est absolument schématique;

Fig. 1. -. race externe de l'hémisphère droit du cerveau.

58 RECUEIL DE FAITS.

le droit est d'une conformation un peu moins simple, principale-

ment dans sa moitié postérieure. (Fig. 1 et 2.)

' Scissures. La scissure de Sylvius possède ses deux branches,

mais labranche frontale est à peine indiquée par une simple en-

coche.

Le sillon de Rolaudo est formé à gauche par un sillon sans

sinuosités, légèrement convexe antérieurement; il n'aboutit

pas au bord supérieur de l'hémisphère. Celui de droite a la

forme d'un S et se termine normalement à sa partie postérieure.

Sur les deux hémisphères, le sillon de Rolando est beaucoup moins

marqué que les sillons qui lui sont parallèles et qui isolent la

frontale ascendante des circonvolutions frontales antérieures.

Des deux côtés, la scissure perpendiculaire externe est très mar-

quée et très profonde, et sépare complètement des lobes pariétaux

les lobes occipitaux qui forment calotte, reproduisant ainsi à un

haut degré la disposition simienne. Cette scissure se continue

sans interruption sur la face interne jusqu'à la fente de Bichat.

La scissure interpariétale présente, à gauche, une ligne à deux

courbures et se poursuit sans interruption de son origine au pied

de la pariétale ascendante, à sa terminaison dans le lobe occipi-

tal. A droite, elle est interrompue à son milieu par un pli qui

réunit le lobule pariétal supérieur à l'inférieur.

Les scissures parallèles n'existent pas dans une partie de leur

trajet, effacées par l'hypertrophie.

Circonvolutions. - 1 -Lobe f ? ,ontitl. Les lobules orbitaires pré-

sentent, à peine indiqués, deux légers sillons rectilignes dont l'un

peut correspondre au sillon olfactif.

Le sillon qui sépare les trois frontales antérieures de la frontale

ascendante est interrompu à droite par un pli anastomotique; à

Fig. 2. Face externe de l'hémisphère gauche du cerveau. 1

IDIOTIE AVEC HYPERTROPHIE DU CERVEAU. 59

gauche, il est d'un seul jet, et va se perdre sur la face interne de

l'hémisphère; la scissure frontale supérieure n'existe pour ainsi

dire pas. On ne distingue d'ailleurs bien nettement sur ces lobes

que la première et la'troisième circonvolution, la deuxième se

fondant pour ainsi dire avec la première en haut et en arrière, et

avec la troisième eu bas et en avant. En effet, on distingue, cor-

respondant à ces deux régions, deux énormes méplats, bour-

soufflés, presque sans trace de sillons, dont l'un répond au pied

des deux premières frontales et l'autre à la troisième.

La circonvolution frontale ascendante, très amincie à sa partie

moyenne, rectiligne à gauche, un peu sinueuse à droite, s'unit

à la partie inférieure avec la pariétale ascendante, mais est com-

plètement libre à sa partie supérieure. Le lobule de l'insula est

absolument lisse des deux côtés, présentant une surface bombée

sans trace de digitations.

. 2° Lobes pariétaux. Les deux pariétales ascendantes, très simples

et peu sinueuses, se continuent normalement avec le lobule

pariétal supérieur en haut et le lobule du pli courbe en bas. Le

lobule pariétal supérieur est formé, à gauche, d'un seul pli sinueux

qui va s'amincissant en arrière, et contourne la scissure perpen-

diculaire externe sans anastomose aucune avec les parties voi-

sines. A droite, il e,,t un peu plus développé, et envoie une anas-

tomose au pli combe. A gauche, la circonvolution du pli courbe

forme un vaste plateau où se dessinent deux fossettes allongées; le

pli courbe est très simple et formé par une seule circonvolution

régulière, contournant la scissure parallèle. A droite, la circou-

volution du pli courbe est un peu mieux dessinée, et le pli courbe

un peu plus sinueux, moins haut, et est beaucoup plus volumi-

neux qu'à gauche.

3° Lobes occipitaux . Les deux plis de passage pariéto-occipitaux

sont formés par deux replis très simples qui contournent la scis-

sure perpendiculaire externe sans la moindre duplicature. Les

circonvolutions occipitales sont à peine indiquées.

4° Lobes temporaux. Enormément hypertrophiés, surtout dans

leur partie antérieure, ils ne présentent en avant qu'un sillon peu

profond, de telle sorte que ce n'est qu'en arrière qu'on peut dis-

tinguer ses trois circonvolutions habituelles.

3- Face interne des hémisphères. Les deux circonvolutions fron-

tales internes se développent parallèlement comme deux boudins

accolés l'un à l'autre. A peine quelques fossettes indiquent la

place des sillons normaux. Le lobule paracenlral forme à gauche

une large surface unie avec une simple petite fossette verticale

au centre. Celui de droite est profondément divisé en deux moi-

tiés par le prolongement du sillon qui sépare la frontale ascen-

dante des trois frontales antérieures, disposition qui doit être

60 RECUEIL DE FAITS.

rare. Les lobules quadrilatères présentent quelques sillons en

forme d'X à droite, et à gauche en forme de V. Ils sont énormes.

Autre caractère anormal, les scissures des hippocampes se

continuent directement avec la grande ouverture des hémisphères

sans aucun pli de passage superficiel.

Réflexions. - Dans l'observation qui précède, quelques

points me paraissent dignes de remarque. Hypertrophie à

part, l'étude des circonvolutions nous montre qu'il s'agit d'un

cerveau rudimentaire, et que, eu égard à sa conformation

toute primitive, son possesseur jouissait d'une intelligence

relativement développée. Ce malade n'était pas complète-

ment idiot : il parlait, bien que d'une manière très imparfaite;

il comprenait, agissait, n'était pas absolument dénué de sen-

sibilité affective. C'était plus qu'un imbécile, mais moins

qu'un idiot. La lésion hypertrophique, qui cependant portait

principalement sur les lobes frontaux et plus spécialement, s'il

est possible, sur les troisièmes circonvolutions frontales, ne

s'opposait donc pas, dans une mesure très appréciable, au

libre fonctionnement de l'organe, qui donnait évidemment

tout ce dont il était capable.

L'examen microscopique nous montre à la fois un arrêt de

développement des éléments cellulaires de la substance grise,

c'est-à-dire les caractères de l'idiotie, et un état pathologique

rappelant quelques-unes des lésions de la paralysie générale.

Cet examen m'a immédiatement remémoré le travail de

MM. Bourneville, d'Olier et Brissaud sur la démence épilep-

tique (Archives de Neurologie, n° 2). Les lésions que j'ai cons-

tatées me semblent avoir une grande analogie avec celles que

décrivent ces auteurs dans leur travail. Les épileptiques pré-

sentant quelquefois des adhérences méningées et souvent de

l'hypertrophie cérébrale, la rencontre me semble des plus

naturelles.

Il me semble probable que le développement de cette lésion

cérébrale remontait à l'enfance et s'était arrêté à une époque

antérieure à l'admission du malade à l'asile. Cette opinion

peut être déduite du volume considérable de la tète et de l'ab-

sence absolue, pendant toute cette longue période de vingt-

six années (1857-1883), de symptômes susceptibles d'être rat-

tachés à un travail morbide du côté des centres nerveux. Un

doute est permis cependant, en ce qui concerne les adhérences

corticales constatées à l'autopsie, et dont le début était peut-

IDIOTIE AVEC HYPERTROPHIE DU CERVEAU. 61

être récent. Elles n'auraient, dans tous les cas,provoqué aucun

des symptômes que révèlent d'ordmaire la naissance d'une

méningo-encéphalite. Peut-être se sont elles développées len-

tement et insidieusement sans le cortège habituel des signes

d'une poussée intlammatoire vers les centres nerveux. L'exis-

tence exceptionnellement longue de ce malade et qui aurait

pu se prolonger vraisemblablement longtemps sans la maladie

accidentelle qui l'a emporté, me semble encore venir à l'appui

de ma manière de voir. L'hypertrophie cérébrale constituait

pour son cerveau un état acquis stationnaire, et compatible

avec un fonctionnement régulier.

Il n'en est pas de même dans la plupart des observations

citées par les auteurs et dans lesquelles l'hypertrophie céré-

brale a donné lieu à des symptômes d'une gravité sans cesse

croissante et déterminé finalement la mort des malades. A

ce point de vue donc, au moins, l'observation précédente pré-

sente un côté neuf et digne d'intérêt. L'absence complète des

phénomènes épileptiques qui, d'après les auteurs (Voir Dict.

Encyclop. des sciences médicales, 1 le série, t. XIV, page 303),

sont un des symptômes constants de l'hypertrophie cérébrale,

me semble aussi mériter l'attention.

Parmi les faits plus ou moins analogues, qui, à ma connais-

sance, ont été publiés dans ces dernières années, je citerai les

deux suivants insérés parle D' Brunet, dans les Annales mé-

dico-psychologiques en mars 1874, et qui appartiennent à un

mémoire intitulé : « Hypertrophie du cerveau ». Il s'agit des

observations II et III de ce travail. En voici le résumé :

1° Idiot, extrêmement méchant, ne parlant pa-, mais compre-

nant très bien ce qu'on lui disait, d'une taille de I m. 35, devenu

épileptique à l'âge de douze ans et mort à dix-sept ans à la suite

d'attaques convulsives répétées. A l'autopsie, on constate que les

os du crâne sont minces, les circonvolutions aplaties, l'encéphale

pèse 4,632 gr., et les deux hémisphères non dépouillés des mem-

branes atteignent le poids de 1,450 gr. - «Le cerveau, dit

M. Brunet, forme deux saillies prononcées à quelques centimètres

de l'extrémité postérieure, les circonvolutions sont tassées les

unes contre les autres, aplaties et les an fractuosités qui les séparent

sont peu profondes... Cet aplatissement est surtout très marqué

sur le tiers antérieur des faces externes; la substance corticale

est plus colorée qu'à l'état normal, la substance blanche est très

injectée; les rapports d'épaisseur de la substance corticale à la

substance blanche sont les mêmes qu'à l'état normal; pas de

63 REVUE CRITIQUE.

lésions locales. La troisième circonvolution frontale des deux

hémisphères est aplatie. Le lobule de l'insula est normal et ses

circonvolutions bien dessinées. »

2° Idiot de dix-neuf ans, mort dans le marasme. L'encéphale

pèse < ,780 gr., l'hémisphère droit 820 etle gauche 790. Sur le tiers

antérieur, les membranes sont adhérentes et entraînent en plu-

sieurs points des portions de substance corticale très ramollie.

Presque partout la substance grise est plus colorée qu'à l'état

normal : « les circonvolutions cérébrales ne sont ni aplaties ni

tassées ».

La première de ces observations a beaucoup de rapport

avec celle qui fait l'objet de ce travail. La seconde s'en rap-

proche surtout en ce qu'on y constate de la meningo-encépha-

lite, avec adhérences corticales dans les régions antérieures

du cerveau.

REVUE CRITIQUE

LA PARANOÏA

DÉLIRES SYSTÉMATISÉS ET DÉGÉNÉRESCENCES' MENTALES

' Historique' et critique;

Par J. SÉGLAS, médecin -adjoint de l'hospice de Blcètre.

Depuis plusieurs années, on voit décrites à chaque pas dans

les livres étrangers, surtout allemands et italiens, des modalités

vésaniques désignées du nom de Paranoïa, Verrûcktheit, Wahn-

sinn. Bien que toutes ces formes aient été étudiées en France,

on n'a pas envisagé la question sous le même aspect ; aussi

éprouve-t-on parfois des difficultés à se rendre compte de la

valeur de certains termes particuliers et de la place que doi-

vent tenir en psychiatrie les faits auxquels ils servent d'éti-

quette. D'un autre côté, l'étude des dégénérescences mentales

étant partout à l'ordre du jour, et se rapportant directement à

LA PARANOÏA. 63

la question de la Paranoïa, il nous a semblé qu'une revue des

principaux travaux publiés jusqu'ici sur ce sujet ne serait pas

hors de saison et pourrait peut-être présenter quelqu'utilité.

I.

Donner d'emblée une définition exacte de la Paranoïa nous

parait difficile pour ne pas dire impossible. En effet, il n'est

peut-être pas de mot en psychiatrie qui ait une acception plus

vaste et plus mal définie; l'accord étant loin d'être fait encore

parmi les aliénistes qui ont écrit sur la matière. Ce terme

d'ailleurs n'a pas de signification très précise par lui-même,

comme on peut le déduire de son étymologie (7rocpot auprès de,

à côté de, presque, de travers, et voew penser, être sage). Aussi

différents auteurs, la prenant soit dans un sens soit dans

l'autre, lui donnent le sens de déviation de l'intelligence ou de

intelligence incomplète. Cette ambiguïté pour d'autres plai-

derait en faveur de l'excellence de ce terme indiquant à la fois

une altération qualitative et quantitative de l'intelligence.

Mais c'est là déjà préjuger trop vite de la nature de l'affection

que ce mot désigne. Disons simplement pour le moment que

nous trouverons le terme Paranira employé par les auteurs con-

curremment avec les mots allemands Verrûcktheit ou Wahnsinn,

le premier cependant se rapprochant plus du mot Paranoia par

le sens qu'on lui donne (délire systématique enté sur une

intelligence incomplètement développée), tandis que le mot

Wahnsinn désignerait simplement l'altération qualitative de

l'esprit. Tout cela ressortira mieux de l'exposé qui va suivre ;

en attendant nous dirons seulement que tous ces termes peu-

vent se traduire en français par l'expression de folie systématisée

ou de délire systématisé, qui englobe toutes les formes de Para-

nota décrites par les auteurs ; qu'il y ait avec le délire coïnci- l

dence ou absence d'un fond mental faible, présence ou absence

d'un état psychoneurotique antérieur (manie ou mélancolie).

II. i

11 y a déjà de nombreuses années, que le vocable Paranoïa

est employé en psychiatrie. En effet, si l'on en croit Bucknill

6 4 REVUE CRITIQUE.

et Tuke, Vogel en 1764 se servait déjà de ce terme et sous le

nom de Paranoïa comprenait neuf classes de phrénopathies,

parmi lesquelles la manie, la mélancolie, la démence. Nous

sommes loin comme on le verra, de la conception moderne de

la Paranoïa.

En 18t8, nous retrouvons le terme paranoïa employé par

Heinroth ', mais il n'en a qu'une idée vague et peu précise.

Cependant sous le nom d'Ectasa's paranoi.ra, il a décrit certains

états secondaires d'exaltation mentale avec conceptions déli-

rantes fixes et sentiment exagéré de la personnalité.

Nous retrouvons ces idées dans Esquirol 2 qui décrit les

monomanies intellectuelles et rapporte plusieurs observations

dans lesquelles il insiste surtout sur les idées de grandeurs.

En Allemagne Griesingerl (1845) décrit la folie systématisée

(p. 382) (Die Ve7@ûcktheil) et la considère comme une maladie

toujours secondaire et consécutive à la mélancolie ou à la

manie. Il signale aussi le petit nombre des conceptions déli-

rantes fixes que le malade répète constamment. Ces idées qui

se rapportent toujours à la personnalité de l'individu, à ses

rapports avec le monde, peuvent être actives, exaltées, (idées

de grandeur) ou passives (idées de persécution). On peut ainsi

distinguer deux formes de folie systématisée. En plus Griesinger

classe cette vésanie parmi les états secondaires d'affaiblisse-

ment intellectuel expliquant ainsi la formation et la perma-

nence du délire. A côté de cette forme secondaire nous

trouvons une autre forme Wahnsinn (p. 357), état d'exalta-

tion mentale avec conceptions délirantes fixes de nature ambi-

tieuse. - Nous noterons que cette monomanie exaltée est

absolument confondue avec la période prodromique de la

paralysie générale et certains états d'excitation maniaque.

A la même époque (185), Ellinger * admettait à côté de la

forme secondaire une autre forme de folie systématisée

(Verrückhait) primitive, mais sans la décrire. 1

En somme, jusqu'ici, nous n'avons rien de bien net sur la

folie systématisée; et si cette conception a été entrevue, elle n'a

pas été l'objet d'une description particulière exacte. C'est La-

' Ueinroth. Lehrbucie der St6rt : ngen des Seelenlebens, 1818.

2 Esquirol. Des maladies mentales... T. II, 1838.

a Griesinger. Traité des maladies mentales. Traduction française

de Doumic, 1865.

« Ellinger. Ally. Zeet ? Psych., anno il, 1845.

LA PARANOÏA 65

sègue qui devait combler cette lacune, et l'on peut dire avec

Witkowski', que c'est à lui que revient la première place dans

la description de la folie systématisée par son étude sur le

délire des persécutions 2 (1853).

Nous retrouvons la folie systématisée dans les ouvrages de

Morel. Dans ses Etudes cliniques 3 (1852), il donne des obser-

vations de la transformation chez les héréditaires vésaniques

des idées hypocondriaques en idées de persécution, puis de

grandeur. Dans soc Traité des maladies mentales (1860), il

adopte le mot de folie systématisée, le substituant à celui de

monomanie dû à Esquirol, et séparant ces états de la démence,

à l'inverse de Griesinger. Ses deux premières classes d'aliéna-

tions héréditaires comprennent à peu près tout le cadre de ce

qui a été décrit plus tard sous le nom de délires systématisés

primitifs. Il décrit les idées tixes, les excentricités, les bizar-

rfries des héréditaires, insiste sur la très grande fréquence de

la systématisation dans ces formes, sur la rapidité de l'appari-

tion et de la disparition des idées délirantes dans certains cas,

sur le développement lent, mais continu dans d'autres, tout cela

se passant sur un fond d'affaiblissement, ou plutôt de déséquih-

bration mentale. Le même auteur décrit aussi la fusion des

deux formes, expansive et dépressive, de certains délires systé-

matisés comparables aux états héréditaires, le passage de l'hy-

pochondrie au délire de persécution (hypocondrie transformée)

et de là au délire des grandeurs, et l'incurabilité de cette forme

à évolution parfois rémittente, mais continue, dont le terme est

la démence.

En somme, on le voit avec ces deux maîtres, la psychiatrie

française décrit la première la folie systématisée primitive. Nous

pouvons citer encore dans ce sens les travaux de Lélut et de

Voisin sur la folie sensorielle que certains auteurs ont regardée

depuis comme une forme aiguë de Paranoïa (Westphal). Depuis

cette époque, peu de chose, au moins jusqu'à ces dernières

années, a été fait dans notre pays sur ce sujet; et si l'on peut

dire que la théorie de la Paranoïa a germé en France, il faut

' Wukowski. Beerliner klinische bVochenschr... 1876.

' LasÈuB- Arch. demed., 1852.

' Morel. Etudes cliniques 1852, t. 1, p. 163 à 106 et 363 à 367.

à Morel. Traité des maladies mentales, I S60 .

Archives, t. XIII. 5

66 REVUE CRITIQUE.

reconnaître, comme nous Talions voir, que c'est à l'étranger,

surtout en Allemagne, qu'elle s'est développée.

En 1863, Kahlbaum' reste fidèle à la doctrine de Griesinger

sur l'origine secondaire de la folie systématisée, en admettant

cependant la possibilité d'une forme primitive.

C'est Snell 2, qui le premier, en 1865, décrit nettement une

forme fondamentale, distincte de la manie et de la mélancolie,

et caractérisée par l'apparition primitive de séries d'idées déli-

rantes particulières de contenu mixte (persécution et grandeur)

et accompagnées d'hallucinations (pî,i2nâi-e oder eigentlzclaer

Wahnsinn). Les idées délirantes en outre n'auraient pas, comme

dans les autres formes, un retentissement sur toute la vie men-

tale, une tendance à la généralisation. Le symptôme le plus

saillant serait un délire de persécution avec exagération du

sentiment de la personnalité et tendance à l'activité au lieu de

lapassivité, différant en cela de la mélancolie. On peut observer

aussi des délires de grandeurs également primitifs, contempo-

rains ou consécutifs au délire de persécution, et amenant une

transformation de la personnalité.. Le développement de ces

formesvésaniques estlent, quelquefois cependantelles débutent

brusquement par de l'excitation mentale. Le pronostic est mau-

vais, cependant on n'observe jamais dans ces cas une démence

consécutive véritable.

En 1867, Griesinger 3 revenant sur l'opinion qu'il avait pro-

fessée antérieurement, admet maintenant avec Snell l'origine

primitive des états mixtes (délires de persécution et de grandeur)

et les décrit sous le nom de Primâre Verrizclclheit. 11 signale

en plus les formes hypocondriaque et érotique.

Sànder4, poussant plus loin l'analyse, étudie en 1868 une

forme spécialede Przmâre Veî,i,ückikeit, qu'il appelle originàre.

Il en montre les caractères dégénératifs communs aussi d'ailleurs

aux autres formes primitives et la note distinctive consistant

dans l'origine congénitale. Les malades naissent avec des pré-

dispositions héréditaires qui se manifestent dès l'enfance (ano-

' KaMbaum. Gruppirung der psychische ? t K2-aitkheile;i. Daiitzi ? 1863.

2 Snell. Ueber Monomanie, als p)- ? 71a-e Forme der Seelenstôrung

(Allg. Zeil. f. Ps/ch., 1865. B, XXII, p. 368.

a Griesinger. Vortrag aunt L ? ,6#nuttg der p ? e/a ? cAe /7tt ? -U

Berlzn, 2 niai 1867 (Arch. f. pst/clt. B. I, p. 14S, 1867).

4 Sander. Uebereine specielle For»t Ier primâren Verrticklheit, (Arch.

f.Psych., 1868-1869, B. I, p. 387.)

. LA PARANOÏA 67

malies de l'intelligence, du caractère, des sentiments, de la

conformation physique). Arrivés à l'époque de la puberté, ils

suivent deux routes : les uns, trop mal armés, succombent dans

la lutte pour l'existence ; ils sont pris d'hallucinations, de con-

ceptions délirantes, et tombent rapidement dans la démence.

Les autres résistent plus longtemps et vivent dans la société où

ils se font remarquer parleurs bizarreries, leurs excentricités;

ils sont émotifs, méfiants, misanthropes, souvent onanistes.

Dans ces cas, surviennent souvent des illusions et des halluci-

nations. Le subjectivisme morbide auquel ces sujets sont en

proie, rapportant tout à eux-mêmes, s'exagère; il en est de

même des autres travers de leur caractère, qui semblent

s'hypertrophier, et alors arrivent les idées systématisées de per-

sécution, d'empoisonnement, etc., variant de couleur suivant

l'éducation du malade, le milieu où il vit. A côté de ce déve-

loppement lent et graduel, Sander signale encore la fréquence

des rémissions et le peu de tendance à la démence. Quant à

l'étiologie de ces délires originels, il faut la chercher le plus

souvent dans l'hérédité et dans les maladies nerveuses et céré-

brales de l'enfance entravant le développement normal du cer-

veau. La pédérastie et les perversions sexuelles seraient carac-

téristiques de la forme originaire de la folie systématisée

(p. 1269).

En 1873, Snell décrit sous le nom de, folie systématisée

( Wahnsinn) consécutive à'ta mélancolie, à la manie ou à l'épi-

lepsie une folie systématisée secondaire ou impropre, adoptée

depuis par Hertz ', Ripping, Nasse. '

Saint en 1874 décrit la variété hallucinatoire de la forme

originaire de Sander, en la divisant en deux sous-variétés. La

première, hallucinatoire dépressive, après une période d'incu-

bation très longue, éclate souvent à la ménopause chez la

femme. Ce sont les hallucinations de l'ouïe qui ouvrent la scène.

Les idées de persécution qui les accompagnent ne sont qu'un

syndrome non caractéristique se retrouvaut dans d'autres

formes de folie. Les idées fixes ont pour Samt la même base

pathologique que l'hallucination, et ne sont pas une tentative

d'explication de la part du malade. On observe aussi des

Hertz. All,g. Zeitsch. f. Psych. B. XXXIV.

'Samt. Die z Méthode in der Psi/ Mutin».

Berlin 1874, p. 38, li2 ...

68 REVUE CRITIQUE.

hallucinations des autres sens, mais rarement de la vue; le

délire dans lequel il n'y a pas de signes d'affaiblissement intel-

lectuel a une marche très lente avec des exacerbations et des

rémissions : il n'aboutit qu'exceptionnellement au délire des

grandeurs. La seconde sous-variété, hallucinatoire exaltée, se

distingue par la prédominance des hallucinatious visuelles,

suivies généralement d'un stade d'excitation. On observe aussi

des hallucinations auditives, mais très vagues. Ce délire à

marche irrégulière, ne s'accompagne pas non plus de signes

d'affaiblissement intellectuel. Comme exemple, nous avons le

délire religieux et le vrai délire des grandeurs.

Westphal le premier, eu 1878, décrit la forme aiguë et tente

une classification de la folie systématisée (Verrüclclkeil) qu'il

divise en quatre groupes ' : 1° La forme hypochondriaque déjà

décrite par Morel, à marche chronique, avec des rémissions

typiques. Les troubles de la sensibilité générale constituent

le substratum du délire de persécution s'accompagnant d'illu-

sions et d'hallucinations.- 2° La forme chronique àdébutlent,

à marche rémittente. Les hallucinations et le délire de persé-

cution apparaissent les premiers, tantôt l'un, tantôt l'autre, et

ne sont pas précédés d'un stade hypochondriaque. Au bout

d'un certain temps, viennent s'ajouter des idées de grandeur.

- 3°La Jormeaiguë est caractérisée par l'explosion subite d'hal-

lucinations surtout de l'ouïe et souvent terrifiantes, s'accompa-

gnant d'idées de persécution. A l'acmé de la maladie, l'inco-

hérence est telle qu'on croirait à un délire fébrile. Dans cer-

tains cas il y a des impulsions; dans d'autres, au contraire,

anéantissement complet. Aussi Westphal fait-il rentrer dans

ce groupe beaucoup de cas de mélancolie avec stupeur et les

catatoniques de Kahlbaum 1. Ces délires aboutissent brusque-

ment ou graduellement à la guérison. 4° La dernière forme

n'est autre que La forme originelle de Sander, la seule dans la-

quelle Westphal admette un fond de dégénérescence.

Tandis que certains auteurs, comme nous l'avons vu plus

haut, s'en tiennent la terminologie de Snell, d'autres adoptent

celle de Westphal; ce sont : Leidesdorf, Koch, Jung, Schuele

Merklin.

1 Westphal. - Ueber die Venrüchtlceit (Allg. Zeit. f. Psych. B. X 11V,

p. 252, 1878.)

Kahlbaum. - Die Calalonie, Berlin, 1874.

LA PARANOÏA 69

Murh ', en 1876, rapporte l'autopsie d'un individu atteint de

folie systématisée non originaire, dans lequel il y avait une

atrophie de l'hémisphère droit du cerveau.

Leidesdorf 2 (1S78) revient sur la théorie des folies systéma-

tisées secondaires ; il va même jusqu'à l'exagération en admet-

tant comme états primitifs non seulement des états psycho-

neurotiques, mais encore des maladies infantiles, des trauma-

tismes, qui ne sont souvent que des causes.

Fristh3 (1878) étudie les rapports des conceptions délirantes

avec l'état émotionnel. Chez le maniaque et le mélancolique,

l'idée est secondaire et procède de J'état émotionnel ; ce serait

l'inverse dans la folie systématisée.

Kahlbaum (1878) frappé des différences d'intensité qui dis-

tinguent les délires systématisés secondaires des primitifs,

propose, pour ne pas les confondre, de conserver aux primitifs

le nom de Paranoïa et de donner aux autres le vieux nom de

Ve2,rùckthez't.

Scbuele8, en 1878, décrit la Verrùcktheit parmi les formes

dégénératives, et place la Wahnsinn parmi les psychonévroses,

entre la manie et la mélancolie d'un côté et la démence de

l'autre. Nous aurons l'occasion de revenir plus en détail sur

les idées que cet auteur à émises à ce propos dans la dernière

édition de son traité.

Emminghaus (IS78) partage ces idées.

Nous signalerons encore cette même année un travail de

Feauxl sur la folie systématisée hallucinatoire, correspondant

à la forme aiguë de Westphal.

\lerklin 8 (t879) et Schaefer adoptent la classification de

IUI'I1.- Anatomische Befii71de bei emem Faite von Verrùcktheit (Arch.

f. Psych., 1S76. B. VI, p. z

2 Leidesdorf. Casuistiche Beitrtige aur Frage der primaren Ver-i4c-

A(Ae. 7 ! tp/cA. Studien. Wien, 1877.

'Fristh. Psych. Centralb., 18-48. - Voir aussi : Fristh. Zur

Frage der Primdren fe)'7'McA</tf't'< (Jnlzrb. f. psych., t879.)

1 Kahlbaum. Sammlung klmischer Vortrage, no 126. Leipsick, 1878.

» Schuele. Handbuch der Gezsterstdr2eng, 1878.

° Emminghaus. A ligem. Psychopath., 1878.

' Féaux.- Ueber die hallucizzat. Wahnsinn, inaug. diss. lllarburg, 1978.

8 Meiklin. Stu(lieiz ueber die Primâre Yerrucktlaeit, diss. znaug.Dor-

pat, 1879.

» Schaefer. Ueber die Formen der etc ? (Alla. Zeits. f.

Psych. 13. XXXVII, p. 55.)

70 REVUE CRITIQUE.

Westphal et décrivent en plus une forme hystérique analogue

dans sa marche à l'hypochondriaque, mais sans les rémissions

typiques de cette dernière; le délire' généralement dans ces

cas une couleur érotique.

Krafft-Ebing1 dès la première édition de sonLehrbuch (1879),

puis dans la seconde donne une description de la Paranoïa. Il

place la forme primitive parmi les dégénérescences mentales :

pour lui, c'est une forme morbide qui ne peut se' développer que

dans uu cerceau' touché le plus souvent héréditairement ; le

fond sur lequel elle repose est constitué par des idées délirantes

dont l'origine primitive est bien démontrée par l'absence de

tout fond émotionnel ou d'un processus de réflexion ayant pu

donner lieu' aux 'idées délirantes; la maladie a un caractère

stable, profondément constitutionnel. Elle ne conduit pas à la

démence, mais laisse le plus souvent intact l'appareil logique

de la. pensée. Krafft-Ebing étudie la' constitution psychique de

ces malades et montre qu'en somme le délire qui éclate plus

tard n'est que l'exagération de leur caractère, si bien que sou-

vent le développement graduel empêche d'assigner ;au début

une date précise'. Le symptôme dominant dans cette maladie

est le subjectivisme morbide déjà signalé par Sander et l'exa-

gération du sentiment de la personnalité. Krafft-Ebing distingue

deux sortes de Paranoïa, primitive : l'une avec délire des persé-

cutions, qu'il décrit complètement avec ses trois périodes hypo-

chondriaque , de persécution , de grandeur ; avec sa sous-

variété, la folie de la chicane, où ce n'est plus la vie du

malade, mais ses intérêts qui sont en jeu, et dans laquelle

il réagit d'une façon continue devenant persécuteur au lieu de

persécuté. C'est là que les tares dégénératives sont des plus

évidentes, La seconde forme, le délire des grandeurs, est étudié

aussi dans ses variétés religieuse et érotique (érotomanie).

Les causes occasionnelles sont le plus souvent la puberté, la

ménopause, les affections utérines et intestinales, les mala-

dies fébriles, l'onanisme. A ce propos même, l'auteur étudiant

la fusion de la paranoia avec l'hypochondrie, décrit, comme

sous-variété de la Paranoia hypochondriaque avec délire de

persécution (forme secondaire), la Paranoia des masturbateurs,

se développant toujours sur un fond neurasthénique et dans

1 Krafft-Ebing. Lehrbuch der Psych... Stuttgart, 1879. B. II. Voir

aussi : /.eAr&ue/t6<e) ? )'tc/t</tc/p/e/tO-Pn ? o/oy ! e. Stuttgart, 1881.

LA PARANOÏA 71

laquelle on observe souvent des idées de persécution par Té-

lectro-magnétisme, des hallucinations olfactives'. Quant aux

délires systématisés que l'on rencontre parfois chez les hysté-

riques, les épileptiques, et surtout les alcooliques, ce ne sont

pas des formes caractéristiques spéciales, mais elles doivent

être rapportées à la névrose primitive ou à' l'intoxication. En

particulier, Krafft-Ebing range parmi les folies alcooliques, le

délire de persécution des buveurs aliénés décrit par Calmeil et

Thomeuf 'l, et par Nasse 1. - Les idées fixes, sont séparées de

la Paranoia primitive, tout en étant classées à côté d'elle dans

les dégénérescences mentales. Quant à la Paranoia secondaire,

l'auteur la regarde simplement comme une des terminaisons

possibles des psychoneuroses 4, et comme un état secondaire

d'affaiblissement psychique ; d'où la nature pâle, monotone,

invariable du délire, différant en cela de celui des formes pri-

mitives ; les folies secondaires seraient surtout l'issue d'états

mélancoliques plutôt que d'états maniaques. 1

Krafft-Ebing nie complètement l'existence de la forme aiguë,

et réunit sous le nom de Wahnsinn hallucinatoire la Paranoïa

aiguë primitive de Westphal la forme aiguë hallucinatoire

de délire sensoriel de Meynert', la manie hallucinatoire de

Mendel7, la delusional stzspor de Newington, la démence gé-

nérale aiguë et subaiguë de Tilling8. Dans ces formes psycho-

neurotiques, il n'y aurait jamais, d'après lui, une systémati-

sation nette du délire qui ne serait pas aussi' stable, et ne

s'accompagnerait pas des altérations durables de la personna-

lité, qui sont la règle dans la Paranoia primitive'.

i Voir aussi : Krafft-Ebino. Ueber 1)î,iniai-e Ver-ücktheit aufmastur-

baforisclrer Grundlnge bei Mânnei-n. Irrenfreund XX.

2 Calmeil et Thomeuf. Gazette des hôpitaux, 1856.

3 Nasse. Allg. Zeitsch. f. Psych. B. XXXIV, p. 167, 1878.

'Nous avons vu plus haut que, parmi ces formes, se range aussi la

Paranoia hypocondriaque que Krafft-Ebing regarde comme une des

terminaisons possibles des formes graves de l'hypochondne, l'autre

étant la démence.

6 \Vestplwl. Loc. cit.

. a 111eynert. Acute Formai des ïya/t ? ? tH ? ts. Jahrb. f. Psych. B. II

1881.

' Mendel. Die Manie, 1882, p. 55.

» Tilling. Psych. Centralb., 1878, ne li et 5.

» L'exposé sommaire de la classification de Krafft-Ebing rendra peut-

72 1) REVUE CRITIQUE.

Koch' partage à ce sujet l'avis de Kraflt-Ebing.

Scholz", la même année (1880), revient sur la distinction

déjà faite par Samt, et distingue deux. formes principales de la

maladie, eu éqard à la pathogénie : 1° la forme originaire de

Sander; 2° la forme hallucinatoire. Voici le résumé de sa théo-

rie3 : On ne peut expliquer l'origine des délires systématisés

sans tenir compte de la vie psychique inconsciente. Si, dans

les conditions physiologiques, la sphère de l'inconscient est le

fondement sur lequel s'organisent les processus psychiques

élémentaires dont les résultats finaux entrent ensuite dans le

domaine de la conscience, ainsi dans les maladies qui nous

occupent, les représentations mentales doivent être le résultat

définitif des activités inconscientes du cerveau, avec cette diffé-

rence cependant que ces activités dérivent d'anomalies molé-

culaires des cellules nerveuses. Le mécanisme psychique est

alors guidé par de fausses prémisses et si l'appareil logique

fonctionne régulièrement, c'est que sans doute il n'y a pas de

modifications anatomiques profondes. Dans la forme aiguë, au

contraire, l'inconscient n'a rien à voir; la genèse de la mala-

être plus claires les considérations qui précèdent. Voici les grandes

lignes de cette classification.

A. Maladies psychiques du cerveau bien développé.

LA PARANOÏA 73

die est due aux perceptions' morbides qui, pour Scholz, ne se

développent pas dans les centres corticaux, mais dans les appa-

reils périphériques ou les voies conductrices. Mais il faut tou-

jours un cerveau disposé pathologiquement à transformer en

fausses perceptions l'excitation première. Aussi le délire hal-

lucinatoire se développe-t-il le plus souvent dans la convales-

cence des affections fébriles. A la suite des hallucinations,

apparaît alors le délire.

1-(eynert' (1881) décrit également la forme aiguë (halluci-

natoire) des délires systématisés (Wahnsinn).

Max Buch2 (1881) rapporte un cas de folie systématisée

aiguë primitive survenue chez un homme, épileptique dès

l'enfance, présentant des antécédents héréditaires.

Le travail de Kandinslcig et le livre de Weiss y (188f ), ne nous

apprennent rien de nouveau sur le sujet qui nous occupe.

Pelmans (1882) nie l'existence delà forme secondaire et

partage les idées de Koch, de Krafft-Ebing, etc., à ce sujet.

Gnauclcs (1S83) décrit une forme de Paranoia épileptique

qu'il sépare de l'épilepsie en méconnaissant son caractère pa-

thogénique. '

Aloeli7 (188 : ) décrit des cas de folie systématisée, déve-

loppés à la suite de maladies fébriles, de l'état puerpéral, d'a-

bus alcooliques.

Junn$(188-2) donne le diagnostic différentiel des délires

systématisés et des formes affectives primitives (manie et mé-

1 Meynert. Die acuten (hallucinatorischen) rormrn des Wahnsinni

und ihr Yerlauf (Jai-h. f. psych. B. II, 1881.)

2 Max Buch.Eitt ? a/<t)0tt actcten prinutrer I'erruclclheit tArcle. psych.

persécution, du dédoublement de la personnalité, des hallucinations de

la vue et de l'ouie surtout du côté gauche atteint d'une otite moyenne

avec perforation du tympan datant de l'enfance. L'auteur rend cette otite

responsable de tout, ayant observe une amélioration à la suite d'un

traitement local.

3 Kandinski. Arch. f. Psych. B. XI, 188 1.

4 Weiss. - Compend. der Psych. Vienne, 1881. Cap. IV : Die

1'errucktheit.

5 Pelman Allg. Zeitsch. /. Psych. Brui. XXXVII, p. 58 du Supplé-

ment, 1882.

° Cuauck. Arch. f. Psych. B. XII, 1882, p. 337.

1 llcelt. - Faite HOM l'ei ? iiekthe7t, in Charités Annales, Vil, 1881

8 .lung. - Allg. Zeitsch. /. Psl/ch. B. XXXVIII, p. 361, 1882.

74 REVUE CRITIQUE.

lancolie), rééditant à ce sujet les idées de Fristh. (Voy. p. 6.)

Il signale l'augmentation, dans ces dernières années, des cas

de Paranoia, et cette transformation des formes de la folie

serait due pour lui à la dégénérescence somatique et psychique

de l'humanité, gagnant du terrain de jour en jour.

Raucli (1883) n'émet sur le sujet aucune idée originale.

Tuczek 2, étudiant l'hypochondrie, dit que ce n'est pas

une maladie autonome, mais un symptôme de mélancolie ou

de folie systématique. Il se sépare de Krafft-Ebing, en ce que

pour lui la mélancolie dite hypochondriaque ne se transforme

pas en folie systématique et la folie systématique hypcchon-

driaque n'aboutit pas à la démence.

Sakaki 1 (1883) décrit l'examen microscopique du cerveau

d'un fou systématique chronique halluciné.

Kroepehn* (1883) distingue : 1° la Primâre herrüclcllzeit sans

état de débilité mental et comprenant le délire des persécu-

tions, le délire des grandeurs, les délires erotique et religieux;

puis, 2° la Secundài-e Verrüclcthezt entée sur un fonds de dégéné-

rescence et survenant plutôt après les états de dépression qu'a-

près les états maniaques. Il tait ressortir comme Koch, Pel-

man, Krafft-Ebing, le caractère pâle et décoloré de la forme

secondaire; il n'admet pas l'existence des formes aiguës, tout

en décrivant des cas à marche aiguë, guérissant en quelques

semaines ou quelques mois. Il décrit complètement le délire

des processifs et le regarde comme une manifestation de la fo-

lie morale, à cause du manque des hallucinations qui sont or-

dinaires dans les délires systématisés, et à cause aussi de l'ab-

sence de notions du droit objectif et de l'identification des

intérêts personnels avec le bien général.

1 Rauch. Die p2,inzo;d. Verruck, Leipsick, 1883.

2 Tuczek. -Allg. Zeitsch. f. Psych., B. XXXIX, 1883. Congrès annuel

de la Société des médecins aliénistes allemands. Session d'Eisenach,

1882.

3 Sakaki.Ge/t ! '7')< : ne/t ! '07tMeAe) : Verrüctktheit (lllg. Zeit.sck. f. Psgch., >

B. XL, 1883). L'auteur a trouvé dans ce cas une altération des espaces

péricellulaires de l'écorce surtout à la superficie des circonvolutions et la

présence d'une substance floconneuse jaunâtre, analogue à celle déjà

décrite par Mendel chez les paralytiques généraux : le siège prédominant

de ces lésions était la pointe du lobule temporo-sphénoidal, l'insula, les

circonvolutions ascendantes.

Kroepelm. - Conzpend. der Psych. Leipsik, 1883.

LA PARANOÏA 75

Arndt' range la Paranoia parmi les psychoses atypiques ou

états d'affaiblissement psychique et il en reconnaît deux for-

mes : 1° l'une, secondaire, classée parmi les psychoses atypi-

ques secondaires; 2° l'autre, primitive, classée parmi les psy-

choses atypiques primitives à côté de l'idiotie, de l'imbécillité,

du crétinisme. Cette dernière forme (Paranoia primitive origi-

nelle), comprend « la folie morale, p la paranoia partielle

(rudimentaire ou idées fixes qu'il décrit le premier et délire des

persécutions), y la Paranoia universelle qui n'est que la généra-

lisation de la précédente.

Mendel 2 (1883) donne une classification complète de la Para-

noia, terme qu'il adopte définitivement. Il insiste surtout sur

la Paranoia primitive qu'il divise en simple et en hallucinatoire

chacune pouvant être aiguë ou chronique, La forme aiguë de

la Paranoia primitive simple débute généralement sans pro-

dromes et se caractérise par un délire de persécutions vagues

sans persécuteurs. Ces malades n'ont pas d'hallucinations, ils

peuvent guérir ou passer à l'état chronique. La forme chro-

nique peut se diviser en trois périodes. Le début de la première

est difficile à préciser, et remonte souvent jusqu'àla jeunesse :

elle se caractérise surtout par des tendances hypochondriaques.

Puis, dans la seconde période apparaît un délire de persécutions

à développement lent qui s'accompagne par la suite d'un délire

de grandeurs; c'est surtout ce délire qui caractérise la troisième

période, laquelle peut aboutir à la démence. Comme variétés

de cette forme, Mendel décrit la Paranoia originaire toujours

1 Arndt. Leh2,buchde ? , Psychiatrie, etc. Vienne, 1883. Voici les traits

principaux de sa classification :

76 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE.

héréditaire et dégénérative et le délire de la chicane, forme

atténuée du délire de persécution, et dans lequel le fond dégé

nératif est très contestable. (A siiivi-e.)

REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE

I. SUR LES parties constituantes DES cordons postérieurs DE la

MOELLE. ÉTUDE BASÉE SUR L'EXAMEN DE LEUR DÉVELOPPEMENT; par

W. BECHTEREW. (Neurol. Centi-albl., 1885.)

Examen, à l'aide de la méthode de Weigert, de moelles d'em-

bryons de cinq, six, sept, huit mois; étude du développement des

fibres d'après 1 évolution de la myéline. Le revêtement myélinique

des fibres a, dans les cordons postérieurs, à peu près terminé son

évolution pendant le huitième mois de la vie intra-utérine, il

s'effectue dans l'ensemble des segments de ce système, non en

même temps, mais par étapes successives, par séries de faisceaux

de diverses sortes. On constate que la myéline apparaît d'abord

dans la partie antéro-externe des faisceaux de Burdach, qui

limite la corne postérieure et constitue une émanation des fibres

radiculaires (portion radiculaire). Elle se montre ensuite dans la

portion postéro-périphérique des faisceaux de Burdach. Enfin, les

faisceaux de Goll s'en trouvent pourvus. L'embryogénie des fais-

ceaux de Burdach est en concordance parfaite avec l'anatomie

pathologique du tabes; chacune de leurs parties peut être isolé-

ment malade; il est, par conséquent, extrêmement probable que

la variété dan» la symptomatologie de l'ataxie locomotrice au

début tient à ce que la lésion se localise d'abord à tel ou tel seg-

ment des faisceaux de Burdach. P. K..

II. CONTRIBUTION A la connaissance DU trajet DES fibres DU CORDON

postérieur dans la moelle allongée ET LE pédoncule cérébelleux

inférieur; par L. Edinger. (Neùi»ol. Centralbl., 1885.)

Recherches embryogéniques sur des foetus de huit mois, à l'aide

de la méthode de Weigert, dans le but d'élucider cette question.

Les fibres des cordons postérieurs traversent-elles les olives pour

gagner le corps restiforme ?

REVUE nANA'l'0111111 E't' DU PHYSIOLOGIE. 77 i

A la hauteur de l'entrecroisement des pyramides, vers l'extrémité supé-

rinire de cet entrecroisement, les faisceaux de Burdach donnent des

fibres qui, en s'arquant légèrement, traversent la substance grise, s'en-

trecroisent en avant du canal cervical et se placent en dehors des fais-

ceaux pyramidaux, entre eux et la corne antérieure rompue, ou mieux

entre eux et l'olive appliquée sur la face antérieure de la corne anté-

rieure. Leur entrecroisement s'appelle entrecroisement supérieur des

pyramides, entrecroisement du ruban de Reil. Cette partie supérieure de

'entrecroisement des pyramides, qui émane des cordons postérieurs est,

embryogéniquement. pourvue de myéline avant les pyramides proprement

dites. L'entrecroisement du ruban de Reil monte et se continue jusqu'à

ce que tous les libies des cordons postérieurs soient parvenus à la

couche intermédiaire des olives. Plus haut, au point où la moelle allongée

s'est enrichie du système des olives et d'un nombre croissant de fibres

réticulaires, les faisceaux des cordons postérieurs tracent ils travers la

substance grise, sous le nom de fibres ara formes, des cercles allongés

pour gagner la couche olivâtre du côte oppose; beaucoup d'entre eux tra-

versent l'olive du même côté, mais sans entrer en rappoi t avec elle ni

avec la substance réticulaire : dans les olives et autour d'elles, on ne

voit encore aucune fibre à myéline. Chez les foetus plus âgés, les olives

possèdent des fibres qui leur appartiennent, d'où l'erreur que les fibres

des cordons postérieurs viennent se rendre aux olives mêmes. La vérité

.est qu'il ne demeure dans les olives aucune fibre du cordon postérieur;

toutes les fibres de ce dernier se rendent dans la couche intermédiaire des

olives; à mesure que cette couche augmente suprà, le taux des fibres

des noyaux des cordons postérieurs diminue; il en est peu parmi elles

qui passent directement dans le corps restiforme... etc..»

En résumé, la moelle épinière fournit à la couche intermédiaire

des olives ou ruban de Reil du côté opposé des fibres issues du

cordon postérieur (exclusivement du faisceau de Burdach ? ) une

.petite partie des fibres du cordon postérieur (exclusivement em-

pruntées au faisceau de Goll ? ) arrive sous le nom de fibres ar-

ciformes, dans le corps restiforme. Aux septième ou huitième

mois intra-utérin, le corps restiforme n'a, en fait de myéline, que

l'appoint que lui donnent le cordon postérieur, le nerf auditif, le

nerf trijumeau. Toutes ces fibres gagnent le vermis où elles pari-

clpent, pour une grande part, à la grande commissure d'entre-

croisement. Le corps restiforme renferme trois portions dilfe-

rentes : 40 des fibres appartenant a la moelle; 2° des libres

émanées de racines nerveuses, du moins de celles de l'acoustique

et du trijumeau. (Ces deux sortes de faisceaux gagnent le verrais);

3° des fibres issues des olives qui peuvent être suivies dans la

coque du corps rhomboïdal. Le pédoncule cérébelleux inférieur

se décompose en : Io partie du vermis; elle contient : a, les cor-

dons latéraux qui se rendent au cervelet; b, des fibres émanées

. du cordon postérieur du même côté, et peut-être de celui du

côté opposé; c, des fibres appartenant aux racines nerveuses

signalées; 2° partie des hémisphères cérébelleux; elle ren-

78 REVUE D'ANATOMIE KT DE PHYSIOLOGIE.

ferme des fibres issues des olives et peut-être encore d'autres sys-

tèmes. P. K.

111. SUR LES CONNEXIONS DES COUDONS POSTÉRIEURS AVEC L'ENCÉPHALE

par P. FLRCHSIG. (Neurol. CentnulGl., 1885.)

L'auteur fournit quelques explications et rectifications sur son

schéma de l'encéphale humain (Plan des menschlichezz Ge/M)'ns)

mentionne les recherches effectuées ou en voie d'exécution de

Bechterewl,. Dai,kschewiLsch2, Edinger3, et les critique àla lumière

de ses opinions personnelles. Le dessin de son plan vaut mieux,

dit-il, que la légende du texte; il montre que les fibres des cor-

dons postérieurs qui passent dans le bulbe entrent toutes en rela-

tion avec les noyaux des faisceaux grêles (de Goll) et cunéiformes

de Burdach). De ces noyaux émanent une série de tractus ascen-

dants : 1° le noyau des faisceaux cunéiformes (Burdach) fournit

des fibres qui appartiennent a la grosse olive et des fibres qui vont

plus haut qu'elle après l'avoir traversée,, et se terminent dans le

ruban de Reil ; 2o le noyau des faisceaux grêles (Goll) donne un

trousseau qui côtoie l'entrecroisement inférieur des pyramides,

et gagne l'enceinte postérieure des pyramides, le ruban de Reil ;

il envoiedès son origine un tractus qui s'annexe aux fibres émanées

du cordon cunéiforme pour gagner, en traversant la grosse olive,

le ruban de Reil. Les grosses olives ne sont directement unies ni

aux cordons postérieurs, ni au ruban de Reil; un tractus de fibres

assez fourni les rattache au cerveau, mais il ne se trouve pas, dans

le bulbe, en dedans des grosses olives; dans la couche intermé-

diaire des olives, il est conligu aux olives en dehors et en arrière.

L'espace situé entre les grosses olives contient, sans compter le

segment qui relève de la formation réticulaire, exclusivement des

fibres qui proviennent de l'eutrecroissement supérieur des pyra-

mides ou des noyaux des faisceaux grêles et cunéiformes. Les

cordons postérieurs poussent donc principalement leurs rameaux

vers la couche intermédiaire des olives et dans le ruban de Reil

qu'il ne faut pas confondre avec le ruban de Reil inférieur. Ce

qu'on nomme entrecroisement supérieur des pyramides mérite

bien le nom d'entrecroisement du ruban de Reil (Wernicke); mais

il faut remarquer qu'il contient, avec des fibres du ruban de Reil,

nombre de parties constitutives d'un autre genre (formation réti-

culaire). Les grosses olives représentent des relais intercalés non

entre la moelle (cordons postérieurs) et le cervelet (opinion de

1 Voy. Archives de Neurologie, t. XIII; p. 16 et "7 et t. XII, p. 102-110.

2 id.

3 M. *

REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE. 79 J

Mey-nert), mais entre le cervelet et le cerveau; elles n'ont rien à

voir avec la moelle épinière. P. K.

IV. Communication provisoire sur QUELQUES résultats OBTENUS par

LA MÉTHODE DES ATROPHIES, PRINCIPALEMENT EN CE QUI CONCERNE LA

COMMISSURE postérieure; par E.-C. SpiTzKA. (Neurol. Centralbl.,

1885.) .

Voici un chat de trois jours. On lui lèse la couche optique et

probablement aussi les parties contiguës du pédoncule cérébral

d'un côté. Trois mois après, on le tue, et l'on se met en devoir

d'examiner son cerveau et sa moelle. On voit à l'oeil nu : 1" une

atrophie de la moitié correspondante du crâne ; 2° l'hémisphère

cérébral gauche est transformé en un sac vide à parois minces,

recoquillé sur lui-même ; seuls, le nerf olfactif, réduit des deux

tiers, et le lobe olfactif, diminué de moitié, présentent une struc-

ture histologique normale ; 3° impossible de retrouver la bande-

lette optique et l'oculo-moteur commun du même côté ; 4° le tu-

bercule quadrijumeau antérieur gauche a diminué de plus de

moitié ; il est considérablement aplati ; 5° la pyramide gauche

manque tout à fait ; 6° la protubérance parait un peu réduite des

deux côtés ; 7° l'hémisphère cérébelleux droit est un peu plus

petit que celui de'gauche ; 8° la couche optique est absente. Pour

tirer parti de ce cas complexe dans lequel, comme le montre

mieux encore l'étude microscopique, tant de tractus ont dégénéré,

il faut le comparer aux cas purs, typiques, bien démonstratifs, à

lésions parfaitement limitées de Meyer, Monakow, Gudden. Cette

analyse ne se plie pas à un compte rendu. (Voir le mémoire.)

P. K.

V. Communication provisoire SUR L'ORIGINE du nerf auditif ; par

A. FOREL. NOUVELLE communication SUR l'origine du NERF auditif;

par A. Forez et B. Ovosnomcz. (Neurol. Centralbl., 1885.)

D'après les expériences pratiquées par ces auteurs (destri ction

du nerf acoustique chez le lapin nouveau-né), le noyau interne

del'acoustique de Clarke etlleynert (noyau principal de Schwalbe),

le noyau externe de l'acoustique ou noyau à grandes cellules

de Deiters(Laura et Monakow), les fibres arciformes du bulbe, le

'pédoncule cérébelleux supérieur, le faisceau longitudinal pos-

térieur, les fibres radicùlaires de l'acoustique entrecroisées dans

le raphé (Meynert), les connexions de l'acoustique avec le faisceau

longitudinal postérieur (lieynert) et avec le pédoncule cérébelleux

supérieur (Mendel) n'ont rien à voir avec'l'acoustique. En re-

vanche, les cellules ganglionnaires disséminées ou groupées au

sein des couches profondes des fibres immédiatement adjacentes

80 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE.

a la racine postérieure du nerf, et le noyau antérieur de l'acous-

tique de Meynert (noyau latéral de la racine antérieure de

Krause, acoustique latéral et inférieur de Henle, segment infé-

rieur et supérieur du noyau antérieur d'Huguenin, noyau

accessoire de l'acoustique de Schwalbe) constituent les centres du

nerf auditif; le noyau antérieur en représente un ganglionspmal.

P. K.

VI. RECHERCHES expérimentales ET ANATOMO-PATHOLOGIQUES SUR LES

RAPPORTS QUI RATTACHENT LA SPHÈRE VISUELLE (de Munk) AUX

CENTRES OPTIQUES INFRA-CORTICAUX ET AU NERF OPTIQUE; par MONA-

r,ow. (Arch. f. PsZch., XVI, 1.)

II. Recherches anatomo-pathologiques sur l'encéphale humain.

Observation du mémoire cité suprà (Arch. f. Psych., XIV, 3) '.

Porencéphalie-bilatérale symétrique des deux lobes occipitaux chez

un foetus de huit mois : atrophie totale des deux nerfs optiques.

Lacunes étendues des deux lobes pariélo-occipltauX; dégéné-

rescence des deux systèmes de faisceaux optiques y compris les

deux nerfs. Par conséquent, les destructions pathologiques des

sphères visuelles peuvent entraîner chez l'homme un processus

descendant vers les centres optiques primaires (identité d'allures

avec les atrophies expérimentales) ; chez lui, le système des

fibres de projection de l'écorce du lobe occipital aux centres

optiques infracorticaux a beaucoup de ressemblance avec celui

du lapin et du chat ; les fibres des centres optiques primaires ne

rayonnent que dans l'écorce ; le corps genouillé interne est eu

rapport non avec le' lobe occipital, mais avec le lobe temporal ;

les faisceaux de la couronne rayonnante, s'abouchent aux masses

génératrices de la bandelette optique non directement, mais en

partie par l'intermédiaire de la portion latérale du pédoncule

cérébral ; le noyau latéral de la couche optique est en connexion

avec l'avant-coin et la pariétale ascendante ( ? ) Observation du

mémoire actuel. Encéphalomulacie des deux lobes occipitaux

avec lacune dans la première circonvolution temporale gauche.

Détails cliniques , aiiatoilio-palliologiques , microscopiques

(thrombose). Un vieux monsieur de soixante-dix ans, présente

pendant seize mois delà cécité psychique et de la surdité verbale,

il ne peut plus que s'orienter dans l'espace et éviter les obstacles,

il a perdu la conscience des images rétiniennes, ne reconnut ni

ses parents, ni les aliments, ne saisit plus le sens de ce qu'on lui

dit, mais distingue les questions et les injonctions d'après le ton

de la parole ; il goûte encore la musique. - Autopsie. Des deux

' Voy Archives de Neurologie, t. IX, p. 25G, et XI, p. 237.

REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE. 81

côtés, les circonvolutions occipitales sont anéanties ou séparées

de leurs attaches périphériques; de plus, à gauche, dégéné-

rescence et destruction des deux temporales supérieures; à

droite, en outre, atrophie dégénérative du pulvinar, du corps

penouillé externe, de la couche optique, du tubercule quadri-

jumeau antérieur (dégénérescence secondaire, comme en témoi-

gnent la perméabilité des vaisseaux, et l'existence de cellules

granuleuses sur le trajet des faisceaux de Gratiolet depuis la

perte de substance). En un mot, phénomènes tout-à-fait analogues

à ceux que l'on obtient par l'expérimentation chez les animaux.

On constate encore une dégénérescence de la racine ascen-

dante droite de la voûte à trois piliers, du ruban de Reil descen-

dant, de la bandelette optique droite, duchia,ma, des deux nerfs

optiques. On peut donc suivre le trajet des libres optiques

depuis la rétine jusqu'à l'écorce et vice versd. Planches à l'appui.

Conclusion générale. L'écorce du lobe occipital est étroitement unie

aux centres optiques primaires, c'est-à-dire au pulvinar, au corps

genouillé externe, au tubercule bijumeau antérieur, et, par l'ultermé-

diaire de ce dernier, au nef optique; le corps de Luys n'a rien à voir

avec le nerf optique. ' P. K.

VU. SUR UNE connexion jusqu'alors inconnue DES GROSSES olives

avec LE cerveau; par W. BECHTEREW. Addition A la COMMUNI-

cation précédente; par P. FLECHSIG. (ueurol. Centralbl., ')883.)

L'examen de l'encéphale d'un nouveau-né d'un mois révèlesur

toute la hauteur de la protubérance-et des pédoncules cérébraux,

dans la région de la calotte, un cordon volumineux, bien limité,

nettement tranché, de fibres à myéline qu'on ne connaît ou qu'on

n'a décrit que par bribes sans en faire connaître l'importance.

Bechterew propose pour lui le nom de voie centrale de la calotte.

Il apparaît au-dessus et en arrière des grosses olives/augmente

rapidement en épaisseur à mesure qu'il monte, se trouve successi-

vement placé entre l'olive supérieure et la partie médiane du ruban

de Reil, au milieu de la formation réticulaire, et finit par s'appli-

quer,' à la hauteur du tubercule quadrijumeau supérieur, sur la

substance grise de la cavité encéphalo-médullaire, immédiate-

ment en dehors du faisceau longitudinal postérieur. Il occuperait

donc de bas en haut le plan antérieur et inférieur, le plan supérieur

et postérieur de la calo tte. serait embrassé par le pédoncule cérébel-

leux supérieur (entrelacement) et finirait à la face dorsale du noyau

rouge dont ilaiderait à former la capsule blanche. Il faut éviter de

confondre ce cordon central de la calotte avec un petit faisceau visible

dans les segments inférieurs de la protubérance, sis au-dessus

mais contre lui; ce faisceau, pourvu de myéline bien plus tôt

que le cordon en question, semble, chez le nouveau-né d'un mois,

Archives, t. XIII. ' 6

82 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE.

se confondre avec notre cordon ; chez le foetus de sept mois, il

se sépare très nettement des autres parties de la formation réti-

culaire, par conséquent du cordon central ; et se compose de

fibres issues de la substance grise latérale du quatrième ventricule

s'arquant à la hauteur du trijumeau dans la formation réticulaire,

gagnant la grosse olive du même côté, la traversant de dehors en

dedans et d'arrière en avant pour disparaitre dans la couche

intermédiaire des olives. Les trousseaux de fibres, envoyés par la

commissure postérieure au faisceau longitudinal postérieur, s'en-

chevêtrent avec une partie du cordon central, mais on reconnaît

chez les foetus de sept mois que les premiers sont munis de forts

manchons de myéline tandis que le cordon central est encore

amyélinique. Le cordon central gagne le cerveau en s'infléchis-

sant en bas et en avant entre le plancher du troisième ventricule

et le noyau rouge, à peu de distance du plancher. Il s'agit de

chercher exactement son point d'arrivée. Ce qui est certain, c'est

qu'il se rattache aux grosses olives, sans venir de la moelle.

Flechsig ajoute qu'une série de coupes portant sur le plan médian

montrent que le cervelet, les grosses olives, le noyau lenticulaire

forment un appareil continu ; dans les cas de pertes de substance

congénitales et totales du cervelet, les giosses olives font presque

complètement défaut, le cordon central de la calotte manque

absolument, les noyaux lenticulaires sont atrophiés. P. K.

VIII. L'innervation collatérale de H peau; parR. JAcoBi.

. (Arch. f. Psych. XV. 1-2.)

Intéressante, mais longue revue critique dont l'auteur déduit que

les nerfs périphériques ne jouissent pas de la fonction vicariante.

Tout muscle séparé de son conducteur nerveux ne continue à être

animé que par régénération, répartition spéciale (particularités

anatomiques) des filets de la région, ou en vertu d'anastomoses.

Les nerfs sensitifs n'ont pas davantage la propriété de se rem-

placer ; il se produit, dans l'espèce, une innervation collatérale,

comparable à la circulation collatérale, à l'endroit même où les

racines postérieures de la moelle forment les nerfs sensitifs; les

cellules multipolaires desganglions intervertébraux sont chargées

des communications providentielles. 11 se forme aussi des fibres

collatérales assurant la sensibilité quand viennent à manquer les

plexus ou les troncs proprement dits; ces fibres collatérales cons-

tituent à leur origine des éléments divergents qui se réunissent

au voisinage de la périphérie et qui, après division multiple de

leurs extrémités terminales, se conglomèrent en un seul et même

poste ou en plusieurs postes en connexion les uns avec les autres,

L'auteur insiste pour qu'on recueille des faits démontrant cette

manière de voir théorique. P. KERAVAL.

REVUE D ANATOMIB ET DE PHYSIOLOGIE. 83

IX. RECHERCHES expérimentales SUR l'aperception DES

REPRÉSENTATIONS SIMPLES ET COMPOSÉES SELON LA MÉTHODE

de complication ; par le docteur W. TcHiGE (travail du la-

boratoire de M. le professeur Wundt.) ( Westnick dePsyéhio-

trie, etc., de M. le professeur Mierzejewsky, 1885, t. 1.)

L'intérêt de ces recherches réside dans l'application de la

méthode dite méthode de complication (professeur Wundt.

Philosophische studien, t. I, p. 3'a). M. Wundt la considère

comme une des formes de la méthode de comparaison qui doit

servir à mesurer la durée des processus psychiques connus

depuis Herbart sous le nom de représentations complexes ou

d'associations de différentes représentations sensorielles.

D'après cette méthode, on mesure certains actes psychiques

à l'aide d'une série de représentations, qui se succèdent dans

un ordre déterminé. L'auteur a choisi pour ses expériences la

série des représentations visuelles.

Si l'on fait naître une représentation simple ou composée

simultanément'avec un des éléments, delà série (visuelle), le

problème se réduit à mesurer avec quel autre élément cette

représentation est aperçue simultanément ; donc à mesurer

la différence de temps écoulé entre le moment d'excitation et

le moment d'aperception de cette excitation. Le moment d'ex-

citation est déterminé par l'élément de la série avec lequel on

a fait naître simultanément la représentation momentanée, et

le moment d'aperception par l'élément de cette série avec le-

quel elle a été simultanément aperçue.

On arrive en faisant varier la vitesse avec laquelle les repré-

sentations de la série se succèdent, à déterminer son influence

sur la durée des actes psychiques.

L'auteur a fait un grand nombre (17,500) d'expériences sur

lui-même à l'aide d'un appareil enregistreur appelé par le pro-

fesseur Wundt, appareil à pendule, dont on trouvera la des-

cription détaillée dans Grundzug de physiologie-psychologie,

t. II, p. 272-274.

Voici les conclusions auxquelles est amené l'auteur : A. Une

représentation simple, telle qu'auditive, tactile, etc., est tou-

jours aperçue avant la représentation visuelle de la série avec

laquelle on l'a fait simultanément naître. La différence de

temps est donc négative, comme l'appelle le professeur Wundt.

Elle dépend de la vitesse avec laquelle les représentations se

8$REVUE d'anatomie ET DE PHYSIOLOGIE.

succèdent, est en raison inverse de la vitesse. Pour une vitesse

de 5 mètres la différence dans la durée est de 0,0648 (secondes),

pour une vitesse de 10 mètres elle est de 0,0203.

B. L'étude de l'aperception des représentations composées

ou association de représentations auditives, tactiles et électro-

cutanées donne les résultats suivants :

Plus il y a d'éléments dans une représentation composée, plus

est tardif le moment de son aperception, contrairement à ce

qui a lieu pour les représentations simples. L'auteur explique

cette différence par le temps nécessaire à la transformation

des représentations simples en représentations composées. Et

pour arriver à cette transformation le second élément de la

série met plus de temps que le troisième et ce dernier plus que

le quatrième. -

En outre, il faut plus de temps à l'association de représen-

tations différentes (audition, tactile, etc.) qu'à l'association de

trois excitations de même nature, toutes les trois électro-cu-

tanées par exemple.

L'excitation électro-cutanée et tactile se comporte comme

les représentations de deux sens différents.

Avec cinq représentations différentes on s'approche de la

limite de la conscience et les recherches deviennent impossi-

bles. N. SKWORTZOFF.

X. SUR la FONCTION DES COUCHES OPTIQUES CHEZ LES animaux

ET chez l'homme; par le professeur BECHTEREFF (de Kazan).

(Le Westnik, le Messagei- de psychidirie, du professeur Mier-

zejewsky, 1885, t. IL)

L'auteur, appuyé sur un grand nombre d'expériences faites

sur divers animaux (oiseaux, rats, chiens, etc.), ainsi que sur

une analyse de certains faits cliniques, pense devoir affirmer

que les couches optiques ont une fonction motrice, qu'elles

servent de centre moteur aux mouvements coordonnés, dits

expressifs, par lesquels les animaux expriment leurs senti-

ments agréables ou désagréables. Voici un résumé de ses

expériences :

I. En enlevant les hémisphères sans toucher aux couches

optiques, on prive l'animal de la faculté des mouvements spon-

tanés et expressifs; mais ceux-ci peuvent encore être provo-

qués par des irritations extérieures agissant sur divers organes

REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE. 85

des sens, et le réflexe se produit avec une constance qu'on

n'observe pas chez le sujet parfaitement normal. II. La

destruction simultanée des hémisphères et des couches optiques

prive l'animal non seulement de tous les mouvements sponta-

nés et expressifs, mais ceux-ci ne peuvent plus être provoqués

par une irritation modérée des organes des sens; ce ne sont

que des irritations cutanées très douloureuses qui peuvent

produire quelques effets, tels que des cris et de l'inquiétude.

III. Une irritation électrique directe des couches optiques

(les hémisphères enlevés ou non indifféremment) a pour effet

des mouvements dans diverses parties du corps, surtout dans

les groupes de muscles servant à l'expression des sentiments.

IV. Enfin, les animaux dont on a détruit les couches opti-

ques, mais sans enlever les hémisphères, peuvent se mouvoir

librement, mais ils se trouvent privés de la faculté des mou-

vements expressifs survenant a la suite d'irritations modérées.

V. L'irritation directe des couches optiques produit parfois

des mouvements choréiformes, ce qui peut servir à confirmer la

théorie de la localisation de la chorée dans les couches optiques.

A la fin de son ouvrage, l'auteur rapporte plusieurs obser-

vations dans lesquelles les malades, à la suite de lésions des

couches optiques, avaient perdu la faculté des expressions

émotionnelles. De HARDINE.

XI. COURTE NOTE concernant LE RENFLEMENT lombaire DE la

moelle; par E. C. SPITZKA (NeU ? '01. Centralbl., 1885).

Les phoques, dont les extrémités postérieures atrophiées

sont transformées en nageoires, présentent parallèlement un

raccourcissement et une atrophie de leur moelle lombaire.

L'extrémité du cône terminal ne dépasse pas chez eux le car-

tilage intermédiaire des sixième ou huitième vertèbres dorsales

(Zalophus, Gillespieü) ; à l'endroit où le renflement lombaire

offre son plus grand diamètre, c'est à peine si la surface de

coupe est la moitié de celle de la moelle cervicale. On rencontre

néanmoins dans la corne antéro-latérale les mêmes groupes-de

cellules que chez les carnassiers et chez l'homme, bien, plus'

semblables, quant à leur répartition, à ceux de ces animaux

qu'à ceux des genres congénères. La différence est cependant

monumentale en ce qui concerne le volume et le nombre des

éléments anatomiques, surtout au niveau de l'origine des

86 REVUE d'anatomie ET DE physiologie.

paires sacrées. Ainsi, tandis que chez le chat la colonne des

cellules postéro-externes se compose de cellules polygonales

bien définies, nettes jusquo dans la plus petite portion du

cône, chez le lion de mer (Zalophus) ce groupe se reconnaît à

peine, il faut y regarder de près poury voir de tout petits élé-

ments nerveux pauvres en prolongements ; même état d'atro-

phie comparative à l'égard du groupe des cellules antérieures

de la même corne. A la partie supérieure du renflement lom-

baire, on ne rencontre plus que quelques cellules du groupe

antérieur collées contre le faisceau radiculaire le plus interne,

et la partie postérieure du groupe externe. Les cordons latéraux

envoient de puissants trousseaux de fibres aux cellules, ce qui

doit tenir au développement remarquable des faisceaux pyra-

midaux, tandis que chez le verrat de mer, animal à sang

chaud remarquable par le développement de son encéphale, il

n'y a pas de pyramides. Le spécimen zoologique qui fut la

source de cette note, avait succombé à une pneumonie ;à la

suite d'une longue conservation des pièces dans la glycérine,

il s'était formé dans les cellules nerveuses des vacuoles arti-

ficielles. P. K.

XII. Contribution A la QUESTION DES conducteurs optiques

dans LE cerveau de l'homme ; par A. Richter (arcs. f.

Psych., XVI, 3).

Au congrès des médecins aliénistes allemands du moisde sep-

tembre 1884 (Leipzig)',M. Richter disait que l'on rencontre, une

diminution des cellules nerveuses ganglionnaires dans les deux

couches optiques, les quatre tubercules quadrijumeaux, les

quatre corps genouillés, non seulement quand les deux nerfs op-

tiques sont atrophiés, mais quand un seul de ces organesa subi

cette altération ; dans le cas d'atrophie bilatérale, la dimi-

nution des cellules est plus marquée. Les cellules de l'écorce

du lobe occipital demeurent intactes. On ne peut, en supposant

que l'atrophie du nerf optique concerne un adulte, suivre

toujours à l'oeil nu l'atrophie de l'organe en question au-delà des

bandelettes optiques, qu'il s'agisse d'une atrophie du même côté

ou du côté opposé, même après dix années de durée. Ces asser-

tions sont complétées par l'étude d'un cerveau dans lequel le

' Voy. )'6/tt[ ? fM)'o<ot, t. X, 107.

REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE. 87

nerf optique droit atrophié, sans autre lésion qu'un état trouble

des méninges molles, présentait quantité de cellules granulo-

graisseuses ; on les suivait jusque dans le chiasma, et, dans les

deux bandelettes optiques, j usqu'au point où celles-ci se divisent

en deux branches destinées aux corps genouillés interne et

externe ; ces cellules dégénératives ne se retrouvaient ensuite

que dans le corps genouillé externe droit. Intégrité des tuber-

cules quadrijumeaux et des couches optiques. Si la malade en

question eût vécu, il est probable que la dégénérescence se

serait étendue aux tubercules quadrijumeaux supérieurs et infé-

rieurs ainsi qu'aux couches optiques et consécutivement les

éléments nerveux auraient diminué dans ces organes. Les fibres

nerveuses qui partent de la face inférieure des pédoncules

cérébraux pour se rendre aux bandelettes optiques ne conte-

naient pas de cellules granulo-graisseuses.En ce qui concerne

les relations du lobe occipital avec les centres optiques infra-

corticaux, au congrès de Leipzig, M. Richter réservait la ques-

tion. Aujourd'hui une observation de paralytique général ayant

deux ans et demi avant la mort, présenté une hémianopsie

gauche homonyme, lui permet d'affirmer que la destruction

d'un lobe occipital s'accompagne de dégénérescence des centres

optiques infra-corticaux (macrosco pique et microscopique), mais

seulement dans le pulvinar, et dans la partie postérieure et

' postéro-interno de la couche optique. Quant à la sphère

visuelle de Munck, la clinique et l'anatomie pathologique sem-

blent indiquer qu'elle occupe la face latérale convexe de l'hé-

misphère, c'est-à-dire les trois circonvolutions occipitales pro-

prement dites; c'est sur la paroi externe du ventricule latéral

que se dirigent les fibres qui vont se terminer dans cette zone.

. P. K.

XIII. La réaction chimique DE la substance GRISE;

par 0. LANGENDORFF (NeU2'01. Centrabl., 1885).

Chez les lapins et les Cochons d'Inde, vivants, mais endormis

par l'éther ou l'hydrate de chloral, ou morts, la réaction de

l'écorce est alcaline à la condition que le cerveau, dépouillé de

ses méninges, demeure en communication avec l'individu, ou

que l'extirpation et l'écrasement s'en fasse au moyen d'ins-

truments glacés dans un milieu refroidi. Sinon, dès les

quelques minutes qui suivent la résection, l'écorce devient

cide, et d'autantplus rapidement que la température ambiante

88 REVUE D ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE.

est plus élevée.L'asphyxie de l'écorce par anémiation générale ou

locale entraîne promptement une réaction acide; cette réaction

se montre souvent dans les deux minutes qui suivent l'hémor-

rhagie ou l'oblitération locale des artères et ne fait que croître;

chez l'animal tué, la réaction est toujours trouvée acide. Si

l'on se hâte de restituer la circulation cérébrale, on voit, mais

bien lentement, réapparaître l'alcalinité; sa réapparition est

d'autant plus lente que l'anémie a été plus longtemps pro-

longée ; cependant on peut l'obtenir jusqu'à trois fois consécu-

tives à la suite d'oblitérations artérielles ayant duré 5, 7, 9

minutes (nécessité de la respiration artificielle) ; dans le der-

nier cas, l'auteur a réussi à obtenir une réaction neutre trente-

huit minutes après avoir rétabli la circulation de l'écorce; il

a même provoqué le parfait rétablissement de la réaction

alcaline chez des animaux qui avaient subi une asphyxie céré-

brale absolue déplus d'un quart d'heure. Les nouveau-nés font

exception à la règle; la réaction alcaline de l'écorce est chez

eux, à ce point accusée que ni l'hémorrhagie, ni l'asphyxie,

ni la mort ne déterminent, même au bout de vingt-quatre

heures, quelle que soit la légèreté avec laquelle on ait procédé,

la perte de la réaction alcaline; il est probable, dit-il, que telle

est l'abondance des sels alcalins qui imprègnent leur encéphale

que la formation d'un acide. de par la mort, ne peut venir à

bout de l'alcalinité; peut-être aussi ne se forme-t-il pas alors

d'acide dans l'écorce du cerveau du nouveau-né.

Conclusion. L'asphyxie de l'écorce, et probablement de la snbs-

tance grise en général, se traduit par la genèse d'un produit acide.

Peut-êtres'agit-il de l'acide lactique issu de l'écorce grise (Gschei-

dlen), ou d'un phosphate acide de soude (décomposition des com-

posés phésphatiques organiques de la substance corticale). En

tout cas, l'acidification représente un processus non cadavérique

mais biologique eu rapport avec l'activité de la substance grise au

même titre que l'acide qui se forme quand le muscle fonctionne;

sinon il serait impossible de comprendre la rapidité de cette

genèse, de la disparition de la réaction acide, du retour à la réac-

tion normale d'une écorce asphyxiée. P. K.

SOCIÉTÉS SAVANTES

SOCIÉTÉ AIÉDICO-PSYCHOI,OGIQUE

Séance du lundi 25 octobre 18886. Présidence de M. Semelaigne.

La question du délire chronique mise à l'ordre du jour de la

Société, sur la demande de M. Magnan, à la suite de l'intéres-

sante discussion sur les signes physiques intellectuels et moraux

de la folie héréditaire va, sans aucun doute, assigner une nou-

velle place à certaines formes du délire chronique dans le cadre

nosologique des maladies mentales ; aussi était-il tout d'abord

nécessaire de rappeler l'état actuel de nos connaissances sur

celle grande vésanie. C'est ce qu'a fait M. Gariiier dans une com-

munication très étudiée que nous allons essayer de résumer.

Du délire chronique.-111. P. Gan,cn. En clinique mentale, comme

en pathologie ordinaire, il existe des maladies à invasion brus-

que et inopinée, à marche essentiellement irrégulière et ne pro-

cédant guère, dans tout l'ensemble de leurs manifestations, que

par surprise, par heurts et par à-coups, maladies soustraites à

toute loi évolutive et échappant à toute prévision.

A côté des individus qui nous offrent les exemples de ces formes

capricieuses des troubles de l'esprit, on en voit d'autres chez les-

quels l'affection mentale ne se développe qu'après une incubation

prolongée et ne poursuit son cours que lentement, régulièrement,

méthodiquement, franchissant une a une des étapes invariable-

ment les mêmes et nous offrant, en quelque sorte le spectacle de

l'ordre dans le désordre.

Ici plus d'imprévu, plus d'indécision, le processus psycho-pa-

thique est tellement net et défini que l'on peut prédire la série

des phases successives que'va parcourir le délire depuis le stade

initial, jusqu'à une terminaison inexorablement la même.

Est-ce donc là le résultat de circonstances purement fortuites ?

Assurément, on doit reconnaître comme fort vagues encore les

données que nous possédons sur le mode d'action des causes qui

président au développement de la folie en général, ou d'une ma-

ladie mentale en particulier. En vertu de quelle disposition, vic-

time de son organisation cérébrale, un individu appartient-il à

90 SOCIÉTÉS SAVANTES.

telle catégorie d'aliénés plutôt qu'à telle autre ? Pourquoi celui-ci,

par exemple, ne sera-t-il jamais, dans ses manifestations déli-

rantes, qu'un irrégulier, un intermittent, un paroxystique, et,

par quelle raison mystérieuse, celui-ci, procédant tout à fait à

l'inverse du premier, progressera-t-il selon un mode uniforme et

continu dans la voie de la folie chronique, où les périodes s'éta-

ient dans une coordination rigoureuse ?

Ce sera pour Muret, en dépit des critiques dont ses idées sont

encore l'objet, un inoubliable titre de gloire d'avoir su remonter

au principe même de cette différentiation, en rattachant tout un

grand groupe de déviations à l'hérédité.

Aussi bien, puisque je fais ici allusion à la folie héréditaire,

permettez-moi de profiter de ce que la discussion n'est pas encore

close, sur ce sujet, pour entrer un peu dans le débat.

Des diverses opinions qui viennent d'être tour à tour éloquem-

ment exprimées, il résulte que la théorie du médecin dn Saint-

Yen, reprise et développée avec une si grande rigueur clinique par

Ai. Magnan, n'est point universellement acceptée, bien qu'à vrai

dire, on s'en prenne moins à la chose en elle-même qu'au terme

choisi pour la désigner. Je crois, pour ma part, qu'il ne saurait

donner lieu à une confusion qu'auprès de ceux qui ne sont pas

initiés à nos habitudes de langage. Tout médecin familiarisé avec

l'étude de la pathologie mentale ne saurait se méprendre sur la

véritable valeur terminologique du mot héréditaire. Le sens qui

s'y trouve attaché depuis les travaux de Morel en fait un synonyme

de dégénérescence. Pour qu'on n'en ignore, M. Magnan, asso-

cie et combine les deux termes, et il appelle des « dégénérescences

héréditaires i, les individus marqués d'une tare originelle ; mais

il est incontestable que c'est presque là un luxe de dénominations.

MM. Cotard, Christian et Bouchereau, sont disposés à accorder,

dans le développement de la dégénérescence mentale une part

prépondérante au côté individuel, c'est-à-dire, à toute influence

fâcheuse s'exerçant sur la descendance, soit pendant la vie intra-

utérine, soit pendant le premier âge. Sans nier le rôle de ces in-

fluences dégénératives, et tout en reconnaissant que celles-ci par-

viennent, souvent à reproduire la plupart des traits essentiels de

la dégénérescence héréditaire, je crois que c'est encore à cette

dernière que revient la prépondérance. Quand on parle d'affec-

tions infantiles des centres nerveux, il ne faut pas perdre de vue

que souvent ceux qui en sont frappés se trouvaient par avance

désignés à leurs atteintes par une disposition congénitale. Ce qui

est non moins vrai, c'est que beaucoup de maladies aiguës de

l'enfance n'ont un si grave retentissement cérébral que, grâce à

la connivence d'une instabilité préexistante. N'est-ce pas là

que réside le secret de ces différences considérables dans les effets

d'une mAlrie affection sur tel dû tel sujet ? à provocation égale,

SOCIÉTÉS SAVANTES. 9<

que de dissemblances dans le mode de réaction ! c'est une loi en

pathologie, de ne pas mesurer seulement les conséquences d'une

maladie quelconque à son intensité intrinsèque, mais encore et sur-

tout au degré de susceptibilité et de résistance qu'offre le support.

En résumé, bien que, en fait de dégénérescence mentale, on

doive accorder une place importante aux congénitaux, aux infan-

tiles et aux juvéniles, c'est encore la transmission héréditaire qui

nous présente le type le plus achevé des dégradations physiques,

et intellectuelles qu'un principe dégénératif puisse réaliser ; c'est

elle qui nous donne le tableau le plus complet de ces anomalies

de la sensibilité morale et affective, de ces tics moraux à peu près

introuvables en dehors d'elle. Quand on voit un enfant de cinq

ans, manifester les plus bizarres obsessions, les plus étranges

impulsions, les plus singuliers appétits morbides, n'est-on pas

certain, à priori, d'avoir affaire à un être qui a reçu un triste

patrimoine morbide ? C'est l'hérédité et ce ne peut-être que l'hé-

rédité qui dépose dans ces jeunes. cerveaux, ces ferments d'idées

fixes, impulsives, dont l'apparition à cet âge nous déconcerte

toujours et devient inexplicable dès qu'on n'admet plus la pré-

sence d'un levain héréditaire.

Mais, quel que soit le point de vue pathogénique auquel on se

place, la clinique,.elle, nous autorise pleinement à englober, en

nous basant sur la similitude des caractères généraux essentiels,

tous ces êtres frappés de déséquilibration mentale dans un vaste

groupe sous le nom de dégénères héréditaires. Parmi ces carac-

tères généraux essentiels, je n'ai à rappeller ici que ceux qui ont

trait à la forme et à l'évolution de la vésanie. Un mot peut la

résumer : irrégularité. Sur ce fond d'instabilité psychique, sur ce

terrain de choix, le délire éclate soudainement; c'est un véri-

table accès dans lequel les idées se produisent péle-mêle, se com-

binent et s'enchevêtrent dans le complet désordre et où pré-

domine le caractère instinctif, impulsif, automatique des

déterminations morbides. Si les rémissions sont fréquentes, si

elles sont subites et inattendues, c'est pour laisser le sujet sous

la menace d'un nouveau paroxysme.

Combien différent, est le tableau clinique, lorsque, nous aban-

donnons les dégénérés héréditaires, pour passer à un autre groupe

non moins vaste mais à délimitation certainement plus précise.

En 1852, paraissait, dans les Archives générales de médecine, un

mémoire du professeur Lasègue, sur le délire de persécution, vé-

ritable chef-d'oeuvre d'analyse de psychologie morbide et d'obser-

vation clinique. Un complexus symptomatique tiré des groupes

confus et hétérogènes de la mélancolie de Pinel et d'Esquirol, se

trouvait, de ce jour, nettement isolé et constitué à l'état d'unité

nosologique.

L'édifice construit alors reste toujours debout) quelques addi-

92 SOCIÉTÉS SAVANTES.

tions y ont été faites : l'observation a permis d'y apporter un cou-

ronnement, mais elle n'apoint montré qu'il fallûttoucheràlabase.

En suivant pendant des années, les malades atteints de délire

de persécution, on remarque que le fond morbide tend, peu à

peu, à se modifier; c'est une autre période qui se dessine, et qui

n'est pas sans apporter quelque changement à l'allure délirante,

puisque ce sont des idées expansives qui viennent se faire jour à

travers des sentiments pénibles. Pendant un temps, dont la durée

est variable, les deux ordres d'idées co-existent plus ou moins

étroitement combinées, mais insensiblement, les sentiments tristes

et dépressifs s'émousseut et s'effacent devant les conceptions

orgueilleuses qui tendent à prédominer définitivement. Peu à peu

les idées de persécution sont abandonnées sur la route du délire et

si quelques-unes s'attardent et l'accompagnent jusqu'à terme,

elles ne sont plus qu'un pâle reflet d'un passé déjà lointain. A

cette date de sa maladie, l'individu se présente sous les dehors de

la folie des grandeurs, mais, à mesure qu'il grandit ainsi dans sa

propre estime, qu'il se hausse sur un piédestal, il descend visi-

blement dans l'échelle intellectuelle. Du reste le passage des

idées de persécution aux idées de grandeur s'accentue, rend plus

profonde encore sa rupture avec le possible et le vraisemblable.

Après un intervalle plus ou moins long, il se manifeste dans

l'échafaudage du délire des signes de décrépitude. Bientôt les

conceptions vont perdre de leur coordination et l'édifice s'ébranle

se disloque, se dissocie pièce à pièce. Celui que nousavons connu

inquiet, tout d'abord, puis persécuté, puis mégalomane, estdevenu

un dément.

Voilà donc une maladie mentale, dont la tendance à la chro-

nocilé s'affirme par une évolution progressive et systématique,

par la succession de quatre stades nettement définis et apparais-

sant invariablement dans le même ordre :

Il La première période, dite d'incubation, où le malade qu'on

trouve inquiet, concentré, replié sur lui-même, en état permanent

d'éréthisme psycho-sensoriel, aborde, après des hésitations plus

ou moins longues, les interprétations délirantes;

2° La deuxième période, constituée par l'organisation d'un dé-

lire de persécution, où les idées maladives sans cesse alimentées

par les hallucinations prennent corps, s'installent, se coordon-

nent et se systématisent ;

3° La troisième période, caractérisée par l'intervention d'idées

de grandeur, marquant la systématisation ultime du délire et la

transformation du moi maladif;

4° La quatrième période, phase terminale de l'évolution vésa-

nique où l'échafaudage délirant s'écroule et où tout dénonce la

déchéance mentale, la démence irrémédiable.

Aujourd'hui que cette espèce nosologique est bien connue, le

' SOCIÉTÉS SAVANTES. 93

délire des persécutions et le délire des grandeurs, ou mégaloman-

nie, ne sauraient être envisagés comme des entités morbides

irréductibles, puisque ce ne sont là que des aspects différents

d'une même maladie dont ils traduisent seulement une saillie

symptomatique, aux deux temps principaux de son évolution. D'où

la nécessité de désigner celle-ci par un seul et même nom, lequel

doit, autant que possible, énoncer ce fait essentiel : le mode

évolutif. La dénomination de « psychose systématique progressive »

aurait l'avantage d'indiquer cette marche ipar stades successifs,

mais j'avoue qu'elle est d'un emploi moins commode que « délire

chronique », vocable usité par M. Magnan et ses élèves, et qui

marque l'opposition avec la folie des dégénérés, où la forme pa-

roxystique et rémittente est la loi.

Est-il nécessaire d'insister sur l'utilité qu'il y a, pour la sûreté

du pronostic, à pouvoir discerner, d'après les caractères généraux

ci-dessus exposés, si tel délire ambitieux, par exemple, s'est déve-

loppé suivant l'ordre évolutif propre au délire chronique ou bien,

au contraire, s'il est né, de toutes*pièces, sans phase préparatoire.

Dans le premier cas, l'incurabilité est la règle, comme je me suis

efforcé de le montrer, il y a une dizaine d'années ; dans le second,

ce n'est ni plus ni moins qu'une aventure délirante, sinon sans

conséquences, du moins, le plus souvent, sans lendemain.

Je suis convaincu, pour ma part, que, en dehors des délires'

liés aux intoxications, aux névroses et aux lésions organiques de

l'encéphale, la division des aliénés en deux grandes classes :

1° Les dégénérés héréditaires; 2° les délirants chroniques est, à un

point de vue généralisateur, une conception que l'observation

clinique légitime et qui ne peut être que féconde en résultats

pratiques. Quant aux aliénés intermittents, que M. Magnan con-

sidère comme réalisant un type intermédiaire, ils sont tel-

lement rapprochés des dégénirés héréditaires,' qu'ils vont à peu

près se confondre avec eux, en formant, .si l'on veut, un sous-

genre, avec les trois modalités caractéristiques : 1 ° paroxystique

simple; 2° périodique; 3° alternante ou circulaire.

Il me semble, en effet, que pour constituer l'essence d'une ma-

ladie à accès nettement définis, il est besoin d'une tare constitu-

tionnelle, d'un vice diathésique qui, tantôt sommeillant, tantôt

en activité, peut donner seul la raison de ces retours subits, se

renouvelant sous une forme plus ou moins identique, et ne pouvant

être mieux comparés qu'aux accès d'une névrose, laquelle n'en

existe pas moins d'une manière permanente, pour ne pas être

sans cesse en état de manifestation bruyante.

Chez les intermittents, l'instabilité mentale originelle, la dés-

harmonie morale est moins évidente, moins accusée que chez

les dégénérés héréditaires, mais elle m'a toujours paru exister dans

une certaine nature.

94 SOCIÉTÉS SAVANTES.

L'observation a depuis longtemps prouvé, d'ailleurs, que, dans

l'immense majorité des cas, ces malades sont véritablement im-

prégnés d'hérédité.

Suggestion; action des médicaments à distance.

M. Jules Voisin. Vom vous rappelez, Messieurs, l'intéressante

observation qui vous a étéluepar M. Bourru de Rochefort, au sujet

d'un homme atteint de grande hystérie. Ce malade, que j'avais déjà

suivi àBiceitre, m'est revenu à la consultation de la Salpêtrière. et

j'en ai profité pou n'en ou vêler certaines des expériences de M. Bourru

sur l'action des médicaments à distance. J'ai opéré à l'aide de

flacons de couleurs sombres, dontj'ignoraismoi-méme le contenu,

ce qui écartait toute hypothèse de suggestion involontaire de ma

part. Le sujet étant eu léthargie, eu somnambulisme ou en cata- »

lepsie n'a accusé aucun phénomène en rapport avec l'action mé-

dicamenteuse de la substance expérimentée; mais si, par hasard,

je prononçais devant lui le nom d'un médicament connu, aussitôt

V... donnait une représentation des effets physiologiques annon-

cés.

L'or appliqué sur sa peau donne ordinairement lieu à une ru-

béfaction intense, qui ne se produit pas si, par artifice, on arrive

à le lui faire toucher à son insu. Je me demande enfin si les chan-

gements de personnalité décrits par MM. Bourru et Burol ne re-

présentent pas plutôt la dernière phase d'un délire hallucina-

toire. ,

Ces changements de personnalité sont. en effet, toujours pré-

cédés d'une attaque, et peuvent être provoqués par suggestion.

M. Féré. Parmi les pensiounaires de la Salpêtrière, chez les-

quelles M. Bourru a-renouvelé ses expériences sur l'action des

médicaments à distance, il s'en trouve une, très sensible à l'ac-

tion de l'alcool, qui, bien qu'elle passe quotidiennement plu-

sieurs heures dans un laboratoire d'histologie, où macère dans

l'alcool un grand nombre de pièces anatomiques, n'a jamais

éprouvé les moindres symptômes d'ivresse.

M. BRIKND. J'appelle toute l'attention de la société sur les faits

fort instructifs que vient de rapporter M. Voisin. Ils constituent

un appoint très appréciable à l'opinion de M. Bernheim, de Nancy,

qui rapporte à la suggestion la plupart des phénomènes si singu-

liers qu'on observe chez les hystériques. Je ne crois pas que les

tendances du professeur de Nancy infirment en rien les magistrales

doctrines de la Salpêtrière, il n'y a là qu'une interprétation de

plus, venant s'ajouter à d'autres très légitimées; mais j'avoue que

lorsqu'on examine de près certaines manifestations hystériques,

on va souvent chercher fort loin des explications, que la 'sugges-

SOCIÉTÉS SAVANTES. 95

tion, qui nous réserve encore bien des surprises, explique sans

difficulté. J'incline, pour ma part, à penser qu'il en est ainsi, en

particulier, pour les singulières manifestations du malade de

M. Bourru :

V... subit une sorte d'auto-suggestion. J'observe en ce moment, à

Villejuif, une de ces hystériques, sur le bras desquelles il suffit

d'appliquer une feuille de papier à cigarettes mouillée, pour voir

le lendemain l'épiderme soulevée dans toute l'étendue de ce nou-

veau vésicatoire. (Il est bien entendu que, pour faire réussir l'ex-

périence, il faut avoir endormi la malade, et lui suggérer l'idée 'e

qu'elle porte un vésicatoire). Inversement, je lui ai appliqué dans

un autre circonstance, une rondelle d'emplâtre vésicant, en lui

suggérant l'idée qu'il s'agissait d'une simple feuille de papier de-

vant rester sans effet, et j'ai constaté, le lendemain, que la peau

n'avait subi, en cet endroit, aucune modification.

M. FÉRÉ. J'ai essayé une théorie physiologique des phénomènes

de la suggestion; je crois qu'elle se rapproche de l'attention, et

qu'elle en dérive.

Voici une expérience qui en donne la preuve. On prend une

bassine en fer, et l'on y laisse tomber un grain de plomb, en

recommandant à une personne, au moment où elle entendra

tomber le plomb,' de presser un contact électrique qui inscrira

un signal sur un cylindre enregistreur : il doit normalem ent s'é-

couler un laps de temps appréciable entre le moment où le bruit

se produit, et celui où la personne qui l'aura perçu fera le signal

convenu, et cependant il arrive que, si la personne vient à prévoir

d'une façon ou d'une autre la chute du grain de plomb, elle fera

son signal avant de l'avoir entendu. Elle aura donc manifesté

son attention avant la production du phénomène qui devait l'at-

tirer 1. MARCEL Briand.

CONGRÈS ANNUEL DE LA SOCIÉTÉ DES MÉDECINS

ALIÉNISTES ALLEMANDS

SESSION DE BADE

Séances des 46 et 47 septembre 1885 2

Bureau : MM. de Gudden, Loehr, Schuele ; Excusés : MM. de

Nasse, et Westphal, malades.

1 Ch. Féré. La Médecine d'imagination. (Progrès médical.) Br.

in-80, 1886. *

* Voy. irch. de Neurologie, X, 261.

9fi SOCIÉTÉS SAVANTES.

M. le président de GUDDEN ouvre la séance à trois heures un quart

et salue l'assemblée. La société a, pendant l'année écoulée, perdu

MM. le professeur Schiager (de Vienne), Kind (de Langenhagen),

Salomon (de Bromberg), Eckeimann (de llarbourg); U'assemblée

se lève en leur honneur. On procède au remplacement de deux

membres du bureau sortants, MM. Nasse et Westphal; MM. Pelman

et Westphal sont élus.

M. SCHUKLE. Sur la question de limiter le droit au mariage à

l'égard des personnes entachées d'une tare héréditaire et devenues

aliénées '. On se rappelle la thèse de Dick, d'après lequel toutes

les jeunes fillesqui, avant leur mariage, avaient été atteintes d'alié-

nation mentale, seraient restées absolument indemnes de toute

récidive une fois mariées. Le mariage serait donc un préservatif

lorsqu'il s'agit d'individus du sexe féminin ne présentant aucune

tare, aucune infusion psychopathique congéniale, et n'ayant pas

dépassé la trentaine. Hagen prétend que sur 22 hommes céliba-

taires atteints d'aliénation mentale qui se marièrent plus tard,

19 demeurèrent sains d'esprit, trois retombèrent ultérieurement

malades; sur 23 femmes dans les mêmes conditions, 17 ne rechu-

tèrent point, les autres étant redevenues folles; .comme chez le

reste des aliénés quelconques guéris et envisagés en général,

83 p. 100 gardèrent ultérieurement la raison, le mariage n'exer-

cerait, d'après cet auteur, aucune espèce d'influence nocive ou pro-

phylactique sur les récidives. En employant un autre moyen de

manier la statistique, Hagen arrive en même temps à ce résultat

que chez la femme, d'une manière générale, le mariage exerce au

point de vue qui nous occupe bien plus souvent une action avun-

tageuse que désavantageuse. AIllenau, en 30 ans, Schuele a trouvé

enregistrées 890 femmes célibataires qui, après avoir été aliénées,

sont parties guéries ou améliorées ; 4U d'entre elles sont revenues

plus tard comme maladesetmariéessans qu'on puisse établirde dis-

tinction. Il faut donc établir une statistique tenant un compte exact

desdivers éléments qui entrent enjeu dans la question. Et, pour ce, il

convient de fournir aux asiles desbulletinsportantlecadresuivant :

sociétés savantes. 97

On devra suivre les célibataires remis en liberté, à l'extérieur,

afin de savoir combien d'entre eux se marieront; les employés ou

fonctionnaires des mairies, avisés de la libération des malades,

devront nous informer du mariage ultérieur, quand il aura lieu.

Par ce double moyen, nous aurons les documents voulus auxquels

les médecins consultés puiseront des arguments de la plus haute

valeur.

Faut-il actuellement conseiller ou déconseiller le mariage d'une

personne quia été aliénée ? 1 Voici quelle est la pratique deSchuele.

il interdit le mariage à toute jeune fille ayant été aliénée qui

n'est pas complètement guérie et qui porte en elle des éléments

névropathiques constitutionnels, mais encore faut-il que les pro-

jets de mariage ne soient pas trop avancés, que le coeur ne soit

pas pris, sinon le chagrin immédiat de la rupture exerce une

action nuisible. Du reste, en pareil cas, on ne se soumet guère aux

injonctions du médecin. Celui-ci, néanmoins, s'efforcera d'éviter les

projets de mariage dont les motifs seraient irréfléchis, ceux qui

ne seraient pas entourés de toutes les précautions voulues : il faut,

en effet, songer aux rechutes morbides possibles, à la descendance

menacée (psychoses dégénératives ou constitutionnelles, folies

épileptiques chroniques, hystéries enracinées incurables, alcoo-

lisme et folie morale, psychopathies alcooliques à répétition) et en

particulier, aces modalités dans lesquelles, si le délire est court, le

regret est long, à raison de la transmission aux troisième et qua-

trième générations. Et cependant, on n'est point encore autorisé

à formuler une loi, surtout une loi sociale, car, à côté des effets

funestes de mariages de ce genre, on est parfois obligé d'enre-

gistrer des atténuations salutaires. Tel mariage bien choisi rap-

pellera un ivrogne à la modération; tel autre maintiendra une

hystérique dans une satisfaction sexuelle rationnel le et raisonnable.

En revanche, que d'aggravations de par le mariage, surtout chez

les besogneux et les inéduqués, et surtout que d'effets pernicieux

sur la descendance (folies épileptiques); ces sortes de virus héré-

ditaires doivent être combattus avec la même activité que les

virus bactériens. C'est alors à l'Etat d'intervenir avant le médecin

et sous forme d'interdiction prophylactique.

Le médecin ou le directeur des asiles devraient, avant de libérer

de tels patients, provoquer l'interdiction en l'appuyant sur les

points de repère médicaux nécessaires en chaque cas particulier;

leur demande serait adressée aux fonctionnaires de la police ou

de l'administration qui feraient la procédure convenable. C'est

pourquoi, avant toutes choses, une statistique exacte est indispen-

sable. Ne faut-il pas déterminer les formes de psychoses qu'il y a

lieu de poursuivre en l'espèce ? Après quoi l'on provoquera un

' Voy. Arch. de Neurologie, t. X, p. 9(i4 et t. VII, p. 379.

Archives, t. XIII. 7

98 SOCIÉTÉS SAVANTES.

projet de règlement juridique compréhensif auprès des organes

législatifs. Dès maintenant, il s'agit de commencer les travaux

préparatoires propres à asseoir les éléments fondamentaux du

détail. Consignons aujourd'hui les documents de Hagen (d'Illenau)

d'après un rapport sous presse relatif aux années 1877-1883. Onze

cent quatorze malades ont été reçus. Sur ce nombre, 86 étaient

déjà venus à l'établissement de 1846-1876 ; 40 de ceux-là avaient

été renvoyés guéris. Sur cent deux malades admis dans les sept

dernières années spécifiées, il y avait hérédité directe remontant

aux parents; 15 de ces parents seulement avaient été placés jadis

à l'asile, 87 n'ayant jamais été dans un asile. D'après un calcul

qui porte sur les années 1872-1876, sur 2,029 individus qui se

trouvaient à Illenau dès les trois premières années de son exis-

tence, 15 seulement sont revenus en 1877-1883; sur ces 15, une

seule malade est née après la première admission et le premier

renvoi de sa mère, tous les autres étant venus au monde avant la

séquestration de leurs parents. Parmi les célibataires renvoyés

guéris de 1846-1871, 50 étaient déjà mariés en 1874 et la plupart

avaient contracté mariage avantcette année. Sur les malades reçus

de 1877-1883, il n'y a qu'une malade qui appartienne aux cin-

quante personnages mariés dont nous venons de parler; les

49 autres n'ont engendré aucun enfant qui se soit échoué à

l'asile.

Discussion : M. MENDEL. Supposons le cas d'une jeune fille entrée

dans un asileà seize ans, sortieàdix-sept, mariée cinq ans plus tard

et vivant heureuse. Irez-vous officiellement faire une enquête chez

elle ? Quant à empêcher la transmission héréditaire, l'instruction

parait le seul moyen utile et vous savez combien peu de résultats

elle donne sous ce rapport. Castrez les filles aliénées, comme le

propose un médecin américain. Mieux vaut, n'est-ce pas, les

interdire. C'est le seul remède du présent et de l'avenir.

M. SCRUELE. On peut employer à la besogne statistique des

fonctionnaires pleins de tact et d'intelligence, des médecins, des

pasteurs.

M. GERLACH, Depuis quinze ans, de l'asile de Marbourg on prend

annuellement des informations administratives sur la santé et la

conduite des malades congédiées l'an passé; mais les documents

manquentd'eaactitude,parceque,bien souvent, unmaladerenvoyé

avec la mention amélioré par le médecin est indiqué par le

fonctionnaire comme guéri. Voilà un premier écueil.

M. de K&.1FFT-EBllIG. Est-ce que les psychoses ne proviennent pas

souvent de névroses , et vice versa ? L'investigation devrait donc

porter aussi sur la population des individus non séquestrés.

M. BIN3WANGeR. A la clinique de Iéna, il est très rare, quand

on fouille les matériaux propres à établir le chiffre de l'hérédité,

SOCIÉTÉS SAVANTES. 99

de constater la rechute ou le retour à l'établissement d'une

aliénée après mariage. En Saxe, on use largement des congés;

ce peut être une barrière opposée aux mariages précoces d'aliénés

libérés, puisqu'on a encore la main sur eux. Mais, répliquent

MM. SCHUELE et de GUDDFN, on ne devrait pas laisser partir de

malades en congé sans les interdire, on les tiendrait bien mieux,

bien plus sûrement.

M. FuEnSTNER. Supprimer la statistique externe et simplifier le

schéma. C'est après une longue série d'années, qu'il conviendrait

de répondre, du moins à une partie des questions. Toute tentative

d'instruction au sein du public comme des aliénés congédiés

demeurera sans résultats.

M. DE GUDDEN. De l'installation de quartiers de surveillance con-

tinue. C'est Parchappe qui en est le créateur. Il est, au fond,

impossible de formuler des règles générales pour cette installation.

Cela dépend de l'asile auquel on a affaire. S'agit-il d'une construc-

tion nouvelle ou d'une adaptation ? Plus un établissement est petit,

plus l'obligation est lourde, car plus faibles sont les moyens dont

on dispose, plus grande est la nécessité d'aller à l'économie ; mais,

en ce qui concerne un asile entretenu par des ressources publiques,

il ne faut économiser qu'autant que la chose est possible et admis-

sible. Voici le programme d'un quartier semblable pour un asile

public de 400 malades, appartenant à une classe sociale peu for-

tunée : 200 hommes, 200 femmes. La proportion des aliénés à

mettre en surveillance est de 10 p. 100. Une grande partie de

ceux des malades qui nécessitent un soin constant est constituée

par des paralysés généraux parvenus aux stades les plus avancés

de leur maladie. Ils ont en réalité presque tous besoin de soins

minutieux, et les gâteux ne sauraient être exclus de ce quartier.

Cette surveillance doit aussi comprendre des malades d'une bonne

santé psychique relative mais atteints d'affections somatiques

grave, ou des malades tendant au suicide; mais ces patients ne

sauraient être mélangés aux paralytiques généraux; seulement,

afin d'éviter de doubler le personnel des infirmiers, on les placera

en des salles contiguës séparées simplement par une porte. Les

malades alités n'ont pas besoin d'une salle de jour séparée; en

installer une pour les malades dangereux pour eux-mêmes ren-

drait la surveillance difficile; donc pas de salle de jour; on se

contentera de laisser une partie des salles privées de lits. On accé-

dera à chaque salle par une porte venant d'un vestibule fermable :

du côté opposé, en face, deux chambres de bain en saillie, fenê-

tres à hublots de verre épais se regardant les unes les autres, en

avant et en arrière. Sur les côtés des salles, trois chambres d'isole-

ment, pour chacune ; cette annexe est absolument indispensable,

surtout pour les malades qui infectentl'air par leurs exhalaisons,

pour les agités ou plutôt pour ceux qui ne peuvent demeurer en

10() SOCIÉTÉS SAVANTES.

repos, qui se promènent la nuit. Les chambres d'isolement desti-

nées aux malades dangereux pour eux-mêmes (chambres de nuit)

seront pourvues de volets intérieurs, adaptables aux fenêtres, de

portes munies de panneaux de verre épais, et n'auront pas de

caissons de lits, ou les lits auront une construction spéciale;

on en pourrait installer une capitonnée.

Il faut encore prévoir une quatrième chambre séparée dans le

sens de sa longueur; la moitié, interne, servirait de vestiaire, la

moitié, externe, de lieux d'aisances. Cette moitié externe serait à

son tour divisée transversalement par une paroi; l'espace anté-

rieur dont l'accès serait libre serait simplement occupé par une

porte de Im, 20 de haut, conduisant à un siège fixe et solide; le récep-

tacle inférieur, quotidiennement désinfecté, accessible du dehors

par une porte spéciale, pourrait être changé chaque jour sans que

les salles fussent le moins du monde incommodées ; chauffage à

air; éclairage au gaz, horloges de contrôle ou appareils de con-

trôle électriques. Les vrais agités, les bruyants incombent à une

autre section ; Munich leur a assigné quatre chambres d'observa-

tion spéciale, qui sont en même temps des chambres à surveiller

dans la section des agités (deux pour les malades de troisième

classe et deux pour les malades des classes plus élevées). Pour

les autres malades des classes supérieures exigeant des soins et

une surveillance particulière, il n'y a pas lieu à une installation

architecturale propre. Quant aux simples gâteux ne ressortissant

pas à un quartier de surveillance continue, il suffit que les infir-

miers se relèvent deux fois la nuit, à minuit et à trois heures du

matin. Les gâteux non dangereux pour eux-mêmes, mais agités

et par suite isolés, seront d'une manière générale mis à l'abri

pour la nuit.

Discussion : M. FUERSTNER. Pour lui, cette section comporte une

surveillance permanente aussi la nuit; ce n'est pas un quartier où

il suffit que la veilleuse ou le veilleur passe, en même temps qu'il

fait sa ronde à travers les autres sections. Il emploie pour le

contrôle des horloges spéciales. Il croit aussi que la proportion de

10 p. 100 formulée pardeGudden est trop faible. Les paralytiques

généraux doivent être séparés des malades atteints d'autres affec-

tions somatiques, des suicides, des sitiophobes. A la salle de

surveillance des paralytiques généraux graves doit s'appliquer

une surveillance continue, destinée à porter secours à ceux qui

ont des attaques congestives, à l'observation des phénomènes mor-

bides, à la prophylaxie des accidents. Les chambres d'isolement

de de Gudden sont nécessaires, mais il est difficile de surveiller

simultanément salles et chambres d'isolement. En effet, il n'y a

pas lieu d'organiser une salle de jour séparée dans le quartier

de la surveillance continue, car il est difficile de surveiller toutes

les pièces.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 101

Vu. GRASHEY. Quel est le chiffre du personnel nécessaire, quel;en

sera le mode de relais ? 11 faut au moins deux et souvent trois à

quatre personnes. Un service de vingt-quatre heures ne vaut pas

un entraînement de plusieurs semaines. Grâce à ce système, le

personnel apprend à connaître plus exactement les malades, et il

lui est bien plus facile de posséder jour par jour les mêmes heures

de service et de récréation, que de prendre tous les trois ou quatre

jours, à la suite d'un service de jour fatigant, un service de veille

d'une demi-nuit.

M. de Gudden. Par mesure d'économie on établit un service de

surveillance de vingt-quatre heures. Quant à la proportion des

malades qu'il convient d'affecter à la surveillance continue, cela

dépend des endroits ; pour les établissements qui ne reçoivent pas

exclusivement des affections récentes, le chiffre de 10 p. 100 est

absolument suffisant.

M. OEBEKE. Il est impossible de forcer un même personnel à bien

surveiller six à huit semaines de suite.

M. GRASHEY. Mais, pendaut cette période, les agents ont parfois

douze heures de parfaite tranquillité et leur entraînement assure

un bien meilleur service.

M. Siemens. Dans son quartier de surveillance continue, deux

gardiens veillent continuellement pendant le jour à l'intérieur de

la salle; la nuit, deux autres prennent la garde; cette alter-

native s'étend à tous les infirmiers. Quand la salle de sur-

veillance renferme des aliénés particulièrement difficiles, on place

un troisième gardien dans la salle de jour.

M. de Gudden. A Munich aussi, un gardien couche également dans

le quartier de surveillance pour venir prêter la main la nuit en cas

de besoin. Le cabinet d'aisances ne saurait être placé en dehors,

sous peine de compliquer la surveillance.

M. Fuerstner. Chaque infirmier veille la moitié de la nuit; le

jour, on laisse exactement le même personnel dans le quartier de

la surveillance continue.

M. BINSWAIV6EB. Admet-on aussi des pensionnaires dans ce quar-

tier ? En pareil cas, il a éprouvé des désagréments.

M. Siemens. A Marbourg, on y placerait des pensionnaires, si la

chose était nécessaire.

M. Freusberg. ASarreguemines, il faut se passer d'un quartier

de surveillance continue. Qu'est-ce que l'appareil installé à

Munich pour observer les malades dans leurs cellules ?

M. DE GUDDEN. A Munich, on introduit aussi des pensionnaires de

classes supérieures dans le quartier de surveillance; mais les

malades qui peuvent le payer ont un infirmier spécial à leurs

102 SOCIÉTÉS SAVANTES.

frais; autrement, c'est l'asile qui l'installe. L'appareil dont parle

M. Freusberg est un cône enfoncé dans la porte : son sommet

regarde en dehors et est muni d'un disque de verre enchâssé

sur lequel s'abat une lamelle, une targette, semblable à celle de

l'oeilleton d'un oculaire télescopique.

M. L.OEHR. Dans les asiles privés, où chaque malade a sa chambre,

y a-t-il des quartiers de surveillance continue ? Il n'en a vu jusqu'ici

que dans un asile du Wurtemberg.

M. KLEUDGEN. A Obernik, j'ai fait installer une grande chambre

dans laquelle je réunis plusieurs malades ayant besoin de la plus

rigoureuse surveillance (suicides); cette installation ne m'a causé

aucune espèce d'ennuis.

M. SIE3fENS. - Du traitement des aliénéssitioplaobes. Le refus

de nourriture se voit surtout chez les aliénés mélancoliques et

hypochondriaques qui souffrent de troubles de la nutrition et de

la digestion consistant, le plus souvent, en modifications dans les

échanges interstitiels; c'est pourquoi les matières alimentaires les

gênent, même en très petites quantités. En un mot, ils ne les refusent

que parce qu'inconsciemment ils les sentent en excès. L'absti-

nence des aliénés n'a donc, pas plus d'ailleurs que pour tout autre

individu, le danger qu'on lui a attribué, pourvu qu'elle ne dépasse

pas, au point de vue de la durée, certaines limites. Le médecin

peut, par suite, dormir tranquille en présence des catégories d'ob-

servations antérieurement spécifiées', y compris même la folie

systématique, à la condition qu'il surveille attentivement ses ma-

lades, et qu'il intervienne dès qu'il y a danger pour eux, dès que la

sitiophobie, produit véritable du délire, met leur existence en dan-

ger. Du reste, il n'est pas rare, qu'alors un début d'intervention

pousse les aliénés à reprendre des aliments sans qu'on soit forcé de

recourir à la sonde. Le. problème consiste à déterminer avec

exactitude les conditions somatiques des sitiophobesetnotamment

leur poids, et principalement à rechercher, parmi les matériaux

d'excrétion, l'acétone. L'acétonurie paraîtrait être le symptôme

caractéristique de l'inanition histologique véritable, autrement

dit : tant qu'un malade qui refuse opiniâtrement la nourriture

ou qui n'en prend que peu, ne rend pas d'acétone, tant qu'en

même temps son poids demeure constant, cela prouve que les

centres des échanges moléculaires au sein des tissus et des paren-

chymes sont encombrés, que le peu de nourriture qu'il ingère

suffit, et que le forcer à absorber davantage lui nuirait. L'appa-

rition de l'acétone, au contraire, montre qu'il y a réellement insuf-

fisance d'aliments et que l'aliéné consomme sa propre substance.

- Dans maints cas, on maintiendra l'état des forces, du moins

4 Voy. Archives de Neurologie, t. X, p. 232 et t. IX, p. 268.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 103

momentanément, en donnant beaucoup d'eau ; par elle, en effet,

on restitue au sang un élément indispensable, de même qu'une

injection d'eau salée rend aux organismes desséchés par une

déperdition séreuse (hémorrhagie, diarrhées, choléra) de la force

et du pouls. On parera donc au plus pressé en donnant de l'eau

par l'anus, des lavements alimentaires à la peptone de Kemme-

rich, etc. Chez certains mélancoliques chroniques on obtient de

très bons résultats du sel de cuisine et d'un peu d'alcool dilué.

- Expectation circonspecte, contrôle incessant de l'état du malade,

repos au lit, observation précise, mise à profit de particularités

propres à chaque malade, veille continue, sollicitation de l'appé-

tit, rendent presque toujours superflue l'alimentation forcée par

la violence. Tout cela échoue-t-il, on est autorisé à s'armer de la

sonde, mais ces cas-là sont énormément rares.

M. OEaEKii. Du traitement des aliénés sitiophobesl. Après avoir

fait le diagnostic exact des troubles pathologiques qui expliquent

ce refus, et avoir classé la nature de la sitiophobie présente (ins-

tinctive, psychique, directe, symptomatique, complicatrice), on

est obligé, vu l'insuffisance des explications pathogénétiques,

anatomo-pathologiques, chimiques tour à tour proposées, de se

rendre à un traitement symptomatique. La grande indication qui

domine le thérapeute, c'est l'obligation de faire vivre le patient.

Quels sont les procédés qui la remplissent avec la plus grande

somme de certitude ? Le repos, l'épargne des forces du malade,

l'alitement et enfin l'alimentation forcée sont tour à tour ou simul-

tanément utiles, suivant les cas. Tout est bon ou tout est mau-

vais selon les manières dont on applique les procédés et les indi-

vidus auxquels on s'adresse. Voici ce que recommande M. OEbeke.

On arrive sans grande peine, sans grand apparat, sans siège ni

camisole de force, à introduire la sonde chez le malade au lit,

à la condition qu'on relève et fléchisse légèrement en arrière la

tête du patient. On enroule autour des genoux une couverture ou

un drap plié plusieurs fois dans le sens de sa longueur; les extré-

mités de cet étui qui enserre les jambes sont maintenues par deux

infirmiers assis. En même temps qu'ils assurent l'immobilité des

jambes horizontalement étendues, ils enferment les bras de

chaque côté dans une autre couverture. Un troisième consolide

la tête également préservée de toute compression à l'aide d'un

drap. La sonde oesophagienne utilisée est molle, et munie, à son

extrémité libre, d'un entonnoir de verre ou de métal. On injecte

en deux ou trois portions par jour les quantités du mélange sui-

vant administré froid ou chaud, selon les malades et selon leur

propension ou non aux vomissements :

1 Voy. Arch. de Neurologie, t. X, p. 452.

104 SOCIÉTÉS SAVANTES.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 105

En somme, le traitement de la sitiophobie chez les aliénés

comporte trois points. Les uns adoptent une expectation armée.

A côté de cela, il y a des cas irréfutables où il faut agir. Enfin les

autres interviennent du premier coup et forcent l'ingestion ali-

mentaire, soit par des lavements de peptone et de vin, sauf à

recourir, en cas de nécessité, à la sonde oesophagienne, soit direc-

tement de prime abord par le gavage stomacal auquel on ne sau-

rait refuser le mérite de parer au plus pressé.

I)iseu,,sion : M. Siemens. Et les dyspepsies nerveuses qui sont

des psychoses atténuées, et pour lesquelles le traitement psychique

est bien plus actif que le traitement local ! 1

M. GRASHEY. On est allé jadis trop loin dans l'emploi de la

sonde oesophagienne. La violence doit être laissée de côté. A

côté de cela, il y a une indication vitale à employer la sonde. Si

l'on agit prudemment, l'introdution de cet instrument n'offre

aucun danger; l'épreuve de l'insufflalion d'air avec auscultation

de la région épigastrique est concluante. Dans ces conditions,

toute adynamie consécutive à la sitiophobie en indique l'usage,

et, si elle est bien supportée, la continuation; sinon on cessera

de l'employer. Tel estaussi l'avis de M. de Gudden, qui recommande

les sondes molles et pour l'alimentation rectale et pour l'alimen-

tation gastrique.

M. PnEyEn. Les expériences chez les animaux ' n'autorisent pas

à transporter ces faits chez l'homme. Le cerveau peutforlbien ne

pas tant diminuer de volume que les autres parties molles des

inanitiés, mais il est impossible de déterminer cette proportion.

M. WiTKOwsKt. Chez les aliénés, ce n'est pas tant la mort par

nanition que l'affaiblissement extrême qu'il faut redouter, ce

dernier leur faisant perdre toute résistance à l'égard d'un acci-

dent nouveau.

M. de GUDDEN. De la question de la localisation des fonctions dans

l'écorce du cerveau. Il existe actuellement deux groupes de

physiologistes. Les uns regardent l'écorce comme une carte de

géographie divisée en un assez grand nombre de provinces et de

départements, qui commandent à des fonctions diverses et sont

nettement séparés. Les autres contestent cette répartition et

disent que l'écorce est uniforme dans ses fonctions. Munk est le

chef des premiers, Goltz des seconds, mais, même painu les dé-

fenseurs des localisations, l'accord est loin de se faire 2. Pour moi,

1 Voy. Arch. de Neurologie, t. X, p. 117, 104, 425, t XI, 237.

1 Nous appelons l'attention sur le dernier travail d'ensemble de M. de

Gudden, eu faisant remarquer que, même en ce qui conceme sestravaux

originaux, la précédente critique serait bien placée. Toutes les fois en

effet qu'il s'agit de physiologie expérimeutale, la porte est largement ou-

106 SOCIÉTÉS SAVANTES.

je me suis adressé à l'anatomie du cerveau en utilisant la mé-

thode expérimentale, mais en ne lui demandant que ce qu'elle

peut donner. Je me suis proposé de partir de la périphérie, des

nerfs, et de gagner les centres, mais en ne procédant qu'avec la

plus grande circonspection, à partir du moment où j'entrais dans

les organes centraux et dans l'écorce, afin d'éliminer le plus pos-

sible les sources d'erreur, de les découvrir, de les fragmenter et

d'en faire bonne justice. En marchant ainsi du simple au com-

posé, je voulais éviter de confondre les grosses lésions dues à

l'intervention opératoire avec les atrophies secondaires, si nettes

lorsque l'animal a longtemps survécu à une mutilation et qu'après

l'avoir abattu, on dissèque par les procédés micrographiques les

pièces anatomiques. Aussi, en substituant ma méthode aux résec-

tions corticales, aux électrisations de J'écoree, j'ai démontré chez

les lapins et les chats que les nerfs pathétiques s'entre-croisent

complètement, tout le noyau manquant du côté opposé à l'abla-

tion, et non partiellement. Les lapins ont certains avantages sur

les chiens et les chats ; on en est plus maitre et leurs nouveau-nés

ne sont qu'exceptionnellement atteints par les inflammations

traumatiques de la mutilation.

L'énucléation d'un oeil sur un lapin nouveau-né se traduit par un

arrêt de développement ou une atrophie de la bandelette optique du

côté opposé, .à l'exclusion de son faisceau non entre-croisé. Du

reste, chez cet animal, le faisceau non entre-croisé est si petit et

si peu important que, s'il n'a plus que ce trousseau, il se conduit

comme s'il était aveugle. A cette atrophie de la bandelette se

rattache l'atrophie du corps genouillé externe ; il se présente alors

sous la forme d'un ménisque oblique en dehors, mais accolé à la

saillie latéro-dorsale la plus antérieure de la couche optique,

saillie qui est probablement l'analogue du pulvinar. On ren-

contre enfin l'atrophie de la couche la plus supérieure du tubercule

quadrijumeau antérieur, qui est le vrai centre visuel. Le faisceau

pédonculaire transverse 1 s'atrophie quand le nerf optique s'atro-

phie, mais son centre, en rapport avec ce dernier, n'est pas cer-

tainement le centre visuel vrai du tubercule quadrijumeau anté-

rieur, il est encore inconnu et d'après- son siège et d'après ses

fonctions. Intégrité de l'écorce et notamment de la sphère visuelle

du côté opposé ; on constate simplement une asymétrie appa-

rente qui tient à ce que les atrophies sus-indiquées ont déter-

miné des déplacements de substance. L'énucléation des deux

verte aux interprétations les plus divergentes. 11 n'en est plus de même

quand on s'adiesse à la méthode anatomo-clinique. (Voy. Localisations

cérébrales de M. Charcot. Maladies de l'encéphale et localisations de

M. Nothnagel (trad. française). P. K.

1 Voy. Arch de Neurologie, t. XI, p. 96.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 107

yeux dans les mêmes conditions, donne des résultats identiques,

mais plus nets des deux côtés, les faisceaux non entre-croisés de

la bandelette disparaissant.

La séparation de l'acoustique et du facial chez le lapin nouveau-

né, à leur émergence du bulbe, sans autre mutilation, entraine

l'atrophie désirable '. On sait que l'acoustique se compose au

moins de deux systèmes de fibres; le centre auditif propre est le

tubercule acoustique. Le noyau à grosses cellules de Deiters n'a a

rien directement à voir avec l'acoustique. On ne constate pas

d'atrophies dans l'écorce.

Cinquième paire2. La racine descendante est exclusivement mo-

trice. Sa portion sensible ou racine descendante est-elle coupée,

son centre correspondant s'atrophie. Je crois avoir trouvé une

voie qui de ce centre va vers l'écorce, s'entre-croise avec celle du

côté opposé, peut être suivie pendant une certaine étendue à

travers la calotte et se perd en s'effilochant. La cinquième paire

est, chez le lapin, un nerf puissant, mais son atrophie ne se tra-

duit par rien sur l'écorce.

Nerf olfactif. Le centre en est la couche glomérulaire, tandis que

toutes les autres parties du renflement olfactif sont parties cons-

tituantes des hémisphères cérébraux. La bandelette olfactive est

un faisceau de projection dans le sens de Meynert; ce qu'on

appelle la portion olfactive de la commissure antérieure est exclu-

sivement une voie de connexion des lobes olfactifs. On voit clai-

rement dans la bandelette olfactive l'union de son centre avec

l'écorce cérébrale. Ainsi, excisez une narine d'un lapin nouveau-

né et produisez, par quelques points de suture, des adhérences

dans la plaie, vous aurez une atrophie très modérée de la couche

glomérulaire et de la bandelette olfactive. Chez un lapin de cinq

à six semaines, enlevez un os du nez, et raclez le nerf olfactif avec

la muqueuse, ou même, enlevez tout à fait au grattoir chez le

nouveau-né le renflement olfactif qui apparaît à travers son crâne

ouvert, ou encore allez l'exciser à l'intérieur du crâne, quand le

lapin sera devenu adulte, on verra une cicatrice linéaire de tissu

conjonctif très délicat, à la place de la bandelette disparue, le

lobe olfactif ne présentant macroscopiquement rien, microscopi-

quement peu de chose ou rien. Si on enlève les deux renflements

olfaclifs chez des animaux tout jeunes, mais n'en ayant plus abso-

lument besoin pour teter (suppléance du trijumeau à l'âge de sept

à huit jours), on assiste à l'atrophie totale des deux bandelettes

les deux lobes restant normaux. C'est de l'ensemble de ces faits,

que se déduit ma théorie au sujet des localisations (centres tro-

phiques).

' Voy. Arch. de Neurologie, t. VIII, p. 79.

2 Voy. id., t. XII, p. t09.

108 SOCIÉTÉS SAVANTES.

Les nerfs des mouvements des yeux, le facial; l'hypoglosse, le

plexus brachial, le sciatique, la plupart des nerfs moteurs de la

jambe antérieure ou postérieure, peuvent être enlevés chez le

nouveau-né sans qu'il se produise d'atrophie de l'écorce ultérieure.

Si l'on prend un nouveau-né, qu'on lui enlève les deux yeux, et

qu'on lui résèque les conduits auditifs, en les oblitérant ensuite

par des lambeaux de peau suturés, si on le condamne à une ré-

clusion parfaite, on voit, chez l'animal adulte, que l'organe olfac-

tif s'est hypertrophié et surtout son centre olfactif primaire qui

réside dans son renflement. L'ensemble de l'encéphale paraît

simplement avoir rétrocédé à raison de l'exagération de déve-

loppement des os, mais il n'a pas bougé.

On peut se livrer à de semblables recherches chez les chiens et

les chats, mais chez eux les faisceaux optiques non entre-croisés

sont trop puissants, de sorte que la recherche des tractus qui

gagnent l'écorce est plus difficile; en tout cas, l'écorce ne subit

en pareil cas aucune atrophie.

