(1900) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 13]
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(1900) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 13]

NOUVELLE

ICONOGRAPHIE

DE LA

SALPÊTRIÈRE

TOME XIII

Avec 83 figures intercalées dans le texte et 87 planches hors texte

1900

CONDITIONS DE LA PUBLICATION

LA NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

paraît en six. fascicules annuels

PRIX DE L'ABONNEMENT ANNUEL :

PARIS.... 25 fr. DEPARTEMENTS... 27 fr. 1 UNION POSTALE.. 28 fr.

PRIX DU fascicule : 4 fr. 50

Rédaction

Dr HENRY MEIGE

PRÉPARATEUR A LA FACULTÉ DE MÉDECINE

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA

z \

SALPÊTRIÈRE

FONDÉE par J. M. CHARCOT

PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE

F. RAYMOND A. JOFFROY A. FOURNIER

PROFESSEUR DE CLINIQUE PROFESSEUR DE CLINIQUE PROFESSEUR DE CLINIQUE

DES MALADIES DES MALADIES MENTALES DES MALADIES CUTANÉES ET

DU SYSTÈME NERVEUX SYPHILITIQUES

PAR'

PAUL RICHER GILLES DE la TOURETTE

MEMBRE DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE PROFESSEUR AGRÉGÉ A LA FACULTÉ

DIRECTEUR Honore DU LABORATOIRE DE DE MÉDECINE

LA CLINIQUE MÉDECIN DES HÔPITAUX

ALBERT LONDE

DIRECTEUR DU SERVICE PHOTOGRAPHIQUE

Avec la collaboration de MM.

ACHARD, BOGROFF (Odessa), BOIX, P. BONNIER, BOTTEY, BRISSAUD, CABANNES (Bordeaux),

CATHELINEAU,CESTAN,J.-B,CHARCOT,CHIPAULT,DEJERINE,DELPRAT(Amsterdam),DENY,

DUFOU R,E.DUPRÉ,DURANTE, D U RET, DUTI (Nice), EM 1 RZÉ (Srnyrne),ESTEVES(Buenos-Ayres),

ÉTIENNE (Nancy), FEINDEL, FÉRÉ, E. FOURNIER, GASNE, GRASSET (lontpellier), G.GUINON,

HALLION,HAUSHALTER(Nancy), HERTOGHE (Anvers), HUET, P.JANET, KATICHEFF (St-Péters-

bourg),LADAME (Genève), H.LAMY,LANNELONGUE,LANNOIS (Lyon),LAUFENAUER (Buda-Pesth),

LAUNOIS, LE DENTU, M. LEMOS (Porto), L. LÉVI, P. LONDE, LUCO ORREGO (Santiago, Chili),

P.MARIE, MARINESCO (Bucharest), DE MASSARY, H. MEUNIER, MICHAILOWSKI (Sofia), MOC-

ZUTKOVSKY(St-Pétersbourg), VON MONAKOW (Zurich), NOGUÈS (Toulouse), PARINAUD, PAR-

MENTIER, PITRES (Bordeaux), RAMADIER, A. RICHE, RÉVILLIOD (Genève), A. ROBIN, ROSSO-

LIMO (Moscou), SABRAZÈS (Bordeaux),SAINTON, T. D. SAVILL(Londres), SCHAFFER (Buda-Pesth),

SÉGLAS, SÉRIEUX, SIKORSKY (Iiew), SPILLMANN (Nancy), SOCA (Montevideo), SOLOVTZOFF

(Moscou), SOUQUES, SURMONT, TARGOWLA, THOMAS, TRÉNEL, TUFFIER, WEIL, etc.

PARIS

MASSON ET ce, Éditeurs

LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE

120, Boulevard Saint-Germain

1900

NOUVELLE

ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

ANÉVRYSME DE L'ARTÈRE VERTÉBRALE GAUCHE.

(autopsie)

PAR

P. LADAME et C. von MONAKOW

Priv. doc. de Neurologie Professeur de Neurologie

à l'Université de Genève à l'Université de Zurich.

La plupart des cas d'anévrysme des artères de la base du cerveau n'ont

point d'histoire clinique. Ils ne sont découverts le plus souvent que sur la

table d'autopsie des médecins légistes, chargés de déterminer la cause du

décès des personnes tombées sur la voie publique, et dont la mort est

presque toujours subite, au moment de la rupture de l'anévrysme (1). C'est

pourquoi, bien que les cas d'anévrysmes des artères cérébralessoientrelati-

vement assez fréquents (v. Hoffmann en compte 78 dans sa statistique per-

sonnelle), on en trouve très rarement dans la littérature médicale. Lespre-

miers cas datent de la fin du XVIIIe siècle (2). Nous avons donc pensé

qu'il y avait quelque intérêt à publier l'observation suivante, malgré les

lacunes qu'elle présente, le malade appartenant à la clientèle privée et

n'ayant pu être soumis à un examen aussi méthodique et aussi complet

que cela eût été désirable. Toutefois les constatations qui ont pu être faites

(1) E. v. IIOF1.\i.'\N, prof. à Vienne, Ueber Aneurysmen der Basilararterien und deren

Ruptur als Ursache des ploetzlichen Todes. Wiener klinische Wochenschrifl, nos 44,

4;j, 46, il, novembre 1894, pp. 823, 84S, 867, SS6.

(2) Voir l'historique in LEI1EIIT, Ueber die Aneurysmen der Hirnarterien. Berliner

klinische Wochenschrift, nos 20, 22, 21, 28, 34, 35, 40 et 42, mai-octobre 18G6.

XIII ' 1

2 P. L.1D.1111 : I : 'l' C. )lO : '\AJ\OW

sur les coupes de la pièce anatomique, durcie dans le liquide de Buller,

nous ont permis d'interpréter suffisamment les symptômes encéphaliques

observés pendant la vie.

Observation.

J. M..., rentier, âgé de 68 ans, éprouve, depuis deux ans environ, îles

symptômes cérébro-cardiaques qui se sont développés progressivement, et qui

se manifestent sous la forme de vertiges accompagnés d'accès répétés d'an-

gine de poitrine. Il n'y a aucune maladie nerveuse ni mentale dans sa famille.

Ses parents sont morts très âgés. Dans les antécédents personnels du ma-

- lade nous relevons qu'il n'a pas eu de graves maladies, mais qu'il a été

infecté de syphilis à l'âge de 30 ans. Jamais il n'a souffert de traumatismes à

la tète. Le malade s'est marié et a eu des enfants bien portants. Ses habitudes

ont toujours été régulières ; il n'a jamais fait d'excès alcooliques et c'est grâce

sans doute à la bonne hygiène qu'il a suivie, que sa santé s'est maintenue

jusqu'à l'fige avancé auquel il est parvenu. '

Au printemps 1893 le malade ressentit les premiers accès prononcés de ver-

tige avec palpitations cardiaques, angoisse et douleurs irradiantes partant de

la région précordiale. On le soigna pour une maladie de coeur et il prit surtout

de la digitale. Nous le vîmes pour la première fois en juillet 1895, et nous

constatâmes l'état suivant : Le malade est dans un état vertigineux habituel. Il

ne se sent aucune assurance pour marcher et craint toujours de tomber. Il

chancelle en marchant et cherche un point d'appui. Sa démarche n'est pas

ataxique, mais titubante, à forme ébrieuse.11 présente nettement le symptôme

de la titubation dite cérébelleuse. Si on lui ferme les yeux en appuyant-sur les

paupières il trébuche fortement (signe de Romberg). Mais il prétend que son

vertige ne l'empêche pas de marcher dans l'obscurité, lorsqu'il a un point

d'appui, la rampe de l'escalier par exemple. Les réflexes rotuliens existent,

mais sont peu marqués. Pas de troubles appréciables des organes des sens, qui

n'ont du reste pas été soumis à un examen approfondi, le malade ne se plai-

gnant ni de son ouïe ni de sa vue. Les pupilles sont égales, étroites ; elles réa-

gissent paresseusement à la lumière et à l'accommodation. Pas de nystagmus.

Les facultés intellectuelles sont normales, un peu affaiblies, en rapport avec

la sénilité accusée du malade. La mémoire est bonne pour les choses ancien-

nes ; le malade comprend très bien ce qu'il lit. Il répond sensément aux ques-

tions qui lui sont posées. Sa parole est un peu traînante, mais on n'observe

aucun symptôme d'aphasie, ni motrice, ni sensorielle. Par contre il lui est

impossible d'écrire et il ne trace sur le papier que des lignes brisées absolu-

ment illisibles, au milieu desquelles on reconnaît à peine çà et là l'ébauche

d'une lettre (agraphie cérébelleuse par ataxie ou incoordination des mouve-

ments pour l'écriture).

Le sommeil est souvent troublé par des rêves et cauchemars, surtout si le

malade n'a pas su se modérer à son repas du soir.

Tous les mouvements des membres se font aussi bien à droite qu'à gauche et

anévrysme de l'artère vertébrale GAUCHE 3

la force musculaire est partout conservée. L'incoordination motrice est générale.

En particulier les mouvements de la tête sont gênés, raides.

Après le vertige ce qui incommode le plus le malade ce sont des douleurs

dans la région précordiale, qui l'angoissent beaucoup et qui parfois s'exaspèrent

en véritables accès d'angor pectoris avec douleurs dans lei bras gauche. Les

battements du coew' sont peu énergiques, irréguliers. Les bruits cardiaques

normaux ; le premier bruit est un peu sourd. On n'entend point de souffle. Le

claquement de l'aorte est renforcé (deuxième bruit au foyer aortique). Pas

d'hypertrophie du coeur. Les radiales sont dures ; le pouls plutôt lent, 56 à 60

pulsations par minute, irrégulier, avec des intermittences. Le malade se plaint

souvent de palpitations, surtout pendant ses digestions. Il a de la dyspnée

lorsqu'il fait un effort, s'il monte les escaliers, etc. Rien d'anormal à la per-

cussion et à l'auscultation des poumons. Pollakiurie. Le malade se relève plu-

sieurs fois pendant la nuit pour uriner. Ni albumine ni sucre dans les urines.

Jamais d'oedème des malléoles ni des paupières.

L'appétit est généralement bon ; parfois le malade a de vrais accès de

boulimie et ne peut se rassasier. Constipation habituelle.

Diagnostic. Artério-sclérose généralisée. Troubles de la circulation dans

le cervelet et le tronc cérébral.

Traitements Régime lacté mitigé. Iodure de sodium.

Le malade ne se plaignant d'aucun bruit dans la tête, nous ne l'avons mal-

heureusement pas ausculté sur les apophyses mastoïdes et dans la région occi-

pitale, ce qui nous aurait révélé peut-être un bruit de souffle, comme on l'a

constaté parfois dans les cas d'anévrysmes intra-crâuiens (1). Une constata-

tion, semblable aurait pu nous mettre sur la voie du vrai diagnostic.

L'état, que nous venons de décrire se perpétua sans changement notable,

avec une légère amélioration, jusqu'au 27 août 1895. Après un copieux repas,

où les tranches de jambon dominaient, le malade fut atteint soudain pendant la

nuit d'une attaque d'apoplexie, sans perte complète de connaissance et sans

paralysie des extrémités. Vomissements violents et répétés. Vertige extrême.

Grande faiblesse générale. Le malade est tombé de son lit. Il ne peut s'asseoir,

ni à plus forte raison se tenir debout. Il tombe toujours du côté gauche.

Bientôt le délire se manifeste, sans hallucinations des sens. Le malade ne sait

où il est. Complètement désorienté, il ne se croit pas chez lui, mais se dit en

voyage. Il tombe dans des rêvasseries.

Il répond cependant aux questions qui lui sont posées, mais très lentement.

Il doit faire un effort pour sortir de sa torpeur. Sa parole n'est pas scandée,

mais le timbre de sa voix est altéré, faible, voilé. Pouls lent : 48 pulsations

par minute. Il se plaint de fourmillements et d'engourdissement dans les ex-

(1) Le signe de Gerlaaodt,comme l'appellent OPPENIIEIM et SIEMERLING (Charité Anna-

lén, 12e année, 1887, p. 351). C'est la recherche de ce signe qui a permis à 1110ESEa

(Deulsches Archiv für klinische Medicia,Band 35, 1884,p. 418) de diagnostiqueur pendant

la vie un anévrysme de la base (artère vertébrale gauche), chez un homme de 61 ans,

qui offrait des troubles bulbaires très caractéristiques et un souffle très bruyant de

chaque coté entre les apophyses mastoïdes et la colonne vertébrale.

4 P. LADAME ET C. MONAKOW

trémités droites dont la sensibilité est examinée tous les jours. On y constate

au bout de 2 3 3 jours une analgésie complète (à la piqûre et il la température,

au chaud et au froid) qui occupe tout le côté droit du corps, la face et les ex-

trémités. La sensibilité tactile est conservée sur toute la surface du corps. Le

malade sent le contact du côté analgésie comme du côté gauche. Il offre donc

ce trouble dissocié de la sensibilité qu'on a appelé à tort le syndrome syringo-

myélique et qui a été observé dans bien d'autres affections du système nerveux.

Dès lors on a pu constater chaque jour l'existence de ce syndrome dans le

même côté du corps, jusqu'au moment où le malade perdit complètement con-

naissance peu de temps avant de succomber. Cependant l'hémianalgésie fut

moins prononcée pendant les trois dernières semaines de la maladie, sans tou-

tefois disparaître jamais complètement. La sensibilité fut toujours intacte dans

tous ses modes il gauche.

Le lendemain de l'attaque apoplectiforme l'urine était légèrement albumi-

neuse. Ce symptôme fut transitoire ; en peu de jours l'albumine disparut com-

plètement des urines.

On constata dès lors la marche suivante de la maladie jusqu'au jour de la

mort qui arriva six semaines après l'attaque.

Chaque fois que l'on essayait de faire asseoir le malade dans son lit ou de le

faire tenir debout, hors du lit, même en le soutenant de chaque côté, cela était

impossible. Il tombait toujours à gauche (du côté de la lésion). Pas de déviation

conjuguée de la tête et des yeux.

Tous les mouvements des extrémités sont possibles (mouvements actifs et

passifs) et assez forts. La force musculaire est conservée dans les bras et dans

les jambes ; cependant les extrémités droites (qui ont conservé la sensibilité au

contact) sont plus faibles que les gauches. L'incoordination motrice est générale,

très prononcée des deux côtés dans les quatre membres. La commissure des

lèvres est légèrement abaissée il droite (du côté opposé à la lésion). Du reste pas

de paralysie faciale ; le malade siffle, grimace, fait la moue, etc. sans di fficllltés.

Il fronce les sourcils et ferme facilement les paupières. La langue est droite

lorsqu'elle est tirée et se meut sans aucune difficulté dans tous les sens, à la

volonté du malade.

La parole est distincte, mais très lente, de plus en plus lente, non scandée.

La voix voilée est faible comme dans la paralysie labio-glosso-Iaryngée. La res-

piration a distinctement le rythme de Cheyne-Stokes, peu prononcé, il est vrai,

mais continu. Bientôt s'ajoutent à ce tableau des troubles de la déglutition, le

malade s'engoue à tous les repas et risque de s'étouffer. Pendant les dernières

semaines il ne peut plus avaler qu'avec les plus grandes difficultés.

Il se plaint par moment de voir double. Mais il est impossible de faire l'exa-

men de cette diplopie, car le malade s'embrouille immédiatement quand on le

questionne sur la position des objets qu'il voit doubles. Parfois léger strabisme

interne de l'oeil gauche (parésie de la VI" paire a gauche). La paupière gau-

che èst un peu tombante, mais le malade la relève dès qu'on le sort de sa som-

nolence qui est devenue habituelle pendant la journée. La pupille gauche est

ANÉVRYSME DE L'ARTÈRE VERTÉBRALE GAUCHE 5

rétrécie, plus petite que la droite. Toutes deux réagissent distinctement à la

lumière et à l'accommodation. ,

L'état de somnolence diurne s'accentue de plus en plus. Parfois entrecoupé

par des moments d'agitation, de délire, d'hallucinations et de rêveries. Le ma-

lade veut alors absolument sortir de son lit. L'agitation augmente surtout beau-

coup pendant la nuit. Insomnies prolongées.

Dès le moment de l'attaque et pendant tout le cours de la maladie on cons-

tata une incontinence plus ou moins complète des fèces et des urines, qui

s'aggrava progressivement. Les urines analysées il plusieurs reprises ne ren-

fermèrent jamais ni sucre ni albumine. Jamais d'oedème.

Pendant les dernières semaines transpirations abondantes. Toutes les em-

preintes faites sur la peau avec le manche du marteau à percussion ou un

crayon deviennent rouges et font saillie pendant un moment (dermographisme).

Vers le milieu de septembre, pendant une nuit d'agitation, le malade tombe

de nouveau de son lit, son garde-malade s'étant profondément endormi. Les

vomissements, qui avaient cessé après l'attaque, reparaissent de plus belle. La

somnolence devient plus profonde, le délire plus intense et l'agitation plus forte

pendant la nuit. Le délire porte toujours sur le même thème. Le malade se

croit en voyage, à l'étranger. Il ne veut absolument pas admettre qu'il est

chez lui et s'irrite si on insiste pour l'en persuader. Il reconnaît parfaitement

les personnes qui le soignent et les membres de sa famille. Il répond toujours

avec une parfaite lucidité, quoique très lentement, aux questions qui lui sont

posées, mais il retombe ensuite immédiatement dans son état de stupeur. La a

parole est traînante, de plus en plus indistincte. La déglutition devient extrê-

mement difficile. Le pouls s'accélère, 128 pulsations par minute; il est fré-

quent, mince et régulier, facilement dépressible. La respiration monte à 36 et

40 respirations par minute. Elle devient plus égale et perd peu à peu le

rythme de Cheyne-Stokes, que l'on retrouve cependant avec un peu d'atten-

tion. Le gâtisme est complet.

La température s'élève rapidement; sueurs profuses; râles trachéaux

bruyants avec un cri à chaque expiration. Une dose de poudre de Dower fait

cesser les cris, tandis que les râles augmentent.

Le sopor devient toujours plus profond. Jamais de convulsions, ni de secous-

ses musculaires. Longue agonie. La mort arrive dans le coma, la température

mesurée sous l'aisselle, dépassant 40 C. et le pouls atteignant plus de 140 pul-

sations à la minute.

Le malade succomba le 6 octobre 1895.

i Autopsie.

7 octobre 1895, 22 heures après la mort L'ouverture de la tète est

seule autorisée. Rigidité cadavérique prononcée. Rien d'anormal dans la

voûte du crâne ; la dure-mère n'offre rien de particulier. Toutes les artères

intra-crâniennes sont fortement athéromateuses. Les méninges n'offrent rien de

pathologique. Les sinus sont normaux. Le réseau veineux est très marqué; les

vaisseaux sont remplis de sang noir, liquide. Les artères tortueuses, béantes et

6 P. LADAME ET C. MONAKOW

rigides à la coupe, sont vides. On trouve un anévrysme de la grosseur d'un

oeuf de pigeon qui siège sur l'artère vertébrale gauche à l'endroit où elle se

jette dans le tronc basilaire (Fig. 1). Le sac anévrysmal dont les parois sont

très épaisses a creusé une profonde dépression dans la moitié gauche de la pro-

tubérance et du cervelet, en comprimant aussi le côté gauche du bulbe, dont

la pyramide et l'olive aplaties sont cependant reconnaissables. Par une anoma-

lie de la distribution artérielle, on voit l'artère cérébelleuse moyenne, qui naît

habituellement du tronc basilaire au milieu du pont, se détacher de l'extrémité

antérieure de ce tronc, à droite et à gauche de l'artère cérébelleuse supé-

rieure. La cérébelleuse moyenne est oblitérée à gauche.

La surface des hémisphères cérébraux n'offre rien de spécial à mentionner.

Les circonvolutions sont partout bien dessinées et ne présentent aucune ano-

malie. Nulle part la pie-mère n'est adhérente à l'écorce cérébrale. Elle s'enlève

partout très facilement.

La plus grande circonférence de l'anévrysme mesure 7 centimètres ; sa base

a 4 centimètres de longueur et 2 de largeur, et la ligne courbe de sa surface

supérieure mesure 6 centimètres depuis l'origine de l'anévrysme au sommet

de l'artère vertébrale jusqu'à sa terminaison dans la basilaire.

Fig. 1. Anévrysme de l'artère vertébrale gauche.

ANÉVRYSME DE L'ARTÈRE VERTÉBRALE GAUCHE 7

Le sillon bulbo-protubérantiel n'est pas effacé à gauche.

Artères de la base. - L'artère basilaire est très fortement dilatée et sort

graduellement de l'anévrysme. A l'endroit où elle se divise pour donner nais-

sance aux artères cérébrales postérieures on remarque à gauche une forte dila-

tation cylindrique de toutes les branches de cette artère qui vont en serpen-

tant jusqu'aux extrémités de leurs rameaux. La communicante postérieure est

aussi très largement dilatée ; de même la carotide interne avec l'artère sylvienne

et la cérébrale antérieure ; cette dernière est encore plus tortueuse que la pos-

térieure.

A droite, les artères sont aussi dilatées, mais à un moindre degré qu'à gau-

che.

Cervelet et tronc cérébral. L'hémisphère droit du cervelet est parfaitement

normal, tandis que le gauche est forternent excavé à sa base. La conformation

extérieure de cet hémisphère toutefois n'est pas tout à fait méconnaissable. On

constate néanmoins que toute la moitié de sa base est atrophiée par la compres-

sion de l'anévrysme. Il n'en reste que le toit des lobes semilunaire et quadran-

gulaire. Le vermis est aussi totalement nécrosé.

La hase du tronc cérébral présente de même une atrophie prononcée par

compression. L'anévrysme s'enfonçait surtout dans le pédoncule cérébelleux

moyen qui est presque totalement nécrosé. Il n'était resté qu'une portion très

mince de ce pédoncule, qui se trouvait en grande partie dégénérée. Il existait

en môme temps une compression très forte de la moitié gauche du pont et du

bulbe. Mais nulle part on n'a constaté dans ces régions des endroits ramollis,

de consistance amoindrie. '

Le tronc cérébral fut. séparé des hémisphères cérébraux au niveau des pé-

doncules cérébraux et placé avec le cervelet dans le liquide de Buller,

Nerfs crâniens. - De tous les nerfs crâniens, la sixième paire à gauche était

seule nettement mais légèrement atrophiée par la compression. Le nerf triju-

meau du même côté était bien un peu aplati à sa sortie du pont de Varole, mais

il n'offrait pas d'atrophie marquée.

Les racines des 9° et 10° paires présentaient cependant aussi un peu d'atro-

phie, mais à un' très faible degré. Le nerf acoustique gauche et son tubercule

étaient complètement recouverts par la tumeur, et n'ont pu être reconnus

macroscopiquement. Les autres nerfs de la base étaient normaux.

Hémisphères cérébraux. Malgré la sclérose si généralisée des artères les

hémisphères cérébraux ne présentaient aucune lésion macroscopique, ni atro-

phie, ni ramollissement. On ne constate nulle part une différence dans la con-

sistance des circonvolutions, aucune région indurée ou ramollie. Les hémi-

sphères furent durcis dans le liquide de Miter et conservés dans l'alcool avant

d'être coupés.

Examen microscopique. - Le tronc cérébral avec le cervelet et la protubé-

rance furent débités en coupes sériées ininterrompues et colorées par la

solution aqueuse de carmin. Les couches optiques et leurs annexes, ainsi que

certaines parties des hémisphères cérébraux, furent traitées de même en coupes

vertico-transversales, au moyen du microtome de Gudden. L'emploi du car-

8 P. LADAME ET C. MONAKOW

min donna des résultats très satisfaisants dans le tronc cérébral, moins bons

pour les couches optiques, le cerveau ayant été conservé pendant près de deux

ans dans l'alcool.

Bulbe. - La moelle allongée était comprimée dans sa totalité de gauche à

droite et de bas en haut ; ses diverses parties avaient été déformées par la

pression de l'anévrysme. Les planches I, Il et III annexées à ce travail, ren-

dent compte des déformations observées sur les différentes coupes. Après avoir

été esquissées au moyen de l'appareil d'Edinger, qui montre très nettemeut

les contours et les grandes lignes des préparations, mais qui ne permet pas de

voir leurs détails, les coupes ont été dessinées au microscope il grand champ de

vision de Nachet, tel qu'il est décrit dans l'Anatomie des centres nerveux de

Déjerine (Paris, 1895, p. Si).

La pyramide gauche (PI. I, Il et III) est fortement aplatie dans toute son éten-

due, mais surtout dans la région où le bulbe passe dans la protubérance, son

aplatissement diminue dans la région caudale, du côté de la moelle épinière ;

elle est déplacée et déformée. La pyramide tout entière a subi une forte réduc-

tion de volume et présente les suites manifestes d'une atrophie simple par

compression. Elle est d'un tiers plus petite que la droite et beaucoup de ses

fibres* sont amincies ; on y observe aussi une légère prolifération de la né-

vroglie, mais les fibres nerveuses y sont normales.

Les lésions de l'olive gauche (PI. I, B et PI. Il, C) sont surtout remarquables et

caractéristiques. Tandis que l'olive droite paraît tout il fait normale et ne ren-

ferme peut-être que quelques fibres dégénérées, la gauche offre des symptômes

très marqués de compression. Elle est aplatie comme la pyramide et les autres

parties du bulbe dans cette région, et présente une diminution très sensible de

ses fibres en général. Elle est repoussée en dedans ; dans toutes les coupes son

volume est très réduit. Il est il peu près moitié moindre que celui de l'olive

droite.La substance grise qui constitue les volutes est très amincie; les festons

sont rares et resserrés les uns contre les autres, et les lames dorsale et ven-

trale sont remarquablement rapprochées l'une de l'autre. On y constate la dis-

parition de la plupart des cellules et des libres. Les cellules qui restent sont le

plus souvent atrophiées et parfois totalement dégénérées. Dans'sa partie latérale

et dans le bile la plupart des fibres sont dégénérées. Il en résulte que les fibres

arciformes qui en sont la continuation, et qui se rendent au corps restiforme

droit, après avoir passé le raphé, sont aussi dégénérées (voir PI. I, B).

Le corps restiforme droit dont l'atrophie est considérable, doit sa dégénéra-

tion il la nécrose de l'olive gauche comprimée, et ceci est une lésion importante

à signaler, car elle n'a pas encore été décrite, à notre connaissance, sous cette

forme ascendante. Cette dégénération localisée permet de distinguer nettement

le contingent olivaire des fibres du corps restiforme, qui en constitue la partie

latérale, d'après cette observation (voyez PI. I, B).

Si l'on étudie la série des coupes depuis la partie la plus inférieure de la

moelle allongée en remontant vers la protubérance, on découvre dans diverses

régions du bulbe à gauche des modifications pathologiques qui se rapportent

soit il l'atrophie par compression, soit il des dégénérations secondaires.

EXPLICATION DE LA PLANCHE I

Coupe A.

NCG, noyau du cordon de Goll.

CG, cordon de Goll.

NCB, noyau du cordon de Burdach.

CB, cordon de Burdach.

Sgc, substance grise centrale, périépendy-

maire.

SgR, substance gélatineuse de Rolando.

cop, reste de la corne postérieure.

cl, cordon latéral de la moelle épinière.

Coa, reste de la corne antérieure.

l'y, pyramide.

xPy, entrecroisement des pyramides.

col, corne latérale.

Vds, racine descendante du trijumeau.

.1'Rm, fibres sectionnées de l'entrecroise-

ment sensitif ou du ruban de Reil

médian il ses débuts.

Coupe B.

A'.\7/, noyau de l'hypoglosse.

NXd, noyau dorsal du vague.

Fcv + NdcR, faisceaux céréhello-vestibu-

laires (Thomas), plus noyau dorsal du

corps restiforme (Gudden).

cR, corps restiforme, atrophié partielle-

ment, mais inégalement à droite el à

gauche.

Vils, racine descendante de la vue paire.

Fcd, faisceau cérébelleux direct.

i\amb, noyau ambigu.

NU, noyau du cordon latéral.

FG, faisceau de Gouers.

Fee, faisceau central de la calotte.

Oi, olive inférieure.

XII, fibres radiculaires de l'hypoglosse. ? J pyramide.

io, couche interolivaire.

Noi, noyau jnxta-olivaire interne.

Oia, olive inférieure gauche atrophiée.

Fcca, faisceau central de la calotte atro-

phié.

Nlld, noyau du cordon latéral dégénéré.

(ebo. faisceaux cérébello-olivaires.

fai, fibres arciformes internes.

fs, faisceau solitaire :

NclcRd, noyau dorsal du corps restiforme

dégénéré.

NCud, hémisphère droit du cervelet.

Ndl, noyau dentelé.

)'s,vermis.

Ilcvff, reste de'l'hémisnhére gauche nécrosé

du cervelet.

N. B. - Les dessins ont été esquissés directement d'après les préparations au

moyen de l'appareil de Edinger et terminés pour les détails à l'aide du microscope à

grand champ de vision de Xachet (Déjerine).

Nouv. Iconographie DE la SALPÊfRIÈRE. T. XIII. PI. I (A, B, C)

ANÉVRYSME DE L'ARTÈRE VERTEBRALE GAUCHE

( ? Ludnurc et C. VOll A1011allO'll'.)

1\1[lSSOn & ci", I : .htl.'ur

EXPLICATION DE LA PLANCHE Il

Coupe C.

NI', noyau du toit atrophié à gauche.

Nglb, nucleus globosus (noyau sphérique).

IICv, hémisphère du cervelet.

Emb, embolus (bouchon).

Ndt, noyau dentelé.

Stras, stries acoustiques.

Fcv, faisceaux cérébello-vestibulaires (Tho

mas).

'Fuel, tubercule acoustique latéral.

Floc, llocculus.

cR, corps restiforme.

NIX, noyau du nerf glosso-pharyngien.

l'ds, racine descendante de la Ve paire.

Namb, noyau ambigu.

io, couche interolivaire (diminuée à gau-

che).

Pli, pyramide (aplalie à gauche).

Oia, olive inférieure gauche atrophiée.

SgR, substance gélatineuse de Rolando.

SR, formation réticulée.

Vdsg, racine descendante de la V paire

gauche déformée.

Nacu, noyau ventral de l'acoustique.

Pcm, pédoncule cérébelleux moyen.

Coupe D.

l'cs, pédoncule cérébelleux supérieur.

Pcsd, pédoncule cérébelleux supérieur

gauche atrophié ou dégénéré.

GYII, genou du facial.

NB, noyau de Bechterew.

ND, noyau de Deiters.

;V/f, noyau de la Vile paire.

VIII, racine de la VIlle paire.

I Illg, racine de la VIlle paire à gauche

. déformée.

Vds, racine descendante de la V° paire.

l'em, pédoncule cérébelleux moyen.

Ctrap, corps trapézoide.

NVI, noyau du nerf moteur oculaire ex-

terne.

Fli), faisceau longitudinal postérieur.

Pyg, pyramide gauche déformée.

Ntrap, noyau du corps trapézoide.

Os, olive supérieure.

Nacv, noyau ventral de l'acoustique.

VII, racine descendante du facial.

VI, racines du nerf abducens.

NOUV. Iconographie DE la SALPl : INIENE. T. XIII. PI. II (D, E)

D

E

ANÉVRYSME DE L'ARTÈRE VERTEBRALE GAUCHE

(CP. Ladame et C. von .llounlu;cc.)

Masson & Ci,, E.loeurs

EXPLICATION DE LA PLANCHE III

Coupe E.

Pcs, pédoncule cérébelleux supérieur.

Pcsd, pédoncule cérébelleux supérieur dé-

généré.

Subs. ferr., substance ferrugineuse (locus

coeruleus).

fMtY, fibres de la Ve paire de Meynert.

NmV, noyau moteur de la V paire.

NsV, noyau sensitif du trijumeau.

/mV, fibres motrices sectionnées du triju-

meau.

V,s, racine sensitive de la Ve paire.

Os, olive supérieure.

l'on, pédoncule cérébelleux moyen.

Ctrap, corps trapézoïde.

NPt, noyaux du pont.

Flp, faisceau longitudinal postérieur.

Rm, ruban de Reil médian très diminué à

gauche.

Py, pyramide.

SR, formation réticulée.

VII, branche radiculaire descendante du

facial.

Ni·t, noyau réticulé de la calotte.

Coupe F.

Rm, ruban de Reil médian, diminué il

gauche.

SR, formation réticulée aplatie et atrophiée

en partie à gauche.

Flp, faisceau longitudinal postérieur.

Cal, calotte ou tegmentum.

Pcs, pédoncule cérébelleux supérieur.

Lc, locus coeruleus.

RI, ruban de Reil médian.

Pt, protubérance (pont de Varole).

fPcmcal, fibres du pédoncule cérébelleux

moyen se rendant dans la calotte de

droite à gauche (celles qui viennent de

l'hémisphère gauche du cervelet sont

'presque entièrement disparues).

NPt, noyaux du pont.

Py, pyramide.

Nouv. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTKIÈHh.

T. XIII. 1'l. III (F, G)

ANÉVRYSME DE L'ARTÈRE VERTEBRALE GAUCHE

(2'. Ladamc et C. von Afolla ! i,m'.)

Mdsson & CI,, 1 ? 11tI : ur<;

ANÉVRYSME DE L'ARTÈRE VERTÉBRALE GAUCHE 9

On remarque d'abord que les noyaux des h ! /JJO,91osses, à gauche comme à

droite, sout très bien conservés et que leurs cellules sont normales. Le noyau

dorsal gauche du pneumogastrique est de même absolument normal. Par contre

on trouve dans son noyau dorsal droit, ainsi que dans le noyau terminal de

KoelliJ.'e ! ' (dans la substance grise centrale) quelques cellules pigmentées et

d'autres dégénérées d'une antre manière.

Les noyaux ambigus n'offrent'pas de modifications apparentes. On constate

des fibres à myéline normales dans les faisceaux radiculaires des 9° et 10e pai-

res qui sont un peu comprimés et disloqués.

Le noyau du glosso-pharyngien (c'est-à-dire la partie proximale du noyau

dorsal du vague) est normal des deux côtés.

Le faisceau solitaire présente les mêmes dimensions à droite et à gauche.

Il ne renferme pas un moins grand nombre de fibres et on ne remarque rien

d'anormal dans sa constitution, ni dans ses fibres arciformes, ni dans la subs-

tance gélatineuse qui l'accompagne.

Il existe de l'asymétrie dans les racines descendantes du trijumeau : celle de

gauche est aplatie ; son diamètre est d'un tiers plus mince que celle de droite,

de même la substance gélatineuse de Rolando à gauche est plus pauvre en

fibres et amincie.

Les noyaux du facial et du narmoteur oculaire externe sont absolument nor-

maux des deux côtés. On trouve dans les racines de la sixième paire, un peu

atrophiée à gaucho, des fibres à myéline normales (PI. II, D).

Le tubercule acoustique est aplati à gauche, "déformé, déplacé et atteint d'une

atrophie considérable par compression. Il en est de même du noyau ventral de

l'acoustique qui est repoussé tout à fait en avant. Les racines de la huitième

paire it gauche sont dissociées, mais elles ont conservé pour la plus grande

partie leur gaine de myéline. Le nombre des fibres est réduit.

En les comparant avec celles de droite on ne peut méconnaître qu'elles pré-

sentent un certain degré d'atrophie. La racine vestibulaire est déformée, sans s

atrophie notable (PI. II, C).

Les noyaux médians de Burdach de même que les noyaux de Goll sont t

égaux de chaque côté (PI. 1, A). On rencontre çà et là, à côté d'éléments abso-

lument normaux, des cellules dégénérées ou pigmentées, dispersées dans le

tissu des noyaux.

A gauche la partie externe du noyau de Burdach ou noyau de lllonalrom

(Thomas) est fortement atrophiée, tandis qu'à droite le noyau correspondant est

parfaitement normal. Le cordon cunéiforme de Burdach est aussi plus petit à

gauche droite (PI. I, A).

Dans les coupes supérieures, du côté cérébral, on constate une dégénéres-

cence considérable des cellules nerveuses et leur disparition en masse, dans la

région où se continue le noyau de Monakow, ainsi que dans le noyau du corps

restiforme (c'est-;i-dire dans les groupes cellulaires qui sont situés à la partie

médiane du corps restiforme) (Voir PI. I, B).

Cette région de substance grise que Gudden et Mingazzini ont appelée le

noyau dorsal du corps restiforme (segment interne du pédoncule cérébelleux

10 P. LADAME ET C. MONAKOW

inférieur de Meynert, Hinterstrangende [fin des cordons postérieurs] de Wer-

nicke) est si complètement atrophiée à gauche qu'on zip aperçoit que quelques

rares cellules nerveuses normales; la plupart des cellules sont réduites il l'état

de granulations anguleuses, quelques-unes sont dégénérées ou pigmentées, à

tel point que le caractère réticulé de ce noyau ne se reconnaît plus que diffici-

lement. On peut poursuivre cette dégénérescence dans toutes les coupes du

côté cérébral jusqu'à la terminaison de ce noyau, dans la région où le noyau

de Deiters commence ai apparaître. La partie médiane du noyau du corps res-

tiforme dont nous parlons est relativement bien conservée. On y rencontre sa

et là des cellules complètement normales; c'est la partie dorso-latérale de ce

noyau qui est- surtout dégénérée. La région correspondante du noyau dorsal

du corps restiforme droit est tout à fait normale (PI. I, B).

Les fibres arciformes du ruban de Reil ne présentent pas de différences sen-

sibles entre les deux côtés. Le nombre de celles qui vont de gauche à droite

paraît toutefois un peu plus petit que celui des fibres à marche inverse. En

tout cas on peut affirmer qu'il y a une réduction de ces fibres des deux côtés.

La couche interolivaire est plus mince à gauche.

Le ruban de Reil gauche est d'un tiers plus petit que le droit et ses fibres

sont plus minces. L'amincissement siège dans la partie latérale du ruban mé-

dian de la calotte. Cette différence entre les deux côtés peut être constatée dans

les coupes de toute la série, jusque dans la région supérieure du pont de Ya-

role, à la hauteur de l'entrecroisement des pédoncules cérébelleux supérieurs.

Et même dans le voisinage du centre médian de Luys et dans la couche optique

les fascicules du ruban de Reil sont encore moins nombreux à gauche qu'à

droite. C'est dans la région antérieure de la protubérance que la compression

du ruban de Reil a été la plus intense (PI. ! Il, F).

Les corps 1'esti(orllles présentent des particularités singulières. Nous avons

déjà eu l'occasion de parler de l'atrophie indirecte de celui de droite. Celui de

gauche est atrophié directement par la compression de l'iinévrysme surtout

dans sa partie caudale (PI. I, B). Sa région ventrale est seule conservée, mais

elle est déformée. La plus grande partie du corps restiforme gauche a subi une

dégénération secondaire par suite de la nécrose étendue de l'hémisphère gauche

du cervelet. Son diamètre entier ne comporte guère que le tiers à peine d'un

corps restiforme normal, et celui de droite n'en a que la moitié. Il faut remar-

quer en outre que les fibres du corps restiforme gauche sont extrêmement

minces, en partie privées de myéline et onduleuses, tandis que celles du corps

restiforme droit sont d'un calibre assez normal.

En résumé, tandis qu'à gauche le corps restiforme est réduit presque exclu-

sivement au contingent des fibres venant de l'olive droite intacte (la plus

grande partie des fibres du faisceau cérébelleux direct étant détruites de ce

côté) on trouve inversement qu'à droite le corps restiforme est presque uni-

quement composé de fibres qui proviennent du faisceau cérébelleux direct de

droite, et de celles qui le réunissent au noyau du cordon latéral, tandis que le

contingent des fibres olivaires a disparu à la suite de l'atrophie de l'olive infé-

rieure gauche.

ANÉVRYSME DE L'ARTÈRE VERTÉBRALE GAUCAE 11

Conformément à la dégénérescence considérable du corps restiforme gauche,

dont la partie médiane ou ventrale est' le mieux conservée, comme nous

venons de le dire, on constate que la portion dorsale du noyau du cordon laté-

ral gauche est remarquablement dégénérée, mais seulement partiellement. Il

en est de même du faisceau cérébelleux direct gauche qui est presque entière-

ment détruit. Le faisceau de (jokers est plus petit qu'à droite et en partie atro-

phié par la compression de l'anévrysme.

Le noyau du cordon latéral gauche n'atteint guère que la moitié de celui du

côté droit. On y trouve de nombreuses cellules dégénérées. Le noyau ventral

n'a pu être examiné.

Remarquons enfin que tous les faisceaux qui enveloppent latéralement l'olive

gauche ont subi une diminution considérable du nombre de leurs fibres et

sont dégénérés. C'est le cas en particulier pour le faisceau central de la calotte

de Bechterew qui prend naissance dans cette région, pour les fibres circum-oli-

1'aires et pour les fibres arciformes externes qui sont très amincies par la com-

pression.

La formation réticulée du bulbe présente aussi des phénomènes de compres-

sion. Elle est sensiblement plus étroite à gauche qu'à droite.

Le segment interne du corps restiforme présente uue atrophie très nette à

droite de ses cellules ganglionnaires. Le noyau de Deite/'s est sensiblement moins

développé à gauche qu'à droite, tandis qu'on ne remarque aucune différence

appréciable entre les noyaux de Bechterew (noyaux vestibulaires) à droite et à

gauche. Les stries acoustiques paraissent mieux développées à gauche qu'à droite

dans les coupes supérieures du bulbe (PI. II, D).

Protubérance. - La partie inférieure de la région du pont de Varole à gau-

che près de la ligne médiane est le point le plus comprimé par l'anévrysme.

On voit dans cet endroit une véritable rigole profonde, ce qui fait comprendre

pourquoi les nerfs bulbaires et le facial, qui sont placés latéralement, n'étaient

pas comprimés à leur sortie du tronc cérébral (PI. 111).

La substance grise du pont est très comprimée et atrophiée à gauche (PI. III).

Ses cellules ont disparu en grand nombre, surtout dans les parties dorsales.

Les faisceaux des fibres transversales au pédoncule cérébelleux moyen sont en

partie déplacés et déformés, en partie atrophiés par la compression.

Le corps trapézoïde et son noyau sont moins développés à droite qu'à gau-

che (PI. III, E). La formation réticulée est comprimée dans toute sa longueur

à droite, jusque dans la région de la calotte. On constate partout une diminu-

tion considérable de ses fibres. '

Les faisceaux des fibres transversales de la protubérance venant des pédon-

cules cérébelleux moyens et se rendant dans la calotte sont mieux développés

à à gauche qu'à droite. Les fibres transversales du pont sont du reste générale-

ment plus développées à gauche dans les parties antérieures (supérieures ou

proximales) de la protubérance, ce qui résulte du fait que les faisceaux des

pédoncules cérébelleux moyens se sont déjà largement entrecroisés. Le fais-

ceau de la calotte venant de la protubérance de droite à gauche existe seul

(PI. III, F).

12 p. LADAME ET C. MONAKOW

La racine cérébrale de la cinquième paire est plus mince à gauche qu'à droite,

du reste normale. Les noyaux des nerfs moteurs oculaires communs ainsi que

leurs filets radiculaires sont normaux des deux côtés. Il en est de môme de

ceux des nerfs pathétiques et de leurs racines (PI. II, D, et PI. III, E).

La partie latérale du faisceau longitudinal postérieur gauche est atrophiée

par l'effet direct de la compression.

Au sur et à mesure que l'on s'avance du côté du cerveau le ruban de Reil

devient plus mince ;i gauche par suite de la compression (voir les figures).

- Le noyau de la substance réticulée de la protubérance (nucleus reticularis pon-

tis) est normal de chaque côté. La substance réticulée dans l'étage de la calotte

présente uue'réductiou notable de ses fibres, dans ses parties latérales (PI. III,

E et F). La substance médullaire qui limite l'olive supérieure, y compris la par-

tie dorsale de cette substance, est aussi très appauvrie en libres nerveuses.

Cervelet. Les modifications les plus prononcées se remarquent dans

l'hémisphère gauche du cervelet et ses pédoncules.

La moitié dorsale ou médiane de l'hémisphère cérébelleux gauche est dans

un état de nécrose intense par compression. La région tout entière des vermis

supérieur et inférieur est presque complètement détruite à gauche depuis la

ligne médiane. Il n'en existe plus qu'un mince lacet de quelques millimètres de

substance grise composée de restes trophiques de l'écorce cérébelleuse. On y

rencontre du tissu sclérosé avec de nombreuses extravasations sanguines, en

partie organisées, et des restes de fibres nerveuses atrophiées et désagrégées.

Il n'y a pas trace de l'amygdale gauche (voir les figures).

Par contre, les parties latérale et ventrale de l'hémisphère -cérébelleux

gauche sont conservées morphologiquement ; on reconnaît les lobes quadrau-

gulaire et semi-luuaire. Leur substance médullaire cependant se trouve en

grande partie dans la région nécrosée. Il n'y a de vraiment conservé que la

moitié ventrale du pédoncule cérébelleux moyen, qui est en partie dégénéré, et

qui existe il côté de régions atrophiques du llocon et du lobe semi-lunaire su-

périeur. Le toit du lobe quadrangulaire est assez bien conservé.

Le corps dentelé gauche a disparu presque en entier ; de même le noyau du

toit à gauche (PI. 11, C). Le pédoncule cérébelleux supérieur est aussi détruit

dans la région du toit du quatrième ventricule et de l'aqueduc de Sylvius, de

telle sorte que ces cavités ne sont recouvertes que par le mince reste de l'é-

corce des lobes quadrannulaires.

Par suite de la destruction considérable de l'hémisphère cérébelleux gauche

comprimé, qui équivalait à la suppression presque totale de ses fonctions, nous

trouvons le pédoncule cérébelleux supérieur du même côté dans un état très

prononcé de dégénérescence. Il ne reste qu'une trace insignifiante de ce pédon-

cule à gauche ; ce reste est totalement dégénéré (PI. il, D, et PI. III, E). Ce

déficit peut être poursuivi jusque dans le côté opposé, de sorte que, dans la

région de la décussation, on ne voit s'entrecroiser que le pédoncule céré-

belleux supérieur de droite. Nous dirons bientôt les conséquences de cette

atrophie sur le noyau rouge.

ANÉVRYSME DE L'AHTÈRE VERTÉBRALE GAUCUE 13

Dans les coupes les plus occipitales du cervelet, on trouve à gauche un petit

reste des noyaux du toit qui est assez normal (PI. II, C).

En résumé, l'examen des coupes montre l'existence d'une nécrose presque

complète, limitée il la moitié gauche du cervelet, à l'exception des parties du

oernais supérieur et inférieur situées les plus en arrière, et qui atteignent la lar-

geur d'un centimètre depuis la ligne médiane. Le resle de l'hémisphère céré-

belleux gauche conservé (lobes quadrilatère et semi-lunaire inférieur), était

sans connexion directe avec les autres parties de cet hémisphère, et n'était

relié au pédoncule cérébelleux moyen que par une étroite languette de tissu

nerveux.

Pédoncule cérébral. Les modifications produites par la compression de

l'anévrysme à la hase du tronc cérébral sont de telle nature que les restes du

pédoncule cérébral, qui sont normalement conservés, paraissent former la

partie basale de la protubérance en avant (PI. Ut, F). Le pédoncule cérébral est

du reste absolument normal dans sa structure ; il est seulement refoulé et

déformé, surtout dans la région des voies pyramidales. Le pédoncule cérébral

gauche est heaucoup plus mince que le droit ; son volume n'atteint pas le tiers

de celui de droite. Mais la substance noire de Soemmering est égale des deux

côtés. On ne voit pas nettement de région nettement dégénérée dans le pied

du pédoncule cérébral gauche, mais on a l'impression cependant qu'il existe

quelques fascicules dégénérés dans sa partie interne.

Le ruban de Reil et la formation réticulée de la calotte du pédoncule céré-

bral droit sont plus pauvres en fibres nerveuses que les mêmes régions à ga'uche.

Les libres qui restent sont ondulées. Le bras du tubercule quadrijumeau anté-

rieur droit est normal, un peu moins développé cependant qu'il gauche.

Thalamus ET région sous-THALAMiQUE. Au milieu du noyau rouge et dans

les régions les plus postérieures du corps de Luys, le thalamus droit est en to-

talité un peu plus petit que le gauche et un peu aplati. Le noyau rouge est d'un

tiers plus petit à droite qu'à gauche. On y remarque des cellules ganglionnai-

res dégénérées. Dans l'hémisphère droit le noyau rouge n'est visible que sur

G2 coupes, tandis qu'a gauche il existe dans 72 coupes.

La substance médullaire dorsale du noyau rouge et surtout sa substance mé-

dullaire latérale, les radiations de la calotte, sont considérablement réduites il

droite et renferment environ un tiers de fibres de moins que celles de l'autre

côté. Dans le noyau ventral du thalamus à droite, les fascicules de fibres ont

passablement disparu ; d'où il résulte que la structure réticulée du noyau ven-

tral est devenue extrêmement indistincte.

Dans les coupes plus antérieures du côté frontal, au milieu du corps de Luys,

on constate des modifications tout à fait analogues dans les radiations de la ca-

lotte et dans les faisceaux de fibres du noyau ventral, de même que dans la

couche grillagée.

La différence entre les deux côtés n'est plus autant marquée dans les régions

antérieures du corps de Luys, surtout dans la substance médullaire frontale du

noyau rouge. Toutefois on trouve ici encore dans le noyau ventral droit du

14 P. LADAME t'1' C. nio·. ,ow `

thalamus une réduction très nette des fibres, localisée seulement dans ' par-

ties les plus ventrales.

Le pulvinar est un peu plus aplati à droite. Néanmoins on ne con oate pas

de modifications saillantes dans la structure de cette partie de la couche opti-

que.

L'anse lenticulaire est normale et égale des deux côtés. Il en est de même

du noyau latéral et du tubercule antérieur de la couche optique. *

Le corps genouillé externe il gauche est un peu comprimé, aplati et probable-

ment aussi un peu atrophié par la compression. Le corps genouillé interne gau-

che renferme un foyer de ramollissement dans sa parti' rCal , avec quelques

extravasations sanguines. Dans le voisinage se voient jres très dilatées

et remplies de sang. Les régions voisines dans le noyau ral du thalamus

font aussi partie de ce foyer de ramollissement.

Le noyau postérieur de la couche optique (v. Monakow) e généré de même

et atrophié par la compression à gauche.

Dans les coupes plus antérieures on constate aussi la (1è ? ération du champ

des fibres qui se trouvent entre le corps genouillé externe et le pédoncule cé-

rébral et qui fait suite au noyau postérieur du thalamus. Le foyer de ramollis-

sement s'étend comme un coin dans la couche ventrale du côté interne.

Dans les noyaux internes des couches optiques les artères sont dilatées et

les capillaires gorgés de sang. Il y a des extravasations sanguines et dans le

voisinage des vaisseaux les fibres nerveuses sont atrophiées; on y remarque des

lacunes, mais pas de foyers de ramollissement.

Un infarctus /<emon'/<6Me, foyer de ramollissement rouge tout à fait ré-

cent, datant de quelques jours avant la mort, se voit à la hauteur du milieu du

noyau rouge dans la partie lenticulo-optique de la capsule interne à droite. On

y remarque des fibres nerveuses brisées et dispersées, mais non dégénérées, ce

qui est la preuve que cet infarctus n'est pas la cause de la dégénérescence se-

condaire ancienne constatée dans le pied du pédoncule cérébral.

Les corps genouillés interne et externe à droite ne renferment pas de foyers

primaires et paraissent normaux.

Le faisceau Bath de Forel est diminué à droite.

Les artères des parties postérieures du thalamus sont dilatées et pleines de

sang. On constate à gauche une extravasation sanguine dans les parties avoi-

sinantes du troisième ventricule. La substance qui l'entoure est un peu sclé-

rosée ; les vaisseaux sanguins sont variqueux. Du même côté l'artère choroïde

est extrêmement dilatée, ses parois sont très épaisses, parfois aussi épaisses

que la lumière du vaisseau.

Hémisphères cérébraux. Dans le centre ovale et dans la substance médul-

laire des circonvolutions rolandiques et du globule paracentral on remarque de

nombreuses artérioles dilatées et des extravasations sanguines. Les capillaires

sont gonflés de sang. On constate une atrophie des faisceaux de fibres et des

lacunes dans la substance blanche au voisinage des vaisseaux, mais pas de lé-

sions en foyer. Ces lésions anatomiques sont tout à fait analogues à celles

que nous avons décrites dans les noyaux internes des couches optiques.

ANÉ'iRYSME DE ARTÈRE VERTÉBRALE GAUCHE 15

Ar'1

L'obd5vaion qui précède offre un très grand intérêt, non seulement au

point de vue clinique, mais aussi et surtout quant aux lésions anatomo-

pathologiques. Les cas bien observés d'anévrysmes de l'artère vertébrale

de grande dimension sont assez rares dans la littérature médicale, et la

symptomatologie de ces lésions est encore très peu connue, spécialement

pour les particularités qui se rapportent au diagnostic.

Si nous résumons d'abord l'observation que nous venons de décrire,

nous voyons que 'd'un homme de 68 ans, infecté de syphilis dans

sa trentième anné ! ".s jouissant d'une santé assez normale jusque deux

ans environ avant ort, L'affection morbide commença à se manifester

en 189 : 1 (le malal1 ,tit alors âgé de 66 ans) par de violents vertiges et des

attaques intenses, igine de poitrine. Deux ans après survient un accès de

verlige plus violen ? que les autres, véritable attaque apoplectil'orme sui-

vie d'un trouble de la marche qui devint nettement titubante (titubation

cérébelleuse). Le malade avait une démarche ébrieuse, sans présenter alors

une prédisposition à tomber d'un côté plutôt que de l'autre. Peu après on

observa chez lui un léger trouble de l'articulation des mots (dysarthrie 1'1'0-

tuhérantielle ? ), et un peu de dyspnée. La force musculaire était assez

bien conservée. L'ataxie cérébelleuse se constatait des deux côtés, mais elle

élait surtout prononcée dans la main droite, à tel point que le malade était

incapable d'écrire (ataxie des mouvements coordonnés pour l'écriture,

agraphie cérébelleuse). Il y avait parfois des douleurs dans le bras gauche.

Les battements du coeur étaient irréguliers, mais on n'entendait pas de

souffle dans la région précordiale. Le second bruit de l'aorte était ren-

foncé.

Cet état dura environ six mois, avec quelques fluctuations peu impor-

tanles.

Le 27 août 1895, après un repas copieux, le malade fut atteint d'une

attaque apoplectique qui débuta par un violent vertige et des vomissements,

sans perte de connaissance. Après celle attaque, il tombait toujours du côté

gauche, et il ne put plus marcher, ni rester assis dans son lit, ni se tenir de-

bout. A côté de cela tous les mouvements étaient possibles dans les extré-

mités, et accomplis avec une certaine force; toutefois ils étaient nette-

menl un peu plus faiblesà droite qu'à gauche. Peu après le malade présenta

du délire, mais il répondait toujours correctement aux questions qui lui

étaient posées.

Depuis le moment de cette attaque jusqu'au jour de la mort on constata

une analgésie avec perte de la sensibilité à la température, dans tout

le côté droit du corps, y compris le visage, tandis que la sensibilité au

16 P. LADAME ET C. MONAKOW

contact était partout conservée. Le nerf moteur oculaire externe était

atteint d'un certain degré de paralysie à gauche, et l'on remarquait un peu

deptosisde la paupière gauche. La pupille gauche était plus étroite que la

droite.

Vers la fin de sa vie le malade souffrit de troubles de la déglutition. Au

milieu de septembre il fit une chute de son lit qui aggrava considérable-

ment son étal. Le délire augmenta et la mort arriva le 6 octobre 1895,

dans la stupeur et le coma, après une aggravation sensible des troubles de

la déglutition et l'apparition du phénomène respiratoire de Cheyne-Stokes.

Le tableau,symptomatologique permit dès le moment de l'attaque de

reconnaître une lésion du cervelet ou de la calotte protubérantielle(ataxie

cérébelleuse, chute du corps à gauche, ataxie des mouvements et analgé-

sie il droite, troubles de la sensibilité il la température, troubles oculaires

à gauche). On pouvait supposer qu'il s'agissait d'un foyer de ramollisse-

ment produit par l'artério-sclérose dans le cervelet ou la région protubé-

rautielle, en raison de l'habitus général du malade et des attaques apo-

plectiformes, ainsi que de la marche irrégulière de l'affection.

On ne pensa pas à l'existence d'un anévrysme de l'artère vertébrale ; or,

à l'autopsie, on fit la découverte d'un anévrysme volumineux de cette ar-

tère. A la base du crâne, entre l'hémisphère gauche du cervelet et la ligne

médiane se trouvait l'anévrysme, gros comme un oeuf de pigeon, au som-

met de l'artère vertébrale, profondément encaissé dans le pont de Virole

et la partie supérieure du bulbe.

Le développement extrêmement lent de cet anévrysme, qui progressa

certainement pendant un grand nombre d'années avant d'atteindre son

maximum de grosseur, explique pourquoi il est resté latent si longtemps,

malgré la nécrose par compression de parties considérables de l'encé-

phale, de la moitié gauche presque totale du cervelet et des régions de la

protubérance et du pédoncule cérébelleux supérieur gauche, qui a été dé-

truit peu à peu presque complètement. Il est surprenant que la déforma-

tion considérable de la base du .cerveau à gauche, trouvée à l'autopsie,

n'ait pas provoqué de symptômes notables, tout au moins de troubles géné-

raux plus marqués, par suite de la compression de la moitié postérieure

du pont et du tubercule acoustique.

La pathogénie de la formation de ces anévrysmes de l'artère vertébrale

est loin d'être encore suffisamment éclaircie. Les lésions anatomiques se-

condaires qui sont la conséquence d'une tumeur anévrysmale croissant

lentement offrent à l'étude de notre cas un intérêt particulier, spécialement

quant aux modifications produites dans le bulbe, le cervelet, la protubérance

et la région sous-optique.

Lorsqu'il ne s'agit pas d'artério-sclérose généralisée, la symptomatologie

ANÉVRYSME DE L'ARTÈRE VERTÉBRALE GAUCHE 17

de l'anévrysme de l'artère vertébrale peut être absolument semblable à

celle d'une tumeur de la base, venant des méninges et croissant lentement

(Oppenheim), ce que l'un de nous (1) avait déjà fait remarquer depuis

longtemps. On observera donc les symptômes qui se voient d'habitude

dans les tumeurs du cervelet et de la protubérance, c'est-à-dire avant tout

l'ataxie cérébelleuse, les troubles des mouvements des yeux, ceux de la

sensibilité dans la région du trijumeau, au visage, etc. Dans notre cas ce

sont bien en effet, comme nous venons de le voir, les symptômes des

lésions cérébelleuses et protubérantielles qui ont été notés.

Il est surprenant de constater, en ce qui concerne la marche et le déve-

loppement de la maladie, à quel point sont restées latentes les graves lé-

sions, suites de la compression intense de régions cérébrales très impor-

tantes. Malgré les grosses lésions organiques de l'encéphale, dont nous

avons parlé, la santé du malade ne fut réellement troublée que peu de mois

avant sa mort. La maladie proprement dite commença seulement au

moment d'une première attaque apoplectiforme qui laissa à sa suite les

symptômes de déficit suivants :

Titubation cérébelleuse extrêmement prononcée, démarche ébrieuse ;

vertiges intenses; ataxie des mouvements dans la main droite, qui se ma-

nifestait surtout nettement dans l'écriture (agraphie cérébelleuse), enfin

dysphagie.

Cet état persista jusqu'au 27 août 1895, 40 jours avant la mort. A cette

époque une aggravation de tous les symptômes eut lieu à la suite d'une

nouvelle attaque apoplectique. On s'aperçut que le malade ne pouvait plus

se tenir debout et tombait toujours du côté gauche. C'est alors que l'on

constata aussi la présence de ce singulier trouble de la dissociation de la

sensibilité dans tout le côté droit, qui consiste, comme l'on sait, dans la

perte de la sensibilité à la douleur et à la température avec conservation

de la sensibilité au contact. t,

Ainsi l'affection; qui était restée latente pendant des années, ne se ma-

nifesta par des symptômes caractéristiques que peu de semaines avant le

décès.

La littérature médicale renferme, il est vrai, maints cas de déficits d'un

hémisphère du cervelet, à marche lente et tout à fait latente. Edinger (2)

vient d'en publier une observation très détaillée. Mais dans les cas de ce

(1) Ladamk, Symptomatologie und Diayzoslilc deI' Ili1'n[jesehwülste. Wûrzburg, t865,

p. 29.

(2) Tu. NEGBUIIGEII und EDINGER, Einseiliger fast lotaler lllangel des Cerebelluins.

Varix oblongata. Herztod durch flccessorizzsreizung. Berliner klinische Wochenschrift,

nOD 4 et 5 (24 janvier 1898), pp. 69 et 100.

xin 2

18 P. LADAME ET C. MONAKOW

genre la compression de la protubérance était beaucoup moins marquée

que dans notre cas, ou même faisait complètement défaut.

Chez notre malade les premiers symptômes d'un trouble encéphalique

ne se manifestèrent que trois mois avant la mort, probablement à une

époque où la circulation était fortement entravée dans tout le domaine de

l'artère vertébrale gauche. La lésion n'était toutefois pas assez grave pour

entraîner un trouble des fonctions des divers faisceaux nerveux touchés,

des voies pyramidales, par exemple. Peu de jours avant la mort, on a pu

constater encore qu'il n'existait aucune parésie appréciable des extrémités,

ni à droite, ni à gauche, et que la force musculaire y était relativement

assez bien conservée.

Dès la première attaque, les principaux symptômes, nous l'avons vu,

furent le vertige et l'ataxie cérébelleuse. Au début, celle-ci était égale-

ment prononcée des deux côtés du corps, et se manifestait par la démarche

ébrieuse du malade qui avait peine à maintenir son équilibre lorsqu'il

était assis ou debout. Ce trouble bilatéral indique probablement que la

circulation était aussi troublée dans la moitié droite du cervelet.

Peut-être le vertige cérébelleux n'apparut-il que lorsque la circulation

fut arrêtée dans la moitié droite du cervelet, car l'hémisphère cérébelleux

gauche était depuis longtemps tout à fait hors de service.

Les symptômes tardifs, ceux qui se manifestèrent après la seconde atta-

que du 25 août 1895, l'ataxie des mouvements à droite et l'hémianesthésie

dissociée du même côté, doivent être certainement mis en rapport avec les

lésions plus graves qui se produisirent à cette époque, la destruction com-

plète du pédoncule cérébelleux supérieur, la lésion du ruban de Reil, etc.

Quant aux troubles proprement bulbaires, ils n'apparaissent que tout à

fait à la fin, peu de temps avant la mort, lorsque le malade délirait ou était

déjà dans le sopor. C'est alors que se produisirent les troubles de la dé-

glutition et de la respiration ; puis des symptômes plus prononcés d'une

lésion grave du bulbe, les vomissements, l'anarthrie et les autres mani-

festations d'une paralysie bulbaire aiguë.

Un fait qui mérite d'être signalé, c'est la suspension des symptômes d'ir-

ritation du bulbe, spécialement celle des vomissements que l'on constatait

parfoispendant les attaques apoplectiformes.

De tous les nerfs crâniens l'abducens et le nerf moteur oculaire commun

en partie furent seuls troublés dans leurs fonctions, et cela très tardive-

ment (insuffisance du muscle droit externe gauche, ptosis, etc.). La para-

lysie associée du regard il gauche était certainement causée par la compres-

sion et non par une interruption des fibres radiculaires sortant des noyaux,

car ces fibres ont été trouvées absolument normales sur les coupes micros-

copiques.

ANÉVRYSME DE L'ARTÈRE VERTÉBRALE GAUCHE 19

Malgré une lésion accentuée du nerf acoustique gauche, l'ouïe n'était

pas sérieusement troublée ni adroite, ni à gauche, ce qui est bien compré-

hensible puisque l'acoustique est en connexion avec les deux hémisphè-

res cérébraux.

L'abolition de la sensibilité à la douleur dans toute la moitié droite du

corps, y compris la face, est assurément le symptôme d'une hémi-anesthé-

sie d'origine centrale. L'aplatissement du nerf trijumeau à gauche ne

provoqua aucun symptôme, parce que ce nerf put échapper aux consé-

quences de la compression lente, à laquelle il fut soumis, par suite de

l'accroissement graduel de l'anévrysme.

L'ataxie des mouvements combinée à l'hémianalgésie dissociée à droite

est plus difficile à expliquer. On a déjà observé sans doute à diverses re-

prises ce syndrome dans les lésions bulbaires, mais on n'en a pas trouvé

jusqu'ici une explication satisfaisante.

Reinhold (1) a publié un cas semblable, il y a quelques années. s'agis-

sait d'un ramollissement aigu de la moelle allongée par une thrombose

consécutive à l'obstruction de l'artère vertébrale. Cette dernière était di-

latée, fusiforme, sur une longueur d'environ cinq millimètres ; c'était

donc aussi une dilatation anévrysmale de l'artère vertébrale. Toute la moi-

tié inférieure droite du bulbe était détruite, à savoir surtout le corps res-

tiforme, l'olive, le ruban de Reil, la racine bulbaire du trijumeau et la

formation réticulée. Le foyer morbide avait épargné complètement la pro-

tubérance.

Dans le cas de Reinhold le syndrome ataxique était exactement le même

que dans notre observation.

Les voies conductrices qui étaient également lésées dans les deux cas.

celui de Reinhold et le nôtre sont : le corps restiforme, le ruban de Reil

et la formation réticulée.

En tenant compte d'autres observations publiées, dans lesquelles le ruban

de Reil était aussi gravement lésé, nous pouvons rattacher avec une grande

probabilité l'ataxie des mouvements il la lésion de ce ruban, ainsi qu'à celle

de la formation réticulée à gauche, tandis que l'acte cérébelleuse serait

plutôt la conséquence de la lésion du corps restiforme.

La tumeur anévrysmale avait provoqué une atrophie par compression

de l'hémisphère gauche du cervelet presque en entier, de sorte qu'il n'en

restait que les parties latérales et le lobe quadrangulaire.

Tous les pédoncules cérébelleux, ainsi que le corps dentelé, avaient

presque' entièrement disparu à gauche par suite de la compression. La

(1) D. H. Reinhold (méd. assistant de la clinique médicale de Fribourg-en-Brisgau),

Beilraege Hur Pathologie der aculen Erweichungen der Pons und der OGLongala,Dcuts-

che Zeitschrift sur Nervenheilkunde, Vol. V, 1894, p. 351.

20 P. MADAME ET C. MONAKOW

dilatation anévrysmale de l'artère vertébrale s'étendait aussi en partie à

la basilaire, à la communicante gauche, à la carotide et à l'artère de la

fosse de Sylvius du même côté.

Ce qu'il y a de particulièrement intéressant dans notre cas, ce sont les

conséquences secondaires dues à la compression des organes de la fosse

crânienne postérieure.

Il ne s'agissait pas seulement ici d'une interruption dans la continuité

des faisceaux, mais encore des effets de la compression sur la circulation

générale du cervelet et de ses annexes (par exemple l'arrêt de la circula-

tion et les "effets de la pression sur les parties du cerveau postérieur op-

posées à l'anévrysme).

C'est seulement en tenant compte de ces faits que l'on peut compren-

dre la distribution des fines lésions anatomiques de la protubérance et du

bulbe.

La déformation particulière de la moitié gauche de la moelle allongée

nous explique déjà la nature de. la compression de cet organe et son

étendue. La pyramide gauche était aplatie et repoussée du côté dorsal. La

saillie de l'olive gauche, comprimée contre la base du crâne, avait com-

plètement disparu. Cette olive était dans un état général d'atrophie dans

toute son étendue (diminution sensible de son volume, amincissement et

resserrement des volutes, dégénération partielle des cellules). La compres-

sion du corps restiforme à gauche n'était que partielle, et les libres arci-

formes internes de cette région étaient bien conservées dans leur majeure

partie.

Une conséquence importante de l'atrophie par compression de l'olive

gauche' été l'atrophie secondaire des fihresarciformes internes ventrales

et du corps restiforme adroite, ce qui eut pour effet de donner à la coupe

du bulbe une apparence tout à fait paradoxale. En effet, au lieu d'une

atrophie secondaire de l'olive droite qu'on devait s'attendre à rencontrer

comme conséquence de la destruction partielle du corps restiforme gau-

che, nous trouvons une atrophie primaire par compression directe de l'o-

live gauche ayant entraîné à sa suite des modifications secondaires dans

les fibres arciformes correspondantes de droite et dans le corps restiforme

droit. L'atrophie secondaire ne se produisit pas parce que, comme on le

sait, l'atrophie croisée de l'olive n'a lieu que si sa connexion avec le corps

restiforme du côté opposé est totalement interrompue.

L'atrophie des fibres arciformes et du corps restiforme à droite avait

tous les caractères d'une simple diminution de volume des libres nerveu-

ses. C'est ainsi que les deux corps restiformes étaient atteints simultané-

ment d'atrophie, celui de gauche d'une manière primaire par la compres-

sion directe de l'anévrysme, et le droit indirectement et secondairement

ANÉVRYSME DE L'ARTÈRE VERTÉBRALE GAUCHE 21

à la suite des lésions que la même compression exerçait sur l'olive gauche

inférieure.

Il n'est pas possible de dire quel rôle ont pu jouer dans la symptoma-

tologie de notre cas la destruction du pédoncule cérébelleux supérieur et

l'atrophie par compression,du pédoncule cérébelleux moyen.

Nous avons constaté chez notre malade un trouble tout à fait particu-

lier de la sensibilité, la dissociation des diverses sensibilités, telle qu'on

l'observe le plus souvent dans la syringomyélie parmi les lésions orga-

niques. Tandis que la sensibilité au contact était parfaitement conser-

vée, la sensibilité à la douleur et à la température étaient complètement

abolies. Comme le ruban de Reil n'était pas totalement interrompu à gau-

che, on doit rattacher cette dissociation de la sensibilité (qui dura sans

interruption depuis la seconde attaque jusqu'à la mort), aux modifications

que la compression avait fait subir à la formation réticulée, et aux inter-

ruptions des fibres qui s'y trouvaient.

Il est en tout cas fort difficile de donner une explication anatomique

satisfaisante de ce syndrome, et de le rattacher à une des lésions recon-

nues. '

Ainsi que nous l'avons déjà relevé, il n'existait aucun trouble hémiplé-

gique, ni à droite ni à gauche. Ceci est d'autant plus remarquable que la

pyramide gauche était fortement comprimée pendant la vie. Il en résulta

que l'ataxie cérébelleuse ne fut pas compliquée de troubles de la motilité

proprement dits. Le malade, incapable de s'asseoir ou de se tenir debout,

pouvait cependant exécuter sûrement et avec force tous les mouvements

de ses extrémités. 1

Conformément à l'intégrité relative des nerfs du bulbe et de leurs

noyaux, on n'observa pas des symptômes d'une lésion proprement bulbaire,

ou du moins on ne put constater que de légers troubles qui pouvaient

se rapporter à une semblable lésion. L'articulation de la parole n'avait pas

les caractères de la dysarthrie. Ce fut à la fin de la vie seulement qu'appa-

rurent des troubles sérieux de la respiration et de la déglutition.

Les lésions anatomiques offrent un intérêt aussi grand que les symptô-

mes cliniques. Plusieurs auteurs ont étudié récemment les conséquences

anatomiques de l'absence d'un des hémisphères cérébelleux. Des recher-

ches expérimentales ont été faites dans ce but par Luciani (1), Marchi (2),

(1) Luciani Lucr, Dus Kleinhim, traduction allemande par M. 0. Frünkel. Leipzig,

1893.

(2) VITTOIIIO Marchi, Suite origine e dec01';o del peau11culi cerebellari e sui lolo

rapporli cogli allri centri nervosi, Firenze, 1891. Archives italiennes de biologie, 1892.

22 P. LADAME ET C. MONAKOW

Thomas (1), Edinger (2) et Klimow (3). Ces auteurs ont aussi recherché

avec soin les modifications anatomiques consécutives aux destructions du

cervelet observées cliniquement. D'autres cas de lésions d'un hémisphère

du cervelet furent publiés récemment par IIitzig (4), Cramer (5), v.

Monakow (6), Henschen (7), Menzel (8), Lannois et Paviot (9).

Menzel a noté dans son cas que le corps restiforme avait diminué d'en-

viron un quart de son volume du côté de la principale lésion cérébelleuse.

Quant au noyau du corps restiforme, il se borne à dire qu'il est mieux con-

servé que la périphérie du C R. Il ajoute que la voie centrale de la ca-

lotte est nettement développée, tandis que le champ des fibres situé en

arrière de cette voie présente un certain degré d'atrophie. Il s'agissait dans

le cas de Menzel d'une diminution considérable du cervelet tout entier,

mais l'atrophie dégénérative était surtout prononcée dans l'hémisphère

droit.

Edinger, que nous avons déjà cité, ne fait pas mention du noyau dorsal

du corps restiforme. Il est possible toutefois qu'il le désigne sous le nom de

noyau descendant de l'acoustique, ou peut-être comme noyau terminal du

nerf vague ( ? ) ce qui serait une erreur (10). En tout cas il se borne à in-

diquer qu'il existe dans les environs de ce noyau des dégénérations qui sont

marquées (sur la figure 3 a p. 71) par trois flèches. On voit nettement à

la place de la flèche moyenne qu'il y a une lacune dans la région indiquée.

On sait que Edinger désigne sous le nom de « voie centrale sensorielle du

(1) ANDRé (Thomas, Le cervelet (étude anatomique, clinique et pathologique). Paris,

1897.

(2) L. EDINGER et NEUBURGER, loc. cil.

(3) KLI10w, Les voies conductrices dans le cervelet (en russe). Kasan, 1891.

(4) BITZIG, Wanderversaznmluny den Sudwesldeutschen Neurologen und Irrenxrzle

in Baden. Séance du 16 juin '1883. Ueber einen Fall von halbseitigern Defect des

TCleinhirxzs. Archiv. sur Psychiatrie, vol. XV, 1884, p. 266.

(5) A. Cramer, Eizzseitige MetM ? 7'Ma<)'op/t ! B mil leichter Atrophie der gehreuzlen

Grosshiirn-Henzisplzdre Iait einem Beilnag zur Anatomie der .K7etn/ttts ? e/e. Beilrilge

zur patlielogischeit Anatomie und zur allgemeinen Pathologie von Dr E. Ziegler,

vol. XI. p. 39, lena, 1892.

(6) VoN Monakow, Experimenlelle und pathologisch - anatomische Untersuchungen

über die Haubenregion, den Selzhit7el uzzd die regio subthalamica. Berlin, 189,ï, p. 120.

(Sonder-Abdruck aus dem. Archiv. f. Psychiatrie, vol. XXVII, fasc. 1 et 2).

Voir aussi Himpathologie, 1891, p. 732.

(7) HENSCHEN, Klin. u. anal. Reilrage zor Pathologie des Gehi1'1 ! s.Upsala, 1890. Bd. I.

(8) P. 111eNZEt.. Beilrag zur liennlniss der heredilaren Ataxie und Ifleinlzirzzatroplzie.

Archiv. sur Psychiatrie, vol. XXII, 1891, p. 160.

(9) M. Lannois et J. PIYIOT, Sur un cas d'atrophie unilatérale du cervelet. Revue

neurologique, t. VI, 15 octobre 1898, no 19, p. Fi2.

(10) Edinger confond évidemment le noyau dorsal du vague et le groupe cellulaire

assez développé qui forme un réseau à la partie médiane du corps restiforme (dans le

ANÉVRYSME DE L'ARTÈRE VERTÉBRALE GAUCHE 23 3

cervelet » la région où se trouve le noyau dorsal du corps restiforme de

Gudden. La dégénération marquée par la flèche moyenne serait ainsi pla-

cée dans les cellules de la portion latérale de sa voie sensorielle du cer-

velet. Il modifie du reste dans ce nouveau travail sa première description

du faisceau sensoriel cérébelleux, en disant que ses connexions avec le

cervelet sont indirectes. Dans un travail tout récent, Edinger (1) reprend

l'étude de son faisceau sensoriel et conclut qu'il existe deux voies senso-

rielles qui relient le cervelet aux nerfs crâniens sensibles, une voie directe

dont l'existence n'est prouvée chez les mammifères que pour l'acoustique,

et une voie indirecte, démontrée par les dégénérescences secondaires. Cette

opinion demande toutefois à être confirmée par de nouvelles observations.

La première flèche indique la région du soi-disant noyau terminal du

pneumogastrique, sans qu'on puisse savoir de quelle partie de ce noyau

il s'agit (noyau dorsal, substance gélatineuse ou noyau terminal deIilli-

ker). On constate assurément qu'il existe dans cette région une diminu-

tion sensible des fibres nerveuses.

Nous avons constaté dans notre cas un amincissement général du pont

et du pédoncule cérébral à gauche surtout dans la partie médiane; cette

atrophie correspondait à la dégénérescence des cellules ganglionnaires de

la substance grise du pont à droite. Edinger a constaté aussi cette atrophie

croisée dans son cas. Mais il y a toutefois une différence à signaler entre

son observation et la nôtre. Dans notre cas la substance grise était par-

tiellement atrophiée et dégénérée des deux côtés : à gauche par suite de la

compression directe de l'anévrysme, surtout dans les parties basales etpos-

térieures ; à droite l'atrophie était secondaire, en conséquence de Tinter-,

ruption de la connexion avec le pédoncule cérébelleux moyen. Tandis que

dans le cas d'Edinger le pédoncule cérébelleux moyen droit était dégénéré,

alors que l'on trouvait une dégénération de la substance grise du côté

opposé, à gauche. Dans les deux cas le pédoncule cérébral était atrophié

segment interne du pédoncule cérébelleux inférieur de Meynert), et dans lequel se

trouvent quelques faisceaux de la racine descendante de la VI lie paire (racine labyrin-

thique). C'est ce groupe que Gudden et Mingazzini ont appelé le noyau dorsal du corps

restiforme. Mais le noyau dorsal du nerf vague n'a rien à faire avec la substance

grise qui limite en dedans le corps restiforme. Du moins Forel et llayser en extirpant

totalement d'un côté le nerf vague chez des lapins nouveau-nés, n'ont jamais pu trouver

la moindre trace d'une modification secondaire quelconque dans cette région. Il serait

bien à désirer qu'Mdinger donnât des renseignements plus circonstanciés sur le groupe

des cellules de cette région interne du corps restiforme qui ont disparu, dans le cas

qu'il a publié avec Neuburger.

(1) L. Edinger, Anatomische und vergleichend-anatomische Untersuchungen liber

die Verbindung der sensorischen Ilirnnerven mit dem Kleinhirn. Directe sensorische

Kleinhirnbahn, etc. Neuroloyisclees Centl'Ctlblatl, 15 octobre 1899, p. 914.

24 P. LADAME ETC. MONAKOW

(atrophie de second ordre). On ne s'explique pas toutefois pourquoi l'a-

trophie n'était pas du même côté dans les deux observations. Peut-être

est-ce le fait de la compression directe dans notre cas ?

Nous n'avons.pas constaté sur nos coupes d'atrophie du réseau fibril-

laire des noyaux sensibles du bulbe et de la protubérance. La substance

gélatineuse du faisceau solitaire et celle de la racine descendante du tri-

jumeau étaient spécialement tout à l'ait normales.

..Quant aux faisceaux vestibulaires descendants ilsétaienl.peut-êtrecom-

primés directement, mais on n'y voyait pas de dégénéra lion, tout au plus

un léger degré-d'atrophie.

. La substance grise des noyaux de la couche optique à droite, dans notre

cas, n'offrait pas de modifications appréciables, mais on y constatait une

diminution certaine des fibres nerveuses. Il en était de même dans la ré-

gion sous-thalamique et dans les radiations de la calotte qui se rendent au

noyau ventral (faisceaux médullaires frontal et latéral du noyau rouge,

etc.). Par contre Edinger affirme que dans son cas il n'y avait pas de dif-

férence appréciable entre les noyaux du thalamus à gauche et à droite. Il

ajoute cependant que la voie centrale de la calotte de Bechterew était

atrophiée du côté croisé. On pouvait suivre celte atrophie jusqu'à la ré-

gion du tubercule quadrijumeau antérieur, mais elle disparaissait à la

hauteur de la commissure cérébrale postérieure.

Dans la figure 9 du mémoire de Edinger on constate une différence dans

la largeur des faisceaux des radiations de la calotte; celui de gauche est

nettement plus aminci que celui de droite. Mais Edinger attribue ce fait à

une déformation provenant de l'atrophie du noyau rouge, et non pas à

une atrophie des fibres nerveuses elles-mêmes. Le noyau rouge était tout

à fait atrophié, bien que le pédoncule cérébelleux supérieur ne fût pas

aussi compromis que dans notre cas. Cette atrophie complète du noyau

rouge croisé dans le cas de Edinger est bien remarquable, et ne correspond

absolument pas à ce que nous avons constaté dans nos préparations. En

effet, dans notre observation le pédoncule cérébelleux supérieur gauche

était réduit à un reste de substance extrêmement minime,et tout à fait dégé-

nérée, tandis que le noyau rouge du côté opposé, bien que plus petit que

le gauche et en partie dégénéré, n'était cependant pas atrophié en propor-

tion de l'anéantissement presque complet du pédoncule cérébelleux supé-

rieur correspondant. Ceci prouve que, chez l'homme tout au moins, le

noyau rouge a certainement d'autres connexions importantes, spécialement

avec les hémisphères cérébraux CI)..

(1) Voir M. et Mme Déjerine sur les connexions du noyau rouge avec la corticalilé

cérébrale. Comptes-rendus de la Soc. de Biologie, 30 mars 189 : i.

/

ANÉVRYSME DE L'ARTÈRE VERTÉBRALE GAUCHE 25

Dans diverses publications (1) Mingazzini a édifié une théorie particu-

lière des connexions croisées cérébro-cérébelleuses. Pour Mingazzini l'a-

trophie contra-latérale du cervelet après une lésion de l'hémisphère céré-

bral du côté opposé s'accompagne toujours d'une lésion du thalamus et du

noyau rouge siégeant du même côté que la lésion cérébrale et consécutive

à cette dernière. Or, cette thèse de Mingazzini ne parait pas confirmée par r

notre observation, dans laquelle nous n'avons pas constaté de dégénération

notable du thalamus. Le cas de Edinger, plus encore peut-être que le

nôtre, est contraire à la théorie de Mingazzini, car Edinger n'a constaté

aucune différence appréciable entre les noyaux des couches optiques à

droite et à gauche. Il ne paraît donc pas qu'une lésion homolatérale du

thalamus soit la condition nécessaire de l'atrophie croisée du cervelet quand

l'hémisphère cérébral du côté opposé a été lésé primitivement.

(1) G. Mingazzini, Sulle degeneraliozzi consécutive aile estilpationi emicerebellari

(Ricerclze del labor. di anal. normale di Roma). Vol. IV. f. 1, 1894 ; Ueber die ges-

kreukte cerebro-cerebellare Bahn, Neurologischee Centralblatt de mendie), t. XIV, ne la,

48T août 1895, p. 658 ; Pathologische-analomische Unlersuchungen uber den Verlauf

einigel' Neruezzbczlzzzen des Ceczlralner'eczsystems des Menschen. Beitrüge zur palholo-

gischen Anatomie und : un allqe ? neinen Pathologie v. Ziegler, t. XX, p. 413-1896.

HOSPICE DE DICl £ TRE

NEUROFIBROMATOSE GÉNÉRALISÉE.

AUTOPSIE

PAR

PIERRE MARIE et A. COUVELAIRE

Médecin de l'Hospice de Dic6tre Interne des hôpitaux.

Nous apportons un nouveau document il l'histoire de l'affection géné-

ralement désignée sous le nom de neuro-fibromatose génémlisée. Notre but

est de présenter l'observation complète du malade que nous avons pu

suivre de 1895 à 1899 à l'Hôtel-Dieu et à Bicètre, et dont nous avons eu

la bonne fortune de pouvoir faire l'autopsie intégrale. Nous essaierons

ensuite de mettre en lumière les faits mal connus ou nouveaux qu'il nous

a été donné d'étudier chez ce malade.

Observation clinique.

Antécédents héréditaires. - Père mort de fièvre typhoïde, mère morte

aveugle.

Antécédents personnels. A t'age de 17 ans, panaris de l'index droit.

A 32 ans, fièvre typhoïde grave avec une convalescence longue; il ne quitte

définitivement l'hôpital que sept mois après le début de la dothiénentérie.

A 52 ans, en 1893, il a eu les pieds et les jambes gelés et c'est cette gelure

qu'il attribue tous ses maux. On le transporta à l'Hôtel-Dieu dans le service de

M. Proust.ll était dans l'impossibilité absolue de marcher et garda complètement

le lit pendant mois. Après quoi il recommença à marcher, mais péniblement,

avec l'aide d'une canne. Cet état persista six mois environ, au bout desquels

les difficultés de la marche s'accentuèrent. Il dut se remettre au lit (tin 1894)

pour ne plus jamais le quitter. Les difficultés de la marche étaient en rapport

non seulement avec une réelle faiblesse musculaire prédominant sur le membre

inférieur gauche, mais surtout avec des phénomènes douloureux : douleurs

lombo-sacrées que le malade localise à la région comprise entre la 5° vertèbre

dorsale et le coccyx ; douleurs dans les régions lombo-costales, sur les parties

latérales de base du thorax; crampes dans les membres inférieurs, douleurs

dans les masses musculaires, douleurs arthralgiclues. '

NEUROFIBROMATOSE GÉNÉRALISÉE 27

En dehors de ces douleurs, FI... ne se plaignait d'aucun trouble viscéral. La

miction et la défécation étaient normales. Le coeur, les poumons, l'estomac,

l'intestin avaient leur fonctionnement normal.

Quelques jours seulement avant son entrée dans le service de M. Proust,

son coiffeur lui fit remarquer, en lui coupant les cheveux, la présence sur le cuir

chevelu d'un grand nombre de « petites loupes ». C'était la première fois que

semblable constatation était faite. Le reste du corps semblait à ce moment in-

demne de toute lésion de ce genre. Le semaines suivantes apparurent des

tumeurs moliuscoïdes et des taches pigmentaires sur le tronc et sur l'abdomen.

Enfin un peu plus tardivement l'éruption se généralisa aux membres.

En janvier 1895, son état était le suivant : .

C'est un homme amaigri, cachectique, mais ce qui frappe le plus c'est l'apa-

thie dans laquelle il reste perpétuellement plongé. Il ne parle jamais à ses

voisins, répond d'une façon distraite aux questions qu'on lui pose. Il faut insis-

ter pour obtenir de lui quelques mots. Il reste confiné au lit : c'est à peine s'il

se lève quelquefois spontanément et fait quelques pas aidé d'une chaise. Il dort

mal. Son appétit est diminué.

Ses téguments sont d'une façon générale de couleur plutôt foncée; cette

teinte foncée est d'ailleurs prédominante au niveau de la face et des bras, c'est-

à-dire au niveau des parties découvertes. Le fait n'a rien de particulier puis-

qu'il s'agit d'un charretier travaillant toujours dehors.

Le système pileux est bien développé partout, richement même au niveau

du thorax et du pubis.

La peau est le siège de petites tumeurs molluscoïdes et de taches pigmentaires.

Les tumeurs sont réparties de la façon suivante : Sur les membres supérieurs

il y en a quelques-unes extrêmement petites dans la région deltoïdienne et à

la partie postéro-externe du bras gauche. Dans cette dernière région se trouve

une cicatrice légère, répondant à l'excision d'une petite tumeur pratiquée dans

le service de M. Proust. Sur l'avant-bras droit, on remarque deux cicatrices

semblables au-dessous du pli du coude. Il n'y en a pas aux mains.

Les membres inférieurs en présentent quelques-unes irrégulièrement distri-

buées sur les cuisses : à droite sur la face externe et Il partie inférieure de la

face interne, à gauche sur la face externe et la face antérieure qui porte une

petite cicatrice d'excision. A la jambe le long de la face externe, aussi bien à

droite qu'il gauche, on en trouve quelques-unes; à gauche existe une cicatrice

d'excision. Rien aux pieds.

Sur le tronc ces petites tumeurs sont extrêmement nombreuses surtout à la

partie antérieure du thorax, dans la région épigastrique, dans les régions dor-

sales. Sur la paroi abdominale il y en a un assez grand nombre.

Très nombreuses sur le cuir chevelu, elles sont plus rares sur la face (front,

tempes, aile gauche du nez) et sur le cou. Il n'y en a pas sur les joues.

Ces tumeurs de consistance fibreuse ont un volume qui ne dépasse pas celui

d'un petit pois. Beaucoup ne sont guère plus volumineuses qu'un grain de blé.

La peau il leur niveau a conservé sa coloration et ses caractères normaux.

Peut-être sur les plus grosses est-elle un peu plus rosée. Parmi ces tumeurs

28 PIERRE MARIE ET A. COUVELAIRE

les unes sont sessiles, les autres, les plus grosses, ont tendance à se pédiculiser.

Enfin si les unes font nettement saillie au dehors, les autres ne sont accessi-

bles la palpation et semblent appartenir au tissu sous-cutané : on les fait

rouler avec le doigt immédiatement sous la peau.

En même temps que ces tumeurs, sont apparues sur les téguments des taches

pigmentaires qui ont acquis d'emblée leur développement complet. Ce sont de

petites taches isolées disséminées, des placards pigmentaires et un noevus vas-

culaire. Les petites taches ont les dimensions d'une tête d'épingle. Les plaques

atteignent à peine la dimension d'un centimètre carré, leur couleur est café au

lait. Elles sont réparties de la façon suivante : deux grandes bandes formées de

plaques juxtaposées descendent des aisselles jusqu'à la crête iliaque le long des

parois latérales du thorax. Ces deux bandes sont reliées par une bande transver-

sale'abdominale. Sur le dos quelques plaques sont groupées sous forme de traî-

nées longitudinales. Au niveau des membres, elles sont moins nombreuses, il

en existe quelques-unes à la face externe des bras, à la cuisse droite. Enfin un

noevus vasculaire assez étendu siège en arrière près de la crête iliaque à

2 centimètres environ en dehors du sacrum. Les organes génitaux sont dé-

pourvus de taches pigmentaires comme de tumeurs.

La sensibilité cutanée est altérée : il y a anesthésie à la piqûre sur toute la

surface du corps sauf au tiers supérieur des cuisses et à la main droite. Par

contre les sensibilités tactile et thermique sont normales.

Du côté de l'ceil, on trouve du myosis ; les pupilles réagissent mal à la lu-

mière ; le champ visuel est rétréci.

L'acuité auditive est diminuée, du fait d'une otite ancienne.

Les réflexes rotuliens sont normaux, les réflexes crémastérien et abdominal

sont abolis.

Le squelette des membres est absolument normal, la colonne vertébrale n'est

pas déformée mais le thorax semble un peu aplati et élargi dans le sens trans-

versal. De plus en avant de la ligne axillaire le rebord costal est recourbé en

dedans d'une façon assez marquée (Planche IV).

L'examen des poumons, du coeur, des urines ne révèle aucune particularité

pathologique.

En 1896,F... entre à l'hospice deBicêtre. Son état de dépression intellectuelle

et physique ne fait que s'aggraver, il atteint son comble dans le courant de

1897. A partir de cette époque,F)... reste définitivement confiné au lit ; on le

trouve étendu, sans mouvement, comme une masse inerte et inintelligente par

suite d'une extrême apathie ; en réalité lorsqu'on le pousse un peu il est ca-

pable de répondre et de mouvoir ses membres. En même temps les déforma-

tions thoraciques à peine ébauchées en 1895, vont s'accentuant progressive-

ment. Il se voûte, se tasse de plus en plus, sa colonne vertébrale se dévie, son

sternum se plie, si bien qu'au début de 1898, son thorax répondait à la des-

cription suivante : En avant,' entre les deux mamelons fait saillie une véritable

gibbosité sternale. Le versant supérieur de cette gibbosité débute brusquement

à 7 centimètres de la fourchette sternale. Le dbs d'âne proémine de 7 centi-

mètres sur le plan de la région sternale supérieure qui paraît normale. Le ver-

NOUV. Iconographie DE la SALP$TR7$Rk.

T. XIII. PI. IV

Attitude du malade en 1895.

Attitude du malade en 1898.

NEUROFIBROMATOSE GÉNÉRALISÉE

(P. Marie et A Couve/aire.)

Mnsson & Cie, Editeurs

NEUHO¡'113HOIA TOSE GÉNÉRALISÉE 29

sant inférieur fuyant en bas et en arrière est constitué par la partie inférieure

du sternum. Cette gibbosité semble jouir d'une certaine mobilité sur le segment

sternal supérieur, mobilité qui est produite par les mouvements d'inspiration et

d'expiration. Dans la fosse sternale que limitent le segment sternal supérieur et

le versant supérieur de la bosse vient se loger le menton de FI... dont la tète

reste en hypcrf1exion. La base du thorax est élargie transversalement et

aplatie d'avant en arrière. Le rebord costal inférieur qui déjà en 1895 tendait

à s'incurver, à rentrer pour ainsi dire dans l'abdomen, est actuellement complè-

tement replié comme les cornets d'oubli que mangent les enfants (Planche IV).

La colonne vertébrale présente une scoliose très accentuée à concavité droite

dont le sommet répond à la région dorsale inférieure, et une cyphose à long

rayon s'étendant de la région cervicale à la région lombaire,

Les os des membres restent normaux.

La peau ne présente pas plus de taches pigmentaires qu'autrefois. En re-

vanche on voit et on sent de très nombreuses petites tumeurs cutanées et sous-

cutanées dont les sièges de prédilection sont les triangles de Scarpa,les régions

sous-claviculaires, la face interne des bras, le cuir chevelu.

FI ... de plus en plus cachectique s'éteint progressivement et meurt le 16 mars

1899.

Autopsie.

Le cadavre a été formolé par la voie orbitaire. L'autopsie a été pratiquée

36 heures après la mort.

Squelette osseux. - Les os des membres ne présentent aucune altération

morphologique. Seules la colonne vertébrale et surtout la cage thoracique sont

le siège de modifications pathologiques singulières. Ces modifications portent

sur la forme des pièces squelettiques et sur la qualité du tissu osseux.

La colonne vertébrale présente une scoliose à convexité droite : le sommet de

la courbe répond à la il vertèbre dorsale; la courbe qui est à grand rayon

s'étend de la première dorsale à la dernière lombaire. Cette scoliose n'est pas

absolument pure; la colonne vertébrale dans son ensemble est légèrement cy-

photique. Il n'y a pas de soudure des vertèbres.

Le sternum est singulièrement déformé. Il est très abaissé. Le plan horizon-

tal qui passe par le bord supérieur de la fourchette répond au corps de la 9° ver-

tèbre dorsale ; celui qui passe par la pointe xyphoïdienne répond au corps de

la 3e lombaire alors que normalement ces plans répondent respectivement aux

bords inférieurs des 2° et 10° vertèbres dorsales.

Sa direction générale est oblique en bas et à gauche. Sa face antérieure re-

garde légèrement à gauche.

La forme n'est plus celle d'une plaque osseuse sensiblement plane avec une

légère voussure antérieure.

Le sternum est complètement disloqué dans sa forme mais non dans sa con-

tinuité. Deux inflexions à angle presque droit donnent à son profil l'allure d'un

Z, ou mieux encore d'une marche d'escalier. La première branche à peu près

30 PIERRE MARIE ET A. COUVELAIRE

,yertiçale, un peu oblique en bas' et en arrière, correspond au manubrium et à la

première pièce du méso-sternum ; au niveau de la e échancrure intercostale

existe une forte pliure à angle dépassant 90° qui fait pointer en avant et

quelque peu en bas la surface du méso-sternum, jusqu'à la 4" échancrure inter-

costale. En ce point la pliure se fait suivant une courbe un peu plus douce que

la première. Enfin la dernière portion du méso-sternum et l'appendice xyplioïde

constituant la troisième branche du Z descendent obliquement en s'enfonçant

dans la profondeur (Planche V).

La fourchette sternale est à 5 cent. de la colonne vertébrale, la pointe xy-

phoïdienne à cm. 5. Dans son ensemble l'espace sterno-vertébral est donc di-

minus.

Les côtes sont minces et fragiles. Elles sont d'une extrême mollesse. Elles

présentent des inflexions anormales au voisinage des articulations chondro-cos-

tales. A ce niveau elles se plissent, donnant assez bien l'impression de ce que

les repasseuses appellent le linge « tuyauté ». Ce « tuyautage » est particuliè-

rement marqué sur les 2r et 3" côtes du côté droit. S'il est plus accentué en

ce point, c'est vraisemblablement parce qu'il correspond à la première pliure

s.ternale. Les deux déformations costale et sternale sont complémentaires.

Le résultat total est la constitution d'une véritable fosse dont la première pliure

sternale est le fond et dont les bords sont formés, le supérieur par la four-

chette sternale, l'inférieur par le dos d'âne de la deuxième pliure sternale,

les latéraux par la ligne des « tuyautages » costaux.

Des modifications de même ordre se rencontrent à la base du thorax. Les

8°, 9e, 10e, 14° côtes sont fortement pliées non loin de leur extrémité anté-

rieure, de telle sorte que le rebord costal replié plonge fortement dans la pro-

fondeur. La surface thoracique correspondante ne regarde plus en dehors, mais

sur une étendue de 6 centimètres de large regarde franchement en bas.

Le rebord costal inférieur affleure en arrière la crête iliaque ; en avant ce

rebord ou plus exactement le dos de la pliure pénètre dans la partie toute supé-

rieure des fosses iliaques.

Enfin les 12eus côtes libres et surtout la gauche présentent des inflexions irré-

gulières.

En somme, indépendamment de ces déformations localisées, le thorax dans

son ensemble est asymétrique et aplati : sa partie supérieure est particulière-

ment affaissée ; c'est dans cette partie, limitée en avant par la 1 ? portion du

sternum, en arrière par la colonne vertébrale jusqu'aux dernières côtes, que se

trouvaient à l'étroit les poumons et le coeur. La partie inférieure du thorax

avec sa gibbosité médiane et ses ailes latérales renflées logeait le foie, la rate et

l'estomac.

Nous avons déjà signalé l'extrême mollesse de ces os. Leur légèreté est en-

core plus, remarquable.

Le bassin est asymétrique. Cette asymétrie est la conséquence d'une pliure

angulaire saillante en avant siégeant au niveau de la région de l'épine pu-

bienne gauche.

Viscères. - Le poumon et la plèvre gauches sont absolument sains ; au cou-

Nouv. Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE,

T. XIII. Pl. V

Coupe de l'intestin grêle et des nodules fibro-

mateux développés dans la musculeuse

3=1 1

Coupe du nerf sciatique gauche présentant un

gros fibrome fasciculaire

10=1 1

Cage thoracique et bassin (vus de trois quarts, de face et de profil).

NEUROFIBROMATOSE GÉNÉRALISÉE

(P. Marie et A Couve/aire.)

NEUROFIBROMATOSE GÉNÉRALISÉE 31

traire, à droite, il y a une symphyse pleurale complète, le poumon est fortement t

congestionné. Il n'y a pas de lésions tuberculeuses.

Le coenr a son volume normal ; les artères coronaires sont très athéromateu-

ses, légèrement et irrégulièrement ectasiées. L'aorte est athéromateuse. Les

orifices valvulaires ne présentent aucune particularité. Les cavités cardiaques

ne sont pas dilatées, le muscle a sa consistance et sa coloration habituelles.

Le foie plutôt petit est caché sous le rebord costal. Ce rebord replié en dedans

semble maintenir le foie en position haute. La forme du foie est conservée, le

péritoine périhépatique normal, la surface régulière et lisse. Le parenchyme

est de consistance ferme, la coupe lisse sans lésions macroscopiques. La vési-

cule biliaire renferme un liquide vert foncé ; pas de calculs ; sa muqueuse est

normale.

Le pancréas est un peu scléreux, l'artère spléuique est très sclérosée.

La rate de volume normal est dure : il n'y a pas de périsplénite.

Les reins ont leur volume et leur aspect macroscopiques ordinaires, la cap-

sule se décortique facilement.

- Les capsules surrénales sont normales.

Le corps thyroïde ne présente rien de particulier.

Sur l'intestin grêle on trouve une dizaine de petites tumeurs de consistance

fibreuse situées, 2 au niveau du duodénum, les autres sur le jéjunum et l'i-

léon. Les plus petites ont la dimension d'une tête d'épingle, les plus grosses

d'une noisette. Leur coloration bleu foncé tranche sur la [teinte blanchâtre

de l'intestin. Les petites sont il peu près sphériques, les grosses plus irréguliè-

res sont formées de plusieurs nodules greffés les uns sur les autres et séparés

les uns des autres par de légers étranglements. Toutes ces tumeurs siègent sur

lé bord libre de l'intestin ; au niveau de la circonférence basale de la tumeur,

on voit arriver aux deux extrémités d'un diamètre perpendiculaire à l'axe de

l'intestin, de gros vaisseaux serpentins en relation directe avec les vaisseaux

mésentériques. ,

Si l'on ouvre la cavité de l'intestin on voit que ces tumeurs font saillie sous

la muqueuse. La saillie est bien moins considérable que sous le péritoine.

La muqueuse est saine aussi bien au niveau de ces tumeurs qu'en dehors

d'elles.

Le mésentère présente sur le trajet des nerfs de très nombreux petits ren-

flements blanchâtres de consistance fibreuse.

Le gros intestin ne présente rien de particulier.

Au niveau de la face postérieure de l'estomac se trouvent deux tumeurs

fibreuses sous-péritonéales, l'une au voisinage du pylore, l'autre sur la grosse

tubérosité, elles ont le volume d'une noisette. Elles sont blanchâtres et dures.

Elles n'ont aucune connexion apparente ni avec les nerfs ni avec les vaisseaux.

La muqueuse stomacale est saine.

Système nerveux. Le cadavre a été presque entièrement disséqué au point

de vue des nerfs périphériques. Cette dissection a permis de constater les faits

suivants :

Les- gros troncs nerveux (cubital, radial, médian, sciatique, crural), les

32 PIERRE MARIE ET A. COUVELAIRE

plexus brachial et lombaire ne présentent aucune anomalie morphologique ap-

parente.

% Les troncs superficiels sous-cutanés, les rameaux secondaires musculaires

sont presque tous le siège de nombreux petits renflements fusiformes blanchâ-

tres, durs dont le volume ne dépasse pas celui d'une lentille.

" Les très fins minuscules immédiatement sous-dermiques présentent également

de très nombreux renflements.

Le sympathique cervical, thoracique et lombaire ne présente aucune tumeur

» appréciable. Les plexus, coeliaque, rénaux, bronchiques ont leur aspect habi-

tuel. Les nerfs mésentériques présentent de très nombreux renflements fusi-

formes.

. Les racines rachidiennes et les ganglions rachidiens sont normaux.

La moelle volumineuse est aplatie d'avant en arrière.

Les méninges semblent normales.

Le cerveau, les origines des nerfs crâniens, le cervelet ne présentent rien de

particulier.

Si l'on prend isolément un petit tronc nerveux, par exemple à la cuisse un

rameau sous-cutané du musculo-cutané externe (Planche VI, A), on peut par

l'examen à la loupe, la dissociation et la coupe faire quelques remarques inté-

ressantes (Planche VI, B).Ainsi sur le trajet de cette branche nerveuse on voit

se succéder sans interruption quatre nodules fusiformes, [dont la longueur

varie entre 1 centimètre et 1 centimètre 1/2, le diamètre maximum ne dépas-

sant pas 1/2 centimètre. De l'un des nodules part un filet plus frêle portant

lui aussi des renflements mais de volume moindre. A la surface extérieure de

ces nodules dans le tissu conjonctif lâche qui engaine le nerf serpente un fin

rameau vasculaire.

Chaque nodule examiné isolément n'est pas constitué par un bloc fibreux

unique, mais par l'assemblage de plusieurs nodules secondaires de volume iné-

gal, de forme irrégulièrement ovoïde, s'emboîtant, se moulant en quelque sorte

les uns sur les autres : on peut suivre ainsi d'un nodule dans l'autre un filet

secondaire avec ses renflements multiples et inégaux.

Peau. - Sur la peau proprement dite on ne peut macroscopiquement faire

d'autre constatation que celles faites pendant la vie.

Examens llISTOLOGIQUES.

Nerfs. L'étude des nerfs a été faite sur un certain nombre de troncs ner-

veux et en plusieurs points de ces troncs (sciatique, brachial cutané interne,

génito-crural, musculo-cutané crural, nerf du demi-membraneux, nerfs du

mésentère, nerfs cutanés et musculaires, grand sympathique cervical, raci-

, ' et ganglions rachidiens).

Les nerfs fixés par le Muller, durcis à l'alcool, inclus dans la celloïdine, ont

été colorés par le carmin, par la méthode de Weigert et par l'hématoxyline-

éosine. Les résultats de cette étude sont les suivants :

EXPLICATION DE LA PLANCHE VI

A

Branche sous-cutanée du nerf musculo-

cutané externe à la cuisse.

B

Dissection d'un nodule de la branche A.

Montre les variations de volume des trois

- groupes fasciculaires 9, 2, 3 et la part

qu'ils prennent 'il la constitution du

neurofibrome total.

v, vaisseau courant à la surface du nerf

Coupe C

Coupe transversale d'un rameau du nerf

du demi-membraneux droit avec ses

divers faisceaux 1, 2, 3, 4. Dans le

faisceau 1 s'est développé un fibrome

qui a dissocié les fibres nerveuses; le

néoplasme est encapsulé par la gaine

lamelleuse fasciculaire 1.

v, vaisseau.

Coupe D

Coupe longitudinale du nerf brachial cu-

tané interne ; trois- faisceaux 1, 2, 3,

sont intéressés par la coupe. On suit

les fibres nerveuses de la partie saine

du faisceau 1 dans la partie envahie

par la néoplasie 11.

Coupe E

Coupe du muscle demi-membraneux :

1, fibre musculaire normale;

2, fibre musculaire atrophiée et de forme

irrégulière;

3, tissu interstitiel homogène parsemé de

noyaux;

4, tissu conjonctif interfasciculaire avec

ramuscules nerveux 5.

Coupe F

Coupe de la peau de la région sous-clavi-

culaire au niveau d'nn fibrome der-

mique ;

1 et 2, épiderme :

3, couche superficielle du derme;

4, fibrome dermique riche en capillaires

congestionnés et renfermant un cul-

de-sac sébacé 5';

5, glande sébacée normale;

6, poil;

7, blocs fibreux profonds, au milieu des-

quels se voient des tubes sudori-

pares 8.

Nouv. Iconographie DE la SALPtT)<6 ?

T. XIII. PI. VI

NEUROFIBROMATOSE GÉNÉRALISÉE

(P. Marie et A Couve/aire.)

Mnsson & Ci, Editeurs

neurofibromatose généralisée 33

Les troncs nerveux en apparence normaux ou les portions des troncs nerveux

intermédiaires à deux neurofibromes ne sont pas toujours indemnes de lésions.

Si les uns sur les coupes longitudinales et transversales apparaisseut sans lé-

sion, d'autres montrent sur le trajet d'un ou plusieurs faisceaux de petits fibro-

mes que seul l'examen histologique permet de reconnaître. Sur une même cou-

pe transversale d'un tronc nerveux non déformé comme le sciatique par exem-

ple (Planche V) on trouve à côté de faisceaux normaux, des faisceaux frappés par

la néoplasie ; c'est d'ailleurs le même processus, mais macroscopiquement évi-

dent comme nous l'avons montré plus haut, qui régit l'ordonnance des nodules

fusiformes développés sur le trajet des troncs nerveux. Le nodule est constitué

par la réunion de tous les faisceaux du nerf, chaque faisceau ayant réagi per-

sonnellement, indépendamment de ses voisins. Autrement dit un nodule tron-

culaire est constitué de faisceaux nerveux normaux et de nodules fibromateux

fasciculaires. Ce sont ces nodules fasciculaires qu'il nous faut étudier.(Planche

VI, C.)

Ils sont séparés les uns des autres et des fascicules normaux par un tissu

conjonctif lâche qui ne semble pas modifié. Dans ce tissu courent des vaisseaux

quelque peu sclérosés.

Le nodule a une capsule fibreuse qui a les caractères et l'épaisseur des gai-

nes lamelleuses fasciculaires, peut-être est-elle en certains points légèrement

épaissie. Elle est constituée par de belles fibrilles conjonctives concentrique-

ment tassées entre lesquelles sont interposées des éléments cellulaires conjonc-

tifs banaux.

Le centre du nodule est constitué par de gros faisceaux conjonctifs très

irrégulièrement agencés. Ils ne sont pas très étroitement tassés. Les éléments

cellulaires conjonctifs sont en nombrewarlable suivant les nodules et suivant

les points dans chaque nodule ; ils sont en général plus nombreux vers la péri-

phérie qu'au centre. Ce tissu est sillonné de capillaires et de petits vaisseaux

gorgés de sang.

Au sein de ce tissu dans la presque totalité des coupes on trouve des fibres

nerveuses à myéline. Leur disposition doit être étudiée sur des coupes trans-

versales et longitudinales.

Sur une coupe transversale on trouve des fibres nerveuses avec leur gaine de

myéline. Ces fibres ont leurs caractères histologiques normaux. Elles sont dis-

sociées par la néoplasie fibromateuse et cheminent séparées les unes des autres

par des intervalles plus ou moins considérables. Si, dans quelques petits nodu-

les, elles sont à peu près régulièrement disséminées, le plus souvent elles sont

dispersées irrégulièrement, quoique dàns l'ensemble elles restent groupées dans

linge partie du néoplasme voisine de la périphérie.

Sur les coupes longitudinales on peut étudier l'entrée du faisceau nerveuxdans

le nodule. (Planche VI,D.) Le faisceau normal reste d'abord compact et cen-

tré dans le mince cône terminal du nodule fusiforme, puis rapidement il se dis-

socie et oblique vers un secteur de la périphérie du nodule. Sur d'autres

coupes le faisceau dissocié est représenté par quelques fibres allongées en plein

DU lI 3

34 PIERRE marie ET A. COUVELAIRE

centre du nodule longitudinalement coupé. La diversité de ces figures prouve

que les fibres nerveuses ont dans leur traversée du fibrome un trajet assez tour-

menté.

Ces descriptions s'appliquent à tous les nerfs que nous avons examinés sauf

au grand sympathique cervical, aux racines et ganglions rachidiens au sujet

desquels nous n'avons pu saisir de modifications appréciables.

Moelle. Au niveau de la moelle examinée dans la région cervicale dorsale

et lombaire nous n'avons trouvé de pathologique qu'un épaississement assez

marqué et généralisé de la méninge molle avec sclérose des vaisseaux pie-mé-

riens.

Peau. * Des fragments de peau appartenant aux régions thoracique anté-

rieure et crurale antérieure,au cuir chevelu ont été examinés après fixation dans

le Muller, durcissement dans l'alcool et inclusion dans la celloïdine. Les coupes

ont été colorées par le carmin, par la méthode de Weigert,par l'hématoxyline-éo-

sine. -

On doit distinguer au niveau de la peau des tumeurs fibreuses infra-dermi-

ques et hypodermiques. (Planche VI, F.)

Les tumeurs ii2tra-dei,migiies font en général une saillie assez accentuée.

Elles sont sessiles avec tendance à la pédiculisation. Leur forme est à peu près

hémisphérique. Elles ne sont pas encapsulées et se continuent directement

sans démarcation tranchée avec le derme de la peau avoisinante. Elles semblent

n'être qu'une hypertrophie localisée du derme.

Du côté de l'extérieur elles ne sont séparées de l'épiderme que par une très

mince épaisseur de derme papillaire, dont la structure est normale. Les sail-

lies papillaires sont cependant très peu proéminentes. Par sa base la petite tu-

meur repose sur les couches les plus superficielles de l'hypoderme.

Le tissu de la tumeur est constitué par un feutrage de fibres conjonctives

très irrégulièrement agencées. Ce feutrage conjonctif est beaucoup plus grossier

et moins tassé que le tissu conjonctif du derme au sein duquel siège la petite

tumeur. En revanche il est moins grossier et plus tassé que celui de la couche

profonde du derme. A ces éléments fibrillaires sont adjoints des éléments cel-

lulaires nombreux. Ce sont des cellules conjonctives à noyaux irrégulière-

ment fusiformes. D'assez nombreux capillaires sillonnent en tous sens la masse

fibreuse. Enfin par places et d'une façon inconstante on trouve un pinceau de

fibres musculaires lisses, quelques culs-de-sac sébacés bien conservés enchâs-

sés dans la tumeur. Nulle part nous n'avons constaté la présence de fibres ner-

veuses.

Les tumeurs de la couche profonde du derme et de 1'liyl)odci,me sont de deux

sortes : les unes sont de forme irrégulière et sans capsule, les autres sont no-

dulaires et encapsulées. Les premières sont constituées des blocs fibro-cellulai-

res riches en éléments cellulaires. Leur forme est polygonale ; au milieu du

bloc on retrouve la coupe d'un poil, de tubes sudoripares bien conservés. Dans

un gros bloc fibreux par exemple on ne rencontrera qu'une ou deux coupes

de tubes séparés non plus par une mince couche conjonctive mais par une

très large bande de tissu fibreux dense. Il y a donc de véritables fibromes

neurofibromatose généralisée 35

i périsudoripares, péri-sébacés, et chose remarquable que nous avons déja si-

gnalée à propos des neurofibromes, l'élément- noble, le cul-de-sac sébacé, le

tube sudoripare comme la fibre nerveuse gardent au milieu de la néoplasie qui

les englobe leurs caractères histologiques normaux. Ces blocs fibreux ne sont

pas séparés du tissu environnant par une capsule limitante, mais la ligne de

démarcation est nette.

A côté de ces blocs fibreux péri-glandulaires à limites nettes, il faut signaler

une condensation diffuse du derme siégeant de préférence autour des poils et

des glandes. Il s'agit là d'un fibrome diffus des couches profondes du derme.

Les tumeurs nodulaires et encapsulées n'ont pas les mêmes caractères. Elles

sont sphériques ou ovoïdes : rarement solitaires elles sont disposées par grou-

pes et souvent juxtaposées à des vaisseaux. Ces nodules sont très nettement

limités par une capsule peu épaisse formée de fibrilles conjonctives concentri-

quement tassées avec de nombreux éléments cellulaires conjonctifs banaux. Le

centre du nodule est constitué par un tissu conjonctif plus grossier et moins

tassé que celui de la capsule. Les éléments cellulaires sont un peu moins nom-

breux dans les parties centrales.

Enfin sur la plupart des coupes de ces nodules on trouve des fibres nerveu-

ses à myéline. Ces fibres sont séparées les unes des autres par le tissu conjonc-

tif ; elles ne sont qu'exceptionnellement réunies en pinceaux; la dissociation est

d'autant plus accentuée que le nodule auquel on a affaire ou plus exactement

que la surface de coupe du nodule est plus grande. Les fibres nerveuses sont

rarement au centre même des nodules. Les gros nodules renferment des capil-

laires sanguins en nombre assez considérable.

. Les vaisseaux cutanés sont malades. Ils sont sclérosés. Et la lésion a son

maximum d'intensité au niveau de la tunique interne en général très épaissie.

Tumeurs intestinales et stomacales. - Ces tumeurs ont les mêmes caractè-

res de siège et de structure au niveau de l'intestin et de l'estomac. (Planche V.)

Ce sont des fibromes constitués par des fibres et des cellules conjonctives for-

mant un nodule très dense. Ils sont parcourus par de nombreux vaisseaux

gorgés de sang. Un ne trouve dans leur tissu ni fibres à myéline ni éléments

particuliers. Les nodules sont encapsulés. Chaque tumeur peut être constituée

par 1, 2, 3, 4 nodules juxtaposés. L'ensemble a toujours son siège en pleine

couche musculaire. La tumeur fait saillie sous la muqueuse qu'elle soulève

simplement. Cette muqueuse aussi bien dans l'estomac que dans l'intestin est

normale. On note seulement un peu de sclérose vasculaire. Nous n'avons pu

'sur aucune de nos coupes rencontrer de petits fibromes développés au niveau

des nerfs de la sous-muqueuse.

Muscles. - Même fixation, même inclusion, mêmes colorations que pour

les nerfs et la peau.

Aucun muscle ne semblait présenter macroscopiquement de grosses altéra-

tions. A part une certaine diminution de volume, la forme, la couleur, la con-

sistance étaient normales, et cependant tous les muscles que nous avons

examinés (demi-membraneux, pectoraux, biceps brachial, quadriceps crural)

- sont profondément altérés. (Planche VI, E.);La lésion est constituée par une

36 PIERHE MARIE ET A. COUVELAIRE

atrophie très marquée diffuse et irrégulièrement distribuée des fibres muscu-

laires. Dans un même faisceau musculaire on peut trouver une fibre normale a

côté de fibres très dégénérées réduites à une petite masse informe atrophiée.

Les fibres atrophiées ont le plus souvent conservé leur striation ; quelques-unes

cependant sont constituées par un protoplasma un peu granuleux. La gaine de

sarcolemme n'a pas plus de noyaux qne d'ordinaire. Entre ces fibres atrophiées

l'espace laissé libre est comblé par un tissu uniformément coloré mais peu

coloré par le carmin ou l'éosine ; vaguement fibrillaire par endroit ce tissu est

le plus généralement amorphe ; pas de graisse ; au sein de ce tissu sont d'assez

nombreux noyaux, des fins vaisseaux et quelques faisceaux nerveux. Les nerfs

extra-musculàires sont les uns normaux les autres porteurs de petits fibromes.

Le pancréas, le corps thyroïde, les reins examinés histologiquement, ne pré-

sentent d'autre lésion importante que de la sclérose des vaisseaux. Sur aucune

coupe nous n'avons constaté de neurofibromes.

L'intérêt de cette observation ne réside pas seulement dans ce fait

qu'elle réalise le tableau clinique, aussi complet que possible de la « neu-

rofibromatose généralisée ». Ce tableau est dans ses grandes lignes bien

connu aujourd'hui et l'un de nous dans ses leçons cliniques de l'Il6tel-

Dieu, a suffisamment insisté sur l'allure clinique de celte affection pour

que nous puissions nous dispenser d'y revenir. Les seuls faits sur lesquels

nous voudrions quelque peu insister, sont, au point de vue étiolo(ti1[ie,

le début tardif de la neurofibromatose chez notre malade ; au point de vue

anatomique l'existence de lésions squelettiques singulières, de lésions mus-

culaires, de fibromes intestinaux et de fibromes cutanés vraisemblablement

développés en dehors des nerfs.

Notre malade faisait remonter à l'âge de S2 ans le début de son affec-

tion ; jamais avant cette époque il n'aurait eu de tumeurs cutanées ni de

taches pigmentaires : il était sur ce point Irèsaflirmalif, et fixai même d'une

façon précise la date à laquelle les dermato-fihromes et les nivvi pigmen-

> la ires étaient apparus : Ce fut une véritable éruption qui en quinze jours

envahit successivement la tète, le tronc et le ventre et plus tardivement

les membres. Cliniquement, il s'agit donc d'une neurofibromatose acquise.

Ce fait clinique répond-il à la réalité, et ne peut-on pas, eu égard aux

nombreux cas de neurofibromatose congénitale et familiale penser qu'il

s'agit d'une évolution retardée d'un vice congénital jusqu'alors non appa-

rent ? Peut-être môme pourrait-ou penser que dans notre cas la cause dé-

terminante de cette éruption subite fut cette gelure des pieds et des jambes.

à laquelle le malade attribuait tous ses maux; elle aurait joué le même

(1) P. Maiiie, Leçon de clinique médicale, Masson, 1890.

NEUROFIBROMATOSE GÉNÉRALISÉE 37

rôle que dans d'autres cas on a pu attribuer à un traumatisme, à l'intoxi-

cation arsenicale, à 'des infections. Ce sont là autant de questions que nous

avouons ne pouvoir résoudre actuellement d'une façon certaine. Nous

nous bornons donc à enregistrer le fait.

Un second point sur lequel nous voulons attirer l'attention est le déve-

loppement progressif au cours de celte neurofibromatose généralisée de

lésions squelettiques localisées au thorax et à la colonne vertébrale aboutis-

sant, aux singulières déformations dont nous avons donné la minutieuse

description. Ces déformations ont au point de vue morphologique une telle

bizarrerie qu'on ne peut les classer dans aucun cadre connu. La raison de

leur production nous a été fournie par l'examen nécropsique.ous avons pu

constater en effet combien les os de la cage thoracique, côtes et sternum,

étaient mous et friables et légers. Il semblait que par de lentes et douces

pressions on aurait pu modeler à sa guise ce bizarre thorax. Cette mollesse

'des os et ces déformations éveillaient l'idée d'une ostéomalacie localisée.

Les altérations du squelette ont encore été fort penétudiées clansla neuro-

fibromatose. Jeanselme et Orillard (1) ont chez un malade trouvé, outre

une ectopie testiculaire gauche, de l'asymétrie crânienne et une déforma-

tion du tibia droit en lame de sabre. Dans une autre observation clinique

de JGANSGL111G (2), il s'agissait d'une femme de petite taille qui, depuis son

enfance,avait une scoliosedorso-lombairedenatureindéterminée. Chez cette

femme les premières tumeurs étaient apparues à 30 ans.Un autrecas,signalé

par JEANSELME a trait à un homme de petite taille dont les membres infé-

rieurs figuraient une parenthèse.Dans toutes ces observations le rapport de

causalité entre la neuro-fibromatose et les lésions osseuses n'apparaît pas

avec toute l'évidence que nous trouvons dans notre cas. Nous avons assisté à

la constitution progressive et lente des déformations thoraco-vertébrales

an cours de la neuro-Cibromatose. HoiSNARD(3) clans sa thèse récente, non

seulement parle des déformations denotre malade,que nous lui avions mon-

tré à ce point de vue à l'hospice de l31cètre, mais signale, dans le compte

rendu de l'autopsie qu'il a pratiquée à Rennes, des modifications intéres-

santes du tissu osseux. Elles portaient seulement sur le crâne, la clavicule

et les côtes. Ces os étaient « d'une friabilité extraordinaire, le scalpel tout

seul les divise. Si on presse avec les doigts l'extrémité des côtes section-

nées, des nombreuses et larges aréoles, du tissu spongieux sort une abon-

(1) J13ANSEL\IE et Orillard, Contribution à l'étude des malformations congénitales de

la peau et de l'hypo'derine. Revue de chirurgie, janvier 1894, p. 50.

(2) Jeanselme, Etude histologique sur un cas de maladie de Recklinghausen. Société

de dermatologie el de syphiligraphie, 10 nov. 1S9S.

(3) flots.rann, l;onlribuliora ù l'étucle delà neurofibromatose généralisée Thèse de

Paris, 1898.

38 PIERRE MARIE ET A. COUVELAIRE

dante bouillie rouge ». Ces altérations sont il rapprocher des lésions que

nous avons observées. i

A côté de ces lésions squelettiques, nous avons observé des lésions mus-

culaires. Ces lésions nous ne les avons trouvées signalées dans aucune , 1

observation. Il faut dire qu'on ne les a jamais recherchées. Et pourtant il 1

eût été naturel de chercher le substratum analomique de cette faiblesse

musculaire si accentuée, si particulière à la neurofibromatose, qui peut ar-

river progressivement à condamner le malade à une immobilité presque

complète. Brigidi avaitbien signalé de toutpetitsneurofibromessur le tra-

jet desnerfs musculaires. Ces petits neurofibromesnous les avons retrouvés;

mais en outre,sur nos coupes histologiques de divers muscles,nous avons pu

étudier les lésions du tissu musculaire. A l'oeil nu les masses musculaires

ne nous avaient paru modifiées ni comme forme ni comme couleur, ni

comme consistance, et cependant à l'examen microscopique les muscles

sont profondément altérés. Les fibres musculaires sont frappées d'atrophie.

Cette atrophie frappe inégalement les fibres d'un même faisceau, res-

pectant certaines fibres alors que les voisines sont très touchées ; toutes

ces fibres sont noyées dans une masse interstitielle vaguement fibrillaire

assez riche en noyaux.

Un autre point assez mal connu de la question est l'existence de tu-

meurs fibreuses dans les viscères et en particulier sur le tube digestif. Ces

faits de fibromatose intestinale ne sont pas absolument exceptionnels,

mais ils ont été le plus souvent simplement mentionnés dans les observa-

tions sans attirer spécialement l'attention des auteurs. Déjà en 1860

SANGALLI (1) signalait la présence de petites tumeurs saillant à la surface

extérieure de l'estomac de sa vieille femme atteinte de neurofibromatose;

RECKLIXGIIAUSENJ dans la première de ses observations (2), en a trouvé des

nodosités semblables sur l'intestin grêle, l'estomac elle côlon transverse;

Modrzewski (3) dans son cas de neurofibromatose congénitale en signale

sur le jéjunum, l'iléon et le côlon transverse; Kymeleis (4) sur l'estomac,

la vessie, les conduits biliaires ; Kriege US) et PLUCIOEH (G) sous la mu-

queuse linguale ; Koutz (7) sur l'intestin ; Hansemann (8) également.

(1) Sangalli, Storia dei tumo1'i, 1860, Observ. in Recklinghausen, p. 82.

- (2) RECKLINGIIAUSE,-i, Ueber die multiplet Fibrome der Ilaul und ihre Bezielzmng zu der

multiplen Neuronen, Berlin, 1882.

(3) Modkzewski, Mulliplen angeborene Fibromala mollusca, Berl. klin. Wochenschrift,

1882, n° 42, p. 627.

(4) KrmrLEs, Inaug. Dissert. Gcottingen, 1885.

(5) KRIEGE, Virchows Archiv. Bd. 108, p. 466.

(6) PLUCKER, Ann. Soc. méd. chir. de Liège, 4 avril 1891, cité par Merken.

(7) KOIITZ, Inaug. Dissert. Koenigsberg, 1893.

(8) HANSEMANK, Berliner med. Geseischaft, 10 juillet 189o, in Berlin, kl. Woch., 189o,

n° 30, p. 662.

neurofibromatose généralisée 39

* BRANCA (1) dans l'autopsie du malade Guill..., l'un des malades étudiés

par l'un de nous dans ses leçons de l'Hôtel-Dieu et mort depuis à l'hospice

de Bicètre, trouva histologiquement, dans la sous-muqueuse intestinale,

«au niveau d'une large ulcération de la fin de l'iléon, de petits fibromes

développés sur le trajet des nerfs de l'intestin. BERGGRUN (2) releva dans

son cas des nodosités stomacales et intestinales ; MERKEN (3) dans un de

ses cas en constata au niveau de la muqueuse buccale.

De tous ces auteurs seuls Recklinghausen, Kriege et Branca ont prati-

que des examens histologiques. Si Kriege a trouvé des nerfs dans sa tumeur

linguale, si Branca a vu, décrit et figuré des fibromes nettement développés

sur les rameaux nerveux de l'intestin, en revancheRecklinghausen est beau-

coup moins explicite dans ses constatations sinon dans ses inductions. Il

n'a pas constaté d'une façon indiscutable l'origine nerveuse de ces tu-

meurs intestinales, mais il fonde sa croyance en cette origine sur le siège

de ces tumeurs en pleine couche musculaire et sur l'existence dans ces

. noyaux fibreux de corps volumineux polygonaux à substance granuleuse,

avec quelques gouttes de graisse, corps qu'il considère comme des « cel-

lules ganglionnaires atrophiées du plexus myogastrique ». Nous avons été

moins heureux. Nous n'avons pas trouvé dans nos tumeurs de fibres ner-

veuses, ce qui s'explique aisément par la difficulté de la recherche des

^libres amyétiniques ; nous n'avons pas constaté non plus de cellules gan-

glionnairesacorniales ou altérées. Tout ce que nous pouvons dire c'est que

ces tumeurs sont développées dans la couche musculaire et que vraisem-

blablement ce sont des neurofibromes.

Le dernier point sur lequel nous voulions insister est le plus important

et le plus délicat de la question. Quel est le point de départ de toutes ces tu-

meurs fibreuses ? Nous ne parlons pas bien entendu de fibromes développés

d'une façon évidente sur le trajet des nerfs, mais des autres et en particu-

lier des fibromes cutanés. Là est le point en litige. La conception de Rec-

klinghausen ramenant à l'unité originelle toutes les manifestations anato-

miques et cliniques de la polyfibromatose, faisant de la polyfibromatose

une neurofibromatose généralisée, a l'élégance des conceptions simplistes

appuyées sur une argumentation bien ordonnée. Répond-elle, cette con-

ception, à la réalité intégrale des faits ? Nous ne sommes pas les premiers

à émettre des doutes et ce n'est pas la première fois que l'un de nous en

émet. Si un certain nombre d'auteurs dans ces dernières années ont dans

leurs observations reproduit religieusement les descriptions et les argu-

(1) BRANCA, Neurofibromatose intestinale, Soc. anatomique, 5 février 1895.

(2) BER(JGHU, Ein Fall von allgemeiner 1\'euroiboomatose bei einem 14 jührigen Kna-

ben, Arch. f. Kinderheilkunde, t. 21, p. 89.

(3) l\1ERKEN, Fibroma molluscum, Inaug. Diss. Leipzig, 1899.

40 PIERRE : MARIE ET A. COUVELAIRE

ments de Recklinghausen, d'autres, parmi lesquels nous citerons Lahmann,

Philipson, du Mesnil, Merken en Allemagne, Darier, P. Marie et Bernard,

Chauffard, Delore etc. en France, ont publié des cas dans lesquels les tu-

meurs cutanées ne semblent pas avoir pour point de départ les nerfs de la

peau. Nous avons, dans notre description, nettement différencié les deux

sortes de tumeurs que l'on rencontre dans la peau. Les unes appartenant

' l'hypoderme sont des nodules en tous points semblables à ceux que nous

avons étudiés sur le trajet des nerfs. Toujours ils apparaissent avec leur

gaine lamelleuse encapsulant la néoplasie fibreuse intra-fasciculaire, au

milieu de laquelle court le faisceau dissocié des fibres nerveuses intactes.

Quelques coupes de ces nodules ne renferment pas des libres nerveuses;

, n'importe, c'est toujours la môme figure histologique,la présence de la gaine

lamelleuse est là, comme la signature du neurofibrome. S'il n'y a pas de

fibres nerveuses sur ces coupes, ce n'est pas en effet qu'elles ont été étouf-

fées par la néoplasie (nous répétons que la néoplasie respecte l'élément

noble du faisceau nerveux), c'est que la coupe a porté sur un segmenl du

neurofibrome que ne traverse pas le faisceau nerveux dissocié. Les autres

* tumeurs au contraire sont des blocs fibreux irréguliers sans capsule d'en-

veloppe au sein desquels gisent épars et éloignés soit des tubes de glande

sudoripare, soit des culs-de-sac de glande sébacée dont l'intégrité histolo-

gique est conservée. En certaines régions on ne trouve même plus de blocs

fibreux constituant des tumeurs en somme bien limitées, mais une con-

densation diffuse du derme autour des poils, autour des glandes sudori-

- pares et sébacées, autrement dit on trouve du fibrome diffus des couches

profondes du derme.

Ne sont-ce pas là des figures de fibromatose bien différentes déjà neu-

rofibromatose pure, fibromatose intra-fasciculaire encerclée par la gaine

lamelleuse du faisceau nerveux ? Ne doit-on pas considérer qu'à côté de la

neurofibromatose il y a une fibromatose cutanée qui semble s'être déve-

loppée en dehors des rameaux nerveux,dans le tissu con,jonctif périlandu-

laire. A coup sûr le processus est bien le même qui respecte l'élément

noble dans lequel il se développe, ici fibre nerveuse, là tube sudoripare

,ou cul-de-sac sébacé, et c'est bien plutôt l'identité de ce processus que la

systématisation nerveuse de la fibromatose -qui réalise l'uni té patlio('éiiiqtie

et clinique de l'affection désignée, sous le nom de « neurofibromatose gé-

néralisée ».

L'ADÉNO-LIPOMATOSE SYMÉTRIQUE

A PRÉDOMINANCE CERVICALE.

PAR n

P. E. LAUNOIS, et . R. BENSAUDE,

Professeur agrégé à la Faculté, Chef de laboratoire

Médecin des hôpitaux à la Faculté.

Au mois d'avril 1898 nous avons attiré l'attention (1) sur une affection

non encore décrite en France, caractérisée par la présence de tuméfac-

tions lipomateuses diffuses disséminées symétriquement dans les différents

points du corps, et en particulier dans la région cervicale, où elles pro-

duisent des déformations caractéristiques, toujours semblables à elles-

mêmes.

Nous avons pu recueillir cinq observations inédites ; nos recherches

bibliographiques nous ont permis de réunir 80 cas similaires, épars dans

la littérature médicale. Ils s'y trouvaient décrits sous les noms les plus

divers tels que : anliite (François Siredey), névromes plexiformes (Ver-

neuil), lipomes multiples, lipomes symétriques d'origine nerveuse, lipo-

mes diffus du cou et de la nuque, IYIÏ1phadénie à forme lipomateuse

(Hayem).

En utilisant les recherches fondamentales de Mac Cormac (2) ! 884, de

Baker et Bowlby (3) 188G, et de Madelung (4) 1888, nous croyons avoir

suffisamment mis en évidence les caractères cliniques et anatomo-patho-

logiques de cette affection. Elle constitue en effet une véritable entité

morbide, tout il fait distincte 'des lipomes circonscrits vrais, multiples et

symétriques, des pseudo-lipomes symétriques des membres inférieurs

(1) LAUNOis et Bensaude, L'adéno-lipomatose symétrique diffuse à prédominance

cervicale, Bull. et mém. de la Soc, médicale des hôpitaux, 7 avril 1898 et Presse mé-

dicale, 1er juin 1S98. Voy. aussi thèse de Jules Reims, 1898, inspirée par M. Launois.

La bibliographie complète de la question se trouve exposée dans ces publications.

Deux nouvelles observations ont été rapportées dans la thèse de Lucien Tapie parue

récemment. (26 décembre 1899) et inspirée par M. Legueu.

(2) Marc Cormac, St-Thomas's Ilospital Reports, 1SS ? vol. XIII, p. 287.

(3) Baker et BOWLBY, Medico-Chirurgioat Transactions, 1886, vol. LXIX, p. 60.

(4) Madelung, 59° Congrès des Naturalistes allemands, 1886, in Centralblatt sur

Chirurg., no 44, et Archiv. f. klin. Chir. Bd. XXXVII, 1888, p. 106.

42 P. E. LAUNOIS ET R. BENSAUDE

(Mathieu, Dehove) et des pseudo-lipomes sus-claviculaires de Potain et

de Vel'l1enii.. z

Pour nous, il s'agit d'une maladie primitive des glandes et des vais-

seaux lymphatiques, ayant beaucoup de points de ressemblance avec

l'adéno-lympliocéle : cette opinion nous a amenés à la décrire sous le nom

d'acléno-Liponccctose symétrique.

Nous nous proposons d'en résumer les principaux caractères pour per-

mettre de bien interpréter celte revue générale iconographique.

L'habitus extérieur des malades atteints d'adéno-lipomatose symétrique-

lorsque l'affection est arrivée à une certaine période de son développe-

ment, est tout à fait caractéristique. S'il existe entre eux quelques diffé-

rences, celles-ci tiennent surtout aux variations de développement et de

volume des tuméfactions.

C'est ainsi que dans les cas les moins accusés, le malade présente seu-

lement, au-dessous du menton, une saillie médiane ayant l'aspect d'un

croissant à concavité supérieure, dont les cornes se perdent vers les an-

gles de la mâchoire. A mesure que cette tuméfaction se développe la ré-

gion antérieure du cou prend la forme d'un menton à double ou triple

étage analogue à celui des gens obèses ou la forme du cou dit proconsu-

laire. La face se trouve alors encadrée par un bourrelet adipeux, nette-

ment demi-circulaire ou bilobé à sa partie antérieure. La tuméfaction

sous-mentonnière peut faire défaut ou à peu près et être remplacée par

deux tumeurs siégeant symétriquement dans les régions sous-maxillaires.

Sur les parties latérales de la face apparaissent des déformations simi-

laires aux régions parotidiennes et préauriculaires. Ces dernières sont

généralement petites, tantôt arrondies, tantôt allongées sous forme d'une

amande, tantôt plaquées sur la région périauriculaire n la manière des

prolongements inférieurs du pscheut égyptien.

La nuque est également occupée par des saillies symétriques qui, le

plus souvent, apparaissent les premières. Presque toujours on en trouve

deux dans les fossettes rétro-mastoïdiennes; elles restent en partie ca-

chées par les cheveux. A la partie postérieure et inférieure du cou, au

niveau de la vertèbre proéminente existe une autre tuméfaction tantôt

unique, tantôt divisée en deux lobes par un sillon médian. Dans ce der-

nier cas, les deux tumeurs supérieures et les deux inférieures finissent par

se rapprocher au point de n'être plus séparées que par deux sillons réci-

proquementperpendiculaires, rappelant par leur réunion l'aspect des tu-

bercules quadrijumeaux. Assez souvent, au lieu de quatre tumeurs, on

n'en trouve que trois (deux supérieures et une inférieure). Ces tumeurs

reproduisent alors la forme d'une feuille de trèfle et les sillons qui les

L'ADÉNO-LIP011ATOSr SYMÉTRIQUE 43

séparent se trouvent disposés comme les branches d'un T renversé (j).

Les masses lipomateuses peuvent atteindre de telles proportions qu'elles

débordent la région cervicale où elles ont pris naissance et tombent comme

des mamelles sur la poitrine ou sur le dos. La photographie empruntée à

Madelung montre la réalisation de cette hypertrophie monstrueuse.

Les diverses tuméfactions dans les régions cervico-faciales, au lieu de

rester indépendantes les unes des autres, peuvent,à un momenl donné,

se rejoindre et formèr une énorme collerette à contours plus ou moins

saillants et plus ou moins bosselés, autour de la face et du cou. La tête du

malade de Virchow émerge comme d'un énorme coussin. L'encolure me-

sure GO centimètres de circonférence, 44 d'une oreille à l'autre. Bouju

trouve à son malade une encolure de 52 centimètres. « La tète est appuyée

sur un collier énorme, comme prise dans une minerve. » Quand l'affec-

tion est très accentuée, mais les tissus peu fermes, les comparaisons chan-

gent ; les auteurs parlent de sacs pendant en avant et. en arrière, de ten-

tures (Schmidt).

Dans certains cas, « le volume du cou et de la tête allant progressive-

ment en décroissant de bas en haut, il en résulte que l'extrémité céphali-

que, depuis les épaules jusqu'au sommet du vertex, a la forme d'une py-

ramide tronquée à base inférieure et à sommet supérieur (Hayem).

Quel que soit le développement des masses graisseuses, elles ne dépas-

sent jamais, à la partie supérieure et postérieure de la nuque, une ligne

réunissant la base des deux apophyses mastoïdes.

Les productions lipomateuses peuvent rester localisées uniquement il la

région cervico-faciale. Le plus souvent une inspection méthodique per-

met d'en retrouver d'autres sur le reste du corps. Elles siègent en de vé-

ritables lieux d'élection qui sont les parties supérieures et internes des

membres, tant au bras qu'à la cuisse, les régions pectorale, épigastrique,

suspubienne, enfin, dans la région dorso-lombaire, les parties latérales

de la colonne vertébrale. Aux bras, l'hypertrophie la plus énorme est celle

du patient de Schmidt; ses épaules sont extraordinairement élargies par

2 énormes masses qui couvrent le deltoïde et descendent jusqu'à mi-bras.

L'avant-bras normal semble comparativement grêle par rapport à ces man-

chons graisseux. '

Dans de nombreuses observations, le malade est porteur de mamelles

comme une femme qui nourrit (Siredey, Ilenningsen, etc.).

Le long des grands droits de l'abdomen, les dépôts adipeux sont fré-

fluents : ils peuvent s'étaler en deux bandes le long de la ligne blanche ou

saillir comme deux grosses bosses. Quelquefois elles se conjuguent en une

tuméfaction médiane qui fait circonvallation l'ombilic. Le nombril, dans

le cas de Schmidt, est profondément enfoncé et comme rétracté.

44 P. E. LAUNOIS ET R. BENSAUDE

Avec le haut des cuisses, le scrotum, jusqu'au périnée, est le siège d'une

infiltration graisseuse généralisée dans le cas de Virchow-SclIOLLmuller.

La même région, moins le périnée, est envahie dans le cas de Bucquoy,

où une double tuméfaction graisseuse refoule les testicules vers l'anneau

inguinal.

Parfois, le nombre des tuméfactions est plus grand encore : on les voit

envahir d'autres régions et devenir confluentes : elles mamelonnent la

paroi abdominale antérieure (Jeanselme et Bufnoir) ou déforment toute

la surface du corps ainsi que l'a observé Langer, dont le malade avait le

ventre et surtout le dos comme capitonnés de tumeurs.

Mais, même dans les cas de ce genre, les extrémités des membres res-

tent indemnes (Williams a cependant observé une tumeur à la face dor-

sale de la main entre le pouce et l'index) et contrastent par leur aspect

normal avec le développement extraordinaire qu'ont pris les au Ires ré-

gions du corps. Beaucoup d'auteurs notent l'aspect extraordinaire de ces

membres athlétiques à leur racine, étiques à leur extrémité distale.

Deux données importantes se retrouvent dans tous les cas : les tumé-

factions sont symétriques, tantôt disposées par paires, tantôt impaires et

médianes ; de plus, elles présentent tous les caractères objectifs des lipo-

mes diffus. Si leurs reliefs sont bien indiqués, leurs contours sont toujours

mal délimités : à la périphérie, en effet, elles se continuent avec le tissu

cellulo-adipeux environnant. A leur niveau, la peau est fine et normale et

a conservé toute sa mobilité. Il existe cependant quelques exceptions à

cette règle : adhérences multiples à la face profonde du derme, varices

lymphatiques de la peau (Sibley), aspect éléphanliasique localisé à l'ais-

selle (Hayem). Dans le fait de M. Ilavem, le réseau veineux est très déve-

loppé à la surface de toutes les tumeurs et surtout autour d'elles. Par la

palpation, on trouve, tantôt une surface lisse, homogène, tantôt et le plus

souvent une surface irrégulière et lobulée. La consistance est celle du

lipome ordinaire : molle, pâteuse, sans qu'on puisse, toutefois, déterminer

de godet par la pression. On peut, à ce point de vue, distinguer trois

variétés de tumeurs : les plus molles sont celles de la région sous-men-

tonnière qui donnent souvent lieu à une fausse fluctuation analogue à celle

clés lipomes mous ; les plus dures occupent la nuque; enfin, la consis-

tance des autres tuméfactions tient,le milieu entre les deux. On a, d'ail-

leurs, observé des changements assez brusques de consistance survenant

sur une même tumeur et coïncidant généralement avec des changements

de volume. Une palpation attentive permet parfois de constater, au mi-

lieu de la masse encore peu développée, l'existence de noyaux mal isolés et

résistants, noyés dans une atmosphère de tissu adipeux. D'autres fois on

sent, vers le centre de la tumeur, un seul noyau plus ferme. La compa-

l'aDÉNO-LIPOMATOSE SYMÉTRIQUE 45

raison de ces tuméfactions avec des amas de ganglions lymphatiques est

souvent indiquée par les observateurs (Iluguier, Margerin, Baker et

Bowlby, etc.). -

Au voisinage des tumeurs, on trouve parfois des ganglions lymphatiques

petits et durs.

De plus, chez notre malade, on rencontrait le long de la face interne de

chaque cuisse, un cordon saillant, dur, sinueux et bosselé qui suivait un

trajet parallèle à celui de la veine saphène interne ; il venait se perdre

dans le centre même de la tuméfaction inguinale. Il s'agissait, vraisem-

blablement, d'un tronc lymphatique dont les parois étaient hypertrophiées.

En résumé, la symétrie, la forme diffuse et les localisations spéciales, tels

sont les trois grands caractères objectifs de l'adéno-lihome.

Dans l'immense majorité des cas, les tuméfactions lipomateuses ne

constituent guère qu'une difformité : en dehors de la gêne mécanique

qu'elles occasionnent, elles n'apportent aucune entrave sérieuse dans les

fonctions de l'organisme. La tète conserve toute sa mobilité, même lors-

qu'elle est encastrée dans un énorme collier lipomateux. Lorsqu'il existe

des symptômes de compression, ils sont généralement peu marqués, ils se

bornent à quelques tiraillements, à quelques douleurs passagères.

Dans nombre d'observations, on trouve signalés des accidents dus il la

compression des organes du médiasliu. C'est, qu'en effet, il côté des mas-

ses sous-cutanées, il semble s'en développer d'autres plus profondes autour

des nombreux ganglions lymphatiques accumulés dans cette région. Ils

consistent généralement en troubles respiratoires peu marqués, raucité de

la voix, toux, dyspnée légère, dilatation des veines sous-cutanées du tho-

rax, etc. D'autres fois les accidents sont beaucoup plus menaçants (cas de

M. Hayon, de Bryk, de Madelung). Le maladedel41adelung, dont le faciès

rappelait celui des sujets atteints de goitre suffocant, était fortement cya-

nosé et en proie à une vive dyspnée, même à l'état de repos ; pendant la

nuit, il avait souvent des accès de suffocation. La voix était rauque et la

déglutition difficile.

Nous ajouterons que l'adéno-lipomalose ne s'accompagne d'aucun

trouble viscéral et ne retentit pas sur l'état général des malades.

Il existe, toutefois, des exceptions à celle règle ; elles méritent d'autant

plus d'être signalées qu'elles onl jusqu'à présent passé inaperçues.

Une sensation générale d'affaiblissement et de fatigue se trouve signa-

lée dans plusieurs des observations. Chez notre malade, l'asthénie élail

très marquée; jointe à la pâleur, elle rappelait le faciès spécial que pré-

sentent les leucémiques à une période avancée de leur maladie. Il y a là

un état qui est peut-èlre comparable il l'anémie lymphatique signalée par

46 P. E. LAUNOIS ET R. BENSAUDE

Nétatondans l'adéno-Iymphocèle et qui est une « sorte d'anémie perni-

cieuse progressive à longue échéance » (Lejars).

, Les masses lipomateuses ne coïncident avec aucune modification, appré-

ciable de la sensibilité, de la motilité, avec aucune dystrophie : l'absence

de ces symptômes acquiert une valeur d'autant plus grande qu'ils ont été

cherchés avec soin par des auteurs qui soutenaient l'origine névropathi-

que de l'affection.

, Par contre chez plusieurs malades il existai ! un état cérébral anormal

se traduisant tantôt par de l'irritabilité, tantôtpar de l'apathie ou de l'hy-

pochondiîie. Le malade de Williams avait perdu la mémoire.

Parmi les symptômes viscéraux, nous signalerons parfois l'hypertrophie

de la rate et l'accélération des battements du coeur.

L'analyse des urines et du sang a été l'objet de recherches peu nombreu-

ses. M. Hayem a constaté une élimination très exagérée des chlorures et

très faible de l'urée. L'examen du sang, chez son malade, a révélé une

augmentation du nombre des hématies, allribuable à la cyanose concomi-

tante. Le nombre des globules blancs est tantôt normal, tantôt légèrement

exagéré ; chez trois malades où nous avons pu faire un examen détaillé du

sang, nous avons été frappés de la rareté des petits globules blancs mono-

nucléaires ; chez un quatrième malade, le sang ne présentait aucune alté-

ra lion digne d'être notée.

Le début de l'affection est généralement insidieux ; comme l'évolution

des tumeurs se fait lenlement, sans déterminer de douleurs, les malades

ne peuvent préciser ni l'époque de leur début, ni même bien souvent leur

siège initial.

Une des particularités les plus intéressantes que présentent ces tumeurs

dans leur évolution, c'est qu'elles peuvent être, à certains moments, le

siège d'augmenta lion et de diminution alternatives de volume. Ces varia-

tions, qui s'observent également dans les adéno-lymphocèles, confirment,

à notre avis, l'hypothèse d'une origine vasculaire lymphatique.

Jamais on n'a observé une disparition complète des tumeurs.

Dans quelques cas cependant (Brodie, Baker), on a vu les masses lipo-

mateuses diminuer au point de devenir presque méconnaissables.

L'adéno-lipome symétrique diffus, comme le lipome vrai, ne participe

pas aux oscillations générales de la nutrition ; il semble avoir une indi-

vidualité propre sur le terrain où on le voit évoluer : les tumeurs conser-

vent leur volume dans l'amaigrissement, dans l'inanition des maladies

cachectisantes comme la tuberculose, le cancer, l'albuminurie, etc.

Soucieux de bien mettre en évidence les principaux caractères de l'adé-

LADÉNO-LII'0\L1'l'O>r SYMÉTRIQUE 47

no-lipomatose, nous avons groupé les figures non pas d'après leur origine

ou leur ordre chronologique, mais d'après leurs similitudes.

' Observations résumées.

Ors. I (Pl. VII, A). Launois et Bensaude, l3ull. de la Société

méd. des HBp., 7 avril 1898.

Un malade âgé de 32 ans/alcoolique avéré, présente des tuméfactions

lipomateuses, diffuses, distribuées symétriquement au cou (région sus-

hyoïdienne),. la face (région préauriculaire), à la tête (régions rétro-

mastoïdiennes), à la nuque-et aux aines. De la masse inguinale descend, le

long de la face interne des cuisses, un cordon induré (tronc lymphatique

très probablement). Dans ces différentes zones lipomateuses, mollasses,

on peut percevoir, dans la profondeur, des parties plus dures.

Le malade a le faciès d'un leucocythémique; pas de leucémie ; il n'y a

qu'une légère augmentation du nombre des globules blancs; mais le sang

est remarquablementpeu riche en leucocytes de la première variété (petits

mononucléaires). La, raie est un peu augmentée de volume.

Le malade présente, en outre, quelques phénomènes qui font penser à

de la compression médiastine.

Enfin, il se cachectise vite, malgré une alimentation abondante et co-

pieuse (pas de tuberculose, pas de modifications des urines).

OBS. II (PI. VII, B). Communiquée par M. ALBERT 11OUCHGT.

E. Rec..., 38 ans, homme d'équipe. Tumeur lipomateuse formant un

volumineux double menton. 2 lipomes symétriques à la partie supérieure

de la nuque. Rien ailleurs. Pas de troubles viscéraux. Les tumeurs de la

nuque ont été extirpées sur la demande du malade. Elles ont été consti-

tuées'uniquement par du tissu adipeux :

Ons. III (PI. VII, C et D, et Pl. IX, N). LASKAIUDES, 1

thèse Strasbourg, 1878, obs. 9, p. 20.

Homme de 33 ans. Père mort d'une maladie de poitrine ( ? ). Mère, frères

et soeurs bien portants. Il y a 5 ans. apparurent sous le menton les premiè-

res tuméfactions diffuses ; actuellement énorme collier lipomateux, séparé

en avant du maxillaire inférieur par un sillon. En avant sur la ligne

médiane la masse lipomateuse mesure cent. 1/2 de hauteur. Au niveau

de la 1re et de la 2e vertèbre dorsale et de chaque côté de la colonne ver-

tébrale deux lipomes symétriques du volume d'un oeuf de poule ; un autre

au niveau de la fosse jugulaire. Les tumeurs ne causent pour ainsi dire

aucun trouble fonctionnel. A la demande du malade cependant, le profes-

48 . P. E. LAUNOIS ET R. BENSAUDE

seur Iücl : e se décide à l'opérer et enlève en 2 séances une partie de la

tumeur cervicale. Le malade promet de venir se faire opérer une 3 fois.

OBs. IV (Pl. VII, E. et F.). BHYK, Archiv. f. klin. Clair.,

1897, t. XVII, p. 568.

Homme de 43 ans. Jaunisse il y a 6 ans. Depuis 4 ans, apparition de

tumeurs lipomateuses dans différentes parties du corps. Enorme collier

lipomateux autour du cou divisé en deux par un sillon médian antérieur

et postérieur. La peau au niveau de la tumeur est peu mobile et adhé-

rente par places, en particulier au niveau de la nuque. D'autres tumeurs

lipomateuses symétriques se trouvent au niveau du corps de l'omoplate,

de l'angle de l'omoplate, de la face interne du bras, du côté interne de

l'avant-bras, de la région lombaire, de la ligne blanche et de la cuisse.

La tumeur du cou causant au malade de la dysphagie, de la dyspnée

et dans les derniers temps des accès de suffocation nocturne, on décida d'en

extirper une partie. Les symptômes de compression disparurent après l'o-

pération.

OBS. V (PI. VIII, G.). MORRANT, BAYER et AvTHOrrr l3om.nr, 111edico-

chirurgical transactions, 1886, vol LXIX, obs. 3, p. 45.

J. M..., âgé de 51 ans. Pannicule adipeux bien développé. Figure

pâle.

Au milieu de la nuque se trouve une large tumeur graisseuse arrondie,

dont le diamètre transversal mesure environ 12 cent. 1/2 et la hauteur

7 cent. 1/2. Deux autres tumeurs de même nature se trouvent plus haut

derrière chaque oreille. La peau qui recouvre celle du côté gauche est

rouge et assez sensible. Aucune tumeur semblable dans les autres régions

du corps.

Le gros lipome diffus situé au milieu de la nuque serait apparu il y a

environ 7 ans ; les 2 plus petits il y a 4 ans. Il semble au malade que les

tumeurs changent de volume à certains moments.

Le malade est un fort buveur, a des digestions mauvaises, mais pas de

lésion viscérale. Les urines sont acides et contiennent des traces d'albu-

mineux.

OBS. VI (Pl. VIII, IL). Mourant, Baker et Anthony l3wn,Br,

Medico-chiin2cyicccl transactions, 1886, vol. LXIX, obs. I, p. 44.

N. D..., 45 ans, à l'air bien portant et dit avoir toujours joui d'une

bonne santé. Grand buveur de bière et d'alcool. A souvent des nausées

et parfois des vomissements le matin. Deux tumeurs symétriques à la

nuque.

Nouv. Iconographie de la SALPÊTRIÈRE.

T. XIII. /'1. VII

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Nouv. Iconographie DE la SALPTK1EKE , T. XIII. PI. IL

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ADENOLIPOMATOSE SYMÉTRIQUE A PREDOMINANCE CERVICALE

(Launois et Brrrsrtrrde.)

L'ADÉNO-LIPOMATOSE symétrique 49

La région sous-maxillaire est occupée par une tuméfaction lipomateuse

diffuse formant un double menton et descendant plus bas à droite qu'à

gauche; on y sent des masses dures donnant la sensation de ganglions hy-

pertrophiés. Des petits lipomes symétriques existent aux deux aines. Rien

ailleurs. Au dire du malade les tumeurs changent de volume de temps à

autre.

L'examen du sang et de l'urine ne révèle rien de particulier. Le début

de la maladie remonterait à 12 ans.

OBs. VII (l'1. VIII, 1 et l'1. IX, M.). MAC Cormac, St-Thomas's

Hospital Reports, 1884, vol. XIII, p. 288, obs. n° 1.

W. G., boucher, âgé de 42 ans. Quatre tuméfactions lipomateuses si-

tuées à la face postérieure du cou séparées par deux sillons perpendicu-

laires en forme de noix. La consistance des deux tuméfactions supérieures

est plus ferme que celle des inférieures. D'autres tumeurs graisseuses

se trouvent sous le menton, dans les régions parotidiennes, au creux

sus-ternal, au sommet de l'épaule droite et au milieu du dos.

L'aspect difforme que les tumeurs confèrent au malade l'empêche d'ob-

tenir un emploi et de gagner sa vie. Aussi réclame-t-il a en être débar-

rassé. On extirpe les deux tumeurs de la nuque. Le résultat obtenu est

très satisfaisant comme le montre une figure jointe au travail de Mac

Cormac.

Oints. VIII (PI. VIII, I et K.). CORIIAC, St-Tltovtrts's Hospital

Reports, 1884, vol. XIII, cas n° 2.

F. E. W..., âgé de 25 ans s'est aperçu de l'apparition de tumeurs à la

nuque depuis 6 ans. Il présente maintenant à la face postérieure du cou

une tuméfaction quadrilobée dont la limite supérieure correspond exac-

tement aux lignes courbes occipitales supérieures. A ce niveau la peau

est mobile et nullement adhérente. A l'épaule droite se trouve un tumeur

ayant 'tous les caractères du lipome ordinaire ( ? ) ; il est circonscrit, mo-

bile, adhérent à la peau.

Deux autres masses graisseuses sont situées au niveau des avant-bras.

L'affection ne cause aucune gêne au malade.

OBS. IX (Pl. VIII, L.). - ÂNDERSON in Marc Cormac, St-T11Omas's

lloshital Reports, 1884, vol. XIII, cas n° 4..

Homme de 60 ans ayant des lipomes depuis 3 ans. Il n'existe pas

d'autres tumeurs que celles indiquées dans la figure L. Il est dit que ces

tumeurs étaient de consistance ferme, nettement circonscrites et adhé-

rentes à la peau.

30 P. E.'LAUUioIS ET Il. BEXSAUUE

Ons. 1 (PI. XI, 0). - Eliuxivv., l3eittcege zur Irlin.

Clti1'W'[¡., 1889, t. IV, p. 362..

Le mémoire d'Eh1'Jllann contient plusieurs observations indiscutables

d'adéno-lipomatose symétrique, mais l'auteur n'indique pas quelle est

celle qui se rapporte il la ligure 0. Nous reproduisons cette figure il cause

de la disposition intéressante de la tumeur du dos.

PI. X, P. Malade de M. Sihedet.

Photographie étiquetée cttglüte appartenant à la collection Méheu.

Le malade fait partie de la série que nous étudions comme le montre

la photographie de son corps que nous reproduirons plus loin.

La localisation des tuméfactions confère à la tète et au cou une appa-

rence piriforme analogue à celle qu'on observe chez des malades atteints

d'oreillons..

Oiis XI (Pl . XI, Q). - Ro&EH Williams, Transactions of the

pathological Society of Lotdon, 1890, p. 290.

Homme de 40 ans, cocher, paraissant d'une bonne santé habituelle

Père de enfants bien portants. Grand buveur. Adénite cervicale sup-

purée dans l'enfance. Enorme collier graisseux qui donne au malade une

apparence grotesque. D'autres tumeurs lipomateuses symétriques existent

au dos, il la face postéro-interne de chaque bras, au pli du coude, à la

face antérieure de l'avant-bras, à la face dorsale de la main, de chaque

côté de la ligne blanche, dans la région inguino-scrotale et dans l'aine.

Perle de la mémoire dans ces derniers temps. L'affection aurait débuté

il y a 12 ans, sans cause appréciable.

OBS. XII (Pl. XI, R). Madelung, Archiv. f. Ici in. Clrir2trg.,

1888, B. XXXVII, p. 106 et suiv. Cas n°3.

IL Qu..., âgé de 59 ans, agriculteur etplus tard commerçant dans une

ville. Pas de tumeurs chez les membres de sa famille. Pas d'alcoolisme.

Opéré il y a 9-1 ans pour une fistule rectale.

L'apparition des premières tumeurs daterait de 23 ans. Collier lipoma-

.teLL\ : , 'Au niveau des bras, du dos, de la face antérieure de la poitrine,

autour de la mamelle, il existe un nombre considérable de tumeurs grais-

seuses. Troubles de compression des organes du, médiastin (voix, respi-

ration, déglutition, accès de suffocation nocturne).

Le malade réclame l'ablation de ses tumeurs une première fois et parce

qu'il ne pouvait plus trouver de couvre-chef usilé dans les pays civilisés

dont il puisse se servir. 2 ans plus tard il fut opéré de nouveau par

Madelung parce qu'il étouffait littéralement dans sa graisse. La gène res-

piratoire cesse après la 2° opération.

(11 suivre.)

p

ADENOLIPOMATOSE SYMETRIQUE A PREDOMINANCE CERVICALE

(Launois et 'Bensaude.)

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALP1'HIEHE

T. XIII. PI. XI

-

R

ADENOLIPOMATOSE SYMÉTRIQUE A PREDOMINANCE CERVICALE

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CI-INIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

(HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE)

UN CAS D'ANOREXIE HYSTERIQUE

PAR

GEORGES GASNE

Chef de clinique à la Salpêtrière.

Il est toujours intéressant de publier des cas d'anorexie hystérique. C'est

un syndrome relativement mal connu de la plupart des médecins et M. le

Dr Gilles de la Tourelle vient d'insister à nouveau sur la gravité qu'il pré-

sente lorsqu'il est méconnu : on meurt d'anorexie hystérique. Le cas que

nous publions montre jusqu'à quel degré d'émaciation peuvent atteindre

des malades chez lesquels nulle affection organique ne vient entraver la

nutrition ; la preuve en est dans l'effet immédiat d'un traitement purement

psychique. N'élait la conservation (remarquable du reste en la circonstance)

de la glande mammaire chez cette jeune fille, on pourrait vraiment dire

qu'il ne lui reste que la peau et les os, le thorax surtout et le bassin pré-

sentent à cet égard le type de la maigreur absolue : les clavicules et les côtes

en avant, les omoplates et les ailes iliaques en arrière se distinguent aussi

nettement que sur un squelette préparé. La face, que nous avons dû sup-

primer ici, était aussi complètement décharnée, ce qui donnait à la physio-

nomie un aspect de vieillard contrastant singulièrement, lorsque la jeune

fille 'était habillée, avec la gracilité de ses formes et la jeunesse de son

allure (PI. XII).

Observation.

Béiti-ice Gill ? âgée de 16 ans, sans profession.

Antécédents héréditaires : Mère très nerveuse, n'a pas de grande crise,

mais éprouve pour un rien une angoisse avec impossibilité de parler. Tout

le temps de sa jeunesse elle se trouvait mal à tout instant, elle a longtemps

souffert de névralgies crâniennes très violentes qui ont disparu seulement

depuis trois ans. Parmi ses parents, sa mère seulement était très nerveuse,

elle souffrait également de névralgie crânienne « à se rouler par terre ».

Père très vigoureux, boit régulièrement beaucoup d'alcool, n'a pas de

symptômes d'éthylisme.

Un frère très robuste est âgé de vingt ans ; il a eu des convulsions étant

jeune. -

52 GEORGES GASNE

Antécédents personnels. La malade est née à terme d'une grossesse

très bonne, l'accouchement a été facile ; élevée au biberon d'abord et mal

nourrie, elle dut à quatre mois être mise au sein. Elle a parlé de très bonne

heure, maisn'a marché 18 mois ; aucun détail sur l'éruption des dents.

Pas de convulsions. Elle fut toujours chétive, sans avoir de maladie et vé-

géta jusqu'à 4 ans, on dut alors la renvoyer à la campagne où elle se déve-

loppa bien. Elle rentra a Paris, suivit ses classes, quand brusquement elle

fut prise de sa première crise le 11 novembre 1898.

Elle avait passé plusieurs nuits près de sa mère atteinte de pleurésie,

la maladie élait assez grave et surtout la mère retrouvant son tempérament

du jeune âge perdit plusieurs fois connaissance,aussi tout l'entourage était-

il fort effrayé et la jeune fille retenait les commentaires qu'elle entendait

avec terreur. C'est alors qu'elle était seule près de la malade que celle-ci

tout à coup éprouva' une nouvelle syncope; la jeune fille put monter à

l'étage au-dessus, appeler une voisine et redescendre dans la chambre, mais

ce fut pour tomber brutalement sans connaissance dans les bras de la voi-

sine accourue. C'est le point de départ d'une crise terrible pendant laquelle

cinq hommes étaient incapables de la maintenir, elle crie et se débat et

« toujours veut voir sa mère morte ». La crise dura de 6 heures à minuit,

elle dormit bien ensuite, mais le lendemain lorsqu'elle voulut se lever, elle

était brisée, courbaturée; le médecin appelé prescrit des bains; en la sor-

tant du bain on constate que ses jambes sont paralysées, « le pied et la

jambe avaient grossi démesurément et étaient tout noirs ». Les crises

reviennent à chaque instant : ce sont des visions du diable sous toutes

Sortes de formes, puis la vue s'obscurcit, et bientôt elle ne voit plus clair

du tout.

Elle est ainsi huit jours et on l'amène à la Salpêtrière paraplégique et

amaurotique. Elle n'était pas plutôt éloignée de ses parents qu'elle était

guérie. On la rend à sa mère au bout d'une semaine ; dès le lendemain elle

a la danse de St-Guy qui dure du mardi au vendredi et les crises réappa-

raissent. La mère quitte la malade, le 22 décembre tout s'arrête, il n'y a

pas eu de crises depuis.

On la mène à la campagne à Epernon ; déjà elle mangeait peu et digé-

rait mal, dès que le repas était terminé elle se « tortillait », étouffait,

soupirait ; un jour elle adopte une tisane de camomille ; dès qu'elle avait t

pris sa tisane la digestion était immédiatement faile et les malaises dispa-

raissaient comme par enchantement. Elle avait toujours été constipée; mais

cette constipation s'accentue là d'une façon remarquable; on doit recourir

à des purgatifs violents, il des lavements « de cheval ».

Sur ces entrefaites elle vient voir ses parents à Paris, elle était très ac-

tive et pas du tout amaigrie, onconseillejiéanmoinsà la mère de lui donner

Nouv. Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE. T. XIII. l'I. XII

ANOREXIE HYSTÉRIQUE

(G. Gnsuc.)

Masson & CU : , Editeurs

rnonourn s,ruma, rn

UN CAS D'ANOREXIE HYSTÉRIQUE 33

des douches, 15 douches ; ces douches sont très mal supportées, la consti-

pation persiste, les troubles de la digestion aussi, elle maigrit à ce moment

d'une façon épouvantable; enfin vint la quinzième douche, elle n'en

pouvait plus et eut une longue syncope.

Autre chose encore agissait sur elle,c'était l'idée de retournera à Epel'l1on

qu'elle a pris en grippe. C'est un supplice pour elle. Aussi, ta-bas l'ano-

rexie s'accentue, elle use de toutes sortes de stratagèmes pour ne pas man-

ger ainsi qu'on le verra dans la lettre qu'elle m'écrit alors; son état empire

de telle façon que sa mère fut appelée, elle arrive juste pour constater une

crise horrible de vomissements et de diarrhée, flux séreux non sanglants

qui semblaient inépuisables. On l'amène le jour même à la Salpêtrière;

c'est là qu'elle fut pesée et photographiée, son poids était de 55 livres ;

nous donnons sa photographie, on ne peut imaginer squelette mieux dé-

charné. Le lendemain on trouve une jeune fille gaie qui tout de suite nous

apprend qu'elle a un appétit féroce et qu'elle a pris tout le lait que nous

avions mis à sa disposition ; on reprit rapidement une nourriture solide

et malgré un ou deux vomissements la guérison fil des progrès extraordi-

naires.

L'examen que nous finies alors est exactement le même que celui que

nous avons refait aujourd'hui et que voici :

Le caractère est gai, très émotif ; c'est une jeune fille très douce, très

sensible ; son sommeil est bon, mais léger, elle ne rêve jamais, du moins,

ni elle, ni ses voisins ne s'en aperçoivent. Elle est petite, gracile, mais le

pubis est garni de poils, et les seins tranchent par leur volume sur la mai-

greur générale ; disons tout de suite qu'elle n'a jamais été réglée bien que

tous les mois elle constate un écoulement vaginal blanc jaunâtre durant

quelques jours.

Elle ne souffre à proprement parler de nulle pari, cependant ses seins

sont toujours un peu douloureux et la malade a toujours peur qu'ils

soient heurtés ; en outre depuis quelque temps elle a les pieds et les mains

glacés.

La sensibilité cutanée est partout normale au tact, Ù la piqûre, au chaud,

au Jroid; nulle part d'anesthésie ni sur le tronc, ni sur les membres.' Il

n'y a pas de points llyperesthésiés. Seules les glandes mammaires sont très

douloureuses à la pression. Les sens sont absolument indemnes, le champ

visuel est normal, la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût consenés. Il y a une no-

table diminution du réflexe pharyngé.

Il n'y a actuellement que des troubles passagers de la motilité ; dès que

la malade est assise plus d'une demi-heure elle a de la difficulté à se rele-

ver, elle est courbée en deux, les genoux engourdis, il faut la soutenir, mais

cela se dissipe en quelques instants.

54 -1. - " GEORGES GASNE

Les troubles vasomoteurs sont uniquement constitués par la cyanose des

mains et des pieds, mais il existe de fréquentes poussées d'urticaire très

douloureuses sous les influences les plus minimes (ingestion de porc, de

pommes de terre, de poisson); on constate encore de nombreuses lésions de

grattage consécutives à la dernière poussée urticarienne. Nous avons parlé

du gonflement des membres paralysés lors de la paraplégie de l'année der-

nière. Les seins sont manifestement tendus et grossissent ou diminuent ra-

pidement. Le pouls marque 110 pendant l'examen, les pupilles sont très

larges et réagissent vivement.

~ L'appétit est devenu vile régulier, elle mange comme tout le monde et

digère très bien, elle a seulement conservé un dégoût marqué pour le vin.

Les garde-robes sont devenues faciles et régulières depuis cette dernière

crise d'anorexie, dès le moment où l'isolement à la Salpêtrière l'a arrêtée.

La respiration est normale.

Les urines normales.

Le poids, qui était, on se le rappelle, de 5H livres, est aujourd'hui de

80 livres passées. ,

Je veux ajouter à cette observation la lettre que j'ai reçue de cette

jeune fille lorsqu'elle apprit qu'on allait la transporter à la Salpêtrière;

. elle est intéressante à plusieurs égards, d'abord par la peinture naïve des

subterfuges employés par la malade pour ne pas manger, puis par l'ex-

plication véritablement frappante de son affection : « je n'éprouvais en

aucune façon le besoin démanger ». C'est bien là l'anorexie vraie qu'il

faut distinguer des anorexies dues aux douleurs provoquées par l'inges-

tion des aliments, ou encore des anorexies liées aux vomissements irré-

sistibles qui suivent cette ingestion, douleurs et vomissements qu'on peut

vraisemblablement mettre sur le compte d'un point hyperalgésique de la

muqueuse stomacale. La question de savoir si l'anorexie pure, telle que

nous l'avons constatée ici, est liée à une anesthésie de celle muqueuse,n'a

pu être éclaircie ici; dès que la malade été soumise à notre examen,

l'appétit lui est revenu el lorsque nous l'avons observée, elle n'avait pas

de trouble de la sensibilité de la paroi abdominale au niveau de la région

gastrique ; on sait que l'anesthésie ou l'hyperesthésie de cette région ac-

compagne en effet souvent les troubles sensitifs profonds.

Il n'y a pas là d'ailleurs de quoi nous étonner beaucoup. Rien que la

nature hystérique de telles anorexies soit unanimement admise, nous sa-

vons que la plupart du temps les stigmates sont souvent absents ; peut-

être est-ce pour cela que le diagnostic n'est pas porté, au grand dommage

des malades. Monosymptomatique ou non, l'anorexie se guérit de la même

UN CAS D'ANOREXIE HYSTÉRIQUE 55

façon que les accidents hystériques vulgaires, par l'isolemenl, mais l'état

mental que va révéler la lettre suivante ne doit-il pas compter comme un

essentiel stigmate ?

Voici cette lettre dans ses parlies principales :

Monsieur le docteur,

« Je devais me présenter chez vous vendredi, mais un changement s'est

opéré en moi. Par menaces de mon oncle de m'avoir avertie qu'il avait été

voir des docteurs samedi dernier, et que c'était l'un ou l'aulre, manger

ou m'en aller dans un hospice où je serai forcée de manger; alors moi,

dans la crainte des docteurs, je me suis exaltée et mardi, à la suite d'une

contrariété que mon oncle me forçait à manger une chose que je ne vou-

lais pas manger et que j'ai même en l'aplomb de la rejeter dans mon mou-

choir sans l'avaler et que j'ai été surprise par ma (aille qui a prévenu mon

oncle : alors là, docteur, j'ai tout dévoilé, car je vous dirai que je ne sais

si c'est la maladie ou le cerveau qui était malade, butté je ne sais quoi,

eh bien ! j'avais acquis des vices, ce qui est honteux, j'ose le dire, oui,

Monsieur le docteur, et voici ce que je faisais pour ne pas manger : je

faisais tout ce que je pouvais, comme je vous l'ai dit précédemment; je

rejetais ma viande dans mon mouchoir et puis je devais prendre, il 4 heu-

res, une tasse de lait, eh bien, j'avais encore le vice de m'esquiver à la

cave boire mon lait et je ne le buvais pas, je le jetais et quand ma tante

me disait : as-tu bu ton lait ? je répondais hardiment : oui, tante : et je

ne sais ce qui me poussait il faire cela, mais il y a un revirement qui

s'est opéré en moi, je suis décidée il manger et je le ferai, car tous ces

vilains vices qui étaient odieux seront chassés de cette cervelle qui était

buttée, anéantie complètement, bornée. »

Suit une longue explication de la terreur que lui inspirait la consulta-

tion qu'elle devait avoir et le bonheur que la campagne lui réserve : « je

suis aux anges, j'attends, je savoure la ferme avec impatience, je vous le

jure, j'y resterai tout le temps qu'il me sera possible et s'il faut manger,

puisque c'est cela, eh bien ! je mangerai.

Et elle poursuit : « Maintenant Docteur, vous êtes au courant de ce que

j'ai eu, de la façon dont je vous ai trompé, je vous l'ai raconté ce que je

faisais mais mes idées mauvaises ne sont plus lit eh bien, quoique ne

mangeant pas puisqu'il faut presque le dire je ne mangeais presque pas

eh bien, je ne sentais pas le besoin de manger, l'estomac ne me demandait

jamais rien, je ne me fatiguais pas, je ne me sentais jamais fatiguée, c'était

à n'y rien comprendre. »

Et revenant à la transformation qu'elle veut nous faire voir en elle : « De-

puis quelques jours je ne sais quel revirement s'est opéré en moi,je me sens

56 GEORGES GASNE

toute joyeuse moi qui ne chantais jamais, hier en plaine j'ai chanté

comme une perdue et je m'en suis donné à coeur joie en attendant de

m'en redonner encore je hais de toute mon âme, de tout mon coeur,

de toute la force que je possède el je les chasse bien loin ces vilains vices

et je demande pardon à tous, car je vois que c'était une maladie que j'a-

vais et cette maladie tout simplement une maladie imaginaire. »

' L'imagination fut plus forte que la volonté de cettepauvre fillette-et,,

comme je l'avais prévu, elle continua de maigrir et dut rentrer à la Sal-

pêtrière et c'est pourquoi je liens il mettre en relief cette sincérité ap-

parente avec laquelle ces malades affirment qu'elles sont prêles à guérir.

Qu'elles soient réellement sincères, cela est probahle, mais ce qu'il faut bien

savoir, c'est que le médecin doit énergiquement refuser sa confiance aux

promesses qu'on lui fait. Ces promesses ne seront pas tenues. Et ce n'est

pas toujours la malade seulement qui cherche à émouvoir le médecin, ce

sont les parents que le mot d'isolement effraie ; il faut résister et imposer

sa volonté, ces malades guérissent comme par enchantement, lorsqu'elles

sont séparées de leur milieu, et en effet c'est un véritable enchantement,

car ici il n'y a ni suggestion directe, ni sommeil hypnotique, ni influence

appréciables; elles sont hors de chez elles, cela suffit, à l'instant même

elles recouvrent l'appétit, elles digèrent et elles sont sauvées de la mort. Je

me permets de rappeler ici un exemple personnel qui m'a profondément

ému par l'intensité dramatique des situations ; il s'agit d'un magistrat qui

m'appelle un jour pour donner mes soinsà sa jeune fille âgée de vingt ans;

elle était dans l'état, que représente la photographie que nous publions

aujourd'hui. Après dix diagnostics, aussi variés qu'étranges, signés des

maîtres les plus illustres, cet homme avait fini par comprendre qu'il s'a-

gissai 1. d'une anorexie nerveuse. Il m'apprit, chose cruelle, qu'il avait perdu

deux ans avant sa fille ainée du même mal, il voulait sauver celle-ci ; il

exprimait celte volonté avec une exaltation singulière, mais au premier

mot de maison de santé il m'arrêta, un de nos meilleurs maîtres en pa-

thologie nerveuse lui avait affirmé cette nécessité de l'isolement ; le père

s'était heurté à une telle résistance de la part de sa femme qu'il avait dû

s'incliner, il venait justement me supplier, c'était bien une véritable sup-

plication poignante, de soigner sa fille chez lui. J'ai essayé; toutes les res-

sources que j'avais puisées dans ma longue fréquentation des hystériques

à la Salpêtrière, je les ai mises en oeuvre, m'acharnant cette cure, je n'ai

pas gagné un gramme. Le père finit par vainc e la résistance de la mère,

il retourna près du premier médecin qui l'avait conseillé, et isolée sous sa

direction la jeune fille guérit avec cette rapidité miraculeuse dont je parlais

tout à l'heure et qui se retrouve dans l'observation qui fait le sujet de ce

travail.

ÉCOLE DU SERVICE DE SANTE DE LYON

UN CAS

I) E

*

TYMPAN1SME ABDOMINAL D'ORIGINE HYSTÉRIQUE ·

PAR

F. BENOIT, et R. BERNARD

Médecins majors répétiteurs à l'École du service de Santé de Lyon.

Observation.

S... (hélix'), canonnier de 2e classe au 110 Bataillon d'Artillerie à pied,

est envoyé il l'hôpital le 14 mars 1899 « en observation ». Il se plaint de

douleurs diverses, abdominales surtout, et déclare que « son ventre enlle »

à l'occasion du moindre travail. Il est suspect de simulation.

Antécédents héréditaires. Père âgé de 63 ans, bien portant, point rhu-

matisant, ni alcoolique. Grand'mère paternelle mQrte à 86 ans. Les

renseignements manquent sur le grand-père paternel, sur trois oncles pa-

ternels décédés, et sur deux tantes maternelles vivantes. Mère âgée de

55 ans, souffre de douleurs rhumatismales depuis une trentaine d'années;

l'hiver, elle est souvent obligée de s'aliter, ses enfants lui ayant donné du

souci, elle est triste et peut-être un peu neurasthénique.-La grand'mère

maternelle est morte à 83 ans. S... ne sait rien de son grand-père mater-

nel mort depuis longtemps. De ses deux oncles maternels, l'un est bien

portant, l'autre est toujours malade. Depuis dix ans, on le soigne pour une

maladie du ventre : il est allé il Vichy, à Chatel-Guyon. - Collatéraux :

un frère mort à quinze mois. Trois frères vivants : deux sont mariés

et bien portants, ils ont chacun un petit enfant bien constitué. Le troisième

frère a eu des rhumatismes au régiment et depuis. Quand il était écolier,

on l'a soigné pour une maladie très dangereuse que le médecin appelait

« colique de miserere » ; il s'est rétabli contre tout espoir par l'évacuation

d'une énorme quanti té de « matières dures comme des cailloux. » - Deux

soeurs mariées, ayant chacune deux enfants ; l'un de ceux-ci est malingre

et nerveux à l'excès.

Antécédents personnels. Pas de maladies infantiles. La santé de S...

aurait été bonne jusqu'à quinze ans. Il assure qu'à cet âge il a eu une at-

taque de rhumatisme articulaire aigu d'assez longue durée (mais il ne s'est

ë8 ' F. BENOIT ET n, BEII1\.\I1D

pas couché), et que depuis il est sujet à des douleurs rhumatismales. Il a

eu plusieurs ú ! enllo1'r ! wgies : la première, à quinze ans et demi, aurait duré

trois mois ; la deuxième, à seize ans, a été un peu plus longue : la troisième

il dix-neuf ans et demi, s'est compliquée de cystite (mictions sanglantes et

purulentes, traitement par des lavages au nitrate d'argent et au perman-

ganate dépotasse) ; malgré des douleurs très vives S...,,qui est tailleur, n'a

pas interrompu son travail à ce moment, aussi sa maladie s'est prolongée

et sa santé générale s'est profondément altérée : il était très fatigué encore

et il n'avait pas cessé de souffrir, quand, en 1897, il contracta la syphilis

(chancre du sillon balano-préputial, puis roséole, croûtes dans les che-

veux, plaques à l'abus et au scrolum). Le traitement mercuriel d'abord,

puis mixte dès la première année, a été suivi très régulièrement. S...

« n'était pas resté une semaine sans se soigner » avant son entrée à l'hô-

pital. C'est à l'occasion de cette syphilis que se seraient développés les

accidents spéciaux dont il souffre actuellement. -S..., sobre, n'a abusé

ni de l'alcool, ni du café, ni du tabac.

Depuis longtemps, S... était incommodé par des douleurs abdominales :

la cystite les avait aggravées en même temps qu'elle amenait de l'anémie

et de la fatigue. Au commencement de décembre 1897, il constate pour

la première fois que, après un travail prolongé, ses douleurs sont plus

vives et son ventre se ballonne. Malgré la gêne croissante que lui cause ce

ballonnement il persiste il travailler jusqu'au jour de l'an ; mais il est à

bout de forces, et il est obligé d'abandonner sa profession. Il avait des

économies, il en dépense une partie à se faire soigner Paris, puis il

part pour son pays, un-village de l'Allier, où il continue le traitement de

cette maladie, dite alors « cystite tuberculeuse », il y emploie tout son

argent, puis, avec l'aide de ses parents, il va aux eaux à Néris. Enfin,

toujours malade il rentre à Paris et se fait hospitaliser il Saint-Louis, le

23 septembre 18 ! )8, dans le service du Dr Bazy, où on aurait simplement

traité par des instillations de nitrate d'argent une «goutte militaire »

déclarée insignifiante, mais incurable.

Il sortait à peine de l'hôpital au moment de son incorporation (in no-

vembre). Le 21 novembre, il se présente il la visite, se plaignant de ses

douleurs dans l'abdomen. Admis à l'infirmerie, il en sortie 2 janvier. Le

4, il y revient : son maréchal des logis l'ayant trouvé très fatigué l'a dis-

pensé de la manoeuvre. Dans la nuit, S... s'étant levé pour uriner a une

faiblesse dans l'escalier ; il est relevé par des hommes du poste.

Envoyé à l'hôpital militaire le G janvier, il y est admis dans un service

de blessés. Malgré les douleurs dans le bas-ventre, et les autres troubles

qu'il accuse, pollakiurie, dysurie, etc., on ne trouve aucun signe objectif

de cystite. Ce qui frappe il ce moment, c'est une asthénie profond e S....

Nouv. Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XIII. 1'1. XIII

TYMPANISME ABDOMINAL HYSTÉRIQUE

(R. 'Eerl/ard et F. 'Emoi ! .)

Masson & C ? 1 ? Jitett

Pototrnle N<rlGaud,

UN CAS DE TYMPANISME ABDOMINAL D'ORIGINE HYSTÉRIQUE 39

est épuisé, il ne peut se tenir debout ; quand on le prie de se lever et de

marcher, il s'appuie à son lit, fléchit sur ses genoux el se traîne en tirant

sur ses mains cramponnées ; on le croirailparaplégique. Il s'essouffle vite :

ses jambes faibles et molles ne peuvent se tendre.

Evacué sur le 2' service de fiévreux, il se remet rapidement. Dès le

lendemain cette impotence fonctionnelle des membres inférieurs n'est

plus que de la faiblesse. Il se plaint de douleurs au-dessous de l'ombilic

et dans l'eslomac, d'autres douleurs dans les épaules, dort peu, semble

digérer mal. On le considère comme un neurasthénique ; car, en l'absence

de lésion organique définie et de manifestations actuelles de syphilis, sa

bonne foi n'élant pas en cause, on est surtout frappé de l'état mental de

S... Il est affaissé, inerte, indifférent : une seule chose semble l'occuper,

sa santé. Il insiste souvent sur ses antécédents vénériens, sur le traite-

ment suivi, s'alarme de ce que ce traitement a été interrompu, examine

sa peau et ses muqueuses, semble en un mot un vrai syphilophobe. Ce-

pendant son état général s'améliore, son poids augmente, el, après un

court passage au 2° service de blessés où l'on confirme l'absence actuelle

de signes de syphilis, il retourne à son corps.

Tant mal que bien il y fait son service jusqu'au milieu de mars, se

plaignant beaucoup et venant souvent demander des exemptions de ser-

vice. Il invoque ses douleurs abdominales et le ballonnement, puis de-

vinant la méfiance du médecin, c'est les douleurs rhumatismales qu'il

fait intervenir pour rester à l'infirmerie. Comme il ne donne aucune

preuve de bonne volonté ni de maladie, on finit par le renvoyer à l'hô-

pital. 1..

Etat actuel, le 1 mars 1899. (PI. XIII.)

S..., malgré ses longues souffrances, n'inspire pas la pitié à première

vue. Il est assez fort et assez gros (taille 1·° 62, poids 6S kg). Sa figure est

pleine, un peu bouffie même, jamais pâle, quelquefois acnéique. L'abdomen

se présente au repos avec sa forme et sa consistance normales. La pression

même profonde est bien supportée à t'épigastre, à l'hypogastre et dans le

flanc gauche ; elle éveille au contraire une vive douleur à droite près de

l'ombilic, on pourrait croire à une zone pseudo-ovarienne, mais la région

douloureuse est située un peu haut. Son centre se trouvant à droite et au

niveau de l'ombilic, elle s'étend sous le muscle droit jusqu'au rebord hé-

patique : l'exploration méthodique du rein ne permet pas d'atteindre son

extrémité inférieure et la région lombaire n'est pas douloureuse. Au cours

de ces explorations on a noté que le carcum était souvent dilaté et le côlon

descendant rétracté (corde colique). Pas de clapotage gastrique. Pas d'au-

tre anomalie. Par la percussion, on ne relève aucune modificalion aux limites

normales de la malité hépatique et de la sonorité stomacale.

60 F. BENOIT ET R. BERNARD

L'appareil digestif est d'ailleurs peu troublé dans son fonctionnement.

Les digestions sont parfois difficiles, mais Sans incommoder nettement le

malade. L'appétit est moyen. Les selles sont toujours régulières : quoiqu'il

y ait eu autrefois une constipation très opinàlre.

L'appareil ! Jénito-urinaire est sain : les douleurs cystiques semblentavoir

été un peu exagérées par S... ; il avait signalé aussi de la pollakiurie

dont l'existence n'est pas établie. Dans l'urine, dontl'émission se fait avec

peu de vigueur, on voit flolter aussitôt après la miction de minces filaments

muqueux : ni albumine, ni sucre. Fonctionnement normal des sphincters

anal et vésical. Facultés génésiques un peu diminuées.

Les appareils respiratoire et circulatoire ont leur jeu régulier; quelques

palpitations après un exercice un peu actif.

. Appareil locomoteur. Diverses arthralgiesonlgèné lemalade.Les hivers

précédents, il s'est plein de craquements quand ses épaules étaient endo-

tories : on ne lésa pas constatés ; et S... a avoué avoir exagéré l'impor-

tance de ces douleurs par crainte de n'avoir pas dans le ballonnement de

son ventre un motif d'exemption suffisant. La force musculaire est mé-

diocre.

Les réflexes sont à peu près normaux : le réllexe patel laire est un peu am-

ple et brusque, celui du lendon d'Achille est normal des deux côtés, la

percussion des autres tendons ne produit pas de contractions apparentes; le

rél1exe pharyngien est affaibli, le réflexe crémastérien normal. - S...

présente du dermographisme à un faible degré (tâche vaso-motrice sans

bourrelet).

Sensibilité. A part les douleurs déjà indiquées, S... n'accuse

aucun trouble dans la sensibilité. Dans l'exploration de la sensibilité

cutanée sous ses diverses modes (piqûre, contact, chaleur, froid) les im-

pressions sont égales des deux côtés : l'appréciation du siège et de l'intensi té

est exacte. Pas de zones hyperesthésiques. La sensibilité musculaire est

normale aussi.

Organes des sens. - Pour le goût el l'odorat, rien à signaler. L'acuité

visuelle est normale, et le champ visuel ne présente ni rétrécissement, ni

asymétrie, pour la lumière blanche et les couleurs.

