(1862) Mécanisme de la physionomie humaine : ou analyse électro-physiologique de l'expression des passions
/ 200
(1862) Mécanisme de la physionomie humaine : ou analyse électro-physiologique de l'expression des passions

MÉCANISME

DE l,A

PHYSIONOMIE HUMAINE

DU

ANALYSE ÉLECTRO-PHYSIOLOGIQUE

DE L'EXPRESSION DES PASSIONS

PAR LE DÛCTEUK

G.-B. DUCHEÎMNE (de Boulogne)

Lauréat do l'Institut de France et de l'Académie de médecine de Paris (prix Itard), Lauréat du concours Napoléon III sur l'électricité appliquée, Membre titulaire de la Société de médecine de Paris, Membre correspondant des Académies, Universités et Sociétés de médecine de Dresde, Florence, Gand, Genève, Kieff, Leipzig, Madrid, Moscou, Naples, Rome, Saint-Pétersbourg, Stockholm, Vienne, Wurtzbourg, etc. Chevalier de la Légion d'honneur.

AVEC UN ATLAS Composé de 7Zi figures électro-physiologiques photographiées

PARIS

CHEZ Ve JULES UE NOUA iil). LIBRAIRE

ni'E DE TOUKNON, 6, FAUBOURG SAINT-GEUMAIX. 1862

Jons droits ã ÷ÿòå».

PREFACE

« Lorsque 1 ame est agitée, la.face humaine devient un tableau vivant où les passions sont rendues avec autant de délicatesse que d'énergie, où chaque mouvement de l'âme est exprimé par un trait, chaque action par un caractère dont l'impression vive et prompte devance la volonté, nous décèle et rend au dehors, par des signes pathétiques, les images de nos plus secrètes agitations. » (Buffon, Histoire de l'homme.)

L'âme est donc la source de l'expression; c'est elle qui met en jeu les muscles et qui leur fait peindre sur la face, en traits caractéristiques, l'image de nos passions. En conséquence, les lois qui régissent l'expression de la physionomie humaine peuvent être recherchées par l'étude de l'action musculaire.

C'est un problème dont je cherche la solution depuis bien des années, provoquant, à l'aide de courants électriques, la contraction des muscles de la face, pour

leur l'aire parler le langage des passions et des sentiments. « L'expérience, dit Bacon, est une sorte de question appliquée à la nature pour la faire parler. » Cette étude attentive de l'action musculaire partielle m'a révélé la raison d'être des lignes, des rides et des plis de la face en mouvement. Or, ces lignes et ces plis sont justement les signes qui, par leurs combinaisons variées, servent à l'expression de la physionomie. Il m'a donc été possible, en remontant du muscle expressif à l'àme qui le met en action, d'étudier et de découvrir le mécanisme, les lois de la physionomie humaine.

Je ne me bornerai pas à formuler ces lois; je représenterai par la photographie les lignes expressives de la face pendant la contraction électrique de ses muscles.

En résumé, je ferai connaître par l'analyse électrophysiologique, et à l'aide de la photographie, l'art de peindre correctement les lignes expressives de la face humaine, et que l'on pourrait appeler orthographe de la physionomie en mouvement.

DUCHENNE (de Boulogne).

Paris, le 1" janvier 1S62.

TRAVAUX DE L'AUTEUR

De l'art de limiter l'excitation électrique dans les organes sans piquer ni inciser la peau, nouvelle méthode d'électrisation, appelée ëlcctrisation localisée, et dont les principes, résumés dans une note adressée en 1847 à l'Académie des sciences, ont été développés et publiés dans les Archives générales de médecine, en juillet et août 1850, et février et mars 1851.

Description de l'appareil volta-faradique à double courant du docteur Duchenne (de Boulogne). Mémoire et appareil présentés par M. Despretz à l'Académie des sciences en 1848.

Recherches électro-physiologiques, pathologiques et thérapeutiques, ou série de mémoires adressés à l'Académie des sciences le 21 mai 1849, couronnés par l'Institut, développés et publiés en partie dans les Archives générales de médecine. L'un de ces mémoires traitait de l'atrophie musculaire avec transformation graisseuse et des paralysies atrophiques de cause traumatique et saturnine.

Recherches sur l'état de la contractilité et de la sensibilité électro-musculaires dans les paralysies du membre supérieur, étudiées à l'aide de l'électrisation localisée. Mémoire présenté à l'Académie des sciences et à l'Académie de médecine, janvier 1850.

Recherches électro-physiologiques sur les fonctions des muscles de la face. Mémoire adressé à l'Académie de médecine et à l'Académie des sciences, le 14 mars 1850. — Rapport de M. Bérard.

Recherches électro-physiologiques et pathologiques sur les propriétés de la corde du tympan. Mémoire présenté à l'Académie des sciences et à l'Académie de médecine (Arch. gén. de méd., décembre 1850).

Du choix des appareils d'induction au point de vue de leur application à la thérapeutique et à l'étude de certains phénomènes électro-physiologiques et pathologiques. Mémoire présenté à l'Académie de médecine en 1851. — Rapport de M. Soubeiran.

Recherches sur les propriétés physiologiques et thérapeutiques de l'électricité de frottement, de l'électricité de contact et de l'électricité d'induction [Arch. gén. de méd., mai 1851).

Recherches électro-physiologiques et pathologiques sur les muscles qui meuvent l'épaule sur le tronc et le bras sur l'épaule. Mémoire présenté à l'Académie de médecine le 24 août 1852.

Recherches électro-physiologiques et pathologiques sur l'action particulière et les usages des muscles qui meuvent le pouce et les doigts de la main. Mémoire présenté à l'Académie des sciences et à l'Académie de médecine en février 1851 (Arch. gén. de méd., mars, avril et juillet 1852).

Étude comparée des lésions anatomiques dans l'atrophie musculaire graisseuse progressive et dans la paralysie générale (Union médicale, 1852).

Note sur l'influence thérapeutique de l'excitation électro-cutanée dans l'angine de poitrine (Bull. gén. de thérap., 1853, p. 241).

De la valeur de l'électrisation localisée comme traitement de l'atrophie musculaire progressive (Bull. gén. de thérap., 1853, p. 295, 407 et 438).

De l'action spéciale de l'électricité d'induction sur la force tonique des muscles (Bull, gén. de Ihérap., 1853, p. 337).

Recherches électro-physiologiques, pathologiques et thérapeutiques sur le diaphragme (Union médicale, 1853, n°* 101, 105, 109, 149, 155, 162, 166 et 173).

Recherches sur une nouvelle propriété démontrée par la pathologie, l'aptitude motrice indépendante de la vue, appelée par l'auteur conscience musculaire. Mémoire adressé à l'Académie des sciences et à l'Académie de médecine le 20 décembre 1853.

De l'action thérapeutique de l'éleclrisation localisée dans le traitement des paralysies consécutives à l'hémorrhagie cérébrale (Bull. gén. de Ihérap., 1854, p. 241 et 337).

De l'inlluence de l'électrisation localisée sur l'hémiplégie faciale, et de la contracture comme terminaison fréquente de cette maladie (Gaz. hebdom., 1854).

Paralysie atrophique graisseuse de l'enfance; son diagnostic, son pronostic et son traitement par l'électrisation localisée. Mémoire adressé à l'Académie de médecine le 5 septembre 1854 (Gaz. hebdom., 1 855).

Note sur l'influence de la respiration artificielle par la faradisation des nerfs phré-niques dans l'intoxication par le chloroforme , adressée à la Société médicale d'émulation (Union médicale, 1855, p. 150 et 154).

Recherches sur le second temps de la marche, d'après l'observation pathologique ; déductions pratiques. Mémoire adressé à l'Académie des sciences (Union médicale, 1855, p. 436 et 442).

L'irritabilité n'est pas nécessaire à la molilité, ou l'intégrité de la conlractilité électro-musculaire n'est pas nécessaire à l'exercice des mouvements volontaires. Mémoire adressé à l'Académie des sciences en 1856, reproduit dans la précédente édition (deuxième partie, chap. Y, art. 1er).

Recherches électro-physiologiques et pathologiques sur les muscles qui meuvent le pied sur la jambe. Mémoire présenté à l'Académie de médecine et à l'Académie des sciences (Arch. gén. de méd., n0' de juin, juillet, décembre 1856 et de février 1857).

Orthopédie physiologique, ou déductions pratiques de mes recherches électro-physiologiques et pathologiques sur les mouvements de la main (Bull, de thérap., 1857).

Note sur quelques nouvelles propriétés différentielles des courants d'induction de premier ordre et de second ordre, adressée à l'Académie de médecine le 18 mars 1858.

De la valeur de la faradisation de la corde du tympan et des muscles moteurs des osselets appliquée au traitement de la surdité nerveuse (Bull, de Ihérap., 1858).

Note sur le spasme fonctionnel et sur la paralysie fonctionnelle (Bull, de Ihérap., 1858).

Recherches sur Valaxie locomotrice, maladie caractéiisée spécialement par des troubles généraux de la coordination des mouvements. Mémoire adressé à l'Académie des sciences et à l'Académie de médecine (Arch. gén. de méd., décembre 1858 et janvier, février, avril 1859).

De la genèse du pied plat valgus par la paralysie du long péronier latéral, et du pied creux valgus par contracture du long péronier latéral. Mémoire adressé à la Société de chirurgie en 1860.

Paralysie musculaire progressive de la langue, du voile du palais et des lèvres, maladie non encore décrite. Mémoire adressé à l'Académie de médecine et à l'Académie des sciences (Arch. gén. de méd., septembre et octobre 1860).

Prothèse musculaire physiologique des membres inférieurs (Bull, de Ihérap., 1861).

De la curabilité et du diagnostic de la surdi-mutité nerveuse par la faradisation de la corde du tympan et des muscles moteurs des osselets (Bull, de thérap., 1861).

De l'électrisation localisée et de son application à la pathologie et à la thérapeutique, 2e édition, Paris, 1861, in-8.

Sous presse : Electro-physiologie musculaire, 1 vol. in-8.

MÉCANISME

de la

PHYSIONOMIE HUMAINE

REVUE DES TRAVAUX ANTÉRIEURS SUR L'ACTION MUSCULAIRE DANS LE JEU DE LA PHYSIONOMIE EN MOUVEMENT.

Je ne confondrai pas dans cette revue les auteurs qui se sont spécialement occupés de la physionomie en mouvement (la symptomatologie des passions), avec ceux qui se sont livrés spécialement à l'examen des signes des penchants et des habitudes, à l'étude de la physionomie au repos (la physionomie proprement dite).

Parmi les premiers, les uns, entre autres le célèbre peintre

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES

CHAPITRE PREMIER.

Lebrun (1), ont seulement représenté les aspects divers de la physionomie produits par les passions, sans se préoccuper cle ses lois motrices, et il en est d'autres qui ont essayé d'analyser les mouvements expressifs de la face en recherchant quelle était alors l'action propre des muscles de cette région. Je vais rappeler seulement les travaux de ces derniers auteurs, afin de faire connaître en quoi mes recherches diffèrent des leurs; je ne parlerai toutefois que des principaux d'entre eux.

I.

COUP D'OEIL HISTORIQUE.

De tout temps les anatomistes ont'reconnu que les muscles de la face président à l'expression symptomatique des passions; mais c'est seulement vers la fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci que l'on a étudié d'une manière spéciale comment ou dans quelles circonstances chacun d'eux se contracte sous l'influence des émotions de l'âme.

A, En 1792, le savant auteur de la Dissertation sur (es variétés naturelles qui caractérisent la physionomie des hommes des divers climats et des différents âges, Camper, —- qui cultivait aussi la peinture avec talent, — a essayé de

(4) Lebrun a j'ail connaître une méthode pour apprendre à dessiner les passions, dans un discours prononcé dans l'Académie royale de peinture et de sculpture.

déterminer la part exacte qui revient aux muscles delà face-dans le jeu des passions (I ) ; il y a moins étudié l'action propre des muscles que l'influence des nerfs sur la physionomie.

Il n'a pas été aussi heureux dans ce genre do recherches que dans ses autres travaux. Attribuant en effet à la cinquième paire une action motrice semblable à celle de la septième paire, il a placé les mouvements expressifs de la face sous la dépendance tantôt de l'un et tantôt de l'autre de ces nerfs.

« Dans la tristesse absolue, dit-il, c'est la cinquième paire qui agit....

» Lorsqu'un homme est joyeux, les seules parties qui entrent en action sont celles qui dépendent immédiatement de la septième paire des nerfs...

» Lorsqu'on pleure, la 'seule différence consiste en ce que tous les muscles qui sont mus par la cinquième paire de nerfs sont encore plus fortement agités....

» La septième paire nous fait rougir et pâlir, et en fait connaître le comment.....»

A l'époque où écrivait Camper, les propriétés spéciales de la septième paire et de la cinquième paire étaient encore ignorées. Aujourd'hui, on sait que les mouvements des muscles de la face sont sous la dépendance du premier de ces nerfs, et que le second seul préside à sa sensibilité; que la paralysie de celui-ci ne trouble ni les mouvements

(l) 1\ Camper, Discours sur les moyens de représenter d'une manière s.ûre les diverses passions qui se manifestent sur le visage, 179 .

volontaires de la face, ni ses mouvements expressifs, tandis que la paralysie de la septième paire est nécessairement suivie de l'abolition de sa motilité.

On trouve dans le discours de Camper une seule proposition importante.

« Les plis du visage, dit-il, doivent nécessairement couper à angles droits le cours ou la direction des fibres musculaires. »

C'est le premier auteur qui ait fait cette remarque, mais il ne l'a pas démontrée; je prouverai môme qu'elle n'est applicable qu'à un certain nombre de muscles, et qu'il serait impossible d'expliquer, de cette manière, la formation de quelques plis ou rides qui se produisent pendant le jeu de la physionomie.

B. Lavater, on le sait, s'était livré à l'étude de la physionomie au repos, de la physiognomonie proprement dite ; ses recherches reposaient sur la différence et sur la combinaison des contours et des lignes, des profils et des silhouettes. Il n'aurait certainement pas autant négligé l'observation de la physionomie en mouvement, qui devrait servir de base à l'examen de la physionomie au repos, s'il avait été, ou anatomiste, ou physiologiste, ou médecin, ou même naturaliste.

Les savants qui s'étaient imposé la tâche difficile de réunir les différentes recherches que ce grand observateur avait publiées sous le titre de Fragments, avaient compris

que l'étude de la physionomie en mouvement, entièrement omise par Lavater, devait précéder celle de la physionomie au repos.

En 1805, Moreau (do la Sarthc), professeur à la Faculté de médecine de Paris, et l'un des principaux collaborateurs du grand Traité de la physiognomonie de Lavater, a composé pour son ouvrage un article important sur la structure, les usages et les caractères de différentes parties de la face de Vhomme (1).

11 s'en est incontestablement acquitté avec talent ; il s'est livré à l'examen particulier et détaillé de l'usage et des effets physionoiniques de chaque muscle; il est entré, à cette occasion, dans des développements physiologiques dont, selon cet auteur (et c'est aussi mon opinion), on ne trouve pas même l'indication dans les meilleurs traités d'anatomie et de physiologie qui avaient été publiés avant lui.

C. Un physiologiste anglais qui a illustré son nom par de très belles recherches sur le système nerveux, Charles Bell, a publié un livre intitulé The Analomy and Philosophy of expression. S'il avait livré ce livre à la publicité avant le travail de Moreau (de la Sarthe), la physiologie des muscles de la face lui devrait certainement un progrès.

Ses idées sur l'action propre de ces muscles et sur la ma*

(I) Larl de connaître les hommes parla physionomie! par Gaspard Lavater, 4e édit., 1 320, t. IV, art. 3.

nière dont ils so combinent pour exprimer les passions, sont à peu près tes mémos que celles de l'a'iatomiste français. 11 est permis de supposer cependant qu'il n'avait pas connais « sauce alors de la publication du grand ouvrage de Lavatcr, édité Tannée précédente à Paris.

Un livre écrit par l'homme dont les investigations expérimentales devaient, quelques années plus tard, jeter une si vive lumière sur certaines parties du système nerveux, ne pouvait être une œuvre ordinaire, bien qu'il n'offrît pas un grand intérêt de nouveauté. La science profonde de l'auteur, unie à ses connaissances pratiques du dessin et de la pointure, et surtout à son amour pour les beaux-arts, rend la lecture de ce livre, richement édité, autant instructive qu'agréable (1).

D. La plupart des auteurs qui, après les travaux que je viens de rappeler, ont traité la môme question, n'ont fait que reproduire les opinions de Moreau et de Charles Bell. Je dois toutefois mentionner ici un mémoire de Sarlandicre (2) : l'auteur paraît avoir étudié un pou plus spécialement que ces prédécesseurs l'action propre des muscles de la face: mais les faits historiques qui précèdent, démontrent qu'il a eu

(1) Charles Bell, qui depuis son enfance cultivait avec amour l'art du dessin, avait un talent d'artiste. On en trouve la preuve dans des figures qu'il a dessinées à la plume, et qu'il a fait reproduire, par la gravure, dans son traité des grandes opérations chirurgicales (Illustrations of thn opérations of siirgen.i} in-foi., 20 pl. color., London, !82l).

(2) Physiohijis do l'action musculaire ai'pUq'iie aux arts d'imitation.

II.

CONSIDÉRATIONS CRITIQUES SUR LES DIVERS MODES D'INVESTIGATION EN USAGE DANS L'ÉTUDE DE LA MYOLOGIE.

Les traités de myologie nous offrent, après la description de chaque muscle, un expos;') plus ou moins étendu de leurs usages. Plusieurs méthodes avaient été employées pour arri

tort d'écrire dans sa préface : « Aucun de nos auteurs (ceux qui l'ont précédé) n'a examiné comment chaque muscle se contracte en particulier, soit sous l'influence des passions, soit sous celle de la volonté, ou indépendamment de cette volonté, pour produire, par ces mouvements partiels ou d'ensemble, l'expression ou les gestes. » Sarlau-dière a attribué aux muscles auriculaires une influence sur l'expression! C'était assurément une idée nouvelle; malheureusement le rôle qu'il leur fait jouer dans ce cas est impossible.

Je n'ai pas l'intention d'exposer actuellement une analyse complète des travaux que je viens de mentionner: il sera plus opportun de revenir sur ce sujet à l'occasion de l'étude des faits particuliers. Il .me sera facile alors de démontrer que les auteurs de ces travaux, dont plusieurs ont acquis une grande célébrité, ont commis de nombreuses erreurs; il ne pouvait en être autrement, ainsi que je vais essayer de l'expliquer.

ver à déterminer l'action des parties contractiles; les voici, d'après le professeur Bérard :

« 1° Tantôt le relief des muscles, pendant la production de certains mouvements, trahissait l'aspect qu'ils y prenaient. Le biceps et le brachial antérieur se tuméfient pendant que l'avaut-bras se fléchit; évidemment ils sont fléchisseurs de cette partie. Ma tempe se gonfle pendant que mes mâchoires se rapprochent ; sans aucun doute, le temporal tire en haut l'apophyse coronoïde.

» 2° Tantôt la configuration des surfaces articulaires indiquait les usages des muscles voisins. Jamais un muscle passant sur une articulation ginglymoïdale n'y déterminera des mouvements latéraux ; il sera fléchisseur ou extenseur, suivant qu'il se rapprochera davantage d'un des plans opposés dans lesquels se font les mouvements.

» 3° Plus souvent encore, on avait recours à l'excellent critérium que je vais indiquer, à la véritable pierre de touche de l'action musculaire.

» Étant donnée la notion qu'un muscle se raccourcit pendant son action, ou plutôt que ses fibres se raccourcissent (ce qui n'est pas tout à fait la môme chose), disséquez un muscle sur le cadavre, imprimez différents mouvements à la partie, observez le moment où les fibres se tendent et celui où elles se relâchent, vous pourrez prononcer, presque à coup sûr, que, sur le vivant, le muscle contribue à amener la position dans laquelle vous voyez ses fibres relâchées sur le cadavre. Ce moyen si simple, si fécond, je ne saurais dire qui l'a

inventé, ni même qui me l'a appris; il a dû se présenter au premier anatomiste qui vit un muscle se raccourcir pendant sa contraction.

» h° Enfin, lorsque do vives controverses s'élevaient sur l'action de certains muscles, il n'était pas rare qu'on en appelât aux vivisections pour le jugement du débat. »

Ces modes d'exploration sont tous parfaitement applicables à la myologie des membres et du tronc, et je reconnais, avec Bérard, que, grâce à eux, on était déjà assez avancé clans la connaissance des usages particuliers de chaque muscle ; niais je ne pense pas comme lui, cependant, que, pour ce qui regarde la myologie des membres, il restait seulement quelques parties à compléter, quelques opinions à rectifier (1).

Sans ôtre injuste envers mes devanciers, sans sacrifier toute l'antiquité pour la plus grande gloire des progrès modernes, on peut affirmer aujourd'hui qu'avant mes recherches électro-physiologiques, on possédait sur l'action propre des muscles de la main des notions tellement incomplètes, qu'il était impossible d'expliquer le mécanisme des moindres mouvements de la main.

Comment, par exemple, était-il possible de mouvoir les phalanges en sens inverse, comme dans tous les usages de la main, comme lorsqu'on écrit, etc.? C'est ce que l'on ignorait.

(1) A l'époque où Bérard écrivait ces lignes, mes Recherches électro-physiologiques sur la main, l'épaule, le pied, le diaphragme, n'étaient pas encore publiées. II a reconnu plus tard que la physiologie musculaire laissait beaucoup à désirer.

— Les notions physiologiques étaient également insuffisantes pour les muscles qui meuvent le pied et pour ceux de quelques autres régions. —Il en sera probablement de môme de celles qu'il me reste à explorer.

Si donc, malgré l'emploi des divers modes d'investigation généralement en usage dans l'étude de la myologie, il n'a pas été possible de déterminer, pour les membres, l'action individuelle et les fonctions d'un grand nombre de muscles, la difficulté est bien plus grande encore à la face, où ces modes d'investigation ne sont pas pour la plupart applicables.

Ainsi : 1° à la face, il est peu de muscles dont on puisse reconnaître l'action par leur gonflement ou leur saillie; 2° dans cette région, point de surfaces articulaires dont la configuration indique les usages des muscles voisins; S0 cette véritable pierre de touche de l'action musculaire, qui consiste à rapprocher les deux extrémités d'un muscle de manière ci le mettre dans le relâchement (ce qui permet d'en déduire à coup sûr que ce muscle contribue à ramener la position dans laquelle on voit ses fibres relâchées sur le cadavre), n'est pas applicable à la myologie de la face. De quelle utilité peuvent être de tels modes d'exploration pour arriver à connaître l'action propre des muscles de la face, les rides, les plis, les reliefs nombreux et infiniment variés que chacun d'eux imprime à la peau ? Ils no pourraient, en un mot, montrer l'influence que ces muscles exercent sur l'expression.

On doit vraiment admirer le talent d'observation de ceux qui ont pu deviner, pour ainsi dire, l'action expressive de

certains muscles de la face, quoiqu'ils aient été privés de tout moyen d'expérimentation ou de contrôle. Toutefois les opinions qu'ils ont émises à cet égard ne sont que des assertions qui avaient besoin d'être démontrées par l'expérimentation directe.

On comprend aussi que ces observateurs ont dû commettre d'autant plus d'erreurs, qu'ils ont eu, sans qu'ils s'en doutassent, des illusions d'optique exercées par des mouvements limités à certains points de la face. Je vais bientôt démontrer, en effet, qu'à la vue des mouvements de certains muscles du sourcil, on éprouve une sorte de mirage qui fait croire à un état de contraction générale de la face.

Les vivisections, fussent-elles praticables sur l'homme, no pourraient certes aider à résoudre le problème en question, car il faudrait, pour cela, sacrifier la peau sur laquelle se dessinent les signes du langage expressif de la physionomie.

C'est ici le lieu d'examiner la valeur du critérium, recommandé par Camper.

Selon ce célèbre observateur, les plis, les rides du visage, sont nécessairement perpendiculaires à la direction des muscles. S'ensuit-il donc que dans tout mouvement expressif on peut reconnaître les muscles en action par la direction des rides? En d'autres termes, étant donnée une ride produite par un mouvement expressif, le muscle qui croise la direction de cette ride se trouve-t-il nécessairement en contraction?

Telle semble être l'opinion de Camper; tel a été aussi le procédé employé après lui par les auteurs pour arriver à re

connaître les agents moteurs qui président à telle ou telle expression. Eh bien ! rien n'est plus incertain, ou plutôt rien n'est plus trompeur que ce moyen d'observation.

Pour le prouver, je vais me servir d'une comparaison. Si l'on exerce une traction verticale ou oblique, de bas en haut, sur un point delà surface du rideau, on voit, suivant la souplesse et l'ancienneté de l'étoffe, des plis se former dans des directions variées et quelquefois sur différents points de cette surface. De même, sous l'influence d'une simple traction exercée sur la peau de la face, on voit naître à sa surface des rides, des sillons, dans des directions diverses et clans des lieux plus ou moins éloignés les uns des autres; de plus, cette surface cutanée n'est pas unie; elle offre, à l'état de repos, des sillons et des reliefs dus à la prédominance tonique de tel ou tel muscle de cette région, prédominance qui varie à l'infini, selon l'âge du sujet et le jeu des passions habituelles, ce qui constitue la physionomie individuelle.

Eh bien ! toute traction limitée à un point de la face modifie ces sillons et ces reliefs, soit en les exagérant, soit en les effaçant, soit en changeant leur direction.

Un exemple pour mieux développer ma pensée. Que l'on suppose une force agissant dans la direction de la commissure des lèvres, au côté externe de la pommette (comme le grand zijgomaliqué) ; alors le sillon naso-labial se creuse, sa courbe devient sinueuse, et des rides rayonnantes apparaissent, dans la plupart des cas, au pourtour de l'angle externe de l'œil.

Voici comment on devrait expliquer ces mouvements, suivant cette assertion de Camper, à savoir : que les plis et les rides du visage sont nécessairement perpendiculaires à la direction des muscles. La commissure a été mise en mouvement par le grand zygomatique; le sillon naso-labial s'est creusé sous l'influence de Vélévateur propre de la lèvre supérieure et du nez; les rides rayonnantes voisines de l'angle externe de l'œil sont dues à l'action du sphincter des paupières. Je me réserve de démontrer expérimentalement que cette théorie est complètement erronée, et que le grand zygomatique seul produit toutes ces rides et tous ces sillons.

Ce que je viens de dire du grand zygomatique est applicable à la plupart des muscles expressifs de la face.

III.

ORIGINE DE MES RECHERCHES ÉLECTRO-PHYSIOLOGIQUES SUR LA PHYSIONOMIE EN MOUVEMENT.

Tout mouvement volontaire ou instinctif résulte de la contraction simultanée (synergique) d'un plus ou moins grand nombre de muscles. La nature n'a pas donné à l'homme le pouvoir de localiser l'action du fluide nerveux dans tel ou tel muscle, de manière à en provoquer la contraction isolée. Ce pouvoir, qui eût été sans utilité pour l'exercice de ses fonctions, l'aurait exposé à des accidents ou à des déformations, ainsi que je l'ai déjà démontré ailleurs (1).

(1) De Vélectrisalion localisée et de son application à la physiologie, à la pathologie et à la thérapeutique. Paris, 1855 ; 2e ériit., 1861.

Puisqu'il rie jouit pas de la faculté de décomposer ses mouvements et d'analyser ainsi l'action individuelle de ses mus-cles, comment donc les analyser, comment arriver à connaître exactement l'action propre de ses muscles?

S'il était possible de maîtriser le courant électrique, cet agent qui a tant d'analogie avec le fluide nerveux, et d'en limiter l'action dans chacun des organes, on mettrait à coup sûr en lumière certaines de leurs propriétés locales. Alors, pour la face en particulier, avec quelle facilité on déterminerait l'action propre de ses muscles ! Armé de rhéophores, on pourrait, comme la nature elle-même, peindre sur le visage de l'homme les lignes expressives des émotions de l'âme. Quelle source d'observations nouvelles !

Telle a été, il y a une douzaine d'années, l'idée mère de mes recherches électro-physiologiques, idée riche d'avenir qui enflamma mon imagination.

Ce n'est point ici le lieu de rapporter la longue série de travaux physiques et anatomiques par lesquels j'ai dû passer, et les difficultés que j'ai eu à surmonter avant d'arriver à la réalisation de mon idée. Après plusieurs années d'expériences, il m'a été possible d'arrêter à mon gré la puissance électrique à la surface du corps, et puis, lui faisant traverser la peau sans l'intéresser et sans l'exciser, de concentrer son action dans un muscle ou dans un faisceau musculaire, dans un tronc ou dans un filet nerveux.

C'est à l'étude de la face que je fis la première application de la méthode d'électrisation que je venais de créer. L'électri •

sation localisée m'a aidé à résoudre le problème, à la fois si difficile et si intéressant, qui fait le sujet du paragraphe précédent; elle m'a permis de voir se dessiner sous l'instrument les plus petites radiations des muscles. Leur contraction révèle leur direction et leur situation mieux que ne pourrait faire le scalpel dcl'anatomiste; c'est du moins ce que l'on observe au visage, où l'on sacrifie inévitablement, dans la préparation anatomique, les portions terminales des fibres qui vont s'insérer à la face interne du derme.

C'est là une nouvelle sorte d'anatomie à laquelle on pourrait appliquer les deux mots par lesquels Haller voulait qu'on désignât la physiologie : c'est l'anatomie animée — anatome animala; — c'est ce que Sœmmerring eut sans doute appelé contemplatio rnusculi vivi.

De mes expériences électro-physiologiques, il ressortit bientôt des faits qui me parurent assez nouveaux pour me décider à présenter, dans le cours de l'année 1850, aux Académies des sciences et de médecine de Paris, une série de mémoires intitulés : Fonctions des muscles de la face démontrées par iélectrisation localisée. Ces travaux provoquèrent, en 1851, le brillant rapport du professeur Bérard, membre de l'Académie de médecine (1).

Il m'est permis d'affirmer que ce mode d'exploration électro-musculaire n'a pas été appliqué avant mes recherches expérimentales.

(1) Séance du 18 mars 1851 (liullelin ik l'Académie de médecine, t. XVI, p. 609).

11 n'est venu certes à l'idée de personne d'attribuer à un but d'étude de myologie ces expériences grossières d'un physicien qui, à l'origine de l'électricité, provoquait par des décharges électriques des convulsions sur des têtes de suppliciés.

On avait avancé que C. Bell et Sarlandière avaient essayé d'étudier l'action propre des muscles de la face au moyen de la galvanisation. Ces auteurs n'en disent rien dans leurs écrits; d'ailleurs, s'ils avaient employé ce mode d'exploration, ils n'auraient certainement pas commis les erreurs que j'ai à rectifier.

On reconnaîtra, j'espère, que l'honneur d'expliquer le mécanisme de la physionomie, cette espèce d'analyse anato-mique des passions, était réservé à la méthode d'électrisa-tion, qui seule permet de déterminer exactement l'action propre des muscles et de décomposer les mouvements.

Ces premières recherches n'étaient cependant et ne pouvaient être qu'une ébauche. Les faits électro-physiologiques que j'avais observés ne me rendaient pas corn plétement compte des mouvements physiologiques de la face. Et puis, quelle part fallait-il faire à chacun des muscles de la face pour l'influence qu'ils exercent sur le jeu de la physionomie? J'étais loin d'être bien fixé sur ces questions complexes et difficiles, je les avais à peine effleurées.

Aujourd'hui, appuyé sur une expérimentation longue e continue, je crois pouvoir livrer à la publicité mes recherches, qui, je l'espère, jetteront un grand jour sur ces études.

CHAPITRE IL

FAITS GÉNÉRAUX PRINCIPAUX QUI RESSORTENT DE MES EXPÉRIENCES É LECTRO-PIIYSIOLOGIQUES.

Pour connaître et juger le degré d'influence exercée sur l'expression par les muscles de la face, j'ai provoqué la contraction de ces derniers à l'aide de courants électriques, au moment où la physionomie était au repos, où elle annonçait le calme intérieur; le regard du sujet était alors fixe et dirigé devant lui.

.l'ai d'abord mis chacun des muscles partiellement en action, tantôt d'un seul côté, tantôt des deux côtés à la fois ; puis, allant du simple au composé, j'ai essayé de combiner ces contractions musculaires partielles, en les variant autant que possible, c'est-à-dire en faisant contracter les muscles de noms différents, deux par deux, trois par trois.

Je vais exposer sommairement, dans les paragraphes suivants, les faits généraux principaux qui ont été mis en lumière par ces contractions partielles et par ces contractions combinées des muscles de la face.

contractions partielles des MUSCLES DE LA FACE.

L'étude expérimentale des contractions partielles des muscles de la lace apprend qu'elles sont, ou complètement expressives, ou incomplètement expressives, ou expressives complémentaires, ou inexpressives.

\. — Contractions iMirliclicH complètement expressives.

11 est des muscles qui jouissent du privilège exclusif de peindre complètement, par leur action isolée, une expression qui leur est propre.

Au premier abord, cette assertion paraît paradoxale; car, bien que Ton ait accordé à un petit nombre de muscles une influence spéciale sur la physionomie, on n'en a pas moins professé que toute expression exige le concours, la synergie d'autres muscles.

J'ai partagé, je l'avoue, cette opinion, que j'ai cru môme un instant confirmée par l'expérimentation électro-physiologique.

Dès le début de mes recherches, en effet, j'avais remarqué que le mouvement partiel de l'un des muscles moteurs du sourcil produisait toujours une expression complète sur la face humaine. 11 est, par exemple, un muscle qui représente la souffrance. Eh bien! sitôt (pie j'en provoquais la contraction

électrique, non-seulement le sourcil prenait la forme qui caractérise cette expression de souffrance, mais les autres par-tics ou traits du visage, principalement la bouche et la ligue naso-labiale, semblaient également subir une modification profonde, pour s'harmoniser avec le sourcil, et poindre, comme lui, cet état pénible de l'aine.

Dans cette expérience, la région sourcilière seule avait été le siège d'une contraction très évidente, et je n'avais pu constater le plus léger mouvement sur les autres points de la face. Cependant j'étais forcé de convenir que cette modification générale des traits que l'on observait alors, paraissait être produite parla contraction synergique d'un plus ou moins grand nombre de muscles, quoique je n'en eusse excité qu'un seul. C'était aussi l'avis des personnes devant lesquelles je répétais mes expériences.

Quel était donc le mécanisme de ce mouvement général apparent de la face? était-il dû à une action réflexe? Quelle que fût l'explication de ce phénomène, il semblait en ressortir, pour tout le monde, que la localisation de l'électrisa-tion musculaire n'était pas réalisable à la face.

Je n'attendais plus rien de ces expériences électro-physiologiques, lorsqu'un hasard heureux vint me révéler que j'avais été le jouet d'une illusion.

Un jour que j'excitais le muscle de la souffrance, et au moment où tous les traits paraissaient s'être contractés douloureusement, le sourcil et le front furent tout à coup mas-qués accidentellement (le voile de la personne sur laquelle je

faisais culte expérience, s'était abaissé sur ses yeux). Quelle fut alors nia surprise en voyant que la partie inférieure du visage n'éprouvait plus la moindre apparence de contraction !

Je renouvelai plusieurs fois cette expérience, couvrant et découvrant alternativement le front et le sourcil ; je la répétai sur d'autres sujets, et môme sur le cadavre encore irritable, et toujours elle donna des résultats identiques, c'est-à-dire que je remarquai sur la partie du visage placée au-dessous du sourcil la môme immobilité complète des traits; mais à l'instant où les sourcils et le front étaient découverts, de manière à laisser voir l'ensemble de la physionomie, les lignes expressives de la partie inférieure de la face semblaient s'animer douloureusement.

Ce fut un trait de lumière ; car il était de toute évidence que cette contraction apparente et générale de la face n'était qu'une illusion produite par l'influence des lignes du sourcil sur les autres traits du visage.

Il est certainement impossible do ne pas se laisser tromper par cette illusion, qui est, comme je l'ait dit précédera -ment, une espèce de mirage exercé par les mouvements partiels du sourcil, si l'expérimentation directe ne vient pas la dissiper.

Toute proposition qui blesse l'opinion générale ou qui ressemble à une hérésie physiologique, devrait être démontrée immédiatement. 11 importerait donc de faire connaître maintenant les faits qui sont la preuve physique et complète des

assertions précédentes; mais il me faudrait alors intervertir l'ordre que je suis forcé de suivre dans l'exposition de mes recherches. Il convient seulement, dans ces considérations générales et préliminaires, de ne mettre en relief que les faits principaux qui donnent une idée de l'importance et du but de mes recherches expérimentales sur la physionomie en mouvement.

En vertu de quelle loi un mouvement circonscrit dans un point de la partie supérieure de la face peut-il imprimer, en apparence, une telle modification aux autres traits de cette région ?

C'est ici le lieu de comparer à ce phénomène les effets d'illusion exercés sur l'organe visuel par le rapprochement de certaines teintes. M. Chevreul, directeur de la manufacture des Gobelins, et membre de l'Institut, a publié sur ce sujet un ouvrage d'un très grand mérite, et surtout d'une grande utilité dans la pratique de la peinture (1). Ce savant a démontré que des couleurs, et même seulement des nuances placées les unes à côté des autres, se modifient tellement et de telle manière, que l'œil les voit tout autres qu'elles ne sont en réalité. Mettez, par exemple, une couche de couleur orangée à côté d'une teinte grise : si le gris est bleuâtre, il paraîtra bien pâle; s'il tire sur le jaune, il paraîtra ver-dâtre.

(I) Traité du contraste simultané des couleurs.

Quoi qu'il en soit, l'utilité de l'illusion produite par certains traits de visage ne saurait être méconnue. En voici, je crois, les principaux avantages :

1° Si pour peindre chaque passion ou chaque sentiment, il eût été nécessaire de mettre tous les muscles simultanément en jeu, afin de modifier les traits de la face d'une manière générale, l'action nerveuse eût été beaucoup plus compliquée.

2° Les traits qui représentent l'image d'une passion étant réduits à un muscle ou à un petit nombre, et dans un point limité de la face, leur signification devenait plus facile à saisir,

o° Ces traits, quoique circonscrits, devaient impressionner davantage en exerçant une influence générale; mais les passions à exprimer étant assez nombreuses, il ne fallait pas trop multiplier les contractions des muscles qui servent à en tracer les signes et dont le nombre est limité.

Reconnaissons ici que l'ingénieux artifice employé par la nature pour arriver à ses fins est digne de notre admiration. Si, en effet, à la vue d'un mouvement aussi limité et qui nous fait reconnaître l'image parfaite d'une ('motion, il nous

Cette espèce d'illusion d'optique exercée par le contraste simultané de couleurs échappe à toute espèce d'explication scientifique. Il en est de môme de cette sorte de mirage que nous font éprouver certains mouvements circonscrits de la face.

semble que la lace s'est modifiée d'une manière générale, si nous subissons de telles illusions, c'est uniquement en vertu de notre organisation, en vertu d'une faculté que nous possédons en naissant.

lï.--COIltl-ncUollS lHII'liclICS ¦HfOlUItlrlCIIlCIll OXlU'OSSiV»'*;

Parmi les muscles qui sont situés au-dessous du sourcil, il en est qui, de même que ceux de l'ordre précédent, jouissent d'une expression propre, et réagissent d'une manière générale sur la physionomie; mais alors cette expression est incomplète.

Ces muscles sont éminemment expressifs ; leur action individuelle trahit un mouvement particulier de rame; chacun d'eux, en un mot, est le représentant unique d'une émotion. Qu'on les mette en effet successivement en jeu, et l'on vena tour à tour apparaître les lignes expressives de la joie, depuis le simple contentement jusqu'au rire fou, de la tristesse, du chagrin, du pleurer, etc.

C'est la première impression que l'on reçoit toujours, à la vue de ces contractions partielles ; néanmoins on ne tarde pas à sentir que l'expression n'est pas naturelle, qu'elle est comme factice, qui lui manque enfin quelque chose.

Quel est donc le trait qui fait alors défaut et qui devrait compléter l'expression ? C'est ce qu'il n'est pas toujours facile de trouver, si j'en juge toutefois pai' les opinions (pie j'ai

entendu émettre par les personnes qui assistaient à mes expériences.

L'expérimentation m'a quelquefois appris quels muscles doivent alors entrer synergiquement en contraction pour compléter l'expression. Je reviendrai bientôt sur ce sujet important.

C. — Contractions partielles expressives complémentaires.

Isolément, quelques muscles situés au-dessous du sourcil n'expriment absolument rien par eux-mêmes, quoiqu'ils acquièrent la propriété de représenter spécialement des passions en se combinant avec d'autres muscles, et qu'ils soient destinés à venir en aide à certaines expressions, soit pour les compléter, soit pour leur imprimer un autre caractère.

J'en citerai un exemple. Il est un muscle qui attire obliquement en bas et en dehors tous les téguments de la partie inférieure de la face, et gonfle la moitié antérieure du cou, sans tracer le moindre signe physionomique qui décèle une expression quelconque. Ce muscle produit seulement une déformation des traits. Mais, dès l'instant que l'on marie l'action de ce muscle avec celle de tel ou tel autre, on fait apparaître à volonté sur la figure, et avec une vérité saisissante, l'image des passions les plus violentes : la frayeur, l'épouvante, l'effroi, la torture, etc.

D. — Contractions partielles inexpressives.

Il n'est pas un seul des muscles de la Lace qui ne soit mis synergiquement en action par une passion; mais quelques-uns d'entre eux (en très petit nombre) ne produisent aucune ligne expressive apparente, bien que leur contraction partielle produise un mouvement très appréciable. Au point de vue physionomique, ces muscles doivent donc être considérés comme inexpressifs.

II.

CONTRACTIONS COMBINÉES DES MUSCLES DE LA FACE.

Les combinaisons musculaires de la face s'obtiennent en excitant simultanément plusieurs muscles de noms différents, d'un coté ou des deux côtés à la fois. Ces contractions combinées sont, ou expressives, ou inexpressives, ou expressives discordantes.

.*. — Contractions combinées expressives.

L'étude expérimentale des contractions musculaires partielles de la face m'a révélé, ainsi que cela ressort des considérations exposées dans le paragraphe précédent, l'origine

d'un grand nombre d'expressions physionomiques. Quelques-unes de ces expressions originelles, on l'a vu, sont parfaitement dessinées par les contractions partielles de certains muscles, tandis que d'autres expressions originelles, qui individuellement sont aussi représentées spécialement par un muscle, ont besoin cependant, pour être complètes, du concours d'un ou de plusieurs autres muscles.

J'ai fait contracter tour à tour chacun des muscles de la face, conjointement avec les muscles incomplètement expressifs. Ces combinaisons musculaires m'ont fait connaître les muscles complémentaires de ces derniers; elles m'ont appris qu'un muscle expressif complémentaire ne peut être suppléé par aucun autre muscle, et qu'il est toujours l'auxiliaire nécessaire de tel ou tel muscle incomplètement expressif. Elles m'ont enseigné enfin que, pour le mécanisme de l'expression de la physionomie, la nature procède, comme toujours, avec simplicité. Il est rare, en effet, que, dans ces combinaisons musculaires expressives, il m'ait fallu mettre plus de deux muscles simultanément eu action, lorsque j'ai voulu reproduire d'une manière complète une des expressions que l'homme a la faculté de peindre sur sa face.