Centres des animaux nouveau-nés, et, avant tout, du lapin. On

ouvre un côté du crâne autour des sutures sagittale et frontale ;

on enlève tout un hémisphère y compris le corps strié, mais on

respecte la bandelette optique. Les animaux semblent continuer

à se développer, à voir, entendre, sentir, se mouvoir normalement

comme si de rien n'était. Mais il est impossible de posséder au-

cune notion anatomique précise permettant d'établir les rapports

des ganglions de la base avec l'hémisphère de haut en bas, impos-

sible de déterminer l'existence de libres de connexion entre le

centre optique du tubercule quadrijumeau antérieur et l'écorce.

Sans doute les couches supérieures de fibres nerveuses du tuber-

cule en question sont diminuées, mais ce déficit n'a pas de rapport

avec le centre de la vue sus-énoncé, car en même temps dispa-

rait un tout autre centre du tubercule quadrijumeau antérieur,

celui de la deuxième couche grise de sa coiffe grise. Le centre de

la vue lui-même (couche grise la plus supérieure) ne saurait être

tenu pour altéré; les bandelettes et nerfs optiques sont restés

égaux. Quand on expérimente chez le chat, il faut se garder de

tirer des conclusions relatives à la sphère visuelle avant qu'on se

soit convaincu que le traumatisme n'a pas déterminé d'exagéra-

tion de pression sur le centre optique primaire, il faut donc se

montrer très circonspect quand il s'agit de l'atrophie d'une bande-

lette optique consécutive à une destruction corticale de la sphère

visuelle, et se garder d'invoquer un rapport de cause à effet

avant d'avoir sûrement constaté une atrophie anatomique depuis

J'écorce jusqu'à la bandelette en question ; or, pareille altération

ne se voit point et n'a pas de chances de se voir.

Si on ouvre le crâne d'arrière en avant autour de la suture

coronaire, et, si en ayant soin de respecter le lobe olfactif, on

SOCIÉTÉS SAVANTES. 109

enlève dans la même direction, des deux côtés, tout le lobe occi-

pital et pariétal jusqu'à une distance de 1 millimètre en avant de

la suture choisie, l'animal abruti reprend quelques jours plus

tard toutes ses allures normales, comme s'il ne lui était rien

arrivé, mais il parait plus impulsif. Il voit, bien qu'il n'existe plus

dans son cerveau aucune espèce de trace de sphère visuelle; il

conserve la vision mentale.

La résection du lobe frontal des deux côtés, en respectant le lobe

olfactif, entraîne l'idiotie. L'animal, privé dès sa naissance de cet

organe, est un peu somnolent, et en même temps dépourvu de

pondération dausses mouvements, il subit un arrêt de développe-

ment physique marqué, ne sait plus lutter pour l'existence et

exige des soins de propreté et d'alimentation spéciaux à chaque

individu tenu séparé de ses compagnons. Du reste, aucun phéno-

mène de déficit. Il y a, au surplus, sur ce sujet des variations qui

dépendent du plus ou moins de mutilation. Quoi qu'il en soit

toutes les sensations s'exécutent dans leur intégrité; l'élément

psychique s'y montre encore de même que dans les mouvements.

Un a produit des imbéciles bien plus que des idiots parfaits.

Ce que j'ai dit du tubercule quadrijumeau antérieur, après

l'extirpation de tout un hémisphère, est vrai pour les centres de

tous les nerfs sensitifs. A tous doivent manquer les tractus qui les

unissent à l'hémisphère, et cependant ils sont eux-mêmes intacts.

Intacts aussi sont les noyaux des nerfs moteurs, qu'il soit question

du lapin, du chien, du chat.

Quant au centre primaire du nerf olfactif, quant à la couche

glomérulaire du renflement olfactif, la section de ce renflement

faite à l'intérieur du crâne se traduit par une atrophii de la ban-

delette olfactive; il n'en reste plus que de tout petits vestiges qui

appartiennent à la portion fermée du lobe, les fibres commissu- z

rales de cette portion même ayant aussi succombé.

Les localisations corticales n'existent donc pas. L'auteur passe

eu revue tout l'examen anatomique des pièces empruntées

aux animaux mutilés (méthode des coupes, colorations soignées),

établit un parallèle entre les mutilations physiologiques exécutées

chez les divers animaux nouveau-nés ou adultes, et insiste sur les

causes d'erreur (inflammation, compression hydrocéphalique,

exsudats, etc.,) qui en ont imposé lorsqu'il s'est agi des animaux

adultes.

En ce qui concerne la zone motrice chez un lapin nouveau-

né, l'ablation d'un hémisphère entier n'exerce pas le plus petit

trouble sur les mouvements. Prenons un animal adulte (lapin

ou chat) enlevons-lui son lobe frontal, c'est-à-dire, commençant la

section à 2 millimètres en arrière de la suture coronaire (lapin)

ou dans la suture coronaire (chat), réséquons, par une tranchée

perpendiculaire, toute la partie dulobe frontal située en avant du

hO SOCIÉTÉS SAVANTES.

couteau y compris le lobe olfactif : la paralysie du côté opposé,

consécutive à l'opération, n'a lieu que pendant le temps que dure

l'obnubilation du sensorium due à la narcose, il subsiste bien

quelque insuffisance motrice pendant les quelques jours suivants

dans les pattes postérieures; mais bientôt foute trace de mutilation

a absolument disparu. Et cependant, chez le chat, la résection a

détruit une zone d'un millimètre eu arrière du gyrus postcru-

ciatus en atteignant, quoique pas toujours, la base du lobe

olfactif. L'autopsie révèle encore que les faisceaux pyramidaux

sont complètement (lapin) ou incomplètement (chat) atrophiés.

Un chien qui avait subi la section à 3 millimètres en arrière de la

suture coronaire, présenta identiquement les mêmes phénomènes;

les faisceaux pyramidaux étaient radicalement atrophiés. Jamais

il n'y a eu de phénomènes de surexcitation motrice. Du reste, le

fameux chien de Goltz, réduit à l'idiotie inconsciente avec lour-

deur dans les mouvements, par suite d'ablations profondes et

étendues de la zone motrice dans les deux moitiés du cerveau, ce

chien n'était pas paralysé, n'était pas aveugle, et cependant, les

zones dites motrices et visuelles avaient été anéanties. La double

séparation du lobe frontal des deux côtés, dangereuse chez les

lapins de moins de deux mois (nécessité d'épargner le lobe

olfactif), est mortelle si l'on atteint la partie externe de la capsule

interne ou l'irradiation de la couche optique. Si les animaux

ainsi mutilés vivent encore (et j'en ai des spécimens), ils ressem-

blent, quant à leurs allures, aux lapins dont on a enlevé les deux

hémisphères peu de jours après l'accouchement : arrêt de déve-

loppement psychique et somatique avec quelques modifications

dans les fonctions motrices. Ainsi ils ne s'asseyent pas comme les

autres : ils avancent les pattes postérieures de sorte que les pattes

antérieures viennent se placer entre les pattes postérieures ; ils

sautent en élevant bien plus haut le train postérieur de leur

corps et lancent bien plus loin les jambes postérieures; légère

titubation quand ils se nettoient debout avec l'extrémité de leur

pattes; ils perdent même parfois l'équilibre et se renversent au

moment où ils se redressent, mais plus les animaux avancent en

âge, plus ces troubles rétrogradent.

Conclusions analomiques : 1° Dans toute la série des mammi-

fères, on constate un rapport déterminé entre le volume du lobe

olfactif, du renflement olfactif, du nerf olfactif. Parallèlement,

l'écorce du lobe olfactif offre des particularités spéciales. Rappe-

lons que, chez des lapins de sept à huit jours, on peut effectuer

des deux côtés la section des deux renflements; les lobes n'en con-

tinuent pas moins à se développer et paraissent normaux quand

plus tard chez l'adulte on les examine. 2° L'ablation du lobe

frontal, et cette ablation seule, entraîne l'atrophie complète des

faisceaux pyramidaux. L'ablation des lobes pariétaux et occipi-

SOCIÉTÉS SAVANTES. 111

taux laissent ces derniers intacts. 3° L'ablation de tout un

hémisphère, y compris le corps strié, entraîne l'atrophie de tout

le pédoncule du côtédroit. Chez le lapin, la partie médiane et

latérale de ce pédoncule sont contiguës; chez les mammifères

supérieurs, on constate des déplacements. Chez tous, l'irradia-

tion de la commissure de Meynert témoigne suffisamment du lit

de chacun des deux systèmes. Le fait est que le système médian

est en rapport, au moins de préférence, avec le lobe frontal; le

système latéral, avec le lobe pariéto-occipitat. 4° J'ai, moi

aussi, constaté que le ruban de Reil, du moins ce segment que

6lonakowl qualifie de cortical (ruban de Reil cortical), dépend

de l'écorce du lobe pariéto-occipital. Je pense, sauf plus ample

et plus exact examen, que le lobe olfactif doit être rattaché au

lobe pariéto-occipital. En tout cas l'ablation du lobe frontal laisse

intact le ruban de Reil, les fibresarciformes correspondantes, les

noyaux des cordons grêles et cunéiformes, tandis que, lorsqu'on

enlève le lobe pariéto-occipital, on voit les organes énumérés

disparaître, du moins pour la plupart. 50 Les noyaux de la

couche optique sont en partie indépendants de l'écorce et, en

particulier, ceux qui sont reliés les uns aux autres à l'aide de ce

que j'appelle la commissure inférieure 2. Certains de ces noyaux

ne dépendent-ils pas'du lobe frontal ? La chose est possible, mais

la plus grande partie d'entre eux, voire le corps genouillé interne,

sont dépendants du lobe pariéto-occipital. 6° Le ganglion mé-

dian postérieur du corps mammillaire dépend aussi du lobe

pariéto-occipital; il persiste après la séparation du lobe frontal.

On en arrivait, d'après cela à conclure que, l'écorce étant déve-

loppée et exercée normalement, les fonctions cérébrales s'y loca-

lisaient en deux régions principales : l'une destinée aux concep-

tions motrices, l'autre aux conceptions sensibles. Mais on n'étaitpas

autorisé à prétendre davantage. Cependant l'avenir laissait à espé-

rer qu'il serait peut-être possible, en ne lésant pas ou en ne lésant

que le moins possible l'écorce, d'agir sur les centres et faisceaux

qui dépendent d'elle et, par conséquent, de se rendre compte,

après cetteintervention, des effets de la destruction de ces centres

et faisceaux sur l'écorce. C'était un pas de plus, des nerfs à la ré-

giou corticale. Aussi ai-je essayé par la base.

Après avoir énucléé un oeil à un jeune animal, j'ai essayé de

pénétrer par le trou optique dans la capsule interne, et d'abord

dans sa partie moyenne, en plein dans les faisceaux pyramidaux.

J'y ai réussi, ainsi que le prouvent les pièces anatomiques, mais

je ne sais si je n'ai pas détruit davantage. Chez un lapin qui ne

1 Voy. Archives de Neurologie, t. XII, p. 102, 110, t. VII, p. 125, t. V.

p. 94.

2 Voy. Archives de Neurologie, Mémoires cités.

11 2 SOCIÉTÉS SAVANTES.

présentait plus d'intact qu'un tout petit reste des faisceaux pyra-

midaux, l'écorce cérébrale révélait une atrophie presque complète,

des grandes cellules pyramidales, sans autre altération des autres

cellules. On peut, par suite, se demander si les différentes couches

de cellules ne se relient pas à diverses fonctions, chacune à cha-

cune. Les faits semblent démontrer que les cellules pyramidales

les plus nombreuses et les plus grosses occupent le lobe frontal

chez le lapin normal. A côté de cela, sur un cerveau de chien,

dont on avait réussi par lésion du lobe frontal à atrophier radica-

lement le faisceau pyramidal, les grandes cellules pyramidales

s'étaient maintenues en partie bien conservées.

Ces résultats, qui n'atteignent en rien la loi de l'énergie spéci-

fique des organes seusoriels (Muller), démontrent la nécessité de

commencer par l'anatomie pour arriver à la physiologie ou, si

l'ou intervertit l'ordre, de ne jamais perdre de vue l'anatomie.

Ils ne sauraient au surplus s'appliquer de but en blanc à l'homme,

parce que chez l'homme les mouvements volontaires jouent un

rôle infiniment plus grand que chez les animaux.

Discussion : M. Mendel. L'an dernier, à Leipzig', j'ai produit

des figures de diverses circonvolutions de l'écorce cérébrale, et

fait remarquer la diversité de leur constitution anatomique. Je

possède des recherches semblables chez le chien. A l'oeil nu

même, on reconnaît, au pourtour de la fosse calcarine, un trous-

seau de fibres blanches connu sous le nom de bandelettes de

Vicq-d'Azyr; sa situation au milieu de l'écorce grise révèle qu'en

divers points la structure de l'écorce cérébrale est différente. Ceci

indique que les fonctions physiologiques de l'ensemble du revê-

tement cortical ne sont pas identiques. Quoiqu'il en soit cepen-

dant de cette ardeur de localisation prématurée, quoiqu'il en

soit de la vogue, de la terminologie de ces districts corticaux, l'a-

bondance des faits cliniques chez l'homme me parait si chargée,

ils sont en partie si démonstratifs en laveur de la localisation que

je necroispas que les expériences sur les animaux puissent seule-

ment effleurer la théorie.

M. Nissl en appelle à l'étude histologique. Il adjure de se servir

des procédés spéciaux à la recherche des cellules pour l'étude des

cellules, des procédés spéciaux à la recherche des fibres pour l'é-

tude des fibres. Sa méthode à lui 2 décèle presque exclusivement

les cellules corticales. Si l'on envisage leur disposition topogra-

phique, on est obligé de reconnaître, en ce qui les concerne, le

type à cinq couches par toute l'écorce. Sans doute sa composition

présente des variétés, mais sans permettre de leur rattacher des

centres bien limités.

1 Voy. Archives de Neurologie, t. X, p. 270, 232.

2 Voy. id., t. X, p. 270.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 113

M. PMYER. La variété de structure n'implique nullement la

variété de fonctions. Que de faits dans lesquels la fonction est

identique alors'que la structure morphologique est différente.

Généralement, on méconnaît trop souvent dans les recherches de

cet ordre la versatilité des parties du cerveau. Les champs de l'é-

corce ne peuvent être séparés les uns des autres comme les

losanges d'une mosaïque. En matière de localisation, le mode de

développement a la plus grande importance. Quelques centres

sont congéniaux : tels celui de la respiration, de la succion, de

la déglutition. D'autres sont acquis : tels celui delà parole qui

ne se produit pas quand l'enfant n'entend pas'. Ce qui est vrai

pour certaines localisations doit l'être pour d'autres; il est diffi-

cile de dire quelles sont les fonctions cérébrales à centre fixe qui

sont transmises, congéniales, et quelles sont celles qui sont

acquises à l'aide des impressions sensorielles. Cette recherche

est nécessaire; elle ne s'accorde pas avec l'opinion de la délimi-

tation constante des champs corticaux, tandis qu'elle va très bien

avec les recherches de de Gudden.

M. de GUDDEN. Prenons l'aphasie. L'hypothèse d'un centre de la

parole n'existant normalement que d'un côté est incompréhen-

sible. Sans doute, dans la plupart de cas d'aphasie, la lésion occupe

l'endroit classique de l'hémisphère gauche, mais il y a aussi des

cas où la lésion existait à droite. Expliquer cela par ce fait que

l'individu était gaucher, et par conséquent droitier du cerveau,

n'explique rien, car que devient l'unilatéralité de développement

chez l'ambidextre. Laissons de côté les considérations d'après

lesquelles l'habitude de se servir de la main droite est le produit de

l'exercice et de la coutume, qu'elle ne se transmet pas, et que la

parole se développe plus tôt que cette habitude de se servir de

telle ou telle main. Supposons que le centre de la parole se limite,

sur un cerveau normal, exclusivement à un côté, à certaines cir-

convolutions de ce côté du cerveau ; à quoi servent alors les cir-

convolutions correspondantes du côté opposé ? Ne fonctionnent-

elles pas ? Pourquoi, si elles ne servent pas, ne s'atrophient-elles

pas ? Et cependant, même chez les sourds-muets, la région en ques-

tion n'est pas atrophiée.

M. MINDEL. M. Nissldit qu'il n'y a pas de différence entre les

diverses parties de l'écorce, que partout on trouve les cinq couches,

mais que cependant tantôt l'une tantôt l'autre de ces couches

manque; donc la composition n'est pas uniforme; quant aux

objections de M. de Gudden, elles n'empêchent pas les faits

cliniques.

' Voyez Kussmaul {Stoerïmgen der spreche) ; Charcot et Marie (Revue

de médecine 1883); Notimagel (Maladies de l' encéphale, p. 466, note 4).

Archives, t. XIII. 8

le, SOCIÉTÉS SAVANTES.

M. de GUDDEN. Evidemment, mais il n'y en a pas moins bien des

obscurités à dissiper.

M. MINDEL. Le médecin-expert et l'exclusion du libre arbitre for-

mulée dans le§ 51 du Code pénal allemand. - « § 51. Il n'y a

« ni crime ni délit, quand celui qui a commis l'acte incriminé se

« trouvait, au moment où il l'a perpétré, en un état d'incons-

« cience ou de trouble pathologique de l'activité mentale

« qui excluait son libre arbitre. »

Étude de critique médico-légale. Le devoir du médecin, dans

le cas de responsabilité douteuse, consiste simplement à chercher

si, à l'époque de l'acte incriminé, il y avait inconscience ou

trouble psychique morbide. C'est au juge, au juge seul, qu'il

appartient d'apprécier si l'état d'inconscience ou de trouble psy-

chopathique constaté excluait le libre arbitre. Cette expression

de libre arbitre ne représente point, en effet, une notion scienti-

fique d'ordre psychiatrique. Tel est, d'ailleurs, l'avis du législateur

et d'éminents juristes. 11 en est de même pour la respon-

sabilité, l'irresponsabilité, le degré de l'une ou de l'autre; elles

représentent des notions de droit pénal et non de médecine.

Y a-t-il, y avait-il ou non, inconscience, ou non trouble psychopa-

thologique ? Le médecin n'a à répondre que sur ce point. S'il

veut introduire dans son examen analytique des éléments qui

deviennent dans l'esprit des magistrats des causes d'adoucisse-

ment pénal, il peut le faire dans son rapport, mais par la voie

de faits médicaux et non en pénétrant sur le territoire de la phi-

losophie et du droit.

M. Witkowski. Contribution à la psychiatrie clinique. Il y a

neuf ans, appuyé sur la statistique, je réfutais l'idée que les mala-

dies mentales commençaient par un stade initial mélanco-

lique. Et, en même temps, je me convainquais de l'existence

d'un terrain limitrophe entre la mélancolie et la folie sys-

tématique, forme intermédiaire pour laquelle je proposais le nom

de folie systématique mélancolique, sans préjuger de sa genèse,

de l'enchaînement étiologique de se manifestation i. Le processus

fondamental invariable de la folie systémitique est toujours la fixité

des idées délirantes avec tendance à la systématisation. Mais

à côté de ce radical, certains phénomènes apparaissent de

temps à autre, ou en permanence, et viennent parfois occuper le

premier plan, de sorte qu'il convient dans la terminologie de leur

réserver une place : on en consacre l'existence par les expressions

de folie systématique hallucinatoire hypochondriaque stu-

pide mélancolique toutes formes ne s'excluant pas l'une

l'autre, pouvant coexister, ou se succéder. C'est ainsi qu'il existe

une folie systématique illusionnaire, dans laquelle les hallucina-

tions de l'ouïe et les plaintes hypochondriaques cèdent le pas aux

SOCIETES SAVANTES. 115

illusions; le malade méconnaît les personnes et les choses, et est

le jouet passager ou permanent de la dépression. Sans doute il

était d'une observation exacte et facile à expliquer que l'humeur

mélancolique fût fréquente dans les périodes de début de la ma-

ladie.

Dès les premières années, on voit aussi de la folie systématique

surtout avec exaltation, de violents accès d'angoisse, ainsi que

des phases, des courants d'idées mélancoliques qui semblent

constituer l'introduction nécessaire de la mégalomanie. Plus tard,

des épisodes semblables apparaissent brusquement, sans cause

occasionnelle, surtout dans les cas de délire de persécution. Mais

il existe aussi une modalité intermédiaire à la mélancolie pro-

prement dite et à la folie systématique; à cette modalité se rat-

tachent les déprimés en permanence (négateurs, sceptiques,

ensorcelés, damnés, immortels, pourris). Quoi qu'il en soit, c'est

la folie systématique qui dans la plupart de ces formes est le pivot

essentiel du tout; le caractère partiel du trouble, sa persistance,

sa systématisation, l'immixtion de conceptions étrangères et indé-

pendantes de la mélancolie, l'état de l'humeur également dif-

férent de celui du mélancolique, tout porte le cachet de la vésanie

organisée. La folie, systématique peut aussi verser dans la débilité

mentale ou provenir de la débilité mentale. Dans le premier cas,

il s'agit d'une folie systématique progressive, généralisée, aboutis-

saut à la démence, démence cependant souvent compatible avec

une existence relativement utile. Dans le second ordre de faits,

on a affaire à des débiles ou à des imbéciles congénitaux qui pré-

sentent des dispositions spéciales à produire une série de concep-

tions délirantes plus ou moins nettes, plus ou moins parfaites,

plus ou moins bien organisées, systématisées; parfois, on note

même une puissance de création analogue à celle des paralytiques

généraux.

Les difficultés d'établir une classification rationnelle et suivie

des psychoses tiennent à deux causes. En ce qui concerne l'étio-

logie, les agents morbigènes les plus fréquents et les plus certains

tels que l'hérédité, le traumatisme, la vieillesse font souvent une

brèche impitoyable à notre système. L'alcool produit non pas

seulement des fous morbides divers, mais encore des formes

mixtes difficiles à étiqueter. Il en est de même de la folie de la

puberté; elle est évidemment formée parla succession de dépres-

sions, délires hallucinatoires, affaiblissement psychique, se pro-

duisant parfois par série de poussées. Enfin les psychoses sont

analogues aux autres maladies cérébrales. De même qu'au milieu

de convulsions et de douleurs plus ou moins violentes, on voit se

développer des paralysies et des anesthésies de diverses étendues,

de même dans la plupart des maladies mentales chroniques s'ins-

talle un affaiblissement psychique croissant qui représente l'es-

116 s BIBLIOGRAPHIE.

sentiel de la maladie, et sur lequel les délires et les troubles de la

sensibilité morale apparaissent comme autant de phénomènes

d'excitation. Dans la plupart des psychoses chroniques, l'affaiblis-

sement psychique est un phénomène de déficit, non pas secon-

daire, mais primitif, sur lequel se greffent, à l'instar des convul-

sions sur les paralysies, les épisodes bruyants. En réalité, les

psychoses combinées n'existent pas. A côté de cas purs repré-

sentant les types indiqués par la théorie, il existe une foule de

cas mixtes qui, pour la plupart, se tiennent par le lien commun

de la faiblesse psychique. Personne ne s'avise de vouloir nier les

différences entre l'hystérie et l'épilepsie, bien qu'un très grand

nombre d'observateurs soient convaincus qu'assez souvent il y a

des cas auxquels on peut donner un nom aussi bien que l'autre.

Il en est de même pour les syndromes psychiques.

Discussion : M. de KRAFFT-EBING. - Il n'est souvent possible de

poser un diagnostic différentiel entre la mélancolie et la folie

systématique que par une observation prolongée. Le passage de

la folie systématique à la démence a lieu très promptement chez

les individus tarés de par l'hérédité, chez qui la masturbation ou

quelque autre vice a été la cause occasionnelle de l'explosion de

la maladie. En d'autres cas, la folie systématique peut persister

de longues années sans que survienne une démence notable ; il

en possède une observation de cinquante années de durée. (Allg.

Zeitsch. f. Psych., XLII, 6. P. KERAVAL.

BIBLIOGRAPHIE

I. Contribution à l'étude des albuminuries transitoires dans quel-

ques maladies du système nerveux; par H. Michel. (J.-B. Bail-

lière, éditeur, Paris, 1885.)

Travail inspiré par M. B. Teissier (de Lyon), qui sur un groupe

de 60 albuminuriques, ne constatait, quelques jours après son

premier examen, que six à sept cas d'albuminurie. Il s'agissait

d'individus atteints depuis bien longtemps d'une affection du

système nerveux, mais absolument indemnes de néphrites.

M.Michel passe en revue six groupes de névropathies; les unes

à lésion classée,1; atrophie musculaire progressive ( observation)

ataxie locomotrice (8 observ.) hémiplégie (3 observ.)

BIBLIOGRAPHIE. 117 Î

myélites aiguës (5 observ.) périencéphalile (1 observ.) les

autres désignées sous la rubrique générale de névropathie simple

(4 observ.). Il trace-ensuite une étude d'ensemble sur la sympto-

matologie et la clinique de l'albuminurie transitoire (chap. Il),

ainsi que sur la recherche et la nature du syndrome (chap. III). En

ce qui concerne la valeur séméiologique de l'albuminurie transi-

toire, il tente d'en éclairer la pathogénie à la lumière de la physio-

logie expérimentale.

Neuf expériences lui ont démontré que des lésions centrales

peuvent, sans déterminer la moindre fièvre, produire del'albu-

minurie ; et cela non pas seulement quand ou mutile la moelle

lombaire et dorsale (section des racines antérieures et posté-

rieures), mais lorsqu'on résèque une partie de l'écorce (notam-

ment le gyrus sigmoïde), ou quand on excite le bout périphérique

du grand sympathique cervical et du pneumogastrique. D'où les

conclusions suivantes :

Certaines affections du système nerveux peuvent, sans que la

fièvre intervienne, entraîner de l'albuminurie, en dehors de

toute altération des reins ou du coeur. Il s'agit d'une albuminurie

habituellement transitoire, sans troubles fonctionnels concomi-

tants ; l'albumine; peu ou non rétractile, est excrétée en petite

quantité ( leucomurie de Gùbler; albuminurie dyspeptonique

d'Esbach); les urines ne présentent aucune anomalie;le précipité

qui s'effectue surtout par l'acide azotique chaud et la solution

picroacétique est encore plus rapide, quand on se sert du réactif

de Tanret et de celui de Yokohama (voy. mémoire, p. 65).

L'albuminurie transitoire, notable le soir lorsqu'il y a eu un

trouble digestif) ou le matin, lorsque les malades ont éprouvé des

manifestations douloureuses, s'accompagne d'une hyperexcrétion

d'acide urique ou même d'urée; elle tient probablement à un

trouble de la nutrition organique dû lui-même soit à la maladie

nerveuse primitive, soit à des doubles vasomoteurs intrarénaux

(système nerveux central ou grand sympathique). Le pronostic en

est bénin ; elle cède au traitement de l'affection générale et à un

régime rationnel quoique parfois elle provoque à la longue de

l'irritation rénale et une néphrite vraie. P. K.

II. De l'hystérie chez les enfants; par P. PEUGNIEZ. (A. Delahaye

et E. Lecrosnier, éditeurs; Paris, 1885.)

Gros mémoire de 480 pages, produit à l'école de la Salpêtrière.

Et, en effet, ce sont les travaux de M. Charcot surtout et les

observations publiées chaque année par M. Bourneville qui ont,

dans ces dernières années, permis de constituer complètement

l'hystérie de l'enfance. (Progrès médical, 1882-1885. Maladies du

118 ô BIBLIOGRAPHIE.

système nerveux, t. III, f. 1. ; comptes rendus de Bicétie 1882-1 885.)

La modalité du fonctionnement du système nerveux représente,

comme le dit M. Peugniez, un élément qui prédispose l'enfant à

l'hystérie; de l'enfance à la puberté, l'encéphale quintuple de

volume et, concurremment avec cette suractivité anatomique, on

constate un afflux exagéré de sensations à l'aide desquelles le

jeune être prend connaissance du monde extérieur; aussi et, c'est

là le revers de la médaille son émotivité est-elle excessive. C'est

également la raison pour laquelle l'hystérie, plus fréquente chez

les jeunes garçons que chez l'homme adulte, se montre beaucoup

plus chez les petites filles. Elle débute entre six et huitans,et n'est

pas influencée par la menstruation. Des XXVI observations exces-

sivement complètes consignées dans son travail, l'auteur déduit

que : L'hérédité est la principale cause prédisposante de l'hystérie

infantile. Les troubles des facultés affectives sont un des premiers

symptômes delà maladie. La symptomatologie est la même, à peu

de chose près, chez l'enfant et chez l'adulte, quel qu'en soit le

sexe. Le traitement a plus de chances de réussir chez l'enfant que

chez l'adulte. Plus tôt le diagnostic est fait, plus tôt le traitement

est institué, moins grave est le pronostic. L'isolement est le mode

de traitement le plus actif à opposer à la maladie. L'hystérie

infantile revêt quelquefois le caractère épidémique; relations de

l'épidémie d'hystéro-démonopathie de Morziues, 1861, et de celle

depledran près Saint-Brieuc. (Vov. Progrès médical ! 881. Baratoux.)

P. K.

111. De l'hématidrose et de ses rapports avec la menstruation,

par MANGO.4. (Thèse de Bordeaux, 1886.)

A côté des faits relatifs aux hémorrhagies supplémentaires,

l'auteur rappelle un certain nombre de cas de sueurs de sang,

sous l'influeuce de la frayeur, de la colère, et d'autres perturba-

tions morales, de la douleur physique, d'un- exercice corporel

violent. CH. F.

.IV Essai sur la mégalomanie, par NICOULAU. (Thèse de Bordeaux,

.. 1886.) .

L'une des parties les plus originales de cette thèse est l'avant-

propos : « Pourquoi, dit l'auteur, serais-je allé, pareil à l'homme

de la Fable, m'enquérir bien loin d'une fortune notoirement assise

à ma porte ? » Nous souhaitons que lafortuneluiarrive; maisil se-

rait injuste quecefûtà cause de sa thèse, dont voici les conclusions :

1»La mégalomanie doit être considérée comme une entité mor-

bide ; 2° elle est primitive ou secondaire, simple ou compliquée

d'autres conceptions délirantes; 3° elle parait d'autant plus

curable qu'elle se rapproche plus de l'état de simplicité; 4° les

BIBLIOGRAPHIE. 119

hallucinations de la mégalomanie complexe sont dues aux vésanie

complémentaires ; - 5° la cause de mégalomanie paraît-être, en

certains cas l'illégitimité des naissances ; 6° la terminaison la

plus ordinaire est la démence. Cri. F.

V. Du suicide dans le délire ou folie des persécutions,

par M. AIEILHOU. (Thèse de Bordeaux, 1886.)

Personne n'a jamais affirmé que le suicide fût fréquent dans

le délire de persécution, et il était au moins inutile d'appeler

Esquirol en témoignage. M. Cotard dit même dans un remarquable

mémoire sur Je délire des négations qu'il est rare, et pour

M. Ritti il est moins fréquent que dans aucune autre forme

de mélancolie; M. Meilhou, veut arrivera faire de l'idée de sui-

cide un caractère capable d'exclure le délire des persécutions. Il

fait une critique en règle de quatre observations dans lesquelles

des idées de suicide ont été constatées chez des sujets qui n'étaient

pas de vrais persécutés; puis il rapporte une observation montrant

encore qu'un mélancolique peut avoir des idées de persécution

sans être un vrai; persécuté, puis encore deux observations éta-

blissantquecesmêmes mélancoliques peuvent avoir des idées de

suicide. Mais ces quelques faits sont insuffisants pour démontrer

la principale proposition de la thèse à savoir que la présence des

idées de suicide doit faire exclure le délire des persécutions.

D'ailleurs, après avoir déduit des applications pratiques etmédico-

légales de cette proposition non démontrée, l'auteur conclut

modestement que « le suicide est une exception dans le délire

des persécutions. » Toutle monde reste d'accord comme ci-devant.

M. Meilhou rapporte d'ailleurs une observation à l'appui de celles

de M. Cullerre montrant que le délire de persécution peut être

combiné avec le délire alcoolique et que, dans ces conditions, les

idées du suicide peuvent être indépendantes du délire de per-

sécution. M. M... laisse sans critique deux observations de M. Le-

grand du Saulle dans lesquelles le délire des persécutions avec

idées de suicide n'était nullement compliqué. Cn. F.

VI. Des attentats à la pudeur sur les petites filles, par P. BERNARD.

(Thèse de Lyon, 4886)

Cette étude intéressante nous montre la fréquence considérable

des attentats à la pudeur sur les enfants, surtout dans les centres

populeux et industriels. Les inculpés de cette sorte de crime sont

le plus souvent des hommes d'un âge mûr ou des vieillards, et

en général, l'âge dû' violateur est en raison inverse de celui de la

victime. Toute proportion gardée, les veufs constituent la majorité

des accusés. L'instruction ne' parait pas influencer la marche de

120 BIBLIOGRAPHIE.

cette criminalité qui varie avec les saisons et le régime : ces atten-

,tats paraissent en effet beaucoup plus nombreux en juin, c'est-à-

dire à la fin du printemps, et.au contraire, moins nombreux en

novembre, au commencement de l'hiver; ils sont plus fréquents

dans les années d'abondance et favorisés par l'alcoolisme. -

Il est à regretter que, parmi les conditions qui favorisent les

crimes de cette nature, l'auteur ne se soit pas préoccupé de l'état

mental des violateurs et de leurs victimes ; s'il l'eût fait, il n'eût

pas formulé (p. 40) cette proposition singulière : « En France,

l'augmentation périodique des crimes contre les moeurs est due à

l'amélioration des conditions économiques et physiologiques à ;

ce qui revient à dire que les perfectionnements auxquels tendent

les Français les amènent nécessairement à rechercher les rap-

ports sexuels avec des filles impubères, c'est-à-dire un coït

périnéal sûrement infécond. L'auteur pouvait éviter ce paradoxe

en établissant que les Français dont il entend parler, sont des

dégénérés qui évoluent, par tous les procédés possibles, vers la

stérilité. Et il n'eût pas été sans intérêt de rechercher si la plu-

part des petites filles qui deviennent les victimes de ces dégéné-

rés ne sont pas elles-mêmes des prédisposées d'un genre spécial; un

grand nombre d'entre elles ont des tares héréditaires et présen-

tent des anomalies organiques, souvent elles ont un développe-

ment prématuré, une physionomie génitale caractérisée princi-

palement par un éclat particulier des yeux contrastant avec

l'aspect puérile de la partie inférieure du visage, et du reste du

corps, qui les signale en quelque sorte à l'attention des dépravés.

Dans la seconde partie de son travail, M. B... montre que la con-

formation anatomique des parties s'oppose à l'intromission va-

ginale, de sorte que le plus souvent le violateur pratique un coït

externe ou périnéal antérieur ou postérieur. Nous n'insistons

pas sur l'étude des troubles locaux qui en résultent et que l'au-

teur décrit avec beaucoup de soin. Chez les enfants qui s'adon-

nent à la masturbation on trouve souvent, outre la dilatation de

l'orifice hyménéalune certaine congestion douloureuse du ma-

melon, c'est le point douloureux mammaire sur lequel insiste

particulièrement M. Lacassagne. Cn. FÉng.

VII. L'encéphale (structure et description iconographique du cerveau,

du cervelet et du bulbe), avec un atlas de 59 planches en glypto-

graphie; par E. GAvoy. (J.-B. Baillière éditeur, 1886.)

M. Gavoy imaginé un cérébrotome qui lui permet d'obtenir

des coupes minces de la totalité de l'encéphale que l'on peut

étudier par transparence à l'eeil nu, lorsqu'un les a disposées

entre deux lames de verre, où elles peuvent être conservées

VARIA. 121

par un procédé approprié. Ce mode de préparation peu propre à

l'étude de l'anatomie fine permet de distinguer les principaux

faisceaux de fibres qui parcourent les diverses parties de l'encé-

phale et de prendre une bonne idée de leur disposition topogra-

phique générale. Les planches qui accompagnent la description de

M. Gavoy sont de grandeur naturelle et sont très propres à la

démonstration et à l'étude.

VARIA

HISTOIRE ADMIRABLE

DU JEUNE PRODIGIEUX D'APOLLONIE SCHREIER

. YJERGE DU CANTON DE BERNE -

Par Paullus LENTULUS, docteur en médecine, citoyen et physicien

ordinaire do l'illustre et puissante République de Berne.

PREMIÈRE NARRATION

Il existe dans le district d'Erlach, qui dépend de la célèbre

et puissante république de Berne, un petit village nommé

Galz, situé à environ deux mille pas du monastère de l'Ile

Saint-Jean, qui se trouve à l'extrémité du lac de Bienne. A

cette époque, il n'était question que du jeûne prodigieux d'une

jeune fille, et partout on racontait à ce sujet une foule de

choses aussi absurdes que merveilleuses. Le gouverneur de

Cénobie, qui tient la justice de Galz, persuadé qu'il arriverait

de graves inconvénients causés par l'immense concours de

gens de toute sorte qui venaient de tous lieux pour voir une

chose aussi nouvelle et aussi extraordinaire, jugea prudent d'en

informer le premier magistrat de Berne pour éclaircir le mys-

tère. Aussi, vers le milieu du mois de- janvier 1602, lui fit-il

remettre des lettres l'informant sommairement des faits habi-

tuels observés pendant les jeûnes de cette jeune fille, d'après

les données qu'il avait pu recueillir autant par lui-même que

par les parents et voisins'du sujet, et lui annonça franche-

ment qu'il abandonnait l'aflaire, le priant que, pour une

chose aussi nouvelle et aussi insolite, il eût à lui signifier

avec sa bonté habituelle quelles mesures il fallait prendre.

Ces lettres furent lues au Sénat. Il fut décidé d'envoyer

une mission chargée d'examiner, le plus promptement pos-

sible, le corps de la jeune fille et la maladie dont elle se disait

atteinte, et à faire une sérieuse enquête sur tout ce qui pou-

vait avoir trait à ce prodige. Il leur fut aussi ordonné d'inter-

roger la jeune fille elle-même, ses parents, tous les gens de

son village, tant hommes que femmes, en un mot toutes les

personnes pouvant offrir les meilleures garanties de franchise.

Pour remplir cette commission on choisit trois personnes,

parmi les médecins ordinaires, Paullus Lentulus, docteur en

médecine; Daniel, lithotomiste épiscopal, et maître des chi-

rurgiens. Ces trois personnes partirent le dernier jour de jan-

vier, un peu avant midi, et se rendirent au village de Galz,

dont nous avons déjà parlé. Etant entrés dans la maison où

logeait la jeune malade, ils exposèrent le motif de leur visite

et l'ordre du premier magistrat, et demandèrent la permis-

sion d'examiner le sujet et la liberté d'étudier son état et les

symptômes de son mal. Les parents et la jeune fille accé-

dèrent volontiers à ces demandes et se mirent tout entiers

à leur disposition pour qu'ils pussent remplir leur office sans

aucun obstacle.

C'est alors qu'ils trouvèrent la jeune fille. Elle était âgée

d'environ dix-huit ans. Elle reposait sur un lit de plume

assez moelleux, placé dans une chambre médiocrement

chauffée, ce qui est peu commun dans ces régions et à cette

époque de l'hiver. Elle se tenait couchée sur le dos et était

presque immobile. Elle avait pu néanmoins, par un léger

effort, ramener ses bras et ses mains sur sa poitrine, et de sa

main gaucheétreindreladroite. Elle remuait plus difficilement

les cuisses. Toutefois, elle pouvait déplacer ses jambes, mais

avec beaucoup de volonté. La peau de son visage ainsi que

celle de son corps était brune; ses cheveux noirs et fort épais

une fois coupés pendant toute la durée de son jeûne, repous-

saient très bien ensuite. On demanda à la mère pourquoi on

avait coupé les cheveux à la jeune fille. Elle répondit que

c'était pour la préserver plus facilement des poux et autre'

vermine, et, surtout, parce que le peigne, ou toutes les autres

choses qu'on employait pour lui nettoyer la tête, lui causaient

VARIA. 123

des vertiges, et qu'elle ne pouvait absolument rien supporter

à cause de sa trop grande faiblesse. Ses paupières étaient

légèrement rouges; ses lèvres avaient une couleur de corail.

La langue était bonne et de couleur normale, et suffisam-

ment humectée par une salive peu abondante. Les narines,

quoique humides, n'étaient pas morveuses. D'après son dire^

la jeune fille dormait de temps à autre, mais les parents

affirmaient que, surtout la nuit, ils n'avaient pu observer si

elle dormait réellement, parce qu'elle parlait sans cesse,

même au moment où elle semblait le mieux dormir. A son

réveil, elle se plaignait grandement de son sommeil, qu'il eût

été long ou court, et en ressentait une extrême fatigue. La

respiration n'avait rien de pénible, mais il fut remarqué que

l'aspiration était plus forte que l'expiration, et, bien plus,

en examinant le battement de ses artères avec la respiration,

la diastole était bien plus forte que la systole. La voix était

traînante et semblable à celle d'une mourante, et cependant la

prononciation était nette, facile et sans aucun embarras. Elle

énonçait entièrement les mots : sa conversation était suivie

et très juste. Elle répondait nettement et à propos aux ques-

tions qu'on lui posait, avec une grande réserve et une mé-

moire irréprochable.Lesensdu tact ainsi que la faculté de se

mouvoir étaient moins développés. Cependant, de temps à

autre, lorsqu'elle était fatiguée parunetroplonguestation sur

un seul côté, dans son lit, ou même lorsque sa mère la priait

de setournerd'un autre côté, ou de se lever sur son séant, elle

pouvait changer de place. Tout le temps de son jeûne, elle ne

rendit aucune déjection. Ses règles, qu'elle avait depuis deux

ans, s'étaient ensuite reproduites assez régulièrement. Depuis

le jeûne, on ne les revit plus. Les muscles de son visage

étaient assez gonflés par la maladie; mais, cependant, ils n'é-

taient ni tuméfiés ni bouffis et fonctionnaient régulièrement.

On pouvait voir que les muscles des bras, des mains, des

cuisses, des jambes et des pieds étaient bien conformés. Il n'y

avait aucune maigreur apparente sur tout son corps, à l'ex-

ception du tour de la poitrine et du sternum. Là, toutes les

côtes faisaient saillie et n'étaient recouvertes que parla peau,

absolument comme un squelette. Bien plus, le creux de l'es-

tomac lui-même et toute la région du ventre paraissaient, à

l'examen, complètement vides, comme si les viscères avaient

été enlevés. L'ombilic était fortement appuyé sur la colonne

124 VARIA.

vertébrale. On ne voyait sur le corps ni éruption ni pustules ;

la peau était au contraire lisse, douce au toucher; elle n'était

ni sèche ni rugueuse, quoique tout pût faire songer à sa

sécheresse. Cette même peau, pour celui qui la touchait,

n'était nullement glacée, mais, comme chez tout le monde,

remplie d'une douce chaleur. Comme on cherchait par le tou-

cher, sur chaque hypochondre et sur l'estomac, s'il se trou-

vait quelque tumeur ou quelque corps étranger, la jeune fille

se plaignait amèrement, disant que le plus léger attouchement

la faisait souffrir de partout. Elle ajoutait qu'elle ne ressen-

tait pas constamment cette douleur, mais par intervalles et

cela autour de la poitrine. Il lui semblait que quelqu'un la lui

ouvrait avec un instrument tranchant.

Le père et la mère furent questionnés ainsi que les parents

les plus proches. On interrogea également les voisins qui

pouvaient être à même de bien connaître le cas de la jeune

fille et d'en parler sciemment, pour savoir depuis combien de

temps elle avait cessé de prendre toute nourriture. Tous

répondirent unanimementet prêtèrent même serment de leurs

paroles, que cet état durait depuis one mois environ, et que,

pendant tout ce temps, elle avait énergiquement refusé tout

aliment solide et toute boisson, et que ni par l'anus, ni par

la vessie elle n'avait rendu aucun excrément. Et il est remar-

quer, sur le rapport des mêmes personnes, que dans cette

maladie si singulière, la jeune fille ne commença pas brusque-

ment et d'un seul coup à s'abstenir de nourriture. Car, pen-

dant plusieurs mois avant ce jeûne, elle commença à s'éloigner

avec dégoût de la table de la famille, et à rejeter avec répu-

gnance les meilleurs morceaux qu'elle trouvait brûlants.

Elle ne se nourrit que de pain sec, de pommes, d'amandes et

autres sortes de fruits, dont elle commença bientôt à perdre

le goût, jusqu'au moment où elle arriva à s'en abstenir com-

plètement. C'est alors que, déjà vaincue par ce dégoût, et,

comme nous l'avons dit plus haut, malgré ses efforts pour

prendre quelque nourriture, ses mains furent soudain

envahies par des espèces de végétations. Bientôt après, son

ventre se gonfla d'une manière étonnante et toutes les autres

parties du corps furent envahies d'une sorte de tumeur oedé-

mateuse. Forcée par ses parents de manger et même de boire

des boissons froides, elle vomissait immédiatement ce qu'elle

avait absorbé malgré elle. Des symptômes très graves se pro-

VARIA. 125

duisaient; son visage se remplissait d'une sueur froide, et on

eût dit qu'elle allait sur-le-champ mourir. Justement effrayés,

les parents s'abstinrent de tourmenter leur fille, cédant sur-

tout à ses larmes (elle avait coutume, comme nous le verrons

du reste dans la suite, de pleurer abondamment, lorsqu'elle

avait quelque grande contrariété), car elle les suppliait de

toutes ses forces d'avoir pitié d'elle et de lui éviter tant de

torture.

Elle ajoutait, car elle était pieuse, que c'était Dieu qui

lui avait envoyé ce mal, et qu'on ne devait rien tenter contre

sa volonté; que cela ne durerait pas longtemps et qu'elle

recouvrerait bientôt sa santé première, ou serait appelée au

ciel pour partager les célestes jouissances, ce qu'elle réclamait

avant tout. Telles étaient les réponses qu'elle faisait au mé-

decin et au chirurgien qui, par l'ordre du premier magistrat,

avaient été envoyés vers elle, et qui, entre autres choses,

l'exhortaient de prendre quelque friandise, ou un peu de

sucre dans un breuvage agréable. Bien plus, sa crainte était

si grande d'être forcée par ces derniers de prendre la moindre

des choses, ce qu'elle n'aurait pas fait pour un empire,

qu'elle les suppliait par d'incessantes prières de ne pas faire

cet essai sur elle. Elle s'exprimait même en ces termes :

« Hélas 1 pourquoi êtes-vous si curieux de rechercher les

causes de ma maladie ? Ah ! je vous en conjure, suspendez

un peu vos expériences. Il arrivera bientôt un temps où je

pourrai vous permettre, ce que mes parents vous permettront,

et ce que je veux leur faire promettre devant vous. Quand

j'aurai été débarrassée de cette vie, venez, ouvrez la poitrine

de la malheureuse, fouillez mes entrailles et partagez toutes

les parties de mon corps pour y trouver ce qui peut satisfaire

vos désirs. En attendant, permettez-moi, pendant le peu de

jours qui me restent à vivre (si on peut appeler vie celle que

je supporte et non pas une souffrance perpétuelle), en paix et

Tâme tranquille D. Et comme tous avaient compris par ce fait

que leur mission était remplie, et de crainte que de pareilles

émotions ne la fissent retomber en syncope, ils se retirèrent.

Sur ces entrefaites et dans le courant du jeûne, la couleur

jaunâtre des mains se dissipa, et le gonflement qui existait

dans certaines parties du corps se résorba entièrement et

égala la maigreur du ventre. Le sujet arriva à l'état d'amai-

grissement où on peut l'observer maintenant.

126 VARIA.

Aux demandes qui lui étaient faites si, pendant la nuit,

il ne s'introduisait personne auprès d'elle qui lui présentait

des vivres ou quelque chose qui la soutint, la jeune fille ré-

pondait toujours négativenent. Elle ne vit ni n'entendit rien

d'anormal. Plusieurs faux bruits furent répandus*cà et là, quoi-

que je l'ignore, disant que des génies venaient vers elle la

nuit lui apporter des aliments. Ces bruits sont dénués de

tout fondement, et elle-même assurait qu'ils lui faisaient la

plus grave offense. Et pour prouver que ces choses n'avaient

aucune portée grave, des émanations de parfums firent dé-

couvrir à ceux qui l'interrogeaient un fait qui la justifiait et

assurait fort bien sa bonne foi. On lui plaça sous les narines

des tiges de rue, d'ormin et de millepertuis. Elle ne pouvait

absolument les supporter, parce que ces odeurs fortes cau-

saient une impression trop violente à son odorat. Cependant

elle les souffrait sans incommodité dans un brûle-parfum

pourvu qu'elles ne fussent pas trop approchées de son nez. En

outre, la mère racontait, ainsi que d'autres personnes qui

étaient présentes, que la jeune fille boitait habituellement des

deux jambes, ce qui ne provenait d'aucune maladie, mais

venait de naissance. La mère ayant été interrogée si pendant

le temps de sa grossesse, à part le gonflement habituel du

ventre commun aux femmes enceintes elle avait ressenti

quelque chose d'anormal, elle répondit que tout s'était

bien passé, qu'elle avait accouché heureusement et tout à

fait à terme qu'elle avait mis au monde un enfant bien

conformé et valide; ce que du reste beaucoup de ses voisines

qui en avaient eu connaissance ont pu affirmer. De même

pendant l'enfance et l'adolescence, la jeune fille ne souffrit

rien, à part les maladies habituelles, la dentition, de légers

malaises et la variole; en un mot, dans son enfance, elle

avait toujours présenté les indices d'une bonne santé, quoi-

que cependant elle ne fût pas aussi robuste que les enfants

que la mère avait eus, avant et après elle, avec le même

mari.

Après avoir pris toutes ces observations et beaucoup

d'autres encore avec la plus grande diligence et le plus grand

soin, les membres de la mission retournèrent chez eux et

remirent le cas tout entier au premier magistrat. Ce dernier,

pour plus de prudence, et connaissant toutes les particula-

rités de l'affairé, afin d'éviter toute occasion de laisser un

VARIA. 127

doute dans les esprits, écrivit aussitôt aux gouverneurs voi-

sins pour que la jeune fille fût transportée le plus commodé-

ment possible dans, une litière, à la ville qui est à sept ou

huit heures du village. Tandis que ces derniers s'efforçaient

d'exécuter ce qu'on leur avait demandé, la jeune fille fut

prise de suffocations et poussa des cris effroyables, s'opposant

à ce qu'on l'emmenât hors de son pays. Sa mère seule, disait-

elle, devait l'accompagner, parce qu'il n'y avait qu'elle qui

pût convenablement manier et retourner ses membres affai-

blis et débiles, et qu'elle ne pouvait souffrir les autres femmes

qui n'avaient jamais été accoutumées à ces fonctions. On lui

accorda volontiers cette faveur et elle fut amenée à la ville

vers les derniers jours de février. On la plaça à l'hôpital de la

ville, appelée l'Ile, dans une chambre chauffée, spéciale

à elle et à sa mère. ^Plusieurs infirmières qui ont habituel-

lement le soin dans l'hôpital des autres malades lui furent

adjointes, de telle sortequ'elles se succédèrent à tour de rôle

le jour et la nuit. Il fut sévèrement interdit à toute personne

d'apporter dans sa chambre soit des aliments, soit des bois-

sons. La mère fut'installée pour prendre ses repas avec les

autres servantes dans une chambre plus grande, spécialement

destinée aux femmes. Et il fut donné ordre à ces dernières de

la surveiller activement en toutes ses actions et de relever ses

moindres paroles. La mère cependant et sa fille (elles com-

prenaient facilement ce qui se faisait autour d'elles) ne pou-

vaient se passer l'une de l'autre. Au boutde deux jours, sous

le prétexte de la reconduire à sa maison, la mère fut arrachée

à la garde de sa fille. Elle fut aussitôt examinée par des gens

spéciaux choisis par le magistrat. On ne trouva en elle au-

cune tentative de fraude ou de crime. Pendant ce temps,

tandis qu'on la surveillait, il fut demandé aux gouverneurs

des environs et surtout à celui d'Erlach et de l'île Saint-

Jean de s'enquérir sur les moeurs, la vie et la réputation de

cette femme, et ordre leur fut donné de venir au premier

jour à la ville pour rendre compte de leur enquête au Sénat.

Très peu de temps après, ces gouverneurs étant venus, ils

n'eurent que du bien à raconter sur le compte de cette

femme et assurèrent que, de l'avis de tous, sa réputation

était sans tache et que toute sa vie avait été remplie par le

travail. 1 '

Sur ces entrefaites, quand la fille se vit séparée de sa mère,

128 VARIA.

elle devint d'une grande tristesse, se lamentant et se tordant

dans dételles convulsions que, même loin de sa chambre,

ses cris et ses gémissements étaient facilement entendus. Un

médecin, qui venait tous les jours la visiter en même temps

que les malades confiés à ses soins, la consolait, ce que la

plupart des autres faisaient habituellement, et lui affirmait

que sa mère allait bientôt revenir vers elle. Ces paroles la

calmaient un instant ; mais bientôt les cris et les convulsions

recommençaient et elle réclamait sa mère avec plus d'ardeur.

Le jour qui suivit sa séparation d'avec sa mère, pendant la

nuit, une telle quantité d'humeur nauséabonde s'écoula

par le méat urinaire que tout son lit en fut inondé au point

que les couvertures et les matelas durent être changés.

L'odeur qui se dégageait de cette humeur ressemblait à celle

de l'urine qui est restée très longtemps dans un vase qu'on a

oublié de vider. Mais (au dire de la jeune fille) cette humeur

s'était écoulée sans douleur aucune. A la suite de cette perte,

les battements du pouls devinrent plus fréquents et plus ré-

guliers. Il arrivait des syncopes fréquentes que la jeune fille

pressentait : elle demandait alors de l'eau froide, non pour la

boire, mais pour y tremper ses mains un certain temps. Par

ce moyen, elle revenait à elle, et recouvrait ses forces habi-

tuelles.

Cependant, l'innocence de la mère ayant été reconnue, par

l'ordre du premier des magistrats, après huit jours d'interne-

ment,, elle fut rendue à la liberté, et, se retrouvant constam-

ment, avec sa fille, elle ramena en elle par sa présence la

gaieté et cela d'une façon remarquable. Ce phénomène fut si

prompt qu'elle commença aussitôt à revivre, et ce rappro-

chement redonna à son esprit le calme le plus complet. Pen-

dant ce temps, ses surveillantes, qui, comme nous l'avons

dit plus haut, lui avaient été adjointes, continuèrent leur

surveillance sur la mère et la fille avec la plus grande.

rigueur, pour assurer la sincérité de l'expérieuce. Le

maître de l'hôpital et sa femme les observaient dans les

plus petites choses. Aucune substance ni solide ni liquide

n'était introduite dans leur chambre. Enfin, deux semaines

après la réunion de la mère à la fille, comme cette dernière

restait continuellement dans le même état, on fut suffisam-

ment convaincu qu'il n'y avait dans ce cas aucune.super-

cherie, ni aucune fourberie. On leur donna pleine autorisa-

VARIA. 129

tion de retourner chez elles, ayant été reconnu que la mère

ne pouvait, sans de grands dommages, abandonner les soins de

sa famille. Sur l'ordre du juge, les mêmes personnes qui l'a-

vaient amenéedevant lui la reconduisirent dans la mêmelitière.

Mais avant de terminer ce récit; il nous reste encore quel-

ques petits détails à y ajouter. Premièrement, nous devons

parler de la situation du pays où est née'Apolloniè et où elle

a été élevée. Cette contrée est fort insalubre, l'air y est lourd

et humide et l'été y dégage des miasmes pestilentiels. Là et

dans les environs, le voisinage du lac y produit un grand

nombre de marécages. Ce lac, grossi par lès pluies ou les

neiges, se répand largement, inondant les "prairies et les

champs d'alentour, et forme des lacs stagnants' dont les eaux

ne peuvent retourner dans son lit. Les rayons'du soleil ne

peuvent les dessécher pendant l'été, mais les forcent à se cor-

rompre surplace. Il faut ajouter que non loin de là existe un

immense marais, qui se répand au loin au milieu, des trois

lacs d'Yverdun, de Morat et de Bienne.' , , ' '

C'est dans un lieu semblable que la jeune AppoIIonie est

née et a été élevée par'des parents honnêtes et de bonne répu-

tation. Son père était Stéphane Schreier et sa mère Marie

Yung. Apollonie, au moment où nous écrivons ces lignes,

au mois de mars de l'an 1602, avait dix-huit ans"; toutefois,

ses premiers jeûnes ne 'durèrent qu'un mois. Ses moeurs

avaient toujours été pures et régulières au dire' du plus

grand nombre et surtout d'après les renseignements fournis

par le curé de sa paroisse. Son caractère était également doux

et plutôt taciturne que bruyant ; elle avait été très dévouée

à remplir les fonctions domestiques. Elle 'était enfin pieuse et

très assidue, tantquesa santé le lui avaitpermis, à entendre les

prônes sacrés; tous s'accordaient à le dire. Et voilà pourquoi

comme rien au monde ne peutêtre tenté contre une maladie

si terrible, et contre les perpétuelles défaillance de cette chère

enfant, dont ses parents sont si accablés et se désolent tant,

voilà pourquoi son père et sa mère demandent chaque jour à

Dieu si bon, par les plus ardentes prières, qu'il daigne les'

délivrer eux et leur fille de cet épouvantable malheur. z

.. / . " <<*' ' ' ,

j , DEUXIÈME NARRATION.... '-

Il y avait déjà plus d'un an qu'Apollonie et sa mère avaient

quitté Berne. Pendant toute cettepériode, d'après les rapports

Archives, t. XIII. 9

130 VARIA.

et les dires les plus autorisés des gouverneurs des villages

d'alentour, il fut pleinement reconnu qu'elle était toujours

demeurée chez ses parents dans-le même état, vivant sans

boire ni manger. Nous avions eu ces renseignements quelques

semaines avant d'écrire cette seconde narration. Aucun chan-

gement notable ne s'était produit dans son état et il n'y avait

aucun doute, d'après nous, que la mort devait bientôt en

résulter. Notre premier soin fut de demander au Sénat des

lettres pour le gouverneur de l'île Saint-Jean. On lui deman-

dait, pour le cas où la jeune fille viendrait à mourir, qu'il ne

permît pas son ensevelissement avant d'en avoir annoncé sur-

le-champ la nouvelle, à seule fin que l'on pût envoyer un

médecin et un chirurgien qui, après avoir ouvert le corps de

la malade, pourraient étudier avec le plus grand soin les

causes de cette prodigieuse affection. Le Sénat consentitàdon-

ner ces ordres, que nous fîmes remettre au gouverneur par le

tabelliondel'endroit,et nous-mêmes retournâmes de nouveau

pour voir Apollonie. Et fort à propos, nous eûmes comme

compagnon de route Fabrice Hildanus, chirurgien ordinaire

célèbre par ses travaux et sa pratique éclairée, qui exerçait à

Paterniacum, un des grands centres de notre République, et

était depuis peu à Berne. Nous nous mîmes en route le

24 juin 1605. Les personnes qui nous accompagnaient étaient

également des citoyens fort distingués. Il y avait D. Antoine

de Grafenried le jeune, secrétaire du Sénat, homme digne

sous tous les rapports tant par son âge, son esprit, ses nom-

breux travaux que par sa vertu et sa vie intègre, et Daniel

Heinzius, architecte de notre gouvernement, jeune homme

très spirituel et jouissant d'une grande réputation dans le

monde des arts comme peintre, statuaire et instrumentiste.

Il s'offrit gracieusement à nous pour faire le portrait de la

jeune fille, qu'à mon avis il rendit avec la plus grande exac-

titude (PL. I). Et non seulement il en fit le dessin, mais

encore il la modela avec le plus grand art en cire et en plâtre.

Nous arrivâmes tous le lendemain, 2 juin, au village de

Galz. Il était environ huit heures du matin. Nous revîmes

Apollonie couchée dans le même lit et vivant encore, suppor-

tant sonjeûne habituel. Nous la trouvâmes cependantquelque

peu changée et plus abattue. Elle reposait couchée sur le dos,

et ne pouvait plus demeurer ni sur le côté droit ni sur le

gauche. Cela durait depuis plusieurs mois, et lorsque parfois

VARIA. 131

elle voulait se mettre sur le flanc, elle était tout à coup prise

de suffocations.

Elle souffrait également des yeux, qui étaient rouges, mais

il n'y avait aucun affaiblissement de la vue. Elle avait des

bourdonnements d'oreilles, mais sans douleur et sans gêne

pour l'ouïe qui était assez bonne, et dont la perception était

normale. Une sueur abondante couvrait sa face qui tantôt se

congestionnait et tantôt devenait pâle. La langue était, comme

jadis, humide, rosée et molle au toucher. Mais une chaleur

ardente sortait de sa bouche. Nous trouvâmes également que,

depuis notre première visite, ses cheveux étaient revenus à

leur longueur normale. On ne l'avait plus rasée, les poux

et la vermine n'ayant plus reparu. Toute la face s'était tumé-

fiée, surtout le nez et les lèvres. Le menton, le cou et la

gorge semblaient recouverts d'une vaste tumeur, et toutes

ces parties étaient des plus douloureuses au plus léger con-

tact.

Nous examinâmes sa poitrine. Elle était, comme l'année

précédente, tout à. fait émaciée et recouverte d'une peau

sèche; les côtes faisaient saillie. L'enflure apparaissait alors,

et tout autour de ses seins, qui jusqu'ici avaient été peu

proéminents, s'était produit un oedème général, qui était très

singulier. Car tandis que D. Fabrice et moi nous l'examinions,

nous sentions une tumeur quelque peu dure et très doulou-

reuse. La jeune fille pouvait à peine souffrir le moindre

contact, non pas tant à cause de la douleur qu'elle ressentait,

mais parce que ce contact produisait en elle des étouffements

qui l'empêchaient de respirer. Bien plus, en pressant la

région de l'estomac, les hypochondres, l'ombilic tout à fait

appuyé sur la colonne vertébrale, en un mot toutes les par-

ties du ventre (tous ces points étaient douloureux à la plus

faible pression), elle se plaignait qu'elle ne pouvait en

aucune façon respirer. On serra avec des courroies son bras

droit. La veine médiane apparut pleine et noire. Les mêmes

courroies furent appliquées à la main droite, et firent appa-

raître assez nettement les veines qui n'avaient rien d'anormal.

Sur les mains, nous trouvâmes quelques pustules et de la

gale. En pressant ces pustules, il sortait du pus et du sang.

Et comme nous nous efforcions après l'avoir piquée avec une

aiguille d'exprimer le plus de sang possible, elle commença à

se plaindre et à pleurer.

132 VARIA.

Et ensuite, lorsque D. Fabrice se mit en devoir, avec une

lancette à saignées, de lui piquer la jambe pour que nous

puissions recueillir quelques gouttes de sang pur : elle poussa

aussitôt des gémissements, et fit effort pour ramener sa

jambe vers elle. Ce fut pour nous l'indice que les sensations

étaient loin d'avoir disparu chez elle. Et cependant, elle était

insensible aux mouches qui couvraient sa figure et toutes

les parties de son corps qui étaient à découvert, quoique ces

mouches fussent si nombreuses dans sa chambre, que nous

tous en étions littéralement importunés. Ceci pouvait tenir à

ce qu'elle y était habituée, ou, ce qui semble plus certain, à

cause de l'épaisseur inusitée de son épiderme. Bien plus,

comme elle l'affirmait elle-même, ainsi que ses parents, elle ne

ressentait pas les atteintes'du froid; car pendant l'hiver, on

avait l'habitude de la transporter dans une huche, dans les

maisons voisines, afin qu'elle ne restât pas seule chez ses

parents (car c'est l'habitude pour les paysans des hameaux

et des bourgs, durant les longues soirées de l'hiver, de se

réunir après dîner, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, et de

vaquer à leurs différents travaux à la lueur des lanternes) :

on lui demandait si elle souffrait du froid, elle affirmait au

contraire, que la température lui était complètement indif-

férente. Enfin, la première année de son jeûne, elle dormait

de temps à autre. Lorsqu'elle s'éveillait, elle se plaignait

beaucoup, et ressentait une extrême faiblesse. Mais depuis le

commencement de cette année, elle n'avait pu complètement

dormir, et elle était restée dans des veilles continuelles. Les

autres observations sont semblables à celles de la première

narration.

TROISIÈME NARRATION.

Nous avons expliqué dans la première narration, comment

et dans quel état nous avions observé ' pendant l'été et pendant

la canicule la jeune Apollonie et les symptômes de son mal,

nous allons rapporter comment, d'après nos études et ce que

nous savons; comment elle était l'hiver. Nous partîmes donc

aux ides de février de l'année i 6o4. Il faisait un vent furieux.

J'étais accompagné seulement d'un apothicaire, François

Régis, compagnon très honorable. Nous arrivâmes un peu

avant la nuit et à l'improviste à la maison de la jeune fille.

Aussitôt qu'elle nous eut aperçu, la mère se précipita à notre

VARIA. 133

rencontre. Elle nous salua d'abord, nous regarda d'un air

presque joyeux et nous salua à nouveau avec empressement.

Elle nous introduisit sur-le-champ près de sa fille. Nous la

retrouvâmes toujours sur son lit... , .

Dès qu'elle m'eut aperçu, m'ayant déjà vu souvent autre-

fois, elle reconnut aussitôt qui j'étais, et, me gratifiant de

titres aimables, elle me sourit avec reconnaissance, et me

saisit la main droite. A la vérité nous trouvâmes l'état de son

corps à peu près semblable à ce qu'il était autrefois, mais

ses forces s'étaient accrues considérablement depuis l'année

précédente. Le pouls était normal au poignet et en le tâtant

nous le sentîmes régulier. Elle avait bien plus rarement le

délire. La couleur de son visage était plus vive. Quant à la

tuméfaction de la face dont elle était atteinte l'été dernier,,

nous eûmes la satisfaction de voir qu'elle avait complètement

disparu. Seule la tumeur des seins était restée, mais moins

douloureuse. Le ventre était toujours fortement déprimé

vers la colonne vertébrale, comme jadis. La jeune fille et sa

mère nous racontèrent, que très peu de temps après notre

deuxième visite, il s'était produit à la partie droite de la tête

une chute de cheveux. Nous remarquâmes effectivement que

les cheveux étaient tombés sur cette partie, et que toute la

région apparaissait dénudée. Sur le côté gauche, ils commen-

çaient à devenir rares : Pour le reste, aucun changement'

n'était à signaler. C'est pourquoi, comme il faisait déjà nuit,,

nous sortîmes après avoir souhaité le bonsoir à la jeune fille,

et nous nous rendîmes chez le gouverneur d'Erlach,que nous

interrogeâmes sur le cas qui nous intéressait, mais il affirma

qu'il n'avait pu rien apprendre autre chose que ce que nous

avons rapporté. ,

Appendice à la troisième narration.

Environ aux ides de mai 1604, l'aîné des frères d'Apol-

lonie, qui est un des juges de son pays, vint me trouver pour

me consulter sur une maladie qu'il avait depuis quelque

temps. Lui ayant demandé comment allait sa soeur malade,

il m'assura qu'elle était dans le même état, et surtout qu'elle

semblait plus faible pendant les chaleurs de l'été que pendant

l'hiver, qu'elle avait de fréquents délires et que des sueurs'

froides lui couvraient le visage. lime dit qu'il désirait ardem-

ment que je vinsse voir sa soeur, ce que je lui promis de

134 VARIA.

faire. Il me raconta également que la chute des cheveux,

dont nous avons parlé plus haut, qui s'était produite du côté

droit de la tête, avait envahi le côté gauche, et il pensait que

d'ici peu le crâne serait entièrement mis à nu. (Traduction

de A. R.oUSSELET.

Nous serons bref de commentaires sur l'Histoire admirable qui

précède. 11 nous semble inutile d'insister sur les précautions

prises pour s'assurer d'une façon indiscutable de la réalité du

jeûne. Notons que le jeûne qui s'est prolongé, audire del'auteur, pen-

dant plusieurs années, avait été précédé de jeûnes d'une courte

durée et que la malade prenait de moins en moins d'aliments avant

d'arriver à l'abstinence réputée complète : c'est exactement ce

qu'on a observé chez les jeûneurs mystiques, comme François

d'Assises, le diacre Paris, etc. La suppression des selles et des

urines, la suspension des règles, etc., se retrouvent dans la plu-

part des cas de ce genre.

A quelle maladie rattacher les phénomènes observés chez

Appollonie ? Le peu de sensibilité au froid (p. 132); douleur occu-

pant le sommet de la tête (clou), exaspérée par le passage du

peigne ; les troubles du sommeil (rêves, cauchemars, paroles, fatigue

au réveil, etc.) ; l'obtusion du sens du tact; l'hyperesthésie de l'odo-

rat ; les douleurs intermittentes siégeant autour de la poitrine,

aggravées par le palper et accompagnées d'oppression; les pleurs

abondants, les syncopes, les suffocations, le délire, les convulsions,

l'ischurie, l'absence de selles, nous paraissent constituer un

ensemble de symptômes suffisant pour faire penser que Appollo-

nie Schreyer était atteinte d'hystérie.

Tel qu'il est, et bien que Paulus Lentulus n'ait pas complété

ainsi qu'il l'avait promis - sa narration, ce cas nous a paru de-

voir intéresser nos lecteurs, les histoires, plus ou moins véri-

diques, dejeilneursétantaujourd'hui à lamode 1. Bourneville.

' Ce fait est à rapprocher du cas de Louise Lateau ou la stigmatisée

belge dont nous avons publié l'histoire; du Cas d'un idiot jeûneur,

inséré dans le Compte rendu du service de Bicétre pour 18so. Citons

encore, à titre de curiosité -.Histoire de l'inappétence d'un enfant de Vau-

profonde prez Sens, de son désistement de boire et de manger quatre ans

unze mois et de sa mort, par Siméon de Provenchères, médecin du

Roy. A Sens, chez Georges Niverd, etc.; MDCXVI. Nous avons étudié

très attentivement l'histoire des jeûneurs dans une conférence faite le

20 mars 1880, à la Bibliothèque populaire du xiiie arrondissement, inti-

tutée : les Jeûneurs : François d'Assises, le diacre Paris et les convul-

sionnaires de Saint-Médard, conférence que nous publierons un jour.

SÉNAT

Séance du jeudi z5 novembre 1886.

DISCUSSION DU PROJET DE LOI SUR LES ALIÉNÉS.

M. le Président. L'ordre du jour appelle la première délibéra-

tion du projet de loi portant révision de la loi du 30 juin 1838

sur les aliénés. Quelqu'un demande-t-il la parole pour la discus-

sion générale ? -

M. Dupré, président de la commission. Je demande la parole.

M. le Président. La parole est à M. Dupré.

M. Dopré, président de la commission. J'abuserais certainement

de la bienveill ante attention du Sénat si je cherchais à démontrer,

en ce moment, l'importance du projet de loi soumis à ses déli-

bérations.

Il n'est, dans cette enceinte, personne qui ne la méconnaisse,

personne qui ne sache que la loi en préparation est destinée à

régler la situation dans le monde des plus infortunés deshommes,

à soulager ou à guérir les plus cruels des maux ; qu'elledoit, en

outre, donner satisfaction à un intérêt social de premier ordre

et aux piéoccupations légitimes et sans cesse grandissantes de

l'opinion publique. Toute insistance sur ce point serait donc

inutile. Ce n'est pas pour cela que je suis à la tribune ; et si j'y

suis le premier, croyez, messieurs, que c'est moins pour exercer

un droit que pour répondre à un désir formel, unanime et réitéré

de la commission dont j'ai l'honneur d'être le président.

Elle a pensé qu'il serait bon, utile, nécessaire peut-être, d'inau-

gurer le débat par un exposé sommaire des vues générales de la

commission sur l'ensemble du projet, d'indiquer les principes

qui lui servent de base; de rappeler ses origines, ses moyens et

son but. Cette tâche, qui n'est pas sans péril, elle m'a fait l'hon-

neur de me la confier. J'ai presque dit de me l'imposer. Je l'ai

acceptée comme un devoir; ce devoir, je,vais essayer de le rem-

plir. (Très bien ! ) .

Je n'ai pas besoin dédire queje négligerai tous les détailsdu pro-

jet, quelque intéressants, quelque importants qu'ils puissent être;

je me contenterai d'en préciser le caractère général et de poser

quelques jalons sur les points culminants, sans même m'astreindre

1 36 SÉNAT.

à suivre le plan et la savante ordonnance du rapport si complet

et si consciencieux de mon éminent collègue M. Théophile Rous-

sel. Ils vous permettront de voir d'un coup d'oeil la route à par-

courir, son étendue, le nombre et l'importance des stations, les

idées fondamentales et leur enchaînement.

La commission en a abordé l'étude avec le sentiment pro-

fond de la grandeur, de la difficulté de sa tâche et, par consé-

quent, de sa responsabilité. Nous savions tous que nous avions à

préparer une de ces lois redoutables qui engagent les intérêts

éternels de l'humanité, de la société, de la famille, une loi qui

touche aux questions les plus élevées de la morale, de la sécurité,

de l'assistance publique, autant qu'à la liberté individuelle ; une

loi dont les hommes d'Etat, les jurisconsultes, les magistrats, les

publicistes se sont occupés, comme les médecins ; enfin, une loi

qui, à côté des méditations silencieuses des philosophes, a soulevé

des débats retentissants dans les académies et les Parlements.

Le nombre des problèmes posés, la gravité des uns, la redou-

table simplicité des autres, la délicatesse extrême de quelques-uns,

la difficulté de tous, l'obligation de chercher partout des élé-

ments de solution, d'invoquer dans ce but les lumières, l'expé-

rience des hommes les plus considérables, les plus compétents

dans toutes les hiérarchies, d'étudier attentivement leslégislations

étrangères dans les textes, d'entreprendre des voyages dans

diverses parties de l'Europe, pour en voir l'application sur place,

expliquent la durée de nos travaux et justifieront, je l'espère,

cette lente évolution, qui a irrité les uns, découragé les autres,

sans jamais ralentir l'ardeur de votre commission. (Très bien 1

très bien ! ) Elle ne demande pas que l'on tienne compte de ses

efforts autrement que pour les considérer comme un gage de la

solidité des solutions qu'elle propose et de la confiance qu'elles

doivent inspirer.

L'énoncé du problème fut l'objet de nos premières préoccupa-

tions. En le posant, le gouvernement ne demandait pas une loi

nouvelle sur les aliénés, il acceptait en principe la loi existante,

la loi de 1838. Dans sa pensée, cette loi célèbre devait être en

grande partie conservée : il suffirait de la rajeunir, de la mettre

en harmonie avec l'état actuel delà société, de la compléter con-

formément à des besoins nouveaux et reconnus.

La question ainsi posée, pouvions-nous l'accepter ? La loi de

1838 pouvait-elle réellement servir de base et de solide point

d'appui à nos études ? La question était grave, la réponse ne

pouvait être improvisée.' `

Personne nignore, en effet, que dans le cours de son existence

demi-séculaire, cette loi a été l'objet d'appréciations diverses,

quelquefois absolument contradictoires. Ce qui est certain, ce

que personne ne conteste, c'est que cette loi fut préparée avec

SÉNAT. 137

une conscience extrême. Il n'en est pas qui aient subi de plus

laborieuses méditations el donné lieu à de plus éclatants débats.

Ces débats mémorables, j'ai la douleur, j'ai la satisfaction de

dire que j'y ai assisté. J'étais jeune alors, j'étais l'élève d'Esqui-

rol et de Ferrus, les promoteurs principaux de la loi de 1838.

C'est grâce à ces maîtres illustres qui m'honoraient de leur bien-'

veillance que j'obtins l'autorisation de les suivre à la Chambre

des députés comme à celle des pairs.

Le gouvernement de la République a jugé bon de les repro-

duire. En les lisant dans un tirage à part qui nous a été commu-

niqué, j'ai retrouvé, avec les souvenirs de ma jeunesse, l'impres-

sion ineffaçable qu'ils avaient produite sur mon esprit. Pouvais-je

croire alors, que j'aurais un jour à les évoquer devant le Sénat ?

Mais puisque le devoir nous y oblige et que nous avons à nous

occuper aujourd'hui du même sujet, puissions-nous, nousmontrer

digue de nos éminents prédécesseurs !

Accueillie avec une respectueuse admiration, considérée comme

une loi libératrice sauvegardant avec vigilance les droits sacrés

de la liberté, les égards que l'on doit aux familles et les garanties

non moins précieuses de la société ; comme une loi charitable et

humanitaire où l'on voit pour la première fois, d'accord lascience

et la justice, elle est aujourd'hui l'objet d'attaques passionnées,

violentes, forcenées. On la déclare arbitraire, funeste, barbare.

On affirme que, par elle, la liberté individuelle a été et demeure

exposée à d'incessants périls; qu'un grand nombre de ses vic-

times gémissent au fond des asiles ; qu'elle a toujours été et qu'elle

demeure un instrument de servilité pour les médecins, de ven-

geance pour les gouvernements, de cupidité pour les familles.

Enfin, un journal français des plus sérieux résumait naguère ces

griefs en s'écriant : « Qui pourra jamais dire les vengeances pri-

vées qui ont pu se commettre à la faveur, on peut dire hardi-

ment avec la complicité de la loi de 1838 ? »

Ces graves accusations ont eu un immense retentissement.

Pour les justifier, on a multiplié les faits de séquestration arbi-

traire. La plupart sont imaginaires. La presse les a colportés et

accrédités dans le monde ; on les a présentés au théâtre et dans

les romans d'une façon dramatique, retentissante. Ils ont profon-

dément ému l'opinion, troublé la conscience publique et créé un

courant qui, en pénétrant dans les Parlements, a hâté le dépôt

du projet de loi dont nous sommes saisis.

Pour les uns, conserver la loi de 1838 est un devoir rigoureux ;

ils sont convaincus qu'on ne saurait en faire une meilleure et

que pour la rendre parfaite il suffirait d'en assurer et régulariser

le fonctionnement. Les autres voudraient qu'il n'en restât pas

vestige. Entre ces vues si différentes, la commission avait à faire

un choix. Elle l'a fait avec maturité, sans précipitation ; elle, a,

138 SÉNAT.-

examiné avec une souveraine indépendance les griefs anciens,

nouveaux, contemporains ; pris l'avis des hommes les plus com-

pétents, les plus consciencieux, les plus honnêtes des hommes

qu'aucune passion ne trouble, qu'aucun intérêt n'aveugle ; des

magistrats, des jurisconsules, des publicistes, comme des méde-

cins, des aliénistes; consulté les corps savants et surtout le plus

illustre et le plus autorisé dans l'espèce, l'Académie nationale de

France. Et aujourd'hui, résumant l'ensemble de ces appréciations,

je déclare, au nom de la commission unanime, que la loi de 1838

fut excellente en son temps, que son apparition combla une

grave lacune dans nos lois de bienfaisance et réalisa un immense

progrès.

Inspirée par le sentiment le plus profond des besoins de l'hu-

manité, elle porte l'empreinte des éminents esprits qui l'ont

libellée, et l'on peut dire avec hardiesse que les services qu'elle

a rendus aux aliénés, à leurs familles, à la société, sont aussi

nombreux qu'incontestables. Aurait-elle reçu les témoignages

d'admiration et de respect qu'on lui a prodigués, les nations

étrangères l'auraient-elles prises pour modèle si elle eût présenté

les dangers qu'on lui attribue ?

Enfin, messieurs, je ci ois pouvoir dire sans témérité que parmi

nos lois d'exception il n'en est aucune qui honore nos codes

à un plus haut degré. Espérons qu'en tombant de cette tribune,

empreintes delà gravité et de l'autorité des déclarations sérieu-

sement motivées de la haute Assemblée, ces paroles calmeront

les esprits, apaiseront l'opinion si facile à émouvoir en ces ma-

tières, mettront définitivement un terme à de déplorables con-

troverses, et que, s'il en est besoin, la loi de 1838 sortira de nos

débats absolument réhabilitée. Le gouvernement a donc agi avec

sagesse en la conservant et en se bornant à en demander la

révision.

Empressons-nous de déclarer que cette révision s'impose et que

certains événements récents semblent lui donner un caractère

d'urgence. Depuis un demi-siècle, le milieu social s'est profondé-

ment modifié, la science a fait de grands progrès, l'expérience a

fourni de précieux enseignements ; l'humanité a conquis de nou-

veaux droits, la civilisation créé de nouveaux besoins, dont la

démocratie réclame la légitime satisfaction.

Quelque excellente que soit la loi de 1838, elle n'est plus en

harmonie complète avec l'état actuel de la société. Inattaquable

dans son esprit, le Gouvernement et la commission la considèrent

comme perfectible dans son application.

En portant la main du réformateur sur l'oeuvre de 1838, nous

n'avons pas cédé à un vain désir d'innovation, mais à des néces-

sités pressantes, évidentes, à un courant d'opinion dont il est

impossible de ne pas tenir compte. D'accord avec le Gouverne-

SÉNAT. 139

ment sur bien des points, la commission, s'inspirant de son

initiative sur d'autres, l'a profondément modifiée, mais avec la

prudence que commande l'intérêt social. Elle s'est efforcée d'en

combler les lacunes, de suppléer son insuffisance, de remédier à

des maux qu'elle n'avait pas prévus, de donner à la liberté indi-

viduelle des garanties plus sérieuses, de déjouer les calculs de la

fraude, de sauvegarder, autant qu'il est humainement possible

de le faire, les malades et leurs biens, la société et la famille. Tel

est le but du projet de la commission au nom de laquelle j'ai

l'honneur de parler.

Cette commission, le Sénat ne l'a pas formée à la légère. En

la composant de six docteurs en médecine, d'un magistrat, d'un

jurisconsulte, d'un administrateur, il semble avoir voulu préciser

d'avance le caractère dominant de la loi nouvelle et indiquer les

éléments principaux de sa constitution. Il parait avoir voulu

déclarer que la loi à intervenir devait être, comme ]aloi de 1838,

une loi d'humanité, de bienfaisance, d'assistance publique ; en un

mot, une loi essentiellement médicale.

N'oublions jamais ce point fondamental : « Un aliéné est un

malade ». Aujourd'hui, cette affirmation parait être une banale

naïveté ; il n'est pourtant que trop vrai que pendant des siècles

on a considéré la folie comme une punition du ciel, une posses-

sion du démon, comme une faute, un vice, un crime, et qu'il a

fallu arriver à la loi du 27 mars 4-i9o et à Pinel, qui les premiers

ont fait entendre ces paroles mémorables : « La folie est un mal

du ressort de la médecine ». Le rôle du médecin est donc natu-

rellement, nécessairement, forcément prépondérant. Son inter-

vention est commandée par la nature même des choses.

Savoir si un individu est fou ou ne l'est pas, s'il est respon-

sable ou non ; trancher avec assurance le redoutable problème de

la liberté morale; apprécier l'influence de la thérapeutique et du

temps sur l'état mental; affirmer la guérison et fixer l'heure de

la délivrance, ne sont pas questions que le simple bon sens puisse

résoudre. En leur présence, les philosophes, les administrateurs,

les hommes d'Etal, les publicistes, les magistrats,- et je parle

des plus éminents, - sont condamnés à reconnaître leur incom-'

pétence et à invoquer des lumières spéciales, et l'on peut dire

sans hésitation que la question des aliénés n'a en réalité qu'une

base solide : la maladie qu'il faut reconnaître, le malade qu'il

faut soigner; qu'un but : la société qu'il faut préserver.

Il faut pourtant reconnaître et affirmer hautement que si les

aliénés sont des malades, ce ne sont pas des malades ordinaires.

On ne leur applique pas les règles communes de la clinique; on

ne les traite ni de la même manière, ni dans les mêmes condi-

tions et les mêmes milieux. Un fou n'a généralement pas cons-

cience de son mal; il en conteste souvent l'existence; il n'accepte

140 SÉNAT.

aucun conseil et se refuse à tout traitement. Si on le lui impose,

par la force, on le contrarie, on l'irrite; il peut devenir, il de-

vient souvent dangereux. Il faut donc qu'une volonté étrangère

se substitue à la sienne, pense et agisse pour lui, souvent

malgré lui, quelquefois contre lui. De là l'obligation de le

priver de sa liberté, de l'éloigner de la société, de la famille

et des milieux où son mai a pris naissance; de modifier

profondément ses habitudes, de changer ses relations, de lui

créer une existence nouvelle, dont le mot isolement résume la

caractéristique. Si, malgré tout, il devient dangereux pour les

autres ou pour lui-même, la contrainte s'impose. Isolement, con-

trainte, questions graves, difficiles et neuves, soulevant à chaque

pas des problèmes délicats; questions médicales sans doute, mais

aussi questions d'Etat, de capacité, de liberté, et, comme telles,

ressortissant au pouvoir qui, seul en France, a le droit de sup-

primer la liberté, de protéger les incapables : le pouvoir judi-

ciaire. Isolement, contrainte, il sera beaucoup question d'eux

dans le cours de nos débats.

Pour le moment, je dois me borner à vous en signaler l'im-

portance et vous dire qu'à côté de l'action médicale reconnue de

première nécessité, le Gouvernement a proposé, et la commis-

sion a accepté, à la majorité de ses membres, celle de la malis-

trature provoquée et mise en jeu par le procureur de la Répu-

blique. Enfermer dans un asile un homme qu'on soupçonne

aliéné, le priver ainsi de sa liberté, est une mesure que l'intérêt

public peut commander et justifier, mais à condition qu'elle soit

provisoire.

L'intervention du pouvoir judiciaire peut seule rendre défini-

tives les décisions préalables de la science. Ces deux pouvoirs, en

s'unissant, se fortifient, se contrôlent avec menace et s'éclairent

réciproquement. On chercherait vainement le danger de leur

association. L'un parle au nom de la santé et de ses besoins;

l'autre, au nom de la liberté et de ses droits. Isolés, ils peuvent

prendre le caractère de l'arbitraire, ils le perdent par leur union.

Je ne parle que pour mémoire des responsabilités qu'ils diminuent

en les étendant.

Le principe admis, il ne s'agissait plus que de trouver le mode

et la mesure de son application. La commission, d'accord sur ce

point avec le Gouvernement, croit les avoir trouvés, en exigeant

pour tout placement définitif, volontaire ou d'office, la décision

gracieuse, tutélaire, du tribunal en chambre du conseil, déci-

sion qui n'excite pas la répugnance des familles, qui s'obtient

rapidement, simplement et sans l'appareil, quelquefois alar-

mant, toujours troublant, des procès ordinaires. C'est une déci-

sion de haute tutelle sociale.

Cette disposition nouvelle est la première et la plus sérieuse

SÉNAT. 141

garantie donnée à la liberté individuelle par le projet que nous

vous présentons, mais elle n'est pas la seule. La législation dont

nous proposons l'adoption veut, en outre, que l'action médicale

dont nous avons cherché à démontrer l'importance et l'indispen-

sable intervention, s'exerce, non seulement avec compétence,

mais avec des caractères indiscutables d'autorité scientifique et

de moralité.

L'article 8 de la loi de 1838 exigeait bien pour tout placement

volontaire un certificat de maladie signé par un médecin; mais

ce document pouvait être délivré par un officier de santé.

On n'imposait à sa formule aucune des conditions qui com-

mandent la confiance. Celles que nous exigeons aujourd'hui im-

priment à cette attestation fondamentale, à cette pièce introduc-

tive, une sécurité absolue. Le Gouvernement aurait voulu appli-

quer sur ce point les dispositions de la loi anglaise qui exige

l'attestation concordante de deux médecins. Il partage aujour-

d'hui, et je suis heureux d'en donner l'assurance, la pensée de la

commission. Elle est convaincue que la rigoureuse observance

des nouvelles formules du certificat, ou rapport médical, peut

dispenser de l'intervention souvent difficile, quelquefois impos-

sible, d'un nouveau confrère.

Si la loi de 1838 offrait des lacunes et des imperfections aux

divers points de vue qui viennent de nous occuper, si elle ne don-

nait pas à la liberté individuelle des garanties suffisantes, s'il a

été reconnu bon, nécessaire, urgent de la modifier pour que

jamais, sous prétexte de philanthropie, on ne puisse porter

atteinte à la liberté individuelle, elle présentait des omissions

plus graves encore au point de vue de la surveillance à exercer

sur les aliénés, une fois qu'ils sont admis dans un asile et qu'ils

y sont maintenus. La loi de 1838 était non seulement insuffisante

à ce point de vue, elle était absolument muette : le besoin de la

compléter, absolument évident et pressant.

Surveiller le service des aliénés, c'est sauvegarder la liberté

dans toutes les circonstances où elle peut être menacée; c'est

contrôler la légitimité de l'admission, la nécessité de la main-

tenue, la constatation de la guérison et l'opportunité de la sortie;

c'est protéger l'aliéné dans sa personne et dans la conservation

de ses biens. Il n'est pas de service public qui doive éveiller à un

égal degré la vigilance de l'autorité, aucun dans lequel les

erreurs soient plus graves et les abus plus faciles. De tous les

temps et dans tous les pays on en avait reconnu la nécessité;

mais, tandis que les nations étrangères perfectionnaient sans

cesse leur législation sous ce rapport, que la loi anglaise était

progressive, prévoyante, complète, la France demeurait station-

naire. La loi de 1838 n'a pas fait un pas dans ce sens, et les fonc-

tionnaires qui sont chargés de l'appliquer reconnaissent eux-

142 SÉNAT.

mêmes leur insuffisance : ils avouent que les aliénés connus et

internés sont surveillés très incomplètement; mais que ceux qui

se trouvent en dehors des asiles, ne le sont pas du tout. Or, le

nombre de ces derniers est considérable, puisque, d'après les

plus récentes statistiques, il égale à peu près celui des malades

connus et internés.

C'est là, messieurs, une des lacunes les plus graves de la loi

de 4838, une de celles qui unt surexcité au plus haut degré les

préoccupations publiques et provoqué les réclamations.

En Angleterre et en Ecosse, la surveillance et le contrôle du

service des aliénés ont été élevés à la hauteur d'une institution

fondamentale. Les comi7zissionitei-s in lunacy exercent de véri-

tables fonctions publiques ; ils étaient sous la direction de lord

Shaftesbury, que l'Angleterre a eu le malheur de perdre récem-

ment. Leur pouvoir, au point de vue de la surveillance, est

absolu, illimité. 11 constitue la plus sérieuse et peut-être la seule

garantie pratique possible contre les séquestrations arbitraires.

Cette situation de la loi française ne pouvait se continuer; il

était nécessaire de la modifier profondément, et c'est en s'inspi-

rant des législations étrangères, et surtout de la législation

anglaise et écossaise, que votre commission a cherché à orga-

niser la surveillance en France. Cette partie du projet de loi est

importante et neuve. Elle est due à l'initiative de, votre commis-

sion. Elle comble une lacune qui existe aussi bien dans la loi

de 1838 que dans le projet de révision du Gouvernement. Elle

constitue la section 11 du titre le°, et les articles de 11 1 à 16 qui la

composent. Elle propose de créer dans chaque département, à

titre permanent, une commission dans laquelle seront associées

toutes les compétences, judiciaire, administrative, fiuancière,

médicale. Cette dernière y sera représentée par un docteur en

médecine aliéniste, nommé par le ministre, fonctionnaire de

l'Etat et salarié. Il en sera secrétaire.

Cette commission permanente aura les pouvoirs les plus étendus

pour tout ce qui regarde la régularité de l'internement : admis-

sions, maintenues, sorties; pour constater l'état moral et en

suivre les modifications ; se préoccuper de la santé du malade et

des soins que l'on prend de lui; pour l'administration de ses

biens. C'est elle qui recevra ses réclamation s et les jugera ; c'est

elle enfin qui sera chargée de faire un rapport annuel sur l'en-

semble du service. Sa sollicitude s'étend à tous les aliénés de la

circonscription, dans quelque lieu qu'il puissent se trouver, en

dedans ou en dehors des asiles. J'ai déjà dit que ces derniers

sont en nombre aussi considérable que les premiers, en-

viron 50,000.

Errant dans les villes, vagabondant dans les campagnes, en-

fermes dans des prisons, séquestrés dans leurs familles, objets de

SÉNAT. 1 43

dérision ou de mauvais traitements, ils vivent souvent dans

l'abandon, sans que l'autorité s'en préoccupe, tantôt parce qu'ils

ne sont pas signalés, tantôt parce qu'ils sont inoffensifs.

Cet abandon coupable, ce délaissement honteux, cette in-

différence administrative ne sont plus de notre temps. La

commission a compris qu'il convenait d'y mettre un terme. Elle

a reconnu que tout aliéné doit être connu, officiellement signalé ;

elle a donné à la commission permanente le soin de les surveiller,

et dans ce but, quand les circonstances l'exigent, de pénétrer

jusque dans le sein des familles. Pour faciliter leur admission

dans les asiles, la commission, d'accord avec le Gouvernement,

exige que chaque département ait un établissement public

d'aliénés, en permettant à deux ou plusieurs circonscriptions

départementales de s'associer dans ce but. Elle leur donne

encore l'autorisation de traiter, pour leurs aliénés, avec un

établissement voisin, public ou privé.

Ces commissions départementales permanentes, avec les attri-

butions importantes qu'on propose de leur donner, sont incon-

testablement l'un des rouages principa u x de la loi nouvelle. Elles

sont dominées elles-mêmes par une inspection générale réor-

ganisée, fortifiée, et par un comité central qui les relie et qui

exerce son influence- sur l'ensemble du pays.

Vous le voyez, ces commissions superposées présentent plu-

sieurs degrés hiérarchiques de surveillance qui se contrôlent l'un

l'autre et qui sont centralisés dans un comité spécial relevant de

l'Etat. Elles n'ont aucun rapport avec les anciennes commissions

instituées par la loi de 1848 pour les asiles publics, privés ou

quartiers d'hospice faisant fonction d'asile public.

Ce sont là, messieurs, des innovations quelque peu hardies. La

commission ne les a adoptées qu'après le plus mûr examen et

l'observation attentive des résultats constatés à l'étranger. Elle

les soumet avec confiance à votre libre discussion.

Même lacune dans la loi de 1838 au sujet des aliénés dits cri-

minels, et même insuffisance du projet du Gouvernement. Votre

commission s'est appliquée à combler la première et à compléter

la seconde.

L'appellation d'aliénés criminels est grave ; elle a le tort de

confondre ceux qui, sains d'esprit au moment où ils ont commis

un crime, sont devenus aliénés pendant leur expiation, et ceux

qui étaient réellement aliénés au moment du forfait. Les pre-

miers seuls méritent le titre de criminels; les seconds sont des

irresponsables considérés comme innocents.

Ni les uns ni les autres ne peuvent être placés dans les asiles

avec les aliénés ordinaires : les premiers, parce qu'ils sont réel-

lement criminels et qu'ils excitent la répulsion des familles; les

seconds, parce que, tout irresponsables qu'ils sont, ou ne saurait

H4 SÉNAT.

oublier qu'ils ont commis un premier crime sous l'influence d'im-

pulsions délirantes qui peuvent se renouveler avec les mêmes

suites désastreuses.

Si la justice humaine n'a pas le droit de condamner les irres-

ponsables, elle a au moins le devoir de les mettre dans l'impos-

sibilité de nuire. Ni les uns ni les autres ne peuvent subir le trai-

tement des prisonniers vulgaires et être soumis rigoureusement

au même régime pénitencier. Il faut pour eux des installations

spéciales, des quartiers annexés aux maisons centrales, comme

le Gouvernement en a fait l'essai à la maison centrale de Gaillon,

ou des établissements nouveaux construits aux frais de l'Etat,

comme le merveilleux établissement de Broadmor que les délé-

gués de votre commission ont visité en détail pendant leur séjour

en Angleterre, dirigés et conduits par le savant directeur de cette

maison, le docteur Orange, homme aussi distingué par son

talent que par sa courtoisie.

Assimilés aux asiles, au point de vue des soins que l'humanité

commande et des besoins dont l'aliénation impose la satisfac-

tion, on ne peut oublier que ces aliénés sont frappés par la loi

pénale, qu'ils doivent être confiés à l'administration pénitentiaire,

qui leur impose l'installation, le régime administratif, la disci-

pline des prisonniers.

Jusque-là, le problème est relativement simple ; mais il se com-

plique beaucoup et s'empreint d'une extrême délicatesse quand

il faut résoudre la question de savoir ce qu'il faut faire d'un

aliéné criminel alors qu'il est arrivé au terme de son expiation.

Le retenir indéfiniment parait inique; le remettre en libre

pratique, des malheurs récents nous en ont montré le danger;

les placer dans un asile parait peu régulier. Ce qui est admis

par tout le monde, c'est que les malheureux dont nous nous

occupons ne peuvent rentrer dans la société sans précautions.

Ce sont ces précautions qui ont fait l'objet de notre attention,

mise en éveil par de retentissantes catastrophes. La commission

est arrivée à cette conclusion, que la sortie d'un des aliénés dont

nous parlons n'aura lieu qu'en vertu d'une décision de la chambre

du conseil, après avis de la commission permanente.

La nouveauté de la plupart de ces questions dans notre légis-

lation, leurs conséquences financières, les difficultés juridiques

qu'elles soulèvent, l'insuffisance du projet du Gouvernement pour

la solution qu'elles réclament, sont longuement et savamment

discutées dans le rapport. Je n'y insisterai pas davantage, et je

termine sur ce point en disant que la rentrée de l'aliéné dans la

vie libre doit être dominée par un intérêt supérieur, celui de la

sécurité publique; mais que la justice et l'humanité demandent

que cette règle soit appliquée avec modération.

Voilà les points principaux du projet de loi sur lesquels j'ai cru

SÉNAT. 145

nécessaire de fixer votre attention. Mais est-il besoin de rappeler

au Sénat que tout progrès dans la législation est nécessairement

lié à une dépense, car toutes les lois nouvelles, tout perfection-

nement dans les anciennes, imposent des sacrifices ? Il serait

surpris si je descendais de cette tribune sans lui parler de ceux

qui vont être la suite de notre projet.

La France n'apprendra pas sans étonnement que ce grand ser-

vice des aliénés, qui tend à se perfectionner incessamment et à

devenir un service d'Etat, ne coûte rien aux finances du Gouver-

nement, que pas un centime n'est inscrit en sa faveur dans ce

gros chiffre de z millions du ministère de l'intérieur. Les dé-

penses qu'il entraîne s'élèvent à 21 millions; elles sont suppor-

tées exclusivement par les départements, les communes, les

familles, tandis que l'Angleterre, en laissant l'Ecosse à part,

inscrit 45 millions sur son budget d'Etat. L'on s'étonne vraiment

que chez nous le Gouvernement se désintéresse financièrement

de ce service, quand celui des enfants assistés lui impose une très

forte contribution. Je ne veux diminuer en rien l'importance de

cette administration secourable. Les services qu'elle rend sont

incontestables, l'intérêt qu'elle inspire est légitime et général ;

mais qui oserait soutenir que celui des aliénés n'est pas digne de

la même sollicitude-et-des mêmes sacrifices ? 2

Enfin, nous avons introduit dans la loi des rouages nouveaux,

relatifs à la surveillance et au contrôle, avec des fonctionnaires

salariés qui n'existaient pas; il faut ou se priver de leurs services

ou les payer.

Il serait vraiment étrange que l'Etat qui les nommera, qui

présidera a toute l'organisation, qui commandera, qui surveil-

lera, contrôlera, ne payât pas. Les droits ne vont pas sans les

devoirs. Nous ne voulons imiter l'Angleterre ni dans ses lar-

gesses, ni dans ses munificences ; mais nous voulons adopter son

principe, c'est-à-dire attacher un salaire à une responsabilité. Nous

voulons aussi, comme elle, adopter l'expédient à l'aide duquelles

aliénés et ceux qui en vivent doivent contribuer en partie aux

dépenses de la surveillance et du contrôle. Cette question finan-

cière, ce budget des recettes et des dépenses qui /vous est présenté,

est une des innovations principales introduites par la commission

eu dehors du projet du Gouvernement.

Telle est, messieurs, l'indication sommaire du vaste ensemble

sur lequel vous allez délibérer. La commission vous présente des

solutions qu'elle croit pouvoir répondre à tous les besoins. Elles

sont le fruit de ses méditations profondes, de ses études attentives

et soutenues. Si, au premier abord , elles vous surprennent,

veuillez y réfléchir comme nous y avons réfléchi nous-mêmes, et

nous avons la certitude que vous arriverez aux mêmes conclusions.

(Très bien ! très bien ! )

Archives, t. XIII. 1 0

146 SÉNAT.

M. LE président. La parole est à monsieur le rapporteur. '

M. Théophile Roussel, rapporteur. Messieurs, après le discours

que le Séuat vient d'entendre, j'abuserais de son attention si je

venais reprendre à cette tribune les questions préliminaires, les

précédents historiques ou les généralités, quelque intéressants

qu'ils puissent être, de ce vaste sujet de la révision de la loi sur

les aliénés. Mais précisément parce que ce sujet est fort étendu et

qu'il est très complexe, il me semble que j'ai, comme rapporteur,

le devoir de présenter, avant de passer à la discussion des articles,

quelques explications de détail sur ce travail de révision que le

Gouvernement a entrepris en 1881, et auquel la commission du

Sénat s'est attachée pendant plus de deux ans avec une application

assidue. M. le président de la commission ne m'a laissé que bien

peu de chose à dire sur la loi du 30 juin 48838.

Je me bornerai donc à signaler à l'attention du Sénat quelques

points qui se lient plus étroitement à l'oeuvre de sa révision.

Assurément, je ne voudrais pas rabaisser la loi. dont a parlé

M. le président de la commission en termes si justement admira-

tifs, en disant qu'elle a,été une loi de circonstance. J'ai eu à

coeur, moi aussi, de lui rendre justice en déclaratil, dès les pre-

mières lignes de mon rapport, qu'elle a été conçue dan s les vues

les plus humaines, préparée avec des soins exceptio mets par des

esprits très éclairés et qu'elle marque u-ie grande date dam l'his-

toire des aliénés en France.

Je dois rappeler cependant et ceci est important pour nos

débats - que cette loi a été faite sous l'empire de circonstances,

sous la pression de besoins fortement sentis qui ont dominé

l'oeuvre du législateur de 1838, et qui expliquent, à côté de ses

mérites incontestables, les défauts et surtout les lacunes qui en

motivent la révision.

M. le président de la co mission signalait tout à l'heure à l'atten-

tion du Sénat les volumes publiés récemment par le Gouverne-

ment, et qui reproduisent les délibérations des deux Chambres

de 1837 et 4 838, sur la loi qui nous occupe. J'ai publié moi-même

un court résumé de ces délibérations à la suite de mon rapport,

et je crois ce résumé suffisant pour faire reconnaître que les

législateurs de 4 838 n'ont pas eu la pensée de faire, comme nous

voudrions le faire aujourd'hui, une législation complète sur les

aliénés. Des besoins pressants et, comme je l'ai déjà dit, de plus

en plus vivement sentis l'imposaient à leurs préoccupations.

D'une part, il fallait délivrer la société des inconvénients et des

maux produits par l'abandon de milliers d'aliénés sur la voie

publique; d'autre part, il fallait créer pour ces malheureux, au

lieu des cabanons et des cachots où des milliers d'entre eux étaient

encore renfermés, un régime de soins et de traitement médical

dans des établissements spéciaux. Enfin, il fallait créer pour les

SENAT. 147

aliénés des moyens d'assistance qui n'existaient pas, et cette der-

nière nécessité était la plus pressante. i

Avant la loi de 18.38, en effet, la charge des aliénés indigents

était supportée par les communes et par les hospices, qui se débat-

taient et cherchaient tous les moyens de se soustraire à ce fardeau

accablant. 1 . ,

C'est dans ces conditions et pour sortir de cette situation into-

lérable que le Gouvernement fit un effort, qui amena l'insertion

dans la loi de finances votée le 18 juillet 1836 d'un article portant

«que les dépenses pour les aliénés indigents sont assimilées,

pour cette année, aux dépenses variables départementales, sans

préjudice du concours de la commune de l'aliéné et s'il y a lieu,

du concours de l'hospice ». ...,

Cet. article voté et le principe de la contribution du départe-

mentaux dépenses des aliénés indigents admis pour une. année,

il fallait une loi pour consacrer définitivement le principe etcons-

tituer un service d'assistance avec les éléments d'organisation

réclamés par la science, par l'humanité et par l'opinion publique

elle-même. C'est pourquoi le ministre de l'intérieur fut amené à

présenter au Parlement, le 6 janvier 837, le projet de loi qui est

devenu la loi du 28 juin 1838 . , ' , i

J'ai rappelé ces précédents, messieurs, parce qu'ils' font bien

comprendre les caractères essentiels de la loi que nous avons à.

réviser. Ils marquent le triple but que le législateur a po.irsuivi

et qu'il a atteint : faire cesser l'abandon des aliénés * indigents

dans la rue; les tirer des prisons et des infirmeries- anciennes ;

créer pour eux des asiles et créer des ressources pour ce.service

d'assistance ainsi renouvelé. .>,

Assurément, messieurs, c'était là une grande oeuvre, et puisque

je parle de la création des asiles départementaux d'aliénés, il

m'est impossible de ne pas me souvenir que sur ces bancs siégeait,

il y a bien peu d'années, ce parlementaire illustre et vénéré de

tous, M. Dufaure, auquel est dû l'amendement qui est devenu

l'article 1 or de la loi, en vertu duquel chaque département est

tenu d'avoir un établissement public destiné à recevoir et à traiter

ses aliénés indigents.

Mais précisément parce que les besoins sentis trouvaient leur

satisfaction, que les dispositions qui furent votées répondaient

aux préoccupations, l'attention du législateur ne s'étendit pas sur

les questions dont la solution est devenue de plus en plus urgente

et nécessaire ; et c'est ainsi qu'à mesure que la loi a été appli-

quée, des lacunes ont apparu, et la nécessité de les combler s'est

imposée. ,

J'ai dit que la principale consistait à avoir perdu de vue le sort

des aliénés dispersés dans les domiciles privés et en dehors des

établissements spéciaux. Cette lacune, le Gouvernement l'a recon-

148 ' SÉNAT.

nue, et dans un article (l'article 35 de son projet) il l'a signalée,

plutôt qu'il ne l'a comblée en décidant que « toute maison où un

aliéné est traité, même seul, par d'autres que ses tuteurs, conjoint

ou parents, doit être assimilée à un asile privé ». 11 a, de plus, dans

un autre article (art. 10) exigé une déclaration au maire de la

commune pour tout aliéné qui est gardé dans ces conditions.

Malheureusement, en exemptant de toute obligation les parents

jusqu'au delà du troisième degré, ce projet aurait laissé la nou-

velle loi impuissante à prévenir les cas les plus habituels de sé-

questration arbitraire, et comme d'autre part aucune surveillance

spéciale n'était constituée, comme aucune mesure de contrôle

n'était prévue en dehors des établissements spéciaux, on peut dire

ou'en realité la protection que le projet semblait vouloir assurer

l'aliéné gardé ou retenu dans les domiciles privés était une pro-

tection purement théorique.

Le Gouvernement l'a, du reste, reconnu et a adopté les dispo-

sitions proposées par la commission du Sénat tant pour l'aliéné

traité dans une maison privée, par d'autres que ses parents, que

pour l'aliéné retenu avec contrainte prolongée par ses propres

parents.

On peut dire que la préoccupation du législateur de 4838, de

procurer aux aliénés le bienfait du traitement dans les asiles

départementaux peut expliquer et, si l'un veut, excuser l'iiisui-

lisaiice des moyens de surveillance et de contrôle dans ces établis-

sements spéciaux.

Quelque exagérés et en général mal fondés qu'aient été les

reproches et les attaques dirigées contre cette parue de la loi

depuis un certain nombre d'anuées, la majorité ue la commission

du Sénat a admis, avec le Gouvernement, que des mesures nou-

velles de surveillance et de contrôle étaient nécessaires. -

En lb6î, un éminent magistrat qui prit devant laCuambre des

pairs la défense de la loi dans les termes les plus remarquables,-

reconnaissait sans hésiter l'insuffisance de l'article 4 ue cette

loi, qui conne la surveillance des aliénés à un grand nombre

de fonctionnaires, comme fonction accessoire et gratuite et

sans l'imposer à personne. Comme M. Suin, la majorité de la

commission du Sénat a admis que le législateur de 1838 avait

manqué un peu de la méfiance qui convient en une matière où

les intérêts de la liberté individuelle ue doivent jamais être per-

dus de vue, même eu face de ceux de la sécurité des personnes et

de l'humanité. C'est cette conviction qui a dicté à la commission

les mesures de surveillance et de contrôle qu'elle propose d'a-

jouter au projet du gouvernement.

D'autres additions faites à ce projet par la commission doivent

être considérées comme des compléments rendus nécessaires par

les changements survenus dans les conditions de la vie sociale ou

SÉNAT. 149 J

par les enseignements d'une expérience qui manquait aux auteurs

de la loi de 1838 ; telles sont, par exemple, les dispositions que la

commission propose-au sujet des aliénés français placés dans des

asiles à l'étranger et les dispositions concernant les étrangers

placés comme aliénés dans les établissements spéciaux de France.

Si l'attention de la commission n'avait pas été appelée sur ces

situations par les plaintes qui ont retenti plus d'une fois dans la

presse et dont les gouvernements eux-mêmes ont eu à s'occuper,

elle l'aurait été par les constatations faites par ses propres délé-

gués dans le cours de leurs études à l'étranger. Je puis dire qu'il

n'y a pas un grand asile en Belgique ou en Angleterre, où nous

n'ayons rencontré des aliénés français. Nous en avons vu à Gheel

qui appartenaient à des familles considérables de notre pays.

Nous en avons trouvé jusque dans l'asile des aliénés criminels de

Broadmor, et je dois ajouter que partout, sans exception, nous

avons pu nous assurer que ces placements s'étaient effectués et se

maintenaient sans que l'autorité publique, tant celle du pays

d'origine de l'aliéné que. celle du lieu d'internement, en fût

avertie. Je n'ai pas besoin d'ajouter que de pareils faits exigeaient

des dispositions particulières dans une loi nouvelle sur les aliénés.

Je pourrais signaler. encore d'autres questions nouvelles dont la

commission a eu à se préoccuper. Telle est celle des dispositions à

prendre dans les cas, moins rares qu'on ne pense, où une per-

sonne aliénée, ayant conscience de son mal et sentant l'immi-

nence d'un accès qui peut créer un danger pour les autres ou pour

elle-même, vient spontanément demander son internement.

Telles sont encore les mesures à prévoir dans les cas où une per-

sonne reconnue aliénée et dont l'internement dans un asile a été

décidé, résiste de vive force à cet internement. On sait le bruit et

l'émotion causés récemment par un fait de ce genre, qui s'est

passé à Lyon. Ce fait est loin d'être unique, et tout le monde

se souvient de l'émoi causé à Paris par un fait semblable connu

sous le nom d'affaire Monasterio. 11 était nécessaire d'empêcher

de pareils faits de se produire en réglant, dans la loi, une pareille

question.

' M. Paris. Comment empêcherez-vous ces aliénés de résister ? 2

Ils n'ont pas leur raison.

M. le Rapporteur. Il ne s'agit pas d'empêcher l'aliéné de résister ;

il s'agit de savoir si, en présence de sa résistance, il ne faut pas

s'arrêter et réclamer la présence et l'intervention de l'autorité pu-

blique, qui prend alors le soin et la responsabilité du recours à

la force. La commission a réglé ce recours, et nous serons heu-

reux si nos collègues du Sénat nous suggèrent quelque améliora-

tion. Puisque j'examine les principaux compléments apportés par

la commission à la loi de 1838, je ne puis me dispenser de citer

1 50 SENAT.

les dispositions qu'elle propose d'introduire, au sujet des exper-

tises médico-légales en matière d'aliénation mentale. Ici encore

ce n'est pas à proprement parler une lacune de la loi, un com-

plément rendu nécessaire par l'importance croissante qu'ont prise

des faits nouveaux à peu près inconnus du législateur de 1838.

A l'époque en effet où la loi a été faite, les expertises médico-

légales dont nous parlons étaient un fait très exceptionnel.

La science des aliénistes, qui a fait de si grands progrès depuis,

était en quelque sorte naissante, malgré les grands noms qu'elle

compte dans son passé. Elle n'était pas, du moins, une science

répandue, même parmi les médecins voués à la pratique. De

plus, les magistrats et les tribunaux n'y avaient que très rare-

ment recours. Il n'en est plus de même depuis un certain nombre

d'années. Depuis que certains crimes fameux (je rappellerai, par

exemple, l'assassinat de l'archevêque de Paris par un prêtre) ont

passé par une analyse vraimentscientifique et que, dans ces grands

criminels, on a dû reconnaître de malheureux aliénés, les magis-

trats, embarrassés dans leur examen, et même en se méfiant des

aliénistes, ont senti de plus en plus le besoin de recourir à leur

science et à leur expérience. Les expertises médico-légales sont

devenues un besoin, je puis dire, journalier, de la conscience des

magistrats. Ce besoin semble plus ou moins vivement senti dans

nos différents ressorts judiciaires, mais partout on y a recours.

La commission du Sénat, préoccupée de ce fait, surtout à cause

des conditions souvent mauvaises et trop sonvent illégales dans

lesquelles il se produit, a eu recours à M. le garde des sceaux,

qui, sur sa demande, a bien voulu en faire l'objet d'une enquête

auprès des procureurs généraux. Cette enquête a démontré que

c'est par centaines que ces opérations médico-légales se comptent

annuellement ; elle a démontré aussi qu'elles s'opèrent sans

aucune règle, presque toujours illégalement, soitquant aux locaux

où elles ont lieu, soit quant aux personnes qui les prescrivent.

Les locaux généralement préférés sont les asiles d'aliénés;

mais alors la violation de la loi est flagrante; car l'asile ne doit s'ou-

vrir que pour l'aliéné dont la folie est dûment reconnue, et nulle-

ment à des individus, prévenus et inculpés, qui peuvent être fous,

mais qui souvent ne sont que des simulateurs et sont, en tout

cas, des êtres dangereux dont la présence à l'asile fait peser sur

' son directeur une grave responsabilité. Aussi voit-on très souvent

les chefs responsables de l'asile se refuser à ces admissions en

invoquant la loi, même lorsque la demande ou l'ordre d'interne-

ment émane des magistrats; mais l'enquête faite par M. le garde

des sceaux a révélé des faits plus singuliers ; ce sont, par exemple,

les ordres d'internement donnés par des chefs militaires, géné-

raux ou colonels, qui, étant embarrassés pour apprécier un acte

qui appelle une répression pénale, ayant des doutes sur l'état

SÉNAT. 151

mental du militaire qui l'a commis, le font conduire à l'asile le

plus voisin pour éclairer cette situation.

La commission du Sénat a vu là une question qui exigeait un

examen très attentif et dont la solution ne pouvait pas être

ajournée davantage. Le Sénat appréciera les dispositions qu'elle

propose dans ce but.

On comprend que ces dispositions nouvelles, répondant à des

besoins nouveaux, obligeaient à agrandir encore le cadre proposé

par le Gouvernement pour la nouvelle loi. Mais la commission

a eu la satisfaction de pouvoir, de même que le Gouvernement,

conserver dans ce cadre agrandi le plan et les dispositions géné-

rales de la loi de 1838. Si le Sénat me permet de lui donner en-

core quelques détails, peut-être un peu minutieux, je lui indique-

rai quelques chiffres qui pourront donner une sorte de mesure

des changements apportés à la loi soumise à la révision.

Cette loi est composée de 41 articles partagés en trois titres.

Le projet du Gouvernement a suivi les mêmes divisions, en ajou-

tant un quatrième titre, consacré aux dispositions transitoires. Le

nombre des articles de ce projet est de 66. La principale addition

qu'il renferme résulte des articles relatifs aux condamnés devenus

aliénés et aux aliénés dits criminels. La commission a main-

tenu sa rédaction dans le même cadre que le Gouvernement. Les

additions, dont j'ai indiqué les principales, ont porté à 71 le

nombre des articles.

Si l'on examine en particulier les articles de la loi, de 4838, on

reconnaîtra que 24 sur il, c'est-à-dire plus de la moitié, ont été

conservés dans leur esprit et n'ont subi aucun changement; plu-

sieurs autres ont reçu des compléments ou des modifications

légères de rédaction. Dans tous, l'esprit de la loi a été maintenu

et survivra à son abrogation.

Je ne voudrais pas m'étendre davantage, messieurs, sur le tra-

vail de votre commission. Je dois dire quelques mots cependant

des différences que chacun de vous a pu remarquer, dans les inti-

tulés des diverses parties du projet, entre la rédaction du Gou-

vernement et celle de la commission.

Dans le projet du Gouvernementcomme dans la loi de 1838, le

titre I" est intitulé : « Des établissements d'aliénés ». La loi, en

effet, comme je l'ai dit, ne s'occupait pas d'autre chose. Mais le

projet du Gouvernement ayant soulevé la question des aliénés,

traitée même seule, dans des asiles ou des domiciles privés, et la

commission ayant dû régler la surveillance et le contrôle sur

celte partie nouvelle du service, l'intitulé du titre le a dû com-

prendre ces nouveaux éléments, et c'est pourquoi elle a intitulé

ce titre comme il suit : « Des établissements d'aliénés, des alié-

nés traités à domicile, de la surveillance du service des aliénés ».

Je disais tout à l'heure que j'avais à peu près fini l'énumération

152 SÉNAT.

des additions importantes faites par la commission au projet du

Gouvernement. Il me restait cependantà dire un mot de celle qui,

àsesyeux, est la plus importante de toutes : je veux parler des ar-

ticdans le titre Ier, se rapportent à l'organisation delà sur-

veillance et du contrôle du service. En parlant de la commission

permanente dont cette organisation forme un rouage essentiel

pour la protection de liberté individuelle et la sauvegarde des

intérêts de l'aliéné, M. le président de la commission du Sénat

invoquait l'exemple de l'Angleterre où une organisation a produit

des résultatsjustement admirés. Nous avons pu examiner de près

et apprécier ces résultats en Angleterre ; mais j'ai hâte de dire

que c'est dans notre propre tradition et non dans les lois anglaises

que nous avons puisé le principe et les éléments essentiels de l'in-

novation dont il s'agit.

Lorsque cette question viendra en discussion, on verra que

l'idée de la commission permanente départementale remonte à

l'origine même de la loi de 4838. Cette idée a été mûrie et déve-

loppée dans les études successives et les discussions auxquelles,

depuis 1867, les demandes de révision de la loi ont donné lieu. Je

citerai un magistrat qui a pris depuis une grande et légitime

notoriété dans le Parlement, M. Ribot, comme ayant beaucoup

contribué à donner à cette idée la consistance que la commission

du Sénat ne pouvait pas méconnaître. Chargé comme substitut

du service du parquet dans les asiles de la Seine, il avait pu voir

de près la nécessité d'une surveillance et d'un contrôle que l'ex-

tension du service en dehors des établissements spéciaux rend

absolument indispensables.

Ce n'est pas le moment d'aborder l'examen détaillé de ce point

de la loi. Lorsque ce moment viendra, le Sénat reconnaîtra, j'es-

père, que la commission n'a pas cédé à un goût malsain d'inno-

vation, mais à une nécessité rendue plus pressante par les chan-

gements même que le projet du Gouvernement va introduire

dans le fonctionnement de la loi.

Je pourrais en dire autant du comité supérieur et de la réorga-

nisation de l'inspection générale du service des aliénés, qui sont

proposés par la commission du Sénat dans la partie du titre 1"

dont je parle.

L'honorable M. Dupré disait tout à l'heure qu'on n'apprendrait

pas sans surprise que l'Etat français ne dépense pas un centime

pour le service des aliénés.

La conséquence forcée de cette situation, qui est exceptionnelle

et que je puis bien appeler anormale, c'est que ce service, si

important pour la sûreté des personnes et pour tant d'intérêts

sociaux, est un service qui n'a plus aucune surveillance, aucun

contrôle de l'Etat. Il est tombé à l'état de service purement dépar-

SÉNAT. 153

temental ; et c'est tout naturel, puisque les conseils généraux sont

seuls appelés à faire les frais de ce service.

On peut dire même-que le service de l'inspection générale a

cessé d'exister après avoir donné, en 1874, dans un rapport mémo-

rable, les dernières preuves de son utilité et de sa nécessité.

Il existe encore, presque fortuitement, au nombre des inspec-

teurs généraux des services administratifs, un médecin aliéniste

éminent, entré dans cette inspection pendant qu'on y entrait par

le concours ; mais il existait en présence de 104 établissements à

inspecter sur la surface de la France. C'est assez dire qu'il n'y a

plus aujourd'hui d'inspection des asiles et, partant, aucun con-

trôle sérieux de l'Etat.

C'est à cette situation que la commission du Sénat a voulu

porter remède.

J'allais oublier de dire un mot d'une autre innovation de la

commission qui se rapporte à la partie financière du projet de loi.

Assurément, jamais un moment n'a été moins propice que ce-

lui-ci pour demander l'inscription de nouveaux crédits à notre

budget. C'est pourquoi, après avoir reconnu l'absolue nécessité

de confier la protection de la liberté individuelle et les intérêts

des aliénés à des agents salariés, elle a d'abord calculé aussi exac-

tement qu'elle l'a pu l'importance de cette charge; et, quoi

qu'elle ait reconnu que la charge sera légère et qu'il ne s'agitpas

de millions à dépenser, elle a cependant fait ses efforts pour

exonérer l'Etat dans la plus large mesure possible. Elle a pu y

réussir à l'aide d'un expédient qu'une longue pratique a sanc-

tionné en Angleterre et qu'elle n'a pas hésité à empruntera ce

pays, malgré son peu de goût pour les emprunts faits à l'étranger.

' En Angleterre, où le gouvernement dépense plusde 14 millions

pour le service des aliénés, on a trouvé bon et juste d'appeler les

. aliénés eux-mêmes et tous ceux qui tirent un profit de leur trai-

tement à contribuer aux frais de la surveillance et du contrôle

établis pour protéger la liberté individuelle et les intérêts de

l'aliéné. C'est pourquoi nousavons proposé d'établir des taxes qui

pèseront d'un poids léger sur ceux qui les payeront et dont le

produit payera en bonne partie les frais du contrôle spécial à

établir. C'est pourquoi, aussi, dans l'intitulé de la section du pro-.

jet de loi qui se rapporte à la partie financière du service, la

commission a inscrit le mot Recettes à côté du mot Dépenses.

Je ne dirai plus qu'un dernier mot des compléments que la

commission a ajouté au projet de loi ; dans la partie de ce projet

qui a trait aux pénalités, le Gouvernement s'en tenait au texte de .

la loi de 1838, laquelle se bornait à punir les contraventions à

certaines dispositions qui lui sont propres. La loi n'avait rien

ajouté aux pénalités existantes pour les délits et crimes qui se

. rapportent à la séquestration visée par les articles 341 et suivants

154 SÉNAT.

du Code.pénal ou aux attentats à la liberté individuelle qui for-

ment l'objet des articles 114 et 122du même code. L'ordonnance

royale de 1839 a visé certains de ces crimes ou délits commis dans

les asiles privés, mais seulement au point de vue de la responsa-

bilité du directeur vis-à-vis de l'autorité administrative qui l'a

autorisé.

Je n'ai pas à démontrer que l'article unique dont on a dû se

contenter jusqu'ici ne répond pas aux besoins révélés par l'expé-

rience, reconnus d'ailleurs par l'administration elle-même. C'est

pourquoi la commission n'a pas cru devoir laisser plus longtemps

dans le droit communies faits particuliers de sévices, voies défait,

attentats aux moeurs, commis sur la personne d'un aliéné ou d'un

idiot.

Elle n'admet pas davantage que les actes de brutalité ou même

les actes de négligence, qui sont trop souvent homicides, .commis

par les gardiens d'aliénés puissent être plus longtemps de simples

affaires de règlement intérieur, abandonnées à la responsabilité

des chefs d'établissement.

C'est pourquoi la commission s'est attachée : 40 à prévenir

des faits en assurant un meilleur recrutement du personnel infé-

rieur des asiles ; 2° à assurer, par la loi, une répression pénale

des faits délictueux ou criminels dont les circonstances spéciales

dans lesquelles ils se commettent, commandent une punition plus

sévère.

Avant de descendre de la tribune, je dirai encore un dernier

mot à propos du texte du projet de la commission qui figure dans

la distribution d'aujourd'hui sous l'intitulé de « Nouvelle rédac-

tion delà commission «.Messieurs, si les changements fréquents

de gouvernement ne sont pas bons pour la gestion des affaires

publiques en général, je crois pouvoir dire qu'ils ne contribuent

pas à la bonne, ou tout au moins à la facile préparation des lois.

Le rapport dont j'ai été chargé sur la question qui nous occupe

a été déposé sur le bureau de M. le président du Sénat au mois de

mai 1884. La commission, sinon son rapporteur, se croyait alors

presque aux termes de sa tâche ; elle était tombée d'accord sur

tous les points avec les représentants du Gouvernement à cette

époque. Bientôt, se trouvant en présence de représentants nou-

veaux, elle a dû apporter certaines retouches à sa rédaction ; elle

l'a fait avec le sentiment, dans lequel elle persévère, de la plus

grande déférence pour les opinions du Gouvernement dans l'éla-

boration d'un projet dont le Gouvernement a pris l'initiative.

C'est après ces modifications, dont les représentants du Gouver-

nement auraient été les défenseurs naturels à cette tribune, que

mon rapport a été distribué, un an environ après son dépôt sur

le bureau de M. le président. Le texte qui fait suite au rapport

,contient les changements apportés à la rédaction première, et,

SÉNAT. 155

quand ce texte a paru, la même entente complète entre le Gou-

vernement et la commission existait, comme en 4884. Depuis lors

les choses ont changé ;. des objections ont été faites, en particulier

sur le système de surveillance et de contrôle proposé par la com-

mission au titre 1". 1 .

Lorsque la commission a eu l'honneur, vendredi dernier, de

recevoir dans son sein M. le ministre, ces objections ont été

reproduites, et la commission, en les examinant attentivement, a

dû reconnaître qu'on pourrait puiser en leur faveur un certain

appui dans les modifications qu'elle avait elle-même consenti à

apporter à sa rédaction première. Elle s'est convaincue qu'en

revenant purement et simplement à celle-ci, elle apporterait à la

rédaction présentée au Sénat des simplifications qui la rendraient

plus acceptable à tout le monde et à M. le ministre lui-même.

M. Paris. Elle a eu raison, la loi est déjà très chargée.

M. le Rapporteur. Je devais cette explication sur le texte dis-

tribué aujourd'hui au Sénat et qui est en réalité, non une nou-

velle rédaction, mais la rédaction propre à la commission. Je

voudrais pouvoir espérer que cette rédaction permettra de rétablir

entre la commission et le Gouvernement un accord dont, plus que

personne, je sens t5ut le prix, et que d'un commun effort nous

pourrons atteindre le but élevé que nous nous sommes proposé

en commun et en vue duquel la commission n'a épargné ni les

sacrifices ni les peines. C'est avec cet espoir que je descends de la

tribune. (Marques d'approbation sur un grand nombre de bancs.)