Intelligence. - L'instruction de S... est très suffisante : il affirme que

sa mémoire, son attention, sa curiosité, actuellement paresseuses, étaient

vives avant sa maladie. Il avait de la volonté, de l'énergie, travaillait beau-

coup et était payé comme un excellent ouvrier ; il est devenu indifférent, il

li rarement, flâne ou joue aux dames avec quelque camarade de salle. Son

apathie est causée surtout par des idées hypochondriaques qui ne l'ont ja-

mais quitté à l'hôpital, et qui semblent depuis longtemps enracinées; il

est difficile d'en préciser l'origine. Il se sait atteint d'une maladie incu-

UN CAS DE TYMPANISME ABDOMINAL D'ORIGINE llYSTÉHIQUE GI

rahle et il s'absorbe dans la méditation de ses malaises ou de leur traite-

ment : il est très ennuyé qu'on n'oppose pas une thérapeutique à ce mal,

très inquiet si l'on suspend le traitement spécifique; mais il est surtout

méfiant il l'égard des interventions dont il ne comprend pas l'utilité ! Il a

difficilement accepté des lavements : il approche avec crainte des appareils

d'électrisation, il a de violents battements de coeur, presque une faiblesse

devant le polygraphe de Marey. Ses appréhensions s'étendent jusqu'au dy-

namomètre, et il s'informe au conrs des explorations successives si toutes

ces manoeuvres n'auront pas de mauvais effet sur sa santé. Cette suscepti-

bilité de caractère est apparue encore à l'occasion de son tympanisme.

Dans les premiers temps de son séjour à l'hôpital, il provoquait assez vo-

lontiers le gonflement de son abdomen en travaillant activement une heure

environ, plus tard il a allégué une gêne et des douleurs de plus en plus

fortes, a protesté contre la répétition des examens, et nous a menacés, le

jour où nous avons insisté pour une dernière épreuve, de.se plaindre au

médecin-chef. Amené devant lui, il a été assez embarrassé, pourtant il a

maintenu ses protestations et c'est seulement la perspective d'être renvoyé

comme simulateur qui l'a fait céder.

Les explorations diverses auxquelles S... a été soumis se sont éche-

lonnées à intervalles irréguliers pendant son séjour à l'hôpital : comme

elles sont toutes concordantes, comme il n'y a eu aucun changement dans

l'état de S... pendant ces quelques mois, il a paru plus clair de ras-

sembler tous les résultats.

Le tympanisme n'est jamais spontané chez S... il est toujours provoqué,

et provoqué par une seule cause, la fatigue. C'est,au début, la fatigue épi-ou-

vée dans son travail de tailleur qui arrêta l'attention de S... sur le gon-

flement anormal de son ventre. Depuis, l'exercice, la marche même, à

l'hôpital, une marche un peu prolongée, ont provoqué le tympanisme.

La condition la plus favorable paraît être un travail de couture un peu

prolongé. Le 24 juin, S... qui s'était déjà un peu fatigué la veille, a cousu

pendant la plus grande partie de la journée : à cinq heures du soir son

ventre était énormément distendu. Au mois d'avril, à plusieurs reprises,

on avait constaté un gonflement égal, et plus rapide, après que S... avait

« frotté le parquet » à la brosse pendant un peu plus d'une heure. Ce

gonflement est uniforme : la paroi est distendue dans son ensemble, l'épi-

gastrie ne participant que modérément il l'augmentation du volume : cette

augmentation porte le périmètre au niveau de l'ombilic du chiffre ordi-

naire de 0 m. 75 à 0 m. 90 environ. Le périmètre au niveau de l'ombi-

lic a été inscrit de quart d'heure en quart d'heure pendant la météorisa-

tion.

62 F. BENOIT ET R. BEUNARD

UN CAS DE TYMPANISME ABDOMINAL D'ORIGINE HYSTÉRIQUE G3

tout mouvement du larynx, du thorax, des muscles abdominaux pouvant

se rapporter à une introduction d'air par aspiration oesophagienne ou rec-

tale ou par déglutition, l'oesophage a été ausculté longuement pendant

que la dilatation s'effectuait.

Pour préciser le degré de participation du diaphragme il la distension

de l'abdomen : on a surveillé le jeu du soufflet respiratoire ; on s'est assuré

par la radiographie que le diaphragme gardait sa mobilité pendant la mé-

téorisation ; on a recueilli des graphiques des mouvements respiratoires

du thorax (pneumographe sur l'horizontale des'mamelons) et de l'abdo-

men (cardiographe sur l'ombilic) : les sinuosités des deux courbes ont tou-

jours été opposées, jamais parallèles, que le ventre fût gonflé ou qu'il fût

affaissé. Selon la prescription des anciens médecins légistes de l'armée (1),

on a prié le malade de souffler avec suite sur un objet, ou de rester un

instant suspendu par les mains, alors qu'il était météorisé, et ces manoeu-

vres n'ont point modifié l'état de l'abdomen.

Des photographies du malade prises avant et après le gonflement mon-

trent le rôle important que peut jouer l'ensellure lombaire dans la défor-

mation. En mettant le malade sous la toise et en mesurant le périmètre

abdominal et non la saillie, cette cause d'erreur est écartée. La lordose

existe chez S... avec le tympanisme, et on peut la constater encore en pas-

sant la main sous « le pont » que fait alors la colonne lombaire dans le

décubitus dorsal, ou en constatant l'attitude spéciale que prend le malade

dans la déambulation. Cette saillie antérieure des vertèbres lombaires

n'empêche pas que les parois abdominales ne soient distendues, et cette

distension persiste quand le malade passe de la position couchée à la po-

sition assise, ou quand il se baisse pour ramasser un objet, épreuves re-

commandées par les experts précités.

Malgré la fatigue accusée par le sujet, les forces ne diminuent pas sen-

siblement après la tympanisation.

Chiffres exprimés par le dynamomètre :

64 F. BENOIT ET R. BERNARD

lieu d'origine, on a pu contrôler l'exactitude des renseignements qu'il

avait donnés sur ses antécédents et recueillir une nouvelle preuve de sa

bonne foi.

S... présenté il la commission de réforme du 29 juillet est rentré

dans sa famille. A celte date, son état était le même qu'au moment de son

entrée ; les essais médicamenteux tentés soit pour régulariser les contrac-

tions de l'intestin soit pour frapper l'imagination du malade : galvanisa-

tion, poudres absorbantes, strychnine, belladone..... n'avaient rien mo-

difié.

Il s'agit en résumé d'un homme d'apparence saine, sans tare impor-

tante dans ses antécédents héréditaires, ni personnels sauf des bien -

norrhagies et une syphilis récente qui est obligé d'interrompre sa pro-

fession par suite du développement progressif de ce qu'on pourrait appeler

un «'tympanisme d'effort ». Devenu soldat, il se trouve incapable de faire

son service, la gène causée par cette infirmité paraissant aggravée par tou-

tes les fatigues; on est obligé de le réformer.

Ce fait provoque les réflexions suivantes :

1° Sur le diagnostic proprement dit. Il semble qu'il puisse être

rangé dans la catégorie des manifestations hystériques ; cependant, nous

n'avons trouvé chez S... aucun des stigmates de la grande névrose, et,

en particulier aucun des troubles sensitifs (anesthésie ou hyperesthésie)

dont la localisation épigastrique accompagne presque constamment, au

dire des auteurs qui ont écrit sur le sujet, les manifestations abdominales

de l'hystérie. Mais, outre que les phénomènes de la nature de celui qui

est rapporté ici sont assez fréquents dans l'hystérie, ils ne s'observent à

peu près exclusivement que dans cette affection. D'autre part, l'état mental

de S... est bien celui qui est décrit chez les hystéroneurasthéniques :

préoccupations vives de son état de santé, auto-suggestions incessantes le

portant à s'en exagérer les conséquences, à suspecter les intentions des

médecins qui ont eu à s'occuper de lui, etc. Notons encore que Demar-

quay, au dire de Cadet ( 1), avait fait de la rapidité du météorisme un signe

de l'hystérie : le malade assiste en quelque sorte à la distension instantanée

de son ventre, et c'est le cas de notre homme.

Quant à la cause provocatrice de la localisation de la névrose sur l'ab-

domen, nous la retrouvons sans peine dans les antécédents du sujet. Il a

eu un oncle qu'on traitait à Vichy pourune maladie abdominale, un frère

atteint d'iléus, et il a présenté lui-même à la suite de sa cystite des dou-

(1) Voir les histoires de possessions, les estampes et gravures, voir surtout les étu-

des analytiques faites par les observateurs modernes depuis Briquet. ,

UN CAS DE TYMPANISME ABDOMINAL D'ORIGINE HYSTÉRIQUE 65

leurs abdominales assez violentes et des préoccupations hypochondriaques

s'y rattachant. Il n'est pas jusqu'à la provocation de ces paroxysmes par le

travail qui ne nous autorise à considérer ces troubles transitoires comme

relevant, ainsi que nous le verrons, d'une paralysie hystérique, ces der-

nières étant, on le sait d'ailleurs, souvent consécutives à un traumatisme,

dont la gêne supportée par ce tailleur dans l'attitude du travail peut être

considérée comme l'équivalent le plus modéré, l'auto-suggestion ne per-

dant du reste pas ses droits.

Mais, si les observa lions de météorisme permanent ou durable chez les hys-

tériques ne sont pas rares, il n'en est pas de même des cas où ce météorisme

est intermittent et ]Jrorocable à volonté en quelque sorte ; nous n'en avons

pas trouvé d'aussi net que le nôtre. C'est ainsi que dans une observation

de Cadet (2) (obs. VIII, p. 14) « souvent l'abdomen, dont le contour au-

dessous de l'ombilic mesurait de 80 à 60 centimètres, diminuait de volume,

le plus ordinairement sous l'influence d'aucune cause appréciable, et sans

qu'il se fil une émission de gaz par l'anus ». C'est en quelque sorte l'es-

quisse des phénomènes si fortement accusés chez notre sujet.

Le seul diagnostic qui nous paraisse mériter discussion dans le cas pré-

sent est celui de simulation. Nous n'y croyons pas et notre opinion a été

partagée par nos collègues de la Commission de Réforme. Ce n'est pas que

la simulation n'ait jamais été tentée dans cet ordre d'affections : d'assez

nombreux sujets ont réussi à faire pénétrer dans leur tube digestif par l'une

ou l'autre extrémité, du gaz dont la tension pouvait paraître pathologique

et à l'aire accepter des diagnostics de météorisme ou même de péritonite

tuberculeuse avec toutes les mesures bienveillantes que pouvaient compor-

ter de pareilles interprétations. C'est même là une pratique qui a été com-

mune, parait-il, dans certains corps disciplinaires de l'armée d'Afrique, il

s'agissait alors de météorisme permanent, et non, comme dans le cas de

S... d'un météorisme intermittent provoqué par une cause bien spéciale,

disparaissant dans les intervalles de l'action de celle-ci et nécessitant,

clans l'hypothèse de simulation , la réitération incessante des efforts

et des manoeuvres destinés à induire en erreur le médecin. De plus,

nous avons observé soigneusement à diverses reprises S ... lors de ces

alternatives de gonflement et dégonflement, et nous n'avons jamais assisté

à aucun phénomène permettant de soupçonner une cause d'erreur patho-

logique ou physiologique. Nous avons en particulier envisagé la possibilité

de l'aérophagie hystérique, étudiée par M. Bouveret (3), qui s'accompagne

de bruits spéciaux, perceptibles spontanément ou à l'auscultation de l'oeso-

phage. Or, nous n'avons rien observé de semblable, non plus d'ailleurs

que d'exhalations gazeuses bruyantes par l'anus aumoment du dégonfle-

ment. Des militaires ont aussi allégué pour tromper les médecins une

XIII 5

66 F. BENOIT ET R. BERNARD .

sorte de « pseudo-météorisme » artificiel intermittent ; pour écarter

les risques de cette simulation, nous avons répété avec soin les diverses

épreuves indiquées dans ce but par nos prédécesseurs, épreuves qui sont

toutes basées sur l'hypothèse d'une augmentation de la tension de l'abdo-

men due à un spasme inspiratoire du diaphragme : vérifier la persistance

de la courbure de la colonne lombaire, le malade étant dans. le décubitus

dorsal ; pendre le malade par les mains, lui faire faire un profond mouve-

ment d'inspiration ou, au contraire, le faire souffler pendant un certain

temps sur un objet déterminé, etc. (4).

Enfin, ainsi que nous l'avons dit, l'examen radiographique et le tracé

des mouvements respiratoires sont en opposition avec l'hypothèse d'un

spasme du diaphragme, voulu ou non. Une dernière ressource diagnosti-

que nous restait : c'est l'emploi du chloroforme ou de la suggestion hyp-

notique, pendant que notre malade aurait été en état de météorisme. La

nature hystérique de ce dernier aurait été établie par sa disparition au

cours de ces derniers états (Verhoogen (5) cite le cas d'un hystérique

chez qui l'atonie abdominale s'accompagnait d'anesthésie épigastrique. Si,

par suggestion, on supprimait cette dernière, l'atonie disparaissait). Mais

l'intérêt du malade, comme l'intérêt du fait rapporté ne nous ont pas paru

légitimer ces manoeuvres qui peuvent devenir nocives.

2° Sur la physiologie pathologique.

Ceci nous amène à nous demander comment un tel phénomène peut se

produire ?

Par quel mécanisme le contenu intestinal peul-il être soumis à de telles

alternatives de tension et d'état normal ? 1

A cet égard, un certain nombre de théories ont été émises (a). Tout

d'abord, on a voulu distinguer entre le météorisme proprement dit et le

tympanisme abdominal, le second résultant de l'accumulation des gaz dans

l'intestin, tandis que le premier serait dû à l'exagération de l'activité con-

tractile du diaphragme (Verhoogen) qui a été mise en cause aussi au sujet

des borborygmes rythmés. La lecture des tracés pneumographiques que

nous avons pris nous semble mettre hors de cause le diaphragme et laisser

dans l'interprétation du symptôme le premier plan à l'excès de distension

des gaz contenus dans la cavité abdominale. Toujours, dans ces tracés, les

oscillations du thorax de l'abdomen sont opposées, jamais elles ne sont

parallèles, comme elles le seraient si,comme dans un cas de MM. Raymond

et Janet (obs. 141), le diaphragme n'intervenait plus dans l'inspiration :

(a) Avant que la physiologie leur offrit des arguments précis et ? variables, elles

se sont inspirées de métaphysique. Une ligure du livre de 11. Regnard, représente le

« démon Béhémot » d'après Collin de Plancy et témoigne de son intervention chez

les météorisées de ce temps, dites parfois hydropiques.

UN CAS DE TYMPANISME ABDOMINAL D'ORIGINE HYSTÉRIQUE 67

et ces oscillations ont la même amplitude à l'état normal et dans l'état de

tympanisme.

Mais alors se posent de multiples questions : une première, bien ex-

traordinaire et démodée, sur le siège de cet épanchement gazeux : se fait-il

dans l'intestin ou dans la cavité péritonéale proprement dite, transformée

par le fait même, de cavité virtuelle en cavité réelle ? on l'a discuté, et

même on a entrepris d'assurer le diagnostic différentiel de ces deux loca-

lisations aujourd'hui cette discussion semble au moins superflue (18). -

Mais, si nous sommes mieux renseignés que nos devanciers sur le siège

exclusivement intestinal du tympanisme nous sommes aussi peu fixés

qu'eux sur le mécanisme lui-même de cette distension exagérée. Y a-t-il

eu excès de production de gaz intestinaux, ou simplement parésie momen-

tanée des parois musculaires de l'intestin, avec rupture de l'équilibre qui

existe normalement entre l'élasticité des gaz contenus dans la cavité intes-

tinale d'une part, et de l'autre la tension de la paroi musculaire de cette

même cavité ? A cet égard de nombreuses hypothèses ont été émises, qui

méritent d'être rappelées ici : pour les uns, il s'agit d'aérophagie avec in-

suffisance pylorique (Ebstein), le syndrome pouvant être reproduit par

l'injection dans l'estomac de poudres gazogènes ou d'un mélange gazeux.

Pour d'autres, les gaz sont produits en abondance par une excessive fer-

mentation du contenu intestinal, facilitée encore par l'inertie de l'intes-

tin et l'hypoacidité gastrique. D'autres encore supposent une simple exha-

lation entérique de gaz ou « pneumorrhée », et invoquent une expérience

de Moreau qui, en excitant les nerfs sympathiques de la vessie natatoire

d'un poisson, amenait la distension de cette vessie par l'oxygène. Notons

encore l'hypothèse de Ilallopeau (7) : pour lui, le spasme des artérioles

des parois intestinales en produirait l'atonie et gênerait en même temps la

résorption des gaz par l'ohstacle qu'il apporterait à la circulation veineuse.

Toutes ces hypothèses nous paraissent s'accorder insuffisamment avec

la rapidité de la distension intestinale de notre malade et surtout avec le

fait que le retour à l'étal normal ne s'accompagnait d'aucune émission

gazeuse par en haut ni par en bas, émissions dont l'ahsence ne s'explique-

rait guère si la distension abdominale résultait bien réellement chez lui

d'un llyperhroduclion de gaz et non d'un excès de distension des gaz nor-

maux, logés trop à leur aise parsuile de la laxité anormale de la paroi

destinée à les comprimer. Ce fait, fréquemment constaté par nous, nous

semble anéantir absolument toute hypothèse basée sur la pneumorrhée.

Il est bien entendu que nous ne parlons que de notre cas : dans un cas

analogue (8), Brodie aurait démontré l'existence de la surproduction ga-

zeuse en mettant son malade dans un bain : celui-ci aurait Motte à la sur-

face ; par acquit de conscience, nous avons risqué, sans succès, la même

68 F. BENOIT ET R. BERNARD

expérience sur notre malade. Il est bien clair, comme le disent MM. Ray-

mond et Janet (9), que « ces phénomènes sont fort complexes et ne sont 1

pas identiques chez tous les malades ».

Nous préférons, pour expliquer les alternatives si irrégulières et si brus-

ques du gonflement et du retrait de l'abdomen chez notre malade, invoquer

une paralysie momentanée de la musculature lisse de l'intestin, survenant

par récidives, sous l'influence de la fatigue, de la légère contention d'espri t

amenée par le travail. Cette parésie légère et transitoire amènerait la sur-

distension de l'abdomen par excès de pression des gaz intestinaux qui ne

trouveraient plus, du fait de l'affaiblissement de la paroi intestinale, la

contrepression à laquelle ils sont habitués, et se dilateraient pour revenir

ensuite à leur état normal dépression et de volume, lors du réveil de la

motricité de la paroi intestinale, le léger processus hystérique, dont celle-

ci avait été l'objet, étant passé. Pendant tout ce travail physiologico-patho-

logique, le volume des gaz intestinaux seul ayant augmenté et non leur

quantité, rien d'étonnant à ce que l'abdomen puisse reprendre son volume

habituel sans que des émissions gazeuses soient nécessaires pour cela. Il

est bien connu d'ailleurs que le météorisme hystérique permanent cède

brusquement de même à la chloroformisation, sans émissions gazeuses.

N'est-il pas permis de faire remarquer en outre qu'il y a là quelque chose

de très comparable à la disparition des paralysies et des contractures hys-

tériques.

Ce n'est là évidemment qu'une hypothèse. Toutefois c'est celle qui

nous parait le mieux en rapport avec les faits ; et nous ne sommes pas

les premiers à l'émettre. C'est par elle que Cadet, dans sa thèse déjà

citée, explique des faits analogues celui qui fait l'objet du présent travail

et Guéneau de Mussy l'avait déjà soutenue (10). M, Paul Regnard pense

également que la paralysie des muscles lisses intestinaux joue le plus

grand rôle dans la production de la tympanite hystérique. Ferret et

Straus (11) invoquent de même la paralysie et l'atonie des libres muscu-

laires de l'intestin et l'hypersécrétion gazeuse comme la cause principale,

sinon unique des pneumatoses intestinales. Ils pensent d'ailleurs que

l'hystérie n'est pas seule capable de produire cette parésie des fibres mus-

culaires de l'intestin, mais encore les inflammations du voisinage de ces

muscles (entérites, péritonites), ou les états de faiblesse générale qui ac-

compagnentcertaines infections, telles que la fièvre typhoïde, l'infection

puerpérale etc.

Hallopeau (7) également, dans sa classification des causes qui produi-

sent le météorisme, parle de la paralysie hystérique.

Axenfeld et lluchard(12), dans leur description des troubles intestinaux

UN CAS DE TYMPANISME ABDOMINAL D'ORIGINE HYSTÉRIQUE 69

des hystériques, n'hésitent pas non plus à rattacher le tympanisme à la

paralysie transitoire ou durable des muscles de l'intestin.

Gilles de la Tourette(13) semblerait plutôt incliner vers l'hypothèse de

la pneumorrhée, mais ne se prononce pas définitivement sur ce sujet, et

conclut à la difficulté d'interpréter physiologiquement le phénomène.

La paralysie des fibres musculaires lisses de l'intestin n'est pas une

rareté chez'les hystériques. On sait combien est fréquente la constipation

chez ces malades; ne peut-elle pas être considérée comme le premier degré

de cette détermination morbide; qui, lorsqu'elle s'exagère, peut aller jus-

qu'à la surdistension de l'abdomen, sous l'effort des gaz intestinaux, in-

suffisamment maintenus (a).

Si, dans certains cas, les hystériques sont sujets à la paralysie de l'in-

testin, ne sait-on pas également qu'ils peuvent être sujets à la contracture

de ces organes (14). Dans certaines névroses qui se rapprochent, il est

vrai, plus de la neurasthénie que de l'hystérie, Cherchewsky (15) a décrit

des troubles intestinaux aujourd'hui très connus consistant en alternatives

de diarrhée et de constipation, ballonnement localisé en certaines régions

de l'abdomen, renvois gazeux sans goût ni odeur, et spasmes intestinaux

localisés ; et récemment à propos des borborygmes rythmés, MM.Sabrazès

et Lamacq (16) ont étudié de près cette question.

En résumé, nous croyons nous être trouvés chez S... en présence d'un

cas d'hystérie viscérale mono-symptomatique, comme c'est si souvent le

cas chez les jeunes sujets, se traduisant par des attaques de parésie des

muscles lisses de l'intestin, attaques provoquées par l'effort et entraînant

un météorisme paroxystique de l'abdomen. Cette manifestation n'est pas

rare dans l'hystérie, mais elle se présente le plus souvent chez des fem-

mes, au moment des règles, sous forme d'un météorisme permanent, en-

traînant par sa présence de la gène de la respiration, des syncopes et par-

fois jusqu'à des menaces d'asphyxie.

Quelquefois le tableau clinique est bien moins dramatique : il s'agit

alors, sous formes de tumeurs gazeuses mobiles, tumeurs fantômes des

Anglais, de points localisés de distension intestinale, précédés et suivis

très probablement de points sténoses.

L'éclat et l'évidence des paralysies hystériques portant sur les muscles

de la vie de relation semblent avoir fait quelque tort à l'étude de déter-

minations morbides de celle nature sur les muscles de la vie organique :

ceux-ci semblent bien cependant soumis aux mêmes fatalités pathologi-

ques que les muscles de la vie de relation et les exemples de ces détermi-

(a) On pourrait il la rigueur pour confirmer cette opinion s'autoriser de quelques

. données expérimentales empruntées à la physiologie de l'estomac, celles en particulier

de Wertheimer (17).

70 F. BENOIT ET R. BERNARD

nations organiques de l'hystérie semblent devenir chaque jour plus fré-

quents et moins contestables.

LISTE DES AUTEURS CITÉS

1. MOLLARD. - Note sur un mode particulier de simulation du ballonnement dit ven-

tre. Rec. de mém. de méd. milit., IIIe série, t. XVIII, p. 166, 1861 (suivi d'une

note de Périer). »

2. Cadet. - Essai sur la pneumatose gaslro-intestinale des hystériques. Thèse de

Paris, 1871.

.3. BouvErsE·r. - Spasmes cloniques du pharynx [aérophagie hystérique). Rev. de

méd., 4891, .p. 148.

4. GntARMN, cité par Cadet, p. 48.

5. Vehiioogex. Le tympanisme el le météorisme abdominal des hystériques. Mer-

credi médical, 2 octobre 1895, p. 469. Du même : Sur les troubles digestifs

des hystériques. Thèse de Bruxelles, 1896.

6. PAUL HEGXAH)). Les maladies épidémiques de l'esprit : Sorcellerie, magnétisme,

morphinomanie, délire des grandeurs. Paris, Pion, 1881.

7. IIALLOPEAU. - Tr. élém. de pathologie générale, 5e édit., 1898, p. 503.

8. Booms, cité par G. de la Tourette, p : 341. '

9. RAY310ND et JANET. Névroses et idées fixes, t. II.

10. N. Guéneau de 111usSY. - Des conditions mécaniques de la tympanise. Gazette

hebdomadaire, 1867, p. 490.

11. Racle, FERKET et Sthaus. Tr. de diagnostic médical, 6e édit., 1878, p. 546.

12. Axenfeld et III : CIIAIiD. Traité des névroses, 1883. p. 1020.

13. GILLES de la Tourette. Traité clinique et thérapeutique de l'hystérie, III,

p. 344.

14. ANDHÉ. Précis clinique des maladies du système nerveux, 1895, p. 65.

15. CIIEIiCnEWSKl. Contribution à la pathologie des névroses inlestinales. Revue de

médecine, 1883.

1C. Sabrazès et LAACQ. Sur la pathogénie des borborygmes rythmés. Congrès des

neurologistes et des aliénistes. Toulouse, 1897 (anal. Bulletin médical, p. 767).

17. E. Wertiieiuer. Inhibition réflexe du tonus et des mouvements de l'estomac.

Archives de physiologie, p. 379, 1892.

18. IlAHN. Consid. sur la tympanise périlonéule et intestinale. Trait, par lapara-

cenlèse. Rec. de mém. de méd. milit., 2° sér., III, 1848, p. 143.

HOPITAL DE LA CHARITÉ DE LYON

TUMEUR CONGÉNITALE DE LA REGION LOMBAIRE

PAR

P. PIOLLET,

Interne lauréat des Hôpitaux de Lyon.

Nous avons eu l'occasion d'observer à la Charité, dans le service de

M. Nové-Josserand, chirurgien des hôpitaux,uncasde tumeur congénitale de

la région lombaire qui nous a semblé digne d'être relaté, d'abord à cause

du volume énorme du néoplasme, affligeant l'enfant d'une véritable mons-

truosité, ensuite parce que ce fait se distingue nettement de ceux qu'on ob-

serve ordinairement dans ces régions ; on trouve, en effet, soit des tumeurs

congénitales de la région sacro-coccygienne étudiées notamment par Cal-

bet dans sa thèse (Paris, 1893), soit desspina-bifida ; soit enfin des lipomes

de la région lombaire. Or notre cas ne rentre dans aucune ces catégories.

Voici cette observation. Il s'agit d'une fillette de 14 ans 1/2, R... Clau-

dia, qui entra à la Charité le 26 septembre 1899.

Le père est mort d'une affection gastrique : la mère, bien portante, a eu

8 enfants tous vivants actuellement. Ni la mère, ni les autres enfants ne

présenteraient de tumeurs cutanées ; nous n'avons pas pu nous en assurer

de visu'. Lors de la naissance de notre malade, tout se passa normalement

pendant la grossesse et pendant l'accouchement.

Dès la naissance, on constata une tumeur aplatie, appendue par une

large pédicule à la partie inférieure du dos, sur la ligne médiane, de l'é-

paisseur d'un doigt environ, de la largeur de la main.

A 15 mois, quand l'enfant commença à marcher, la tumeur devint pen-

dante, descendant au niveau des fesses; depuis lors, elle augmenta, lente-

ment, à mesure que l'enfant grandissait. Enfin, dans le cours de cette der-

nière année, l'accroissement fut beaucoup plus rapide, et la tumeur, ti-

rant en arrière, gênait par son poids la marche de la malade qui devait,

de ce fait, se pencher en avant. C'est le seul trouble fonctionnel observé.

Il y a 6 ans, à la suite d'un coup sur la tumeur, se forma un abcès qui

suppura pendant plus de 3 mois ; puis la fistule se ferma.

Le 24 septembre, sans cause apparente, une quantité considérable de

liquide se mit à suinter par les pores delà peau recouvrant la tumeur. Ce

72 P. PIOLLET

suintement continua le jour suivant, et la famille évalue à un litre au moins

la quantité de-liquide qui s'est ainsi écoulé.

Le surlendemain, le ` ? G septembre, la malade entre à la Charité.

Le suintement était encore a ce moment tellement considérable que

dans le trajet que fit la malade de la porle de la salle à son lit, on voyait

les gouttes tomber sur le parquet ; il se faisait par toute la surface de la

tumeur. " :

L'examen de la malade, debout, nous montre que la tumeur, énorme,

tombe jusqu'au creux poplité ayant une apparence piriforme à grosse ex-

trémité inférieure, mais aplatie dans le sens antéro-postérieur. Le pédi-

cule s'étend en bailleur, de la région sacrée à la neuvième ou dixième

vertèbre dorsale, où il se termine en s'effilant; en largeur, il s'étale sur

10 à 15 cm. de chaque côté de la ligne médiane. L'épaisseur de la tumeur

est de 20 cm. à sa partie inférieure, la largeur ou diamètre transversal,

de 40 cm. au même niveau (l'l. XIV).

'Quand la malade est assise dans son lit, la tumeur s'étale tout autour

du siège.

La peau qui la recouvre est fortement pigmentée en brun, cette pigmen-

tation continuant au pourtour du pédicule sur la région lombaire et s'ar-

rêtant à une ligne nette, irrégulière. Cette peau est oedématiée, distendue,

présentant un aspect chagriné, des pores volumineux et quelques rares

poils bruns. A la partie gauche de la tumeur, cicatrice blanchâtre, étoilée,

due à l'abcès ouvert il y a quelques années.

Tout autour du pédicule on voit ramper de larges veines sous-cutanées.

A la palpation, le néoplasme a une consistance molle, flasque dans son

ensemble, mais, dans l'intérieur, on sent des nodules durs, irréguliers, de

volume variable; en remontant vers la partie supérieure, il semble que

ces noyaux indurés aillent s'attacher à la colonne par un pédicule. Il est

impossible de sentir les apophyses épineuses au-dessous de la 11e dor-

sale, et par suite de se rendre compte, s'il y a, ou non, un spina bifida.

Latéralement les limites de la tumeur ne sont pas nettes ; elle parait, au

contraire, se continuer sous la peau au pourtour du pédicule.

Aucune autre tumeur sur le reste du tégument. Vers l'omoplate gauche,

on constate un semis de petites taches pigmentaires brunes, de diamètre

variable (depuis une tête d'épingle jusqu'à une pièce de 0,50 cent.).

Aucun trouble de la motilité'ni de la sensibilité desmembres inférieurs,

réflexes patellaires normaux, aucun trouble des sphincters.

L'intervention décidée immédiatement, est pratiquée par M. Nové-Jos-

serand le 27 septembre.

Anesthésie à l'éther. On mène d'abord une longue incision médiane,

sur la partie supérieure du pédicule, afin de se rendre compte des con-

Nouv. Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XIII. Pl. XIV

TUMEUR CONGÉNITALE DE LA RÉGION LOMBAIRE 73

nexions de la tumeur avec le canal rachidien el d'acquérir la certitude

qu'il n'y a pas de spina-bifida. Ayant reconnu que le pédicule est plein,

on fait partir du milieu de l'incision longitudinale une incision en ra-

quette comprenant toute l'épaisseur du pédicule et laissant persister seu-

lement une manchette de peau à la périphérie. Celle manchette est disse

quée, mais la dissection en est difficile, parce que le néoplasme s'infiltre

jusque dans le derme et elle ne peut pas être poussée très loin. On rencon-

tre d'ailleurs, à la périphérie de la tumeur, des veines en grand nombre,

dont quelques-unes atteignent le volume d'une jugulaire, et malgré les

précautions prises, l'excision de la tumeur ne peut être faite qu'au prix

d'une hémorrhagie tellement abondante qu'elle fait redouter un accident

immédiat. On se contente donc d'enlever la tumeur en gros, et, t'hémos-

tase assurée par des pinces laissées à demeure et un tamponnement de la

plaie, l'enfant est emportée dans son lit.

Schok considérable : injections d'éther, de caféine, de sérum artificiel

(800 grammes en deux fois).

Le lendemain, en enlevant les pinces, on est obligé de lier quelques

grosses veines ; nouvelle injection de sérum.

Peu à peu l'état général se relève, malgré un peu de température cha-

que soir, et un muguet qui dura 4 ou 5 jours.

Le 4 octobre, sous anesthésie, on complète l'opération ; on excise en-

core de volumineux fragments de la tumeur et on se rend compte des deux

faits suivants : d'abord que la tumeur est diffuse, au moins dans ses rap-

ports avec la peau et avec les tissus superficiels, et qu'elle ne peut être

enlevée en totalité ; ensuite que le point de départ et d'attache de cette

tumeur parait être l'arc postérieur des deux premières vertèbres lombaires.

ce niveau, on est obligé de tailler en plein tissu néoplasique, et pour

faire une intervention complète il faudrait réséquer ces arcs, ce qui est

jugé inutile. Suture et drainage.

Les jours suivants la température revient à la normale, l'état général

est très bon. La cicatrisation est complète vers le 20 octobre et le 1er no-

vembre la petite malade quitte la Charité.

A ce noment, on constate une cicatrice de 25 centimètres de longueur,

verticale et médiane, au niveau de la région lombaire. La peau présente

de nombreux plis horizontaux, et il reste une masse assez volumineuse,

mollasse, sessile, s'étendant sur la même hauteur que la cicatrice, sur

une largeur de 20 centimètres; l'épaisseur est de 2 doigts environ; la

peau semble infiltrée par la tumeur, qui est mobile sur les plans pro-

fonds. ,

La tumeur enlevée pesait 6 kitog. 200. De forme ovoïde, mollasse, elle

avait à la coupe une couleur btanc-jaunutre. La caractéristique en était

74 P. PIOLLET

une série de cordons blancs, durs, très irréguliers qu'une coupe section-

nait suivant les sens les plus divers. Ces cordons, moniliformes, semhlent

nettement isolables des parties voisines de la tumeur; ils forment, en se

pelotonnant, les nodules indurés de volume variable que décelait l'examen

clinique.

Le stroma de la tumeur est conjonctif et infiltré de sérosité, les couches

sous-cutanées notamment sonl très oedematiées.

La tumeur fut examinée au laboratoire d'Anatomie patliologique et

NI. le professeur agrégé Paviot a bien voulu nous remettre la note suivante.

Il a été pris pour l'examen :

a) Une partie prise en pleine tumeur.

b) Une portion portant sur un cordon moniliforme presque isolable.

c) De la peau et de la tumeur sous-jacente.

Des coupes de a) et b) ont été aussi imprégnées à l'acide osmique.

Quel que soit le fragment considéré, on trouve dans les coupes du tissu

conjonctif tous les stades du développement, depuis le tissu dit muqueux,

à cellules volumineuses, étoilées ou rondes plongeant dans une nappe

granuleuse pauvre en fibrilles conjonctives, jusqu'à du tissu fibroïde très

dense à petites cellules fusiformes emprisonnées par depetites fibrilles con-

jonctives très serrées.

D'une façon concluante, les boyaux serpentins qui paraissent à peu

près isolables sont constitués par un mélange de tissu conjonctif mucoïde

et de trousseaux fibreux très volumineux. D'ailleurs, à leur périphérie,

ces parties se continuent d'une façon insensible avec les parties fihroïdes

qui constituent la grosse majorité de la tumeur.

Aucune des coupes imprégnées à l'acide osmique ne donne trace de libres

nerveuses à myéline.

Les vaisseaux se réduisent le plus souvent a des fentes étoilées ou quel-

quefois ovales, ne contenant plus de sang, mais qui sont limitées par une

ligne endothéliale : c'est la seule paroi propre qu'on leur distingue.

Les coupes de la peau offrent le même tissu et permettent de se rendre

compte aussi que les dépressions puncliformes observées sur la peau de la

surface de la tumeur répondent à des bulbes pileux ou à des glandes séba-

cées.

Malgré des coupes nombreuses, il a été impossible de déceler aucun

autre tissu en dehors du tissu conjonctif.

En somme : lumeur du seul tissu conjonctif,- semblant maligne à cause

de la présence du lissu dit muqueux, mais étant probablement d'une ma-

lignité toute locale, susceptible de récidive in sitn, mais vraisemblable-

ment pas de généralisation.

TUMEUR CONGÉNITALE DE LA RÉGION LOMBAIRE 75

Voilà le fait : comment l'interpréter ? Au premier examen de l'enfant,

on pouvait songer, à cause du volume de cette tumeur, de son siège exac-

tement médian, de sa consistance inégale, à une tumeur à tissus multi-

ples de la région sacro-coccygienne; mais il était facile de se convaincre

que l'insertion de la tumeur se faisait beaucoup plus haut, au niveau de

la région lombaire, et ultérieurement l'examen histologique a démontré la

nature purement conjonctive du néoplasme.

L'hypothèse qui se présentait en deuxième lieu était celle d'un spina-

bificla lombaire, dont le volume ne pouvait être déterminé, recouvert lui-

même par une masse fibro-lipomateuse plus ou moins considérable. L'im-

possibilité de l'examen clinique de la face postérieure de la colonne,

masquée parle néoplasme, permettait cette interprétation ; cependant,

l'absence absolue de tout trouble nerveux du côté des membres inférieurs,

de la vessie et du rectum ne cadrait pas bien avec un spina-bifida. L'in-

tervention a fait justice de cette hypothèse en montrant une colonne lom-

baire normale, sans fissure postérieure.

Nous sommes donc amenés à éliminer les tumeurs spéciales à la région :

nous avons affaire à un néoplasme qu'on pourrait rencontrer en tout au-

tre point du corps. Or que peut être une tumeur congénitale, à accroisse-

ment lent et progressif, arrivant à être aussi volumineuse ? Certains lipo-

mes présentent ces caractères ; mais, outre sa consistance inégale à la pal-

pation, l'examen histologique de la tumeur ne nous permet pas de la ranger

dans ce cadre.

Le névrome plexiforme peut également se présenter sous une apparence

analogue, infiltrant la peau et les tissus voisins, quoique ordinairement

sessile, étalé en largeur, plutôt que pédicule ; macroscopiquement, le néo-

plasme qui nous occupe, avec ses boyaux serpentins, moniliformes, qui

avaient l'air isolables, ressemblait à s'y méprendre à une tumeur de ce

genre : c'est encore l'examen histologique qui a fait réformer ce diagnos-

tic, en démontrant l'absence de fibres nerveuses dans ces boyaux, comme

dans toutes les parties de la tumeur.

Un dernier genre, celui qui se rapproche le plus du cas actuel, est le

molluscum pendulum solitaire. Congénital', ordinairement pédicule, attei-

gnant parfois un volume énorme (16 kilogr. dans un cas de Wirchow), le

molluscum est formé par un stroma fibreux enfermant dans ses mailles

des cellules rondes ou étoilées, pouvant être plus ou moins infiltré d'un

liquide jaunâtre : c'est assez exactement la description de la tumeur qui

nous occupe ; par contre, il se développe ordinairement aux dépens du

7foi P. PIOLLET

tissu conjonctif du derme, alors qu'ici le pédicule allait s'insérer jusque

sur l'arc postérieur des vertèbres. Enfin, l'augmentation de volume depuis

cette dernière année, la vascularisation très abondante, l'infiltration de la

peau et des parties voisines par le néoplasme, la présence de nombreuses

cellules embryonnaires donnent la tumeur une apparence maligne que n'a

pas le molluscum.

Aussi, ne pourrons-nous rattacher très exactement cette tumeur à un

genre bien défini ; et devrons-nous dire : fibro-myxome d'origine congé-

nitale, inséré à la région lombaire sur l'arc postérieur des vertèbres, se

rapprochant du molluscum solitaire, mais en différant par son évolution

maligne. '

LES PEINTRES DE LA MÉDECINE

(ÉCOLES FLAMANDE ETIIOLLANDAISE)

« PIERRES DE TÈTE » ET « PIERRES DE VENTRE »

PAR

HENRY MEIGE.

La série des documents figurés consacrés par les artistes des Pays-Bas

à l'extraction fantaisiste des « pierres de tête » semble vraiment inépui-

sable. Nous avons déjà fait connaître bien des exemples de celte fourberie

opératoire qui excita si fréquemment, - et si justement d'ailleurs la

verve satirique des peintres flamands et hollandais (-1). Nous en montre-

rons aujourd'hui trois spécimens inédits qui viennent compléter ce curieux

chapitre d'histoire de la médecine populaire, entre le XVIe et le XVIIIe

siècle.

Parmi les peintures ou gravures relatives aux pierres de tête que nous

avons déjà eu l'occasion de commenter, un très petit nombre étaient

accompagnées de légendes donnant la signification des scènes figurées.

Une des plus explicites est encore cette estampe de Th. de Bry (2) repré-

sentant une officine d'arracheur de pierres de tète, accompagnée de ce

vers latin :

Nil opus Anticyras aúeas, hic tollitur oestrU1n.

Légende concise dont un bref commentaire suffit pour éclaircir loute

l'histoire des pierres de tête.

Anticyre, médecin grec des temps héroïques, avait guéri Hercule d'une

grave affection nerveuse, folie ou épilepsie, on ne sait trop, en

tous cas le nom de « mal herculéen » est resté synonyme d'accidents ner-

veux convulsifs. Le remède employé avait été l'hellébore.

Plus tard le nom d'Anticyre fut donné à une ville de Phocide située

sur le golfe de Corinthe où l'hellébore poussait en abondance. De là le

(1) Voy. Nouv. Jean. de la Salpêtrière, nOS i et 5, 1895, n° 2, 1898, n° 1,1899 et Janus ,

n^ 5, i 597,

(2) Voy, Janus no 5, 1897 et Nouv. Icon. de la Salpêtrière, ne 4, 1898.

78 llENRY MEIGE

proverbe antique : « Pour guérir les fous, il faut les envoyer a Anticyre ».

Th. de Bry s'en est souvenu dans la légende de sa gravure :

. « Inutile d'aller il Anticyre, c'est ici qu'on enlève le taon (oestl'wn). »

En effet, ce mot oeS11'1t1Jl, signifiait à la fois : taon, guêpe, el folie furieuse,

délire enthousiaste. Son double sens s'expliquait ainsi :

Lorsqu'un taon pénètre dans les oreilles d'un cheval, celui-ci s'affole :

on ne peut plus le maîtriser. Inversement, et en généralisant, on en arriva

il dire que tout être atteint de folie devait « avoir un laon dans la tète».

Conclusion : pour guérir ceux qui ont la tête dérangée, il faudrait en-

lever le taon malfaisant qui habite leur cerveau. Sublcatu causa, lollilacr

effectits. 1%

Avec les années, le taon est devenu guêpe, puis araignée, hanneton, etc.

. et même rat. '

Il existe un dessin de C. hischer,daté de 1655, qui représente un vendeur

de 1/wl'l-allx-1'llts. C'est un pauvre marchand ambulant qu'accompagne un

jeune loqueteux portant une petite cage ronde fixée au bout d'un bâton ;

des cadavres de rais y sont pendus, témoignages indéniables de l'efficacité

du produit muricide. ,

Ce dessin fut gravé par F. de Wit avec l'inscription suivante :

Tele fugas mures ! magnis si furibus arces exiguos mures, furor est.

Me respice vilis, si modo numus adest, mures felesclue fugabo (1).

Bassan fit une seconde édition de cette gravure avec une légende en

vers français beaucoup plus significative. La voici :

Si, par un remède nouveau,

J'extirpais les rats du cerveau.

Combien de'gens auroient besoin du spécifique,

, Et combien dans Paris seroient de mes pratiques !

On dit encore aujourd'hui en Hollande d'une personne poursuivie par

des préoccupations obsédantes qu'elle s'est attiré des nids de souris dans

la tête (zich muisennesten in het hoofd haben.)

Le taon, ou le rat, sont aussi devenus pierres de tête.

Dans la légende d'une des gravures de P. Bruegel que nous avons déjà

commentée, et sur laquelle nous aurons à revenir, la synonymie des deux

locutions est évidente :

(1) Ce qui peut s'interpréter ainsi : .. Tu prétends chasser les rats ? Mais, si pour

éloigner de petits voleurs (les rats) tu emploies de gros voleurs (des chats), c'est de la

folie pure ! » A quoi le vendeur répond : « Tu peux nie considérer comme un gueux ;

mais donne-moi seulement quelque argent; tu verras que je chasse à la fdis et les rats

et les chats. »

PIERRES DE TÈTE ET PlElmES DE VENTRE 79

« Avez-vous, dit l'opérateur dans son boniment, avez-vous la guêpe

dans la tête, ou sont-ce les pierres qui vous tracassent ? » »

Taon, guêpe, souris ou pierre, tels étaient donc les aspects sous les-

quels le vulgaire se représentait volontiers les causes de tous les désordres

de l'esprit et de tous les maux ayant la tète pour siège.

Les charlatans se gardaient bien d'y contredire. Au contraire, par d'ha-

biles supercheries, ils entretenaient cette absurde croyance, et, guérisseurs

sans scrupules, simulaient d'invraisemblables extractions.

Et les badauds d'accourir, et avec eux les faibles d'esprit, les détraqués,

les obsédés, les hypochondriaques, tous ceux qui sont avides de merveil-

les, et ceux qui souffrent d'incompréhensibles maux.

Même de nos jours, l'idée que des corps étrangers, animaux ou miné-

raux, peuvent être inclus dans la boîte crânienne se rencontre encore dans

certaines formes mentales. La facilité et le succès des trépanations en-

couragent les espérances illusoires de ces malades.

Je sais une malheureuse femme à la cervelle dérangée qui s'en fut trou-

ver tous les chirurgiens dont elle put se procurer les noms, les suppliant

de lui ouvrir le crâne pour en extraire une pierre, qu'elle savait perti-

nemment, disait-elle, y être enfermée. Elle en sentait la pensanteur, la

pression, le ballottement, et pour se délivrer de cette torture, elle solli-

citait -les plus graves opérations.

La plupart, voyanl bien que le mal était tout psychique, se refusèrent

à tenter une intervention superflue. Peut-être cette pauvre vésanique

a-t-elle rencontré enfin quelque.arracheur de pierres de tète qui, par - coin -

plaisance, ait consenti à l'opérer. Au temps de P. Bruegel, elle n'eût

pas attendu si longtemps. Les pierres de tète étaient tumeurs courantes et

les arracheurs savaient toujours les mettre sous les yeux de leurs opérés.

Dans les deux peintures dont nous allons parler, nous retrouverons ces

prestidigitateurs a l'oeuvre, non moins cyniques et non moins écoutés par

la foule des tètes légères, des naïfs, des simples, et, qui sait ? - peut-

être aussi par de vrais malades en quête d'un soulagement, hélas ! plus

que douteux

Enfin, une image peu connue va nous révéler une variante imprévue

de l'extraction des pierres contenues dans le corps humain. Celles-ci,

nous les appellerons « pierres de ventre », par euphémisme ... ? en nous

excusant encore.

*

Le musée Snermondt. à t\ia-la-Cliapelle, possède un intéressant tableau

sur bois, attribué - mais avec de judicieuses réserves- à Adriaen Brou-

wer.

80 HENRY MEIGE E

C'est une des plus intéressantes fantaisies inspirées par les pierres de

tôle (1) (Pl. XV).

Dans un pauvre village des Flandres, un arracheur de pierres de tête est

arrivé. En plein air, au milieu d'un carrefour, il a dressé tout son atti-

rail chariatanesque, misérables accessoires ébréchés par les pérégrinations,

mais réclames toujours efficaces.

Voici le fauteuil opératoire, en bois grossièrement équarri, engin

mastoc, véritable instrument de torture avec sa solide courroie pourmain-

tenir les opérés turbulents. ,

Voici la tableaux instruments où s'entassent pèle-môle les fioles, les

pots d'onguents, les parchemins, une pince formidable el un terrible cou-

telas, sous la garde d'une impressionnante tête de mort. Dans'le fond, on

entrevoit une cornue mystérieuse et monumentale où se distille quelque

secrète mixture.

Et voici l'étendard de l'opérateur, loque frangée hissée sur un long

bâton, guenille polychrome où l'on distingue encore les traces de peintures

terrifiantes et glorifiantes : une paire de ciseaux gigantesques et une ins-

cription illisible, mais certainement élogieuse. Tout autour, pendent en

chapelets les redoutables pierres de tète que le célèbre arracheur a con-

quises à la pointe de son bistouri, témoignages irréfutables de sa dextérité

et de son prodigieux succès, authentiqués par des sceaux volumineux :

« On peut'voir, on peut Loucher, ce sont des cailloux véritables, et, pour

qui s'y connaît, ce sont bien cailloux 'retirés du crâne de malheureux

ayant souffert mille tourments jusqu'au jour de la bienfaisante interven-

tion. Car tous les maux proviennent de ces néfastes cailloux : céphalalgie,

hémicranie, mélancolie; h'pochondrie.... et toutes les variétés de la folie,

ne sont que les pernicieux effets d'humeurs conglutineuses accumulées

dans le cerveau et qui ne lardent pas à s'y concréter sous la forme de

pierres de tète ! ... Qui n'a pas quelque migraine, quelque pesanteur,

quelque idée noire ou quelque obsession ? Qui n'a pas son grain de sable

dans- le' crâne ? Mieux vaut le faire extirper sur le champ, de crainte qu'il

ne grossisse davantage. L'arracheur sait en délivrer : tendez vos crânes

il l'arracheur....

« Tous' guéris ! les jeunes comme les vieux, les femmes comme les

hommes, ceux qui souffrent le martyre, et jusqu'à ceux qui ne souffrent

pas ! ... Qu'on se le dise ! Ici, l'on opère vile et bien. A chacun l'on ôtera

sa pierre ! ...» »

Et chacun d'accourir.

(1) Je dois la photographie de cette peinture à l'obligeance de M. le Directeur Ilau-

manberger.

VOUI' ICO\OGIrppFIIE DE LA SpLI'CIHIFNF. T. VIII. F'I. 1V

UN ARRACHEUR DE PIERRES DE TÊTE

'l'ahleau attribu i A. Auouwrn (I : colc 1·lamamlc).

MuhceSuct'mondt.Ai\-).t-Ch.ipL)ie.

PIERRES DE TÈTE ET PIERRES DE VENTRE 81

Le plus agile a déjà pris place sur la « chaière » opératoire. C'est un

gros paysan vêtu d'une casaque rose en lamheaux et chaussé de ves-

tiges de souliers ; sa bedaine rebondie fait craquer son pantalon.

L'opération est commencée ; elle est plus douloureuse que l'annonce ne

le faisait prévoir. Le malheureux a beau se cramponner au bras du fau-

teuil, cambrer les reins, agiter ses jambes, crisper ses poings, rouler des

yeux furibonds, la douleur lui arrache des cris lamentables. On peut être

certain que, pour l'instant, il regrette sa décision, et que de' sa bouche

aux dents ébréchées ne sortent que des imprécations contre son tourmen-

leur.

Celui-ci n'y prend garde. Il est blasé sur le chapitre des gémissements,

et, froidement, poursuit son oeuvre de lacération frontale. Vêtu d'un

justaucorps bleu clair à crevés, orné d'une fraise et de manchettes fanées,

coiffé d'un béret bleu panaché de longues plumes, il écarte de la main

gauche les lèvres de l'incision, tandis que de la droite il énuclée vivement

la tumeur suspecte. Etrange instrument en vérité que celui qui sert à

celle opération : on dirait une hallebarde minuscule, avec sa hache, sa

pique et son croc ; mais ceci n'est que pour l'apparat, car l'extraction se

fait avec le manche. Le tour de passe-passe a pleinement réussi : de la

main gauche où deux doigts la retenaient dissimulée, la pierre a glissé

subrepticement dans le champ opératoire. Elle est là, on peut la voir ! ...

encore une piqûre, et elle tombera, sanglante, sur le sol.

Que fait, par derrière, ce loqueteux d'allure sournoise, dissimulé dans

l'ombre, et qui semble introduire sa main dans la poche de l'opérateur ?

C'est le compère indispensable à la réussite de la supercherie ; c'est le

pourvoyeur des pierres de tête, chargé de renouveler la provision de

l'arracheur quand celle-ci touche à sa fin. Il sait habilement profiler du

moment où l'attention des spectateurs se concentre sur l'opéré pour ali-

menter la réserve de cailloux. Nul ne le voit : l'instant est trop pathé-

tique ! Les hurlements du patient,le jaillissement soudain de la pierre san-

guinolente font que son manège passera certainement inaperçu. Ainsi se

remplit indéfiniment le sac de pierres que porte à sa ceinture le charlatan,

toujours prêt à puiser un nouveau caillou en vue d'une opération nou-

velle.

Car, il y a foule aujourd'hui. Le nombre des clients s'accroît de celui

des curieux, grands et petits, jeunes ou vieux.

Deux marmots, fagotlés en épouvantails, se tiennent debout au pre-

mier rang, et semblent s'amuser fort des contorsions de l'opéré.

A droite, est accroupie une horrible, mégère qui tient sur ses genoux

un enfant en maillot. L'un et l'autre ont le front entouré de linges, sous

lesquels on voit saillir la tumeur frontale. C'est que la pierre de tète peut

xiii 6

82 HENRY MEIGE

pousser à tout âge, chez l'aïeule caduque comme chez le nouveau-né. Les

grains de folie ne sont-ils pas souvent héréditaires ? Et ne vaut-il pas

mieux se hâter d'extirper le grain de sable inclus dans le crâne de l'en-

fantde peur que, grossissant, il ne devienne moellon avec l'âge ? ...

De l'autre côté de la scène, derrière la table branlante parsemée d'ac-

cessoires, la foule se presse et s'entasse, avide de voir ou attendant son

tour d'opération.

Ils sont ta, une demi-douzaine, hommes ou femmes ; une vieille entre

autres, grimpée sur une chaise, se penche exagérément au risque de s'effon-

drer sur la tête de mort, les pots d'onguent et les bistouris : elle aussi,

porte au front,, sous un bandeau blanc, une volumineuse tumeur ; son sou-

rire béat montre qu'elle a l'espoir d'être bientôt soulagée à son tour. 1

Une autre commère arrive, contenant il grand'peine une fillette qui ré-

clame à grands cris l'intervention, lève les bras au ciel et trépigne d'impa-

tience à la pensée qu'enfin elle va trouver la guérison.

Plus au fond, une femme soutenant un homme titubant, s'achemine

vers l'officine ambulante. Car l'opération de la pierre de tête guérit aussi

du mal d'ivrognerie. Maître Jan Steen nous l'a déjà donné à entendre.

Enfin, par la gauche, arrive au premier plan un personnage à mine

patibulaire, vêtu de bleu, coiffé d'un bonnet noir orné d'une plume. Pé-

niblement, il pousse devant lui une brouette.

Sur celle-ci, un homme est ligotté de solide manière, par les bras, par

les pieds, par les reins, et même par le cou : impossible de bouger. Aucun

ménagement pour ce client dont le mal doit être terrible, quelque fou

furieux ou quelque enragé. Les cahots du chemin lui ont mis le visage en

sang et il tire lamentablement la langue. Mais qu'importe ces désagréments ?

Plus qu'aucun autre il a besoin d'être opéré : sur son front la pierre fait

une saillie énorme.

Quel succès pour l'inlassable arracheur, s'il parvient à guérir ce fréné-

tique invétéré ! 1

Tel est le tableau d'Aix-la-Chapelle qui peut compter parmi les docu-

ments figurés les plus complets et les plus pittoresques consacrés à l'opé-

ration des pierres de tête.

Quel en est l'auteur ? Très probablement un émule de Brouwer ; en tous

cas, un artiste qui a voulu imiter la manière du maître hollandais. On lit

même, sur l'écriteau qui sert d'enseigne à l'opérateur, ce mot : 13uowru;

mais cette signature est presque sûrement apocryphe.

Les attitudes des personnages, leurs costumes, leurs traits mêmes,

l'opéré surtout, rappellent bien certaines scènes de Brouwer ; par contre,

la facture et le coloris sont de qualité inférieure. Aux mêmes réserves près,

PIERRES DE TÊTE ET PIERRES DE VENTRE 83

cette peinture se rapproche de celles d'Adriaen Van Ostade. notamment le

groupe de droite formé par les deux enfants et la vieille qui tient sur ses

genoux un nouveau-né. -

Quel qu'en soit l'auteur, et en dehors de l'intérêt médical qu'elle

présente, cette oeuvre d'art se recommande par de réelles qualités : une

composition heureuse, l'adresse de sa facture, la légèreté de son coloris ;

on pourrait lui faire le reproche de n'être pas assez « poussée » et de ne

pas dépasser la valeur d'une esquisse peinte. Il est vrai qu'elle y gagne

en vivacité et en originalité.

Une autre scène d'opération de la pierre de tête nous a été signalée par

M. Léon Goujon (1). Elle fait partie d'une composition villageoise peinte

sur toile, qui peut remonter aux premières années du XVII0 siècle, et

'qui appartient à un confrère connaisseur et érudit, le Dr Gimbert (de

Cannes).

Cette peinture, bien qu'un peu détériorée par le temps, n'est pas sans

valeur. Elle n'est pas signée, ou du moins la signature est restée jusqu'ici

introuvable. Mais la composition en est heureuse, le dessin correct, et la

facture aisée. Si elle n'est pas de la main d'un maître réputé, elle témoi-

gne cependant d'une habileté réelle.

Sans avoir vu l'original, il est hasardeux de proposer une attribution à

ce tableau, d'autant qu'on y retrouve comme des réminiscences de plu-

sieurs maîtres. Il y a là du Bruegel, et du Teniers, et peut-être du Brouwer.

Et cependant ce n'est pas le faire soigné des peintures de Pierre

Bruegel le Drôle ; ce n'est pas non plus la touche légère de David Teniers

le Jeune. Serait-ce la main de Pierre II Bruegel d'Enfer qui copia ou imita

plusieurs oeuvres de son père ? Ou bien, comme il s'agit d'une peinture

sur toile, serait-elle attribuable au vieux Teniers ? ... Ni l'un ni l'autre

probablement.

Au surplus, ces réminiscences n'ont rien d'inexplicable, les Bruegel et

les Teniers ayant eu, entre eux, plus d'une affinité, et même des liens

étroits scellés par des mariages. Si les oeuvres des deux chefs de famille

ont une originalité inconnaissable, celles de leurs descendants, de qualité

moindre, se confondent davantage. Il en est de même de leurs imitateurs

qui furent nombreux, et dont beaucoup ne signèrent pas leurs pastiches.

La scène se passe en plein Pays-Bas, dans un de ces paysages indéfini-

(1) Provient d'une vente locale. au cours de ces dernièras années. Grâce à M. Léon

Goujon, M. le Dr Gimbert ayant eu l'obligeance de faire photographier ce curieux

tableau, je tiens à leur en exprjmer ici mes vifs remerciements.

84 HENRY MEIGE

ment plats, à l'horizon linéaire, chers au maître van Goyen. Nous sommes

dans le faubourg d'une ville en fête, près d'un alignement de maisons aux

toits pointus, ombragées de grands arbres. La kermesse bat son plein. z

Ici l'on danse. Un joueur de cornemuse assis sur un tonneau fait les frais

de l'orchestre. Un homme et une femme du commun exécutent une gigue

pesante, balançant en cadence leurs bedaines rebondies. Plus loin, d'autres

couples enlacés dansent encore ou se promènent.

Tous ces divertissements occupent la moitié gauche de la composition.

A droite, formant un groupe distinct, apparaît la scène opératoire, la

seule que reproduise notre planche (PI. XVI).

On y voit l'opérateur de carrefour, un affreux personnage à trogne en-

luminée, au nez bourgeonnant, coiffé d'une barette informe où ballotte

une plume défraîchie. Devant lui, le patient, solidement tigotté sur la

chaise opératoire, les mains liées derrière le dos, le front ceint d'une

bande, et se contorsionnant pour esquiver l'incision. Mais c'est en vain.

Le chirurgien tenace laboure de son stylet le crâne de sa victime, en

pleine chevelure, et les cailloux jaillissent il profusion : une éruption de

pierres de le le ! ,

Quel habile homme que cet arracheur ! Et quel succès ! Derrière son

éventaire chargé de fioles, de pots et d'instruments terribles, la foule se

presse, hommes et femmes, émus, inquiets, ébahis, bientôt tous convain-

cus, prêts à prendre la place de l'opéré pour se faire labourer le crâne et.

extirper quelque caillou maléliciant.

Une affiche parlante domine toutes ces tètes folles.

On y voit les portraits des clients les plus célèbres que le charlatan a

guéris. Ils sont là, avant l'opération, portant au front la funeste tumeur ;

à côté, les pierres sont suspendues, de tailles et de formes diverses, flan-

quées du coutelas qui servit à les extraire. Comment n'être pas édifié par

des témoignages aussi frappants ? ...

Un vieil homme, cassé, voûlé, à profil de Polichinelle, véritable acromé-

gale, appuyé sur un bâton, ayant à ses côtés un jeune enfant, assiste

encore à l'opération, mais sans la regarder. Les entrechats des danseurs

ont pour lui plus d'attraits.

Toute cette scène, nous l'avons dit, n'est qu'un épisode d'une réjouis-

sance villageoise; l'artiste l'a jugée insuffisante pour constituer à elle

seule le sujet d'un tableau. Mais la place importante qu'elle occupe dans

la composition montre bien qu'il s'agit d'une pratique notoire dans la vie

populaire. De même que de nos jours encore il n'est pas de fête rurale

sans charlatan casqué et empanaché, extracteur de molaires ou guérisseur

de cors, de même, en ce temps-là, le physicien ambulant transportait son

affiche et ses instruments de kermesse en kermesse, et il se trouvait tou-

Nouv. Iconographie DE la SALPÉTHItH6. T. XIII. 1,1. XVI

UN ARRACHEUR DE PIERRES DE TÈTE

Fragment d'un tableau de l'École Flamande (XVII" siècle).

Collection du Dur Gimberr, 5 Cannes.

Masson & CIC, Editeurs

PIERRES DE TÊTE ET PIERRES DE VENTRE 85

jours quelque naïf badaud pour exposer son crâne au couteau de l'arra-

cheur des pierres de le le.

C'est ce que nous avaient déjà appris les dessins de Pierre Bruegel le

Vieux, les peintures de Jan Steen et tant d'autres. Le tableau du D' Gim-

bert confirme clairement la vogue populaire de cette supercherie chirur-

gicale.

*

. s

Il y eut mieux encore....

Et voici un document beaucoup plus détaillé que j'ai pu récemment

acquérir (PI. XVII). ,

C'est une gravure, hollandaise du Xvne siècle. L'auteur, Carolus

Allaerdt, semble avoir pris à tâche de condenser dans une seule composition

tous les méfaits que les pierres peuvent causer, lorsque, d'aventure, elles

viennent à se loger dans le corps humain.

L'ensemble est d'une fantaisie extrêmement composite; douze sujets

différents sont jetés pèle-mêle sur le papier, Et, renseignement précieux,

quinze légendes versifiées en vieil hollandais donnent l'explication de

chaque scène (1).

L'ancienneté et l'intérêt tout médical de cette image devront faire oublier

le tour assez libre de son dessin. On eût pu hésiter à reproduire certains

d'entre eux s'ils eussent été isolés ; mais leur adjonction sur une même

estampe à des scènes déjà connues et interprétées, leur donne une signi-

fication précise. C'est un nouveau chapitre imagé annexé à l'histoire des

pierres de tête. Il montre à quel degré de naïveté peut s'élever un préjugé

populaire lorsqu'il est entretenu par le cynisme des charlatans.

Car, évidemment, cette gravure est une satire où l'auteur veut bafouer

à la fois les malades trop crédules et les opérateurs éhontés qui les exploi-

tent sans ménagement. ·

Or, comme on ne tourne guère en ridicule que ce que l'on a pu voir ou

entendre, il faut bien admettre que ces croyances absurdes ont été répan-

dues en un temps. De même que tant d'autres, elles relèvent de l'histoire

et de la critique médicales. Au risque de paraître trop osé, on peut donc

les aborder,, avec toute la réserve qui -convient.

La gravure porte une légende générale, en grandes capitales inscrites,

dans une sorte de draperie frangée :

COMT MANNEN EN VHOOEIEN ALLE BEY

EN LAET U SNYDEN VAN DE KEY.

(1) Nous avons à remercier tout spécialement M. F. Coster qui, par sa parfaite

connaissance de la langue hollandaise, nous a obligeamment aidé à pénétrer le sens de

ces inscriptions.

86 HENRY MEIGE

- Venez, hommes et femmes, venez tous,

Et faites-tous extirper III pierre.

C'est à peu près la formule que nous avons déjà rencontrée sur une

gravure de Nicolas Weydmans (lyre moitié du XVIIe siècle).

Loopt, loopt met groot verblyden,

l Iier salmen twyf van kye snyden.

Courez, courez, avec grande réjouissance . :

Ici l'on fait l'opération de la pierre de tête.

- ...

Outre ce titre, quinze légendes versifiées sont réparties au-dessous des

différents sujets de la composition.

Nous allons les passer en revue successivement.

Quelques-unes de ces scènes sont déjà connues. Elles reproduisent,

avec de légères variantes, certains groupes contenus dans un célèbre

dessin de Pierre Bruegel le Vieux. La gravure qu'en possède le Rijk

Muséum d'Amsterdam a été longuement commentée. C'est encore le même

sujet que l'on a pu voir sur la photographie d'un tableau appartenant à

M. le Dr Paul de Molènes.

La fréquence de ces répétitions témoigne du succès qu'eut la composi-

tion de P. Bruegel. -

Voici, à droite et en bas, le grand Arracheur de pierres, celui que

P. Bruegel appelle le Doyen de Roztse, avec sa longue robe, son petit bon-

net, ses sandales rehaussées, ses énormes besicles rondes, et ses tenailles

formidables. Il est tel que P. Bruegel l'imagina, bien que le burin de

Carolus t111art ait fortement alourdi le dessin du maître. A côté, un com-

père en bonnet regarde l'opération. -

Le Doyen de Ronse opère avec prudence et circonspection. Praticien de

vieille date, il a promené ses redoutables tenailles sur des milliers de

fronts. Ses succès, - ses victimes ! - il ne les compte plus. Sa doctrine

est intransigeante : en tous lieux, en toute circonstance, faut opérer ! car

tout être vivant renferme quelque part une pierre, cause de tous ses

maux.

La légende le dit explicitement :

1l keeck ick vrouw ayerpels door hondert oogen

Soo ist gcensins in myn vermogen

Dat ick haer al die key uyt treck

Die daer liebhe dat gebreck

Want ick die werelt t heb doorwandelt t

En altoos die key beliaudelt

PIERRES DE TÊTE ET PIERRES DE VENTRE " 87

Maer nooyt want ick man of wyf

Of hy hadt een key int lyf.

J'aurais beau ouvrir cent yeux, il est n'est pas en mon pouvoir de retirer

la pierre à tous ceux )/ ! <t en souffrent. J'ai parcouru le monde entier et me

suis toujours occupé de ces pierres ; or, je n'ai jamais rencontré homme ni

femme qui n'aient une pierre dans leur corps.

Retenons la fin de cette légende. Elle donne à supposer que la pierre

traîtresse peut avoir d'autres habitats que le crâne; nous saurons bien-

tôt lesquels.

L'opéré du Doyen de Ronse est encore «ne vieille connaissance : c'est

ce gros diable rageur, solidement amarré sur le fauteuil chirurgical, qui

soulage sa douleur en administrant une maîtresse giflle à l'aide qui s'ef-

force de le contenir. Nous savons maintenant son nom : il s'appelle Arent

(Aaron), d'après l'inscription :

Arent kranckhoost grypt Siewert in syn kaken

Terwyl men beesich is syn keye quyt te maken.

Arent (Aaron) à la tête malade frappe Siewert sur la joue, tandis qu'on est

occupé et lui retirer la pierre.

Pourquoi porte-t-il à la ceinture un couteau, et encore un couteau en

manière de plume sur son feutre ? Pourquoi un troisième couteau au bonnet

de l'assistant ? ... C'est un symbole sans doute, mais difficile à interpréter.

Cet accessoire est une addition de Carolus Allaerdt ; il ne figure ni sur la

gravure de P. Bruegel, ni sur la peinture du Dr de Molènes.

D'ailleurs, presque tous les personnages de P. Bruegel sont agrémentés

d'ustensiles bizarres, évidemment allégoriques, dont nous ne saisissons

pas toujours le sens aujourd'hui. En cela, P. Bruegel se montre le digne

imitateur de Jérôme van Aeclcen (van Bosch) qui porta jusqu'à l'incohé-

rence l'amour de l'allégorie.

Par terre, à gauche de l'opéré, on retrouve la vieille mégère, enfouie

dans un panier, qui attise avec un soufflet le feu d'un réchaud .Elle porte

sur la tête une sorte de pot a fleura à trois cols, tel qu'on en fabriquait à

Delft. Dans le réchaud où nous avions coutume de voir une espèce de bal-

lon, Allaerdt a placé des instruments chirurgicaux, deux cautères et une

lige bifide, que la vieille s'efforce défaire rougir, mais en vain.

« Je souffle si fort, dit-elle, que j'en sue, pour arriver et chauffer ces

'fers; pourtant, quelque vite que J'agite mes mains, je ne peux parvenir il

allumer les charbons. »

88 ' HENRY MEIGE .

Ick blaese dat ick swcet

Om dees eyfers te make heet

Toch hoe feér dat ick rep myn hande

Dees coolen can ick niet doen brande.

Enfin, derrière ce groupe arrive un personnage qui porte sur son dos

une victime de la pierre de tête. Ce dernier, dans la gravure de P. l3rue-

gel est un gros moine largement tonsuré ; ici le costume a changé : le client

porte sur sa tète un bonnet orné de cartes à jouer : peut-être veut-il se

faire guérir de la folie du jeu. En tous cas, comme le moine, il a passé

dans sa ceinture une cuiller en bois. Le Doyen de Ronse guérit sans doute

aussi le péché de gourmandise.

Le porteur, - un nommé Gilbert, dit Coeur-léger, s'avance, tendant

son chapeau en avant. La légende nous apprend qu'il cherche à attraper

un hibou perché sur le dos d'une chaise.

Gisbert licUthart traclit met verlangen

Om al dragende.den uyl te vangeu.

Gilbert Coeur-léger fait, malgré son fardeau, de violents efforts pour at-

traper le hibou.

Ce hibou, animal toujours présent dans les scènes chirurgicales, est

encore une allégorie satirique contre l'aveuglement des futurs opérés.

C'est l'oiseau de Minerve, c'est le symbole de la raison, de la sagesse, qui,

dans ce délire opératoire, reste frappé de cécité.

Pour être bien certain qu'il n'y verra goutte, Gilbert, dit Coeur-léger,

voudrait encore le couvrir de son chapeau.

L'oiseau de Minerve est perché sur le dossier de la chaise d'un autre-

client, qui regarde avec anxiété l'opération du Doyen de Ronse. Sa tète

est couverte d'un bonnet orné d'une patte de mouton; sous son bras,

qu'il porte en écharpe, il tient un long coutelas dans une gaine déchirée.

Le pauvre homme est de l'espèce mélancolique. Timide et inquiet il

hésite entre le désir de se faire opérer et la crainte de l'opération.

Et il pense :

S'il faut souffrir tant de douleurs, pour se faire retirer la pierre, il n'est

pas étonnant que jeunes et vieux gardent presque toujours un caillou dans

leurs têtes.

Moet men soo veel pynnc lydo

Die syn key sal laete snyde

Soo ist niet vreemt dit joucl, en ont

Moest al een key int hoost belioul.

PIERRES DE TÊTE ET PIERRES DE VENTRE 89

Cruel dilemme : souffrir de la pierre de tète ou souffrir sous le couteau

du chirurgien ; entre ces deux maux également redoutables,que devenir ? ...

Assurément l'intervention du Doyen de Ronse que le pauvre diable

peut voir à sa gauche n'a rien d'alléchant. A sa droite, on opère encore,

et ce n'est pas sans douleur. Un gros homme est attaché sur la chaière

par une solide courroie : sur son front saigne la plaie béante où le chi-

rurgien va rechercher la pierre. Ce confrère s'appelle Maître Flores Jatte-

à-lait et porte en effet sur son bonnet des armes parlantes : une écuelle e

et une cuiller. Le patient anonyme tient d'une main un pot de bière, de

l'autre une cuiller à soupe, et, tirant la langue, supplie l'opérateur de

hâter son extraction.

« Ah ! maître Flores Jatte-à-lait, faites-moi souffrir le moins possible,

quand ma pierre sera partie, il y aura une bonne goutte à boire.

Ay mester flores meleknap wilt my die pyn cortmake

Als ick myn key ben quyt daer sal een dronk op smake.

Cet enragé buveur ne voit qu'une chose : le temps qu'il perd à se faire

opérer et qui serait bien mieux employé à boire.

Enfin, dernier souvenir de l'estampe de P. Bruegel, un dernier Arra-

cheur de pierre attaque vigoureusement le crâne dénudé de son client,

mieux ligotté encore sur le fauteuil professionnel, car sa tète même est

fixée au dossier par un solide lien.

C'est bien le chirurgien décidé que nous connaissons ; seulement, il a

changé de coiffure. Autrefois, sur son chef, il avait déposé le panier

d'osier à mettre l'urinai, avec son contenu. Ici, il est coiffé d'un bas, orné

d'un petit drapeau, à la façon de l'opérateur de Th. de Bry.

Ce compère audacieux répond au nom de Maître Jehan Kakelaer (Jean

Babillard, pourrait-on traduire). Il est plus enragé encore que son aîné, le

Doyen de Ronse, et manie le bistouri avec une incomparable maestria.

Sa notoriété lui a valu une légende supplémentaire emprunté à son

boniment :

Ghy liede van Malgum soo u die key lueteren

Ick mester lohan Kakelaer sal n de hersens pueteren.

« Vous, gens de AI(ilg211n, si la pierre vous turlupine, moi, Maître Jean

Babillard, je vous tripoterai le cerveau. »

Quels sont ces « gens de Malgum » auxquels il est fait allusion ? ' ?

Une des gravures de P. Bruegel que nous avons reproduite autrefois

90 HENRY MEIGE

d'après l'original que possède M. le P' Brissaud, se trouve aussi au Rijk

Muséum, accompagnée d'une édition postérieure. Cette dernière porte la

légende suivante, dont la traduction est du regretté M. Obreen.

Vous, gens de Mallegem, soyez bien d'accord :

Moi, femme Hexe (sorcière) je veux être aimée de vous ;

Pour vous guérir je suis arrivée ici,

A votre service, avec mes aides, fièrement.

Entrez librement, les grands et les petits, venez vite 1

Avez-vous la guêpe dans la tête, ou est-ce que les pierres vous gênent ? ' ?

Ghy lieden van Mallegem, wilt em wel syn gesint :

Ich, vrou lexe, wil hier vock wel worden bemint.

Om v te genesen ben icli gecomen hier

Tuwen dienste, met myn ondermeesterssen fier.

Compt vry, den meesten met den minsten, sonder verbeyen.

Hebdy de wesp int liooft, oft loteren v. de keyen ?

Malg1l1n, Mallegem, sont évidemment synonymes. Faut-il y voir une

ancienne orthographe de Maldeglaem, petite ville des Flandres située entre

Gand et Bruges ? Et, suivant quelque dicton local, les habitants de Malle-

gem auraient-ils eu la réputation d'être crédules à l'excès ou d'esprit de-

rangé ? ... Un érudit flamand pourrait seul éclaircir cette difficulté. La

répétition de ce nom et de la formule qui le précède sur deux gravures

différentes méritait en tout cas d'être relevée.

D'aiileurs, Carolus Allaerdt semble avoir eu une autre réminiscence

des inscriptions de P. Bruegel. Le nom du chirurgien, maître Jehan Kake-

laer offre une lointaine ressemblance avec celui qui figure sur l'affiche de

la vrou Hexe. On lit en effet sur cette dernière, après un incompréhensible

mélange de mots latins et hollandais, en manière dé signature, ce nom :

Jan Kernakel.

A défaut d'autres renseignements, on peut seulement en inférer qu'un

certain Jean Kernakel ou Kakelaer aurait été un émérite arracheur de

pierres de tète. Encore n'est-il pas certain qu'il ait jamais existé.....

Si maître Jehan Kakelaer a eu les honneurs d'une légende, son opéré

méritait bien la sienne.

L'infortuné se trouve dans une piteuse situation. Ficelé comme il est,

par la tête et parle corps, il ne peut songer à se débattre. Aussi l'excès de

sa douleur se traduit-il de tout autre manière.

Ce n'est plus le réflexe purement moteur qui fait brusquement détendre

le bras du turbulent Arent sur la figure de l'assistant Siewert. Ici le ré-

flexe est glandulaire. Assurément, lui aussi, il appartient à la physiologie

PIERRES DE TÊTE ET PIERRES DE VENTRE 91

pathologique des émotions, mais à cette catégorie d'accidents hypersé-

crétoires qui portent sur toutes les glandes de l'économie, sur celles de la

peau - d'où la sueur froide des traumatismes, - comme sur celles du

tube digestif- d'où l'ictère émotif et autres troubles intestinaux ! ...

Au surplus, si l'on veut être édifié sur la nature de ce phénomène émo-

tionnel, on regardera sous le fauteuil où le patient est assis ; pour la cir-

constance, la chaière opératoire n'est pas autre chose qu'une chaise per-

cée...

Ce trop émotif opéré s'excuse d'ailleurs de son mieux :

Door al pyn die jck ly en ist geen wonder

AI ontloopt myn het stinckende sweet van oder.

« Avec la douleur que j'éprouve, il n'est pas étonnant qu'une sueur nau-

séabonde suinte au-dessous de moi. »

Accidents malencontreux dont l'expérience a maintes fois confirmé la

réalité et dont la physiologie peut donner les savantes raisons.

A gauche de la composition, se dresse un personnage de grande taille,

les épaules et le cou entortillés d'un étrange manteau, tenant à la main

une canne, et portant une aiguière en équilibre sur sa tête. Ses deux pieds

disparaissent dans un pot muni d'un couvercle. A ces bizarreries on recon-

. naît encore une réminiscence de P. Bruegel et en remontant plus haut

l'inspiration de van Bosch. '

Deux détails sont surtout intéressants :

D'abord, cet être fantastique porte sur le front une pierre de dimensions

imposantes. En outre, il fume de partout : il tient entre les lèvres une pre-

mière pipe ; deux autres sont fixées à son cou ; une quatrième est logée

dans son haut-de-chausse ; toutes sont allumées et il en sort des nuages

de fumée.

La légende nous fait entrevoir une nouvelle méthode thérapeutique

préconisée contre les pierres de tête. Après l'incision ou l'extirpation, -

procédé chirurgical, - voici le traitement médical : fumigation ou

insufflation de tabac. '

Cette méthode apparemment, passait pour n'être pas moins efficace

que l'intervention à main armée. Cependant, dans le cas actuel, elle de-

meure sans effet, et le fumeur s'en étonne :

Puisque le tabac, dit-il, a la propriété de chasser toutes les maladies,

n'est-il pas surprenant que mon caillou reste si gros ?

. Dewille den toeback aile sieckte verdrijst,

Soo ist wonder hoe myn key soo groot blyst.

b

92 HENRY MEIGE

Il faut se rappeler en effet, qu'à partir du XVIIe siècle, la question du

tabac passionna l'opinion publique. A peine importé d'Amérique, son

usage s'était tellement répandu qu'une réaction violente ne tarda pas à se

faire sentir. Les monarques, les chefs d'Etat, crurent de leur devoir d'en-

rayer une habitude aussi impérieuse. On vit condamner à l'amende, à la

prison même, des gens qui avaient fait usage de tabac. On sait que le

pape Urbain VIII, en 1624, menaça les fumeurs d'excommunication, et

que Jacques I ? roi d'Angleterre, écrivit une diatribe fameuse contre le

tabac intitulée Misocapnos. Il menaça même de faire pendre tous les fu-

meurs, et Raweigh, qui, dit-on, avait introduit la pipe, servit d'exemple.

En France, Richelieu devait trouver mieux en créant l'impôt sur le

tabac.

Nécessairement, sur une question aussi brûlante, les médecins furent

appelés à donner leur avis. A la Faculté de Paris, Poirson provoqua un

débat contradictoire. Et l'on vit un professeur émérite, - les uns attri-

buent le fait à Fagon, les autres à son élève Barbin (1) -, au cours

d'une discussion fameuse, fulminer contre la plante prohibée..... tout

en puisant largement dans sa tabatière.

Mais si le tabac eut ses détracteurs, il eut aussi ses apologistes : un père

jésuite réfuta le Misocapnos de Jacques le', par un Antimisocapiios. Jean

Neander, médecin de Brème, publia une Tabacologia dithyrambique. Ra-

phaël Thorins, médecin anglais, composa un poème latin, Hyrnnus tabaci.

Plus tard Thomas Willis, présentait le tabac tantôt comme un narcoti-

que précieux, tantôt comme un stimulant de l'appétit et du travail. Die-

merbroeck conseillait l'emploi du tabac contre la dysenterie. Rorelli

vantait ses effets contre l'obésité.

Bref, d'une façon générale, les médecins du 1VII siècle se montrèrent

plutôt partisans du tabac. Quelques-uns même exaltèrent ses vertus au

point de le considérer comme un souverain remède contre une infinité

de maux.

De là, la réflexion du fumeur de notre gravure ; l'intention satirique

n'en est pas douteuse.

Comment le tabac exerçait-il son action curative ? -Rien déplus sim-

ple : il chassait du cerveau les humeurs qui s'y trouvaient accumulées et

l'on sait qu'en ce temps les humeurs fuliginaient avec une surprenante

facilité ! ... Similia similibus : une fumée chassait l'autre, -car l'on croyait

sincèrement que la fumée du tabac pénétrait dans le cerveau.

Sganarelle nous l'apprend dans le Festin de Pierre de Thomas Corneille

(1) Ce qui est certain c'est que Fagon a publié en 1699 : El'[JO ex tabaci usu frequen-

li vit-- summa b)-evio7-.

PIERRES DE TÊTE ET PIERRES DE VENTRE 93

et son langage n'est que l'écho d'une croyance accréditée par la médecine

du temps :

Quoi qu'en dise Aristote et sa docte cabale,

Le tabac est divin, il n'est rien qui l'égale,

Et, par les fainéants, pour fuir l'oisiveté,

Jamais amusement ne fut mieux inventé.

C'est dans la médecine un remède nouveau

Il purge, réjouit, conforte le cerveau ;

De toute notre humeur promptement il délivre ;

Et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre

La même idée est exprimée au début d'un sonnet attribué à Lombard,

ministre protestant français qui vivait au VIF siècle dans la petite \ il le

hollandaise de Middlebourg.

Doux charme de ma solitude, -

Charmante pipe, ardent fourneau,

Qui purges d'humeur mon cerveau,

Et mon esprit d'inquiétude

Le tabac jouissait donc du privilège de purger le cerveau de ses humeurs

peccantes. De là à le supposer capable de chasser les pierres de tète, il n'y

avait pas loin. Ainsi s'explique la légende de Carolus Allaerdt.

Il est juste d'ajouter cependant que les ennemis du tabac le croyaient,

par contre, capable de toutes sortes de méfaits cérébraux.

Simon Pauli affirmait que les fumeurs avaient le cerveau et le crâne

tout noirs. Dans une lettre à Bartholin, Borrichins rapporte qu' « une

personne qui s'était tellement desséché le cerveau à force de prendre du

tabac qu'après la mort on lui trouva dans le crâne au lieu d'encéphale un

petit grumeau noir » (2).

On pourrait imaginer aisément une nouvelle pathogénie de la pierre

de tête. Mais cette thèse n'était assurément pas répandue et l'on préférait

reconnaître au tabac toutes sortes de vertus « curatives et confortatives ».

Ici s'arrêtent les dessins qie C. Allaerdt a consacrés aux « pierres de

J

(1) Thomas Corneille, Le festin de Pierre, Acte I, scène I.C'est le début de la comédie.

Sganarelle, valet de Don Juan offre une prise à Gusman, valet d'Elvire, et comme

entrée en matière fait l'éloge du tabac. La pièce de Thomas Corneille est de 1611.

Elle est postérieure de vingt années environ au Don Juan de Molière, qui débute de

la même façon : « Quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n'est rien

d'égal au tabac ; c'est la passion des honnêtes gens ; et qui vit sans tabac n'est pas

digne de vivre. Non seulement il réjouit et pll1 ? le les cerveaux humains, mais encore

il instruit les âmes à la vertu et l'on apprend avec lui à devenir honnête homme. »

(2) Note de Pecholier, in art. Tabac, Dict. encycl. des sciences mëd.

94 HENRY ME1GE

tête )) proprement. dites. Les cinq autres sujets qu'il nous reste à examiner

ont trait à d'autres espèces de pierres diversement réparties dans le corps

humain, et dont l'extraction ne nécessite plus une intervention sanglante.

Voici d'abord le savant docteur Manshert, tout en ventre, coiffé d'un

vaste feutre emplumé. Il s'avance sur ses jambes minuscules, tenant un

urinai à la main. Et la légende nous apprend que cet habile homme, qui

connaît le fin du fin, est à la fois grand lithoscope et grand coproscope.

Dockter manshert can sien opeen prick

Of key en kamergan sal wese dun oft dick

« Le docteur 11lanshert, qui sait voir par le trou d'une aiguille, reconnaît

si la pierre et la selle sont épaisses ou minces. »

S'agit-il de calculs vésicaux ou intestinaux ? On ne sait. Les « empiri-

ques » de l'époque maniaient avec tant d'habileté l'urinai divinatoire

qu'il n'est pas besoin de chercher une explication scientifique à ce genre

d'examen. La satire vise ici l'abus d'une méthode dont l'usage était alors

exploité par d'innombrables charlatans. Les tableaux flamands et hollan-

dais en témoignent surabondamment. ,

Vers le docteur Manshert, un groupe se dirige, non sans difficulté.

C'est Teives Treuselaer, le Lambin, paysan à l'esprit peu délié qui sou-

tient dans ses bras une femme, Truytie (Gertrude) Roelen.

Truytie Roelen heest hit lyf soo vol keye

Dat tewes Treuselaer haer by den docker moet leye.

« Gel't1'1lde Roelen a le corps tellement rempli de pierres que Teives le Lam-

bin est forcé de la conduire au docteur. »

Je ne sais si c'est une cascade de pierres qui s'échappe de la bouche de

Truytie Roelen ; ce qui est certain,c'est qu'elle vomit à flots, el que le pau-

vre Treuselaer a grand'peine à la soutenir.

Cette expectoration de cailloux d'origine stomacale est à rapprocher de

l'histoire de la fille de St-Géosmes racontée par Morand. Nous avons déjà

eu l'occasion d'en faire une analyse critique (9).

La fille de St-Géosmes rendait surtout des pierres par l'urèthre et la bi-

zarrerie de ces corps étrangers exerça pendant longtemps la sagacité des

médecins locaux. Morand n'eut pas de peine à démontrer qu'il s'agissait

d'une simple supercherie d'hystérique. Mais l'adroite simulatrice eut aussi

des vomissements pétreux et rendit par la bouche des pierres « de différen-

(1) V. Nouv. Icoiiorl. de la SaLplrière,n 4, 1896.

PIERRES DE TÊTE ET PIERRES DE VENTRE 95

tes couleurs, grosses comme des pois ou des haricots. » Truytie Roelen

était peut-être du même acabit que Geneviève Martin, la fille du tireur

de pierres de St-Géosmes.

Les anciens écrits médicaux abondent d'ailleurs en récits de vomisse-

ments merveilleux. Il entre dans chacun d'eux une part évidente de mys-

tification ; on y trouve aussi l'indice de véritables désordres névropathi-

ques. Mais où s'arrête l'élément maladif ? Où commence la fourberie

consciente et volontaire ? La limite est difficile a préciser.

Morand en a recueilli plusieurs exemples dans la littérature médicale

de son temps.

« Le journal des sçavans publia en 1682, des éclaircissemens sur une

fille qui donnait lieu à beaucoup de contes dans Paris, par des vômissemens

d'arraignées, de chenilles, de limasses, et d'autres sortes d'insectes.

» Une pauvre fille de Charenton, âgée de dix-neuf ans, était attaquée

depuis environ deux ans et demi d'une maladie assez singulière, qui la

faisait tomber de tems en tems en des convulsions si horribles, qu'il fallait

trois ou quatre hommes des plus robustes pour l'arrêter sur son lit.

» Ces convulsions étaient suivies d'une espèce de lélargie, qui lui durait

jusqu'à huit, dix, quinze et vingt heures, pendant lequel tems elle perdait

l'usage de tous les sens, si bien qu'on pouvait lui enfoncer dans la chair

de grosses épingles, sans qu'elle en ressentit la moindre douleur, et enfin

revenant de sa létargie, il est certain qu'on lui a vu jetter plusieurs de

ces insectes. 1

» Comme il n'y avait en tout cela que ce dernier fait de surprenant,

M. Défila, lieutenant criminel, s'est attaché à le pénétrer, et il a sçu par

l'aveu qu'il a enfin arraché à la malade, qu'elle avalait en secret depuis

huit ou neuf mois, des limasses, des chenilles, des arraignées, et autres

insectes qu'elle a vomi depuis, et qu'elle se sentait portée ai cela,surtouta

la manducation des crapauds qu'elle n'avait encore pu avoir, avec la môme

ardeur que quelques autres de son sexe mangent du charbon, de la terre,

de la suye, etc. '

» Elle disait que tous ces animaux étaient bien plus gros, quand elle les

jettait, que quand elle les avait avallés. »

Cette fille de Charenton fut, à n'en pas douter, une vulgaire hystérique.

Ses convulsions suivies de léthargie en témoignent suffisamment, ainsi que

l'anesthésie généralisée « qui rendait son corps insensible aux piqûres ».

Voici un autre fait rapporté par Morand ; on ne saurait affirmer ici que

l'hystérie est en cause, et il y a tout lieu de croire que le patient usait

d'un stratagème pour attirer sur lui la pitié publique :

« Un jeune homme âgé d'environ vingt ans dans la ville d'Ely, qui est

la ville épiscopale de la province ou plutôt du diocèse de Cambridge, se

96 HENRY MEIGE

disant ensorcelé, a vomi il plusieurs reprises des clous de différentes

grandeurs, des épingles, de petites pièces de plomb, tel qu'est celui qui a

servi dans les fenêtres, de la petite monnaye de cuivre d'Angleterre,

nommée pardins, des pierres ci éguiser, d'un doigt de longueur et de la

largeur de deux doigts.

» AI. Wlite,un des maîtres d'hôtel de M. le duc d'York a vu l'homme,

et dit qu'il parle d'assez bon sens, qu'il n'est point malade comme quel-

ques-uns l'ont cru, bien qu'il soit fort pâle au visage, mais qu'il sent des

douleurs dans la poitrine, et ailleurs, lorsqu'il vomit toutes ces matières.

Il a même parlé à une dame qui a été présente, lorsque ce pauvre homme

a jetté un grand morceau de plomb de la longueur de plus de deux doigts.

Et un jour*qu'on lui demandait d'où vient qu'il vomissait plutôt des

pierres a éguiser que d'autres, il dit qu'il n'en savait rien, et que tout ce

qu'il pouvait dire, est que peu auparavant, ayant eu une de ces pierres

dans sa poche, sans sçavoir ce qu'elle avait pu devenir, il l'avait vomi peu

de temps après. Un des chirurgiens du roi d'Angleterre apporta le vingt-

deuxième de ce mois, tout cet amas de matière, dans une boele, à New-

marret pour le présenter au roi. » .

Morand ajoute : « Cela a fait arrêter, et mettre en prison deux femmes

qu'on soupçonne d'être sorcières. »

Le sortilège était en effet l'explication la plus- communément reçue

de ces sortes d'aventures. La prison et le bûcher constituaient la théra-

peutique de choix.

Inutite de multiplier ces citations. On voit à quel point les vomisse-

ments de ce genre passionnaient non seulement les médecins, mais le

public tout entier, toujours enclin aux interprétations surnaturelles.

« Quelqu'un qui verrait rendre ces matières et qui se croirait autorisé

à soutenir qu'elles ont pu se former dans le corps, serait avec raison regardé

de même oeil que celui dont il défendrait la cause ; c'est sans doute dans

de pareilles occasions que du sentiment d'un célèbre auteur la bonne foi

n'est plus que faiblesse et bêtise : mais dans le siècle où nous sommes il

ne se trouve plus personne qui voulût s'aviser de donner pour naturels

des événements de cette espèce ; le progrès qu'ont fait les sciences et la

physique ne laisse pas que de redresser l'ignorance des esprits les plus

médiocres, et les plus superficiels; le peuple et le vulgaire trouvent, dans

la fréquentation des batteleurs et des vendeurs d'Orvietan, des leçons qui

ne restreignent pas moins leur simplicité. »

Ces justes réflexions de Morand sont le meilleur commentaire que l'on

puisse donner des dessins satiriques de C. Allaerdt.

PIERRES DE TÊIE ET PIERRES DE VENTRE 97

Les trois dernières images figurées sur notre gravure font allusion à

des pierres extraites par une voie non moins naturelle.

C'est un confrère, nommé Claesie (Nicolas), petit, monstre horriblement t

bossu et court de jambes, au nez orné de vastes besicles, qui, à l'aide de

fortes tenailles se livre à la laborieuse extraction de certaines pierres que

nous appellerons « pierres de ventre ».

Pour cette taille d'un nouveau genre, le patient, Joachim, est couché

par terre, à plat ventre, découvrant largement le champ opératoire.

Il est possible que, dans ses mots, le vieux hollandais, « brave l'hon-

nêteté ». En tout cas, il dit fort crûment ce qu'il veut dire :

Claesie hultsack gaet cloeckelyck voort

En treckt een key oyt Jochcrn Kutel poort..

« Claesie' le Bossu travaille avec ardeur à retirer une pierre du c... de

Joachim. »

Que Carolus Allaerdt soit excusé ! Ici encore il n'a fait que traduire

par le dessin une croyance populaire.

La Faculté l'y autorisait s'étant occupé de ce genre de tumeurs intesti-

nales. Bien plus, un certain P. Valcari-nghi consacra un opuscule très

détaillé aux déjections pétreuses, ferrugineuses et autres, d'une jeune fille

de Crémone. Et ce livre fut dédié à l'illustrissime et révérendissime

Évoque de cette ville. On pouvait donc s'occuper de la question des

« pierres de ventre » sans blesser les bienséances.

« La fille de Crémone est celle qui parait avoir le plus de ressemblent

avec la fille deSt-Géosmes, pour les différents étals par lesquelles elles

ont passées toutes deux avant de rendre des corps étrangers ; parmi ceux

que vomissait réellement la fille de Crémone, et qu'elle jettait par l'anus,

il y a une pierre d'une forme ovale irrégulière, longue de trois pouces,

large de deux pouces et huit lignes, haute d'un pouce et cinq lignes. Une

autre de figure rhomboïdale, longue de deux pouces et sept lignes, large

de deux pouces six lignes et de l'épaisseur de quatre lignes, sans parler

des morceaux de cailloux, de fer et de verre qu'elle ajettéepar le vagin et

par l'urèlhre, lesquels étaient heaucoup plus considérables que tout ce

qu'elle jettait par la bouche : ceux qui voudront s'assurer de la parité

trouveront de la satisfaction à lire l'histoire de cette maladie » (1).

Qu'était ce nouveau genre de tumeur intestinale ? Probablement, de

vulgaires cailloux avalés par des névropathes ou des aliénés pervertis et

(1) Cité encore par Morand. De saxis, acabits, ferreis... etc.. disse ? -taiio epislo-

laris, l'auli Valcaringlei, etc., ad ilhislrissimum el reverendissimum, D.D., Lilla,

Episcopuum Crenxonx, etc. -

98 HENRY MEIGE

qui suivaient le cours naturel du bot alimentaire ; peut-être des calculs

stercoraux, formés in sitll autour de corps étrangers divers, concrétions

biliaires, noyaux, parasites ayant séjourné longtemps dans l'intestin, --

ou desimptesentérotithesdusata coprostase. On peut imaginer toutes

les pathogénies.

Quant à l'opération, il est possible qu'elle ait été réellement pratiquée

comme le fut souvent l'extraction des pierres introduites dans l'urè-

thre ou le vagin. Après tout, elle était logique, el beaucoup moins dange-

reuse que l'extirpation des « pierres de tête ».

Il faut croire cependant que la méthode d'extraction des « pierres de

ventre » par arrachement n'était pas toujours couronnée de succès. En ce

cas, s'il faut en croire Carolus Allaerdt, on avait recours à un procédé sin-

gulier, la fustigation, qui d'ailleurs, elle aussi, ne réussissait pas toujours.

C'est ce que nous apprend un autre dessin, où l'on voit un moine

occupé à fustiger de la belle façon une pauvre femme il genoux, les mains

jointes. La gravure est de celles qui se passent de commentaires. En

voici simplement les légendes.

C'est l'opérateur qui parle le premier :

Ick heb soo langh staen stecken en druckon

Om dese key hier uyt te ruckcn

Tôt dat ick now voort laest aenwing

U cens te beproeven met dit rnygh ding

Maer wat ick meerder steeck oft smyt

Wat ghy die key werdt minder quyt.

« Pendant si longtemps j'ai piqué et poussé pour parvenir à faire sortir

cette pierre qu'à la fin je me suis décidé à employer cet instrument rugueux.

Mais plus je m'efforce de piquer et de battre, moins vous vous débarrassez

de cette pierre. »

Et l'opérée de répondre :

Ay broeder kaelkruyn bout doch moet

Want u key priem smackt soo soel.

AI douten streeckt ghy noch soo seer

Ick lydt geeren alwaert meer.

« /1/t ! frère à la tonsure fraîche, ne vous découragez pas. Car cette

façon de retirer la pierre est fort agréable. Et bien que vous me frappiez

durement, ,je sou/frirais volontiers encore davantage. »

Ajoutons que si la « pierre de ventre » est visible an lieu d'élection, le

flagellant possède au front une énorme « pierre de tête ». »

Conclusion : le plus fol des deux n'est pas celui qu'on pense.

PIERRES DE TÊTE ET PIERRES DE VENTRE 99

Tel est l'étrange amalgame imaginé par Carolus Allaerdt, en manière

de satire contre les arracheurs de pierres et leurs naïfs clients. Il faut re-

connaître qu'il y avait là pour un ironiste ample matière à la critique.

On pourrait souhaiter que l'auteur eût mis dans sa composition plus

d'originalité et plus de réserve. Mais pouvons-nous trouver malséant

qu'un artiste des Pays-Bas ait témoigné quelque prédilection pour le tour

rabelaisien ? ....

A toute histoire il faut une morale.

Carolus Allaerdt l'a donnée sous forme d'un dernier dessin représentant

le mode d'expulsion spontané des « pierres de ventre. » L'heureux mortel

à qui la Nature bienfaisante permet d'échapper aux tortures opératoires,

témoigne hautement de sa satisfaction. Il s'écrie en termes nullement

apprêtés :

Ick sien wel die onder mesters hande comt moet val lyden

Daerom l;acl : jckse liever uyt soo hoestment niet te snyden.

« Je le sais bien ! ceux qui passent par les mains des maîtres sont exposés

à beaucoup souffrir. Aussi, moi, j'aime mieux tout simplement dépo-

ser ma pierre (1). Comme cela, je n'ai pas besoin de me faire entailler.

(1) En hollandais : kack, cacarde.

ICONOGRAPHIE NÉDICO-ARTISTIQUE (1).

UN GOITREUX

Gravure de DENou (1788).

Cette imago se rattache il la série des Goitreux dans l'Art (2). C'est une

gravure sur cuivre de la fin du 1VIII siècle, oeuvre de DENOU (-17h. î-18`5).

Denou, qui fut comblé de faveurs par le roi Louis XV, avait été chargé,

après la mort de ce monarque, de plusieurs missions en Suisse et en Italie.

C'est probablement au cours du dernier de ses voyages qu'il fit le croquis

d'un de ces goitreux, si fréquents dans les Alpes. Le goitre bilobé, de

grandes dimensions, est assez bien rendu. Il faut noter aussi la très petite

taille du sujet, la bouffissure de ses mains et de son visage; c'est peut-être

un myxoedémateux. II. M.

(l)Sous cette rubrique.La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière publie des repro-

ductions des oeuvres artistiques qui présentent un intérêt médical et dont l'interpré-

tation ne nécessite qu'un bref commentaire (N. 1). L. R.).

(2) Voy. Nouv. Iconographie delà Salpêtrière, no 4, 1897.

Le gérant : P. Bouchez.

Imp. J. Thevenol, Saint-Dizier (Haulo-Marnu).

13e année ? 2.. , Mars-Avril

SUR UN CAS

DE SOMMEIL PROLONGÉ PENDANT SEPT MOIS

PAR TUMEUR DE L'HYPOPHYSE '

PAR

F. SOCA

Professeur à la Faculté de Médecine de Montevideo.

J'ai observé dans ma clinique de Montévidéo (Hôpital de la

cas dont les traits singuliers peuvent servir à compléter la --

des tumeurs du cerveau et surtout celle moins connue des tumeurs de

l'hypophyse. C'est là la raison qui excuse et même autorise la relation du

cas suivant et les quelques considérations que j'ai cru devoir y ajouter.

1

Jeane Flores, 18 ans, demoiselle, domestique, venant de la campagne, est

entrée raja salle « San José » le 22 octobre 1898, occupant le lit no 8. - Ses

antécédents héréditaires sont à peu près inconnus. - Elle ne paraît avoir

fait aucune maladie avant celle qui l'amène à l'hôpital. D'après les renseigne-

ments fournis par la personne qui l'accompagnait,elle aurait toujours mené une

vie très réglée, très laborieuse, sans vices. Pas de syphilis, pas d'alcoolisme.

- Voici comment aurait débuté sa maladie. Vingt jours ou un mois avant son

entrée à l'hôpital, cette fille était, à ce qu'il paraît, tout à fait bien porlante.

C'est alors qu'un beau jour, après une journée de travail très fatiguant, elle

voulut prendre un bain froid d'ablution. A peine mouillée, elle tomba par

terre sans connaissance. On ne sait pas au juste combien de temps dura cette

attaque. On n'en connaît pas non plus les caractères (convulsive ? ). La ma-

ladie débute à ce moment précis. La malade recouvra bien ses sens après l'at-

taque, mais la vue était devenue faible,sa démarche incertaine et une céphalal-

gie intense se montra par la suite. - La vue s'affaiblissant de plus en plus et

avec une rapidité effrayante, les forces se perdant peu à peu la pauvre fille devint

inutile pour le travail et ses patrons la renvoyèrent. C'est alors qu'elle vint à

la ville.

La malade se présenta d'abord à la consultion externe de l'hôpital où le pro-

fesseur d'ophtalmologie, Dr Isola, constata : vision presque nulle ; voyait à peine

une lumière; sans paralysie oculaire elle présentait une atrophie papillaire dou-

ble et plus prononcée du côté gauche, ses pupilles dilatées ne réagissaient pas

xiii 7

102 F. SOCA

à la lumière. La marche était à peu près impossible, la malade se tenait péni-

blement debout. Vomissements incessants, faciles. Douleurs dans tout le corps.

- Le D' Isola l'adressa à mon service. Le lendemain à la visite, je la trouve

couchée en décubitus dorsal, dormant apparemment d'un sommeil tranquille,

la respiration lente, cadencée, le pouls normal, les membres en résolution,

la figure calme et naturelle.

Je l'appelle énergiquement par son nom. Elle s'agite d'abord, remue dans son

lit, ouvre les yeuxqu'elle frotte avecses mains, bnilleàplusieurs reprises, détend

ses membres, reproduit en somme tous les actes du réveil chez une personne

normale. Interrogée alors, elle raconte l'histoire de sa maladie d'une manière

suffisamment conforme à tout ce que nous savions déjà par sa compagne.

Mais elle le*fait lentement et avec une difficulté évidente. Elle ne délire pas,

ses réponses sont justes, mais son intelligence est déjà dégradée sans aucun

doute.

Aussitôt que je l'abandonne, elle retombe dans son sommeil mais reprodui-

sant encore par une gradation régulière toutes les petites actions par lesquelles

une personne normale passe de la veille au sommeil. - Le lendemain, je la

retrouve dans le même état et l'interne et les soeurs du service me conmuni-

quent qu'elle a dormi imperturbablement depuis mon départ, la veille. On l'a

réveillée seulement pour lui donner à manger ; elle a mangé de bon appétit et

s'est rendormie de suite. Et le surlendemain j'entends la même histoire et les

jours suivants invariablement de même avec de petites variantes. Et cela con-

tinue pendant un mois, deux mois, trois, cinq, six, sept mois sans variation

importante. La malade dormait toujours, toujours de son sommeil paisible

d'aspect parfaitement naturel, toujours se réveillant facilement aux provocations

ordinaires. Ce sommeil n'était pourtant pas absolument continu. Je laisse de côté

les réveils provoqués et quotidiens pour les repas et les soins de propreté.

Mais à part ces réveils provoqués, elle en avait de spontanés qui paraissaient

produits par la faim, cardans ces cas elle demandait souvent à manger. Mais

dans tous les cas la malade ne tardait pas à se rendormir. En outre le sommeil

n'était pas tout le temps également profond. Par moments elle semblait simple-

ment engourdie, comme somnolente et alors elle se réveillait à la moindre pro-

vocation ; mais c'était l'exception et la plupart des heures de la journée et de

la nuit elle dormait de son sommeil profond. Et ces divers caractères le som-

meil les a gardés pendant tout le temps de la maladie sans aucune modification

d'aucune sorte.

Quant à l'examen de la malade, il a été fait un grand nombre de fois et très

complètement. Pour ne pas allonger cette observation inutilement je place ici

l'examen pratiqué le 9 .mai, 15 jours avant la mort, examen qui, à part des

nuances que j'indiquerai, est parfaitement comparable à celui que nous avons

fait le lendemain de son entrée à l'hôpital.

Lors de son entrée à l'hôpital, la malade avait des vomissements continus,

bilieux qui disparurent au bout de 5 ou 6 jours.Ils ne se sont jamais représentés.

La malade se plaignait aussi à son entrée de céphalalgie frontale et occipi-

tale. Cette douleur était assez forte pour réveiller la malade qui demandait

UN CAS DR SOMMEIL PROLONGÉ PENDANT SEPT MOIS '103

qu'on l'en débarrasse. Mais au bout de quelques jours la céphalalgie cessa et

la malade ne s'en est plus jamais plaint.

Un autre phénomène du début qui disparut par la suite fut une hyperesthé-

sie généralisée de la peau surtout accentuée aux jambes et au tronc.

La malade ,ainsi qu'il a été dit, a l'aspect d'une personne profondément en-

dormie '

Quand on la réveille on assiste d'abord à l'évidente dégradation des facultés

intellectuelles. La mémoire à ce moment de la maladie est à peu près perdue.

On se souvient qu'elle ne l'était pas autant au début. Son attention est très dé-

gradée ; elle comprend difficilement ou ne comprend pas du tout,répond quelque-

fois bien aux questions, mais le plus souvent mal.Elle dit même des bêtises dé-

mentielles et surtout ses opérations intellectuelles se réalisent avec une lenteur

extrême.

Elle n'a pas de troubles marqués de la parole. Au point de vue intellectuel' la

malade a changé sensiblement depuis son arrivée à l'hôpital. Pendant les pre-

miers mois de son séjour dans nos salles elle aimait à causer, il bavarder même

quand on la réveillait. Il lui arrivait encore de vouloir faire de l'esprit et même

d'y réussir,ce qui arrivait rarement par exemple. A présent sa conversation est

pleine de niaiseries et d'incohérences.

La sensibilité générale est conservée dans tout le corps, pour le contact, la pi-

qûre, la chaleur; seulement elle met beaucoup de temps à accuser la sensation.

Il y a lil probablement plus qu'un retard réel de la transmission, un effet de

l'abrutissement de la malade. La sensibilité sensorielle n'est pas intacte partout

tant s'en faut. Il paraît y avoir un certain degré d'anosmie droite,mais c'est dou-

teux. Le goût normal, l'ouïe normale ; la vue a disparu ; il y a actuellement

amaurose absolue. Voici du reste le compte rendu de l'examen pratiqué dans les

premiers jours de mai, par le professeur Isola : Vision centrale et périphérique

perdue. Pupilles dilatées, réflexes lumineux et de l'accommodation perdus. Il

n'y a pas de paralysie oculaire d'aucune sorte. A l'examen oplltalmoscopique :

atrophie complète et avancée des deux papilles avec altération des vaisseaux.

Sens stéréognostique intact ; sens musculaire intact. La mobilité est assez at-

teinte. La malade ne peut pas rester assise dans son lit ni encore moins se

mettre ni rester debout.Dans son lit elle conserve tous les mouvements des bras,

des jambes et même du tronc, mais la force en est diminuée. Elle se sert tou-

jours delà main et du bras gauche ce qui paraîtrait indiquer une paralysie du

côté droit. A l'examen on ne note pas de différence considérable des deux

côtés, mais le droit paraît bien le plus faible.

A la face, rien. Jamais de contractures, jamais de convulsions. Les réflexes

tendineux conservés, les rotuliens quelque peu exagérés, pas de clonus. Les

réflexes cutanés normaux ; réflexe de Babinski physiologique; sphincters : la

malade se salit. '

Pas d'atrophie.

Les autres appareils normaux. Les urines examinées à plusieurs reprises

absolument normales. Le pouls a toujours oscillé autour de 80. La température

a varié entre 36°4 et 36°8. La respiration entre 12 et 16 jusqu'au 9 mai. Le 9

104 F. SOCA

mai la température monte à 38°,c'était le premier signe d'une bronchopneumo-

nie tuberculeuse qui enleva la malade le 25 du même mois.

L'autopsie pratiquée 24 heures après : Examen extérieur,ouverture du crâne,

rien à remarquer.

Au moment d'extraire le cerveau on remarque que les pôles occipitaux et

frontaux se détachent facilement, mais on ne peut pas détacher la base. Ceci

est dû à la présence d'une masse néoplasique qui soude la partie centrale de

la base du cerveau à la dure-mère. -

Une dissection très délicate et très soignée permet de détacher la tumeur de la

dure-mère et de l'os. La tumeur recouvre la selle turcique laquelle est débor-

dée manifestement en avant, des deux côtés et en arrière sur la lame quadri-

latère. La tumeur est ainsi placée sur le trajet des premières paires crâniennes.

Les pédoncules olfactifs sont quelque peu rejetés des deux côtés surtout le droit ;

mais ils ne paraissent pas altérés.

Les nerfs optiques à leur naissance dans le chiasma et la bandelette, le chias-

ma et la partie la plus antérieure des bandelettes optiques, tout cela est adhé-

rent à la tumeur ou plus exactement confondu, perdu dans la tumeur dont on

ne peut pas les distinguer.

La tumeur chevauche des deux côtés sur les oculo-moteurs et les pathétiques,

FiG. 1. - Face inférieure de l'encéphale (la tumeur occupe la région ombrée).

UN CAS DE SOMMEIL PROLONGÉ PENDANT SEPT MOIS 105

mais il n'y a aucune adhérence, les nerfs paraissent absolument intacts et ne

sont pas même déviés de leur trajet par la tumeur.

Une fois le cerveau extrait et placé sur la table par sa face convexe, tumeur

affecte les rapports indiqués nettement par la figure 1.11 repose sur la région de la

base du 3e ventricule depuis l'espace perforé postérieur jusqu'aux bandelettes

olfactives et circonvolutions orbitaires, et des deux côtés est recouvert par la

partie antérieure de la circonvolution de l'hippocampe et recouvre l'espace

perforé antérieur.

Quand par une dissection soignée on a enlevé la tumeur, on voit qu'il n'y a

plus de tubercules mamillaires, ni tubes cinéreux, ni hypophyse, ni chiasma des

nerfs optiques, tout cela a été enlevé avec la tumeur. Reste une excavation

profonde dont les limites extérieures sont celles que nous avons indiquées pour

la tumeur. Profondément on voit que la tumeur pénétrait dans le 3° ventricule

et arrivait même jusqu'au trigone. Par la partie postérieure elle écartait vi-

goureusement les pédoncules cérébraux marquant son empreinte surtout sur le

pédoncule gauche et comprimait aussi manifestement d'avant en arrière ces

pédoncules.

Au moment d'enlever la tumeur il s'écoule une certaine quantité de sérosité

des ventricules, quantité qu'on pourrait évaluer à 40 ou 50 grammes.

La tumeur a la dimension et même la forme d'une mandarine ; la couleur

est rouge sombre sur laquelle se détache un réticulum plus clair.

La tumeur est extrêmement molle, tremblotante, semi-tiquide.Ata coupe elle

s'affaisse et laisse écouler une substance grenue semi-liquide laquelle parait

emprisonnée dans un fin réticulum.

De l'examen du cerveau fait par le professeur d'Anatomie pathologique Caf-

fera, je relève :

Cerveau sain partout ; on n'a trouvé aucun vestige de la glande pituitaire

tuber ciuereum, tubercules mamillaires. Les tubercules quadrijumeaux petits,

aplatis, atrophiés. La tumeur appartiendrait à la classe des sarcomes.

Elle se serait développée primitivement aux dépens de l'hypophyse ( ? ).

Ce qui frappe dans ce cas, ce qui en fait l'intérêt, c'est le sommeil. Ce

sommeil est tout à fait physiologique par la manière de s'installer, par les

caractères intrinsèques,par les particularités du réveil. Mais il est patholo-

gique et même absolument insolite par la longue durée dans sa monotone

uniformité. La malade dort sept mois d'un sommeil profond et presque

sans discontinuer. Et ce sommeil ne change jamais de physionomie ; il

est toujours le même par tous ses caractères, le premier jour comme le

premier mois, le premier mois comme le deuxième et ^troisième et le

quatrième et le septième, toujours le même jusqu'à la mort. Il ne serait

peut être pas inutile de déterminer l'espèce de sommeil pathologique à

laquelle nous avons à faire. Préciser les symptômes autant que possible

est le premier devoir du clinicien et la hase sine qud non de tout dia-

106 F. SOCA

I

gnostic sérieux et solide. Si on avait toujours essayé dans les observations

ce travail d'analyse clinique, ce sujet serait certainement moins obscur

qu'il ne l'est actuellement.il n'est pas toujours aisé, tant s'eu faut, de déter-

miner le point précis où le sommeil physiologique finit et où le sommeil

pathologique commence. Mais heureusement cette question souvent em-

barrassante ne se pose pas pour nous. Notre cas rentre sans doute dans

les sommeils pathologiques. Mais dans quelle classe ? Et d'abord, quels

sont les types connus et différenciés de sommeil pathologique ? Je ne crois

pas qu'on ait jamais fait une classification bien solide des sommeils patho-

logiques ; mais en groupant les faits connus jusqu'à présent on peut arri-

ver, je pense, aux types suivants : I Narcolepsie ; II sommeil hystérique

proprement dit ; III léthargie ; IV catalepsie ; Y sommambulisme naturel et

provoqué ; VI coma; VII sommeils divers. Je n'ai pas besoin de définir

pour le moment les six premiers types ; quant au dernier - sommeils di-

vers - j'y comprends lous ceux qui ne peuvent entrer dans les premiers.

Ainsi ce paragraphe comprendra ces cas de sommeil chez les aliénés dont

la durée a été souvent tout à fait extraordinaire, deux mois, sept mois,

huit mois, durée, bien entendu, d'un paroxysme quand il y en a eu plus

d'un ; et si l'on veut comprendre dans ces cas la catatonie de Ialbaum la

durée du sommeil peut être indéfinie. Tels sont les cas de Legrand du

Saule, de Seimelaigne, de Rousseau, de Cimussel, de Benjamin (Charlo-

tenburg) etc. Dans ces cas, il s'agit souvent, je pense, 'de pseudo-sommeil 1

par aliénation mentale ou même de sommeil hystérique. Mais il en reste

encore un certain nombre qui ne sauraient s'accommoder de ces étiquet-

tes et qu'il faut accepter pour le moment comme attaques de sommeil ne

différant du sommeil physiologique que par la longue durée et la difficulté

ou l'impossibilité de réveiller le malade.

Dans les sommeils divers je comprends aussi la maladie des noirs, ma-

ladie du sommeil dont la nature est inconnue. La maladie de Gerlier et

surtout ce que l'on a appelé la maladie de Galet ou de Wernicke, état patho-

logique de base organique dont l'un des principaux caractères, est le som-

meil profond et durable, si bien que dans le cas de Gayet il persista

5 mois avec de rares' réveils spontanés ; mais on pouvait toujours réveiller

plus ou moins facilement le malade. En somme les sommeils divers com-

prennent deux ordres de faits : des sommeils sine materia sans altération

anatomique appréciable et des sommeils correspondant à des altérations

anatomiques bien établies.

Et maintenant dans quel groupe parmi les sept indiqués devons-nous

placer notre cas ? Est-ce une narcolepsie ? Ballet définit la narcolepsie :

« un irrésistible besoin de dormir survenant d'habitude subitement, se re-

produisant à intervalles quelquefois très rapprochés. » On peut ajouter à

UN CAS DE SOMMEIL PROLONGÉ PENDANT SEPT MOIS 107

titre de corollaire que la narcolepsie est surtout un sommeil à crises plus

ou moins longues, mais jamais très longues, presque toujours très courtes.

Je comprends bien tout ce qu'il y a d'artificiel dans cette définition un

peu arbitraire de la narcolepsie. Mais je tiens à dire ici uniquement ce que

les hommes d'autorité dans ces questions entendent exprimer quand ils

parlent de narcolepsie.

Le fait qu'on ait trouvé à l'autopsie une lésion organique n'est peut-

être pas une raison suffisante pour exclure ou tout au moins pour ne

pas discuter l'hystérie. La coïncidence de la névrose et des maladies or-

ganiques est aujourd'hui bien connue. Et de fait sommeil hystérique,

tel a été le diagnostic porté pendant la vie par des médecins très ins-

truits. Mais pour ma part je n'ai jamais eu un seul instant d'hésitation et

j'ai repoussé le diagnostic du sommeil hystérique dès les premiers mo-

ments. En effet le sommeil hystérique a un cachet assez particulier qui

manquait tout à fait dans notre cas. Les muscles ont toujours été un relâ-

chement malgré la longue durée de la maladie,ce qui serai extraordinaire

pour un sommeil hystérique. Il n'y avait pas de battement de paupières,

pas de salutations, pas d'anesthésie ni stigmates hystériques d'aucune sorte.

On pouvaitréveiller la malade par tous les moyens ordinaires, etc. etc.

Il ne s'agissait pas non plus de catalepsie ni léthargie, ni somnambu-

lisme. L'Ecole de la Salpêtrière nous a appris à reconnaître ces états divers

par des stigmates qui étaient absents.

Serait-ce pas hasard du coma ? Je crois, pour ma part, qu'il est souvent

épineux de séparer le coma des autres sommeils pathologiques. En est-il

de même dans la circonstance ? `'

.Voici les caractères du coma d'après Mayet : Le coma est un sommeil

profond avec modification de la respiration et la circulatiou caractérisée

par le ralentissement et augmentation d'intensité de ces fonctions, obtu-

sion très marquée ou abolition de l'intelligence et de la sensibilité, réso-

lution musculaire et absence de mouvements volontaires.

Trois degrés dans le coma, toujours d'après Mayet :

le' degré, coma léger. Le malade est étendu sans mouvements, la respi-

ration profonde; les facultés abolies, mais les excitations très fortes amè-

nent un réveil incomplet. Le malade balbutie quelques paroles incohé-

rentes. La douleur est perçue confusément et se traduit par des plaintes et

des mouvements réflexes.- te degré : intelligence abolie, aucune excitation

ne réveille le malade, etc. etc.Je m'arrête parce qu'il ne viendra à personne

l'idée de faire de notre malade un cas de coma de 2e ou 3e degré.

Mais pourrait-on parler du coma de 1 degré ? La description deM. Mayet

est assez vague, sans doute parce que le sujet l'est aussi, et au premier

chef.

108 F. SOCA

Je relève cependant ceci d'assez précis : Le malade est difficilement ré-

veillé ; quand on le réveille il ne paraît recouvrer sa conscience. Il ne re-

devient pas la personne delà veille ; il marmotte quelques phrases incohé-

rentes et se rendort. Si ceci est exact il n'est pas douteux que notre malade

est dans le sommeil simple et non dans le coma. En effet, non seulement

on la réveille facilement et par les moyens ordinaires, mais, une fois éveil-

lée, elle recouvre toutesa conscience, écoute, répond,parle, bavarde même.

Il y a plus, elle se réveille spontanément et il lui arrive de demander alors

à boire ou à manger. Il est vrai qu'elle est abrutie, qu'elle l'était sur-

tout vers la fin de la maladie. Mais on dort ou l'on est éveillé avec l'es-

prit que l'on a ou que nous a laissé la maladie. Un idiot se réveille idiot.

On dira pour cela qu'il est dans le coma quand il dort ? Mais ce qui

prouve la parfaite indépendance entre l'état de son intelligence et le som-

meil c'est que l'intelligence est allée en se dégradant progressivement jus-

qu'à la démence ou peu s'en faut, tandis que le sommeil a gardé imperturba-

blement les mêmes caractères, du premier au dernier jour de sa longue

maladie. Et cette immobilité du sommeil dans ses caractères de la première

heure est, ce me semble, une nouvelle preuve qu'il ne s'agit pas de coma.

On conçoit en effet difficilement un coma qui reste un temps si long

sans passer du 1er au 2-- ou au 3e degré, alors surtout que la maladie

s'aggrave constamment. Mais c'est plus que tout autre chose le caractère

absolument naturel du sommeil, naturel par l'invasion, naturel par ses

caractères intrinsèques, naturel par-les phénomènes et les causes provo-

catrices du réveil, anormal uniquement par sa durée, c'est cet aspect phy-

siologique du sommeil qui me fait surtout repousser le coma. Si on appelle

ce cas un cas de coma il faut alors renoncer à distinguer ce sommeil très

spécial des autres sommeils pathologiques. Cependant je comprends très

bien tout ce qu'il y a de mouvant et d'indécis dans ces questions peu étu-

diées, peu connues jusqu'à présent. Le jour où le sommeil physiologique

sera bien connu alors seulement on sera en possession d'un moyen puis-

sant pour mettre un peu de rigueur dans ces études. Il n'en est pas moins

vrai que, pour le moment, on ne peut que repousser l'appellation de coma

pour notre cas. -

Il doit donc être casé dans la 7e et dernière classe de nos sommeils patho-

logiques, sommeils divers.

Il est certain que nous ne pouvons rapprocher notre cas des sommeils

sans lésion organique bien établie ; que nous devons au contraire le rap-

procher des sommeils à lésion anatomo-pathologique probable ou certaine.

Ainsi sommes-nous conduits à le mettre à côté de la maladie de Gayet ; le

sommeil des nègres devra être exclu.

Dans la maladie de Gavet ou Veruicke nous voyons en effet un sommeil

UN CAS DE SOMMEIL PROLONGÉ PENDANT SEPT MOIS 109

souvent très prolongé (5 mois, cas de Gayet) interrompu par de rares réveils

spontanés et dont le réveil provoqué était possible. C'est exactement l'his-

toire de noire cas. -

Et, chose curieuse et frappante, l'action compressive de la tumeur dans

notre cas portait au maximum exactement sur la région qu'on a trou-

vée altérée dans les cas de Gayet et Wernicke. Cette région était comme

l'on sait dans ces derniers cas, la substance grise qui entoure l'aqueduc de

Sylvius (noyaux des 3e et 4° paires) et la substance du même type de la

base du 3e ventricule. Or noire tumeur avait détruit ou comprimait la base

du 3e ventricule et s'engageait entre les pédoncules comprimant vraisem-

blablement les noyaux des 3° et 4" paires, compression cependant insuf-

fisante pour produire la paralysie, peut-être efficace pour supprimer des

fonctions plus fragiles. Cependant je ne prétends pas par là appuyer ni

beaucoup moins accepter les idées de Gayet, Weil, Mauhtner, Benjamin

etc. sur l'existence d'un centre du sommeil dont le siège dèvrait se placer à

la région lésée par la polioencéphalite supérieure. Mais je trouve intéres-

sant de rapprocher ces faits concordants.

Nous pourrons peut-être faire mieux que de rapprocher deux ordres de

maladies somme toute très différentes. Le sommeil n'a pas été signalé

dans les tumeurs cérébrales ? Si fait, mais la question est malgré tout sin-

gulièrement obscure. On va bien le voir. Il n'y a que deux manières de

se faire une opinion sur ces questions : consulter les auteurs classiques,

consulter les observations.

Les auteurs classiques s'expliquent peu sur le sommeil dans les tumeurs.

Tous indiquent plus ou moins nettement le phénomène, mais d'un trait

rapide et indécis, à mon avis insuffisant.

J'ai donc tâché d'examiner les observations. Je n'ai pu lire toutes celles

qui sont publiées ; elles s'élèvent sans doute à plusieurs milliers, mais j'en

ai dépouillé un assez grand nombre pour que mes conclusions eussent un

certain poids.

J'ai parcouru personnellement 5ai0 observations françaises et anglaises

et j'ai fait dépouiller 336 observations allemandes, c'est-à-dire en tout

près de 900 observations. Il faudrait peut-être pour rester dans la réalité

stricte, réduire la première série a 400 ou moins encore, car un nombre

assez considérable des observations qu'elle comprend tiennent dans quel-

ques lignes et ce sont des documents d'une valeur douteuse. La 2" série

comprend des observations plus étendues mais bien souvent insuffisantes à

d'autres points de vue. Cet immense travail n'a pas été bien fructueux.

Un pareil sujet louchant à des phénomènes très voisins, la somnolence, le

110 F. SOCA

sommeil, le coma exige plus que tout autre un fini dans les descriptions,

une rigueur d'analyse séméiologique, un luxe de détails utiles qu'on

trouve rarement dans les observations.

De là une extrême difficulté pour arriver à un classement précis des faits.

présentés par les divers observateurs. Bien souvent on n'arrive pas à sa-

voir d'une façon certaine si les auteurs des observations ont voulu parler

de coma, de sommeil, de somnolence, voire même de simple abrutissement.

Il y a cependant quelques observations assez nettes. En se basant sur ces

dernières on peut arriver, je crois, à se faire une idée approximative de la

fréquence et même des caractères des divers sommeils dans les tumeurs.

Mais mes recherches quoique assez étendues sont encore très incomplètes,

pour la littérature allemande surtout.Je compte les compléter et je revien-

drai peut-être sur cet intéressant sujet. En attendant je présente ici quel-

ques indications sommaires à titre purement provisoire.

Le coma est un phénomène extrêmement fréquent. Il est présent dans

l'immense majorité des cas. Mais il s'agit là d'un phénomène terminal et

précédant de peu de temps la mort. Cependant on en a vu un certain nom-

bre dans le cours même de la maladie.Dans ce cas le coma a disparu spon-

tanément ou par intervention opératoire.La durée du coma est assez varia-

ble, la plupart du temps dure peu, quelques heures, quelques jours et la

mort s'ensuit.Mais il n'est pas excessivement rare de le voir durer plusieurs

semaines, 5 ou 6. ou encore davantage. Il y aurait même un cas, celui de

Marquezzy (Bull. Soc. anal., 1887) dans lequel la durée du coma aurait

atteint plusieurs mois; mais l'observation clinique est si résumée qu'on

ne sait pas au juste s'il s'agit de coma, de somnolence ou de sommeil.

Cependant les paroles de M. Ballet en commentant le cas, paraissent in-

diquer qu'il s'agissait bien de coma. Du reste le nombre de mois n'est pas

indiqué.

La somnolence est aussi un phénomène assez communément observé

dans les tumeurs cérébrales. Mais peut-on fixer cette fréquence par un

chiffre ? C'est extrêmement difficile. Que veulent exprimer les observateurs

par ce mot somnolence ? Des choses souvent différentes. Parfois un état

intermédiaire entre la veille et le sommeil, espèce d'engourdissement des

facultés intellectuelles, de la sensibilité et du mouvement, souvent une

forme de coma léger ou même le sommeil. Si j'élague tous les cas qui pa-

raissent se rapporter assez clairement au sommeil ou au coma j'arrive au

chiffre de 32 surina première série de ces cas, c'est-à-dire approximative-

ment 8 0/0. MM. Bail et Krissabcr avaient trouvé 34 cas sur 185 c'est-à-

dire 20 0/0 ; mais il est probable qu'ils ont confondu les différentes espè-

ces de sommeil. Pour ma 2" série on trouve 38 cas de somnolence pour

336 ; c'est-à-dire 10 0/0 . La somnolence s'est présentée sous des aspects

UN CAS DE SOMMEIL PROLONGÉ PENDANT SEPT MOIS 111 i

divers. Souvent elle a marqué une époque de la maladie pour disparaître

plus tard, quitte à reparaître de nouveau. Le plus souvent elle s'est pré-

sentée dans les derniers temps de la maladie précédant le coma final d'un

temps souvent long, plusieurs jours, plusieurs semaines, plusieurs

mois( ? ).

Le sommeil à proprement parler s'est trouvé un phénomène excessive-

ment rare dans ma première série de cas. On peut dire que les cas de som-

meil véritable, indiscutablement différents du coma et de la somnolence

manquent à peu près complètement. J'ai trouvé cependant un cas non dou-

teux, celui de Devic et (âourmont due je résume plus loin. On trouve aussi

quelquefois dans les observations cette indication : Le malade s'endort

facilement. J'ajoute que beaucoup de cas de sommeil sont probablement t

cachés sous l'étiquette éminemment élastique de somnolence.

Dans ma z2' série de cas le sommeil est au contraire fréquent : 28 cas sur

336. Mais il est pour moi certain que, dans ces 28 cas, il yen a un grand

nombre qui sont tout à fait étrangers au sommeil.En sorte qu'il ne semble

pas possible de déterminer exactement la fréquence réelle du vrai sommeil

dans les tumeurs cérébrales '; mais je crois que c'est là un phénomène posi-

tivementrare. Quant à décrire le symptôme je ne l'oserai pas avec des

documents si discutables. Je me borne à résumer certaines observations qui

dans leur ensemble montrent bien les allures du symptôme sommeil dans la

maladie qui nous occupe.

Observation (résumée). - DEVIC et COURMONT, Revue de médecine, 1867.

Femme de 46 ans, ménagère. Entrée il l'hôpital le 6 août 1895 et sortie le

6 septembre; pas d'hérédité. Santé a toujours été bonne sauf attaque de rhu-

matisme. En décembre 1894 céphalalgie frontale droite. Quelque temps après

troubles psychiques, diminution de la mémoire. Réponses lentes,pas de délire.

Idées mélancoliques et de suicide. Parle peu et ne prend la parole que pour

répondre aux personnes qui lui parlaient. A diverses reprises, il lui est arrivé

d'être prise d'un besoin impérieux de dormir, elle s'endormait chez les voisines

où elle allait quelquefois passer la journée. Son sommeil était calme et elle se

réveillait assez brusquement sans manifester d'étonnement, sans aucune idée

délirante. Elle recherchait plutôt la solitude, souvent elle ne pouvait pas dor-

mir la nuit. Il y a deux mois elle eut une vive émotion. Après cette émotion

elle n'eût plus d'attaque de sommeil. 15 jours après l'émotion, attaque d'auto-

matisme ambulatoire qui dura 3 heures. Par la suite plusieurs attaques d'au-

tomatisme.

Etat actuel. Maladie organique du coeur. La malade est triste, indifférente,

répond d'une manière sensée, ne parle spontanément, mémoire diminuée,

céphalalgie diffuse, réflexes rotuliens normaux, pas de paralysie, pas de con-

tracture.

112 F. SOCA

1er octobre céphalalgie forte. Malade apathique, ne parle pas. Hémiplégie, mé-

moire perdue, insomnie. OEdème des papilles, bilatéral.

15. - Opération par le Dr Jaboulay. La malade quitte le service, améliorée.

Revenue, meurt dans le coma le 18 février. Autopsie. Cicatrice de la tumeur

enlevée (gliome) située à la base de la 2e frontale empiétant sur' première et

s'arrêtant juste à la frontale ascendante, trombose de la sylvienne.

Dans ce cas il s'agit d'une espèce de narcolepsie, sommeil venant par attaques

de durée pas très longue. - Le sommeil n'a marqué, du reste, qu'une époque

de la maladie après laquelle, il a disparu pour ne plus revenir.

Observation (résumée) : - Mensinga, Thèse de Kiel, 1897.

Femme âgée de 50 ans, sans antécédents héréditaires, ni personnels impor-

tants. Vue en 1896 la malade paraissait souffrir depuis 6 ou 7 ans. Pendant les

quatre dernières années survient peu il peu une sorte de somnolence qui arrive

à un degré tel que la malade s'endort tout à coup en parlant ou en mangeant.

Elle tient mal son ménage et devient malpropre, sa mémoire, son intelligence

et ses forces s'affaiblissent. Pendant les dernières semaines elles dort nuit et

jour,même en mangeant des aliments qu'elle prend avec appétit,si bien que l'on

est obligé de la réveiller.

Depuis 6 mois incontinence d'urine. Depuis un an raideur, faiblesse, dou-

leurs dans les jambes, vertiges, ouïe, odorat, goût ont été toujours normaux.

Le 7 novembre, céphalalgie, pas de fièvre, respiration lente et régulière. Les

bras sont fléchis et opposent une certaine résistance. Pupilles réagissent len-

tement ; acuité visuelle a diminué très rapidement dans les derniers temps.

La malade dort constamment.

Il y a 4 jours, la malade pouvaitencore faire son ménage sans pouvoir exécu-

ter les travaux pénibles ; mais elle a dû s'arrêter parce que son état s'est aggravé

et que ses douleurs de tête sont devenues de plus en plus violentes.

Le 8 novembre, la malade est sans connaissance, ne répond pas, ne réagit t

pas quand on la pince. Main droite et jambes, mouvements spontanés. Main

gauche inerte, trismus, atrophie de la papille. La malade rentre de plus en

plus dans le coma et meurt. L'autopsie a montré une tumeur de l'hypophyse

de la grosseur d'un oeuf de poule qui repousse le chiasma des nerfs optiques

en avant et en haut et comprime en arrière les pédoncules cérébraux, de même

que les tubercules quadrijumeaux. L'aqueduc de Sylvius est comprimé par la

tumeur.

Dans cette observation le sommeil est aussi et pendant lontemps inter-

mittent, mais il devient dans les dernières semaines continu ; continu veut

dire sans doute ici plus prolongé, plus persistant et plus tenace que par

le passé, car il est dit dans l'exposé antérieur que 4 jours avant tecommen-

cement de l'observation la malade pouvait encore faire son ménage. Mais

ce qui est plus remarquable c'est que le sommeil n'est plus un épisode

UN CAS DE SOMMEIL PROLONGÉ PENDANT SEPT MOIS 113

passager de la maladie ; il poursuit la malade pendant les 3 ou 4 dernières

années de sa vie. Ajoutons que les compressions, produites par la tumeur

ressemblaient singulièrement à celles constatées dansmoncas.

Observation (résumée). - D S'rAnNEnS, Medicillische Zei6zcny,

1885, n° 19, p. 83.

Haak, garçon boulanger, 56 ans, vu le 3 janvier 1835. Pas d'antécédents hé-

réditaires. Personnellement alcoolique, malade stupide, répond par monosyl-

labes, renseigne mal sur les débuts de sa maladie. Se plaint de céphalalgie.

Ne peut se tenir debout à cause d'hémiplégie gauche, douleurs vives à la nu-

que ou dans les extrémités gauches, vue normale, parole intacte, mais parlait

peu.

Le malade dormait presque toute la journée, la nuit il se plaignait beaucoup.

L'auteur observa son malade 6 semaines pendant lesquelles l'état varia peu.

Les maux de tête disparurent. La miction et la défécation sont contrôlées par

la volonté, le malade appelle l'infirmier quand il en sent le besoin; le malade se

promène quelquefois, la paralysie' s'étant améliorée un peu. Si le médecin ou

l'infirmier ne le réveillaient pas,le malade dormait toujours. Il répondait toujours

bien aux questions posées ; il s'entretenait avec plaisir avec les amis qui le visi-

taient ; mais aussitôt que la conversation cessait il retombait dans son sommeil.

Il est curieux de remarquer que tandis qu'éveillé il avait 54 pulsations à la

minute, aussitôt qu'il retombait dans sa somnolence le pouls descendait à 50.

Le malade a succombé le 18 février à des phénomènes pulmonaires, sans que

son état ait beaucoup changé. - L'autopsie a montré une tumeur de la gros-

seur d'un oeuf de poule siégeant dans le corps strié droit.

Dans ce cas comme dans'le mien, le sommeil n'est interrompu que par

les provocations venant de l'extérieur. C'est donc un type de sommeil d'une

durée considérable. Le Dr Staliniens a observé son malade 6 semaines et

très probablement, il dormait déjà depuis longtemps. Du reste il ne parait

pas douteux que ce soit ia un cas de sommeil, car s'il se fût agit de coma,on

comprendrait difficilement ses promenades, ses conversations avec ses amis

etc. Il est peut-être moins sûr que le cas du Dr Stanniens soit un cas de

vrai sommeil et non pas de simple somnolence.

Je ne crois pas devoir reproduire d'autres observations. Toutes celles dont

je disposa ressemblent de près ou de loin à celles que je viens de résumer.

D'après Oppenheim il y aurait des cas dans lesquels le sommeil profond

avec réveil provoqué possible sérail le phénomène dominant de la mala-

die. Ces malades dormiraient ainsi dès le commencement jusqu'à la fin de

leur maladie.Je n'ai pas encore retrouvé ces observations il moins que celle

du D Stanniens n'en soit une.On se rappellera en effet que seule l'histoire

des six dernières semaines de la maladie est connue.

li4 F. SOCA

On voit ainsi que le sommeil vrai (je ne parle pas de somnolence, d'a-

brutissementou de coma),n'est, pas inconnu dans l'histoire des tumeurs cé-

rébrales. Mon cas se place naturellement à côté des autres et surtout, à côté

du cas de Stanniens. Mais il dépasse tous ceux que j'ai pu examiner par

la durée extrêmement longue du sommeil et par les caractères nettement

physiologiques, à la durée près, du phénomène. A ce point de vue ce cas

est probablement unique ; il serait toujours extraordinaire même si l'on

discutait la nature du sommeil que présenta ma malade.

On peut ajouter encore, à part le sommeil, quelques considérations qui

ne me semblent pas tout à fait dénuées d'intérêt. On a dit (et Leclerc a

surtout insisté sur ce point) que le symptôme de Bernhardt était un signe

habituel, sinon constanl, de la tumeur de l'hypophyse. On sait en quoi

consiste le signe de Bernhardt. C'estle contraste entre une vision très abais-

sée etun nerf optique sain ou peu altéré à l'ophtalmoscope. Je ne crois

pas qu'on admette généralement la proposition de Leclerc.De toutes façons

l'histoire de ma malade paraît la contredire. Un mois avant l'examen pra-

tiqué à ma clinique la vue était subjectivement intacte. Elle a commencé à

diminuer seulement 20 jours avant le premier examen ophtalmoscopique.

Or, à cet examen on a trouvé déjà une atrophie papillaire assez avancée et

probablement bien plus vieille que l'abaissement subjectif de la vision ;

c'est le contraire du signe de Bernhardt. Mais comme il n'y a pas eu examen

d'oculiste avant l'abaissement de la visionpoiti- la malade, la conclusion

ne peut être absolue.

Une dernière réflexion. On se rappellera que l'examen clinique n'a pas

montré la moindre trace de paralysie oculaire. Dans l'espèce la chose fut

assez embarrassante pour le diagnostic. On sait qu'une petite tumeur peut

exercer dans la fosse moyenne des compressions très circonscrites.Le chias-

ma. la bandelette optique, etc. peuvent être comprimés isolétaent et don-

ner même des symptômes d'une remarquable précision dans leur simpli-

cité. Mais une tumeur assez étendue d'avant en arrière et transversalement

doit presque toujours comprimera la fois les nerfs optiques ou le chiasmâ

ou les bandelettes ou tous ces organes en même temps, d'une part, et d'au-

tre part, les nerfs oculomoteurs.

Et ces compressions multiples seront, selon qu'elles existent ou manquent,

d'excellents signes positifs ou négatifs de tumeur de la fosse moyenne. Or

dans notre cas,la clinique permettait d'affirmer que la tumeur, s'il y en

avait une, était assez grande. Elle devait en effet comprimer le pédoncule

UN CAS DE SOMMEIL PROLONGÉ PENDANT SEPT MOIS J15

olfactif droit (légère anosmie droite), le chiasma et les bandelettes, et les

pédoncules cérébraux, surtoutle gauche (parésie droite). Comment donc

comprendre qu'elle ait pu épargner les nerfs moteurs de l'oeil ?

J'avoue que je ne trouvais pas de réponse absolument satisfaisante à

cette question. Maintenant qu'a dit l'autopsie ? L'autopsie a dit que la

tumeur chevauchait sur les nerfs moteurs oculaires. Elle a dit plus ; elle a

dit que les nerfs occupaient un sillon qu'ils avaient déterminé dans la tu-

meur. Pourquoi donc n'y avait-il pas de paralysie ? La raison fondamentale

la voici : Ce que je me permettrai d'appeler la logique des compressions mul-

tiples par tumeur de la base ne vaut que pour la généralité des faits. C'est

qu'il n'y a pas d'équation nécessaire entre la réalité et l'efficacité de la com-

pression. L'efficacité ou l'innocuité de la compression dépendent entre

autres de deux facteurs également importants : la poussée de la tumeur, la

résistance du nerf. Si la poussée de la tumeur l'emporte, la compression effi-

cace s'en suit.Si c'est le contraire, la compression qui en résulte est inefficace

parce qu'elle est insuffisante. Dans notre cas la tumeur chevauchait sur les

nerfs ; mais elle était molle, diffluente, semi-liquide et au lieu de repous-

ser le nerf, cédait devant celui-ci et se développait à côté sans compres-

sion locale. Il est évident que la consistance de la tumeur n'est qu'un élé-

ment dans la circonstance, car la même tumeur dans des conditions méca-

niques plus favorables eut pu désorganiser le chiasma et comprimer le

pédoncule cérébral. Et je passe les conditions vitales.

Conclusion : L'absence de signes de compression d'un organe devant être

atteint d'après la topographie présumée d'une tumeur de la base n'est

pas une raison suffisante pour renoncer à un diagnostic que d'autres signes

imposent. Si le fait est connu, rarement un exemple clinique l'aura établi

d'une façon plus nette. C'est à ce titre que j'ai cru devoir présenter ces

quelques réflexions.

FACULTÉ DE MÉDECINE DE BORDEAUX

(Clinique de il. LE l'ROI·'ESSEUIIPITItES

LES OSTÉO-ARTHROPATHIES VERTÉBRALES

DANS LE TABES,

PAR

JEAN ABADIE,

" Interne des Hôpitaux de Bordeaux.

1

INTRODUCTION. HISTORIQUE.

En 1868, Charcot publiait le premier cas d'arthropathie ta\J6tique. Peu

de temps après, dans ses leçons, il fixait, d'une façon presque définitive,

la formule clinique et anatomique de cette complication de l'ataxie loco-

motrice. Il en montrait la fréquence dans les grosses articulations et fai-

sait pressentir la possibilité de sa localisation dans les petites jointures.

Il en fournissait bientôt la preuve et, après lui, différents auteurs signa-

laient dans le carpe, le tarse, les doigts, les orteils, la mâchoire inférieure,

la présence de cette affection que les Anglais avaient déjà nommé Charcot's

joint disease. La colonne vertébrale seule était rebelle, les vertèbres sem-

blaient résister à la nouvelle ostéo-arthropathie. L'observation de, emit de

jour en jour plus minutieuse, l'attention était mieux attirée vers les com-

plications squelettiques du tabes, la preuve de la non-immunité du rachis

ne devait pas tarder.

En 1884, un médecin allemand, G. Kroenig, publiait une observation

intitulée « Spondylolisthèse chez un tabétique » (1). Il s'agissait d'un

homme, âgé de trente-cinq ans, tabétique depuis dix ans qui, il la suite

d'une chute dans un escalier, ressentit un craquement très net dans sa

colonne lombaire. Il put cependant marcher aussitôt sans difficulté. Trois

mois après, il présentait un raccourcissement du venlre, une lordose

dorso-lombaire s'étendant jusqu'à la huitième dorsale, un déplacement de

la cinquième lombaire, une mobilité anormale du segment inférieur du

rachis. Le tout s'accompagnait de craquements, quand on refoulait la ver-

(1) G. Khoenig, Spondylolislleesis bei einem Tabilrer. Zeitschrift sur klin. Medicin,

1884, t. Vllffasc. supplém.), p. 163.

Les OSTÉO-ARTHROPATHIES vertébrales dans LE tabès fi7

tèbre procidente, mais il n'y avait pas trace de la moindre douleur. L'au-

teur concluait à une fracture vertébrale de la cinquième lombaire, d'ori-

gine tabétique.

En 1885, M. G. Petit présentait il la Société d'anatomie de Bordeaola

colonne vertébrale d'un ataxique mort à l'hôpital Saint-André. Les ver-

tèbres présentaient les lésions typiques des arthropathies tabétiqut : 3. Ces*

le premier cas non douteux d'arliiropathie tabétique de la colonne vert ?

brale. Ces mêmes pièces ont fait le sujet d'une nouvelle présentation nez

MM. Pitres et Vaillard, à la Société de biologie de Paris, la même année.

L'observation du malade est rapportée in extenso dans les bulletins t ! = : b

Société d'Anatomie de Bordeaux (1) ; elle est reproduite dans le J(xm ?

de médecine de Bordeaux de 1886 (2). Elle se trouve résumée en ? OiI16

dans les bulletins de la Société de biologie de Paris (3).

En 1886, M. B. Auché présentait de nouveau à la Société d'alillaltt0 : IJl¡¡E,

de Bordeaux une deuxième colonne vertébrale, ayant appsrk-M a un3

tabétique morte à l'âge de soixante-six ans et atteinte elle aussi

arthropathie vertébrale. L'observation est consignée dans les btiiE&md

cette Société (4) : on la trouve encore in extenso dans lerrasrtr (îe m¿rÙ-

cine de Bordeaux de 1887 (5).

En juillet 1886, paraissait aussi dans la Revue de mérlecine'. le traira EX

de MM. Pitres et Vaillard, intitulé « Contribution à l'étude des nevriLes

périphériques chez les tabétiques » (6). Entre autres observations, resalI-

teurs utilisent les deux précédentes : elles constituent les observa Lions XI

et XII de leur mémoire. Mais elles sont rapportées surtout an partie de

vue de l'examen microscopique de la moelle et des nerfs et ne contiez-

nent que des détails incomplets concernant les arthropathies vertébrales

de ces malades. Sous cette forme cependant et dès ce moment, elles â-

. viennent classiques : elles seront citées dorénavant sous le nom de cas de

Pitres et Vaillard.

En 1888, paraît, en Allemagne, un second mémoire de G. Kroenigf/).

Cet auteur ajoute au premier fait, déjà observé par lui en 1SS4, deux

(1) G. Petit, Bull. de la Soc. d'anatomie et de physiologie de Bordeaux, f,5,â,

séance du 16 juin, p. 144. à

(2) G. Petit, Journal de médecine de Bordeaux, 1886, 10 janvier, p. 252.

(3) Pitres et Vaillard, Bull. de la Soc. de biologie de Paris, 1SS3, séance du 21 no-

vembre. -

(4) B. Auché. Bull. de la Soc. d'anatomie et de physiologie de Bordeaux, 1SS6,

séance du 27 juillet, p. 193. '

(5) B. Auché, Journal de médecine de Bordeaux, 1887, 2 janvier, p. 244.

(6) Pitres et VAILLAItD, Revue de médecine, juillet 1SS6, p. 514 (obs. TI, p. ¡¡t1;

obs. XII, p. : i96). 1

(1) G. KROETZIC., Wirbelerkrankungen bei Tabikern. Zeitschrift für 1-,Iinisclie Medicin,

1888, p. 51-SO. .

xiii S

118 JEAN ABADIE

nouvelles observations à peu près identiques. Il s'agit de deux hommes,

atteints tous les deux de tabès, qui, à la suite de traumatismes insigni-

fiants, ressentirent une commotion lombaire et, virent apparaître à la suite

une déformation vertébrale de cette région. L'examen méthodiquement

pratiqué de ces malades révèle des modifications profondes subies par

la colonne rachidienne, surtout dans sa partie inférieure, dont le reten-

tissement a bouleversé le squelette environnant. Des images photographi-

ques accompagnent ces trois observations et représentent les malades dans

les attitudes que leur impriment les lésions vertébrales. L'étude clinique

de- ces faits est complète, mais elle n'est suivie d'aucun contrôle d'autop-

sie. L'auteur pense encore à la possibilité de fractures du rachis, il essaie

d'en donnefla pathogénie et recommande fort le traitement orthopédique,

qui, chez l'un de ses trois tabétiques, a donné des résultats très satisfai-

sants.

MM. Gombault et Mallet, en 1889, publient, dans les Archives de mé-

decine expérimentale (1), l'observation d'un malade atteint d'une déforma-

tion considérable de la colonne vertébrale, consistant en une double in-

flexion latérale avec double dépression latérale du thorax et projection du

sternum en avant. C'était un homme de cinquante-huit ans, en pleine dé-

chéance intellectuelle ; il a été impossible de savoir à quel âge avait dé-

buté cette déformation. Il présentait bien des symptômes ataxiques, les

premiers phénomènes avaient, parait-il, cependant débuté dans l'enfance.

De plus, à l'autopsie, on trouva la colonne vertébrale fortement déviée,

Il ne s'agit pas là de tabes vrai et ce cas, par trop douteux, n'est pas re-

tenu dans la suite. D'ailleurs, Topinard en 1864 signalait déjà dans son

livre De l'alaxie deux faits analogues (2) : parmi le nombre considérable

d'observations d'ataxiques rapportées dans cet ouvrage, deux seulement

en effet font mention de déviations vertébrales, en dehors des cas deFrie-

dreich. Ces faits, justifiables des mêmes arguments, ne sont pas plus cer-

tains que l'observation de Gombault et Malle ! .

En 1891, paraît la thèse inaugurale de Monsarrat sur les scolioses myé-

lopathiques (3). Un chapitre très court est consacré à la scoliose dans le

tabes dorsalis. L'auteur admet sa possibilité, mais n'en donne aucune

preuve. Il cite seulement les trois cas de Kroenig et l'observation deB. Au-

ché : il rapporte même in extenso l'analyse de cette dernière, parue dans

la Revue des sciences médicales de 1887. Il place les déformations verté-

brales de ces quatre tabétiques à côté des scolioses de la syringomyélie, de

l'ataxie héréditaire, de l'atrophie musculaire progressive, etc. Il s'aperçoit

(1) -Gombault et MAl-J.ET, Archives de médecine expérimentale, 1889, p. 38 : i.

(2) Jopinarr, De l'ataxie locomotrice. Paris, 1864 (obs. 210 et obs. 215).

. (3llovsnnnn, Des scolioses myélopathiques, thèse doct., Paris, nov. 1891.

LES OSTÉO-ARTHROPATniES VERTÉBRALES DANS LE TABES 119

cependant des différences considérables qui les séparent, mais il n'entre

dans aucune considération nouvelle el passe outre, sans plus revenir sur

ce chapitre. '

En 1892, M. Ilallion soutient sa thèse de doctorat sur les déviations

vertébrales névropatiques (1). Ce travail a été publié in extenso parla Nou-

velle Iconographie de la Salpêtriére en 1893 (2). A l'article Tabes, fIallion

rapporte les deux cas de Pitres etvaillard, les trois observations de Kroenig

et les décrit sous le nom de « arthropathies et fractures de la colonne

vertébrale ». Il donne un résumé de l'examen clinique des cinq malades,

groupe les traits essentiels communs, rappelle quelques détails anatomo-

pathologiques et termine en émettant l'hypothèse d'une névrite du plexus

lombaire. Dans un second paragraphe qui pour titre « Déviations ne

relevant pas de lésions localisées », l'auteur pense à l'existence probable

dans le tabes de déviations analogues à celles de la syringomyélie et de la

maladie de Friedreich. Il cite un dessin de P. Richer qui figure dans le

musée de la clinique des maladies nerveuses, représentant une tabétique,

vue de dos, atteinte d'une déviation scoliotique remarquable. Il reproduit

ce dessin, mais n'a pu retrouver l'observation de la malade. Il s'est livré

enfin à une enquête sur douze tabétiques ; il n'a trouvé aucune déviation,

aucune anomalie notable dans leur rachis. '

MM. Mouchet et Coronat, en 1895 (3), reprennent l'étude des arthropa-

thies d'origine nerveuse, et s'occupent surtout dans leur travail, de la

pathogénie de cette affection. Incidemment, dans le chapitre consacré a

l'étiologie des arthropathies tabétiques, ils signalent simplement la possi-

bilité d'altérations vertébrales, sans autrement y insister.

En 1896, M. Mirallié étudie à nouveau les déviations du rachis en

neuropathologie (4). Comme Ha Ilion, il divise les ostéo-arthropathies ver-

tébrales tabétiques en un premier groupe, dans lequel il place les cinq

cas déjà connus ; il n'y ajoute aucune observation personnelle. Il examine

le second groupe, celui des déviations rachidiennes vraies, intéressant une

plus ou moins grande étendue du rachis et n'ayant rien à voir avec le

processus ostéo-arthropathique localisé précédent. Il a passé en revue tous

les tabétiques du service de M. Déjerine, à Bicètre, à la Salptriére, il n'a

jamais vu chez aucun des malformations rachidiennes. Aussi ses conclu-

sions sont-elles formelles : « en dehors des cas d'ostéo-tii-iliropatliies et

fractures spontanées du rachis qui constituent un groupe absolument à

(1) IlALr.ION, Des déviations vertébrales néV1.opatJ¿iqllcs, Th. doct., Paris, 1892.

(2) II.\r.r.10N, Des déviations vertébrales névropalhiques. Nouv. iconogr. Salpêtrière,

1893, p. 136.

(3) Mouchet et Coroxat, Des arthropathies d'origine nerveuse. Archives générales de

médecine, décembre 1S95 et février 1S96. '

(t) Mirallié, Des déviations du rachis en nell1'opathologie, Bévue d'orrtiopédie, 1896

120 JEAN ABADIË

part, les déviations rachidiennes n'ont rien à voir avec la s3mptomatolo-

gie de l'ataxie locomotrice progressive » :

Telles sont les seules indications que nous avons pu recueillir en par-

courant les travaux spéciaux. Les ouvrages classiques ne sont pas plus

riches en documents. L'article du Dictionnaire des sciences médicales fait

par le professeur Raymond date de 1884 et ne signale que la première

publication de Kroenig. Dans le Traité de chirurgie de DUlday et Reclus,

Quénu consacre un long article très documenté à t'arthropathie tabétique.

Il mentionne sa localisation dans les articulations de la colonne vertébrale

et indique la présentation de Pitres et Vaillard à la Société de Biologie en

1885. Au chapitre"labes du Traité de médecine de Charcot et Bouchard,

P. Marie consacre quelques lignes à t'ostéo-arthropathie vertébrale. cite

la précédente communication de Pitres et Vaillard, le travail de Kroenig.

Il croit non seulement la fracture des vertèbres, mais aussi aux véritables

arthropathies des articulations intervertébrales. Il donne en regard du

texte un dessin de la collection Charcot, qui reproduit trait pour trait,

mais en sens inverse, la scoliotique (le P. Bicher : c'est vraisemblablement

l'esquisse de ce dernier, mais inexacte, car elle est donnée en épreuve

négative. La légende porte « fracture des vertèbres ». L'absence de tout

document clinique se rapportant à cet image rend ce diagnostic osé, sinon

erroné. P. Blocq, dans le Manuel de médecine de Debove et Achard ne

signale même pas l'existence d'arthropathies vertébrales tabétiques. Chi-

pault, dans le Traité de chirurgie de Le Deiiil et Delbet, mentionne, au

diagnostic du mal de Pott, l'erreur possible avec les fractures spontanées

chez un ataxique.

Nous avons parcouru de même avec grande attention le plus grand nom-

bre possible de leçons, de monographies, de thèses relevant pour des usa-

ges différents des observations de tabétiques, sans jamais y rencontrer la

trace de perturbations vertébrales. Une observation de Vulpian fait excep-

tion (1). Ii s'agissait d'une malade de la Salpttriére, âgée de cinquante-

trois ans, atteinte de troubles de la motilité des membres inférieurs, chez

laquelle on avait remarqué une légère gibbosilé angulaire de la région

lombaire. On crut tout d'abord à une altération des vertèbres en ce point

et on pensa à une compression des nerfs de la queue de cheval et à une

lésion ascendante de la moelle. La gibbosité persista sans modification no-

table. L'état de. la malade au contraire se modifia, le diagnostic fut recti-

fié et changé en celui de tabes. A l'autopsie, il existait en elfe[ une scléi,pse

évidente des faisceaux postérieurs delà moelle. Ou vérifia l'étal du rachis

et l'on ne trouva aucune lésion expliquant la gibbosité conslalée pendant

(t) Vllpiax, Leçons sur les maladies du s;/lème nerveux. t.I, Paris, 1879, X\la leçon,

obs. Il, p. 399.

LES OSTÉO-ARTIIROPATIIIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 121

la vielles vertèbres n'étaient point malades, elles n'offraient même pas

de ramollissement notable.

C'est vraisemblablement là un cas d'ostéo-arthropathie tabétique de la

colonne vertébrale, mais l'examen local est si insuffisant et les détails d'au-

topsie si incomplets que nous ne pouvons le retenir comme tel.

En résumé, à l'heure actuelle, on connaît cinq cas non douteux d'ostéo-

arthropathies de la colonne vertébrale dans le tabes : deux observations

cliniques avec autopsie, de Pitres el Vaillard, et trois cas cliniques de 1\.1'03-

nig. Devant ce nombre infime, tous les auteurs s'accordent à affirmer

l'extrême rareté de cette complication du tabes. Quelques-uns, en outre,

admettent chez les ataxiques la possibilité de déviations rachidiennes sim-

ples sans lésions localisées : le seul argument en faveur de cette opinion

est un dessin représentant une tabétique atteinte de scoliose. D'autres fon-

dant leurs affirmations sur des statistiques, nient formellement leur exis-

tence.

Nos recherches personnelles ont été plus fructueuses. En quatre années

à peine, nous avons pu observer nous-mème cinq tabétiques dont les co-

lonnes vertébrales représentaient des altérations manifestes. Il nous a été

donné même de pratiquer l'autopsie de l'un de ces malades et nous avons

pu à loisir étudier les lésions rachidiennes qu'il présentait. Le musée de

la Salpêtrière, indépendamment du dessin de P. Richer, contient aussi,

cinq vertèbres provenant de la colonne vertébrale d'un tabétique. Ces

pièces offrent des particularités remarquables et leur examen seul permet

de penser sans nul doute à un trouble trophique de même nature que les

précédents. M. A. Londe a bien voulu photographier pour nous pièces

et dessin, il nous a communiqué les clichés avec une bienveillance et une

amabilité dont nous le remercions bien vivement.

Sous l'inspiration de notre maître, M. le professeur'Pitres, nous avons

entrepris de reprendre les observations déjà connues d'ostéo-arthropathies

vertébrales tabétiques, de les compléter, ainsi que nous l'avons fait plus

loin, et d'y ajouter celles prises par nous, durant ces dernières années.

M. le professeur Pitres a de nouveau eu l'occasion d'examiner lui-même

deux ataxiques atteints de malformations vertébrales; il nous a permis

d'utiliser ici les notes personnelles recueillies sur ces malades. Grâce à son

extrême obligeance, nous pouvons donc ajouter deux observations nouvel-

les à la série précédente,

Nous avons divisé ces divers documents en deux séries. La première

comprend les observations avec autopsie, c'est-à-dire les deux casdePitres

et Vaillard et une observation personnelle : nous y ajoutons la description

des pièces du musée de la Salpêtrière. La deuxième série renferme les do-

cuments cliniques sans contrôle anatomo-pathologique direct ; dans ce se-

122 . JEAN ABADIE

cond groupe se rangent les trois malades de Kroenig, quatre observations

personnelles, deux inédites. Nous avons placé dans cette deuxième,partie

le dessin de la scolastique de P. Pitres.

II

A. - Observations cliniques avec autopsie.

La première observation que nous donnons ici est celle publiée pour la

première lois par G. Petit, dans les Bulletins de la Société d'anatomie de

Bordeaux de 188H etjjtitisée par Pitres et Vaillard dans la Revue de méde-

cine de 1886. Nous avons eu en mains le protocole de l'observation et les

noies qui y furent successivement ajoutées : nous avons pu aussi examiner

nous-même les pièces anatomiques qui s'y rapportent el qui sont conser-

vées dans le lahoratoire de M. le professeur Pitres. Nous avons ainsi relevé

quelques nouveaux détails et c'est la réunion de tous ses documents qui

constifuentnotre observation I. Nousy ajoutons deux reproductions pho-

tographiques, représentant la première, la colonne vertébrale et le bassin,

l'autre quelques vertèbres, les plus altérées.

Observation I. - (Pitres et Vaillard.)

SOMMAtHE. Homme, 56 ans, nie tout antécédent syphilitique. Traumatismes

multiples : coup de baïonnette au sourcil gauche a 19 ans. Tamponné par un

wagon à 22 ans. Chute d'un deuxième étage ci 24 ans. Fracture de la cuisse gau-

che à 28 ans. A 30 ans, chute d'une barrique sur le vertex. A 39 ans, apparition

des premières douleurs fulgurantes, faiblesse des membres inférieurs, marche

difficile. Six ans plus tard, démarche franchement ataxique, affaiblissement de

la vue. Deux ans après, à 51 ans, inclinaison progressive du tronc à droite, puis,

une nuit, effondrement brusque de la colonne vertébrale, et apparition d'une gib-

bosité définitive. L'année suivante, dislocation subite des hanches. Se traîne depuis

à la façon des culs-de-jatte.

Signes non douteux de tabes.

Luxation double des hanches par arthropathies coxo-fémorales. Crête iliaque

droite déchiquetée, crête iliaque gauche épaissie. Rien au sacrum, rien au coccyx.

Thorax en carène avec voussure de la partie inférieure de l'laémillzorax droit.

Gibbosité très marquée dorso- lombaire avec scoliose à concavité tournée à gauche

à l'union des régions dorsale et lombaire. Nodosités volumineuses indolenles sur la

crête épineuse dorso-lombaire. Nodosités semblables sur les six dernières côtes.

Corps vertébraux lombaires augmentés de volume.

Gangrène du gros orteil gauche : résection du 1er métatarsien. Sphacèle de la

plaie opératoire : amputation de jambe. Mort trois jours après.

Autopsie. - Organes splanchniqucs sains. Encéphale sain. Moelle : sclérose des

cordons postérieurs . Thrombus fibroides oblitérant les artères poplitée et tibiale

postérieure .

Examen du squelette après macération dans l'eau. Arthropathies types des

LES OSTÉO-ARTHROPATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 123

articulations coxo- fémorales. Face interne du bassin saine. Productions osléo-

phytiques sur la face externe. Destruction des cotyles.

Coccyx sain. Sur la face postérieure du sacrum, deux ostéophytes comblant

les gouttières sacrées. Apophyse épineuse de la première pièce sacrée saillante et

volumineuse : les autres sont absentes. Promontoire saillant.

Inclinaison très marquée de la colonne vertébrale sur le bassin. Angle saillant

en arrière et à gauche : la colonne dorsale est inclinée de 45° sur l'horizontale

passant par la 1 r. vertèbre lombaire. Augmentation des diamètres des corps ver-

tébraux. Bosselures et rugosités des vertèbres dorsales et des trois dernières lom-

baires. Ecrasement de la 2. lombaire. Destruction partielle delà 1r° lombaire qui

affecte la forme d'un coin. Apophyses épineuses, transverses, articulaires épaissies

et rugueuses.

Canal vertébral, trous de conjugaison perméables un peu rétrécis au niveau de

la 1 re et de la 2e vertèbres lombaires.

Os déchiquetés, légers et poreux.

Bad... Jean, journalier, âgé de 56 ans, est entré à l'hôpital Saint-André de

Bordeaux, service de M. Demons, le 6 mai 1885 pour une affection du gros

orteil.

Son père et sa mère sont morts plus que septuagénaires. Il a eu deux soeurs,

dont l'une est morte à 60 ans, tandis que l'autre jouit d'une bonne santé.

Bad... n'a jamais eu la syphilis ; il n'a jamais fait d'excès de boisson ou de

femmes. ..

En 1848, il reçut au sourcil gauche un coup de baïonnette. En 1851, il fut

tamponné par un wagon. A la suite de cet accident, il eut de la rétention d'u-

rines pendant 24 heures, resta quelques semaines au lit, incapable de marcher :

après un repos forcé de 35 jours, il peut reprendre ses travaux et sa vie or-

dinaire, sans présenter la moindre difformité.

En 1853, il fit une chute d'un deuxième étage; il en fut quitte pour de

fortes contusions qui ne le retinrent que 15 jours en traitement. En 1857, il

est atteint d'une fracture de la cuisse gauche. Après 4 à 5 mois de séjour à

l'hôpital, il sort guéri sans raccourcissement, avec une légère ankylose du

genou qui disparut au bout de deux ans. Quelque temps après, forte contu-

sion du gros orteil gauche, sans gravité, d'une durée d'à peine 15 jours.

En 1861, une barrique lui tombe sur le vertex et ne laisse d'autre trace sur

le crâne qu'une tuméfaction arrondie, mollasse, rappelant l'aspect et la con-

sistance d'une loupe ou d'un lipome.

En 1870, Bad... ressentit une grande faiblesse dans les membres inférieurs

survenue subitement, et sa marche devint incertaine au point de trébucher

souvent contre le moindre obstacle et de tomber dans la rue. En même temps

il commença à éprouver dans les pieds, les jambes et les cuisses des douleurs

aiguës lancinantes ou térébrantes survenant tous les mois ou tous les deux mois

sous forme de crises : ces douleurs alternaient avec la sensation de lancement

brusque des jambes en avant ou de soubresaut des tendons. Cet état resta sta-

tionnaire jusqu'en 1880. A cette date Bad... perdit sa femme et son enfant et

fut très alfecté par leur mort. Les douleurs dont il souffrait depuis dix ans

124 JEAN ABAD1E

devinrent alors plus fréquentes, apparurent bientôt tous les jours sous la forme

térébrante. La marche devient tout à fait hésitante, les jambes sont lancées à

droite et à gauche. La vue s'affaiblit rapidement, sans arriver cependant à l'a-

maurose complète.

En 1882, luxation trapèze-métacarpienne gauche produite spontanément et

qui persiste encore.

Vers la fin de 1882, sans douleurs vertébrales, préalables, il devient subi-

tement difforme et bossu en une nuit : il s'était aperçu cependant depuis quel-

que temps que son tronc s'inclinait de plus en plus à droite. L'année suivante,

il s'aperçut urrmatin en se levant que ses hanches étaient disloquées. Sa taille

diminua ainsi de 23 centimètres. A partir de ce jour, il fut tout à fait infirme. ?

Pour gagner sa vie, de 1883 à 1885, il sè traînait péniblement dans les rues

à la manière des culs-de-jatte, offrant des journaux aux passants.

En mars 1885, un panneau de porte tomba sur son gros orteil gauche, et y

détermina une plaie contuse. Cette plaie irritée par le frottement des chaussu-

res et par des topiques variés, prit bientôt un mauvais aspect et c'est à cause

d'elle que le malade demanda à entrer à l'hôpital le 5 mai 1885.'

Etat actuel le 6 mai 1885. - Homme amaigri, chétif, courbé en deux,

l'air abattu.

On constate tout d'abord l'existence d'une gangrène sèche ayant envahi le

gros orteil gauche, jusqu'à l'articulation métacarpo-phalangienne.

L'examen des membres inférieurs révèle des déformations articulaires nota-

bles au niveau des deux genoux. Les hanches sont difformes, luxées. On peut

porter les cuisses dans tous les sens sans que les mouvements en soient limités

comme ils le sont à l'état normal par la tension des ligaments ou par la dispo-

sition des surfaces articulaires.

Le thorax est en forme de carène, bombé en avant et aplati latéralement : il

n'y a aucune autre particularité sur le plan antérieur de la poitrine,

En faisant asseoir le malade, ce qu'il ne peut faire qu'en déployant un grand

effort et en tirant sur une corde suspendue au-dessus de son lit, on est tout

d'abord frappé par l'existence d'une gibbosité très accentuée au niveau de la

région dorso-lombaire et d'une voussure située à la partie postéro-inférieure de

la région latérale droite du thorax..Les doigts, promenés de haut en bas le long

de la crête épineuse, sont arrêtés par des nodosités volumineuses, dures, in-

dolentes, irrégulièrement placées sur les vertèbres dorsales et lombaires ; de

semblables bosselures existent aussi sur les cinq ou six dernières côtes : enfin,

outre la gibbosité et les bosselures, on constate une forte scoliose à l'union des

deux régions dorsale et lombaire, à concavité tournée à droite ; le corps des

vertèbres lombaires est très augmenté de volume et notamment la deuxième ne

mesure pas moins de onze centimètres de large.

Rien au sacrum et au coccyx.

La crête iliaque droite est déchiquetée. La crête iliaque gauche est fortement

épaissie. Le diamètre unissant les deux épines iliaques antérieures et supérieu-

res ne mesure que vingt-trois centimètres;

LES OSrÉO-ARTIiROPATllIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 19-9

Le malade ne peut se tenir debout que soutenu par deux aides vigoureux.

Au lit, il peut mouvoir avec énergie les deux membres inférieurs.

Les réflexes rotuliens et testiculaires sont abolis.

Les ongles des orteils du côté droit, surtout celui du gros orteil, sont très

dystrophiés ; ils sont épais, jaunâtres, profondément striés en travers.

Rien d'anormal aux membres supérieurs.

La sensibilité cutanée, la sensation du sol pendant la marche ou dans la

station sont normales. Il est est de même des sensibilités spéciales sauf de la

vue très affaiblie.

, Pas de crises de douleurs viscérales.

Rien d'intéressant à signaler dans le fonctionnement des grands appareils

splanchniques.

Le 23 mai, M. Demons pratique la résection du premier métatarsien gauche.

Les jours suivants, les lambeaux de la plaie opératoire se sphacèlent. L'état

général du malade devient très grave.

Le 6 juin, on pratique l'amputation de la jambe au tiers inférieur. Mort le

9 juin.

Autopsie. - Rien à noter dans les grands viscères.

Les artères tibiale postérieure et poplite du côté gauche sont remplies par

un caillot oblitérant, dur, grisâtre, sec et d'aspect ubroïde.

Encéphale sain.

Moelle très molle. Teinte grisâtre translucide occupant toute l'aire des cor-

dons postérieurs dans les deux tiers inférieurs de la moelle et seulement les

cordons de Goll dans le tiers supérieur. Les racines de la queue de cheval sont

les antérieures normales, les postérieures atrophiées, grises, extrêmement graci-

les. L'examen microscopique a d'ailleurs révélé plus tard l'intégrité absolue

des racines antérieures lombaires et l'atrophie complète des racines postérieu-

res. Au microscope encore quelques nerfs périphériques présentent des altéra-

tions variables.

On constate de visu la déviation de la colonne vertébrale et des altérations

profondes de quelques vertèbres. Mais nulle part, au niveau des vertèbres ma-,

lades, on ne trouve de cavités remplies de substance caséeuse ou de pus ni de

tumeurs.

La dure-mère rachidienne qui recouvre la face postérieure des corps des

vertèbres altérées est un peu épaissie, tomenteuse, mais on ne trouve pas de

dépôt caséeux ni de suppuration à sa face externe.

Les fémurs, le bassin, la colonne vertébrale sont soumis à la macération

dans l'eau. Il est possible alors de se rendre un compte exact de la nature et

de l'étendue des lésions osseuses. '

On constate d'abord des arthropathies types des articulations coxo-fémora-

les.

Le bassin possède un promontoire très saillant : le diamètre pubo-sacré me-

sure 10 cent. 5. La face interne des deux os coxaux n'offre aucune particula-

rité. Il n'en est pas de même de la face externe. Du côté gauche, la crète ilia-

que est très épaissie et très irrégulière en avant. De l'épine iliaque antéro-su-

126 , " JEAN ABADIE

périeure part une véritable apophyse, d'un centimètre d'épaisseur, longue de

cinq centimètres à sa partie libre, de six centimètres et demi à sa partie adhé-

rente qui forme un relief vers le tiers supérieur de la fosse interne de l'os

coxal : cette apophyse, dirigée en dehors, triangulaire vers son extrémité, res-

semble assez à une tête de serpent. La crête pectinéale est très épaissie. Une

deuxième apophyse grêle de deux centimètres de long s'étend du milieu du

bord postérieur du trou obturateur à sa partie antérieure. La cavité cotyloide

est représentée par trois dépressions secondaires : la première seule est lisse,

les deux autres sont rugueuses; elles sont limitées par des rebords saillants

dentelés. L'épine, sciatique est très forte. L'épine iliaque postéro-inférieure est

très longue, très mince et va rejoindre l'épine sciatique. La fosse iliaque ex-

,terne est parsemée de petites saillies.

L'os iliaque droit, moins irrégulier, offre deux dépressions faisant fonction

de cavité cotyloïde : elles sont toutes deux rugueuses, peu profondes et très

larges, d'un diamètre de 6 à 8 centimètres en moyenne. Le bord antérieur,

depuis l'épine iliaque antéro-inférieure jusqu'à l'éminence ilio-pectinée, est

épaissi, garni d'aspérités, creusé d'une cavité profonde, au-dessus de laquelle

s'étend une production ostéophytique filiforme, en manière de pont.

Rien de particulier à signaler au coccyx. Deux longues aiguilles osseuses

de huit millimètres de largeur, de cinq centimètres de longueur occupent à la

face postérieure du sacrum les gouttières sacrées : elles s'implantent au niveau

des troisièmes trous sacrés et l'extrémité de chacune d'elles, terminée par un

petit tubercule, est libre sur une longueur de deux centimètres environ et se

termine vers la dernière pièce sacrée. L'apophyse épineuse de la première

vertèbre sacrée est volumineuse et saillante : les apophyses épineuses, des

autres vertèbres sacrées sont absentes. Les apophyses articulaires supérieures

du sacrum sont très développées : leur face interne, très excavée, présente de

chaque côté deux dépressions articulaires situées l'une au-dessus de l'autre,

séparées par un rebord mousse, peu accusé.

La colonne vertébrale (pl. XVIII, A) est fortement inclinée en arrière sur le

bassin ; elle forme un angle saillant en arrière et à gauche. Elle est déviée

à droite il partir de la dixième dorsale ; la partie supérieure de la colonne

forme un angle de z50 environ avec une ligne horizontale fictive passant par

la première lombaire.

La cinquième vertèbre lombaire à 62 millimètres de largeur, 25 millimètres

de hauteur et présente quelques bosselures. '

La quatrième lombaire a mêmes dimensions, mais elle est lisse.

La troisième lombaire a même hauteur, mesure 65 millimètres de largeur,

et offre à la partie antérieure du corps vertébral de nombreuses rugosités.

Ces trois vertèbres ont des bords amincis, saillants et dentelés, ces particu-

larités se remarquent surtout il la troisième lombaire (voir pl. XIX, E).

La deuxième lombaire (pl. XIX, E Lu) est profondément altérée au niveau

de sa face supérieure. Cette face est augmentée par la présence à droite d'une

masse osseuse, tourmentée de formes, lisse dans sa portion externe, rugueuse

dans sa portion interne, qui porte le diamètre transversal de la vertèbre à 8 cen-

1VUV. ICONUGHAPHIb'DE DE SALI'LTRILRC T. XIII. PI. XVIII

Obs. I. - A

nrs. /1, - B r

Obis, III. - C

01) Ill. - D

LES OSTLO-ARTIROPATtIIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 127

tzmètres. Elle est parsemée d'élevures et de dépressions irrégulières et présente

un aspect poreux dans toute son étendue. La face inférieure est à peu près

normale. La gouttière transversale a disparu à droite : elle s'accuse un peu en

avant, et arrive à mesurer un centimètre de profondeur à gauche, ce qui rend

excessivement saillants les bords supérieur et inférieur. La hauteur de la ver-

tèbre est de 25 millimètres à gauche, de -17 millimètres à droite.

La première vertèbre lombaire LI (PI. XIX, E) est méconnaissable. Normale

dans son tiers gauche où elle mesure une hauteur de 23 millimètres, avec une

gouttière transversale de un centimètre de profondeur, elle s'amincit rapide-

ment formant aiusi une sorte de coin qui vient se loger il l'union dos deux tiers

gauches et du tiers droit de la deuxième lombaire située au-dessous. La face

supérieure dans ce qu'il en reste, est à peu près plane et normale-. La face infé-

rieure, dans sa portion restante aussi, est irrégulière et excessivement poreuse :

l'os s'effrite sous le doigt ; ces porosités s'étendent jusqu'au niveau de l'apophyse

transverse droite.Le bord aiguisé du coin, formé par la réunion des deux faces

précédentes, est tranchant et vient buter contre une saillie linéaire homologue

de la deuxième lombaire allant du milieu du hord supérieur de celle-ci en avant

il la base de l'apophyse transverse en arrière.

La hauteur de la portion lombaire de la colonne vertébrale est donc en avant

de 12 cent. 3 à gauche,de 10 centimètres à droite, ce qui explique l'inclinaison

de la colonne dorsale.

Sur les parties latérales, il n'y aucune modification notable ; les apophyses

transverses sont longues, âpres, rugueuses ; en arrière les apophyses épineu-

ses ont dû être lésées à l'autopsie pour extraire la moelle et il ne subsiste que

celles des troisième, quatrième et cinquième lombaires, qui sont, du reste, à

peu près normales. ,

En arrière, la première et la deuxième lombaire offrent seules quelques par-

ticularités il signaler; la partie postérieure du corps de la première lombaire,

quoique très mince, existe encore dans toute sa largeur; elle se termine même à

droite par une apophyse courbe à concavité inférieure, s'articulant par engrè-

nement avec une surface similaire de la vertèbre inférieure. Ces deux vertèbres,

ainsi placées forment une excavation, limitée en dehors par la masse osseuse de

la deuxième lombaire, en dedans par le bord tranchant du coin, dans laquelle

vient se loger le corps de la douzième dorsale.

Aussi le bord inférieur droit de la douzième dorsale est-il rugueux et formé

de tissu spongieux. Partout ailleurs, les bords sont retournés, saillants et den-

telés. La.vertèbre est en somme il peu près normale : son diamètre transversal

est de cinq centimètres. La gouttière médiane, plus profonde à gauche mesure

cependant jusqu'à 8 mill. 5 D ? Il (PI. XIX, E). ' 1

Les autres vertèbres dorsales sont à peu près normales. Il en est de même,

des vertèbres cervicales. Il faut signaler que toutes ont des bords exagérés

en lamelles dentelées et retournées. Les gouttières vertébrales transversales

sont augmentées de ce fait de profondeur au niveau de ses gouttières. On re-

marque quelques petites bosselures, des aspérités irrégulières, de fines canne-

lures verticales sculptées dans la substance osseuse. Ces caractères pathologi-

128 JEAN ABADIE

ques sont d'autant plus accentués qu'on se rapproche des vertèbres lombaires.

Sur toute la hauteur de la colonne vertébraie, et notamment au niveau des

dernières dorsales, et des lombaires, on remarque l'exagération des dimensions

des apophyses articulaires ; aussi les faces articulaires supérieures et inférieu-

res qui leur correspondent sont profondément excavéos et leurs diamètres sont

considérablement augmentés.

Le canal vertébral, malgré les nombreuses inflexions qui lui font subir les

déviations du rachis, est partout largement perméable. De même les trous de-

conjugaison sont normaux, sauf au niveau de la première et de la deuxième

lombaire, du côté droit, l'écrasement vertébral correspondant diminue légère-

ment sans l'obstruer le trou de conjugaison formé par la réunion de ces deux

vertèbres.

Enfin tous ces os paraissent avoir subi de profondes modifications dans leur

composition, tant ils sont déchiquetés, légers et poreux.

/ Notre deuxième observation est celle publiée par B. Auché, en 1886,

dans les Bulletins de la Société d'anatomie de Bordeaux et utilisée encore

par Pitres et Vaillard dans la Revue de médecine de 1886. Nous avons

procédé pour celle-ci comme pour la précédente et nous y joignons aussi

deux photographies, l'une, de la colonne vertébrale et du bassin, l'autre,

de quelques vertèbres les plus altérées encore.

Observation IL - (Pitres et Vaillard.)

SOMMAIRE. Femme 66 ans. Syphilis probable. A 41 ans, luxation spontanée de

la hanche droite. Quelque temps après, sans douleur, sans traumatisme apparition

brusque d'une gibbosité.Crises de douleurs fulgurantes dansles membres inférieurs.

Dix ans plus tard, arthropathie de la hanche gauche. Impossibilité de la marche.

Quinze ans après, fracture spontanée des deux os de la jambe gauche.

Signes non douteux de tabes.

Arthropathies profondes coxo-fémorales droite et gauche. Luxation double de

la hanche avec mouvements très étendus des têtes fémorales et râclements articu-

laires intenses. Craquements articulaires dans le genou gauche.

Déviation de la colonne vertébrale : scoliose à convexité tournée à gauche co7n-

prenant les 6 dernières vertèbres dorsales et les 3 premières lombaires. Gibbosité

angulaire lombaire.

Mort deux mois après de pneumonie.

Autopsie. - Hépatisation grise du poumon gauche. Encéphale sain. Moelle :

sclérose des cordons postérieurs.

Examen du squelette après macération dans l'eau. Arthropathies types des

articulations coxo-fémorcafes.

Coccyx sain. Face articulaire vertebrale du sacrum rugueuse et inégale, limitée

à droite par une exostose triangulaire.

Bassin peu déformé. Diamètre antéro-posterieur légèrement rétréci par saillie

exagérée de l'angle sacro-vcrlébral.

Nouv, ICO\OGRAI'LiII : ni* LA SAI.\'Ê1JtlÈRi.

T. XIII. PI. XIX

LES 0STÉ0-ARTHR0PATUIËS VERTÉBRALES DANS LE TABES 129

Déviations multiples de la colonne vertébrale. Exagération des courbures nor-

males. Première courbure latérale à concavité droite au niveau de l'angle sacro-

vertébral. Deuxième courbure, à convexité droite, comprenant les 3 premières

lombaires et les 6 dernières dorsales. Troisième courbure à convexité tournée à

gauche, formée par les premières dorsales et les dernières cervicales. Déviation

angulaire saillante correspondant aux premières lombaires.

Corps vertébraux augmentés de volume, à gouttières excavées, à bords dentelés

et saillants, garnies de dépressions et de cannelures. Exostoses nombreuses surtout

sur les dernières dorsales et la première lombaire. Faces articulaires dépolies,

obliques, inégales. Disparition de la face articulaire supérieure de la troisième

lombaire : à la place, cavité rugueuse, garnie de pus à l'état frais. Disparition

de la face correspondante inférieure de la deuxième lombaire : destruction des

deux tiers latéraux gauches de cette deuxième lombaire.

Apophyses articulaires, transverses, lombaires rugueuses et dépolies. Au même

niveau, apophyses épineuses fortes et volumineuses.

Canal vertébral, trous de conjugaison normaux. Perméabilité moindre à gauche

de la 1 rc et de la 2e vertèbres lombaires.

Os légers, porosité extrême du tissu spongieux.

C. Marie, âgée de soixante-six ans. Aucun renseignement sur son hérédité.

Peu intelligente, elle raconte mal l'histoire de ses antécédents pathologiques.

Mariée à 32 ans, elle a eu deux grossesses, la première terminée à terme

par l'expulsion d'un futur mort-né, la seconde par deux jumeaux morts peu de

temps après.' ,

En 1860, à l'âge de quarante et un ans, sans douleurs préalables, et sans

traumatisme, C... eut un « déboitement » de la hanche droite qui fut traité sans

succès par l'immobilisation prolongée et l'application d'appareils. Malgré le

raccourcissement du membre inférieur correspondant, la malade pouvait encore

marcher avec une canne. '

Quelque temps après, sans aucune douleur encore et sans traumatisme, elle

devint subitement bossue.

Vers la même époque, apparition de crises de douleurs fulgurantes parcou-

rant les membres supérieurs dans le sens de leur longueur et d'autres fois dans

un sens perpendiculaire à leur axe.

En 1870, douleur sourde dans l'articulation coxo-fémorale gauche. En 1871

la marche devint tout à coup presque impossible. Le 1er novembre 1885, après

une chute sur le côté gauche,une douleur assez vive apparaît sans localisation

précise dans tout le membre inférieur gauche et dix jours plus tard, en mon-

tant au lit la malade ressentit un craquement accompagné d'une vive douleur

dans la jambe gauche. Elle put s'accrocher à son lit et éviter une chute. Mais

le membre resta douloureux et la malade se fit transporter à l'hôpital.

Etat actuel le 21 novembre 1885.

Dès le premier examen, on constate une fracture des deux os de la jambe

gauche, siégeant à l'union du tiers inférieur avec le tiers moyen. Les fragments

sont taillés en biseau ; leur déplacement est considérable : ils chevauchent

d'environ trois centimètres l'un sur l'autre.

Les deux hanches sont le siège de lésions profondes. Les fémurs sont luxés

130 JEAN ABADIE

et peuvent être portés dans tous les sens. Les mouvements provoqués ne déter-

minent pas de douleurs, mais ils sont accompagnés de raciements articulaires

intenses. Des craquements nombreux peuvent être perçus dans l'articulation

du genou gauche.

La colonne vertébrale présente une déviation très prononcée, caractérisée

par une courbure siégeant au niveau des six dernières vertèbres dorsales et

des trois lombaires et ayant sa convexité tournée à droite. La région lombaire

forme un angle à sommet dirigé en arrière.

La malade éprouve très souvent des douleurs fulgurantes dans les membres

inférieurs : la sensation du sol est conservée, le sens du lieu rien près com-

plètement anéanti : Elle perd ses jambes dans son lit. Il n'a pas été constaté

d'autres troublas de la sensibilité.

Les réflexes rotuliens sont abolis.

Pas de troubles vésicaux ni gastriques, ni visuels.

L'application d'un appareil plâtré est suivie de crises de douleurs fulguran-

tes extrêmement violentes, imprimant à la jambe des soubresauts fréquents,

qui s'opposent il une réduction complète.

Le 31 décembre, une pneumonie se déclare.

Mort le 5 janvier 1886.

Aulopsie. - Hépatisation grise du poumon gauche. Encéphale sain.

Moelle. - La coupe permet de constater une teinte grise des cordons posté-

rieurs en totalité dans la moitié inférieure de la moelle. Dans la région cervi-

cale, les cordons de Goll sont seuls sclérosés.

Les racines rachidiennes antérieures soit cervicales, soit lombaires ont été

trouvées normales il l'examen microscopique.

Les racines postérieures cervicales sont formées par un mélange de fibres

saines et de fibres atrophiées.

Les racines postérieures lombaires sont très diminuées de volume : elles ont

une coloration grisâtre et forment un chevelu d'une gracilité extrême : pas une

seule fibre n'a été trouvée saine à l'examen miscroscopique.

Quelques nerfs périphériques ont été encore examinés : un très grand nombre

de fibres y sont altérées.

Après macération dans l'eau, les fémurs, le bassin, la colonne vertébrale ont

été dépouillés des parties molles.

On trouve des arthropathies types des articulations coxo-fémorales.

Le bassin présente un rétrécissement peu prononcé du diamètre antéro-pos-

térieur, dû à la saillie exagérée de l'angle sacro-vertébral. Il est peu ou point

déformé. On y remarque cependant deux petites exostoses : l'une située immé-

diatement au-dessous de la crête iliaque, dans la fosse iliaque externe droite,

à deux centimètres de l'épine. iliaque antéro-supérieure, a la forme d'uno lan-

guette triangulaire fortement aplatie de dedans en dehors : elle mesure un

centimètre de largeur au niveau de sa base et douze millimètres de longueur. La

seconde est située sur l'ischion : elle est aussi triangulaire, mais un peu plus

petite que la première.