Les expressions originelles de la face (qu'elles aient été produites par des contractions partielles complètement expressives, ou par la combinaison des muscles incomplètement expressifs avec les muscles expressifs complémentaires) sont primordiales; car elles peuvent, en s'associant, produire un ensemble harmonieux et donner naissance à d'autres exprès

sions dont la signification est plus étendue, à des expressions complexes.

Un exemple pour expliquer ma pensée. L'attention qui est produite par la contraction partielle du frontal, et la joie qui est due à la synergie du grand zygomalique et cle Yorbicu-laire inférieur (l'un des muscles moteurs de la paupière inférieure), sont des expressions primordiales. Vient-on à les marier ensemble, la physionomie annoncera que l'àme est sous la vive impression d'une heureuse nouvelle, d'un bonheur inattendu : c'est une expression complexe. Si à ces deux expressions primordiales on joint celle de la lasciveté ou de la lubricité, en faisant contracter synergiquement avec les muscles précédents le transverse du nez, les traits sensuels propres à cette dernière passion montreront le caractère spécial de l'attention attirée par une cause qui excite la lubricité, et peindront parfaitement, par exemple, la situation des vieillards impudiques de la chaste Suzanne.

On voit donc, par cet exemple , que la combinaison des expressions primordiales produit des expressions plus ou moins complexes, et que dans leur progression elles se complètent par l'apparition successive des lignes propres à chaque expression primordiale.

Est-il besoin de dire eniin que les combinaisons des expressions primordiales ne donnent origine à des expressions parfaites qu'à la condition d'être faites conformément aux lois de la nature?

It. — Contractions combinées inexprcssives.

Il est rationnel de penser que les muscles qui sont les représentants directs de passions contraires ne peuvent sympathiser ensemble, et que leur action combinée ne doit produire que des contractions inexpressives. En effet, il ne m'a pas été possible, en général, d'obtenir un ensemble naturel, harmonieux, de la réunion de deux expressions qui répondaient à des passions ou à des affections opposées, surtout lorsqu'elles étaient très accentuées. Non-seulement alors la physionomie était plus ou moins grimaçante, mais encore elle laissait l'esprit du spectateur dans une grande incertitude sur sa signification réelle.

Ainsi l'association des mouvements qui sont propres à l'expression de la joie et de la douleur donne une physionomie étrange, qui s'éloigne d'autant plus de la vérité que ces mouvements expressifs sont plus énergiques. Il en est de même d'autres expressions contraires, dont l'union artificiellement provoquée fausse la physionomie, au point qu'il est difficile, quelquefois même impossible de l'interpréter d'une manière quelconque.

11 arrive souvent, dans ces expériences délicates, que l'excitateur rencontre un nerf qui anime un plus ou moins grand nombre de muscles. La contraction en masse qui en résulte ne produit jamais qu'une grimace qui ne rappelle aucune expression. Cette contraction en masse ressemble aux spasmes

C. — Contraction»* combinées expressives discordantes.

Il ne faudrait pas conclure des faits précédents qu'il y a toujours antagonisme absolu entre les expressions primordiales contraires.

J'ai vu en effet les lignes qui trahissent la joie s'associer merveilleusement à celles de la douleur, pourvu que le mouvement fût modéré ; je reconnaissais alors l'image du sourire mélancolique. C'était un éclair de contentement, de joie, qui ne pouvait cependant dissiper les traces d'une douleur récente ou les signes d'un chagrin habituel : ainsi je me représente une mère souriant à son enfant au moment où elle pleure la perte d'un être chéri, d'un époux.

Le mouvement du sourire n'indique pas seulement un contentement intérieur, il annonce aussi la bienveillance, cette heureuse disposition de l'âme qui fait compatir aux peines d'autrui quelquefois jusqu'à l'attendrissement. Unit-on, par exemple, le sourire au pleurer modéré, et encore mieux à la contraction légère du muscle de la souffrance, on obtient une admirable expression de compassion, une expression des plus sympathiques.

Ces contractions composées, au fond, par des expressions contraires, et qui peignent un sentiment pour ainsi dire forcé, je les appellerai contractions combinées expressives discordantes.

convulsifs que l'on observe dans une affection nerveuse cou-nue sous le nom de tic indolent de la face.

IH.

DE LA SYNERGIE MUSCULAIRE DES MOUVEMENTS EXPRESSIFS DE LA FACE.

Les faits exposés dans les deux paragraphes précédents donnent lieu à une remarque qui, sans doute, n'échappe à personne : c'est que la synergie musculaire qui produit les mouvements physiologiques des membres et du tronc n'est nullement comparable à celle des mouvements expressifs de la face. Cette proposition exige quelques développements.

Il n'est pas un mouvement physiologique du tronc ou des membres qui ne soit le résultat de la contraction synergique d'un plus ou moins grand nombre de muscles. Ainsi l'élévation volontaire du bras (de l'humérus) est produite par la contraction d'un muscle (le deltoïde); nous le sentons durcir sous notre main pendant ce mouvement, et nous croyons qu'il est alors le seul qui entre en action, parce que nous n'avons pas la conscience d'autres contractions musculaires. Il n'en est cependant pas ainsi; car, si l'on fait contracter le deltoïde partiellement, à l'aide d'un courant électrique, on voit le scapulum se détacher du tronc, à la manière d'une aile. J'ai expliqué ailleurs le mécanisme de cette difformité (1). Je rappellerai seulement que, pour l'empêcher, la nature fait entrer synergiquement en action, pendant la contraction

(1) Eleclrisation localisée appliquée à la physiologie, à la pathologie et à la thérapeutique, 2e partie, cliap. II, art. 4 et 5. Irc édit.

volontaire du deltoïde, un autre muscle (le grand dentelé), qui fixe puissamment le bord spinal du scapulum contre le thorax, sans (pie nous ayons la conscience de ce mouvement et sans qu'il nous soit donné de l'empêcher.

Je pourrais choisir bien d'autres exemples aussi probants, surtout parmi les mouvements synergiques de la main et du pied, mouvements qui sont des merveilles de combinaisons mécaniques.

Ces contractions synergiques sont nécessitées par les lois de la mécanique. Tout le monde le comprend; il serait inutile de développer celte proposition, qui, au besoin, est démontrée par l'observation pathologique. J'ai d'ailleurs longuement étudié cette importante question (1). Est-il nécessaire de dire que les mêmes raisons d'équilibre n'existent pas pour les mouvements expressifs de la face ?

Le Créateur n'a donc pas eu à se préoccuper ici des besoins de la mécanique; il a pu, selon sa sagesse, ou — que l'on me pardonne cette manière de parler — par une divine fantaisie, mettre en action tel ou tel muscle, un seul ou plusieurs muscles à la fois, lorsqu'il a voulu (pie les signes caractéristiques des passions, même les plus fugaces, fussent écrits passagèrement sur la face de l'homme Ce langage de la physionomie une fois créé, il lui a suffi, pour le rendre universel et immuable, de donner à tout être humain la faculté instinctive d'exprimer toujours ses sentiments par la contraction des mêmes muscles.

(I) Loc. cil., 2e partie.

Il était certainement possible de doubler le nombre des signes expressifs de la physionomie; il fallait, pour cela, que chaque sentiment ne mît en jeu qu'un seul côté de la face, ainsi qu'on me le voit faire dans mes expériences. Mais on sent combien un tel langage eût été disgracieux; c'est probablement dans le but do le rendre harmonieux que la nature a mis au service de chaque passion les muscles homologues (de même nom), en nous privant de la faculté de les faire jouer isolément.

CHAPITRE IIL

CERTITUDE DE CES RECHERCHES.

Il importe de provenir quelques objections qui, si elles étaient fondées, diminueraient et annuleraient môme la valeur de mes expériences.

Ce n'est point pour me donner le plaisir de les réfuter que je soulève ces objections, elles m'ont été faites sérieusement.

La sensibilité de la face est telle, que l'on ne peut épargner aux sujets soumis à ce genre d'expériences une sensation désagréable et quelquefois un peu douloureuse. Or cette sensation peut occasionner des mouvements involontaires. Comment distinguer alors ces derniers mouvements de ceux qui appartiennent à l'action propre du muscle excité ?

En général, ces mouvements involontaires n'ont lieu qu'à la première application des rhéophores, et ne se reproduisent plus chez les individus habitués à la sensation électrique. D'ailleurs, on verra par la suite que, dans le but de dissiper les doutes qui pourraient surgir de cette objection, j'ai choisi, pour sujet principal de mes expériences, un homme chez lequel la sensibilité de la face était peu développée; et enfin ces mêmes expériences, répétées sur le cadavre encore irritable, ont donné des résultats parfaitement identiques.

La contraction partielle d'un muscle qui préside à une expression ne pourrait-elle pas réagir sur rame, et produire

sympathiqucmont une impression intérieure qui provoquerait d'autres contractions involontaires? La face, par exemple, met toujours en mouvement deux muscles, dont l'un dessine les lignes fondamentales d'un sentiment, tandis que l'autre en complète l'expression (c'est ce que je me réserve de démontrer en temps opportun). Eh bien ! l'excitation artificielle du premier muscle ne fait-elle pas naître une impression intérieure, et cette impression ne provoque-t-elle pas, à son tour, la contraction du second muscle ? C'est ce qu'on appellerait un phénomène sympathique en physiologie. Il en résulterait ([ue l'on ne pourrait mettre un muscle expressif isolément en contraction, sans provoquer l'action synergique d'autres muscles, satellites habituels de la passion dont il est le principal représentant.

Cet argument, comme le précédent, est assez spécieux; il tombe cependant en présence des nombreuses expériences que j'ai faites sur des sujets récemment morts, chez lesquels la contraction des muscles de la face a produit des mouvements expressifs, absolument semblables à ceux que l'on observe chez les vivants.

On a môme été jusqu'à admettre la possibilité de contractions dites réflexes, provoquées par toute excitation périphérique, de telle sorte que l'électrisation musculaire localisée ne serait qu'une illusion.

Il n'est peut-être pas inutile de rappeler ici une des conditions dans lesquelles se produit le phénomène appelé contraction musculaire réflexe. Lorsqu'on pique une des extrémités

d'un animal dont la teto vient d'ôtre séparée du tronc, on observe des mouvements qui produisent la flexion des différents segments du membre excité les uns sur les autres. C'est cette stimulation périphérique qui remonte parles nerfs sensibles jusqu'à un point de la moelle correspondant à l'origine des nerfs moteurs du membre excité, de manière à réagir sur certains muscles qui alors entrent en contraction. On voit donc que ces contractions, auxquelles la volonté reste entièrement étrangère, et qui se produisent dans la région dont on excite la sensibilité, ont évidemment lieu en vertu d'une action justement appelée réflexe.

Ne se pourrait-il pas (me disait-on) que Vexpression qui se produit pendant l'excitation électrique d'un muscle quelconque fût le résultat d'un ensemble de contractions réflexes analogues à celles dont il vient d'être question, et non le produit d'une contraction musculaire partielle ? Je compris que cette objection jetait un grand doute sur la valeur de mes recherches électro-physiologiques, pour ce qui a trait à l'action propre des muscles non-seulement de la face, mais aussi des membres. Elle fut bientôt réfutée par de nombreuses expériences que j'ai longuement exposées ailleurs (1), et que je ne ferai que résumer ici.

J'ai démontré (pie ce phénomène réflexe qui se développe dans certaines conditions pathologiques (de maladie) ne pouvait se produire à l'état normal. J'ai fait en outre contracter

(I) Loo. cit., Iro édit., I83Ü, p. 30, et -2e edil., -I8G2, ». 3i.

isolément des muscles humains, misa nu sur certains membres nouvellement amputés, et j'ai prouvé que les mouvements étaient absolument les mômes que lorsque j'excitais les muscles homologues des membres non séparés du tronc. J'ai fait aussi des expériences sur les animaux dont j'excitai les muscles de la face, et les mouvements ont été absolument identiques, que la tète fût ou non séparée du tronc.

De l'ensemble de ces faits, il ressort donc évidemment que, dans mes expériences faites sur des sujets sains, l'éleclrisa-tion musculaire localisée ne provoque pas de contractions réflexes qui viennent compliquer l'action musculaire partielle.

CHAPITRE IV.

UTILITÉ DE CES RECHERCHES.

Personne, assurément, ne contestera la nouveauté des faits qui ressortcnt de mes expériences électro-physiologiques sur l'expression de la physionomie. Je vais essayer d'en démontrer aussi brièvement que possible l'utilité, au point de vue anatomique, physiologique et psychologique, et indiquer les heureuses applications que l'on peut en faire à l'étude des beaux-arts.

AU POINT DE VUE DE L'APPLICATION A L'ANATOMIE ET A LA PHYSIOLOGIE.

A. La plupart des muscles de la face semblent se continuer les uns dans les autres, surtout lorsqu'on les étudie par leur face interne. M. le professeur Cruveilhier a eu l'obligeance de me montrer des figures dessinées d'après des préparations anatomiques qu'il avait faites dans le but d'étudier les muscles par leur face postérieure, après avoir détaché des os, en masse, les parties molles du visage. On

I.

voit, dans ces préparations, que toutes les libres musculaires semblent se continuer les unes dans les autres, à tel point qu'on ne saurait assigner les limites exactes du plus grand nombre des muscles de la face.

Si cette continuité fibrillaire des muscles de la face était réelle, leur indépendance serait très compromise, sinon annulée. Comment concevoir, en effet, qu'un muscle puisse se contracter dans une portion de sa longueur ou de sa continuité? Et, dans ce cas, où placerait on le point fixe? En un mot, avec cette doctrine de la continuité fibrillaire (t) qui convertit, pour ainsi dire, en un masque tous les muscles de la face, on ne peut s'expliquer le mécanisme de cette foule de petits mouvements indépendants, qui écrivent sur la figure les impressions si nombreuses de l'âme en caractères toujours identiques.

L'anatomie morte, dont la principale mission est de nous guider dans nos recherches sur les mystères de la vie, en nous aidant à connaître les fonctions des organes, semblait au contraire s'attacher ici à nous égarer. Il était réservé à l'exploration électro-musculaire, véritable anatomie vivante, de démontrer que cette continuité fibrillaire n'est qu'une illusion.

Sans anticiper sur ce que j'ai à exposer par la suite, je puis dire déjà que. par ce moyen, j'ai découvert les limites

(I) Colle iloeirinc de la continuité fibrillaire reconnaît pour cliefliellingeri, célèbre analoniisle italien.

de quelques muscles que Ton croyait se continuer les uns dans les autres, ce qui, depuis lors, a été confirmé pour un muscle (le pyramidal du nez) à l'aide du scalpel.

B. L'électro-physiologie démontre l'existence, à la face, de muscles qui ne sont ni classés ni dénommés. J'en vais citer plusieurs exemples.

Un rhéophore, placé sur l'aile du nez, dilaie la narine comme le fait la nature dans les grandes émotions. L'ana-tomie morte en est encore à trouver un muscle qui puisse expliquer ce mouvement : elle va même jusqu'à nier l'existence de fibres musculaires dans l'aile du nez (1). J'espère pouvoir montrer que ce muscle a été confondu avec un autre muscle connu sous le nom de myrliforme, composé lui-môme de plusieurs muscles dont les fonctions sont opposées.

L'anatomie morte a confondu dans une môme dénomination des muscles qui possèdent une action indépendante, sous l'influence de l'excitation électrique, comme pour les mouvements volontaires et instinctifs, des muscles enfin qui sont destinés à des fonctions essentiellement différentes.

Dans le muscle dit sphincter des paupières, par exemple, dont on a fait un seul muscle, on trouve quatre muscles indépendants qui président à des expressions diverses.

Il est évident pour tout le monde que la physiologie doit

(I) Vov. Sappey, Trnilv d'tnitilornir dezcripticr, p. (¡27,

commander l'anatomie, et que, sous prétexte de simplifier les études classiques, on aurait tort de continuer à embrouiller ainsi la science de la vie, et surtout l'étude de l'expression de la physionomie.

Mes recherches expérimentales redresseront aussi les erreurs physiologiques que l'on avait commises en attribuant à des muscles des mouvements auxquels ils étaient étrangers, et en méconnaissant ceux qui leur appartenaient. Il en était résulté qu'on s'était également trompé sur le rôle qu'ils jouent dans l'expression.

C'est ainsi que l'on faisait concourir le petit zygomatique au mouvement de la joie, tandis que l'expérimentation fait voir qu'il est le seul représentant du chagrin, du pleurer modéré.

C'est ainsi que le peaucier, qui jusqu'ici a été oublié ou mal étudié comme muscle expressif, concourt spécialement à peindre avec une vérité saisissante les mouvements les plus violents de lame : la terreur, la colère, la torture, etc.

.l'en pourrais dire autant de quelques autres muscles presque méconnus, de ceux principalement qui meuvent le sourcil, et qui jouent le rôle le plus important dans l'expression de la physionomie en mouvement, comme on le verra bientôt.

IL

AU POINT DE VUE DE L'APPLICATION A LA PSYCHOLOGIE,

La physiologie musculaire de la face humaine est intimement liée à la psychologie ; on ne saurait certes le nier, lorsqu'on me voit, pour ainsi dire, appeler successivement surja face du cadavre l'image fidèle de la plupart des passions dénombrées et classées par les philosophes.

C'est ce que je vais démontrer dans les considérations suivantes :

.%. — nénombrcmcnt des muscles expressifs et des expressions obtenues dans mes expériences électro-physiologiques.

a. Il est démontré par les faits exposés précédemment (article II) qu'il existe une sorte de hiérarchie pour les muscles expressifs de la face humaine, c'est-à-dire que ceux-ci n'ont pas tous le môme degré d'importance dans le jeu de la physionomie.

On peut en effet ranger dans un premier ordre les muscles qui, en se contractant partiellement, possèdent le privilège d'exprimer, de la manière la plus complète, des passions ou des états divers de l'esprit.

Un deuxième ordre se compose des muscles qui, de môme que ceux du premier ordre, dessinent les lignes expressives

d'une passion dont ils sont les uniques représentants, mais

qu'ils ne sauraient peindre complètement.

Dans un troisième ordre, enfin, on trouve les muscles qui sont destinés, en s'associant avec d'autres muscles, à exprimer spécialement certaines passions ou à les compléter, bien que, partiellement, ils soient inexpressifs.

Voici, dans la table synoptique suivante, la liste de ces muscles expressifs, rangés d'après ces différents ordres :

TABLE SYNOPTIQUE.

1° Muscles complètement expressifs.

Fuontal............Muscle de l'attention.

Orbiculaire palpébral supérieur ............Muscle de la réflexion.

Sourcilier...........Muscle de la douleur.

Pyramidal du nez.......Muscle de l'agression.

2° Muscles incomplètement expressifs et expressifs complémentaires.

Grand zygomatique.......Muscle de la joie.

Petit zygomatique.......Muscle du pleurer modéré.

Élévateur propre de la lèvre supérieure..........Muscle du pleurer.

Elévateur commun de l'aile du nez et de la lèvre supérieure............Muscle du pleurer à chaudes larmes

Transverse du nez.......Muscle de la lubricité.

Buccinateur..........Muscle de l'ironie.

Triangulaire des lèvres. . . « Muscle de la tristesse, du dégoût, et

complémentaire des expressions agressives.

Muscle de la houppe du menton. Muscle du dédain et du doute. Peaucier............Muscle de la frayeur, de l'effroi, de

la torture, et complémentaire de

la colère.

Carré du menton........Muscle complémentaire de l'ironie

et des passions agressives.

Dilatateur des narines.....Muscle complémentaire des passions

violentes.

Masséter............Muscle complémentaire de la colère, de la fureur.

Palpeur aux...........Muscle du mépris et complémentaire du pleurer.

Orbiculaire palpébral , inférieur ............Muscle de la bienveillance et complémentaire de la joie franche.

Fibres excentriques de l'orbi-

culaire des lèvres......Muscle complémentaire du doute

et du dédain.

Fibres concentriques de l'or-

biculairiî des lèvres.....Muscle complémentaire des passions

agressives ou méchantes. Regard en haut........Mouvement complémentaire du souvenir.

Regard oblique en haut et latéralement..........Mouvement complémentaire de l'extase et du délire sensuel.

Regard oblique en bas et latéralement...........Mouvement complémentaire de la

défiance ou de la frayeur. Regard en bas.........Mouvement complémentaire de la

tristesse, de l'humilité.

On pourrait former un dernier ordre avec les muscles qui, sans aucun doute, sont mis en action par quelques passions, mais qui ne produisent sur la physionomie aucune ligne expressive apparente : ce sont les muscles auriculaires et les muscles du pavillon.

Je rangerai aussi dans cet ordre un muscle qu'il ne m'a pas été possible de faire contracter partiellement, et dont je ne puis en conséquence décrire exactement l'action propre : c'est le muscle canin.

b. Il est également ressorti des faits électro-physiologiques et des considérations exposées précédemment que les expressions peuvent être partagées en deux classes : en expressions primordiales et en expressions complexes.

Les expressions primordiales sont produites par les contractions partielles des muscles complètement expressifs ou par la combinaison des muscles incomplètement expressifs avec des muscles expressifs complémentaires.

Les expressions complexes résultent de l'association des expressions primordiales.

Je vais exposer le dénombrement des expressions primordiales et des expressions complexes que j'ai pu obtenir par l'expérimentation électro-physiologique.

TABLKAU SYNOPTIQUE

EXPRESSIONS

PRIMORDIALES.

MUSCLES

OUI LES PRODUISENT.

1° Par la conlraclkm partielle des muscles complètement expressifs.

Attention.......

Réflexion.......

Méditation......

Contention......

Douleur .......

Agression., méchanceté ........

2° Par la contraction combinée îles muscles incomplètement expressifs et des muscles expressifs complémentaires.

Pleurer à chaudes larmes.......

Pleurer modéré . . . Joie..........

Rire..........

Joie fausse, sourire

menteur......

Ironie, rire ironique. Tristesse, abattement.

Dédain, dégoût. . . .

Doute.........

Mépris.........

Frontal.

Orbiculaire palpébral supérieur (portion du muscle dit sphincter des paupières); contraction modérée.

Môme muscle; contraction forte.

Même muscle; contraction très forte.

Sourcilier.

Pyramidal du nez.

Élévateur commun de l'aile du nez et de la lèvre supérieure, palpébraux.

Petit zygomatique et palpébraux.

Grand zygomatique et orbiculaire palpébral inférieur ; contraction modérée.

Mêmes muscles et palpébraux.

Grand zygomatique seul.

Buccinateur, carré du menton.

Triangulaire des lèvres ; constricteur des narines et abaissement du regard.

Houppe du menton, triangulaire des lèvres et palpébraux.

Houppe du menton, fibres excentriques de l'orbiculaire des lèvres, soit de la moitié inférieure, soit des deux moitiés à la fois, et frontal.

Palpébraux, carré du menton, trans-versc du nez, et élévateur commun de l'aile du nez et de la lèvre supérieure.

TABLEAU SYNOPTIQUE.

expressions complexes

PAR LA COMBINAISON

des

EXPRESSIONS PRIMORDIALES.

MUSCLES qui les produisent.

Surprise........

Étonnement......

Stupéfaction.....

Admiration, surprise agréable ......

Frayeur .......

Effroi........

Effroi avec douleur, torture.......

Colère concentrée . .

Colère féroce avec emportement. . . .

Réflexion triste. . . . Réflexion agréable. .

Joie féroce......

Plaisir lubrique .

Frontal et abaisscurs de la mâchoire inférieure, à un degré modéré de contraction.

Même combinaison musculaire et abaisscurs de la mâchoire inférieure, à un plus haut degré de contraction.

Même combinaison musculaire, au maximum de contraction.

Muscles de l'étonnement associés à ceux de la joie.

Frontal et peaucier.

Frontal, peaucier et abaisscurs de la mâchoire inférieure, au maximum de contraction.

Sourciller, peaucier et abaisseurs de la

mâchoire inférieure. Orbiculaire palpébral supérieur, mas-

séter, buccinateur, carré de la lèvre

inférieure et peaucier.

Pyramidal du nez, peaucier et abaissement du maxillaire inférieur, au maximum de contraction.

Orbiculaire palpébral supérieur et triangulaire des lèvres.

Orbiculaire palpébral supérieur et grand zygomatique.

Pyramidal du nez , grand zygomatique

et carré du menton. Transverse du nez et grand zygomatique.

EXPRESSIONS COMPLEXES PAR LA COMBINAISON

des

EXPRESSIONS I'RIMORMALES.

MUSCLES

OUI LES PRODUISENT.

Délire sensuel. . . .

Extase........

Grande douleur avec larmes, affliction. .

Douleur avec abattement, désespoir. . .

Mêmes muscles que ci-dessus, regard tourné en haut et latéralement, et spasme des paupières, dont la supérieure recouvre une partie de l'iris.

Même combinaison musculaire que dans le délire lubrique, mais sans transverse du nez.

Sourcilier et petit zygomatique.

Sourciller et triangulaire des lèvres.

On remarque, clans le tableau précédent, qu'en général plus les muscles de la face sont situés supérieurement, plus leur pouvoir expressif est grand, complet, lorsqu'ils se contractent partiellement.

On voit aussi que ces muscles ne sont pas seulement destinés à représenter l'image des passions, des sentiments et des affections; que certains actes de l'entendement peuvent môme se réfléchir sur la face : c'est ainsi, par exemple, que s'écrivent avec la plus grande facilité sur la physionomie de l'homme, — et cela seulement par la contraction partielle de l'un des muscles moteurs du sourcil! —la réflexion, le plus important, le plus noble état de l'esprit, celui qui paraît le plus abstrait, et la méditation, qui est la mère des

grandes conceptions, qui, chez certains hommes, est, pour ainsi dire, la passion dominante.

Je n'ai classé dans le tableau ci-dessus que les expressions qui ont pu être obtenues artificiellement, et fixées, pour la plupart, à l'aide de la photographie. J'en pourrai certainement augmenter le nombre par la suite, en produisant les nuances ou les degrés de ces expressions principales.

Quoi qu'il en soit, on trouvera sans doute que les expressions qu'il m'a été possible d'analyser par l'expérimentation électro-physique sont déjà assez nombreuses.

Il n'est pas donné à l'homme d'exprimer toutes ses passions sur sa physionomie, surtout si l'on considère comme autant de passions différentes toutes celles qui ont été dénommées et classées arbitrairement par les philosophes (1).

(I) Rien de plus varié, selon M. Lélut, de plus multiple, de plus complexe, de plus difficile à saisir sous la diversité des désignations, que les passions. « Qu'on se reporte, dit-il, à cet égard, à la liste suivante, dont les éléments, nous n'avons pas besoin de le dire, sont empruntés aux meilleures sources, à Platon, à Alistóte, à Cicerón, à Descartes, à Hobbes, etc., liste qui eût pu être encore plus longue, et que nous avons laissée tout d'abord dans le pêle-mêle de l'ordre alphabétique.

Admiration (lapremière Abjection. Désespoir.

des passions, d'après Bassesse. Deuil.

Descartes). Colère. Défiance.

Amour-propre. Cupidité. Dureté (agression

Amour. Chagrin. Discorde.

Avidité. Crainte. Douleur.

Angoisse. Courage. Désir.

Avarice. Curiosité. Dédain.

Allégresse. Charité. Désolation.

Audace. Confiance. Dégoût.

On ne m'accusera pas de les avoir dénombrées arbitrairement, car elles sont la reproduction de celles (pie l'unie elle-même peint sur la face de l'homme. Un jour peut-être ces études électro-physiologiques sur les différents modes d'expression de la physionomie humaine serviront a la formation d'une bonne classification fondée sur l'observation de la nature.

It. — Physionomie en mouvement.

L'étude de la physionomie en mouvement est cette partie de la psychologie qui traite des différentes manières dont l'homme manifeste ses émotions par les mouvements de sa face.

Estime. Hardiesse. Remords.

Espérance. Houle. Repentir.

Émulation. Indignation. Reconnaissance.

Enthousiasme. Irrésolution. Regret.

Épouvante. Inimitié. f Itire.

Envie. Ivrognerie, Sécurité.

Emportement. Jalousie. Satisfaction de soi-

Effroi. Joie. mémo.

Ennui. Lâcheté. Saisissement.

Faveur. Luxure. Souci.

Fureur. Lamentation. Sensualité.

Générosité. Mépris. Témérité.

Gloire. Moquerie. Tristesse.

Grandeur d'âme. Malignité. Timidité.

Gourmandise. Orgueil. Vénération.

Gloutonnerie. Pitié. Vanité.

Humilité. Pleurs. Vengeance.

Haine. Pusillanimité.

4

Si rhomme possède le don de révéler ses passions par celle sorte de transfiguration de l'àme, ne doit-il pas également jouir de la faculté de comprendre les expressions extrêmement variées qui viennent se peindre successivement sur la l'ace de ses semblables? Quelle serait donc l'utilité d'un langage qui ne serait pas compris? Exprimer et sentir les signes de la physionomie en mouvement me semblent des facultés inséparables que l'homme doit posséder en naissant. L'éducation et la civilisation ne font que les développer ou les modérer.

(Test la réunion de ces deux facultés qui fait du jeu de la physionomie un langage universel. Pour être universel, ce langage devait se composer toujours des mêmes signes, ou, en d'autres termes, devait être placé sous la dépendance de contractions musculaires toujours identiques.

Ce que le raisonnement seul avait fait pressentir, ressort clairement de mes recherches. J'ai en effet constaté, dans toutes mes expériences, ainsi que je l'ai déjà démontré, que c'est toujours un seul muscle qui exécute le mouvement fondamental, représentant un mouvement donné de l'âme. Cette loi est tellement rigoureuse, que l'homme a été privé du pouvoir de la changer et même de la modifier. On prévoit ce qui serait infailliblement arrivé s'il en eût été autrement; le langage de la physionomie aurait eu le sort du langage parlé, créé par l'homme : chaque contrée, chaque province, aurait eu sa manière de peindre les passions sur la figure ; peut-être aussi le caprice aurait-il fait varier à l'infini

l'expression physionoinique dans chaque ville, chez chaque individu.

11 fallait que ce langage de la physionomie fût immuable, condition sans laquelle il ne pouvait être universel, (.'est pour cela que le Créateur a placé la physionomie sous la dépendance des contractions musculaires instinctives ou réflexes.

On sait avec quelle régularité tous les mouvements instinctifs s'exécutent. Je ne citerai, comparativement et comme exemple, que ceux de la marche, pendant laquelle l'enfant môme résout les problèmes de mécanique les plus compliqués, avec une facilité et une précision que la volonté ne saurait jamais égaler. On comprend donc comment chaque passion est toujours dessinée sur la figure par les mômes contractions musculaires, sans (pie ni la mode ni le caprice puissent les faire varier.

« Généralement, dit Descartes, toutes les actions tant du visage que des yeux peuvent être changées par l'âme, lorsque, voulant cacher sa passion, elle en imagine fortement une contraire, en sorte qu'on s'en peut aussi bien servir à dissimuler ses passions qu'à les déclarer (i). » il est très vrai que certaines personnes, les comédiens par-dessus tous, possèdent l'art de feindre merveilleusement des passions qui n'existent réellement que sur leur physionomie ou sur leurs lèvres. En se créant une situation imaginaire, ils peuvent, en vertu

(I) Les passions de l\liiw, îu part., art. I 1 3

dune aptitude spéciale, l'aire appel à ces émotions aiti-iicielles. Cependant il me sera facile de démontrer qu'il n'est pas donné à l'homme de simuler ou de peindre sur sa face certaines émotions, et que l'observateur attentif peut toujours, par exemple, découvrir et confondre un sourire menteur.

Quoi qu'il en soit, les caractères de l'expression de la face humaine, qu'on les simule ou qu'ils soient produits réellement parmi mouvement de l'âme, ne peuvent être changés: ils sont les mêmes chez tous les peuples, chez les sauvages comme chez les nations civilisées, ne différant, chez ces dernières, que par leur modération ou par la distinction des traits.

c. — Physionomie nu repos.

Pendant le repos musculaire, c'est-à-dire dans l'intervalle des mouvements déterminés par l'action nerveuse, volontaire ou instinctive, les muscles possèdent encore une force qui ne sommeille jamais, qui ne se perd qu'avec la vie. Cette force est appelée tonicité. C'est eu vertu de cette force tonique que les extrémités libres d'un muscle coupé, chez le vivant s'éloignent l'une do l'autre en se rétractant.

Les muscles sont donc des espèces de ressorts qui, dans l'intervalle des contractions, se font plus ou moins équilibre. (Test ainsi qu'à la face, les tissus, et principalement la peau, sont entraînés dans le sens des plus forts.

Chez le nouveau-né, l'âme est encore vierge de toute émotion, la physionomie au repos est absolument négative; elle exprime l'absence complète de toute émotion; mais, dès qu'il vient à être excité par les sensations, et qu'il commence à ressentir l'influence des passions, les muscles de sa face entrent en action pour les peindre sur son visage. Ceux de ses muscles qui sont le plus souvent exercés par cette sorte de gymnastique de l'àme prennent plus de développement, et leur force tonique s'accroît proportionnellement.

Est-il besoin de dire que la physionomie au repos subit nécessairement l'influence des modifications éprouvées par la force tonique de ses muscles, ou, suivant une comparaison triviale que j'ai déjà faite, par la force des ressorts qui la maintenaient en équilibre? C'est ainsi que se forme la physionomie au repos, physionomie individuelle qui doit être conséquemment l'image de nos sentiments habituels, le faciès de nos passions. (Je ne fais que développer ici scientifiquement un fait bien connu et généralement admis.)

Cependant un philosophe célèbre, Diderot, semble y avoir apporté de grandes restrictions. « On se fait (dit-il) à soi-même quelquefois sa physionomie. Le visage, accoutumé à prendre le caractère de la passion dominante, la garde; quelquefois aussi on la reçoit de la nature, et il faut bien la garder comme on l'a reçue. 11 lui a plu de nous faire bons, et de nous donner le visage du méchant, ou de nous

faire méchants, et de nous donner le visage de la bonté (1). »

S'il était vrai que la bonté pût être masquée par les dehors physionomiques de la méchanceté, il faudrait beaucoup en rabattre de l'admiration que nous devons à ce chef-d'œuvre de la nature, l'expression.

L'assertion de Diderot n'est heureusement pas exacte. Si l'on observe les nouveau-ués à ce point de vue, on leur trouvera toujours une expression identique, négative, comme je l'ai dit précédemment. C'est seulement avec le temps que l'on voit se former leur physionomie individuelle, bonne ou méchante, suivant la prédominance ou de leurs bonnes ou de leurs mauvaises passions. En admettant même qu'un homme bon pût naître avec une figure méchante, cette espèce de monstruosité serait tôt ou tard effacée par les mouvements incessants d'une belle âme.

Toutefois il est des affections locales de la face (contractures, paralysies partielles, tics) qui, à la longue, altèrent à tout jamais les traits naturels de la physionomie individuelle. Il est bien entendu que l'on doit tenir compte de cette cause d'erreur.

(I) Œuvres complètes de Diderot: Essai sur la peinture, p. 500.

m.

AU POINT DE VUE DE L'APPLICATION AUX ARTS PLASTIQUES.

L'analyse an atomique et électro-physiologique des différents modes d'expression de la face, cette étude sur le mécanisme de la physionomie humaine, qui foi! connaître la raison d'être des lignes, des rides, des saillies, des creux du visage, est d'une grande utilité dans la pratique des arts plastiques. C'est ce que je vais essayer de faire ressortir dans les considérations suivantes.

%.—Gvnuien comparatif de l'utilUé «!e i'anatomie marie et rte i'anntoinie vivante, au point de vue des arts plastiques.

L'étude expérimentale du mécanisme delà physionomie en mouvement exige des notions anatomiques exactes sur la musculation et sur l'innervation de la face. Quiconque voudra répéter mes expériences ; ou seulement satisfaire sa curiosité scientifique sur ce mécanisme de la physionomie, devra certainement posséder ces notions anatomiques spéciales.

Cependant l'artiste pourrait, à la rigueur, les négliger entièrement; il lui suffirait, pour la pratiquer, de connaître exactement les lois des mouvements expressifs, qui découlent de mes recherches.

Afin de justifier cette opinion, que Ton nie permette de dire ici mon sentiment sur le desré d'utilité des connaissances anatomiques en générai, pour ce qui intéresse la pratique des arts plastiques.

Dans l'antiquité, l'étude de l'anatomie se composait de deux parties essentiellement distinctes, que l'on appelait anatomie morte et anatomie vivante. La première, qui s'occupe spécialement de la conformation des organes, était inséparable de la seconde, qui traite de leurs fonctions; en d'autres termes, l'étude de l'anatomie morte n'était (prune préparation à l'étude des organes en action (1). On en trouve la preuve dans un livre intitulé De Vitsage des parties, magnifique monument, élevé par Galion à la physiologie expérimentale des anciens (2).

On ne saurait contester l'utilité de l'anatomie morte appliquée à la peinture et à la sculpture. Les plus grands maîtres de la renaissance, Léonard de Vinci, Michel-Ange (à qui l'on pourrait reprocher d'en avoir abusé), et tant d'autres dont le génie était rehaussé par la science, nous montrent, dans leurs œuvres magnifiques, tout le parti que l'on peut tirer des connaissances anatomiques.

Je ne crois pas cependant que ces études faites sur le

(1) C'est ce qu'on appelle de nos jours vivisection, mode d'expérimentation remis en usage par la physiologie moderne, à l'imitation des anciens, que nous n'avons pas toujours égalés dans cette voie de recherches.

(2) Œuvres anatomiques, physiologiques et médicales de Galien, trad. par Ch. Daremberg, \ 854, 1.1.

cadavre soient absolument indispensables à la pratique de l'art. Il paraît, en effet, bien démontré que, chez les Grecs, l'anatomie humaine était ignorée.

Elle eût blessé leur religion et leurs mœurs. Du temps de Galien môme, les dissections humaines eussent été considérées comme un sacrilège. Aussi ce grand anatomiste, à l'exemple de ses prédécesseurs, n'a-t-il jamais disséqué que des singes. Et il a conclu de cet animal à l'homme !

De telles connaissances ne pouvaient évidemment pas servir à l'étude des formes de l'homme: conséquemment elles n'étaient pas applicables à la pratique des arts plastiques.

De quelle école sont donc sortis ces magnifiques chefs-d'œuvre de la statuaire antique dont nous ne pouvons admirer aujourd'hui que les débris? Si l'on ne savait le contraire, on ne manquerait pas de supposer une science anatoinique profonde aux maîtres qui les ont produits.

C'est que chez les Grecs l'étude du nu était singulièrement favorisée par les mœurs; c'est que l'artiste avait de fréquentes occasions d'étudier le jeu des muscles sur des sujets qui possédaient à la fois la force, l'adresse et la beauté des formes, toutes qualités alors en honneur. Aussi avec quelle sévérité et avec quelle sagesse savaient-ils accuser les reliefs et les dépressions qui trahissent le mouvement et donnent la vie aux membres!

Cette science précieuse, indispensable chez tout artiste, la science du modelé vivant, née seulement de l'observation de

l'homme en mouvement, était elle-même une véritable élude d'anatomie vivante, sans laquelle la connaissance de l'anatomie morte n'aurait pu produire que des écorchés ou des difformités. C'est du moins ce que l'expérience apprit plus tard. L'exagération de la science anatomique ne fut-elle pas en effet une des principales causes de la décadence de l'art?

En résumé, bien que l'étude de l'anatomie morte soit incontestablement utile, bien qu'elle aide à comprendre la raison des reliefs musculaires des membres et du tronc, il ressort des considérations précédentes : Io qu'elle n'est pas absolument indispensable ; 2° que l'étude des formes extérieures, surtout à l'état de mouvement, doit être cultivée beaucoup plus spécialement dans la pratique des arts plastiques.

S'il est permis de douter que l'étude de l'anatomie morte soit absolument nécessaire aux arts plastiques, pour ce qui a trait aux mouvements des membres et du tronc, on peut affirmer qu'elle est bien moins utile encore à la face, où, à peu d'exceptions près, les muscles en contraction ne font aucun relief sous la peau.

Peu importe, en effet, à l'artiste, de connaître la situation , la forme et la direction des muscles de la face, de savoir que tel ou tel de ces muscles préside à l'expression de la* joie, du chagrin, de la colère, etc., si pour peindre exactement ces passions diverses, il lui suffit d'observer l'homme agité par elles dans les conditions normales de la vie.

It. — Impossibilité «l'étudier les mouvements expressifs de la face de la me «ne manière «iue les mouvements volontaires des membres.

Les mouvements expressifs de la physionomie ne sont pas, comme ceux des membres et du tronc, soumis à l'influence de la volonté; car l'âme seule jouit, en général, de la faculté de les produire avec fidélité. Ils sont alors tellement fugaces, qu'il n'a pas toujours été possible aux plus grands maîtres de saisir, comme pour les mouvements des autres régions, l'ensemble de tous leurs traits distinctifs. J'aurai l'occasion d'en fournir la preuve, en prenant pour exemple quelques-uns des antiques célèbres. Que l'on me pardonne ces hardiesses ; je m'engage à les justifier plus tard par une analyse scientifique et rigoureuse.

Les règles des lignes expressives de la face en mouvement, ce que je voudrais appeler orthographe de la physionomie, n'ont pas été réellement formulées jusqu'à ce jour, quoique depuis longtemps on ait essayé d'exposer l'ensemble des traits qui constituent telle ou telle expression.

Ce n'est pas que le talent ait fait défaut dans ce genre d'étude ; car parmi les auteurs qui ont traité spécialement de ce sujet important, on en compte plusieurs dont le nom est illustre dans l'histoire des beaux-arts (je rappellerai encore ici le nom du célèbre peintre Lebrun). C'est que, ne connaissant pas un critérium certain, chacun d'eux a plutôt consulté ses propres inspirations que l'observation exacte de la nature.

Heureux l'artiste qui, ne prenant que son génie et son inspiration pour guides, n'est pas tombé dans quelques écarts, sans pouvoir en trouver la raison !

Étudiant à ce point de vue les chefs-d'œuvre des grands maîtres, j'ai fait des remarques qui ne sont pas ici sans intérêt et que je vais exposer brièvement.

Les traits propres à tel ou tel mouvement expressif se composent de lignes fondamentales, qui en sont les signes patho-gnomoniques, et de lignes que j'appellerai secondaires. Celles-ci peuvent manquer dans certaines conditions ; mais, dès qu'elles apparaissent, ce n'est jamais que comme satellites de celles-là, pour ajouter à leur signification, pour donner une idée approximative du degré de la passion, de l'âge du sujet, etc.

Les maîtres de l'art n'ont pas toujours su trouver ces lignes fondamentales : tantôt, après les avoir instinctivement dessinées avec une grande vérité dans une esquisse, ils les ont perdues en finissant leur travail, sans pouvoir les retrouver; d'autres fois il ont su les exprimer seulement d'un côté de la face. Je citerai des exemples à l'appui de ces assertions; je démontrerai que ces fautes ne doivent être attribuées qu'au défaut de connaissances suffisantes sur les lois du mécanisme de la physionomie en mouvement.