M. LE Président. La parole est à M. le Ministre de l'intérieur.

M. Sarrien, ministre de l'intérieur. Messieurs, après les discours

si savants et si complets que vous venez d'entendre, je me bornerai

à de très courtes observations. Je suis d'accord avec la commission

sur le principe même du projet qui est soumis à vos délibérations.

Je crois qu'il y a lieu de modifier la loi de 1838, de l'améliorer, et

moi aussi, je demande à passer à la discussion des articles.

M. DE GAVARDIE. Je demande la parole. (Exclamations à gauche.)

M. le Ministre. L'honorable M. Roussel vous disait tout à l'heure

que la loi de 1838 était une oeuvre législative considérable.

J'ajoute qu'elle a été une oeuvre législative remarquable et excel-

lente. Néanmoins elle a été l'objet de beaucoup d'attaques :

attaques passionnées, attaques exagérées qu'elle ne méritait pas,

à mon avis. Elle avait des lacunes, elle exigeait certaines amélio-

rations ; mais elle ne permettait certes pas, comme on a trop

semblé le croire dans l'opinion publique, de faire enfermer dans

un asile d'aliénés un individu parfaitement sain d'esprit, sur le

simple certificat d'un médecin, et de l'y maintenir à perpétuité.

Non, messieurs, de tels abus n'étaient pas possibles avec la loi

1 56 SÉNAT.

de 1838 strictement appliquée. Je dois dire d'ailleurs qu'aucun de

ces faits qui ont été cités par la presse et avec lesquels on a pro-

fondément remué l'opinion publique, n'ont pu être judiciairement

établis. Est-ce à dire qu'aucun abus n'a été commis ? ...

M. TESTELIN. Des abus, il y en aura toujours !

M. LE MINISTRE.... Qu'aucun mauvais traitement n'a été exercé

vis-à-vis des aliénés ? Pour ma part, je n'irai pas jusque-là ; je

crois qu'il y a eu des abus. D'ailleurs, les lois les meilleures ne

peuvent pas toujours les prévenir ni les empêcher absolument. Je

dis donc que la loi de 1838 contenait en effet certaines lacunes

sur lesquelles tout à l'heure l'honorable M. Roussel a appelé votre

attention. Ces lacunes, nous vous proposons de les combler, d'ac-

cord avec la commission.

Nous estimons que le projet de loi qui vous est présenté con-

tient des améliorations importantes et qu'il est digne à tous

égards d'occuper l'attention du Sénat. L'honorable M. Dupré. et,

, après lui, l'honorable M. Roussel, vous ont signalé les dispositions

principales de la loi nouvelle. Le point capital du projet c'est l'in-

tervenlion du pouvoir judiciaire dans le placement des aliénés.

Dorénavant, et en vertu de ce principe de notre droit public qu'au-

cun citoyen ne peut être privé de sa liberté sans une décision

du pouvoir judiciaire, c'est le tribunal, c'est l'autorité judiciaire

qui sera appelée à prononcer sur le placement définitif des alié-

nés. Voilà, vous le reconnaîtrez, une innovation importante.

C'est la plus considérable, mais ce n'est pas la seule ; il en est

d'autres que je vous demande la permission de rappeler en

quelques mots seulement, puisqu'elles vous ont été déjà signalées

et par M. Dupré et par M. Roussel. La loi de 1838 ne s'inquiétait

pas des aliénés traités dans leurs familles ; la surveillance de

l'Etat sur les asiles privés n'était pas non plus suffisante. Le projet

de loi apporte un remède sur ces deux points ; il fortifie l'action

de l'Etat sur les asiles privés, et il établit sa surveillance sur les

^aliénés traités à domicile. 11 édicté des prescriptions nouvelles

pour empêcher les séquestrations arbitraires; il entoure le pla-

cement des aliénés dans les asiles de garanties sérieuses par

l'action combinée de l'administration et de la justice; il soumet

l'aliéné, une fois entré dans l'asile, à un contrôle sévère, à des

inspections faites à des dates précises et parfaitement déler-

minées.

Le projet de loi étend encore sur les biens de l'aliéné, sur son

patrimoine, une protection plus sûre et plus vigilante. Tout cela,

messieurs, est bon, et tout cela est sage ; sur tous ces points je

suis d'accord avec la commission. Il est encore d'autres améliora-

tions dues au projet nouveau. L'honorable M. Roussel vous le

disait tout à l'heure, il n'existait dans la loi de 1838 aucune dis-

SENAT. 157

position relative aux aliénés placés à l'étranger. On ne s'occupait

pas non plus des aliénés étrangers placés en France ; aucune pré-

caution n'était prise contre les aliénés qui ont commis des

crimes, qui sont acquittés par la justice et qui peuvent être une

menace pour la société.

Le projet de loi contient à cet égard diverses prescriptions

excellentes que j'approuve absolument. Cependant, si je dois

rendre pleine justice à l'oeuvre de votre commission, je ne peux

pas ne pas dire dès maintenant au Sénat que nous sommes en

dissentiment sur d'autres points. J'ai peur que le projet ne dépasse

le but qu'on veut atteindre. Nous avons les mêmes intentions,

nous voulons arriver aux mêmes résultats; mais je crois, pour ma

part, que la commission a introduit dans la loi des prescriptions

qui ne pourront pas être exécutées...

M. de Gavardie. Ce que vous dites est parfaitement juste.

M. Buffet. Une réglementation excessive.

M. le Ministre.... et une réglementation beaucoup trop com-

pliquée. Je fais donc mes réserves dès maintenant et d'une

manière générale, sans entrer dans aucun détail. Nous examine-

rons, lors de la discussion de chaque article, les points qui séparent

le Gouvernement et-la-commission. Je me contente de les indi-

quer en ce moment. Le projet institue, dans chaque départe-

ment, deux commissions différentes : d'abord la commission de

surveillance qui fonctionnait déjà sous l'empire de la loi de 1838

et qui a pour objet l'administration des intérêts matériels et

financiers des asiles publics d'aliénés. Puis, a côté de cette com-

mission, il en établit une autre dite commission permanente des

aliénés qui a son siège à la préfecture ou à la sous-préfecture

où elle a des bureaux. C'est elle qui reçoit tous les documents et

tous les rapports médicaux concernant les aliénés, c'est elle qui

prend toutes les décisions ; c'est le préfet qui signe, mais eu rea-

lité c'est la commission qui décid e.

Au sommet de l'échelle, le projet nouveau crée un comité supé-

rieur, qui a son siège au ministère même, qui reçoit également

tous les documents concernant les aliénés, qui délibère, qui

décide, qui a ses bureaux installés au ministère de l'intérieur et

fonctionnant sous sa direction, de même que la commission per-

manente a ses bureaux à la préfecture, absolument indépendants

de l'autorité du préfet. En uu mot, c'est la commission qui admi-

nistre ; c'est le représentant du Gouvernement qui signe. La res-

ponsabilité de l'administration disparait. Je puis même dire qu'il

n'existe plus de responsabilité, car la responsabilité des commis-

sions est purement illusoires. J'ajoute qu'en fait les prescriptions

imposées à ces commissions ne peuvent pas être appliquées :

d'abord elles entraîneraient pour l'Etat des charges considé-

158 SÉNAT.

rables, et, d'autre part, il est réellement impossible de les exé-

cuter.

Et quand on a inséré dans le projet soumis à vos délibérations

l'article 20; qui oblige deux membres de la commission perma-

nente à visiter, dans un délai de cinq jours, tout aliéné placé dans

un asile, on a supposé évidemment que tous les asiles d'aliénés

étaient établis aux chefs-lieux des départements ou des arrondis-

sements, et que, par conséquent, il serait facile aux membres de

ces commissions de remplir le devoir qui leur est imposé.

Mais, messieurs, il est un très grand nombre d'asiles d'aliénés

qui sont séparés du lieu où siégera la commission par des dis-

tances qui varient de 25 à 40 ou 60 kilomètres ; et cependant,

dans un délai de cinq jours à partir de l'entrée de l'aliéné dans

un établissement public, deux membres de la commission perma-

nente, devront aller visiter cet aliéné. Or, comme un très grand

nombre d'asiles reçoivent plus de deux cents malades par an, il

est évident qu'il serait matériellement imp ossible de remplir

l'obligation assignée par la loi. Est-il bon de placer dans les lois

des prescriptions qu'on sait ne pouvoir être exécutées ?

Je ne fais qu'indiquer ici les objections que soulèvent certaines

dispositions du projet. Nous discuterons plus longuement quand

nous arriverons aux articles ; mais j'ai pensé qu'il n'était pas

inutile, dès maintenant, d'appeler la sérieuse attention du Sénat

sur les deux points que je viens de signaler.

11 en est un troisième qui a été effleuré tout à l'heure dans le

discours de l'honorable M. Roussel, c'est celui qui est relatif'à ce

qu'il appelle la taxe sur les aliénés. Je crois que cette taxe est de

nature à soulever les plus vives'objections. Est-il juste d'ajouter

encore à l'infortune d'une famille qui a le malheur d'avoir un

aliéné parmi ses membres, la' charge d'un nouvel impôt ? Cet

impôt serait perçu sur toutes les familles sans exception, qu'elles

soient riches ou pauvres !

Comment ! il faudra payer un impôt parce qu'on a un aliéné

dans sa famille ! Je ne pense pas que cela soit juste, je ne crois

pas que cela soit humain. J'estime qu'un pareil impôt est contraire

à tous les principes de notre législation, et je suis convaincu que

le Sénat ne voudra pas sanctionner cette innovation que je consi-

dère, quant à moi, comme absolument mauvaise.

Voilà, messieurs, les trois points qui me séparent de la com-

mission ; je les examinerai plus tard avec plus de détails et sous

- tous les aspects ; mais, je le répète et je le dis hautement, sur le

fond du projet de loi je suis absolument d'accord avec la commis-

sion. Le projet contient des' dispositions heureuses, il comble des

lacunes regrettables de la loi de 1838 et il a pour objet de donner

des garanties nouvelles à la liberté individuelle et à la société.

Nous avons les mêmes intentions que la commission ; nous pour-

SENAT. 159

suivons, je l'ai dit, le même résultat : j'espère que, dans le cours

de cette délibération, nous arriverons facilement à nous entendre.

(Très bien 1 très bien ! sur un grand nombre de bancs.)

M. LE Président. La parole est à M. de Gavardie.

M. DE GAVARDIR. Messieurs, je ne serais pas monté à la tribune

si, dès le début de son discours, AI. le ministre avait affirmé

énergiquement qu'il repoussait l'oeuvre de la commission. Je me

serais probablement rallié au projet du Gouvernement, sachant

combien il est difficile de remonter certains courants. A mon

humble avis, le projet du Gouvernement est supérieur à tous les

points de vue à celui de la commission. Certes, je tiens à rendre

immédiatemedt l'hommage le plus complet à cette commission,

qui a travaillé, je le dis bien sincèrement, comme jamais com-

mission n'a travaillé.

M. LE Ministre DE l'intérieur. C'est bien vrai 1

M. de GAVARDIE. Elle a réuni une quantité de matériaux pré-

cieux qu'il aurait fallu chercher avec des pem es infinies sur tous

les points de l'Europe. C'est un grand service qu'elle a rendu, et,

assurément, ce n'est pas cette fois-ci que je demanderai des sup-

pléments d'instruction. Mais ce que je dois dire, c'est qu'elle a

trop travaillé. (Sourires). C'est un beau défaut, messieurs ; mais

elle a chargé cette loi de complications infinies, comme le disait

tout à l'heure avec tant de raison et de justesse M. le ministre de

l'intérieur; à ce moment-là, je venais de l'interrompre; mais,

cette fois, je pense que M. le ministre ne me le reprochera pas.

M. le ministre constatait que le projet de la commission com-

portait des complications qui la rendaient impraticable. Messieurs,

tant d'erreurs ont cours sur les questions de cette nature, que je

voudrais dire un mot des origines historiques... (Exclamations sur

quelques bancs à gauche.) Je ne serai pas bien Joug.

Un sénateur à gauche. Continuez ! (Oui 1 Parlez 1 parlez ! )

M. de GAVARDIE. Nous avons le temps, au Sénat, de disserter un

peu... (Hilarité.) C'est, du reste, le discours même de l'honorable

président de la commission qui m'inspire ces considérations his-

toriques très rapides que je vais avoir l'honneur de vous présenter.

Il a réédité cette vieille erreur qui traîne partout : que c'est

depuis 1790 qu'on a compris quelque chose à la situation des

aliénés. Ah ! messieurs, les vieilles législations étaient plus intel-

ligentes qu'on ne le prétend, et ce n'est pas dans l'ancienne

France, quoi qu'on ait dit, qu'on traitait les aliénés comme des

criminels ou, du moins, qu'on les regardait toujours comme des

possédés. Ce sont là des erreurs historiques complètes.

J'ai visité quelquefois ces cabanons dont on parle et qui étaient

parfois scellés, pour ainsi dire, aux églises. 11 y avait la une

160 SENAT.

pensée bien grande, une pensée miséricordieuse et bien souvent

ceux qui n'avaient pas pu être ramenés à la raison par la science

humaine, trouvaient, par l'effet de cette action de la Providence

qu'on ne peut pas nier et qui se manifeste de tant de manières,

trouvaient, dis-je, une complète guérison ; et c'est pourquoi cette

pratique, qui a persisté si longtemps à travers tout le moyen âge,

n'a jamais été découragée. (Exclamations à gauche.) Mais, oui,

messieurs, je connais un peu l'histoire. Tenez ! on vous dit tous

les jours que le traitement des maladies mentales par certains

moyens empiriques très ingénieux date seulement de nos jours ;

par exemple, le traitement par la musique.

Voulez-vous que j'ouvre les livres saints ? (Rumeurs ironiques

sur les mêmes bancs.) Mais, messieurs, toutes les fois que j'en

trouve l'occasion, dans ce siècle qui devient de plus en plus igno-

rant... (Bruit et rires à gauche.) laissez-mot parler un peu

librement dans ce siècle qui devient de plus en plus ignorant

de ses origines religieuses, de ces grandes traditions religieuses

qui élevaient autrefois le niveau intellectuel des peuples à un

degré qu'on oublie réellement trop aujourd'hui, toutes les fois,

dis-je, que j'en trouve l'occasion, je lui rappelle sa véritable his-

toire. Eh bien, on vous disait tout à l'heure que les aliénés étaient

toujours regardes comme des possédés et traités comme tels.

Mais lorsque Uavid... (Interruptions à gauche.)

... Ceci, messieurs, est plus pratique que vous ne le croyez ! ...

Vous allez le voir : j'ai l'air quelquefois de m'égarer, mais je

retrouve toujours mon chemin. (Sourires.)

David, voyant son roi Saul en proie à une véritable aliénation

mentale, eut-il recours purement et simplement aux prières, aux

exorcismes, à la violence, puisqu'on prétend qu'on n'employait

que ces moyens-là ! Non; il dit : « Apportez-moi une harpe ». De

ce jour-là, sans parler des précédents, le traitement des maladies

mentales se trouvait, en définitive, éclairé par une expérience,

et par une expérience décisive. (Exclamations et rires à gauche.)

Vous voyez donc bien que ce n'est pas en 1790 qu'on a inventé

tout cela. (Nouveaux rires.)

Je vous disais tout à l'heure, messieurs, que j'avais visité plu-

sieurs de ces anciens asiles. Une chose m'a frappé : ces asiles, en

général, pouvaient contenir une ou deux personnes. Je faisais

donc naturellement cette réflexion : Ou bien le nombre des

aliénés était beaucoup moins grand dans ce temps-là, et j'en suis

convaincu...

M. TENAILLE- SALIGN Y. Naturellement : il y avait moins de popu-

lation.

M. DE Gavardie. Même proportion gardée, il y en avait trois fois

moins autrefois. Ou bien, je le répète, il y avait moins d'aliénés

SÉNAT. 161

à cette époque, ou bien on n'enfermait dans ces prétendus caba-

nons que ceux dont on ne pouvait réduire la maladie mentale

que par une contrainte matérielle.

Et c'était la vérité ; il y avait des malades inoffensifs qui vivaient

au milieu des populations et qu'on considérait comme des êtres

sacrés. Le peuple qui, dans sa naïveté, a quelquefois plus d'intel-

ligence que les savants, disait : Ils ont vu Dieu ! On voyait en eux

des intelligences écrasées, en quelque sorte, par la majesté divine;

on ne les traitait donc pas comme des criminels. Messieurs, toutes

les fois que je trouve, moi, amoureux de notre vieille et glorieuse

histoire, l'occasion de venger cette histoire nationale et reli-

gieuse de ces critiques qu'on rencontre partout, je saisis avec

bonheur cette occasion, et je salue avec amour la vieille France.

J'aborde maintenant le vrai sujet de ces courtes observations.

Il y a trois points principaux qui caractérisent l'oeuvre on peut

bien dire vraiment nouvelle -'de la commission : 1° immixtion

de l'autorité publique dans les asiles privés et dans les maisons

particulières assimilées aux asiles privés; 2° intervention judi-

ciaire ; 3° commissions nouvelles, fonctionnaires nouveaux sala-

riés. N'oubliez pas cela, messieurs : fonctionnaires nouveaux

salariés.

Messieurs, voilà les trois objets capitaux du travail de la com-

mission. Le projet du Gouvernement, je le reconnais, est sujet,

jusqu'à un certain point, aux défauts que je vais relever, mais à

un moindre degré que celui de la commission ; voilà pourquoi je

n'hésiterai pas, entre les deux oeuvres, à choisir la première.

Mais, comme je le disais tout à l'heure, on a bien de la peine à

remonter certains courants. M. le ministre de l'intérieur, tout à

l'heure, rendait pleinement hommage à la loi de 1 838 ; et cependant,

par suite de cette indécision que ce malheureux régime parlemen-

taire, si mal compris aujourd'hui, impose aux ministres même les

plus éclairés et les mieux intentionnés, M. le ministre n'a pas su

dire à la commission : Je repousse votre oeuvre je m'en tiens à

laloi de 1838, et signaler d'une manière précise les points sur

lesquels on pouvait apporter certaines modifications à la législa-

tion existante. Tel est, à mon humble avis, le langage que M. le

ministre de l'intérieur aurait dû tenir, et je crois qu'avec de la

persévérance il serait arrivé à son but. Je vais donc, à son défaut,

tâcher d'entrer dans cette voie.

Messieurs, la loi de 1838 a été élaborée avec un soin qu'on a

justement rappelé. Etait-elle parfaite ?

Je ne le prétends pas : il n'y a pas de loi parfaite; mais elle

l'était autant qu'une loi humaine peut l'être, et les abus dont on

parlait, venaient tous j'aurai tout à l'heure à citer, à co sujet,

une autorité digne de l'attention du Sénat les abus qu'on a si-

gnalés venaient tous non pas des lacunes de la loi de 4838 en

44

162 L). SÉNAT.

général, mais d'une seule lacune, qu'il était si facile de combler

par une meilleure organisation du service de la direction des

asiles.

Si M. le ministre de l'intérieur demandait au conseil d'Etat de

faire un règlement d'administration publique créant, avec tout le

soin qu'apporte le conseil d'Etat dans des matières semblables, le

service relatif à la nomination des directeurs des asiles publics et

aux garanties que l'on exige des directeurs d'asiles privés, la loi

de 1838, avec ce complément, serait parfaite, autant, je le répète,

qu'une loi humaine peut l'être, Il n'y a que cela à faire. On vous

parlait des abus... Mon Dieu ! vous savez toutes les exagérations

qu'on trouve dans les journaux ; le drame s'en mêle, il faut servir

à ses abonnés un régal de curiosité; au fond de tout cela, il n'y a

qu'une chose, c'est que très souvent les directeurs d'asiles n'étaient

pas même toujours des médecins ou, s'ils étaient médecins, n'étaient

souvent pas rompus aux difficultés de cette science si délicate des

maladies mentales et étaient tout à fait insuffisants.

J'ai eu l'occasion, en qualité de magistrat, d'assister à des

interrogatoires, notamment dans l'asile de Pau. Eh bien, j'ai vu

là, je puis le dire, les hommes auxquels je fais allusion sont

morts, et très certainement personne ne pourra les reconnaître

dans les paroles que je vais prononcer, j'ai vu là des hommes

complètement insuffisants. Si, à leur place on avait mis des per-

sonnes réellement compétentes et ce serait bien facile, le corps

médical est admirablement composé en France j'affirme que

vous auriez eu une loi absolument parfaite, grâce à cette amélio-

ration du service de la direction. Que propose la commission Elle

veut faire intervenir d'une manière véritablement abusive l'auloi ité

publique dans les asiles privés.

Un membre de la commission. C'est une erreur I

M. de Gavardie. Jusqu'à présent ces asiles, très certainement

avec raison, étaient sous la surveillance de l'autorité publique; la

commission propose de les placer sous la direction de l'autorité

publique; et non seulement elle s'occupe des asiles privés, elle

introduit même dans les maisons particulières où, à l'abri pour

ainsi dire de l'inviolabilité du foyer domestique, des malades sont

placés, elle introduit, dis-je, non pas un rayon discret afin de

permettre l'investigation et d'éviter les véritables abus, mais

elle fait entrer à flots la lumière et éclaire ainsi le sanctuaire le

plus intime de l'âme humaine. Auriez-vous la prétention d'attri-

buer à l'Etat et aux hommes qui le représentent plus de respon-

sabililité, plus d'intelligence qu'aux pères de famille, qu'aux

mères de famille, qu'aux frères ou aux soeurs ? Mais vous n'y avez

pas songé 1

Chose singulière ! A mesure qu'on parle de progrès et de liberté,

SÉNAT. 163

nous voyons de plus en plus cette doctrine, que je pourrais quali-

fier du mot de jacobine, mais qui porte un nom beaucoup plus

ancien, qui est une doctrine absolument païenne et révolution-

naire. On voit, à mesure qu'on parle davantage de liberté, cette

intrusion de l'Etat s'étendant de plus en plus dans tout ce qui était

autrefois considéré comme un asile inviolable. (Très bien ! 1 à

droite.)

Vous n'avez pas confiance dans la famille ! Vous me parlez d'in-

convénients ; mais où n'y ena-t-il pas ? Est-ce que, sous prétexte

qu'un père dirige mal l'instruction de son fils ou de sa fille, vous,

Etat, vous pourrez intervenir dans le foyer domestique ? Evidem-

ment non. Vous pourriez cependant éviter ainsi quelquefois bien

des dangers; mais il y a un principe qui domine tout, c'est le res-

pect de la liberté et la sainteté du foyer. Or, dans votre projet

vous violez cette garantie. La législation de 1833 n'avait pas osé

le faire. (Approbation à droite.) Quels abus ont pu vous portera à

cette violation des principes ? Je cherche en vain. Pendant quinze

ou seize ans, j'ai administré la justice dans trois départements;

eh bien, jamais, je l'affirme, je n'ai vu que la loi de 1838 présentât

un seul inconvénient. Enfin, pourquoi ne voulez-vous pas vous en

rapporter à la famille; qui est, en définitive, le meilleur gardien

de la sauté et de l'honneur des siens ?

M. TBSTELIN. Comme ces fils qui brûlent leur mère sous prétexte

qu'elle est aliénée, ainsi que le fait vient de se passer dans le dé-

partement de Loir-et-Cher. (Exclamations à droite.)

M. de G : 1VAADIE. Mon cher collègue, cela ne serait pas arrivé si

on leur eût donné une instruction religieuse (Bruit à gauche.)

Plusieurs sénateurs à droite. C'est cela ! i'rès bien ! 1

M. Testelin. Ils se sont confessés ! 1

M. GAVARDIE. Si vous leur aviez donné une instruction vraiment

religieuse, cela les aurait guéris de ces superstitions. Je passe à la

seconde innovation, qui est relative à l'intervention de l'autorité

judiciaire. Dans le système de la loi de 1938, l'autorité judiciaire

n'intervenait que lorsqu'il y avait ce qu'on appelle, dans la langue

du droit, un incident contentieux.

Toutes les fois que des familles, toutes les fois que des tiers,

dans un intérêt quelconque, ne s'adressaient pas à la justice, tout

se passait entre le préfet et le directeur de l'asile. Je sais bien

qu'on avait organisé un système d'inspection non pas salarié, mais

charitable auquel vous avez l'imprudence de toucher. Cela suffisait.

Quand un abus se produisait réellement, le procureur de la Ré-

publique pouvait intervenir, et s'il ne le faisait pas, il respectait

en définitive la liberté des familles. Vous le forcez maintenant à

agir, vous ouvrez une enquête que vous faites porter quelquefois

164 SÉNAT.

sur les antécédents de la famille; mais c'est effroyable, cela,

messieurs !

Tout se passait, jusqu'à présent, dans un secret absolu. Com-

ment voulez-vous, avec votre organisation nouvelle, que ce secret

soit gardé, quelle que soit l'honorabilité des personnes que vous

chargerez de ces délicates fonctions ? 2

Je disais tout à l'heure que tout dépendait du bon choix des

hommes. Permettez-moi, à cet égard, de rappeler le mot d'un

des plus grands ministres qui aient jamais existé. Le cardinal de

Richelieu a dit dans son testament politique que l'art de gouverner

a une sorte de partie divine; qu'il faut sans doute apporter de la

prudence dans les affaires humaines, mais qu'il y a, en définitive,

une autre partie de ces affaires qu'il faut abandonner à l'inspira-

tion, au choix des hommes et à la Providence dont aujourd'hui

on ne parle plus assez. Voilà ce que ce grand ministre, qui pour-

tant ne reculait pas devant l'emploi des moyens humains, voilà

ce qu'il pensait de l'art de gouverner. Et ne croyez pas que l'art

d'administrer soit différent de l'art de gouverner : ce serait là

une erreur profonde.

Il n'y a que le champ d'action qui soit plus étendu dans un cas

que dans l'autre : gouverner, c'est administrer de loin; admi-

nistrer, c'est gouverner de près : voilà tout ! Il faut donc avoir

confiance dans les hommes. Savez-vous ce que je trouve dans la

Revue des Deux Mondes ? le suis bien aise d'avoir ainsi l'occasion

de rendre hommage au talent déployé par un rédacteur du 3/OM-

teur universel, un ancien sous-préfet vous n'en avez pas beau-

coup comme celui-là, aujourd'hui (Rires), M. Du Bled, qui a

publié, dans cette Revue des articles remarquables sur ce sujet.

Se plaçant précisément au même point de vue que moi, il s'ex-

prime ainsi : -.

«En 1876, M. George-L. Harrisson, président du conseil de

l'assistance publique de l'Etat de Pensylvanie, publiait un livre

où il trace un tableau effrayant des scandales, des abus de tout

genre dont souffraient les aliénés... », dans ce pays-là, mais pas

en France, « ... les citoyens arbitrairement enfermés comme tels,

et il n'hésitait pas j'appelle toute votre attention sur. ce point

à les attribuer « non pas à des lacunes dans la législation amé-

ricaine, mais« surtout à l'incompétence du personnel chargé de

la direction des hôpitaux ». C'est précisément ce que je disais.

« Les nominations, dit-il énergiquement, sont en général

dictées par des considérations politiques; il faut, à tout prix,

récompenser d'une manière quelconque un partisan, et on lui

accorde une place pour laquelle il n'a aucune aptitude, mais

qu'il regarde comme le prix légitime de ses services électoraux.» »

Eh bien, messieurs, tout est là : choisissez des hommes. Et,

certes, il y en a au ministère de l'intérieur où se conservent

SÉNAT. 165

encore quelques bonnes traditions qui, malheureusement, se

perdent de plus en plus. Je me plais cependant à reconnaître les

bonnes intentions de M. le ministre, et je sais, par quelques rares

occasions où j'ai pu le constater, qu'il s'efforce de reprendre les

anciennes traditions. Il faut vous hâter, monsieur le ministre. Je

suis un vieux magistrat, et j'ai vu bien des choses : jamais une

société n'est arrivée à un pareil état de désorganisation. C'est

effrayant ! Il faut, vraiment, qu'il y ait dans le caractère français,

dans les sentiments français, une droiture native et que rien ne

peut altérer, pour qu'il reste encore quelque chose de notre état

social. (Très bien ! à droite.)

Je passe à la troisième innovation : les nouvelles commissions.

M. le ministre vous a dit : Mais cette commission qu'on veut

organiser au ministère de l'intérieur, elle ne peut fonctionner !

Vous voulez administrer au ministère de l'intérieur ! Mais laissons

donc le ministre administrer tout seul. De deux choses l'une : ou

les commissions ne s'occuperont pas de leur lâche, ou elles y

apporteront un esprit qui ne pourra que gêner singulièrement la

haute tutelle du Gouvernement. Enfin, il y a des fonctionnaires

nouveaux ! Comme s'il n'y avait pas assez de fonctionnaires sa-

lariés ! On a dit, avec raison, que jusqu'à présent la loi de 1838

ne coûtait rien à l'Etat. Si vous adoptez le système de la com-

mission, vous verrez quelles lourdes charges vous imposerez au

Trésor.

Sous l'empire de la loi de 1838, tout se faisait sous une inspi-

ration hautement charitable, et ces inspections d'un caractère

moral, les seules qui soient nécessaires, suffisaient pour parer aux

vrais abus qui, je le répète, venaient de l'insuffisance du per-

sonnel, de la direction. Tel est l'ensemble des considérations que

je voulais avoir l'honneur de vous présenter. J'aurais désiré

pouvoir le faire d'une façon plus complète; mais j'avais eu à

peine le temps de jeter un coup d'oeil sur ces grands travaux;

j'espère que le Sénat voudra bien leur faire un accueil favorable.

(Très bien ! très bien ! à droite.)

111. LE président. La parole est à M. le rapporteur.

SI. le rapporteur. Messieurs, avant de passer à la discussion

des articles, je ne voudrais pas que le Sénat restât sous l'impres-

sion, je ne dirai pas des arguments apportés par l'honorable

M. de Gavardie, car je crois qu'ils reposent en général sur des

erreurs qu'une lecture plus attentive rectifiera. C'est ainsi que,

lorsqu'il a adressé à la commission son plus grave reproche, celui

d'avoir voulu substituer pour les établissements privés et les

domiciles privés la direction de l'autorité publique à la simple

surveillance, il a dit le contraire de ce qui est écrit dans le projet

de la commission. Mais j'arrive, messieurs, aux observations que

M. le ministre a apportées à la tribune et sur lesquelles je ne

166 ô SÉNAT.

dirai en ce moment que peu de mots, comptant que, lorsque

viendra la discussion des articles, il pourra être fait plus convena-

blement une réponse plus complète.

M. le ministre a reproché à la commission du Sénat d'instituer

dans chaque département deux commissions pour les aliénés, il

n'en est rien, messieurs. Il existe aujourd'hui dans tous les dépar-

tements qui ont un asile public une commission de surveillance

de cet asile. Cette commission a été instituée dans un intérêt

purement administratif et départemental. Sa mission est surtout

de veiller à la bonne gestion des intérêts financiers du départe-

ment, de surveiller la gestion des directeurs et des économes. Elle

n'a pas à s'occuper des aliénés, ni de leurs intérêts particuliers,

ni de leur liberté individuelle.

La commission unique dont nous avons demandé la création

est tout à fait différente; elle a pour unique mission de protéger

la liberté individuelle et de sauvegarder les intérêts, si souvent

compromis et sacrifiés, des aliénés enfermés dans les asiles. Elle

ne se mêle en rien de l'administration de l'asile lui-même, ni des

intérêts du département. C'est un premier point sur lequel il ne

sera plus fait, j'espère, de nouvelles objections à la commission.

Quant à la composition de la commission permanente, de

l'unique commission dont la création est proposée, quelles objec-

tions sérieuses peut-elle soulever ? Elle se compose de deux élé-

ments essentiels : un homme de science, d'une compétence indis-

cutable, dans une situation d'indépendance absolue vis-à-vis des

intérêts contraires à celui de la liberté individuelle de l'aliéné, et

un homme de loi, dans une situation offrant à la défense des

intérêts matériels de l'aliéné des garanties qui font souvent

défaut aujourd'hui. Voilà, messieurs, les deux éléments essentiels

de la commission permanente, indispensables l'un et l'autre à la

protection que la loi nouvelle doit assurer à l'aliéné.

M. le Ministre vient de dire que cette commission permanente

a un caractère administratif qui la rend inacceptable; que son

fonctionnement créerait une administration à côté de celle du

préfet.

Messieurs, lorsque la question se discutera, je crois pouvoir af-

firmer que ce reproche ne pourra pas résister à un examen attentif

de la portée des termes de l'article 12 de la commission. J'affirme

que, dans les expressions employées pas plus dans les intentions,

la commission n'a entendu conférer aux agents de surveillance

qu'elle crée la moindre parcelle de pouvoir administratif. Ils sont

chargés de surveiller, d'inspecter, de faire des rapports, de donner

des avis, soit au pouvoir administratif, soit au pouvoir judiciaire ;

ils assurentl'exécution de la loi, mais seulement par leur vigilance

sur le sort des aliénés de leur circonscription. Ils n'ont jamais au-

cune décision à rendre.

SÉNAT. 167

Si, parmi les termes employés dans l'article, il y en a un qui

puisse faire naître un doute, donner le moindre ombrage au pou-

voir administratif, la commission, assurément, s'empressera de

chercher un autre terme à l'aide duquel sa pensée puisse être plus

clairement exprimée. Mais, à part une modilicaton à apporter dans

le sens que je viens d'indiquer, je crois pouvoir maintenir que ce

second reproche, adressé à la commission du Sénat, n'est pas plus

fondé que le premier.

M. le ministre a exprimé ensuite cette pensée, que la commis-

sion du Sénat avait dû ne pas calculer que tous les asiles d'aliénés

ne sont pas situés au chef-lieu ou à son voisinage immédiat, qu'un

certain nombre d'entre eux sont à de grandes distances. Je ré-

pondrai que la commission, au contraire, a très minutieusement

étudié la situation, asile par asile, et j'ajoute que lorsque la dis-

cussion viendra, j'apporterai à cette tribune un tableau que je

pourrais appeler officiel et qui fera connaître, asile par asile,

non seulement les distances à parcourir, mais encore les frais

qu'occasionnent les déplacements.

Tout cela a été soigneusement calculé, et ce travail a été fait, il

y a deux ans, au ministère de l'intérieur, sur la demande de la

commission. Le résultat de ces calculs est encore très au-dessus de

la réalité quant aux dépenses et aux distances, car on a calculé tou-

jours à partir du chef-lieu du département, tandis que le projet

de la commission du Sénat prévoit les cas où la commission devra

résider de préférence au chef-lieu de l'arrondissement dans lequel

est situé l'asile départemental.

Quant aux dépenses elles-mêmes, dans lesquelles M. le ministre

semble trouver une objection sérieuse, il me suffira de produire

les chiffres établis dans les bureaux ministériels pour qu'il recon-

naisse qu'elles ne sauraient être considérables et ne peuvent

fournir un argument sérieux à opposer à notre proposition. Quant

aux difficultés qui naîtraient de la fréquence des déplacements et

du travail excessif qui en résulterait, il y a là une objection qui

peut être très sérieusement faite au projet du Gouvernement qui

impose les mêmes déplacements, les mêmes visites à bref délai à

tout aliéné interné, qui les impose, dis-je, au procureur de la Ré-

publique, que la loi nouvelle charge, d'autre part, d'une foule

d'obligations auxquelles elle ajoute les déplacements à titre de

fonction accessoire et supplémentaire.

11 est bien probable, en effet, que ce supplément de fonctions,

cet accessoire, deviendrait écrasant pour ce magistrat; mais il ne

saurait en être de même pour l'agent dont il constitue la fonction

principale. Je ne dirai plus qu'un mot relativement à la taxe des

aliénés que M. le ministre a appelée un impôt peu conforme à l'é-

quité, puisqu'il s'agirait de faire payer à des familles malheu-

reuses une taxe frappée en quelque sorte sur leur propre malheur.

168 SÉNAT.

Mon Dieu, messieurs, puisqu'il s'agit d'équité et d'humanité, je

crois que c'est la commission du Sénat qui leur donne la meil-

leure satisfaction. La taxe des aliénés n'est pas autre chose

qu'une faible rémunération d'un grand service rendu ; n'est-ce pas

sur ce principe, d'ailleurs, que beaucoup d'autres taxes ont été

établies dans tous les pays civilisés ? En Angleterre, qui est un

pays de raison et de justice, jamais cela n'a motivé une objection.

La commission, comme je l'ai dit déjà, a trouvé que le pro-

duit de cette taxe pourrait alléger considérablement les charges,

bien légères d'ailleurs, que le contrôle du service des aliénés doit

imposer à l'Etat. Elle a vu là un expédient avantageux. Elle l'a

emprunté à l'Angleterre, et elle persiste à croire qu'il devrait être

adopté dans notre pays.

En résumé, messieurs, j'espère que dans la suite de cette dis-

cussion le Sénat reconnaîtra que, sans le régime de surveillance

et de contrôle dont la commission permanente est l'élément le

plus essentiel, tous les efforts pour améliorer la loi de 1838 abou-

tiraient à une déception , la surveillance établie par la loi sur les

asiles resterait insuffisante; celle que le projet du Gouvernement

promet aux aliénés gardés hors des asiles n'existerait pas. Il ne

faut pas oublier qu'il y a environ la moitié des aliénés qui sont

dans cette dernière condition, où n'existe aucune garantie et où

l'expérience prouve chaque jour que s'opèrent les séquestrations

arbitraires les plus odieuses.

M. de GAVARDIE. Voyez les statistiques criminelles; vous verrez

combien il y en a. C'est un roman !

M. LE Rapporteur. Vous fournirez vos preuves, monsieur de Ga-

vardie. Vous avez déclaré que nous avions le temps de discuter.

Nous reprendrons, avec vous, tous les points en détail, si vous le

désirez. Je crois, messieurs, qu'au fond M. le ministre est du même

avis que la commission sur les principes, sur la nécessité d'une

surveillance et d'un contrôle qui, dans les conditions présentes,

n'existent pas. C'est sur la forme et sur le mode d'exécution que

portent surtout nos dissentiments. Si je ne me trompe pas, si

dans la pensée du Gouvernement il s'agit d'améliorer le projet de

la commission et non de le supprimer, il me semble impossible

qu'animés d'un désir commun, cherchant à atteindre le même

but, nous ne finissions pas par nous entendre sur les moyens. Je

persiste, messieurs, à conserver cette espérance. (Très bien ! très

bien ! sur divers bancs). ,

M. le Président. Quelqu'un demande-t-il encore la parole pour

la discussion générale ? ...

La discussion générale est close.

Je donne lecture de l'article le'...

FAITS DIVERS. 159

M. le Rapporteur. Monsieur le président, l'article f contient

trois ou quatre paragraphes très importants et qui, je crois, don-

neront lieu à de longs développements. Il vaudrait mieux renvoyer

la suite de la discussion à la prochaine séance.

1%1. LE Président. M. le rapporteur demande le renvoi à la pro-

chaine séance. Il n'y a pas d'opposition ? ... (Non non ! ) La déli-

bération est renvoyée à la prochaine séance. (A suivre.)

FAITS DIVERS

Nominations et PROMOTIONS. Arrêté du 26 juin 1886 : M. le

Dr DONNET, médecinen chef de l'asile de Bordeaux, est promu à

la ire classe de son grade (7,000 fr.), pour prendre rang à partir

du 1" juin.

- Arrêté du 29 juillet 1886 Ont été promus pour prendre

rang à partir du )" juillet 1886 :

A la classe exceptionnelle de leur grade (8,000 fr.), MM. les

Dro REMERCHON, directeur médecin en chef de l'asile Sainte-

Catherine d'Yseure (Allier), et Bouteille, directeur médecin en

chef de l'asile de Toulouse ;

A la 4 Il classe (7,000 fr.), 11. le D DOUTIIEBENT1, directeur mé-

decin en chef de l'asile de Blois;

A la 2° classe (6,000 fr.), M. le Dl* Marandon de Montyel, direc-

teur médecin en chef de l'asile de Dijon.

Ont été promus, pour prendre rang à partir du 1° août 1886 :

A la 3° classe de son grade (5,U00 fr.), M. le Dr Belle, médecin

en chef de l'asile de Bailleul (Nord) ;

A la classe exceptionnelle de leur grade (4,000 fr.), MM. les

D5 Guyot, médecin adjoint à l'asile de Quatre-Mares, et NOLLÉ,

médecin adjoint de l'asile de Dijon.

Arrêté du 6 août 1886 : M. le Dr Anau, médecin adjoint de

l'asile d'Auxerre (Yonne), est nommé médecin adjoint de l'asile

de Blois (Loir-et-Cher), en remplacement de M. le Dr Millet,

décidé, et maintenu dans la classe exceptionnelle de son grade.

Arrêté du 6 août 1886 : M. le Dr KÉRavaL, médecin adjoint

de l'asile de Vaucluse, est nommé à la classe exceptionnelle de

son grade (4,000 fr.), pour prendre rang à partir du 1 la aoùl 1886.

170 FAITS DIVERS.

Arrêté du 44 août 1886 : Mr le Dr Picbenot, médecin adjoint

à l'asile de Bassens (Savoie), est nommé médecin adjoint à l'asile

d'Auxerre.

At'rfe du 8 septembre 1886 : M. le Dr Broquèrk, médecin roi

adjoint de l'asile de Saint-Méen, près Rennes, est nommé mé-

lecin adjoint de l'asile de Bassens (Savoie), est promu à la

1" classe de son grade (3,000 fr.).

Arrêté du 10 septembre 1886 : M. le Dr Belletrud est nommé

médecin adjoint de l'asile de Saint-Méen (Ile-et-Vilaiiie) et placé

dans la 2° classe de son grade (2,500 fr.).

- Arrêté du 14 octobre 1886 : M. le Dr DouRsoUT, directeur mé-

decin en chef de l'asile de Saint- Venant (Pas-de-Calais), est promu

à la 3° classe de son grade (5,000 fr.), pour prendre rang à partir

du 4 octobre 1886.

Arrêté du 18 octobre 1886 : M. le Dr Pichon, chef de la cli-

nique des maladies mentales de la Faculté de Paris, est nommé

médecin adjoint de l'asile Sainie-Arne, et placé dans la 2e classe

de son grade (2;500 pour prendre ranr : à partir du 4°= no-

vembre 4886.

M. le Dr RUEFF, ancien chef de clinique adjoint de la Faculté

de Paris, est nommé deuxième médecin adjoint de l'infirmerie

spéciale du dépôt de la préfecture de police.

M. le Dl TAiY atitien interne de l'asile de Bron, est

nommé pour deux ans, chef de clinique des maladies mentales à

la Faculté mixte de médecine et de pharmacie de Lyon, en rem-

placement de M. LEMONE, appelé à d'autres fonctions. M. le

Dr LAFFITTE, directeur-médecin en chef de l'asile Saint-Luc, près

Pau, est admis à faire valoir ses droits à la retraite, et nommé

directeLr-médecin en chef honoraire. M. le Dr MARANDON de

lŸIGNTYEL, directeur-médecin en chef de l'asile de Dijon, est nommé

directeur-médeciu en chef de l'asile Saint-Luc. M. le Dr Durs,

médecin en chef de l'asile de Clermont (Oise), est nommé direc-

teur-médecin en chef de l'asile de Dijon, et placé dans la 2e classe

de son grade (6,000 fr.). M. le Dr IVOLLET, médecin adjoint à

l'asile de Dijon, est nommé médecin adjoint à l'asile de Saint-

Venant (Pas-de-Calais), eu remplacement de M. le Dl VIDAL. z

M. le Dl BFLLAT, médecin adjoint à l'asile de Prémontré, est

nommé médecin adjoint à l'asile de Dijon. (Arrêtés du 29 octobre,

des 5, 15 et 20 novembre.)

Dans sa séance annuelle du 9 août 1886, l'Association mé-

dico-psychologique anglaise a nommé, sur la proposition du

Dr HACK TuKE, membre honoraire, M. le Dr Théophile RoussEL,

sénateur, et membre correspondant, M. le Dr Victor Parant, mé-

decin de la Maison de santé de Toulouse.

NÉCROLOGIE. - Le Dr BARAZER DE LANNURIEN, ancien médecin

FAITS DIVERS. 171

préposé responsable du quartier d'aliénés de l'hospice de Mor-

laix, est décédé dans cette ville, au mois d'août 1886.

Nous apprenons la mort de M. le Dr ALLEMANDOU, ancien

médecin adjoint de l'asile d'Armentières, et directeur médecin

en chef de l'asile des aliénés de Saint-Alban (Lozère). Il est décédé

le 40 octobre 1886, à l'âge de cinquante-sept ans, à la suite

d'une longue maladie.

Le D George C. CATLETT, directeur de l'asile d'aliénés de

l'Etat de Missouri, est mort le 19 mai, de cystite aiguë. Né le 20 juin

1828, le De Catlett avait donc cinquante-huit ans au moment de

sa mort. Il fit son éducation à l'Académie de Kentucky et il étudia

la médecine à l'Université de Pens\lvanie, où il prit ses grades en

1851. De 1858 à 1861, le Dr Catlett fut un des rédacteurs du Saint-

Joseph n2edic(il siti-gital journal, mais il suspendit ses fonctions à

la déclaration de la guerre pour entrer dans le service des confé-

dérés comme chirurgien. Il fut de la plupart des campagnes mé-

morables de cette lutte desespérée et en laissa un rapport remar-

quable. Quand le collège de Saint-Joseph fut établi en 1877, le

Dl Catlett fut nommé professeur de physiologie et des maladies

nerveuses et mentales. Le Dr Catlett était très connu et sa mort

est une perte sérieuse, non seulement pour le corps médical,

mais également pour l'Etat. (Journal of Insanity, oct. 1886).

- Par la mort du Dr JAMES FAMES, l'asile d'aliénés du districtde

Cork perd un habile directeur médical. Il était professeur de mé-

decine physiologique au Queen's Collège à Cork. Comme chirur-

gien également, le Dr Eames avait acquis quelque distinction. Il

servit dans la guerre de Crimée et publia plusieurs articles in-

téressants sur des sujets de chirurgie. (Ibid.) *

Le Dr Joseph LALOR, directeur médical pendant plusieurs

années de l'asile d'aliénés du district de Richmond à Dublin,

est mort en août dernier. 11 était dans sa soixante-seizième année

et avait pris sa retraite quelques semaines avant sa mort. Il

était connu comme partisan de l'éducation des aliénés et l'asile de

Richmond où il mettait en pratique sa méthode est un des plus

curieux de la Grande-Bretagne. (Ibid.)

Le Dr Thomas Alexandre Mac Bride est mort le 31 août à bord

du steamer Aller, d'un affection rénale. Il' revenait en Amé-

rique après avoir passé une saison à Carlsbad. Né en 1844, il fit

ses études de médecine au Bellevue hospital où il occupa succes-

sivement et avec distinction la fonction d'assistant des cliniques

médicales du collège, de premier assistant de la clinique du

DT Séguin, de professeur de clinique médicale àla même école. Il

s'appliqua spécialement à l'étude des manifestations nerveuses,

des maladies d'assimilation et spécialement à l'application des

172 FAITS DIVERS.

instruments de précision à leur étude. Citons parmi ses études :

« Le pouls lent et les troubles rythmiques du pouls. », « de la tempéra-

ture dans l'anémie»; « de l'Utilité dup/tyc" ! 0f/ ? '<tp/te en médecine »;

« du Coma dans la maladie de Bright chronique » ; « du diagnostic

précoce de la chronicité de la maladie de Bright ». Il a également

publié un certain nombre d'observations intéressantes, parmi les-

quelles nous citerons : « Un cas d'anurie hystérique guérie par la

cure d'une ullération du col de l'utérus », et « Une tumeur du

thalamus optique perforant le corps calleux ». La plupart de ses

études furent publiées dans le Journal des maladies nerveuses et

mentales de New-York. (The Journal ofnervous and mental diseuses,

n°' 9 et f 0, 1886.)

LE nouvel asile des aliénés du Morbihan. L'asile des aliénés

de Lesvellec, près Vannes (1\Iorbilian), a été ouvert le 1 er mars

dernier. Construit sur les indications de MM. Dumesnil, Lunier

et Foville, pour 500 malades, dont 440 du régime commun et

60 pensionnaires, l'asile renferme, aujourd'hui, 472 indigents et

18 pensionnaires. Etudié avec le plus grand soin par les inspec-

teurs généraux, le nouvel établissement constitue, de l'avis des per-

sonnes les plus compétentes, un de nos meilleurs établissements,

sous le rapport de l'hygiène, du confortable et de la surveillance.

L'asile couronne un plateau qui mesure 70 hectares environ.

Vue magnifique de tous les côtés : au midi, Vannes et le golfe :

au nord, les collines qui limitent le camp de Meucon; à l'ouest

les villages de Grandchamps, Plescop, Mériadeck.dans le lointain

Sainte-Anne d'Auray; à l'est, le village de Saint-Avé. dont dé-

pend l'asile.

M. le D Taguet a conduit avec plein succès l'organisation

administrative et médicale du nouvel asile et a su mériter les féli-

citations du ministre et du conseil général du Morbihan pour l'in-

telligence, le zèle et le dévouement apportés dans sa délicate

mission. (Annales utédico-psych.)

Académie de médecine. Prix décernés pour le concours de 1886.

Prix Amussat. - 4,000 fr. Un seul mémoire a concouru. L'Aca-

démie décerne le prix à M. le De G. Assaky, professeur agrégé à

la Faculté de médecine de Lille, pour son mémoire : De la suture

des nerfs à distance.

Prix Civrieux. 1,000 fr. La migraine. Douze mémoires ont

concouru. L'Académie partage le prix entre : les Drs L.Tho-

mas et Régeard (de Paris). Elle accorde des mentions honorables

à \111. les D' Liégeois (de Bainville-aux-Saules) et Georges Mar-

tin (de Bordeaux).

Prix Falret. 1,000 fr. Des rapports entre la paralysie générale

et la cérébrale. Aucun mémoire n'ayant été adressé, l'Académie

remet la même question au concours pour 1887.

FAITS DIVERS 1 '13

Prix Godard. 1,000 fr. Ce prix devait être décerné à l'auteur

du meilleur travail sur la pathologie interne. Dix-neuf mé-

moires ontconcouru. L'Académie partage le prix entre : 4° \f'e A.

Klumpke (de Paris), pour son travail : Contribution à l'étude des

paralysies radiculaires du plexus brachial ; 21 M. le Dr Léon Per-

rin (de Marseille), pour son Mémoire sur la s';rcotm<0 ! ecu<a ? tee.

Elle accorde une mention honorable à M. le Dl Fernand Roux

(de Paris), pour son Traité pratique des pags chauds (maladies in-

fectieuses).'

Prix Portai. G00 fr. Le goitre exophtalmique. Trois mémoires

ont concouru. L'Académie décerne le prix à M. le Dr Liégeois (de

Bainville-aux-Saules.)

Sujets proposés au concours :

Prix de l'Académie pour 1889. Physiologie du nerf pneumo-

gastrique.

PrixCiurieux. 1887 : Des névralgies vésicales. 1888 : Des

hallucinations de l'ouïe. 1889 : Des troubles de la sensibilité

dans le tabès.

Prix de l'hygiène de l'Enfance. 1837 - Etude clinique sur

l'athrepsie.

Prix Lefèvre. 1887 De la mélancolie.

Prix Falret. 1888 : Des rapports entre la paralysie générale

et la syphilis.

Asiles d'aliénés DE la SEINE. 1° Concours pour la bourse de

voyage. Cette bourse de voyage (2,000 fr.) a été accordée à M. le

Dr PicaHON,'chef de clinique de la Faculté. Les candidats ont eu à

traiter les questions suivantes : Ventricule latéral ; Diagnostic diffé-

rentiel de la paralysie générale.

2° Concours pour l'internat. Ce concours s'est ouvert le 6 dé-

cembre. Le jury était constitué par MM. Bigot, Bouilly, Bourne-

ville, Dagonet, Deny, de laMaestre et Rendu. Les candidats étaient

au nombre de 14.

La question écrite a été : Artères de l'encéphale, circulation céré-

brale ; les questions restées dans l'urne étaient : Substance grise de

la moelle; Lobe cérébral antérieur. Questions orales : 1° Symp-

tômes et marche de la scarlatine régulière ; anthrax; 2° Signes et

diagnostic de la première période de la phthisie pulmonaire ; frac-

tures de la clavicule; Les questions restées dans l'urne étaient :

10 Diagnostic de la pleurésie aiguë ; fracture de l'extrémité inférieure

du radius ; 2° Ulcère simple de l'estomac ; diagnostic des luxations

de l'épaule ; 3° Erysipèle de la face ; fractures du col du fémur ;

4° Signes et diagnostic du rétrécissement mitral; hydrocèle de la

tunique vaginale.

Le concours s'est terminé par la nomination de MM. Sérieux,

Gresset, Henry, Gilles, Bruant, Souza-Leite et Breitmann. Les

174 FAITS DIVERS

internes provisoires sont : MM. Lwotf, Caryophillis, Thenet, Gil-

bert et Mary. La question écrite a été remarquablement traitée

de l'avis de tous les juges; les épreuves orales ont été moins

bonnes, ce qui tient à ce que les candidats ne s'exercent pas

suffisamment par des conférences régulières comme le font les

candidats à l'iiilernat des hôpitaux.

Le jury, à la fin du concours, a adressé à M. le préfet de la

Seine un voeu demandant que, à l'avenir, les internes.des asiles

soient recrutés par le concours général de l'internat des hôpi-

taux. 11 y aurait à cela, suivant nous, de grands avantages :

4° L'émulation serait plus considérable; 2° en raison du pas-

sage des internes, par roulement, dans les asiles, un plus grand

nombre seraient mis en mesure de bien connaître les maladies

mentales; 3° il y aurait moins de dépenses pour le département,

moins dedérangement de médecins; plus d'unité dans l'ensemble

des services hospitaliers.-La Commssion de surveillance des asiles,

à laquelle ce voeu a été communiqué, a émis un avis favorable.

Commission de surveillance. M. le professeur Béclard, ayant

donné sa démission de membre de ladite commission, a été

remplacé par M. Davoust, conseiller général. La Commission

est ainsi composée : Barbier, Bourneville, Caron, Davoust,

Du Mesiiii, Huart, Pothier, Puteaux, Robinet, Rousselle, H. Thulie.

Affaire DE l'asile Saint-Georges (Ain). Le tribunal correc-

tionnel de Bourg a eu à s'occuper de deux affaires regrettables.

La première est relative à l'assassinat d'un aliéné nommé Lambert

par l'aliéné Gauthier. Le ministère public a poursuivi le gardien

Guénin pour défaut de surveillance, et rend la directrice de la

congrégation de Saint-Joseph civilement responsable.

La seconde affaire, dite affaire Louvry, jette un jour curieux

sur la façon dont certains asiles d'aliénés sont dirigés par les

soeurs ; M. Lacuire, médecin en chef de l'asile ; la supérieure

Anais Laville, soeur de Chintat, et les deux gardiens Chanel et

Féret sont poursuivis pour coups et blessures sur la personne de

Louvry. Les débats démontrent que ce malheureux malade a été

battu, attaché, qu'il est resté 10 mois 1/2 dans une cellule avec

des fers qui l'ont blessé aux pieds et aux mains. 11 a labriqué une

clef avec laquelle il a ouvert quinze portes et s'est évadé. Le

De Lacuire dit qu'il était seulement médecin consultant, et que la

direction était à la soeui, Laville, qui faisait ce qu'elle voulait. Le

tribunal de Bourg a condamné L' le D Lacuire et la supérieure

Jeanne de Chantai 'M-1 Laville) à 200 fr. d'amende chacun, et les

gardiens Ferret et Chanel à iOo fr.

La congrégation de Saint-Joseph est celle que le conseil général

de la Seine a renvoyé de ses asiles. Les incidents semblables à

ceux qui se sont produits à l'asile Saint-Georges sont loin d'être

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 175

rares dans les asiles de ce genre. Les soeurs sont tout; le médecin

est leur humble serviteur; il ne voit que ce que madame la supé-

rieure qui le paie'- veut bien lui faire voir. On peut mettre

et maintenir dans ses asiles qui on veut. Les réformes les plus

importantes à réaliser et qui auraient dû être réalisées depuis

huit ou dix ans sont les suivantes : suppression des asiles privés

faisant fonction d'asiles publics; suppression des soeurs dans

tous les asiles publics.

Asile de CLERAIONT (Oise). M. le Dr Cullerre, médecin-direc-

teur de l'asile de la Roche-sur-Yon, vient d'être nommé médecin

en chef de l'asile de Clermont.

Nomination. Le conseil communal de Gand vient de ratifier

la nomination de M. le D Mortel, en qualité de médecin en chef

de l'Hospice Guislaiu. (Annales de la Soc. de méd. de Gand, nov.)

Statistique DKS aliénés dans les institutions DE la cité DE Nez-

YoRK. Le nombre des aliénés renfermés dans ces institutions

est de 5,237, d après The médical Record de N.-Y. (23 oct. 4 886).

Ils se répartissent comme il suit : à l'asile de Ward's Island,

1,944 hommes; à l'asile de Blaclwell's Island, 4,879 femmes;

614 femmes dans une section de Ward's Islanas ; - 4 : i0 femmes

dans l'hôpital homoeopaLhtque; 650 épileptiques et idiots à

Raudall's lslaud; total : 5,237. Les Commissaires de charité ont

acheté 1,000 acres de terre dans le comte de Suffolk, à Long tD

Islaiid et il est à espérer qu'avant peu les deux tiers des aliénés

pourront être transférés aux cottages de la ferme de Long lsland.

Asile pour les ivrognes. On vient de créer un asile pour

traiter les ivrognes à Milan. On sait qu'il existe plusieurs asiles de

ce genre en Amérique.

Asile D'UTICA. The New-York Aled. Journ. du 48 dée., nous

annonce que M. le Dr G. A. BLUMER, qui a été pendant quelque

temps, médecin assistant à cet asile, vient d'y être nommé super-

intendant à la place du Dr Gray, décédé, sur lequel nous publie-

rons une notice, dans le prochain numéro.

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

BATTESTI (F.) Le Mariage au point de vue de l'hérédité. Volume iu-

8" de 69 pages. Prix : 1 fr. Paris, 1886. Librairie A. Delahaye

et E. Lecrosnier.

176 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

CiiAncoT (J.-11.). - Leçons sur les maladies du système nerveux, pro-

fessées à la Salpêtrière et recueillies par MM. BABINSKI, Bernard, FÉRÉ,

GUINOY, Marie et Gilles DE la Tourette. Tome 111, 2e fascicule. Un

volume in-8 de 380 pages avec 64 ligures dans le texte. Prix : 9 fr.;

pour nos abonnés, prix : 6 fr. Ce fascicule complète le tome troisième.

Dueuun (E.) Asile public d'aliénes de Saiut-Robert (lisérez. Compte-

rendu du service médical pendant l'année 1885. Brochure in-8<> de 19 pages.

Grenoble, 1886. Imprimerie F. Allier.

DUGUET. Goitres et médication iodée interstitielle. Volume in-8° de

132 pages. - Paris, 1886. G. Steinheil. ,

HOVELACQUE (A.) et HERVÉ (G.) Précis d'anthropologie. Volume in-8° de

655 pages, avec 20 figures. Prix : 10 fr. Paris 1886 ? Librairie

A. Delahaye et E. Lecrosnier.

Index-catalogue OF tue lirrart OF TIIE 9UnGEOF-GENEItAL'y office UNITED

STATES ARMY. Vol. Vil : Insigiurés-Leghorn. Volume in-4- cartonné de

959 pages. Washington, 1886. Governement printing Office.

LETOtMEAU (CH.) - ' L'Evolution, de 'la morale. Volume m-8° de

4,79 pages. Paris, 1886. -Librairie A. Delahaye et E.Lecrosuier.

Souri (J.) Histoire des doctrines psychologiques contemporaines.

Les fonctions du cerveau (Doctrines de F. GOLTZ. Leçons professées' à

l'Ecole pratique des Hautes Etudes (1886). Volume in'-8° de 87 pages.

Paris, 1886. J. B. Baillière et fils..

. PUBLICATIONS DU Progrès médical. - Soeur Jeanne des Anges, supérieure

des Ursulines à Loudun, XVIle siècle. Auto-biographie d'une hystérique

possédée d'après le manuscrit inédit de la Bibliothèque de Tours.

Annotée et publiée les D" G. LEGUÉ et G. DE la TounETTE.

Préface de M. le professeur CHARCOT, membre de l'institut ? Un beau

volume in-8 de 330 pages. Papier vélin, prix : 6 fr.; pour nos abonnés :

4 fr. ^Papier Japon,, prix : 25 fr.; pour nos abonnés : 20, tr. t

Avis A NOS LECTEURS.- Nous appelons vivement l'atten-

tionnée nos lecteurs sur la discussion, au Sénat, DE la

NOUVELLE LOI SUR LES aliénés. En reproduisant ces débats, ? toits croyons être agréable à tous les médecins des asiles

d'aliénés, dé- quelque nationalité qu'ils soient. De plus,

tioics insérerons dans la mesure du possible, les lettres com-

mentant ou critiquant cette discussion qu'ils voudraient

bien nous adresser. - Enfin, nous prions ceux d'entre eux

dont l'abonnement vient d'expirer de bien vouloir nous

adresser le montant de leur réabonnement. '

Le rédacteur-gérant, Bourneville.

Errouz Ch.,Henaesr. imp.- 181.

Vol. XIII. Mars 1887. N, 38.

ARCHIVES DE NEUROLOGIE

PATHOLOGIE NERVEUSE

CONTRIBUTIONAL'ÉTUDE CLINIQUE DE LA SURDITÉ VERBALE;

Par le Dr H. ARNAUD (de la Jasse).

Sous l'influence des travaux déjà nombreux de

Wernicke, Kussmaull, Kohler et Pick, Broadbent, etc.,

à l'étranger ; en France de MM. Charcot, Magnan, Le-

grand du Saulle et leurs élèves, le syndrome aphasie a,

comme on le sait, été décomposé en syndromes plus

simples, l'aphémie ou logoptégie, la surdité verbale,

la cécité verbale et l'agraphie.

Si l'on se place à un point de vue exclusivement

clinique, on peut être tenté de repousser ce morcel-

lement de l'aphasie ; on se basera pour cela sur ce

que : 1° le plus souvent les diverses formes de l'apha-

sie sont combinées chez le même sujet à des degrés

divers et la constatation isolée de chacune d'elles est

relativement rare; 2° dans un même fait, le tableau

clinique peut varier d'un instant à l'autre, au point

que l'on trouvera des signes d'aphasie motrice, alors

que l'on s'est cru la veille en présence d'une aphasie

Archives, t. XIII. 12

178 PATHOLOGIE NERVEUSE.

purement sensorielle, et vice versa; 3° après avoir

diagnostiqué pendant la vie une forme déterminée d'a-

phasie, on a trouvé après la mort des lésions se rap-

portant à une forme d'aphasie différente.

Mais en admettant la vérité des propositions précé-

dentes, est-on en droit de condamner l'analyse clinique

et physiologique qui a permis de distinguer les uns

des autres divers troubles de la fonction du langage,

d'expliquer chacun'de ces troubles par une lésion céré-

brale déterminée, et d'introduire par suite une préci-

sion plus grande dans le diagnostic des cas complexes,

aussi bien que des cas simples d'aphasie ? Je ne le

pense pas. Si elles ont pour but, non pas de séparer

les uns des autres des faits cliniques dont les analogies

sont évidentes, mais de mieux comparer ces faits entre

eux, de mieux en approfondir l'étude, de mieux les

comprendre, de mieux en pénétrer le mécanisme, alors

les divisions rationnelles introduites dans le domaine

de l'aphasie s'imposent à l'approbation de tout obser-

vateur impartial. 1

Il me semble même possible et utile de pousser plus

loin qu'on ne l'a fait généralement l'analyse clinique,

et de distinguer, par exemple, dans chacun des quatre

syndromes devenus classiques de l'aphasie, un certain

nombre de types cliniques plus simples et non moins

faciles à. caractériser; en d'autres termes, je ne crois

pas que le diagnostic ait été porté aux dernières limites

de la précision quand on a dit qu'un malade était

atteint d'aphémie ou de. surdité verbale, de cécité ver-

bale ou d'agraphie. On peut aller plus loin.

Déjà l'attention a été attirée vers les aphasies dites

de conductibilité (leitungs aphasie) et Lichteim a cons-

LE LA SUKOITÉ VERBALE 179 J

truit un ingénieux schéma, qui lui a permis d'admettre

huit, formes d'aphasie'. Bien que ce schéma me paraisse

incomplet et défectueux, je ne considère pas moins la

tentative de Lichteim comme digne d'éloges : il y a là

une voie ouverte dans laquelle il est maintenant per-

mis de s'engager. Seulement, pour aboutir à des résul-

tats acceptables, on ne doit pas partir d'une théorie

préconçue et faire plier les faits à l'interprétation théo-

rique ; il faut partir des faits eux-mêmes, de l'ob-

servation clinique, chercher des formes, des types bien

distincts d'aphasie ; quand ces faits auront été trouvés,

on pourra alors en rechercher'l'explication théorique,

facile et rationnelle. Mon but actuel est l'étude et

l'interprétation d'un certain nombre de faits cliniques

appartenant à la surdité verbale.

D'après M. Bernard ', « la surdité verbale est l'im-

possibilité de comprendre la signification de la parole

entendue, et même de tous les sons devenus conven-

tionnellement représentation d'idées. C'est l'amnésie

des signes audibles, la perte ou l'altération plus ou

moins complète de la mémoire de la signification des

sons ».

Dans son travail non moins remarquable, M. G. Bal-

let admet avec raison, je crois d'après H. Munck 3

' Liclteim. - a) Communication au Congrès des Neurologistes et A lié-

nistes de l'Allemagne du sud-ouest. Session de Bade/juin 188î. b)

Ueber aphasie (Deutscla. Arch. sur hlie. illed., 1883, p. 203. Reproduit in

Bi,ain, 1885. -c) Kéraval, iti Irch, de Neurologie, vol. IX, 1885. d)

Thomsen, in Centr. f. Kliitick. Ifed., no 21. 1885. e) G. Ballet, Le lan-

gage intérieur et les diverses formes de l'aphasie. Paris, 1886, p. 17.

2 Bernard. De aphasie et de ses diverses formes. Th. de Paris, 1885,

p. H5.

3 il. Munck.- Voir : Duret, La physiologie des localisations cérébrales

en Alleiitagite in Progrès médical, n" 9 et smv., 1879, et G. Ballet, Re-

cherches a2tat. et clin, sur le faisceau sensitif. Pans, 1881.

180 PATHOLOGIE NERVEUSE.

une distinction entre la surdité corticale ou cérébrale,

la surdité psychique et la surdité des mots. Peut-être

pourrait-on reprocher aux expressions employées de

prêter à la confusion : en effet, la surdité des mots

n'est-elle pas une surdité cérébrale, c'est-à-dire par

atteinte du cerveau, aussi bien que la surdité corticale

de Munck ? Mais les distinctions proposées n'en sont

pas moins nécessaires, et l'on me permettra même

d'accentuer plus nettement qu'on ne l'a fait la

séparation des divers groupes de surdités dues ci une

atteinte cérébrale. On peut diviser celles-ci en totales

et partielles. Les surdités totales par atteinte céré-

brale sont :

1° La surdité corticale, caractérisée par le défaut

total de l'audition, par l'absence totale de formation

des images des mots et des sons;

2° La surdité psychique, caractérisée par l'audition

brute, avec défaut d'intelligence des sons et des mots

entendus. « Un individu frappé de surdité psychique

entendra les sons, mais sera incapable de comprendre

la signification de ces sons et la signification des

mots'. »

Les surdités partielles par atteinte cérébrale sont

loin d'être rares, et on les trouvera sans doute plus

nombreuses encore, quand on leur aura accordé toute

l'attention qu'elles méritent. J'en ai observé pour ma

part un assez grand nombre; j'ai vu, par exemple, des

personnes qui n'entendaient absolument pas le tic-tac

de la montre, et qui percevaient nettement d'autres

bruits, tels que celui des pas, celui d'un timbre métal-

1 G. Ballet.-Le langage intérieur et les diverses formes de l'apha-

sie. Th. d'agrég. Paris, 1886, p. 91.

DE LA SURDITÉ VERBALE 181

lique, celui de la voix humaine, etc. ; d'autres ne sai-

sissaient pas du tout les sons graves et saisissaient au

contraire fort bien les sons aigus; un autre entendait le

bruit du tambour et était insensible à tous les autres

sons.

L'une des plus importantes parmi ces surdités par-

tielles par atteinte du cerveau, c'est la surdité verbale.

011 peut avecl. G. Ballet'la caractériser en ces termes :

« Un individu atteint de surdité des mots entendra les

sons, saura les rapporter à l'objet qui les produit, mais

ne comprendra pas le sens des mots parlés. » Je ferai

seulement observer que la surdité verbale peut se mon-

trer conjointement à d'autres surdités partielles ; c'é-

tait le cas des individus dont je rapporterai plus loin

l'observation et qui; outre qu'ils ne comprenaient pas

la parole, n'entendaient pas le tic-tac de la montre,

tandis qu'ils percevaient et comprenaient très bien la

plupart des autres bruits : son de la voix, sons musi-

caux, tintement des cloches, etc.

En tenant compte de ces diverses considérations, je

définirai donc la surdité verbale : « Une forme clinique

de l'aphasie qui consiste dans l'impossibilité de saisir

nettement ou de comprendre la parole, coexistant

avec une audition suffisamment nette du son de la

voix et une netteté suffisante de l'intelligence ».

La connaissance, aussi complète que possible des

faits de surdité verbale publiés jusqu'à ce jour, jointe

à l'observation personnelle de quelques faits nouveaux,

m'a conduit à admettre que la surdité des mots n'est

pas un syndrome simple, irréductible, mais que l'a-

1 G. l3alltt. - Loc, cil., p. Ci.

182 PATHOLOGIE NERVEUSE.

nalyse clinique peut distinguer un certain nombre

de syndromes différents, jusqu'à présent confondus

sous ce même nom. Nous allons les examiner tour à

tour. 1 ' t ,

I. -On admet généralement que les mots entendus

sont projetés en quelque sorte dans le cerveau, où ils

viennent former une sorte de magasin, de répertoire

d'images {images auditives des mots), auxquelles ou

me permettra de donner aussi le nom d'images orales.

Ces sortes de résidus, d'imprqssions spéciales, ou, pour

parler comme M. Taine, de sensations qui ont con-

servé leur aptitude à renaître, ces images, en un mot,

ont leur siège en un point particulier du cerveau

(centre de la mémoire auditive des mots, centre des

images orales), qui paraît être normalement J'écorce

de la première circonvolution temporo-sphénoïdale

gauche (mp, Fig. 3, 4, etc.). , z

La lésion du centre mp entraînant l'impossibilité de

la formation des images orales aura pour conséquence

DE LA SURDITÉ VERBALE 183

un type de surdité verbale auquel je donnerai le nom

de surdité verbale centrale.

La plupart des cas de surdité verbale centrale se

présenteront avec les caractères suivants :

1" La surdité verbale, c'est-à-dire, avec la possibilité

d'entendre la voix et la conservation de l'intelligence,

l'impossibilité de saisir distinctement la parole;

2° le défaut d'imagination orale; 3° l'impossibilité

de répéter les mots prononcés par autrui; 4° l'im-

possibilité de parler volontairement d'une façon cor-

recte.

Le plus grand nombre des observations de surdité

centrale des mots mentionnent, en même temps que

la surdité verbale proprement dite et le défaut de

répétition des mots, l'impossibilité de s'exprimer cor-

rectement. Je citerai comme exemples : l'observation

de Wernicke'; celle de Brbadbent' : « ... Le symp-

tôme principal consistait dans la réduction du lan-

gage à un jargon inarticulé, au milieu duquel on

distinguait de temps en temps un ou plusieurs mots,

tels que « s'il vous plaît, merci »... En lui ordon-

nant une action déterminée, on mettait en lumière

son défaut de compréhension des paroles d'autrui. Lui

demandait-on de donner la main, il tirait invariable-

ment la langue... »

La première observation de Seppili' : « L'imper-

fection avec laquelle la malade prononçait un grand

1 N. SkwortzolT. De la cécité et de la surdité dans l'aphasie. Th.

Paris, 1881, p. 82.

t = N. Skwortzoff. - Goc, cit. , p. 8 E.

1 J. Seppili. La surdité verbale ou aphasie sensorielle. (Revista speri- ? ? Zelltal (li 188'1, f,,isc. I, P. 91.)

184 PATHOLOGIE NERVEUSE.

nombre de paroles était ce qui frappait d'abord. Elles

étaient inintelligibles, soit que les syllabes manquas-

sent dans les mots, soit qu'elles y fussent altérées. Lui

demandait-on le nom d'un objet présenté ? Elle dit un

nom absurde, ayant ordinairement une consonnance

analogue à celle du véritable', »

Cellede d'Heillyet Chantemesse', dont la malade ne

prononça que quelques mots, tels que « parce que,

parce que », « oui, monsieur, oui monsieur », « du

plan », « grâce, monsieur » , « je vous remercie, mon-

sieur, je vais mieux », etc.;

Celle de Rosenthall 9, dont la malade n'avait à son

service que les mots « sourd, pied, malade, polonais,

main, souffre ».

Le symptôme le plus fréquent, celui que Wernicke

et Kussmaul considèrent comme caractérisque, c'est la

paraphasie; néanmoins celle-ci n'est pas constante, et

les troubles de la parole volontaire observés sont de

nature assez diverse.

On ne signale pas habituellement dans les obser-

vations de surdité verbale centrale le défaut d'imagi-

nation orale; c'est à tort que l'on néglige ce symp-

tôme qui n'est pas sans importance. On peut s'assurer

de son existence de deux manières : par la constatation

du défaut de rêves de mots entendus, et par celle du

défaut de représentation mentale volontaire de ces

mêmes mots : Bien que l'état de l'imagination orale

1 Bernard. Loc. cit., p. 157.

2 D'Heilly et Chantemesse. Note sur un cas de cécité et de surdité

verbales. (Progrès méd., 1883, p. 22.)

Rosentlial. Z iiii, Ner·oertkeillcuncle, 1881. et Bernard, loc.

cit., p. 158.

DE LA SURDITÉ VERBALE. 185

n'ait pas été examiné, que je sache, dans la forme de

surdité verbale qui nous occupe, je ne doute pas

qu'elle y soit constamment absente, ou tout au moins

diminuée. Comment expliquer les symptômes habituels

de la surdité verbale centrale ?

La formation des images orales consécutivement à

l'audition de la parole est absolument nécessaire soit

à l'intelligence de la parole, soit à son imagination,

soit à sa répétition. C'est là ce que démontre le simple

examen de la plupart des schémas de l'appareil du

langage, et ce qui ne peut guère être sérieusement

contesté. On comprend dès lors aisément que l'abo-

lition de ces images orales, l'impossibilité de leur

retour, consécutives à la lésion du centre mp de

la mémoire auditive, aient pour effet le défaut de

répétition des mots en même temps que de leur intel-

ligence et de leur imagination. (Voir le schéma repré-

sentée. 3.) Quant à l'impossibilité de l'articulation

volontaire correcte, il n'est guère plus difficile d'en

fournir l'explication. Il résulte de l'observation la plus

186 PATHOLOGIE NERVEUSE.

élémentaire que, pour prononcer correctement les

mots, nous avons besoin de les avoir présents à la

mémoire. Ainsi l'amnésique verbal, qui jouit de la

faculté normale d'articulation, de la faculté normale

d'imagination des objets, ne peut pourtant pas désigner

ces objets, par cela seul qu'il a perdu le souvenir de

l'image des mots correspondants, qu'il ne peut trouver

cette image dans sa mémoire. Que l'on me permette

de citer à l'appui de mon dire le fait suivant : Ayant

la mémoire des noms propres assez infidèle, j'avais

à mon service une domestique dont il m'était impos-

sible de prononcer le nom, faute de me le rappeler;

après plusieurs tentatives infructueuses, j'usai d'un

artifice qui me réussit très bien. Quand je voulais

appeler ma domestique, qui se nommait Victorine, je

songeais aussitôt à une autre personne qui portait le

même nom et que je connaissais depuis bien longtemps ;

et aussitôt l'image du mot Victoi-ine se produisait, et

je pouvais articuler le mot sans difficulté. Le souvenir

du mot est donc absolument nécessaire à son articu-

lation volontaire correcte ; il semble que la volonté,

capable de mettre en jeu le centre des impulsions

orales (centre deBroca; io, Fiq. 3), est incapable de

le faire agir, en quelque sorte, en harmonie avec les

besoins du langage, et que le centre mp (centre des

images orales) exerce une sorte d'influence coordina-

trice nécessaire sur le fonctionnement du centre io, de

telle façon que à la lésion du centre n2p succède une

paraphasie (c'est-à-dire une véritable ataxie de la pa-

role), ou plus généralement une impossibilité d'arti-

culation correcte de la parole volontaire.

DE 1,A SURDITÉ VERBALE. 187

II. Tous les faits de surdité verbale centrale ne

se présentent pas aveclasymptomatologie précédente,

qui est pourtant de beaucoup la plus ordinaire. 11 est

des cas où la lésion de la première circonvolution tem-

porale gauche se traduit par la seule impossibilité,

plus ou moins complète, de comprendre la parole. Tel

est le fait de M. Giraudeau' : « Lorsqu'on lui demande

son nom, elle relève la tête, mais ne répond pas. In-

terpellée de nouveau, elle répond : « Que me dites-

vous ? » A la même question, elle dit : « Je ne com-

prends pas ». Si l'on attire de nouveau son attention,

elle répond correctement : « Bouquinet Marie ».

« A plusieurs reprises nous varions son interrogatoire,

et toujours les réponses de la malade sont analogues à

celles que nous`venons de rapporter. Après avoir eu

beaucoup de difficulté à comprendre la première de nos

questions, nous l'avoir fait répéter deux ou trois fois,

elle y répond, et, quelles que soient les questions

ultérieures que nous lui adressons, elle suit son idée

première et nous fait des réponses qui n'ont aucun

rapport avec ce que nous lui demandons.

« Parfois même il est impossible de lui faire com-

prendre notre pensée, et à tout ce que nous lui deman-

dons, elle répond invariablement : « Que me dites-vous ?

Je ne comprends pas. Guérissez-moi. »

« Cependant l'organe de l'ouïe est intact... Elle lit

très facilement l'entête des feuilles d'observation, ainsi

que les questions que nous lui adressons par écrit; elle

y répond soit de vive voix, soit par écrit... »

1 GiiMiideau. Reoue de Médecine, 1882, t. II, p. 116, et Bernard, loc.

ct ? p. 150.

- 188 PATHOLOGIE NERVEUSE.

« Cette observation, dit M. Charcot', démontre que

la surdité verbale, quand elle n'est pas poussée trop

loin (obtusion auditive verbale), n'empêche paslelau-

gage parlé correct tant qu'il est spontané, et ne le

rend inapproprié qu'en tant qu'il s'agit de répondre

à une question parlée qu'on ne comprend pas. Si la

question est écrite, le malade la comprend (n'ayant

pas de cécité verbale), et il y répond correctement,

soit par écrit, soit verbalement, n'ayant ni aphasie

motrice, ni agraphie. L'image visuelle du mot, évoquée

par le signe écrit, suffit donc pour que les langages

parlé et écrit soient corrects et en rapport avec l'idée,

alors que l'image auditive fait défaut ; et il est pro-

bable d'ailleurs que les images visuelle et motrice du

mot ravivent, si elle n'est pas complètement éteinte,

l'image auditive, et alors la notion complexe du mot se

complète. » L'explication me paraît satisfaisante, et je

n'ai rien à y ajouter. Il est donc possible que, dans cer-

tains cas, la mémoire visuelle des mots supplée au défaut

de mémoire auditive, et que par suite la paraphasie

consécutive à la surdité verbale centrale n'existe pas.

III. Les considérations précédentes m'amènent à

dire quelques mots de l'amnésie orale. On a été con-

duit, dans ces derniers temps, à considérer cette am-

nésie auditive des mots comme une forme atténuée de

la surdité verbale; ce serait comme un premier degré

d'altération du centre des images orales. Qu'il en soit

ainsi dans un certain nombre de cas, c'est ce qui ne

me semble pas contestable; on comprend en effet que

' Charcot. Note mentionnée par C. Ballet, loc. cit., p. 110.

DE LA SURDITÉ VERBALE. 189

si le centre des images orales est légèrement atteint,

il ne puisse plus être mis en jeu sous l'influence de la

volonté, tandis qu'il entrera en action sous l'influence

d'une excitation plus puissante, telle que l'audition

même du mot : c'est là une simple question de degré

dans l'excitabilité du centre de la mémoire auditive

des mots.

On me permettra toutefois de faire remarquer que

l'amnésie orale pourra s'observer en l'absence de toute

altération du centre de la mémoire auditive des mots.

En effet, l'amnésie orale consiste en définitive dans la

difficulté ou l'impossibilité de l'imagination volontaire

des mots parlés. Or, pour que cette imagination orale

soit possible, il faut non seulement que le centre des

images orales soit intact, mais encore que la voie qui

fait communiquer ce centre avec la volonté ne soit

pas interrompue. Cette dernière interruption suffira

donc à produire l'amnésie orale, même en l'absence

de lésion du centre de la mémoire auditive des mots ;

et, en pareil cas, l'amnésie ne sera pas nécessairement

le premier degré de la surdité verbale. Je n'insiste pas

davantage, et cette restriction faite, je reconnais que ,

dans le cas de lésion légère du centre des images

orales, on pourra observer pour unique symptôme de

l'amnésie orale.

IV. Je ferai entrer dans un troisième groupe de

surdités verbales, que j'appellerai surdités verbales

mentales, les faits caractérisés par la répétition des

mots prononcés par autrui, sans perception consciente

de ces mots.

Un mot peut-il être répété sans que l'on en ait la

190 PATHOLOGIE NERVEUSE.

perception consciente, sans que l'entendement et la

volonté interviennent dans ce phénomène ? Cela n'est

pas douteux : c'est cette répétition brute et incons-

ciente des mots qui s'observe sans doute normalement

dans le premier âge, chez l'enfant qui répète sans les

comprendre les premières syllabes prononcées devant

lui; c'est sans doute aussi la répétition brute et incons-

ciente que présentent d'ordinaire le perroquet, et, les

autres oiseaux qui redisent, sans comprendre, des

mots et des phrases entières ; c'est elle que l'on

observe encore chez l'homme adulte, fatigué par un

travail excessif ou absorbé par une préoccupation

puissante, qui articule machinalement, sans les com-

prendre, les derniers mots d'une phrase prononcée par

autrui. Pareille chose m'est souvent arrivée à moi-

même. Enfin la répétition brute et inconsciente des

mots se produit assez fréquemment à l'état patholo-

gique; il me suffira de mentionner le malade échola-

lique de M. Voisin', qui répétait sans les comprendre

tous les mots articulés en sa présence; la malade de

Béhier', qui « ne faisait en français que répéter, comme

un écho, les mots qu'elle entendait dire, sans paraître

y ajouter aucun sens ' ».

Quand donc, l'intelligence étant normale, il y a

répétition brute et inconsciente des mots; quand les

mots ainsi répétés ne sont pas perçus d'une façon dis-

tincte par l'entendement, il y a surdité des mots; mais

1 Batemau. De l'aphasie ou perte de la parole et de la localisation

de la faculté du langage articulé. Traduit de l'anglais par Villard. Paris,

1870, p. 76. (Cette brochure intéressante est en vente aux bureaux des

Archives . )

2 Béhier. -- Gaz. des Hôpitaux, 1869, p. 59.

' Bernard. Loc. cit., p. 20.

DE LA SURDITÉ VERBALE. 191

celle-ci ne saurait être attribuée à une atteinte du

centre des images orales, et, dans tous les cas, elle

constitue une forme clinique spéciale. On peut même

y distinguer deux variétés.

Tantôt le malade répète les mots, sans les com-

prendre, et ne les comprend pas davantage après les

avoir répétés : Tel était, semble-t-il, le malade de

l2arcé'. « Dit-on inopinément devant lui « chapeau » ?

Il répète et écrit chapeau, mais ne sait,pas de quoi il

s'agita Tantôt le malade répète les mots sans les

avoir compris, mais les comprend après les avoir répétés.

« Dans une observation de Bouillaud 3, le malade par-

venait à peine à rassembler quelques mots. Seulement

il répétait, comme automatiquement, les dernières

paroles des phrases qu'on lui adressait, et s'impatien-

tait de ne pouvoir répondre. » Ce cas parait apparte-

nir à la variété qui nous occupe ; il en est de même

du cas de Frânckel * : « Lorsqu'on questionnait le

patient, celui-ci ne comprenait pas tout d'abord, mais

il s'efforçait d'articuler les mots. En tâtonnant, il

arrivait, au moyen de cette ingénieuse, combinaison

de l'impression auditive à l'image motrice, à saisir le

sens des demandes. Ce malade procédait de même

pour l'écriture.. » Je rapprocherai de cet exemple ces

cas d'écholaliques qui. répètent la question posée sans

l'avoir comprise, la comprennent en la répétant, et par

1 Marcé. Mémoire sur quelques obs. de phys. pathol. tendant à

démontrer l'existence d'un principe coordinateur de l'écriture, etc....

(Mémoire de la Soc. de biol. 2e s., t. III, p. 102.

* Bernard. Loc. cit., p. 251.) J

3 Bouillaud. rc/t. yen. de méd., 1825, t. VIII, p. 32, et Bernard,

loc. € ! <. 1 j 1 ? - 1 .

4 G. Ballet. Luc : cil., p. 106. 1

192 PATHOLOGIE NERVEUSE.

suite peuvent alors y répondre. Tel est le malade de

M"° Skwortzoff' : « Avant de répondre à la question,

ce malade répétait la même question et répondait en-

suite : Comment ça va-t-il ? Il répète : « Comment ça

va-t-il », et ajoute : « Ça va bien ». Ça va-t-il mieux ?

Il répète : « Ça va-t-il mieux », et ajoute : « Mais oui »,

Savez-vous le nom de cet objet ? « Savez-vous le nom

de cet objet ? c'est un mouchoir. » Dites-moi votre nom.

« Dites-moi votre nom. Dutoit. »

Je ne puis m'empêcher de rapprocher cette obser-

vation de celle de H. P., le malade de M. Charcot'. Le

malade de M"' Skwortzoff paraît être par rapport à

la surdité verbale ce qu'est le malade de M. Charcot

par rapport à la cécité verbale ; taudis que celui-ci

ne pouvait comprendre l'écriture qu'en la copiant,

le malade de M"° Skwortzoff ne pouvait comprendre

la parole qu'en la répétant. Dans les deux cas, à

un examen superficiel des patients, l'aphasie senso-

rielle passerait à coup sûr inaperçue.

V.-Comment se rendre compte de ces nouvelles

formes de surdité des mots ? cela me semble assez

facile, à l'aide du.schéma de la Fig. 4.

Supposons une lésion A du trajet mp, IV qui fait

communiquer avec l'entendement IV le centre des

images orales m p ; il est facile de voir que la répéti-

tion brute des mots ne sera pas impossible, puisque

la voie normale limpiod, par laquelle se fait cette

répétition n'est pas atteinte; mais la parole ne sera pas

' Skwortzoff. Loc. cit. ; Obs. X, p. 120.

1 Charcot. Des différentes formes de Caphasie, etc. (Progrès mé

dical, 1885, p. 411 et suiv.)

DE LA SURDITÉ VERBALE. 193

comprise, puisque l'image orale succédant à l'audition

des mots ne pourra plus communiquer avec l'enten-

dement ; on aura perdu en outre, dans ce cas, l'ima-

giration orale. Alors deux choses pourront se pro-

duire : ou bien la parole, qui n'avait pas été comprise

tout d'abord, sera comprise après avoir été prononcée

par l'individu atteint de surdité verbale mentale, ou

bien elle ne sera pas comprise du tout.

Dans le premier cas, on s'explique le fait par l'inté-

grité de la mémoire des mouvements de la parole ;

dans le second cas, par le défaut de fonctionnement

de cette mémoire.

Mais qu'est-ce que la mémoire des mouvements de

la parole ? On donne généralement ce nom au centre

io (centre de Broca), que l'on considère ainsi comme

ayant une fonction centripète, celle de présider au

souvenir des mouvements de la parole accomplis, sans

cesser de la considérer comme ayant une fonction

centrifuge, celle de présider à l'accomplissement des

mouvements de la parole. Je pense qu'on a tort, de

désigner ainsi le centre de Broca. '

Un fait hors de contestation, c'est que le centre io

préside aux mouvements de la parole : c'est donc un

centre d'impulsion motrice. Or, ces centres-là ne mé-

ritent généralement pas le nom de mémoires ; qui dit

mémoire dit plutôt centre d'acquisition périphérique,

par voie centripète : dira-t-on, par exemple, que la

substance grise de la moelle est le siège de la mémoire

des mouvements généraux de l'organisme, parce

qu'elle préside' à l'accomplissement de ces mouve-

ments ? Mais je ne veux pas paraître chicaner sur les

mots; admettons que le centre de Broca, parce qu'il

Archives, t. III. 13

19 re PATHOLOGIE NERVEUSE.

a son siège dans le cerveau, ou pour touteautre raison,

mérite le nom de mémoire; cette mémoire, en tant

qu'elle actionne la périphérie motrice, est une mémoire

motrice, centrifuge, qui agit sur les muscles sous l'in-

fluence d'une stimulation volontaire, ou tout au moins

cérébrale. Mais rien ne démontre à priori que le

centre de Broca soit en même temps une mémoire

centripète, destinée à des acquisitions .d'origine sen-

sorielle, rien ne prouve qu'il soit destiné à la percep-

tion des mouvements musculaires qui s'accomplissent

à la périphérie. 11 ne mérite donc pas le nom de mé-

moire des mouvements de la parole, mais plutôt celui

de mémoire des impulsions orales.

Il y a pourtant lieu d'admettre l'existence d'une

véritable mémoire des mouvements de la parole. Pour

la mettre en évidence, il suffit de se rappeler ce qui

se, passe chez certains sourds : j'ai connu quelques-uns

de ces sourds qui n'entendaient pas plus le son de

leur propre voix que celui de la voix d'autrui; et pour-

tant ils articulaient les mots avec une grande netteté,

et, quand'il leur arrivait, comme à tout le monde, de

commettre quelque erreur, quelque faux pas d'articu-

lation, ils en avaient parfaitement conscience et se

reprenaient aussitôt. Ce n'est pas par l'audition de

leur propre parole qu'ils se corrigeaient;, c'est donc

qu'ils étaient avertis de leur erreur de quelque autre

manière, et on ne peut imaginer d'autre intervention,

en pareil cas, que celle de la mémoire des mouvements

de la parole.

Et ce que je dis de la parole est également appli-

cable à l'écriture; s'il y a un centre d'impulsion mo-

trice de l'écriture, un centre d'impulsion graphique

DE LA SURDITÉ VERBALE. 195

qui préside normalement à la production des mouve-

ments de l'écriture et qui semble devoir être localisé

dans le pied de la deuxième circonvolution frontale

gauche, il y a aussi une mémoire des mouvements de

l'écriture, dont le rôle est de contrôler le fonctionne-

ment de la première. C'est par cette dernière mémoire

que nous saisissons les lettres et les mots que l'on

nous fait tracer passivement, en imprimant à notre

main des mouvements appropriés. 1 10%

Grâce à cette mémoire des mouvements de l'écri-

ture, il est facile d'expliquer les faits tels que celui

de H. G. de M. Charcot, qui «ne lisait qu'en écrivant;

de même, grâce à la mémoire des mouvements de la

parole, il est facile de comprendre les faits d'écholalie

tels que celui de M"° Skwortzoff (déjà cité).

Ainsi donc, il y a lieu d'admettre, relativement à

la parole, deux ordres distincts de mémoire : l'une

qui mérite le nom de mémoire des impulsions orales

affectée à la production des mouvements de la parole,

l'autre véritable mémoire des mouvements de la parole,

destinée à la perception, au contrôle de ces derniers

mouvements. Cela posé, doit-on considérer ces deux

ordres de mémoire comme siégeant dans un même

centre cérébral ? Je ne le pense pas.

J'insiste sur ce point : la formation des images des

mouvements de la parole est une fonction spéciale,

parfaitement distincte de l'impulsion motrice aboutis-

saut à l'articulation des mots. Dans le premier cas,

les images formées sont le résultat d'actes périphé-

riques moteurs, transmis par la voie centripète à un

centre cérébral d'emmagasiuement et de contrôle, qui

communique lui-même avec l'entendement, et peut

196 PATHOLOGIE NERVEUSE.

permettre à celui-ci de bien saisir et de juger saine-

ment ces données périphériques; dans le second cas, les

images (si je puism'exprimer ainsi) sont mises en jeu

par un acte volontaire, ou tout au moins cérébral, et

elles aboutissent à des contractions musculaires péri-

phériques, qui donnent lieu au langage articulé. La

mise en jeu d'organes musculaires ne saurait en aucune

façon être confondue avec l'appréciation de leurs con-

tractions. Il n'est donc pas probable à priori que deux

actes aussi différents puissent être accomplis par un

même organe, qu'ils puissent siéger en un même

centre de l'écorce cérébrale; une telle superposition

fonctionnelle n'est guère admissible.

D'ailleurs la mémoire des mouvements de la parole,

au sens où je la considère, est une dépendance évi-

dente du sens musculaire. Nous avons normalement

conscience de la position de nos divers muscles, du

degré de leur contraction, et nous en induisons, par

exemple, la valeur d'un poids soulevé, la position de

nos membres, etc. Ces faits ont conduit à admettre

l'existence d'un sens spécial, le sens musculaire, dont

il ne semble pas possible de contester la réalité. Il y

a donc une mémoire des mouvements musculaires,

comme une mémoire de chacun des sens ordinaires,

et c'est à cette mémoire du sens musculaire que l'on

doit rattacher les mémoires des mouvements de la pa-

role et de l'écriture. Malheureusement nous ne con-

naissons la localisation d'aucune de ces trois dernières

mémoires; mais ce n'est pas une raison pour en nier

l'existence. Et peut-on admettre que le centre céré-

bral sensitif, quel qu'il soit, qui en est le siège, soit

en même temps un centre moteur ? Peul-on admettre

DE LA SURDITÉ VERBALE. 197

que ce centre sensitif, où viennent aboutir sans doute

des fibres pédonculaires appartenant au faisceau sen-

sitif occupe le même point qu'un centre moteur, en

rapport avec des fibres pédonculaires motrices ' ?

Enfin pour donner une nouvelle preuve de la diffé-

rence de siège des deux ordres de mémoire qui nous

occupent, j'ajouterai que l'on a pu constater, soit

à l'état physiologique, soit à l'état pathologique, le

fonctionnement normal d'une seule de ces deux mé-

moires, le fonctionnement de l'autre étant nul ou

altéré.

Ainsi, on voit parfois des gens qui font des fautes

d'articulation et qui se reprennent; à l'état nor-

mal, un peut prétendre que ces gens-là se repren-

nent parce qu'ils s'entendent parler, bien que

habituellement on ne s'écoute pas parler; dans tous

les cas, les sourds eux-mêmes, qui ne peuvent pas s'en-

tendre parler, se reprennent aussi ; leur mémoire des

mouvements de la parole a donc fonctionné correcte-

ment, alors que leur mémoire des impulsions orales

fonctionnait d'une façon défectueuse. Il y a aussi des

aphasiques par lésion du centre de Broca qui ont

conscience de l'état défectueux de leur articulation;

chez ceux-ci le plus souvent la mémoire des mouve-

ments de la parole est conservée, alors que celle des

impulsions orales est supprimée. Enfin, dans le cas de

répétition exacte des mots prononcés par autrui, sans

intelligence du sens de ces mots, il y a fonctionne-

ment du centre de Broca, sans fonctionnement de la

'Voir G. BaUet. ? ee/t. aM<. e< c/mMM SM)' <e /'at ! ceaM MKS/< ?

'Voir G. Ballet. Rech. anat. et cliniques sur le faisceau sensitif,

1881, et Cli. l'Wé. Ti-aité élément, d'anat. méd. du système nerveux.

Paris, 1886.

198 PATHOLOGIE NERVEUSE.

mémoire des mouvements de la parole (écholaliques

de Voisin, de Béhier, de Marcé).

Que l'on me permette d'appuyer ces exemples par

quelques autres empruntés à l'écriture.

Quand on imprime des mouvements à ma main,

pour lui faire tracer passivement des caractères dans

l'espace, quand par suite ces caractères sont tracés

par moi sans que la mémoire des impulsions gra-

phiques soit entrée en action, j'ai pourtant la notion

exacte des caractères ainsi tracés : il y a dans ce cas

fonctionnement de la mémoire des mouvements de

l'écriture avec repos de la mémoire des impulsions

graphiques. Le cas de Marcé, déjà cité plusieurs fois,

est un exemple, évident du défaut d'action de la mé-

moire des mouvements de l'écriture avec fonctionne-

ment persistant de la mémoire des impulsions gra-

phiques. On en trouve d'autres exemples dans les au-

teurs. Enfin le fonctionnement conservé de la mémoire

des mouvements de l'écriture en l'absence de mé-

moire des impulsions graphiques n'est pas moins

certain dans le cas de M. Pitres 1.

Il me semble pouvoir conclure de cette discussion :

1° que la mémoire des mouvements de la parole est

distincte comme fonction et comme localisation de la

mémoire des impulsions orales; 2° que le centre de

Broca mérite le nom de mémoire des impulsions orales

et non celui de mémoire des mouvements de la parole;

3° que la mémoire des mouvements de la parole, dont

la localisation est encore inconnue, doit être considé-

rée comme une dépendance du sens musculaire, et

.' A. Pitres. -Considérations siii, t.7gi,al)hie. {Revue de Médecine, Iggi,

t. IV, p. 855, et Bernard, toc. cit., p. 228.)

DE LA. SURDITÉ VERBALE. 199

occupe probablement une portion distincte du terri-

toire cérébral affecté à cette dernière mémoire; 4°qu'il 1

y a donc, en résumé, trois centres cérébraux distincts,

destinés à la fonction de la parole, deux sensoriels et

un moteur, celui-ci (io, Fq. 4) est préposé à l'articu-

lation des mots; des deux autres, 1'tin (mp, Fq. 4) est

destiné à la formation des images orales, 1 autre (mo,

Fig. 4), dont la localisation n'est pas connue, est des-

tiné à contrôler le fonctionnement du centre des im-

pulsions orales : c'est le centre de la mémoire des

mouvements de la parole.

Grâce à cette conception, il devient bien facile de

s'expliquer les faits cliniques de surdité verbale, avec

répétition brute des mots, suivie ou non d'intelligence

de ces mots (voir Fig. 4).. i. Il

le' Cas. La parole pénétrant en Au suit le trajet in-

tracérébral bmp appartenant' au faisceau sensitif; en

mp, il y a formation des images orales correspon-

dantes; celles-ci, parla voiemp io actionnent le centre

de Broca, io, et par la voie iod, ia parole est répétée;

200 CLINIQUE NERVEUSE.

cette parole ne sera pas comprise s'il y a interruption

des trajets mpIV et Paefmo IV.

2e Cas. Après avoir été répétée, la parole, non com-

prise d'abord par suite de l'interruption du trajet

mp IV, sera saisie nettement et comprise par la voie

Paefmo IV. (A suivre.)

CLINIQUE NERVEUSE

UN CAS DE PARAMYOCLONUS MULTIPLE;

Par E.-A. H011fÉN,

Professeur d'Anatomie pathologique à l'Université de Helsingfors.

Les cas certains, publiés jusqu'ici, de cette affection convul-

sive d'une nature si particulière ne sont, à ma connaissance,

qu'au nombre de cinq ou six ; aussi la symptomatologie en

est-elle peu fixée encore. Le cas suivant de mon service, qui

présente quelques différences avec les précédents, m'a paru, à

ce titre, mériter d'être connu.

Ilerman Johansson, quarante-cinq ans, paysan de Korsnas (Fin-

lande), célibataire, est entré le 18 novembre 1886 dans le service

de= maladies nerveuses delà clinique de l'Université à Helsing-

fors. Son père, mort à soixante-dix ans d'une maladie de poi-

trine ( ? ). était un buveur invétéré ; la mère vit encore elest, paraît-

il, d'une bonne santé; elle n'a pas eu d'autres enfant ? . Le malade

ne pense pas qu'il y ait eu des maladies nerveuses dans sa famille.

Il dit avoir toujours été bien portant pendant son enfance, sauf

une atteinte de malaria à l'âge de quinze ans. Il avait seize ans

lorsqu'une nuit il fut brusquement éveillé et fort effrayé par une

querelle bruyante dans la chambre où il couchait; pris aussitôt

d'une attaque convulsive, il perdit connaissance à ce qu'il croit.

d'attaque passée, il se rappelle avoir bien dormi le reste de la

nuit. Mais, le lendemain, il éprouva des secousses involontaires

dans les cuisses, quelque temps plus tard aussi dans les bras, et

UN CAS DE PARAMYOCLONLS MULTIPLE. 201

rarement à la face ; ces secousses étaient souvent suivies de mou-

vements involontaires, quelquefois isolés, quelquefois en série et

rappelant un tremblement. Depuis lors ces secousses ont persisté,

variant un peu de fréquence et d'intensité, sans pourtant jamais

disparaître pour long-temps ; en somme, elles sont devenues plus

fréquentes et plus fortes. Il a cru remarquer qu'elles se produi-

saient moins quand il était à l'état de repos, tandis qu'elles

étaient provoquées et augmentées par le mouvement, surtout un

travail pénible, des émotions ou un état général de fatigue; aussi

le travail lui est-il devenu très difficile ces dernières années. Le

malade assure que l'eau-de-vie apaise et supprime même ces

secousses pour un peu de temps; ainsi il peut s'en débarrasser

pour un jour entier en prenant de temps en temps un « petit

verre » ; mais s'il abuse, s'il s'enivre, il est pris d'une attaque con-

vulsive générale avec perte de connaissance. Le lendemain d'un

excès de ce genre il éprouve une grande fatigue et un complet

abattement, tandis que les secousses sont plus fréquentes. 11 ne

faut du reste peut-être pas prendre trop à la lettre l'assurance de

J... qu'il n'a pas fait abus de liqueurs fortes. Il dit n'avoir jamais

eu de douleurs et avoir toujours été bien portant, sauf une fièvre

typhoïde, en 1867, pendant laquelle les secousses ont persisté.

Voici ce que nous avons noté de l'état du malade à son entrée

a la clinique : Constitution vigoureuse, muscles bien développés,

pas trace d'atrophie, nutrition satisfaisante. L'intelligence et la

mémoire paraissent intactes ; les sens ne présentent rien d'anor-

mal ; les pupilles sont égales des deux côtés, leur réaction à la

lumière et à l'accommodation sont normales. La sensibilité dans

tousses modes est intacte; aucune hyperesthesie. Quand il parle,

surtout s'il parle depuis un peu longtemps, il lui arrive souvent

d'être brusquement interrompu par un hoquet souvent bruyant ;

les mouvements de la langue sont libres, comme on le constate

en la lui faisant tirer et remuer dans tous les sens. Ce même

hoquet lui arrive aussi quelquefois sans qu'il parle. On constate

parfois aussi des contractions musculaires dans la face. affectant

surtout les muscles de la bouche, leszygomahques en particulier ;

ces contractions sont aussi plus fréquentes quand le sujet parle.

En observant pendant un moment les bras, ou voit s'y produire

de temps en temps des secousse» dans certains muscles, les mêmes

des deux côtés, mais pas toujours simultanément ; ces secousses

n'affectent généralement pas tous les muscles à la fois, mais sou-

vent un seul muscle, quelquefois alternativement. Ces muscles

sont surtout le long supinateur, le biceps, le deltoïde, le triceps,

les extenseurs du carpe. Les secousses, toujours étendues sur tout

le muscle, sont souvent smvies d'un mouvement correspondant,

parfois assez violent. Le meilleur moyen de le constater, c'est de

faire tenir au malade un objet à la main en étendant le bras ; il

202 CLINIQUE NERVEUSE.

arrive quelquefois que l'objet est fortement projeté à quelque

distance par un brusque mouvement de supination.

Les secousses sont souvent isolées ; quelquefois cependant

elles se produisent par séries non rythmiques dans le même

muscle ; elles sont d'une intensité variable et se succèdent souvent

assez rapidement ; on peut en compter jusqu'à 20 à 25 en quinze

secondes. Elles se produisent souvent symétriquement, sans être

toujours isochrones, à ce qu'il parait; pourtant on peut les limi-

ter à un des côtés en ne faisant étendre qu'un bras. Le malade

cependant n'est pas trop empêché dans le travail de ses mains ; il

écrit assez facilement, n'étant que rarement interrompu par une

secousse.

Quand le malade est étendu, on voit, plus souvent que dans les

bras, des secousses semblables dans les quadriceps fémoraux,

quelquefois isolées, quelquefois par séries agglomérées et souven

sans être tout au plus une demi-heure sans qu'une secousse, au

moins légère, se produise. On constate aussi, mais plus rarement,

des secousses dans le semi-tendineux, le semi-membraneux et le

grand fessier, plus rarement encore dans les adducteurs; il arrive

aussi de voir de légères secousses dans quelques muscles du tronc.

Au moment où le malade s'endort il se produit souvent de très

violentes secousses, mais pas pendant le sommeil; son dire à cet

égard est confirmé par les infirmier» et par ses voisins de salle.

Assis dans son lit, le malade éprouve parfois, dans les muscles du

dos, de fortes secousses qui le rejettent en arrière avec une grande

violence. Assis, les pieds reposant sur le plancher, les phénomènes

sont à peu près les mêmes que lorsque le malade est étendu ou

assis dans son lit, mais s'il lève le pied, ou qu'on le lui soulève, il

se produit, surtout dans le quadriceps fémoral, de fortes secousses

en rapide succession, jusqu'à cent et plus par minute, et accom-

pagnées de mouvements d'extension correspondants, de façon

que le bas de la jambe est agité d'une sorte de tremblement;

ces secousses se propagent quelquefois à l'autre jambe et au tronc,

surtout aux extenseurs' du dos, ce qui fait faire au patient des

mouvements saccadés en arrière, comme s'il cherchait à s'empê-

cher de tomber.

Quand le malade est debout, il se produit des secousses, surtout

dans les quadriceps ; on voit alors la rotule s'élever et s'abaisser

alternativement; quelquefois aussi des fléchissements du genou,

accompagnés d'extensions brusques ou encore des secousses dans

les muscles dorsaux, qui font que le malade risque de tomber en

arrière. A cela s'ajoute quelquefois une secousse très étrange de

tout le corps, semblable au mouvement que l'on fait en recevant

un coup dans l'epigastre. Quand le patient debout rapproche ses

pieds l'un de l'autre, surtout s'il ferme en même temps les yeux,

UN CAS DE PARAMYOCLONUS MULTIPLE. 203

il lui arrive facilement de perdre l'équilibre, principalement par

suite de secousses dans les muscles du tronc.

Pendant la marche, sans appui, il se produit, bien plus souvent

qu'au repos assis ou debout, des secousses dans les jambes et

quelquefois aussi dans le dos, ce qui rend la marche difficile,

quelquefois même impossible; si au contraire il peut tenir quel-

qu'un par la main, il n'éprouve plus guère d'empêchement. On

essaya de le mettre dans un bain à 35° centigrades ; mais tout son

corps fut pris de mouvements si désordonnés, les bras et les jambes

se projetant de-ci et de-là, qu'on fut obligé de le retenir aussitôt.

Le 2 décembre, je présentais Johemsson dans la séance hebdo-

madaire de la Société finlandaise de médecine. De sa chambre il

n'avait qu'un escalier à monter pour se rendre à la salle des

séances. Soit l'effort seul, ou joint à l'impression de l'air froid du

corridor et à l'émotion (le patient marquait beaucoup de répu-

gnance pour cette présentalion), il se produisit des secousses si

fortes, et en particulier un mouvement brusque de flexion et

de redressement des genoux, qu'on fut obligé d'emporter le sujet

sur un brancard et de l'y maintenir; les secousses et les mouve-

ments s'étendaient sur une grande partie du corps, et continuèrent, t,

bien que moins intenses, quand le malade fut étendu surle bran-

cari. titre d'expérience, on lui donna alors deux petits verres

de cognac ; l'effet fut en vérité frappant le malade se leva bientôt

avec une certaine vigueur et se mit à marcher seul par la chambre

sans qu'on put. guère remarquer de secousses.

En général, il semblait que les secousses fussent plus fortes du

côté droit; elles paraissent aussi plus intenses en proportion du

nombre des muscles qui en sont affectés à la fois.

On ne pouvait constater aucune diminution de la force muscu-

laire. Muscles et nerfs réagissaient d'une manière parfaitement

normale aux courants galvanique et faradique. L'excitabilité mé-

canique des muscles paraissait normale aussi.

C'était en chatouillant à la plante du pied ou en procédant

comme pour provoquer le phénomène du pied, qu'on réussissait

le mieux à provoquer des secousses, surtout dans le quadriceps

fémoral, lesquelles se propageaient quelquefois aux muscles de

l'autre cuisse et à ceux du tronc, particulièrement aux muscles

dorsaux. En revanche, les tentatives de provoquer des secousses

musculaires en chatouillant, pinçant ou piquant la peau de diverses

parties du corps, ou en exerçant une pression sur le muscle que

l'on voulait affecter, demeurèrent en général sans résultat; cepen-

dant ou réussit à en produire au moins dans le quadriceps fémoral

ou à rendre plus intenses celles qui s'y manifestaient, en mani-

pulant ou en percutant ce muscle pendant un instant. Les réflexes

de la peau ne paraissaient pas sensiblement augmentés ; quantaux

réflexes tendineux, et en particulier aux réflexes rotuliens, ils

204 CLINIQUE NERVEUSE.

étaient évidemment plutôt diminués. Mais une percussion répétée

du tendon rotulien amenait dans le quadriceps fémoris des

secousses, quelquefois accompagnées d'une extension presque téta-

nique de la jambe. On n'a pas pu constater un influence évidente

des impressions de chaud et de froid sur la production des

secousses musculaires. -

Pouls 70 à 80.-Du reste rien à observersur les organes internes.

Les fonctions digestives et urinaires sont normales. L'urine est

exempte d'albumine.

Le traitement consista dans l'application d'un courant constant

le long du rachis ainsi que sur certains muscles ; au bout de deux

semaines on ne voyait pas encore d'effet évident. Le patient avait

le mal du pays, voulait absolument retourner chez lui ; sur sa

demande instante, on le lui permit.

On voit donc qu'il s'agit ici d'une observation du même

genre que les cas de paramyoclonus multiples relatés par

Friedreich 1, Lôwenfeld2, Remake Marie 4 et Seelicmuller

En effet, nous avons les mêmes secousses singulières, sou-

vent symétriques, ordinairement non rythmiques, dans des

muscles déterminés, symétriques des deux côtés, souvent très

distants les uns des autres et qui ne sont pas toujours innervés

par le même nerf, par conséquent tout à fait indépendants par

la situation et l'innervation. Ces secousses, qui s'étendent sur

toute la masse du muscle, sont quelquefois isolées, quelquefois

agglomérées, avec des intervalles irréguliers ; elles se produi-

sent tantôt dans un seul muscle, tantôt dans plusieurs à la fois

ou alternativement ; elles sont quelquefois accompagnées d'un

mouvement correspondant du membre, d'autres fois, pas ;

nous voyons encore ces secousses se produire en apparence

' Vzscliow's Aî,citiv, t LXXXI, p. 421. Voir aussi Neurol. Centralblatt,

1886, nez 16, où Sclitiltze jelate la continuation de l'histoire de la maladie

du cas de Friedreich, néphrite, qui s'est ajoutée à la tuberculose.

2 B,iyi@. lei-. ? tlzcheî- IulellryzGl., Munchen, 1883, il" 15, d'après le

résumé donné par .Marie, dans le t'rogrés médical, 1886, no 12, et le

résumé dans « Jahresberichet ùber Tortscltwitle du médecin Zon IIisseli7l.

Jahrfiong, VVIII, Bel II, p. 4â.

' Arch. Psychiatrie, t XV, p. 853.

lli,ogrès médical, 1886, n0' 8 et 12. Dans une note, M. Marie cite une

observation de Silvastrini (spaenio clonzco diffuso simmetrico d'origine

Iledicina co7t<<'mpo'Y<7tea. février 1881), considérée par S. comme

un cas de paramyoclonus multiple, mais dans laquelle il manque,

d'après Marie, cuitanin détails, pour permettre un diagnostic assez sûr.

° Deutsclee .lledzüwischc Woclienschrijl, 188G, n° 21.

UN CAS DE PARAMYOCLONUS MULTIPLE. 205

tout à fait spontanément, mais pouvoir être provoquées artifi-

ciellement ; enfin, dans la règle, elles paraissent cesser pen-

dant le sommeil. En môme temps l'intelligence, la sensibilité,

la force musculaire, la nutrition, la coordination, l'excitabilité

électrique et mécanique, les fonctions digestives et urinaires

restent intactes.

Cependant ce cas présente quelques différences avec les pré-

cédents. Pour l'extension et l'intensité des secousses, il prend

rang entre les observations de Friedreich, de Lôwenfeld, de

Remak et de Marie d'un côté et celle de Seeliemüller de

l'autre. Ainsi, dans notre observation, outre les muscles le

plus ordinairement affectés, quadriceps fémoral, semi-tendi-

neux, semi-membraneux, le long supinateur, le biceps, le

deltoïde, le triceps, les fléchisseurs du carpe, etc., les secousses

s'étendaient sur quelques muscles du tronc, le diaphragme, et

même, dans une faible mesure, sur les muscles de la face,

comme dans le cas douteux de Silvastrini ; tandis que dans

l'observation de Seeli-müller, aussi une grande partie des

autres muscles du corps étaient le siège de fortes secousses de

ce genre, Seeli-müller constate aussi des bruits respiratoires

perceptibles, non pas seulement, comme dans notre observa-

tion, sous forme d'inspiration sifflante par la contraction du

diaphragme mais aussi des bruits expiratoires produits par des

secousses des muscles de l'abdomen et d'autres muscles d'expi-

ration. Quant la fréquence des attaques et des secousses dans

chaque attaque, elle est très variable. Ainsi, dans l'observation

de Friedreich, au temps du maximum d'excitation, les

secousses étaient de 40 à 50 par minute, tandis qu'au moment

du plus grand calme, on n'eu pouvait compter que de 10 à 20;

Lôwenfeld en compte de 10 à 140, Remak environ 60, tandis

que dans notre observation le nombre des secousses monte

quelquefois bien à 100 par minute. Friedreich dit qu'il arrivait

rarement que les attaques cessaient complètement ou presque

tout à fait pendant un temps très court, d'un quart d'heure à

une demi-heure. Les secousses étaient presque continues dans

le cas de Seeligmüller ; dans le nôtre, il pouvait arriver que

pendant une période de repos complet plusieurs des muscles

le plus ordinairement affectés demeurassent sans secousses, le

quadriceps fémoral pourtant rarement plus d'une demi-

, heure. Aussi notre cas a confirmé la remarque de Friedreich

que l'intensité des secousses est en raison directe de leur fré-

206 CLINIQUE NERVEUSE.

quence et qu'il arrive quelquefois que des secousses de plus en

plus précipitées devinssent pendant une ou deux secondes une

espèce d'accès tétanique.

L'intensité des secousses isolées n'est pas non plus la même

dans toutes les observations ; ainsi elles n'étaient généralement

pas accompagnées de mouvements dans celles de Friedreich et

de Lôwenfeld, tandis que c'était le plus souvent le cas dans

celle de Marie, de Seeligmüller et la nôtre.

Quant à la position la plus favorable à la production des

secousses, Friedreich, Lôwenfeld, Remak et Marie les ont

constatées de préférence quand le malade était en repos ; les

mouvements volontaires les supprimaient ou les diminuaient.

Dans notre observation, au contraire, le mouvement parait '

les favoriser, au moins celles des extrémités inférieures et du

tronc, au point de rendre quelquefois la marche à peu près

impossible. Il en était de même chez le malade de Seeligmüller ;

celui-ci dit en effet que tout changement de position du corps

amène aussitôt une série de secousses. Dans ces cas, les

secousses ont disparu pendant le sommeil ; pas tout à fait

dans celui de Remak, et Lôwenfeld constate même alors de

très faibles secousses dans les jambes. Mais dans notre obser-

vation, ainsi que dans celle de Friedreich, les secousses se

produisent souvent très nombreuses et souvent très intenses

au moment où le malade va s'endormir. '

Comme particulier à notre observation, il faut remarquer le

singulier effet produit par le soulèvement, actif ou passif, du

pied du malade lorsqu'il est assis, les'pieds posant sur le plan-

cher ; on provoque ainsi des secousses étendues et souvent

très intenses, non seulement dans les jambes, mais encore

dans les muscles du tronc, surtout du dos, au point que le

malade est parfois violemment rejeté en arrière. Relevons

aussi l'effet singulièrement apaisant produit par l'eau-de-vie

sur les secousses, au point même de les supprimer tout à fait.

Dans le cas que nous relatons, on réussissait à provoquer

artificiellement des secousses en chatouillant la plante du pied,

ou par une percussion du tendon rotulien, ou encore par une

brusque flexion dorsale du pied, mais moins que dans les

autres observations par diverses'autres excitations delà peau,

et moins aussi par une excitation mécanique des muscles

mêmes.

Dans les autres cas, les réflexes tendineux, au moins les

UN CAS DE PARAMYOCLONUS MULTIPLE. 207

réflexes rotuliens étaient augmentés ; dans le nôtre, en revanche

les réflexes rotuliens présentaient plutôt une diminution.

(Dans le cas de Silvastrini, le réflexe rotulien 'manquait.)

Quant au diagnostic, les tics ou certaines formes de tics sont

l'affection à laquelle on serait le plus tenté de rapporter ces

observations ; les rapports que présentent en effet ces affections

ont été marqués en dernier lieu par Schultze '. Toutefois Marie

a déjà attiré l'attention sur certaines différences qui devraient

autoriser à considérer le paramyoclonus comme un type spé-

cial dans le groupe des secousses musculaires. Les deux pre-

mières de ces différences sont que, «dans le paramyoclonus

la face reste ordinairement indemne, tandis quechez les tiqueux,

au contraire, il est rare que la face ne soit pas ou n'ait pas été

atteinte», et que, « les secousses du paramyoclonus cessent

dans les mouvements volontaires et ne les troublent donc nul-

lement ». Ces deux objections tombent en présence de l'obser-

vation de Seeligmüller et de la nôtre, car dans les deux cas la

face était affectée et le mouvement volontaire paraissait exa-

cerber les secousses. Il reste en revanche, comme une diffé-

rence certaine entre le paramyoclonus et la maladie des

tics convulsifs (Charcot), le fait que dans cette dernière

affection, comme le fait ressortir Guinon 2, « les mouvements

présentent dans leur ensemble et dans leur répétition inva-

riable une sorte d'arrangement tel qu'on peut les dire vérita-

blement systématiques » (Charcot), et que « tous ou presque

tous les gestes et les mouvements dont souffrent les malades

sont la reproduction des gestes et des mouvements de la vie

ordinaire », tandis que les contractions du paramyoclonus sont

très variables, souvent localisées dans un seul muscle et ne sont

pas toujours accompagnées d'un mouvement ; celui-ci, quand il

se produit, est tout à fait irrégulier, « banal ». Cependant on

ne peut pas avec la même raison insister sur une différence en

principe sous ce rapport avec le tic convulsif ordinaire du

nerf facial, où on peut aussi observer des secousses irrégu-

lières et banales tantôt dans un muscle seul, tantôt dans, un

autre.

Quant à la chorée électrique, au moins une partie des cas de

cette,maladie mentionnés par Henoch doivent probablement,

' Loc. cit.

'Revue de Médecine, janvier 1886, p. 71. 1.

208 CLINIQUE NERVEUSE.

comme le veut Remak, être rapportés au paramyoclonus '.

Dans notre observation, comme dans celle de Friedreich, la

frayeur parait avoir été la cause de l'affection ; dans celle de

Remak les premières secousses dans les cuisses se montrèrent

pendant une paralysie avec ataxie post-diphtéritique chez un

garçon de 11 ans; quelques semaines auparavant il avait

éprouvé une grande frayeur, un camarade l'ayant poussé dans

l'eau ; aussitôt après, la marche, qui était en train de s'amé-

liorer, redevint beaucoup plus difficile. Le malade de Seelig-

mùller, un homme de 34 ans, avait éprouvé des secousses

musculaires depuis l'age de 5 ans, sans cause citée : plus tard

elles avaient disparu par intervalles ; en 1882 elles reparurent

à la suite d'une douche froide; en octobre 1885 elles étaient

tellement empirées après des fatigues et un refroidissement que

le malade dut renoncer à son travail de charpentier. Dans les

cas de Lôwenfeld et de Marie, il n'est pas cité de cause ; dans

ce dernier, comme dans celui de Friedreich, l'affection a été

un peu douloureuse.

L'âge où la maladie s'est montrée diffère beaucoup. Le ma-

lade de Seeli-müller avait 5 ans, celui de Lôwenfeld 10 ans,

de Remak 11, le mien 16, celui de Friedreich 45, de Marie 49 ;

tous étaient du sexe masculin. Dans l'observation douteuse de

Silvastrini, il s'agissait d'une femme de 45 ans.

Dans le peu de temps (2 semaines) que le malade a été

traité, je n'ai pu remarquer un effet sensible du galvanisme. Ce

traitement a, au contraire, eu une action bienfaisante sur les

cas de Friedreich, Lôwenfeld et Seeligmüller.

La nature de cette affection est encore bien obscure. Schultze2

fit avec un résultat tout à l'ait négatif l'autopsie du cas de Frie-

dreich et l'examen microscopique du biceps et de la moelle.

L'hypothèse de Friedreich a bien quelque probabilité ; il croit

que l'affection provient d'une excitabilité exagérée de certains

groupes de cellules dans les cornes antérieures de la moelle ;

mais dans notre cas et dans celui de Seeligmliller, la face étant

aussi affectée, il faudrait admettre en outre une altération

semblable du bulbe.

Pour les raisons déjà données par Marie, le nom depa ? -amyo-

' Voir la communication de Henoch sur la clior6o devant la Société de

Médecine de Berlin, et la discussion qui s'en est suivi : l3erliter Aled.

Wochenschrift, 1883, n<" 51 et 52.

y Loc. cit.

DE LA TEMPÉRATURE CENTRALE DANS L'ÉPILEPSIE. 209

clonusme parait pour le moment préférable à celui de myoclo-

nus spinalis multiplex proposé par Lôwenfeld ; il me semble

aussi mieux choisi que celui de myoclonie que lui propose See-

ligmüller.

DE LA TEMPÉRATURE CENTRALE DANS L'ÉPILEPSIE;

Par BOURNEVILLE. -

Les recherches que nous avons entreprises autrefois' sur les

modifications de la température sous l'influence des accès iso-

lés d'épilepsie, des accès sériels et des accès subinlrants, nous

avaient amené à poser un certain nombre de règles générales

dont notre maître M. Charcot avait pu constater l'exactitude

et qu'il avait rendues en quelque sorte classiques par son en-

seignement. Ces règles ont été contestées récemment par un

auteur allemand, M. Witkowski 2.

« De hautes t èmpératures, dit-il, s'observent assez souvent chez

les épileptiques dans des circonstances où, eu dehors de la névrose,

ou ne peut constater aucune autre cause de fièvre. C'est là un fait

qui, jusqu'à présent, a trouvé peu d'accès dans le bagage scienti-

fique général du médecin.

« Et cependant ce fait mérite qu'on y consacre toute son atten-

tion. Et cela non seulement parce que, le sachant, le médecin

devient capable d'interpréter, avec toute l'exactitude désirable,

bien des hyperthermies, demeurées jusque-là énigmatiques et par

suite d'en tirer des conclusions diagnostiques et thérapeutiques

légitimes, mais encore parce qu'il fournit des indications pronos-

tiques dont l'appréciation permet au praticien de prédire, en pré-

sence de certains processus, avec toute la certitude et toute la cir-

conspectionqu'exige lasituationdevan tlepublic. Aucun des traités

' Bulletin de la Société anatomique, mars 1869, p. 152. Revue pho-

tographique des hôpitaux, 1869, p. 153, 161. Etudes de thermométrie

clinique dans l'hémorrhagie cérébrale et dans quelques maladies de l'en-

céphale. Paris, 1870. Etudes clin, et thermométrique sur les maladies

du système nerveux, 1872-1873. Recherches clin. et thérapeutiques sur

l'épilepsie et l'hystérie. Paris, 1876, p. 1 à 14 et 91 à 98, etc.. De l'Etat

de mal épileptique (thèse Leroy). Paris, 1880.

Bei,linet, li lin. Woche7tschi,ifl, n'" 43 et 44, oct. 1886.

. Archives, t. XIII. 14

210 ' CLINIQUE NER4'I· : USE.

de pathologie, de ncurotogie, de psychiatrie parus, certes, en abon-

dante quantité, dans ces dernières années n'a traité la question et

d'une manière absolument satisfaisante... ' Si l'on a négligé ce sujet,

ajoute-t-il, la faute en est en portie pzrobablement aux indications

exagérées des auteurs français et en particulier à l'école de Charcot,

prétendant que tout accès d'épilepsie parfait s'accompagne d'une

hyperthermie d'un degré centigrade et plus. 11 y a longtemps que, de

concert avec d'autres, j'ai reconnu que cette assertion est erronée.

Comparées aux mensurations thermiques extrêmement nom-

breuses que, depuis des années, j'ai recueillies sans interruption,

les recherches de la Salpêtrière, fort clairsemées d'après les indi-

cations mêmes de Bourneville, ne sauraient entrer en ligne de

compte, et l'on doit rattacher à des conditions exceptionnelles ceux

des résultats qui pouvaient passer pour positifs, si tant est qu'on

soit autorisé à donner ce nom à des formules représentant bien

moins la règle, la généralité des cas que l'on devait être tenté de

le conclure des argumentatious de Bourneville. Or, non seulement

chaque accès pris individuellement n'exerce généralement aucune

action sur la température du corps du patient, mais les séries

d'accès répétés, dont cependant les effets, devraient s'additionner,

peuvent évoluer sans déterminer de fièvre, surtout lorsque leur

chiffre n'est pas élevé et que le trouble de la connaissance n'est ni

profond ni prolongé. Sans doute l'expérience enseigne que dans

les accès accumulés la température affecte la plupart du temps,

une allure proportionnelle à leur , nombre. C'est ainsi qu'on

arrive en prenant régulièrement et à plusieurs reprises la tem-

pérature à de courts intervalles de temps, à constater que d'accès

en accès la chaleur produite s'accroît avec une uniformité par-

faite d'environ deux à cinq dixièmes de degré. Mais il n'y a pas

là de rapport absolument nécessaire. Car, ainsi que nous venons

de le dire, dans d'autres petites séries d'accès la fièvre fait complè-

tement défaut ou bien, le nombre des accès étant faible, on cons-

tate une fièvre élevée tout à fait hors de proportion avec l'intensité

des accès, fièvre qui peut mêmer accompagner un état purement

comateux radicalement dépourvu de phénomènes convulsifs res-

," il t

NI. Witkowski nous semble trop s'avancer sur ce point. En effet nous

pouvons citer, sans recherches laborieuses, un certain nombre de tiaités

dont les auteurs ont parlé de la température chez les épileptiques :

Seguin (E.). Médical Thermometry. New-York, 1876, p. 226. - Rosen-

thal. Traité cliniq. des mal. nerveuses, trad. Lubanski. Paris, 1877,

p. 533. - Laveran etTeissier. -Nouv. élém. de pathol. et déclin, méd.,

1879 p 63. -Axenfeld et Huchaid. Traité pratique des maladies du

système nerveux, 2' édit. Paris, 1883, p. 782. -- Gowers (W.-R.).