La colonne vertébrale (PI. X VIU, B) présente des déviations multiples : sans

LES 0STÉO-ARTHROPATUIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 131

tenir compte des courbures normales qui sont fortement exagérées,elle offre une

première courbure, à concavité droite, située au niveau de l'angle sacro-verté-

bral et duc à la déviation vers ia droite de la colonne lombaire. Une deuxième

courbure, à convexité droite, comprend toutes les vertèbres lombaires et les

six dernières dorsales; le point le plus saillant se trouve au niveau du corps de

la première lombaire. Une troisième courbure (courbure de compensation) est

formée par les premières dorsales et les dernières cervicales : elle a sa con-

vexité tournée à gauche.

Ces déviations sont les résultats de lésions nombreuses qui sont successive-

ment les suivantes :

Le sacrum a une face supérieure érodée, rugueuse et inégale. Le bord droit

de sa face articulaire vertébrale offre une saillie triangulaire, dirigée en haut,

convexe en avant, concave en arrière, s'adaptant avec une dépression corres-

pondante de la dernière lombaire.

La cinquième lombaire, en effet, a sa face inférieure dans un état analogue

à celui de la face supérieure du sacrum. Cette face inférieure est oblique en

bas et en avant de telle sorte que le corps vertébral, qui mesure trois centimè-

tres et demi à sa partie antérieure, n'en mesure plus que* deux au niveau du

trou rachidien : son bord droit est usé dans une assez grande étendue, il se

trouve ainsi transformé en une véritable facette,taillée de dehors en dedans et

de haut en bas, comprenant toute la hauteur du corps vertébral et s'articulant

avec la saillie située sur le sacrum. La gouttière transversale est très accusée

au niveau du bord gauche par suite de l'effilement de la partie inférieure du

corps vertébral en ce point. L'apophyse transverse du côté droit, if cause de

l'aplatissement de la moitié droite du corps et de la déviation consécutive de la

colonne vertébrale, est venue se mettre en rapport avec l'aileron droit du sa-

crum, légèrement usé et rugueux en cet endroit. La face supérieure de cette

vertèbre est aussi très irrégulière, très inégale et présente sur son bord droit

une petite languette osseuse, dirigée eu haut et destinée à s'adapter avec une

légère dépression creusée sur,le bord inférieur de la quatrième lombaire.

La quatrième lombaire (PI.XIX,F, LI v) possède sur sa face inférieure quelques

inégalités correspondantes à celles de la dernière lombaire. La face supérieure

est saine dans presque toute son étendue : cependant son bord est dentelé et

fortement saillant surtout dans sa partie droite, il mesure deux centimètres à

ce niveau, il est dirigé en bas et en dehors. La gouttière vertébrale, par suite,

est très excavée en ce point et la vertèbre est légèrement aplatie de ce côté.

Sur la face antérieure de la gouttière existe encore une dépression dans la-

quelle peut se loger la pulpe de l'index, limitée à droite et à gauche par deux

petites moulures osseuses et tapissée daus le fond par une série de colonnettes

minuscules verticales.

La troisième lombaire (PI. XIX, F, L"1) a une face inférieure, excavée, conca-

cavité tournée vers la vertèbre sous-jacente et surtout accentuée vers la gau-

che par suite de la présence d'un développement du bord gauche en forme de

saillie triangulaire dirigée en bas et en dehors. Sur le reste de son étendue, le

bord de la face inférieure est encore dentelé et saillant : il forme, dans sa por

132 Jean ABADIE

tion antérieure, une échaucrure assez prononcée. La gouttière du corps verté-

bral est fortement accusée sur les parties latérales, en avant elle offre de nom-

breuses travées osseuses irrégulières. Mais les altérations portent surtout sur

la face supérieure de la vertèbre : cette face est fortement excavée, rugueuse,

formant une cavité remplie de pus à l'état frais; une dépression plus profonde,

située à gauche, est surplombée par une saillie osseuse d'un centimètre d'é-

paisseur environ, de deux centimètres de hauteur, lisse et mamelonnée sur sa

face externe, garnie d'aspérités sur sa face iuterne. Dans cette dépression et

contre cette saillie viennent s'appliquer les parties correspondantes de la ver-

tèbre sus-jacente. - '

Celle-ci, deuxième lombaire (PI. XIX, F, Lut), est peu altérée sur son tiers la-

téral droit : les autres tiers sont transformés en une masse, simplement dépolie

dans sa partie supérieure fortement rugueuse partout ailleurs : c'est cette masse

qui comble la cavité formée par la face supérieure de la troisième lombaire.

Cette masse est limitée en avant et en arrière par deux petites saillies triangu-

laires, la première termine le bord antérieur de la face supérieure, l'autre s'im-

plante en arrière sur le pédicule. La gouttière du corps vertébral n'existe ainsi

que dans la moitié droite : la moitié gauche est dans son ensemble aplatie de

haut en bas et de hauteur moindre que la précédente. Pour cette raison et par

suite de la dépression décrite plus haut dans la troisième lombaire, la colonne

vertébrale commence à changer de direction et à se porter vers la gauche.

La partie latérale droite de la première lombaire est parfaitement saine

(Pl. XIX, F, Li). La gouttière du corps vertébral est remplacée,un peu à gau-

che de la ligne médiane, par une saillie osseuse dirigée en avant et affectant la

forme d'un cône à sommet antérieur; elle reparaît plus loin, réduite à un sim-

ple,sillon par le développement exagéré du bord supérieur et du bord inférieur.

Ce dernier en particulier s'avance latéralement de près de deux centimètres.

La face supérieure n'est pas altérée.

La dernière vertèbre dorsale (PI. XIX, F, Dxn), saine sur sa moitié droite,

présente à gauche, au niveau de son bord inférieur, une exostose très saillante,

aplatie de haut en bas, dépassant de plus d'un centimètre le bord supérieur de

la première lombaire : elle a la forme d'un triangle, de 3 cent. 1/2 de base,

de 2 centimètres de hauteur : elle présente dans son ensemble une légère cour-

bure à concavité inférieure. Au-dessus d'elle, la gouttière est presque effacée

par de petites saillies osseuses, dentelées et très irrégulières.

L'avant-dernière dorsale présente sur son bord inférieur une reproduction

avec des proportions moindres de l'exostose que nous venons de signaler sur

la dernière vertèbre dorsale. Son bord supérieur est légèrement déprimé dans

sa moitié gauche, de façon à pouvoir s'adapter avec une légère saillie osseuse

située sur le bord inférieur de la dixième dorsale située au-dessus. Les bords

de celle-ci sont saillants, dentelés et renversés en dehors. Les faces supérieure

et inférieure sont saines. On retrouve ces mêmes caractères mais à des degrés

de moins en moins marqués au furet à mesure que l'on remonte vers les pre-

mières vertèbres dorsales. Celles-ci, ainsi que les vertèbres cervicales, ne pré-

sentent aucun détail à signaler.

LES .0 ? TÉO-.ARTHROPATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 133

Nulle part, sur toute la hauteur de la colonne vertébrale, on ne rencontre

de lésions du côté du canal vertébral. Malgré les déviations de la colonne, il

reste partout largement perméable. Il en est de même des trous de conjugaison.

Les apophyses articulaires et transverses sont saines en grande partie. Elles

sont rugueuses et dépolies au niveau de la colonne lombaire. Elles sont très

réduites de volume du côté gauche des première et deuxième vertèbres lom-

baires. Les apophyses épineuses sont fortes et volumineuses dans les vertèbres

lombaires : les autres ont été enlevées dans l'extraction de la moelle.

Tous les os que nous venons d'examiner sont d'une légèreté remarquable,

qu'ils doivent vraisemblablement à l'extrême porosité de leur tissu spongieux.

L'observation III n'est autre que la description des pièces du musée de

la Salpêtrière. Grâce à M. A. Londe, nous pouvons en donner deux ima-

ges photographiques.

Observation 111. - (Musée de la Salpêtrière.) -

SOMMAIRE. Six vertèbres provenant de la colonne vertébrale d'un tabétique : les

cinq lombaires et la douzième dorsale.

Augmentation des dimensions des corps vertébraux, de la hauteur en particulier.

Gouttières des corps excavées, bords renversés, tranchants ou dentelés. Surfaces

osseuses garnies de trous, d'aspérités, de trabécules. Développement des apophyses

épineuses.

Exostoses de la cinquième, de la quatrième lombaires. Soudure de la troisième

et de la deuxième par une volumineuse exostose antérieure. Ostéophyte en casque

de la deuxième lombaire. Glissement en arrière de la première lombaire : diminu-

lion du calibre des trous de conjugaison correspondants.

Porosité du tissu osseux.

Ce sont six vertèbres provenant de la colonne vertébrale d'un malade atteint

de tabes : parmi elles, se trouvent les cinq lombaires. et la douzième vertèbre

dorsale.

Tous ces os présentent une augmentation de leurs dimensions et en particu-

lier de leur hauteur. Leur surface extérieure est parsemée de trous, de dé-

pressions, de fines trabécules, sculptées dans la substance osseuse qui offre dès

lors une apparence poreuse remarquable. La gouttière verticale transversale

est partout accusée et d'autant plus que les bords sont renversés l'un vers

l'autre, irréguliers et dentelés, s'ils ne présentent pas de volumineuses exos-

toses comme on peut le constater à première vue.

La cinquième lonibaire voit sa face inférieure devenir plus oblique et pré-

senter une légère inclinaison latérale, en raison d'une usure de l'extrémité

droite de son bord inférieur. Partout ailleurs, ce bord est mousse et régulier.

Il en est de même du bord supérieur dans toute son étendue, sauf encore au

niveau.de son extrémité droite : il est exubérant il cet endroit, tranchant et

découpé (PI. XVIII, C).

xiii 9

134 JEAN ABADIE

Au même niveau encore, le bord inférieur de la quatrième lombaire pré-

sente des découpures analogues à celles de la vertèbre sous-jacente et s'em-

boîtant avec elles : elles se terminent en avant par une exostose triangulaire,

à sommet dirigé en bas, de deux centimètres de longueur et d'un centimètre

et demi de base environ, dont le côté postérieur termine la série des festons

tracés par les bords des deux vertèbres accolées.

Sur la troisième lombaire (PI. XVIII,D),I'extrémité droite du bord inférieur

est de même épaissie et procidente. Mais la particularité importante ici est la

suivante : toute la partie gauche du bord supérieur,de la ligne médiane au trou

de conjugaison correspondant, donne naissance à une formation osseuse, diri-

gée en haut, et qui vient se fixer à la vertèbre située au-dessus. Les deux

vertèbres sont ainsi soudées l'une à l'autre par cette sorte de pont largement

jeté entre le bord supérieur de l'une et le bord inférieur de l'autre : elles sont

encore maintenues à distance, un centimètre environ, l'une de l'autre, et les

deux faces qui se regardent ne peuvent prendre contact par aucun point de

leurs surfaces. Elles conservent la même situation qu'elles occupaient à l'état

frais, séparées alors par le disque intervertébral qui les unissait. Cette sou-

dure se confond insensiblement en haut et en bas avec les gouttières verté-

brales : sa surface extérieure est lisse, polie, formant contraste avec la poro-

sité du tissu osseux environnant.

Au-dessus d'elle et du bord supérieur de la deuxième lombaire part une

nouvelle exostose, arrondie, d'une courbe élégante, à forme de casque implanté

par l'extrémité de son couvre-nuque et dont la visière vient buter contre le

corps vertébral de la première lombaire, au fond de sa gouttière transversale.

Ce casque, situé un peu à gauche de la ligne médiane, surplombe d'environ trois

centimètres la vertèbre qui lui a donné naissance (PI. XVIII, C).

La première lombaire est repoussée en arrière par cet ostéophyte. Son apo-

physe épineuse, d'ailleurs plus volumineuse que les suivantes, dépasse leur

alignement. Les échancrures des pédicules ne se correspondent plus et les

trous de conjugaison correspondants sont en partie comblés par les bords de la

vertèbre et leurs dentelures. Enfin le bord supérieur du corps vertébral est

comme bourgeonnant (Pl. XVIII, D).

La douzième dorsale présente à signaler, outre le festonnement de ses bords,

la profondeur de sa gouttière et l'irrégularité de sa surface, une volumineuse

apophyse épineuse, de forme quadrangulaire, garnie de dépressions et d'aspé-

rités.

L'observation précédente manque totalement de détails cliniques. Il nous

a été impossible de retrouver la trace du malade à qui avaient appartenu

ces vertèbres. On ne connaît donc, en somme, que deux cas avec autopsie

d'ostéo-arthropathies vertébrales dans le tabes. Nous en rapportons un

troisième : c'est le suivant.

LES OSTÉO-ARTHROPATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 135

Observation IV. - (Personnelle).

SOMMAIRE. Femme, SI ans. Pas de détail sur son hérédité. Dès l'âge de 14 ans,

abus de tous les plaisirs, surtout des plaisirs vénériens. A 15 ans, chancre proba-

blement syphilitique. A 27 ans, crises de douleurs fulgurantes dans les membres et

le tronc; douleurs en ceinture. A 29 ans, troubles vésicaux. A 33 ans, arthropathie

de la hanche droite : marche difficile.

Premier examen à 37 ans, en 1884. Signes non douteux de tabès avec ataxie

confirmée des membres inférieurs. Chute et dystrophie unguéale, Existence de

crises clitoridiennes intenses-Pas de troubles de la sensibilité ou des sens spéciaux.

Deuxième examen, trois ans après, en 1887. Amaigrissement extrême de la

face, des membres et du tronc . Marche de plus en plus difficile. Quelques douleurs

fidgurantes encore. Phénomènes acroparesthésiques dans les membres supérieurs.

Diminution des crises clitoridiennes et des troubles vésicaux. Développement d'une

énorme arthropathie du genou gauche.

Troisième examen en 1897, à 50 ans. Confinement au lit depuis un an. Amai-

grissement allant jusqu'à l'atrophie des membres. Légère incoordination motrice

des membres supérieurs. Craquements articulaires dans ces membres. Arthropa-

thies de la hanche droite etdu genou gauche avec disparition des extrémités osseuses

et luxations consécutives . Sensibilité à peu pres normale. Quelques douleurs

constrictives. Disparition du trouble des sphincters et des sensations clitoridiennes.

Artériosclérose généralisée. Insuffisance aortique.

Déviations du thorax et de la colonne vertébrale. Voussure thoracique à droite,

en bas, en arrière : thorax oblique ovalaire. Trois courbures vertébrales : deux

latérales, scoliose lombaire à concavité tournée vers la droite, sans déviation brus-

que, scoliose ceruico-dorsale de sens opposé, courbure de compensation; une antéro-

postêrieure, cyphose lombaire sans gibbosité angulaire. Région sacrée plane, en-

foncée. Apophyses épineuses saillantes sous la peau et volumineuses. Motilité de

la colonne intégralement conservée : pas de craquements articulaires vertébraux

dans les mouvements. Pas de douleurs vertébrales spontanées ou à la pression.

Etat stationnaire jusqu'en janvier 1898.A cette époque, hemorrhagie cérébrale,

ictus, mort dans le coma.

Autopsie. - Moelle : sclérose des cordons postérieurs sur toute la hauteur.

Crâne d'épaisseur remarquable . Vaisseaux fortement eithéroniaielix. Rupture de la

frontale interne : caillot sanguin du volume d'un oeuf de poule.

Examen du squelette après macération dans l'eau. Arthropathies types des arti-

culations de la hanche droite et du genou gauche.

, Pas de modifications des dimensions et des diamètres du bassin. Cavité cotyloide

gauche un peu agrandie. Cavité cotyloide droite disparue, remplacée par une vaste

surface rugueuse, surmontée d'une apophyse ostéophytique volumineuse. Crêtes

iliaques épaissies.

Rien au coccyx. Sacrum très friable. Trous sacrés agrandis.

Déviation très apparente de la colonne lombaire. Vertèbres lombaires très alté-

rées. Diminution du volume du corps de la vertèbre,surtout diminution de la hau-

teur. Gouttière horizontale excavée dans toute son étendue, comblée par endroits

de cannelures ou d'arborisations osseuses. Faces irrégulières, plus ou moins dépolies

et dépourvuesde surface cartilagineuse. Apophyses épineuses volumineuses. Apophy-

ses transverses presque absentes. Apophyses articulaires supérieures développées au

détriment des inférieures. Le maximum des altérations siège au niveau de gMa-

136 JEAN ABADIE

lrièzne et de la troisième lombaire, en partie détruites, affectant la forme de coins

dont les bords tranchants se regardent. Production d'osteophytes plus ou moins

volumineuses, assurant la stabilite des portions vertébrales restantes.

Vertèbres dorsales et cervicales peu altérées dans leurs formes. Cependant sou-

dure presque complète de la septième et de la huitième dorsales.

Trous rachidiens, canal vertébral, trous de conjugaison partout perméables.

Os légers, poreux.

Ch... Françoise, entre pour la première fois à l'hôpital Saint-André de Bor-

deaux, dans le service de M. le professeur Pitres, le 5 juin 1884.

Elle a trente-sept ans et exerce en ce moment le métier de lisseuse.

Elle ne connaît aucun détail sur sou hérédité : elle sait seulement que son

père et sa mère étaient rhumatisants.

Dès l'âge de quatorze ans, elle a goûté de tous les plaisirs : elle était surtout

ardente aux plaisirs vénériens dont elle usait et abusait sous toutes les formes

possibles.

A quinze ans, elle contracte un chancre. Ce chancre, unique, n'a pas été

suivi d'accidents consécutifs : il avait été cautérisé et la malade soumise à un

traitement consistant en l'ingestion de pilules dont elle ne peut préciser la na-

ture.

Elle avait une santé parfaite, lorsque, il y a dix arrs,eu 1874, l'âge de vingt-

sept ans, elle ressentit brusquement une forte douleur dans la jambe droite

à type fulgurant, s'accompagnant de faiblesse dans tout le membre. Cette dou-

leur reparut tout le long du jour, et depuis ce moment, les crises de doureurs

fulgurantes se sont reproduites il peu près tous les deux mois. L'apparition de

la première crise avait été précédée de lassitude, de fatigue générale et d'une

excitation génitale plus grande que d'habitude, se traduisant surtout par des

rêves érotiques fréquents.

De temps en temps se montraient des douleurs de ceinture et quelques dou-

leurs fulgurantes dans les membres supérieurs et le tronc. ,

Deux ans après l'apparition des premières douleurs, survinrent des troubles

de la vessie caractérisés par une légère incontinence chaque fois que la malade

se levait, par une difficulté extrême d'uriner à certains moments, et par des

épreintes vésicales qui l'obligeaient à se mettre sur le vase dix ou quinze fois

dans l'espace de quelques heures.

Il y a quatre ans, après une crise nocturne de douleurs fulgurantes extrême-

ment violentes siégeant surtuut dans la hanche droite et le membre inférieur

droit, la malade fut surprise de voir la hanche droite devenir plus volumi-

neuse, sans la moindre rougeur et sans le moindre symptôme fébrile. Depuis

cette époque, les mouvements de l'articulation correspondante devinrent très

gênés, et Françoise Ch... n'a cessé depuis de marcher péniblement.

Le premier examen de notre malade est pratiqué le 5 juin 1884. Voici les

notes qui ont été prises cette époque sur son état.

Femme robuste, bien faite, aux yeux noirs et vifs.

Ataxie confirmée des membres inférieurs.

' LES OSTÉO-ARTnROPATMES VERTÉBRALES DANS LE TABES 137

Marche gênée à la fois par les lésions articulaires de la hanche et les trou-

bles ataxiques.

Signe de Romberg assez net.

Impossibilité de se tenir sur le pied gauche seul.

Abolition du réflexe rotulien des deux côtés.

Aucun trouble des membres supérieurs, sauf l'existence de quelques dou-

leurs fulgurantes de loin en loin.

Tuméfaction de la hanche droite : gros craquements articulaires indolents

dans les mouvements provoqués de la hanche : raccourcissement du membre

inférieur droit. ,

L'ongle du gros orteil droit est épaissi, rugueux, biscornu : il est tombé

spontanément trois fois. La première chute de l'ongle a eu lieu avant le début

de l'arthropathie : elle n'a été précédée alors ni plus tard d'aucune sensation

douloureuse spéciale. Une fois la malade a trouvé l'ongle dans son lit et deux

fuis dans son bas. Il n'existe ni suppuration ni ulcération péri-unguéale. Les

autres ongles du pied droit sont striés dans le sens de leur longueur, mais

bien conservés. Ceux du pied gauche sont normaux et ne sont jamais tombés.

Le chatouillement de la plante des pieds est bien perçu.

La sensibilité est relativement bien conservée.

Quelques troubles vésicaux existent encore : la malade perd quelquefois quel-

ques gouttes d'urine : d'autrefois, elle est obligée de faire de longs efforts pour

uriner.

La menstruation est normale.

La malade présente des crises clitoridiennes, survenant presque toutes les

nuits, affectant les sensations de rapports sexuels masculins, revenant jusqu'à

dix fois pendant le sommeil, précédés de rêves érotiques, suivis d'émission

involontaire d'urine et laissant après elles un état de prostration complète et

d'affaiblissement extrême. Il n'existe ni anesthésie ni hyperesthésie au contact

ou à la piqûre de la muqueuse vaginale ou clitoridienne.

. Il n'existe enfin aucun trouble de la vue, de l'odorat ou de l'ouie.

Un deuxième examen est pratiqué le 5 juin 1887, c'est-à-dire, trois ans après

son premier séjour l'hôpital. ,

La malade a beaucoup maigri. Cet amaigrissement très marqué à la face,

malgré une coloration normale du teint est surtout apparent au niveau des

muscles du cou, du tronc, dans les membres supérieurs et inférieurs. Les mus-

cles des extrémités, les interosseux des mains et des pieds en particulier, pré-

sentent même une véritable atrophie. Seul l'abdomen conserve un certain de-

gré d'embonpoint.

Quelques rares modifications sont survenues dans les signes généraux de

l'ataxie. Françoise Ch... s'est aperçue que depuis deux mois elle jette davantage

les jambes en avant et en dehors pendant la marche. Celle-ci est un peu hési-

' tante en effet : la marche à reculons est encore possible. Elle est totalement im-

possible, les yeux fermés : l'incoordination motrice est telle que la malade me-

nace de tomber.

Les douleurs fulgurantes des membres inférieurs existent encore. Les dou-

138 JEAN ABADIE

leurs en ceinture, constrictives, ont augmenté de fréquence et d'intensité. Il

en est de même des douleurs des membres inférieurs. Depuis deux ans en outre,

la malade présente des phénomènes d'acroparesthésie dans les bras et les

mains : sensations de fourmillement intense, piqûres d'épingle au boutdes doigts,

anesthésie des extrémités supérieures. Il lui arrive souvent de tenir un objet

dans les mains sans le sentir, ou d'avoir la sensation tactile d'un objet sans le

tenir.

La sensibilité cutanée par ailleurs est toujours normale. Quelques troubles

de la vue, consistant en diminution de l'acuité visuelle, en sensations passagères

de brouillard, d'obscurcissement, se montrent, quelquefois et coïncident avec

le début de crises hémorrhoidaires : ces dernières existent depuis deux ans, et

ont apparu en même temps que disparaissaient les menstrues ; elles survien-

nent au moment da époques qu'elles semblent remplacer.

Les troubles vésicaux ont disparu : cependant il persiste, une très légère

difficulté de la miction à des intervalles éloignés.

Les sensations générales voluptueuses deviennent plus rares : elles n'appa-

raissent toujours que pendant les rêves.

Mais la cause déterminante du retour de la malade à l'hôpital est l'apparition

d'une arthropathie, siégeant dans le genou gauche.

Au mois de septembre 1886, dit la malade, c'est-à-dire il y a huit mois, un

gonflement indolore apparut brusquement dans le genou gauche et le pied du

même côté. Ce gonflement disparut au pied au bout d'une quinzaine de jours

ne laissant d'autre trace qu'une tuméfaction de la grosseur d'une noix, siégeant

au niveau de la portion de la synoviale située en avant de la malléole externe.

Celui du genou gauche au contraire a pris des proportions de plus en plus gran-

des : on y constate encore un oedème blanc, indolore et régulier, ayant envahi

seulement la partie antérieure et les parties latérales do l'articulation.Le réseau

veineux superficiel est très développé. La cavité articulaire est distendue : le

choc rotulien est net, la fluctuation manifeste, la rotule nage dans le liquide

et peut subir des mouvements de latéralité d'une amplitude de deux à trois cen-

timètres : il est impossible d'autre part de la mouvoir de haut en bas. Dans ces

excursions de la rotule, on perçoit un frottement dur entre sa face postérieure

et les parties osseuses correspondantes du tibia et du fémur. Quelques mensu-

rations ont été faites :

Longueur de l'épine iliaque antéro-supérieure au bord externe de la plante

du pied :

M. I. D : 88 centimètres.

M. I. G : 95 centimètres.

Circonférence mesurée sur la rotule : .

Genou. D" : 3t centimètres.

Genou. G : 46 centimètres.

Circonférence de la cuisse mesurée à 12 centimètres au-dessus du bord supé-

rieur de la rotule.

Cuisse droite : 37 centimètres.

Cuisse gauche : 45 centimètres. z

LES OSTÉO-ARTHROPATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 139

Circonférence de la jambe mesurée à 8 centimètres au-dessous du bord infé-

rieur de la rotule.

Jambe D. : 30 centimètres.

Jambe G. : 34 centimètres.

L'état de la malade reste stationnaire. Elle sort peu de temps après de l'hô-

pital une deuxième fois. Elle est revue en 1892, en 1893. A ces dates, on ne

note aucun détail intéressant à signaler. L'amaigrissement s'est accentué, la

marche est devenue de plus en plus difficile, gênée par une incoordination mo-

trice croissante et par la présence d'une volumineuse arthropathie du genou

gauche, définitivement constituée.

En 1896, le séjour au lit est devenu nécessaire. La malade se fait hospitaliser

de nouveau. Il nous est donné de l'examiner nous-même le 24 juin 1897.

Françoise Ch... est étendue au lit dans le décubitus dorsal. La physionomie

est calme, reposée cependant. Son intelligence est intacte, son imagination exa-

gérée : elle a peur de tout, surtout dans l'obscurité. Elle se plaint d'insomnies,

de cauchemars pénibles. Son caractère est devenu mélancolique.

La face est extrêmement amaigrie, les saillies osseuses fortement accusées,

le teint est normalement coloré.

La motilité des muscles de la face est intacte. Les globes oculaires se

meuvent parfaitement en tons sens ; pas de strabisme, pas de nystagmus, pas

de ptose palpébrale. Les réflexes iriens sont abolis à la lumière, conservés à

l'accommodation.

La langue, les lèvres sont normales et leur fonctionnement parfait. La den-

tition est mauvaise : il reste seulement quatre dents à la mâchoire supérieure,

dont deux molaires et les deux canines ; six dents sont encore à la mâchoire

inférieure dont trois incisives, une canine et deux molaires. Les autres sont

tombées, par morceaux, cassées au niveau du collet, sans carie apparente et

sans la moindre douleur : les racines subsistent pour la plupart, elles parais-

sent saines et ne sont jamais la cause de névralgies dentaires.

Le yoile du palais, le pharynx sont normaux. Le réflexe pharyngien est

conservé.

Il n'existe rien de particulier à signaler,à la face antérieure du thorax, qu'un

amaigrissement extrême des fosses sus et sous-claviculaires et des espaces in-

tercostaux. Les os. les cartilages costaux, leurs articulations sont sains.

L'abdomen oppose un contraste remarquable au thorax : la paroi abdominale

est très développée, elle est flasque et présente une adipose sous-cutanée de

plusieurs centimètres d'épaisseur. Les réflexes abdominaux sont abolis. La

percussion forte du creux épigastrique ne réveille pas la moindre douleur, la

moindre sensation pénible. Insensibilité ovarienne droite : un peu de douleur à

la pression de la fosse iliaque gauche.

Les membres supérieurs possèdent des muscles très amaigris. La force

néanmoins est relativement bien conservée. Les articulations de l'épaule, du

coude, du poignet et de la main sont normales, mais présentent toutes des cra-

quements articulaires dans leurs mouvements. Il existe un léger degré d'in-

140 JEAN ABADIE

coordination motrice dans la motilité de ces membres insuffisant pour gêner

la malade dans les actes ordinaires de la vie.

L'amaigrissement devient de l'atrophie dans les membres inférieurs. La

peau est blanche, sèche, écailleuse,sans oedème, sans adipose sous-cutanée, sans

troubles trophiques à sa surface. La hanche droite est volumineuse, déformée.

Le grand trochanter est largement augmenté de volume. La face antérieure du

col du fémur est volumineuse ; elle repousse pn avant les muscles sus-jacents

et l'artère fémorale bat très superficiellement sous la peau. L'article est d'une

mobilité extrême, la tête fémorale se luxe en arrière et les mouvements com-

muniqués se fout en tous sens : la laxité des ligaments est telle en outre qu'elle

permet un grand nombre de positions exagérées. L'articulation coxo-fémorale

gauche est saine en apparence : ses mouvements sont possibles et peuvent

même un peu s'exagérer. Il en est de même do l'articulation du genou droit :

apparence saine, laxité légère des ligaments. Quelques craquements se perçoi-

vent dans les trois articulations précédentes. Le genou gauche est atteint d'une

énorme arthropathie du volume de la tête d'un adulte. Les téguments ne sont

nullement altérés à cet endroit. Quelques bosselures apparaissent sur la face

interne de l'articulation qui est augmentée en masse, régulièrement par ailleurs,

sauf cependant à la région postérieure. Les condyles du fémur, les plateaux

du tibia sont excessivement développés. La rotule forme un large gâteau qua-

drangulaire de neuf centimètres de diamètre transversal sur cinq centimètres

de diamètre longitudinal. La circonférence du genou, mesurée sur cet os, est

de quarante-six centimètres. La palpation dénote la présence de nombreux

corps étrangers, durs, roulant sous les doigts et donnant la sensation de cré-

pitation. L'arthropathie est complètement indolore, même dans les situations

exagérées imprimées aux surfaces osseuses. On perçoit dans ces manoeuvres

d'énormes craquements secs et ronflants. Les articulations du cou-de-pied, du

tarse, du métatarse, des phalanges ne présentent à considérer à droite comme

' à gauche qu'une laxité extrême des ligaments, absolument indolore, encore

plus accentuée dans le sens de l'extension du pied sur la jambe et donnant il

celui-là le caractère du pied tabétique.

Les réflexes rotuliens sont abolis. Les réflexes plantaires sont conservés.

Les ongles sont dystrophiés, ils sont épaissis, ils ont une forme pyramidale

à 6 pans, à sommet dirigé en haut, d'une longueur de huit à dix millimètres.

Ils sont absolument insensibles.

La malade perd souvent ses jambes dans son lit. Elle n'a pas la notion de

position de ses membres inférieurs. L'incoordination est très grande, même dans

les mouvements les plus simples. La force musculaire est très diminuée- La

station debout est péniblement conservée, en raison des arthropathies de la

hanche et du genou droits. La marche est impossible : les jambes sont lancées

follement de tous côtés et la malade tombe, si elle n'est pas retenue.

La sensibilité est à peu près normale, en particulier dans les membres infé-

rieurs : il faut signaler cependant à ce niveau un léger retard dans la percep-

tion des impressions. Quelques douleurs constrictives existent encore et revien-

nent par crises.

LES OSTÉO-ARTHROPATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 141

Il n'existe plus de troubles de la miction ou de la défécation.

Les crises clitoridiennes ont disparu. Depuis six ans, elles ne survenaient

plus d'ailleurs qu'à de très rares intervalles et avec une intensité bien moindre.

L'appareil digestif est normal, fonctionne normalement. A quelques repri-

ses, la malade a eu une exagération remarquable de l'appétit.

L'appareil respiratoire est sain.

Les artères sont dures, volumineuses. L'aorte est dilatée et on ausculte au

foyer aortique un souffle d'insuffisance.

La malade présente enfin des déviations remarquables de la cage thoracique

et de'la colonne vertébrale. Elle passe sans grands efforts du décubitus dorsal

à la station assise : dans cette dernière position, elle est obligée de fléchir forte-

ment le tronc sur les membres inférieurs. Le corps fait ainsi un angle de 45°

environ avec le plan horizontal du lit. La tête est enfoncée dans les épaules :

celles-ci sont tombantes, portées en avant. Le dos est irrégulièrement arrondi,

le bassin repoussé en arrière.

Mise à'nu, la cage thoracique offre tout d'abord à gauche et en arrière une

voussure très appréciable : l'hémithorax gauche est beaucoup plus volumineux

à sa base que le droit et le thorax présente dans son ensemble le caractère

oblique ovalaire. Nulle part sur le squelette thoracique on ne trouve de parti-

cutarité intéressante à signaler : les côtes, les cartilages costaux, le sternum,

les clavicules sont sains.

Il n'en est pas de même en arrière au niveau de la colonne vertébrale. Celle-ci

présente deux courbures latérales : l'une, la plus apparente, commence vers

la dixième dorsale et aboutit au sacrum ; elle est très accentuée surtout vers

les dernières vertèbres lombaires où son rayon ne mesure pas plus de vingt

centimètres. Sa concavité est tournée vers la droite, elle est régulière, sans

déviations brusques. La deuxième courbure, supérieure, part de la dixième

dorsale et comprend toute la hauteur de la colonne vertébrale : elle est de sens

opposé à la première et constitue avec une légère inflexion des vertèbres cervi-

cales une longue courbure de compensation. Enfin, il existe une troisième dévia-

tion, une cyphose lomhaire : toutes les vertèbres lombaires sont repoussées en

arrière, sans cependant présenter de gibbosité angulaire en aucun point. Lem s

apophyses épineuses sont épaissies, en volumineuses saillies sous la peau. Au-

dessous, la région sacrée est plane et paraît enfoncée. 'Au-dessus, la cyphose

se continue en s'effaçant progressivement le long de la colonne dorsale : il

n'existe point d'exagération de volume des apophyses épineuses cervicales ou

dorsales. Nulle part, la colonne rachidienne n'est douloureuse à la pression :

elle n'a jamais été non plus le siège de douleurs spontanées. Les mouvements

de redressement et d'affaissement de la colonne vertébrale, ainsi que les mou-

vements de latéralité, s'exécutent normalement.

Cet état se modifia peu par la suite, et aucune nouvelle manifestation n'était

venue s'ajouter au tableau clinique précédent, lorsque, en janvier 1898, la ma-

lade eut un ictus, tomba dans le coma le plus profond et mourut deux jours

après.

L'autopsie, pratiquée vingt-quatre heures après la mort, a montré les parti-

142 JEAN ABADIE

cularités suivantes. Artério-sclérose généralisée. Athérome de la crosse de

l'aorte : dilatation et insuffisance aortique. Congestion pulmonaire double.

Moelle : sclérose des cordons postérieurs étendue sur toute la hauteur de la

, moelle. Les méninges rachidiennes sont saines. Au niveau des vertèbres altérées ! dans la région lombaire, la dure-mère est un peu épaissie.

l Le crâne est d'une épaisseur remarquable, un centimètre par endroits, formé

t . de tissu compact, d'une dureté extraordinaire. La calotte crânienne est ainsi

enlevée avec beaucoup de peine. Les méninges sont très épaissies, congestion-

nées, sillonnées de vaisseaux nombreux, de calibre exagéré, aux parois d'une

dureté remarquable. Toutes les artères de la base, et des circonvolutions sont

énormes : les sylviennes, en particulier, présentent le volume d'une plume

d'oie ; elles se rompent sous la pression du doigt. On suit leurs moindres divi-

sions jusqu'à l'intérieur de la substance cérébrale qui paraît comme injectée. A

la face interne de l'hémisphère gauche, la frontale interne est rompue vers le

milieu de son trajet, on trouve logé dans l'épaisseur de la substance grise et

s'étendant au loin dans le centre ovale un énorme caillot de la grosseur d'un

oeuf de poule, cause de la mort.

. Après macération dans l'eau des fémurs, du bassin, de la colonne vertébrale,

ces divers os sont trouvés porteurs d'altérations multiples. -

Il existe d'abord des arthropathies types de la hanche droite et du genou gau-

che. '

Le bassin (PI. XX, H) est peu modifié dans son aspect extérieur, dans ses di-

mensions et dans ses diamètres. L'os iliaque gauche est à peu près normal,

sauf une cavité cotyloïde un peu agrandie et un bord antérieur épaissi et ru-

- gueux. Il n'en est pas de même de l'os iliaque droit : sa cavité cotyloïde présente

neuf centimètres et demi de hauteur sur dix centimètres de largeur. Il n'existe

pas à proprement parler de cavité articulaire avec cartilage d'encroûtement : on

trouve à la place une vaste surface, dépolie, rugueuse, à contours irréguliers,

comprenant à ce niveau à peu près toute la largeur de l'os iliaque. En arrière

de ce nouveau cotyle,- s'implante une apophyse ostéophytique en forme de

croissant, adhérent par l'une de ses cornes, limitant en haut la nouvelle cavité

articulaire et dont l'autre corne vient en regard de l'épine iliaque antéro-supé-

rieure. Les crêtes iliaques sont épaissies, rugueuses, comme d'ailleurs les tu-

bérosités de l'ischion : au contraire, les ilions sont très friables et comme par-

cheminés, minces, presque transparents.

Rien de particulier à signaler au coccyx. Le sacrum est très friable lui aussi.

Les trous sacrés antérieurs et postérieurs sont agrandis et leur pourtour os-

seux s'effrite sous le doigt. Les apophyses sacrées ne sont pas extraordinaire-

ment développées. Les surfaces articulaires sacro-iliaques sont saines. Il en est

de même de la face supérieure : en particulier, la surface articulaire verté-

' brale est saine, elle est cependant limitée en avant par une arête très aiguë.

La colonne vertébrale, dans son ensemble, nous présente les déviations cons-

tatées pendant la vie de la malade. Ces déviations sont dues à des lésions des

vertèbres, en particulier des vertèbres lombaires. Ces lésions sont les suivan-

tes :

Nouv. Iconographie DE la Salpêtriére T. XIII. PI. XX

Obs. IV. H.

OSTEO-ARTHROPATHIES VERTEBRALES DANS LE TABES

(j. Abadie)

Masson & Cie, Fditcurs

LES 0STÉ0-ARTUR0PATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 143

Le volume du corps de la cinquième vertèbre lombaire est inférieur à la

normale (fig. VIII). Toutes les dimensions en sont réduites, surtout la hau-

teur qui atteint à peine un maximum de deux centimètres et demi. La circon-

férence est très excavée, surtout sur les côtés : elle offre, en outre, la face

antérieure, des arborisations osseuses sculptées sur sa surface. Le bord infé-

rieur est arrondi et possède à peine quelques dentelures. Le bord supérieur

est plus irrégulier : il possède même à gauche une production ostéophytique.

Aplatie de haut en bas, large de deux centimètres à son point d'implantation,

polie à sa face inférieure, rugueuse à sa face supérieure : celle-ci sert de sup-

port à la portion restante du corps de la troisième lombaire. Les apophyses

épineuses et transverses sont rugueuses mais de développement normal. Les

apophyses articulaires sont dépourvues de cartilage d'encroûtement.

La quatrième vertèbre lombaire (PI. XIX, G,Liv).est très altérée : elle affecte

la forme d'un coin à grosse extrémité droite, à bord tranchant gauche. Par

suite, les deux faces, supérieure et inférieure, sont inclinées l'une' vers l'au-

tre de droite à gauche : toutes deux sont rugueuses, irrégulières, d'aspect po-

reux : on dirait un fragment de pierre ponce. La gouttière de la circonférence

du corps vertébral ne subsiste que dans les deux tiers droits de la vertèbre :

elle offre des aspérités et des dépressions profondes. Les bords, supérieur et

inférieur, sont dentelés. Les apophyses articulaires supérieures sont inégales

et rugueuses : l'apophyse articulaire inférieure gauche a presque entièrement

disparu. Les apophyses transverses sont normales.

La troisième vertèbre lombaire (PI. XIX, G,Lm) affecte de même que la pré-

cédente la forme d'un coin, mais à direction opposée et de dimensions moindres.

La grosse extrémité est à gauche, le bord tranchant à droite. Elle donne nais-

sance à une apophyse ostéophytique en forme d'aile de six centimètres de

longueur sur trois centimètres de largeur. Elle est implantée en arrière ; l'ex-

trémité libre est en avant, sa face supérieure, lisse en grande partie, présen-

tant en d'autres points des trous et des cavités, continue la circonférence du

corps de la vertèbre ; sa face inférieure est rugueuse, elle prolonge la face in-

férieure de la vertèbre, rugueuse elle aussi ; son bord externe enfin, finement

dentelé vient s'articuler par engrènement avec le bord correspondant de l'os-

téophyte fournie par la cinquième lombaire. C'est grâce à cette disposition pa-

thologique que les deux coins formés par la troisième et par la quatrième lom-

baires reposent tous les deux sur la dernière lombaire. C'est encore à cause

de cet écrasement partiel et de sens opposé des deux vertèbres, que la colonne

lombaire s'infléchit à gauche et se projette en arrière. 11 ne reste de trace de

cartilage articulaire que dans le tiers gauche de la face supérieure de cette ver-

tèbre : les deux tiers droits en sont dépourvus, ils sont dépolis. L'apophyse

épineuse correspondante est volumineuse. Les apophyses articulaires supé-.

Heures sont fortes; les inférieures et en particulier la droite très diminuées

de volume. Les apophyses transverses sont aussi très réduites.

Le corps de la deuxième vertèbre lombaire (PI. XIX,G, Li' ) est aplati et la ver-

tèbre ne mesure que deux centimètres et demi de hauteur. Les faces sont obli-

quement dirigées l'une vers l'autre, de gauche à droite, sans se rejoindre et se

144 JEAN ABADIE

confondre cependant, et sans donner il l'os la forme de coin qu'affectent les

vertèbres sous-jacentes. La face supérieure, il part son inclinaison,est normale.

Le bord supérieur est dentelé. La face inférieure est large : elle mesure cinq

centimètres et demi de largeur, elle ne présente cependant d'encroûtement car-

tilagineux articulaire que sur un tiers de sa surface. La gouttière transversale

du corps vertébral est normale dans sa plus grande partie, mais dans son tiers

droit, elle donne insertion à une production osseuse. Cet ostéophyte recouvre

par sa face inférieure l'extrémité tranchante de la troisième lombaire ; cette

face inférieure de )'ostéophyte est dépolie et spongieuse, la.surface supérieure

au contraire est lisse, elle s'étend jusque sur la quatrième lombaire et les deux

bords correspondants viennent au contact. Les apophyses épineuses transverses,

articulaires présentent les mêmes caractères que celles des vertèbres sous-ja-

centes ; elles sont cependant moins accusées ici.

La première vertèbre lombaire, les quatre dernières dorsales n'offrent rien de

bien saillant à signaler. Leurs bords présentent par endroits quelques dentelu-

res ; ils sont tantôt mousses, tantôt tranchants. La gouttière transversale du

corps est plus excavée qu'ri l'état normal. Les apophyses épineuses sont fortes

et rugueuses. Les apophyses articulaires ont des surfaces cartilagineuses plus

étendues. Tous ces caractères ont leur minimum au niveau de la première lom-

baire et croissent an sur et à mesure qu'on se rapproche de la huitième dorsale.

La huitième et la septième vertèbre dorsale (PI. XIX, G, DVIII et nVII) offrent

un caractère important : elles sont soudéees l'une à l'autre par toute l'étendue

de leurs bords et de leurs faces correspondantes, sauf sur une surface de deux

centimètres environ droite et en arrière. Les pédicules, les apophyses épineu-

ses sont unis aussi entre eux et complètement. Par suite de cette coalescence,

le trou de conjugaison compris entre les deux vertèbres est moins arrondi et

moins large qu'à l'état normal.

Le reste de la colonne vertébrale esta peu près normal : on rencontre cepen-

dant encore quelques dentelures des bords, des surfaces osseuses rugueuses,

garnies d'aspérités ou tapissées de fines cannelures. Partout, les trous de con-

jugaison sont largement perméables. Il en est de même de tous les trous rachi-

diens et le canal vertébral, malgré ses indexions est partout largemeut perméa-

ble. Il est plus rétréci cependant au niveau de la troisième et de la quatrième

vertèbre lombaire.

Tous les os sont remarquablement légers, et poreux : ils s'effritent facilement.

(A suivre.)

FACULTÉ DE MÉDECINE DE MONTPELLIER.

(CLINIQUE DE M. LE P' GRASSET).

LES AR TRHOPATHIIJS TABÉTIQUES ET LA

RADIOGRAPHIE,

PAR

LE D' GIBERT,

Chef de clinique médicale à l'Université de Montpellier.

La radiographie a apporté à l'étude des arthropathies tabétiques des

éléments d'analyse de la plus haute importance. En fournissant à l'ana-

tomo-pathologie des faits nombreux, dont la rigueur d'exactitude est pres-

que aussi grande que celle des nécropsies ; en révélant le diagnostic dans

certains cas douteux de tabes frustes ou de tabes au début, en le complé-

tant d'autres fois dans son expression lésionnelle, la radiographie a beau-

coup enrichi cette intéressante question (1).

Cette note a pour but d'exposer, à la lumière de quelques observations

personnelles illustrées de radiographies, certains détails anatomiques des

arthropathies tabétiques. Nous montrerons, sans y insister, et selon la

doctrine de notre maître, M. le professeur Grasset, qu'il y a place, à côté

des labes sensitifs, des tabes moteurs et des tabes mixtes sensitivo-mo-

teurs, pour des tabes trophiques, véritables ataxies de nutrition. Dans ces

cas, il semble que l'affection médullaire, fruste par ailleurs, s'épuise dans

la lésion ostéo-articulaire, rapide, intensive et indolente, à la manière de

ces tabétiques amaurotiques dont la cécité marque du même coup le dé-

but et la fin des accidents nerveux.

Observation I.

Racariés, berger, 48 ans, entre le 8 octobre 1898, salle Fouquet, n° 19.

Antécédents héréditaires. - N'a connu ni son père ni sa mère.

(1) Nos radiographies sortent du laboratoire radiographique de MM. Imbert et Ber-

tin-Sans qui ont bien voulu nous en permettre la publication.

146 GIBERT

Lui-même est d'une bonne santé habituelle. Il exerce depuis très longtemps

la profession de berger et n'est entaché ni d'alcoolisme, ni de tabagisme, ni

d'aucune maladie vénérienne.

Histoire de la maladie. - En 1896, il ressent les premières douleurs ful-

gurantes dans les membres inférieurs et bientôt après il perd la direction de ses

jambes, surtout dans l'obscurité. De temps en temps il fléchit sur lui-même et

tombe. ' '

En 1897, un an après le début de ces troubles nerveux, il commence à boiter

du côté droit. Etonné de ce phénomène qu'aucun traumatisme ne lui explique,

il examine son membre inférieur et s'aperçoit que sa cuisse est toute déformée.

La hanche est devenue énorme, sans qu'il s'en doute et sans qu'il, en souffre,

et dans l'aine il constate une série de petites glandes dures.

En octobre 1898. la tuméfaction de la hanche prenant un développement de

plus en plus considérable, il se décide entrer dans le service de notre maître

M. le professeur Grasset, où nous notons les détails suivants :

a) Motilité. - Les membres supérieurs sont normaux. Le malade marche

avec peine, à cause de son ataxie et du raccourcissement de sa jambe droite,

que ne compensent pas suffisamment les courbures de la colonne vertébrale et

l'inclinaison du bassin.

b) Sensibilité. - Aux membres inférieurs, douleurs fulgurantes et sensation

de boue molle sous les pieds. Le long du bord cubital du bras gauche, sensa-

tion de fourmillements. Dysesthésie. Perte complète du sens musculaire. Hy-

potonie manifeste. Signe de Romberg. * -

c) Réflexes rotuliens et réflexes du tendon d'Achille abolis. Le phénomène

des orteils n'existe pas.

d) Les pupilles sont inégales et irrégulières. Signes d'Argyll-Nobertson. Ni

diplopie, ni amblyopie.

Les autres organes des sens ne présentent aucun trouble morbide, sauf le

sens génésique entièrement disparu.

e) Troubles viscéraux. - Crises de diarrhée. Déjà, à deux reprises, ictus

laryngé : le malade se sent serré il la gorge, perd connaissance, tombe et s'agite

convulsivement. La durée de cette crise est très courte, le malade n'en con-

serve aucune souvenance.

Troubles trophiques. - Le membre inférieur droit est le seul atteint dans

sa trophicité. L'articulation de la hanche et le fémur ollrent à l'examen des

lésions considérables.

On est tout d'abord frappé par l'incurvation très prononcée du fémur qui

présente une courbure à convexité tournée en avant et en dehors. Le tiers in-

férieur et le tiers supérieur de cet os portent d'énormes exostoses sur leur

bord interne.

L'articulation de la hanche est occupée par une masse dure, lisse, globuleuse,

indolente, du volume d'une grosse orange. Les mouvements de l'articulation

se font dans toute leur étendue, ils déterminent des craquements.

Le membre inférieur droit est raccourci de quatre travers de doigts environ.

Nouv. Iconographie de la SALPÉTRIL`RL T. XIII. PI. XXI

Observation I. R... Ostéo-arthrop,nl.il : de la hanche droite et exostoses du fémur droit.

ARTHROPATHIES TABETIQUES

(Gibert)

Masson & Cil, éditeurs

LES ARTRIIOPATRIES TABÉTIQUES ET LA RADIOGRAPHIE 147

Il est difficile de dire, étant donné l'englobement de l'épiphyse fémorale et de

l'articulation coxale par les néoformations osseuses, si on a affaire à une frac-

ture du col, à une luxation ou à la combinaison de ces deux lésions. La radio-

graphie ci-jointe vient heureusement compléter le diagnostic (PI. XXI).

Le fémur droit est incurvé et sa convexité regarde en dehors.

Aucune opacité ne révèle l'existence de la tête et du col de l'os qui est re-

monté de quatre travers de doigt environ. Le large espace existant entre la

cavité cotyloïde et le corps du fémur a une transparence assez uniforme et sen-

siblement égale à celle des tissus non osseux. Les bords de la cavité articulaire

manquent de netteté et paraissent le siège d'altérations qui ont atteint les régions

voisines.

Sur le bord interne du fémur apparaissent deux exostoses volumineuses, de

formes et de dimensions différentes. La première prend naissance à quelques

centimètres au-dessous du petit trochanter ; son ombre conique, dirigée en

dedans presque normalement au corps de l'os, est analogue à celle d'un tissu

osseux compact. La seconde, de dimensions plus grandes, paraît formée de

lamelles osseuses irrégulières que l'on peut suivre sur une longueur de 15 à

18 centimètres et sur une largeur de 4 à S centimètres et qui sont,vers le bas,

nettement séparées du corps du fémur; l'opacité en est variable suivant les

régions, mais en général assez peu marquée, ce qui indique soit un tissu osseux

raréfié, soit plutôt, d'après l'aspect du cliché, une épaisseur faible.

Entre ces deux exostoses, le bord interne du fémur apparaît simplement

comme épaissi.

Le bord externe de l'os présente une seule exostose qui prend naissance un

peu au-dessous du niveau du petit trochanteur et se dirige, parallèlement au

corps de l'os, vers le bas où l'on peut nettement la suivre sur une longueur de

5 à 6 centimètres : sa largeur est d'un centimètre environ. '

Observation II.

Le 23 avril 1899 entre à la salle Achar'd-Esperonnier une nommée Anaïs A...,

âgée de 40 ans, se plaignant d'impotence absolue des membres inférieurs.

Dans ses antécédents personnels, on retrouve une syphilis conjugale bien

nette. Elle a eu neuf grossesses, dont cinq normales et quatre fausses couches

Tous ses enfants sont morts en très bas âge ; un seul a vécu jusqu'à 14 mois,le

dernier, mais il a succombé à une éruption généralisée et à du mal dans la

bouche.

Lo premier phénomène en date, dans l'histoire de sa maladie, est une diplo-

pie, qui dura un mois et disparut sans traitement, il y a 3 ans environ. Peu

après, elle a souffert de douleurs fulgurantes dans les jambes et dans les

genoux ; enfin, au cours de sa dernière grossesse, qui se termina par l'expul-

sion d'un foetus mort et macéré (il y a deux ans), elle avait de terribles crises

de tenesme rectal et vésical.

Après ses couches, elle ressent comme une ceinture de fer qui l'étreint au

148 GIBERT

niveau des reins et du bas-ventre. Ses jambes deviennent lourdes de plus en

plus, sans être ataxiques toutefois; il lui semble marcher sur du coton. Dans

l'obscurité, il lui est impossible de se mouvoir. En 1897 (après une saison à

Lomalou ! ), son état s'aggrave, en peu de temps l'impotence devient absolue,

tandis que sa hanche gauche prend un développement excessif,. très rapide et

tout à fait indolore.

Il y a 6 mois enfin, dans les mêmes conditions d'indolence, de rapidité et

d'exubérance, le genou droit se prend il son tour. En peu de jours, il devient

monstrueusement gros.

Nous relevons, dans notre examen, les particularités suivantes : douleurs

en ceinture, fourmillement dans le petit doigt du côté gauche. Sensibilité dimi-

nuée, à tous les modes, dans les membres inférieurs. Anesthésie oculaire, pas

d'anesthésie pharyngée. Les réflexes tendineux sont abolis. L'hypotonie est

remarquablement accentuée. Les jambes sont impotentes, bien plus du fait des

arthropathies que par atrophie musculaire.

Les sphincters ont une certaine tendance parétique. Les dernières gouttes

d'urine sont perdues dans la chemise ; les lavements ne peuvent pas être

gardés.

Les troubles trophiques dominent tout ; ils consistent en deux énormes

arthropathies.

La hanche gauche est occupée par une immense tuméfaction arrondie, non

bosselée, dure, dont les limites sont difficiles à préciser à cause des parties

molles très épaisses. C'est pour ce même motif que la radiographie n'a pas pu

nous fournir une épreuve convenable.

Le genou droit est de la grosseur d'une tête d'adulte, il est uniformément

tuméfié. A la palpation, on sent une masse dure épaississant, semble-t-il, le

plateau tibial et les condyles fémoraux. La rotule est refoulée en avant par du

liquide intra-articulaire. Les mouvements de latéralité sont très marqués.

La cuisse est le siège d'un oedème dur où le doigt s'enfonce avec difficulté.

La jambe et le pied ont leur volume normal.

La radiographie est venue nous montrer que la tuméfaction osseuse, que

nous avions crue si considérable, est en somme de peu d'importance (PI. XXII).

Les os ont à peu près un volume normal et sont pareils à ceux du côté sain.

Mais, dans les tissus péri-articnlaires (ligaments, tendons, parles molles),

sont semés des ilots osseux, indépendants les uns des autres et à des distances

diverses de l'articulation. Il parait en exister dans l'interligne articulaire d'une

part et entre la face antérieure du fémur et la rotule d'autre part.

Observation III.

C... Françoise, 40 ans, cuisinière, entrée à la salle Achard-Esperonnier, le

13 mai 1899, pour des troubles de la marche.

Dans sa famille, rien de pathologique à noter. Pas de nervosisme, pas d'al-

coolisme, pas d'aliénation mentale. Elle-même n'a jamais eu d'autre maladie

Nouv. Iconographie DE la Salpétricrt T. XIII. PI. XXII

Observation 11. - Ostéo-arthropathie du genou droit vu par la face latérale externe.

Observation IL - Les deux genoux vus par leur face postérieure.

arthropathies tabétiques

(Gibert)

Masson & Ci,, Editeur*

LES ARTHROPATHIES TABÉTIQUES ET LA RADIOGRAPHIE 149

que celle qui l'amène auprès de nous. Elle nous dit ce fait curieux que ses

règles se sont supprimées, sans cause aucune, à de 25 ans. L'enquête est

entièrement négative en ce qui concerne la syphilis.

L'histoire de sa maladie est bien intéressante à connaître. A 28 ans, c'est-à-

dire depuis douze ans, sont survenues des douleurs en éclair dans les jambes.

Mais ces douleurs, quoique violentes, étaient assez rares pour que la malade

pût vivre normalement et exercer son métier ; lorsque, il y a 18 mois, en se

levant la nuit pour aller sur le vase, elle entend un craquement et ressent une

petite douleur dans l'aine droite. Elle n'attache pas d'autre importance à cet

incident, se recouche et se rendort. Mais le lendemain, au saut du lit, elle

s'aperçoit que sa jambe droite est énorme, elle essaie quelques pas, mais elle

prend peur en voyant qu'elle boite atrocement et se recouche. Pendant 3 ou

4 jours, sa jambe est restée, de la hanche au cou-de-pied, enflée, blanche, in-

dolore. Après quelques jours, elle se lève, et depuis lors, marche en boitant.

Actuellement, au niveau de la hanche droite, on constate des exostoses con-

sidérables qui déforment assez la région pour que le diagnostic entre la luxa-

tion et la fracture du col, avec col difforme, soit cliniquement impossible. Sur

le pubis, on trouve également des tumeurs dures, de volumes divers, faisant

corps avec l'os.

Le membre inférieur droit est atrophié dans son ensemble, et il présente

un raccourcissement d'un travers de main environ.

Les autres signes du tabes chez cette malade, sont : l'abolition des réflexes

rotuliens et du tendon d'Achille, le signe d'Argyll-Robertson, le signe de Rom-

berg à un degré très léger, l'engourdissement fréquent du petit doigt et du bord

cubital de l'avant-bras des deux côtés, enfin des douleurs fulgurantes. Pas

d'ataxie.

La radiographie montre qu'il y a disparition de la tête et du col du fémur,

et déformation de la cavité cotyloïde et des parties avoisinantes.

Le fémur est remonté vers la fosse iliaque de telle sorte que le petit trochan-

ter se trouve au niveau de l'ancienne cavité cotyloïde.

Entre le fémur d'une part et le bassin d'autre part existe un espace relati-

vement clair, de 2 ou 3 centimètres de largeur moyenne, qui paraît occupé par

un tissu osseux raréfié, ou bien par un tissu osseux désagrégé.

Sur le côté externe du fémur, au niveau du petit trochanter, prend nais-

sonce une exostose assez volumineuse terminée en pointe à sa partie inférieure.

Entre le bord interne du fémur et le bassin, se trouve une masse osseuse irré-

gulière d'opacité normale.

Observation IV.

D... Fulcrand, 50 ans, entré le 25 mai 1899 à la salle Fouquet pour un

oedème généralisé.

Les antécédents héréditaires sont peu intéressants : son père est mort subi-

tement, sa mère est nerveuse. Il a une fille en bonne santé.

xut 10

150 GIBERT

Personnellement, il n'a jamais eu d'autre maladie qu'un mal perforant plan-

taire à droite, apparu à l'âge de-26 ans, et disparu il y a ans seulement. De

conduite très sage, nous affirme, avec beaucoup de sincérité, qu'il n'a jamais

eu aucune maladie de femme.

Il nous raconte que, sans aucune raison apparente, son genou gauche s'est

subitement enflé, il y a quatre ans. Bien qu'il ne souffrît que de la gêne que

cette tuméfaction énorme apportait dans la marche, il consulta plusieurs méde-

cins, et fut, sans doute considéré comme atteint d'arthrite tuberculeuse. En

effet on l'immobilisa, on lui fit de la compression, des pointes de feu, enfin, il

y a deux ans, on lui proposa l'amputation.

Plus il va, nous dit-il, plus le genou devient gros et plus la boiterie s'accen-

tire.

Enfin, depuis 3 ou 4 mois, un phénomène nouveau est venu se greffer sur

cet état chronique, à savoir une enflure à début par les jambes, et vite généra-

lisée à tout le corps.

A notre examen, nous le trouvons en pleine anasarque.

Les jambes sont démesurément enflées, et on y constate de vastes troubles

trophiques : éruptions polymorphes, ulcères. Les bourses sont grosses, le vi-

sage lui-même est bouffi. Enfin, les urines contiennent 4 gr. 50 d'albumine

par litre.

Le genou gauche, enveloppé d'une cuirasse d'oedème dur, est d'une palpation

difficile; la rotule est perdue dans une monstrueuse tuméfaction, dure, lisse,

arrondie, où la place et la grosseur respective du tibia et du fémur sont im-

possibles à fixer. Le genou gauche a 50 centimètres de circonférence, tandis

que.le genou droit mesure 40. La jambe du côté gauche est plus courte de

0,10 centimètres.

Notre première idée diagnostique, en voyant cette anasarque récente entée

sur une vieille arthrite du genou pour laquelle on avait proposé l'amputation,

fut de rattacher l'ensemble des symptômes a une bacillose.

Mais le thorax était sain, il n'y avait pas de pus dans les urines, l'article ne

s'était pas fistulisé depuis quatre ans que durait son affection ; enfin, peu satis-

faits par ce diagnostic, nous cherchâmes le tabes et nous parvînmes à le dé-

montrer.

Depuis vingt ans, il ressent dans les membres inférieurs, a intervalles éloi-

gnés, des douleurs très passagères, mais très vives, en éclairs ; à plusieurs

reprises, il a eu la sensation de coton sous les pieds. Tout cela ne l'a pas em-

pêché de marcher très bien jusqu'au moment de son arthropathie.

Son réflexe rotulien est aboli à droite, impossible à déterminer du côté gau-

che.

Les pupilles sont immobiles à la lumière et à l'accommodation.

Tous ces signes n'ont pas une très grande netteté, mais leur rapprochement

permet toutefois d'édifier le diagnostic de tabes. Du reste la radiographie ci-

jointe montre une arthropathie tabétique tout à fait classique (PI. XXIII).

Le plateau tibial et les condyles fémoraux sont le siège d'hyperplasies osseu-

Nous. ICONOGNAPHI1' DE la Salpêtrilrf T. XIII. PI. XXIII

Observation IV. - D. F Ostéo-artliropatliie du genou gauche.

ARTHROPATHIES TABETIQUES

(Gibert)

Mrt ? oti & CI,. Editeurs

LES ARTHROPATHIES TABÉTIQUES ET LA RADIOGRAPHIE 151

ses-considérables. Les surfaces articulaires taillées en biseau de haut en bas et

d'arrière en avant ont permis à l'articulation de se luxer, ce qui explique l'é-

norme raccourcissement.

Dans ce cas, à part les faces articulaires usées obliquement, on peut dire

que le type est nettement hypertrophique.

Le gros fait anatomique qui frappe, en considérant nos radiographies,

c'est la disparition ou la déformation des surfaces articulaires coïn-

cidant avec une hyperplasie exubérante des parties osseuses juxta-articu-

laires.

La déformation est constituée tantôt par l'effacement d'une cavité arti-

culaire, tantôt par l'aplatissement d'une tête normalement arrondie.

Quelquefois l'articulation disparaît au milieu des-néoformations ; d'autres

fois, les facettes articulaires ont conservé leur intégrité morphologique et

les nouvelles productions osseuses se font aux alentours de l'article.

Quant à l'hyperplasie juxta-articulaire, elle ne se prête à aucune des-

cription, parce qu'elle est folle dans ses allures. Tout ce qu'on peut ima-

giner de plus monstrueux comme dimension, de plus varié comme position

se réalise dans ces sortes d'ostéopathies.

Les ostéophytes se produisent même au loin de l'articulation, sur les

os voisins ; on en trouve sur les os longs ou sur les os plats avoisi-

nants.

Enfin, il est un dernier mode non encore décrit du processus anatomi-

que. Il est relatif à notre observation IV. Ce n'est plus par accroissement

progressif et continu des épiphyses que se produit ici l'altération arti-

culaire, c'est par la formation d'ostéophytes dans les tissus péri-articu-

laires.

Il est probable que, par leur accroissement respectif, ces noyaux, d'a-

bord séparés les uns des autres, finissent par se confondre, de façon à

former une tumeur unique. On ne saurait cependant affirmer qu'ils ne

soient déjà réunis, au moment de notre examen, par des travées esseuses

assez minces pour échapper à l'ombre radiographique.

Toutes nos ostéo-arthropathies ressortissent au type hypertrophique ou

au type mixte, à la fois atrophique et hypertrophique. Elles sont appa-

rues 16 ans, 12 ans, 3 ans et 2 ans après le début des douleurs fulguran-

tes. Sans être un phénomène précoce du tabes, elles en ont toujours été

le symptôme révélateur pour nos malades, et toujours elles ont dominé

par leur brutalité et leur monstruosité la scène clinique. C'est pour

leurs arthropathies que nos sujets sont entrés dans le service et c'est par

152 GIBERT

elles que nous avons fait le diagnostic deux fois sur quatre (Observ. III

et IV).

Il est, en effet, très remarquable de noter qu'à part ces troubles trophi-

ques essentiels, le tabes s'est manifesté chez ces malades d'une façon très

anodine : quelques rares douleurs fulgurantes sur lesquelles ils n'atti-

raient pas spontanément l'attention, un peu de tapis sous les pieds et, une

seule fois, une légère ataxie.

Nous sommes donc en droit d'admettre l'existence d'un tabes trophi-

que, tout en reconnaissant que des troubles sensitifs viennent le plus sou-

vent se joindre aux troubles de nutrition, comme Brissaud le premier en a

fait la juste remarque.

Ces faits invitent à supposer la présence dans un point encore inconnu

de la moelle d'un centre trophique dont l'excitation a pour conséquence

l'hyperplasie osseuse, tandis qu'une cause agissant en sens inverse entraîne

de l'atrophie ostéo-articulaire.

On peut d'ores et déjà penser que ce centre, étant données les associa-

tions fréquentes de troubles sensitifs aux troubles trophiques, se trouve

dans un territoire médullaire voisin de l'appareil sensitif.

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX.

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE.

LA POLYNÉVRITE SYPHILITIQUE,

PAR

R. CESTAN,

Chef de Clinique des maladies du Système Nerveux.

A l'heure actuelle, nous avons une connaissance à peu près complète

de l'histoire anatomo-clinique de la tuberculose du système nerveux

dans ses localisations aussi bien cérébro-médullaires que périphériques.

Dans ce dernier groupe de localisation on distingue même, d'une part,

des névrites localisées dues à une altération localisée d'un nerf par un

produit tuberculeux qui l'englobe, le comprime ou le détruit (ostéite,

pachyméningite, adénite, etc...), d'autre part, des polynévrites sensitivo-

motrices aiguës ou subaiguës que t'expérimentation-et l'examen bacté-

riologique nous montrent développées non par l'action du bacille lui-

même, absent dans les nerfs altérés, mais par l'action de la toxine qu'il

sécrète. C'est donc dans toutes ses parties constitutives, motrice et sensi-

tive, centrale et périphérique, que le système nerveux est lésé par la tu-

berculose. En est-il de même pour la syphilis et pourrions-nous sur le

plan que nous venons d'indiquer pour la tuberculose étudier les mani-

festations nerveuses de la syphilis ? ' !

L'histoire anatomo-clinique de la syphilis des centres nerveux a été ap-

profondie dans ces dernières années et de nombreux travaux nous ont

appris aussi bien le tableau clinique que les détails histologiques des dif-

férentes manifestations de cette syphilis. Il en est au contraire, tout au-

trement des altérations névritiques. Notre ignorance sur ce chapitre par-

ticulier est suffisamment expliquée par la rareté des al térations névrj tiques,

tandis que, contraste singulier, tous les syphiligraphes reconnaissent la

prédilection remarquable de la vérole pour l'axe cérébro-spinal ; d'ailleurs,

la bénignité du tableau clinique des manifestations périphériques que fait

souvent disparaître un traitement énergique empêche par cela même toute

étude anatomique et pathogénique. Cependant l'existence de toubles ner-

veux dus à l'altération des nerfs périphériques par la syphilis est indiquée

depuis longtemps par les cliniciens. Les névralgies de la période secon-

't54 ' R. CESTAN

daire ou tertiaire qui.intéressent tout particulièrement le sciatique ont

été bien étudiées par Vaulpré, Dubois, Fournier, Dieulaspy pour ne citer

que des travaux français.

Nous connaissons en outre fort bien l'existence de certaines paralysies

localisées atteignant surtout le facial et le cubital, paralysies étudiées par

Buzzard, Fournier, Boix, Brunsgaard, Gaucher, Champenier. Existe-t-il

par ces formes localisées une pathogénie semblable à celle des névrites

localisées tuberculeuses ? Faut-il admettre en un mot que le nerf a été lésé

soit dans son passage à travers l'enveloppe dure-mérienne ou sur tout autre

point de son trajet par une lésion syphilitique de voisinage qui l'englobe ou

le comprime ? tette théorie paraît bien vraisemblable pour la paralysie

faciale qui peut s'accompagner d'autres accidents dus à une méningite

de la base; d'ailleurs, par son long trajet intra-pétreux le nerf facial est

tout particulièrement exposé à la compression. Caradec a mentionné aussi

le cas d'une sciatique du poplité interne chez un syphilitique causée par

des névromes qu'un traitement mixte aurait fait disparaître et avec eux

la sciatique. Enfin Brunsgaard et Barthélémy auraient constaté dans la

paralysie du cubital à la période secondaire une hypertrophie du cubitus,

hypertrophie qui serait la cause probable de la névrite du cubital et dont

un traitement mixte aurait eu facilement raison. Cependant M. Gaucher a

apporté des observations de névrite cubitale qui ne paraissent pas expli-

quées par ces divers mécanismes, méningite, gommes des nerfs, ostéite, et

le mécanisme de la paralysie isolée ducubital resterait doncencore inconnu.

Au surplus, ne possédant pas d'observations personnelles pour aborder son

étude avec fruit, nous renvoyons à la thèse de M. Champenier oic l'on trou-

vera les observations publiées comme exemple de névrite cubitale. Nous

désirons étudier ici une manisfestation beaucoup plus rare, la polyné-

vrite syphilitique.

Les documents que nous avons pu réunir sont peu nombreux ; si. plu-

ssieurs auteurs ont publié deci-delà des observations de polynévrite sy-

philitique, il n'existait pas encore sur ce sujet un travail d'ensemble cri-

tique. Sans avoir la prétention de résoudre le problème de la nature de

la polynévrite syphilitique, problème dont nous montrerons la com-

plexité, nous avons eu cependant plaisir à aborder son étude, ayant la

possibilité d'y contribuer par deux observations très intéressantes, dont

une due à l'obligeance de notre excellent maître, le Dr Babinski, apport

suffisant eu égard au nombre très restreint de polynévrites syphilitiques

publiées jusqu'à ce jour. Nous allons exposer les observations que nous

avons réunies et essayer ensuite d'en dégager l'histoire de la polynévrite

syphilitique.

LA POLYNÉVRITE SYPHILITIQUE 155

Cas. I. - Personnelle (Service de M. le professeur Raymond, à la Salpêtrière).

Résumé clinique : Syphilis ,grave le 1. cr mai 4899, apparition de la paralysie

des extenseurs du poignet le 14 nzai ; atrophie musculaire avec DR ; absence

de troubles de la sensibilité et des sphincters. Amélioration Unie par un 19'ai-

tement iodo-mercuriel.

Boet... Eugène, 34 ans, paveur. Pas d'antécédents héréditaires nerveux. Père

et mère morts à 58 et 56 ans de maladie aiguë. 5 frères et soeurs vivants et

sans maladie nerveuse.

Pas d'antécédents personnels. Pas d'alcoolisme. Pas d'intoxication. Homme

sobre. Né à Paris qu'il n'a jamais quitté. A toujours fait le métier de paveur. La

maladie actuelle est la première maladie.

Le 1. cr mai 1899, trois semaines après un coït suspect, chancre induré de la

verge à caractère nettement syphilitique et bientôt apparition d'accidents secon-'

daires ; alopécie très étendue, sypbilideectbymateuse maligne avec fièvre syphi-

litique et subdélire vers le 10 mai. On donne des pilules mercurielles qui ne pro-

voquent pas de la salivation.L'état général du malade continue à s'aggraver, le

délire persiste et le 14 mai apparition de la paralysie dans la main droite qui

devient tombante ; bientôt apparition de la paralysie dans la main gauche et ces

troubles sont survenus sans douleurs, sans engourdissements. Le malade ne

pouvait manger seul à cette époque. Pas de troubles de sphincters, pas de

douleurs dans les jambes. La fièvre continue et avec elle le délire; ce délire

ne présentait pas les caractères du délire alcoolique, sans hallucinations, sans

troubles de la mémoire. Les urines ne renfermaient pas d'albumine et le foie

n'était pas douloureux. Le malade continue à prendre des pilules jusqu'à la

fin juin, époque où on lui fait 12 injections de peptonate de mercure. Le malade

se met alors à tousser et bientôt on constate une pleurésie double qui disparaît

bientôt toute seule. Les injections solubles de mercure paraissent améliorer la

paralysie de la main droite qui récupère quelque mouvement tandis que la pa-

ralysie de la main gauche persiste. Il entre le 10 août à la Salpêtrière.

Etat le 10 août 1899,. - Homme un peu cachectique, pâle, amaigri. La sy-

philis se manifeste par une éruption cicatricielle dont la photographie montre la

disposition et l'intensité des adénopathies multiples inguinales, épitroch léennes,

rétrocervicales, une alopécie caractéristique, une cicatrice à la place du chancre.

Il n'existe ni plaques moqueuses, ni céphalées. On ne peut constater un reliquat

de la pleurésie double ; les urines renferment un peu d'albumine qui a cédé

rapidement à un traitement iodo-mercuriel intensif et au régime lacté. En résu-

mé, le malade paraît être très sérieusement syphilisé.

Du côté du système nerveux, nous constatons une intégrité de la muscula-

ture de la joue et les yeux, des pupilles normales, l'absence de troubles intel-

lectuels. Le malade se plaint d'une légère fatigue dans la marche, mais on ne

constate ni steppage, ni abolition des réflexes des tendons rotulien et d'Achille

ni signe de Romberg,ni signe de Lasègue, ni douleurs spontanées ou provoquées

des masses musculaires du mollet, ni trouble de la sensibilité objective. Les

156 R. CESTAN

sphincters sont intacts. Bref l'attention est attirée immédiatement par l'aspect des

mains (PI. XXIX). Les mains sont tombantes comme dans la paralysie saturnine

mais disons immédiatement que le long supinateur est intéressé. est impossible

au malade de redresser le poignet; il peut à peine ramasser les objets et les petits

muscles des mains sont pris, beaucoup plus à gauche qu'à droite. La flexion

de l'avant-bras sur le bras est très faible, de même l'élévation des deux bras.

11 existe une atrophie des petits muscles des mains et des muscles de l'avant-

bras, mais tout particulièrement des muscles innervés par le radial. Les réflexes

osseux et tendineux du poignet sont abolis. On ne constate ni douleurs le long

des trajets nerveux ou dans les masses musculaires, ni troubles de la sensibi-

lité, ni troubles trophiques. En résumé, le malade est atteint de polynévrite

motrice des membres supérieurs à prédominance dans le territoire du radial.

On institue un traitement électrique galvanique et un traitement iodo-mercuriel.

L'état général du malade devient rapidement meilleur, l'albumine disparaît, l'é-

ruption syphilitique s'atténue et le malade engraisse à vue d'oeil. Mais les trou-

blès moteurs s'amendent moins rapidement. En octobre 1899, la-main droite a

repris un peu de force tandis que la chute du poignet persiste encore à gauche.

En janvier le malade quitte la Salpêtrière conservant une légère paralysie de

la main droite et une paralysie plus accentuée de la main gauche. Ainsi sous

l'influence du traitement iodo-mercuriel nous avons obtenu une amélioration

aussi bien de l'état général que des troubles moteurs.

M. le docteur Huet a bien voulu pratiquer il plusieurs reprises l'examen élec-

trique des muscles et des nerfs de notre malade et nous allons résumer les ré-

sultats obtenus.

Membres supérieurs. - Le le, examen pratiqué le 30 août 1899 avait mon-

tré la bonne conservation des réactions électriques et l'absence de DR dans le

domaine des nerfs axillaires et des nerfs musculo-cutanés des deux côtés.

Médian. - A droite, pas de DR, à gauche DR partielle dans les muscles de

l'éminence thénar,le petit palmaire et le fléchisseur commun.

Cubital. - Pas de DR ni à droite ni à gauche.

Radial. - A droite, DR dans tous les muscles de l'avant-bras ; le triceps

étant intact. A gauche, DR dans tous les muscles de l'avant-bras et dans le tri-

ceps.

' Le 26 examen pratiqué en décembre 1899 a montré :

Nerfs axillaires, nusculo-cutaaé et cubitaux. - A droite et il gauche absence

de DR. '

Médian. - A droite. pas de DR, à gauche, DR en voie de régression dans

les muscles de l'éminence thénar ; elle avait presque disparu dans le fléchisseur

commun superficiel.

Radial. - A gauche, DR encore très prononcé sur le court et long extenseur

du pouce et les extenseurs propres de l'index et du petit doigt. Elle avait dis-

paru dans le long supinateur ne laissant plus que de t'bypocxcitabitité fara-

dique et galvanique ; elle n'était que partielle dans le long abducteur du pouce,

le cubital Rosteneur et l'extenseur commun des doigts. Les traces de DR cons-

tatées dans le triceps avaient disparu, ne laissant plus que de l'hypoexcitabilité.

Nouv. Iconographie DE la S.11.PC'IRII`.RG T. XIII. PI. XXIV

POLYNEVRITE SYPHILITIQUE

(R. Cestan)

Masspn-4 Ci°, Editeurs

LA POLYNÉVRITE SYPHILITIQUE 157 Î

Circonflexe. - Dans la partie postérieure du deltoïde gauche, hypoexcitabi-

lité surtout pour les réactions galvaniques.

Membres inférieurs. - L'examen électrique a montré en septembre une

forte hypoexcitabilité dans les muscles antéro-externes, triceps surral et vaste

interne des deux jambes, seuls muscles qui ont été examinés ; on ne constatait

pas de DR. Il est assez vraisemblable d'admettre qu'il y a eu aussi du côté des

membres inférieurs de la DR et que la simple hypoexcitabilité constatée au

moment où l'examen a été fait correspondait à une régression de cette DR hy-

pothétiquemel1 admise.

De la topographie de la DR dans ces divers territoires nerveux et de l'évolu-

tion suivie par les réactions électriques (comme pour la motilité volontaire) il

résulte que le diagnostic de névrites est plus vraisemblable que celui d'altéra-

tions primitivement localisées sur la moelle. Nous reviendrons d'ailleurs sur

ce point particulier.

OBs. IL - Personnelle (Service de M. Babinski à la Pitié).

Résumé : Syphilis le le, octobre 1895 ; début de la paralysie le Il octobre ; atro-

phie musculaire avec DR, absence de troubles de la sensibilité et des sphincters.

Amélioration par le traitement mercuriel.

Poth..., 27 ans, journalier.

Mère aliénée. Père et deux frères bien portants. Pas d'antécédents person-

nels graves.

A l'âge de 25 ans, le 1er septembre 1895, chancre induré du fourreau peu

induré, de telle sorte que le médecin n'ordonne pas un traitement mercuriel.

Le ler octobre 1895, fièvre, courbature, vertiges, délire, céphalée nocturne et

faiblesse progressive qui oblige le malade à garder le Iit.Le 11 octobre 1895,pa-

ralysie flasque sans douleur des deux jambes et des deux bras mais beaucoup

plus marquée du bras droit. Le malade présente de la rétention d'urine pen-

dant deux jours. Le 15 octobre, les mouvements reviennent dans le bras gau-

che qui était d'ailleurs le moins pris, puis le 25 octobre dans les doigts de la

main droite, enfin le 1er décembre dans l'avant-bras droit. A ce moiiielit-là,c'est-

à-dire deux mois après l'apparition de troubles moteurs, apparition de syphi-

lides de la peau et des muqueuses, syphilidcs qui font découvrir la syphilis seu-

lement à cette époque. Ou fait des frictions mercurielles ; l'éruption cutanée

disparaît, les troubles moteurs s'amendent de telle façon que le 1er janvier 1896

le malade peut marcher avec des béquilles. Il entre dans le service de M. Ba-

binski le le, mars 1896. On constate alors l'intégrité des organes abdominaux.

Du côté du système nerveux, l'attention est attirée par l'atrophie musculaire

du bras et de la jambe droite, atrophie plus marquée à la racine des membres,

bras et cuisse. Le malade marche sans steppage mais se fatigue facilement ; la

résistance aux mouvements passifs est très diminuée surtout à droite. Les ré-

Ilexes tendineux et osseux du bras et de la jambe du côté droit sont abolis. L'exa-

men électrique montre une diminution de l'excitabilité faradique des muscles

du membre inférieur, du deltoïde el du biceps droit, cette diminution existe

158 R. CESTAN

surtout pour les muscles de la face postérieure de la cuisse. A gauche, les cou-

rants galvaniques donnent des réactions normales ; mais droite, dans les

muscles antéro-externes de la jambe, dans les muscles de la face postérieure de

la cuisse, dans les muscles du mollet, on constate avec la lenteur de la secousse

que NFC=PFC'. - Il n'existe ni troubles trophiques, ni troubles de sphinc-

ters, ni douleurs subjectives et objectives le malade accuse une sensation d'en-

gourdissement et de froid au niveau de la main et du pied droit. Les nerfs et

les masses musculaires ne sont pas douloureux à la pression.

' Cas. III. - RODET, Gazette médicale de 1859.

Début en mars un mois après le chancre induré par une douleur sourde dans

les jambes, au niveau des mollets et dans les bras. Parésie progressive ; engour-

dissement de la main droite avec parésie des doigts, à tel point que le malade

ne pouvait plus écrire. Atrophie des muscles des mains, de l'avant-bras droit

avec secouse fibrillaire. Troubles moteurs prédominant du côté gauche du corps.

Amélioration en octobre et guérison définitive en janvier.

OBS. IV. -- SPILLMANN ET ETiENNE, Annales de dermatologie, 1896.

L..., 22 ans, boucher. Pas d'antécédents héréditaires et personnels. En janvier

1895 deux chancres indurés (fourreau et prépuce) avec éruption cutanée et alo-

pécie. Le malade a été traité par 10 injections de peptonate de mercure et a

pris pendant 7 jours deux pilules de protoïodure par jour. Vient consulter en

novembre 1895. Depuis 5 ou 6 mois, le malade ressent des douleurs dans les

membres qui sont d'ailleurs faibles ; depuis 2 mois nouvelle éruption cutanée ;

enfin la faiblesse des jambes augmente tout d'un coup en novembre 1895 et

le malade s'alite.

On constate une éruption syphilitique avec plaques muqueuses buccales et

alopecie. On constate en outre une atrophie musculaire avec paralysie Ilaccide

portant sur les muscles des pieds et des mains, avec prédominance sur les ex-

tenseurs. Impossibilité de relever les orteils,le poignet, de serrer un objet avec

force, d'opposer le petit doigt au pouce ; le malade soulève avec peine les jam-

bes au-dessus du plan du lit. Abolitions des réflexes tendineux. Pas de réac-

tion de dégénérescence. Pas de douleurs spontanées. Diminution prononcée de

la sensibilité tactile au niveau du pied et de la jambe droite ; les sensibilité

thermique est conservée. Sphincters intacts. Pupilles normales. rlpyrexie.Trai-

tement par injection de 1 c.c. d'une mixture à 1/10 de thymol acétate de

mercure. Amélioration progressive ; disparition de l'atrophie, cependant en

mars 1896 le malade steppe encore légèrement.

Oi3s. - V. Fordycc, J. cutan. und venereal Dis., 1861, p 174.

J. B..., 40 ans, usage modéré de l'alcool. Syphilis avec syphilides secondaires

Démarche et station verticale impossible, vacillante, masses musculaires des

jambes douloureuses il la pression avec engourdissements des extrémités. Pa

résie des extenseurs. Abolition des réflexes tendineux.Perte de l'excitabilité des

' LA POLYNÉVRITE SYPHILITIQUE 159

nerfs et R D. Atrophie musculaire. Intégrité des sphincters. Intégrité des sens

spéciaux. Traitement mixte et électricité. Guérison progressive et complète

au bout de 4 mois.

OBs. VI. - Gnosz, Société de dermatologie de Vienne.

Malade prend syphilis en 1896. En 1897, éruption papuleuse disséminée ;

douleur dans la sphère du cubital gauche. Diminution de la sensibilité pour tous

les-modes. Réflexes normaux. Mais, huit jours après, apparition des mêmes

troubles dans le cubital droit. On trouve RD dans l'adducteur du pouce et les

muscles profonds de la main. Bientôt enfin on constate de l'anesthésie dans la

sphère du péroné droit. Amélioration par traitement mercuriel. '

OBS. VII. - MIDDLETON, Glascoio médical Journal, 1896.

Homme de 26 ans. En mai 1893, chancre ; en août 1893, engourdissement

dans le pied gauche, puis incertitude de la marche ; en octobre faiblesse dans

les bras. A cette époque diminution de la force segmentaire des 4 membres, si-

gne de Westphal, signe de Romberg, démarche ataxique. Un traitement iodo-

mercuriel aggrave les troubles nerveux ; le malade s'est rétabli peu à peu.

Ces. VIII. - Raymond, Leçon XXII, 4° série.

P... âgée de 26 ans. Pas d'antécédents. Syphilis en 1896 avec accidents se-

condaires. Traitement pendant 2 mois en 1897. En août 1897 nouveau traite-

ment par 10 frictions mercurielles et iodure de potassium continué jusqu'en

octobre 1897. Entre à Saint-Louis pour une parésie généralisée^avec abolition

des réflexes rotuliens mais sans troubles pupillaires, et sans troubles des sphinc-

ters. Albuminurie abondante. Aggravation rapide des troubles nerveux mal-

gré des injections de calomel. Bientôt paralysie complète des 4 membres avec

atrophie musculaire, douleurs la pression des troncs nerveux mais sans trou-

bles objectifs de la sensibilité. La face se prend à son tour et on fait un nouvel

essai malheureux de traitement mercuriel. Le 23 décembre à la Salpétrière, la

malade présentait une polynévrite généralisée avec atrophie musculaire, pré-

dominant sur les extenseurs du pied, avec participation légère des muscles ex-

ternes de l'oeil (nystagmus paralytique), des muscles du tronc et du facial gau-

che. Hyperesthésie intense des troncs nerveux et des masses musculaires. Pas

de troubles objectifs de la sensibilité. Abolition des réllexes tendineux. Pupilles

et sphincters normaux. Tachycardie et oppression.Le traitement mercuriel donne

de mauvais résultats. Amélioration progressive de la maladie. Electrothérapie.

Disparition de l'atrophie musculaire. Cependant en décembre 1899 le malade

que nous suivons depuis le début de sa maladie, présente encore du steppage.

OUS. IX. - Gilles de la TOURETTE, Les Myélites syphilitiques.

Baillière, 1899.

Bl..... 20 ans. Parents nerveux. Pas de maladie antérieure. Très nerveuse.

Mariée le 16 septembre 1893. Syphilis en octobre 1893 avec accidents secon-

160 ' R. CGSTYN

daires. Traitement antisyphilitique. Le 8 octobre 1834 parésie des jambes et

engourdissements et élancements. Les troubles moteurs vont en s'aggravant

progressivement. Steppage. Le 21 décembre, piqûres de peptonate de mercure

(26). Enfin le 25 janvier, impossibilité complète de se tenir debout. Le 14 fé-

vrier, douleurs dans les épaules avec parésie des muscles du tronc et des

épaules ; atrophie musculaire de ces derniers muscles Abolition des réflexes

rotulien et plantaire. Douleurs à la pression des masses musculaires et des nerfs

des membres inférieurs. Paraplégie flasque complète avec atrophie musculaire

et chute du pied. Pas de troubles des sphincters. Pas de troubles de la sensi-

bilité objective. Réaction de dégénérescence (N. F. C. = P. F. C. dans les

jumeaux et les extenseurs). Anorexie. Traitement par électrisation galvanique,

iodure de potassium et injection de calomel. Amélioration progressive très rapi-

de. Le 22 février, elle peut fléchir les jambes, le 27 remuer les orteils. Dispa-

rition des douleurs au niveau des épaules. Le 15 avril, elle commence à se

tenir debout, le 6 juin, elle marche seule, mais à la fin de juillet 1895, elle

stoppe encore légèrement; l'atrophie des mollets tend à disparaître.

OBs. X. - Brauer, Neurolo,g. CentralLlatl., 1896, p. 671.

Homme de 24 ans. Syphilis en août 1895. Cure par frictions mercurielles de

5 semaines. Bientôt parésie des 4 membres avec engourdissements, diplopie,

gêne de la parole, troubles qui s'exagèrent malgré la suppression des frictions

mercurielles. En octobre 1895, nouvelle poussée d'accidents cutanés syphili-

tiques et traitement par l'injection de salicylate de mercure. Exagération des

troubles moteurs. Parésie des 4 membres avec abolition des réflexes tendi-

neux ; atrophie musculaire avec RD., hypoesthésie limitée aux mains et aux

pieds. Mort en janvier 1896. L'examen histologique montre l'existence d'une

polynévrite avec état vacuolaire des cellules motrices des cornes antérieures de

la moelle.

08S. Xi KAHLEH, De la polynévrite radiculaire syphilitique.

(Zeüsclar. f. Heilk..., VIIL)

« Chez un syphilitique, on voit survenir, avec ou sans phénomènes associés

de syphilis cérébrale, des paralysies lentement progressives, et à caractères pé-

riphériques, de différents nerfs cràniens ; les nerfs sont pris un il un, sans

aucun ordre régulier. En même temps se montrent des douleurs névralgiques

intenses dans le domaine des différents nerfs rachidiens, avec hyperesthésie

de la peau, ou parfois des douleurs en ceinture, signes de l'inflammation des

racines postérieures. La participation des racines antérieures se traduit par

des paralysies motrices diverses.

A l'autopsie, absence de toute cause de compression sur les racines ; infil-

tration embryonnaire de l'épinèvre, atrophie des fihres nerveuses, production

de petites nodosités fusiformes ou perlées sur les faisceaux radiculaires ; les

nerfs atteints les premiers et avec le plus d'intensité sont, pour les nerfs crâ-

niens, les oculomoteurs et les faciaux ; pour le rachis, les nerfs cervicaux et

dorsaux. » (Revue de Huyem, XXXI, p. 609.)

LA POLYNÉVRITE SYPHILITIQUE 161

OB.s. XII. - TAYLOR, Névrite multiple d'origine syphilitique

(Neiv-York med. journal, p. 1, juillet 1890).

Femme de 40 ans, atteinte de syphilis en 1880 ; deux ans plus tard, anes-

thésie et analgésie du dos des mains, s'étendant au coude malgré le traite-

ment spécifique : douleurs, élancements. En février 1883, douleur au talon

gauche, au genou et aux deux bras ; gommes des joues et du cou de pied

gauche ; exostoses crâniennes. A la fin de l'année les désordres sensitifs attei-

gnent l'épaule ; ils se manifestent aux membres inférieurs, mais on trouve

encore des espaces où la sensibilité est conservée. Engourdissement passager

des membres en 1884 ; pas de paralysie vraie. Pendant l'été de 1884, lésions

trophiques des doigts et des orteils ; ecchymoses, bulles, ulcérations indolen-

tes, panaris indolents. Depuis cette époque résorption de la peau, du tissu

fibreux, dp portions de phalanges : nécessité d'amputer plusieurs segments des

doigts et des orteils, mutilation des pieds et des mains. Les désordres progres-

sent jusqu'en 1887, malgré le traitement spécifique qui, d'ailleurs, guérit d'au-

tres manifestations. (Revue de Hayem, p. 213, XXXIX.)

Ces. XIII. - Sorrentino (Riforvla medica, 1892).

Ange. L.... Syphilis en 1890, six mois après vient consulter pour manifes-,

tation cutanée et nerveuse. Traitement par injection hypodermique de sublimé

et d'iodure de potassium. Disparition rapide des manifestations cutanées.Persis-

tance des troubles de la sensibilité. Insensibilité des 2 mains avec douleurs lan-

cinantes s'accompagnant parfois d'engourdissement. Deux mois après douleurs

aiguës, avec gonflement du talon gauche, près du pied droit. Le malade présen-

tait une véritable hyperplasie de la peau ayant tous les caractères d'une infiltra-

tion gommeuse de la peau et du tissu sous-jacent ainsi qu'une, périostite du

crâne. A la fin de l'année 18J0, l'anesthésie avait remonté jusqu'aux épaules,

en février 1891, elle avait atteint l'origine de la cuisse. Il semble ainsi au ma-

lade que tous ses membres sont comme morts.En juillet 1891 nécrose des tissus

des mains, par les traumatismes fréquents dus à l'anesthésie de ces parties.

La main droite perdit la dernière' phalange de l'index, du petit doigt et du

médius. A la main gauche, chute des ongles du pouce et de l'index ; amputa-

tion de toutes les phalanges du médius. Au pied pas de mutilation, 'mais dif-

formités à cause de la rétraction des tendons fléchisseurs.

Peu à peu les lésions cessèrent de progresser. A la fin de 1891, le malade

peut mouvoir bras et jambes ; le sens musculaire est intact, sans ataxie.

Pas de réflexe plantaire ; réflexe rotulien normal. Pas de troubles de la vue ni

du goût. Céphalée presque constante.

De l'examen de ces malades dont nous venons de rapporter l'histoire

clinique, une constatation se dégage aussitôt, la diversité telle du tableau

décrit par les auteurs qu'il paraît difficile d'écrire la symptomatologie de

102 U.CESTAN

la névrite multiple vérolique. Cependant par une critique rigoureuse se-

rons-nous peut-être autorisé à metlre dans un cadre à part plusieurs des

observations précédentes.

On a pu en effet ranger dans le groupe polynévrite syphilitique, deux

cas publiés par Schmidt en 1888 dans la Revue médicale de l'Est ; or l'au-

teur ne voit dans ses malades que deux cas d'analgésie totale au cours de

la période secondaire et sa description clinique ne permet pas de rattacher

cette analgésie à une altération névritique. Kahler a décrit son cas que

nous avons rapporté plus haut comme un exemple de polynévrite radièu-

laire, or nous savons que les lésions anatomiques de radiculile syphili-

tique et le tableau clinique qui en découle sont très différents de ceux de

la polynévrite nerfs pris un i un, sans ordre régulier, participations de

différents crâniens, douleurs névralgiques intenses, en ceinture, douleurs

de la colonne vertébrale, etc. Enfin, sans nier que les troubles décrits ne

soient peut-être la résultante d'altérations névritiques, nous trouvons

cependant trop complexes l'histoire clinique des deux malades de Taylor

et Sorrentino pour les ranger dans le groupe dénommé polynévrite. Nous

y voyons en effet des troubles trophiques très prononcés, ecchymoses,

bulles, des panaris indolents, des amputations spontanées de phalanges,

des anesthésies cutanées complètes, accompagnées des troubles parétiques

ou au contraire peu prononcées.

Nous trouvons-nous ainsi en possession de documents suffisanls et in-

discutables pour tracer le tableau clinique de la polynévrite syphilitique ?

Rien ne serait moins certain pour quelques auteurs. Ils font remarquer il

juste titre et la rareté de ces accidents malgré le nombre sans cesse crois-

sant des syphilisés et la complexité du problème pathogénique à tel point,

qu'avant toute description clinique, il nous parait indispensable d'élucider

le point suivant : doit-on dire polynévrite de nature syphilitique ou poly-

névrite chez un syphilitique ? '

La même question a pu se poser dans ces dernières années à l'occasion

des troubles nerveux d'origine périphérique qui apparaissent au cours de

la tuberculose; mais la connaissance suffisante du bacille de Koch et de

ses toxines, la possibilité de créer chez les animaux des lésions névritiques

par l'injection de tuberculine ainsi que le démontrent les travaux de Car-

rière, nous ont montré que, si le plus souvent la polynévrite des tubercu-

leux dépendait d'une intoxication alcoolique ou de lésions infectieuses

surajoutées, du moins dans certains cas on ne pouvait accuser que l'action

de la tuberculine sur les nerfs périphériques, et ces idées sont bien dé-

montrées dans la thèse d'Astier, 1898. Mais une telle preuve ne saurait

être faite pour la syphilis dont nous ignorons, le principe infectieux et qui

n'est pas inoculable aux animaux ; ainsi l'expérimentation, seule base

LA POLYNÉVRITE SYPHILITIQUE 163

certaine dans l'espèce, n'apporte pas encore ici son concours et la solution

du problème palhogénique doit être exclusivement demandée à la clinique.

Or le tableau clinique est souvent complexe. Avant l'apparition des

troubles moteurs, le malade peut être syphilitique et auto-intoxiqué par

des lésions du foie ou des reins, syphilitique et alcoolique, mais avant

tout syphilitique et intoxiqué par le mercure. Le mercure peut, en effet,

créer, en dehors de tout accident, hystérique, des troubles moteurs sous la

forme de névrites multiples chroniques ou aiguës. En 1887, Letulle par-

ticulièrement étudié les troubles moteurs de l'hydrargyrisme chronique,

névrites dissociées ou circonscrites, sans amyotrophie considérable, sans

perte de la contractilité galvanique et faradique, sans perte des réflexes

tendineux; par l'expérimentation, il en a fixé la formule anatomique, né-

vrite segmentaire periaxile. Nous n'insistons pas sur cette variété de

névrite chronique qui ne peut pas prêter à la confusion et nous attirons

plutôt l'attention sur les polynévrites mercurielles aiguës ou subaiguës.

Cet accident est rare, il est vrai ; parmi les dangers des injections mercu-

rielles, qui exposent à une intoxication rapide et intense, les auteurs n'in-

sistent pas sur la possibilité d'apparition de troubles moteurs. Sur 8.000

vérolés traités par des injections de sublimé, Lewin a observé seulement

une fois des troubles moteurs imputables à une névrite ; c'était un cas de

sciatique, et il est très possible que cette altération relevât de l'action lo-

cale du sublimé sur le nerf par une injection mal dirigée. Nous avons vu

pratiquer chez nos maîtres, MM. Thibierge et Babinski, plusieurs centai-

nes d'injections d'huile grise ou de calomel, chaque traitement comprenant

environ une série de 10 piqûres hebdomadaires et nous n'avons jamais

constaté l'apparition de polynévrite.

Et en réalité la littérature médicale ne parait renfermer que 7 observa-

tions de polynévrite mercurielle dont on trouvera les détails dans le tra-

vail de MM. Spillmann et Etienne de la Revue de médecine de 1895 (1 cas

de Iietli, 1 cas de Leyden, 1 cas de Forestier, 1 cas de Gilbert et Noca,

3 cas de Spillmann et Etienne). Peut-on expérimentalement reproduire

des polynévrites mercurielles ? Brauer, à la suite de nombreuses expé-

riences exposées dans la Deutsche Zcit. {il ? ' Nervenkeilk. de 1897, est ar-

rivé aux conclusions suivantes : ou bien l'intoxication est suraiguë et pour

expliquer l'apparition des troubles moteurs, il faut faire la part des lésions

hépatiques et rénales inévitables qui créent des auto-intoxications, ou bien

l'intoxication est subaiguë et on constate alors avec l'absence de névrites

périphériques la présence de lésions cellulaires des cellules motrices mé-

dullaires, altérations visibles par la méthode de Nissl. Nous ferons d'ail-

leurs remarquer que dans l'observation I de Spillmann et Etienne, ces

auteurs n'ont pas constaté de RD dans les muscles atteints. En somme, les

164 R. CESTAN

expériences de Brauer nous montrent fort bien la complexité de la patho-

génie, car une intoxication mercurielle intense crée des lésions hépatiques

et rénales, point de départ d'une auto-intoxication.

D'ailleurs ces malades sont en même temps syphilitiques, souvent al-

cooliques à tel point que si Gilbert déclare que son malade a été atteint de

polynévrite mercurielle, Noca soutient au contraire que ce même malade

a fait avant tout une névrite alcoolique. ,

En résumé, aussi bien pour la polyuévriteditemercurielie que pour la

polynévrite dite syphilitique, nous sommes souvent dans l'impossibilité

de trouver le facteur véritable qui a causé les lésions névritiques; ces

malades sont des intoxiqués au premier chef, intoxiqués souvent par l'al-

coolisme, toujours par la syphilis et le mercure, auto-intoxiqués enfin par

les lésions hépatiques et rénales coexistantes. Nous voilà ainsi obligés de

considérer comme douteuses ces observations de polynévrite syphilitique

dont l'apparition a été précédée d'un traitement mercuriel intensif, d'abus

de boisson, de lésions rénales. La malade présentée par notre maître, le

professeur Raymond, est typique à ce sujet et ce sont les conclusions de

notre maître que nous désirons rapporter. « L'ensemble des faits que je

viens de passer en revue a dû vous laisser cette conviction qu'il n'est pas

vraisemblable que les accidents présentés par notre malade soient la con-

séquence exclusive d'une intoxication mercurielle ou de l'infection syphi-

litique ? Pour ce qui me concerne, j'incline à croire que ces deux facteurs

sont intervenus pour une certaine part dans le développement de la poly-

névrite, conjointement avec d'autres influences pathogènes dont nous avons

à tenir compte... Cette femme a présenté une albuminurie très intense ce

qui laisse supposer qu'elle a été exposée à une auto-intoxication complexe.

Et tout cela s'est passé à l'époque où elle a contracté une syphilis assez

sérieuse et où elle a été soumise à des cures mercurielles répétées. Il y a

là dans ce concours d'influences débilitantes, infectieuses et toxiques lar-

gement de quoi expliquer le développement d'une polynévrite. »

Est-ce à dire que nous ne possédons donc pas une observation probante

de polynévrite syphilitique ? Nous ne le croyons pas et nous sommes obli-

gés d'accepter comme indiscutables les cas de polynévrite survenant chez

un syphilitique, peu de temps après le chancre, en dehors de toute intoxi-

cation, avant l'application d'un traitement mercuriel intensif. Nous accep-

tons ainsi les cas de Rodet, Grosz, Fordyce, Midleton.Spillmann et Etienne,

enfin nos deux cas personnels, chez lesquels les troubles moteurs ont fait

leur apparition avant le traitement mercuriel et en dehors de toute intoxi-

cation. Notre 1er malade voit son chancre induré le 1er mai, et les acci-

dents moteurs surviennent le 15 mai, dans cet intervalle il n'a pris que

quelques pilules mercurielles ; d'ailleurs on le soumet bientôt à des

LA POLYNÉVRITE SYPHILITIQUE 165

piqûres de peptonate qui améliorent les troubles moteurs. Quant au

2° malade, on ne découvre la syphilis qu'au mois de décembre, et les

troubles moteurs ont apparu le 15 octobre,un mois après le chancre induré.

Au surplus, on ne peut relever d'autres causes d'intoxication chez nos

deux malades, ni alcoolisme, ni saturnisme, ni lésions hépatiques ou

rénales.

On voit que cette discussion, longue mais indispensable, nous a permis

tle diviser en trois groupes les observations de polynévrites syphilitiques

résumées précédemment. Nous avons mis dans un premier groupe les

troubles nerveux qui ne rentrent pas dans le cadre de la polynévrite aiguë

ou subaiguë (cas de Kahler, Taylor et Sorrentino), dans un deuxième

groupe les polynévrites survenant chez des syphilitiques sous l'influence

d'intoxications multiples, syphilis, mercure, lésions rénales, alcool (cas

de Brauer, Raymond, Gilles de la Tourette), dans un troisième groupe

enfin les polynévrites qui paraissent exclusivement causées par la syphilis

(2 cas personnels, cas de Rodet, Midleton, Fordyce, Grosz, Spillmam et

Etienne) .

. Notre tâche est ainsi singulièrement facilitée et il nous sera dès mainte-

nant possible de tracer rapidement l'histoire clinique de la polynévrite^

syphilitique.

Les troubles nerveux font leur apparition pendant la période secondaire

de la syphilis à une date du chancre infectant variant depuis 1 mois (cas

personnels , cas de Rodet) jusqu'à 13 et 14 mois (cas de Grosz), avant ou

pendant l'éclosion des syphilides secondaires. Faut-il invoquer la mali-

gnité de l'infection syphilitique ? Nous ne connaissons pas encore l'ana-

tomie pathologique de ces polynévrites et nous sommes incapables de dire

si ces polynévrites doivent être classées dans le groupe des accidents

syphilitiques secondaires analogues à la pleurésie secondaire syphilitique,

ce qui est très probable, ou dans le groupe des accidents tertiaires préco-

ces. D'ailleurs les auteurs ne font pas mention d'une gravité particulière

de la syphilis. Cependant notre premier malade paraît avoir été singuliè-

rement infecté par le virus syphilitique, à preuve sa fièvre avec délire, sa

pleurésie, sa néphrite qui ont cédé au traitement mercuriel ; nous ferons

remarquer que sa polynévrite coïncidait avec d'autres manifestations,

pleurésie, néphrite, que les auteurs classent dans le groupe des accidents

secondaires et qu'on est dès lors très porté à faire rentrer les troubles

moteurs observés dans ce même groupe. Notre malade n'a présenté ni

hérédité nerveuse ni intoxication telle que saturnisme ou alcoolisme ayant

pu altérer au préalable ses nerfs périphériques de telle sorte que chez lui

il faut réduire au minimum l'influence de ces causes favorisantes.

Les troubles nerveux s'installent rapidement et nous pouvons assister à

xm il

166 R. CESTAN

l'évolution de plusieurs types de polynévrite. Fordyce, Rodet, Spillmann

et Etienne ont constaté une polynévrite sensitivo-motrice subaiguëavecdou-

leurs spontanées et provoquées dans les masses musculaires, engourdisse-

ments des extrémités, abolition des réflexes tendineux, atrophie muscu-

laire, intégrité des sphincters, absence de troubles intellectuels. La mala-

die a débuté par les extenseurs des pieds, a gagné les mains atteintes très

légèrement et la guérison est survenue mois après sous l'influence d'un

traitement iodo-mercuriel et d'un traitement galvanique. Il faut remarquer

que Fordyce a constaté la DR dans les masses musculaires du mollet tandis

que la DR faisait défaut chez le malade de Spillmann et Etienne. A côté

de cette forme aiguë, nous devons placer une forme subaiguë représentée

par le malade de Midleton, chez lequel la maladie a évolué sous le type

du pseudo-tabes avec parésie et troubles de la 'sensibilité des membres

inférieurs, signe de Romberg, signe de Wesphal, démarche ataxique, tout

trouble amélioré par un traitement antisyphilitique. Enfin nos deux cas

sont des exemples d'une polynévrite presque exclusivement motrice. Les

troubles moteurs se sont installés rapidement avec quelques fourmille-

ments dans les extrémités, sans douleur à la pression des nerfs et des

masses musculaires, avec une abolition des réflexes tendineux et une atro-

phie musculaire avec DR. La maladie a cédé au traitement iodo-mercu-

riel.

Ainsi la polynévrite syphilitique a évolué sous trois formes, motrice,

sensitivo-motrice, pseudo-labétique. Tous les cas ont eu un pronostic fa-

vorable, exception faite des malades de Sorrenlino et Taylor qui ont pré-

senté des troubles trophiques et sensitifs permanents très graves et sur

lesquels nous nous sommes déjà expliqués. La polynévrite syphilitique

n'a jamais affecté unemarche ascendante rapide, elle a évolué soit sous la

forme ascendante lente, soit sous la forme disséminée, elle ne s'est pas

accompagnée de troubles intellectuels ; les nerfs de la face n'ont pas parti-

cipé au processus, exception faite pour la malade de M. Raymond qui pré-

sentait, comme nous l'avons vu, une pathogénie complexe et qu'on ne

saurait considérer comme un exemple de polynévrite exclusivement syphi-

litique. D'autre part, il faut mettre dans un cadre a part, le malade de

Kahler qui a présenté une paralysie des nerfs faciaux et oculo-moteurs

dues à des gommes siégeant sur les racines médullaires, en somme poly-

névrite radiculaire. Enfin les troubles moteurs ont cédé plus ou moins

rapidement au traitement iodo-mercuriel.

Dans la majorité des cas, le diagnostic est aisément porté, et dans l'es-

pèce, il n'offre pas pi us de difficulté que dans les autres formes de polyné-

vrite. Il faut pourtant se rappeler que la syphilis affectionne les centres

nerveux et parfois d'une manière très précoce. Le début subit, les dou-

LA POLYNÉVRITE SYPHILITIQUE 167

leurs généralisées, les troubles des sphincters, les paralysies rapides, dis-

séminées sans ordre avec participation de l'encéphale et des nerfs bulbai-

res, la gravité de l'état général, la marche rapide, le pronostic grave

caractérisent cetlesyphi 1 is maligne précoce dunévraxe, justement dénommé

par Charcot, la syphilis tigrée de la moelle. La myélite aiguë se reconnaît

à des douleurs lombo-dorsales, des troubles sensitifs Ù topographie médul-

laire et non périphérique, une paraplégie flasque subite avec paralysie

précédant et dominant l'atrophie musculaire, les troubles des sphincters.

Mais la question devient délicate si l'on essaie d'interpréter le rôle de

la moelle dans la production des troubles moteurs. Sans aborder ici une

discussion encore ouverte de nos jours sur l'influence réciproque de la cel-

lule motrice antérieure et du cylindraxe qui en émane, sur la possibilité

d'altération dynamique de cette cellule commandant la dégénérescence

périphérique de son cylindraxe, devons-nous cependant montrer que, si

le plus souvent le diagnostic de polynévrite s'impose au point de'vue cli-

nique, cependant il est des cas, dont nos deux malades sont des exemples,

où l'esprit a le droit de rester en suspens. Nous voyons en effet que chez

nos deux malades, les troubles sensitifs ont été très légers, nous voyons au

surplus que chez notre deuxième malade la paralysie a gagné rapidement

les quatre membres pour se localiser finalement sur les membres du côté

droit qui seuls se sont atrophiés en présentant la réaction de dégéné-

rence, aussi est-il impossible, sans examen histologique de se pronon-

cer en faveur soit de la polynévrite, soit de la poliomyélite d'autant plus

qu'on a pu rattacher à la syphilis certaines poliomyélites subaiguës ou

chroniques (Thèse de Poussard). Il n'existe pas un signe clinique certain

pour trancher la question, cependant dans notre premier cas la dissémi-

nation des troubles des réactions électriques sur les muscles de plusieurs

territoires nerveux sans aucun ordre, topographie très différente de celle

constatée dans la poliomyélite typique, la paralysie infantile, nous porte

à penser que dans l'espèce notre malade est atteint de polynévrite motrice,

sans préjuger d'ailleurs de l'influence qu'a pu avoir une altération même

dynamique de la cellule moellulaire motrice sur les altérations de son

cylindraxe. Mais de pareils cas sont exceptionnels et par ses signes cli-

niques la polynévrite syphilitique se distingue de la poliomyélite.

Le diagnostic de cause sera ici un diagnostic d'exclusion. On pourra

bien remarquer que la polynévrite n'est pas surtout sensitive et ne s'ac-

compagne pas de troubles de l'idéation et de la mémoire comme on l'ob-

serve dans la paralysie alcoolique, constater que dans la fonde motrice à

début par le bras le long supinateur n'est pas épargné comme on le voit

dans la' paralysie saturnine, mettre en évidence l'intégrité des muscles du

voile du palais pris au contraire dans la paralysie diphtérique ; mais l'ab-

168 R. CESTAN

sence de ces signes excellents lorsqu'ils existent pour affirmer la nature

alcoolique, saturnine, diphtérique des troubles moteurs, ne fait que res-

treindre sans le résoudre le problème pathogénique. On devra rechercher

avec soin la possibilité d'une intoxication d'origine interne ou externe ;

on devra surtout songer à la possibilité d'une intoxication mercurielle.

Nous avons déjà examiné ce point délicat de pathogénie et démontré

qu'il n'existait pas de signe clinique différentiel ni dans la physionomie

des troubles moteurs, ni dans les réactions électriques, puisque Etienne

et Spillmann ont constaté l'absence de DR dans les polynévrites aussi bien

mercurielle, que syphilique. En somme l'influence du traitement iodo-

mercuriel heureuse dans la névrite multiple syphilitique, nocive dans la

névrite hydrargyrique nous paraît être la véritable pierre de touche du

diagnostic ; c'est donc là un nouveau point de rapprochement entre ces

manifestations névritiques et ces manifestations viscérales telles que la

néphrite et la pleurésie que l'on voit survenir pendant la période se-

condaire de syphilis.

La rareté et la bénignité des polynévrites syphilitiques expliquent fort

bien notre ignorance sur leur formule histologique ; cependant leur phy-

sionomie clinique ne paraissant pas différer essentiellement de celle des

autres polynévrites toxiques et infectieuses, il est à présumer que cette

ressemblance clinique doit avoir pour substratum une ressemblance ana-

tomique et que, par suite, les lésions des vaisseaux doivent jouer un rôle

très secondaire dans l'apparition des troubles moteurs. Si des examens

venaient confirmer cette proposition, nous ne saurions trop en montrer

l'importance, puisque la polynévrite nous prouverait que la toxine syphi-

litique peut atteindre l'élément nerveux lui-môme, que l'altération paren-

chymateuse peut être primitive et non sous la dépendance d'une lésion

vasculaire spécifique, théorie généralement admise pour expliquer les

altérations des éléments nerveux, observées dans le coeur de la syphilis

cérébro-spinale.

1

Nouv. ! cOlWG"APHIF 0" LA SAII'kIItILitl. I. T, xiii. PI. XXV

ANGIOME SEGMENTAIRE

(G. Gasne et G. GioV/ntH

M : ¡S50n A CI Fditll\l"

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

HOSPICE DE LA SALPÈTRIÈRE

ANGIOME SEGMENTAIRE

PAR

GEORGES GASNE et GEORGES GUILLAIN

Nous avons eu l'occasion d'observer dans le service de M. le professeur

Raymond une malade présentant une affection congénitale dont les obser-

vations sont très rares dans la littérature médicale. Aussi il nous a paru

intéressant de rapporter brièvement ce cas clinique.

Il s'agit d'une femme de soixante-trois ans d'une santé normale d'ail-

leurs. On est frappé lorsqu'on l'examine d'une hypertrophie de tout le

membre supérieur droit et aussi de la région latérale et postérieure du

thorax du même côté (PI. XXV). Cette hypertrophie n'est pas uniforme,

et l'on constate sur les doigts, l'avant-bras,le bras et le thorax des tumeurs

plus ou moins volumineuses.La peau a conservé partout son aspect normal,

elle n'est pas luisante, l'épidémie n'est pas altéré, n'existe aucun trouble

trophique.De nombreuses varicosités se montrent bleuâtres sur ce membre

hypertrophié. Les tuméfactions que l'on perçoità la palpation dont le siège

est sous-cutané et non cutané sont d'origine vasculaire. D'ailleurs certaines

sont partiellement réductibles et sur le thorax en particulier clans la région

rétro-axillaire et au niveau du gril costal sont des tuméfactions donnant

une véritable sensation de paquet de ficelle et se réduisant avec facilité

sous la pression de la main qui palpe et appuie. Il s'agit en somme de

vaisseaux dilatés dont les parois paraissent épaissies.

La palpation de ces tumeurs ne révèle aucun battement, l'auscultation

ne permet d'entendre aucun souffle. Il n'existe aucune vibration anor-

male. Les artères du membre ne paraissent avoir subi aucune modifica-

tion puisqu'on perçoit le pouls'avec ses caractères habituels sur l'artère

axillaire, l'artère humérale, sur la radiale. La pression artérielle mesu-

surée au sphygmomanomètre du professeur Potain est normale à droite et

à gauche d'ailleurs.

Les diverses sensibilités tactile, thermique,douloureuse ne sont pas mo-

difiées à l'examen objectif. Quelques varicosités toutefois sont légèrement

sensibles à la pression. Dans le membre hypertrophié la malade souffre sou-

170 GEORGES GASNE ET GEORGES GUILLAIN

vent spontanément et d'une façon toute spéciale lors de ses époques mens-

truelles. -

Le système osseux n'a subi aucune modification et ne contribue nulle-

ment à l'hypertrophie du membre.

La photographie ci-jointe montre bien les saillies formées par les

tumeurs que nous étudions ; la plus volumineuse siège dans la région dor-

sale postérieure droite au niveau de la pointe de l'omoplate et se décom-

.pose en une masse principale postérieure, et une masse accessoire s'enga-

geant dans le creux axillaire; au tiers inférieur de l'avant-bras la déforma-

tion est également manifeste et forme une saillie régulière, volumineuse ;

les doigts enfin laissent voir leur aspecl irrégulier comme mamelonné.

Nous avons eu l'idée de soumettre ce membre à l'examen radiographique

pensantque lesos participaient peut-ëtreü la malformation (PI. XXVI) ; dece

côté, il nous a semblé au contraire que lout était normal, mais un symptôme

nouveau nous est apparu : des petits points noirâtres multiples parsèment

l'épreuve que nous publions rappelant assez bien l'aspect des membres

criblés de grains de plomb après un coup de feu : ces grains siègent sur-

tout au niveau de la tuméfaction déjà signalée du tiers inférieur de

l'avant-bras, on en retrouve au niveau des doigts, en particulier au-dessus

des cinquième et deuxième métacarpiens, de la première phalange de l'in-

dex, au niveau du carpe etc. Une seconde épreuve confirmative montre la

constance de ces taches et la réalité de corps étrangers au niveau des points

mentionnés. Tout traumatisme antérieur devant être mis hors de cause, il

n'y a pas de doute qu'il s'agisse ici de productions calcaires développées au

niveau des vaisseaux ectasiés. La radiographie montre encore une cer-

taine opacité des parties molles beaucoup plus visible que sur les épreuves

normales et surtout des taches irrégulières donnant à ces parties un as-

pect moiré, et qui semblent bien être l'ombre portée des vaisseaux ectasiés

entourés et pelotonnés dans le tissu cellulaire sous-cutané.

Cette affection est congénitale.Notre malade est née à terme.L'accouche-

ment fut normal, sans application de forceps. Depuis son enfance elle se

souvient avoir présenté toujours les mômes phénomènes.

Réglée de onze ans jusqu'à sa cinquante-troisième année, cette femme

souffrait dans son membre malade à chaque époque menstruelle.

Vers l'âge de neuf ans, un chirurgien lui ouvrit une de ses petites tu-

méfactions des doigts, et du sang s'en écoula. En l'année 1865, à l'hôpi-

tal Si-Louis, on voulut lui amputer le bras, elle s'y refusa. Velpeau

qu'elle consulta plus tard lui donna le conseil de vivre avec son affection

et de ne recourir à aucune opération.

Ce conseil elle le suivit et elle vécut ainsi souffrant par intermittences.

Durant son existence elle eut diverses maladies qui n'influencèrent pas

Nouv. Iconographie DE LA SALPÈlltll : 1U

T. XIII. Pl. XXVI

ANGIOME SEGMENTAIRE

Radiographie de la main et de l'avant-bras.

(G. Gasue et G. Guillain)

ANGIOME SEGMENTAIRE 171

son mal ; à vingt-cinq ans ce fut la variole, ce fut une pleurésie plus tard,

ce fut la grippe en 1889. A l'âge de 38 ans, elle se marie, elle eut deux

enfants; l'un meurt en naissant, l'autre né en 1880 est en excellente

santé. Le mari de notre malade toutefois est tabétique et soigné à la cli-

nique de la Salpêtrière.

Les antécédents héréditaires de cette femme sont peu instructifs. Sa

mère aurait souffert de varices aux membres inférieurs, elle meurt à 82 ans.

La malade aurait eu dix frères on soeurs dont aucun n'a présenté une af-

fection semblable à celle dont elle est atteinte elle-même.

En résumé nous avons observé une femme qui depuis sa naissance pré-

sente une ectasie vasculaire du membre supérieur droit et de la région

thoracique latérale. Cette ectasie se traduit par un grand nombre de tumé-

factions dont les unes sont petites et les autres plus volumineuses, dont les

unes sont réductibles et les autres non réductibles, dont les unes sont ab-

solument molles, dont les autres donnent une sensation de paquet de

ficelle. Les tumeurs sont douloureuses spontanément et légèrement sensi-

bles à la pression.

Elles ne présentent aucun battement, aucun souffle, aucun frémisse-

ment, aucune vibration. En dehors de cette symptomatologie locale, il

n'existe chez notre malade aucune maladie organique. Tous ses viscères,

tous ses organes sont sains. Le coeur, l'aorte, les gros vaisseaux thoraci-

ques sont normaux.

Il n'existe pas de vasculo-sclérose généralisée. Cette ectasie vasculaire

est congénitale. De quelle maladie peut-il s'agir chez cette femme ?

Il est évident qu'il ne s'agit pas chez notre malade d'un anévrysme ar-

térioso-veineux. Il n'existe pas de souffle, pas de frémissement. Les vais-

seaux artériels thoraciqueset brachiaux sont normaux. D'ailleurs la coexis-

tencede dilatations vasculaires rétro-axillaires et latéro-lhoraciques s'expli-

querait mal avec un anévrysme artérioso-veineux.

Ce n'est pas un allévrysme cirsoïde. L'absence de bruits anormaux nous

permet d'éliminer ce diagnostic.

Ce ne sont pas des dilatations artérielles serpentines. Les tumeurs ne

sont pas pulsatiles et d'ailleurs ne suivent pas le trajet des vaisseaux arté-

riels.

Le fait qu'une incision a permis de constater l'issue du sang d'une des

tuméfactions nous rend possible l'élimination du diagnostic de lymphan-

172 GEORGES GASNE ET GEORGES GUILLAIN .

giome.Ces derniers siègent rarement dans ces régions et la présence du sang

dans le contenu des lymphangiomes est relativement rare.

L'aspect normal de la peau, l'absence de naevi, de taches pigmentaires

nous permet de dire qu'il ne s'agit pas d'angiomes cutanés.

Il s'agit vraisemblablement chez notre malade d'angiomes S01ls-cuta-

nés congénitaux, de dilatations vasculaires développées sur le membre su-

périeur droit et dans la région supérieure et latérale du thorax. C'est un

l'ait bien connu que les angiomes augmentent de volume et deviennent

douloureux comme chez notre malade sous l'influence de la menstruation.

Comme chez notre malade les angiomes sous-cutanés se présentent sous la

forme de tuméfactions molles, incomplètement réductibles et donnant

parfois la sensation du varicocèle. Enfin des concrétions pierreuses analo-

gues aux phlébobithes des veines variqueuses sont signalés par Quénu

dans les angiomes, la radiographie les montre ici avec une netteté saisis-

sante.

Si les angiomes solitaires du membre supérieur sont relativement fré-

quents, les angiomes multiples sont plutôt rares. Cruveilhier, Virchow,

Esmarch, Schuh en ont toutefois rapporté des exemples.

La pathogénie d'une telle affection, d'une telle malformation vasculaire

est absolument inconnue. On pourrait peut-être rapprocher cette anomalie

vasculaire, cette malformation veineuse de certaines hypertrophies partiel-

les congénitales aussi. Et pour expliquer les unes et les autres on estpeut-

être en droit de faire intervenir le système nerveux.

Nous attirerons seulement l'altention sur l'extension considérable des

lésions dans le cas que nous publions, l'angiome ici prend un segment

tout entier du corps : le membre supérieur droit depuis l'extrémité des

doigts jusqu'à sa racine comprise dans le sens le plus large puisque la

lésion s'étend sur un quart en moins de la paroi thoracique. Cette distri-

bution segmentaire n'est pas sans une certaine importance au point de vue

pathogénique, elle est fréquemment notée dans les malformations congé-

nitales, et a servi de point de départ à des théories restées jusqu'ici du

reste purement hypothétiques.

Nous noterons également l'appoint précieux fourni par la radiographie

dans l'interprétation de ce cas dont les manifestations cliniques peuvent

être considérées comme rares et d'un diagnostic délicat.

DOUBLE SYNDROME DE WEBER

SUIVI d'autopsie,

PAR

A. SOUQUES,

Médecin des Hôpitaux.

Le syndrome de Weber se présente d'habitude sous la forme simple,

consécutivement à une lésion unilatérale de la région pédonculo-protubé-

rantielle. Il s'ensuit qu'une lésion bilatérale de cette région pourra déter-

miner une double paralysie alterne supérieure. C'est un fait de ce genre

que.j'ai eu l'occasion d'observer récemment.

JeanneB..., 50 ans, ménagère, entre le 27 août 1899 à l'hôpital Cochin

dans le service de mon maître M. le Dr Chauffard, que je suppléais pendant t

les vacances.

Cette femme souffrait depuis une dizaine de jours de céphalée très vive,

plus marquée du côté droit au niveau de la région temporale, céphalée

continue, persistant le jour et la nuit sans présenter de paroxysme nocturne

net. Un dimanche matin, c'était le 26 août, elle était en train de s'habiller

pour aller à la messe, lorsqu'elle ressentit tout à coup un fort étourdisse-

ment, perdit l'équilibre et s'appuya sur son lit pour ne pas tomber. Quand

elle. voulut se redresser, elle remarqua qu'elle était paralysée et qu'elle

avait de la difficulté pour parler. Son mari effrayé la fitco'iduire à l'hôpi-

tal.

A son entrée,on fut surtout frappé par l' hémiplégie gauche et la paralysie

de la troisième paire droite. Il s'agissait d'hémiplégie, accentuée surtout au

niveau de la face et du membre supérieur. En effet, tandis que le malade

soulevait assez bien le membre inférieur, elle portait la main à sa tète diffi-

cilement,lentement, par secousses successives. Du côté de l'oeil, il y avait 1

paralysie totale et complète du nerf moteur oculaire commun : chute de la

paupière supérieure, strabisme externe, immobilité du globe oculaire,

pupille dilatée, immobile à la lumière et à l'accommodation,

D'autre part, on constatait une hémiparésie droite et des troubles de l'oeil

gauche. L'hémiparésie était moins marquée que dans le côté opposé ;

174 SOUQUES

à la pression 'dynamométrique la main droite donnait 19 et la gauche

12. Du côté de l'oeil, la paupière supérieure recouvrait une partie du globe

oculaire; tous les mouvements de l'oeil étaient affaiblis sauf le mouvement

en bas et le mouvement en dedans. Il y avait donc, chez cette malade,

hémiparésie droite associée .a.une paralysie partielle et incomplète de

l'oculo-moteur gauche.'

La sensibilité paraissait intacte. Les réflexes rotuliens n'étaient ni exa-

gérés ni diminués.

Les urines contenaient de l'albumine, la température et le pouls étaient

normaux. 4 signaler enfin un degré marqué d'obnubilation intellectuelle,

un état semi-comateux qui rendait l'interrogatoire difficile.

Pendant six semaines, l'état paralytique ne présenta aucune modification

notable ; l'état intellectuel s'aggrava progressivement, une paralysie des

sphincters s'établit, et la malade finit par succomber dans le marasme.

L'autopsie montra l'existence de lésions bilatérales dans la région pérlon-

culaire. Une coupe tranversale(PI. 1VII,A) colorée par la méthode de Pal,

les met en évidence. On voit dans le pédoncule cérébral droit un foyer ou

plutôt deux petits foyers de ramollissement, séparés parle locus neiger qui

semble intact : l'un occupe le noyau rouge et coupe les fibres de l'oculo-

moteur, l'autre occupe le quart interne du pied du pédoncule. Ces foyers

s'étendent sur une hauteur de 10 à 15 millim. Dans le pédoncule cérébral

gauche, il n'existe qu.'un petit foyer scléreux situé au niveau du quart

interne du pied du pédoncule.

Les noyaux des nerfs moteurs oculaires communs sont respectés. Les

cellules du côté droit paraissent cependant moins volumineuses que celles

du côté gauche.

L'oculo-moteur droit, dans l'espace interpédonculaire est atrophié, gris

et contraste par son volume et sa couleur avec celui du côté opposé qui pa-

rait sain. L'examen histologique, sur des coupes colorées par le picro-car-

min et.par la méthode de Pal, montre que la presque totalité des fibres

de l'oculo-moteur droit, (PI : XVII, B) sont dégénérées. Le nerf gauche est

'il peu près' normal (PI. XVII, C).

.Enfin l'examen des artères cérébrales montre deux foyers d'artérite

nodulaire, situés symétriquement sur les artères cérébrales postérieures,

entre la bifurcation dû tronc' basilaire et la communicante postérieure.

Sur l'artère du côté droit, il s'agit d'artérite oblitérante totale ; sur celle du

côté giueli'e, : I'Êndai,térite moins marquée semble plus récente et l'oblité-

ration n'est pas complète (PI. XVII, D).

Telle est l'observation anatomo-clinique. L'interprétation des lésions

et l'explication des symptômes estaiséeà concevoir. Deux foyers symétri-

ques d'endartérite nodulaire (PI. XVII, E,D) se sont formés, étroitement

NJUV. 1COMCCRAPFIIE DE LA SALPÈTRIÈRE. T %III, PL. XXVI

Coupe t'<'doIlCIIlo-prolub.'r'11111dle. Aq, Aqueduc de Sylvius. - T ? Tubercule quadrijumcau.

NR. Noyau rouge. - LN. Locus nigcr. - PP, Pied du pédoncule. - 1, Foyer scléreux. - II.

III, F05 ers de ramollissement. ' "*

DOUBLE SYNDROME DE WEBER

(4. Souques.)

A, Coupe pédonculo-protubérantielle (Méthode de Pal).

B, Nerf moteur oculaire commun gauche, sain (Méthode de Pal).

C, - droit, dégénéré

D, Coupe de la cérébrale postérieure gauche.

E, droite.

Massos ET G", Éditeurs.

DOUBLE SYNDROME DE WÉBER SUIVI D'AUTOPSIE 175

localisés aux deux artères cérébrales postérieures, en un point très- limité,

situé entre la bifurcation du tronc basilaire et la communicante postérieure.

Or c'est précisément de ce point que naissent un certain nombre d'artères

du pédoncule. Celles-ci se trouvant comprises dans le foyer d'artérite se sont

oblitérées, et il en est résulté un foyer intra-pédonculaire de ramollissement.

' Pourquoi n'a-t-on pas trouvé, il droite du moins, un ramollissement du

lobe occipital, puisque la cérébrale postérieure, de ce côté était tout fait

oblitérée ? Parce que la communicante postérieure qui se trouvait en de-

hors et au delà du foyer d'artérite, ramenait le sang dans la cérébralepos-

térieure.

Quelle était la cause de cette artérite ? Nous avons pu soupçonner la

syphilis, mais le traitement antisyphilitique n'a donné aucun résultai.

La filiation des lésions est, somme toute,facile à saisir : artérite nodulaire

sur la cérébrale postérieure, englobant une ou plusieurs artérioles pédon-

culaires et par suite foyer de ramollissement intra-pédonculaire..A cet

égard, tout est simple et clair. ' ' ' '

De même la topographie de ce foyer de ramollissement explique, sans

qu'il soit besoin de longs commentaires, les symptômes observés pendant la

vie. Dans le pédoncule droit, le foyer coupe à peu près toutes les fibres

du moteur commun, et quelques fibres seulement du faisceau-pyramidal.

Or, la paralysie de l'oculo-moteur est totale et complète, et l'hémiplégie

n'est qu'une hémiparésie. D'autre part, dans le pédoncule gauche, le foyer

détruit une minime partie du faisceau pyramidal et effleure quelques

libres du moteur oculaire. Or, il y avait hémiparésie droite et parésie par-

tielle et incomplète de l'oculo-moteur gauche. Donc sous ce rapport l'a-

datation des symptômes aux lésions estparfaite. Il est difficile de rencon-

trer une simplicité plus grande.

UN CAS D'HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE

GUÉRI PAR LA. SUGGESTION HYPNOTIQUE

ET ÉTUDIÉ A L'AIDE DU CINÉMATOGRAPHE ( 1 )

. PAR

M. G. MlARINESCO,

Médecin en chef de l'hôpital Pantelimon,

Professeur à la Faculté de Médecine de Bucarest.

Il s'agit d'une malade âgée de 28 ans, sans antécédents héréditaires

bien accusés. Mariée à 15 ans,elle eut une crise nerveuse à 15 ans et demi

à la suite d'une émotion. Cette crise, comme les suivantes qu'elle a eues

depuis, a consisté en un évanouissementsubit.Il est arrivé parfois dans les

crises suivantes qu'elle n'a pas repris ses sens pendant une journée en-

tière, elle a eu en outre des crises de larmes et a souffert d'une insomnie

continuelle. Lorsqu'elle s'endormait elle voyait toujours une femme me-

naçante s'approcher d'elle, elle se réveillait alors pour ne plus s'endormir.

Le 5 août de cette année, à la suite d'une discussion avec son mari, elle

a été prise d'un hémi-tremblement du côté droit qui a duré une demi-

heure et qui a été suivi d'un mutisme absolu, mutisme qui à son tour a

provoqué chez elle une nouvelle crise d'évanouissement.

Quand elle s'est réveillée, elle s'est vue paralysée du côté droit et in-

capable de proférer le moindre son. Quelques heures après la parole est

revenue. La face n'a cependant pas été déviée. Le bras et la jambe étaient

complètement inertes, engourdis, et par suite elle ne pouvait pas mar-

cher ni faire aucun mouvement du bras droit. La paralysie des membres

lui donnait l'impression de ne plus les posséder, pourtant quelques jours

après, elle a pu imprimer quelques mouvements au bras cependant que

la jambe restait engourdie.

Etat actuel. Lorsqu'au commencement du mois de septembre dernier,

j'ai vu cette malade, elle présentait tous les signes d'une hémiplégie droite

de forme moyenne. Le bras tombait le long du corps et la malade ne pou-

(1) Voy. Bull, de l'Académie de Sciences, séance du 4 décembre 1899.

UN CAS D'HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE 177

vait s'en servir que pour quelques mouvements très restreints. La force

de pression au dynanomètre était nulle, malgré que les mouvements de

flexion des doigts existassent et la résistance passive des différents segments

des membres paralysés était considérablement diminuée. Les mouvements

d'extension et de flexion de l'articulation tibio-tarsienne et du genou du

côté droit étaient ai peu près nuls, la malade se plaignait de sensations de

fourmillement, et d'engourdissement dans les membres paralysés. Il n'y a

pas eu de paralysie ni de spasmes du côté de la face.

L'exploration de la sensibilité nous a montré que la malade présentait

une hémi-anesthésie sensitivo-sensorielle du côté droit. L'anesthésie

n'était pas limitée seulement aux téguments,

mais elle intéressait aussi les tissus profonds

et les articulations. Il est curieux d'avoir

trouvé chez elle que l'index du côté paralysé

avait conservé ses différentes formes de sen-

sibilité (fig. I). Les corps chauds comme les

corps froids ainsi que les piqûres superfi-

cielles et les piqûres profondes ne réveil-

laient pas la moindre sensation consciente du

côté des parties anesthésiées. Les notions de

poids, de forme et de relief ont été presque

complètement abolies chez cette malade. Si

on lui mettait dans la main des pièces de

0 fr.10, 0 fr. 0, de 1, de 2 et de 5 francs,

elle ne pouvait pas en soupçonner l'existence

et encore moins les différencier entre elles.

Lui plaçant une grande médailedans la main

elle n'a pu en deviner ni la forme, ni dire

l'espèce de l'objet, elle a seulement eu à son

contact une sensation de froid. L'anesthé-

sie avait envahi non seulement les téguments externes mais encore les

muqueuses, la moitié droite de la langue ainsi que la muqueuse des gen-

cives et de la joue étaient également anesthésiés. Si on lui appliquait des

corps amers ou des corps sucrés sur la moitié droite de la langue, la ma-

lade ne pourrait pas en reconnaître la qualité ; de môme que si elle respi-

rait de la narine droite de l'éther ou d'autres substances volatiles fortes,

elle ne réagissait pas du tout.

Le champ visuel était rétréci d'une manière considérable et réduit à la

vision centrale. La vision des couleurs paraissait intacte; les pupilles

étaient égales sensibles à la lumière et il l'accommodation. ' ·

Fio. 1.

178 . M. G. MARINESCO

Il n'y a pas eu de troubles vaso-moteurs ou trophiques du côté des

membres paralysés.

Les réflexes plantaires du côté droit étaient à peu près abolis, les ré-

flexes rotuliens des deux côtés normaux, les réflexes tendineux du membre

supérieur paralysé conservés.

La malade jouit de toute son intelligence qui est très développée ; elle est

cependant émotive et très susceptible.

Les grands appareils organiques fonctionnent régulièrement, notam-

ment le coeur et les-poumons ne présentent rien d'anormal. Les artères ? sont souples, le pouls est un peu petit, mais régulier, l'appétit est bon,mais

elle souffre de constipation. La région ovarienne gauche est sensible à la

pression.

Les détails de l'observation qu'on vient de lire ne laissent pas le moin-

dre doute qu'il s'agit la d'une hémiplégie hystérique. Le début de la ma-

ladie, son évolution et surtout les caractères de la marche dont nous allons

parler à présent ont légitimé d'une façon absolue la nature hystérique

de l'hémiplégie. En effet,cette malade présentait dans la marche une allure

toute spéciale, laquelle permettait après une simple inspection d'éliminer

l'hémiplégie organique. Depuis que Todd, le premier, et à sa suite Char-

cot et l'Ecole de la Salpêtrière, ont mis en valeur les caractères de la mar-

che des personnes atteintes d'hémiplégie fonctionnelle ; le diagnostic de

cette hémiplégie est devenu très facile. Voici comment Todd (1) a décrit

cette marche :

Je désire, dit-il dans ses Leçons, appeler particulièrement votre atten-

tion sur le caractère spécial des mouvements de la jambe paralysée lorsque

la malade marche, lequel, dans mon opinion, est caractéristique de

l'affection hystérique. Si vous considérez une personne souffrant d'une

hémiplégie ordinaire sous la dépendance de quelque lésion organique du

cerveau, vous vous apercevrez que, en marchant, elle a une allure particu-

lière pour porter en avant la jambe paralysée ; elleporte d'abord le tronc

du côté opposé il la paralysie et appuie tout le poids du corps sur le mem-

bre sain ; alors, par une action de circumduction, elle porte en avant la

jambe paralysée, faisant décrire au pied un arc de cercle. Notre malade, au

contraire, ne marche pas de cette façon ; elle traîne après elle (drags) le

membre paralysé, comme s'il s'agissait d'une pièce de matière inanimée,

et ne se sert d'aucun acte de circumduction, ne l'ait aucun effort d'aucune

' sorte pour le détacher du sol ; pendant qu'elle marche, le pied balaye

(sweeps) le sol. Cela, je pense, est caractéristique de la paralysie hysté-

rique. ,

(1) Todd, Clinical lectures on paralysis, 2° cdil., Londres, 486, p. 20.

UN CAS D'HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE 179

J'ai saisi l'occasion si favorable que m'a offerte ma malade pour étudier

à l'aide du cinématographe les caractères de la marche chez elle et les

comparer à ceux tracés par la description de Todd admise par tous les au-

teurs. Je ne veux pas revenir ici sur les éléments de la marche normale. En

tenant compte des recherches de Marey, de Bicher et de mes propres études,

j'ai dit qu'il était de toute nécessité de distinguer le pas simple d'avec le.

double pas (1).Le premier se rapporte aux mouvements qu'un pied fait en

se mettant devant l'autre pour marcher, le second embrasse la série de

mouvements qui s'exécutent entre deux positions semblables d'un

même pied. Les différentes phases du pas simple sont d'après Richer, dont

j'ai confirmé la description : 1° période de double appui ; 2° pas posté-

rieur ; 3° moment de la verticale; 4° pas antérieur.Les trois dernières pha-

ses constituent le temps de l'appui unilatéral.

A l'aide de ces éléments nous allons facilement comprendre les modi-

fications apportées à la marche par l'hémiplégie hystérique; mais il faut

. tout d'abord distinguer l'allure de la marche suivant que la jambe .ma-

lade est oscillante ou portante.

Dans le premier cas à la phase de double appui, on constate une attitude

anormale.En effet, au lieu de voir la pointe du pied postérieur reposer par

terre et le talon relevé, ainsi que le pied de la jambe antérieure dans une

position inverse, on constate que les deux pieds reposent à plat sur le sol

(fig. II). Quant à l'attitude des jambes, on voit que la jambe antérieure

saine est légèrement fléchie sur la cuisse et que la jambe postérieure est

presque en extension.

. Le pied paralysé garde d'une manière générale la môme attitude aussi

. 4n dans le pas antérieur que dans le pas postérieur, ceci dépend de l'im-

mobilité presque permanente de l'articulation tibio-tarsienne, je dis pres-

que permanente, parce que, dans la plupart des pas, cette articulation ne

présente pas le moindre mouvement. Il y a parfois dans le pas postérieur

de la jambe malade, un léger soulèvement du talon avec abaissement cor-

(1) G. Maiunesco, Les troubles de la marche dans l'7aeo71ylé,rie organique étudiés à

l'aide du cinématographe. Semaine médicale, 5 juillet 1899.

FiG. Il (Jambe malade oscillante).

180 M. G. 1\L-\RINESCO

respondant de la pointe du pied. Donc, pas de mouvements propres dans

l'articulation tibio-tarsienne pendant les différentes phases de la marche.

Dans le pas postérieur, le pied est horizontal sur le sol, il s'avance pé-

niblement, la jambe oscillante présentant un très léger degré de flexion.

Les mouvements du torse sont très caractéristiques depuis le commence-

ment du pas postérieur, il se penche en avant de plus en plus jusque vers

la moitié du pas postérieur, moment où il commence à se relever en même

temps qu'il s'incline du côté de la jambe porlante, de manière qu'après

avoir franchi la verticale le torse est presque redressé, mais il conserve en

même temps son inclinaison du côté de la jambe portante. Immédiatement

après le torse est redressé complètement, c'est-à-dire qu'il n'est plus ni

penché en avant ni incliné de côté. Pendant le parcours du pas antérieur

la jambe malade étant oscillante, le tronc reste droit et il n'y a qu'à la fin

de ce pas qu'il s'incline de-nouveau en avant.

L'attitude des deux jambes au moment de la verticale et lorsque la

jambe malade franchit ce moment est la suivante : la jambe portante est

fléchie d'une façon manifeste, la jambe oscillante malade est étendue, le

tronc fortement incliné du côté de la jambe portante et légèrement penché

en avant. Au commencement du. pas antérieur et pendant toute la durée

de ce pas, la flexion de la jambe portante diminue tandis que la jambe os-

cillante étendue s'avance en avant comme mise en action par un mécanisme

de ylissenaeiat. Je dois faire remarquer que le pas malade parvient à se

mettre en avant de la jambe portante saine, et que les deux pas sont à peu

près égaux ; quant à leur durée, le pas fait par la jambe normale s'exécute

beaucoup plus rapidement (fig. II).

Si on examine à présent l'allure de la marche lorsque la jambe maladeest

portante, on constate l'état suivant (fig. III). Ici, non plus, il n'y a pas de

phasede double appui comparable à l'état normal parce que depuis le début,

les deux pieds reposent à plat. La jambe malade est en extension, la jambe

normale oscillante en légère flexion, flexion qui s'accuse pendant toute la

durée du pas postérieur, mais qui n'est pas non plus si indiquée que norma-

lement ; il en est de môme pour l'élévation du talon qui n'est pas non plus

si accentuée. Depuis le commencement de l'oscillation de la jambe normale

FIG. III (Jambe normale oscillante).

UN CAS D'HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE l8l

le tronc commence à se pencher en avant, mouvement qui arrive à son

maximum à la fin du pas antérieur. Nous avons remarqué, lorsque la jambe

malade était oscillante, qu'au moment de la verticale le tronc était forte-

ment penché de côté, par contre, lorsque la jambe normale l'est devenue

- son tour, l'inclinaison latérale du tronc du côté de.la jambe portante ne

semble pas être si indiquée. '

Si, à présent, on compare les données fournies par la cinématographie

dans le cas actuel d'hémiplégie hystérique à celles observées par Todd et

admises par tous les cliniciens, nous verrons que malgré la ressemblance

assez grande qu'il y a entre elles, le cinématographe nous montre certains

faits que l'oeil ne peut pas saisir.

En effet, la cinématographie nous fait voir qu'il y a lieu de distinguer

l'allure du pas antérieur de celle du pas postérieur lorsque la jambe ma-

lade est oscillante. Dans le pas postérieur la malade tire après elle et avec

grand effort la jambe inerte, laquelle ne quittepas le sol. Ceteffort se tra-

duit au commencement par une forte inclinaison du tronc en avant, il la-

quelle s'ajoute progressive peu après, une inclinaison latérale.

Lorsque l'obstacle a été vaincu et que la malade a amené à grand'peine

la jambe à la verticale, il lui est devenu facile de la pousser en avant, et de

lui faire accomplir le mouvement de translation comme par un mécanisme

de glissement. ,

Il résulte donc de mes recherches que la malade ne traîne pas tout

simplement la jambe comme l'a admis Todd, mais que le transport de la

jambe malade est plus complexe qu'on ne Pavait pensé tout d'abord.

Une autre particularité intéressante à relever, c'est la manière dont se

comporte la jambe non paralysée lorsqu'elle passe à la phase d'oscil-

lation. En effet, le pas postérieur est plus long que le pas antérieur, la

vitesse de ce dernier étant très grande. D'autre part la flexion de la jambe

oscillante n'est pas si accusée qu'à l'état normal dans le pas postérieur,

de môme que dans le pas antérieur, elle n'est pas si étendue, mais au

contraire, elle est même fléchie; ceci dépend du fait de ce que le pied,

au lieu d'aborder la terre parle talon, se pose entièrement à plat sur le sol.

On se rappelle que dans mon travail antérieur publié dans la Semaine

Blérlicale, sur les troubles de la marche dans l'hémiplégie organique, j'ai

mis en relief la même particularité à savoir que la jambe non paralysée

lorsqu'elle devient oscillante ne présente pas du tout l'allure de la jambe

normale. Mais ce qui distingue l'allure de la jambe oscillante non paraly-

sée dans les deux hémiplégies, c'est que dans l'hémiplégie hystérique le

pas antérieur avance très vite pour se mettre en avant de la jambe malade

tandis que dans l'hémiplégie organique cette particularité est rare et assez

souvent le pas antérieur est aussi long que le pas postérieur. 12

xiii 12

182 M. G. 111AnIl'iESCO

Si on examine à présent l'allure delà marche lorsque la jambe malade

est portante, on constate l'élat suivant. Ici, non plus, il n'y a pas de

phase de double appui comparable à l'état normal parce que depuis le

début, les deux pieds reposent à plat. La jambe portante malade est en

extension, la jambe normale oscillante en légère flexion, flexion qui s'ac-

cuse pendant toute la durée du pas postérieur, mais qui n'est pas non

plus si accusée que normalement de même que l'élévation du talon est

aussi moins accentuée.

Depuis le commencement de l'oscillation de la jambe normale le tronc

commence à se pencher en avant,mouvement qui arme soir maximum à

la firi'tlu pas antérieur.

Nous avons remarqué, lorsque la jambe malade était oscillante, qu'au

moment de la verticale le tronc était fortement penché décote ; par contre

lorsque la jambe normale l'est devenue à son tour, l'inclinaison latérale

du tronc du côté de la jambe portante ne semble pas être si indiquée.

Il est vrai cependant que ce n'est pas dans l'allure de la jambe non pa-

ralysée qu'il faut chercher la distinction essentielle qui sépare l'hémiplégie

organique de l'hémiplégie hystérique. Cette différence réside toute dans

la manière qu'emploie la malade pour transporter sa jambe inerte pendant

la marche. Dans l'hémiplégie organique, comme je l'ai constaté antérieu-

rement, la jambe malade oscillante est animée d'un certain degré de mou-

vement ; elle est fléchie dans le pas postérieur et présente le talon relevé ;

ce qui fait que la propulsion de la jambe est facilitée. '

Dans l'hémiplégie hystérique au contraire, point de flexion du genou

sur la cuisse et de la cuisse au bassin, de même qu'il n'y a pas d'éléva-

tion du talon, ou bien cette dernière n'existe que d'une manière excep-

tionnelle.

Dans le pas antérieur, à cause de la prédominance de la paralysie de

certains muscles, nous voyons dans l'hémiplégie organique, que dans cer-

tains ca le pied affecte la forme de pied varus, dans d'autres celle de pied

en grille ou de pied bot équin. Uans l'hémiplégie hystérique l'articulation

tibio-1,i ? ieilne immobile conserve presque la même ouverture d'angle

surtout le parcours du pas et le pied glisse sur le sol. J'ai employé à

plusieurs reprises et avec intention l'expression de glisser parce qu'elle

m'a sembtéctre ta ptus significative pour traduire la manière dont le pied

est mis en mouvement pour se mettre en avant de la jambe portante,

celles de traîner ou balayer ne me semblant pas propres pour désigner

l'allure de la jambe paralysée dans le pas antérieur.

Ce qui caractérise par conséquent l'hémiplégie hystérique et les trou-

bles de la marche dans cette affection, c'est la paralysie flasque de tous les

muscles des membres touchés. C'est nne paralysie massive, et ce fait nous

UN CAS D'HÉMIPLÉGIE HYSTÉRIQUE 183

explique toutes les différences qui existent entre l'hémiplégie organique

et t'homiptégio hystérique. Ainsi, nous ne voyons pas de mouvements

propres du membre paralysé dans les différentes phases de la marche, mais

seulement des mouvements passifs qui lui sont imprimés par le haut du

corps; les mouvements normaux du torse sont la conséquence de celle

allure spéciale delà marchedans l'hémiplégie hystérique, et des efforts con-

sidérables que fait la malade pour faire avancer la jambe paralysée. Tau-

dis que dans l'hémiplégie organique la malade a son torse penché en avant,

dans l'hémiplégie hystérique, le torse est incliné en avant d'une ma-

nière exagérée seulement dans le pas postérieur, dans le pas antérieur au

contraire il se renverse tout à fait en arrière. Comme la ma ! adenopeut

pas s'appuyer sur la jambe paralysée l'excursion de la jambe normale est

plus courte que celle de^la jambe paralysée.

Après avoir établi la nature hystérique de l'hémiplégie et étudié les ca-

ractères de la marche, je me suis demandé si en traitant par la psycho-

thérapie, par la suggestion hypnotique la malade, elle ne serait pas Mélrir-

rassée de son hémiplégie. C'est dans ce but que j'ai hypnotisé la malade

et que je lui ai suggéré l'idée que ses membres ne sont plus engourdis, no

sont plus lourds, qu'elle commence à les sentir, les mettre en mouvement,

enfin qu'elle peut marcher (fig. IV).Le résultat en ell'et a été très encoura-

geant, la malade a commencé à marcher, et cette guérison se maintient

jusqu'aujourd'hui, c'est-à-dire quatre mois après la suggestion. La plu-

part des stigmates hystériques ont disparu. Il y a sans doute dans cette

guérison qui se maintient depuis plus de 3 mois, une nouvelle preuve en

faveur de la valeur documentaire de la chronophotographie. En effet,

après avoir guéri la malade, nous l'avons cinématographiée a nouveau,

de sorte que sur la même bande pelliculaire nous avons la marche pendant

sa maladie, puis la malade sous l'empire de l'hypnotisme et enfin après,

la môme personne guérie marchant normalement.

Quel document scientifique plus précieux que celui-ci pour l'histoire

des hémiplégies hystériques !

FIO. 1 (Malade guérie).

L'ADÉNO-LIPOMATOSE SYMÉTRIQUE

A PRÉDOMINANCE CERVICALE.

(Suite)

PAR

P. E. LAUNOIS, ET R. BENSAUDE,

Professeur agrégé à la Faculté, Chef de laboratoire de la

médecin des hôpitaux. Faculté.

L'adéno-lipomatose symétrique, arrivée à sa période d'état, est une ma-

ladie toujours semblable à elle-même et facile à reconnaître. '

Si pourtant des erreurs de diagnostic ont été commises, c'est que jus-

qu'ici la maladie a été peu étudiée et surtout n'a pas été nettement déli-

mitée et considérée comme une entité morbide particulière. Les difficul-

tés ne surgissent en réalité que dans les cas exceptionnels où les premières

masses lipomateuses diffuses apparaissent dans des régions autres que le

cou ou la nuque.

Les lipomes congénitaux, qui eux aussi peuvent s'infiltrer profondément

dans les masses musculaires du cou, se distinguent par leur apparition

précoce dans le jeune âge. Ils ne donnent jamais lieu à des déformations

monstrueuses analogues à celles que nous avons décrites.

Les lipomes vrais peuvent parfois être multiples et affecter une dispo-

sition à peu près symétrique. Toujours le lipome, en pareil cas, consti-

tue une tumeur nettement circonscrite et parfaitement encapsulée, dont le

volume n'atteint jamais les proportions énormes des masses que nous avons

précédemment décrites. Leur multiplicité est parfois telle qu'on en a

compté jusqu'à 2.000 chez le même malade ; cette confluence ne s'observe

jamais dans l'adéno-lipomatose.

Le Iymphadénome se distingue par la consistance des tumeurs, par les

douleurs, les troubles fonctionnels et généraux et par la marche progres-

sivement envahissante ; la terminaison est fatale et survient en moyenne

au bout de 2 à 3 ans; enfin la récidive est constante après l'ablation d'une

tumeur tymphadénomateuse taudis qu'elle n'a jamais été notée dans les

opérations faites sur les adéno-lipomes.

Chez les gens obèses, il existe souvent un bourrelet graisseux, plus ou

L'ADÉIVO-LIP011ATOSE SYMÉTRIQUE 185

moins volumineux dans les régions cervicales antérieure et postérieure; «

mais ce bourrelet ne reproduit jamais l'aspect si caractéristique du collier

que nous avons décrit précédemment. Il est beaucoup plus diffus et ne se

présente jamais sous la forme de tuméfactions plus ou moins indépendan-

tes les unes des autres. De plus on trouve chez les gens obèses les signes

habituels de l'adipose viscérale ou pérhiscérate qui manquent dans l'adé-

Ilo-1 ipomatose.

L'adéno-lipomatose symétrique, a été parfois confondue avec l'adéno-

1laplaocèle. Ainsi dans la thèse de Bessio (Paris, 1895), sur i'adéno-tym-

phocèle, le sujet de la première observation n'est autre que le malade

présenté par M. Ilayem à la Société médicale des hôpitaux. D'autre part le

malade de Reverdin sur lequel yl. Th. Anger a présenté un rapporta la

Société de chirurgie, le considérant comme atteint d'adéno-lymphocèle, est,

à n'en pas douter, un cas d'adéno-lipomatose. On sait d'ailleurs que l'adé-

no-lympliocèlepeut subir en certains points la dégénérescence graisseuse ;

il se présente alors sous forme de tuméfactions symétriques, indolentes,

molles, dans lesquelles on retrouve des noyaux mal isolés et indurés ; à

la périphérie on constate presque toujours la présence de ganglions ou de

troncs lymphatiques hypertrophiés : de plus, l'adéno-lymphocèleesl sujet

à des variations plus ou moins rapides de volume. Nous avons montré

que ces caractères peuvent se retrouver dans l'adéno-lipomatose, aussi

sommes-nous amenés à supposer qu'il existe une relation étroite entre les

deux espèces de tumeurs qui, cependant, ne peuvent être confondues dans

le môme groupe morbide. Leur siège respectif est différent : on n'a, en

effet, jamais observé l'adéiio-13,mpliocèle à la nuque ni en dehors des

sphères ganglionnaires habituelles. Mais entre les deux all'ections il y a

probablement plus q'une simple ressemblance.

Il existe quelques analogies entre l'affection que nous décrivons et les

pseudo-lipomes sus-claiicvlaires que Verneuil et Plain ont observés et

décrits chez les arthritiques. On les rencontre surtout chez la femme (1G

fois sur 20 cas pour Potain, 3 fois sur 4 cas pour Vernenil). De plus,

leurs caractères distinctifs sont les suivants : ils siègent primitivement

dans les régions sus-claviculaires, ils apparaissent souvent d'une façon

soudaine, ils coexistent parfois avec de l'oedème sous-cutané et presque

toujours avec les manifestations multiples de l'arthritisme ou du rhuma-

tisme. L'influence du froid et de l'humidité semble tenir une place im-

portante dans leur pathogénie. Chez un des malades de M. Potain les

pseudo-lipomes, par un temps humide, pouvaient prendre un tel volume,

que le menton venait buter contre les énormes saillies latérales et que la

tète se trouve presque immobilisée (1). Mais, à côté de ces caractères qui

(1) M. Tuffier a communiqué à la Société de chirurgie (séances du 7 et du 14 décem»

186 P. E. LAUNOIS ET R. BENSAUDE

leur sont propres, il en est d'autres qui leur sont communs avec desadéno-

lipomes, tels que leurs oscillations de volume, leur coexistence possible

avec d'autres masses graisseuses siégeant en différentes régions du corps.

M. Potain a signalé,chez certains de ses malades, des symptômes d'excita-

bilité vague ou d'hypochondrie que nous avons également notés parmi les

symptômes possibles de l'affection qui nous occupe. Le même auteur a vu

le pseudo-lipome se prolonger sous la clavicule, dans le creux axillaire,

jusqu'à la base de la poitrine et même dans le médiastin. Il existe, d'ail-

leurs, des cas de transition dont le malade de M. Debove (publié dans la

thèse de Retins) peut passer pour un type.

Il existe actuellement dans la littérature médicale plus de 80 cas d'adé-

no-lipomatose symétrique : la maladie n'est donc pas aussi rare qu'on

pourrait le supposer (1).

bre 1898) une observation fort intéressante de lipome sus-claviculaire survenu chez

une femme de 27 ans. L'aspect clinique était celui d'un volumineux lipome dans le-

quel on sentait quelques noyaux arrondis durs. Après l'extirpation, on trouva au mi-

heu des lobules graisseux plusieurs masses crétacées et calcaires arrondies et un gros

ganglion lymphatique, il. Tuffier voulut bien nous permettre d'examiner ces masses

crétacées qui représentaient sans aucun doute des ganglions lymphatiques altérés.

Cette observation ne rentre pas, à notre avis, dans le cadre de l'affection que nous

décrivons. Il s'agit, comme le dit d'ailleurs M. Tuffier, « d'une production graisseuse,

hpomateuse, développée autour de ganglions malades et simulant un lipome vrai,

simple, classique v. La tumeur était unilatérale et avait pu être enlevée en totalité :

ce n'était donc pas un lipome diffus infiltré comme ceux que présentent nos malades.

On a critiqué à propos de cette observation la dénomination d'« adéno-lipome ».

Nous ne voulons pas discuter si elle est bonne ou mauvaise pour désigner la tumeur

qu'a présentée : \1. Tuffier à la Société de chirurgie. En tout cas, ce n'est pas à des pro-

ductions de ce genre que s'applique le nom d'adéno-lypomatose que nous avons créé.

Par ce terme, nous n'avons pas voulu distinguer toute infiltration graisseuse péri-

ganglionnaire mais une entité morbide, une maladie générale à caractères constants

s'accompagnant de productions lipomateuses diffuses en rapport avec les ganglions

et les vaisseaux lymphatiques. La désignation « adéno-lipomatose symétrique diffuse

à prédominance cervicale » a l'avantage d'indiquer les caractères les plus saillants de

l'affection et sa localisation la plus fréquente. Dans sa récente thèse, Lucien Tapie (Pa-

ris, 1899), élève de M. Legueu, propose de conserver cette dénomination en suppri-

mant le mot « adéno » de façon à ne préjuger en rien, écrit-il, de la nature encore

obscure de la maladie.

(1) Depuis notre première communication, nous avons pu examiner 4 malades dont

l'observation n'avait pas été publiée.

En dehors des cas qui figurent dans notre mémoire de la Société médicale des hô-

pitaux et dans la thèse de Rehns nous devons signaler : 3 cas observés par Péan,

Leçons de clinique chirurgicale, t. IX, page 1089, et Tribune médicale, 1898, p. 147 ;

3 cas rapportés très brièvement à la Société de chirurgie par M. Ricard (13. et M. de

la Société de chirurgie, page 1118, séance du 1 décembre 1898), un cas communiqué

par M. A. Pitres à la Société de Médecine et de Chirurgie de Bordeaux dans la séance

du 9 juin 1899 (Journal de méd. de Bordeaux, no 34, p. 394), 2 cas publiés dans la

thèse de Tapie (Paris, 1899) et observés par M. Nélaton et M. Legueu et un cas rap-

porté par M. Demons à la Société de Médecine et de Chirurgie de Bordeaux (séance

L'ADÉi\"O-LIPOMATOSE SYMÉTRIQUE 187

L'adéno-lipomatose s'observe presque exclusivement chez les hommes,

et cette prédilection pour le sexe masculin est d'autant plus remarquable

que les lipomes vrais sont plus fréquents chez les femmes.

Les lipomes symétriques diffus ont été rencontrés parfois chez la femme

(Mathieu, Dartignolles, Boucher, von Waal, Langer, etc.). Mais, dans

ce cas, la maladie diffère le plus souvent du type classique, c'est-à-dire

de celui qui s'observe chez l'homme et qui est remarquable par la cons-

tance de ses caractères cliniques. Une malade de M. Lejars présente toute-

fois la déformation caractéristique du cou. Koenig dit également l'avoir ob-

servée chez une femme d'une trentaine d'années.

La maladie débute toujours après vingt ans, c'est-à-dire à une époque de

la vie où la croissance est terminée. En s'en rapportant aux renseigne-

ments fournis par les malades, on remarque que le plus jeune avait vingt

et un ans et demi, et le plus âgé cinquante-huit ans (1).

L'alcoolisme exerce une influence prédisposante manifeste : il se trouve

noté dans 30 pour 100 des cas.

L'adéno-lipomatose a parfois coïncidé avec d'autres états morbides, tels

que la syphilis, l'albuminurie, le cancer, les varices, la goutte, l'asthme.

Quatre malades étaient rhumatisants et présentaient des manifestations

évidentes de leur diathèse. La tendance à s'associer aux manifestations

rhumatismales est donc bien moins grande pour 1'.icléno-lipoiiiiLose symé-

trique que pour les pseudo-lipomes sus-claviculaires, « puisqu'il semble

que celte dernière affection ne s'observe guère en leur absence » (Potain).

On ne peut plus soutenir aujourd'hui, comme le faisaiLiladeliiiio-, que

l'affection ne coïncide jamais avec l'obésité; il ne s'agit pas cependant

d'une obésité locale, car l'affection se montre surtout chez des sujets dont

l'embonpoint n'a rien d'anormal, et même chez des gens très maigres

(malade de Schuh).

Les renseignements fournis par les antécédents personnels des malades,

n'ont pu être d'aucun secours dans l'enquête étiologique. Il eût été inté-

ressant de savoir si le système ganglionnaire, et en particulier celui du

cou, avait été le siège de poussées inflammatoires, aiguës, subaiguës ou

chroniques. Dans les cas que nous avons personnellement étudiés, tout

passé ganglionnaire faisait complètement,défaut.

du 29 décembre 1899) et qu'il a bien voulu nous permettre de reproduire in extenso.

M. Bouvet nous a très obligeamment communiqué une nouvelle observation inédite

recueillie dans le service de M. Remy à l'infirmerie de la maison de Nanterre.

(1) Les observations de Ilolgmann et de Blizard Curling, résumées dans la thèse de

Tapie et concernant des filettes de 6 ans et de 12 ans, ne se rapportent pas, à notre

avis, à l'adéno-lipomatose.

188 P. E. LAUNOIS ET R. BENSAUDE '

Les causes locales, l'hérédité (excepté dans le cas de Stoll), ne semblent

jouer aucun rôle.

La cause intime de l'affection nous échappe. Si, dans un cas, M. Delbet

a constaté la présence du microbe qu'il a décrit dans le lymphadénome,

nous croyons que, pour admettre l'origine microbienne de l'affection, il

faut attendre le résultat de recherches ultérieures. Dans quelques cas on

a recherché si le sang ne contenait pas de filaire; nos investigations, à ce

point de vue, sont restées négatives.

Plusieurs hypothèses ont été émises pour expliquer la nature de cette

singulière affection.

C'est ainsi que Madelung s'était demandé s'il ne s'agirait pas d'une

dystrophie en rapport arec une affection ou une disparition du corps thy-

roïde. Il n'avait pas trouvé cet organe dans une opération où il avait mis

à nu toute la partie antérieure du cou. Il est également vrai que les cas

sont aujourd'hui nombreux de coexistence des pseudo-lipomes cervicaux

ou sus-claviculaires avec le crétinisme, l'atrophie des hémisphères céré-

braux et l'absence de corps thyroïde (Curling), ou même avec la maladie de

Basedow. Dans l'observation de Bourneville et d'Ollier on trouve même

signalées non seulement dans la région sus-ciavicuiaires, mais au-dessous

des aisselles et en divers points du thorax, des tumeurs sous-cutanées,

molles, tremblotantes, d'apparence myxomateuse.

Hutchinson, qui considère l'exophtalmie de la maladie de Basedow

comme étant le plussouvent due une accumulation de graissedans l'orbite,

avait de son côté émis une opinion analogue. Pour lui, la maladie serait

à rapprocher du goitre exophtalmique.

Si tentante qu'elle puisse paraître au premier abord, l'hypothèse de

Madelung ne résiste pas devant les faits. Bryk a en effet retrouvé le corps

thyroïde chez un de ses opérés. De plus, l'affection s'observe presque ex-

clusivement chez les hommes, et ceux-ci semblent moins prédisposés que

les femmes aux maladies du corps thyroïde. Enfin l'affection, au dire des

auteurs allemands, aurait été observée dans des pays où les lésions de la

glande thyroïde font presque complètement défaut, la province de Meck-

lembourg, par exemple.

Nous éliminerons aussi la théorie des glandes cutanées qui a été imagi-

née par Grosch, pour expliquer la distribution des productions lipoma-

teuses. En se basant sur l'examen de sept cents cas de lipomes de diverse

nature, Grosch formule les conclusions suivantes : la localisation de tous

les lipomes est déterminée par la distribution des glandes sécrétantes de

la peau. En général, la fréquence des lipomes dans une région est en rai-

son inverse de la richesse de cette même région en glandes sébacées et su-

L'ADÉNO-LIPOMATOSE SYMÉTRIQUE 189

doripares. L'élimination de la graisse de l'organisme se faisant en partie

par les glandes de la peau, tout trouble survenu dans leur fonctionnement

se traduira par une adipose partielle au niveau des glandes lésées. L'adi- -

pose apparaîtra surtout là où les glandes sont moins nombreuses. Deux

ordres de causes peuvent influencer la sécrétion des glandes cutanées ; les

unes, locales, agissant seulement sur un territoire délimité de la surface ;

les autres, générales, agissant sur le centre nerveux même de cette sécré-

lion. Les premières (irritations répétées, traumatismes, etc.), détermine-

ront la production de lipomes solitaires. Les secondes auront pour con-

séquence les tumeurs lipomateuses multiples et le plus souvent symé-

triques.

La théorie de Grosch, qui semble s'appliquer à un certain nombre de

lipomes (Payr) (I), ne permet pas de comprendre le mode de formation

des masses graisseuses observées dans la maladie qui nous occupe.

D'ailleurs, même supposée suffisante pour expliquer l'infiltration adi-

peuse sous-cutanée, la théorie de Grosch n'explique en aucune façon la

prolifération adipeuse profonde et sous-aponévrotique. Elle n'est pas com-

patible non plus avec l'absence de récidive, fait important signalé par de

nombreux chirurgiens après l'ablation d'une partie des tumeurs. En sup-

primant les tumeurs, on n'a pas pour cela modifié les influences nerveuses

agissant sur le territoire cutané correspondant.

La théorie d'Unna mérite d'être rapprochée de celle de Grosch. Son

point de départ est histologique et clinique : l'histologie démontre, dit-il,

entre les dépôts adipeux et les glomérules sudoripares, l'existence de gout-

telettes graisseuses et de petites cellules adipeuses isolées, disposées en

traînées ; d'autre part la clinique constate la coexistence fréquente de la

polysarcie avec une abondante hyperidrose huileuse. Maissi dans l'affection

spéciale qui nous intéresse, l'hypersécrétion cutanée est souvent signalée,

souvent les auteurs ont été frappés de la sécheresse de la peau (Sick,Cursch-

mann). Unna lui-même avoue que dans le seul cas de lipomes symétri-

ques venu à sa connaissance, tout trouble sécrétoire cutané faisait défaut.

Curschmann émet l'opinion que l'hyperplasie adipeuse sous-cutanée se

modèle sur les contours des muscles sous-jacents. Il est vrai qu'à l'abdomen

par exemple, nombre d'observations relèvent une infiltration de graisse

exactement superposée aux muscles grands droits dont elle simule à s'y

méprendre le relief faussement athlétique. Mais si, à la rigueur, pour quel-

ques muscles, le deltoïde par exemple, la même correspondance semble

exister, il est impossible d'y plier les hyperadiposes cervico-faciales, les

plus importantes cependant et les plus caractéristiques.

(1) PAïn, 73eilag a. Lehre v. d. muliiplen und symmelrischen Lipome ? Wienf

klin. Wochensch., 1896, p. 733.

190 P. E. LAUNOIS ET R. BENSAUDE

Quelques auteurs ont incriminé l'alcoolisme. Steinkopf admet que l'adé-

no-lipomatose évolue sous l'influence de troubles nerveux d'origine alcoo-

lique. Virchow concède une grande importance à l'alcoolisme dans la pa-

thogénie des productions lipomateuses en général. Tapie (Thèse de Paris,

1899) se demande aussi s'il ne faut pas chercher l'origine de l'affection

dans un ralentissement général des échanges nutritifs de l'organisme, ralen-

tissement créé soit par un état diathésique : arthritisme, soif par une in-

toxication : alcoolisme. Mais l'influence de l'alcoolisme n'est pas constante :

nous l'avons noté dans 30 0/0 des cas; Madelung, dont l'attention avait été

attirée sur-ce point, ne l'observe chez aucun deses trois malades. Une telle

constatation suffit pour faire rejeter l'hypothèse d'une maladie d'origine

alcoolique. D'ailleurs, chez un malade de Madelung et chez celui de Guder

l'abstention de toute boisson alcoolique ne fut suivie d'aucun arrêt dans

la marche de la maladie.

La théorie la plus généralement admise, tout au moins à l'étranger, est

la théorie nerveuse ; elle a été en particulier discutée au 59e Congrès des

médecins et naturalistes allemands, par Bardeleben, Kuster, Bramann.

Nous rappellerons d'ailleurs que cette même théorie a été invoquée pour

expliquer le mode de distribution des pseudo-lipomes sus-claviculaires

des arthritiques (Verneuil), et celui de certains lipomes symétriques rap-

portés par Potain, Desnos, Mathieu.

Iïaetlnitz, qui a rassemblé un assez grand nombre d'observations de

lipomes multiples, les divise en deux catégories : la première comprend

les cas dans lesquels, en môme temps que les tumeurs, on trouve des ma-

nifestations nerveuses, rhumatismales ou rhumatoïdes; la deuxième a

Irait aux masses lipomateuses qui naissentet évoluent sans s'accompagner

d'autres phénomènes que ceux qui sont en rapport avec leur volume, et

dont l'existence est bien souvent reconnue par hasard. La plupart des cas

.d'adéno-Iipomatose symétrique appartiennent incontestablement cette

deuxième catégorie.

La théorie nerveuse s'appuie surtout sur l'état cérébral des malades,

sur la distribution symétrique des tumeurs et sur leur coexistence dans

quelques cas avec des affections plus ou moins graves du système nerveux,

telles que le tabes (obs. de VIadelun, deBouju), la paralysie générale (obs.

de Targowla), la sciatique (ohs. de M. Bucquoy). Schottmuller a essayé

d'établir une relation entre la distribution des masses lipomateuses et celle

des rameaux nerveux. Hennigsen a noté, dans le fait qu'il a publié, que la

peau était peu velue et remarquablement sèche. Rosenstirn a constaté que

chez un malade la sueur manquait complètement, après une injection de

pilocarpine, au niveau des parties de peau qui recouvraient les tuméfac-

tions. Mais une altération secondaire n'est-elle pas très probable dans une

peau distendue et mal Irourrie' ?

L'ADÉNO-LIPOMATOSE SYMÉTRIQUE 191

On s'explique néanmoins comment nombre d'auteurs tendent à consi-

dérer la maladie comme une véritable tropho-névrose et peut-être même

comme une affection d'origine myélopathique. On pourrait ainsi être

amené à appliquer à notre affection l'ingénieuse théorie du métamérisme

spinal de Brissaud, ainsi qu'il l'a proposé lui-même pour expliquer la

répartition des tumeurs dans la neurofibromatose ou maladie de Heckling-

hausen.

Mais, comme on ne constateaucunemodification de la sensibilité, aucun

trouble trophique superficiel, aucune diminution de la force musculaire,

on est amené à se demander s'il faut attribuer une influence aussi impor-

tante au rôle du système nerveux dans la production des tumeurs. Si les

muscles des régions atteintes subissent parfois une diminution de leur exci-

tabilité électrique, jamais on n'a constaté ni secousses fibrillaires, ni réac-

tion de dégénérence (Curschmann). Cette absence de phénomènes nerveux

avait déjà frappé, en 1892, M. A. Siredey. « Le rôle du système nerveux,

écrit-il, semble donc se bornera une influence générale vague, appréciable

seulement dans la distribution des troubles trophiques. »

La théorie nerveuse, sans satisfaire Madelung, lui semble encore la

moins prohlématique. Il invoque à son appui un certain nombre de parti-

cularités cliniques ; mais, fait curieux à constater, plusieurs sont emprun-

tées à des observations qui n'entrent nullement dans le cadre de l'adéno-

lipomatose : tel le fameux cas de Butterkirsch et Bumke, où le dévelop-

pement des tuméfactions est consécutif à un traumatisme.

En somme, aucun des partisans de la théorie nerveuse n'a réussi à

établir de relation tant soit peu précise entre le système nerveux et l'hy-

pertrophie adipeuse ; on ne peut donc la prendre en considération que si

l'on veut mettre sur le compte du système nerveux tous les phénomènes

morbides dont on ne connaît pas la nature.

La dernière hypothèse consiste à considérer l'affection comme ayant

pour origine une maladie des glandes et des vaisseaux lymphatiques. Baker

et Bowlby s'étaient demandé si les tumeurs ne sont pas plutôt de nature

lymphadénomateuse que de nature graisseuse. Lel"Ilayem, en présentant

son malade, le considérait comme atteint d'une 1 y mpliidéiiie ganglion-

naire à forme lipomateuse (1).

(1) M. Pierre Delbet a eu également l'occasion de soigner ce malade dans son ser-

vice et il le croit atteint d'une « hypertrophie ganglionnaire généralisée du type lym-

phadénome » avec développement lipomateux péri-ganglionnaire (I3ull. et mém. de la

Société de chirurgie, p. 1115, séance du 14 décembre 1898). J. le Prof. Ilayem est d'ail-

leurs revenu sur son opinion et dans la Clinique médicale de l'hôpital St-Antoine (Masson

et Cie, 1900) il a bien voulu reproduire un résumé de notre travail Nous avons été

très heureux de l'appui qui nous a été donné par M. Pitres et M. Demons qui, chacun

de leur côté ont publié des faits venant confirmer les conclusions auxquelles nous

sommes arrivés.

192 P. E. LAUNOIS ET R. BENSAUDE

Notre opinion diffère de celle de M. Ilayem en ce que pour nous l'affec-

tion, quoique de nature lymphatique, est absolument distincte de ]yin-

phadénie par son anatomie pathologique, son étiologie et surtout par son

évolution.

Le siège de prédilection des tuméfactions au niveau des régions où

.existe normalement de nombreux ganglions lymphatiques, l'apparition

souvent signalée de symptômes de compressions du médiastin plaident en

faveur de cette opinion. On doit reconnaître néanmoins que les tumeurs

peuvent siéger dans des régions (épaule, région scapulaire, colonne ver-

tébrale, épigastre, pubis) où on ne décrit pas habituellement de ganglions

lymphatiques ; mais ceux-ci n'en existent pas moins. On trouve, en effet,

des ganglions lymphatiques sur la face externe du deltoïde, le long de la

face interne du bras, au niveau du pli du coude (Allas de Sappey), sur les

diverses régions du thorax (Atlas de Cloquet). D'un autre côté, les anato-

mistes compétents que nous avons consultés nous ont signalé la présence

de glandes lympatiques il la paroi abdominale, à la racine de la verge, à

la partie inférieure de la nuque, etc., et les descriptions récentes (Ray-

mond Petit, Thèse, 1897), montrent combien sont nombreux les groupes

ganglionnaires non décrits dans les classiques. Nous savons aussi que l'a-

dénopathie syphilitique peut s'observer en des points où l'on ne décrit pas

habituellement des ganglions normaux : au cuir chevelu, à la région cla-

viculaire, au dos, près de l'omoplate, aux lombes, à la jambe. La patho-

logie a également fait connaître l'existence de ganglions lymphatiques en

pleine joue (Pr Fournier, Poncet), entre les fibres du muscle pectoral

(Audry), à la racine de la verge, au devant de la symphyse pubienne

(Rollet, Castel'et, Molinié).

.11 est vrai que l'on pourrait s'étonner de la localisation fréquente des

lipomes au voisinage des ganglions non ordinairement décrits dans les

classiques. Mais cette prédilection pour certains groupes ganglionnaires

constitue encore une particularité de la pathologie du système lymphati-

que, que l'on retrouve dans la syphilis, l'infection chancrelleuse et môme

dans les infections non spécifiques.

Un autre argument est fourni par la présence, au milieu des mas-

ses infiltrées, de ganglions plus ou moins volumineux et plus ou moins

nombreux. Cette constatation a été faite soit par l'exploration clinique (1)

soit au cours des opérations. Ainsi, chez le malade de M. Ilayem, opéré

par M. Pierre Delbet, la tuméfaction de l'aine droite était « essentielle-

ment composée de tissus graisseux renfermant de petits ganglions noirâ-

tres ». De plus, dans les tumeurs développées au niveau ou en dehors des

(1) Cette exploration doit être faite avec beaucoup de soin, car la lobulation de la tu-

meur adipeuse peut simuler la présence de ganglions lymphatiques,

L'ADÉNO-LIPOMATOSE SYMÉTRIQUE 193

sphères ganglionnaires habituelles, on a pu sentir soit nettement des

ganglions lymphatiques, soit au moins un noyau central dur.

Chez le malade de i}1. IIayem, deux ans auparavant, Bessio avait retiré

d'une tumeur (il ne dit pas laquelle) un liquide lactescent par une ponc-

tion capillaire.

Nous avons signalé la coïncidence de tuméfactions lipomateuses avec un

état éléphantiasique de la peau, avec des varices lymphatiques, une hy-

pertrophie de rate, une leucocytose légère et une diminution notable

des globules blancs de la première variété de M. Ilayem (petits mononu-

cléaires). Cette dernière altération, survenant en même temps qu'une atro-

phie du parenchyme des glandes lymphatiques, mérite d'être opposée à

l'augmentation des petits globules blancs mononucléaires, que l'on ren-

contre dans la leucémie ganglionnaire, et qui apparaît comme une consé-

quence de l'hyperplasie du tissu lymphoïde. Reinert a fait une semblable

constatation dans la tuberculose ganglionnaire. « Cette diminution, écrit-

il, s'explique aisément par la destruction de la substance glandulaire, qui

devient ainsi incapable de produire des leucocytes. »

Les nombreux points de contact existant entre l'adéno-lymphocéle et

l'adéno-lipomatose corroborent l'hypothèse d'une affection primitivement

lymphatique. La ressemblance entre ces deux affections peut être telle que

le diagnostic différentiel paraît presque impossible (voir au chapitre du

diagnostic les observations de Bessio et deReverdin). Chipaulttrouvechez

un homme atteint de varices lymphatiques du derme à la jambe gauche,

sans oedème, dans la région du triangle de Scarpa du même côté, une tumé-

faction assez bien limitée, triangulaire, donnant au palper une sensation

lipomateuse. Même les descriptions anatomo-patho ! ogiques des deux affec-

tions ont de singulières ressemblances : « Dans la pièce d'adéno-lymphocéle

déposée au musée par M. Trélat, dit M. Th. Anger, l'enveloppe graisseuse

est tellement abondante qu'au premier abord on croirait à un lipome. »

Et plus loin : « Les glandes dilatées n'apparaissent pas d'abord après l'in-

cision de la peau. Il faut les chercher au milieu d'une atmosphère de

graisse analogue à celle qui entoure le rein. »

Entre autres arguments, nous citerons encore les faits suivants :

\/ 1° L'infiltration graisseuse gagne la profondeur, en suivant le trajet des

vaisseaux lymphatiques. Marçais constate que l'infiltration graisseuse dans

les masses cervicales se fait autour des vaisseaux comme centre ; dans un

cas, Langer suivit un prolongement qui s'enfonçait dans le canal inguinal.

Dans l'observation de Reverdin se trouve relaté que « de chaque tumeur

sous-claviculaire part une sorte de gros boudin mollasse qui croise en des-

cendant la clavicule et s'enfonce dans l'espace delto-pectoral ». Un fait ah

solument analogue est noté par Jeanselme et Bufnoir : « A gauche, di-

194 P. E. LAUNOIS ET R. BENSAUDE

sent-ils, l'espace celluleux compris entre le bord antérieur du deltoïde et le

bord supérieur du grand pectoral (espace delto-pectoral) contient un petit t

lipome orienté dans la direction générale de ce sillon » ;

2° L'aptitude que présentent les tuméfactions il croître ou à décroître

avec une étonnante rapidité, ne peut guère s'expliquer que par une con-

nexion intime avec le système circulatoire ;

3° Enfin bien que la relation de l'autopsie du cas de Darbez soit obscure,

on ne peut pas ne pas être frappé de l'existence d'une infiltration cancé-

reuse ( ? ) généralisée des ganglions sous-maxillaires, axillaires, mésentéri-

ques et bronchiques.

Faut-il admettre, comme processus dans la néoformation, une dégéné-

rescence primitive et totale des glandes lymphatiques et assimiler les tu-

méfactions aux psendolipomes des ganglions signalés par Weber ? Faut-il,

au conlraire, inYoquer ! 'existenced'unea(/eKe/)r : ? Mftre arec péri-adénite

graisseuse secondaire ?

On pourrait invoquer en faveur de cette dernière opinion la remarque

suivante faite par Virchow, dans son Traité des tumeurs, à propos de cer-

taines adénites. Cet auteur insiste il l'article Lipome sur ce fait que des

glandes lymphatiques peuvent devenir le point de départ de productions

lipomateuses. Il existe un état particulier où consécutivement « à une adé-

nite lymphatique amenant d'abord une augmentation de volume et plus

tard un ratatinement de la glande, il se forme autour de l'organe une masse

de graisse qui devient souvent abondante et plus volumineuse que ne l'était,

avant sa rétraction, la glande rapetissée ».

Le processus de la néoformation graisseuse serait alors analogue à celui

qui se produit dans certains lymphangiomes. « Le tissu adipeux, écrivent

MM. Lannelongue et Achard, est souvent un élément important de ces

tumeurs, et il se rencontre tantôt par petits pelotons, perdus au milieu

des cloisons et du tissu conjonctif, tantôt sous forme de masses plus con-

sidérables, creusées de cavités kystiques. Il peut arriver alors que les

kystes soient en petit nombre, tandis que la graisse prend une place pré-

pondérante ; c'est la variété dite lipome kystique ou mieux kysto-lipome. »

Enfin, cherchant plus loin encore les analogies, on peut comparer les pro-

ductions lipomateuses périganglioiiuaires aux périnéphrites graisseuses.

« On trouve alors d'énormes masses graisseuses présentant G à 7 centi-

mètres d'épaisseur, formant de volumineuses tumeurs abdominales. qui

entourent la glande rénale noyée au milieu de ces tissus. Souvent même

cette dégénérescence arrive au milieu du hile, pénètre dans le rein, et

l'ensemble des lésions permet à peine de reconnaître le parenchyme rénal »

(Tuffier, Traite de Chirurgie Dnpla-Recl2cs, t. VIl, p. 4.7).

Voilà des points que seules les recherches analomo-palhologiques ulté-

rieures pourront éclaircir.

Nouv. Iconographie DE la SALPÉTRIÈRE T. XIII. PI. XXVIII

S

T

u

V

ADÉNOLIPOMATOSE SYMETRIQUE

(Launois et Bensaude)

Masson & Ci-, L-diteura

L'ADÉNO-LIPOMATOSE SYMÉTRIQUE ' 195

En attendant, la théorie ganglionnaire s'applique beaucoup mieux que

.la théorie nerveuse à tons les faits que nous avons réunis ; elle permet de

comprendre la localisation des tumeurs lipomateuses, leur symétrie, et

enfin leur fréquence, sinon leur constance au niveau du cou et de la nuque,

des creux axillaires et inguinaux, régions si riches en ganglions et en ré-

seaux lymphatiques. Nous croyons donc qu'il s'agit primitivement, ainsi

que le supposait le Pe Hayem, d'une maladie du système lymphatique (gan-

glious et vaisseaux), mais que cette affection est absolument distincte dé la

Lytltphadénie, ainsi que le montrent l'anatomie pathologique, l'étiologie et

surtout l'évolution clinique. Pour nous, les productions lipomateuses ont

pour point de départ un processus général, ayant beaucoup de points de

ressemblance avec celui de l'adéno-lymphocele (1).

Peut-être même 1'.i(léno-lipoiiiitose symétrique à prédominance cervi-

cale, l'adéno-lymphocéle, le pseudo-lipome sus-claviculaire, l'oedème

segmentaire deDebove (pseudo-éléphantiasis névropathiquede Mathieu),

doivent-ils être groupés en une même série morbide.

Observations (Suite).

Uss. XIII (P1.1V ? III, S). - CLUTTON (publié par Mac Coaotac, St-Tliontcts

Hospital Reports, 1884, vol. XIII, p. 294).

Wve P., garçon de café, 44 ans, s'est aperçu de la présence de tumé-

factions derrière la tête il y au semaines.

Les tumeurs sont bilatérales et symétriques et occupent : la région mas-

toïdienne, la partie inférieure et postérieure du cou, la région sus-ma-

xillaire, la région lombaire, la région sus-ombilicale, sous-ombilicale et

le pli du coude.

Les 2 tumeurs de la région mastoïdienne ont été enlevées.

(1) Depuis notre dernier travail MAI. Béclère et Tissier nous ont gracieusement com-

muniqué une observation publiée dans la thèse de Rehns avec examen anatomo-pa-

thologique, qui nous semble confirmer la théorie que nous défendons ici comme la

plus plausible. Leur malade que nous avons pu examiner présentait le facies adéno-li-

pomateux typique, quoique peu développé (bosselures dans les régions sus-hyoïdienne,

sous-maxillaires, rétromasloïdiennes, préamiculaires, etc.). L'ablation de la masse

sous-maxillaire gauche, du volume d'un oeuf de pigeon, montra à l'oeil nu une hyper-

trophie ganglionnaire qu'on put croire tuberculeuse. Mais l'examen histologique le

plus minutieux ne décela ni tubercules, ni cellules géantes, ni bacilles ; l'inoculation

à des cobayes ne provoqua pas chez ces animaux de manifestations tuberculeuses.

Peut-être a-t-on saisi ici l'affection au stade d'hypertrophie ganglionnaire simple, avant

toute dégénérescence graisseuse.

Désireux de parfaire les notions que nous avons établies, nous poursuivons des re-

cherches d'une part sur la topographie des ganglions lymphatiques et d'autre part sur

les relations qui existent entre ces ganglions et le tissu adipeux.

196 P. E. LAUNOtS ET R. BENSAUDE

OBS. XIV (Pl. XXVIII, T). RUOER et BOWLBY, Medico-chil'ul'gical

Transactions, 1886, vol. LXIX, p. 49, cas n° 7.

W. IL, vacher, 29 ans. Alcoolique. Pas de lésions viscérales. Bonnes

digestions et bonne santé générale. A noté,il y al 1 an,la présence de tumé-

factions il la poitrine, à l'abdomen et aux aines. Actuellement il présente

des lipomes symétriques, dans les régions sous-maxillaires, rétro-mastoï-

dienne, pectorale, le long de la ligne blanche, au-dessus du pubis, aux

aines, dans le scrotum derrière chaque testicule et à la partie interne et

supérieure des deux bras. Les tuméfactions globuleuses de la région pec-

torale ressemblent aux seins d'une jeune fille. , '

¡

OBS. XV (PI. XXVIII, U et V). - IlIur.LEr, finclt. de Langenbeck,

V. 39, 1889, p. 652.

Carl. Dr., peintre, 43 ans, entre à deux reprises il l'hôpital de Brunswick

le 2 mars 1888 et le 21 janvier 1889. Les 2 photographies se rapportent

il son dernier séjour à l'hôpital. A ce moment le malade est porteur d'un

volumineux collier lipomateux et présente d'autres tuméfactions graisseu-

ses à la région préauriculaire, à la région mammaire, à la paroi interne du

creux axillaire, au niveau de la ligne blanche abdominale, de chaque côté

de la colonne lombaire, aux aines, à la région poplitée et au-dessus des poi-

gnets. Il existe de plus une tuméfaction dill'use des cuisses, des bras et de

la moitié supérieure des avant-bras.