J'ai constaté cependant avec admiration que ces hommes de génie ont, en général, merveilleusement senti les lignes fondamentales de l'expression. Quand il leur est arrivé de s'égarer dans la peinture d'une passion, c'est presque ton

jours à l'occasion des lignes expressives secondaires. Ainsi, quand je me suis trouvé en présence de leurs chefs-d'œuvre, j'ai quelquefois été surpris de voir des lignes secondaires, compagnes habituelles des passions les plus sympathiques, les plus touchantes, figurer à côté de lignes fondamentales représentant les plus mauvaises passions, bien que la nature ait rendu de telles associations mécaniquement impossibles.

Les lignes secondaires expressives ne seraient-elles qu'une sorte d'ornement dont le Créateur se serait plu à décorer les lignes fondamentales, qu'elles n'en seraient pas moins sacrées. Cette seule considération suffirait pour défendre à l'artiste de les effacer capricieusement, quelle que soit la hauteur de son génie. Mais il faut que l'on sache qu'elles ne sont pas un simple ornement, une fantaisie de la nature. J'ai dit, et je démontrerai qu'elles enrichissent les lignes fondamentales en fournissant certains renseignements importants.

Eh bien ! malgré l'utilité incontestable de ces lignes secondaires, on n'a pas craint quelquefois, dans les arts plastiques, de les oublier ou de les effacer.

Ainsi j'aurai plus tard à examiner si les anciens artistes grecs qui imitaient rarement les détails n'ont pas trop sacrifié aux convenances de la beauté plastique, en négligeant les traits secondaires, et si les modernes, à leur exemple, ne se sont pas de même laissé trop souvent égarer par un faux goût. Peut-être aussi n'ont-ils pas reconnu l'importance de

ces lignes, par le seul fait de la difficulté d'observer les mouvements expressifs de la face.

En somme, il ressort des considérations critiques précédentes que, dans l'étude des lignes expressives de la face, l'artiste a manqué jusqu'à ce jour d'un critérium certain.

f. — lies règles «lu mécanisme «le la physionomie, déduites «le l'expérimentation électro-musculaire éclairent l'artiste, sans enchaîner la liberté «le son génie.

L'électrisation localisée, qui fixe les traits de la face et fait connaître exactement la cause physique de tous ses plis, de toutes ses rides, en provoquant la contraction de ses muscles partiellement ou par groupes, est destinée à représenter les expressions primitives ou les expressions complexes. Cette méthode d'exploration permet donc de formuler à coup sûr les règles qui doivent guider l'artiste dans la peinture fidèle et complète des mouvements de l'âme, les règles de Y orthographe cle la physionomie en mouvement.

Que l'on ne craigne pas que ces règles puissent menacer la liberté de l'art, étouffer les inspirations du génie ; elles ne leur apporteront pas plus d'entraves que les règles de la perspective, par exemple. Que l'on ne croie pas non plus que chaque expression aille sortir, pour ainsi dire, d'un moule unique; le jeu de la physionomie ne peut être ni aussi simple, ni d'une monotonie aussi affligeante.

N'est-il pas, en effet, établi par mes expériences, que le degré d'accentuation et de développement des traits fondamentaux et secondaires de la physionomie en mouvement, non-seulement est en raison directe du degré de contraction musculaire (ce qui signifie : selon le degré de la passion qui la provoque), mais aussi suivant une foule d'autres conditions?

Voici, en résumé, quelques-unes de ces conditions.

Les traits fondamentaux qui, à la naissance, apparaissent pendant les mouvements de la physionomie, s'accentuent, se creusent et s'étendent avec l'âge et par le jeu des passions ; ce n'est en général qu'aune certaine époque de la vie que l'on voit poindre et se développer les traits secondaires, satellites des lignes fondamentales.

Ajoutons que tous ces phénomènes sont encore subordonnés au degré d'embonpoint ou de maigreur du sujet, et que le sexe exerce aussi sur leur mode de production une certaine influence.

Ce n'est pas tout encore : le fond sur lequel se peignent ou s'écrivent tous ces signes du langage muet de l'âme n'est jamais le même ; en d'autres termes, la physionomie individuelle doit conserver son cachet propre au milieu de ces transfigurations passagères que lui font subir les agitations incessantes des passions. Or cette physionomie individuelle n'est pas seulement sous la dépendance des contours du visage, sur lesquels on sait que Lavater a fondé sa doctrine; elle est aussi constituée par la permanence des traits propres

aux sentiments habituels du sujet, à ses passions violentes, et cela en vertu de la prédominance des muscles les plus exercés par ce que l'on peut appeler gymnastique des passions.

En voilà certes assez, je pense, pour faire varier à l'infini les traits d'une même passion, d'une même affection.

L'observance des règles déduites de l'étude du mécanisme de l'expression exige, chez l'artiste, une grande finesse d'observation.

Ces règles évidemment ne peuvent suppléer au génie; mais, en enseignant l'art de peindre correctement les mouvements delà physionomie humaine et en faisant connaître l'harmonie naturelle de ses lignes expressives, elles peuvent empêcher ou modérer les écarts de l'imagination.

PLAN QUE J'AI ADOPTÉ POUR L'EXPOSITION DE CES RECHERCHES.

Les faits qui ressortent de mes expériences électro-physiologiques sur le mécanisme de la physionomie en mouvement sont de ceux qui ne peuvent être jugés que par la vue. J'ai répété ces expériences des centaines de fois en présence de nombreux témoins, et toujours elles ont porté la conviction dans les esprits.

Des artistes habiles ont vainement essayé de les représenter; car les contractions provoquées par le courant électrique sont de trop courte durée pour que le dessin ou la peinture puisse

reproduire exactement les lignes expressives qui se développent alors sur la face.

La photographie seule, aussi fidèle que le miroir, pouvait atteindre la perfection désirable; elle m'a permis de composer, d'après nature, un album de figures qui feront, pour ainsi dire, assister mes lecteurs aux expériences électro-physiologiques que j'ai faites sur la face de l'homme.

Un écrivain spirituel, Tôpffer, a démontré d'une manière très originale l'existence d'une nouvelle espèce de littérature qu'il a appelée littérature en estampes.

« On peut écrire, dit-il dans son Essai de la physiogno-monie, des histoires avec des chapitres, des lignes, des mots : c'est de la littérature proprement dite. On peut écrire des histoires avec des successions de scènes représentées graphiquement : c'est de la littérature en estampes........

» La littérature en estampes a ses avantages propres : elle admet, avec la richesse des détails, une extrême concision relative; car un, deux volumes écrits par Richardson lui-même, équivaudraient difficilement, pour dire avec autant de puissance les mêmes choses, à ces dix ou douze planches â'Hogarth, qui, sous le titre d'Un mariage à la mode, nous fait assister à la triste destinée et à la misérable fin d'un dissipateur.......................

» Elle a aussi cet avantage propre, d'être d'intuition en quelque sorte, et partant d'une extrême clarté relative. . .

» Enfin il y a bien plus de gens qui regardent que de gens qui lisent. »

Los remarques judicieuses de Tôpffer sont parfaitement applicables au sujet scientifique et artistique dont j'ai à traiter. La vue de figures photographiées, qui représentent, comme la nature, les traits expressifs propres aux muscles interprètes des passions, en apprend mille fois plus que les considérations et les descriptions les plus étendues.

Il me suffirait, pour montrer l'exactitude des propositions neuves et importantes qui ont été exposées dans ces considérations générales, de publier l'album composé de ces photographies électro-physiologiques de la face, avec quelques notes explicatives. Ma tâche serait plus facile; mais la démonstration scientifique de tous les faits mis en lumière par mes expériences m'oblige d'entrer clans des considérations anatomiques et physiologiques qui ne sauraient trouver place dans l'explication des figures d'un album. Ces considérations d'ailleurs seront nécessaires à ceux qui voudront répéter mes expériences ou qui auraient à en faire l'application à la pratique des arts plastiques.

J'ai donc composé un album de figures photographiées d'après nature, destinées à représenter mes expériences électro-physiologiques sur le mécanisme de la physionomie, et, dans l'explication des légendes de ces figures, j'ai résumé les principaux faits qui découlent de ces expériences.

Je publierai ensuite un travail dont cet album sera l'atlas, et dans lequel je me propose : 1° d'exposer quelques considérations anatomiques sur chacun des muscles qui concourent à l'expression; 2° de décrire leur action partielle, les

reliefs, les creux, les sillons, les plis, les rides, en un mot les mouvements variables auxquels ils donnent naissance, suivant leur degré de contraction, selon l'âge du sujet et certaines conditions anatomiqucs; 3" de démontrer la part qu'ils prennent à telle ou telle expression, soit par leur action partielle, soit par leurs combinaisons diverses ; t\" enfin d'en déduire les lois ou plutôt les règles du mécanisme de la physionomie.

TABLE DES MATIÈRES

Préface................................................ v

Travaux de l'auteur....................................... vu

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.............................. I

CHAPITRE PREMIER. — Revue des travaux antérieurs sur l'action musculaire dans le jeu de la physionomie..... 1

I. -- Coup d'œil historique............................... 2

A. Camper.......................................... 2

B. Lavater, Moreau (de la Sarthe)........................ 4

C. Charles Bell....................................... S

D. Sarlandière........................,.............. 6

II. — Considérations critiques sur les divers modes d'investigation

en usage dans l'étude de la myologie................... 7

III. — Origine de mes recherches électro-physiologiques sur la

physionomie en mouvement............................ 13

CHAPITRE II. — Faits généraux principaux qui rcssortent de

mes expériences électro-physiologiques............. 7

I. — Contractions partielles des muscles de la face.......... 18

A. Contractions partielles complètement expressives........... 18

B. Contractions partielles incomplètement expressives.......... 23

C. Contractions partielles expressives complémentaires........ 24

1). Contractions partielles inexpressives.................... 25

II. — Contractions combinées des muscles de la face........... 25

A. Contractions combinées expressives...................... 25

B. Contractions combinées inexpressives.................... 28

C. Contractions combinées expressives discordantes........... 29

III. — De la synergie musculaire des mouvements expressifs de

la face,.......................................... 30

CHAPITRE III. — Certitude de «es recherches............... 33

CHAPITRE IV. — Utilité de ces recherches.................. 37

I. — Au point de vue de l'application a l'anatomie et a la phy-

siologie.................................... 37

II. — Au point de vue de l'application a la psychologie........ il

A. Dénombrement des muscles expressifs et des expressions obtenues dans mes expériences électro-physiologiques. .......... 41

Ë. Physionomie en mouvement........................ • 49

C. Physionomie au repos......................•........ i 2

III. — Au point de vue de l'application aux arts plastiques. ..... 55

A. Examen comparatif de l'utilité de l'anatomie morte et de l'anatomie vivante, au point de vue des arts plastiques........... 55

B. Impossibilité d'étudier les mouvements expressifs de la face de la même manière que les mouvements volontaires des membres .....,....................................... 59

C. Les règles du mécanisme de la physionomie, déduites de l'expérimentation électro-musculaire, éclairent l'artiste sans enchaîner la liberté de son génie......................... 62

Plan que j'ai adopté pour l'exposition de ces recherches. 64

fin de la table des matières.

AVERTISSEMENT

Les faits mis en lumière par mes recherches électro-physiologiques sur le mécanisme de la physionomie humaine ont une si grande importance; ils sont, en général, tellement inattendus, ou en opposition avec certains préjugés et l'opinion générale, que la démonstration expérimentale seule peut les faire accepter dans la science.

La photographie, aussi fidèle que le miroir, va permettre aux lecteurs d'assister, pour ainsi dire, à mes expériences électro-physiologiques, et de juger la valeur des déductions que j'en ai tirées.

Dès 1852, convaincu de l'impossibilité de vulgariser et même de publier ces recherches sans l'aide de la photographie, je me suis adressé à des artistes de talent. Ces premiers essais n'ont pas réussi et ne pouvaient réussir. En photographie, comme en peinture ou en sculpture, on ne rend bien que ce que l'on sent bien. L'art ne réside pas seulement dans une habitude de manipulation. Pour ce qui a trait à mes recherches, il faut, au moyen d'une sage distribution de la lumière, savoir mettre en relief telle ou telle ligne expressive. C'est ce que ne pouvait faire seul l'artiste le plus habile ; il ne comprenait pas les faits physiologiques à démontrer.

J'ai dû, en conséquence, m'initier dans l'art de la photographie.

J'ai photographié moi-même la plupart des figures ou présidé à leur exécution (1), et, afin de ne laisser aucun doute sur l'exactitude des faits qu'elles représentent, j'ai voulu que l'on n'y fit aucune retouche.

(lj M. Adrien Tournachon, photographe dont tout le monde connaît l'habileté, a bien voulu me prêter le concours de son talent dans l'exécution de quelques clichés.

Si, au point de vue photographique, elles laissent quelquefois à désirer, on me tiendra compte, j'espère, des difficultés que présente ce genre d'opérations. Je vais en signaler la principale.

Bien que mon appareil d'induction soit d'une grande précision et approprié à ces expériences électro-physiologiques, il est cependant impossible de maintenir longtemps au même degré de contraction le muscle, dont l'irritabilité, après quelques secondes d'action continue, semble s'affaiblir sous l'influence d'un courant à intermittences très rapprochées. De là vient la nécessité de photographier rapidement les expressions produites par l'expérimentation électro-physiologique.

Or, à l'époque où la plupart de mes clichés ont été obtenus (de 1852 à 1856), les appareils photographiques en usage étaient moins perfectionnés qu'aujourd'hui. J'ai dù me servir alors d'objectifs allemands, qui seuls pouvaient opérer avec assez de rapidité. Malheureusement ces appareils produisaient des déformations légères, et manquaient tellement de profondeur, que si, par exemple, l'œil était mis au point, le nez et

l'oreille n'y étaient plus. Il en est résulté souvent que, s'il me fallait mettre en relief certains traits expressifs et les montrer avec netteté, j'étais forcé de sacrifier les autres, qui, en termes de photographie, étaient flous; ou bien si, dans le but d'obtenir plus d'ensemble, je prenais un point intermédiaire, aucun trait de l'image photographique ne se voyait nettement.

Avec les appareils que nous possédons aujourd'hui , il me serait facile d'éviter ces légères déformations (1). Mais ce serait grand dommage que ces photographies fussent sacrifiées, pour quelques imperfections ; car elles présentent toutes un intérêt scientifique et artistique.

En effet, ces imperfections photographiques ne nuisent pas à la vérité et à la netteté des lignes expressives.

De plus, on remarquera qu'en général la distribution de la lumière est parfaitement harmonisée avec les passions que ces lignes expressives représentent. Ainsi les figures qui peignent les passions sombres, concentriques : l'agression, la

(1) J'opère avec un objectif de M. Dérosier, à court foyer, extrêmement rapide et d'une grande profondeur,

méchanceté, la souffrance, la douleur, la frayeur, la torture mêlée d'effroi, gagnent singulièrement en énergie, sous l'influence du clair-obscur; elles rappellent la manière de Rembrandt (voyez les figures 18, 20, 60, 65). D'autres figures tirées en plein soleil, la pose devant être très courte, offrent cependant des détails fins, des ombres bien fouillées; ce sont encore des clairs-obscurs, mais à la manière de Ribera ( voyez, entre autres, les figures 22, 40, 41, 42). On trouvera enfin quelques photographies très lumineuses, éclairées d'une manière générale : ce sont surtout celles qui peignent l'étonnement, l'ébahissement, l'admiration, la gaieté (voyez les figures 11, 31, 32, 33,56,57).

Toutes les figures de l'Album sont assez grandes pour que l'on voie très distinctement les lignes expressives : elles sont d'un quart environ de la grandeur naturelle.

Comme ces détails échappent à une certaine* distance, j'ai pensé qu'il était utile, surtout pour renseignement, de grandir les têtes qui peuvent servir à la démonstration des principes fondamentaux de la doctrine physionomique que j'ai à

établir. Ces têtes, grandes à peu près comme nature, sont au nombre de cinquante (1).

L'Album complet se compose de soixante-douze figures photographiées. Elles sont consacrées à l'étude expérimentale des muscles de l'attention (le frontal), de la réflexion (l'orbiculaire palpébral supérieur), de l'agression (le pyramidal), de la douleur (le sourcilier), de la joie ( le grand zygomatique), de la bienveillance [Yorbiculaire palpébral inférieur), du mépris (les palpébraux), de la lasciveté (le transverse du nez), de la tristesse (le triangulaire des lèvres), du pleurer (le petit zygomatique et Y élévateur propre de la lèvre supérieure), du pleurnicher [Yélévateur commun de F aile du nez et de la lèvre supérieure), enfin des muscles complémentaires de la surprise ou de l'étonnement (les abaisseurs de la lèvre inférieure), et complémentaire de la frayeur, de l'effroi (lepeaucier).

L'étude des muscles de la face dont il m'a été

(1) De 1856 à 1857, j'ai obtenu par transparence ces clichés négatifs, d'après des positifs intermédiaires grossis, qui eux-mêmes avaient été faits sur mes négatifs primitifs d'un quart de nature. Je ne sache pas que ce genre de photographie ait été fait avant moi.

impossible de représenter photographiquement l'action individuelle, sera exposée dans le texte de l'ouvrage. Ils sont d'ailleurs en petit nombre.

J'ai fait connaître sommairement, dans des légendes, les études électro-physiologiques auxquelles les figures de cet Album sont destinées. Mais la lecture de ces légendes eût été trop aride, si je ne les avais fait suivre de quelques développements qui rappellent les principes démontrés par les faits représentés dans ces figures, principes qui forment la base de mes recherches sur le mécanisme de la physionomie humaine.

MÉCANISME

DE LA

PHYSIONOMIE HUMAINE

I

PRÉPARATIONS ANATOMQUES ET PORTRAITS

DE

SUJETS SOUMIS A DES EXPÉRIENCES ÉLECTRO-PHYSIOLOGIQUES.

Figures 1, 2, 3, à, 5, 6.

LÉGENDE.

Fig. 1. — Préparation anatomique des muscles de la face.—

A. Frontal, muscle de Y attention. — B. Orbiculaire palpé-

bral supérieur, muscle de la réflexion. — C, D. Palpébraux

supérieur et inférieur, muscle du mépris et complémen-

1

Lairc du pleurer. — E. Orbiculaire palpébral inférieur, muscle de la bienveillance et complémentaire de la joie franche. — F. Petit zygomatique, muscle du pleurer modéré et du chagrin. — G. Elévateur propre de la lèvre supérieure, muscle du pleurer, — H. Élévateur commun

Fie. 1.

de la lèvre supérieure et de l'aile du nez, muscle du pleurnicher. — I. Grand zygomatique, muscle de h joie. — K. Masséter. — L. Orbiculaire des lèvres. — M. Triangulaire des lèvres, muscle de la tristesse et complémentaire des passions agressives. — N. Houppe du menton. — 0. Sourcilier, muscle de la douleur. — P. Pyramidal du nez, muscle de Y agression.—Q. Transverse du nez, muscle de la lasciveté, de la lubricité. — 11. Dilatateur des ailes

du nez, muscle complémentaire des expressions passionnées. — U. Buccinaleur, muscle de Y ironie. — Y. Fibres profondes de l'orbiculaire des lèvres se continuant avec le buccinateur. — X. Carré du menton, muscle complémentaire de Y ironie et des passions agressives. — Y. Peaucier, muscle de la frayeur, de Y effroi et complémentaire de la colère.

Fil.. 2.

2. — Préparation anatomique des nerfs moteurs de la face (de la septième paire). — II. Filet moteur du frontal.

— I. Filet moteur (la sourcilier. — F. Filet moteur de l'orbiculaire palpébral supérieur. •— ,F. Filet moteur du pal-pébral supérieur.—,1. Filet moteur du palpébral inférieur.

— K. Filet moteur de l'orbiculaire palpébral inférieur. —

b. Filet moteur du grand zygomatique. — c. Filet moteur du petit zygomatique. —Q. Filet moteur de l'élévateur propre de la lèvre supérieure. —M. Filet moteur du transverse du nez. — L. Filet moteur de l'élévateur commun de la lèvre supérieure et de l'aile du nez. — N. 0. Filets moteurs de l'orbiculaire des lèvres. — R. Filet moteur du carré du menton. — P. Filet moteur de la houppe du menton.— — F. Filet moteur du peaucier. — D'. Tronc du facial à sa sortie de l'aqueduc de Fallope. — G. Branche temporo-faciale. — E. Branche cervico-faciale. — A. B. Filets moteurs des muscles auriculaires postérieur et supérieur. — C. Filet moteur du muscle occipital. — S. Branche au-riculo-temporal de la cinquième paire. — T. Rameau moteur des muscles orbiculaire inférieur des lèvres, carré du menton, houppe du menton et triangulaire des lèvres.

Fig. 3. — Physionomie photographiée, au repos, d'un vieillard qui doit servir à de nombreuses expériences électro-physiologiques, représentées par la photographie dans cet album.

Fig. 4. — Physionomie photographiée, au repos, d'un jeune homme, d'après lequel plusieurs expressions électro-physiologiques et naturelles seront reproduites par la photographie.

Fig. 5. — Photographie d'une petite fille fronçant les sourcils, et sur laquelle seront faites plusieurs expériences électrophysiologiques.

Fie. 6. — Destinée à montrer que lorsque le rhéophore est en rapport avec un rameau nerveux qui anime plusieurs muscles, l'clectrisation musculaire do la face ne produit qu'une grimace.

Électrisation du rameau temporo-facial ; contraction de tous les muscles animés par lui; grimace semblable à celle qui est produite par le tic de la face.

Fig. 2 bis.—Appareil volta-faradique à double courant du docteur Duchenne(de Boulogne).

La description de cet appareil et la manière de te mettre en action ont été exposées dans mon livre intitulé : De Vélectrisation localisée et de son application à la pathologie et à la thérapeutique, chap. IV, art. Ie1', § 1, 2e édition.

EXPLICATION DE LA LÉGENDE.

L'individu que j'ai choisi comme sujet principal des expériences représentées par la photographie dans cet album, est un vieillard édenté, à la face maigre, dont les traits, sans être absolument laids, approchent de la trivialité, dont la physionomie est en parfaite concordance avec son caractère inoffensif et son intelligence assez bornée.

Voici les raisons qui ont déterminé ce choix :

1° Dans la vieillesse, on voit, sous l'influence des contractions musculaires, se dessiner toutes les lignes expressives de la face (les lignes fondamentales et secondaires).

2° La maigreur de mon sujet favorise le développement de ces lignes expressives, et facilite en même temps l'élec-trisation partielle des muscles de la face.

S0 A cette figure triviale je n'ai pas préféré des traits nobles et beaux. Ce n'est pas que l'on doive représenter la nature dans ses imperfections, pour la représenter exactement; j'ai voulu seulement démontrer qu'en l'absence de beauté plastique, malgré les défauts de la forme, toute figure humaine peut devenir moralement belle, par la peinture fidèle des émotions de l'âme. On verra que l'on arrive à ce résultat en excitant partiellement les organes moteurs de la face dont la principale fonction est de peindre nos passions.

/|.° Enfin, cet homme présentait une condition très favorable que je n'ai pas rencontrée chez d'autres sujets. — Tl est peu de personnes qui consentent à se soumettre à ce genre d'expériences, parce que, sans être très douloureuse, l'élcc-Irisation des muscles de la face provoque souvent des mouvements involontaires, la contorsion des traits du visage. — Ce sujet, lui, était peu sensible. 11 était atteint d'une affection compliquée d'anesthésie de la face (1). Je pouvais expérimenter sur cette région sans qu'il en éprouvât de la douleur, au point que je faisais contracter partiellement ses muscles avec autant de précision et de sûreté fine sur le cadavre encore irritable.

J'aurais pu choisir, à l'exemple des artistes, en général, des modèles dont la physionomie se trouvât en harmonie avec telle ou telle expression. En renonçant à ces avantages, je me suis privé d'un puissant moyen d'augmenter l'intérêt de mes expériences; bien plus, ne voulant pas faire concourir le geste à l'expression de mes figures, j'ai donné à tous mes sujets la même attitude.

Malgré ces conditions désavantageuses, et quoique la présence des rhéophores et des mains qui les tiennent, nuise à l'effet de mes figures, les expressions artificielles que j'ai photographiées n'en sont pas moins saisissantes de vérité.

(1) Il était alfcclé d'un spasme des muscles rotateurs droits de la tête, spasme qui se monlrait seulement alors qu'il voulait travailler de son élat do cordonnier fj'ai décrit celte maladie sons le nom de spasme musculaire jone-Wmnel). .le l'en ai guéri par l'éleelrisalion des muscles antagonistes.

J'aurai cependant à reproduire quelques expressions sur d'autres individus; je saisirai alors cette occasion pour réunir autant que possible l'ensemble des conditions qui constituent le beau, au point de vue plastique.

J'expérimenterai aussi sur des sujets de différents âges : sur un enfant (voy. fig. 5, 10, 28, 29), sur un jeune homme (voy. fig. h, 15, 16, 27, 24, 25), sur une jeune femme (voy. fig. 35, 36), et enfin sur une femme plus âgée et dont la peau est brûlée par le soleil (voy. fig. 11, 26, 27).

La démonstration des faits mis en lumière par l'expérimentation électro-physiologique ne pouvait être complète, sans que les mouvements expressifs naturels fussent représentés par la photographie, comparativement à ceux qui sont produits par l'électrisation localisée. Les moteurs du sourcil sont, de tous les muscles expressifs, ceux qui obéissent le moins à la volonté; en général, l'émotion de l'âme seule a le pouvoir de les mettre partiellement en mouvement. Or, on le sait, le vieillard dont il a été question plus haut (voy. la fig. 3) est trop peu intelligent ou trop peu impressionnable pour rendre lui-même les expressions que je produis artificiellement sur sa face.

Un hasard heureux m'a fait rencontrer un sujet qui, après un long exercice, en est arrivé à posséder un grand empire sur les mouvements de ses sourcils. C'est un artiste détalent et en même temps un anatomiste qui a eu la curiosité de faire cette étude sur lui-même. En faisant appel à ses sen

timents, il rend souvent avec une parfaite vérité la plupart des expressions propres à chacun des muscles du sourcil. Il a eu l'obligeance de se prêter à une expérience, en m'auto-risant à en représenter les résultats par la photographie. On voit, dans la figure A, sa physionomie au repos.

J'ai aussi fait mouvoir individuellement, parla faradisation, les muscles moteurs de son sourcil, et j'ai constaté que les mouvements artificiels étaient semblables aux mouvements expressifs que provoquaient ses sentiments. J'aurais pu représenter ces mouvements électro-musculaires ; mais c'eût été multiplier sans nécessité les figures, dont je suis forcé de restreindre le nombre. Je me suis clone borné à photographier, quand cela a été nécessaire, quelques-uns des mouvements expressifs du sourcil qu'il peut produire lui-même.

Un seul des muscles du sourcil échappe à son pouvoir; j'en représenterai l'action partielle obtenue par l'électrisation.

Comme ce sujet est jeune, ces figures me serviront à montrer les différences qui existent entre les mouvements expressifs, chez le jeune homme et chez le vieillard.

Enfin, il répond aux exigences de la plastique ; on voit, en effet, sur son portrait (fig. 4), où sa physionomie est au repos, que ses traits sont beaux et réguliers.

La figure photographiée placée en tête de ces recherches, comme spécimen de mes expériences électro-physiologiques, donne une idée du mode d'électrisation que j'ai employé pour obtenir la contraction partielle des muscles de la face.

On remarque que les rhéophores, tenus pai' ma main droite, communiquent avec mon appareil d'induction (1) par l'intermédiaire des fds conducteurs du courant et sont posés au niveau des muscles de la joie (I, %. 1). — Les lignes expressives de la joie se seraient montrées incomplètes sur la face du sujet, telles qu'elles peuvent être produites sous l'influence de Faction partielle de ces muscles, si je leur avais envoyé le courant de mon appareil. Mais je dois dire qu'ici le rire est naturel, et que j'ai seulement voulu montrer, dans son ensemble, le simulacre d'une de mes expériences électro-physiologiques.

La pratique de ces expériences n'est pas aussi facile que l'on pourrait le supposer, à la vue do cette figure. Elle exige la connaissance parfaite de la méthode que j'ai inventée afin de limiter l'excitation électrique dans chacun des organes.

Il est nécessaire d'en rappeler ici les principes, en résumé, pour ce qui a trait à Félectrisation musculaire eie la face (2).

(1) Cet appareil de précision, celui que j'ai préféré pour ces expériences, est mieux représenté dans la figure 2 bis placée au bas de la page 5.

(2) L'électricité d'induction est la seule qui soit applicable à ce genre d'expériences; je l'ai appelée faradisme, et son emploi faradisation. Voie comment j'ai justifié ces nouvelles dénominations.

• « Le mot électrisation ne devrait être employé que d'une manière générale.

» L'application de l'électricité de frottement pourrait être appelée rkclri-salion statique, et celle de l'électricité de contact conserverait le nom de galvanisation. Mais sous cette dernière dénomination on a, en général, désigné indifféremment, dans la pratique médicale, l'emploi de l'électricité de contact et de l'électricité d'induction. On comprend les conséquences fâcheuses d'une telle confusion, après les considérations électro-physiologiques et thérapeutiques que j'ai exposées dans ce travail.

» Puisqu'il est nécessaire de créer un mot qui désigne exactement l'cJec

afin que l'on comprenne mieux les photographies électrophysiologiques qui composent cet album.

1° Un appareil d'induction convient à ce genre d'expériences; les intermittences de son courant doivent être assez rapides et égales pour éviter le tremblement du muscle pendant qu'il est mis en contraction ; la gradation du courant doit être d'une grande précision et s'approprier au degré d'excitabilité différent de chacun des muscles de la face.

2° Les rhéophores, aussi petits que possible, afin de ne pas masquer les traits de la face, sont recouverts d'une peau humide, et placés sur les points d'élection. Ces points d'élection sont, pour l'expérimentation électro-physiologique pratiquée à la face, les points d'immersion des nerfs moteurs de la face. — On les voit sur la figure 2, où les filets nerveux moteurs des muscles de la face ont été disséqués avec le plus grand soin, et dans laquelle les nerfs sensibles (provenant de la cinquième paire) ont été coupés. — J'indiquerai ces points d'élection dans l'explication des figures qui représenteront les expériences électro-physiologiques.

Incité d'induction ou son application, n'est-il pas permis de le tirer du nom du savant qui a découvert cette espèce d'électricité ? Ainsi, de même que Gal-vani a laissé son nom à l'électricité de contact, de môme aussi on peut, selon moi, donnera l'électricité d'induction le nom de t'aradaij. En conséquence, cette électricité serait appelée faradisme, et son application désignée par le mot furudimlion. Cette dénomination me paraît d'autant plus heureuse, qu'elle établit une distinction bien tranchée entre l'électricité d'induction et l'électricité de contact, en même temps qu'elle consacre le nom d'un savant à qui la médecine doit une découverte bien plus précieuse pour la thérapeutique que celle de Galvani (aujourd'hui cette dénomination est universellement employée dans la pratique médicale). » (Loo. cit., p. 38.)

Ceux qui voudront contrôler mes recherches expérimentales, trouveront ces données insuffisantes. Il me faudrait, pour les initier complètement à cet art de localiser le courant électrique dans les muscles de la face, exposer des détails anatomiques et pratiques qui ne peuvent trouver place dans ce développement des légendes (1). Ce genre d'expériences exige, en outre, une grande habitude ; car il est difficile de trouver les points d'élection à travers la peau.

L'expérience représentée par la figure 6 en est une preuve frappante. Le rhéophore placé au niveau du grand zygoma-tique aurait dû produire la contraction isolée de ce muscle, ainsi qu'on l'observera dans la figure 30; mais le courant, trop intense, ayant pénétré profondément jusqu'à la branche temporo-faciale de la septième paire (voy. G, fig. 2), a provoqué la contraction en masse des muscles animés par ce tronc nerveux, et n'a pu produire qu'une grimace.

(1) Ces détails sont exposés dans ma Monographie sur les muscles de la face et dans mon Traité de l'électrisation localisée.

MUSCLE DE L'ATTENTION

(frontal, A, fig. 1). Figures 7, 8, 9, 10, 11.

LÉGENDE.

(Regarder alternativement et comparativement l'un des côtés des figures 7, 9,10, 11, et en masquer le côté opposé.)

Fig. 7. — Destinée à l'étude du mécanisme et de l'expression du muscle frontal chez un -vieillard (voy. son portrait photographié, fig. 3).

A droite, excitation électrique, à un degré modéré, du muscle frontal; lignes fondamentales (élévation et courbe du sourcil) et lignes secondaires (plis frontaux, curvilignes, et concentriques à l'arc du sourcil) : attention. A gauche, repos de la physionomie.

Fig. 8. — Destinée à montrer comment les lignes secondaires expressives de l'attention se réunissent et se continuent sur la ligne médiane pendant la contraction des deux muscles frontaux.

Excitation électrique modérée des deux frontaux : attention.

Fig. 9.— Destinée à l'étude expressive du muscle frontal, au maximum de contraction.

A droite, excitation électrique, au maximum, des muscles frontaux : grande attention.

A gauche, repos de la physionomie.

Fig. 10. — Destinée à l'étude des lignes expressives du muscle frontal chez une petite fille (voy. son portrait, fig. 5).

A droite, électrisation du frontal, développement de la ligne fondamentale (élévation et courbe du sourcil, sans plis frontaux) : attention.

A gauche, abaissement du sourcil, occasionné par l'impression d'une lumière trop vive.

Fig. 11. — Destinée à l'étude des lignes secondaires (rides frontales, irrégulières et nombreuses) produites par l'excitation électrique forte du frontal, chez une femme âgée de quarante et un ans et dont la peau a été brûlée par le soleil.

A droite, électrisation du frontal; élévation et courbe du sourcil, rides frontales, nombreuses et irrégulières: attention.

A gauche, repos de la physionomie.

EXPLICATION DE LA LÉGENDE.

A. — Mécanisme.

L'électrisation localisée du muscle frontal (A, fig. 1) se pratique en posant l'un des rhéophores au niveau du point d'immersion de son filet moteur (H, fig. 2), comme dans les figures?, 8, 9, 10, 11.

Dans la figure 7, le muscle frontal droit a été excité modérément, par l'intermédiaire de son nerf moteur (H, fig. 2), au moment où la physionomie était au repos. On voit, du côté excité (à droite) : 1° que non-seulement ce muscle élève considérablement le sourcil, mais qu'il lui fait aussi décrire une ligne courbe plus prononcée que du côté où le sourcil a conservé sa position et sa forme normales ; 2° que le front s'est sillonné de plis curvilignes, concentriques à la courbe du sourcil.

La figure 8 montre la contraction électrique, à un degré modéré, des deux muscles frontaux. Les rides frontales, on le voit, s'étendent sur toute la largeur du front. De chaque côté elles décrivent des courbes à concavité inférieure, qui, en se

réunissant sur la ligne médiane, forment une nouvelle courbe à concavité supérieure, dont la corde et la flèche sont plus petites que celles des courbes précédentes. — Dans cette figure on remarque que les rides frontales sont moins nombreuses et moins prononcées à droite qu'à gauche; cela dépend de l'excitation un peu moins forte produite par l'un des pôles (le pôle positif) du courant.

Dans la figure 9, où le muscle frontal est représenté au maximum de contraction, le sourcil et les rides frontales ne décrivent plus des courbes aussi régulières que dans les figures 7 et 8 ; ils sont plus fortement tirés en haut du côté externe. L'agrandissement de l'ouverture palpébrale, du côté excité, montre que la contraction du frontal exerce une action notable sur l'élévation de la paupière supérieure.

La petite fille sur laquelle j'ai fait contracter modérément (fig. 10) le muscle frontal était âgée de neuf ans. On constate que son sourcil s'est élevé sans produire le plus léger pli sur son front ; — c'est le privilège de l'enfance et de l'adolescence de ne dessiner que les lignes expressives fondamentales, pendant le jeu de la physionomie. Toutefois, au maximum de contraction du frontal, j'ai vu naître sur ce jeune front une ou deux rides frontales, qui sont les lignes secondaires expressives, produites par le muscle frontal.

B. — Expression.

Masquez le côté droit de la figure 7 ou de la figure 9 avec un diaphragme de carton, de manière à ne laisser à découvert que le côté gauche de la face, vous remarquerez d'abord l'obscurité profonde qui enveloppe l'œil et l'orbite de ce côté, obscurité qui se répand sur la joue entière.

Faites ensuite glisser rapidement le diaphragme de droite à gauche, de manière qu'à partir de l'extrémité interne des rides frontales artificielles, le front et la joue droite restent à découvert; alors quel contraste surprenant entre ces deux côtés de la face ! A droite, l'orbite est illuminée, la prunelle étincelle de lumière, surtout dans la figure 9, où la contraction est à son maximum.

Et puis voyez la différence qui existe entre la joue droite et la joue gauche. Ici, l'obscurité, la lourdeur des traits et du modelé, le calme intérieur, l'indifférence la plus complète. Là, au contraire, la lumière qui éclaire l'œil et l'orbite, rayonne aussi sur toute la joue, dont les traits paraissent allongés et le modelé modifié. Et quelle merveilleuse transformation de la physionomie! C'est le réveil de l'esprit.

On a certes beaucoup exagéré en disant que, sous l'influence d'une ardente passion, Vœil brille de son propre feu; l'expérience précédente est la preuve incontestable de mon assertion. A voir, en effet, cet éclat de l'œil droit, ce point

lumineux qui étincelle sur la prunelle, vous pourriez croire que cet œil a subi une profonde modification organique, sous l'influence d'un mouvement psychique, d'une passion violente. Mais dès que vous reportez votre regard sur le côté gauche de la face, vous n'y rencontrez plus qu'un œil terne, qui représente l'état réel de l'âme du sujet. Il est donc de toute évidence que, dans notre expérience, cet éclat de l'œil, ce feu du regard, sont sous la dépendance d'un mouvement spécial du sourcil.

Si maintenant vous comparez entre elles les figures 7 et 9, vous voyez que tout en exprimant, au fond, un état de l'esprit semblable, elles impressionnent cependant le spectateur d'une manière différente. Ainsi, comme je l'ai déjà démontré, elles annoncent (du côté droit) que l'esprit est tenu en éveil par une cause extérieure; elles expriment Yattention.

Mais on sent que le sujet éprouve une émotion évidemment plus grande dans la figure 9 que dans la figure 7. La première (fig. 9) le montre prêtant une attention très grande qui le captive et va presque jusqu'à la surprise, l'admiration, dans la seconde (fig. 7), la physionomie est plus tranquille; le sujet est seulement attentif.

Ill

MUSCLE DE LÀ RÉFLEXION

(orbiculaire palpébral supérieur, portion du muscle dit sphincter des paupières, B, fig. 1).

Figures 12, 13, 14, i5.

LEGENDE.

( Regarder alternativement et comparativement chacun des côtés des ligures 12, 14, et en masquer le côté opposé.)

Fig. 12. — Destinée, ainsi que la figure 13, à l'étude du mécanisme et de l'expression du muscle orbiculaire palpebral supérieur (B, fig. 1), chez un vieillard (représenté dans les fig. 3, 7, 8, 9).

A droite, electrisation modérée de l'orbiculaire palpebral supérieur: réflexion. A gauche, attention.

Fig. 13. —Electrisation plus forte des orbiculaires palpébraux supérieurs, avec abaissement léger des commissures labiales : méditation, contention.

3

Fig. lu. — Destinée à montrer comparativement, chez le même individu, la contraction au maximum de l'orbiculaire palpébral supérieur et du sourcilier.

À gauche, électrisation très forte de l'orbiculaire palpébral supérieur : mécontentement, pensée sombre. A droite, électrisation du sourcilier.

Fig. 15. — Destinée à démontrer que le mécanisme de la contraction volontaire de l'orbiculaire palpébral supérieur est identiquement le même que sous l'influence du courant électrique.

Contraction volontaire, forte, des orbiculaires palpé-braux supérieurs, chez un jeune sujet (voy. son portrait photographié, fig. h) : méditation, contention.

EXPLICATION DE LA LÉGENDE.

A. — Mécanisme.

Au moment où l'expérience photographiée dans la figure 12 a été faite, le sujet regardait un objet situé en face de lui et sur lequel j'avais fortement attiré son attention ; son sourcil s'était relevé ; son front s'était ridé transversalement, dans toute sa largeur; son muscle frontal, en un mot, était légèrement en action et exprimait l'état de son esprit:l'attention. Masquez, en effet, le côté droit de cette figure, et du côté opposé vous reconnaîtrez, dans son regard et sur son front, les signes caractéristiques de ce mouvement expressif; signes qui ont été exposés page 2, figures 7 et 8.

Si ensuite vous découvrez le côté droit, où l'orbiculaire palpébral supérieur est mis en contraction, vous observez : 1° que le sourcil s'est abaissé en masse, en effaçant les rides frontales ; 2° qu'il est devenu rectiligne ; 3° qu'il a exécuté un mouvement de corrugation, en vertu duquel les poils couchés obliquement de dedans en dehors et de haut en bas se sont redressés. Tel est l'ensemble des mouvements du sourcil, toujours produits par la contraction partielle et modérée du frontal.

La ligne verticale que l'on voit sur la figure 12, en dedans de la tête du sourcil droit, existe même quand la physionomie de ce sujet est au repos, ainsi qu'on le constate sur son portrait, fîg. 3 (j'ai expliqué ailleurs la raison de cette anomalie). Cette ligne verticale n'aurait dû apparaître qu'avec un mouvement très prononcé de corrugation du sourcil, mouvement qui avait à peine commencé dans l'expérience précédente, parce que je n'avais provoqué qu'une contraction modérée de l'orbiculaire palpébral supérieur.

Sur la figure 13, l'orbiculaire palpébral supérieur a été mis en contraction de chaque côté plus énergiquement que sur la figure 12. Le mouvement de corrugation était très prononcé; aussi deux lignes verticales profondes se sont-elles dessinées en dedans de la tête du sourcil. — Je dois faire remarquer que notre vieillard est peu favorable à l'étude de ces lignes verticales, qui sont un des signes caractéristiques d'une action plus violente de l'esprit, de la méditation.

On les voit ordinairement se développer belles et pures dans l'espace intersourcilier, dont la surface cutanée, pendant le repos musculaire, est unie, comme on l'observe à un âge moins avancé.

Ces lignes verticales intersourcilières sont bien rendues sur la face d'un homme jeune que j'ai photographié (voyez la fig. 15) au moment où il se livrait à de grands efforts de méditation. Ce mouvement expressif du sourcil, alors qu'il est produit par la méditation et qu'il vient de l'âme, est absolument le même que celui qui, dans l'expérience précé

dente (voyez lafig. 13), a été produit par la contraction électrique des orbiculaires palpébraux supérieurs.

Les différences que l'on observe entre ces deux figures dépendent uniquement des conditions individuelles des deux sujets qu'elles représentent, parmi lesquelles il faut mettre en première ligne la différence d'âge. L'un est vieux et laid (voyez son portrait, fig. 3) ; l'autre est jeune et beau (voyez son portrait, fig. û); la peau de son front et de son espace intersourcilier est parfaitement unie, — privilège de la jeunesse-, — son sourcil est haut, la courbe en est assez prononcée et tend à devenir rectiligne ; ce qui annonce l'habitude de la réflexion. Ainsi donc, le portrait de ce jeune homme est bien différent de celui du vieillard (fig. 3). Cependant, de même que chez ce dernier, ses sourcils se sont abaissés, sont devenus rectilignes et ont ombragé son œil, sous l'influence de la contraction de l'orbiculaire palpé-bral supérieur, que cette contraction ait été provoquée par un courant électrique ou par l'excitation venant de l'âme, la volonté. Enfin, clans son espace intersourcilier, deux belles lignes verticales ont été creusées par les efforts de la méditation.