De L'épilepsie et autres maladies convulsives chron., trad. Carrier. Paris,

1883 p. 168. Grasset. Traité prat. des maladies du syst. nerv.,

3' éditzoz,. Ioutpellier et Paris, 1886, p. 1072; etc.

DE LA TEMPÉRATURE CENTRALE DANS 1,'ÉPILEPSIE. '2) ! 1

semblant à un accès ou bien enfin la fièvre en question se sépare

nettement d'une façon bien déterminée, quant au moment auquel

elle survient, des accès d'épilepsie, s'installant quelques heures

ou quelques jours avant ou après les accidents convulsifs.

Après avoir affirmé que la « doctrine » de l'École de la Sal-

pètrière « doit être tenue pour inexacte en tant que loi géné-

rale », M. Witkowski déclare qu'il va « rechercher les lois qui

commandent aux hyperthermies de l'épilepsie » :

« L'expérience, dit-il, nous apprend qu'abstraction faite na

turellement des complications assez fréquentes, il ne survient

chez les épileptiques de fièvre notable que dans des circonstances

tout à fait déterminées et que cette fièvre se rattache à des règles

qu'il est possible dès maintenant de fixer avec une certitude suf-

fisante pour fournir du premier coup au jugement et à l'instruc-

tion du médecin des jalons solides... »

Nous nous bornons pour le moment à ces citations qui

indiquent nettement les idées de l'auteur se résumant en ceci :

les accès isolés d'épilepsie, les accès survenant par petites sé-

ries ne produisent pas une élévation de la température ; les

accès accumùtésque nous désignons en France sous le nom

(1'Étai de mal - déterminent une élévation de la température

proportionnelle à leur nombre. Nous allons démontrer que

sur les deux premiers points les opinions de l'auteur sont

erronées et que sur le troisième il ne fait que confirmer la

loi que nous avons posée sur l'élévation considérable de la

température dans l'état de mal épileptique. Toutefois, avant

d'aborder l'exposé de faits observés avec soin, qu'il nous soit

permis d'exprimer le regret que M. Witkowski n'ait pas cité

les noms des auteurs qui « de concert » avec lui contestent

l'enseignement de la Salpétrière, ni ceux qui ont contribué à'

faire l'expérience que nous possédons aujourd'hui sur les

hyperthermies dans l'épilepsie et surtout qu'il n'ait pas fait

précéder ses assertions générales de quelques-unes « de ses

extrêmement nombreuses mensurations thermiques ».

I. DE LA TEMPÉRATURE DANS LES ACCÈS ISOLÉS D'ÉPILEPSIE.

Dans nos premiers travaux sur la température des épilep-

tiques (1859-1873), nous n'avions mentionné sur ce point parti-

culier qu'un petit nombre d'expériences : ce sont celles-là seu-

212 CLINIQUE NERVEUSE.

lementque parait connaître M. Witkowski. Depuis, nous avons

consigné un grandnombre de renseignements thermométriques

concernant l'épilepsie soit dans nos publications personnelles,

soit dans celles de nos élèves ' . 11 paraît que M. Witkowski les

ignore. Si, dans ces dernières années, nous n'avons pas fait

connaître les faits que nous avons rassemblés, c'est qu'ils

confirmaient entièrement les données antérieures ; c'est que

notre éminent maître M. Charcot y est revenu maintes fois

dans ses leçons. Afin de donner une première satisfaction à

notre contradicteur, nous avons publié dans le Progrès Médical

(1886, n0848 et n9 ) une série d'explorations thermométriques

faites sur 6t malades. Chez soixante d'entre eux, nous avons

observé une élévation de la température sous l'influence de

l'accès épileptique. Pouvant nous étendre ici plus longuement

sur ce sujet, qui relève de la neurologie, nous'allons donner

un tableau résumant plus de 360 explorations faites sur cent

neuf autres malades. Après cela, M. Witkowski sera peut-être

satisfait. En tout cas, nos lecteurs verront qu'ils n'ont pas eu

tort d'accorder dans l'espèce, comme toujours, leur confiance

aux enseignements de l'École de la Salpêtrière..

DE LA TEMPERATURE CENTRALE DANS L'ÉPILEPSIE. 2)3 3

- 21 le CLINIQUE NERVEUSE.

DE LA TEMPÉRATURE CENTRALE DANS 1/ÉPILEPSIE. 215

Chez vingt-sept malades nous avons noté des exceptions,

qui doivent être divisées en deux catégories : dans la pre-

mière, se rapportant à 14 malades, l'élévation de la tempé-

rature ne s'est produite qu'un quart d'heure après la fin de

l'accès; - dans la seconde catégorie, n'embrassant que 13

malades, la température a offert plusieurs irrégularités sur

lesquelles nous reviendrons tout à l'heure.

Voici d'abord le tableau des cas de la première catégorie :

216 CLINIQUE NERVEUSE.TEMPERATURE DANS L'ÉPILEPSIE.

UN CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH. 217 Î

rature a fourni des résultats semblables à ceux qui avaient

été précédemment obtenus, par exemple chez Kle..., Souto...

Faut-il considérer ces faits comme des exceptions ou seule-

ment, de même que ceux du précédent tableau, comme des

irrégularités ? Nous inclinerions volontiers vers cette seconde

interprétation. Et ce qui nous y engage, c'est que chaque

fois que nous avons pris la température en dehors des accès,

le matin et le soir, nous avons enregistré des températures

normales et, par conséquent inférieures aux températures

maxima consécutives aux crises convulsives, ainsi que le

montrent les notes de la colonne des observations.

En nous appuyant sur tous ces faits, nous sommes donc en

droit de maintenir nos conclusions anciennes : lo les accès

isolés d'épilepsie augmentent la température centrale ;

2° cette augmentation varie entre un dixième de degré et un

degré et demi, quelquefois davantage ; elle est en moyenne de

5 à 6 dixièmes de degré. (A suivre.)

RECUEIL DE FAITS

UN CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH ;

Par Peul BLOCQ, interne des hôpitaux.

Le premier mémoire de Friedreich consacré à la détermi-

nation de cette espèce morbide date de 1863. Depuis, le même

auteur publia de nouveaux faits en 1876 et 1877. Kahler et

Pick (1878), puis Erb complétèrent ces descriptions. Môbius

(1879), dans un travail assez complet, insiste particulière-

ment sur l'opposition remarquable des troubles graves de la

motilité et de l'indemnité de la sensibilité. En raison du début

de la maladie dans l'adolescence, il pense qu'il s'agit d'un

arrêt de développement de la moelle. Govvers (1880) rapporte

l'histoire d'une famille de neuf enfants dont cinq malades.

La thèse inaugurale de Brousse (188L» renferme la première

218 S RECUEIL DE FAITS.

observation parue en France, et constitue une monographie

très complète de la question, basée qu'elle est sur tous les

cas épars jusque-là dans la littérature. M. Teissier (1884) com-

munique à la Société de médecine de Lyon une seconde obser-

vation. M. Charcot (188'a) fait une leçon sur l'ataxie hérédi-

taire et la sclérose en plaques ; enfin Musso (188'E), puis Vizioli

et885) en publient de nouveaux exemples.

En somme, on voit par cet exposé rapide, qu'il n'existe

guère actuellement qu'une cinquantaine d'observations.

Encore est-il que leur valeur est des plus inégale, car beaucoup

parmi elles s'écartent en bien des points du type créé par

Friedreich. Aussi, M. Raymond, qui, dans son excellent article

du Dictionnaire encyclopédique, analyse tous les faits pré-

cités, remarque-t-il que la lecture de ces observations « fait

comprendre que des auteurs comme Bourneville aient voulu

voir dans cette maladie une forme fruste de la sclérose en

plaques ». Des trois observations publiées jusqu'à présent en

France, aucune n'est aussi conforme au type de la maladie

de Friedreich que la suivante :

Paul Par..., âgé de vingt ans, entre le il octobre 1886, à

l'hôpital Tenon, dans le service de M. le Dr STRAUS, et occupe le

lit n' 21, de la salle Andral.

Il est interrogé avec soin sur ses antécédents héréditaires; ses

grands-parents, paternels et maternels, n'ont jamais eu d'affec-

tions nerveuses, son père est mort d'accident, et sa mère, ses

oncles et tantes sont actuellement bien portants.

Il est fils unique, et n'a lui-même eu d'autre maladie antérieure

que la rougeole à l'âge de cinq ans, et quelques manifestations

strumeubos.

Le début de la maladie actuelle remonte à dix ans. Il se plai-

gnait à cette époque de sensations de fatigue, ou plutôt d'une

sorte de faiblesse dans les jambes qui lui causait des difficultés

pour marcher. Insensiblement la marche devint de plus en plus

pénible, au bout de quatre ans la station ne lui était possible

qu'en s'appuyant aux murs ou aux objets avoisinants, et il re-

marqua qu'il frappait le sol fortement avec ses talons. Pendant

cette période de temps, il marchait, dit-il, comme un homme

ivre. Enfin, depuis deux ans déjà, non seulement la marche mais

aussi la station sont devenues tout à fait impossibles et le

malade doit garder le lit. Jamais pendant tout ce temps, le

malade n'a ressenti aucune douleur. A peu près deux ans après

le début de l'affection, les bras devinrent maladroits et leur

incoordination motrice crut graduellement jusqu'au point où

UN CAS DE MALADIE DE FRIEDREICH. -219

elle en est actuellement. La tête elle-même était prise peu de

temps après d'oscillations dès qu'elle n'était pas appuyée. La

parole a été embarrassée presque au début de la maladie. Un an

après le commencement de son affection, le malade fut conduit

à l'hôpital' Trousseau et placé dans le service de M. Bergeron, où

il séjourna deux mois, durant lesquels le traitement hydrothéra-

pique institué n'amena aucune amélioration. Aussi, malgré les

progrès croissants de la maladie, est-il resté depuis chez lui sans

suivre aucune médication. Il y a une huitaine, à la suite d'un

refroidissement, il fut pris de toux avec léser mouvement fébrile,

ce qui le détermina à demander son admission à l'hôpital.

Le malade est de très faible constitution et ne parait pas son

âge. Il a la taille et la vigueur apparente d un adolescent de

quinze à seize ans; il répond intelligemment aux questions qu'on

lui adresse. Sa parole'toutefois est traînante, embarrassée, rap-

pelant absolument l'élocution d'un malade atteint de sclérose

en plaques, ainsi que t'ont remarqué du reste immédiatement

tous ceux qui l'ont examiné. Les mots sont articulés lentement,

scandés avec un léger bégayement, et leur émission successive se

fait à des intervalles exagérés. La langue se meut librement.

Au point de vue de la motilité, on ne constate rien d'anormal

au repos. Les membres inférieurs ne sont ni atrophiés, ni dé-

formés, cependant il existe un degré notable de pied-bot équin

des deux côtés. Mais si l'on ordonne au malade de soulever sa

jambe eT de toucher avec son pied levé la main qu'on met a

une certaine hauteur, il n'y arrive qu'après une série de mouve-

ments oscillatoires désordonnés. Lui ferme-t-on les yeux pendant

qu'il exécute cette manoeuvre, l'incoordination n'augmente pas.

Du reste, on constate, en cherchant à étendre la jambe fléchie

du malade, après lui avoir dit de s'opposer à ce mouvement.

que la force musculaire est parfaitement conservée, à ce point

qu'on peut ainsi soulever le malade de son lit, par sa jambe

fléchie sans qu'elle s'étende. L'incoordination motrice est plus

prononcée à gauche qu'à droite. Si, après avoir soulevé la jambe

et l'avoir maintenue un instant en l'air, on engage le malade à

conserver cette position, il ne peut y arriver et le membre décrit

de grands mouvements que le malade ne peut empêcher. On ne

peut faire marcher le malade que soutenu par deux aides; il jette

alors ses jambes de côté et d autre, décrivant de grands arcs de

cercle, frappant violemment le sol du talon. L'occlusion des

paupières n'exagère pas son ataxie, et alors qu'il était moins

atteint, le malade n'a jamais observé que les ténèbres augmen-

taient sa difficulté à marcher. Il sent du reste très bien la nature

du sol sur lequel il marche.

Les membres supérieurs, présentent des phénomènes sem-

blables. On n'observe rien d'anormal au repos, mais si l'on

220 RECUEIL DE FAITS. MALADIE DE FRIEDREICH.

ordonne au malade de porter son index à son nez, il ne peut y

arriver sans une série de mouvements désordonnés, exagérés aussi

à gauche. Aussi ne peut-il se servir de ses mains que pour des

travaux grossiers, et l'écriture lui est-elle devenue impossible.

Cette ataxie n'est également pas influencée par l'occlusion des

paupières et l'obscurité. De même si on abandonne son bras

après l'avoir un instant maintenu dans une position fixe, il ne la

conserve pas, et décrit des oscillations de plus en plus étendues.

La force musculaire est conservée, et l'exploration dynamomé-

trique donne à droite 35, à gauche 25.

La tête ne présente rien de particulier lorsqu'elle repose sur

l'oreiller, mais lorsque le malade la meut, c'est d'une façon

exagérée et désordonnée. Ainsi lui fait-on tourner la tête à

gauche, il l'incline et décrit un léger mouvement de va-et-vient.

De plus, lorsque la tête même au repos n'est pas appuyée, elle

est constamment animée de mouvements tout à fait semblables

à ceux d'une personne qui s'endort assise, la tête non soutenue.

Les yeux sont agités au repos d'un très léger nystagmus hori-

zontal. Le phénomène est rendu beaucoup plus appréciable,

lorsqu'on dit au malade de fixer un point, et surtout de mouvoir

ses yeux latéralement. On observe alors que le globe oculaire

fait au milieu de sa course un très léger mouvement de recul,

puis reprend sa marche.

Il n'existe aucun trouble de la sensibilité. Le malade ne s'est

jamais plaint, et ne ressent encore aucune douleur. Il sent bien

ses jambes dans le lit, et apprécie les poids qu'on lui fait sup-

porter. Une exploration attentive ne dénote aucune zone d'anes-

thésie ou d'hyperesthésie. La sensibilité spéciale (vue, ouïe, goût,

odorat) est aussi indemne.

11 n'y a pas de troubles génitaux ; les sphincters fonctionnent

normalement. Les réflexes tendineux rotuliens sont complèle-

ment abolis, des deux côtés. Il n'existe aucun trouble trophique,

et les réactions électriques (sensibilité et contractilité) sont nor-

males.Rien à noter dans les autres appareils, sinon les signes d'une

très légère bronchite.

Nous ne pensons pas que le diagnostic ici soit douteux un

seul instant : l'incoordination motrice, l'abolition des réflexes

rotuliens, le nystagmus, l'embarras de la parole, l'absence de

troubles de la sensibilité, d'anomalies des sphincters, forment

un ensemble impossible à confondre soit avec l'ataxie locomo-

trice progressive, soit avec la sclérose en plaques, seules

affections à signes communs.

Cette observation vient à l'appui de l'opinion exprimée par

M. Féré, que le terme d'ataxie héréditaire choisi par Frie-

LA PARANOÏA. O21

dreich est impropre, Notre malade n'a pas, en effet, d'antécé-

dents d'une part, de l'autre il est fils unique. Comme l'a fait

remarquer M. Brousse, il semble bien s'agir d'une entité mor-

bide spéciale, tenant le milieu entre le tabes et la sclérose en

plaques. Cliniquement, elle se rapprocherait plus de cette der-

nière affection, et la première impression qu'a causée notre

malade à plusieurs observateurs était qu'il s'agissait de sclé-

rose en plaques. Cependant il n'a eu ni les vertiges ni les

attaques apoplectiformes mentionnées dans quelques observa-

tions.

Nous avons noté avec soin dans ce cas que l'occlusion des

paupières n'exagérait en aucune façon l'incoordination, fait

indiqué par Friedreich, mais contesté par Brousse et par

Longuet qui va même jusqu'à prétendre que l'auteur allemand

s'égare pour différencier la maladie qu'il décrit du tabes vrai.

Nous avons également observé la déviation des pieds en varus

équin, signalée par Rudimeyer.

En somme, cette observation réalise presque, au point de

vue clinique, un schéma du genre, et c'est plus à cet égard

qu'elle nous a semblé digne d'être rapportée qu'en raison de

la rareté des faits analogues.

REVUE CRITIQUE

LA PARANOÏA

DÉLIRES SYSTÉMATISÉS ET DÉGÉNÉRESCENCES MENTALES

Historique et critique;

Par J. SÉGLAS, médecin-adjoint de l'hospice de Bicêtre'.

La forme aiguë de la Paranoia primitive hallucinatoire dé-

bute par un stade prodromique avec insomnie, irritabilité ou

dépression ; puis surviennent des troubles sensoriels (ouïe,

' Voir le 11- 37, p. 62.

222 REVUE CRITIQUE.

goût) et un délire subit d'idées de grandeur et de persécution

mêlées ou alternant. et s'accompagnant d'excitation ; le calme

peut renaître, mais les hallucinations persistent avec des idées

d'empoisonnement, de persécution, etc. Cette forme guérit ou

passe à l'état chronique. Elle peut succéder à des maladies

aiguës, à l'état puerpéral, à des accès hystériques ou épilep-

tiques, à des abus alcooliques ou morphiniques. La forme chan-

nique est surtout caractérisée par la. persistance des troubles

sensoriels, illusions ou hallucinations, entretenant un délire

de persécution. La variété la plus importante est la Paranoia

hypochondriaque. En somme, Mendel revient sur la forme

aiguë sur laquelle il insiste, et, d'un autre côté, il limite beau-

coup l'élément dégénératif dans les délires systématisés, car il

ne reconnaît comme forme dégénérative' que la variété origi-

naire de la Paranoia primitive. Enfin, il admet aussi dans sa

classification la Paranoia secondaire, mais en la reléguant tout

à fait au second plan. Dans un autre travail ', il avait déjà in-

sisté sur sa rareté (cinq cas sur cent cinquante). 11 rapporte

cependant dans ce mémoire trois observations de Paranoia

secondaire développées à la suite de syndromes mélancoliques

primitifs et arrivés selon toute apparence au terme de leur évo-

lution. Il fait ressortir la ressemblance qui existe entre les

conceptions délirantes des mélancoliques et celles des fous

systématiques. La différence est que les uns trouvent en eux-

mêmes la matière de leurs plaintes et de leurs accusations,

tandis que les autres la tirent du monde extérieur'.

1 Mendet. Ueber secundare Paranoia. Gesellschaft. /. Psych.

and neruere. Sitziiltq, 9 avril 1883. Seuroloyisches Centrnlblalt, 11- 5,

1883.) '

2 A la suite de la lecture de ce travail présenté à la Société de psychia-

trie et de maladies nerveuses de Merlin (avril 1883), une discussion s'en-

gage (séance de juin 1883), que nous croyons intéressant de résumer :

M. Jastrowitz dit qu'il n'a jamais vu de mélancolie \raie se transformer

en folie systématique; mais il a vu des fous systématiques à une période

avancée de la maladie (démence), avoir des conceptions mélancoliques

hypochondriaqnes. %I. Westphal, tout en reconnaissant que générale-

ment les mélancoliques s'accusent eux-mêmes, a observé aussi cela dans

la folie systématique Donc ce n'est pas la teneur, mais la 'genèse des

idées qui est prépondérante Comme dans les cas de Mendel, il s'est

écoulé un certain intervalle entre le temps de l'existence delà mélancolie

et l'époque d'apparition de la folie systématique ultérieure, on pourrait

croire que le même individu a été successivement atteint de diverses

psychoses indépendantes. Car les faits mêmes où la constatation d'un

LA PARANOÏA. 223

Mavser' ()885) revenant sur l'étude du délire hallucinatoire

( Wahnsinn) de Krafft-Ebiii dont il partage en somme les idées,

trouve cependant que l'expression de cet auteur n'est pas

heureuse car les aliénistes ne sont pas d'accord s'ils doivent

appeler la Paranoia Wahnsinn ou Verrcüktheit et, d'un autre

côté, le langage actuel identifie Wahnsinn avec Verriicktheit,

tandis que hallucinutorisher Wahnsinn diffère rigoureusement

de Paranoia. Il importerait donc de trouver pour cette mala-

die bien caractérisée une dénomination spéciale. Mayser fait

rentrer dans ce cadre la manie hallucinatoire de Mendel, le

désordre dans les idées hallucinatoire de Fristh. le désordre

dans les idées pseudo-aphasique (Meynert, Schlangenhausen),

le désordre dans les idées hallucinatoire curable ou ai-il pri-

mitif (Meynert et Fristh), identique, d'après eux-mêmes, à la

1%rnüclctheit aiguë de Westphal, le délire systématique aigu

(Acuieî- Wahnsinn), de Schaefer, le premier groupe de la folie

aiguë partielle de Rretz', les délires d'épuisement de Voigt, le

cas de folie systématique primitive de M. Buch.

enchaînement direct paraît nettement ressortir sont passibles de l'objection 11

suivante : lorsque la folie systématique a semblé prendre son origine

dans une mélancolie, on a toujours relevé en même temps des idées

hypochondriaques; or, celles-ci ont invariablement .constitué le point de

départ des conceptions ultérieures de la folie systématique. 11. Moel)

prétend que la teneur des idées ne peut servir de diagnostic entre la

mélancolie et la folie systématique. M. Mendel répond que cest bien

la genèse des conceptions qu'il invoque. L'intervalle qui s'est écoulé entre

la mélancolie et la folie systématique n'ajamais été chez ses malades une

période de parfaite santé, le nouveau complexus psychique s'est montré

dès la première semaine après l'état mélancolique. Il est extrêmement

difficile de démontrer l'enchaînement psychopathique pour chaque cas

particulier; mais l'un d'eux est clair (une femme mélancolique se met

tout à coup à accuser ses parents et à avoir plus tard des idées de persé-

cution et de grandeur) ; sans doute, deux des observations témoignent

de conceptions hypochondriaques qui dominent la scène; mais qui pourra

déterminer la ligne de démarcation entre Ia 111éIu1collP pure et la iiiélail-

colie hypocondriaque ? (Voir Arch., de Neur., 1884, n- 23. y ,

t Mayser. Wahnsinn hallucinatorischer (AU. Zeitsch f. Psych.,

Bd. XLII, il 1885). Ce serait un délire général d'ordre asthénique comme

les psychoses postfébriles de Kroepelin, tantôt aigu, tantôt chronique,

affectant la forme d'agitation mamaque avec désordre dans les idées, idées

de persécution, basées sur des hallucinations multiples, léger affaiblisse-

ment intellectuel ou celle de folie périodique.

1 KL-etz. XV- Congrès des aliénistes de l'Allenaagne du sud-ouest. Session

de Karlsrule, octobre 1882. Ce groupe est caractérisé par l'apparition pn-

2 : 2 REVUE CRITIQUE.

Witkowski' (1885) consacre tout un travail à lanosographie

de la Verrücktheit dans ses rapports avec la dépression mélan-

colique. Le processus fondamental de la Verrücktheit, dit il,

est toujours la production d'idées délirantes avec tendances

à la systématisation. Mais à côté de cela certains phénomènes

peuvent de temps à autre ou d'une façon permanente occuper

le premier rang, de sorte qu'il faut dans la terminologie leur

réserver une place à part et qu'il y a lieu de créer des Ver-

i-iiektheit hallucinatoire hypochondriaque, stupide, mélancolique,

toutes formes ne s'excluant pas, mais pouvant exister concurrem-

mentou se succéder. C'est ainsi qu'il existe aussi une Illusionai,e

Ve'Mc/te dans laquelle les hallucinations de l'ouïe et les

plaintes hypochondriaques perdent de l'importance en faveur

de la méconnaissance des personnes et des choses ; tandis qu'en

même temps, passagèrement ou en permanence, la dépres-

sion peut jouer un rôle fondamental. Il existe en outre une

modalité intermédiaire à la mélancolie vraie et àla Verrûcktheit.

Ce sont les gens déprimés en permanence (certains négateurs,

sceptiques, damnés, pourris, immortels). Mais dans la plupart

des cas, c'est la Ve ? -rûcktheit qui en constitue le fond, qui sus-

cite les idées, les systématise et amène des conceptions anor-

males, des modifications de l'humeur absolument indépen-

dantes de la mélancolie. La verrûckteit affecte un rapport

semblable avec la débilité mentale. Tels sont ces cas de folie

systématisée partielle et stationnaire (chez des persécutés dont

l'intelligence conserve pendant longtemps une assez grande

vigueur), cas à côté desquels on trouve des formes de folie

systématisée progressive, généralisée aboutissant à la dé-

mence. Très souvent aussi chez les débiles congénitaux, on

trouve des idées délirantes plus ou moins nettes atteignant

tantôt un haut degré de systématisation, tantôt dégénérant

en créations absurdes et pauvres. L'auteur conclut qu'en

somme la Verrücktheit désigne une folie à idées délirantes

concrètes, stables, avec tendance à une systématisation plus

ou moins nette, plus ou moins parfaite.

mitive d'hallucinations ou d'illusions, tandis que dans le 2e groupe, c'est

le délire qui ouvre la scène, les hallucinations venant ensuite le renforcer

et le soutenir comme dans les modalités chroniques de la folie systéma-

tique primitive.

' Witkoswki. Cony'M fMTtue dM .IMcci'tM a ? enM<M a//eman.

' Witkoswki. - Congrès annuel des Médecins aliénistes allemands.

Session de Bade, 18s5. (Allg. Zeilsch) /. Psych., Bd. XLII, 6,1880.)

LA paranoïa. 225

Citons encore le travail de Vejas' * (1886) sur l'épilepsie et la

folie systématisée et celui de Smidt 2 (1886) sur la folie

systématisée morphinique analogue à l'alcoolique : nous

avons vu déjà ces formes signalées par Gnauck, 111oe11... et ce

qu'en fait Krafft-Ebing.

Schuele3(1886) nous donne des renseignements très détaillés

sur la folie systématisée. Il distingue de la façon la plus for-

melle Wahnsinn de Verrûcktheit, comme on peut le voir

parle rang qu'il leur assigne dans sa classification. En effet,

1° c'est, dans la seconde classe, celle des psychoses à base de

développement incomplet ou de dégénérescence héréditaire,

qu'il place la Verrùcktkeit. Elle Ligure là entre la névrose

Vejas. Epilepsy uad Verruckthezt. (Arch. f. Psych. Bd. XVII, 1,

1886.)

1 Smidt. -- (A)-eh. f. Psych., Bd. XVII, 1, 1886.)

A Schuele. RlinischePsychiatria. SpecteefafAoteKttdT'Aerapte

der Geisterkrankheaen (Leipsick, 1886). ee passage pouvant paraître

obscur, nous avons pensé qu'une vue d'ensemble sur la classification

pourrait en faciliter la compréhension.

I Psychoses entres son LE plein développement OR6·I10-PSYCHIQ06,

226 REVUE CRITIQUE.

héréditaire et la folie héréditaire simple (folie par obsession,

du doute, de la chicane), et la folie morale et l'idiotisme; cette

Verrüclïtlaeit originaire est, pour l'auteur, entrée sur un fond

anormal héréditaire caractérisé par des anomalies psychiques

originelles c'est-à-dire se manifestant dès le jeune âge : elle ne

serait ainsi que l'hypertrophie du caractère héréditaire.

D'un autre côté, c'est dans la première classe (psychoses '

chez l'individu complètement développé), mais dans le second

groupe (cérébro-psychoses ou maladies du cerveau invalide)

que se trouve la Wahnsinn. Ce mot n'est qu'un terme géné-

rique qui comprend l'existence de conceptions délirantes plus

ou moins liées, systématisées, associées en groupe plus ou

moins enchaînés, formant un tout plus ou moins cristallisé.

Voici comment Schuele a divisé les chapitres relatifs à la

Wahnsinn proprement dite; cette Wahnsinn primare peut

être : 1° chronique; 2° aiguë; 3° stupide. L'auteur décrit la forme

chronique type en disant que tous les cas chroniques tendent

à la systématisation proprement dite : un chapitre spécial est

consacré à la Wahnsinn dépressive chronique, comprenant

deux sous-chapitres : (a, délire des persécutions ; -b, forme

expausive). La variété de la Wahnsinn aiguë comprend

quatre sous-variétés. La première est la Wahnsinn aiguë sen-

sorielle (hallucinatoire). On y trouve décrits : a, la Wahnsinn

hallucinatoire suraiguë et aiguë avec exaltation (maladies

menstruelles) ; -b, le délire des grandeurs maniaque subaigu ;

c, le délire des persécutions aigu et subaigu hallucinatoire;

d, la Wahnsinn dépressive et ensuite expansive aiguë;-e,

la Wahnsinn aiguë et en même temps dépresso-expansive;

b, la Wahnsinn hypochondriaque aiguë ; c. la Wahnsinn

cérébro-spinale aiguë ou subaiguë. La deuxième sous-

variété est la Wahnsinn aiguë mélancolique (démonomanie) ;

la troisième sous variété, la Wahnsinn maniaque expansive ;

la quatrième, la Wahnsinn stupide aiguë ou stuporo-hallu-

cinatoire.

La forme stupide de la Wahnsinn (attonita et catatonie)

comprend trois sous-variétés : -a, la folie religieuse expansive ;

b, la folie religieuse dépressive; c, une forme reposant

sur un fond d'hystérie constitutionnel, sans préjudice de ce

que l'auteur décrit au chapitre de l'hystérie.

Là, en effet, Schuele décrit une folie systématique ( Wahn-

sinn ou indifféremment Verrücktheil) hystérique, pouvant

LA PARANOÏA. 227

affecter plusieurs types; a, un type se rapprochantde la tolie

systématique originaire héréditaire ( originaria laeeditaria

Verrücktlaeil); b, un type qui est de la folie systématique

hypochondriaque ( lerpochondiascher Wahnsinn); c, un

type caractérisé par des caprices bizarres; d, un type carac-

térisé par un délire vague des persécutions sans grande

systématisation et dont la teneur varie; e, un type décrit

sous le nom d'état de folie systématique ( Wahnsinn), abortive

aiguë présentent la forme de pensées irrésistibles soudaines;

f, la folie systématique ( Wahnsinn) catatonique ; - g, l'hys-

téricisme chronique incurable avec symptômes de dégéné-

rescence.

III.

Telles sont, en somme, les idées émises dans les principaux

ouvrages allemands ' sur la folie systématisée ; les autres pays s

ont suivi l'impulsion. C'est ainsi qu'en Russie nous retrou-

vons la conception de la folie systématisée dans les travaux de

Tiling (1878-t879), de Kadinski (188t), de Max. Buch (1881)

déjà cités, de Rosenbach (188x), qui est d'avis que la

Paranoia ne peut se développer que sur un fonds de débilité

mentale, parce que les troubles sensoriels peuvent être inter-

prétés dans le sens du délire qui surgit d'ailleurs spontané-

ment et dont ils ne fournissent pas les éléments. De plus, les

idées ambitieuses ne sont pas une conséquence logique, mais

sont souvent contemporaines aux idées de persécution, qui

indiquent déjà une exagération de la personnalité.

Le Dr Greidenberg a (t885), étudiant la folie systématisée

hallucinatoire aiguë ('a ? 'at : ota/M//MC ! Ma<0 ! 'MocM<a) en distingue

deux formes : l'une héréditaire, l'autre asthénique, la plus fré-

quente, produisant à leur suite tantôt un affaiblissement intel-

lectuel, tantôt une démence vraie ou aboutissant à la guérison.

i Qu'il nous soit permis de remercier ici notre collègue le D, Kéraval,

médecin de la colonie de Vaucluse, de l'empressement avec lequel il s'est

mis à notre disposition ; sa connaissance approfondie de la langue alle-

mande nous a été du plus grand secours dans nos recherches bibliogra-

pliiques.

= Rosenbaclr. Messager russe, 1884.

' Greidenberg. Messager russe, 1885.

'22S REVUE CRITIQUE.

En Angleterre, Bukuill et Tuke' (1879) rejettent la mono-

manie et décrivent la delusio)îal <M4'QM'<y, le mot delusion

des aliénistes anglais désignant les conceptions délirantes

primitives, les lésions originaires de l'idéation. Maudsley 2

(1883), lorsqu'il décrit le tempérament de fou, surtout dans sa

variété soupçonneuse, ne fait qu'exposer en somme le carac-

tère des malades atteints de Paranoia ou certaines formes

mitigées.

En Amérique, Spitzka (1880-1883) adopte la conception de

la Paranoia qu'il décrit, bien qu'il se serve du mot de mono-

manie 1. Il admet que cette forme de délire primitif est l'expres-

sion d'un véritable affaiblissement intellectuel; aussi la classe-

t-il dans le groupe des états d'affaiblissement mental, qui sont

presque toujours héréditaires et constituent une espèce de

chaîne dont les extrémités sont formées l'une par l'idiotie et

l'autre par la folie avec délire systématisé primitif. Au milieu

se classent l'imbécillité, la folie morale et la folie épileptique 4.

Dans un autre ouvrage 6, le même auteur nous donne une

classification des délires qu'il divise en systématisés et non

systématisés. Les délires systématisés sont de deux formes :

1° les délires systématisés expansifs (mégalomanie) subdivisés

en a, délire systématisé d'ambition sociale; b, délire systéma-

tisé de caractère expansif érotique, c délire systématisé de

caractère expansif religieux. La deuxième forme est celle des

délires systématisés dépressifs subdivisés en : a, délire systé-

matisé d'ambition sociale dépressif; b délire systématisé de

caractère dépressif érotique ordinairement de persécution;

c, délire systématisé de caractère dépressif religieux. Quant

aux détires non systématisés, ce sont les délires d'incohérence

dérivant de la destruction du pouvoir d'association, et les

délires émotifs dépendant de l'exaltation de la sphère mentale

par un trouble émotif violent.

1 Buknill et Tuke. - A mmtual of psychol. ntedicin., 1879.

' Maudsley. La pathologie de l'esprit, 1883. Trad. française de Ger-

mont.

' Spitzka. - Un cas de monomanie originaire (in médical Times and

Gazette, lévrier 1881) et Ala2tual ol'Insaitity. New-York, i ! ! 83.

1 Spitzka. Saint-Louis clinical record. 1880, VII.

1 Spitzka. Insane delusions; their mecanism and their diagnostic

bearing (Journal of uerv. and ment, diseases, 1881).

LA PARANOÏA. 229

Citons encore en Amérique les travaux de Beard', Fenn 2,

Hammond 1.

IV.

Mais, après les Allemands, ce sont surtout les Italiens

qui se sont le plus occupés de l'étude de la Paranoia.

Dans un premier mémoire, Buccolal (1882) reprend l'étude des

délires systématisés primitifs et parait se ranger à l'opinion

de Krafft-Ebing. Ces délires sont pour lui l'expression d'un

état mental faible par leur étiologie, leur marche continue

et rémittente, etc. D'ailleurs, l'exercice physiologique complet

des fonctions mentales ne se juge pas seulement par la persis-

tance de la logique, mais par la nature, la quantité, l'associa-

tion des énergies psychiques et les rapports harmoniques qui

doivent exister entre les idées, les sentiments, les actes.

Dans ce travail Buccola étudie la genèse du délire, et reste

indécis à ce sujet, se demandant si les hallucinations sont pri-

mitives, si les idées délirantes n'en sont que l'interprétation

ou naissent de l'inconscient. Il étudie la marche de la systé-

matisation, surtout dans le délire des persécutions dont il

rapporte deux observations.

Morselliet Buccola 1 (1883) montrent le développement

spécial de ces délires, leur marche chronique sans démence

proprement dite, leur curabilité limitée. Au point de vue

du délire, on peut distinguer deux formes : 1° le délire des

persécutions à contenu variable suivant l'âge, le milieu, l'édu-

cation. Dans cette forme rentrerait la folie de la chicane,

vrai délire de persécution actif. La seconde forme serait le

délire des grandeurs associé au premier ou existant seul, le

plus souvent de couleur érotique ou religieuse. Les idées fixes

' Beard. onon : a7t)'a and monohypocondria (New-York med. rec.,

mars 1882).

' Feun. - Original moMmatua (Anzeric, med. lveekly, août 1882).

' Hammond. - A treatzse of insanity. Londres, 1883.

' Buccola. / deliri sistezaatizzatz prinzztivi (i,iv. sper. di /re/<.,

1882, p. 80 ).

- Morselli et Buccola - La pnzzia <ema< : 2 : a<ff. - Giorn, délia R.

Acadeuz, dz forino, t883, p. "410. U.

230 REVUE CRITIQUE.

doivent être regardées seulement comme une forme abortive

de ces délires, en étant différenciées par ce fait que le malade

a conscience de son état '. Quant à la nature clinique de ces

délires, Morselli et Buccola les placent parmi les psychoses dégé-

nératives et les divisent en deux classes : il délires systéma-

tisés primitifs par anomalies de développement de l'indivi-

dualité psychique (P. originaire de Sander) ; 2° délires systé-

matisés primitifs se montrant dans une individualité

psychique déjà développée. Alors interviennent des causes

occasionnelles (maladies aiguës, ménopause, traumatismes).

Cependant, même dans ces cas, l'influence héréditaire existe

la plupart du temps. Les formes que Morselli et Buccola

font rentrer dans la folie systématisée primitive sont les sui-

vantes :

1° La monomanie intellectuelle d'Esquirol. <

2° La folie sensorielle quand les hallucinations n'engendrent

pas de la manie ou de la mélancolie, mais des conceptions

délirantes par une lésion originelle des centres perceptifs.

3° Les prétendus cas de lypémanie avec délire des persé-

cutions dans lesquels l'état mélancolique est secondaire.

4° Les folies hypocondriaques dans lesquelles les halluci-

nations cynesthétiques sont le pivot des conceptions déli-

rantes et où l'on rencontre souvent un délire de persécution

caché sous les idées hypocondriaques.

5° Certains cas de folie hystérique qui présentent un

délire érotique sans rémission. (Meridin et Schaefer.)

6° Certains cas de claustrophilie ou de claustrophobie mal

interprètes et cachant un délire de persécution. Un certain

nombre de formes analogues toutes caractérisées par la pré-

dominance d'un groupe donné d'idées et de tendances rentre

dans les formes abortives de la folie systématique primitive,

tandis que d'autres constituent le groupe des idées fixes où

subsiste la conscience.

7° Les formes intermédiaires à la raison et à la folie (tem-

péraments de fous), les graphomanes à idées de grandeurs ca-

chées. 0

8° Certains cas types de folie lucide ou raisonnante.

90 Les excentriques, les originaux.

' Voir aussi Buccola. Leidee fisse (Ifie. sper. di 1t,e71 1880.)

, LA PARANOÏA. 231

Amadei et Tonnini ' (1883) nous donnent une description

très complète de la Paranoia, nous montrant que le délire

n'est qu'une phase, le point culminant de la maladie. Le déve-

loppement, les caractères, la marche, les transformations ou

associations, les terminaisons du délire sont nettement étu-

diées. Mais le point le plus original du mémoire est la classi-

fication. Les auteurs admettent à côté d'une forme dégénéra-

tive une forme psychoneurotique et ils invoquent les argu-

ments suivants :

il Absence dans ces cas d'un élément constitutionnel pou-

vant faire prévoir la maladie : aucun symptôme habituel de

neuropathie.

3° Existence fréquente de causes occasionnelles ou de dispo-

sitions temporaires pouvant expliquer la Paranoia, sans qu'il

soit besoin de rechercher une prédisposition dans les antécé-

dents.

3° Souvent ces cas guérissent, quelquefois il en résulte un

certain affaiblissement mental.

n° Il n'y a dans les formes psychoneurotiques ni plus ni

moins d'hérédité que dans la manie ou la mélancolie.

5° La période de maladie des formes aiguës et le début

de celle des formes chroniques psychoneurotiques est en con-

tradiction avec la vie mentale antérieure du sujet, tandis qu'il

n'en est pas ainsi dans les formes dégénératives.

Voici d'ailleurs la classification de la Paranoia qu'ils pro-

posent :

I. Paranoia dégérative.

33'2 REVUE CRITIQUE. LA PARANOÏA.

II. Paranoia psychoneurotique.

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE

I. Un cas DE TUMEUR DE la glande pinéale; par K. PoN-

TOPPIDAN (IVeU ? '01. Centrabl., 1885).

Observation caractérisée par l'existence de mouvements

irrésistibles. Un syphilitique présente pendant six semaines de

la céphalée et des vertiges ; puis, tout à coup, paresse intellec-

tuelle, impossibilité de se tenir debout et de marcher, déjec-

tions involontaires, obnubilation extrême du sensorium,

expression d'hébétude faciale, tremblements et faiblesse des

extrémités, mydriase avec réaction lente des pupilles, regard

fixe avec diminution de la mobilité des globes oculaires dans

toutes les directions, sans strabisme ni diplopie, papilles à

contours diffus, dilatations et sinuosités des veines du fond de

l'oeil, tendance à affecter une situation latérale du côté gauche ;

la marche et la station debout ne sont possibles qu'à l'aide

d'un appui et encore le patient menace de tomber en arrière

ou bien, au lieu d'avancer, il piétine sur place en inclinant un

peu à gauche; de temps à autre, il esquisse une rotation à

gauche autour de l'axe du corps. Finalement sopor, sueurs

profuses, opislhotonos, une attaque épileptiforme; névrite

optique avec exsudats et hémorrhagies, déviation conjuguée

des yeux à droite. Mort trois mois après le début des accidents.

L'autopsie révèle de la réplétion des veines encéphalorachi-

diennes.Dans la grande fente cérébrale de Blchat, au niveau des

tubercules quadrijumeaux et des pédoncules cérébelleux supé-

rieurs proémine une tumeurdu volume d'une noix mi-partie gé-

latineusegris-rougeàtre, mi-partie rouge-sombre; elleoccupela

ligne médiane, juste à l'endroit où siège la glande pinéale; sa

portion antérieure semble infiltrée de fines parcelles de sable. On

l'énuclée dans sa totalité, avec la toile choroïdienne et les plexus

choroïdes, sans léser la substance cérébrale à laquelle elle n'ad-

hère pas; compression des tubercules quadrijumeaux, inté-

grité des pédoncules cérébelleux moyens. Un examen microsco-

pique succinct permet de reconnaître au sein de la tumeur une

234 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.

vascularité extrême, des hémorrhagies nombreuses, des cellules

rondes en abondance sans substance intermédiaire, des altéra-

tions vasculaires (parois minces et larges, ou, au contraire,

uniformément épaissies). Est-ce un sarcome ordinaire ? Est-ce

un néoplasme à tissu granuleux (adénoïde) développé dans le

plexus choroïde, par suite d'une lésion vasculaire syphilitique,

néoplasme n'ayant atteint la glande pinéale que secondaire-

ment ? Une recherche plus complète est de rigueur. P. K.

. r., V '

II. Contribution A l'anatomie pathologique DE la para-

LYSIE saturnine; par H. ÛPPENHEIM. (A9'CIL. f. Psych.,

XVI, 2).

Homme de trente-trois ans, fondeur en caractères, soumis

depuis plus de vingt ans à l'inhalation de poussières de plomb,

ayant été à plusieurs reprises en proie à des coliques satur-

nines et à des phénomènes cérébraux. En 1879, faiblesse des

extrémités inférieures peu après suivie de parésie des membres

supérieurs ; on constate, sur les membres supérieurs, de la

paralysie des extenseurs; les membres inférieurs, considéra-

blement affaiblis, présentent de l'atrophie dans le domaine du

nerf crural (absence du phénomène du genou; paralysie atro-

phique, réaction dégénérative) et dans les deux mollets ; paralysie

dégénérative des extenseurs du pied et des jambiers antérieurs :

sous l'influence du traitement galvanique, le malade reprend

ses occupations. En août 1884, tout à coup symptômes céré-

braux (délire, coma, céphalalgie, parésie du facial gauche, sto-

matite gangreneuse grave, intéressant surtout la langue ;

somnolence, décrépitude, attitude des mains caractéristique

de la paralysie saturnine, aplatissement de la face des avant-

bras qui correspond à l'extension (surtout à droite) des émi-

nences thénar et hypothénar et du premier espace interosseux) ;

ainsi, à droite, les extenseurs de la main et des doigts, sauf le

cubital postérieur et le long abducteur du pouce, les muscles

de l'éminence thénar sont complètement paralysés, le long

supinateur a perdu toute sa force; les extenseurs de la main

et des doigts ne réagissent plus sous le courant électrique,

l'éminence thénar présente une réaction dégénérative absolue

ou partielle ainsi que le long supinateur et. le deltoïde; affai-

blissement général et altérations considérables de l'excitabilité

électrique dans les membres inférieurs..Mort quatre jours après

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 235

l'admission. L'autopsie permet de constater : une néphrite

interstitielle double (atrophie granuleuse) ; une hypertrophie

du coeur ; un foyer hémorrhagique noirâtre dans le lobe tem-

poral droit; un kyste apoplectique en dehors de la tête du

corps strié droit ; des foyers de bronchiopneumonie disséminés ;

une'atrophie fibreuse'des muscles de la face d'extension des

avant-bras; une dégénérescence graisseuse des muscles des

mollets, du triceps crural et des adducteurs fémoraux, du côté

droit, excepté le couturier, des extenseurs des deux jambes. Le

microscope confirme ces altérations, révèle des dégénérescences

des troncs nerveux (radial, tibial postérieur, péronier), ainsi

qu'une poliomyélite antérieure chronique particulièrement pro-

noncée dans les renflements cervicaux et lombaires; intégrité

des racines antérieures; M. Oppenheim conclut que les lésions

périphériques émanent de la lésion de la moelle. P. K.

III. SUR UN COMPLEXES symptomatique TOUT particulier dans

UN CAS DE LÉSION DES CORDONS POSTÉRIEURS DE LA MOELLE;

par C. Westphal. (Ai-ch. f. Psych., XVI, 2 et 3.)

Malade observé pendant trois ans. L'affection débute par

une paré'sie du droit interne de l'oeil gauche; plus tard, appa-

raissent de la blépharoptose et des vertiges. Les extrémités

inférieures sont successivement atteintes de parésie, puis de

paralysie presque absolue. Les extrémités supérieures également

parésiées deviennent le siège d'une rigidité musculaire, d'ailleurs

assez faible, sur certains groupes musculaires. Exagération du

phénomène du genou, plus tard contraction paradoxale, soit

quand on fléchit, soit quand on étend lepied sur la jambe, soit

même quand on fait mouvoir les articulations du genou et de

la hanche. La parésie des membres supérieurs augmente; cer-

tains mouvements des doigts disparaissent complètement,

d'autres provoquent de la rigidité et de la contraction para-

doxale. Ultérieurement, les muscles masticateurs sont atteints

delà même façon.- Intégrité des muscles de la face, déviation

de la langue à droite Diminution remarquable et graduelle

de la sensibilité du corps entier, y compris la face ; conservation

des réflexes cutanés. Troubles du sommeil. Phénomènes d'an-

goisse. Vers la fin de la maladie, l'intelligence est émoussée.

Impossibilité d'établir un diagnostic. En faveur d'une sclérose

en plaques cérébro-spinale plaideraient : la parésie progressive

236 REVUE DE pathologie NERVEUSE.

des quatre extrémités, le tremblement qui se montra au début

à l'occasion des mouvements voulus, un certain degré de rai-

deur dans certains groupes musculaires, la parésie des muscles

des yeux, les troubles cérébraux. D'un autre côté, la rigidité

musculaire n'est pas très accentuée, le tremblement disparaît

pour faire place aux autres anomalies du système musculaire,

l'anesthésie occupe toute la surface de la peau; cet ensemble

contredit à l'idée de la sclérose en plaques. Sur ces entrefaites,

le malade meurt et l'autopsie révèle une lésion des cordons

postérieurs à disposition spéciale, entreles faisceaux de Goll et

les faisceaux de Burdach (v. le texte) du haut en bas de la

moelle; on y rencontre d'ailleurs peu de granulations grais-

seuses, et l'atrophie des fibres est particulièrement prononcée

dans la moelle dorsale. En même temps, la partie la plus anté-

rieure des cordons latéraux est, sur une hauteur de 1 c. 5 dans

la moelle cervicale, le siège d'une altération périphérique

(pas de cellules granuleuses). Intégrité de la substance grise et

de ses cellules. Hyperplasie interstitielle avec atrophie des

tubes nerveux des cordons grêles et cunéiformes dans le

bulbe; cette lésion gagne les racines ascendantes des triju-

meaux sans toucher aux noyaux des cordons en question.

Névrite parenchymateuse des nerfs péronier, crural, tibial,

des racines postérieures lombaires et peut-être dorsales; atro-

phie possible des racines antérieures lombaires. Diminution

de volume des fibres du jambier antérieur. M. Westphal

l'ait remarquer que l'intégrité des zones radiculaires posté-

rieures explique la persistance du phénomène du genou; que

le peu d'intensité et d'étendue de la lésion rend compte de

l'absence d'ataxie; que les troubles de la sensibilité observés

dans l'espèce se rattachent à la névrite périphérique (intégrité

des racines postérieures, légère altération des cordons posté-

rieurs) ; que la paralysie du membre doit être rapportée à l'a-

trophie des tubes nerveux moteurs des nerfs et non à la dégé-

nérescence minuscule des cordons antéro-latéraux, bien que

les muscles correspondants ne présentassent pas de réaction

dégénérative anatomique ouélectrique ; que, peut-être, la mo-

dification anatomique des jambiers antérieurs a entraîné, de

concert avec celle des nerfs, la contractio'n paradoxale, qu'en-

fin la démence terminale est sous la dépendance d'un certain

degré d'atrophie du cerveau. Comme le patient était tubercu-

leux (constatation anatomopathologique) sans qu'on s'en fut

REVUE DE pathologie nerveuse. 237

douté pendant la vie, il se pourrait qu'il s'agit d'un mode d'in-

fection nouveau du système nerveux central et des nerfs (proces-

sus chronique) ; il est donc bon de mettre ce cas en parallèle avec

les faits de Joffroy, Lancereaux, Desnos et Pierret, Eisenlolir,

F.-C. Mueller, sans autrement trancher la question. P. K.

IV. Anévrismes DES PLUS PETITS vaisseaux DE la MOELLE ÉPI-

. NIi;RE; par 0. HEBOLD (Arch. f. Psych., XVI, 3) '.

Fillette de quinze ans moins trois mois ; il y a neuf mois, vio-

lentes douleurs dentaires et soi-disant érysipèle de la face ; six

semaines plus tard, strabisme; trois semaines encore, au mo-

ment où l'état local semble satisfaisant, agitation, divagation,

céphalalgie violente, chute des cheveux, diminution de l'a-

cuité visuelle et auditive, hyperesthésie, pupilles larges et

fixes, immobiles; blépharoptose gauche puis bi-latérale; apha-

sie ; démence croissante, cécité, ptyalisme, troubles de la

marche, accentuation des réflexes tendineux à droite, absence

de réflexe plantaire du même côté.

Autopsie. Pertes de substance et épaississements ostéophy-

tiques.du crâne, méningite de la convexité; thrombose du

sinus transverse gauche ; deux abcès dans le lobe temporal

gauche; un abcès dans le lobe temporal droit; myélite et ané-

vrismes de la moelle. Tuberculose pulmonaire et intestinale.

Thrombose de l'artère pulmonaire gauche. C'est particuliè-

rement dans la moelle dorsale supérieure que se présentent,

sur une hauteur de 2 centimètres, les ectasies vasculaires, pro-

fuses surtout autour de la corne postérieure gauche, dans les

faisceaux pyramidaux des cordons latéraux et dans les faisceaux

cunéiformes externes; tuméfaction des fibres nerveuses de la

névroglie ; intégrité des cellules. Accumulation d'endothélium,

dans le canal central au milieu d'un tissu scléreux. Les veines

centrales de la moelle étant oblitérées (thromboses) immédia-

tement au-dessus du segment où siège le foyer des anévrismes

capillaires, ceux-ci doivent émaner de la stase sanguine. Tout

en admettant la prédisposition aux thromboses (thrombose

spinale, thrombose intracrànienne, thrombose pulmonaire), z

M. Hebold croit que les trois gros abcès du cerveau ont dû

1 Voy. Archives de Neurologie. Société psychiatrique de la province

du Rhm, juin 1885.

238 revue UI. pathologie nerveuse.

précéder la thrombose du sinus transverse et la méningite

superficielle qui « compliquent fréquemment l'abcès encépha-

lique» et qui se sont traduites, dans l'espèce, par de l'exagéra-

tion de la pression intracrànienne (papille étranglée). Quant à

l'origine des abcès, l'adhérence de la dure-mère aux lobes

temporaux et la mention d'un écoulement d'oreilles donnent à

réfléchir; malheureusement on n'a pas examiné les os tempo-

raux. Les parents racontent qu'un remède odontalgique a

déterminé un érysipèle, mais l'étude attentive exclut ce diagnos-

tic et permet de croire que la tuméfaction et la rougeur de la

joue droite mentionnées pourraient bien n'avoir été que des

troubles vaso-moteurs précoces. Absence de bacilles dans les

abcès. Il conviendrait de grouper les symptômes de la façon

suivante : au cerveau appartiendraient les perturbations psy-

chiques, l'aphasie finale absolue, la blépharoptose et l'inertie,

l'immobilité des pupilles (atteinte de l'ocumoloteur commun),

l'hyperesthésie, puis l'affaiblissement de la sensibilité, et, à la

fin la cécité (névro-rétinite stasique), la surdité (lésion du

du lobe temporal), la rougeur et la tuméfaction de la joue

(trouble vaso-moteur) ; à la moelle se rattacheraient l'incerti-

tude de la démarche et la titubation des derniers mois, la

diminution du réflexe patellaire et du phénomène du pied à

gauche, l'absence de réflexe plantaire à droite, mais c'est là

tout. P. KERAVAL.

V. UN cas DE chorée spasmodique; par ROLIEtt.

(Arch. f. Psych., XVI, 3.)

Affection remontant à l'âge de six mois, caractérisée par des

mouvements choréiques, accompagnés de contractions tétani-

formes, d'hyperesthésie psychique et sensitive (émotivité mor-

bide), de débilité mentale (rire à haute voix sans raison), de

lalopathie (quelques mots sont seuls énoncés, les uns indis-

tincts, les autres perceptibles) , de strabisme convergent.

M. Roller fait ressortir le caractère choréique des mouve-

ments anormaux qui se produisent à l'occasion des actes

intentionnels; le même élément spasmodique choréique se

retrouve dans l'exagération de la motilité en général, et dans

les mouvements associés surajoutés aux mouvements inten-

tionnels,; contractions intempestives des muscles sollicités,

contraction inutile de muscles qui devraient rester 'en repos ;

REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE. 2.39

en même temps, tension musculaire, et convulsions toniques

interrompant brusquement la folie choréique. Exagération

des phénomènes musculaires et tendineux. Le contact et la

volonté développent, en même temps qu'un mouvement cor-

respondant, des contractions spasmodiques en d'autres points

de l'économie (globes oculaires, rachis, tronc); toute excitation

interne ou externe d'un groupe musculaire est suivie de con-

vulsions toniques, principalement dans les membres inférieurs,

qui ont empêché que le petit malade n'apprît à marcher. En ce

qui concerne la cause anatomique, la débilité mentale émane

probablement d'une lésion diffuse de l'écorce, les troubles mo-

teurs indiquent l'atteinte des tractus moteurs qui vont de

l'écorce aux cordons latéraux; l'hyperesthésie, rapprochée d'un

certain degré d'ataxie, remonte peut-être à une affection des

cordons postérieurs ; quant à l'incomplet développement de la

parole et au strabisme, on ne saurait se prononcer. Le malade

vit encore. , , P. K.

VI. Sur LE phénomène du pied ; par D. AXENFELD. (Arch. f.

" . -< 1. ' Psych., XVI, 3.)

> i~- . ? '-

Faites asseoir un individu sur un canapé ou sur un siège peu

élevé, de façon quelea pointe du` pied touche seule le sol et

force ainsi 'la cuisse à se fléchir, légèrement sur le bassin et la

jambe à se fléchir suri la cuisse.. Dans* une certaine position

facile à trouver, il se^produit des oscillations périodiques de la

jambe, qui augmentent jusqu'à provoquer le heurt du sol par

le calcanéum en mouvement ; ces oscillations échappent si

bien à l'influence de'la a un moment donné, pour

interrompre le'mouvement, on doit changer la situation du

patient;, abandonné à lui-même, il peut durer une demi-heure

variant plusou moins dans son intensité'jusqu'à ce que la

fatigue des 'muscles én entrâinë la'cessation. Si l'on place sur

le genou ainsi lancé 'une feuille de papier mobile de droite à

gauche,J sur laquelle on ? 6'plume bu un crayon per-

pendiculaire'et fixe, on obtient une ligne ondulée dont les zig-

zags représentent le' nombre des' vibrations pendant un temps

déterminé à l'aide d'une montre à secondes. Chez M. Axenfeld

et chez d'autres hommes jeunes et bien portants, la moyenne

est de 7 vibrations par seconde'. 'L'examen de la vibration de

chaque jambe, rapproché de l'examen des deux jambes vibrant

2Î-0 REVUE de pathologie NERVEUSE.

en même temps, montre que la cadence n'existe pas dans l'es-

pèce, chacune de ces extrémités présentant, dans l'unité de

temps qui lui est propre, des interférences, des suspensions

périodiques, mais indépendantes ; chacun des membres infé-

rieurs possède à cet égard ses particularités qu'il convient de

rattacher à sa structure anatomique, à la disposition de ses

parties constituantes (longueur exacte du pied, etc..) qui

influencent le nombre des vibrations. P. K.

VU. L'épreuve électro-thérapeutique du champ VISUEL;

par C. Engelskjoen. (Arch. f. Psych. XVI, 3.)

Réplique à la critique de MM. E. Konrad et Wagner '. L'au-

teur commence par affirmer que la paupière supérieure ne nuit

en rien à la projection sur le tableau de la véritable amplitude

rétinienne du champ visuel; il affirme de nouveau que ce qu'il

appelle le courant positif2 au point de vue thérapeutique,

éclaircit et amplifie le champ visuel, augmente en même

temps l'acuité vraie, cela indépendamment de l'écarquillement.

Nouvelles observations confirmatives avec preuves contradic-

toires. Peut-être est-ce l'effet de l'excitation cutanée, effet

semblable zut celui de l'excitation mécanique de la peau (Ur-

bantschisch), etc.... Au fond, tout en entrant dans la réfutation

des objections à l'aide de minutieux détails, M. Engelskjoen

répond, quoiqu'il produise des observations, à la question par

la question. A l'examen pratique de décider de la véracité ou

de la fausseté des assertions et des arguments opposés. P. K.

VIII. Contribution A la pathologie DE la névrite MULTIPLE ;

par HIRT. (Neurolog. Centralbl., 1884.)

Il y a des cas dont l'évolution ressemble à celle du tabes

dorsal et qui résultent simplement d'une affection des nerfs

périphériques. Deux observations sont relatées, mais elles sont

dépourvues d'autopsie. A rapprocher des cas de Déjerine

(Académie des sciences, 1883. Archives de physiologie normale

et pathologique, 1884) et du mémoire d'Eisenlohr'. 1. P. K.

Voy. Archives de Neurologie, t. XI, p. 424.

' Id., t. X, p. 104, 425; t. XI, p. 425.

' Id., t. VIII, p. Mi, 329, 37; t. IX, p. 255 et 256.

revue de pathologie nerveuse. 2't 1

IX CONTRACTUItI : PASSAGÈRE PROFESSIONNELLE DES DOIGTS DE LA MAIN

droite chez une FLEURISTE; obs. par M. O7.EV1E. (France méd.,

188s ! , t. II.) .

X. Du CHLORALIS51E CHRONIQUE; par REM. (Arch. f. PS1JClttüt.,

- xvit, 1.)

L'auteur a institué dans son asile, depuis l'été de 1879, une série

d'expériences prouvant, selon lui, que, tantôt le chloral aggrave

les symptômes pour lesquels on le donne (deux observations), tan-

tôt il agit,noncomme agent thérapeutique, mais comme coerciteur

laissant souvent les malades dans un état d'apathie et de dépres-

sion (trois observations), ou jouant le rôle d'un excitant dont le

cerveau ne peut plus se déshabituer,tant8t;enfinil il empêche le som-

meil.Pour éviter l'assuétude, on le susprendra fréquemment, on le

remplacera par un autre médicament. Les accidents qu'il produit

seraient : des troubles vasoparalytiques de la tête (action sur le

ganglion cervical supérieur), des affections cutanées (érythème

papuleux, eczéma, gangrènes de la peau), de la suppuration et

du fendillement, de la fragmentation des ongles, des rash, des

douleurs dans les membres, des troubles intestinaux, de l'ictère,

des inflammations suppuratives et gangreneuses des muqueuses

buccales, pharyngiennes, stomacales, de la propension aux diar-

rhées, aux pneumonies, à la gloutonnerie avec amaigrissement,

delà rétention d'urine, du tremblement, des convulsions épilep-

tiques, des perturbations cardiaques (battements ralentis ou pré-

cipités), des espèces de paralysie des extrémités inférieures et

parfois de loutes les extrémités. Il faudrait lui imputer les

altérations anatomiques suivantes : hyperémie des organes abdo-

minaux oedème avec anémie du corps calleux et des pédoncules

cérébraux; inflammation et perforation du grand cul-de-sac de

l'estomac; foie gras tuméfaction des plaques de Peyer;

coloration argileuse des matières fécales ; congestion et état

gras des reins; coeur gras; sang de couleur laque, dépourvu

de matières fibrinogènes. Le chloral déterminerait : un ma-

laise général, une sensation de faiblesse, de l'inappétence au tra-

vail, de l'obnuhitation intellectuelle, de l'atfaiblissement des

sens et des facultés, finalement la mélancolie. Nxcitant ou agitant

les hystériques et les neurasthéniques, il provoquerait chez ces

malades des accès d'angoisse, voire de l'hébétude, du délire avec

hallucinations ; il n'est pas rare de voir, après sa suppression, le

sommeil revenir, les conceptions irrésistibles se mitiger, la gué-

risou s'effectuer. Les expériences physiologiques de Kroepelin,

Liebreicb, Buchheim, llammerstein, Kajewski. Hermann, Fil,

Tomascewiez, v. Mering, Musliulus, Richardson, Roussin, Per-

sonne, Byassou, Kahle, lluseiiianii, Hartnack et Witkowski,

Archives, t. 11111. 1 6

'22 2 REVUE DE PATHOLOGIE NERVEUSE.

Biriz, ont démontré qu'il paralyse les centres vaso-mo-

teurs à l'état de chloroforme ou de chlore (inspirations suspi-

rieuses), et diminue le tonus musculaire (d'où, hypothermie,

diminution du travail physiologique, anoxhémie, lésions cutanées,

tendance atiï hémorrhagies, qu'il affaiblitpeut-être aussi directe-

ment l'action du centre thermique et celle des centres trophiques.

Le défaut d'énergie morale et la mauvaise humeur proviennent de

la conscience qu'a l'intoxiqué, que son énergie vitale a diminué,

et de l'action immédiate du chlore sur le tissu nerveux; la dé-

chéance organique, l'affaiblissement de la circulation et de la

respiration, l'accumulation de déchets dans l'organisme, entraî-

nent les douleurs et les inquiétudes dans les membres et les arti-

culations. P. K.

XI. Contracture hystérique DES paupières; par PERCY-POTTER.

Si ce n'était l'habitude des termes médicaux, on pourrait

appeler cette maladie blépharospasme hystérique. Ce n'est pas

une affection rare, mais on a souvent méconnu ses causes et

négligé le traitement approprié.

Les sujets porteurs de cette affection sont des jeunes femmes

qui ne présentent peut-être aucune irrégularité de la menstrua-

tion et chez qui les symptômes apparaissent subitement. L'un des

premieis signes est la contracture partielle des deux oibiculaires

avec delà photuphobie. Ensuite, la contracture tonique est si forte

que la fente palpébrale est à peine visible. Les paupières trem-

blottantes des hystériques ne rentrent pas dans la même affection.

Un examen minutieux ne peut faire découvrir ni larmoiement, ni

rougeur, ni granulation de la conjonctive palpébrale et oculaire.

C'est par l'absence de ces signes physiques que se fait le dia-

gnostic. Les contractions spasmodiques involontaires sous un

traitement approprié ne durent que huit ou dix jours, sans laisser

de lésions. On n'obtient aucun soulagement, comme on pourrait

le croire, par l'application de l'atropine et d'autres sédatifs des

yeux. Quand on a déterminé que la cause n'est ni un corps

étranger, ni une irritation nerveuse, ni une conjonctivite, il ne

se présente plus qu'un mode de traitement. Dans l'état hystérique,

on doit agir sur les nerfs sensitifs de la peau; les douches froides

sont le meilleur remède. En donnant une douche matin et soir,

pendant plusieurs jours on voit disparaître le spasme. L'électricité

galvanique doit être subordonnée aux douches. Naturellement,

ou doit surveiller la santé générale. Le blépharospasme peut être

le seul signe de l'hystérie et comme le diagnostic n'en est pas

toujours fait, l'objet de cette présente note a pour but d'attirer

l'attention sur ce point. (P. Pacilii Surgical Médical Journal,

décembre 1886.) SOREL.

SOCIÉTÉS SAVANTES

SOCIÉTÉ MÉDICO-PSYCHOLOGIQUE

Séance du 29 novembre 1886. Présidence de M. Sémelaigne.

Du délire chronique (suite de la discussion). M. FALRET con-

firme les quatre périodes du délire chronique telles que les a

exposées M. Garnier d'après la doctrine de M. Magnan et de ses

élèves. On les trouve souvent, en effet, dans le délire des persécu-

tions. La qualification de chronique s'applique très heureusement

à cette forme mentale, mais il faudrait bien se garder de con-

fondre sous ce nom de délire chronique la mélancolie anxieuse,

comme tendrait à le faire la doctrine de Sainte-Anne, car la mé-

lancolie ne,présente pas les phases successives constituant un

délire chronique. Comme l'a fait remarquer M. Cotard, c'est le

délire des négations qui serait plutôt la période terminale de la

mélancolie anxieuse.

M. Dagonet. Si j'ai bien compris, M. Magnan et ses élèves dési-

gnent du nom de délirants chroniques une catégorie d'aliénés

dont la maladie suit toujours une même évolution, évolution fatale

et caractérisée par plusieurs périodes nettement définies. Aussi

le délire des persécutions n'existe pas plus que la mégalomanie. Ce

ne sont plus des entités cliniques irréductibles; ils ne sont l'un et

l'autre que les aspects différents d'une même maladie dont ils

traduisent seulement une saillie symptomatique aux deux temps

principaux de son évolution.

Je ne partage pas cette opinion et je crois que les faits concor-

dent peu avec les affirmations de M. Garnier. Le délire des persé-

cutions, si bien décrit par Lasègue, est un type nosographique

devenu rapidement classique que nous devons admettre comme

entité, dans l'état actuel de la science ; en effet, nous voyons le

délire des persécutions persister pendant de longues années,

pendant toute l'existence de l'individu, sans donner lieu à aucune

transformation en délire ambitieux.

M. Garnier nous montre lui-même, en ce qui concerne le délire

des persécutions, comme tout ce système du délire chronique est

2 4 ! e SOCIÉTÉS SAVANTES.

peu fondé : Il admet dans son mémoire une classe de persécutés

persécuteurs (ils le sont tous plus ou moins) qui ne doivent pas,

suivant lui, être confondus avec les persécutés ordinaires qui sont

des délirants chroniques. J'avoue ne pas comprendre ces subtilités; -,

c'est là évidemment une contradiction dans la thèse de M. Garnier.

Je crois, en conséquence, que nous devons rejeter cette innova-

tion mal justifiée de délire chronique. Le délire des persécutions,

restera un type nosologique et une véritable entité morbide dans

le cadre des maladies mentales. La description et l'évolution en

sont nettement tracées. Ce délire, qui aboutit ordinairement à la

démence, persiste quelquefois indéfiniment avec les mêmes carac-

tères et je l'ai vu guérir; il ne suit donc pas une évolution fatale.

Admettant le délire des persécutions tel qu'il est, je ne vois pas

davantage la nécessité de créer, comme M. Garnier le propose,

une autre classe dite de persécutés persécuteurs ! rentrant dans le

groupe des héréditaires ? 2

La monomanie ambitieuse ou mégalomanie est, elle aussi, un

type nosologique; on a tort de vouloir lui substituer le nom de

délire chronique. Je n'ai jamais considéré la mégalomanie

comme une simple monomanie; c'est une erreur de M. Garnier.

Les monomanies, dans le sens absolu de cette expression, n'exis-

tent pas : Esquirol lui-même ne comprend pas les monomanies de

cette manière. La mégalomanie n'a pas cette évolution qu'on

cherche à lui assigner. Elle peut persister longtemps indéfini-

ment avec les caractères qui lui sont propres. J'ai observé un

mégalomane type qui est resté tel pendant plus de vingt ans

sans aboutir à la démence. On pourrait citer d'autres exemples

qui nous obligent à considérer la mégalomanie comme une entité.

M. Garnier a cru devoir blâmer cette expression, que j'ai employée

avec beaucoup d'autres auteurs, pour désigner une catégorie

d'aliénés bien connus. Je regrette, à mon tour, de ne pouvoir le

suivre dans la nouvelle voie qu'il nous indique, mais je ne puis

admettre cette tendance à rejeter deux types nettement distincts

qui persistent pendant longtemps avec leurs caractères bien

tranchés, pour les confondre en une seule et même maladie à la-

quelle on donnerait une dénomination qui manque de clarté et

qui rendrait, à mon avis, plus obscur l'étude des maladies men-

tales. -'

M. A. Voisin rapporte qu'il a amélioré et guéri par sugges-

tion un certain nombre de ses malades atteintes de dysménorrhée

ou même d'aménoorrhie.

De la valeur des hémorrhoides en aliénation mentale. - M. Char-

PENTIER, sur 338 aliénés qu'il a observés, a noté la présence d'hé-

morrhoîdes chez 85 d'entre eux. En recherchant les manifesta-

tions arthritiques ou herpétiques chez les ascendants des 338

SOCIÉTÉS SAVANTES. 245

malades, il a constaté 159 fois ces manifestations constitution-

nelles réunies soit à des névroses, soit à l'aliénation mentale;

59 fois il les a rencontrées sans névroses ni aliénation mentale et

53 fois seulement, il a trouvé l'aliénation mentale sans maladies

constitutionnelles. M. Charpentier est loin cependant de croire

aux prétendues folies hémorrhoidaires, arthritiques ou herpét-

ques qui ne présentent aucun signe spécial permettant de les

caractériser.

M. Féré. L'arthritisme et l'herpétisme n'étant en somme qu'un

mode de dégénérescence physique, il n'y a pas lieu de s'étonner

que M. Charpentier ait rencontré des types constitutionnels asso-

ciés à l'aliénation qui est une dégénérescence mentale. M. B.

Séance du 27 décembre 1886. Présidence de M. SEMELAIGIJE.

M. Séglas. Note sur le traitement de l'amblyopie hystérique,

par l'exercice de la sensibilité spéciale, et des paralysies de même

nature par l'exercice musculaire.

Dans une série de communications faites à la Société de Biolo-

gie et dans plusieurs articles publiés dans la Bévue philosophique',

M. Ch. Féré a insisté sur l'influence des excitations périphériques

sur l'état dynamique et dans une note spéciale, il a étudié les

effets de quelques excitations visuelles sur les hystériques achro-

matopsiques. Voici un résumé rapide de ses expériences à ce

sujet. Une malade ne voit que le rouge à gauche, et il ne lui

manque que le violet à droite : on l'expose à la lumière rouge

pendant quatre minutes. Elle nomme alors le rouge, le vert, le

bleu, le jaune, désigne sous le nom de gris-bleu tirant sur le rouge

une couleur qu'elle ne connaît pas, et elle reconnaît parfaitement

les trois nuances violettes du tableau des couleurs. Au bout d'une

demi-heure, les choses sont rentrées dans l'ordre, et elle appelle

noirs les carrés dont elle distinguait tout à l'heure la couleur

violette. L'oeil gauche a continué à ne voir que le rouge, mais

distinguant plus de nuances.Les mêmes effets se sont reproduits

sur quatre autres sujets achromatopsiques pour le violet; sur

d'autres, l'expérience a réussi à un degré moindre, c'est-à-dire

qu'au lieu de faire apparaître une couleur non distinguée ordi-

nairement, on provoquait seulement une augmentation de la

sensibilité différentielle pour des nuances variées des couleurs

distinguées par le sujet. En même temps, on pouvait noter une

' Bull. Soc. Biologie, ISR5-1886, et Rev. pliilosopa.; octobre 1885, mars

et juillet 1886. Sensation et' mouvement, études de psycho-mécanique.

Alcan, édit.

246 SOCIÉTÉS SAVANTES.

augmentation de l'acuité visuelle, de l'étendue du champ visuel,

et de la sensibilité des téguments de l'oeil.

Frappé du résultat de ces expériences, j'ai songé à les appliquer

au traitement de I*aiiiblyopie hystérique, et voici ce que j'ai

observé : nlme X..., â ée de 30 ans environ, atteinte de grande

hystérie, présente actuellement comme symptômes de l'hémi-

parésie et de l'hémi-anestliésie droites et des troubles fonction-

nels du côté de la vue consistant en : diminution de la sensibilité

des téguments oculaires des deux côtés, diminution de l'acuité

visuelle, rétrécissement double du champ visuel très marqué sur-

tout à gauche, troubles du sens chromatique. Pour les deux yeux,

toutes les notions de couleur se réduisent au rouge et au bleu :

le rouge, l'orange sont vus rouges sans distinction de teintes; le

jaune parait blanc; le vert. le bleu, le violet sont vus également

bleus sans distinction de nuances.

Je place devant les yeux de celte malade un verre rouge à tria-

vers lequel elle regarde une minute : je n'obtiens aucun résultat.

Je la fais regarder une seconde fois pendant quatre minutes : le

verre, une fois retiré, elle voit tout rouge, larmoie, se frotte les

yeux. Ces symptômes de fatigue, qui disparaissent d'ailleurs au

bout de quelques minutes, me mettent en garde (je dirai tout à

l'heure pourquoi), et alors je remplace l'excitation prolongée par

une série d'excitations très courtes produites en passant seule-

ment le verre rouge devant les yeux plusieurs fois desuite,'chaque

série durant de deux à quatre minutes au plus. Dans une première

séance, après deux séries de ces excitations séparées par un inter-

valle de repos, elle reconnaît différentes nuances de rouge, mais

c'est tout. Deux jours après cette augmentation de la sensibi-

lité différentielle pour le rouge a persisté. Alors, par quatre

reprises, je fais des séries d'excitation comme l'avant-veille. A la

suite, ma malade gagne, en plus de la notion du rouge, celle du

bleu, du vert, du violet. Sa sensibilité différentielle pour toutes

les couleurs augmente aussi, car elle distingue plusieurs nuances;

cependant, les teintes très claires paraissent uniformément

blanches, de même le jaune est toujours vu blanc. Le surlen-

demain, les choses sont restées en état; dans cette troisième

séance, je fais deux séries d'excitations à la suite desquelles la

malade a repris la notion complète de toutes les couleurs avec

leurs nuances les plus variées qu'elle classe d'elle-même sans

erreur par séries et par gradation de teintes, même les plus

claires qu'elle différencie maintenant très bien ; elle reconnaît

aussi des couleurs composées telles que le marron, le gris, le

grenat Voilà pour le sens chromatique; quant aux autres phé-

nomènes visuels, ils m'ont paru aussi se modifier. L'acuité visuelle

a certainement augmenté; mais manquant d'instruments de pré-

cision pour la mesurer ainsi que le champ visuel, je n'ose rien

SOCIÉTÉS SAVANTES. 247

préciser à ce sujet. Je noterai enfin que la sensibilité des tégu-

ments de l'oeii m'a semblé manifestement augmentée à la suite

des excitations par la lumière rouge.

Ce dernier fait, étudié avec soin par M. Féré, le conduit à pen-

ser qu'il existe dans les centres nerveux, pour les organes des

sens, des éléments communs ou du moins très voisins en con-

nexion à la fois avec la sensibilité spéciale et la sensibilité géné-

rale. Cette opinion semblerait confirmée par l'expérience inverse

des précédentes, qu'il a faite sur une hystérique amblyopique.

Chez elle, l'application d'un diapason en vibration sur l'émer-

gence des nerfs sus et sous-orbitaires faisait reparaître la sensi-

bilité dans leur domaine en même temps que cédait l'anesthésie

visuelle.

Pour ma part, ie n'ai pas osé employer ce moyen chez ma ma-

lade, extraordinairernent sensible, craignant de provoquer ainsi

chez elle une amaurose analogue à celles qui surviennent à la

suite de contusions de sourcil. En effet, c'est là un accident dont

il faut se méfier chez cette sorte de maladie, même en n'employant

que l'excitation par la lumière colorée; une excitation trop vive

ou trop prolongée pouvant provoquer une sorte d'épuisement de

la fonction et amener par suite une aggravation de symptômes.

Je rappellerai à ce propos que chez ma malade une excitation

continue amenait très rapidement de la fatigue et.que c'est alors

que, redoutant de provoquer ainsi une amblyopie complète, j'ai

substitué au mode d'excitation précédent les séries d'excitations

répétées, mais très courtes, de quelques secondes à peine, pro-

duites en passant le verre coloré devant les yeux. On peut ainsi

continuer l'excitation plus longtemps et avec beaucoup plus de

sécurité. J'ajouterai que chez cette malade, le résultat obtenu se

maintient encore aujourd'hui, au bout de trois mois, sans avoir

renouvelé les excitations.

Voici encore un autre fait qui, bien que plus complexe, nous

montre aussi l'influence de l'exercice de la sensibilité spéciale chez

les aiiiblyopiques hystériques. Ils'agit d'un malade quej'ai observe

à Bicêtre, dans le service de M. Bourneville, pendant mon rem-

placement des vacances. C'est un garçon de dix-huit ans, atteint

de grande hystérie, présentant une achromatopsie complète de

l'oeil droit : le champ visuel et l'acuité visuelle sont très diminués

des deux côtés, mais surtout à droite; la sensibilité tégumentaire

est abolie. J'avais essayé primitivement de faire disparaître l'achro-

matopsie par la suggestion hypnotique et j'y avais réussi en une

séance; mais, deux jours après, à la suite d'attaques convulsives,

l'achromatopsie réapparut comme devant. Alors je pensai à

user de la lumière colorée. Pour ce malade, moins sensible que

la précédente, je n'ai plus employé les excitations successives et

répétées de courte durée; mais je le faisais regarder trois à quatre

248 SOCIÉTÉS SAVANTES.

minutes de suite à travers un verre rouge. Au bout de quelques

séances la notion des couleurs était revenue et il distinguait le

rouge, l'orangé, le jaune, le vert, le bleu, le violet. La sensibilité

différentielle aux teintes variées de chacune de ces couleurs restait

obtuse chez ce malade, d'ailleurs peu intelligent et sans instruc-

tion. Au même temps, comme dans le premier cas, les téguments

de l'oeil primitivement insensibles donnaient maintenant les signes

d'une sensibilité évidente, quoiqu'obtuse. L'acuité visuelle m'a

semblé aussi augmenter un peu, cependant je n'ose encore rien

affirmer à ce sujet de même que pour le champ visuel, pour les

mêmes raisons que ci-dessus, c'est-à-dire l'absence de moyens

précis. de contrôle. Mais un fait des plus curieux à noter c'est

qu'aujourd'hui, au bout de trois mois, le malade garde encore la

notion des couleurs sans que j'ai renouvelé les excitations et

malgré un état de mal hystérique et des attaques très nombreuses

(plus de 600), alors que le résultat obtenu par la suggestion

hypnotique avait été détruit de suite en une nuit par les attaques

convulsives (au nombre de 26).

On voit donc que l'exercice de la sensibilité spéciale peut agir

d'une façon efficace sur l'amblyopie hystérique; d'ailleurs ce fait

n'a rien d'étonnant, car on sait que, même l'état normal, les sens

se développent par l'éducation. Mais, me dira-t-on, pourquoi

avez-vous donné la préférence à la lumière rouge ? N'aurait-on

pu se servir d'une autre couleur ? Sans doute, mais j'ai préféré

prendre le rouge parce que cette couleur, d'après les expériences

de M. Féré, est celle qui a le plus d'action sur l'état dynamique.

Kunkel a montré au-si que le rouge produisait plus rapidement

que les autrescouleurs un maximum d'excitation ; enfin les recher-

ches de 0. Berger ' 1 confirment ces faits : mais il ajoute qu'il ne

faut pas cependant employer un rouge trop sombre, parce que le

temps de réaction serait plus long que pour les autres couleurs

du spectre réduites à intensité égale.

Qu'il me soit permis en terminant de rappmrter un fait curieux

que l'on peut rapprocher de ceux qui précèdent. Nous avons vu

que la malade qui fait le sujet de la première observation était

atteinte d'une hémiparésie droite. Au dynamomètre elle donnait

26 à gauche et à droite l'aiguille restait à 0. Je lui fais faire cinq

ou six mouvements passifs de la main et de l'avant-bras gauche,

coté sain, et alors la main gauche donne 2' ? et la droite 4. Je

répète la même chose du côté droit et puis nous trouvons toujours

- 27 pour la main gauche, mais 12 pour la main droite. Encouragé

parce résultat, je lui fais faire tous les jours, pendant quelques

minutes seulement, des mouvements du bras et de la jambe du

côté droit. Au bout de deux jours, l'exploration nous donne à

' Philosophische siiidien, 13. 111; fasc. 1 et 2.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 249

gauche 27 à droite 20; puis deux jours après, c'est-à-dire au bout

de 4 jours en tout, la main gauche amène 28, la droite 24 (côté

paralysé). La malade marche maintenant sans traîner la jambe;

elle a repris le libre usage de son bras et de sa main et ne sent

plus aucune lourdeur dans les membres, qui ont recouvré et gar-

dent encore .aujourd'hui, c'est-à-dire trois mois après, leur force

et leur souplesse.

Ces faits sont confirmatifs des expériences de M. Féré, qui a

montré que les mouvements d'un membre, réveillant les images

motrices des centres, produisent par suite une augmentation de la

puissance de ce membre et aussi, chose très curieuse, que l'on

obtient un effet identique quoique moins accusé si l'on fait faire

les mouvements du côté opposé. J'ai moi-même contrôlé plusieurs

fois ces résultats chez d'autres malades à Bicêtre. 11 est rationnel

d'admettre alors que l'excitation d'un centre se propage aux cen-

tres voisins et l'on peut, à notre avis, rapprocher ces faits et les

mouvements associés que l'on observe chez les hémiplégiques par

lésions cérébrables chez qui un mouvement volontaire détermine

un mouvement associé dans les membres paralyses. Quoi qu'il en

soit de la théorie, le fait existe et nous pensons qu'il est possible,

d'après ce que nous avons vu, d'appliquer ces données expéri-

mentales au traitement de certains cas de paralysie hystérique

où l'on pourra obtenir de bons résultats par les mouvements

actifs ou passifs, l'exercice ou le massage des membres paralysés.

M. Ch. FÊRÉ. Quelques faits ont déjà été cités à l'appui de

mes recherches sur l'action des mouvements passifs'. Quanta à

ceux que vient de signaler M. Séglas relatifs à l'influence de

l'exercice des sens spéciaux, ils sont particulièrement intéressants

par leur résultat éloigné; j'ajouterai d'ailleurs que chez ceux des

malades qui m'ont servi d'expériences, dès le début, la vision des

couleurs a été rétablie et a persisté jusqu'aujourd'hui, c'est-à-dire

depuis plus de quatre mois 2.

Séance du 31 janvier 1887.

Présidence DE MM. SÙMELAIGNE ET Magnan.

M. Sémelaigne, avant de céder le fauteuil de la présidence à

il. Magnan résume en un éloquent discours les discussions qui ont

eu lieu dans le sein de la société pendant l'année qui vient de

s'écouler; il procède ensuite à l'installation du nouveau bureau.

1 G. Jorissenue. Guérison de paralysies par la dynamogénie. (Aiz7e.

de la Soc. Med. Cliir. de Liège, 1886, p. 351.)

" Bull. uc. IJiol., 1881, p. 5 Y. , .

250 SOCIÉTÉS SAVANTES.

M. Magnan remercie ses collègues qui l'ont appelé par leurs

suffrages à diriger les travaux de la société.

Du délire chronique (suite de la discussion). 111. Ganwn. Vous

avez entendu, messieurs, deux importantes communications sur

la question à l'ordre du jour.

M. Falret, qui a pris le premier la parole, est venu donner la

consécration de sa grande expérience à la doctrine dont je suis le

défenseur. S'il a formulé quelques réserves sur divers points de

détails, il n'en a pas moins reconnu comme légitime l'existence

d'une vésanie spéciale dénommée : délire chronique. Mais il craint

de voir englober dans le délire chronique une forme d'aliénation

mentale à laquelle il accorde, à juste titre, une existence indé-

pendante : la mélancolie anxieuse. Je puis dire qu'il n'est nulle-

ment question d'attribuer au délire chronique ce qui ne saurait

lui appartenir. Que M. Falret se rassure donc sur ce point.

En résumé, les quelques objections ou réserves formulées par

111. ralret ue visent que des points secondaires; l'accord est com-

plet sur le fond même de la thèse, qui consiste à soutenir qu'il y a

lieu de distinguer une vésanie ou psychose à marche progressive

et chronique dont les périodes successives sont une phase d'inquié-

tude, suivie d'une phase d'idées de persécutions, puis d'idées am-

bitieuses, pour aboutir à la démence.

Il en est autrement des critiques de M. Dagonet. A ne consi-

dérer que les arguments dont il s'est servi pour nous combattre,

je ne suis pas assuré d'avoir été assez heureux pour me faire bien

comprendre. Pour légitimer son opposition, mon savant contra-

dicteur nous cite des exemples de persécutés qui ont guéri sans

devenir jamais ambitieux. Qu'il me permette de ne pas être ébranlé

par des exemples qui, seraient-ils indiscutables en eux-mêmes,

ne suffiraient pas à faire méconnaître l'évolution du délire chro-

nique observée dans des milliers de cas. Tout au plus pourraient-

ils être envisagés comme ces très rares exceptions que comporte

toute règle. Mais, au surplus, rien ne démontre que ces délirants

persécutés échapperont à la loi de l'évolution classique. Le temps

seul a pu leur manquer encore. Comme j'ai eu soin de noter que

le délire des grandeurs n'apparaît parfois chez le persécuté qu a-

près dix, vingt, trente ans même, je suis bien à mon aise pour re-

pondre à M. Dagonet qu'il faut attendre avant de se prononcer

sur ses malades.

L'objection qu'il m'a encore adressée au sujet de la distinction

établie entre certains persécutés persécuteurs à ranger parmi les

dégénérés héréditaires et les persécutés vrais n'a pas, je crois,

l'importance qu'il y attache. Il affirme que je me suis chargé, par

là même de démontrer le peu de fondement de la doctrine du

délire chronique. Où M. Dagonet voit-il une contradiction ? Il ne

SOCIÉTÉS SAVANTES. 251

suffit pas, en effet, qu'un aliéné ait des idées de persécution

pour appartenir au groupe des délirants persécutés dont nous

nous occupons, il faut encore que ces idées se développent d'une

certaine façon, qu'elles soient soumises à une incubation lente, et

qu'elles suivent une marche, une coordination et une systématisa-

tion speiales. Mais quand cette évolution est réalisée, c'est bien

au délire des persécutions que l'on a affaire.

Quant au terme de Mégalomanie, je n'ai point eu à en blâmer

l'emploi. Je nie suis borné à faire remarquer que, par cette expres-

sion, il ne fallait pas prétendre désigner une unité clinique là où

il n'y a qu'une phase déterminée d'une vésanie chronique impli-

quant nécessairement comme période antécédente le délire des

persécutions.

Dénommer par un terme unique suffisamment clair cette suc-

cession d'états psychopathiques reliés entre eux d'une façon si

étroite, ce n'est pas se mettre en désaccord avec les principes

d'une saine clinique ; c'est simplement consacrer le fait capital de

cette évolution, c'est forcer l'attention à se porter sur le caractère

essentiel de cette maladie mentale, à savoir sa marche systémati-

quement progressive par stades invariablement les mêmes.

M. Dagonet n'a pas manqué de critiquer l'expression « délire

chronique » employée par M. Magnan et ses élèves pour désignerce

long processus délirant. Mais comme il se refuse déjà à recon-

naître le.fait même de cette évolution, son opposition ressemble

trop, sur ce point, à une prévention.

Si, au contraire, il consentait à nous donner son adhésion sur le

fond même de la question, ce dont il ne faut pas désespérer, je

pense que peut-être nousarriverions,avec son utile concours, à trou-

ver un terme s'adaptant mieux encore à la chose que nous voulons

spécifier. Mais il est bien évident que la choix d'une étiquette sup-

pose un accord préalable sur la réalité même de la forme de la

maladie mentale qu'il s'agirait de dénommer. Un tel résultat

serait, à coup sûr, la meilleure démonstration de Futilité de celte

discussion.

M. FALFIET. M. Garnier méfait accepter que tesdélirants chroni-

ques arrivent à la démence. Je ne le pense pas ; je crois, au contraire,

que la démence proprement dite est assez rare chez ces malades.

qui, malgré l'intensté de leur délire, conservent longtemps une

assez grande activité intellectuelle.

M. Dagonet ne veut faire qu'une courte réponse : Le délire des

persécutions constitue à lui seul une entité morbide distincte, tou-

jours identique à elle-même, qui ne passe jamais par les phases

décrites dans le délire chronique. Plusieurs persécutés guérissent,

d'autresrestentpersécutés pendant toute leur vie sans arriver au

délire ambitieux; en outre, la mélagamonie peut se manifester

252 SOCIÉTÉS SAVANTES.

d'emblée, avec les caractères qui lui sont propres, après un état

mélancolique vague, avec peu d'idées de persécution. Enfin, je

ne vois que très rarement la démence survenir à moins que l'on

n'appelle ainsi un certain affaiblissement intellectuel dans lequel

nous tomberons tous plus ou moins un jour ou l'autre.

11. GARNIR. Assurément la démence ou délire chronique n'est

pas ce qu'elle est dans certaines autres formes mentales; elle est

loin d'être aussi accusée que les démences organiques, elle se

manifeste surtout par un état d'incohérence. M. Dagonet nous dit

que le délire des persécutions peut guérir quelquefois ; cela est

vrai, mais M. Magnan nous a aussi cité des délirants chroniques

qui ont guéri à la période des persécutions.

M. PICHON lit deux observations de persécutés héréditaires deve-

nus à leur tour persécuteurs. Marcel BMAND.' f,

SOCIÉTÉ PSYCHIATRIQUE DE BERLIN

Séance du 15 décembre 1885 '.

M. Loehr, senior, ouvre la séance par des paroles de bienvenue.

11 mentionne la mort de MM. Eckelmann et Grunewald.

Il annonce qu'en ce qui concerne la recherche des cas dans

lesquels on a fait usage de la latitude légale en faisant trans-

férer dans un asile public les prévenus dont l'état mental néces-

sitait un examen pouvant être prolongé pendant six semaines,

M. le ministre de la médecine a transmis les voeux de la Société2

au ministre de la justice.

M. R. ScHROETER. Des psychoses consécutives à un traumatisme

grave du crâne. Nouvelle observation. Un homme, âgé de

cinquante-trois ans à l'époque de son admission à l'asile d'Hichberg

où il a été observé depuis 1864, c'est-à-dire pendant vingt ans,

n'est entaché d'aucune tare héréditaire; son développement a été

normal depuis sa naissance jusqu'à l'âge de quinze ans. C'est

en 1846 ou 1848 qu'il reçut sur la tête en travaillant dans une

ardoisière une lourde planche qui, tombant peipendiculairement

d'une assez grande hauteur, lui heurta le crâne par son angle

1 Voy. Arch de Neurologie, t. XII, p. 249.

q Id., t. XII, p. 257.

z Id., t. XI, p. 28 ! .

SOCIÉTÉS SAVANTES. 253

aigu. Consécutivement accidents graves, élimination d'esquilles,

stigmates sous forme d'une dépression profonde de la région pos-

téro-supérieure du frontal, mais peu de chose au point de vue

mental ; il est un peu autre qu'auparavant, moins actif au travail

mais non aliéné. A l'âge de vingt ans, il part à l'étranger comme

mineur où pendant plus de dix ans il mène une vie irrégulièré,

dépensant avec des filles de joie sans souci du lendemain; il

aurait finalement été incarcéré en Pologne soi-disant à cause de

chicanes avec son patron. De retour dans sa patrie, il se néglige,

ne travaille plus, s'amuse à dessiner des figures, détourne ses

compagnons de leurs occupations, grimace. A la fin d'avril '1864,

gestes désordonnés dans la rue, gesticulations vives, loquacité,

incohérence, tête brûlante, palpitations de coeur, constipation,

insomnie; il parle constamment de Dieu, du diable, d'or : aucune

suite dans les idées, mange beaucoup et maigrit néanmoins. Idées

de persécution multiples; conceptions hypochondriaques; il se

plaint que sa tête est couverte d'une graisse gluante; hallucina-

tion de l'ouïe et de la vue; on lui broie les testicules la nuit. Puis

un certain degré d'affaiblissement intellectuel se manifeste.

Cependant, dès 1880. amélioration manifeste à tous égards; en mai,

fièvre typhoïde compliquée de bronchiopneumonie, à convales-

cence longue. Enfin parfait état de santé physique et psychique.

Il n'a jamais présenté de vertiges, de lipothymies, de convulsions.

Conclusion- Traumatisme grave de la calotte crânienne ayant

laissé après lui une cicatrice déformante : la dépression de cent.

de profondeur commence à 9 cent. 3 de la racine du nez et pré-

sente la forme d'un .triangle arrondi d'une longueur et d'une

largeur de 3 cent. 3, duquel partent 3 rayons cicatriciels s'éten-

dant à droite sur une étendue de 2 cent., à gauche sur une éten-

due de 3 cent., en arrière sur une étendue de 2 cent. 3. Elle

commence donc exactement au milieu de la suture sagittale,

occupe l'extrémité supérieure du pariétal gauche et empiète sur

la racine de la première circonvolution frontale gauche. Peu de

temps après l'accident, un peu de faiblesse intellectuelle, portant

sur le sens moral, puis idées délirantes pendant un an et désor-

dre dans les idées avec affaiblissement des facultés. Mais tous

ces accidents, loin de progresser, se dissipent, si bien qu'il possède

plus de bon sens et de discipline qu'il n'en avait avant.

Discussion : M. Jastrowitz. Ce cas'est une variété qui ne

comporte aucune indication à la trépanation.

M. FALK. On impute aux blessures des troubles psychiques, alors

que souvent les malades étaient aliénés avant l'accident.

M. ScHROETER. Sans doute les cas que j'ai cités ne sont pas des

cas de psychose traumatique classique. Sans doute, au regard

d'un grand nombre de traumatismes crâniens graves, il est rare

254 SOCIÉTÉS SAVANTES.

d'observer des troubles psychiques véritablement consécutifs,

niais enfin nos malades auraient été atteints par un trauma-

tisme crânien ayant laissé des cicatrices notables. De cette parti-

cularité, je conclus à un certain rapport étiologique entre les

lésions et les psychoses ultérieurement développées.

M. Jensen. Présentation d'un moulage crânien pour localiser les

lésions du crâne. L'auteur s'est préoccupé de rendre intelli-

giblement par le,- dessin des régions des hémisphères cérébraux

très difficile à prendre, par exemple le lobe occipital où se réunis-

sent une surface plane, une surface connexe, une surface légère-

ment concave. Cela ne peut être obtenu très nettement qu'à

l'aide des dessins stéréoscopiques, mais, les photographies stéreos-

copiques devant être elles-mêmes reportées sur pierre, M. Jensen

s'est servi de l'appareil à dessiner de Lucoe, muni d'une seconde

lame, inclinée de 7° sur la lame vitrée horizontale. Tout géomé-

triques qu'ils fussent, les plans réduits et groupés par le panto-

graphe matérialisaient d'une façon surprenante le cerveau repro-

duit. L'auteur fait passer un spécimen de cerveau de microcé-

phale. Eh bien ! ne serait-il pas possible de représenter les

rapports de l'encéphale et du crâne par ce procédé ? Voici com-

ment M. Jensen y est arrivé. Il moule le crâne avec du plâtre, en

marquant les sutures avec des aiguilles, puis d'après le moule en

plâtre ou l'encéphale durci, et, en se guidant sur les marques

pi écédentes, il établit sur le moule crânien la bosse des sillons. En

pratiquant des coupes à la scie sur le crâne en différents sens, on

arrive alors, avec l'appareil de Lucoe, à reproduire d'abord le

crâne, puis les parties encéphaliques sous-jacentes en des direc-

tions obliques et perpendiculaires, ce qui donne des dessins sté-

réoscopiques réduits d'un tiers. A l'aide du stéréoscope, on voit en

quelque sorte l'encéphale renfermé dans un crâne transparent

comme un globe de verre. 11 devient possible, en marquant sur

le crâne la perte de substance occasionnée par l'ablation du mor-

ceau broyé par le traumatisme, de localiser la lésion crânienne

et par conséquent la surface correspondante de l'encéphale à

laquelle cette lésion crânienne correspond exactement.

M. UENNO. Présentation d'une tumeur cérébelleuse. Il s'agit d'un

malade de soixante et onze ans, mort dans le marasme, ayant été

atteint de folie systématique hallucinatoire, qui fut séquestré pen-

dant les vingt dernières années de sa vie. Hérédité psyctiopalhique

invétérée. A1'autopsle, on trouva une pachy méningite chronique in-

terne,unefaiblecollectiouséreusedanslesveutriculcslatéraux; rien

autre chose dans le cerveau. La lace supérieure de l'hémisphère céré-

belleux, la partie médiane du lobe quadrangulaire du côte gauche

et les deux tiers postérieurs du vermis supérieur sont occupés par le

segment d'une tumeur bosselée à la surface, d'un rouge brun foncé,

SOCIÉTÉS SAVANTES. 255

d'une consistance molle, du volume d'une châtaigne ayant sur les

circonvolutions déterminées une légère impression; elle est enclavée

dans lasubstancedel'hémisphèregaucheetdu vermis supérieur, s'en

laisse énucléer sans peine et laisse après elle une excavation ronde

à parois lisses, dont le bord supérieur tranchant envoie au-dessus

de la tumeur quelques fragments nerveux filiformes; en arrière

el au-dessous du néoplasme, existe un trousseau vasculaire, gros

comme un tuyau de plume, qui peut être suivi à travers le sillon

marginal postérieur jusqu'aux vaisseaux de l'arachnoïde, sur le

planche du IVe ventricule. L'examen microscopique décèle un sar-

come mélanique issu de l'arachnoïde. Rien pendant la vie du

malade ne l'avait révélé et, quand on réfléchit après coup, on ne

voit aucun symptôme clinique qui l'eût pu dénoncer. 11 est vrai

que le malade s'est alité quatre semaines avant la mort, mais

certainement la tumeur datait d'une époque plus éloignée comme

en témoigne l'usure graduelle, sans destruction brusque, de parties

étendues de l'encéphale.

M. JASTROWITZ. Quelques mots sur la procédure actuelle relative à

la provocation de l'interdiction ou tutelle. La procédure usitée

d'après le nouveau Code civil de 1877 a bien des lacunes, et, d'après

l'opinion publique, il n'assure pas à la liberté individuelle des ga-

ranties de préservation suffisantes. Les dénonciations ou décla-

rations notificatives adressées au procureur ne suffisent pas. Il fau-

drait un examen circonstancié des aliénés, une enquête spéciale.

Généralement, à Berlin, ce sont les plus déments qui sont interdits,

tandis que ceux qui auraient le plus besoin d'un examen sont

laissés tranquilles si les parents n'interviennent pas. L'orateur en

cite un exemple à l'appui.

Discussion : M. ZINN. C'est à tort que mon collègue incrimine la

loi concernant la procédure dans la question de l'interdiction

pour cause de maladie mentale. Il dit qu'un procureur a écarté la

proposition d'interdire un aliéné séquestré dans un établissement

privé, bien que cette interdiction fût, d'après l'avis de M. Jastrowitz,

urgente dans l'intérêt du malade. Mais M. Jastrowitz n'avait qu'a

se mettre en instance auprès du procureur général et, au besoin,

auprès du ministre de la justice. Il le pouvait d'après le § S95.

M. Jastrowitz pense en outre que la loi actuelle lie les mains aux

directeurs des établissements publics ou privés, ou plutôt qu'ils

sont avec elle plus mal à l'aise qu'avec l'ancienne procédure,

parce que jadis ces honorables fonctionnaires ne pouvaient être

accusés de séquestration illégale aussitôt qu'ils avaient fait la

dénonciation prescrite devant le tribunal compétent, ou qu'ils

avaient lancé publiquement pour ainsi dire la motion d'interdic-

tion. Eh bien ! 1 AI. Jastrowitz commet une double erreur. La loi

actuelle en effet ne touche en aucune façon au droit de la famille,

256 SOCIÉTÉS SAVANTES. -

de la police de faire séquestrer un aliéné pour le guérir ou l'empê-

cher de nuire; on peut à cet égard procéder comme devant. Seu-

[émeut en Prusse, toutes les dénonciations légales sur les admis-

sions des malades, qui jadis devaient être faites devant les tribunaux

d'après le décret ministériel du 6 décembre 1 879, seront adressées

- non plus aux tribunaux, mais au procureur du ressort, auquel on

doit également donner connaissance de l'incurabilité. Ces forma-

lités dégagent le directeur vis-à-vis 'des autorités juridiques et

légales et le préservent de toute accusation malveillante.

11. Jastrowitz se plaint enfin de ce qu'aujourd'hui le tribunal reste

libre de n'entendre qu'un spécialiste au lieu de deux'. Or le § 599

de la procédure qui nous occupe, disposé que « l'interdiction ne

doit être prononcée avant que le tribunal ait entendu un ou plu-

sieurs spécialistes sur l'état mental...», tandisque le § 368 du Code

civil laisse au tribunal le choix des spécialistes et la détermina-

tion de leur nombre. Notez que la plupart des cas, 95 p. 100,

sont des cas dont la solution est hors de doute; un spécialiste

suffit donc et les dépenses s'en trouvent diminuées d'autant, ce

qui n'est pas un mince avantage soit pour la caisse de l'interdit,

soit pour les finances de l'Etat. Enfin, il faut bien supposer les

juges conscienceux, compétents, éclairés.... En réalité, la loi nou-

velle a donné satisfaction à tous les voeux, à toutes les idées des

aliénistes allemands. 11 y a eu unanimité à cet égard dans le con-

grès de Munich. Les jurisconsultes ont également, à l'unanimité,

loué les dispositions actuelles. L'étude sans prévention, sans parti

pris de cette loi, aboutira au même résultat. Voy. sur ce sujet :

L)as Entrnùndigungsverfahi-en gegen Geisteskranke, par DAUDE. Ber-

lin, 1882. Commentaires sur le Code civil dePETERSEN, SEUFFERT,

Strucksiann, Loch.

M. ScHROETER. En ce qui concerne les aliénés de l'asile d'Eich-

berg enRheingau, dansces dernières années, on a interdit plusieurs

malades; le tribunal s'est contente d'un seul rapport médical de

moi. Il n'y a pas eu de formalités orales.

nI..IASTROwIT2. Je.n'ai pas dit que le procureur ait rejeté ma mo-

tion d'interdiction concernant l'aliéné dont j'ai parlé. Je n'ai fait

aucune proposition semblable, n'ayant aucun titre, aucune auto-

risation ad hoc. Les plus proches parents n'y auraient pas consenti.

J'ai simplement insisté auprès du procureur, sur l'intérêt public

en jeu dans l'espèce, parce que les journaux s'étaient déjà empa-

rés de l'affaire. Je ne puis que m'en tenir a l'opinion que je vais

exprimer. L'ancienne manière de faire me permettait, pour tout

aliéné sans exception, de provoquer au moins une instruction

relative àl'interdiction, elle offrait aux yeux des profanes, comme

aux yeux des' spécialistes, plus de garantie pour la liberté indivi-

duelle que la procédure d'aujourd'hui, d'après laquelle l'affaire

SOCIÉTÉS SAVANTES. 257

entière demeure eutre les mains du procureur. Mais, au fond, c'est

bien l'avis de M. Zinn, puisqu'il dit que j'aurais dû insister par la

voie de l'instance auprès du procureur général. Il n'y avait, dans

le cas particulier, aucun intérêt pécuniaire, mais l'opinion publi-

que était émue. Sans doute les lois ne sauraient être parfaites.

Mais remettre à l'Etat l'autorité juridique quand il n'exerce aucune

surveillance, c'est exagéré. A quoi bon les dénonciations au pro-

cureur ? 11 en prend acte et ses successeurs retrouvent des notifi-

cations dont ils ignorent la teneur, ce qui n'est pas fait d'ailleurs

pour éviter de surcharger les finances de dépenses inutiles. Et

qu'importe au surplus si jeréclame une procédure plus onéreuse,

quand elle sauvegardela liberté individuelle. Quant à la nécessité

de deux médecins spécialistes, elle est rationnelle, nos juges ne

s'entendant pas toujours a choisir de médecins réellement compé-

tents. Qui ne se rappelle de grossières erreurs ? Comment ? Mais

M. Schroeter ne vient-il pas de nous dire qu'on a interdit sur un

rapport écrit sans l'avoir entendu verbalement. : 11. GUTTSTADT. Contribution à la statistique internationale des alié-

nés. 11 s'agit du congrès -de phrématrie et de neuro alholo-ie

d'Anvers, tenu du 7 au 9 septembre 1885, et du rapport de M. Le-

iebvre, de Louvam, qui propose d'établir le nombre des aliénés,

les causes de l'aliénation mentale en général, et, si possible, les

formebdespsychopat.hies, leur durée, leur proportion de guérison,

d'mcurabiliterde mortalité. Voici la classification qu'il propose :

Idiotie Crétinisme Psychose paralytique Démence

Folie toxique Manie Mélancolie Folie circulaire. Une com-

mission a été nommée qui se compose de Hack Tuke (Angleterre),

Magnan (France), benedikt (Autriche), Mierzejewski (Russie), Steen-

berg (Etals Scandinaves), Ramaer (Hollande), A. Verga (Italie), '

Wille (Suisse), Cl. Bell (Etats-Unis), Sola (Amérique du Sud),

Guttstadt (Allemagne). Après la peine que l'on s'est donnée en

Allemagne pour aboutir à une statistique officielle, il ne parait

pas utile de modifier la classification obtenue. Mais l'importance

d'une statistique internationale, quand ce ne serait que pour

savoir si l'aliénation mentale s'accroît, la question des rapports

entre le crime et la folie, etc., engageraient M. Guttstadt à prendre

l'avis de la société. Faut-il soutenir envers et contre tous la ter-

minologie allemande, sa classification, sa statistique ?

A la suite d'une discussion à laquelle prennent part MM. Loehr

sen., Falk, Wendt et Zinn, il est répondu oui à M. Guttstadt.

(Allgeni. Zeitsch f. Psych., XLIII, 1 et 2.) P. KERAVAL.

Archives, t. Xlit- 17

SENAT

DISCUSSION DU PROJET DE LOI SUR LES ALIÉNÉS'

. Séance du vendredi 27 novembre 1886.

M. LE PRÉSIDENT. L'ordre du jour appelle la suite de la Ire

délibération sur le projet de loi portant révision de la loi du

30 juin 1838 sur les aliénés. Nous sommes arrivés, messieurs, à la

discussion des articles. Je donne lecture de l'article 1" :

« Art 1er. Les établissements destinés à recevoir les aliénés

sont de deux sortes : publics ou privés ; ils sont exclusivement

consacrés au traitement de l'aliénation mentale.

. Les aliénés réputés incurables, les épileptiques, les idiots et

les crétins peuvent être admis dans ces établissements tant qu'il il

n'a pas été pourvu à leur placement dans les colonies, dans des

maisons de refuge ou autres établissements appropriés. L'État

fera construire un ou plusieurs établissements spéciaux pour

l'éducation des jeunes idiots ou crétins et pour le traitement des

jeunes épileptiques. M La parole est à M. le rapporteur.

- M. THÉOPHILE Roussel, rapporteur. Messieurs, à la dernière

séance, pendant que j'étais à cette tribune, j'ai entendu quelques

observations critiques parties de bancs voisins de la tribune, sur

lesquelles je demande la permission de dire d'abord quelques

mots.

Un de nos honorables collègues, à l'opinion duquel j'attache

beaucoup de prix, M. Paris, a dit que, malgré les simplifications

qui ont été apportées au texte du projet de loi soumis au Sénat,

la loi est encore très chargée. J'ai entendu également l'honorable

M. Buffet dire que ce projet de loi présente une réglementation

excessive. Je désirerais vivement, messieurs, que ceux de nos

honorables collègues qui ont fait ces observations voulussent bien

rendre à la commission et à son rapporteur le service de les pré-

ciser et de leur indiquer quels sont les points sur lesquels porte

surtout leur critique.

' Voy. Arc/c. de Neurologie, p. 135.

SÉNAT. 259

Il s'agit d'une loi qui n'a rien de politique; par conséquent,

de quelque côté de l'Assemblée que puissent venir et les objec-

tions fondées et les observations utiles, les auteurs peuvent être

assurés que la commission sera heureuse de les mettre à profit.

Lorsque, à la fin de la même séance, le Sénat a passé à la dis-

cussion des articles, et au moment d'aborder l'examen de l'ar-

ticle 1er, j'ai prié le Sénat de remettre cet examen à la séance

d'aujourd'hui, en le prévenant que cet article exigerait un certain

nombre d'explications.

Je pensais, en disant cela, que la lecture des paragraphes de

cet article, sans les explications détaillées dont ils sont l'objet

dans le rapport, avait dû contribuer pour beaucoup à cette

impression, exprimée par M. Paris, que le projet était très chargé.

Cet article en effet contient d'assez nombreux détails, dont quel-

ques-uns même, au premier aspect, peuvent sembler étrangers à

la loi sur les aliénés. Je crois que le Sénat reconnaîtra, pour cet

article comme pour tous les autres; que le texte de la commission

ne contient aucune disposition qui ne se lie directement et inti-

mement à la révision de la loi de 1838 et que si la loi est ou

parait être chargée, c'est parce que le sujet lui-même est très

étendu et très complexe ; qu'il soulève des questions très diverses

et multiples, les uns d'assistance ou d'administration, les autres

de droit public ou privé, suivant qu'il s'agit de garantir la liberté

individuelle-ou la sûreté des personnes. La commission reste

convaincue que sur ces questions si diverses elle n'appelle le

Sénat à poser des règles dans la loi que lorsqu'il a été reconnu

qu'elles ne peuvent pas être abandonnées à la réglementation

administrative. Il suffit de jeter les yeux sur l'article 9 pour

reconnaître quel champ considérable le projet de la commission

laisse encore à la réglementation administrative.

J'arrive maintenant à l'examen de l'article 1er. Cet article est

une addition faite à la loi de 1838 par le projet du Gouvernement.

La loi de 1818 n'avait donné aucune définition des établissements

d'aliénés. La préoccupation dominante du législateur, comme je

l'ai rappelé dans la dernière séance, c'était de tirer les aliénés,

d'une part, des cachots et, de l'autre, de l'abandon sur la voie

publique. 1

Pour atteindre ce bui, il a imposé aux départements l'obliga-

tion d'avoir des établissements spéciaux pour les recevoir et les

soigner. Ce sont les termes mêmes de la loi. Il n'en a pas demandé

davantage. C'était déjà rendre un immense service aux aliénés,

si l'on tient compte de la situation qui leur était faite alors. La

loi n'a donc pas défini l'asile d'aliénés, qui est une création de la

science moderne. '

Mais le Gouvernement, lorsqu'il a décidé de demander la révi-

sion de la loi de 1838, s'est trouvé dans une situation qui lui a

260 1 SENAT.

paru commander de mettre plus de précision dans la loi nouvelle.

11 a cru devoir caractériser et définir l'asile d'aliénés, et placer

en tête de la loi une disposition établissant que ces asiles « sont

exclusivement consacrés aux maladies mentales ».

Pourquoi, messieurs, le projet du Gouvernement a-t-il donné

place à cette innovation ? Cela est bien facile à comprendre lors-

qu'on compare la situation dans laquelle nous nous trouvons

aujourd'hui avec celle des législateurs de 1838. Au point de vue

du nombre des aliénés, la question qui nous occupe était bien loin

d'avoir la gravité toujours croissante qu'elle a prise. On pourra

juger par le rapprochement de quelques chiffres olficiels.

Lorsque l'administration avait commencé à s'en occuper, sous

un des ministres de la Restauration qui ont laissé les meilleurs

souvenirs, M. Laisné, on comptait qu'il existait 8 à 9,000 aliénés,

sur lesquels 4,HOO environ étaient internés; et, au moment même

des discussions des Chambres sur la loi que nous révisons, on ne

comptait encore que 8,000 à 8,500 aliénés placés dans les établis-

sements spéciaux ou mixtes alors existants. On craignait presque

d'exagérer en admettant qu'il existait t5,000 aliénésdans la France

entière. Nous avons dit à la dernière séance que l'on pouvait, sans

crainte de beaucoup exagérer, admettre aujourd'hui que ce chiffre

n'est pas éloigné de 100,000.

Quoi qu'il en soit, à l'époque où la loi a été faite, on admettait

encore généralement que si chaque département devait se pour-

voir d'un établissement spécial pour recevoir et soigner ses alié-

nés indigents, ce but serait assez facilement atteint avec un

nombre d'établissements nouveaux relativement restreint.

On s'est longtemps arrêté à une pensée qui émanait d'un grand

alieniste, d'Esquirol, et à laquelle l'administration elle-même

attachait la plus grande importance, à la pensée qu'un établisse-

ment d'aliénés de 500 à 600 malades suffirait par cour d'appel ;

on aurait eu ainsi une maison centrale d'aliénés, comme on a une

maison centrale pénitentiaire.

Les faits n'ont que trop démontré combien était grande l'illu-

sion à laquelle on se livrait à cette époque. Les statistiques offi-

cielles, depuis un assez grand nombre d'années, et non seulement

en France, mais dans tous les pays qui nous entourent, malgré la

création d'un grand nombre d'établissements spéciaux publics et

privés, montrent qu'il y a un défaut de proportion entre les res-

sources offertes par ces établissements et les besoins de la popu-

lation à laquelle ils sont destinés, et ils démontrent combien sont

fondées les plaintes auxquelles donne lieu, à l'étranger, comme

dans notre pays, l'encombrement croissant des asiles publics con-

sacrés aux aliénés indigents.

Je n'examine pas les causes diverses auxquelles cet encombre-

ment est dû. Je dois noter cependant que les termes de la loi

SÉNAT. 261

de 1838 ont exercé à cet égard une influence non douteuse, par un

manque de précision et par l'amplitude même des dispositions

qui ont permis d'ouvrir largement les portes des asiles non seu-

lement aux aliénés proprement dits, mais aux idiots, aux imbé-

ciles, aux crétins, en un mot à diverses catégories de malheureux

qui sont admis' comme aliénés, parce que leur état mental les

rend plus ou moins impropres à la vie sociale.

Les plaintes à ce sujet sont déjà anciennes et chez un peuple

voisin où l'on examine avec soin toutes les questions d'un véritable

intérêt social, surtout lorsqu'elles offrent directement un avan-

tage au point de vue économique, en Hollande, la loi est déjà

arrivée à séparer les établissements en établissements de traite-

ment, consacrés aux aliénés proprement dits qui sont susceptibles

de guérison ou sont dangereux, et en établissements de refuge,

où sont placés, à bien moindres frais, les incurables, les inoffensifs

et d'autres catégories dont la garde n'exige pas les mêmes con-

ditions de surveillance que les aliénés auxquels sont destinés les

établissements de traitement. On a cru parvenir, et on est par-

venu, à l'étranger, à l'aide de ces distinctions, à réaliser des

économies notables.

Ce point de vue économique, messieurs, mérite certainement

l'attention du Sénat, commeil paraît avoir fixé, en 1881, celle du

Gouvernement qui a préparé le projet de loi. Il le mérite d'autant

plus, que nous-nous trouvons en face de ce mal toujours croissant

de l'encombrement des asiles publics qui est en rapport avec la

progression continue, indéniable, du nombre des aliénés.

Je ne veux pas entrer en ce moment dans l'examen de ce fait

lui-même ni de ses causes. L'encombrement des asiles est dû sans

doute lui-même à des causes diverses, notamment à la facilité de

plus en plus grande qui s'offre pour le placement des aliénés ;

mais le fait indéniable, c'est que le mal s'accroît toujours et qu'il

s'accroîtra tant que nous verrons s'accroitre le rôle et l'influence

croissants qu'exercent certains facteurs, d'origine plus ou moins

récente, et en tête desquels je placerai l'alcool et les progrès de

sa consommation au sein de nos populations urbaines et aussi de

nos populations rurales.

Je sais qu'en ce moment il y a des écrivains qui soutiennent que

le maximum de la consommation de l'alcool se rencontre chez les

peuples les plus avancés en civilisation, et qu'on se livre à ce sujet

à de vaines alarmes. Je voudrais mettre ces écrivains en présence

des comptes-rendus qui sont publiés chaque année par les direc-

teurs de nos asiles.

Ils y verraient quelle proportion toujours plus forte offre par-

tout l'aliénation d'origine alcoolique; à Paris, par exemple, où

l'on doit trouver place annuellement dans les asiles pour plus

de 3,000 aliénés, la proportion des alcooliques, qui monte sans

262 SÉNAT.

cesse, est déjà d'environ 30 p. 400. Ce sont là les motifs, mes-

sieurs, qui ont dû décider le Gouvernement à placer en tête de

son projet de loi la disposition dont j'ai donné lecture et à la-

quelle la commission du Sénat s'est ralliée. Seulement, en adop-

tant le paragraphe proposé par le Gouvernement, la commission

a cru devoir en changer un des termes. Elle a trouvé qu'eu décla-

rant que les établissements spéciaux seront consacrés « exclusive-

ment aux maladies mentales », le Gouvernement s'était servi d'un

terme beaucoup trop étendu. Il y a dans le monde beaucoup de

cerveaux malades qui n'ont pas besoin d'être soumis à l'interne-

ment et pour lesquels les asiles ne sont pas faits ; elle a proposé

en conséquence, et le Gouvernement l'a admis, de substituer à

l'expression de maladies mentales l'expression plus précise d'alié-

nation mentale.

Je passe au paragraphe 2, dont les dispositions sont une suite

et une conséquence obligée du paragraphe le'. En effet, en posant

le principe que l'asile public est exclusivement consacré au trai-

tement de l'aliénation mentale, la loi nouvelle édicterait une

prescription en vertu de laquelle on devrait immédiatement ex-

clure des asiles tous les individus, tels que les malheureux en

démence sénile, dont l'état n'est pas susceptible de traitement; on

devrait en exclure les idiots, les imbéciles, les crétins, les épilep-

tiques, qui ne sont pas à proprement parler des aliénés, mais qui

présentement n'ont pas d'autres refuges.

La disposition proposée au paragraphe fer ne peut donc s'appli-

quer qu'à une situation et à un ordre de choses désirables; mais

elle n'est pas en harmonie avec l'état de choses actuellement exis-

tant. Les exclusions qui doivent résulter de son application ne

sont pas immédiatement réalisables : elles exigent encore un cer-

tain temps et peut-être encore certaines études.

Il a paru en conséquence à la commission qu'il est nécessaire de

décider, dans la loi, que le» placements actuels dans les asiles

publics seront maintenus et continueront à s'effectuer, confor-

mément à la loi de 1838, jusqu'à ce que d'autres moyens aient

été créés; c'est-à-dire de décider que les aliénés réputés incu-

rables, les idiots, les crétins, les épileptiques, pourront être admis

comme par le passé, tant qu'il n'aura pas été pourvu à leur pla-

cement dans des maisons de refuge, dans des colonies ou autres

établissements appropriés.

M. tiAMOux. Qu'appelez-vous des colonies ?

M. LE Rapporteur. Je vais le dite en aussi peu de mots que pos-

sible. Ce sont des établissements dont le type le plus ancien et le

plus célèbre est la colonie de Gheel, dans la Campine d'Anvers.

J'ai rendu compte, à la suite de mon rapport, de la visite que les

délégués de la commission ont faite à cette colonie avec le

SÉNAT. 263

meilleur guide qu'ils pussent avoir, M. l'inspecteur général Fo-

ville. J'ai dit que nous en étions revenus avec cette pensée, que

Gheel est- une grande oeuvre, mais que c'est surtout l'oeuvre du

temps et de conditions exceptionnelles qui en rendent l'imitation

sinon impossible, du moins très difficile ailleurs et en particulier

dans notre pays.

Gheel est un lieu de pèlerinage antique, de pèlerinage reli-

gieux, comme il en a existé dans certaines de nos contrées, où

existent encore de ces cabanons annexés aux églises, pour les-

quels, dans la dernière séance, M. de Gavardie exprimait son ad-

miration et ses regrets. Il y a, à Gheel, dans une fort belle et

curieuse église, le tombeau d'une vierge irlandaise, sainte

Dymphne, à laquelle la foi des populations attribuait le privilège

de guérir la folie. Les aliénés y accouraient; à leur arrivée, on

les enfermait dans les réduits obscurs construits dans l'église

même; ils y restaient pendant une neuvaine consacrée à des

prières et à des exorcismes destinés à chasser le démon. L'aliéné

guéri au bout de la semaine rentrait dans son pays. Celui qui

n'était pas guéri sortait du cabanon; mais presque toujours il

prolongeait son séjour pour prier encore et implorer sa gnérison,

et il trouvait pour cela chez les paysans de Gheel une hospitalité

qui, dès le moyen âge, est devenue la grande, si ce n'est l'unique

industrie de ce pays, l'un des plus pauvres de la Belgique.

Au commencement de ce siècle et pendant le premier Empire,

Gheel était ainsi arrivé à compter de 400 à 500 aliénés dispersés

dans les hameaux de cette vaste commune chez les paysans,

appelée hôtes ou nourriciers, qui, tous, avaient, comme ils l'ont

encore, une ou plusieurs chambrettes présentant des dispositions

particulières et spécialement affectées à leurs pensionnaires

aliénés.

Aujourd'hui, par suite de l'encombrement des asiles belges, le

chiffre des pensionnaires de Gheel est arrivé à dépasser 1,600, qui

viennent de toutes les parties du royaume et même de l'étranger.

J'ai déjà dit à la dernière séance que nous y avons vu des Fran-

çais appartenant à des familles très notables de notre pays.

Mais je dois ajouter que, par suite du régime nouveau auquel

les aliénés sont soumis en Belgique depuis la loi de 1850, qui a

été une imitation, sur beaucoup de points, de notre loi de 183q,

Gheel a subi une grande transformation : au traitement religieux

a snccédé, pour une partie des malades au moins, un traitement

médical, avec un régime de surveillance imparfait encore et une

intervention de l'autorité publique qui étaient inconnus précé-

demment.

Au centre de la localité principale a été construit un véritable

asile où tous les malades arrivants sont reçus, et dès qu'il a été

constaté qu'ils peuvent être confiés aux nourriciers qui ont des

264 SÉNAT.

locaux disponibles pour les recevoir, ils quittent cet établissement

d'admission et vont partager l'existence du paysan qui les reçoit

en pension.

Je ne pourrais pas dire que ce système de placement ne donne

pas lieu à des accidents, qu'il ne prête pas encore à quelques-unes

des critiques qui ont été faites. Je me borne à dire qu'il a l'avan-

tage d'être très économique. L'aliéné qu'on appelle propre (celui

qui n'est pas gâteux) payait, au moment de notre visite, environ

80 centimes. Aussi la Belgique, non contente d'entasser des

aliénés à Gheel, vient-elle de créer sur le modèle du nouveau

Gheel une autre colonie d'aliénés dans la province de Liège, et,

d'après des notes que j'ai'reçues l'année dernière de M. l'inspec-

teur général du royaume, M. Oudart, cet établissement nouveau

fonctionne d'une manière satisfaisante. Tel est, messieurs, le pre-

mier type de ces colonies, dans lesquelles on nous a dit sou-

vent, en Belgique et ailleurs, que se trouve l'avenir du service des

aliénés.

Le type de Gheel a été considérablement modifié et, on peut

dire, amélioré dans différents pays. Le principe de ces colonies

nouvelles, dont l'Allemagne offre des spécimens variés et remar-

quables par les résultats économiques, c'est de remplacer l'asile

fermé par des asiles ouverts, des maisons rurales, des cottages avec

de l'espace, des moyens de travail pour tous les aliénés qui sont

propres au travail et qui n'exigent pas une surveillance coûteuse.

11 y a dans la province prussienne de Saxe, à Altscherbitz, et

dans la Saxe royale, à Tschadrass, des établissements dignes

d'être imités ou tout au moins étudiés dans leurs résultats autant

que dans les procédés employés pour les obtenir. En général, ces

colonies nouvelles sont à proximité et comme une dépendance

d'un asile-ferme qui reçoit, en cas de besoin, les malades de la

colonie.

L'Ecosse nous a offert un autre type des plus remarquables par

ses résultats, qui nous ont parus dus non seulement au bon choix

du terrain sur lequel s'applique le système qu'on appelle système

familial écossais, mais encore, et surtout, aux soins qui ont pré-

sidé à son organisation et à la surveillance attentive dont il est

l'objet de la part des deux hommes auxquels est principalement

due cette création. MU. Arthur Mitchel et M. John Sibbald, com-

missionners in Lunacy, à Edimbourg.

Je demande pardon au Sénat d'avoir répondu par une explica-

tion aussi longue à la question de M. Bardoux, mais j'ai cru néces-

saire d'appeler sur les colonies d'aliénés à l'étranger, l'attention

de notre pays, parce qu'il y a là, au point de vue de l'humanité

comme au point de vue financier, une question dont l'étude pra-

tique s'imposera désormais plus impérieusement lorsque les dispo-

sitions de la nouvelle loi auront été adoptées.

SÉNAT. 265

J'arrive au troisième paragraphe de l'article le', qui est ainsi

conçu : « L'Etat fera construire un ou plusieurs établissements

spéciaux pour l'éducation des jeunes idiots ou crétins, et pour le

traitement des jeunes épileptiques ».

M. de Gavardie. Vous aurez fort à faire, si vous voulez charger

l'Etat de faire'lout cela.