Les tuméfactions sont apparues d'abord sur le côté gauche puis sur le

côté droit. Le mouvement des bras est gêné. Pas de lésions viscérales. Le

malade a perdu ses forces : au dynamomètre de Collin la force musculaire

marque 25 alors que chez tous les adultes elle atteint 50 et plus. La sensi-

bilité est intacte. les réflexes sont normaux, la réaction électrique est con-

servée. Le pouls est accéléré malgré l'absence de fièvre. Le malade n'a pas

d'érections et a perdu le désir génital.

Pas d'alcoolisme. Le début de la maladie remonte à 8 ans.

On administre de la liqueur de Fowler et on fait des injections d'alcool

absolu dans les tumeurs, mais sans le moindre résultat. ,

Cas. XVI (PI. XXIX). Du Castel, Bull. de la Soc. de demi, et syph.,

1896, t. VII, p. 579-581... .

IIomme de 66 ans, garçon limonadier. Rhumatisant par hérédité et ayant

eu du rhumatisme articulaire aigu. Début de la maladie il y a 26 ans par

une grosseur lombaire. Tumeurs lipomateuses à la nuque, aux régions pa-

rotidiennes, mastoïdiennes, sus-acromiale, deltoïdienne, sacrée; à la face

interne des bras et à la face antérieure des cuisses.

Non. Iconographie DE la SALI'I : C1t11 : RI :

T. XIII. PI. XXIX

ADÉNOLIPOMATOSE SYMÉTRIQUE

(Ln1l111Jis et Bensaude)

Masson & Cie, Editeurs

NOUV. Iconographie DE la SALPÇ7RIRE 0 T. YIjC ? Y[ : 3Zt.KSI ^'

ADENOLIPOMATOSE SYMÉTRIQUE

(Lvunni.c et Bensaude)

Masson & Ci., Editeurs

1

NUU ? ! cONOGRAI'H ! b DE LA SAI.I'J11'KltI\E T. XIII. PI. XXXI

ADENOLIPOMATOSE SYMÉTRIQUE

Cas de Langer

(Lal/l1ais et Bensaude)

Masson & Cle, Editeurs

L'ADÉ ! \0-UPOMATOSE SYMÉTRIQUE 197

OBS. XVII (Pl. XXX). HAYEM, Société méd. des lt6p., mars 1897 et Cli-

nique médicale de l'hôpital St-Antoine (Masson, 1900).

Lem...., 38 ans, employé à la compagnie du gaz. Début assez brusque

y a 5 ans par des tuméfactions de la région parotidienne. Tuméfaction dif-

fuse de la région cervico-faciale. Tumeurs lipomateuses dans les fosses sus-

épineuses, le bord interne de l'omoplate gauche, aux aisselles, aux aines.

Etat éléphantiasique de la peau au niveau de l'aisselle droite. Les tumeurs

empêchent l'adduction des bras, mais ne sont nullement douloureuses. Si-

gnes de compression du médiastin. Leucocytose légère, obésité.

Extirpation d'une tumeur et l'aine par M. Delbet : elle était essentiel-

lement composée de tissus graisseux renfermant de petits ganglions noi-

râtres.

OBS. XVIII (PI. XXX). Malade de M. François SIREDEY dont nous

avons reproduit la tête à part (figure publiée dans la Noucelle Iconographie

de.la Salpêtrière, 1900, n° 4, pl. X, p. 50).

Uss. XIX (tête vue de face située en haut et à droite de la planche XXXI).

Langer (Fritz), Arch. f. klin. Chirurgie, décembre 1893.

Millmann Abraham, 45 ans, marchand à Odessa. Enorme collier lipo-

mateux autour du cou ; d'autres tuméfactions à l'épaule droite, aux bras,

à la partie supérieure des avant-bras. Début il y a 4 ans. Pas de lipomes

dans sa famille.

Extirpation de la tumeur du cou, ouverture et ligature de la veine jugu-

laire interne.

ORS. XX (Corps vu de profil et tête vue du dos située en bas de la plan-

che XXXI). - Langer, Arch. f. klin. Chirurgie, décembre 1892.

J. Dostal, paysan, 36 ans. Pas de tumeurs lipomateuses dans sa famille,

grand buveur de bière. Début il y a 3 ans par tumeur située derrière les

oreilles. Lipomes diffus et symétriques dans la région sous-occipitale, sous

le menton, au niveau des premières vertèbres dorsales dans les régions

mammaires et pubienne ; dos capitonné de masses graisseuses. On enlève

les tumeurs situées derrière les oreilles et celle siégeant au niveau du

pubis qui recouvrait la plus grande partie des organes génitaux. Cette der-

nière opération est suivie d'une hémorragie secondaire et de la gangrène

des téguments. . (A suivre.)

XIII 13

ICONOGRAPHIE

DES

ARRACHEURS DE DENTS

PAR

HENRY MEIGE

Au premier mal de dent remonte sans doute le premier dentiste. Il se

perd dans la nuit des temps.

Ce serait donc une assez lourde tâche que de retracer l'histoire de l'art

dentaire à travers les siècles passés. Je veux me contenter de passer en

revue les images que les artistes ont consacrées aux Arracheurs de dents.

Elles sont nombreuses, et beaucoup ne méritent même pas d'être commen-

tées. Il en est d'autres au contraire dont la valeur artistique se double d'un

réel intérêt médical. Aujourd'hui où l'odontologie a justement conquis une

place dans les spécialités de la science médicale, il peut être instructif de

jeter un coup d'oeil sur ses précurseurs d'antan.

L'Iconographie des Arracheurs de dents a été peu explorée jusqu'à ce

jour.

Parmi les nombreuses oeuvres d'art inspirées par des scènes médicales

ou chirurgicales que Cltarcot et Paul Richer ont analysées, il n'est guère

fait mention que de deux ou trois figurations de Dentistes. A ne compter

que les peintures que j'ai eu l'occasion de rencontrer dans les principales

collections d'Europe, j'ai relevé, pour le moins, une trentaine d'Arracheurs

de dents, et je ne parle pas de toutes celles qui figurent dans les catalogues.

r."l11mp toujours, ce sont leq peintres de genre des Flandres et des Pays-

t.. 1' I'I" »« 171 la ].1." I ? r(' roniribiilion à ces éludes de moeurs mcdi-

' d ? > Les mêmes ral.,ou, que non- axons déjà indiquées, à propos des

11'1' U ? f'/lI'S de ¡1¡'¡'I'Iï'S de Vie cl de* Pédicures, dewiicnt engager les mêmes

artistes à rc'hré·euler \es Arracheurs de dents.

Charlatans en plein vent ou barbiers-chirurgiens enfouis dans leurs

sombres officines séduisirent à tour de rôle les amateurs de plein air ou

de clair obscur.

ARRACHEURS- DE DENTS 199

Les costumes fantaisistes, les voyants oripeaux, les estrades branlantes

agrémentées d'affiches bizarres et d'ustensiles effrayants, le boniment pom-

peux de l'opérateur, les grimaces de l'opéré, et les faces ébahies des ba-

dauds entassés tout autour, c'est plus qu'il n'en fallait pour inspirer un

sujet de tableau. ,

Comme aussi les boutiques enfumées où travaillaient les barhiers de

village, dans un entassement pittoresque de fioles, d'animaux, de plantes

desséchées, de marmots et de squelettes, ne pouvaient échapper à l'oeil

observateur des peintres naturalistes flamands et hollandais.

Et puis, comme ces derniers étaient souvent d'humeur railleuse, pour

eux le mal de dent se prêtait à merveille aux scènes humoristiques. Sans

doute,c'est un mal douloureux entre les plus douloureux ; maison sait qu'il

n'estpresque jamais grave. Il était donc permis d'en rire, sans trop d'in-

humanité. Ayant ri, les peintres des Pays-Bas songeaient aussitôt à faire

rire les autres.

Aussi, la plupart des tableaux qu'ils ont consacrés aux Arracheurs de

dents comportent-ils une note joyeuse; on ne saurait s'en formaliser.

On y trouve d'ailleurs des renseignements intéressants sur les costu-

mes, les pratiques et les moeurs de ces premiers adeptes de l'odotonlogie.

Et les images, dont quelques-unes sont de véritables chefs-d'oeuvre, com-

pensent avantageusement la pénurie des documents écrits consacrés à ces

spécialistes du XVIe au XVIIIe siècle.

La liste des principaux tableaux des écoles flamandes et hollandaises

peut donner une idée de la richesse artistique de la collection des Arra-

cheurs de dents en peinture.

Voici d'abord, parmi les meilleures oeuvres signées des maîtres les plus

réputés, celles que j'ai eu l'occasion de relever.

Gérard IIONTHoRsT (1S92-1G662).

L'arracheur de dents (musée de Dresde), avec une réplique dans la col-

lection Lichtenstein, à Vienne.

Théodore HOMHOUTS (lGCJ7-9(i37.

Le Charlatan arracheur de dents (musée du Prado, à Madrid), avec

une copie au musée de Prague.

ÂORIAEN BROUWER (1605-1638).

L'arracheur de dents (musée de Cassel, coll. Hamich), avec une copie

au musée de Carlsruhe.

Le dentiste (galerie Lichtenstein, Vienne).

L'opérateur (dans l'ancienne galerie Kums, Anvers).

Adraen vaN Osu : DE (1610-1685).

L'arracheur de dents (galerie de Vienne).

200 henry MEME -

DAVID TEMIERS LE JEUNE (1610-1690).

L'arracheur de dents (musée de Cassel).

L'arracheur de dents (musée de Dresde) avec une copie à Berlin (coll

Raczynski).

Le charlatan (copie coll. Raczynski, Berlin).

L'arracheur de dents (musée de Rennes).

DAVID RYCKAERT LE JEUNE (1612-1661).

L'arracheur de dents (musée de lVIonthellier).

GÉRARD Dow (1613-1675)." *

. L'arracheur de dents (musée du Louvre), copies aux musées d'Amiens

de Montpellier, etc.

L'arracheur de dents (musée de Dresde), copie dans la galerie de Schwe-

rin, autre copie au lavis par G. Klengel (Dresde).

Le dentiste (galerie de Schwerin), copie dans la galerie d'Aschaffen-

burg.

Le dentiste (galerie Six, à Amsterdam).

JAN STEEN (1626-1679).

Le dentiste (musée de la Haye).

L'arracheur de dents, dessin (musée du Louvre).

A cette série dont la valeur artistique est de premier ordre, il faut ajouter

une seconde liste, non moins longue, comprenant les oeuvres des élèves et

des imitateurs des maîtres précédents. Tels sont en particulier :

JAN VICTOOR (1620-1682).

L'arracheur de dents (Rijk Muséum, Amsterdam).

CORNELISZ BEGA (1620-1644).

Chez le dentiste, dessin au musée de Weimar.

AuDRIES BOTH ( ? -1650).

L'arracheur de dents, tableau disparu, gravé à l'eau forte par Jan Both.

JAN LINGELBACII (1625-1687).

Le Dentiste à cheval (Rijk Muséum, Amsterdam).

La piazza del Popolo, à Rome (Académie de Venise).

GERARD Thomas ( ? -1721), imitateur de Téniers.

Un charlatan (musée de Dijon).

FRANS Molenaeh.

' Un dentiste (musée des offices, Florence).

Les maîtres flamands et hollandais ont eu encore des imitateurs tardifs

dans les autres pays d'Europe.

En Allemagne :

arracheurs DE DENTS 201

.1. %-AN IIEL,1101\'T (1683-1726).

Un dentiste (musée d'Augsburg).

CuR.\\r. D1ETRICY (1712-1774).

' Le dentiste (galerie de Schwerin).

En Italie :

PIETHO LONGIII (1702-1785).

La Pharmacie (Académie de Venise) ..

Et, bien entendu, celle liste est loin d'être complète. On devrait la faire

suivre encore de la collection des peintures non signées dont l'attribution

reste douteuse, et de celles où l'Arl'llc ! teur de dents n'est qu'un épisode

d'une composition plus importante :

Tels sont parmi les tableaux de ce genre qui nous paraissent dignes

d'être mentionnés.

Un arracheur de dents (Ecole hollandaise, XVII" siècle, musée de Rot-

terdam).

Une Kermesse de P. 13RUECnEC le Jeune, au musée d'Augsburg,

La Place du Met, à Anvers (Ecole flamande du XVIIe siècle, musée

d'Anvers). '

Ce n'est pas tout. '

L'Iconographie des Arracheurs de dents est presque aussi riche en gra-

vures qu'en peintures. Les Flamands, les Hollandais, les Allemands, les

Italiens ont coopéré à ces illustrations. Les plus anciennes remontent aux

toutes premières années du XVI" siècle, gravures sur bois, sur cuivre,

eaux fortes, etc. dont la collection pourrait s'étendre jusqu'à nos jours.

Nous en ferons connaître, chemin faisant, quelques spécimens parmi

ceux qui peuvent contenir des renseignements curieux et intéressants.

En tête de la galerie des Arracheurs de dents nous placerons une fine

gravure de Lucas de 1,EYI)E (li9li-1533) tirée de la collection d'estampes

du musée de Dresde.

Plusieurs raisons font qu'elle mérite la première place. D'abord, son

incontestable valeur artistique, ensuite son ancienneté : elle est datée de

1523. Enfin, Lucas de Leyde semble avoir été un des principaux précur-

seurs des peintres naturalistes de son pays et des provinces voisines.

Ses oeuvres picturales sont malheureusement fort rares ; elles semblent

d'ailleurs ne pas atteindre il la perfection de son oeuvre gravé. Ce dernier

par contre est de tout premier ordre ; il fut justement admiré par ses con-

202 HENRY MEIGE

temporains, et en particulier par Albert Durer qui regarda comme un hon-

neur de conquérir l'amitié du maître hollandais.

Je n'ai pas à insister sur le talent de graveur ; mais il n'est pas superflu

de mettre en valeur la finesse d'observation et l'amour de la vérité natu-

raliste qui furent les qualités dominantes de Lucas de Leyde. On dit qu'il

s'exerça dès l'enfance à manier le crayon et le hurin dans l'atelier de son

père, peintre de vitraux, et que son premier maître, Corneliss Enghel-

brechtsx, fut bien vite surpassé par le jeune apprenti. Toujours est-il qu'il

dessinait avec passion, et toujours s'efforçait de copier la nature. Il acquit

ainsi une surprenante habileté à saisir sur le vif toutes les scènes de la

vie courante et à les fixer en quelques traits fermes et précis.

De là, toute une série de croquis, « d'instantanés » si l'on peut ainsi

dire, qui devinrent prétextes à des compositions gravées. La sincérité

et l'exactitude des physionomies, des altitudes, des costumes et desacces-

soires atteignent à la perfection. Et le soin du détail n'exclut pas le mou-

\ement ni la vie. Bien plus, dans nombre de ces dessins on voit percer

déjà cette humeur finement railleuse, celtespirituelle ironie que devaient

manier plus tard avec tant de \erve et de talent les Bruegel, les Van Ostade.

les Teniers, Jan Steen, etc. et leurs imitateurs.

Par malheur, Lucas de Leyde ne vécut pas longtemps. Après avoir

connu toutes les joies' de la richesse et de la gloire, il tomba, vers sa tren-

tième année, dans une langueur mélancolique dont il ne sortait que pour

se livrer à un travail opiniâtre. Il mourut à Leyde à peine âgé de trente-

neuf ans.

L'Arracheur de dents de Lucas de Leyde est une scène ;'1 la fois réaliste

et satirique (Fig. 1).

Près d'une table recouverte d'un tapis où l'on voit des sachets de pou-

dre, des pois d'onguent, des spécifiques de toute espèce, surmontée d'une

bannière et d'un parchemin garni d'un sceau le diplôme du dentiste

l'opérateur et l'opéré se tiennent debout, accompagnés d'une femme.

L'arracheur de dents est de martiale allure : moustachu, coiffé d'une

barette crénelée ornée d'une couronne de médailles et de molaires, col de

fourrures et manches à crevés, il porte à la ceinture une longue épée et

une dague. Attirail guerrier que la tradition a conservé jusqu'à nous et

qu'affectionnaient encore, il y a quelques années, les charlatans ambulants

dans les villes de province. Parfois même le sabre pendu à leur côté ser-

vait à extraire les dents les moins récalcitrantes. Ce n'était peut-être ni

bien sûr ni bien pratique; mais le succès n'en semblait que plus presti-'

ARRACHEURS DE DENTS 203

Le dentiste de Lucas de Leyde opère avec moins de maestria et n'est

armé que d'un instrument professionnel de forme indécise.

Son client, pauvre hère aux habits troués, un vieux coutelas il la cein-

ture, trépigne de douleur, crispe ses doigts et serre nerveusement son

bonnet, mais l'opérateur lui tient ferme la tête et attaque sans faiblir la

mâchoire endommagée.

Que vient faire la femme qui se tient par derrière ? Rien de bon, du

moins pour l'opéré. Car, tout en feignant de s'apitoyer sur sa souffrance^

elle profile de cet instant éminemment propice pour faire passer le conte-

tenu de l'escarcelle du pauvre diable dans la bourse qu'elle-même porte

surson giron.

Nous voilà édifiés sur le peu de scrupules de ce charlatan dont la non

Fig. 1. L'Arracheur de dénis, gravure de Lucas de LEYDR, musée de Dresde.

204 HENRY MEIGE

moins scrupuleuse compagne, - car c'est elle assurément, abuse avec

cynisme de la triste condition du patient.

Les opérateurs de cet acabit, « courreurs, abuseurs et larrons », comme

les appelait Ambroise Paré, foisonnaient au XVI8 siècle etprélevaient une

dîme audacieuse sur les malheureux paysans.

On les confondait volontiers avec les coupeurs de bourses et les détrous-

seurs de grands chemins. Leur discrédit et le mépris qu'on avait pour

eux semblent les seules choses qu'ils n'aient pas volées.

La gravure de Lucas de Leyde n'a pas d'autre signification.

Ce procédé de « vol à l'opéré » semble avoir élé de pratique courante,

si l'on en juge par les documents figurés qu'il inspira.

Dans une grande Kermesse près d'une hôtellerie par Pierre Brueghel LE

JEUNE (d'enfer) (1564-1637) qui se trouve au musée d'Augsbourg, nous

avons retrouvé, presque identique, la scène de la gravure précédente.

Je passe sur les multiples épisodes figurés dans cette vaste composition

danses, festins, sarabandes, jeux de toutes sortes, courses à pied ou à che-

va), cérémonies variées, etc.

A gauche, un charlatan a dressé son eventaire de pots, de sachets, de

flacons, surmonté d'une pancarte ornée de médailles et de sceaux.

Laid, barbu. vêtu de couleurs criardes, dague au flanc, il laboure la

mâchoire d'un pauvre villageois assis sur un tonneau. Et l'homme, affolé

par la douleur, ne s'aperçoit pas que, derrière lui, une jeune femme est en

train de vider son escarcelle de l'air le plus innocent du monde. Mais ici

la scène a des témoins et l'on peut prévoir que les choses ne tarderont pas

à mal tourner pour le peu délicat opérateur.

Car un homme et une femme, assis non loin de là et qui semblaient

absorbés par une conversation fort intime, s'aperçoivent soudain de la

supercherie et désignent le voleur à la vindicte du public (1)

Le tableau en question est daté de 1616. Il est donc postérieur de près

d'un siècle à la gravure de Lucas de Leyde. Il ne semble pas que la mora-

lité des arracheurs de dents en plein air se soit amendée pendant ce temps.

(1) De l'autre côté de la table du charlatan, une vieille femme est assise, le front en-

touré d'un linge et tenant sa tête à deux mains ; elle rappelle par son attitude les

clientes ordinaires des Arracheurs de pierres de tête, telles que les a représentées 1>.

llruegel le Vieux,le père de l'auteur de ce tableau. Le charlatan de la Kermesse d'Augs-

bourg se livrait peut-être aussi à ce genre d'extractions fantaisistes. On voit sur la

table plusieurs objets qui pourraient être des soi-disant « pierres de tête ».

(A suivre.)

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XIII. PL. XXXII,

LES ARRACHEURS DE PIERRES DE TÊTE

Tableau du Musée de Saint-Omer.

Massok et Ci', Éditeurs.

A PROPOS D'UN TABLEAU DU MUSÉE DE ST-OMER

REPRÉSENTANT LES 1

«ARRACHEURS DE PIERRES DE TESTE»,

PAR

H. GAUDIER,

Professeur agrégé à la Faculté de Médecine de Lille.

Il y a quelques mois, à l'occasion d'une visite au musée de St-Oi-ner ? Ie

Dr Bachelet nous fit remarquer un tableau classé sous la rubrique : « Opé-

ration de la pierre de teste », et qui nous intéressa vivement. Ce. tableau

situé dans la première salle du musée et fort mal éclairé d'ailleurs,, loin

de la lumière, était catalogué sous le numéro 18 du catalogue publié par

M. Ch. Revillon, conservateur du musée (Pl. XXXII). ,

Voilà ce que disait à son sujet la notice du catalogue : ..

« 18. Opération de la pierre de teste. - Bois, hauteur 0 m. 77, lar-

geur 1 m. 07. ' .

oc Composition grotesque. Un patient lié à un fauteuil se débat sous l'im-

pression de la douleur que lui cause le chirurgien qui l'opère ; derrière le

fauteuil apparaît une figure grimaçante. A gauche, un autre,patient est

tombé avec le fauteuil auquel il est lié ; l'opérateur attaché son client

l'a suivi dans sa chute, et continue à lui inciser le front. A droite, un client

à la figure épouvantée se trouve entre deux .opérateurs qui paraissent le

maintenir étroitement ; celui de droite tient dans la boucheun instrument

tranchant. A l'arrière-plan, un malade est apporté sur le dos d'un bon-;

homme dont il entoure la tète de ses deux bras; derrière .apparaît un,

groupe d'arrivants ; l'un d'eux a enfoncé le panneau d'une porte et regarde,

curieusement à l'intérieur de la salle. A gauche, un malade assis dans un,

fauteuil tient un sabre sous le bras ; il a le pied déchaussé,et le. front ceint,

d'un bandeau. A gauche encore de ce personnage un patient est attaché

au fauteuil sur lequel il est assis ; une religieuse lui bande le front; il

en est d'autres enfin dans des positions diverses. " .. , '. ' ?

Acheté en 1881, ce tableau a figuré à l'exposition rétrospective d'Arras.

en 1896 ; attribué à Breughel Pierre, le vieux, dit le drôle ou des paysans,

206 H. GAUDIER

né à Breughel, village près de Bréda vers 1525, mort à Bruxelles le 5 sep-

tembre 1569. Une étiquette ancienne collée derrière le tableau donne

cette indication peu précise : « Breughel d'Enfer. Un hôpital ».

Le tableau n'est pas très bien conservé; il a été reverni à une époque

antérieure, à l'achat par le musée de St-Omer. De plus il est fendu en

2 endroits : aussi produit-il à la place où il est suspendu au musée un assez

mauvais effet; mais si on le change de position et si on l'éclairé bien il

prend une tout autre allure : les couleurs crues s'éclairent à merveille,

ce sont des jaunes serin, des bleus et des verts, et certaines têtes prennent

un aspect tout à fait curieux, par exemple le groupe central qui repré-

sente un médecin en train d'extraire une « pierre de teste » (P1.1111).

En feuilletant la Nouvelle Iconographie de la Salpêtriére (n° 2, année

1899) nous avons rencontré à la page 170 un article intitulé « un nou-

veau tableau représentant les Arracheurs de pierres de leste, par le Dr Henry

Meige.

Ce dernier s'est depuis longtemps occupé de cette question des Pierres

de teste qu'il a étudiée à plusieurs reprises (1).

Dans l'article que nous signalons se trouvait la reproduction phototy-

pique d'un tableau au premier abord identique à celui deSt-Omer. Ce ta-

bleau qui appartenait autrefois au Dr Mesnet appartient actuellement au

Dr Paul de Molènes. C'est un panneau de bois, hauteur 0 m. 51, lar-

geur 0 m. 66, non signé ; on lit dans un coin en bas à droite une fausse

.signature « 1-lolbeiti ». grossièrement apocryphe. M. Henry Meige qui étu-

die de très près ce tableau, pense qu'en raison de certaines incorrections de

travail (figure d'expression uniforme, mains inhabiles, plis des étoiles

lourdement indiqués, touches lumineuses épaisses et maladroites) cette pein-

ture n'est pas de la main de Breughel l'Ancien auquel on l'a attribué; il

s'agirait pour lui d'une copie exacte, quoique fort médiocre.« d'un tableau

de Breughel l'Ancien, tableau aujourd'hui disparu». Nous ne connaissons

du tableau appartenant à M. Paul de Molènes que la reproduction photo-

typique donnée dans la Nouvelle Iconographie et à laquelle nous venons

de faire allusion, mais nous pensons que le tableau du musée de St-Omer

est justement ce tableau original de Breughel l'Ancien que l'on croyait

disparu. En effet, le tableau de M. de Molènes, s'il parait au premier abord

être 'de tous points identique à celui de St-Omer, offre cependant-avec.,lui

des dissemblances frappantes. D'abord il est plus petit, ce qui est en géné-

(1) IlEfRY Les peintres de la médecine [Ecoles flamande et hollandaise). Les

opérations sur la tête. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, no 4, 1895, et Les arra-

cheurs de pierres de tête ; .lanus, 5° liv., 1891. Voir aussi Documents nouveaux sur les

opérations sur la tête, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, n° 2, 1898, no 2, 1899

et Pierres de tête et pierres de ventre, Ibid., ne 1, 1900.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T, XIII, PL. XXXIII.

LES ARRACHEURS DE PIERRES DE TÈTE

Détail du tableau du Ilusvc du SnintOl11cr.

Masson et C ? Éditeurs.

ARRACHEURS DE PIERRES DE TESTE 207

ral le propre d'une copie. Mais ce détail en lui-môme est peu important;

en effet si l'on se reporte à la phototypie de M. Meige, p. 171 et si on la

compare avec la reproduction que nous donnons ici du tableau du musée

de St-Omer, il est facile de voir que le copiste s'est contenté d'un à peu

près. Dans le tableau de St-Omer le premier plan, constitué par un homme

obèse assis dans un fauteuil, que l'on est en train d'opérer et qui se débat,

est d'une expression tout à fait curieuse et d'une facture soignée. L'opé-

rateur revêtu d'une grande robe, très attentif à ce qu'il fait, est d'un mo-

dèle parfait. Comparez les deux expressions de physionomie dans notre

tableau et dans celui du Dr de Molènes : dans le premier, c'est une tête

fine, narquoise, ainsi que celle du comparse qui, appuyé sur le dossier

du fauteuil suit la scène attentivement.

' Dans l'autre, au contraire, la physionomie est toute différente et le co-

piste n'a pas été adroit, l'oeil est grand ouvert et la figure plate et sans re-

lief, prend une expression de méchanceté bestiale. Quant à la tête du pa-

tient un simple examen des deux tableaux montre les différences non seu-

lement d'expression, mais encore d'attitude, l'une étant très inclinée,

l'autre presque droite. Il existe encore des dissemblances dans le costume

du patient ; pieds chaussés dans le tableau du musée de St-Omer, nus dans

celui de Paris. Nulle ressemblance entre la commère assise dans un panier

au premier plan dans notre tableau et celle du tableau de Paris. Il y a

bien d'autres dissemblances portant sur l'ensemble du sujet et sur certains

détails de physionomie mais qui sautent aux yeux en comparant lesplan-

ches photo typiques reproduisant les deux tableaux.

Il est un fait intéressant, selon nous, c'est celui des signes tracés par

le soufflet que tient la sorcière assise au 1er plan, et dont nous n'avons

pu trouver la signification ; ce ne sont point là de simples jeux de lumière

mais bien des signes cabalistiques, ou une signature.

Nous concluons qu'au point de vue de la facture et de l'exécution, le

tableau du musée de St-Omer est bien supérieur à celui qui appartient au

DrPaul de Molènes, qui n'en est qu'une copie peu fidèle. D'un autre côté

quel en est bien l'auteur ?

Ce point n'est pas facile à élucider ; ce peut être Breugbel l'Ancien,

mais en général la peinture en est plus soignée et le dessin beaucoup plus

fini. Et puis la dynastie des Breughel comprend un grand nombre de

peintres doués de qualités à peu près semblables et qui se sont emprun-

té des sujets, ou ont copié des scènes analogues. Entre certains d'entre

eux, la différence est fort difficile à faire.

Dans le doute nous.ne concluons pas, n'ayant voulu apporter ici qu'un

nouveau document de plus à l'histoire des arracheurs de pierres de teste.

ICONOGRAPHIE MÉDICO-ARTISTIQUE

. LE BARBIER -CHIRURGIEN

Gravure de Lucas de Leyde (1524).

Faisant pendant à l'Arracheur de dents dont il a été parlé antérieu-

rement, une autre gravure de LUCAS de Leyde, datée de 1524, se trouve

dans les collections du musée de Dresde (1). (Pl. XXXIV.)

Un chirurgien',h6mme'agé,ne portant que la moustache, est assis sur une

chaise, coiffé d'un bonnet de forme phrygienne, habillé d'un vêlement à

large col,de fourrure, manches à crevés, souliers de même, une longue

escarcelle pendue à la la ceinture ; il écarte d'une main l'oreille du patient,

de l'autre il tient un long couteau au manche duquel pendent deux gre-

lots. Avec la pointe, il semble faire une incision derrière l'oreille.

Entre ses genoux, l'opéré, misérablement- vêtu, est assis par terre, les

jambes croisés, faisant avec la main un geste de défense.

. De quelle opération s'agit-il ?

Un bassin de métal figuré sur un coin de table donne à penser qu'il est

question d'une saignée.

On pratiquait volontiers la saignée derrière l'oreille pour guérir les

« assoupissements, rêveries » migraines, vertiges, causées par les « humeurs

croupissantes du cerveau». Paul d'Egine, A. Paré, Fabrice d'Aquapen-

dente les reéommandaient expressément. ,

Les incisions derrière l'oreille se retrouvent d'ailleurs sur un certain

nombre d'oeuvres d'art des écoles des Pays-Bas, en particulier, dans trois

tableaux de Jean Steen que nous avons déjà étudiés, l'Opérateur du

musée de Rotterdam, le Charlatan du musée d'Amsterdam, et un autre

Opérateur, au musée de Bruxelles. Pour les deux premiers il s'agit mani-

festement de l'extraction simulée des '« Pierres de tête ». Dans le troi-

sième, la supercherie des cailloux n'est pas clairement indiquée.

Sur notre gravure, la présence des grelots au manche du couteau opé-

ratoire doit avoir une signification allégorique, visant soit le charlatanisme

de l'opérateur, soit le dérangement d'esprit de l'opéré (2).

H. M.

(1) Une troisième gravure de la même série, intitulée Le Médecin,représente un doc-

teur assis près d'une femme et tenant à la main une sorte de récipient à médicaments.

- (2) J'ai trouvé, l'an dernier, au musée d'Aix, en Provence, une petite peinture, fine

et soignée, qui reproduit exactement cette gravure. Les vêtements de l'opérateur sont

d'un bleu tirant sur le vert ; l'opéré est tout en rouge.

Le gérant : P. Bouchez.

Iiup. J. Tlieveaot, Saint-Dizier CHaute-Marne).

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE. T. XIII. PL. XXXIV

LE BARBIER CHIRURGIEN

D'après LUCAS DE LEYDE. (1524.) ! A""O 1J"l' Ci'. EdltcurS.

130 ANNÉE. ? 3. MAI-JUIN

HOSPICE DE l3lCÎ : TRE

TIIA V AIL DU LABORATOIRE DE M. LE I ? PIERRE MARIE

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE

PAR

RENÉ MARTIAL.

Pour mieux faire comprendre et plus simplement le but du 1" wvm

travail, nous dirons quelques mots de sa genèse. Il nous fut inspiré par

M. le professeur agrégé Pierre Marie. Notre maître ayant dans son service

quelques cas d'hémiplégie traumatique dus à l'introduction de corps

étrangers dans le crâne, par la voie orbitaire, nous conseilla de les

étudier. Mais comme une étude en amène toujours une autre et qu'une

enquête sur un sujet donné fait connaître qu'il s'enchaîne à d'au-

tres sujets, nous fûmes amené à l'étude des différents traumatismes crâ-

niens capables de déterminer une hémiplégie. C'est ainsi que le travail

s'étendant, le sujet a dû être intitulé : De l'hémiplégie traumatique. Non

qu'il soit une nouveauté : ainsi qu'on pourra le voir, les observations

déjà nombreuses de cette affection remontent des dates relativement an-

ciennes ; mais, à notre connaissance du moins, personne n'avait encore

fait un travail d'ensemble. C'est ce que nous essayons aujourd'hui et ce

pourquoi nous demandons l'indulgence du lecteur : l'idée est d'un maître,

mais l'exécution est d'un apprenti.

Nous n'avons pu réunir en tout que 47 observations bien nettes

quelques-unes un peu sèches cependant mais en faisant nos recherches

bibliographiques, nous avons trouvé un certain nombre de cas cités dont

il ne nous a pas été possible de découvrir les observations, ce qui porterait

le nombre de ces cas à une soixantaine environ. On ne trouvera ici rien de

spécial sur l'hémiplégie en soi, mais nous insisterons plus spécialement

sur l'étiologie qui est dans bien des cas très curieuse, et dont les condi-

tions se réalisent assez souvent dans la pratique, et sur la pathogénie.

Toutefois l'hémiplégie traumatique se compliquant souvent d'hémianopsie,

la description de l'affection nous retiendra quelque temps à cause de cet

intéressant symptôme.

xiii 14

210 RENÉ MARTIAL '

Les particularités de certains traumatismes nous ont conduit à rechercher

plus exactement comment les choses se passaient. A ce propos, n'ayant que

très peu d'autopsies en notre possession nous avons fait des expériences

cadavériques destinées à rendre compte des faits cliniques. Nous avons

consigné ces expériences et dessiné nous-même des cerveaux et des coupes

de cerveaux sur lesquels on voit le trajet suivi par le corps étranger. Ce

sont les planches que l'on rencontre en feuilletant ces pages. Bien que

désireux que ce tableau d'ensemble soit aussi fouillé dans ses détails que

possible, nous avons dû nous limiter et borner notre sujet. C'est pourquoi

... nous ne parlerons pas ici de l'importante question des hémiplégies par

traumatisme au moment de la naissance (application de forceps), ni de la

question non moins étenduedu traitement. Lepremier cas regarde MM. les

accoucheurs ; quant au second, il est tout entier entre les mains de

MM. les chirurgiens, qui comptent d'ailleurs déjà de nombreux succès à

cet égard.

Le présent travail comporte donc l'étude de l'hémiplégie traumatique à

tous les âges de la vie sauf au premier, aux différents points de vue de

l'étiologie, de la clinique et de la pathologie, nous y ajouterons quelques

considérations sur les suites éloignées ; ces considérations ne nous parais-

sent pas dénuées d'intérêt, elles auront trait principalement à l'état psy-

chique et à la question médico-légale.

Nous citerons dans le courant même de celle étude les observations les

plus intéressantes et les plus probantes suivant le point de vue abordé, les

autres seront placées à la fin de notre texte pour qu'on puisse les consulter

si besoin est.

Monsieur le professeur 0. Tilmann,de Greisswald,a fait des expériences

sur des chiens vivants pour étudier ensuite le trajet des projectiles.

M. Fisher de New-York en a fait d'autres pour déterminer les points faibles

de la dure-mère, MM. Kocher-Ferrari ont étudié sur le cadavre comment

se propagent les coups frappés sur la calotte crânienne ; nos expériences

personnelles ont eu pour but d'essayer de nous rendre compte des trajets

suivis par des corps vulnérants passant par la voie orbitaire en particulier,

et aussi d'une manière plus générale d'étudier le chemin suivi par des corps

pénétrants dans certaines circonstances. Les rayons X n'ont pu jusqu'à

présent donner que des renseignements insuffisants à ce sujet.

Voici comment nous avons procédé. Nous nous sommes munis de broches

en fer dont la surface de section à la partie moyenne est d'environ 3 mm. 5.

La pointe ne mesurant pas plus d'un demi-centimètre de long en avait été

limée de telle sorte qu'on puisse y assujettir par une boucle un fil de fer

suffisamment résistant qui courait le long de la lige.

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 211

Nous plaçant ensuite dans la position voulue, nous enfonçions la broche

dans l'orbite, cherchant à la faire passer dans le crâne, puis dans le cer-

veau. Une marque était faite sur la tige afin de pouvoir mesurer ensuite

quelle portion avait pénétré. Saisissant alors la broche de la main

gauche, et maintenant habilement le fil de fer en place, nous retirions la

tige. Le plus délicat était l'autopsie cérébrale consécutive. Avec un peu

d'habitude nous sommes parvenus à laisser le fil de fer bien en place. Les

cerveaux ayant déjà été formulés sur le cadavre, contenaient et retenaient.

bien ce fil. Ils étaient placés dans du liquide de Millier pour être des-

sinés plus tard. Quelques-uns cependant ont été dessinés sur place. Les

coupes pour l'étude ont été faites suivant le trajet indiqué par le fil de-

meuré en place, le couteau suivant ce fil avec soin. Dans nos dessins le

trajet est représenté par un simple trait noir, qu'il est facile de trans-

former par la pensée en un trajet plus large, comme celui d'une balle de

revolver par exemple.

Historique.

C'est en 1844 que nous trouvons la première observation de paralysie

traumatique. Elle est due à un médecin de Lyon, M. le Dr Fouhoux (on

en trouvera le texte avec un certain nombre d'autres à la fin de notre

travail). En 1863 paraît une observation, discutable d'ailleurs, de Sonrier,

puis peu à peu les documents se multiplient et à partir de 1875 nom-

breux sont les auteurs qui publient des cas d'hémiplégie traumatique

tant en France qu'à l'étranger; parmi eux nous citerons MM. Duplay,

Berger, Manquât, Grasset, P. Marie, Panas, Pitres, Abel et Colmann,

Browning, Bergmann, Schlôffer, Bechterew, Vernie, Kraft-Ebing, Ca-

paccini. Personnellement nous en possédons quatre observations con-

cluantes. Les observations ont d'autant plus de tendance à se multiplier

qu'elles attirent davantage l'attention des chirurgiens.

Étiologie.

L'hémiplégie traumatique est-elle fréquente ? Ce n'est pas une chose

rare, mais nous sommes dans l'impossibilité de dire sa fréquence absolue.

Il faudrait, en effet, faire à ce sujet une statistique qui portât sur tous les

traumatismes crâniens pendant une certaine période de temps, de laquelle

on extraierait le nombre des traumatismes suivis, immédiatement ou non,

d'hémiplégie. C'est un travail impossible vu le nombre des traumatismes

du crâne. Cependant M. Sclilô[fei- de Prague ayant réuni vingt cas de

. traumatismes crâniens afin de les étudier au point de vue de l'intervention,

Iious avons compté dans cet ensemble 9 cas compliqués d'hémiplégie. Le

tout porta sur un ensemble de 9 années de 1889 à 1898.

212 RENÉ MARTIAL

Nous nous sommes efforcé de réunir tous les cas publiés à ce sujet et

nous pouvons dire qu'il en a bien actuellement une soixantaine disséminés

dans toute la littérature médicale. Nous en avons trouvé dans presque

toutes les langues d'Europe, mais nous n'avons pu réunir que 47 cas suffi-

samment nets. Malheureusement quelques-uns d'entre eux sont un peu

dénués d'intérêt à cause qu'ils n'ont pas été observés avec assez de soin.

Mais il n'en demeure pas moins acquis que les cas d'hémiplégie trauma-

tique ne sont pas très rares.

Les traumatismes qui donnent lieu à cette affection sont extrêmement

variés. Sur les 47 cas dont nous parlons plus haut, 21 sont dus à des coups

ayant porté sur le crâne, lia des balles de revolver, 10 à des chutes sur

le sol ou sur des instruments piquants, 4 autres à des instruments péné-

trants et 1 il une brûlure profonde de la région temporale chez un enfant.

Considérés au point de vue de l'intervention d'autrui, ces observations

peuvent encore être divisées en deux groupes : celui où une blessure a été

faite, un coup donné avec intention, et celui des accidents purs et simples.

Dans la première catégorie nous compterons alors 5 tentatives de suicide

et 15 cas suites de coups et blessures. On conçoit immédiatement que ce

serait là presque un chapitre de médecine légale à étudier. Dans la seconde

catégorie, nous rangerons 27 accidents divers.

Les 5 tentatives de suicide ont toutes eu lieu avec le revolver ; les coups

donnés sur la tête l'ont été avec les objets les plus variés. Un homme est

frappé d'un coup de bâton, de manche à balai,un autre reçoit un coup de

couteau dans la région pariéto-temporale et on retrouve un fragment de

la lame dans l'hématome sous dure-mérien, une autre fois l'arme conton-

dante est un litre, ou une pierre, ou même une boule de neige très serrée

contenant un caillou. Inutile d'ajouter que tous ces coups sont reçus au

cours de bagarres et de rixes entre hommes plus ou moins ivres. Cette

étiologie est facile à imaginer et par conséquent banale.

Mais les faits,que nous rangeons dans la catégorie des accidents, offrent

des particularités plus intéressantes. En voici quelques exemples.

Une petite fille de 7 ans 1/2 reçut un coup de revolver tiré par mégarde ;

la balle entra au niveau du bord inférieur de l'orbite droit sur une ligne

verticale passant par le trou sous-orbitaire. Au bout de quelques jours ap-

paraissait l'hémiplégie (ce cas dont l'observation appartient à M. le pro-

fesseur Marie sera cité plus loin en détail). Bramwett rapporte l'histoire

suivante : un jeune garçon jouait avec ses petites soeurs dans une chambre

servant de cabinet de débarras à des modistes. Ces dernières avaient rangé

sur le plancher des supports pour chapeaux. Chacun de ces supports était

composé d'un pied en bois d'où sortait une tige verticale en fer de plu-

sieurs pouces de long. Il y avait là un grand nombre de ces ustensiles,

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 213

les enfants avaient'placé dessus des planches et s'amusaient à danser à

l'extrémité de l'une d'elles. Une des planches glissa, le petit garçon

tomba sur la pointe d'une des tiges en fer, si malheureusement qu'elle

perfora l'orbite droit et pénétra dans le cerveau sans blesser d'ailleurs le

globe oculaire.

Nous comptons parmi les observations que nous avons prises à l'hospice

de l31cétre un cas qui offre quelque similitude avec le précédent. Nous en

citerons la relation ici même, et en entier afin de ne pas la rendre obscure

en la scindant.

Observation I.

G..... Jacques, plombier, âgé de 46 ans, est entré à Bicêtre pour une hémi-

plégie avec contracture. Rien à signaler au point de vue de ses antécédents

héréditaires ou personnels. C'était un homme vigoureux et bien découplé qui

a fait son service militaire comme prévôt d'escrime et qui parfit son instruc-

tion sportive à l'école de Joinville-le-Pont.

Le 15 décembre 1889 il se trouvait dans la boutique d'un marchand de vin

où se réunissait un comité boulangiste dont il était le secrétaire. Après la dis-

cussion entrecoupée de quelques libations, le frère du patron de l'établisse-

ment proposa un assaut. Aussitôt dit aussitôt fait. Des fleurets et des masques

se trouvèrent là. Pendant une reprise, notre homme fut touché au masque par

son adversaire. Celui-ci continuant à pousser et le masque un peu vieux cédant,

G..... Jacques reçut la pointe du fleuret dans l'oeil. Ou s'aperçut après que ce

fleuret était démoucheté.

La lame avait pénétré dans le cul-de-sac conjonctival, au-dessous de l'oeil

droit, le long de la paroi inférieure de l'orbite et dans sa partie moyenne. Le

malade tomba en poussant un cri, mais sans perdre connaissance. On lui offrit

un verre de vin pour le remettre et on remarqua en même temps qu'il était

paralysé du côté gauche. Il fut couché dans la maison et tomba la nuit de son

lit en voulant se lever. Transporté le lendemain chez lui, il commença à souf-

frir beaucoup de la tête, et la sentait « attirée vers le côté gauche ».Il n'avait

en rien perdu l'usage de la parole.

Le 18 décembre. Le médecin traitant.M.te Dr Deneuve,fenvoya à l'Hôtel-

Dieu où il entra dans le service de MM. Verneuil et Ricard et où il fut aussi

soigné par M. Thiéry. Au moment de son entrée, il avait la bouche fortement

déviée et la langue tirée vers la gauche, des douleurs de tête très violentes, un

délire assez vif, température : 1,9. Il bredouillait un peu en parlant et ne

buvait qu'en laissant écouler du liquide.

Au bout de 9 jours, la fièvre tomba et l'état général s'améliora, mais la para-

lysie demeura la même. Il avait en outre un rire spasmodique qui le prenait

dès qu'on s'occupait de lui. -

La croûte qui bouchait sa paupière droite étant tombée, on reconnut que la

vision était normale.

Pendant cette période aiguë, et un peu après il lui est arrivé de gâter.

214 , RENÉ MARTIAL

Le 30. On le fait passer à St-Louis (M. Comby puis M. Renault)..Il y

reste neuf mois au cours desquels (4° mois) apparut la contracture débutant par

les doigts de la main gauche. Le membre inférieur gauche fut pris ensuite.

Notre blessé commence alors son odyssée à travers les hôpitaux de Paris

et séjourne à l'hôpital Andral, octobre 1890, dans le service de .1\1. 1 Ballet

(avril 1891). Le 20 mai de la même année, il est chez M. Luys, à la Charité

(seuls, les bains sulfureux l'auraient soulagé un peu). En septembre 1892 il

revient chez M. Luys, en janvier 1893 il passe à Necker, puis en 1893 chez

M. Thibierge au Bastion St-Ouen, enfin il demeure un jour à Broussais. Nous

sommes en juin 1893. Il reste chez lui jusqu'au 30 janvier 1899 époque à la-

quelle il rentre à Bicêtre.

Etat actuel. Novembre 1899. Aucun trouble de la vue, l'ouïe est conser-

vée, l'odorat peut-être un peu affaibli pour la narine gauche (la respiration par

cette narine est pénible), commissure labiale gauche, relevée et tirée en haut,

langue un peu déviée à gauche. Pas d'embarras de la parole.

Appareil moteur. Le malade fronce plus difficilement le front du côté

droit. Le relief du moignon de l'épaule gauche est beaucoup moins saillant

qu'à droite. y a une atrophie considérable des muscles de cette région, les ré-

gions sus et sous-épineuses sont excavées. Les masses musculaires sont molles.

Quand on fait tourner la tête les muscles ne se contractent pas autant qu'à l'état

normal. Si l'on oppose une résistance au mouvement, le malade tourne mieux

la tête et avec plus de force du côté droit que du côté.gauche. La circonférence

du biceps prise à 7 centimètres au-dessous du creux de l'aisselle est de 26 cen-

timètres à gauche et de 30 centimètres à droite, de même la circonférence de

l'avant-bras gauche n'est que de 24 centimètres au lieu de 26 à droite. Au poi-

gnet, immédiatement au-dessus des apophyses styloïdes, la mensuration donne

16 et 18 centimètres. La main gauche est également atrophiée daus son ensem-

ble, étant contracturée elle ne peut rien donner au dynamomètre, la droite

donne 40.

Le coude gauche est fléchi et écarté du tronc, le poignet est en flexion sur

l'avant-bras, les doigts sur la paume de la main, le pouce dans la main.La con-

tracture est telle qu'il faut beaucoup de force pour la vaincre. Les mouvements

actifs sont abolis dans ce membre. Cependant, le malade peut augmenter la

flexion de l'avant-bras sur le bras.Le mouvement d'abduction ne va pas jusqu'à

l'horizontale, l'adduction et propulsion en avant existent encore, la propul-

sion en arrière est impossible, tous les autres mouvements actifs sont suppri-

més. Par les mouvements passifs, on ne peut pousser l'abduction jusqu'à

l'horizontale, le sujet se plaignant d'une douleur en un point situé sur la face

externe du moignon de l'épaule à égale distance des insertions supérieure et

inférieure du deltoïde. ,

Le malade nous affirme avoir remarqué que lorsqu'il baille, le matin, les

doigts de main gauche s'étendent d'eux-mêmes, mais ils reviennent ensuite

en contracture.

Le côté gauche du thorax depuis la région claviculaire jusqu'à l'arcade crurale

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 215

est atrophié, la circonférence thoracique est de 44 centimètres au lieu de 48

à droite.

La fesse gauche est aplatie, le pli interfessier plus bas et plus accusé par

suite de la flaccidité musculaire. La même atrophie que nous avons signalée au

membre supérieur se reproduit au membre inférieur et se traduit par des diffé-

rences de 4 à 2 centimètres suivant les segments du membre. Le pied gauche

paraît plus petit que le droit à cause de la traction opérée par le tendon d'A-

chille, les orteils de ce pied sont un peu fléchis', les mouvements actifs moins

forts que du côté droit sont cependant conservés, la force,à l'épreuve de la ré-

sistance, est diminuée.

Réflexes. Cornéen conservé, pupillaire conservé, pharyngé aboli, radial

droit aboli , exagéré à gauche, poignet fort des deux côtés , crémastérien

diminué à gauche, celui des adducteurs au pubis est très fort à gauche, aboli

à droite, il se produit à gauche même en frappant le pubis droit, rotulien,

presque aboli à gauche, le contra-latéral existe à gauche, plantaire plus fort à

gauche, la trépidation épileptoïde disparait rapidement.

Troubles sensitifs. - La sensibilité au toucher, à la piqûre, au pincement est

diminuée partout à gauche, conservée à droite au front, la sensibilité au chaud

et au froid est conservée, sauf au thorax où elle est diminuée.

Le sens stéréognostique est perdu du côté gauche.

Pouls : 82, artères dures.

Etat psychique, l'intelligence et la mémoire sont demeurées intactes, aucun

trouble pour lire, écrire ou compter.

Le caractère s'est aigri, le malade est très irritable, il est beaucoup moins

patient qu'autrefois et la colère l'emporte malgré lui.

Une autre étiologie fort curieuse est signalée dans une observation due

à Il. A. Abel et W. S. Colmann. On y voit un mécanicien d'un

tramway à vapeur tomber tandis qu'il tenait à la main sa burette d'huile

pour graisser sa machine, et de telle façon que le tube de sa burette entre

par la joue droite tout entier et s'en va perforer le cràne déterminant ainsi

une hémiplégie.

Dans deux autres cas, ce sont des mineurs qui reçoivent sur la tête un

bloc de charbon projeté par un coup de mine ; le plus souvent l'affection

succède à une Rebute et c'est pourquoi la plupart des hémiplégiques par

accident appartiennent à la corporation des peintres en bâtiments ou il celle-

des maçons. Les accidents de voiture sont aussi à noter. Enfin, et ce ne

sont pas les moins nombreux, rappelons les accidents dus à l'impru-

dence d'enfants ou même de grandes personnes s'amusant avec des armes

à feu « non chargées » mais qui partent et blessent le plus souvent le voi-

sin.

Quelles sont les différentes régions du crâne le plus souvent atteintes

dans l'hémiplégie traumatique ? C'est en première ligne la région du parié-

216 RENÉ MARTIAL

tal gauche, jusqu'à présent nous n'avons point trouvé de raison suffisante

pour expliquer cette prédominance et d'une manière plus générale la

région des pariétaux, y compris leur ligne de suture, puis la région tem-

porale droite, puis la région orbitaire, la région malaire et en dernier

lieu les régions occipitale, frontale et palatine. Il y a bien un cas où le

choc a porté sur le sourcil, mais il paraît bien devoir se ranger au nombre

des cas d'hystéro-traumatisme et sort par conséquent des.limites de notre

sujet.

Nous donnerons plus lourdes chiffres correspondant à la fréquence re-

lative des traumatismes suivant les régions du crâne.

Mais tous les coups appliqués sur les régions mêmes les plus exposées,

ne sontpas suivis d'hémiplégie. Cela est vrai, d'autant plus que l'hémor-

rhagie intra-centrale due à un traumatisme peut être si petite ou située de

telle manière qu'elle n'entraîne aucun trouble fonctionnel. Cependant nous

sommes amenés à considérer comme unecause prédisposante, dans la ques-

tion qui nous occupe, l'alcoolisme. Et en particulier pour les hémiplégies

d'origine centrale. Pour celles d'origine corticale, l'influence de l'intoxica-

tion alcoolique sur le tissu artériel n'a que peu ou pas d'importance, étant

donné que les vaisseaux de la périphérie du cerveau sont lésés directement

par le coup. Mais cette influence est réelle pour les artères centrales, leurs

parois sont beaucoup plus minces, elles contiennent moins de fibres mus-

culaires, déjà naturellementplus fragiles, elles le deviennent encore davan-

tage, l'éthylisme les rendant dures et cassantes. Dès lors, une commotion

faisant retentir son effet jusque sur elles, leur rupture se fait aisément et

d'autant mieux qu'étant d'un court trajet, elles ne peuvent s'allonger ni s'é-

tirer pour éviter le choc. Ces considérations nous ramènent précisément à

l'observation clinique. On peut en effet constater que de nombreuses hémi-

plégies sont survenues à la suite de coups reçus dans des batailles entre

hommes pris de boisson, de sorte que, dans nos 47 cas, nous pouvons har-

diment déclarer qu'il y avait seize ou dix-sept alcooliques. L'alcoolisme est

donc une cause prédisposante.

L'hémiplégie ne suit pas toujours immédiatement le traumatisme, elle

peut être différée quelquefois pour un temps assez long. Mais c'est là plu-

tôt une question de pathogénie qui trouvera mieux sa place dans un pro-

chain chapitre.

Enfin, citons pour mémoire, en tant que cause prédisposante l'hystérie.

Mais la question de l'hystéro-traumatisme ne rentre pas dans notre plan

et nous n'en parlerons qu'incidemment.

Description.

Nous diviserons ce chapitre en deux parties ; la première comprendra

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 217

l'hémiplégie traumatique simple, immédiate ; la seconde, l'hémiplégie trau-

matique tardive. Dans la première catégorie seront rangés les faits où l'hé-

miplégie suit aussitôt ou presque le traumatisme, dans la deuxième, ceux

où l'hémiplégie ne survient qu'après un certain laps de temps écoulé

depuis l'accident.

A. Hémiplégie traumatique.

On peut lui considérer une période aiguë qui dure pendant les quelques

jours qui suivent l'accident et une période de chronicité qui survient

ensuite à moins d'intervention chirurgicale ou de guérison spontanée

rare.

Ainsi que nous l'avons vu, le traumatisme est essentiellement variable

dans sa forme et aussi dans son point d'application. Tantôt une perte de

sang lui succède, s'écoulant par la plaie, par les narines, les oreilles ou

la bouche et toujours en petite quantité, tantôt il n'y a pas du tout d'écou-

lement sanguin. Un fait plus sérieux peut se produire, c'est l'issue de

matière cérébrale sous forme d'amas pulpeux et blanchâtres. Cette perte

de substance est expressément signalée dans une observation de M. le pro-

fesseur Berger et une de Schlôffer, de Prague. Cette complication ne semble

d'ailleurs pas comporter un pronostic plus grave.

Dans la plupart des cas d'hémiplégie dus à une lésion en foyer du cer-

veau, il n'y a pas' de perte de connaissance, pas d'ictus. Ici la perte de

connaissance est beaucoup plus fréquente puisque nous la trouvons dans

la moitié des cas ou à peu près. Elle n'a d'ailleurs rien qui doive étonner,

le choc suivi d'hémorrhagie intra-crânienne suffit à l'expliquer. Mais ce

qui est plus bizarre c'est qu'elle ne se produise pas toujours, étant donné

la violence et l'intensité avec lesquelles certains traumatismes frappent

le crâne. Nous avons déjà vu dans l'observation I que le malade n'a pas

eu de perte de connaissance, malgré le traumatisme évidemment grave

(pénétration de 15 centim. de lame de fleuret par la cavité orbitaire)

qu'il a subi. Voici une autre observation non moins intéressante à cet

égard. Elle est due à Schl5ffer, de Prague.

Observation II. )Q

Charles Spirck, ouvrier de chemins de fer, 24 ans, fut frappé de coups de

couteau à la tête et à la poitrine le 19 janvier 1896, au cabaret dans une bagarre.

Quand il voulut remettre son chapeau qui était tombé, il s'aperçut qu'une por-

tion de lame de couteau dépassait de son extrémité externe l'oreille gauche

et s'enfonçait vers la base du crâne. Il la retira : elle était enfoncée d'environ

5 centimètres. Il retourna cependant chez lui sans perdre connaissance et ne

consulta que le lendemain.

218 RENÉ MARTIAL

Etat actuel. 21 janvier 1896. - Au côté gauche de la tête, existe une

plaie des parties molles longue de 2 centimètres et qui va jusqu'à l'os, on

aperçoit une fissure de la table externe et une légère dépression des os. La plaie

est située à 8 cm. 5 environ au-dessus de l'orifice auditif externe et à 2 centimè-

tres en arrière de lui, c'est-à-dire à 2 centimètres en arrière et au-dessus de la

scissure de Sylvius, dans le haut du pied de la cinquième circonvolution à

gauche. Sur la poitrine une plaie de 3 centimètres allant jusqu'au sternum.....

au bout de quelques jours on s'aperçut qu'il était atteint d'hémianopsie homo-

nyme droite. Il présentait aussi quelques troubles dans le sens stéréognostique

et de l'alexie. Il quitta l'hôpital le 6 février. ,

Quand on commandait quelque chose au malade, il ne l'exécutait pas aussitôt,

mais employait un assez long temps jusqu'à l'exécution. Ainsi, lui disait-on de

sortir, il savait ce qu'on voulait et l'aurait fait volontiers, mais il ne savait

comment s'y prendre. Alors il allait et venait dans la chambre et pensait longue-

ment à ce que voulait dire « sortir » jusqu'au moment où il le comprenait

brusquement. Si sa femme lui disait par exemple : « prends ton chapeau il est

sur le lit » il ne savait pas tout d'abord ce qu'elle voulait dire, mais, si son cha-

peau lui tombait sous la main, il reconnaissait l'objet de ses recherches. Il se

mettait alors à réfléchir et enfin le prenait. Lui servait-on à manger, son re-

gard glissait au-dessus, à moins qu'on ne lui montrât expressément un plat,

et, dès qu'il l'avait vu il savait qu'il le mangerait, mais il était incapable d'en

dire le nom. Il avait aussi essayé de jouer aux cartes, mais il ne savait pas dis-

tinguer les couleurs ; quand il voulait rassembler tous les verts, il fallait qu'on

lui en fit voir d'abord. Il reconnaissait l'argent mais était dans l'impossibilité

de dire la valeur des diverses pièces. Plus tard, cela lui revint assez pour qu'il

pût compter..... mais il stationnait longtemps devant les boutiques avant d'oser

y entrer.

La vision des couleurs n'était pas troublée, il reconnaissait ses amis dans la

rue, mais ne savait pas leur nom..... S'étant représenté une action, il l'accom-

plissait de lui-même mais plus lentement qu'autrefois et avec une sorte d'hé-

sitation..... il avait toujours l'air d'un esprit absent..... Ayant reconnu lui-

même son état il avait eu peur de devenir fou.... ; au bout d'une demi-année

il avait recouvré la faculté de lire. Il pouvait écrire comme auparavant.

L'hémianopsie était fort gênante et plusieurs fois le malade avait été serré de

près par des voitures.

Lorsqu'il y a perte de connaissance sa durée est extrêmement variable,

depuis quelques minutes jusqu'à plusieurs heures. Elle peut cesser, puis

revenir. Dans un cas de Schtôfter le blessé resta sans connaissance pen-

dant 7 heures consécutives. De tels laps de temps ne sont pas rares.

Enfin, le patient revient à lui et s'il est suffisamment conscient, il se

rend compte de lui-même de sa paralysie, soit qu'il essaie de parler,

d'appeler, soit qu'il tente de saisir un objet avec sa main paralysée et qu'il

veuille s'appuyer dessus pour le soulever. '

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 219

L'hémiplégie semblable en tout à l'hémiplégie ordinaire est alors cons-

tatée. Elle peut être complète, incomplète, alterne. On trouve les troubles

moteurs à tous les degrés et avec leurs variantes ; les réflexes'ne présentent

pas de modifications spéciales, les tendineux paraissent le plus souvent

augmentés, les musculaires sont souvent faciles à provoquer et une excita-

tion légère suffit à déterminer une série de secousses. Il y a parfois pen-

dant la période aiguë des mouvements épileptoïdes du côté paralysé, mais

ils cessent avec l'amélioration qui survient le plus souvent avec le passage

à l'état chronique.

Les troubles de la sensibilité sont également les mêmes que dans toute

hémiplégie, et vont depuis l'hémianesthésie complète jusqu'aux nuances

dans la diminution des différentes sensibilités.

Le sens musculaire est tantôt conservé, tantôt perverti. Quant au sens

stéréognostique, nous l'avons trouvé presque complètement aboli chez deux

malades sur quatre que nous avons observé.

Chez un de nos malades, que nous observâmes à Brévannes dans le ser-

vice de M. le docteur Touche, ce sens était à ce point aboli, qu'il ne pouvait

reconnaître les objets les plus usuels : une clef, un verre, une cuiller,

objets dont il se servait pourtant constamment.

Il est un autre symptôme qui, celui-là, se présente assez souvent parmi

les cas d'hémiplégie traumatique. Nous voulons parler de l'hémianopsie.

Sur l'ensemble des cas que nous avons réunis ou sur lesquels il nous

a été possible de recueillir quelque document, nous relevons :

Cas d'hémiplégie traumatique avec hémia- il

nopsie latérale homonyme classique. !

220 RENÉ MARTIAL

Parmi ces cas d'hémianopsie, nous citerons immédiatement celui d'une

petite malade observée par M. Pierre Marie et par son interne M. Joly.

Observation III.

Le 11 juillet 1895, une fillette, âgée alors de 7 ans et demi, reçut un coup

de revolver tiré par mégarde. Le point d'entrée de la balle siégeait exactement

au niveau du rebord inférieur de l'orbite droit, sur une ligne verticale passant

par le trou sous-orbitaire. Il y avait une incrustation de grains de poudre dans

la peau. Il y eut, dès le début de l'accident, un énorme gonflement, mais un

écoulement sanguin très minime. Une heure ou deux après,elle rendit du sang

noir par la bouche. Elle ne semble avoir eu aucune perte de connaissance sauf

une courte syncope. Elle répondait bien aux questions. Pouls 144.

Il y avait une ecchymose sous-conjonctivale considérable et qui aurait duré

près de trois mois.

Dans les premiers temps on a remarqué aucune paralysie, mais on ne peut

l'affirmer attendu qu'on faisait manger la malade et qu'elle restait au lit.

Au bout de quinze jours on lui permit de jouer. La mère remarqua aussitôt

qu'elle ne se servait pas de sa main gauche. A la même époque on l'autorisa à

se lever et on constata qu'elle traînait la jambe gauche, assez pour rendre la

marche difficile. La mère dut la promener dans une petite voiture. Peu à peu

cependant la jeune malade s'est remise à marcher. Actuellement les mouvements

de la jambe gauche sont bien revenus, elle saute à cloche pied et peut se tenir

sur le pied malade, même les yeux fermés.

Les réflexes rotuliens étaient normaux, ceux du poignet également, la lan-

gue n'était pas déviée, la parole non troublée, la déglutition normale. Elle est

très intelligente, n'offrant rien de particulier, au point de vue psychique.

Examen à la date du 3 janvier 1896.

Mensurations au compas d'épaisseur :

Diamètre transversal au pli radio-carpien supérieur à droite 4 cent. 2.

à gauche 4 centimètres.

schéma 1.

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 221

Circonférence du poignet droit, 12 centimètres.

gauche, 11 cent. 5.

Circonférence de la main droite, 15 cent. 5.

gauche, 14 cent. 5.

Circonférence des premières phalanges des quatre derniers doigts à droite,

12 cent. 5.

Circonférence des premières phalanges des quatre derniers doigts à gauche,

12 cent.

Circonférence de la partie moyenne de l'avant-bras droit, 15 centimètres.

. gauche, 16

Vers le mois de novembre 1895 elle tenait son avant-bras fléchi et relevé

et la main gauche à angle droit sur l'avant-bras, en flexion.

Quand elle s'applique à quelque chose, et notamment quand elle écrit, sa

main gauche se ferme immédiatement, le pouce à l'intérieur et cela avec une

certaine raideur. Mais cette dernière cède lorsqu'on ouvre la main de la ma-

lade. A l'état de calme psychique complet et de repos absolu, la main gauche

est dans un état de flexibilité complète et ne se distingue en rien de la main

droite. Si l'on fait serrer un objet avec les doigts de la main droite, on voit

ceux de la gauche se rapprocher également comme pour serrer. Lorsqu'au

contraire elle serre avec la main gauche, les doigts, à droite, n'ont que de très

légers mouvements sans direction particulière d'ailieurs.

Les réflexes tendineux sont très peu augmentés et irréguliers.

En recherchant l'existence du sens musculaire on ne constate aucune nota-

ble différence entre les deux côtés. Au point de vue des mouvements, il n'y a

pas d'altération du sens musculaire.

Il n'y a pas de diminution bien sensible dans la force des différents muscles

du côté gauche, il en est ainsi pour le biceps, le deltoïde; les mouvements

d'extension de l'avant-bras sur le bras et les mouvements de rotation du poi-

gnet sont conservés. Le grand dorsal et le sus-épineux sont également bons.

Le mouvement d'extension du carpe sur l'avant-bras est en revanche considé-

Schéma II.

222 RENÉ MARTIAL

rablement diminué comme force, cette diminution existe aussi pour la flexion

du carpe. L'abduction est à peu près normale et l'adduction est faible.

Le bras étant en supination on le met passivement en pronation avec une

facilité extrême, mais, lorsqu'il est en pronation, on a plus de difficulté pour le

faire revenir à la supination.

Quand on change la position des doigts de la main droite, les yeux fermés,

et que l'on commande à la petite malade de placer ceux de la main gauche dans

la même position, elle met son pouce dans sa main fermée, le poignet se fléchit

et s'étend alternativement sans aboutir au mouvement demandé. La main

gauche ayant pris une attitude passive, la main droite la reproduit très bien.

Quand l'enfant court, le bras gauche se place dans la situation suivante :

extension en arrière et en bas, rotation du radius en dedans, la paume de la

main légèrement fléchie sur l'avant-bras et regardant en haut.

La sensibilité à la piqûre et à la température est conservée.

L'examen du champ visuel pratiqué le 25 novembre 1895, donna un schéma

Schéma III.

Schéma IV.

Schéma V.

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 223

typique d'hém'ianopsie que- nous reproduisons dans le schéma I. Le même

jour on trouva un fort rétrécissement concentrique des deux champs pour le

blanc (schéma Il).Au mois de février 1896 les champs visuels pour le blanc se

sont beaucoup agrandis, ils sont normaux pour le rouge et le bleu à l'oeil droit t

et encore très rétrécis à l'oeil gauche (schémas III, IV, V). En mars 1896 le

même examen pratiqué pour le vert et le violet donne à peu près les mêmes

résultats que pour le bleu et le rouge au mois précédent (schémas VI, VII).

Enfin un dernier examen fait en avril de la même année pour le blanc dé-

note un état stationnaire.

Nous avons cherché à avoir des nouvelles sur l'état actuel de la petite malade

mais il nous a été impossible d'y réussir; les parents nous ont seulement ré-

pondu qu'elle paraissait se développer dans des conditions normales.

Dans les observations de Wernicke, de Manquât et Grasset, l'hémianop-

sie est aussi accusée que dans le cas présent, aussi typique. Elle l'est

peut-être moins dans les autres observations, mais il n'en demeure pas

moins acquis que ce symptôme se reproduit souvent dans l'hémiplégie

traumatique, même tardive, ainsi que nous le verrons dans deux cas de

Browning.

Un autre signe est peut-être un peu plus fréquent dans l'hémiplégie

traumatique : c'est la dilatation de la pupille. Parmi les observations

prises avec soin, nous l'avons trouvée fois, 4 foisportant sur la pupille-

gauche et 3 fois sur la droite (obs. de Manquât et Grasset, Bramwell,

Schlaeffer, Browning).

Quelquefois aussi, mais plus rarement, il y a eu du strabisme, de la di-

plopie. De même dans quelques cas nous avons trouvé du ptosis de la pau-

pière supérieure, notamment dans un cas publié par M. le professeur

Grasset. -

Schéma VI.

Schéma VII.

224 RENÉ MARTIAL

Les altérations du champ visuel paraissent être de celles qui rétrocèdent t

avec le plus de difficulté, au contraire, bien souvent, t la suite d'une

heureuse intervention ou même dans le décours de la période aiguë les

troubles de la parole s'améliorent, l'aphasie, qui est parfois très accentuée,

disparaissant sans laisser de traces. Parmi les observations que nous avons

pu réunir, nous avons trouvé 10 cas d'aphasie dont au moins La moitié

étaient des cas d'aphasie complète et un seul de paraphasie. Six de ces cas

ont guéri après intervention, en voici deux dus à M. le Dr Maurice Bour-

lier. Ã Observation IV.

* OBSERVATION IV.

Uiï homme reçoit deux coups de matraque sur la tête, il perd connaissance,

tout le côté gauche est paralysé.

A l'examen, on note un enfoncement du cuir chevelu au niveau du pariétal

droit. L'opération (la trépanation) est pratiquée par le Dr Labadini : inci-

sion cruciale des téguments, décollement du périoste. La partie antérieure du

pariétal qui était enfoncée et qui comprimait le cerveau, est enlevée. Les

téguments sont réuuis ensuite avec du crin de Florence. L'état du patient

reste stationnaire pendant quelques jours ; l'hémiplégie persiste, il ne peut

répondre aux questions qui lui sont posées. La sensibilité cutanée est intacte,

pas de troubles de la miction ni de la défécation. Le sixième jour après l'opé-

ration il peut remuer la jambe gauche, le septième il peut prononcer quelques

mots. Deux jours plus tard il cause et marche sans difficulté.

Observation V.

Un jardinier, âgé de 42 ans, reçoit un coup de bêche sur la tête. Il regagne

son domicile et quelques instants après il éprouve un certain embarras de la

parole. Le lendemain, le Dr Lahadini le voit. A ce moment l'aphasie est

Complète. Il existe sur le pariétal gauche une plaie ; les téguments incisés et

écartés laissent voir la solution de continuité de l'os.

Après l'ablation d'un petit fragment osseux, l'auteur constate une dépression

très nette correspondant à une perte de substance du cerveau. Au même mo-

ment, il se fait une hémorrbagie assez abondante, l'artère, qui parait être une

branche de la méningite moyenne, est liée. Ensuite les téguments sont réunis

avec du crin de Florence, on draine avec de la gaze iodoformée, on saupoudre

avec de la poudre d'iodoformeet l'on applique un pansement humide avec des

compresses imbibées d'une solution de sublimé.

Le lendemain l'aphasie persiste ; en outre, le bras droit est paralysé et la

sensibilité est diminuée. Cette paralysie postopératoire est vraisemblablement

due, d'après l'auteur, à la formation d'un caillot sanguin qui a comprimé la

substance cérébrale. Cette interprétation est d'autant plus admissible que la

paralysie disparut totalement au bout de 10 jours... Deux mois après l'opéra-

tion le malade a recouvré la parole d'une façon presque complète ; toutefois,

certains mots sont encore prononcés avec peine.

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 225

Cette observation est un exemple remarquable de la suppléance fonction-

nelle... »

Mais trois autres de ces cas ont guéri avec un traitement purement pal-

liatif et expectatif. En voici une observation due à M. le professeur Berger.

Observation 'I. X

La fille R. fut amenée dans mon service, sans connaissance, le 13 janvier 1889,

au soir, ayant reçu une balle de revolver dans la tempe gauche et légèrement

blessée au front d'un second coup.

Un pansement antiseptique provisoire fut immédiatement appliqué. Le len-

demain je trouve la blessée dans l'état suivant : à la région temporale gauche

à deux travers de doigt en arrière de l'apophyse orbitaire externe, et à trois

ou quatre centimètres au-dessus d'une ligne horizontale passant par la partie

supérieure du conduit auditif externe, se trouve une plaie contuse arrondie de

6 il 7 millimètres de diamètre, dont les bords irréguliers présentent une modifi-

cation peu étendue, sans qu'on découvre autour d'eux ni brûlure ni incrustation

de grains de poudre. Par cette plaie, toutes les fois que la malade fait des efforts

s'échappe une pulpe blanchâtre qu'il est facile de reconnaître pour de la ma-

tière cérébrale et qui est mélangée à du sang provenant d'un épanchement

intra-crânien.

La malade a recouvré en partie sa connaissance, mais elle présente une apha-

sie motrice presque complète. Lorsqu'on l'interroge, elle remue les lèvres sans

pouvoir trouver les mots et n'arrive à produire que quelques sons inarticulés.

Elle peut néammoins répondre assez distinctement par oui ou par non, mais

surtout par des gestes aux questions qu'on lui pose. Il n'y a donc pas de surdité

verbale. La pupille est égale des deux côtés, il n'y a ni perte de la vue, ni d'au-

cun autre sens, il n'y a pas de déviation oculaire, il n'existe ni ecchymose, ni

perte de sang soit par le nez ou la bouche, soit par les oreilles, toute la région

temporale est le siège d'une vive sensibilité, la malade y porte automatique-

ment la main gauche à chaque instant. Pas de paralysie faciale.

Lemembre supérieur droit estlesiège d'une paralysie motrice complète,aucun

mouvement des doigts de la main, de l'avant-bras, du bras et même de l'épaule.

Le membre entier est dans la résolution. Le membre inférieur droit est presque

complètement privé de mouvement, mais il présente un certain degré de con-

tracture dans l'extension. Les mouvements réflexes sont complètement abolis

dans le membre supérieur, fort affaiblis dans le membre inférieur. Il existe en

outre une diminution générale de la sensibilité et de la motricité volontaire. La

blessée est dans un état d'agitation continuelle, depuis la veille elle a vomi à

plusieurs reprises, il y a un certain degré de salivation, et un peu de cyanose

de la face, mais le pouls est calme et plutôt lent. La respiratiou est régulière,

la température normale. Il n'y a pas d'émissions involontaires des urines ou des

féces.

Les alentours de la plaie sont rasés et nettoyés, pansement à l'iodoforme.....

xiii 15

226 RENÉ martial

Le 15 janvier. - Saignée de la basilique révulsifs sur le tube digestif, à

dose modérée.....

17. - Amélioration... état général bon, pas de fièvre.

18. Le retour à la motilité continue à s'accentuer, d'abord dans les membres

supérieur et inférieur gauches qui ont repris.leurs mouvements dans leur in-

tégralité, la contracture a disparu de la jambe et du pied droits. Le membre su-

périeur peut exécuter quelques mouvements, principalement de l'épaule et du

bras, le pouce s'écarte très légèrement des autres doigts pour exécuter un faible

effort de préhension.

La malade commence également à retrouver quelques mots. Elle dit sponta-

némerit ; j'ai mal..... elle répond « à boire » quand on lui demande si elle veut

manger. On établit un séton à la nuque' car la céphalalgie temporale gauche

est continue.....

25. -J. R. arrive à constituer quelques phrases élémentaires.....

1 cr février. - La plaie du crâne est entièrement fermée Depuis lors le

retour des fonctions a fait des progrès lents mais continus.

Le 25 mai. La blessée demande à quitter l'hôpital. »

Cette fréquence de l'aphasie n'a pas lieu de surprendre. Nous avons

cité, en effet, la région temporale comme la plus fréquemment atteinte

par les traumatismes après la pariétale, du moins en ce qui concerne

spécialement l'hémiplégie traumatique. Rien d'étonnant donc, si l'aphasie

prend ici une certaine valeur dans l'ensemble des symptômes de la période

aiguë.

Enfin à la période aiguë appartiennent encore les grandes élévations de

température qui peuvent aller jusqu'à fdo2, nous n'avons pas noté d'hy-

pothermie. Le pouls s'accélère souvent et atteint facilement le chiffre de

150 à 160. Mais tous ces symptômes s'amendent au bout d'un certain

temps.

Ce que nous qualifions de période aiguë et qui comprend les grands

signes immédiatement consécutifs à l'accident ne dure pas plus d'une

huitaine de jours en moyenne ; elle peut ne persister que quelques heures,

comme dépasser le nombre moyen de jours sus-indiqué. Mais cela est

rare.

Après quelques jours donc, l'état des blessés s'améliore et la guérison

survient ou le passage de l'affection à l'état chronique.

Nous nous,occuperons au chapitre « pronostic » de savoir si la guérison

survient fréquemment. Pour l'instant qu'il nous suffise de dire que l'on

peut observer la « restitutio ad integrum » avec ou sans intervention chi-

rurgicale. Et c'est là ce qui fait que les chirurgiens sont encore divisés sur

la question de savoir s'il faut trépaner toujours ou se contenter de l'expec-

tative armée. La guérison peut n'être pas aussi complète, mais permettre au

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 227

malade de vaquer à ses occupations, soit qu'il reprenne les anciennes,

soit qu'il s'en donne de nouvelles plus en rapport avec son état physiolo-

gique acquis. Dans les autres cas, l'infirmité subsiste, la chronicité s'éta-

blit.

C'est alors que surviennent, sans présenter d'ailleurs rien de spécial,

les contractures et les atrophies classiques. On les retrouvera mentionnées

dans la plupart des observations. Apparaissent également des mouvements

athétosiques et des mouvements rythmiques, Browning en cite un cas,

Abel et Colmann un autre, ils ne sont pas très accentués en général et

affectent le plus souvent le membre supérieur, la main en particulier. Ce

sont par exemple, des mouvements de flexion et d'extension des doigts,

lents. Nous les trouverons bien décrits dans une observation de Mathieu

en 1888 que nous allons citer à propos de l'influence de la paralysie trau-

matique sur le développement des enfants. Il y a encore des mouvements

associés, comme celui qui est décrit dans l'observation III. La clinique

offre naturellement toutes les variétés d'intensité.

Tout cela est banal se produisant chez des adultes. Mais il serait plus

intéressant de connaître quelles sont les suites éloignées de l'hémiplégie

traumatique chez de jeunes sujets. Nous avons déjà dit qu'il nous avait été

impossible d'avoir des renseignements ultérieurs sur la petite malade qui

fait l'objet de l'observation III. Heureusement nous pouvons rapporter une

autre observation prise par M. le Dr Mathieu en 1888 et où le développe-

ment ultérieur à une hémiplégie spasmodique infantile d'origine trauma-

tique est soigneusement relevé. La voici :

, Observation VII. )CI

Le jeune P. C. est figé de 6 ans. Il y a deux ans il était bien développé et

plutôt vigoureux. Il s'approcha en jouant d'un domestique qui était en train de

charger de la paille à l'aide d'une fourche américaine à dents très fines et très

pointues. Il se précipita si malheureusement en avant qu'un coup de fourcha

vint l'atteindre à la tempe gauche au moment où le domestique soulevait de

terre la paille pour la lancer dans la voiture. L'enfant poussa un cri et tomba.

Il fut immédialemen relevé et porté sur un lit où il resta sans connaissance

pendant quelques instants.

Bientôt on s'aperçut qu'il ne pouvait se servir ni de son bras ni de sa jambe

du côté droit. De plus il était dans l'impossibilité absolue de parler. Il ne paraît

pas avoir eu de fièvre : les médecins qui l'ont vu à cette époque m'ont aftirmé

n'en avoir pas constaté.

Au bout de huit à dix jours le malade put se lever et marcher, mais en con-

servant de la faiblesse et surtout de la maladresse du côté droit.

Au bout de quelque temps (2 à 3 semaines), on s'aperçut qu'il avait de ce

côté des mouvements particuliers involontaires. C'était le commencement de

t'athétose.

228 RENÉ MARTIAL

J'ai été appelé à voir P. C. au début de 1886, environ 5 mois après l'accident.

La santé générale était bonne, le développement à peu près normal pour un

enfant de cet âge. Tout de suite, on est frappé de son allure particulière. Il

traîne la jambe droite et la pointe du pied est tournée en dehors. De temps en

temps, il fléchit sur cette jambe, le corps est à demi-penché en avant et à gau-

che, l'enfant avance généralement l'épaule gauche en avant, l'épaule et le

bras droits rejetés en arrière, l'avant-bras dans une pronation forcée les doigts

fortement étendus et écartés. (La ressemblance avec l'observation III est vrai-

ment remarquable en cet endroit.) Il peut du reste ramener la main en avant

et saisir les objets. Cette main est animée de mouvements très caractérisés

d'athétose, ce sont des mouvements lents d'extension et d'écartement des doigts

avec flexion et contorsion de la main. La volonté est incapable de les arrêter,

c'est au repos qu'ils se produisent le plus nettement.

Dans les mouvements volontaires il se fait autre chose ; la main se ferme

avec force et les objets sont serrés d'une façon exagérée, on a quelquefois

de la peine à dégager les morceaux d'étoffe, le mouchoir, la poignée de paille

qui ont été saisis par la main droite, et cela surtout si l'enfant est très occupé

et apporte par exemple une certaine animation à ses jeux.

Assez souvent l'avant-bras est ramené contre la poitrine, la main fermée

avec force, le poignet fléchi dans l'attitude si fréquente chez les hémiplégiques

atteints de contracture.

Du côté du membre inférieur, on constate une tendance marquée du pied à

se tourner en dehors ou en dedans et des mouvements de flexion des orteils

qui sont évidemment une ébauche d'athétose.

Les réflexes sont à peu près normaux. Il n'y a pas d'atrophie des muscles ni

du squelette, pas de déviation de la face ni de la langue, la sensibilité est nor-

male.

J'ai revu le malade en septembre 1887. Il était a peu'près le même. Au point

de vue du développement intellectuel, il y a évidemment un peu de retard.

P. C... apprend écrire avec lenteur, la mémoire est assez bonne, la parole

est un peu embarrassée, traînante, il y a du zézaiement, souvent le mot ou

le nom propre fait défaut; l'enfant s'arrête au milieu d'une phrase'; le mot

voulu ne se trouvant pas, il le remplace par : « chose , machin tu sais

bien », sans terminer la phrase commencée et sans faire effort pour s'exprimer

autrement.

Jamais d'attaque convulsive, pas de perte de connaissance, pas de céphalal-

gie, pas de crises de pleurs, de mauvaise humeur ni de colère.

L'auteur ne mentionne pas de troubles dans le développement osseux

ou musculaire, il faut en conclure qu'il n'y en avait pas, ce qui concor-

derait assez exactement avec les assertions des parents de Marcelle L.

(Obs. III), d'autre part l'aphasie (qui ne subsiste pas d'habitude chez les

enfants) demeure cependant à un degré assez accentué, deux années encore

après l'accident, et avec elle des mouvements d'athélose.

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 229

Au point de vue du développement ultérieur, l'hémiplégie traumatique

ne paraît donc pas être un événement trop grave dans ces deux cas. Dans

un cas de Schlôller, un jeune homme âgé de 18 ans atteint d'un trauma-

tisme crânien avec hémiplégie consécutive, n'a pas été entravé dans son

développement, physique tout au moins, puisqu'il est entré comme mousse

dans la marine militaire autrichienne.

Malheureusement, il n'en est pas toujours ainsi et voici l'observation

d'un cas étudié par B. Bramwell, qui le prouve.

Observation VIIf.

« J. T..., Age de 9 mois, m'a été envoyé par Howie Muir le 9 avril 1890,

atteint d'une hémiplégie gauche résultant d'un accident survenu le mois pré-

cédent.

Antécédents. Son père m'a fait le récit suivant : Le 6 mars 1890, le jeune

garçon était en train de jouer avec ses petites soeurs dans une chambre

servant à des modistes pour ranger des supports à chapeaux. Ces- supports

consistaient en un pied en bois duquel sortait une tige de fer de plusieurs pou-

ces de long. Les enfants s'amusaient à danser sur une planche qu'ils avaient

placée sur les tiges. Tout à coup la planche glissa et l'un des enfants tomba,

une des tiges lui perfora l'orbite droit dans sa partie interne, vers le bord

interne de la paupière inférieure. L'oeil ne fut pas blessé, le père dit que la

tige avait dû pénétrer de 2 pouces à 2 pouces 1/2.....

Un domestique qui vint, trouva le blessé étendu sur le dos, il s'était débar-

rassé de la tige.

Le malade est resté insensible à peu près dix jours..... un ballon de glace

avait été placé sur sa tête Il n'a pas eu de convulsions, mais de la fièvre

et quelques vomissements..... il reprit conscience au bout de 10 jours, on

constata alors l'hémianesthésie et l'hémiplégie. Un mois après il quittait le lit

et on me l'amena à Edimbourg.

Etal actuel. - Il existe une petite cicatrice sur le côté interne de la pau-

pière supérieure droite, à peu près à 1/4 de pouce de l'angle interne. Les mou-

vements de la pupille sont normaux, le malade dit qu'il voit quelquefois dou-

ble. La pupille droite est beaucoup plus large que la gauche. L'acuité visuelle

est normale, il n'y a pas d'hémianopsie, le fond de l'oeil est normal.

Le côté gauche est paralysé, l'enfant marche avec difficulté, il traîne la

jambe et avance le pied en fauchant. La paralysie du bras est plus grande que

celle de la jambe et la paralysie de la main est surtout marquée. Pendant les

deux derniers jours, il a pu lever le bras et bien justement fléchir l'avant-bras

sur le bras, mais il est incapable de mouvoir en rien le poignet, les doigts.

Le réflexe rotulien est exagéré des deux côtés, surtout à gauche, il y a clonus

marqué de la cheville du côté gauche. Le réflexe plantaire est absent gauche,

exagéré à droite. On constate de t'hyperesthésie à gauche

Il est incapable de retarder l'effet du réflexe de la miction.

230 RENÉ MARTIAL

Au mois d'août de la même année il y avait amélioration du côté du

membre inférieur.

Sept années plus tard, le 21 mai 1897, le patient revint le voir il Edimbourg

et voici ce que 73ramwell constata :

« L'enfant a beaucoup grandi, l'hémiplégie est encore très marquée. Cepen-

dant la face est complètement guérie, mais le malade marche avec une bé-

quille, la jambe gauche étant notablement plus courte que l'autre les réflexes

du genou sont exagérés, surtout à droite. Les mouvements de l'épaule sont

maintenant satisfaisants, ceux du coude assez bons, ceux du poignet et des

doigts nuls. Le poignet est ankylosé sur l'avant-bras et les-doigts fléchis sur la

paume» mais on peut les étendre passivement.

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 231

Nous avons vu dans l'observation II des troubles de l'intelligence très

accentués. Il y avait chez le sujet en question une extrême lenteur dans

l'association des idées et dans le jugement. Il percevait ce qu'on lui disait

d'exécuter, mais tombait en une profonde réflexion jusqu'à ce qu'il com-

prît et le sens du mot entendu et l'action que cela signifiait. C'est ainsi

que, invité à mettre son chapeau, il lui fallait tout d'abordée remémorer

le sens de ce vocable : chapeau. Lorsqu'il l'avait trouvé (et pour cela

fallait-il encore que l'objet se trouvât dans son regard ou qu'on lui dési-

gnàt sa place) il devait encore réfléchir à l'usage dudit objet et enfin,

après une série de longues réflexions, il finissait par se coiffer. Les opéra-

tions de l'esprit qui nous semblent les plus simples étaient devenues pour

lui des plus difficiles et une addition ordinaire, comme celle de la valeur

de quelques pièces de monnaie, lui étaitsi pénible qu'il hésitait longtemps

avant d'entrer acheter quelque chose dans une boutique. Il avait besoin

de se représenter complètement une action avant de savoir l'accomplir, il

reformait chaînon par chaînon la chaîne des idées, mais d'autre part, le

jugement lui faisant défaut, il accomplissait parfois aussitôt et hors de

propos l'action qu'il venait de former en lui. Ce qui lui donnait en

somme un air distrait et « toujours absent ».

Il avait perdu surtout la mémoire des noms, il reconnaissait un ami et

ne pouvait le nommer, de même pour les diverses couleurs. Chez cet

homme le caractère paraît avoir été moins atteint que chez d'autres sujets,

mais cependant comme il avait parfois conscience de son état, il était

devenu triste et même mélancolique.

Dans le cas, également cité plus haut (Obs. VII) nous voyons un enfant

qui n'apprend qu'avec peine et lenteur ce qu'on lui enseigne. Dans une

observation de Browning il s'agit d'un adulte qui ne pouvait plus faire un

effort intellectuel sans être plongé dans une agitation très grande, se

traduisant par une mimique bizarre et d'ailleurs inexpressive, cependant

il comprenait ce qu'on lui disait et saisissait rapidement une plaisanterie

dit l'auteur. Dans un cas de Manquat et Grasset, le malade n'ayant plus de

jugement écrivait des lettres insolentes à ses supérieurs, mais suffisamment

raisonnables pour que ceux-ci ignorants de son état se fâchassent contre

lui.

Ces troubles ont été bien étudiés par MM. H. A. Abel et W. Colmann

dans une observation que voici :

Observation IX.

Le malade G. T..... chauffeur sur un tramway, âgé de 36 ans, sobre et jus-

que là en bonne santé, a été conduit à l'infirmerie de Pétersbourg à 4 heures

dn matin, le 28 octobre 1893. ayant dans la joue droite le tube d'une burette

232 RENÉ MARTIAL

d'huile, dont l'extrémité inférieure se montrait un peu au-dessus de la com-

missure labiale du même côté. En montant sur sa machine, tenant à la main

sa burette d'huile, il avait glissé et était tombé sur la figure. Le tube s'est en-

foncé fortement dans la face. Il perdit tout d'abord connaissance, mais revint à

lui peu de temps après et indiqua (il n'avait donc pas encore d'amnésie) que

son pardessus était resté sur la locomotive.

Il fut transporté à l'hôpital moins d'une heure après l'accident. Il était alors

conscient et essayait de répondre à nos questions. Il avait de fréquentes con-

tractions, et des mouvements saccadés des lèvres surtout à gauche.

Les jambes étaient fléchies~et corps plié sur les jambes comme s'il était

assis,,Il n'y avait aucune sorte d'hémorrhagie.

Le tube métallique était solidement lixé dans le crâne. Cependant par suite

de la forme de la pointe (v. figure 1) l'extrémité inférieure était un peu mobile.

Il fallut une traction énergique pour l'arracher de son implantation osseuse. Il

était placé suivant un trajet ascendant en haut et vers la ligne médiane, la con-

vexité dirigée vers cette ligne. La blessure fut lavée et pansée simplement à l'io-

doforme.Le trajet était entièrement en dehors de la cavité buccale (v. figures 2 et

3). Après l'extraction du tube les mouvements saccadés violents ont cessé.......

mais on a constaté alors une paralysie gauche comprenant la face (impossibilité

de fermer l'oeil gauche), le bras et aussi, mais à un degré moindre, la jambe. Il

n'avait pas d'hémianesthésie. Il s'était assoupi et était devenu incapable de ré-

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DE L'IIÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 233

pondre, il urina dans son lit pendant la nuit, le pouls était à 82 et la tempéra-

ture à 1.02° (Fahrenheit). Les pupilles étaient contractées, la droite un peu plus

que la gauche......... la paralysie siégeant ,¡ gauche, l'anesthésie était complète à

droite

Etat mental. Pendant les premières vingt-quatre heures il était assoupi et

dormait en haletant, mais on pouvait le réveiller pour répondre. Les réponses

étaient souvent incorrectes et d'une manière comique, mais il les comprenait

évidemment. Il demeura apathique et pendant longtemps il urina dans son lit.

Il ne pouvait pas reconnaître sa femme ni ses anciens camarades et il lui

était également difficile de connaître les objets usuels et leur emploi. Ainsi if

lui arriva de boire son urine en prétendant que c'était de l'eau et pendant plu-

sieurs heures il prenait des morceaux de glace de son seau à glace en disant

que' c'étaient des sudorifiques. Il lui était impossible de comparer les images du

passé avec celles du présent et par conséquent de reconnaître. Il ne put pen-

dant des semaines reconnaître un ouvrier son camarade, qui était placé dans

un lit voisin à l'hôpital. Mais le fait le plus remarquable était que les vingt dernières

années de sa vie avant l'accident étaient disparues de sa mémoire. Il prétendait

qu'il n'avait jamais travaillé pour les chemins de fer et disait qu'il était ouvrier

de fermes. Il avait cependant été employé des tramways depuis vingt ans envi-

ron et auparavant il avait travaillé dans une ferme.Tout souvenir se rapportant à

l'accident a disparu et n'a jamais reparu. Lorsqu'il quitta l'hôpital, quelques

événements antérieurs lui revenaient à la mémoire, mais, comme nous le ver-

rons plus tard, après une année, il y avait encore un espace de cinq ans dont

il ne se souvenait en rien.

Il quitta le lit au bout de huit semaines et rentra chez lui au bout de 3 mois

avec assez de forces, la jambe était plus' vigoureuse que le bras. Un l'a tenu en

observation..... aucun changement n'est apparu, sauf les progrès de la mémoire

et une certaine excitabilité de caractère.

Un an après l'accident, il y avait une hémiplégie du côté gauche qui affec-

tait légèrement le bras, mais il y avait aussi une perte évidente de force dans

la face et dans la jambe. Il pouvait marcher plusieurs milles en se reposant

très souvent. Il tenait le bras un peu fléchi sur le coude et les doigts demi-

fléchis sur la paume. De temps en temps on observait dans les doigts des

mouvements simples, rythmiques et lents de flexion, cela durait de quelques

minutes à une heure. C'était une répétition du même mouvement simple. Il n'y

avait pas de mouvements complexes comme dans l'athétose. Ils n'étaient asso-

ciés à aucune sensation anormale telle que vertiges, etc.,et n'étaient pas gênants.

Après ces contractions on n'a remarqué aucune perte de force..... le toucher le

plus délicat était perçu à gauche et les sensations ainsi que le sens musculaire

dans un état absolument normal.

Du côté droit il n'y avait pas de paralysie motrice, mais une perte définitive

de la sensation pour toutes les sortes d'excitants. Sur la paupière supérieure,

le front et la partie antérieure du cuir chevelu correspondant avec le territoire

du nerf sus-orbitaire, l'anesthésie était complète. Elle s'étendait à la cornée.

Sur la joue droite, à environ 1 pouce 1/2 en dehors de l'aile du nez on trouvait un

234 RENÉ MARTIAL

petit territoire (mal défini quant à ses contours) où la sensation était émoussée

pour le toucher et la douleur. Pas d'anesthésie dans le territoire alimenté par

la troisième branche de la cinquième paire, et les muscles masticateurs fonc-

tionnaient normalement..... l'examen du champ visuel révèle quelques dimi-

nutions générales pour le blanc (et proportionnellement pour- le rouge, le vert,

le bleu), mais il n'y avait pas d'hémianopsie.

Il était demeuré indolent et apathique et avait très peu de contrôle sur ses

émotions. Il riait et criait aux moindres provocations et était aussi prêt à faire

l'un ou l'autre pour toute observation. Cette agitation émotive ne semble pas

être l'expression d'aucune peine ou d'aucun plaisir mental. Il est devenu plus

Irritable et brusque dans son langage mais jamais violent.

Etat de la mémoire. - Il y existait toujours un trou, quoique moins grand

que celui qu'on avait constaté pendant son séjour à l'hôpital. A cette époque,

il y avait un oubli parfait de tous les événements survenus vingt ans aupara-

vant. Aujourd'hui il est capable de se remémorer les événements les plus im-

portants de sa vie jusqu'à cinq ans avant l'accident et jusqu'à environ deux

mois plus tard..... Nous n'avons pu suivre pas il pas ce retour partiel de la

mémoire, mais il semble dû, en partie du moins, à l'habitude que sa femme a

prise de lui raconter le passé et de lui rappeler continuellement des événements

qui l'avaient le plus impressionné dans sa vie. Mais il y avait pour lui une dif-

ficulté extrême à retenir les évènements du passé. Quand il revenait d'une

promenade, il ne pouvait trouver la route pour rentrer et souvent il ne pou-

vait reconnaître sa maison du dehors. Il a aussi fréquemment de l'amnésie au

sujet des objets usuels et de leur emploi, bien que cela ne soit plus au point

où nous l'avons signalé plus haut. Nous sommes à présent dans la condition,

à un degré légèrement modifié, décrite par Hugh. Jakson, sous le nom « d'im-

perception ». Il n'y a pas eu d'aphasie ni d'embarras de la parole, il semble

que c'étaient les idées qui manquaient et non les mots pour les exprimer.

Les processus du raisonnement étaient à peu près bien conservés, mais, vu

son amnésie, ses arguments sortaient souvent de prémisses fausses et aboutis-

saient à des conclusions ridicules; par exemple : il occupait une des maisons

construites par la Compagnie des chemins de fer pour ses employés, comme

il ne se souvenait pas d'avoir travaillé pour cette compagnie pendant une pé-

riode de cinq ans, il disait qu'il n'avait pas le droit d'y rester et incitait éner-

giquement sa femme à déménager, de peur d'avoir des ennuis en y demeurant.

Aujourd'hui, il agit d'une manière impulsive sous l'influence de souvenirs

faux et imparfaits.

La perte de mémoire a été souvent observée à la suite de traumatiques crâ-

niens et MM. Joseph Bell et William Savory ont publié à cet égard deux inté-

ressantes notices. Mais, nous ne croyons pas que l'on ait signalé encore une

période de temps si longue où le souvenir a été effacé comme avec une éponge,

ainsi que dans ce cas.

Dans l'observation rapportée par Mathieu nous avons vu que le déve-

loppement intellectuel était beaucoup plus lent.

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 235

Dans un cas qui nous est personnel, nous avons constaté, outre les mo-

fications portant sur le caractère, des troubles de la mémoire et spéciale-

ment de la mémoire des dates. Noire malade pouvait raconter les faits de

sa vie sans trop de lacunes, mais il ne savait plus à quelle date ils remon-

taient et si on cherchait il lui faire cependant préciser, on s'apercevait

qu'il variait beaucoup dans l'ordre chronologique des faits. Ceci nous

amena à remarquer qu'il comptait difficilement les années et éveilla notre

attention au point de vue du calcul. Nous l'invitâmes à essayer devant

nous les quatre règles et nous constatâmes que l'addition et la multipli-

cation lui étaient relativement plus difficiles que la soustraction et la di-

vision bien que ces dernières ne fussent pas davantage exécutées avec faci-

lité et promptitude. Le malade nous affirma qu'avant sa tentative de

suicide il calculait très facilement. En tout cas, la difficulté pour l'addi-

tion était formelle.

Les autres processus de raisonnement étaient au contraire demeurés

satisfaisants.

Dans un cas rapporté par Browning, on voit un homme, instruit aupa-

ravant qui maintenant ne peut écrire une lettre qu'avec de nombreuses

fautes et qui écrivant spus la dictée se fait souvent épeler les mots.

Toutefois, bien que relativement fréquentes les modifications de l'intel-

ligence et de la mémoire sont beaucoup moins communes qué celles du

caractère. On retrouve ces dernières dans environ quinze des cas que nous

avons collationnés. Le plus souvent ces gens qui auparavant n'étaient ni

particulièrement coléreux, ni particulièrement méchants, le deviennent.

Presque tous sont d'une excessive irritabilité, très susceptibles et se fâ-

chent à tout propose ! même hors de propos. Ils sont extrêmement diffi-

ciles à manier et le témoignage des infirmiers et infirmières est unanime

à ce sujet, ce sont des gens incommodes, d'humeur brusque et change-

ante, très enclins à la colère.

Quelques-uns deviennent véritablement méchants et s'ingénient à

tourmenter par leurs exigences la vie de leur famille ou de ceux qui les

servent. Et ils sont conscients de leur méchanceté et, si on leur en parle,

ne cachent pas la satisfaction qu'ils éprouvent à ennuyer autrui.

D'autres encore paraissent quelque peu enclins à la persécution et ils

forgent facilement des haines contre différentes personnes.

Dans nos quatre observations personnelles, nous avons noté que ces

malades avaient la colère facile, qu'ils étaient souvent impatients et

promptement excitahles. Cependant chez l'un d'eux, les accès de gaieté

paraissent naître aussi facilement que ceux de colère.

Ce fait a été observé par plusieurs auteurs et Browning, notamment, en

cite deux cas.

236 RENE MARTIAL

Ces modifications du caractère s'accusent en général avec le temps.

Elles ne s'effacent pas toujours après une intervention chirurgicale. Ainsi,

grâce à une trépanation, un malade aura recouvré un raisonnement plus

sain, une parole et une mémoire plus nettes, mais le caractère restera

moins bon qu'avant l'accident initial.

Dans un très intéressant travail sur « les modifications du caractère de

l'homme à la suite de lésions du crâne pour la région frontale » Leonore

IVelt rapporte de expériences de Goltz faites sur des chiens et cet auteur

conclut ainsi : « Très souvent le caractère du chien change. Il devient

excitable et toujours prêt à batailler. Il s'accorde moins bien avec ses

compagnons, il ne peut rester en p;ace, est impatient et court sans cesse.

L'intelligence est affaiblie dans une certaine mesure. » Litssana s'étant

livré à des expériences semblables dit que le résultat de l'expérience phy-

siologique est diminution de l'attention, un affaiblissement de l'intelligence,

une exaltation notablement plus grande et une transformation du (,(/1'aC-

tère vers la méchanceté.

Ces faits bien que se rapportant à des expériences pratiquées sur le

lobe antérieur du cerveau se rapprochent beaucoup des nôtres. En voici

un exemple :

« Un homme était avant son accident, bien élevé, affable, gai et très propre ;

après son accident il tomba dans les défauts exactement opposés. Il jurait après

toutes les personnes qui s'approchaient de lui, il cherchait querelle à tout le

monde, était malpropre et devint si insupportable pour ses voisins qu'on dut le

mettre dans une chambre, seul, mais d'autre part son intelligence était

demeurée claire........ » (L. Welt).

Voici l'opinion de Harlow sur un autre malade :

« Les patrons du malade qui, avant son accident, le considéraient comme un

de leurs plus actifs et plus capables ouvriers, remarquèrent de si importan-

tes modifications dans son caractère qu'ils ne voulurent plus lui rendre sa

place. n'y avait plus d'équilibre entre son intelligence et ses passions. est lu-

natique, peu digne, se plait en des expressions inconvenantes (ce qui n'était

pas son habitude), est déplaisant avec ses camarades, impatient pour tout ce

qui concerne ses exigences, parfois égoïste d'une manière excessive et des plus

changeant et irrésolu. Il fait des plans pour l'avenir et les renverse aussitôt,

.......... au point de vue des opérations commerciales son esprit est également

complètement changé

A la vérité, nous n'avons aucun cas de changement si complet et si to-

tal à offrir, mais, les nôtres ne sont que des diminutifs du précédent,

les couleurs sont moins vives, mais il n'y a qu'une différence de nuance.

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 237

B. Hémiplégie traumatique tardive.

Les faits que nous rangeons sous cette rubrique se produisent en géné-

ral de la manière suivante : Un individu est victime d'un accident au cours

duquel il fait une chute, ou reçoit un coup sur la tête, on le relève, il se

relève même seul et après que le trouble causé par l'accident est passé,

on ne constate aucune blessure, à peine une sensation de fatigue, decour-

bature, mais quelque temps après il se développe une hémiplégie, des

douleurs de tête apparaissent, des troubles de la parole, etc. Il ne s'agit

pas là d'hystéro-traumatisme, bien que l'hémiplégie puisse apparaître

brusquement et soudainement, car des interventions ont amené la décou-

verte d'hématomes, et des autopsies ont révélé des foyers hémorrhagiques.

Il s'agit de cas où, un traumatisme ayant porté sur le crâne, il y a eu ou

non fracture (le plus souvent pas) et. production d'une hémiplégie un

certain temps après. Les lésions se font dans la profondeur sans que

l'écorce paraisse lésée, du moins grossièrement.

Sur 47 cas d'hémiplégie traumatique nous comptons 14. cas d'hémi-

plégie différée ou tardive.

Les délais entre le traumatisme et l'hémiplégie (c'est-à-dire le temps que

l'hémonhagie met il former un foyer capable de produire la paralysie)

sont extrêmement variables. Dans un cas elle s'est produite au bout de

36 heures, deux fois au bout d'une semaine, dans trois cas après trois se-

maines, puis ensuite nous trouvons des laps de temps variant de 50 jours,

2 mois à 5 mois et plus. Dans un cas qui nous est personnel, il se serait

écoulé plusieurs années entre le choc et la paralysie, mais vu la difficulté

d'interroger un malade dont l'intelligence est très diminuée et, vu l'ab-

sence de gens pouvant nous renseigner, nous déclarons ce cas douteux et

n'en parlerons pas davantage. Il n'en est pas moins vrai que le délai

pouvant aller jusqu'à plusieurs mois est réellement considérable. Et ce-

pendant dans deux cas, il s'agissait d'une fracture de la base du crâne qui

ne fut décelée qu'à l'autopsie, c'est-à-dire de fracture grave. Dans la plu-

part des cas il n'y a pas de fracture de la boîte osseuse et cela dans une

proportion de 7 p. 10. Sur un ensemble de 10 cas, nous trouvons que

huit fois, malgré la violence du traumatisme, il n'y a pas eu de perte de

connaissance et deux fois seulement un certain degré d'inconscience qui a

duré plus ou moins longtemps. Et cependant parmi les 8 accidents relatés

dans l'étiologie des cas correspondants, il y en a eu de très graves : un

homme tombe de voiture, tandis que son cheval s'emballe, il se relève

court après et l'arrête; un autre, étant à cheval est désarçonné, un pied

reste pris dans l'étrier et le malheureux est traîné quelque temps. Enfin

il se dégage, le cheval se calme et il remonte dessus pour regagner son

238 RENÉ MARTIAL

domicile. Ainsi, non seulement malgré la gravité du choc, qui est évi-

dente dans ces deux cas, le sujet ne perd pas connaissance, mais encore

il continue sa route. Schoffer en donne un curieux exemple dans son obser-

vation n° 16.

Observation X.

« B. Franz, 26 ans, étudiant en médecine, il Graz, reçut le 15 juin 1894, il

quatre heures du matin, étant ivre, un coup de manche à balai donné avec une

grande violence. Il tomba sur les genoux, mais se releva aussitôt, ramassant

sa canne et son chapeau et, poursuivi, il prit la fuite. Il avait été frappé dans

la région du pariétal droit. En saisissant sa canne et son chapeau, il remarqua

que sa main gauche était engourdie, faible et maladroite, mais, surexcité à ce

moment même, il n'y avait pas fait attention. Après quelques centaines de pas,

son adversaire l'atteignit. Notre malade tomba de nouveau à terre et reçut

encore plusieurs coups et bourrades.

Quand il se releva, il n'accorda plus aucune attention à l'état de son bras

gauche. Il pria un de ses amis qui était précisément survenu, de le conduire

chez le professeur Millier. Mais son ami ayant refusé il retourna seul chez lui

à cinq minutes de là, ouvrit la porte de la maison, puis la sienne comme d'ha-

bitude. Il se déshabilla sans aucun trouble, prit une chemise de nuit et roula

une cigarette, le tout en s'aidant de la main gauche.

Puis il eut mal à la tête. Cette céphalée augmenta rapidement et l'obligea à

s'envelopper la tête de compresses fraîches. Il pouvait être quatre heures et

demie quand il s'endormit. Il se réveilla à 6 heures avec de violentes douleurs

de tête, des nausées, une sensation d'étourdissement, il se mit à vomir. Il sen-

tit alors l'angle droit de la bouche attiré vers l'oreille droite, et s'aperçut qu'il

ne pouvait mouvoir ni le bras ni la jambe gauches.

Il fit tomber des objets avec sa main droite pour appeler à l'aide ; car, à cause

de sa paralysie faciale il ne pouvait crier que très difficilement. Quelqu'un vint

qui lui envoya le médecin. Il reconnut très bien celui-ci, puis tomba pendant

un temps très court dans un état somnolent. Vers le soir, on le transporta à

l'hôpital.

le patient se plaint de forts maux de tête, température 37°5, pouls 68,

plaie un peu eu avant et au-dessus du tubercule pariétal, pas de fracture de

l'os..... Trépanation »

En voici un autre exemple dû à M. Pitres de Bordeaux. En même temps

on y verra bien apparaître et se développer tardivement et progressivement

la paralysie.

Observation XI.

Le 11 septembre 1897 un jeune homme de 21 ans, se trouvait assis sur

un four à chaux surplombant le sol de 1 m. 50 environ; il causait avec un

de ses amis qui, placé en contre-bas à 4 mètres de distance s'amusait à brûler

des capsules avec un fusil à piston. Le canon du fusil se dirigeait vers lui et

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 239

contenait, à l'insu du tireur, une charge de plomb n°4. Le coup partit. Notre

malade fut atteint à la joue droite, il ne perdit pas connaissance et, l'hémorra-

gie n'étant pas très forte il put se rendre à pied à son domicile situé à 2 kilo-

mètres de là. Il était alors neuf heures du matin. Dans la soirée arriva alors le

médecin qui le pansa et le laissa en aussi bon état que possible.

Il alla bien et put se lever durant toute la journée du 12 septembre. Vers le

soir, il se mit au lit et ses parents s'aperçurent que, pour se soulever, il ne s'ap-

puyait que sur son poignet gauche. Lui-même, dit-il, ne s'était pas aperçu de ce

début de paralysie. Le lendemain, en s'éveillant, il ne put se lever. Il était para-

lysé du côté gauche, y compris la face qui commençait à se devier à droite.

Tout son côté gauche était complètement anesthésique ; le médecin lui enfonça

des épingles dans la peau sans provoquer aucune douleur.

Huit jours après, il présentait tous les symptômes d'une hémiplégie gauche,

Ilasque, avec participation du facial inférieur. L'anesthésie des premiers jours

s'était beaucoup atténuée, et elle disparut peu à peu par la suite.

Au mois de février, il commençait à aller mieux et parvenait à marcher,

quoique avec peine, lorsqu'apparut de la contracture dans les membres para-

lysés. Cette contracture s'installa peu à peu et finit par le gêner assez pour le

décider à entrera l'hôpital où il fut placé salle n° 16, lit 28.

Le lendemain de son entrée, le 5 mai par conséquent, l'examen donne les

résultats suivants. Il existe sur la joue droite, au niveau de la saillie de l'os

malaire une cicatrice irrégulière, rosée et un peu saillante. Tout autour la pal-

pation fait découvrir des grains de plomb qui roulent sous la peau. On trouve

aussi d'autres grains erratiques dans toute la joue et même au niveau du man-

che du sternum.

Il existe un léger degré de parésie faciale, la face étant un peu déviée il droite

dans son ensemble. La langue est deviée à gauche. Le malade peut fermer ses

yeux et glisser son front également bien des deux côtés. '

Le membre supérieur gauche est raidi en demi-flexion et incapable d'aucun

mouvement. C'està peine si le malade peut soulever le moignon de l'épaule. Il ne

peut s'habiller tout seul; la main de ce côté est le siège d'une trépidation sponta-

née. Les réflexes tendineux sont très exagérés. La contracture est permanente,

mais non absolue : car on peut fléchir ou étendre l'avant-bras sur le bras, à la

condition d'y employer un peu de force.

Le membre inférieur gauche est raidi en extension. Les réflexes sont très

exagérés.

La trépidation épileptoïde du pied et de la rotule s'obtient facilement et s'ac-

compagne de soubresauts étendus à tout le membre : il est difficile de fléchir

la jambe sur la cuisse au delà de l'angle droit.

La marche se fait à petits pas, avec peine ; le malade est obligé de s'appuyer

sur une canne. Il relève le bassin et porte son membre en avant par un mou-

vement de torsion de la partie inférieure du corps. Le pied quitte cependant

le sol et ne traîne pas.

Il n'y a plus de troubles de la sensibilité cutanée au tact et à la douleur.

240 RENÉ MARTIAL

Cependant le malade éprouve de la difficulté il reconnaître les yeux fermés des

objets usuels placés dans sa main gauche.

La notion de position des membres est altérée notablement. La parole, très

troublée, paraît-il, au début, puisque le malade parvenait difficilement à se faire

comprendre, est seulement à l'heure actuelle traînante et un peu hésitante.

Le champ visuel est rétréci notablement et d'une manière concentrique des

deux côtés. Sa vue est bonne.

L'ouïe, le goût et l'odorat s'exercent normalement.

L'intelligence et la mémoire sont peu cultivées, mais ne paraissent pas avoir

été altérées. Le malade sait lire et écrire aussi bien qu'avant son accident.

~ Enfin l'examen clinique des autres appareils n'a révélé rien d'anormal.

La composition des urines est normale.

En résumé nous nous trouvons en présence d'une hémiplégie gauche avec

contracture consécutive à un coup de fusil chargé de plomb de chasse, tiré à

courte distance et ayant atteint la joue droite, mais survenue seulement trente-

six heures après l'accident.

Au premier abord, on est tenté de penser que l'hémiplégie n'a que des rap-

ports indirects avec le coup de feu et qu'il s'agit d'un accident d'hystéro-trau-

matisme comme ceux qui surviennent après les accidents de chemins de fer ou

les chutes de cheval par exemple. En effet l'apparition des accidents hystéro-

traumatiques survient en général un certain temps après l'événement causal.

Chez notre malade, l'hémianesthésie complète vient renforcer cette hypothèse

et le rétrécissement du champ visuel est un argument encore plus puissant.

Mais en revanche les caractères de l'hémiplégie qu'il présente plaident en fa-

veur d'une lésion organique des centres nerveux.

Il y a en cela plusieurs raisons :

in Chez lui, le facial inférieur est atteint, la langue est déviée à gauche. Or

dans l'hémiplégie hystérique, la face est indemne et présente seulement de l'hé-

mispasme glosso-labié.

Quand il marche, le malade porte son membre en avant fout d'une pièce

par un mouvement d'élévation du bassin. Les hémiplégiques hystériques traî-

nent la jambe et le pied ne quitte pour ainsi dire pas le sol.

3° Enfin ici la marche de la maladie a, été la marche classique de l'hémiplé-

gie organique. Etablie progressivement, flasque au début, la paralysie ne s'est

compliquée de contracture que quatre mois après son début, cette contracture

du reste n'est pas complète ; on peut, en déployant une certaine force, la vain-

cre facilement. Au contraire les hémiplégies hystériques s'installent brusque-

ment, elles sont rarement flasques ; elles s'accompagnent de contracture dès le

.début.

De plus la contracture hystérique est très forte; le membre atteint est pour

ainsi dire transformé en tronc rigide; ce qui n'est pas le cas ici.

Pour toutes ces raisons, et malgré l'existence d'une hémianesthésie au début t

et d'un rétrécissement concentrique du champ visuel, nous écartons le diagnos-

tic d'hémiplégie hystéro-traumatique. L'hémianesthésie passagère et le rétré-

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE . 241

cissement du champ visuel s'observent, du reste dans les hémiplégies par lé-

sion cérébrale.

Dans ces conditions, en l'absence de commémoratifs révélant une fracture

étendue du crâne, nous admettons une lésion des centres nerveux causée par

un ou plusieurs plombs ayant pénétré dans la cavité crânienne par la base du

crâne. La présence de plombs dans la tempe et le fait que le malade était à un

mètre cinquante au dessus du sol fournissent des indications précieuses sur la

direction du coup de fusil.

Les plombs ont pu atteindre ainsi l'intérieur de l'hémisphère droit après

avoir pénétré sous l'os malaire et avoir perforé la grande aile du sphénoïde.

En tous cas la lésion n'est sûrement d'origine corticale.

Les déductions précédentes, aussi bien que les caractères de l'hémiplégie,

écartent nettement cette idée.

Etant admise l'idée d'une lésion centrale il reste à expliquer pourquoi l'hé-

miplégie n'est survenue que trente-six heures après l'accident. L'expérimenta-

tion sur le cadavre, avec une broche enfoncée dans la direction présumée,

nous a montré qu'un plomb suivant cette direction aurait traversé la capsule

interne droite immédiatement en avant du genou ; son passage par conséquent

devant n'être suivi d'aucun symptôme moteur. Supposons alors, que pour une

cause ou pour une autre, par suite d'une infection légère peut-être, ce trajet

soit devenu le centre de phénomènes inflammatoires subaigus et d'un ramol-

lissement excentrique. Les lésions devront atteindre en arrière la partie mo-

trice de la capsule et produire une hémiplégie ayant tous les caractères de

celle que présente notre malade.

Telle est l'hypothèse à laquelle nous nous sommes arrêté parce qu'elle est

la seule à notre avis qui explique d'une manière satisfaisante ce cas diffi-

cile.

Inutile d'ajouter qu'aucune intervention opératoire ne nous paraît indi-

quée »

Dans cette dernière observation on assiste bien réellement à la nais-

sance de la paralysie. Cette dernière une fois constituée ne présente d'ail-

leurs rien de particulier dans la plupart des cas, elle reproduit toutes les

hémiplégies avec leurs divers degrés. Cependant d'une manière générale,

1 IL

les symptômes sont plus accusés et l'issue fatale paraît plus fréquente que

dans la forme immédiate.

Dans le cas suivant du professeur von Krafft-Ebing, la paralysie tardive

se complique d'hémicranie. En voici le résumé :

, Observation XII.

Le sujet du professeur von KrafTt-Ebing était, le 17 mars 1890, âgé de 33 ans,

mécanicien et marié depuis quatre ans. Il n'était ni. débauché ni adonné à la

boisson. Il menait une vie sériense, il était d'un famille bien portante, bref

xm 16

242 rené martial

on ne pouvait d'après aucun renseignement prévoir la possibilité d'une para-

lysie, en novembre 1890, le patient se trouvait à proximité d'une chaudière

à vapeur qui fit explosion. Il fut blessé à la jambe droite et conçut de cet acci-

dent une violente frayeur, on sait d'ailleurs que les mécaniciens et les chauffeurs

sont souvent atteints de névrose traumatique à la suite de semblables acci-

dents. -

Au bout de quatre semaines le malade était encore au lit et offrait tous les

signes d'une paralysie,. comme il n'était pas alcoolique et qu'il n'avait pas

souffert d'un « trauma capitis » cette paralysie demeurait incompréhensible à

moins de l'interpréter comme manifestation de nature hystérique et neuras-

,JJ théniqne. Maison apprit par un interrogatoire plus soigné que lors de l'accident

le malade avait en outre été atteint à la tête. Il avait quelque temps après la ca-

tastrophe perdu connaissance et eu de l'aphasie. On avait en outre remarqué

un affaiblissement de la mémoire, en même temps que la paralysie survenait.

Le professeur Krafft-Ebing signale ensuite l'apparition de signes .qui d'après lui

doivent toujours éveiller l'idée d'une paralysie et servent au diagnostic avec

l'état neurasthénique ; le malade eut jusqu'en mars 1891 des sortes de cram-

pes, d'engourdissement de la moitié gauche de la langue et du visage et du sco-

tome scintillant ; cela par accès. Les symptômes complets de la migraine opbtal-

mique ne se montraient pas toujours, mais souvent. Pour Krafft-Ebing les

accès correspondent à une rupture vasculaire dans l'écorce cérébrale qui amène

une suspension momentanée des fonctions dépendant du territoire atteint ; de

sorte qu'on se trouverait en présence d'une paralysie d'origine corticale.

L'hémicranie ophtalmique apparaissant chez des sujets déjà âgés (40 ans)

est, au contraire de celle qui apparaît chez de jeunes sujets, le signe cons-

tant d'une paralysie à venir. L'hémicranie ou simple migraine peut s'y

joindre comme dans le cas présent.

Voici donc un signe d'une réelle importance. Malheureusement il ne

nous a pas été possible de l'observer dans aucun de nos cas personnels. Il

n'était pas signalé dans les observations que nous avons recueillies. Mais,

signalé, les exemples pourront se multiplier parce qu'on les recherchera

avec plus d'attention.

Il résulte donc de ce qui précède que l'hémiplégie traumatique tardive

a une identité bien établie et qu'elle ne saurait être confondue avec des

cas d'hystéro-lraumatismes bien que ces derniers fussent capables d'en

imposer.

(A suivre.)

Nouv. Iconographie DE la SALPTTRIÉRE T. XIII. Pl. XXXV

ADÉNOLIPOMATOSE SYMÉTRIQUE A PRÉDOMINANCE CERVICALE

(P. E. Launois et R. Bensaude)

Masson & C1', Editeurs

L'ADÉNO-LIPOMATOSE SYMÉTRIQUE

A PRÉDOMINANCE CERVICALE.

(Suite et fin)

PAR

P. E. LAUNOIS, et R. BENSAUDE,

Professeur agrégé à la Faculté, Chef de laboratoire de la

médecin des hôpitaux. Faculté.

Observations.

Obs. XXI (PI. XXXV). Péan, Tribune médicale, 1898, page 147 (Nous

devons la photographie inédite de ce malade à l'obligeance du Dr

Henri Lebon.)

D... Abel, 32 ans, cocher.

Début il y a 2 ans par une tumeur occupant la partie gauche de la nu-

que.

Énorme collier cervico-facial ; 2 tumeurs symétriques à la nuque ; une

dans la région dorsale interscapulaire, une sur chaque épaule descendant

sur le deltoïde, une au creux épigastrique. Toutes les tumeurs présentent

les caractères des lipomes diffus.

Perte des forces et amaigrissement rapide coïncidant avec l'accroissement

constant des tumeurs.

Extirpation du lipome couvrant le côté droit de la nuque et la moitié

droite du collier.

OBS. XXII (inédite) (PI. XXXVI a). L'observation et la photographie

sont dues à l'obligeance du Dr Bouvet qui a observé le malade à l'infir-

merie de la maison de Nanterre dans le service de M. Remy.

Bontem..., Marie-Fidèle-Edouard, i.2 ans, cocher.

Tumeurs lipomateuses sous le menton, à la nuque au niveau de la 7°

vertèbre cervicale, derrière l'oreille droite, au creux sus-claviculaire, dans

la région dorso-lombaire au niveau des dernières côtes (à gauche seule-

ment), au niveau du rebord des crêtes iliaques. Aux bras, 2 tumeurs : l'une

au-dessus de l'épitrochlée et l'autre au niveau du pli du coude, 2 lipomes

244 P. E. LAUNOIS ET R. BENSAUDE

également au niveau de chaque cuisse : l'une dans le triangle de Scarpa,

l'autre à la partie externe.

Une tumeur située derrière l'oreille droite plus haut placée que celle

que le malade présente actuellement aurait été extirpée à l'hôpital de St-

Denis il y a 7 ans par M. Leroy des Barres.

Le malade porte en outre une ulcération à la face dorsale du pied droit

et un mal perforantplantaire avec anesthésie au pied gauche. Il a de l'exa-

gération des réflexes rotuliens et de la trépidation épileptoïde.

Il meurt à l'Infirmerie de la maison de Nanterre d'une pneumonie. La

famille s'oppose à l'autopsie. La photographie que nous reproduisons a été

prise par M. Bouvet 20 heures après la mort.

OBS. XXIII.- Observation inédite due à l'extrême obligeance de M. le

professeur Démons de Bordeaux. Les photographies ont été prises dans

le laboratoire des cliniques par M. le Dr SABRAZÈs (Pl. XXXVI, b,c,d).

Jules K.. 48 ans, tonnelier. Père rhumatisant, mort à 68 ans de rhu-

matisme.

Mère vivante, âgée de 78 ans, bien portante, a perdu un frère à l'âge de

98 ans d'une maladie inconnue. A encore quatre frères et soeurs en bonne

santé. Possède une fille bien portante.

A eu la dysenterie à l'âge de 23 ans. Depuis lors jouit d'une bonne santé,

ne croit pas être alcoolique. Il avoue cependant qu'il prend un apéritif

chaque jour. '

Jamais il n'a eu de grands chagrins ni d'émotions violentes.

A diverses reprises, il a eu des échauffements, mais pas de blennorra-

gie intense ni de syphilis.

Il y a dix ans, le malade s'aperçut de la présence d'une petite tumeur

arrondie derrière l'oreille droite. Il prit alors de l'iodure de potassium. Pen-

dant deux ou trois ans la tumeur grossit lentement, tout en restant loca-

lisée derrière l'oreille. Puis, elle commença à descendre sur la face laté-

rale droite du cou. Progressivement, elle a gagné la région sus-hyoïdienne

et enfin elle a envahi la face latérale gauche du cou. Il y a un an et demi

apparition de deux tumeurs presque juxtaposées de chaque côté de la ligne

médiane, à la nuque : celle du côté gauche a grossi plus vite que l'autre.

Presque en môme temps se développaient deux tumeurs symétriques,

plus bas, à gauche et à droite de la partie postérieure de la colonne cervi-

cale. Depuis quelques mois, une tumeur à marche rapide s'est montrée dans

les deux aisselles.

Toutes ces tumeurs ont grossi sans provoquer de grandes douleurs. Le

malade éprouvait seulement de la gêne.

K. ne croit pas avoir maigri. Depuis un an, il tousse, surtout le matin, t

Nouv. ICONOGRAPHIE DE la S.1LPI : TttIL`tte T. XIII. PI. XXXVI

a

b

c

d

ADÉNOLIPOMATOSE SYMETRIQUE A PRÉDOMINANCE CERVICALE

(P. E. Launois et R. Bensaude)

Masson & Ci-, Editeurs

L'ADÉNO-LIPOMATOSE SYMÉTRIQUE 245

et attribue cette toux à l'usage exagéré du tabac. Il dit être essouflé lors-

qu'il fait un violent exercice, mais n'a jamais eu de palpitations de coeur.

L'appétit est resté bon et les digestions ont été toujours faciles. Pas de

céphalalgie.

Le malade a pris longtemps des préparations iodurées et arsenicales. La

liqueur de Fowler a été poussée jusqu'à la dose de 22 gouttes par jour. Il a

utilisé les pommades fondantes, mercurielles et autres. Un médecin a fait

des injections interstitielles d'une solution arsenicale, sans succès. L'une

de ces injections a déterminé la formation d'un abcès. L'électrisation lo-

calisée n'a pas eu un meilleur résultat. Un chirurgien a conseillé un séjour

sur le bord de la mer, un autre a refusé l'opération demandée, à cause des

dangers de l'anesthésie et de l'hémorragie. D'autres ont diagnostiqué un

lymphadénome et prescrit l'arsenic.

Lorsque lemalade vient nous voir, au mois de novembre 1899, nous

constatons d'abord la présence d'une énorme tumeur qui occupe toute la

partie antérieure et supérieure du cou d'une oreille à l'autre. Elleestlimitée

en haut par le rebord inférieur du maxillaire inférieur et descend jus-

qu'au devant des premiers anneaux de la- trachée. Sur les côtés elle sem-

ble arrêtée par les muscles sterno-mastoïdiens, mais il est facile de voir

que sous ces muscles elle se continue en arrière avec une autre tumeur bi-

lobée qui siège dans la région de la nuque. De telle sorte que la tumeur

a envahi en totalité la partie supérieure du cou, formant un gros collier

d'où émerge la tête, collier plus volumineux en avant qu'en arrière et dé-

primé sur les parties latérales. Au niveau des régions parotidiennes elle

déborde de chaque côté, en avant, et atteint le niveau des arcades zygo-

matiques. Dans toute sa portion antérieure le néoplasme a une forme assez

régulière : il ne paraît que vaguement lobulé. La peau n'a pas subi d'al-

tération. Sous elle on voit se dessiner quelques veines dilatées. A la pal-

pation, la lobulation est un peu plus nette. Cependant, on sent bien qu'il

s'agit d'une seule tumeur et non pas de tumeurs enkystées juxtaposées.

La peau glisse assez bien à la surface; on perçoit une certaine mobilité

sur les couches profondes, mais on ne trouve pas cette sensation que donne

unetumeurfranchement encapsulée.Quelques parties semblent dans lamas-

se un peu plus mobiles que d'autres.La consistance est mollasse,semblable

à celle des lipomes : en certains points elle est plus ferme, comme celle

des fibro-lipomes.

Les tumeurs de la région postérieure du cou sont un peu plus tendues,

à grains plus serrés pour ainsi dire, plus fines ; on en voit .quatre lobes

principaux, symétriques, séparés par deux sillons s'entrecroisant, grosses

comme des pommes. Dans les creux sus-claviculaires il y a des tumeurs

pareilles. Celle du côté droit est un peu plus volumineuse, elle se prolonge

246 P. E. LAUNOIS ET R. BENSAUDE

jusque sur l'épine de l'omoplate. Dans les creux axillaires autres tumeurs

du volume d'une grosse orange, mollasses, assez mobiles. Deux autres tu-

meurs, symétriques, un peu étalées, paraissant sous-musculaires, adroite

et à gauche et tout près de la ligne verticale des apophyses épineuses, dans

la région lombaire. Une petite tumeur assez profonde, sur le côté droit de

la poitrine, au niveau de la 5°côte. Une petite tumeur grosse aussi comme

une noix sous-cutanée, dans la région de l'hypocondre droit, toujours

avec la même consistance lipomateuse.

On ne trouve pas de néoplasme aux aines, ni aux membres inférieurs,

ni autour ou dans le bassin ni dans l'abdomen.Pas d'ascite ni d'oedème des

membres inférieurs.

La face est rouge, un peu vultueuse. Pas de dilatation appréciable des

veines superficielles. Pas d'exoptalmie. Pupilles normales. Pas de paraly-

sie faciale.

Au cou, peu de dilatation des jugulaires externes et antérieures. La tra-

chée n'est pas déviée.

Thorax : dilatation des veines superficielles assez marquée sur la partie

antéro-supérieure gauche s'étendant jusque sur le bras. A la percussion,

sonorité normale des deux côtés. A l'auscultation, râles ronflants à droite

en avant et en arrière. Pas de souffle ni de diminution du murmure

respiratoire. Les bruits du coeur sont sourds. Pas de bruits anormaux. Le

pouls est régulier, sans athérome appréciable.

Le malade tousse un peu depuis quelque temps sans expectoration. Ja-

mais d'hémoptysie. Pas d'oppression.

Pas de trouble de la déglutition (1). Les fonctions digestives s'exécutent

bien.

Miction normale ; urine physiologique. Le malade n'a ni céphalal-

gie, ni bourdonnements d'oreilles, ni troubles de la vue, ni troubles sen-

sitifs ou moteurs dans les membres. Mais il est attristé par sa maladie qui

le rend l'objet de la curiosité des passants; il est devenu mélancolique et

manifeste un désir ardent d'être débarrassé des tumeurs de son cou.

« L'examen du sang a été pratiqué par ]II. le D S(ibi@azès,au laboratoire

des cliniques, le H novembre 1899, le malade étant à ieun.

L'ADÉNO-LIPOMATOSE SYMÉTRIQUE 247

248 P., E. LAUNOIS ET R. BENSAUDE

ment augmenté. Les veines jugulaires antérieures sont plus dilatées qu'au

paravant'(l). Du reste, la santé générale est toujours- très' bonne. L'aspect

du visage est même meilleur. Le poids du corps est plus considérable.

Le moral est bon.

J'ai renoncé à toute nouvelle intervention malgré de nouvelles sollici-

tations de l'intéressé. Ce que j'ai vu précédemment me donne l'assurance

que jamais je ne pourrais arriver à une éradication satisfaisante, même

approximativement. En second lieu, je crois que si je voulais pousser plus

profondément une dissection, il me serait impossible d'éviter la lésion des

gros ^aisseaux et des nerfs importants de la région, englobés de toutes

parts par le tissu graisseux et rendus invisibles dans cette masse jaune

diffuse.

uns. Y1V(Pl. XXXVII).-A. Pitres, Journal de Médecine, Bordeaux,

20 août 1899, page 394.. , ;

X..., Etienne, 4.1 ans, bouclier. Rien a noter dans les antécédents héri-

ditaires ni personnels. Alcoolisme. ;

X... fait remonter le début de sa tumeur à deux mois environ. Quelques

semaines auparavant, on lui avait dit que son cou grossissait, mais il ne

s'était nullement inquiété, car ne remarquait rien d'anormal. Vers les

premiers jours du mois d'avril 1899, il sentit sur la partie latérale gauche

du cou, un peu au-dessous de l'oreille, une tumeur mobile, roulant sous

la peau, et ayant le Volume d'une amande. Deux ou trois jours après, il

s'aperçut que du côté droit se trouvait une tumeur placée en un point sy-

métrique.

Ces deux tumeurs augmentèrent progressivement de volume, et le cou

fut bientôt entouré d'une véritable collerette. Un mois après, X... ne pou-

vait plus boutonner son col de chemise et devait porter du linge non ami-

donné.

X... est un homme fortement musclé, qui me paraît très vigoureux.

La tumeur pour laquelle est venu consulter forme autour du cou une

volumineuse collerette. Elle occupe surtout la partie inférieure du cou,

surplombant le thorax, et s'étend, en arrière, jusqu'aux clavicules. La sail-

lie du maxillaire inférieur a disparu sur les côtés et la joue socontinue,

directement, sans aucune dépression avec tumeur. Un sillon à la sur-

face de celle-ci parait séparer la région sous-maxillaire de la région sus-

claviculaire.

De chaque côté, on trouve au-dessus de la clavicule une saillie du vo-

(i) Il ne me parait pas que les portions de la tumeur enlevée aient récidivé. On

en peut bien juger à la nuque. Je crois plutôt que la masse générale a augmenté de

volume.

Nouv. Iconographie DE la SALYL'IRILRE

T. XIII. PI. XXXVI

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L'ADÉNO-LIP0111ATOSE symétrique 249

lume du poing. Ces deux saillies latérales ne dépassent pas le bord supé-

rieur de la clavicule ; elles s'atténuent au niveau du tiers interne de l'os.

Le cou a quarante-sept centimètres de circonférence au niveau de l'os hy-

oïde, mais il s'élargit en tronc de cône à sa partie inférieure et mesure

cinquante-huit centimètres au-dessus des clavicules. Une chemise empesée

a déterminé une légère excoriation sur le côté gauche de la tumeur ; mais

la peau est partout molle, souple, sans adhérence. Il existe un développe-

ment veineux assez prononcé à la partie supérieure du thorax des deux

côtés, mais pas sur la tumeur elle-même. Pas de varices lymphatiques.

La tumeur n'a pas de mouvements d'expansion, elle ne suit pas le larynx

dans ses mouvements d'élévation et d'abaissement.

A la palpation, cette tuméfaction a une consistance molle, dépressible ;

on- y trouve de petites masses lobulées, plus fermes et roulant sous le

doigt. Ces petites masses ressemblent à des noyaux ganglionnaires durs,

noyés dans une masse gélatineuse ou lipomateuse. ,

La tumeur, submate à la percussion, est dépressible mais non réducti-

ble ; une compression prolongée ne diminue pas son volume ; l'effort mus-

culaire ne l'augmente pas. A sa surface, la peau ne prend pas l'aspect gau-

fré par le pincement.

Il y a des tumeurs, de consistance identique à celle des tumeurs cervi-

cales, en avant des deux creux axillaires, entre les grands pectoraux et la

cage thoracique. Le long de la gaine des vaisseaux du bras droit, à quatue

travers de doigt au-dessus du pli du coude, existe une petite masse allon-

gée, longue de quatre à cinq centimètres, également molle et lobulée. Une

dernière se trouve sur le bras gauche, le long des vaisseaux.

Le ventre est volumineux, avec une adipose assez prononcée, qui fait

faire à la paroi une saillie en avant.

Le foie et la rate ne sont pas hypertrophiés. Les testicules sont normaux.

On trouve quelques points rouges de pigmentation sur le thorax ; pas de

nævi étendus. Tous les réflexes sont conservés.

Pas de troubles de sensibilité.

La respiration est un peu rude, bronchitique. Rien au coeur, les artères

sont un peu athéromateuses.

Les urines n'ont jamais été troubles ni lactescentes. L'examen, fait il y

a quelques semaines, n'a rien décelé d'anormal.

Examen du sang : Globules rouges, 6,262,000 ; globules blancs, 10,800.

On ne trouve pas d'embryon de filaire à l'examen du sang recueilli le

jour ou la nuit.

. ORS.1VI (PI. XXXVIII)

Cette photographie nous a été très obligeamment communiquée par

M. LEJARs.Elle se rapporte à une malade qu'il a observé à la Pitié,en 1894,

où elle est restée quelques semaines dans un état de cachexie profonde.

UN CAS DE MALFORMATION DIGITALE DITE EN

« PINCE DE HOMARD »

PAR

P. LEREBOULLET et F. ALLARD.

L'étude radiographique des anomalies digitales a amené maintes cons-

tatations intéressantes, soit sur la constitution squelettique de ces diffor-

mations, soit sur leur mode de développement. A. Londe et II. Meige (1)

y sont ici même revenus à deux reprises. La déformation dite en pince de

homard a été l'objet de plusieurs examens, et les derniers faits publiés,

outre qu'ils mettaient en lumière la fréquence de l'hérédité de ces défor-

mations, ont montré la grande diversité qui existe dans la disposition ana-

tomique de l'anomalie.

Le plus souvent les deux doigts extrêmes (pouce et auriculaire) limitent

la pince, les doigts intermédiaires manquent. Mais tantôt le métacarpe

subsiste plus ou moins complètement, tantôt il a à peu près disparu et

l'échancrure se prolonge jusqu'au carpe. Dans ce dernier cas, les deux

doigts extrêmes peuvent avoir leur squelette normal, garni des parties

molles, des éminences thénar et hypothénar ; et comme dans le cas du sal-

timbanque de Morel-Lavallée les deux branches de la pince peuvent s'é-

carter à volonté, se rapprocher pour former le poing et avoir une puis-

sance musculaire assez considérable. Ou bien le squelette de ces deux doigts

est lui-même peu développé ; ce ne sont plus que des vestiges du pouce et

de l'auriculaire comme dans le cas de Londe et Meige. Lorsque le métacarpe

subsiste, les deux doigts extrêmes peuvent être eux-mêmes atrophiés,et,s'il

y a bidactylie, il n'y a pas pince de homard (Souques et Leclerc) (2). Ou en-

core le pouce et l'auriculaire sont à peu près normaux, l'auriculaire peut

même avoir un développement exagéré, et la pince de homard peut être

utilisée par le sujet. Tel était le cas de Temperly, publié dans le traité

d'Annandale et reproduit par Polaillon (3).

Il est d'autres faits plus rares où ce sont les doigts du bord cubital qui

(1) A. L011DF : et H. Meige, Nouv. iconographie de la Salpêtrière, janvier-février 1897,

janvier-février 1898.

(2) Souques et LECLERC, Nouvelle iconographie de la Salpêtrière, 1894, p. 244.

(3; Polaillon, Dictionnaire encyclopédique, article Doigt.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA S1LPL'1'RILRC T. XIII. PI. XXXIX

A

B

MALFORMATIONS DIGITALES « EN PINCES DE HOMARD »

('P. et F..411nrr1 )

UN CAS DE MALFORMATION DIGITALE DITE EN. PINCE DE HOMARD 251

disparaissent.Dans le fait de Raymond et Pierre Janet (1) la pince est limi-

tée en dehors par le pouce,en dedans par l'index et le médius dontles parties

molles son t soudées ; l'auriculaire et l'annulaire manquent. Bien que cette

disposition soit moins favorable à un exercice actif de la main déformée

(car les mouvements d'opposition s'exercent de manière moins aisée), la

malade de Raymond et P. Janet se servait de ses mains avec une habileté

surprenante (2).

Nous avons eu, au cours de l'année dernière, l'occasion d'observer un

jeune s1.Aiet, entré dans le service de notre maître le professeur Brissaud,

pour une fièvre typhoïde, mécanicien de son état, et porteur à la main

gauche d'une difformité en pince de homard absolument typique. Limitée

en dehors par un pouce à peu près normal, en dedans par un auriculaire

paraissant de dimensions notablement supérieures à la normale, cette

pince était munie de parties molles bien développées : elle s'échancrait

jusqu'au métacarpe, plus vers le pouce que du côté interne,et le métacarpe

semblait en grande partie conservé. Les mouvements d'opposition étaient

faciles, et le malade pouvait déployer une certaine force. Il disait pouvoir

tenir solidement ses outils avec cette main gauche déformée; il serrait

facilement la main qu'on lui présentait, pouvait même arriver, quoi qu'im-

parfaitement, à former le poing. Interrogé au sujet de l'hérédité possible,

il dit n'avoir pas eu la notion de pareille difformité chez ses parents ou

chez un membre quelconque de sa famille.

La radiographie de la main de ce malade a permis de faire des constata-

tions très nettes sur l'étatde son squelette (PI.XXXIX,A).Le pouce(qui pré-

sente un léger degré d'opposition sur cette radiographie) a son métacarpien

bien conformé s'articulant normalement avec le trapèze ; en revanche ses

deux phalanges paraissent peu développées et soudées l'une à l'autre en lé-

gère flexion (soudure qui troublait d'ailleurs peu la mobilité de ce doigt).Le

métacarpien du petit doigt parait énorme par rapport à ceux des autres

doigts. La première phalange, qui lui fait suite semble normalement con-

formée ; puis la deuxième est épaisse et fort courte, enfin la troisième

paraît assez développée. Les métacarpiens intermédiaires sont imparfaite-

ment formés, le deuxième court et trappu, les deux autres plus allongés

et ayant une épiphyse assez développée, qui va en s'effilant vers les pha-

langes qui, elles,sont complètement absentes ; le seul vestige qui semble en

subsister est une minime phalangette en dedans de celle de l'auriculaire à

laquelle répond une bosselure des parties molles.

La déformation résulte donc ici du non développement des phalanges des

(1) RAYMOND et Pierre JANET, Nouvelle iconographie de la Salpêtrière, nov.-déc. 1897.

(2) Parfois enfin la pince de homard peut s'observer,non aux mains, mais aux pieds,

tel le fait curieux de Jayle et de Jarvis, Presse médicale, 189S, p. 105.

r--....

252 P..LEREBOULLET ET F. ALLARD

doigts intermédiaires, les phalanges des deux doigts extrêmes s'étant au

contraire développées à peu près normalement.

Nous avons cru intéressant de rapprocher des faits de difformité en pin-

ces de homard, et notamment de celui que nous venons de rapporter, un

cas de monodactylie, observé par M. Tissier dans le service de M. Bar à la

maternité de l'hôpital St-Antoine, et dont un de nous a pu faire la radiogra-

phie (PI. XXXIX, B). Ce fait ne diffère de ceux où il y a pince de homard

que par le développement très imparfait de la branche interne de la pince ;

ici l'auriculaire est réduit à'un.métacarpien, très incomplètement dévelop-

pé,'privé de son épiphyse, et qui ne traduit sa présence que par une légère

saillie des parties molles. En revanche la branche externe de la pince est

assez bien développée : métacarpien du pouce avec son épiphyse supé-

rieure, à peu près normal (en regard d'un carpe encore incomplètement

développé); première phalange courte, tassée avec épiphyse supérieure

amincie et réduite, deuxième phalange bien constituée. Du métacarpe,

intermédiaire aux deux métacarpiens extrêmes, n'existe nulle trace.

Ce cas montre donc que des faits de monodactylie à ceux de didactylie

on peut trouver tous les intermédiaires squelettiques. Mieux que tout

autre procédé d'exploration, la radiographie permet de reconnaître la cons-

titution des anomalies digitales et montre toutes leurs variétés. Elle met

en lumière leur rapport avec le développement des pièces osseuses, les

unes normales, les autres incomplètes et absentes. Elle ne permet pas,

quant à présent, de trouver la loi qui préside à la genèse de ces arrêts de

développement, ou au contraire aux excès de développement (polydactylie)

si fréquemment héréditaires (1).L'accumulation de faits semblables àceux

rapportés par Londe et Meige, Raymond et Janet, Jayle et Jarvis, etc.,

permettra en tous cas de grouper plus méthodiquement qu'on ne pouvait

le faire avant la radiographie, les anomalies digitales, ou, de façon plus

générale, les arrêts de développement de squelette, et d'en donner une

classification anatomique exacte.

(1) Voir notamment sur ce point l'intéressant article de BOINET, Polydactylie et ata-

visme, Revue de médecine, p. 317, 1898.

UNE COMPLICATION DU TABES NON ENCORE SIGNALÉE.

Fracture COMPLÈTE DE la totalité du REBORD alvéolaire DES

DEUX MAXILLAIRES SUPÉRIEURS, PENDANT L'AVULSION D'UNE CA-

NINE, DANS UN CAS DE TABES ; LARGE BRÈCHE DE COMMUNICATION

BUCCO-SINUSIENNE CONSÉCUTIVE, SIMULANT LE MAL PERFORANT BUC-

CAL ; FACIES SPÉCIAL (DÉMONIAQUE) ;

· PAR

MM. SABRAZÈS et FAUQUET.

(de Bordeaux)

L'histoire des sujets atteints d'Ataxie locomotrice est si féconde en in-

cidents pathologiques qu'il n'est pas un cas nouveau de tabes qui n'offre

à l'observateur attentif l'occasion d'enregistrer quelque manifestationsymp-

tomatique nouvelle.

Le fait suivant rentre sans doute dans une série connue, celle des frac-

tures dites spontanées ; mais il emprunte aux conditions dans lesquelles

il s'est produit un incontestable cachet de nouveauté doublé d'un certain

intérêt pratique.

B. D..., âgée de 54 ans, native d'un village du Tarn-et-Garonne, habite

Bordeaux depuis une trentaine d'années et y a exercé le métier de femme de

peine et de ferrailleuse. Elle est placée à la salle 4 de l'hôpital Saint-André

dans le service de M. Rondot suppléé par M. Sabrazès. Une impotence pro-

gressive des membres inférieurs accompagnée de douleurs fulgurantes a né-

cessité son hospitalisation le 28 février 1896.

Antécédents héréditaires. - Père mort à 98 ans, emporté en 48 heures, il

n'avait antérieurement jamais été malade.

Mère, fille unique, sans tare nerveuse, issue d'un père dans la famille

duquel il y avait eu des grossesses doubles et même triples est morte à

35 ans de suites de couches ; elle avait eu successivement six grossesses gé-

mellaires ; chaque fois naissaient un garçon et une fille qui tous ont vécu et se

sont parfaitement développés.

Parmi les douze frères ou soeurs, six sont encore vivants ; les autres ont suc-

combé à des affections indéterminées.

Le frère aîné de la malade s'est marié et a eu des enfants jumeaux.

254 SABRAZÈS ET FAUQUET

Une de ses soeurs n'a jamais eu de grossesse gémellaire. Pas de renseigne-

ments, à ce point de vue, sur les autres frères ou soeurs.

Antécédents personnels. On ne relève aucune maladie de l'enfance : ni rou-

geole, ni scarlatine, ni diphtérie, ni fièvre typhoïde.

Réglée à dix ans ; depuis lors, jusqu'à l'âge de 52 ans, menstrues régulières,

mais parfois très abondantes et nécessitant un tamponnement.

Mariée à quinze ans et trois mois. A seize ans, accouchement gémellaire d'un

garçon et d'une fille bien portants avec suites de couches excellentes.Le garçon est

mort à l'âge de dix-huit ans d'étouffement ( ? ), la jumelle du croup, en bas âge.

- A vingt ans, nouvel accouchement gémellaire avec même résultat : le gar-

çon "mourut à 15 jours, la jumelle à peu près au même âge.

A vingt-trois ans troisième accouchement gémellaire s'effectuant toujours

dans de bonnes conditions avec naissance d'un garçon et d'une fille.

Veuve à vingt-huit ans : mari mort subitement, à l'âge de trente ans, d'un

coup de sang ( ? ) ; il était fort, vigoureux, robuste.

Mariée une seconde fois à trente-trois ans. A trente-quatre ans, accouche-

ment prématuré, à six mois et demi d'une grossesse gémellaire. Cette fausse

couche se fit brusquement au moment où la malade revenait de la fontaine,

une cruche à la main. Nous ne pouvons être fixés d'une façon précise sur l'état

des deiix foetus. Le malade n'avait et n'a jamais eu de maladies de la peau et

des muqueuses (du moins à sa connaissance) ni de céphalalgie. Son second mari

était bien portant et très vigoureux ; il mourut encore jeune d'un accident de

travail. Veuve une seconde fois à cinquante et un ans.

A l'àge de quarante-huit ans, c'est-à-dire deux ans avant l'apparition des

symptômes qui l'ont amenée à l'hôpital, la malade qui jusqu'alors n'avait ja-

mais souffert des dents, ressentit de violentes douleurs dans le maxillaire su-

périeur droit, douleurs s'irradiant dans toute la tête et dans la face, comparées

par elle à des coups de lancette dont on l'aurait lardée de bas en haut.

Toutes les dents, mais surtout celles de la mâchoire supérieure, étaient dou-

loureuses et, parmi ces dernières, la canine droite semblait l'être le plus.

L'acuité des douleurs était telle que la malade ne pouvait dormir et qu'elle

passait les nuits à se promener dans sa chambre en s'efforçant d'atténuer l'in-

tensité de ses douleurs par la compression manuelle des régions endolories; ce-

pendant les gencives paraissaient normales; les dents étaient saines, blanches,

solidement implantées ; leurs racines ne faisaient aucune saillie dans la cavité

buccale ni dans le sillon gingival. Mais la persistance et la violence des dou-

leurs décidèrent la malade à aller trouver un dentiste pour se faire arracher la

canine supérieure droite qui était la plus douloureuse. *

Le dentiste saisit cette dent à l'aide d'un davier mais, loin de l'extraire, il

entraîna avec elle, à sa grande surprise, tout le rebord alvéolaire des maxillai-

res supérieurs lequel supportait onze dents (les cinq autres dents qui man-

quaient déjà étaient tombées, avant cet accident, nous ne savons pas comment).

Cette large fracture s'étendait jusqu'à la voûte palatine inclusivement créant

ainsi un large orifice de communication entre la cavité buccale et les deux si-

UNE COMPLICATION DU TABES NON ENCORE SIGNALÉE 255

nus maxillaires : les liquides introduits par la bouche ressortaient dès lors fa-

cilement par les deux narines.

Ce traumatisme amena une hémorrhagie abondante de la muqueuse dilacérée

des os fracturés et causa des souffrances très vives. Le dentiste anxieux éprou-

ve de très grandes difficultés à tarir l'écoulement sanguin ; il garda la patien-

te dans son cabinet pendant plusieurs heures. La plaie resta douloureuse pen-

dant plusieurs mois. Puis, petit à petit, un travail de cicatrisation se fit au niveau

de la brèche transmaxillaire qui progressivement se rétrécit au point de ne

mesurer que deux millimètres sur trois et de ne communiquer qu'avec le sinus

maxillaire droit. A travers cette cavité il ne s'est jamais écoulé de pus ni éli-

miné de débris d'os.

La malade a conservé longtemps ce segment de mâchoire ainsi arraché

avec ses onze dents saines et blanches très adhérentes à leurs cavités alvéo-

laires.

A cette époque et depuis quelque temps déjà cette femme subissait de nom-

breuses privations, se livrait à des travaux pénibles, portait sur la tête de lourds

fardeaux.

A l'âge de cinquante ans, un jour de marché, elle était occupée à installer

son étalage de ferrailleuse quand elle se sentit faiblir; elle ressentit un malaise

' général ; elle devint hésitante dans sa marche, pâlit, s'évanouit et tomba à

terre. Elle resta environ une demi-heure sans connaissance, puis elle put re-

tourner chez elle soutenue par deux personnes.

Auparavant elle n'avait jamais eu ni attaques de nerfs, ni vomissements, ni

douleurs viscérales. Le médecin appelé conseilla l'entrée à l'hôpital.

En 1896 et en 1897 la malade avait de l'instabilité de la marche, éprouvait

, de vives douleurs fulgurantes à partir du genou jusqu'aux pieds. De plus elle

ne sentait pas le besoin d'uriner; les urines s'écoulaient à l'extérieur sans

qu'elle en eût conscience, sans qu'elle souffrît de la vessie; ce symptôme a

persisté pendant un an, puis a disparu. Enfin, cette époque, constipation

opiniâtre, tendance aux hémorrhagies (épistaxis fréquentes, règles abondantes).

En 1898, apparition subite de crises gastriques : vomissements alimentai-

res incoercibles avec douleurs épigastriques angoissantes. Cet état a duré plu-

sieurs mois, résistant à tout traitement ; il a ensuite cessé petit à petit pour ne

faire que très rarement des retours offensifs.

L'incoordination motrice est allée s'accusant de plus en plus au point que la

station debout est devenue impossible. Les muscles des membres inférieurs

ont notablement diminué de.volume depuis lors.

La malade n'a jamais eu de ptosis ni de diplopie.

Etat actuel. - Face. - Le 2 février 1900, nous nous trouvons en présence

d'une femme qui est obligée de rester au lit à cause de l'impotence des mem-

bres inférieurs. Elle a le facies ridé. Ses cheveux sont coupés court par suite

de la difficulté qu'elle éprouve à se coiffer. Les yeux sont vifs et brillants, les

pommettes saillantes un peu plus colorées que le reste du visage. Le nez long

et crochu rejoint presque la saillie mentonnière qui est proéminente. La mâchoire

inférieure, surtout dans la région du menton, est comme enclavée dans la mâ-

256 SABRAZÈS ET FAUQUET

choire supérieure et a basculé de bas en haut et d'arrière en avant, ce qui ex-

plique la saillie du menton. Aussi le sillon naso-génien est-il très déprimé, la

lèvre supérieure est-elle deviée vers la bouche et rapetissée. Cette lèvre mesure

en hauteur, la bouche étant, fermée, trois à quatre millimètres au milieu de

la cloison du nez et des fosses nasales, quatre à cinq millimètres vers le mi-

lieu du sillon naso-génien. Ces anomalies dans les rapports réciproques des

parties molles de la face sont dues à la disparition complète de tout le rebord

alvéolaire -des maxillaires supérieurs qui est elle-même la conséquence de la

fracture de la mâchoire signalée plus haut. Du fait de l'absence de rebord al-

véolaire, la lèvre supérieure et les parties attenantes des joues mal soute-

nues sont en retrait dans la cavité buccale et partiellement recouvertes par la

lèvre inférieure devenue proéminente par suite du prognathisme de la mâ-

choire correspondante (Stéréophotographie Pl. XL.)

Quand on examine la cavité buccale - et pour cela on est obligé de redresser

en avant et en haut la lèvre supérieure rentrante - on est surtout frappé par

l'absence complète du rebord alvéolaire des maxillaires supérieurs. Bien plus,

à la place de ce rebord on trouve un sillon en fer à cheval circonscrivant toute

la voûte palatine jusqu'à l'insertion marginale du voile du palais. La voûte

palatine au lieu d'être creuse, est légèrement bombée en bas et sa moitié gauche

est particulièrement convexe; la muqueuse qui la recouvre est lisse, tendue,

blanc grisâtre avecçà et là une teinte rosée.Dans la moitié droite de la courbe que

décrit le sillon signalé plus haut, à peu près au niveau que devait occuper

la deuxième prémolaire droite, se trouve une perte de substance mesurant

2 millimètres sur, faisant communiquer ce sillon avec la cavité du sinus. Les

bords de cet orifice sont arrondis et revêtus par une muqueuse blanc rosée

et nacrée aux angles sans ulcération. Ce pertuis a l'aspect d'une large fistule

congénitale ; il rappelle aussi les perforations artificielles grâce auxquelles on

désinfecte les sinus au cas de sinusite maxillaire. Autour de cette perforation

se trouve une zone blanchâtre, plus résistante au doigt, trace du processus

de cicatrisation à la faveur duquel la large fissure préexistante s'est lentement

comblée presque entièrement.

Du côté gauche le sillon est plus profond que du côté droit.

Il n'existe sur le milieu de la voûte palatine aucune perte de substance.

Le rebord du maxillaire inférieur est à peu près normal en avant ; en ar-

rière'et à gauche il est un peu diminué de hauteur; y a là de nombreux

chicots. A droite, la derrière grosse molaire existe encore, mais elle est cariée ;

au-devant d'elle le rebord alvéolaire présente une dépression.

Les dents qui sont encore implantées sur' le maxillaire inférieur sont

toutes cariées, jaunâtres, un peu déchaussées ; mais leurs racines ne sont sail-

lantes ni en dehors ni en dedans. Ces chicots ont déterminé à leur contact deux

ulcérations buccales se présentant sous la forme de petites plaques jaunâtres, in-

durées à la base, douloureuses, siégeant l'une, plus grande, sur la face interne

de la lèvre inférieure, au niveau de la première molaire droite (elle a environ

4 millimètres de diamètre) ; l'autre, près du frein de la langue, également du

NOU%'. Icowcanrtos DE LA SALPQII(lÈRE

T. XIII. Pl. XL

FACIES SPÉCIAL DANS LE TABES

(Sabrrtzès et Fauq1lct)

UNE COMPLICATION DU TABES NON ENCORE SIGNALÉE 257

côté droit. Ces ulcérations, de date récente, s'améliorent sous l'influence de

badigeonnages au baume du Pérou.

La malade a remarqué qu'elle était moins sensible du côté droit de la mâ-

choire supérieure ; c'est ainsi qu'elle a pu introduire un petit morceau de bois

dans l'orifice de communication de la bouche avec le sinus et lui imprimer des

mouvements de rotation sans éprouver de douleurs. Par la piqûre on se rend

compte en effet que les bords de l'orifice sont hypoesthésiques et qu'autour de

lui la sensibilité est très légèrement émoussée ainsi que sur la joue et sur la

pommette droite.

Molil,ilé. - Depuis deux ans la malade ne peut se tenir sur ses jambes dont

les mouvements sont tout à fait incoordonnés et dont les masses musculaires

ont subi une notable réduction de volume. Les pieds sont tombants, en exten-

sion forcée,la face dorsale fortement convexe, la face plantaire très concave ; la

première phalange des orteils est en extension; les autres phalanges sont inflé-

chies. Les membres supérieurs sont devenus très maladroits, surtout le gauche ;

néanmoins, avec ses lunettes, la malade peut encore enfiler une aiguille.

Sensibilité générale. - Des douleurs fulgurantes parcourent les membres

inférieurs du pli de l'aine aux genoux ; leur acuité est telle que la patiente,

pour ne pas crier, met son mouchoir dans la bouche et comprime ses cuisses

avec les mains ; de temps en temps elle souffre dans les bras, dans le tronc,

mais sans éprouver de douleurs en ceinture. Parfois aussi crises gastriques.

Pas d'autres douleurs viscérales.

Céphalalgies fréquentes. Le décubitus latéral gauche est douloureux.

La sensibilité dans ses divers modes est conservée dans toutes les parties du

corps sauf les réserves faites plus haut ; elle serait un peu plus vive du côté

gauche au dire de la malade ; toutefois cette différence n'est pas nette objec-

tivement. Conjonctives, cornées, narines, oreilles, sont parfaitement sensibles.

Cryesthésie des membres inférieurs.

Les os sont douloureux à la percussion, mais un peu plus à droite qu'à gau-

che ; on fait cette épreuve sur les os malaires, les maxillaires supérieurs, sur

l'apophyse styloïde des cubitus, sur les tibias. Pour ce qui est du crâne, les os

sont aussi sensibles à droite qu'à gauche ; il en est de même quand on tire les

cheveux.

Sensibilité spéciale. - Yeux. - La malade craint la lumière un peu vive;

le bec de gaz allumé dans la salle provoque du larmoiement. Les globes ocu-

laires sont douloureux à la pression ; bien plus les attouchements occasionnent

des douleurs qui persistent longtemps après le contact. Presbytie ; le port de

lunettes appropriées rend possible la lecture d'un journal. Le fond de l'oeil est

normal.

Oreilles. - L'ouïe est fine. Ni bourdonnements ni vertiges ; exceptionnel-

lement bruits subjectifs de sifflements.

L'odorat, le gotti sont parfaitement conservés.

La malade perçoit très nettement le relief et la consistance des objets mis

dans sa main. Elle ne perd pas les jambes dans le lit, mais quand on déplace

xm 17

258 SABRAZÈS ET FAUQUET

ses pieds, les yeux étant fermés, elle ne peut dire exactement où se trouvent

ses talons.

Trophicité. Amaigrissementconsidérable depuis deux ans; elle pèse3Õkiios

actuellement alors que son poids était de 71 kilos. ,

La peau est sèche à la surface de tout le corps mais particulièrement aux

membres inférieurs.

Les muscles des bras ont subi une légère diminution de volume. L'atrophie

s'est manifestée surtout aux jambes : le gras du mollet, à droite, mesure dix-

huit centimètres et demi de circonférence, à gauche dix-neuf centimètres.

La-peau s'écaille sur la face plantaire, dans les espaces interdigitaux et sur

les deux gros orteils. Les ongles des orteils sont secs, cassants ; chute sponta-

née à plusieurs reprises.

Les cheveux et les ongles des doigts ne sont jamais tombés.

Sueurs fréquentes la nuit dans la partie supérieure du corps.

L'articulation tibio-tarsienne droite est bridée dans ses mouvements par la

rétraction du tendon d'Achille (véritable pied-bot tendineux). A gauche, la flexion

du pied sur la jambe est incomplète, gênée par des brides fibreuses.

Les autres articulations (genoux, hanches, épaules, coudes, etc.) sont li-

bres.

Réflexes. - Les pupilles punctiformes réagissent à la convergence et à l'ac-

commodation ; elles ont perdu le réflexe lumineux.

Réflexe pharyngien conservé.

Réflexes abdominaux nuls des deux côtés.

Réflexes rotuliens abolis.

Réflexes plantaires conservés ; la malade retire la jambe en bloc quand on

pique la plante du pied.

Appareil digestif. - L'état des maxillaires supérieurs rend la mastication

très difficile. Inappétence. Lenteur de la digestion gastrique. Constipation

habituelle.

Appareil circulatoire. - Pouls égal, régulier, battant 72 fois par minute, de

tension moyenne. Coeur et vaisseaux paraissent normaux. Accentuation du

second bruit aortique.

L'appareil respiratoire, l'appareil urinaire ne présentent absolument rien de

particulier à noter.

Appareil génital. - Cette femme, qui n'est plus réglée depuis deux ans, a

encore des rêves érotiques ; il lui arrive de se réveiller la nuit et de se trouver

mouillée par la sécrétion des glandes de Bartbolin ; elle a des crises clitoridien-

nes. Elle a de tout temps été, dit-elle, très passionnée.

Troubles psychiques. La malade considère son état comme incurable ;

elle s'est habituée à cette idée, mais elle est devenue très susceptible.

Elle comprend bien ce qu'on lui demande et répond avec précision ; la voix

est claire, assez forte, un peu nasonnée. Cette femme a conservé toute sa luci-

dité d'esprit ; elle paraît même malicieuse. Elle rêve fréquemment la nuit,

parle à haute voix, raconte ce qu'elle a vu ou entendu dans la journée ; pas de

zoopsie.

UNE COMPLICATION DU TABES NON ENCORE SIGNALÉE 259

Le fait que nous venons d'exposer avec le plus d'ampleur possible mé-

rite d'attirer l'attention du médecin surtout en raison de son intérêt pra-

tique.

Nous relèverons entre autres particularités dignes d'être mentionnées :

1° L'incident survenu dans le cabinet du dentiste chez lequel cette ma-

lade avait été amenée par de violentes douleurs fulgurantes dans la sphère

du trijumeau s'accompagnant d'odontalgie ; des tractions opérées à l'aide

d'un davier sur la canine supérieure droite, d'ailleurs saine, ont produit

une fracture avec déchirure de la muqueuse et arrachement de tout le re-

bord alvéolaire de la mâchoire supérieure entraînant avec lui onze dents

parfaitement intactes, solidement implantées dans leurs alvéoles. Il s'est

donc produit, à l'occasion d'une simple tentative d'avulsion dentaire,

chez une femme atteinte de tabes, une véritable fracture que l'on peut

qualifier de spontanée, car la gravité de l'accident a été hors de propor-

tion avec la médiocre intensité de la cause traumatique. La possibilité

d'une semblable complication devra donc dorénavant ne pas être mécon-

nue des chirurgiens-dentistes quand ils se trouveront en présence de sujets

atteints d'ataxie locomotrice.

2° On est frappé par l'analogie que présentent les déformations consé-

cutives à cette fracture avec celles que l'on observe chez les tabétiques

atteints de résorption des mâchoires et de mal perforant buccal. La phy-

sionomie de notre malade est caractérisée par la saillie des pommeltes et

par une disproportion très marquée entre le bas du visage considérable-

ment ratatiné et le haut du visage normalement conformé, physionomie

rappelant le facies de la chouette ou du hibou et comparable aux images

de vieilles sorcières allant au sabbat telles qu'elles sont figurées dans de

vieilles estampes à facies démoniaques.

3° Enfin nous noterons en terminant la longue série, chez la mère et

chez la fille, de grossesses gémellaires se terminant chacune par la nais-

sance d'un garçon et d'une fille.

FACULTÉ DE MÉDECINE DE BORDEAUX

(clinique DE M. LE professeur Pitres)

LES OS'rÉ0-ARTIIROPATIIILS VERTÉBRALES

DANS LE TABES

- - (suite)

'"

PAR

JEAN ABADIE

Interne des hôpitaux de Bordeaux.

II

OBSERVATIONS CLINIQUES SANS AUTOPSIES.

En tête de cette deuxième série, nous plaçons les trois cas publiés déjà

en 1888 par Kroenig dans le Zeitschrift fiir lrlinisclie 1lledicin. Nous rap-

portons in extenso la traduction de ces observations ; nous donnons aussi

la reproduction des planches photographiques qui accompagnent le texte

allemand.

OBSERVATION V. (KnOENIG, obs. I.)

SOMMAIRE. lloecke, 35 ans, boulanger. Depuis 1872, douleurs rhumatoïdes

dans les membres inférieurs : paresthésies (sensation de picotements et engour-

dissements dans les plantes des pieds). En 1882, glissade non douloureuse sur la

jambe gauche dans un escalier, trois mois après incertitude de plus en plus

grande de la station et de la marche, avec inclinaison latérale.

Phénomène du genou manifeste. Ataxie des deux membres inférieurs, douleurs

lancinantes dans les extrémités supérieures et inférieures. Forte diminution de

la sensibilité cutanée (à la douleur, au contact, à la pression) et de la sensibilité

musculaire et périostique. Paralysie des muscles de l'oeil droit avec abolition des

réflexes pupillaires. Spondylolisthèse du corps de la cinquième vertèbre lombaire.

Au sommaire précédent de Kroenig, nous ajoutons les détails suivants :

Plis cutanés abdominaux. Rapprochement considérable du thorax et du bassin.

Inclinaison en avant. Contact de la moitié droite du thorax et de la crête iliaque

correspondante.

Lordose dorso-lombaire, rotation légère à gauche de la colonne lombaire. Sco-

liose latérale droite dorsale.

Cinquième lombaire prolabée, en rotation légère à gauche, débordant sur le

promontoire.

LES OSTÉO-ARTHROPATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 261

Bassin peu modifié. Sacrum et coccyx en rétroversion, à concavité légèrement

accentuée.

Glissement provoqué de la colonne lombaire dans le sens sagittal, sans dépla-

cement de l'apophyse épineuse de la 5° lombaire. Pas de douleurs spontanées ou

provoquées. Craquements d'intensité variable.

Organes splanchniques sains.

Hoecke, trente-cinq ans, boulanger. Pas d'antécédents héréditaires. Pas de

maladie notable dans sa jeunesse. Jamais de traumatisme vertébral.

En 1872, apparition, à la suite de refroidissements successifs, de douleurs

« rhumatoïdes H dans les extrémités inférieures, douleurs progressivement

accrues, envahissant bientôt les membres

supérieurs, accompagnées de paresthésies

(picotement et fourmillements) et encore

plus tard de diplopie.

En 1882, en descendant un escalier,

il glissa sur trois marches avec sa jambe

gauche : à ce moment, il ressentit nette-

ment, paraît-il, un craquement dans sa

colonne lombaire. Il se redressa cependant

aussitôt, sans ressentir la moindre douleur

et put continuer son travail comme aupa-

ravant.

Dès ce moment, apparut chez lui une

incertitude de plus en plus grande de la

station et de la marche. Un examen pra-

tiqué deux ans plus tard, révélait en

dehors des symptômes confirmés du tabes,

l'existence d'une spondylolisthèse du corps

- de la cinquième vertèbre lombaire. Voici

d'ailleurs le résumé de son état à ce mo-

ment :

Homme de taille moyenne, non amaigri,

solidement bâti. Coloration du visage nor-

male. Ataxie des deux jambes. Abolition

ries réflexes rotuliens. Douleurs lanci-

nantes dans les extrémités supérieures et inférieures. Diminution de la

sensibilité cutanée à la douleur, au contact, à la pression. Diminution de la

sensibilité musculaire et périostique. Paralysie des muscles de l'oeil droit avec

abolition des réllexes pupillaires. L'examen des organes thoraciques ou abdo-

minaux dénote des proportions normales. Pas trace de manifestations rachi-

tiques. Pas de syphilis.

Sur la paroi abdominale antérieure, à peu près à la hauteur de l'ombilic, on

remarque deux plis profonds de la peau à ce niveau, indiquant un rapproche-

ment considérable du thorax et du bassin. La distance des crêtes iliaques

Fig. 1. - Obs. V (Kroenig).

262 JEAN ABADIE

aux épaules, qui devrait être de trente-huit à quarante centimètres,étant donnée

la taille du malade, n'est que de trente-deux centimètres.

A l'examen de la colonne vertébrale (voir fig. 1) on constate une lordose

dorso-lombaire, profonde, allant de la cinquième vertèbre lombaire à la hui-

tième dorsale, particulièrement appréciable dans la station debout.

La colonne lombaire est fortement lordotique et en rotation légère vers la

gauche. La colonne dorsale est en scoliose latérale droite depuis la dixième

vertèbre dorsale.

Le malade vu de dos, le rapprochement considérable du thorax et du bassin

s'accuse par la présence de plis cutanés symétriques, de profondeur variable.

Dans le décubitus latéral, en cherchant à produire des mouvements passifs

du rachis, on s'aperçoit que la colonne lombaire peut aisément subir un glisse-

ment de va-et-vient. Ces mouvements, même exagérés, ne provoquent aucune

douleur : ils sont accompagnés chaque fois de craquements, tantôt faibles, tan-

tôt plus forts. Dans ce glissement, qui s'opère en plus grande partie dans le

sens sagittal que dans le sens transversal, l'apophyse épineuse de la cinquième

vertèbre lombaire reste immobile, sans participer en rien au déplacement. Cette

apophyse est le siège d'un épaississement calleux : elle est manifestement dé-

placée d'avant en arrière.

Dans le décubitus dorsal, on sent très nettement à plusieurs centimètres au-

dessus d'une ligne passant par les épines iliaques antéro-supérieures la dernière

vertèbre lombaire prolabée et la rotation légère à gauche. Au-dessous d'elle

existe un enfoncement dont la profondeur ne peut être atteinte même par un

palper fort et minutieux. Les vertèbres sont lisses, sans aspérité. Le glissement

du segment lombaire s'obtient moins bien dans cette position que dans la pré-

cédente : il est possible cependant de le produire. Le toucher rectal, pratiqué

sous le chloroforme, permet de constater assez bien un débordement de la cin-

quième vertèbre lombaire sur le promontoire.

L'inclinaison du bassin est peu modifiée : ses mensurations sont normales.

Le sacrum est en rétroversion et présente une concavité légèrement exa-

gérée.

Le malade se tient incliné en avant, la moitié droite du thorax reposant sur

la crête iliaque correspondante.

Marche ataxique, mal assurée, impossible sans canne, rappelant de suite

la démarche des malades atteints de paralysie des muscles extérieurs des

lombes.

Observation VI. - (InOCNIG, obs. IL)

SOMMAIRE. De Planque, 54 ans, conducteur des postes en retraite. En

1886, douleurs rhumatismales dans les jambes. Cinq ans après, fourmillements

et picotements dans tout le corps, surtout dans les lombes. En 1887, en soule-

vant un sac, douleur violente mais vite disparue dans la région sacrée. En 1881,

apparition de mouvements vacillants des jambes dans la marche, marche les

jambes écartées, tendance à tomber en avant, qui se montre subitement en 1892

en montant sur un trottoir et liée depuis ce temps ci une sensation de sursau-

LES OSTÉO-ARTHROPATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES ' 263

tement des vertèbres. Réflexes pupillaires abolis. Phénomène de Romberg. Dou-

leurs lancinantes très vives dans les membres et le visage. Douleurs semblables

dans le rectum et l'urèthre. Douleurs constrictives épigastriques. Douleurs fron-

tales en casque. Crises gastriques. Paralysie double du posticus, avec contrac-

ture des abducteurs droits, avec parésie du droit interne. Diminution considérable

des phénomènes douloureux. Abolition du phénomène du genou. Ataxie confir-

mée. Mouvements convulsifs des extrémités et du tronc. Déformation accentuée de

la colonne vertébrale.

Au sommaire précédent, nous joignons les détails suivants :

Avant les phénomènes douloureux sacrés de 1877, inclinaison en avant de plus

en plus grande dans la station debout ; sensation de tomber la face contre le sol.

Inclinaison en avant. Raccourcissement de l'abdomen. Thorax enclavé dans le

bassin. Hémi-thorax droit dévié en avant et à gauche. Plis cutanés et abdomi-

naux.

Colonne cervicale et dorsale supérieure rectiligne. Scoliose latérale gauche dorso-

lombaire. Lordose dorsale inférieure. Cyphose lombaire.

Epaississement des apophyses épineuses dorsales inférieures et lombaires. Espaces

inter-épineux anormaux. Spondylolistleese de la cinquième vertèbre lombaire.

De Planque, âgé de cinquante-quatre ans, conducteur des postes en retraite.

Son père est mort de vieillesse à quatre-vingts ans, sa mère d'épuisement à

quarante ans.

Lui-même a eu à douze ans la variole. Il ne sait exactement quand il a com-

mencé à marcher, mais aucune manifestation rachitique ne s'est montrée pen-

dant son enfance.

En 1851, il entre au service militaire et y reste quatorze ans.A vingt-cinq ans,

il contracte un chancre : les phénomènes d'inflammation et d'adénite guérissent

rapidement après incision.

A la toise militaire, il mesure 1 m. 785 mm.

Eu 1866, apparaissent des « douleurs rhumatismales » dans les deux jambes

et dans les épaules. D'après son dire, elles auraient apparu subitement, il lui

semblait que « ses pieds voulaient fuir ». Il attribue l'apparition de ces dou-

leurs au refroidissement des bivouacs pendant la campagne de Danemark, qu'il

a faite en 1814. Elles disparurent jusqu'en 1871 et depuis revinrent avec une

plus grande intensité.

Alors survinrent des paresthésies multiples, des sensations de fourmillements

et de picotements dans tout le corps, sauf la tête, et surtout accentués dans les

reins. Jamais de diplopie.

En 1881, il remarqua d'abord de l'hésitation dans la marche : celle-ci s'exé-

cute les jambes de plus en plus écartées. Dans la station debout, le malade se

penche de plus en plus en avant, avec la sensation par instants de tomber, la

face contre le sol.

. Interrogé sur la cause de ces phénomènes, et en particulier sur un trau-

matisme antérieur, il raconte qu'en 1877, en soulevant un sac, il ressentit

subitement une commotion douloureuse, un peu au-dessous du milieu de la

264 JEAN ABADIE

colonne vertébrale : pendant les trois années suivantes,rien d'anormal ne survint

du côté du rachis. En 1880, il veut non seulement avoir senti, mais encore

avoir entendu de temps en temps un tressautement des vertèbres au même

endroit. Cinq ans plus tard seulement, en 1882, apparurent les manifestations

dont il se plaint aujourd'hui : un jour, se hâtant de traverser une rue pour évi-

ter une voiture lancée sur lui, il aurait seuti, suivant son expression, comme

une boule dure pressant d'arrière en avant sur l'abdomen qui l'entraînait et

lui faisait perdre l'équilibre en avant; il n'évita une chute qu'en écartant vi-

vement les jambes et en rejetant le corps en arrière.

Depuis ce temps, il existe une tendance prononcée à tomber en avant, un

vacillement notable dans la station et la marche : il ne peut pour marcher se

passer d'une canne.

État actuel. - Homme fortement bâti, de taille au-dessus de la moyenne.

Etat mental constamment agité : abattement, tristesse, accès de violence allant

jusqu'aux voies de fait. Cauchemars terrifiants, hallucinations.

Pâleur de la face. Expression du visage sérieuse et intelligente, incertitude

du regard cependant.

Ophtalmoscopie négative. Réaction des pupilles à la lumière abolie : pupille

droite un peu plus dilatée que la gauche. Mouvements des yeux normaux, léger

nystagmus dans le regard oblique. Diminution légère de l'acuité visuelle.

Sauf un léger catarrhe de la caisse du tympan, une diminution peu accentuée

du goût, les organes des sens sont normaux.

Sur toute la surface du corps, la sensibilité cutanée est il peu près normale,

au toucher ; elle est diminuée à la douleur et encore plus affaiblie au chaud et

au froid.

Douleurs fulgurantes parcourant les membres inférieurs, apparaissant aussi

aux membres supérieurs, s'irradiant quelquefois aux épaules, à la face, au cuir

chevelu. Douleurs térébrantes dans la région lombaire. Douleurs constrictives

dans la région lombaire, la région épigastrique, le front et la tète. Crises vési-

cales, uréthrales et rectales.Crises gastriques très violentes, persistant quelque-

fois deux et trois jours, suivies de prostration extrême, d'aphonie complète ou

tout au moins de raucité remarquable de la voix, avec dyspnée et sensation de

déchirement de la gorge et de la région sous-sternale.

Dans l'intervalle des accès, la voix du malade est basse, sans tonalité. A

l'examen laryngoscopique, on constate une inertie complète de la corde vocale

droite dans la phonation et la respiration.

Le fonctionnement des grands appareils splanchniques est à peu près nor-

mal.

Musculature flasque, couche cellulo-graisseuse très réduite. Peau sèche par-

tout, exfoliée par places. Rien à constater sur le squelette, 1 part un léger état

de ramollissement des alvéoles du maxillaire. Chute des dents, en 1886, par

dénutrition périostée, en six semaines, sans la moindre douleur.

A part une légère contracture en flexion des quatre derniers doigts de la

main gauche, la motilité des membres supérieurs est normale : il existe cepen-

dant un peu d'incoordination motrice.

LES OSTÉO-ARTHROPATH1ES VERTÉBRALES DANS LE TABES 265

Les mouvements sont également faciles aux membres inférieurs, quoique

avec une force assez faible en raison de la déchéance musculaire : ceux des

orteils de chaque côté sont accompagnés d'un bruit qui ressemble au craque-

ment d'une articulation luxée. La réaction électrique du nerf, comme du mus-

cle est diminuée quantitativement, conservée qualitativement. Les réflexes

plantaires, rotuliens, testiculaires sont abolis.

En outre, on trouve aussi des manifestations d'excitabilité dans la muscula-

ture du bras et du tronc. De temps en temps, le corps est agité convulsive-

ment, généralement des deux côtés, mais quelquefois aussi d'un seul, de mou-

vements spasmodiques, avec perte complète de connaissance et absence totale

de douleur. Ces secousses atteignent de préférence les bras et la partie supé-

rieure du tronc, quelquefois le tronc tout entier, plus rarement les jambes. La

durée de ces convulsions, plus souvent cloniques que toniques, varie d'une

"demi-minute à une minute au plus, puis le malade revient à lui comme s'il

sortait d'un rêve et continue, sans une plainte, la conversation interrompue.

Dans le cas de crampes isolées du membre supérieur gauche, on constate une

adduction et une supination marquée de l'avant-bras.

Dans la journée, le malade repose le plus souvent sur une chaise longue,

dans le décubitus dorsal, jusqu'à ce qu'une douleur fulgurante l'oblige à se tour-

ner sur le côté droit ou le côté gauche. Il n'obéit à l'invitation de quitter sa

Fig. 2. Obs. \1 (Kroenig).

Fig. 3. - Obs. VI (Kroenig).

266 JEAN ABADIE

couche que par un effort de toute son énergie et réussit alors à se mettre de-

bout pour quelques instants. Il ne peut se tenir dans la station absolument

droite que grâce à un corset, sinon il penche la moitié du corps en avant, pen-

dant que ses genoux fléchissent. Ferme-t-il les yeux, des oscillations se pro-

duisent.

La marche est extrêmement difficile et hésitante, sauf peut-être dans les mo-

ments de gaieté du malade. L'attitude déjà penchée en avant du corps, pendant t

la station debout, s'accentue alors, et des mouvements ataxiques s'y ajoutent.

Le bassin ne fait que de courtes excursions, les jambes sont fléchies sur les

genoux, les pieds ne se lèvent que péniblement et retombent lourdement sur

le sol ? Aussi remarque-t-on un léger vacillement du corps, même du repos,

sans caractères de tremblement spécial. A peine

a-t-il marché qu'il veut déjà se reposer, il re-

tombe alors sans force sur son lit, moitié assis,

moitié couché jusqu'à ce que quelqu'un l'aide à

soulever ses jambes et à se coucher.

Quand on observe le malade, dans la station

debout (fig. 2), on est frappé par son inclinaison

en avant ; en même temps, on constate un rac-

courcissement manifeste de l'abdomen ; l'hypo-

gastre prend l'aspect du ventre pendant. Le tho-

rax est dévié en avant et à gauche par son côté

droit, il se met en rapport avec le bassin, de

sorte que la crête iliaque dépasse le bord des

fausses côtes, tandis que du côté gauche le bord

des fausses cotes ne fait qu'une légère saillie au-

dessus de la fosse iliaque correspondante. De

ces déviations résulte naturellement la formation

d'un grand nombre de plis cutanés de la paroi

abdominale, situés au-dessus de l'ombilic et di-

rigés transversalement de droite à gauche, plus

accentués à leur origine. La distance de la sym-

physe pubienne à l'appendice xyphoïde est de

19 centimètres, c'est-à-dire inférieure de 4 à

a centimètres a la distance normale qui est ae ta a sa centimètres. Le thorax

est tellement rapproché du bassin, qu'il est à peine possible d'introduire un

doigt entre les deux.

Le malade vu de dos ou latéralement (fig. 3 et 4), on reconnaît en totalité la

déviation latérale gauche du thorax : on voit les plis cutanés déjà mentionnés

plus haut, au-dessus de la crête iliaque. En particulier, la colonne vertébrale

présente les courbures suivantes : la portion cervicale a perdu sa lordose nor-

male et la saillie des apophyses épineuses forme une ligne verticale que conti-

nuent les apophyses des cinq premières vertèbres dorsales. A ce niveau, la

verticale se continue par une courbure peu accentuée, à concavité tournée à

droite, qui traverse la ligne médiane du corps au niveau de la huitième wertif-

Fig. 4. - Obs. VI (Kroenig).

LES OSTÉO-ARTHROPATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 267

bre dorsale, s'incline du côté gauche en faisant un arc légèrement prononcé,

entraîne dans cette flexion tout le segment lombaire et se termine à la dernière

vertèbre lombaire. En même temps, la région dorsale inférieure trouve une

lordose très marquée, tandis que la région lombaire présente une cyphose mo-

dérée.

Dans le fond de cette excavation lordotique de la région dorsale, on arrive

il palper très facilement la rangée des apophyses épineuses, et on perçoit sur-

tout l'apophyse épineuse de la neuvième vertèbre dorsale épaissie et doulou-

reuse.La septième et la huitième vertèbre dorsale sont séparées l'une de l'autre

par un grand espace anormal, et sont aussi douloureuses à la pression, quoi-

que à un degré moindre. La pression est douloureuse aussi à l'examen de la ré-

gion lombaire, ici surtout du côté des apophyses transverses. Le point le plus

douloureux se trouve à droite, à trois centimètres au-dessus de la crête iliaque

et à quatre centimètres de la ligne médiane. Un examen même très attentif ne

permet pas de décider s'il s'est produit là des modifications, telles que des épais-

sissements ou des saillies, mais cette hypothèse reste vraisemblable.

Les mensurations du malade, debout, placé aussi droit que possible, senties

suivantes :

Hauteur totale : 1 m. 722.

Taille précédente : 1 m. 785, différence, 6 cent. 35.

Hauteur de l'épaule droite : i m. 467.

de l'épaule gauche : 1 m. 445.

Hauteur de la crête iliaque droite : 1 m. 135.

gauche : 1 m. 115.

Distance de l'épaule à la crête droite : 33 cent. 25.

gauche : 33 cent. oxo.

Du grandtrochanterà la plante du pied droit : 97 cent. 5.

gauche : 97 cent.

De la vertèbre proéminente à la base du sacrum : 44 cent. 5.

à la première apophyse lombaire : 31 cent. 5.

Colonne lombaire : 31 centimètres.

Diamètre bis-iliaque mesuré dans le décubitus dorsal : 30 cent. 5.

Diamètre bi-trochantérien : 33 cent. 5.

Diamètre bis-épineux : 23 cent. 5.

De la symphyse pubienne à la base de l'appendice xyphoïde : 25 cent. 5 ?

à la pointe : 9 -

De la symphyse pubienne à la base du sacrum : 18 - 9.

au milieu : 17 -

Dans la position assise, les modifications apparentes, surtout les déviations

vertébrales à droite et à gauche ressortent encore plus que dans la position de-

bout. Le thorax, enclavé dans le grand bassin, comme après une chute pro-

fonde, donne lieu à une tension considérable de la peau du côté gauche, et

cette tension devient presque douloureuse. Les côtes et les crêtes iliaques sont

tellement rapprochées les unes des autres qu'on ne peut introduire un doigt

entre elles, on y arrive seulement en faisant redresser le thorax par un aide,

268 JEAN ABADIE

,en le libérant de son enclavement : on peut constater alors une augmentation

de cinq centimètres de distance entre la symphyse pubienne et le sternum. La

palpation de la colonne vertébrale pendant cette suspension ne décèle plus sû-

rement ni un changement quelconque du corps des vertèbres, ni une mobilité

anormale des unes sur les autres.

Dans la marche, ou la station debout, le malade peut arriver à donner une

meilleure position à sa colonne vertébrale, en mettant un poing très profondé-

ment dans la fosse iliaque gauche; on ohtient le même résultat même un

degré supérieur, si on exerce cette pression soi-même, en inclinant on même

temps le thorax à droite. Pendant la marche on ne constate rien d'anormal au

bassin.

L'examen du malade couché sur le ventre ne révèle rien de nouveau. L'en-

foncement dorsal ci-dessus mentionné, les déviations de la colonne vertébrale à

droite et à gauche se montrent plus facilement encore, les modifications de la

région dorsale inférieure et de la région lombaire ressortent encore davantage.

Plusieurs apophyses épineuses des vertèbres lombaires paraissent épaissies et

plus saillantes, on les sépare difficilement à la palpation les unes des autres,

et on a l'impression sous le doigt de plusieurs masses calleuses, contribuant

pour une grande part à la production de la cyphose lombaire. La palpation un

peu forte ou la pression dans cette région ne détermine pas de la douleur mais

fait naitre une sensation désagréable.

Quant à la région dorsale, on sent nettement une cavité entre les apophyses

épineuses de la septième et de la huitième vertèbre, qui sont assez éloignées

l'une de l'autre. Mais on ne trouve sur ces vertèbres de modifications ni du

corps ni des arcs vertébraux. Malgré la maigreur du malade, il est impossible

de distinguer les unes des autres les apophyses épineuses de la septième à la

troisième vertèbre dorsale : il semble donc qu'il y ait ici des masses calleuses

qui les réunissent ou bien que les vertèbres en question soient entassées à cet

endroit. Il n'existe point non plus dans cette région de point douloureux cons-

tant.