Lorsque la contraction de l'orbiculaire palpébral supérieur est à son maximum, le mouvement de corrugation est tel, que, chez certains individus âgés et maigres, on voit quelques plis verticaux de la peau se former au-dessus de la portion interne du sourcil : c'est ce que l'on observe sur le côté gauche de la figure 1 , où j'ai fait contracter énergiquement l'orbiculaire supérieur.

B. — Expression.

Revenons à l'expérience représentée dans la figure 12, à l'occasion de l'étude clu mécanisme des mouvements de l'or-biculaire palpébral supérieur. Regardons alternativement et comparativement chacune des moitiés de la face. Quelles impressions éprouvons-nous à la vue de ces deux physionomies différentes?

On voit qu'à droite, l'attention du sujet vient d'être attirée par une cause extérieure. Tel était l'état de son esprit au moment de l'expérience, ainsi que je l'ai déjà dit. — A gauche, il paraît rassembler les forces de sa pensée, se concentrer en lui-même, pour réfléchir sur la cause qui, du côté opposé de la face, avait attiré son attention : c'est l'image de la réflexion sans efforts. La présence d'un rhéophore nous apprend que son esprit n'y est pour rien; qu'ici tout est artificiel ; que le courant électrique seul a fait contracter le muscle qui représente la réflexion, la pensée.

Le vieillard dont le portrait est photographié, fîg. 3, est, on lésait, d'un esprit assez borné. Cependant, en regardant seulement le côté droit de la figure 12, on lit dans son regard une pensée profonde qui métamorphose et ennoblit tous les traits de sa face, ils paraissent fins et spirituels. A voir cet air si réfléchi, on accorderait à cet homme une grande intelligence.

Tel est l'effet magique de ce mouvement imprimé au sourcil parl'orbiculaire palpébral supérieur.

On pourrait objecter que le sourcil naturellement peu élevé du sujet soumis à ces expériences favorise singulièrement l'expression de la réflexion. Cette observation paraît juste; car il serait évidemment impossible d'exprimer la réflexion, la méditation à un aussi haut degré, avec un sourcil très haut et dont l'orbiculaire palpébral supérieur serait très peu développé. Cependant, dans les cas même où j'ai rencontré ces conditions peu favorables au développement de cette expression, j'ai toujours vu la contraction modérée de ce muscle imprimer sur la face le cachet de la réflexion.

Il m'eût été facile d'en fournir la preuve, même en choisissant pour modèle une de ces figures dont les sourcils démesurément élevés trahissent la légèreté ou l'étourderie. On aurait vu le muscle de la réflexion, obéissant à mes rhéophores, fixer, pour ainsi dire, la pensée habituellement vagabonde, et répandre sur la physionomie une expression sérieuse et réfléchie. Cet état artificiel de l'un des côtés de la face aurait contrasté d'une manière frappante avec l'état habituel du côté opposé, où j'aurais laissé en liberté l'orbiculaire palpébral.

Que l'on compare la figure 13 à la figure 12. Ces deux figures représentent le môme muscle en contraction chez le même individu, mais à des degrés différents. — L'une fig. 12), comme je viens de le démontrer, peint la réflexion calme, parce que la contraction musculaire est modérée. — Dans l'autre (fig. 13), on reconnaît la méditation, mais avec effort. Ces sourcils fortement abaissés, rectilignes, froncés.

portés en dedans, taisant pour ainsi dire la nuit autour de l'oeil, ces sourcils dont la tête se gonfle, dont l'espace inter-sourcilier est creusé de lignes verticales; ces sourcils, en uu mot, tourmentés par la pensée, annoncent un travail laborieux de l'esprit.

MUSCLE DE L'AGRESSION

(pyramidal du nez, P, iig. 1).

Figures 17,18.

LÉGENDE.

Fig. 16. — Destinée à démontrer, par l'expérimentation électrique, que le pyramidal du nez se termine supérieurement dans la peau, au niveau de la tête du sourcil.

Contraction électrique des pyramidaux chez un jeune homme d'un caractère doux (voy. son portrait, fig. h) : expression de dureté.

Fig. 17. — Destinée, ainsi que la figure 18, à l'étude du mécanisme et de l'action expressive du pyramidal du nez chez un vieillard (représenté fig. 3, 7, 8, 9, 12, 13, là).

A droite, électrisation du pyramidal du nez : dureté, agression.

A gauche, attention*

Fig. 18. — Électrisation forte des deux pyramidaux ; agression, méchanceté;

EXPLICATION DE LA LÉGENDE.

A. — Mécanisme.

L'expérience représentée dans la figure 16 met en lumière un fait anatomique, ignoré jusqu'alors : la terminaison supérieure du pyramidal du nez (P, fig. 1) dans la peau de l'espace intersourcilier, au niveau de la tête des sourcils et consé-quemment la complète indépendance de ce muscle. En effet, les rhéophores ayant été posés sur la racine du nez, on voit que, chez notre sujet, la peau de l'espace intersourcilier a été attirée de haut en bas, et qu'un sillon transversal s'est creusé au niveau de la tête du sourcil, sous l'influence de la contraction musculaire électrique. — Ce sillon n'existe pas dans la figure li, qui représente la physionomie au repos du même individu.

Dans le point correspondant à ce sillon transversal, les rhéophores n'ont produit aucun mouvement, en d'autres termes, aucune contraction musculaire; c'est une nouvelle preuve que ce point neutre marque la terminaison réelle du pyramidal du nez.

Immédiatement au-dessous de la ligue tracée par ce sillon transversal intersourcilier, les rhéophores ont tiré la

peau de bas en haut, en sens inverse du pyramidal ; ce qui démontre que ce dernier muscle est non-seulement indépendant du frontal, mais qu'il est aussi son antagoniste.

Pour faire comprendre toute l'importance des faits précédents, je rappellerai ici que les anatomistes avaient professé jusqu'à ce jour que les pyramidaux sont la continuation du frontal, dont ils constituent les piliers. M. Ludovic Hirschfeld, guidé par mes expériences, a constaté par la dissection, que le point de séparation du pyramidal et du frontal, dont la découverte est due à l'exploration électro-musculaire, et que j'ai appelé point neutre, est constitué par une intersection aponévrotique. Elle est indiquée dans la figure 6.

Lorsque la peau du front située au-dessus de l'espace inter-sourcilier cède facilement à l'action du pyramidal, on ne voit plus le sillon transversal qui indique la terminaison supérieure et cutanée de ce muscle se dessiner d'une manière aussi prononcée que chez le sujet de la figure 16.

Ainsi, chez le vieillard représenté dans les figures 17 et 18, la peau du front, qui est très mobile, a été considérablement abaissée par la contraction électrique de ses pyramidaux, et la peau de la racine du nez, refoulée en bas, s'est sillonnée de plusieurs plis transversaux.

On remarque enfin, sur les figures 16,17 et 18, que la tête du sourcil est d'autant plus attirée en bas par le pyramidal, que la peau du front a obéi davantage à l'action de ce dernier. Il en résulte que le sourcil ne décrit plus alors sa courbe naturelle ; que sa moitié interne a une direction oblique de dehors

en dedans et de haut en bas, et enfin que la peau de la partie médiane du front est nécessairement tendue et lisse.

II. — Expression.

Si faiblement que le pyramidal du nez exerce son action sur la tête du sourcil et sur l'espace intersourcilier, on le voit toujours donner de la dureté au regard le plus doux et annoncer l'agression.

On observe ce phénomène expressif dans la figure 16. Les muscles pyramidaux y sont mis en effet énergiquement en contraction, et cependant on observe que l'abaissement de la tête du sourcil est modéré, de même que le gonflement de l'espace intersourcilier.

J'ai déjà fait remarquer que, chez ce sujet, la peau de la partie médiane du front résiste à l'action des pyramidaux, au point que leurs fibres terminales supérieures ont creusé un sillon profond dans l'espace intersourcilier. — On voit que malgré la douceur habituelle de son regard (voyez son portrait à l'état de repos, fig. li), sa physionomie a pris une expression de dureté, sinon de méchanceté, par le fait seul d'une légère action du pyramidal sur son sourcil. Mais là s'est arrêté le pouvoir du pyramidal chez ce sujet. De quelque manière que je m'y sois pris, en tourmentant ses muscles, je n'ai pu appeler sur sa physionomie une expression complète de méchanceté, de haine, comme je l'obtiens, en

général, facilement par la contraction énergique des pyramidaux*.

.le mentionnerai ici un autre fait curieux et qui explique le précédent. J'ai déjà dit précédemment que le sujet dont il est ici question s'est exercé à mouvoir les muscles de ses sourcils. Il en est tellement maître, que non-seulement il donne à son œil des expressions variées, mais qu'il peut les mouvoir en sens contraire. Cependant, malgré son empire sur les muscles moteurs de son sourcil, sa volonté n'exerce pas la moindre action sur ses pyramidaux. Quoi qu'il fasse, il ne peut donner à sa physionomie l'expression de la dureté, de l'agression, de la méchanceté. Ce fait s'explique par le peu de développement des muscles qui représentent cette passion, muscles qui, chez lui, n'obéissent qu'aux rhéophores, ainsi que l'expérience l'a précédemment établi.

Pour compléter l'observation de ces phénomènes, j'ajouterai que ce jeune homme est d'un caractère très doux, et que probablement, si les mauvaises passions venaient à le dominer, leur gymnastique répétée aurait bien vite développé ses pyramidaux et changé l'expression habituelle de son regard.

Revenons à notre vieillard (le sujet habituel de nos expériences), dont le caractère doux et inoffensif se reconnaît dans son portrait, fîg. 3. On sait que son sourcil est très mobile en tout sens et obéit facilement à ses muscles moteurs.

On a vu dans le paragraphe précédent avec quelle puissance ce sourcil s'est abaissé en masse, comme il s'est gonflé et ridé de chaque côté, en même temps que deux lignes verticales et

profondes se creusaient en dedans de sa tète. Cet ensemble de mouvements et de lignes résultait de la contraction énergique de l'orbiculaire palpébral supérieur. A l'appel de ce muscle, on a vu apparaître, à l'aide d'une forte excitation sur la physionomie, l'expression d'une pensée sombre (fîg. 13). sans traces de méchanceté.

Mais à l'instant où je mets le pyramidal du nez puissamment en action, son regard devient méchant ou menaçant.

Le côté droit de la figure 17 peut servir à l'analyse de l'influence expressive et générale du pyramidal sur la physionomie, quoique l'expression de ce muscle, qui n'a été mis en action que d'un côté, soit moins complète que lorsque les deux pyramidaux sont excités simultanément.

Si l'on cache alternativement chacun des côtés de cette figure, on est frappé du contraste qui existe entre leurs expressions. A droite, où parle fait de la contraction du pyramidal l'extrémité interne du sourcil est abaissée, où le grand angle de l'œil est plus aigu et cache la caroncule lacrymale, où la racine du nez est sillonnée de plusieurs plis transversaux, on remarque que le regard a pris une expression de dureté, et celte expression modifie les autres traits du visage.

La démonstration de ce phénomène se fait en couvrant et en découvrant alternativement l'œil de ce côté. — Chez cet homme, l'expression habituelle de la bouche est bonne (voy. la fig. 3), ce que du reste on constate dans la figure 17, lorsque l'œil droit est caché: mais à l'instant où celui-ci est découvert, les lèvres semblent se pincer sous l'influence d'une

pensée méchante (1). A gauche, au contraire, la physionomie est calme.

La figure 18, où les deux pyramidaux du même sujet sont mis simultanément et énergiquement en contraction, nous montre une expression de méchanceté, de haine, qui inspire de la répulsion. On a tout à craindre de ce regard ; il n'y a qu'une nature cruelle et féroce qui puisse lui donner une telle expression.

Je dois m'arrêter un instant sur un accident qui s'est produit pendant cette expérience.

On observe, sur cette figure 18, que les commissures des lèvres sont très abaissées, ce qui ajoute à l'expression propre des pyramidaux. Voici ce qui est arrivé. Les commissures de cet individu tombent naturellement (voy. fig. 3), comme chez les vieillards, en général. Abandonné à lui-même, cet abaissement est porté quelquefois très loin, comme dans cette figure 18. Ce trait habituel qui se trouve en harmonie avec sa physionomie de vieillard, ne fait que le

(1) 11 est difficile de limiter très exactement dans un seul côté l'action propre d'un muscle aussi petit que le pyramidal. C'est pourquoi on remarque sur cette ligure que l'espace intersourcilier du côté gauche est déformé par la contraction du pyramidal du côté droit. Par la môme raison aussi, les lignes transversales de la racine du nez s'étendent un peu à gauche; les rides du front du côté gauche, et surtout la première, sont attirées un peu en bas et en dedans. Si donc, sur cette figure, on veut connaître exactement l'expression normale du sujet, on doit cacher ces déformations en couvrant le côté droit de sa face, jusqu'à la naissance du sourcil gauche. Ces précautions prises, on voit que, de ce côté gauche, sa physionomie n'annonce aucune agitation intérieure, et que son regard n'a rien de dur, malgré l'épaisseur de son sourcil.

rendre plus vieux. Lorsque sa physionomie est au repos, je suis souvent forcé, pour empêcher cette chute exagérée des commissures, de réveiller son attention, ou de lui faire ouvrir et fermer alternativement la bouche avant de le photographier. J'avais négligé de prendre cette précaution pendant cette dernière expérience; il en est résulté que ses commissures se sont trouvées plus abaissées que dans les autres figures.

L'expression de cette figure 18 étant bien caractérisée, j'en ai conservé la photographie. Elle est utile, d'ailleurs, à l'étude des contractions concordantes, pour ce qui a trait à la contraction combinée du pyramidal et du triangulaire des lèvres. Ce dernier muscle (je puis le dire par anticipation) n'exprime par lui-même que la tristesse; mais on voit, sur cette figure, que la chute des commissures des lèvres, associée à l'action des pyramidaux, ajoute à l'expression de méchanceté propre à l'action partielle du pyramidal.

Quoi qu'il en soit, malgré l'accident qui est venu compliquer cette expérience, on peut encore, sur cette même figure, analyser l'influence expressive du pyramidal, en cachant la partie inférieure de la face, à partir de la lèvre supérieure. Est-il possible de voir un regard plus méchant? 11 annonce un instinct féroce ; c'est l'œil du tigre.

MUSCLE DE LA DOULEUR

(sourgilieb, 0, fig. 1). Figures 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29.

LÉGENDE.

(Regarder alternativement et comparativement l'un des côtés des figures 19, 21, 22, 21, 27 et 28 et masquer le côté opposé.)

Fig. 19. — Destinée, ainsi que la figure 20, à l'étude des lignes expressives, fondamentales et secondaires, produites par la contraction électrique modérée du sourcilier, chez un vieillard (représenté dans les figures 3, 6, 7, 8, 9, 12,13, là, 17 et 18).

A droite, contraction électrique du sourcilier à un degré moyen : souffrance.

A gauche, physionomie au repos, avec regard perdu (le côté opposé était dans cet état au moment de l'expérience).

Fig. 20. — Contraction électrique, à un degré moyen, des sour-

ciliers : souffrance profonde, avec résignation.

(La physionomie était au repos au moment de l'expé-

5

rience, comme dans la figure précédente ; mais la face a été éclairée de manière à jeter une ombre forte sur sa moitié inférieure.)

Fig. 21. — Destinée principalement à démontrer l'antagonisme du sourcilier et du frontal, chez le même individu.

(Au moment de l'expérience, le regard du sujet était dirigé en haut, et son front était sillonné de rides transversales dans toute sa longueur, comme du côté gauche de cette figure 21).

A droite, contraction électrique modérée du sourcilier et regard en haut : souvenir douloureux.

A gauche, contraction volontaire du frontal et regard en haut : souvenir et appel à la mémoire.

Fig. 22. — Destinée à démontrer, chez le même sujet, qu'au delà d'un certain degré de contraction, et dans certaines conditions, le sourcilier n'est plus expressif.

A gauche, contraction électrique au maximum du sourcilier : pas d'expression douloureuse ; apparence seulement d'un spasme du sourcilier, sous l'influence d'une vive lumière.

A droite, repos de la physionomie (photographiée en plein soleil).

Fig. 23. — Destinée à l'étude des lignes expressives propres à l'iiction du sourcilier à un degré modéré, chez un jeune sujet (représente dans les figures h, 15 et 16).

Contraction volontaire, à un degré moyen, des sourci-liers et regard en haut : souvenir douloureux ou pensée douloureuse.

Fig. 2Zi. — Destinée à l'étude de la contraction volontaire à un degré plus fort que dans la figure 23, chez le même sujet vu de face, et dont l'œil est tourné obliquement en haut et de côté, comparativement à la contraction du frontal, avec le même mouvement de l'œil.

A gauche, contraction volontaire du sourcilier à un degré plus fort que dans la figure 23 ; regard en haut et en dehors, bouche entr'ouverte : douleur extrême jusqu'à l'épuisement ; le sujet parait succomber à la souffrance : tète de Christ.

A droite, contraction volontaire du frontal, avec regard un peu oblique en haut et en dedans et avec bouche un peu entr'ouverte : souvenir d'amour ou regard extatique.

Fig. 25. — Destinée à montrer, chez le même sujet vu de profil, la contraction spasmodique du sourcilier.

Contraction spasmodique très forte des sourciliers, produite par l'impression d'une vive lumière : pas d'expression douloureuse.

Fig. 2G. — Destinée, ainsi que la figure suivante, à l'étude des rides frontales médianes qui sont produites par la contraction du sourcilier) chez une femme âgée de cinquante-deux ans, représentée dans la figure 11, et dont la peau est line ou brûlée par l'air et par le soleil.

A droite, contraction électrique moyenne du sourcilier, avec regard latéral; expression attention douloureuse.

A gauche, contraction volontaire et légère du frontal, avec regard un peu latéral : attention, regard attentif.

Fig. 27. — Même expérience que dans la figure précédente; mais, dans celle-ci, la contraction électrique du sourcilier gauche est plus forte et l'expression est proportionnellement plus douloureuse.

Fig. 28. — Destinée à l'étude des lignes expressives fondamentales, produites par la contraction légère du sourcilier, chez une petite fille âgée de six ans (représentée antérieurement dans les fig. 5 et 10).

A droite, contraction électrique légère du sourcilier : douleur.

A gauche, abaissement spasmodique du sourcil en masse, occasionné par l'impression de la lumière.

Fig. 29. —Contraction électrique plus forte du sourcilier, avec regard en haut, chez une petite fille âgée de huit ans : souvenir douloureux, expression peu naturelle à cet âge.

EXPLICATION DE LA LÉGENDE.

(L'action du sourcilier est si peu connue, ce muscle joue un rôle si important dans l'expression de la physionomie, l'application pratique des notions nouvelles qui sont mises en lumière par son étude électro-physiologique est tellement importante, que j'ai dû consacrer à l'étude de ce muscle un plus grand nombre de figures que pour celle des muscles moteurs du sourcil.)

A. — mécanisme.

Le sourcilier (0, fig. 1), recouvert par l'orbiculaire supérieur, ne peut être excité que par l'intermédiaire de son filet moteur, en dehors des fibres les plus excentriques de l'orbiculaire supérieur, filet qui vient du palpebral supérieur, et qui est sous-cutané dans deux points (voy. I, fig. 2). On voit que le rhéophore est appliqué au niveau du premier point dans les figures 19, 20, 21, 22, et au niveau du second dans les figures 26, 27, 28, 29.

La figure 28 représente le premier degré de contraction du sourcilier droit chez une petite fille âgée de six. ans. On remarque que la tête de son sourcil s'est gonflée et s'est élevée légèrement.

Chez l'adulte, ce mouvement est le même, mais un peu plus accentué.

Sur la figure 19, le sourcilier droit est mis énergiquement en action chez le vieillard qui sert habituellement à mes expériences (voy. son portrait, fig. 3). De ce côté on remarque: 1° que la tête du sourcil s'est gonflée et s'est élevée davantage en formant un relief qui se prolonge un peu sur le front ; 2° que ce sourcil est devenu oblique de haut en bas, et de dedans en dehors, en décrivant une ligne sineuuse composée de deux courbes, l'une interne, à concavité supérieure, et l'autre externe, à concavité inférieure; 3° qu'il s'est développé plusieurs plis cutanés transversaux sur la partie médiane du front, du côté électrisé, et qu'en dehors de ces plis, la peau s'est tendue au-dessus de la moitié interne du sourcil; !i° enfin qu'au-dessous du sourcil, la peau est tendue au niveau de la tète du sourcil et dans l'espace intersourci-Iier, tandis qu'elle est refoulée en bas dans la partie qui correspond à ses deux tiers externes.

Ces lignes, ces reliefs et ces méplats sont plus réguliers et mieux accentués dans la figure 20, où le sourcilier est mis en

contraction de chaque côté. Ici les sillons médians du front se rejoignent, et décrivent au centre une petite courbe à concavité supérieure ; enfin ils se terminent, en dehors, au niveau d'une ligne fictive verticale, qui tomberait sur la réunion du tiers interne du sourcil avec son tiers moyen.

Ces sillons sont au nombre de quatre sur la figure 20 ; mais chez la femme qui est représentée dans les figures 26, 27, les lignes médianes du front sont plus nombreuses. — J'en ai compté jusqu'à huit à dix, lorsque j'ai fait contracter énergiquement ses deux sourciliers à la fois. C'est ce qui arrive chez les sujets âgés dont la peau est très fine ou a été exposée longtemps à l'air et à l'insolation, comme chez la femme dont il vient d'être question (elle est Romaine, et elle a séjourné longtemps à Naples).

Dans ce cas, on le conçoit, ces lignes médianes du front sont plus rapprochées les unes des autres, et sont entrecoupées souvent par des petites rides qui vont obliquement de l'une à l'autre. Pendant le repos musculaire, le front, chez cette femme, est sillonné dans toute sa largeur par des rides si nombreuses, qu'elles ne se sont pas effacées entièrement sur la partie externe du front, bien que le sourcilier ait été excité très fortement (voyez la fig. 27). On remarque aussi sur la figure 26, où la contraction du sourcilier est moins énergique, que ces rides frontales sont conservées.

Je dois faire observer que les petites rides verticales que

l'on observe au-dessous de l'excitateur, dans les figures 26 et 27, n'existeraient pas, si la localisation du courant avait été limitée exactement dans le filet nerveux moteur du sourcilier. Le rhéophore a touché quelques-unes des fibres les plus externes de l'orbiculaire palpébral supérieur, qui se sont contractées et ont produit ces rides.

Les figures 23, 24 et 25 nous montrent que chez l'adulte, encore jeune, les sillons médians du front produits par le sourcilier sont moins nombreux; que les lignes n'en sont pas interrompues par de petites brisures ou rides, comme dans les figures 19 et 20.11 en existe deux sur la figure 23, où le sourcil s'est modérément contracté; et clans les figures 24 et 25 on en dislingue une troisième, mais très peu marquée, parce que la contraction de ce muscle y est plus forte. — La courbe de ces lignes médianes du front est gracieuse et plus prononcée que sur la figure 20. Les reliefs cutanés placés entre ces lignes sont plus pleins, plus arrondis, et forment avec ces lignes une sorte d'ondulation.

Chez deux petites filles âgées de six à huit ans, et représentées dans les figures 28 et 29, la contraction moyenne du sourcilier n'a pas produit de ligne médiane sur le front. Le maximum d'excitation a fait paraître chez la plus âgée un léger pli médian, que l'on verrait dans la figure 29, si elle avait été photographiée de face.

Dans toutes les figures précédentes, la direction du sourcil a été d'aufant plus oblique que la contraction du sourcilier a été plus forte. On remarque, en effet, que le sourcil est plus oblique dans la figure 22 que dans les figures 19 et 20, dans la figure 25 que dans les figures 23 et 25, dans la figure 27 que dans la figure 26, enfin dans la figure 29 que dans la figure 28, et cela en raison du degré de contraction plus ou moins énergique du sourcilier. Il est cependant des sujets chez lesquels le sourcilier, même à son maximum de contraction, ne donne pas une grande obliquité au sourcil, parce que la tête de ce dernier est retenue par un muscle pyramidal puissant.

Il est ressorti des considérations exposées ailleurs, que les dispositions anatomiques du sourcilier expliquent parfaitement le mécanisme des mouvements imprimés par ce muscle au sourcil, des reliefs, des méplats et des lignes qui se développent sous son influence.

On a vu que ses fibres agissent dans des directions différentes; que les unes attirent de bas en haut la tête du sourcil, et que les autres meuvent obliquement de dehors en dedans et de haut en bas les deux tiers externes du sourcil.

D'autre part, on se rappelle que l'orbiculaire palpébral supérieur abaisse le sourcil en masse, et tend toute la peau du front placée au-dessus de lui, c'est-à-dire qu'il agit sur la tête du sourcil en sens contraire du sourcilier, tandis

qu'il est congénère de ce dernier muscle pour les deux tiers externes du sourcil.

Il a été établi que le sourcilier est antagoniste du pyramidal du nez et de l'orbiculaire supérieur, pour la tête du sourcil.

Enfin, l'expérience démontre que ce muscle est également antagoniste du frontal pour le tiers externe du sourcil, et qu'il en est le congénère pour le tiers interne.

J'ai engagé mon sujet à plisser fortement la peau de son front, ce qu'il n'a pu faire sans regarder en haut; puis au moment où le frontal avait élevé ses deux sourcils en masse et plissé son front dans toute sa largeur, j'ai fait contracter son sourcilier droit. A une excitation modérée de ce muscle, le modelé du sourcil et du front n'a pas changé ; mais à un haut degré d'intensité du courant, la contraction du sourcilier l'a emporté sur celle du frontal, et j'ai vu se produire à l'instant les mouvements propres à l'action du premier de ces muscles.

On voit dans la figure 21, les résultats de cette expérience. A gauche, son sourcil est élevé en masse, et la peau de son front est sillonnée de rides dans toute sa largeur par le muscle frontal. — Ce mouvement était exécuté par la volonté du sujet, et s'était produit, en conséquence, synergiquement des deux côtés. —Mais on observe, à droite, où j'ai provoqué la contraction plus énergique du sourcilier, que l'arc du sourcil est remplacé par une courbe sinueuse et oblique de haut en bas et de dedans en dehors; que la peau est sillonnée seulement sur la partie médiane, tandis qu'en se tendant en

dehors, elle a fait disparaître les longues rides transversales propres à l'action du muscle frontal.

En résumé, il est démontré, d'une part, par cette dernière expérience, que des rides qui s'étendent sur toute la largeur du front ne peuvent coexister a\ec la direction oblique de haut en bas et de dedans en dehors, ni avec un mouvement sinueux du sourcil ; d'autre part, que l'élévation en masse de ce dernier, avec la courbe en arc décrite par lui, ne peut produire des rides limitées à la partie médiane du front.

I*. — Expression.

La plus légère contraction du sourcilier, dans l'enfance, donne à la physionomie une expression de souffrance qui impressionne toujours vivement. Aussi ne peut-on regarder le côté droit de la figure 28, où ce muscle est excité faiblement chez une petite fille, sans être touché de la douleur qu'elle semble éprouver. Pour bien sentir l'expression que j'ai développée sur cette figure, il faut avoir soin d'en masquer le côté gauche. — Les sourcils de cette enfant décrivent habituellement une belle courbe, pendant le repos musculaire, à peu près comme du côté gauche de la figure 10, où le sourcil droit est cependant plus élevé qu'à l'état normal, par l'excitation électrique du frontal. Cette courbe, qui reflète l'innocence et le calme intérieur, existait au moment où j'ai commencé mon expérience, et contrastait avec le mouvement douloureux du sourcil droit. Malheureu

sèment mon petit modèle, ne pouvant supporter longtemps la vive lumière de l'atelier, a froncé ses sourcils (comme on le voit sur son portrait, fig. 5, et du côté droit de la fig. 10) lorsqu'il a été photographiée, sans pouvoir modifier toutefois le mouvement sinueux et douloureux que j'avais donné à son sourcil droit.

Mais l'enfant oublie vite le mal; pour lui la souffrance morale n'existe pas. L'expression de la figure 29, qui peint un souvenir douloureux, une peine cle l'àme, touche beaucoup moins que celle cle la figure 28. C'est que l'expression de la souffrance morale n'est pas naturelle à cet âge. Elle a été obtenue, on le voit, chez une autre petite fille, par l'association du sourcilier avec les élévateurs du globe oculaire.

On reconnaît encore un souvenir pénible, une pensée pleine d'amertume, sur la figure 23. Cette expression est vraie, naturelle, chez ce jeune homme. Son regard douloureux, si constamment tourné vers le ciel, peut également indiquer que, dans sa souffrance ou dans son malheur, son âme s'élève vers Dieu, dont il implore le secours.

Sa peine est bien plus vive encore dans la figure 24, où l'on voit que sous l'influence de la contraction plus énergique du muscle sourcilier, son sourcil est devenu sinueux et plus oblique, où les reliefs et les méplats sont plus accentués. L'association de cette contraction puissante du sourcilier avec le regard un peu oblique en haut a donné naissance à une expression de douleur extrême et aiguë ; mais on remarque

Les figures 26 et 27, qui, ainsi que je l'ai exposé plus haut, ont été photographiées spécialement pour l'étude des lignes ou rides médianes douloureuses du front, chez un sujet d'un certain âge et dont la peau est très fine ou brûlée par une

que ce mouvement expressif n'a eu lieu que du côté gauche, et cela sans l'intervention de l'excitation électrique.

Une explication qui fasse connaître la raison de cet étrange phénomène est ici nécessaire.

J'ai dit, je le rappelle, que ce jeune homme, représenlé dans les figures 23 et 24, et dont le portrait est photographié, figure k, s'est exercé à contracter individuellement les muscles de son sourcil, de telle sorte qu'il peut mouvoir ses sourcils en sens contraire. C'est ainsi qu'il a pu contracter d'un côté le frontal, et de l'autre le sourcilier, comme on le voit dans la figure 24. — La figure 23 prouve qu'il peut tout aussi bien faire mouvoir synergiquement ses deux sourciliers. — J'ai répété cette expérience artificiellement, c'est-à-dire qu'avec un courant électrique j'ai mis ces mêmes muscles en action ; j'ai vu alors se reproduire exactement les mouvements, les lignes et les reliefs que l'on observe dans la figure 2/j. Après cette explication, on comprend pourquoi et comment chacun des sourcils de cette dernière figure a exécuté un mouvement différent. Est-il besoin d'ajouter que pour bien juger l'influence douloureuse du sourcilier dans cette figure 2/i, il est nécessaire de masquer l'œil droit?

longue exposition à l'air et à l'insolation, ces deux figures, dis-je, nous montrent une autre nuance de la douleur. La direction du regard de la femme qu'elles représentent, indique que son esprit est impressionné par une cause extérieure. Au moment où j'ai exécuté ces photographies, j'avais fixé son attention sur un point qui était placé en avant et un peu latéralement. On peut en effet constater, en masquant le côté électrisé de ces figures, que la physionomie naturelle de cette femme exprimait l'attention. Si ensuite on laisse à découvert le côté excité, on voit que l'expression de ce côté est douloureuse ; il semble que l'objet qui a attiré l'attention de cette femme l'a péniblement affectée. Ces deux figures ne diffèrent entre elles que par le degré de douleur qu'elles expriment, par la direction du regard et par la manière dont elles sont éclairées. Ainsi, dans la figure 26, où l'excitation électrique du sourcilier est beaucoup moins forte que dans la figure 27, l'expression est proportionnellement moins douloureuse.

J'ai fait contracter les deux sourcils de l'homme âgé représenté dans la figure 20, alors que sa physionomie était au repos complet, comme dans son portrait (fig. 3). On remarque que celui-ci est plus éclairé. J'ai employé le clair obscur sur cette figure 20, afin de mettre plus en lumière et en relief la région sur laquelle j'expérimentais. Il en est résulté que les deux tiers inférieurs de l'ovale facial ont été plongés dans l'ombre, sans que, pour cela, sa physionomie en ait éprouvé de modification; elle était restée aussi calme,

aussi indifférente que dans la figure 3. On peut s'en assurer, du reste, en couvrant le front et les sourcils de cette figure. Mais à l'instant où j'ai provoqué la contraction de ses sourciliers, elle a pris une expression de souffrance d'autant plus prononcée, que l'excitation a été plus forte. On constate ce fait en regardant l'ensemble de la figure 20, où la contraction des sourciliers est assez énergique.

C'est bien là en effet l'expression d'une douleur profonde. On sent, à la vue de cette figure, que cet homme est très malheureux. Son cœur est-il ulcéré ? est-il tourmenté par une peine de l'âme ou par une douleur physique? C'est ce que cette expression ne peut dire. Quoi qu'il en soit, et bien que tous ses traits semblent contractés par la douleur, on voit qu'il souffre avec résignation.

C'est ici le lieu de montrer expérimentalement l'influence générale et spéciale du sourcilier sur les traits de la face.

J'ai soulevé, dans les considérations générales dont j'ai fait précéder l'étude des muscles expressifs de la face, une question qui me paraît intéresser au plus haut degré l'étude de l'expression de la physionomie. « Il est des muscles, ai-je écrit, qui jouissent exclusivement du privilège de dépeindre complètement, par leur action partielle, une expression qui leur est propre: ce sont les muscles moteurs du sourcil. »

11 n'y avait que l'analyse anatomique et physiologique des muscles de la face qui pût mettre en lumière un fait aussi imprévu ; son exactitude est déjà ressortie des expériences

électro-physiologiques représentées dans les figures destinées à l'étude des autres muscles moteurs des sourcils. Il me reste à en compléter la démonstration à l'aide des figures suivantes, pour ce qui a trait au muscle de la douleur, le sourcilier.

Si l'on cache le front de la figure 20 jusqu'au-dessous du sourcil, on observe que l'expression en est nulle ou marque le repos musculaire de la physionomie, et qu'il n'existe point de différence entre les deux côtés de la face. Si ensuite on recouvre la moitié de cette même figure, il semble que tous les traits de l'autre moitié (la bouche, la ligne naso-labiale) se sont contractés douloureusement, pour se mettre en harmonie avec le sourcil et le front.

Ce mouvement général, qui s'opère, en apparence, dans les parties situées en dessous du sourcil, est plus facile encore à mettre en évidence dans la figure 21, où le muscle de la douleur a été excité des deux côtés à la fois. J'ai déjà dit que la physionomie du sujet soumis à ces expériences était au repos absolu au moment où elles ont été faites ; ce que l'on a constaté en recouvrant son front et ses sourcils. Puis on a vu qu'à l'instant où le front et les sourcils de cette ligure ont été mis à découvert, où l'on a pu, en un mot, l'examiner dans son ensemble, tous les traits de la face ont semblé s'agiter douloureusement.

Toutes les fois que j'ai répété publiquement cette expérience sur ce sujet, l'illusion a été telle, qu'il ne m'a pas été possible de convaincre les spectateurs qu'un mouvement

général ne s'était pas opéré dans la face, en même temps que dans le sourcil. Mais ici, sur cette figure photographiée d'après nature, le doute n'est pas possible; car il serait absurde de dire que les traits peuvent ainsi se modifier sur le papier.

Ces faits deviennent encore plus évidents, lorsque l'on recouvre le front de cette même figure, après l'avoir considérée quelque temps à découvert.

J'ai fait cette expérience un très grand nombre de fois, en présence d'artistes distingués. Pour ne pas influencer leur impression, je me gardais d'en expliquer le but. En voyant ce visage dans son ensemble, ils attribuaient son expression de souffrance à une contraction générale des traits de la face. La bouche et la ligne naso-labiale attiraient avant tout leur attention. «Que cette bouche est souffrante et à la fois résignée, me disaient-ils! Et cette ligne naso-labiale, comme elle semble tirée par la douleur!... » Leur surprise était bien grande, lorsqu'il me suffisait de leur cacher les sourcils de mon sujet pour faire retomber tous ces traits dans un calme plat.

Cette expérience leur démontrait donc qu'ils avaient été dupes d'une apparence trompeuse, d'une erreur des sens. Il m'était alors facile de leur prouver que, dans cette expérience, le mouvement du sourcil seul avait troublé la tranquillité générale des traits de la face.

En résumé, sous l'influence des mouvements expressifs propres au muscle de la douleur, nous éprouvons une illu-

sion qui tient à notre organisation, et dont j'ai essayé d'expliquer l'utilité, dans les considérations générales qui précèdent l'étude partielle des muscles moteurs de la face.

La môme expérience, faite sur les autres figures où le muscle de la douleur a été excité partiellement, de manière à produire l'expression de la douleur, donne des résultats identiques.

On peut encore la faire d'une autre manière : que l'on recouvre alternativement et comparativement chaque œil, et l'on verra, du côté où le sourcilier est mis en contraction, tous les traits de la face se contracter douloureusement, en apparence.

Les figures 22 et 25 prouvent qu'il est un degré de contraction au delà duquel le sourcilier perd, dans certaines circonstances, sa propriété expressive. Ce n'est plus alors qu'un violent spasme de ce muscle, produit, par exemple, par une vive lumière. Le sujet de la figure 22 a été photographié en plein soleil ; son œil n'en paraissait pas incommodé (voy. le côté droit de cette figure 22). Si l'on en regarde le côté gauche, après avoir masqué le côté opposé, on n'y retrouve pas l'expression de la douleur, bien que son sourcilier soit électrisé partiellement. C'est ce que j'ai toujours observé, lorsque la contraction de ce muscle était forcée, comme dans cette figure, et qu'en même temps l'œil et le front étaient très éclairés.

On observe fréquemment ce spasme du sourcilier sur les

personnes qui sont gênées par une trop vivo lumière. J'ai voulu représenter cette contraction spasmodique naturelle, dans la figure 25. J'avais dirigé le regard de mon sujet sur un mur éclairé par le soleil, et qui réfléchissait une lumière très vive; alors il a contracté fortement et involontairement ses sourciliers, sans qu'il pût l'empêcher : c'est dans cet état que je l'ai photographié. Comparez cette figure aux figures 23 et 24, et vous verrez qu'elle n'exprime pas la douleur, comme ces dernières; on reconnaît seulement que les sourciliers sont contractés spasmodiquement.

MUSCLES

DE

LA JOIE ET DE LA BIENVEILLANCE

(grand zygomatique et orbiculaire palpébral inférieur,

I et E, fig. 1.)

Figures 30, 31, 32, 33, M, 35, 3(J.

LÉGENDE.

(Regarder alternativement et comparativement l'un des côtés des figures 30, 35 et 36, et en masquer le côté opposé.)

Fig. 30. — Destinée, ainsi que la figure 31, à l'étude des lignes expressives fondamentales et secondaires, produites par la contraction du grand zygomatique chez un vieillard (représenté dans les figures 3, 6, 7, 8, 9, 12, 13, U, 17, 18, 19, 20, 21 et 22).

A droite, excitation électrique, forte parfaitement limitée dans le grand zygomatique ; développement des lignes fondamentales et des lignes secondaires du grand zygomatique : rire faux.

A gauche, repos de la physionomie.

Fig. 31. — Excitation électrique un peu plus forte des deux grands zygomatiques ; ] développement des mêmes lignes fondamentales et secondaires cle la joie, avec légère contraction de quelques fibres du muscle dit sphincter des paupières : rire faux.

Fig. 32. — Destinée à montrer, chez le même sujet, comparativement aux figures 30 et 31, que le rire naturel vrai est constitué par l'association des grands zygomatiques et de l'orbiculaire palpébral inférieur.

Rire naturel, par la contraction volontaire des deux grands zygomatiques et de l'orbiculaire palpébral inférieur.

Fig. 33. — Destinée à démontrer, chez le même sujet, que les rides rayonnantes de l'angle externe des paupières, dues à l'action du grand zygomatique, s'effacent lorsque, en même temps que celui-ci, on fait contracter le frontal.

Ëlectrisation, au maximum, des grands zygomatiques et des frontaux : expression incomplète, fausse, de la surprise agréable, de Vadmiration.

Fig. 3zj. — Destinée à montrer, chez le même sujet, que la combinaison du muscle de la joie et de la douleur, à un certain degré de contraction, est inexpressive ou ne produit qu'une grimace.

Contraction électrique forte des grands zygomatiques et des sourciliers : grimace.

Fig. 35. —Destinée à l'étude des lignes expressives produites par la contraction forte et partielle du grand zygomatique chez une jeune femme. (Cette femme était triste et abattue au moment de l'expérience, ce que l'on reconnaît à l'abaissement léger de la commissure de la lèvre du côté gauche).

A droite, excitation électrique assez forte du grand zygomatique avec excitation légère des palpébraux ; développement des lignes fondamentales propres à l'action du muscle de la joie . rire faux.

Fig. 36. — Destinée à l'étude expressive de l'association du grand zygomatique ou du triangulaire des lèvres, son antagoniste, avec les palpébraux. (Cette femme était gênée par une trop vive lumière au moment de l'expérience, et avait contracté spasmodiquement ses palpébraux.)

A droite, électrisation du grand zygomatique associée à la contraction volontaire, légère des palpébraux : rire méprisant.

A gauche, excitation électrique forte du triangulaire des lèvres, associée à la contraction volontaire et modérée des palpébraux : mépris, dégoût.

EXPLICATION DE LA LÉGENDE.

A. — Mécanisme.

L'immersion du filet moteur (b, fig. 2) du grand zygoma-tique se fait un peu au-dessous de l'attache supérieure de ce muscle, c'est-à-dire 2 centimètres et demi à 3 centimètres en dehors et au-dessous de l'angle externe de l'œil. C'est à peu près vers ce point que mes rhéophores ont été placés dans toutes les expériences électro-physiologiques que j'ai faites sur le grand zygomatique (voy. les fig. 30, 31, 33, 34, 35, 36).—Du côté gauche de la figure 30, où les deux grands zygomatiques sont mis simultanément en action, le rhéophore correspondant au pôle négatif, qui est plus excitant que le pôle positif, a été posé au-dessous du point d'immersion du filet moteur du grand zygomatique, afin que la contraction musculaire soit égale de chaque côté.

Il m'est arrivé quelquefois de localiser exactement l'excitation dans ce muscle, comme dans le côté droit de la figure 30. Cette localisation exacte est assez difficile ; car le courant électrique rencontre souvent un ou deux filets moteurs qui se rendent à un faisceau musculaire voisin, lors

qu'il est un peu trop intense ou qu'il existe une anomalie, ce qui n'est pas rare. On en voit un exemple dans le côté droit de la figure 35, où le courant a excité légèrement les palpé-braux, en même temps que le grand zygomatique.

La figure 30, où l'excitation électrique est parfaitement localisée dans le grand zygomatique, montre l'ensemble des lignes fondamentales et des lignes secondaires, qui, à un âge avancé, se développent sous l'influence de la contraction énergique de ce muscle.

J'ai dit ailleurs : 1° que ces lignes fondamentales, qui se développent à tous les âges, chez le vieillard comme chez l'adulte, sont constituées par le mouvement oblique en dehors et en haut de la commissure labiale, par une courbe légère, à convexité inférieure, de la ligne naso-labiale, par le gonflement de la pommette, enfin par l'élévation légère de la paupière inférieure; 2° que les lignes secondaires sont formées par les rides rayonnantes de l'angle externe des paupières. Ces dernières n'apparaissent que chez l'adulte, d'autant plus nombreuses et plus profondes, qu'il est plus avancé en âge et que sa peau a été plus brûlée par le soleil.