M. le Rapporteur. Non, monsieur de Gavardie. Vous reconnaî-

trez tout à l'heure que la charge que nous proposons de confiera à

l'Etat ne sera pas lourde pour lui. Messieurs, depuis que l'abbé de

l'Epée et, après lui, des bienfaiteurs de l'humanité dant je n'ai

pas besoin de rappeler les noms, ont démontré que par des moyens

spéciaux d'éducation on pouvait arriver à faire entrer le sourd-

muet dans la vie de relations, à le faire parler même, et que, par

d'autres moyens d'éducation non moins ingénieux on arriverait

sinon à rendre la vue à l'aveugle, au moins à le consoler de sa

perte, le Gouvernement français, l'Etat, a cru remplir un devoir

qui lui incombait en créant des établissements modèles propres à

développer encore et à multiplier les fruits de ces admirables

découvertes.

Ce qu'on peut obtenir, ce que l'on obtient déjà, au moyen d'une

éducation spéciale de l'idiot et du crétin, n'est assurément pas

moins remarquable et est autrement important, si l'on considère

le nombre, les conditions d'existence des malheureux auxquels

cette éducation pourrait s'appliquer, et surtout les conséquences

sociales de l'abandon dont ils sont l'objet.

Quoique l'idiot et le crétin ne soient pas des aliénés proprement

dits, je suis forcé d'en parler, messieurs, parce qu'ils ne sont guère'

jusqu'à cette heure, l'objet d'une autre assistance que l'aliéné,

avec lequel ils sont presque toujours confondus. L'idiot est laissé

partout en France à l'état de non-valeur sociale absolue, et il

offre encore très souvent le plus pénible spectacle dans les condi-

tions de la vie... (Bruit de conversations.)

M. LE Président. Vos conversations particulières peuvent être

intéressantes ; mais je vous affirme que si vous écoutiez l'orateur,

vous entendriez des choses qui le sont bien autrement.

M. LE Rapporteur. Il y a une quinzaine d'années un médecin

trop oublié dans son pays natal, mais devenu célèbre à l'étranger,

particulièrement en Amérique, où il est mort, le docteur Seguin,

avait cherché à montrer que par une éducation spéciale on peut

obtenir de l'organisation mal ébauchée de l'idiot des résultats

considérables. Il cherchait à prouver que l'idiot, « ce pauvre de

naissance », comme on l'a dit, qui n'a rien à perdre, pouvait

avoir beaucoup ou tout au moins quelque chose à gagner. Il ne

s'agit pas, bien entendu, de ce que j'appellerai l'idiot absolu,

celui qui n'arrive pas même à proférer une parole ; mais il y a

266 SÉNAT.

beaucoup d'idiots qu'on peut appeler partiels, qui offrent les in-

dices d'une faculté ; pour certains, celle de la musique ou celle du

calcul, ou une certaine facilité d'application et d'aptitude au tra-

vail des mains. Le développement de ces organismes incomplets

ne peut pas se faire par l'éducation ordinaire et en commun ; il

faut une éducation spéciale.

Les principes posés par Seguin à cet égard ont fructifié dans la

pratique, sinon dans son pays natal, où cependant l'administra-

tion de l'assistance publique à Paris, secondée par le conseil muni-

cipal, s'est mise à l'oeuvre de la façon la plus louable, du moins à

l'étranger, particulièrement en 'Amérique, et surtout en Angle-

terre. Je voudrais que ceux de nos collègues qui passent le détroit

se donnassent la peine ou plutôt le plaisir de visiter non loin de

Londres, dans le Surrey, sur la ligne de chemin de fer de Londres

à Brighton, l'établissement de jeunes idiots d'Earlswood. Ils

seraient frappés des résultats qui sont constatés chaque année

dans une assemblée générale habituellement présidée par le chef

de l'armée britannique, le duc de Cambridge.

Ces résultats ont été si frappants, que l'exemple d'Earlswood a

été contagieux. Cinq comtés du nord de l'Angleterre ont fait ce

que jamais n'ont pu faire en France nos départements pour for-

mer un groupe et créer en commun un asile d'aliénés.

Ces comtés ont créé un grand asile d'idiots, qui porte le nom de

Royal-Albert Asylum, et là encore les résultats ont répondu à l'at-

tente. Plus récemment encore, il a été créé dans le comté de

Kent, à Darenth, un établissement d'éducation spéciale pour les

jeunes idiots indigents, et les derniers comptes rendus qui sont

venus en mes mains prouvent combien ces créations méritent

non seulement d'être appelées de bonnes oeuvres, mais sont utiles

moralement et économiquement aux pays qui en sont dotés.

La commission a cru que le Gouvernement, l'Etat français,

dans un pays où l'intérêt privé et l'esprit d'association ont besoin

d'être réveillés, fera une oeuvre bonne et des plus utiles en don-

nant l'exemple, en créant un type, comme il l'a fait pour les

jeunes aveugles et les sourds et muets.

11 ne s'agit pas, en ce moment, de créer un ou plusieurs grands

et coûteux établissements. L'Etatse trouve propriétaire, aux portes

de Paris à Charenton, d'un grand asile d'aliénés. Est-ce trop de-

mander qu'à proximité et comme dépendance de cet asile, il

crée, dans des proportions modestes et qu'il déterminera lui-

même suivant les circonstances et les ressources dont il pourra

disposer, un établissement approprié à cette éducation destinée à

transformer un certain nombre de jeunes idiots français, à leur

donner une valeur morale et sociale qu'ils ne peuvent acquérir

sans cela ?

J'ai nommé les crétins : mais sur cette question, qui touche plus

SÉNAT. 267

particulièrement certaines parties de la France, je n'ajouterai rien

en ce moment; je dois rappeler seulement qu'en 1860, un décret

impérial a accordé une somme de 400,000 francs aux deux dépar-

tements de la Savoie, non seulement pour solder les dettes de

leur asile d'aliénés de Bassens, mais encore pour créer un éta-

blissement d'éducation de leurs jeunes crétins. Les départements

devaient ajouter une somme de 100,000 francs pour cette oeuvre.

L'oeuvre est encore à faire. ,

J'en viens, messieurs, aux jeunes épileptiques; cette question

n'est assurément pas moins grave, comme question sociale et

question économique, que celle des jeunes idiots. Je ne veux pas

me laisser entraîner à la traiter avec les développements qu'elle

comporte, bien que M. de Gavardie ait déclaré, l'autre jour, avee

l'assentiment de l'Assemblée, que nous avons en ce moment le

temps de discuter.

Je ne veux rien dire de la question médicale, qui est des plus

ardues. Je me borne à constater que l'épileptique est un des ma-

lades dont le sort est le plus malheureux et le plus délaissé, au

milieu de notre société qui le redoute, le repousse et ne lui a

laissé d'autre refuge que l'asile des aliénés, dans les cas où les

troubles de l'intelligence, presque inséparables d'ailleurs des at-

taques de son mal, sont assez marqués pour permettre de le con-

fondre avec les aliénés.

Cette situation inhumaine, dangereuse, et dont on ne remar-

que pas assez toutes les conséquences funestes, ne saurait être

maintenue plus longtemps dans un pays vraiment civilisé. On ne

note pas assez le nombre des épileptiques dans nos prisons et sa

proportion dans cette partie de la population qui tombe sous les

coups delà justice. Sans parler des impulsions maladives irrésis-

tibles qui trop souvent transforment l'épileptique en criminel, il

faut tenir compte de la situation faite à l'épileptique indigent qui,

son attaque passée, est renvoyé à l'hôpital et qui, s'il n'a la res-

source de l'asile d'aliénés, repoussé de partout, ne trouvant nulle

part un foyer qui s'ouvre ni du travail qui lui donne du pain, n'a

pas d'autre refuge que la prison.

Dans la prison, même, comme dans l'asile d'aliénés, l'épileptique

est l'objet d'une sorte de crainte qui fait prendre à son sujet des

mesures particulières. Dans les asiles, il faut pour lui un quartier

distinct et un redoublement de surveillance. Tandis que les aliénés

.vivent en quelque sorte seuls et isolés dans leur délire, qu'ils ne

conspirent pas, les épileptiques, au contraire, sont redoutables par

leurs complots et leurs mauvais desseins.

Dans les prisons on a soin de demander pour les plus dangereux

une place dans le quartier des condamnés d'aliénés annexé a la

maison centrale de Caillou, et lorsque le Gouvernement a' préparé

le règlement de ce quartier, il y a inséré un article réglant l'ad-

268 SÉNAT.

mission des condamnés épileptiques à côté des condamnés deve-

nus aliénés.

Lorsqu'on sait, messieurs, qu'une maladie qui se propage sur-

tout par l'hérédité, qui toutefois, traitée convenablement dans le

jeune âge. est dans une certaine mesure susceptible de guérison,

il est difficile de s'expliquer autrement que par notre ignorance

ou du moins par une trop grande inattention et une coupable

négligence de nos intérêts sociaux, d'une part le manque d'orga-

nisation de l'hospitalisation des épileptiques indigents adultes et

de l'autre le manque d'un établissement modèle approprié au

traitement des jeunes épileptiques indigents. '

J'espère que Bicêtre ne tardera pas à offrir un modèle de ce

genre ; mais ne serait-il pas digne de la sollicitude de l'Etat pour

un aussi grand intérêt public, de joindre à la création que la com-

mission lui demande pour l'éducation des jeunes idiots indigents,

celle d'un établissement pour le traitement des jeunes épileptiques

indigents ?

Telles sont, messieurs, les explications que j'ai cru nécessaires

pour faire admettre le dernier paragraphe de l'article 1 ? comme

une conséquence et comme un complément indispensable des

deux paragraphes précédents. Ces explications ont été forcément

un peu longues, et j'en demande pardon au Sénat. (Très bien !

très bien ! et applaudissements sur un grand nombre de bancs.)

M. GAZELLES, commissaire du Gouvernement. Messieurs, des trois

paragraphes de l'article le, de la commission, le Gouvernement

ne peut accepter que les deux premiers. Sur le premier, il n'y a

pas de dissentiment possible. Le Gouvernement reconnaît parfai-

tement que les asiles doivent être réservés au traitement de l'alié-

nation mentale. On est bien obligé, en présence des circonstances,

d'accepter le second paragraphe, puisque, dans les asiles actuels,

il y a un grand nombre d'individus qui sont affectés de maladies

mentales qui ne sont pas l'aliénation, d'infirmités mentales ou

d'arrêt de développement des facultés mentales. Ces individus en-

combrent les asiles; ils sont une cause d'embarras pour l'admi-

nistration, une cause de gêne pour le traitement des véritables

aliénés.

Le Gouvernement reconnaît qu'il serait utile de les séparer des

aliénés et de les parquer dans des établissements spéciaux ; mais,

en l'absence de ces établissements spéciaux, il reconnaît aussi

l'obligation de les maintenir provisoirement dans les établisse-

ments actuels, qui s'appellent les asiles d'aliénés, ou dans les éta-

blissements privés.

M. DE GAVARDIE. Il faudrait pour cela favoriser les asiles privés !

M. le'Commissaire du Gouvernement. Mais sur le troisième para-

graphe qui invite l'Etat ou qui lui fait obligation de construire un

SÉNAT. 269 9

ou plusieurs établissements spéciaux pour l'éducation des jeunes

idiots ou crétins, pour le traitement des épileptiques, il y a tout

d'abord une réserve à faire. La rédaction delà commission soulève,

pour ainsi dire, d'une manière secondaire une grosse question :

une question de droit administratif, celle de savoir à qui incombe

l'obligation d'assister.

Nous comprendrions que l'obligation d'assister imposée à l'Etat,

qui n'a pas encore pris place dans notre droit administratif, fut

créée par une loi spéciale ; nous n'admettons guère que cette

obligation s'introduise à propos d'une espèce, à propos de la créa-

tion d'établissements dont l'utilité de la création immédiate n'est

pas absolument démontrée jusqu'ici.

S'il est utile de séparer des autres aliénés les idiots, les crétins

et les épileptiques, qui ne sont pas, à proprement parler, des ma-

lades atteints d'aliénation mentale, il me semble qu'ils peuvent

être placés dans les établissements qui existent aujourd'hui. Ces

malades sont, pour la plupart, des individus curables, des épilep-

tiques, mais dont le traitement peut se faire en dehors des asiles.

Il peut être créé des quartiers dans les établissements hospita-

liers qui existent dans les grandes villes.

Les départements à qui incombe aujourd'hui l'obligation de

l'assistance pourraient faire des traités avec les établissements.

On satisferait ainsi au désir exprimé par la commission dans le

premier paragraphe de l'article 4er, sans soulever la grosse ques-

tion de savoir si l'obligation de l'assistance sera imposée à l'Etat.

Cette question peut venir à l'occasion d'une loi générale. Je crois

que ce principe gagne de jour en jour des adeptes, mais je ne

pense pas aller à l'encontre du sentiment du Sénat en disant que

ce n'est pas en ce moment-ci, et à l'occasion de l'article 4 ? que

nous pouvons l'introduire dans la loi. Tout en donnant l'assenti-

ment du Gouvernement aux deux premiers paragraphes de l'ar-

ticle 4 ? je dois faire connaître au Sénat son opposition à l'adop-

tion du dernier paragraphe de l'article fer.

M. Dupré, président de la commission. Je demande la parole.

M. LE Président. La parole est à M. Dupré.

M. Dupré, président de la commission. Messieurs, je demande la

permission de dire un seul mot pour répondre à cette affirmation

de M. le commissaire du Gouvernement qui a dit qu'il y a, aujour-

d'hui, dans divers établissements charitables de France, des quar-

tiers spécialement destinés aux épileptiques. Ce fait n'est mal-

heureusement pas exact. Nulle part, au moins à ma connaissance,

dans aucune des villes de notre pays, sur aucun point de notre

terntoire, il n'existe des quartiers de cet ordre.

Quand ces malheureux épileptiques ne sont pas traités dans les

hôpitaux ordinaires, ils sont placés daus les asiles d'aliénés et

270 SÉNAT.

absolument mêlés à ces derniers. Or, messieurs, il n'y a rien de

plus dangereux ni de plus redoutable que ce rapprochement.

' J'ai vu des faits dont je ne veux pas entretenir le Sénat en ce

moment, mais qui m'obligent à déclarer que je ne donnerai mon

assentiment à cette partie, de notre second paragraphe, qui dit

que les épileptiques peuvent être admis dans les établissements

mentionnés dans le second paragraphe de l'article 4e, qu'autant

qu'ils y seront placés dans des quartiers absolument distincts et

sans aucune communication avec le reste de l'établissement.

Par conséquent, ma pensée, en montant à la tribune, a été

simplement d'affirmer, d'abord qu'il n'y a pas, en France, d'éta-

blissements spécialement destinés aux épileptiques, et d'en expri-

mer le plus profond regret; de dire, en second lieu, que si les

épileptiques peuvent être provisoirement admis dans les établis-

sements dont nous nous occupons, il est absolument nécessaire

de les tenir séparés des autres malades avec la plus vive sollici-

tude. (Très bien ! très bien ! sur plusieurs bancs.) .

. 111. ne GAVARDIE. Je demande la parole. ' ·

M. LE Président. La parole est à M. de Gavardie. ,

M. DE GAVARDIE. Messieurs, cet article, 1 ee soulève des questions

bien délicates. Je voudrais tâcher de faire toucher du doigt à l'ho-

norable rapporteur, d'abord, et ensuite à M. le commissaire du

Gouvernement, l'inconvénient de toucher à une législation exis-

tante quand elle a été éprouvée - les meilleurs esprits le recon-

naissent par une longue expérience. La loi de 1838 contenait

purement et simplement la,distinction entre les asiles publics et

les asiles privés. Il n'y avait pas autre chose. Malgré mes préfé-

rences pour le projet du Gouvernement, je suis obligé de recon-

naître qu'il est tombé dans le défaut que je reprochais à celui de

la commission. L'article 1°' ajoute à la loi de 4814... ;) ,. ,

'' Plusieurs voix. De 1838 1 ' ' '

M. de GAVARDIE. Pardon ! c'est la loi sur la chasse qui me revient

à l'esprit. L'article 1e=,. de votre, projet de loi ajoutera da loi

de 1838 cette disposition : ,« Ces établissements sont exclusivement

consacrés au traitement de 'l'aliénation mentale û. Et'd'abord,

dans le projet du Gouvernement;' or. écarte une catégorie d'indi-

vidus très dignes de pitié, dont on nous a parlé et dont il est

absolument nécessaire de s'occuper. Sous ce-rapport, je suis

entièrement'd'accord avec-la commission. Mais où pourra-t-on

traiter ces maladies spéciales, si dignes d'intérêt ? Dans lae asiles

publics ? Non,' le Gouvernement le reconnaît lui-même ;'et la

commission dit et cela- nous^ engagera-1 dans une'; série de

dépenses incalculables'= la commission, dit : 1«1 L'État fera cons-

truire un ou'plusieurs établissements x unj eeseraitinsuffisant,

c'est donc plusieurs qu'il faut dire « un ou plusieurs établisse-

SÉNAT. 971

ments spéciaux pour l'éducation des jeunes il31ols ou crétins, et

pour le traitement des jeunes épileptiques ». C'est parfait ! Mais

vous ne le pouvez pas aujourd'hui, avec lesressources dont dispose

l'État.

M. DELSOL. Il n'y a pas de délai fixé ; c'est un principe posé par

la commission, voilà tout.

M. de GAVARDIE. Peu importe ! la difficulté est toujours là :

elle est déterminée, elle ne peut pas être retardée. Quand vous

voudrez mettre la main à l'oeuvre, aurez-vous les ressources

nécessaires ? Eh bien, la loi de 1838 permettait, en définitive, de

concilier tous ces graves intérêts. Votre addition paralyse vos

excellentes intentions.

Certes, jamais intentions ne furent meilleures que celles de

l'honorable rapporteur ; c'est à la fois un bénédictin et un apôtre

laïque. (Rires approbatifs sur un grand nombre de bancs.)

On ne peut pas apporter plus de dévouement qu'il ne l'a fait à

cette oeuvre considérable. Mais il tourne absolument permettez-

moi ce mot wlgaire - le dos au but. Si vous voulez que les éta-

blissements publics et privés soient exclusivement consacrés à la

guérison des maladies mentales, vous arrivez à une impossibilité ;

vous réduisez à l'impuissance la charité privée, qui est si féconde

en France et qui pourvoyait à tout autrefois. On a une singulière

manière d'écrire l'histoire aujourd'hui, sous l'empire de bien des

passions et de' bien des préoccupations. Oui, la charité privée

pourvoyait à tout autrefois !

A gauche. Allons donc ! 1

M. DE Gavardie. Et avec les ressources plus grandes que la divi-

sion de la fortune et les progrès de l'industrie et du commerce

ont mis à la disposition de la charité privée, aujourd'hui vous

pouvez arriver, si vous vous maintenez dans les termes de la loi

de 1838, à soulager toutes les infortunes. Vous n'auriez qu'à

donner, quelques subventions ,- on peut dire jusqu'à un cer-

tain point insignifiantes à cette charité privée, et elle

pourvoirait à tout. Mais si vous lui imposez de faire construire

désormais des asiles où on ne pourra recevoir que des aliénés,

vous la désarmez immédiatement ; car, heureusement, il n'y a

pas assez d'aliénés en France pour pouvoir alimenter les asiles

privés et les asiles publics en même temps.

. M. DELSOL. C'est une erreur ; il y a la moitié des aliénés qui ne

sont dans aucun asile; cela représente un chiffre de cinquante

mille aliénés....; u ii ' 1

M. DE Gavardie. Nous reviendrons sur ce sujet des aliénés qui ne

sout'pas dans les asiles ? 1 '

Aujourd'hui, d'après le; : médecins aliénistes, qui sont quelque-

272 SENAT.

fois eux-mêmes un peu aliènes... (Rires) vous comprenez ce

que je veux dire : les médecins aliénistes voient des aliénés par-

tout. Il y a beaucoup d'aliénés qui ne sont pas dans les asiles ;

mais, même avec votre loi, vous ne les y ferez pas entrer, car

cela occasionnerait une dépense que l'Etat ne pourrait pas sup-

porter.

Par conséquent, vous serez toujours obligés de laisser un grand

nombre d'aliénés à supposer qu'il s'agisse de véritables aliénés

- hors des asiles. Mais qu'importe si ces aliénés ne troublent pas,

comme vous le dites dans votre rapport, l'ordre public et la

décence publique ! Qu'importe qu'il y ait au milieu de la société

certains hommes dont la vue a quelquefois sur les gens qui se

prétendent pourvus de la raison la plus éclairée, une certaine

bonne influence à certains bons moments delà vie ? (Sourires.)

Eh bien ! je dis que vous empêchez la charité privée de faire son

oeuvre en consacrant les asiles existants et ceux qui peuvent se

fonder, au traitement des maladies mentales seules. 11 faut laisser

la porte de la charité ouverte à deux battants, comme elle l'était

autrefois ; il faut laisser agir en pleine liberté les personnes géné-

reuses, et tout, en définitive, se passera avec ordre à la satisfaction

de la véritable opinion publique.

Ce traitement religieux, dont l'honorable rapporteur parlait

peut-être un peu légèrement tout à l'heure, ce traitement par

excellence, n'en déplaise à MM. les médecins aliénistes, ce n'est

que dans les asiles privés qu'on peut l'appliquer aujourd'hui. Le

premier des traitements est le traitement religieux. (Exclamations

à gauche.)

Messieurs, cela n'empêche pas je vous ai cité à l'une des

dernières séances un exemple célèbre, cela n'empêche pas de

pratiquer les autres traitements, mais permettez à la religion

d'entrer dans ces asiles. Or, par suite des malheureuses idées cou-

rantes, vous ne pouvez pas la faire entrer dans vos asiles publics ;

Laissez-la faire son oeuvre de miséricorde, de mansuétude et de

guérison morale dans les asiles où elle est aujourd'hui reçue et où

l'on arrive à des résultats que les libres penseurs ne connaissent

pas et qu'ils ne peuvent pas comprendre. '

Tenez, il m'est venu un souvenir pendant les développements,

intéressants du reste, auxquels se livrait notre honorable rappor-

teur. 11 n'y a pas bien longtemps, les ambassadeurs marocains

étaient à Paris. Ils passaient devant cet édifice qui était l'église de

cette femme illustre, simple bergère, qui avait sauvé la France un

jour; ils passaient devant ce monument et demandaient ce que

c'était. On leur répondit : « C'est aujourd'hui un temple où l'on

prie, mais demain ce sera autre chose ». Un des ambassadeurs

marocains... il faut que M. le Président me donne un peu de

liberté pour répéter ce que dit l'ambassadeur marocain.

sénat. 273 3

M. LE PRÉSIDENT. Vous pouvez le 1 épéter sous votre responsa-

bilité.

M. DE Gavardie. Enfin, avec la permission de M. le Président

(sourires), l'ambassadeur marocain dit : « Les gens qui ne prient

pas sont des polissons ». (Hilarité prolongée.)

Messieurs, je vous supplie de rester dans les termes de la loi

de 1838; elle vous donnait le moyen de soulager toutes les mi-

sères ; n'y touchez pas, du moins dans cet article.

M. LE PRÉSIDENT. Quelqu'un demande-t-il encore la parole ? ...

M. TFSTELIN. Je la demande, Monsieur le Président.

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. Testelin.

M. TESTELIN. Messieurs, je n'ai que quelques courtes observations

à présenter pour répondre à M. le commissaire du Gouverne-

ment.

Je suis étonné qu'après avoir admis les deux premiers para-

graphes de l'article 1 ? il se refuse, au nom du Gouverne-

ment, à accepter le troisième paragraphe. Quel est, en effet,

l'état de la question ? On reconnaît que les asiles d'aliénés doivent

servir à traiter ceux qui sont atteints d'aliénation mentale; on

reconnaît également que, malheureusement, il y a des mala-

dies incurables, des épileptiques, des idiots et des crétins qui

figurent en très grand nombre dans ces asiles et qui font obstacle

au traitement-des malades curables, et l'on admet qu'ils y reste-

ront en attendant.

Il y avait là un inconvénient considérable ; la commission y a

paré en disant : «On fera des asiles pour les incurables, épilep-

tiques, idiots et crétins ». Mais M. Gazelles voit là l'introduction

d'un grand principe.

Je ne connais pas, pour ma part, ce grand principe; je ne l'ai '

pas saisi. Je demande seulement à M. le commissaire du Gouver-

nement s'il se contenterait de remplacer les mots « fera cons-

truire » par les mots « pourra faire construire ».

C'est, au bout du compte, un voeu qu'émet la commission ; ce

n'est pas une obligation immédiate qu'elle impose au Gouverne-

ment. Il est d'autant plus important de faire construire des asiles

spéciaux pour les épileptiques qu'outre tout ce qu'on a dit des

dangers qu'ils présentent, il y en a un qu'on n'a pas signalé :

rien n'est plus funeste pour les jeunes enfants que de voir un

épileptique pris d'un accès dans la rue.

Je pourrais citer un auteur qui, dans sa statistique, faisait

figurer pour un dixième le nombre des enfants devenus épilep-

tiques pour avoir vu des accès d'épilepsie. Ces considérations,

messieurs, sont d'une importance des plus considérables. Ou il ne

faut rien faire sur l'aliénation mentale, ou il faut faire tout ce qui

est nécessaire pour la prévenir et pour l'empêcher de se propager

ARCHIVAS, t. XIII. 18 8

271 SÉNAT.

Le troisième paragraphe me parait absolument indispensable. Je

demande uu Gouvernement s'il l'accepterait plus facilement avec

la substitution du mot « pourra faire » au mot « fera ».

.l. MILHFT-FOriTARABIE. C'est un pouvoir que n'a pas le Gouver-

nement.

M. Sarrien, ministre de l'intérieur. Messieurs, l'honorable

M. Testelin me semble avoir mal compris la portée des paroles

qui ont été prononcées par M. le commissaire du Gouvernement.

Nous ne croyons pas que le voeu émis par la commission dans le

paragraphe 3 le mot « voeu » en effet qualifie bien exactement

la rédaction de ce paragraphe nous ne croyons pas, dis-je, que

ce voeu soit mauvais et qu'il puisse rencontrer la moindre opposi-

tion, mais nous pensons qu'il n'est pas bon d'inscrire des voeux

dans une loi. La loi ne doit contenir que des prescriptions impé-

ratives dont l'exécution s'impose à tous. (Marques d'approba-

tion.)

, Or, un voeu peut être exécuté ou non, réalisé ou uon, et dès lors

sa place n'est pas dans la loi. (Très bien ! très bien ! ) Voilà ma

première objection contre le paragraphe ! 3 de l'article Ier. La

seconde est celle-ci : Jusqu'à ce jour, la dépense des aliénés a été

à la charge des départements et des communes ; or, si vous adop-

tez ce troisième paragraphe tel qu'il a été rédigé par la commis-

sion, vous aurez uns une partie de cette dépense à la charge de

l'État. (Nouvelles marques d'approbation.)

Il nous a semblé qu'il ne fallait pas trancher une question aussi

importante que celle-là, incidemment et sans l'examiner sous

tous ses aspects. Telles sont, messieurs, les observations que je

voulais soumettre à l'attention du Sénat. Ce paragraphe soulève

une question de principe extrêmement grave. Si nous croyons

avec votre commission qu'il serait désirable d'avoir des asiles

spéciaux pour les idiots, les épileptiques, les aliénés incurables,

nous pensons que la dépense des asiles doit rester à la charge

des départements et des communes. Nous vous demandons de

supprimer le paragraphe 3, pour les deux motifs que je viens

d'indiquer. (Vive approbation.) ,, , .

M. le Rapporteur. Si le Sénat estime que nous devons réserver

ce paragraphe à cause des objections de principe que vient de

soulever M. le ministre, la commission n'y voit pas d'inconvé-

nient.

La question des dépenses à laquelle M. le ministre vient de

toucher est, d'ailleurs, une question qu'il faudra bien 'traiter au

cours de la discussion. Nous aurons à examiner alors, au point

de vue même des principes, si notre pays, surtout sous le régime

de la loi nouvelle qui'doit rétablir le contrôle de l'Étal sur le

service des alieués, si la France peut continuer à présenter cette

. SÉNAT. 275

exception, cette anomalie dontj'ai parlé dans la dernière séance,

d'un Etat qui exerce un contrôle sérieux sur un grand service

public sans avoir à son budget aucun crédit affecté à ce service.

Par ce motif, messieurs, la commission ne demande pas mieux

que de s'associer à la demande de M. le ministre, de réserver le

troisième paragraphe de l'article le'.

Au moment où la discussion viendra, le Sénat reconnaîtra qu'il

ne s'agit pas de dépenses considérables et qui puissent engager la

question du principe même de 1 assistance de» aliénés. Lorsque

nous arriverons à l'article 40, où le Gouvernement a proposé la

rédaction suivante, adoptée d'ailleurs par la commission : « L'Etat

fera construire ou approprier un asile spécial ou plusieurs asiles

spéciaux pour les aliénés dits cri : m,els D, alors, messieurs, le

Sénat se trouvera en présence d'une dépense d'une importance

sérieuse; il n'en est pas de même de la dépense dont il s'agit

en ce moment. i

M. Buffet.' Quel sera le montant de cette dépense ?

M. le Rapporteur. La commission laisse au Gouvernement le

soin de déterminer, suivant les circonstances et suivant les res-

sources, l'importance qui doit être donnée aux deux établissements

modèles dont elle propose la création. ,l

M. GEORGES Martin. Je demande la parole. f *' '

M. L PRÉSmszJT, L'a parole est à \l. Georges Martin. r ,

11. GEORGES Martin. Messieurs, après ce qui vient d'être dit sur

le troisième paragraphe de l'article iel, je serai extrêmement

court. La commission propose la rédaction suivante :

« L'Etat fera construire un ou plusieurs établissements spé-

ciaux », etc., etc.

M. le ministre de l'intérieur est venu'vous dire que le législa-

teur aurait tort de grever le budget de l'Etat d'une charge nou-

velle qui, jusqu'à ce jour, a été exclusivement une charge dépar-

tementale et communale, et je suis absolument de l'avis de M. le

mmistre.

Il faut laisser dans l'avenir, comme'dans le passé, les départe-

ments pourvoir à ces besoins spéciaux. M. Testelin a proposé une

rédaction légèrement différente de celle de la commission, et

ainsi conçue : « L'Etat pourra faire construire », au lieu de «fera

construire ». "

Je vois à cette rédaction l'inconvénient, de maintenir l'interven-

tion directe de l'Etat dans une dépense qui doit rester une charge

départementale, avec aide de l'Etat, au moyeu de subventions,

le cas échéant. Je trouve en outre que cette rédaction transforme-

rait un peu le Sénat, Corps législatif, en conseil général. Le Sénat

n'apasdevoeuxàeiuett.re...(Marquesd'approbation)... et la rédac-

tion de notre honorable collègue est un véritable voeu. Le Sénat

276 SÉNAT.

a des lois à faire. Pour ces deux raisons, je no crois pas que la

rédaction de M. Testelin soit acceptable. Mais il me semble qu'il

y a quelque chose de très désirable : c'est qu'on sépare les jeunes

idiots ou crétins, aussi bien qu3 les épileptiques, des autres ma'

lades soignés dans les asiles. Sur ce point, je suis absolument

d'accord avec la commission. 11 me semble qu'il est possible d'ar-

river a cette séparation, en modifiant légèrement la rédaction de

la commission. On pourrait en même temps donner satisfaction

à M. le ministre de l'intérieur et à un grand nombre de membres

de cette Assemblée, à la majorité même, je crois, en adoptant la

rédaction suivante que j'ai l'honneur de proposer, et dont je

demande le renvoi à la commission pour qu'il soit statué lors de

la seconde délibération :

« Lesdépartements devront faire construire des établissements

spéciaux ou des quartiers spéciaux dans les asiles existants... » la

suite comme à l'article c ... pour l'éducation des jeunes idiots ou

crétins et pour le traitement des jeunes épileptiques. n Sous cette

forme, je crois que le troisième paragraphe pourrait être voté par

le Sénat. (Nouvelles marques d'approbation.)

Je vois M. le ministre faire un signe d'assentiment. Je demande -

que ma rédaction soit examinée par la commission pour la

seconde délibération.

M. LE Président. Déposez votre amendement, monsieur Georges

Martin. Le Sénat peut en être saisi immédiatement.

M. Gorges Martin. Si le Sénat peut immédiatement être saisi

de cet amendement, je vais vous le remettre, monsieur le pré-

sident.

M. LE Rapporteur. La commission demande le renvoi ; il est

indispensable qu'elle examine la rédaction que propose M. Georges

Martin.

M. LE Président. La commission demande le renvoi.

M. Georges Martin. Je suis d'accord avec la commission.

M. LE Président. L'amendement est renvoyé à la commission,

qui fera son rapport. Le Sénat statuera. Je mets aux voix les

deux paragraphes, qui ne soulèvent pas de discussion.

M. DE GAVARDIE. Pardon, monsieur le président ! je demande la

suppression, dans le premier paragraphe, des mots : « Ils sont

exclusivement réservés au traitement de l'aliénation mentale ».

M. le Président. Je mets aux voix le premier paragraphe en

réservant ces mots : «Ils sont exclusivement consacrés au traite-

ment de l'aliénation mentale », et j'en donne une nouvelle lec-

ture : Art. 1or. Les établissements destinés à recevoir les

aliénés sont de deux sortes : publics ou privés... » (Cette première

partie du paragraphe, mise aux voix, est adoptée.)

SÉNAT. 277

M. le PRÉSIDENT. Je mets aux voix la seconde partie du para,

graphe : « ... Ils sont exclusivement consacrés au traitement de

l'aliénation mentale ». (Cette seconde partie, mise aux voix, est

adoptée.)

M. le PRÉSIDENT. Je mets aux voix l'ensemble du premier para-

graphe. (Le premier paragraphe est adopté.)

M. le PRÉSIDENT. Je donne lecture du deuxième paragraphe :

« Les aliénés réputés incurables, les épileptiques, les idiots et les

crétins peuvent être admis dans ces établissements tant qu'il n'a

pas été pourvu à leur placement dans des colonies, dans des

maisons de refuge ou autres établissements appropriés. »

(Adopté.)

M. LE PRÉSIDENT. Le troisième paragraphe est réservé, et l'amen-

dement de M. Georges Martin est renvoyé à la commission.

Art. 2. Les établissements publics comprenant les asiles

proprement dits et les quartiers d'hospice spécialement affectés

aux aliénés. « Ils sont placés sous la direction de l'autorité

publique. Les établissements privés sont placés sous la sur-

Vaillance de l'autorité publique. » (Adopté.)

« Art. 3. Chaque département est tenu d'avoir un établisse-

ment public destiné à recevoir les aliénés ou de traiter, à cet

effet, avec un établissement public ou avec un établissement privé,

soit de ce département, soit d'un autre département. Les éta-

blissements privés qui, en vertu de traités, reçoivent les aliénés

d'un ou plusieurs départements, sont dénommés asiles privés

faisant fonction d'asiles publics. Les traités passés par les dépar-

tements avec un établissement public ou privé pour le traitement

de leurs aliénés indigents doivent être approuvés par le ministre

de l'intéreur. Deux ou plusieurs départements peuvent créer et

entretenir à frais communs un asile public d'aliénés. Les condi-

tions de leur association sont réglées par les délibérations des

conseils généraux intéressés, conformément aux articles 89 et 90

de la loi du 10 août 1871. 11 est statué par un décret rendu en

conseil d'Etat sur le mode d'administration de l'établissement. »

M. LE Président. Quelqu'un demande-t-il la parole sur l'ar-

ticle 3... ?

M. DE GAVARDIE, de sa place. Je demande une simple explication.

Il est dit, à la fin de l'article 3 : « Il est statué par un décret rendu

en conseil d'Etat sur le mode d'administration de l'établissement ».

Cela s'applique-t-il à l'asile privé qui peut faire accidentellement

fonction d'asile public ?

Plusieurs sénateurs à gauche. Certainement !

1)1. de GAVARDIE. Est-ce qu'on pourra introduire ce règlement

d'administration publique dans un établissemenl privé qui doit

conserver tonte sa liberté ?

278 sénat.

M. le Rapporteur, de sa place. L'article ne s'applique qu'aux

établissements^ départementaux. Chaque département est tenu

d'avoir un établissement public ; mais lorsqu'un établissement

privé, par suite de contrats passés avec le département, sera

devenu un établissement public, pour tout ce qui concerne le

traitement des aliénés et la surveillance de l'asile, il sera placé

dans les mêmes conditions qu'un établissement public. Cela a

peut-être besoin de quelques explications, je pourrais les donner

au Sénat...

M. le PRÉSIDENT. Montez à la tribune, monsieur le rapporteur,

vous avez la parole.

M. le RAPPORTEUR, à la tribune. Le Gouvernement, dans son

projet primitif, avait pris une mesure qui, au point de vue des

aliénés pouvait être assurément considérée comme bonne; c'était

d'exiger qu'à bref délai il n'y eût pour eux que des établissements

publics. En réalité, cette mesure était d'une haute gravité.

Les asiles privés faisant fonction d'asiles publics, dont sinon la

suppression, mais au moins la ruine était ainsi préparée, sont au

nombre de 14; ils reçoivent plus dé 44,000 aliénés indigents

appartenant à une vingtaine de départements. Parmi ces asiles,

beaucoup sont de très grands établissements ; et, quoique appar-

tenant à des congrégations, ce sont aussi de beaux et bons éta-

blissements qui ont cessé, par suite d'améliorations plus ou moins

récentes, de mériter les reproches dont ils ont pu être l'objet

dans les rapports des inspecteurs généraux. L'administration le

reconnaît, d'ailleurs, elle-même.

A côté de cette considération d équité, d'autres considérations

tirées de l'intérêt des départements que la mesure devait atteindre

et même de l'intérêt bien compris des aliénés indigents de ces

départements ont décidé la commissiun à prendre la défense de

ces asiles et à demander le maintien aux départements de la

faculté de passer des traités avec eux pour le placement de leurs

aliénés indigents. 1

La commission a reconnu d'abord, et le Gouvernement a reconnu

avec elle, que dans ce moment' où de si lourdes charges pèsent

sur les budgets départementaux, ce serait faire peser sur eux des

charges tout à fait écrasantes pour plusieurs que de leur imposer

l'obligation de créer un asile public départemental lorsqu'ils ont

à leur portée le moyen d'entretenir d'une façon convenable et

relativement économique leurs aliénés indigents.

Cette manière de voir acquérait beaucoup plus de force lors-

qu'on examinant de très près le projet du gouvernement on s'as-

surait que la ressource que ce projet offrait aux départements de

s'adresser à un « quartier d'hospice » à la place d'un établisse-

ment privé était de nature à empirer plutôt qu'à améliorer la con-

dition des aliénés.

sénat. 279

Les quartiers d'hospice spécialement affectés aux aliénés ne

perdent jamais, quoi qu'on fasse, leur caractère originel. Ce sont

les débris d'un ancien régime qui remonte à la création, sous

Louis XIV, des hôpitaux généraux destinés, je ne dirai pas à la

suppression, mais à la répression de la mendicité. La loi de 4838

trouva encore debout 24 de ces quartiers. Il en existe encore

aujourd'hui 14, et malgré les améliorations apportées dans plu-

sieurs d'entre eux, aucun ne réalisera jamais le type aujourd'hui

obligatoire de l'asile d'aliénés tel que, depuis Pinel, la science et

l'expérience moderne l'ont établi. ' 1

La série des rapports des inspecteurs généraux, lorsqu'il y avait

des inspecteurs généraux des aliénés, ont établi que c'est dans ces

établissements que l'organisation et le fonctionnement du service

sont le plus défectueux et donnent lieu aux plaintes les plus

sérieuses, en sorte que si l'intérêt des malades avait réclamé la

disparition d'une catégorie d'établissements, c'est la catégorie des

quartiers d'hospice et non celle des asiles privés faisant fonction

d'asiles publics qui aurait dû disparaître. ,

Le Gouvernement a reconnu le bien-fondé de ces observations

de la commission et a admis, -avec elle, que le meilleur parti a

prendre, dans l'intérêt des aliénés comme dans celui des finances

départementales, c'était de mieux asseoir que par le passé sasur-

veillance et son contrôle sur les asiles privés qui, en vertu de

traités- avec les départements, font fonctions d'asiles publics.

Il a suffi, pour atteindre ce but, d'inscrire dans la loi, à titre

définitif, les mesures que le Gouvernement lui-même avait pro-

posées dans son projet, à titre provisoire, pour exercer la surveil-

lance et le contrôle sur les établissements qui nous occupent,

pendant le délai accordé aux départements pour le transfert de

leurs aliénés dans un asile public ou un quartier d'hospice.

Je n'ai qu'un mot à dire sur le paragraphe 3, qui porte : « Les

traités passés par les départements avec un établissement public

ou privé pour le traitement de leurs aliénés indigents doivent être

approuvés par le. ministre de l'intérieur ». Ce passage est une

reproduction textuelle de la loi de 4838. Il importe de noter que

la disposition qu'il contient a été virtuellement abrogée d'abord

par la loi du 48 juillet 1866 et, en outre, parcelle du 10 août 1871.

Le Gouvernement et la commission ont dû demander le réta-

blissement de cette disposition comme le seul moyen de mettre

obstacle à des abus que l'expérience a révélés et d'exercer un

contrôle reconnu indispensable. Voilà, messieurs, je crois, des

explications suffisantes poin, donner satisfaction à l'honorable

M. de Gavardie et justifier la rédaction de la commission. (Très

bien 1 gauche.)

M. LACOMBF. Je demande la parole.

M. le Président. La parole est à M. Lacombe.

280 sénat.

M. Lacombe. Messieurs, les explications qui viennent d'être

données par l'honorable rapporteur ne me paraissent pas répondre

à la question spéciale qui a été posée par M. de Gavardie. Si je ne

fais pas d'erreur sur la portée de cette question, je crois que,

dans tous les cas, la question pouvait se poser en ces termes,

voici en quoi elle consiste : le dernier paragraphie de l'ar-

ticle 3 dit : « Il est statué par un décret rendu en conseil d'Elat

sur le mode d'administration de l'établissement ».

Dans la pensée deM. de Gavardie, il s'agissait, je crois, de savoir

si la faculté de réglementation par décret rendu en conseil d'Etat

était applicable, non pas seulement au cas où deux départements

s'entendent entre eux pour créer un asile commun, mais aussi, au

cas où un département s'entend avec un asile privé pour y faire

soigner ses malades.

Je dois dire que la réponse ne fait pas doute pour moi, et voici

pourquoi. Le paragraphe dont il s'agit a été emprunté par la com-

mission au texte du projet du Gouvernement, qui prévoyait uni-

quement le cas où plusieurs départements s'entendraient entre

eux pour créer un seul asile. D'autre part, nous trouvons dans le

rapport de l'honorable M. Roussel (page 56) une explication qui

me parait décisive sur ce point.

Il n'en est pas moins vrai qu'au point de vue du texte l'erreur

est possible, et je crois que la commission ferait bien, pour em-

pêcher les confusions qui pourraient se produire dans l'avenir, de

réunir le dernier paragraphe à celui qui précède, au lieu d'en

faire un alinéa spécial. Il résulterait suffisamment de cette modi-

fication de forme que la dernière phrase de l'article serait appli-

cable au paragraphe 4 et seulement à ce paragraphe. (Marques

d'assentiment.)

M. LE Rapporteur. Les observations qui viennent d'être portées

à la tribune sont très justes. En me préoccupant des observations

présentées par M. de Gavardie, je n'avais plus songé que l'article

que nous examinons a trait à une autre question que celle dont

nous venons de parler et dont il me reste à dire quelques mots

pour répondre à l'honorable M. Lacombe. Lorsque la commission

a admis dans sa rédaction le paragraphe auquel se rapportent les

observations de notre collègue, elle se trouvait en présence d'une

situation de fait particulier, important, qui n'existe plus aujour-

d'hui.

D'une manière générale, on peut dire que cette pensée de la

création et de l'entretien en commun d'un établissement d'aliénés

par plusieurs départements n'a que la valeur d'u'ie hypothèse

presque irréalisable. Cette pensée est très ancienne : ou la trouve

déjà dans la circulaire de M. Laisné de 1817. A cette époque, l'Etat

invitait instamment les départements à se grouper et leur promet-

tait même son concours. En fait, les départements n'ont pas cédé

sénat. 281

à ces invitations, et l'expérience semble assez longue pour qu'on

puisse dire que sous l'empire de la loi nouvelle on ne les verra pas

mettre à profit la faculté que leur accorde le paragraphe en ques-

tion.

Toutefois, au moment où la commission du Sénat a décidé de

maintenir sur ce point le texte du Gouvernement, elle avait une

raison particulière. Il s'agissait en ce moment, en effet, de l'ac-

quisition du plus grand asile privé de France, de l'asile de Cler-

mont, qui recevait les aliénés de quatre départements : ceux de

Seine-et-Marne, Seine-et-Oise, Oise, et Somme. La commission.

avait dans son sein le président d'un de ces départements, le

regretté M. Gilbert Boucher, qui lui faisait part des négociations

engagées entre les départements en vue de l'acquisition en

commun de l'asile. Mais ces négocations n'ont pas pu aboutir au

résultat prévu. Vous avez voté récemment un projet de loi; mais

le projet ne réalise pas l'hypothèse de la création et de l'adminis-

tration en commun de l'asile de Clermont.

M. LE Ministre de l'intérieur. L'asile a été acheté !

Nf. LE Rapporteur. Oui, mais pour un seul département, qui

l'administre seul. 11 s'est passé, dans ce cas, ce qui se passe par-

tout. Le grand établissement, qui a coûté 4 ou millions, a été

acheté par le département de Seine-et-Oise; ce département a

conelli-avec ses voisins un traité qui lui assure, pendant un nombre

d'années suffisant, l'admission de leurs aliénés indigents à des

prix déterminés.

Nous pouvons donc dire aujourd'hui avec un argument de plus

que la combinaison formulée dans le paragraphe est, en fait,

d'une réalisation très difficile. La commission n'a pas cru toutefois

que cet argument fût suffisant pour enlever à l'avenir une res-

source qu'il n'est pas impossible, après tout, d'utiliser mieux que

par le passé. (Très bien ! )

M. le Président. Quelqu'un demande-t-il encore la parole sur

l'article 3' ? ... Je le mets aux voix. (L'article 3 est adopté.)

M. le Président. « Art. 4. Les asiles publics sont administrés,

sous l'autorité du ministre de l'intérieur et des préfets des dépar-

tements, par un médecin-directeur responsable.

« Ils sont placés sous la surveillance administrative et financière

de commissions gratuites composées de cinqmembres, dont deux

conseillers généraux élus par l'assemblée départementale et trois

membres choisis par le préfel. Les quai tiers spéciaux annexés

aux hôpitaux ou hospices sont administrés par les commissions

administratives de ces établissements. Ils sont assimilés aux asiles

publics en.tout ce qui concerne la direction médicale, le traite-

ment et la surveillance des aliénés. Cette partie du service est

confiée à un médecin en chef préposé responsable. Toutefois le

282 sénat.

ministre peut, après avoir pris l'avis du conseil supérieur des

aliénés, institué en vertu de l'article 15 ci-après, ordonner la dis

jonction des fonctions de médecin en chef et de directeur d'un

asile public, ainsi que celles de médecin en chef et de préposé

responsable d'un quartier d'hospice. »

M. LE Ministre. Je prie le Sénat de vouloir bien réserver le para-

graphe 4 qui contient ces, mots : « Après avoir pris l'avis du con-

seil supérieur des aliénés, institué en vertu de l'article 15 ci-après».

J'ai dit, à la dernière séance, quelles objections le Gouvernement

faisait à l'institution d'un comité supérieur, tel qu'il est établi par

l'article 15 du projet de la commission. Eh bien, il me semble

qu'on ne peut pas trancher par avance, en votant sur l'article 4,

la question même de l'existence de ce comité. (Assentiment au

banc de la commission.) 1 ,

M. le Rapporteur. La commission aurait demandé la même

chose.

M. LE Ministre. Je suis donc d'accord avec la commission ?

(Oui ! oui ') .

Je demande donc que ce paragraphe soit réservé. (Adhésion.)

M. le PRÉSIDENT. Quelqu'un demande-t-il la parole sur l'un des

quatre premiers paragraphes de l'article 4 ? ... Je les mets aux

voix. (Les quatre premiers paragraphes de l'article 1, mis aux

voix, sont adoptés.)

M. LE Président. M. le ministre de l'intérieur demande que le

dernier paragraphe soit réservé. 11 n'y a pas d'opposition ?

M. DELSOL. Ce 5e paragraphe de l'article 4 n'est pas réservé en

entier, monsieur le président. Les observations de M. le ministre

n'ont porté que sur cette phrase : « Après avoir pris l'avis du con-

seil supérieur des aliénés, institué en vertu del'article 15 ci-après. »

On pourrait voter sur le reste du paragraphe.

Au banc de la commission. C'est inutile !

M. Dupré. La commission ne s'oppose pas à ce que le para-

graphe tout entier soit réservé. (Approbation.)

M. le Président. On n'insiste pas pour le vote ? ... Le paragraphe

entier e-t réservé. Je passe à la lecture de l'article : 1.

M. LE Rapporteur. Je demande à M. le président la permission

de faire remarquer que dans le dernier texte de la rédaction de

la commission distribué à la dernière séance, par suite de l'im-

pression qui en a été faite à la hâle, on a omis de placer le para-

graphe ver en tête de l'article 5. Ce paragraphe est ainsi conçu :

« Les asiles privés faisant fonction d'asiles publics sont placés,

pour tout ce qui concerne le régime des aliénés et l'exécution des

règlements relatifs à ces asiles et des traités passés entre eux et

les départements, sou, le contrôle d'une commission constituée

SÉNAT. 383

conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l'article pré-

cédent. » j

Ce paragraphe, emprunté au projet du Gouvernement, doit ins-

crire dans la loi nouvelle à titre définitif les mesures que le Gou-

vernement proposait à titre provisoire, à l'égard des asiles privés

qui continueraient encore, pendant un certain nombre d'années,

à faire fonction d'asiles publics.

M. LE PRÉSIDENT. Je donne lecture de ce paragraphe, tel qu'il est

rédigé dans le texte primitif du projet de loi : « Les asiles privés

faisant fonction d'asiles publics sont placés,.pour tout ce qui con-

cerne le régime des aliénés et de l'exécution des règlements rela-

tifs à ces asiles et des traités passés entre eux et les départements,

sous le contrôle d'une commission instituée conformément aux

dispositions du paragraphe 2 de l'article précédent. »

Je rappelle au Sénat que le paragraphe 2 de l'article 4 est relatif

à la surveillance administrative et financière des asiles publics

d'aliénés. Je con linue la lecture de l'article 5 :

« Dans tous les cas prévus par les règlements d'administration

faits en exécution de la présente loi, un décret du Président de la

République peut suspendre le directeur d'un asile privé faisant

fonction d'asile public et instituer un régisseur provisoire qui

administre l'asile au lieu et place'du directeur suspendu, fait

observer les lois et règlements et exécute les traités existants. Le

fonctionnaire chargé de la régie conserve tous ses droits à l'avan-

cement et à la retraite. Celte régie provisoire ne peut avoir une

durée de plus de six mois. »

M. DE Gavardie. Je demande la parole.

M. le Président. La parole est à M. de Gavardie.

M. de G\VARDIE. Messieurs, une explication est absolument néces-

saire sur cet article. Il y est dit que le directeur d'un asile privé

on ajoute bien « faisant fonction d'asile public », mais c'est

toujours un asile privé et qui reste tel que le directeur d'un

asile privé peut être révoqué par décret du Président de la Répu-

blique. Vous n'avez pas ce droit.

M. Lacoube. Le texte ne porte pas « révoquer », mais « sus-

pendre ».

M. DE Gavardie. Suspendre, je le veux bien; mais cela revient

au même. Si l'on peut suspendre, on peut révoquer, évidemment.

Eh bien, a-t-on le droit de suspendre le directeur d'un asile privé ?

Non, c'est toucher à l'inviolabilité de la propriété ! 1

D'abord, vous avez parfaitement le droit de dire, vous adminis-

tration : « Désormais je n'ai plus confiance dans cet asile privé, et

je reviens sur ma détermination ; je vais eu retirer mes malades».

Mais je comprends que, dans certains cas, cela pourrait avoir de

284 SÉNAT.

graves inconvénients, et je reconnais sans difficulté au Gouverne-

ment le droit de créer un directeur provisoire.

Ce directeur provisoire pourra juxtaposer sa direction à celle

du directeur de l'asile privé, évidemment, pour la partie publique

de cet asile; mais pour la partie privée, quel droit a-t-il, et quel

droit pouvez-vous lui conférer ? C'est sur ce point que j'appelle les

explications de la commission.

M. LE Rapporteur. Je crois que c'est à M. le ministre de l'inté-

rieur qu'il appartient de donner des explications sur ce point. Le

Gouvernement n'a pas besoin d'une loi nouvelle pour suspendre le

directeur d'un asile privé. Une mesure de ce genre a été prise

tout récemment à Lyon ; un directeur d'asile privé a été suspendu...

M. ÏESTEHN. Pour avoir laissé pendre un de ses pensionnaires !

M. le Rapporteur.... et un administrateur provisoire a été ins-

tallé à l'asile. L'administration exerce donc déjà, en vertu de la

loi actuelle, le droit qu'on voudrait lui refuser.

M. Paris, de sa place. Je demande à dire quelques mots. La

commission ne prévoit pas ce qui se passera au bout des six mois.

Elle dit bien que la régie provisoire ne pourra pas excéder ce

terme : mais, après les six mois révolus, la suspension du direc-

teur d'asile privé se transformera-t-elle en révocation de plein

droit ?

M. LE MINISTRE DE l'intérieur. C'est évident ! Je demande la

parole.

M. LE Président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. le Ministre DE l'intérieur. Messieurs, je désire répondre

quelques mots d'une part à l'observation qui a été présentée par

M. de Gavardie, et de l'autre à la question que vient de m'adresser

l'honorable M. Paris. L'honorable M. de Gavardie a dit : Mais en

suspendant de ses fonctions le directeur d'un établissement pi ivé,

vous portez atteinte à la propriété privée ! C'est là une disposition

nouvelle et inadmissible. A cela je réponds : Le droit que le

projet de la commission accorde au Gouvernement dans la disposi-

tion dont il s'agit, existe déjà, en vertu de la loi de 183S.

En effet, aux termes de cette loi, aucun établissement privé

destiné au traitement des aliénés ne peut être fondé sans l'autori-

sation du Gouvernement; et, par conséquent, le Gouvernement

est libre de mettre à cette autorisation qu'il a le droit de retirer

les conditions qu'il juge convenables dans l'intérêt des malades.

Dans l'état actuel des choses, l'administration peut suspendre

et elle a usé de cette faculté- les directeurs des asiles privés.

C'est en vertu des articles 5 et 6 de la loi de 1838 que M. le

préfet du Rhône a suspendu dernièrement le directeur d'un de

ces établissements. Par conséquent, la commission n'a rien innové

SÉNAT. 285

sur ce point, et la^faculté laissée au Gouvernement par cette loi n'a

pas été contestée.

D'autre part, l'honorable M. Paris nous objecte : Dans l'article

soumis aux délibérations du [Sénat, il est dit que le directeur

pourra être suspendu pendant six mois. Qu'arrivera-a-t-il à l'ex-

piration de ce délai ? De deux choses l'une : ou bien, a l'expiration

de ce délai, les propriétaires de l'asile prive auront changé le

directeur, et auront ainsi donné satisfaction aux réclamations légi-

times de l'administration; le directeur qui se sera rendu coupable

des faits ayant entraîné la suspension étant remplacé, la régie

prendra fin naturellement; ou bien, au contraire, le Gouverne-

ment, si les propriétaires de rétablissement privé ne lui ont pas

donné satisfaction, aura mis les départements intéressés en de-

meure et en situation de placer leurs aliènes dans un autre asile;

il pourrait aussi retirer aux propriétaires de l'établissement l'au-

torisation qui leur avait été accordée, et la régie prendra fin

également.

La question soulevée par l'honorable M. Paris ne se posera même

pas. Un délai de six mois me semble plus que suffisant pour

mettre fin à une difficulté que les propriétaires auront véritable-

ment tout avantage à trancher au plus tôt, car la régie ne peut

que compromettre leurs intérêts. Voilà, messieurs, les réponses

quej'avais à faire aux observations de MM. Paris et de Gavardie.

(Très bien 1)

M. Lacombe. Messieurs, la nouvelle rédaction de l'article 5 peut

donner lieu à une observation plus générale que celles qui ont

été présentées jusqu'à présent et auxquelles vient de repondre

M. le ministre de l'intérieur.

En effet, l'article 5 actuel se borne à statuer sur le sort des éta-

blissements privés qui recevront des malades en vertu de traités

passés avec les départements et qui, par conséquent acquerront

ainsi, jusqu'à un certain degré, le caractère d'établissements

publics. Mais le texte ne spécifie rien sur le sort des établisse-

ments d'aliénés qui resteront privés et qui n'auront pas traité

avec un département.

D'autre part, le projet de la commission abroge d'une manière

expresse la loi de 1838. Or, cette loi contenait deux articles aux-

quels M. le ministre vient de faire allusion et qui sont ainsi

conçus :

« Art. 5. Nul ne pourra diriger ni former un établissement

privé consacré aux aliénés sans l'autorisation du Gouvernement.

Les établissements privés consacrés au traitement d'autres ma-

ladies ne pourront recevoir les personnes atteintes d'aliénation

mentale, à moins qu'elles ne soient placées dans un local entière-

ment sepai é. Ces établissements devront être, à cet effet, spéciale-

ment autorisés par le Gouvernement, et seront soumis, eu ce qui

286 SÉNAT.

concerne les aliénés, à toutes les obligations prescrites par la pré-

sente loi. »

« Art. 6. Des règlements d'administration publique déter-

mineront les conditions auxquelles seront accordées les cas où

elles pourront être retirées, et les obligations auxquelles seront

soumis les établissements autorisés. » .

Par conséquent, il résulte de la comparaison entre le projet de

la commission et le texte ancien que, désormais, les établissements

purement privés (qui n'auront pas des traités avec les départe-

ments) sont rendus libres par l'abrogation de la loi de 1838.

M. le Ministre DE l'intérieur. 11 y a l'article 7 du projet de la

commission.

M. EMILE LENOEL. Voyez les articles 6 et 7. ''

M. Lacombe. lisseront rendus libres, c'est-à-dire qu'ils neseron

assujettis qu'à la disposition spéciale de l'article 7 d'après laquelle

« nul ne peut créer, ni diriger un établissement privé sans l'au-

torisation du Gouvernement et sans avoir déposé un cautionne-

ment ». Mais il n'y aura pas de disposition dans le projet de loi

visant la manière dont l'autorisation, une fois accordée, pourrait

être révoquée, et précisant soit le cas de suspension, soit le cas de

retrait d'autorisation.

Je voulais donc demander à la commission s'il y a pas là une

omission ou une équivoque dans sa rédaction, ou bien si le para-

graphe 2 de l'article est, dans son esprit, .applicable à tous les

établissements privés, qu'ils revêtent ou non le caractère d'éta-

blissements publics par suite d'un traité intervenu avec un

département.

Je ne veux pas soulever actuellement la question fort grave de

savoir s'il est bon de conserver le régime de l'autorisation préa-

lable pour les établissements prives d'aliénés. Cela me mènerait

trop loin. Mais il importe d'être bien fixé sur le , système de la

commission et de savoir si ceux de ces établissements qui n'au-

ront pas traité avec les départements seront ou non soumis aux

dispositions de l'article 5 du projet, comme ils le sont aujourd'hui

à celles de la loi de 1838, dont la commission propose l'abroga-

tion totale.

M. LE Rapporteur. La question qui vient d'être portée à la tri-

bune aurait trouvé, je crois, sa place, surtout dans la discussion

de l'article 7 qui est relatif aux asiles privés. La commission n'a

pas entendu soustraire les asiles privés aux règles de surveillance

et aux conditions de bon fonctionnement qui sont imposées pour

la loi de 1838.

Dans l'article 7, il n'y a pas de disposition expresse à cet

égard, et on n'y a pas reproduit les termes de la loi de 1838 ;"

mais dans l'article 9, qui est relatif aux règlements d'admimstra-

SÉNAT. 287

tion publique à intervenir, on trouve les dispositions suivantes :

« Les conditions auxquelles sont accordées les autorisations

énoncées en l'article 7 ; les cas où ces autorisations peuvent être

retirées ; les obligations auxquelles sont soumis les établissements

privés autorisés ; les bases sur lesquelles doit être calculé le mon-

tant des cautionnements. » -

La commission a cru que ces précautions prises dans le para-

graphe 2 de l'article 9 étaient suffisantes. Je pense que si l'atten-

tion de l'honorable \f. Lacombe s'était arrêtée sur ce paragraphe

il y aurait trouvé la réponse aux observations très justes d'ailleurs

qu'il a portées à la tribune.

M. LAMMBE. Implicitement.

M. Paris. Monsieur le président, je demande à dire un mot.

M. LE Président. La parole est à M. Paris.

M. Paris. Messieurs, les explications qui ont été fournies tout à

l'heure d'une manière très nette par .M. le ministre de l'intérieur

portent sur deux points. Je suis parfaitement d'accord avec lui

sur le premier, c'est que, lorsque le directeur d'un asile d'aliénés

a traité avec un département pour recevoir ses aliénés, comme le

ferait un asile public, il s'est évidemment soumis à toutes les

obligations que le Gouvernement impose aux asiles publics. Par

conséquent, il pourra, comme le directeur d'un asile public pro-

prement dit, être frappé de la peine de la suspension pendant un

délai de six mois.. >

La question que j'ai posée à la commission, et à laquelle M. le

ministre de l'intérieur a bien voulu répondre, porte sur un autre

point.,A l'expiration des six mois, pendant lesquels une régie

provisoire pourra avoir existé, que se passera-t-il ? M. le ministre

nous a dit : Les propriétaires des maisons d'aliénés qui font

office d'asiles publics auront été suffisamment avertis, et, pen-

dant ce délai, ils auront eu le temps de prendre leurs précautions

et, par conséquent, de remplacer le directeur frappé de suspen-

sion. S'ils ne l'ont pas fait, le Gouvernement usera de son droit

et retirera les aliénés placés par le département ou par l'Etat

dans cet asile privé, qui deviendra, dès lors, un asile privé réduit

à sa plus simple expression, et qui existera désormais, à ses

risques et périls, comme établissement d'aliénés.

C'est très bien ! M. le ministre suppose que la suspension est la

seule mesure qui puisse être adoptée àl'egard des directeurs des

asiles privés. Les explications qui viennent d'être fournies sur la

question posée par notre honorable collègue M. Lacombe et par

M. le rapporteur de la commission nous renvoient mais d'une

manière implicite seulement à un règlement d'administration

publique qui pourra prévoir le cas dans lequel l'autorisation

accordée par le Gouvernement serait retirée au directeur d'un

288 SÉNAT.

asile privé, ce qui, par conséquent, laisse supposer que le direc-

teur d'un asile privé pourra être non seulement suspendu, mais

encore révoqué, car le retrait d'autorisation équivaut à la révo-

cation.

M. LE Ministre de l'intérieur. Parfaitement.

M. Paris. Pour mon compte personnel, je ne crois pas qu'il

puisse en être autrement. La sauvegarde qui existe dans les éta-

blissements publics au point de vue des familles et de l'Etat

doit exister également, dans les établissements privés, et c'est cet

intérêt supérieur qui me semble donner au Gouvernement le droit

absolu de révocation ou de suspension. Mais ce que je voudrais,

c'est que l'article 5 visât directement ce cas et déclarât, par

exemple, que le directeur d'un asile privé faisant fonction ou non

d'asile public pourrait être suspendu; car autrement il semble-

rait que vous établissez une certaine différence au point de vue

général de la suspension, et peut-être même, dans l'article 5, au

point de vue de la révocation entre le directeur d'un asile privé

pur et simple et le directeur d'un asile privé qui reçoit des ma-

lades d'un département. Ce n'est donc qu'au point de vue de

l'harmonie des textes que je présente cette observation.

M. LE Président. Vous n'avez pas de rédaction à me donner ?

M. Paris. Je demande à la commission si elle verrait un inconvé-

nient à ce que l'article 5 s'appliquât aux directeurs de tous les

asiles privés, que ces derniers fissent ou non fonction d'asiles

publics.

M. le Ministre DE l'intérieur. Le Gouvernement ne peut ad-

mettre la proposition de M. Paris, à laquelle, du reste, je réponds

par anticipation. Dans l'article 9, on prévoit qu'un règlement

d'administration publique déterminera « les conditions auxquelles

seront accordées les autorisations énoncées en l'article 7, les cas

où ces autorisations pourront être retirées ». Puisqu'on admet

dans l'article 7 la révocation du directeur, il me parait utile éga-

lement de laisser au Gouvernement le droit de prononcer la sus-

pension, qui est une mesure moins sévère que la révocation.

M. DFLSOL. Je ferai remarquer que la loi s'occupe successivement

des asiles privés faisant fonction d'asiles publics et des asiles

privés proprement dits. Nous n'avons pas voulu mêler les dispo-

sitions qui se rapportent à ces deux sortes d'établissements.

M. le Ministre DE l'intérieur. La commission a voulu établir,

et avec raison, à mon avis, une différence de traitement entre

les asiles privés faisant fonction d'asiles publics, c'est-à-dire rece-

vant les aliénés des départements, et les asiles absolument privés.

Pour ces derniers nous avons le droit de retirer l'autorisation

s'ils ne se soumettent pas aux prescriptions établies par le règle-

SÉNAT. 289

ment d'administration publique. Mais la commission n'a pas cru

qu'il fût possible d'accorder au Gouvernement le droit de s'em-

parer de l'administration même de la maison, parce qu'il s'agit

d'un asile absolument privé.

Quand il est question au contraire d'un asile privé faisant fonc-

tion d'asile public, la commission s'est dit : Il y a là un intérêt

public engagé;. il s'agit du traitement de malades dont la dé-

pense est payée par les départements et les communes, et alors

elle a accordé' au Gouvernement des droits plus étendus sur cet

établissement; elle lui permet, afin que les intérêts des aliénés

entretenus aux frais du département et des communes ne soient

pas compromis, de prendre la direction et l'administration

même de l'établissement pendant un temps suffisant pour per-

mettre de régler les difficultés avec les propriétaires de la maison

privée. Nous croyons que cett3 différence de traitement est jus-

tifiée et qu'elle s'explique naturellement. Nous pensons donc

qu'il n'y a pas lieu d'adopter la proposition de l'honorable

M. Paris.

M. Paris. Je demande à dire un mot. J'avais raison, vous le

voyez, de provoquer ces explications; elles ont amené, en effet,

le Gouvernement à déclarer que les asiles privés qui reçoivent

des pensionnaires des départements sont placés exactement sous

le même régime que les directeurs d'asiles publics, et que, par

conséquent, ils pourront être, ou bien révoqués, ou bien sus-

pendus pendant six mois. Je suis d-accord avec lui sur ce point.

Quand, au contraire, il s'agira d'asiles privés proprement dits, il

n'y aura alors qu'un seul mode d'intervention de la part du Gou-

vernement : ce sera le retrait d'autorisation.

M. Buffet. Parfaitement !

M. Paris. Pour mon compte personnel, ces explications me

donnent satisfaction.

M. le Président. Personne ne demande plus la parole sur

l'article ? ... Je consulte le Sénat. (L'article 5 est mis aux voix et

adopté.) ' ' 1 "

M. LE Président. « Art. 6. Les médecins directeurs, les direc-

teurs, les médecins en chef et adjoints des asiles publics, les

médecins en chef préposés responsables, les préposés respon-

sables et les médecins adjoints des quartiers d'hospices, les mé-

decins en chef et adjoints des établissements privés faisant

fonction d'établissements publics, les surveillants en chef, sont

nommés par le ministre de l'intérieur. »

« Les médecins adjoints sont nommes sur une liste de présen-

tation dressée à la suite d'un concours public. Les médecins en

chef sont nommés sur une liste de présentation dressée par le

comité supérieur des aliénés. Les candidats inscrits sur cette liste

Archives, t. XIII. 19

290 SÉNAT.

sont pris, pour les trois quarts, soit parmi les médecins secré-

taires des commissions permanentes instituées en vertu de l'ar-

ticle 11 ci-après, soit parmi les médecins adjoints. Dans les asiles

publics, les secrétaires en chef, les économes, les receveurs, les

pharmaciens, les employés du bureau, sont nommés par le préfet,

sur une liste de présentation dressée par le directeur responsable

et par la commission de surveillance. Les préposés gardiens et

servants sont nommés par le directeur. Dans les quartiers d'hos-

pice, les préposés gardiens et servants doivent être agréés par le

préposé responsable. » Il faut réserver cet article.

M. LE Ministre DE l'intérieur. Je demande que le paragraphe 3

soit réservé.

M. LE Président. Quelqu'un demande-t-il la parole sur les 4°r,

2°, 40, 5° et 6° paragraphes de l'article 6 ? ... Je les mets aux voix.

(Ces cinq paragraphes sont adoptés. - Le 3° paragraphe est

réservé.)

M. LE Président. « Art. 7. Nul ne peut créer ni diriger un

établissement privé sans l'autorisation du Gouvernement et sans

avoir déposé un cautionnement.

« Est assimilée, sous le rapport de la surveillance, aux asiles

privés toute maison où un aliéné est traité, même seul, à moins

que le tuteur, le conjoint, l'un des ascendants ou l'un des des-

cendants, le frère ou la soeur du malade, n'ait son domicile dans

la même maison et ne préside personnellement aux soins qui lui

sont donnés.

« Nul ne peut soigner un aliéné dans les conditions prévues au

paragraphe précédent sans qu'il en ait fait la déclaration, dans le

délai d'un mois à partir de la mise en traitement de la personne

malade, au procureur de la République de l'arrondissement du

domicile de cette personne. »

Il y a, messieurs, plusieurs amendements sur cet article; avant

de les examiner, je propose au Sénat de voter d'abord sur le

paragraphe 1,.r, qui ne soulève aucune difficulté. (Assentiment.)

Personne ne demande la parole sur le paragraphe lor ? ... Je le

mets aux voix. (Le paragraphe Ier est adopté.)

M. LE Président. M. Lacombe a déposé un amendement dont

voici la teneur :

« Art. 7, § 2. Est assimilée, sous le rapport de la surveillance,

aux asiles privés toute maison où un aliéné est traité, même seul,

à moins que le tuteur, autorisé par le conseil de famille à se

charger du traitement, l'un des ascendants, l'un des descendants

ou l'un des collatéraux jusqu'au quatrième degré inclusivement,

du malade n'ait son domicile dans la même maison ou ne préside

personnellement aux soins qui lui sont donnés. » La parole est à

M. Lacombe pour développer son amendement.

sénat. 291 1

M. LACOMBE. Messieurs, l'amendement que j'ai eu l'honneur de

présenter sur l'article 7 entraîne quatre modifications au projet

de la commission. La première consiste à ajouter une précision

dans l'énumération des personnes qui sont exceptionnellement

admises à soigner, sans surveillance de l'autorité publique, les

malades qui leur touchent de près. Après les mots « le tuteur »

je propose d'ajouter ceci : « autorisé par le conseil de famille à se

charger du traitement ».

Voici quel a été mon but en proposant cette adjonction. Du

moment que la commission parle d'un tuteur, c'est qu'il s'agit

d'un mineur ou d'un interdit. Le mineur ou l'interdit peuvent

être soignés par le tuteur, avec l'autorisation du conseil de

famille. Alais il pourrait se faire aussi que le tuteur, se trouvant

en présence d'un pupille qui serait, au cours de la tutelle, frappé

d'aliénation mentale, prenne sur lui de le soigner dans son

domicile ou en dehors, sans que le conseil de famille eût été

consulté.

Il me parait que les deux cas ne peuvent pas être assimilés,

parce que la garantie qui existe dans l'un n'existe pas dans

l'autre. Voilà pourquoi il m'a semble convenable de restreindre

la dispense de la surveillance générale édictée par le projet 'de

loi au cas où l'on se trouve en présence d'un conseil de famille

prévenu de la maladie et autorisant le traitement à domicile. Du

reste, en adoptant cet amendement la commission ne fera que

l'aire concorder son texte avec les dispositions du Col e civil, et

notamment avec l'article 5 ! 0, ainsi couçu :

«Selon les caractères de sa miladie et l'état de sa fortune, le

conseil de famille pourra arrêter qu'il sera traité daus son domi-

cile ou qu'il sera placé dans une maison de santé, et mem e dans

un hospice. »

C'estévidemmentau premier de ces trois cas, celui où le conseil

de famille a autorisé le tuteur à faire soigner le malade dans

son domicile, que peut s'appliquer la dispense des garanties spé-

ciales que la commission propose d'édicter. Je crois donc que je

ne fais qu'entrer dans les idées mêmes de la commission en pré-

cisant un peu mieux qu'elle ne l'a fait elle-même, et en deman-

dant qu'au mot « tuteur » on ajoute ceux-ci : « autorisé par le

conseil de famille à se charger du traitement ». Voilà pour le

premier point. Je passe au second.

A l'énumération qui est faite par le projet de la commission,

et qui ne comprend que le tuteur, les ascendants, les descen-

dants, le frère et la soeur, j'ajoute : « l'un des collatéraux jus-

qu'au quatrième degré inclusivement».

M. le Ministre DE L'INTÉRIEUR. Vous avez exclu le conjoint ? 2

M. LACOMBE. Je n'ai pas voulu l'exclure. C'est une omission tout

à fait involontaire de ma part et je modifierai en ce sens le texte

292 SÉNAT.

de mon amendement. J'ai voulu simplement revenir aux disposi-

tions du projet du Gouvernement, qui étendait la dispense de la

surveillance ordinaire au cas où le malade était soigné par un

de ses collatéraux jusqu'au quatrième degré inclusivement.

Je crois qu'il y a-de grandes raisons pour en agir ainsi; elles

sont incontestables tout au moins pour une partie des collaté-

raux jusqu'au quatrième degré, pour l'oncle et la tante qui,

comme on le disait dans le droit ancien, loco parentum sunt. Ils

remplacent, en effet, les parents ; ils ont souvent une affection

quasi paternelle pour leurs neveux ou nièces. S'ils dirigent eux-

mêmes le traitement, on doit voir dans leur présence et dans

leur intervention une garantie de même nature que celle admise

par la commission comme justifiant à ses yeux la dispense-de sur-

veillance.

Je vais jusqu'au quatrième degré de parenté, parce qu'il y a

aussi le grand-oncle et la grand tante, qui sont dans la même

situation et dont la parenté à l'égard du malade parait aussi

offrir toute garantie. Je n'ai pas du reste besoin, messieurs, d'in-

sister beaucoup sur ce point, car le Gouvernement, en présen-

tant son projet, avait admis, comme moi, que la parenté jus-

qu'au quatrième degré constitue une garantie suffisante pour

qu'il n'y ait pas lieu de soumettre en ce cas les malades à la sur-

veillance de l'autorité publique.

Une troisième modification consiste dans la substitution de la

disjonctive ou à la conjonction et qui figure dans le texte de la

commission et dans celui du Gouvernement. « A moins que le

tuteur, le conjoint, etc., dit le texte qui nous est soumis'

n'ait son domicile dans la même maison et ne préside personnel-

lement aux soins qui lui sont donnés. »

L'on voit que, d'après le projet, il faudrait remplir, deux con-

ditions à la fois pour être dispensé d'une surveillance spéciale :

il faudrait que le père, la mère, l'ascendant, le descendant, le

conjoint, en un mot les parents rapprochés qui font soigner un

malade fussent logés dans la même maison que lui, et d'autre

part qu'ils présidassent personnellement aux soins donnés à ce

malade. Je demande que l'on mette la disjonction « ou t, c'est-

à-dire que l'on admette qu'une seule des deux conditions sera

suffisante.

Il est évident, en effet, que si celui qui soigne^ou fait soigner

le malade habite dans la même maison que lui"c'est bien lui

qui préside au traitement, qui en assume la responsabilité et que

tout au moins il le surveille de près. 1

D'un autre côté, il est certain que si, ne voulant pas ou ne

pouvant pas habiter dans la même maison, si résidant, par

exemple, dans la même ville ou à une petite distance, il procède

personnellement aux soins qui sont donnés, suivant l'expression

SÉNAT. 293

de la commission, si, par suite, il dirige le traitement et en

exerce la surveillance sous sa responsabilité, il se trouve égale-

ment dans les conditions en faveur desquelles on a précisément

voulu faire une exception aux règles des garanties que l'on édic-

tait pour les cas ordinaires.

Dans un- cas comme dans l'autre, on a, dans le lien qui unit le

malade à celui qui le fait soigner, dans la surveillance effective

du traitement par un parent rapproché, une garantie suffisante

pour qu'il ne soit pas besoin de lui infliger la surveillance rigou-

reuse et constante que la commission eût dû réserver pour ceux

qui n'ont qu'un étranger à soigner.

Enfin, mon amendement prévoit encore une autre modification

au paragraphe 3. Mais, ici, je dois dire que le nouveau texte de

la commission, qui vient de nous être distribué, est venu donner

satisfaction à mon amendement dans, sa partie la plus, impor-

tante. , , . , , ,

En effet, le paragraphe 3, tel qu'il était originairement conçu,

disait : « Nul ne peut soigner un aliéné dans les conditions pré-

vues au paragraphe précédent sans qu'il en ait fait la déclaration

au procureur -de la République de « l'arrondissement du domi-

cile de cette personne ». Mon amendement avait' pour but de

demander que la déclaration fût faite, non pas au procureur de

la République du domicile du malade, mais à celui du domicile

de la personne qui soignait ce malade.

En effet, c'est ce procureur de la République qui est chargé de

la surveillance et c'est à lui, par conséquent, que la déclaration

doit être faite. La commission l'a du reste spontanément compris,

puisque, dans le nouveau texte qu'elle a proposé, il est dit :

« ... sans qu'il en ait fait la déclaration au procureur de la Répu-

blique de l'arrondissement du domicile de cette personne ». Il

est donc inutile de rien ajouter sur ce premier point. Mais, dans

la rédaction que je propose, j'ai encore ajouté un mot : « Nul

ne peut soigner un aliéné » ; j'ai ajouté « un aliéné étranger ».

J'ai agi ainsi pour entrer dans les idées que je crois êfre celles

de la commission, mais pour éviter une confusion qu'il est aisé

de prévoir. J'ai voulu indiquer que cette disposition n'est appli-

cable qu'au cas où il s'agit d'un de ces aliénés qui ne sont soi-

gnés ni par le père, ni par la mère, ni par le conjoint, etc., du

malade. Je crois que je suis parfaitement d'accord avec la com-

mission.

M. Delsol, membre de la commission. L'expression d' «étranger» »

ne répond pas tout à fait à votre idée.

M. LACOMBE. L'étranger est celui qui n'est pas uni au malade

par des liens intimes, parenté ou tutelle.

M. DELSOL. Nous parlons, nous, des aliénés étrangers, c'est-à-

dire qui ne sont pas Français.

29t sénat.

M. Lacombe. On peut renvoyer l'amendement à la commission

pour en vérifier les termes; je crois que nous sommes d'accord

sur l'idée. Il ne restera plus qu'une question de rédaction; au

surplus, la relation entre ce paragraphe et le précédent est, selon

moi, exclusive de toute équivoque. Le mot « étranger » ne peut

pas signifier ici aliénigène, et la corrélation entre le premier

et le second paragraphe rend cette acception inadmissible ; l'aliéné

étranger est, dans ce cas, celui qui n'a, avec la personne qui le

soigne, ni rapports de parenté, ni rapports de tutelle. (Très bien !

très bien ! sur divers bancs.) '

M. LE Rapporteur, de sa place. Le Sénat comprendra facilement

la difficulté, je pourrais dire l'impossibilité où se trouve la com-

mission de poursuivre la discussion de cet article et des articles

suivants de la loi. Elle ne connaissait, en entrant en séance,

qu'un seul amendement présenté par l'honorable M. Isaac et qui

se rapporte à l'article 7 ; l'autre, sur l'article 8, vient de lui

être remis.

Voix nombreuses. A la tribune !

M. LE Président. Monsieur le rapporteur, il conviendrait que

vous prissiez la peine de monter à la tribune.

M. LE Rapporteur, à la tribune. Je disais, messieurs, que les

deux amendements de M. Lacombe, qu'il s'agirait d'examiner

avant de poursuivre la discussion de l'article 7, ont à peine été

lus et n'ont pas pu être examinés par la commission.

La lecture qui vient d'en être faite permet de dire qu'il y a

quelques points qui n'offrent pas de difficulté ; mais il en est

d'autres, au contraire, qui exigent un examen attentif.

L'article 7 donnera certainement lieu à d'assez vives discus-

sions, et on peut en prévoir de non moins vives sur l'article 8,

qui est étroitement lié à l'article 7. Il est donc impossible de con-

tinuer utilement la discussion de ce dernier article ; j'ai l'lion-

neur, en conséquence, au nom de la commission, de demander

que la suite de la discussion soit remise à la prochaine séance.

La commission alors se prononcera devant le Sénat sur les divers

amendements qui ont été déposés.

M. Roger-Marvaise. Je demande la parole.

M. le PRÉSIDENT. La parole est à M. Roger-Marvaise.

M. Roger-Marvaise. Messieurs, je voudrais appeler l'attention de

la commission sur ce 3° paragraphe de cet article 7. A mon sens,

ce 3e paragraphe a une gravité extraordinaire. D'autre part, je

ne vois pas dans la loi que nous propose la commission une sanc-

tion quelconque à l'accomplissement des formalités qu'il pres-

crit.

« Nul, dit ce paragraphe, ne peut soigner un aliéné dans les

SENAT. 295

conditions prévues au paragraphe précédent... » Vous savez que

ce sont des parents qui peuvent être appelés à soigner leurs

parents. « Nul ne peut soigner un aliéné dans les conditions pré-

vues au paragraphe précédent sans qu'il en ait fait la déclara-

tion, dans le délai d'un mois à partir de la mise en traitement

de la personne malade, au procureur de la République de l'ar-

rondissement du domicile de cette personne. » Il y a des familles

dans lesquelles il peut y avoir des malades. On cache avec soin

les maladies de ces personnes...

... Vous allez les obliger à faire une déclaration au procureur

de la République et amener ainsi une surveillance, au sein même

de la famille, des soins qui peuvent être donnés au membre de

cette famille ! Pour ma part, je crois que cette disposition va au

delà de ce qui est possible, au delà de ce qui est permis. Mais,

messieurs, il y a mieux ! C'est que cette disposition est pour ainsi

dire inapplicable, car quelle serait la sanction de l'accomplisse-

ment de cette formalité ? Il n'y en a pas dans le projet présenté

par la commission. Il n'est pas possible, en effet, d'admettre un

seul instant que vous donniez pour sanction à l'accomplissement

de cette formalité la disposition pénale que je trouve dans l'article

h du projet.

Dans l'article 67 on nous parle de dispositions pénales, c... de

cinq jours à un an de prison et d'une amende de 50 à 3,000 fr...»

Il n'est"pas possible d'admettre que le défaut d'accomplissement

de cette formalité ait une pareille sanction. De telle manière que,

dans le projet qui vous est présenté par la commission, je vois

l'obligation de remplir une formalité qui peut répugner et qui

répugnerait à beaucoup de familles, et, d'un autre côté, je ne

vois aucune sanction à l'accomplissement de cette formalité.

Dans ces conditions, je demande le renvoi à la commission, afin

qu'elle puisse peser les considérations que je viens de porter à la

tribune. (Très bien ! très bien ! sur un grand nombre de bancs.)

M. DELSOL. Je répondrai par un mot seulement aux observa-

tions présentées par l'honorable M. Roger-Marvaise. Les critiques

qu'il a dirigées contre le troisième alinéa de l'article 7 ne s'ap-

pliquent pas le moins du monde aux malades qui sont soignés

dans la famille proprement dite, par les proches parents dont on

a parlé tout à l'heure. Cette disposition s'applique aux personnes

qui sont soignées dans les asiles privés ou qui sont surveillées et

soignées par des personnes qui ne sont pas leurs proches parents,

qui sont une exception dans l'article.

Je ne comprends pas qu'il ait pu croire un seul instant que les

proches parents dont il a été question tout à 1 heure, qui sont

dispensés de la surveillance de l'autorité publique, tombent sous

l'application du paragraphe 3, qm évidemment s'applique à la

296 SÉNAT.

première partie de l'article et non pas aux parents qui sont une

exception dans cet article. (Interruptions diverses.) .

Plusieurs sénateurs. Le texte n'est pas clair !

M. GEORGES MARTIN. Modifiez le texte ! L

M. ROGER-MARVAisE.'Je demande la parole.

M. LE Président. Ne parlez pas tous à la fois, messieurs; c'est

le moyen de ne rien entendre. (Rires.)

M. DELSOL. Si la rédaction vous parait obscure, présentez un

amendement qui l'éclaircisse, et nous l'accepterons volontiers;

mais je vous indique quel est le sens de la disposition présentée

au Sénat par la commission, et qui n'est pas du tout celui siir le-

quel vous avez raisonné. '

M. Lacombe. C'est pour cela que j'ai proposé d'ajouter le mot

« étranger ».

M. Paris. Je demande à dire un mot.

M. LE Président. La parole est à M. Roger-Marvaise, qui l'avait

demandée avant vous.

M. Roger-Marvaise. J'insiste devant le Sénat pour le renvoi de

tout l'article à la commission, parce qu'il est absolument néces-

saire que la clarté se fasse. L'honorable M. Delsol vient nous dire :

Le texte n'est pas clair. Si le texte n'est pas clair cela explique les

observations que je viens de soumettre au Sénat. Mais je veux

remetlre sous les yeux du Sénat le texte même de l'article et il

va voir qu'il est extrêmement facile de se méprendre sur la portée

de ce texte. Voici en effet ce que je lis dans l'article 7 :

« Nul ne peut créer ni diriger un établissement privé sans l'au-

torisation du Gouvernement et sans avoir déposé uu cautionne-

ment... »

Là. pas de difficulté, le texte est d'une clarté limpide. Un éta-

blissement privé ne peut être ouvert sans l'autorisation du Gou-

vernement. Mais le second paragraphe ne vise en aucune manière

un établissement privé. Il vise tout autre chose. Voici comment

il est conçu :

« Est assimilée, sous le rapport de la surveillance, aux asiles

privés toute maison où un aliéné est traité, même seul, à moins

que le tuteur, le conjoint, l'un des ascendants ou l'un des des-

cendants, le frère ou la soeur du malade, n'ait son domicile dans

la même maison et ne préside personnellemeutaux soins qui lui

sont donnés. » '

Plusieurs membres de la commission. Eh bien, c'est très clair !

M. Roger-Marvaise. Puis il est dit : « Nul ne peut soigner un

aliéné dans les conditions prévues au paragraphe précédent sans

qu'il en ait fait la déclaration, dans le délai d'un mois à partir

sénat. 297

de la mise en traitement de la personne malade, au procureur de

la République de l'arrondissement du domicile de cette personne. »

M. Dupré, président de la commission. Ceci ne s'applique pas aux

maisons où un aliéné est soigné par ses parents directs.

Un sénateur au centre. Mais il faut le dire. , - ,

M. ROGER-MARVAISE. Je demande le renvoi de l'article à la com-

mission, afin qu'il n'y ait plus de doute sur le sens à donner à cet

article. (Approbation sur plusieurs bancs.)

Ni. Paris. Messieurs, le renvoi demandé par l'honorable M. Roger-

Alarvaise de tout l'article à la commission me parait d'autant plus

indispensable qu'on a oublié une situation très intéressante. Sup-

posez que j'aie un vieux domestique et qu'il soit atteint d'aliéna-

tion mentale ; je le soigne chez moi avec les plus grands soins et

avec tout le dévouement que le maître doit à celui qui, pendant

de longues années, a été son fidèle serviteur; je vais être immé-

diatement placé dans la catégorie des étrangers dont un parlait

tout à l'heure et assimilé à un directeur d'asile privé ; je vais être

obligé, par conséquent, de me soumettre à toutes les règles de

surveillance et aux déclarations au procureur de la République

indiquées dans l'article 7. 1

Il me parait absolument nécessaire, si la commission veut intro-

duire un mode quelconque de surveillance à l'égard des malades

traités'dans des maisons particulières, qu'elle étende considéra-

blement le cadre qu'elle a fait beaucoup trop restreint.

M. LE Président. La commission accepte-t-elle le renvoi ? ...

M. le Président DE la commission. Oui, monsieur le président,

la commission accepte le renvoi de tout l'article.

M. LE Président. Il n'y a pas d'opposition au renvoi de l'article 7

à la commission ? (L'article 7 est renvoyé à la commission.)

M. Lacombe. Je demande que l'article 8 soit aussi renvoyé à la

commission.

M. le PRÉSIDENT. M. Lacombe demande le renvoi de l'article 8 à

la commission.

Je ferai remarquer à M. Lacombe''que dans la rédaction de son

amendement, il a oublié non seulement de mentionner le frère

et la soeur, mais aussi le conjoint.

AI. Lacombe. C'est une erreur que je rectifierai.

, AI. LE RAPPORTEUR. Je demande la parole. '

M. le Président. La parole est à AI. le rapporteur.

AL le Rappouteur. Le Sénat voit la tournure que prend la dis-

cussion quand on la poi le sur des articles et des amendements

surtout qui n'ont, même pas pu être lus au sein de la commission.

298 SÉNAT.

L'article 8 soulèvera des objections bien plus nombreuses encore

que l'article 7. Il y a sur cet article 8 plusieurs amendements que

la commission n'a pas pu examiner, et je crois que le Sénat per-

drait vraiment son temps à continuer la discussion dans de

pareilles conditions. (Marques nombreuses d'approbation.)

M. le Président. J'allais consulter le Sénat sur le renvoi de

l'article 8 à la commission, demandé par M. Lacombe. Mais le

renvoi des articles 7 et 8 ne nous empêche pas de continuer la

discussion sur les autres articles.

M. le Ministre de l'intérieur. Il est impossible, monsieur le

président, de continuer la discussion de la loi. Je demande la

parole.

M. le Président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. le Ministre de l'intérieur. Messieurs, je demande au Sénat

de renvoyer à lundi la suite de la discussion de la loi. 11 me

parait impossible de la poursuivre dans les conditions où elle se

présente à l'heure actuelle. (Bruit de conversations.)

M. le PRÉSIDENT. Messieurs, la séance n'est pas levée. Gardez le

silence, je vous en prie. (Le silence se rétablit.)

M. le Ministre de l'intérieur. Messieurs, l'article 8 est lié inti-

mement à l'article 7 qui vient d'être renvoyé à la commission.

Ces deux articles soulèvent une question extrêmement grave :

c'est celle de la situation de l'aliéné qui sera traité soit dans sa

famille, soit par un étranger, dans le cas qu'indiquait, par

exemple, l'honorable M. Paris.

Si j'ai bien compris la pensée de la commission, et cepen-

dant il me semble que tout à l'heure l'honorable M. Delsol a émis

une opinion contraire, elle avait examiné deux hypothèses :

la première, celle où l'aliéné serait gardé, traité à domicile par

ses parents à un degré rapproché, c'est-à-dire par ses ascendants,

ses descendants ou son conjoint ; et, dans ce cas-là, la commis-

sion n'avait pas entendu c'est le sens de son article 8 dis-

penser cet aliéné de toute espèce de surveillance de la part de

l'Etat. Elle avait bien dit qu'il y aurait une surveillance ; elle avait

astreint le tuteur ou les parents à faire, dans le délai de trois

mois, une déclaration de cet état d'aliénation au procureur de la

République.

M. DELSOL. Quand il y a contrainte, coercition.

M. le Ministre. Oui, cela est entendu : quand il y a contrainte

et séquestration. Puis, elle avait prévu une seconde hypothèse :

c'est le cas où l'aliéné serait soigné par un parent ne figurant

pas dans la nomenclature indiquée dans l'article de la commis-

sion, ou, d'après l'amendement de M. Lacombe, par un parent au

delà du quatrième degré, ou par un étranger. Dans ce cas, la

SÉNAT. 299

commission avait cru qu'il y avait lieu d'assujettir les personnes

qui soignaient, qui gardaient cet aliéné, à une surveillance plus

rigoureuse de la part de l'Etat, et la déclaration au procureur de

la République devait avoir lieu dans le délai d'un mois. En

résumé, la question qui se pose est celle de savoir si l'aliéné traité

dans sa famille sera soumis à la surveillance et au contrôle de

l'Etat.

Il faut bien le dire très nettement ici, messieurs, les abus qui

se sont produits à l'égard des aliénés n'ont pas eu lieu dans les

asiles publics : c'est dans les asiles privés et surtout dans les

familles que ces abus se commettent. (Très bien ! très bien ! sur

un grand nombre de bancs.) C'est là que l'Etat doit exercer sa

surveillance et son contrôle, et c'est sur ce point que j'appelle

toute l'attention du Sénat. Je crois qu'à côté des droits de la

famille il y a le devoir de l'Etat. Le devoir de l'Etat est de proté-

ger les malheureux incapables de se défendre eux-mêmes. (Nou-

velle approbation.) Il est nécessaire d'instituer et de déterminer

nettement l'action et la surveillance de l'Etat sur l'aliéné gardé à

domicile. Pour ma part, je demande à la commission de se pro-

noncer sans équivoque sur cette question de principe dans l'article

qu'elle aura à vous soumettre. Je prie donc le Sénat de vouloir

bien renvoyer la suite de la discussion à sa prochaine séance.

M. DeLSOL, de sa place. Je demande la permission de poser une

simplg-question à M. le ministre. Nous avons proposé dans notre

projet de loi...

Plusieurs sénateurs. On n'entend rien ! montez à la tribune.

M. DELSOL, ci la tribune. Si j'ai bien compris les explications de

M. le ministre de l'intérieur, la surveillance de l'Etat devrait êlre

obligatoire dans tous les cas, même lorsque l'aliéné est au milieu

de ses plus proches parents, dans la maison de ses ascendants ou

de ses descendants. Or. si j'ai bonne mémoire, le Gouvernement

nous avait fait à l'origine une proposition différente. Je crois qu'il

dispensait de la surveillance les aliénés qui sont auprès de leurs

proches parents. Je demande si le Gouvernement retire cetle

partie de son projet et s'il nous fait une proposition nouvelle et

différente de celle qui avait été, je crois, exposée dans le sein de

la commission par son représentant.

M. le MINISTRE DE l'intérieur. Je n'ai pas été entendu, sur cette

question, par la commission. Le projet a été déposé par un de

mes prédécesseurs; mais, en ce qui me concerne, je crois que

l'Etat doit dans certaines limites, que vous aurez à fixer, exercer

sa surveillance sur tout aliéné, alors même qu'il serait gardé dans

sa famille par ses proches parents.

M. DELSOL. Votre avis sur ce point est différent de celui qui

300 bibliographie.

nous avait été exposé par vos prédécesseurs, que nous avons, à

plusieurs reprises, entendus dans la commission.

M. le Ministre. Je crois que, du moment qu'un aliéné estséques-,

tré, la surveillance et le contrôle de l'État doivent s'exercer.

M. DELSOL. C'est ce que nous demandons.

M. LE PRÉSIDENT. On demande le renvoi des articles 7 et 8 à la

commission. Je consulte le Sénat. (Le renvoi à la commission des

articles 7 et 8 est ordonné.)

M. DUPRÉ, président de la commission. Il est'impossible à la

commission, monsieur le président, de continuer la discussion de

la loi actuellement. Elle demande le renvoi de la discussion à la

prochaine séance. 1

M. le PRÉSIDENT. La commission demande le renvoi de la discus-

sion à la prochaine séance. Il n'y a pas d'opposition ? (Non ! 1

non 1) La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

BIBLIOGRAPHIE

VIII. Traité pratique et théorique de la lèpre; par H. LELOIR. Aux

bureaux du Progrès médical et chez Lecrosnier, édit. 1886.

Bien que la lèpre soit rare en France, et qu'il s'agisse d'une

affection parasitaire, son étude n'est pas sans intéresser le neuro-

patholopiste. Il existe en effet une forme de la lèpre dans laquelle

les productions nouvelles se localisent dans les nerfs et constitue

une forme anesthésique ou trophoneurotique. Cette forme est

étudiée avec soin par M. Leloir, et à cet égard nous ne saurions

trop recommander à nos lecteurs son bel ouvrage à la fois icono-

graphique et descriptif.

La lèpre trophoneurotique débute rarement d'emblée par des

troubles nerveux. En général, elle est précédéed'éruptions macu-

leuses (érythémateusesou dychromatiques)ou bulleuses. Quanta la

névrite lépreuse, c'est une névrite parenchymateuse interstitielle

spécifique dans laquelle Arning a pu trouver des bacilles lépreux

et dont l'évolution relativement rapide aboutit finalement à la

dégenéiescence complète du nerf. Ces lésions tiennent sous leur

dépendance l'anesthésie, les paralysies, les atrophies et les

bibliographie. 301

troubles trophiques, qui constituent le tableau symptomatique

de la lèpre anesthésique. La période anesthésique est précédée

de douleurs névralgiques paroxystiques, qui peuvent se montrer

sur le trajet de tous les nerfs des membres et de la face; on

ob,erve aussi quelquefois au début des troubles de l'ouïe (Leloir).

L'auteur 'étudie en détail les symptômes de la période d'état : -.

Il l'anesthésie souvent d'une remarquable symétrie, comme les

lésions cutanées, et, en général, tellement irrégulière qu'elle ne

peut. être mise en rapport qu'avec des lésions périphériques des

nerfs ; 2° l'atrophie musculaire avec les déformations détermi-

nées par les rétractions fibreuses, et tendineuses; l'atrophie des

muscles de la face, outre qu'elle entraîne des déformations consi-

dérables amène fréquemment des troubles de la nutrition des

membranes de l'oeil. Vigouroux a constaté l'abolition complète

de toute excitabilité électrique, exceptionnel lementla réaction de

dégénérescence; - 30 les , lésions trophiques des muqueuses de

la peau, des os et des articulations, les mutilations. AI. Leloir

donne enfin l'état de la scorie sur les lésions des nerfs de la

moelle et du cerveau, dans la lèpre. Les descriptions sont illus-

trées de dessins et de planches, exécutées d'après nature avec le

plus grand soin. C. F.

IX. Bibliothèqtieanthropolo,71que - 0'u ? '.tt<MeM\t. Ma tliias

DUVAL, LETOURNEAU, HovrLACQUE et Hervé.

L'éditeur Lecrosnier a entrepris la publication d'une série

d'ouvrages d'anthropologie, qui méritent d'être signalés à nos

lecteurs. L'histoire de l'homme et de son évolution intéresse, en

effet tous les pathologistes; mais en particulier les neurologistes

et les aliénistes et surtout ceux qui se préoccupent de l'histoire

naturelle de la criminalité. Les discussions relatives aux théories

ataviques et pathologiques du crime, peuvent être vivement

éclaircies par l'étude de l'évolution anatomique, physiologique et

sociale de l'homme. Nous avons déjà annoncé à leur apparition

les deux premiers volumes de la Bibliothèque anthropologique.

1° La Femme, essais de Sociologie physiologique, par M. Thulié;

2° le Darwinisme, par M. Mathias Duval. Cette année a vu paraître

deux nouveaux volumes : 3° l'Evolution de la Morale, par M. Le-

tourneau, et 4° Précis d'Anthropologie; par' Vüli. Hovelacque et

Hervé. , 1 1 . l, z

. Le livre de M. Letourneau comprend vingt leçons professées à

l'école d'anthropologie pendant l'hiver de 1885 à1886. Les prin-

cipaux sujets' traités sont : la préhistoire vivante, l'origine des

penchants moraux, les phases de l'évolution morale, la morale

bestiale,la morale sauvage, la morale barbare, la morale indus-

302 ' bibliographie.

trielle ou mercantile, l'influence des religions sur la morale, la

morale antuphysique, la morale utilitaire et transformiste.

Le précis de MM. Hovelacque et Hervé est conçu sur un autre

plan que les Eléments d'Anthropologie générale de Topinard qui a

fait surtout et à peu 'près exclusivement l'étude anatomique et

physiologique : il comprend à la fois l'anthropologie zoologique,

l'anthropologie ethnique, l'anthropologie préhistorique et l'eth-

nographie. Ces différentes parties sont des exposés compacts de

l'état actuel de la science sur ces différentes questions auxquelles

les auteurs ont souvent donné une note personnelle.

Nous ne saurions trop recommander ces deux nouveaux ouvrages

de la Bibliothèque anthropologique, qui constituera bientôt un

Compendium précieux de la science anthropologique.

X. Contribution à l'élude des symptômes du mai de Pott, au début;

par IMBERDLS. (Th. de Paris, 1886.)

Les accidents nerveux qui précèdent l'apparition des signes

sensibles du mal de Pott peuvent être confondus avec diverses

affections viscérales et surtout avec certains troubles viscéraux de

l'ataxie locomotrice; ils ne peuvent être rapportés à leur vétitable

cause qu'après un examen attentif et complet des malades. Parmi

ces accidents, les plus intéressants sont ceux qui se manifestent

du côté du tube digestif; ils consistent quelquefois en vraies

crises gastriques, mais plus souvent en troubles dyspeptiques

vagues qui ne s'améliorent que par le traitement dirigé contre le

mal vertébral lui-même. CE. F.

XI. De l'état de la sensibilité cutanée, dans le rhumatisme articu-

laire aigu; par BATEBILLION. (Thèse de Paris, 1886.)

Dans le rhumatisme articulaire aigu, il existe souvent des

troubles de la sensibilité cutanée (tact, douleur, température,

réaction électrique); elle est quelquefois exagérée ou pervertie;

mais, en général, elle est atténuée. Les troublés de la sensibilité

électrique sont les plus fréquents et peuvent être isolés. La sensi-

bilité faradique de la peau est diminuée ou complètement abolie,

tantôt d'une façon passagère, tantôt pour un temps plus ou

moins long après l'altaque. L'anesthésie électrique est ordinai-

rement limitée à tout'ou partie de la surface cutanée de l'articu-

lation malade; elle peut s'étendre à toute la surface du membre

malade. On peut rattacher à ces troubles de la sensibilité cutanée,

quelques autres phénomènes, tels que diminution ou disparition

des réflexes tendineux, parésie musculaire, parésie des fibres

lisses de la peau, absence d'horripilation, de réflexe cremastérien,

bibliographie. 303

atrophies musculaires. Schwalb, Benedickt, Brosdoff, Abramosvki,

ont obtenu de bons résultats dans le traitement du rhumatisme

articulaire aigu par la faradisation de la peau au niveau des

articulations malades, par séances journalières de cinq à dix

minutes; l'auteur préconise le même traitement surtout dans les

formes torpides de la maladie et lorsque le salicylate de soude

est contre-indiqué ou inefficace. CH. F.

XII. Des rapports de la paralysie générale chez la femme, avec cer-

tains troubles de la menstruation; par Petit. (Thèse de Paris,

1886.) .

Le développement de la paralysie générale chez la femme,

coïncide le plus souvent avec des troubles de la menstruation,

consistant tantôt en un arrêt subit et définitif des règles, tantôt

par une irrégularité; chez la femme, les rémissions de la para-

lysie générale coïncident souvent avec le rétablissement des fonc-

tions menstruelles. Les femmes atteintes de paralysie générale

qui n'ont pas de troubles mentruels, paraissent résister plus

longtemps. Telles sont les principales conclusions qui découlent

des faits réunis par l'auteur qui accentue trop franchement le

rôle de la paralysie générale comme .cause des troubles mens-

truels,-Ia-coïiieidence nous parait seule évidente. Il semble plutôt

que toute la substance soit atteinte en même temps. CH. F.

XIII. Manuel pour l'instruction des infirmiers des hôpitaux d'aliénés.

(Boston : supplém, Uptam et Cie.)

Ce petit volume a été fait par une sous-co nmission de l'Asso-

ciation médico-psychologique pour servir de guide à ceux qui

veulent consacrer leur temps et leur travail à soigner les aliénés.

Le sujet est d'une importance pratique très grande, et non seule-

ment les infirmiers d'asile, mais aussi les jeunes médecins qui

entrent dans la pratique liront avec intérêt ce livre. Le style est

dépouillé de termes techniques et est simple et clair.

Il est assez étonnant que jusqu'ici les écoles des hôpitaux aient

prêté si peu d'attention à l'étude des méthodes correctes de

soigner les aliénés. La décision prise récemment pour le Hudson

River State Hospital pour aliénés d'organiser une école pour

l'instruction des soins à donner aux aliénés est un bon pas de fait

dans cet ordre d'idées. (The New-York Médical Journal, 20 no-

vembre 1886, p. 585.) A titre de renseignements, nous rappelle-

rons qu'il existe une Ecole d'infirmiers à l'asile Sainte-Anne, et

dans les asiles de Vaucluse, Ville-Evrard et Villejuif.

304 BIBLIOGRAPHIE.

XIV. Leçons sur les maladies du système nerveux faites ci la Salpé-

trière ; par J.-M. Charcot, recueilles et publiées par Babinski,

Bernard, Féré, Guinorz, Marie, Gilles de la Tourette., t. III, 86 figu-

res. Paris, in-8°, 1887. Aux bureaux du Progrès médical et

chez A. Delahaye et E. Lecrosnier, éditeurs.

Nous n'avons pas besoin de consacrer un long discours au livre

de M. Charcot. L'école qu'il a fondée, les ouvrages qu'il a publiés,

les deux premiers volumes de ses Leçons qui constituent des

chefs-d'oeuvre du genre sont universellement connus et appré-

ciés. Nous dirons seulement que ce tome III consacre définiti-

vement les assises de l'enseignement neuropathologique de la

Salpêtrière, et la création du cours officiel de clinique des mala-

dies nerveuses que par son énergie, sa persévérance, son lalent,

le retentissement de ses recherches et de ses doctrines, l'éminent

maître a imposée (voy. Première Leçon). Notre rôle se bornera à

indiquer les titres des leçons contenues dans le présent volume :

Leçon II. Atrophie ! musculaire qui succède à certaines lésions

articulaires. 111. Contractures d'origine trtturnatique. Tic non

douloureux de la face chez une hystérique. IV. Atrophie mus-

culaire consécutive au rhumatisme articulaire chronique.

V. Amyotrophie et contracture réflexe d'origine articulaire, Migraine

ophthalmique, à la période initiale de la paralysie générale.

VI. Hystérie chez les jeunes garçons. -VIl et VIII. Deux cas de con-

tracture hystérique d'origine traumatique. IX. Exemple d'une

affection spinale consécutive à une contusion du sciatiqu e. X. Scia-

tique double chez une cancéreuse. Plclivinéningite cervicale.

XI et XII. Cécité verbale. XIII. Un cas de suppression brusque et

isolée de la vision mentale des. signes et des objets (formes et

couleurs). XIV. Révision nosographique des amyotrophies.

XV. Tremblements et mouvements choréiformes;. chorée rhythmée.

XVI. Spiritisme et hystérie. XVII. De l'isolement dans le traitement

de l'hystérie. - XV111 et XIX. A propos de six cas d'hystérie chez

l'homme.-XX,XXI, XXII. Sur deux c,is de monoplégie brachiale hys-

térique, de cause traumatique. - XXIII et XXIV. Sur un cas de

coxalgie hystérique de cause traumatique chezl'homme. XXV. Sur

un cas de contracture spasmodique d'un membre supérieur surve-

nue chez l'homme en conséquence de l'application d'un appareil

à fracture. - XXVI. Cas de mutisme hystérique chez l'homme.

Un appendice complète ces Leçons soit par des observations,

soit par des notes complémentaires, telles, par exemple, que

notions du sens musculaire, et mouvement volontaire,- guérison

soudaine d'une hémiplégie hystérique, etc. Les deux premiers

volumes des Leçons de M. Charcot sont arrivés à quatre et cinq

éditions; celui-ci suivra certainement les traces de ses aînés.

. J P. KÉAAVAL.

, BIBLIOGRAPHIE. 305

XV. Soeur Jeanne des Anges, supérieure des Ursulines de Loudun

(xvi° siècle). Autobiographie d'une hystérique possédée, d'après

le manuscrit de la bibliothèque de Tours, annotent publié par

G. LhGUG et Gilles DE la Tourette. Préface de M. le Professeur

Charcot. Paris, in-8°, 4886. Aux bureaux du Progrès Médical, et

chezDelahaye et E. Lecrosnier, éditeurs.

Cinquième volume de la Bibliothèque diabolique de Bourneville,

dont font partie le Sabbat des Sorciers, Françoise Fontaine.

Jean Wier,- La Possession de Jeanne Fery, ce travail ne le cède

pas en intérêt à ses aînés. En effet, cette hystéro-épileptique hal-

lucinée, qui s'appelle Soeur Jeanne des Anges, a joué le rôle tra-

gique que l'on connaît par le destin du malheureux Urbain Grau-

dier, brûlé vif, sur ses dénonciations, comme suppôt du démon

d'impureté et ensorceleur de tout le couvent. Histoire des Ursu-

lines, histoire d'Urbain Grandier, histoire de Jeanne des Anges

et des possédées de Loudun. voilà ce qu'on trouve dans ce livre, de

concert avec l'étude nosographique de l'hystérie passionnelle

démoniaque de celte femme particulièrement tourmentée par des

hallucinations et des illusions de l'appareil génital. Son autobio-

graphie se présente, dit M. Charcot dans sa préface, entre tous

les documents que nous possédions déjà, avec un caractère très

particulier de sincérité et de véracité. L'introduction nous donne

d'ailleurs l'histoire du manuscrit lui-même. MM. Légué et Gilles

de la Tourette tracent ensuite à part la vie de la malheureuse

malade qui constitue pour les gens du monde, de même que pour

les médecins, un spectacle vivement édifiant (qu'on nous passe

cette expression), formé d'une série de tableaux écoeurants, mais

instructifs en nous prouvant que la superstition est fille de l'igno-

rance.

Enfin vient le manuscrit émaillé de notes relevant la nature

hystérique des manifestations consignées par Jeanne des Anges,

manifestations qui se rencontrent encore actuellement parmi nos

malades contemporaines. Françoise Fontaine, Jeanne Féry, Jeanne

des Anges sont en résumé trois grandes hystériques que les ensei-

gnements de M. Charcot nous permettent de mettre au point de

la nosographie scientifique moderne et dont il nous est donné,

grâce à la lumineuse méthode de la Salpêtrière, de pénétrer le

fond pathologique à plusieurs siècles de distance. P. KÉHAVAL.

XVI. Traité de Médecine légale, de Jurisprudence et de Toxico-

logie; par LEGRAND du SAULLN, G. BERRYER et G. POUCHET.,

(Deuxième édition. Un volume de 1680 pages avec 9 ligures.

- Paris, Delahaye et Lecrosnier, éditeurs.)

A part l'ouvrage de Briand et Chaude, déjà bien ancien,

Archives, t. XIII. 20

306 bibliographie.

les livres français de médecine légale ne donnaient guère jus-

qu'ici que les notions indispensables à un examen de doctorat.

Dès qu'un cas embarrassant se présentait, ils fournissaient

d'assez pauvres éléments de recherches, et c'était dans les tra-

ductions d'Hoffmann-et de Taylor que l'on devait puiser les

renseignements nécessaires. Mais la manière de résoudre les

questions médico-légales variant selon les législations, c'était

encore tout un travail pour assimiler les résultats indiqués par

le livre allemand ou anglais. Cette absence d'ouvrage magis-

tral français suffisait déjà à expliquer le succès obtenu par le

Traité de Médecine légale dont M. Legrand du Saulle a publié

quelque temps avant sa mort une seconde édition, avec le

concours de MM. G. Berryer et G. Pouchet. Mais ce succès se

justifie par d'autres qualités, par la méthode suivie, par la

clarté de l'exposition, l'abondance des observations et la

richesse des matériaux d'étude. C'est un livre bien français;

l'élégance du style associée à la finesse de la critique donne à

la lecture de cet ouvrage un charme et un attrait tout spéciaux.

« L'idée dominante de toute ma vie scientifique, dit M. Le-

grand du Saulle, a été celle-ci : ouvrir une voie de communi-

cation entre la médecine et le droit, opérer en quelque sorte

la fusion des deux sciences et rendre facilement assimilables

pour tous les questions scientifiques ou légales les plus diver-

gentes ou les plus ardues. » Cette idée maîtresse, qui a égale-

ment guidé l'éminent médecin-légiste dans la publication de

son Traité, fait que son livre sera consulté aussi facilement et

aussi utilement par l'avocat que par le médecin. Cependant,

pour que ce résultat fût obtenu, il était de toute nécessité

qu'un plan spécial, qu'un programme particulier présidât

au groupement des nombreux sujets qui sont du domaine

immense de la médecine légale. Cette méthode qui n'existe

nulle part ailleurs dans les autres Traités, marque d'un cachet

tout à fait original l'oeuvre de M. Legrand du Saulle et de ses

collaborateurs : elle prenâ l'homme à son berceau, l'étudié

pas à pas, âge par âge, dans toutes les étapes de sa vie et le

suit jusqu'à sa mort, jusqu'aux recherches cadavériques,

jusqu'à l'analyse posthume du terrain en contact avec ses der-

niers restes presque disparus. C'est dans l'application sévère

de cette méthode directrice qu'il faut chercher le secret de la

précision de ce beau travail.

La première et la plus importante partie du livre est tout

Bibliographie. 307

entière de M. Legrand du Saulle. Elle comprend des recherches

historiques sur l'origine de la médecine légale, des études sur

la naissance, l'enfance, la puberté, le service militaire, le ma-

riage, la séparation de corps et le divorce. Viennent ensuite

les questions soulevées par la grossesse, l'avortement, l'accou-

chement, l'infanticide et les attentats aux moeurs. L'examen

des coups, des plaies, des blessures, des différentes formes de

l'homicide et du suicide est l'objet d'une observation très

détaillée; mais ce sont surtout les questions relatives à l'alié-

nation mentale, aux névroses et aux maladies simulées qui se

trouvent soumises au contrôle minutieux de M. Legrand du

Saulle. La détermination de l'identité, celle des troubles ap-

portés par la vieillesse, par l'agonie et par la mort, l'étude des

empoisonnements, terminent cette première partie qui est

écrite avec toute la verve du médecin distingué, dont la perte

est aujourd'hui si sensible.

La jurisprudence médicale, traitée par M. Georges Berryer,

fait l'objet de la seconde partie. Elle établit successivement

les rapports des médecins avec le droit civil, avec le droit

administratif, et avec le droit criminel : puis elle discute les

lois qui régissent la profession médicale et indique les prin-

cipes généraux delà déontologie. Ces différentes questions sont

toutes très clairement posées et nettement résolues.

M. Gabriel Pouchet a donné dans la troisième partie, consa-

crée à la toxicologie, la preuve d'un esprit très érudit. Les

applications de la chimie et de la micrographie à la médecine

légale ne pouvaient rencontrer un historien plus compétent et

plus exact.

XVII. Les Maladies épidémiques de l'esprit. - Sorcellerie, magné-

tisme, morphinisme, délire des grandeurs; par le Dr Paul REGNARD.

Paris 1887. Pion, Nourrit et Ci,, éditeurs, rue Garancière, 10,

4 vol. gr. in-8" de 430 pages, illustré de 120 gravures.

il y a des maladies épidémiques sur l'esprit comme il y en a

sur le corps; elles ont d'ailleurs les unes et les autres ce caractère

commun de la variation dans le temps et de la diversité- suivant

les époques. L'une s'éteint, une autre apparaît : c'est d'abord la J

peste. puis vient la variole, puis le choléra, puis c'est bientôt le

tour de la fièvre jaune; d'un autre côté, c'est la sorcellerie qui

commence, remplacée deux siècles plus tard par la folie du ma-

gnétisme, du somnambulisme et représentée de nos jours par

outes les aberrations de la morphinomanie et du délire des gran-

308 bibliographie.

deurs. L'histoire de ces vésanies sociales a été décrite pendant ces

dernières années devant le nombreux auditoire de l'association

scientifique de France par noire savant collaborateur et ami le

Dr Paul Regnard ; elle a valu à l'aimable conférencier ses plus

brillants succès et elle est devenue, grâce à lui, de connaissance

commune chez beaucoup de ceux qui s'intéressent aux questions

scientifiques et philosophiques. An succès du conférencier succède

aujourd'hui le succès de l'écrivain : le livre de M. Regnard ren-

contrera certainement le même accueil que les soirées de la Sor-

bonne.

L'ouvrage est dédié à M. le professeur Charcot : c'est à dire qu'il

est présenté suivant l'esprit le plus scientifique et la critique la

plus inflexible. Il débute par l'histoire des sorcières, de « ces

« pauvres vieilles démoniaques dépouillées aujourd'hui de leur

« attirail infernal, dont le bûcher est transformé en douche hy-

« drothérapique et le tortionnaire en un placide interne ». Toutes

les cérémonies du sabbat et de l'exorcisme sont résumées dans

ce premier chapitre. Le récit des miracles de saint Médard nous

donne ensuite la formule de la folie par imitation au xvm° siècle;

de démoniaque qu'elle était auparavant, l'hystérique devient

théomane; de damnée, elle se transforme en miraculée. Vers la

fin de ce même xvm° siècle, la vésanie contagieuse prend encore

une nouvelle forme avec le mesmérisme, le magnétisme et le

somnambulisme. Si, au lieu d'examiner ce qui se passe en Europe

on jette les yeux vers l'Orient, on trouve là une autre maladie de

l'esprit, celle des fumeurs d'opium, qui s'est aujourd'hui intro-

duite dans nos régions par la morphinomanie. Enfin, si l'on est

bien persuadé que les sociétés, comme les individus, peuvent être

frappées de maladie, on reconnaîtra sans peine que le mal de

notre époque, c'est l'amour exagéré du succès et de la puissance

l'envie d'arriver quand même, le désir immodéré des grandeurs.

La description de ces deux épidémies, la morphinomanie et la

mégalomanie, complète l'ouvrage de M. Regnard et offre au lec-

teur des détails bien curieux et bien intéressants. Les nombreuses

figures qui accompagnent le texte et qui ont été copiées dans les

ouvrages del'époque seront un véritable régal pour les amateurs

de gravures anciennes : pour tous elles seront un guide précieux

dans l'étude des conceptions délirantes de nos ancêtres. Nous

adressons tous nos compliments à notre ami Regnard : son livre

est destiné aux gens du monde, mais il y a bien des médecins qui

en feront leur profit.

VARIA

CONGRÈS DES ALIÉNISTES RUSSES A MOSCOU

La première séance a eu lieu le 3 janvier 887à l'amphithéâtre

du musée polytechnique. 400 membresyontassisté. Le nombre de

communications est de 45. M..Mierzejewsky, président, ouvre la

séance par un discours « sur les conditions favorables au (lévelop-

pement des maladies nerveuses et mentales en Russie et des mesures

à prendre pour en diminuer le nombre ». Les conclusions de ce

discours sont les suivantes : l'augmentation rapide' et continuelle

des maladies nerveuses et mentales en Russie tient principale-

ment à trois causes : l'hérédité, l'abus de l'a ! cool, l'influence du

milieu. L'importance de ces trois facteurs dans la' pathogénie

des névroses et des psychoses est suffisamment appréciée par une

série des-travaux modernes et par des données statistiques. A pro-

pos de l'alcoolisme, l'orateur démontre que le rôle principal appar-

tient non à la quantité des boissons alcooliques, mais à leur qua-

lité : les vins naturels, comme le démontrent l'expérience etl'ob-

servation, absorbés même en quantité énorme, sont, en général,

beaucoup moins nuisibles que les eaux-de-vie artificielles et les

autres boissons alcooliques contenant des mélanges malsains.

M. Mierzejewsky aborde ensuite la question des mesures à prendre

pour lutter avec ces causes funestes. Il s'arrête particulièrement

sur celles qu'il faut entreprendre contre l'alcoolisme, et il pro-

pose : Il d'accorder une liberté complète à la vente des boissons

alcooliques naturelles, telles que la bière, le vin de raisin, etc... ;

2j de soumettre à un contrôle rigoureux la fabrication des eaux -de-

vie ; 3) d'établir des peines contre les personnes qui s'enivrent

dans les endroits publics, d'instituer des maisons spéciales pour

les buveurs qui incapables, par les moyens ordinaires de traite-

ment, de renoncer à leur habitude vicieuse, troublent, s'ils

restent en liberté, la tranquillité et la moralité publiques. A la fin

deson discours, le présidenta démontré l'influence que déterminent

les bons établissemenfs d'aliénés sur la diminution des maladies

nerveuses et mentales.

A la séance suivante (le 6 janvier) M. le D'' Savei-Moouilewitsch

a parlé « Des principes de l'organisation d'it ? ze maison d'aliénés

actuelle ». Les conclusions de son tiavail sonl : La plupart des

310 O varia.

établissements de l'Europe ont pour but principal l'assistance des

aliénés. Ces maisons ont été créées sous l'influence des idées an-

ciennes, superstitieuses, et conservent encore des accessoires'spé-

ciaux qui ne correspondent pas toujoursàune nécessité réelle de la

psychiatrie actuelle. Pour modèle de maisons d'aliénés, peuvent

servir les établissements construits sous la forme de maisonnettes

séparées avec un intérieur se rapprochant autant que possible des

maisons ordinaires et où tous les accessoires n'ont qu'un seul but,

le traitement. Quant au régime, l'application large des travaux

manuels jointe à une liberté raisonnablement employée est un

moyen efficace entre les mains d'un aliéniste contemporain et

utile surtout dans les maisons de santé qui possèdent des colonies

agricoles. Tous les moyens coercitifs, toutes les mesures de res-

triction de la liberté des aliénés doivent être, à certaines condi-

tions du moins, supprimés. Les hospices d'aliénés doivent être

complètement séparés des maisons de santé. Auprès de chacune

de celles-ci il doit exister une section pour l'observation prélimi-

naire des malades. De même une section à part doit exister pour

les convalescents.

Enfin il ne faut jamais oublier que l'âme de l'établissement

c'est le personnel : les employés ne seront admis qu'après un exa-

men très attentif et très sévère. Cette intéressante communica-

tion a été suivie d'une discussion animée. D'après les Drs Lion,

LttNO/r, Sinani et Jatschourjinsky il y aurait des inconvénients

à séparer la maison de santé de la colonie agricole étant donné

que les aigus pour lesquels le travail manuel constitue souvent un

auxiliaire important du traitement, ne pourront être envo-

yés à ces travaux. Ils ont parlé ensuite contre la suppression ab-

solue de tous les moyens coercitifs qui, parfois, sont absolument

nécessaires; et ils ont attaqué ce principe que le rôle principal

dans une maison d'aliénés appartient aux employés tandis

que, selon eux, il incombe, en réalité, au médecin, etc...

Vient ensuite la communication du Dr Lion (d'Odessa), inti-

tulée : « Projet d'une maison de santé psychiatrique avec hos-

pice ». C'est une maison à type colonial avec des travaux lar-

gement organisés par les malades, de telle sorte que l'éta-

blissement puise dans ses propres forces les sources de son

existence, car les malades eux-mêmes prennent part à la cons-

truction de l'établissement et par leurs travaux couvrent presque

toutes les dépenses. Ce projet a obtenu un accueil défavorable. Le

pi us grand nombre des membres est d'avis qu'il est fond" sur des

considérations purement théoriques. En réalité, la pratique a

montré (par exemple dans l'établissement colonial de Khol-

mossprès de la ville de Novgorod) que les travaux des aliénés

ne diminuent presque pas les dépenses exigées par leur entre-

tien. Du reste, il faut considérer les travaux des aliénés non

varia.' 311

comme une source de revenus, mais exclusivement comme un

moyen thérapeutique le façon qu'il est absolument impossible,

selon le vote du congrès, de recommander le projet de M. le

Dr Lion. (A suivre.) J. ROUBINOVITCH.

LES maisons D'ALIÉNÉS EN RussiE.

SAINT-PÉTERSBOURG. - Etablissements publics : 1° Hôpital de

Saint-Nicolas, médecin-directeur : M. Tschetschott; 2° Hôpital

de Saint-Panteleimon, méd.-dir. : M. Tschij ; 3° Hôpital de

Fous les Souffrants, méd.-dir. : AI. Tscheremschansky; 4° Hô-

pital d'aliénés de l'empereur Alexandre III, méd.-dir. : M. Niki-

foroff ; 5° Clinique des maladies mentales de l'Académie

médico-chirurgicale militaire, méd.-dir. : M. le professeur Mer-

jeëvsky ; b° Section d'aliénés à l'hôpital militaire de Nicolas,

méd.-dir. : M. Nikiforoff; 7° Hôpital temporaire pour les

femmes aliénées, méd.-dir. : M. Emalinovitsch.

Maisons privées : 1 Maison d'aliénés du DT Stein, méd.-dir. :

M. Nijegorodtzeff ; 2° Maison d'aliénés du De Frey : 3° Hospice

d'épileptiques et d'aliénés de la société protestante; 4° Hospice

d'idiots des deux sexes.

Moscou ? E<s ? MemeH<spMtHcs : 1° Hospice d'aliénés, méd.-

dir. : M. Derjavine ; - 2° Section d'aliénés à l'hôpital de la

Police.

3fttisoiis privées : 1° Section d'aliénés à l'hôpital de la société

« Exauce-moi »; '2° Maison d'aliénés du Dr Bekker, méd. :

M. Korsakoff; 3° Maison d'aliénés des D" Derjavine et Boutslé;

4° Maison d'aliénés du DrPolosoft; o'' Maison d'aliénés de

M"" Poloul)elf - 6° Maison d'aliénés des D" Levenstein et Kons-

tautinovsky; '7° Maison d'aliénés du Dr Sawei-Mogilevitsch.

Départements. Il existe une maison d'aliénés dans chacun

des départements suivants : Arkhanguelsk, Astrakhan, Bessarabie.

Varsovie, Wiluo, Witebsk, Wladimir, Vologda, Volinsk, Woronëj,

Wiatka, Prodnensk, Ëkatennobiave, Eniseisk, Irkoutsck, Kazan,

Kalouga, Kiew, Kostroula, Kourland, Koursk, Lifland avec la ville

de Riga, Loublin, Minsk, Moguiiëiî, Moscou, Nijnl-Vovtorod,

Novgorod, la ville d'Odessa, Otonetzk, Orenbourg, Orlow, Pensa-

Perni, Podolslz, Poltava, Pskow, Riazan, Samara, Saint-Péters.

bourg, Saratow, Simbirsk, Smolensk, Tavrida (Crimée), Tambow,

Twer, 1'ulolsk, Tomsk, Toula, Oufim, Kharcow, Kherson, Tscher

nigoff, Estlaud, Iaroslav.

Maisons privées : 1). A Odessa : Maison de santé et hospice

d'aliénés des Drs Lion el Steinfinkel ; 2). A Ripa : Maison spé-

ciale pour les estants arriérés du Dr Schreder,

3)2 2 varia .