Dans le décubitus dorsal, on perçoit sans peine dans les profondeurs de l'ab-

domen, à un centimètre environ au-dessous d'une ligne réunissant les deux

épines iliaques antéro-supérieures, un corps dur,à bords minces et tranchants,

possédant une large surface dirigée de haut en bas et d'avant en arrière : c'est

vraisemblablement le disque intervertébral qui réunit la cinquième vertèbre

lombaire au sacrum. Son exploration est douloureuse et le malade ayant refusé

de se laisser endormir au chloroforme, l'examen resta incomplet. Voici donc

les résultats de la palpation sans anesthésie : sur le plan antérieur, à deux cen-

timètres à peu près au-dessus du corps dur il bords tranchants, on trouve une

saillie qui correspond au bord antérieur légèrement proéminent de la vertèbre

sus-jacente. Le reste du segment lombaire se laisse facilement palper : il paraît

être porté en totalité d'arrière en avant.

Dans le décubitus latéral on peut déplacer facilement le thorax tout entier

de gauche à droite sans que le palper abdominal pratiqué en même temps dé-

cèle un déplacement correspondant des corps vertébraux.

LES OSTÉO-ARTHROPATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 269

L'examen méthodique des appareilssplanchniquesthoraciquesou abdominaux,

ne montre aucune modification intéressante dans leur situation ou leur fonc-

tionnement.

Observation VIL (KROENIG, obs. 111.)

SOMMAIRE. Ilezzz·i, 52 ans, camionneur. En 1865, douleurs fulgurantes de

grande intensité, clans la jambe gauche, avec sensation de raideur musculaire.

En 1868, troubles de la sensibilité dans les mains et les pieds. Sensation d'en-

gourdissement et de picotements. En 1870, retour des douleurs, crises aiguës

aux changements de température. En 1875, perte de la sensibilité plantaire. In-

certitude de la station debout et de la marche. En 1880, marche les jambes écar-

tées, talonnante. En 1883, en portant une caisse, violente douleur lombaire, qui

disparut après quelques jours. Depuis cette époque, tendance du corps à se pen-

cher en avant. Phénomène de Romberg. Ataxie des deux jambes. Diminution re-

marquable des douleurs, diminution plus légère de la sensibilité tactile. Douleurs

lancinantes dans les deux membres inférieurs. Abolition du phénomène du pied

et du genou. Début d'une spondylolisthèse du corps de la cinquième vertèbre lom-

baire ( ? ).

Nous ajoutons ici aussi les détails suivants :

Attitude penchée en avant. Abaissement de l'épaule droite. Plis cutanés loin-

baires droits. Ligne médiane du thorax reportée à gauche.

Colonne lombaire et dorsale inférieure en lordose et scoliose droite.

Epaississement et saillie de l'apophyse épineuse de la 5° lombaire.

Henri, âgé de cinquante-deux ans, camionneur.

Ses parents sont morts, le père, le malade ne sait de quoi, la mère, d'hydro-

pisie. Pas de maladie nerveuse dans la famille.

Le malade dit n'avoir jamais été lui-même sérieusement malade dans sa jeu-

nesse et n'avoir même jamais eu aucune des maladies fréquentes dans l'en-

fance.

De 1855 il 1858, il fit son service militaire et supporta avec la plus grande

aisance toutes ses obligations. Sa taille en ce moment était de 1 m. 705.

La maladie actuelle date de 1865. A cette époque, douleurs fulgurantes dans

les deux jambes, surtout à gauche, accompagnées de raideur musculaire.

En 1868, apparition de paresthésies dans les jambes, douleurs fulgurantes

plus violentes.

Depuis 1875, perte de la sensibilité plantaire, incertitude de la station de-

bout et de la marche surtout dans l'obscurité, sensation de dérobement du sol.

En 1880, marche talonnante, les jambes écartées.

En 1883, survint un accident. En hissant une caisse sur un évier, il glissa,

et ressentit une violente douleur lombaire, il put néanmoins remonter sur son

siège en se faisant soutenir et ne suspend son travail qu'un seul jour. Les dou-

leurs lombaires diminuent peu à peu mais non tout à fait : il persiste une sen-

sation de pression dans le rachis et les lombes. Il semblait au malade que sa

colonne vertébrale se séparait de ses reins : le haut du corps se tournait à droite,

270 JEAN ABADIE

le bas du corps à gauche. Depuis ce moment, le malade a remarqué chez lui

une attitude penchée en avant, plus ou moins prononcée suivant les moments,

mais de plus en plus accentuée avec le temps.

En 1852, il avait eu un chancre de la verge vite guéri après cautérisation et

suivi ni d'adénopathie ni d'autres manifestations. Marié dix ans plus tard, il

eut plusieurs enfants bien portants.

Etal actuel. - Taille au-dessus de la moyenne; squelette vigoureux, forte

musculature, couche adipeuse épaisse.

Les pupilles réagissent à la lumière et à l'accommodation. Nulle trace de pa-

ralysie il la face, la vision est normale. Rien à signaler à l'examen ophtalnio-

scopique. Affaiblissement léger du goût et de l'odorat. L'ouïe est intacte.

Sensibilité cutanée des membres et du tronc normale au contact. Hyperes-

thésie au chaud et au froid.La piqûre profonde ou superficielle est perçue comme

un contact. Analgésie périostique.

Abolition des réflexes plantaires et rotuliens. Conservation des réflexes

cutanés.

La vessie et le rectum sont sains.

Les mouvements actifs des membres tant supérieurs qu'inférieurs sont ra-

pides et forts, triomphant aisément des efforts faits pour les empêcher.

Il n'existe pas la moindre trace d'incoordination motrice dans les membres

supérieurs.

Aux membres inférieurs au contraire, l'ataxie se révèle de mille manières.

L'attitude du malade est penchée en avant, les jambes écartées, le regard

fixé il terre. Les pieds joints, il accuse de l'incertitude et vacille : les yeux fer-

més, il chancelle prêt à tomber. Il marche maladroitement en lançant les jambes

de côté. Les talons seuls frappent d'abord le sol, les semelles y appuient à peine.

L'exécution brusque des mouvements forme un contraste frappant avec les pe-

tits pas du malade. La cause en est non aux vacillations mais à la raideur arti-

culaire des genoux. La démarche, au premier coup d'oeil, trahit le tabes. Si l'on

commande au malade d'interrompre brusquement sa marche ou de faire un

demi-tour, le corps entier oscille et perd l'équilibre.

Vu par devant, le malade présente d'abord cette attitude penchée en avant

et avec elle un abaissement de l'épaule droite. Les genoux sont légèrement flé-

chis. A mi-abdomen, à deux travers de doigt, à peu près au-dessus de l'ombi-

lic, on remarque un pli cutané peu profond allant de droite à gauche. La ligne

médiane du thorax est reportée il gauche : aussi du même côté, entre la crête

iliaque et les fausses côtes, existe une courbure légèrement accentuée, concave

en dedans.

Quand on examine le malade par côté ou de dos (voir fig. 5 et 6), on est frappé

par le volume, la saillie et l'épaisseur de l'apophyse épineuse de la cinquième

vertèbre lombaire. Au-dessus d'elle, se trouve une excavation remontant jus-

qu à la neuvième vertèbre dorsale. Dans le fond de cette excavation, on trouve

la colonne vertébrale lombaire et dorsale inférieure en lordose avec scoliose

droite.

Entre les apophyses épineuses de la cinquième et de la quatrième lombaires

LES OSTÉO-ARTEROPATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 271

l'intervalle est exagéré, et dans cet intervalle on sent comme une boule dirigée

de droite à gauche et d'arrière en avant : c'est vraisemblablement un fragment

de vertèbre détaché et ayant subi un mouvement de rotation de gauche à droite.

On ne rencontre pas ailleurs, sur les apophyses épineuses ou transverses, ni

tuméfaction ni épaississement anormaux. D'autre part, on remarque dans la

région lombaire droite une foule de plis cutanés en diagonale, qui laissent pré-

sumer de ce côté un rapprochement du thorax vers le bassin. La figure n'a

malheureusement pas pu reproduire cette disposition.

La taille du malade, qui mesurait pendant son service militaire 1 m. 708,

n'est plus que de 1 m. 68, c'est-à-dire inférieure de trois centimètres à celle

d'autrefois. La distance des épaules au niveau des crêtes iliaques est de 37 cen-

timètres, tandis qu'une taille de 171 centimètres à peu près comporterait une

distance de 40 centimètres.

Dans le décubitus dorsal, on trouve à peu près à la même place que chez le

malade précédent (obs. VI, obs. II de Kroenig, c'est-à-dire il un centimètre

au-dessous d'une ligne unissant les épines iliaques antéro-supérieures), mais

beaucoup plus difficilement à cause de la contraction et de l'embonpoint de la

paroi abdominale, un corps large, dur, arrondi, même sous le chloroforme, on

ne peut lui attribuer une surface inférieure plane : c'est cependant, selon toute

vraisemblance, le corps de la cinquième vertèbre lombaire. Sur son côté gau-

Fig. 5. - Obs. VII (Kroenig).

Fig. 6. - Obs. VII (Kroenig).

272 JEAN ABADIE

che, bat l'artère hypogastrique. La palpation de la colonne lombaire est impos-

sible par ailleurs : cependant il parait exister à ce niveau une lordose modérée

avec scoliose gauche.

L'examen des organes thoraciques et abdominaux ne révèle rien d'anor-

mal.

Observation VIII. - (Musée de la Salpêtrière.)

SOMMAIRE. Femme tabétique.

Scoliose dorsale inférieure, lombaire et sacrée ci concavité ci droite. Scoliose

cervico-dorsale supérieure de sens opposé, moins accentuée. Légère cyphose lom-

baire.

'Crête épineuse saillante, surtout dans les réglons dorsale supérieure et dorso-

lombaire.

Voussure hénzithoracique gauche. Inclinaison de l'hénzithorax droit sur la

crête iliaque correspondante.

Inclinaison latérale du bassin.

Notre huitième observation n'est autre que la reproduction d'une esquisse

due au crayon habile de M. P. Richer. Cette esquisse appartient au musée de

la Salpêtrière. Elle est reproduite dans le Traité de médecine de Charcot et

Bouchard, tome VII à l'article Tabes de M. Brissaud.

Elle figure aussi dans le travail de M. IIallion, paru dans la Nouvelle Icono-

graphie de la Salpêtrière, en 1893.

Elle représente une tabétique, nommée Cottr..., vue de dos. Nous avons inu-

tilement recherché l'observation dans les thèses élaborées avec les matériaux

de la Salpêtrière dans ces dernières années. Aussi nous ne pouvons donner ici

que les particularités fournies il la seule inspection du dessin (Voir fig. 7).

Le tronc de la malade, très amaigri, permet de voir très nettement le sque-

lette, côtes, omoplates, sacrum, colonne vertébrale. En particulier, la crête

épineuse apparaît en longue ligne sinueuse. Les apophyses épineuses sont sur-

tout saillantes et volumineuses dans la région dorsale supérieure et dorso-Iom-

baire.

La colonne vertébrale présente dans son ensemble deux longues courbures

scoliotiques de sens opposé. L'une, inférieure, comprend le sacrum, les ver-

tèbres lombaires et les vertèbres dorsales inférieures : elle a sa concavité tour-

née à droite. L'autre, supérieure, tourne sa concavité à gauche et comprend la

colonne cervico-dorsale supérieure. La première est plus accentuée, la seconde

plus étendue; cette dernière paraît constituer simplement une courbure de

compensation de l'autre. A la scoliose inférieure s'ajoute une légère voussure

lombaire, à convexité postérieure qui remplace la lordose lombaire habituelle.

Ces déviations rachidiennes ont entraîné des modifications très importantes

dans la statique de la malade. La tête est inclinée à droite, la face tournée à

gauche. L'épaule droite est saillante, anguleuse, on voit l'omoplate en relief

et déjetée en dehors ; l'épaule gauche est arrondie et tombante. Les courbures

costales gauches sont agrandies, les côtes font saillie sous la peau, il existe

LES OSTÉO-ARTIIROPAT91ES VERTÉBRALES DANS LE TABES 273

une voussure hémithoracique du même côté qui s'étend jusqu'aux fausses côtes

et devient plus manifeste à ce niveau. La paroi abdominale latérale gauche est

tendue au niveau de l'échancrure costo-iliaque. La fesse gauche a un plus

grand développement que la droite. Du côté droit, au contraire, l'hémithorax

est aplati, les côtes disparaissent, on ne peut même pas les deviner. L'échan-

crure costo-iliaque correspondante est considérablement attirée en haut : on y

voit six à sept gros plis cutanés qui vont s'épanouir en éventail dans la région

dorsale postéro-inférieure.

Enfin le bassin possède une énorme inclinaison latérale, la crête iliaque

droite est remontée la hauteur des dernières côtes du côté gauche.

Les six observations suivantes sont toutes inédites, elles comprennent

deux cas observés par M. le professeur Pitres, et quatre observations per-

sonnelles. Nous avons joint à l'histoire clinique et à la description des

déviations vertébrales de nos malades, autant qu'il nous a été possible,

des épreuves photographiques démonstratives.

au 18

Fig. 7 ? Obs. VIII (Salpètrière).

274 JEAN ABADIE

Observation IX. - (Personnelle.)

SOMMAIRE. Femme, 45 ans. Pas de trace de syphilis. A 28 ans, privations

physiques et ennuis moraux. A 33 ans, apparition brusque de crises clitori-

diennes. A 35 ans, premières douleurs fulgurantes dans les membres inférieurs,

lancinantes dans les membres supérieurs, constrictives dans les hypochondres,

l'épigastre, la tête. A 38 ans, clignotement intermittent des paupières, di-

plopie transitoire, diminution de Vacuité visuelle, troubles subjectifs de l'ouie.

Deux petits maux perforants symétriques aux talons. A 39 ans, premiers troubles

de la marche. Depuis l'âge de 40 ans, amaigrissement rapide et progressif. '

Premier examen en octobre 1898, à l'âge de quarante-cinq ans. Etat squelettique.

Signes non douteux de tabes avec très légère incoordination motrice des membres

inférieurs. Pas de déviation de la colonne vertébrale, pas de malformation thora-

cique.

Deuxième examen en mai 1899. Douleurs vertébrales constrictives. Déformation de

la colonne vertébrale.

Attitude voûtée. Contact du rebord costal et de la crête iliaque. Pli cutané abdomi-

nal.

Scoliose cervico-dorsale supérieure à concavité tournée à gauche. Scoliose donso-

lombaire de sens opposé, plus accentuée que la première. Cyphose cervico-dorsale

très accentuée dans sa partie supérieure sans gibbosité angulaire. Enfoncement

de la région omëo-sacrëe.

Apophyses épineuses dorsales inférieures et lombaires supérieures épaissies, saillan-

tes. Corps vertébraux augmentés de volume.

Mouvements de flexion de la colonne seuls possibles. Conservation des mouvements

d'extension et de latéralité dans la portion lombaire seulement. Pas de craque-

ments articulaires. Douleurs vives à la pression et à la percussion.

Mort en août 1899 de congestion pulmonaire. Pas d'autopsie.

M... Marie, âgée de quarante-cinq ans, exerçant le métier de tailleuse, entre

à l'hôpital Saint-André le 17 octobre 1898, service de M. le professeur Pitres,

pour troubles ataxiques.

Son père est mort à l'âge de quarante-neuf ans d'une pneumonie. Sa mère

succomba à une affection pulmonaire encore vers l'age de trente-neuf ans : elle

était atteinte de bronchite chronique avec emphysème sept ans environ avant

sa mort. Ses deux grand'mères sont mortes plus qu'octogénaires, sans avoir eu

la moindre infirmité. La malade a même connu une de ses bisaïeules qui mou-

rut âgée de cent trois ans. Elle a un frère rhumatisant.

Elle-même a eu dans son enfance et sa jeunesse une santé habituellement

bonne. Une fièvre scarlatine très légère, à sept ans, quelques accès migraineux

dans son adolescence, sont les seules choses à noter à cette époque de sa vie.

Elle se maria à l'âge de seize ans, eut quatre enfants qui vivent encore et sont

tous bien portants ; elle fit à la suite une seule fausse couche. A la suite de son

deuxième accouchement, c'est-à-dire vers l'âge de vingt-deux ans, elle eut

dans toute la tête des douleurs névralgiques, qui la forcèrent, dit-elle, à garder

le lit pendant trois mois. Depuis cette époque, elle a très souvent souffert de

céphalées temporales et occipitales, s'exaspérant surtout la nuit. Elle n'a jamais

LES OSTÉO-ARTfiROPA'fnIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 275

présenté de manifestations spécifiques sur la peau ou les muqueuses : elle n'a

jamais constaté de pareils symptômes chez son mari.

Veuve, à l'âge de vingt-huit ans, elle eut à élever ses quatre enfants et la

gène de sa situation fut la cause de plus d'un souci pour elle. C'est à la suite

de ces chagrins multiples que paraît avoir débuté la maladie de Marie M...

En 1886, elle avait alors trente-trois ans, apparurent d'une façon brusque

des crises clitoridiennes très intenses. Ces crises revenaient surtout au moment

des règles, mais ne se montraient pas régulièrement à chaque période mens-

truelle. Elles furent surtout fréquentes dans la première année. Elles sont espa-

cées ensuite progressivement et ont définitivement disparu vers 1893, sept ans

après leur apparition. Elles se montraient toujours à la suite d'une idée éroti-

que pendant le jour, ou d'un rêve de même nature pendant la nuit. La malade/

affirme avoir pu les provoquer par la volonté seule. Elles ne débutaient fas.

par une sensation locale de chatouillement ou de démangeaisons au niveai à

la vulve ou du clitoris, mais à mesure que la malade poursuivait son idée bii'

son rêve, elle se sentait envahir par les sensations agréables, qui accompagnent

le coit jusqu'aux sensations voluptueuses finales : une sensation de lassitude

l'envahissait alors, rapidement dissipée. Comme ces crises se répétaient souvent

et usaient ses forces, elle essaya d'abord de la masturbation pour les faire dis-

paraître, sans aucun succès d'ailleurs, la fatigue seule était accrue. Elle usa de

sa volonté, et réussit, dit-elle, à les espacer de plus en plus.

Deux ans après les crises clitoridiennes, apparaissent les premières douleurs

fulgurantes parcourant les membres inférieurs tantôt de bas en haut, tantôt

de haut en bas, particulièrement douloureuses dans les cuisses. Des douleurs

lancinantes d'une intensité moindre se montraient dans les membres supérieurs.

Les céphalées devenaient plus fréquentes et plus violentes. Enfin des crises

constrictives parcouraient les hypochondres et l'épigastre, si vives en ces points

que le contact du linge même était impossible.

En 1891, la malade présente un clignotement des paupières intermittent,

' sans ptose palpébrale véritable, sans strabisme, sans paralysie des muscles

moteurs du globe oculaire. Quelque temps après, elle a de la diplopie, son

acuité visuelle diminue d'une façon très appréciable. Des bourdonnements d'o-

reille, des sifflements aigus et prolongés apparaissent de temps en temps. La

malade a des accès de toux très pénibles, avec sensation angoissante de cons-

triction laryngée, sans ictus cependant. Elle devient très sensible au froid et

perd quelquefois ses jambes dans son lit. Un jour, par hasard, elle constata deux

petits maux perforants systématiques sur l'un et l'autre talon.

En 1892, surviennent les premiers troubles de la marche. Le sol lui paraît

moins résistant, ses jambes moins fortes. Descendre un escalier ou un trottoir

exige de grandes précautions de sa part.

Depuis 1893, l'état de la malade ne s'aggrave guère, mais un amaigrissement

progressif s'empare d'elle et c'est dans un état squelettique, qu'elle entre à

l'hôpital le 17 octobre 1898.

Cet amaigrissement siège sur le tronc, sur les membres, mais il est particu-

lièrement remarquable à la face.

276 JEAN ABADIE

Les muscles des membres sont d'une flaccidité extrême, mais la force muscu-

laire est relativement grande.

Il n'existe pas du tout d'incoordination motrice dans les membres supérieurs.

La marche est très peu hésitante, elle est effectuée il petits pas, en talonnant

les pieds jetés en dehors ; elle est suffisamment assurée pour permettre de cou-

rir à la malade. Elle chancelle légèrement dans la station debout, les talons

joints. La station sur une seule jambe est difficile les yeux ouverts, impossible

les yeux fermés. Les réflexes rotuliens sont abolis, avec conservation intégrale

de l'excitabilité du quadriceps à la percussion.

Il n'existe pas de déformation des masses musculaires ou des articulations.

La malade éprouve encore de temps en temps des douleurs, franchement

fulgurantes, survenant par crises éloignées et moins violentes qu'autrefois. Il

existe encore quelques douleurs en ceinture. Elle a eu ces temps derniers des

crises douloureuses, rectales et vaginales, de grande intensité, mais de courte

durée.

La sensation de sol en duvet a disparu, mais il survient à quelques interval-

les, dans les mains et dans les pieds,des sensations désagréables de picotements

et de fourmillements.

La sensibilité cutanée au contact est conservée et normale. La piqûre est

sentie sans aucun retard mais partout sous la forme d'une vive brûlure. Les

sensations de chaud et de froid sont fortement perçues et sont intolérables : le

chatouillement est conservé. Pas d'erreur de localisations de ces sensations.

Les réflexes plantaires, les réflexes abdominaux sont conservés : ces derniers

ne sont pas exagérés.

La sensibilité musculaire est normale partout : la ;l : ¡]ad¡> ne perd plus ses

jambes. Elle a conservé la notion de position de ses membres. La sensibilité

osseuse est très bien conservée, mais il éxiste une anesthésie articulaire pro-

fonde remarquable : les articulations peuvent être tiraillées, tordues, sans que

ces mouvements fassent apparaître une sensation douloureuse quelconque. Il

n'y a pas du tout de laxité articulaire, aucune position anormale ne peut être

obtenue dans aucune des articulations.

Les glandes mammaires présentent une analgésie profonde avec conservation

de la sensibilité cutanée à leur surface. Pas d'anesthésie épigastrique profonde.

Insensibilité des régions ovariennes.

Pas de douleur à la pression de la colonne vertébrale. Il n'y a pas de défor-

mation du rachis.

Les yeux sont saillants, les pupilles un peu dilatées et la pupille gauche plus

que la droite. Elles réagissent toutes deux fort bien à la lumière et à l'accommo-

dation.

La diplopie, le clignotement des paupières, ont disparu. L'acuité visuelle

est normale des deux côtés. L'examen du fond de l'oeil dénote une décoloration

notable de la papillo gauche avec diminution considérable du calibre des artè-

res. L'acuité auditive est amoindrie, il existe encore de fréquents bourdonne-

ments d'oreille. L'odorat et le goût sont normaux.

Il n'y a pas de troubles trophiques apparents. La peau est sèche, mais très

LES OSTÉO-ARTHROPATIIIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 277

souple. Les ongles sont un peu déformés, mais pas dystrophiés. Plus de trace

de maux perforants.

Sauf les symptômes d'une bronchite chronique, il n'y a, rien de particulier à

signaler dans la structure ou le fonctionnement des grands appareils splanchni-

ques. En particulier pas de troubles des sphincters.

Enfin la malade ne présente aucune déviation de la colonne vertébrale, au-

cune malformation du thorax.

Après un séjour de deux semaines, la malade quitte l'hôpital. Elle revient

chez elle et se livre à des travaux pénibles, elle coud à la machine et reste ainsi

courbée sur son ouvrage durant toute la journée et une partie de la nuit. A la

suite de ces fatigues, apparaissent des douleurs parcourant de haut en bas la

colonne vertébrale, affectant le caractère constrictif quelquefois, la malade les

compare alors elle-même il la pression d'un étau. Ces douleurs ne viennent pas

par crises, elles sont continuelles et durent quinze jours.

Pendant le mois de calme qui suit cette période douloureuse, Marie M... se

livre aux mêmes travaux et supporte les mêmes fatigues que précédemment.

Les douleurs réapparaissent avec les mêmes caractères et persistent pendant

une nouvelle durée de quinze jours pour disparaitre ensuite et reparaître à des

intervalles réguliers. Au sur et à mesure du retour des phénomènes douloureux,

la malade qui était parfaitement droite, affirme-t-elle,se voûte de plus en plus.

Elle remarque elle-même à cette époque, que sa tête s'enfonce dans les épaules,

que son dos s'arrondit. Elle ne peut bientôt plus se redresser, et, dans la mar-

che, le haut du corps se casse et se porte en avant. Dans une nouvelle période

de douleurs plus intenses que les précédentes, elle est transportée de nouveau

à l'hôpital Saint-André, le 12 mai 1899.

Son état s'est peu modifié, sauf une augmentation de la maigreur, si toutefois

elle est possible. L'attention estde suite attirée sur les modifications du thorax

et de la colonne vertébrale.

La malade est examinée tout d'abord dans le décubitus dorsal. Dans cette

position, le thorax ne présente aucune déformation appréciable à la vue ou au

toucher. Il n'existe pas de voussure costale : il n'y a pas de déviation de la

pointe du sternum. Le rebord des fausses côtes est distant des crêtes iliaques

de huit centimètres et également de chaque côté. La charpente osseuse de la

cage thoracique n'offre aucune particularité à signaler. Le périmètre thoracique

est de 83 centimètres mesurés au niveau de la quatrième côte, l'hémithorax

droit a 35 centimètres, le gauche, 33 centimètres. Au niveau de la pointe du

sternum, le droit ne mesure plus que 31 centimètres et demi, le gauche au con-

traire est de 32 centimètres et demi.

Lorsque la malade est dans la position assise, on est tout de suite frappé par

son attitude voûtée. Les épaules sont portées en avant, le cou enfoncé dans les

épaules, le dos arrondi. Le rebord costal semble vouloir reposer sur la crête

iliaque de chaque côté : ils sont presque au contact et ne peuvent être séparés

que de deux ou trois centimètres au plus. Cette flexion exagérée du thorax sur

le bassin se traduit par un seul pli profond de la paroi abdominale. Examinée

278 JEAN ABADIE .

de plus près, la colonne vertébrale présente des déviations-différentes, suivant

qu'on considère la malade de dos ou de profil.

Dans l'inspection de dos (PI. XLI), le squelette apparaît très saillant en rai-

son de la grande maigreur, et l'on peut suivre les moindres inflexions de la

colonne vertébrale. Dans sa partie .supérieure, elle présente une très légère sco-

liose il concavité tournée à gauche qui comprend'toutes les vertèbres cervicales

et les vertèbres dorsales jusqu'à la dixième environ. A ce^niveau, la courbure

change de côté et une scoliose de sens opposé fait suite la première : elle est

plus accentuée, elle occupe les dernières dorsales et toute la hauteur de la co-

lonne lombaire. L'hémithorax droit de ce fait semble un peu plus développé

dans sa partie inférieure que l'hémithorax gauche. La crête épineuse, régu-

lière dans sa partie supérieure, devient irrégulière à partir de la dixième dor-

sale environ. Les apophyses épineuses sont au-dessous de ce niveau, volumi-

neuses, en saillie sous la peau; elles sont espacées et laissent entre elles des

régions dépressibles au fond desquelles on sent les corps vertébraux augmen-

tés de volume. Cependant, v partir de la troisième lombaire, l'aspect devient

différent, on ne voit plus la crète, les apophyses correspondantes sont à peu

près normales, les vertèbres semblent repoussées en avant et la ré,,ion,lombo-

sacrée est comme enfoncée. Le sacrum, le coccyx, les os iliaques n'offrent au-

cune particularité à signaler.

Vue de profil, la colonne vertébrale présente une cyphose remarquable-

meut étendue : elle est régulière, sans gibbosité, sans déviation angulaire.

Elle s'étend de la colonne cervicale à la colonne lombaire inférieure exclu-

sivement. Elle a son maximum de courbure au niveau des dernières ver-

tèbres cervicales et des premières dorsales. Elle présente quelques points

saillants, dus au développement anormal des apophyses épineuses, en parti-

culier de la dixième et douzième dorsales, de la première et de la deuxième

lombaires.

Dans la station debout, cette longue cyphose s'accentue encore. Le pli cutané

abdominal devient plus profond, les échancrures costo-iliaques se creusent

aussi et le rebord costal vient au contact de la crête iliaque. La marche est

possible grâce au peu d'ataxie des membres inférieurs : elle s'exécute, la tête

et les épaules en avant, les bras ballants, le dos de plus en plus voûté. La ma-

lade peut même courir, la courbure vertébrale s'accuse alors davantage. Cette

cyphose ne peut nullement se corriger à volonté, par une action musculaire

quelconque. La colonne vertébrale paraît soudée sur presque toute sa hauteur

et tous les efforts de la malade ne parviennent qu'à faire apparaître et à accen-

tuer une lordose sacro-lombaire inférieure de peu d'étendue. La flexion du

tronc au contraire peut s'exagérer. Dans les mouvements de latéralité, la co-

lonne vertébrale se meut d'une seule pièce et uniquement sur sa portion lom-

baire. Aucun de ces mouvements ne s'accompagne de craquement articulaire.

Les muscles du tronc atrophiés sont dans le relâchement le plus complet.

Enfin si la palpation des différentes pièces du squelette thoracique est sup-

portée par la malade, la pression ou la percussion, même légères, réveillent

aux points traumatisés des douleurs intenses qui vont en s'irradiant.

Nouv. Iconographie de la Salpêtrière T. XIII. Pl. XLI

OSTEO-AR'rHROPATHIES VERTEBRALES DANS LE TABES

' (1. Abtidie)

Observation IX.

Nsson & G°, l : doeurs

, LES OSTÉO-ARTHROPATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 279

Dans la suite, tous ces phénomènes se modifièrent peu ; ils allaient cepen-

dant en s'accentuant lorsque éclatèrent des crises douloureuses d'une intensité

inouïe. Crises gastriques, rectales, vésicales, douleurs fulgurantes, térébran-

tes, constrictives, hyperalgésie généralisée de la peau et des muqueuses se

succédèrent sans interruption. Des doses élevées de morphine amenèrent seu-

lement quelques moments de répit.

Au milieu de ces douleurs continuelles, remarquablement aiguës, se déclara

en août 1899 une congestion pulmonaire. Abattue par cette longue période de

souffrances cruelles, la malade fut emportée en deux jours. En raison même

de ces crises douloureuses, il nous avait été impossible de la faire transporter

pour la faire photographier. Nous ne pouvons reproduire ici que l'image de

son cadavre. Les figures ci-jointes sont donc imparfaites : l'application du ca-

davre sur un plan résistant ne permet pas d'autre part de se rendre un compte

exact des déviations vertébrales constatées durant la vie.

Il nous a été impossible encore de conserver le squelette : nous ne pouvons

donc rapporter la description et la reproduction photographique des pièces os-

seuses intéressantes.

Observation X. - (Personnelle.)

SOMMAIRE. Homme, 51 ans. Syphilis à 23 ans. Traitement anti-syphilitique

régulier. A 35 ans, état vertigineux, sans chute, ni perte de connaissance. A

37 ans, crises gastriques, calmées par les lavages d'estomac. A 38 ans, premières

douleurs fulgurantes. Début de l'ataxie des membres inférieurs. A 45 ans,

marche impossible, troubles passagers de la miction, troubles de la vue. Inzpuis-

sance génitale. Quelques douleurs constrictives. Usage et abus de morphine.

A 50 ans, début d'une arthropathie vertébrale. Craquements articulaires dans

les mouvements du tronc. Déviation vertébrale à la suite.

Signes évidents de tabès.

Scoliose dorso-lombaire à convexité droite. Scoliose de compensation cervico-

dorsale.

Saillie des apophyses épineuses surtout lombaires. Voussure hémi thoracique

gauche.

Augmentation de volume des apophyses épineuses de la dixième dorsale et de toutes

les lombaires : irrégularités, nodosités nombreuses sur la crête lombaire. Jamais de

douleurs spontanées ou provoquées .

Correction des déviations dans le redressement du tronc. Mouvements d'extension

exagérée seuls abolis. Râclements articulaires, graves et sonores dans les mouve-

ments de la colonne.

M. P..., est âgé de cinquante et un ans. Ou ne note rien de particulier dans

ses antécédents héréditaires.

Il a contracté lui-même la syphilis vers l'âge de vingt-trois ans : il suivit

dès ce moment et depuis, à plusieurs reprises, un traitement régulier.

Il se marie à trente-deux ans. Un an après son mariage, sa femme accouche

d'une fille qui a dix-huit ans aujourd'hui et qui est en parfaite santé. Sa femme

n'a jamais fait de fausses couches.

Il jouit lui-même d'une très bonne santé jusqu'à l'âge de trente-cinq ans ; à

280 JEAN ABADIE

peine, de temps en temps, présente-t-il quelques migraines ou quelques lum-

bagos. Les migraines disparaissent bientôt, mais 1L la place apparaît un état ver-

tigineux se reproduisant fréquemment, sans chute ni perte de connaissance,

mais très pénible, analogue au mal de mer. '

A trente-sept ans, il a plusieurs crises de vomissements, se succédant il un

mois d'intervalle. Il est mis à la diète lactée, puis il est obligé de se soumettre

aux lavages d'estomac, dont il continue à faire usage pendant douze ans, à cha-

que retour des crises.

Un an après, à trente-huit ans, apparaissent des douleurs fulgurantes dans

les membres inférieurs bientôt suivies d'une incoordination motrice sans cesse

progressive. Sept ans après, la marche était devenue complètement impossible.

A cette époque, se montrent encore des troubles passagers de la miction, réten-

tion d'urine, et des troubles de la vue, diplopie transitoire. Cette diplopie reve-

nait trois ans plus tard, plus tenace, et ne disparaissait qu'après une cure aux

eaux de Lamalou.

L'impuissance génitale devient complète à partir de ce moment. Quelques

douleurs constrictives du tronc font leur apparition.

Dès le début des crises gastriques, le malade a commencé à faire usage des

injections hypodermiques de morphine : à l'usage a succédé l'abus, il atteint

bientôt la dose de un gramme par jour.

En juillet 1896, le malade avait alors cinquante ans, très brusquement, sans

douleurs nouvelles, sans exagération des douleurs anciennes,sans phénomènes

aigus d'aucune sorte, ont apparu de très gros bruits de craquements articulaires,

au niveau de la région lombaire et dans les mouvements de flexion et d'exten-

sion de la colonne vertébrale. A peine existait-il à cet endroit une légère sen-

sation de gêne. A la suite d'une manière progressive s'installa une déviation

de la colonne vertébrale. Il n'y eut ni modifications des symptômes préexistants,

ni apparition de symptômes nouveaux.

Examiné en septembre 1897, M. P... présente une ataxie des mieux confir-

mées. La marche sans appui est totalement impossible. Les pupilles sont égales,

elles présentent le signe d'Argyll Robertson. Les réflexes abdominaux sont ir-

réguliers, tantôt très vifs, tantôt faibles. Les testiculaires sont abolis. La défé-

cation est lente, la constipation habituelle. Le malade est obligé de s'accroupir

pour uriner. Les érections sont toujours nulles. Les réflexes rotuliens sont abo-

lis, les plantaires aussi. La sensibilité testiculaire, la sensibilité épigastrique

profonde à la percussion sont diminuées. A noter un retard des sensations aux

membres inférieurs.

La colonne vertébrale est examinée, le malade étant dans la station assise et

vu de dos (fig. 8 et 9). Dans son ensemble, elle décrit une longue courbe dorso-

lombaire à concavité tournée à gauche et d'autant plus accusée qu'elle se rappro-

che du sacrum. Au-dessus, la région cervico-dorsale présente une courbure de

compensation, de sens opposé, moins accusée. Le thorax amaigri laisse voir la

saillie des apophyses épineuses surtout dans la région lombaire. L'hémithorax

gauche est plus développé notamment dans sa portion inférieure qne l'hémi-

thorax droit. La palpation dénote une voussure tboracique à ce niveau. Elle

LES OSTÉO-ARTHROPATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 281

révèle encore une augmentation de volume notable des apophyses épineuses de

la dixième vertèbre dorsale et de toutes les lombaires : sur la crête lombaire,

existent même des irrégularités, des nodosités nombreuses. La pression éner-

gique ne réveille en aucun point de douleur spontanée. Le malade ne souffre

jamais d'ailleurs de son rachis.

Dans la station debout, la déviation vertébrale s'accuse davantage. Le malade

est penché en avant, le dos voûté, les lombes saillent en arrière ; la masse sacro-

lombaire gauche est beaucoup plus bombée que la droite.

Dans le décubitus dorsal sur un plan horizontal, lorsque le malade est couché

à plat ventre, ou encore lorsqu'on maintient le tronc en soulevant le malade

Fig. 8. - Obs. X (Abadie).

Fig. 9.-Obs. X (Abadie).

par les épaules ainsi que le montre la figure, la déviation vertébrale se corrige,

les courbures disparaissent, les apophyses épineuses se rangent suivant une

ligne droite, la ligne médiane du corps. La voussure thoracique gauche per-

siste aussi longtemps que la position qui lui a donné naissance : elle ne s'accom-

pagne d'aucun phénomène douloureux quelconque.

Les mouvements de la colonne vertébrale sont conservés et même étendus,

dans le sens de la flexion et de l'inclination latérale. L'extension seule, mais

non l'extension forcée, est obtenue spontanément par le malade : il peut même

se redresser avec peine, mais dans tous ces mouvements, on entend très nette-

ment au niveau des articulations vertébrales des craquements articulaires, des

282 JEAN ABADIE

râclements graves et sonores, analogues à ceux produits par les grosses ar-

thropathies tabétiques des'grandes articulations. Ces bruits très intenses ne

s'accompagnent d'aucune sensation douloureuse mais ils terrifient le malade

qui immobilise son thorax et les évite ainsi, par crainte pour la solidité de sa

colonne vertébrale.

Observation XI. (Inédite.)

SOMMAIRE. Homme, 54 ans. Pas de trace de syphilis. Abus des plaisirs véné-

riens.A 45 ans, premières douleurs fulgurantes. Chute spontanée des dents. Ptosis

gauche avec paralysie du droit interne droit. A 48 ans, douleurs' en ceinture,

crises gastriques. 49 ans, premiers troubles de la marche . A 52 ans, déviation

progressive et insidieuse de la colonne vertébrale.

Signes évidents de tabes. Légère incoordination motrice des membres inférieurs.

Déviation de la colonne vertébrale. Attitude très nette du gibbeux à bosse dorsale

supérieure. Trois courbures vertébrales : scoliose lombaire à concavité tournée à

droite, scoliose dorsale de compensation, cyphose cervico-dorsale très marquée

mais sans déviation angulaire. Pas de modifications apparentes des vertèbres. Pas

de douleurs, pas de craquements articulaires. Colonne vertébrale absolument im-

mobile.

Pas d'autres arthropathies du tronc ou des membres.

Mort six ans après. Pas d'autopsie.

M. P..., âgé de cinquante-quatre ans, présente en mai 1889 des signes non

douteux de tabes. H est atteint en outre depuis deux ans d'une déviation de la

colonne vertébrale.

Il n'y a aucun détail intéressant à signaler dans son hérédité. Lui-même a

toujours eu une bonne santé habituelle. Il a deux fils : l'un de vingt-six ans, l'au-

tre de vingt-quatre, tous deux bien portants. Il s'est remarié à l'âge de trente-

six ans, a eu un enfant qui est mort. Il n'accuse pas de syphilis, il a toujours

abusé des plaisirs vénériens.

C'est en 1881, à l'âge de quarante-cinq ans, que le malade voit survenir les

premières atteintes de son mal : à cette époque, en effet, il fut pris de douleurs

à type fulgurant, siégeant dans les pieds et les jambes, arrivant par crises. Ces

douleurs n'étaient cependant jamais assez fortes pour nécessiter le repos au

lit : elles survenaient de loin en loin, apparaissant surtout la nuit.

Quelque temps après, il fut atteint d'une fluxion dcntaireintcnse,accompagnée

d'un gonflement énorme des joues, durant quatre jours, à la suite de laquelle

les dents de la mâchoire supérieure tombèrent toutes sauf trois : ces dents n'é-

taient pas cariées : elles s'ébranlaient et tombaient sans'efforts, comme expul-

sées.

Quelques mois plus tard, apparaissait une chute de la paupière supérieure

gauche, coïncidant avec une paralysie du droit interne de l'oeil droit.

L'année suivante, en 1882, survenaient des douleurs en ceinture, constric-

tives, d'une grande intensité. En même temps, s'installaient des douleurs gas-

triques : une première crise dura trois jours. Une deuxième se montrait un an

après. Depuis la même époque, les érection ses sont supprimées. La marche

LES 0STÉ0-ARTHR0PATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 283

devint un peu gênée, à ce moment encore. Le malade montait difficilement un

escalier et le descendait plus difficilement. Il pouvait cependant faire une course

assez longue, deux ou trois kilomètres sans trop de fatigue. Il sentait mal néan-

moins la résistance du sol ; il lui semblait souvent marcher sur du coton ou du

caoutchouc. Il éprouvait sans cesse une raideur notable dans les reins etles mem-

bres inférieurs.

En 1885, le malade fit usage des eaux de Lamalou. Son état n'en fut pas

amélioré. Les douleurs à type fulgurant avaient disparu depuis quelque temps :

la raideur des membres inférieurs persistait toujours. En outre, il présentait

une salivation très abondante, le forçant à cracher à chaque instant. Il était

encore souvent pris d'un besoin impérieux d'aller à la selle, surtout quand il

parlait longtemps : malgré cela, il était plutôt constipé.

En 1887, aucun autre phénomène n'était venu s'ajouter rémunération pré-

cédente, lorsque débuta, sans efforts, sans traumatisme, sans douleurs rachi-

diennes non plus, une déviation de la colonne vertébrale. Cette déviation s'ins-

talla insidieusement, progressa d'une manière lente mais continue, sans ap-

porter une gêne nouvelle aux mouvements de locomotion. Insensiblement le

malade devint bossu et prit l'attitude toute particulière du gibbeux, le dos ar-

rondi, la tête enfoncée dans les épaules et inclinée sur l'une d'elles qui put

être constatée à l'examen du malade, deux ans après le début de la déviation

vertébrale, en 1889.

Un examen rapide est pratiqué à cette époque.

La face ne présente pas grand'chose à signaler. Les pupilles sont inégales,

la droite est plus petite que la gauche' Les réflexes iriens sont abolis à la lu-

mière et à l'accommodation.

Il n'existe pas d'atrophie partielle ou totale de la langue. Trois dents subsis-

tent il la mâchoire supérieure, deux d'entre elles sont saines. A la mâchoire

inférieure, il ne reste guère que les incisives et les canines. Plusieurs sont al-

térées : deux ou trois sont cariées, les autres sont saines. Les dents qui man-

quent à cette mâchoire sont tombées avant 1886. ,

La sensibilité des lèvres, des gencives, des joues est normale. Jamais de

douleurs fulgurantes dans la tête ou dans la face : le malade ne sent pas de

raideur dans les joues ni la face.

Les membres ne sont pas amaigris. La force musculaire y est intégralement

conservée. Pas de troubles trophiques apparents. Pas de chute ni de dystro-

phie des ongles. Abolition complète des réflexes rotuliens.

La sensibilité cutanée est normale sauf dans les membres inférieurs où elle

présente des troubles profonds : la piqûre en particulier est perçue avec un

retard appréciable et moins que normalement. Le malade se plaint beaucoup

de la raideur de ses jambes, ses pieds lui paraissent serrés comme avec une

corde.

Il marche, les yeux ouverts ou fermés, avec très peu d'hésitation : il peut

sans peine aller à reculons. Il ne se tient pas avec assurance sur l'une ou sur

l'autre jambe : les yeux fermés, il vacille et tombe. En marchant, il sent peu

la résistance du sol.

284 JEAN ABADIE

Nulle part, au niveau de ses différentes articulations, on ne rencontre trace

d'arthropathies quelconques.

La miction est normale, les urines non modifiées dans leur composition. La

constipation est la règle. Les érections sont supprimées depuis longtemps : le

malade est aujourd'hui d'une frigidité absolue.

Le sommeil est assez bon. Le malade est d'une grande émotivité.

Voici enfin les quelques détails qui ont été notés sur les déformations de la

colonne vertébrale :

Le malade se présente, appuyé sur une canne qu'il tient de préférence de

sa main gauche : il est sans cesse en mouvement. L'épaule gauche est relevée,

l'épaule°droite est tombante, le bras droit écarté du tronc, immobile, en ba-

lancier. Le cou disparaît, la tête s'enfonce entre les épaules. Le'thorax est glo-

buleux et fait saillie en avant. En arrière, le malade apparaît bossu et la bosse,

très arrondie, apparaît sous les vêtements, siégeant dans la partie supérieure

du thorax.

Examinée directement, la colonne vertébrale tout d'abord présente trois

déformations particulières : en bas, existe une scoliose il concavité dirigée il

droite et s'étendant sur toute la hauteur de la colonne lombaire. Cette déviation

est très accentuée. Elle n'est accompagnée d'aucun développement anormal des

os, des apophyses épineuses en particulier. Les vertèbres qui correspondent à

cette déformation ne paraissent pas avoir un volume exagéré ou une situation

anormale, les unes vis-à-vis des autres. Il n'existe pas non plus de lordose ou

de cyphose surajoutée à la scoliose lombaire. Au-dessus de cette dernière, se

trouve une nouvelle déformation, mais en sens contraire et qui n'est autre

qu'une courbure de compensation. Cette courbure est rendue moins appa-

rente par la présence de la troisième déformation vertébrale laquelle est une

cyphose s'étendant progressivement de la dernière dorsale aux dernières ver-

tèbres cervicales et atteignant son maximum de rayon, au niveau des troisième

et quatrième dorsales. En aucun point de la cyphose, on ne retrouve de dévia-

tion angulaire brusque. Cette longue inflexion de la colonne vertébrale déter-

mine chez le malade l'attitude de gibbeux qu'il présente. Ici encore on ne re-

trouve aucune modification de volume ou de situation des vertèbres prises une

à une. La crête épineuse saillante sous la peau, n'est pas épaissie. La pression

exercée le long de la colonne ne réveille ni douleur localisée, ni douleurs irra-

diées, et en particulier la région lombaire est absolument indolore. Jamais

non plus, le malade n'a éprouvé à ce niveau de douleurs spontanées.

Enfin les mouvements de redressement et d'affaissement des vertèbres les

unes sur les autres ne peuvent s'effectuer comme de la façon habituelle. Le

malade essaie,mais en vain, de réduire les nombreuses courbures de son rachis :

dans ces tentatives infructueuses, la main appliquée contre les gouttières ver-

tébrales ne perçoit aucun craquement articulaire. Le malade déclare d'ailleurs

n'avoir jamais remarqué pareil phénomène.

M. P..... est mort vers la fin de l'année 1890. Son autopsie n'a pas été

faite.

LES OSTÉO-1RTHROPATIIIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 285

Observation XII. - (Personnelle.)

SOMMAIRE. Homme 59 ans. Pas de syphilis. Alcoolisme probable. A 41 ans,

douleurs rhumatismales et crises gastriques. A 54 ans, douleurs nettement ful-

gitrantes, troubles des sphincters. Suppression des érections. Phénomènes acro-

parcsthésiques dans les membres. Doulcurs ombilicales nocturnes.

Signes non douteux de tabès. Ataxie confirmée des membres inférieurs.

Pas d'arthropathies volumineuses mais craquements articulaires dans toutes les

articulations. Petite arthropathie acromio-claviculaire droite.

Déviation de la colonne vertébrale. Cyphose dorsale très marquée avec scoliose

à convexité tournée à gauche. Déviation des côtes, du sternum : développement

plus grand de l'hémithorax droit. Pas de modifications apparentes des vertèbres.

Pas de douleurs. Pas de craquements. Immobilité complète de la colonne dor-

sale.

Alexandre G..., âgé de cinquante-neuf ans, exerçant la profession d'employé

de commerce, entre à l'hôpital Saint-André de Bordeaux, service de M. le pro-

fesseur Pitres, le 30 avril 1897, pour tabes. '

Rien de particulier à noter dans son hérédité. A l'âge de vingt-deux ans, il a

une fièvre typhoïde. A vingt-cinq ans, une blennorrhagie guérie rapidement.

Il n'a jamais contracté la syphilis. L'alcoolisme est probable chez lui, car il a

été commis-voyageur en liqueurs. Marié assez jeune, il n'a eu qu'un fils, qui

est bien portant.

Vers l'âge de quarante-quatre ans, apparurent des douleurs qualifiées de rhu-

matismales par le malade, sans siège précis. En même temps, s'installaient des

phénomènes gastriques, rappelant en tous points les crises gastriques tabéti-

ques. Ces symptômes s'amendèrent et finirent par disparaître complètement.

Dix ans après, se montrent les premières atteintes dans les membres infé-

rieurs : ce sont de la raideur dans les deux pieds, une lourdeur gênante dans

la jambe droite, puis des douleurs véritablement fulgurantes dans les doigts

du pied droit d'abord, puis du pied gauche. En même temps, apparaissaient

des troubles des sphincters, incontinence puis rétention d'urine, crises doulou-

reuses rectales avec constipation opiniâtre. Les érections se suppriment à cette

époque.

Les douleurs fulgurantes augmentent de fréquence et d'intensité : elles siè-

gent de préférence dans le membre inférieur droit. Des douleurs constantes à

type ardent se montrent des chevilles aux mollets : elles s'étendent quelquefois

jusqu'aux cuisses en haut et jusqu'à l'extrémité des orteils en bas, elles sont

exagérées par la marche, augmentent de violence dans les changements de

température et disparaissent parfois brusquement. Des fourmillements pénibles

surviennent dans les extrémités supérieures et inférieures. Enfin le malade

eut pendant longtemps des douleurs fulgurantes nocturnes, exactement locali-

sées à l'ombilic, sans la moindre irradiation et sans phénomènes gastriques

concomitants.

Toutes ces diverses manifestations existent encore au moment de l'entrée du

malade à l'hôpital.' ,

286 JEAN ABADIE

L'amaigrissement est notable et surtout apparent aux membres inférieurs.

La force musculaire est bien conservée, mais une incoordination motrice z

assez accentuée existe dans les membres inférieurs. La marche est d'habitude

mal assurée, talonnée, elle est impossible dans l'obscurité, l'équilibre est très

instable, dans la station debout, les yeux ouverts, les talons joints : les yeux »

fermés, le malade vacille et tombe.

Les pupilles sont inégales, la droite est plus grande que la gauche : elles

réagissent bien à l'accommodation, mais restent insensibles à la lumière. Le

réllexe pharyngien est conservé. Les réflexes abdominaux supérieurs et infé-

rieurs sont très vifs. Abolition dès réflexes rotuliens et testiculaires. Conserva-

tion des réflexes plantaires au chatouillement. La sensibilité testiculaire est

revenue, car le malade se souvient avoir eu à cet endroit de l'analgésie com-

plète. La sensibilité épigastrique profonde est très diminuée.

La sensibilité générale cutanée au contact,à la piqûre, au froid, au chaud est

bien conservée. Pas de retard, ni de métamorphose des sensations. Il n'existe

pas non plus de défaut de localisation.

A part une diplopie passagère et quelques bourdonnements d'oreille, les or-

ganes des sens ont un fonctionnement normal.

Le champ visuel est rétréci concentriquement à 45°. Les organes splanchni-

ques sont normaux. La miction reste troublée par des alternatives de rétention

et d'incontinence. Les érections sont toujours abolies. La constipation est d'une

ténacité remarquable,cède avec peine aux purgatifs drastiques et les crises rec-

tales gardent leur caractère d'intensité remarquable.

Il n'existe pas de troubles trophiques apparents.

Nulle part on ne rencontre en particulier d'arthropathies volumineuses. Des

craquements articulaires sont manifestes dans presque toutes les articulations,

en particulier dans celles des mains'et des pieds qui sont les unes et les autres

un peu noueuses. L'articulation acromio-claviculaire droite est le siège de pa-

reils craquements perceptibles au palper et à l'ouïe dans les divers mouvements

de l'épaule. Les ligaments de cette articulation sont relâchés et l'extrémité ex-

terne de la clavicule vient faire saillie au-dessus de l'acromion.

La colonne vertébrale est déviée : il existe uue cyphose dorsale très marquée,

accompagnée d'une scoliose à convexité tournée à gauche. La région lombaire

ne présente aucune modification dans la direction de la colonne rachidienne.

Les côtes, le sternum sont déviés et l'hémithorax droit est beaucoup plus bombé

que le gauche. Il n'y a pas de déformation appréciable de la crête épineuse. Les

apophyses, ainsi que les corps vertébraux semblent avoir gardé leurs dimen-

sions normales. La palpation,la percussion forte ne réveillent en aucun point du

rachis de douleur localisée ou irradiée. Jamais les vertèbres n'ont été le siège

de douleurs spontanées et le malade ne s'était jamais aperçu des modifications

anatomiques survenues à cet endroit. Les mouvements des articulations de

l'occipital avec l'axis et l'atlas sont conservés et normaux. Mais la courbure

vertébrale dorsale est immobile et est impossible au malade de se redresser :

il ne peut pas davantage exagérer l'une ou l'autre des déviations scoliotique ou

cyphotique. Il marche plié en deux au niveau des reins, le thorax immobile, et

LES OSTÉO-ARTHROPATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 287

tout le jeu du rachis est limité à la colonne lombaire : à ce niveau les articula-

tions des vertèbres entre elles paraissent plus souples et les mouvements plus

étendus qu'à l'état normal. En aucun point de la colonne vertébrale, on ne peut

percevoir de craquements articulaires.

Observation XIII. - (Inédite.)

SOMMAIRE. Homme, 57 ans. Pas de trace de syphilis. Abus des plaisirs véné-

riens. A 45 ans, premières douleurs fulgurantes. A 50 ans, chute de voiture,

luxation de l'épaule, fissure probable du crâne, commotion cérébrale. Augmenta-

tion des douleurs fulgurantes. A 51 ans, chute spontanée des dents. A 53 ans,

strabisme et ptosis. A 54 ans, troubles vésicaux.

Signes de tabes. Peu d'incoordination motrice des membres inférieurs.

Depuis une quinzaine d'années, déformation lente de la colonne vertébrale.

Altitude de gibbeux. Cyphose dorsale avec épaississement des apophyses épineuses

correspondantes.

M. D... est âgé de cinquante-sept ans. Il possède une bonne hérédité et jouis-

sait habituellement d'une santé parfaite. 11 n'a jamais contracté la syphilis. Il

est marié, mais n'a point d'enfants. Il a toujours abusé des plaisirs vénériens.

Il y a une douzaine d'années, vers l'âge de quarante-cinq ans, M. D... com-

mença à éprouver des douleurs qu'il considérait comme rhumatismales, mais

qui étaient, bel et bien, d'après la description qu'il en fait, des douleurs fulgu-

rantes : elles survenaient par crises, siégeaient dans les membres inférieurs,

étaient brusques et passaient rapides comme des éclairs, etc., etc.

A l'âge de cinquante ans, le malade fit une chute de voiture. Il eut une com-

motion cérébrale assez grave, une plaie du cuir chevelu et peut-être une fissure

du crâne,car il eut de l'écoulement de sang par l'oreille gauche : il eut, en même

temps, une luxation de l'épaule. A la suite de ce traumatisme sérieux, ses dou-

leurs devinrent plus fortes et plus fréquentes. L'année qui le suivit, il perdit,

l'une après l'autre, sans la moindre douleur ni trace de suppuration, toutes les

dents de la mâchoire supérieure, toutes sans exception.

Deux ans après, il eut une chute de la paupière supérieure et du strabisme.

Depuis cinq ans, il est obligé de s'accroupir comme les femmes pour uriner :

il ne peut pas uriner debout.

Les douleurs fulgurantes existent encore et gardent leur extrême violence.

Pas de crises gastriques.

Quelques érections se montrent le matin, mais le malade est incapable de

rapports sexuels depuis plusieurs mois.

Il n'existe pas de perturbation notable de la marche, les yeux ouverts. Un

peu d'incertitude apparaît, dans la marche, les yeux fermés. La station debout

sur une seule jambe est possible les yeux ouverts, très difficile les yeux fermés.

Les pupilles sont inégales, la gauche est plus grande que la droite. Les ré-

flexes iriens sont normaux. Les réflexes abdominaux sont conservés, nullement

exagérés. Les testiculaires sont normaux. Les réflexes rotuliens sont abolis,

les réflexes plantaires conservés.

288 JEAN ABADIE

La sensibilité épigastrique profonde et la sensibilité testiculaire sont abolies.

La sensibilité profonde des membres inférieurs est perdue : on peut frapper

fortement la crête du tibia, ou tirailler brutalement les articulations sans pro-

voquer de douleur.

Enfin, depuis une quinzaine d'années, il s'est produit une déformation lente

de la colonne vertébrale. La courbe de la région dorsale supérieure est très

augmentée. Les apophyses épineuses des vertèbres correspondantes sont épais-

sies. Le tronc paraît raccourci, par rapport aux membres inférieurs, et sans

être un bossu véritable, le malade a une attitude générale et un aspect qui

rappellent ceux des gibbeux. -

..

Observation XIV. - (Personnelle.)

SOMMAIRE. Homme, 58 ans. Syphilis à 25 ans, non traitée spécifiquement.

A 40 ans, premières douleurs fulgurantes. A 50 ans, inclinaison du tronc en avant,

apparition d'une cyphose dorsale au début. A 51 ans, mal perforant plantaire

double : amputation double, pas de récidives sur les moignons, conservation des

douleurs fulgurantes dans les orteils-fantômes. A 58 ans, développement rapide

d'une grosse arthropatltie du genou droit.

Signes non douteux de tabès.

Déformations thoraciques. Jamais de rachitisme, jamais de rhumatisme.

Cyphose dorsale très accentuée, maximum vers la septième dorsale. Scoliose à

concavité droite, peu accentuée dans la station assise, plus marquée dans la station

debout.

Voussure hémithoracique droite, surtout appréciable en arrière. Raccourcisse-

ment de l'abdomen. Rebord costal rapproché de la crête iliaque et plus à droite

qu'à gauche. Inclinaison latérale du bassin.

Ligne apophysaire peu saillante. Pas de développements normaux des apophy-

ses ou des corps vertébraux. Mobilité anormale.

Mouvements de la colonne tous abolis, sauf légère extension lombaire, avec in-

clinaison latérale possible dans une petite étendue.

Pas de douleurs spontanées, à la pression ou à la percussion brusque.

Pas de craquements articulaires vertébraux.

Attitude de gibbeux. Marche soudée.

J. Fas..., âgé de cinquante-huit ans, commissionnaire, entre à l'hôpital

Saint-André de Bordeaux, salle 6, lit n° 26, service de M. le professeur Pitres

le 4 novembre 1899 pour douleurs fulgurantes dans les membres inférieurs.

Son père ést mort à l'âge de soixante-dix ans d'une affection pulmonaire. Sa

mère est morte de vieillesse à quatre-vingt-deux ans. Il a une soeur et un frère

bien portants. Rien à signaler dans ses ascendants ou parmi ses collatéraux.

Dans son enfance, il a eu la rougeole, il ne sait au juste à quel âge.A dix ans,

il fut atteint de fièvre typhoïde. Plus tard, il contracta plusieurs blennorrha-

gies. Il eut la syphilis à vingt-cinq ans et ne suivit, à son dire, aucun traite-

ment spécifique. Les accidents qu'il présenta, à la suite, furent néanmoins de

courte durée et d'intensité moyenne. a bu beaucoup autrefois de toutes sortes

de boissons.

Il s'est marié à trente ans. Sa femme a toujours été bien portante. Elle n'a

pas eu d'enfants, mais n'a jamais fait de fausses couches.

LES OSTÉO-ARTIIROPATIIIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 289

Il y a une quinzaine d'années environ, dix-huit ans après sa syphilis, vers

t'age de quarante ans, le malade ressentit des douleurs fulgurantes, siégeant

principalement aux membres inférieurs et au tronc.

Il y a sept ans, le malade fut atteint d'un mal perforant plantaire, localisé au

premier orteil de chaque pied. Il fut amputé une première fois à gauche il y a

six ans par un chirurgien, et il y a deux ans à droite par un autre. Il n'a

jamais présenté de récidives sur les moignons.

Il y a six mois environ, J. Pas..., a vu son genou droit grossir progressive-

ment sans la moindre douleur et acquérir un volume inquiétant. Depuis un an,

la tuméfaction articulaire persiste sans la moindre modification. Il n'a existé à

aucun moment de troubles de la motilité.

Le malade n'a jamais présenté de troubles de la vision ou de la musculature

de l'oeil. Jamais de troubles urinaires ou génitaux.

Etal actuel le 24 novembre 1899. La physionomie du malade paraît assez

intelligente, le front est découvert, sillonné de rides. Les cheveux sont rares,

plantés droits, grisonnants. '

L'oeil est assez vif : il n'existe pas de nystagmus, pas de chute de la paupière.

Les muscles des paupières, ceux du globe oculaire ont un fonctionnement par-

fait. Les pupilles sont punctiformes, en myosis double, la droite cependant est

un peu plus large que la gauche. Les réflexes iriens à la lumière, à l'accommo-

dation, à la douleur, à la convergence sont normaux. Il n'existe pas d'analgésie

oculaire à la pression.

Rien à signaler à la face. La musculature en est parfaite.

La dentition est mauvaise, toutes les dents de la mâchoire supérieure, sauf

deux, sont tombées depuis vingt-cinq ans. La langue est normale, elle se meut

parfaitement en tout sens. La salivation n'est pas exagérée. Rien à noter au

voile du palais. Le réflexe pharyngien est aboli.

Il n'existe pas d'amaigrissement du cou ou du tronc. Pas d'analgésie tra-

chéale à la pression. A ce moment de- l'examen, on découvre une déviation

cypholique et scoliotique de la colonne vertébrale et des déformations consécu-

tives du thorax. Nous rapportons plus loin en détail les résultats de cette obser-

vation.

La sensibilité épigastrique profonde à la douleur est conservée. Les réflexes

abdominaux supérieurs et inférieurs sont exagérés. Les réflexes testiculaires

sont normaux. La sensibilité testiculaire à la pression est conservée, mais affai-

blie. Les érections sont conservées. Il-n'a jamais existé de troubles des sphinc-

ters.

Les membres supérieurs ne présentent rien d'anormal à signaler. Ils ne sont

pas amaigris, ont conservé toute leur force, ne présentent pas le moindre trou-

ble trophique, et n'offrent pas trace d'incoordination motrice.

La cuisse droite est aplatie d'avant en arrière. La peau est flasque, moins

garnie de poils sur la face antérieure que celle du côté opposé, ils manquent

par plaques, dont deux nettement circonscrites. Le quadriceps est atrophié.

Le genou droit est atteint d'une énorme arthropathie. La peau, à ce niveau,

est parsemée de petites taches blanchâtres, elle est un peu oedémateuse. La ro-

xm 19

290 JEAN ABADIE

tule, les extrémités épiphysaires du tibia, du péroné et du fémur, sont hyper-

trophiées : on ne sent cependant pas d'ostéophytes libres dans la cavité articu-

laire. Les ligaments sont relâchés et des craquements apparaissent dans chaque

mouvement imprimé il l'articulation. L'extension complète est possible, elle

peut même s'exagérer notablement. La flexion est très diminuée. Quelques

mouvements de latéralité limités peuvent être produits. L'articulation est

d'ailleurs complètement indolente : la pression brusque, le tiraillement, la dis-

location de la jointure n'amènent aucune douleur. La force de résistance est

très grande cependant, malgré ces désordres articulaires.

La cuisse du côté opposé est normale, l'articulation du genou correspondante

est saine.

Des deux côtés, les muscles des deux jambes ne sont pas atrophiés. Sur la

face externe de la jambe gauche, la partie inférieure, existe une tache ecchy-

motique, survenue, dit le malade, après une violente crise de douleurs. Il

n'existe pas de troubles trophiques apparents.

Les pieds ne sont pas déformés. On y trouve les moignons d'amputation des

orteils. la la face plantaire droite, on constate au niveau de la tête du cinquième

métatarsien une lorte callosité au milieu de laquelle se trouve une fissure li-

néaire. La production d'épiderme est si abondante en ce point que le malade

est obligé d'enlever les couches successives avec un canif au moins tous les huit

jours.

Les mouvements des membres inférieurs sont conservés. Le malade ne perd

jamais ses jambes dans son lit : il conserve toujours très nettement le sens de

position. Les réflexes rotuliens sont abolis. les réflexes plantaires sont vifs.

La station debout sur les deux pieds est possible, les yeux ouverts ou fermés.

Le malade peut même rapprocher les jambes et réunir les talons. La station

sur le pied gauche, les yeux ouverts, est facilement obtenue. L'équilibre est im-

possible sur le pied droit. Les yeux fermés, sur un pied comme sur l'autre, le.

malade vacille et menace de tomber. Le malade marche à petits pas en talon-

nant assez fortement, mais sans lancer follement ses jambes à droite et il gauche.

Il peut même marcher les yeux fermés ou il reculons.

Le malade ressent encore des douleurs il type fulgurant qui sillonnent les

membres et le tronc. Ces douleurs laissent quelquefois comme trace de leur

passage des ecchymoses ou de petites tuméfactions, des boursouflures, dit le ma-

lade, qui disparaissent après la crise ou persistent un certain temps. Les accès

douloureux surviennent le soir vers dix heures et durent ordinairement de

quinze à vingt-quatre heures, presque sans interruption. Les crises, autrefois

espacées de plusieurs semaines, reviennent maintenant tous les trois ou quatre

jours. Ces douleurs ont pour siège principal les membres inférieurs, elles peu-

vent même siéger dans les orteils-fantômes que garde le malade depuis ses am-

putations. Jamais il n'a éprouvé de crises viscéralgiques quelconques. ,

La sensibilité cutanée au contact, à la température, à la douleur paraît dimi-

nuée il gauche, mais très légèrement. On observe même quelquefois un léger

retard dans la perception des sensations, mais ces dernières sont parfaitement

localisées. 11 n'existe pas d'analgésie osseuse, articulaire, ligamenteuse ou mus-

culaire il la pression, il la percussion ou il la torsion.

LES 0STÉ0-ARTHR0PATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 291

Pas de troubles subjectifs des organes des sens. L'examen direct démontre

leur intégrité.

Les grands organes splanchniques sont sains. Les artères sont cependant un

peu athéromateuses.

Pas de troubles psychiques. Le malade a une mémoire parfaite, il répond

sans hésitation et intelligemment aux questions qu'on lui pose.

Le malade est examiné maintenant plus spécialement au point de vue de ses

déformations vertébrales.

Il dit n'avoir jamais eu dans son enfance d'affections osseuses ou articulaires

quelconques : en particulier, jamais de manifestations rachitiques ou rhuma-

tismales.

Il y a sept il huit ans, c'est-à-dire sept ans environ après l'apparition des

premières douleurs fulgurantes, il s'aperçut d'une voussure de son dos, il n'é-

prouvait aucune gêne dans Ips mouvements du rachis, il pouvait même se re-

dresser volontairement, mais aussitôt il retombait dan-s son attitude voûtée. Il

n'y attacha aucune importance, car il ne ressentit à aucun moment de dou-

leurs au niveau de la colonne vertébrale. La voussure dorsale augmentait ce-

pendant de jour en jour, progressivement et toujours insidieusement. Sa femme

elle-inème s'en aperçut et lui fit remarquer son attitude penchée en avant, et

le défaut de redressement du tronc. Les mouvements vertébraux devenaient

en effet de moins en moins étendus, le dos se voûtait et la voussure se faisait

à la fois plus accentuée et tendait à rester permanente. Depuis deux ans, les

phénomènes présentent les caractères que nous leur décrivons aujourd'hui.

Examiné dans la position assise, sur son lit, le malade est remarquablement

penché en avant, l'axe de son corps fait à peine un angle de 60° avec le plan

horizontal des membres inférieurs. La colonne vertébrale, vue de profil, offre

des déformations remarquables. En haut, la lordose cervicale est normale, en

bas la lordose lomhaire est assez peu marquée, mais entre'les deux s'étend une

longue courbe cyphotique intéressant toute la colonne dorsale : elle s'étend

exactement de la troisième vertèbre dorsale à la deuxième lombaire, elle est

surtout accentuée dans sa portion supérieure et atteint son maximum de cour-

bure, au niveau d'une ligne passant par l'angle inférieur de l'omoplate, vers

la septième ou la huitième dorsale. La colonne vertébrale est examinée de face,

la ligue apopbysairo paraît peu saillante, elle est assez apparente pour offrir à

la simple inspection une très légère incurvation latérale ; il existe en effet une

scoliose à concavité droite, peu marquée, il est vrai, mais encore très appré-

ciable qui part de la sixième ou septième vertèbre dorsale et vient se terminer

dans la région lombaire. L'hémithorax gauche est aplati, diminué de volume,

l'hémithorax droit au contraire porte une voussure très accentuée, surtout ap-

préciable en arrière, au niveau de l'angle de l'omoplate. En avant, le sternum

est comme enfoncé; au niveau de sa partie moyenne, vers la ligne mamelon-

naire,. Ic segment supérieur fait avec le segment inférieur un angle rentrant

très marqué. L'abdomen parait raccourci, les fausses cotes sont rapprochées des

crètes iliaques de quatre travers de doigt à gauche, de deux seulement à droite.

La palpation se rend mal compte de la série des apophyses épineuses, elles

sont peu développées, on les sépare difficilement les unes des autres, l'apo-

202 JEAN ABADIE

physe de la cinquième lombaire seule semble isolée de ses voisines : En aucun

point, la pression ou la percussion fortes ne réveille la moindre douleur, la plus

petite sensation désagréable. La voussure hémithoracique droite est beaucoup

plus appréciable 11'ampliation manuelle. L'hémithorax droit, mesuré au niveau

de la pointe du sternum, a 43 centimètres, l'hémithorax gauche ne mesure que

39 centimètres. La ligne du cordeau est déviée d'un centimètre sur la gauche.

Le malade est placé dans le décubitus dorsal, il est mal il son aise ainsi,

dit-il, il se couche d'habitude sur un côté. En raison de sa cyphose dorsale, il

est très instable dans cette position, il peut cependant s'y maintenir facilement.

Le plan antérieur du tronc semble s'enfoncer davantage. La palpation abdomi-

nale profonde, pratiquée dans cette position, ne révèle aucune modification no-

table de la colonne lombaire. Le malade se couche difficilement sur le ventre;

il repose alors uniquement par ses épaules et son bassin, le tronc forme un vé-

ritable pont, la voussure dorsale devient plus manifeste dans cette position. Le

sternum est éloigné de 12 à 1 centimètres du plan horizontal du lit. Il est im-

possible, même en pressant assez fortement sur les vertèbres dorsales, de ré-

duire en rien leur courbure. Cette manoeuvre ne réveille encore chez le ma-

lade aucune douleur.

Examiné dans la station debout (voir pl. XLII), le malade est penché en

avant, dans l'attitude du gibbeux, les épaules sont ramenées vers la poitrine.

La partie inférieure du tronc offre une direction inverse et fait avec le seg-

ment supérieur un angle de 75 à 80°. Le ventre est tombant, proéminent,

sillonné de plis sus-ombilicaux, les lombes et le bassin sont chassés en avant.

Le sommet de l'angle, ainsi formé, est saillant en arrière et répond évidem-

ment au point culminant de la cyphose dorsale. La ligne médiane de l'abdomen

est déviée à gauche. Le bassin est incliné latéralement, la crête iliaque gauche

est plus élevée que la droite, l'échancrure costo-iliaque est remontée et moins

profonde du côté gauche. Dans cette position, la cyphose dorsale varie peu,

mais la scoliose dorso-lombaire s'accentue notablement. La colonne vertébrale

paraît soudée sur toute sa hauteur : tous les efforts du malade pour mouvoir

son tronc sont vains. Dans le mouvement de flexion, il fléchit fortement la tète

sur la poitrine et cherche à entraîner les vertèbres dorsales et lombaires, inuti-

lement d'ailleurs. La flexion du tronc s'exécute uniquement sur les lombes et le

bassin, la cyphose dorsale ne variant pas de courbure. Dans le mouvement

d'extension, il rejette sa tète en arrière, pousse le ventre et le bassin en avant

et ne réussit nullement à corriger sa bosse. Enfin les mouvements d'inclinaison

latérale, de torsion des vertèbres sont impossibles : le tronc se meut incomplè-

tement dans le sens latéral sur le bassin ; celui-ci est même entraîné quand le

mouvement s'exagère. La marche est possible, le malade présente peu d'incoor-

dination motrice des membres inférieurs : elle s'exécute, le corps penché en

avant, le tronc voûté et soudé, à la façon du début de la paralysie agitante.

Dans les mouvements du rachis ou dans la marche, il est impossible de perce-

voir le moindre craquement articulaire vertébral. A aucun moment encore, le

malade ne ressent de douleurs rachidiennes quelconques. '

A suivre.)

NOU4. ICO ? OGRAPFlIE DE LA SALPÈTRIÈRR. T. XIII. Pl. XLII i

OSTEO-ARTHROPATHIES VERTEBRALES DANS LE TABES

(J. Abadie)

Observation XIV.

Masson & Oe, Jditeurs

Ti : ' v i ? t ?

1 1t-

1 : \ ? . ? 1, 1't ,"

. LA MARCHE

DANS LES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

(A propos d'un article de ll. Marinesco).

PAR Il .

GILLES DE LA TOURETTE

Professeur agrégé à la Faculté de Médecine de Paris

Médecin des Hôpitaux

Dans le n° 2 de la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, l\I.l\Iarinesco,

de Bucharest, a publié une note déjà présentée à l'Académie des sciences

(4 décembre 1899) dans laquelle il étudie la marche dans l'hémiplégie

hystérique. Ce n'est là que la suite d'une série d'articles de l'auteur sur

la marche dans les maladies du système nerveux, dont j'aurai bientôt à

parler.

M. Marinesco ne se contente pas de l'observation visuelle directe : il

fixe les attitudes de ses sujets à l'aide du cinématographe et en tire des

conclusions que notre intention n'est pas de discuter. Mon impression

seulement, qu'il pourra peut-être ne pas partager, est que cette méthode,

par rapport il ce que ses devanciers avaient obtenu par d'autres procédés,

ne lui a pas donné des résultais bien différents de ceux déjà publiés. La

question que je veux traiter est d'ailleurs tout autre; elle consiste en-

tièrement dans une revendication de priorité de ma part et comme il

y a récidive dans son article, je me décide, quoi qu'il m'en coûte, à

hautement réclamer.

« Depuis, dit-il (1), que Todd le premier et à sa suite Charcot et l'Ecole ..

de la Salpêtrière ont mis en valeur les caractères de la marche des person-

nes atteintes d'hémiplégie fonctionnelle... »

J'aurais désiré ici, que M. Marinesco voulût bien indiquer que parmi

les élèves de Charcot je suis celui qu'il avait choisi pour se livrer à ces

expériences. J'ai consacré deux ans à des recherches sur la marche dans

les maladies du système nerveux en m'aidant de la méthode des emprein-

tes. J'ai longuement analysé les phénomènes que l'on observe à ce point

de vue dans l'hémiplégie tant flasque que spasmodique et je les ai exposés

en 1886 dans ma thèse inaugurale (2) (p. 56-73).

(1) l\IAHl11ESCO,Un cas d'hémiplégie hystérique guérie par la suggestion hypnotique et

étudiée à l'aide du ciI1l1malogl'Ophe ? ¡oul'elle Iconographie de la Salpêtrière, n° 2, 1900,

p. ne.

(2) Gilles de la Touiiette, Eludes cliniques et physiologiques sur la marche. La

294 GILLES DE LA TOURETTE

Bien plus,le premier article de la première année de cette même Icono-

graphie de la Salpêtrière, je l'ai consacré a l'élude de l'attitude et la marche

dans l'IaénaihlPgiehgstériyce(-I).11. lVlarinescoa-t-il pu ignorer ces deux tra-

vaux bien antérieurs au sien ? Je ne le crois pas, car sa citation d'un pas-

sage de Todd, consacré à la marche dans l'hémiplégie hystérique (p.178),

est identiquement la reproduction de la traduction française que j'en avais

donnée moi-même dans l'Iconographie, en 1888 (p. 10).

Donc aucune indication bibliographique, aucune mention de mes deux

travaux sur la question, et la production de ma traduction comme si elle

lui était personnelle.

M.1Varinesco, je l'ai dit, est coutumier du fait : dans ses articles, ou

l'indication bibliographique n'existe pas ou elle est insuffisante.

En effet, dans un second article publié par la Semaine médicale (2) étu-

diant les troubles de la marche dans l'hémiplégie organique, après quelques

considérations générales, qui tiennent lieu d'historique, M. Marinesco veut

bien ajouter que « M. Gilles de la Tourette, en employant la méthode des

empreintes, a signalé quelques faits nouveaux que j'ai pu, ajoule-t-il, con-

firmer à l'aide de la cinématographie ».

D'indication bibliographique, point : il semble que récemment,dans un

article quelconque j'aurais été conduit à émettre quelques considérations

sur la marche dans l'hémiplégie organique et rien de plus. J'aurais cepen-

dant ajouté « quelques faits nouveaux intéressants » à ceux probablement

déjà publiés et M. Marinesco veut bien en confirmer le bien fondé.

Or je réclame hautement la priorité pour le genre de recherches dont

yL.Marinesco a entretenu les lecteurs de la Semaine médicale et delà Nou-

velle Iconographie. Je rétablis l'indication bibliographique qu'oublie de

donner M. Marinesco, elle a encore trait à ma thèse inaugurale soutenue

en 1886, il y a 14 ans.

Si, son tour, M. Marinesco me reprochait d'avoir fait à cette époque un

historique presque négatif de cette question : « La marche dans les mala-

dies du système nerveux », je lui répondrais qu'à part quelques rares no-

lions éparses çà et là dans la science,aucun travail d'ensemble ou de détail

n'avait paru en 1886, sur ce chapitre de pathologie. En outre j'ai dû en-

treprendre à ce sujet une série de recherches sur la marche normale dont

la physiologie était alors à peine ébauchée.

Dans une première partie j'exposais les recherches que j'avais faites à

ce dernier point de vue.

.

marche dans les maladies du système nerveux étudiée par la méthode des empreintes,

in-8\ Th. Paris, 1886 (couronnée par la Société de biologie).

(1) Gilles de la TOUBETTE, L'altitude el la marche dans l'hémiplégie hystérique.

Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, t. I, 1888, p. 1.

(2) I\L\lmEbCO, Les lroubles de la marche dans l'hémiplégie organique étudiés à l'aide

de la cinématographie. Semaine médicale, p. 225, n° 29, 1899.

LA MARCHE DANS LES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX 295

Dans une seconde, tenant compte de ce que j'avais observé au point de

vue physiologique, j'étudiais la marche dans les maladies du système

nerveux où ces recherches me semblaient avoir quelque utilité. Dans mon

travail, l'hémiplégie flasque et spasmodique tenait une large place

(pp. 9-7) ; j'employais une méthode scientifique exacte, celle des em-

preintes avec mensurations, à la portée de tous les observateurs qui au-

raient désiré vérifier mes expériences. Cela. ne m'empêchait pas, chemin

faisant,de noter de mes yeux les attitudes des sujets moins bien peut-être

qu'avec le cinématographe, suffisamment toutefois par arriver à des con-

clusions que n'a pas désavouées M. Marinesco.

Si donc le lecteur maintenant en possession de l'indication bibliogra-

phique que M. Marinesco a oublié de lui donner veut bien comparer mes

recherches d'il y a 14 ans avec les siennes il verra qu'en ce qui regarde

l'hémiplégie organique et l'hémiplégie fonctionnelle cet auteur n'a pas

ajouté grand'chose à ma description. Je signale que j'ai traité aussi de la

marche dans les hémiplégies accompagnées d'hémichorée ou d'athétose,

ceci ditpour les articles qui suivront probablement sur ces variétés de pa-

ralysies unilatérales accompagnées de mouvements surajoutés.

Même réclamation de priorité et d'insuffisance de citation en ce qui re-

garde un troisième article (1) de M. Marinesco sur « les troubles de la

marche dans les paraplégies organiques ».

Là encore aucune indication bibliographique me concernant. M. Mari-

nesco indique cependant que, le premier, j'ai décrit trois degrés à la dé-

marche spasmodique. Mais il oublie d'ajouter que j'ai noté tous les dé-

tails de cette démarche, que je l'ai interprétée, ce qui n'avait pas été fait

jusqu'alors. La description qu'il en donne longtemps après moi est beau-

coup moins complète que la mienne attendu que je ne me suis pas borné

comme lui aux seules paraplégies organiques simples. J'ai étudié aussi

les spasmodiques avec titubation, la sclérose en plaques en particulier

qu'il ne semble pas avoir envisagée. J'y joignais l'étude de la marche

dans l'ataxie locomotrice et la paralysie agitante, ceci dit pour éviter des

réclamations ultérieures.

M. Marinesco écrit en français, il connaît mes recherches sur la marche

dans les maladies du système nerveux longtemps prolongées, faites ai une

époque où la question qu'il traite après moi était à peine ébauchée. Il con-

naît mon travail, puisque le comparant au sien on voit qu'il s'en est lar-

gement inspiré. Pourquoi à trois reprises ne pas en donner l'indication

bibliographique. J'espère que désormais M. Marinesco voudra bien se

conformer à un usage généralement et justement adopté dans l'exposé des

recherches scientifiques.

(1) Marinesco, Sur les troubles de la marche dans les paraplégies organiques. Se-

maine médicale, p. 11, n° 9, 28 février 1900.

ICONOGRAPHIE ' 1

DES

ARRACHEURS DE DENTS

PAR

HENRY MEIGE

(Suite.)

Au XVI" siècle, les gravures sur bois qui abondent dans les éditions

allemandes contiennent un certain nombre de scènes d'extraction de dents.

Illustrations tantôt humoristiques et tantôt moralistes, elles ont entre

elles de grandes ressemblances. Elles témoignent du moins du succès

dont jouissaient les arracheurs de dents ambulants à celle époque, succès

qui accompagne encore aujourd'hui quelques-uns de leurs descendants

dans les foires villageoises. Je crois cependant que nous assistons à leurs

derniers exploits, car chaque année, le nombre de ces charlatans tend à

décroître.

Une gravure de Hans llURGIOEAOEI\, dans 1 e l'etr«rca's TI'o8tspiegel (Augs-

burg, 1531), accompagnée de légendes en latin et en vieil allemand, a été

déjà reproduite et commentée dans ce recueil 1 parCharcot et Paul Richer(1).

Le patient est assis sur un banc, abandonnant sa tête à l'opérateur, qui,

debout'derrière lui, d'une main lui ouvre la mâchoire, de l'autre montre

avec son index la dent suspecte. Des clients attendent leur tour, l'un d'eux

indiquant aussi du doigt le siège de son mal. A droite. l'éventaire du' char-

latan est dressé : une table avec des pots d'onguents et un respectable amas

de molaires, surmontée d'une affiche armoriée et hizarrement décorée.

La figure ci-contre est extraite d'un livre de Hartmann Schopper, De

omnibus illibemlibus sire mechunicis ((1'tibus..., Francfort-sur-lVlain,

- (1) Voy. Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, 1891, p. 409. Pl. XXXIX.

ARRACHEURS DE DENTS 297

ils74) (1). Elle est conçue de la moine façon ; mais l'opérateur et l'opéré

en sont les deux seuls figurants. Ici, le dentiste est armé d'une solide pince.

La légende en vers latins glorifie les avantages de l'extirpation dentaire

sur toutes les autres méthodes de traitement.

Sans insister plus longuement sur ces images qui n'offrent guère qu'un

intérêt documentaire, nous allons maintenant passer en revue les prin-

cipales peintures que les artistes flamands et hollandais dttXVIIoeetl

du XVIIIe siècle ont consacrées aux 3rranehcaao d nlrrd. ana. OIIm1lll £

donné précédemment la liste de ces peintures, inspectées en ]UJl'1t(Q)Ulr.JlJIlltt

les principaux musées d'Europe.

Le musée du Prado, à Madrid, possède un grand tableau de Tmbodose

Rombouts (1.9-lda compatriote et presque contemporain de R1[l]¡¡ws.

peintre d'un réel talent, dont les excellentes qualités flamandes ont mal-

heureusement, subi en Italie t'inlluence du Cannage. De là ses gens

heurtés, ses ombres poussées au noir, ses oppositions que le temps a encore

(1) Ce document m'a été fort obligeamment communiqué par le Dr Darvcams, 1 èm-

dit bibliothécaire de l'École de Pharmacie de Paris.

Le Dentiste

Gravure sur bois, extraite d'en livre de Hartmann Echopper (n : 51Jj ?

298 HENRY MEIGE

accentuées davantage ; mais il a de la vie, de la fougue môme, et un natu-

ralisme de bon aloi (PI. XLIII).

Le tableau du Prado représente un Arracheur de dents. C'est une fort

belle ceinre qui gagnerait sûrement à être placée moins haut, el en meil-

leur éclairage, d'autant qu'elle s'étend sur une assez grande largeur (1).

On n'y compte pas moins de neuf personnages, un peu plus grands que

nature, vus à mi-corps, se détachant sur une muraille nue. Une table, au

premier plan, surchargée d'ustensiles professionnels constitue lout le dé-

cor ; derrière, se tiennent l'opérateur et son client. L'un et l'autre sont

traités avec une rare habileté.

Le Dentiste ne serait pas déplacé dans un tableau de Corporation, avec

sa joyeuse figure ronde, sa barbiche, son vaste feutre noir, sa fraise et ses

manches à soufflets : il suffirait de remplacer par une chaîne d'or le collier

de molaires qui pend à son cou. C'est un portrait assurément, d'ailleurs

très vivant et.plein de naturel.

La main droite armée d'un davier de petites dimensions, cet aimable

arracheur vient de saisir la dent malade et tandis qu'avec sa main gauche

il maintient solidement sur la table l'un des bras de l'opéré, il regarde

en souriant le spectateur : Attention ! un coup sec et le tour est joué.

La victime est admirable. C'est un jeune homme aux cheveux bouclés,

les vêtements en désordre, l'épaule et la poitrine nues, en belle lumière,

d'une vigoureuse carnation, les muscles tendus, le cou saillant,- la tôle

fortement rejetée en arrière, dans une altitude de défense audacieuse et

très vraie; la main droite se crispe au bras d'un fauteuil, la gauclie se

dresse, grand'ouverte, les doigts en éventail, impuissante et suppliante.

El le relèvement de la lèvre supérieure, et la dilatation des nariues, et

1'écarquillement des yeux ajoutent au réalisme de cette posture violente,

malgré les difficultés du raccourci. Moins de crudité dans les ombres noires

qui le déparent et ce visage angoissé serait un véritable chef-d'oeuvre.

A droite du groupe ainsi formé, se tiennent quatre personnages : un

tout jeune homme à la barbe naissante, coiffé d'un bonnet orné d'une lon-

gue plume. Il se détourne pour regarder un vieillard à barbe grise, qui

du doigt lui montre ses dents. Tout à fait à droite, un soldat, cuirassé,

s'appuie sur une longue épée et tend la main vers l'opéré. Un autre jeune

homme se perd dans l'ombre. les gestes sont un peu compassés et les

poses manquent de naturel.

Mais, au premier plan, devant la table, un homme est assis, qui se

penche en avant el sui t,bouche bée, avec un vif intérêt le duel opératoire.

Ce spectateur est vraiment curieux : son oeil surtout, un peu exorbitant, est

(1) W 1617. - Il, 116. L, 221.

Nouv. Iconographie DE la Salpêtrière

T. XIII. PI. XLIII

UN ARRACHEUR DE DENTS

Tableau de THEOIJORE RoNiBOUTS (i5 ? i6;7). École flamande.

Musée du Prado, à Madrid,

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.

T, XIII, PL. XLIV,

Cliché Hanfgstaengl.

L'ARRACHEUR DE DENTS

Tableau de GRARD HONTHORST fts9o-r6g6), École hollandaise.

Musée de Dresde.

MASSON ET Ci-, Éditeurs.

ARRACHEURS DE DENTS 99

d'une audace extraordinaire; il semble que Rombouts ait voulu représen-

ter la cornée de profil avec.sa transparence. Je ne connais en peinture au-

cun autre exemple de semblable tentative. L'effet esthétique n'en est pas

très heureux; mais l'observation est intéressante. Si l'on regarde en pro-

fil perdu un sujet légèrement exophtalmique on se convaincra que ce tour

de force pictural est parfaitement conforme à la réalité (1).

A. gauche de la composition, un homme vu de profil, la figure dans

l'ombre, se penche pour regarder avec un lorgnon la mâchoire de l'opéré ;

derrière lui, une vieille femme suit d'un air quelque peu méprisant les

péripéties de l'extraction : c'est sans doute parce qu'elle est complètement

édentée.

Sur la table du charlatan, Rombouts a accumulé les accessoires symbo-

liques. On y voit plusieurs pots d'onguent en faïence, dont un porte une

inscription en caractères gothiques : UNG : FO...... le reste est oaché par

une spatule; puis, deux ventouses en verre, un creuset, une petite fiole a

long col, servant peut-être de loupe; des chapelets de dents, un porte-

feuille en cuir, des parchemins munis de sceaux ; enfin, divers instru-

ments figurés avec une scrupuleuse exactitude ; des « polican », des

« déchaussoirs » et des « poussoirs » tels que les décrit et figure A.

Paré.

On voit même sur cette table un trépan tout monté.

Le Dentiste de Rombouts est assurément un habile homme, connaissant

à fond son métier, « car, comme le dit A. Paré, véritablement fauteslre

bien industrieux à l'usage des policans,.à cause que si on ne s'en sçait

bien aider, on ne peut faillir à jetter trois dents hors la bouche, et laisser

la mauvaise et gastée dedans ».....

C'est encore un amateur des éclairages compliqués que le peintre hol-

landais Gn.n.nn IIOV'l'110151' (41;60-1G`0 ? ). Lui aussi abandonna les Pays-

Bas pour aller subir en Italie l'influence de l'école du Caravage. Il y acquit

même une si bonne réputation qu'il n'hésita pas ci troquer son nom patro-

nymique pour celui plus expressif de Gheuaudo DELLA NaTTE (l'1. XLIV).

llontliorst a peint une belle scène de chirurgie dentaire, actuellement

au musée de Dresde, dans laquelle il a donné libre cours ci son goût. pour

les vives oppositions d'ombre et de lumière.

L'opération est éclairée par une unique chandelle qu'un. jeune garçon

tient dans la main droite, la gauche faisant office de réflecteur et se déta.

(1) Cette particularité n'est pas très bien rendue par la photographie ; mais sur

l'original elle est saisissante.

300 UENRY MEIGE

chant en silhouette devant la flamme qui donne aux chairs une demi-

transparence rosée.

Le patient, un homme du peuple, barbu, la chemise entr'ouverte sous

un pourpoint tailladé, est assis sur un fauteuil de bois, la tête renversée

en arrière, soutenue par la main gauche de l'opérateur. Ce dernier, pen-

ché en avant, saisit avec un court davier la dent malade et s'apprête il

l'arracher d'un bref tour de poignet.

Il est sur de la réussite et esquisse à l'avance un sourire de satisfaction.

L'opéxé ne partage pas cette quiétude ; ses yeux convulsés et les plis de

son front indiquent assez son angoisse et sa souffrance.

Quatre personnages, à gauche, deux hommes âgés, une vieille femme

et un jeune garçon contemplent l'extraction avec un vif intérêt.

L'un d'eux maintient le bras droit de la victime dont la main grand'

ouverte s'apprêtait à arrêter le mouvement de l'opérateur.

Comme dans le tableau de Rombouts, les figurants sont vus ami-corps

sur un fond de muraille grise, simplement ornée d'une glace et d'une

paire de ciseaux.

. (A suivre.)

Le gérant : P. HoucHEX.

Imp. J. Thevenot. - Sniot-IJÜter (lIallle-M'lI'lIc).

13e Année N° 4. Juillet-Août

UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

LABORATOIRE DE M. LE PROFESSEUR ED. BUGNION

LE PHÉNOMÈNE DE LA CIIROMATOLYSE

APRÈS LA RÉSECTION DU NERF PNEUMOGASTRIQUE ( ) ),

PAR

CHARLES LADAME.

INTRODUCTION

Au cours de mes recherches sur la localisation des m

nerf pneumogastrique, j'ai eu l'occasion de faire un cer ?

servatlons sur le phénomène de la chromatolyse qui me permirent de me

former une opinion personnelle sur les éléments de la discussion alors ou-

verte dans la Presse médicale (2) entre MM. Van Gehuchten et Marinesco.

L'exposé de ces observations et leur analyse font l'objet du présent tra-

vail. 1.

Au début de celte étude, qu'il me soit permis d'exprimer à M. le Pro-

fesseur Bugnion le témoignage de toute ma reconnaissance pour l'obli-

geance et la libéralité avec lesquelles il mit à ma disposition son labora-

toire et les ressources de sa bibliothèque.

Grâce à M. le Professeur Herzen et à l'intérêt qu'il a bien voulu prêter

à nos recherches, nous avons eu à notre disposition une série d'animaux

auxquels nous avons réséqué le nerf pneumogastrique dans la région du

cou, avec son aide et sous sa haute direction, ce qui donne à nos opéra-

tions les garanties les plus sérieuses.

Nous tenons à exprimer ici toute notre gratitude à M. le Professeur Bu-

gnion et il M. le Professeur Herzen pour la bienveillance qu'ils nous ont

toujours montrée et les excellents conseils qu'ils nous ont prodigués.

Nous avons divisé notre travail en six parties.

Dans la première partie nous exposerons sommairement :

1. Les résultats nombreux et variés obtenus jusqu'ici par la méthode de

(1) Mémoire couronné par l'Université de Lausanne.

(2) Presse médicale, 1898. .

xiii * 20

302 CHARLES LADAME

Nissl, touchant la fine structure analomique de la cellule nerveuse et ses

lésions.

1. Quelques modifications heureuses apportées à cette méthode, en par-

ticulier le procédé de M. Van Gehuchten.

3. La technique spéciale que j'ai employée pour mes recherches.

Un résumé succinct des connaissances que nous possédons sur l'anato-

mie fine des éléments nerveux fera l'objet de la seconde partie.

La troisième partie sera consacrée il l'étude du phénomène de la chro-

matolyse en général.

Je donnerai dans la quatrième partie une analyse critique et la descrip-

tion des coupes des ganglions plexi formes et de la région bulbaire en

connexion avec le pneumogastrique réséqué ; je ferai également une dis-

cussion détaillée de mes expériences à ce propos.

Dans une cinquième partie je discuterai l'interprétation des phénomè-

nes que j'ai observés, en les comparant avec les faits qui ont été publiés

par les divers auteurs.

Enfin dans une sixième et dernière partie je présenterai mes conclu-

sions personnelles sous forme de thèses.

PREMIÈRE PARTIE

MÉTHODE DE NISSL MODIFICATIONS DE VAN GEHUCHTEN ; PROCÉDÉS

TECHNIQUES SUIVIS POUR MES RECHERCHES.

Jusqu'à l'introduction de la méthode de Nissl dans la technique histo-

logique, nos notions sur l'anatomie fine des cellules nerveuses étaient très

élémentaires ; on possédait un schéma général pouvant s'appliquer indif-

féremment à toutes les cellules de n'importe quelle région du 'névraxe.

Grâce à son procédé spécial de coloration, Nissl et les savants qui l'ont

suivi découvrirent de nombreux détails delà fine structure des éléments

nerveux et analysèrent une foule de points importants ignorés jusque-là,

ce qui permit, non seulement de fixer certains types définis de cellules,

mais aussi de reconnaître les modifications subies par ces mêmes éléments

dans leurs divers états physiologiques et pathologiques.

La méthode de Nissl n'a pas seulement le mérite de nous dévoiler les

plus fins détails histologiques des éléments nerveux, elle a une portée

beaucoup plus générale, puisqu'elle met en évidence les modifications

qui s'opèrent dans les cellules nerveuses pendant leur activité fonction-

nelle et les lésions qui résultent d'une intervention expérimentale ou

d'une cause pathologique (1).

(1) Nissl, Lebel' eine neue Unlcrsurhungsniethode des Cenlralorgans, speciell : ,21r

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 303

C'est ainsi que la méthode au bleu de méthylène permet de localiser

dans les centres nerveux les noyaux d'origine des nerfs d'une façon abso-

lument indiscutable (1).

Elle nous autorise en outre à affirmer la nature motrice ou sensible des

noyaux, affirmation, du reste, qui est basée tout autant sur la réaction

physiologique expérimentale des éléments de ce noyau que sur leur mor-

phologie.

Nous n'insistons pas, pour le moment, sur ces divers points que nous

aurons mainte occasion d'approfondir au cours de ce travail. '

La méthode de Nissl ouvre surtout un vaste horizon à la pathologie gé-

nérale et spéciale du système nerveux.

Elle nous révèle en effet des modifications dans la structure des cellu-

les nerveuses qui ont été décrites sous le nom de « dégénérescence de

Nissl » et qui paraissent prendre une importance de plus en plus grande

dans la pathologie générale des centres nerveux.

Cette méthode nous montre dans les cellules nerveuses des lésions qui,

hier encore, étaient absolument insoupçonnées.

Nulle autre méthode que celle-ci n'a plus contribué à restreindre le

domaine des maladies sine materia qui envahissaient naguère la patholo-

gie nerveuse et mentale.

Cependant les faits observés jusqu'ici sont peu nombreux et interprétés

si contradictoirement qu'on ne peut pas toujours leur attribuer une juste

valeur, ni même leur donner une signification quelconque; aussi, à notre

avis, il serait pour le moins prématuré de généraliser en se fondant, sur

les quelques faits isolés déjà enregistrés.

Avant de tirer les conclusions des faits expérimentaux, il faudrait né-

cessairement connaître au préalable les conditions exactes dans lesquelles

les auteurs se sont placés pour leurs expériences.

Pour interpréter scientifiquement, d'une façon exacte el sûre les faits

publiés par les divers observateurs, il est indispensable de posséder les

trois données fondamentales suivantes :

1° Le mode opératoire suivi ;

2° Les conditions concernant les animaux pris comme objets d'expé-

rience ;

3° La technique histologique employée.

C'est seulement lorsqu'on sera en possession de ces données que les

déductions tirées des comparaisons faites entre les diverses observations ! 'esistellung der A'et-ve717elIeîi. Centralblatt f. Nervenheilkunde u. Psych., 1S9J, Juli,

17° année, vol. V, p. 337.

(1) ;\I.111.\Dl, Les progrès réalisés en anatomie du cerveau par la méthode expérimen-

tale. Journal de Neurologie, 20 juin 1898, nt) 13, p. 25S. '

304 CHARLES LADAME

deviendront probantes et que les synthèses auront une portée générale

indiscutable.

En quoi consiste la méthode de Nissl ? .

Nissl préconise la fixation et le durcissement des pièces dans l'alcool.

Il met de petits fragments du système nerveux central dans de l'alcool

à 96°. Sans les enrober, il les colle avec de la gomme arabique pour

les débiter en coupes.

Les coupes sont reçues ensuite dans l'alcool il 96° et colorées par le

bleu de méthylène dans un verre de montre sur la flamme d'une lampe il

esprit de vin; la différenciation a lieu dans un bain d'alcool et d'huile

d'aniline.

Enfin les coupes sont placées sur le porte-objet, traitées par l'huile de

cajeput, la benzine et montées au damai'.

Depuis cette première formule, on a préconisé de nombreuses modifi-

cations, portant sur tous les points du procédé.

Après les avoir toutes expérimentées, nous nous sommes arrêté à la

technique suivante, indiquée par M. Van Gehuchten (1) et dont les résul-

tats nous paraissent très satisfaisants à tous égards.

Nous y avons introduit toutefois quelques légères modifications, que

nous décrirons plus loin.

Voici d'abord le procédé tel qu'il est donné par le savant de Louvain

dans le travail cité plus haut :

1° Fixation des pièces pendant 1/2 heure pour les ganglions spinaux

du lapin dans le liquide de Gilson ;

2° Lavage il l'eau courante pendant 1/2 heure ;

3° Bain d'alcool à 96° + teinture d'iode ;

4° Enrobage dans la paraffine et confection des coupes ;

5° Coloration des coupes dans le bleu de toluidine pendant 5 minutes ;

6° Différenciation dans l'alcool à 94° surveillée au microscope.

Voici la formule du liquide de Gilson (2), fixateur dont M. Van Gehuch-

ten se déclare très satisfait :

Acide nitrique .... 15 centimètres cubes.

Acide acétique glacial .. 4

Sublimé corrosif.... 20 grammes.

Alcool à 60° ..... 100 centimètres cubes.

Eau distillée 880

Ce liquide fixe admirablement et supporte très avantageusement la com-

(1) VAN Geiiuchten et Nelis, Quelques pointa concernant la structure des cellules

des ganglions spinaux. La Cellule, tome XIV, 2° fasc., 1898, p. 34.

(2) Voir aussi BOLLES LLe et HENIOEOUY, Traité des méthodes techniques de l'analo-

mie microscopique, 2° éd., 1896, p. 50.

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 305

paraison avec n'importe quel fixateur tant pour la fidélité de conservation

des éléments histologiques que pour la beauté des colorations (1).

Nous allons exposer maintenant les modifications qu'il nous a paru utile

d'apporter au procédé du savant professeur de Louvain.

Nous ne lavons plus à l'eau, ayant remarqué que les éléments fixés par

l'acide nitrique ou des liquides où il entre en proportion quelconque ne

supportaient guère ce bain ; car ils ont plus de tendance à se déformer

dans l'eau que dans les alcools faibles. Du reste, l3olles Lee (2) recom-

mande tout spécialement de ne pas passer par l'eau après l'acide nitrique.

Immédiatement après la fixation, nous portons en conséquence nos ob-

jets dans l'alcool à 60 0/0, saturé de chlorure de sodium. Après un court

séjour dans ce liquide, nous les passons dans l'alcool à 70 0/0, également

saturé de chlorure de sodium.

Le chlorure de sodium enlève les dépôts de sublimé d'une façon plus

constante et plus complète que la teinture d'iode ; il a le seul défaut de

ne pas se dissoudre en suffisante quantité dans les alcools.

Comme véhicule de la paraffine, nous employons l'essence de cèdre de

préférence au chloroforme ; cette essence pénètre beaucoup mieux les

pièces et ne rend pas les objets cassants ; ellepermet une transition plus

douce des températures en passant de l'alcool à la paraffine. Elle a néan-

moins l'inconvénient d'être difficilement extraite de la paraffine et par sa

présence elle rend fréquente la cristallisation du bloc. Déplus, si elle n'est

pas chassée avec soin, elle gêne beaucoup la coloration ultérieure des

coupes, car elle absorbe les couleurs d'aniline et salit définitivement les

préparations. Il suffit de changer fréquemment la paraffine dans laquelle

sont les pièces en traitement et tous les ennuis de cet excellent véhicule

sont alors facilement évités.

Nos coupes sont collées en séries continues (comme on a coutume de le

faire pour l'embryologie) à l'eau alcoolisée.

La paraffine est dissoute dans un bain de xylol ; un second bain, d'al-

cool ordinaire, est nécessaire pour chasser toute trace de xylol.

On peut alors entreprendre avec succès la coloration des coupes.

La coloration nous a paru réussir beaucoup mieux quand nous passions

nos coupes rapidement à l'eau distillée avant de les abandonner au bain

colorant.

Dans le bleu de toluidine que nous employons de préférence, nos cou-

(1) Mais il ne fixe pas avec une suffisante rapidité, son emploi n'est pas à recom-

mander pour l'étude des figures karyokinétiques. La teneur en sublimé est trop faible,

aussi nous avons augmenté la dose de ce dernier. Nous avons même employé le su-

blimé acétique pour des recherches sur la rage, le Gilson ne permettait pas de se

faire une opinion nette sur la nature des modifications nucléaires.

(2) BOLLES LEE et HENXEGUY, Traité des méthodes techniques, Paris, 1887, p. 29.

306 CHARLES LADAME

pes séjournent de 10 minutes à une demi-heure. Après un rapide lavage

dans l'alcool à 70°, nous plongeons les coupes dans l'alcool à 90° en sur-

veillant constamment la différenciation au microscope.

Le résultat désiré étant obtenu, les coupes passent dans un bain d'al-

cool absolu, puis de xylol, et sont montées au baume-xylol, et sans cou-

vre-objet, comme le recommande van Gehuchten.

Si l'on veut faire une double coloration avec l'éosine ou l'érythrosine,

le meilleur procédé consistera à passer la préparation, d'abord par l'éo-

sine, puis après seulement par le bleu de toluidine.

En procédant ainsi, l'éosine est mieux fixée dans les tissus et n'efface

pas le bleu en s'y substituant, ce qui a lieu invariablement lorsqu'on suit

la marche inverse, c'est-à-dire si l'on commence par le bleu de toluidine.

Dans ce dernier cas le bleu s'efface sous l'influence de la solution aqueuse

d'éosine (par l'effet dissolvant de l'eau sur le bleu de toluidine) et des

alcools faibles nécessaires pour enlever l'excès d'éosine. L'image perd

ainsi sa netteté et prend parfois une teinte rougeatre uniforme (1).

En nous basant sur l'excellent procédé de M. van Gehuchten, auquel

nous avons apporté les quelques modifications ci-dessus mentionnées,

voici le schéma que nous avons adopté pour la technique de nos recher-

ches :

1° Fixation des pièces dans le liquide de Gilson, de 1/2 heure à 1 heure

suivant leur volume ;

2° Rapide lavage dans l'alcool à 60°, pendant quelques secondes ;

3° Bain d'alcool à 60°, saturé de NaCl (2 à 3 heures) ;

4° Bain d'alcool à 70°, saturé de NaCI (2 à 3 heures) ;

5° Bain d'alcool à 80°, saturé de NaCI (6 à 12 heures) ;

6° Bain d'alcool à 96° (12 heures) ;

7° Bain d'alcool absolu (12 à 24 heures) ;

8° Alcool absolu + essence de cèdre, ââ (1/2 à 1 h. 1/2) ;

9° Bain d'essence de cèdre (1/2 heure) ;

10° Essence de cèdre + paraffine, ââ (1 à 2 heures sur l'étuve à 30°) ;

11° Paraffine souvent renouvelée (24 à 36 heures) ;

Les coupes de 0 m. 001 sont collées à l'eau alcoolisée :

12° Les porte-objets sont mis sur l'étuve à 30° (12 à 24 heures) ;

13° Bain de xylol pur (au plus 3/4 d'heure) ;

14° Bain d'alcool à 96° (maximum 1 heure) ; ,

15" Rapide passage à l'eau distillée (quelques secondes) ;

16° Bain de bleu de toluidine (10 à 20 minutes) ;

17" Rapide rinçage à l'alcool à 70° ;

(1) Les couleurs d'aniline se substituent très facilement les unes aux autres comme

on le'sait.

· LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 307

18° Différenciation dans l'alcool à 9go (il suivre au microscope) ;

19° Alcool absolu, xylol, baume, sans couvre-objets.

Nous avons fixé les pièces de deux de nos expériences dans le formol

à 5 0/0 et à 10 0/0 ; ces pièces ont été traitées subséquemment comme

toutes les autres, d'après la méthode que nous venons d'exposer.

Ces essais nous ont démontré que le formol, même à 10 0/0 est loin de

fournir d'aussi bons résultats que le liquide de Gilson, pour la fixation

des éléments nerveux.

Les cellules se sont rétractées d'une façon très sensible dans le formol ;

toutefois, malgré ce défaut, les images sont restées nettes et les colorations

ont pleinement réussi.

Cette rétraction des cellules ne permet pas d'être très affirmatif quant

à la question de l'existence d'une turgescence. Cependant, étant donné

que toutes les cellules d'une même préparation sont rétractées uniformé-

ment, elles conservent la même grandeur relative les unes par rapport

aux autres, de sorte qu'on peut toujours les comparer entre elles et avec

les éléments traités de la même façon. C'est ce qui a lieu par exemple

pour les ganglions symétriques.

Les mensurations n'auront alors évidemment pas une valeur absolue,

mais conserveront toute leur valeur relative.

Nous avons donné la préférence au bleu de toluidine (1) qui se manipule

plus simplement que le bleu de méthylène, et dont la différenciation au

microscope peut être plus aisément surveillée ; quand on emploie le bleu

de toluidine on peut arrêter en effet cette différenciation sans inconvé-

nient au moment voulu, c'est-à-dire lorsque la substance achromatique

est complètement décolorée, ce qui ne réussit pas aussi facilement avec le

bleu de méthylène.

La coloration il la toluidine est nette, intense, agréable à l'oeil. Quoi-

qu'elle se porte aussi bien sur les cellules névrogliques et conjonctives que

sur les éléments nerveux, elle agit cependant d'une façon si discrète sur

les premières que l'observation des cellules nerveuses n'en est nullement

gênée.

Le bleu de méthylène et le colorant de Sahli, qui donnent de fort bel-

les préparations comme on le sait, ne sont cependant pas préférables au

bleu de toluidine, car ils colorent uniformément tous les éléments figurés

des coupes et d'une façon si intense que les cellules nerveuses ne sont

pas suffisamment différenciées des autres éléments et que les noyaux

d'origine des nerfs ne ressortent pas nettement délimités dans la coupe,

ainsi que cela a lieu avec le bleu de toluidine.

(1) Bleu de toluidine 0 gr. 03.

Eau distillée 100 ce.

308 CHARLES LADAME .

L'avantage du colorant de Sahli est qu'il permet de suivre les prolon-

gements protoplasmaliques sur une plus grande étendue.

Enfin nous avons remarqué que le bleu de toluidine est plus stable

comme colorant que le bleu de méthylène; nous possédons en effet depuis

tantôt deux ans de belles séries qui sont aussi nettes qu'au premier jour,

tandis que nos coupes colorées à la même époque avec le bleu de méthy-

lène ont déjà beaucoup perdu de leur netteté, la couleur ayant diffusé dans

le protoplasma cellulaire.

DEUXIEME PARTIE

ANATOMIE FINE DE LA CELLULE NERVEUSE.

On divise actuellement les éléments nerveux en deux grands grou-

pes (1), les cellules caryochromes et les cellules somatochromes, selon

que les couleurs basiques d'aniline se fixent sur le noyau ou sur le pro-

toplasma cellulaire.

Les cellules somatochromes sont de beaucoup les plus répandues et les

mieux connues. Elles feront seules l'objet de notre étude, les cellules ca-

ryochromes n'entrant pas dans la composition des ganglions etdes noyaux

moteurs du pneumogastrique.

Le neurone.

Les neurones se composent d'un corps cellulaire avec un prolongement

cellulifuge, l'axone, et des prolongements cellulipètes, dendrites.en nombre

variable.

Le protoplasma est composé de trois parties constituantes : une partie

achromatique figurée, une partie achromatique liquide, une partie chro-

matique.

La partie achromatique n'est pas colorable parles couleurs basiques

d'aniline ; elle est mise en évidencé, soit par l'éosine, soit par l'érylhro-

sine ; elle forme la trame même de la cellule et de ses prolongements. Sa

structure est encore indéterminée, fibrillaire pour les uns : llax Schulze(` ? ),

(1) Van GEIIl'CIITF,lI, L'analomie du système nerveux de l'homme, 2e édition, 1897,

p. 169 et suiv. et p. 3` ? -2S : i.

L'anatomie fine de la cellule nerveuse. Rapport de ilfoscuu. La Cellule, t. XIII,

2° rase., 1897, p. 318.

(2) MAX Schulze, Allgemeines Mer die Slruclurelemenle des Neruensyslems. Stric-

ker's Ilandbuch, vol. 1, 18îl, p. 108.

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 309

Flemming (1), Ranvier (2), Kronthal (3), Nissl (4), Benda (5),

Lugaro (6), Dogiel (7), Levi (8), réticulée ou spongieuse selon d'autres :

Van Gehuchten (9), Marinesco (10), Ramon y Cajal (11), V. Lenhos-

sek (12), Held (13), etc.

Cependant Van Gehuchten réserve son opinion en ce qui concerne la

structure de la substance achromatique des cellules des ganglions.il s'ex-

prime, en effet, comme suit : « Les recherches que nous avons faites

nous-même sur la structure du protoplasme des cellules des ganglions

spinaux ne nous ont pas conduit à des résultats assez positifs pour pren-

dre position dans le débat » (14.).

Une modification spéciale delà méthode d'Ehrlich au bleu de méthylène

a permis il Il. Rethe (15) de démontrer d'une façon si nette la constitution

fibrillaire de la partie achromatique que Von Lenhossel; lui-même(16) a été

convaincu et s'est tout récemment rangé cette opinion. '

(1) rt.Fnnmc, Vom Bau der Syinalganyzellen. Beitrage z. Anat. et Emb. als Festgabe,

Bonn, 1882; Ergabnisse der Anat. f. Entwickel. Merkel et Bonnet, vol. VI, 1896,

p. 219.

(2) Ranvier, Traité technique d'histologie, 1889.

(3) IRa\THAL, Hislologisches von den Grosse ? : Zellen in den Vordernhbrnen. Neuro-

log. Centralblatt. mindel, 9e année, 1890, p. 40.

(4) NISSL, 3litifieilitiigeiz : ;1l1' Anat. des \'eoverzellezz, Allgem. Zeitschrift f. Psychia-

trie, Bd. 50, 1994.

(5) BENDA, Ueber die Bedeutung der durch basiche Anilinfarben darslellbaren Ner-

ven : ;ellenstl'uctll1'. Neurol. Centralblatt, 14e année, 1895, p. 159.

(6) LuoAno, Sulla valore 1'ispettivo etc. Rivista di pathologia nervosa e mentale,

1896, p. 12.

(7) Dogiel, De)- Bau der Spinalganglien bei den Siiuhethie1"en. Anat. Anzeig., 1896,

p. 150.

(8) Levi, Richerche citologiche compare sulla cellula nervosa dei Vertebrati. Ri-

vista di pathologia nervosa e mentale, mai-juin 1897 ; Contribztta a la tisiologia délia

cellula nervosa. Rivista di pathologia nerv., 1896.

(9) VAN Gehuchten, Analomie du système nerveux de l'homme, 21 édition, Louvain,

1897 ; L'anatomie fine de la cellule nerveuse. Tirage à part du Rapport de Moscou,

« la Cellule », t. XIII, 2e rase., 1897, p. 320.

(10) Marinesco, Nouvelles recherches sur la structure fine de la cellule nerveuse.

Presse médicale, juin 1897.

(11) RAMON Y Cajal, Die Sfruclu· der Nervosen protoplasma. Monatschrift f. Psych.

und Neurolog., février 1897, p. 156.

(12) VoN Lenhossek, Ueber den Bau der Spinalganglienzellen des Menscheaz. Archiv.

f. Anat. u. Psych., Bd 2 q., 1897.

(13) HELO, Beilî,âge z. Sfl'uct1l1' der Nervenzellen und Virer Fortsiitze. Archiv f. anat.

u. phys, Anatom. Abtheilung, 1895.

(14) VAN Gehuchten, Rapport de Moscou, tirage à part de « la Cellule », 1897, p. 336.

(15) BErue, Ueber die l'oimilivfebrillen den Gangliezxzellen vom Menschen f. and.

TT.'irbéltlzieren. 111orphol. Arbeiten, lierausgegeben von S. Schwalbe, 1898, B. VIII,

p. 95.

(16) V. LENHossrK. Neurologisches Centralblatt, 1898, p. 9{4 (résumé critique du pré-

cédent). il

310 CHARLES LADAME

La substance achromatique forme également la trame de l'axone et des

prolongements protoplasmiques.

Le liquide cellulaire remplit complètement les espaces interfibrillaires

ou les mailles du réseau. Il imprègne ainsi la cellule tout entière. Il est

incolore, transparent et ne devient visible que lors de la chromatolyse, au

moment de la dissolution dans son sein des blocs chromatiques. Il prend

alors une teinte plus ou moins foncée selon l'intensité des phénomènes de

chromatolyse.

La substance chromatique, appelée aussi substance tigroïde par V. Len-

hossek'est colorable par les couleurs basiques d'aniline, mais on ignore

encore sa composition chimique.

Elle se présente sous forme de très fines granulations qui se fixent sur

les trabécules achromatiques, formés par l'entrecroisement des fibrilles.

En s'agglomérant ces granulations constituent des blocs plus ou moins

volumineux de substance chromatique, dont le nombre et la forme sont

très variables.

Nissl, van Gehuchten et Nélis, Lugaro et d'autres auteurs, ont groupé

les cellules nerveuses en divers types caractérisés précisément par la

quantité plus ou moins grande des corpuscules, ainsi que par leur mode

de répartition dans le protoplasma cellulaire.

« Ce qui caractérise les cellules des ganglions spinaux, dit V. Gehuch-

ten dans son rapport de Moscou, et ce qui les différencie des cellules

motrices, c'est la forme spéciale sous laquelle s'y présente le plus souvent

la substance chromatique (1). » 1

La substance chromatique joue le grand rôle, ou du moins le rôle visible

dans le phénomène de la chromatolyse ainsi que nous le verrons dans la

troisième partie de ce travail.

Nous disons « le rôle visible », car on ne peut savoir ce qui se passe

dans la substance achromatique par les moyens techniques en usage au-

jourd'hui. Les méthodes d'investigation devronL être encore considérable-

ment perfectionnées pour que l'on arrive à mettre en évidence les phéno-

mènes intimes qui se passent dans la substance achromatique pendant la

chromatolyse. ,

L'organisation des corpuscules de Nissl incrustés sur les trabécules de

la substance achromatique dépend de la disposition de la trame de cette

dernière, et varie nécessairement avec les modifications qu'elle subit.

Il résulte de cette disposition que l'image cellulaire dépendra exclusi-

vement de l'organisation de la substance chromatique rendue seule visi-

ble par les colorants.

(1) V. Gehuchten, liapponl de Moscou, tirage part de « la Cellule », 1897, p.336.

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 311 f

On obtient ainsi en quelque sorte une image négative, mais il ne fau-

drait pas oublier que la positive n'en existe pas moins, bien qu'elle

échappe encore à notre investigation.

Pour Van Gehuchten, la substance achromatique représente la partie

principale, essentielle du neurone, la substance chromatique n'étant que

secondaire, nullement indispensable à l'élément nerveux, c'est une

« espèce de substance de réserve qui s'accurnule dans le protoplasma

cellulaire pendant l'état de repos du neurone, qui diminue pendant son

activité fonctionnelle, qui se désagrège et se dissout dès que le neurone

est lésé dans son intégrité anatomique ou fonctionnelle. Cette substance

chromatique n'existe d'ailleurs pas dans toute cellule nerveuse; elle n'est

donc pas indispensable à la vie du neurone » (1).

La substance chromatique se trouve dans les cellules motrices et dans

les cellules des ganglions spinaux, qui ne diffèrent entre elles à ce point

de vue que par l'abondance plus ou moins grande des granulations et par

leur mode de répartition. Ces différences ne sont même pas essentielles.

Il suffit en effet de parcourir quelques coupes du ganglion plexiforme en

voie de réparation après la résection du nerf pneumogastrique pour re-

trouver à tous les stades dé la réparation les cellules ayant toutes les

apparences d'une cellule motrice normale.

On peut encore se convaincre de ce fait en examinant des cellules mo-

trices en voie de chromatolyse à la suite de la section de leur axone. On

trouve alors très fréquemment des cellules motrices à des degrés divers de

la dissolution de leur substance chromatique rappelant avec une exactitude

parfaite des types bien définis de cellules des ganglions cérébro-spinaux.

Si l'on examine un ganglion normal, on y trouve toute une série de

types cellulaires, comme les recherches de Lugaro, de V. Gehuchten et

Nelis l'ont établi, toute une gamme de nuances de la cellule foncée à la

cellule claire de Lugaro.

Il en est de même dans le ganglion en réparation. On y voit simultané-

ment des cellules ayant heureusement franchi l'étal de chromatolyse, dont

tous les blocs se sont fondus, mais qui commencent à refaire leurs gra-

nulations, à côté d'autres cellules absolument normales par tous leurs

caractères morphologiques, mais qui renferment une telle abondance de

blocs volumineux qu'elles ressemblent d'une façon frappante au type

foncé de Lugaro. Selon la définition de Nissl, ces cellules sont à « l'état

pychnomorphe ». '

Les prolongements protoplasmiques sont envahis eux aussi par les cor-

puscules de Nissl, qui s'allongent dans le sens de l'axe du prolongement

(1) V. Gehuchten,- Rapport de Moscou, p. 332

312 CHARLES LADAME

et se présentent sous la forme de fins bâtonnets de longueur variable.

L'axone est toujours privé de blocs chromatiques, ce qui permet de le

distinguer des prolongements protoplasmiques.

Le protoplasma est également dépourvu de substance chromatique au

point d'émergence de l'axone.

Ce point, dit « cône d'origine de l'axone », est composé uniquement

par de la substance achromatique.

Toutes les cellules ganglionnaires possèdent un cône d'origine nettement t

distinct. -

D'après van Gehuchten (1), ce cône peut faire défaut dans les cellules

motrices.

Nous devons dire tontefois que nous l'avons trouvé à peu près cons-

tamment, dans les grosses cellules du type moteur de la formation réticu-

lée du bulbe et dans le noyau du nerf hypoglosse, chez le lapin.

Tout neurone possède encore un noyau sphérique, vésiculeux, volumi-

neux, dont les couches périphériques sont condensées en une membrane

nettement distincte qui le sépare du protoplasma cellulaire.

Cette membrane est cachée parfois par l'abondance des granulations de

Nissl. Souvent même chez le lapin elle est complètement invisible dans

les cellules normales qui sont riches en blocs chromatiques : elle apparaît

dans la chromatolyse.

Le noyau renferme un ou plusieurs nucléoles basophiles. Le réseau

nucléinien est acidophile, peu abondant et pas toujours visible.

TROISIÈME PARTIE

DU PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE EN GÉNÉRAL.

Nous nous contenterons d'exposer très sommairement dans cette troi-

sième partie les notions fondamentales qui concernent le phénomène de

la chromatolyse et qui sont déjà acquises à la science.

Les auteurs sont d'accord sur la plupart de ces notions.

Ces notions générales nous sont maintenant indispensables pour l'intel-

ligence de l'exposé analytique qui fera l'objet de la quatrième partie de

notre travail. '

Quant aux points qui sont encore en litige, nous nous réservons de les

discuter lorsque nous nous occuperons de l'interprétation des faits obser-

vés dans nos propres expériences.

La réaction des cellules nerveuses, qui se manifeste à la suite d'une lé-

(1) V. Gehuchten, Rapport de Moscou, p. 342.

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 313

, sion quelconque du neurone et que Marinesco a nommée « chromalolyse »,

consiste essentiellement dans la désagrégation et la dissolution des blocs

de Nissl au sein du liquide cellulaire, avec une turgescence du corps de

la cellule et un déplacement du noyau.

La désagrégation et la fonte des blocs chromatiques est un phénomène

universellement admis. Les auteurs sont d'accord aussi pour reconnaître

l'existence constante du gonflement des cellules et le rapport directement

proportionnel qui existe entre l'intensité de la lésion et la turgescence du

corps cellulaire.

On ne rencontre de divergences d'opinion que sur certains points de

détail.

Nous verrons bientôt que les résultats de nos nombreuses mensurations

n'ont pas confirmé l'existence de la turgescence comme phénomène régu-

lier et constant de la chromatolyse.

Tous les auteurs constatent le déplacement du noyau, mais ils l'inter-

prètent diversement. Selon les uns, le noyau est passivement refoulé à la

périphérie, comme un corps étranger, par la turgescence cellulaire ; selon

d'autres, le noyau est lui-même actif dans son déplacement.

C'est à cette dernière conclusion que nous sommes également arrivé.

Ces trois phénomènes concomitants, la désagrégation et la fonte des

blocs, la turgescence du corps cellulaire et le déplacement du noyau,

constituent la ire phase de la chromatolyse.

C'est la phase de la chromatolyse proprement dite, appelée encore la

phase de dissolution des blocs chromatiques, que Marinesco a dénommée

« phase de réaction ».

A celle première phase succède la phase de réparation, ou de reconsti-

tution qui a toujours lieu, si la lésion n'a pas provoqué l'atrophie de la

cellule par une réaction trop violente.

Les cellules des neurones moteurs réparent leur réserve chromatique

plus facilement, plus rapidement et plus fréquemment que les cellules

des neurones sensitifs.

Ce point est cependant encore en discussion. On a môme prétendu que

les cellules des neurones sensitifs s'atrophiaient fatalement et disparais-

saient à la suite de la phase de réaction.

Dans son rapport au Congrès de Moscou, Van Gehuchten dit textuelle-

ment : « Cette cellule (la cellule sensitive) parcourt donc, comme la cel-

lule motrice, et même plus rapidement que cette dernière, la phase de

dissolution des éléments chromatoptiles. Mais alors, au lieu de réorga-

niser sa partie chromatique utilisée, elle se désorganise et disparaît (1). »

(1) Van Geuccnrav, loc. cit., p. 31;i.

3H CHAULES LADAME

Nous verrons plus loin (1) que le savant professeur de Louvain a mo-

difié son opinion à la suite de nouvelles observations et qu'il admet

actuellement aussi la « réparation » des cellules sensitives.

Nos expériences établissent également la réalité de ce fait.

La chromatolyse se manifeste dans les cellules nerveuses quand elles

sont directement atteintes par un agent toxique ou infectieux, ou bien

lorsque les prolongements du neurone, l'axone et les dendrites sont lésés

d'une façon quelconque : on la constate en effet après la ligature, la sec-

lion, la résection ou l'arrachement du nerf ; on la constate après la simple

compression du nerf.

Le phénomène de la chromatolyse diffère suivant les cas.

La chromatolyse est autre dans les neurones moteurs et dans les neu-

rones sensitifs.

Elle n'est pas la même chez tous les animaux, variant suivant t'age et

suivant l'espèce.

Elle varie suivant le mode expérimental ou la nature de la lésion.

II résulte de ces faits que les processus de réaction, de réorganisation

ou d'atrophie se présentent différemment aux observateurs qui ne se sont

pas placés dans les mêmes conditions. Voilà pourquoi il est de la plus

haute importance, comme nous l'avons déjà dit, de spécifier très exac-

tement les multiples conditions des expériences et des observations.

Nous n'insisterons pas plus longuement ici sur ces divers points, car

nous aurons l'occasion de les analyser avec plus de détails lorsque nous

aurons terminé l'exposé de nos expériences ; c'est alors seulement que

nous serons à même d'en saisir, toute la portée.

QUATRIÈME PARTIE

EXPÉRIENCES PERSONNELLES.

Trois espèces animales ont été utilisées pour nos expériences : deux

lapins, deux chiens et deux chais.

Tous nos animaux ont été opérés de la même façon : après les avoir en-

dormis par le chloroforme, nous avons réséqué le nerf pneumogastrique

chez tous, dans la région cervicale, sur une longueur variant de un à deux

centimètres, en prenant les précautions aseptiques les plus rigoureuses.

Selon les dispositions anatomiques, qui varient comme on le sait, chez

ces diverses espèces, nous avons réséqué : le vago-sympathique chez les

(l) VAN Gehuchten, Les phénomènes de réparation dans les centres nerveux après

la section des nerfs périphériques, La Presse médicale, 4 janvier 1899, p. 3.

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 315

deux chiens et chez un chat qui présentait une anomalie ; chez le second

chat, nous avons fait une simple résection du vague et arraché le sympa-

thique ; chez les deux lapins, nous avons réséqué le pneumogastrique

et arraché le sympathique. '

Nous avons eu soin de .nous assurer que les animaux étaient parfaite-

ment sains et vigoureux avant toute intervention opératoire.

Tous ont également bien supporté l'opération. La plaie s'est toujours

fermée très rapidement, par première intention, sans traces de suppura-

tion.

Après un laps de temps plus ou moins long, variant du 7c au 195° jour

après l'opération, nos animaux ont tous été invariablement tués par le

chloroforme et leurs organes, enlevés immédiatement après la mort, ont

été traités par les procédés techniques déjà décrits dans la première par-

tie de ce mémoire.

Nous arrivons maintenant à l'exposé de nos expériences; nous le ferons

suivre d'une analyse détaillée et d'une discussion de chaque cas, en rele-

vant chemin faisant, les points les plus importants qui serviront à établir

nos conclusions.

L'analyse et la description de nos coupes sont accompagnées de nom-.

breuses figures.

Les grossissements très variés auxquels nous avons eu recours nous ont

obligé à employer les lentilles de divers constructeurs.

Ainsi, pour les vues d'ensemble de la moelle allongée, nous avons uti-

lisé les lentilles et la chambre claire de Seibert dont le champ est très

étendu.

Tandis que les vues d'ensemble des ganglions plexiformes permettaient

parfaitement l'emploi des lentilles de Leitz.

Pour les forts grossissements, nous avons fait uniquement appel aux

lentilles de ce dernier constructeur.

Les dessins à ces grossissement ont été faits de préférence avec la

chambre claire de Zeiss.

Nous nous contentons de donner ici ces indications générales, chaque

dessin étant accompagné d'une légende complète, dans laquelle entre autres

choses le lecteur trouvera les renseignements précis au sujet des lentilles

utilisées dans chaque cas. '

Expérience I.

Lapin adulte auquel on a réséqué, daus la région du cou, le pneumogastri-

que droit sur une longueur d'un centimètre; du même côté ou arrache le nerf

sympathique.

L'animal se porte parfaitement bien, il n'y a pas de suppuration. Sept jours

après l'opération le lapin est tué par le chloroforme; à l'autopsie on constate

316 C UAIILES LADAME

un léger névrome au bout central du nerf réséqué, pas de réunion des deux

bouts du nerf. 1

La moelle allongée et les ganglions plexiformes droit et gauche sont enlevés

immédiatement après la mort et fixés dans le liquide de Gilson. Traitement

subséquent comme il a été dit dans la première partie de ce travail.

Examen microscopique, analyse et discussion des préparations.

a) Moelle allongée. - Les noyaux des nerfs réséqués se distinguent déjà à

un faible grossissement par la coloration uniformément bleu pâle de leurs

éléments.

, Toutes les cellules ne sont pas cependant en chromatolyse. Quelques-unes

en effet sont parfaitement normales, dans le noyau dorsal et dans le noyau

ambigu. Ce phénomène est dû, non pas à une résistance plus grande de ces

cellules, mais au fait que le pneumogastrique a été réséqué après avoir émis

déjà des branches collatérales.

Un fort grossissement nous présente les cellules dans la phase nettement

caractérisée de dissolution des blocs chromatiques : le protoplasma cellulaire a

une teinte bleue uniforme, plus foncée à la périphérie où l'on rencontre çir et ta

des blocs non encore désagrégés (Pl. XLV, b. c.).

Le pourtour du noyau est de même plus foncé que le centre de la cellule.

. Le noyau est bordé d'une couronne de blocs de substance chromatophile

groupés ou agglomérés.

On ne peut absolument pas distinguer de blocs isolés dans certaines cellules

(PI. XLV, a), ils s'amassent et s'agglomèrent en tas qui forment une bordure

plus ou moins continue, très foncée, encerclant le noyau en tout ou en partie.

D'autres groupes de blocs se tassent. à la périphérie cellulaire et se placenta la

suite les uns des autres, formant ainsi une bordure souvent discontinue.

Dans la cellule normale les blocs n'occupent pas une semblable position, et

ne sont jamais agglomérés. Ils restent distincts et isolés les uns des autres

quelqu'abondants qu'ils soient.

Du reste, on peut observer une série de formes de transition entre l'ordon-

nance des blocs dans la cellule normale et ces agglomérations pathologiques.

Nous avons pu suivre plus rigoureusement ce phénomène dans les cellules

des ganglions plexiformes. Aussi n'insisterons-nous pas pour le moment sur ce

point.

Le noyau des cellules en chromatolyse est refoulé à la périphérie, faisant

saillie, parfois même hernie.

Le'nucléole est vivement coloré ; il est resté au centre du noyau.

Afin de nous rendre compte de la turgescence mentionnée par les auteurs,

nous avons mesuré un certain nombre de cellules normales et pathologiques,

appartenant aux noyaux dorsaux du vague et aux noyaux ambigus.

Les mensurations ont été faites avec l'oculaire micromètre 2 de Nachet, et

l'objectif 7.

1 division micrométrique (2/7) - 0,0027 millimètres.

Nous n'avons pas réduit en u les divisions lues, car il nous a semblé plus

Nouv. Iconographie DE la SALPh1k'l.k" T. XIII. Pl. XL\ \

Expérience I

' Expérience II

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE

APRÈS RÉSECTION DU NERF PNEUMO-GASTRIQUE

(Ch. Ladainc.)

Mns"on c C ? EdItCll1"

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 317

pratique pour la lecture de donner directement les divisions micrométriques.

Les rapports du tableau ci-dessus sont chiffrés en fractions, dont le numé-

rateur représente en divisions micrométriques le plus petit diamètre de la

cellule, le dénominateur étant le chiffre de son plus grand diamètre :

Noyaux dorsal et ambigu normaux.

Lapin, 7 jours. 51 cellules mesurées sur 2 coupes.

318 CHARLES LADAME

donc pas, d'après nos observations, de turgescence véritable, mais bien plutôt

une déformation du corps cellulaire.

S'il s'agissait d'une vraie turgescence, on constaterait toujours par les me-

sures des diamètres une augmentation du volume de la cellule, tandis que nos

chiffres n'indiquent aucune augmentation du corps cellulaire, car les variations

de longueur des diamètres ont lieu inversement l'un de l'autre, c'est-à-dire

que lorsqu'un diamètre augmente l'autre diminue dans la même proportion.

La cellule s'étire, s'allonge dans le sens de migration du noyau, ce qui me

paraît témoigner en faveur du déplacement actif de celui-ci. Ceci s'observe si

fréquemment qu'il semble bien difficile de l'interpréter dans le sens d'une

expulsion passive du noyau causée par une turgescence qui en réalité est bien

loin d'être démontrée.

La déformation des cellules s'observe déjà facilement dans les noyaux mo-

teurs du pneumogastrique, mais elle atteint une telle netteté dans les cellules

des ganglions plexiformes qu'il est impossible de la contester ; nous reviendrons

sur ce sujet lorsque nous décrirons la chromatolyse dans les ganglions.

b) Ganglion plexiforme droit (coupes transv.). - Toutes les cellules du

ganglion droit (PI,XLV, G. p. d. I), à quelques très rares exceptions près, sont

manifestement en chromatolyse; le protoplasma est d'une teinte bleue foncée

uniforme avec bordure chromatique péricellulaire et périnucléaire plus ou

moins complète ; le noyau est excentrique, faisant souvent une forte hernie ;

il est parfois teinté de bleu uniformément.

Les stades les plus divers de l'état de réaction sont réunis ici et l'on peut

suivre le processus de la chromatolyse de la cellule normale jusqu'à la phase

ultime de la réaction.

Nous avons d'abord un type assez peu répandu formant le premier stade de la

chromatolyse (PI. Xf ? d),les cellules possèdent encore tous leurs blocs chroma-

tiques, mais ceux-ci sont dispersés dans le protoplasma cellulaire sans aucun

ordre au lieu d'être ordonnés selon les divers types connus. Ils remplissent

complètement la cellule. Celle-ci a une apparence plus foncée, mais il n'y a

pas encore de désagrégation des blocs, et l'on peut distinguer entre eux le

protoplasma qui est parfaitement clair et incolore, ce qui donne encore plus

de relief à la substance chromatophile. A ce moment, le noyau est déplacé

déjà plus ou moins vers la périphérie ; il est excentrique, mais tout à fait

normal ; ses limites sont dissimulées par l'abondance des blocs qui s'accumulent

à son pourtour, exactement comme dans la cellule normale. Le nucléole est

central et fortement coloré.

Un second stade nous présente, à peu de chose près, le même tableau

(Pl. XLV, e), la seule différence à signaler, c'est la teinte légèrement d'un bleu

pâle, prise par le protoplasma, sans qu'il soit toutefois possible de distinguer

quels blocs ont diffusé.

Après une série de transitions insensibles, nous atteignons un type mieux

caractérisé.

Nous trouvons comme tout à l'heure les blocs de Nissl répandus au hasard

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 319

dans la cellule. Il en existe partout, sauf en un point (PI. XLV,f) qui est en plein Il

dans le corps cellulaire et à égale distance, ou peu s'en faut, de ses bords in-

terne et externe. C'est là qu'a débuté la fonte des éléments chromatophiles et

leur refoulement à la périphérie cellulaire et nucléaire.

La cellule apparaît ainsi foncée avec une tache claire dans son milieu, le

noyau émigré à la périphérie et commence déjà à faire saillie hors de la cellule

(PI. XLV, g) ; sa membrane devient plus évidente, surtout du côté qui s'appli-

que au bord cellulaire, car les blocs chromatiques font défaut à cet endroit. Le

noyau est encore normal et globuleux. Le nucléole central est vivement coloré.

Dans les stades suivants (PI. XLV, g, h), la tache centrale s'agrandit de plus

en plus en tous sens, tant par la dissolution progressive, des corpuscules de

Nissl que par leur refoulement et leur tassement à la periphérie cellulaire et

nucléaire.

En parcourant les nombreuses coupes du ganglion plexiforme du lapin sa-

crifié sept jours après la résection du nerf pneumogastrique, j'ai pu me con-

vaincre de la réalité de cette fonte qui envahit graduellement la cellule comme

une tache d'huile.

La cellule prend ainsi un aspect de plus en plus clair avec une bordure

foncée en forme de cupule qui enchâsse le noyau. Celui-ci a complètement

émigré à la périphérie ; dans un grand nombre de cellules, il fait même forte-

ment hernie ; sa membrane est devenue nettement visible, de sorte qu'il fait

saillie sous forme d'une grosse vésicule sphérique (P. XLV. i)

La partie de la membrane qui est hors de la cellule est fréquemment dé-

formée et froissée.

Le stade que nous venons de décrire est le plus largement represemLe dans

le ganglion que nous étudions, il s'observe sur les trois quarts des cellules

environ.

Nous avons parlé plus haut du tassement et de la fonte des corpuscules de

Nissl. Un grand nombre de cellules sont tout à fait claires et présentent une

teinte uniforme. Le protoplasma de quelques cellules, cependant, est parsemé

de fines granulations qui lui donnent une apparence chagrinée et légèrement

plus foncée que dans le cas précédent. A la périphérie des cellules on voit un

liseré foncé, parfois même très foncé, et plus ou moins large. En examinant

cette bordure attentivement on ne peut réussir que très rarement â y y distinguer

des blocs isolés ; le plus souvent le liséré est formé par une masse homogène,

compacte, résultant de la réunion des blocs agglomérés et composée de quel-

ques fragments rubanés placés bout à bout.

Nous pensons qu'on peut expliquer la genèse de cette bordure compacte par

une activité exceptionnelle de la réaction, qui est alors si rapide que les blocs

n'ont pas le temps de se dissoudre avant d'être refoulés à la périphérie cellu-

laire.

D'après nos mensurations les dimensions du noyau n'ont pas changé. Il est

déformé et sa position n'est pas normale.

Dans les noyaux normaux les rapports des deux principaux diamètres ten-

320 CHARLES MADAME

dent vers l'unité et sont égaux. Nous avons relevé les cbilfres suivants : 4/4,

5/5, 3/3, presque sans exception sur plusieurs centaines de noyaux, tandis

que pour les cellules dont le noyau est déformé ou fait hernie, nous avons noté

dans environ trois cents mensurations les rapports suivants comme types

habituels : 4/3, 3/2, 4/2, 5/3, 5/2.

On voit donc que si les diamètres sont devenus inégaux, le noyau a conservé

son volume normal.

On rencontre enfin dans les coupes de ce ganglion des cellules représentant

le stade ultime de réaction, cellules dans lesquelles la fonte chromatique est

parachevée. La cellule tout entière est d'un gris bleu sale, sans bordure péri-

nucléaire ou péricellulaire, le noyau fait une forte saillie à la périphérie. Ces

cellules sont dans quelques cas (1 fois sur 100 environ) démesurément agran-

dies.

Comparées à celles du ganglion gauche, les cellules du ganglion plexiforme

droit, nous donnent à très peu de chose près des chiffres identiques, ainsi que

le démontre le tableau ci-dessous.

Le numérateur des fractions du tableau suivant représente le plus petit

diamètre de la cellule, son plus grand diamètre est représenté par le dénomi-

nateur.

Toutes les mensurations ont été faites avec le micromètre oculaire 2/7 de

Nachet et nous avons chiffré les rapports directement en divisions micromé-

triques lues, ce qui facilite la lecture de ces nombreux chiffres :

Ganglion plexiforme droit. Pathologique.

Lapin 7 jours. 105 cellules mesurées sur 4 coupes.

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 321

Ganglion plexiforme gauche. Normal.

Lapin 7 jours. 105 cellules mesurées sur 4 coupes.

322 CHARLES LADAME

noyau est central ou légèrement déplacé; la cellule, de volume normal, n'est

pas déformée dans la plupart des cas.

Un petit nombre de cellules (PI. XLV,I) nous présente le stade de la tache clai-

re au sein du protoplasma. Cette tache est plus ou moins envahissante, fond

en est semé de granulations ténues ; le noyau est nettement excentrique, le

corps cellulaire se déforme et s'allonge du côté de la migration du noyau. Le

nucléole, vivement coloré, est central.

La très grande majorité des éléments nerveux présente les bordures périnu-

cléaire et péri-cellulaire (Pl. XLV, k. m. n. o). La fonte des blocs s'est étendue

de plus, en plus dans tous les sens et a envahi la presque totalité du corps cel-

lulaire, qui a pris une teinte foncée bleuâtre, mais non uniforme. Il est par-

semé de granulations plus ou moins fines. Les hlocs qui ont été refoulés à la

périphérie forment, selon les cas, une bordure continue ou discontinue, mais

ils ne sont pas fusionnés comme dans l'expérience précédente, on peut les dis-

tinguer les uns des autres ; par leur disposition, ils forment une capsule qui

enserre le noyau excentrique.

Plus la bordure s'amincit et se fragmente, c'est-à-dire plus les blocs chro-

matiques se désagrègent et se dissolvent dans le liquide cellulaire, moins on

rencontre de granulations dans le cytoplasma. Si bien que l'on finit par obtenir,

au stade ultime de la réaction, des cellules pâles, uniformément gris-bleu sale

avec un noyau presque expulsé.

La déformation cellulaire marche de pair avec la fonte des blocs chromato-

philes. Comme phénomène concomitant, on a encore l'expulsion ou la mi-

gration active du noyau.

Nous ne rechercherons pas pour le moment quelle est la cause du déplace-

ment du noyau, nous en avons dit un mot plus haut, mais nous nous réservons

d'y revenir dans la cinquième partie de notre travail lors de l'interprétation

des phénomènes observés dans nos expériences.

Comme phase ultime du phénomène de réaction, nous obtenons une cellule

allongée, ayant un pôle libre et l'autre occupé par le noyau, qui fait plus ou

moins saillie hors de la cellule.

Le protoplasma a une teinte bleu pâle, la limite cellulaire est dessinée par

un liseré mince et discontinu de blocs chromatiques, destinés à disparaître

aussi si la réaction est très violente et brusque.

Le noyau est vésiculeux, plus ou moins déformé, surtout quand il fait une

forte hernie. Sa membrane est très évidente, ce qui donne encore du relief

au noyau ; le nucléole est très foncé.

Les coupes du ganglion plexiforme droit présentent encore un petit nombre

de cellules qui sont profondément lésées et qui ont franchi l'état de réaction

pour passer à la désorganisation et à l'atrophie (Pl. XLV, p).

Parmi ces éléments, les uns ont perdu leur noyau, leur protoplasma se

chiffonne, se recroqueville. Les cellules ne remplissent pas entièrement leur

capsule.

D'autres éléments possèdent un noyau et un corps cellulaire. Le noyau est

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE z23

presque entièrement hors de la cellule à laquelle il ne tient plus que par un

mince filament.

La cellule est si pâle qu'on la distingue à peine et son protoplasma est en

lambeaux.

Ces lésions sont-elles la conséquence d'une très rapide et très violente réac-

tion ? ou bien ces cellules étaient-elles déjà pathologiques au moment de l'in-

tervention opératoire ?

Nous pensons que ces cellules étaient déjà malades lors de l'opération, vu

l'état avancé de leurs lésions. Il est peu vraisemblable qu'au 22e jour après la

résection du nerf vague, les cellules puissent être aussi profondément désor-

ganisées. -

On rencontre du reste dans tout ganglion normal des cellules en voie de

régression.

Nous avons rencontré çà et là dans nos coupes des cellules dont le corps

était déchiré en plusieurs lambeaux, quoique sain d'apparence. Le proto-

plasma de ces cellules n'était pas coloré en bleu pâle, et contenait des blocs

chromatiques répandus au hasard, très foncés, volumineux et très distincts.

Le noyau était si excentrique qu'il ne tenait à la cellule que par un mince

filament.

Nous n'avons rencontré aucune cellule vacuolaire dans tout le ganglion.

L'examen attentif de nos coupes ne nous a jamais permis de constater la

turgescence des éléments, phénomène qui serait constant au dire des auteurs.

Nous n'avons pu faire chez le chien, comme chez le lapin de l'expérience I,

une étude comparative des diamètres cellulaires des éléments normaux et pa-

thologiques des deux ganglions plexiformes, car le ganglion gauche était aussi

pathologique.

Il présentait de même le phénomène de la chromatolyse, comme nous allons

le voir, bien que le nerf vague n'ait pas été touché à gauche.

Nous donnerons cependant, à titre comparatif, les mensurations obtenues

pour les cellules des deux séries après l'étude des coupes du ganglion gauche

b) Ganglion plexiforme gauche (coupe transv.).

Le vago-sympathique gauche n'a nullement été lésé lors de la résection à

droite et cependant un examen, même superficiel à un faible grossissement

(PI.XLV, G. p. g. Il), montre la chromatolyse dans toute l'étendue du ganglion

qui ne renferme que de rares cellules normales.

La chromatolyse y est toutefois moins avancée que dans le ganglion droit.

Quelques cellules cependant sont arrivées an stade ultime de la réaction. Mais

(PI. XLV,q.r. s),le plus grand nombre présente le stade moyen de la dissolution

des blocs chromatiques, les cellules commencent à se déformer, le protoplasma

est uniformément teinté en bleu foncé; les corpuscules de Nissl sont dispersés

sans ordre dans tout le protoplasma qui est semé d'une fine poussière de gra-

nulations. Souvent on rencontre la tache claire plus ou moins grande, dont

nous avons parlé et où se font activement la désagrégation et la fonte des blocs

324 . CHARLES LADAME

ainsi que leur refoulement à la périphérie cellulaire et nucléaire le noyau est

excentrique, plus ou moins saillant hors de la cellule.

Un certain nombre de cellules (PI. XVL,t.u. v.)a déjà franchi ce stade, la tache

claire s'est notablement étendue, le corps protoplasmique s'est déformé, allongé

dans le sens de la migration du noyau, qui est comme enchâssé dans une

cupule formée par la bordure péricellulaire et périnucléaire composée de blocs

entassés aux confins de la cellule ou autour du noyau ; cette bordure est sou-

vent interrompue dans son parcours.

Le noyau est encore fréquemment normal, gros, vésiculeux; grâce à sa

membrane, il ressort nettement ; le réseau nucléaire se voit distinctement. Le

nucléole est foncé, de forme parfaitement régulière.

Cependant le noyau est parfois aplati du côté du corps cellulaire et bombe au

dehors, sans que pour cela son volume ait varié.

Des diverses mensurations comparatives que nous avons faites entre les

diamètres cellulaires et nucléaires des cellules saines et pathologiques, il ne

ressort en aucune façon la notion de turgescence des cellules en chromatolyse,

comme nous l'avons déjà constaté dans la première expérience.

Les chiffres que nous allons donner permettent encore de comparer les

cellules des ganglions plexiformes à deux stades différents de la chromatolyse.

Nous n'avons trouvé aucun gonflement quelconque des cellules en réaction

dans le ganglion gauche, pas plus que dans le ganglion droit, comme nous

l'avons déjà dit.

Nous devons faire observer cependant que cette conclusion repose sur la

comparaison des cellules saines et pathologiques d'un même ganglion, car

nous n'avions pas dans ce cas, comme chez le lapin et le chat, un ganglion

normal du côté non opéré à comparer au ganglion pathologique opéré.

Les mensurations ont été faites avec le micromètre oculaire 2 de Nachet,

l'objectif 7. Je rappelle que chaque division équivaut à 0,0027 millimètres.

Nous transcrivons comme précédemment les chiffres lus directement au

micromètre; le numérateur de la fraction représente le plus petit diamètre de

la cellule et le dénominateur son plus grand diamètre. Le diamètre nucléaire

suit immédiatement la fraction représentant les diamètres cellulaires.

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 325

Ganglion plexiforme droit. Pathologique.

Chien, 22 jours. 112 cellules mesurées dans 4 coupes.

326 CHARLES LADAME

Expérience III.

Jeune chat auquel on a réséqué le nerf pneumogastrique droit dans la région

cervicale, avec les précautions ordinaires, sur une longueur de 1 centimètre

et demi. Le nerf sympathique a également été arraché du même côté (l'oeil et

l'oreille présentaient des symptômes très manifestes).

L'animal se porte bien, il n'y a pas de suppuration ; il est tué par le chloro-

forme le cent dix-huitième jour après l'opération.

A l'autopsie on ne trouve pas de réunion des deux bouts du nerf réséqué,

il y a au bout central un névrome volumineux.

Les ganglions plexiformes droit et gauche sont enlevés immédiatement après

la mort et portés dans le liquide de Gilson.

Le traitement subséquent des pièces'est fait comme il a été dit dans la pre-

mière partie de ce travail.

Examen microscopique, analyse et discussion des coupes.

a) Ganglion plexiforme droit (coupe transversale. PI.XLVI, G. p. d. III).-

Ce ganglion présente deux ordres de cellules parfaitement caractérisés : des cel-

lules qui réparent leurs lésions chromatiques et des cellules en voie d'atrophie

destinées à disparaître complètement.

Un bon nombre de cellules nerveuses qui ont subi la chromatolyse revien-

nent à l'état normal en reconstituant leur substance chromatopUile. Elles sont

représentées dans nos coupes à tous les stades du processus de réparation.

Les cellules qui sont aux confins de la réaction,quiont atteint le stade ultime

de la dissolution (PI. XLVI, a) sont pâles, avec un liseré périnucléaire et péri-

cellulaire, leur corps cellulaire a une teinte bleu-pâle, il est déformé, allongé

dans le sens de la migration du noyau; le protoplasma est fréquemment rempli

de très fines granulations, qui se présentent comme une légère poussière le

recouvrant sur toute sa surface.

Nous avons ensuite (PI.XLYI,b) un'assez grand nombre de cellules qui sont ne

voie manifeste de réparation, leur apparence morphologique ne diffère guère

de celles du stade précédent; cependant leur protoplasma est semé de granu-

lations plus ou moins fines qui sont généralement plus volumineuses que celles

des cellules précédentes, par le fait d'un commencement d'agglomération des

grains qui formaient auparavant la poussière chromatique. La bordure cellu-

laire s'élargit aussi et montre plus distinctement quelques blocs déjà reconsti-

tués au sein d'une nuée de granulations très denses..

Dans ces cellules le noyau est encore périphérique'; il fait très rarement her-

nie et il n'est nullement déformé.

Quelques cellules (PI.XLVI, c) encore dans la réparation de leurs pertes chro-

matiques, présentent un protoplasma plus foncé. Les granulations de tout vo-

lume y sont abondantes et mêlées à de gros blocs complètement reformés, vo-

lumineux et très foncés. A la périphérie cellulaire et nucléaire il y a une

bordure de blocs serrés. Mais le protoplasma n'a plus maintenant de teinte

Nouv. Iconographie DE la SALPÈTRIÈRF T. XIII. PI. XLVI

E ? pètielice 111

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE

APRÈS RESECTION DU NERF PNEUMO-GASTRIQUE

(Ch. Ladaiiie.)

Masson & C ? Edltcurs

LE, PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 327

bleue uniforme, il est redevenu clair. Le noyau a repris fréquemment sa place

au centre de la cellule ; sa membrane semble s'effacer, tant l'abondance des

blocs reconstitués est grande.

Nous rencontrons enfin quelques cellules qui frappent dès l'abord les yeux

et qui sont dans un état très voisin de la cellule normale. Elles n'en diffèrent

au fond que par leur plus grande richesse en blocs chromatiques. On peut

même considérer ces cellules (Pl. XLVI, d) comme normales, car elles ne s'éloi-

gnent en rien des cellules foncées de Lugaro. Il semble néanmoins que leurs

blocs sont plus en désordre que ceux des cellules de Lugano.

Parmi les cellules en voie de régression, les unes, les moins avancées dans

ce processus, ont encore leur corps cellulaire nettement délimité et visible

(PI. XLVI, e) ; un très fin liseré discontinu borde parfois la périphérie cellulaire,

on ne voit aucune granulation dans toute l'étendue du protoplasma, qui a une

teinte bleu sale, très pâle.

Le noyau est excentrique ou fait même fortement hernie ; sa membrane est

très évidente, elle est froissée dans quelques cellules, le nucléole est régulier

et foncé, le réseau nucléaire est évident.

Les autres cellules (Pl. XLVI, f), plus avancée. , sont déjà près de disparaître.

Elles ont un protoplasma clair, tout à fait décoloré. Il reste parfois à leur pé-

riphérie une bordure discontinue, étroite. La plupart sont déformées, souvent

même elles ne sont plus représentées que par des lambeaux de protoplasma.

Le noyau est presque toujours hors de la cellule, parfois même il reste appendu

à un des lambeaux. Son nucléole est faiblement coloré. Le réseau nucléaire

est visible.

La capsule semble s'être ramassée sur les cellules en voie d'atrophie, elle

est envahie par un abondant tissu conjonctif de néoformation, très riche en

éléments figurés (PI. XLVI, g. h. i).

Çà et là, on rencontre dans les coupes des ganglions (Pl. XLVI, G. p. d. III),

des noyaux de cellules nerveuses, isolés de tout protoplasma, ayant encore

leur forme vésiculeuse normale, très entourés de tissu conjonctif et d'éléments

figurés formant de petits amas foncés. Enfin, les coupes sont parsemées

d'agglomérations de cellules conjonctives, au nombre de dix, vingt et même

davantage, qui marquent la place jadis occupée par un élément nerveux totale-

ment disparu. Ces cellules paraissent être des éléments conjonctifs de néofor-

mation, des leucocytes émigrés, les cellules de la capsule proliférées, car à l'état

normal, la capsule et son tissu conjonctif ne renferment que quelques éléments

figurés (9).

(1) Il est très important de constater ce fait, car tout récemment Van Gehuchten

et Nélis (Presse médicale, Névraxe) ont fait exclusivement cas de ce genre de lésion

pour diagnostiquer à coup sûr la rage.

Nous avons constaté ces mêmes lésions dans une série de ganglions cérébro-spinaux

de lapins morts de la rage par virus fixe, avec une intensité variable selon les gan-

glions.

Ces lésions toutefois offrent une différence dans la répartition des amas cellulaires

de néoformation qui, dans la rage, infiltrent complètement certains points du gan-

328 CHARLES LADAME

Nous n'avons rencontré aucune cellule vacuolaire dans toute la série des

coupes de nos deux ganglions plexiformes.

Nous n'avons pas parlé de turgescence, car les résultats obtenus par de

nombreuses mensurations n'ont pas confirmé sous ce rapport les résultats

publiés par d'autres auteurs, comme le prouvent les chiffres de notre tableau.

Les chiffres de ce tableau permettront de comparer simultanément les élé-

ments des deux ganglions entre eux et dans leurs rapports avec le diamètre

de leurs noyaux.

Les mensurations ont été faites comme précédemment avec l'oculaire micro-

mètre 2/7 Nachet et les divisions obtenues n'ont pas été converties en p. pour

la raison ci-dessus indiquée.

. Ganglion plexiforme droit. Pathologique.

Jeune chat, l48 jours, 93 cellules mesurées sur 4 coupes.

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 329

Ganglion plexiforme gauche. Normal.

Jeune chai, 118 jours. 93 cellules mesurées sur 4 coupes.

L'ATROPHIE OL1V0-PONTO-CÉRÉBELLUSE

PAR

J. DEJERINE et A. THOMAS.

Il existe dans la littérature médicale un certain nombre d'observations

d'atrophie du cervelet qui présentent les plus grandes analogies cliniques

mais qui diffèrent sensiblement les unes des autres par des particularités

anatomiques. Le but de ce travail est de tenter un essai de classification

de ces atrophies à propos de deux observations personnelles, dont l'une

suivie d'autopsie, et de mettre en relief un lype anatomique particulier

dont une observation a déjà été produite par l'un de nous dans sa thèse (l).

Ces observations nous permettront également d'étudier la symptomato-

logie des atrophies cérébelleuses et leur diagnostic; elles seront suivies

de quelques considérations sur les rapports anatomiques du cervelet, et

sur la physiologie pathologique du syndrome cérébelleux.

Observation I

D... V..., âgée de 53 ans, marchande de journaux, entre le 29 avril 1896 à

l'hospice de la Salpêtrière dans le service de l'un de nous.

Ses parents d'une bonne santé, sont morts vieux, le père à 73 ans, la mère à

83 ans ; elle était l'aînée de huit enfants tous bien portants. Il n'existe aucune

tare héréditaire et la malade ne se souvient pas que, dans sa famille, quelqu'un

fût atteint d'une maladie semblable à la sienne.

Mariée, elle eut huit enfants nés à terme, dont un seul survivant est âgé au-

jourd'hui de 30 ans ; les autres sont morts jeunes, de maladies sur lesquelles

elle ne peut donner aucun détail. Son mari est mort à 64 ans ; mais elle ne

peut préciser davantage la nature de sa maladie. Elle eut son retour d'âge en

1894, par conséquent à SI ans, sans que cette période critique fut marquée

par des accidents particuliers.

Ses antécédents personnels sont bons ; elle aurait eu, il y a 20 ans, des dou-

leurs articulaires généralisées à toutes les jointures, mais d'après ce qu'elle ra-

conte il est impossible de préciser s'il s'agit de rhumatisme articulaire aigu

franc.

L'affection, pour laquelle la malade est venue consulter et est entrée l'hô-

pital, a commencé il y a environ huit mois. Le début fut lent, la malade s'a-

perçut tout d'abord que la fatigue survenait plus vite pendant la marche ; elle

(1) Thomas, Le cervelet. Th. Doctorat, 189 (Obs. IV, p. 207).

L'ATROPHIE OLIVO-PONTO-CÉR'U 1F3ELLEUSE 3

avait plus de peine à avancer ; elle tremblait et ''équilibre semblait lui faire

défaut; malgré cela elle ne se rappelle pas avoir fait de chutes. Elle n'eut pas

davantage de vertige et jamais elle n'eut l'illusion que les objets tournaient au-

tour d'elle, pourtant il lui arrivait quelquefois, pendant la station debout,

d'être attirée un peu en avant, et dans la crainte de tomber, elle se crampon-

nait aux objets environnants. Dans ces derniers temps, elle devint de moins

en moins sûre d'elle pendant la marche, et la fatigue se produisait de plus en

plus vite.

C'est à peu près vers la même époque que la parole est devenue plus lente

et légèrement saccadée ; les membres supérieurs étaient aussi moins adroits ;

l'écriture était moins nette, tremblée, les lettres moins bien formées. Son ca-

ractère a changé peu à peu ; autrefois elle était très gaie, elle chantait souvent ;

aujourd'hui elle est calme et silencieuse et se tourmente constamment au sujet

de sa maladie.

La mémoire est intacte et la vue n'a pas baissé. Depuis trois mois, elle se

plaint d'une incontinence d'urine continuelle : les urines coûtent goutte à

goutte ; il n'y a pas d'incontinence des matières fécales et la malade est plutôt

constipée.

Observation prise le 7 mai 1896. Quand on observe la malade au lit, et

sans qu'elle s'en doute, on est frappé par l'immobilité dlLk[JÈ'y'si2 ? w.mi, la

tête semble comme figée, le regard est fixe et étonné, tout le corps d'ailleurs

reste immobile et les mains sont croisées au devant de la poitrine ; c'est son

attitude la plus habituelle. La commissure labiale gauche est légèrement éle-

vée, la commissure labiale droite un peu abaissée.

Examen de la tête et de la face. - L'occlusion des yeux se fait bien, mais

la malade ne peut forcer l'occlusion, ni froncer énergiquement les sourcils.

Il n'y a pas de paralysie des muscles de l'oeil, tous les mouvements isolés et

synergiques des globes oculaires sont normalement exécutés sauf l'éléva-

tion qui se fait en plusieurs temps, mais ce sont plutôt des secousses nystag-

miformes que du nystagmus réel. La vision est d'ailleurs très nette, il n'y a

jamais eu de diplopie. '

Les mouvements des lèvres sont assez bien conservés (élévation des lèvres,

ouverture de la bouche, action de faire la moue), mais il est à remarquer que

ces mouvements se font lentement et avec peu d'énergie, principalement du

côté droit.

La motilité de la langue et du voile du palais est intacte, la pointe de la lan-¡

gue se porte sans difficulté à droite, à gauche, en haut et en bas ; le voile du'

palais s'élève avec une très grande énergie. Il n'y a d'ailleurs ni troubles de

la déglutition, ni de la mastication : les muscles masticateurs ont conservé

toute leur force et leur résistance.

La parole est lente, traînante, légèrement scandée ; la malade parle un peu

entre les dents, mais sans efforts ; les mouvements des lèvres sont alors de

faible amplitude, et la mimique est extrêmement peu développée.

' Les mouvements d'inclinaison et de rotation de la tête sur le cou, de flexion

et d'extension, sont normaux ; les muscles correspondants agissent puissant

,^ J. DEJERINE ET A. THOMAS

ment et surmontent facilement la résistance qu'on oppose à leur activité :

malgré cela, les mouvements qu'exécute la tête, en dehors du commande-

ment, sont lents comme tous les autres mouvements du corps.

Ajoutons que la sensibilité de la face, de la tête et du cou est normale sous

tous ses modes, tact, douleur, température.

Les sensibilités spéciales (vue, odorat, ouïe, goût) ne présentent pas d'alté-

rations.

Pour ce qui est de la vue, l'examen ophthalmoscopique ne révèle aucune

lésion du fond de l'oeil ; la vision des couleurs est intacte, mais il n'a pas été

fait d'examen campimétrique. du champ visuel. De même, il na pas été fait

d'expériences sur le vertige rotatoire, les mouvements de compensation du

corps et le nystagmus pendant la rotation sur un appareil tournant, sur le

sens d'orientation, notre attention n'ayant pas été attirée à cette époque sur

cette série d'expériences qui peut être d'une si grande utilité pour le diagnostic

de l'affection que nous étudions et que nous avons mise à exécution pour

l'examen de notre second malade.

Membres supérieurs. - Aucune trace de paralysie, la résistance aux mou-

vements passifs de flexion et d'extension est très grande et du reste la muscu-

lature des membres supérieurs est puissante ; il n'y a pas de différence entre

les deux côtes. Les membres peuvent être étendus, les avant-bras-sur les bras

et les mains sur les avant-bras, les doigts écartés, sans oscillation du membre,

ni tremblement des doigts.

Il n'existe pas, à proprement parler, de tremblement intentionnel ; lorsque

la malade porte un objet à sa bouche, le membre correspondant ne tremble

,pas, pas plus au départ qu'à l'arrivée au but; malgré cela, dans l'usage cou-

l'atrophie OLIVO-PONTO-CÉRÉBELLEUSE 333

rant, lorsqu'elle saisit'un objet lourd, ou qu'elle le manie, elle devient mala-

droite, ses mouvements sont hésitants et lents ; lorsqu'elle veut remplir son

verre, la main qui porte la bouteille oscille et verse le liquide il côté.

L'écriture est altérée ; dès que la malade prend le porte-plume entre ses

doigts, le membre supérieur décrit des oscillations et les muscles de l'émi-

nence thénar sont parcourues par des contractions fibrillaires; sur le spécimen

ci-joint de son écriture, il est facile de se rendre compte de l'altération de l'é-

criture qui est tremblée ; les lettres sont irrégulières, inégalement distantes,

quelques-unes méconnaissables et ces caractères sont pourtant écrits lente-

ment, la malade a mis beaucoup de soin à les tracer.

Il n'y a pas d'altération de la notion de position, ni du sens musculaire : la'

main droite reproduit correctement les attitudes imprimées il la main gauche,-

les yeux fermés et inversement ; la malade porte également bien son doigt sur

son nez ou sur son oreille, les yeux fermés ou les yeux ouverts ; la sensibilité

des membres supérieurs sous tous ses modes (tact, douleur, température) est

normale.

Les réflexes olécranien et du goignet sont exagérés ; il n'y a pas de trépi-

da ôl pilelioidê`té ? lâ min ?

Aux membres inférieurs, la motilité est parfaite, tous les mouvements, ex-

tension, abduction, flexion sont exécutés avec énergie et la résistance aux

mouvements passifs est considérable. Il n'y a pas d'atrophie musculaire. La

sensibilité, la notion de position, le sens musculaire sont intacts, tous les mou-

vements exécutés au lit sont corrects. Les réflexes tendineux sont exagérés des

deux côtés, il n'y a pas de trépidation -epJleptoïde 1lI du p..ëd;-ulde fiïfotüle.

Troubles de l'équilibre et de la marche. Au moment de se lever, le corps

est agité d'oscillations transversales, et la malade ne peut passer de la position

assise à la station debout qu'en se cramponnant aux objets environnants.

Lorsqu'elle est debout, la base de sustentation est élargie, les jambes très

écartées, les coudes en abduction, le corps est le siège d'oscillations soit antéro-

postérieures, soit transversales et on doit se tenir auprès de la malade qui craint

toujours de tomber ; elle a continuellement la sensation qu'elle va tomber en

avant. Elle peut cependant se tenir debout quelques secondes, les membres in-

férieurs en abduction ; elle ne peut rester debout les talons rapprochés, et

lorsqu'on l'a aidé à prendre cette attitude, elle doit de nouveau écarter les

jambes pour rester en équilibre.

L'antépulsion et la rétropulsion, sans entraîner de chute, provoquent cepen-

dant une grande instabilité. Elle craint également de marcher seule, et elle a

besoin d'avoir quelqu'un près d'elle pour s'appuyer et se diriger. La marche est

très incertaine, le tronc oscille constamment et tend à tout moment, à se porter

soit de côté, soit en avant, soit en arrière.

Les membres inférieurs sont très écartés et par suite la base de sustentation

très élargie. La malade se déplace lentement : chaque pied est détaché du sol,

longtemps après l'autre, après plusieurs hésitations, puis il est levé assez brus-

quement et se pose de même sur le sol ; à ce moment même le corps oscille plu-

sieurs fois; les enjambées sont courtes. En résumé, il n'y a plus traces, du

xiii 22

334 J. DEJERINE ET A. THOMAS

rythme, de la cadence, de la mesure de la marche normale, il ne s'agit pas

d'autre part d'une tituhation comparable comme intensité à celle de la démar-

che ébrieuse : la malade avance comme une personne qui ne serait pas sûre

d'elle; elle suit à peu près une ligne droite, sans lancer les jambes comme

l'ataxique, mais chaque pas ne se fait qu'au prix d'un effort considérable et

d'hésitations constantes.

Pendant l'occlusion des yeux, la malade étant dans la station debout, il ne

se produit pas de dérobement des jambes ; à' peine ubserve-t-on quelques fai-

bles oscillations du tronc ; de même pendant la marche ; la suppression du con-

trôle de la vue n'exagère que faiblement les oscillations et les hésitations ; en

, résumé, il n'existe pas de signe de Romberg.

Il ne lui a été prescrit comme traitement que l'iodure de sodium à d'assez

faibles doses ; l'examen des viscères n'a révélé d'ailleurs aucune maladie orga-

nique.

Depuis son entrée à l'hôpital, l'état de la malade s'est sensiblement ag-

gravé. La parole est devenue de plus en plus lente, l'émission de chaque

syllabe plus difficile et plus saccadée ; la marche plus hésitante, les oscillations

plus nombreuses et d'amplitude plus large ; il lui est devenu absolument im-

possible d'avancer sans s'appuyer sur le bras d'un aide ; dans les derniers temps,

l'occlusion des yeux augmentait davantage les troubles de la statique et de l'é-

quilibration.

A cause de cette difficulté croissante de la marche et de l'équilibration, la

malade restait confinée au lit. Les facultés intellectuelles avaient passablement

baissé.

Elle est morte brusquement le 11 avril 1898.

AUTOPSIE. - Examen anatomique. - La famille ayant mis tout d'abord

opposition à l'autopsie, celle-ci ne put être pratiquée que 48 heures après le

décès, et d'une façon incomplète ; l'extraction des viscères thoraciques et abdo-

minaux ayant été interdite.

Lorsque l'encéphale fut enlevé de la boîte crânienne, l'attention fut immé-

diatement attirée par l'extrême petitesse du cervelet et de la protubérance. Le

cervelet a conservé sa forme générale, mais les lames et les lamelles sont très

étroites et malgré cela les sillons peu marqués, sans doute à cause du tasse-

ment de l'organe. Il n'existe nulle part ni méningite, ni adhérence, aussi bien

sur le cervelet qu'au niveau de l'écorce cérébrale, de l'encéphale ou de la

moelle.

Les artères de l'encéphale ne sont ni épaisses ni athéromateuses.

La coupe de Meynert est faite de façon à faire durcir en un seul bloc, le

bulbe, la protubérance et le cervelet, l'isthme de l'encéphale et les ganglions

centraux. Le manteau cortical est également conservé et le tout plongé dans le

liquide de Millier. La moelle qui semble aussi plus petite qu'une moelle nor-

male est fixée et durcie par le même procédé.

Après durcissement, inclusion et enrobement dans la celloïdine, la pièce est

coupée en série sur le microtome de Gudden ; les coupes (coupes transversales)

sont colorées par la méthode de Weigert Pal et du carmin ; mais au préalable des

l'atrophie OLIVO-PONTO-CÉRÉBELLEUSE 335

petits fragments de l'écorce cérébelleuse ont été prélevés, pour être traités par

la méthode du carmin en masse ou de Forel et coupés après inclusion à la pa-

raffine, afin de pouvoir faire un examen complet et détaillé des lésions histolo-

giques ; des petits fragments de la moelle prélevés à différentes hauteurs, ont

été examinés après coloration par les mêmes procédés.

Pour la description des recherches anatomiques, il sera procédé dans l'ordre

suivant :

4° Examen du cervelet.

2° Examen des pédoncules cérébelleux et de leurs noyaux d'origine, de leur

trajet médullaire, bulbaire, protubérantiel, ou encéphalique.

3° Examen des pédoncules à leur pénétration sans le cervelet.

1° Examen DU CERVELET.

A. Ecorce. - Les lames et les lamelles sont très atrophiées dans toutes les

régions du cervelet et l'atrophie porte sur les trois couches : la couche molé-

culaire, la couche des grains, la substance blanche. Sur les coupes d'ensemble

colorées par la méthode de Weigert-Pal, à peine aperçoit-on même à un fort

grossissement quelques fibres à myéline dans les substances blanches des lames

et des lamelles. L'atrophie n'atteint pas cependant le même degré sur toute

l'écorce ; elle est plutôt moins prononcée dans le vermis que dans les hémis-

phères.

Dans le vermis, ce sont les régions centrales qui sont les moins atrophiées ;

c'est-à-dire, dans le vermis inférieur, la pyramide,et dans le vermis supérieur,

le culmen ; l'uvula, le nodule de la lingula et le lobule central le sont davantage :

le déclive et le tubercule postérieur du vermis le sont encore beaucoup plus.

L'amygdale et le tlocculus, quoique extrêmement réduits, se rapprochent da-

vantage du vermis que des hémisphères par leur degré d'altération, leur pédi-

cule est encore très apparent.

L'atrophie atteint son maximum sur les hémisphères, et principalement dans

les lobes et lobules de la face inférieure du cervelet.

Les lames et les lamelles les plus voisines du vermis supérieur, c'est-à-dire

les lames les plus internes du lobe semi-lunaire supérieur sont relativement

moins atteintes, mais la différence n'est pas considérable.

Examen histologique de l'écorce sur des fragments prélevés au niveau des

lobes semi-lunaires et colorés par le carmin en masse.

1° Couche médullaire. - Cette couche est constituée par un réticulum né-

vroglique à larges mailles, dans lequel on distingue quelques noyaux névrogli-

ques au point d'entrecroisement des fibrilles ; il n'existe pas de cellules de

Deiters. Quelques rares cylindres-axes courent au milieu de ces mailles.

Les vaisseaux paraissent normaux : ni prolifération vasculaire,ni épaississe-

ment des parois, ni hémorrhagie.

Si on considère qu'à l'état normal la couche médullaire est constituée par

des fibres à myéline comprises dans un réseau névroglique à mailles très,lar-

ges et très ténues, on peut imaginer que, dans le cas actuel, cette couche, dé-

pouillée de la plupart de ses fibres nerveuses est réduite à son réticulum né-

336 J. dejerine et A. THOMAS

vroglique ; en certains points les mailles sont plus épaisses, mais il faut attri-

buer ce fait plutôt au tassement de l'organe qu'à un processus d'hyperplasie

névroglique qui ne serait en tout cas que peu intense.

2° Cellules de Purkinje. - La plupart des cellules ont disparu, mais leur

mode de disparition est très irrégulier. Sur certaines parties d'une lamelle ou

d'une lame, il n'existe plus aucune cellule de Purkinje, ou bien une ou deux cel-

lules isolées, tandis que sur l'autre versant de cette lame ou lamelle, ou à son

sommet, il existe encore quelques cellules, soit trois, quatre, .cinq, six ou

même davantage normalement distantes les unes des autres ; ces cellules sont

irrégulières, ratatinées : elles prennent fortement le carmin.

A un plus fort grossissement, on constate que le noyau et le nucléole sont-

déformés, ils sont irréguliers, ni ronds, ni ovales, quelquefois piriformes ; le

corps de la cellule est irrégulier, comme crénelé : sur d'autres cellules, les lé-

sions sont encore plus avancées et on peut saisir le processus d'atrophie de la

cellule : du noyau peu apparent partent des filaments protoplasmiques qui cloi-

sonnent la cellule et lui donnent un aspect vacuolaire : ailleurs le noyau a

disparu et il n'existe plus qu'un corps cellulaire rempli de vacuoles : à un de-

gré plus élevé, il n'existe plus que des débris et des déchets protoplasmiques.

A ce niveau, il n'existe ni lésions vasculaires, ni prolifération névroglique.

3° Couche des grains. - Les grains sont moins intensivement colorés qu'à

l'état normal, ils sont très irréguliers et leur protoplasma offre un aspect gra-

nuleux. Aucun d'eux n'est coloré en rouge intense par le carmin, ils sont roses

ou même gris ou jaunâtres. Au lieu d'être régulièrement arrondis, ils sont ovales

ou crénelés, polygonaux, quelques-uns sont plus volumineux, leur protoplasma

a un aspect grenu. Ils ne sont pas tassés et ils laissent en certains endroits entre

eux des espaces vides assez larges, dans lesquels on ne distingue ni cellule ni

feutrage névroglique ; les fibres névrogliques y sont môme rares ; on n'y trouve

pas davantage de fibres à myéline ou des cylindres-axes. Les vaisseaux ne sont

ni proliférés ni malades.

4" Couche moléculaire. - Cette couche comprend normalement : 1° des

prolongements protoplasmiques des cellules de Pnrkinje; 2. les grandes cellules

étoilées avec leurs arborisations en corbeille autour des cellules de Purkinje ;

3° les divisions en T des fibres des grains.

Il n'existe plus de prolongements protoplasmiques des grandes cellules de

Purkinje, ou ils sont extrêmement rares. Les grandes cellules étoilées sont très

diminuées de nombre ; en certains points elles ont complètement disparu,

ailleurs elles sont atrophiées, leurs prolongements peu nets, obscurs, leur noyau

irrégulier ou mal coloré.

Dans cette région il n'existe ni hyperplasie névrogliqne, ni épaississement des

méninges, ni altérations vasculaires ; seuls les vaisseaux méningés ont leur

paroi un peu épaissie, mais sans amas embryonnaires. Les corps amyloïdes

existent en assez grand nombre, en certains points de la couche moléculaire.

En présence de telles lésions, la réduction des lobes et lobules, lames et lamelles

n'a rien de surprenant.

l'atrophie OLIVO- PONTo-cÉnÉI3ELLEUSE ' 337

B. Noyaux centraux (PI. XLVIII et XLVII, D). Ils sont plus petits qu'à

l'état normal, mais ils sont loin d'atteindre le degré d'atrophie de l'écorce.

Le corps dentelé est relativement bien conservé ; ses festons sont cependant

moins amples, sa lame plissée moins large, l'organe semble rétréci, dans son

ensemble; comparé au noyau dentelé d'un cervelet normal, il paraît petit,

mais les fibres de sa toison et celles du bile sont si intensivement colorées sur

les coupes colorées par la méthode de Weigert-Pat que l'organe tranche sur le

reste de la coupe : même à un plus fort grossissement il ne donne pas l'impres-

sion d'un organe malade, les fibres médullaires et les cellules paraissent en

aussi grand nombre que sur un noyau sain, ce sont les dimensions de l'organe,

considéré dans son ensemble, qui sont plus réduites. Les festons de la région

postéro-interne du corps dentelé sont toutefois plus petits que les autres.

Les noyaux du toit sont très petits et ne peuvent être vus que sur un nom-

bre de coupes très restreint, les fibres médullaires qui l'entourent sont plus

rares que celles du corps dentelé ; le bouchon et le noyau sphérique sont égale-

ment plus petits dans tous leurs diamètres ; bien qu'un examen histologique

détaillé n'ait pu être pratiqué sur ces noyaux à cause de l'épaisseur de la coupe,

on peut néanmoins constater l'existence de cellules nerveuses.

C. Substance blanche du cervelet (PI. XLVII et XLVIII).

1° Ecorce. Dans l'écorce du vermis et particulièrement dans la pyramide

et dans le culmen, on découvre un nombre de fibres bien colorées : il en est de

même pour les amygdales (les lames les plus internes) et le pédicule du lloculus :

elles appartiennent pour une bonne part au système des fibres de projection :

un certain nombre appartient également au système des fibres d'association ou

fibres en guirlande de Stilling.Pour tout le reste de l'écorce. les rares fibres con-

servées appartiennent pour la plupart au système des fibres d'association ; il en

est très peu qui pénètrent dans la masses blanche des hémisphères ; on peut en

suivre quelques-unes jusqu'aux limitesde la couche granuleuse et de la couche

moléculaire.

2° Noyaux gris centraux. - Il a été dejà dit plus haut que la toison du

corps dentelé et sa substance blanche centrale (bile) qui se continue avec le

pédoncule cérébelleux supérieur, sont très intensivement colorées. Les fibres

qui entourent les noyaux du toit, le bouchon et le noyau sphérique sont beau-

coup moins nombreuses : on n'y distingue pas les beaux faisceaux de fibres

qui, normalement, prennent leur origine au milieu de ces organes et contri-

buent à former les fibres semi-circulaires internes.

3° Substance blanche centrale du vermis. -- Arbre de vie. - lllalâré cela, il

existe dans la substance blanche centrale du vermis un confluent de fibres

à myéline, assez riche, surtout dans son tiers moyen : le tiers antérieur et le

tiers postérieur sont plus faiblement colorés, ils paraissent partiellement dé-

générés. A ce confluent aboutissent en avant des fibres qui peuvent être suivies

soit sur le bord interne du noyau dentelé, soit à travers la valvule de Tarin

jusque dans l'amygdale.

Ce confluent, qui est principalement constitué par les fibres du vermis, se

continue en partie avec un beau faisceau qui contourne le noyau dentelé en

338 ' J. DEJERINE ET A. THOMAS

arrière, puis pénètre dans la masse blanche des hémisphères ; c'est le corps

restiforme (Pl. XLVIII, D, E). Ses fibres sont très faciles à suivre à cause de

la disparition des fibres de la masse blanche des hémisphères ; on peut ainsi en

distinguer quelques-unes qui se détachent du corps restiforme pour pénétrer

dans les lobules du lobe semilunaire supérieur les plus rapprochés de la ligne

médiane ; on peut les reconnaître dans les couches passant au-dessous du corps

restiforme, à leur trajet circulaire et leur aspect segmentaire.

L'entrecroisement du vermis est réduit dans ses dimensions transversales

et longitudinales.

Substance blanche centrale des hémisphères (PI. XLVII et XLVIII). - Sauf

les fibres du corps restiforme, tout le reste a disparu, on distingue à peine

quelques fibres isolées.

Les fibres semi-circulaires internes ne peuvent être distinguées au milieu

des libres du pédoncule cérébelleux supérieur avec lesquelles elles se con-

fondent sans doute, à cause du tassement du cervelet, mais elles sont certaine-

ment diminuées de nombre dans une très forte proportion, comme il l'a été

établi précédemment ; les fibres semi-circulaires externe sont égatementdisparu,

ou du moins, elles ne tranchent plus sur les fibres de la toison du corps dentelé,

un certain nombre est fusionné vraisemblablement avec le corps restiforme.

A leur émergence du cervelet, les pédoncules cérébelleux supérieurs, ne

sont nullement dégénérés, ils sont même très intensivement colorés, ils sont

contournés par un mince ruban de fibres il trajet horizontal ou oblique qui

appartiennent vraisemblablement au faisceau de Gowers et peut-être en partie

au faisceau en crochet.

2° Examen DES pédoncules cérébelleux ET DE LEURS noyaux D'ORIGINE.

A. Pédoncule cérébelleux inférieur. - Corps restiforme (PI. XLVIII, D,

E, F). Moelle (Pl. XLIX, X, L, M) et bulbe (PI. XLVII, A, B, C).

a) Moelle. - L'examen des fragments prélevés à la région dorsale et à la

région lombaire, et examinés soit par la méthode de Pal, soit par le carmin en

masse, a donné des résultats négatifs : il n'existe pas de dégénérescence, ni dans

les faisceaux, ni dans les racines; la substance grise est normale ; les colonnes de

'Clarke, en particulier, ne sont pas atrophiées; l'examen des coupes pratiquées

au niveau des douze paires dorsales et colorées au carmin ne laisse aucun doute

à cet égard.

A la région cervicale, il y a deux particularités à relever :

1° Une hétérotopie de la substance grise : la corne antérieure d'un côté envoie

en effet un prolongement dans le cordon antérieur au niveau de la cinquième

et de la sixième racines cervicales ; sur une certaine hauteur ce prolongement

est complètement isolé du reste de la corne antérieure.

2° A partir de la troisième racine cervicale (PI. XLIX, L), on constate l'exis-

tence d'une petite zone de dégénérescence il la limite du cordon antérieur et du

'cordon latéral, et à la périphérie de la moelle ; celte dégénérescence est symé-

trique, située en avant de la limite antérieure du faisceau de Gowers et ré-

l'atrophie OLIVO-PONTO-CÉRÉBELLEUSE 339

pondant assez exactement à une ligne transversale réunissant les bords anté-

rieurs des deux cornes antérieures.

Cette dégénérescence augmente au niveau de la deuxième et de la première

racines cervicales (PI. XLIX, KM).

b) Bulbe. - Les prolongements bulbaires des faisceaux de la moelle ne sont

pas dégénérés ; sur les coupes colorées par le procédé de Pal le faisceau céré-

belleux direct et le faisceau de Gowers ne sont pas décolorés ; mais la dégéné-

rescence bilatérale qui a été décrite en'avant de la place occupée par le faisceau

de Gowers, au niveau de la moelle cervicale supérieure, se poursuit dans le

bulbe (PI. XLVII,A, B) et augmente de surface ; au niveau de l'olive elle se place

en arrière d'elle et un peu en dehors (Pl. XLVII, C, D) ; au-dessous de l'olive elle

est difficile à suivre. Les noyaux des cordons postérieurs (noyau de Goll et de

Burdach, noyau de Monakow), les fibres arciformes internes et le ruban de

Reil,sont normaux : les pyramides et leur entrecroisement sont bien colorés. Les

olives bulbaires et les noyaux juxta-olivaires sont extrêmement atrophiés, dans

tous leurs diamètres; l'atrophie est plus marquée d'un côté; le hile est presque

totalement décoloré de .même que la couche la plus interne de la substance mé-

dullaire péri-olivaire ; l'atrophie est plus prononcée dans la moitié inférieure

que dans la moitié supérieure.

Les cellules des olives et des noyaux juxta-olivaires sont rares, petites, ra-

tatinées, atrophiées.

Le segment supéro-externe des fibres arciformes internes (fibres cérébello-

olivaires rétrotrigéminales et intertrigéminales de Mingazzini) et les fibres

arciformes externes (fibres cérébello-olivaires zonales de Mingazzini) ont com-

plètement disparu. A mesure qu'on examine des coupes passant par des plans

plus élevés de l'olive, les fibres à myéline réapparaissent peu à peu, surtout

en arrière et en dehors, ces fibres qui appartiennent au faisceau central de la

calotte contribuent à former en dehors de l'olive la couche externe de la subs-

tance blanche périolivaire. Le faisceau central se dégage ensuite peu à peu, il

est moins compact que normalement, mais relativement bien conservé ; et

cette intégrité relative explique pourquoi la substance médullaire de l'olive est

plus riche dans sa moitié supérieure que dans sa moitié inférieure ; d'autre

part le faisceau central est plus petit d'un côté et l'olive du même côté est moins

développée. La diminution de volume du faisceau central est due peut-être à un

certain degré d'atrophie de la substance réticulée de la calotte protubérantielle.

Les noyaux arciformes du bulbe ou prépyramidaux ont disparu, la substance

grise réticulée du bulbe et ses noyaux semblent diminués.

A l'extrémité supérieure du noyau de Monakow (noyau de Burdach externe),

le corps restiforme commence il se constituer : à ce niveau les olives n'apparais-

sent pas encore, il ne présente aucune anomalie ; en même temps que les olives,

apparaît sur son bord interne une zone décolorée qui augmente jusqu'à l'extré-

mité supérieure de l'olive (Pl. XLVIII, D, E) ; de même, ce niveau une zone dé-

colorée apparaît sur son bord externe, en dedans du tubercule et des stries acous-

tiques. Par conséquent, immédiatement au-dessous de la pénétration du corps

restiforme dans le cervelet, les fibres saines représentent le contingent mé-

340 J. DEJERINE ET A. thomas

dullaire du corps restiforme, plus les fibres du noyau de Monakow et peut-

être quelques fibres du noyau du cordon latéral du bulbe : elles occupent le cen-

tre du corps restiforme.

Les fibres qui apparaissent dans le bulbe au niveau du noyau de Monakow

sur son bord interne et qui forment le segment interne du corps restiforme ou

les faisceaux cérébello-vestibulaires sont peu nombreuses : cette atrophie peut

être poursuivie sur toute la hauteur de ces faisceaux jusqu'aux noyaux de

Deiters et de Bechterew.

B. - Pédoncule cérébelleux moyen. - Protubérance. - Substance

réticulée de la calotte (Pl. XLIX, H, I).

La protubérance est atrophiée, sur toute sa hauteur, mais principalement

dans l'étage antérieur. Il existe une atrophie totale des noyaux du pont, toutes

les cellules nerveuses ont disparu et sont remplacées par des cellules araignées

ou des noyaux et fibrilles névrogliques. (Le tissu névroglique n'est pas très

dense.) Les vaisseaux ne présentent pas d'altérations manifestes. Toutes les

fibres transverses de l'étage antérieur de la protubérance, superficielles,

moyennes et profondes ont disparu, le pédoncule cérébelleux moyen est totale-

ment dégénéré, de sorte que les fibres de la voie pédonculaire ne sont plus fas-

ciculées et sont groupées de chaque côté de la ligne médiane, en un gros faisceau

unique, circulaire.

La substance réticulée de la calotte paraît moins riche en cellules et la dimi-

nution des cellules est plus grande d'un côté, ce qui explique le volume moins

considérable du faisceau central de la calotte correspondant.

L'atrophie de la protubérance et du pédoncule cérébelleux moyen permet de

suivre avec une grande facilité le trajet des fibres du corps trapézoïde dont les

plans antérieurs se confondent ordinairement avec le pédoncule cérébelleux

moyen. Tout le système acoustique - corps trapézoïde, olives supérieures

et noyaux juxta-olivaires, ruban de Reil latéral et son noyau - sont intacts.