Les lignes et les reliefs produits par le grand zygomatique sont complètement représentés sur la figure 31.

Cette figure 31, où l'excitation pratiquée des deux côtés à la fois est plus forte que dans la figure 30, montre les rides rayonnantes de l'angle externe de l'œil plus profondes et la convexité de la courbe naso-labiale plus prononcée.

Du côté droit des figures 35 et 36, où le grand zygomatique

est mis aussi fortement en contraction que dans la figure 30, on voit que les lignes secondaires de l'angle externe des paupières ne se sont pas montrées. C'est que la femme qui était soumise à ces expériences n'était pas encore arrivée à l'âge où ces lignes apparaissent habituellement sous notre climat.

La première ride se voit d'abord au niveau de l'angle externe de l'œil, et les autres augmentent progressivement en nombre, en longueur et en profondeur, en raison directe de l'âge, du degré de maigreur et d'autres conditions que j'ai signalées. Chez le vieillard photographié dans les figures 30 et 31, six on sept rides rayonnantes existent de chaque côté. J'en ai compté un plus grand nombre chez d'autres sujets.

Les attaches et la direction du grand zygomatique, les conditions anatomiques de la peau, rendent parfaitement compte de la formation des lignes fondamentales et secondaires qui régnent dans les figures 30, 31 et 33. En effet, du tiraillement de la commissure labiale oblique de bas en haut et de dedans en dehors, il résulte : Io que l'action exercée sur la partie inférieure du sillon naso-labial fait décrire à ce dernier une légère courbe à convexité inférieure ; 2° que la peau refoulée en haut et en dehors forme un relief plus considérable au niveau de la pommette, et élève un peu la paupière inférieure ; 3° qu'au niveau de l'angle externe des paupières, la peau, très fine, se plisse et se ride à la longue, plus rapidement encore, lorsqu'elle est brûlée par l'air ou par le soleil, et lorsque le muscle est fréquemment exercé par la gaieté habituelle.

B. — Expression.

Le grand zygomatique est le seul muscle qui exprime complètement la joie, à tous ses degrés et dans toutes ses nuances, depuis le simple sourire jusqu'au rire le plus fou. — Il ne rend aucune autre expression.

La meilleure dénomination que l'on puisse tirer de son action expressive, est donc celle de muscle de la joie, bien qu'il ne la justifie pas complètement, lorsqu'il est mis partiellement en action.

Voyez le sujet représenté dans les figures 30 et 31 : ses grands zygomatiques sont au maximum de contraction. Au premier abord, il paraît s'abandonner au rire le plus franc, mais un moment d'attention vous fait découvrir que sa gaieté est factice; plus vous regardez cette bouche riante, plus elle vous blesse par sa fausseté. N'en accusez pas l'exagération de ce rire ; car si je vous représentais le sujet souriant, la contraction partielle de ses grands zygomatiques serait aussi peu sympathique. N'en accusez pas non plus la laideur de cette face; la même expérience faite sur la figure la plus belle vous blesserait tout autant et exciterait votre défiance.

Si vous comparez ces figures 30 et 31, dont le rire est faux et menteur, à la figure 32 du même individu photographié au moment où j'avais excité sa gaieté, vous sentez qu'ici son rire est franc et communicatif. On remarque cependant, dans toutes ces figures, la même ligne courbe qui sépare les lèvres, la même sinuosité des sillons naso-labiaux, la même saillie

des pommettes, les mêmes rides rayonnantes qui partent de l'angle externe de l'œil. C'est uniquement d'un mouvement particulier de la paupière inférieure que dépend la différence expressive de ces figures. En effet, cachez-en la partie supérieure jusqu'au niveau du bord inférieur de l'orbite, alors vous verrez qu'elles rient tout aussi bien les unes que les autres, et même que la figure 31 exprime la gaieté la plus folle. Mais à l'instant où l'œil est découvert, vous constatez, dans la figure 32, qu'il s'est mis en parfaite harmonie avec le mouvement des commissures labiales, pour compléter l'expression du plaisir et de la gaieté, tandis que dans les figures 30 et 31, surtout dans la première, l'indifférence de l'œil contraste, d'une manière choquante, avec le grand mouvement d'expansion joyeuse et gaie de la partie inférieure du visage.

Ce mouvement de la paupière inférieure, sans lequel toute joie ne saurait se peindre sur la face avec vérité, a besoin d'être étudié avec soin. On remarque dans la figure 32, qu'il s'est formé, à h millimètres du bord libre des paupières inférieures, une dépression transversale, à concavité supérieure, et qu'au-dessous de cette dépression la peau de la paupière est légèrement gonflée et fait relief, tandis qu'au-dessous de lui elle est tendue.

L'expérimentation, unie à l'observation des mouvements naturels expressifs, m'a démontré que ce modelé particulier des paupières inférieures naît sous l'influence des impressions qui affectent l'âme agréablement, et qu'il complète l'expression du sourire et du rire.

Le muscle qui produit ce relief de la paupière inférieure n'obéit pas à la volonté; il n'est mis en jeu que par une affection vraie, par une émotion agréable de l'âme. Son inertie, dans le sourire, démasque un faux ami.

La volonté peut à peine dissimuler son action, quand celle-ci est éveillée par un mouvement du cœur.

Non-seulement il égayé l'œil, et à ce titre il est le muscle complémentaire du grand zygomatique, pour l'expression du sourire ou du rire, mais encore, dans certaines circonstances, il se contracte partiellement, sous l'influence des sentiments affectueux. Il rend alors le regard bienveillant; aussi peut-on l'appeler muscle de la bienveillance.

Anatomiquement, je l'ai appelé orbiculaire palpébral inférieur (voy. E, fîg. 1); il est séparé latéralement de l'orbicu-laire palpébral supérieur par une intersection aponévrotique.

Tous ces faits ont été développés et démontrés dans l'article consacré à l'étude de ce muscle ; j'ai dû, en raison de leur importance, les rappeler ici à l'occasion des figures précédentes.

L'orbiculaire palpébral inférieur est si difficile à élec-triser partiellement, que je n'ai pu le maintenir assez longtemps contracté isolément pour photographier cette expérience. Il m'est arrivé de rencontrer son filet nerveux (K, fig. 2) en excitant le grand zygomatique, comme du côté gauche de la figure 31, où Ton voit que ce muscle est contracté légèrement, ce qui donne à ce côté un rire un peu

moins faux que du côté opposé. Ce muscle ne peut être sup-

6*

pléé, pour sa fonction expressive, par les palpébraux ; la figure 35 et mieux la figure 36 en fournissent la preuve.

Dans la première (fig. 35), le rhéophore a été posé au niveau de la partie supérieure du grand zygomatique, sur le point où doit s'immerger le nerf moteur de ce muscle ; ce dernier s'est contracté en produisant les sillons et les reliefs fondamentaux qui lui appartiennent, sans lignes secondaires, ainsi qu'on l'observe ordinairement chez les sujets de cet âge et dans les mômes conditions. Mais on voit, en comparant les ouvertures palpébrales entre elles, que du côté droit, où l'expérience est faite, la paupière supérieure s'est abaissée et que l'inférieure s'est au contraire élevée.

Or, ce dernier mouvement indique que les muscles palpébraux se sont contractés ; ce qui ne peut avoir lieu que par l'excitation du filet moteur de ces muscles. 11 m'eût été facile d'éviter ce filet nerveux et cle localiser l'excitation électrique dans le grand zygomatique, comme du côté droit de la figure 30, en déplaçant le rhéophore ou en diminuant l'intensité du courant; mais j'ai préféré photographier cette combinaison du grand zygomatique avec les palpébraux, combinaison qui a produit le rire méprisant.

Cette expression est mieux rendue encore dans la figure 36, parce que la contraction des palpébraux produite, on le sait, par le spasme des paupières, y est plus forte.

MUSCLE DE LA LASCIVETÉ

(transverse du nez, q, lig. 1).

Figures 37, 38, 39, 40, 4 1, 42.

LÉGENDE.

Fig. 37. — Portrait du vieillard vu de profil (représenté dans les figures 3, 6, 7, 8, 9, 12, 13, U, 17,18, 19, 20, 21, 22, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36). Comparer cette figure aux figures 38 et 39.

Fig. 38. — Destinée à l'étude de la contraction partielle du transverse du nez, chez le même sujet.

Contraction du transverse du nez; ne se produisant pas partiellement pendant les mouvements expressifs naturels ; représentant, en général, l'attitude du nez, chez les sujets d'un tempérament lascif ou aux habitudes lubriques. ( 11 existe des variétés individuelles qui dépendent de la forme du nez.)

Fig. 39. — Destinée à l'étude de la contraction combinée du transverse du nez et du grand zygoniatique, chez le même individu.

Contraction combinée du transverse du nez, du grand zygomatique et du frontal : attention attirée par un sujet qui provoque des idées ou des désirs lascifs. Fig. /|0. — Portrait, vu de profil, d'un homme âge de quarante-deux ans, abruti par l'abus des boissons alcooliques ; le nez de ce sujet est aquilin.

11 doit servir, comme le procodent, à l'étude expressive du transverse du nez.

Comparez cette figure aux figures Al et A2.

Fig. Al. — Destinée à montrer, chez le même sujet, le mouvement imprimé aux ailes du nez par le transverse du nez, et la forme que prend alors ce dernier, quand il est aquilin; destinée également à l'étude de l'expression qu'il donne à la physionomie, lorsqu'il s'associe aux palpébraux.

Contraction électrique du transverse du nez et contraction volontaire, légère des palpébraux, de manière à maintenir les paupières entr'ouvertes : mauvaise humeur, mécontentement.

Fig. A2. — Destinée à montrer la grossièreté et le cynisme de l'expression lubrique, chez le même individu, dont le transverse du nez est très développé.

Contraction électrique combinée du transverse du nez et du grand zygomatique : gaieté exprimée par des idées lubriques, cynisme, paillardise.

EXPLICATION DE LA LÉGENDE.

A. — Mécanisme.

L'éleclrisation partielle du transverse du nez (Q, fig. 1) s'obtient en plaçant les rhéophores au niveau du corps charnu de ce muscle, comme clans les figures 38, 39, M et 42. La disposition anatomique de ce muscle rend cette expérience facile.

Les figures 38 et M montrent l'ensemble des lignes expressives, fondamentales et secondaires, produites par la contraction énergique du transverse du nez chez deux sujets dont la peau des parties latérales du nez se plisse ou se ride facilement. On voit que l'aile du nez est attirée obliquement en haut et en avant ; que la portion supérieure du sillon naso-labial a suivi la même direction ; que la narine, en s'élevant, s'est pour ainsi dire retroussée de telle sorte, que son orifice regarde en dehors, au lieu de s'ouvrir en bas ; que le sillon cutané qui contourne la narine en arrière est plus accentué; enfin que la peau des parties latérales du nez s'est plissée parallèlement à la direction de l'épine nasale.

La forme générale du nez est considérablement modifiée parle transverse du nez; elle est caractéristique. Pour bien

comprendre l'exactitude de la description précédente, il sulïit de comparer la forme du nez au repos des figures 37 et 40, au nez mis en mouvement par le transverse du nez, dans les figures 38, 39, /¡1 et 42.

La partie postérieure du nez où se termine inférieurement le transverse du nez,] et qui est mobile, est nécessairement attirée vers l'épine nasale, qui est le point fixe de ce muscle. Tout le monde comprend pourquoi la peau des parties latérales du nez, refoulée en haut et en avant, s'est couverte de petites rides parallèles à la direction de l'épine nasale.

Le mouvement de l'aile du nez, les lignes et les reliefs qui en sont la cause, sont beaucoup plus prononcés dans les figures 41 et 42 que dans les figures 38 et 39.

B. — Impression.

La figure 38 fait voir que la contraction partielle du grand zygomatique donne à la physionomie une expression de mauvaise humeur qui annonce l'hostilité; mais jamais ce muscle ne se contracte partiellement, et pour rendre cette expression de mécontentement, il agit de concert avec d'autres muscles.

L'expression de la figure 41, ol le transverse du nez a été mis en action pendant que les paupières étaient un peu rapprochées (par les palpébraux), et alors que les commissures labiales étaient abaissées (par les triangulaires des lèvres), cette

expression, dis-je, offre un mélange de mécontentement et de mépris.

L'homme qui est représenté dans cette dernière figure était un ouvrier intelligent, âgé de quarante-deux ans, mais qui avait tant abusé des boissons alcooliques, qu'il était tombé dans un délire crapuleux (delirium tremens). Il avait été conduit à l'hôpital, où il avait été traité avec succès par l'opium à haute dose (il avait pris un gramme d'extrait gommeux d'opium). Lorsque je fis des expériences électro-physiologiques sur sa face, il était encore sous l'influence de ce narcotique. Aussi remarquait-on, au lieu de sa gaieté habituelle, que ses traits exprimaient l'abattement; ses commissures labiales tombaient, et pour qu'il ouvrît les yeux, il me fallait réveiller fortement son attention, comme on le voit dans la figure liO (1).

J'ai profité de cet affaissement des traits produit par l'opium, et surtout de l'abaissement de ses commissures labiales, pour étudier l'effet expressif de la combinaison du transverse du nez avec le triangulaire des lèvres. Les signes du mécontentement se sont alors dessinés beaucoup mieux que sur la figure 38; mais cette expression n'était pas encore l'imitation exacte de la nature. Je lui fis ensuite rapprocher les paupières, comme s'il était gêné par la lumière, et je répétai l'expérience précédente ; alors je vis apparaître sur sa physionomie, avec une parfaite vérité, un mélange de mécontentement et de mépris : c'est cette expression électro-physiologique que j'ai photographiée dans la figure M.

(1) Il a succombé an delirium tremens, dix jours après cotte expérience.

Le transverse du nez s'associe aussi avec l'élévateur commun de l'aile du nez et de la lèvre supérieure pour peindre une nuance de la même expression. J'y reviendrai à l'occasion de l'étude expressive de ce dernier muscle.

Les expériences photographiées dans les figures 39 et 42 démontrent que la combinaison du transverse du nez avec le muscle de la joie (le grand zygomatique) produit l'expression du plaisir lascif, de la gaieté lubrique. C'est la fonction la plus importante du transverse du nez; aussi l'ai-je appelé muscle de la lasciveté, de la lubricité.

Le vieillard représenté dans la figure 39 n'est rien moins que lascif; il est au contraire d'un tempérament si froid, qu'il avoue que les femmes ne lui ont jamais inspiré le moindre désir : il est même fier d'avoir conservé son innocence. D'ailleurs, à l'abaissement de ses narines et à leur aplatissement, on reconnaît dans son portrait photographié (fig. 3 et 37), que le muscle expressif des plaisirs lascifs est chez lui peu développé.

Malgré ces conditions défavorables, on voit dans la figure 39 que, par l'excitation électrique de son transverse du nez, unie à celle de son grand zygomatique, il m'a été possible de peindre sur sa face une expression de plaisir lascif que la nature lui a refusée. On remarquera que j'ai mis en même temps son frontal en contraction, voulant indiquer par là que celte passion vient d'être éveillée par une cause extérieure, qu'une nudité, par exemple, attire son attention lascive J'avais l'intention de le représenter clans une situation

analogue à celle des vieillards impudiques de la chasle Suzanne; mais il m'a été impossible de lui donner, pour cela, un air assez lubrique, parce que le muscle qui représente cette passion n'était pas chez lui assez développé. Quoi qu'il en soit, ce rire gaillard et cet air égrillard contrastent singulièrement avec son rire simple habituel.

La figure 42 nous montre la gaieté lubrique sous son aspect le plus grossier. Cet homme, avant que ses traits fussent affaissés par l'opium, avait une physionomie toute différente de celle que l'on voit dans la figure hO ; car ses traits annonçaient une gaieté habituelle, et la forme, l'attitude de ses narines décelaient un tempérament très lascif.—Les renseignements qui m'ont été donnés sur ce point m'ont appris que je ne m'étais pas trompé.—L'expérience représentée dans la figure 42 prouve que le muscle de la lubricité était très développé chez cet homme. C'est ce qui m'a permis de rappeler sur sa face les traits de cette passion brutale, traits qui avaient été momentanément effacés par le narcotisme.

MUSCLE DE LÀ TRISTESSE

(triangulaire des lèvres, M, fig. 1).

Figures 43, 44, 45.

LÉGENDE.

Fig. Zl3. —Destinée à l'étude des mouvements, des reliefs et des plis cutanés, occasionnés par l'action partielle du triangulaire des lèvres, comparativement avec le côté opposé qui est à l'état de repos, chez un vieillard (représenté dans les ligures 3, 7, 8, 9,12,13,14,17, 18,19, 20, 21, 22, 30, 31, 32, 33, 34, 37, 38, 39).

A droite, contraction électrique forte du triangulaire des lèvres : dégoût.

A gauche, repos de la physionomie.

Fig. hh. — Destinée à l'étude expressive des triangulaires des lèvres, au maximum de contraction, chez le même sujet.

Contraction électrique très forte des triangulaires des lèvres : dégovt.

EXPLICATION DE LA LÉGENDE.

A. — Mécanisme.

L'électrisation partielle du triangulaire des lèvres (M, fîg. 1) se pratique en posant les rhéophores, comme dans les figures ha, kh, 45, au niveau de leur surface (2 centimètres au-dessous et 1 centimètre en dehors des commissures labiales). Le courant ne doit pas être assez intense pour traverser l'épaisseur du muscle; car il arriverait jusqu'au rameau nerveux moteur qui anime les muscles de la houppe du menton, le carré du menton, Forbiculaire des lèvres, et conséquemment ferait contracter tous ces muscles à la fois.

Les triangulaires des lèvres tirent les commissures obliquement en bas et en dehors. Les figures hk et 45 montrent, en outre, qu'au maximum de contraction, le sillon interlabial décrit une courbe à concavité inférieure; que la lèvre inférieure est un peu attirée en avant, et que la ligne naso-labiale est allongée, tend à devenir rectiligne et se rapproche davantage de la verticale; que la moitié de la lèvre supérieure qui correspond au triangulaire excité, est attirée obliquement en bas et en dehors ; enfin que la narine est abaissée et un peu moins ouverte. Ce dernier fait est mis plus en évidence par la

figure A3, où l'on voit que, du côté de la face qui est restée au repos, la narine est un peu plus élevée que celle du côté excité. On remarque enfin, au-dessous des commissures labiales de ces figures, des reliefs et des plis occasionnés par le refoulement de la peau, et qui sont d'autant plus prononcés et plus nombreux, que le sujet est plus avancé en âge.

B. — Expression.

On sait que les commissures labiales du sujet sur lequel la plupart de mes expériences électro-physiologiques ont été faites, sont naturellement abaissées, lorsque sa physionomie est au repos; on peut le voir, du reste, dans son portrait (fig. 3). Cette chute des commissures labiales se montre, en général, dans la vieillesse, indépendamment de toute cause morale.

Mais, clans la jeunesse, le moindre abattement des commissures labiales a lieu sous l'influence de la contraction des triangulaires des lèvres, et alors cet abaissement des coins de la bouche donne à la physionomie, si elle est au repos, une expression de tristesse et d'abattement. On en voit un exemple sur la moitié gauche de la figure 35. Chez la jeune femme que cette dernière figure représente, les commissures de la bouche étaient habituellement relevées et donnaient de la gaieté à la physionomie ; mais son caractère était très mobile, et le jour où j'ai photographié l'expérience reproduite sur le côté droit de sa face, elle était triste et abattue. Cette dernière

expression se voit sur la moitié gauche de la figure 35, et l'on constate qu'elle est due seulement a un léger abaissement de sa commissure labiale gauche; en d'autres termes, à une faible contraction du triangulaire des lèvres de ce côté.,

On peut comparer entre eux, sur cette figure 35, les mouvements contraires, exécutés par les commissures labiales, et apprécier l'influence énorme qu'ils exercent sur la physionomie. En effet, au moment où la tristesse de cette femme réagissait sur son triangulaire, et, par leur intermédiaire, abaissait ses commissures labiales, j'ai relevé, du côté droit, le coin de sa bouche, en excitant l'antagoniste du triangulaire droit (le grand zygomatique), et alors la joie a été rappelée artificiellement sur cette moitié de sa face.

J'ai fait l'expérience opposée chez cette même femme, alors qu'elle était dans ses jours de bonne humeur : ainsi sa bouche étant souriante, j'ai fait contracter légèrement un de ses triangulaires, et àl'instant l'abaissement delà commissure correspondante, quelque faible qu'il fût, venait altérer la physionomie cle ce côté.

Cependant il est démontré par l'expérience représentée sur le côté droit de la figure 36, qu'au plus haut degré de contraction, l'action expressive du triangulaire des lèvres change complètement; qu'elle exprime alors le dégoût. Mais le spasme des paupières qui se combine avec cette expression, l'a modifiée un peu; j'y reviendrai bientôt.

La figure hh, où la contraction au maximum du triangulaire des lèvres est parfaitement limitée, convient mieux

à la démonstration du fait en question. Cette physionomie exprime, en effet, un profond dégoût qui soulève le cœur ou qui indique une grande aversion.

D'autres figures exposées dans cet album démontrent, ainsi qu'on va le voir, que diverses associations de certains muscles avec le triangulaire des lèvres modifient ou changent l'action expressive de ce dernier.

Le moindre abaissement des commissures labiales (par une faible contraction des triangulaires), associé à un léger rapprochement des paupières (par les palpébraux), comme lorsqu'on est gêné par la lumière, donne au regard une expression de mépris.

Cette expression est rendue sur la moitié gauche de la figure 36. La contraction extrême (peut-être un peu exagérée et grimaçante) du triangulaire des lèvres peint cette expression à son plus haut degré et sous la forme la plus grossière ; elle nous montre un mélange de mépris et de dégoût.

La chute des commissures labiales, qui, chez le sujet dont la figure 3 représente la physionomie au repos, n'est qu'un indice de vieillesse, augmente l'énergie ou étend le sens des expressions delà plupart des mouvements de son sourcil, avec lesquels elle se combine. En voici des exemples.

L'abaissement léger de ses commissures labiales rend plus sérieuse la réflexion exprimée par l'orbiculaire palpébral supérieur, sur la moitié droite de la figure 12, et s'il était à son maximum, comme dans la figure A5, cet état de l'esprit prendrait un caractère de tristesse et d'abattement.

La contention d'esprit, exprimée dans la figure lo par la contraction assez forte de l'orbiculaire palpébral supérieur, devient, dans la figure une expression de pensée sombre par la même contraction au maximum de l'orbiculaire palpébral supérieur gauche, combinée avec un léger abaissement des commissures labiales.

C'est surtout dans la figure 18 que la chute considérable des commissures ajoute à la dureté du regard, produite par la contraction du pyramidal du nez, muscle de l'agression. Il est vrai que sous la seule influence de la contraction partielle du pyramidal du nez, le regard est déjà méchant, ce dont on peut s'assurer en masquant la bouche de cette figure. Quoi qu'il en soit, l'association de cet abaissement des commissures labiales avec les pyramidaux donne à cette figure un air plus dur et plus menaçant.

Le faible abaissement des commissures labiales que l'on observe dans la figure 20 donne au sujet un air de tristesse qui sied bien à l'expression de souffrance produite par la contraction des sourciliers.

La même combinaison musculaire, représentée dans la figure /|5, exprime à la fois la douleur et l'abattement : c'est l'image du désespoir.

MUSCLES

DU PLEURER ET DU PLEURNICHER

(petit zygomatique et élévateur propre de la lèvre

supérieure, F, II, fig. \ ).

Figures 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53.

LÉGENDE

(Regarder alternativement et comparativement chacun des côtés des figures 4fi,

47, 48, 49, 50 et M, et en masquer le côté opposé.)

Fig. h6. — Destinée à l'étude des lignes qui caractérisent le pleurer avec attendrissement, chez un vieillard (représente dans les figures 3, 6, 7, 8, 12, 13, 1/j, 17,18, 19, 20, 21, 22, 30, 31, 32, 33, 34, 37, 38, 39, A3, lia, 45).

Excitation électrique assez forte du petit zygomatique gauche : pleurer, larmes cl'attendrissement.

Fig. hl. — Destinée à étudier l'action différentielle du petit zygomatique et de l'élévateur propre delà lèvre supérieure, chez le même sujet.

A gauche, excitation électrique du petit zygomatique et contraction volontaire du sphincter dos paupières : pleurer franc, à chaudes larmes.

A droite, excitation électrique de l'élévateur propre de la lèvre supérieure et contraction volontaire des paupières : nuance du même pleurer.

Fig. 48.— Destinée à l'étude comparative des lignes expressives différentielles du petit zygomatique et du grand zygoma-tique, chez le même sujet vu de face.

A gauche, contraction électrique du petit zygomatique : pleurer modéré, attendrissement.

A droite, contraction électrique modérée du grand zygomatique: rire faux, incomplet.

Fig. 49. — Destinée à l'étude de l'association du petit zygomatique et du sourcilier, chez le même sujet.

A gauche, excitation électrique du petit zygomatique et du sourcilier : pleurer douloureux.

A droite, physionomie au repos, avec regard fixe en avant.

Fig. 50. — Destinée à l'étude expressive du petit zygomatique, chez une femme jeune (représentée dans les fig. 35 et 36).

A droite, excitation électrique du petit zygomatique et du sphincter des paupières : pleurer grimaçant. A gauche, physionomie au repos.

Fig. 51. — Destinée à l'étude de l'action partielle de l'élévateur commun de l'aile du nez et de la lèvre supérieure.

A droite, contraction partielle de l'élévateur commun de l'aile du nez et de la lèvre supérieure : mécontentement, mauvaise humeur.

A gauche, repos de la physionomie.

Fie. 52. — Destinée à montrer l'action expressive des élévateurs communs de l'aile du nez el de la lèvre supérieure, associée à l'abaissement de la lèvre intérieure par les muscles carrés du menton.

Contraction électrique des élévateurs communs de l'aile du nez et de la lèvre supérieure, el. abaissement volontaire de la lèvre inférieure ; même expression que sur le côté gauche de la figure 51, mais plus prononcée.

Fig. 53. — Destinée à montrer, d'un côté, l'action expressive de l'élévateur commun de l'aile du nez el de la lèvre supérieure, combinée avec celle des palpébraux, comparativement à l'expression du grand zygomatique, du côté opposé.

A gauche, contraction électrique de l'élévateur commun de l'aile du nez et de la lèvre supérieure, et des palpébraux : pleurnicher.

A droite, contraction du grand zygomatique : rire faits.

EXPLICATION DE LA LÉGENDE.

A. — HccanisBiM*.

Je ferai d'abord remarquer que sur toutes les figures consacrées à l'étude du petit zygomatique, le rhéophore est appliqué au-dessus des fibres les plus externes de l'orbiculaire inférieur, c'est-à-dire 2 centimètres et demi environ au-dessous du bord libre de la paupière inférieure et au niveau d'une ligne verticale abaissée de l'angle externe des paupières. C'est justement là que se trouve la portion supérieure du petit zygomatique (voy. F, fig. 1) qui s'attache en haut, à la face externe de l'os malaire; c'est également là que s'immerge le filet moteur de ce muscle (voy. K, fig. 2).

Du côté droit de la figure lil, le rhéophore est placé à la même hauteur, plus en dedans, au niveau d'une ligne verticale fictive, qui passerait parla partie moyenne de la paupière inférieure. Dans cette région, une partie de la portion supérieure de l'élévateur propre de la lèvre supérieure (voy. G, fig. 2), et le filet moteur (voy. L, fig. 2) de ce muscle, sont sous-cutanés.

Il n'est pas toujours facile ni môme possible de localiser exactement l'excitation électrique dans le petit zygomatique : l'expérience photographiée, figure 50, en est une preuve. Chez

la femme que celte figure représente, il m'a été impossible de contracter le petit zygomatique, sans produire l'occlusion de l'œil par l'excitation du sphincter des paupières, bien que le rhéophore ait été, comme on le voit, placé très bas, loin de ce dernier muscle.

En voici la raison anatomique : « Le petit zygomatique naît aussi, dit le professeur Cruveilhier, par plusieurs racines dont Y line est souvent constituée par les fibres externes du muscle orbiculaire des paupières. Dans quelques cas, le petit zygomatique est exclusivement formé par des fibres détachées de ce muscle. Dans d'autres cas, ce muscle extrêmement grêle naît de l'os malaire par deux faisceaux, dont Y un va former le faisceau inférieur de ïorbiculaire des paupières. Le plus ordinairement ce petit muscle naît de l'os malaire.... » (1). On conçoit donc qu'il existe une connexion intime entre le petit zygomatique et le muscle dit sphincter des paupières, et qu'il soit impossible d'exciter le premier indépendamment du second. Et puis il y a des variétés dans la disposition et le trajet des filets nerveux qui animent ces muscles, de telle sorte que le courant dirigé sur la partie supérieure du petit zygomatique peut rencontrer le filet nerveux qui se rend au sphincter des paupières. Il est impossible de dire laquelle de toutes ces conditions auatomiques s'opposait à l'électrisation partielle du petit zygomatique, chez la femme représentée dans la figure 50.

(1) Traité d'anatomie descriptive, 3e édition, t. II, p. 22'i.

La figure A6 montre, du côté gauche, l'action individuelle du petit zygomatique : on voit que l'action de ce muscle a lieu obliquement de bas en haut et de dedans en dehors, et vers son attache à la face externe de l'os malaire, et qu'elle s'exerce sur la partie médiane de la lèvre supérieure et de la ligne naso-labiale. 11 en est résulté qu'à ce degré de contraction, la portion du bord libre des lèvres et le sillon naso-labiale. qui correspondent au muscle excité, ont décrit une légère courbe à concavité inférieure ; que le refoulement dans la môme direction, des tissus placés au-dessus de la ligne naso-labiale, a produit un gonflement de la pommette et l'élévation de la paupière inférieure qui s'est un peu rapprochée de la paupière supérieure.

Sur le côté gauche des figures /|7 et /18, où le petit zygomatique est un peu moins fortement excité, la courbe décrite par le bord libre des lèvres et par la ligne naso-labiale est un peu moins prononcée que dans la figure /16. Chez ce vieillard, on voit sur la peau de la lèvre supérieure de petites rides obliques en haut et en dehors, et sur la paupière inférieure de petits plis cutanés transversaux.

Ces rides secondaires n'existent pas dans la jeunesse; on peut constater ce fait sur la figure 50. Chez cette jeune femme, en effet, le petit zygomatique droit a non-seulement élevé la partie moyenne de la moitié droite de la lèvre supérieure, en lui faisant décrire une courbe à concavité inférieure, mais en même temps il a, pour ainsi dire, retroussé cette moitié de la lèvre supérieure, de manière à mettre à découvert une

plus grande surlace de la muqueuse labiale. — Les dents avaient été également couvertes; ce que l'on ne peut voir sur cette photographie, parce qu'elles étaient dans l'ombre. — Le mécanisme de ce mouvement est parfaitement expliqué par le mode de terminaison labiale du petit zygomatique. Je rappellerai ici cette disposition anatomique.

Dès que ce muscle a atteint la lèvre supérieure et le côté externe de l'élévateur propre, ses fibres charnues deviennent pâles et cessent d'être contractiles par Vexcitation électrique. Puis croisant la direction de l'orbiculaire des lèvres qu'elles recouvrent, elles se continuent avec celles de l'élévateur propre presque jusqu'au bord libre des lèvres et se terminent dans la peau. On conçoit donc que l'attache inférieure mobile du petit zygomatique se faisant au bord libre de la peau de la lèvre supérieure, ce muscle ait une tendance à retrousser celle-ci en l'élevant. Pour que ce retroussement ait lieu, les lèvres ne doivent pas être minces, comme chez le vieillard représenté dans les figures /16, 47, /18, A9. Chez lui, au contraire, elles ont une tendance à se retrousser en dedans, par le fait de l'absence des dents. Il faut que les lèvres aient une certaine épaisseur, ainsi qu'on l'observe chez les enfanls en général ; leurs lèvres, on le sait, se renversent en avant et se retroussent pendant le pleurer.

La figure 50 ne donne pas une idée parfaite de ce mouvement particulier des lèvres, que j'ai très souvent obtenu en faisant contracter le petit zygomatique sur de jeunes sujets

et môme sur des adultes, que je regrette de n'avoir pu réussir à photographier exactement.

Le côté droit de la figure 47, où l'élévateur propre de la lèvre supérieure est excité, montre que l'action de ce muscle est à peu près la môme que celle du petit zygomatique ; seulement on observe que l'action qu'il exerce sur la lèvre supérieure et sur la ligne naso-labiale a une direction moins oblique en dehors, et qu'il élève un peu la narine de son côté, mais sans en agrandir l'ouverture.

Chez les sujets jeunes et aux lèvres épaisses, ce muscle retrousse aussi la lèvre supérieure. Le mécanisme de cette action de l'élévateur de la lèvre supérieure s'explique parfaitement par la disposition anatomique de ce muscle que j'ai rappelée ci-dessus, en exposant celle du petit zygomatique.

Dans les expériences représentées sur les figures 51, 52 et 53, le rhéophore a été appliqué au niveau de la portion supérieure de l'élévateur commun de l'aile du nez et de la lèvre supérieure (H, fig. 1), vers le point d'immersion du filet moteur (L, fig. 2) de ce muscle.

On voit que l'aile du nez s'est élevée et a entraîné avec elle l'extrémité supérieure de la ligne naso-labiale, qui s'est allongée en devenant moins oblique, et que la portion externe de la lèvre supérieure a été attirée en haut, suivant la direction de l'élévateur commun de l'aile du nez et de la lèvre supérieure.

Sur le côté droit de la figure 51, l'éleclrisatiou est parfaitement localisée dans ce dernier muscle. Aussi n'y voit-on pas

les plis cutanés qui se sont formés sur la partie gauche du nez des figures 5*2 et 53, où le courant électrique, plus fort, a excité à la fois le filet nerveux du transverse du nez et celui de l'élévateur commun de l'aile du nez et de la lèvre supérieure.

B. — Expression.

Les expériences électro-physiologiques représentées par les figures photographiées dont on a lu précédemment la légende démontrent toutes que le petit zygomatique dont on avait fait jusqu'à ce jour l'auxiliaire ou le congénère du grand zygomatique, pour l'expression de la joie et du rire, est au contraire un muscle du pleurer.

La contraction bien isolée de ce muscle, telle que je l'ai obtenue du côté gauche de la figure 46, trahit une émotion qui produit la sécrétion des larmes; du moins, je n'ai jamais vu do larmes couler par une cause morale, sans que ce muscle entrât en action. Cette expression d'attendrissement contraste avec la fermeté des traits et du regard du côté opposé. — J'avais provoqué cet air de résolution chez le sujet, en fixant son regard en face de lui et en lui faisant écarter largement ses paupières. On sent cependant, à la vue du côté gauche de cette figure, que les larmes, qui semblent produites par une émotion, ne doivent pas encore couler abondamment, qu'elles ne font qu'humecter les paupières. Telle est l'expression d'attendrissement que l'on observe au théâtre sur des spectateurs émus par une scène pathétique.

On remarque que sur la moitié gauche des figures /16 et 47 la même expression d'attendrissement augmente graduellement : les larmes, qui dans la figure 46 paraissent contenues, coulent de plus en plus abondamment dans la figure 47. Ici le sujet pleure franchement. Ce n'est pas que la contraction du Ipetit zygomatique y soit plus forte, j'ai déjà dit au contraire qu'elle était moindre que dans la figure 46 ; c'est parce que la contraction du sphincter des paupières y est associée à celle du petit zygomatique.

J'ai fréquemment suivi avec attention, chez un même individu et surtout chez l'enfant, cette gradation de l'expression du pleurer; j'ai toujours vu les larmes s'annoncer par l'action partielle du petit zygomatique, et le pleurer franc se montrer avec l'association de ce muscle et du sphincter des paupières.

Du côté droit de la figure 47, où l'élévateur propre de la lèvre supérieure est contracté en même temps que le sphincter des paupières, le sujet semble s'abandonner plus entièrement à son émotion ; il pleure plus franchement que du côté gauche. Quoi qu'il en soit, on voit que les lignes expressives (la courbe de la ligne naso-labiale, le mouvement de la lèvre supérieure et le relief de la pommette) produites par ces deux muscles (l'élévateur de la lèvre supérieure et le petit zygomatique) ont entre elles beaucoup de ressemblance. — J'ai dit précédemment, en traitant du mécanisme de ces mouvements, en quoi ces lignes différaient entre elles.

Enfin le côté gauche de la figure 53 nous montre le plus disgracieux de tous les pleurers : le pleurer à chaudes larmes,

le pleurnicher. Ce pleurer est ridicule chez l'adulte, aussi n'ose-t-il s'y abandonner entièrement. C'est le pleurnicher des enfants, celui qu'ils emploient lorsqu'ils veulent que l'on s'attendrisse ou qu'on leur cède.

Le muscle qui produit le pleurer à chaudes larmes, le pleurnicher, est l'élévateur de la lèvre supérieure et de l'aile du nez(voy. H, fig. 1); maison n'obtient cette expression qu'en le faisant contracter synergiquement avec le sphincter des paupières, comme dans le côté gauche de la figure 53.

Les figures 51 et 52 prouvent que partiellement, ou sans le concours du sphincter des paupières, l'élévateur commun de l'aile du nez et de la lèvre supérieure ne possède plus le pouvoir d'exprimer le pleurer à chaudes larmes. Il offre alors les traits du mécontentement. Le côté droit de la figure 51, où ce muscle est mis partiellement en action, peint l'expression de la mau-vaisehumeur, représente un fâcheux qui trouve tout mauvais. Le plus haut degré de cet état désagréable d'un esprit hargneux se peint mieux encore dans la figure 52, où l'action de l'élévateur commun de l'aile du nez est combinée avec celle du carré des lèvres (voy. X, fig. 1), qui tire la lèvre inférieure en bas et en dehors, en la renversant.

Les différents degrés ou nuances du pleurer, exprimés par les figures /|6, h7 et 48, sont en général l'indice du chagrin ou de l'affliction ; mais ces figures peignent également une expression d'attendrissement provoqué, ainsi que je l'ai dit, par une scène pathétique : les larmes qui coulent alors ne sont certes pas des larmes de douleur. Elles sont même

produites, dans certaines circonstances, par l'émotion du plaisir. Ne sait-on pas, en effet, que la nouvelle d'un grand bonheur peut faire couler les larmes, et ne dit-on pas que l'on pleure de joie?

Ces larmes faciles annoncent une grande faiblesse de caractère. On les observe aussi à la suite de certaines affections du cerveau : dans ce cas, les larmes et tous les degrés du pleurer sont excités indifféremment par la plus légère impression de plaisir ou de peine, alors même que l'intelligence est restée intacte.

Tout récemment encore, je donnais des soins à un homme d'une grande intelligence, fondateur et directeur d'une usine considérable: il avait été frappé d'une apoplexie très légère; ses facultés intellectuelles étaient restées intactes, mais son caractère, jadis très ferme, s'était tellement affaibli, qu'il pleurait à tout propos, lorsqu'il éprouvait des sensations agréables, comme sous l'influence d'impressions contraires. A la vue d'un ami ou d'une personne qui lui plaisait, sa bouche et son œil souriaient d'abord; mais aussitôt la courbure de la ligne naso-labiale donnait à sa physionomie l'expression du pleurer, la contraction du petit zygomatique avait remplacé celle du grand zygomatique, et ensuite ses yeux se remplissaient de larmes. Il en sentait le ridicule, et, malgré tous ses efforts, il en venait à pleurer à chaudes larmes, comme dans le côté gauche de la figure 53, après avoir passé par tous les degrés du pleurer, que j'ai représentés dans les figures /16 et kl.

Ces expressions du pleurer provoquent souvent le rire, tant elles donnent à l'homme un air niais et ridicule.

Cependant on ne saurait se défendre d'un mouvement de compassion à la vue de l'affliction exprimée sur le côté gauche de la figure Zi9, parce qu'ici on sent que le sujet doit être tourmenté par une douleur aiguë et profonde qui lui arrache des larmes. C'est ainsi que l'homme pleure l'élre aimé qu'il a perdu : une mère, un enfant; — c'est ainsi que pleure le Laocoon (de Rome). — J'ai produit cette expression du pleurer douloureux sur la figure 49, par la combinaison du petit zygomatique avec le sourciller, expression qui contraste avec la fermeté des traits du côté opposé.

MUSCLES COMPLÉMENTAIRES DE Ik SURPRISE

(abaisselrs du maxillaire inférieur).

Figures 54, 55, 56, 57.

LÉGENDE,

Fig. 54. — Destinée à l'étude des lignes, des reliefs cutanés et du modelé, produits par les abaisseurs du maxillaire inférieur, chez le vieillard (représenté dans les fig. 3, 7, 8, 9, 12,13, 14, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 30, 31, 32, 33, 34, 37, 38, 39, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 51, 52, 53).

Abaissement volontaire de la mâchoire inférieure, ou des téguments de la partie inférieure de la face ; mouvement inexpressif.

Fig. 55. — Destinée à montrer qu'il ne suffit pas d'ouvrir la

bouche et d'élever les sourcils pour peindre l'étonnement,

mais qu'un rapport parfait doit exister entre ces divers

mouvements, sous peine de ne faire qu'une grimace.

Abaissement volontaire, au maximum, de la mâchoire

10

inférieure, avec élévation volontaire et modérée des sourcils : étonnement mal rendu par le sujet; expression ridicule et niaise.

Fig. 50. — Destinée à l'étude de la contraction combinée, à un degré modéré, du frontal el. des abaisseurs du maxillaire inférieur.

Abaissement volontaire et modéré de la mâchoire inférieure, et contraction électrique proportionnelle des frontaux : surprise.

Fin. 57. — Destinée à l'élude de la contraction combinée, au maximum, des frontaux et des abaisseurs du maxillaire inférieur.

Abaissement volontaire, au maximum, de la màcboire inférieure, et contraction électrique énergique des frontaux : étonnement, stupéfaction, ébahissement.

EXPLICATION DE LA LÉGENDE.

A. —Mécanisme.

Les abaisseurs de la mâchoire inférieure et leurs filets nerveux moteurs, étant recouverts par le peaucier, ne peuvent être électrisés sans que ce dernier muscle se contracte en même temps; leur excitation partielle est possible seulement lorsque le peaucier est atrophié ou lorsqu'il a perdu son irritabilité. Aussi ai-je dû engager les sujets sur lesquels j'ai fait les expériences reproduites ci-dessus par la photographie, à ouvrir leur bouche plus ou moins largement.

On remarque, dans les figures 54 et 5G, qu'à l'instant où la bouche s'ouvre, les traits de la moitié inférieure de la face sont attirés directement en bas et s'allongent ; que les lèvres décrivent deux arcs de courbes en sens inverse, à peu près égaux, et dont la corde commune passe par les commissures labiales.