De l'assistance des aliénés en RUSSIE. I. Les aliénés dans le gou-

vernement de Saratow, par M. ScuTEiNBEM (Arch. de,Psych., t. VI,

n° 4,1885. Kharcow). IL Sur l'état des aliénés dans le sud-ouest

de la Russie, parM. SocuMA (Ibidem).IIL Sur l'assistance des alié-

nés dans le gouvernement de Vologda , par M. Maltzeff (.)7es-

sager de Psych., ne d, Saint Pétersbourg). IV. Les aliénés dans

les établissements de charité de Simphéropol par M. greidenberg

(Ibidem). '

Les maisons d'aliénés en Russie ont commencé seulement dans

ces derniers temps à jouir d'une indépendance complète. Jus-

qu'à présent tous les établissements de ce genre n'étaient que des

« corpora delicta» des hôpitaux généraux. Leur caractère spécial.

lié, peut-être, un préjugé populaire quelconque, leur a donné

dans le public russe le nom étrange des « maisons jaunes... »

1. -L'établissement d'aliénés à Saratow était jusqu'à l'année 1 884

un simple annexe de l'hôpital général de cette ville. Ne jouissant à

cette époque d'aucune indépendance ni administrative ni médicale

non seulement il n'était pas mis dans des conditions thérapeu-

tiques spéciales qui conviennent au traitement des aliénés; mais,

au contraire, sa disposition extérieure aussi bien qu'intérieure

frappait par le mépris des règles hygiéniques les plus élémen-

taires. En 4884 ont commencé les réformes. L'indépendance était

conquise.

D'autre part on y a introduit un peu d'hygiène. Mais trop peu

par exemple... ; si peu que les malades n'ont pas même un petit

bout de terre libre où ils pourraient respirer un peu d'air pur ; si

peu qu'on entasse vingt-sept hommes dans une chambre dont

la porte donne sur le cabinet; si peu qu'il n'y a pas même une

chambre spéciale pour isoler un malade atteint de maladie con-

tagieuse.

11. Alors que presque partout ce sont les états provinciaux

(Zemstwa) qui s'occupent des hôpitaux, au sud-ouest de la Russie

les malades ont encorele malheur d'être soignés par le « Comité de

charité publique ». Les établissements d'aliénés présentent dans ce

pays des annexes des hôpitaux généraux. Un témoin oculaire, qui

il y a quelques années, a visité un de ces annexes, raconte qu'il a

trouvé dansdeux outrois petites chambres extrêmement sales près

dequarante malades. Us étaient tous couver t=de haillons; quelques-

uns entre eux se promenaient complètement nus ; on voyait sur

leurs figures et leurs mains des ecchymoses récentes...

Le peuple conserve dans ce pays les opinions les plus fausses sur

les aliénés. En cas de besoin il va consulter plutôt les sorciers que

le médecin, parce que c'est beaucoup plus facile et moins coûteux :

varia. 313

pour placer un aliéné dans un hôpital il faut remplir un tas de

formalités administrai ives; il faut payer près de 8 roubles (20 francs

par mois pour l'entretien du malade, et encore on ne trouve pas

facilement une place libre. ,

III. Les aliénés du gouvernement de Vologda ont porté le

joug du « Comité de charité publique » jusqu'à l'année 1870. Les

infirmiers avaient en ce temps-là une si jolie réputation que

même encore maintenant on ne se souvient d'eux que comme des

bourreaux armés de fouets et d'autres appareils répressifs. En

18o les établissements de charité passent entre les mains des

états provinciaux. Immédiatement une nouvelle maison se cons-

truit suivant les indications d'un médecin spécialiste. Il est vrai,

cet établissement ne portait pas la marque de la nouvelle théra-

peutique mentale. Mais grâce déjà aux quelques améliorations

sanitaires apportées dans la vie des aliénés, la mortalité, nous

dit le compte-rendu, a baissé et en même temps on a constaté

une augmentation assez considérable des guérisons des maladies

qui jusqu'alors passaient pour incurables. Actuellement, la situa-

tion de cet établissement, à cause principalement d'un entasse-

ment outré des malades, est des plus fâcheuses.

IV. La maison d'aliénés à Simphéropol, après avoir passé,

comme les hôpitaux mentionnés ci-dessus, toutes les phases diffi-

ciles dans son évolution, présente actuellement un aspect assez

convenable. Voilà en peu de mots sa distribution. Quatre sections

principales la composent. La première, l'hôpital psychiatrique pro-

prement dit, renferme deux divisions, l'une destinée aux hommes,

l'autre aux femmes. Le nombre des lits est de quarante. Vous

trouvez dans chaque division une salle de récréation, une salle à

manger, des dortoirs, une cabine d'hydrothérapie et plusieurs

chambres d'isolement pour les violents. Chaque division est munie

d'un grand jardin. Les chambres pour les violents ont chacune

un jardin particulier. L'isolement entre les hommes et les femmes

est complet.

La deuxième section est réservée pour les malades malpropres

et les épileptiques. La troisème et la quatrième sont destinées

aux chroniques.

Il existe encore une baraque pour vingt-deux malades qui tra-

vaillent régulièrement. Nous constatons, en effet, avec plaisir ce

fait que, depuis deux ans, on a consacré un terrain assez grand

pour un potager où les malades travaillent sous la direction d'un

inspecteur spécial. Du reste, tous les travaux de la maison se font

généralement par les malades. (A suivre.) J. Roubinovitch.

314 varia.

DES asiles d'aliénés ÉCOSS41S, anglais ET français ;

par Siemerling '. (Arch. f. Psych., XVII, 2.)

Résultat d'une bourse de voyage (fondation Bose), sous les aus-

pices de la faculté de Marbourg ; ce compte-rendu a pour but,

non de décrire les asiles visités, mais de résumer les formalités

et les modes d'assistance des aliénés dans ces pays. Signalons les

soins des aliénés dans des familles en Ésosse, moyennant 6 à 7 shi-

lings par semaine, les paysans fournissent aux aliénés l'habitation,

la nourriture, la surveillance; on en compte soixante au village de

Kennoway am Firtli of Forth, mais on a soin de ne soumettre à

ce régime ni paralytiques généraux, ni épileptiques, ni aliénés

sujets à de l'excitation maniaque, ni les déments trop avancés

(Voy. le Board of Lunacy). En Ecosse encore, il y a à s'arrêter au

système des portes ouvertes, notamment à l'asile de Woodilce près

Glasgow, où il n'y a pas une seule clef dans l'établissement, un

gardien pour dix à douze malades; pas plus d'évasions qu'aupa-

ravant. Enfin, dans les mêmes pays le quartier d'aliénés annexé à

la prison de Perth contient toutes les catégories de criminels

aliénés et d'aliénés crâniens. En Angleterre, Broadmoore est

devenu le lien de séquestration des aliénés criminels, en ne res-

tant qu'une station de passage pour des criminels aliénés qui,

arrivés de Woking sont classés à Broadmoore et dirigés soit dans

un asile ordinaire, soit à Parkhuzst et à Dartmoor. Si, conclut

l'auteur, on n'a pas encore poussé, en Ail-21eterre, le système du

no-restraint au même degré de perfection et de développement

qu'en Ecosse, les asiles anglais sont cependant le vivant témoi-

gnage que ce système est applicable, à la condition qu'on ait

de vastes salles de jour, quantité de chambres d'isolement, une

confortable installation 2, ET c'est justement dans le pays DE PIN6;L,

en France qu'on emploie le plus de moyens de contrainte3, excepté

dans le service de Magnan . P. K.

DEU11È : VC rapport sur L'FVSEIGNEIENT KN masse DES ENFANI'S

PAUVRES DES écoles OUI bégaient ET balbutient, afin de les DéBAT-

rasser DF. leurs vices de prononciation; par BEI1611.1N. (Arch. f.

Psy(-h., XV 11, 2,)

Ou a exercé par des procédés déjà exposés" quarante-quatre

' Voy. Arcleiues de Neurologie, V, 402. X, 240.

1 Renvoyé aux architectes et à l'administration française.

1 Tant que les médecins ne seront pas les maîtres et que les direc-

teurs ne se borneront pas a n'être que île simples, exécuteurs, il en sera

ainsi. (Rédaction.) , .

* On doit y ajouter notre service de Bicêtre (B.).

Voy. Archeues de Neuruloyie, X, 42li. VIII, 328.

varia. 315

enfants divisés en quatre groupes, chaque groupe étant confié à

un professeur de sourds-muets, une heure chaque jour. Total,

soixante-dix-huit heures d'exercices. Un premier groupe était

formé par quatre garçons et trois filles de sept à treize ans affectés

de balbutiement; guérison sans rechute. Trente-sept bégayeurs

de sept à quatorze ans (trente-cinq garçons, deux filles) furent

répartis en trois groupes de dix, seize, onze élèves; dix, dont une

fille subissaient renseignement spécial pour la seconde fois ; on

gradua les exercices et l'on obtint vingt-quatre guérisons. treize

améliorations; sur les dix enfants qui étaient soumis à une seconde

période de tiaitement (rechutes ou simples améliorations laissant

craindre récidive) quatre guérirent, quatre restèrent améliorés.

P. K.

Un cas DE contagion nerveuse; par KREUSER.

Le Dl Kreuser rapporte l'histoire clinique d'une famille qui

fournit un curieux exemple de folie communiquée.

Une jeune fille de dix-huit ans commença à ressentir de la

mélancolie religieuse, avec hallucinations et obses"ions, et n'ayant

pas de traitement devint bientôt complètement aliénée. Elle

passa tous ses jours et toutes ses nuits à prier et à faire prier

ses paieu'ls avec elle. Au bout de quelque temps, la famille ferma

portes et fenêtres, et tous s'assirent autour de la table avec la

Bible et le livre de prières devant eux. Le père et la mère frap-

paient du poing sur la table et criaient continuellement : « Si

c'est bien, cela doit être. » Tous ceux qui essayaient d'entrer

étaient jetés dehors avec des coups. La plus violente de toutes

était la plus jeune soeur de la malade atteinte la première. Fina-

lement les voisins s'alarmèrent de cet état de choses et firent un

assaut régulier de la maison, où ils pénétrèrent enfin et d'où ils

transportèrent les habitants à l'hôpital. I.à, ils devinrent peu à

peu plus calmes et se rétablirent l'un après l'autre. (ilied. Reco ? d,

n° '7, p. 188. 1887. D'aptes St. Ptterihurger JI(,di(inische Wochens-

chrifs, n"36. 1880.)

De la folie comme motif de DIVORCE au point DE vue du droit

psychiatrique; par A. Cillil·TO ! 'H. (lllg. Zcitsch. f.Psych., XL.11. G).

Etude des dispositions légales dans le* divers étals civilisés.

rapprochée des connaissances psychiatriques accessibles à un

jurisconsulte. Conclusion : Il n'y a pas lieu d'arrêter que, d'une

façon absolue les maladies mentales seront un motif de divorce,

mais bien conformément aux dispositions de la Saxe et du Gotha

que « toute maladie mentale dont est atteint un des conjoints

316 varia.

peut devenir un motif de divorce pour l'autre conjoint quand une

observation de trois années dans un asile public a permis aux

malades de cet établissement d'attester que la maladie mentale

en question est incurable ». « Le conjoint qui introduit une

action en divorce est obligé non pas seulement de restituer la

fortune du conjoint malade, mais encore d'assurer, selon ses

moyens, les dépenses d'entretien de ce dernier, selon la classe

sociale à laquelle il appartient, lorsque ses ressourses sont insuf-

fisantes. » P. K.

Convulsions chez un JEUNE enfant par OBSTRUCTION intestinale

DUE A DES matières FÉCALES.

Le D G.-W. SoufRKsd'ËastAvon (New-York) rapporte le cas d'une

petite fille de quinze mois, pour laquelle il fut appelé en toute

hâte ; il trouva l'enfant atteinte de convulsions avec secousses

musculaires, pouces fléchis dans la paume de la main ; les yeux

étaient égarés et présentaient du strabisme. L'abdomen était très

distendu, la palpation faisait reconnaître dans l'intestin des

masses, dures, noueuses. La mère de l'enfant dit que celle-ci

était constipée, et qu'en vain elle lui avait donné plus de trois

cuillerées à café d'huile de ricin. Elle nourrissait habituellement

son enfant de pommes de terre, de choux, de pain, de ce qu'elle

mangeait elle-même. L'enfant criait sans cesse, courbé presque

en deux. Une injection d'eau chaude savonneuse amena la con-

traction de l'intestin et l'expulsion d'une grande quantité de

cybales dures, du volume d'une noix; l'enfant fut immédiatement

soulagé et s'endormit. Au bout d'une heure, les coliques re-

parurent ; nouvelle injection, et expulsion d'une quantité plus

grande de fèces couvertes de mucus. On donna à l'enfant quelques

grains de poudre de réglisse composée, les injections furent re-

pétées sept fois, les déjections devinrent de moins en moins dures,

acquirent une consistance presque normale. La soif, les con-

vulsions cessèrent, l'enfant demanda à jouer, et devint vif, gai.

La mère avertit en outre le Dr Schramm que la nuit qui pré-

céda les convulsions l'enfant avait eu une attaque de faux croup,

qui était sans doute d'origine réflexe. (Médical Record, 26 fé-

vrier 1887, p. 214.) R.

FAITS DIVERS

Asiles d'aliénés. Nomii2ations. - M. le D' Schils, médecin-

adjoint de l'asile de Vaucluse, est nommé médecin en chef de l'a

sile de Clermont (Oise) (3° classe) (arrêté du 22 janvier 1887).

M. le Dl Ponts, médecin en chef de l'asile public de Saint-Pierre

à Marseille, est nommé directeur-médecin de l'asile public de

Saint-Luc (Basses- Pyrénées) (4r- classe) (arrêté du 25 janvier).

M. le De Frièse est nommé médecin en chef de l'asile public de

Cadillac (Gironde) (2° classe) (arrêté du 29 janvier). Ri. le Dr

MARINDON de MorrTYEr., directeur-médecin de l'asile d'aliénés de

Dijon, est nommé médecin en chef à l'asile public de Saint-Pierre

à Marseille (Bouches-du-Rhône) ('2 ! " classe) (arrêté du 8 février).

M. le De FEBVRÙ, médecin-adjoint de l'asile de Montdevergues,

est nommé à l'asile de Ville-Evrard (Seine-et-Oise) (maintenu a la

classe exceptionnelle) (arrêté du 28 février). M. le De Maunier,

médecin-adjoint à l'asile d'Aix (Bouches-du-Rhône), est nommé

médecin eu chef de l'asile de Montdevergues (Vaucluse) (poste créé

3e classe) (arrêté du février). - M. le Dr J)ERICQ, ancien interne

des asiles publics de la Seine, est nommé médecin-adjoint de

l'asile de Prémontré (Aisne) (20 classe) (arrêté du 5 mars).

Promotions. MM. les D'a DUFOUR, médecin en chef de l'asile

de Saint-Robert (Isère), et SIZARET, médecin en- chef de l'asile de

Maréville (Meurthe-et-Moselle), sont promus à la classe exception-

nelle. M. le Dr DANis, directeur-médecin à Saint-Dizier (Haute-

Marne), est promu à la première classe. MM. les DT9 PEYBERNÈS,

directeur-médecin à Bourges; MABILLE directeur-médecin à Lafond-

Larochelle ; PIFRRET, médecin en chef de Bron, sont promus à la

classe ? \111. les Dra BEsstÈREs, médecin-adjoint à Evreux;

CHAUSSINAUD, médecin-adjoint à Fains ; Grima, médecin-adjoint à

Saint-Luc, sont promus à la classe exceptionnelle. M. le

De Pichenet, médeciu-adjoint à Auxerre, est promu à la le, classe

(arrêté du 12 février). , J

Faculté de DRO1T, na PARIS. M. le Dr ûubuisson, licencié eu

droit, médecin-adjoint à l'asile Sainte-Anne, a commencé le jeudi

13 janvier 1887, à 4 heures de l'après-midi, la,Faculté de droit

de Paris, un cours libre sur les maladies mentales au point de vue

de la responsabilité et de la capacité. Ce cours comprendra douze

leçons. [Annales médico-psychologiques).

318 FAITS DIVERS

Hospices de Bicètre ET de la Salpêtrière. A partir du 1" fé-

vrier 1887, le service de M. le D' BoURriEVILLE à 1 hospice de

Bicêtre a été dédoublé. M. Bourneville garde la section des en-

fauts, et M. Ch. Féré, médecin-adjoint de 1 hospice de la Salpê-

trière, prend le service des adultes; M. le Dr SÉGLAS passe

comme médecin-adjoint, de Bicêtre à la Salpêtrière.

Inspection générale des établissements DE BIENFAISANCE. La

Chambre des députés ayant supprimé quatre places d'inspecteur

des établissements de bienfaisance et des prisons, M. le ministre

de l'intérieur s'est conformé à cette décision de la façon suivante :

l'un des inspecteurs des prisons, M. Nivelle, étant mort, la place

a été supprimée ; un autre inspecteur des prisons, M. CHRISTIAN,

a été nommé préfet et remplacé par M. PELLAT, auparavant ins-

pecteur, général des établissements de bienfaisance; - M. MARÉ-

CHAL-LEBRUN, inspecteur des établissements de bienfaisance, sera

appelé à un autre emploi; M. le comte de l''LERs et M. LADREIT

de la Charrière ont été simplement remerciés.

Le corps des inspecteurs généraux des établissements de bien-

faisance reste en conséquence, composé ainsi qu'il suit : MM. Fo-

ville, GRKNIER, LEFORT, Naplas et A. REGNARD.

Société médico-psychologique. Prix Aubanel. M. GARNIER,

au nom d'un commission composée de MM. Falret, Magnan,

Christian et Charpentier propose, comme sujet du concours du

Prix Aubanel, la question suivante qui est adoptée : « Du rôle

de l'hérédité dans l'alcoolisme ». Ce prix d'une valeur de

2,400 francs, sera décerné en avril 1881. Les manuscrits devront

être déposés avant le 3 ! décembre de l'année courante.

Prix Bellaomme. - La commission du prix Belhomme composée

de MM. Bouchereau, Dagonet, Féré, Foville et Séglas, rapporteur,

propose aux candidats le sujet suivant : « Rechercher s'il existe

des signes anatomiques, physiologiques ou psychologiques pro-

pres aux criminels. » Ce prix ne devant être décerné qu'au

mois d'avril 1889, la limite de dépôt des manuscrits est fixée au

31 décembre 1888.

Elections. Après élections le bureau de la société est ainsi

composé pour l'année t887 : président, M. Magnan; vice-prési-

dent : 11. Cotard; - secrBtaire général : M. Ritti; - secrétaires

annuels : MM. Charpentier et Garnier; comité de publication :

MM. Ballet, Briand, Féré; comité des finances : MM. Metivié,

Guignard; - trésorier : M. A. Voisin. Les deux présidents sor-

tants sont adjoints aux membres du bureau pour former le con-

seil de famille.

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE 319

Bromure DE magnésium. Le bromure de magnésium est em-

ployé a l'hôpital de Philadelphie, section des aliénés, comme un

puisant sédatif du système nerveux. On fait une solution en satu-

rant l'acide bromhydrique (Densité = 1,077, contenant 10 p. 100

d'acide réel HBr), par le carbonate de magnésie et filtrant. La

solution, légèrement teintée en jaune, est incolore, amère et

saumâtre au goût, d'une densité de 1,12 ? , miscible sans précipi-

tation avec parties égales d'alcool. Elle est administrée à la dose

de -2 IlLlidrachmes (7 cent. cubes 4) contenant environ 7 grains

(0 gr. 453) de bromure de magnésium (Pharmaceutical Journal).

Les asiles d'aliénés ET la POLITIQUE. -La comité des hôpitaux

a été averti qu'à l'asile d'aliénés d'Indiana, on se servait de

beurre rempli de vers, et qu'on en avait jeté soixante livres dans

l'égout avant la visite du comité. Un témoin a prouvé qu'on avait

reçu un troupeau de porcs, atteints du choléra, dont plusieurs

moururent; on avait tué quelques-uns de ces animaux, sur des

tables venant de l'enclos ou les autres gisaient morts. {Médical.

..Record, 26 février 1887, p. 246.)

DE l'ablation des ovaires comme cure DE l'épilepsie. Le

Dr Schramm rapporte deux cas dans lesquels il a enlevé les ovaires

sains pour combattre l'épilepsie. Ces deux malades ont guéri ; tout

au moins, aucun accès ne s'est produit depuis l'opération, c'est-à-

dire depuis plus d'un an. (Médical Record, 26 février 1887, p. 246.)

MÉGALOCÉPHALIE. Le cerveau de feu le professeur Edward d

Olney, de l'université deMichigan pesait 1,830 grammes. Ce poids

est rarement dépassé, et on n'en a guère enregistré plus de

quatre ou cinq exemples. Le cerveau d'Abercrombie et celui de

Schiller pesaient 1,890 grammes. (Med. Record, n° 7, p. 192, 1887).

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

Azam. Hypnotisme, double conscience et altérations de la personna-

lité. avec une préface de M. le professeur J. M. CHARCOT Volume in-t8

de 284 pages. Prix 3 fr. 50. .1.-B. Baillière, éditeurs.

Barrer (A.) et Féré (Ch.). Le Magnétisme animal Volume in-8- car-

tonne de 284 pages, avec 15 figures dans le texte. Prix : 6 fr. Paris,

1886. Librairie F. Alcan.

320 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

CHARCOT (J.-M.). répons sur les maladies du systènze fte''t)6Mj;, pro-

fessées à la Salpêtrière et recueillies par BLBINSKI, 13E[tNAni), FER E

GUINON, lRIE et Gilles DE t.A'1'onnETTE. 1·Otne Ilf, 2° tascicule. Un

volume in-80 de 380 pages avec 6t ligures dans le texte. - Prix : 9 lr. ;

pour nos abonnés, prix : 6 fr. -Ce fascicule complète le tome troisième.

DuFouR (E.). Asile public d'aliénés de SatM<-/io&er<(/6'M-e). Compte

rendu du service médical pendant l'année 188 3. Brochure in-8° de 19 pages.

Grenoble, 1886. Imprimerie F. Allier,

GuDrR (P.). Die Geistesstdrungen itacle Kopfverlelziingen unter be-

sonderer Berûcksichtigung ! 7t)'o' gerzclztsdrztliclzen Beurteilvng. Brochure

in-8° de 107 pages. léna, 1886 - Verla.- von Gustav Fischer.

HovE.ACQUE (A.) et Hervé (G.). - précis d'anthropologie. Volume in-8°

de 655 pages, avec 20 ligures. Prix : 10 fr. - Paris, 1886. Librairie

A. Delahaye et E. Lecrosnier.

Publications DU Progrès médical. Soeur Jeanne des Anges, supérieure

des Ursulines à Loudun, XVII* siècle Auto-biographie d'une hystérique

possédée d'après le manuscrit inédit de la Bibliothèque de Tours.

Annotée et publiée par MM. les D™ G. Légué et G. DE la Touiierte.

Préface de M. le professeur CaARCOT, membre de l'Institut. Un beau

volume in-8- de 330 pages. Papier vélin, prix : 6 fr. ; pour nos abonnés :

4 fr. Papier Japon, prit : 25 fr. ; pour nos abonnés : 20 fr.

Raffaeli (V.). La suggestione ternpeutica. Brochure in-8° de il pages.

- Napoii, 1887. - Tipograuco A. Tocco.

Ross (J.). On OjoAts.' Seing a contribution to the subject of the

dissolution of speech from cérébral discase. Vol in-8" cartonné de 128

pages avec figures. London t887. J. et A. Churchill.

Avis A NOS LECTEURS. - Nous appelons vivement r atten-

tion de nos lecteurs sur la discussion, au Sénat, de la

nouvelle LOI sur les aliénés. En reproduisant ces débats,

nous croyons être .agréable à tous les médecins des asiles

d'aliénés, de quelque nationalité qu'ils soient. De plus,

nous insérerons dans la mesure du possible, les lettres com-

mentant ou critiquant cette discussion qu'ils voudraient

bien nous adresser. Enfin, nous prions ceux d'entre eux

dont l'abonnement vient d'expirer de bien vouloir nous

adresser le montant de leur réabonnement.

i

Le rédacteur-gérant, UOU6NBV1LLS.

Erroux Ch. Hccwacr, irap. 387.

Vol. XIII. Mai 1887. N" 39

ARCHIVES DE NEUROLOGIE

CLINIQUE NERVEUSE

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE;

Par BOURNEVILLE et P. BRICO.NL.

Sous le nom d'ËPiLEPSiE procursive (Epilepsia pro-

czersiva" des anciens auteurs), nous nous proposons

d'étudier une forme particulière de l'épilepsie, dont

les accès, au lieu de présenter les phases habituelles,

sont constitués par une course ou propulsion rapide

en ligne directe dans l'axe horizontal du corps, ou

avec rotation à grands cercles, d'une durée ne dépas-

sant jamais celle d'un accès épileptique ordinaire, ne

s'accompagnant pas le plus souvent de chute et n'étant

pas suivi de coma, mais se compliquant d'une con-

gestion très forte de la face.

Cette forme de l'épilepsie, dont on trouve des exem-

ples assez nombreux, surtout dans les auteurs anciens,

a été décrite sous des noms très divers et parfois cou-

fondue avec la chorée ou d'autres affections nerveuses.

Nous verrons plus tard, quand nous traiterons de

l'anatomie pathologique, qu'elle semble devoir être

Archives, t. XIII. 21

322 -) clinique nerveuse.

classée parmi les épilepsies symptomatiques d'une

lésion encéphalique qui paraît constante.

Dans une première partie nous traiterons de l'épi-

lepsie procursive proprement dite, c'est-à-dire des cas

où la course constitue à elle seule l'accès épileptique ;

mais nous aurons dans la suite à citer des faits qui

prouvent que l'acte procursif peut, plus tard, être suivi

d'un accès ordinaire ou disparaître complètement pour

faire place l'épilepsie vulgaire. Cette succession

possible des phénomènes cliniques explique pour-

quoi les auteurs ont considéré la procursion tantôt

comme un vertige, tantôt comme un accès complet

ou incomplet. Les faits qui nous sont personnels

nous permettent de nous ranger plutôt à l'opinion des

médecins qui considèrent ces accidents comme des

accès incomplets. Ce n'est pas à dire pour cela

que le vertige1, ne puisse jamais être accompagné de

mouvements automatiques; l'absence elle-même peut

consister en un simple acte automatique, mais alors

on n'a nullement affaire à une procursion véri-

table, mouvement précipité de peu de durée, auto-

matique si l'on veut, mais caractérisée par une course

remplaçant les périodes tonique et clonique de l'accès

ordinaire.

Pour compléter l'étude de l'épilepsie procursive

nous étudierons ensuite les actes automatiques, à carac-

tères plus ou moins procursifs, qui accompagnent le

vertige et l'auna, ou qui sont consécutifs à l'accès; nous

diviserons donc notre sujet de la manière suivante :

' Perte de connaissance, a\ec sensation de tournoiement, accompa-

,-liée ou non de quelques phénomènes conuilsifs de peu de durée et

d'intensité.

DE L EPILEPSIE PROCURSIVE. 323

I. Epilepsie procursive proprement dite, ou accès

épileptiques essentiellement constitués par la course.

IL Epilepsie avec aura procursive, soit que celle-ci

ait dès l'abord été isolée, soit qu'après avoir été

suivie d'un accès épileptique ordinaire, elle ait enfin

disparu totalement. - III. avec procursion

consécutive. IV. Vertiges procursi fs. -V. Analonzie

pathologique. VI. Pronostic et diagnostic. VII.

Considérations générales sur la Physiologie et l'Etiologie

des mouvements procursifs. - VIII. Traitement.

I. Epilepsie PROCURSIVE proprement DITE.

Dès l'abord, avant tout historique, nous croyons

utile pour mieux faire comprendre au lecteur ce que

nous entendons par r éhilehsie procursive de donner

quelques' exemples de cette maladie. Le premier

concerne un malade atteint déjà depuis longtemps

de nombreux accès épileptiques quotidiens à type

procursif.

Observation I. Epilepsie PROCURSIVE. '

Père neurasthénique, sujet à des céphalalgies. Grand'mèe

paternelle morte apoplectique (hémiplégie gauche), ? zeu2,as-

the;zique, migraineuse, 12,emblene21t choî-éifoi,ine de la tête vers

trente ans. Deux oncles peu intelligents. Aïeule mater-

aliénée. Demi-frère mort de méningite. 6'c°M ! '

morte phtisique.

Peurs de un à quatre ans. Début des accès procursifs à Ireizeans.

Perversité des instincts. 7/c ? HM'< ! /op : e. Cauchemars.

Aura. Description des vertiges et des accès. Rixes,

évasions et vols nombreux Onana'sme.- Pédérastie.- Der-

nière évasion : vagabondage, tentative de vol. Arrestation,

3 2 si CLINIQUE NERVEUSE.

Condamnation à un an et un jour d'emprisonnement.

Démarches nombreuses faites auprès du préfet de police, du

ministre de la justice, du ministre de l'intérieur, du y'e-

sident de la République, du procureur général, pour faire

sortir le malade de prison.- Insuccès complet. Réintégra-

tiolz dans le service à l'expiration de sa peine. Traitement :

Hydrothérapie, aimant, nitrate de pilocarpine.

Grandidi... (Charles), né le 20 novembre 18G0, est entré à

Bicètre le 2 mai 1881 (service de M. Bourneville).

Aztécédents(Ilenseignenzeals fourltis par sa mère et son grand-

père paternel. (G mai 4881.) - l'ère, quarante-lruit ans, cor-

donnier, de petite taille, « faible de tète », se tourmente

pour les choses les plus insignifiantes, n'a pas de carac-

tère, jouit d'une bonne santé ; il aurait eu, de l'âge de

treize ou quatorze ans à quarante-six ans, des maux de

tète fréquents et violents accompagnés de bourdonnements

d'oreilles, mais sans vomissements, ni vision colorée; il n'est

ni colérique, ni alcoolique. [Père, soixante-dix-sept ans,

homme de peine ; pas d'excès de boisson, pas de migraine.

Mère, morte à l'âge de soixante-dix-neuf ans, en douze jours,

d'une attaque d'apoplexie avec hémiplégie gauche ; elle aurait

été très nerveuse, très impressionnable : impatiences, colères,

migraines (céphalalgie violente avec vomissements glaireux) ;

tremblement de toute la tête vers trente ans augmentant par

les émotions. Deux frères : l'un est bien portant ; l'autre tremble

des mains (cinquante ans) ', pas d'excès de boisson ; tous deux

sont médiocrement intelligents ; pas d'enfants. Pas d'aliénés,

pas d'épileptiques, pas de difformes, pas de suicides, pas de

criminels dans la famille.]

Mère, cinquante six ans, brune, de taille moyenne, bien por-

tante, ni migraineuse, ni nerveuse, mariée une première fois

à dix sept ans et demi, a eu cinq enfants : un a été tué à Sedan ;

deux sont morts, l'un d'une méningite avec convulsions,l'autre

à la naissance : les deux autres sont bien portants; remariée à

vingt-septans. [Père, quatre-vingt-cinq ans, cordonnier, « n'aja-

mais vu un médecin»; pas d'excès de boisson. Mère, quatre-

vingt-cinq ans, femme de ménage, bien portante . Deux

' C'est l'ainé, il n'est que frère de mère ; né avant le mariage.

' Elle est morte en juin 1882, de bronchite avec dyspnée.

DE L'ÉP1LEPSIE PROCURSIVE. 325

frères morts l'un écrasé par une voiture (aurait eu des mani-

festations strumeuses), et l'autre, peintre en bâtiments, de

cachexie saturnine avec catharre pulmonaire (il avait un

eczéma) ; tous deux ont laissé des enfants bien portants.

Sa grand'mère paternelle aurait été aliénée (admise à la Sal-

pètrière, il y a environ cinquante ans, elle aurait guéri). Pas

d'autres aliénés, etc., dans la famille.] Pas de consanguinité.

Deux enfants du second mariage : 10 Fille morte à 22 ans

de la poitrine ; 2" notre malade.

Grossesse bonne, pas de traumatisme, pas d'alcoolisme

(lors de la première grossesse du premier lit, elle avait sou-

vent envie de boire du cognac). Accouchement naturel, rapide,

à terme. Rien d'anormal à la naissance. Élevé en nourrice au

sein, Gr... a été repris à onze mois, il était alors maigre et ché-

tif, ne marchait ni ne parlait, on ne sait s'il avait eu des con-

vulsions, la nourrice n'ayant donné aucun renseignement. Peu

après un s'est aperçu que l'enfant avait des « peurs » : il criait

la nuit, on le trouvait avec les yeux grandsouverts ; on le pre-

nait, il cachait sa tête «dans mon estomac ». Rassuré au bout

de cinq minutes on le recouchait et il s'endormait. Les peurs

se sont reproduites jusqu'à quatre ou cinq ans presque

toutes les nuits. Il a marché et parlé à seize mois, a été pro-

pre à la même époque. Vers quatre ou cinq ans, les peurs ont

disparu ; on l'a envoyé à l'école où il apprenait passablement;

la mémoire était assez bonne; il était doux et affectueux, mais

très turbulent; il n'étaitpas colérique; lesommeil était devenu

tranquille (ni secousses, ni absences, ni cris). Vers treize ans,

on s'aperçut que, tout d'un coup, en travaillant, il devenait

« rouge, rouge pourpre, les yeux étaient injectés de sang, il se

levait, courait dans la chambre» ; si la crise avait lieu dans la

rue, il courait alors « très vite » tout droit jusqu'à ce que ce

fût fini ; il s'arrêtait tout court », revenait à lui, et était

« tout honteux ».

Au début, Grand... avait une crise tous les huit jours, puis

de trois en trois jours, enfin tous les jours ; ces crises se-

raient les mêmes qu'aujourd'hui ; le malade ne tombe pas ; il

ne prévient pas ; il dit cependant qu'il sent venir. Pas- de cri.

Quand les crises ont lieu dans la nuit, il se débat dans le lit,

semble donner des coups ; pas de stertor, pas de miction in-

volontaire ; pas de folie. L'intelligence et la mémoire n'au-

326 CLINIQUE NERVEUSE.

raient pas diminué. Il ne serait pas devenu irascible, aurait

conservé les sentiments affectifs. Il travaillait à la cordonnerie

chez ses parents. Pas de fièvres éruptives, pas d'accidents

strumeux. « A mon idée », dit la mère, « l'enfant aurait eu

une peur avec la nourrice, puisque mes autres enfants n'ont

jamais rien eu. »

A seize ans de complicité avec quelques-uns de ses camara-

des, il vole les bijoux de sa mère et de sa soeur et les vend.

Déjà,- du reste, peu après le début de ses accès, mis en ap-

prentissage chez un ébéniste, il en était renvoyé après cinq à

six mois, pour paresse, vol et vagabondage ; son patron l'avait

repris jusqu'à trois fois.

Etant chez son père, il se fait arrêter à diverses reprises

pour bris de carreaux, de glaces, vol de pommes de terre fri-

tes, etc. Son père l'a fait renfermer deux fois (un mois chaque

fois), à la petite Roquette. Trois fois il a fait perdre à son

père sa place de concierge.

A seize ans, il est mis à la colonie de Mettray, où il reste

quatre ans. Repris par son père qui essaie en vain de le

faire travailler avec lui de son métier de cordonnier, il entre

ensuite à la Charité où il reste six semaines et de là est en-

voyé à Bicêtre,.

Etat actuel (17 mai 1881). 7"c/c ovale, symétrique; la

région occipitale est modérément déveluppée ; les bosses pa-

riétales, les apophyses mastoïdes ne sont pas proéminentes !

les cheveux sont bruns, abondants.

DE L EPILEPSIE PROCURSIVE. 327

bouche mesure cent. 5 ; les lèvres sont minces, normales,

le menton est rond.

' Le cou, assez large, a 33 centimètres. Le thorax est sy-

métrique, normal ; les muscles pectoraux sont bien dessinés.

- L'abdomen est souple ; le foie, la rate n'offrent rien de

particulier.

Organes génitaux : la verge est très développée ; le gland

est découvert . Les testicules sont normaux. Poils noirs assez

abondants au pénil. Les ganglions inguinaux des deux côtés

sont légèrement hyperdrophiés; manustupraticnt.

Les membres supérieurs sont bien conformés, velus. Sur la

face antérieure de chaque avant-bras, se voit un tatouage bleu

représentant une ancre. Cicatrices de vaccin.

Les membres inférieurs sont bien développés et velus. Sur

les orteils, cicatrices provenant d'engelures. A la partie ex-

terne du genou gauche, cicatrice un peu déprimée, lisse,

blanche, entourée d'un cercle brunâtre (un centimètre de dia-

mètre) ; une autre cicatrice plus petite, plus déprimée, au

tiers supérieur et externe de la jambe gauche ; une cicatrice

de même nature au-dessous du mollet droit, à la partie pos-

téro-interne ; le malade dit que ces diverses cicatrices pro-

viendraient « d'un mal qui lui serait venu » il y a quelques

années, (furoncles ? ) Le réflexe tendineux est très peu dé-

veloppé.

Tube digestif, digestrbn. Les arcades dentaires sont ré-

gulières ; la dentition est normale (deux dents cariées) ; la

voûte palatine est profonde; la langue, le voile du palais, la

luette, les amygdales, le pharynx sont normaux. - Les fonc-

tions digestives sont normales; les selles sont volontaires.

Respiration et circulation : Rien de particulier à noter.

P. 60 ; R. 2t.

Sensibilité générale et spéciale : normales. Au dire du malade

il aurait été, il y a cinq ans, atteint d'une héméralopie pas-

sagère qui ne se produisait qu'à la tombée de la nuit, et cela

1 Examen des organes génitaux du 27 mai 1885 : Poils noirs abon-

dants remontant, en diminuant jusqu'à l'ombilic et descendant jusque

sur les cuisses ; bourses pendantes surtout à gauche ; testicules de la

grosseur d'une petite noix. - Verge bien développée (circonférence :

neuf et demi, longuem : 10). -Gland en partie découvert, découvrable.

Méat légèrement étroit. Poils abondants à l'anuc.

328 CLINIQUE NERVEUSE.

pendant trois ou quatre jours de suite ; elle disparaissait

alors quelque temps pour reparaître ensuite. Le dyna-

momètre donne à droite cinquante-sept et à gauche quarante-

cinq.

Les facultés intellectuelles paraissent assez bien conservées ;

Grandid... est très peureux dès que la nuit est venue; un soir,

étant seul et ayant entendu un chat, il a voulu se jeter par la

fenêtre. Il a quelquefois des cauchemars ; dans la nuit du sept

auhuit décembre, on l'a entendu appeler tout haut; «Maman !

papa ! »

Aura. - Le malade semble avoir une aura ; il dit ressentir

un engourdissement qui, partant de l'extrémité du pied droit,

occuperait la face externe et dorsale de celui-ci, gagnerait la

partie latérale du thorax, la moitié droite de la face, enfin la

tête. Pas d'hallucinations delavue, pas de phosphènes. Gran-

did... ne ressentirait rien du côté du membre supérieur; la

durée de cette aura serait très brève. Avant l'accès, il s'é-

crierait parfois : « Oh 1 la ! la ! la ! » Il tombe aussi sans être pré-

venu.

Description d'un vertige. Le malade, occupé ou non,

s'arrête tout à coup, porte la main droite à la joue du même

côté qui présente quelques mouvements cloniques et qu'il

frotte à différentes reprises. Il revient à lui presque de suite ;

interrogé, il dit que ce n'est qu'un vertige et qu'il a ressenti

un engourdissement de la joue droite.

Description d'un accès. Les accès sont 'ainsi caractérisés :

le plus souvent, après avoir présenté les phénomènes de l'aura

décrits plus haut, sans cri initial, il se met à courir tout droit

devant lui si l'espace est assez vaste ; si l'accès a lieu dans la

salle ou dans la cour, il fait deux ou trois tours rapidement ;

la face est fortement congestionnée, sans cyanose. Tout en

courant, il secoue la tête, se frotte la joue droite et quelquefois

les deux côtés de la face avec les mains ; en même temps, il

fait entendre une espèce de bourdonnement produit par le

tremblement des lèvres. Il évite généralement les obstacles qui

peuvent se trouver sur son passage (le malade prétend voir

trouble pendant l'accès), mais parfois il s'accroche avec les

mains aux objets qu'il rencontre, et, en ce cas, s'il ne les a

saisis que d'une main, il s'enroule en quelque sorte au-

tour d'eux. Il ne tombe jamais. Aussitô arrêté, ce qui a lieu

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 3S9 9

brusquement, il paraît étonné, se remet de suite et continue

ce qu'il était en train de faire.

S'il est assis, il se lève, court et revient souvent à sa place

tout en courant et sans avoir eu connaissance de ce qui vient

de se passer. Le 4 décembre 1881, Grandid... étant sor-

ti et se trouvant en omnibus, en sort subitement en courant

et revient. Dans la même journée, étant à table chez ses pa-

rents, il se lève, se met à courir, sort et va s'accrocher des

deux mains au deux roues de derrière d'un fiacre en marche.

S'il est au lit, quelquefois on observe les phénomènes que

nous venons de décrire, mais parfois l'accès se trouve modifié ;

le malade ne se lève pas; on n'observe pas de période tonique,

mais seulement de grands mouvements de rotation incomplète

qui portent le corps de droite à gauche et de gauche à droite,

les deux mains appliquées devant la face et la frottant. Ces

mouvements de rotation peuvent être accompagnés de sauts

de tout le corps, ou remplacés par ceux-ci. Dans ces derniers

temps, il lui est arrivé, mais rarement, d'uriner sous lui pen-

dant les accès.

Dans un accès auquel nous avons assisté, le 6 décembre

1881, Je malade étant couché, nous avons noté de grands mou-

vements étendus à droite ; le côté gauche était peu secoué;

Grandid..., faisait un demi-tour de droite à gauche, puis de

gauche à droite. Pendant la durée (cinquante secondes) de cet

accès, il émettait un son se rapprochant du mot « oue » répété

fréquemment.Lespupilles,examinées aussitôt l'accès terminé,

étaient légèrement dilatées, le pouls battait 84 ; mais presque

aussitôt le pouls et les pupilles sont revenus à leur état

normal.

Les accès semblent dans ces derniers temps s'être quelque

peu modifiés; ainsi il arrive maintenant plus fréquemment

que Grandid... se lève de son lit dans ses accès ; aussi doit-on

l'y maintenir attaché. Les accès sont principalement noc-

turnes.

13 juillet. Le malade a été renvoyé de la cordonnerie;

le chef d'atelier prétend qu'il gaspille la marchandise par mé-

chanceté ; qu'il vole divers petits objets, est insolent, pares-

seux, passe son temps à faire des niches aux autres malades ;

qu'enfin il a fait manger à Ar..., malade vorace, des boulettes

de viande mêlées à des matières fécales.

27 août. Hier Grandid... a dérobé une chaîne d'acier au

330 CLINIQUE NERVEUSE.

malade Mart ? et, comme celui-ci la réclamait, il lui a donné

une c pile ». Hydrothérapie à partir d'aujourd'hui.

12 octobre. Rixe avec un autre malade.

20. Traitement par l'aimant en fer à cheval (une heure

chaque matin).

1er novembre. Suppression des douches. L'aimant en fer

achevai, appliqué d'abord sur le vertex, est maintenant ap-

pliqué sur la nuque (en contact).

4. Grandid... prétend que depuis près d'un mois il avait

des vertiges presque continuels, mais que depuis une semaine

ils sont devenus assez rares.

15 décembre. Suppression du traitement par l'aimant '.

31. Le malade est renvoyé de l'atelier pour vol, faux et

attentats à la pudeur.

1882. 30 janvier. Angine simple.

V février. Injection hypodermique de 0 gr. 005 de ni-

tnate de pilocarpine.

7. Injection de 0 gr. 01 de nitrate de pilocarpine.

23. Injection de 0 gr. 015.

3 mars. Cessation des injections sous-cutanées. Julep,

avec 0 gr.25 de nitrate de pilocarpine. 1er avril. Hydro-

thérapie. Julep avec 0 gr. 03. 15 mai. Julep avec

0 gr. 04. 1" Juin. -Julep avec 0 gr. 02. 12. Julep

avec 0 gr. 03.

la juin. - Dimanche, G... est sorti avec son grand-père

paternel, administré de Bicêtre, et sous prétexte d'aller chez le

marchand de tabac, il s'est sauvé ; il est rentré seul le soir à Bi-

cêtre vers 9 heures. Hier (1 ? juin) il s'est sauvé de l'hospice

en escaladant les murs de la buanderie et du marais. Une fois

dans les champs il aurait vendu la veste de la maison. Evadé à

midi il n'est allé à la maison de son père que vers minuit ; il

s'y est blotti derrière une porte, mais son père prévenu par

un locataire l'a fait rentrer chez lui. Ramené ce matin,

on l'envoie à la Sûreté.

20. Julep avec 0 gr. O'4 centigr. de nitrate de pilocarpine.

' Cette première partie de l'observation a déjà paru sous le titre cl'é-

pilepsie pi-oca2,sive (]ans la tlièse (le 1'tin de nous. I'. l3ricon. - Drc trai-

tement de l'épilepsie. (Hydrothérapie, arsenicaux, rnnagnétisme minéral,

de .sel.s l»lncr pirrc. Paris IRR ? p. 2 ?

DE l'épilepsie PROCURSLVE. 331

4 juillet. Nouvelle rixe avec un malade à la suite de la-

quelle il injurie le sous-surveillant.

6. Il sort de la Sûreté pour rentrer dans le service.

15 août. Julep avec 0 gr. 06 centigr. de nitrate de pilo-

carpine. Bien que le tableau des vertiges ne mentionne pas

de vertiges, il en aurait eu souvent de fugaces.

1" décembre.- Suppression du traitement par la pilocarpine

et V hydrothérapie.

4883. 6 février (mardi-gras). - Dans l'intention de s'éva-

vader il avait revêtu ses habits de sortie en les déguisant par

ceux de l'hospice, mais le pantalon de ville étant plus long

que celui de l'asile l'a trahi. Envoyé à la Sûreté, il a été trou-

vé porteur de quatorze francs provenant non de son travail,

mais probablement soit de vols (on signale depuis quelque

temps ladisparition de porte-monnaies dans le service), soit de

vente de tabac aux enfants.

On apprend en outre que récemment, lors d'une sortie avec

son grand-père, il l'a abandonné pour aller au cirque, puis

avec une femme, du moins à ce qu'il dit; il est envoyé à la

Sûreté. Il est remonté dans le service le 13 février.

7 mars. Un vol d'argent et de friandises accompli de

complicité avec deux de ses camarades nécessite son renvoi à

la Sûreté.

25 Tous les mois son grand-père le conduit chez son

père, ou parfois chez d'autres parents. Il est rare que dans

ces sorties il ne fasse pas quelque mauvais tour; c'est ainsi que

dernièrement il aurait volé un lapin.

9 avril. Traitement hydrothérapique.

27 avril. Description d'un accès. Le malade était assis sur

une chaise dans notre cabinet; il se lève tout d'un coup, se

précipite en courant par la porte jusqu'à l'extrémité de la

cour qui mesure environ 66 mètres ; arrivé contre le mur, il

frappe vigoureusement des mains, se retourne brusquement

et reprend sa course en sens inverse; puis, après avoir sauté

par dessus un banc, vient se buter contre la cloison de la ga-

lerie de l'école ; il se couche alors sur un banc. La physiono-

mie est hébétée, la face pâle, les pupilles contractées. Durant

la course, il se frictionnait l'épaule droite avec la main droite.

On le fait rentrer dans le cabinet; pendant quelques instants,

la face est pâle et la physionomie hébétée.

332 CLINIQUE NERVEUSE.

Il parait ne pas s'être rendu compte de l'accès qu'il vient

d'avoir. La nuit dernière il aurait eu un accès, dans lequel il

serait tombé du lit, d'où une contusion assez forte du coude.

28. A la Sûreté, Grandid... a eu plusieurs accès dans le

préau. Au dire des gardiens, il pousse d'abord une sorte de

grognement sourd, puis court dans le préau qu'il parcourt plu-

sieurs fois en sautant par dessus les couronnes qui y sont

étendues'; il bute enfin contre la grille qu'il saisit et s'affaisse.

- Durée totale : 2 minutes environ.

Au chauffoir, les accès présentent les caractères suivants :

début par une sorte de bourdonnement; il se frappe les coudes

et la tête sur la table ; on dirait, qu'il bat la caisse avec son coude,

puis, après 2 minutes environ, il se lève, se précipite dans le

jardin, bousculant parfois les personnes qui se trouvent sur

son passage, mais le plus souvent évitant les obstacles; après

2 ou 3 tours du jardin, il s'arrête. Ni bave, ni écume, ni incon-

tinence d'urine.

Autre variété d'accès. Mêmes mouvements des bras et de la

tète; il se laisse alors tomber de son banc, se roule sans cri,

pendant une minute environ, se relève et se sauve. Si on le

maintient, on constate une rigidité générale, l'absence de

secousses cloniques, puis la résolution accompagnée de sou-

pirs, sans bave, ni stertor ou évacuation involontaire.il ne lui

reste à la suite de l'accès qu'un peu de fatigue.

ler mai. Le malade se trouvant à l'infirmerie des enfants

fait entendre subitement uue sorte de grognement sourd, sa

casquette tombe à terre ; il se précipite vers le bout de la salle,

frappe des deux mains contre le mur, se retourne brusquement,

reprend sa course vers l'autre extrémité de la salle, frappe la

cloison, se retourne de nouveau, revient en courant au mur

d'entrée en évitant les obstacles (colonnes, chaises, etc.), refait

encore trois fois toute la longueur de la salle, puis s'arrête tout

stupéfait, hébété, la face pâle, les pupilles à peu près normales ;

un peu d'anhélation, très léger stertor, sueurs autour des

lèvres; il ne revient complètement à lui qu'au bout de deux

minutes.

5. Description d'accès. En descendant de l'infirmerie,

1 Les malades de la Sûreté s'occupent su) tout à fabriquer des cou-

ronnes pour les distributions de prix.

de l'épilepsie PROCURSIVE. 33

Grandid.... est pris dans la cour des enfants d'un accès dont

on ne voit pas le début ; il se met à courir dans la cour en

poussant le grognement qui lui est habituel; arrivé à l'extré-

mité, il saisit les barreaux de la grille, se retourne brusquement

et reprend sa course. La figure est rouge, vultueuse ; le malade

bave un peu; de la main droite il se frictionne la joue et l'é-

paule droites ; arrivé à l'autre bout de la cour, il saisit la barre

de la rampe de l'escalier, se retourne dans l'escalier qu'il monte

rapidement, se met à courir dans la rampe qui est située au

dehors de la cour des enfants, fait environ 15 mètres, puis il

semble éprouver quelque difficulté à se tenir sur les jambes,

trébuche à plusieurs reprises sans tomber, accroche enfin un

barreau et s'arrête. La face est pâle, les pupilles contractées;

il reste debout, ne répond pas aux questions, prend des mains

des enfants sa casquette tombée pendant la course. Une

demi-minute après environ il, s'assied sur le rebord en

pierre et à la demande de ce qu'il a eu il répond qu'il n'en sait

rien.

2 juillet. -Dans un accès, Grandid.... fait deux fois en cou-

rant le chemin du cabinet au fond de. la cour (66 mètres).

Avanl l'accès, le pouls était à72, la respiration à 24 ; après l'ac-

cès, on compte 100 pulsations et 24 inspirations. Les pupilles

égales et petites n'ont subi aucune modification.

12. 11 sort delà Sûreté pour rentrer dans le service.

6 août. A 8 heures du soir, alors qu'il était auprès de son

lit, se préparant à se coucher, Grand....'est pris d'un accès : il

se dirige en courant vers la porte vitrée, éloignée d'une dizaine

de mètres de son lit, dont il enfonce le carreau inférieur avec

le bras droit; il se fait une plaie transversale de 4 centimètres

à la face antérieure de l'avant-bras. Il tournait à ce moment le

dos à la salle. Le veilleur qui l'a saisi en arrière ne sait dire si

Grand.... semblait se disposer à revenir, encourant, sur ses

pas, selon son habitude lorsqu'il rencontre un obstacle. L'accès

aurait été de suite arrêté.

15 octobre. Vol de porte-monnaie. - On l'envoie à la

Sûreté. Cessation du traitement hydrothérapique.

9 novembre. Anthrax de la face postérieure de l'avant-

bras.

1884. 3 janvier. On apprend qu'au début de son séjour à

la Sûreté il couchait dans le dortoir du préau, et qu'il en pro-

331 CLINIQUE NERVEUSE.

fitait pour se livrer à des actes de sodomie avec un autre ma-

lade. On le fait rentrer dans la section.

8. Évasion. Grand.... s'est sauvé par la grille de la cour

des épileptiques située près de l'église, puis par la cour du

puits; enfin il a grimpé sur le toit de l'atelier du tapissier et

sauté sur le chemin des médecins qui longe l'hospice intérieu-

rement.

9 janvier. Le malade, rentré hier, raconte qu'après son

évasion il s'est rendu à Paris, a couché dans un hôtel et que

le lendemain soir, ayant dépensé les trois francs qu'il possé-

dait, il est allé chez son père qui l'a ramené à l'hospice. Il

est envoyé à la Sûreté d'où il sort le 12 janvier.

15 janvier. Il est renvoyé à la Sûreté pour de nouveaux

méfaits.

le, avril. Traitement hydrothérapique.

7 avril.-Vol d'un caleçon qu'il essaie de vendre à un malade

de la Sûreté. Le surveillant ayant confisqué le caleçon, il

s'ensuit une scène violente pendant laquelle Grand... profère

les injures les plus grossières et essaie d'ameuter les autres

malades.

2 mai. Il est envoyé de la Sûreté dans le service.

19 juin. Evasion avec un de ses camarades.

22. - Ramené à l'hospice par soiifrère 1, il dit que son cama-

rade et lui se sont sauvés en franchissant le mur du Marais

(jardin maraîcher de l'hospice). Ils se sont rendus aux Bati-

gnolles, s'arrêtant en route chez un marchand de vin et sur

les boulevards extérieurs avec deux filles publiques avec les-

quelles ils ont eu des rapports. Grand.... aurait ensuite aban-

donné son compagnon devant le cirque Fernando, à cause de

sa mauvaise tenue, dit-il, qui attirait l'attention des passants.

Il se trouvait en possession de quinze francs, provenant,

selon toute probabilité d'un vol commis le môme jour par une

singulière coïncidence à l'égard d'un autre malade. Il aurait

couché seul à son hôtel habituel. Le 20 au matin il a rencon-

tré un ancien malade de l'hospice avec lequel il a passé la

journée, puis la nuit, et la journée du lendemain. Le soir de

ce second jour, l'hôtelier ayant refusé de recevoir Grand

celui-ci est allé coucher dans un terrain vague de l'avenue de

1 Frère d'un premier lit, : i Ic a ans, qui l'a fait arrêter.

DE L 11r,El'zlC PROCUItSIVLe. 335

Clichy où les sergents de ville l'ont arrêté, puis conduit au

poste où dans un accès il s'est contusionné les deux coudes.

On l'envoie à la Sûreté.

1 1 octobre. Il rentre de la Sûreté dans le service.

28 décembre. Sa conduite nécessite de nouveau son envoi

à la Sûreté.

1885. 16 mars. On le fait sortir delà Sûreté pour rentrer

dans le service.

4 mai. Evasion par l'atelier de cordonnerie. Le7»zai, le

malade est défalqué ; le 23, Grand... est réintégré à Bicètre. Il

prétend que s'il s'est évadé de nouveau, il faut en accuser ses

parents qui ne viennent pas le voir : « Ça m'a monté la tête

et je me suis sauvé. » Il se serait sauvé de la cordonnerie en

sautant sur le toit de l'atelier des ébénistes, dépendant de la

tapisserie, puis de là sur le chemin des médecins. Il possédait

seize francs provenant d'économies ( ? ? ). Il s'est présenté chez

Godillot pour avoir de l'ouvrage ; il a couché deux jours dans le

même hôtel, puis le troisième il a envoyé un camarade s'infor-

mer si sa mère demeurait toujours au même endroit : une

voisine l'a fait monter et a prévenu son père; il a été envoyé à

l'infirmerie du dépôt, puis de là à Sainte-Anne où il est resté

dix-neuf jours. Il est envoyé à la Sûreté.

27 juillet. Embarras gastrique.

19 octobre. Evasion. Le malade s'est évadé cette nuit de

la Sûreté avec un de ses camarades; on ne s'en est aperçu que

ce matin en trouvant dans le lit des mannequins formés de

traversins, d'oreillers, de sabots et de bonnets de coton (un

des coins de leur dortoir servait de dépôt de literie ! ). On

pense que l'évasion a eu lieu de la façon suivante : lorsque

l'infirmier chargé de la fermeture des barreaux extérieurs est

allé pour faire sa besogne, ils se seraient glissés derrière lui,

puis cachés derrière le bâtiment des bains qui fait saillie dans

le préau; l'infirmier revenu à l'intérieur, ayant trouvé comme

d'habitude le paquet d'habits déposé en dehors des cellules et

correspondant à chaque lit, a fermé la porte du dortoir sans y

entrer.- Quanta Grand... et à son compagnon, aussitôt qu'ils

ont vu que tout était tranquille, ils auraient grimpé sur le mur

qui sépare le préau des bains de celui de la Sûreté au moyen

d'un ràtissoir de jardin auquel étaient attachés des bandes et

des torchons (Grand... avait conservé lesbandesdont on enve-

336 CLINIQUE NERVEUSE.

loppait une de ses jambes contusionnée). Une fois montés

sur le premier mur, ils ont escaladé le mur extérieur de la

même façon. -- Dans la cour extérieure qui entoure la Sûreté,

ils ont profité d'une échelle laissée là imprudemment par l'en-

trepreneur de maçonnerie et ont pénétré dans la cour du

gymnase auprès de l'office du réfectoire de la grande école.

Ils ont enfin sauté par dessus le mur de la section des enfants

entre le gymnase et le réfectoire de la petite école, en s'aidant

d'un instrument aratoire'.

Huit mois après cette évasion, le 17 juin 1886, une lettre

de Grandid... à son grand-père, administré de l'hospice de

Bicètre, nous apprenait que notre malade se trouvait à la

Maison centrale de Gaillon.

Aussitôt nous avons écrit au directeur de cette prison qui

nous a appris, par une lettre en date du 30 juin 1886, que

notre malade avait été condamné le 27 octobre 1885 à un an

et un jour d'emprisonnement par le tribunal de la Seine,

pour vagabondage et tentative de vol; que, d'abord écroué à

la Maison centrale de Poissy, il en avait été extrait le 12 jan-

vier 1886, et transféré à l'infirmerie de Gaillon après avoir

été reconnu atteint d'épilepsie.

Une lettre de il. le Dr Boularan, médecin du quartier

spécial d'aliénés de la Maison centrale de Gaillon, nous

apprenait en même temps que du 12 janvier au 25 août

Grandid... avait eu 741 accès dont 615 de nuit et 96 de jour;

le maximum dans une nuit aurait été de 33. Les accès

duraient ordinairement de 39 secondes à une minute, rare-

ment de 5 à 12 minutes ( ? ).

Le 24 août 1886 l'un de nous adressait à M. Gragnon, préfet

de police, la lettre suivante, relatant ce qui avait déjà été tenté

pour enlever le malade à la prison et réparer une erreur

judiciaire regrettable.

1 11 est certain que si l'infirmier avait mieux fait son service, il serait

entré dans le dortoir pour s'assurer que tous les malades étaient réelle-

ment couchés, qu'il aurait dû s'assurer de visu des accès qu'il dit avoir

entendus. Cet infirmier a été congédié immédiatement. Nous avons,

du reste, depuis longtemps signalé le recrutement défectueux du per-

sonnel des infirmiers, que l'on prend souvent sans renseignements suffi-

sants et que l'on garde même parfois si leur casier judiciaire n'est pas

trop chargé.

DE I, epilepsie procursive. 337

Monsieur LE Préfet,

A la fin de juin, j'apprenais qu'un de mes malades, le nommé

Grand...,évadé de mon service le 49 octobre -1 885, avait été arrêté

quelques jours après et condamné à un an et un jour de prison

pour vagabondage et tentative de vol (27 octobre). Au commen-

cement de juillet, j'ai eu l'honneur de porter à votre connaissance

cette condamnation prononcée contre un malade, au sujet duquel

je vous ai adressé conformément à la loi et aux règlements un

certificat indiquant la nécessité de sa réintégration dans la sec-

tion, le signalant comme dangereux, kleptomane, pédéraste, etc.

L'annonce de ce fait si irrégulier vous frappa vivement; vous

m'avez promis de faire rechercher sur qui devait en tomber la

responsabilité. Vous n'avez pas perdu l'affaire de vue et quelques

jours plus lard, j'ai reçu la visite d'un de vos employés qui m'a

montré : 10 que Grand... avait été arrêté et condamné sousle nom

d'Auch... Louis (c'est le nom de l'un des malades de la section,

ami et complice deGr...); 20 que deux ou trois jours après sa

condamnation, Grand... avait décliné ses noms, prénoms, etc;

3° que malgré ces renseignements et bien qu'il ait avoué s'être

évadé de Bicêtre, il n'en a pas moins été dirigé sur la prison de

Poissy d'abord, sur celle de Gaillon ensuite à cause de sa maladie;

que la condamnation n'en a pas moins été maintenue et que fort

probablement le casier judiciaire d'Auch... porte une con-

damnation.

J'ai chargé voire employé qui ne paraissait pas se rendre un

compte exact de la gravité des faits, de vous prier, conformément

d'ailleurs à la promesse que vous m'en aviez faite, de faire prendre

d'urgence toutes les mesures nécessaires pour réparer les erreurs

commises et faire réintégrer Grandidi... dans le service. Plus de

six semaines se sont écoulées et rien ne parait avoir été fait. C'est

pourquoi, Monsieur le Préfet, je viens insister de nouveau aujour-

d'hui pour hâter une solution favorable. '

Veuillez agréer, etc.

M. Gragnon répondit qu'à la date du 13 juillet il avait

signalé au ministre de la justice la grave erreur qui avait été

commise. C'est alors (fin août) que l'un de nous envoya à

M. Demôle, ministre de la justice, la copie de la lettre ci-

dessus, en insistant sur la nécessité d'annuler le jugement,

et de faire réintégrer le malade à Bicêtre.

Le 4 octobre suivant, c'est-à-dire plus d'un mois après la

première lettre à M. Demôle, et huit jours après une nouvelle

lettre au même ministre, en l'absence de toute réponse, l'un

de nous adressa à M. Grévy la requête suivante :

Archives, t. XIII. 22

338 CLINIQUE nerveuse.

Monsieur le Président, '

Je viens signaler à votre haute justice un fait à mon avis, très

grave et qui, comme vous le verrez, mérite d'attirer très sérieuse-

ment votre attention.

Un malade aliéné, Grand...''Chartes), appartenant à mon service

de Bicètre, s'est évadé de la Sûreté où je l'avais envoyé par

punition le 19 octobre 1885. Aussitôt, j'ai fait un certificat consta-

tant que Gr... était atteint d'épilepsie procursive, avec perversion

des instincts, kleptomanie, etc. ; mentionné ses évasions multi-

ples ; et signalé la nécessité de sa réintégration.

Ce certificat a été envoyé immédiatement à la préfecture de

Police. Le 23 octobre, Grand... était arrêté pour vagabondage et

tentative de vol, et de ce fait, condamné le 27 du même mois à

un an et un jour de prison sous le nom d'un malade de Bicêtro

Aucli... (Louis). Quelques jours après il faisait connaître son nom

véritable et avouait s'être évadé de Ricêtre;ma)gréce)a, il fut

envoyé à la prison centrale de Poissy, d'où en janvier 1886, à

cause de ses fréquents accès d'épilepsie, il fut dirigé sur la prison

de Gaillon et mis dans le quartier des criminels aliénés.

A différentes reprises, je m'étais informé si Grandid... avait été

retrouvé, et s'il ne se trouvait pas au Bureau d'admission de l'Asile

Saint-Anne où passent tous les aliénés de la Seine. Toujours la

réponse fut négative. Le 20 juin dernier, le grand-père de Gran-

did..., vieillard liospitalisé à Bicêtre, me communiquait une lettre

de son petit-fils apprenant qu'il était à la prison de Gaillon.

Quelques jours après, j'eus l'occasion de voir M. le Préfet de Po-

lice et de lui exposer le fait : il le trouva très regrettable" et me

promit de prendre les mesures nécessaires pour que le malade Gr...

fut extrait de la prison de Gaillon et réintégré à Bicêtre.

N'entendant parler de rien, le 28 août j'écrivis une lettre à

M. le Préfet de Police qui me répondit le lendemain qu'il avait

signalé l'affaire, le 13 juillet, à M. le Ministre de la Justice et qu'il

attendait sa réponse.

Je résolus d'écrire fin août à M. le Ministre de la Justice, espé-

rant hâter la solution et faire cesser promptement la détention

du malade. Un mois s'étant écoulé sans réponse, mois de vacances

il est vrai, par une lettre en date du 29 septembre, je rappelai

aM.ieMinistredefaJusticema précédente lettre; voilà bientôt

huit jours de cela et ma seconde lettre n'a pas été plus heureuse

que la première. C'est pourquoi, M. le Président, je mesuis décidé

à faire appel à votre puissante intervention et à votre esprit de

justice.

J'ai la conviction que, vous aussi, vous considérez comme très

regrettable la condamnation d'un malade aliéné, et comme plus

DE L'EPILEPSIE PROCURSIVE. 339

regrettable encore son maintien en poison à partir du jour où

l'erreur a été reconnue.

Veuillez agréer, etc.

Le 9 octobre 1886, le directeur des affaires criminelles au

ministère de la justice répondit qu'il avait, à la date du

8 septembre, prié le ministre de l'intérieur de prendre les

mesures nécessaires pour assurer, en ce qui le concernait, le

règlement de l'affaire Grandid... et que, à la même date, il

avait invité le procureur général à faire rectifier, s'il y avait

lieu, la condamnation prononcée contre Grandid...

Les 12 et 13 octobre, l'un de nous écrivait à M. Sarrien,

ministre de l'intérieur, et à M. le procureur général en leur

rappelant les faits que nous avons relatés, plus haut. Le

16 octobre, M. Sarrien déclarait qu'il n'avait aucune connais-

sance de cette affaire et promettait s'en occuper d'urgence.

18 octobre. Nouvelle lettre au préfet de police dont nous

extrayons le passage suivant :

« Je vous serais bien obligé, écrivait l'un de nous, si vous pouviez

rappeler cette affaire â 11. le Ministre de l'Intérieur et examiner

ce que vous avez à faire à la sortie prochaine de ce malade qui, en

dépit 3'e Votre bonne volonté pour réparer une erreur, et en dépit

de mon intervention auprès du ministre de la justice, du ministre

de l'intérieur, du président de la République et du procureur

général, n'aura pas moins subi une année d'emprisonnement. »

Le 30 octobre, deux jours après l'expiration de la peine à

laquelle avait été condamné Grandid...,111. le ministre de l'inté-

rieur nous avisa que des instructions avaient été données pour

que le malade fût transféré à l'infirmerie du dépôt ( ? ), afin d'y être

l'objet d'un examen médical ( ! ) et ensuite dirigé sur ;un asile.

3 novembre. Grandid... est enfin réintégré à l'hospice de

Bicétre, six jours après l'expiration de sa peine.

9 décembre. Il est envoyé pour 8 jours en cellule pour

avoir voulu aider un hystéro-épileptique, Cah..., à s'évader.

1887. - Presque tous les accès de Grandid... sont actuellement

nocturnes; il a, en outre, quelques accès ordinaires exclusive-

ment nocturnes etse mord fréquemment la langue. Deux ou

trois fois par jour il a des étourdissements dans lesquels il voit

trouble, distingue les objets qui se trouvent devant lui, mais

sans les reconnaître. Les accès diurnes débutent par unecourse

de 2 à 3 mètres, puis il se roule à terre pendant 3 à 4 mi-

nutes environ, se relève seul en revenant complètement à lui.

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 341

1882. Juin. Poids : 47 kit. 100. Taille : l-,49. ,

1883. Janvier. Poids : 47 hil. 500. Taille : lm,49.

Juin. Poids : 48 hil. 300. Taille : f,50.

1884. Mars. Poids : 49171l. 200. Taille : 4 ? iO.

1885. -Janvier. Poids : z9 kil. 500. Taille : 1"1,50.

188G. Novembre. Poids : 30 l;il. Taille : lm,p0.

Réflexions. Chez Grand..., le premier accès pro-

cursif s'est produit à treize ans sans prodromes pro-

chains, ni cause déterminante connue. Ces accès,

devenus rapidement quotidiens, consistaient en une

course suivant la ligne droite, accompagnée d'une forte

injection de la face, en général, sans aura, ni cri, ni

chute, ni période tonique. La période clonique semblait

remplacée par la course; le retour à la connaissance,

sans coma, ni bave, ni urination involontaire, se fai-

sait promptement.

Ces accès, répétés plusieurs fois par jour, ne pro-

duisirent aucune diminution de la mémoire, mais la

perversion des instincts, dont Grand... a donné déjà

tant de preuves, pourrait bien leur être attribuée; il y

a là tout au moins une coïncidence. Nous attire-

rons encore l'attention sur l'héméralopie et la diminu-

tion du réflexe rotulien. A Bicêtre, nous avons cons-

taté chez Grand... des accidents épileptiques divers :

1° Des vertiges non procursifs pendant lesquels le

malade porte la main droite à la joue correspondante

qu'il frotte à diverses reprises et qui est agitée de

quelques mouvements cloniques ;

2° Des accès se présentant sous deux formes, a) Les

accès de la première forme sont ou non précédés d'aura ;

ni cri; ni chute; congestion de la face, mais

sans cyanose; course accompagnée de tremblement

bilatéral de la tète et d'un bourdonnement résultant

342 CLINIQUE NERVEUSE.

du tremblement labial; frottement de l'une ou

des deux, joues; retour subit à la connaissance.

La course se produit en ligue droite ou parfois cir-

culaire (à grands arcs de cercle), avec tendance à

l'enroulement autour de l'axe vertical d'un obstacle

rencontré. Le malade semble ne pas avoir connais-

sance de l'accès.

b) Si le malade est couché, il lui arrive le plus souvent

de ne pas se lever. La période tonique manque

comme ci-dessus, mais la course qui semble cor-

respondre chez lui à la période clonique est rem-

placée par de grands mouvements de rotation incom-

plète de droite à gauche et de gauche adroite; le côté

droit est plus agité. Ces mouvements sont accompagnés

du même bourdonnement labial, du même frottement

des joues. Les pupilles qui sont dilatées et le pouls

qui est accéléré à la fin de l'accès, reviennent presque

aussitôt à leur état normal.

Cette variété d'accès, paraît-il, se rapproche de

l'accès ordinaire : cette ressemblance est encore rendue

plus probable par ce fait que, parfois, quoique rare-

ment, Grand... urinerait sous lui pendant les accès de

ce genre, s'affaisserait après la course ; par le fait aussi

que la course peut être précédée ou suivie d'une sorte

de tapotement des mains, des coudes ou des pieds et

sur le caractère duquel nous aurons à revenir.

Plus tard, on note chez le malade des accès ainsi

constitués : tapotement des bras et de la tête, chute

du banc sur lequel il se trouve assis; roulement à

terre, course, résolution, sans bave, ni stertor ou

évacuation. Le maintien du malade produit une rigi-

dité générale sans secousses cloniques.

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 343

Dans les derniers temps, on remarque que certains

accès purement procursifs sont suivis d'une hébétude

plus prononcée, d'un très léger stertor, de sueurs

labiales et que quelques-uns s'accompagnent de bave.

Il semble donc, nous le répétons, que les accès pro-

cursifs de Grand... aient une tendance à se trans-

former progressivement en accès ordinaires.

Actuellement Grand... n'aurait plus que des accès

procursifs presque exclusivement nocturnes, mais, de

plus, dans ces derniers mois, on a noté l'apparition

d'accès ordinaires (cri, périodes tonique et clonique,

bave, morsure de la langue, etc.); ceux-ci encore peu

nombreux, sont exclusivement nocturnes.

Il est une autre partie de l'histoire du malade qui

a certainement assez attiré l'attention du lecteur pour

qu'il soit superflu d'y insister : nous voulons parler

de son- arrestation, de sa condamnation et de son

maintien en prison. Ce fait montre une fois de plus

combien il est difficile de faire réparer une erreur

administrative et judiciaire.

Observation II. Epilepsie PROCURSIVE;

EPILEPSIE partielle.

Père, peintre en bâtiments. Grand-père paternel, excès de

. boisson; grand-mère paternelle, paralytique. Grand-

père maternel, mort apoplectique. Arrière grand'mère

paternelle, morte apoplectique ; arrière-grand-père maternel,

mort aliéné. - Frère, convulsions; - frère, convulsions et

affaiblissement paralytique du côté droit.

Premières convulsions à dix mois. Convulsions à chaque

poussée dentaire jusqu'à quatre ans. Peur à onze ans ;

premiers accès huit jours plus tard; convulsions limitées à

344 CLINIQUE NERVEUSE.

gauche. Excès de boisson. Deux tentatives de suicide.

Début des vertiges ea 883. - Descraption des accès.

Val... Artliur, né le 5 janvier 1864, est entré le 16 décembre

1884 à l'hospice de Bicètre (service de M. BOURNEVLLLE).

Renseignements fournis par sa mère (16 novembre 1885).

Père, quarante-neuf ans et demi, enfant naturel, peintre en

bâtiments, n'a fait aucune maladie depuis son mariage, à l'âge

de vingt-cinq ans ; pas de coliques, ni de paralysie satur-

nine ; il est sobre, bien portant, mais un peu emporté.

[Père, mécanicien, a disparu depuis la guerre de 4810-7t; il

était un peu a ours » et faisait quelques excès de boisson (vin).

Mère, maitresse d'hôtel meublé, morte paralysée à l'âge de

quarante-neuf ans; elle était obèse. Pas d'aliénés, pas d'épi-

leptiques, ni d'autres paralytiques, etc., dans la famille.]

Mère, quarante-quatre ans, châtaine, bien portante, d'abord

fleuriste, puis raccommodeuse de peaux de lapinspour fourrures;

elle n'est pas migraineuse, mais a parfois des maux de tête;

sans être sujette d'ordinaire aux syncopes, elle en a toutefois

éprouvé durant les premiers mois de ses grossesses, mais sans

perte absolue de connaissance. [Père, homme de peine au che-

mindefer, sobre, mortà soixante-neuf ans d'une attague d'apo-

plexie en quarante-huit heures. Mère, soixante-cinq ans,

sobre, bien portante. Grand-père paternel, pas de détails.

Grand-mère paternelle, sobre, morte à soixante-quinze ans

d'une attaque d'apoplexie terminale précédée de deux ou trois

autres ; la première avait été suivie d'une hémiplégie droite.

Grand-père maternel, employé droguiste, sobre ; devenu

aliéné, il s'est jeté par la fenêtre d'un troisième étage et s'est

tué; il avait quarante-cinq ans. Grand-mère maternelle,

morte d'une fluxion de poitrine, à l'âge de quatre vingt-cinq

ans. Trois frères : deux sont morts, l'un d'une fluxion de

poitrine ( ? ) à l'âge de six mois, l'autre « d'un foie volumi-

neux ( ? ) » à douze ans; le troisième, bien portant, a eu, de

femmes différentes, quatre enfants bien portants qui ont

une bonne santé. Trois soeurs : deux sont mortes, l'une à

quatre mois, on ne sait de quoi, l'autre, à neuf ans d'une

fièvre typhoïde ; la dernière est en bonne santé. Pas d'autres

aliénés, suicidés, etc., dansla famille]. Pas de consanguinité.

, DE l'épilepsie PROCURSIVE. 345

Douze enfants et trois fausses couches.

4° Garçon, mort à trois mois, en nourrice, « des hernies( ? )» ;

il avait les bourses grosses comme le poing ; 2° fille,

vingt-quatre ans, bien portante, a eu une fille morte de coque-

luche ; 3" notre malade ; 4" garçon, vingt-un ans et

demi, intelligent, peintre en bâtiments, a eu,àun an,lacholé-

rine durant le cours de laquelle éclatèrent des convulsions

pendant quinze minutes qui laissèrent à leur suite une dé-

formation des pieds; à sept ans, nouvelles convulsions durant

une journée qui auraient corrigé la malformation des pieds ( ? ).

5° fausse couche à quatre mois, attribuée à un effort; 6°

fille intelligente, morte à dix-huit mois d'un «chaud et froid ( ? ) »

7° garçon, intelligent, mort à trois ans du croup ; 8° fille, morte

à vingt-six jours, du croup ( ? ); - 9° fausse couche de deux

mois ; -10° garçon, onze ans, intelligent, a eu à dix mois des

convulsions avec hémiplégie droite consécutive; ce côté est resté

plus faible, et la jambe droite est plus courte que la gauche ;

il n'a parlé qu'à sept ans; 11" garçon intelligent, mort à

trois ans de la coqueluche ; 12° fille morte à dix mois, on

ne sait de quoi; 13° fausse couche de deux mois ; 14° et

15° grossesse double : au deuxième mois elle aurait rendu

un germe dont le sexe n'aurait pas été déterminé ; puis sept

mois après, fille, née à terme, forte ; celle-ci a quatre ans,

est bien portante.

Notre malade. Conception et grossesse, rien de particu-

lier. Accouchement à terme, naturel, après cinq jours de

douleurs (sans que la tête soit restée engagée longtemps),

sans chloroforme. A la naissance, circulaire autour du cou,

sans cyanose ; cri immédiat. Elevé au sein par sa mère,

il a été sevré à treize mois (alors que sa mère était enceinte de

quatre mois et demi) : « il a tété sur l'autre ». Première

dent à quatre mois, il en avait trois à huit mois. Jusqu'à

dix mois il était comme les autres enfants ; c'est alors qu'il eut

ses premières convulsions internes, dit-on, lors de l'éruption

d'une molaire ; ces convulsions se répétèrent jusqu'à quatre

ans à chaque nouvelle éruption de molaire, mais alors on

constata du tétanisme des membres, sans secousses.

Vall... a marché à dix-huit mois, tandis que ses autres

frères et soeurs ont marché de dix à douze mois ; il était gros

et fort. Il aurait commencé à parler vers huit à dix mois ;

346 CLINIQUE NERVEUSE.

parole courante dans le cours de la seconde année * ; il était

propre à dix mois.

Mis à l'asile à un an, puis à l'école, il apprenait bien et ob-

tenait des prix. A onze ans, un jour de mi-carême, étant

descendu dans la rue, malgré sa mère, il s'est associé aux

jeux d'autres enfants ; l'un d'eux ayant brisé un carreau, tous

s'enfuirent. Resté seul, il fut arrêté, conduit au poste, où il

est resté deux heures, puis au commissariat ; il fut relâché

après six heures d'emprisonnement. L'enfant aurait eu très

peur, et à sa sortie, il était encore touthagard.Ildevintalors

peureux, sans éprouver aucun phénomène nerveux pré-

curseur du premier accès. Celui-ci eut lieu trois semaines après,

en jouant, sans aura, perte de connaissance, chute et accès

avec mouvements cloniques des bras. Le deuxième accès eut

lieu un mois plus tard.

Il est entré une première fois à Bicètre le 4 mars 1878 ; il

tombait alors une ou deux fois par mois. Le 27 juin de la même

année, on le retirait de l'hospice sans motif. De seize ans

à sa deuxième entrée, en octobre 1884 i (21 ans), les accès ont

augmenté et en IS84, il avait de sept à huit accès par mois ;

le maximum des accès, en vingt-quatre heures, a été de cinq ;

le plus long intervalle entre deux accès, deux jours. Les

accès étaient surtout diurnes, mais aussi nocturnes. Trois

à quatre fois par mois il éprouvait des vertiges ; leur début re-

monte au mois d'août 1883. On croit que les accès ont

augmenté de fréquence à la suite de quelques excès de vin

que des commerçants du quartier lui faisaient boire en récom-

pense de courses ou de commissions.

Vall... n'aurait jamais eu d'aura; il tourne la tête à gauche en

poussant un cri rauque et en ouvrant la bouche ; chute, perte

de connaissance, rigidité, convulsions du côté gauche sezcle-

ment, ni stertor, ni écume, ni urination involontaire. 11 se

blesse souvent au menton et à la tête, se mord la langue

presque à chaque accès. Après un sommeil de une à deux

heures, il se réveille sans se souvenir de ce qu'il vient d'é-

prouver. Il n'aurait jamais eu d'excitation maniaque, ni

d'hallucinations, mais on a noté des idées tristes et, à deux

reprises, il a tenté de se suicider : une première fois, il y cinq

1 Tous ses frères et scpurs ont parlé de bonne heure ; la dernière par-

lait très bien à un an.

DE L'ÉPILEPSIE PROCURSIVE. 347

ans, en essayant de se jeter par la fenêtre, tentative suivie

d'un accès ; une seconde fois, l'année suivante, avec un cou-

teau que sa mère lui arracha des mains; elle se blessa l'index

et le médius. A la vue du sang, il resta comme anéanti, mais

n'eut pas d'accès.

Les accès avec propulsion, considérés comme des vertiges,

ont débuté en août 1883. Revenant du marché avec sa mère, il

s'est mis tout à coup, sans rien dire, à courir à une distance

d'environ 100 mètres; puis, se retournant, il est revenu à son

point de départ toujours courant ; la face était pâle, livide ;il

se remit à parler après quelques instants. Trois jours après

cette première course, se trouvant à la barrière de Montreuil,

avec sa grand'mère maternelle, il se mit à courir, ayant sa

soeur, âgée de 2 ans, dans les bras ; sa grand'mère put l'ar-

rêter, le coller contre un mur, lui enlever l'enfant, il n'en

continua pas moins ensuite à courir. A la maison, il cou-

rait dans la chambre ; sa mère le saisissait violemment, le

couchait sur un canapé et 1-'y maintenait fortement jusqu'à la

fin de la crise. Parfois il renversait la table, une chaise et

passait par dessus. On ne sait dire si, en revenant, il suivait

exactement la même ligne, ni si, comme à Bicètre, il se garait

des personnes ou des objets. Ces accès procursifs n'étaient pas

précédés d'aura. En 1883-1884, il avait deux à trois de ces

accès par mois ; une seule fois, il eut plusieurs accès dans

la même journée (six le 1 juillet de cette année).

En septembre 188'a, il a été pris, après un de ces accès, d'une

agitation choréi forme des extrémités supérieures et inférieures,

de la tête ; la parole était saccadée ; cet état a duré une demi-

heure. Les mômes mouvements choréiformes se sont

reproduits quelques jours après, mais sans être précédés d'accès

ou de vertiges; ils durèrent trois quarts d'heure sans perte de

connaissance.

La mémoire a diminué depuis deux ans ; le caractère n'a

pas changé, Vall... est affectueux, n'a pas de. mauvais ins-

tincts et ne s'est jamais livré à des actes de violence.

Il a été .traité à diverses reprises par le bromure de potas-

sium. Il a été vacciné, a eu la rougeole à l'âge de deux ans,

mais n'a eu aucune autre maladie éruptive ou infectieuse, ni

otite, ni ophthalmie, ni vers, etc. Il serait sujet à transpirer

des pieds et aurait un durillon sous le pied. Pas d'onanisme,

pas de rapports sexuels.

348 CLINIQUE NERVEUSE

Durant l'interrogatoire de sa mère, comme il attendait des

vant le cabinet, assis sur un banc, il se lève subitement, se

met à courir jusqu'au coin de la grille, puis entre celle-ci et la

première rangée d'arbres (30 mètres environ) ; arrivé au cin-

quième arbre, il se retourne et revient au premier en cou-

rant ; là il est saisi et maintenu par un infirmier, et, quelques

secondes après, tout était terminé.

Etat actuel. Crâne symétrique, dolicocéphale, avec mé-

plat pariéto-occipital ; les bosses frontales et pariétales sont

également peu accentuées, les cheveux bruns ; les oreilles

bien ourlées sont bien conformées, leur lobule, normal, est

adhérent dans les deux tiers supérieurs.

DE l'épilepsie PROCURSIVE. 349

facile; tremblement fibrillaire de la langue assez marqué;

pas de tremblement labial.

Cou : circonférence : 36. Tronc, normalement conformé.

- Appareil circulatoire (Pouls, 80 à 88), respiratoire (16), di-

gestif et urinaire normaux.

Puberté. Moustaches et barbe de couleur châtaine peu

fournies. - Poils assez développés aux aisselles et à l'anus;

pénil recouvert de nombreux poils châtains remontant

jusqu'à l'omblic. Verge, méat, scrotum, testicules (de la

grosseur d'une noix), normaux. Pénis : circonférence et

longueur : 9 centimètres Gland découvert; onanisme rare.

Les organes des sens ne présentent rien de particulier.

Dynamomètre : à droite et à gauche, 30.

L'intelligence n'est plus ce qu'elle était en 1878; à cette

époque elle était ouverte ; V... travaillait facilement, savait lire

et écrire. Actuellement il ne sait la date de sa naissance, il

ignore dans quel mois, à quelle date nous sommes, il indique

cependant exactement le nom du jour. 11 est utilisé au

balayage des cours, besogne dont il s'acquitte aussi mal qu'il

répond.

Aura. Le malade avant les accès ordinaires et les accès

procursifs éprouverait, sous la plante du pied gauche, un

chatouillement qui remonterait jusqu'au pli de l'aine, mais

il est difficile, en raison de l'état intellectuel de V..., de lui

faire préciser la marche exacte de cette sensation. On peut

seulement savoir qu'au niveau de la lèvre supérieure gauche,

il ressent de temps à autre un fourmillement qui disparait

par la compression. Toujours est-il qu'il parait pouvoir

empêcher l'accès soit par une pressio.i digitale du gros orteil,

soit par une pression circulaire au-dessus du cou de pied

L'aura semble du reste être d'assez longue durée, et se pro-

duit aussi bien pour les accès procursifs que pour les autres.

Description d'un accès. Le malade, assis sur une chaise à

l'infirmerie, se lève tout d'un coup et se met à courirassez vite

jusqu'à la cloison (trente mètres); il fait deux fois le tour du

poêle et revient à son point de départ. On l'assied sur un

' Il va de soi que ce chiffre n'est qu'approximatif et qu'il peut varier

dans une certaine mesure par suite de la constitution vasculaire de

l'organe.

350 clinique NERVEUSE.

fauteuil; aussitôt le membre inférieur gauche est pris de mou-

vements rapides du pied tapant le sol (160 tapotements à la

minute) qui durent de 6 à 10 minutes. Le malade ne ré-

pond pas aux questions, puis après 2 à 3 minutes, tandis qu'il

essayait de défaire son bas (automatisme), il tombe en arrière

sans connaissance, les yeux ouverts, fixes, les pupilles moyen-

nement dilatées, le bras gauche un peu raide, le bras droit

presque souple ; il se produit ensuite quelques mouvements clo-

niques dans les deux bras, mais surtout dans ! e gauche. Il rede-

vient immobile et au bout de quelques instants est repris de

quelques secousses cloniques; puis immobilité (10 h. 16). La

face n'a pas changé de couleur; Val... reste hébété pendant 2 à

3 minutes, parlant avec peine, puis reprend son pied déchaussé

pour montrer son durillon.

A 10 h. 19, trépidation légère de la jambe gauche, puis du

bras gauche et enfin du bras droit ; ces trépidations de la jambe

gauche cessent momentanément, et l'agitation du bras gau-

che s'arrête quelques secondes après celles du bras droit ;

la jambe gauche est alors reprise de trépidation. La face est un

peu chaude.

A 10 h. 22, le malade dit : « 11 n'y a que de ce côté-là que

j'ai le mal que j'ai, » et à ce moment l'agitation recommence

dans la jambe et le bras gauches ; la face devient très ronge.

A 10 h. 24, trépidation légère de la jambe gauche.

D'habitude la crise durerait moins longtemps et en général,

aussitôt après la course terminée, il vient se placer dans le lit

de camp, s'endort pendant une dizaine de minutes et se remet

ensuite à son ouvrage. Parfois, pendant les mouvements de

trépidation, il demande son couteau pour s'ouvrir le ventre et

dit : « Je veux voir mon père avant de mourir. »

1885. 28 février Ecchymose sous-conjonctivale de l'angle

externe de l'oeil gauche à la suite d'un accès. Hydrothé- ? '<M'e.

1886. 8 novembre. - Inflammation du durillon du pied

gauche. Le durillon est enlevé.

1887. 2(i janvier. - Yall... est pris d'un accès. Il ressent

un engourdissement du pied gauche, cherclicà empêcher l'accès

au moyen de la compression de l'orteil ; à ce moment il répon-

dait encore aux questions, puis après s être incliné à gauche,

.il tombe lentement en arrière sans cri. La face est légère-

ment congestionnée. Les secousses débutent par le bras droit

DE LEPILEPSIË PROCURSIVE. 351

qui parait plus secoué d'abord, puis par les extrémités gauches;

la résolution arrive rapidement; les pupilles égales sont légè-

rement dilatées ; ni bave, ni sterlor, ni évacuation involontaire.

La résolution est encore suivie de quelques secousses cloniques

du côté gauche que le malade accuse être le siège de son

mal; pendant toutela durée de l'accès (12 secondes) il semble

conserver sa connaissance.

Peu après, le malade, hébété, est pris d'un tremblement gé-

néral; il s'incline en arrière, puis la jambe gauche est agitée de

secousses cloniques; de la main droite il se comprime le gros

orteil, et cela sans lâcher une cigarette qu'il tient de la main

gauche. Après une compression de trois secondes tout est ter-

miné. Les pupilles sont dilatées.

352 CLINIQUE NERVEUSE.

Il s'écoule quelques minutes, puis Vall... est pris d'une sorte

demouvemenl automatiquequi le porte à gauche et en avant, mais

ayant glissé alors sur le carreau, il tombe sans lâcher sa ciga-

rette, toujours tenue delà main gauche ; le bras droit est agité

de mouvements assez étendus. - Relevé, il est pris dans la-po-

sition debout de secousses de tout le corps, les membres infé-

rieurs fléchissent un peu, mais les pieds ne quittent pas le sol ;

la face est pâle, les pupilles sont légèrement dilatées. Nou-

velles secousses généralisées à tout le corps, le malade se

frappe de la main gauche la cuisse gauche, puis survient un

tapotement du talon du pied gauche, la pointe du pied res-

tant fixe, suivie d'une inclinaison à gauche ; face pâle, pupilles

légèrement dilatées, puis soupir ; durée, 39 secondes.

Le regard est vague, la physionomie hébétée. Vall... est

pris encore à plusieurs reprises de nouvelles secousses et d'une

sorte de tremblement fibrillaire avec tapotement du talon

gauche.

Réflexions. Va))... a eu son. premier accès trois

semaines après une émotion vive occasionnée par un

emprisonnement de quelques heures, il avait onze

ans. Jusqu'à l'âge de vingt ans les accès auraient eu

le caractère des accès d'épilepsie ordinaire, sauf

que les secousses cloniques ne se produisaient que du

côté gauche.

C'est alors que l'on vit s'adjoindre aux accès ordi-

naires des accès procursifs ; la course avait lieu en

ligne droite, était accompagnée de pâleur de la face.

Un an après le début de ces accès procursifs Vall...

eut à la suite de deux d'entre eux une agitation cho-

réiforme des membres et de la tête, la première fois

d'une durée d'une demie-heure, la seconde de trois

quarts d'heure. Depuis son entrée à l'hospice nous

avons observé des mouvements de trépidation, sur-

venus en dehors de tout accès, et se rapprochant,

· de l'épilepsie PROCURSIVE. 353

selon nous, beaucoup plus de l'épilepsie spinale

que de la chorée.

Les facultés intellectuelles ont décliné à partir de

j 878 ; cette déchéance parait être due exclusivement

à l'accroissement progressif du nombre des accès or-

dinaires.

On ne saurait dire si l'extirpation du durillon du

pied gauche a eu une influence sur le nombre des

accès , quoique à première vue ceux-ci aient été

moins fréquents en novembre et décembre 1886,

mais il peut n'y avoir dans ce fait qu'une de ces

nombreuses coïncidences si fréquentes dans l'évolu-

tion symptomatique des affections chroniques, et en

particulier de l'épilepsie.

Chez Hall.... on ne peut s'empêcher de faire un

rapprochement entre les symptômes particuliers à son

aura et ceux qu'on observe si fréquemment dans l'aura

de l'épilepsie jacksonienne. De même que dans celle-ci,

cette aura périphérique peut être- provoquée par l'exci-

tation de zones épilepto-ènes et peut de même être

interrompue par certaines manoeuvres locales.

Il est beaucoup plus difficile que chez Grand..., de

bien déterminer si, chez Wall..., nous avons affaire à

un accès ou à un vertige procursif; cependant le fait

qu'en général le malade à la suite de ces actes pro-

cursifs va de lui-même se placer dans'le lit de camp

et s'y endort pendant une dizaine de minutes semble

plutôt devoir les faire assimiler à un accès.

Le tableau suivant résume les caractères principaux

des trois manifestations de l'épilepsie observées chez

'ce malade.

ARCIIIVES, t. XIII. 23

354 clinique mentale.

CAS DE MÉLANCOLIE AVEC STUPEUR. 355

trouvâmes à l'autopsie des lésions du plus. haut in-

térêt.

Ce malade, comme l'a trèsbien démontré Baillarger,

dans son mémoire de 1843 'avait conservé son intelli-

gence, maiscelle-ciétaitobsédée, dominée par des idées

oudeshallucinations de nature triste. Quoique le malade

nenousaitjamais dévoilé l'objet de son délire, son aspect,

sa physionomie, son regard intelligentet enfinles motset

les phrases qu'il prononça dans les derniers mois de

son existence sont pour nous des preuves incontestables

de l'intégralité de la conservation de son intelligence.

La facilité avec laquelle il se mit à parler après six

années de mutisme nous démontre encore la réalité

de ce que nous avançons. En effet, si ses facultés

avaient été anéanties, déprimées ou affaiblies, comme

le veulent Esquirol, Georget.Morei, Guislain, etc., ce

malade n'aurait pu parler si facilement. Une certaine

éducation lui aurait été nécessaire, comme cela se

voit chez un certain nombre d'autres malades atteints

d'affections cérébrales.

OBSERVATION. - Mélancolie avec stupeur à forme caialep-

tique. Refus d'aliments et mM<MMe< ? K6fc'HM. ! <eM ? 's(MMëes.

Usage subit de la parole à la suite d'une frayeur ou d'une

ivresse provoquée Ass<o ? e sous l'influence d'une médication

éthérée. Amélioration de l'état mental coïncidant avec la

marche de la tuberculose pulmonaire. Mort.

Autopsie. - légère congestion des méninges. Asymétrie

des circonvolutions frontales. Dédoublement de la i™ fron-

tale. Prédominance exagérée de tout le lobe frontal sur le

reste des CM'COHUO ? 0 ? Hypertrophie des circonvolutions

rolandiques et du lobe paracentral. Atrophie des circonvolu-

Baillarner. Annales médico-psychologiques, 1S 13.

356 CLINIQUE MENTALE.

tions splaéuo-occiilales. (Cette observation a été recueillie

par 111\I. Besançon et Vignalou internes du service).

Le nommé G... (Victor), menuisier, âgé de trente-deux

ans, entra le 22 mai 1878 à l'hospice de Bicêtre, salle Marcé

N° 6, dans le (service de M. Jules Voisin) avec le certificat mé-

dical suivant du docteur Lasègue : « Stupeur Accidents

cérébraux indéterminés eu Afrique. Retour en France. Hébé-

tude. Incapacité de travail. Accès de violence épileptiforme.

Brise, frappe. Arrêté pour injures à son père. »

Parents bien portants. Frères bien portants également.

N'a jamais eu d'attaques d'épilepsie. - A fait du service mili-

litaire et a été envoyé en Afrique aux compagnies de dis-

cipline pour vol. Il a éprouvé en Afrique des accès de fièvre,

et des accidents cérébraux de nature indéterminée. Buvait un

peu à cette époque. Il était sans doute fréquemment puni pour

son apathie. Sorti du service, il a eu des accès de violences

épileptiformes. Il brisait, frappait. Il a été arrêté pour injures

à son père. A son entrée, il est dans l'hébétude, dans la demi-

stupeur. Il est dans l'attitude d'un mélancolique. Nous ver-

rons graduellement cet état s'accentuer et s'aggraver, jusqu'à

la lypémanie stupide, l'immobilité absolue, et presque la cata-

lepsie.

1879. Novembre. Reste toujours sombre et triste. On est

parfois forcé de le pousser à manger. Dort bien. Dans la

journée, hallucinations de l'ouïe. Se détourne comme si on

l'interpellait. L'expression du visage est animée par mo-

ments. Quand il se sent observé il a au contraire le regard

fixe. Il parait indifférent. Force musculaire conservée.

Bonne santé :

1880. Mars. N'a toujours pas eu d'accès épileptiques.

Pas de violences. Même état mental Même attitude. Trem-

blement assez prononcé de la langue. Pas de tremblement

des membres supérieurs. Anesthésie -Analgésie. - Cyanose

des extrémités. Répond à peine aux questions, ne parle pas

de ses hallucinations. Pupilles égales, petites. Oreilles

petites, ourlées, sans lobule. CD

Juin. Même état. Se tient immobile comme une statue,

ne répondant plus aux questions qu'on lui pose. Est très

malpropre. Hydrothérapie.

tS'eeM&re. Devient gâteux.

CAS DE MELANCOLIE AVEC STUPEUR. 357

Octobre. Même état Reste des heures entières debout,

dans la cour, gardant l'immobilité la plus complète. Refuse

de parler, ne répond même pas par signes, mais ses yeux sui-

vent très bien les mouvements. Comprend bien ce qu'on

lui dit. Doit avoir des hallucinations. Cyanose très pro-

noncée des extrémités. Peau sèche. Toujours d'une saleté

repoussante.

1881. Janvier. Mutisme absolu. Immobilité. -Le ma-

lade ne réagit à aucune excitation. Parait insensible. Res-

terait au lit si on ne le levait pas. -On est obligé de l'habiller

et de le faire manger.

On essaie les injections de pilocarpine, les aimants et les

courants continus, qui n'amènent guère de changement dans

l'état de la sensibilité. Le malade sent sans doute les pi-

qûres qu'on lui fait, mais il se refuse à le manifester. Il rougit

très légèrement quand on lui pique fortement la cuisse. Le

chatouillement du thorax produit un rire involontaire.

Juillet. Depuis deux mois environ le malade se promène

dans la cour, à pas très lents, et en gardant les bras collés le

long du corps. Dans la salle il ne se lève et ne marche que

quand on le pousse dans la direction où il doit aller. Dans quel-

que position qu'on le mette, il y reste jusqu'à ce qu'on vienne

l'en enlever. Ne bouge même pas ses mains de place pour chas-

ser les mouches qui lui dévorent le visage. Ptyalisme. -Quand

on lui soulève les membres supérieurs il les tient étendus,

mais ceux-ci tremblent. On voit que le malade fait effort.

Octobre. Le mutisme et l'immobilité persistent.

Application d'aimants et de courants continus (15 éléments

Daniell, sans résultat. Bains sulfureux.

1882. 8 Janvier. Même état. Tentative infructueuse

d'hypnotisme.

9 Janvier. Commencement des injections d'éther. Ces in-

jections d'éther sont continuées assez longtemps. Elle n'amè-

nent pas de modifications sensibles dans l'attitude ou le ca-

ractère du malade. Mais elles produisent un résultat remar-

quable, après chaque injection, le pouls, la respiration et la

température s'élevaient. Or, après dix-neuf jours d'injections,

on voit survenir un affolement du coeur, une véritable asystolie

aiguë passagère, avec intermittences cardiaques et oedème des

membres inférieurs.

358 CLINIQUE MENTALE,

29 Janvier. On supprime les injections d'éther, et tout

rentre rapidement dans l'ordre.

1883. Janvier. Même mutisme. Même immobilité. Refus

de manger. On est forcé de le nourrir à la sonde. L'état gé-

néral reste satisfaisant.

1884. Janvier. Nous trouvons le malade assis sur une

chaise au pied de son lit. Son immobilité est absolue. Les

membres inférieurs sont fléchis à angle droit, les pieds re-

posant à terre. Les membres supérieurs sont étendus, les

deux mains appliquées sur les genoux par leur face palmaire.

Pas un trait du visage ne bouge. Les yeux sont grand ouverts,

les pupilles égales, le regard fixe. La sueur perle en fines

gouttes sur son front. Il est entièrement indifférent à ce qui

se passe autour de lui. Il semble n'entendre ni ne voir les per-

sonnes qui lui parlent et cependant l'expression de son visage

est celle d'un homme intelligent. Il ne prononce pas un seul

mot. Cependant l'infirmier raconte que le soir, quand il l'a

couché, G... lui dit quelquefois bonsoir.

Si l'on prend une de ses mains et qu'on la soulève, il la

laisse dans la position qu'on lui a donnée, comme s'il était

en état cataleptique, mais on voit qu'il fait effort pour garder

cette position. Sa main tremble légèrement, son front se

mouille de sueur ; au bout d'un moment quand la fatigue le

vainet, il laisse retomber sa main.

Si on le lève, et qu'on le pousse dans une direction, il reste

droit et raide comme un automate et il faut lui pousser les

jambes l'une après l'autre pour le faire marcher. Du reste

il est connu à Bicêtre sous le nom de l'Automate.

Sa sensibilité paraît nulle, on peut le piquer sans qu'il

réagisse, mais il sent évidemment et fait effort pour supprimer

ses réflexes. Si on le pince très fort il réagit un peu; l'infirmier

dit que quelquefois quand on lui fait du mal, il dit : « Vous

me faites mal, laissez-moi ». On provoque à volonté chez lui

le réflexe de l'éternument, mais on voit qu'il résiste autant

que possible avant d'éternuer.

Les dents sont serrées. Il ne respire jamais que par le nez ;

il est assez sujet aux épitaxis. Quand il en a une, et qu'il a les

fosses nasales remplies de caillots, il fait des efforts énormes

pour respirer tout de même par le nez, et n'ouvre jamais la

bouche. Si on lui pince les narines avec les doigts de façon à

en déterminer l'occlusion, il se décide à respirer par la bouche.

CAS DE MÉLANCOLIE AVEC STUPEUR. 359

On constate alors que son haleine est infecte et qu'il lui sort

de la bouche une assez grande quantité de salive.

Il refuse toujours toute nourriture. Deux fois par jour on

lui introduit de vive force un coin de bois entre les dents. On

lui passe une grosse soude de caoutchouc, et on lui verse dans

l'estomac un mélange de lait et de poudre de viande. Ce ré-

gime lui ayant donné de la dyspepsie, on a été forcé de lui

faire le lavage 'de l'estomac.

Il va bien à la selle. Il ne gâte plus, car on le conduit deux

fois par jour à la chaise percée. Il urine bien également.

Rien dans les urines. Rien au coeur. La respiration

est rude aux deux sommets. Expiration prolongée. Pas de

bruits anormaux. Il ne tousse pas, ne crache pas.

Avril. Un certain changement s'est opéré dans l'état de

G... Il s'est mis à vomir ce qu'on lui donnait par la sonde. Il

s'est affaibli. Il est pâle, amaigri : Il est forcé de garder

le lit. Depuis quelques jours, il accepte les aliments qu'on lui

offre. Mais il ne mange pas seul. Il faut le nourrir à la cuillère,

Il ne prend que du potage.

Il est toujours étendu sur le dos dans son lit, les yeux fixes,

la tèle immobile. Si on essaie de lui fléchir les membres, on

sent des craquements et de la raideur dans toutes les articula-

tions. On lui fait des mouvements communiqués pour éviter

l'ankylose. Cet exercice parait être très douloureux pour le

malade. Il contracte ses muscles de la face, et crie : Holà !

1884. Septembre. Même état de mélancolie stupide. Etat

général assez bon. Aucun mouvement, aucune parole pendant

la journée. Rigidité des membres. - Etat cataleptoïde. La

nuit il se pelotonne en chien de fusil, et marmotte des paroles

incohérentes.

1885. Janvier. Même état. -Les excitations très fortes,

les brûlures, le chatouillement forcé du thorax lui font pro-

noncer quelques paroles. Il essaie de repousser ceux qui le ta-

quinent. Dès qu'on l'a quitté, il retombe dans sa stupeur.

26 Janvier. On essaie ce matin de l'enivrer. On lui fait

boire, sans qu'il oppose grande résistance, 150 grammes de

rhum et un peu de vin. Il prend cette boisson par fractions de

7 h. et demi à 8 h. et demi du matin. A la visite, à 9 heures,

on le trouve dans l'attitude figée qui lui est habituelle. La

raideur musculaire est la même. Mais le visage a un peu chan-

360 CLINIQUE MENTALE.

gé d'aspect. Il est légèrement coloré, les paupières clignotent,

le regard est moins fixe.

On lui demande s'il a eu du plaisir à boire, il fait signe que

oui. On lui parle de le faire déjeuner avec des huîtres, des

truffes, du Champagne, et de lui faire boire du café. Son vi-

sage exprime la satisfaction. Comme on l'interroge sur ce qu'il

a mangé le matin, il répond nettement : « du bifteck ». On le

presse de questions, on lui parle en souriant et. en lui cares-

sant le visage. Ses lèvres s'agitent, mais il ne prononce guère

que des syllabes sans suite ou des fragments de mots comme

un homme ivre. '

On lui demande s'il veut aller voir des filles, s'il désirerait

coucher avec une femme. Il fait oui de la tète et il se met à

rire ; on le pousse alors hors de son lit, en lui disant : Viens.

Mes ses yeux deviennent fixes et il garde son immobilité.

11 heures. G... se met à rire aux éclats. -.Son visage

marque le contentement. 11 se met à marcher, ouvre les ro-

binets des lavabos : « Tiens ! comme ça coule, dit-il, combien

de gouttes qui passent ? » Il tend la main à l'infirmier et lui

dit : « C'est vous le garçon », et à la fille de salle : Je vous

remercie d'avoirsoin de moi ». La raideur des bras et des jam-

bes avait disparu. Il se croisait les bras sur la poitrine. Les

jointures paraissaient très souples. Interrogé sur ses hal-

lucinations il ne répond pas.

Midi. Torpeur Tendance au sommeil.

1 heure ? Agitation. Il piétine, se débat, remue les

bras et les jambes. Il jette son oreiller à terre en disant : « Que

j'ai mal » Pleurs et sanglots.

2 heures. Abattement. Plaintes sourdes. Les

membres supérieurs et inférieurs commencent à se raidir.

3 heures. Il est retombé dans son état habituel.

Le soir à 9 heures et demie, nous arrivons près de son lit. Il

est couché en chien de fusil, la tète penchée et inclinée à gau-

che, les yeux fermés. Sa respiration est silencieuse. Notre

présence le réveille évidemment. On l'interpelle, on le remue.

Mais il se laisse faire, n'ouvre pas les yeux, garde la même at-

titude des membres. 11 a l'aspect d'un homme qu'on veut faire

sortir d'un profond sommeil, mais qui reste sourd aux excita-

tions, et ne veut pas ouvrir les yeux ni remuer, crainte de se

réveiller complètement. Dans la nuit, rien de nouveau sauf

vers minuit quelques efforts pour vomir.

CAS DE MÉLANCOLIE AVEC STUPEUR. 361

Les jours suivants le malade est retombé dans sa stupeur

habituelle. Quand on lui demande s'il veut de nouveau s'enivrer,

il répond non, de la tète. La température périphérique est

toujours abaissée. La température rectale est au taux normal.

Le rapport normal de un à quatre entre les -respirations et les

pulsations n'est pas interverti. Respirations, 16. Pulsa-

tions, 70.

4885. Février. Est toujours immobile : assis, ayantles bras

appuyés sur ses genoux ou bien debout ayant les bras le long ZD

du corps. Ne marche que si on le pousse et souvent il reste

suspendu sur une seule jambe. Ne mange pas. On est

obligé de lui mettre les cuillères de soupe dans la bouche.

Il avale d'un seul trait toute la cuillerée. Quand on lui met

du pain trempé dans du vin dans la bouche, il ne mastique

pas, il avale d'un trait également. Est assez propre parce qu'on

le met deux fois par jour sur la chaise percée. On est obligé

de le déshabiller. Mutisme toujours absolu.

Mars. A la promenade un de ses camarades ayant fait

semblant de le jeter dans une carrière, il dit : « A l'assassin.

01), le méchant ! » Il n'avait pas parlé depuis plusieurs années,

si ce-n'jest quand on l'enivra le mois dernier.

Avril. Même état. Cependant le malade maigrit. Mu-

tisme et état catalepti forme.

22 Juin. - Depuis quelques jours, G... dit un mot par ci

par là, et prend quelquefois des aliments tout seul et les porte

à sa bouche. Aujourd'hui il a parlé assez longuement avec

un de ses camarades qui le taquinait. Ses paroles sont or-

durières et prononcées avec vivacité.

23 Janvier. A mangé seul d'un bon appétit. A demandé à

boire, de la moutarde de Dijon et sur une réponse négative a ri

aux éclats. A serré la main à plusieurs garçons et les a appe-

lés « mes vieux frères ». A fumé deux cigarettes et un cigare,

et a battu la mesure sur ses genoux en entendant une sonnerie

de cavalerie. A demandé de l'absinthe eta dit l'aimer beau-

coup.

z4 Juin. S'est levé et habillé seul, À mangé seul et a

parlé à plusieurs reprises différentes mais il emploie toujours

des mots grossiers.

Août. L'amélioration mentale que l'on constata en juin s'est

maintenue. Le malade répond de temps en temps aux questions

362 CLINIQUE MENTALE.

qu'on lui pose. Mange le plus souvent tout seul ; mais con-

serve encore sa démarche raide, automatique. Très souvent

on est obligé de l'habiller. L'amaigrissement fait encore des

progrès. Toux rare, sèche. Rudesse aux deux sommets. Fièvre

vespérine.

25 Octobre. Etat mental le même. Répond aux ques-

tions qu'on lui pose. Ne veut pas dire ce qui l'empêchait de

parler. La tuberculose fait des progrès. Sueurs et fièvre

nocturnes. Petite excavation au sommet droit. Perte

d'arpétit. Ne veut plus manger.

{^Novembre. Affaiblissement graduel.-Gargouillement

aux sommets. - Quand on le presse de questions, il dit :

Laissez-moi tranquille, je souffre trop. Il meurt le 11 no-

vembre.

Autopsie. Cerveau. Les méninges sont injectées. Ar-

borisations rouges, très fines, étendues sur toute la convexité

du cerveau. Décortication facile qui n'entraîne pas de sub-

stance cérébrale. Sur la face inférieure les méninges sont

plus minces qu'à la face convexe et moins vascularisées. - Le

cerveau une fois décortiqué, il y a, à première vue, une dif-

férence très appréciable en étendue entre le lobe frontal et

les lobes postérieurs. Le lobe frontal mesure le long du bord

interne, depuis la partie antérieure jusqu'à l'extrémité supé-

rieure de la scissure de Rolando 18° et nous trouvons depuis l'ex-

trémité supérieure de cette scissure jusqu'à la pointe occipitale

7 centimètres et demi.

CAS DE MÉLANCOLIE AVEC STUPEUR. 363

saillie qui dépasse de quelques millimètres au moins celle du

côté droit quoique celle-ci soit déjà plus en relief qu'à l'état

normal. Le lobule paracentral est plus saillant qu'à l'état

normal aussi bien du côté droit que du côté gauche, mais le

lobul paracentral gauche est plus hypertrophié et plus long que

celui de droite. Les rolandiques sont asymétriques également.

Celles du côté droit présentent des flexuosités et des plis de

passage plus nombreux qu'à gauche. En arrière des rolan-

diques les circonvolutions sont très petites et comme ratatinées.

Il y a de très nombreux plis de passage. A la coupe on

constate de la fermeté notable de la substance cérébrale dans

toute l'étendue. En pratiquant les coupes de Pitres on voit que

la substance nerveuse est pâle dans tout son ensemble mais

surtout au niveau de la couche optique et du noyau extra-

ventriculaire.

Poumons. Excavations aux deux sommets, surtout à droite,

et infiltration tuberculeuse dans le reste des poumons. Plu-

sieurs cavernes à droite contenant peu de pus. -Rien à signa-

ler pour le coeui, et les organes de l'abdomen.

Réflexions. Ce qui nous frappe dans cette obser-

vation, c'est la durée du mutisme (5 ans) et celle du

refus des aliments (2 ans), ainsi que la conservation

de l'intelligence pendant un laps de temps aussi long.

Le cri de détresse « à l'assassin ! oh ! le méchant ! »

que ce malade jeta après cinq années de mutisme, le

jour où, dans une promenade autour du fort de Bicêtre,

son camarade fit semblant de le précipiter dans une

carrière, nous montre que cet individu apprécia parfai-

tement le danger. Son premier mot est celui de la ter-

reur, et lesecond est celui de la réflexion. La phrase qu'il

débita lejouroùon l'enivra vient encore à l'appuide cette

théorie. L'intoxication alcoolique chez lui détruisit

l'harmonie dans ses idées délirantes et nous pûmes

alors entendre ses réflexions sur les objets qui l'en-

touraient et qui avaient été posés là depuis sa maladie :

36'(- CLINIQUE MENTALE.

L'amélioration mentale du sujet, coïncidant avec l'ag-

gravation des symptômes de la tuberculose, doit aussi

attirer notre attention. Il semble que la diminution

des forces physiques du malade soit la cause de la di-

minution de la force de résistance à parler. Il y a la,

sans aucun doute, une corrélation de cause à effet qui

a déjà été signalée, mais dont l'interprétation n'a pas

été bien définie. Le mode du début de la maladie est

très intéressant aussi à signaler. Nous voyons, en effet,

comme cela se voit dans la plupart des cas de mélan-

colie avec stupeur, la. maladie débuter par une exci-

tation maniaque violente. Il semble que le malade, à

bout de force, ne puisse plus lutter contre ses idées

et ses hallucinations terrifiantes. Il est dominé,

et alors tous les symptômes de la stupeur apparaissent.

Les lésions anatomiques trouvées à l'autopsie sont

du plus haut intérêt. Au lieu de rencontrer, comme

M. Etoc Demazy l'avait signalé dans sa thèse ' de

l'aedème du cerveau et des méninges, nous trouvâmes

une légère congestion des méninges, de l'asymé-

trie des circonvolutions, des hypertrophies et des atro-

phies d'un certain groupe de circonvolutions. Ces der-

nières lésions ont dû jouer un certain rôle dans la

forme mentale dela maladie decet individu maisrious ne

pouvons encore, vu nos connaissances scientifiques sur

ce sujet, nous appuyer sur elles pour en tirer toutes

les conséquences qu'elles comportent. L'examen his-

tologique faisant défaut, nous ne pouvons dire aussi

si ces lésions sont consécutives à un travail iullam-

1 Etoc Demazy.. Du la stupidité considérée chez les aliénes. ·I hse,

Paris, 1833. ,

CAS DE MÉLANCOLIE AVEC STUPEUR. 365

matoire ou à une disposition congénitale de l'indi-

vidu. Quoiqu'il en soit, la disproportion entre la

partie antérieure du cerveau et sa partie postérieure,

en prenant les circonvolutions rolandiques pour terme

de séparation, doit nous expliquer en partie la con-

servation de l'intelligence de cet individu, son mu-

tisme obstiné et son manque de sentiments affectifs.

Devons-nous, comme M. Luys l'a noté `, admettre

que l'hypertrophie des parties supérieures des cir-

convolutions rolandiques et du lobe paracentral soit

en rapport avec les hallucinations et l'agitation du

début de la maladie ? C'est possible, mais nous ne

pouvons l'affirmer; nous devons, au contraire, faire re-

marquer que cette agitation avait fait place déjà depuis

six années à de la stupeur. Aussi devons-nous faire des

réserves, dans ce cas, sur le rôle de cette hypertrophie,

à moins d'admettre que cette hypertrophie était plutôt

apparente que réelle, vu l'état de ratatinement des

circonvolutions voisines ; ce que je ne crois pas, mal-

gré le manque d'examen histologique, car ces circon-

volutions étaient trop saillantes et dépassaient trop

en hauteur les circonvolutions frontales, qui parais-

saient normales. Nous ne pouvons donc, dans ce cas,

que nous~livrer à des hypothèses. Il en serait de même

pour tirer une conséquence du dédoublement de la

1" circonvolution frontale. Nous aimons mieux nous

abstenir. Nous relatons seulement les faits. Il y a là

un champ d'études des plus intéressants à cultiver et

que nous ne parviendrons à bien connaître que par

la multiplicité de cas semblables.

' Luys. - ri-aile clinique et pratique des maladies illeilltiles, 1881.

366 PATHOLOGIE NERVEUSE

Avant de terminer ces réflexions, j'attirerai encore

l'attention sur les injections d'éther. Au lieu d'obte-

nir de l'excitation cérébrale, nous avons obtenu de l'ex-

citation du coeur, et cela à un point tel que le coeur a

été forcé et que nous avons vu se développer sous

nos yeux les symptômes de l'asystolie. Ceci nous

prouve qu'il faut agir avec prudence dans ces cas.

Quand, après quelques injections ou ne voit pas survenir

d'amélioration, il faut s'abstenir de prolonger le trai-

tement, car des désordres irréparables pourraient

surgir.

PATHOLOGIE NERVEUSE

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE CLINIQUE DE LA SURDITÉ VERBALE

(Suite 1)

Par le Dr il. ARNAUD (de la Jasse).

VI. Quelques faits cliniques que j'ai eu l'occasion

d'observer m'ont conduit à admettre un autre type de

surdité des mots, à laquelle je donnerai le nom de

surdité verbale brute. Les faits observés sont au

nombre de six ; mais comme pour trois d'entre eux il

me faudrait avoir recours à des notes fort incomplètes

ou à de simples souvenirs, je me bornerai à la relation

des trois autres.

' Vuy. tome XIII, p. 1 î î. 1.

DE LA SURDITE VERBALE 367

Observation I. Surdité verbale incomplète. Imagination

normale des mots parlés. Défaut d'amnésie verbale.

Articulation des mots normale.

X...'(F.), cultivateur, né et domicilié à. S...-G... (Gard), cin-

quante-cinq ans, constitution assez faible. Pas d'antécédent

pathologique bien accusé, soit personnel, soit héréditaire. Vit

avec son frère aîné et ses deux soeurs, d'une vie paisible, sans

excès d'aucune sorte, et dans une modeste aisance : le frère

est cardiaque (avec faciès caractéristique, souffle à la pointe

couvrant le premier bruit, hypertrophie du coeur et accès d'a-

systolie) ; les deux soeurs, une d'elles surtout, sont hémorrhoï-

daires ; lui est chétif, athéromateux, semble plus âgé qu'il ne

l'est en réalité, et est incapable d'un travail suivi. Tous quatre

sont d'intelligence assez bornée, surtout celui qui fait l'objet

de cette observation. Très peu instruit, F. sait à peine lire, non

sans erreurs; il n'a jamais su écrire; les sens, sauf celui de

l'ouïe, ne présentent rien d'anormal ; aucun trouble fonction-

nel à signaler concernant la sensibilité et la motilité. Du

rhumatisme dans les antécédents héréditaires, comme chez

bon-nombre de campagnards.

Je vois le malade le 18 juillet 188... par hasard, appelé par

un autre membre de sa famille. Il est considéré comme

sourd par son entourage, depuis au moins une quinzaine d'an-

nées ; et il est en effet incapable de comprendre une conversa-

tion ordinaire, et d'y prendre part. Je m'assure pourtant qu'il

entend assez bien le tic-tac de la montre à deux centimètres

des oreilles ; la sonnerie de la pendule, les tambours qui pas-

sent dans la rue, le bruit des meubles qu'on déplace, le tinte-

ment des cloches, etc., sont aussi perçus par lui et interprétés

avec une netteté suffisante. Il entend également le bruit de la

voix, avec moins d'intensité, il est vrai, qu'une personne jouis-

sant de la plénitude de l'ouïe, mais pourtant avec une clarté

qui contraste avec son impossibilité de comprendre la parole.

Celle-ci est perçue par lui comme un murmure confus, inarti-

culé, sans signification. Quand je lui parle naturellement, sans

précaution, sans renforcer ma voix ; quand j'adresse la parole

aux membres présents de sa famille, F... ne me comprend

pas ; il est incapable de répéter ce que je dis, de répondre à mes

questions. J'élève la voix, je crie, je me rapproche de lui sans

plus de succès.

368 PATHOLOGIE NERVEUSE.

Alors en élevant modérément la voix, j'articule nettement,

lentement les syllabes des mots que je lui adresse, et aussitôt

je m'aperçois, et sa famille est tout étonnée de constater comme

moi, qu'il saisit parfaitement les mots que je prononce, qu'il il

répond correctement aux questions, qu'il répète mes paroles

sans difficulté; et cela aussi bien en patois, sa langue habi-

tuelle, qu'en français, dont il se sert plus rarement.

Il n'y a d'ailleurs chez F... aucune aphémie proprement dite;

il articule les mots assez bien par rapport à son degré d'ins-

truction et d'intelligence ; il lit à haute voix d'une façon assez

peu correcte, mais il n'ajamais mieuxlu.-Il entend la parole

parfois dans ses rêves; mais il ne comprend pas ce que je

veux dire quand je lui demande s'il peut à volonté imaginer,

se représenter mentalement un mot parlé. Il n'a pas trace

apparente d'amnésie verbale.

Aucune altération de l'oreille; pas de bourdonnement; pas

d'écoulement par le conduit auditif externe. L'intelligence,

bien que bornée, n'est pas altérée. -

Ce fait' me semble un exemple évident de surdité

verbale. Celle-ci est incomplète, il est vrai, mais pour

la conversation normale, elle est aussi complète que

possible, alors que le son de la voix est parfaitement

perçu. Ce qui caractérise donc le fait actuel, c'est,

avec l'impossibilité de répéter les mots d'une conver-

sation ordinaire et de les comprendre, la possibilité

de se représenter les mots parlés (rêves) et le défaut

d'amnésie orale et de troubles de l'articulation des

mots. t

Il y avait également défaut d'amnésie et articulation

normale dans le cas de 11. Giraudeau; maison pouvait

alors s'expliquer cela par l'intégrité et le développe-

ment de la mémoire des images écrites, qui suppléait en

quelque sorte la mémoire des images orales ; ici il est

impossible d'admettre pareille suppléance ; d'ailleurs

le malade s'exprime plus facilement encore en patois

DU LA SURDITÉ VERBALE. 369

qu'en français, et pourtant il ne s'est jamais exercé

à lire dans la première de ces langues, et par suite il

ne saurait avoir la mémoire de ses images écrites.

Je conclus delà que, si l'amnésie verbale est absente

chez ce malade, s'il rêve de mots entendus, s'il arti-

cule correctement les mots, c'est que le centre des

images orales est intact chez lui et en rapport

normal avec l'entendement; la surdité verbale ne peut

donc être attribuée qu'à une lésion (appréciable ou

non) des voies cérébrales destinées à conduire la parole

jusqu'au centre des images orales (fibres appartenant

au faisceau cérébral sensitif).

Il sera toujours bon, pour établir le diagnostic de ce

type de surdité verbale, de s'assurer de la conservation

de l'imagination orale, soit volontaire, soit involon-

taire (rêves, rêverie). On n'a pas, que je sache, tenté de

le faire pour le malade de M. Giraudeau ; mais il est

probable que, dans ce cas, étant donné la lésion du

centre des images verbales auditives constatée à l'au-

topsie, on aurait constaté l'atteinte de l'imagination

orale. Au contraire de ce qui se passe dans la surdité

verbale centrale, l'imagination orale n'est pas atteinte

dans la surdité verbale brute.

Observation II. - Surdité cérébrale partielle. Surdité ver-

bale brute et incomplète. Imagination volontaire et invo-

lontaire de la parole possible. Pas d'amnésie verbale ni de

trouble de l'articulation.

Le le, juillet 188..., me trouvant à Nimes, chez M. B... je fis

la connaissance de son père, vieillard de soixante-deux ans,

vif et alerte, né à S... (Gard) habitant S...-L... (Gard); bonne

santé habituelle, intelligence intacte, mémoire bien conservée;

tempérament lymphatico-sanguin ; ancien propriétaire et

viticulteur, maintenant n'exerçant pas de profession active,

Archives, t. XIII. 24

370 PATHOLOGIE NER EUSE.

mais séjournant à peu près continuellement dans un air vicié

par la fumée du tabac, M. B... père est grand fumeur lui-

même. Pas d'antécédent pathologique, ni d'autre habitude nui-

sible méritant d'être signalés. Tandis que nous causions, je

voyais M. B... père tendre l'oreille en contractant les traits et

ne paraissant même pas toujours comprendre ce que l'on es-

sayait de lui faire saisir en élevant lavoix..le me mis alors à

lui parler très bas, mais très lentement, en scandant les mots,

et je m'aperçus qu'il me comprenait parfaitement, et répon-

dait sans erreur, sans retard, à mes questions. On nous laissa

seuls un instant. J'en profitai pour questionner M. B... au

sujet de sa dureté d'oreilles. Il m'apprit que son infirmité

durait depuis huit ans environ : qu'elle avait débuté par des

bourdonnements d'oreille, qu'elle était d'abord très inégale

dans sa marche; mais qu'il n'avait jamais eu ni d'écoulement

par le conduit auditif, ni de douleur ce niveau. Il avait tou-

jours bien entendu la plupart des bruits; il entendait surtout

très nettement le son de la voix humaine ; mais il ne pouvait

distinguer ce qu'on disait qu'en prêtant une grande attention ;

certains jours même, il ne comprenait pas du tout. A l'heure

actuelle, les bourdonnements d'oreille avaient beaucoup dimi-

nué d'intensité et ne l'incommodaient plus; il entendait par-

faitement et comprenait la musique, le bruit des meubles

déplacés, le sifflet de la locomotive, le tintement métallique

d'une pièce projetée sur le sol, la sonnerie de la pendule, etc.

J'approchai ma montre de son oreille, et il lui fut impos-

sible d'en entendre le tic-tac, alors même que je la pressais

fortement contre l'oreille. C'est le seul bruit qu'il fut inca-

pable de discerner parmi les sons nombreux que j'avais eu

l'occasion de lui signaler ; il entendait très bien tous les autres

sons, et saisissait parfaitement la parole, bien que je m'ex-

primasse à voix très basse, pourvu que j'eusse le soin de bien

articuler les mots. Je vis bien d'ailleurs que ce n'était ni

les mouvements du visage ni ceux des lèvres qui l'aidaient

à comprendre, car il répondait tout aussi correctement quand

il ne me regardait pas. Aucun trouble du côté des autres sens

ni de l'appareil neuro-musculaire en général.

D'ailleurs pas d'amnésie verbale ; le langage écrit, normal

dans ses diverses manifestations, l'articulation des mots, nor-

male et facile; enfin M. B... peut rêver des paroles entendues

et peut se représenter mentalement, à volonté, les mots parlés.