Les stries acoustiques qui normalement bordent le plancher du 4e ventricule

n'existent pas ici.

Les fibres des racines vestibulaires, quoique un peu plus grêles et moins

nombreuses que sur une protubérance normale, sont bien colorées ; sur les z

coupes traitées par le picrocarmin, les cellules du noyau de Deiters et de Bech-

terew apparaissent nombreuses, mais, dans leur ensemble, ces deux noyaux

ainsi que le noyau triangulaire de l'acoustique (noyau qui est en rapport avec

la racine vestibulaire de la 8e paire et le cervelet) ont des dimensions assez

exiguës. La plupart des fibres des faisceaux cérébello-vestihulaires se conti-

nuent avec les fibres de la racine vestibulaire.

Les noyaux de la 7e, de la 6° et de la 5° paire sont sains.

La racine descendante du trijumeau offre un aspect nettement fasciculé, à

cause de la disparition des fibres inter-trigéminales et rétro-trigéminales du

corps restiforme.

Le faisceau longitudinal postérieur et le ruban de Reil médian sont nor-

maux.

l'atrophie OLIVO-PONTO-CÉRÉBELLEUSE 341

C.- Pédoncule cérébelleux supérieur. - Isthme de l'encéphale (Pl. XLVIII,

E, F; PI. XLIX, H, I, J).

Le pédoncule cérébelleux supérieur et son entre-croisement sont intensi-

vement colorés, ils ne présentent aucune trace de dégénérescence ; mais, mal-

gré leur intégrité apparente, ils ne paraissent pas aussi volumineux que des

pédoncules normaux.

Les noyaux rouges sont plus petits, leurs cellules conservées. La couche

optique est un peu moins développée dans toutes ses parties, aussi bien dans

les radiations de la calotte que dans le champ de Forel, les radiations thala-

miques, la lame médullaire externe, aussi bien dans le noyau externe et le

centre médian, que dans le noyau interne, mais on n'y découvre pas de dégé-

nérescence. Les noyaux et les faisceaux sont simplement plus petits, mais bien

proportionnés les uns aux autres.

Intégrité des noyaux de la 3e et de la 4° paire et des nerfs correspondants, des

tubercules quadrijumeaux antérieurs et postérieurs.

Les pédoncules cérébraux sont petits et relativement peu colorés par la mé-

thode de Pal. Il en est de même pour la capsule interne ; un pédoncule est net- 1

tement plus petit que l'autre.

3° Examen DES pédoncules A leur pénétration dans LE cervelet.

Rapports DU CERVELET ET DES PÉDONCULES.- Considérations anatomiques. `

, ,

L'atrophie totale de l'étage antérieur de la protubérance (noyaux du pont), du ...

pédoncule cérébelleux moyen et de l'écorce des hémisphères cérébelleux con-C

firme les rapports entre ces trois organes, établis de par la physiologie expéri-

mentale et les observations antérieures.

Les fibres du corps restiforme qui sont conservées, - c'est-à-dire le fais-

ceaux cérébelleux direct, les fibres des noyaux des cordons postérieurs et

du noyau de Monakow, les fibres du noyau du cordon latéral entrent toutes

en rapport avec le vermis,quelques-unes avec les parties adjacentes du lobe semi-

lunaire supérieur (cette région hémisphérique contient en effet plus de fibres à

myéline que les autres lobes). Elles occupent, à leur pénétration dans le cervelet,

la partie centrale du corps restiforme ; les fibres dégénérées qui sont pour la plu-

part des fibres olivaires en occupent au contraire la partie périphérique se ter-

minant aussi vraisemblablement dans l'écorce du vermis et la partie adjacente

des hémisphères cérébelleux ; mais il est impossible de savoir dans quelles pro-

portions, car les fibres qui ont disparu dans la masse blanche du cervelet

n'appartiennent pas seulement aux pédoncules cérébelleux, un grand nombre

doit être compté parmi les fibres de projection de l'écorce sur les noyaux gris

centraux.

A son entrée dans le cervelet, le corps restiforme fournit quelques fibres au

flocculus.

La rareté des fibres senticirculaires internes et externes explique l'atrophie

marquée du segment interne du corps restiforme ou fibres cérébello-vestibu-

'aires, c'est vraisemblablement à leur atrophie qu'il faut attribuer la dégénères-

342 J. DEJERINE ET A. THOMAS

cence des fibres rétro-olivaires etdu petit faisceau dégénéré danslecordon antéro-

latéral de la moelle cervicale supérieure ; par sa topographie, ce faisceau rap-

pelle la disposition du faisceau cérébelleux descendant chez l'animal (Thomas) :

mais il est impossible de poursuivre cette dégénérescence jusque dans le cer-

velet ; dans leur trajet cérébello-protubérantiel ces libres ne sont pas groupées

en faisceau.

L'atrophie des fibres semi-circulaires internes et de l'entrecroisement du

vermis est elle-même la conséquence de l'atrophie des noyaux gris centraux et

principalement du noyau du toit, du bouchon et du noyau sphérique.

En raison de leur degré de dégénérescence relativement moins accentué, et

de* l'existence de fibres qui les relient au vermis, le flocculus et l'amygdale

doivent être considérés du moins en partie comme des dépendances du vermis.

L'intégrité relative du corps dentelé explique la conservation du pédoncule

cérébelleux supérieur et l'absence de dégénération dans ce faisceau ; la réduction

du noyau dentelé est proportionnelle à la petitesse du noyau rouge et du tha-

lamus.

Résumé. - Le névraxe est en général petit.

Il existe une atrophie en masse de l'écorce cérébelleuse, plus marquée dans

les hémisphères que dans le vermis, avec dégénération et disparition de la plus

grande partie des fibres afférentes et efférentes, des fibres de projection, avec

atrophie des principaux noyaux d'origine des fibres afférentes : olives bulbaires

et noyaux pontiques, avec atrophie relativement beaucoup moins accentuée des

noyaux gris centraux (noyau dentelé, noyau du toit, bouchon, noyau sphéri-

que).

Il s'agit d'une atrophie cellulaire primitive; l'absence d'altérations vascu-

laires, de foyers hémorrhagiques ou de ramollissement, de sclérose permet

d'affirmer cette origine.

La petitesse du névraxe, l'hétérotopie de la moelle cervicale ne doivent être

tout au plus considérées que comme des indices d'un développement incomplet

ou anormal du névraxe, n'autorisant pas cependant à envisager l'atrophie olivo-

ponto-cérébelleuse constatée ici, comme une affection congénitale ; son début

tardif et la constatation de dégénérescence, sont absolument opposés, à cette ma-

nière de voir.

1 Observation II.

P... Albert, âgé de 44 ans, cultivateur, habitant Malesherbes, s'est présenté

à la consultation du Dr Dejerine le 17 mai 1899. ,

Le, malade ne nous donne que des renseignements assez vagues sur ses an-

técédents héréditaires : son père est mort à 46 ans, mais il ignore de quelle

maladie ; sa mère serait morte à 70 ans subitement d'une attaque d'apoplexie :

il n'a eu qu'une soeur qui est morte jeune et il ne sait de quelle affection. In-

terrogé à maintes reprises sur ses ascendants directs et collatéraux, il affirme

d'une façon très catégorique que personne dans sa famille n'a présenté de trou-

bles de la marche ou de l'équilibre.

Il n'a eu qu'un enfant mort-né, sa femme n'a pas fait d'autre fausse cou-

l'atrophie OLIVO-PONTO-CÉRÉBELLEUSE 343

che ; il nie avoir eu des maladies vénériennes : syphilis ou blennorrhagie. Il

a même toujours joui d'une bonne santé et prétend n'avoir jamais fait d'excès

d'alcool.

Il fait remonter le début de la maladie pour laquelle il est venu consulter, à

4 ans. A cette époque, il a souffert de douleurs ;i la région précordiale, de pal-

pitations, les digestions étaient pénibles : il maigrit en peu de temps de dix à

douze livres ; d'après ce qu'il raconte il présentait certainement des troubles

neurasthéniques, son état physique et moral était profondément déprimé. A

cela on ne trouve qu'une cause qui serait survenue trois ans auparavant : à

cette époque il dut en effet se séparer de sa femme à cause de son inconduite.

Il en ressentit une vive contrariété, en fut très affecté, et pendant plusieurs

mois il souffrit d'une insomnie tenace. Mais il affirme d'une façon très précise

qu'au moment même de cette contrariété, ou de la période de neurasthénie,

sa marche était correcte, son équilibre normal.

11 y a deux ans environ, ses camarades commencèrent à le plaisanter sur sa

démarche qui était celle d'un homme qui titubait et marchait de travers. L'ap-

paritionde ce phénomène fut assez brusque et ses premières manifestations

coïncidèrent avec un étourdissement qu'il eut un matin au réveil ; il se dispo-

sait, ce jour-là, à se rendre il la fête de son village, mais il dut y renoncer it

cause de l'intensité de ses étourdissements.

Depuis cette époque les troubles de la station et de la marche ne firent qu'em-

pirer ; il se plaint constamment d'étourdissements - sans qu'il puisse expli-

quer d'une façon précise ce qu'il entend par cette expression - et cela dans

quelque position qu'il se trouve ; assise, couchée, debout, pendant la marche ;

en tout cas ils n'augmentent pas dans ces deux dernières conditions et lors-

qu'il se réveille la nuit, il éprouve la même sensation : la tête est lourde, il a

constamment envie de dormir, il dit qu'il se sent comme assommé. Il n'a ja-

mais eu de vertiges ; à plusieurs reprises, nous lui avons demandé s'il avait la

sensation de tourner, ou d'être projeté, ou même de s'enfoncer dans le sol, il

a toujours répondu négativement ; il n'a pas davantage vu les objets tourner

ou se déplacer.

La fatigue survient plus vite ; très bon marcheur autrefois, il ne pouvait plus

avancer, il y a trois mois, quand il avait parcouru trois à quatre kilomètres ;

enfin, il dû cesser tout travail depuis un an. Depuis deux ans, il se sent éga-

lement plus maladroit et dit « être moins libre de ses nerfs qu'auparavant ».

Dans les derniers mois, il a fait en marchant des chutes assez fréquentes, de

même quand il fait sa toilette ou pendant qu'il se baisse, il lui est arrivé assez

souvent de tomber.

Etat actuel, 18 mai 1899. - L'examen a été fait de façon à préciser avec

le plus d'exactitude possible les modifications de l'équilibre, pour cela il a été

prescrit au malade d'exécuter des mouvements, soit pendant la position assise,

soit pendant la station debout ; nous commencerons par en faire un exposé

et nous étudierons ensuite les troubles de la marche et les troubles de la sta-

tion consécutifs aux mouvements passifs (antépulsion, rétropulsion).

Position assise. - Le malade est assis sur un tabouret, les pieds sont en

344 J. DEJERINE ET A. THOMAS

contact avec le sol ; le dos n'est pas appuyé ; dans ces conditions, on observe

des petites oscillations qui se font plus particulièrement dans le sens antéro-

postérieur. Il éprouve une certaine peine à rapprocher les pieds et les genoux ;

mais ce qui lui est plus particulièrement pénible, c'est de les maintenir rappro-

chés ; en effet, malgré les efforts du malade et bien que l'attention soit attirée

sur l'attitude qu'il doit conserver, les cuisses se mettent aussitôt à trembler, les

genoux s'écartent peu à peu et tendent de plus en plus à se renverser en dehors.

Lorsqu'on prescrit au malade de croiser les cuisses l'une sur l'autre, à peine

le mouvement est-il exécuté que la cuisse qui est sur l'autre glisse peu à peu ;

en somme, il ne peut maintenir cette attitude pas plus que celle des genoux

rapprochés.

Si, dans ce dernier mouvement, il essaie de passer une cuisse brusquement

pardessus l'autre, le'tronc est aussitôt animé d'oscillations d'amplitude assez

vaste, et il a peur de tomber.

Nous lui demandons de soulever en même temps les deux pieds au-dessus

du sol, mais comme il redoute une chute, nous le faisons asseoir sur une

chaise, il le fait alors sans perdre l'équilibre et sans que le corps soit entraîné

ni d'un côté ni de l'autre. Il peut ramasser des objets placés, soit entre ses

jambes, soit à droite, soit à gauche sans être entraîné, en avant ou de côté,

mais dans tous ces mouvemènts, ce qu'il y a de plus particulier, c'est la len-

teur avec laquelle ils sont exécutés, l'incertitude, les hésitations. Nous lui de-

mandons encore de lever les deux jambes en extension et en adduction ; ce

mouvement provoque des oscillations de grande amplitude dans le tronc et les

membres inférieurs.

Assis sur un tabouret, il se tient aussi bien les yeux ouverts que les yeux

fermés.

1 ne peut passer de la position assise à la station debout, s'il a les pieds

rapprochés, il tombe alors soit en arrière, soit sur le côté : il peut au contraire

se lever les pieds écartés, mais très difficilement, s'il n'a pas d'appui. '

Station debout. - Les pieds sont écartés, la base de sustentation très élar-

gie ; l'écartement des talons est de 0,33 centimètres. Il se produit notamment

des petites oscillations du tronc et le malade semble faire assez d'efforts pour

se maintenir dans cette attitude; il a l'air de veiller continuellement à son

équilibre, parfois même les oscillations augmentent d'amplitude, et la partie

supérieure du tronc oscille d'avant en arrière 4 ou 5 fois de suite, le malade

fait alors les plus grands efforts pour éviter une chute soit en avant, soit en ar-

rière, mais il se déplace peu latéralement.

Il peut cependant se tenir debout les pieds rapprochés, mais les oscillations

sont plus nombreuses et plus amples, elles envahissent le tronc, puis les mem-

bres inférieurs ; ce sont des petits mouvements de flexion et d'extension pen-

dant lesquels la peau est soulevée par les contractions musculaires. Ces oscil-

lations augmentent encore d'amplitude quand le malade ferme les yeux.

Il se baisse un peu, mais avec beaucoup de peine, et après s'être relevé, la

partie supérieure du tronc oscille d'avant en arrière autour d'un axe transver-

sal qui passerait à peu près entre les épines iliaques antéro-supérieures.

L'ATROPHIE OLIVO-PONTO-CÉRÉBELLEUSE 345

Pendant la station debout, non seulement les jambes, mais' aussi les bras

sont écartés du corps. Il réussit à se tenir quelques secondes en équilibre, en ren-

versant les épaules en arrière, et en pliant légèrement sur les chevilles et sur

les genoux. Il ne peut naturellement se tenir en équilibre sur une seule jambe.

Il s'assied et se couche seul par terre, mais lentement et maladroitement :

le corps tombe brusquement et avant de rester complètement immobile, le

corps oscille deux ou trois fois autour de l'axe longitudinal ; si, lorsqu'il est

par terre, il essaie de s'asseoir, ou de porter les deux mains du même côté,

on observe aussitôt une grande incertitude et des oscillations.

Pour s'asseoir, dans ces conditions, il est d'ailleurs obligé de s'aider de ses

mains; enfin il se relève difficilement, tous ses mouvements sont extrêmement

lents et hésitants, mais il n'existe pas de grande incoordination entraînant brus-

quement le corps d'un côté ou de l'autre.

La marche est entièrement altérée ; il est à remarquer tout d'abord qu'il

n'existe aucune ataxie des membres inférieurs, les jambes ne sont nullement

lancées.

Les pieds et les bras sont écartés de l'axe longitudinal, chaque pied est dé-

taché du sol après plusieurs hésitations, mais assez brusquement et il retom-

be de même sur le sol ; chaque pied ne se détache que lorsque l'autre est en-

tièrement en contact avec le sol et il n'avance même que quelques secondes

après l'autre, les pas sont séparés par des intervalles inégaux. Le corps est

raide et ne s'avance pas suivant une ligne droite ; à cause des oscillations dont

il est agité, il se porte un peu trop à droite ou à gauche ; il festonne, la tête est

fixe, elle ne tremble ni n'oscille : le malade a l'air peu sûr de lui, et dit d'ail-

leurs qu'il ne se sent pas bien en équilibre : ce n'est pas la démarche de l'homme

ivre qui décrit en marchant une ligne sinueuse, et dont les ondulations sont

rapides ; ici très peu d'écarts de la ligne droite, ondulations très lentes ; ce qui

frappe le plus c'est la lenteur et l'incertitude ; le malade semble calculer d'avance

tous ses mouvements : il avance rapidement son pied par peur de tomber au

moment même où il ne reposera que sur une seule jambe ; c'est pour cela sans

doute que tout le corps semble raide, malgré les oscillations qui l'agitent par

intervalles ; il a perdu sa souplesse et son laisser-aller ; il prend pour marcher

sur le sol autant de précaution que l'équilibriste pour marcher sur une corde ;

il y,a chez les deux la même crainte, la même attention, la même incertitude.

S'il s'arrête brusquement, le corps n'est projeté ni en avant, ni en arrière,

mais avant de rester complètement immobile, le tronc décrit deux ou trois gran-

des oscillations antéro postérieures, quelquefois même davantage.

Il peut encore tourner sur lui-même, sans faire de chute, mais il le fait avec

une grande maladresse, les oscillations du tronc augmentent et l'incertitude est

tellement grande que l'on croit à tout moment qu'il va tomber. Il recule de

même très difficilement; il commence par dire qu'il ne peut pas; puis il

essaie, chaque pied ne se déplace que de quelques centimètres en arrière ; le

corps se porte un peu en arrière à chaque pas, mais en oscillant il dépasse le

but, puis revient au delà plusieurs fois jusqu'à ce qu'il atteigne la position

qu'il doit normalement occuper et qu'il conserve d'ailleurs difficilement.

346 J. DEJERINE ET A. THOMAS

Nous avons vu plus haut que l'occlusion des yeux augmente très légèrement

l'instabilité, mais qu'il n'existe pas de signe de Rombergà proprement parler;

de môme il peut marcher en fermant les yeux ; mais l'incertitude et les crain-

tes du malade deviennent plus grandes; il festonne davantage, les déviations

latérales du tronc sont plus larges ; la coordination des mouvements des mem-

bres inférieurs n'est par contre nullement modifiée ; et on peut dire que

l'occlusion des yeux n'augmente que très légèrement les troubles de la marche.

Il avance ordinairement sans regarder ses pieds : si pendant la marche, on place

un écran au-dessus de ses yeux, de façon à l'empêcher de voir le sol et ses pieds,

il n'en résulte aucune modification de sa démarche; d'autre part, il se rend

compte qu'il marche plus difficilement quand il fixe un objet, ce que nous avons

pu vérifier nous-mème.

L'ascension et la descente des escaliers est extrêmement pénible, et le ma-

lade a absolument besoin d'un appui, sinon à chaque déplacement des pieds,

il risquerait de tomber à la renverse ou en avant.

Lorsqu'il fait tous ces exercices, ou après un temps de marche un peu pro-

longé, il sent venir la fatigue, et surtout dans les muscles des mollets.

Mouvements passifs. - La propulsion détermine de grandes oscillations de

l'extrémité supérieure du tronc, ce sont des mouvements rapides de flexion et

d'extension, mouvements de balancier ; la rétropulsion ou la latéropulsion sont

moins susceptibles de les faire apparaître.

Le malade a été soumis sur un appareil tournant à des mouvements de ro-

tation ; même à une très faible vitesse il ne se trompe jamais sur le sens de la

rotation. En se plaçant derrière lui sur l'appareil et en appliquant délicate-

ment la pulpe des index sur les paupières supérieures, on perçoit très nette-

ment les oscillations horizontales des globes oculaires '

Les mouvements compensateurs sont normaux : pendant la rotation à droite,

la tête se porte et s'incline du côté gauche ; à l'arrêt brusque, la tête revient

à la ligne médiane, puis se porte légèrement à droite et enfin la tête et le corps

s'inclinent fortement à droite (vertige post rotatoire), mais il est difficile d'obte-

nir du malade de préciser le sens suivant lequel a lieu la rotation vertigineuse.

Quoi qu'il en soit, les réactions sont normales, aussi bien pour la rotation il

droite que pour la rotation à gauche.

D'autre part, les troubles de la marche et de la statique n'augmentent- pas

sensiblement quand le malade incline sa tête d'un côté ou de l'autre sur ses

épaules, ou tout à fait en arrière. Bien que cet examen soit assez rudimen-

taire,nous pouvons cependant en conclure que l'appareil vestibulaire fonctionne

normalement.

Motilité des membres supérieurs. - Ni paralysie, ni atrophie musculaire.

Au dynamomètre : main droite 40, main gauche 50.

Pas d'incoordination, les yeux ouverts le malade porte son index sur son

nez ou sur les oreilles, : mais pendant l'occlusion des yeux, le mouvement est

moins régulier et le but moins bien atteint; - qu'il ne s'agit pas d'ataxie véri-

table, il serait plus juste de dire qu'il y a un peu d'hésitation il n'existe pas

l'atrophie OLIVO-PONTO-CÉRÉBELLEUSE 347

de tremblement intentionnel. Malgré cela, on remarque assez souvent une cer-

taine maladresse des mains ; ainsi quand le malade veut saisir un objet, un

verre par exemple, il le prend trop brusquement. Quand il le porte sa bouche,

il hésite un peu, il n'est pas sûr de bien le tenir, aussi se produit-il quelques

petits mouvements de latéralité qui font dévier la main du but poursuivi, mais

il ne s'agit pas en réalité de tremblement.

Le malade raconte d'ailleurs qu'il est plus maladroit de ses mains depuis -

quelque temps et qu'il lui arrive encore assez fréquemment de renverser des

objets au moment de les saisir ou de les porter.

Les réflexes tendineux des membres supérieurs sont exagérés (réflexe du

poignet, réflexe olécranien).

Depuis plusieurs mois, il éprouve une grande gêne pour écrire, les carac-

tères sont tracés lentement, la main tremble légèrement, et pour s'en con-

vaincre, il suffit d'examiner attentivement le spécimen d'écriture ci-joint : il

lui a fallu dix minutes pour l'écrire (Fig. z) :

Motilité des membres inférieurs. -Ni paralysie, ni atrophie. Il éprouve

seulement un peu plus de difficulté à croiser la jambe gauche sur la droite,

que la droite sur la gauche.

Pas d'incoordination, les yeux ouverts ou fermés.

Les réflexes tendineux sont exagérés (patellaire, du tendon d'Achille).

Le réllexe cutané plantaire est normal, par conséquent, pas de signe de

Babinski. Le chatouillement de la plante du pied détermine, comme chez

l'individu normal, un mouvement de flexion du gros orteil.

Aux membres supérieurs et inférieurs, la résistance aux mouvements pas-

sifs est très grande et peut persister plusieurs secondes.

Il n'existe pas d'hypotonie ni aux membres supérieurs, ni aux membres

inférieurs.

Tête et face. Il n'y a pas de tremblement de la tête, soit au repos, soit

pendant l'exécution des mouvements de la tête et du cou, ou même pendant

l'exécution des mouvements du tronc.

L'expression générale de la physionomie est la niaiserie, le regard est fixe,

la mimique peu développée.

La parole est profondément altérée ; elle est traînante, hésitante, entrecou-

pée, un peu nasonnée : le malade parle entre les dents comme s'il serrait les

mâchoires ; la fin du mot et des phrases est prononcée avec plus de force et plus

d'effort que le commencement ; par moments on a beaucoup de peine à le com-

FiG. 2.

348 J. DEJERINE ET A. THOMAS

prendre : sans être explosive comme celle de la sclérose en plaques, la pa-

role est légèrement scandée. La langue se meut facilement en haut, en bas et

à droite ; elle se porte moins vite et avec moins d'énergie vers le côté gauche.

Le voile du palais est un peu procident à droite et se contracte mieux à gauche.

Il ne peut pas siffler, mais il fait facilement la moue, et les muscles de la

face semblent se contracter normalement. Il n'a pas été fait d'examen électrique

des nerfs et des muscles.

La sensibilité est normale sur tout le corps ; la notion de position, la notion

de résistance, la perception stéréognostique sont intactes.

Sensibilités spéciales. - Vue. - Les réactions pupillaires à l'accommoda-

tio,n et à la convergence sont normales : il n'y a pas d'inégalité pupillaire. L'exa-

men ophthalmoscopique pratiqué par le Dr Rochon-Duvigneaud n'a rien révélé

d'anormal : mais l'examen campimétrique a été omis et nous ignorons s'il existe

un rétrécissement du champ visuel.

Pas de dyschromatopsie.

Il y a une certaine incertitude des mouvements des yeux dans les mouve-

ments rapides des globes oculaires de dedans en dehors et de dehors en de-

dans ; à la limite extrême du regard, les yeux sont animés de petites secousses

nystagmiformes qui existent quelquefois, il est vrai, chez des individus nor-

maux, mais nous semblent plus prononcée chez notre malade.

L'odorat et l'ouïe sont intacts.

Le goût ne semble pas sensiblement altéré, il reconnaît bien l'amer (le sul-

fate de quinine), le salé et le sucré, mais il dit que son goût est moins fin

qu'autrefois. A l'examen laryngoscopique le Dr Nattier n'a constaté aucune

anomalie.

Sphincters. Les urines partent quelquefois malgré lui, ou bien quand il sent

le besoin il doit attendre plusieurs secondes avant que les urines ne viennent.

Le malade a été examiné de nouveau le 18 juillet 1899. Son état s'est

aggravé, les troubles de l'équilibration se sont accentués, et les membres su-

périeurs tremblent un peu, quand il saisit un objet ou le porte à sa bouche ; les

mouvements sont plus lents, plus hésitants, plus incertains.

Il a été revu pour la dernière fois le 8 août 1899. Quelques symptômes

nouveaux sont à signaler; la diplopie, bien qu'il n'existe aucune paralysie

appréciable des muscles des globes oculaires et le vertige : les objets semblent

tourner, puis ils s'arrêtent presque aussitôt. Mais il n'a jamais l'illusion de

tourner lui-même.

L'équilibration est encore plus difficile, l'élargissement de la base de sus-

tentation est plus considérable, l'espace qui sépare les talons est de 37 centi-

mètres. Il marche à petits pas, chaque pied se détache brusquement du sol et

retombe de même. Dans la station debout, il se produit, au bout de quelques

secondes, de grandes oscillations pendulaires du corps d'avant eu arrière et le

malade doit se rattraper aux objets environnants. La fatigue survient plus

rapidement. L'occlusion des yeux augmente un peu les troubles de la marche,

mais c'est surtout pendant la station debout, les talons rapprochés, que l'in-

fluence de la vue se manifeste par l'apparition d'oscillations de grande ampli-

L'ATROPHIE OLIVO-PONTO-CÉRÉBELtEUSE 3

tude : remarquons toutefois que la station debout suffit au bout de quelques

secondes faire apparaître le même phénomène.

L'intelligence semble de moins en moins éveillée.

La narnle est aussi nlus altérée et la voix très nasonnée.

Il est inutile d'insister sur les analogies cliniques qui rapprochent ces

deux observations ; le diagnostic avait été fait avec d'autant plus de certi-

tude que nous avions déjà eu l'occasion d'observer un malade atteint de

la même affection, dont l'observation clinique et l'examen anatomique

ont été rapportés par l'un de nous. Le diagnostic s'appuie dans les deux

observations sur les troubles de l'équilibre dans la station el dans la

marche ou mieux dans les mouvements auxquels participe tout le corps,

et sur l'intégrité presque absolue des mouvements isolés des membres.

Tous les mouvements d'ensemble du corps sont profondément altérés,

qu'ils aient lieu dans la position assise ou dans la station debout, que le

malade marche ou passe de la position assise il la position couchée, de la

position couchée à la position debout; tous ces changements d'attitude

sont exécutés avec lenteur, hésitation, incertitude, maladresse ; une chute

est quelquefois la conséquence de cette dt3séquilihration.

Pendant la station debout. les pieds sont écartés, la base de sustenta-

tion élargie; la moindre inclinaison du corps en avant ou en arrière est

le point de départ d'oscillations du corps d'amplitude variable, voire

môme de perte de l'équilibre ou de chutes; le malade ne peut se tenir

sur une jambe, c'est l'instabilité immédiate, et la chute imminente s'il

ne trouve près de lui un point d'appui.

Pendant la marche, les jambes sont écartées, les membres supérieurs

en abduction légère, les malades marchent avec précaution comme cher-

chant leur équilibre, chaque pied n'est soulevé qu'après plusieurs.ési-

tations, mais assez brusquement et se repose de même, les enjambées

sont courtes, irrégulières et décrivent une ligne festonnée. Le corps se

porte trop en avant ou en arrière ou de côté, il y a titubation. La fatigue

apparaît rapidement.

Il y a une intégrité presque absolue des mouvements isolés des mem-

bres exécutés dans la position assise ou couchée, car dans la station de-

bout les mouvements des membres supérieurs d'une assez grande ampli-

tude modifient manifestement l'équilibre; d'autre part il existe une très

légère maladresse des membres supérieurs au moment de saisir ou de po-

ser un objet; l'écriture est tremblée; mais l'atonie proprement dite l'ait

défaut; il n'y a ni paralysie, ni diminution de l'énergie musculaire.'

Le signe de Romberg fait défaut de même que les troubles sensitil's ou

sensoriels.

xm 23

350 J. DEJERINE ET A. THOMAS

Les troubles de la parole : parole lente, scandée, traînante; les se-

cousses nystagmiformes, l'exagération des réflexes complètent le tableau

clinique qui rentre dans le cadre du syndrome cérébelleux décrit par l'un

de nous.

Chez ces deux malades, les désordres tumultueux de l'ivresse, les grands

déplacements du corps qui caractérisent la démarche ébrieuse font dé-

faut ; lemaladeparaîtplut6t redouter de perdre l'équilibre que l'avoir per-

du : la tête n'est pas davantage animée d'oscillations de large amplitude.

A cet ensemble clinique si singulier correspondent chez notre premier

malade, des lésions anatomiques d'une topographie et d'une nature liés

,particulières, ce sont : 1° l'atrophie symétrique dp l'écorce cérébelleuse.

plus prononcée sur les hémisphères que sur le vermis, contrastant avec

l'intégrité relative des noyaux gris centraux : noyau dentelé, noyau du

toit, noyau sphérique et bouchon ; 2° l'atrophie totale de la substance grise

du pont et la dégénérescence totale du pédoncule cérébelleux moyen ; le pé-

doncule cérébelleux supérieur, qui prend ses origines dans le noyau

dentelé, est au contraire relativement bien conservé; 3° l'atrophie très

prononcée des olives inférieures, des noyaux juxla-olivaires, des noyaux

(l1'ci(of1nes, la dégénérescence des fibres ac2Tornaes externes et du corps

resti fornze. Les pyramides et les pédoncules cérébraux paraissent plus petits

que normalement, mais sans trace de dégénérescence.

Les lésions semblent avoir débuté à la fois dans l'écorce du cervelet,

dans la substance grise du pont et les olives inférieures ; les cellules de

Purkinje sont pour la plupart disparues, celles qui subsistent sont très

altérées ; des cellules de la substance grise du pont il ne reste plus trace,

le plus grand nombre des cellules des olives inférieures sont atrophiées

ou disparues ; ces lésions cellulaires ont eu comme conséquence l'atro-

phie des cellules de la substance grise du pont, la dégénérescence du

pédoncule cérébelleux moyen qui y prend sa principale origine, l'atro-

phie des cellules de l'olive inférieure, la dégénérescence partielle -du

corps restiforme, l'atrophie des cellules de Purkinje, la dégénérescence

des fibres de projection du cervelet, toutes réunies, l'atrophie de la sub-

stance blanche et de l'écorce cérébelleuse. Cette atrophie systématique

de l'écorce cérébelleuse et des noyaux d'origine de ses principales voies

afférentes, est une atrophie primitive, l'absence de lésion inflammatoire

et de prolifération névroglique permet de l'affirmer.

L'examen des observations d'atrophie cérébelleuse, qui ont été pu-

bliées, conduit à la classification suivante : les atrophies du cervelet sont

partielles ou générales, symétriques ou asymétriques ; par leur nature,

elles sont scléreuses ou simples ou dégénérait es.

l'atrophie olivo-ponto-cérébelleose 351

Partielles et asymétriques, elles sont ordinairement secondaires à un

foyer de ramollissement ou à un foyer hémol'l'hagique, elles sont sclércu-

ses, cependant elles peuvent exceptionnellement apparaître par « la fonte »

sans processus inflammatoire ou nécrobiotique des éléments constituant

le manteau gris cérébelleux couche des grains et cellules de Purkinje.

C'est une atrophie sans lésions vasculaires (Lannois et Paviot) (1) ». Ex-

ceptionnellement aussi , elles peuvent être congénitales, il s'agit alors d'une

agénésie (obs. de Neuburger et Edinger) (2).

Générales et symétriques , elles sont soit scléreuses et d'origine vasculaire,

inflammatoire (obs. de Spiller) (3) ; soit simples et congénitales : le cervelet

est plus petit qu'un cervelet normal (obs. de Nonne) (4), mais toutes les

parties qui le composent sout normales et proportionnellement dévelop-

pées. Il s'agit d'un arrêt de développement,sinon pendant la -iefoetale, du

moins après la naissance ; en tout cas ces atrophies n'ont rien·de commun

avec les agénésies totales du cervelet où cet organe fait entièrement défaut

(obs. de Combettes) ; soit dégénérantes ? c/m«te<M<M : les cellules

dePurkiujeetdes différentes couches de l'écorce s'atrophient et disparais-

sent, par suite les fibres médullaires dégénèrent ; l'organe est réduit dans

tous ses diamètres : le tissu névroglique est étranger à la production de

cette-atrophie, ou bien la prolifération névroglique et les altérations vas-

culaires inflammatoires sont trop peu intenses pour rendre compte des

lésions dégénératives.

Il s'agit dans notre cas d'une atrophie dégénérative, mais avec ce ca-

ractère particulier que la substance grise du pont et les olives inférieures

sont le siège du même processus morbide ; en raison de la prédilection

systématique des lésions pour l'écorce cérébelleuse, les olives bulbaires et

les noyaux du pont, nous ne saurions mieux définir cet état anatomique

que par le terme d'atrophie oliuo-pocato-cérébelleuse.

L'atrophie cérébelleuse est une affection assez rare, le type anatomo-

clinique que nous venons de rapporter l'est encore bien davantage : il

n'existe dans la littérature médicale qu'une seule observation qui lui soit

comparable. Elle a été publiée par l'un de nous dans sa thèse (obs. per-

sonnelle IV) ; elle diffère cependant quelque peu de celle qui fait le sujet

du travail actuel, au point de vue clinique par un léger degré d'ataxie

(1) LAN\OIS et Paviot, Sur un cas d'atrophie unilatérale du cervelet. Revue neurolo-

gique, 15 octobre 1898.

(2) NEUnURGEn et L''DINGER, Einseitigel' fast totale ? manuel des cerebellums. Berlin.

klin.Wochenschrift, 1898, no 4.

(3) Spiiaeu, Four cases of cerebellar disease (olle autopsy) mit refeuence to cere-

bel/al' ataxia. Brain Winter, 1896. z

(4) Nonne, Ueber eine eigenthiimlichl familiale Erkrankungsform des Cali li-6d nel,ve)l

systems. Archiv. sur Psychiatrie, 1891. "

3 la ) J. DEJERINE et A. THOMAS

des membres inférieurs et par la coïncidence d'une atrophie musculaire

des mains; au point de vue anatomique par l'existence d'une atrophie

des cellules des cornes antérieures en rapport avec l'atrophie musculaire ;

mais les lésions cérébelleuses, bulbaires et protubérantielles sont exacte-

ment superposables à celles de notre nouvelle observation; en dehors de

la lésion des cornes antérieures localisée au niveau de la huitième ra-

cine cervicale, la moelle ne présente aucune autre lésion manifeste, les

cordons latéraux sont seulement un peu plus pâles à la périphérie, et les

cellules des colonnes de Clarke un peu moins nombreuses d'un côté ; les

différences nous semblent trop peu sensibles pour ne pas envisager ces

deux observations comme appartenant au même type anatomo-clinique :

dans les deux cas la maladie a eu un début tardif, chez des individus ne

comptant aucune tare nerveuse dans leurs antécédents.

Les observations de Pierre ! (1), Menzel (2), Rojet et Collet (3), Arndt (14-).

Thomas (obs. V) (G) présentent de grandes analogies cliniques et anato-

miques avec les observations précédentes ; elles s'appuient sur le syn-

drome cérébelleux et la distribution des lésions qui intéressent presque

exclusivement les olives, la substance grise du pont et le cervelet (les

noyaux gris centraux exceptés) ; cependant il existe entre elles quelques

différences anatomiques, cliniques et étiologiques.

La malade de Menzel présentait de l'incoordination des membres supé-

rieurs, du signe de Romberg, la tonicité des muscles des bras et des jam-

bes était exagérée ; dans les derniers temps il y eut de la contracture gé-

néralisée à tous les muscles ; les mêmes contractures sont signalées par

Rojet et Collet : chez la malade de Arndt les mouvements isolés des

membres inférieurs n'étaient pas libres, ils s'accompagnaient de balance-

ment et d'oscillations qui, suivant la description de l'auteur, tiennent à

la fois de l'ataxie et du tremblement. Chez la malade de Pierret, la sensi-

bilité des mains était un peu émoussée ; elle était prise à la moindre

contrariété de véritables attaques convulsives; d'autres fois elle éprou-

vait seulement des raideurs tétaniques dans les membres inférieurs

et dans les muscles de la mâchoire : elle vomissait fréquemment. La

malade que concerne la cinquième observation de Thomas était en môme

temps hystérique et particulièrement intéressante par l'anesthésie géné-

ralisée de la peau et des muqueuses.

(1) PIERRET, Note sur un cas d'atrophie pÙiphèl'iq1f,ÆJ du cervelet avec lésion conco-

mitante des olives bulbaires.

(2) l\)ENZJ : L, Beit1'afl xtir ! (enl1lniss der heredital'en Ataxie und Kteinhil'nsatrophie.

Arch. sur Psychiatrie, 1891.

(3) ROJET et COLLET, Sur une lésion systématisée du cervelet et de ses dépendances

bztlbo-pi-ol21béi,anlielles. Arch. de Neurologie, 1803.

(4) An : 'iD1 : ' 7,ur ral/¡%yie des hleinhims. Arch. für Psychiatrie, 1894.

(5) Thomas, Th. Doctorat, 1897.

l'atrophie OLIVO-PONTO-CERÉBELLEUSE 353

Anatomiquement les différences ne sont pas moins accentuées : l'atro-

phie de l'écorce cérébelleuse se complique d'une sclérose plus ou moins

intense (Pierret, Menzel , Rojet et Collet, Arndt). L'observation de

Rojet et Collet a été considérée par différents auteurs comme un cas de

sclérose en plaques localisée au cervelet, bien que l'examen histologique

du cervelet n'ait pas été fait. D'autres systèmes de fibres afférentes du cer-

velet sont nettement dégénérés : colonnes de Clarke, faisceaux cérébelleux

et faisceaux de Gowers (Menzel, Arndt, Thomas, obs. V) : enfin d'autres

systèmes anatomiques que ceux qui entrent en rapport avec le cervelet

ont subi l'atrophie ou la dégénérescence, les faisceaux pyramidaux sont

plus pâles et les cordons postérieurs partiellement dégénérés (Menzel,

Arndt, Thomas, obs. V). Dans l'observation V de Thomas l'atrophie

des olives et de la protubérance n'a rien de comparable avec le degré

qu'elle atteint dans l'observation IV et dans l'observation qui fait le su-

jet de ce travail.

L'observation de Pierret se distingue encore plus particulièrement par

le début précoce, à 4 ans, et les circonstances particulières (chute sur la

tête) qui l'ont accompagné. Dans toutes les autres observations le début a

eu lieu après 30 ans.

L'hérédité nerveuse est relevée dans l'observation de Menzel et dans

celle de Thomas (obs. V). Le malade de Menzel avait trois frères et trois

soeurs : le frère aîné était bien portant ; le second frère tremblait, le troi-

sième était faible, mais il n'existait aucun tremblement dans ses mou-

venients, la démarche n'était pas incertaine. Une soeur plus vieille tomba

malade à 30 ans, la marche était hésitante, elle ne pouvait maintenir la

tête dans une attitude fixe, elle tombait assez souvent sur le côté, elle fut

plus fard atteinte de délire et se suicida. Une autre soeur avait également

une démarche incertaine. Une troisième soeur, de constitution faible,

n'est atteinte d'aucune maladie nerveuse. La mère, bien portante dans sa

jeunesse, fut plus lard atteinte d'oscillation de la tête et sa démarche était

incertaine. Les antécédents héréditaires du malade de Thomas (obs. V)

sont les suivants : la mère hystérique à grandes crises devint folle et

mourut dans un asile ; un cousin germain est aliéné depuis la vingtième

année; des six enfants qu'a eus la malade cinq sont morts en bas âge, le

seul survivant a souffert d'accès convulsifs répétés. La question de l'héré-

dité similaire et du caractère familial ne se pose par conséquent que pour

le malade de Menzel et^bien que les renseignements cliniques sur les

différents membre(fua famille soient assez vagues, l'hérédité similaire

et familiale ne semblent pas faire défaut.

Parmi ces observations, l'observation de Menzel et celle de Thomas

ont de grandes ressemblances avec l'observation l'de ce travail, mais les

354 J. DEJERINE ET A. THOMAS

quelques différences d'ordre anatomique, clinique et étiologique que nous

avons signalées nous empêchent de les ranger sans hésitation dans le

même groupe. L'observation de Rojel, et Collet s'en distingue nettement

- par la consistance squirrheuse du cervelet, et d'ailleurs à cause de l'ab-

sence d'examen histologique de cet organe l'assimilation est impossi-

ble. Par son évolution, son début précoce, sa nature histologique, le cas

de Pierret diffère notablement des nôtres; reste l'observation de Max

Arndt qui présente le plus d'analogie avec elles, mais l'auteur semble

considérer l'atrophie cérébelleuse qu'il a examinée comme d'origine sclé-

rieuse ; peut-être au contraire la sclérose n'est-elle que secondaire. La

présence de la sclérose ne signifie pas toujours en effet qu'elle est la pre-

mière en date et la cause de l'atrophie ; alors malgré quelques nuances

anatomiques et cliniques cette observation se placerait à côté des nôtres,

auxquelles elle ressemble encore par l'apparition tardive des accidents;

mais on ne saurait se prononcer à ce sujet d'une façon définitive.

Les observations qui ont été citées précédemment ont seules retenu

notre attention ; les atrophies cérébelleuses dans lesquelles les noyaux

centraux sont profondément lésés, au même degré que l'écorce, comme

dans le cas de Schullze (1), ne sauraient être comparées à nos observations

dont la systématisation anatomique est si particulière.

Au point de vue symptomatique, l'affection que nous venons d'étudier

présente plus d'une analogie avec celle que Marie (2) a décrite sous le nom

d'hérédo-ataxie cérébelleuse et qui a fait le sujet de la thèse de Londe (3).

Les observations fondamentales sur lesquelles Marie s'est appuyé pour

établir l'entité morhide de 1 'hérédo-alaxie cérébelleuse sont les observa-

tions de Fraser (1), de Nonne (5), de Sanger Brown (6), de Iilippel et

Durante (7).

taxie cérébelleuse est caractérisée cliniq uernent par la démctl--

che ébrieuse : les malades, dit Londe, ont l'air de chercher à reprendre un

équilibre qu'ils sont sur le point de perdre sans cesse; aussi écartent-ils

les jambes pour élargir leur base de sustentation et être plus sûrs d'eux,

(1) SCIIULT7.E, Ueber einen Fait von Icleinlrirnsclawund rnit clerleneratioraen im verlan-

gerten marke und Ritekellll1aI'/¡e warscheinlich in folge vonAlkoolismus. Virchow Ar-

chiv., 1887,

- (2) Marie, Sur V hérédo-ataxie cérébelleuse. Semaine médicale, 1893.

- (3) Londe, Hérédo-ataxie cérébelleuse. Th. de doct., 19.ï.

(4) Fraser, Defecl of cerebell2cm occuring in brother and sisle ? Glasgow médical

Journal, 1880.

(5) Nonne, 10C. cil.

(6) SANG E Il- Il IIOW.-4, On hereditary alaxu wilh a series of lwenty one cases. Urain>

1892.

(7) Klippel et Duhinte, Contribution à l'élude désaffections nerveuses familiales et

héréditaires. Revue de médecine, 1892,

l'atrophie OLI'0-PONTO-CÉRÉBBLLI;USIz. 355

par l'incoordination des membres inférieurs, les mouvements choréiformes

des bras et des jambes, le tremblement de la tête, les oscillations du tronc

pendant la station debout, l'absence de signe de Romberg. A une période

plus avancée, les membres supérieurs se prennent, la main hésite au

momentde la préhension, elle plane; il existe du tremblement intention-

nel, l'écriture est tremblée ; la tonicité musculaire est exagérée ou la con-

traction musculaire est prolongée ; parfois aussi on observe des secousses

choréiformes des bras, des oscillations latérales des doigts, des contrac-

tions exagérées des muscles de la face qui ont pour résultat des troubles

de la mimique, une expression d'étonnement. La parole est irrégulière,

lente ou explosive, saccadée, sourde, gutturale et monotone. Le tremble-

ment de la tête s'exagère pendant les mouvements, pendant l'émotion et

dans la station debout. La force musculaire est conservée, le sens muscu-

laire intact, le vertige inconstant. Les réflexes rotuliens sont conservés ou

exagérés. La sensibilité olfactive est conservée, la céphalée, les douleurs

de reins, les sensations de fatigue, un état neurasthénique sont habituels.

Il existe une légère diminution des facultés intellectuelles.

L'atrophie papillaire est signalée dans quelques observations et s'accom-

pagne de rétrécissement du champ visuel ; dans les cas de SangerBrown,

les réactions pupillaires il la lumière sont lentes ou abolies ; les secousses

nystagmiformes ont été vues chez la plupart des malades, les paralysies

oculaires existent assez souvent.

Aux observations fondamentales du mémoire de Marie, Londe a ajouté

dans sa thèse les observations de Brissaud et Londe (1), deux observations

personnelles (2) qu'il a recueillies dans le service de Robin; les observations

de Seeligmiiller (3,), de Erb (li.), d'llervouet z) appartiendraient d'après

le même auteur à l'hérédo-ataxie cérébelleuse. L'observation de Mendel

seraitune observation tout,'t la fois à

l'hérédo-atasie cérébelleuse et à la maladie de Friedreich.

Lorsque le mémoire de Marie a paru, il n'existait que deux cas suivis

d'autopsie, celui de Fraser (6) et celui de Nonne. De l'examen anatomique

du cas de Fraser, nous n'avons que peu de renseignements ; l'écorce était

réduite de moitié, les lamelles plus étroites et plus serrées que normale-

ment, les cellules de Purkinje sont moins nombreuses et celles qui per-

sistent sont nettement altérées : la substance blanche présente liile légère

N

(1) Brissaud et Londe, Revue neurologique, 1894. l

(2) Londe, loc. cit. N

( : \) SI : I'LIGMULLI : It, Ileueditüre ataxie mit nystagmlls. Arch. f. Psychiatrie, t. X, p. 222.

(4) Enii, Ueber hereditâre alaxie mit Ki-aiikei-vorsiell2ti,q. Neur. Centraiblatt, 1890.

(5) IIervouet, Gazette médicale de Toulouse, 1893.

(6) Fkaseh, DefecL of cerebebelluzn occuriug in brother and sister. Glasgow me-

dical Journal, 18S0, fasc. 1. "

' &.

356 J. DEJERINE ET A. THOMAS

décoloration, mais en comparaison avec la substance grise, elle parait plu-

tôt trop épaisse ; un examen plus détaillé de l'écorce et de la substance

blanche, du bulbe et de la protubérance, des divers systèmes de fihres qui

sont en connexion avec le cervelet, fait malheureusement défaut.

La lecture des résultats de l'autopsie et de l'examen anatomique du cas

de Nonne ne laisse subsister aucun doute. z L'atrophie du cervelet parait

être une atrophie due à un arrêt de développement; l'encéphale est

plus petit qu'un encéphale normal , toutes les parties constituantes du

cervelet sont macroscopiquement et microscopiquement normales, mais

elles sont moins nombreuses que chez un sujet sain du même âge ; il

n'y a pas de traces, de dégénérescence, ni de lésions cellulaires ; c'est

plutôt un organe petit qu'un organe atrophié, le mot atrophie laissant

sous-entendre un processus de destruction et de régression ; l'auteur fait

en outre remarquer que l'examen des racines antérieures et des racines

postérieures montre qu'à la région cervicale et à la région lombaire, il

existe beaucoup plus de libres fines que normalement, avec diminution

des grosses fibres ; il en est de même pour les nerfs périphériques.

Malgré les restrictions qu'il est prudent de faire sur l'observation de

Fraser, à cause de l'insuffisance de la description anatomique, un rappro-

chement avec colle de Nonne était néanmoins justifié et le nom d'hérédo-

ataxie cérébelleuse était heureusement appliqué par Marie il cet ensemble

anatomo-clinique ; puisque le malade de Fraser et celui de Nonne avaient

l'un et l'autre des frères et des soeurs qui présentaient les mêmes symp-

tômes : cependant le caractère familial remportait dans ces deux familles

sur l'hérédité similairc, aucun indice de cette affection n'ayant été relevé

dans les ascendants directs; mais l'hérédité nerveuse du malade de Nonne

était néanmoins très chargée.

Si une autopsie pratiquée dans la famille des malades de Sanger Brown

ou de Klippel et Durante était venue confirmer les résultats précédents,

le type édifié par Marie sur ces observations et sur celles de Fraser et de

Nonne était définitivement consacré. L'autopsie pratiquée par Meyer (1) sur

le sixième malade de Sanger Brown n'a pas répondu à celle attente : ici,

en effet, il n'y a pas d'atrophie du cervelet ou du moins elle est douteuse,

mais, par contre la moelle est diminuée de volume, il existe des lésions

dans toute sa hauteur, particulièrement prononcées dans la région cer-

vicale ; elles intéressent le faisceau de Goll, le faisceau cérébelleux direct;

les cellules des colonnes de Clarl,e sont peu nombreuses.

Les observations de Sanger Brown ne doivent par conséquent pas être

classées à côté de celles de Fraser et de Nonne sous le nom d'hérédo-ataxie

(1) moyen, The morbid O1za/omy of a case of heredilary alaxy, with introduction

by Dr Sanger Brown. Brain, 1897. Part. LXXIX, p. 276.

l'atrophie OLIVO-PONTO-CÉRÉBELLEUSE 357

; cérébelleuse ; il s'agit vraisemblablement d'une affection différente ; pour

les observations de Klippel et Durante il est impossible de se prononcer,

sans le contrôle d'une autopsie.

Spiller a publié deux observations d'atrophie du cervelet chez le frère

et la soeur; dans les deux cas l'autopsie fut pratiquée et les pièces soumi-

ses à l'examen histologique; l'atrophie du cervelet est dans ces deux cas

très nettement d'origine scléreuse ; comme la maladie présente le carac-

tère familial et bien que l'hérédité n'ait pu être établie, l'auteur croit

néanmoins que le diagnostic d'hérédo-ataxie cérébelleuse peut être posé

mais l'infection parait avoir joué un rôle dans l'apparition de la maladie

et pour Spiller il s'agirait d'une prédisposition familiale, mise en activité

dans les deux cas par une maladie infectieuse qui serait ou la diphtérie ou

la scarlatine.

On ne peut cependant assimiler les malades de Spiller à ceux de Nonne

ou de Fraser; si certaines analogies dans la symptomatologie ou l'évolution

clinique permettent un rapprochement, il ne saurait être maintenu après

un examen sérieux des résultats anatomiques. Les malades de Spiller

peuvent être, il est vrai, considérés comme atteints d'une affection fami-

liale dont le substratum anatomique est une sclérose du cervelet; mais

cette affection n'est sûrement pas la même lIue celle du malade de Nonne ;

il ne s'agit pas davantage d'une affection aussi nettement systématisée que

dans nos observations, la distribution des lésions en aires sclérotiques

suffit à différencier les unes et les autres. L'histoire clinique et les lésions

anatomiques comprises dans ces diverses observations ont été reproduites

et analysées dans la thèse de l'un de nous.

Nous devons à Miura (1) la connaissance de deux observations très inté-

ressantes d'hérédo-ataxie cérébelleuse concernant deux frères.

1

Leur mère avait une affection semblable, la marche était incertaine, la

parole altérée, la vue troublée, les mouvements des bras et des mains étaient

tremblants et incertains ; les mêmes symptômes s'étaient manifestés chez les

fils d'une cousine de la mère et chez un de ses cousins. Le frère aîné du ma-

lade est atteint de la même affection ; ses deux soeurs ont des maladies d'yeux.

Dans les antécédents personnels du malade qui fut autopsié, on trouve la

rougeole lorsqu'il était enfant ; à 18 ans il garda le lit pendant 30 jours pour

le typhus abdominal. A 25 ans, sa démarche devint incertaine; à 30 ans le

corps commença à vaciller, la démarche fut de moins en moins sûre, il devint

maladroit de ses mains ; ces symptômes s'amendèrent puis reparurent plus in-

tenses à 33 ans à la suite d'une période de fièvre et de frissons ; puis il 3 ans

il présenta des troubles de la parole et de la vue ; cependant à une investi-

(1) Miura, Mittheilungen der med. Facilitât der ]{aisel'liclt-.lapanischen universitat

zu Tokzo, Bd. IV, IIeft. 1, 1898.

358 J. dejerine ET A. THOMAS

gation plus minutieuse le malade, avait déjà un voile devant les yeux dès l'âge

de 22 ans ; les troubles de la vue ont beaucoup augmenté à l'âge de 36 ans

et l'ont obligé à suspendre tout travail.

Lorsque le malade fut examiné, il se faisait remarquer par les oscillations

du corps pendant la marche, l'incertitude des extrémités dans tous les actes,

les troubles de la parole et les troubles visuels. Au repos, l'expression du

visage était stupide. La parole est explosive, mal articulée et scandée, parfois

difficilement compréhensible, et provoque parfois une salivation abondante. La

réaction ptipillaire à la lumière et à l'accommodation est lente. Faible nystag-

mus horizontal. Rétrécissement du champ visuel irrégulier et asymétrique.

* L'acuité visuelle est il gauche de 6/6, il droite de 6/9. Les plus gros nom-

bres lui apparaissent voilés. La papille est injectée des deux côtés, mal limitée,

légèrement voilée.

Léger degré de cyphbscoliose de la région dorsale il concavité dirigée à gauche

Lorsqu'il se dirige vers son lit ou s'il s'assied les genoux fléchis, suivant la

mode japonaise, le corps chancelle.

Lorsqu'on commande au malade,après avoir écarté les bras, de faire toucher

les deux index, ce mouvement ne peut davantage être exécuté les yeux ou-

verts que les yeux fermés. Les mains ne tremblent nullement; cependant

l'écriture révèle une grande incertitude et une ataxie manifeste de ses mains.

Les réflexes tendineux du coude et du poignet sont normaux. Dans la

station debout, les jambes sont écartées et les gros orteils en hyperextension ;

le corps est animé d'oscillations qui n'augmentent pas beaucoup pendant l'oc-

clusion des yeux.

Il ne peut marcher sans sa canne et même dans ces conditions il ne peut

avancer sans regarder le sol ; la progression ne se fait pas suivant une ligne

droite, le corps se porte tantôt trop il droite, tantôt trop à gauche, parfois même

en arrière, de sorte qu'il menace de tomber. Les réflexes du genou et du ten-

don d'Achille existent sans exagération, le réflexe crémastérien est plus facile

à provoquer à gauche qu'à droite. Le réflexe cutané plantaire est normal des

deux côtés.

La sensibilité est partout intacte ; la notion de position et le sens musculaire

ne sont pas troublés. Les sphincters fonctionnent bien. Les troubles de l'équi-

libre allèrent toujours en augmentant, les réllexes patellaires disparurent, il

existait une légère hypoesthésie des membres inférieurs. Les sphincters se

prirent ; il eut des vomissements, de l'oedème, des troubles cardiaques auxquels

il succomba.

A l'autopsie, la moelle est plus petite qu'elle ne devrait être pour la taille du

malade. Sur sa face postérieure les méninges sont injectées ; sur les surfaces

de coupe on constate que la moelle est comme affaissée entre les cordons anté-

rieurs et latéraux et les cornes antérieures, particulièrement dans la moelle

dorsale, paraissent atrophiées. Dans la région moyenne de la moelle dorsale

la petitesse de la moelle est frappante, surtout du côté droit. Dans la partie in-

férieure de la moelle dorsale le canal central est dilaté ; vers l'extrémité infé-

' l'atrophie OLIVO-PONTO-CÉRÉBLLLEUSE 359

rieure le canal est dédoublé et ce dédoublement se poursuit jusqu'à l'origine

de la moelle lombaire.

La pie-mère cérébrale est oedématiée et opaque, principalement au niveau

des circonvolutions centrales ; elle est épaissie par endroits. Les circonvolu-

tions centrales et frontales du côté droit sont plus ou moins atrophiées, et les

sillons correspondants élargis. La pie-mère est épaissie au niveau de la base;

les artères de la base et de la scissure de Sylvius sont assez souples.

Dans son ensemble le cervelet est petit et aplati ; la pie-mère qui le recouvre

est très épaissie et très injectée, la substance blanche est ferme. Le pont, la

moelle allongée et principalement le cervelet et la moelle comparés aux autres

parties du système nerveux frappent par leur petitesse.

Dans le pont ce sont les fibres transversales du pédoncule cérébelleux moyen

qui semblent réduites de nombre; par contre les fibres pyramidales ne parais-

sent pas sensiblement diminuées. Au niveau du bulbe la saillie du corps resti-

forme est peu marquée. Il n'existe pas d'altérations histologiques, et les olives

ne présentent aucune anomalie dans leurs cellules ou leurs fibres.

Le cervelet ne pèse que 80 grammes ; comparées il celles d'un cervelet nor-

mal, les fibres de la substance blanche et de ses ramifications dans les lames

et lamelles laissent entre elles plus d'espace libre; la substance blanche et la

substance grise sont également moins développées que chez un individu nor-

mal, mais elles sont bien proportionnées l'une il l'autre. Le nombre et les

rapports réciproques des lames et des lamelles de même que la structure de

l'écorce et des noyaux n'ont subi aucune modification. Dans la substance blan-

che, il n'existe aucune trace de sclérose on d'altération d'aucune sorte. La

moelle est aplatie, mais nulle part il n'existe d'altérations des cellules ni de

dégénérescence des cordons. Le nombre des fibres fines dans les racines n'est.

pas augmenté si ce n'est dans la 6e racine dorsale postérieure gauche et la 3° ra-

cine lombaire postérieure droite.

L'examen des nerfs périphériques n'avait aucun intérêt parce que le malade

était en même temps atteint de Kakke (Béribéri) ; dans quelques nerfs des ex-

trémités inférieures l'auteur a constaté la présence de fibres dégénérées.

Sur les coupes colorées au carmin ou à la nigrosine le champ moyen de la

rétine est coloré en rouge ou en bleu plus foncé, tandis que la périphérie est

plus claire. Cet état est constant sur toutes les coupes sur l'oeil droit comme

sur l'oeil gaucho, mais à gauche les taches rouges sont plus nombreuses et

atteignent la périphérie.

Le frère du malade présente à peu près les mêmes symptômes, et la maladie

a débuté chez lui à de 33 ans. Son histoire et son observation ne seraient

que la reproduction de celle de son frère, nous ne nous y attarderons pas ; nous

signalerons seulement l'absence du réflexe rotulien des deux côtés, la faiblesse

de réflexe du tendon d'Achille, la perte complète de la sensibilité sous tous ses

modes sur la face externe de la jambe et des deux côtés.

Rappelons qu'une de leurs soeurs présente des troubles-de la vue très mar-

qués, consistant en rétrécissement du champ visuel et en altérations du fond

de l'oeil.

360 J. DEJERINE ET A. THOMAS

L'observation de Miura peut être rapprochée de celle de Nonne : les

analogies cliniques et anatomiques sont frappantes, l'hérédité et le caractère

familial y sont nettement signalés ; elles diffèrent cependant au point

de vue clinique par l'état des réflexes patellaires qui sont exagérés chez la

malade de Nonne; mais leur abolition chez le malade de Miura, de même

que des troubles de la sensibilité doit être vraisemblablement attribuée à

la névrite périphérique ; et cette névrite n'est elle-même qu'une manifes-

tation du béribéri ; au point de vue anatomique le cervelet est beaucoup

plus petit chez le malade de Miura (96 grammes) tandis que ie poids du

cerveau ('1.181 : i grammes) est compris dans les limites normales ; le cervelet

du malade de Nonne pesait 120 grammes, mais le poids du cerveau (1.020

grammes) était au-dessous du poids normal (1.150 à 1.170 d'après

Schwalbe). L'atrophie du cervelet, l'absence de lésions histologiques dans

les deux cas, le caractère familial de la maladie et ses manifestations net-

tement cérébelleuses semblent autoriser l'assimilation de ces deux obser-

vations et en faire le prototype de l'bérédo-ataxie cérébelleuse; le terme

d'hérédo-atrophie cérébelleuse, réservé à ces observations, serait bien pré-

férable. Remarquons toutefois que le caractère héréditaire ou familial ou

le syndrome cérébelleux ne suffiraient pas à assimiler entre elles ces deux

observations et que la véritable base de leur identification est le substra-

tum anatomique.

C'est sur lui que nous nous appuierons également pour établir une

distinction fondamentale entre nos malades et ceux de Nonne et de Miura.

Dans nos observations, le syndrome cérébelleux s'est développé dans

toute sa pureté; mais le caractère familial et héréditaire fait défaut; ce

n'est pas, il est vrai, une raison suffisante pour rejeter le diagnostic d'af-

fection familiale ou héréditaire; n'existe-t-il donc pas des cas isolés de

myopathie ou' de maladie de Friedreich ; l'âge avancé auquel s'est déve-

loppée la maladie est par contre peu favorable à l'hypothèse d'une maladie

familiale ou héréditaire. Enfin dans notre observation la petitesse du cer-

velet est due à des altérations régressives, à des atrophies cellulaires et à

des dégénérescences secondaires; le cervelet de l'hérédo-ataxie cérébel-

leuse serait (d'après les observations de Nonne et Miura) un cervelet petit

mais sain arrêté dans son développement, comme d'ailleurs le système

nerveux en général ; celui de nos malades un cervelet malade dont les

éléments cellulaires subissent un processus de destruction lente; il

n'existe qu'un point commun avec le cas de Nonne, c'est la petitesse du

système nerveux en général, bien moins nette il est vrai dans notre ob-

servation.

Londe avait déjà essayé de différencier cliniquement et anatomique-

ment l'hérédo-ataxie cérébelleuse des atrophies du cervelet : les arguments

l'atrophie olivo-ponto-cérébelleuse 361

qui servent de base à sa tentative sont plus spécieux que décisifs ; le ca-

ractère familial dans l'hérédo-ataxie, la coïncidence d'un traumatisme ou

d'une infection, de l'épilepsie ou de troubles mentaux dans l'atrophie non

familiale, oubien la possibilité d'une asymétrie dans l'incoordination, tels

sont les éléments de différenciation que propose Londe entre l'hérédo-

ataxie cérébelleuse et les atrophies du cervelet non familiales; nous

avons déjà dit ce qu'il faut penser du caractère familial ; quant au trau-

matisme et à l'infection, ils peuvent figurer aussi dans les antécédents des

hérédo-ataxiques; l'asymétrie dans l'incoordination fait défaut dans nos

observations, en tout cas elle est un symptôme très inconstant des atro-

phies non familiales. Londe admet qu'anatomiquement l'atrophie non

familiale du cervelet se distingue peut-être encore plus nettement de l'a-

trophie familiale et il ajoute plus loin : « Ces'cas d'atrophie non familiale

que nous avons compulsés pourraient être appelés plus commodément,

pour éviter la confusion, sclérose du cervelet ou atrophies scléreuses » ;

or,nos observations en font foi, la sclérose du cervelet peut faire absolu-

ment défaut dans les atrophies non familiales ; et il existe d'autre part des

affections familiales qui se manifestent cliniquement par des symptômes

cérébelleux, anatomiquëment par une sclérose du cervelet et dans l'ap-

parition desquelles l'infection semble jouer un rôle important (obs. de

Spiller). En réalité, le diagnostic clinique des atrophies cérébelleuses

entre elles est des plus délicats et rien n'est plus malaisé que de l'établir.

On comprend du reste facilement que les atrophies du cervelet, de quel-

que nature qu'elles soient, se manifestent par le même syndrome, le syn-

drome cérébelleux ; suivant l'évolution plus ou moins rapide de la mala-

die, la coexistence de lésions de siège différent, l'individualité, l'intensité

des symptômes peut varier d'un sujet à l'autre, mais leur qualité reste

toujours la même ; ce n'est pas dans les nuances qui peuvent se produire

dans le syndrome cérébelleux ni même dans l'étiologie qu'il faut chercher

les principaux éléments de classification des atrophies cérébelleuses, c'est

dans l'anatomie pathologique.

Que si le syndrome cérébelleux apparaît chez plusieurs personnes de la

même famille, l'hérédo-ataxie cérébelleuse soit soupçonnée, il n'y a là

rien que de légitime, mais nous savons que la lésion peut être de nature

très différente ; 'petitesse de l'organe (Nonne, Miura), atrophie scléreuse

(Spiller), atrophie dégénérative avec lésions de la moelle (Menzel) ; sclérose

de la moelle Si on tient compte de la nature des lésions anato-

miques et qu'on en fasse la base d'une classification, il existe non pas

une hérédo-ataxie cérébelleuse ayant toujours le même substratum anato-

mique, à savoir une atrophie du cervelet, mais des hérédo-ataxies céré-

belleuses reconnaissant comme substratum anatomique des lésions de siège

362 J. DEJERINE ET A. THOMAS

et de nature différents ; ou bien l'hérédo-ataxie cérébelleuse n'est qu'un

syndrome commun il plusieurs affections familiales du système nerveux et

due à une lésion intéressant soit le cervelet, soit les voies afférentes ou

efférentes.

Ce n'est pas, en tout cas, une des moindres curiosités de. la pathologie

cérébelleuse que la fréquence de l'hérédité nerveuse, similaire ou non

similaire et du caractère familial, ou la coexistence des malformations

acquises ou congénitales du système nerveux.

Si on se rallie à celle dernière opinion, on peut envisager la maladie

de Friedreich comme une hérédo-ataxie cérébelleuse.

L'origine vasculaire de la maladie, la nature inflammatoire et scléreuse

de l'atrophie cérébelleuse seront sans doute plus judicieusement soupçon-

nées si les accidents surviennent après une maladie infectieuse ; mais ce

ne sera lit qu'un élément de présomption et non une certitude absolue.

L'affection dont notre première malade est atteinte ne peut par consé-

quent être envisagée comme un cas d'hérédo-ataxie cérébelleuse; l'âge

avancé auquel sont apparus les premiers symptômes, l'absence de toute

affection similaire dans les antécédents de la malade sont peu favorables

à l'hypothèse d'une affection héréditaire ou familiale ; d'autre part rien

dans ses antécédents personnels, dans l'évolution clinique ou dans l'exa-

men anatomique ne permet d'envisager l'atrophie du cervelet comme une

atrophie d'origine inflammatoire.

La pathogénie est des plus obscures et nous ne saurions que reproduire

les conclusions formulées déjà par l'un de nous ; elle est aussi obscure

que d'autres atrophies cellulaires primitives telles que l'atrophie des

cellules des cornes antérieures dans la maladie de Duchenne-Aran.

En l'absence d'autopsie et après les considérations précédemment expo-

sées, nous ne saurions établir un rapprochement absolu entre l'observa-

tion I et l'observation II : cependant en raison des grandes analogies

symptomatiques et de quelques particularités cliniques, il nous a paru

intéressant de la reproduire.

En résumé la classification précédemment proposée des atrophies du

cervelet en atrophies scléreuses, dégénératives et simples, comprend tous

les cas. Cette classification anatomique nous semble la meilleure parce

que le même tableau clinique et peut-être les mêmes données étiologiques

leur appartiennent en commun. Les atrophies généralisées sont le plus

souvent systématisées ; elles s'associent à d'autres dégénérescences systé-

matiques ou restent pures : atrophie olivo-ponto-cérébelleuse.

L'apparition de troubles de l'équilibre, analogues à ceux des atrophies

cérébelleuses au cours d'affections dans lesquelles le cervelet n'est pas direc-

l'atrophie OL1V0-PONTO-CÉRÉBELLEUSE 363

tement en cause, nous impose quelques réserves sur la facilité du diagnostic

de l'atrophie du cervelet et de l'atrophie olivo-ponto-cérébelleuse en parti-

culier, bien que dans la plupart des cas on puisse, par un examen métho-

dique et minutieux et avec une quasi-certitude, diagnostiquer une atrophie

cérébelleuse.

Le diagnostic avec d'autres affections du cervelet telles que tumeurs,

abcès, ne comporte pas, par contre, dans la grande majorité des cas, de

difficultés sérieuses.

Duchenne de Boulogne (1) a le premier tenté d'établir le diagnos-

tic des affections cérébelleuses et de l'ataxie locomotrice : bien que

cette dernière maladie se traduise cliniquement par un ensemble de symp-

t6mesdesplus caractéristiques, quelques-uns cependant lui sont communs

avec les affections cérébelleuses, et parmi eux la titubation ; c'est elle qui

a particulièrement attiré l'attention de Duchenne de Boulogne; il est

arrivé à cette conclusion que la titubation cérébelleuse n'est pas produite

par l'incoorcliua·tiou des mouvements, mais par le vertige : « c'est pour-

quoi, dit-il, je l'ai appelée titubation vertigineuse ». Au contraire, d'après

le même auteur, la titubation de l'ataxie locomotrice n'est pas produite

par les vertiges, elle s'explique seulement par la perte de la faculté de

coordonner les mouvements ; « c'est pourquoi, dit-il, je l'ai appelée titu-

bation asynergique. » -

Cette différenciation ne doit plus guère être admise que pour une

certaine catégorie d'affections cérébelleuses, et plus spécialement pour

celles qui par leur nature et leur évolution anatomique agissent par irri-

tation et par compression ; ce sont précisément celles-là que Duchenne de

Boulogne a eu le plus fréquemment occasion d'observer et d'étudier, c'est-

à-dire des tumeurs, des méningites, des abcès; le vertige compte en effet

parmi les symptômes révélateurs, mais il n'est pas certain qu'il soit exclu-

sivement l'agent provocateur de la titubation, ou qu'il reconnaisse pour

cause unique la lésion céréoelleuse. Si par contre on dépouille les obser-

vations relativement moins nombreuses dans lesquelles on a trouvé à

l'autopsie un cervelet atrophié ou sclérosé, on est frappé par l'absence ou

la rareté du vertige ; il joue un rôle effacé dans la production de la tituba-

tion ou même elle en est absolument indépendante et la titubation céré-

belleuse ne mérite plus ici d'être surnommée vertigineuse. La conception

de Duchenne de Boulogne sur la physiologie pathologique de la titubation

cérébelleuse ne doit plus être maintenue, du moins en ce qui concerne les

atrophies du cervelet.

Outre le vertige, l'intensité et le caractère extrêmement désordonné de

(9) Duchenne DE BOULONNE, De l'électrisalion localisée, 1872.

364 J. DEJERINE ET A. THOMAS

la titubation, la plus grande fréquence de l'asymétrie, la coexistence de

troubles oculaires et plus spécialement la stase papillaire, les vomisse-

ments, la céphalée, sont des excellents éléments de diagnostic des tumeurs,

abcès ou méningites cérébelleuses, sans compter les symptômes qui ne

relèvent ni de l'hydropisie du liquide céphalo-rachidien ni de la localisa-

tion cérébelleuse de la tumeur, mais de son extension à d'autres organes,

bulbe ou protubérance, c'est-à-dire des paralysies de la sensibilité ou de

la motricité.

Le tabes est si bien connu cliniquement que l'hésitation avec le diagnos-

tic d'atrophie cérébelleuse peut être envisagé comme une éventualité

exceptionnelle, et faire le diagnostic de l'un et de l'autre consisterait sim-

plement à énumérer les symptômes fondamentaux de la maladie de

Duchenne, signe de Westphal, signe d'Argyll Robertson, signe de Rom-

berg, etc. ; rappelons à ce propos que le signe de Romberg ne s'observe

pas dans les atrophies cérébelleuses.

Les caractères mêmes de la titubation, l'instabilité dans la station

debout et les oscillations du corps, la scansion de la parole, le nystagmus

sont des symptômes communs à la maladie de Friedreich et à l'atrophie

cérébelleuse. La maladie de Friedreich a un début plus précoce, vers

l'âge de la puberté, elle a une évolution plus lente, elle compte en outre

dans sa symptomatologie de l'ataxie des membres, des déformations telles

que la scoliose et le pied-bot qui sont des éléments de diagnostic de pre-

mier ordre; la scoliose est, en effet, très rare dans l'atrophie cérébelleuse ;

l'observation de Botl;in et celles de Londe dans lesquelles on retrouve ce

symptôme n'ont pas été suivies d'autopsie ; Londe qui a examiné cinq ma-

lades atteints d'hérédo-ataxie cérébelleuse l'aurait rencontrée chez trois;

elle est mentionnée également dans l'observation de Nonne et Miura,

mais chez tous ces malades ce n'était qu'un léger degré de cyphose ou

scoliose. Dans un certain nombre d'observations d'hérédo-ataxie céré-

belleuse, Marie relève des signes oculaires tels que l'atrophie papillaire,

le rétrécissement du champ visuel, le signe d'Argyll Robertson, symptômes

d'une grande rareté dans la maladie de Friedreich, inconstant dans l'hé-

rédo-ataxie.

Dans la maladie de Friedreich les réflexes sont abolis ; ils ont été trouvés

- exagérés dans la plupart des cas d'atrophie du cervelet ; d'après Londe, il

y a des cas où le tableau clinique réduit de part et d'autre (maladie de

Friedreich et hérédo-ataxie cérébelleuse) à l'ataxie cérébelleuse généra-

lisée ne diffère que par le plus ou moins d'intensité des réflexes rotuliens :

cette conclusion semble exagérée et dans les cas bien authentiques, avec

confirmation anatomique, le diagnostic de maladie de Friedreich avait été

fait. l.

l'atrophie OLIVO-PON'1'0-CÉItÉBELLEUSE : ! 6o 5

L'ataxie de la maladie de Friedreich ressemble davantage à l'ataxie cé-

rébelleuse que celle du tabès dans la maladie de Friedreich, en effet,

les cordons postérieurs et surtout les racines postérieures sont relative-

ment moins malades que dans le tabes, mais les faisceaux cérébelleux

directs et les colonnes de Clarke sont profondément altérés et ces altéra-

tions peuvent* à la rigueur, donner l'explication du caractère cérébelleux

de la titubation, qui dans le tabès diparait dans les phénomènes com-

plexes de l'ataxie périphérique généralisée; c'est sans doute pour la

même raison que les symptômes nerveux consignés dans certains cas

d'anémie pernicieuse rappellent la titubation cérébelleuse, les lésions se

localisant fréquemment sur les cellules des colonnes de Clarke et les fais-

ceaux cérébelleux directs (Dejerine et Thomas) (I) : l'évolution rapide de

l'anémie pernicieuse, la moindre intensité de la titubation, la coexistence

de troubles nerveux de nature différente faciliteront le diagnostic. Il

faut faire toutefois quelques réserves sur la physiologie pathologique de

l'ataxie cérébelleuse dans la maladie de Friedreich ou dans l'anémie per-

nicieuse, l'attention n'ayant pas été suffisamment attirée du côté du cer-

velet ; dans le cas de maladie de Friedreich qu'il a publié, Auscher l'a

trouvé atrophié, il serait désirable que, dans les autopsies futures, le cer-

velet fût examiné histologiquement et en coupes sériées afin de lever toute

espèce de doute à cet égard. ,

En se fondant sur l'observation de Menzel, où l'atrophie cérébelleuse

est associée à des lésions médullaires de même topographie que la maladie

de Friedreich, Londe entrevoit une certaine parenté entre l'hérédo-ataxie

cérébelleuse et la maladie de Friedreich, qu'il compare tant au point de

vue anatomique qu'au point de vue clinique. Les mêmes troubles de l'é-

quilibration qui les caractérisent seraient dus à la dégénérescence d'un

système cérébro-médullaire encore imparfaitement connu. « Dans la ma-

ladie de Friedreich, le système cérébro-médullaire serait touché dans sa

partie médullaire surtout ou exclusivement; dans ]'hérédo-ataxie céré-

belleuse,le même système ne serait atteint que dans la portion cérébelleuse

au moins au début. » Cette conception si séduisante ne nous parait pas

résister à un examen minutieux des faits. Il faut tenir compte en ell'et non

seulement de la localisation anatomique, mais encore de la nature des

lésions.

Le diagnostic avec la sclérose en plaques est parfois délicat; suivant

la. description de Charcot, la démarche de la sclérose en plaques peut

affecter plusieurs aspects; il en existe trois types principaux : le type

(t) Dejerine et Thomas, Elude clinique et anatomique des accidents nerveux déve-

loppés au cours de l'anémie pernicieuse. Cinquantenaire de la Société de biologie,

1SU9. '

1111

366 J. DEJERINE ET A. THOMAS

spasmodique, le type cérébelleux, le type spasmo-cérébelleux ; ajoutons à

cela que le nystagmus, la parole scandée, le tremblement intentionnel

appartiennent à ces deux affections ; le tremblement intentionnel est moins

constant et en tout cas moins intense dans l'atrophie cérébelleuse que

dans la sclérose en plaques; la parole est également moins explosive et les

secousses il) slagmiques moins brusques et moins amples ; l'état parétique,

la contracture, l'étal spasmodique des membres supérieurs et inférieurs sont

pour ainsi dire constants dans la sclérose en plaques, exceptionnels dans

l'atrophie du cervelet ; l'exagération- des réflexes est plus considérable

dans le premier cas. Babinski (1) fait remarquer, et à juste raison, que le

tremblement intentionnel, la parole scandée et le nystagmus ne sont pas

caractéristiques de la sclérose en plaques ; mais d'après lui ils doivent être

considérés comme la manifestation d'une lésion cérébelleuse et s'ils sont

si communs dans la sclérose en plaques t le, c'est qu'il existe des plaques

protubérantielles qui intéressent les libres cérébelleuses. Lorsque les

plaques de sclérose sont limitées à la moelle, ces troubles font défaut.

Sans nous prononcer d'une façon définitive sur le rôle que jouent les lé-

sions des fibres cérébelleuses dans la patliogénie de certains symptômes

de la sclérose en plaques, nous ferons remarquer que, dans les lésions lo-

calisées au cervelet et généralisées à toute l'écorce, ces symptômes ac-

quièrent une moindre intensité que dans les lésions irrégulièrement dis-

tribuées sur les fibres cérébelleuses, soit à l'intérieur soit à l'extérieur du

cervelet, comme c'est le cas dans la sclérose en plaques.

Les malades atteints de paralysie pseudo-bulbàire ont des troubles de la

marche, « marclie à petits pas », associés à une diminution de l'équilibre,

un peu d'incertitude,du tremblement des membres, symptômes qui peuvent t

en imposer pour une lésion du cervelet ; peut-être ces troubles ont-ils pour

cause l'existence de petits foyers de ramollissement disposés sur le par-

cours des fibres cérébelleuses dans leur trajet intra-protubérantio) ; les

symptômes de duplégie faciale, les troubles de la déglutition, la dysar-

thrie, la parésie des membres, le rire et le pleurer spasmodiques appar-

tiennent à la paralysie pseudo-bulbaire et la distinguent nettement de

l'atrophie du cervelet.

On a signalé chez certains individus atteints de surdité des troubles

de la statique et de la locomotion qui présentent les plus grandes ressem-

blances avec la titubation cérébelleuse. Voltolini a appelé l'attention au-

trefois sur ces faits. Comme chez les cérébelleux, la station debout ne

peut avoir lieu que les pieds écartés, la base de sustentation est élargie;

il leur est impossible de se tenir sur une jambe. La démarche est incer-

(1) Babinski, Société de neurologie de Paris, le, février 1900.

L'ATROPHIE OLIVO-PONTO-CÉRÉBELLEUSE 367

taine, le corps se portant alternativement trop à droite ou trop à gauche ;

les pas' sont inégaux, irrégulièrement espacés. L'énergie musculaire est

très diminuée et la fatigue survient vite. En dehors de la surdité qui est

bilatérale et très intense sinon absolue, il existe quelques signes qui faci-

litent le diagnostic.

Dans l'otite labyrinthique, le signe de Romberg est de règle, les varia-

tions d'attitude céphalique augmentent considérablement la déséquili-

bration, la faiblesse musculaire est plus grande ; en outre lorsqu'on soumet

le malade à des mouvements passifs de rotation ou de translation, l'orien-

tation de ces mouvements n'est plus perçue, le vertige et le nystagmus ro-

tatoire qui chez l'individu normal apparaissent après une rotation autour

de l'axe longitudinal ont disparu; le passage du courant galvanique à

travers les deux oreilles n'est pas davantage suivi de vertige ou de nys-

tagmus. Des troubles de l'équilibration il est vrai moins prononcés et en

quelque sorte à l'état d'ébauche, ont d'ailleurs été observés chez les

sourds-muets et James (1) a constaté chez quelques-uns d'entre eux que

l'orientation dans l'eau est impossible et qu'abandonnés à leurs propres

moyens ils se noieraient, ce qui est conforme aux expériences d'Ewald(2)

et de l'un de nous (3) qui ont observé chez l'animal privé de ses deux

labyrinthes la même impuissance à se diriger et à s'orienter dans l'eau,

tandis que chez les animaux privés de leur cervelet la nage est encore

possible (Luciani (4), Thomas). Il serait intéressant d'interroger doréna-

vant à cet égard les malades atteints d'affection cérébelleuse.

Cependant chez quelques malades les signes précédents n'existent pas

au complet et Egger (5) a rapporté une observation intéressante de dissocia-

tion pathologique de l'organe statique et de l'organe kinétopercepteur ou

appareil semicirculaire : le malade atteint de surdité complète présentait

des troubles de l'équilibre rappelant ceux d'un cérébelleux, mais la notion

de la direction du mouvement et les mouvements compensateurs des yeux

dans les mouvements passifs de rotation étaient conservés chez ce malade;

le signe de Romberg et t'influence des variations d'attitude céphalique sur

l'équilibre étaient au contraire très manifestes.

L'astasie abasie, la neurasthénie, l'hystéro-neurasthénie révèlent par-

fois les caractères des atrophies cérébelleuses \ le diagnostic est le plus

(1) James, The serse of dizziness in deaf-mutes. Americ. Journ. of Otology, 1882.

(2) EwALD, Physiologische unlersuchungen uebeo das Endorgan des nervus octavus.

Wiesbaden, 1892.

(3) Thomas, Elude expér. sur les fonctions du labyrinthe. Revue intern. de Rhin.

Otol. Laring., 1899.

(i) Luciani, Il ceruellelo. Nuovi sludi di fisiologia nomzale e l'alologica. Firenze,

1891.

(3) Euoea, Troubles vestibulaires. Etude physiologique et clinique. Revue interna-

tionale de Rhin. otoi. Laryngol., 1899.

368 J. DEJERINE ET A. THOMAS

souvent facile (il ne soulève qu'exceptionnellement des difficultés) ; il ne

faut pas oublier que dans les névroses le début des accidents est plus

rapide, leur évolution plus bizarre ; elles sont susceptibles de variations

brusques dans l'intensité des symptômes, le nystagmus et les troubles de

la parole sont plus rares; la maladie est plus accessible à la suggestion,

elle paraît parfois plus affectée que naturelle.

Nos observations concordent avec les résultats obtenus par la physiolo-

gie expérimentale : les troubles de l'équilibre et de la locomotion et l'in-

tégrité relative des mouvements isolés des membres sont particulière-

ment favorables à la théorie qui fait du cervelet un centre réflexe de

l'équilibration (Flourens, Thomas). L'asthénie, la fatigue rapide, une lé-

gère diminution du tonus plus apparente, il est vrai, dans certains mus-

cles, les adducteurs de la cuisse par exemple, les oscillations du corps

sont également favorables à la théorie de Luciani d'après laquelle le cer-

velet exerce, à l'état normal sur le reste du système nerveux, une influence

qui se traduit par une action neuro-musculaire sthénique, tonique et sta-

tique, c'est-à-dire une action complexe par laquelle le cervelet augmente

l'énergie potentielle dont disposent les appareils neuro-musculaires (action

sthénique), il accroît le degré de leur tension durant la pause fonctionnelle

(action tonique), il accélère le rythme des impulsions élémentaires durant

leur activité fonctionnelle et il assure la fusion normale et la continuité ré-

gulière des actes. La différence principale entre les deux théories est que

d'après la première, cette action complexe est spécialement affectée au

maintien de l'équilibre; dans la seconde au contraire,cette action est géné-

rale, et d'après Luciani la destruction du cervelet chez l'animal n'entraîne

nullement une perturbation du sens de l'équilibre, certains phénomènes

démontreraient au contraire que ce sens fonctionne normalement. Nous

croyons inutile d'insister plus longuement sur les raisons qui sont en faveur

de l'une ou de l'autre de ces théories, cette question ayant été déjà discutée

par l'un de nous ; mais en présence des symptômes par lesquels se tradui-

sent les atrophies cérébelleuses, il est impossible de nier que le cervelet

joue un rôle important dans l'équilibration ; les fonctions de l'équilibra-

tion sont d'autre part, profondément troublées, sans être absolument abo-

lies, ce qui tient d'une part à l'intégrité relative des noyaux centraux

ou la conservation de quelques régions de l'écorce dans la plupart des

cas et d'autre part à la suppléance exercée par le cerveau et le labyrin-

the, ce qui a été démontré expérimentalement (Lange (1), Thomas).

Chez notre deuxième malade dont l'équilibre a été examiné dans un

grand nombre d'attitudes et de variations d'attitude, l'apparition de mou-

(I) Lange, 7HM/e ! cet< sind die symptôme, welolie nach zerslorung des Kleinhil'1ls.

beobacht. et loerilen, auf Verlelzunen des Acuslicus zui,i4ckzufult,en ? Pflùger Archiv.

50, p, 115,

l'atrophie OLIVO-PONTO-CÉRÉBELf.EUSE 369

vements impropres au but atteint, sur lesquels Babinski (1) a appelé l'at-

tention en les décrivant sous le nom d'asynergie cérébelleuse, démontre

une fois de plus l'intervention du cervelet et son rôle coordinateur dans

tous les mouvements dans lesquels l'équilibre du corps est en jeu.

Les atrophies du cervelet s'accompagnent cependant de quelques symp-

tômes qui sont étrangers aux troubles de l'équilibre : ce sont un léger

tremblement des membres supérieurs, les secousses nystagmiformes,

les altérations de la parole; le cervelet aurait-il encore d'autres fonctions ?

Le tremblement des membres supérieurs n'existe pas au repos, il appa-

raît à propos d'un mouvement intentionnel, mais le plus souvent avec une

très faible intensité et souvent même il fait défaut; chez quelques malades

et chez les nôtres en particulier, c'est plutôt un léger degré de maladresse

qu'un tremblement réel ; peut-être a-t-il sa raison d'être dans la dispa-

rition des fibres qui constituent le faisceau cérébelleux descendant; avec

cette réserve que l'existence du faisceau cérébelleux descendant chez l'hom-

me n'est encore qu'hypothétique.

L'un de nous avait émis l'hypothèse que les troubles de la parole sont

en rapport avec une fixité imparfaite de la tête, et chez le malade observé

par Menzel la parole était moins altérée lorsque la tête et le haut du corps

étaient bien soutenus, lorsque le malade était dans une position dont le

maintien exige peu d'efforts, dans le lit par exemple. Il faut reconnaître

cependant qu'il ne s'agit laque d'une atténuation et non d'une disparition

complète des symptômes. Le nystagnus est dû sans doute à l'interruption

ou à une altération fonctionnelle des fibres qui relient normalement le

cervelet au noyau de Deiters Bechterew et par l'intermédiaire de ce der-

nier aux noyaux oculomoteurs.

Il ne faut pas oublier toutefois que dans la plupart des cas l'atrophie

des olives, et la protubérance et la petitesse du système nerveux central

coexistent avec l'atrophie cérébelleuse et peu(être jouent-élles un rôle

dans l'apparition de ces phénomènes.

En résumé, il est difficile de se rendre compte du mécanisme physiolo-

gique du tremblement des membres, du nyslagmus, de l'altération de la

parole, et il est actuellement impossible de se prononcer sur leur cause

immédiate. ,

(t) Babinski, De Vasynergie cérébelleuse. Revue neurologique, 1899, n° 22.

370 J. DEJERINE ET A. THOMAS

A la fin de ce travail, nous croyons pouvoir poser les conclusions sui-

vantes :

Il existe une affection cérébelleuse caractérisée anatomiquement par l'atro-

phie de l'écorce, des olives bulbaires et de la substance grise du pont, par la

dégénérescence totale du pédoncule cérébelleux moyen et par la dégénérescence

partielle du corps restiforme, par l'ntégrité relative des noyaux gris cen-

traux : c'est une atrophie primitive dégénérative systématique, ni scléreuse,

azin flazzmcctoiz°e. Cliniquement elle est moins bien caractérisée, elle se ma-

nifeste par le syndrome cérébelleux commun à toutes les atrophies cérébelleu-

ses. Elle n'est ni héréditaire ni familiale, ni congénitale, elle survient et

un dge avancé. Son étiologie est obscure. Elle rentre dans le cadre des atro-

phies cellulaires primitives. Nous la désignons sous le nom d'atrophie olivo-

pou to-cérébelleuse.

HOSPICE DE BICL'TRE

TRAVAIL DU LABORATOIRE Des1. LE D'' PIERRE MARIE

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE

PAR R

RENÉ MARTIAL

(Suite)

Anatomie pathologique.

1

Sur tous les cas d'hémiplégie traumatique que nous avons trouvés ou

observés nous-même, nous avons relevé 43 fois la mention exacte de la

région du crâne atteinte par le coup. En voici la liste par ordre de fré-

quence :

372 RENÉ MARTIAL .

choc sur les régions temporale et pariétale, ou plus généralement sur la

région temporo-pariétale.

Dans ces plaies, le cuir chevelu a subi un écrasement plus ou moins

complet, les bords de la solution de continuité sont plus ou moins aplatis

et déchiquetés et assez souvent l'os est à nu.

Parfois il ne présente pas de fracture, quelquefois une simple fêlure

que l'on perçoit plus facilement au moment d'inciser pour la trépanation.

Mais d'habitude il y a fracture comminutive de la table externe avec en-

foncement plus ou moins profond. Rarement le fragment détaché et en-

foncé est unique, il y a presque toujours un fragment principal et des

esquilles d'un volume variable..Cependant dans un cas observé par un

auteur anglais, il n'y avait qu'un seul fragment. Ce fragment présentait

une surface assez étendue et l'action du corps contondant ayant persisté

sur l'un de ses bords, après la fracture, on l'avait trouvé complètement

retourné dans la plaie cérébrale, la table interne regardant en dehors.

Très souvent on rencontre dans ces plaies des corps étrangers, débris

du corps traumatisant, c'est ainsi que l'on a retiré des morceaux de lames

de couteau, des débris de charbon de dimensions relativement considéra-

bles. Un morceau de lame de couteau avait cinq centimètres de long, un

fragment de charbon avait la grosseur d'une noix.

L'écoulement de sang au dehors n'est jamais bien conséquente dans ces

plaies, d'ailleurs quel que soit le mode de blessure du crâne, l'hémorrhagie

visible est toujours de quantité minime.

A côté des plaies contuses, qui sont les plus fréquentes, il y a les plaies

pénétrantes : par balle de revolver, par pénétration d'une tige dans une

des cavités de la face ou par pénétration dans la face elle-même et ensuite

dans le cerveau.

Comment se produit l'hémiplégie dans le cas de fracture avec enfonce-

ment ou par contusion ?

Ainsi qu'on peut le constater en lisant le tableau que nous avons donné

ci-dessus au sujet de la fréquence des traumatismes suivant les régions qu'ils

affectent, la partie de la calotte crânienne atteinte est loin d'être indiffé-

rente. Au point de vue de l'hémiplégie, un coup même d'une grande vio-

lence (un coup de pied de cheval) portant en plein sur l'occipital ne donne

pas d'hémiplégie. Mais si le traumatisme porte sur le bord de l'écaille

de l'occipital, la lésion produite a pour conséquence l'hémianopsie. Or

nous savons avec quelle fréquence cette affection accompagne l'hémiplé-

gie.

Il s'agit là d'une lésion de la région calcarine qui est considérée comme

une sphère visuelle, ou des parties qui l'avoisinent.Un fragment de l'écaillé

s'enfonce dans la substance cérébrale. Suivant M. Monakow, de Zurich, il

DE l'hémiplégie TRAUMATIQUE 373

suffit, pour que l'hémianopsie se produise, que la lésion porte sur le bord de

l'écaille, en quelque point que ce soit. Il y a production d'une hémianopsie

corticale à cause delà facilité avec laquelle les radiations visuelles peuvent

être atteintes dans cette région. La lésion peut d'ailleurs être produite par

l'intermédiaire d'un épanchement comprimant la sphère visuelle. Schloffer

dit que même la lésion du bord du pariétal correspondant, sans lésion du

bord occipital, ne peut déterminer l'hémiopie, à moins que le traumatisme

ne porte jusque dans la profondeur et n'atteigne les radiations visuelles. On

trouve d'ailleurs un grand nombre d'hémianopsies latérales homonymes à

la suite de lésions du bord occipital dans la collection Henschen. Cependant

le point exact du bord de l'écaille qui correspond à la calcarine n'est point

encore déterminé et les parties avoisinantes ont été successivement dési-

gnées comme pouvant déterminer l'hémianopsie. D'ailleurs il suffit

que les faisceaux de la substance blanche qui se rendent à la sphère

visuelle soient atteints, de sorte que le siège du délabrement peut varier

un peu.

Enfin, il est une autre condition qui importe pour obtenir la lésion des

radiations visuelles, c'est la direction même du coup. Il faut en général

qu'elle ne s'écarte pas trop de la perpendiculaire, sans quoi elle risque

de glisser trop en avant, ou trop en arrière et sur le côté de l'écorce, ne

pénétrant cette dernière qu'en un point trop éloigné de la région calca-

rine.

Les traumatismes portant sur la suture sagittale ou sur la partie la

plus élevée d'un des pariétaux sont rares, cependant la proximité des

zones motrices corticales pourrait expliquer une paralysie. D'habitude

cette dernière survient par lésion delà région temporo-pariétale, l'os tem-

poral n'étant guère plus souvent atteint que le pariétal. Lorsque, dans

cette région, survient une fracture avec enfoncement, la paralysie, l'apha-

sie s'expliquent facilement. En effet, les pariétales et frontales ascendantes,

la scissure de Sylvius, le sillon de Rolando sont immédiatement au-dessous

ou dans le voisinage très proche de la lésion et le seul fait de l'enfonce-

ment d'un fragment d'os explique la paralysie par compression, sans

compter que les esquilles ou les bords déchiquetés du fragment peuvent

déchirer, lacérer la substance cérébrale, d'une manière directe.

Mais ici intervient une autre circonstance très importante. C'est l'hémor-

rhagie et l'hématome dus à une lésion de l'artère méningée moyenne.

Cette artère est très exposée aux chocs : elle est relativement très superfi-

cielle, l'os est précisément dans son territoire d'une moindre épaisseur,

et ses branches l'exposent d'autant plus à la lésion qu'elles sont plus nom-

breuses. Leur blessure donne lieu à deux sortes d'hémorrhagies : les

diffuses et les circonscrites. Or, d'après tous les auteurs, ces dernières se

374 RENÉ MARTIAL

produisent le plus souvent dans la région temporo-pariétale, il est plus

rare qu'elles affectent principalement la région pariéto-occipitale ou la

région fronto-temporale. En tout cas il résulte de la lésion de l'artère

méningée moyenne ou de ses branches une collection qui agit par com-

pression sur les zones motrices et sur le centre de la parole. D'où : hémi-

plégie, compliquée au besoin d'aphasie.

SchlBfter de Prague prétend que cette hémorrhagie peut être diagnos-

tiquée. Il fait, en effet, remarquer que entre la perte de connaissance qui

suit le traumatismecrânien (et c'est un symptôme de commotion cérébrale),

et les signes de compression tels que : somnolence, ralentissement du

pouls, il y a un intervalle de lucidité. Il dit que cet intervalle de lucidité

peut être considéré comme un signe de l'hémorrhagie de l'artère méningée

moyenne ou d'une de ses branches. Cet intervalle serait d'ailleurs d'une

durée fort variable et pourrait n'être ou que de deux heures ou aller

jusqu'à deux mois.

Un autre signe de cette hémorrhagie serait naturellement le nombre des

hémiplégies consécutives et des convulsions puisque les zones motrices

corticales sont comprimées.

Au point de vue de l'intervention, il est un autre signe de lésion de

l'artère méningée moyenne que Schloffer dit n'être pas rare : c'est la

dilatation de la pupille du côté de l'artère blessée.

D'après Schlôffer, Wiesmann l'avait trouvé 70 fois sur i;î cas d'hé-

morrhagieet Ransenhoffauraitpratiquéune fois la trépanation avec succès

rien que sur ce seul signe.

En ce qui concerne l'hémiplégie traumatique en particulier, nous ne

l'avons notée que sept fois sur quarante-sept cas. Il ne nous est pas possible

d'en tirer un signe clinique quant au siège de la lésion, car nous n'avons

trouvé aucune autopsie qui nous renseigne à cet égard. Quant aux trépa-

nations,à peine pourrions-nous compter deux cas où on trouva l'hématome

correspondant à la dilatation de la pupille, ce qui n'est vraiment pas suf-

fisant pour proposer cette coïncidence comme signe clinique.

Hutchinson explique cette dilatation de la pupille par compression de

la racine de l'oculo-moteur commun, cette compression s'effectuant quand

l'hémorrhagie gagne la base du crâne.

Quant aux traumatismes portant sur le frontal, ou sur les sinus frontaux,

ils sont insignifiants, nous n'en avons relevé qu'un seul cas dans notre

statistique. Ces traumatismes, même atteignant la substance cérébrale,

n'entraînent pas la paralysie. Lépine (thèse agrégation, 187;;) signale une

hémiplégie due à une hémorrhagie de la partie postérieure du lobe frontal,

DE L'HÉMIPLÉGIE traumatique 375

encore ne s'agit-il pas là de traumatisme mais d'hémorrhagieet deramol-

lissement simples.

Dans deux cas cités par Browning, des traumatismes violents : un paveur

recevant un coup sur la tête, un homme étant précipité du haut de sa voi-

ture sur la tête, n'ont pas amené de fracture apparente et visible du crâne.

Les sujets ont pu après quelques jours de repos reprendre leurs occupa-

tions,mais comme au bout d'un certain temps ils présentaient des signes de

paralysie, ils s'alitèrent, et moururent. A l'autopsie on trouva chez chacun

d'eux une fracture de la base du crâne. Il y a donc un mode indirect

de fracture qui peut avoir pour conséquence une hémiplégie tardive.

Il se peut même qu'il n'y ait pas du tout de fracture de la boîte osseuse

du cerveau et qu'il y ait cependant une hémiplégie. Dans ce cas,comment

se produit-elle et l'absence de fracture coïncidant avec une hémiplégie est-

elle le signe certain d'une hémorrhagie ?

Les faits qui rentrent dans cette catégorie sont ceux qui concernent

l'hémiplégie traumatique tardive.

L'hémorrhagie infra-crânienne est possible sans fracture des os. Cela

résulte des expériences du Dr Félizel. Ce dernier remplissant un crâne de

paraffine fondue, la laissait se figer. Ensuite, suspendant ce crâne, il le

laissait tomber droit sur le sol.

Après ouverture des os, on trouvait, répondant au point sur lequel le

choc avait porté, un aplatissement ou une dépression en nappe du bloc

de paraffine. La proximité de l'artère méningée moyenne de la paroi

peut donc expliquer sa rupture même sans fracture ou avec une simple

fissure. Mais si cela nous explique la production des hématomes de la

dure-mère dans ce cas, il faut encore penser aux hémorrhagies plus pro-

fondes, centrales pour ainsi dire.

D'après Browning l'hémorrhagie méningée extra ou sub-durale serait la

cause la plus fréquente de l'apoplexie tardive et par suite de l'hémiplégie.

Mais, dit-il, la raison du retard dans le développement des symptômes est

moins claire : il peut y avoir au début, ou dans les jours qui suivent

l'accident, un simple suintement, puis, la pression sanguine aidant, sur-

vient une rupture vasculaire nette et plus complète. Il se fait alors une

accumulation graduelle du sang à laquelle le cerveau est incapable de

s'accommoder plus longtemps.

Les expériences de Fischer de New-York, entreprises dans le but de dé-

terminer la résistance des artères de la dure-mère, n'ont pas donné de

résultat positif.

Suivant Tornsend la plus longue période de temps qui sépare le coup,

de l'apoplexie serait de deux mois pour le groupe des hémorrhagies « sub-

durales », de huit jours seulement pour celles du groupe « extra-dural ».

376 ô RENÉ MARTIAL

Ces hémorrhagies peuvent acquérir un volume considérable. Even rapporte

avoir trouvé à l'autopsie un caillot large et épais comme la paume de la

main entre le squelette et la dure-mère.

E. Michel décrit ainsi l'épanchement qu'il trouva pendant une autop-

sie : « Il y avait une suffusion sanguine sous le cuir chevelu à droite,

pas de fracture du crâne. L'hémorrhagie siégeait entre la dure et la pie-

mère à droite et remplissait en arrière les deux concavités occipitales ; le

sang pénétrait également dans le ventricule surtout du côté droit. Au voi-

sinage des cavités on voyait de nombreux petits foyers hémorrhagiques... »

, Signalons, en passant, que pour Kocher les troubles de la conscience,

en dehors du sopor et du coma, sont le signe d'un hématome de la dure-

mère.

La lésion qui détermine l'hémiplégie peut également n'être pas un de

ces gros hématomes. Elle peut consister en une sorte de suffusion san-

guine, sorte de trouble vaso-moteur qui se manifeste sur un territoire

plus ou moins étendu de l'écorce cérébrale. Il se produit alors un arrêt

des fonctions qui dépendent de ce territoire et si la lésion gagne du ter-

rain, on peut voir les troubles moteurs s'accentuer et s'étendre. Il paraît

difficile d'expliquer ce processus, on pourrait bien citer l'alcoolisme

comme cause prédisposante, mais dans un cas de Krafft-Ebing où les ren-

seignements à cet égard ont été soigneusement pris, on n'a trouvé aucune

trace d'éthylisme. Il faudrait alors admettre l'hypothèse de la rupture

d'équilibre de la pression sanguine dans les vaisseaux par suite de l'ébran-

lement causé par le choc. Mais cette hypothèse est surtout admissible pour

les vaisseaux des noyaux centraux et de la capsule interne à cause de leur

constitution histologique un peu particulière.

D'ailleurs l'hémiplégie traumatique tardive peut provenir de lésions

profondes des vaisseaux, sans qu'il y ait ni fracture du crâne, ni lésion

du cortex. Il se produit de petites hémorrhagies cérébrales de peu d'é-

tendue qui ne vont pas jusqu'à l'apoplexie, ainsi qu'on le sait. Mais, en

revanche, elles peuvent conduire à des paralysies bien nettement déve-

loppées.

En effet, si elles prennent naissance en un point où précisément les

. fibres pyramidales sont resserrées en un petit espace et pressées étroite-

ment les unes contre les autres, on s'explique facilement que le cours de

celles-ci soit interrompu. Pour peu que le même phénomène se produise

en plusieurs points, on aura une hémiplégie plus ou moins complète et

compliquée au besoin. Il ne faudrait pas des épanchements bien considé-

rables pour obstruer la capsule interne.

Comment se produisent ces épanchements dans la profondeur de la sub-

stance cérébrale. Voici ce que pensent les auteurs.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XIII. PL. L.

Coupes frontales. Le trait noir indique le sens déjà propagation des vibrations traumatique .

Fie. XIV. Cerveau gauche, face antérieure de la coupo, la substance grise au fond de l'insula est

atteinte, le trauma portait au droit du pied de la frontale ascendante.

Foc. XV. La coucho optique est atteinte, le trauma a porté dans la région temporo-coronale.

Fie. XVI. Le corps strié, l'expansion pédonculaire sont atteints, le trauma a porté à 2 centimètres

en arrière de celui de la figure précédente.

Fie. XVIf. Le trauma a transmis ses vibrations jusqu'au ventricule latéral, il a été à 7 centimètres

au-dessus et un peu en arrière du tragus de l'oreille,

Lrs trois dernières coupes ont été pratiquées sur un cerveau droit. Nous avons dessiné la face

postéiteure de la coupe.

Masson czar Cie, Éditeurs.

DE L'HÉMIPLÉGIE traumatique 377

Le coup donné se propage suivant la direction qu'il avait t etd'autantmieux

qu'il est frappé perpendiculairement à la table externe. Il produit le maxi-

mum d'ébranlement dans le point le plus proche de celui où il a porté,

mais ce ne sont pas les vaisseaux immédiatement sous-jacents qui rompent,

ils sont assez résistants. Si le coup se propage suffisamment loin la vibra-

tion gagne les parties profondes et rencontre les vaisseaux. Les artères cen-

trales sont moins pourvues de fibres musculaires, elles sont plus friables ;

d'autre part elles sont moins longues et par suite ont une moindre capacité

pour se dilater quand la pression sanguine augmente ou quand elles sont

violemment déplacées et tiraillées. Elles offrent donc toutes conditions de

friabilité plus grande,ce sont elles qui se rompent et donnentiieuà l'épan-

chement. Enfin, si l'intoxication alcoolique les a rendues plus cassantes,

c'est encore une chance de plus pour la production de 1'liériioi-i-liacie.

La possibilité de l'épanchement profond explique donc la naissance d'hé-

miplégies et, suivant son siège, la paralysie sera simple (lésion de la capsule

interne, du corps strié, de la couche optique, dupédoncule) oucompliquée :

de troubles psychiques (région antérieure de la capsule), de paralysie du

moteur oculaire commun (lésion des fibres radiculaires de III), d'aphasie

(lésion atteignait le segment antérieur de la capsule interne et le faisceau

interne du pied du pédoncule, puisque les fibres qui les constituent dégé-

nèrent quand la 3e circonvolution est intéressée; cas de Manquât et Grasset).

D'ailleurs, cette théorie de la propagation des vibrations dues au choc

s'explique et se comprend mieux avec les figures de la PI. L. Nous y

avons reproduit la direction de coups frappés aussi normalement que pos-

sible sur la région temporale,sur une ligne si tuée 7 centimètres au-dessus

du tragus de l'oreille et à 8 centimètres de distance de la queue du sourcil.

Des coups donnés à cette place sont ceux que l'on constate fréquemment en

clinique. Sur chaque figure, on voit que l'ébranlement se propageant dans

le sens le plus direct, se fait sentir aussitôt dans les noyaux gris centraux,

dans la capsule interne et la portion postérieure du ventricule latéral

(fig. XVII, coupe frontale), si l'on fait par la pensée varier la direction du

trait noir, et notamment si on l'incline quelque peu en bas et en dedans,

on atteint le pédoncule (fig. XVI et XIV). Donc ces lésions qui sont déjà

possibles par plaie pénétrante, le sont aussi par simple contusion. Ainsi

les vaisseaux de ces régions profondes peuvent céder et s'ouvrir, sans que

ceux beaucoup plus exposés en apparence des frontales et pariétales ascen-

dantes aient eu il souffrir.

L'hémiplégie est-elle toujours contra-latérale' ! U'est ce que nous avons

supposé jusqu'à présent. Cependant Schiôner ne l'a pas constatée dans

un cas (Obs. X). La trépanation ayant eu lieu, on ne trouva pas d'héma-

378 rené martial

tome. Schl6ll'er discute alors deux hypothèses : ou il y a un hématome

de la dure-mère de l'hémisphère opposé au traumatisme et paralysie col-

latérale, ou bien il y a une hémorrhagie sous-corticale, dans la substance

cérébrale, du même côté que du traumatisme, et une paralysie contra-

latérale. Mais il ajoute que la première hypothèse est peu vraisemblable

et qu'eu ce qui concerne la seconde, la paralysie contra-latérale n'est pas

fatale. \

En effet, il peut y avoir une anomalie anatomique : absence d'entrecroi-

sement des pyramides. Ledderhose aurait trouvé six cas d'hémiplégie non

croisée, c'est-à-dire six cas où la paralysie se serait produite du même

côté que celui où a porté le coup.

M. le docteur Gosset vient de nous communiquer une observation d'hé-

miplégie d'origine traumatique manifestement organique, qu'il a opérée,

et pas plus que dans le cas précité (Obs.X) de Schlôf1'er, il n'a trouvé d'é-

panchement sanguin. A la suite d'une hémi-craniectomie droite par le pro-

cédé de Doyen, il ne trouve pas d'épanchement dure-mérien, il incise la

dure-mère et la surface corticale est normale.

Il n'est pas nécessaire d'aller jusqu'à admettre une anomalie anatomiquc

du système pyramidal (chose d'ailleurs possible). Il suffit, d'après nous.

d'admettre l'hémorrhagie centrale, la lésion pédonculaire, plus ou moins

proche des centres gris pour expliquer cette paralysie. Lésion qui a fort

bien pu être favorisée par une prédisposition quelconque du terrain.

La malade a guéri.

Il se peut que l'épanchement se soit résorbé sinon complètement du

moins suffisamment pour permettre à la malade l'usage de ses membres.

Mais il restait encore des signes de paralysie organique constatés par M. le

docteur Babinski (entre autres : signes du peaucier, flexion combinée de

la cuisse sur le bassin coïncidant avec projection en avant de l'épaule du

côté sain).

Tout ce que nous venons de dire a Irait il la plaie contuse, au simple

coup et à la plaie avec fracture plus ou moins comminutive, abordons

maintenant la question de l'hémiplégie par plaie pénétrante.

Le plus souvent il s'agit d'une balle de revolver. Nous n'avons trouvé

que deux cas où c'était une lame de couteau qui avait pénétré.

C'est M. 0. Tilmann de Greisswald qui a étudié sur des chiens vivants

les modifications et les troubles qui atteignent le cerveau blessé. Les expé-

riences ont été faites avec un revolver du calibre de 9 m/m. Voici ses

conclusions :

Il faut diviser les lésions du cerveau, par armes à feu, en trois degrés :

1° La partie du cerveau directement broyée par le coup ;

DE l'hémiplégie traumatique 379

2° Une zone siégeant autour du trajet et constituée par de la masse cé-

rébrale spongieuse.

3° Une zone de matière cérébrale tiraillée, où le tissu nerveux est dé-

chiré par des hémorrhagies capillaires. Cette zone est plus Icurnie dans

le voisinage du trajet et diminue progressivement en allant vers la péri-

phérie.

Le trajet de la balle présente un calibre égal à lui-même depuis son

origine jusqu'à la moitié de sa longueur, puis ce calibre diminue peu à

peu de sorte que le point de sortie est moins large que celui d'entrée.

Les noyaux gris sont de par le fait de la lésion plus fortement déchirés

que la substance blanche en raison de sa plus riche vascularisation et de

sa moins grande résistance.

L'explication du processus de cette lésion réside dans l'action de la

pression hydrodynamique. M. Tilmann le démontre par les élii-eitces

matographiées de deux blessures du crâne, l'une offrait un gonflement con-

comitant de tout le crâne, l'autre une explosion de substance dans laquelle

les parcelles du cerveau étaient propulsées vers les parties latérales, tandis

que la paroi d'entrée demeurait intacte ; elle ne tomba que plus tard.

' Le tableau clinique que peuvent présenter les blessures du cerveau par

armes à feu, ne dépend que de l'étendue de la lésion et il ne paraît pas

possible de diagnostiquer les lésions particulières. L'expectative est selon

M. Bergmann le meilleur traitement.

On a songé cependant à poser le diagnostic du trajet de la balle, en

l'inférant des signes cliniques observés, du point d'entrée du projectile et

en s'aidant des rayons X. On y réussit ainsi, mais les rayons Roentgen

seuls ne sauraient suffire : ils démontrent facilement le siège du projectile,

l'endroit où il s'est arrêté, mais son trajet, ils ne sauraient le montrer avec

évidence, à cause de la consistance même de la substance nerveuse. Les

choses sont d'autant plus obscures qu'en cas de lésion il se forme une

sorte de magma de sang et de substance cérébrale. Mais, en s'aidant de

l'observation clinique et des rayons X on peut déduire le trajet, à peu près

du moins. Citons le résultat obtenu par Bechterew :

« Un garçon de douze ans jouant avec un fusil se fil par mégarde une

blessure à la tête. Le plomb était entré par l'angle interne de l'oeil droit

et était parvenu dans la substance cérébrale, déterminant une hémiparésie

gauche d'origine centrale. On exprima la probabilité d'une lésion des

faisceaux moteurs depuis le centre psychomoteur jusqu'au centre semi-

ovale sous la capsule interne... Ce diagnostic fut complètement confirmé

par les rayons Roentgen. »

Voici quelques cas où l'on a pu obtenir des indications relativement

précises.

380 rené martial

Un malade de M. Bergmann s'était tiré trois ans auparavant une balle

dans la tempe droite. Il avait guéri d'une hémiplégie gauche avec hémé-

anesthésie, surdité à gauche et amaurose double. Il ne lui restait qu'une

parésie de la jambe gauche, une contracture des doigts du même côté et

des plaques d'anesthésie. On trouva la balle dans la partie antérieure de

la capsule interne.

Eulenburg rapporte le cas d'un jeune homme qui avait reçu un coup

de revolver dans la tempe droite et avait eu une hémiplégie gauche avec

une hémianopsie homonyme gauche. L'amélioration progressant on fit une

radiographie... « la balle pénétrant par la tempe droite avait transpercé le

cerveau vers sa base et était parvenue dans l'étage moyen de la base du

crâne au côté droit de la selle turcique, avait touché la bandelette optique,

et finalement fut retrouvée dans l'hémisphère droite, région pariétale à

peu de distance de la faux du cerveau et de la voûte du crâne ».

Gralt' a présenté il la Société médicale de Hambourg quatre malades. Le

premier reçoit un coup de revolver dans la tempe droite. La balle après

avoir éraillé le nerf optique droit vient se loger dans le maxillaire supé-

rieur gauche.

Le second se tire un coup de revolver dans la tempe droite, le nerf

optique est sectionné et la balle demeure dans l'hémisphère gauche.

Chez le troisième malade la balle entrée par la tempe gauche se fixe dans

l'hémisphère droit.

Enfin, le quatrième sujet qui s'était tiré un coup de revolver dans la

région temporale droite dut être trépané. On ouvrit au droit du point

d'entrée du projectile et cela permit d'extraire à '14 centimètres de profon-

deur plusieurs esquilles osseuses. Mais on ne trouva pas la balle qui reste

dans l'hémisphère gauche, ainsi que le montra la radiographie.

Malgré que le trajet des projectiles soit un peu différent suivant les cas,

il présente ceci de commun que ce sont toujours à peu près les mêmes

régions cérébrales qui sont blessées. N'avons-nous pas vu d'ailleurs que

la place où l'on se tire un coup de revolver est toujours sensiblement la

même et que le plus grand nombre des traumatismes porte sur la région

temporo-pariétale. Mais il y a un fait à remarquer c'est la fréquence de

l'hémianopsie. Nous avons signalé plus haut la fréquence de ce symptôme

coïncidant avec la paralysie traumatique et nous avions trouvé '14 cas sur

47 où l'hémiopie ou le scotum était signalé. Or sur ces 14 cas de rétrécis-

sement plus ou moins complet du champ visuel, huit sont dus à des bles-

sures pénétrantes. Tous paraissent dus à la lésion de la bandelette optique.

Nous avons déjà dit comment l'hémianopsie circonvolutionnelle pouvait

se produire mais, dans les six autres cas nous ne saurions affirmer que la

bandelette n'a pas été atteinte indirectement.

de l'hémiplégie traumatique 381

La fréquence de ce symptôme est d'ailleurs aussi grande avec les plaies

par instruments piquants et nous sommes amené à parler ici, simultané-

ment et des hémiplégies à la suite de plaies pénétrantes, ou mieux de corps

étranger pénétrant et demeurant, et de celles consécutives à l'introduction

d'un instrument simplement piquant, qui ressort tout entier du crâne.

On verra que la coïncidence du trouble oculaire et de la paralysie s'ex-

plique naturellement par la localisation de la blessure cérébrale.

En 1893, C. Wernicke présenta à la polyclinique royale de Breslau,

pour les maladies nerveuses, l'observation suivante :

Observation XIII (résumée). ,

Auguste Griimert, ouvrier, âgé de 24 ans, reçut, il y a sept ans, un coup d'un

long couteau dans la région temporale gauche. Il eut une abondante hémorrha-

gie, il perdit connaissance, mais revint à lui le jour suivant et eut des vomisse-

ments. Il avait une paralysie du bras droit, plus accentuée à la main. La parole

était difficile, mais incomplètement supprimée. La jambe n'avait souffert en rien.

Au bout de quelque temps, l'amélioration fut assez grande, pour que le malade

pût se servir de sa main pour les mouvements de force, mais pas pour les

mouvements délicats.

En juin 1891, il vint à la polyclinique à l'occasion d'un accident à la jambe,

pour lequel il réclamait une indemnité. On ne constata qu'une perversion des

mouvements de la main.

En novembre 1892, il se représenta, on l'examina de nouveau et l'on décou-

vrit une hémianopsie homonyme droite qu'il ne soupçonnait pas lui-même.

Il y avait, dans la région temporale une cicatrice linéaire longue de 2 centi-

mètres 1/2, oblique de haut en bas et d'arrière en avant. Elle siégeait à 5 cen-

timètres du tragus, et à 4 centimètres de l'angle externe de l'orbite. Léger

ptosis de la paupière supérieure gauche. La langue tirée, était droite, les

mouvements du bras paralysé étaient satisfaisants sauf ceux de la main qui lais-

sent toujours a désirer »

xiii 25

812 RENÉ MARTIAL L

V. C. Wernicke dit ensuite : «à cette monoplégie brachiale dont l'origine cé-

rébrale est évidente, se joint une hémianopsie qui démontre la blessure de la

bandelette optique. Cela permet de localiser le siège de la paralysie droite et de

diagnostiquer une blessure pénétrante de la portion du lobe temporal à la place

où la bandelette optique en sort. Ce diagnostic clinique correspond à la situation

de la cicatrice.... à une telle lésion correspondent les signes d'une lésion vascu-

laire considérable : la perte de connaissance et les vomissements..... Les

racines de l'élévateur de la paupière supérieure avaient été aussi atteintes, mais

aucun autre rameau de l'oculo-moteur.... »

S'il est rare qu'un instrument piquant pénètre si loin en passant par la

voie temporale, cela est plus facile relativement par la voie orbitaire et si

l'on considère quelques-unes des figures que nous ont données nos expé-

riences, nous verrons combien souvent à côté de la paralysie motrice sur-

vient l'hémianopsie.

Les corps étrangers qui pénètrent par la face dans le cerveau et ont pour

conséquence une hémiplégie peuvent suivre plusieurs trajets : ils passent

par la voie orbitaire et filent presque toujours sur le plancher de l'orbite

le long de l'angle interne, dans deux cas leur passage s'est effectué à tra-

travers le squelette de la face : entrant par la joue et ressortant dans le

cerveau et dans un cas, il s'agissait d'un projectile ayant pénétré par la

voûte palatine et dans le dernier (G. Bikeles) d'un projectile ayant péné-

tré par le frontal.

Nous connaissons cinq cas de paralysie par traumatisme intra-orbitaire :

le cas du prévôt d'armes dont nous avons donné l'observation en entier au

chapitre étiologie et que nous a communiqué M. lé Dr Marie, le cas de la

petite Marcelle L... (Obs.III) qui appartient à i\I.Ie Dr Marie, un cas égale-

ment déjà cité dû à Bramwell, un cas de Bergmann et un de Becliterew.

Dans aucun d'eux le globe oculaire n'a été lésé.

Un projectile a toujours assez de force pour pénétrer dans l'orbite, en

fracturer plus ou moins le fond et pénétrer dans le cerveau, mais il n'en

est pas de même avec un instrument piquant. Nous pouvons affirmer qu'il

faudrait une force très grande pour fracturer avec un instfument piquant

le plafond de l'orbite.Cela se produit dans l'opération du formotage,quand

elle n'est pas pratiquée avec suffisamment de précaution. La canule de la

seringue n'est pas enfoncée assez près de l'angle interne de l'oeil, elle ne

rencontre pas la fente ni le trou sphénoïdal, ou porte à faux sur le bord

osseux. Pour pousser l'injection on s'appuie de tout le poids du corps sur

le manche de la seringue et le fond de l'orbite se fracture à ce moment ;

la canule pénétrant plus avant atteint le cerveau. Nous verrons plus loin

quelles lésions sont faites.

Avec une tige suffisamment solide pourtant, comme celle qui a servi à

DK L'UÈMH'LÉGIE traumatique 383

nos expériences, on ne fracture pas le fond de l'orbite, ce dernier résiste

sérieusement et pour passer dans la cavité encéphalique il faut que la

pointe trouve la fente et le trou sphénoïdal. C'est naturellement en se

rapprochant de l'angle interne de l'orbite et en pénétrant presque parallè-

lement à la ligne sagittale, un peu de bas en haut qu'elle a plus de chan-

ces de le trouver. Cependant il est possible, dans une certaine mesure de

faire varier la direction delà tige avant son entrée dans la boite crâ-

nienne, on peut encore la modifier davantage une fois la barrière franchie.

Néanmoins certaines régions cérébrales sont plus exposées au trauma-

tisme.

Fic. 1 et 2. Face inférieure du cerveau les tiges sont figurées par un trait noir

la coupe du pédoncule a été pratiquée là où les tiges ont passé.

BO, Chiasma et bandelettes optiques. nI. Tubercules mamillaires. P, Pédoncule.

C, Corps calleux.

384 rené martial

Dans une première expérience (fig. 1 et 2), nous avons enfoncé la tige

dans l'angle interne de l'oeil droit, d'une longueur de 15 cent. 5 (mesurée à

partir du bord orbitaire inférieur. Il eu est résulté une déchirure complète

du chiasma des nerfs optiques et du tubercule mamillaire à droite, le pédon-

cule a été traversé de pari en part et la tige passant au-dessus du splénium

du corps calleux atteint légèrement le lobe occipital dans la deuxième

circonvolution temporo-occipitale(fig. 1). La seconde figure (fig. 2) repro-

duit l'expérience à peu près semblable à gauche, mais le tubercule mamil-

laire de ce côté est sain et sauf. Dans ces deux cas on aurait donc eu déjà

une hémianopsie. -

Dans la troisième expérience, la broche fut enfoncée de 14 centimètres,

en suivant le plancher de l'orbite, un peu en dehors son angle interne, il la

coupe nous trouvâmes l'aspect reproduit dans la figure III (Pl. LI). La tige

pénètre par la pointe du lobe temporal à la face inférieure du cerveau, tra-

verse une partie du noyau cause, pénètre dans le ventricule latéral droit et

s'arrête à la paroi postérieure de celui-ci, non loin de la calcarine, d'où

possibilité d'hémianopsie. Mais la longueur de la tige est très grande.

Cependant dans l'observation III (cas du prévôt d'escrime) au moins une

longueur égale de lame de fleuret dut pénétrer. Malheureusement des

FiG. 4. Coupe suivant le plan sagittal, portant un peu en dehors et à droite de la

ligne médiane. La broche est obliquement dirigée vers le bas et un peu de dehors

en dedans.

CC, Corps calleux. - bu, Bandelette optique intacte. P, Pédoncule cérébral tra-

versé de part en part. -

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIERE.

T. XIII, PL. LI.

10'10. III. Coupe horizontale d'un cerveau droit : BO, bandelette optique; P, pédoncule ; NC, noyau

caudé, portion postérieure du ventricule latéral; C, région calcarimene.

1o'1G. Y. - Face externe dun cerveau droit : FA, frontale ascendante; PA, pariétale ascendante;

PS, lobule pariétal supérieur; l'r, lobule pariétal inférieur; PC, pli courbe; ° : 1' deuxième mr-

convolution occipitale; 0" troisième circonvolution occipitale, 'l'" troisième circonvolution tem-

])orale; SP, scissure parallèle; i '1' : 11 deuxième temporale; S, scissure de Sylvius; T" Inrenuùm e

temporale.

1··tc. VIIL-Coupe horizontale du cerveau droit, face inférieure, un peu oblique d'avant eu 31'1'lèl C

et de bas en haut; P, pédoncule; CC, corps calleux; 1'L, extrémité postérieure du ventricule o

latéral.

\Ivssoa t : r C"1, Editeurs.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIERE. T. XIII. PL, LII.

FIG. YI. - Faco iul'l'riem'e et lace interne d'un cerveau gaucho. La llg-o arrlye obliquement d'avant

en arrière et de dehors en dedans, intéressant la bandelette optique, le tubercule mamillaire

et le pédoncule cérébral. "

Fin. \-1 Gs. Coupe horizontale de la face inférieure 130, chia^ma et bandelette optique; TM, tuber-

cule mamillaire; P, pédoncule; VL, ventricule latéral.

Fio. VI ter. Coupe verticale perpendiculaire 1 la la précédente : NC, 110'au caudé; BO, bandelette

optique; AL. ventricule; CC, corps calleux. "'

Masson Gt' CH', Éditeurs.

DE l'hémiplégie traumatique 385

enquêtes répétées n'ont jamais pu nous renseigner à cet égard, en tout

cas, ce malade n'a jamais présenté (l'hémianopsie.

Les trajets que nous avons dessinés peuvent d'ailleurs aussi bien être

ceux de projectiles et on peut toujours par la pensée les considérer avec

un prolongement, et surtout leur donner un calibre bien supérieur. Ce

qui est représenté par un trait serait peut-être dans la réalité un trajet de

5 à 7 millimètres de largeur.

La figure 4 représente le résultat d'une expériences où nous finies pé-

nétrer la broche par la moitié externe du bord inférieur- de l'orbite et de

dehors en dedans, d'une longueur d'environ 14 centimètres. Le cbiasma

des nerfs optiques n'est pas louché, ni les bandelettes, mais le pédoncule

droit est traversé de part en part suivant un plan presque sagittal et divisé

un peu de dehors en dedans. Le cervelet est légèrement atteint du môme

côté.

Notre huitième expérience (fig.V, Pl. LI) a porté sur un cerveau droit. La

tige a été enfoncée d'une longueur de la centimètres, de dedans en dehors

et de bas en haut légèrement. La figure représente la face externe de ce

cerveau, les circonvolutions étant écartées les unes des autres. Le point.

d'entrée de la tige est situé à la partie antérieure de la scissure de Sylvius,

elle suit dans la substance cérébrale la scissure parallèle au-dessus de la

deuxième temporale, dans la temporale n° 1, puis elle redevient libre et

embroche un peu la deuxième circonvolution occipitale, au-dessous du pli

courbé. Voici une lésion qui présente donc un trajet assez compliqué.

La lésion pouvait entraîner avec elle l'aphasie. l'épilepsie du type facial,

les monoplégies faciales et linguales, la surdité verbale aboutissant en 0";

il n'y aurait rien eu d'impossible à ce que du scotum apparaisse en outre.

Dans l'expérience suivante, nous avons glissé la lige suivant la moisie

interne du plancher de l'orbite, de bas en haut et- de dedans en «Micas

d'une longueur de 15 centimètres. La figure représente 1"Itémiph,u

gauche ainsi traumatisé ; on le voit par sa face inférieure et sa face

interne (Fig. VI, PI. LU). La tige arrive obliquement d'avant en arrière et

de dehors en dedans, elle pénètre à la partie interne de la cornephéuaroâ-

dale, passe sous la bandelette optique, traverse le tubercule mm.m;31üre

gauche, aborde le pédoncule cérébral par sa face ,tntét-intférneanm eu, en

ressort par se face postéro-supérieure, au moment où il pénètre dams le

cerveau. Nous pouvons donc déjà penser à une hémiplégie avec B.n : : >mii : 3 ! -

nopsie. Si nous pratiquons ensuite sur cet hémisphère une coupe d<.1llli ne

plan horizontal, suivant exactement la direction du trajet, nous Y@)'IiJ.¡ : ;J1S

(PI. LII, Fig. VI bis) que la bandelette optique est embrochée àsa sortie qui

la substance de la corne sphénoïdale et que le pédoncule est tratvej' ? de

telle sorle qu'une partie de la capsule interne est intéressée. Alitons plias,

386 RENÉ MARTIAL

loin, pratiquons une seconde coupe, dans le plan du trait noir etperpen-

diculaire à la première. Cela nous donne la figure VI tel' (PI. LII). Les

noyaux gris centraux sont atteints en plein, le' corps strié notamment et la

coupe optique, la bandelette optique serait absolument détruite ainsi que

le prouve la situation de sa coupe (BO) par rapport à la tige (trait noir)

et le corps calleux lui-même n'est pas loin d'être lésé. Voilà qui corres-

pond bien aux faits cliniques.

La figure VII, PI. LUI, représente une coupe d'un cerveau droit. La tige

ayant pénétré par l'orbite, le - trajet commence à la scissure interlobai1'e

tempono-frontale et traverse la substance grise, la capsule interne, en ne

s'éloignant que peu du point où les fibres des bandelettes optiques sortent

en faisceau de la substance blanche, traversent^ ventricule latéral, les fibres

commissurales et rentrent dans la substance cérébrale pour ne s'arrêter

qu'aux environs du cuneus. Cette expérience, ainsi que celles reproduites

par les figures VIII, PI. LI (cerveau droit) et IX, PI. LUI (cerveau gauche)

assez semblables à la précédente,sont l'image fidèle des cas cliniques déjà

cités et correspondent exactement au diagnostic de la localisation de la lé-

sion posé par C. Wernicke (observation XIII) par exemple. Elles sont l'ex-

plication d'observations semblables à celles de M. le professeur Marie, de

Bramwell, de Bergmann, de Bechterew, etc.

Et puisque nous parlons de coup ayant pénétré dans le cerveau par la

voie orbitaire, rappelons ce que nous avons dit relativement aux lésions

faites sur les cerveaux pendant leur formolage, et ajoutons-y les figures XII

et XIII, PI. LUI, qui correspondent à nos dix-neuvième et vingtième expé-

riences. Nous y voyons sur la coupe de rlechsing les noyaux gris-centraux

et la capsule interne directement atteints par le corps pénétrant. Sur un au-

tre cerveau, c'était le pédoncule droit du locus nigerqui était lésé par

suite du formolage.

Cherchant à varier le plus possible le trajet de nos tiges, nous avons

essayé d'en faire pénétrer sur le rebord supérieur de l'orbite et de leur

faire suivre la paroi osseuse, mais cela ne nous a donné aucun résultat, la

voûte orbitaire offrant une résistance beaucoup trop grande.

En somme, il résulte de ces expériences que les parties cérébrales lésées

en cas de pénétration par la voie orbitaire sont presque constamment les

suivantes : le chiasma ou les bandelettes optiques en arrière du chiasma,

le pédoncule à son entrée dans le cerveau ou au-dessous, la corne sphé-

noïdale, la capsule interne, la couche optique, le corps strié c'est-à-dire

qu'on détermine presque toujours une hémiplégie ou une hémianopsie

et quelquefois les deux ensemble, ce qui correspond à l'observation cli-

nique. '

Ayant fait ces expériences, il nous est venu à la pensée de rechercher ce

FtG. VIL- Coupe horizontale à la partie inférieure d'un cerveau droit oblique d'avant

en arrière : BO, bandelette et chiasma ; TM, tubercule mamillaire; CI, capsule

interno; CC, corps calleux; ventricule latéral.

FiG. IX. Coupe (le la face inférieure d'un cerveau gauche, un peu oblique d'avant en

arrière et do bas en haut : l'iC, noyau caudti (extrémité antérieure); l', pédoncule,

lu cansy=mterncst.intércss·n1'Gvrntrr,d ? tr,cr1 ? ·r ? a ? ... ? ....

Fig. XII. Coupo de Flcchsing sur un cerveau ayant suhi l'opération du formolage :

En L se trouve une lésion affectant la forme d'une déchirure; NC, noyau caudé;

A1\I, avant-mur; i\1,, no3 a lenticulaire ; CI, capsule interne; VL, ventricule latéraL

FIG. \III. - Coupe de Ficchsing- sur un cerveau également formolé : En L, grande lésion

déchirant largement la substance grise et atteignant NC, le noyau caude; 1L, lo

- ii ' - T fii 1 i <-w~ -~ ? -- " "" ...^mmmt^^^^

DE L'IIÉ1111PLÉGIr TRAUMATIQUE 387

qui se passait en même temps du côté du crâne. Nous avons vu que le

squelette du fond de l'orbite pouvait être fracturé (ce qui n'est peut-être

pas très fréquent en pratique). Mais en arrière que se passe-t-il ? Il peut

arriver que les carotides internes soient lésées dans les tissus caverneux.

Ayant enfoncé nos broches, comme d'habitude, dans chaque hémisphère,

nous avons cette fois enlevé le cerveau en laissant les broches en place et,

disséquant un peu la région, nous avons constaté que d'un côté comme

de l'autre, il était possible d'entrer dans le sinus caverneux et peut-être de

blesser la carotide (fig. 18 et 19). En réalité, celle-ci aurait peut-être

FiG. 18. Une broche passant par l'angle interne de la cavité orbitaire pénètre

dans la base du crâne en déchirant le sinus caverneux mais en respectant la carotide.

Elle est peu éloignée du nerf optique. ·

Fig. 19. Une broche passant par l'angle interne de la cavité orbitaire chemine

non loin du nerf optique disséqué sur une petite partie de son trajet, et frôle la caro-

tide interne, sans toutefois la léser.

388 RENÉ MARTIAL

encore la possibilité d'éviter le coup, grâce à sa situation au milieu d'un

liquide et à son élasticité propre. Mais la lésion du sinus caverneux serait

à elle seule suffisamment grave.

La pénétration par l'orbite n'est pas la seule qui puisse se faire et con-

duire à la lésion des centres cérébraux.

Nous avons trouvé deux cas de pénétration par la joue. Nous en avons

déjà donné une observation complète (n° IX) due à MM. Abel et Colmann

et une autre (n° XI) due à M. Pitres de Bordeaux. Le malade de M. Pitres

fut atteint à l'os malaire droit par un plomb de fusil, trente-six heures

plus tard 11 était hémiplégique. L'auteur admet, ainsi qu'on l'a vu, une

pénétration par la base du crâne par perforation de l'os malaire puis de la

grande aile du sphénoïde. Il en est résulté une lésion d'origine centrale.

Et il dit en outre que : '< l'expérimentation sur le cadavre avec une broche

enfoncée dans la direction présumée a montré qu'un plomb suivant cette

direction aurait traversé la capsule interne immédiatement en avant du

genou et que par conséquent un passage ne devait être suivi d'aucun symp-

tôme moteur ». L'auteur suppose qu'une inflammation est survenue qui a

fini par atteindre la partie motrice de la capsule.

Pour les auteurs anglais (observation IX) le tube perforant a dû passer

de l'os malaire droit, sous la région zygomatique et est arrivé à la base du

FiG. 10. B.ol, Tube olfactif.- BO, Bandelette optique. - TM, Tubercule mamillaire.

P, Pédoncule. VL, Ventricule latéral.

DE L'UÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 389

crâne en perforant la grande aile du sphénoïde. On se rappelle que la con-

ca, ité du tube était dirigée extérieurement de sorte que l'extrémité après

être passée à travers l'os, a dû se trouver presque à angle droit par rapport t

à sa direction primitive. L'instrument aurait atteint le centre oval. D'après

les symptômes MM. Abel et Colmann concluent à une lésion de la capsule

interne. En pratiquant une expérience pour reproduire l'accident, avec le

même tube, les auteurs ont trouvé que la capsule était lésée près du genou.

Au cours de nos expériences nous aurions désiré reproduire ces lésions.

Mais nous ne pouvions opérer de blessure sur la face à cause de la suscep-

tibilité légitime des familles et nous avons été réduit à modifier fortement

la-direction suivie par nos broches enfoncées dans l'orbite. Nous appuyions

pour cela fortement sur le manche de haut en bas et poussions de bas en

haut. Les résultats obtenus ne correspondent pas aux faits cliniques,

cependant, on pourra constater sur la figure 10 qui représente une coupe

dans le sens sagittal intéressant le pédoncule, mais respectant le chiasma,

la bandelette optique et le bulbe olfactif, on pourra constater, disons-

nous, que la broche a atteint la partie antérieure du lobe temporal, la

substance grise des noyaux centraux et principalement du noyau caudé,

ainsi que la partie supérieure des fibres de l'épanouissement pédonculaire.

Le ventricule latéral est respecté (cerveau droit).

La coupe dessinée dans la figure 11 appartient aussi à un cerveau droit.

Elle est pratiquée dans le sens antéro-postérieur de dedans en dehors et

c'est la face externe de la coupe qui est représentée. La couche optique

FiG. 11. CO, Couche optique. SR, Sillon de Rolando. - VL, Ventricule central.

1

390 RENÉ MARTIAL

est traversée par le corps pénétrant ainsi que la substance grise située en

haut du sillon de Rolando et un peu en arrière. La zone motrice est donc

touchée, précisément dans la région des monoplégies crurales.

Chez un malade de Grasset, l'hémiplégie ou plus exactement une hémi-

parésie, avec aphasie et paralysie de la 3e paire, s'est déclarée à la suite de

deux coups de revolver que le sujet s'était tirés dans la bouche. On trou-

vait sur la voûte palatine deux cicatrices, l'une il droite de la médiane, à

peu de distance de l'arcade dentaire, l'autre à gauche, près de la médiane

dans la direction de l'apophyse basilaire.

Grasset pense que c'est cette dernière blessure qui a déterminé une alté-

ration de la 111* paire. Il dit quel'hémiparésie est due à une lésion secon-

daire de l'encéphale, dans le développement ultérieur de laquelle les

antécédents du sujet et son alcoolisme peuvent être intervenus. Et, il

formule deux hypothèses : Ou bien, la lésion peut être très voisine de la

première altération, résultat d'une propagation de voisinage, et siéger

dans la région du pédoncule ou du mésocéphale adjacents : méningo-

encéphalite de propagation.

Ou bien, par l'intermédiaire de la lésion d'un vaisseau compris dans la

première altération, il s'est développé un foyer de ramollissement dans la

région de la sylvienne gauche. Ce foyer se propageant de bas en haut dans

la zone motrice, expliquerait successivement l'aphasie et la parésie des

membres.

Nous n'avons trouvé qu'un seul cas de paralysie du bras gauche avec

parésie de la jambe gauche et diminution de la sensibilité du côté gauche,

par suite d'une blessure du frontal droit. Il est à G. Bikeles qui l'intitule :

une forme inusitée de blessure par coup de feu du cerveau. La survie

n'ayant été que de vingt jours il en donne l'autopsie qui suit :

« Dans l'hémisphère droit, à la limite de la circonvolution frontale médiane et

de la frontale inférieure, on trouve une ouverture de 2 cm., oblique de dehors

en dedans et en bas. Immédiatement derrière son origine, le canal s'élargit

notablement et mesure 3 centimètres de hauteur. Il se ramifie et un canal se

dirige vers le bas et la partie interne du cerveau et se termine au devant du

du corps strié. Le canal principal se rend jusqu'au sillon de Rolando et se divise

en deux autres canaux dont l'un se rend à C2 et l'autre il Ca......... ces deux

canaux cheminent parallèlement pendant un certain temps séparés par un pont

de substance nerveuse de 2 centimètres. Le premier de ces canaux se termine

à la surface externe de la circonvolution centrale postérieure......... le second

va plus en arrière dans la substance et ne se termine qu'au droit de la 3e cir-

convolution occipitale. En rencontrant l'occipitale, la portion de projectile qui

y était pervenue, fut déviée, elle perça à travers les circonvolutions occipitales

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 391

jusqu'à la base du cerveau. Le dernier canal ainsi formé est long de 1 cent. 5

et le corps étranger est situé au bord supérieur du cuneus......... »

.. *

Enfin il nous reste à dire quelques mots des cas où l'hémiplégie succède

à une encéphalite traumatique. Nous n'en possédons que quelques cas,

parmi lesquels une hémiplégie survenue à la suite d'une brûlure sur le

côté gauche de la tête chez un enfant de trois ans (Foulhioux,l81u), brû-

lure à laquelle succéda un abcès cérébral de l'hémisphère gauche, une

hémiplégie avec aphasie consécutive à une fracture du crâne avec ostéite

supprimée et abcès cérébral (Vignard,1899) ; une autre paralysie contra-

latérale due à la pénétration d'une lame de couteau, suivie d'abcès céré-

bral due à Schioener, 1895 ; une hémiplégie croisée par encéphalite

traumatique de Duplaix (1882) dont nous reproduisons ici la relation.

Observation XIV.

Le nommé Arbon Jean, cocher de fiacre, âgé de 40 ans, est amené à l'hôpital

Laénnec dans le service de M. Damaschino pour des accidents dont le début

remonte à deux mois. Les renseignements nous sont donnés par les personnes

qui l'accompagnent, car le malade est plongé dans un coma dont on ne peut le

faire sortir.

Il y a deux- mois, il est tombé de son siège, et a été immédiatement transporté

à la Charité où il aurait présenté les symptômes d'une fracture du rocher. Il

est resté trois semaines à l'hôpital, puis il est parti, se croyant guéri complète-

ment, mais conservant une grande faiblesse et quelques douleurs diffuses, mal

limitées dans la tête..... au mois de décembre..... en quelques jours il arriva

à ne plus pouvoir marcher ni se servir de son bras droit, puis apparut une

paralysie faciale du côté gauche.

Dès cette époque, il avait un peu de fièvre et d'agitation avec du délire pen-

dant la nuit, mais il n'a jamais eu d'attaques convulsives. Une constipation

opiniâtre se déclara bientôt, puis le malade tomba dans le coma profond dont

il n'est jamais sorti. Il n'y a pas eu de vomissements.

Au premier examen il présente un affaissement très net des muscles

faciaux du côté gauche. La commissure labiale de ce côté est abaissée..... quand

on examine la gorge on remarque une déviation de la luette qui est portée à

droite. Le bras droit soulevé retombe lourdement sur le plan du lit, il en est de

même de la jambe du même côté, tandis que les membres gauches peuvent exé-

cuter des mouvements, surtout quand d'11 provoque de la douleur à leur niveau.

L'insensibilité à la douleur, en effet, est totale du coté paralysé..... Le ventre

est en bateau..... Température : 36°2, pouls 120 et il existe des sueurs abon-

dantes, la langue est chargée et large..... le malade amené le 8 janvier meurt

le 14 Température 40°8.

Autopsie. Adhérence considérable de la dure-mère et des méninges

392 RENÉ MARTIAL

sous-jacentes il la pulpe cérébrale au uiveau de la corne sphénoïdale gauche.

Cette membrane adhère aussi fortement il la face des rugosités et des trous

nombreux dus à ce que des parcelles d'os sont retirées attachées il la dure-

mère. A un premier examen nous ne trouvions pas de trace des fractures des

os du crâne, et après l'avoir dépouillé des parties charnues nous constatons

encore l'absence de fracture. Un trait de scie perpendiculaire permet encore

d'affirmer qu'elle manque absolument, tandis que l'on constate une ostéite raré-

fiante très manifeste, probablement due au traumatisme au moment de la chute,

car les renseignements éloignent toute idée de lésion primitive de l'os et des

,cavités de l'oreille.

Les vaisseaux de la pie-mère sont très congestionnés, il n'y a pas de liquide

dans les méninges ni trace de méningite suppurée. L'hémisphère droit nous

paraît absolument sain, quant à l'hémisphère gauche, il présente une augmen-

tation de volume considérable au niveau de la corne sphénoïdale. A la face ex-

terne de cette région existe une énorme. saillie fluctuante dont nous soup-

çonnons la nature. Les méninges étaient très adhérentes à ce niveau et en les

enlevant, elles ont entraîné dans toute l'étendue de l'abcès une couche épaisse

de tissu nerveux. Le pus évacué est verdâtre et contenu dans une véritable

poche de nouvelle formation. Le volume de l'abcès est égal à celui d'une orange

de moyenne grosseur, de sorte que la compression exercée par lui sur la cap-

sule interne se comprend facilement et explique bien les accidents hémiplé-

giques..... ' *

Quanta la paralysie faciale, elle est très certainement causée par des altéra-

tions du tronc nerveux au niveau du rocher dans le canal de Fallope.

Cette autopsie est absolument typique et montre bien les lésions telles

qu'on les constate dans ces cas. Les différences dans les points de détail

ne sont pas assez importantes pour nous arrêter plus longtemps.

Rappelons cependant que dans l'observation de Vignaud la paralysie ne

survint que 3 ans et 3 mois après l'accident initial. Lors de l'opération

on trouva que l'abcès intéressait plutôt le lobe occipital et le lobule du pli

courbé (l'altération de cette circonvolution entraînant la paraphasie).

Mais la compression était devenue suffisante pour produire l'hémiplégie.

Le traumatisme peut donc produire l'hémiplégie par lésion directe du

cerveau ou pour action indirecte ; on provoquant une hémorrhagie ou une

encéphalite. Dans ce dernier cas, il agitsans doute en déterminant la lo-

calisation d'une infection préexistante. "

D'après tout ce que nous venons de dire, le diagnostic du siège de la

lésion ne présentera de difficulté que dans peu de cas. S'il n'y a pas frac-

ture du crâne il ne sera peut-être pas toujours aisé de dire si la paralysie

est due à une hémorrhagie dure-mérienne ou à un épanchement profond.

L'anomalie consistant dans l'absence de croisement des faisceaux pyrami-

daux (Ledderhose) bien que très rare pourra également induire en erreur

sur le siège de l'épanchement,

DE L'HÉMIPLÉGIE traumatique : i03

Pronostic.

Quel pronostic comporte l'hémiplégie traumatique ? Nous avons pu re-

cueillir le mode de terminaison pour une cinquantaine de cas. Le pronos-

tic n'est pas falal le plus souvent, mais il estsérieux. En effet dans quinze

cas seulement nous avons relevé la guérison complète ou presque complète.

Chez un homme de 66 ans que nous avons observé et qui avait eu une hé-

miptégietraumatique plusieurs années auparavant, nous n'avons retrouvé

absolument aucun signe de paralysie. Peut-être 'Li-aine-t-il un peu la jambe

et sa sensibilité est-elle un peu émoussée, mais pour quelqu'un qui ignore-

rait son accident on serait facilement tenté d'attribuer ces imperfections à la

caducité. Mais en face de ces cas où la guérison se produit plus ou moins

lentement, il faut inscrire quinze autres cas où nous avons noté le passage

' l'état chronique, c'est-à-dire la persistance d'une réelle infirmité, avec

des nuances et des modalités diverses bien entendu. C'est ainsi que l'un

est surtout atteint dans l'appareil locomoteur, l'autre dans l'appareil sen-

sitifet un troisième dans sa mémoire et son intelligence. Mais tous con-

servent un ensemble paralytique, ils sont réellement infirmes, incapables

de subvenir par eux-mêmes aux besoins de la vie.

Au point de vue de la guérison, elle est le plus souvent spontanée et

l'expectative armée est un traitement suffisant. C'est d'ailleurs celui que

recommandent M. le professeur Bergmann et aussi M. le professeur Gralf,

surtout dans les cas où un projectile est entré dans le cerveau. Cependant

les chirurgiens ont tenté d'intervenir dans différentes occasions. Dans les

cas où il y a enfoncement d'une portion de la calotte crânienne, où l'on

peut malgré l'épanchement sentir ou pressentir les fragments, l'interven-

tion est évidemment beaucoup plus indiquée, puisqu'elle a pour but de

relever les fragments et de détruire la compression qui s'exerce sur le

cerveau. C'est ce que Schloffer, Starr etlVlac Burney, Armstrong et Bour-

lier ont pratiqué plusieurs fois avec succès et nous avons compté 6 cas où

la guérison est survenue rapide et complète après une telle intervention.

Laissée à elle-même la guérison lorsqu'elle doit se produire est toujours

longue et le temps qu'elle demande varie de quelques mois à plusieurs

années.

L'hémiplégie traumatique semble d'ailleurs être une affection qui a une

grande tendance à la guérison. Nous avons vu quatre observations dans

lesquelles elle a eu lieu même après perte de substance cérébrale. Cela

s'est produit dans un cas de M. le professeur Berger que nous avons relaté

plus haut. Egalement dans un cas de Schooner de Prague. Dans une ob-

servation que nous avons citée déjà du Dr Maurice Bourlier un jardinier

guérit de sa paralysie malgré une perte de substance cérébrale très nette-

394 RENÉ MARTIAL

ment accusée. M. Bouclier ajoute que : « C'est un exemple remarquable

de la suppléance fonctionnelle ; elle prouve que, même à un âge avancé

(42 ans), la destruction de la 3° frontale gauche n'amène pas fatalement

l'aphasie définitive ; celle-ci n'est que temporaire et le malade qui a perdu

son centre habituel du langage peut encore recouvrer la parole, grâce au

fonctionnement de la 3° circonvolution frontale droite ».

Nous avons vu aussi que la guérison peut survenir chez les enfants

paralysés par traumatisme et que ce dernier n'a pas forcément pour consé-

quence un arrêt de développement. Mais nous avons cité une observation

- d'un auteur anglais dans laquelle on voit l'enfant demeurer el grandir

infirme. Voici maintenant un cas de CI). T. Poore de New-York dans lequel

la guérison de la paralysie et des troubles de la parole a lieu, mais où il

survient de l'épilepsie jacksonnienne il la place de la paralysie.

Observation XV.

Il s'agit d'une enfant de 3 ans, Matbilde D., qui fut amenée à l'hôpital Ste-

Marie en septembre 1887.

Depuis sa naissance jusqu'à )'age de 11 mois ce fut une enfant très bien por-

tante. A cette époque elle tomba sur le pavé se frappant le côté droit de la tête.

Elle fut très mal pendant quelques mois,et quand elle se leva, on s'aperçut qu'elle

était paralysée du côté gauche (moins la face). Avec le temps elle recouvra

jusqu'à un certain point l'usage du membre inférieur mais elle n'a jamais ré-

cupéré celui du membre supérieur du même côté. Les parents déclarent qu'elle

n'a jamais parlé intelligiblement, ce sont seulement des mots isolés qu'elle

prononce, cependant elle peut jusqu'à un certain point exprimer ses besoins.

Depuis l'accident elle était devenue très irritable, d'un tempérament irascible

et difficile à maîtriser..... Lors de son admission c'était une enfant bien déve-

loppée avec une expression un peu niaise, ayant l'avant-bras gauche fléchi

à angle droit sur le bras et contracture Les mouvements passifs sont

encore possibles Les muscles ne semblent que très légèrement atrophiés,

mais les chairs du côté malade sont fraîches et la peau présente une teinte

basanée. Quand elle est au lit le membre inférieur ne présente rien de particu-

lier, mais lorsqu'elle est debout et qu'elle marche elle tire un peu la jambe.

Son état mental est stationnaire. Elle ne peut dire que quelques mots,mais s

ne forme aucune phrase. Elle est irritable, passionnée et dans cette excitation

pousse un cri particulier et jette tout ce qui lui tombe sous la main à la personne

qui l'a irritée. Mais même à ce moment elle ne fait aucun effort pour se servir

du bras gauche.....

A l'examen du crâne, on trouve : une fracture définie au-dessus du pariétal

droit, les parties donnent l'impression d'un fragment d'os arraché en laissant

des bords coupants. La dépression admet facilement le bout du doigt et à la

pression on sent au fond une résistance comme si le doigt touchait une par-

tie osseuse. La dépression est située au-dessus du sillon de Rolando, en un.

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 395

point correspondant au centre moteur de la jambe et du bras..... On opéra après

éthérisation. Le cuir chevelu étant rasé on découvrit une pulsation au-dessus

du point lésé, ce qu'on n'avait pas aperçu auparavant et l'on pense un instant à

un anévrysme. On pratique un peu au-dessus du foyer une incision curviligne

convexe en avant et en bas et on détacha de l'os un lambeau de forme ovalaire,

on trouva dessous une sorte d'opercule ; une ponction pratiquée avec une

seringue de Pravaz donna un liquide clair, avec la sonde on reconnut l'exis-

tence d'une poche kystique. L'opérée donnant des menaces d'asphyxie on dut

suturer et terminer l'opération. Mais à quelque temps de là, la petite malade

fut prise d'attaques convulsives du côté gauche qui se multiplièrent par la suite..

Elle reste six jours sans attaque, puis elle en a plusieurs dans la même journée

et pendant plusieurs jours de suite. Une période de repos survient alors qui

dure environ six jours, puis les attaques réapparaissent..... Mais elle était plus

habile à se servir de ses membres gauches et avait gagné cela à l'opération.

En outre, elle parlait aussi bien que les autres enfants de son âge

,

Voici donc un cas où un mal est remplacé par un autre et où l'épilepsie

jacksonnienne succède à l'hémiplégie.

Il nous faut parler maintenant de ce que nous appellerons la guérison

temporaire. Dans un certain nombre de cas qui tous concernent des hé-

miplégies à la suite de coups de revolver, on voit le malade guérir après

un laps de témps variable, mais en général assez court. La plaie du. crâne

se ferme, la balle, ainsi que les rayons Roentgen le montrent, reste en un

point du cerveau et le blessé reprend ses occupations et sa vie habituelle

sans paraître aucunement souffrir de la présence de ce corps étranger.

C'est pourquoi MM. Bergmann et Graff, qui ont rapporté l'un deux, l'au-

tre quatre cas de ce genre, se prononcent contre l'intervention chirurgi-

cale et se contentent d'un pansement occlusif. Ces résultats sont en effet

séduisants et nous avons reproduit plus haut l'observation d'un cas due à

M. le professeur Berger dans laquelle cette conduite ayant été suivie, la

guérison est survenue. Malheureusement, ainsi que le fait remarquer le

Dr Berger, il pourrait bien ne s'agir là que d'une guérison temporaire,

nous serions presque tentés de dire d'une mort différée. Il faudrait, en

effet, pour affirmer la guérison, connaître l'histoire ultérieure des blessés.

M. le Dur Berger cite le cas d'un magistrat qui avait reçu une balle de re-

volver dans le crâne et l'avait conservée, guéri en' apparence. Un an plus

tard environ il était pris de violentes douleurs de tète et mourait d'un

abcès cérébral ; Geschwind et Koeler, cités par le même auteur, rapportent

des cas semblables. -

Ce n'est donc pas impunément que l'on garde une balle de revolver

dans son cerveau et une fois la plaie et la paralysie guéries, tout n'est pas

dit. L'avenir est engagé, par suite le pronostic devient plus sérieux.

396 RENÉ martial

A côté de celle terminaison fatale à échéance retardée, il faut parler de

la mort qui suit immédiatement, c'est-à-dire dans un délai de quelques

jours à quelques semaines, le traumatisme. Elle est relativement peu fré-

quente puisque sur tous nos cas nous ne l'avons relevée que huit fois :

ai l'ois elle s'est produite en dehors de toute intervention, trois fois on

avait jugé nécessaire de trépaner. Dans presque tous ces cas il s'agissait

de gros hématomes, d'enfoncements dés os du crâne et ils étaient presque

tous compliqués d'accès d'épitepsiejacksonnienne. Finalement les malades

succombaient dans le coma.

En résumé, le pronostic de l'hémiplégie traumatique, bien que ne com-

portant pas en général une gravité extrême, doit être sérieux, 1° à cause

de l'infirmité qui peut subsister, 2° à cause de la guérison apparente et

temporaire.

Traitement. t

Nous avons prévenu dans l'introduction du présent travail que nous

laisserions ce chapitre de côté, comme n'étant pas de notre compétence.

Toutefois nous pouvons indiquer d'une façon générale les tendances ac-

tuelles. Dans certains cas il paraît sage d'attendre traumatismes par

balles de revolver et on se contente d'un pansement occlusif, de l'ex-

pectative armée, dans d'autres, enfoncement de fragments de la voûte du

crâne il serait bon d'intervenir pour les relever et empêcher la com-

pression. Enfin, même s'il n'y a qu'une simple contusion du crâne, mais

avec hémiplégie, certains sont d'avis de trépaner afin d'enlever l'héma-

tome diagnostiqué comme causant les troubles moteurs et sensitil's par

compression.

L'hémiplégie traumatique considérée au point de vue

médico-légal.

Notre intention n'est pas de traiter à fond celte question, mais il nous

semble utile d'en dire quelques mots. Nous avons pu nous rendre compte,

au chapitre « Etiologie », des circonstances au milieu desquelles se produit t

l'hémiplégie traumatique. Au point de vue médico-légal elle se pré-

sente : 1° comme accident du travail, 2" comme lentative de suicide,

3o comme attentat à la vie humaine.

En ce qui concerne les accidents du travail, on pourra constater en

lisant les observations groupées à la fin de cette thèse, qu'ils sont suffisam-

ment nombreux. Ils concernent principalement des.maçons et des peintres

en bâtiment qui tombent de leur échafaudage et des mineurs. Ces der-

niers sont en effet exposés ;'1 recevoir des blocs de charbon lancés par des

coups de mine, ou tombant dans des puits d'une grande profondeur. En

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE 397

ce qu'elle entraîne une incapacité de travail qui peut être définitive, l'hé-

miplégie traumatique mérite donc d'être rangée au nombre des risques

professionnels.

Pour ce qui regarde la tentative de suicide, elle a toujours lieu avec un

revolver et n'est intéressante qu'au point de vue du pronostic. Toutefois,

il ne faut pas oublier ce cas cité parmi Manquât et Grasset, d'un malade

qui, dans un moment d'irritabilité morbide, avait écrit à un de ses chefs

une lettre qui entraîne pour lui des désagréments considérables. Les

accès de colère dépendaient de sa lésion et sa responsabilité devait être

dégagée.

La question prend beaucoup plus d'importance lorsqu'il s'agit de para-

lysie succédant à des coups et des blessures volontaires. Il est bien évi-

dent, en effet, que la paralysie peut rétrocéder et disparaître, il n'en

reste pas moins acquis que parfois, pour une violente, mais simple contu-

sion du crâne, une hémiplégie apparaît qui persiste plus ou moins com-

plètement, entraînant l'infirmité. Et même si la paralysie guérit en

apparence, rien ne prouve que des accidents ultérieurs plus graves ne se

montreront pas un jour. C'est précisément ce que fait remarquer le pro-

fesseur Berger à propos de cette fille à laquelle son amant avait tiré un

coup de revolver. Elle sortit de l'hôpital guérie de tout : de sa plaie et de

son hémiplégie. Mais si les juges avaient su, que portant une balle dans

son crâne, elle était susceptible d'en avoir plus tard des accidents mortels,

ils eussent probablement été plus sévères. C'est ce que fait penser aussi

cet autre cas mentionné par le professeur Berger. Un magistrat ayant fait

condamner un individu, celui-ci se vengea en lui tirant un coup de revol-

ver. Le magistrat guérit mais mourut un an plus tard d'un abcès cérébral

ayant le projectile pour origine. La responsabilité du meurtrier est donc

augmentée et le médecin-légiste, dans son rapport, doit tenir compte des

complications possibles.

Signalons enfin, sans y insister, que l'alcoolisme est encore ici un fac-

teur important. En effet la plupart des blessures ayant eu pour consé-

quence une hémiplégie ont été faites dans des rixes entre alcooliques, les

uns donnant les autres recevant les coups. C'est une conséquence lointaine

mais réelle de l'alcoolisme et il faut le poursuivre et le dénoncer partout

où on le rencontre.

(A suivre.)

Ni][ 26

GIGANTISME, ACROMÉGALIE ET DIABÈTE

PAR

CH. ACHARD et M. LOEPER.

A la Société de Neurologie de Paris, séance du 3 mai 1900, nous avons

présenté le sujet dontles PI. LIV,LV et LVI reproduisent les photographies,

faites au laboratoire du service de clinique de la Salpêtrière. 11 nous a

paru intéressant de faire connaître ces documents iconographiques qui

peuvent avoir une utilité en vue de l'élude des rapports du gigantisme

avec l'acromégalie. Nous y joignons l'observation correspondante.

Observation.

Ko..., âgé de 34 ans, charpentier, entre le 14 avril 1900 à l'hôpital Tenon,

salle Bichat, no 10. Sa haute stature attire immédiatement l'attention. Pieds

nus, il mesure 2 m. 12. Il paraît avoir atteint cette taille depuis l'âge de 21 ans.

A 18 ans, il n'avait que 1 m.' 76 ; puis, d'après son dire, en 2 ans, sans cause

appréciable, sans maladie aiguë, sa taille s'éleva de 0 m. 20.

Au conseil de révision, il fut inscrit comme mesurant déjà plus de 2 mètres.

Il accomplit son service militaire et remplit l'emploi, pour lequel il était tout

désigné, de tambour-major.

il est d'une famille où les grandes tailles sont habituelles. Sa'soeura 1 m.80 ;

son père, mort à 65 ans d'une maladie indéterminée, avait 1 m. 95; un de ses

oncles paternels avait 2 m. 10. Mais les autres oncles et tantes paternels (au

nombre de 8) n'étaient pas d'une stature exagérée. Quant sa mère, elle estde

taille moyenne ; sa santé est bonne; elle n'a pas fait de fausse couche et n'a

pas eu d'enfant mort en bas âge ; la syphilis ne paraît pas exister dans les an-

técédents héréditaires du malade.

Dans ses antécédents personnels, on ne relève qu'une légère otite moyenne

du côté droit, qui persiste depuis 5 ans, en donnant lieu parfois à l'écoulement

d'un peu de liquide louche. Il est venu consulter à l'hôpital pour quelques

douleurs qu'il éprouvait dans les jambes. Là on reconnut pour la première

fois l'existence d'un diabète sucré, qui paraît, d'ailleurs, de date assez récente.

L'examen des formes permet de constater une certaine disproportion entre

diverses parties du corps.

A la tète, le profil de la face rappelle un peu celui du polichinelle : le nez est

long, pointu, arqué, un peu recourbé vers la lèvre supérieure; le menton est

Nouv. Iconographie DE la SALPETRIÈRE T. XIII. PI. LIV

GIGANTISME, ACROMEGALIE ET DIABÈTE

(Acbard et Loepcr)

I\1asson & CIel Edltcurs

Nouv. Iconographie de la SALP.È1RlhRE T. XIII. Pl. LV

GIGANTISME, ACROMÉGALIE ET DIABÈTE

(,4chai-d et Lofer)

Masson & Ci,, Editeurs

Nouv. Iconographie de la SALPÉTRI1.RE ? T. XIII. PI. LVIi J

1

GIGANTISME, ACROMÉGALIE ET DIABÈTE

(Achard et Z-oeM')

GIGANTISME, ACROMÉGALIE ET DIABÈTE ' 399

un peu relevé « en galoche ». De face, ce qui frappe surtout, c'est l'enfonce-

ment des fosses temporales et la saillie exagérée des pommettes. La mensura-

tion donne les résultats suivants :

400 ACHARD ET LOEPER

GIGANTISME, ACROMÉGALIE ET DIABÈTE 401

peu développée à 17 ans, est devenue considérable à ce moment (1). Le menton

même se serait un peu relevé et allongé. Il est impossible de savoir si l'allon-

gement et l'élargissement des doigts remontent à la même époque ou s'ils se

sont faits peu à peu.

Les troubles fonctionnels du diabète paraissent remonter seulement à 9 se-

maines. A cette époque, il commença à uriner en abondance, jusqu'à 4 et 5 litres

par jour. Cependant depuis 1 an déjà, il a un peu de polyurie. En même temps,

la soif est devenue impérieuse et le malade absorbait plusieurs litres de liquide

dans la journée. Très gros mangeur de tout temps, il ne paraît pas avoir un

appétit plus développé qu'autrefois ; il éprouve un goût particulier pour le pain

et les féculents et mange relativement peu de viande. Il a maigri depuis quel-

que temps et pèse 110 kg. 300.

En rapport avec le diabète, on note un prurit cutané, quelques douleurs lan-

cinantes dans les jambes, une sensation de sécheresse permanente de la bouche,

une disposition des gencives il saigner facilement, une certaine frigidité géni-

tale : marié depuis 4 ans, il n'a, d'ailleurs, pas d'enfant. Il éprouve assez rare-

ment de la céphalalgie, n'a pas de troubles visuels ; l'ouïe est un peu affaiblie à

droite, en raison sans doute de l'otite moyenne signalée plus haut. Les réflexes

rotuliens sont très affaiblis. Il n'y.a pas de troubles de la sensibilité. La réflec-

tivité et la sensibilité plantaires sont normales.

Les jambes présentent des varices très accusées.

Les téguments du cou et du dos portent plusieurs petites tumeurs de mollus-

cum. Il existe une petite hernie épigastrique.

L'examen des viscères ne révèle rien de pathologique. La voix a un timbre

grave.

Urines du 14 avril : 6200 centimètres cubes en 24 heures. Densité, 1033.

Sucre : 386 grammes en 24 heures. Pas d'albumine ni d'urobiline. Traces d'in-

dicau.

Mis au régime des viandes et du lait, le malade est pris d'un peu de diarrhée,

pour laquelle on lui fait prendre un peu d'opium (10 centigrammes d'extrait).

En même temps, l'urine tombe à 2 litres 500 et 2 litres le 20 avril, et le sucre

disparait presque entièrement (4 grammes). C'est seulement dans les urines

émises quelques heures après le déjeuner et le dîner qu'on peut en déceler la

présence.

Il en fut de même après la cessation de l'opium jusqu'au 22 avril.

Ce jour-là le malade mangea en assez grande quantité des féculents (pommes

de terre, biscuits); le lendemain le sucre remonta à 53 gr. 3 en 24 heures.

Une injection de 10 grammes de glycose sous la peau fit monter la quantité

de l'urine à 5 litres et celle du sucre à 165 grammes. -

Le malade quitte l'hôpital le 8 mai.

Il y rentre le 18 mai, se plaignant de douleurs dans les membres inférieurs

(1) Nous avons pu voir des photographies faites pendant que le malade accomplis-

sait son service militaire : la saillie des pommettes y parait moins accentuée qu'au-

jourd'hui.

402 ACHARD ET LCKPER

et la région lombaire, et d'une certaine lassitude générale. Il a repris son tra-

vail, mais il se fatigue vite et est incapable d'un long effort.

Les urines sont relativement peu abondantes : 1500 centimètres cubes seu-

lement en 24 heures. Elles contiennent 14 grammes de sucre par litre (soit 21 gr.

par jour). Le taux de l'urée et des chlorures est normal (4 gr. 75 de chlorures et

17 gr. 21 d'urée par litre). Le point cryoscopique est de 1°32. Il n'y a pas

trace d'albumine, un peu d'indican. Le malade a toujours un peu de diarrhée.

Aux membres inférieurs, les réflexes patellaires sont très diminués ; à droite

la disparition est presque complète. Le réflexe plantaire est très affaibli et les

orteils se fléchissent peu à la suite de chatouillement de la plante des pieds.

Phénomène nouveau, la sensibilité est diminuée dans tous ses modes aux

pieds et aux jambes jusqu'à une ligne circulaire passant au-dessus des condy-

les fémoraux. La piqûre est peu perçue, et avec un certain retard.

La mensuration du malade, faite de nouveau, a donné 2 m. 10 de hauteur

le matin au réveil, et environ 1 centimètre de moins dans l'après-midi.

On met le malade au régime mitigé des diabétiques et on lui donne de 0 gr.05

à 0 gr. 10 d'extrait thébaïque chaque jour. La glycosurie devient à peine per-

ceptible le matin, elle reparait légère dans la journée et s'accuse surtout à la

suite des repas. Le sucre ne dépassait pas 3 grammes par jour. L'urine était

en moyenne de 1000 à 1100 centimètres cubes.

Le malade sort de l'hôpital le 8 juin.

Ce malade est avant lout un géant. Le gigantisme présente ici la parti-

cularité plusieurs fois signalée d'être héréditaire (1) en ligne paternelle.

Accessoirement on peut noter quelques indices d'acromégalie ; ainsi le

menton est un peu saillant « en galoche » ; les pommettes sont très proé-

minentes et donnent à la face une largeur disproportionnée à celle du front ;

la protubérance occipitale fait une forte saillie ; l'angle sternal et l'insertion

des premières côtes font un relief très prononcé ; la main est relativement

plus développée que les autres segments du membre. Toutefois ces défauts

de proportion coexistent avec d'autres qui n'ont nullement les caractères

acromégaliques, comme la longueur exagérée de la cuisse par rapport il

celle de la jambe. Il manque d'ailleurs bien des signes ordinaires de l'acro-

mégalie. En particulier, les troubles oculaires font défaut, la céphalalgie

n'existe pour ainsi dire pas, en sorte qu'on ne trouve pas les signes de

compression qui permettraient d'incriminer la présence de la tuméfaction

de l'hypophyse, habituelle dans l'acromégalie et observée aussi dans le

gigantisme. '

Dana (2) a rapporté notamment les observations de deux géants présen-

tant quelques symptômes d'acromégalie, et à l'autopsie desquels il trouva

(1) E. Brissaud et II. MEME, Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, 1897, t. X, ne 6.

LUCAS-CHA\II'10\VIt : RE, Bull. de l'Acad. de Médecine, 9 mai 1899, p. 481.

(2) CH. DINA, The Journal of nervous and mental Diseases, nov. 1893, p. 125.

GIGANTISME, ACROMÉGALIE ET DIABÈTE 40a

le corps pituitaire volumineux. Il cite, en outre, 12 autopsies de sujets à

la fois grands et acromégaliques, chez qui 10 fois le corps pituitaire était

augmenté de volume. Plus récemment Buday et JilllCtO (1), OEstreich et

Slawyk (2) ont observé des géants acromégaliques qui étaient atteints d'une

tumeur de l'hypophyse.

Si, dans l'observation que nous rapportons, les symptômes d'acromégalie

ne sont que peu prononcés, néanmoins, on ne saurait invoquer le cas de

ce malade contre l'opinion soutenue par M. Brissaud. On sait que cet au-

teur considère l'acromégalie et le gigantisme comme une seule et même

maladie dont le développement à la période de croissance engendrerait le

gigantisme et, après cette période achevée, l'acromégalie. Or, chez notre

malade, l'accroissement exagéré de la taille s'est fait vers la fin de la pé-

riode de croissance, c'est-à-dire dans les délais compatibles avec cette

manière de voir, et d'autre part les symptômes d'acromégalie n'ont apparu

qu'à l'époque où la taille achevait de croître.

Enfin le diabète paraît être une particularité intéressante de notre cas.

On a plusieurs fois rencontré, en même temps que l'acromégalie, la gly-

cosurie diabétique (3), ou simplement la glycosurie alimentaire (4). Notre

observation montre que la même coexistence peut se présenter pour le gi-

gantisme. Signalons aussi les brusques oscillations de cette glycosurie qui,

en quelques jours, a pu descendre de 386 grammes à 4 grammes de sucre

en 24 heures.

(1) K. Buday et N. JAXCTO, Deutsch..Archiv f. klin. Med., 189S, p. 385.

(2) OE-streicii et SL.\WYK, Arch. r. patholog. Anat. und Physiol., 1899, Bd. 157.

(3) P. Marie, Revue de Médecine, 1886. G. Guisos, Gaz. des hôpitaux, 1889.

Haskovec, ibid., 1893. DALLEMAGNE, Arch. de méd. expérim., 1893, p. 519. Lan-

CEIIEAUX, Semaine médicale, 1895, n° 8, p. 61. -lAI;I1ESC0, Soc. de biologie, 22 juin

1895. P. RAVAUT, Bull. et : llém. de la Soc. médic. des hôpitaux, 23 mars 1900,

p. 352.

(4) F. CHVOSPEIC, Wiener klin. Wochenschrift, 2nov. 1899, n 441, p. 1086.

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

HOSPICE DE LA SALPÊTRIERE

UN CAS RARE D'OSTÉO-ARTHROPA'l'HlE

PAR

GEORGES GASNE.

Le malade dont je rapporte ici l'observation présente un type clinique

qui me paraît unique jusqu'à présent dans les annales de la médecine. Je

l'ai observé pendant plus d'un an espérant trouver dans l'évolution de son

affection quelques traits qui m'auraient permis de la rattacher aux mala-

dies classées soit des os soit du système nerveux, mais les symptômes sont

restés immuables pendant ce temps; malgré mes efforts je n'ai pu avoir

aucun renseignement sur les événements ultérieurs à la fin de l'année

1898 et je me décide à donner telle que je l'ai recueillie à son entrée au

service de la clinique des maladies nerveuses, l'histoire de ce singulier ma-

lade.

B..., âgé de vingt ans,garçon épicier, est entré à la Salpêtrière, service

de M. le Professeur Raymond, le 25 décembre 1897.

C'estun garçon bien développé, de taille plutôt élevée, dont l'apparence

générale est celle d'un homme vigoureux et intelligent.

Sa mère est bien portante, elle n'est pas nerveuse.

Son père est mort à l'âge de trente ans, sans doute phtisique (il a toussé,

maigri pendant deux ans et à plusieurs reprises a craché le sang).

Un frère est mort à l'âge de (rois ou quatre mois, un autre, son aîné, a

vingt-six ans et est bien portant, bien portante aussi une soeur âgée de

dix-huit ans.

Il'ne peut nous donner aucun renseignement sur sa naissance et ses pre-

mières années, il sait seulement qu'il a parlé assez tard, on lui aurait coupé

le frein de la langue à 2 ans 1/2. Il n'a, dit-il, sûrement pas eu de convul-

sions ni aucune maladie infectieuse et en somme a joui de la santé la plus

parfaite jusqu'au début de la maladié actuelle.

Nouv. Iconographie DE la SALPETR11 : RR

T. XIII. Pl. LVII

Pbototyple Bi rthand r.rn

UN CAS RARE D'OSTÉO-ARTHROPATHIE

(G Gasne.) '

Masson & Ci, EditClI15

UN CAS RARE D'OSTÉO-ARTI1ROPATI1lE 1,0 ?

Ce débuta été absolument insidieux et il est impossible d'en préciser la

date exacte, il doit être placé cependant dans le commencement de l'année

1895, car, dans le mois de juin de cette année, le malade qui aurait désiré

quitter l'emploi qu'il avait, sentait sa main droite assez malhabile pour qu'il

n'osât pas le faire, il craignait que cette faiblesse de la main l'empêchât

d'être accepté comme employé dans une maison nouvelle.

Le premier symptôme apparent fut le gonflement de la main ; et nous le

répétons c'est en dehors de toute maladie infectieuse, de tout mouvement

fébrile, de toute affection vénérienne qu'il se produisit.

Sans aucun trouble de la sensibilité générale, de l'appétit ni du som-

meil, la main droite enfle lentement, le malade estime qu'elle a enflé pen-

dant 14 mois au moins, atteignant le maximum de son développement

vers le mois de janvier 1896, à cette époque l'enflure avait gagné peu à

peu l'avant-bras, le bras et l'épaule.

Cette enflure était considérable, les doigts étaient comme de vrais bau-

dins accolés les uns aux autres par leur développement en largeur, le dos de

la main était arrondi, plus volumineux qu'actuellement, le bras et t'avant-

bras étaient « à pleine manche de paletot », au niveau de l'épaule il y

avait une transition lente avec le reste du tronc, le gonflement ne dépas-

sait pas en avant ni en arrière une ligne circulaire passant par le pli de

l'aisselle (PL LVII).

La consistance était dure, résistante, mais le doigt y faisait une dépres-

sion facile dont la trace restait nette pendant un quart d'heure peut-être.

La coloration était blanche, la main malade étant plus pâle que l'oppo-

sée.

Il n'y avait aucune espèce de douleur, les articulations des doigts, du

poignet, du coude, de l'épaule se mouvaient facilement et sans la moin-

dre souffrance.

La sensibilité objective était normale.

L'oedème diminua peu à peu et arriva en quelques mois (septembre

189G) à l'état actuel, peut-être a-t-il même été moins accentué encore que

maintenant, il semble en effet que le bras reprenne un peu de développe-

ment depuis quelque, temps.

Mais pendant cette période la motilité des doigts est troublée. Il y a un

an,le malade commençait à avoir de la difficulté pour écrire elaujourd'hui

toute écriture est impossible non pas à cause de la douleur, mais parce que

les mouvements ne se font plus.

Il n'y a guère que six mois que le malade a remarqué le raccourcisse-

ment des doigts et le tassement de la main raccourcie et épaissie, mais il

est probable que les troubles trophiques osseux ont commencé plus tôt.

Pendant tout le temps de sa maladie le malade a eu le bras en écharpe,

406 GASNE '

ce fait peut avoir une certaine importance pour l'ankylose du coude, an-

kylose qui en tous cas n'a débuté certainement qu'après la gêne des mou-

vements de la main.

Le traitement a été : friction avec onguent mercuriel belladone, électri-

sation, pointes de feu sur la main et sur le coude.

Etat actuel (décembre 1897). L'examen le plus attentif de tous les

organes et de toutes les parties du corps resle négatif, le malade n'a aucune

douleur, ne se plaint de rien que de son membre supérieur droit impo-

tent, il peut bien ci la vérité le faire mouvoir un peu, il peut môme saisir

encore quelques objets entre le pouce et l'index, mais en réalité il n'en tire

aucun usage ulile, il ne s'en,sert même pas pour s'habiller ou se désha-

biller.

Au repos le membre pend légèrement écarté du tronc, l'avant-bras demi-

fléchi à lt5 centimètres environ sur le bras, la main repos«à plat sur la

cuisse. L'atrophie est manifeste : l'amaigrissement est déjà notable à l'é-

paule ; celle-ci est légèrement abaissée, elle est surtout moins ronde que

l'opposée, bien que le squelette n'en soit pas saillant ;

Le bras est absolument amaigri il mesure ci sa partie moyenne cinq cen-

timètres et demi de circonférence de moins que le bras gauche (18 1/2 au

lieu de 24) et l'atrophie commence déjà à la partie supérieure (2< 1/2 au

lieu de 25 centimètres) et au-dessus du coude persiste à peu près dans les

mêmes chiffres (20 centimètres au lieu de 23).

L'avant-bras immédiatement au-dessous du coude qui présente forcé-

ment une certaine épaisseur s'amincit considérablement, sa circonférence'

à la partie moyenne est inférieure de sept centimètres à celle du côté op-

posé (1G au lieu de 23) ; mais il est de plus beaucoup plus court que l'a-

vant-bras gauche, il mesure en effet de la pointe du coude au sillon bien

marqué qui le sépare de la main oedématiée, tassée, aux doigts épais et

courts que montre notre figure vingt centimètres seulement au lieu de 2,

soit quatre centimètres de différence en longueur.

La main est raccourcie dans son ensemble et présente un aspect globu-

leux aussi bien du côté de la paume qui est arrondie en dôme et non

creusé comme à l'état normal, avec des sillons très marqués et très rap-

prochés les uns des autres, que du côté de la face dorsale ; les doigts sont

raccourcis, épaissis sur leur base, écartés en éventail à leur périphérie ; le

petit doigt et le pouce semblent avoir perdu leur métacarpien et être ren-

trés dans la main, on dirait que lepremier s'insère sur le milieu du méta-

carpe tandis que le pouce a l'air de s'insérer directement sur l'avant-bras.

Si bien que si l'on mesure la main de l'extrémité du médius au pli du poi-

gnet on trouve quatorze centimètres à droite au lieu de dix-huit à gauche,

et si l'on compte seulement à partir de la commissure interdigitale médio-

Nous. Iconographie DE la SALPLTRIL`RE T. XIII. PI. LVIII

UN CAS RARE D'OSTÉO-ARTHROPATHIE

(G. GrtS11e.)

UN CAS RARE D'OSTÉO-ARTHROPATHIE 407

annulaire on a six à droite pour huit à gauche de sorte que la main et le

doigt ont perdu chacun également deux centimètres. Enfin nous avons

noté la circonférence de ces doigts boudinés et le médius comme type nous

donne sept centimètres et demi de tour au lieu de six au doigt correspondant

opposé (Pl. LVIII).

Il n'y a aucun trouble trophique de l'épiderme ni des ongles ou des

poils ; le tissu sous-cutané est infiltré et présente un oedème assez résis-

tant dans lequel la trace du doigt disparaît vite.

La palpation permet de sentir les muscles aussi bien ceux de l'épaule

(deltoïde, grand rond et grand dorsal, grand pectoral, etc.) que ceux du

bras et de l'avant-bras réduits dans leur masse et d'une dureté singulière,

ils donnent l'impression de trousseaux fibreux et sont bien différents des

muscles souples du côté opposé. Cependant ils se contractent bien pour

les mouvements volontaires et leur exploration électrique pratiquée par

M. Huet a montré que les réactions faradiques et galvaniques étaient seu-

lement diminuées dans les muscles de la main et de l'avant-bras, qu'il

n'y avait pas de réaction de dégénérescence.

Nous n'insisterons pas sur la palpation du squelette que l'examen ra-

diographique nous permettra d'étudier avec beaucoup de précision. Di-

sons seulement que les mouvements imprimés à l'articulation du coude

s'accompagnent de craquements fins extrêmement nombreux comme si

l'on frottait deux râpes l'une contre l'autre. Au poignet on sent l'extré-

mité inférieure du cubitus très mince et libre de toute attache, se dépri-

mant facilement en touche de piano. A la main on perçoit au milieu des

tissus mous des parties les plus dures, irrégulières pouvant se rapprocher

ou s'écarter par la pression perpendiculaire ou latérale. '

Les mouvements de l'épaule se font très bien et avec vigueur.

Les mouvements du coude limités dans l'extension se font avec éner-

gie dans le sens de la flexion.

Le mouvement de supination ne peut s'exécuter qu'à moitié et s'accom-

pagne de craquements du coude.

Il y a encore quelques mouvements dans le poignet, mais à peine mar-

qués. la main pend flasque au bout de l'avant-bras.

Les doigts ne sont mobiles spontanément que dans l'articulation méta-

carpo-phalangienne,excepté le pouce dont tous les segments obéissent en-

core à la volonté, mais qui a perdu naturellement le mouvement d'oppo-

sition.

La sensibilité objective au tact, à la piqûre, au chaud, au froid est par-

tout normale.

Les réflexes tendineux du membre malade sont encore sensibles, ils

M8 GASNE i.

sont normaux partout ailleurs, ainsi que les réflexes cutanés (plantaire,

crémastérien etc.).

Aucun trouble des sphincters.

Nous avons naturellement radiographié une telle main et rien n'est

plus curieux que les lésions ainsi constatées. Le carpe a complètement

disparu, et de ce point maximum les lésions osseuses s'étendent de moins

en moins accentuées en haut vers l'avant-bras, en bas vers les phalanges,

amenant un tassement de la main tel que ce qui reste de l'extrémité infé-

rieure du radius a pénétré dans la paume de la main dépassant l'extré-

mité supérieure du premier métacarpien et séparé seulement par un espace

de trois centimètres (au lieu de 9) de l'extrémité la plus proche de la

première phal'ange de l'index (Pl. LVIII).

Les lésions consistent en effet dans une fonte des os qui sont ou dispa-

rus complètement ou amincis, usés comme à la meule, ou mieux comme

des cylindres de sucre d'orge que les enfants amincissent par une longue

succion. Bien entendu les rapports du squelette comme nous l'avons dit

plus haut se trouvent bouleversés.

Le radius mince déjà dans l'avant-bras parait cylindrique jusqu'à son

extrémité inférieure brusquement coupée à 3 centimètres au-dessous du

premier pli du poignet, rien ne rappelle la disposition ordinaire de l'extré-

mité volumineuse polyédrique de cet os, nulle trace de l'apophyse sty-

loïde ; du reste l'os a pénétré dans la paume suivant la direction natu-

relle, il semble prolonger directement le second métacarpien avec lequel

il est en contact intime et le premier métacarpien esl bien en dehors de

lui, sans aucun rapport direct.

Le cubitus est encore plus aminci, il se termine en pointe effilée un peu

au-dessus de l'extrémité radiale, libre pour ainsi dire dans la paume, au-

cun os ne vient à son contact.

Le premier métacarpien présente son extrémité inférieure normale et

s'articule de ce côté avec les phalanges saines du pouce, mais son extré-

mité supérieure et carpienne est brusquement rélrécie, ]a-,tête complète-

ment disparu, on voit seulement un vague prolongement venir se perdre

au niveau des plis du poignet jusqu'au contact du radius. Les autres méta-

carpiens sont bien plus altérés (mais nous devons nous souvenir que en

réalité la partie saine du premier métacarpien représente la première pha-

lange du pouce),ils sont réduits à de grêles cylindres osseux brusquement

coupés au niveau de leur tiers supérieur sans trace de renflement épiphy-

saire et présentent à leur extrémité inférieure des altérations énormes,

que l'on peut facilement constater sur la figure, moins marquées sur l'in-

dex, et au maximum au 4e doigt : ces lésions n'ont cependant pas détruit

l'épiphyse encore reconnaissable et s'articulant en somme avec l'extrémité

UN CAS RARE D'OSTÉO-ARTliROPATnIE 409

des premières phalanges, mais ce sont des articulations bouleversées, ne

rappelant que de fort loin les articulations normales. Et en effet les pha-

langes elles-mêmes sont altérées, d'une façon générale elles sont plus min-

ces que les phalanges normales, mais surtout leurs têtes métacarpiennes ont

fondu, on n'y voit plus le renflement normal, plus de capsule articulaire

mais seulement une extrémité irrégulière, effritée, chevauchant plus ou

moins l'extrémité correspondante plus altérée encore du métacarpien.

Les phalangines et les phalangettes ont leur forme, leur structure, leurs

dimensions normales ou à peu près.

Disons enfin que les os présentent à la radiographie le même aspect que

les os sains, le tissu compact donne un double contour parfaitement net

même dans les points les plus amincis comme ce qui reste de la tête cubi-

tale, il y aurait même plutôt condensation osseuse pour le radius et le

cubitus, et les métacarpiens, les phalanges ne sont pas plus clairs que sur

une radiographie normale.

L'état était absolument le même à la sortie du malade en octobre 1898.

Nous avons constaté de nouveau l'absence de tout trouble de la sensibilité

cutanée ou profonde, la persistance de tous les réflexes, le fonctionnement

parfait de tous les viscères, et la continuation du bon état général.

Nous restons donc en présence d'une affection singulière caractérisée

exclusivement par la fonte relativement rapide (en dix-huit mois au plus)

de tous les os du carpe qui ont complètement disparu et des os avoisinant

profondément altérés : la semi-ankylose du coude, l'amyotrophie peuvent

être légitimement rapportés à l'immobilisation et aux conséquences ré-

flexes des lésions ostéo-articulaires. '

L'affection s'est établie lentement, elle n'est pas symétrique, mais par-

faitement localisée à un seul côté, et cette localisation ne trouve son expli-

cation dans aucun traumatisme accidentel ou professionnel, le malade est

garçon épicier. Elle a évolué progressivement, mais s'est terminée ou du

moins a subi un long temps d'arrêt.

Le début en a été marqué par un oedème considérable qui a augmenté

pendant six mois et s'est étendu bien plus loin que les lésions osseuses,

puis s'est peu à peu résorbé, pendant que celles-ci continuaient au con-

traire à s'accentuer.

Toute hypothèse sur les causes, la nature ou la pathogénie d'une telle

maladie serait purement gratuite puisqu'aucun trouble concomitant ni

de la santé générale, ni de la région atteinte n'a pu être décelé. Il est ce-

pendant un rapprochement qui s'impose dans la circonstance, c'est avec

410 GASNE

l'arthropathie tabétique, bien des traits sont communs aussi bien dans la

forme de l'ostéopathie que dans le début par l'oedème étendu au membre

tout entier. Mais l'ostéoarthropathie tabétique elle-même n'est pas fonction

exclusive de la malade de Duchenne et se retrouve avec ses mêmes caractè-

res dans d'autres affections médullaires. Aussi, bien que l'âge de notre

sujet et sa santé antérieure écartent l'idée d'une affection acquise,' bien

que l'absence de tout antécédent nerveux chez ses ascendants ou collaté-

raux, l'absence surtout de toute autre tare organique ou mentale permet-

tent difficilement de penser à une maladie familiale, nous croyons qu'il

faut faire toutes réserves sur l'avenir de ce malade et il est légitime de

penser que nous n'avons assisté qu'il une première manifestation très anor-

malement isolée d'une affection qui pourrait se développer plus tard.