Ces figures 54 et 56 montrent cet allongement des traits, et ces courbes labiales qui augmentent proportionnellement au degré d'abaissement de la mâchoire intérieure. On voit aussi dans toutes ces figures qu'un relief transversal s'est développé sur la peau située au-dessous de la mâchoire infé

H. — Expression.

La figure 55, où la mâchoire inférieure est seulement abaissée, n'exprime assurément aucune émotion de l'âme. Mais on sent, à la vue de la figure 56, que le sujet qu'elle représente vient d'apprendre une nouvelle inattendue ou qu'il aperçoit un objet qui le surprend. C'est l'expression de la surprise que j'ai obtenue en combinant l'abaissement volontaire de la mâchoire inférieure avec la contraction électrique du frontal.

La même combinaison musculaire au maximum de contraction peint, dans la figure 57, une émotion analogue, mais à son plus haut degré de manifestation. L'impression y est plus forte et l'ébranlement plus grand. Cet homme contemple une chose avec la plus grande surprise ; il a peine à y croire, comme s'il tombait des nues; il est fortement ému; il est étonné, il est ébahi, il demeure stupide (Corneille).

Pour exprimer expérimentalement des expressions aussi

rieure, et que ce relief est limité en avant par un sillon à concavité supérieure, qui, naissant 2 centimètres et demi en arrière du menton, remonte sur les côtés des joues, et par un second sillon moins profond,moins étendu, et situé un centimètre et demi en arrière du premier. Je ferai remarquer enfin que le modelé du cou n'a pas éprouvé la moindre modification, quel que fût le degré d'abaissement de la mâchoire inférieure.

justes ([ne dans ces figures 56 el 57, il faut qu'il y ait un rapport parfait entre le degré d'ouverture de la bouche et d'élévation des sourcils.

Le sujet d'après lequel j'ai photographié ces expériences électro-physiologiques n'a pas su lui-môme imiter ces expressions, parce qu'il ne les sentait pas. — On sait que son intelligence est bornée. — Je l'avais engagé à exprimer la surprise et l'étonnement de la môme manière que dans les figures photographiées que je venais de produire artificiellement. Il ouvrit simplement la bouche, comme s'il allait bailler (voyez la fig. 55). J'eus beau le stimuler, lui faisant écarter plus largement les mâchoires et l'engageant à élever ses sourcils autant que possible, je ne pus en tirer que l'expression niaise et ridicule reproduite par la photographie, dans la figure 56. La bouche était ouverte d'une manière exagérée, comparativement à la mollesse des mouvements de ses sourcils et de ses paupières. Aussi a-t-il plutôt l'air de chanter que d'éprouver une émotion occasionnée par l'étonnement.

MUSCLli

DE LA FRAYEUR, DE L'EFFROI

(PEAICIEU, Y, fig. 1). Figures 58, 59, (il, (52, 03, Ci, G5.

LÉGENDE.

Fig, 58 et 59. — Destinées à l'élude du mécanisme de l'action partielle du peaucier, die/, le vieillard (représenté dans les iig. 3, 7, 8, 9, 12, .1.3, l/i, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 30, 31, 32, 33, 34, 37, 38, 39, A3, /i/i, /|5, 46, 47, 48, 49, 51, 52, 53, 54, 55, 5(3, 57).

Dans la première, contraction électrique du peaucier gauche; dans la seconde, contraction des deux peauciers : cette contraction partielle du peaucier est inexpressive.

Fig. GO. — Destinée à l'étude de la contraction combinée, expressive, des peauciers et des frontaux, chez le même sujet.

Contraction électrique combinée des peauciers el des frontaux : frayeur.

Fig. 01 et 02. — Destinées à l'élude de la contraction électrique combinée du peaucier et du frontal, associée à l'abaissement de la mâchoire intérieure, chez le même sujet.

Contraction électrique des peauciers, des frontaux, avec abaissement volontaire de la mâchoire inférieure : effroi, vu de face dans la figure 61, et de profil dans la figure 02.

Fig. 63. — Destinée à montrer que l'expression de l'effroi peut être rendue avec vérité et énergie, alors même que les paupières sont rapprochées, chez le même sujet.

Même combinaison musculaire que dans les figures 61 et 62, et de plus abaissement de la paupière supérieure et. regard en bas : expression d'effroi.

Fig. G/i et 05. —Destinées à l'étude de la contraction électrique combinée des peauciers et des sourciliers, associée à l'abaissement de la mâchoire inférieure, chez le même sujet.

Contraction combinée des peauciers et des sourciliers, avec abaissement volontaire de la mâchoire inférieure : effroi mêlé de douleur, torture.

Dans la figure 6/i, la contraction du peaucier est plus énergique à gauche qu'à droite ; en regardant successivement chacune des moitiés de cette figure, on voitl'augmen-tation graduelle de la douleur et de l'effroi.

EXPLICATION DE LA LÉGENDE.

A. — Mécanisme.

La contraction partielle de l'un des peauciers, photographiée figure 58, établit que ce muscle tire obliquement en dehors et en bas les tissus de la partie inférieure de la face. Cependant il est démontré par les expériences représentées dans les figures 59, 60, 61, 62, 64 et 65, que ce renversement de la lèvre inférieure en avant n'a plus lieu lorsque les deux peauciers sont simultanément excités.

Ces dernières figures montrent également l'action oblique en bas et en dehors des deux peauciers sur tous les traits de la face, et font comprendre comment ces muscles soulèvent et tendent la peau de la moitié antérieure du cou, à la manière d'un rideau derrière lequel disparaissent les reliefs des sterno-mastoïdiens.

Il ressort de l'expérience photographiée, figure 60, que les peauciers exercent une action très faible sur la mâchoire inférieure. La bouche du sujet était en effet fermée lorsque j'ai fait contracter énergiquement ces muscles, et bien que je lui eusse recommandé de n'opposer aucune résistance, c'est

à peine si la mâchoire inférieure s'est abaissée de 2 à S millimètres ; la lèvre inférieure seule s'est écartée de la lèvre supérieure de 2 centimètres environ.

Pour les expressions représentées par les figures 61, 62, 63, 65, j'ai du faire ouvrir plus ou moins la bouche, et ensuite électriser les peauciers ; alors la forme et le modelé des lèvres, qui avaient été produits par le simple abaissement de la mâchoire inférieure (voyez les figures 54, 55, 56, 57), changèrent complètement, et offrirent les caractères spéciaux qui sont propres à l'action combinée des peauciers et aux abaisseurs de la mâchoire inférieure.

Pour bien comprendre le mécanisme des mouvements des lignes et des reliefs produits par le peaucier et l'importance de son l'ôle dans le jeu de la physionomie, il importe de se rappeler les dispositions anatomiques du peaucier (voy. Y, %. 1).

Le peaucier, placé sous la peau, dont il est difficile de le séparer par le scalpel, et dans laquelle il se termine, supérieurement, à la partie inférieure et latérale de la joue, et infé-rieuremeut, au niveau de la partie supérieure du thorax, dont il suit enfin les contours à la face et au cou; ce muscle, dis-je, attire en bas et en dehors la lèvre inférieure, les tissus de la région inférieure des joues et les ailes du nez. Et puis, comme en se contractant ses fibres deviennent recti-ligncs, il soulève nécessairement la peau qui le recouvre, c'est-à-dire la moitié antérieure du cou. Enfin, au maximum de contraction, un grand nombre de fibres de ce muscle

forment, à la surface de la région antérieure du cou, des cordes très apparentes, et qui indiquent leur direction. C'est ce qui est parfaitement distinct sur la plupart des figures précédentes, et principalement sur la figure 63.

11. — Impression.

La contraction partielle du peaucier est inexpressive ; la figure 58, où de chaque côté ce muscle est mis isolément en action, en donne la démonstration. J'ai fait ouvrir la bouche au sujet, au moment où ses peauciers ont été électrisés; et quel que fût alors le degré d'abaissement de sa mâchoire inférieure, je n'ai pu produire, on le voit, qu'une grimace ou une déformation analogue à celle des cicatrices de brûlure situées à la région cervicale ou thoracique.

Les figures 60, 61, 6"2, 63, 6/i et 65 prouvent cependant que le peaucier devient éminemment expressif, dès qu'il s'est associé à certains muscles, et que sans lui, plusieurs émotions de l'âme qui produisent un gonflement spasmodique du cou et tirent les traits de la face, ne sauraient se peindre sur le vi sage cle 1 ' h om me.

On a vu que les figures 56 et 57 expriment avec une grande vérité la surprise, l'étonnement, Fébahissement, par la contraction combinée des abaisseurs de la mâchoire inférieure et des frontaux; mais cette combinaison musculaire qui produit des mouvements, des lignes et des reliefs analogues, au pre

niicr abord, à ceux qui peignent ta frayeur, l'effroi, ne peut cependant produire ces dernières expressions.

Il suffit, pour les faire apparaître, d'associer le peaucier à l'un des muscles moteurs du sourcil. En voici la preuve expérimentale.

La figure 60 est l'image de la frayeur; c'est, on le voit, en combinant l'action du frontal avec celle du peaucier, que cette expression s'est dessinée sur la face de mon sujet. Sa physionomie était au repos, son regard calme et indifférent, bien qu'il fut dirigé latéralement. Son muscle frontal étant mis d'abord énergiquement en contraction, son œil est devenu attentif, tel qu'il a été photographié dans la figure 9. C'est alors que les peauciers ont été électrisés, et à l'instant, sans que sa mâchoire inférieure s'abaissât d'une manière appréciable, mais seulement par le tiraillement oblique en bas et en dehors et tout particulier des traits de sa face, par le soulèvement cutané, enfin, de la moitié antérieure de son cou, les traits de la frayeur se sont dessinés sur sa physionomie avec une vérité admirable. La direction un peu oblique de son regard donne à son œil une expression d'inquiétude, de crainte, en môme temps qu'elle indique le point d'où vient le péril ou le danger dont il se croit menacé.

A la vue de la figure 60, on sent que cet homme éprouve le frisson de la peur : ses muscles cutanés, le peaucier (du cou) et le frontal (peaucier du front) sont contractés spas-modiquement par la frayeur. — Il en est de même chez les quadrupèdes; leur pannicule, qui est l'analogue des muscles

cutanés précédents de l'homme, hérisse les poils sous l'influence de la frayeur.

Cette émotion pénible de l'âme paraît produite par l'idée d'un danger, par une apparence, par un jeu de l'imagination abusée. On ne voit pas du moins, sur sa physionomie, que cet individu soit réellement en danger; on sent plutôt qu'il le redoute.

Mais en présence des figures 61, 62, 63, le doute n'est plus possible : cet homme est glacé par l'effroi, frappé de stupeur; sa face exprime une crainte mêlée d'horreur, à la vue ou à la nouvelle d'un danger qui met sa vie en péril, ou d'un supplice inévitable. — Avant l'emploi du chloroforme, le premier temps des opérations chirurgicales faisait naître ordinairement cette expression d'effroi et d'horreur.

On voit que, dans toutes ces figures qui peignent si fidèle-iiTent l'effroi, l'abaissement de la mâchoire inférieure est combiné avec les autres mouvements qui, dans la figure 60, ont représenté la frayeur. Cette expression d'effroi ne vient en effet parfaitement que par l'association des peauciers et des frontaux avec les abaisseurs du maxillaire inférieur.

Les figures 56 et 57 ont déjà démontré que la contraction combinée des frontaux et des abaisseurs de la mâchoire inférieure rend parfaitement l'étonnement et l'ébahissement, sans pouvoir exprimer la frayeur et l'effroi; il est opportun de le rappeler ici, afin que par la comparaison de ces figures avec les figures 60, 61, 62 et 63, on étudie mieux les caractères distinctifs de ces différentes expressions, carac

tores trop souvent méconnus ou confondus dans les arts plastiques.

L'agrandissement de l'ouverture palpébrale et le regard hagard que l'on observe sur la plupart de ces figures ajoutent certainement à l'effet de leur expression, On sait d'ailleurs que, dans l'effroi, la stupeur est telle, que le globe oculaire paraît chassé hors de l'orbite. — La figure 02 prouve cependant que l'écartement des paupières n'est pas nécessaire à l'expression de l'effroi. On voit, en effet, malgré l'abaissement de la paupière supérieure, la contraction combinée des peauciers, des frontaux et des abaisseurs de la mâchoire inférieure, dépeindre sur celte figure une expression de crainte mêlée d'horreur, l'effroi, avec autant de vérité (pie sur les figures 61 et 62. Ce regard terrifié et cloué au sol montre seulement d'où vient le danger qui menace cet homme.

Il est prouvé par les figures 0/t et 05 que la contraction combinée des peauciers, des abaisseurs de la mâchoire inférieure et des sourciliers, produit une expression d'effroi mêlé de douleur extrême. Les figures 61, 62, 63, nous le montrent, par exemple, terrifié par l'idée, soit d'un danger de mort prochaine, soit d'une torture à laquelle il a été condamné ou qui va lui être appliquée; mais ici, figures G!\ et 65, à l'expression de cette terrible émotion de l'âme s'ajoute celle de la douleur horrible de son supplice. — Cette expression doit être celle du damné.

ÉTUDE CRITIQUE DE QUELQUES ANTIQUES

au point de vue

DES MOUVEMENTS EXPRESSIFS DU SOURCIL ET DU FRONT. Figures G6, G7, 68, 69, 70, 71, 72, 73.

LÉGENDE.

Fie. 66 et 67. — Tête de YArrotino (l'Espion, le Rémouleur, etc.) vue de face et de côté.

Les lignes frontales transversales qui s'étendent sur toute la largeur du front ne peuvent coexister, ni avec l'obliquité, ni avec la sinuosité du sourcil, parce qu'il y a antagonisme entre le frontal et le sourcilier, muscles qui produisent, le premier, ces lignes transversales du front, et le second, ce mouvement oblique et, sinueux du sourcil.

Fig. 68. —Même tête, dont la courbe du sourcil est mise en

harmonie avec les lignes frontales, telle qu'on l'observe

sous l'influence du muscle frontal (voy. %. 7 et 8).

12

Fie. 69. — Même tête, dont les lignes frontales et le modelé des parties latérales du front sont mis en harmonie avec l'obliquité et la sinuosité du sourcil, comme sous l'influence du sourcilier (voy. fig. 19, 20, 2/i, 25).

Fig. 70. — Tête du Laocoon de Rome.

Les lignes médianes du front sont en parfait accord avec le mouvement oblique et sinueux imprimé au sourcil par la contraction du sourcilier; mais le modelé des parties latérales du front est impossible.

Fig. 71. — Même tête, dont la partie latérale du front est modelée comme dans la nature, et comme elle devrait l'être dans la figure 70.

Fig. 72. —Tête du Laocoon de Bruxelles (appartenant au prince d'Aremberg), copie du Laocoon de Rome, mais dont l'expression modifiée peint la douleur physique et les convulsions de l'agonie. Même modelé défectueux que dans l'original, fig. 70.

Fig. 73. — Tête de la Niobé, dont le front plat et le sourcil uni n'offrent pas le modelé produit par le mouvement de la douleur.

EXPLICATION DE LA LÉGENDE.

Je prévois qu'au premier abord les légendes des figures 66, 67, 70, 73, blesseront l'opinion générale. Les corrections que l'on voit sur les figures 68, 69, 71, et que j'ai eu la hardiesse de faire à des chefs-d'œuvre justement admirés de tout temps, seront considérées peut-être comme une profanation.

Quiconque est bien pénétré des principes mis en lumière par les expériences représentées sur les figures consacrées à l'étude des muscles moteurs du sourcil, ne tardera pas à reconnaître que mes observations critiques sont fondées, et il me sera facile, du reste, de les justifier.

A.— Mécanisme.

Recherchons d'abord si les lignes, les reliefs et les modelés qui existent sur le front et sur les sourcils de ces antiques, peuvent s'expliquer par le mécanisme des muscles moteurs du sourcil.

Évidemment, d'une part, les lignes frontales de Y arrotino (fig. 66 et 67), d'autre part, la forme et la direction de son sourcil, examinées séparément, sont bien modelées; mais l'observation de la nature et l'expérimentation électro-physio

logique démontrent, de la manière la plus irrécusable, qu'elles s'excluent mutuellement, qu'elles ne peuvent exister ensemble sur le même front.

Que l'on regarde toutes les figures destinées à l'étude électro-physiologique du frontal et du sourcilier (voy. II et V), qu'on relise les considérations exposées dans les explications des légendes de ces figures, surtout ce qui a trait. h l'antagonisme de ces muscles, et l'on verra que mon assertion est fondée sur une expérimentation rigoureuse.

En outre, l'observation de la nature se trouve en parfait accord avec l'expérimentation électro-physiologique; jamais, en effet, je n'ai vu les sillons régner sur toute la largeur du front, comme chez YArrotino (fig. 66 et 67), sans que le sourcil décrivît une courbe concentrique à ces sillons; et jamais je n'ai vu une contraction volontaire ou expressive donner au sourcil une direction oblique, comme dans ces mêmes figures 66, 67, sans que les sillons cutanés fussent limités à la partie médiane du front, sans que, sur les parties latérales de ce dernier, il se formât des méplats semblables à ceux qui existent sur les figures 23, 2/i et 25. — On sait que ces dernières figures représentent un jeune homme contractant volontairement ses sourciliers.

Comment donc rétablir les rapports de concordance qui, normalement, devraient exister entre les lignes frontales de YArrotino et le mouvement de son sourcil, et vice versa?

Si les lignes qui sillonnent transversalement son front, dans toute sa largeur, sont conservées, il faut changer la

forme et la direction de son sourcil ; il faut que ce dernier décrive une courbe concentrique à ces lignes frontales, comme cela s'observe sous l'influence de la contraction énergique du muscle frontal, chez un adulte (voy. I, les figures consacrées à l'étude électro-physiologique de ce muscle).

Veut-on, au contraire, laisser son sourcil intact, les rides ne doivent exister que sur la partie moyenne du front, tandis que, sur les parties latérales de cette région, la peau est nécessairement tendue et forme un méplat, ainsi qu'on l'observe, lorsque le sourcilier se contracte très énergique-ment, chez un adulte (voy. V, les figures consacrées à l'étude du sourcilier).

Ce que je propose ici, je l'ai exécuté moi-même. Ayant obtenu de la Direction du Musée de faire mouler la tête de Y Arroiino, dont nous avons une belle copie en bronze dans le jardin des Tuileries, j'ai essayé d'harmoniser sur des plâtres les mouvements des sourcils et le modelé du front, en imitant les lignes, les reliefs et les méplats qui se produisent pendant la contraction énergique, soit du frontal, soit du sourcilier. Les figures 68 et 69 ont été photographiées d'après ces plâtres.

Vu de profil, le front de YArrotino corrigé, — que l'on me pardonne ce mot, — présente un méplat analogue à celui de la figure 25.

J'examinerai bientôt l'influence modificatrice que ces corrections exercent sur l'expression de la physionomie.

Ces observations critiques sont, pour la plupart, applicables au Laocoon de Rome. Le modelé des parties latérales de son front est une fanlaisie de l'artiste Àgésandre ; il est impossible, car aucune contraction musculaire, partielle ou combinée, ne saurait le produire. Les sillons et les reliefs qui régnent sur ce front devraient, pour être naturels, se continuer avec ceux de la partie médiane, comme dans la figure 8, sous l'influence du muscle frontal, et tant d'autres figures où ce muscle a été mis en action. Mais alors, de même que dans VArrotino (fig. 66 et 67), elles ne pourraient coexister avec le mouvement sinueux du sourcil.

On voit sur la figure 71 que j'ai essayé de faire concorder le modelé du front du Laocoon avec le mouvement de son sourcil, conformément aux règles établies par mes expériences électro-physiologiques.

Ces corrections auraient certainement laissé moins à désirer, si elles avaient été exécutées par un artiste. Mais j'ai pensé qu'une main profane, seule, pouvait se permettre cette hardiesse. Quoi qu'il en soit, je suis convaincu que les lignes expressives modelées sur les figures 68, 69, 71, sont telles qu'on les observe dans la nature; tandis que le front de FArrotino et celui du Laocoon, tels qu'ils sont dans les originaux et qu'on les voit photographiés dans les figures 66, 67 et 70, sont physiologiquement impossibles avec le modelé et la forme du sourcil.

II.— Impression.

La discordance qui existe entre les mouvements du front et du sourcil de Y Arrotino donne de l'incertitude à l'expression de sa physionomie, parce que les lignes et les reliefs pi'oduits par ces mouvements appartiennent à plusieurs expressions et s'excluent mutuellement.

On ne peut mettre de la concordance entre le front et le sourcil de cette figure, sans en modifier profondément l'expression.

Ainsi fait-on décrire au sourcilier une courbe concentrique aux rides frontales, comme dans la figure 68, la physionomie de Y Arrotino exprime l'attention, la curiosité. — Son sourcil reste-t-il oblique, et rétablit-on alors les rapports naturels entre ce sourcil et le front, en modelant celui-ci de la même manière que dans la figure 69, son œil devient douloureux, ou paraît gêné par une trop vive lumière, qui semble avoir produit un spasme du muscle sourcilier.

Laquelle de ces expressions diverses convient-il de donner à 1 ' A notino? Pour résoudre cette question, il faudrait être fixé sur l'histoire de cette antique. Or, à cet égard, règne la plus grande obscurité.

«Les Italiens, dit M. Viardot, l'appellent Y Arrotino; mais nous lui avons donné plusieurs noms, le Rémouleur, le Rotateur, et aussi l'Espion, parce que sa tête tournée et son regard en l'air semblent exprimer que son attention se porte

sur tout autre chose que son action manuelle. Les uns ont \u dans cette figure un Cincinnatus, d'autres un Manlius Capitolinus, d'autres Milicus ou Accius Navius ; ceux-là prétendent que c'est l'esclave qui surprit la conjuration de Catilina. Mais toutes ces suppositions sont tombées devant l'évidence. Parmi les pierres gravées de la collection actuelle du roi de Prusse, il en est une, décrite par Winckelmanu, qui représente le supplice de Marsyas. Devant le condamné, déjà lié à l'arbre, se trouve la figure, exactement semblable Y Arrotino, du Scythe qui fut chargé d'écorcher le malheureux rival d'Apollon. On retrouve le même personnage, ayant la même attitude, dans toutes les représentations de l'histoire de Marsyas, dans un bas-relief de la galerie Borghése, et sur le revers de plusieurs médailles antiques. 11 est hors de doute, comme l'affirme l'antiquaire Zannoni, dans ses Illustrazioni de la galerie de Florence, que le Rémouleur, le Rotateur, l'Espion, le Cincinnatus, l'esclave surprenant le secret des conjurations, tous ces personnages enfin ne sont autres que le Scythe qui écorcha Marsyas (1). »

Si Y Arrotino est réellement un esclave qui surprend le secret d'une conjuration, l'expression d'attention, de curiosité, chez cet homme qui regarde ou écoute autour de lui, tout en ayant l'air d'aiguiser un couteau sur une pierre devant laquelle il se tient accroupi, cette expression d'attention qui est photographiée d'après la correction que j'ai essayé

(1) Musées d'ikilic. Paris, 1852, p. I 50.

de faire sur un plâtre de l'original dans la figure 68, peint parfaitement la situation du sujet.

Mais l'artiste, comme l'affirme Zannoni, et ainsi que cela paraît être plus vraisemblable à M. Viardot, a-t-il voulu représenter le Scythe chargé par Apollon d'écorcher Marsyas, l'expression de douleur produite par la contraction du sourciller, telle qu'elle est photographiée dans la figure 69, est peut-être plus juste. N'est-il pas possible, en effet, que le statuaire ait voulu nous montrer le Scythe saisi de douleur, de compassion, à la vue du malheureux dont il est chargé d'exécuter le supplice d'une manière aussi cruelle et pour un motif aussi frivole. — On sait en effet que c'est pour avoir osé défier Apollon à qui chanterait le mieux, que ce rival jaloux le fait écorcher tout vif (1).

Mais le cœur de cet homme, au visage commun et grossier, au front déprimé, peut-il être accessible à de tels sentiments? Le statuaire a-t-il voulu simplement montrer cette espèce de sauvage interrompant les préparatifs du supplice pour surveiller la victime qui vient d'être liée et attachée à un arbre? Dans ce cas, le Scythe, en élevant son regard, est gêné par la lumière et contracte spasmodiquement son sourcil, comme dans les figures 22 et 25, où la contraction des sour-ciliers est à son maximum.

De toutes ces hypothèses en est-il une seule qui soit parfaitement vraie?

(1) Les nymphes, dit-on, le pleurèrent tant, qu'un neuve de Phrygie fut grossi de leurs larmes et appelé du nom de ce satyre.

Le groupe du Laocoon est, à coup sûr, un des plus beaux (pie nous ait légués l'antiquité. Winckelmann en fait remonter l'origine au siècle d'Alexandre; mais le savant Lessing a démontré qu'il est un produit de l'art déjà bien affaibli et dégénéré des statuaires.

Le grand prêtre d'Apollon (1), surpris par deux énormes serpents au moment du sacrifice, se réfugie avec ses deux enfants sur l'autel, où il croit sa personne sacrée. Mais poursuivi par la vengeance de Minerve, il n'en est pas moins atteint et enveloppé, ainsi que ses enfants, parles replis de ces monstres, et son flanc est déjà affreusement déchiré par une profonde morsure. Son corps et ses membres, agités par des efforts convulsifs, trahissent seuls sa douleur physique.

On ne voit sur sa face aucun mouvement convulsif ou spas-modique qui annonce l'horrible douleur que doit causer la morsure du monstre.

La courbe décrite par les lignes naso-labiales et le renversement des lèvres en avant (mouvements produits par le petit zygomatique et par les fibres excentriques de l'orbiculaire des lèvres) indiquent que Laocoon pleure. L'obliquité, la sinuosité

(1) Que l'on me permette de rappeler ici la légende du groupe de Laocoon. La veille de la ruine de Troyes, Laocoon, fils de Priam et d'IIécube, s'opposa à ce que le cheval de bois construit par les Grecs fût introduit dans les murs, et môme il le frappa d'un javelot. Le jour même, pendant qu'il faisait un sacrifice, il fut étouffé, avec ses deux enfants, par deux énormes serpents. Celte fin tragique passa pour une vengeance de Minerve, à qui le cheval de bois était consacré. ¦— La mort affreuse de Laocoon a fourni à Virgile le sujet d'un des plus beaux passages de VEnéide (liv. II, 201-227).

de ses sourcils et le gonflement de la tête de ces derniers donnent à son pleurer un caractère de douleur extrême. Enfin sa bouche entrouverte et son regard tourné vers le ciel, montrent que, dans son désespoir, il invoque le secours des dieux.

Cette expression, qui est l'idéal de l'amour paternel, ne se retrouve pas sur un buste antique du Laocoon que l'on voit à Bruxelles, chez le prince d'Aremberg.

Le modelé du front et du sourcil est absolument le même sur le Laocoon de Bruxelles (voy. la fig. 72) que sur le Laocoon de Rome; mais le premier diffère du second par ses prunelles qui sont dirigées convulsivement en dedans (strabisme convergent), par l'ouverture plus grande de la bouche, et enfin par la forme des lèvres, dont l'inférieure et les commissures sont tirées obliquement en bas et en dehors.

On reconnaît certainement, sur la face du Laocoon de Bruxelles, les signes de la douleur; mais le mouvement convulsif de sa bouche et de ses lèvres lui donne le caractère d'une douleur physique, et la convergence de ses yeux nous le montre succombant à une mort violente et horriblement douloureuse.

Cette expression est saisissante de fidélité et impressionne vivement; aussi quelques personnes soutiennent-elles (pie ce buste est l'original du Laocoon.

Cette question, sur laquelle les documents historiques font entièrement défaut, me paraît difficilement souteiiable pour les raisons suivantes.

La tête du Laocoon do Bruxelles ne saurait convenir au groupe du Laocoon de Rome. En effet, sa physionomie représente l'agonie, et l'on ne comprend pas que, dans cet état d'asphyxie et voisin de la mort, un homme puisse lutter encore avec les serpents et se maintenir assis sur le bord de l'autel, dans une attitude où l'équilibre est difficile à conserver. Le statuaire nous l'aurait, dans ce cas, montré s'affaissant sur lui-même ou terrassé par les serpents.

A coup sûr, le buste du Laocoon de Bruxelles est une copie du Laocoon de Rome, et l'artiste s'est permis de modifier l'expression de l'original. Cette image de l'agonie, cette bouche convulsivement ouverte pour faire entendre le râle d'un mourant, peuvent-elles être comparées à la noblesse de l'expression du Laocoon de Rome, à cet idéal de l'amour paternel qui a excité l'admiration générale et particulièrement l'enthousiasme de Winckelmann.

« Laocoon, dit-il, nous offre l'intéressant spectacle de la » nature humaine livrée à la plus grande douleur dont elle » soit susceptible, sous l'image d'un homme qui rassemble » contre elle toute la force de l'âme. Tandis que l'excès de la » souffrance enfle ses muscles et tire violemment tous ses » nerfs, on voit la sérénité de son esprit briller sur son front » gonflé, et sa poitrine, oppressée par la respiration et gênée » par la contrainte cruelle, s'élève avec effort pour ren-) fermer et concentrer le tourment qui l'agite. Les soupirs » qu'il n'ose exhaler, et son haleine qu'il retient, lui compri-» ment l'abdomen et lui creusent les flancs, de manière à

» nous faire juger du mouvement de ses viscères. Cependant » ses propres souffrances paraissent moins l'affecter que celles » de ses enfants, qui ont les yeux fixés sur leur père, et qui » implorent son secours. La tendresse paternelle de Laocoon se » manifeste dans ses regards languissants, et la compassion » semble nager dans ses yeux comme une vapeur sombre. Sa » physionomie exprime les plaintes et non pas les cris ; ses yeux » dirigés vers le ciel implorent Vassistance suprême (1). »

Je regrette de venir troubler ce concert d'admiration générale, — admiration que je partage, — par la critique du Laocoon, dont le front, ai-je dit, est physiologiquement impossible. Cette critique, — je l'ai démontré, — découle de l'expérimentation éleclro-physiologique ; elle est confirmée par l'observation rigoureuse de la nature.

Je me hâte de dire toutefois que cette faute ne modifie en rien l'expression de douleur morale chez le Laocoon, parce que le mouvement du sourcil qui seul produit la ligne fondamentale de cette expression est merveilleusement rendu et modelé. — J'ai assez longuement insisté, dans les considérations générales et en traitant spécialement de l'élude expressive du muscle sourcilier, sur la valeur différentielle des lignes expressives fondamentales et des lignes expressives secondaires. — Je me borne à rappeler ici ce fait important, qui explique comment le front du Laocoon a pu être modelé

(1) Hist. de l'art chez les anciens, Paris, 1 802, t. II, livre vi, cliap. 3, p. 293.

aussi incorrectement, sans que l'expression principale en ail élé profondément altérée.

Mais cette faute fait tache, et contraste avec la perfection et la justesse des autres lignes expressives et à la fois si complexes de la physionomie du Laocoon.

On voit dans la figure 71, où j'ai essayé de rétablir les rapports naturels des lignes médianes du front et du méplat de ses parties latérales avec l'obliquité et la sinuosité du sourcil, combien l'expression aurait gagné en beauté, et surtout en vérité, si le front du Laocoon avait été modelé par le statuaire Agésandre conformément aux règles immuables établies par la nature.

Jusqu'ici ma critique n'a porté que sur des chefs-d'œuvre dont l'origine ne remonte pas à la plus haute antiquité. VAr-rotino et même le Laocoon datent, en effet, d'une époque où, depuis longtemps déjà, l'art grec avait élé chassé de ses temples par la conquête romaine; ceux qui le cultivaient alors avaient, pour la plupart, été traînés en esclavage à Rome, ou avaient dû y chercher un asile.

Mais la Niobé, la critique a-t-elle jamais osé l'effleurer?

Je veux aussi lui rendre hommage, comme à l'une des plus nobles et des plus sublimes beautés de l'art antique.

Elle est des plus nobles par son origine, car sa naissance date du moment où l'art de la statuaire était à son apogée : elle est sortie des mains de Praxitèle; selon quelques auteurs même, Phidias y aurait travaillé.

Chez les Crées, on le sait, la beauté plastique était presque seule en honneur, et le culte de la tonne était poussé si loin, que les signes expressifs des émotions de rame lui étaient presque toujours sacrifiés. Dans la crainte de nuire à la perfection et à la tranquillité des lignes, les artistes faisaient taire les passions, et représentaient, en général, la physionomie dans son calme le plus parfait. Aussi ne peut-on admirer, sur la plupart de leurs statues, que la beauté matérielle, celle qui parle seulement aux sens. N'en demandez pas davantage à leurs innombrables Vénus; elles n'ont ni cœur, ni esprit.

Telle n'est pas la Niobé. Dans l'exécution de ce chef-d'œuvre, Praxitèle a su marier la perfection de la forme à la beauté de l'expression. — C'est la réunion de ces conditions qui doit constituer le beau idéal. Voilà pourquoi j'ai dit que la Niobé est la plus sublime des beautés antiques.

Mais, hélas! mon admiration est ici encore modérée par quelques desiderata, ou incorrections mises en lumière par mes recherches électro-physiologiques, et confirmées par une observation plus exacte de la nature.

L'artiste avait à peindre la vive affliction, le désespoir d'une mère qui voit massacrer ses enfants.

Praxitèle nous montre cette mère éplorée serrant convulsivement contre son sein la dernière de ses filles que la vengeance de Diane vient de frapper mortellement. En présence de ce chef-d'œuvre de l'un des plus grands maîtres de l'art antique, on reste frappé d'une douloureuse admiration, tant cette scène est dramatique. Telle est du moins la première

impression que j'ai ressentie en entrant dans la salle des Niobés de la galerie de Florence.

Mais en regardant plus attentivement la physionomie de Niobé, j'ai bientôt été étonné de la tranquillité de ses traits, tranquillité contrastant avec le mouvement extraordinaire que Praxitèle a su donner à son geste et à son attitude, qui trahissent l'agitation de son âme.

Pour exprimer sur la face de cette mère la douleur qui produit cette agitation générale, l'artiste a donné à son sourcil une direction oblique cle bas en haut et de dehors eu dedans. — Il a ennobli cette expression douloureuse en tournant son regard vers le ciel.

Assurément cette obliquité plus ou moins grande du sourcil s'observe dans la douleur; mais elle ne saurait sutïire à exprimer cette passion. Telle est, en effet, chez un assez grand nombre de personnes, la forme naturelle du sourcil à l'état de repos, c'est-à-dire alors môme qu'elles n'éprouvent aucune émotion de l'âme.

Le mouvement douloureux du sourcil, — en d'autres termes, l'action du muscle qui produit ce mouvement (du sourciller),— est caractérisé par un ensemble de lignes et de reliefs inséparables, à savoir : l'obliquité du sourcil, le gonflement de sa tôte et les sillons frontaux médians.

Un fait d'une telle importance, — qui est démontré par l'expérimentation électro-physiologique (voyez les figures consacrées à l'étude du muscle sourcilier), — aurait-il échappé au génie d'observation de Praxitèle? ou bien a-t-il

craint de troubler l'harmonie des belles lignes de sa Niobé par une imitation trop servile de la nature?

Mais Niobé eût-elle donc été moins belle, si l'émotion terrible de son âme avait, comme le fait la nature, gonflé la tête de son sourcil oblique, si quelques plis douloureux avaient sillonné la partie médiane de son front? Rien n'est au contraire plus émouvant et plus sympathique que la douleur qui s'écrit ainsi sur un front jeune et habituellement uni pendant le repos de l'âme.

TABLE DES MATIÈRES.

AVERTISSEMENT...................... v

I. Préparations anatomiques et portraits de sujets soumis à dès expériences électro-physiologiques sur les muscles de la

face........................ . . 1

Légende des figures 1, 2, 2 bis, 3, 4, 5, 6.......... 4

Explication de la légende................. 6

II. Muscle de l'attention (frontal)............... 4 3

Légende des figures 7, 8, 9, 10, 41............. 4 3

Explication de la légende................. 15

A. Mécanisme...................... 15

B. Expression...................... 17

III. Muscle] de la réflexion (orbiculaire palpébral supérieur ,

portion du muscle dit sphincter des paupières)....... 4 9

Légende des figures 4 2,4 3, 1 4, 4 5 ............. 1 9

Explication de la légende................. 24

A. Mécanisme...................... 24

B. Expression...................... 24

IV. Muscle de l'agression (pyramidal du nez)......... 27

Légende des figures 4 6, 17, 18............... 27

Explication de la légende................. 28

A. Mécanisme...................... 28

B. Expression...................... 30

V. Muscle de la douleur (sourcilier)............. 35

Légende des figures 19,20,21,22,23,24,25,26,27, 28,29. 35

Explication de la légende................. 39

A. Mécanisme...................... 39

B. Expression...................... 45

VI. Muscles de la joie et de la bienveillance (grand zygoma-tique et orbiculaire palpébral inférieur, portion du muscle dit

sphincter des paupières).................. 55

Légende des figures 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36 ....... 55

Explication de la légende................. 58

A. Mécanisme....................... 58

B. Expression...................... 61

VII. Muscle de la lasciveté (transverse du nez)......... 65

Légende des figures 37, 38, 39, 40, 41, 42......... 65

Explication de la légende................. 67

A. Mécanisme....................... 67

11. Expression...................... 68

VIII. Muscle de la tristesse (triangulaire des lèvres)....... 73

Légende des figures 43, 44, 45............... 73

Explication de la légende................. 75

A. Mécanisme....................... 75

B. Expression...................... 76

IX. Muscles du pleurer et du pleurnicher (petit zygomatique,

élévateur propre de la lèvre supérieure, et élévateur commun

de la lèvre supérieure et de l'aile du nez).......... 81

Légende des figures 46, 47, 48, 49, 50, 54, 52, 53...... 81

Explication de la légende................. 84

A. Mécanisme...................... 84

B. Expression....................... 89

X. Muscles complémentaires de la surprise (abaisseurs du

maxillaire inférieur).................... 95

Légende des figures 54, 55, 56, 57.............. 95

Explication de la légende................. 97

A. Mécanisme....................... 97

B. Expression....................... 98

XI. Muscle complémentaire de la frayeur et de l'effroi

(peaucier)........................ 401

Légende des figures 58, 59, 60, 6!, 62, 63, 64, 65...... 4 01

Explication de la légende................. 4 03

A. Mécanisme....................... 4 03

B. Expression....................... 4 05

XII. Étude critique de quelques antiques, au point de vue des

mouvements expressifs du sourcil et du front (YArrotino,

le Laocoon, la Niobé)................... 409

Légende des figures 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 73..... 109

Explication de la légende................. 411

A. Mécanisme...................... 4 11

B. Expression....................... 415

FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.

PARTIE ESTHÉTIQUE

AVERTISSEMENT

La tache que je m'étais imposée pouvait être considérée comme terminée avec la partie scientifique de cet album. On a vu, en effet, dans les figures dont elle se compose, la démonstration expérimentale et la plus complète des faits principaux qui forment la base de la grammaire et de l'orthographe de la physionomie humaine.

Ces figures ont été photographiées d'après six sujets d'âge et de sexe différents. Chez plusieurs d'entre eux, la physionomie était belle. Néanmoins l'impression peu agréable que certaines de ces figures ont pu occasionner, en général, a du agir défavorablement sur quelques esprits.

Le vieillard d'après lequel ont été photographiées la plupart de nies expériences électro-physiologiques avait, en effet, des traits laids et vulgaires. Un pareil choix devait paraître étrange à des hommes de goût. Des artistes et des amateurs éminents, croyant que cette partie de mon alhuin avait été composée au point de vue esthétique, m'ont dit, en la parcourant : Pourquoi donc cette vilaine figure, dans une question d'art? J'aurais certes désiré ne montrer que des figures jeunes et belles; mais il me fallait avant tout exposer scientifiquement la raison des lignes expressives de la face, et un Adonis aurait bien moins convenu que mon vieux et laid modèle à cette étude électro-physiologique.

Que l'on veuille bien se rappeler les motifs qui ont déterminé mon choix.

(( A cette figure triviale, ai-je écrit, je n'ai pas préféré des traits nobles et beaux. Ce n'est pas que Ion doive montrer la nature dans ses imperfections, pour la représenter exactement; j'ai voulu seulement démontrer qu'en l'absence de beauté plastique, malgré les défauts de la forme, toute ligure humaine peut devenir moralement

belle parla peinture fidèle des émotions de laine. » (Texte de l'album, page 6.)

J'avais encore, on le sait, d'autres raisons pour donner la préférence à ce sujet; les voici en quelques mots. Sa face était insensible, ce qui me permettait d'étudier l'action individuelle des muscles avec autant de sûreté que sur le cadavre ; — sa vieillesse avait développé toutes les lignes produites par les muscles expressifs, lignes que j'ai divisées en lignes fondamentales, qui constituent l'expression, et en lignes secondaires, qui indiquent l'âge du sujet et les différents degrés du mouvement expressif;—quoiqu'il fût peu intelligent, sa physionomie subissait de nombreuses transformations : sous l'influence de mes rhéo-phores, on la voyait ennoblie par les signes de la pensée (l'attention, la réflexion), ou animée par des passions diverses.

Je pouvais opter, il est vrai, entre cet homme et la face du cadavre que j'avais souvent l'occasion, dans nos hôpitaux, d'animer devant de nombreux témoins, en localisant l'excitation électrique dans chacun de ses muscles, et sur laquelle je peignais les passions avec autant de vérité que sur le

vivant. Mais rien n'est hideux et repoussant comme un tel spectacle! Malgré ma longue habitude de me trouver en présence de la mort, je déclare que j'en ai toujours été vivement impressionné , et il m'aurait répugné de livrer de telles expériences à la publicité.

Mon vieux modèle convenait donc à la démonstration des faits physiologiques quej'avais eu à établir.

Toutefois je sens que ce type vulgaire ne répond pas à toutes les exigences de l'esthétique. Bien qu'à l'aide de mes rhéophores j'aie pu tracer les lignes des sentiments les plus élevés et des pensées les plus profondes sur cette face commune et triviale, sur ce front peu intelligent, je ne veux cependant pas qu'un pareil type serve à traduire les grandes et nobles actions. Ainsi, tout en admirant la science du clair-obscur du Cara-vage, je ne puis aimer ce maître célèbre allant toujours chercher ses modèles dans les tripots et les cabarets, alors même qu'il veut représenter les scènes les plus élevées de la religion.

Et puis n'avais-je pas écrit précédemment (page 8) : a J'aurai à reproduire quelques exprès

sions sur d'autres individus; je saisirai alors cotte occasion pour réunir, autant que possible, l'ensemble des conditions qui constituent le beau, au point de vue plastique. »

Je viens donc aujourd'hui remplir cet engagement et répondre aux desiderata de l'art.

M'efforçant de satisfaire ceux qui possèdent le sentiment du beau, et désirant plaire en instruisant, j'ai fait quelques nouvelles études électro-physiologiques dans lesquelles on trouvera remplies autant que possible, j'espère, les principales conditions exigées par l'esthétique : beauté de In forme, associée à la vérité de l'expression phy-sionomique, de l'attitude et du geste.

Les études esthétiques pourraient être multipliées et diversifiées indéfiniment ; mais l'extension considérable que j'ai du donner à la partie scientifique de l'album me force à limiter le nombre des figures consacrées à sa partie esthétique. Du reste, en publiant ces études esthétiques, j'ai voulu seulement montrer un spécimen de ce que l'on pourrait obtenir, au point de vue de l'art et du beau, à l'aide de mes expériences électro-physiologiques sur l'expression do la physionomie, humaine.