DE LA SURDITÉ VERBALE. 371

Ici encore la surdité verbale incomplète ne me

semble pas douteuse ; elle existait, il est vrai , à un

assez faible degré, surtout au moment de mou exa-

men ; mais je tiens à insister sur ce point, quand

on parfait vite, M. B... ne saisissait la parole qu'au

prix des plus grands efforts, et parfois même ne la

comprenait pas du tout, bien qu'on élevât la voix,

tandis qu'il comprenait à demi voix pourvu qu'on

articulât lentement.

L'intégrité absolue de l'imagination orale me fait

penser qu'il s'agit ici d'un cas de surdité verbale brute.

Il me paraît aussi intéressant de noter dans cette

observation la coïncidence d'une surdité corticale par-

tielle, bornée au tic-tac de la montre, avec la surdité

verbale. Et cette coexistence vient à l'appui de mon

diagnostic de surdité verbale brute. En effet, les fibres

cérébrales aboutissant au centre auditif des mots

doivent appartenir toutes au faisceau sensitif et doivent

être très voisines les unes des autres. On peut s'expli-

quer dès lors la coexistance fréquente de la sur-

dité corticale partielle et de la surdité verbale brute.

J'ai le souvenir très net de deux cas de ce genre, dont

je n'ai malheureusement pas recueilli l'observation;

je vais en montrer un nouvel exemple.

OBSERVATION III. Surdité verbale brute. Surdité corticale

partielle. -Pas d'amnésie verbale. Pas de trouble de l'ar-

ticulation des mots. Imagination possible des mots parlés.

B... (Louis), né et domicilié àCh... (Gard), âgé de quarante-

deux ans, tailleur de pierres, bonne santé habituelle, tempé-

rament sanguin. Pas d'antécédent pathologique notable, soit

personnel, soit héréditaire. Marié et père de famille ; ses

enfants au nombre de trois, tous vivants, ne présentent rien

de particulier. Sa mère, morte à un âge avancé, était sourde.

Quant à lui, il se dit atteint de surdité depuis plus de dix

372 pathologie NERVEUSE.

ans; la surdité est allée en augmentant graduellement, et

aujourd'hui, au dire des personnes qu'il fréquente, il n'est pas

possible de se faire entendre de lui, pour si fort que l'on crie.

Aucune atteinte appréciable des autres sens, ni du système

neuro-musculaire. Athérome artériel très prononcé. Le

malade n'a jamais eu de maladie apparente de l'oreille, pas

d'écoulement ; les parties de l'oreille accessibles à l'examen

ne présentent rien d'anormal. - C'est un buveur émérite,

surtout d'absinthe. Il a le faciès alcoolique et le tremblement

très prononcé. Il est encore plus sourd que d'habitude quand

il est sous l'influence de sa boisson favorite. -Il est d'ailleurs

très intelligent, et sa femme se fait aisément comprendre de

lui par ses gestes et l'expression de sa physionomie : * avant

qu'elle m'ait parlé, dit-il, je sais ce qu'elle veut dire. »

Pour un homme de sa condition, il écrit et calcule assez

bien ; il tient lui-même ses comptes et ne se trompe guère

dans le calcul de ses heures de travail ; il lit également sans

peine et assez correctement l'écriture soit imprimée, soit ma-

nuscrite. B... prétend qu'il entend mieux de l'oreille gauche

que de la droite, et il tend toujours la première, quand on lui

parle ; en réalité la différence, si elle existe, me parait assez

minime en ce qui concerne les sons ; quant à la parole, il l'en-

tend réellement mieux de l'oreille gauche ; je n'ai pas pu me

faire comprendre de lui en lui parlant du côté droit.

On est tout d'abord frappé, en examinant le malade, de

l'inégalité de sa perception auditive pour les différents bruits.

Ainsi, c'est à peine s'il entend du côté gauche le tic-tac de la

montre ; je n'assurerais même pas, malgré des affirmations

trop vagues, qu'il l'ait entendu ; mais il entend assez bien le

bruit d'une chaise qu'on agite, celui d'une pièce de monnaie

jetée sur une table de marbre, d'une pendule qui sonne, d'une

locomotive qui siffle; il prétend même entendre les instru-

ments de musique et distinguer les airs. Quoi qu'il en soit, il

entend le son de la voix, bien qu'avec moins de netteté qu'à

l'état normal.

On a beau élever la voix, B. Louis entend le son ainsi pro-

duit, mais il ne comprend pas un mot de ce qu'on lui dit ; il

ne peut rien répéter ; tout se réduit pour lui à un son sans

signification aucune. Après avoir vainement essayé de me

faire comprendre en criant, je m'approche de son oreille

gauche, je lui adresse la parole, sans élever sensiblement la

voix, mais en ayant soin d'articuler très nettement, lente-

DE LA SURDITÉ VERBALE. 373

ment, syllabe par syllabe. Je lui pose ainsi diverses questions

auxquelles il répond correctement, répétant aussi parfois

les mots entendus, à son grand étonnement, et à l'étonne-

ment des.personnes présentes ; or, comme il ne peut, dans la

position que j'occupe en lui parlant, voir ma physionomie,

s'il me comprend, c'est bien parce qu'il m'entend.

Le dialogue suivant s'établit entre nous : « Comment vous

appelez-vous ? B. Louis. Entendez-vous ce que je vous

dis ? Je vous entends bien mieux que les autres. Je donne-

rais bien ma fortune pour être guéri. Quand on vous parle

est-ce que vous n'entendez pas le bruit de la voix ? J'entends

le bruit que l'on fait en parlant, mais je ne comprends pas ;

j'aimerais bien que vous me guérissiez... mais il y a trop long-

temps que je suis sourd. Vous pouvez facilement améliorer

vous-même votre infirmité. Que dois-je faire pour cela ? ?

D'abord vous priver de boire ; vous absorbez trop d'absinthe.

C'est vrai, dit-il en souriant, j'ai ce défaut-là. Ne me blâmez

pas trop. Je ne vous blâme pas ; nous avons tous nos

défauts ; mais, dans votre intérêt, je vous engage à vous cor-

riger. - Vous avez raison, chacun a ses défauts ; mais je n'ai

que celui-là je tâcherai de me corriger... »

B. (Louis) continua me fournir ainsi sans trop de difficulté

les renseignements dont j'avais besoin pour compléter son

observation. Quand on s'exprimait devant lui avec les pré-

cautions indiquées, il entendait le patois, aussi bien que le

français, et dès qu'il entendait, il comprenait aussitôt, et répé-

tait ou répondait sans peine. 11 ne présentait aucune amné-

sie verbale, pouvait rêver de mots entendus ; il m'a même

répondu affirmativement, quand je lui ai demandé s'il pouvait

se représenter mentalement les mots entendus. Aucun

autre trouble à signaler dans la sphère du langage soit écrit,

soit parlé.

A la suite de notre entretien, B. Louis, enthousiasmé, vou-

lait absolument que je lui continuasse mes soins; il voulait

venir me voir tous les jours, se soumettre au traitement. De-

puis lors je ne l'ai plus revu ; il a trouvé sans doute plus com-

mode de se livrer à sa passion habituelle que de suivre mes

conseils.

Ce fait me semble de même ordre que les précédents.

C'est le plus accusé des trois; j'avaisune assez grande

374 PATHOLOGIE NERVEUSE.

peine à me faire comprendre; il fallait m'approcher

très près de l'oreille gauche, et sans trop élever la

voix, articuler d'une façon très nette, très lente; par-

fois il me fallait répéter la question.

Si le malade ne comprenait pas, ce n'estpas par suite

du défaut d'audition de la voix; il entendait toujours

suffisamment celle-ci ; mais il ne pouvait y discer-

ner des paroles ayant un sens. C'est donc bien un

exemple de surdité verbale ; à celle-ci s'ajoutait un

peu de surdité corticale, car la plupart des sons,

bien que perçus, ne l'étaient pas avec la même inten-

sité qu'à l'état normal.

Voilà donc trois faits dont le premier et le troisième

surtout sont aussi nets que possible; ils indiquent

une surdité verbale sans trace d'amnésie verbale, sans

perte ou diminution appréciable de l'imagination orale,

sans trouble de l'articulation des mots. On ne saurait

prétendre dans les cas de X. F... et de B. L... que le

centre des images orales était suppléé parle centre des

images écrites, puisque la mémoire des images écrites,

assez peu développée chez eux pour la langue fran-

çaise, n'existait certainement pas pour le patois. Dans

le cas de M. B ? où, pour expliquer l'intégrité du

langage oral on aurait pu invoquer la suppléance de

la mémoire des images graphiques, l'imagination

orale était parfaitement normale. Donc, dans aucun

de nos trois faits la surdité verbale ne résulte d'une

atteinte du centre de la mémoire des images orales

(m p, fig. 4). Elle ne résulte pas davantage de la lésion

du trajet qui va du centre m p à l'entendement IV

(m p; IV, fig. 4), puisque l'imagination orale est pos-

sible et normale, puisqu'il n'y a pas répétition des

DE LA SURDITE VERBALE. 375

mots, sans intelligence préalable de ceux-ci. Je pense

donc que l'on doit attribuer cette surdité verbale à

une lésion de la partie du faisceau sensitif affectée à

la conduction de la parole qui aboutit au centre des

images orales (trajet b mp, fig. 4.)

On comprend très-bien, s'il en est ainsi, que l'i-

mage orale ne puisse être réveillée, quand on s'ex-

prime normalement, dans le centre auditif des mots,

et, quand la surdité verbale brute est complète, cette

impossibilité de réveil doit être absolue. II n'en était

pas ainsi dans les trois faits rapportés plus haut; la

surdité verbale brute était imcomplète ; on pouvait à

l'aide d'un artifice forcer l'obstacle situé sur le trajet

h m p (fig. 4). et faire parvenir les mots, articulés

avec une netteté suffisante, jusqu'au centre des ima-

ges orales; dès ce moment les images verbales réveil-

lées étaient facilement comprises et pouvaient pro-

voquer non moins aisément, en agissant sur le centre

de Broca, la répétition des mots. Je ne vois pas d'au-

tre interprétation possible des faits observés'.

VIII. Faut-il faire figurer dans la surdité verbale

les faits analogues à celui qu'a observé hraenkel2 2

« Mais il est encore aujourd'hui incapable de com-

prendre ce qu'on lui dit, malgré l'intégrité de son

appareil auditif, car il répète chaque mot qu'il entend.

Dans les choses journalières, l'idée correspondante au

mot entendu lui fait défaut. Ainsi F... lui demande ce

1 Licliteim a déjà rapporté un cas suffisamment net de surdité verbale

brute, ([ne je ne connaissais pas lorsque j'ai observé et relaté les miens.

z Ueber Aphasie di Detttsch. Arch. fûj, Kliiiisch. ntecl., 188J,

p. 238.

Kraenkel. Ettt Fait l'oit 'o)'Mn;t6t't< llloch. 29 Août 1883.

ha Revue des Se. méd. de 1 i-,tyeiii, t. XXIV, l" face, p. 153.

376 PATHOLOGIE NERVEUSE.

que c'est que des ciseaux. Aussitôt le malade regarde

sa femme, comme pour lui demander conseil, et ré-

pond : Des ciseaux, certainement voilà un mot que

j'ai entendu. Quest-ce que c'est donc ? ... »

Ce sont là en effet des surdités verbales, mais d'un

type qui diffère de tous ceux que nous avons passés

en revue. Il est évident que dans le cas actuel, la

question a été nettement perçue par l'entendement ;

que le mot ciseaux a été répété, non pas comme dans

les faits déjà cités de Marcé, de Béhier, de Voisin,

d'une façon brute, inconsciente, mais d'une façon

consciente, volontaire, réfléchie; l'entendement a donc

parfaitement saisi le mot ciseaux, seulement il ne l'a

pas compris, absolument comme s'il avait appartenu

à une langue inconnue; il y a eu perte, non pas de

l'audition verbale, mais de sa compréhension représen-

tative. Les cas de ce genre me paraissent devoir être

considérés comme constituant une forme spéciale de

surdité verbale, à laquelle je donnerai le nom de re-

Fig. 5.

DE LA SURDITÉ VERBALE 377

présentative. Pour bien comprendre l'explication dont

est susceptible la surdité verbale représentative cher-

chons d'abord à nous figurer le mécanisme normal de

l'intelligence de la parole.

Normalement la parole s'introduit par Au, (fiq. 5)

suit le trajet a in b p et provoque ni p (1" cir. temp.

gauche) l'image orale correspondante. Celle-ci

par la voie nï 1) IV est saisie par l'entendement IV.

A ce moment l'entendement perçoit les mots en tant

que mots, il se rend compte des syllabes dont ils se

composent, il se représente nettement leur image au-

ditive, il peut provoquer leur répétition consciente,

réfléchie; mais il n'en saisit pas pour cela néces-

sairement la signification représentative. Si les mots

sont entendus pour la première fois, s'ils appartiennent

à unejangue inconnue, leur sens ne pourra être per-

çu par l'entendement. Un homme qui ignorerait la

langue française et qui entendrait prononcer pour

la première fois le mot ciseaux le saisirait très net-

tement en tant que mot, mais ne pourrait savoir quel

est l'objet auquel il se rapporte.

Comment s'expliquer qu'un mot n'ayant d'abord

aucune valeur représentative en acquière plus lard

une bien déterminée ? En admettant une communica-

tion directe entre le centre des images orales ( mp

fig. 5) et le centre ou les centres des images repré-

sentatives', figurés schématiquement en M (fiq. 5),

Par la voie mp M l'image orale ira éveiller une image

représentative correspondante, et pendant que celle-ci

sera perçue (voie M IV) le mot sera aussi perçu par

' Je désigne ainsi le centre ou les centres des nuages correspondantes

aux objets, aux phénomènes, et aux qualités, etc.

378 PATHOLOGIE NERVEUSE.

l'entendement (voie mp IV). Ainsi s'établira entre l'i-

mage orale et l'image représentative, et par suite en-

tre le mot et l'objet un rapport d'équivalence.

Cela posé, si une interruption se produit dans le

trajet mp M (fiq. 5), le mot continuera bien à être

perçu en tant que mot, mais l'image représentative cor-

respondante ne pouvant plus être réveillée, le mot net-

tement perçu restera dépourvu de toute signification ;

en entendant le mot ciseaux, par exemple, en en con- .

servant l'image orale très distincte, le malade ne

pourra plus en comprendre le sens.

Pourtant en lui-même l'objet sera compris en tant

qu'objet, comme le mot en tant que mot; seule la re-

lation du mot à l'objet sera perdue : tel sera le ré-

sultat inévitable de la lésion du trajet m p M ( ? 5).

En résumé il résulte de cette étude, que nous pou-

vons admettre six types de surdité verbale, suflisam-

ment distincts tant au point de vue symptomatique

qu'au point de vue de la physiologie pathologique ; ce

sont les suivants :

1° La surdité verbale brute, caractérisée par le défaut

d'audition brute des mots, qui ressemblent à un mur-

mure confus, sans signification; par l'intégrité de l'i-

magination orale, volontaire et involontaire; par

l'impossibilité de répétition des mots prononcés par

autrui ; par l'absence d'amnésie orale et de troubles

dans l'articulation de la parole. La surdité verbale

brute paraît en outre coïncider fréquemment, sinon

constamment, avec la surdité corticale partielle. ,

2" La surdité verbale centrale {type Giraudeau) ca-

ractérisée par la perte de la perception nette de la

DE LA SURDITÉ VERBALE. 379

parole (et sans doute aussi par la perte de l'imagina-

tion orale) et par l'impossibilité de répéter les mots

sans autre trouble du langage.

3° La surdité verbale centrale {des illettrés et des

auditifs) caractérisée par le défaut de perception nette

de la parole, par le défaut d'imagination orale, par

l'amnésie orale, par l'impossibilité de répéter les mots,

et de plus par des troubles moteurs du langage par-

lé pouvant stimuler une véritable aphémie.

4° La surdité verbale mentale (avec défaut complet

d'intelligence des mots), caractérisée par l'impossibilité

de comprendre et d'imaginer la parole, avec pos-

sibilité de répéter les mots prononcés par autrui,

sans que ces mots aient aucune signification pour ce-

lui qui les répète (Echolalie sans intelligence des

mots)

5° La surdité verbale mentale {avec intelligence

des mots consécutive à leur articulation), caractérisée

par le défaut primitif d'intelligence des mots pronon-

cés par autrui, et le défaut d'imagination orale, avec

possibilité de répéter les mots prononcés par autrui

et de comprendre ces mots consécutivement à leur

répétition (Echolalie avec intelligence des mots).

6° Enfin la surdité verbale représentative, caractéri-

sée par la possibilité de saisir nettement les mots parlés,

de les imaginer et de les prononcer correctement, et

par l'impossibilité d'en comprendre la signification,

comme s'ils étaient articulés dans une langue in-

connue.

C'est par l'observation clinique quej'ai été conduit

380 PATHOLOGIE NERVEUSE.

à admettre ces divisions, dont je me suis occupé en-

suite à rechercher l'interprétation théorique ration-

nelle. En agissant ainsi je ne crois pas m'être sen-

siblement écarté de la méthode générale adoptée par

M. Charcot, notre maître à tous en pathotogienerveuse,

de la méthode anatomo-clinique. Quelques-unes de

mes divisions n'ont pas encore, il est vrai, de sanc-

tion anatomique, et à défaut de cette preuve irré-

cusable, j'ai dû me contenter de l'observation clinique

et de la physiologie pathologique. En admettant que

mes explications ne soient pas plus tard, vérifiées, je

n'en aurai pas moins essayé d'établir une distinction

des diverses formes de la surdité verbale aussi com-

mode et aussi complète que le permet l'état actuel de

nos connaissances ; et ne serait-ce que comme moyen

commode de fixer facilement dans la mémoire les dif-

férents types cliniques de la surdité des mots, je vais,

en terminant, reproduire dans son ensemble le schéma

à l'aide duquel il m'a été possible d'en expliquer la

production.

La parole pénètre eu Au et parcourt le trajet Au a b mp, lli sis le cas (te lésion du

trajet b mp, il y a surdité verbale brute.) Arrivée au centre mp (I. C. T. G.) il y a

JAMES JACKSON ET LES PARALYSIES ALCOOLIQUES. 38 <

production ou réveil des images orales. (Dans le cas de lésion du centre mp il y a sur-

dité verbale centrale. Par la ^oie mp io, les images orales communiquent 'anec le

centre de Broca io, et peuvent mettre en jeu ce centre, d'ou répétition blute et incons-

ciente des mots. (Voie Au a b mp ! 0 d c P a.). - Par la voie mp IV, les images orales

sont en communication avec l'entendement 1Y, qui perçoit ces images et les mots cor-

respondants, (La lésion du trajet mp IV entraîne la surdité verbale mentale.) Par la rie

mp M les images orales sont mises en rapport avec les images représentatives, et peuvent

provoquer l'apparition de ces dernières, qui sont perçues pu- l'entendement (voie M IV).

(La lésion du trajet mp M produit la surdité verbale représentative.) Par la oie P a

ef mo IV, l'entendement perçoit et apprécie les mouvements de la parole. (La lésion

d'un point quelconque du trajet P a efmo IV entraîne la perte de la mémoire des mou-

vements de la parole ; - quand cette lésion coexiste avec celle du trajet mp IV, il y a

surdité verbale mentale avec défaut complet d'intelligence des mots , quand la lésion

du trajet mp IV existe seule, il y a surdité verbale mentale, avec intelligence Ces mots

consécutive à leur arttculation·1 - Le centre mé représente la mémoire des images

écrites, communiquant, avec l'entendement par la voie nid IV et avec le centre de Broca

par la voie me io. Dans le cas de lésion du centre mp quand le centre me peut sup-

pléer le centre mp, il y a surdité verbale centrale (type Giraudeau) ; quand le centre

mé ne peut suppléer le centre mp, il y a surdité verbale centrale (des illettré* et des

auditifs)

JAMES JACKSON ET LES PARALYSIES ALCOOLIQUES;

Par le D, GILLES DE LA TOURETTE, ancien interne de la Salpêtrière.

Les études sur les paralysies alcooliques se sont

singulièrement multipliées pendant ces deux dernières

années. A la suite d'une leçon sur ce sujet faite à la

Salpêtrière par M. Charcot, leçon dont notre éminent

maître voulut bien nous confier la rédaction', on vit

apparaître de toutes parts des travaux dont plusieurs

sont de première importance. Nous nous abstiendrons

de donner ici une bibliographie complète de la ques-

tion. On la trouvera dans la remarquable thèse d'agré-

gation de Brissaud (1886). Aussi bien-, d'ailleurs,

sommes-nous guidé dans la rédaction de cette note

par des considérations toutes particulières.

Jusqu'en janvier 1886, il paraissait admis sans

* Gazette des Hôpitaux, 28 août 1881.

382 ' PATHOLOGIE 1VEIWI;USE.

conteste que tout l'honneur de la découverte des pa-

ralysies alcooliques revenait à un Suédois, Maguus

Hùss, dont les recherches dataient de 1852. C'est

alors que M. Dreschfeld qui s'était occupé à

plusieurs reprises de cette affection - révéla dans le

Brain, qu'en 1822, un médecin américain, James

Jackson, en avait donné une description presque

complète.

Nous ne pouvons toutefois nous empêcher de signaler

les travaux fondamentaux de Lancereaux et de Leudet,

qui, en 1865, non seulement tracèrent un tableau

clinique de ces paralysies, auquel il restait peu de

chose à ajouter, mais encore assignèrent à la maladie

sa véritable caractéristique anatomo-pathotogique.

Nous nous réservons, en outre, d'insister sur quelques-

unes des publications qui parurent ultérieurement.

Ce qui nous intéresse avant tout, c'est de mettre

en pleine lumière le travail de James Jackson, paru

dans un journal difficile à trouver aujourd'hui, le

New England Journal of Medicine and Surgery,

vol. XI, 3° série, vol. I, p. 351, Boston, 1822. »

A la prière de M. Dreschfeld, M. le D' Windsor, le

savant bibliothécaire d'Owen's Collège, à Manchester,

a eu l'obligeance de communiquer à M. Charcot un

exemplaire du travail de .T. Jackson. Nous en donnons

la traduction suivante, en serrant le texte de très

près afin de respecter, autant que possible dans ses

moindres détails, la description du médecin amé-

ricain.

Sur une maladie particulière résultant de l'usage des spiritueux

(Ardent spirils), par James JACKSON, N. U. Professeur de

JAMES JACKSON ET LES PARALYSIES ALCOOLIQUES. 383

Théorie et de Pratique Médicale, Ilarward Universitv.

(Communiqué au New England Journal of Médecine and

6'M< ? )822.)

Parmi les maladies nées de l'usage des spiritueux, il en est

une parfaitement distincte, mais que je n'ai jamais vue décrite.

Ayant eu l'occasion d'observer plusieurs cas de cette affection,

j'ai le regret de dire que la très grande majorité se rapporte à

des femmes. En l'absence d'un meilleur nom, j'ai appelé cette

affection a2-lh2,odyizia dpolu; ce nom entraine peut-être avec

lui des notions fausses, comme on le verra par la suite, mais

l'affection elle-même ne m'en a pas suggéré un meilleur.

Cette arlhrodynia survient graduellement. Elle commence

par des douleurs dans les membres inférieurs et spécialement

dans les pieds; ces douleurs gagnent ensuite les mains et les

bras. Les mains peuvent être envahies en premier lieu dans

quelques cas ; mais, lorsque la maladie est déjà ancienne, la

douleur est plus intense dans les pieds et dans les mains que

dans les parties supérieures des membres. Cette douleur est

excruciante, mais elle varie d'intensité aux différentes périodes

de la"maladie.

Lorsqu'il y a quelque temps que la maladie s'est établie, il

survient dés contractures des doigts et des orteils et de l'in-

habilité à se servir librement de ces parties. A la fin, le malade

ne peut se servir ni de ses pieds ni de ses mains, les muscles

fléchisseurs devenant beaucoup plus puissants que les exten-

seurs, comme cela se voit dans d'autres maladies. Le corps

tout entier, sauf l'abdomen, diminue de volume; toutefois, la

face n'offre pas l'apparence de maigreur commune à beaucoup

de maladies viscérales. Cette diminution de volume s'observe

particulièrement aux pieds et aux mains ; en même temps, la

peau qui les recouvre prend une apparence spéciale que l'on

note quelquefois, mais beaucoup moins accentuée, 'sur le tégu-

ment des autres parties du corps. Elle consiste eu un poli et

brillant avec une sorte de finesse e la peau. Les téguments

paraissent comme tirés et tendus sans plis ni rides, quelque

chose comme si les tissus sous-jacents étaient enllés, mais la

peau n'est pas décolorée. 11 n'y a aucun épanchement sous la

la peau dans cette, maladie, et son caractère spécial nait de

quelque changement de l'organe lui-même. On voit quelquefois,

38t PATHOLOGIE NERVEUSE.

je pense, un aspect semblable dans quelques cas de paralysie.

Peut-être, dans les deux maladies, les causes sont-elles sem-

blables, car il y a une paralysie partielle dans cette arthrodynia.

Mais, dans ce cas, la paralysie est imputable aux muscles et

non aux nerfs comme dans les cas de paralysie ordinaire.

Les symptômes les plus caractéristiques de la maladie siègent

dans les membres; mais la douleur ne s'y limite pas et il

parait d'autres symptômes dans d'autres endroits. La douleur

traverse soudainement l'une ou les deux jambes et, dans un

cas, elle passait fréquemment d'arrière en avant, du dos jus-

qu'au creux de l'estomac, suivant le trajet du diaphragme.

Les fonctions de l'estomac sont toujours troublées et générale-

ment beaucoup. L'appétit est perdu ou mauvais et le patient

a recours aux stimulants les plus énergiques; il existe souvent

du vomissement, de la constipation ou de la diarrhée. L'esprit

est affaibli, mais il est ordinairement libre de délire et l'in-

dividu a parfaitement conscience des horribles douleurs cau-

sées par sa maladie. La douleur empêche le sommeil que

procure seulement l'opium.

Dans le cours progressif de la maladie il peut souvent sur-

venir des affections spasmodiques, et l'esprit et le corps peu-

vent être troublés et agités par de légères causes. Les pouvoirs

vitaux sont à la fin épuisés et le délire arrive quelquefois, en

dernier lieu, comme précurseur de la terminaison fatale.

Je crois que cette affection est toujours mortelle lorsque

l'usage des liqueurs spiritueuses n'est pas abandonné avant que

la puissance digestive n'ait été gravement altérée. Dans la pra-

tique privée, je n'ai pu contrôler les malades en ce qui regarde

l'usage de ces liquides. Il y a quelques années, je guéris une

une malade dans un hôpital; mais j'avais un contrôle entier

sur elle, et l'année dernière, j'ai eu un malade dans le « Mas-

sachussetts General Hospital, » qui, après six mois de traite-

ment, sortit tout à fait bien portant et capable de reprendre

son travail.

J'ai employé divers remèdes ; le suivant m'a paru seul

efficace. D'abord, abstention de liqueurs spiritueuses de toute

nature, soit sous forme médicamenteuse, soit sous toute autre.

L'effet de cette abstention est graduel, mais il est si grand

qu'il est difficile de dire si les remèdes que je vais mentionner

n'ont pas paru plus efficaces qu'ils ne le sont réellement.

JAMS JACKSON Hi' LES PARALYSIES ALCOOLIQUES 385

En second lieu, l'opium en quantité suffisante pour abolir la

la douleur pendant la nuit et procurer du sommeil. Dans ce

but, quelques grains ont été nécessaires d'abord dans quel-

ques cas,mais, après quelquessemaines, comme on doit dimi-

minuer graduellement la dose, l'opium peut être .entièrement

supprimé. Il est important d'ailleurs de le supprimer aussi

vite que possible. Troisièmement : bains tièdes, frictions et

autresapplications stimulantes de la peau. Quatrièmement :

régler les fonctions de l'estomac et des intestins suivant les

indications particulières à chaque cas. Je pense que, lorsqu'il

n'y a pas d'appétit, l'alimentation animale est surtout utile.

On se demande toujours si l'on doit permettre le vin alors

qu'on supprime l'alcool. En n'écoutant que mon expérience,

je crois que cette permission est inutile et qu'il est préférable

de sevrer une fois pour toutes le malade d'une telle autorisation.

Comme on fait usage de l'opium, il sera facile d'arriver à ce

but. Boston, août 1822.

Tel qu'il est, ce document nous semble de la plus

grande valeur; désormais Jackson doit marcher dans

cette-question, bien en avant de Magnus Hüss, non

seulement comme antériorité, mais comme précision

dans la description.

Examinons rapidement ce que Jackson a vu et dé-

crit et ce qu'il a passé sous silence, nous seronsains,

mieux à même de faire le bilan de ses découvertes.

Il a noté expressément la grande fréquence de

l'affection chez la femme, comparativement à l'homme;

Sa description générale est inattaquable : le début

par les , douleurs dans les membres inférieurs est

devenu classique; de, même la généralisation possible

de celles-ci. Vient ensuite la période ^paralytique dans

laquelle Jackson ne manque pas de, signaler expres-

sément la faiblesse des extense71rs. .

La description de l'aspect lisse de la peau des mem-

bres est parfaite : on peut s'étonner seulement de ne pas

Archives, t. XIII. 25

386 PATHOLOGIE NERVEUSE.

voir mentionner l'oedème et en général, les troubles

vaso-moteurs sur lesquels M. Lancereaux a insisté.

Finissons-en avec ce premier paragraphe en disant

que l'auteur américain a bien vu la terminaison ordi-

naire de l'affection, quoi qu'il en ait, pensons-nous,

considérablement assombri le tableau ; peut-être

encore n'a-t-il pas assez insisté, sur les rechutes qui

paraissent fréquentes.

Que n'a-t-il donc pas observé ? Deux choses impor-

tantes, à notre avis tout au moins. La première a

trait à la rapidité possible de l'évolution, au mode

aigu de l'affection observé dans certains cas et par-

faitement décrit par Broadbent. Mais ces cas, com-

parativement à la forme commune, semblent rares.

Le second point est plus important, car il paraît

être d'observation à peu près constante, lorsque la

paralysie dure depuis un certain temps. Il a rapport

à ces adhérences péri-articulaires et intra-tendineuses,

à cette sclérose qui se manifeste autour des articu-

lations des membres affectés sur laquelle M. Char-

cot a appelé l'attention. C'est là un fait qu'il faut

prendre en sérieuse considération, car, dans plu-

sieurs cas de guérison, on fut obligé d'intervenir

chirurgicalement pour détruire les adhérences, réduire

la déformation et rendre la marche possible.

Peut-être pourrait-on aller beaucoup plus loin dans

l'analyse de ce document; il nous suffira cependant

de l'avoir publié pour que tous ceux qui s'intéressent

à ces questions en comprennent la grande importance

et rendent à son auteur la justice qui lui est légitime-

ment due.

RECUEIL DE FAITS

OBSERVATION DE SCLÉROSE LATÉRALE AMYOTROPHIQUE

SANS LÉSION DU FAISCEAU PYRAMIDAL AU NIVEAU DES

PÉDONCULES;

Par Pierre MARIE.

Phil..., âgé de trente et un ans, menuisier, est entré le

22 octobre 1884 à la Salpêtrière (service de M. Charcot).

Père, mort à la guerre, pas de maladies nerveuses. Mère,

encore vivante, pas de maladies nerveuses. Frères et soeurs,

bien portants, pas de maladies nerveuses. Oncles et tantes, de

même.

Lui-même dès son enfance a toujours été sujet à de violentes

colères, était alors pris de tremblement très intense. Jamais de

convulsions, pas de porte de connaissance. N'aurait jamais fait

d'excès alcooliques, mais pendant un an, lorsqu'il travaillait à

Berne, le travail était pénible et il buvait jusqu'à trois litres de

vin par jour. Jamais de tremblement, de pituites, de crampes,

de cauchemars.

A l'tïfje de treize ans, fièvre typhoïde assez grave, rechute, serait

resté près de quatre mois malade, a eu beaucoup de délire. A

l'âge de quinze ans s'étant trouvé àl'improvisteen présence d'une

femme morte fut pris d'un tremblement, de vertiges, voyait tout

noir quoi qu'il distinguât très bien les objets, perdit connaissance

pendant près de huit jours, ne se débattait pas et pendant

plusieurs jours encore a éprouvé de l'oppression et des palpita-

tions.

A l'âge de vingt-deux ans, éruption assez confluente; sur tout le

tronc (pas sur la face ni sur les mains) boutons miliaires ; pas ou

peu de démangeaison, pas de fièvre, ne cessa pas son travail;

durée : huit jours environ.

En 1873, fièvre muqueuse ayant duré trois semaines.

En 1878, eut un tour de reins, qui dura trois jours et fut soigné

par des ventouses. Pas de chancre. Pas de blennorrhagie. Marié

en l8î5. Deux enfants bien portants, l'un d'eux, un peu nerveux ;

sa femme n'a pas fait de fausses couches. Aucun traumatisme

important.

388 RECUEIL DE FAITS.

Le 2 novembre 1882, en travaillant sur une maison en construc-

tion, fut mouillé et prit froid, sentit dans les mollets un frisson et

des pincements; la marche lui était un peu difficile à cause des

sensations qu'il éprouvait dans les mollets.

Apartir de cette époque jusqu'en janvier 1883, a toujours eu dans

les mollets une sorte de serrement, qui lui rendait la marche un

peu difficile; il continuait cependant à marcher, et à rester debout

toute lajournée, mais ne pouvait plus courir. Quand, après être

resté assis, il voulait se relever il éprouvait une difficulté plus

grande à faire les premiers pas que « lorsque ses jambes étaient

échauffées ». ». z

En janvier 4883, la sensation de serrement remonta jusque dans

les reins; constriction de serrement comme avec une ceinture se

prolongeant jusque dans les aines. De juillet en septembre, cette

sensation disparut àpeu près complètement. En juillet 1883, entre

à Lariboisière dans le service de M. PROUST, n'ayant plus les

moyens de se soigner chez lui; à cette époque ses pieds avaient une

tendance assez marquée à se porter en dedans ; il commençait à

marcher sur les pointes; dès qu'on le découvrait il était pris de

« frissons » dans le dos avec sensation de froid, chair de poule et

probablement contractions fibrillaires des muscles

En septembre, sort de Lariboisière. Ses « frissons » à ce moment

avaient gagné les deux épaules, surtout la gauche ; à ce niveau

il lui semblait qu'on le serrait comme avec une presse.

Reste chez lui jusqu'en mars 1884; en janvier la raideur des

épaules avait augmenté, les doigts de la main gauche puis ceux

de la droite étaient devenus raides, et toutes les phalanges en

extension, peu après, les doigts commencèrent à se fléchir en com-

mençant par l'auriculaire de la main gauche, et presque simul-

tanément par l'auriculaire de la main droite; les jambes étaient

à peu près dans le même état qu'auparavant. le malade pouvait

faire des courses de trois kilomètres, mais mettait une heure ou

une heure et demie pour les faire. ' '

Le 21 mars/entre dans le service de M. HUCIIARD, le quitte le*

19 juillet par suite de l'évacuation de l'hôpital en vue du choléra.

Le 19 juillet, est admis à Necker, service de M. Potain. Vers

cette époque tous les doigts étaient à peu près complètement

fléchis, et presque à l'état où on les trouve. C'est seulement'à

partir de mai 4884, qu'il a commencé à avoir la parole un peu

lente et difficile ; c'est vers le mois de juillet que' se sont mani-

festés les premiers troubles de la déglutition. Jamais de palpita-

tions ni d'étouffements.

État actuel (28 octobre 1884). - Pouls assez plein = 75. Rien au

coeur. Respiration = 16. Rien de net aux poumons, tousse un

peu, ne crache pas, a éprouvé de fortes sueurs la nuit. Pas d'hé-

DE LA SCLÉROSE LATÉRALE AMYOTROPHIQUE. 389

moptysies, a eu pendant bien longtemps de la diarrhée, qu'il

attribue à l'ingestion de 2 et 3 grammes d'iodure de potassium.

Membres inférieurs. Ne sont pas très amaigris, cependant, aux

pieds les tendons extenseurs sont plus saillants qu'à l'état normal.

La première phalange des orteils, sauf pour le pouce, est légère-

ment portée en extension. Pas de troubles vaso-moteurs, pas

d'oedème lors même qu'il reste les jambes pendantes sur le bord

du lit. " '

La trépidation spinale est facilement provoquée et donne cent

soixante dix-neuf secousses à la minutes (pied gauche). Elle est

plus difficile à provoquer du côté droit, et, dure seulement quel-

ques instants. Longueur de la jambe de l'interligne articulaire,

tibio-fémoral à l'extrémité de la maleulle interne = 37 centi-

mètres. Le pied et la jambe du côté droit sont plus raides qu'à

gauche ; il a des deux côtés une rigidité très prononcée. ,

Les muscles des jambes et des cuisses font lorsque les jambes sont

étendues dans le lit, une saillie considérable et sont durs absolu-

ment comme du bois; d'ailleurs le malade ne peut rester que

quelques minutes dans cette position (jambes étendues), car il

éprouve alors des crampes très pénibles. Il peut soulever le pied

gauche à 40 centimètres environ du plan du lit, peut porter la

jambe dans l'adduction forcée à droite de la jambe droite, mais

le mouvement d'abduction est extrêmement limité et il sent des

crampes quand il cherche à le faire; il en est à peu près de même

pour le membre inférieur droit. Les différents mouvements isolés

du pied adduction, abduction, flexion, extension se font assez bien,

et avec assez de force, mais ont une certaine lenteur et beaucoup

de raideur.

En somme, pas d'atrophie des membres inférieurs ; tout au plus

un léger degré d'amaigrissement des mollets. Il est presque im-

possible de lui fléchir ou étendre la jambe, quand on lui a dit de

résister à ces mouvements, tant la force des iléchiseurs et des

extenseurs de la jambe est bien conservée.

Lorsqu'il est debout et qu'on le fait marcher on voit presque

tous les muscles du corps se raidir considérablement; ceux des

cuisses surtout prennent une dureté extrême, et il ne peut mar-

cher sans être soutenu, par suite de la difficulté qu'il éprouve à

maintenir son équilibre; si on le lâche, il tombe tout d'une pièce

comme une barre de fer.

Type de la démarche spasmodique la plus accentuée.

Membres supérieurs. Au repos, les bras sont appliqués le long 0

du corps, les avant-bras en demi-flexion, les mains placées sur

les cuisses ou dans le voisinage des parties génitales. Les deux

mains présentent un aplatissement assez considérable, les pha-

langes sont à peu près étendues, les phalangines et les phalangettes

390 RECUEIL DE FAITS.

sont fléchies ; le pouce de la main droite est étendu le long du

bord externe de l'index, celui de la main gauche au contraire est

fléchi dans la paume de la main. Les interosseux dorsaux et pal-

maires ont en grande partie disparu, ainsi que les muscles thénar

et hypothénar. Les avant-bras sont très aplatis, les masses épicon-

dyliennes et épitrochléennes sont assez diminuées de volume

ainsi que les muscles du bras.

Tronc. Les pectoraux sont diminués de volume, surtout dans

leurs faisceaux claviculaires, mais forment encore une saillie très

appréciable au niveau du bord interne du creux axillaire. Les

mouvements des bras et des avant-bras présentent un léger degré

de rigidité dans les positions de flexion et d'extension et une

rigidité très accentuée dans les positions de pro et de supi-

nation, et dans celle d'élévation de l'épaule.

Il subsiste à peine quelques très légers mouvements d'extension

de la première phalange des doigts. Réflexes tendineux très

exagérés aux membres supérieurs. Le mouvement de supination

est presque impossible, celui de pronation s'exécute bien, mais ne

peut être cependant porté jusqu'à ses dernières limites. La

flexion de l'avant-bras sur le bras se fait assez bien, l'extension

est plus difficile et incomplète.

On ne constate rien d'anormal au point de vue du volume des

muscles du dos, peut-être sont-ils cependant un peumoinsvolumi-

neux qu'ils ne l'étaientavant l'affection dont le malade est atteint.

Impossible d'écarter notablement les membres supérieurs du

tronc ; il peut au contraire facilement les croiser sur la poitrine.

Le bras peut être sans trop de difficulté porté dans la position due

à l'action du grand dorsal. Le mouvement d'élévation des épaules

est à peu près normal.

Le tronc ne peut être complètement étendu; il reste toujours

dans un certain degré de flexion ; mais celle-ci ne peut être cepen-

dant portée tout à fait jusqu'à l'angle droit. Quand le malade est

dans son lit, il ne peut s'asseoir; il est obligé pour prendre

cette position de se mettre sur le bord du lit les jambes pen-

dantes.

Les mouvements du cou s'accomplissent à peu près normalement

sauf l'extension en arrière qui semble un peu pénible et accom-

pagnée d'une certaine raideur. Mouvements fibrillaires, palpita-

tions dans presque tous les muscles des extrémités et du tronc et

aussi dans le peaucier.

Face. La face ne présente rien de particulier, il n'y a ni atro-

phie, ni déviation des lèvres, les sillons nasolabiaux ne semblent

pas notablement plus accentués qu'à l'état normal, le menton

ne présente pas les petites dépressionsqui se voient généralement

dans les paralysies bulbaires; cependant, quand le malade rit on

DE LA SCLÉROSE LATÉRALE AMYOTROPIIIQUE. 391 i

voit celles-ci se produire et persister quelques secondes après que

le rire est terminé. Tous les mouvements des lèvres (rire, baiser,

moue, etc., s'exécutent aisément.)

La langue n'est pas diminuée de volume, sauf peut-être un peu

dans sa moitié droite. Elle est animée de mouvements fibrillaires

très nets : Le malade la tire bien, éprouve un peu de difficulté à

en porter la pointe vers le nez, et la diriger vers la commissure

gauche, ce qu'il fait facilement pour la commissure droite, il la

creuse assez bien en gouttière.

La parole est notablement altérée, et l'articulation, un peu

pénible et lente, sans que l'on puisse remarquer une difficulté

spéciale pour telle ou telle lettre (toutes les syllabes ont été

essayées). Le ton général de la parole est un peu analogue à celui

que l'on observe dans certains cas de sclérose en plaques; l'articu-

lation est nettement spasmodique.

La mastication et les mouvements de diduction de la mâchoire

se font normalementi ainsi que la formation du bol alimentaire ;

c'est seulement la déglutition qui est difficile et uniquement pour

les liquides. Ceux-ci s'engagent fréquemment dans le larynx mais

non dans les fosses nasales. Les solides passenttrèsbien. Assez

souvent régurgitation, soit des boissons qu'il aprises,soit des mu-

cosités stomacales, mais jamais d'aliments solides. La sensibilité

réflexe du gosier est peut-être un peu diminuée au niveau du voile

du palais et de la paroi postérieure du pharynx; elle est parfaite-

ment intacte au niveau de la base delà langue et de l'épiglotte.

Sensibilité générale et spéciale parfaitement conservées.

Réflexes crémastérien et abdominal normaux. - Le malade est

suffisamment intelligent, conserve toute sa mémoire; mais a une

certaine tendance à pleurer et surtout à rire sans grand motif;

il ne peut alors s'arrêter etcontinue de rire pendant une ou deux

minutes; l'inspiration devient bruyante'et présente une sorte de

cornage (spasme des muscles de la glotte). Réflexe du masséter

exagéré.

La trépidation spinale, facile à provoquer des deux côtés,

s'arrête d'elle-même assez rapidement. Il peut étendre lesjambes,

mais cette extension se fait très lentement, et lorsqu'elle persiste

quelque temps, lui donne des crampes.

Le redressement spontané du poignet est devenu impossible ; il

n'y a pas de changements dans les phalanges, si ce n'est que les

deux dernières ne peuvent être redressées même passivement,

elles sont le siège de la rétraction. Réflexe du coude exagéré.

Tremblement fibrillaire.

Juin. La rigidité due à la contracture permanente augmente

journellement; pas de spasme de la glotte. Le malade est déplacé

tout d'une pièce. Il tousse, ne peut cracher. Gargouillement

dans la région sous-clavière gauche. Dyspnée extrême. Mort.

39 L) RECUEIL DE FAITS.

A l'autopsie, on trouve dans la moelle les lésions caractéristiques

de la sclérose latérale amyotrophique; malheureusement une

partie des pièces ayant été perdues, l'examen histologique ne put

être fait pour le cerveau ni pour le bulbe, mais les coupes prati-

quées sur les pédoncules cérébraux permirent de constater l'ab-

sence de toute lésion à ce niveau.

Cette observation présente un certain intérêt par suite du

développement tout à fait inusité des phénomènes spasmo-

diques.Mais le fait sur lequel nous voulons surtout attirer l'at-

tention, c'est l'absence de lésions au niveau des pédoncules. A

l'occasion de deux cas publiés par M. Charcot et par moi dans

les Archives de Neurologie, 1885, nous avions tout particulière-

ment insisté sur ce que la dégénération du faisceau pyramidal

existait aussi bien dans le cerveau que dans la moelle et occu

pait toute l'étendue de celui-ci. Dans le cas actuel il n'en est

plus de même; les pédoncules sont indemnes, quoique les alté-

rations médullaires soient parfaitement nettes'. Il semble donc

au premier abord que la lésion du faisceau pyramidal siège

uniquement dans le trajet médullaire de celui-ci; mais en réa-

lité il est possible que ce ne soit là qu'une apparence et que

dans des cas de ce genre il existe également des lésions dans

les circonvolutions psycho-motrices. La dégénération des cor-

dons pyramidaux consécutive aux altérations de leurs centres

cellulaires se faisant d'abord à leur extrémité et remontant

progressivement, on comprendrait que les lésions du faisceau

pyramidal fussent d'abord visibles dans la moelle, puis dans la

protubérance, dans les pédoncules, et seulement plus tard dans

la capsule interne. De nouvelles observations sont nécessaires

pour trancher la difficulté ; malheureusement la conservation

incomplète des pièces dans notre cas en nous rendant impossible

l'examen des circonvolutions motrices nous a mis hors d'état

de faire ces recherches ; nous ne pouvons qu'en signaler la

nécessité pour résoudre la question de savoir si la sclérose

latérale amyotropique a toujours son point de départ dans les

circonvolutions motrices, ou si au contraire ce point de départ

peut être dans le bulbe ou la moelle.

1 Ce fait est très analogue au cas de 0. Viernrdt. - Zur ComGiuerter

Degeneralion der Voi-derhoritet; u ? id Seilenstranye des Rùckenmarks.

(drc ? ? Psgclt. XIV.) ·

REVUE CRITIQUE

LA PARANOÏA'

DÉDRHS SYSTÉMATISÉS ET DÉGÉNÉRESCENCES MENTALES

Historique et critique; '

Par J. SECLAS, médecin-adjoint de l'hospice de BiMU'e.

Ajoutons enfin que pour Amadei et Tonnini le délire sen-

soriel ( kvahiisiîiîz de Ira(ft-Ebinn)vrai type de délire asysté-

matique,' peut passer à la Paranoïa à travers le stade des idées

fixes, forme rudimentaire ou prodromique de Paranoïa, dont

elles diffèrent cependant par l'état de conscience du sujet.

11-fant enfin (comme l'a fait Krafft-Ebing) distinguer la

Paranoïa vraie de certains délires plus ou moins systématiques

de l'épilepsie, de l'hystérie, de l'alcoolisme, etc ?

PourRaggi 2 ( 1884), le rôle de l'élément dégénératif dans la

genèse de la Paranoïa est loin d'être démontré' : il nie tous

les caractères distinctifs tirés de l'étiologie, de l'évolution, du

complexus symptomatique, de la marche. Pour lui, il n'y a pas là

plus d'hérédité qu'ailleurs; la priorité en date de l'idée sur les

troubles du sentiment n'est rien moins que démontrée, il

suffit au contraire souvent chez ces malades du plus léger

trouble émotionnel pour changer ou exciter les idées déli-

rantes. En outre tous les auteurs ne s'entendent pas sur les

symptômes, les uns regardant les hallucinations comme pri-

mitives, les autres comme secondaires au délire qui serait de

persécution pour certains, de grandeur pour d'autres. Quant à

la marche, quelques auteurs n'admettent-ils pas des délires

à marche aiguë, chose incompatible avec une idée de dégéné-

' Voir le iio 37, p. 62, n° 38, p. 221.

Kaggi. Dell'eleiiieitto degenerativo itella genesi dei eosi detti deliri

sistematizznti primitivi (Arch. ital. per le mal. um ? 1884).

394 se REVUE CRITIQUE.

rescence ? Tous ces arguments sont bien spécieux ; et il nous

semble qu'il suffit de les citer pour montrer le peu de cas

qu'il faut faire de la plupart d'entr'eux.

Cette même année (488'N), Tanzi ' publie une étude histo-

rique sur la Paranoia, sorte d'introduction à une monographie

de cette forme vésanique faite en collaboration avec Riva 2.

Pour Tanzi et Riva, la Paranoia est une psychopathie fonc-

tionnelle entée sur un fond dégénératif, caractérisée par une

déviation particulière des fonctions intellectuelles les plus

élevées, n'impliquant ni une décadence grave, ni un désordre

général; qui s'accompagne presque toujours d'hallucinations

et d'idées délirantes permanentes plus ou moins systématisées,

mais indépendantes de toute cause occasionnelle constatable

ou de tout état morbide émotif, qui a une marche ni uniforme

ni continue, mais cependant essentiellement chronique et qui

en général ne tend pas par elle-même à la démence. Dans

quatorze cas seulement sur cent, d'après Tanzi et Riva, l'hé-

rédité a été inconnue, mais non exclue, et dans les quatre-

vingt-six autres cas, la Paranoïa avait une base dégénérative

soit par hérédité (77) soit par maladies de l'enfance compro-

mettant le développement de l'individu (9,5). De cela il ne

faudrait pas en conclure que la Paranoia soit une forme de

débilité mentale. C'est simplement, comme l'ont déjà dit

Amadei, Tonnini, etc., une psychose dégénérative par suite

de la tare héréditaire ou constitutionnelle, de sa marche

chronique et à début insidieux, de sa symptomatologie

variable.

La constitution psychique des Paranoïaques ne peut être

mise en évidence que par le délire systématisé qui surgit sur

le fond mental et en est l'exagération ; et cependant elle est

tout, constituant quelquefois à elle seule toute la maladie

(P. indifférente), se retrouvant dans les prodromes, dans les

intervalles de rémission. Elle consiste surtout dans des ano-

malies de l'intelligence (associations d'idées bizarres, juge-

ments absurdes) ou des sentiments affectifs (égoïsme, défiance,

romantisme, irritabilité, émotivité, perversions sexuelles,

etc...). Les caractères psychiques de cette constitution vont

' Tatizi. - La Paranoia (</e/t ! 't0 sistematizzato) e la sua evoluzionei

slorira (Itiu. sNerinc. di freu., 1884).

2 Tanzi et Iliva. La Paranoia conlribulo alla storia délie deyenerazion

psichiche. (iiiv. spe ? int. di freca" 1884-t885-988G.)

LA PARANOÏA. 395

se développant avec les années pour atteindre une maturité

dégénérative à l'âge où l'homme sain est au comble du per-

fectionnement intellectuel (trente-deux ans en moyenne). C'est

alors que surgit généralement le délire, mais quelquefois il

manque (excentriques, originaux), ou il est insuffisant pour

troubler l'équilibre psychique; le malade ne délire pas à pro-

prement parler, il raisonne à faux, c'est un paradoxal (folie

raisonnante, type indifférent). En somme, la Paranoia est

une forme morbide constitutionnelle et le délire n'est là qu'un

symptôme. Il n'est d'ailleurs pas absolument spécifique et

peut se rencontrer dans d'autres formes psychopathiques sans

caractères psychologiques distincts, mais alors il est indépen-

dant de la constitution psychique et débute sous l'influence

d'une cause occasionnelle somatique : circulatoire (manie ou

mélancolie), inflammatoire (paralysie générale), toxique (alcoo-

lisme), etc...

Quant à la genèse de ce délire, il survient sans état morbide

émotif antérieur, il s'accompagne d'hallucinations qui sont

secondaires, affectant le plus souvent le sens de l'ouïe, puis la

sensibilité générale, les hallucinations visuelles étant très

rares. Ce délire peut subir des transformations, ou bien être

multiple ou indéterminé, ou même manquer. Aussi à ce point

de vue peut-on diviser la Paranoia en :

396 REVUE CR1T1QUF.

(même type de délire) et variable, et pour le mode 'de i suc-

cession des symptômes en continue, rémittente, avec exacer-

bation. Toutes ces variétés peuvent se combiner et nous

aurions ainsi une marche : . 1

LA. PARANOÏA. 397

Salemi-Pace (1885) distingue deux sortes de Paranoïa :

l'une, Paranoia simple, indépendante de tout élément dégéné-

ratif ; l'autre, la Paranoia dégénérative : il signale aussi une

forme de Paranoia consécutive ou secondaire; mais il ne voit

pas la nécessité d'en faire une forme particulière comme les

deux autres ! . On peut concevoir des doutes sur l'existence de

la Paranoia simple, en voyant que l'auteur la range à côté des

folies morale, impulsive, sensorielle, des délires émotifs.

Angelo-Zuccarelli 2 (1885) rapporte une observation^ de

Paranoia primitive avec délire des persécutions à forme chro-

nique qu'il dit être. de nature non dégénérative.

,

1 Salemi-Pace. La classificazioue délie frenopntie. Il Pisani, 1885.

Cette distinction très simple au premier abord l'est beaucoup moins si l'on

consulte la classification dont voici un résumé :

398 REVUE CRITIQUE.

Guicciardi (i88tt) se range aux idées de Tanzi et Riva, à

propos de l'interprétation de l'évolution des phénomènes

psychiques qui caractérisent la personnalité paranoiaque.

B. Battaglia (1886) cite- un cas de Paranoïa avec délire

ambitieux, qui est passible de plus d'une critique. Nous nous

contenterons de faire remarquer que l'auteur prétend n'avoir

pas trouvé d'antécédents héréditaires, ni de signes de dégé-

nérescence. Et cependant, il nous dit que son malade était un

esprit faible, mal pondéré, avide du merveilleux, instable,

dégoûté de la vie sans motifs plausibles; il lui manquait, dit-il,

la faculté d'adaptation au milieu social et l'esprit de critique

rationnelle. Or, ne sont-ce pas là des signes suffisants d'un

état de dégénérescence mentale ?

Morselli3 (1886) rapporte un exemple de Paranoïa rudi-

mentaire impulsive. Nous avons vu que c'est Arndt, qui, le

premier, a décrit cette forme de Paranoïa.

Cette Paranoïa rudimentaire (ou plutôt les idées fixes)

avaient été divisées par Tamburini* en trois classes : 1° les

idées fixes simples (Ex. : folie du doute pure) sans tendance à

se transformer en actes; 2° les idées émotives avec actions

simultanées (azioni coatte) (Ex. : folie du doute avec délire du

toucher), c'est-à-dire avec tendance à l'extériorisation de leur

contenu moteur; 3° les idées tmpM/s/ues. Morsolli n'en admet

que deux classes, réunissant en une seule les deux dernières de

Tamburini, parce que dans ces cas il s'agit toujours, selon lui,

de la tendance d'une représentation idéative à se transformer

en acte. Quant au terrain sur lequel ces idées se développent,

il est aussi très contesté. Krafft-Ebing 1, Cantarano 11, An-

driani7 regardent ces formes comme étant toujours des mani-

' Guicciardi. Psycologia e psychiat,ia (Riu. sper. di fren. 1886,

p. 531).

2 Bruno-Battaglia. Contribuzione alla casislica délia Paranoïa. {La

psychiatria, 1886, fasc. 3 et 4, p. 35).

3 MorseUi. Paranoïa rtidinientale impulsiva. (Riv. Sper. di fi-en.,

1886, f.4, p. 495.)

Tamburini. Huila pazzia del dubbio... (Riv. Sper. di fren., 1883.)

s Krafft-Ebing. Lehrbuch der Psych., 1879.

a Cantarano. Conlnbuto allô studio délie psicosi degeneralive .

(La psychiatria, 1884.) .)

7 G. Andriani. Conbributo alla conoscenza délie psicosi degeneralive

(idée fisse). (La psychiatria, 1885.)

LA paranoïa. 399

festations de dégénérescence. D'autres, avec Berger', Kroepe-

lin 2, Tamburini, Amadei etTonnini,Tanzi et Riva, admettent

qu'elles peuvent se développer sur un tonds neurasthénique

acquis, mais pas toujours héréditaire. Morselli se range à cette

dernière opinion et les classe dans les Paraphi-enies du second

groupe. D'ailleurs, les idées de cet auteur seront rendues plus

claires par l'exposé de la place qu'occupent dans sa classifica-

tion des maladies mentales les différentes formes de Paranoïa3.

A proprement parler, Morselli semble n'admettre que deux

formes typiques de Paranoïa : 1° la Paranoïa originaire dégéné-

ralive avec ses trois variétés de persécution, de grandeur, éro-

tique (érotomanie); 2° la Paranoïa rudimentaire avec ses deux

variétés idéative et impulsive. Toutes deux sont classées parmi

les Paraplarénies (anomalies de l'évolution cérébrale avec forma-

tion anormale ouperversion de la personnalité). Mais tandis que

la Paranoïa originaire dégénérative fait partie du sous-groupe

des Paraphrénies formé parles dégénérescences psychiques (Pa-

raphrénies dépendant d'une constitution psychopathique le

plus souvent d'origine héréditaire), la Paranoïa rudimentaire,

elle, est rangée dans un second sous-groupe, celui des psycho-

palhies constitutionnelles (Paraphrénies dépendant d'une cons-

titution psychopathique le plus souvent congénitale).

Quant aux formes, admises par certains auteurs, de Paranoïa

aiguë et de Paranoïa secondaire, elles sont complètement sépa-

rées des précédentes et rangées parmi les Psychoneuroses, sous-

groupe des Pkrénopatlzies (affections du cerveau complètement

développé avec changement morbide et altération de la person-

nalité). L'une, la Paranoïa, dite aiguë ou hallucinatoire ou

curable, est décrite sous le nom de folie sensorielle aiguë et

placée à côté des états maniaques et mélancoliques. L'autre,

la folie systématisée * secondaire {Paranoïa dite secondaire),

1 Berger. Grubelsucht eizz psychopathische symptoni. Grubelszccht

MnZtoa;tcoM<eHf<7ty< ! ! [ (Arch. ? Psileh., Bd. VI et V111).

' Kroepeliu. Comp. der psych. Leipsicli, 188s.

' 3lorselli ? llanuale della semejotica delle malattie H ! <;7t<aH., II, 1885.

' 11 est à remarquer que Morselli désigne ces formes sous les noms de

de folie sensorielle aiguë (Frenosi sensoria acuta) et de folie systématisée

secondaire (Pazzia sistematizzata secundaria) réservant aux formes ori-

ginaire et rudimentaire le terme Paranoïa qui semble ainsi associé dans

sou esprit avec l'idée d'une constitution nemopathique, qu'elle soit con-

génitale ou héréditaire.

100 ItF\'UN : Cltr'I'1QUI ?

avec ses deux formes de persécution et de grandeur, n'est consi-

dérée, avec la démence, que comme une modalité terminale, un

étal d'affaiblissement intellectuel. (Syn. : démence incomplète.)

.. V.

En France, depuis les travaux de Morel, nous ne rencon-

trons sur ce,sujet que des mémoires isolés, décrivant des

formes vésaniques qui. malgré leur nom différent, nous sem-

blent correspondre à certaines des variétés de Paranoïa que

nous avons passées en revue. 1.

Nous signalerons principalement. dans ce sens le travail de

M. Ach. Foville ' sur la folie avec prédominance du délire des

grandeurs (1871); puis le délire des persécutions de Legrand

du Saulle ' (1873), amplification du mémoire de Lasègue sur le

même sujet. Ce délire, nous l'avons vu, est un type de Para-

noia dans le cadre de laquelle le font rentrer du reste la plu-

part des écrivains que nous avons énumérés. Rappelons aussi

la thèse de M. P, Garnier sur le même sujet (1877).

En 1876, M. Taguet 4 décrit les aliénés persécuteurs qu'il

détache du- groupe des persécutés. Cette forme vésanique

rentre aussi dans le domaine de la Paranoïa, car elle corres-

pond à la Querulanten Wahnsinn des Allemands, aux Quere-

lanti et Litiganti des Italiens 5, nous avons vu encore que la

plupart du temps elle est considérée comme une forme à base

dégénérative. Telle parait être aussi l'opinion de M. J. Falret 6,

qui reprend cette question en 1878 et fait des persécuteurs une

modalité du délirede persécution se présentant chez, des sujets

héréditairement tarés. '

''Ach. Foville. - Elude clinique sur la folie avec prédominance du

délire des grandeurs, 1871.

2 Legrand du Saulle. - Le délire des persécutions, 1873.

3 P. E. Garnier. Des idées de grandeur dans le délire des persécu-

tions (Thèse dé Paris, 1877).

* Taguet. Les aliénés persécuteurs (Arzn. méd. psych., 1876).

" Nous avons traduit ces mots par folie de la chicane, bien qu'ils expri-

ment de plus l'idée de plainte. Consulter aussi à ce sujet : Liebman,

Ueber Querulanten Wahnsinn, etc., Diss., rena, 187G.-Kralft-Ebing, Ueber

deu'sogennnnten Querulanten Ha/t;M/ ? : 7t.'(yt«y. Zeilsch. /. psych., Bd.

XXXV, p. 395).-Brosius, Ueber Querulanten lVaheisiti7t. (/i ? <<.<e/t ?

Ysr/cli. Bd. XXll,.p. 770.1., ? 1 \

° J. lalrPt. - Aort. nted. Isycle., 1878.

LA paranoïa. 401 <

Depuis, et à plusieurs reprises, le même auteur est revenu

sur ce sujet et l'a développé dans ses leçons cliniques ou dans

les discussions sur la folie héréditaire à la Société médico-

psychologique (1885-1886).

Nous retrouvons encore ses idées reproduites dans la thèse

d'un de ses élèves, le De Pottier' (1886).

En 1882, M. Cotarct décrit sous le nom de délire des néga-

tions une forme psychopathique qu'il distingue du délire des

persécutions avec lequel on pourrait la confondre par la systé-

matisation des idées hypochondriaques, de persécution, de

grandeur. Mais, en dehors des caractères particuliers qui peu-

vent faire distinguer la nature de ces idées, il faut dire que ce

délire systématisé de négation est toujours secondaire à des

états mélancoliques, le plus souvent anxieux, au lieu d'être pri-

mitif comme le délire de persécution. Ce serait un exemple

des formes de Paranoia dites secondaires. Nous en avons nous-

même' 3 rapporté un exemple, que nous croyons typique.

Mais c'est surtout en nous reportant aux travaux de M. Ma-

gnan que nous verrons mieux, par comparaison, à quelles

formes nosologiques correspond la Paranoia. En effet, nous la

retrouvons là tout entière ; car tout en ayant envisagé les

choses-à un autre point de vue, M. Magnan n'en a pas moins par-

faitement décrit les mêmes formes que nous venons d'examiner.

Reprenant les idées de Morel sur la folie héréditaire, il l'é-

tudié dans ses différentes manifestations, qu'il cherche à classer.

Pour lui, les héréditaires, ou plutôt les héréditaires dégénérés,

peuvent se diviser en quatre degrés suivant le niveau de leur

état mental : 1° l'idiotie; 20 l'imbécillité; 3° la débilité mentale;

4° les dégénérés supérieurs. Or, l'état mental de ces derniers,

par les anomalies du caractère, de l'intelligence, correspond

absolument àce que d'autres auteurs (Sander, Maudstey/Krafft-

Ebing, Tanzi et Riva) ont décrit sous le nom de constitution

psychique de la Paranoia ; certains seraient même des exemples

' Pottier. Etude sur les aliénés persécuteurs (Th. de Paris, 1886).' -

- Cotard. Le délire des négations (Archia. de neûrolog.,1889).

' J. Séglas. Note sur un cas de mélancolie anxieuse (délire des

négations). (Arckia. de nei41,olog., 1884.)

' Magnan. Leçons sur la folie héréditaire, 1882-1883; Les délirants

chroniques et les dégénérés. Gaz. des hôpit., avril 1884. De la folie

héréditaire. (Joum des conn. nzéd., 1885, n° 48. Ann. néd. psyck.,

1885-1886. - Tribune médicale, 1886, il- 954.)

AKC1HVKP, L. XIII. 26

402 REVUE CRITIQUE.

de Paranoia dite indifférente ou indéterminée ou sans délire.

Et en tout cas, c'est là le terrain favorable au développement de

la folie systématisée primitive et que certains auteurs même,

n'admettant que les formes dégénératives, regardent comme

indispensable, le délire n'étant que l'exagération du caractère

particulier de ces malades. 1

Chez ces dégénérés supérieurs, M. Magnan fait la synthèse

d'un certain nombre d'états particuliers qu'il désigne du nom

de syndromes épisodiques. Ces états caractérisés par l'obses-

sion, l'impulsion avec angoisse et lucidité d'esprit sont ce que

d'autres aliénistes ont désigné du nom d'idées fixes, et nous

représentent ainsi cette forme de Paranoia rudimentaire

qu'Arndt a décrite le premier. A ce propos, disons que M. Ma-

gnan fait partie du groupe des médecins qui considèrent ces

troubles psychiques comme caractéristiques d'un état de dégé-

nérescence ' (stigmates psychiques).

De plus, ces syndromiques peuvent délirer et cela de plu-

sieurs façons. Outre les délires d'emblée déjà signalés par

Morel, on peut rencontrer chez eux des délires systématisés à

évolution chronique; les uns sont primitifs, c'est-à-dire qu'ils

s'iustallent petit à petit sans attirer l'attention, si bien qu'on

ne peut guère en préciser le début ; d'autres peuvent être con-

sécutifs à un délire d'emblée, qui se prolonge indéfiniment ;

d'autres fois aussi on les voit succéder à de simples tendances

délirantes qui semblent en être la période prodromique et dont

ils ne sont en somme que l'exagération. Qui ne reconnaîtrait

pas dans ce tableau rapide des délires à évolution chronique

chez les dégénérés les formes de Paranoia délirante à base

dégénérative, admise le plus généralement, et dont la Paranoia

originaire de Sander est le type 2.

Mais il est encore, dans la classification de M. Magnan, un

autre groupe de malades qui nous semble correspondre aussi

à certaines formes de Paranoia. Ce sont les délirants chroniques.

Au point de vue symptomatologique, le délirant chronique

n'est autre que le persécuté vulgaire pris dans les différentes

étapes de son délire entrevues déjà par Morel, Snell, etc. (pé-

1 Magnan, Leçons sur la dipsomanie. Progrès médical, 1884. De

l'oitomalomanie [en collab. avec M. Charcot). Arch. neur., 1885.

2 Nous ne pouvons exposer ici toute la doctrine de M. Magnan sur la

folie héréditaire. Nous renvoyons, pour plus de détails, à la thèse de

M. Legrain, qui expose d'une façon très complète les idées de son maître

sur les différents points que nous venons de signaler.

la paranoïa. 403

riode d'inquiétude, de persécution, de grandeur, de démence),

et représentant la synthèse de certaines anciennes monomanies

(hypocondrie, démonomanie, mégalomanie, théomanie, etc.).

C'est alors que le délire présente une systématisation des plus

marquées.- Or, la comparaison des observations de délire chro-

nique avec celles de Paranoia délirante nous montre, dans bien

des cas, une description identique d'une même vésanie. On

retrouve des deux côtés la même symptomatologie, la même

marche (hallucinations surtout de l'ouïe, nature et évolution des

idées délirantes, réactions du malade), de même que d'autres

exemples nous montrent des symptômes semblables, et une

évolution analogue à celle des délires des dégénérés à évolution

chronique (état mental particulier, début insidieux et progressif

du délire ou apparition rapide, hallucinations multiples ou

absentes, relations entre elles des idées délirantes). Il importe

à ce sujet de rappeler ici que, au point de vue de la succession

des idées délirantes, les différents aliénistes qui ont écrit sur la

Paranoia ont fait observer que les idées de persécution ou de

grandeur pouvaient exister à l'état isolé, ou bien que si on les

rencontrait chez le même individu (Paranoia mixte), on pour-

rait les voirôtre contemporaines ou se succéder, les idées ambi-

tieuses étant la conséquence des idées de persécution. Or, en

nous reportant à la classification de M. Magnan, nous aurions,

dans le dernier cas, une succession des idées analogues à celles

. que l'on rencontre dans le délire chronique, tandis que les

autres variétés correspondraient aux délires des dégénérés.

Enfin, au point de vue de la terminaison, nous trouvons encore

de grandes analogies entre les formes de Paranoia délirante,

les délires des dégénérés et le délire chronique. Leur marche,

très longue, aboutit rarement à une démence véritable et l'on

retrouve bien souvent au milieu de la dissociation des facultés

intellectuelles une trace de l'ancien délire systématisé. Cette pé-

riode de démence est plutôt une période de confusion mentale.

A l'inverse des auteurs que nous avons passés en revue, et

qui, presque tous, réunissent toutes les variétés de Paranoia

délirante, en leur attribuant un fond dégénératif commun,

M. Magnan fait une classe à part de ses délirants chroniques,

et tout en les admettant souvent comme héréditaires, se refuse

à en faire des dégénérés. Cette opinion ne semble pas être celle

de M. Gérente qui, dans sa monographie du délire chronique

dit que cette vésanie ne se rencontre pas chez le premier venu ;

4()t REVUE CRITIQUE.

il faut une longue incubation, deux ou trois générations pré-

parant le terrain, il faut être prédisposé ' . L'auteur va même plus

loin, lorsqu'il dit à propos de l'éclosion du délire, que s'il sur-

vient quelque accident, le malade succombe « étant d'ailleurs

dès sa naissance ce qu'on appelle un débile ou bien s'étant affai-

bli mentalement au cours de son existence ». Il nous parait

encore réunir les délirants chroniques avec certains délires des

dégénérés de M. Magnan, lorsqu'il dit quedecesvésaniques(les

délirants chroniques), ceux qui auront été le plus pénétrés de

l'influence héréditaire directe vésanique se montreront dans

leur délire essentiellement intermittents, guériront ou pourront

guérir plus aisément. On trouve d'ailleurs parmi les observa-

tions qu'il rapporte des exemples de dégénérescence mentale.

Un autre élève de M. Magnan, M. Legrain', déclare nette-

ment admettre que les,dégénérés peuvent être atteints de délire

chronique. Cette opinion, que nous serions, pour notre part,

assez disposé à partager, nous étonne cependant dans la bouche

de M. Legrain, car, à notre avis, elle contredit la classification

qu'il adopte et rend, par suite, inutile la distinction qu'il fait

des délires des dégénérés avecle délire chronique qui n'en serait

plus qu'une modalité, au moins dans certains cas.

En somme, quelque soit le fonds sur lequel on admette que

se développe le délire chronique, son diagnostic avec certains

délires des dégénérés qui le simulent à s'y méprendre, est cli-

niquement des plus difficiles pour ne pas dire impossible.

On trouvera des documents fort intéressants sur la question

qui nous occupe dans le travail de M. Legrain qui étudie toutes

les formes de délire que l'on rencontre chez les dégénérés, leur

état mental, les syndromes épisodiques, les délires d'emblée ou

à évolution chronique. Nous lui adresserons cependant le

reproche de ne pas nous donner l'historique de la question,

qui, si elle n'a pas été considérée sous cet aspect, a cependant

été déjà traitée en grande partie.

Rappelons un travail antérieur de M. Saury 3 qui avait

étudié aussi l'état mental des dégénérés, les syndromes épiso-

diques, mais n'avait décrit que les délires d'emblée. -

Gérente. Le délire chronique, son évolution (Thèse de Pans, 1 883) .

Quelques considérations sur l'évolution du délire dans la vésanie. (Arch.

de neurolog., t. VI, 1883, p. 16.)

« Legrain. -Du délire chez les dégénères (Thèse de Paris, L886), p. 272.

- ' Saury.&'<iif/f ? t;t;M< : sur la jolie héréditaire (le» dégénérés), 1886.

LA paranoïa. 405

Il nous reste peu de chose à dire sur les travaux français se

rapportant à la question de la Paranoia et nous terminerons

cette revue en citant le livre de M. Régis ' (1885) où sous le

nom de folie partielle il reproduit les idées de Magnan sur le

délire chronique; et une leçon de M. Bail 2 (1885) sur une

forme particulière de délire ambitieux distinct des idées de

même nature des débiles, circulaires, persécutés, paralytiques

généraux et qu'il assimile à la folie avec prédominance du

délire des grandeurs de M. Ach. Foville.

On voit qu'en somme, la Paranoia n'est pas chose nouvelle

en psychiatrie, et l'on pourrait refaire son histoire en citant

les noms multiples sous lesquels l'ont désignée les aliénistes

des différentes époques et des différents pays. Nous voyons

aussi que, née en France, la doctrine des délires systématisés

primitifs s'est surtout développée en Allemagne, puis dans les

autres pays et surtout en Italie. Peut-être même a-t-on

poussé cette étude jusqu'à l'exagération, chacun voulant

ajouter sa note particulière, et la confusion naissant de la

multiplication des formes.

Qu'y a-t-il à retenir en résumé des différentes théories que

nous venons d'exposer ? Un fait qui se dégage de cette revue

historique c'est que tous les auteurs admettent une forme de

Paranoia primitive entée sur un fonds de dégénérescence et

dont l'existence est d'ailleurs indiscutable, mais les uns n'ad-

mettent que cette forme avec ses variétés ; d'autres en restrei-

gnent plus ou moins le domaine et ne considèrent pas que le

terrain de la dégénérescence mentale soit indispensable à la

production de la Paranoia.

C'est alors, dans le cadre de cette Paranoia psychoneurotique

que nous rencontrons à côté de la forme chronique, cette forme

de Paranoia dite psychoneurotique aiguë, hallucinatoire, cu-

rable, admise pour la première fois par Westphal. Là, les avis

sont bien partagés : les uns suivent les idées de Westphal, ce

par exemple Meynert, Fristh, Mendel. Tiling, Amadei et

Tonnini, etc... D'autres en nient complètement l'existence ou

au moins ne la décrivent pas comme modalité de la Paranoia :

tels sont Krafft-Ebing, Pelman, Mayser, Morselli, Tanzi et

Riva, etc... Pour nous, nous inclinerions assez volontiers à

1 Hégis. jMaMMc/praf/Me de médecine mentale. Pans, 1885.

1 Bail. Du délire ambitieux. (Encéphale, Ih83.)

406 REVUE CRITIQUE.

nous ranger à cette dernière opinion. La lecture des observa-

tions de Paranoia aiguë que nous avons rencontrées au cours

de nos recherches, ne nous ont montré aucun caractère

pathognomonique qui puisse permettre au moins par un côté

de rapprocher cette Paranoia aiguë de la chronique qu'elle

soit dégénérative ou non. Au contraire, il nous semble que

cette variété aiguë est très comparable tantôt à certains états

mélancoliques plus ou moins accentués, souvent avec stupeur,

parfois avec dépression ou anxiété, tantôt à des états d'excita-

tion maniaque simples ou symptomatiques.

Les discussions sont encore grandes au sujet de la forme de

Paranoia dite rudimentaire décrite par Arndt et dont le type

est représenté par les idées fixes. Le terrain, nous l'avons vu,

sur lequel peuvent se développer ces idées est très contesté :

et d'un autre côté, certains auteurs tout en rapprochant les

idées fixes de la Paranoia, les en distinguent cependant à cause

de la conservation de la conscience. D'autres les admettent

comme une forme rudimentaire, d'autres comme une période

prodromique, d'autres enfin comme un épisode dans le cours

delà Paranoia. Quant la forme secondaire son existence est in-

discutable mais ce n'est plus une forme de Paranoia proprement

dite, ce n'est plus qu'une forme de délire systématisé simple-

ment secondaire à des états maniaques ou surtout mélancoli-

ques, dont elle est comme la terminaison, ou comme un trait

d'union entre eux et la démence. Restent encore les soi-disant

formes de Paranoïa hystérique, épileptique, alcoolique... Pour

nous, on doit avec KrafftEbing en faire justice et les mettiesous

la dépendance de l'état pathologique dont elles font partie. Ce-

pendant il faut se rappeler que certains de ces malades sont

peut-être véritablement des exemples de Paranoia et que l'on

peut rencontrer chez eux la coexistence de deux délires, que

seule une observation attentive pourra faire distinguer'.

' Voir à ce propos : Magnan, Arclo. Neur., n° 1 ; Garnier, Gaz. hebd.,

1880; Déricq, Th. Paris, 1880; - Kra(1t-Ebing, loc. cit. - Parmi les

travaux venus à notre connaissance, depuis la composition de ce mé-

moire, sur la question de la Paranoia, nous citerons : Po ? 11, Riv. sp. di

fren., anno X, fasc. 4; Guillardi et Tanzi, ibid; L. Blanchi, la,

Psychiatrica, anno IV, fasc. 3 et 4, p. 2; G. Ziino, ibid., p. 220; Zenner,

The médical Record, 1887, p. 12f : - P. Garnier, J. Falret, Dagonet

Briand et Cotard. Discussion sur le délire chronique (Ann. ! i<'6<.

psych. et Archives de Neur., 1887.

REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE

XIV. RECHERCHES expérimentales ET ANATOMO-PATHOLOGIQUES

SUR LES rapports DE la sphère VISUELLE (expression consa-

crée) AVEC LES CENTRES OPTIQUES INFRACORTICAUX ET AVEC LE

NERF OPTIQUE; par DE Monakow (Arch. f. Psych., XVI, 2).

Fin des mémoires dont nous avons publié l'analyse en bloc'.

D'abord fin de l'anatomie pathologique. Obs. II. Etude cli-

nique et autopsie complète avec analyse histologique. Cécité

psychique corticale=, surdité verbale, dégénérescence modérée

des nerfs optiques, intégrité des yeux, démence. Destruction

des trousseaux de substance blanche qui contiennent les fibres

de projection issues des lobes occipitaux et d'une partie de

celles qui viennent des circonvolutions pariétales et tempo-

rales,'d sorte que les deux lobes occipitaux, une petite portion

du lobe temporal droit, une grande portion du lobe pariétal

et temporal gauche ont dû cesser de fonctionner pendant la

vie; la cécité corticale devrait être rattachée à la destruction

bilatérale des fibres blanches antéropostérieures ; à l'atteinte

des fibres pariétales gauches l'auteur attribue la gloutonnerie

excessive observée pendant la vie (lésion des fibres de projec-

tions qui représentent les fibres gustatives des nerfs trijumeau

et glnsso-pharyngien). La dégénérescence des fibres blanches

en rapportant la sphère visuelle a entraîné secondairement

des deux côtés l'atrophie du pulvinar, du corps genouillé

externe, du tubercule quadrijumeau antérieur (centres opti-

ques primaires), et consécutivement des deux bandelettes

optiques (fibres rétiniennes surtout) , puis des deux nerfs

optiques. La destruction des faisceaux blancs émanés du lobe

temporal a provoqué l'atrophie secondaire d'un département

» Voy. Archives de Neurologie, t. IX, p. 256 et t. XIII, p. 80.

2 Voy. Archives de Neurologie, t. VI, p. 402 et Vision mentale, th. de

Cromgneau. Paris, 1884.

4OS REVUE d'anatomie 1.1' DE physiologie.

du corps genouillé interne qui contient des fibres de projec-

tion appartenant au segment latéral du pédoncule cérébral et

du bras du tubercule quadrijumeau postérieur. Obs. III. Cli-

nique. Anatomie pathologique. Histologie. Amaurose presque z

complète (cécité corticale presque totale) ; destruction dans

les deux lobes occipitaux, mais intégrité complète des deux

globes oculaires , des nerfs optiques et de leurs centres

primaires. Comme les troubles de la vue se sont montrés

brusquement à la suite d'une attaque apoplectiforme, comme

les deux foyers sont limités aux circonvolutions occipitales et

qu'en dehors de l'amaurose on n'a rencontré aucune anomalie

sensorielle ou sensitive, il y a lieu d'établir un rapport franc

de causalité. Intégrité de la parole, de l'entendement, de la

motilité. Les foyers représentent une sorte de porencéphalie

acquise par ischémie des deux artères cérébrales postérieures

(conservation de leur perméabilité et de leur structure; affai-

blissement de l'activité du coeur); l'état du ramollissement

correspond à l'époque de l'ictus : il a dû commencer par la

substance blanche, l'écorce s'étant longtemps après atrophiée,

conservation presque parfaite des centres optiques primaires;

seules les irradiations optiques de Gratiolet sont partiellement

remplies de produits de dégénérescence; atrophie extrême-

ment faible à son début, de la substance blanche latérale du

pulvinar et du corps genouillé externe : la raison en est que le

processus ne datait que de trois mois. - Obs. IV. Clinique.

Anatomie pathologique. Histologie. D'abord une légère attaque

apoplectiforme dénature inconnue; puis, atrophie progressive

du nerf optique et choroidorétinite dans la région maculaire;

quelques années plus tard, paralysie générale. Cliniquementil il

est incontestable que les altérations des centres optiques pri-

maires sont postérieurs à l'atrophie des deux nerfs optiques

l'intensité de cette atrophie etlalocalisationdelésions dégéné-

ratives en des aires déterminées et sur des éléments histolo-

giques spéciaux des centres optiques primaires justifient encore

cette manière de voir, la méningopériencéphalite est hors de

cause pour les mêmes motifs.

La transformation des deux bandelettes optiques en des cor-

dons fibreux solides, permet à l'observateur d'affirmer que les

fibres qui des bandelettes vont aux centres optiques primaires

et dont on constate l'altération sont bien les continuatrices ana-

tomiques du nerf optique, tandis que celles qui, sur le même

REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE. 409

parcours sont demeurées intactes n'ont rien à voir avec le

nerf optique. Or, l'atrophie secondaire est manifeste pour les

tubercules bijumeaux antérieurs, pour les corps genouillés

externes, pour les pulvinars, tandis que la .paralysie générale

a déterminé dans les régions grises de la calotte des altérations

insignifiantes de toute autre nature, n'ayant rien à faire avec

l'atrophie des nerfs optiques. Après avoir rapproché les

données précédentes des expériences longuement relatées

antérieurement', M. Monakow établit les conclusions sui-

vantes :

On ne saurait prétendre que chez l'homme, des centres optiques

originels du nerf optique soient autres que chez les mammifères;

en dehors du tubercule bijumeau antérieur, du corps genouillé

externe et du pulvinar, aucune région ne fournit de fibres au

nerf optique ; les relations que le nerf optique affecte avec d'autres

régions encéphaliques sont de toute autre nature. Dans le rizil-

vii7a ? ,, des trousseaux de fibres du nerf optique émanent de la zone

marginale médiane et caudale, c'est-à-dire directement de la

substance grise fondamentale (sens de Deiters) et indirectement

des cellules nerveuses ganglionnaires. La substance blanche

zoniforme du pulvinar se compose mi-partie de fibres du nerf

optique, mi-partie de fibres de projections optiques. Il n'y a pas

d'autres parties du pulvinar en relation directe avec le nerf

optique (Obs. IV). Dans le corps genouillé externe, le nerf

optique a pour origine les mêmes éléments que dans le pulvi-

nar. La zone dont il tire ses fibres a une situation principalement

latéro-venlrale; les grosses cellules ganglionnaires du feuillet gris

inférieur n'ont aucun rapport, même indirect, avec le nerf optique.

Les petites cellules ganglionnaires semblent, d'une manière géné-

rale être en une union plus intime avec lui que les grosses. Le

nombre des fibres du nerf optique provenant du corps genouillé

externe est très considérable; il est proportionnellement plus

grand que chez les mammifères inférieurs. La substance blanche

zoniforme et ventrale du corps genouillé externe se compose mi-

partie de fibres des racines optiques, mi-partie de fibres du nerf

optique; la séparation anatomique de ces catégories de fibres est

impossible, cependant les fibres du nerf optique paraissent plus

superficielles. Dans les places qui affectent plutôt une orientation

transversale et verticale, les trousseaux de fibres du nerf optique

issues du corps genouillé externe occupent la substance grise

grillagée (lacis de petites cellules ganglionnaires), la partie laté-

rale inférieure du ganglion. Les amas médians de cellules du

1 Voy. Arch. de Neurologie, t. IX, p. 256.

410 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE.

corps genouillé externe, ceux en particulier qui, situés inférieure-

ment, sont peuplés de cellules de gros calibre, semblent avant

tout être l'origine de fibres de la calotte; ces fibres fournissent

un certain trajet à l'intérieur de la partie supéro-latérale du

pédoncule. Dans le tubercule bijumeau antérieur prend naissance

la substance grise superficielle des fibres du nerf optique (confor-

mément aux expériences de de Gudden, Tartuféri, Ganser), ici les

fibres semblent, pour une part, émaner directement de petits élé-

ments cellulaires; les fibres zoniformes de la coiffe grise (Tartu-

féri), ne sont, chez l'homme, que pour une toute petite part en

continuité avec le nerf optique, tandis que celles qui partent delà

substance blanche superficielle sont, dans leur pluralité, des

fibres optiques pures ; elles occupent le bras du tubercule biju-

meau antérieur pour gagner la bandelette optique. Les autres

couches de ce tubercule n'ont directement que peu de relation

avec le nerf optique (de Gudden, Ganser). - Les racines optiques

proviennent sans exception directement des cellules nerveuses

ganglionnaires des centres optiques primaires et n'ont pas une

mince importance pour la vitalité de ces cellules. Dans le pulvi-

nar, ce sont, avant tout, les portions caudales qui donnent nais-

sance aux fibres de projections optiques. Une assez forte partie des

cellules nerveuses ganglionnaires du pulvinar (plans transversaux

et verticaux) n'affecte aucun rapport avec les fibres optiques. Y

a-t-il dans le segment inférieur de la couche optique des cellules

nerveuses ganglionnaires qui soient directement unies à la sphère

visuelle; il est impossible de l'établir avec certitude, mais la chose

n'est pas tout à fait improbable. Dans le corps genouillé externe,

il semble que ce soient les centres cellulaires latéraux et infé-

rieurs (celle de grand et de petit calibre), surtout ceux qui sont

groupés serrés dans la substance grise treillagée (plan vertical et

transversal) qui donnent naissance à la racine optique. Le mode

d'origine histologique des fibres de projection du tubercule biju-

meau antérieur n'est pas absolument clair, mais le caractère de

l'atrophie descendante paraît prouver que les fibres zoniformes de

la coiffe, qui proviennent des cellules nerveuses de la substance

grise superficielle, gagnent la sphère visuelle aussi bien que la

substance blanche moyenne des fibres de projection. L'ensemble

des racines optiques se réunissent danslasubstance blanche anté-

ropostérieure du lobe occipital en un solide tractus qui se dirige

le long du tapetum du corps calleux (Reil) et entre dans l'écorce

de circonvolution occipitale et surtout dans celle du coin, du

lobule lingual, du gyrus descendons*. P. K.

' Voy. I releire.s de Neurologie. Synonymie des circonvolutions cérébrales

de l'homme, t. VII, p. 181.

REVUE d'aNATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE. 411

XV. DE L'CYPERPLASIE DE la NÉVROGLI6 ET DE la formation DE

cavités dans l'écorce DU cerveau ; par Fuerstner et STUFIILINGFlt

(Arch. f. Psych., XVII, I).

Quatre observations d'encéphalite granulo-tubéreuse étudiées

au double point de vue clinique et anatomopathoiogique. Les

anamnestiques décèlent de l'hérédité neuropsychopathique (im-

bécillité, convulsions, épilepsie, accidents tabétiques avec amau-

rose) ; puis se produisent troubles psychiques et spinaux graves,

attaques apoplectiformes et épileptiformes ; enfin, à un moment

donné, troubles de la parole rappelant,, sauf la tendance à scan-

der ceux des paralytiques généraux ; plus tard, démence avec

conservation de l'orientation, de la participation aux milieux

ambiants, des jeux de la physionomie, ce qui distinguait les

malades des déments paralytiques ou séniles. A l'autopsie, on

constate épaississement des parois du crâne, synostoses, état

trouble de la pie-mère avec adhérences au cerveau. Atrophie cé-

rébrale, surtout du cerveau antérieur, des temporales (particuliè-

rement' la troisième), des insulas, des gyrus rectus et uncinatus,

des frontales et pariétales ascendantes. La couche corticale externe

est, en ces régions, surtout dans les ascendantes, la troisième

temporale, l'opercule, l'iusula, le siège de zones jaune-clair, unies,

planes ou bossuées, affectant la forme de granulations ou de tu-

bérosités. L'étude histologique dénote que ce sont les gaines vas-

culir6s qui ont fourni de nombreux leucocytes ou donné naissance

à de nombreuses cellules-araignées qui ont engendré de la

névroglie; le tissu conjonctif néoformé a dessiné les petits néo-

plasmes en question, mais il a fini par décheoir en certains points.

Ainsi se sont formées les cavités au centre des proliférations;

secondairement se sont altérées des cellules nerveuses de la

seconde couche corticale; intégrité des couches profondes. Nous

passons sur les lésions des cordons postérieurs, des nerfs opti-

ques, des nerfs olfactifs : une des observations (Obs. I) témoigne

d'un foyer bulbaire en rapport avec les accidents cliniques relatés.

Les auteurs insistent sur le diagnostic différentiel entre ce genre

de sclérose cérébrale et la sclérose en plaques. Dans les cas pré-

sents, il n'existait ni tremblement aux mouvements intentionnels,

ni nystagmus, ni parole franchement scandée ; intégrité des pé-

doncules, de la base du cerveau, du centre ovale ; la lésion ne

ressemblait pas à celle de la sclérose en plaques. Impossible de

la confondre avec la paralysie générale; conservation du facial,

de l'égalité pupillaire, de la perception, de l'appréciation des

choses extérieures, lésions limitées aux première et deuxième

couches corticales, et n'affectant pas les mêmes régions que la mé-

ningopériencéphalite absolurueut distincte de la modalité des

granulomes et tubérosités. P. K.

412 REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE.

DES altérations histologiques DE H sclérose multiloculaire;

par M. KmerEN. (Arch. f. psych.; XVII; 1.)

Le processus histogénétique de la sclérose en plaques a ceci de

particulier que ses produits meurent bientôt. En examinant trois

cas de sclérose en plaques au point de vue histologique, et par com-

paraison, un cas de lésiondes cordons postérieurs, n'apasvu que

la névroglie,au début multipliée, se transformait en fibrilles. Dans

tous les points où se trouvent des nerfs sectionnés transversale-

ment, on aperçoit de courtes fibres ; là où passent des fibres ner-

veuses conservant leur direction longitudinale, existent de longues

fibres entre lesquelles de courtes fibres. Les longues fibres qui

souvent accompagnent parallèlement sur une grande étendue les

fibres nerveuses ne sont qu'un produit pathologique. Sur des

moelles normales, partout où l'on peut suivre le trajet longitu-

dinal des fibres nerveuses, on constate, à côté d'elles, de longues

fibres fines de tissu conjonctif.'Dans les foyers scléreux, les fibres

conjonctives longues, qui, sur des coupes trausverses, occupent

la substance grise et la région des racines nerveuses, qui, sur des

coupes longitudinales, accompagnent partout les fibres nerveuses

dans le même sens qu'elles, ces fibres longues sont considérable-

ment multipliées, mais elles sont chose normale et neprovienneni

pas de la transformation fibrillaire des fibres courtes. Leur trajet

est très droit, tandis que les fibres courtes sont infléchies en

zigs-zags; ce sont les inflexions brusques des fibres courtes, vues

en raccourci, entremêlées avec les coupes transverses des fibres

longues, qui on ont imposé pour l'aspect granuleux de la névro-

glie ; il n'y a ni granulations, ni réseaux de granulation auto-

nomes, vrais. Les éléments cellulaires participent très peu au

processus et, en tout cas, la sclérose est surtout une dégénéres-

cence, sans inflammation préexistante, la multiplication de la

névroglie ne prouvant nullement qu'il y ait eu inflammation. Il

n'y a d'ailleurs que très peu d'altération des cellules, et ce n'est

que dans les gaines lymphatiques des vaisseaux qu'on rencontre

beaucoup de globes granuleux, c'est-à-dire chargées de détritus

de la substance blanche. Une des observations (Obs. I) montre

que la multiplication de la substance intermédiaire est diffuse;

on la rencontre loin des foyers eux-mêmes, ce qui démontre que

probablement le processus diffus a précédé la formation des

foyers. Dans les trois cas, remarquables altérations vasculaires ;

mais impossible de déterminer si la maladie a commencé par une

congestion active avec épaississement des parois vasculaires, ou

si tous les phénomènes anatomopathologiques ont coexisté. Dans

les foyers, on trouve les cylindraxes dénudés et larges (cette

REVUE D'ANATOMtK ET I)E PHYSIOLOGIE. )3

largeur permet seule de les distinguer des fibrilles conjonctives

voire hypertrophiés. L'aspect des libres nerveuses atteintes varie

du reste ; tantôt la substance blanche et le cylindraxe sont simul-

tanément atteints de déchéance ; tantôt la myéline est seule

affectée (une matière pâle, peu tingible, enveloppe le cylindraxe),

si bien; qu'au milieu du foyer, elle est transformée en globules

ronds, pâles, détachés du cylindraxe, ou qu'elle a disparu d'un

bloc, quand, ce qui est le plus rare, elle n'a pas crevé en aban-

donnant cette tige. Jamais l'altération même du foyer, ne pénètre

dans la substance myélinique. Quand le processus est arrivé à son

maximum d'intensité, myéline et cylindraxe sont détruits; mais

ce phénomène est très rare dans la sclérose en plaques; habituel-

lement, le cylindraxe, dénudé, vit encore très longtemps, n'est

que graduellement envahi, s'élargit, s'étend inégalement, prend

souvent de colossales dimensions (obs. 111). La conservation des

cylindraxes explique l'affaiblissement de la motilité (obs. I, II, III)

non paralysée. Impossible de décider dans quelle mesure cet

affaiblissement, le tremblement aux mouvements intentionnels,

les contractures, dépendent de la disparition des gaines myéli-

niques. Dans la sclérose des cordons postérieurs, il s'agit aussi

d'un processus .histologique diffus, mais systématique (obs. IV) ;

la névroglie est multipliée ; on y voit aussi des fibres courtes et

longues mais plus fines, les parois vasculaires, fortement épaissies

sont-entourées d'un liquide qui a dissocié, comprimé, désagrégé

les fibres nerveuses; la myéline est détruite en petits débris, et

finalement le cylindraxe brisé en morceau séparés. Le cylindraxe

résiste donc beaucoup moins dans la sclérose systématique que

dans la sclérose en plaques. P. KÉR4VaL.

XVII. DÉGÉNÉRESCENCE DES CORDONS DE GOLL CHEZ UN BUVEUR J

par OSW. VIERORI)T. (Arch. f. Psych., XVII, 2.)

e

Observation très bien prise. A la suite de forts excès, douleurs

dans les jambes, parfois lancinantes, ataxie devenant plus tard

indistincte, disparition des réflexes patellaires, forte hyperes-

thésie des muscles à la pression; aucun accident pupillaire ni

vésical. Phthsiie pulmonaire à marche rapide. Autopsie. Dégé-

nérescence des cordons de Goll ayant atteint le bulbe, la moelle

cervicaleet la moelle dorsale. Faible dégénérescence dans les

parties latérales des cordons postérieurs, au niveau de l'ex-

trémité inférieure de la moelle dorsale. Lésion très modérée des

racines postérieures au niveau des régions moyenne et infé-

rieure de la moelle dorsale et de la moelle lombaire. Dans le

bulbe, la lésion des cordons de Goll est totale. Dans la moelle

cervicale supérieure, la partie postérieure des cordons de Goll est

4) I si REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE.

seule atteinte, dans la moelle dorsale, leur altération gagne en

intensité dans le segment compris entt e la périphérie et le sillon

longitudinal, puis finit par décroître. Intégrité du sciatique et du

radial, des nerfs intramusculaires. Prolifération des noyaux du

ti,su interstitiel des muscles triceps de la cuisse et péroniers, mais

intégrité des noyaux des muscles et des fibres. L'auteur admet

une dégénérescence primitive des cordons de Goll avec exten-

sion consécutive, selon les longs faisceaux centripètes, vers les

racines. Les douleurs lancinantes et la disparition des réflexes pa-

tellaires tiendraient à l'altération des racines lombaires. L'hy-

péresthésie musculaire tiendrait peut-être à la prolifération des

noyaux du tissu interstitiel des muscles. P. K.

RV111. Contribution au trajet des fibres DE la corne postérieure

DE LA MOELLE HCSMAINE ET A LEUR MANIÈRE D'ÊTRE DANS LE TABES

dorsal ; par H. L1SSAU.H. (Arch. f. Psych., XVII, 2'.)

Etude, à l'aide des plus récentes méthodes de Weigert, de la

corne postérieure à l'état normal et dans le tabes dorsal. La corne

postérieure se composerait de trois segments : io Une zone

spongieuse dans la substance gélatineuse, contiguë à la zone mar-

ginale, dans laquelle s'épuiseraient principalement les fibres de

la zone marginale; 2° la substance gélatineuse proprement dite,

construite à peu près comme la substance spongieuse; on y trouve de

grosses fibres issues des racines postérieures et des parties externes

des cordons postérieurs, et des si lires si nés qui constituent des pro-

longements du treillis de la couche spongieuse postérieure; 3° la

substance spongieuse qui va de la substance gélatineuse à la base

delà corne postérieure, et se décompose à son tour en une zone

postérieure et une zone antérieure; cette partie de la corne pos-

térieure est, elle aussi, traversée par des fibres radiculaires pos-

térieures (grosses et fines). La corne postérieure reçoit donc des

fibres radiculaires de deux catégories : 1° de grosses fibres qui

vont directement en trousseaux jusque dans la substance spon-

gieuse où elles prennent une autre direction; 2° des fibres fines

(mêlées à d'autres systèmes de fibres) qui, aussitôt après l'entrée

de la racine, dévient en dehors et se forment en une pyramide

ascendante (zone marginale de la corne postérieure); un segment

de cette dernière monte le long du cordon latéral; un autre se

perd en partie dans la substance gélatineuse, en partie dans l'in-

térieur des cordons postérieurs. Douze cas de tabes dont six ob-

servations sont décrites dans le mémoire. On en a examiné parti-

culièrement : 4° les fibres fines de la zone marginale; 3° les

' Voy. Archives de Neurologie, t. XII, 21f.

REVUE D'ANATOMIE ET DE PHYSIOLOGIE. 1 5 5

fibres fines de l'intérieur de la corne postérieure ; 30 les grosses

fibres radiculaires de la corne postérieure; 4o les irradiations

(fibres fines) du noyau du cordon postérieur (zones radiculaires

de Struempell); 5*- les colonnes de Clarke. La zone marginale,

système.spécial appartenant particulièrement aux fibres radicu-

laires postérieures, presque toujours atteinte (douze fois sur

treize), forme quelquefois un champ de dégénérescence au-

tonome (trois cas) ; elle est généralement affectée de bonne

heure. Les fibres fines de l'intérieur ce la corne postérieure sont

moins souvent affectées, et toujours plus faiblement que la zone

marginale ; sans doute il existe certaines relations entre cette der-

nière et les réseaux de la corne postérieure, mais il faut qu'il

s'écoule un certain temps avant que le processus morbide se soit

propagé de la zone marginale aux fibres intérieures de la corne en

question. Les grosses fibres radiculaires sont dans le tabes

atteintes relativement tard, et leur lésion fait des progrès lents.

Les irradiations des cordons postérieurs se comportent comme

les parties correspondantes des mêmes cordons dont elles

émanent; elles viennent des zones radiculaires, et manquent de

bonne heure, tandis que la substance de la corne postérieure

qu'elles traversent est encore normale; le déchet de ces fibres est,

de concert avec les altérations des colonnes de Clarke, le pre-

mier-phénomène pathologique que l'on constate dans la substance

grise. Les colonnes de Clarke sont constamment atteintes, et dès

les premiers stades du tabes; ce sont d'abord les fibres fines mé-

dianes, celles qui viennent des cordons postérieurs de la région

lombaire, qui dégénèrent, alors que les fibres latérales et les cel-

lules nerveuses demeurent intactes; c'est très tardivement que

la substance spongieuse environnante de la corne postérieure

participe à l'atrophie. La colonne de Clarke reçoit des trousseaux

de fibres émanées de parties très diverses du cordon postérieur et

provenant de hauteurs très différentes; les trousseaux issus d'une

faible profondeur se rendent surtout à la partie externe de la co-

lonne ; ceux issus d'une grande profoudeur se rendent surtout à

sa partie interne. P. K.

SOCIÉTÉS SAVANTES

SOCIÉTÉ IfÉDICO-PSYCHOLOGIQUE

Séance du 2S février 188-t. - Présidence de M. Magnan.

M. Foville expose qu'en sa qualité de membre de la commis-

sion du prix Esquirol, ayant eu entre les mains les mémoires du

Concours, il s'est aperçu que l'un des candidats s'était fait

connaître par une indication bibliographique portant son nom

à laquelle il renvoie le lecteur. Après discussion il est décidé

que M. Foville effacera l'indication bibliographique incriminée et

qu'il remettra le manuscrit aux autres membres de la commis-

sion sans éliminer le candidat du concours.

Présentation de malades. M. Magnan montre trois cas de

conformation vicieuse des organes génitaux qui apportent un

élément nouveau à la discussion sur les signes physiques intel-

lectuels et moraux à la folie héréditaire.

Les stigmates physiques se traduisent chez l'un des malades

par l'atrophie des testicules; chez le second, par de la cryptor-

chidie et une atrophie considérable de la verge ; le troisième est

un hypospade scrotal à forme vulvaire, un pseudo-hermaphrodite

mâle. L'un des sujets, le cryptorchide, offre un degré notable de

faiblesse intellectuelle; les autres, tous deux déséquilibrés, ont

été pris d'accès délirants à évolution rapide comme on en voit

survenir chez les dégénérés héréditaires. Voici du reste les ob-

servations résumées de ces trois intéressants malades :

Observation 1. - Mariage consanguin et dispositions névropa-

thiques des ascendants. Débilité mentale; émotivité dés l'enfance,

impulsions; plus tard, accès délirant. Athrophie testiculaire ; seins

du volume d'une mandarine. S... (Antoine), âgé de trente ans,

est issu de germains. Sa grand'mère maternelle et sa mère sont

hystériques, son père, mal équilibré, se faisait remarquer par

des emportements et des accès de colère que rien ne justifiait.

Sa soeur est mélancolique. Quant à lui, venu à terme, il a eu des

convulsions dans l'enfance; d'une intelligence au-dessous de la

SOCIÉTÉS SAVANTES» 41 I

moyenne il a acquis avec difficulté une instruction élémentaire,

il sait toutefois lire, écrire et compter d'une manière satisfai-

sante. Il a appris au sortir de l'école le métier de peintre sur

porcelaine et au bout de plusieurs années il a fini par devenir

un ouvrier ordinaire.

Il est habituellement très impressionnable, irritable; dans les

rues il est pris souvent de craintes vagues, il redoute des acci-

dents ; dans l'enfance, il croyait parfois en marchant qu'il allait

perdre l'équilibre il lui semblait par moments qu'il s'enlevait

au-dessus du sol. 11 s'est senti, à diverses reprises, poussé à à

frapper; il prenait tout à coup des objets et les brisait : «Je

deviens enragé, disait-il, je briserai tout. » 11 avait confié à son

frère un revolver qu'il ne voulait plus garder, ne se sentant plus

maître de lui et redoutant de faire usage de cette arme soit

contre les autres, soit contre lui-même.

Dans les derniers temps en proie à des préoccupations hypo-

chondriaques, il avait rapidement présenté des hallucinations,

des troubles de la sensibilité générale et des idées de persécu-

tions ; très excité sous l'influence de ce délire, il avait été amené

le 28 février 1885, à l'asile d'où il est sorti au bout de trois mois,

guéri de son accès délirant mais non de sa déséquilibration

mentale.

11 présente une atrophie considérable des testicules qui sont

réduits au volume d'un haricot, les bourses et le scrotum sont

très peu développés, la verge est petite, mais l'extrémité anté-

rieure relativement volumineuse, probablement à la suite de

manoeuvres de masturbation. Il a du penchant pour les femmes,

recherche leur société, et il vivait avec une maîtresse quand

il a été pris de délire. Les seins, comme on le voit sur un plâtre

obtenu par le moulage, sont du volume d'une grosse mandarine,

l'aréole est assez étendue mais le mamelon est petit comme celui

de l'homme. Le ventre est proéminent, arrondi, mais le bassin

a les apparences masculines. Le larynx est peu saillant, la voix

féminine. Les poils d'un blond pâle sont fins et peu abondants.

Observation II. Père mélancolique suicidé ; oncle et tante ma-

ternelsdébiles. Jn : MctKM, microcéphalie ; prognathisme inférieur;

colobome irien et c/tO)'o : dt6K; déformation de la papille et émer-

gence anormale des vaisseaux centraux; atrophie de la verge,

cryptorchidie ; scrotum réduit ci une petite bande médiane plissée

transversalement. C... (Paul), âgé de 25 ans, est entré à l'asile

Sainte-Anne le 18 mai 1885. Son père, mélancolique, faisait par-

fois des excès de boissons et s'est pendu. Sa mère est d'une

intelligence ordinaire, mais une tante et un oncle maternels

faibles d'esprit, s'adonnent à l'ivrognerie. Sa soeur présente une

asymétrie faciale des plus accusées. Le malade venu à terme a

Archives, t. XIII. 27

418 SOCIÉTÉS SAVANTES.

eu, à diverses reprises, des convulsions (de sept mois à sept ans).

11 n'a commencé à marcher qu'à dix-huit mois et a prononcé

quelques mots que vers sa septième année. Il n'a pu recevoir

aucune instruction, il ne sait pas lire, il a été incapable d'ap-

prendre un métier; sans mauvais instincts, c'est un imbécile

docile, qui, sous une direction continue, peut se livrer à quelques

ouvrages manuels. Il blèse et articule difficilement les mots;

son vocabulaire est, du reste, fort restreint; il prend plaisir

parfois à faire des grimaces qui augmentent sa laideur, et il est

heureux de pouvoir ainsi prpvoquer le rire. Quand il marche, son

allure est très disgracieuse : il renverse le tronc en arrière, fait

de grands pas avec un déhanchement tout particulier et projette,

avec force, ses bras devant lui.

La tête est petite, le front étroit et les cheveux d'un blond pâle

s'étendent en pointe à la partie moyenne jusqu'au milieu du

front. Les dents sont grosses, irrégulièrement implantées; la

voûte palatine est ogivale ; la mâchoire inférieure est allongée

et proéminente. Les yeux sont d'un bleu pâle; les iris fissurés

en bas et en dedans comme à la suite d'une iridectomie, don-

nent à la pupille une forme ovalaire et au regard un aspect

étrange.

La poitrine est glabre, les seins assez développés sans toutefois

que l'aréole et le mamelon aient l'aspect féminin. Sa taille est

de 4m,60, son poids de 52 kilogrammes. Les membres thora-

ciques sont longs, les doigs grêles et effilés comme ceux d'une

femme. Les cuisses sont arrondies mais le bassin a plutôt la

conformation masculine; le diamètre antéro-postérieur, de la

région sacro-lombaire à la partie supérieure de la symphyse

pubienne est de 19 centimètres ; la circonférence au niveau de

la partie supérieure des os coxaux mesure 71 centimètres; le dia-

mètre transversal du bassin au détroit supérieur donne 22 centi-

mètres, enfin, la distance entre les deux épines iliaques antéro-

supérieures est de 17 centimètres.

Le pubis surmonté d'un mont de Vénus saillant est ombragé

de rares poils; la verge, du volume du petit doigt, est profondé-

ment implantée au-dessous; le scrorum, très effacé, est réduit à

une bande médiane d'une largeur de 3 centimètres environ,

plissé transversalement, divisé au milieu par un mince raphé.

En déprimant cette bande à l'aide d'une petite tige, on voit

saillir de chaque côté un bourrelet cutané dont le rapproche-

ment de la ligne médiane à mesure que la partie' moyenne

s'enfonce, simule une vulve. L'exploration du scrotum rudimen-

taire pas plus que des replis cutanés avoisinants, ne laisse perce-

voir aucune trace de testicules. C... (Paul) ne se livre pas à

l'onanisme, il ne parait avoir aucun désir sexuel et sous ce rap-

port, est d'une indifférence égale pour les deux sexes.

SOCIETES SAVANTRS. H9 9

Ce fait sert, en quelque sorte, de trait d'union entre l'atrophie

simple des organes génitaux et l'atrophie avec division scrotale

donnant les apparences d'une vulve. Ici, en effet, c'est un rudi-

ment de scrotum qui semble s'être formé tardivement pour

pourvoir à l'occlusion du sinus urogénital et la bande étroite qui

le constitue bridant la région sous-pubienne n'a pas permis la

descente des testicules. La rnicrocéphalie et les fissures iriennes

dénotent les troubles considérables de nutrition qui ont présidé

au développement de ce sujet; la faiblesse intellectuelle à son

tour, nous fait pressentir des modifications notables du cerveau.

Dans le faitsuivant c'est dans les organes génito-urinaires surtout

que les perturbations nutritives se sont produites.

Observation III. Père ivrogne. Débilité mentale sur laquelle

se greffe un accès délirant à évolution rapide. Garçon inscrit comme

fille à l'Etat civil, conserve des vêtements de femme jiisqzt'a vingt-

qualre ans. Hypospade scrotal ci forme vulvaire. Psezido-hermapht-o-

dite mâle. - C... (Marius), à-6 de vingt-cinq ans, entre à l'asile

Sainte-Anne le 20 octobre 1886, dans un accès d'agitation avec

délire mélancolique et mystique. Son père, adonné à l'ivrognerie

est mort d'une apoplexie cérébrale, sa mère est nerveuse mal

équilibrée ; une de ses soeurs est morte de méningite à onze mois.

Né à Ballots (Mayenne), où on l'inscrit sur les registres de l'Etat

civil comme appartenant au sexe féminin. Considéré comme

fille on lui met des vêtements féminins et on l'envoie l'école

des filles. A sept ans, ses petites camarades ayant remarqué une

conformation extraordinaire de ses organes génitaux, se moquent

de lui. On le place alors dans un pensionnai dirigé par des reli-

gieuses. A treize ans, il quitte le pensionnat et entre dans un

couvent de bénédictines, ou l'une de ses tantes, religieuse, le

destine au noviciat. Son peu d'aptitude au travail, la lenteur de

son intelligence et l'apparition d'un peu de barbe au menton,

en font peu à peu la risée de ses compagnes. 11 quitte le couvent

et rentre à la maison auprès de sa mère, s'occupe du ménage,

fait la cuisine, coud et tricote. A la mort de son père, il s'éloigne

de sa famille pour suivre en qualité de domestique un M. G...,

âgé de 70 ans qui l'emmène à la Martinique. A peine arrivé en

Amérique, il devient. l'objet des assiduités de son vieux patron;

il lui cède, mais comme aucun rapport normal ne peut s'effec-

tuer, cet homme se livre sur lui à des actes contre nature qui

finissent par l'onanisme buccal réciproque.

Cependant, une négresse, domestique dans la même maison,

s'étant aperçue de sa conformation le prend pour un homme, en

devient amoureuse et lui demande à partager son lit. Une mu-

lâtresse fait à son tour sa conquête, mais ni avec l'une ni avec

420 SOCIÉTÉS SAVANTES.

l'autre de ses deux femmes, il n'éprouve les satisfactions que lui

procurait son patron.

La barbe qui continue à pousser devient la cause de moqueries

de la part de l'entourage et C... finit, au bout de trois ans, par

se décider à rentrer en France, désireux de changer de costume

et de position. Arrivé à Saint-Nazaire, il se fait examiner par un

médecin qui le déclare homme. Il changea aussitôt son nom de

Marie en celui de Marius, prend des vêtements d'homme, rentre

à Paris et s'engage comme infirmier dans une communauté de

religieux, non sans avoir subi un double examen du Père supé-

rieur qui finit par le reconnaitre masculin.

Vers le 47 octobre 1886, il est pris assez rapidement de délire,

après quelques excès, d'ailleurs très modérés, de boissons. A son

arrivée à l'asile, il crie, gémit, se lamente, prétend répandre au-

tour de lui une odeur empestée, exprime des craintes de toute

nature; il se dit l'archange saint Miche ! , l'Antéchrist, le roi des

Juifs ; «Je suis un misérable, tuez-moi, j'ai tué mon père et ma

mère. » Il croit qu'on veut l'empoisonner, refuse de manger, il

s'imagine qu'on veut le mettre dans un bain d'huile bouillante

et il s'échappe par la fenêtre. Constamment inquiet, se nourris-

sant mal, ne dormant ni jour ni nuit, il s'affaisse rapidement;

les vomissements empêchent le cathétérisme oesophagien, on le

nourrit à l'aide de lavements peptonisés. Toutefois les hallucina-

tions diminuent d'intensité, l'excitation s'apaise peu à peu, les

idées mélancoliques, mystiques, ambitieuses disparaissent, et il

consent à prendre quelques aliments. Quinze jours après son

entrée, il est déjà en voie d'amélioration et depuis plus de six

semaines il est tranquille, raisonnable, il dort bien, mange

avec appétit et s'occupe d'une façon régulière dans le service.

Ce malade, par la conformation de ses organes génitaux, est un

hypospade scrotal à forme vulvaire, un pseudo-hermaphrodite

mâle, sa verge mesure quatre centimètres et demi, elle est formée

de la portion glandaire du corps spongieux et d'une portion du

corps caverneux ; le gland imperforé est muni au bord inférieur

d'une légère dépression; dans l'érection l'organe se recourbe en

bas et en arrière, retenu dans cette position par deux brides très

nettes qui sont les rudiments de la portion cylindroide du corps

spongieux. Ces brides dites masculines par M. Pozzi se retrouvent

chez la femme et répondraient d'après cet auteur à des parties

homologues dans les deux sexes '. Au-dessous de la verge et

de chaque côté il y a apparences de grandes lèvres résultant du

1 Pozzi. De la bride masculine du vestibule chez la femme et de

l'origine de l'hymen. (Com. à la Société de Biologie, 26 janvier et 16 fé-

févner 1881.)

SOCIÉTÉS SAVANTES. 421

défaut de soudure des deux sacs cutanés dont la réunion à l'état

normal forme la double poche scrotale. Ces deux lèvres limitent

une fente verticale qui aboutit à un cul-de-sac simulant une

vulve. A trois centimètres et demi au-dessous de la verge, se

trouve le méat urinaire, mis en communication avec le pénis

par les deux brides masculines qui se séparent en bas pour em-

brasser l'orifice. A trois millimètres au-dessous du méat, on

aperçoit un autre orifice qui s'ouvre dans un conduit analogue

au vagin, qui n'a pas moins de quinze centimètres de longueur

et qui admet une sonde d'un assez gros calibre. L'anus se trouve

à quatre centimètres en arrière de ce speudo-vagin. Le toucher

rectal, après l'intromission de deux sondes l'une dans 1'urèthre,

l'autre dans le canal sous-jacent, permet de sentir la première

sonde dans un plan très élevé, et la seconde presque sous le

doigt; celle-ci semble en outre, profondément se dévier à droite.

Cette sonde retirée laisse voir à son extrémité, au niveau de son

orifice latéral, quelques gouttes d'un mucus blanchâtre, inodore,

au milieu duquel, au microscope, on voit quelques cellules épi-

théliales. La palpation des régions inguinales, sus et sous-pu-

biennes, de même que le toucher rectal, ne décèlent pas la pré-

sence de testicules. Le malade ne sait pas dire si, lorsqu'il se

masturbe, il sort du liquide par le méat. Toutefois, on a trouvé

dans son lit, des taches dont l'aspect rappelait les taches sper-

ma.tique ? . '

Ajoutons enfin, que ce malade, hormis ses organes génitaux,

possède les attributs du sexe masculin. Toutefois sa voix est

flûtée, sa taille petite atteignant à peine 4 m. 44 centimètres, et

son bassin un peu large : la distance, en effet, entre les deux

épines iliaques antéro-supérieures est de 24 centimètres ; le dia-

mètre transversal au détroit supérieur est de 23 centimètres et

demi; la circonférence au niveau du bord supérieur des os

coxaux mesure 82 centimètres, et le diamètre antéro-postérieur,

de la région sacro-lombaire à la partie supérieure de la symphyre

pubienne, est de 22 centimètres; les seins sont un peu gros mais

l'aréole ni le mamelon n'offrent rien de particulier.

Mous avons vu chez ce malade le développement brusque et la

cessation rapide d'un accès délirant polymorphe; tout à coup des

idées mélancoliques, mystiques, ambitieuses, des idées de persé-

cution se sont montrées s'enchevêtrantsans ordre et donnant lieu

en peu de temps aux manifestations les plus variées. Nous devons

encore relever chez ce sujet l'aberration sexuelle qui le poussait à

rechercher plus volontiers le commerce de son patron que les

caresses des femmes. Cette tendance à l'inversion du sens génital est

assez raie chez les pseudo-bermaphrodites mâles qui se font au

contraire remarquer par l'attrait qu'ils éprouvent pour les rela-

tions féminines ; c'est même pour eux une sorte detévélation ; se

42-2 SOCIÉTÉS SAVANTES.

croyant femmes, ils s'étonnent eux-mêmes de leur inclination pour

les femmes et dans quelques cas ils sont ainsi portés à douter de

leur sexe et à se soumettre à l'examen qui vient les éclairer.

Dans le cas de M. Magitot, le sujet mariécornmefemme a tou-

jours recherché les relations féminines et à la mort de son mari,

il a continué à avoir des maîtresses*. Dans la discussion qui a

suivi cette communication, M. Mathias Duval a fait observer qu'il

n'y avait jamais d'hermaphrodisme proprement dit et dans ce cas

le sujet du sexe masculin était un homme par ses organes

internes et un embryon par ses organes génitaux externes arrêtés

dans leur évolution.

Pour nous rendre mieux compte de la conformation et des

rapports des différentes parties constituantes des organes [géni-

taux dans l'hypospadias périnéal nous rappellerons le fait fort

instructif publié par M. Goujon 2. L'examen anatomique permet

de constater la présence dans leur position habituelle des deux

glandes séminales en arrière de la vessie; d'autre part, les deux

conduits éjaculateurs viennent déboucher près du bord antérieur

du pseudo-vagin (utrécule prostatique). Cette disposion rappelle

l'état normal, c'est-à-dire les rapports de l'utrécule prostatique

avec l'embouchure des conduits éjaculateurs.

Sur le sujet de M. Goujon, le pseudo-vagin qui mesure 6 centi-

mètres 1 2 était beaucoup plus court que chez notre malade, mais

il était plus large puisqu'il pouvait recevoir le doigt indicateur.

Chez lui, l'un des testicules était logé dans la lèvre droite, tandis

que C... Marius est cryptorchide. La verge rudimentaire, le méat

et les replis cutanés qui simulent les grandes lèvres offrent dans

les deux cas la même disposition.

M. Seglas donne la description de l'arbre généalogique d'une

famille de déséquilibrés dont tous les membres, jusqu'à la troi-

sième génération, se sont mariés soit avec de véritables aliénés,

soit avec d'autres déséquilibrés.

M. LE Secrétaire général communique une observation de

double paralysie spasmodique infantile qui lui a été adressée par

M. Catsaras, membre correspondant.

M. Laroque, à propos d'un cas de mutisme hystérique publié par

les journaux politiques, s'élève contre les pratiques d'hypnotisme

qui, pour lui, sont pleines de dangers. Là, où certains voient des

améliorations ou des guérisons imputables à la suggestion ou à

1 .Magitot. Nouveau cas d'hermaphrodisme. (Bull. soc. d'Anthrop.

2 juin 1881.)

' Goujon. Etude d'un cas d'hermaphrodisme bisexuel imparfait

chez l'homme, avec 2 planches. (Journal ailat. et physiol. de ttouiu, no-

vembre et décembre 1869.)

SOCIÉTÉS SAVANTES. 423

des manoeuvres effectuées pendant le sommeil provoqué, il ne

voit que des coïncidences ; d'ailleurs, ajoute-t-il, la surdité hysté-

rique guérit seule. Mais ce qui n'est plus une coïncidence sont les

contractures dont les sujets peuvent être frappés à leur réveil.

L'hystérie étant incurable, il n'y a pas lieu de s'en occuper.

M. Voisin plaide les circonstances atténuantes pour l'hypno-

tisme et demande seulement qu'on en conserve le monopole à la

térapeutique, mais il ne dit pas comment pourront s'en faire les

applications s'il n'y a pas d'expérimentation préalable.

M. SE(;LAS estime que si certains muets hystériques recouvrent

d'eux-mêmes, à la longue, la parole ce n'est pas une raison suffi-

sante pour les en priver plus longtemps quand il est si facile de la

leur rendre. Pourquoi d'ailleurs manifester tant de craintes au

sujet des contractures puisqu'elles ne sont qu'une manifestation

hystérique qui, d'après M. Larroque, doit guérir d'elle-même ? Il

termine en exposant que les contractures provoquées pendant le

sommeil hypnotique par un expérimentateur inexpérimenté dispa-

raissent très vite par des procédés élémentaires. MARcEL BRIAND.

Séance du 28 mars 1887. Présidence de M. Magnan.

NoCé sier un cas du conformation vicieuse des organes génitaux. -

lI. l'. lII01t1· : AU (de Tours), commumque l'observation d'une pré-

tendue fillette de douze ans qu'il a eu l'occasion d'examiner à

Saint-Lazare où elle avait été enfermée sous l'inculpation de va-

gabondage. C'est l'aînée de quatre enfants et ses parents avaient eu

avant elle, une autre fille décédée peu de temps après sa naissance

et qui présentait la même conformation. Bien qu'elle ait toujours

porté des vêtements de fille elle a toute l'apparence d'un garçon.

Lorsqu'on la découvre on trouve un pubis plat, comme chez

l'homme, couvert de poils noirs et abondants, un bassin étroit,

un ventre dur et proéminent. Le pénis est développé et présente

un hypospadios très accusé. Lorsqu'on écarte les cuisses on ne

voit pas de scrotum, mais une espèce de vulve ou plutôt une pe-

tite et mince lèvre entièrement cutanée qui règne de chaque

côté de la paroi supérieure du canal. Au-dessous de la racine de

la verge donne le méat urinaire. Parle toucher rectal on constate

en avant et au niveau de la vessie une petite tumeur allongée, de

forme- ovoïde, indolente, que le doigt ne peut parfaitement li-

miter et qui n'est évidemment que l'utricule prostatique. On ne

trouve pas de testicules. L'âge de l'enfant n'a pas permis à l'ob-

servateur d'obtenir aucun renseignement sur l'état psychique de

l'enfant. Tout ce qu'on peut savoir c'est que le sujet fréquentait

de préférence une certaine détenue; son père croit avoir re-

424 SOCIÉTÉS SAVANTES.

marqué un penchant pour le sexe féminin. Il n'y a donc pas d'in-

version sexuelle puisqu'il s'agit d'un garçon, mais alors ce sera un

état civil qu'il faudra rectifier, car il a été inscrit sous le nom

d'Estelle G.

M. Magnan fait remarquer, qu'on se plaçant uniquement au

point de vue anatomique, cette observation est comparable aux

malades qu'il a présentés dans la dernière séance.

Du délire chronique (suite de la discussion.) M. M. Briand ne

croit pas que le délire des persécutions, tel qu'il a été décrit par

Lasègue, puisse être plus longtemps considéré comme une

entité morbide. Il n'est qu'une phase souvent la plus longue et la

plus apparente de l'état vésanique désigné du nom de délire chro-

nique. Les mêmes malades dont l'observation a été prise en vue

de fournir des arguments aux adversaires du délire chronique ne

peuvent que servir à démontrer son existence. A la séance de

novembre 1886, dit-il, M. Dagouet nous a opposé l'histoire de

deux de ses malades ; Fr., persécuté depuis vingt ans, « présenté

dans plusieurs cliniques comme type de persécuté » qui n'a ja-

mais eu aucune idée ambitieuse ; et celle d'un autre individu

persécuté aussi pendant plusieurs années par un certain Michel et

aujourd'hui guéri, « sauf la persuasion qu'il a que les voix qu'il en-

tendait étaient réelles ». Or, il se trouve que pcndantque Fr. était

présenté comme « type de persécuté sans idées ambitieuses »,

M. Régis, chef de clinique de M. Bail, publiait l'observation très

complète de ce même malade et le montrait inquiet, dès le col-

lège, s'isolant de ses camarades, concentré, se complaisant dans

la solitude et n'ayant des préoccupations que pour sa santé (pre-

mière période) plus tard, persécuté autant qu'on peut l'être pour

les francs-maçons mis en campagne par son concierge, etc.

(deuxième période;) puis orgueilleux, ambitieux, mégalomane en

un mot s'abouchant avec les ministres pour leur communiquerses

inventions, eu relations diplomatiques avec les puissances étran-

gères et empêchant par sa seule influence une guerre dont nous

étions menacés (troisième période). Que voulez-vous de plus ?

Pour nous l'observation est concluante; il n'est pas possible, en

effet, d'imaginer un délirant chronique plus complet; nous n'en

demandons pas davantage pour notre diagnostic. L'autre malade

dont 11. Dagouet invoque l'observation est un individu qui, ayant

été souillé par un individu du nom de Michel, croyait s'entendre

appeler « Mieliel.le... sodomiste ». C'est dans cette circonstance

qu'il a tué à coups de revolver un passant inoffensif. Après une

longue séquestration, X. a été remis en liberté; mais la vie du

dehors ne lui convenant point il est entré bientôt dans le service de

4 Folie à deux. Thèse de Paris, 1880.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 425

M. Dagouet qui l'a considéré comme guéri sans avoir passé par

aucune période ambitieuse. Ne semble-t-il pas que ce soitaller un

peu loin que d'affirmer la guérison ? X... n'est qu'amélioré; son

retour dans le service de M. Dagouet en est la preuve. S'il en était

autrement, nul doute que l'ancien professeur de la Faculté de

Strasbourg ne l'eût point reçu. Mais attendons la fin et donnons

rendez-vous à X. dans quelques années. Alors seulement nous

pourrons affirmer que son délire n'aura pas évolué.

Il ne faut pas cependant croire que les observations des déli-

rants chroniques n'ayant jamais eu d'idées ambitieuses soient

difficiles à trouver. Il en existe plusieurs; mais il faut penser que

si les malades ne sont point arrivés jusqu'à leur phase de systémati-

sation ambitieuse que nous leur attribuons, c'est que la mort

les a surpris avant la maturité de leur délire, ou bien qu'ils

ont guéri avant sa complète évolution. M. Favilte dont on

cherche à nous opposer l'autorité dit avoir conslaté dans neuf ob-

servations de mégalomanes sur douze qu'il rapporte, que « si les

malades ont été d'abord des lypémaniaques hallucinés, ce n'est

que d'une manière secondaire et par une nouvelle évolution dans

l'épanouissement du délire que se sont produits les idées de

grandeur ». Or, c'est là précisément ce que les défenseurs du

délire chronique veulent démontrer. Notre phase de persécu-

tions .n'est autre que votre lypémanie et si 1, Faville n'a

sur douze mégalomanes trouvé que neuf persécutés, c'est que les

trois autres appartenaient probablement à une autre catégorie

d'aliénés, celle des persécutés persécuteurs qu'il ne faut pas con-

fondre avec les délirants chroniques car ils appartiennent au

groupé des héréditaires dégénérés.