Quoi qu'il en soit, le cas reste intéressant, ne serait-ce qu'à titre de

curiosité scientifique et mérite d'être retenu.

Nouv. Iconographie DE la S.1LYlaItIl.Afi ' T. XIII. PI. LIX

. D

A

B

c

INFANTILISME DU TYPE LORAIN

(E. Ilerloghe.)

LE MYXOEDÈME FRANC ET, LE MYXOEDÈME FRUSTE

DE L'ENFANCE i '

i

*- PAR R

le Dr E. HERTOGI-IE

(d'Anvers)

jr* ~* *S' -

Dans mon dernier travail sur l'Hypothyroidie bénigne chroniqve ou myxoe-

dète frusle (1), j'ai montré quelques types d'hypothyroïdie franche chez

des enfants. J'ai présenté également plusieurs cas d'infantilisme Lorain,

sujets grêles, gringalets etriinces, en insistant sur ce point ? capital pour

moi, que ces derniers sont, au fond, des myxoedémateu. Leurs parents

présentent les mêmes caractéristiques el les mêmes tares, que les parents

des crétins complets.

On peut trouver sous le même toit des enfants obèses, des enfants types

Lorain et,même des sujets complètement crétinisés. C'est une question de

déchéance thyroïdienne plus ou moins* complète.

J'ai même, par la juxtaposition de deux photographies, dont lune

représentait un infantile Lorain et l'autre une femme adulte myxoedéma-

teuse franche, fait ressortir l'analogie de leurs formes.

Le hasard me met' môme de produire aujourd'hui un sujet dont le vi-

sage est lourd, épais, et présente l'aspect du crétin. La teinte est jaune am-

brée, plaquée de rouge aux pommettes. La voix est coassante. Les mem-

bres inférieurs, au contraire, sont ceux d'un infantile Lorain, minces,

grêles. Les pieds sont plats et fétides. Cet enfant présente d'une manière

frappante le type crétin et le type grêle entremêlés très intimement. Le

cuir chevelu est glabre par endroits.

Il y a des plaques de pelade très nombreuses, cachées par le restant de

la chevelure laissée longue à dessein.

II est âgé de 21 ans, mesure 1 m. 395, taille d'un enfant de 13 La

puberté est à peine ébauchée. Nu, il pèse 31 kilogr. 800 IPI. LIX. 11.

j (J) Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, 12° année, Il..¡, 1S ? Bull. A«.m<1. ;1" JIt ? i

de Belgique, mars 1599; vol. XIII. '

412 HERTOGHE

Si cet enfant est hypothyroïdien et si l'ossification des cartilages épiphy-

saires n'est pas accomplie, le traitement thyroïdien doit le faire grandir.

La thyroïdine, en effet, est un principe spécifique qui ne peut rien là où il

n'y a pas hypo ou dysthyroïdie.

Au bout de 4 mois, l'enfant a gagné 0 m. 045 en taille, soit cinq centi-

mètres. Son poids s'est élevé de 1200 grammes. La figure a perdu son carac-

tère de crétinisation. Il semble même devenu intelligent (PI. LIX, B).

Au bout de 7 mois, il gagne 0 m. 063 en taille, soit 7 centimètres en

chiffres ronds. Il pèse actuellement 37 kil. 600, soit lcil. 200 de plus

qu'au début de la cure. Il est devenu actif, intelligent, se mêle de la con-

versation. Bref, il est métamorphosé (Pl. LIX, C).

J'ai déjà insisté dans mes publications antérieures sur la nécessité ab-

solue, en matière thyroïdienne, d'étudier cliniquement, non seulement

les enfants nains, crétins ou infantiles qu'on nous présente, mais aussi

leurs parents, surtout la mère. Cette étude est éminemment féconde et je

veux en donner de suite un exemple.

Voici la mère de l'enfant dont je viens de parler (voir PI. LIX, D).

Elle a 41 ans. Grisonne fortement. A souffert énormément de migraines

et de maux de tête. Actuellement, il y a une amélioration notable. Elle a

été réglée très tard, vers sa dix-huitième année. Elle a perdu, au cours de

ses règles, des quantités énormes de sang. II en a été de même après cha-

que accouchement. Pour finir, elle a eu deux fausses couches. Il n'est pas

étonnant que le système utérin se soit épuisé à ce jeu. Aussi la méno-

pause commence-t-el le. Le budget thyroïdien est d'autant soulagé et depuis

quelque temps le malaise cérébral a beaucoup diminué.

Les dents et les gencives présentent les caractères spéciaux que j'ai in-

diqués dans mon travail antérieur sur l'hypothyroïdie bénigne chronique.

Toute la denture supérieure est tombée et la mâchoire inférieure, à peu

de chose près, ne vaut guère mieux.

Cette femme est toujours constipée et est de plus sujette à des-accès de

météorisme intestinal des plus intenses.

Elle a toujours froid, surtout aux pieds, même au lit. Se lève le matin,

plus lasse et plus brisée que le soir.

Toujours fatiguée, énervée, désespérée, se décourageant à la moindre

contrariété. Ses idées sont invinciblement tristes et tournées vers la mé-

lancolie.

Elle a beaucoup souffert du foie et on l'a traitée longtemps pour des

calculs et sables biliaires.

Oppressée à la moindre fatigue, palpitations de coeur, sans motif, même

la nuit.

Jetons un regard sur son portrait. Cette photographie montre admira-

M

E

r

G

Nouv. Iconographie DE la SALP1.TILILfiL -T. XIII. PI. LX

H

I

K

L

INFANTILISME TYPE LORAIN ET PELADE GÉNÉRALISÉE

SOUMIS AU TRAITEMENT THYROIDIEN PENDANT NEUF MOIS

(E. Herlngbe.)

MYXOEDÈMES FRANC ET FRUSTE DE L'ENFANCE 413

hlement la bouffissure des traits. Les paupières sont lourdes, surtout cel-

les d'en haut. Le sourcil est ravagé dans son tiers externe. Le grisonne-

ment est bien visible.

L'expérience que j'ai en matière de cas absolument semblables, me

permet d'affirmer que les malaises dont je viens de donner l'énumération

fort incomplète se dissiperont sous l'influence du traitetnent thyroïdien.

Nous aurons, en temps et lieu, l'occasion de présenter aux lecteurs de

l'Iconographie une photographie qui en sera la démonstration évidente,

Nous présentons encore un type d'infantilisme Lorain (PI. LX et LXI). Il

estbon que l'eei du médecin s'habitue à ces formes particulières, étranges,

dont l'ensemble dénote un état pathologique très constant, très fidèle' lui-

même et susceptible d'une intervention thérapeutique des plus heureuses.

L'enfant représenté Pl. LXetLXI est atteint de pelade généralisée. Agé

de 11 ans, il mesure 1 m. 317 au lieu de -1 m. 37, taille physiologique. Les

membres sont minces, fluets, grêles. La poitrine est allongée, étriquée;

les oreilles écartées du crâne en coup de vent, les bras d'une minceur

effrayante. Habillé, il fait assez bonne ligure et je n'aurais peut-être ja-

mais eu l'idée de le faire photographiera nu, si quelques observations an-

térieures ne m'avaient prouvé que les enfants atteints de pelade présentent

assez souvent des phénomènes non équivoques d'infantilisme (PI. Lux. E).

Voici le résultat du traitement thyroïdien.

Au bout de 6 mois, mon sujet gagnait 0 m. 033, soit trois centimètres

et demi et les cheveux repoussaient avec force (PI. LX, F).

Au bout de 9 mois, il avait gagné 0 m. 04S, soit près de cinq centimè-

tres et la chevelure était absolument revenue. Voir les Pl. LX, G. et les

PI. LXL II, I, K, L.

Comparez aussi la figure initiale (H) de profil avec la figure terminale

(L) et voyez combien la physionomie est plus intelligente, plus consciente.

Elle a perdu tout à fait son caractère puéril et infantilique. Cette étude

ne serait pas complète si je n'y joignais l'esquisse de la mère. Elle a 35 ans

à peine au moment où cette photographie a été faite (PI. LX, M) et elle paraît

en avoir au moins lui-5. Les traits sont fatigués. Cette femme est littérale-

ment épuisée. Les paupières supérieures retombent en sacs sur les orbites.

La chevelure est fine, rare et l'artifice de la frisure peutà peine en cacher

la pauvreté.

Elle est toujours constipée. A eu beaucoup de migraines, a toujours

froid. Souffre du dos, surtout le matin. Hachialgie inter-scapulaire.

J'ai. insisté souvent sur la fréquence de l'incontinence d'urine chez les

xiii '27

414 nrERTOGUE

infantiles. Cette femme a uriné au lit jusqu'à sa 13° année et elle n'a été

réglée qu'à sa 18e.

Actuellement, elle est atteinte de pollakyurie et est obligée d'uriner

beaucoup plus souvent que de raison.

Il y a douc une pelade dystrophique qui guérit par l'usage du principe

thyroïdien. Nous attirons l'attention du public médical sur ce fait. L'ex-

trême facilité du traitement ne peut manquer de tenter le praticien, réduit

jusqu'ici en matière d'intervention, à des moyens purement illusoires.

Après avoir montré deux cas de myxoedème fruste chez l'enfant, je ter-

mine par un exemple de myxoedème franc. On a si souvent publié des cas

de cette espèce dans ces derniers temps, que l'intérêt qu'ils provoquent

doit s'en ressentir (PI. LXII).

Je désire cependant attirer l'attention sur un point qui me semble di-

gne d'être signalé, c'est l'influence du traitement purement médical, thy-

roïdien, sur l'évolution de la hernie ombilicale que portait la jeune lille

présentée ici.

Cette hernie était très volumineuse et dépassait les limites de l'anneau.

Elle empiétait sur le pourtour supérieur de l'anneau fibreux.

On remarquera que deux années après le début du traitement, la hernie'

a complètement disparu et les photographies intermédiaires marquent les

étapes de cette évolution. La puberté s'est également établie sous l'in-

fluence de la médication thyroïdienne (PI. LXII, N, 0, P, Il).

Après une année de traitement, le gros ventre du myxoedème n'a pas

encore disparu. Au bout de deux ans, la guérison est complète, si je peux

m'exprimer ainsi. La musculature est devenue suffisamment puissante

pour réduire les viscères à leur volume physiologique et la graisse intra-

péritonéale s'est résorbée pour permettre l'affaissement de la cavité.

L'enfant dont il s'agit (l'l. LXII, fig. N) était âgée dé 18 ans, lorsqu'elle

a commencé le traitement. Elle mesurait alors 1 m. 045, taille d'un en-

fant de 8 ans.

Six mois après (fig. 0) elle mesurait 1 m. 153 :

Gain : 0 m. 058, près de six centimètres.

Au bout d'un an (fig. P), elle arrive à 1 m. 232.

Gain : 0 m. 137 près de quatorze centimètres.

Après 2 ans (fig. 13), elle arrive à -1 m. 324, gagnant 0 m. 29. Soitprès

de 30 centimètres.

UN CAS D'AV1YOTItOP111 L. PROGRESSIVE

DITE ESSENTIELLE »

AVEC RÉACTION DE DÉGÉNÉRESCENCE

PAR

J. ABADIE J. DENOYÉS

Interne provisoire Préparateur du service d'électrothérapie

à l'hôpital Suburbain de Montpellier.

La séparation arbitraire établie dès le principe entre les différents types

d'atrophie musculaire essentielle, n'a pu subsister devant la découverte

de formes de Iransitions. Actuellement ce n'est plus entre les types de

Leyden-Moebius et de Duchenne, d'Ërb et de Landouzy-Dejerine que l'on

recherche des formes intermédiaires, mais bien entre les atrophies myo-

pathiques d'une part, les atrophies myélopathiques et névritiques de l'au-

tre ; la distance qui les séparait tend à son tour à être comblée par l'obser-

vation de nombreux cas disparates, impossibles à faire rentrer complètement

dans l'un ou l'autre groupe, et au nombre desquels le malade, dont l'ob-

servation suit, semble devoir prendre place.

Observation.

C... Louis, âgé de Il ans, entre à la clinique des maladies des enfants dans

le service de M. le professeur Baumel, le 23 février 1900.

Antécédents héréditaires. - Du côté paternel, syphilis chez une arrière-

grand'mère qui contamine ensuite sou mari. Le père du malade a présenté

dans son enfance des manifestations scrofuleuses : adénite cervicale des plus s

prononcées avec fistules ; actuellement il est maigre, de petite taille, mal char-

penté ; durant toute sa vie il n'a pu boire le vin sans une répulsion marquée,

intelligence médiocre, prognathisme, pas de syphilis.

Du côté maternel, tuberculose pulmonaire chez une tante. La mère, jamais

malade avant son mariage, n'a pu, depuis, mènera bien la plupart de ses gros-

sesses : trois avortements avant trois mois, une fausse couche à huit mois ; le

cinquième enfant est notre malade ; un sixième, né il terme, a présenté des

accidents d'étranglement herniaire trois mois ; il est mort à deux ans et demi

d'entérite aiguë. Depuis la naissance de ce dernier enfant,, la mère du malade

se trouve très faible.

Antécédents personnels. Rien ai signaler pendant la grossesse ; la mère.

A16 ABADIE ET DENOYÉS

effrayée par ses avortements antérieurs, prend de multiples précautions et

reste souvent couchée ; au moment de sa naissance survenue à terme, l'enfant

est assez gros, mais présente une hernie inguinale droite.

Mis en nourrice, il dépérit rapidement ; dans la région lombaire, au-dessus

de la crète iliaque gauche une plaie produite par le bandage herniaire suppure

longtemps et ne se cicatrise qu'au bout de deux mois. Deux incisives mé-

dianes inférieures apparaissent à huit mois, mais l'évolution dentaire s'arrête

là.

Malingre et chétif jusqu'au moment du sevrage (16 mois), l'enfant se déve-

loppe ensuite assez rapidement ; à 16 mois, les autres dents commencent à pa-

raître.

Pas de convulsions, mais parfois la nuit, crises d'agitation avec plaintes et

cris n'interrompant pas le sommeil.

A 5 ans, rougeole; depuis ce moment l'oeil gauche est le siège d'une blé-

pharo-conjonctivite qui cédait habituellement à l'huile de foie de morue sauf

depuis l'hiver dernier.

Urine souvent au lit.

En juillet 1899, fluxion de poitrine qui se termine par l'apparition de rou-

geurs diffuses sur tout le corps ; après quinze jours de lit, il semble y avoir

une aggravation notable de la maladie actuelle.

Histoire de la maladie acluelle. C'est vers deux ans et huit mois que

l'enfant a commencé il marcher ; ses genoux étaient alors incurvés en dedans

et dès ce moment, il allait en se dandinant ; 'chutes fréquentes ; rien n'attirait

l'attention du côté des bras.

Depuis cette époque, les phénomènes suivent une marche lente mais pro-

gressive ; les membres supérieurs, peu musclés sont sans force ; leur maigreur

s'accorde avec celle du thorax ; par contre les mollets grossissent.

Quand le malade marche, il semble concentrer toute son attention sur l'acte

qu'il accomplit; pendant ce temps ses bras sont étendus, raides, un peu écar-

tés du tronc, les mains largement ouvertes, les doigts séparés ; cet aspect est

encore plus accentué quand il veut se servir d'une de ses mains ; aussitôt l'au-

tre s'ouvre et les doigts se mettent en extension forcée.

Malgré ces troubles fonctionnels multiples et la marche lentement progres-

sive de l'affection, le malade n'en va pas moins à l'école et peut se mêler en

partie aux jeux de ses camarades.

Une aggravation brusque se manifeste après la fluxion de poitrine survenue

en juillet dernier ; la faiblesse musculaire est des plus marquées, surtout aux

membres supérieurs : l'abduction des bras est impossible ; le malade ne peut

lui-même passer les manches de sa veste ; s'il tombe il ne peut se relever.

Il n'y a pas eu de douleurs accusées durant tout le cours de la maladie.

Etat actuel.

Aspect extérieur. Le crâne présente une forme il peu près normale ; les

bosses pariélales sont très légèrement accentuées; le frontal n'a pas une hau-

teur exagérée et n'est pas en saillie sur les pariétaux.

Nouv. Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE

T. XIII. PI. LXIII

A

13

C

D

AMYOTROPHIE PROGRESSIVE « ESSENTIELLE » AVEC RÉACTION DE DÉGÉNÉRESCENCE

(J. 9hadie et /. T)t)0)'f'.t.

Masson & C ? EJitcl11s

UN CAS DA\fYOTROPI11E PROGRESSIVE 417

Les mensurations donnent :

418 ABADIE ET DENOYÉS

deux masses globuleuses correspondant aux sous-épineux, de même le grand

dorsal fait saillie sous forme d'un bourrelet oblique au niveau de son passage

sur l'angle inférieur de l'omoplate. Le trapèze est atrophié. Au repos, les omo-

plates s'écartent de la cage thoracique : scapulæ alatae.

L'abdomen est assez volumineux : la verge est petite ; au niveau du scro-

tum pas de testicules. A droite hernie inguinale.

La région lombaire présente une pigmentation brune sensible surtout au

niveau de la cicatrice que l'on trouve sur le côté gauche. La masse sacro-lom-

baire fait saillie.

Les membres supérieurs sont le siège d'une atrophie généralisée étendue

jusqu'aux -mains dont les espaces interosseux sont accentués et les éminences

thénars déprimées ; les doigts en extension exagérée sont même incurvés du

côté dorsal, l'avant-bras étendu sur le bras, forme un angle obtus ouvert en

arrière. Le deltoïde est hypertrophié.

Aux membres inférieurs, l'atrophie des muscles de la cuisse est notablement

moins marquée qu'elle ne l'est aux membres supérieurs, cependant quand les

genoux sont amenés au contact, un léger intervalle sépare les faces internes

des cuisses. Le tenseur du fascia lata est un peu hypertrophié ; mais l'augmen-

tation de volume est surtout marquée pour les jumeaux dont la saillie peu

étendue en hauteur est nettement globuleuse ; ces muscles sont durs il la pal-

pation, les tibias ont un faible degré l'incurvation propre au rachitisme. Le

gros orteil est large et aplati.

Dans la station assise, le pied se met il peu près dans le prolongement de la

jambe; le malade a bien le « pied tombant » (PI. LXIII).

Les mensurations donnent :

UN CAS d'AMYOTROPHIE PROGRESSIVE 419

caractères sont notablement plus accentués à droite qu'il gauche. Les bras s'é-

loignent du corps, les mains sont étalées.

Pendant la marche, le malade se dandine, augmente encore son ensellure

lombaire, dodeline de la tête et déplace alternativement ses bras en avant tout

en conservant aux mains l'aspect déjà décrit. C'est la « démarche de canard »,

la pointe des pieds est dirigée en dedans et racle le sol à chaque pas.

La position spéciale que prend le malade quand on lui fait ramasser un objet

tombé il terre est assez bien reproduite par la Pl. LXIII, pour que nous n'ayons

point besoin d'insister ; le malade « grimpe le long de ses jambes » ; mais une

fois que la main qui porte l'objet saisi a quitté le sol et que l'extension du bras

opposé est complète, le malade peut encore, sans perdre l'équilibre, redresser

légèrement le tronc en fléchissant les jambes sur la cuisse]; il tend à s'accrou-

pir, abaisse son bassin et relève ainsi la tête ; niais il ne peut aller plus loin et

reste dans cette position ou tombe si l'on ne vient à son aide.

Placé dans le décubitus dorsal, en se soulevant sur un bras, puis faisant dé-

crire un cône à son thorax, il arrive à s'asseoir ; il se met ensuite il quatre

pattes., redresse les jambes et recommence avec un insuccès égal les manoeuvres

que nous avons signalées plus haut.

Tous ces actes moteurs entraînent une grande fatigue, d'où une paresse ac-

centuée.

Les mouvements partiels, localisés, qu'il nous semble intéressant de passer

en revue, sont les suivants : .

A la tête, les contractions du frontal sont normales et le front n'a pas cette

rigidité marmoréenne du facies myopathique.- Pas de lagophtalmie - Le ma-

lade peut siffler et souffler ; il tire la langue sans effort visible, sans raideur

du cou ni des bras. Quand la tête est penchée en arrière, elle ne peut se re-

dresser directement ; elle s'incline d'abord latéralement, roule sur l'une- ou

l'autre épaule et acquiert ainsi une position telle que les sterno-cléido-mastor-

diens ont une force suffisante pour la relever.

Si le malade place sa main sur sa tête, ou repousse un obstacle avec son

bras allongé, les omoplates se séparent très nettement du thorax par leur bord

interne et leur angle inférieur bascule en dehors.

La sensibilité est normale, ni douleurs spontanées, ni troubles sensoriels.

Les réflexes tendineux sont normaux.

Pas de troubles vaso-moteurs ; la pigmentation spéciale du cou et des lom-

bes pourrait être considérée comme trouble trophique.

L'examen des urines effectué par M. le D' Moitessier donne :

'/¡20 ABADIE ET DENOYÉS

Etal psychique. -- Notre malade est peu intelligent, paresseux d'esprit au-

tant que de corps. Il sait lire, mais n'écrit qu'imparfaitement. Son caractère et

son émotivité ne présentent rien de spécial.

Lésions concomitantes. Tuberculose pulmonaire; splénique à droite.

Examen électrique.

Muscles examinés : frontal, orbiculaire des lèvres, sterno-cléido-mastoïdien,

splénius, extenseur et fléchisseur commun des doigts, droit antérieur, droit

interne, jumeau interne, jambier antérieur.

Excitabilité faradique (1). L'excitabilité faradique est diminuée pour tous les

muscles, sauf pour l'extenseur commun droit, le jumeau interne gauche et les

deux jambière antérieurs.

Excitabilité galvanique. L'examen de l'excitabilité galvanique n'autorise au-

cune conclusion générale, au point de vue quantitatif. Nous avons comparé

les résultats numériques à ceux obtenus chez le même sujet qui nous a servi

de terme de comparaison pour l'excitabilité faradique et de cette comparaison

il ressort des résultats très variables suivant les muscles : augmentation de

l'excitabilité galvanique pour les uns, diminution pour les autres. Le seul fait

que nous voulons retenir, sans en exagérer d'ailleurs l'importance, c'est que

cette excitabilité ne paraît pas normale, il quelques exceptions près. Aussi bien, '

les modifications qualitatives que nous avons observées très nettement, per-

mettent d'établir la réaction de dégénérescence.

Toutes les secousses que nous avons produites étaient manifestement lentes,

mais nous avons noté des degrés divers de cette lenteur et c'est à dessein que

nous l'avons exprimée par des formules différentes suivant les muscles.

Les contractions du frontal, de l'orbiculaire des lèvres, du sterno-cléido-

mastoïdien, de l'extenseur et du fléchisseur communs des doigts ne présentent

pas leur brusquerie normale aussi bien à gaucho droite ; celles du splé-

nius, du droit antérieur, du droit interne et du jambier antérieur droits et

gauches sont d'une lenteur plus accentuée. Enfin pour les jumeaux internes

nous avons observé une contraction « paresseuse et traînante » typique, sur-

tout remarquable à gauche.. ,

UN CAS D'AMYOTROPIIIE PROGRESSIVE 421

En résumé : Tous les muscles examinés présentent un ou plusieurs carac-

tères de la D. R., tous présentent de la lenteur des secousses. C'est du côté

gauche, toute restriction faite pour le splénius atteint des deux côtés, que l'on

trouve réunies sur un même muscle et la lenteur des secousses et l'inversion

ou la tendance à l'inversion.

Les résultats de l'examen électrique sont détaillés dans les tableaux sui-

vants :

422

ABADIE ET DENOYÉS

UN CAS D'AMYOTROPniE PROGRESSIVE 423

le cas qui nous occupe, sont : voûte ogivale, dents irrégulièrement im-

plantées, en nombre anormal, dentelées et 'cariées, oreilles décollées, blé-

pharite chronique, déformations thoraciques, hernie inguinale, ectopie

testiculaire double. Le sujet pourrait donc être considéré comme présen-

tant la dégénérescence dont Fabre (1) 'a spécialement étudié les rapports

avec les myopathies.

Les troubles ont commencé dès le Loti[ jeune âge aux membres inférieurs

et se sont propagés ensuite au thorax et aux membres supérieurs, y com-

pris les mains; les muscles du cou sont atteints, mais pas de faciès myopa-

tliique.

L'évolution a été progressive et symétrique avec une légère prédomi-

nance à gauche.

Ni contractions fibrillaires ni troubles de sensibilité.

Grâce il la réunion de ces caractères, il est facile de différencier l'affec-

tion qui nous occupe de la paralysie spinale infantile, de la sclérose

latérale amyotrophique, de la syringomyélie et même de l'atrophie mus-

culaire progressive myélopathique type Aran-Duchenne. Il est aisé d'écar-

ler le diagnostic de névrite périphérique.

Restent les myopathies essentielles et les formes de transition.

Au premier abord notre malade semble être atteint de paralysie pseudo-

hypertrophique ou plus simplement de myopalhie primitive progressa,

puisque l'ancienne classification en types bien distincts a disparu devant

le nombre des formes intermédiaires. Et cependant notre malade doit être

distrait du groupe des myopathies essentielles; il lui manque deux des

caractères spécifiques : caractère familial, absence de réaction de dégéné-

rescence.

Il n'appartient pas davantage aux formes rassemblées par M. Bosc sous

le nom d'amyotrophies familiales des extrémités (2), puisqu'il lui manque

le caractère familial et qu'en outre il n'a : '

Ni contractions fibrillaires prononcées, ni troubles vaso-moteurs très

accentués comme dans le type Charcot-Marie.

Ni début, ni évolution cliniqne semblables il ceux du type péronier de

Tooth, ou des trois cas de Bosc.

Ni contractions fibrillaires, ni troubles vaso-moteurs, ni altérations de

la sensibilité, ni paralysie avec ataxie et phénomènes oculo-moteurs, ni

début par les extrémités des membres et marche vers la racine comme dans

le type névritique do De,jerineet Sottas.

(1) .T. Fu3He, Etude des rapports de la myopathie primitive progressive avec la dé-

générescence. Th. Montpellier, 1896.

(2) En. Bosc, Presse médicale, 26 septembre 1896.

424 ABADIE ET DENOYÉS

Ce n'est pas non plus :

Un cas d'atrophie musculaire progressive neurotique de Hoffmann, car

il n'y a aucun trouble de sensibilité;

Ou un cas d'amyotrophieprogressive myélopathique de Werdnig puis-

qu'il n'y a pas de caractère familial et qu'il y a de la pseudo-hypertro-

phie.

Bref, nous sommes en présence d'une forme atypique, d'une forme de

transition un peu différente de celles qui ont été précédemment décrites

et auprès desquelles nous plaçons notre cas en « situation d'attente ».

LES OSTÉO-ARTHROPATHIES VERTÉBRALES

DANS LE TABES

(Suite).

JEAN ABADIE

Interne des hôpitaux de Bordeaux.

III. SYMPTOMATOLOGIE.

Ces quatorze observations, les seules qui aient été publiées sur ce su-

jet jusqu'ici sont vraiment insuffisantes de nombre d'abord et dans leurs

détails ensuite, pour fixer d'une façon définitive, la séméiologie des ostéo-

arthropathies vertébrales du tabes. Elles offrent cependant des analogies

telles qu'elles peuvent contribuer à une rapide esquisse clinique et servir

de base à quelques conclusions anatomo-pathologiclues.

La date des apparitions des altérations rachidiennes est difficile à fixer

dans l'histoire du tabes. Nous les avons rencontrées avec les premières

douleurs fulgurantes, nous les avons vues d'autre part précéder les trou-

bles moteurs ou bien apparaître après la confirmation de l'ataxie des mem-

bres inférieurs. C'est à cette dernière période qu'il convient, ce nous sem-

ble, de les rattacher. La difficulté de cette localisation dans la longue sé-

rie des accidents qui affligent les tabétiques tient surtout à l'ignorance

dans laquelle ils sont du début de ces ostéo-arthropathies. Usent à peine

remarqué la voussure de leur dos, l'attitude vicieuse du tronc, la perte

de souplesse des mouvements du rachis. Préoccupés sans cesse de fai-

blesse de leurs jambes, pour employer leur expression favorite, ils ne

s'inquiètent que de leur instabilité dans la station, de l'incertitude de leur

marche et rapportent le tout à l'incoordination motrice sans cesse crois-

sante. Le début ne s'annonce jamais par l'apparition de phénomènes lo-

caux ou généraux, graves ou bruyants. Le gonflement articulaire échappe,

si tant est qu'il existe. L'équilibre vertébral n'est pas tout à coup rompu.

L'absence de douleurs est la règle comme dans toute arthropathie taléti-

que et nous tenons pour une exception l'existence de crises douloureuses

rachidiennes prodromiques (obs. I). De même la présence des craque-

426 ABADIE

ments articulaires est la preuve de lésions déjà avancées (obs. X). Cette

opinion est loin, comme on le voit, de celle émise par Ilallion, dans son

travail sur les déviations vertébrales névropathiques. Cet auteur divise

les déviations tabéliques en deux groupes. Dans le premier, il range les

trois cas de Kroenig, les deux observations de Pitres et Vaillard et il les

décrit sous le nom d'arlltropathie et fracture de la colonne vertébrale.

Leur début, dit-il, est brusque : subitement le malade s'aperçoit qu'il est

devenu bossu. Ou bien à l'occasion d'un traumatisme insignifiant, d'un

effort, il ressort un craquement lombaire : une douleur légère, rapide-

ment dissipée, l'accompagne. Aussitôt se montrent une déformation du

rachis,'une inclinaison du tronc, qui vont s'exagérant par la suite, sans

gêner cependant outre mesure le malade dans ses occupations habituelles.

Ilallion désigne le second groupe sous le nom de déviations ne relevant

pas de lésions ostéo-artbropatbiques localisées. Il rapproche ces déviations

de celles que l'on rencontre dans la maladie de Friedreich ou chez les

syringomyéliques. Mais pour légitimer cette division et pour prouver

l'existence clinique de cette deuxième catégorie, il donne un dessin seu-

lement ; c'est l'esquisse de P. Richer, celle de la scoliotique vue de dos

que nous reproduisons ici nous-même, qui constitue notre observa-

tion VIII, et dont il ne rapporte, pas plus que nous d'ailleurs, ni l'his-

toire, ni les résultats d'une autopsie. Loin de nous est la pensée de nier

a priori la possibilité dans le tabes d'inflexions vertébrales, de pathogé-

nie identique à celles de la syringomyélic ou de l'hérédo-ataxie. Mais ce

dessin ne saurait constituer il lui seul un argument suffisant. Il y a là une

erreur, très excusable d'abord en raison de l'insuffisance des documents

et beaucoup plus apparente ensuite que réelle. L'erreur en effet ne porte

pas sur les faits, ils sont tous d'observations rigoureusement exacte, elle

est d'ordre purement chronologique. Si quelques tabétiques accusent dans

l'histoire de leur maladie l'apparition brusque d'une gibbosité, si, après

un traumatisme, quelques autres ont constaté des perturbations rachi-

diennes subites, il n'en reste pas moins vrai qu'il existait antérieurement

chez tous des troubles évidents de la statique vertébrale. Ces troubles se

traduisaient par une inclinaison progressive du tronc dans le sens tantôt

latéral, tantôt antéro-postérieur, par une tendance à tomber en avant, par

une difficulté à redresser les courbures de leur rachis. Ces phénomènes

occupent peu de place dans l'esprit des malades, préoccupés par ailleurs

de douleurs fulgurantes de crises viscérales, de l'impossibilité de la mar-

che et de tant d'autres symptômes plus inquiétants. Il faut de véritables

efforts de mémoire pour en retrouver le souvenir. Ils n'en ont pas moins

existé; ce sont eux qui constituent les signes du début, ce sont eux qui

conduiront l'ataxique, après une durée impossible à fixer pour les mêmes

, LES OSTÉ0-ARTHROPATUIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 427

raisons à la première période de leur affection vertébrale, à celle que nous

désignerons sous le nom de période des déviations simples. Plus tard en

raison de la marche progressive des lésions, de leur localisation pins grande

en tel point ou tel autre du rachis, des modifications, le plus souvent brus-

ques et bruyantes, apparaîtront subitement dans un segment vertébral.

La malade répond alors identiquement à la description donnée par Ilal-

lion. C'est la période des déviations dues à des lésions vertébrales locali-

sées. Nous verrons par la suite ce que devient l'ataxique parvenu à ce

stade d'évolution de son ostéo-arthropathie.

Les quatorze observations qui précèdent peuvent donc se diviser en

deux groupes. Le premier répond à la période des déviations simples, il

comprend la presque totalité de nos observations personnelles (obs. IX, X,

XI, XII, XIII,XIV) ; nous y ajoutons l'esquisse de P.Richer (obs. VIII). Le

second à la période des déviations dues à des lésions localisées : les deux

cas de Pitres et Vaillard(obs. 1 et II), les trois malades de Kroenig (obs. V,

VI, VII), notre observation personnelle avec autopsie (obs. V) en font par-

tie : se rangent aussi dans ce groupe les pièces du musée de la Salpêtrière

(obs. III).

Si les débuts des ostéo-arthropathies vertébrales tabétiques sont essen-

tiellement insidieux, la période des déviations simples s'écoule de même

sans la moindre manifestation éclatante. La découverte d'une déviation de la

colonne est souvent une trouvaille au cours d'une observation de tabétique.

Mais quelquefois l'attitude du malade est telle, sa configuration thoracique

est si mal dissimulée sous les vêlements qu'elle fait songer immédiatement

à la possibilité d'une malformation rachidienne. L'examen direct démontre

sa réalité.

La colonne vertébrale présente soit une exagération des courbures nor-

males soit un renversement de ses courbures, soit enfin la production de

courbures anormales. Les deux premières séries de ces déviations s'exécu-

tent dans le plan antéro-postérieur, la dernière dans le sens latéral. Le

plus souvent à l'une des deux premières s'ajoute la troisième. L'exagéra-

tion des courbures vertébrales physiologiques est de toutes les déviations

la moins fréquente. Elle peut porter sur tous les segments de la colonne

rachidienne ; elle se localise de préférence sur l'un d'eux à l'exclusion des

autres et se montre alors surtout dans la région dorsale. Elle crée aussi

une cyphose dorsale comme dans les observations XII et XIII. Elle est

seule dans l'observation XIII, elle se complique de scoliose dorsale légère

dans l'observation XII. D'habitude la cyphose ainsi réalisée, est peu ou pas

compensée par une lordose sus ou sous-jacente. En second lieu, le type

d'intervention des courbures normales parait être rare : nous en avons ren-

contré un seul, encore il est incomplet. Il nous est fourni par l'observa-

428 ABADIE

tion IX. Nous avons trouvé en effet chez Marie M... une cyphose cervicale

coexistant avec une lordose lombo-sacrée. Encore dans le cas, il n'existait

pas, à vrai dire, de lordose dorsale ni de cyphose dorso-lombaire supé-

rieure ; ces deux segments répondaient plutôt à une même verticale, quand

on les examinait de profil. De plus la déviation la plus apparente était

constituée par une scoliose dorso-lombaire. La production des courbures

anormales dans le sens latéral est en effet de toutes les déviations la plus

habituelle : la scoliose se rencontre dans presque tous les cas et c'est autour

d'elle que semblent se grouper les autres pour maintenir l'équilibre du

thorax. Son siège de prédilection est la région lombaire; elle est ordinai-

rement à connexité gauche. Elle s'arrête en bas au sacrum, en haut, elle

s'étend jusqu'à la neuvième, la septième et même la cinquième vertèbre

dorsale. Elle estcorrigée par une courbure de compensation d'autant plus

longue que la première est courte. Leurs rayons sont en raison directe l'un

de l'autre. Rarement il existe deux courbures de compensation superpo-

sée.

Peu marquée quelquefois, la scoliose atteint comme dans les observa-

tions VIII, X et XI, une convexité très étendue. Elle s'accompagne alors

de modifications d'aspect et de structure des organes voisins. Le crâne, la

peau, le bassin, sont rarement intéressés à cette période. Le thorax au con-

traire présente des altérations plus visibles et plus profondes, mais bana-

les : ce sont celles qui accompagnent les différentes inflexions vertébrales :

elles sont d'autant plus complètes que la déviation est plus accentuée et

plus ancienne : elles varient suivant la localisation de la scoliose. Elles

consistent en voussure costale, développement exagéré d'un hémithorax,

déviation des côtes et du sternum, saillie lombaire droite ou gauche.

Les cyphotiques présentent de même des symptômes analogues : on re-

trouve chez eux un thorax globuleux, une projection du sternum en avant,

un raccourcissement du tronc. Chez les uns comme chez les autres, l'é-

chancrure costo-iliaque est effacée tantôt à droite, tantôt il gauche, tantôt

sur tout le pourtour de la taille ; selon la déviation, cyphose ou scoliose,

considérée. Le rebord costal vient au contact de la crête iliaque d'un seul

côté ou des deux côtés. La paroi abdominale se plisse en plis transversaux

plus ou moins nombreux et profonds suivant t'embount du sujet et

ces sillons cutanés siègent du côté opposé à la v ? *. ce, vertébrale chez

les scoliotiques, ils sont bilatéraux chez les cyphotiques. Nous n'insiste-

rons pas plus longuement sur ces modifications secondaires; nous allons

les retrouver plus complètes et plus typiques dans un instant, à la période

suivante; elles se prêteront mieux alors à une description. Il nous suflit

maintenant de signaler l'existence de quelques-unes d'entre elles à la pé-

riode des déviations simples.

LES OST0-ARTIIROPATIIIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 42q

Quelle que soit la déviation, cyphose, lordose ou scoliose, la ligne apo-

physaire, saillante sous la peau, du fait de la maigreur habituelle des ma-

lades, est épaissie. Elle peut l'être régulièrement et il est impossible alors

de rencontrer des changements de volume ou de situation de vertèbres,

prises une à une ou les autres par rapport aux autres. D'autres fois au con-

traire, la crête épineuse est parsemée de points proéminents, d'irrégula-

rités, de véritables nodosités. Ces nodosités ne sont que les extrémités

des apophyses épineuses, tuméfiées, dures, espacées, laissant entre elles

des régions dépressibles, au fond desquelles on sent les corps vertéhranv

augmentés de volume. Ce sont là des caractères généraux, sans ai

tendance à se définir plus complètement et à se localiser sur un se=

vertébral. L'existence d'une courbure anormale est un effet avec l'al

de localisation des lésions la principale caractéristique de la périoc

déviations simples.

Un autre symptôme remarquable, c'est l'indolence complète. Ces s

stade évolue, à son four, comme la période de début, sans la moindre dou-

leur. Il n'existe à aucun moment ni douleurs spontanées ni douleurs pro-

voquées par la pression ou par la percussion. La grande loi des artllropa-

thies tabétiques trouve ici une nouvelle vérification et nous ne pouvons

nous empêcher de redire combien grand a été notre étonnement de rencon-

trer chez l'une de nos malades une exception à cette règle (obs. IX). Chez

Marie M... en effet nous avons vu des douleurs vertébrales survenir par

crises paroxystiques, précéder l'apparition des déviations rachidiennes,

'persister avec elles, disparaître enfin spontanément pour réapparaître

sous la moindre pression. Nous considérons encore une fois le fait comme

exceptionnel. En revanche nous n'avons rencontré qu'une seule fois

(obs. X) un signe dont la fréquence doit être vraisemblablement plus

grande, c'est l'existence de craquements articulaires dans les mouvements

de la colonne vertébrale. Chez notre malade, il est vrai ces craquements

étaient constants et leur intensité les faisait comparer, à juste raison aux

ronflements bienconnus des plus grosses arthropathies tabétiques. Quant L

aux autres signes fonctionnels, ils sont de moindre importance. Ils ont

trait aux attitudes vicieuses qui n'ont rien de pathognomonique mais qui

n'en existent 1 ? mmns-déjà. Ils se rapportent encore à l'exagération des

courbures patlio;c ? lve dans la station debout, pendant la marche, à l'ins-

tabilité nouvelle ajoutée à l'incoordination ancienne. Nous les retrouverons

- plus loin. Ils sont d'ailleurs de moindre importance à côté des modifications

plus profondes apportées de bonne heure dans la dynamique vertébrale. Il

est à remarquer en effet, que dès le début de cette période, les mouvements

intrinsèques de la colonne vertébrale tendent à diminuer d'amplitude et

à s'établir successivement les uns après les autres. Les mouvements d'ex-

xiii 28

430 ABADIE

tension disparaissent les premiers (obs. X) ; ceux de latéralité les suivent

bientôt, ils ne restent possibles que dans un segment isolé, le moins at-

teint (obs. IX). Seul, un léger degré de flexion est conservé. Cette immo-

bilisation du rachis peut cependant n'être qu'apparente ; les courbures se

réduisent quelquefois artificiellement, si l'on prend soin par exemple de

placer le tronc en bonne position ; elles peuvent même disparaître com-

plètement. Le malade de l'ohservation en est un remarquable exemple :

la scoliose, très accentuée, dont il était atteint, s'effaçait sans laisser la

moindre trace, quand on le soulevait par les épaules (voir fig. 8). Mais

bientôt l'immobilisation gagne toute la hauteur de la colonne vertébrale

et les malades meuvent leur tronc d'une seule pièce (obs. XI et XII). Par

entraînemenl, ils immobilisent la tête sur le cou, le tronc sur le bassin et

ils vont désormais à la façon soudée des parkinsoniens. La palpation ne

dénote jamais cependant de contracture des muscles para-vertébraux.

Enfin signalons, en terminant, la possibilité de troubles fonctionnels s

dus aux compressions viscérales inlra-thoraciques. Les déformations sont

encore peu étendues, les compressions sont par conséquent loin d'être

manifestes : elles doivent cependant exister. Une de nos tabétiques

obs. IX) est morte de congestion pulmonaire rapidement emportée en

deux jours. Peut-être la compression due aux déviations rachidiennes

avait-elle déjà créé une méiopragie fonctionnelle du poumon expliquant

ainsi un dénouement fatal aussi brusque.

A la période des déviations simples succède la période des lésions loca-

lisées. La transition est inopinée : elle se fait bruyamment par cette série'

de signes que Ilallion considère à tort comme les signes du début. Subi-

tement le malade s'aperçoit qu'il est devenu bossu (obs. Il). Dans un

mouvement intempestif, la nuit, au lit apparaît tout à coup une gibbosité

définitive (obs. I). En descendant un escalier, un autre malade glisse, et,

dans l'effort fait pour se retenir, il perçoit un craquement lombaire;

mais aucune douleur n'apparaît à ce niveau et il continue son travail

(obs. V). Le camionneur de Kroenig, en hissant une caisse sur un évier,

ressent une violente douleur lombaire qui persiste quelques jours et laisse

après elle une sensation de pression dans le rachis et les lombes (obs.VII).

Ces phénomènes, au lieu de constituer une série unique, peuvent se ré-

péter à des intervalles de temps plus ou moins éloignés. Le second ma-

lade de Kroenig, en soulevant un sac, éprouve une première fois une com-

motion douloureuse lombaire. Deux ans après, sans raison apparente, il

sent tout à coup ses vertèbres tressauter et le bruit en vient même à son

oreille. Cinq ans plus tard enfin, dans sa hâte de gagner le trottoir, en

traversant une rue, il fait un effort pour marcher plus vite et aussitôt ap-

paraît la sensation d'une boule dure comprimant l'abdomen d'arrière en

LES 0STÉ0-ARTHR0PATH1ES VERTÉBRALES DANS LE TABES 4a t

avant (obs. VI). Douleur lombaire, tressautement des vertèbres, sensation

de pression abdominale représentant, sinon toute vraisemblance, les éta-

pes successives de la marche progressive des lésions. Il n'en est cependant

pas toujours ainsi : celte période de phénomènes bruyants peut faire en-

tièrement défaut. Le malade parcourt tous les stades de son affection sans

en avoir jamais la moindre conscience et le jour où le médecin attire son

attention de ce côté, il s'étonne grandement de constater pour la première

fois des déformations vertébrales et thoraciques, si manifesles pourtant,

mais qui avaient évolué jusque-ta à son insu. Nous en avons rencontré un

exemple remarquable chez une tabétique confinée depuis longtemps au lit

(obs. IV).

Quoi qu'il en soit, que l'évolution soit aussi insidieuse, 'ou bien qu'il

existe une transition brusque etbruyante, la période des lésions localisées

et des déviations secondaires est désormais définitivement installée. Les

lésions ont leur siège de prédilection dans la région lombaire. 11 nous

faut donc examiner les déformations en ce point d'abord, à distance en-

suite.

La déformation au lieu même de la lésion est le plus souvent constituée

par un gibbosité. Cette gibbosité est postérieure. Elle peut être médiane,

mais elle est d'habitude rejetée latéralement. La cause en est alors soit à

une inflexion latérale régulière de la colonne à ce niveau, soit encore à

l'inclinaison brusque des segments vertébraux supérieur ou inférieur, au-

dessus ou au-dessous de la gibbosité. Celle-ci peut se manifester sous des

aspects cliniquement très différents. Elle peut premièrement former une

véritable proéminence, elle est due alors à la saillie en arrière d'une apo-

physe épineuse, de la première vertèbre lombaire (obs. III), de la cin-

.quième lombaire (obs. V et VII). Elle est dite, dans ce cas, gibbosité an-

gulaire. Elle peut au contraire être conslituée par une longue courbe an-

téro-postérieure, convexe en arrière, c'est la gibbosité non angulaire.

Elle occupe un segment limité de la colonne dorsale el se montre dans la

région dorso-lombaire (obs. I), dans la région lombaire seule (obs. IV et

VI). Une troisième variété se rapporte à la proéminence d'une seule ver-

tèbre sur une bosse à convexité variable : c'est la gibbosité angulaire

compliquant une gibbosité non angulaire; la première vertèbre lombaire

par exemple fait saillie sur une convexité dorso-lombaire (ob. II). Telles

sont les trois formes de gibbosité que nous avons pu relever dans nos

observations. Elles ne sont pas logiquement les seules : on peut en con-

cevoir d'autres. On pourra rencontrer dans des cas analogues la longue

gibbosité faite d'une courbure de la colonne vertébrale entière ou la gib-

'bosité en anse décrite par Lannelongue dans le mal de Pott. A côté des

angles saillants on pourra encore observer des angles rentrants, c'est-à-

- 132 ABADIE

dire des déviations angulaires à sommet antérieur. Le spondylizéme est

possible. Le premier malade de Kroenig était atteint de spondylolisthésis

du corps de la cinquième vertèbre lombaire (obs. V),son troisième malade

présentait aussi, d'après cet auteur, un début de la môme lésion

(obs. VII). ,

Ces déformations sont, on le voit aisément, banales : leur seule carac-

téristique est leur prédominance dans la région lombaire. Banales seront

aussi par suite les déviations vertébrales concomitantes et destinées sim-

plement, compenser les premières. L'exagération des courbures norma-

les (obs. II), l'intervention de ces courbures (obs. VI) se montrent dans

cette période comme dans les précédentes, mais ici elles ne sont plusseu-

les : elles se compliquent toujours de la présence des courbures anorma-

les. La gibbosité et ses variétés font naître de toutes parts des courbes

de compensation qui s'ajoutent et se mêlent en tous sens. L'une d'elles

est plus manifeste : ce peut être une lordose dorso-lombaire (obs. V), une

cyphose cervicale (obs. VI), mais de toutes la scoliose dorso-lombaire est

la plus fréquente. Bien plus, dans les cas rares où elle ne constitue pas

la déformation prépondérante, la scoliose complique toujours alors cette

dernière. Décrire par conséquent un seul type clinique de compensation

vertébrale des lésions localisées nous parait impossible et les seules rè-

gles que l'on puisse formuler sont les suivantes : si la gibbosité est mé-

diane, les courbures de compensation consécutives sont antéro-postérieu-

res; si elle est latérale, les déviations secondaires s'exécuteront dans le

sens latéral ; les déviations secondaires seront d'autant plus marquées

que la déviation primitive le sera davantage ; enfin, les déviations secon-

daires latérales sont les plus fréquentes.

La simple inspection se rend un compte exact des déformations mul-

tiples de la colonne vertébrale, prise dans son ensemble. La crête apo-

physaire fait de plus en plus saillie sous la peau : les apophyses épineu-

ses unies entre elles forment une ligne discontinue, ponctuée quelque-

fois par la saillie de l'une ou de plusieurs d'entre elles, interrompue

d'autres fois par l'exagération d'un espace inter-épineux.VIais les résultats

fournis par la palpation méthodique sont autrement précis.

Les doigts promenés de haut en bas de long de la crête épineuse, sont

arrêtés par des nodosités volumineuses, dures, indolentes, placées sur les

vertèbres dorsales et lombaires : ce sont les apophyses épineuses corres-

pondantes, épaissies et saillantes. Elles donnent la sensation deplusieurs

masses calleuses que le loucher sépare difficilement les unes des autres.

Deux apophyses sont quelquefois violemment écartées : plusieurs doigls

peuvent s'enfoncer dans le notnei espace inler-apophysaire et palper ai-

sément les régions sous-jacentes. Ailleurs on seul une apophyse épineuse

LES OSTÉO-ARTIlHOPATHOES VERTÉBRALES DANS LE TABES ' M3

volumineuse, unique, qui se détache du groupe des voisines, manifeste-

ment déplacée d'avant en arrière.

. Dans une excavation lordotidue, au contraire, les apophyses se tassent

et se confondent ; au fond, une seule est distincte, en saillie sur les autres.

Plus profondément le palper atteint les apophyses transverses, les arcs et

\ les corps vertébraux. Ces apophyses transverses et les arcs présentent des

altérations insignifiantes ou du moins difficiles à percevoir. Lescorpsver-

tébraux sont plus accessibles et leurs lésions plus manifestes. Leurs di-

mensions sont exagérées, soit dans le sens de la hauteur, soit plus souvent

ti ansversalement. rarement dans les deux sens : la deuxième lombaire,

chez le malade de l'observation I, atteignait onze centimètres de largeur.

Les rapports normaux des vertèbres entre elles sont quelquefois modifiés;

il peut y avoir glissement en avant ou en arrière d'un corps vertébral sur

le corps inférieur ; inclinaison de l'un sur l'autre, leurs arcs transversaux

n'étant plus parallèles, enfin deux corps vertébraux voisins peuvent n'être

. plus en contact du disque qui les unit et présente entre eux un écartement

inaccoutumé. Kroenig a poussé plus loin l'investigation dans cet ordre de

/ recherches ; il a appliqué méthodiquement chez ses trois malades la palpa-

1 tion abdominale, et, pour mieux explorer la face antérieure de la colonne

/ vertébrale, il a pratiqué deux fois cette exploration sous chloroforme. Il a

ainsi nettement perçu les déviations et les altérations des segments lom-

baires. Chez son premier malade, la dernière vertèbre lombaire était pro-

labée et en rotation légère vers la gauche; au-dessous d'elle existait un

enfoncement dont la profondeur ne put être appréciée, même par un pal-

per fort et minutieux. Chez les deux autres, les changements dépositions

et les modifications de la cinquième lombaire et du disque lombo-sacré fu-

rent de même des plus manifestes. Kroenig alla même plus loin, et toujours

sous chloroforme, il pratiqua le loucher rectal et put ainsi consulter un

débordement de la dernière lombaire sur le promontoire. On comprend

aisément que le toucher vaginal, pratiqué chez une tabétique atteinte d'os-

téo-arlhropathies vertébrales,, puisse de même fournir de précieux rensei-

gnements.

La pression, la percussion de la colonne vertébrale sont des moyens

d'exploration insuffisants incapables de trouver des données aussi exactes.

L'affection est redevenue silencieuse et indolore : à peine en quelques en-

droits limités et rarement d'ailleurs, la pression du doigt réveille une

légère douleur (obs. VI). Souvent ce n'est même pas une sensation dou-

loureuse, mais simplement désagréable. La percussion violente, brutale,

-exercée même au foyer maximum des lésions, ne provoque pas la moindre

' souffrance, la moindre gène.

Des perturbations aussi profondes de la statique vertébrale ne peuvent

434 ABADIE

pas exister sans modifications secondaires du squelette environnant.

La colonne vertébrale soutient en haut la face et le crâne, elle est sup-

portée à son tour en bas par le bassin. Entre les deux, le thorax s'implante 1

sur elle. Nous allons donc trouver chez nos tabétiques des déformations ,1

il la fois du crâne et de la face, du bassin et du thorax.. 1

Les déformations secondaires du crâne et de la face sont rares. Rien de

plus logique, les ostéo-arthropathies vertébrales tabétiques se localisent dé

préférence dans la région lombaire et une loi de pathologie générale ver-

tébrale veut que les déformations facio-crànienues accompagnent presque

uniquement les gibbosités supérieures. Nos observations, en effet, n't'n

offrent pas trace. '

Les déformations du bassin et du thorax sont plus importantes. Elles.

sont une conséquence fatale des altérations vertébrales, et leur intensité

trouve sa cause dans la localisation lombaire de ces dernières. Celles du

bassin sont commandées en effet par les déviations lombaires et l'état des

vertèbres correspondantes. Le segment inférieur delà colonne pousse sur

le sacrum et lui imprime un mouvement de bascule, tantôt d'avant en ar-

rière, tantôt d'arrière en avant. Dans ce premier cas, le promontoire s'é-

loigne du pubis, le coccyx se rapproche par un mouvement inverse du cen-

tre du bassin. Les articulations sacro-iliaques relâchées permettent aux

crêtes iliaques de s'écarter, aux ischions par conséquent de se rapprocher.

Des diamètres du détroit supérieur s'exagèrent, ceux du détroit moyen et

inférieur diminuent. Le bassin prend la forme en entonnoir. Dans le

deuxième cas, au contraire, le promontoire fait saillie au détroit supérieur;

le diamètre pubo-sacré devient plus court. La concavité du sacrum aug-

mente, le bassin est en totalité incliné en arrière, les détroits moyens et

inférieurs sont agrandis. Le bassin tend vers la forme en éteignoir. Ce

sont là deux types schématiques, pour ainsi dire, que l'observation ren-

contre rarement. Car la scoliose dorso-lombaire, quand elle existe et elle

existe, nous venons de le constater, presque toujours, vient autrement la

compliquer. Le sacrum est entraîné par courbure latérale et la continue,

le bassin est alors simplement incliné latéralement. Mais en raison del'ex-

tréme malléabilité decertainsos tabétiques, on peut aussi constater un vé-

ritable aplatissement d'une moitié du bassin, celle justement qui corres-

pond à la convexité scoliotique. Le bassin devient asymétrique, et ses

modifications jointes aux premières rendent une description générale

impossible. Ce n'est pas tout : il faut ajouter encore les malformations que

peuvent apporter la coexistence d'une spondy 101 isthésis ou d'un spondy-

lizème dans la configuration du détroit supérieur. Enfin les os iliaques, le

sacrum, les articulations qui les unissent sont susceptibles d'ostéo-arthro-

pathies propres. Des malformations qui en résultent s'ajoutent alors aux '*

LES OSTÉO-ARTHHOPATUIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 435

précédentes pour former un tout de plus en plus complexe. En revanche,

le bassin résiste quelquefois et ne subit aucun retentissement des lésions

rachidiennes, il reste intact, même sous une colonne vertébrale purement

compromise.

Les malformations secondaires du thorax sont constantes. Elles appa-

raissent tôt et s'accroissent progressivement. Trois raisons les comman-

dent : la présence d'une gibbosité, sa localisation dorso-lombaire, la

coexistence d'une scoliose. La gibbosité dorso-lombaire incline le thorax

en avant, le sternum se rapproche du pubis, les rebords costaux viennent

au contact des crêtes iliaques et s'insinuent même dans les fosses iliaques,

il y a véritable télescopage du thorax dans le bassin. La cage thoracique

est en carène saillante en avant, aplatie transversalement. La scoliose

ajoute quelques modifications particulières aux précédentes. Le thorax su-

bit une deuxième inclinaison, mais dans le sens latéral celle fois, et le

télescopage costo-iliaque s'accentue d'un côté. Dans l'hémithorax que

regarde la convexité vertébrale, les côtes ont une plus grande courbure,

les espaces intercostaux sont élargis : cet élargissement augmente pro-

gressivement du sommet à la base du thorax et de cette disposition résulte

une voussure hémithoracique inférieure surtout appréciable en arrière.

Du côté opposé, au contraire, les courbures costales diminuent, les es-

paces intercostaux sont réduits, les côtes viennent au contact, chevauchent

même les unes sur les autres. La clavicule, l'omoplate correspondantes-

sont descendues, attirées en bas, la distance de l'acromion aux crêtes i lia-

ques est de beaucoup inférieure à la normale. A ces modifications de

structure générale s'ajoutent rarement des modifications propres des par-

ties constitutives, os ou articulations, de la cage thoracique.

Des malformations aussi étendues et aussi constantes du squelette dé-

truisent les proportions normales du tronc et donnent au malade un as-

pect particulier. Le tabétique dont la colonne vertébrale est atteinte d'os-

téo-arthropathie se tient les jambes écartées, le corps penché en avant,

si penché quelquefois qu'il parait courbé en deux (obs. I) ; le tronc fait à

peine un angle de 45° avec le plan horizontal du lit. Le dos est voûté, la

tête tombe sur la poitrine, enfoncée dans les épaules ; celles-ci sontportées

en avant,l'une est plus basse que l'autre : Le thorax est déjeté d'un côté, le

bassin de l'autre. L'un est projeté en avant, l'autre en arrière. Entre les

deux, l'abdomen est raccourci : il disparait sous les plis cutanés qui rident

sa paroi : ces replis sont transversaux, surtout accentués sur la ligne mé-

diane, ou bien, nés dans une seule échancrure costo-iliaque et très pro-

fonds à leur origine, ils viennent mourir autour de l'ombilic en avant; i,

ils se perdent en arrière dans la région lombaire. La taille paraît petite, le

corps disproportionné, les hras démesurément longs. Vu de dos ou de

43G ABADIE .

profil, le malade parait atteint d'une paralysie des muscles extenseurs des

lombes. Il se tourne et se retourne lentement, avec peine et précautions,

tout d'une pièce.

Dans la marche, le thorax s'enclave plus profondément dans le bassin,

et parait s'articuler avec lui, le tronc s'incurve davantage mais reste ce-

pendant dans l'immobilité complète. Le regard suit le chemin à parcou-

rir, les jambes sont lancées follement à droite et à gauche, les pieds re-

tombent incertains sur le sol, l'équilibre est à chaque instant perdu, les

bras en halancier cherchent un point d'appui dans le vide. Et le malade

s'en va, présentant à la fois l'aspect empoté du bossu et l'incoordination

de J'à taxi que.

Ce que devient au milieu de tous ces désordres la motilité propre de

la colonne vertébrale nous ne pouvons le dire à cette période. Une seule

observation fait mention de ces mouvements : ils étaient, dans ce cas,

tous conservés et possibles en tous sens. Mais nous savons qu'il peut exis-

ter du fait des lésions des vertèbres des mouvements anormaux dans un

ou plusieurs segments vertébraux. Chez un malade de Krônig, en effet,

on provoquait dans ledécubitus dorsal et mieux dans le décubitus latéral,

un glissement de va-et-vient de la colonne lombaire : ce glissement s'opé-

rait dans le sens sagittal plus que dans le sens transversal. On pouvait

même exagérer cette excursion lombaire sans cependant faire naître la

moindre douleur. Chaque déplacement vertébral était accompagné de cra-

quements, tantôt forts, tantôt faibles, mais toujours manifestes (obs. V).

De pareils craquements sont cependant exceptionnels, s'il faut en croire

nos observations. Une seule, la précédente, signale leur existence. L'ab-

sence de douleur, au contraire, parait être la règle. La douleur n'est ja-

mais réveillée, nous l'avons vu, par l'exploration directe. Elle n'apparaît

jamais non plus spontanément. Il n'existe ni douleur localisée, ni dou-

leurs irradiées ; le malade ne se plaint à aucun moment de son affection

vertébrale. Celle-ci continue à évoluer avec son même caractère d'indo-

lence complète.

En terminant, nous devons ajouter une" série de symptômes fonction-

nels, qui ont été peu étudiés dans les observations : nous voulons parler

de troubles de compression dus aux lésions mécaniques des parties molles,

Ce sont là, à vrai dire, plutôt des complications, mais des complications

que les malformations permanentes et progressives du squelette doivent

rendre fréquentes.

En raison de l'insuffisance des détails cliniques, nous ne saurions les

décrire avec quelque exactitude. Nous nous bornerons donc à signaler la

possibilité.de quelques-unes d'entre elles.

La compression peut s'exercer par la cage thoracique directement sur

LES 0STÉ0-ARTHR0PATU1ES VERTÉBRALES DANS LE TABES 437

les organes qui y sont contenus. Les poumons sont gênés dans l'acte res-

piratoire : cette gêne peut produire l'emphysème, les congestions passi-

ves, les scléroses partielles, les atrophies même. Leur résistance contre

l'infection s'amoindrit ; rappelons ici que les deux malades de Pitres et de

Vaillard ont présenté de l'hépatisation grise rapidement mortelle. Le

coeur ajoute à la difficulté circulatoire pulmonaire et présente des trou-

bles de son fonctionnement propre. Les points d'insertion du diaphragme

perdent leurs rapports normaux et le jeu inspiratoire physiologique est

entravé. Le thorax projeté dans le bassin, comprime les organes abdomi-

naux et les refoule dans la cavité pelvienne : d'où la perturbation des fonc-

tions digestives, les troubles des sphincters.

La compression peut aussi s'exercer directement par la colonne verté-

brale en entier ou l'un de ses segments. Tels sont les compressions, les

déplacements et les déformations de l'aorte. Telles sont enfin les compres-

sions des racines rachidiennes, des troncs nerveux, de la moelle. Les

symptômes habituels du tabes se compliquent alors des signes d'une myé-

lite par compression et à la sclérose des cordons postérieurs peut s'ajou-

ter l'altération des cornes antérieures et des faisceaux blancs qui y pren-

nent naissance.

La.marche des ostéo-arthropathies vertébrales tabétiques est essentiel-

lement lente, insidieuse et progressive. Nous avons assez insisté précé-

demment sur leur évolution : nous résumerons seulement ici les signes qui

caractérisent les différentes périodes. A la période de début, appartiennent

l'altitude vicieuse du tronc, son inclinaison en avant ou par côté, la perte

de souplesse des mouvements du rachis. Ces phénomènes initiaux passent

inaperçus d'habitude et il est difficile de leur assigner une durée quelcon-

que. La période des déviations simples peut être constituée en quelques

mois, elle peut durer dix ans et au delà. Elle est caractérisée par l'exis-

tence d'une déviation vertébrale, sans point maximum apparent de loca-

lisation des lésions. Cette déviation est le plus souvent une scoliose dorso-

lombaire ; la cyphose, la lordose se rencontrent aussi, mais leur fréquence

est moindre. Le squelette environnant, les parties molles voisines présen-

tent des modifications secondaires dont la nature et l'étendue sont coni-

mandées par l'inflexion vertébrale primitive. À cette période succède

brusquement celle de localisation des lésions : il y a place cependant en-

tre les deux pour une période intermédiaire, faite de phénomènes plus

apparents que les précédents, plus bruyants que ceux qui vont suivre : ils

sont souvent les seuls dont se souviennent les malades. A l'occasion d'un

léger traumatisme, un craquement lombaire apparaît, une légère douleur

l'accompagne, une déviation de la colonne vertébrale lui succède. Ces phé-

nomènes évoluent en quelques instants, en quelques heures : ils peuvent se

438 ABADIE

reproduire à plusieurs intervalles éloignés. L'affection reprend bientôt sa

marche torpide et indolente. Elle est parvenue à sa dernière période, celle

caractérisée par une localisation manifeste des lésions vertébrales. A cette

période appartiennent la gibbosité dorso-lombaire, les nombreuses cour-

bures qui la corrigent, les modifications de structure des vertèbres, leurs

changements de rapports. Les déformations du bassin, du thorax, les lé-

sions consécutives des parties molles, tendent vers leur maximum d'in-

tensité, entraînant des attitudes de plus en plus vicieuses. Les complica-

tions cardiaques, pulmonaires en sont la conséquence. Le malade trouve

souvent sa fin dans l'une d'elles. Ce mode de terminaison n'est cependant

pas le seul. Le tabès en effet évolue pour son propre compte ; au milieu

des symptômes nombreux et inquiétants qui l'affligent, le malade ne se

soucie plus d'une gibbosité lombaire qui ne lui procure jamais la moin-

dre douleur. L'ataxie des membres inférieurs croit de jour en jour chez

lui, il reste bientôt confiné au lit. Là, il demande peu ou rien ai sa colonne

vertébrale, il oublie bientôt complètement les lésions dont elle est atteinte.

Celles-ci continuent à progresser lentement, sans nouvelle manifestation

éclatante. La cachexie finale ou une maladie intermittente mortelle vien-

dront enfin terminer leur longue évolution. Mais cette progression lente est

susceptible d'arrêt, il peut même se faire une compensation osseuse, qui,

étant donné la nature de l'affection, équivaut à une guérison. C'est le cas

d'un malade de Kroenig : dans l'impossibilité de se tenir debout, de sou-

tenir son tronc et de marcher, ce malade se soumit à -un traitement ortho-

pédique : après quelques mois du port d'un corset plâtré, il peut aller,

venir et marcher sans canne. Il quitta même son corset et l'amélioration

persista en entier. Ce fait de correction thérapeutique n'est pas douteux,

mais un tel mode de terminaison nous parait constituer une exception.

(A suivre.)

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. X;11. PL. LXIV.

GlieliGt Ilaiisstacugi (INIIiiiiell).

L'Al->,I ? ,ACIIEUI ? DE DENTS

L'ARRACHEUR DE DENTS

Tableau d'A ORlA EN BROUWER, au Musée de Cassel.

Masson et Coc, Editeurs.

ICONOGRAPHIE

DES

ARRACHEURS DE DENTS

PAR

HENRY MEIGE

(Suite)

ADRIAEN BROU\vER. Adriaen vA\ OSTADE et DAVID TENIERS LE JEUNE, deux

Hollandais et un Flamand, forment un trio inséparable dans l'iconogra-

phie médicale du XVIIe siècle. Avec des procédés divers, mais un talent

égal, ils apportent tous les trois une large contribution aux documents pic-

turaux de leur temps.

Tous les trois nous ont laissé des Arracheurs de dents dignes d'intérêt.

Un premier Arracheur de dents attribué à Adriaen BnouwER se trouve

au musée de Cassel (collection Hamich) (PI. LXIV).

C'est dans un des plus miséreux intérieurs de chirurgien rustique que

l'on voit opérer ce praticien de très pauvre apparence.

Une masure enfumée, aux murs mal crépis, ornés d'un grossier por-

trait-charge ; pour mobilier, une chaise à peine équarrie, un banc boiteux

qui sert de table, trois cruches, une bouteille, quelques pots : c'est tout.

Evidemment, la clientèle de ce taudis n'a pas de grandes exigences; les

honoraires sont des plus mesquins ; la plupart doivent être payés en na-

ture, juste ce qu'il faut pour assurer le maigre repas quotidien du maître

de céans. Plus d'une intervention même doit être gratuite, et ces jours-

là le chirurgien se trouve réduit à la portion congrue.

Aussi, le pauvre diable ne saurait-il faire de grands frais de toilette.

Son accoutrement est piteux : sur la tète, un bonnet informe ; aux pieds,

des savates qui ne demandent qu'à l'abandonner. Seules, des chausses à

crevés, cruellement fatiguées d'ailleurs, témoignent de son désir de

se distinguer du commun des paysans et semblent évoquer un passé plus

prospère.

440 UENRY MEIGE

Depuis lors, les affaires vont médiocrement; une plaie il panser, un

cor à extirper, une dent à extraire : ce sont les meilleures aubaines de

ce confrère à jamais oublié.

Aujourd'hui, c'est à son talent de dentiste qu'on a eu recours.

Vivement, ayant ceint autour de sa taille un torchon de propreté sus-

peste, il s'est armé de l'unique instrument qui constitue tout son arsenal

chirurgical. Est-ce un davier, une pince, une clef ? ... Ni l'un ui l'autre, et

les trois en même temps. Tout dépend de la façon de s'en servir.

Le patient, assis de côté sur la chaise, le bras gauche appuyé sur le

dossier, se prête complaisamment à cette intervention audacieuse. Bien

décidé à se faire enlever la dent qui le torture, il crispe nerveusement

les poings et lève les yeux au ciel, semblant implorer le courage néces-

saire pour supporter son martyre.

Derrière lui. une vieille femme, capuchonnée de blanc, les mains croi-

sées sous son tablier, regarde l'opération d'un air moitié railleur et moi-

tié attendri.

Un jeune4lide, près du hanc qui sert de tahle de laboratoire, est en

train de préparer on ne sait quelle singulière mixture.

Au fond de la pièce, une porte s'entr'ouvre, par où un curieux jette un

regard furtif sur l'opération.

Et les trois cruches, alignées dans leur coin, avec leurs ventres rebon-

dis et leurs casques de papier blanc, semblent trois silencieux factionnai-

res surveillant ce duel odonlologique.

J'ai vu dans la galerie de peinture de Carlsruhe une réplique exacte de

ce tableau, mais traitée de façon assez froide. On n'y reconnaît guère la

facture aisée et primesautiére de l3rowver.

Peut-être ferait-on aussi quelques réserves sur l'attribution du tableau

de Cassel. Mais il semble avoir souffert des injures du temps, de la même

façon qu'une autre peinture attribuée à Brouter; au musée de Cologne,

une Opération sur la trte, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler.

En outre, on s'accorde à considérer ces oeuvres d'art comme les pre-

miers essais du maître hollandais. Elles sont en tous cas notablement in-

férieures à ses autres scènes chirurgicales, telles que J'Opération SUI' l'é-

paule, de la collection Lacaze, au Louvre, ou l'Opération sur le dos, il l'Ins-

titut Staedel, de Franll'oi-t-sui--Maiii, et surtout les Pédicures (1) de

Frankfort et de Munich.

Dans ces deux derniers tableaux, on retrouve bien le même personnage

qui entr'ouvre une porte au fond de la pièce, pour regarder l'opération.

(1) Voy. Nouv. Iconographie de la Salpêtrière, nos 5 et 6, 1896 et 1 et 2, 1897.

Nouv. Iconographie DE la SALl'L1Rltn . T. XIII. PI. LXV

Cliché Br.1l1n. Climcnt et Cie

L'ARRACHEUR DE DENTS

Tableau d'ADIZIAI-,N 13ROUWEI. Galerie Lichtcnstcin, à Vienne.

MM55on & Cie) I : ditcurs

ARRACHEURS DE DENTS 441

Le Dentiste de la galerie Lichtenstein, à Vienne, est une des bonnes

peintures de Brouwer, dûment signée de son monogramme (PI. LXV).

L'opérateur, en veste rose, coiffé d'une sorte de fez rouge, se tient de-

bout, de profil à gauche, derrière une table.

De la main droite il a saisi le menton du patient, et lui ouvrant vigou-

reusement la bouche, il y plonge bravement les doigts de sa main gauche,

sans souci de la morsure possible.

Peut être a-t--il pris soin d'introduire entre les deux mâchoires un mor-

ceau de liège ou de bois, pour se garer de cet accident; la peinture ne

permet pas de l'affirmer.

L'intervention est simple, soudaine, mais non pas indolore.

La victime surprise ne voulant ou ne pouvant repousser son bourreau,

tourne tous ses efforts contre son bâton qu'elle serre à le broyer dans ses

larges mains. Et rien n'est plus vrai que son geste réflexe et sa mimique

angoissée.

Derrière le patient, une femme avec une coiffe noire, l'encourage à la

résignation et le maintient par l'épaule.

Au fond, on entrevoit les têtes de deux autres personnages.

Au premier plan, une table avec des pots d'onguents, des papiers, une

éponge, un couteau. Un fond de paysage égaye cette scène de chirurgie

rudimentaire; on y distingue une maison avec une tour carrée à toit

proéminent.

Cette peinture est très supérieure à la précédente ; le coloris en est

frais et distingué. La scène est traitée avec beaucoup de verve et d'esprit.

La belle collection Kums, à Anvers, comptait un Arracheur de dents, de

, Brouwer, que j'ai vu en 1895, et dont j'ignore actuellement la destinée

depuis la vente de cette collection.

En outre du duo obligatoire composé par l'opérateur et l'opéré, il s'y

trouvait une vieille femme préparant un bassin.

Au fond, adroite, entrait en béquillnnt un liomme avec une jambe

coupée.

DAVID Teniers LE JEUNE, ses fils, et ses nombreux imitateurs, pasticheurs

ou copistes, ont fourni une copieuse collection de scènes médico-chirur-

gicales. La fréquence de ces répétitions n'est pas sans entraîner quelque

monotonie.

Qu'il s'agisse d'une Opération sur la tète, d'une Consultation d'Urologue

442 HENRY 1RIG'E

ou d'un Pédicure, la composition de la scène demeure presque invariable-

ment la même : un groupe principal composé de l'opérateur et de l'opéré;

puis deux assistants : une vieillefemme,les mains croisées sous son tablier,

regardant l'opération, et un jeune apprenti occupé à chauffer un emplâtre

ou à triturer des drogues sur une table. '

Il en est de même du décor et des accessoires : une chambre blanchie à

la chaux, avec plafond à poutres apparentes ; sur les murs, des rayons

chargés de fioles et dépôts, avec quelques chapelets de plantes ou de grai-

nes. une image grotesque ; parfois un hibou dans un coin, oiseau symbo-

lique de la médecine ; presque toujours deux ou trois crânes d'animaux; et

inévitablement, pendu au plafond, un crocodile ou un poisson empaillés.

11 semble que. le maître flamand, une fois cet ensemble conçu, n'ait fait

d'autres efforts pour varier ses scènes médicales, que de changer la couleur

des poils et des costumes de ses personnages, et de déplacer par ci, par là

une cruche, une bouteille, un escabeau.

A cela d'ailleurs pourrait se borner la critique, car l'agencement est

toujours heureux, les éclairages habilement conçus, et le naturalisme de

ces intérieurs demeure infiniment agréable à l'oeil.

A l'égard des Arracheurs rfe dente, Teniers paraît cependant s'être mon-

tré moins libéral qu'envers les Pédicures.

Je ne connais qu'un tableau qui corresponde au type classique. Je l'ai

vu au musée de Rennes. Est-il bien de la main même de David Teniers

le jeune ? Au point de vue pictural on pourrait peut-être le contester. Ce

qui est certain c'est que cette oeuvre d'art est en tous points conforme aux

compositions de chirurgie populaire maintes fois répétées par Teniers (1).

L'opérateur est un jeune homme aux longs cheveux frisés dont la res-

semblance est frappante avec les Pédicures du maître flamand. Il est vêtu

de ces étoffes gris-bleutées que Teniers affectionnait particulièrement. Il

porte sur la tête le traditionnel petit bonne[ - rouge ici, - garni de four-

rures. ,

De la main gauche, il empoigne le menton du patient, et de la droite,

introduit dans la bouche un instrument mince et effilé, difficile à définir.

S'agirait-il d'un pansement dentaire, au lieu d'une extraction ? Ce serait

beaucoup présumer de la science de ce dentiste du XVIIe siècle.

L'opéré, assis à gauche, le corps tourné à droite, tient un bâton à la

main ; son chapeau de feutre est accroché au fauteuil.

(1) N 156, B. H., 44,1, 32.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LASALPÈTR1ÈRE. T. XIII PL. LXVI.

Cli"hé Ilanfatacngl (;\ ! ullich).

L'ARRACHEUR DE DENTS

Tableau de DAVID Tcsmas le J £ U1OE, au Musée de Casscl.

IA"'Ro J : 1' CI", 1.IlItOlIVS

Arracheurs DE dents '' 443

Derrière ce groupe, se retrouvent les assistants obligatoires de toutes

les scènes de chirurgie rustique représentées par Teniers : la vieille

femme, les mains croisées sous son tablier, regardant l'opération, et le

jeune apprenti, une fiole à la main, debout près d'une table.

Décor classique : aux murs, rayons chargés de pots et de fioles ; une

niche ronde où veille un flacon bouché de papier ; des chapelets de grai-

nes, un crâne d'animal, et, pendu au plafond, l'inoubliable poisson des-

séché.

Par terre, gisent des instruments professionnels. C'est toujours le m8-

me quatuor dans le même décor, avec les mêmes accessoires sans cesse

répétés.

Un Arracheur de dents de Teniers, dont l'authenticité ne saurait être

contestable, se trouve au musée de Cassel (PI. LXIV).

Ici, la composition est réduite à deux personnages ; encore, l'opéra-

tion est-elle terminée. La victime, un jeune homme, se tapit dans l'om-

bre au fond de la pièce, tenant à pleine main sa mâchoire endolorie.

Tous les honneurs sont pour le dentiste qui brandit d'un air triom-

phant la molaire franchement extirpée. Il est vu de face. à mi-corps, der-

rière l'appui d'une fenêtre où tous ses ustensiles sont déposés.

C'est une figure bien connue, que l'on retrouve dans la plupart des

scènes de chirurgie villageoise ; c'est ce même jeune praticien qui extirpe

si dextrement les cors dans j'Étuve du village du musée de Cassel ; c'est

aussi, semble-t-il, le Dentiste du musée de Rennes. Et on le reconnaît

encore dans maintes scènes d'intérieur de Teniers.

Il est jeune, le nez un peu fort, la moustache naissante, les cheveux

longs et frisés, l'oeil vif et la bouche rieuse. Parfois sérieux et attentif à

ses interventions, il se montre ici tout joyeux d'avoir réussi à arracher

la dent récalcitrante.

Vêtu non sans quelque recherche, il porte gaillardement sur l'oreille

son petit bonnet garni de fourrures. Son justaucorps garni de boutons ou-

vragés est serré à la taille par une écharpe bariolée. Au cou, sous un col

blanc plissé, il est paré d'un collier d'or auquel pend une médaille.

Avec désinvolture, la main gauche sur la hanche, il tient dans la main

droite une pince au bout de laquelle il montre avec satisfaction une mo-

laire extirpée.

Devant lui, sur le rebord de la fenêtre, Teniers a disposé avec art plu-

sieurs ustensiles du métier.Des fioles bouchées d'un tortillon de papier,des

pots d'onguent, dont un en faïence de Delft capuchonné d'un parchemin,

deux têtes de pavot, de petits sacs, et quatre instruments : une spatule,

444 HENRY MEIGE

une forte pince il manches recourbés, un stylet, et une sorte de curette

ou de davier à manche de bois.

Enfin, pour que nul n'ignore qu'il s'agit bien d'un adepte de la mé-

decine, une tête de mort et un sablier symboliques complètent la déco-

ration.

Bien entendu, sur le mur du fond, on voit une rangée de fioles sur

une tablette, et du plafond pend un poisson empaillé. Teniers n'eût pas

été satisfait si ces accessoires qui lui semblaient indispensables eussent

fait défaut. ,

La scène est, on le voit, des plus simples, et il semble qu'il s'agisse sim-

plement d'un portrait. Un modèle quelconque a pu servir; mais il voir repa-

raître si fréquemment cette même figure dans les peintures consacrées par

Teniers aux épisodes de la vie médico-chirurgicale, on peut se demander

si quelque barbier-chirurgien de son entourage n'a pas servi plus d'une

fois de modèle au peintre flamand, mettant amicalement à sa disposition

son officine et sa propre personne.

Le tableau du musée de Cassel serait le portrait le plus achevé et le plus

personnel de ce praticien inconnu.

Il faut signaler enfin les similitudes de cette composition avec les den-

tistes de Gérard Dow que nous verrons bientôt. L'encadrement dans une

fenêtre et la forme arrondie du haut du panneau se retrouvent souvent

dans les scènes médicales du maître hollandais.

L'Arracheur de dents du musée de Dresde est peut-être le plus somp-

tueux des dentistes que nous connaissons. On peut affirmer que sa longue

carrière a été des plus fructueuses, si l'on en juge par la 'richesse de son

accoutrement (Pl. LXVII).

C'est un vieillard d'aspect vénérable, longue barbe blanche, tout en-

veloppé de fourrures.

Sur la tête, un bonnet brodé, largement bordé de fourrure, et orné

d'une longue plume blanche. Sur le corps, une houppelande chaudement t

fourrée à l'intérieur. Et par dessus le tout, un vaste manteau plus riche-

ment fourré encore. Ce bon vieillard ne doit pas avoir froid. Du haut en

bas, il est hérissé de poils.

Ceci ne témoigne pas seulement d'une aisance peu commune ; c'est aussi

une preuve de la grande notoriété de ce praticien.

La fourrure, en effet, faisait partie de l'uniforme professionnel. Les

plus miséreux des barbiers de village avaient au moins un bonnet fourré ;

de moins infortunés portaient à leurs justaucorps des bordures de fourni-

Nouv. Iconographie DE la SALYL1'RILRL T. XIII. PI. LXVII

L'ARRACHEUR DE DENTS

Tableau de DAVID Teniers, le Jeune, au Musée de Dresde.

Masson & Ci, Editeurs

ARRACHEURS DE DENTS 445

res; les plus achalandés se distinguaient par des cols et des parements

proportionnés à leur situation.

Mais bien peu auraient pu rivaliser avec le dentiste de Dresde.

Et il faut voir avec quelle gravité il se drape dans son manteau, dans

quelle attitude noble et digne il se tient assis sur une chaise, un pied sur

un tabouret, le poing droit majestueusement campé sur la hanche, tenant

négligemment de la main droite une pince au bout de laquelle une dent

est enserrée.

, C'est vraiment un dentiste magnifique.

Par contraste, derrière lui, on aperçoit le pauvre diable, de mise fort

simple, qu'il vient d'opérer, non sans douleur, car celui-ci appuie tris-

tement sa main gauche sur sa mâchoire ébranlée. Mais ceci n'est pas fait

pour troubler la solennelle sérénité du vieux dentiste.

A droite, sur une table recouverte d'un tapis à franges, trois fioles de

verre, une bouteille de faïence, un pot d'onguent, une pince, une clef

et deux molaires.

Par terre un petit chien est couché.

Un bout de tablette est accroché au mur avec divers récipients.

Il existe de ce tableau une copie au musée de Berlin, provenant de la

collection Raczynski.

Une autre copie, de la même collection représente un Charlatan de Te-

niers, tenant un papier et un verre à la main. Près de lui, sur une table,

à côté des pots et de parchemins, se trouvent plusieurs dents.

Des enfants l'entourent. Sur la table, un singe est juché.

Si l'on peut reprocher aux Dentistes de Teniers conservés aux musées

de Cassel et de Dresde d'être des compositions assez froides et quelque

peu artificielles, on trouvera par contre dans l'Arracheur de dents d'A-

driaen VAN STADE, de la galerie de Vienne, un chef-d'oeuvre de fantaisie

pittoresque, traité avec toute la verve naturaliste où excellait le maître hol-

landais (PI. LXVIII).

Ce petit tableau est d'une indiscutable valeur : heureux agencement,

bel éclairage, harmonieux coloris, et surtout sentiment très aigu de la vé-

rité réaliste servi par un don merveilleux d'observation philosophique et

spirituelle.

Nous sommes dans le cabinet d'un dentiste du plus bas étage, officine

bonne à tout faire, servant en même temps de cuisine, de grange, et de

chambre à coucher.

L'attirail professionnel est intimement mélangé aux ustensiles de mé-

xm 2D 9

446 HENRY MEIGE

nage : les balais côtoient les plats à barbes, les casserolles frôlent les pi-

lons, les bouteilles de vin et les cruches d'eau se mêlent aux pots d'on-

guent et aux fioles à médicaments. Encore, ne voit-on qu'une minime

partie de ce désordre, tout le fond de la pièce étant perdu dans une om-

bre mystérieuse d'où jaillissent çà et là quelques reflets de cuivre ou d'é-

tain.

Eu revanche, la scène principale, l'opération, se trouve en belle lu-

mière, éclairée par une unique fenêtre arrondie, par où pénètre une large

raie de soleil.

C'est le moment critique :

Le patient, vu de face, est assis sur une chaise boiteuse, une jambe en

avant, l'autre repliée sous le siège, le bras gauche raidi, les poings cris-

pés. Client de pauvre mine, dont les chausses surmenées baiiient de par-

tout ; ses bas pareillement refusent de couvrir ses jambes et c'est miracle

s'il a conservé ses souliers.

Il est juste de dire que, pour le présent, il les soumet à de rudes épreu-

ves, se débattant, trépignant, bataillant, pour échapper à l'étreinte éner-

gique de l'opérateur.

Mais ce dernier a bonne prise. Debout, derrière le malheureux, sa

vaste main gauche enserrant presque toute la mâchoire, son pouce abais-

sant brutalement la lévre inférieure, il a saisi de la main droite, avec une

forte pince, la dent de son choix. Il y a de grandes chances pour qu'il ne

lui fasse pas quartier, dût-il, pour l'extirper, arracher aussi les voisines

et quelque fragment de maxillaire par dessus le marché.

A voir son front têtu, ses lèvres pincées et son regard féroce, à juger de

sa poigne par l'ampleur de ses extrémités, on devine que ce dentiste-là n'y

va pas de main morte et que, coûte que coûte, il emportera le morceau.

C'est d'ailleurs le type ordinaire des barbiers-chirurgiens de village,

portant pourpoint à manches tailladées, et bonnet à créneaux orné d'une

.plume. Mais il doit être célèbre par son impitoyable opiniâtreté. On con-

nait sa vigueur ; il n'est pas de mâchoire capable de lui résister.

C'est ce que savent bien les membres de la famille'du patient qui l'ont

accompagné pour cette douloureuse intervention. Sa femme est là, près

de lui, il genoux, croisant les mains, et levant au ciel un regard suppliant,

implorant à grands cris la clémence de l'opérateur. Et une fillette à côté,

justement effrayée, pleure à chaudes larmes.

Voilà le côté dramatique; et, malgré le grotesque des personnages, il

ne laisse pas d'être un peu émouvant.

Mais, avec un arl très habile du contraste, van Ostade a su introduire

au'-si une note conii lue qui t3 : np3r.; toutr' impreîsi ou pénible. Deux gamins

sont In, au second plan, le bonnet sur l'oreille, les mains dans leurs po-

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XIII. PL. LXVIII,

Chché Hanfotacngl ( ? IIUlllCh),

L'ARRACHEUR DE DENTS

Tableau d'ADRIAEN VA,-17 OsTADE, au Musée de Vienne.

Masson ET C ? Éditeurs.

. ARRACHEURS DE DENTS 447

ches, riant à pleine bouche, se gaussant des gémissements de l'opéré et des

lamentations de sa famille.

Enfin, à droite au premier plan, un homme de condition non moins

modeste, se tient debout les bras croisés et appuyés sur un bâton.

Lui aussi, esquisse un léger sourire, quoique de façon plus discrète.

On devine qu'il prend un malin plaisir à aggraver les angoisses de la fa-

mille en racontant quelque histoire terrifiante d'arracheurs de dents.

Et ces personnages de comédie entremêlés à ceux qui prennent la scène

au tragique donnent à l'ensemble de la composition une réelle valeur phi-

losophique. Rien n'est plus franchement vrai, rien n'est plus justement

observé. Larmes et sourires, joie et douleur vont en se côtoyant dans le

même rayon de lumière et de vie.

N'allons pas oublier le dernier figurant de cet épisode tragi-comique.

C'est une sorte d'avorton qui fait fonction d'assistant. Diminutif de bar-

bier, de l'espèce la plus naine, il disparait sous un énorme béret tailladé,

portant fièrement à la ceinture sa gaine de couteaux ou de rasoirs, et sur

l'épaule la serviette qui sert pour la barbe et les pansements. Impossi-

ble de donner un âge à ce monstre rabougri. Je sais bien que les en-

fants de van Ostade ont toujours des .allures de petits vieux avant l'âge.

Cela tient à ce que, pour les vêtir, on devait utiliser les habits des parents

en se contentant de raccourcir la longueur des manches et des culottes, sans

songer à les rétrécir en même temps. Ajoutez à ces accoutrements hétéro-

clites de vieux feutres trop grands et d'informes souliers, vous aurez toutes

les variétés de marmots empêtrés et grotesques que van Ostade aime à

faire grouiller dans ses scènes villageoises.

L'aide-dentiste du tableau de Vienne est peut-être de la même espèce. Il

n'en est que plus comique, et sa façon de présenter à l'opéré le bassin

professionnel est tout à fait amusante.

Toute cette scène est par elle-même tellement mouvementée et si habi-

lement conçue que l'on ne s'arrête guère aux accessoires ; d'ailleurs, sans

les négliger, van Ostade ne leur consacrait pas le soin minutieux de Te-

niers.

Près de la fenêtre, on voit un plat à barbe, un blaireau, un râtelier de

ciseaux de tailles diverses. Car,ne l'oublions pa.s, le dentiste ici présent

redeviendra l'instant d'après un maître du rasoir et des ciseaux. Bientôt, il

extirpera un cor; puis une nouvelle dent; ensuite, il posera des ven-

touses, taillera les cheveux, composera un emplâtre, fera uue barbe

Arracher, tailler, raser, panser : tel était le métier du^barbier-chirurgien.

(A suivre.)

LA CROISADE DE J. H. COHAUSEN CONTRE LE TABAC

(1716-1720)

PAR

A, BEAUVOIS,

C'est sur les conseils du Professeur Brissaud que nous avons entrepris

de retracer la vie et l'oeuvre de J. H. Cohausen, à l'occasion de notre thèse

inaugurale (-1), VI. Brissaud avait consacré une leçon tout entière au mé-

decin humoriste allemand, à son He1'1nip}nts l'edtvivus et a son de Pica

nase, Les limites de notre thèse ne nous permirent pas de parler en dé-

tail de ce dernier ouvrage. C'est pourquoi nous y revenons aujourd'hui,

n'ayant d'autre but que d'écrire une contribution à l'histoire du tabac

et de faire connaître l'oeuvre satirique de J. H. Cohausen.

Le tabac (2) a eu tour à tour ses partisans convaincus et ses adversaires

acharnés. Cette histoire a été maintes fois écrite et notre intention n'est

pas de la recommencer.

Disons seulement que la lutte dure encore mais bien affaiblie, que les

princes et les grands qui se sont d'abord élevés contre l'abus de l'herbe

de Nicot ont bientôt vu les bénéfices que leur trésor pouvail en tirer, mais

que cependant, il s'est trouvé à toutes les époques, des hommes et non

des moindres pour fulminer contre les fumeurs et les priseurs.

Les gouvernements européens non seulement se désintéressent de la

lutte, mais encore voient avec plaisir le commerce ou le fiscs'enrichir de

la vente du tabac. Chose étrange, c'est l'Afrique encore demi-enveloppée

(1) Voir notre thèse pour la vie et les écrits de Cohausen, Un praticien allemand

au XVIII' siècle, J. II. Cohausen, Maloine, éditeur.

(2) C'est en 1560 que furent envoyées en France les premières graines de tabac ex-

pédiées à Catherine de Médicis par Jean Nicot, ambassadeur de François Il à la cour

de Portugal. Le tabac a différents noms suivant les pays. Citons les suivants : l'elum

Nicotiane, Herbe du grand prieur, Herbe à la Heine, Herbe de Sle-Croix el de Tour-

nabonne, llufllosse, Panacée antarctique, Herbe sainte ou saine-sainte.

(Histoire du tabac où il est traite particulièrement du tabac en poudre par M. de

Prade, Paris, 1617,)

LA CROISADE DE J. H. COHAUSEN CONTRE LE TABAC 449

des ténèbres de la barbarie qui pousse le cri d'alarme. Le puissant Négus

d'Abyssinie, Ménélick, vient de publier un édit par lequel il défend sous

les peines les plus sévères l'entrée de l'alcool dans son royaume et l'usage

du tabac à fumer et à priser. Il demande aux gouvernements européens de

l'aider dans cette oeuvre de conservation de son peuple.

Ainsi, Jacques Il roi d'Angleterre, le pape Urbain VIII, le sultan Amu-

rat IV, le tsar Michel Fédérowitch qui furent des adversaires déclarés du

tabac voient leur succéder dans cette oeuvre, un souverain de l'Afrique à

peine civilisée.

Au commencement du XVIIIe siècle, l'usage du tabac à priser était gé-

néral en Allemagne. On y fumait peu encore. En Hollande au contraire,

la pipe était d'un usage universel, et on continuait à suivre les théories

de Sylvius de le Boé et de Corneille Dekker dit Bontekoe dont les règles

pour prolonger la vie étaient les suivantes : fumer sans cesse du tabac, boire

continuellement du thé, avoir en cas de nécessité recours au café, et pren-

dre de l'opium dès qu'on éprouve la plus légère indisposition.

En France, dès la fin du XVIe siècle, et pendant tout le XVIIe siècle,

le tabac fut surtout employé en poudre. On fumait peu et les effets que

les médecins attribuaient à la poudre sternutatoire établirent et confirmè-

rent la vogue de la tabatière. M. de Prade, dans son Histoire du tabac

(Paris, 1677), vante les services rendus par la poudre tirée de l'herbe àla

Reine : « utile dans l'apoplexie, la léthargie, dans l'accouchement difficile,

dans les vapeurs hystériques et les vertiges, la poudre était interdite dans

les affections du poumon ». Le tabac, d'après les théories régnantes « fait

sortir la pituite » qui comme la bile est un excrément du sang. Le cerveau

n'est que fort peu ou point évacué par l'éternuement et néanmoins il ne

laisse pas d'en être soulagé par accident.

L'explication qu'en donne M. de Prade est'celle-ci : les humeurs que les

carotides auraient portées et la tête sont interceptées par les artères de la

bouche et du ne ?

Louis Ferrant, professeur à la faculté de médecine de Bourges, publie

en cette ville, en 1655, une plaquette de trente pages où il vante aussi le

tabac employé en sternutatoire (1). C'est dans cette courte monographie

que se trouve l'épitre curieuse qui lui fut adressée par un membre du

parlement de Bretagne et dont nous citons quelques strophes :

Docte Ferrant, si l'on syndique,

Ton beau traicté, qui nous explique,

Et nous enseigne la practiqne,

1

(1) Traité du tabac en sternutatoire, par Louis Ferrant, professeur en la Faculté de

médecine en l'Université de Bourgs, Bourges, 1655.

450 . A. BEAUVOIS

D'user de la poudre Errhinique, -

Ce sera quelque sot critique,

De qui l'humeur mélancholique,

Malicieuse et satirique,

Faict à toutes choses la nicque.

Ne crains pas, qu'un docte s'applique,

Soit par malice, soit par picque,

A faire une censure inicque,

. De ton discours scientifique,

Puisqu'il prouve en bonne logique.

Que le tabac, de l'Amérique,

Qui se cueille près du Mexique,

En tirant vers le pôle Antarctique,

Quoiqu'il soit parfois Emétique,

Est pourtant un doux cathartique,

- Pour chasser l'humeur plileginatique,

De la région céphalique;

etc.

Au XVIIe siècle, la tabatière fut en honneur par toute la France. A la

cour il était de bon ton et « de manières galantes » de s'aborder en solli-

citant la prise de tabac. Les marins et les soldats fumaient cependant, elles

nombreuses guerres de Louis XIV, qui mirent nos troupes en contact avec

les Hollandais, augmentèrent considérablement la vogue du lahac fumer.

Mais les seigneurs et les courtisans repoussèrent longtemps la pipe.-On se

souvient que Jean IBrt fit scandale dans les salons de Versailles- ils pré-

féraienl. une prise savamment et délicatement humée.

En Weslphalie, l'usage du tabac à priser était universel. La cour des

évoques de Munster parait s'être particulièrement signalée dans l'usage de

la fameuse poudre.

J. II. Cohausen, médecin des princes évoques de Munster, fut unader-

saire déclaré du tabac, et exerça contre les priseurs sa verve satirique.

Il les poursuivit de ses railleries, et nous a laissé trois écrits successifs

sur le même sujet ; outre sa /)<6'r<f/</of< ? nco ? tco-H : e(/<co-MO/Y</ ? s</e

Piccz Nnsl, 1716, il existe de lui encore deux autres ouvrages contre la

manie des priseurs. L'un le Raptus ecstaticus in montent Pamassmn fut

imprimé à Amsterdam en 1726 et a pu être consulté par nous, grâce à la

complaisance de M. le D'' Molitor, directeur de la Bibliothèque royale

paulinienne de Munster. L'autre intitulé : Nasus picans lreccaus sirespici

legium (1 ) physico J'atiollale medico morale de eno1'1ni tabaci sternutalorii

moderno abusu, ex curiosori pixidum tabacariarum inspeclione natttin ne

(1) Spieilegitint : spicilège ,'1'ecueil,

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XIII, PL. LXIX.

Gravure extraite de la

Disserlalio satyrico-p('ly·sico-mc.ico-moralis de Pica Nasi.

, Traduction allemande. Leipzig, 1720.

\I,vssoa rr r CU ! , EIlIlcnl's.

LA CROISADE DE J. H. COHAUSEN CONTRE LE TABAC 4SI

fut pas imprimé. Nous le connaissons par la courte analyse que n ous en a

laissée le neveu de Cohausen, S.E.E. Cohausen ( 1), professeur à l'univer-

sité de Trêves, dans son C01llmerciwn littel'al'ium.

C'est une satire qui fait suite aux deux autres. L'auteur suppose que

les priseurs convertis par ses raisons abandonnent le tabac à priser, et

vendent leurs tabatières pour élever une statue à Hercule. C'est un pré-

texte pour la description des diverses sortes de tabatières. On y trouve

des renseignements sur leurs formes, sur les matériaux employés pour

leur fabrication, sur les pierreries dont on les enrichit, et aussi parfois

sur les ciselures obscènes qui les ornent.

C'est tout ce que nous savons sur ce livre. Les deux autres nous instrui-

sent d'ailleurs amplement sur' la manière de l'auteur.

La dissertation satirique sur le PicaNasi l'ut imprimée à Amsterdam en

1716 chez le libraire Oosterwyk (2). C'est un in-12 de 180 pages enrichi

d'une gravure symbolique que nous reproduisons ici et qui constitue un

document intéressant pour l'histoire du tabac (PI. I,11Z).

Au-dessous (3) d'un po il symbolique constitué par une double ran-

gée de colonnes el s'ornan. Junetéte bouffonne au nez barbouillé, aux

narines fortement dilatées, et à qui deux faunes présentent d'un même

geste rythmique la prise de tabac, sont groupés différents personnages.

Un faune couché au premier plan érige au-dessus de sa tête une pan-

carte sur laquelle sont écrits ces mots : Pica Nasi et derrière lui les pri-

seurs s'amassent.

Voici d'abord le marchand qui, grimpé sur ses tréteaux où grimace une

guenon, "attire et retient autour de lui par ses boniments la foule des

curieux dont l.e nez va bientôt se ternir de la poudre sternutatoire.

Toutes les classes de la société y sont représentées : des marchands au

pouce épais et large, capable de porter là où il convient une ample pro-

vision de la poudre précieuse. Leurs tabatières sont larges et ventrues et

leur masse s'exalte en flancs rebondis.

(1) Voir dans notre thèse les renseignements que nous avons recueillis sur ce neveu

de J. H. Cohausen.

' (2) Le livre fut traduit en allemand par un professeur de Leipzig en n20 ( Comme)'-

cium lilterarium).

(3) Cette description a été faite sur la gravure du Pica Nasi qui se trouve à la Bi-

bliothèque nationale à Paris. Nous reproduisons ici la gravure de la traduction

allemande que nous a adressée M. le D1' Molitor, directeur de la Bibliothèque royale

paulinienne de .Munster. Le Pica Nasi de la Nationale est l'édition originale et les gra-

vures diffèrent par quelques détails. L'estampe de la Bibliothèque nationale est beau-

coup plus nette. Les personnages sont les mêmes, mais la scène est autre. Nous'som-

mes toujours sur une place publique, mais la coque d'un voilier qu'on aperçoit à tra-

vers les colonnes du portique, la mâture qui se prolile sur le ciel, et les toits pointus

des maisons indiquent que nous sommes dans une ville hollandaise.

432 A. BEAUVOIS

Les artisans s'y font remarquer par leurs vêtements plus simples. L'un

d'eux, assis sur sa brouette qu'il vient d'arrêter, tend à un manoeuvre

chargé d'une lourde échelle une immense tabatière.

Le beau sexe n'est pas oublié dans celte gravure satirique. Les femmes

entourent et serrent de près la table où le charlatan débite avec sa pou-

dre ses insipidités quotidiennes. L'une d'elles, gagnée par les raisons du

maitre ès langues, reçoit en échange de sa monnaie de quoi exciter sa mu-

queuse et dissiper les migraines qui la tourmentent.

A droite sont groupés les représentants des hautes classes : le bourgeois

cossu qui souille majestueusement son jabot immaculé; l'ecclésiastique à

la mode et porteur de la perruque, qui provoquera le Clericus Deperrucatus

de notre auteur, l'élégant du jour qui chapeau bas, et galamment incliné,

offre à une élégante une minuscule prise, dans une mignonne boîte.

Tous se livrent à leur passion favorite avec un air de satisfaction béate.

C'est là le résumé du livre; car le Pica Nasi a gagné toute la société

westphalienne et notre auteur a de quoi exercer sa verve satirique.

Nous imaginons que cette gravure représente une scène dont devaient

être témoins bien souvent les places publiques de Munster et des villes

westphaliennes. Le tabac était vendu en effet non par t'Etat, mais par des

marchands qui devaient le tirer de Hollande. L'artiste n'a probablement

fait que reproduire une scène de la le de ions les jours, y ajoutant par

symbole, la représentation de toutes les classes sociales.

Le livre est intéressant à plus d'un titre, et nous laisserons le lecteur

juge par l'analyse que nous en avons faite.

Dans sa préface. Cohausen averlit le public du dessein qui l'a poussé à

écrire ce livre satirique. Il veut, dit-il, secouer de leur nez cette poussière

qui les salit et les encombre. Si son style parait quelque peu amer et pi-

quant, que les priseurs songent que c'est aussi en piquant que le tabac

leur fait plaisir. D'ailleurs ce livre peut piquer mais non blesser, et son

but est de guérir ceux qui sont atteints de la passion du tahac.

Les femmes même qui se livrent à cet excès ne pourront en être blessées.

D'ailleurs, il est écrit en une langue qu'elles n'entendent point. Il espère

cependant qu'il se trouvera des interprètes qui le leur expliqueront.

Puissent-elles se corriger de cette funeste habitude.

L'ouvrage de Cohausen est divisé en deux parties qui traitent la pre-

mière, de l'abus de la poudre à priser, la seconde des inconvénients qui

en résultent. Un appendice placé à la fin du livre explique les termes

techniques ou les néologismes que crée souvent l'auteur.

Le Pica est un symptôme extraordinaire, un appétit dépravé et parfois

brutal qui pousse certaines personnes à désirer des choses souvent ab-

surdes. ,

LA CROISADE DE J. H. COHAUSEN CONTRE LE TABAC 453

L'estomac, le goût, l'odorat, l'imagination ont de ces appétits.

On a vu des personnes se nourrir de terre, de cendres, de poix, d'a-

xonge et même d'excréments d'hommes ou d'animaux.

L'odorat est soumis aux mêmes appétits absurdes, et pour les individus

atteints de ce pica. tout est baume agréable. Le nez a de même des picas :

Satmuthns (1) raconte qu'une jeune fille aimait tellement l'odeur qui s'é-

chappe des vieux livres piqués par les blattes qu'elle en respirait l'odeur

toute la journée et la déclarait suave. Borelli rapporte qu'une autre per-

sonne comparait l'odeur du cuir à celle du baume ; elle en mettait même

dans sa bouche. L'odeur qui s'exliale des vieux souliers usés était devenue

pour elle le plus suave des parfums. Ce sont là des bizarreries connues de

tous les médecins. Il était nécessaire d'expliquer ce titre, car le mot Pica

est un terme technique que seuls connaissent les praticiens. Malgré ces

éclaircissements le titre de l'écrit de Cohausen ne futpas compris, et dans

sa notice bibliographique S. E. E. Cohausen nous raconte que plusieurs

personnes se trompèrent et traduisirent pica par pie, l'oiseau bavard.

Par extension, Cohausen appelle donc Pica nasi, l'appétit`du tabac à

priser et tabacorexis, le désir de cette poudre, et il nous en décrit les ra-

vages. La soif, la faim ont leurs moments pour être apaisés, le pica nasi

n'est pas périodique, il est continuel. Les jeunes gens, les vieillards, les

femmes mêmes en sont atteints. Les femmes enceintes, les jeunes filles ont

cet appétit dépravé, prétendant par là dissiper les humeurs, et ce que

Helmont appelle Blas uteri.

L'origine des poudres à priser remonte à la plus haute antiquité. Avant

que le tabac fût apporté en Europe, on se servait d'herbes, la Betoine,

l'Origan, l'Hellébore, les fleurs de Lis etc. Mais après la découverte de

l'Amérique par Colomb, le tabac se répandit rapidement, et bientôt l'Eu-

rope tout entière l'employa, d'abord par besoin, puis bientôt par plaisir.

Aujourd'hui son emploi est universel.

On en prend le matin, à table, à la promenade, à l'église même ;

c'est une façon des'aborder et de s'offrir une libéralité facile. Quels succès

n'ont pas les tabatières ! Quelle souffrance pour le négligent qui a laissé

chez lui sa précieuse boite.

Ecoutons Cohausen.

Dernièrement, dit-il, j'avais pour compagnon de voiture Nasidienus,

grand amateur de tabac, qui, je ne sais comment, avait oublié de garnir

sa tabatière. De temps en temps, il me demandait de lui prêter la mienne,

bien que je l'eusse averti que je n'en portais pas Désespéré, il ouvrait alors

sa boite vide, et de toutes ses narines il en aspirait l'odeur, comme s'il

eût voulu en prendre l'essence.

(1) Salmuthus Philippe, médecin du prince d'Anhalt, XVIIe siècle.

454 A. BEAUVOIS

Je ne pus m'empêcher de rire, et comme il m'en demandait la cause,

je lui récitai cette fable de Phèdre.

Anus jacere vidit epotam amphoram

Adhuc falerna foece et testa nobilem, '

Odorem quae jucundum lat spargeret :

Hune postquam totis avida traxit naribus

0 suavis anima, f]l1alem te dico bonam,

Antehac fuisse, taies cum sint reliquioe.

Hoc qui pertineat, dicet qui me noverit.

. (La vieille femme et l'amphore.)

Mon homme en rit, et me dit qu'en effet sa tabatière lui était aussi pré-

cieuse que pour la vieille femme l'amphore brisée.

L'herbe de Nicot règne actuellement partout dans les camps, dans les

villes, à la campagne.

C'est la déesse du monde, la reine du règne végétal, que chaque jour

saluent des bouches enfumées, et des mains chargées de poudre, les mar-

chands de*boites et de capsules, et tout l'innombrable peuple de ses prê-

tres et de ses prêtresses.

Entrez dans les palais des muses ! vous y verrez la poudre sternutatoire.

Pénétrez dans la curie, où de graves politiques délibèrent sur les affaires

du jour, la tabatière y trône. On fabrique ces boites par milliers et les

métaux les plus précieux sont employés pour cela. Besoldus eu a vu une

qui coûtait 50.000 francs.

Moi-môme, dit Cohausen, je vis une de ces boîtes ornée de plus de : 30 pierres précieuses. Sur le couvercle était peinte une des aventures

de Mars et de Vénus. Je me garderai de parler, a,jonte-t-il, des tabatières

des jeunes gens ornées de ciselures ou de peintures équivoques et qui

blessent les \eux et les esprits des jeunes filles plus que leur nez.

Les femmes n'ont eu garde d'éviter cette manie. 0 inconstance du sexe !

Je fus mandé l'autre jour, dit Cohausen, auprès d'une noble demoiselle

du nom de Galatllée. On parla de la céphalalgie et elle me demanda un

remède dont l'effet fût instantané.

Quelle ne fut pas ma stupeur quand je la vis se servir de tabac. Je lui

prescrivis de s'abstenir de cette poudre si elle voulait éloigner au plus

vite la cause de son mal. Mais ce fut en vain.

Autre aventure :

J'entrai dernièrement chez Faustine, femme du monde élégant el de

conversation très agréable. Mes regards tombèrent bientôt sur une toilette

d'ébène, enrichie d'or et de pierreries dans laquelle étaient creusées d'é-

légantes boites d'ivoire ornées de perles. L'une d'elles artistement façon-

née en écaille était entourée d'un cercle d'or. L'enveloppe était si riche

LA CROISADE DE J. H. COHAUSEN CONTRE LE TABAC 455

que le contenu devait être précieux. Je l'ouvris, et l'odeur subtile du ta-

bac d'Espagne frappa mon nez. Je vis un coeur ciselé en jaspe, j'en cher-

chai le secret et je trouvai le « coup de bois » c'est-à-dire un tabac plus fin

que le tabac d'Espagne.

Les enfants imitent les parents et se barbouillent le nez à qui mieux

mieux.

Enfin c'est une mode universelle, que chante un poète de l'époque (1)

La grande mode de tabac a pris partout sa place

On prend aujourd'hui tabac de bonne grâce

Et dès qu'en compagnie un Monsieur le veut rendre,

De son côté la dame est prête de le prendre

Chacun trouve en tabac de quoi se satisfaire,

Sa menue poudre a le secret de plaire

Les filles le trouvent aussi bien agréable et doux

Comme s'il était d'un plus exquis ragonts.

C'est le goust général ; les fous et les sages

Même sont enfin tombés dans sou usage

Tous les hommes ont l'appétit et l'art de le prendre

Et les femmes mêmes n'ont pas celui de se deffendre.

Mais quels sont les prétextes invoqués par les priseurs ?

Physignatus (2), l'hypochondriaque, prétend que le tabac dissipe les

noires vapeurs de son cerveau. Rinarchus, le marchand cossu, guérit ainsi

des rhumes de cerveau et se met en garde contre la phthisie.

Petemius le Patricien vante les bienfaits de la poudre qui lui rend la

vue.

Phatasius réveille ainsi son esprit endormi.

Je suis, dit-il, la quintessence des académiciens, des péripatéticiens,

des stoïciens, des pyrrhoniens, des platoniciens, des éclectiques. J'ai une

tabatière qui est pleine de l'esprit de tous les grands philosophes mis en

poudre, comme de Thalés, d'Anaximandre, d11ypocrate, d'Anaxagore, de

Telesius, d'Archelaûs, de Lucrèce.

Le jeune Petronius en prend aussi pour paraître du bel air et galant

homme, comme disent les Français.

Mais interrogeons les femmes. Quels prétextes vont-elles nous fournir ?

Quel rapport entre leur beauté, leur élégance et cette affreuse boîte ? Ce

n'est pas là un ornement pour une jeune vierge. '

(1) Ce poète dont parle l'auteur n'est probablement Cohausen lui-même qui aurait

à s'exercer en vers aussi bien en français qu'en latin et en grec.

(2) Ce nom et les suivants ont été choisis par Cohausen pour désigner les priseurs

invétérés.

456 A. BEAUVOIS

Voici Aminthequi s'avance rouge non de pudeur, mais de colère. Quoi ?

ignorez-vous à ce point les usages, les coutumes. Toutes les femmes ont

leur précieuse tabatière et vous voudriez m'en priver ?

Mais, lui répond notre auteur, il n'appartient point aux femmes de se

mêler des affaires des hommes.

Et paraphrasant en français des vers latins, il lui dit galamment mais

sans beaucoup de verve poétique, ni de grâce :

Qui est plus laide, que quand du tabac, serine

Que vous avès tiré, rechoit de vos narines,

. Et gâte en vos lèvres les fleurissantes roses ?

Fuyès ma belle, fuyès ces très puantes choses.

Mais Aminthe de lui répondre : « Je sais, que je suis du goût d'aujour-

d'hui. Pour être fille du bel air, il faut prendre du tabac comme une cir-

constance de bienséance et de réputation.J'aime être tout à fait à la mode.»

La mère de la jeune fille arrive à la rescousse et Cohausen bat en re-

traite ne voulant pas engager la partie avec une vieille femme, qud nihil

nasutius maligniusque, dit-il.

Nesilla, beaucoup plus instruite et quelque peu pédante, n'est pas em-

barrassée pour se défendre. Je suis née, dit-elle, sous une influence lu-

naire, et je suis continuellement tourmentée par des rhumatismes, par

des catarrhes, par des fluxions de poitrine. Le Dr Gracianus n'a pu m'en

délivrer par ses pilules et ses clystères répétés. Le Dr Nicotius m'a re-

commandé cette poudre pour évacuer sûrement la pituite démon cer-

veau. '

Je m'en trouve bien et n'ai garde de m'en abstenir.

Que répondre à cela ? Nous entendons ces prétextes tous les jours, et

il est difficile de persuader du contraire des personnes qui raisonnent

aussi bien.

Un usage non seulement immodéré, mais encore déréglé et intempestif l'

vicie les choses les meilleures. A quels abus n'est-on pas arrivé dans l'u-

sage du tabac ?

Cohausen nous raconte qu'il connaît un homme illustre qui ne reste

pas un quart d'heure sans éprouver le besoin de gratifier son nez d'une

large provision de poudre sternutatoire. Le sommeil de la nuit même ne

peut interrompre sa manie, et il suspend sa tabatière à son cou pour l'a-

voir à chaque instant à portée de sa main.

Les prêtres ne craignent pas de s'en servir même pendant la célébration

des mystères. Cette coutume se répandit en Espagne avec une telle fureur

que le pape Urbain VIII dut sévir el menaça de ses foudres quiconque se

rendrait coupable. En Russie, en Perse, en Turquie, on frappa de rigueurs

sévères ceux qui continueraient il se servir de cette poudre.

LA CROISADE DE J. H. COHAUSEN CONTRE LE TABAC 437

Mais rien ne peut satisfaire ceux qui sont atteints de cette passion : ils

entassent prises sur prises. De leur tabatière, ils puisent du tabac d'Espa-

gne, de celle de leur voisin, ce qu'ils appellent coup de bois, d'une autre

ce qu'on nomme l'ordinaire.

Au lit, à l'église, sur la place publique, dans la rue, au cabaret, à table

même, l'inévitable prise les suit. C'est un appétit insatiable, une soif f

inextinguible.

Aussi des sommes énormes sont dépensées chaque annéepour satisfaire

cette passion. Deux poudres sont maintenant à la mode. L'une est la pou-

dre de Chypre qui sert à couvrir la chevelure et dont l'usage est universel.

L'autre est la poudre de tabac. La consommation de cette dernière est en-

coreplus considérable. 7oc ? tM rapporte qu'en Angleterre certains jeunes

gens dépensent plus de -1(i00 onces d'argent en tabac à priser. Qui dira le

prix des tabatières pour lesquels aucune pierre, aucun métal n'est trop

précieux ! Si les malheureux savaient ce qu'ils achètent ! Je me souviens

avoir lu, dit Cohausen, que les rois et les grands de l'Inde. qui se nourris-

sent de caryophylles, de cinnannes et d'autres plantes aromatiques, font

recueillir leurs excréments, les font sécher et pulvériser, puis mélanger

avec d'autres poudres ; et c'est ce qu'ils nous envoient sous le nom de tabac

d'Espagne. 0 honte ! 0 passion funeste ! s'écrie notre auteur. Mais,ajoute-

t-il,pour rassurer ses lecteurs, ce sophisme sent son origine; il y a deux

sortes de tabac d'Espagne, et il explique la préparation de la deuxième

espèce.

D'ailleurs les espèces de tabac sont nombreuses ; chaque pays, chaque

ville a la sienne qu'elle proclame sans rivale. L'Espagne vante les tabacs

de Séville et de la Havane ; l'Italie parfume les siens avec l'huile de cèdre

ou de jasmin ; Cologne avec la lavande et le romarin. La France élève

aux nues le tabac de jasmin el le tabac musqué.

N'attendez pas que je vous indique quel est le meilleur. Ce sont tous

des enfants de la même mère, ils sont tous mauvais. J'ai d'ailleurs donné

dans mon livre sur le thé, une formule de poudre sternutatoire, mais ne

contenant pas de tabac.

La deuxième partie du livre est consacrée aux inconvénients, aux dan-

gers de cette passion (de noxa tabaci sternutatorii). L'auteur envisage en

médecin, les troubles que peut causer l'abus du tabac.

En premier lieu, l'odorat est très diminué chez un grand nombre de

personnes, et tout à fait aboli chez d'autres. Les nerfs perpétuellement- L-

excités finissent par devenir insensibles ; la lymphe (mucus), qui sécré-

tée par les glandes du nez. humecte la membrane interne et facilite l'odo-

rat, est desséchée et le sens se perd peu à peu.

h58 A. BEAUVOIS

J'ai vu, dit l'auteur, des Pétophiles (1) être incapables de distinguer

les odeurs.

Mais les troubles de cet organe peuvent être plus considérables : Des

croûtes épaisses et difficiles à enlever se forment dans les narines, des vers

même peuvent s'y développer. Bartholin, Blegny, Borelli, Schenck,

Donat, 1(ei-eki@itige en rapportent des exemples. Chez beaucoup d'indi-

vidus on observe une antipathie marquée pour certaines odeurs : comme

la rose, le jasmin, le lis. :

Il est vrai de dire que les Pétophiles, s'ils ne sentent plus les odeurs

agréables, ont au moins l'avantage de ne pas non plus percevoir les

mauvaises.

Les effets de la poudre sternutatoire sur la voix ne sont pas moins dé-

sastreux. La voix n'est pas claire, ni agréable aux oreilles, si le nez est

obstrué. Tout le monde connaît des exemples de ce que l'on appelle « par-

ler du nez ». Cohausen se moque des personnes qui s'exposent à de tels

ridicules par une passion si funeste.

Il cite une lettre de Lipsius à un de ses amis dans laquelle il lui dit

que, de passage en Westphatie, il coucha dans un hôtel où il lui sembla

être de compagnie avec des chevaux, des veaux, des poussins, des poules,

des porcs, tellement ses compagnons de sommeil faisaient un bruit varié

avec leurs nez. J'aimerais mieux, s'écrie notre auteur, coucher avec une

brute qu'avec un individu ronflant de cette façon.

Heureusement pour les priseurs, le nez subit des changements dans sa

constitution.

L'éternuement continuel aurait eu effet pour eux les plus funestes

effets, ruinerait leur cerveau et leurs poumons. Tout cela est évité par la

perte heureuse en ce cas de la sensibilité de la muqueuse.

Mais chose plus grave, ou a vu des Pétophiles perdre la vue. Hildau,

Rolfia, Plater en citent des exemples el l'attribuent à la goutte sereine.

0 terrible maladie, bien à tort nommée sereine ! Bartltolin, Isttmuller

témoignent de ces funestes effets du tabac, et Cohausen nous en rapporte

un cas qui lui est personnel.

Il y a quelques années, dit-il, un ecclésiastique vint me consulter : il

avait les yeux injectés de sang, larmoyants, et craignait de perdre la vue.

J'ignorais ses moeurs et sa manière de vivre, mais je soupçonnais qu'il

était grand amateur de vin et de tabac. Il l'avoua d'ailleurs très volon-

tiers. Je l'avertis de cesser ces mauvaises habitudes, sous peine de perdre

la vue.

Ami, lui dis-je, car il était lettré, as-tu lu Martial ? Oui. Eh bien

ceci peut te rendre prudent.

(t) De pelum, tabac, '1"),0; ami.

LA CROISADE DE J. H. COHAUSKN CONTRE LE TABAC 459

Potor nobilis, aule, lumine uno

Luscus, Phryx erat, alteroque lippus, ,

Huic dicit medicus, bibas caveto

Vinum, si biberis, niliil videbis,

(Martial, Epigr. Livre VI, Ep. 78.)

Je souhaite que ce ne soit pas un présage pour toi. Je t'avertis toutefois

de t'abstenir du tabac. Je ne connais pas d'autre remède pour les yeux

qu'une sage modération. Mais l'autorité du poète paraissant ne pas le sa-

tisfaire je lui citai ces paroles de Magnen :

Dans les affections des yeux, il faut éviter le tabac, car il excite les

fluxions, en conduisant les humeurs à la partie malade.

Mais lui : maître, il m'est impossible de m'en abstenir, quand je devrais

me voir précipiter dans l'enfer. Je restai stupéfait devant une telle parole

tombée de la bouche d'un prêtre. 0 nécessité lamentable d'une funeste

habitude ! 0 honteux esclavage ! Je renvoyai mon homme sans traitement,

il était indigne des bienfaits d'Esculape, puisqu'il méprisait mes conseils

salutaires.

Je consignai ce fait, dit Cohausen, dans mon carnet de notes et pour ne

pas la laisser perdre, j'en fis de suite le sujet d'une épigramme.

Voici cette épigramme que nous donnons comme un exemple de la poé-

sie latine de notre auteur.

Faucibus ignivomis Acheronta videre reclnsum

Res bomini visu nonne tremenda foret ?

Et temere malesanus ais, tibi si detur illud

Cernere, non tabaco ponere posse modum ?

. 0 vapor, o ignis, quem styx éructât averna

Es férus ! Est tabaci soevioi, ille vapor

Nicotiana tuos si tollere nescit abusus

Ipse Acheron, (piaula est carnificina tua.

Chez cet homme, l'abus du tabac avait pris une telle extension qu'il

ne pouvait compter le nombre de ses prises. De même que les breuvages

augmentent la soif des malades, de même chez lui, l'habitude journalière

augmentait les besoins de son nez toujours à jeun. Cette plante l'avait

rendu cruel, féroce pour lui-même, puisqu'il aimait mieux perdre la vue

que de sacrifier sa funeste habitude.

L'ouïe est influencée d'une façon désastreuse par le labac. Wag/ler rap-

porte dans les éphémérides médico-physiques d'Allemagne (déc. 2, ann. 9,

obs. 26) un cas de surdité dû à l'abus de la fameuse poudre. Il l'explique

ainsi. Les éternuements fréquents et continuels n'ébranlent pas seulement

le diaphragme et les muscles du thorax, mais aussi le nerf acoustique. Le \

tympan devient flasque se dilate et l'ouïe est en partie détruite.

460 A. BEAUVOIS

Cohausen cependant ne blâme pas absolument l'emploi des ptarmiques

pour chasser par les trompes d'Eustache la lymphe catarrhale qui stagne

dans les oreilles, il repousse cependant ces ébranlements trop fréquents

de la tête.

Les effets du tabac sur le cerveau ont été célébrés sur tous les tons, et

cependant rien de plus nuisible pour cet organe. Les exemples de l'al-

tération de l'encéphale par l'abus du tabac ne sont pas rares. Certains in-

dividus succombent à l'apoplexie, d'autres tombent dans la stupeur et

sont privés de sens et de mouvement. Mais, s'écrie notre auteur, qui pour-

rait toucher les tabacophiles, ils sont tous malades du cerveau. Inutile de

chercher à les guérir.

Tous les organes sont empoisonnés par la funeste plante : la poitrine,

le larynx, le poumon sont touchés à leur tour. Les tabacs les plus fins*

sont les plus pernicieux; le tabac d'Espagne entre autres pénètre jus-

qu'au larynx et arrive jusqu'à l'endroit où siège l'Archée (1) et le cor-

rompt. Les troubles qu'on peut observer sont les suivants : d'abord un

coryza tenace, puis une tendance aux hémoptysies et à la phtisie, Cohau-

sen dit en avoir relaté un cas dans son Neo Thea.

Les anatomistes ont pu se rendre compte des ravages que le tabac pro-

duit dans les poumons. Les Acta EI'l¿dito1'l¿m de Leipzig (1715) renfer-

ment un cas curieux de polype de l'oesophage dû à l'abus de la poudre

sternutatoire, et dont notre auteur nous donne l'analyse.

Le malade âgé de 93 ans était grand amateur de tabac ; il sentit un

jour de la difficulté dans la déglutition. Il consulta plusieurs médecins,

essaya plusieurs traitements, mais ce fut en vain. Le mal fit de rapides

progrès et bientôt toute déglutition de liquide ou de solide devint impos-

sible. La cause du mal était la pénétration dans la gorge et t'arrière-gorge

de la poudre de tabac. Les médecins portèrent les diagnostics les plus bi-

zarres et le malade abandonné par eux tomba dans un épuisement com-

plet et mourut. Le cadavre fut ouvert et montra la cause du mal : l'oeso-

phage était rétréci dans sa partie supérieure, au point d'admettre seule-

ment le passage d'un pois. L'incision montra de plus qu'il portait vers

le milieu de sa longueur une excroissance charnue, attachée à la paroi

postérieure, s'étendant sur une longueur de six doigts en travers, et re-

présentant un gros lombric en épaisseur. La substance de ce polype était

molle et rouge. Elle empêchait la déglutition et avait été produite par

une irritation locale due à l'arrivée en ce point de la poudre du tabac d'Es-

pagne.

Eh bien, tabacophiles s'écrie Cohausen, ouvrez maintenant vos taba-

(1) L'archée siégeait dans l'estomac d'après Van Ilelmont (Voir sur cette théorie

notre travail sur J. H. Cohausen).

LA CROISADE DE J. II. COHAUSEN CONTRE LE TABAC lu61

hères et cherchez-y le remède de longue vie. Chantez avec le Hollandais

Gramazius :

Vous médecins, c'e3t moi qui vous l'assure, '

Toute votre éloquence ne peut rien,

Laissez agir la Nature.

Si les malades, qui prennent du tabac,

N'ont pas encore le fond malsain,

Ils guériront sans médecins.

Si j'ay le coeur mauvais ou la tête,

' Vous y perdrez votre latin,

Le tabac est seul mon médecin.

Toutes vos recettes sont imposture, ' .

On ne peut forcer mon destin :

Je laisse agir ma nature.

Voici comment appréciait encore la médecine et les médecins un poète

enthousiasmé de la lecture des oeuvres de Cornelius Hontekoë.

Fi des drogues de médecine !

Prenez-les dans la cuisine,

Ajoutez après repas,

L'agréable tabac ;

' Vous serez toujours bien sain,

Et guérirez sans médecins.

Prenez la poudre délectable '

' Vous serez Ilien ay, à table.. .

Cohausen consacre ensuite tout un chapitre à la réfutation des paroles

que prononce Sganarelle dans la 'Ire scène de l'acte 1er du ])on Juan de

Molière (1(i(iai).

Cet auteur dramatique remarquable, dit le médecin allemand, met en

scène un personnage, le nez rempli de poudre, les doigts encore dans sa

tabatière et proclamant avec enthousiasme les bienfaits du tahac.

« Quoi que puisse dire Aristote et toute la philosophie, il n'est rien

d'égal au tahac : c'est la passion des honnêtes gens. El qui Nit sans tahac,

n'est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et. purge les cerveaux

humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, el les apprend à de-

meurer honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu'on en prend, de

quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est

ravi d'en donner à droite et à gauche, partout où l'on se trouve ? On

n'attend même pas qu'on en demande, et l'on court au devant du souhait

des gens, tant il est vrai que le labac inspire des sentiments d'honneur el

de vertu à tous ceux qui en prennent. » ,-

Voilà donc le remède universel, s'écrie Cohausen ! Silence à Aristole

XIH 30

462 A. BEAUVOIS

et à la philosophie. Un comédien a plus d'autorité pour persuader, qu'un

homme prudent. Quel mortel voudra maintenant se passer de tabac ? qui i

n'essaiera pas d'éclaircir et de purger son cerveau ? A la veille de mourir,

les malades en voudront encore. N'a-t-on pas vu un moribond il est

vrai qu'il élait gascon répondre il son médecin qui le dissuadait de pren-

dre du tabac : '

« Va-t-en au diable,

Puisque dans cette maladie, lu m'es insecourahle. ,

Tu me mèneras au trépas,

C'est un supplice insupportable,

De vivre et de ne prendre tabac. »

Mais pour en revenir à Molière, si le tabac rend vertueux, pourquoi

les religieux et les ecclésiastiques le repoussent-ils ?

Au contraire, les débauchés de nos jours, chez* qui certes on ne trouve

ni pensée ni sentiments de vertu et d'honnêteté, font vanité de fumer ou

de priser le tabac. Mais un comédien est rarement un maître de vertu.

Dans les quatre derniers chapitres qu'il nous reste à parcourir mainte-

nant, Cohausen interdit le tabac, aux jeunes gens, aux vieillards et aux

femmes.

Les jeunes gens imitent volontiers les adultes, le père prend du tabac,

pourquoi le fils n'en prendrait-il pas La mère porte une tabatière, pour-

quoi pas la fille ?

Aujourd'hui, c'est la mode parmi la jeunesse, mode assurément peu

louable, d'avoir une tabatière. A peine ont-ils goûté l'herbe de Nicol, à

peine ont-ils lancé leur premier jet de salive qu'ils ne cessent plus un seul

instant. Ne dit-on pas que Xerxès, après avoir goûté les ligues attiques,

jura par sa barbe de s'emparer du pays qui les produisait. Le tabac a de

semblables effets, il devient pour le malheureux une idée fixe et un désir il

insatiable.

Il détourne les jeunes gens des études et de la sagesse, et les conduit à

la folie. La tabacomanie est d'ordinaire incurable.

S'adressant aux vieillards, Cohausen leur prodigue ses conseils. Mais

hélas, dit-il, il quoi bon la plupart d'entre eux sont sourds. Il essaiera

cependant de les guérir.

Aucun symptôme n'est plus redoutable pour un vieillard que la para-

lysie. Eh hien, le tabac produit souvent cet effet. J. Z. Furslius, médecin

de l'évêque Munster l'un des amis de Cohausen, rapporte l'exemple d'un

tabacophile qui fui atteint de paralysie du côlé droit à la suite de l'abus

de la poudre sternutatoire.

Les symptômes qu'on observe chez les vieillards sont les suivants : trou-

bles de la mémoire,sécheresse du cerveau, aboli lion de la vue,de l'ouïe. etc.

. LA CROISADE DE J. H. COHAUSEN CONTRE LE TABAC 463

Magnen blâme éncrgiquement l'abus de celle plante qui apporte. plus

d'incommodité- que de plaisir et décrit ainsi les symptômes :

1° Abolition de l'odorat ; .

2° Perte de la mémoire ;

3° Les malades essaient toutes sortes de médicaments, ce qui est aussi

une maladie d'après Celse;

4° Sécheresse continuelle du cerveau ;

5° Cette sécheresse, tout à fait pernicieuse, avance la mort des vieil-

lards ;

6° Ils sont exposés aux fièvres, aux délires ;

7° Troubles de la vue, visions étranges ;

8° Dureté de l'ouïe, bourdonnements d'oreille.

Cependant, dit Cohausen, je ne suis pas ennemi du tabac au point de

cacher la vérité. '

Le médecin doit distinguer l'état de l'organisme.

Les vieillards, dont le sang trop épais reste stagnant et dont les extré-

mités sont froides, pourront se servir du tabac, mais avec prudence.

Mais nous voici aux femmes.

A tous les dieux et déesses que l'antiquité nous a légués, dit Cohausen,

le monde moderne a ajouté une divinité inconnue jusqu'ici : la Galanterie.

Cette déesse est hermaphrodite, elle est orgueilleuse, superbe et revê-

tue d'habits variés et teints de couleurs diverses. Errante, vagabonte, elle

habite surtout les palais et les demeures des grands. Elle traîne il sa suite,

uil équipage superbe et une nombreuse cohorte d'hommes. A ses côtés

se tient un bouffon portant des flûtes, des boites, des capsules et dont la

main droite brandit une tabatière dans laquelle ses doigts plongent sans

cesse. Ses courtisans partagent ses vices.

Leurs narines sont béantes, leurs lèvres salies d'une poussière jaune

qui tombe sur leurs barbes. Telle est la Galanterie.

C'est elle qui règle les coutumes et les usages et voici ce qu'elle dit aux

femmes de notre temps, .

« De prendre du tabac, ce n'est qu'une bagatelle,

Vous filles prenez aussi, c'est la mode nouvelle

Prenez-le par la bouche, prenez-le par le nez,

Vous êtes de fort bon goût, vous êtes bien avisées. »

C'est la mode ! Donc, femmes et filles prenez la précieuse poudre. El-

les sont légion celles qui peuvent dire de nos jours :

« Je danse, je chante, je bois le petit coup, je prens du tabac, et si

j'avais un mari, qui me fournissait de l'argent et du plaisir autant que

j'en voudrais, je ne m'inquiéterais jamais de rien. » Quel monstre qu'une .

pareille femme, s'écrie notre auteur ! Comment l'esprit peut-il être stable

4M A. BEAUVOIS

et chaste là où il n'est question que « de Galanterie, grande mode, taba-

tière, lasses à café, visites, promenades, bals, rendez-vous et galalls. »

« La débauche des Dames de qualités, ajoute-t-il, est pire que celles des

autres. »

' Une femme qui fume ainsi contre toute nécessité, qui remplit son nez

de tabac perd ses lettres de recommandation : la beauté et la prudence.

Voici ce qu'en dit Pétrone : « Vous pucelles, la beauté est unepuissante

mètre de recommandation, et aussi la prudence. Vous en perdez l'une ou

l'autre en fumant, en prenant du tabac au nez. Si vous êtes sages, gardez

vos5tres. »

Les femmes dépensent une quantité considérable de tabac. Chacune

d'elles a son élégante tabatière où elle prise continuellement et c1u'elle fo-

fre galamment aux jeunes gens et aux jeunes filles.

La Lesbia de Catulle pleurant son passereau n'a pas poussé de plus la-

mentables soupirs que Vanella à la recherche de sa tabatière. « 0 mes

amis, rendez-moi ma boîte, ma compagne, ma sauvegarde, mon coeur, mon

parfum, rendez-la moi, si vous l'avez cachée. Rendez-moi l'occupation de

mes doigts, les délices de mon nez, le soulagement de ma tête. »

Quels gémissements, quels soupirs, quelles plaintes. Les serviteurs en

éclataient de rire. Scherzius. pour la calmer, la lui restitue et elle le re-

merciait comme s'il lui avait rapporté un trésor. 0 femme insensée !

Et Cohausen fait dialoguer ici en français deux amies dont l'avis est

différent sur le tabac à priser. On trouvera ce morceau dans notre travail

sur cet auteur (Voir notes et éclaircissements. Un patricien allemand au

18e siècle.)

Aleida qui porte la tabatière dit eu matière de conclusion :

Dans le siècle où nous sommes

Le nez aussi a son plaisir.

Cette poudre plait aux plus grands hommes

Et c'est aussi mon grand désir.

. Si bien aux femmes que filles elle plaît fort,

Je meure si je ne suis de leur accord.

Et notre auteur.se lamente sur cette mode funeste qui enlève aux fem-

mes toutes leurs grâces. Il les conjure d'abandonner cette affreuse poudre

qui ne peut être pour elles qu'une source de maux.

Il se félicite cependant que la mode de fumer n'ait pas encore pénétré

dans son pays. ,

Bontekoe et Beintemia de Panne ont écrit le panégyrique de l'amateur

de tabac. Rien d'étonnant à cela,ils étaient des fumeurs acharnés. Ce n'est

pas en vain qu'un poète français a dit :

LA CROISADE DE J. Il. COUAUSEN CONTRE LE TABAC 465

Des hommes d'aujourd'hui

Le tabac est bien reçu

Ils aiment fort la fumée

Et c'est aussi la vérité,

Que se conforment à l'usage

Des femmes de ce pals-ci

Si bien dans les villes que villages

Elles aiment le tabac aussi.

Cette funeste passion a gagné toutes les classes; les paysans, les cita -

dins, les jeunes filles, les vieilles femmes, tous fument.

N'est-ce pas une femme d'ailleurs qui a donné son nom à l'herbe de

Nicot, qu'on appelle aussi souvent Herbe de la Reine mère en l'honneur

de Catherine de Médicis,

Cohausen s'élève avec chaleur contre une passion aussi détestable. Il

montre aux femmes que le tabac qu'on peut à peine pardonner aux hom-

mes doit être banni de leur vie. Il empeste leur chambre, fait noircir leurs

dents, et communique à leur baleine une odeur détestable.

De quels charmes se prive une femme qui ne craint pas de fumer ?

Que les femmes qui veulent rester belles et dignes du renom de leur

sexe s'abstiennent d'une telle peste !

Qu'elles laissent le tabac aux vieilles femmes bavardes et aux commè-

res.

Plaisir d'ailleurs bien éphémère, aussi rapide que la fumée qui s'échappe

des lèvres du tabacophile, image de la vie selon les vers du poète :

Doux charme de ma solitude

Charmante pipe, ardent fourneau,

Qui purge d'humeurs mon cerveau,

Et mon esprit d'inquiétude,

Tabac, dont mon âme est ravy,

Lorsque je te vois perdre en l'air,

Aussi promptement qu'un éclair,

Je vois l'usage de ma vie

Je remets dans mon souvenir,

Ce qu'un jour je dois devenir, '

N'étant qu'une cendre animée

Et tout confus je m'aperçois

Que je ne passe aussi vite que toi (1).

Le livre se termine sur cette conclusion. Nous nous sommes efforcé de

condenser le plus possible la matière de l'ouvrage pour la présenter au lec-

(1) Cette poésie est attribuée à Lombard, ministre protestant français qui vivait au

XVII" siècle à Middelbourg.

4ss A. BEAUVOIS

teur. La lecture du Pica Nasi est agréable et les nombreuses anecdotes dont

il est rempli en agrémentent heureusement le ton un peu lourd. Le livre

fut d'ailleurs accueilli avec faveur par les lettrés, et les amis de l'auteur

ne lui ménagèrent pas leurs éloges.

Les priseurs furent certainement moins enthousiastes, les femmes sur-

tout publiquement l'aillées durent fairent sentir leur colère à J. II. Cohau-

sen. Quelques tabacophiles cependant se contentèrent de rire. Le livre se

répandit rapidement en lVestphalie, en Hollande et en Allemagne, et en

1720 paraissait à Leipzig la traduction allemande faite par un professeur

de /'Université de cette ville.

Le Raptus ecstaticus (I), publié à Amsterdam en 1726, reprend la

même thèse sous une forme plus satirique et plus mordante.

L'auteur a résumé dans un argument le sujet de son livre.

Il raconte un rêve pendant lequel il est transporté sur le mont Par-

nasse.

Apollon et les Muses s'apprêtaient à célébrer une fêle quand une grande

clameur s'éleva jusqu'aux portes de l'Olympe.

Mercure est envoyé et il raconte bientôt à Apollon qu'une troupe

d'hommes et de femmes munis de tabatières sont là qui demandent jus-

tice. Ils se plaignent d'une dissertation satirique composée par un méde-

cin allemand qui a osé tourner leur nez en ridicule, et se moquer des

femmes et des jeunes filles. Son livre perfide est répandu par toute la

Hollande, il a même pénétré en Angleterre et en France. Ils demandent

que le livre soit supprimé, que son auteur soit puni, et que le libraire

lui-même reçoive un juste châtiment.

Les femmes plus excitées encore, veulent faire un bûcher des exem-

plaires de l'ouvrage et y mettre le feu.

Mercure les a calmés cependant et il leur communique bientôt la vo-

lonté d'Apollon. Deux satyres qui l'accompagnent vont couper les nez des \,

plaignants; ils seront examinés par un tribunal spécialement institué. On

verra bien alors si l'auteur du Pica Nasi a eu raison de se moquer de leur

nez, et s'ils sont dans l'état qu'il a décrit.

La foule se soumet à cette épreuve, mais l'issue ne lui est pas favorable.

Ce n'est dans le Parnasse qu'un cri d'horreur à la vue de l'intérieur de

ces nez noirs et puants. Les satyres réunissent tous ces organes, et sur

l'ordre d'Apollon les remettent aux priseurs qui doivent au plus vite re-

gagner leurs demeures dans l'attente d'un sévère châtiment. Les malheu-

(1) Raptus ecstaticus in montem Parnassum in eoque visus satyrorum lusus cum

nasis tabacoprophoris sive Satyricon novum physico-medico morale in modernum ta-

baci sternutatorii abusum. Autore Joanne IIenrico Cohausen Hildesio-Saxone. Ams-

telodami apud Guilelmum Barentse 1726, in-12, 130 pages.

LA CROISADE DE J. R. COHAUSEN CONTRE LE TABAC 467

reux se précipitent sur le monceau de nez et choisissent au hasard ce qu'ils

croient leur appartenir.

De retour dans leurs demeures, ils ne sont plus reconnus par leurs fa-

milles, et des querelles, des disputes sans fin s'élèvent de toutes parts.

Les médecins sont consultés, les empiriques, les magiciens, les sorciè-

res, mais personne ne peut rendre à leurs organes leur ancienne forme.

Heureusement, pour les infortunés priseurs, l'auteur du Pica Nasi, Co-

hausen lui-même leur indique les moyens de remédier à leur infirmité,

et les renvoie consolés. C'est au Parnasse, à l'Hélicon qu'ils retrouveront

leurs nez.

Tel est l'argument du livre tel qu'il nous est donné par l'auteur.

La lecture du volume n'est pas sans agrément, tant par l'érudition qui

se rencontre à chaque page, que par la verve satirique qui s'y- révèle.

J. II. Cohausen interpelle ainsi la tabatière source de tous les maux

dont se plaignent les priseurs :

Tabatière, cloaque d'immondices !

Vaisseau détestable et puant !

Dont toutes les sortes des gens,

Font aujourd'hui les délices.

Je voudrais par cent traits divers

Te tympaniser dans mes vers

On ne hume de toi, que poussière,

Que chacun veut avoir sous le nez,

Chassez loing la tabatière,

Pour n'être pas empoisonné.

Nous avons étudié dans notre thèse inaugurale la façon* de composi-

tion de notre auteur. Nous avons dit que, très versé dans les lettres grec-

ques et latines, Cohausen imite à chaque pas les auteurs anciens. Il sait t

à merveille se servir de leurs descriptions, et fort à propos intercale

leurs vers dans sa prose. C'est ainsi que pour décrire le bruit que font à

la porte de l'Olympe les priseurs assemblés, il dit avec Virgile (Enéide,

livre ICI).

Ac veluti magno in populo cum sajpe coorta est

Seditio soevitque animis ignobile vulgus,

Jamque faces et saxa volant, furor arma ministrat.

Plus loin, c'est Juvenal ou Perse qu'il met à contribution; el souvent

aussi sa muse, inspirée par le sujet s'épanche en vers latins ou fran-

çais.

Voici le chant des satyres qui viennent dans l'Olympe en dansant,

après avoir accompli leur mission et coupé les nez des priseurs. `

cils A. BEAUVOIS

Nasi, nasi, nasi,

Nasi magni, brèves, longi,

Simi, alti et diphtollgi,

Varii, omnigeni,

Nasi, nasi, nasi,

Mais la partie du livre la plus humoristique, celle où Cohausen raille

avec le plus de verve les priseurs. est la scène de l'examen des nez.

Trois juges ont été choisis par Apollon qui préside les débats : Rhino-

cnitus le jurisconsulte, Dietetus le médecin et Peticastes le poète ; enfin

le bouffon du Dieu Morosophus pourra donner libre cours à ses facéties.

C'est alors, tirés du panier par les satyres, une revue des différentes

sortes de nez : celui-là, de grosseur étonnante et d'une magnifique couleur

rouge, celui-ci bourgeonnant et variqueux, ce troisième fétide et purulent.

Le médecin pose son diagnostic : le premier appartient à un individu de.

tempérament bilieux, le second à un sanguin ami de la bouteille. Mais

chez tous l'ouverture du nez montre lacauseprincipale du mal : il s'échappe

des cavités mises à découvert une poussière noire et fétide, et la muqueuse

apparaît horrible d'aspect. et encroûtée de tabac. Apollon suscite les ex-

plications du médecin. Du nez entr'ouvert d'une vieille femme s'est

échappé un ascaride vivant, et Dietetus disserte assez longtemps sur les

vers de l'intestin et sur les vers des fosses nasales. Le jurisconsulte pose

pour chaque cas ses conclusions sur les propriétaires des organes exami-

nés. Le sanguin est porté à la chicane, le buveur aux actes violents. Le

poète elle bouffon, criblent enfin de leurs railleries les sujets mis en

cause, à la grande joie des assistants.

Le bouffon* s'efforce ainsi de traduire sa colère en français.

Un nez, le fléau de tous les nez,

Ecrasé, creusé à la racine

Par une camarde narine

Souffle un parfum d'oeufs surannés.

Nous terminons ici ces citations et cette revue de ce livre curieux.

Nous ajouterons seulement ces quelques réflexions. Qu'on se reporte au

temps où vivait l'auteur, qu'on se place dans son milieu (Cohausen était

alors médecin du prince évoque de Munster, et habitait encore la ville de

Munster), cette satire sur les nez de ses contemporains devait avoir une

bien autre portée et une autre influence. Tel seigneur au nez bour-

geonnant pouvait prendre pour lui les railleries du fou d'Apollon ou

les sévères avertissements du médecin du Parnasse. Telle dame de la

cour, à la tabatière toujours sollicitée, pouvait s'attribuer une partie des

critiques adressées par l'auteur à une certaine espèce de nez. C'est ainsi

LA CROISADE DE J. Il, COHAUSEN CONTRE LE TABAC 469

que le livre de .1. H. Cohausen, maintenant oeuvre morte, mais il ce mo-

ment en pleine actualité, a dû jouer un rôle dans la société "eslphalienne

du commencement du XV111" siècle.

Cohausen ne nous dit-il pas lui-même dans son Raptus L'cslccticccs que

sa dissertation sur le PicoNasi avait soulevé contre lui beaucoup de colè-

res et que les femmes en particulier ne le ménageaient guère.

Sans doute on pourra douter de sa parole,mais l'argument serait insuf-

fisant, et tout nous porte à penser au contraire que les railleries dont il

poursuivit les amateurs de la tabatière durent soulever bien des haines

contre lui.

Corrigea-t-il ses contemporains ? La chose est peu probable; en tout

cas, sa tentative méritait d'être signalée. Notre but était de la faire con-

naître; ceux qui prisent et qui fument continueront à le faire, souvent

sans grand dommage immédiat; les adversaires du tabac auront peut-être

quelque plaisir à connaître les oeuvres d'un médecin qui ne craignit pas

de s'élever avec force contre un vice si général il son époque.

11COYOGBAPIIIT,, ? CO-A7 ? 777V()M'

QUELQUES MASCARONS

DE LA

CATHÉDRALE DE REIMS

Il n'est pas rare de retrouver dans les images

caricaturales des déformations du facies ou de

1'lial)itti, humain que la maladie réalise sur le

vivant. Plus d'un artiste sou puiser ainsi dans

la nature une formule hideuse ou comique qu'il

lui a suffi de reproduire pour obtenir l'effet dé-

siré.

En examinant dernièrement la série des mas-

carons grotesques de la cathédrale de lieims, j'ai

noté plusieurs types qui peuvent avoir été inspi-

rés par des difformités pathologiques.

Les figures 1, 2 et 3, remarquables par l'exa-

gération inusitée de la. mâchoire inférieure, la

saillie des pommelles et des arcades sourcilières,

évoquent immédiatement le souvenir des défor-

mations faciales de l' aC/'01/té,qalie, On en connaît

.plus d'une vivante réplique parmi les sujets qui

sont atteints de la maladie de P. Marie.

La ligure est moins caractéristique : ses gros-

ses lèvres et son nez épaté rappellent davantage

le type nègre.

La ligure ü, intéressante par sa langue tirée

de travers, est à rapprocher des mascarons dé-

crits par Charcot et Paul Richer. Il en est de

même de la figure tri, remarquable en outre par

le strabisme divergent de ses yeux.

Henry Meige.

Le gérant : P. Bouchez.

hup, J. Thovenet. Saint-Uizior (.Haute-Marne). ~~

Fig 1.

- 2.

1-\; 3.

Fi{\'. 4.

Fig. 5.

Fig. G.

13e Année N° 5. Septembre-Octobre

FACULTÉ DE MÉDECINE DE BUDAPEST

(CLINIQUE DE M. LE PROFESSEUR LAUFENAUER)

UN CAS

DE

PARALYSIE BULBAIRE SUPÉRIEURE CHRONO

Par R

Charles HUDOVERNIG,

Assistant à la clinique des maladies du système nerveux

de Budapest.

J'ai eu l'occasion d'observer dans le service de M. le professeur Laüfe-

naûer une malade atteinte de paralysie bulbaire supérieure chronique

sans complication avec d'autres maladies ; son développement extraordi-

nairement lent et l'apparition unilatérale des symptômes peuvent en jus-

tifier la publication. On trouve bien souvent des cas de cette maladie dans

la littérature médicale, mais je n'ai pas trouvé de cas semblable, ni avec

cette persistance prolongée, et malgré sa longue durée sans complica-

tion, - ni avec l'apparition unilatérale des paralysies.

Observation.

Esther S..., âgée de dix-sept ans, servante, avait toujours été bien por-

tante jusqu'au début de la maladie actuelle. Dans son passé rien d'extraordi-

naire, ni syphilis, ni alcoolisme, en un mot aucune maladie. Ses parents

vivent encore; ils souffrent parfois- de douleurs rhumatismales; la mère n'a

jamais fait de fausse couche, ses accouchements ont toujours été réguliers. En-

fin dans la famille aucune maladie nerveuse, ni tuberculose.

A l'âge de onze ans, la malade, qui s'était toujours bien portée jusqu'à ce

moment, remarqua la déviation de son oeil gauche qui se développait lente-

ment, le globe gauche tourna peu à peu vers la gauche, puis il perdit insen-

siblement la faculté de retourner à droite. En même temps la paupière gauche

tomba graduellement, il lui devint de plus en plus difficile d'ouvrir l'oeil

gauche. Depuis deux ans cet oeil est complètement fermé et le globe est

xiii 31

474 HUDOVERNIG

tourné au dehors ; actuellement, elle peut encore ouvrir l'oeil malade, mais

avec de grands efforts et cet oeil se ferme bientôt malgré elle ; il lui est im-

possible de retenir la paupière levée. Et môme, ce faible mouvement, elle ne

le fait qu'en serrant fortement les dents. Elle ne peut qu'à grand'peine tour-

ner à droite le bulbe dévié au dehors. C'est l'état de cet oeil qui a amené la

malade à la clinique ; du reste elle jouit d'une santé excellente ; elle ne pro-

fère aucune plainte, sa force musculaire n'a pas diminué, elle fait facilement

tous les travaux, sa voix n'a pas changé, elle n'éprouve aucune difficulté ni

en parlant, ni en mangeant ni même en buvant ; elle ne ressent de douleurs

dans aucune partie du corps, pas même des maux de tète. La parésie du nerf

facial gauche que nous allons décrire tout à l'heure, n'a pas encore été re-

marquée par la malade ; ainsi il est impossible de préciser la date du commen-

cement de cette affection. -

Etat de la malade au 14 juin 1900. - Fille bien développée, robuste, ne

montrant* point 'de signes de dégénérescence. On remarque immédiatement le

ptosis de la paupière gauche supérieure, dont la chute est presque totale : entre

les deux paupières, il n'y a qu'une fente de deux millimètres ; la peau de la

paupière est un peu creusée par des ridps. On peut facilement élever la pau-

pière malade ; on n'éprouve aucune résistance en exécutant ce mouvement.

La malade peut encore ouvrir l'oeil gauche, mais pas autant que l'oeil droit;

pendant ce mouvement, il y a dans la paupière quelques secousses fibrillai-

res, et l'on remarque un effort auxiliaire bien extraordinaire ; pour pouvoir

élever la paupière baissée, la malade, au lieu de contracter le muscle frontal,

mouvement qu'elle ne peut pas exécuter à cause de la parésie du nerf facial,

serre fortement les dents; sans ce mouvement elle est absolument incapa-

ble d'ouvrir l'oeil gauche. Ayant fait ce mouvement, la paupière ne reste éle-

vée qu'un instant;' peu peu elle tombe, la chute se fait graduellement, et

malgré tpus les efforts de la malade la paupière arrive bientôt il sa situation

régulière (Pl. LXX).

Pas de troubles dans les mouvements de l'oeil droit ; à gauche, ce sont seule-

ment les mouvements produits par les muscles droit externe et grand oblique

qui sont conservés. Le bulbe oculaire gauche est tourné en dehors par la con-

traction du muscle droit externe, et la malade ne le peut pas tourner en

dedans. Tous les autres muscles de l'oeil, innervés par le moteur oculaire com-

mun gauche; sont paralysés.

Les réflexes de la pupille droite sont normaux. La pupille gauche est d'un

diamètre de cinq millimètres, elle ne réagit ni il la lumière ni à l'accommodation.

La lumière jetée sur l'oeil gauche n'y produit aucune réaction, mais elle produit

la contraction consensuelle de la pupille droite. En. excitant la peau dans

la nuque avec le courant faradique, on voit la réaction de la pupille droite,

pendant que la gauche reste immobile.

De l'examen des yeux, pratiqué par M. le Dr de Blaskovich il résulte, outre

la description déjà donnée, les faits suivants : L'acuité visuelle est toute nor-

male dans l'oeil droit, mais très faible dans l'oeil gauche (II. 7. V. 5/30). Pas

de modification du champ visuel ni de dyscliromatopsie. Pas de lésion du fond

Nouv. Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE

T. XIII. Pl. LXX

PARALYSIE BULBAIRE SUPÉRIEURE CHRONIQUE

(Ch, Hlldmlel'111g)

PARALYSIE BULBAIRE SUPÉRIEURE CHRONIQUE 475

de l'oeil droit ; la pupille gauche est un peu ovale, mais du reste tout à fait nor-

male. Diagnostic : Ptosis incomplet gauche, paralysie complète de toutes les

autres branches du nerf moteur oculaire commun ; amblyopie congénitale de

l'oeil gauche.

Outre la paralysie de la troisième paire gauche, il y a encore une parésie

nette et distincte de la septième paire gauche ; tous les mouvements des mus-

cles, innervés par le nerf facial gauche sont très affaiblis ou même nuls. Pas

d'atrophie dans ces muscles, ni de secousses fibrillaires.

L'examen électrique pratiqué à plusieurs reprises a montré la bonue conser-

vation des réactions électriques et l'absence de DR dans le domaine des nerfs

de la figure.

A part ces deux groupes de paralysies la malade ne présente ancun symptôme

maladif, ni dans le domaine des nerfs crâniens, ni dans celui des nerfs spinaux ;

la force musculaire et la sensibilité sont partout conservées, les réflexes sont

normaux, pas la moindre atrophie ; pas de troubles vésicaux. Tous les organes,

tous les viscères sont sains.

En résumé, il s'agit d'une jeune fille âgée de dix-sept ans, sans anté-

cédents héréditaires ou personnels ; elle jouissait de la meilleure santé

jusqu'au début de la maladie actuelle, qui date de six ans. Cette maladie

commença par une paralysie du moteur oculaire commun gauche, avec la

déviation du bulbe oculaire en dehors, un ptosis vint s'y joindre, puis

elle occupa graduellement toutes les branches de la troisième paire gau-

che ; la paralysie se développa très lentement, il a fallu quatre ans pour

arriver à l'état actuel. Au bout de six ans on constate une ophtalmoplégie

gauche totale. Outre la lésion de la troisième paire gauche il y a encore

une parésie du nerf facial gauche s'étendant sur tous les muscles innervés

par ce nerf. Cette parésie n'a pas encore été remarquée par la malade

elle-même, de sorte qu'il n'est pas possible de fixer la date à laquelle a

commencé cette lésion, mais comme la paralysie de la troisième paire

gauche s'est développée lentement et qu'après six ans de persistance elle a

atteint le degré de paralysie, nous inclinons à supposer que la parésie du

nerf facial est due à une lésion se développant aussi très lentement, et

que cette lésion a commencé à une date de beaucoup postérieure. Il n'y a

pas d'atrophie dans le domaine des nerfs atteints, pas de DR, et seule-

ment fort peu de secousses fibrillaires dans la paupière supérieure gauche

quand la malade la relève activement.

Tels sont les symptômes de la maladie actuelle; aucun trouble de la

part des autres nerfs crâniens, ni des nerfs spinaux. Cette fille n'a jamais

eu de maladie antérieure. Elle ne souffre pas de la tête. Elle n'a pas de

syphilis, et il n'y a jamais eu de tuberculose dans la famille. De quelle

476 IIUDOVERNIG

maladie peut donc être atteinte cette fille ? Où peut-on localiser le pro-

cessus produisant ces symptômes, et quelle est la nature anatomique de la

lésion ?

En ne regardant que l'ophthahlloplégie, on peut éliminer toute lésion

dans la cavité orbitaire; on trouve seulement la paralysie isolée du mo-

teur oculaire commun, cependant un processus dans l'orbite devrait

produire des lésions d'autres nerfs de l'oeil gauche. Parla même raison ce

n'est pas non plus un anévrysme de l'aorte dans le sinus caverneux gau-

che, puisqu'il n'y a aucun signe d'une lésion pareille.

Si l'on considère les deux lésions ensemble, nous pouvons éliminer tout

processus basal, quelle que soit du reste sa nature. L'absence de lésions des

autres nerfs crâniens après une durée de six ans et de caractère progres-

sif de la maladie, nous permet d'exclure ce diagnostic. Ce n'est pas non

plus un processus des os crâniens comprimant les nerfs ; une affection pa-

reille devrait produire plus de symptômes que la lésion isolée de deux

nerfs.

Ce n'est pas une affection périphérique des nerfs endommagés. L'absence

de DR dans les nerfs et les muscles, puis l'absence d'atrophies, enfin

l'apparition des symptômes nous permettent d'éliminer ce diagnostic.

Ce ne peut être non plus une affection radiculaire, puisqu'il n'y a au-

cun symptôme de lésions qui puissent produire une affection pareille. Ce

n'est pas une paralysie corticale ou supranucléaire ; il y a des lésions bien

nettement isolées, mais aucun trouble des mouvements associés.

Il s'agit incontestablement chez notre malade d'une affection nucléaire :

quant à la lésion on doit éliminer une lésion et une tumeur comprimant

les noyaux des nerfs malades, parce que les autres symptômes de ces ma-

ladies manquent. C'est donc une affection isolée, autonome des noyaux.

Le fait que toutes les branches du moteur oculaire commun de gauche

sont atteints ne peut pas exclure la lésion nucléaire; si l'on n'acceplepas

l'opinion de Stona-Row que toute ophtalmoplégie totale est le résultat

d'une lésion nucléaire, on doit soutenir la possibilité que la lésion nu-

cléaire ne se manifeste pas exclusivement sous la forme d'une oplitalmo-

plégie externe, opinion que Brissaud, Rosenthal, Gowers, Ziehen parta-

gent également. t. '

Il s'agit donc chez notre malade d'une lésion isolée des noyaux de la

troisième et de la septième paires gauches, d'une paralysie bulbaire supé-

rieure chronique ou polioencéphalite supérieure chronique. Au fond ce

n'est pas une lésion très rare, mais il y a dans notre cas quelques traits qui

PARALYSIE BULBAIRE SUPÉRIEURE CHRONIQUE 477

lui donnent un intérêt spécial : ce sont l'apparition unilatérale des para-

lysies et la longue durée sans complication d'une autre maladie.

Quant l'apparition unilatérale, c'est peut-être le fait le plus remar-

quable dans notre cas. Nous n'avons jamais pu trouver dans la littérature

médicale un cas semblable, où les lésions restent pendant six ans restrein-

tes sur un seul côté ; il y a des cas avec la prédominance unilatérale des

paralysies ou parésies, mais dans tous ces cas, il y a au moins une affec-

tion légère d'un des nerfs crâniens du côté opposé ; ou sinon, ce sont des

cas de la paralysie bulbaire supérieure compliqués soit de la paralysie

bulbaire inférieure, soit d'atrophie musculaire, soit enfin d'ataxie locomo-

trice ou de paralysie générale, ou l'on trouve parfois ou même souvent des

lésions unilatérales des nerfs du bulbe supérieur, mais les symptômes de

la maladie compliquée (atrophies) se manifestent des deux côtés.

C'est encore la durée longue et non compliquée qui ajoute un intérêt

spécial à notre cas. La maladie débuta, il y a déjà six ans, par la paraly-

sie du moteur oculaire commun, se développa graduellement jusqu'au

degré de l'ophtalmoplégie totale ; or elle reste invariable depuis deux ans.

Pendant ces six ans, la maladie n'a fait, sauf la parésie du nerf facial gau-

che, aucun progrès. C'est pour une paralysie bulbaire supérieure incon-

testablement un développement fort lent. Si la paralysie bulbaire supé-

rieure n'est pas stationnaire, et dans notre cas elle ne l'est pas, la maladie

fait d'habitude des progrès beaucoup plus rapides et déjà au bout de quel-

ques mois, on trouve régulièrement une affection des autres nerfs du

bulbe, la paralysie bulbaire inférieure ou d'une atrophie musculaire, tan-

dis que dans le cas indiqué, tout le progrès de la maladie se manifeste

dans une parésie probablement récente du nerf facial. Comme c'est spé-

cialement le noyau du nerf facial qui est le point de jonction entre les pa-

ralysies bulbaires supérieures et inférieures, et comme notre cas a débuté

par une paralysie bulbaire supérieure restreinte sur la lésion du noyau de

la troisième paire gauche, à laquelle s'est joint plus tard une lésion du

noyau du nerf facial : nous inclinons à supposer qu'il s'agit chez notre

malade d'une paralysie bulbaire supérieure de caractère descendant, avec

un développement fort lent, et nous admettons la possibilité que si l'affec-

tion s'étend peut-être sur le bulbe inférieur, les lésions ne se manifeste-

ront plus unilatéralement.

LABORATOIRE DE LA CLINIQUE PSYCHIATRIQUE

DE L'UNIVERSITÉ DE MOSCOU.

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE

DE '

L'ANATOMIE PATHOLOGIQUE ET DE L'HISTOPATHOLOGIE

DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE

Par

SERGE SOUKHA.NOFF et F. GEIER,

Privat-docent à la Faculté de médecine Médecin de la clinique psychiatrique

de Moscou. de Moscou.

L'anatomie pathologique de la paralysie générale possède une littéra-

ture très nombreuse. L'apparition de nouvelles méthodes d'examen histo-

logique fait surgir dans cette question aussi toute une série de nouvelles

recherches. Nous aurions voulu dans le travail présent citer les résultats

de nos recherches personnelles concernant le système nerveux central de

deux malades qui ont souffert de paralysie générale.

Pour nos recherches nous nous sommes servis de la méthode de Busch,

préalablement pour la définition des fibres myéliniques en désagrégation.

La méthode de Busch poursuit le même but que la méthode de Marchi ;

pourtant le procédé de Busch a quelques avantages, à savoir : 1° le fond

général des préparations est bien plus clair, de telle sorte qu'on y voit les

blocs noirs bien plus distinctement et bien plus nettement ; 2° l'imbibi-

tion des préparations par l'acide osmique se fait ici bien plus vite.

Voici la méthodique du procédé de Busch dont nous nous sommes ser-

vis : les morceaux du système nerveux central étaient durcis dans la solu-

tion de formol (d'une concentration différente) ; ensuite légèrement lavés

dans de l'eau, ces morceaux étaient placés dans le mélange recommandé

par Busch, à savoir :

Acidi osmici......... 1,0

Natri jodici ......... 3,0

Aq. distillatae ........ 300,0

Les morceaux restaient dans ce mélange un temps »différent, vu leur

grandeur (de 4 à 14 jours). Après cela les préparations devaient être mi-

ANATOMIE PATHOLOGIQUE ET HISTOPATHOLOGIE DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE 479

nutieusement lavées dans l'eau et soumises ensuite aux procédés habituels

pour l'inclusion dans la celloïdine.

Outre la méthode de Busch nous avons employé pour la coloration des

cellules du système nerveux central le bleu de toluidide, le bleu de poly-

chrome, la thionine et le hématoxyline de Delafield, d'Apathy et de Hei-

denhain. Pour cela nous avons inclus les préparations dans la paraffine.

Les résultats obtenus par nous nous donnent la possibilité et le droit

de faire certaines conclusions et certaines considérations théoriques. Voilà

nos cas :

Cas I.

A. P... décéda à l'âge de 45 ans. Il y a plus de 20 ans qu'il a supporté un

lues. Cinq ou six ans avant la mort apparurent des symptômes très marqués

de maladie mentale ; avant tout se manifesta une exaltation maniaque qui

s'augmenta progressivement. Depuis longtemps déjà l'un des docteurs de la

connaissance du malade observa chez lui une inégalité des pupilles, qui pendant

la maladie devint stationnaire. Avec le temps ensemble avec l'augmentation de

l'excitation maniaque apparut un trouble de conscience et diverses idées déli-

rantes, souvent entrecoupées. Ensuite, commença à paraître une faiblesse mus-

culaire très marquée et une démence. Les réflexes rotuliens étaient exagérés.

Deux ans avant la mort apparut un tremblement aux mains et quinze mois

avant, la mort il eut un accès avec convulsions dans la moitié droite du corps,

après quoi restèrent des symptômes paralytiques avec rigidité du même côté ;

quelques jours après, les phénomènes paralytiques disparurent presque, mais

resta une rigidité dans les membres supérieurs et inférieurs. Huit mois avant

la mort le malade eut un accès épileptiforme. Avec le temps on observa de

nouveau une paralysie du côté droit, quoique presque tous les muscles des

membres étaient rigides aussi.

Quatre mois avant la mort le malade avait des tiraillements convulsifs très

accentués du côté droit du corps ; puis, les tiraillements apparaissaient tantôt

du côté droit, tantôt du côté gauche et enfin ils devinrent presque incessants

du côté droit. Ils envahissaient parfois les muscles de la face du côté droit et

les muscles de l'oeil droit (déviation de l'oeil en dehors). Il y avait des con-

tractures très marquées dans les membres inférieures.

Autopsie. Examen microscopique.

Procédé DE GOLGI.

1. Ecorce cérébrale du lobe frontal. -'Sur beaucoup de préparations du lobe

frontal gauche on reçut une quantité assez considérable de cellules névrogliques

imprégnées. Sur d'autres préparations du lobe frontal il y a très peu de cellu-

les névrogliques imprégnées et sur certaines préparations il n'y en a presque

point. A l'examen microscopique des cellules nerveuses saute aux yeux la

finesse'd'un grand nombre de prolongements protoplasmatiques,beaucoupd'entre

480 SOUKHANOFF ET GEIER

eux dans leurs parties terminales présentent un aspect perlé irrégulier ; ce

phénomène se rencontre bien plus rarement sur les dendrites basilaires des

cellules pyramidales. La quantité d'appendices collatéraux des prolongements

protoplasma tiques en général est insignifiante. On voit parfois de longues

dendrites presque dépourvues d'appendices collatéraux, et par place on peut

observer des dentrites fines parsemées en abondance d'appendices collatéraux.

La déformation des dendrites s'exprime tantôt dans un état perlé irrégulier,

tantôt dans l'apparition, par places, d'assez gros épaississements sphériques et

fusiformes. Par places on peut voir des ilots de cellules, où les dendrites se

sont bien conservées, riches en appendices collatéraux. Ca et là on peut s'as-

surer dans cela que la déformation très marquée des contours des dendrites est

accompagnée encore d'une diminution assez grande d'appendices collatéraux et

même de leur disparition totale.

2. Région occipitale. - La quantité d'appendices collatéraux qui couvrent les

dendrites dans la région occipitale comparativement avec les lobes frontaux est

bien plus grande. Assez souvent on rencontre des dendrites terminales, dans

lesquelles on peut observer la déformation des contours, en aspect d'un état

perlé. Par places, on peut observer des épaississements assez gros sphériques

surtout sur les dendrites qui passent auprès de la surface de l'écorce cérébrale.

3. Zone motrice du côté gauche. a) Région supérieure. - Sur bien des

préparations on reçut une masse de cellules névrogliques imprégnées et de vais-

seaux. Par places, dans la substance blanche surtout, les cellules de la névro-

glie se rencontrent en telle quantité qu'elles forment un réseau très dense en

aspect d'un feutre. Parfois on peut voir très distinctement que les cellules névro-

gliques entourent un vaisseau. Concernant les cellules nerveuses il faut remar-

quer qu'on reçoit,en général, peu de cellules nerveuses imprégnées ; les dendrites

sont souvent privées d'appendices collatéraux et sont déformées, ce qui peut

être observé assez souvent sur les dendrites basilaires. b) Région médiane.

Le tableau microscopique a été approximativement le même que sur les prépa-

rations de la région supérieure.

L'examen des préparations de l'écorce cérébrale par la méthode de Golgi dans

le cas donné a démontré que les cellules nerveuses avec leurs dendrites ont

été soumises à une déformation bien plus marquée dans les lobes frontaux et

dans la région motrice gauche, que dans les lobes occipitaux. Dans le lobe fron-

tal le nombre d'appendices collatéraux, recouvrant les dendrites,a été bien moins

grand comparativement à d'autres régions. L'état variqueux des prolongements

protoplasma tiques des cellules nerveuses de l'écorce cérébrale est bien plus

prononcé en général, surtout sur les dendrites terminales, disposées près de

la surface de l'écorce cérébrale. Sur quelques-unes des coupes, comme, par

exemple, sur celles du lobe frontal et surtout de la région motrice, on voyait

une imprégnation d'un nombre considérable de cellules névrogliques, principa-

lement dans la substance blanche sous-corticale; par places il y eu avait tant

qu'elles formaient un réseau très dense. On recevait une impression comme si

la quantité des cellules névrogliques était augmentée.

ijftjouv. Iconographie de la Salpêtrière T. XIII. PI. LXXI

A

B

c

D

E

HISTOPATHOLOGIE DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE

(Sollkba1l0ff et Gcier)

anatomie pathologique ET HISTOPATHOLOGIE DE la paralysie générale 481

PROCÉDÉ DE Briscii.

[. Hémisphère gauche.

A) Lobe frontal. - On prit pour les recherches cinq morceaux. Sur les prépa-

rations faites de tous ces morceaux on observa un tableau ressemblant. (ln

n'observe pas de dégénérescence très marquée des fibres myéliniques de la su

tance blanche. Dans la substance grise il saute aux yeux que la plus grande^

tie des cellules nerveuses est rembourrée par des globules noirs; dans

couches plus superficielles on peut s'assurer dans le périssement.des cellli

nerveuses, dans l'excroissance de vaisseaux menus, dans l'existence des é

ments lymphoïdes, contenant des globules noirs. Dans la substance blam

partout on peut voir une masse de grains et de points noirs de différente dimen-

sion, souvent groupés sur un fond plus clair ; dans les vaisseaux on rencontrait

par places de gros globes en aspect de boules luisantes, quelquefois avec des

globules noirs en dedans.

B) Lobe occipital. Nous avons pris deux morceaux. Par places le ta-

bleau microscopique diffère peu de celui que nous avons observé dans la subs-

tance blanche du lobe frontal gauche, mais par places on voit des foyers de

ramollissement avec désagrégation très prononcée de fibres myéliniques et avec

formation d'une masse de globules granuleux. Çà et là, on peut voir que l'en-

dothélium capillaire est rempli de globules noirs ; les cellules nerveuses con-

tiennent moius de pigment que celles du lobe frontal. Les autres modifications

sont les mêmes que celles dans le lobe frontal.

C) Région motrice. - a) Partie supérieure. - Pour l'examen on prit sept

morceaux différents. Dans quatre morceaux la dégénérescence des fibres était

très marquée, surtout des fibres de projection (PI. LXX, A). La désagrégation

est si visible qu'on peut voir l'endroit de la dégénérescence à l'oeil nu. Sur beau-

coup de préparations, on rencontre dans l'écorce cérébrale elle-même et dans

la substance blanche aussi de petits foyers de ramollissement, dans lesquels

on pouvait observer une accumulation de globes granuleux. Par places, on

parvenait à voir de petites hémorrhagies et des tromboses de vaisseaux menus,

accompagnées d'une désagrégation du tissu nerveux dans la circonférence des

vaisseaux. Les cellules de l'écorce cérébrale sont toutes remplies d'un pigment

noir brun. Dans les préparations des trois autres morceaux ou voit, mais à un

nombre moins grand que dans les quatre premiers morceaux, des fibres dégé-

nérées. Ce qui saute aux yeux ici principalement, c'est la masse de globules

granuleux, qui sont tantôt parsemés, tantôt ramassés dans un tas autour du

foyer de ramollissement.Dans quelques-unes des fibres les blocs de myéline se

sont colorés en gris-foncé et contiennent en dedans des globules noirs menus.

Les foyers de ramollissement sur les préparations des trois derniers morceaux

étaient observés plus souvent, de préférence ils se trouvaient dans la substance

blanche et étaient de plus grande dimension. Par places, auprès des parois vas-

.culaires dans la substance blanche on pouvait observer des cellules à forme ir-

régulière, étendues, chez lesquelles le corps cellulaire se colorait en couleur

gris-bigarrée et contenait dans leur intérieur un point noir (une nucléole ? ).

482 SOUKHANOFF ET GEIER

Comme il paraît, de pareilles cellules ne sont pas en liaison avec les vaisseaux ;

pourtant dans l'une d'elles on pouvait voir très nettement une zone plus claire

autour du point noir. - b) Partie médiane. Pour l'examen on prit cinq mor-

ceaux. Sur les préparations de trois d'entre eux on observe une dégénéres-

cence très accusée dans les fibres nerveuses de myéline ; la dégénérescence

prédomine surtout dans les voies de projection ; assez souvent on voit la dé-

générescence des fibres d'association; il y a peu de globules granuleux sur

ces préparations; on rencontre çà et là des hémorrhagies très menues et des

anévrysmes. Les cellules corticales sont riches en pigment noir. Sur les pré-

parations, obtenues des deux autres morceaux, à l'examen sous le microscope

le tdbleiu général est un peu autre ;ici prédomine le fond gris-foncé, on observe

beaucoup de globes granuleux, par places, disposés par le trajet les vaisseaux.

La myéline dans les fibres altérées subit une désagrégation en forme de blocs

colorés en couleur gris-foncé, sur le fond duquel ressortent des globules noirs

menus. Les foyers de ramollissement sont assez fréquents ici.- c) Partie infé-

rieure. Pour l'investigation on prit quatre morceaux. Sur les préparations

obtenues de tous ces morceaux on pouvait voir dans la substance blanche une

dégénérescence assez marquée dans les fibres à myéline ; sur les préparations

de l'un des morceaux par places il y avait beaucoup de globules granuleux et

par places de petits ramollissements.

II. Hémisphère droit.

A) Lobe frontal. - Pour l'examen furent pris six morceaux. Le tableau

microscopique a beaucoup de ressemblance avec la tableau observé sur les

préparations du lobe frontal gauche; en outre, on pouvait voir un grand nom-

bre de globules noirs se trouvant en liaison avec les vaisseaux.

B) Lobe occipital. - Le tableau microscopique a beaucoup de ressem-

blance avec le tableau observé sur les préparations du lobe occipital gauche,

mais seulement il y a ici bien moins de foyers de ramollissement.

C) Région motrice (médiane et inférieure). - A l'examen sous le microscope

on rencontre comparativement peu de fibres dégénérées, contenant de gros blocs

et des filaments irrégulièrement perlés de myéline en désagrégation. En outre,

tout le champ de vue dans la substance blanche est parsemé d'une masse de

points noirs de différentes dimensions, par places se groupant sur un fond plus

clair. On peut voir encore ici de différents crochets très menus, des fils et de

différentes figures, tout cela se trouve pour la plupart auprès des vaisseaux ;

dans ces derniers on rencontre assez souvent de petits points noirs et des glo-

bules clairs, ayant l'aspect vitreux ; par places, çà et là on rencontre des ané-

vrysmes et des hémorrhagies très menus ; les cellules nerveuses contiennent

une quantité assez marquée de pigment.

D) Lobe temporal. Ce qui saute aux yeux c'est que les cellules nerveuses

contiennent une masse de globules noirs. Ici les cellules avec des globules noirs

1 ! \1 dedans se trouvent aussi auprès de la surface de l'écorce cérébrale. Concer-

nant le tableau microscopique observé dans la substance blanche, il faut dire

qu'elle a une grande ressemblance avec celui qu'on a observé dans les lobes

frontaux.

ANATOMIE PATHOLOGIQUE ET üIS-TOPATIi0LOGIE DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE 483

En comparant entre elles les préparations, traitées par la méthode de Busch

et prises de l'écorce cérébrale et de la substance blanche sous-jacente de diffé-

rentes régions des deux hémisphères, nous voyons que les préparations de la

région motrice gauche diffèrent le plus des autres préparations. Ici, dans la

substance blanche sous-corticale nous observons une dégénérescence très mar-

quée de fibres myéliniques (avec désagrégation de la myéline) et il est très fa-

cile de s'assurer ici que cette dégénérescence ne dépend pas ni des hémorrha-

gies plus ou moins grandes, ni des ramollissements assez considérables, mais

elle prend son origine des cellules corticales, qui apparaissent comme l'endroit

d'une modification primaire; en outre il faut encore remarquer que par places

dans la région motrice gauche nous avons rencontrer assez souvent des foyers

menus de ramollissement, qui provoquaient l'apparition d'une masse de glo-

bules granuleux. Dans la région motrice droite il y avait comparativement peu

de fibres avec dégénérescence et désagrégation de la myéline. Dans les autres

régions de l'écorce cérébrale on n'en observe que par places, parfois en quan-

tité assez marquée, mais seulement là où il existe' des foyers menus de ramol-

lissement; il est évident, qu'ici la dégénérescence des fibres myéliniques est

d'une autre origine, c'est-à-dire qu'elle dépend de l'interruption des fibres

elles-mêmes.

Sans nous arrêter sur les données pathologiques, propres à la paralysie gé-

nérale (hémorrhagies menues, tromboses menues, dégénérescence graisseuse

des cellules nerveuses, épaississements des parois vasculaires, périssement des

cellules nerveuses, surtout dans la partie périphérique de l'écorce des lobes

frontaux etc.) faisons attention sur l'examen de ce que présentent les points

noirs qui se disposent souvent en groupes et dont nous avons parlé plus haut.

Ces points noirs, principalement observés dans la substance blanche de même

que dans la substance grise, peuvent être contenus ou dans certaines fibres

myéliniques, présentant par eux la substance myélinique modifiée, ou bien ce

sont des globules graisseux qui sont engloutis par des éléments lymphoïdes ;

plus loin, cela ne nous étonnerait pas si ces points n'étaient autre chose, que

des globules graisseux se trouvant dans le corps des cellules névrogliques;

c'est pour cette raison que parfois ils se disposent en groupes et en tas ; enfin de

pareils points noirs peuvent aussi être contenus dans les parois des vaisseaux

eux-mêmes, par exemple, dans leur enveloppe interne.

III. Substance sous-corticale blanche et capsule interne du côté gauche.

Dans la substance blanche sous-corticale auprès de la ligne médiane on ren-

contre parfois de petits foyers de ramollissement et beaucoup de fibres dégé-

nérées. Le faisceau pyramidal dégénéré peut être suivi à travers la capsule

interne gauche. En outre dans la région postérieure du genou postérieur on

rencontre de petits foyers de ramollissement avec désagrégation de fibres myé-

liniques et avec une masse de globules granuleux.

IV. Pédoncules cérébraux plus haut des fibres radiculaires des oculomo-

leurs communs. - La désagrégation des fibres à myéline avec formation d'une

masse de globules granuleux saute aux yeux dans la région du pied du pédon-

cule du côté gauche. On voit une assez grande quantité de foyers, menus de

4M SOUKHANOFF ET GEIER

ramollissement. On ne voit qu'un petit nombre de fibres dégénérées dans le

pied du pédoncule du côté droit. Par toute la coupe transversale on rencontre

aussi une masse de blocs noirs disséminés. Les cellules'nerveuses sont rem-

plies ici de pigment noir.

V. De la région du pont de Varole a été prise la moitié gauche et on ob-

serva ici une dégénérescence disséminée par places, plus accentuées .dans les

fibres nerveuses. Les cellules nerveuses sont remplies de pigment.

VI. Au niveau de l'olive inférieure (Voyez PI. LXXI, B). - Déjà à l'oeil nu

on voit une dégénérescence très marquée dans la pyramide gauche ; en outre, la

dégénérescence est visible encore par toute la périphérie antéro-latérale de la

moelle allongée et aussi dorsalement de la pyramide gauche. En examinant

sous le microscope, nous voyons des fibres dégénérées disséminées dans la

pyramide opposée et encore par tout le long de la coupe transversale, Presque

toutes les cellules nerveuses sont remplies de globules noirs, surtout les cellu-

les des noyaux des nerfs hypoglosses, des noyaux ambigus et latéraux. Par

places on rencontre de petits foyers de ramollissement.

L'examen de la substance blanche sous-corticale de la capsule interne et du

tronc cérébral nous donne la possibilité de nous assurer, que les fibres dégé-

nérées allant de la région motrice de l'hémisphère gauche descendent par les

parties sus-indiquées vers la moelle épinière.En ce qui concerne le tronc céré-

bral, il faut dire, qu'outre la dégénérescence très prononcée de la pyramide

gauche, on observe encore des fibres dégénérées disséminées dans différents

systèmes ascendants et descendants; en outre çà et là on rencontre de petits

foyers de ramollissement avec formation d'une masse de globules granuleux.

Sur toutes les coupes examinées, prises de la partie du tronc cérébral, les cel-

lules nerveuses sont remplies de globules noirs. Les fibres radiculaires des

nerfs crâniens contiennent aussi des blocs noirs de myéline modifiée.

Moelle épinière. -

I. Région cervicale. - a) Plus haut de l'intumiscence cervicale.

Déjà à l'examen de préparations à l'oeil nu on voit une dégénérescence

très marquée dans la région du cordon pyramidal du faisceau latéral ; l'endroit t

de cette dégénérescence ressort très nettement sur le fonds jaune-clair un peu

grisâtre de la coloration commune. La place de cette dégénérescence n'atteint

pas jusqu'à la périphérie de la moelle épinière (Voyez Pl. LXXI, C). En outre,

dans le faisceau de Türck et presque dans toute la périphérie de la moelle épi-

nière on voit aussi une raie noire étroite ; dans le faisceau pyramidal du cordon

latéral gauche on remarque un léger noircissement. A l'examen sous le mi-

croscope de l'endroit le plus dégénéré nous voyons que la dégénérescence

approche la région externe de la corne postérieure où la limite interne de la

dégénérescence est très accentuée et occupe aussi l'échancrure entre la corne

postérieure et la corne latérale. Parmi une masse de fibres dégénérées on ren-

contre des groupes de fibres qui ne contiennent point de blocs noirs. Dans le

domaine du faisceau gauche de Ttirck existe une accumulation très marquée

de globules noirs. On observe aussi par la périphérie de la moelle épinière une

ANATOMIE PATHOLOGIQUE ET HISTOPATHOLOGIE DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE 485

quantité assez considérable de blocs noirs principalement plus menus et à

forme bizarre et variable ; on rencontre plus de blocs noirs menus sur la péri-

phérie dans la région du faisceau droit de B1t1'dach,du faisceau cérébelleux gau-

che, du faisceau gauche de Gowers et aussi sur la périphérie des deux faisceaux

pyramidaux antérieurs.Dans le faisceau cérébelleux droit et dans le faisceau py-

ramidal latéral gauche on observe un grand nombre de blocs noirs disséminés.

En outre, les blocs noirs gros et menus sont parsemés çà et là par tout le long de

la substance blanche et grise. Le long de certains vaisseaux, qui passent dans

la substance blanche, par places s'étendent des blocs noirs à forme irrégulière

et variable, de différentes dimensions ; tantôt on voit par places sur la coupe

transversale des vaisseaux et dans leur intime de petits globules noirs, et en-

core de grosses cellules sphériques se trouvant en dedans du vaisseau et con-

tenant de pétites gouttes noires. Dans les fibres radiculairees on ne rencontre

qu'une dégénérescence disséminée. La région du canal central présente à de

petits grossissements, une nuance bigarrée, sale, grisâtre ; à des grossissements

plus grands on peut voir, quoique pas très nettement, des blocs et des globu-

les noirs menus en dedans des cellules épendymaires. Les cellules de la corne

antérieure sont très marquées grâce à la coloration bigarrée noire-brune, ce

qui dépend de cela que le corps cellulaire est rembourré d'une manière très

dense de petits globules noirs ; on rencontre aussi ces derniers dans les cellu-

les plus menues de la corne antérieure ainsi que de la corne postérieure.

b) Inlumiscence cervicale. - La région, où la dégénérescence est la plus

marquée, a approximativement la même forme, en occupant l'échancrure

droite entre la corne postérieure et la corne antérieure ; l'angle postérieur du

champ de dégénération, visible, dans la région située plus haut, apparaît ici

comme coupé. L'endroit de dégénérescence dans le faisceau de Türck est un

peu plus rapproché du canal central. Dans les autres régions on observe appro-

ximativement le même tableau, que dans la région située plus haut de l'intu-

miscence cervicale.

Il. Région dorsale. - L'endroit de la plus grande dégénérescence de la

moitié droite de'la moelle épinière a approximativement l'aspect d'un triangle,

dont le sommet se trouve auprès du bout de la corne postérieure et la base au

niveau du canal central ; la région de dégénérescence, en se raréfiant un peu,

atteint jusqu'à la périphérie de la moelle. Les fibres dégénérées sont devenues

bien moins nombreuses dans le faisceau de Tùrck. Les cellules de Clarke con-

tiennent aussi une masse de globules noirs, quoiqu'elles en sont moins rem-

bourrées que les cellules de la corne antérieure.

III. Région lombaire. - Plus bas que l'intuntiscence lombaire à l'aeil nu on

voit quoique pas très nettement la région dégénérative, située ventralement de

la corne postérieure droite (Voyez PI. LXXI, D). La dégénérescence dans le fais-

ceau pyramidal du cordon latéral droit devient visiblement disséminée. La dé-

générescence des fibres nerveuses sur la périphérie de la moelle épinière de-

vient bien moins grande; au contraire, la dégénérescence dans les cordons

postérieurs et dans les racines postérieures a augmenté de beaucoup, surtout

dans leur région intramédullaire. Les cellules de la corne antérieure sont rem-

486 SOUKHANOFF ET GEIER

bourrées de globules noirs; les petites cellules moyennes des cornes antérieure

et postérieure contiennent aussi beaucoup de globules noirs. Sur les racines,

coupées transversalement et entourant la moelle épinière, les fibres dégénérées

sont comparativement peu nombreuses. Dans l'un des vaisseaux, en dedans de

la moelle épinière, on trouva une cellule géante rembourrée de globules noirs.

IV. Cône médullaire. - Même à l'oeil on aperçoit déjà la région dégénéra-

tive dans les cordons postérieurs de préférence auprès de la périphérie. A

l'examen microscopique nous nous sommes assurés dans celà que la dégéné-

rescence des fibres nerveuses est accentuée le plus dans les cordons postérieurs,

principalement sur la périphérie et dans les racines postérieures. Plus loin, il

y aune dégénérescence disséminée assez marquée dans le cordon pyramidal

latéral du côté droit. Les fibres dégénérées, parsemées çà et là, restent aussi

dans d'autres régions de la substance blanche.

V. Au niveau de la queue du cheval on voit un nombre assez grand de

fibres dégénérées ; il y a des faisceaux qui en contiennent plus. d'autres moins.

VI. Coupe longitudinale de la région dorsale de la. moelle épinière,-

Nous nous assurons ici aussi dans la dégénérescence des fibres nerveuses et

dans l'existence des cellules, contenant une masse de globules noirs. Par

places, surtout plus près de la périphérie on aperçoit des ilots de bâtonnets,

des petits traits, des points, des crochets et des blocs noirs ; tout cela est d'une

grandeur variable. Par places on parvient à s'assurer, que ces formations, co-

lorées en noir, se disposent auprès des vaisseaux.