Les figures de la partie esthétique ont été photographiées par moi-même (1). Leur exécution est bien autrement difficile que celle de la partie scientifique, où j'ai sacrifié tout à la démonstration des lignes expressives et à la vérité de l'expression ; pourvu que les lignes expressives de ces dernières figures fussent parfaitement au point et mises en relief, le reste était secondaire.

Il n'en peut être de même des figures esthétiques, dans lesquelles le geste et l'attitude concourant puissamment à l'expression, le tronc et les membres doivent être photographiés avec autant

(1) Ces figures, ai-je dit, ne peuvent être bien photographiées que par l'expérimentateur ; j'en ai exposé la raison dans la partie scientifique (page 20). Aoici comment on peut à la fois faire une expérience électro-physiologique et la photographier. Après avoir fait prendre au sujet l'attitude en harmonie avec la scène à représenter, et après avoir fixé sa tète (à l'aide d'un appui-tête), l'expérimen-laleur l'éclairé de manière à mettre en relief les lignes expressives qu'il veut peindre par l'excitation électrique ; ensuite il procède h la mise au point. Pendant ce temps de l'opération, — qui exige un grand sentiment artistique, — la plaque est collodionnée et sensibilisée par un aide. Avant de placer cette plaque dans l'appareil, l'expérimentateur se fait mettre au point par son aide, dans la position qu'il doit occuper, sans déranger le sujet qu'il a déjà mis lui-même au point. Pour cela, il avance plus ou moins la main qui lient les rhéophores, et puis sa tête et son corps, s'il ne peut éviter de se trouver dans le champ de la plaque. Enfin, par un signe convenu, il indique à l'aide le moment où il doit ouvrir et fermer l'objectif; ensuite rexpérimenlaleur procède lui-même au développement.

de soin que la face, afin de former un ensemble harmonieux.

Malheureusement la tète mal photographiée de l'expérimentateur vient quelquefois nuire aux scènes que ces figures représentent. A ce sujet, un mot d'explication. Il m'est quelquefois arrivé de ne pouvoir me tenir assez éloigné de mon sujet pour ne pas être pris dans le champ de la plaque, de telle façon qu'il m'était impossible de me placer au point de l'appareil photographique. Dans une seule figure (fig. 75), je me suis trouvé parfaitement au point.

Quoi qu'il, en soit, malgré les difficultés d'exécution que m'ont présentées ces photographies esthétiques, on les trouvera, je; n'en doute pas, infiniment supérieures à celles qui composent la partie scientifique, et qui datent pour la plupart de 18o(i. C'est que depuis cette époque les instruments ont-été perfectionnés, et que l'art de la. photographie1 a fait de grands progrès.

ÉTUDES

D'ESTHÉTIQUE ÉLECTRO-PHVSIOLOGTOUE

sur

LE MÉCANISME

de la

PHYSIONOMIE HUMAINE

O---------------------

PREMIÈRE SÉRIE

Figures 74, 75, 7G, 77, 78.

Los figures de la partie esthétique seront encore, à la première vue, des grimaces, pour ceux qui ne posséderont pas la clef de mes expériences. Aussi je crois devoir répéter que la contraction électrique partielle des muscles qui produisent des expressions différentes, de chaque côté d'une face, ne peut montrer en effet qu'une grimace, si l'on regarde simultanément les deux côtés de celte face. On aura donc soin, comme je l'indiquerai dans les légendes, de cacher telle ou telle partie de chacune de ces figures, pendant que l'on en regardera le côté opposé; alors on verra l'expression de la physionomie se dessiner complètement et devenir souvent d'une grande beauté.

LÉGENDE.

Fig. 7/i. — Portrait, au repos, de la jeune fille d'après laquelle ont été photographiées les expressions diverses représentées dans les figures 75, 76, 77, 78.

Fig. 75. — Vue dans son ensemble : Religieuse prononçant ses vœux, avec douleur résignée à gauche, et seidement avec-tristesse à droite (1).

Prière douloureuse, mais avec résignation, en cachant l'œil, le sourcil et le front du côté droit; — prière un peu triste, en cachant les mêmes parties du côté gauche.

La tête vue isolément: — souvenir douloureux, en cachant l'œil, le sourcil et le front, du côté droit ; — souvenir un peu triste, en cachant les mêmes parties du côté opposé.

Electrisation du muscle de la douleur (du sourcilier, voy. o, fig. 1), à gauche : regard tourné en haut et léger abaisssement des commissures labiales.

Fig. 76. — Vue dans son ensemble : Même prise de voile, avec douleur profonde à gauche, et avec bonheur divin, extatique, à droite.

(1) Il est convenu que, dans toules ces légendes, je veux indiquer le côlé des figures, el non celui du lecteur.

Prière dans l'extrême douleur, en cachant l'œil, le sourcil et le front, du côté droit; — prière extatique, avec saints transports d'une pureté virginale, en cachant l'œil, le sourcil et le front, du côté gauche.

La tête vue isolément : — douleur extrême, sans caractère religieux, en cachant comme précédemment le côté droit ; — admiration jusqu'à l'extase, en cachant de la même manière le côté opposé.

Electrisation du muscle de la douleur (le sourcilier), à gauche ; — regard tourné en haut et bouche entr'ouvertc.

FïG. 77. — Amour terrestre à droite, et amour céleste à gauche.

Extase de l'amour humain, en cachant la moitié gauche de la face; —doux ravissement de l'amour divin (extase de sainte Thérèse), en cachant la moitié opposée.

Electrisation modérée du muscle de la lasciveté (trans-versc du nez, voy. Q, fig. i), du côté droit; mouvement du globe oculaire oblique en haut et un peu latéralement.

Fig. 78. — Scène de coquetterie, avec expressions différentes, à droite et à r/auche.

Air offensé, en cachant la partie de la face située au-«

dessous du nez ; — regard dédaigneux, en cachant le côté gauche de la moitié inférieure de la face ; — sourire moqueur, en cachant le côté droit de la moitié inférieure de la face.

Adroite, electrisation du triangulaire des lèvres (voy. X, fîg'. 4) ; h gauche, electrisation dn grand zygomatique (voy. I, fîg. 1); — paupières légèrement rapprochées et regard dirigé un peu latéralement; — attitude maniérée et poitrine trop nue.

EXPLICATION DE LA LÉGENDE.

I.

La personne qui est représentée clans la figure 74, et que j'ai choisie pour modèle dans cette étude électro-physiologique et esthétique de la physionomie, n'est ni jolie, ni laide, mais ses traits sont réguliers; sa physionomie n'est pas très expressive, cependant on verra dans les figures suivantes qu'elle s'est complètement transformée sous l'influence des expressions diverses que je lui ai données, et qu'elle a môme gagné en beauté.

C'est une jeune fille presque aveugle (depuis plusieurs aimées, elle est affectée d'une atrophie double de la papille du nerf optique). Comme j'essaye d'améliorer son état par l'électrisation, et qu'elle s'est habituée à la sensation clés-agréable produite par ce traitement, elle s'est prêtée merveilleusement à mes expériences électro-physiologiques.

Elle est grande, assez bien faite, elle convient à l'étude plastique du corps; mais elle ne peut voir ni les gestes ni les attitudes que je lui indique, et je suis forcé de la poser et de la draper, de même que si j'agissais sur un mannequin.

Afin que l'on juge mieux la valeur des études expressives et esthétiques que l'on verra photographiées d'après

cette jeune fille dans les figures suivantes, je donnerai l'explication des scènes diverses que j'ai composées pour chacune d'elles. Il est bien entendu que les mêmes expressions conviendraient à d'autres scènes ou situations que pourrait inspirer la vue de ces figures.

Dans la plupart de ces études, on remarquera sur la môme figure deux expressions différentes destinées, chacune à Tune de ses moitiés. En agissant ainsi, j'ai voulu rendre plus évidente l'influence modificatrice générale d'un seul muscle expressif sur tous les autres traits de la face. — Souvent aussi j'ai composé une expression volontaire sur l'un des côtés de la face, comparativement à une expression artificielle produite, du côté opposé, par l'excitation électrique.

Aux personnes qui voudraient les répéter ou les poursuivre, je vais dire comment je procède dans ces études d'esthétique électro-physiologique. — Je donne à mon sujet la pose et le geste en harmonie avec les expressions physio-nomiques que j'ai à produire ; je l'engage ensuite à exécuter volontairement les mouvements faciaux qui sont propres à ces expressions. — Ayant étudié et connaissant les combinaisons musculaires ou les mouvements qui conviennent à chaque expression, je me garde bien, dans ces circonstances, de faire intervenir les sentiments de mon modèle ; je fais uniquement appel à mon jugement et à mon sentiment artistique. Ainsi, je donne telle ou telle attitude à sa tète ; je lui fais tourner le regard dans telle ou telle direction, fermer ou écarter les paupières, ouvrir plus ou moins la bouche,

rire ou sourire, etc. J'obtiens ainsi l'expression telle que je la veux, comme je la sens. — Toutes les expressions ne peuvent être, on doit le comprendre, produites de cette manière, puisqu'il est des muscles qui n'obéissent pas partiellement à la volonté, et qui se contractent seulement par l'excitation rétlexe des passions, ou sous l'influence de l'électrisation localisée. — C'est au moment où l'expression produite par les mouvements volontaires est bien venue et se dessine avec ses traits caractéristiques sur toute la face, que je provoque, d'un côté ou des deux côtés à la fois, la contraction électrique d'un ou de plusieurs muscles dont l'action expressive spéciale, vient modifier ou changer complètement l'expression volontaire.

Tout le monde prévoit quelles difficultés doivent rencontrer de telles expériences, dont l'exécution parfaite exigerait, outre une grande précision, un sentiment artistique assez développé, sentiment que la direction de mes travaux habituels ne m'a pas permis, je l'avoue, de développer assez pour une tâche aussi importante. — Armé de mes rhéophores, il ne me suffît pas d'exciter exactement les muscles dont l'action individuelle produit les lignes, les reliefs et le modelé caractéristiques de la passion ou de l'état intellectuel que j'ai à rendre; je dois, de plus, en faire sentir les différents degrés et en accentuer les nuances infiniment variées, sans tomber dans l'exagération ou la grimace.

On ne doit pas exiger que les expressions produites alors artificiellement soient toutes complètement irréprochables.

Elles ne peuvent l'être; car, en procédant de la sorte, je ne saurais avoir la prétention de les traduire toujours aussi exactement que les émotions de l'âme.

Lorsque j'expérimente, je ne fais découvrir l'objectil qu'au moment où le muscle électrisé est arrivé juste au degré de contraction nécessaire à la vérité parfaite de l'expression que je veux peindre. Mais cette contraction ne se maintient pas toujours assez longtemps à ce degré, pendant tout le temps de la pose, parce que le courant galvanique qui anime l'appareil d'induction n'est pas, de sa nature, parfaitement constant. ¦— De plus, lorsque la pose est un peu trop longue, l'irritabilité du muscle excité s'affaiblit par le fait du passage continu du courant. — Enfin, comme je l'ai dit ci-dessus, la photographie de ces études d'esthétique électro-physiologique présente d'assez grandes difficultés.

II.

Dans la figure 75, le mouvement expressif de la physionomie est semblable à celui que l'on a vu photographié chez le vieillard de la figure /|0 (partie scientifique). Dans les deux cas, j'avais fait porter le regard directement en haut (mouvement produit par l'action synergique des muscles droits supérieurs de l'œil et frontaux). De chaque côté, la courbe du sourcil avait augmenté en s'élevant, et le front s'était creusé, chez le vieillard, de sillons transversaux et parallèles à la courbe des sourcils, comme on l'observe à un âge avancé (voyez le côté gauche de la figure 40), tandis qu'il

était resté uni chez la jeune tille (voyez le coté droit de la figure 75). Au même instant, j'ai éleclrisé le muscle sourcilier gauche; les lignes et le modelé dus à Faction de ce muscle se sont dessinés, do ce côté, avec les caractères qui distinguent la différence d'âge des deux sujets (voyez, pour la description des lignes expressives du muscle de la douleur, le chapitre \ . partie scientifique).

Si Ton regarde la figure de la jeune fille isolément, c'est-à-dire en recouvrant tout ce qui se trouve au-dessous du cou, on constate que son expression est à peu près la même que celle du vieillard (fig. /i0). Chez les deux on reconnaît, d'un côté (adroite, fig. 75, et à gauche, fig. uO), l'expression du souvenir qui, du côté opposé (à gauche, fig. 7/i ; à droite, fig. l\0), devient douloureux. Il faut noter toutefois que l'abaissement un peu léger des commissures labiales de la jeune tille et l'inclinaison latérale de sa tète ajoutent un peu d'abattement et de découragement à sa douleur. Le vieillard montre plus de iermeté dans l'expression de sa douleur.

Mais voyez la figure 76, dans son ensemble : la scène grandit et change complètement. Ce regard tourné vers leeiel, au lieu d'annoncer le souvenir, ne vous dit-il pas que l'âme de la jeune fille s'élève à Dieu avec une foi ardente? De plus, son voile blanc et sa robe de bure ne signifient-ils pas qu'elle accomplit un grand acte, qu'elle va renoncer au monde? Si vous cachez l'œil et le Iront du côté gauche, vous sentez, à

la tristesse répandue sur ses traits ( par le faible abaissement de ses commissures labiales), qu'elle ne laisse pas sans quelques regrets ses affections les plus chères. — Mais si, au contraire, vous couvrez l'œil et le front du côté opposé, vous voyez que son sacrifice est douloureux ; vous sentez que le cœur de la religieuse, qui peut-être se sépare d'une mère, d'une famille qu'elle doit aimer, n'est pas encore desséché par l'exaltation des sentiments religieux.

III.

La figure 76, vue dans son entier, représente la même scène que la précédente : la prise du voile : mais l'émotion de la jeune fille y est si grande, que sa physionomie en est devenue plus touchante et plus belle.

Elle se tient assise, les mains jointes, le tronc penché en avant, le dos un peu voûté, la tête renversée en arrière et tournée vers le ciel : cet ensemble très mouvementé montre déjà qu'elle prie ardemment. Cache-t-on alors, à droite, son œil et son front, on voit que sa figure est illuminée par un saint transport, et que son âme absorbée s'unit à Dieu en l'adorant : c'est l'extase religieuse.

Mais dès que l'on découvre le côté gauche, après avoir masqué l'œil et le front du côté droit, tous les traits de cette fille, qui tantôt respiraient un bonheur divin, semblent s'être contractés douloureusement; sa bouche entr'ouverte ne laisse plus échapper que des gémissements; son regard, tantôt exta

tique, peint maintenant la plus vive douleur. — Serait-elle victime d'une violence? Aurait-elle été arrachée à celui qu'elle aime? Accablée de désespoir, implore-t-elle l'aide de Dieu?... Telles sont les pensées qui viennent à l'esprit, en regardant cette figure dans son ensemble.

La tète de cette môme figure 76, vue isolément (recouvrir les parties situées au-dessous du cou), inspire des sentiments analogues. La sainte extase exprimée par le côté droit de la moitié droite de la face est pure, virginale et d'une grande beauté ; c'est celle d'une madone.—-La moitié opposée pourrait représenter une Mater dolorosa.

J'avais prouvé surabondamment et expérimentalement, dans un assez grand nombre de figures, que chacun des mouvements du sourcil, surtout ceux du muscle sourcilier (voyez les figures 19, 20, 21, 27, 28 et 29), modifient profondément l'expression de tous les traits de la face; la figure 76 est une démonstration nouvelle et encore plus éclatante de cette importante proposition. Il suffit en effet de changer la direction et le modelé du sourcil, ainsi qu'on le voit sur le sourcil gauche de la figure 76, c'est-à-dire de le rendre sinueux et oblique de dedans en dehors et de haut en bas, et d'en gonfler la tête, pour répandre la douleur sur tous les traits, qui, par leur ensemble, peignaient auparavant le comble du bonheur le plus pur, le plus saint, une extase divine.

Comparant entre elles les figures 75 et 76, il est intéressant d'examiner comment je suis parvenu à leur faire rendre deux nuances ou degrés de la môme passion, de la douleur.

La première exprime une douleur résignée; la seconde, au contraire, montre la plus vive affliction. Chez toutes deux, cependant, le sourcil décrit la même sinuosité, et la tête est également gonflée, les lignes frontales médianes sont semblables (J), et enfin le regard est tourné vers le ciel. C'est la forme de la bouche et des lèvres qui établit une différence entre les expressions de ces deux figures. — Dans la figure 75, en effet, la bouche, la ligne naso-labiale et les commissures labiales sont au repos; ce qui donne à son expression de douleur de la tranquillité, de la résignation et un air de souffrance analogue à celui des figures 20 et 21. L'abaissement léger des commissures labiales, qui est naturel à mon modèle (voyez son portrait, fig. 74), ajoute seulement un peu de tristesse à cette expression. — La bouche entr'ou-verte, combinée avec la contraction du sourcilier, clans la figure 76, donne un caractère de douleur aiguë à l'expression de la religieuse qui y est représentée. A la voir ainsi dans cette attitude, il me semble l'entendre se lamenter.

La figure 76 prouve que rien ne saurait remplacer, pour l'expression de la douleur, la forme que prend le sourcil sous l'influence du muscle sourcilier. On a cependant essayé quelquefois de peindre cette expression, en conservant et même en augmentant la courbe du sourcil.

(I) Les lignes médianes de la figure 76 sont moins visibles que dans la figure 75, parce que l'attitude renversée de la te Le eu arrière les rend moins apparentes.

Je citerai, comme exemple, la Cléopàtre du Guide, au musée de Florence. Cette reine déchue est représentée au moment où, do désespoir, elle se donne la mort par la piqûre d'un aspic. À la vue de ce beau tableau, que tout le monde connaît, on sent que Cléopàtre doit souffrir d'une vive douleur morale et physique; mais loin d'en trouver les signes sur sa face, on y lit plutôt un bonheur extatique, analogue à celui qui est exprimé sur la moitié droite de la figure 76. (Pour mieux reconnaître la justesse de cette remarque, on fera bien de regarder isolément la tête de la Cléopàtre.)

J'ai observé au musée du Capitole (à Rome) une esquisse du même tableau, où les sourcils, dessinés obliquement, donnent à la Cléopàtre une belle expression de douleur. Pourquoi donc le Guide, à qui l'on attribue cette esquisse, n'a-t-il pas reproduit cette même expression chez la Cléopàtre de Florence ? L'aurait-il perdue sans pouvoir la retrouver, en finissant son tableau, comme cela lui est arrivé dans son Ecce Uomo que j'ai admiré dans la galerie Colona, à Rome? En examinant séparément chacune des moitiés de cette belle figure, on remarque, en effet, une expression de profonde douleur à droite, et un regard extatique du côté opposé.

Encore une remarque critique qui m'est suggérée par la figure 76. J'ai dit que l'expression douloureuse est incomplète dans la Niobé, et que la tête de son sourcil devrait être gonflée. Telle est, à tous les âges, l'action du muscle

de la douleur, du sourcilicr (voyez toutes les figures consacrées à l'étude de ce muscle), et ce fait est des plus évidents dans le sourcil gauche des figures 75 et 76. « Niobé, ai-je écrit précédemment (page 125, partie scientifique), eût-elle donc été moins belle, si l'émotion terrible de son âme avait, comme le fait la nature, gonflé la tète de son sourcil oblique, si quelques plis douloureux avaient sillonné la partie médiane de son front?» La réponse à cette question est écrite dans les figures 75 et 76, où l'on voit que ce relief du sourcilier et ces lignes frontales, dessinés par la contraction du muscle de la douleur sur un front bien plus jeune que celui de la Niobé, ne nuisent en rien à la beauté de la physionomie, tout en rendant celle-ci plus vraie, plus naturelle et plus sympathique (4).

IV.

Plusieurs figures de la partie scientifique de l'album ont été déjà consacrées à l'étude du muscle de la lasciveté, le-

(1) Que l'on me permette de renouveler ici une déclaration de principes, en réponse à des objections qui m'ont été adressées à l'occasion d'un essai critique de quelques antiques, que j'ai exposé dans la partie scientifique de f album, essai critique qui n'est qu'une déduction pratique de mes recherches électro-physiologiques.

Les journaux scientifiques ont porté sur mon travail un jugement très favorable ; ils y voient une nouvelle conquête de la physiologie et son heureuse intervention dans le domaine de la psychologie et des arts plastiques. Cependant un des organes les plus éminents et les plus autorisés de la presse médicale, M. A. Latour, a, dans un article des plus bienveillants d'ailleurs et fort bien écrit, fait quelques réserves sur l'utilité pratique de mes recherches, pour ce qui a trait à l'esthétique. « On reprochera, dit-il, à M. Duchenne de dépouiller l'art de tout idéal, pour le réduire à un réalisme anatoinique tout

quel entre en action sous l'influence de l'excitation aux plaisirs de l'amour. Ce sont des figures d'hommes (voyez les fig. 39, /1,2, partie scientifique) dont l'expression est grossière et même cynique, ainsi qu'on l'observe sur la figure des satyres et des faunes.

Ce muscle transverse du nez donne une expression lascive à la physionomie de la femme. Ainsi j'ai métamorphosé le sourire le plus pur, le plus angélique, et l'extase la plus sainte, que l'on admire dans la figure 76, en expressions d'une lubricité provocante, par l'association de la contraction forte de ce muscle aux autres traits; j'ai ainsi transformé des figures de vierges en figures de bacchantes.

Mais lorsque sa contraction est modérée, ce muscle peint, dans certaines circonstances, sur la physionomie de la femme, une expression charmante de plaisir. L'expérience photographiée dans la figure 77 en est un bel exemple. En effet, avec son œil un peu voilé et obliquement tourné en haut et

à fait dans les tendances d'une certaine école moderne. Et de fait, les essais qu'il a tentés sur trois célèbres antiques, YArrotino, le Laocoon, et la Niobë, dont il a, dit-il, corrigé les fautes d'orthographe, paraîtront une application

un peu brutale peut-être aux amoureux de l'idéal..... »

Voici, en résumé, la réponse que j'ai faite à ces objections de mon ami M. A. Latour (voyez Y Union médicale des 26 août, 2 septembre et 2 octohre 1862) :

« Si tel devait être le résultat de mes recherches, les hommes de goût, qui suivent les traditions de l'art, auraient droit et raison de me chasser du temple. Mais, que l'on se rassure: loin de conduire à ce réalisme moderne qui ne sait nous montrer la nature qu'avec ses imperfections, avec ses défauts et même avec ses difformités, qui ne paraît aimer que le laid, le commun ou le trivial, bien au contraire, les principes qui découlent de mes

latéralement, avec son sourire et sa bouche entr'ouverto, avec sa tête et son corps légèrement renversés en arrière, avec ses mains croisées sur sa poitrine, et sa petite croix attachée à son cou; grâce à tout cet ensemble, j'avais pu photogra-

recherches expérimentales permettent à l'art d'atteindre l'idéal de l'expression faciale, en enseignant à peindre correctement et avec une parfaite vérité, comme la nature elle-même, le langage des passions et même certains actes de l'intelligence.

» De même l'art antique a su nous faire connaître la beauté plastique, la beauté matérielle, en copiant exactement la nature. Mais, contrairement au réalisme moderne, il l'a imitée dans ce qu'elle a créé de plus beau, de plus noble et de plus parfait.

» J'ai ensuite prouvé, par l'histoire, que, dans l'antiquité, les statuaires grecs excitaient l'admiration générale, principalement parce qu'ils étaient, selon l'expression de Calicn, les fidèles imitateurs de la nature.

» Il est ressorti, en résumé, de l'étude physiologique approfondie des chefs-d'œuvre qu'ils nous ont légués, que si les statuaires grecs ont pu s'élever, pour la symétrie et la forme du corps, jusqu'au beau idéal, c'est principalement par l'imitation de la belle nature ; qu'ils ont, en d'autres termes, fait du naturalisme idéal, —deux mots dont la réunion peut choquer au premier abord, mais qui expriment parfaitement ma pensée. »

Je crois avoir également démontré qu'ils n'ont pas craint d'enchaîner leur liberté et leur spontanéité, en se soumettant aux règles sévères instituées par les maîtres de l'art, dans l'étude, soit de la proportionnalité du corps humain, soit des reliefs musculaires produits par les mouvements et par les attitudes.

Que l'on n'aille pas conclure de ce qui précède, qu'il suffise de copier exactement la nature, même dans ses œuvres les plus parfaites, pour s'élever jusqu'au beau dans l'art. Il n'est pas besoin de dire qu'il faut de plus à l'artiste le génie qui crée.

Je ne dirai donc pas avec Boilcau :

« Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable. » Modifiant la pensée du grand poète, j'écrirai : Rien n'est beau sans le vrai... .

phier le plaisir pur (.rime âme dévouée à Dieu. — On voit cette expression en couvrant le côté droit de cette figure 77 jusqu'à la partie moyenne de l'espace intersourcilicr et de la bouche. Le côté gauche montre ainsi une jolie expression de ravissement qui rappelle les extases de sainte Thérèse. — C'est dans ce moment que j'ai fait contracter légèrement, à droite, le muscle de la lasciveté (le transverse du nez), et alors l'extase a pris, de ce côté seulement, un caractère charmant de plaisir sensuel que l'on reconnaît en masquant le côté gauche de la figure 77. Cet état de ravissement n'offre plus rien de mystique chez cette jeune fille; on sent qu'il n'est pas seulement produit par les délices de l'amour divin, mais que l'image ou le souvenir de celui qu'elle aime, exalte son imagination et ses sens. C'est la poésie idéale de l'amour humain.

Entre les expressions d'extase de l'amour céleste et de l'amour terrestre, il n'existe qu'une nuance très légère. C'est ce que, du moins, j'ai voulu montrer dans les figures 7(3 et 77, et principalement dans la dernière; c'est ce que les artistes n'ont pas toujours bien senti. Les saints et môme les vierges qu'ils ont peints dans leur béatitude, dans leurs doux ravissements, et dont les traits devraient toujours respirer l'innocence et la pureté, ont trop souvent l'expression du plaisir des sens. — Le groupe du Bernin, que l'on voit dans la basilique de Saint-Pierre, à Rome, en est un exemple frappant. Ce marbre représente un ravissement de sainte Thérèse. Un bel ange armé d'une lance lui apparaît, et tout, dans la physionomie de la sainte, respire la béatitude la plus voluptueuse.

Autant le ravissement de l'amour humain, tel qu'il est représenté dans le côté gauche de la figure 77, embellit la physionomie, autant l'extase lubrique l'enlaidit. Pour donner cette expression cynique à la figure 77, il m'a suffi de faire contracter plus énergiquement le muscle de la lasciveté (le transverse du nez). On comprendra qu'une expression semblable ne doive pas entrer dans la composition d'une œuvre esthétique. Il serait cependant utile que l'artiste la connût. 11 doit savoir, en outre, qu'entre le maximum de l'extase cynique et la charmante expression d'amour humain, photographiée clans la figure 77, il existe plusieurs degrés intermédiaires.

V.

J'ai voulu représenter dans la figure 78 une petite comédie, une scène de coquetterie. — Un galant surprend à sa toilette une jeune femme dont l'attitude et le regard deviennent, à son apparition, peu encourageants (cacher la moitié inférieure de la face). — Cependant sa nudité, qu'elle semble montrer avec une certaine affectation, au lieu de la voiler, et la pose maniérée de sa main qui soutient une gorge un peu trop découverte, tout trahit le jeu d'une coquette. Le galant en devient plus audacieux ; mais le mot : « Sortez ! » prononcé dédaigneusement par la belle, l'arrête dans son entreprise (cacher seulement le côté gauche de la moitié inférieure de la face). — Au rire moqueur dont elle accompagne l'amoureux éconduit (cacher le côté droit de la moitié inférieure

de la face), on croit l'entendre s'écrier : «Le fat ! » Peut-être aussi dit-elle bien bas : « Le sot ! s'il avait osé... » C'est ce que, du moins, il est permis de supposer à son air peu irrité.

J'avais déjà exposé (fig. S6, partie scientifique) une étude physiologique analogue à celle de la ligure 79. Voici les différences qui distinguent ces deux figures.

1° La première (fig. 36) avait légèrement contracté spas-modiquement ses paupières, parce qu'elle était gênée par la lumière de l'atelier; à ma demande, la seconde (fig. 79) les avait un peu rapprochées volontairement et avait pris l'attitude que je lui avais donnée. Ce rapprochement des paupières incliquait que celle-ci était offensée; — tandis que, chez l'autre, qui était assise et au repos, ce même rapprochement des paupières n'avait aucune signification expressive.

2° La contraction du triangulaire de la figure 36 est très forte et peut paraître exagérée pour l'expression du mépris; cependant je l'ai vue agir ainsi chez des gens du peuple qui, en s'injuriant, voulaient exprimer un mépris profond allant jusqu'au dégoût. Mais alors l'expression est commune. — Dans la figure 76, au contraire, où la contraction du triangulaire est modérée, on est frappé par la distinction et la vérité de l'expression de dédain. Peut-être aussi trouvera-t-on ici que l'abaissement du coin de la bouche est un peu fort, et que cette expression serait plus naturelle s'il était un peu moindre. Je répondrai que c'est avec intention que j'ai légèrement exagéré la contraction du triangulaire des lèvres, voulant indiquer par là que cette coquette feignait l'indigna

lion, et qu'au fond elle était, au contraire, tlattéo par Ton Ire-prise de son audacieux amoureux. 11 m'eût été facile d'ailleurs de diminuer le degré d'excitation électrique du triangulaire.

3° Chez ces deux femmes, l'expression de rire moqueur est très fine et non moins vraie; cependant elles se distinguent entre elles par une légère nuance : l'une (fig. 30) sourit, et l'autre, sans rire aux éclats, a plus de gaieté moqueuse.

li° Tout le monde remarque que la figure 78 l'emporte sur la figure 36 par la beauté et la distinction des traits.

5° Enfin ces deux figures montrent l'influence considérable de l'attitude, du geste, de l'action, en un mot, sur l'expression. Pourquoi, en effet, cet air dédaigneux d'un côté, et ce rire moqueur de l'autre? A cette question la figure 36 ne répond absolument rien ; mais il n'en est pas ainsi de la belle coquette représentée dans la figure 78. Elle semble dire elle-même la petite scène que j'ai racontée ci-dessus. En effet, son négligé, ses cheveux en désordre, montrent assez qu'elle est à sa toilette ; sa tête un peu tournée à gauche et son regard blessé, dirigé du même côté, indiquent clairement la présence inattendue d'un témoin indiscret; mais le peu de soin qu'elle met à couvrir ses charmes, ce qui contraste avec ce semblant de pudeur alarmée, et puis cette pose maniérée, tout cet ensemble, enfin, trahit une coquette qui joue l'indignée avec l'amoureux dont elle se rit.

DEUXIÈ

ÈME SÉRIE

Figures 79, 80, 81, 82, 83 et 84.

Nota. — La même jeune fille a servi aux expériences représentées dans

la première et la deuxième série.

LÉGENDE.

Fig. 79. — Bonheur maternel mêlé de douleur, ou étude psychique et esthétique de l'expression combinée discordante de la joie et du pleurer.

En cachant l'oeil gauche, joie d'une mère qui voit son enfant échapper à une maladie mortelle ; — en cachant l'œil droit, même joie maternelle, unie à la douleur produite par la mort d'un autre enfant.

Contraction électrique moyenne du muscle sourciller, associée à l'expression naturelle de la joie.

Fie. 80. — Sourire compatissant de la charité.

Sourire bienveillant, en cachant la moitié droite de la face; — sourire d'attendrissement, en cachant la moitié gauche de la face.

Contraction électrique légère du petit zygomalique, associée au sourire naturel.

Fig. 81. — Lady Macbeth : « S'il n'avait ressemblé à mon père endormi, f aurais fait le coup (1). »

Expression modérée de cruauté.

Contraction électrique faible du pyramidal du nez (P, fig. 1).

Fig. 82. —Lady Macbeth : « Venez, venez, esprits infernaux, du crâne au talon, remplissez-moi toute de la plus atroce cruauté (2). ¦

Expression forte de cruauté.

Contraction électrique moyenne du pyramidal du nez.

Fig. 83. — Lady Macbeth au moment d'assassiner le roi lïuncan.

Expression de cruauté féroce.

Contraction électrique, au maximum, du pyramidal du nez.

Fig. 8/i. —Lady Macbeth reçoit le roi Duncan avec un sourire perfide.

Sourire faux à gauche, en cachant la moitié droite de la bouche; — air froid et mécontent à droite, en cachant la moitié gauche de la bouche.

Contraction électrique faible du grand zygomatique gauche, au moment où la physionomie exprimait le mécontentement.

(1) Mucbeth, trad. de F. Victor Hugo, acte II, scène il.

(2) Ibid., acte III, scène il.

EXPLICATION DE LA LÉGENDE.

1.

Voici la scène que j'ai voulu peindre dans la figure 79.

Une mère vient de perdre l'un de ses enfants.

Un autre enfant, — le seul qui lui reste, — est également atteint d'une maladie mortelle; il est sur le point d'y succomber. — Assise au pied de son berceau, la malheureuse mère s'abandonne à la plus grande affliction. — Cependant un dernier espoir lui a été laissé: une crise peut le sauver! Suspendue à la vie de son pauvre enfant, elle suit avec anxiété la marche de la maladie, et découvrant sur ses traits les premiers signes de cette heureuse crise, elle s'écrie : « Il est sauvé ! »

Telle est l'émotion de douleur et de joie maternelles que j'ai essayé d'exprimer, du côté gauche, sur la figure de la jeune femme photographiée dans la figure 79.

Rien assurément ne serait plus facile à peindre que la joie d'une mère qui sent revenir son enfant à la vie. — On constate que cette expression est assez bien rendue sur la ligure 79, si l'on en cache l'œil gauche.

Mais, dans la scène qui fait le sujet principal de la figure 79,

l'expression est complexe. En effet, le bonheur de cette mère dont le dernier enfant vient d'échapper à la mort ne peut lui avoir fait oublier sitôt celui qui vient d'expirer. Son cœur maternel est donc saisi à la fois par deux émotions contraires: la joie et la douleur. — C'est ce qui est exprimé sur la moitié gauche de la figure 79, quand l'œil droit en est masqué.

Pour obtenir cette expression, j'ai procédé de la manière suivante. Ce jour-là, mon modèle était d'une grande tristesse et ne pouvait rire que des lèvres. Afin d'appeler sur sa face les signes vrais de la joie, j'ai dû exciter sa gaieté en agissant sur son moral. — Après lui avoir fait ouvrir légèrement la bouche, j'ai provoqué sa joie naturelle. — Dès que l'expression de la vraie joie mêlée d'un peu de surprise fut arrivée au degré qui convenait à l'émotion que j'avais à peindre, je développai modérément, à gauche, les lignes expressives de la douleur, en électrisant le sourcilier de ce côté, et puis, par la combinaison de ces deux expressions primordiales et contraires, je produisis, de ce côté, cette expression touchante de joie mêlée de douleur.—Pour la compléter, il m'eût fallu rendre son œil humide et faire couler ses larmes, car une mère qui vient de perdre son enfant pleure abondamment. Mais on comprend que cela n'était pas au pouvoir de l'électricité. Il sera du reste facile au lecteur de suppléer à ce desideratum.

J'ai déjà traité précédemment de ce genre d'expression composé de contractions musculaires contraires. C'est ici

qu'il convient de rappeler les termes dans lesquels j'en ai parlé (1) :

« Il ne faudrait pas conclure des faits précédents qu'il » y a toujours antagonisme absolu entre les expressions pri-» mordiales contraires.

» J'ai vu en effet les lignes qui trahissent la joie s'associer » merveilleusement à celles de la douleur, pourvu que le mou-» vement en fût modéré; je reconnaissais alors l'image du » sourire mélancolique. C'était un éclair de contentement, de » joie, qui ne pouvait cependant dissiper les traces d'une dou-» leur récente ou les signes d'un chagrin habituel. Ainsi je » me représente une mère souriant à son enfant, au moment » où elle pleure la perte d'un être chéri, d'un époux.........

» Ces contractions composées, au fond, par des expressions » contraires et qui peignent un sentiment pour ainsi dire » forcé, je les appellerai contractions combinées expressives » discordantes. »

Lorsque j'écrivais ces lignes, j'avais oublié que le plus grand poète de l'antiquité, Homère, avait créé une situation analogue, et que pour peindre l'image produite par cette émotion cle l'âme, il avait composé une expression des plus harmonieuses : xapudev ysXacaca, expression que je serais tenté de traduire : riant avec des larmes douloureuses. Voici une traduction du passage de XIliade où Homère décrit les adieux d'Hector et d'Andromaque : « Ayant ainsi parlé, il

(I) Mécanisme de la physionomie humaine, I ('r fascicule, p. 29.

(Hector) met son fils dans les mains d'Andromaque. Celle-ci le reçoit sur son sein parfumé avec un sourire mêlé de larmes (I). »

Je démontrerai, par la suite, que cette traduction ne rend pas exactement la situation créée par Homère.

Que de fois et en combien de circonstances cette sorte de conflit entre la douleur et la joie, d'où résulte la combinaison de contractions expressives que j'ai appelées discordantes, doit se peindre sur le visage humain! Comment se fait-il donc que l'on en trouve si peu d'exemples dans les chefs-d'œuvre de l'art?

Je n'en puis citer qu'un très petit nombre, dans les tableaux suivants : la Résurrection d'une jeune fille japonaise, du Poussin (galerie du Louvre, n° /io/j); les Israélites recueillant la manne (galerie du Louvre, n° 20) ; la Naissance de Louis AjT/jT,deRubens (galerie du Louvre, n°/ifjl); le Martyre de sainte Agnès, du Dominicain (à Bologne). —Il en existe aussi de rares exemples parmi les œuvres contemporaines ; mais je veux m'abstenir de les examiner au point de vue critique.

Le Poussin, dans son tableau du Louvre, n° nous fait assister à la résurrection, par saint François Xavier, d'une jeune fille étendue sur son lit cle mort. — Au moment où les

(I) Chant VIdeVIliade, traduction de madame Dacier, revue par M.Trianon. Voici le texte grec de ce passage :

í2; tt'frwy alocólo rv Eprjiv tùr,xtv

Ttoud ebv ' •/) J' acia ptv xvjwicï it' axo xcD.-rcw, ioexpvcsv yùArjaao..

prières du saint commencent à rappeler le souffle de la vie sur les lèvres delà morte, on voit se détacher d'un groupe de Japonais sa mère, qui se précipite sur elle en lui tendant les bras, avec une expression de grande joie mêlée de douleur.

Tci cette rencontre entre la joie et la douleur, combinaison qui constitue une expression discordante, ne saurait être longtemps soutenue sans blesser le sentiment. Cette expression discordante doit rapidement se résoudre par l'accord parfait de toutes les lignes expressives du bonheur. —Elle diffère essentiellement de la figure 79, qui, on se le rappelle, représente une mère dont le bonheur de voir son dernier enfant échapper à un danger de mort ne peut effacer la douleur profonde produite par la perte récente de son autre enfant. — Chez la Japonaise, en effet, le bonheur est si complet, qu'à sa première apparition sur la physionomie, les lignes de la douleur doivent avoir déjà disparu, en grande partie, pour faire place au rayonnement de la joie maternelle. De même, après l'orage, apparaît dans toute sa splendeur le soleil chassant les nuages qui fuient à l'horizon.

Le Poussin me paraît ne pas avoir senti cette nuance ou cette forme de l'expression de la joie mêlée de la douleur. Loin de là, il a peint le sourcil à son maximum de contraction douloureuse; ce qui contraste d'une manière choquante avec l'expression de joie exlrême qu'il a donnée à son sujet ( I ).

(I) On me permettra encore de faire observer que dans l'expression douloureuse peinte par ce maître illustre, il n'y a pas de rapport entre le modelé du sourcil et celui du front : la peau du front devrait offrir quelques rides

J'ai produit expérimentalement, dans la figure 30, partie scientifique, une expression aussi grimaçante que celle que je viens de critiquer chez le Poussin, en électrisant simultanément au maximum le muscle de la douleur (le sourcilier) et le muscle de la joie (le grand zygomatique).

La joie mêlée de douleur se montre, à des degrés divers, sur la physionomie. — Dans les deux nuances que je viens d'analyser, à l'occasion de la figure 79 de l'album et du tableau du Poussin, n° Zl36, la joie va presque jusqu'à l'extase.

Je vais, comme exemple, faire connaître l'une des circonstances dans lesquelles on voit cette expression discordante se peindre, d'une manière touchante, à son plus faible degré, sur la physionomie de la mère qui vient de donner le jour à un enfant.

La douleur de l'enfantement cesse, en général, sitôt après la naissance de l'enfant. Ce passage subit de la douleur la plus atroce au calme parfait est pour la mère un moment de bien-être indicible. Brisée de fatigue, elle s'abandonnerait à un sommeil réparateur, si alors elle n'était tourmentée par le besoin le plus impérieux d'embrasser son enfant. Il faut

sur sa partie moyenne, et être modelée d'une manière particulière sur ses parties latérales, ainsi que je l'ai montré dans toutes les expériences qui ont été faites sur ce muscle (voyez toutes les figures du chapitre X, partie scientifique). Or, chez la Japonaise du Poussin, qui est maigre et assez âgée, le front est resté uni, malgré l'énergique contraction douloureuse du sourcil. Le Poussin a commis la même faute chez une autre femme que l'on voit au milieu du groupe de Japonais, et qui pleure en même temps qu'elle contracte douloureusement son sourcil. Partout où il a voulu peindre énergi-quement la douleur, on remarque la même absence de modelé du front.

voir avec quel bonheur elle lui sourit, lorsqu'on le lui présente; son regard est alors tout à la fois caressant et languissant. — Cette douce expression de bonheur maternel est bien rendue dans la Jeanne d'Albret du tableau de Devéria : la Naissance de Henri IV (galerie du Luxembourg, n° 43).

Mais quelquefois, surtout après un accouchement laborieux, les douleurs ne disparaissent pas entièrement; les signes s'en traduisent sur la figure de la mère par une expression d'abattement et de douleur. — Le désir de donner un premier baiser à son enfant n'en est pas moins vif, quoiqu'elle en ait à peine la force. Elle lui sourit alors et s'attendrit; mais son bonheur est si grand, qu'elle conserve à peine sur sa physionomie les traces de sa douleur physique. — Marie de Médicis, dans la Naissance de Louis XIII, de Rubens (galerie du Louvre, n° klii), offre un admirable exemple de cette expression discordante de douce joie maternelle, unie à une faible douleur physique. — La courbe de son sourcil est interrompue, vers son extrémité interne, par un peu d'élévation et de relief de la tête de ce sourcil. — Le modelé de sa bouche et de sa paupière inférieure montre l'émotion profonde de sa joie maternelle, émotion qui l'attendrit presque jusqu'aux larmes, comme l'indique un peu de concavité en bas de la ligne naso-labiale.

En somme, de cette combinaison de lignes très légèrement accentuées et produites à la fois par la joie, par l'attendrissement et par la douleur physique, résulte un ensemble harmo

nieux, une expression discordante, à son degré le plus faible, du sourire môle de douleur physique, expression des plus gracieuses et des plus touchantes (1 ).

II.