M. décrit dans ses cours cliniques le délire des persécu-

tions comme une espèce nosologique distincte qu'il divise en

quatre périodes successives correspondant à peu de chose près à

celles que nous attribuons au délire chronique, mais, tout en

recounaisant que dans un grand nombre] de cas le délire des

grandeurs vient s'ajouter aux idées de persécutions, il ne croit

pas que cette évolution constitue une règle fixe. C'est la seule di-

vergence de vue qui nous divise. Elle s'explique par cette circons-

tance que le délire chronique peut, comme nous l'avons dit plus

haut, s'arrêter en route. Pour nous, la transformation est la règle

mais quelle est la règle qui ne comporte pas d'exceptions ? Peu

importe, du reste, qu'elle soit absolue.

Le savant aliéniste de la Salpêtrière nous a dit encore que si

l'intelligence des persécutés arrivés à la dernière période s'all'ai-

blissait, toutefois la manifestation ultérieure du délire chronique

ne devait pas être assimilée à une véritable démence. M. Garnier

a déjà répondu à l'objection, il s'est défendu d'avoir jamais voulu

confondre cet état avec la démence organique vraie.

426 SOCIÉTÉS SAVANTES.

Vous le voyez, messieurs, malgré les critiques dont il a été

l'objet, le délire chronique est encore debout. N'est-il pas d'ail-

leurs la conséquence fatale d'une logique mal appliquée ? Toutes

les conceptions délirantes ont pour point de départ dans cette

affection un substratum somatique manifeste. Dans la période

prémonitoire les malades ont de l'angoisse, de'1'inappétence, se

plaignant de douleurs vagues; ils ont de l'embarras gastrique plus

ou moins accusé, etc. Voilà pour l'état physique. C'est l'imagina-

tion qui fera le reste des frais : Je ne me sens pas à l'aise, dira le

futur délirant chronique. C'est que sans doute, pensera-t-il

plus tard, on m'a rendu malade; alors on m'en veut. Je suis

donc quelqu'un pour qu'on me tourmente ainsi, ajoutera-t-il avec

orgueil et il finira par se donner à lui-même une identité nou-

velle. Puis, dans la suite, son intelligence s'usant en quelque

sorte à tourner dans le même cercle, l'idée délirante s'atténuera

et il ne testera de toute celte logique apparente qu'un état plus

ou moins accusé de démence.

On peut encore ajouter que le délire chronique n'est pas la seule

forme délirante à marche chronique dont l'exemple nous soit

fourni par la médecine mentale. Il ne constitue pas une loi évo-

lutive nouvelle. Vous vous rappelez encore l'intéressante com-

munication de M. Cotard sur le Délire des négations '. N'êtes-vous

pas frappés de la grande analogie démarche des deux affections ?

Leur point de départ est commun, mais comme les sujets réa-

gissent chacun à leur manière, ils ne tardent pas à prendre une

route différente et tandis que l'un, s'exagérant sa valeur, rapporte

tout à lui-même pour devenir un centre autour duquel le monde

social tournera vous voyez l'autre, se jugeant incapable, indigne,

s'accuser lui-même et après avoir douté de sa propre existence en

arriver à la nier formellement.

Il est un autre reproche auquel il serait exagéré d'attacher de

l'importance car il a trait à une question de mots sans retentis-

sement sur le fond même de la discussion. L'expression de délire

chronique n'est pas claire, dit-on. M. Garnier a déjà fait ,de larges

concessions sur ce point, il propose le terme de psychose systéma-

tique progressive, celle de délire chronique ambitieux ou mieux

expansif que je vous propose à mon tour aurait peut-être l'avantage

de conserver l'ancienne expression sous laquelle l'état maladif

est déjà connu tout en la complétant par un adjectif qui permet

une distinction avec toutes les formes dépressives de la iolie mé-

lancolique.

M. Cotard s'élève contre les tendances d'une certaine école qui

voulant trop simplifier, étudie indéfiniment le cadre nosologique

des différents groupes de formes mentales.

' Voy. Archives </< Neurologie, année 1882. ik ? Il et 12.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 427

M. DAUTREBENTE est d'accord sur la question de fond avec

MM. Magnan, Garnier et Briand. Elève de Moret, il accepte les

différentes transformations par lesquelles passent les délirants

chroniques (les fous hypochondriaques de Morel) ; il cite à ce

même propos un texte ancien de don Calmette, lequel avait déjà

remarqué que les hypochondriaques manifestaient souvent des

idées ambitieuses.

Hystérie, somnambulisme, vol inconscient. M. Garnier rapporte

l'observation d'un hystérique qu'il a eu l'occasion d'examiner au

point de vue médico-légal dans le service de M. Mesnet. Il s'agit

d'un jeune homme qui dans un accès de somnambulisme avait

volé différents objets mobiliers et les transportait chez lui en plein

jour et devant de nombreux témoins. M. Garnier conclut à l'irres-

pousabilité.

M. FÉRÉ ne trouve pas démontré que le vol ait été commis

pendant le sommeil somnambulique. Les criminels, dit-il, ont

déjà beau jeu ; il ne faut pas leur rendre la tâche encore plus

facile. '

M. Dautrebente rappelle que, pour M. de Rochas, il est facile de

s'assurer si le sujet est ou non en état de sommeil somnambulique

ou de suggestion hypnotique. S'il est insensible c'est qu'il est

dans l'un de ces deux états et par conséquent irresponsable.

M. JOURNIAC communique l'observation d'un cas de dégénéres-

cence mentale chez une jeune fille dont le frère est atteint lui-

même de folie intermittente. Cette jeune fille qui se rend un

compte très exact de son état est poursuivie depuis son enfance

par une foule d'obsessions. Tantôt ce sont les morts qui lui font

peur, tantôt les hommes qui vont la violer. Plus tard elle se sent

poussée à tuer un enfant; enfin dans ces dernières années, elle

ne veut toucher à aucun objet dans la crainte qu'il ne soit pollué.

Le frère est atteint de manie intermittente, mais les accès sont

séparés par de longues périodes d'équilibre intellectuel complet.

MARCEL Briand.

428 SOCIÉTÉS SAVANTES.

CONGRÈS ANNUEL DE LA SOCIÉTÉ DES MÉDECINS

ALIÉNISTES ALLEMANDS

SESSION D1. DGR1.1\ 4ïSli1

M. le professeur WLSTPUAL, président, après avoir salué l'assis-

tance, consacre quelques paroles émues à la mémoire du docteur

de GuDDKN ; les membres présents se lèvent en son honneur. La

Société a encore perdu pendant l'année qui vient de s'écouler :

MM. Eschenburg, Seifert, Vorster, Maeder. Lorent, H. Froenkel,

Voppel . Bruckner. MM. Crashev (de Wilrzboury) et Schuele

(d'illenau) sont nommés membres du bureau.

M. Moetr. Que nous apprend l'expérience qu'on (i fade à Dalldorf

de la séquestration des aliénés criminels ? L'asile de Dalldorf,

bientôt après son installation, a dû recevoir un grand nombre

d'individus souvent condamnés. Il n'existait pas pour eux de

dispositions particulières, l'établissement se rapprochant autant

que possible des asiles non fermés. Un grand nombre de prison-

niers condamnés à des peines graves n'a occasionné aucune diffi-

cullé; aujourd'hui encore, parmi les travailleurs laissés libres de

leurs mouvements, il existe une notable quantité d'individus de

ce genre. Mais, à côté de cela, dès 1883 d'autres malades se sont

fait remarquer par leurs allures rien moins qu'agréables, notable-

ment par des évasions répétées nécessitant finalement une rigou-

reuse séquestration. Afin de ne pas exagérer la portée de ces

faits uniquement mis en relief, llloeli s'est adressé aux chiffres.

Mais il ne tient compte que des malades soumis à son observa-

tion personnelle, au quartier même d'aliénés de Dalldorf et non

de ceux qui, d'ailleurs en très petit nombre, ont été séquestrés à

l'hospice d'aliénés infirmes ou dans des succursales du même

établissement.

Question première. Les malades en conflit avec la Loi ont-ils jeté

de la perturbation et quelle espèce de perturbation, dans quelle mesure,

dans l'asile ? Les tableaux dressés par Moeli portent sur la popula-

tion et le chiffre d'entrées des trente derniers mois. On y compte

deux cent quatre-vingt-dix-sept personnes ayant commis des

actes illégaux A. Série des malades divisés en treize catégo-

ries d'après l'acte délictueux, sans tenir compte de leur état

' Voy. Aicliîves de Neurologie, XIII, p. Hj.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 429

mental avant ou après l'acte. Mention est faite : a. des évasions du

champ de labour et des quartiers non fermés b. des évasions pra-

tiquéesparles portes, par effractions; c. des tentatives d'évasions.

Conclusion. Ce sont les délinquants qui ont commis des crimes

graves contre la propriété qui présentent dans les trois divisions

sus-énoncées le maximum de fréquence d'évasions. Ceux qui étaient

accusés de meurtres ou de violences ayant occasionné la mort

n'ont pas entrepris d'évasions simples ou par effractions; il est

vrai que ces individus-là étaient, pour la plupart, occupés avec

d'autres B. Proportion des désordres occasionnés par les

malades en question. Tableau indiquant séparément les individus

non condamnés et les individus condamnés pour léger délit, (pas-

sion par exemple), les individus ayant commis des crimes contre

la propriété mais non par habitude, les voleurs endurcis (65).

Même division que plus haut. Or, tandis qu'il s'est évadé par

effraction 43 °/0 des criminels par habitude, il no s'est évadé que

22 "/0 des individus condamnés à de légères peines ou des voleurs

d'occasion. C'est également parmi les voleurs d'habitude qu'ont

prédominé les évasions du champ de labour et des ateliers non

fermés, d'où la nécessité d'une incarcération rigoureuse quand

la pratique eut démontré que leur séjour en liberté, sans sur-

veillance dans l'asile, est impraticable. Mais à partir du jour où

ces rigueurs furent mises eu oeuvre, ces aliénés inventèrent mille

procédés pour s'évader avec effraction. Par conséquent les crimi-

nels aliénés provoquent toute espèce de perturbations.

Question deuxième. Ces personnages particulièrement difficiles

qui appartiennent ci la secte des voleurs par habitude présentent-ils

dans leur manière d'être quelque chose de particulier ? On compte

parmi les criminels contre lapropriété vingt-huit individus qui ont

déterminé toute espèce de perturbations; parmi eux, vingt avaient

subi une première condamnation avant vingt ans, presque tous

avaient même été condamnés avant dix-huit ans, trois seulement

n'avaient été condamnés que pendant leur vingt-cinquième année.

En outre plus d'un tiers avaient déjà été traités dans une maison

d'aliénés pendant leur vingtième année. Parmi les condamnés

de cette catégorie on en compte un très grand nombre, le plus

grand nombre, en proie à la débilité mentale ; et la proportion

de ces débiles criminels croit dans la grande ville. L'aggloméra-

tion exagérée en un même point de malades dangereux et l'in-

fluence fâcheuse qu'ils exercent les uns sur les autres constitue un

autre motif des difficultés produites par ce genre de séquestra-

tion. L'asile de Dalldorf enfin est situé de telle sorte que les

individus y nouent de mauvaises relations, sont attirés à s'évader

pour rôder dans Berlin, voient sans cesse se renouveler leur

entourage et par suite pensent peu à se faire une existence calme.

Aussi s'effectue-t-il infiniment peu de guérisons et ne peut-on que

130 SOCIÉTÉS SAVANTES.

rarement leur accorder de congés. Il y aurait un très grand

avantage à les faire travailler en grand nombre mais en les dis-

séminant dans une quantité de petits ateliers séparés, ce qui

permettrait de leur accorder une assez grande liberté. En tout

cas évitez leur concentration. Il n'est besoin d'agencement spécial

que pour ceux qui manifestement ne s'accommodent pas des con-

ditions ordinaires.

Les asiles d'aliénés seuls leur conviennent, car seuls ils leur

offrent la vie intérieure qu'il leur faut et l'occasion de l'émulation ;

on leur donnera un personnel choisi rompu à la pratique psychia-

trique. Mais leur traitement est extrêmement difficile parce qu'ils

sont dans un état mental particulier, qu'ils sont madrés, rusés.

Les profanes ne les reconnaissent pas pour aliénés et maint

aliéniste a un apprentissage à faire à leur égard. La rigueur de

la discipline n'est d'aucune utilité; il impoite seulement de les

surveiller avec som.

Quant à l'installation des quartiers destinés à ces malades, on

devra les séquestrer dans de petits logements de trois à quatre

personnes ; il en faudra encore isoler toute une catégorie pendant

la nuit ; quelques-uns seront tenus non dans des cellules mais

dans des chambres fermées, aérées, aussi confortables que pos-

sible où ils pourront au besoin travailler.

Il faut donc'à Dalldorf se préoccuper d'une création nouvelle,

car les dispositions actuelles ne conviennent pas à tous les malades.

Comme, de plus, une partie des malades continue à être nui-

sible, il faut faire intervenir tous les moyens auxiliaires en rap-

port avec les besoins qu'imposent ces malades, avec le calme et

l'ordonnancement de leur mode de vivre, avec leur sécurité.

Discussion. M. Hitzig. Combien difficile est la situation qui

nous est faite par l'attitude du public, de la police, en ce qui con-

cerne les évasions. La séquestration et la sécurité des criminels

dans les asiles ne font par conséquent que créer des difficultés

encore plus grandes. Il vaudrait mieux les confier à des prisons

d'invalides.

M. ScHROETER. Les conditions faites par la présence des crimi-

nels aliénés à Dalldorf sont toutes particulières, comme j'ai pu

m'en convaincre par plusieurs années d'expériences. D'autres

asiles de province hospitalisent sans doute par ci par là un indi-

vidu de semblable catégorie exigeant une attention spéciale et

faisant souhaiter au personnel qu'on le puisse verser dans une

institution qui lui soit consacrée spécialement. Par bonheur il n'y

a à Dalldorf qu'un petit nombre d'individus imposant l'idée de la

nécessité d'installations spéciales. Mais, comme ce sont les crimi-

nels par habitude qui prédominent, on s'aperçoit du manque d'un

personnel dressé a cette surveillance, d'un dispositif particulier,

SOCIÉTÉS SAVANTES. 431 1

semblable à celui des établissements pénitentiaires. Du reste,

comme, pour mériter la confiance du public dans nos asiles, nous

nous efforçons d'agir avec la plus grande hauteur de vues, il y a

lieu d'envoyer ces individus dans des institutions spéciales. Nous

avons déjà des instituts pour idiots, épileptiques ; qu'on établisse

des installations hospitalières pour les criminels aliénés auprès

des pénitenciers, ceux-ci ne pouvant que bénéficier de voir des

médecins transférer à cette annexe tout criminel soupçonné de

simulation ou d'un trouble mental. Il serait au surplus fort

intéressant que Dalldorf même fût pourvu d'une annexe de ce

genre.

M. MENDEL. La communication de M. Moeli montre que les alié-

nés criminels prédominent et qu'ils sont faciles à tenir. Elle

montre aussi, ce qui offre un intérêt financier, qu'il ne s'agit

que d'installations et non de vrais asiles. A mon sens, l'accumu-

lation d'aliénés criminels ou de criminels aliénés dans le même

établissement sera suspecte au point de vue des résultats. L'exa-

men de Brooadmoore ne me permet pas de souhaiter semblable

organisation en Allemagne ; je ne connais pas d'asiles d'aliénés

ni d'établissements pénitentiaires qui fasse une impression aussi

pénible que Brooadmoore. D'ailleurs la surveillance n'a jamais

empêché à Brooadmoore les tentatives de fuite et de suicide.

M. REfNHARD. L'expérience que j'ai faite de la question à l'asile

de Friedrichsberg (Hambourg) me montre que l'on peut parfaite-

ment séquestrer les criminels aliénés dans les asiles mêmes. Je

les fais mettre aux agités, section qui ne se distingue des autres

que par l'enceinte d'un mur élevé, en plus des grilles garnissant

les autres sections. En adoptant certaines dispositions architectu-

rates on peut grosso modo s'opposer à l'effraction, à la fuite de ces

malades. A Hambourg même, les criminels qui étaient passagè-

rement malades à la prison centrale ont été tranférés au lazareth

de cette prison; on s'en est jusqu'ici bien trouvé.

M. Lorrra. Presque tous les rapports se plaignent de la réception

des criminels aliénés avec d'autres malades et attribuent à ce

mélange de grands inconvénients. Où les opinions commencent à

se diviser, c'est sur la question d'élimination. Doit-on annexer

aux asiles d'aliénés des quartiers spéciaux aux enfants et les

annexer à des établissements pénitentiaires. Le rapt d'une ma-

lade par un criminel aliéné, le complot de cinq criminels aliénés

qui sétaient barricadés, avaient incendié un dortoir et voulaient

s'enfuir (ce qui nécessita l'intervention de la force armée) consti-

tuent des exemples sans précédents dans les fastes de l'aliénation

mentale pure. Sans doute il y a des arguments pour ou contre

les deux manières de faire. Tenir des criminels dans les établisse-

ments destinés aux' aliénés soulève bien des difficultés; de petits

432 SOCIÉTÉS SAVANTES.

quartiers séparé» de trois à quatre malades ne sont pas sans in-

convénients.

M. Moeli. Mêler des malades condamnés à d'autres offre de

grands dangers surtout pour le public. La distinction entre les

criminels aliénés et les aliénés criminels est souvent hérissée de

difficultés. Les aliénés criminels (expression pleine de contradic-

tions) représentent la plupart des malades qui jettent le trouble

dans l'établissement, quoique généralement ils n'arrivent dans

les asiles qu'après une longue carrière de crimes. Il faut compter

que 20/, environ de l'effectif en question exigent une claustration

particulière en même temps qu'une division par petits quartiers.

Il faut s'efforcer non pas de transférer ces malades dans toute

espèce d'asiles d'aliénés, mais de les soumettre à un régime psy-

chopathologique particulier.

M. Meschede. Toute la question est là. L'asile d'aliénés dans

lequel on veut transporter ces malades est-il un asile de traite-

ment ou un asile-hospice. On ne saurait les confier à un asile de

traitement parce que le public hésiterait à mettre ses malades

curables en contact avec des gens sans aveu et que des aliénés

ordinaires seront tourmentés de l'idée qu'ils sont séquestrés avec

des criminels, idée confirmée par la vue des appareils de sécurité

extraordinaires exigés par ces derniers. Enfin les criminels sèment

partout le désordre par leur propension extrême au tapage, aux

plaintes perpétuelles, aux luttes, aux violences. Ces arguments

tombent en partie devant les asiles-hospices; par conséquent, il y

a lieu de les pourvoir de sections séparées, ou de petits établisse-

ments séparés pour criminels aliénés. Je ne vois rien non plus à

objecter contre l'installation d'asiles spéciaux pour aliénés crimi-

nels au compte de l'Etat.

M. Siemens. A. UECxenuortn; sur deux cent vingt hommes, je

n'ai eu que deux criminels aliénés, mais ils jettent une telle per-

turbation qu'il faudrait les éloigner. Il n'y a pas lieu d'annexer à

un établissement ordinaire de sections de criminels aliénés. 11

faut s'efforcer de répartir les quelques criminels aliénés dans des

asiles offrant le caractères d'asiles-hospices.

M. ZtNN.N'a jusqu'alors constaté aucun inconvénient émanant

du petit nombre de criminels aliénés d'Eberswalde.

M. SCANDER. Les expériences faites en Angleterre sur les prisons

d'invalides (rapport parlementaire de 1883) montrent qu'elles ne

valent pas grand chose.

M. IIITZIG. Il s'agit en cela, comme en autre chose, d'en savoir

faire un emploi judicieux.

M. Siemerling. Le système des portes ouvertes en Ecosse. Voici les

origines du système. A l'asile de district d'Haddingtou ouverte i

SOCIÉTÉS SAVANTES. 433

1866 (400 malades) on n'avait point fait de clôtures autour des

murs. A l'asile de district d'Argyll destiné à quatre cents malades,

on dut, un beau jour, pour exécuter des transformations architec-

turales et agrandir l'établissement, ouvrir les cours; descircons-

tances tout accessoires ayant empêché la réfection des murs, il

fallut essayer sans eux de surveiller les malades; or il arriva

qu'on en obtint des résultats favorables, depuis lors on s'en passa

et, dans la plupart des asiles de l'Ecosse, les cours ne furent pas

fermées. On installa donc dans les grands établissements certaines

sections tout à fait ouvertes dans lesquelles tout ce qui peut s'op-

poser à la fuite, y compris les serrures, fut supprimé ; ces sections

furent consacrées aux aliénés tranquilles, inoffensifs. Mais

c'est à l'asile de Fife and Kinross (trois cent trente malades) que

le système fut pratiqué sur une large échelle; on n'y compte actuel-

ment que deux sections fermées (une pour vingt femmes, l'autre

pour trente hommes); le résultat depuis dix ans a été excellent.

Le système fut rigoureusement pratiqué à l'asile de Woodilee près

Glasgow, pour cinq cents malades. (Voy. le Twenty-third annual

report of the yeneral6oard of commissioners in lunacy forScotlund'.)

On est en outre frappé dans cet établissement du travail agricole

en liberté. L'asile de Woodilee reçoit surtout ses malades (ouvriers

de fabriques et matelots) de Glasgow; on n'y peut choisir ni les con-

ditions, ni les sujets. Sur une population de cinq cent quarante-

trois aliénés (deux cent soixante-treize hommes, deux cent

soixante-dix femmes, l'asile reçut en 1885 cent quatre-vingt-

neuf aliénés (quatre-vingt-quinze hommes, quatre-vingt-quatorze

femmes), pour lesquelles quarante-six P-G. (quatorze hommes,

deux femmes) soit 8 p. 100; douze épileptiques (sept hommes, cinq

femmes, soit 6 p. 100; vingt individus âgés de plus de soixante ans

soit 10 p. 100. On n'exclut abolument du travail que les malades

atteints d'affections somatiques intercurrentes et les agités ;

le rapport de septembre 1885, signale seulement quarante-quatre

hommes, cinquante femmes. 84 p. 100 des hommes, 82 p. 100

des femmes sont occcupés à travailler.En somme chaque jour cent

cinquante hommes sont occupés en liberté , en section de

huit à dix pour un gardien. Cinquante infirmiers ou infirmières

sont préposés aux soins et à la surveillance, soit dix à douze

aliénés par agent dont la rémunération est de 62 fr. 50 pour le

gardien, de 37 fr. 50 pour la gardienne ; naturellement cette ré-

munération est minima et en outre de tous les avantages

en nature. C'est du reste le seul établissement où soit pratiqué,

jusque dans ses détails les plus menus, le système des portes ouver-

tes. Dans tous les autres, existent des quartiers plus ou moins

' Voy. Archiva de Neurologie, t. X, p. 240, et Année médicale 1885

et 1886, t. XI, p. 90, 335.

Archives, t. Xlll. 28

434 SOCIÉTÉS SAVANTES.

grands, plus ou moins fermés, destinés à la séquestration des ma-

lades qui doivent être tenus. Mais en revanche partout eu Ecosse

le système des portes ouvertes est plus ou moins employé, de

concert avec l'exploitation agricole. Dans les asiles privés on s'y

est mis : voyez l'asile- de Saughton Hall près d'Edimbourg pour

quarante à cinquante malades. (Voir Balty Tuke Journ. of ment,

science, oct. 1881.) Qu'en résulte-t-il ?

TABLEAU DES ÉVASIONS.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 435

Le personnel de surveillance à qui on enlève ses clefs n'a plus

qu'à concentrer toute son attention sur les malades; il n'est plus

vis-à-vis d'eux un geôlier, double motif pour que les relations entre

infirmiers et aliénés soient douces et efficaces. Sans doute il faut

avoir alors un personnel mieux stylé, plus intéressé à sa tâche,

qui se préoccupe davantage des malades, qui leur inspire plus de

confiance. Ce personnel a été obtenu en Ecosse.

Quant au travail agricole en plein air, il a un avantage tout

hygiénique. En effet sur trente-trois morts on ne signale qu'un

phthisique, et la mortalité générale n'est que de 5,05 p. 100 ; elle

n'a pas dépassé 7,08. Chaque aliéné dans les établissements de

l'Ecosse a coûté de 1874-75, 2 fr. 15 ; de 1884-85, il est revenu à

4 fr. 65 ; le prix de journée aurait donc plutôt baissé par l'intro-

duction du système.

On ne pense pas en Ecosse à tout réformer absolument, mais à

appliquer le système le plus possible. Les établissements qui s'y

plieraient le mieux sont ceux qui sont situés loin des villes, ont

un grand périmètre, et peuvent servir d'exploitations agricoles.

Par exemple Morningside près Edimbourg, et l'asile royal de

Glasgow, qui, tout en recevant beaucoup de malades (une admis-

sion par jour dans le premier) n'ont qu'un territoire limité, ne

peuvent pratiquer le système que dans une petite partie de l'éta-

blissement. D'autre part Woodilee situé dons une région popu-

laire, au voisinage immédiat d'une voie ferrée, obtient d'excel-

leuse résultats, parce que sa disposition architecturale est très bien

conçue et que les admissions n'y sont pas trop fortes.

Donc pour pratiquer le système des portes ouvertes, il faut :

Le terrain nécessaire à une grande exploitation agricole ;

Un établissement ne recevant pas trop de malades ; .

Un établissement qui ne soit pas trop rempli;

Un personnel en qui l'on puisse avoir confiance.

En dehors de l'Ecosse le système n'a pas été mis largement à

contribution. Les opinions en Angleterre sont à son égard très

partagées. (V. Campbell. Remnrhs on some misitoi, matte ? *s or 17zaiia-

gement in asylums. Journ. of. ment, science, oct. 1883. Fr. Nee-

dham. The open-door-system The journ of. ment. science. juill. 1881,

janv. 4 882.) -A Koenigslutter, en Allemagne, on a, dans des pavil-

lons nouvellement construits *, essayé ce système ; nous en con-

naîtrons plus tard les résultats. (V. Hasse. Quelques mots sur les

asiles d'aliézzés 2.)

L'Ecosse otlre-t-elle des conditions sociales et administratives

propres à favoriser le développement de ce système. Dans ce pays,

l'administration se préoccupe vivement de l'hospitalisation de ces

1 Voy. Archives de Neurologie, t. X, p. 138 et 295.

1 Voy. Archives de Neurologie, t. Xi, p. 88.

436 SOCIÉTÉS SAVANTES.

malades. L'autorité (Board of Lunacy), qui contrôle tous les ma-

lades en dehors et au dedans des établissements, se guide de l'en-

combrement, et en cherche les remèdes. Elle a pour cela les asiles

d'aliénés infirmes et le traitement des aliénés dans les familles

qui déchargent d'autant les asiles ordinaires. Et cependant l'en-

combrement se produit, même à Woodilee. A côté de cela les

asiles ordinaires peuvent, en vertu de dispositions légales parti-

culières relatives à la séquestration des criminels aliénés, être

purgés de l'élément qui jette la plus grande perturbation dans une

exploitation à l'état libre. Mais les conditions favorables peuvent

être réalisées ailleurs. Et ce système mérite considération et imi-

tation.

Discussion.. M. Fuerstner. Sur cinq cents lits on ne compte

que cent quatre-vingts admissions par an ; c'est làencore un fac-

teur favorable. Dans ces conditions de réception favorables, on

trouverait en Allemagne toute une série d'établissements dans

lesquels le système en question serait applicable. Il serait encore

intéressant de savoir de quel milieu viennent les gardiens. Peut-

être ici encore les conditions sont-elles plus favorables que chez

nous. On doit enfin se demander comment le public accepte cela.

Dans les établissements qui avoisinent les grandes villes, cette

liberté constituerait une mauvaise affaire, du moins dans quelques

parties de l'Allemagne. Notre public est-il assez familiarisé avec

les psychoses et les malades pour accepter ces errements, et, dans

les cas d'accidents ou de malheurs, pour ne pas nous en faire un

crime ? Nous devrions d'abord nous efforcer déparer à l'admission

aussi rapide et aussi multipliée que possible ; quand nous aurons

assez d'asiles-hospices et que nous n'aurons plus à redouterl'encom-

brement, on pourra expérimenter partiellement, si toutefois nous

sommes en mesure d'avoir un meilleur personnel.

11f. Pxz. A l'origine, à Alt-Scherbitz, un tiers seulement des

malades dut être séquestré dans un établissement central relati-

vement fermé, les deux tiers étant hospitalisés dans des colonies

à portes ouvertes. Tel a été l'avantage du système des portes

ouvertes que, depuis 1876, je l'ai installé également dans la plus

grande partie de l'établissement central et qu'actuellement je

n'ai sur six cents aliénés, pas plus de soixante-dix à quatre-

vingts malades véritablement enfermés, et encore, sur les

soixante-dix à quatre-vingts malades, il y en a un grand nombre

qui ne sont séparés du contact du public qu'à cause, non de

leur propension à s'évader mais de leur insociabilité. Bien des

aliénés ne sauraient être traités par le système des portes ou-

vertes parce qu'ils tendent, surtout dans les cas de psychoses

' Voy. Archives de Neurologie, t. X, Rapport de AoeA)'.

SOCIÉTÉS SAVANTES. 43T

récentes, à s'évader et à devenir violents. AU-Scherbitz se trouve

du reste dans des conditions défavorables parce qu'il est forcé

de recevoir tous les malades maniaques, agités de Nietleben ' qui

viennent de toute la province. Qu'on n'aille d'ailleurs pas aux ex-

trêmes, qu'on n'applique pas indistinctement à tous les psycho-

pathes un procédé unique, qu'on l'applique à tous ceux qui,

d'm.e manière quelconque, supportent la liberté.

M. L.OEBH. Les conditions de la vie politique et sociale, et le

développement historique de l'Angleterre sont si originaux, qu'il

convient d'être sobre d'appréciations, même en ce qui concerne

la psychiatrie, car nous n'y comprenons souvent pas grand'chose.

Leur loi sur les aliénés représenterait chez nous un pas en arrière.

Pour apprécier le système des porter ouvertes, il faudrait savoir

quels malades y sont soumis. Les asiles mêmes y comportent des

mesures absolument différentes les unes des autres et, quand on

les visite brièvement, on n'en tient souvent pas compte. Un admi-

rateur des asiles anglais prétend que le système des portes ou-

vertes a permis de diminuer le personnel de garde (Allg. Zeitsch.

f. Psych lL. 813) 2. Siemerling (Archiv. f. Psychiut. XVII. 3,

se pose la question de savoir si à Woodilee il y a des malades qui

tendent à s'enfuir alors qu'aujourd'hui même il vient d'y répon-

dre affirmativement. L'expectation est donc de rigueur. Nulle part,

plus que dans l'aliénation mentale le traitement ne s'applique à des

individualités. C'est au médecin àse prononcer en face des obser-

vations et des ressources à sa disposition. En second lieu, notez

que ce système ue peut être pratiqué qu'à la condition que les

malades soient toujours occupés en liberté. Or, n'est-ce pas ce

qu'on fait dans les asiles allemands ? Et cependant on ne saurait

s'y passer de clefs. En outre, des malades curables sont placés à

côté de malades incurables, en Allemagne, ce qui ne se fait pas

en Angleterre. Les autorités et le public ne semblent d'ailleurs

pas si entichés de ce système, car, il y a quelques années, à la suite

d'une tentative de fuite de l'asile de Lenzie, près Glasgow, qui

entraîna la mort du malade et les plaintes de sa famille, le juge

de paix menaça l'établissement de faire une enquête, en cas de

récidive, et le tribunal le condamna à 50 livres d'amende. Il sera

toujours plus sûr, en pareille circonstance, de fermer un quartier

qui, d'ailleurs admet une certaine liberté, que d'utiliser un gar-

dien à une étroite surveillance, à une surveillance continue. Cette

fermeture, quand elle est nécessaire, est plus avantageuse que

tout autre procédé. S'il n'y a pas nécessité, qu'on se relâche de

' Voy. Archives de Neurologie, t. X, Rapport de Loehr.

Id. Revues analytiques.

2 ld. Revues analytiques.

438 SOCIÉTÉS SAVANTES.

la restriction en question. Quant aux modifications architectu-

rales, elles ne sont pas en faveur auprès de M. Loehr et ne sont

pas faites pour lui inspirer le goût du système; il ne se montre

pas sympathique à l'exécution d'une transformation qui ne lui

paraît point nécessaire.-

M. TuczEK voudrait savoir combien d'aliénés sur mille habitants

sont séquestrés dans les établissements de l'Ecosse. La statistique

montre que, dans tous les Etats cultivés il y 4 aliénés pour 1000

habitants et que la moitié d'entre eux, soit 2 p. 1000, est séques-

trée. Parmi le premier- millième, ayant le plus pressant besoin de

l'admission (aliénés récemment malades incapables de vivre en so-

ciété, ayant besoin de surveillance) il n'y en a naturellement que

peu qui supporteraient le système des portes ouvertes. Par con-

séquent, en Allemagne, les provinces qui n'ont pas encore de

place pour 1 pour 1000 de leur population, ne pourront guère

faire de semblables essais, tandis que là où le second millième

de la population peut bénéficier du traitement dans les asiles, on

pourra faire un essai étendu du système, ainsi dans le district du

Cassel. Le troisième et le quatrième millièmes pourront être

traités ad libitum dans un asile ou dans les familles.

M. S1ElrERLING. A l'asile de Morniugside près Edimbourg, dirigé

par Clouston, le personnel est particulièrement stylé. Ce ne sont

que les gardiens les plus appropriés qui sont appliqués au traite-

ment des malades. Le public ne se montre pas hostile au traite-

ment des malades en liberté; il est plus accoutumé aux aliénés

à raison de l'extension donnée au traitement des aliénés dans

les familles.

M. SANDER. Coups d'oeil et échappées sur l'assistance des aliénés à

Berlin. Répartition des aliénés de Berlin pendant ces dernières

années, dans les établissements de la Charité, Dalldorf et les

quartiers ressortissant aux aliénés du régime commun. En 4860

on avait traité dans les asiles, sans compter la Charité, -0.43 pour

lOOOdela population; en 1870, 0,67; en 1875, 0,7a; en 1880, 1,10;

en 1884, 4,56. Cette augmentation de la proportion des aliénés

provient des conditions sociales. Les conditions défavorables du

travail ont empêché bien des malades de rester au dehors, beau-

coup ont été placés parce que les conditions d'agitation de la

ville leur ont nécessité les secours de l'asile. L'idiotie s'est parti-

culièrement accrue à Berlin. Actuellement, Dalldorff contient

mille deux cent cinquante aliénés, les asilesprivésneuf cents ma-

lades appartenant au régime commun. De nouvelles constructions

sont imminentes. Par exemple un asile d'aliénés pour 1000 ma-

lades, un asile d'épileptiques pour 600, voire 1000 individus.

(.lllj. Zeitsh. f. Ps;ch., Xf.Ill, 3.) P. Keraval.

SENAT

DISCUSSION DU PROJET DE LOI SUR LES ALIÉNÉS'.

Séance du mardi 30 novembre 1886.

M. Théophile ROUSSEL. Je demande la parole.

M. le Président. La parole est à M. Théophile Roussel.

M. Théophile ROUSSEL. Messieurs, je viens, peut-être un peu

tardivement, demander une rectification au procès-verbal de la

séance..de samedi. Lorsque j'ai parlé, à la dernière séance, de

l'homme qui le premier a posé des règles pour l'éducation

spéciale des jeunes idiots, j'ai dit qu'il y avait une quarantaine

d'années qu'il avait fait ces travaux. Le Journal officiel me fait

dire une quinzaine d'années. J'attache un certain intérêt à ne

pas paraître apporter à la tribune une aussi grande ignorance

des questions que j'ai à y traiter.

Puisque j'ai parlé de Séguin, je dois ajouter que ses travaux

écrits en langue française sont antérieurs à la révolution de

février 4 848. Il fut un des ardents républicains de sa génération.

Après la chute de la République, il émigra en Amérique, et c'est

là qu'il a fait en langue anglaise ses derniers travaux. Les bien-

faits de sa méthode ont été justement appréciés dans ce pays où

l'on prise à un si haut degré les luttes entreprises contre la

nature et les victoires remportées sur les obstacles naturels; on

a caractérisé son oeuvre par une expression que j'aime à répéter

ici, en disant qu'il a été un des grands pionniers de l'humanité.

AI. le Président. L'ordre du jour appelle la suite de la z" déli-

bération sur le projet de loi portant révision de la loi du

30 juin 4 838 sur les aliénés. Je rappelle au Sénat qu'à la dernière

1 Voy. Arch. de Neurologie, p. 135 et 258.

440 SÉNAT.

séance le 3° paragraphe de l'article 1 le a été renvoyé à la com-

mission.

M. Théophile Rousses, rapporteur. Je demande la parole.

M. LE Président. La parole est à M. le rapporteur.

M. LE Rapporteur. Messieurs, le 3° paragraphe de l'article 1 er

du projet de loi a été renvoyé à la commission à la suite d'obser-

vations présentées par M. le ministre de l'intérieur, et après la

présentation d'un amendement développé sommairement à

la tribune par l'honorable M. Georges Martin et renvoyé à

l'examen de la commission. La commission s'est réunie hier et a

repris de concert avec M. le ministre de l'intérieur, l'examen du

paragraphe en question, et je viens faire connaître au Sénat le

résultat de ses délibérations.

Je dois rappeler d'abord le texte du paragraphe : « L'Etat fera

construire un ou plusieurs établissements spéciaux pour l'édu-

cation des jeunes idiots ou crétins et pour -le traitement des

jeunes épileptiques. » Le sénat n'a pas oublié à quelles appréhen-

sions ce texte avait donné lieu de la part du Gouvernement.

Tout en déclarant que le but que se proposait la commission

lui paraissait excellent, que la proposition d'étendre la protection

de l'Etat sur les jeunes idiots indigents en leur assurant une édu-

cation spéciale, et sur les jeunes épileptiques indigents en leur

assurant un traitement dans des établissements spéciaux, était

digne de tout l'intérêt du Gouvernement, M. le ministre de l'inté-

rieur exprimait la crainte que la rédaction de la commission

n'engageât le principe même qui régit l'assistance des idiots et

des épileptiques, et que son adoption ne pût avoir pour consé-

quence de faire supporter par l'Etat des charges que la loi a

imputées au compte des familles, des communes et des départe-

ments.

Les déclarations expresses auxquelles le paragraphe qui nous

. occupe a donné lieu dans le rapport delà commission établissent,

au contraire, que celle-ci avait entendu ne rien changer, quant

aux bases mêmes ou aux principes de l'assistance.

Il est dit nettement dans le rapport qu'il s'agit seulement

d'étendre à l'éducation spéciale des jeunes idiots ou crétins indi-

gents et au traitement des jeunes épileptiques, dans les établis-

sements modèles dont elle demande la création à l'Etat, les

conditions que le Gouvernement a fixées lui-même dans l'ar-

ticle 40 de son piojet primitif, devenu l'article 49 de la commis-

sion, pour les aliénés dits criminels; c'est-à-dire que la dépense

des individus qui seraient admis dans les asiles sera supportée

par les départements auxquels ils appartiennent jusqu'à concur-

rence du prix de journée payé par ces départements pour ses

aliénés ordinaires. Le surplus de la dépense seul, s'il y en avait,

SÉNAT. 441

serait à la charge de l'Etat. En somme, la charge de l'Etat se

réduisait à la création d'un établissement modèle et aux frais

spéciaux auquels l'éducation ou le traitement pouvaient donner

lieu.

Mais, bien qu'aucune équivoque ne pût naître sur cette question

de principe, que la charge des malades ou infirmes qui devront

passer des établissements exclusivement affectés au traitement

des aliénés dans les établissements qui doivent être appropriés

pour eux dans des conditions plus économiques, doivent conti-

nuer à peser principalement sur les départements, la commission

du Sénat n'a pas pu accepter l'amendement que M. Georges

Martin lui a sommairement expliqué dans la dernière séance

et qui est conçu en ces termes : « Les départements devront

faire construire des établissements spéciaux ou des quar-

tiers spéciaux dans les asiles existant actuellement, pour l'éduca-

tion des jeunes idiots ou crétins et pour le traitement des jeunes

épileptiques. »

La commission n'admet pas que l'on puisse imposer à tous les

départements la charge de construire des établissements spé-

ciaux ou des quartiers spéciaux, pour les catégories d'infirmes ou

de malades qui, dans les départements ordinaires et surtout

dans les petits départements, comportent un effectif numérique-

ment peu considérable. M. Georges Martin, sénateur de la Loire,

s'est inspiré du grand exemple que donne le département de la

Seine, qui, en ce moment, dans des proportions presque gran-

dioses, fonde à Bicêtre, sous l'impulsion d'un médecin distingué

qui est lui-même député de la Seine, un établissement pour

l'éducation des jeunes idiots et le traitement des jeunes épilep-

tiques. Mais ce que la Seine, Paris, avec son immense population

et ses grandes ressources, a pu réaliser, serait irréalisable, et

d'une bien faible utilité, d'ailleurs, dans beaucoup de cas. Le

besoin de beaucoup de départements serait de trouver, comme

cela a lieu pour les jeunes sourds-muets et les jeunes aveugles,

la possibilité de placer un certain nombre de jeunes idiots dans

les établissements d'éducation spéciale et un certain nombre de

jeunes épileptiques dans des établissements de traitement spé-

cial. On ne saurait leur imposer raisonnablement l'obligation de

faire construire et d'organiser eux-mêmes ces établissements.

Après avoir écarté l'amendement de M. Georges Martin, la

commission n'a pas fait de difficulté, pour donner au Gouverne-

ment pleine satisfaction, d'insérer dans le texte même de l'ar-

ticle 1"' une disposition, établissant en termes formels qu'après

la séparation en fait des établissements actuels d'aliénés en

asiles de traitement de l'aliénation mentale et en maisons de

refuge, colonies ou autres établissements à créer, la charge des

malades ou infirmes déversés dans ces derniers établissements

442 SÉNAT.

restera ce qu'elle est aujourd'hui et se partagera suivant les règles

établies dans la loi de 1838.

La commission a, dans ce but, rédigé un 3° paragraphe de

l'article 4°r, dont le texte se comprendra très clairement lorsque

j'aurai donné lecture du 2e paragraphe du même article, déjà

adopté par le Sénat. Ce 2° paragraphe est ainsi conçu : a Les

aliénés réputés incurables, les épileptiques, les idiots et les

crétins peuvent être admis dans ces établissements tant qu'il n'a

pas été pourvu à leur placement dans des colonies, dans des

maisons de refuge ou autres établissements appropriés. » A ce

deuxième paragraphe la commission propose d'ajouter : « Lors-

que ce placement s'effectuera, les dépenses des' malades ou

infirmes ci-dessus désignés continueront à être réglées conformé-

ment aux articles 45 et 46 de la présente loi. »

Les articles 45 et 46 de la présente loi sont les articles qui

régissent présentement l'assistance des aliénés. Le Gouvernement

s'est déclaré complètement satisfait par cette rédaction de la

commission.

Il resterait, messieurs, la rédaction ancienne de la commis-

sion, aux termes de laquelle l'Etat assumait en principe l'obli-

gation de créer un ou plusieurs établissements modèles dont le

but, la raison d'être et la nécessité ont été présentement exposés

au Sénat. Sur ce point la commission du Sénat ne pouvait pas

être ébranlée dans ses convictions; mais elle a été touchée

par les déclarations que M. le ministre de l'intérieur s'est

déclaré disposé à porter lui-même, en cas de besoin, à cette

tribune et que je résumerai en peu de mots. D'une part, il est

impossible, en fait au Gouvernement (la question de principe

étant écartée) d'assumer l'obligation que le vote du paragraphe 3

de la commission lui imposerait; mais, d'autre part, l'opinion

du Gouvernement étant la même que celle de la commission sur

le fond des deux questions, sur l'intérêt qui s'attache à l'éduca-

tion des jeunes idiots et du traitement des jeunes épileptiques,

M. le ministre déclare que le Gouvernement est décidé à com-

prendre ces deux catégories de malheureux dans le programme

des études auxquelles se livre en ce moment l'administration en

vue d'apporter des compléments et des améliorations au régime

d'éducation des jeunes aveugles et des sourds-muets.

En définitive, comme-le paragraphe 3 de la commission se

bornait à une prescription qui ne liait le Gouvernement ni quant

à la date de l'exécution ni quant au chiffre de la dépense, la

commission a accueilli avec reconnaissance les déclarations de

M. le ministre de l'intérieur et, dans ces conditions, elle a décidé

de ne pas insister sur le maintien du troisième paragraphe

qui avait été réservé dans la dernière séance.

M. LE Président. Il résulte des délibérations de la commission

SÉNAT. 443

qu'elle renonce à l'ancienne rédaction du paragraphe 3 et qu'elle

place après le paragraphe 2 cette disposition : Lorsque ce place-

ment s'effectuera, les dépenses des malades ou infirmes ci-dessus

désignés continueront à être réglées conformément aux arti-

cles 45 et 46 de la présente loi. » Monsieur Georges Martin, main-

tenez-vous votre amendement ?

M. Georges Martin. Non, monsieur le président, et j'accepte

celte rédaction, puisque l'ancien paragraphe 3 est supprimé.

M. le Président. Quelqu'un demande-t-il la parole sur la nou-

velle rédaction proposée par la commission ? (Cette nouvelle rédac-

tion est adoptée.)

M. LE Président. Je mets aux voix l'ensemble de l'article 4er.

(L'ensemble de l'article 4°r est adopté.)

M. le PRÉSIDENT. Le dernier paragraphe de l'article 4 a fait

l'objet de deux réserves. La commission est-elle prête à donner

des explications à ce sujet ?

M. LE Rapporteur. Je n'ai pas besoin de monter à la tribune

pour faire une simple 'observation. Les deux réserves dont M. le

président vient de parler ne peuvent être mises en discussion que

lorsque l'article 15 sera soumis au Sénat.

M. le PRÉSIDENT. Le Sénat statuera donc sur ce point quand

l'article. 15 viendra en délibération. Il en est de même pour

l'article 6 ?

M. LE Rapporteur. Oui, monsieur le président.

M. le Président. Nous arrivons, messieurs, à l'article 7.

La parole est à M. le rapporteur.

M. LE Rapporteur. Messieurs, .l'article 7 a été l'objet d'un

amendement que l'honorable M. Lacombe a développé à cette

tribune dans la dernière séance. Cet amendement porte sur le

2° paragraphe de l'article 7. Je dois rappeler tout d'abord, en

effet, que le ler paragraphe de cet article, renvoyé à la com-

mission, a été voté à la dernière séance et n'a donné lieu à

aucune difficulté. Ce ') ? paragraphe est ainsi conçu :

« Nul ne peut créer ni diriger un établissement privé sans

l'autorisation du Gouvernement et sans avoir déposé un caution-

nement. »

C'est sur le paragraphe 2 de la commission que porte l'amen-

dement de M. Lacombe. Voici le texte de la commission :

« Est assimilée, sous le rapport de la surveillance, aux asiles

privés toute maison où un aliéné est traité, même seul, à moins

que le tuteur, le conjoint, l'un des ascendants ou l'un des

descendants, le frère ou la soeur du malade, n'ait son domicile

dans la même maison et ne préside personnellement aux soins

- qui lui sont donnés. «

444 le SÉNAT.

M. Lacombe a proposé d'abord d'ajouter la mention qui est

faite au tuteur, un complément qui exige que ce tuteur soit

spécialement autorisé par le conseil de famille. La commission

a accepté ce complément. C'est une mesure de protection de plus

à ajouter à celles qu'elle a introduite elle-même dans la loi en

faveur de l'aliéné mineur ou interdit.

L'honorable M. Lacombe propose ensuite de faire au texte de

la commission une adjonction plus importante. Le projet pri-

mitif du Gouvernement étendait jusqu'aux parents au 48 degré

inclusivement l'exemption de la surveillance que le texte du

paragraphe 2 de la commission, accepté par le Gouvernement,

restreint au tuteur, au conjoint, aux ascendants, aux descendants,

au frère et à la soeur.

La commission a pensé, et le Gouvernement avec elle, que

donner au texte de la loi l'extension réclamée par l'honorable

M. Lacombe, c'est désarmer d'avance cette loi contre les abus

révélés par l'expérience et auxquels la loi nouvelle doit mettre

un terme; ce serait rentrer purement et simplement dans les

inconvénients reconnus de la situation actuelle, et laisser un

large champ ouvert aux séquestrations arbitraires qui donnent

lieu à des plaintes si souvent répétées.

On ne pourrait pas nier en effet que c'est dans les conditions

que l'amendement tendrait à maintenir, que se passent les faits

les plus odieux dont il s'agit d'empêcher le retour. Par ces motifs,

messieurs, la commission d'accord avec le Gouvernement ne

pourrait pas accepter cette partie de l'amendement de 1 hono-

rable M. Lacombe.

La dernière partie de cet amendement se rapporte au para-

graphe 3 de l'article, qui est conçu en ces termes : « Nul ne peut

soigner un aliéné dans les conditions prévues au paragraphe

précédent sans qu'il en ait fait la déclaration, dans le délai d'un

mois à partir de la mise en traitement de la personne malade,

au procureur de la République de l'arrondissement du domicile

de cette personne. » Voici maintenant la rédaction de l'amen-

dement :

« § 3. Nul ne peut soigner un aliéné dont il n'est ni le

tuteur, ni l'allié ou le parent, ainsi qu'il est prévu au paragraphe

précédent, sans qu'il en ai fait, dans le délai d'un mois à partir

de la mise en traitement de la personne malade, la déclaration

au procureur de la République de son arrondissement. »

Messieurs, la commission pense que sa rédaction, avec certaines

modifications que je vais indiquer au Sénat, donne une satis-

faction plus complète aux préoccupations qui ont dicté l'amende-

ment, en même temps qu'a celles que l'honorable M. Roger-Mar-

vaise a apportées à cette tribune.

M. Roger-Marvaise s'était plaint de l'ambiguïté du texte pro-

SÉNAT. 445

posé par la commission. Ce texte, en réalité, n'est autre que le

texte du projet primitif du Gouvernement. Ce dernier, en effet,

avait partagé en deux articles, l'article 3 et l'article 40, les

dispositions que la commission a cru devoir réunir en un seul.

L'article 10 du Gouvernement est ainsi conçu : « Nul ne peut

créer ni diriger un établissement privé sans l'autorisation du

Gouvernement- et sans avoir déposé un cautionnement. « Nul ne

peut soigner un aliéné dans les conditions prévues par le para-

graphe 2 de l'article 3 de la présente loi sans qu'il en ait fait la

déclaration, dans un délai d'un mois au maire de la commune. »

Voici maintenant le paragraphe 2 de l'article 3 du projet du

Gouvernement :

« Est assimilée, sous le rapport de la surveillance, aux asiles

privés toute maison où un aliéné est traité, même seul, à moins

que le tuteur, le conjoint, l'un des ascendants, l'un des descen-

dants ou l'un des collatéraux jusqu'au quatrième degré inclusi-

vement du malade n'ait son domicile dans la même maison et

ne procède personnellement aux soins qui lui sont donnés. »

Si l'on rapproche ces textes de celui de la commission, on voit

que celle-ci, après avoir retranché les collatéraux et remplacé le

maire par le procureur de la République, s'est bornée, comme

changement aux dispositions proposées par le Gouvernement, à

l'insertion du 2o paragraphe de l'article 3 entre le paragraphe 1 er

et le paragraphe 2 de l'article 10, afin de réunir en un seul

article les dispositions concernant l'aliéné traité dans des domi-

ciles privés.

Toutefois la commission, tenant compte de la difficulté soulevée

par un homme aussi compétent et aussi habitué à lire les lois

que l'honorable AI. Roger-Marvaise, s'est attachée à présenter au-

jourd'hui au Sénat un texte rédigé de façon à ne prêter à aucune

ambiguité. Voici la rédaction qu'elle propose, d'accord avec le

Gouvernement :

« Art. 7. Nul ne peut créer ni diriger un établissement

privé sans l'autorisation du Gouvernement et sans avoir déposé

un cautionnement. Est assimilée, sous le rapport de la surveil-

lance, aux asiles privés toute maison où un aliéné est traité,

même seul, à moins que le tuteur, autorisé par le conseil de

famille à se charger du traitement, le conjoint, l'un des ascen-

dants ou l'un des descendants, le frère ou la soeur du malade,

n'ait son domicile dans la même maison et ne préside person-

nellement aux soins qui lui sont donnés.

e Nul en dehors des personnes ci-dessus exceptées, ne peut

soigner un aliéné dans un domicile privé sans qu'il en ait fait la

déclaration, dans le délai d'un mois à partir de la mise en trai-

tement de la personne malade, au procureur de la République

du domicile de cette personne. A défaut de déclaration, il pourra

! ai6 6 SÉNAT.

Être pourvu au placement de ladite personne conformément à

l'article 23 ci-après. »

La commission est convaincue que l'addition au 3° paragraphe

de ces mots : « en dehors des personnes ci-dessus exceptées »,

. doit donner satisfaction à1'lioiiorable M. Roger-Marvaise. Notre

honorable collègue a porté à la tribune une dernière objection :

il a dit qu'il n'y a pas de sanction aux principes de l'article 7.

De l'ensemble des dispositions que la commission propose il

résulte clairement, pour ceux qui étudient cet ensemble, que

toute infraction aux prescriptions de l'article 7, notamment le

défaut de déclaration, tombent sous le coup des dispositions

pénales qui formaient le titre III de la loi. 11 est vrai que la com-

mission n'a' pas cru qu'il fût nécessaire ici d'une disposition

pénale particulière. Elle a reconnu seulement que, pour ne

- donner prise à aucun doute, il était peut-être bon d'indiquer

dans la loi elle-même ce qui adviendrait dans le cas où, la décla-

ration exigée ayant fait défaut, il s'agirait, non de la sanction

pénale concernant la personne responsable de cette déclaration,

mais des mesures à prendre en faveur de l'aliéné lui-même si sa

sécurité paraissait menacée dans le domicile privé où il a été

retenu et où la surveillance de l'autorité est venue l'atteindre.

La commission avait pensé que dans ces cas le procureur de

la République ne manquerait pas de provoquer une décision du

tribunal en chambre du conseil et que le tribunal pourrait pro-

voquer un placement d'office. Cette solution ressort naturelle-

ment des dispositions nouvelles qui caractérisent le projet du

Gouvernement, dans le titre II de la loi. La commission a pensé

toutefois qu'il pouvait être utile d'ajouter au dernier paragraphe

de l'article 71a disposition suivante : e A défaut de déclaration, il

pourra être pourvu au placement de la personne aliénée confor-

mément à l'article 29 ci-après. »

L'article 29 est celui qui règle les placements d'office, non seu-

lement des aliénés qui sont un danger pour la sécurité publique,

mais de ceux qui sont dans une situation où leur propre sécurité

est menacée. Voilà, messieurs, l'ensemble des dispositions de

l'article 7 que la commission a l'honneur, d'accord avec le Gou-

vernement, de proposer au vote du Sénat.

M. Lacombe. Je demande la parole.

M. le Président. Permettez, monsieur Lacombe ! M. Roger-

Marvaise a demandé la parole avant vous. La parole est à M. Roger-

Marvaise.

M. ROGEIi-iIAItVAI3E. Messieurs, je reconnais que la nouvelle

rédaction qui vient d'être proposée par la commission donne

satisfaction en partie aux observations que j'avais eu l'honneur

de soumettre au Sénat à la dernière séance; mais, à mon sens,

SÉNAT. 441 ~t

la satisfaction n'est pas complète, et dans l'article, tel qu'il est

proposé par la commission, il y a une atteinte, selon moi, et une

atteinte grave encore poitée aux droits de la famille. C'est sur ce

point que je voudrais appeler l'attention du Sénat, parce que cet

article 7 et l'article 8 sont des articles essentiels dans le projet de

loi, j'allais presque dire qu'ils en sont les articles principaux. En

ce qui concerne toutes les dispositions du projet qui sont relatives

aux établissements d'aliénés, il n'y a plus de difficulté.

La surveillance est organisée; on peut ne pas être complète-

ment d'accord avec la commission sur l'étendue de ce droit de

surveillance, sur sa réglementation, mais, quant au principe lui-

même, pas de difficulté. Mais où je trouve que la commission

porte une atteinte, et une atteinte grave aux droits de la famille,

c'est dans l'article 7, et c'est sur ce point que je veux insister

devant le Sénat. Voici, en effet, messieurs, ce que nous dit la

commission, car sa rédaction n'est pas modifiée sur ce point :

« Est assimilée, sous le rapport de la surveillance, aux asiles privés

toute maison où un aliéné est traité, même seul. »

Je dis que c'est là qu'est l'exagération. Je n'ai pas besoin de

dire au Sénat, car c'est là une vérité frappante, qu'il y a des

degrés dans toutes les maladies. On est atteint d'une maladie,

mais on ne peut pas savoir, à son début, quelles en seront les

suites, quels en seront les degrés de gravité.

Et par-eela même qu'une famille, cédant à des idées que l'on

comprend parfaitement, place un de ses membres, son fils ou sa

fille, dans une maison, confie ce malade à un tiers : alors qu'on

ne sait en aucune manière quelles seront les suites de sa maladie,

vous allez mettre la maison de ce tiers, de cet ami, sous la sur-

veillance de l'administration, et vous allez obliger un membre

de la famille, car c'est peut-être un membre de la famille ou

un ami intimement lié avec elle à faire la déclaration au pro-

cureur de la République qu'il a reçu une personne chez lui ? Et,

désormais, cette personne va être placée sous la surveillance de

l'administration ? Je répète que c'est excessif. Vous portez là une

atteinte et une atteinte grave aux droits de la famille, aux droits

du père de famille.

Ah ! je comprends que vous interveniez efficacement lorsque

cette maladie s'est traduite par des faits qui ne laissent aucun

doute sur sa gravité; alors il y a un fait extérieur qu'on peut

saisir, qu'on peut comprendre et qui peut servir de base à une

disposition législative. Mais tant que ce fait n'est pas apparu,

tant qu'on n'est pas certain du progrès de la maladie, je dis que

l'administration ne peut pas intervenir sans porter une atteinte

grave aux droits de la famille. Que se passe-t-il, en effet, jour-

nellement ?

Ce malin, j'ai reçu un rapport sur le projet de réforme relatif

448 SÉNAT.

à la législation sur les aliénés. Ce rapport est l'oeuvre de M. le

docteur Blanche, et j'avoue que j'y ai trouvé des vérités saisis-

santes en ce qui concerne la possibilité pour la famille de confier

momentanément à un de ses membres ou à un ami une per-

sonne que l'on croit malade, mais sur la gravité de la maladie

de laquelle on n'est pas édifié.

Voici, en effet, ce que je lis dans ce rapport : « En matière de

maladies, il est permis de se dire, pour se justifier, qu'il manque

un élément de certitude mathématique, que les cas les plus ana-

logues ne sont jamais complètement identiques, que les effets du

mal ne seraient peut-être pas dans celui-ci ce qu'ils ont été ou ce

qu'ils pourraient être dans celui-là, et la conscience finit par s'ac-

corder avec les sentiments. Ces angoisses pour l'avenir d'un être

chéri dominent même le chagrin de la maladie présente; la

maladie, on va la soigner, on la guérira, qui en pourrait douter ?

Mais plus tard, si on savait ! Alors on loue un pavillon dans un

jardin, le médecin est prêt, on se procure des gardiens, le malade

est installé, et quand la crise est passée, sans laisser de traces, il

rentrera intact dans la vie ordinaire. C'est ainsi que les choses

ont lieu maintenant. »

Je disque tant que la maladie ne s'est pas traduite par un fait

extérieur qu'on peut saisir, cette personne malade ne tombe pas

sous la surveillance de l'administration, et doit rester dans le

domaine de la famille.

Aussi, lorsque je me suis reporté à toutes les législations étran-

gères citées dans le rapport de l'honorable M. Roussel rapport

extrêmement remarquable et qu'on ne peut lire sans porter im-

médiatement le plus grand intérêt à cette question, sans être

saisi par le sujet quand je me suis reporté à ce rapport, j'ai

vu que toutes les législations étrangères que l'on visait condam-

naient absolument le système de la commission. Je prends pour

exemple la législation belge. Elle date de 1874. Comme vous

voyez, elle n'est pas ancienne. Que dit-on dans cette législa-

tion ? ,

« Nulle personne ne peut être séquestrée dans son domicile ou

celui de ses parents ou des personnes qui en tiennent lieu, si

l'état d'aliénation mentale n'est pas constaté par deux médecins

désignés, l'un par la famille ou les personnes intéressées, l'autre

par le juge de paix du canton, qui s'assurera par lui-même de

l'état du malade et renouvellera ses visites au moins une fois par

trimestre. »

C'est le fait de la séquestration que le législateur atteint. De

même, en ce qui concerne une autre législation qui est égale-

ment citée dans le rapport car tous les documents que je fais

passer sous les yeux du Sénat, je les puise dans le rapport même

de M. Roussel, la loi de Norvège contient la disposition sui-

SÉNAT. 4t9

vante : « Nul ne peut être détenu comme aliéné dans son domi-

cile, chez des parents ou des étrangers, ou être gardé à vue, sans

qu'avis en ait été donné, aussitôt que possible, au pasteur ou à

un médecin, lequel devient dès lors responsable de l'exécution de

la loi et doit adresser un rapport au département de l'intérieur.»

Ainsi, c'est le fait de séquestration que l'on retient, que l'on

réglemente et sur lequel on légifère. Mais lorsqu'il n'est pas

nécessaire de séquestrer, lorsque le malade que l'on qualifie

d'aliéné ne menace pas la sécurité publique; qu'il n'est, au sein

de la famille, l'objet d'aucune préoccupation de ce côté; lorsqu'il

n'est offensif pour personne, comment voulez-vous que le législa-

teur intervienne au mépris du droit de la famille ? (Très bien ! )

Abordons maintenant le texte proposé par la commission. Je

vais le mettre sous les yeux du Sénat, et en même temps je vais

indiquer la modification qui, à mon sens, doit y être apportée.

Cette modification consiste uniquement dans l'indication que

nous trouvons dans l'article 7 du projet de la commission lorsqu'il

s'agit d'apprécier les pouvoirs de la famille. A cette rédaction de

la commission venant dire d'une manière absolue : a Est assi-

milée, sous le rapport de la surveillance, aux asiles privés toute

maison où un aliéné est traité même seul, à moins, » etc..., je

proposerai au Sénat de substituer le texte suivant : « Est assi-

milée, sous le rapport de la surveillance, aux asiles privés toute

maison où- un aliéné est traité avec nécessité de le tenir en-

fermé. »

C'est cette nécessité de le tenir enfermé qui sera le fait qui

justifiera l'intervention du législateur. Mais s'il n'est pas néces-

saire de le tenir enfermé, pourquoi voulez-vous intervenir ? Ah !

je comprends que, dans certains cas, l'autorité publique puisse

intervenir. C'est ce que le projet fait dans l'article 29. Il spécifie

les circonstances dans lesquelles cette intervention peut se mani-

fester, et il exige des faits extérieurs. Voici ce que le projet dit :

« Art. 29. A Paris, le préfet de police, et dans les départe-

ments les préfets, ordonnent d'office le placement dans un éta-

blissement d'aliénés de toute personne, interdite ou non interdite,

dont l'état d'aliénation, dûment constaté par un certificat mé-

dical, compromettrait la sécurité, la décence ou la tranquillité

publiques, ou sa propre sécurité. »

Je comprends parfaitement l'intervention du préfet en pareille

circonstance; mais tant que ces faits qui peuvent légitimer l'in-

tervention de l'autorité préfectorale ne se sont pas manifestés,

tant que tout s'est passé dans l'intérieur de la famille, qu'il n'y a

de menaces pour la sécurité de personne, qu'il n'y a pas de

menaces pour la sécurité de l'aliéné lui-même, qui peut être

malade mais qui peut être traité sans bruit au sein de sa famille

ou chez un ami,je ne comprends pas l'intervention du législateur.

Archives, t. XIII. 29

450 SÉNAT.

Voilà la restriction que j'apporte à la rédaction de la commis-

sion. à savoir qu'il faut ajouter au premier paragraphe : « Est

assimilée, sous le rapport de la surveillance, aux asiles privés

toute maison où un aliéné est traité » les mots : « avec nécessité

de le tenir enfermé.» C'est cette restriction que nous trouvons

dans l'article 8 qui limiterait les droits de la famille, et c'est

parce que j'admets cette restriction dans l'article 8 que je pro-

pose un paragiaphe additionnel à l'article 7, dans lequel je ré-

serverais d'une manière générale les droits de la famille.

un aliéné est traité dans une maison avec nécessité de le tenir

enfermé, « ces dispositions ne sont pas applicables à l'aliéné

soigné soit dans son domicile, soit dans celui de son tuteur ou de

ses parents jusqu'au huitième degré. » Comme vous le voyez,

j'ai limité les parents qui peuvent recevoir l'aliéné.

M. TESTELIN. Les parents sont, la plupart du temps, les en-

nemis.

M. Roca-hi4nvmsE. Messieurs, lorsqu'on légifère, est-ce qu'on

peut prendre pour point de départ d'un projet de loi quelconque

un esprit de défiance contre la famille ? ... Mais alors, renversez

complètement notre législation, refondez toutes les dispositions

qui se trouvent au titre du code civil sur la famille; dites qu'il

ne faut pas en tenir compte ! Il y a là, messieurs, des droits in-

contestables attachés à la puissance paternelle, à l'intervention

de la famille dans la composition du conseil de famille, et dans

les mesures à prendre pour sauvegarder les droits des personnes

qui en font partie.

Je dis que nous devons respecter ces principes fondamentaux

de la famille et que tant qu'ils resteront la base de notre organi-

sation civile nous devons les refléter dans toutes les lois dont est

saisi le Parlement. C'est pour cela que je demande au Sénat de

vouloir bien renvoyer mon amendement à la commission. (Très

bien) très bien ! sur divers bancs.)

M. DE Marcère. Je demande la parole. (M. de Marcère se dirige

vers la tribune.)

M. LE PRÉSIDENT. Non, permettez, M. Lacombe était inscrit avant

vous.

M. de Marcère. C'est une simple question que je veux adresser

à la commission.

M. LE Président. Vous avez la parole.

M. de Marcère. Messieurs, les observations qui viennent d'être

développées à la tribune par notre honorable collègue avaient

frappé, je crois, beaucoup d'esprits dans le Sénat et je dirai le

mien en particulier. La disposition qui en ce moment-ci est sou-

SÉNAT. 451

mise à la discussion a pour effet de placer la famille sous la sur-

veillance de l'administration quand elle a un aliéné chez elle. On

dit : c'est une atteinte portée à la liberté de la famille, il faut des

cas graves, des raisons sérieuses pour qu'on puisse porter une

telle atteinte à l'inviolabilité du domicile privé. Ce scrupule est

fondé. C'est mon opinion. Mais je crois, étant donnée la compo-

sition de la commission, connaissant surtout la science et la

grande compétence de son rapporteur, que la commission est en

mesure de donner au Sénat des justifications très sérieuses de

cette disposition du projet qu'on peut au premier abord consi-

dérer comme une mesure exorbitante.

M. LE Rapporteur. C'est le Gouvernement qui l'a introduite.

M. de MARCÈRE. Il s'agit donc de justifier cette mesure exorbi-

tante qui consiste à soumettre la famille au contrôle, à la sur-

veillance de l'administration lorsqu'elle a chez elle un de ses

membres qui est frappé d'aliénation mentale. Il est facile de faire

cette justification, en signalant les abus graves, les faits considé-

rables qui ont appelé l'attention du Gouvernement et de la com-

mission et qui leur ont suggéré le projet en discussion. Je pense

qu'ils existent; je crois que, en effet, cette mesure peut être jus-

tifiée par des faits.

Je demande à la commission de vouloir bien nous les faire

connaître ; je demande à la commission et à son honorable rap-

porteur de vouloir bien nous indiquer quels sont les genres d'abus

qu'elle a constatés dans les longues recherches qu'elle a faites,

quels sont les faits qui ont frappé la commission et qui justifient

la mesure qu'on demande au Sénat. Je suis convaincu que cette

justification peut se faire; mais il est bon pour rassurer la cons-

cience d'un grand nombre de nos collègues et la mienne que

cette justification soit apportée à cette tribune. Je demande à

M. le rapporteur quels sont, je le répète, les faits et les circons-

tances graves qu'il a constatés et qui justifient la mesure qu'il

propose. (Très bien ! sur divers bancs.)

M. LE Président. La parole est à M. le rapporteur.

M. LE Rapporteur. Je crois, messieurs, que sur le fond même

de l'article 7, pour la défense du principe de cet article et de ses

dispositions essentielles, c'est au Gouvernement qu'il appartient

de répondre à M. Roger-Marvaise. La lecture que j'ai donnée tout

à l'heure de cet article a montré que c'est au Gouvernement que

revient l'honneur d'avoir voulu introduire dans la loi nouvelle

le principe de la surveillance protectrice de l'aliéné dans les

domiciles privés. Je me borne à rappeler que la commission,

s'associant avec conviction à la pensée du Gouvernement, s'est

attachée à assurer dans la pratique l'efficacité de la surveillance

et du contrôle dont le principe avait été posé par le Gouverne-

452 2 SÉNAT.

ment. Je me bornerai donc à répondre à la question qui m'a été

directement adressée par l'honorable M. de Marcère.

Notre honorable collègue a dit qu'il supposait que la commis-

sion avait eu des raisons graves, puisées dans l'étude des faits,

pour admettre et proposer au Sénat les dispositions de l'article 7

qui sont en ce moment en discussion. Eh bien, je lui répondrai

sans hésitation : Oui, nous appuyons nos propositions sur l'étude

des faits, non seulement des faits que tout le monde peut con-

naître comme nous, mais encore de ceux qui n'ont pu être bien

observés que par les hommes qui ont voué leur vie à l'étude de

l'aliénation mentale et du sort des aliénés.

Que le Sénat me permette de le dire : Combien, dans cette

Assemblée qui compte tant d'hommes d'une expérience con-

sommée, pourrions-nous compter de personnes qui aient pu ac-

quérir une expérience personnelle et directe en matière d'aliéna-

tion mentale ? Et puisqu'on a porté à cette tribune la question de

ce qu'il convient de faire au sujet de l'aliéné gardé et traité dans

sa famille, j'aime à croire qu'aucun de ceux qui m'entendent

n'aura à régler sa décision d'après ce que son expérience per-

sonnelle pourra lui suggérer. Mais voici, sans entrer dans des

énumérations de faits qui ne sauraient avoir ici leur place, le

résultat indiscutable de l'expérience de tous, l'objet d'une étude

longue et approfondie.

Cette expérience, faite en tout temps, dans tous les pays,

apprend d'abord que l'on ne peut pas appliquer à l'aliénation

mentale les raisonnements que M. Roger-Marvaise a apportés à

cette tribune. Ce qu'il a dit du sanctuaire de la famille, du droit

pour elle de garder dans son sein, à l'abri de toute surveillance

étrangère, un de ses membres atteint de maladie, est une incon-

testable vérité pour toutes les maladies, pour tous les cas, un seul

excepté, celui de l'aliénation mentale. C'est une triste exception,

mais elle impose à l'autorité publique d'abord et à la famille elle-

même des obligations dont il faut bien reconnaître l'impérieuse

nécessité, dans le double intérêt de l'aliéné et de la société.

Je puis tout d'abord signaler ce premier résultat de l'expé-

rience, à savoir que, tandis que les souffrances des malades

ordinaires ravivent en quelque sorte la tendresse de leurs proches

parents qui les soignent, l'effet le plus ordinaire de l'aliénation

mentale est de tendre à altérer les sentiments naturels dont ils

sont l'objet dans leur famille. Si l'aliéné est en proie à un délire

violent, il devient un objet de craintes continuelles et souvent de

terreur; s'il est triste, affaibli, en proie à une monomanie de

persécution ou à des hallucinations, ses parents, au contraire,

pèsent incessamment sur lui, et au lieu de le placer dans des

conditions favorables à la guénson. le fatiguent et l'exaltent par

leurs inutiles efforts de raisonnement.

SÉNAT. 453

Dans tous les cas, au bout d'un certain temps, cet être tendre-

ment chéri d'abord devient une charge, une gêne, et de nouvelles

dispositions de coeur et d'esprit finissent par remplacer la ten-

dresse première. Les calculs intéressés s'y mêlent trop souvent,

et c'est ainsi que le séjour de l'aliéné dans la famille, funeste

à l'aliéné parce qu'il est presque toujours contraire à son traite-

ment, est fâcheux pour la famille' elle-même, parce qu'il trompe

ses espérances affectueuses et aussi parce qu'il tend et qu'il arrive

trop souvent à dénaturer ses sentiments.

Ce que je viens de dire, messieurs, c'est le résumé très impar-

fait des leçons de l'expérience. Il n'y a pas de traitement de

l'aliénation dans la famille; les efforts soutenus pour la main-

tenir dans ce milieu où elle est née sont une des causes impor-

tantes de son incurabilité. La première condition pour secourir

efficacement l'aliéné, c'est cet isolement médical, qui ne consiste

pas, comme le sens grammatical de ce mot pourrait le faire

croire, à placer un aliéné dans la solitude, dans des conditions

particulières de réclusion, mais à changer son milieu d'existence,

à éloigner de lui les conditions dans lesquelles son mal l'a atteint,

à l'entourer de conditions nouvelles.

J'ai dit ce qui advient de l'aliéné riche ou du moins aisé lors-

qu'il est maintenu par les siens dans les conditions de la vie de

famille. Je n'ai pas besoin d'ajouter combien est plus triste en-

core, plus malheureux, plus sûrement voué à l'incurabilité, sinon

aux sévices de la séquestration arbitraire, l'aliéné appartenant

aux familles les moins favorisées parla fortune. Pour tous, le vrai

refuge c'est l'asile, l'asile tel que la science et l'assistance contem-

poraines l'ont constitué; c'est là que ce malade de l'esprit trouve

le seul régime qui lui convienne et puisse l'amener à la guérison.

Telles sont les raisons, les raisons tirées des faits, comme le

demandait M. de Marcère, qui, indépendamment de celles que le

Gouvernement et la commission ont apportées à l'appui de

l'article, ont fortifié les tendances restrictives que l'on reproche à

celle-ci à l'égard des droits de la famille à maintenir les aliénés

dans son sein, en dehors de tout contrôle de l'autorité publique.

La commission est convaincue au contraire qu'il est bon, non

seulement pour l'aliéné, mais pour la famille elle-même, que l'oeil

de l'autorité publique pénètre dans ce sanctuaire, puisqu'on s'at-

tache à ce mot, dont le sens est pour nous aussi un objet de res-

pect, qu'il y pénètre dans la mesure et avec les ménagements

que la commission a la conviction d'avoir gardés dans la rédac-

tion des articles 7 et 8, qui sont en effet, comme on l'a dit, étroi-

tement connexes.

Je crois, messieurs, avoir suffisamment répondu à la question

que m'a posée M. de Marcère. Je n'entrerai pas plus avant dans

la discussion du fond de l'article 7; car, comme je l'ai dit en

454 SÉNAT.

commençant, cet article sera défendu avec plus d'autorité que je

ne saurais en avoir par le Gouvernement qui l'a introduit dans

le projet de loi. (Très bien ! à gauche et sur divers bancs.)

M. LE Président. La parole est à M. le commissaire du Gou-

vernement.

.M. GAZELLES, commissaire du Gouvernement. Messieurs, pour

répondre aux préoccupations de l'honorable M. Roger-Marvaise,

qui ne se trouve pas satisfait des modifications que la commission

a introduites dans la rédaction de l'article 7, modifications que le

Gouvernement a acceptées, renonçant lui-même au texte qu'il

avait proposé, je dois faire remarquer que ce que le Gouvernement

a cherché à éviter et ce qu'il trouve possible d'éviter grâce à la

rédaction de l'article 7, c'est justement la séquestration.

Voix a gauche. C'est cela ! C'est évident !

M. LE commissaire du Gouvernement. C'est la séquestration que

le Gouvernement a voulu viser. (Très bien ! Très bien ! à gauche.)

Lorsque la pensée du Gouvernement s'est reportée sur la loi

de 1838 et qu'il a assumé l'obligation de la réformer, il n'a pas dû

se préoccuper des écarts ou des abus qui auraient puêtre commis

par les placements faits d'office ou par les placements volontaires

faits dans les maisons d'aliénés publiques. Ce n'est pas là qu'on

a remarqué ces actes de séquestration violente et souventsauvage

qui ont ému l'opinion publique non pas au moment où ils se sont

produits, mais bien longtemps après qu'ils se sont produits et

alors que le mal résultant de la séquestration était complètement

opéré. Nous ne demandons pas de pénétrer dans le sein des

familles au début même du mal, et nous comprenons très bien

le sentiment de pitié dontt'honorableM.Roger-Marvaise se faisait

l'organe il n'y a qu'un instant; nous comprenons parfaitement

les paroles, la citation éloquente qu'il a empruntée à M. le doc-

teur Blanche.

Nous savons que les familles riches peuvent aisément entourer

de toute espèce de soins, dans les conditions les meilleures, les

aliénes qu'elles veulent garder auprès d'elles. On nous a parlé

de ce pavillon construit dans un parc afin de ne pas éloigner l'a-

liéné de la surveillance même du proche parent ; mais nous n'a-

vons pas affaire exclusivement à des familles opulentes; nous

avons affaire, malheureusement, et en très grand nombre, à des

familles pauvres ou voisines même de l'indigence, et nous savons

que dans ces familles il n'y a pas moyen de donner aux aliénés

des soins suffisants. Nous voyons la plupart du temps ces aliénés

parqués dans un coin abject de la maison ; quelquefois même on

déménage un animal domestique pour loger l'aliéné dans une

place où il ne peut se coucher ni se tenir debout. 11 y eu mal-

heureusement des exemples caractérisés de ce que je viens de dire.

SÉNAT. 455

Ce que nous demandons, ce n'est pas de pénétrer dès les pre-

miers mois dans le sein des familles pour imposer lessoinsqu'on

ne réclame pas. On laisse un délai. On suppose que pendant un

délai de trois mois les soins de la famille n'ont pas pu rendre

la santé à l'aliéné séquestré et soigné. Là, au bout de ces trois

mois, nous arrivons ainsi à la rédaction de l'article 8, qui se

lie intimement à l'article 7 et à l'article 8 du projet du Gouver-

nement et de la commission. Si, au bout de ce délai, il n'est

pas possible de ramener l'aliéné à la santé, si rien ne justifie plus

la séquestration, si elle ne se trouve justifiée par ce fait, que l'a-

liéné se trouve renfermé dans la maison de la famille ou dans celle

d'un ami de la famille, quelle objection à faire à la séquestration

d'un aliéné dans un asile privé ou public ?

Qui est-ce qui place l'aliéné dans un asile public ? En cas d'ur-

gence et de danger public, c'est l'autorité; et, sur ce point, il n'y a

d'opposition de fapartdepersonne dansfe Sénat. Lorsqu'il y apla-

cement volontaire, c'est-à-dire sur la demande de la famille, le

doute peut se présenter. Quand une famille ne peut garder, loger

et faire soigner chez elle un aliéné, pourquoi lui imposerions-

nous, dans le cas où elle l'introduit dans un hospice ou dans

un établissement public ou privé, l'obligation exceptionnelle, celle

de la surveillance, dont nous dispensons celles qui garderont l'a-

liéné chez elles ? Evidemment, la raison de cette distinction ne

s'aperçoit pas.

Je ne puis, messieurs, reconnaître la légitimité de l'objection

qui porte sur la distinction qui est faite en faveur de la famille.

Nous ne portons aucune espèce d'atteinte aux droits delà famille;

nous lui laissons, pendant trois mois, le droit de soigner, comme

elle le veut et aussi bien qu'elle le peut, le malade qu'elle a mal-

heureusement à soigner...

M. LE marquis DE Carné. C'est de l'article 8 que vous parlez !

M. GAZELLES. Oui, mais l'article 8 se lie intimement à l'article 7.

Nous ne demandons rien dans l'article 7.

M. LE marquis DE Carné. Si ! vous demandez une déclaration au

bout d'un mois !

M. LE Ministre DE l'intérieur. Pas aux parents rapprochés !

M. LE commissaire du Gouvernement. Non, pas aux parents rap-

prochés. Nous ne demandons de déclaration qu'aux parents éloi-

; : nés, auxquels nous ne donnons pas, dans l'article 8, le droit de

soigner leurs aliénés.

M. Rogek-Marvaise. Je demande la parole.

LE commissaire du GOUVERNEMENT. Dans l'article 7 nous

demandons, dis-je, la déclaration des parents auxquels nous ne

donnons pas le droit de soigner. Nous demandons dans l'article 8

que la déclaration soit faite au procureur de la Republique de l'ar-

1 rJô SÉNAT.

rondissement, lequel n'a pas la possibilité d'aller s'assurer de

l'état du malade, mais qui peut seulement, en s'inspirant des

conditions du cas, examiner, d'après le rapport qui lui est fait,

s'il se trouve en présence d'une famille qui peut soigner et qui

veut le faire, ou bien s'il se trouve, au contraire, en présence

d'un de ces cas douteux qui appellent particulièrement l'attention

du Gouvernement. Voilà les motifs pour lesquels le Gouvernement

avait introduit cette disposition dans un article dont je n'ai pas

ici le numéro, mais qui apris une nouvelle forme dans les articles

7 et 8 qui vous sont soumis. '

M. LE Rapporteur. Ce sont les articles 3 et 10 du Gouvernement.

L'article 10 0 disait : « Nul ne peut créer ni diriger un établissement

privé sans l'autorisation du Gouvernement et sans avoir déposé

un cautionnement. »

Le paragraphe 2 de l'article 3 disait : « Est assimilée, sous le

rapport de la surveillance, aux asiles privés toute maison où un

aliéné est traité, même seul, à moins que le tuteur, le conjoint,

l'un des ascendants, ou l'un des descendants, le frère ou la soeur

du malade, n'ait son domicile dans la même maison et ne préside

personnellement aux soins qui lui sont donnés.

« Nul ne peut soigner un aliéné dans les conditions prévues au

paragraphe précédent sans qu'il en ait fait la déclaration, dans

le délai d'un mois à partir de la mise en traitement de la per-

sonne malade, au maire de la commune. »

C'était au maire de la commune que, primitivement, le Gouver-

nement voulait que l'autorisation fut demandée. La commission

a réuni ces deux dispositions en un seul article.

M. LE commissaire DU Gouvernement. Il résulte de cette lecture

que la pensée du Gouvernement a été de prendre une sauvegarde

contre les séquestrations faites parles familles. Maintenant, faut-il

ajouter que la pensée du Gouvernement s'est portée aussi sur l'aliéné

lui-même ? 11 n'a pas été seulement question de sauvegarder sa

liberté, mais de songer à sa santé.

Lorsqu'on examine les statistiques de guérisons des aliénés, on

reconnaît très vite que ceux qui sont soumis à un traitement dans

les premiers temps de l'aliénation guérissent dans une très forte

proportion ; tandis que ceux qui sont laissés à domicile - et ce

sera le cas, justement, des aliénés dans les familles pauvres, -

ceux qui restent sans traitement utile, ceux-là n'ont plus aucune

espèce de chance de guérir. C'est donc dans l'intérêt du malade,

de sa santé et de sa liberté, que le Gouvernement a proposé l'ar-

ticle que la commission a modifié, mais dont il accepte la rédac-

tion nouvelle. (Approbation sur plusieurs bancs.) (A suivre.)

BIBLIOGRAPHIE

XVIII. Le magnétismeanimal; par Bt^ter et Ca. FGRÉ.In-8°. Paris, 4 88 î.

F. Alcan, éditeur. (Bibliothèque scientifique internationale.)

Bien que l'éminent chef de l'Ecole de la Salpêtrière ait fait

entrer dans une voie scientifique ce que les profanes décorent du

titre de magnétisme animal, les racontars les plus étranges ont

été dits et publiés même par les esprits les mieux doués. Ou a ob-

servé ou cru observer des phénomènes rappelant les merveilles du

temps de Mesmer, si bien qu'il est à craindre qu'on n'assiste sous

peu à la formation de deux courants d'idées : l'un rappelant la

secte des spirites ou croyants, l'autre niant à outrance jusqu'aux

faits les plus strictement établis. C'est que bien des personnes,

j'entends de celles qui, sans être spécialisées, aiment à péné-

trer aussi à fond que possible les progrès de la science, connais-

sent des intégralités, la méthode de déterminisme rigoureusement

suivie par M. le professeur Charcot et que même, parmi les sa-

vants, il en est qui ne s'astreignent peut-être pas autant qu'il le

faudrait à l'examen et à l'expérimentation méthodiques des faits

spontanés ou provoqués dans un cadre de conditions bien pré-

cises. Il convenait donc de mettre à la portée de chacun les no-

tions possédant un caractère d'authentique véracité, des conditions

nettement définies, démontrer quelles sont ces conditions, quels

sont dans ces conditions, les phénomènes objectifs invariablesque

l'on obtient et à quels signes physiques on les reconnaît. Etablir

la norme matérielle du magnétisme animal et la vulgariser, telle

est la tâche que se sont imposée MAI. Binet et Féré, en se bornant

à décrire ce qu'ils ont vu sans prétendre àia généralisation. Après

un court historique parlant de Mesmer, de l'Académie des sciences

en 1784, de Puységur, et passant par l'Académie de médecine en

1825 et 1837, le baron du Potet (miroir magique), l'Inquisition

(1856), le cumberlaudisme (suggestion mentale), pour aboutir au

braidisme les auteurs arrivent à la période moderne de l'hypizo-

tisme. c Bref, disent-ils, la méthode qui a renouvelé) hypnotisme se

résume avec ces mots : production de symptômes matériels don-

nant en quelque sorte une démonstration anatomique de la réa-

lité d'un état particulier du système nerveux. Un siècle de diva-

458 bibliographie.

gâtions insensées et de discussions stériles s'est passé avant qu'on

en vint là... Quelles que soient les objections qu'on ait pu faire et

la description qu'il a donnée des différents états connus sous le

nom d'hypnotisme, il est certain qu'en appliquant la méthode

nosographique à cette étude, f. Charcot a permis de faire entrer

dans le domaine des sciences d'observation des phénomènes rf-

gardés comme à peu près inaccessibles. ni. Charcot a donc réha-

bilité l'hypnotisme et lui a fait faire une rentrée triomphale à

l'Académie des sciences (1882). »

De cette citation, l'esprit du livre qui nous occupe ressort en

pleine lumière. Il faut lire l'exposé de la technique et la descrip-

tion de ce qui est acquis, perceptible à tous et partant accessible à

la reproduction expérimentale au diagnostic analytique des pre-

miers venus. Le merveilleux s'évanouit. Ce n'est pas tout. Les

expérimentateurs du présent et de l'avenir devront s'appliquer s'ils

veulent trouver et asseoir leurs découvertes sur un terrain stable

qui défie le temps : 10 à préciser toutes les conditions dans les-

quelles ils se mettent vis-à-vis des sujets en expérience, dans

lesquelles ces derniers se trouvent ou sont placés ; 2° à dégager

les signes physiques des manifestations les moins matérielles en

apparence. Les pages comprises dans les ch. m-xm consti-

tuent pour tout le monde un catéchisme spécial précieux. On

y rencontre en effet décrits : les procédés de l'hypnotisation,

les symptômes de l'hypnose, les périodes hypnotiques,

l'hypnose fruste, - la théorie de la suggestion, les hallucina-

tions hypnotiques, les mouvements et actes suggérés, lespa-

ralysies par suggestion, delà sensibilité et de la mobilité, les

applications thérapeutiques et pédagogiques de l'hypnotisme z

l'hypnotisme dans ses rapports avec la responsabilité.

En un mot, le magnétisme animal de Binet et Féré, écrit dans

l'atmosphère de la Salpêtrière, est le compendium du curieux

dans le sens élevé de ce mot, eu même temps que par ses linéa-

ments généraux, il devient le vade-mecum du chercheur, sou-

cieux d'éviter un domaine mouvant, nébuleux, et des régions que

nous n'atteindrons qu'en procédant par étapes, sagement éche-

lonnées, en procédant du simple au composé, en nous gardant

surtout de mélanger les faits, les observations les plus disparates.

P. KÉRÀVAL.

XIX. La moelle épinière des aliénés; par le Dl R.-S. Steward.

Th. de doct., Glasgow, 4886, Maedongati, éditeur.

Les lésions de la moelle épinière chez les aliénés sont encore

peu connues. Il y a donc là un vaste terrain à explorer. Le mé-

moire du Dr Steward repose sur vingt observations et autopsies

BIBLIOGRAPHIE. 459

d'aliénés comprenant cinq cas de paralysie générale, six de dé-

mence, quatre de mélancolie, quatre d'idiotie avec epilepsie et un

d'idiotie simple.

L'auteur a trouvé des lésions sur toutes les moelles qu'il a exa-

minées. A l'examen microscopique il a noté la vascularisation

très grande des membranes et de la substance grise, des points

de sclérose dans les cordons de substance blanche et des varia-

tions de la composition du liquide céphalo-rachidien. Dans un

cas, la dure-mère présentait une légère congestion, et de l'épais-

sissement dans un autre cas, mais ordinairement elle était peu al-

térée. Les autresmembranesétaient très congestionnées dansdouze

cas, surtout au niveau du renflement lombaire, et plutôt en arrière

qu'en avant, comme c'est la règle. Dans un cas on trouva de l'a-

némie de ces membranes, dans deux de la méningite suppurée,

enfin dans un dernier cas des plaques ostéoïdes. Le liquide

céphalo-rachidien, quatorze fois était en excès; deux fois, il con-

tenait des cristaux de cliolestérure; une fois il était sanguinolent.

L'examen microscopique a révélé des lésions symétriques des

cordons latéraux dans quatre cas de paralysie générale. Dans au-

cun cas les cordons antérieurs n'étaient altérés : une seule fois les

zones radiculaires externes des cordons postérieurs étaient affectés

et du reste on avait observé des symptômes d'ataxie pendant la

vie. Dans quatre cas, les cordons de Golf étaient plus ou moins

lésés. 0-ii-a constaté une fois l'atrophie portant sur presque toute

la moelle, comme le faisait supposer son poids; enfin, une autre

fois, outre les autres lésions la moelle présentait de la sclérose

généralisée.

L'auteur s'attache à montrer que dans tous les cas qu'il a exa-

minés, dans toutes les formes d'aliénation mentale que nous avons

énumérées, il a toujours trouvé quelque lésion de la moelle. Ces

lésions sont caractérisées par la congestion de la substance mé-

dullaire etsurtout par l'atrophie des cellules de la substance grise.

Cette atrophie cellulaire s'accompagne en outre de pigmentation.

C'est-l'atrophie pigmentaire qu'a décrite M. Charcot avec dégéné-

rescence granulo-graisseuse. La paralysie générale s'accompagne

de lésions constantes de la substance blanche, et les mêmes phé-

nomènes se présentent dans les autres formes d'aliénation men-

tale. Cette monographie intéressante estaccompagnée d'une quin-

zaine de figures représentant des coupes de moelle. A. RAOULT.

XX. Traitement de l'hydrocéphalie chronique par les injections

de liquide de Morton.

Le D Robert T. Morris rapporte un cas d'hydrocéphalie, qui

a bénéficié d'un traitement , consistant en des aspirations

460 BIBLIOGRAPHIE.

répétées et des injections iodées. L'affection datait de quatre mois

chez une petite fille de dix mois, lorsqu'il retira deux onces et

demie de liquide au niveau du côté gauche de la fontanelle anté-

rieure. Il répéta l'opération deux fois, à une semaine d'intervalle,

et injecta alors un demi-drachme de liquide de Morton. Le traite-

ment fut continué, avec quelques changements, pendant sept

semaines. L'amélioration était manifeste se caractérisant par

l'aspect de l'enfant et l'arrêt de l'hydropisie. Mais à vingt-deux

mois, l'enfant mourut subitement, avec des convulsions survenues

brusquement. (Médical Record, New-York, janvier, 1, 4 88 p. 22.)

A. R.

XXI. Goitres et médication Iodée interstitielle; par le Dl DuGUET.

Paris, 4886, Steinheil, éditeur.

Ce mémoire repose sur l'étude de trente-quatre observations

de goitre, dont vingt-neuf chez des femmes, et cinq chez des

hommes. Ces observations comprennent des goitres charnus et des

goitres kystiques. Ces derniers ne sont mentionnés que chez des

femmes, et encore sont-ils rares (six sur vingt-neuf). Parmi

tous ces goitres, les cas récents, charnus ou kystiques ont été

radicalement guéris par le procédé employé par M. Duguet, et

cela après sept injections et demie en moyenne pour les premiers,

et une et demie pour les seconds. Les cas de goitre anciens sont

au nombre de quinze; deux ont été complètement guéris, sept

améliorés, arrêtés dans leur développement, et six sont restés

avec un résultat incertain ou n'ont pas été suivis. L'âge des fem-

mes guéries est en moyenne de vingt-quatre ans pour celles ayant

des goitres charnus et de trente ans et demi pour celles at-

teintes de goitres kystiques.

M. Duguet fait remarquer l'extrême fréquence du goitre chez

la femme, son accroissement concordant avec les troubles du

côté de l'utérus. Il a noté l'hérédité et la présence de goitres chez

deux jeunes garçons israélites. De même que M. Luton, l'auteur

emploie la teinture d'iode du codex agissant, dit-il, par l'action

irritante de l'alcool, et l'action spécifique de l'iode. Il se sert

pour les injections de seringues de Pravaz en métal, ayant soin

de bien nettoyer seringue et aiguille après chaque injection et

de les conserver sans cesse dans de l'huile phéniquée. L'injection

est pratiquée de préférence au centre de la tumeur, en évitant

les vaisseaux ; on commence par enfoncer l'aiguille seule, len-

tement, dans le goitre maintenu immobilisé avec la main gauche.

S'il s'écoule du sang pur, signe de l'introduction de l'instrument

dans un vaisseau, on le retire, et on l'enfonce en un autre point.

Ou bien il s'écoule de la sérosité claire, ou un liquide brun, que l'on

aspire avec une seringue de Pravaz vide. Ces précautions prises,

BIBLIOGRAPHIE. 461 t

on pratique l'injection de teinture d'iode qui remplit la seringue,

eu pompant doucement, M. Duguet n'introduit la première fois

que les trois quarts de la seringue. Après l'injection, se manifeste

le plus souvent une réaction locale : tension, douleur au niveau

du goitre, avec irradiation dans la mâchoire, l'oreille, la gorge,

l'épaule. La tumeur devient chaude, et quelquefois s'ajoutent des

phénomènes généraux : fièvre, courbature, etc. Mais ces symp-

tômes durent peu, et le goitre au bout de quelques jours a di-

minué de volume. Les injections ne doivent pas être éloignées

entre elles de moins d'une semaine; ceci du reste dépend de la

durée des phénomènes inflammatoires.

Comment agit la teinture d'iode sur le goitre ? Luton donne

une grande part à l'absorption de l'iode; et actuellement il ne

pratique plus les injections dans la tumeur même, mais au voi-

sinage, sous la peau. Cette absorption est très manifeste; en effet

M. Duguet a vu des goitres dans le lobe gauche duquel il injec-

tait le liquide, se résoudre aussi vite du côté droit ; l'action n'est

donc pas purement locale. Toutefois, il a toujours pratiqué les

injections dans les tissus mêmes de la tumeur, admettant une

inflammation non suppurative due à la teinture d'iode, qui

produit la transformation fibreuse, et l'atrophie, et oblitère par

accolement des parois, la cavité des goitres kystiques. La tein-

ture d'iode, dit l'auteur, ne supprime pas la glande thyroïde

comme ré ferait l'exérèse totale. Elle ne produit donc pas l'état

crétinoïde, le myxmdème, comme à la suite de cette dernière

opération. La preuve qu'il reste des portions de glande non dé-

truites, c'est que la tumeur peut récidiver, et ces récidives gué-

rissent habituellement à la suite de nouvelles injections. M. Du-

guet signale un cas de récidive avec ectasies vasculaires dans

l'intérieur des tissus de la tumeur.

Les accidents locaux possibles des injections de teinture d'iode

sont : {'inflammation' que nous avons mentionnée, la suppuration

et l'injection dans les vaisseaux sanguins, que l'auteur n'a pas eu

à constater. Les accidents généraux sont : la fièvre iodique, l'a-

inaigi-isseiiient très rare, les accidents hystériques.

M. Duguet termine son travail par cette conclusion, c'est que

« quelque soient les résultats obtenus par les injections iodées, la

méthode demeure inoffensive et d'une efficacité merveilleuse,

quand elle est appliquée de bonne heure avec discernement et

prudence ». R.

XXII. Contribution tt l'étude clinique de la méningite tuberculeuse

à forme de delirium tremens ; par A. SonNAS. Thèse de Paris,

1887.

L'auteur montre que quelquefois chez l'adulte, la méningite

46-2 BIBLIOGRAPHIE.

tuberculeuse débute par des troubles psychiques qui sont on peut

dire idendiques à ceux du delirium tremens, et qui ne se distin-

guent que par leur coïncidence avec les symptômes ordinaires de

la méningite. Les observations rapportées sont pour la plupart

muettes au point de vue des antécédents ; dans deux cas pourtant

il s'agit de buveurs avérés. On peut se demander si ces accidents

rappelant le delirium tremens, ne constituent pas un véritable

delirium tremens, éveillé par la méningite chez des buveurs ha-

bituels. Cu. F.

XXIII. De l'anesthésié et de l'atrophie testiculuires dans l'ataxie loeo-

motrice progressive; par Rivière. Thèse de Bordeaux, 1886.

Ces symptômes avaient déjà été signalés par M. Pitres, dont les

observations constituent d'ailleurs le fond de ce travail. Mais

M. Rivière a eu le mérite de faire un exposé méthodique et clair

de la question. La perte de la sensibilité spéciale du testicule est

fréquente dans l'ataxie ; elle existait à un certain degré chez

seize malades sur vingt. L'atrophie du testicule, déjà observée

par M. Fourmer, coïncide quelquefois avec l'anesthésie. L'atrophie

et J'anesthésie du testicule ne sont pas en rapport constant avec

les troubles sensitifs ou trophiques de la peau, des bourses et du

pénis, ni avec l'abolition ou la diminution du réflexe testiculaire.

Elles paraissent plus intimement liées à l'impuissance. Leurs

causes sont encore incomplètement connues, cependant, elles

semblent d'origine névritique, tout comme les autres troubles

trophiques ce l'ataxie. CH. F.

XXIV. Contribution à l'étude des eschares chez les aliénés;

par FOISSACL. Thèse de Paris, t887.

Ce travail n'est qu'une étude critique sur les eschares envisagées

principalement chez les paralytiques généraux, et chez les dé-

ments. On y trouve (p. 19) un fait qui eût été intéressant s'il

avait été relaté avec quelques détails : Il s'agit d'un vieillard de

quatre-vingts ans, chez lequel, six heures après un traumatisme du

cerveau, on vit apparaître sur le dos de la main droite des bulles,

qui, le lendemain, formèrent, une ulcération du diamètre d'une

pièce de cinq francs. CH. F.

VARIA

UNE fête A l'asile DE VILLEJUIF. ·

L'usage de donner des fêles dans les quartiers d'hospices

réservés aux aliénés, dans les asiles d'aliénés proprement dits se

répand de plus en plus et c'est, croyons-nous, une sage coutume.

Dernièrement, c'était à l'asile de Villejuif que parents et amis

des malades étaient conviés. L'assistance était des plus nombreuses

et des plus choisies; citons parmi les assistants : M. Bourgeois,

directeur des affaires départementales au ministre de l'intérieur ;

M. Potier, vice-président de la commission de surveillance repré-

sentée également par MM. Bourneville et Davoust, membres de la

commission de surveillance; M. Germain-Casse, député, AI. Rous-

selle, président de la troisième commission et plusieurs membres

du conseil général. L'administration était représentée par

M. Roux, directeur des affaires départementales; M. Babut, chef

de division etM. Leclère, chef de bureau.

Après Its-diner, malades, fonctionnaires et invités se réunissaient

dans un vaste parloir transformé pour la circonstance en une salle

de spectacle où chacun put applaudir a Enabrassons-nous, rolleuille n,

une des meilleures comédies de Labiche, interprétée par les

malades seules de la division des femmes. Les succès a été complet.

Après la comédie la danse : un orchestre de vingt musiciens,

sous la direction du mari d'une des pensionnaires, s'est ensuite

transporté sur la scène, et les danses ont commencé. Le coup

d'oeil était charmant; les toilettes de bal, dont plusieurs du meil-

leur goût, étaient très réussies et nous savons plus d'une de nos

élégantes mondaines qui n'eussent point dédaigné de se produire

avec quelques-unes d'entre elles.

Les fêtes organisées exclusivement avec des malades offrent

plusieurs avantages; les préparatifs qu'elles entraînent sont pour

celles-ci un grand élément de distraction; la permission d'y

assister, qu'il faut avoir gagnée par le travail, ce grand agent

thérapeutique, est un puissant adjuvant du traitement; la confec-

tion des toilettes de bal, des costumes, l'étude des rôles occupent

les malades continuellement, car la fête terminée, elles songent à

en préparer une autre; enfin elles prouvent surabondamment au

public que les asiles d'aliénés ne sont pas des prisons et que,

grâce à la sollicitude éclairée du conseil général de la Seine et de

464 VARIA.

l'administration rien n'est épargné pour favoriser la guérison et

améliorer situation des malades.

, La lumière électrique dans LES asiles.

11 semble que l'électricité doive remplacer le gaz pour l'éclai-

rage des hôpitaux d'aliénés. L'expérience faite dans ce but au

nouvel asile de l'Etat de Michigan-Nord à Traverse-City est inté-

ressante et instructive. On s'est servi du matériel de l'Edison

Incandescent Light Company; il consiste dans l'emploi de deux

dynamos de 250 lampes et d'un de 100 lumières ; de deux ma-

chines Armington etSims de 12 chevaux, d'une machine Arming-

ton et Sims de 32 chevaux, de 629 supports à clef pour lampes,

et de 660 lampes de 4 bougies chacune. Le plan se divise en 3 sec-

tions ; deux d'entre elles sont desservies par les grosses machines,

la troisième par la plus petite. Cette installation est faite en pré-

vision de la possibilité d'un accident ou d'un arrêt d'un dynamo

ou d'une machine, l'hôpital ne pouvant être ainsi complètement

privé de lumière. La compagnie garantit pour les lampes une

durée moyenne de combustion de six cents heures au moins;

mais l'expérience a démontré une durée bien plus grande.

La dépense totale de l'établissement : bâtiment, dépendances,

et avenue, en comprenant les salaires de l'ingénieur et des

chauffeurs, les dépenses de réparation, d'huile, etc., a été de

4,276 livres 30. L'asile contient 500 malades. Le coût de la lumière

électrique dans ce cas est estimé à 75 cent. par mille pieds carrés.

Mais 59 lampes ont été remplacées; quelques-unes d'entre elles

ont été cassées accidentellement et il faut remarquer que, malgré

l'absence de protection des lampes, aucune n'a été brisée par les

malades.

L'expérience a montré le grand avantage de la lumière électri-

que sur le gaz. Les salles et les chambres sont bien éclairées, il

n'y a ni odeur, ni fuite de gaz, ni crainte d'explosion ou d'asphyxie,

ni chaleur, ni besoin d'allumettes ou de lampes, et par con-

séquent, aucun danger d'incendie. Les murs ne sont pas noircis

par la suie, enfin la lumière est bien moins dispendieuse. Il est

bon de noter, en outre, que son usage ne fatigue pas les yeux des

malades.

A l'Eastern Lunatic Asylum, à Williamsburg, Va., la Consolidated

Electric Light Company de New-York a fait une installation,

qui donne entière satisfaction après un essai de deux ans. Le

D lfoncure trouve la lumière agréable; il prévient les autorités

de l'asile de veiller à ce que l'eau ne touche pas les fils; dans

ce cas, l'installation d'un circuit peu étendu peut devenir dan-

gereuse. A cet asile, les (lis sont entourés de plomb, et au niveau

VARIA. 463

de chaque bâtiment, ils montent intérieurement dès l'entrée,

et le contact de l'eau de pluie est ainsi évité. Pour le D''Mon-

cure l'eau produit une action électrique, et agit comme un métal

conducteur, d'un fil à un autre, établissant ainsi une communica-

tion, qui, dans certaines circonstances, peut être cause d'un

incendie, comme cela est arrivé à Williamsburg il y a deux ans.

Au North Darota Hospitat pour les aliénés, le système Edison

est en usage, à titre d'essai, pour plusieurs mois. Les résultats ont

été si satisfaisants, que le De Archibald demande instamment

l'achat de l'installation par les Etats. Certainement l'institution

ne voudra pas reprendre la lampe primitive... et exposer la vie de

près de 200 personnes à un danger constant. Les administrateurs

de l'asile d'Utica (N. Y.) ont demandé à l'Etat l'établissement de

la lumière électrique. (American Journal of insamty. Utica, N.

York, janvier 87, p. 392). La question de l'éclairage électrique

des asiles de la Seine a été soulevée à la commission de surveil-

lance, qui a invité l'administration à lui présenter un avant-pro-

jet. Espérons que l'attente ne sera pas trop longue. R.

t

LE NOUVEL asile DE l'État NORD DE New-York.

Les membres de la commission se sont accordés dans leur rap-

port de décembre dernier à désigner Plattsburg dans le Clinton

County comme la situation la meilleure pour élever le nouvel

asile destiné aux comtés du nord-est de l'Etat. Deux membres de

la commission le Dr Wise et M. Letchwortth, ont proposé un em-

placement à l'est de la ville d'Ogdensburg, sur la rivière du

Saint-Laurent.

Ce rapport de la minorité est-il dû à une réflexion tardive ? : '

tous les membres de la commission ayant signé Je premier rap-

port. La question a été mûrement étudiée, avant d'en arriver à la

conclusion précitée. Le jugement du surintendant de l'Hudson

River hospital à Ponghkecpsie en faveur de l'emplacement de

Plattsburg a pesé sur la décision. S'il est possible de diviser

l'Etat par régions, eu égard à l'accroissement de la population

dans toute son étendue, on se rend compte par un coup d'oeil

que Plattsburg est mieux situé. Il est deux fois moins loin du

nord d'Albany, que Ponghkcepsie du sud de cette ville. Il est en

outre assez distant des autres asiles, ce qui ne serait pas le cas pour

Ogdensburg. Ce dernier n'est pas en rapport avec l'est du comté

de Jefferson mais se rapproche de ceux de Lewis et d'Oswego,

dont dépend naturellement l'asile d'Utica. Dans cet asile il y a

cinquante malades de ces trois comtés et leur nombre a été plus

élevé l'an dernier. Ils sont tous à une distance de cinq ou six

heures de leur domicile, et Ogdensburg en est distant d'une

Archives, t. XIII. 30

466 FAITS DIVERS.

demi-journée. Ces contrées ne seraient pas plus favorisés, tandis

que les malades de la partie est de l'Etat seraient obligés de faire

un voyage presque aussi pénible que dans l'état actuel. (American

journ. of insanity, janvier 4 887, p. 393.) - On voit que les

membres de la commission se préoccupent très vivement d'ins-

taller l'asile au centre des localités dont il doit recevoir les ma-

lades, c'est-à-dire de les assister le plus près possible de leur

domicile. A.R.

FAITS DIVERS

Asiles d'aliénés. Nominations. M. le Dr Boiteux, interne à

l'asile public de Maréville, est nommé adjoint à l'asile public de

Clermont (Oise) (arrêté du 35 mars 1887). M. le Dl GALLOPAIN,

directeur-médecin de l'asile public de la Charité (Nièvre), est nommé

aux mêmes fonctions à l'asile public de Pierrefeu (Var) (arrêté du

26 mars). M. le Dr 14fEILRAN, ancien interne à Braqueville

(Haute-Garonne) et à Saint-Luc (Hautes-Pyrénées), est nommé mé-

decin adjoint à Aix (2e classe) (arrêté du 26 mars). M. le Dr GAR-

NIER, médecin adjoint à Bailleul, est nommé directeur-médecin

à l'asile public de la Charité (Nièvre) (arrêté du 13 avril).

Société française DE TEMPÉRANCE. - Son bureau est composé

comme il suit pour l'année 1887 : président : M. le Dr DUIARDIN-

BEAUMET7, de l'Académie de médecine, médecin des hôpitaux :

vice-présidents : MM. CLAUDE (des Vosges), LEVASSEUR et WALTHER ;

secrétaire général : Dr A. Motet; secrétaires généraux adjoints :

MM. les D" DECAISNE et BOUCHEREAU, secrétaires des séances :

MM. les D" Charpentier et AuDiGE; bibliothécaire-archiviste :

Dr PRILBERT; trésorier : Jules Rosxris.

Concours POUR UNE place DE MÉDECIN aliéniste DES hôpitaux. z

L'épreuve écrite a eu lieu lundi dernier. Les candidats ont eu à

traiter la question écrite suivante : lobe frontal, anatomie et phy-

siologie. Les deux autres questions restées dans l'urne étaient :

pie-mère cérébrale, circulation cérébrale; quatrième ventri-

cule, anatomie et physiologie. Aux précédents concours les ques-

tions traitées ont été : Circonvolutions cérébrales (<879); Corps

strié (-1880); Pneumo-gaslrique (1884); Substance grise de

la moelle épinière (1886).

faits DIVERS. 467

Assistance des aliénés. Un triste drame s'est passé vendredi

à Colombier-le-Vieux (Ardèche). Un nommé Vercasson, dont les

facultés mentales étaient dérangées depuis deux ans, a tué d'un

coup de pistolet sa propre fille. Celle-ci était très estimée dans la

localité, où ce triste événement a causé une vive émotion. (Le

Temps, 28 mars 4887.)

BRAIN. - Le Brou ! , journal de neurologie, vient d'être chargé de

lapublication des travaux de la Neurological Society of Londoiz. La

rédaction en chef est confiée à notre ami le Dr A. de Watteville.

Monobromure DE camphre. D'après The Journal of insanity de

janvier 1887, le Dr H. M. Hurd, médecin en chef de l'asile de

l'état de Michigan à Pontiac, recommande le monobromure de

camphre comme un bon remède dans les cas de moyenne excita-

tion produite par des perversions de l'instinct sexuel, ou pro-

longée par des habitudes vicieuses. Nous rappellerons à ce

propos qu'il est bon de commencer par une petite dose, par

exemple une capsule de Ogr.20, matin et soir; d'augmenter

d'une capsule tous les cinq jours, par exemple, et d'aller jusqu'à

cinq capsules matin et soir; suspendre durant plusieurs jours,

recommencer et porter, s'il y a lieu, la dose à z capsules, etc. Il

va de soi que chez les enfants on doit employer des doses plus

faibles, répéter davantage les suspensions et toujours surveiller

très exactement les effets. ,

Asile DE FLATBUSH (Etats-Unis). Le Dr John A. ARNOLD (de

Brooklyn) vient d'être nommé superintendant médical de l'asile

d'aliénés de Flatbush.

L'uniforme DES INFIRMIÈRES. - Les infirmières de l'asile d'aliénés

de Buffalo viennent de recevoir un uniforme ; il se compose d'une

robe bleue ornée de blanc, boutonnée de la ceinture jusqu'au

cou, avec un col montant. Elles portent un long tablier blanc,

et un carré de mousseline bordé de dentelle formant bonnet. Les

hommes ont un vêtement de flanelle bleue, avec boutons dorés

aux armes du comté. Le Dl Macdonald, a donné aussi un uni-

forme à ses infirmières et en projette un pour les hommes. Les

infirmiers de Ward's Island ont un uniforme. Actuellement ce

mouvement semble s'étendre de plus en plus aux Etats-Unis.

(American Journ. of Insanity, janvier 1887.) A. R.

Asiles d'aliénés EN HOLLANDE.- Amsterdam (maison particulière

pour les aliénés Israélites), 200 malades. Blolmendaal (asile

de la province de Haarlem), 1,200 malades. Boekel (maison

Gadna pour catholiques, hommes), 150 malades. - Delft (hôpital

Saint-Jorris), 300 malades. Deventer, 300 malades. Dor-

drecht, 300 malades. Franeker, 230 malades. Ermelo (lied-

468 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

wyk), 40 malades. Hohleindain, 250 malades. Maestricht

(hôpital Calvarienber), 80 malades.Medenib)ick (établisse-

ment de l'Etat), 500 malades. Rosmalen (Condewaler), 500 ma-

lades. S'Grauenhage (La Haye), 150 malades; même

ville, asile pour les idiots mineurs, 70 malades. S'Merto-

genbasch (Bois-le-Duc), 650 malades. Utrecht, 325 malades.

Zutphen (province de Gueldre), 450 malades. Enfin il y a

un asile àvuelit (Voorburgj, dont nous ne connaissons pas la

population.

BFRBFZ (P.). Hystérie et traumatisme. (Paralysies, contractures,

artlzralgies hysléro-traumaliqzaes.) Volume in-8"del27 pages. -

Prix, 3 fr. 50; pour nos abonnés : 2 fr. 50. Bureaux du Progrès Me-

dical, 14, rue des Carmes.

Edikger (L.). Aufsâtze. Vergleichend-intwicklungs geschriehtliche

Sttediera im Beereich der Gehirn-Arantomie. Uber dié Verbindrtrag der

sensibeln Nerven mit dem Zwischerzhirn. Brochure in-8" de 9 pages et

5 figures. lena, 1887. Nertag G. Fischer.

FÉnÉ (Ch.). Sensation et mouvement. (Etudes expérimentales de psrl-

cho-niécanique.) Volume in-12 de 16t pages. Prix, 2 fr. 50. Paris, 1887.

Librairie F. Alcan.

Homen. Contribution expérimentale à la pathologie et à l'anatomie

pathologique de la moelle épinière. Thelung (est. 1885.

JENNIKGS (0.). Sur un nouveau mode de traitement de la nzo2,piiino-

manie. Brochure in-8-, de 30 pages avec 17 tracés. Prix, 1 fr. 50.

Paris, 1887. Librairie J. B. Baillière.

SENNA (M. DE). Relatoi-io de serviço medico e administralivo do ho;-

pital do Conde de Ferweira, relativo ao primeiro Gierartio (1883-1885).

Volume in-8° de 2G.ï pages avec planches hors texte. Porto, 1887.

Tipographia occidental.

Avis A nos lecteurs Nous appelons vivement F atten-

tion de nos lecteurs sur la discussion, au Sénat, de la

nouvelle LOI sur LES aliénés. En reproduisant ces débats,

nous croyons être agréable à tous les médecins des asiles

d'aliénés, de quelque nationalité qu'ils soient. De plus,

nous insérerons dans la mesure du possible, les lettres com-

mentant ou critiquant cette discussion qu'ils voudraient

bien nous adresser. Enfin, nous prions ceux d'entre eux

dont l'abo21îtemeiitvieîzt d'expirer avec cenumèiio, de bien

vouloir nous adresser le montant de leur réabonnement.

Le rcclacteur ? ranl, Ii0UIINCVILLE.

TABLE DES MATIÈRES

Acétophénone (De l'emploi de

l') - en aliénation mentale,

par lltairet et Combemalle, 1.

Aliénation mentale et mariage,

par Schuele, 96 ; et divor-

ce, par Cristoph 315; - (va-

leur des hémorrhoïdesen), par

Charpentier, 244.

Aliénés (Assistance des en

Russie), 312 : - (loi sur les),

135, 58, 439 ; - Séqueslra-

tion des criminels, par

Maeli, 4 : 8; - Statistique des

dans.la,cité de New-Vork,

1 15; - Statistique mternatio-

nale des -, par Gultstadt,

257.

Amblyopie hystérique (trait, de

l'), par Séglas, 245.

Anévrsimes des plus petits vais-

seaux de la moelle, par He-

bold, 237.

Asiles d'aliéuésetpolitique, 319;

Ecossais, Anglais, Fran-

çais, par Siemerling, 314;

nouvel du Morbihan, 172 ;

Affaire de Samt-Georges,

174; de Clermont, 4 ï5;

d'Utica, 175 ; en Russie,

344. - de Villejuif, 463; -

de L lattbuscli, 467; Hol-

landais, 467.

Asile pour les ivrognes, 173.

Atrophies (Sur quelques résul-

tats obtenus par la méthode

des - en ce qui concerne la

commissure postérieure), par

Spitzkti, 79.

Auditif (Origine du nerf), par

Forel, 79.

Bibliographie : Albuminuries

transitoires dans quelques ma-

ladies nerveuses, par Michel,

I 16 ; - Attentats à la pudeur

chez les petites filles, par Ber-

iiard, 119; - Bibliothèque an-

thropologique, par Tlmlié, Du-

val,Letourneau,etc.,301;-Eu-

céphale (iconographie et struc-

ture), par Gavoy, 4°0; -IIé-

matidrose et ses rapports avec

la menstruation, parulaugon,

118; hystérie chez les en-

fants, par Peugniez, li7 ;

Lèpre (traité de la), par Leloir,

300 ; Mal de Polt au début,

par Imberdts, 302 ; Alala-

dies du système nerveux, par

Charcot, 304 ;- Maladies épi-

démiques de l'esprit, par Re-

gnard, 307 ; Manuel pour

l'instruction des infirmiers des

hospices d'aliénés, 303 ;

Médecine légale (traité de ), ),

par Legrand du Saulle, 305 ;

Mégalomanie, par Nicou-

lau, 418 ; - Paralysie géné-

rale chez la femme rapports

de la avec certains trou-

bles de la menstruation, par

Petit, 303; Sensibilité cu-

tanée dans le rhumatisme ar-

ticulaire, par Barbillion, 302;

Saeur Jeanne des Anges,

par Légué et Gilles de la 1'ou-

le70 TABLE DES MATIÈRES.

rette, 305 ; Suicide dans le

délire de persécution, par

Meithou, 449. Magnétisme

animal, par Binet et Feré,

456. Goitres et médication

iodée, par Duguet. Etude

des escharres chez les aliénés,

parFoisard, 462. Anesthésie

et atrophie testiculaires dans

l'ataxie locomotrice, par Ri-

vière, 462. Méningite tuber-

culeuse et delirium tremens,

par Soruao, 461. La moelle

épinière des aliénés, par

Steward, 458.

Bromure de magnésium, 319.

Bulletins bibliographiques, ')75,

319, 468.

Champ visuel (Epreuve électro-

thérapeutique du), par Eu-

gelskjaeu, 40.

Chlocalisme chronique , par

Rehiii, '241.

Chorée spasmodique, par Rol-

ler, 238.

Concours des asiles de la Seine,

173; de Bicètre, 466.

Congrès des aliénistes allemands,

95-428 ; - (àes alienistes rtis-

ses à llloscou), 309.

Contagion nerveuse, par Kreu-

ser, 315.

Contracture hystérique des pau-

pières, par percy Yotter, · ? 5 ?

passagère professionnelle

des doigts de la main droite

chez une fleuriste, par Ozen-

ne, 214.

Convulsions chez un jeune en-

fant par obstruction intesti-

nale due à des matières lé-

cales, par Squires, 316.

Cordons postérieurs (complexus

symptomatiques tout parti-

culier dans un cas de lésion

des), par `i'estphal, 35; (con-

nexions desavecf'encépha-

le), par Flechsig, î8; - (par-

ties constituantes des-; étude

basée sur leur développement)

par Redilcrew, 7 si ; Trajet

des fibres des-danslamoelle

allongée et le pédoncule céré-

belleux inférieur, par Edin-

ger, 76.

Délire chronique, par Garnier,

89-250; par Falret, 243;-par

Briand, 424.

Enseignement des enfants pau-

vres qui bégayent et balbu-

tient, par Berkhan, 314.

Epilepsie (ablation des ovaires

comme traitement de 1'), par

Schramm, 319 ; procursive

par Bourneville et Bricon ,

3121 ; Température centrale

dans l', par Bourneville, 209.

Glande pinéale (tumeur de la),

par Poutoppidau, 233.

Hémorrhoïdes (valeur des -) en

aliénation mentale, par Char-

pentier, 244.

Hospices de Bicêtre et de la Sal-

pêtriére (mutation), 318.

Hydrocéphalie, 459.

Hystérie. Somnambulisme et vol

inconscient, par Garnier, 427.

Idiotie avec hypertrophie du

cerveau, parCulerre, 53.

Innervation collatérale de la

peau, par Jacobi, 82.

Interdiction (procédure pour 1'

- ou tutelle), par Jastrowitz,

255.

Inspection générale des éta-

blissernents de bienfaisance,

318.

Jeûne (Histoire admirable du

prodigieux d'Apollonie

Schreier), parpaullti, Lentu-

lus (trad. A. Rousselet), 121.

Localisations des fonctions dans

l'écorce cérébrale, par de

Gudden, 105.

Loi sur les aliénés, )3 ? 2.'j8

I 439.

TABLE DES MATIERES. 471

Mandée- et aliénation mentale,

par Schulle, 96. '

Médecin expert et exclusion du

libre ai-bitre, parnleiidel, 114.

Médicaments (action des -) à

distance, par J. Voisin, 94.

Mégalocéphalie, 319.

Mélancolie avec stupeur (note

sur un cas de à -) forme ca-

taleptique avec conservation

de l'intelligence, par J. Voisin,

354.

Moelle épinière (anévrismes des

plus petits vaisseaux de la),

par Hebold, 237.

.Moulage crânien pour localise

les lésions du crâne, par Jen-

sen, 254.

Nominations dans les asiles,

A63, 31î, 466.

Nécrologie : Barazer, Alleman-

dori, Catlett, J. Eames, Lalor,

Mac Bride, 170.

Névrite multiple, par Hirt, 240.

Organes génitaux (anomalies

des), par \Iaguan, 416.

Olives -(connexion jusqu'alors

inconnue des grosses - avec

]ecerveau),parBechterewet

L leclisir, 81.

Optiques (couches), fonction chez

les animaux et chez l'homme,

par Bechtereif, 84.

Optiques (conducteurs dans

le cerveau de l'homme), par

Richter, 86; Recherches

expérimentales et anatomie

pathologique sur les rapports

qui rattachent la sphère vi-

suelle aux centres infra-

corticaux et au nerf, par Mo-

nakow, 80.

Ovaires (ablation des comme

cure de l'epilepsie), par

Schramm, 319.

Paralysies (James Jackson et les

- alcooliques), par G. de la

l'ourette, 381 ; - Anatomiu

pathologique deiasatur-

mne, 1ar Oplenlmm. 234.

Paramyoclonus multiples, par

Homen, 200.

Paranoïa, par Séglas, 62, 32'),

393.

Peau (innervation collatérale de

la), par Jacobi, 82.

Pied (phénomène du), par Axen-

feld, 239.

Prix de l'Académie de médecine,

172 ; de la Société médico-

psychologique, 318.

Psychiatrie clinique, par Wit-

kowski, 114.

Psychoses consécutives à un trau-

matisme grave du crâne, par

Schroeter, 1252.

Pyromanie (diagnostic médico-

légal de la par l'examen

indirect), par Marandon de

Montyel, 19.

Renflement lombaire de la

moelle, par Spityka, 85.

Représentations simples et com-

posées (recherches expérimen-

tales sur l'aperception des

selon la méthode de complica-

tion), par Tchige, 83. *

Revue critique, 62, 2211 393.

Sénat, 135, 258, 439.

Sitiophobea (traitement des alié-

nés), par Siemens, 102, et par

OEbeke, 903.

Séquestration des aliénés crimi-

nels, par Moeli, 422.

Société médico-psychologique,

89, ° ? 43, 416 ; psychiatrique

de Berlin, 252; de tempé-

rance, 467.

Substance grise (réaction chi-

nuque delà), parLanguedorff,

87.

Suggestion (action des médica-

ments à distance), par J. Voi-

sin, 94.

Surdité verbale (étude clinique),

par Arnaud, ')77, 366.

Surveillance (installation des

quartiers de continue), par

de Guddpii. 99.

Statistique- des aliénés de New-

472 TABLE DES MATIÈRES.

York), 475; (internationale

des aliénés), par GutLstadt,

257.

Traitement des aliénés sitio-

phobes, par Siemens, 4 02; par

QGbeke, 103. -

Tumeur cérébelleuse, par Benno.

254.

Varia : Fête à l'asile de Ville,juif,

464. - La lumière électrique

dans les asiles, 464. Nouvel

asile de l'Etat de New-York,

465. Uniforme des infir-

miers, 46-1. - Assistance des

aliénés, 467. Brain, 467.

TABLE

DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS

Arnaud. 177.

Axeufeld, 239. ,

Barbillion, 30.

Bechtereff, 84.

Becliterew, G, 84.

Benno, 254.

Berl : liau ? 314.

Bernard, 8r.

BournevUle, 134, 209, 321.

Briand, 89, 243, 4 ? 4.

Bridon, 321.

Charpentier, 244.

Charcot, 304.

Combemalle, 4.

Cristoph, 315.

Cullerre, 53.

Ediner, 76.

Engelskjoew, 240.

Féré, 4 4 9, I 0, 301, 30 ? 303, 457,

461.

Fleohs ? 7s, s.

Forel, 79.

Garnier,8'),250,427.

GLvov 120.

Gudd'en(de), 99, .)0 ?

Guttstadt, 257.

Hardine, 83.

Héhold, 237.

Hirt, 240.

Homen, 200.

lmberdis, 302.

Jacobi, 8 ? ,.

Jastrowitz, 255.

Jensen,254.

Kéraval, 76, 77, 78, 79, 80, 81,

82, 86, 87, 88, 9, 44î, 448,

234, : 35. 237, 238, 239, 240,

242, 252, 304, 305, 314, 315,

316.

Kreuser, 315.

Langendorli, 87.

Legrand du Saulle, 305.

Légué, 305.

Leloir, 300.

Magnan, 416.

illairet, 4.

Maugon, 118.

Marandon de Montyel, 19.

ilfeilhou, 119.

Michel, 116. ,

llfoeli, 418.

Monakow, 80.

Nicoulau, 418.

OEbeke,103.

Oppengeim, 234.

Ozeum, 941.

Percy Potter, 242.

Petit, 303.

Peugniez, 417.

Pontoppidau, 233.

t74 4 TABLE DES AUTEURS ET DES COLLABORATEURS.

Raoult, 316, 4p9, .i60, h61.

Regnard. 307.

Rehm, 241.

Rirhter, 86.

Roller, 238.

Rousselet (A.), 4 34.

Schramm, 319.

Schraeter, 2 : ï3.

Schule, 96.

Sélas, 6 ? . 21, 245.

Siemens. 102.

I Siemerlinfi, 314.

Skwortzoff, 84.

Sorel, 2142.

Spitzka 7P,"85.

Squires, 316.

Teliige, 83.

Tourette (Gilles de la), 305, 381.

Voisin (Jules), 94, 354.

Westphal, 235. ' *

Wilkowski, 114.

EXPLICATION DE LA PLANCHE

PLANCHE I

VERITABLE PORTRAIT DE AP0LL0N1E SCTIREIER

Evretu Cln. HfiftISSEY, imp. q87.