J'ai écrit précédemment : « Le mouvement du sourcil n'in-» dique pas seulement un contentement intérieur; il annonce » aussi la bienveillance, cette heureuse disposition de l'âme » qui fait compatir aux peines d'autrui, quelquefois jusqu'à «l'attendrissement. Unit-on, par exemple, le sourire au » pleurer modéré, et encore mieux à la contraction légère du

(I ) Cette expression excite l'admiration générale. J'ai cependant à signaler une incorrection qui nuit à son ensemble. — Le modelé qui donne au regard de Marie de Médicis une légère nuance de douleur physique n'existe pas du côté gauche. En effet, le sourcil gauche décrit une ligne courbe; sa tète n'offre pas le relief qui, du côté opposé, donne à la portion interne de ce sourcil une forme un peu sinueuse. lien résulte qu'en cachant l'œil droit, sa physionomie peint la joie maternelle pure, sans mélange d'aucune douleur, douce expression qui rappelle celle de Jeanne d'Albret, dans la Naissance de Henri IV par Devéria, dont il a été question ci-dessus, page 165. La tête de Marie de Médicis a donc une expression double qui jette un peu d'indécision sur celle de sa douleur physique. ¦—• Cette expression double est analogue à celle que j'ai produite expérimentalement dans les figures 26 et 27, où le muscle sourcilier droit est électrisé isolément (voy. l'étude expressive de cette figure, à la page 35, partie scientifique). — L'incorrection commise par Rubens échappe, de prime abord, à l'observation, parce que la contraction douloureuse du sourcil droit, qui est très faible, contraste peu avec le sourcil opposé, qui n'est pas douloureux, et parce que la tète, vue de trois quarts, étant tournée de droite à gauche, le côté gauche de la face est peu apparent. ¦—Le Guide a commis la même faute dans son Ecce Homo du musée Colona, à Rome. J'en ai fait l'observation critique dans la parlie scientifique de l'album, page 300.

» muscle de la souffrance, on obtient une admirable expres-» sion de compassion, expression des plus sympathiques (1). »

La figure 80 est destinée à peindre une scène analogue.— La jeune femme photographiée dans cette figure est représentée visitant une famille pauvre; on reconnaît, à son sourire compatissant (cachez la moitié gauche de la face), ou à son sourire bienveillant (cachez la moitié droite de sa face), qu'elle est touchée de la misère et des souffrances de cette malheureuse famille, et. que ce sentiment lui a inspiré un acte de charité.

L'expression de la compassion est l'objet de cette étude ; il importe d'en faire bien connaître ici le mécanisme.

J'ai démontré? déjà que, sous l'influence de la contraction du grand zygomalique, on voit la commissure des lèvres se mouvoir obliquement en dehors et en haut, la ligne naso-labiale former une courbe à convexité inférieure et la pommette se gonfler. — Toutes les figures de la partie scientifique de l'album, où le muscle de la joie est montré dans un état de contraction électrique, ont mis ces faits en évidence (voyez les figures 30, 31, 32, 33, 3Zi. 35, 36 et 37). On constate aussi que, du côté gauche de la figure 8(j, le rire naturel a agi de la même manière sur la commissure des lèvres et sur le sillon naso-labial. Telles sont, à tous les âges, les lignes fondamentales expressives de la joie.

(1) Loc. cit., p. 29.

Que l'on veuille maintenant rappeler une des lignes fondamentales développées par le muscle du pleurer (le petit zygomatique), sous l'influence de l'électrisation localisée de ce muscle : la ligne naso-labiale, ai—je dit, décrit une courbe à concavité inférieure.

Eh bien! lorsque, par l'électrisation du grand zygomatique, les lignes fondamentales du sourire s'étant développées, j'ai mis en action le petit zygomatique (muscle du pleurer), j'ai toujours vu le sillon naso-labial devenir concave en bas et se creuser un peu. En même temps, la forme de la lèvre supérieure de ce côté est légèrement relevée ou retroussée, au niveau de l'attache inférieure du petit zygomatique.

Pour obtenir une expression juste et harmonieuse par la combinaison des muscles du pleurer avec le muscle de la joie, il faut, comme dans le sourire mêlé de douleur, que la contraction de ces muscles ne dépasse pas certaines limites, au-delà desquelles l'expression devient grimaçante.

Cette expérience m'a quelquefois réussi complètement. Elle est très difficile, et je n'ai jamais pu maintenir assez longtemps la contraction juste au degré convenable pour la reproduire par la photographie. Le procédé que j'ai employé dans la figure 80 est plus simple. J'ai appelé le sourire bienveillant sur la physionomie de mon modèle en agissant sur son moral (voyez la moitié gauche de la figure 80), et puis j'ai excité modérément, du côté opposé, le muscle du pleurer (voyez la moitié droite de la figure 80), Alors le sillon naso-labial et la forme de la lèvre supérieure se sont modifiés à

droite, ainsi que je l'ai décrit plus haut en rappelant l'action propre de ce muscle, quoique la lèvre inférieure eût conservé la forme qu'elle affecte dans le sourire. On peut s'en assurer en cachant les parties de cette figure situées immédiatement au-dessus de la lèvre inférieure. Il en est résulté un sourire bienveillant gui fait verser des larmes, ou, en d'autres termes, un sourire d'attendrissement.

Personne ne confondra cette espèce de sourire mêlé de larmes avec le sourire mêlé de douleur, représenté sur le côté gauche de la figure 79. — Ce n'est pas non plus ce même sourire qu'Homère a si admirablement décrit dans les adieux d'Àndromaque et d'Hector. Les larmes que le grand poète fait verser à cette princesse qui se sépare de son époux avec de noirs pressentiments, sont des larmes de douleur. En traduisant donc l'expression composée avpuosv ysXacaca, par laquelle il a voulu peindre cette émotion de l'àme; en traduisant, dis-je, trop littéralement cette expression par les mots : un rire mêlé de larmes (lacrymabundum ridens), les auteurs n'ont pas exactement rendu la pensée d'Homère, puisque la compassion fait verser des larmes, et que, bien plus, on pleure de bonheur.

III.

Les figures 81, 82 et 83 sont destinées à reproduire des expériences électro-physiologiques que j'ai faites, au point de vue esthétique, à différents degrés, sur le muscle qui

met en relief les signes caractéristiques des passions agressives (sur le pyramidal du nez, P, fig. 1).

Ce muscle est tellement développé chez la jeune fille qui s'est prêtée à ces expériences, que de sa tête, sur laquelle je viens de peindre l'image des émotions les plus douces et les plus touchantes, j'ai pu faire une tête de Méduse, de furie, etc. J'ai aussi rappelé sur sa face les traits de femmes célèbres dans l'histoire par leur cruauté.

C'est ainsi que, m'étant inspiré de la tragédie de Macbeth, — l'une des plus belles de Shakspeare, — j'ai essayé de représenter, dans la figure 81, l'expression que doit avoir lad y Macbeth, quand, après s'être assurée que Duncan et ses gardes, auxquels elle avait fait verser un breuvage narcotique, sont profondément endormis, et après avoir donné à Macbeth le signal du meurtre, elle attend qu'il ait égorgé le roi, son hôte et son bienfaiteur.

Je vais rappeler cette scène, tirée du drame en vers de J. Lacroix.

lady macbeth.

Ce qui les enivra m'exalte ! Ce breuvage

Qui les éteint, m'embrase!... il double mon courage !

Un cri !.. .

(Écoutant.) C'est le hibou, lamentable veilleur, Qui leur jette un bonsoir lugubrement railleur!

(Ecartant le rideau.) La porte ouverte!... 11 est à l'œuvre, il y doit être!... Les gardiens pesamment dorment près de leur maître : J'ai si bien mélangé leur breuvage du soir, Que la vie et la mort contestent pour savoir S'ils sont morts ou vivants... C'est un sommeil de tombe !

macbeth, du ibiul do la aideric.

Qui va là?.,. qui donc?... Ali !

lady macbeth.

Tout mon courage tombe!... S'ils allaient s'éveiller au milieu du forfait! J'avais mis leurs poignards près du lit!... Anatlième!

Il devait les trouver......J'aurais frappé moi-même,

Si je n'avais cru voir mon vieux père endormi (I).

C'est au moment où lady Macbeth exprime cette dernière pensée que j'ai voulu, dans la figure 81, peindre son expression. — On ne remarque pas sur sa physionomie l'air terrible que je lui donnerai bientôt, lorsque je la montrerai se laissant emporter par sa fureur jalouse et homicide. Ici la ressemblance de sa royale victime avec son père endormi lui a causé une telle émotion, que ses forces l'ont abandonnée. Aussi l'ai—je représentée tombant assise et comprimant fortement les battements de son cœur. —Mais ce cœur est de bronze ; on le reconnaît au regard dur et à l'attitude menaçante qu'elle conserve encore. — Elle veut être reine, même au prix du sang de son roi! — Le courage lui ayant fait défaut, elle a laissé à son époux, dont elle est le mauvais génie et à qui elle a communiqué les instincts cruels de sa rage ambitieuse, la charge de ce meurtre, et elle attend, le bras armé d'un poignard, qu'il ait achevé son œuvre* prête encore à lui venir en aide, s'il venait à faiblir.

(1) Acte 11, scène vin.

La Macbeth do Shakspeare m'a impressionné tout autrement que M. Guizot. — Suivant ce savant traducteur du tragique anglais, le fond de sa nature n'était pas la cruauté ; lady Macbeth n'était qu'ambitieuse. Elle n'aurait vu clans la mort de Duncan que le plaisir d'être reine. — Mais doit-elle être cruelle la femme à qui Shakspeare a fait dire : «J'ai allaité, et je sais combien j'aime tendrement le petit » qui me tette. Eh bien ! au moment où il souriait à ma face, » j'aurais arraché le bout de mon sein de ses gencives sans os, » et je lui aurais fait jaillir la cervelle, si je l'avais juré (1). » — L'amour maternel n'exclut pas la cruauté : lacly Macbeth aimait ses enfants comme la louve aime ses petits.

Dans une autre étude électro-physiologique sur la même scène (fig. 82), j'ai essayé de marquer plus fortement le front de lady Macbeth du sceau de la cruauté. Son regard y est terrible; — mais ce regard ne peut être celui d'une femme chez laquelle un sentiment de piété filiale vient se mêler à des pensées de meurtre et en modérer l'emportement.

Cette expression de cruauté (fig. 82) peindrait bien la Macbeth qui vient de recevoir avec une joie sinistre la nouvelle de l'arrivée du roi Duncan à Inverness, et qui, en apprenant qu'il a dessein de passer la nuit dans son château, conçoit le projet de l'assassiner. Elle conviendrait mieux à la

(I) Loc. cil., scène vu, F. Victor Hugo.

scène où elle l'ait appel à ses instincts féroces, dans cette invocation sauvage : « Venez, venez, esprits qui escortez les » pensées de mort ! Déseœez-moi, et du crâne au talon rem-» plissez-moi toute de la plus atroce cruauté ! épaississez mon » sang... Fermez en moi tout accès, tout passage au remords... » Que mon couteau aigu ne voie pas la blessure qu'il va » faire (1) ! »

Duncan ! le corbeau nous signale Par ses croassements ton approche fatale ! Démons, changez mon sexe! Accourez, noir essaim. Et de férocité remplissez tout mon sein ! Épaississez mon sang, et que ce cœur ne laisse Nul passage au remords !.........

Venez à moi, du meurtre invisibles minisires! Venez tous, ennemis de la terre et du ciel ! Soufflez-moi vos poisons ! que mon lait tourne en iiel (2) !

Un muscle destiné à mettre en évidence les signes des plus mauvaises passions (le pyramidal du nez) ne doit certes pas embellir la physionomie.—Les traits qui accusent son action ne sauraient non plus être sympathiques.

Cependant la terrible Macbeth que l'on voit, dans la

(1) Œuvres complètes de Shakspeare : Macbeth, scène v, traduction de F. Victor Hugo.

(2) Macbeth, drame en vers de F. Lacroix, acte II, scène i.

Si la figure 82 avait été primitivement destinée à représenter cette scène, j'aurais fait prendre à mon modèle un costume en rapport avec la circonstance. — On sait que, dans cette scène, lady Macbeth devait être prête à recevoir la visite du roi Duncan dont on lui avait annoncé l'arrivée pro chaine.

figure 81, dominée par la volonté de tuer le roi, n'a rien perdu de sa beauté ! — C'est qu'ici le pyramidal du nez avait été très légèrement excité. (On se rappelle que j'avais à montrer que la fureur homicide cle lady Macbeth était modérée par le sentiment de piété fdiale qui était venu traverser son esprit, à l'instant où elle avait trouvé une ressemblance entre Duncan et son père endormi.)

Au delà cle ce degré d'excitation, le pyramidal du nez a, dans la figure 82, altéré la beauté de mon modèle, bien que ce muscle n'ait été électrisé que modérément.

La physionomie de cette jeune fille a pu devenir plus terrible et plus enlaidie encore que dans la figure 82, par la contraction au maximum de ce petit muscle, que l'on doit considérer comme l'agent principal et fidèle des passions agressives et méchantes, de la haine, de la jalousie, des instincts cruels.

La figure 83, où le pyramidal du nez a été mis à son maximum de contraction, en est une preuve frappante. Qui reconnaîtra, dans cette figure, la jeune personne dont la physionomie s'est transfigurée d'une manière si ravissante, sous l'influence des lignes expressives de l'amour divin ou humain, et d'une émotion qui excite toujours la sympathie, l'émotion de la douleur? — Je me suis figuré la Macbeth se précipitant sur Duncan, le poignard à la main, avec cet air féroce que j'ai photographié dans cette figure 83. On voit que ses traits assombris sont singulièrement enlaidis. — J'ai supposé aussi qu'alors lady Macbeth, en reconnaissant une

ressemblance entre le roi Duncan et son père endormi, n'ose le frapper et tombe en s'affaissant sur un siège. (Cette scène n'a pas été rendue par Shakspeare.)

En somme, un enseignement important, au point de vue de l'influence défavorable exercée par la contraction plus ou moins forte du pyramidal du nez sur la beauté des traits, ressort du rapprochement comparatif des fig. 81, 82 et 83.

Tous les sujets ne conviennent pas également à l'étude électro-physiologique des lignes expressives produites par les passions agressives; en d'autres termes, le principal muscle expressif qui est mis en action par ces mauvaises passions n'exerce pas toujours le même degré de puissance sur le sourcil.

Ce fait a été démontré expérimentalement dans la partie scientifique de cet album. On se rappelle, en effet, qu'après avoir peint sur la face d'un vieillard débonnaire (voyez son portrait, fig. 3) une expression de méchanceté et même de cruauté (voyez fig. 8), par la contraction du pyramidal du nez, j'ai trouvé ce muscle si faible ou si peu développé chez un homme jeune (voyez son portrait, fig. h), que j'ai pu à peine, malgré une forte excitation de ce muscle, abaisser la tête de son sourcil (voyez la fig. 9). La physionomie de ce dernier sujet prit alors, il est vrai, une expression de dureté: mais il m'eût été certainement impossible de tracer sur sa face les traits cruels d'un assassin.

Tel n'est pas l'état dynamique des muscles moteurs du

sourcil, chez la jeune fille que j'ai choisie pour modèle dans les études de la partie esthétique de l'album. Les abaissent de son sourcil (le pyramidal du nez et l'orbicuîaire supérieur, P et B, fig. 1) l'emportent sur les élévateurs, le frontal et le sourcilicr (A et 0, fig. 1). Ce dernier muscle est môme si faible, que pour le mettre en action, clans les figures 75 et 76 (partie scientifique), j'ai dû employer un courant intense, tandis qu'une excitation comparativement beaucoup plus faible du pyramidal du nez a pu donner à cette jeune fille les traits d'une furie.

Pour compléter l'expression des passions agressives, il faut associer à l'abaissement de la tète du sourcil l'abaissement des commissures labiales. — Ces mouvements s'obtiennent électro-physiologiquement, par la contraction combinée du pyramidal du nez et du triangulaire des lèvres. —Or, comme chez mon modèle, les coins de la bouche sont abaissés naturellement (voyez son portrait, fig. 7û), il m'a suffi, pour produire les expériences photographiées dans les figures 81, 82 et 83, de faire contracter son muscle pyramidal du nez. (On appréciera bien sur ces figures l'influence réciproque de la bouche et de l'oeil, en cachant alternativement l'une ou l'autre de ces parties de la face,)

De tout temps le trait physiognomonique fondamental de la méchanceté et des instincts cruels (la direction oblique du sourcil de dehors en dedans et de haut en bas, par le fait de l'abaissement de la tête du sourcil) a été parfaite

ment senti. C'est en effet avec cettcjobliquité du sourcil, et en l'exagérant, que l'on a représenté le génie du mal, le démon.

Ce signe de la méchanceté se reconnaît aussi sur la physionomie des hommes qui instinctivement font le mal pour le mal, qu'ils s'arment de la plume ou du poignard; les tyrans dont la vie n'a été qu'une longue suite de cruauté en portent généralement le stigmate ineffaçable. Voyez, par exemple, le portrait de Néron : la physionomie est au repos ; les traits de la méchanceté ou de la cruauté qui la distinguent, y sont dus à la prédominance de force tonique du pyramidal du nez, développée par l'exercice fréquent de ces mauvaises passions.

L'expression des passions agressives et cruelles en mouvement a presque toujours été également bien sentie. J'en ai admiré un exemple remarquable dans la Conjuration de Catilina par Salvator Rosa (Florence, palais Pitti). Les conjurés, que leur physionomie soit au repos ou en mouvement, ont une expression de méchanceté et de férocité parfaitement caractérisée, à des degrés divers, par l'abaissement et le gonflement cle la tête du sourcil, par le plissement transversal et cutané de la racine du nez, enfin par la direction oblique du sourcil de dehors en dedans et de haut en bas. Salvator Rosa avait, sans aucun doute, choisi ses modèles parmi les bandits dont il faisait ses compagnons habituels; il a montré, dans son tableau, des types que l'on trouve en grand nombre dans les bagnes.

11 est arrivé cependant que, s'écartant de la nature, les artistes ont commis des erreurs de détail, nuisibles à l'effet de l'expression, erreurs qu'ils auraient certainement évitées, s'ils avaient connu le mécanisme de l'action propre du pyramidal du nez.

Bien que ce mécanisme ait été exposé déjà dans la partie scientifique de l'album, il me paraît utile de le rappeler sommairement de nouveau. J'ai démontré que le point fixe de ce muscle est toujours en bas, et conséquemment que sa terminaison supérieure étant mobile et se faisant à la peau, dans l'espace intersourcilier, au niveau de la tête des sourcils, sa contraction doit nécessairement tirer la peau de haut en bas, de telle sorte qu'elle la plisse plus ou moins, surtout à un certain âge, sur la racine du nez, tandis quelle la tend sur la partie médiane du front. Ces faits ressortent des expériences représentées sur les figures 81, 82 et 83, comme ils avaient été démontrés dans la partie scientifique (voyez les fig. 19, 20, 21, 22, 23, 24 et 25).

Une observation longue et attentive m'a convaincu que, sur tous ces faits, la nature est en parfait accord avec l'expérimentation; trop souvent cependant ils ont été méconnus dans la pratique de l'art. — Je regrette d'avoir à constater, par exemple, que l'un des maîtres les plus illustres de l'art contemporain, Paul Delaroche, a commis une faute grave dans son tableau de Y A ssassinat du président Duranti, et qu'il s'est écarté des principes qui découlent nécessairement des observations que je viens d'exposer. — Avant

do 1(3 démontrer, je rappellerai la légende de ce beau tableau.

Duranti, président du parlement de Toulouse, fut opposé à la Ligue, et tenta inutilement de calmer le peuple sourdement agité à l'occasion do la mort du duc de Guise. Forcé de se réfugier dans un couvent avec sa femme et ses deux enfants, Duranti est découvert par la populace, qui, malgré l'opposition des moines, des prêtres et de sa famille, l'entraîne hors du couvent et l'assassine.

L'artiste a choisi le moment où la populace fait irruption dans l'asile où Duranti s'est réfugié avec sa femme et ses enfants. On voit le chef de cette bande menacer du poing le président Duranti, dont la noble physionomie reste calme. Les cheveux de cet homme sont roux ; ses traits grossiers et durs inspirent de la répulsion. Delaroche lui a donné une expression de haine féroce en abaissant obliquement de dehors en dedans son sourcil épais, et en lui plissant transversalement la peau de la racine du nez. — Ce mouvement expressif démontre au physiologiste que le pyramidal du nez est puissamment contracté, et que la peau de la partie médiane du front doit être attirée en bas et nécessairement tendue. Delaroche, au contraire, a plissé transversalement la peau de cette région du front, comme on l'observe sous l'influence du sourcilier, muscle de la douleur (voyez toutes les figures consacrées à l'étude de ce muscle), qui, antagoniste du pyramidal, élève la tête du sourcil. Il est donc incontestable que mécaniquement le modelé du front de cet

homme ne peut coexister avec le mouvement imprimé à son sourcil. C'est plus qu'une faute d'orthographe; car bien que les lignes expressives fondamentales de la haine et de la cruauté (l'obliquité du sourcil, le relief et les rides transversales de la racine du nez) soient exactement rendues, la présence des rides transversales médianes qui constituent les lignes secondaires de la douleur, expression toujours sympathique, diminue considérablement l'effet de l'expression de méchanceté que Delaroche a voulu donner à ce chef de bande.

Le pyramidal du nez étant le seul muscle qui abaisse la tète du sourcil pour peindre les instincts cruels, de môme que le muscle sourcilier en élève la tête pour exprimer la douleur, on ne doit pas s'étonner qu'il puisse, comme ce dernier muscle, se contracter isolément sous l'influence de certaines émotions. Ordinairement, toutefois, il se contracte avec l'orbiculaire supérieur (0, fig. 1); alors le sourcil est abaissé en masse, tout en conservant sa direction oblique de dehors en dedans et de haut en bas, si l'individu se laisse emporter par des instincts méchants ou cruels.

En appelant le pyramidal du nez, muscle des passions agressives, j'ai voulu donner à entendre qu'il n'était pas seulement au service de certaines mauvaises passions, comme la méchanceté et les instincts cruels.

11 est en effet des sentiments légitimes et même louables qui nous portent à devenir agressifs envers nos ennemis.

Ainsi l'honneur offensé excite la colère et demande vengeance; l'homme s'arme pour la liberté et contre ses oppresseurs. Dans toutes ces conditions, l'homme peut devenir agressif; l'expression s'en traduit par le froncement des sourcils et par leur abaissement en masse (sous l'influence de l'action combinée du pyramidal du nez et de l'orbiculaire supérieur). Alors, on le conçoit, si dans l'emportement de la passion, l'instinct de la cruauté ne prédomine pas, l'abaissement de la tête du sourcil ne sera pas très prononcé; cet abaissement ne sera pas même appréciable, si le muscle qui représente cette passion est aussi peu développé que chez le sujet représenté dans les figures h et 9.

Ces nuances diverses de l'expression agressive ont été généralement bien rendues dans les arts plastiques. Pour les faire mieux comprendre, je puis en montrer un exemple dans le tableau de Prudbon, intitulé : la Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime (galerie du Louvre, n° Zi59).

.Te dois rappeler la légende de cette belle composition.

« A gauche, dans un lieu désert, hérissé de rochers, éclairé par la lune, un homme, un poignard à la main, vêtu d'une tunique et d'un manteau, s'éloigne rapidement. A droite, est étendu par terre le corps d'un jeune homme assassiné. Au-dessus de la victime, volent dans les airs la Vengeance tenant une torche, prête à saisir le meurtrier, et la Justice, personnifiée par les balances et le glaive. » (Notice sur les tableaux du Louvre, F. Yillot )

La figure ëchevelée de la Vengeance, dont la main crispée va saisir le meurtrier, a une expression d'indignation et de colère ; son regard est menaçant et terrible, mais sans être cruel ; ses sourcils froncés ont une direction horizontale. — Caïn, poursuivi par la Justice et la Vengeance divine, fuit épouvanté; mais l'œil du fratricide est cruel et féroce. Cette expression est produite par Vabaissement de la tête du sourcil {dont la direction est conséquemment oblique en bas et de dehors en dedans), par le gonflement de l'espace intersourciller. — Les traits grossiers de Caïn et ses membres trapus ne font qu'ajouter à l'énergie de cette expression farouclic et à la répulsion qu'il inspire.

La jeune fille dont le muscle des passions agressives est puissant au point de tracer, par sa contraction électrique isolée, les signes de la méchanceté et des instincts les plus cruels, ne peut cependant exprimer volontairement ces mêmes passions. — J'ai constaté ce même phénomène sur un grand nombre de sujets. —N'est-il pas permis d'en conclure que le muscle agressif, de la méchanceté, etc., est un de ceux qui obéissent le moins à la volonté, et que le plus ordinairement il est mis en jeu seulement par l'instinct ou par la passion dont il est l'agent expressif essentiel?

On remarque que le muscle qui exprime un sentiment contraire au muscle de l'agression, le muscle de la bienveillance (l'orbiculaire inférieur, E, fig. 1), est également rebelle à la volonté, et n'obéit qu'à ce doux mouvement de l'âme qui rend le regard sympathique, comme sur la moitié gauche

de la figure 80. ¦—J'y vois une prévoyance de la nature, qui n'a pas permis que l'on pût facilement dissimuler ou feindre les lignes expressives à l'aide desquelles l'homme peut distinguer ses amis de ses ennemis.

IV.

« Il me sera facile de démontrer qu'il n'est pas donné à » l'homme de simuler sur sa face certaines émotions, et que » l'observateur attentif peut toujours confondre un sourire » menteur. » Cette proposition que j'ai formulée précédemment (1), en protestant contre l'assertion d'un grand philosophe, Descartes, qui prétendait qu'on peut aussi bien se servir des actions du visage et des yeux pour dissimuler ses passions que pour les déclarer (2) ; cette proposition, dis-je, ressort des faits et des considérations exposés dans le chapitre VI de la partie scientifique de l'album.

J'ai dit, en effet, que l'émotion de la joie franche s'exprime sur la face par la contraction combinée du grand zygoma-tique (I, fig. 1) et de l'orbiculaire inférieur (E, fig. 1); que le premier obéit à la volonté, mais que le second (muscle de la bienveillance, de l'amitié et des impressions agréables) est seulement mis en jeu par les douces émotions de l'âme ; enfin, que la joie fausse, le rire menteur, ne sauraient provoquer la contraction de ce dernier muscle.

(1) Loc. cit., 1er fascicule, p. 52.

(2) L"s passions de Vâme, 2e partie, art. 145.

On a vu, dans les figures 30 et 32 (partie scientifique), les signes différentiels de la joie vraie et de la joie fausse, signes caractérisés, pour la première, par une dépression horizontale, située au-dessous de la paupière inférieure (voy. la figure 30 qui représente le rire naturel), et pour la seconde, par l'absence de cette dépression (voy. la figure 31, où le muscle grand zygomatique est électrisé isolément, du côté droit). — Personne n'a pu confondre ces deux sortes de rire, parce qu'ils sont à leur maximum. Le rire faux de la moitié droite de la figure 30 contraste en effet avec son regard impassible. Qui prendrait cette espèce de rire convulsif, désagréable, pour celui de la gaieté ?

Le sourire faux, produit par l'action isolée du grand zygomatique, à un faible degré de contraction, est, de prime abord, plus trompeur que le rire précédent, bien qu'un observateur attentif s'y laisserait prendre difficilement.

L'étude expérimentale de cette expression est représentée sur la figure 48. — Lady Macbeth m'en a fourni le sujet. Apprenant l'arrivée du roi Duncan, elle a conçu et arrêté le projet de l'assassiner; elle a réveillé ses instincts cruels et appelé à son aide les esprits infernaux ; — et cependant elle l'accueille, le sourire sur les lèvres, en protestant de son affection !

lady macbeth.

Ah ! pour tant de bienfaits et de faveurs si grandes, Nos prières encor sont de pauvres offrandes.

le koi.

Oh ! quel site enchanteur ! ma poitrine s'enivre D'un air doux et léger, d'un air qui fait revivre : On oublie à la fois, et le sceptre qui pèse, Et la fourbe de ceux qu'on aimait ! On s'endort Loin des complots ingrats d'un perfide Cawdor.

macbeth, trcssaillanl.

Cawdor !

le roi, avec un soupir. Si l'on pouvait lire sur son visage____

lady macbeth. Sire, quelle tristesse! Eh quoi!...

le roi.

C'est un nuage.

lady macbeth.

Une si longue route a dû vous épuiser.....

Venez vous mettre à table et puis vous reposer, Cher seigneur! (I).....

C'est au moment où elle a prononcé cette parole affectueuse, cher seigneur! que j'ai voulu représenter lady Macbeth dans la figure 8/1.

On a vu, dans la figure 82, l'expression de cruauté que je lui ai donnée, sous l'impression de son horrible invocation.

4

(1) Loc. cil., acte II, scène iv.

Mais très habile dans l'art de la dissimulation, lady Macbeth, en allant recevoir son roi, a déjà fait disparaître les dernières traces de son emportement furieux, et sa bouche veut se composer un sourire trompeur, comme elle a su faire entendre des paroles affectueuses et menteuses.

Là heureusement s'arrête son pouvoir sur sa physionomie. 11 ne lui est pas donné d'imposer à son regard une expression sympathique, en harmonie avec son sourire.

L'attitude et le geste que j'ai donnés à mon modèle sont bien en rapport avec cette invitation faite au roi par lady Macbeth :

Venez vous mettre à table et puis vous reposer.

Sa bouche est souriante en disant : cher seigneur. — Mais quel sourire (cachez la moitié droite de la bouche et de la joue) ! voyez comme l'œil est froid et glace ce sourire !—C'est un sourire qui tue, et Duncan, qui, au souvenir de la trahison de Cavvdor, s'écrie tristement : « Si l'on pouvait lire sur le visage », ne se laisserait certainement pas tromper par cette expression menteuse, s'il n'était pas aveuglé par la bonté de son cœur.

Il ne faut pas, toutefois, exagérer la signification de cette espèce de sourire, qui souvent n'est qu'un simple sourire de politesse, de même qu'il peut cacher une trahison. — Chez lady Macbeth, il devait exciter la défiance de Duncan, parce qu'il était en désaccord avec ses protestations d'amour,

tandis que, dans d'autres circonstances et dans les simples rapports avec la société, on sourit poliment des lèvres, alors môme que l'on est mécontent ou que l'âme est dans la tristesse. — Lorsque j'ai fait l'expérience qui est le sujet de la figure 84, mon modèle était de très mauvaise humeur; son regard était froid et les coins de sa bouche un peu abaissés (cachez, du côté gauche, la moitié de la bouche et la partie inférieure de la joue). Dès que j'eus produit la contraction légère du grand zygomatique gauche (cachez les parties semblables du côté opposé), le sourire faux de lady Macbeth, dans la scène ci-dessus décrite, se peignit sur sa physionomie.

L'électrisation, dans cette expérience, a été parfaitement limitée au grand zygomatique droit ; aussi les paupières de ce côté sont-elles restées immobiles, comme du côté opposé. J'ajouterai que l'excitation électrique au maximum peut être également bien localisée dans le grand zygomatique de cette jeune fille, et que ses paupières n'en éprouvent aucun mouvement, et que l'on ne voit pas, chez elle, de rides rayonnantes se former au niveau de l'angle externe de l'œil, comme chez le vieillard des figures 30, 32, parce que ces rides sont des lignes expressives secondaires qui n'apparaissent qu'à un certain âge ou chez des sujets très amaigris.

Cette électrisation exacte du grand zygomatique permet ici d'exposer l'étude de l'influence expressive réciproque de

l'œil au repos et du mouvement modéré des commissures labiales propre au souure, étude qui a déjà été faite, dans la partie scientifique, à l'occasion de la contraction au maximum du grand zygomatique (voy. les figures 30 et 32). — Si la partie du visage située au-dessous du nez est couverte, le regard de la figure 84 parait froid et sec; — mais dès que du côté gauche la moitié droite de la lèvre est démasquée, l'œil semble s'égayer et les traits s'épanouir un peu, bien que la contraction du grand zygomatique soit très légère. Cette illusion, quelque faible qu'elle soit , en impose au premier abord, sans toutefois provoquer la sympathie.

Mais qu'au sourire des lèvres vienne se joindre le doux regard que l'on voit sur la moitié gauche de la figure 80, à l'instant on se sent attiré irrésistiblement par la sympathie. Ici la paupière inférieure a été creusée transversalement, à une certaine distance de son bord libre, par le muscle de la bienveillance (orbiculaire inférieur), dont l'étude expressive a été exposée déjà dans le chapitre VI.

Je terminerai ce paragraphe en rappelant ce que j'ai dit de ce muscle à la page 63 de la partie scientifique de l'album : « Le muscle qui produit ce relief de la paupière inférieure » n'obéit pas à la volonté, il n'est mis en jeu que par une » affection vraie, par une émotion agréable de l'âme ; son » abstention dans le sourire démasque un rire faux. »

TABLEAUX SYNOPTIQUES

DES FIGURES DE L'ALBUM

J'ai réuni dans neuf tableaux synoptiques, sous forme de petits médaillons, les têtes des 82 figures qui composent la partie scientifique et la partie esthétique de l'album du Mécanisme de la physionomie humaine. — Certaines de ces tètes sont répétées do manière à ne montrer qu'une moitié des figures sur lesquelles j'ai produit une expression différente, de chaque côté de la face. Il en résulte que ces tableaux synoptiques se composent de 102 tètes.

En voici l'utilité,:

1° J'ai indiqué, dans les légendes des figures, corn meut on doit cacher alternativement, pour en faire l'étude comparative, les traits divers des figures qui ont une expression double. Les tableaux synoptiques représentent ces expériences toutes faites, et rendent ainsi plus facile et plus évidente l'analyse des lignes expressives de la physionomie humaine. Ils suffisent, à la rigueur, pour faire comprendre les développements exposés dans le texte de l'ouvrage.

2° L'influence modificatrice de certaines lignes expressives

sur les autres traits du visage est assurément, au point de vue

¦16

do la pratique des arts plastiques, un des faits les plus importants qui aient été mis en lumière par les expériences électro-physiologiques exposées dans le cours de mon ouvrage sur le mécanisme de la physionomie humaine. Or les tableaux synoptiques facilitent l'étude de ce phénomène, que j'appellerai contraste simultané des lignes expressives de la face (1).

Lorsque l'on regarde alternativement, en employant le procédé indiqué dans les légendes, chaque côté des figures dont l'expression est double, on reconnaît bien les différences qui existent entre les deux côtés de la face. Cependant le temps que l'on a mis à cacher l'un de ces côtés, faisant perdre en partie le souvenir des traits auxquels on veut comparer ceux que l'on regarde, on conçoit combien il est préférable d'avoir constamment sous les yeux chacune des moitiés de la face; alors leurs caractères distiuctifs deviennent plus frappants et la démonstration du problème à résoudre est plus facile.

Prenons seulement pour exemple les quatre figures 78 du tableau VIII. La première de ces figures ('78) montre l'expérience telle qu'elle a été faite des deux côtés à la fois ; vue dans son ensemble, ce n'est qu'une expression grimaçante, car, de chaque côté de la face, un muscle différent est mis

(I) Ce phénomène me semble pouvoir être ainsi dénommé, en raison de son analogie, comme je l'ai déjà fait observer (4ur fascicule, p. 26), avec l'illusion produite sur la vue par des couleurs ou des teintes différentes rapprochées les unes des autres; ce que M. Chevreul a appelé contraste simultané des couleurs. (Voyez son livre : De la loi du contraste simultané des couleurs, et de l'assortiment des objets colorés.)

isolément en action. — Deux autres figures ("'78 et ""78) laissent voir seulement Tune des moitiés de la bouche, de telle sorte que leur comparaison devient facile et des plus concluantes. Ainsi l'œil paraît froid et dédaigneux dans la figure ""78, tandis qu'il est gai et moqueur dans la figure "'78. Cependant il n'existe, en réalité, aucune différence entre ces yeux ; car l'orbiculaire des paupières se contracte exacte* ment de la même manière, de chaque côté; ce dont on est parfaitement convaincu, lorsque l'on cache les parties situées au-dessous du nez, comme dans la figure "78.

Cette modification apparente du regard résulte de l'influence exercée sur l'œil par la forme de la bouche. L'espèce d'illusion que l'on éprouve alors, est bien plus grande, lorsque l'on a comparativement sous les yeux les expériences représentées dans les deux figures "'78 et ""78, que lorsque foi] cache alternativement l'un des côtés de la figure '78, ainsi que je l'ai indiqué dans le texte de l'album.

Ces considérations, applicables à toutes les figures à double expression de la partie scientifique et de la partie esthétique, démontrent l'utilité des tableaux synoptiques pour l'étude du contraste des lignes expressives de la face

2° J'ai également fait entrer dans ces tableaux synoptiques les têtes dont l'expression n'est pas double, afin qu'en présentant ainsi l'ensemble de toutes les figures qui composent l'album, on puisse facilement les étudier comparativement.

Les têtes de la partie scientifique ont dû ;être réduites des

doux tiers, pour faire partie des tableaux synoptiques, composés chacun de 46 figures. Conséquemment, les lignes expressives sont moins apparentes et moins faciles à étudier dans tous leurs détails. — D'un autre côté, ces tableaux synoptiques ne présentent pas l'attitude et le geste, qui, sur les figures entières de la partie esthétique, viennent en aide à l'expression de la physionomie et lui donnent une signification plus grande et quelquefois spéciale.

En somme, si les tableaux synoptiques ne sauraient suppléer les figures isolées de l'album, dont ils sont le complément, ils ont l'avantage de montrer réuni ce qu'on a vu séparé; ils permettent d'embrasser d'un coup d'œil ce qui n'est apparu qu'isolé ; ils forment enfin le résumé des développements, la synthèse des principes qui constituent la grammaire et l'orthographe de la physionomie humaine.

TABLE DES MATIÈRES

de la

PARTIE ESTHÉTIQUE

AVERTISSEMENT......................... 129

Études électro-physiologiques sur le mécanisme de la physionomie humaine...................... 137

PREMIÈRE SÉRIE, fig. 74, 75, 76, 77, 78........ 138

LÉGENDE........................... 138

Explication de la légende.................. 141

I. Considérations sur la figure 74, qui représente le portrait du mo-

dèle ........................... 144

II. Considérations sur la figure 75, qui représente la prière douloureuse,

avec résignation, du côté gauche de la face, et la prière avec

un peu de tristesse, du côté droit.............. 144

III. Considérations sur la figure 76, qui représente la prière avec dou-

leur extrême, du côté gauche de la face, et la prière extatique,

du côté droit. . . . ,.................. 146

IV. Considérations sur la figure 77, qui représente Vamour céleste, du

côté gauche, et l'amour terrestre, du côté droit de la face. , . 150

V. Considérations sur la figure 78, qui représente une scène de coquet-

terie, avec sourire moqueur, du côté gauche de la face, et avec reijurd dédaigneux, du côté droit..........., . . 154

DEUXIÈME SÉRIE, fig. 79, 80, 81, 82, 83, 84...... 157

Légende.......................... 1 57

Explication de la légende................. 159

I. Considérations sur la figure 79, qui représente la joie maternelle

mêlée de douleur (rire mêlé de larmes douloureuses), du coté gauche de la face, et la joie maternelle complète, du côté droit. 1' 9

II. Considérations sur la ligure 80, qui représente la charité avec sou-

rire bienveillant, du côté gauche de la face, et avec attendrissement (sourire mêlé de larmes), du côté droit........ 166

III. Considérations sur les figures 81, 82, 83, qui représentent lady

Macbeth (tragédie de Shakspeare), avec une expression de cruauté, à trois degrés différents. ............ 169

IV. Considérations sur la ligure 84, qui représente lady Macbeth rece-

vant le roi Duncan avec un sourire faux........... 183

Tableaux synoptiques des ligures tic l'album, au nombre

de neuf, composés de 102 tètes. ¦— Leur utilité. '...... 189

fin de la table des matières.

EXPÉRIENCES ÉLECTRO-PHYSIOLOGIQUES

R E P R É S E N T É E S P A R LA P H O T O G R A P H I E .

P L . 1 .

DUCHENNE (de Boulogne), phot.

EXPÉRIENCES ÉLECTRO-PHYSIOLOGIQUES

REPRÉSENTÉES PAR LA PHOTOGRAPHIE.

Pl.2

DoCHENNE (de Boulogne), pliot.

EXPÉRIENCES ÉLECTRO-PHYSIOLOGIQUES

REPRÉSENTÉES l'A R LA PHOTOGRAPHIE.

Pl.3

Dochenne (de Boulogne), phot.

EXPÉRIENCES ÉLECTRO-PHYSIOLOGIQUES

R E P R É S E N T É E S PAR LA P H O T O G R A P H I E.

PL 4.

DUCHENNE (de Boulogne), phot.

EXPÉRIENCES ÉLECTRO-PHYSIOLOGIQUES

REPRÉSENTÉES l'A R LA P II OTOCl I! A PHI E.

1*1.5.

EXPÉRIENCES ÉLECTRO-PHYSIOLOGIQUES

REPRÉSENTÉES PAR LA PHOTOGRAPHIE

PL.6.

DUCHENNE (de Boulogne), phot.

EXPÉRIENCES ÉLECTRO-PHYSIOLOGIQUES

REPRÉSENTÉES PAR LA PHOTOGRAPHIE.

PL 7 .

DUCHENNE (de Boulogne), phot.

EXPÉRIENCES ÉLECTRO-PHYSIOLOGIQUES

REPRÉSENTÉES PAR LA PHOTOGRAPHIE.

PL.8.

DUCHENNE (de Boulogne), phot.

ÉLECTRO-PHYSIOLOGIE PHOTOGRAPHIQUE.

Pl.9

Duchennk (de Boulogne), pliot.

EXPÉRIENCES ELECTRO-PHYSIOLOGIQUES

REPRESENTEES PAR LA PHOTOGRAPHIE.

DUCHENNE (de Boulogne), phot.

EXPÉRIENCES ELECTRO-PHYSIOLOGIQUES

REPRÉSENTEES PAR LA PHOTOGRAPHIE.

DUCHENNE (de Boulogne), phot.

ÉLECTRO-PHYSIOLOGIE PHOTOGRAPHIQUE.

DUCHENNE (de Boulogne), phot.

ÉLECTRO-PHYSIOLOGIE PHOTOGRAPHIQUE.

DUCHENNE (de Boulogne), phot.

ÉLECTRO-PHYSIOLOGIE PHOTOGRAPHIQUE.

DUCHENNE (de Boulogne), phot.

EXPÉRIENCES ELECTRO-PHYSIOLOGIQUES

REPRESENTEES PAR LA PHOTOGRAPHIE

EXPÉRIENCES ÉLECTRO-PHYSIOLOGIQUES

R E P R É S E N T É E S PAR LA P H O T O G R A P H I E.

DUCHENNE (de Boulogne), phot.

EXPÉRIENCES ÉLECTRO-PHYSIOLOGIQUES

R E P R É S E N T É E S PAR LA P H O T O G R A P H I E,

DUCHENNE (de Boulogne), phot.

EXPÉRIENCES ÉLECTRO-PHYSIOLOGIQUES

R E P R É S E N T É E S PAR LA P H O T O G R A P H I E,

DUCHENNE (de Boulogne), phot.

EXPÉRIENCES ÉLECTRO-PHYSIOLOGIQUES

R i'- P II KS ENT ÉE S PAU LA PHOTOGRAPHIE.