Parmi les faisceaux dégénérés de la moelle épinière dans le cas donné la lé-

sion du faisceau pyramidal du cordon latéral droit, dont nous avons parlé plus

haut, apparaît comme continuation des fibres dont nous avons déjà vu la dégé-

nérescence à l'examen des morceaux de la région motrice de l'écorce cérébrale

et de la substance sous-corticale de l'hémisphère gauche. Le faisceau de Tiircli

du côté opposé est plus dégénéré que celui du côté gauche. Déjà dans la région

dorsale la dégénérescence des faisceaux de Tùrck devient bien plus raréfiée ; la

dégénérescence du faisceau pyramidal latéral dans la partie lombaire inférieure

est déjà très marquée et les fibres dégénérées disséminées peuvent être suivies

jusqu'à la partie terminale de la moelle épinière. Concernant l'endroit, occupé

par le faisceau pyramidal dégénéré dans les régions dorsale et cervicale de la

moelle épinière. il faut remarquer, que son bord interne est contigu avec la

région externe de la corne postérieure presque sur toute son étendue. La quan-

tité des fibres dégénérées sur la périphérie de la moelle épinière est aussi très

marquée, ce qui dépend, en partie probablement du procès morbide dans les

enveloppes spinales. La lésion des cordons postérieurs dans les régions infé-

rieures de la moelle épinière est plus prononcée, que dans les régions supé-

rieures, ce qui dépend de cela que les fibres radiculaires sont plus altérées dans

la région lombaire, que dans la région cervicale ; la partie intra-médullaire des

racines est plus altérée, que leur région extra-médullaire. Les cellules de la

corne antérieure et en général les cellules nerveuses de la substance grise de

la moelle épinière par tout le long de la moelle épinière contiennent une grande

quantité de globules noirs.

OUO. Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE

T. XIII. Pl. LXXII

HISTOPATHOLOGIE DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE

(Soll11baI10ff et Gcier)

Masson & Cie, Editeurs

ANATOMIE PATHOLOGIQUE ET llISTOPATllOLOGIE DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE 487

Coloration par les couleurs basiques d'aniline.

I. Région cervicale (coloration par le bleu de méthylène et par la thionine).

- Lés cellules de la corne antérieure présentent en général beaucoup de varia-

tions concernant leur forme et la disposition dans le corps cellulaire des

blocs chromophiles. Bien des cellules nerveuses apparaissent comme gonflées

et arrondies; les prolongements des cellules de ce genre souvent ne sont pas

visibles. Le noyau de ces cellules assez souvent est disposé exceutriquement et

a parfois une forme aplatie. Les éléments chromophiles dans ces cellules sont

ou en état de désagrégation presque dans tout le corps cellulaire, ou bien ils se

sont conservés seulement près de la périphérie du corps cellulaire (chromolyse

générale et chromo lyse centrale). Il y a des cellules, où l'on peut rencontrer

une chromolyse partielle ; çà et là on voit des vacuoles aussi. Dans beaucoup

de cellules les blocs chromophiles se sont bien conservés (Pl. LXXII, F).

II. Région dorsale (coloration par le bleu de polychrome). - Les cellules

des cordons de Clarke sont colorées tantôt intensément, tantôt faiblement sur

la même coupe. Par places, on observe une zone claire périnucléaire ou une

chromolyse centrale. Les contours du noyau souvent ne sont pas nets ; par

places on voit une position excentrique du noyau.

.111. Région lombaire (coloration par le bleu de toluidine,le bleu de polychrome

et la thionine). - Les cellules de la corne antérieure présentent une grande

variation concernant la coloration ; le nombre de cellules colorées d'une manière

plus ou moins diffuse et qui sont un peu gonflées, est assez considérable (voyez

PI. LXXII, G) : les prolongements de ces cellules restent souvent non colorées

ou bien ils sont très minces. Dans ces cellules colorées diffusément les blocs

chromophiles sont conservés parfois seulement sur la périphérie des cellules.

Le noyau dans ces cellules conserve une position centrale et assez souvent passe

aussi dans les régions périphériques du corps cellulaire ; assez souvent on voit

des noyaux dépourvus de nucléoles ; ces cellules sans nucléoles sont non seule-

ment isolées, mais on en rencontre des groupes entiers (Voyez fig. VI). Dans

certaines cellules on peut observer une désagrégation presque complète des blocs

chromophiles, et alors la cellule apparaît colorée uniformément et le proto-

plasma se colore très faiblement et a un aspect un peu vitreux. Par places on ren-

contre de petites cellules qui se colorent intensément et diffusément. Parfois on

parvient à voir des vacuoles pour la plupart menues. On rencontre quelquefois

des cellules pâles, déformées, colorées faiblement, dans lesquelles on voit net-

tement des aspaces clairs, ronds, quelquefois dans ces dernières on peut voir

un point coloré. Il y a des cellules où les contours du noyau sont irréguliers ;

dans beaucoup de cellules les noyaux sont diminués en volume.

Coloration par l'hématoxyline d'Apathy.

Région lombaire. Puisque nous avons déjà parlé en détail des modifica-

tions de la forme du corps cellulaire et de sa structure, en décrivant les prépa-

rations colorées par les couleurs basiques d'aniline, nous ne ferons attention

ici que sur l'état des noyaux. Ces derniers dans certaines cellules, sont d'une

488 SOUKHANOFF ET GEIPR

couleur foncée ; leur forme est modifiée et allongée et leur dimension diminuée.

Parfois on peut voir une différence très marquée dans la grandeur des nucléoles.

Dans les cellules de la corne antérieure sur les préparations colorées par les

couleurs basiques d'aniline, on observe des modifications très marquées : leur

gonflement, une chromolyse (1) centrale (terme nouveau de Van Gehuchten)

avec une position excentrique du noyau, une chromolyse partielle, une colo-

ration diffuse des cellules, une modification de la forme du noyau, des vacuo-

les dans le corps cellulaire et un contenu exagéré du pigment etc... Dans cer-

taines cellules on rencontrait parfois des vides ; dans quelques-uns de ces vi-

des on pouvait voir un point coloré (Voyez Pl. LXXII, H).

flous ne prenons pas sur nous de dire positivement, si nous avions affaire

ici à l'état spirémateux, décrit par Nelis (2) ou avec de simples vacuoles. L'exis-

tence d'un grand nombre de cellules avec une chromolyse centrale et avec

un noyau disposé excentriquement, nous fait douter que ce type de lésion des

cellules puisse être envisagé seulement comme une modification secondaire des

cellules nerveuses ; en faveur de notre doute parle aussi ce fait, que les raci-

nes antérieures ont peu souffert comparativement avec les racines postérieures

et avec les cellules de la corne antérieure, qui se trouvent en liaison avec elles.

A la coloration par l'hématoxyline d'Apalhy et surtout par l'hématoxyline

de Delafield nous reçûmes dans certaines cellules une-coloration très foncée et

intense des noyaux. Cela a été observé dans les cellules dont le volume était

diminué et le noyau présentait une forme irrégulière.

Cas II.

A. D..., 32 ans. Deux ans avant la mort apparut une insomnie, puis un an

plus tard le malade eut des céphalalgies, des idées hypochondriaques, un affai-

blissement de mémoire et il devint distrait; plus tard apparurent des accès

paralytiques avec perte de conscience, avec convulsions et confusion mentale

consécutive. Les réflexes rotuliens étaient très affaiblis. Six semaines avant la

mort le malade eut un accès avec perte de conscience et convulsions, princi-

palement dans la moitié droite du corps ; après l'accès restait une rigidité dans

la main et le pied droits. Le jour de la mort a eu lieu un nouvel accès épilep-

toide. L'existence d'un lues est très possible. Le trouble de la parole portait un

caractère propre à la paralysie générale.

Procédé DE BUSCH.

I. Hémisphère rauclte.-a) Région frontale.- Les cellules nerveuses con-

tiennent une grande quantité de pigment ; on peut les voir dans les couches su-

perficielles de l'écorce cérébrale. Point de très grand développement de vais-

(1) VAN Gehuchten, Analomie du système nerveux, 3° édition, volume I, p. 322.

(2) Chaules NhLIS, Un nouveau détail de structure du protoplasme des cellules ner-

veuses (état spirémateux du protoplasme). Bulletin de l'Acad. roy. de Belgique, 1899,

no 2, pp. 402-125.

ANATOMIE PATHOLOGIQUE ET HISTOPATHOLOGIE DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE 489

seaux. Dans la substance blanche, on observe une masse de points et de glo-

bules noirs, souvent disposés en groupes. Dans les vaisseaux et auprès d'eux

on observe souvent des corpuscules sphériques rembourrés de globules noirs.

Il y a beaucoup de points noirs, souvent disposés en groupes, auprès de la

périphérie de l'écorce cérébrale.- b) Région occipitale.- On observe appro-

ximativement le même tableau que dans le lobe frontal, seulement avec cette

différence, qu'il y a ici moins de globules noirs en dedans des cellules ner-

veuses que là-bas. Auprès de la périphérie de l'écorce cérébrale on voit une accu-

mulation de points noirs, disposés en groupes, souvent ressortant sur un fond

plus clair d'une forme irrégulière.-c) Région motrice.- Pour l'examen furent

pris six morceaux. On peut noter ici une désagrégation disséminée assez mar-

quée de fibres myéliniques : par places elle est plus marquée et par places-as-

sez faible. Hormi les gros blocs de myéline en désagrégation, on observe encore

une quantité assez considérable de points noirs par places groupés. Les cellu-

les nerveuses contiennent une quantité assez marquée de pigment. Par places

on voit une quantité augmentée de vaisseaux et parfois des anévrysmes.

En comparant les préparations de l'écorce cérébrale et de la substance blan-

che sous-corticale avec les préparations correspondantes du cas premier, nous

ne voyons entre elles qu'une ressemblance quantitative et non qualificative.

Les modifications dans le second cas ont été bien moins marquées que dans

le premier, là elles étaient plus profondes, là la dégénérescence pigmentaire

et graisseuse des cellules nerveuses était plus accentuée qu'ici. Là il y avait

dans l'écorce cérébrale un développement exagéré des vaisseaux, le périssement

des cellules nerveuses des lobes frontaux bien plus grand ; là, on rencontrait

de petites hémorrhagies menues, des anévrysmes capillaires ; ici tout cela a été

exprimé dans un degré bien plus faible. Là, sur les préparations de la région

motrice de l'écorce cérébrale et de la substance blanche sous-corticale du côté

gauche, on observait une dégénérescence très prononcée de fibres myéliniques,

et ici la dégénérescence dans l'endroit correspondant portait un caractère dis-

séminé.

II. Au niveau des pédoncules cérébraux. Des fibres dégénérées disséminées

s'accumulent en grande quantité dans la région médiane du pied du pédoncule

des deux côtés. Les fibres dégénérées isolées sont observées par places en assez

grand nombre çà et là par toute la coupe transversale des pédoncules. Les cel-

lules nerveuses contiennent une quantité assez marquée de globules noirs.

III. Moelle épinière a) lntumiscence cervicale (Pl. LXXI, E).- Déjà à l'oeil

nu on remarque une dégénérescence des deux faisceaux pyramidaux latéraux,

des deux faisceaux de Türck et par la périphérie des cordons de Goll. A l'exa-

men microscopique la plus grande dégénérescence a été observée dans le fais-

ceau pyramidal latéral ; mais cette dégénérescence n'est pas compacte : les fibres

dégénérées sont seulement parsemées en plus grand nombre entre les fibres

saines : ensuite, on voit une dégénérescence assez marquée dans le faisceau

pyramidal latéral gauche, par la périphérie de cordons de Goll, des cordons de

Burdaéh et dans les racines postérieures (dans les cordons de Burdach et dans

les racines postérieures du côté gauche la dégénérescence est un peu plus mar-

xiii 32

490 SOUKHANOFF ET GEIER

quée que du côté opposé) ; dans le faisceau de Türclc gauche la dégénérescence

est un peu plus grande que du côté opposé. Une dégénérescence moins marquée

et consistant en petits blocs noirs menus est observée en général par la péri-

phérie de la moelle épinière, et aussi à un degré moins grand dans les autres

régions de la substance blanche et çà et là dans la substance grise. Les cellules

de la corne antérieure contiennent en général une quantité considérable de

globules noirs menus ; quelques-unes des cellules en sont pleinement rem-

plies. - b). Région dorscrle.'llacroscopiguement on voit la dégénérescence dans

les mêmes systèmes comme aussi dans les régions décrites plus haut, quoique la

figure de la dégénérescence dans le faisceau pyramidal latéral a un peu changé ;

on voit aussi à l'oeil nu la dégénérescence dans la région antérieure des cordons

postérieurs. A l'examen microscopique la dégénérescence dans les faisceaux

pyramidaux latéraux, dans les cordons de Türck et dans les autres régions de'

la substance blanche porte approximativement le même caractère que la dégé-

nérescence de la région cervicale. La dégénérescence dans la région antérieure

des cordons postérieurs se trouve, à ce qu'il paraît, en liaison avec un petit

foyer de désagrégation locale de la substance nerveuse. Les cellules des cordons

de Clarke contiennent aussi beaucoup de globules noirs. - c) Région lombaire

supérieure. - On voit macroscopiquement la dégénérescence seulement anté-

rieurement de la corne postérieure des deux côtés. A l'examen microscopique

on peut noter la diminution de la dégénérescence dans les faisceaux pyramidaux

latéraux. La dégénérescence dans les faisceaux de Túrck est peu marquée et

porte un caractère disséminé. On observe une dégénérescence assez accusée

dans la région postérieure des cordons postérieurs, dans les racines postérieures

et dans les racines antérieures ; en outre, la dégénérescence, quoique à un de-

gré bien plus faible, existe dans d'autres régions de la substance blanche. La

dégénérescence des cellules de la corne antérieure est bien plus accusée.

Une accumulation très marquée des fibres dégénérées dans la région ma-

trice du pied du pédoncule peut être envisagée comme la continuation de la

dégénérescence de la région motrice de l'écorce cérébrale. Dans ce cas aussi

on a noté aux niveaux des pédoncules cérébraux une quantité assez visible de

globules pigmentaires graisseux dans les cellules nerveuses, mais la quantité

de ces globules est moins grande que dans le cas premier, où les modifications

en général étaient bien plus profondes.

L'examen de la moelle épinière dans le cas donné démontre une dégénéres-

cence très sensible des deux faisceaux pyramidaux latéraux et des faisceaux de

Türck ; il apparaît comme continuation de la dégénérescence des voies pyra-

midales qui va de l'écorce cérébrale et descend par le tronc cérébral dans la

moelle épinière. Elle n'est pas compacte, ce qui prouve aussi qu'elle dépend

de la modification des cellules corticales d'origine. Les fibres dégénérées isolées

dans les faisceaux de Turck descendent jusqu'à la partie lombaire supérieure,

où la dégénérescence des faisceaux pyramidaux latéraux peut être distinguée

même à l'oeil nu. Ainsi que dans le cas premier, ici aussi la dégénérescence

est observée sur la périphérie de la moelle épinière, ce qui se trouve, proba-

blement, en connexion avec le processus morbide des enveloppes spinales.

Ainsi que là, ici aussi la dégénérescence de la partie intramédullaire des fibres

ANATOMIE PATHOLOGIQUE ET HISTOPATHOLOGIE DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE 491

radiculaires, surtout des racines postérieures, est bien plus accentuée dans les

régions inférieures de la moelle épinière que dans les régions supérieures de

la moelle épinière; et ce fait à son tour donne une dégénérescence plus mar-

quée des cordons postérieurs des régions inférieures de la moelle épinière si-

tuées plus bas. Les cellules de la moelle épinière contiennent ici aussi une

quantité considérable de globules pigmentaires et graisseux, ce qui est encore

plus marqué dans le cas premier.

Les deux cas, décrits plus haut, présentent une grande ressemblance

entre eux concernant le côté pathologo-anatomique, mais la profon-

deur et les degrés des modifications sont différents, ce qui se trouve en

correspondance avec cela que dans le cas premier la maladie a duré plus

longtemps et le malade succomba ayant des phénomènes d'un grand épui-

sement et de faiblesse, 5-6 ans après le début de la maladie, et dans le

cas second l'issue fatale arriva inopinément pendant un accès épileptoïde,

à peu près deux ans après le commencement de la maladie. Les troubles

moteurs étaient beaucoup plus prononcés dans le cas premier; il y avait

là des contractures dans les membres inférieurs, une rigidité dans les

mains, des tiraillements, une grande faiblesse physique, etc. ; en parfaite

harmonie avec cela se trouvent aussi les données histo-pathologiques à

savoir : la dégénérescence secondaire très prononcée du faisceau pyra-

midal latéral, en commençant de l'hémisphère gauche jusqu'à la partie

inférieure de la moitié gauche de la moelle épinière, les changements

vasculaires, la dégénérescence pigmentaire et graisseuse des cellules

corticales des cellules nerveuses du tronc cérébral de la moelle épinière,

la dégénérescence dans d'autres systèmes et dans les voies conductrices

spinales, etc. Dans le cas second les troubles moteurs étaient moins mar-

qués et correspondamment à cela les modifications histo-pathologiques

étaient moins grandes que dans le premier cas ; ici la dégénérescence du

faisceau latéral droit dans la moelle épinière était moins marquée que

dans le premier cas ; d'ailleurs, ensemble avec cela il y avait aussi une dé-

générescence égale dans le faisceau pyramidal latéral du côté opposé.

Dans les deux cas on a observé à la périphérie de la moelle épi-

nière une dégénérescence très marquée des fibres myéliniques et une

lésion plus accentuée des fibres radiculaires et des cordons postérieurs

dans les régions inférieures de la moelle épinière, que dans les parties

supérieures. Le dernier fait n'est pas facile à expliquer; il est indubitable

que c'est un phénomène qui démontre une auto-intoxication générale

ou une intoxication ; on l'observe, en outre, dans les polynévrites aussi.

Puisque en même temps avec le fait sus-décrit, on parvient à constater

que la partie intramédullaire des racines (surtout des racines postérieu-

492 SOUKUAKOFF ET GEIER

res) a été envahie par la lésion plus que leur région extramédullaire, in-

volontairement surgit l'idée qu'ici joue un rôle aussi la participation dans

le procès morbide des enveloppes spinales. La modification de la pression

dans la cavité du système nerveux central, le trouble de la circulation

régulière de la lymphe, peuvent refléter sur l'état des méninges spinales.

Passant par les méninges altérées, les fibres radiculaires peuvent s'ex-

poser à une certaine pression, ce qui peut empêcher la transmission

régulière des influences trophiques des centres nerveux, c'est-à-dire, des

cellules des ganglions spinaux. C'est pour cela que la partie intra-médul-

laire des fibres postérieures s'expose plus vite à la dégénérescence, que

leur partie extra-médullaire, qui se trouve dans des conditions plus favo-

rables, c'est-à-dire qu'elle est plus accessible à l'influence trophique de

la part des cellules nerveuses des ganglions spinaux.

La paralysie générale donne un tableau patltologo-anatomitlue très

varié; les parties isolées de ce tableau si complexe ont une signification dif-

férente au point de vue pathogénique. Ainsi, par exemple, nous venons de

parler du mécanisme possible d'un développement de la dégénérescence

dans les cordons postérieurs de la moelle épinière. La dégénérescence des

faisceaux pyramidaux dépend de la modification des cellules de l'écorce

cérébrale; leur altération se trouve en connexion intime avec les accès

observés dans la paralysie générale et, peut-être, dépend-elle à son tour

d'un trouble de circulation du sang et de modifications vasculaires.

Les modifications très profondes dans l'écorce cérébrale des lobes fron-

taux ont une autre pathogénèse, probablement, et portent surtout le ca-

ractère d'un procès inflammatoire local. En outre, ici il s'agit d'une into-

xication générale, qui se reflète, entre autres, sur tout le système nerveux

central, où les cellules nerveuses sont sujettes à une dégénérescence pig-

mentaire et graisseuse qu'on peut observer dans l'écorce cérébrale, de

même que sur toute l'étendue du tronc cérébral et de la moelle épinière.

La dégénérescence décrite plus haut de la voie pyramidale, en commen-

çant par l'écorce cérébrale jusqu'à la moelle épinière, dans le premier cas

a été exprimée d'une manière très marquée seulement d'un seul côté, dans

le cas second elle était presque égale des deux côtés. Des faits sembla-

blets concernant la dégénérescence secondaire des voies pyramidales, qui

va de la zone motrice de l'écorce cérébrale et qui peut être constatée

par le procédé deMarchi, sont cités par Boedeker et Juliusburger (1) et

Mouratow (2). Jos. Starlinger, encore en 1895, a fait la démonstration

à la Société de psychiatrie et de neurologie de Vienne des préparations

(1) BOEDEKEI\ und 0. Juliusburueh, Analomische Befunde bel demenlia pamlylica.

Neurologisches Centralblatt, 1897, n. 17, ss. 714-179.

(2) W. Î\IURATO\V, Ueber die prolahirlen corticalen Il,'i1mp(e bei der allgemeinen

Paralyse der 1·re ? Neuroloôisclies Centralb1>.Üt, 1897, n. 3, ss. 194-204.

ANATOMIE PATHOLOGIQUE ET HISTOPATHOLOGIE DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE 493

d'un cas de paralysie générale, où il y avait une dégénérescence de la

voie pyramidale et qui a été constaté par la méthode de Marchi. Il n'y a

pas longtemps que Starlinger a publié encore un ouvrage, dédié à la

même question et basé sur les investigations de 21 cas de paralysie géné-

rale (par la méthode de Marchi) ; dans six cas la dégénérescence des voies

pyramidales a été exprimée intensément d'un seul côté; dans 9 cas elle

était marquée d'un seul côté ou des deux côtés; dans 6 cas il n'y avait

point de dégénérescence nette. En comparant le tableau clinique avec les

données histopatholoiques, Starlinger (1) dans la première catégorie

de ces cas fait attention à l'existence des troubles moteurs chez les

malades (des paralysies, des parésies, des tiraillements, des accès para-

lytiques et une inclination aux contractures) ; les phénomènes prédomi-

nants de l'hémiparésie et de l'hémiplégie se trouvaient en correspondance

avec le degré de la dégénérescence des voies pyramidales ; dans le troi-

sième groupe de ces cas il s'agissait des malades qui présentaient une

forme démente de paralysie générale sans symptômes psychiques et mo-

teurs de l'excitation de l'écorce cérébrale. Starlinger admet la possibilité

de l'existence d'une semblable dégénérescence des voies pyramidales dans

des psychoses séniles ; mais il n'en trouva pas dans cinq cas avec phéno-

mènes d'autres maladies mentales.

N. Vyrouboff (2) dans sa monographie décrit,entre autres, les résultats

de l'examen de la moelle épinière dans 12 cas de paralysie générale (par le

procédé de Marchi et aussi par celui de Busch) ; dans tous ces cas il trou-

vait, ensemble avec d'autres dégénérescences, l'un ou l'autre degré de lé-

sion des voies pyramidales dans la moelle épinière : « Sur l'intensité de la

dégénérescence et sur la quantité de fibres dégénérées, dit-il, influent deux

moments : premièrement, la rapidité du cours de la maladie et, seconde-

ment, l'exacerbation du procès paralytique dans la moelle épinière dans

le cours du temps, proche de l'issue fatale. Ainsi, donc, dans les cas avec

un cours rapide de maladie ou avec exacerbation, on peut trouver une plus

grande quantité de libres dégénérées. »

Starlinger, comme nous l'avons vu plus haut, souligne la liaison des

troubles moteurs avec l'intensité de la dégénérescence secondaire de la voie

e pyramidale, ce avec quoi nous sommes parfaitement d'accord, pensant

pourtant que plus la paralysie générale a duré et plus il y avait de trou-

bles moteurs, plus les dégénérescences secondaires seront étendues et in-

tenses.

(1) Jos. Starlinger, Beitrag zur patologischen Anatomie den progressiven Paralyse.

Monatsschrift für Psychiatrie und Neurologie, 1900, Januar, Bd VII, IIeft 1, s.s. 1-14.

(2) N. A. Vyrouboff, Des dégénérescences des cellules nerveuses et des fibres dans

la moelle épinière dans la paralysie générale. St-Pétersbourg, 1899.

HYSTÉRIE ET GOITRE EXOPHTHALMIQUE ALTERNES

- Ch. FÉRÉ,

Médecin de Bicêtre.

L'hystérie et le goître exophthalmique ont des rapports fréquents avec les

autres affections qui constituent la famille névropathique, Les crises phy-

siologiques, les traumatismes, les émotions, les infections, les intoxications

ont dans leur étiologie une valeur très analogue. Les deux syndromes pré-

sententdans leur symptomatologie de nombreux caractères communs. En-

fin ils peuvent se manifester sur le même sujet. Le plus souvent quand

les deux syndromes coïncident, on peut reconnaître que les symptômes

les plus propres à l'hystérie ont apparu les premiers. On était bien en

droit de se demander si le goitre exophthalmique ne pouvait pas se déve-

lopper à la faveur de l'hystérie (Debove) (1).

M. Béclère a donné une formule très satisfaisante des rapports de l'hys-

térie avec le goitre exophthalmique (2), en disant que « le syndrome de

Basedow reconnaît souvent, comme cause première, l'hystérie : la sé-

crétion exagérée du corps thyroïde est une des manifestations de l'hysté-

rie, comme l'hypersécrétion d'autres organes glandulaires. Mais cette hy-

persécrétion thyroïdienne produit une auto-intoxication qui, au même

titre que l'intoxication alcoolique ou suturnisme, peut à son tour provo-

quer l'apparition de nouveaux accidents hystériques. Ainsi on peut dire

que le syndrome de Basedow est la fois effet et cause de l'hystérie ».

Cette théorie paraît d'ailleurs être acceptée par les auteurs qui se sont occu-

pés récemment des rapports de l'hystérie et du goitre exophthalmique (3).

La prédominance latérale des troubles hystériques est bien connue. Dans

(1) Debove, Hystérie et goitre exophthalmique observés chez l'homme (Bull. et mém.

de la Soc. méd. des hôp. de Paris, 1887, p. 367) ; Ch. Féré, La famille névropalhique

théorie léralolngique de l'hérédité de la prédisposition morbides et de la dégénéres-

cence, Ire éd., 1894, p. 419.

(2) Bull. et mém. de la Soc. méd. des hôp. de Paris, 1899, p. 419.

(3) A. Pader, Étude sur les rapports du goitre exophthalmique et de l'hystérie, th.

1S99 ; L. N. R08l1(so;<¡, Étude sur le syndrome de Graves-Basedow considéré comme

manifestation de l'hystérie, th. 1899.

HYSTÉRIE ET GOITRE EXOPHTHALMIQUE ALTERNES 495

le syndrome de Graves-Basedow, on observe aussi quelquefois une pré-

dominance latérale des troubles fonctionnels et des déformations. Cepen-

dant il est rare que l'exophthalmie ou l'hypertrophie thyroïdienne soient

strictement latéralisées. Dans un cas de Burney Yeo l'hypertrophie thy-

roïdienne portait surtout sur le lobe droit, tandis que l'exophthalmie

prédominait à l'oeil gauche ; mais le plus souvent l'exophthalmie et l'hy-

- pertrophie thyroïdiennes unilatérales siègent du même côté.

Dans le cas de coïncidence du goitre exopththalmique avec l'hystérie

on ne s'arrête guère à la coïncidence ou à l'alternance de la localisation

prédominante des deux syndromes. C'est à cet égard que le cas actuel

m'a paru présenter quelqu'intérêt.

Observation.

Hystérie à stigmates et à symptômes prédominant du côté gauche coïncidant

avec le syndrome de Graves à symptômes prédominant à droite.

Mme G... fréquente la consultation à l'hospice de Bicêtre depuis le 6 août

1889.

A cette époque, elle avait 49 ans. Elle raconta que son père, mort à 60 ans,

faisait de grands excès alcooliques, que sa mère morte à 75 ans à la Salpê-

trière, d'accidents cérébraux, avait toujours été très nerveuse, impressionnable,

pleurant facilement, et qu'elle présentait, depuis l'âge de 35 ans, une contrac-

ture du pouce droit ( ? ) survenue à la suite d'une émotion. Les parents avaient

eu 14 enfants dont 11 étaient morts en bas âge ou dans l'enfance, la plupart de

convulsions. Elle survit seule : une soeur est morte à 25 ans d'une affection

aiguë de poitrine et un frère est mort à 44 ans, aussi d'une affection aigué de

poitrine, mais il était alcoolique.

Elle a toujours été chétive, mais on ne relève pas de maladies graves dans

son enfance, ni d'accidents nerveux. Elle a été réglée à 16 ans, et toujours ré-

gulièrement depuis, sauf au cours de ses grossesses et de ses allaitements. Elle

a été mariée deux fois. A 21 ans, à l'époque de ses premiers rapports sexuels

elle a eu une phlegmasie pelvienne. Elle a eu son premier enfant à 23 ans : son

fils a actuellement 25 ans, il est un peu sourd depuis qu'il a eu une fièvre ty-

phoïde à 9 ans, coléreux, mais pas d'accidents caractérisés. Au bout de 13 ans

elle a eu un enfant mort-né. Quelque temps auparavant, elle avait été traitée à

Lourcine pour une affection qu'elle ne décrit pas clairement; mais qui parut

avoir été un écoulement vaginal. En tout cas on ne relève chez elle aucune

trace de syphilis. A Lourcine elle a eu des attaques de nerfs qui commençaient

par une boule qui montait à la gorge, et on lui piquait le côté gauche sans qu'elle

sentît rien. Elle a eu depuis un garçon qui a 10 ans, intelligent, mais nerveux et

une fille qui a 7 ans (1889), et est très nerveuse : elle a des céphalés avec sen-

- sibilité du cuir chevelu, du somnambulisme. *

A 40 ans elle a eu une attaque de rhumatisme articulaire qui paraît avoir

duré 6 mois environ. Depuis cette époque les doigts sont restés un peu noueux,

496 en. féré

elle est sujette à des craquements dans les épaules ; et elle a souvent l'hiver des

douleurs vagues. Elle fait remonter à cette époque la saillie de son oeil droit.

Depuis 18 mois, à la suite d'un refroidissement qui a déterminé une bron-

chite, elle est sujette à des palpitations, et elle éprouve de temps en temps, la

nuit, des engourdissements douloureux du côté gauche, principalement dans le

membre supérieur. Elle sent des picotements et des fourmillements à l'extré-

mité des doigts : elle a une grande difficulté à mouvoir les parties engourdies.

Ces troubles se reproduisent quelquefois au réveil du matin. Quand elle a été

exposée à la lumière un certain temps ou qu'elle s'est frottée avec la main libre

ces troubles disparaissent. Cependant il lui reste une hémianesthésie perma-

nente de tout le côté gauche prédominant au membre supérieur, mais compre-

nant la sensibilité spéciale : tous les sens sont affectés du côté gauche, olfaction,

vision, audition, goût. L'oeil gauche a son champ visuel très rétréci, de l'achro-

matopsie, de la diminution de l'acuité visuelle. Le champ visuel est à peu près

normal à droite et aussi la vision des couleurs et l'acuité visuelle. Il existe un

certain degré d'amyasthénie à gauche. La commissure labiale est abaissée et

le pli uaso-génien est moins profond de ce côté, le dynamomètre de Régnier

donne 26 pour la main droite et 17 pour la gauche. La malade signale d'elle-

même une grande tendance à se tordre le pied gauche. Depuis qu'elle souffre

de ces engourdissements nocturnes et matinaux, elle est sujette à des bouffées

de chaleur et à des crises de sueur qui paraissent prédominer du côté droit.

Il existe du côté droit exclusivement une exophthalmie bien marquée : l'oeil

est plus ouvert mais se ferme bien ; sa pupille est plus dilatée que celle de l'au-

tre, mais se contracte bien à la lumière et pour l'accommodation. Les cligne-

.ments réflexes sont moins étendus il droite et quand la malade regarde en bas,le

mouvement d'abaissement de la paupière supérieure droite suit plus lentement

le mouvement de l'oeil.

La région cervicale antérieure ne présente aucun changement de volume;

le corps thyroïde paraît aussi normal d'un côté que de l'autre. Le pouls bat

96 fois par minute quand la malade est assise, 120 fois quand elle est debout ;

il est petit, régulier. Les battements du coeur sont perçus dans une grande

étendue et le pouls carotidien est très marqué. La respiration est aussi rapide

(2 par minute environ). Il existe un tremblement menu et régulier des doigts

manifestement plus marqué à droite.

Le malade a suivi divers traitements; ceux qui lui ont paru le plus favora-

bles ont été l'hydrothérapie et le traitement électrique de Vigouroux. Mais les

effets heureux furent transitoires en ce qui concerne les troubles du syndrome

basedowien. Quand les symptômes hystériques la laissait libre de ses mou-

vements, elle cessait tout traitement. Mais ces engourdissements nocturnes se

reproduisaient chaque fois qu'elle éprouvait un ébranlement physique ou mo-

ral, de sorte qu'elle a fréquenté la consultation pendant plusieurs années. On

la photographia plusieurs fois espérant toujours constater un changement;

mais l'examen attentif ne laissait pas de place à l'illusion, l'exophthalmie ne

s'est pas modifiée. Si on compare une photographie de novembre 1890 à

(PI. LXXIII, A) à l'état actuel (mai 1900) représenté par la PI. LXXIII, B

Nouv. Iconographie DE la SALP6TRIL`RE

T. XIII. PI. LXX111

A

13

C

D

HYSTERIE ET GOITRE EXOPHTALMIQUE ALTERNE

(Ch. Féré)

Masson & Cie, Editeurs

HYSTÉRIE ET GOITRE EXOPHTHALMIQUE ALTERNES 497

on ne trouve guère d'autres changements que ceux qui ont été apportés à sa

physionomie par l'âge. Depuis 1894 l'anesthésie sensitivo-sensorielle du côté

gauche a disparu. '

L'année suivante en octobre 1895, elle est venue consulter pour sa petite e

fille âgée lors de 13 ans et déjà réglée depuis un an et à laquelle elle a passé

dit-elle ses paralysies du côté gauche. Le fait est que la fille décrit tous les

anciens troubles nocturnes et matinaux dont la mère souffrait autrefois :

elle a aussi une hémianestbésie sensitivo-sensorielle à gauche bien marquée,

mais rien qui ressemble au goître exophthalmique. C'est à cette occasion que

nous avons remarqué que la ressemblance symptomatique du côté gauche chez

la mère et chez la fille coïncide avec une particularité morphologique aussi

concordante : les photographies des mains des deux sujets montrent au médius

gauche une concavité cubitale d'une ressemblance frappante (PI. LXXIII, C,

la mère et D, la fille).

Nous avons revu cette malade à différentes reprises. Les troubles sensitifs

sensoriels du côté gauche n'ont pas reparu, mais elle a de temps en temps des

phénomènes d'acroparesthésie nocturne ou matinale. L'exophthalmie n'a pas

changé, ni la tachycardie ; le tremblement est un peu moins apparent mais

nous l'avons enregistré et il présente toujours le même rhythme caractéristique

et une même prédominance à droite. Le coeur est resté sain.

En somme c'est un fait qui présente un certain intérêt au point de vue

clinique non seulement par la localisation alterne des deux syndromes :

hystérie à gauche, basedowisme à droite ; mais aussi par la bénignité de

l'évolution du syndrome basedowien.

' Les symptômes basedowiens se sont manifestés longtemps après l'appa-

rition des premiers symptômes hystériques qui ont disparu les premiers.

On peut voir encore une trace de la prééminence de l'hystérie dans la trans-

mission héréditaire qui s'est faite avant l'apparition des phénomènes

basedowiens. La persistance de ces derniers peut s'interpréter par la sur-

vivance des troubles de la sécrétion thyroïdienne qui, une fois installés

sous l'influence des troubles vaso-moteurs hystériques sont devenus per-

manents en raison d'une modification secondaire permanente de la .

structure de la glande. '

Je ne reviendrai pas ici sur l'intérêt des coïncidences des malforma-

tions unilatérales avec la localisation prédominante des symptômes hys-

tériques (1).

(1) Ch. Féré : Hysteria (TwwTicTn,Ceattury praclice of ? nedecine, 1897. No-Y., vol. X,

p. 51).

TABES TROPHIQUE. ARTHROPATHIES. RADIOGRAPHIE

Par E. DUPRÉ et A. DEVAUX.

L'histoire des arthropathies tabétiques, inaugurée il y a trente ans par

Charcot est déjà riche de documents anatomiques et cliniques de tout genre.

Si l'observation suivante nous a paru digne d'être publiée, c'est qu'elle

apporte à l'étude de la question un document radiographique, relative-

ment nouveau, dont les résultats et l'interprétation sont intéressants à

rapprocher des données de l'examen clinique.

La Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière n'a encore publié qu'un

travail (-1), illustré de radiographies d'arthropathies tabétiques. Notre cas

vient à point, pour continuer la série. Voici l'observation résumée :

*

. "

Albert T..., tapissier, 54 ans, entre le 11 avril 1900, salle Béhier,

Hôpital Laënnec.

Aucun antécédent héréditaire intéressant à signaler. Dans les antécédents

personnels, à part plusieurs blennorrhagies contractées entre 20 et 25 ans

pas de maladies sérieuses à signaler. Pas d'alcoolisme. Il est impossible

de retrouver dans l'histoire du malade la syphilis. Marié à 27 ans, le ma-

lade a eu un premier enfant mort d'éclampsie en bas âge. un second, bien

portant, actuellement soldat. Sa femme a fait ensuite une fausse couche

de trois mois, sans cause appréciable.

Début de l'affection il y a vingt ans par une paralysie du droit interne

de l'oeil droit, qu'Abadie soigne durant trois mois, et qui disparaît brus-

quement au bout de ce temps.

En 1880, chute sur la plante des pieds de la hauteur de quatre échelons :

rupture du tendon d'Achille droit.

En 1890, apparition, d'abord à droite, puis dans les deux membres in-

férieurs, de douleurs fulgurantes. Quelques années plus tard, un peu de

maladresse dans les mouvements délicats des doigts, quelque difficulté à

se conduire dans l'obscurité. Agénésie.

(1) GIBEAT, Les arthropathies tabétiques et la radiographie . Nouv. Iconogr. de la Sal-

pêtrière, mars-avril 1900.

TABES TROPHIQUE, ARTHROPATHIES, RADIOGRAPHIE 499

En 1897, début des arthropathies. Le genou gauche, insidieusement et

sans douleur, augmenta de volume, à l'insu du malade, qui ne finit par

s'en apercevoir qu'à une certaine gène qu'il éprouvait, dans son travail,

à gravir son échelle. Révulsion iodée, compression ouatée, enfin ponction

aspiratrice, qui donne issue à 250 grammes de liquide citrin légèrement

sanguinolent. Nouvelle augmentation, puis diminution de volume de la

jointure,qui, étant devenue le siège de mouvements anormaux de latéralité,

fut mise dans un appareil silicaté.

En novembre 1899, même évolution du côté du genou droit, qui devint

si volumineux que le malade éprouvait de la difficulté à passer son pan-

talon. Ponction : on retire 300 grammes de liquide sanguinolent. Peu

après, l'article redevient, malgré l'évacuation de l'épanchement, volumi-

neux et tendu. En cet état, le malade quitte l'hôpital Bichat; et, peu après,

nous est amené à Laënnec.

L'état actuel est le suivant. Bon état général : aucune lésion vésicale :

ni sucre ni albumine. Réflexes tendineux abolis; réflexe crémastérien

aboli à gauche, très léger à droite. Réflexes cutanés, surtout le réflexe

plantaire, un peu diminués, sans dysesthésie notable : légère hypoes-

thésie plantaire, un peu de sensation de tapis sous les pieds. Anesthésie

pharyngée, testiculaire; un peu de paresse vésicale : constipation légère.

Diminution nette du sens musculaire, de la notion de position des mem-

bres. Signe de Romberg, difficile à constater, à cause de l'incertitude de

la station debout sans béquilles, due à l'état des genoux. Signe d'A. Ro-

bertson positif : papilles inégales, déformées.

Légère ataxie dans les mouvements délicats des doigts : difficile à ap-

précier dans la marche,à cause des artropathies.Le malade depuis plusieurs

mois, ne marche plus qu'avec des béquilles : ses articulations des genoux

lui semblent formées de deux grosses billes roulant l'une sur l'autre en

tous sens, dès qu'il se tient debout.

Périmètre du genou gauche : 0,42 centim.

. Périmètre du genou droit : 0,48 centim.

Les deux articulations, absolument indolores, susceptibles de mouve-

ments de latéralité assez étendus, sont le siège de gros craquements et de

frottements perceptibles à la main et à l'oreille. La déformation, due à

gauche presque uniquement à l'état des parties solides de l'articulation

est due à droite principalement à un énorme épanchement liquide qui

distend les culs-de-sac et remplit toute la cavité synoviale. L'exploration

attentive de la jointure ne permet pas de retrouver les saillies et méplats

de l'état normal : tout est déformé, augmenté de volume, enchâssé dans

une gangue dure et résistante, irrégulière, qui permet à peine de distin-

guer en avant la rotule. De chaque côté de celle-ci, à droite se dessinent

500 DUPRÉ ET DEVAUX

deux saillies oblongues, qui correspondent aux culs-de-sac distendus par

l'hydarthrose. Des deux côtés le creux poplité est comblé en partie par

des masses irrégulières, qui masquent au doigt les battements de l'artère ;

à droite la palpation reconnaît, sur la ligne médiane et légèrement en de-

dans, deux petites masses dures, plates, allongées, qui semblent dues soit

à des ostéophytes, soit aux cartilages semi-lunaires luxés et indurés. Dans

la station debout, le malade, sur ses béquilles, se tient dans la position

indiquée par la photographie.

Du côté des pieds,existe une laxité ligamenteuse anormale qui permet

la mobilisation des articles libio-tarsien, tarso-métatarsien et phalango-

métatarsien, au delà des limites physiologiques : ces manoeuvres, absolu-

ment indolores, s'accompagnent de craquements.

Le malade est transporté à la Salpètrière, au laboratoire de photogra-

phie du D' Londe, à la clinique de M. le professeur Raymond.

L'examen des clichés (Pl. LXXIV et LXXV) démontre avec netteté que

l'hypertrophie et la déformation articulaire sont dues.beaucoup moins aux

lésions des extrémités osseuses proprement dites, qu'aux changements de

rapport de ces extrémités les unes relativement aux autres, à l'existence

de l'épanchement, et à la présence de productions ostéo-fihreuses siégeant-

surtout dans la capsule et la synoviale. L'intégrité relative des épiphyses

contracte, ici avec l'atteinte des éléments fibreux de l'articulation. Les

condyles fémoraux des deux côtés, ainsi que les rotules présentent en effet

Nouv. Iconographie DE la Salpêtriére T. XIII. PI. LXXIV

ARTHROPATHIE TABETIQUE DU GENOU GAUCHE

. (E. Dupré et A. 'Dcvaux)

TABES TROPHIQUE, ARTHROPATHIES, RADIOGRAPHIE 501

un aspect normal, et le plateau tibial gauche seul parait manifestement

hypertrophié. Des deux côtés, on constate une subluxation en avant de la

rotule, et du fémur en arrière ; les subluxations ont été probablement

produites par l'épanchement, qui a surdistendu et relâché la capsule et les

ligaments. *

Le rapprochement des constatations cliniques et des révélations radio-

graphiques est ici fort instructif, en démontrant la part respective prise

dans le complexus de l'arthropathie tabétique, par les lésions des os, de la

capsule, de la synoviale, et des tissus périarticulaires. M. Gibert a publié,

dans le travail que nous avons cité, une observation analogue à

(observ. II), dans laquelle l'examen radiographique a montré

tuméfaction osseuse, qu'on avait crue si considérable est en somm(

d'importance (PI. XXII). Les os ont à peu près un volume norma

pareils à ceux du côté sain.-Mais,dans les tissus périarticula ires (1 i¡ : £

tendons, parties molles), sont semés des ilots osseux, indépend,... .w

uns des autres, et à des distances diverses de l'articulation. Il paraît en

exister dans l'interligne articulaire d'une part, et entre la face antérieure

du fémur et la rotule, d'autre part ».

Il est probable que le progrès des éludes radiographiques en multipliant t

les observations analogues à ces deux cas, permettront de distinguer, à côté

de l'ostéoal'thropathie tabétique classique, un type anatomique un peu diffé-

rent, non dans sa nature ni ses conséquences, mais dans la répartition des

lésions plus fibreuses qu'osseuses, qu'on pourrait dénommer la pél'iartl'o-

patlaie tabétique.

De plus, notre malade, tabétique depuis vingt ans, et affecté de lé-

sions trophiques si monstrueuses du côté des genoux, d'arthropathisatioll

latente des pieds (JÜrgens, Marie), qui,en outre, a présenté sous l'influence

d'un léger traumatisme, une rupture du tendon d'Achille droit, n'a guère

offert, de tous les accidents de la série tabétique, que quelques troubles

sensitifs légers. Les désordres de la marche relèvent chez lui non pas de

l'ataxie mais de l'impotence articulaire. Notre observation vient donc

à l'appui de la thèse défendue par Brissaud (1), de la fréquence de l'as-

sociation des troubles trophiques aux troubles sensitifs dans le labes. Si,

à l'exemple des Pis Brissaud et Grasset, on est en droit* au nom de l'ana-

lyse clinique, de distinguer dans la symptomatologie si riche et si

variée du tabes, des variétés motrices, sensitives, trophiques et mixtes,

supérieures et inférieures, etc., notre observation a trait à un tabès infé-

i-ieui-,sensi tivo- t i-opli lque,à localisation articulaire et périarticulaire fibreu-

se, et à évolution lente. -

(1) E. Bwssnou. Leçons sur les maladies nerveuses (Salpêtrière), recueillies par Il.

Meige, 1·l' volume, 14° et 15e leçons (lS9ô).

LES OSTLO-ARTHI30PA'rHILS VERTÉBRALES

DANS LE TABES

(Suite et fin)

Par JEAN ABADIE

. Interne (médaille d'or) des hôpitaux de Bordeaux.

ANATOMIE PATHOLOGIQUE.

Les quelques données anatomo-pathologiques qui suivent sont basées

sur trois autopsies (obs. I, II, IV), et sur l'examen des pièces provenant

du musée de la Salpêtrière (obs. III). Elles sont par conséquent insuf-

fisantes, mais les lésions qu'elles relatent sont presque identiques. Cette

similitude va nous permettre une description générale.

Nous ne parlerons d'abord pas de l'aspect des lésions ni des modifica-

tions mécaniques des organes splanchniques. Nous avons suffisamment

décrit au chapitre précédent les différentes formes de gibbosité, les cour-

bures secondaires de la colonne vertébrale et les déformations consécutives

des cages osseuses qui lui sont annexées. Nous n'y reviendrons pas. Nous

n'insisterons pas non plus sur l'étal des viscères et des parties molles juxta-

vertébrales. Il est noté dans les observations une intégrité apparente des

premiers; quant aux seconds, muscles des gouttières, épineux, ligaments

propres de la colonne vertébrale, il n'en est fait aucune mention. Deux

seulement rapportent l'état des méninges rachidiennes : elles étaient

saines, un peu épaissies cependant au niveau de la face postérieure des

vertèbres altérées. Dans un cas même, la dure-mère présentait un aspect

tomenteux. Mais jamais on n'a trouvé de suppuration ou de dépôts caséeux

à la sur,face.

.

Nous nous bornerons donc à décrire les altérations des vertèbres elles-

mêmes. Et pour aller du simple au compliqué, nous examinerons d'abord

les vertèbres cervicales, puis les dorsales, enfin les lombaires.

Les vertèbres cervicales gardent toujours leur forme et leur aspect habi-

tuels : il n'existe pas chez elle de modifications très apparentes. Un déve-

loppement quelquefois exagéré des apophyses épineuses, transverses et

articulaires, une légère inclinaison des faces supérieure et inférieure, une

Nouv. Iconographie de la Salpêtkiere T. XIII. PI. LXXV

ARTHROPATH1E TABETIQUE DU GENOU DROIT

(E. Dupré et A. 'Devaux)

LES OSTÉO-ARTHROPATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 503

tendance des bords à s'amincir et à se renverser, un aspect dépoli et

grenu sont à peu près les seules particularités à noter.

Ces détails s'accentuent au sur et à mesure que l'on descend le long de

la colonne vertébrale : ils deviennent bientôt très apparents et ces carac-

tères s'exagèrent enfin au niveau des dernières vertèbres dorsales. Les

apophyses ne sont pas anormalement développées d'une manière uniforme :

au milieu d'apophyses épineuses normales, une autre apparaît volumi-

neuse, quadrangulaire, garnie de saillies et d'aspérités. Les faces sont de

moins en moins horizontales et parallèles, elles s'inclinent l'une vers

l'autre surtout dans le sens transversal. Les bords se retournent festonnés

en lamelles ou dentelés, et augmentent les diamètres du corps de la ver-

tèbre. La circonférence possède une gouttière profonde, elle est comme

excavée. L'os, en ce point, est garni de bosselures, d'aspérités irrégu-

lières, de fines cannelures sculptées en colonnes. Les dernières dorsales

sont plus particulièrement atteintes : on peut voir, en outre, une soudure

complète de deux d'entre elles, unies non seulement par leurs faces cor-

respondantes, mais encore sur toute la longueur de leurs pédicules et de

leurs apophyses épineuses. D'autres présentent des proliférations ostéo-

phytiques. Du bord de la vertèbre part une exostose plus ou moins sail-

lante, dont l'extrémité va repousser le corps vertébral voisin ou s'articu-

ler avec lui.

A la colonne lombaire, les lésions atteignent leur maximum de déve-

loppement. Elles se présentent ici sous deux formes bien distinctes, la

forme atrophique et la forme hypertrophique : elles réalisent ainsi les

deux types anatomo-pathologiques décrits par Charcot dans toute arthro-

pathie tabétique. Parmi les vertèbres lombaires, en effet, les unes s'altèrent

profondément dans leur structure et leurs formes ; des portions entières

d'os disparaissent, elles deviennent méconnaissables. Les autres au contrai-

re ont gardé leurs parties constitutives normales, mais elles y ajoutent des

productions osseuses nouvelles, irrégulières, imprévues de formes et de di-

mensions essentiellement variables. Ce sont ces deux types que nous allons

décrire. Le processus atrophique se localise sur une, même sur deux ver-

tèbres, pas davantage ; ce peuvent être la première lombaire, la deuxième

ou simultanément la troisième et la quatrième lombaires. Le corps de la

vertèbre a subi un écrasement latéral ; il ne reste de lui qu'une moitié,

souvent un tiers. Une masse pesante semble avoir aplati un de ses

côtés. Les deux faces s'inclinent rapidement l'une vers l'autre et se con-

fondent en un bord tranchant. La vertèbre affecte alors la forme d'un

coin. La grosse extrémité du coin répond aux portions osseuses intactes,

elle est donc peu modifiée ; il faut signaler cependant une diminution de

la hauteur du corps vertébral en ce point, une excavation profonde de ce

504 JEAN ABADIE

qui reste de la gouttière transversale, enfin une exagération des dentelu-

res des bords. La face supérieure et la face inférieure sont irrégulières,

rugueuses, d'aspect poreux. La région malade ressemble à une lame de

pierre ponce. Quant à l'arête vive du coin, elle est formée par la rencon-

tre des deux faces, elle est antéro-postérieure ou très légèrement oblique,

elle vient buter contre le corps vertébral sous-jacent et semble prête à s'y

enfoncer. Du côté écrasé, la lame, le pédicule sont dépolis, minces et fria-

bles ; l'apophyse articulaire inférieure correspondante a disparu dans l'é-

crasement. Les apophyses articulaires supérieures sont inégales et ru-

gueuses, l'apophyse épineuse est toujours volumineuse.

Tel est le processus atrophique. Il comporte des modifications de formes

et de structure d'une ou de plusieurs vertèbres lombaires ; il peut se défi-

nir : écrasement latéral du corps vertébral. Par un procédé inverse,le pro-

cessus hypertrophique va y remédier et suppléer par des néo-formations

osseuses à la disparition des segments osseux atrophiés. Les caractères de

ce second type seront par conséquent plus saillants dans les vertèbres voi-

sines des précédentes. Le corps vertébral situé au-dessous de la vertèbre

atrophiée a une hauteur moindre que la normale ; cette hauteur est diffé-

rente suivant le côté considéré, elle est plus grande du côté de la grosse

extrémité de la vertèbre cunéiforme, plus petite du côté du bord tranchant.

Ses bords sont très renversés et la gouttière transversale y gagne en con-

vexité et en profondeur. Mais ce qui fait par dessus tout la caractéristique

de celte vertèbre, c'est l'élargissement extrême de sa face supérieure qui

peut atteindre jusqu'à huit centimètres dans son plus grand diamètre trans-

versal. Cet élargissement est dû en partie à l'excavation de cette face, au

renversement des bords qui la continuent au lieu de la limiter, enfin et

surtout à la présence des masses ostéophytiques largement implantées sur

sa circonférence et développées transversalement. Ces ostéophytes ont une

surface inférieure lisse, mamelonnée, qui se poursuit sur la gouttière et

se confond avec elle ; une surface supérieure rugueuse au contraire, garnie

d'aspérités, de dépressions irrégulières, tout comme la face de la vertèbre

elle-même dont elle n'est en somme que le prolongement. Ce vaste piédes-

tal supporte à la fois la vertèbre atrophiée et celle qui la recouvre. Cette

dernière présente de son côté les mêmes caractères, mais chez elle, c'est la

face inférieure qui voit ses diamètres transversaux s'accroître, grâce encore

à laprésence de volumineux ostéophytes.Ceux-ci viennent prendre un point

d'appui résistant sur les ostéophytes correspondants inférieurs. Ils enser-

rent tous ensemble la vertèbre malade, comblent les portions osseuses

disparues et assurent ainsi un équilibre suffisant. Quant aux autres vertè-

bres lombaires, elles offrent les mêmes caractères, mais il des degrés moin-

dres et d'autant moins accusés qu'elles sont plus éloignées du point maxi-

LES OSTGO-AH'fllHOPATQI1;S VERTÉBRALES DANS LE TABES 505

mum des lésions. En général, elles ont des dimensions exagérées mais

inégales dans une même vertèbre, d'où une inclinaison des faces l'une vers

l'autre. Ces faces sont dépolies, dépourvues par plaques de cartilage d'en-

croûtement et de tissu compact : au travers de ces plaques, on voit le tissu

spongieux de l'os dont les travées sont moins nombreuses, moins enche-

vêtrées elles aréoles dilatées en véritables lacunes. Les bords vertébraux

sont très irréguliers : ils présentent sur toute leur étendue de petites exos-

toses de forme et de volume variables. Généralement triangulaires, ces

exostoses s'engrènent avec celles des bords correspondants à la façon de

synarthroses.Elles sont disposées du même côté et forment une série super-

posée et décroissante de diminutifs. Elles représentent la miniature de plus

en plus petite des grands ostéophytes que nous décrivions plus haut. Ce

sont là les lésions habituelles des vertèbres lombaires. Nous en aurons fini

avec elles, en signalant en dernier lieu la présence d'exostoses indépen-

dantes, volumineuses, susceptibles de refouler par leur extrémité une

vertèbre voisine, au point de lui faire perdre tous rapports normaux, ou

bien encore l'existence de larges ponts de néo-formation, jetés entre deux

vertèbres et les unissant solidement entre elles.

Pour compléter Ja série vertébrale, disons en terminant que le coccyx

est généralement sain, mais que le sacrum présente certains caractères qui

rappellent de très près ceux des vertèbres lombaires. La face supérieure

sacrée est généralement dépolie et âpre, son bord est saillant, dentelé,

quelquefois exubérant et ses proliférations osseuses vont s'engrener avec

les créneaux correspondants situés sur le bord de la cinquième lombaire.

Les apophyses épineuses de quelques pièces sacrées sont volumineuses.

Les trous sacrés sont agrandis et leur pourtour s'effrite sous le doigt, cette

friabilité s'étend quelquefois au sacrum tout entier. Enfin, les gouttières

sacrées peuvent être comblées par la présence de lamelles ostéophytiques,

à base supérieure, adhérentes sur une longue étendue, libres aux extré-

mités, en saillie au devant de la convexité du sacrum.

Les différentes vertèbres, prises une à une, ont un trou vertébral par-

fait, jamais altéré, et, dans leur superposition suivant l'ordre anatomique,

le canal rachidien ainsi constitué reste largement calibré, malgré les in-

flexions diverses que peut faire subir à la colonne l'altération de l'un de

ses segments. De même, les trous de conjugaison restent en général per-

méables, et, si leur calibre diminue au niveau d'une vertèbre refoulée

ou partiellement écrasée, ils offrent là comme ailleurs un orifice de sortie

suffisant aux racines rachidiennes.

Nous n'avons pas soumis à l'examen histologique les différentes pièces

de la colonne vertébrale de nos tabétiques. Le microscope nous aurait

fourni les preuves de l'existence d'une ostéoporose, ou du moins d'une

xiii 33

50'; JEAN ABADIE

ostéite raréfiante en voie d'évolution, diminution des systèmes lamellaires,

dimensions exagérées des osléoplastes, élargissement des canaux de

Havers. Nous avons jugé ces recherches inutiles : la porosité de ces os, z

leur légèreté étonnante, leur friabilité sous la pression du doigt ou leur

rupture sous le moindre effort sont des preuves grossières, mais elles nous

ont paru suffisantes. De même, nous n'avons pas pratiqué d'analyse chi-

mique ; nous nous en tiendrons aux données précises fournies par Regnard

depuis longtemps et qui se résument en diminution des phosphates,

augmentation des éléments graisseux, avec conservation de la quantité

normale d'osséine, de carbonates et de chlorures (1).

Ainsi que nous venons de le voir, tout ce chapitre d'anatomie patholo-

gique se rapporte à des faits d'ostéo-arthropathies vertébrales, parvenues

à la période de localisation de lésions. A la période des déviations rachi-

diennes simples, l'existence de modifications apportées à la structure des

vertèbres, à l'étal de leurs moyens d'union, est pour nous suffisamment

démontrée par l'observation clinique : ces modifications précoces sont

assurément de moindre intensité que les précédentes, mais elles n'en

sont pas moins réelles. Malheureusement nous n'avons pu en faire le con-

trôle anatomique et, à la suite, essayer une étude d'ensemble. Aussi

cette partie de notre sujet reste-t-elle forcément incomplète.

ÉTIOLOGIE ET PATIIOG : i'¡¡E.

Les conditions dans lesquelles se produisent ces lésions sont difficiles,

pour ne pas dire impossibles à dégager de la symptomatologie abondante

et complexe des tabétiques. L'examen des causes générales ne peut nous

fournir que de vagues renseignements. Sur treize observations utilisables

nous avons rencontré neuf hommes et quatre femmes. Leur âge variait

de trente-cinq à soixante-six ans, avec une prédominance marquée de

cinquante à soixante. Leurs métiers et leurs professions étaient ceux des

malades de toute clientèle hospitalière : boulanger, camionneur, commis-

sionnaire, etc. etc., exposant aux travaux pénibles et aux privations.

L'histoire des antécédents de ces malades ne contient aucune trace d'affec-

tions à localisation osseuse ou articulaire. Dans l'enfance, aucune ma-

nifestation rachitique, plus tard jamais de tuberculose osseuse, en parti-

culier vertébrale, pas de diàthèse rhumatismale soit aiguë, soit chronique.

Quelques infections banales, la syphilis dans la proportion habituelle du

tabès. Certains de ces malades étaient parvenus à un âge où peut débuter le

processus physiologique d'ostéoporose sénile. L'étude des causes occasion-

nelles n'est pas davantage de nature à jeter sur l'étiologie de l'affection un

(1) 13EGN.IIiD, Soc. de Biologie, 1880.

LES OS'fÉO-ARTHROPA'fQIES VERTÉBRALES DANS LE TABES o07

jour plus brillant. A peine trouve-t-on il l'origine de ces arthropathies

quelques faits de traumatisme direct ou indirect, de fatigue des muscles

moteurs de la colonne vertébrale, de surmenage physique général, de pri-

vations ou d'ennuis moraux. Les rapports avec les diverses manifestations

du tabes lui-même sont inconstants et la recherche des liens d'union ne per-

met aucune formule précise. L'ostéo-arthropathie vertébrale apparait de

dix à quinze ans après le début des douleurs fulgurantes, il faut cependant

signaler la présence de débuts précoces, contemporains des premiers

symptômes douloureux. Nous n'avons pu établir de relations bien appa-

rentes entre les phénomènes d'arthropathie vertébrale d'un côté, et de

l'autre, les troubles de motilité, des sens spéciaux ou de la sensibilité

générale, l'état des réflexes ou les complications trophiques.

Cependant nos observations ont trait à des cas de tabes plutôt moteurs

que sensitifs. De plus, beaucoup d'entre elles rapportent la coexistence

de lésions ostéo-articulaires de siège variable, mais de même nature : ar-

tropathies types des articulations coxo-fémorales, du genou, de l'articu-

lation acromio-claviculaire, luxation trapézo-métacarpienne, fracture

spontanée de jambe, craquements articulaires généralisés, etc.

Le degré de fréquence des complications vertébrales tabétiques est en

réalité peu élevé. Haïtien le prouve par une statistique de douze malades,

Mirallié ne donne pas de chiffres, mais il a passé en revue tous les tabéti-

ques du service de M. Déjerine. Nous n'apportons pas ici nous-mêmes de

données numériques exactes. Nous avons depuis longtemps examiné sys-

tématiquement le rachis d'un grand nombre de tabétiques et de cet examen

nous avons retenu sept fois seulement des malformations de la colonne

vertébrale. Un seul cas, il est vrai, s'imposait par l'intensité des symptô-

mes et répondait aux descriptions données jusqu'ici. Six au contraire ont

trait à des déviations rachidiennes simples, susceptibles d'échapper à des

recherches sommaires. La connaissance de ces inflexions simples doit né-

cessairement faire augmenter'le nombre des ostéo-arthropathies vertébrales

tabétiques et de 'nouvelles statistiques, plus étendues, mieux établies,

fourniront une proportion beaucoup plus élevée et plus exacte.

Quant à rechercher la cause réelle des lésions vertébrales tabétiques,

c'est essayer de résoudre le problème difficile de t'arthropathie tabétique

en général. Charcot, depuis longtemps, a incriminé une altération des

cornes antérieures; d'autres, plus précis, pensent à des modifications de

centres vaso-moteurs médullaires. Buzzard va môme plus loin, il admet

l'existence de centres articulaires dans le bulbe et croit à une perturba-

tion de ces centres. Une autre opinion est celle de Westphal, Pitres et

Vaillard, Déjerine, Oppenheim, qui voient dans les arthropathies du tabès

une résultante clinique de névrites périphériques dont la fréquence est si

508 JEAN ABAD1E

grande dans cette affection. Dans cet ordre d'idées, Marinesco (1) donne

une explication pathogénique ingénieuse. La nutrition des tissus, dit-il,

éveille dans les extrémités sensitives des excitations que reçoivent les cen-

tres vaso-moteurs de la moelle : ceux-ci réagissent à leur tour par voie

réflexe sur la périphérie et font naître dans les tissus une sorte de tonus

destiné à mieux assurer la nutrition. Si pour une raison quelconque, les

nerfs sensitifs articulaires sont altérés, il y a insuffisance de réactions

vaso-motrices et troubles nutritifs de ces articulations. A la suite de Ma-

rinesco, Mouchet et Coronat (2) admettent cette théorie : pour eux, l'ar-

thropathie tabétique est due à une insuffisance de nutrition de cause

réflexe. Si l'insuffisance d'excitation sensitive existe seule, l'arthropathie

réalisée est du type atrophique, mais si, avec cette insuffisance, il y a un

mécanisme de compensation par les fibres restées intactes, suivant la loi '

des compensations spontanées établie par Bizzozero et ses élèves, à la

forme atrophique se joint en plus la forme hypertrophique. D'autre part,

Chipault (3) a démontré encore que, dans les arthropathies de cause né-

vritique pure, les troubles articulaires se localisaient de préférence dans

les petites articulations. Dans ces mêmes lésions arthropathiques, le pro-

cessus pathologique s'exerce plus facilement et plus fréquemment sur le

tissu osseux que sur l'article proprement dit : l'ostéopathie l'emporte sur

l'arthropathie. Il n'en est pas autrement dans les altérations vertébrales

que nous avons étudiées au chapitre précédent. C'est une raison de plus

de croire à l'origine périphérique des ostéo-arthropathies de la colonne

dans le tabes. Mais, tout en reconnaissant que la théorie des névrites

périphériques a pour elle, en général et dans ce cas particulier, la majo-

rité des faits cliniques et anatomiques, nous ne pouvons cependant

prendre ici un parti quelconque. Nous n'apportons nous-même aucun

élément nouveau dans la discussion, et, pour ce motif, nous nous abs-

tiendrons.

Mais ce que nous voulons et ce que nous pouvons faire, c'est essayer

de donner une explication pathogénique de l'ostéo-arthropathie elle-même,

non plus dans son essence, mais dans son évolution. C'est donc la patho-

génie des lésions que nous allons entreprendre. Dans cette partie de notre

travail l'hypothèse occupe la plus grande part : aussi chercherons-nous à

fonder notre raisonnement sur le plus grand nombre possible de faits

réels, et, si l'interprétation est susceptible de critique et d'erreur, les ar-

guments n'en resteront pas moins vrais.. .

Le tabétique dont le squelette présente des lésions si profondes, a dû,

(1) Marinesco, Revue neurologique, 1894, p. 409.

(2) Mouchet et COBONAT, loc. cit.

(3) CIIIPA¡;Lf, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1894.

LES OSTÉO-AIITIIROPSTHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 509

pour parvenir au terme même de son affection, parcourir différentes éta-

pes que la clinique nous a appris à désigner sous le nom de période de

déviations simples, période de phénomènes brusques et bruyants, période

enfin de localisation des lésions. Au début du mal, les déviations simples

ne s'installent pas d'emblée et sans raisons. Avant d'être pathologiques

et permanentes, elles ont été physiologiques et transitoires, commandées

par les nécessités professionnelles ou par les exigences d'un accident pré-

dominant du tabes. Voici en quoi : certains métiers, pénibles ou assidus,

impliquent la nécessité de mouvements étendus ou répétés du tronc, d'at-

titudes vicieuses longtemps prolongées. Le boulanger se courbe sur la pâte

à pétrir et sollicite à chaque instant sa colonne vertébrale par de violen-

tes contractions musculaires. Le commissionnaire traîne sa charrette et

fait effort sur la bretelle passée autour de son épaule. Le camionneur

charge son dos de fardeaux.pesants et s'aide de son bras pour les mainte-

nir en équilibre. La piqueuse à la machine, l'employé de bureau restent

penchés l'une sur sa couture, l'autre sur ses copies et immobilisent pen-

dant des heures entières leur rachis en une longue courbe antéro-posté-

rieure. La répétition de ces mouvements professionnels aura pour résultat

de transformer une courbure vertébrale passagère, nécessitée par les be-

soins du moment en une déviation permanente et suivant le sens sollicité,

créera une lordose, une scoliose latérale droite ou gauche, une cyphose

ou une association de ces courbures. Un symptôme inquiétant, une grosse

complication du tabes réalisent les mêmes causes et, partant, amènent les

mêmes effets. Une hanche, disloquée par une énorme arthropathie, dé-

jette le bassin par côté ; la colonne vertébrale est entraînée, par cette chute

et par cette inclinaison du siège, surtout dans sa région lombaire ; elle sera

dans l'incapacité désormais de retrouver son équilibre normal. Le tabé-

tique, confiné au lit est dans l'impossibilité de mouvoir ses jambes, il se

déplace en se soulevant sur ses bras, mais aussi par des mouvements de

reptation du bassin qui se répercutent le long de son rachis, Le décubitus

dorsal ou latéral longtemps prolongé lui est pénible, il préfère rester assis,

il peut ainsi se livrer à quelques occupations, et, pour assurer davantage

son équilibre, il penche le haut du corps en avant, relâche ses extenseurs

des lombes, repousse le bassin en arrière et le cale avec ses oreillers.

D'autre part, il se penche plus volontiers du côté de la table disposée près

de son lit. Il va donc créer ainsi deux déviations vertébrales, l'une antéro-

postérieure, de meilleur équilibre, l'autre latérale, de meilleure adapta-

tion au milieu. L'amaurotique porte la tête' haute, il va droit, cambre ses

reins et se prépare une lordose dorso-lombaire permanente. Enfin celui

dont l'incoordination motrice des membres inférieurs domine, surveille

la folie de ses jambes, il se penche en avant pour diriger sa marche et ja-

510 JEAN ABADIE

lonner le chemin à parcourir. Il est d'abord voûté par nécessité, il le sera

bientôt définitivement. Et si l'incertitude de la marche commande déplus

l'aide d'une canne, il s'appuiera pesamment sur elle, et fera effort avec

les muscles du membre supérieur et de l'hémithorax correspondants : la

déviation première antéro-postérieure se compliquera d'une courbure

scoliotique latérale.

Il ne faudrait pas croire cependant que la répétition seule de la dévia-

tion rend celle-ci permanente. Ce serait une erreur grossière : on compte-

rait alors, en règle générale, beaucoup plus de malformations rachidiennes

professionnelles. A ce compte encore, la plupart des tabétiques seraient

pourvus d'ostéo-arthropathies vertébrales. Si la répétition, professionnelle

ou accidentelle, de l'acte vertébral est susceptible d'indiquer le sens de la

déviation de la colonne, l'altération trophique primitive des vertèbres et

de leurs articulations est seule capable de rendre la déviation permanente.

Le tissu osseux, altéré dans sa nutrition par la névrite probable du filet

nerveux nourricier, se raréfie. Le tissu compact d'enveloppe devient plus

mince, le tissu spongieux de soutènement se fait plus rare. La vertèbre

offre moins de résistance à la pression exercée sur elle. Or, du fait de

l'existence d'une déviation plus fréquente, cette pression s'exercera en des

points symétriques superposés dans la série vertébrale : ce sera l'extrémité

antérieure de chaque corps vertébral dans la cyphose, les parties latérales

dans les scolioses, le bord postérieur dans la lordose, ou des points inter-

médiairesfaciles à concevoirsi deuxde ces courbures se compliquent l'une

l'autre. Dans cette distribution, la plus large part revient aux segments

latéraux, en raison même de la plus grande fréquence de la scoliose. Le

surmenage partiel de la vertèbre va diminuer sa hauteur au point maximum

de pression. Elle va s'aplatir, les faces vont s'incliner l'une vers l'autre

' et dans le sens de la concavité de la courbure scoliotique. Les disques in-

tervertébraux, les surfaces articulaires, les ligaments vertébraux, trophi-

quement altérés d'abord et pour les mêmes raisons mécaniques ensuite,

vont subir des transformations correspondantes. Les muscles para-verté-

braux à leur tour, se relâchent du côté de la convexité et s'atrophient : ils

se rétractent du côté opposé. La déviation est devenue manifeste, lemalade

accuse alors une inclinaison anormale de son rachis. Elle sera bientôt per-

manente et il sera désormais dans l'impossibilité de mettre en jeu les mou-

vements vertébraux. Elle reste enfin progressive, car les mêmes causes

subsistent et ajoutent de nouvelles altérations aux modifications déjà ac-

quises. La période des déviations simples est ainsi constituée. Elle se

déroulera sans fracas et durera un temps indéterminé mais toujours long,

fixé seulement par l'intensité du processus dystrophique.

L'affection va se localiser : une vertèbre de la région lombaire présente

LES OSTÉO-ARTHROPATHIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 511

entre toutes une plus grande inclinaison, un plus grand tassement. Cette

résorption partielle peut atteindre son maximum, sans la moindre mani-

festation bruyante. Le corps vertébral voit disparaître insensiblement un

tiers, une moitié de son volume. Lentement autour de lui, les autres ver-

tèbres s'équilibrent, la colonne compense, au sur et à mesure qu'elle se

produit, la destruction d'un de ses segments. A la période de déviations

simples succède insidieusement la période de localisation des lésions.

Mais il n'en est pas en général ainsi. Au cours de la résorption verté-

brale progressive, survient un effort quelconque, un traumatisme souvent

insignifiant. La vertèbre la plus atteinte cédera sous cette pression inac-

coutumée. Le malade perçoit aussitôt un craquement lombaire, il est dû

à l'effondrement subit d'une partie latérale d'un corps vertébral. Une

douleur l'accompagne, la cause en est à la compression momentanée des

racines racbidiennes. Le phénomène est passager, c'est plutôt un choc

qu'une véritable compression, aussi la douleur est-elle vite dissipée. De

plus les racines rachidiennes sont elles-mêmes fortement altérées à ce

niveau : la réaction est moins violente et les phénomènes douloureux qui

la traduisent d'une intensité minime. Les vertèbres lombaires, deJeur

côté, semblaient prévoir la catastrophe et s'étaient mis en état de mieux

la supporter. Le processus hypertrophique avait fait son apparition : de

volumineux ostéophytes travaillaient déjà au soutènement vertébral au-

tour de la vertèbre mourante. Au-dessous d'elle, le corps vertébral s'est

creusé en cupule pour la recevoir. Au-dessus, l'os s'est arrondi en voûte

pour mieux résister. Des exostoses solides l'étayent solidement, en véri-

tables colonnes. La vertèbre supérieure, entraînée par l'écrasement latéral

de l'étage inférieur, sera ainsi arrêtée dans sa chute par les néo-formations

osseuses qui assureront sa fixité en s'articulant avec leurs homologues

inférieurs. Ce groupement d'une vertèbre malade et de ses moyens de

défense se manifeste cliniquement par une des nombreuses variétés de

gibbosité que nous avons étudiées au chapitre de la symptomatologie. La

colonne vertébrale est consolidée, mais, pour remédiera la lésion et assu-

rer au tronc une statique suffisante, elle va s'infléchir en courbures de

compensation variables suivant la direction de la déviation lombaire pri-

mitive. De cet ensemble de malformations vertébrales naîtront les lésions

de la cage thoracique, les viciations du bassin, les compressions des par-

ties molles, suivant le mode que nous avons déjà appris à connaître en

clinique.

Dans cette longue explication de la genèse des lésions, nous avons eu

surtout en vue, d'abord le processus anatomo-patboloique d'atrophie,

ensuite nous avons basé notre raisonnement en grande partie sur l'effon-

drement latéral d'une vertèbre lombaire. Nous l'avons fait parce que les

312 JEAN ABOEIE

rares autopsies mises à notre disposition nous ont révélé ce seul type de

lésions vertébrales. Mais ce serait encore une erreur de penser que l'écra-

sement latéral est obligatoire, qu'il constitue la seule altération possible et

qu'il entraine comme conséquence nécessaire le type hypertrophique. Ce

dernier peut exister primitivement, sans atrophie et tassement antérieur

d'un corps vertébral. On peut £ 11 effet trouver de volumineux ostéophytes,

jetés en pont entre deux vertèbres et les unissant étroitement entre elles.

Ils affectent d'autres fois des formes bizarres; solidement implantés par

leur base, ils vont par leur extrémité refouler une vertèbre voisine et lui

faire perdre définitivement ses rapports normaux. La gibbosité consécu-

tive, saillante en arrière ou rentrante, s'explique alors aisément sans

intervention de l'effondrement osseux. Ce doit être cependant des excep-

tions. De même encore l'écrasement peut s'opérer ailleurs que sur une

portion latérale de vertèbre, il peut se faire en un point quelconque du

corps vertébral. On conçoit facilement, après les raisons indiquées plus

haut, que dans une cyphose ou une lordose pures, les vertèbres soient

taillées en biseau d'avant en arrière ou d'arrière en avant, avec conser-

vation intégrale des segments latéraux. Bien plus la raréfaction osseuse,

pour une cause qui nous échappe, peut porter sur une autre partie de la

vertèbre, sur les apophyses; sur les lames, sur les pédicules. Elle peut

ainsi amener une séparation entre le corps vertébral et le support apo-

physaire en totalité ou en partie, entraîner une chute en arrière de ce

dernier et un glissement en avant du premier. Les deux fragments ont

perdu leurs rapports normaux de continuité, il est possible d'en mobiliser

un sans entraîner nullement le second. Enfin, le processus de dystrophie

osseuse peut porter non plus sur une surface appréciable, s'étendre sur

tout un segment du corps de la vertèbre, mais il peut se localiser en véri-

tables travées linéaires de résorption. Les lignes de moindre résistance

ainsi créées réaliseront sous le moindre effort de véritables fractures

spontanées, à la façon des fractures tabétiques des os longs. Nous avons

ainsi la raison pathogénique d'une série clinique dont nous n'avons pu

faire cependant la preuve anatomique.

Quoi qu'il en soit, qu'il y ait effondrement du corps de la vertèbre ou

de ses annexes, refoulement d'une vertèbre en totalité ou fracture spon-

tanée, les lésions ostéo-arthropathiques vertébrales ont une tendance in-

discutable à localiser leur maximum de développement dans la colonne

lombaire. La raison en échappe au premier abord, mais on peut la retrou-

ver à la fois dans la constitution anatomique des vertèbres, dans leurs

fonctions physiologiques et dans leur rôle pathologique. Les vertèbres

lombaires sont volumineuses et leur corps est presque exclusivement fait

de tissu spongieux. La disparition ou simplement la raréfaction des parties

LES OSTÉO-ARTIIROPATÜIES VERTÉBRALES DANS LE TABES 513

spongieuses centrales diminuera d'autant plus la résistance de la vertèbre

que le volume de la cavité de résorption sera plus grand. D'autre part,

en raison de leur situation, elles sont constamment soumises au maximum

de pression. Elles supportent non seulement le poids de la partie supé-

rieure de la colonne, des membres supérieurs et de la tête, mais elles

subissent encore des poussées incessantes de la part du bassin dans la po-

sition assise, de la part des membres inférieurs et de la résistance du sol

dans la station debout et dans la marche. Elles sont le point d'application

de deux forces inverses, constantes, de grande intensité l'une et l'autre.

La région lombaire est de plus la région la plus mobile de la colonne ver-

tébrale ; c'est elle qui constitue, à vrai dire, l'articulation du rachis. Sur-

menée physiologiquement, elle le sera pathologiquement du fait d'une

altération générale du tissu osseux vertébral. Elle le sera surtout dans le

tabes : cette affection comporte en effet des lésions névritiques fréquentes,

et parmi toutes les névrites périphériques, celles du plexus lombo-sacré

s'observent le plus souvent d'abord et présentent le maximum des lésions.

Il n'est pas étonnant par suite de penser une dystrophie comparative-

ment plus grande des vertèbres lombaires. C'est vraisemblablement pour

toutes ces raisons et pour d'autres encore qui nous échappent que les ma-

nifestations osseuses et articulaires prédominent dans le segment inférieur

de la colonne dorsale.

Telle est la théorie pathogénique que nous a suscité l'étude de cette affec-

tion. Elle est établie sur quelques faits démontrés et sur de nombreuses

hypothèses : elle nous paraît logique, ce sera notre excuse de l'avoir for-

mulée.

PRONOSTIC. DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT.

En somme, la présence d'ostéo-arthropathies vertébrales complique peu

le tabes. Le tabétique d'ailleurs n'en a cure : souvent il les ignorait com-

plètement. Dans les cas plus fréquents où il en a connaissance, elles ne

lui causent aucun souci. Son esthétique est rompue, il est difforme, bossu,

mais sa difformité lui importe peu, il n'en souffre point. Il assiste à la

rupture d'équilibre de sa colonne vertébrale, au télescopage de son tho-

rax dans son bassin, à l'immobilisation progressive de son rachis, mais,

plein de l'insouciance et de la bonne humeur qui caractérisent le tabéti-

que dans l'intervalle des crises paroxystiques douloureuses, il escompte

les jours meilleurs où il marchera mieux. D'autre part, dans les malfor-

mations rachidiennes trop étendues et trop gênantes, l'efficacité d'un trai-

tement orthopédique, la possibilité d'une consolidation vertébrale rendent

le pronostic meilleur. Cependant il ne faut pas oublier que ces ostéo-

arthropathies sont susceptibles de compressions intra-thoraciques, de

514 JEAN ABADIE

complications pulmonaires ou cardiaques qui peuvent hâter la fin du

malade. Enfin, malgré tout,leur existence comporte le pronostic du tabes,

qui, lui, est des plus sombres.

Diagnostiquer une arthropathie tabétique en général est chose facile.

La présence des symptômes cardinaux du tabes, le bouleversement arti-

culaire, l'évolution à froid, et surtout l'absence de réactions douloureuses

à la percussion violente, au tiraillement même brutal de l'articulation,

imposent le diagnostic. La difficulté croît avec les arthropathies des petites

articulations, la différence est .quelquefois difficile à établir entre elles

et quelques formes de rhumatisme chronique déformant ou quelques ma-

nifestations goutteuses. Elle ^atteint son maximum d'intensité dans le

diagnostic des ostéo-arthropathics vertébrales. Cependant si un ataxique,

dans l'énumération de la longue séquelle de ses accidents nous raconte

qu'après avoir présenté de la voussure dorsale, de l'incurvation du rachis,

de la perte de souplesse des mouvements du tronc, il est subitement de-

venu bossu, à la suite d'un traumatisme insignifiant, s'il nous montre

une gibbosité dorso-lombaire, une grosse déformation vertébrale et thora-

cique, si de plus il affirme n'avoir jamais souffert de ces désordres verté-

braux, nous serons en droit de penser d'ores et déjà à une ostéo-arthro-

pathie de la colonne vertébrale. Mais, nous le savons, le malade fait

rarement lui-même un pareil récit ; la cause en est soit au développement

insuffisant des lésions, soit encore à l'indolence même de l'affection, qui

le laisse dans l'ignorance complète de son mal. D'autre part, toute dévia-

tion du rachis, toute ostéopathie localisée vertébrale, constatée chez une

tabétique, ne reconnaissent pas pour seule raison un trouble trophique

dû aux altéralions de sa moelle. D'où en premier lieu, la nécessité d'ex-

plorer systématiquement le rachis de tous les ataxiques, et, en second

lieu, en présence d'une malformation rachidienne chez l'un d'eux, d'éli-

miner une à une toutes les causes d'erreur. Ce diagnostic différentiel doit 1

être établi pour chacune des trois périodes de la maladie.

Dans la première, il existe une ou plusieurs déviations simples, presque

toujours irréductibles et indolores. Parmi les inflexions vertébrales, de

caractères analogues, il faut signaler les déviations congénitales, celles

dues au rachitisme de l'enfance, aux attitudes vicieuses de l'adolescence.

A la suite peuvent se ranger les malformations professionnelles. Ce sont

là confusions faciles à éviter : les lésions vertébrales existaient déjà avant

l'apparition de tout symptôme tabétique, elles avaient même souvent

atteint leur complet développement. L'erreur est quelquefois facile à com-

mettre : nous pouvons citer l'exemple d'un malade du service de M. Pitres

ayant exercé la profession de scieur de long, atteint depuis quelques années

de tabès, chez lequel nous avons été tenté à maintes reprises de prendre

LES OSTÉO-ARTIIROPATB1ES VERTÉBRALES DANS LE TABES 515

pour une cyphose dorsale tabétique une superbe bosse professionnelle.

Il est d'autres déviations, dites compensatrices, qui accompagnent une

malformation des membres inférieurs, pieds-bots, genu valgum, luxation

congénitale etc., ou qui succèdent à des lésions vertébrales anciennes, tel-

les que tuberculose ou traumatisme : ici encore les dires du malade, l'his-

toire de ses antécédents suffiront à rectifier le diagnostic. Mais il est toute

une longue série de déviations rachidiennes symptomatiques d'affections

différentes dont la connaissance n'est pas sans intérêt. De ces déviations, les

unes succèdent à des cicatrices elles se reconnaissentfacilementetnenous

arrêteront pas.plus longtemps. D'autres, plus nombreuses et plus importan-

tes, trouvent leur cause dans des perturbations musculaires, paralysie ou

contracture des muscles extenseurs fléchisseurs ou Jatéro-fléchisseurs du

tronc. Enfin il faut connaître la cyphose cervico-dorsale du rhumatisme

chronique ankylosant, la cyphose supérieure de la maladie de Paget, la cy-

phose dorsale inférieure de l'ostéopathie hypertrophiantepneumique, l'an-

kylose vertébrale de la spondylose i-iiizomélique ; mais si de tels symptômes

vertébraux ont de grandes analogies avec les différentes formes de l'arthro-

pallie vertébrale tabétique, ces diverses affections elles-mêmes compli-

quent rarement le tabes et elles offrent d'autre part une symptomatologie

si spéciale, si différente que l'erreur n'est pas permise. Elle est plus facile

à faire,dans les scolioses de la maladie de Friedreich, aussi faut-il dans ce

cas éviter de prendre pour un ataxique vrai un hérédo-ataxique.

A la période de transition, trois éléments se surajoutent aux précédents,

le traumatisme, la douleur et la localisation lombaire. Mais ils ont encore

des caractères spéciaux, le traumatisme est léger, la douleur est passa-

gère, les lombes n'offrent encore aucune déformation apparente. Pour

ces motifs, à peine peut-on penser aux fractures, aux luxations banales,

aux entorses vertébrales, plus fréquentes dans cette région que partout

ailleurs, au lumbago, aux ostéo-arthrites infectieuses, rhumatismales

surtout. D'ailleurs le tableau symptomatique change aussitôt et la troi-

sième période va se dérouler longuement avec des signes plus nets.

L'ostéo-arthropathie est localisée dans la région lombaire : à ce niveau,

existe une gibbosité, au-dessus, la colonne vertébrale compense par des

déviations appropriées le manque d'équilibre de sa base : le thorax se dé-

forme, le bassin s'adapte aux nouvelles formes du squelette thoracique et

tous ces changements se font avec un manque absolu de douleurs. Cer-

taines vertèbres disparaissent en partie,s'émiettent; s'écrasent, d'autres

poussent des exostoses, suppléent aux portions disparues, sans que le

malade ait la moindre conscience douloureuse de ce double travail d'atro-

phie et de défense. Si l'on excepte les exostoses silencieuses de la syphilis,

516 JEAN ABADIE

les déformations dues à des traumatismes anciens, il n'est pas d'affection

vertébrale comparable à l'ostéo-arthropathie tabétique. Le mal de- Pott

dorso-lombaire seul a quelques analogies avec elle : tous deux possèdent

une gibbosité et des modifications osseuses secondaires, mais les douleurs

spontanées pottiques suffisent à elles seules pour établir une différence

fondamentale entre les deux affections. Et, si les crises douloureuses du

tabès jointes aux lésions du rachis pouvaient un instant faire naître le

doute, il resterait encore au mal vertébral ses symptômes de suppuration

et les phénomènes de compression radiculo-médullaire bien différents de

ceux de la sclérose des cordons postérieurs. L'ostéo-arthropathie tabétique

garderait pour elle l'absence de toute sensation douloureuse à la palpa-

tion, à la pression, de la gibbosité, et le calme le plus complet des vertè-

bres même à la percussion énergique. En dernier lieu enfin, une injection

de tuberculine et l'absence de toute réaction fébrile affirmerait le diagnos-

tic d'une façon définitive.

Poser un diagnostic rapide et sûr n'est d'ailleurs pas de toute impor-

tance, car la présence de cette complication assombrit peu le pronostic du

tabes et les besoins d'une thérapeutique promptement appliquée ne se font

nullement sentir. Il n'importe guère en effet de remédier au plus vite à une

affection qui gêne à peine le malade, qui ne met nullement ses jours en

danger et qui, en somme, compromet seulement son esthétique. Aussi les

indications thérapeutiques sont-elles peu nombreuses et les modes de

médication se bornent au traitement orthopédique. Krônig fut le premier

et le seul à appliquer ce traitement à ses arthropathiques : il fit porter un

corset plâtré de Sayre à deux d'entre eux, il appliqua au troisième un

corset fabriqué sur ses indications par le Dr Beely et fait d'acier et de ba-

leines. Les résultats furent nuls chez les deux premiers, ils furent remar-

quables chez le dernier, aussi Krônig recommande-t-il avec insistance l'ap-

pareil dont il s'est servi. Ce troisième malade, dit-il, ne pouvait aller et

venir, il avait grand'peine à se tenir debout et n'y parvenait que grâce au

secours d'une canne. Grâce au corset, il put marcher, même sans appui.

L'amélioration persista dans la suite, le malade put quitter son corset et

marcher d'une façon aussi correcte que lui permettait l'incoordination mo-

trice de ses jambes. L'immobilisation, pense l'auteur allemand, a favorisé

la production de travées osseuses ou ligamenteuses, permettant d'assurer

la fixité des vertèbres entre elles. L'explication en vaut certes une autre,

le fait est possible, mais il ne nous parait pas suffisamment démontré.

Quant à nous, nous nous sommes abstenu. Parmi nos malades, les uns

étaient confinés au lit par la seule incoordination de leurs membres infé-

rieurs, ils n'avaient que faire d'un corset destiné à redresser leurs lombes.

LES OSTÉO-AHT11ROPATIIlES VERTÉBRALES DANS LE TABES 517

Les autres allaient et venaient, chacun suivant ses moyens ; mais aucun ne

se souciait de traiter d'une manière aussi pénible un mal qui ne lui causait

ni douleur, ni gêne, ni inquiétude. Nous avons pensé comme eux, et,

tout en reconnaissant que le traitement orthopédique peut seul remédier

à des lésions vertébrales trop brutales ou trop étendues, nous n'avons pas

voulu ajouter aux nombreuses souffrances de nos tabétiques une nouvelle

cause d'embarras et de douleurs inutiles.

UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

LABORATOIRE DE M. LE PROFESSEUR ED. BUGN10N

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE

APRÈS LA RÉSECTION DU NERF PNEUMOGASTRIQUE (1),

(Huile).

PAR

CHARLES LADAME. ·

fJ J

Expérience IV.

Chien adulte. On a réséqué le vago-sympathique droit, dans la région cervi-

cale, avec les précautions ordinaires, sur une longueur de deux centimètres

entre une double ligature à chaque extrémité. L'animal se porte bien et ne

suppure pas.'

Il est tué par le chloroforme le 122' jour après l'opération.

A l'autopsie on constate qu'il n'y a pas de réunion des deux bouts du nerf

réséqué, mais un gros névrome fusiforme au bout central.

Immédiatement après la mort, la moelle allongée, les ganglions plexiformes

droit et gauche sont portés dans une solution de formol à S 0/0, renouvelée

plusieurs fois. Après cinq jours pour les ganglions et douze jours pour la

moelle les objets sont sortis de la solution de formol et durcis dans la série des

alcools progressivement concentrés.

Le traitement subséquent est fait suivant la méthode exposée précédemment.

Les coupes ont été teintes soit au bleu de méthylène selon la méthode de

Nissl, soit au bleu de toluidine d'après la modification décrite plus haut.

Examen microscopique, discussion et analyse des coupes.

a) Moelle allongée.

A l'inspection des coupes (PI.LXXVI,A) il est impossible de dire de quel côté

a été faite l'opération.

Le noyau dorsal du vague, pas plus que le noyau ambigu, ne présentent

d'altérations quelconques. La réparation s'est faite complètement. Tout est

parfaitement rentré dans l'ordre, et même on ne distingue plus la coloration

plus foncée des éléments dont les blocs de substance chromatophite viennent

d'être refaits et qui caractérise l'état pychromorphe.

L'organe a donc repris ses fonctions et fait usage déjà de sa réserve chroma-

tique, reconstituée pendant la période de réparation.

Le nombre des éléments composant e noyau dorsal droit est très approxi-

Nouv. Iconographie DE la Salpètriere T. XIII. PI. LXXVI

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE

après résection du nerf pneumogastrique

(Cb. Lrrdnnrr)

LE PHÉNOMÈNE DE LA CUROMATOLYSE 519

mativement le même que celui du noyau gauche, et les cellules ne sont pas

plus resserrées les unes contre les autres dans l'un que dans l'autre.

Quand on parcourt toute la sé'-ie des coupes on a l'impression que le chiffre

total des cellules est normal dans les noyaux dorsaux à droite et à gauche.

Il n'en est pas de même lorsqu'on considère chaque coupe séparément, car

les deux noyaux droit et gauche, ne sont que rarement symétriques sur la

même coupe.

Alors c'est tantôt le noyau dorsal gauche qui semble plus riche en cellules

que son congénère, tantôt c'est l'inverse qui a lieu, car les noyaux ne consti-

tuent pas une colonne cylindrique, massive, d'un diamètre constant, la colonne

nucléaire est irrégulière ; elle présente des étranglements successifs qui limi-

tent des renflements ovoides en chapelets, dont la coupe transversale est ellip-

tique.

Parfois même la coupe ne forme qu'un ruban très mince, dont le grand dia-

mètre est quinze il vingt fois plus long que le petit.

Enfin on observe quelques coupes dont la surface est polygonale.

On rencontre, il est vrai, dans le noyau dorsal droit, de temps à autre, des

cellules en voie d'atrophie ; mais ceci n'est pas pour nous surprendre, car

c'est le cas ordinaire pour toutes les coupes du système nerveux central ; et du

reste ces cellules s'observent aussi bien à gauche qu'à droite.

b) Ganglion plexiforme droit (coupe longitudinale).

Ce ganglion est franchement entré dans la phase de réparation. La réparation

est même très avancée pour un certain nombre de cellules.

Comme pour les cas précédents, nous avons ici sous les yeux tous les stades

de la chromatolyse, depuis le début de la réaction jusqu'à la réparation com-

plète ou l'atrophie avec destruction des éléments.

Les cellules en voie d'atrophie (PI.LXXVI, a) se présentent sous deux aspects

différents; les unes sont ratatinées, ramassées en un paquet de protoplasma in-

forme, très foncé, au sein duquel on ne voit que rarement le noyau ; les autres

(PI. LXXVI,b,c) sont très pâles, de plus en plus décolorées et transparentes. Leur

protoplasma est en lambeaux ; on y voit parfois quelques blocs chromophyles

reconstitués; la cellule est privée le plus souvent de son noyau. Quand celui-

ci existe, il est comme appendu à des lambeaux de protoplasma.

Bien des cellules (PI. LXXVI, d) se trouvent à un moment critique, aux

confins de la réaction : vont-elles réparer leurs pertes de substance chroma-

tophyle ? ou s'atrophier et finalement disparaître ?

Leur corps est complètement déformé, souvent allongé en un seul mot en

serrant à l'un des pôles le noyau presque entièrement énucléé.

Le protoplasma de ces cellules est pâle ; on y observe, sous forme de bor-

dure péri-cellulaire, quelques amas de blocs ne formant pas un ruban continu.

Le noyau est souvent vésiculeux, normal, mais assez fréquemment il est

déformé, froissé ou aplati.

On observe également dans les coupes du ganglion noueux droit tous les de-

grés du processus de réparation.

520 CHARLES LADAME

Quelques cellules (PI. LXXVI,e) ont refait des blocs chromatiques, rares

épars dans un protoplasma saupoudré d'une fine poussière avec un noyau ex-

centrique.

D'autres cellules (PI.LXXVI,f) reviennent à une forme plus régulière, avec un

noyau plus central et un protoplasma contenant de nombreux blocs, gros et

foncés, répandus sans ordre aucun.

Puis on rencontre quelques cellules ayant une telle richesse en corpuscules

de Nissl qu'elles apparaissent comme des taches noirâtres. Les corpuscules sont

si serrés les uns contre les autres qu'on a de la peine à distinguer le proto-

plasma et le noyau qui occupe de nouveau une position centrale (PI.LXXVI,g).

' Ces cellules rappellent, comme nous l'avons vu déjà pour celles de l'expé-

rience précédente, le type foncé de Lugaro que Van (Tehuchten (1) et Nelis

décrivent et figurent dans leur mémoire sur la structure des cellules des gan-

glions du lapin.

Nulle part la capsule des cellules des ganglions n'est envahie par des élé-

ments figurés du tissu conjonctif. Nous n'avons pas retrouvé non plus ici les

petits amas d'éléments conjonctifs signalés dans la troisième expérience et qui

tenaient la place d'une cellule nerveuse atrophiée et disparue.

Nos nombreuses mensurations des éléments en dissolution chromatolytique

ne conduisent de nouveau nullement à la notion de turgescence des cellules dans

la phase avancée de la chromatolyse, ces cellules sont au cent vingt-deuxième

jour après le début de la réaction.

Mais même dans les cas où la chromatolyse n'était pas parachevée nous n'a-

vons pu trouver aucune différence entre les cellules en chromatolyse et les élé-

ments sains ou les cellules en voie de réparation.

Les mensurations comparatives entre un ganglion sain et un ganglion en

chromatolyse seraient assurément plus probantes mais nous n'avons pu les faire

dans cette quatrième expérience puisque le ganglion gauche lui-même, comme

nous allons le voir, est aussi en pleine phase de dissolution quand bien même

le nerf vaâo-sympathique de ce côté n'a été lésé d'une façon quelconque.

Le nombre des cellules de l'un et de l'autre ganglion est approximativement

le même ; en tous cas, il ne présente pas de différence sensible.

c) Ganglion plexiforme gauche (coupe longitudinale).

Le ganglion gauche, comme nous venons de le dire, est manifestement en

chromatolyse bien que son nerf n'ait été nullement traumatisé.

Dans son ensemble, comme on peut s'en rendre compte avec un faible gros-

sissement (PI.LXXVI, G. p. g. IV), il se présente à un stade moins avancé que

le ganglion du côté droit. '

La grande majorité des cellules, à gauche, en est encore au stale de dissolu-

tion des blocs chromatiques : le noyau est périphérique, faisant souvent hernie ;

le corps cellulaire est déformé, quelquefois allongé dans le sens de la migra-

tion du noyau ; d'autres fois le noyau fait une brusque saillie hors de la cellule

(1) VAN Geiiuchten et NELIS, loc. cil., p. 315. La Cellule, t. XIV, 2e fase. 1898.

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 521

dans le sens du plus petit diamètre (PI. LXXVI, i, k.). Quoi qu'il en soit le

noyau n'est jamais central.

Le protoplasma est semé çà et là de fines granulations et la périphérie cel-

lulaire est bordée par une rangée de blocs chromatiques non encore désagrégés.

Cette bordure est plus ou moins continue selon l'avancement du processus.

Quelques cellules possèdent même des blocs épars non encore dissous.

Un certain nombre de cellules ont franchi la limite extrême de la dissolu-

tion.

Les unes s'atrophient par ratatinement de leur protoplasma qui reste foncé

cependant, elles diminuent de plus en plus de volume, et finissent par dispa-

raître; d'autres sont très pâles, deviennent de moins en moins visibles, se dis-

loquent et finalement disparaissent réduites en une poussière ténue(PI,LXXVI, 1).

La plupart de ces cellules sont déjà privées de leur noyau.

Mais nous avons ici également un certain nombre de cellules qui sont à la

période de réparation ; elles réorganisent leur substance chromatique, qui est

répandue dans le corps cellulaire en une très fine poussière au sein de laquelle

on voit déjà, çà et là, quelques blocs chromatophiles de néo-formation.

(Pl. LXXVI, m.)

Quelques cellules même, mais peu nombreuses (PI. LXXVI, n) ont réparé

leurs pertes. Le noyau est revenu au centre de la cellule. Ces éléments nerveux

sont riches en blocs volumineux et foncés qui leur donnent une apparence spé-

ciale ; ils ont également repris leur forme normale.

Ici encore les mensurations ne conduisent pas à la constatation d'une tur-

gescence quelconque des cellules nerveuses en chromatolyse,

Nos mensurations ne peuvent avoir évidemment qu'une valeur relative, vu

la rétraction subie par les cellules lors de la fixation par le formol à 5 0/0. De

plus nous n'avons pas pu faire l'étude comparative des cellules saines et des

cellules pathologiques, en raison de la réaction qui s'est produite dans le gan-

glion plexiforme gauche dont le nerf n'a pas été réséqué.

Nous n'en donnons pas moins un tableau de nos mensurations, car quelque

relative que soit la valeur qu'on peut attribuer à ces mensurations, elles n'en

sont pas moins comparables entre elles puisque tous les éléments dont elles

proviennent ont subi une égale action du même réactif.

Comme on va le voir, les chiffres obtenus pour les cellules du ganglion

plexiforme gauche en chromatolyse ne sont pas sensiblement différents de

ceux fournis par les mensurations des éléments du ganglion droit en pleine phase

de réparation.

Nos mensurations ont été faites, comme précédemment avec le micromètre

oculaire 2 de Nachet et l'objectif 7.

Les divisions micrométriques leur ont été directement transcrites, sans être

transformées en fraction de millimètre afin d'en faciliter la lecture.

Comme pour nos expériences précédentes le numérateur des fractions repré-

sente le plus petit diamètre des cellules, le dénominateur étant le plus grand,

le chiffre qui suit immédiatement chaque fraction et le diamètre nucléaire de la

cellule en question. .

XIII Si

'522 -2 CHARLES LADAME

Ganglion plexiforme droit, pathologique.

Chien adulte, 122 jours. 52 cellules mesurées sur 2 coupes.

1 Nouv. )cO\'On'<AP)nE DE LA SALPET3111.RE T. XIII. PI. LXXVII

1 . - ? P' .- 1-7%péiieiice \.

Expérience VI

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE

après résection du nerf pneumogastrique

C ? Jf););f

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 523

malie existait aussi à droite, ce qui a été en effet constaté (Ce fait a également

été contrôlé à l'autopsie).

Il est résulté de ces recherches que le nerf vago-sympathique droit a été ti-

raillé et plus ou moins contusionné.

L'animal se porte très bien après l'opération et il n'y a pas de suppuration ;

il est tué par le chloroforme cent quarante-sept jours après l'intervention opé-

ratoire.

A l'autopsie on ne trouve pas de réunion des deux bouts du nerf vago-sym-

pathique gauche réséqué, mais un gros névrome au bout central avec pointe

d'accroissement à l'extrémité inférieure. Cette pointe est distante du bout pé-

riphérique d'au moins un demi-centimètre.

La moelle allongée, les ganglions plexiformes droit et gauche sont mis immé-

diatement après la mort dans une solution de formol à 10 0/0. Après un séjour

de cinq à quinze jours dans ce liquide plusieurs fois renouvelé les pièces sont

durcies par la série des alcools de plus en plus concentrés.

Traitement ultérieur exactement comme pour les expériences précédentes.

Quelques coupes sont en outre colorées par l'éosine.

Examen microscopique, analyse et discussion des coupes.

a) Moelle allongée (PI. LXXVII, A).

Les cellules sont toutes revenues à l'état normal, pour le noyau dorsal

comme pour le noyau ambigu, si bien qu'il est impossible de dire de quel côté

le nerf a été réséqué.

Le nombre des éléments nerveux est le même pour les deux noyaux dor-

saux, autant du moins, qu'une observation sommaire de toutes les coupes per-

met de l'affirmer.

On ne constate pas non plus une plus grande richesse en tissu conjonctif du

côté opéré dans les noyaux d'origine des nerfs et les cellules ne sont pas res-

serrées.

Comme dans les cas précédents, nous n'avons pas toujours rencontré sur

une même coupe horizontale une symétrie complète des deux noyaux dorsaux.

Tantôt l'un, tantôt l'autre sur les coupes était plus riche en cellules nerveuses

que celui du côté opposé. Mais, le nombre total des éléments d'un noyau ne

diffère pas sensiblement de celui de son congénère.

En tous cas on peut affirmer catégoriquement qu'il n'y a pas entre eux une

différence suffisante pour motiver une conclusion ferme soit en faveur de la

nature motrice ou sensible du noyau en question, soit en faveur de la dispari-

tion des cellules à la suite du traumatisme.

Nous dirons en passant qu'on ne constate rien d'anormal dans les noyaux

d'origine du vague à droite, bien que le nerf ait été traumatisé.

Les quelques chiffres que nous donnons dans le tableau suivant permettent

de se. rendre compte des diamètres respectifs des cellules du noyau dorsal droit

et du noyau dorsal gauche.

Les mensurations ont été faites comme précédemment.

524 CHARLES LADAME

Noyau dorsal du dixième droit. Côté non opéré.

Chat adulte, 147 jours. 94 cellules mesurées sur 6 coupes.

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 525

b) Ganglion plexi for me gauche (coupe longitudinale).

Ce ganglion est nettement en réparation ; on peut s'en rendre compte déjà

avec un faible grossissement (Pl. LXXVII, G. p. g. V.).

Un certain nombre de cellules (PI. LXXVILa) sont déjà revenues complète-

ment à l'état normal ; d'autres (PI. LXXVII, b) ont également réorganisé leur

substance chromatique, elles ne se distinguent des cellules normales que par

une très grande richesse en corpuscules de Nissl et par le désordre de leur

répartition. Ces corpuscules de Nissl sont si nombreux et si foncés que l'on a

de la peine à distinguer le protoplasma cellulaire. C'est l'état pycknomorphe.

Un nombre considérable de cellules sont en pleine réparation, à un stade

plus ou moins avancé de la reconstitution de leurs blocs chromatiques. Le

corps cellulaire est plus ou moins déformé encore.et son protoplasma, teinté de

bleu clair, est tout semé de fines granulations et de blocs néoformés en nom-

bre variable, répandus au hasard, mais surtout à la périphérie cellulaire et

nucléaire (PI. LXXVII, c).

Le noyau de ces cellules reprend peu à peu sa place au centre de la cellule ;

il n'est plus en relief, car sa membrane est souvent masquée par les granula-

tions. Le nucléole est régulier, central et fortement teinté

Mais on rencontre aussi de nombreuses cellules (Pl. LXXVII, d) arrivées au

terme de la réaction, très pâles, déformées, presque complètement privées de

blocs chromatiques, avec un noyau faisant le plus souvent hernie.

Un bon nombre de ces cellules ont déjà franchi cette dernière étape et sont

en voie de régression et d'atrophie.

Les unes (Pl. LXXVII, e) sont ratatinées, recroquevillées, difformes et fon-

cées. On ne peut y distinguer un noyau ; elles se rapetissent de plus en plus

et finissent par disparaître. Les autres, de volume normal, également dé-

formées sans noyau pour la plupart, sont pâles, transparentes ; elles se déco-

lorent petit à petit, se fragmentent, se pulvérisent et disparaissent.

On rencontre parfois des noyaux ayant toute l'apparence normale parmi des

fragments de protoplasma en voie de régression, ces noyaux viennent de quit-

ter leur cellules, ils se flétrissent et s'atrophient aussi, mais moins rapidement

que les cellules nerveuses elles-mêmes, ils sont beaucoup plus résistants.

Nous avons rencontré, çà et là, dans nos coupes de ce ganglion quelques cel-

lules vacuolaires (PI. LXXVII, f) représentant à notre avis un processus par-

ticulier de régression, de dégénération cellulaire, sur lequel nous nous réservons

de revenir plus tard.

Nous en ferons du reste une description détaillée à propos de notre expé-

rience VI où ce processus particulier de régression a atteint un très grand

nombre d'éléments nerveux en voie d'atrophie.

Nous nous bornons donc à signaler ici, les cellules vacuolaires du ganglion

gauche chez le chat, pour mémoire.

Il résulte de l'examen de nos coupes qu'il n'est pas possible de constater,

chez le chat au cent quarante-septième jour après la résection du vague au cou,

une diminution du nombre des éléments nerveux dans le ganglion plexiforme

526 CHARLES LADAME

du côté opéré ; ajoutons que les deux bouts du nerf n'étaient pas réunis, sou-

dés à cette date.

Nous n'avons pas constaté non plus de changement de volume dans les élé-

ments encore en chromatolyse ou au début du processus de réparation, et nous

pouvons dans le cas présent en tirer une conclusion positive,-puisque nous

avons pu comparer ici les éléments pathologiques du ganglion gauche avec les

cellules du ganglion droit qui sont restées saines.

Nous donnons dans le tableau suivant quelques chiffres qui permettent la

comparaison entre les diamètres cellulaires et nucléaires des éléments en réac-

tion, en réparation et des cellules saines.

Ces dimensions sont très sensiblement les mêmes pour le ganglion droit

comme pour le ganglion gauche; il ressort nettement de ce tableau que les

cellules du ganglion pathologique ne sont ni en turgescence, ni diminuées de

volume le cent quarante-septième jour après l'opération.

Les mensurations ont été faites comme pour les expériences précédentes et

les chiffres sont ceux des divisions micrométriques directement transcrites.

Ganglion plexiforme droit. Non opéré

Chat adulte, 147 jours. 108 cellules mesurées sur trois coupes.

LE PHÉNOMÈNE DE LA CUROMATOLYSE 527

Ganglion plexiforme gauche. Opéré.

Chat adulte, 147 jours. 108 cellules mesurées sur 3 coupes.

528 CHARLES LADAME

Tandis que toutes les cellules du ganglion gauche sont loin même d'avoir

entrepris la réparation de leurs pertes chromatiques, le ganglion droit est

rentré dans l'ordre, d'où l'on peut conclure que la compression est un trauma-

tisme léger, produisant des lésions de peu de durée.

Expérience VI.

Lapin adulte auquel on a fait la résection du pneumogastrique droit, avec

les précautions habituelles, dans la région du cou, sur une longueur de deux

centimètres.

- Du même côté le nerf sympathique a été arraché (symptômes auriculaires et

- oculaires connus).

L'animal se porte parfaitement bien et ne suppure pas.

Il est tué par le chloroforme cent quatre-vingt-quinze jours après l'opération.

A l'autopsie on ne constate pas de réunion des deux bouts du nerf réséqué,

mais il existe un gros névrome fusiforme au bout central, avec pointe d'ac-

croissement.

Un espace de moins de cinq millimètres sépare les deux bouts du nerf.

La moelle allongée et les ganglions plexiformes droit et gauche sont portés

immédiatement après la mort dans le liquide de Gilson ; traitement subséquent

comme il a été dit dans la première partie de ce travail.

Examen microscopique, analyse et discussion des coupes.

a) Moelle allongée.. 1

Les cellules des noyaux du pneumogastrique n'offrent aucune apparence

pathologique (PI. LXXVII, B).

Tout est parfaitement rentré dans l'ordre, aussi bien pour les cellules du

noyau dorsal que pour les éléments du noyau ambigu.

On ne voit même plus la teinte bleu foncée des cellules pychnomorphes, ce

qui prouverait qu'elles ont déjà fonctionné et consommé une partie de leur ré-

serve chromatique.

Mais on constate une diminution très sensible du nombre des cellules du

noyau dorsal droit.

Cette diminution porte sur le moitié des éléments, la plupart ont disparu

sans laisser de traces ; cependant on rencontre çà et là de petits fragments

d'une cellule en train de disparaitre.

On ne remarque nulle part une abondance de tissu conjonctif ou d'éléments

de néo-formation d'origine névroglique. v

b) Ganglion plexiforme droit (coupe transversale). '

Nous sommes ici en présence d'un ganglion qui a activement réparé ses per-

tes de substance chromatique. Un bon nombre de cellules ont l'apparence d'é-

léments normaux : Elles possèdent un noyau central, un protoplasma clair,

une grande richesse de gros blocs chromatiques distribués d'une façon plus

ou moins régulière au sein de la cellule (PI. LXXVII, G, p, d, VI).

D'autres éléments ont aussi une apparence normale (PI.LXXVII, g), mais ils

sont très foncés grâce à une abondance grande de blocs néoformés, qui sont très

compacts et serrés les uns contre les autres, mais répandus sans aucun ordre.

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 529

Ces cellules représentent nettement le type des cellules foncées de Lugaro.

D'autres éléments encore (PI. LXXVII, h) sont en réparation manifeste,

quoique à un stade moins avancé. Leur protoplasma est faiblement teinté de

bleu pâle, il est parsemé de blocs chromatiques nouvellement formés d'un vo-

lume déjà respectable.

Ces blocs sont tantôt réunis par petits groupes au sein de la cellule, tantôt

ils forment un ruban composé d'une ou plusieurs rangées concentriques à la

périphérie cellulaire ou nucléaire ; tantôt enfin ils sont répandus au hasard

dans toute la cellule.

Le noyau est central ; dans quelques cellules il n'est toutefois pas encore à

sa place normale. Il possède un nucléole bien régulier et coloré d'une façon in-

tense qui occupe le centre du noyau.

Un petit nombre de cellules nerveuses (Pl. LXXVII, i) sont tout à fait pâles ;

leur corps est déformé, allongé, en voie d'atrophie. Le plus souvent leur noyau

a disparu ; leur protoplasma devient de plus en plus pâle, transparent, et finit

par disparaître aussi en se. détachant par lambeaux qui se désagrègent. Le

noyau de ces cellules, que l'on rencontre çà et là isolé dans les préparations,

est plus résistant, mais au bout de peu de temps il subit néanmoins le même

sort que le protoplasma cellulaire.

Nous n'avons nulle part observé une prolifération des cellules conjonctives

ou névrogliques aux points occupés par les éléments nerveux en voie d'atro-

phie, phénomène que nous avons déjà signalé chez le jeune chat de l'expé-

rience III.

La dégénérescence s'effectue encore et surtout par la vacuolisation du proto-

plasma cellulaire. Dans le cas présent c'est le mode de régression le plus ré-

pandu.

Nous avons déjà fait une mention de ce processus dans l'expérience précé-

dente où nous avons trouvé exceptionnellement quelques cellules vacuo-

laires. ,

Comme du reste nous l'avons déjà dit, nous n'avons rencontré ce phénomène

ni dans l'expérience IIl, chez le chat de 118 jours, ni dans l'expérience IV,

chez le chien de 122 jours. '

Cette vacuolisation a l'air de frapper les cellules nerveuses non pas, comme

on pourrait le supposer, aux confins de la période de réaction seulement;

mais aussi lorsque la réparation des pertes de substance chromatique a déjà

commencé à s'effectuer.

Ce fait même fait de la vacuolisation un phénomène particulier de régres-

sion.

Le protoplasma contient fort souvent quelques blocs chromatiques volumi-

neux quand apparaît dans son sein la première vacuole. Celle-ci surgit dans

un point quelconque de la cellule (Pl. LXXVII, k) sous la forme d'une tache

claire, transparente, taillée à l'emporte-pièce dans un protoplasma bleu foncé.

Cette tache n'est autre chose qu'une vacuole à son début, elle s'agrandit

petit à petit dans tous les sens en refoulant le protoplasma devant elle ; sa

530 CHARLES LADAME

croissance est due à un liquide limpide qui remplit la vacuole et la distend eu

tous sens avec une pression égale.

Tandis que la vacuole prend de l'extension, une autre vacuole, quelquefois

deux ou trois surgissent sur d'autres points de la cellule et grandissent sem-

blablement (Pl. LXXVII. 1).

Les vacuoles arrivent bientôt au contact les unes des autres, n'étant plus

séparées que par de fines travées protoplasmiques.

Ce dernier est refoulé passivement et tassé à l'un des pôles de la cellule

(PI. LXXVII, m) avec les quelques blocs chromatiques de néo-formation qu'il

renferme.

, Il enveloppe le noyau qui fait parfois une assez forte saillie hors de la cellule.

Sous la pression de plus en plus grande du liquide qui distend les vacuoles,

les faibles lamelles du protoplasma finissent par céder, les vacuoles se fondent

alors en une seule, quelquefois en deux grosses vésicules qui occupent la to-

talité de la cellule. Celle-ci est gonflée et légèrement augmentée de volume et

son protoplasma ne consiste plus qu'en une mince membrane renflée en un

point seulement, à l'un des pôles de la cellule, celui où s'est logé le noyau.

La distension finalement gagne même l'îlot protoplasmique dans lequel estlogé

lé noyau, cette masse protoplasmique s'aplatit sur la vacuole ; la vésicule n'est

plus alors limitée que par une couche d'une minceur extrême (Pl. LXXVII, n).

Le processus touche à sa fin, cette membrane ténue de plus en plus disten-

due crève bientôt sous l'effort continu de la pression du liquide.

On trouve alors pêle-mêle les débris du protoplasma, les blocs chromatiques,

le noyau encore normal et englobé dans une très petite couche protoplasmique

baignant dans le liquide vacuolaire qui, du reste, est très rapidement résorbé.

Les restes de la cellule nerveuse ainsi éclatée se désagrègent en de très fines

particules qui disparaissent finalement avec les dernières traces du noyau

sans néoformation d'éléments figurés du tissu conjonctif ou migration de leu-

cocytes.

Le ganglion droit présente une diminution manifeste du nombre des éléments

nerveux, sans qu'on puisse dire toutefois qu'elle soit considérable.

Les préparations (PI. LXXVII, G, p, d, VI et G, p, g, VI), à un très faible

grossissement, donnent de ce fait une très nette idée d'ensemble.

C'est la seule expérience qui nous ait fourni un tel résultat tant pour le

noyau dorsal que pour le ganglion.

Nous avons fait quelques mensurations comparatives des éléments sains et

des cellules vacuolaires ainsi que de celles qui étaient en voie de réparation ou

d'atrophie.

Il résulte nettement de la comparaison des divers chiffres qu'au 195° jour

après la résection, il n'y a nulle turgescence du corps cellulaire pathologique,

Quelques cellules vacuolaires, dont la vésicule était arrivée au terme de sou

développement, offraient cependant une augmentation appréciable de volume,

sans que leurs dimensions fussent vraiment considérables. ,

Comme pour les expériences précédentes nos mensurations ont été effectuées

avec le micromètre oculaire 2/7 de Nachet.

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 531

Nous transcrivons directement les divisions micrométriques lues; le numé-

rateur de la fraction représente le plus petit diamètre de la cellule, son plus

grand diamètre étant le dénominateur. L'entier qui suit chaque fraction repré-

sente le diamètre nucléaire.

Les cellules vacuolaires auront leurs divers diamètres transcrits en chiffre

gras dans le tableau suivant :

Ganglion plexiforme droit. Normal.

Lapin, 198 jours. 30 cellules mesurées dans 2 coupes.

DE L'HÉMIPLÉGIE TRAUMATIQUE

PAR

RENÉ MARTIAL,

(Suite et fin) .

Observation XVI.

Fouliiioux. - Hémiplégie survenue à la suite d'une brûlure sur le côté gauche

de la tête. Journal de médecine de Lyon, 184 ? VI, 4,26-32.

Le 21 décembre, on m'invite à donner des soins à un enfant de trois ans,

en proie depuis quelques jours aux accidents d'une brûlure par du bouillon de

viande. Le liquide avait été reçu sur le côté gauche de la tète et s'était répandu

sous les vêtements. Je trouvai une inflammation et un, abcès au côté gauche

de la tête et du col, une ulcération à l'épaule par suite de la rupture des vési-

cules pleines sur le bras et l'avant-bras du même côté et un gonflement au voi-

sinage de l'épaule devant et derrière la poitrine... quatre jours après l'abcès du

côté gauche de la tête s'était ouvert, l'intensité de l'inflammation détermina à

l'application de cinq sangsues réparties entre le bras gauche et le côté corres-

pondant de la poitrine. Le lendemain diminution notable de l'inflammation.

Alors surviennent surtout à droite des mouvements convulsifs avec cris vio-

lents... La suppuration était tarie derrière l'oreille et la peau de cette région

était dure et sèche. Le second jour, diminution des symptômes, mais du côté

droit l'état convulsif persiste et se combine avec une hémiplégie. La commis-

sure labiale et les doigts du même côté se meuvent continuellement. Si on

agite la main devant les yeux on ne détermine pas le resserrement du palpébral

droit, mais bien celui du gauche. Le bras et l'avant-bras, la cuisse et la jambe

droite restent immobiles, même lors du pincement, tandis que les diverses

parties du membre s'agitent et se fléchissent à l'occasion d'un simple attouche-

ment. Trismus Guérison au bout du douzième jour. La coïncidence de la

suppression purulente avec l'explosion de l'état nerveux doit-elle faire admet-

tre que la première circonstance a été cause en effet de la seconde ? Si on ré-

fléchit au rôle, à l'intervention nécessaire du système de nerfs pour toutes les

actions vitales et à l'absence de toute influence immédiate qui ait pu éviter

la sécrétion du pus, on sera conduit à reconnaître l'initiative de l'état central.

On pouvait seulement soupçonner l'existence d'une phlegmasie circonscrite du

cerveau ou des membranes qui l'entourent, les phénomènes morbides s'étant

. DE l'hémiplégie traumatique . 533

montrés particulièrement à droite, mais ces phénomènes ayant indiqué la com-

pression autant que l'irritation de l'encéphale, il faudrait admettre une in-

flammation déjà suivie d'abcès. Cette induction donne naturellement lieu à

celle-ci que la collection purulente si elle existait,ne résidait que dans la subs-

tance même du cerveau qui ne porte pas aussi promptement à l'épanchement

de ce genre. Il ne restait donc d'autre conjecture raisonnable que celle de la

formation du pus entre les lames de l'arachnoïde sur l'hémisphère cérébral

gauche. Il est vrai que l'arachnitis circonscrite et sa terminaison par un foyer

restreint si rare, peut être sans exemple lorsque l'affection cérébrale se forme

indépendamment des blessures, au contraire assez souvent quand elle est trau-

matique. Mais l'existence de l'épanchement de ce genre qui paraît d'abord se

concilier avec l'interruption de la volonté sur la demi-droite du corps devient

moins admissible quand on se livre à l'examen plus attentif des symptômes.

En effet la contracture ou la résolution du système musculaire n'avait pas lieu

simultanément dans tout un côté. On a pu remarquer un état paralytique et

spasmodique alternativement dans les régions qui se succèdent à droite depuis

la tête jusqu'à la partie inférieure du corps. Ainsi l'orbiculaire palpébral était

sans action et la commissure en spasme. Le bras et l'avant-bras était dans

l'inertie lors même du précédent, tandis que les doigts s'agitaient continuelle-

'ment; enfin l'influence centrale ne s'exerçait plus sur le membre abdominal

correspondant. Cette succession de manières d'être qui exprime tour à tour

la compression ou l'inflammation périphérique de l'encéphale permet-elle

d'admettre l'une ou l'autre de ces deux lésions centrales ou la coexistence de

ces deux lésions ? Sous leur influence n'aurait-on pas dû observer une expres-

sion symptomatique semblable dans tout le côté musculaire ? Et si cette ex-

pression symptomatique avait dû varier, devait-on trouver à la fois des signes

iudiquant deux modifications opposées.

Observation XVII.

POUILLET (A). Hémiplégie et anesthésie traumatiques Courrier. - médical

de Paris, 1874, XXIV, 19.

Le lundi 16 juin 1873 à 9 heures du soir le sieur Achille Lepôt, conscrit de

la classe 1872 reçut en jouant à l'arc une flèche à la partie dextro-postérieure

moyenne du cou (entre la 4" et la 5 vertèbre), aussitôt il tomba comme mort,

on le releva puis on le transporta chez lui où je le vis une heure après. La

plaie n'avait rien de particulier et je me suis bien gardé de la sonder. La pa-

role était conservée, mais depuis sa chute il ne pouvait bouger aucun membre.

Il était ivre, légèrement du moins. Je le laissai sans autre ordonnance que de

mettre des compresses d'eau froide, me réservant plus ample examen pour le

jour suivant.

17 juin. - Je constatai une paralysie absolue du côté gauche, la sensibilité

intacte du côté droit, anesthésie complète du membre supérieur, légère insen-

sibilité du membre supérieur. Ces hémiplégie et anesthésie provenaient de

la flèche entrée dans le cou à une profondeur de 4 centimètres. La pointe en

5314 . RENÉ MARTIAL

corne avait certainement atteint la moelle épinière, cordon postérieur droit et

antérieur gauche et ce, pendant un mouvement de flexion de la tête du tronc

d'inclinaison vers la gauche.... »

\

Observation XVIH (Grasset).

Le 12 janvier 1887 est entré au n" 26 de la salle St-Lazare, un malade très

curieux au double point de vue symptomatique et étiologique.

Symptomatiquement, il présente le tableau de la paralysie alterne (ce qui

est déjà assez rare surtout avec les caractères que nous allons relever chez lui),

étiologiquement cette paralysie alterne est la suite d'un traumatisme très net

et bien défini (ce qui est encore plus rare).

Dès le début du premier examen l'attention se perte sur les yeux du ma-

lade.Ils sont bizarres, leur ouverture est inégale et ce qu'il y a de curieux c'est

que le plus grand est tantôt le gauche tantôt le droit. Il a ses paupières comme

les oreilles d'un lapin. En observant avec plus de soin, on voit qu'au repos

c'est l'oeil gauche qui est le plus petit, il est presque entièrement fermé,

tandis que le droit est normal, aucune lésion de la peau ou des muqueuses ;

aucune cicatrice.... Il n'y a pas non plus de blépharospasme.

Il y a donc ptosis, par suite paralysie probable du filet de l'oculo-moteur ,

commun qui innerve la paupière supérieure. ".

A gauche les plis du front sont violemment marqués, le malade s'est ins-

tinctivement exercé à suppléer par le facial intact à l'oculo-moteur commun

paralysé et, il est arrivé aussi à produire à certains moments, par contraction

volontaire et forcée des muscles frouto-sourciliers, un soulèvement de la pau-

pière supérieure de l'oeil gauche entre le ptosis, strabisme divergent La

pupille gauche est plus grande que la droite. La mydriase peut être augmentée

par l'atropine ; l'accommodation est troublée, le punctum proximum est plus

éloigné, diplopie... vertiges.

Autres symptômes : bras et jambe faibles du côté droit, sensibilité plus

petite, fourmillements, lenteur de la perception

Conditions étiologiques. - Le 1er avril 1885 a eu lieu l'accident initial.

Jusque-là notre homme avait mené une vie agitée, s'alcoolisant et faisant divers

excès. C'était paraît-il un cerveau mal équilibré, les bizarreries de son caractère

étaient une cause perpétuelle de pensées pour sa famille

Il essaie de se suicider et se tire deux coups de revolver dans la bouche. Il est

transporté à l'hôpital de Nîmes où il est soigné jusqu'aux 4 et 5 septembre sui-

vants dans le service du docteur Tribes. Son interne d'alors, notre confrère le

Dr Milhaud, a bien voulu nous communiquer quelques renseignements.

Le soir de l'accident il est plongé dans le coma le plus complet qui dure

deux jours, la paralysie de la IIIe paire date du premier moment. L'hémipa-

résie se fait remarquer trois mois après, en môme temps que, phénomène

d'aphasie, il confondait les objets et surtout leurs noms, disait carafe en dési-

gnant livre... mémoire affaiblie.

Le malade raconte que quelques jours après l'accident, il a rendu par le nez

DE l'hémiplégie traumatique 535

du sang et des mucosités. Il croit qu'une balle est sortie par l'orifice postérieur

des fosses nasales et a été avalée. Il est en tout cas probable qu'une balle au

moins est encore dans sa tête.

Actuellement, à l'examen de la bouche, il présente des blessures (cicatrices)

à la voûte palatine. Une à droite de la médiane à peu de distance de l'arcade

dentaire, l'autre à gauche près de la médiane dans la direction de l'apophyse

basilaire

Observation XIX.

D' A. Manquât et Eu. Grasset. Progrès médical, Paris, 8 février 1890.

B..., 33 ans, agriculteur, constitution moyenne.

Antécédents héréditaires : sa mère, atteinte d'une affection cardiaque, est

morte à 55 ans, d'une hémiplégie par embolie. Son grand-père et sa grand-mère

maternels sont morts d'apoplexie, l'un à 80 ans, l'autre à 66. Son père jouit t

d'une bonne santé. Ses grands-parents paternels ont succombé à des affections

pulmonaires indéterminées. B... a une soeur bien portante et deux enfants vi-

goureux.

Antécédents personnels le malade a toujours été gaucher.

Le 4 mai 1888, B... conduisit une voiture à laquelle était attelé un cheval

difficile ; arrivé à un tournant un peu brusque, il ne put maîtriser complète-

ment l'animal et la voiture versa. B... fut précipité la tête la première sur la

chaussée. Les personnes qui se trouvaient avec lui, légèrement atteintes, le

relevèrent aussitôt. Il était sans connaissance, il ne perdait de sang ni par le

nez, ni par la bouche, ni par les oreilles. Quand il revint à lui, quatre heures

après l'accident, il présentait les symptômes suivants; Ptosis à droite avec im-

mobilité de l'oeil droit en strabisme divergent, hémiplégie gauche (face in-

demne), perte complète de la mémoire, aphasie, obtusion de l'intelligence,

inconscience de la miction et de la défécation. La situation ne tarda pas à se

modifier. Quinze jours après l'accident, le malade répondait assez clairement

aux questions, en cherchant ses mots, se trompant souvent, ébauchant quel-

ques phrases amélioration Septembre accès de colère inexplicable

dont il perdait presque aussitôt le souvenir. Sous l'empire d'un de ces accès, il

écrivit en décembre, à un de ses chefs, une lettre violente dont il oublia pres-

que aussitôt le fond et la forme et qui lui causa de très sérieux désagréments .

Février 1889. Ce qui frappe le plus en voyant le malade, c'est

l'étrangeté de son regard. La fente palpébrale est sensiblement égale des deux

côtés ; à droite il n'y a plus trace du ptosis qui a duré près de quatre mois ; de

ce côté la pupille est plus dilatée que du côté gauche : elle reste immobile à

l'approche d'une lumière ou quand le malade regarde au loin. L'oeil droit est

dévié en dehors ; ce strabisme divergent cesse quand on fait regarder le malade

à droite ; il augmente quand le regard se porte à gauche. Tandis que l'oeil

gauche peut exécuter tous les mouvements, l'oeil droit esquisse à peine, que

l'autre oeil soit ouvert ou non, les mouvements en haut et en dehors, ou en

haut et en bas. Il lui est impossible de se porter en dedans.

S36 RENÉ MARTIAL

Les seuls mouvements bien conservés sont ceux en dehors, et en bas et en

dehors.

Acuité visuelle. L'oeil gauche lit le n° 10 du tableau décimal à 4 mètres,

l'oeil droit ne peut lire ce même numéro qu'à 2 m. 50. Notons que le malade

accuse une certaine diminution dans l'acuité visuelle de l'oeil sain (gauche)

depuis l'accident. Quant à l'oeil droit il ne s'en sert plus ; il a pris l'habitude

de ne plus voir qu'avec l'oeil gauche. Avec l'oeil droit seul, il peut lire l'écri-

ture ordinaire à 0 m. 40 ; à 0 m. 55 il ne le peut plus ; il y a donc paralysie

de l'accommodation. Habitué à ne plus voir qu'avec l'oeil gauche, B... n'accuse

pas de diplopie. Il lui faut un très grand effort d'attention pour voir avec les

deux yeux : dans ce cas, il aperçoit une deuxième image à la gauche de l'image

habituelle. Il nous est impossible d'obtenir d'autres renseignements, B... ne

tardant pas, malgré sa bonne volonté, il ne voir que de I'oeil gauche. L'épreuve : par.les verres colorés n'a pas donné de résultats plus précis.

Champ visuel... (V. fig. ci-dessous.) -

Sensibilité cutanée. - Hémianalgésie gauche pour le tronc et les membres ;

la tête est épargnée. Les sensations tactiles sont partout conservées. Comme

sensation subjective,B.. accuse une grande pesanteur de la tête ; il lui semble

que « sa tête est entourée d'une croûte de pâte » ; cette sensation pénible

disparaît dès qu'il prend la position horizontale. Jamais de vertiges ; pas de

rêves

L'intelligence, malgré une amélioration sensible depuis 2 ou 3 mois, n'est

pas ce qu'elle était avant l'accident. La mémoire laisse beaucoup à désirer

B... ne retient guère que les faits qui ont pour lui une réelle importance.

Maintenant, il lit, parle et écrit sans grande difficulté B... est devenu très

irascible

lI1otilité. - Léger affaiblissement des membres gauches. La mensuration

indique une différence d'un demi-centimètre en 'faveur du côté droit Au

lit tous les mouvements des membres sont possibles et aussi bien exécutés à

gauche qu'à droite, les yeux étant ou non fermés Debuut le malade ne pré-

DE L'UÉMIPLÉGIE traumatique ` 5337

sente rien de particulier, tant qu'il reste au repos. Mais s'il veut marcher, il

est obligé de regarder où il va mettre le pied. Il fait de petits pas, pose le pied

à plat, toujours en fixant le sol et progresse ainsi lentement en traînant un

peu' jambe gauche il ne peut ni sauter ni courir..... Le choc des mus-

cles donne une réaction exagérée à la plupart des muscles du membre infé

rieur. Réflexe rotulien exagéré des deux côtés ; il en est de même des réflexes

des tendons du poignet. Réflexe abdominal exagéré des deux côtés Ré-

flexe imagitif très faible des deux côtés. Pas de trépidation épileptoïde soit

des pieds, soit des rotules

Au. mois de juin 1889, treize mois après l'accident, voici ce que nous écrit

le malade : « La marche est très pénible, surtout à la descente. La vue est loin

de s'améliorer ; j'ai de la peine à reconnaître les personnes que je rencontre à

quelque distance. Il faut toujours que j'annule l'un ou l'autre oeil pour regar-

der, et c'est toujours le droit qui est sacrifié. »

Observation XX.

TAYLOR (C.-H.), Quart. M. J. Scheffield, 1895, G, IV, p. 149

A.-M. Charbonnier, âgé de 19 ans, est admis le 14 octobre 1895 1

fracture compliquée avec enfoncement du crâne du côté droit, précisément

dans la zone motrice. Il avait reçu un morceau de charbon tombant dans le

fond d'une mine d'une hauteur de 450 pieds, et fut frappé à la tète. Il perdit

aussitôt connaissance.Le chloroforme a été administré deux heures après l'ad-

mission et la blessure explorée on retira des esquilles..... une partie de

l'os avait été complètement retournée par la force du coup, de sorte que la face

méningée regardait en dehors. Le cerveau, dans la région lésée, était réduit en

bouillie on retira en outre un morceau de charbon gros comme une petite

noix.

Ce corps étranger devait avoir, au moment de la collision, une vitesse ap-

proximative de 140 pieds par seconde

Lavage iodoforme, pansement.

Le patient passa une mauvaise nuit, mais vers le matin il reprit connais-

sance,.....

Octobre 16. - Il s'habille..... abondante exsudation de matière cérébrale.

17. - Paralysie complète de l'extrémité inférieure gauche et légère paraly-

sie du côté gauche de la face.

20. - Paralysie incomplète de la jambe gauche.

30. - ..... et jours suivants, amélioration qui devient stationnaire par la

suite, la paralysie se limite à l'extrémité du membre supérieur gauche à la

moitié gauche de la face.

Observation XXI.

EULENBURG, Deutsche Med. TVocltensclll ? 1896, no 33.

Un apprenti maçon, N. N., âgé de 18 ans, s'était blessé le 10 juin de cette

xuI 35

538 . RENÉ martial

année avec un revolver encore chargé pendant qu'un de ses amis chez .eque

il se trouvait, le maniait maladroitement.

La balle d'un calibre d'environ 7 m/m, pénétra dans la tempe droite à en-

viron 3 c. 5 au-dessus et à 2 c. au-devant de l'insertion du pavillon de l'o-

reille. Pendant les jours suivants, il y eut perte de substance cérébrale. Il

conserva sa connaissance jusqu'au lendemain, mais dans la nuit eut de fré-

quents vomissements. Son état s'empira les jours suivants.

Le troisième jour le malade fut transporté de la maison de son ami dans sa

propre habitation (contre les conseils du médecin) et pendant le trajet, on le

porta la tête étant plus basse que les pieds ! .

D'après le médecin, c'est de ce moment que date une hémianopsie homo-

nyme gauche complète ainsi qu'une paralysie qui s'étendit à toute la moitié

gauche du corps, y compris le demi-facies gauche. La vessie était également

paralysée ·

Lors de notre premier examen, sept semaines plus tard, voici ce que nous

trouvâmes :

« La portion inférieur,du facial gauche est encore un peu plus faible, la lan-

gue est encore déviée à gauche, d'ailleurs parfaitement mobile. La luette est

droite (antérieurement elle avait été aussi déviée à gauche) Le bras gau-

che est encore notablement plus faible que le droit, sans excitations motrices,

la main gauche est plus froide et sue plus facilement. Dynamomètre, à droite

= 45 ; à gauche = 22.

Sensibilité égale des deux côtés.

La marche est encore incertaine et la jambe gauche un peu raide, le ge-

nou ne se fléchit pas aussi bien qu'auparavant et le talon frappe tout d'abord

le sol. La station sur la jambe gauche et sur la pointe du pied est impossible.

Tous les mouvements propres au membre inférieur gauche seul sont impos-

sibles

La flexion des orteils et du pied. est des plus mauvaises, celle du genou est

très minime; les mucles extenseurs et adducteurs n'ont encore que peu d'ac-

tion, mais les mouvements de la hanche sont conservés presque sans troubles,

La musculature est flasque La sensibilité de la peau (à la douleur surtout, la

sensibilité électro-cutanée, et à un moindre degré la sensibilité thermique) jus-

qu'au membre supérieur est sérieusement atteinte.

Le réflexe rotulien est augmenté.

Observation XXII.

Browning, The normal and pathological circulations or ne¡'vous system, 1897.

Sarah G..., 11 ans, fut examinée pendant l'été 1895. Agée de 15 mois, elle

tomba avec sa mère de la passerelle d'un steamer en abordant à un de nos lacs

intérieurs. On la secourut et on ne constata pas de blessure visible. Trois

semaines plus tard elle fut prise d'une hémiplégie qualifiée par sa mère de

soudaine. Cela commença un dimanche matin. D'abord elle cria, ensuite elle

vomit de lait caillé. Une soeur âgée de dix ans prétend qu'elle remarqua im-

DE l'hémiplégie traumatique 539

médiatement qu elle ne se servait pas aussi bien de son côté droit que du

gauche. Avant le soir même, la paralysie fut certifiée par un médecin. Durant

ce premier jour, elle était assoupie, criait par moment et pleurnichait aussi,

mais elle n'était pas strictement inconsciente. Elle avait commencé à parler

à huit mois. Après cette attaque elle n'essaya pas de le faire pendant trois mois.

A partir de ce moment, elle parla aussi facilement qu'auparavant et aujour-

d'hui elle parle bien.

D'abord la sensibilité fut perdue du côté droit ainsi qu'on le vit lorsqu'elle

se brûla fortement la main sans s'en apercevoir.Quand elle commença à se le-

ver, se produisit un tiraillement du côté droit de la figure et cela persista pen-

dant deux années H y a cinq ans environ, elle eut la dernière d'une série

d'attaques particulières,ayant un caractère épileptiforme. Pendant celle-ci, elle

voulait partir, courait en arrière puis tournait en rond. Dans la dernière, elle

tomba en arrière jusqu'au bas d'un escalier et se luxa le poignet...

Elle offre toutes les apparences de la bonne santé.

La main et le bras droits sont plus petits, plus doux au toucher, plus pâles

qu'à gauche, mais il y a pas de réelle atrophie musculaire. Seulement à droite

les os sont plus petits la main demeure en flexion, tout à fait comme dans une

paralysie obstétricale. Il y a des mouvements méthéméplégiques associés lors-

qu'elle bâille en étendant.les bras, des mouvements du bras droit lorsqu'elle sai-

sit quelque chose de la main gauche. Le matin en s'éveillant, elle peut placer ses

deux mains au dessus de sa tête, ce qui n'est pas possible volontairement, à

la marche, il y a un léger sautillement avec propulsion â droite. Quand elle

parle ou se trouve un peu excitée, il y athétose et elle perd tellement le repos

que tout examen ultérieur est impossible.

Les pupilles sont égales et chacune réagit bien. Mais il y a une bémianopsie

homonyme ainsi qu'on peut le voir par la figure ci-dessous. Cette enfant est

très bonne écolière, elle n'est retardée que pour les mathématiques, si étant est

qu'elle soit retardée. Elle siffle et aime la musique.

540 RENÉ MARTIAL

Observation XXIII.

Browning.

Un monsieur âgé de 42 ans, me fût envoyé par le docteur Delatour en

février 1896, asthmatique, mais à part cela très bien portant et très actif jus-

qu'à un accident qui eut lieu il y a sept ans, en mars 1889. A cette époque, il

fut précipité d'une voiture et poursuivit le cheval pendant trois cents pieds pour

l'arrêter. En saisissant l'animal, il éprouve une douleur dans la région occipi-

tale gauche. Cette douleur persista, mais comme il ne souffrait pas davantage,

il continua comme d'habitude un travail et juste une semains plus tard fut

saisi de l'attaque qui le paralysa. Un matin, tandis qu'il attendait à une station

de chemin de fer, il remarqua pour la première fois quelques troubles de la

parole. Il ne pouvait pas dire ce qu'il voulait ni l'écrire, il revint chez lui par

le train et rentra chez lui. A partir de ce moment il ne se souvient plus de rien.

En fait, il demeura le reste du jour assis ne pouvant que dire : « je ne sais

pas », ou quelque chose de semblable. Ce soir là, en se retirant pour se coucher

on l'entendit tomber. On le releva absolument inconscient, respirant avec

peine Il souffrait de paralysie droite avec aphasie... il demeura inconscient

pendant 3 semaines et quand il revint à lui il ne pouvait dire qu'un mot ou

deux à la fois. La face était tirée à gauche... Depuis ce temps, il a été complè-

tement anesthésique du côté gauche de la tête y compris la bouche et la langue

qui ne sent pas les aliments de ce côté. Depuis le haut du cou jusqu'en bas du

corps l'anesthésie siège à droite, mais elle est moins complète. Pendant l'été

de 1895, l'oeil tourna en dehors et la paupière tomba complètement vers le bas.

Auparavant il pesait 206 livres, il y a environ cinq ans 180, aujourd'hui 160.

La sensibilité à la douleur, à la main et à la cuisse droite sont très atteintes,

plus légèrement au-dessus du mollet. Le toucher (contact d'une brosse ainsi

que la différenciation de deux points) est très fortement diminué à droite.

Quand elle est perçue, la sensation est exactement localisée.

L'épreuve de la sensibilité cutanée sur la tête donne des résultats circons-

tants, mais les résultats pour la face sont en général les suivants : le contact

d'une bosse fine contre la moitié gauche de la face, y compris le nez, le men-

ton, la région fronto-temporale, n'est pas aussi facilement perçu qu'à sa droite.

L'esthésiomètre sur la région du facial droit, a donné 3 centimètres, à gau-

che 6 centimètres. La localisation dans ces régions est bonne, mais imparfaite.

La sensibilité à la douleur (piqûre ou brosse électrique) est un peu plus aiguë

à droite par rapport à la normale. Mais les différentes températures sont mieux

perçues, à ce qu'il semble, du côté gauche. Une très petite place sur le crâne,

un pouce ou à peu près au-dessus et légèrement en arrière de la sortie du nerf

occipital gauche est décidément plus molle à la pression et hyperesthésiée.

C'est le point où la douleur a régné depuis l'accident continuellement pendant

des mois puis s'aggravant, à gauche de l'occipital un ganglion large et ramolli.

En marchant il se sert d'une canne et sautille ou tire un peu la jambe droite.

Les champs visuels sont reproduits dans la figure ci-après. La ligne pointillée

figure la limite pour le rouge. Pour les autres couleurs, la vision a été réduite

DE l'hémiplégie traumatique 541

en concordance avec le rouge. Cette limite concentrique fait penser que la fai-

blesse visuelle peut être ici plutôt fonctionnelle que nettement organique....

Ptosis de la paupière supérieure gauche.... Il rit ou pleure plus que facile-

ment, il saisit rapidement une plaisanterie. Il y a un grand trouble de la pa-

role, l'effort le jetant parfois dans un tremblement général. Souvent il emploie

un mot impropre et alors, en essayant de le corriger, gesticule d'une façon

bizarre avec sa main gauche. Il éprouve de grandes difficultés pour écrire une

lettre et fait toujours des fautes ; en écrivant sous la dictée, il a besoin qu'on

épèle. Il peut répéter après quelqu'un Le 12 septembre 1896, le docteur

Delatour le trépane dans le point douloureux. Il trouve des signes de fracture

ancienne,en avant et en haut, une légère dépression de l'os et une forte adhé-

rence du péricrâne à la dure-mère au point et dans la direction indiquée. La

pie-mère était libre partout. La surface du cerveau grisâtre plutôt que rosée

et battant un peu-

Depuis lors, il a un meilleur contrôle sur les muscles de l'oeil gauche mais à

part cela, il y a peu de changement.... la santé générale est assez bonne.

Observation XXIV.

Browning.

Le patient était un paveur de quarante ans qui avait reçu un coup ou fait

une chute sur la tête. Il fut amené à l'hôpital sans conscience, mais reprit bien-

tôt ses sens. Guéri deux jours et demi plus tard, très bien en apparence ; il re-

tourna à son travail pendant toute une semaine. Mais onze jours après l'acci-

dent on le ramena de nouveau paralysé et il mourut rapidement.A l'examen post-

mortem on'trouva une fracture de la base du crâne qui dataitdu jour de l'accident.

Observation XXV.

HILTON, Repos et douleur, New-York-, 1877, p. 16-17.

Il y a quelque temps je fut mandé pour voir un gentlemen de la campagne

qui revenant d'une partie de chasse fut précipité de son cheval. Il se prit le

pied dans l'étrier et dans sa chute, frappa le sol de la partie postérieure de la

tête. Le cheval fut arrêté, il dégaga son pied et se déclarant un peu troublé

542 RENÉ martial

il remonta de nouveau à cheval et retourna chez lui à quelques milles de là.

Ce monsieur s'occupa comme d'habitude pendant treize jours, tantôt allant à

cheval, tantôt à pied, mais plus fréquemment en voiture, il se rendait aux

marchés du comté.

Il devint alors le malade d'un chirurgien qu'il appela. Au moment où je le vis

il présentait quelques signes de paralysie provenant d'une blessure à la base du

crâneou dans la région cervicale supérieure. Il mourutbientôt.En examinant son

crâne,on trouva qu'il y avait une fracture de la base.Cependant il poursuivit ses

occupations pendant treize jours sans la plus légère marque de lésion cérébrale

ou cérébelleuse, se plaignant seulement d'un mal de tête et d'un peu de fièvre.

Observation XXVI.

E. LENOBLE et A. ÏERMET, Archives géz. de Méd., 1897, Paris, I, 209.

Le nommé B... Georges, âgé de 19 ans, cocher, entre le 15 octobre 1896,

salle Velpeau, lit n° 27, service de M. le Dr Blum, à l'hôpital Saint-Antoine.

On ne relève rien de particulier dans ses antécédents héréditaires, lui-même

n'avait jamais été malade. En particulier il n'a jamais eu la syphilis ni aucune

maladie nerveuse, il ne boit pas.

Le 26 mai 1896, il était occupé à ramasser des copeaux lorsqu'il reçut sur la

région Lemporo-pariétale gauche la flèche d'un fardier d'un poids considérable

et tombant d'une hauteur de 2 à 3 m., il fut précipité à terre et resta évanoui

sur le coup.

Il fut transporté à l'hôpital Saint-Antoine, à ce moment il était plongé dans

le coma, pâle, les yeux voilés, la respiration était stertoreuse et courte. Il

était sans mouvement et insensible à toute excitation, de la narine gauche s'é-

coulait un peu de sang. Le pouls était faible, mou et dépressible, il n'y avait

pas de plaies au visage, au niveau du pariétal gauche le cuir chevelu présen-

tait une plaie de peu d'étendue. Une bosse sanguine énorme occupait une grande

partie des régions temporale et pariétale gauches, elle dépassait la ligne mé-

diane en avant du vertex et s'étendait sur la région pariétale droite. Du côté

gauche du crâne on sentait très nettement un enfoncement siégeant vers la

partie antérieure du pariétal. Les membres étaient tous en résolution, mais le

bras droit était absolument flasque et retombait inerte quand on le soulevait,

la face paraissait légèrement déviée à gauche, la température était de 37°8, le

pouls légèrement irrégulier.

Le 29 au matin, le malade sortit du coma. La sensibilité et l'intelligence re-

vinrent peu à peu, mais il était complètement aphémique, il n'existait pas de

surdité verbale, car au commandement il sortait la langue, qui paraissait lé-

gèrement déviée à droite. Les membres inférieurs et le membre supérieur gau-

che avaient récupéré leur motilité,mais le bras droit restait inerte. Seuls quel-

ques mouvements des doigts étaient possibles.

La sensibilité au toucher, à la douleur et à la chaleur était conservée, la pa-

ralysie faciale droite était à ce moment très apparente, le pouls plus petit que

la veille était aussi plus irrégulier. Il est à noter qu'à aucun moment le ma-

DE l'hémiplégie traumatique 543

lade n'a eu de vomissements. Le 30 mai la paralysie du bras droit était encore

accentuée et M. Blum se décide à intervenir. Un large débridement de la plaie

fut pratiqué sous le chloroforme, on put alors constater un enfoncement ova-

laire de la portion médiane du pariétal gauche. Le grand axe de la déforma-

' tion est oblique en bas, en dehors, et en arrière il mesure environ 10 centimètres,

la largeur est de 6 centimètres à peu près. Suivant ce grand axe il existe une

fêlure séparant les fragments osseux déprimés en gouttière.

Epanchement sous-dure-mérien qui a décollé la dure-mère sur presque

toute l'étendue de la calotte crânienne, hémorrhagie sous-méningée.

Le malade quitte l'hôpital le 15 juillet, l'aphémie a disparu, mais il semble

qu'il y ait une légère atrophie de tout le membre supérieur droit en même

temps qu'on y constate une notable diminution des forces. Il y rentre le 13 oc-

tobre 1896.

Etat actuel. - Il n'est pas gaucher, pas de déviation de la face, dépression

crânienne.

Thorax. - Il existe un méplat à la région supérieure de la moitié du thorax

droit, immédiatement au-dessous de la claviculaire, le sous-clavier est atrophié

par la déviation de la colonne vertébrale.

Epaule. - Les deux chefs scapulaire et claviculaire du deltoïde droit pré-

sentent une diminution de volume appréciable à l'oeil sur ceux du côté opposé.

Le grand pectoral est également moins volumineux, le trapèze et legrand dor-

sal droits ne présentent pas d'atrophie visible. Il existe une dépression plus

marquée au dehors de la clavicule droite dans sa partie externe.

Bras. - D'une façon générale le bras droit est moins volumineux que le

bras gauche. Une fois à la partie moyenne, il a 22 centimètres de circonfé-

rence, le bras gauche ayant 24 au même point Au niveau du coude, les sail-

lies osseuses ne sont pas plus visibles que du côté opposé.

Avant-bras. - L'atrophie est aussi visible que pour le segment supérieur

du membre, le sillon médian antérieur étant plus marqué que pour le côté

opposé. Mesuré au tiers supérieur il a 22 centimètres de circonférence, le gau-

che présentant 13 1 ?

Poignet. - L'extenseur commun qui fait saillie à gauche chez le malade est

effacé à droite et même remplacé par une dépression.

Main. - Face dorsale, les interosseux sont' atrophiés et les métacarpiens

beaucoup plus visibles que sur le dos de la main du côté opposé.

Face palmaire.- Les éminences thénar et hypothénar ont conservé sen-

siblement leur relief normal.

Doigts. - Il existe à la main droite une demi-flexion de l'auriculaire et de

l'annulaire rappelant la griffe cubitale et une flexion moindre du médius et de

l'index.

Motilité et force musculaires. - Le sujet porte difficilement la main droite

derrière la tête. Dans ce mouvement il ne peut dépasser la ligne médiane pos-

térieure.. ,

Mains. - Dynamomètres, main droite : 18, gauche : 38, il y a impossibilité

presque absolue de saisir les objets de très petite dimension, par exemple une

544 RENÉ martial-'

épingle, par gêne des mouvements d'addition du pouce... La prise est in-

certaine et sans vigueur, l'écriture est impossible, les caractères tracés ne

correspondent à aucun des types connus par impossibilité de tenir un porte-

plume de dimensions moyennes.

Réflexes. - Pas modifiés. '

Membres inférieurs.- Il n'existe pas de différences sensibles entre le vo-

lume de ces deux membres. La cuisse droite mesure à la partie moyenne

41 centimètres 1/2, la cuisse gauche 41 centimètres à la partie moyenne du

mollet, la mensuration donne 31 centimètres des deux côtés. Les mouvements

sont conservés dans toute leur intégrité. Le sujet marche bien, se tient facile-

ment debout sur la jambe droite et n'oscille pas les yeux fermés.

Réflexes : égaux des 2 côtés. - -

Sensibilité. - Le malade ressent dans tout le bras droit des douleurs qu'il

compare à des coups d'épingle. L'avant-bras, la main et les doigts du même

côté ne donnent lieu à aucun phénomène subjectif, ni douleurs, ni fourmille-

ments, zone d'hypoesthésie étendue à tout le membre supérieur droit.

Diminution de la sensibilité thermique

Diminution de la sensibilité auditive à gauche.

Aucune modification des autres sens.

Troubles vaso-moteurs. La moitié inférieure de l'avant-bras droit et la main

correspondante présentent sur leur face dorsale une coloration d'abord légère-

ment cyanique, mais qui devient franchement bleu rosé à mesure que l'on se

rapproche de l'extrémité des doigts, existe aussi un abaissement de température

très notable pas de sueurs locales troubles trophiques peu accusés

, . Observation XXVII.

H. SCIILOEFFER, Zur aStl2Sl%î der Schædel ünd GBIL2)')tvPJ'LeLZtG)tle)t. -

l3eilre zur klinischen chirurgie, 1898, XXI 3.

Slongo Luigi, 23 ans, maçon à Trévise, tomba le le, janvier 1892 d'un

toit élevé d'environ 7 mètres sur un sol gelé où il resta nus connaissance. Il

fut aussitôt après l'accident porté à l'hôpital où l'on observa ce qui suit :

Etat actuel. - Homme de taille moyenne, fortement musclé, gît sans con-

naissance, poussant de temps en temps des sons inarticulés, la peau et les mu-

queuses visibles très pâles. Température 37°6, pouls 72, petit et irrégulier.

En l'appelant très fort le malade ne réagit pas. Si on produit de violentes exci-

tations cutanées, il cherche à les écarter, mais seulement avec les extrémités

gauches, tandis que celles de droite restent complètement immobiles. Dans la

partie supérieure de la région du sommet de la tête à gauche, se trouve une

étroite blessure de la partie latérale de 7 centimètres de longueur, commençant

derrière la suture cervicale allant jusqu'à la protubérance du sommet avec'

prolongement inférieur.

Après avoir rabattu le lambeau, on trouve dans le muscle temporal lacéré

une ouverture circulaire par laquelle une sonde introduite, butte sur l'os nu.

DE l'hémiplégie traumatique 545

Un peu au-dessus de cette lésion, une déchirure oblique superficielle et n'inté-

ressant que la peau.

Au corps du pariétal, plusieurs contusions et lésions de la peau tumé-

faction, relèvement des fragments, destruction de l'hématome sous-dure-

mérien..... nature pansement.

Le 20 décembre, le patient peut pour la première fois faire quelques mou-

vements actifs avec la main droite et le coude. La motilité de l'extrémité

inférieure droite s'est visiblement améliorée. La parole est claire.

Le 7 janvier 4893 il quitte l'hôpital, le côté droit un peu affaibli au point de

vue de la motilité.

. Observation XXVIII.

, H. SCHLOEFFER.

Herarth Jean, 24 ans, palefrenier à Keefflach près de Graz, fat blessé le

14 février 1893 pendant une bataille avec des camarades et reçut un coup de

morceau de fer dans la région gauche du crâne. Il s'ensuivit immédiatement la

perte de connaissance qui dura sept heures. Le traumatisme causa une perte de

substances de la voûte du crâne par laquelle sortit de la substance cérébrale.

Etat au 17 février : Cet homme grand et bien musclé a toute sa connaissance

il répond à toutes les questions, mais sa parole est remarquablement lente, et

il semble réfléchir d'abord assez longtemps à ce qu'il va dire. Les pupilles éga-

lement dilatées réagissent promptement à la lumière. Le territoire du facial droit

est paralysé ainsi que son extrémité supérieure. Les organes internes sont nor-

maux

En ce qui concerne le pariétal gauche, on y trouve une blessure en forme

de V avec un prolongement inférieur dans le tesritoire duquel on voit nette-

ment l'os enfoncé on peut facilement introduire une sonde jusqu'à la subs-

tance cérébrale. Environ quatre centimètres en arrière et au-dessus de cette

blessure, se trouve dans la coupe pariétale gauche une perte de substance de

1 cent. 5' de diamètre dont les bords sont déchiquetés et irréguliers. Au fond :

des esquilles mélangées de substance cérébrale. Des deux blessures s'échappe

une petite quantité de sécrétions troubles opération

Au moi d'avril il persistait une paralysie complète du bras droit et une paré-

sie de la jambe droite...,.

Au mois de mai de l'année suivante les troubles de la motilité sont surtout

accentués à la jambe droite

. Observation XXIX.

H. SCHLOEFFIOE.

Florian Peschl, 24 ans, montagnard de KæfOach près de Graz futblessé par

un coup de mine. Il reçut un bloc de charbon au côté gauche de la tête. Il per-

dit connaissance aussitôt après l'accident et ne revint à lui que pendant le trans-

port à l'hôpital (18 novembre 1894). Puis survint après une intervalle de luci-

dité remarquable, durant quatre heures, une nouvelle perte de connaissance

546 RENÉ martial

qui dura jusqu'à ce jour. On retira du crâne des morceaux de charbon, mais

l'os ne paraît pas avoir été fracturé. Cependant on constata dans le bras droit

des mouvements cloniques

Il y a une paralysie complète et isolée des abducteurs droits, une parésie du

facial droit et une paralysie complète des membres inférieur et supérieur droits.

Il est impossible de constater des troubles de la sensibilité

Au 3 juillet de l'année suivante la paralysie n'a pas changé, mort.

Observation XXX.

H. SCHLOEFFER.

.

Antoine Kekstein, 15 ans, journalier à Tachenin, reçut le 26 .janvier 1895

pendant un combat de boules de neige, un coup sur le côté gauche de la tête.

Il tomba aussitôt mais ne perdit pas connaissance, Il voulut se venger de son

agresseur, mais sa parole était devenue hésitante et il ne pouvait articuler au-

cun mot. Il se rendit à la maison et remarqua pendant ce temps que son pied

droit n'était pas aussi vigoureux que le gauche.. En voulant se déshabiller, il

constata que sa main droite était plus malhabile que sa gauche. Il avait de fortes

douleurs de tête, mais pas de fracture. Son médecin ordonna l'enveloppement

glacé. Le 31 janvier, il eut trois fois des mouvements convulsifs dans la main

droite, qui se continuèrent ensuite dans la moitié droite du visage et gagnèrent

la jambe droite. Depuis il n'a pas eu d'autres convulsions. La paralysie des

membres s'améliora et il ne resta que l'aphasie.

Etat atuel..... Quand on lui fait montrer les dents, la commissure droite

des lèvres et le pli naso-génien restent abaissés. La langue est déviée à droite.

Dans le membre supérieur droit, la force n'est que peu diminuée. L'extrémité

inférieure droite montre une légère faiblesse, le malade l'accuse de lui-même.

Les réflexes du triceps, patellaire, abdominal et crémastérien sont également

bons des deux côtés. Le pouls est vigoureux sans être trop tendu le patient

est complètement aphasique, ne peut dire que ta ou té, mais comprend tout ce

qu'on lui dit.

La pupille droite est plus dilatée que la gauche la sensibilité est à peu

près conservée le point traumatisé se trouve à 7 cm. au-dessus de l'arcade

zygomatique et répond à la suture coronaire; à un centimètre et demi de là, on

trouve une dépression grande comme une pièce de cinquante centimes, plus ac-

centuée que dans la zone dont nous venons de parler. Le point douloureux est

situé exactement dans la zone de Broca. Le malade se plaint de douleurs vives

survenant par accès dans la main droite et de secousses involontaires.

Expectative.

En 1898 notre ancien malade est mousse dans la marine autrichienne. Il n'a

plus éprouvé de troubles de la parole sauf pour les mots difficiles ou lorsqu'il

parle vite .... il n'a plus eu de convulsions En avril 1897, il a eu subite-

ment la sensation des doigts morts et pendant dix minutes ne vit plus rien que

du noir..... D ailleurs il se porte bien et supporte facilement les exercices de

sa profession.

DE l'hémiplégie traumatique 547

Observation XXXI.

H. SCHLOEFFER.

Ptomésil Jean, 27 ans, maçon, reçut dans une bataille un coup d'un instru-

ment en fer, sur la tête. Il tomba sans connaissance, mais revint bientôt à lui.

Il remarqua qu'aussitôt après le coup, il avait perdu la parole, il n'a pas cons-

taté de faiblesse des membres. La blessure de la tête a fortement saigné.

Etat actuel, 2 décembre 1896. La fente de la paupière droite est plus

large que celle de gauche, le pli naso-génien à droite est un peu plus abaissé

qu'à gauche. Quand on lui fait montrer les dents, la commissure droite reste

affaissée. La langue et la luette légèrement déviées à droite. Les mouvements

actifs et passifs des membres sont normaux. La sensibilité de la main droite est

un peu diminuée. La parole est lente, hésitante et légèrement nasonnée. Les

mots longs et inusités sont les plus difficiles. Il répète plus facilement qu'il ne

parle

Sur le pariétal gauche, à 10 cm. 1/2 de l'arcade sourcilière et à 10 centimè-

tres de la pointe inférieure de l'oreille, serpente une ligne de 1 cm. 1/2 avec

des bords déchiquetés obliques, à 1 cm. 1/2 de là, à peu près au-dessus de l'ori-

fice externe du conduit auditif, une seconde plaie semblable à la première.

Tout l'ensemble des tissus est oedématié et sensible à la pression. Pas de frac-

ture du crâne Guérison.

- Observation XXXII.

H. SCHLOEFFER.

Ploden Jean,58 ans, cantonnier à Gratz, fut, d'après'les renseignements four-

nis par un compagnon, frappé avec un litre le 7 mai 1894, dans une bataille.

On ne sait s'il reçut un coup ou plusieurs sur la tête. Après la blessure il se

rendit à son travail. Cependant après qu'il eût commencé à travailler, il se

sentit malade et abandonna son poste pour aller dans une cahute. On l'y re-

trouva le jour suivant, dans l'après-midi, couché sur une botte de paille et

sans connaissance. Un essaya, mais sans succès, de le rappeler à lui et on l'ap-

porta à l'hôpital.

Etat actuel. - Il est complètement inerte et ne réagit pas du tout. Il ne

fait que quelques mouvements pour écarter quand on le pince vigoureusement

dans la moitié gauche du corps. De temps en temps il pousse des cris incom-

préhensibles, les deux pupilles réagissent à la lumière, mais la gauche plus

faiblement que la droite. Le territoire du facial droit ainsi que le bras et la

jambe sont complètement paralysés. Il est gâteux.

Au côté gauche de la tête, au-dessus de la racine du pavillon de l'oreille, on

trouve une plaie large comme une pièce de 5 francs, à travers laquelle on peut

très nettement sentir l'os enfoncé '

9 mai. - Opération.

10. L'amélioration est générale. Le malade regarde autour de lui avec

intérêt et semble saisir les questions qu'on lui pose. La paralysie est la même,

548 RENÉ martial

il essaie de parler, mais le plus souvent c'est un bredouillement incompréhen-

sible. -

12. - Quand on questionne le patient au sujet de son âge, il s'efforce de

rassembler les différents chiffres ; si on lui montre un couteau et qu'on lui de-

mande à quoi cela sert, il répond : couper, mais il ne peut dire le mot couteau.

14 La paraphasie dure toujours....

16. - Les mouvements actifs reviennent progressivement dans les mem-

bres....

3 octobre. Les paralysies (membres et facial) ont disparu, mais la parole

ne s'est pas améliorée. Il ne peut presque pas lire, son écriture est très défec-

tueuse.

Janvier 1898. - Les troubles de la parole ont diminué, mais subsistent

encore.... Depuis un an environ, il a des attaques bizarres qui le prennent

toutes les deux ou quatre semaines. Il ressent une chaleur à la tête, ou des

maux de tête et en même temps, les troubles de la parole augmentent beau-

coup. Il faut alors qu'il sorte ou qu'il se couche. Quand il se réveille, il est

abattu comme s'il avait eu une forte lièvre, sa gorge est sèche, il est en proie

à une grande soif, et ressent une grande courbature. Cela dure un jour ou

deux. L'apparition de ces attaques est favoriséè par des pensées tristes....

Observation XXXIII.

A. SCHLOEFFER..

Trojan Charles, 22 ans, gantier, fut blessé le 22 décembre 1895 dans une

bataille. Transporté aussitôt après à la clinique, il s'assit pendant quelques

instants sur le banc de la salle d'attente, puis tomba. Il saigna abondamment

de la tête, il vomit et perdit connaissance.

Etat actuel. - Il est inconscient et ne réagit pas. Sa respiration est haute

et résonnante. Sur le pariétal droit, au-dessus de l'oreille se trouve une plaie

oblique de bas en haut, longue de 6 centimètres, béante et laissant voir l'os.

Le périoste est détaché en un point, l'os lui-même légèrement enfoncé.

Les pupilles également dilatées réagissent à la lumière. A gauche, le pli

naso-génien est tiré, effacé. Les extrémités gauches supérieure et inférieure re-

tombent mollement quand on les soulève, la piqûre n'est pas ressentie. Au con-

traire, le malade remue continuellement du côté droit, arrache son pansement.

Pouls ralenti, vomissements....

Opération. - On retire 3 centimètres de lame de couteau. Jusqu'au 30 dé-

cembre, augmentation de la température, la paralysie ne s'améliore pas, le

malade est somnolent.

Le janvier, il semble reprendre un peu conscience. Mais un facial gauche

survient, une parésie qui atteint le rameau inférieur. Quand il essaie de par-

ler, la bouche est tirée à droite et l'angle gauche de la bouche apparaît comme

située plus profondément. 1

, Autant qu'on peut en juger par la situation de la langue sur le plancher de

DF L'HÉMIPLÉGIE traumatique 549

la bouche et le mouvement de déglutition, il n'y a pas de troubles dans les

mouvements de celle-ci. Le bras gauche montre à l'épaule et au coude une

légère contracture qui se laisse vaincre en déployant une force modérée et

dans laquelle l'extrémité revient graduellement à sa position initiale. Les doigts

de la main gauche sont légèrement fermés. Le bras levé en l'air, retombe pa-

ralysé, la jambe gauche gît légèrement tournée en dehors, elle est flasque et

sans contracture. Les membres droits se meuvent à la volonté du malade. La

sensibilité est diminuée à gauche.... '

Le réflexe abdominal gauche n'existe pas, à droite il est très net, le réflexe

crémastérien est à peine sensible à gauche, il est bon à droite. Le patellaire

manque à gauche. Le réflexe plantaire est beaucoup plus vif à droite qu'à

gauche.

Exitus letalis.

Autopsie. - Sur le côté droit de la tête, commençant au-dessus du pavillon

de l'oreille, on trouve une plaie du cuir chevelu, granulant, et qui se dirige

vers le milieu du crâne. Elle est d'une longeur de 11 centimètres environ. Les

bords de la plaie taillés à pic, lisses, sont dans la plus grande largeur éloignés

de 6 centimètres. A l'intérieur de la plaie, on voit un trou dans le pariétal

droit d'où sort du sang mélangé à de la substance cérébrale. Dans les parties

molles on trouve par place d'assez grande quantité de pus concret. Les bords

de la fracture sont coupants et dentelés, ils répondent dans leurs dimensions,

aux diamètres de la plaie des parties molles : 7 centimètres de long sur 4 de

large. La dure-mère est souillée de sang et dans la moitié antérieure de sa sur-

face interne, recouverte de pus vert et gluant.

En outre, à la surface externe des petites méninges, dans le même territoire,

existe des formations membraneuses consistant en un grand amas de pus con-

cret. La pie-mère est fortement injectée et infiltrée de pus, de même en quel-

ques points de la base et dans la partie la plus proche de la scissure de Sylvius.

La substance cérébrale est livide, l'hémisphère droit dans ses deux tiers

antérieurs est presque complètement enveloppé d'une bouillie molle et grisâtre

qui paraît très fondante. Cet état se rencontre l'intérieur jusqu'à la paroi ex-

terne du ventricule latéral. Cette paroi n'est pas transpercée, mais elle est for-

tement ramollie et présente un abondant pointillé rouge, indiquant les points

de sortie du sang. Dans le 4° ventricule, un peu de sérosité purulente. A la

base, dans la fosse antérieure droite, entre la pie et la dure-mère un caillot

déjà ancien.

Observation XXXIV.

Ficher, Deutsche medicinische Wochenschrift, n° 52, 1898.

A la clinique royale de Breslau se présenta un ouvrier de 35 ans qui se

portait plaignant pour une affaire de moeurs et demandait à être observé, afin

de pouvoir fournir au juge un certificat sur sa maladie cérébrale.

Il racontait qu'il avait été blessé, il y a trois ans, dans une bataille. Il avait

reçu sur le côté droit de la tête un coup de canne terminée par une pointe de

fer. Aussitôt il n'avait ressenti que des douleurs qui ne l'avaient pas interrompu

550 RENÉ martial

dans son travail. Après une demi-année, seraient survenues des attaques pé-

riodiques de douleurs de tête, pendant lesquelles il était souvent inconscient

et agité. Ces attaques augmentèrent de fréquence avec le temps et, deux aus

après la blessure il avait ressenti instantanément une grande faiblesse dans le

bras gauche qui s'était établie peu à peu et n'avait pas disparu depuis.

Ses proches remarquèrent ensuite que, pendant les attaques le bras malade

se dressait vivement et était jeté de côté et d'autre, comme si le patient avait

rêvé. Après de semblables attaques, le malade demeurait toujours plus excité.

Depuis quatre mois, il était complètement inconscient pendant ses attaques. Il

prévoyait cependant leur approche par des secousses dans le bras gauche et

pouvait se prémunir contre une chute. Il se serait souvent mordu la langue.

Le bras gauche était notablement affaibli et le patient avait cessé de travailler.

Le pied gauche se fatiguait aussi depuis l'apparition des crises et il pouvait à

peine le bouger. Sa mémoire avait aussi beaucoup souffert, son intellect, d'une

manière général s'était affaibli.

La recherche et l'observation cliniques confirmèrent ces dires. La faiblesse

de la main gauche était surtout surprenante dans l'action de serrer dans les

mouvements. C'est avec peine qu'il la soulevait, elle retombait aussitôt, flas-

que. La sensibilité n'était pas altérée dans la moitié gauche du corps, les mus-

cles ne semblaient pas atrophiés. Aucune paralysie de la face, la parole était

normale Opération Fissure de la lamina vitra Amélioration de la

paralysie, les accès épileptiformes seraient revenus quelques mois après

Observation XXXV.

VIGNARD, 1899.

Il s'agit d'une femme de 71 ans qui reçut il y a 4 ans une lourde caisse sur

la partie postérieure et latérale gauche du crâne.

Nous n'avons eu que très peu de renseignements sur les phénomènes qui

suivirent immédiatement, nous savons seulement que la malade eut un ébau-

chement sanguin, lequel suppura et devint fistuleux.

Toujours est-il qu'il n'y eut pas de symptômes cérébraux, car la malade put

reprendre ses occupations au bout de quelques jours.

Pendant deux ans, elle continue son travail d'atelier et ne présente rien d'a-

normal sauf la fistule crânienne persistante. Après ce laps de temps la marche

devient difficile, on est obligé de la conduire à l'atelier. Elle présente en outre

à diverses reprises des troubles passagers de la parole et reste plusieurs jours

sans pouvoir parler.

Il y a un an environ, elle eut une perte de connaissance à l'atelier. On fut

obligé de la transporter chez elle en voiture. La malade se relève encore, mais

le travail est sinon impossible, du moins de plus en plus difficile. Enfin il y a

9 mois, c'est-à-dire 3 ans et 3 mois après l'accident, survient une hémiplégie

droite complète avec aphasie.

L'orifice de la fistule est situé à peu près à égale distance du lambda et de l'as-

térion, dans le voisinage de la suture pariéto-occipitale. Bien qu'il n'existe à ce

DE l'hémiplégie traumatique 551

niveau aucun renflement notable,je fais sourdre par la pression une quantité de

pus telle que l'existence d'un abcès intra-crânien devient pour moi probable.

Opération amélioration.

Observation XXXVI.

Personnelle (service de M. le professeur Marie).

(N. B. L'état intellectuel de ce malade est tellement affaibli et si enfantin

que nous ne saurions affirmer l'authenticité des renseignements qu'il nous a

fournis lui-même. La mémoire des dates et des chiffres parait chez lui très

troublée, c'est ce qui nous a empêché de le citer au nombre des cas d'hémiplé-

gie traumatique tardive.)

Michel Henri, 43 a.ns.

Antécédents héréditaires.- Père 60 ans ? en bonne santé, mère 58 ans ? en

bonne santé également, deux soeurs, une de 37 ans bien portante et une morte

à 33 ans.

Antécédents personnels. - 43 ans, aucune maladie antérieure, sauf une blen-

norrhagie.

A 18 ans, exerçant son métier de peintre en bâtiments, il tombe d'une hau-

teur de quatre étages. On le transporte à l'hôpital Tenon où on l'aurait trépa-

né ; de 1877 à 1887 il se serait toujonrs bien porté et aurait continué à travail-

ler. En 1887 il aurait eu une attaque de paralysie avec ictus. Depuis lors

hémiplégie droite persistante. Il entra à Bicêtre.

Etal actuel, juin 1899. - Sur le côté gauche du crâne, le squelette présente

un enfoncement intéressant le pariétal, directement en ligne de tragus, à 8 cent,

au-dessus, de ferme demi-lunaire, ayant 6 cent. dans le plus grand diamètre.

La face est tirée du côté gauche, la langue du. môme côté.

Le malade ne s'exprime qu'avec une extrême difficulté, on ne peut le com

prendre qu'en le faisant parler très lentement, cependant il ne prononce qu'avec

peine les lettres h. m. n. v. x.

Il y a un léger rétrécissement du champ visuel,- mais cet examen est très

difficile à pratiquer.

L'audition est parfaitement conservée.

Le malade peut marcher seul, mais il traîne fortement la jambe du côté droit,

la pointe du pied droit regardant en dedans, par suite d'une contracture ac-

cusée. Le bras droit est complètement paralysé, dynamomètre main gauche 35,

main droite 13 et placé dans l'attitude des hémiplégiques, l'avant-bras est fléchi

sur le bras et la main à demi fermée.

Cependant le sens stéréognostique est conservé.

La sensibilité à la douleur paraît exagérée du côté droit, mais le malade lo-

calise parfaitement les sensations et en distingue les modalités. La sensibilité

au chaud et au froid est conservée.

Peut-être y aurait-il hyperesthésie du côté paralysé, mais cela est difficile à ap-

précier.

Au point de vue psychique, le malade semble être en enfance. Il rit à tout

552 RENÉ martial

propos et est toujours content, mais passe brusquement de cet état de satisfac-

tion à une grande colère, si on le contrarie ou s'il rencontre des personnes qui

ne lui plaisent pas. Il ne peut souffrir la moquerie. La mémoire des faits en gé-

néral paraît être conservée, mais il semble être embarrassé pour les replacer à

leur date exacte dans pasé.

Observation XXXVII.

Personnelle (Service de M.leD1' Marie).

Péron-Auguste, peintre en bâtiments, 76 ans.

Antécédents héréditaires. Mère morte paralytique à 95 ans(serait restée

longtemps dans un fauteuil) ; père mort à 70 ans. Un frère mort à 78 ans, un

frère vivant âgé de 75 ans (aux Petits Ménages),

Antécédents personnels. N'aurait eu aucune maladie sauf une fièvre de na-

ture indéterminée à l'âge de 12 ans.

Il y a cinq ans (1894), en montant à une échelle, le premier échelon cassa,

et le malade tomba à la renverse. La tête porta violemment, on ne retrouve

aujourd'hui qu'une cicatrice peu apparente au droit de la suture coronale du

côté droit. Il perdit connaissance à peu près pendant une heure et quand il

revint à lui, il était paralysé des deux bras et des deux jambes. Il se fil électriser

pendant un mois, puis survint une amélioration rapide.

Etat atuel (juin 1899). - Il subsiste une certaine difficulté pour porter le bras

gauche dans l'extension complète, l'épaule gauche est un peu baissée et la jambe

du même côté traîne un peu, mais très peu. Le malade a toujours été gaucher, le

dynanomètre donne : main droite : 20.5, main gauche : 21./).

Il n'a jamais eu d'aphasie. La langue est très légèrement déviée à droite.

Les réflexes musculaires et osseux sont exagérés dans toute l'étendue de

l'épaule et du bras gauche, on produit aussi facilement des secousses, muscles

sur les masses de l'avant-bras.

Artères dures.

Réflexes tendineux, patellaire exagéré à gauche, crémastérien paraît aboli

(hernie inguinale double). Cubital du poignet, les réflexes sont brusques et

suivis d'un tremblement marqué, pharyngé, normal.

En somme, surtout étant donné son âge, guérison complète.

Observation XXXVIII.

Personnelle (service de M. le D' Touche à Brevannes).

Benvignan Félix, 43 ans, garçon brasseur.

Antécédents héréditaires. - Père 80 ans en bonne santé, un frère âgé de

47 ans et une soeur en bonne santé.

Antécédents personnels. Aurait eu la rougeole et la scarlatine étant en-

fant. En 1887, une attaque de rhumatisme le force à rester 3 mois à l'Hôtel-

Dieu (annexe). En 1891 (4 janvier) à cause de chagrin de famille (éthylisme ? )

il se tire un coup de revolver dans la tempe droite, étant couché à plat ventre

sur son lit. Après un moment de perte de connaissance dont il ne peut appré-

DE l'hémiplégie traumatique 553

ciel' la durée, il tombe de son lit et se traîne jusqu'à sa porte, où il s'endort ?

On l'emporte à St-Louis, où l'on procède à l'extraction de la balle (il était sans

connaissance). 11 reprend ses sens après l'opération. Au bout de deux jours on

constate.une hémiplégie gauche; il reste plusieurs mois à St-Louis, se portant

assez bien mais se plaignant de douleurs de tête et d'une sensation de travail-

lement-du côté gauche.

Un jour, se mettant à rire brusquement en voyant tomber un de ses cama-

rades, il est arrêté dans son rire et selon sa propre expression, « il ne pouvait

pas rire assez fort ». Il tombe sur le banc et le côté gauche de la face se para-

lyse à partir de ce moment (paralysie en deux temps par conséquent). Il eut en

outre à partir du même moment un rétrécissement de Foesopbage, qui paraît

être d'origine purement nerveuse car il cessa brusquement quelque temps

après.

Depuis, il a eu plusieurs pertes de connaissance, mais la paralysie n'a pas

augmenté.

Il reste six semaines à Laennec'puis vient à Brévannes.

Etat actuel, août z On reconnaît sur le crâne le point d'eutrée

de la balle, en ligne verticale à 7 centimètres du tragus, et en ligne oblique de

bas en haut et d'avant en arrière à 10 centimètres de l'angle externe de l'or-

bite, côté droit.

Paralysie des memhres du côté gauche. Dynamomètre, main droite : 25,

main gauche : 0.

La malade ne peut absolument rien faire de celle main qui est en contrac-

ture, les doigts fortement fléchis sur la paume. On peut réduire cette contrac-

ture, mais les doigts reviennent d'eux-mêmes à leur position initiale. Con-

traction, de l'avant-bras sur le bras, avec rotation en dedans, également

corrigible par les mouvements passifs. Les mouvements actifs du coude et de

l'épaule sont extrêmement limités, le mouvement d'élévation du bras et d'ab-

duction n'atteint pas l'horizontale; pas de mouvements associés.

' Le malade ne peut marcher saus une canne, il traîne fortement la jambe, le

genou est légèrement fléchi. '

xm 36

554 RENÉ martial

W Atrophie très prononcée des muscles de l'épaule et abaissement de cette

dernière ; les muscles de la cuisse sont également légèrement atrophiés.

Le champ visuel est légèrement rétréci. Après le coup de revolver, il voyait

encore bien, mais après l'attaque suivante, il accusa de la diplopie pendant

quelque temps . Aujourd'hui il peut lire aussi bien qu'auparavant. Pas de

dyschromatopsie. Il peut fermer l'oeil droit seul, mais pas le gauche

Actuellement il n'y a pas d'aphasie, les mots difficiles ou incompris sont

seuls mal prononcés.

La corde vocale gauche aurait été paralysée au début.

La langue est déviée un peu à gauche, les traits de la face sont tirés vers la

droite.

Sensibilité. Au chaud : elle est conservée, mais les nuances ne sont plus

appréciées; au froid : elle existe encore, mais il croit qu'on le pique quand

parfois on lui promène un corps froid sur l'épiderme. Il ne distingue pas le

pincement de la piqûre aussi bien il la face qu'au corps. Il dit simplement

qu'on le touche.

Hyperesthésie en bas et à l'avant-bras.

La sensibilité est conservée du côté droit.

Le sens stéréognostique est supprimé du côté gauche.

Réflexes : pupillaire] : droit, très peu accentué ; gauche, 0, .

Cornéen droit, conservé; gauche, retardé.

Pharyngé : 0.

Cubital : existe des deux côtés.

Au poignet : droit, conservé; gauche, 0.

Crémastérien : 0

Patellaire : droit, normal ; gauche, exagéré.

Plantaire : normal.

Pas de trépidation épileptoïde.

Etat psychique, parait normal. Cependant au dire des employés de l'hôpi-

tal ce n'est pas un malade commode.

La mémoire est assez bonne, sauf pour quelques dates.

Au point de vue de l'intelligence, le calcul est devenu pénible.

Il éprouve constamment de grandes difficultés dans l'addition et la multipli-

cation, la soustraction et la division sont encore possible, mais il les exécute

moins rapidement qu'autrefois.

Observation XXXIX

Communiquée par M. le Dr GossET, assistant de M. le Dr Terrier.

Marie G... est amenée d'urgence le 15 mars 1900 a l'hôpital de la Pitié, cli-

nique chirurgicale du Dr Terrier, salle Lisfranc, lit n° 13.

En descendant de wagon, la malade est tombée de toute sa hauteur sur la

tête et a perdu connaissance. Elle n'a pas saigné. On l'a apporté à l'hôpital

dans un état comateux.

DE l'hémiplégie traumatique 555

On constate une hémiplégie gauche avec perte de la sensibilité à gauche ;

à droite, la sensibilité est conservée.

Au pied gauche, signe de Babinski.

Température, 36° 8 ; - pouls, 60.

Hémicraniectomie droite par le procédé de Doyen.

Pas d'épanchement extra-dure-mérien ; incision de la dure-mère, surface

corticale normale.

Au moment où la malade se réveille, on constate une paralysie faciale com-

plète (lèvre et paupière), qui ne dure que 48 heures.

Evolution. - 18 mars. - Les troubles de la sensibilité du côté gauche

sont notablement diminués, mais ceux de la' motilité persistent.

Il n'y a pas de troubles trophiques, la température est normale.

L'aphasie du début a disparu.

19 mars. La paralysie de la jambe gauche [a complètement disparu, les

mouvements commencent à revenir dans le membre supérieur gauche.

L'amélioration continue de jour en jour.

Au 13 avril, la malade sort guérie. '

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ICONOGRAPHIE

DES

ARRACHEURS DE DENTS

[Suite) '

PAR. P,

HENRY MEIGE

DAV1D BFCIC.1ERT LE JEUNE (1612-1661) s'est complu dans la peinture

des scènes d'intérieur. L'ensemble de ses compositions laisse parfois à

désirer ; mais dans la plupart d'entre elles se trouvent des morceaux trai-

tés avec une grande habileté et une réelle conscience.

Le musée de Montpellier possède un Arracheur de dents de D. Ry-

ckaert.

C'est une opération facile. Le patient, un jeune garçon, veut sans doute

se faire débarrasser d'une dent de lait un peu récalcitrante. Pour si mince

besogne, l'opérateur n'a pas besoin d'instrument; ses doigts lui suffiront,

et il s'en contente.

La scène se passe dans une officine rustique.A gauche, une table couverte

d'un tapis vert, avec des pots et des fioles ; à droite, par terre, un panier

de provisions.

Au fond, un homme se chauffe, adossé à une cheminée et surveillant

l'opérateur.

Un autre client est assis dans l'ombre, attendant son tour de souffrance.

*

* *

Les frères Jean et Andries BoTn nous ont déjà fourni plusieurs docu-

ments picturaux concernant la médecine. Le principal est un tableau

d'ANDRIES BoTO (1612-1650) relatif aux Pierres de tête et faisant partie

de la collection de M. D. A. Koenen, à Nieuwer Amstel. -

Le même Andries Both a peint un Arracheur de dents, dont l'original

n'a pu être retrouvé, mais que Jean Both a grave à l'eau forte. Ce tableau

faisait; dit-on, partie d'une série intitulée les Cinq Sens, et symbolisait

Le Toucher, coutume fréquente chez les peintres contemporains et dont

arracheurs DE DENTS 559

Teniers et van Ostade ont laissé plusieurs exemples. Le plus souvent,

Le Toucher était représenté par un homme occupé à panser une plaie.

Ici, c'est la douleur d'une extraction de dent qui prend un sens allé-

gorique. Rien ne révèle d'ailleurs l'allégorie et la scène est du plus simple

réalisme.

Un dentiste ambulant opère sur une place de village un paysan assis

sur un'escabeau. L'opérateur, coiffé d'un feutre lacéré, saisit à plein bras

la tête de sa victime, tandis que de la main droite, il lui introduit un so-

lide davier dans la bouche.

Ainsi immobilisé, le malheureux peut crisper les doigts, battre des pieds,

et hurler à sa guise : il faudra bien que la molaire rebelle finisse par céder.

L'Arracheur de dents, gravé par Jean Botii d'après un tableau d'Andries BOTH.

560' HENRY MEIGE .' -

'A gauche, une'affreuse vieille femme aux mâchoires de sanglier, en-1

tourée d'enfants qui s'accrochent à ses jupes, croise les mains dans un geste

de'supplication et de pitié.

droite, se tient debout, appuyé sur un bourdon, une espèce de pèlerin ,

rustique, le chapeau orné d'une coquille de St-Jacques. Ce doit être quel- z

que compère, habile à réciter un boniment où il sait exalter les talents de

l'opérateur et ses cures merveilleuses dans les pays d'outre-mer.

Au fond, autour d'un éventaire chargé de fioles, se pressent plusieurs

villageois.

C'est le spectacle ordinaire des charlatans ambulants qui pérégrinent

de village en village.

*

* .

Un élève de Rembrandt, JAN VICTons ou VICTOOR (1G20-1C82) a laissé

une jolie scène d'Arracheur de dents en plein air (datée de 165lui.), que l'on

peut voir aujourd'hui au Rijk Muséum d'Amsterdam (Pl. LXXVIII).

L'opérateur s'est installé sur une grande place publique, devant une

maison hollandaise en briques, non loin d'une église au clocher pointu.

Sous un énorme parasol rouge, il a installé sa table recouverte d'un

tapis d'Orient, avec un riche coffret et une infini té de petits pots d'on-

guent. ,

Vêtu d'un justaucorps jaune largement tailladé de blanc, un bonnet'

rouge sur la tête, il porte de longues moustaches tombantes qui lui donnent

un vague aspect d'Asiatique.

Son client est assis sur une chaise, les vêtements en désordre, le corps

raidi, les jambes croisées, les poings serrés. La tète maintenue par la main

gauche du dentiste, il se laisse introduire, non sans angoisse, une pince

entre les mâchoires. C'est la guérison, mais au prix de quelles souffran-

ces ! 1

Autour de l'éventaire, la foule se presse. A gauche, un homme barbu

qui rit en montrant du doigt le groupe principal ; un autre, appuyé sur

un bâton, partage cette hilarité ; une jeune et jolie villageoise, un panier

de légumes sur la tête, s'apprête à partir ; une vieille femme encapuchon-

née, s'avance au contraire, la main appuyée sur sa mâchoire douloureuse.

Deux enfants, derrière la table, se moquent des lamentations de l'opéré.

Adroite, un jeune couple, tendrement enlacé, regarde distraitement

l'opération.

Enfin, au premier plan, à gauche, deux chiens se disputent un os.

L'ensemble de la composition manque peut-être d'unité ; mais les détails :

en sont gracieux et finement étudiés. 1

.

Le gérant : P. Bouchez. '

lmp. J. 'l'h6v600 t , bainL-L)izjer U,lUtL-larIlc).

Nouv. Iconographie DE la Salpètrière

T. XIII. PI. LXXVIII

L'ARRACHEUR DE DENTS

Tableau de JAN VrCTORS (1620-1682)

au Rijk Muséum d'Amsterdam

13e Année- N° 6. NOVEMBRE-DÉCEMBRE

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE AIGUË (')

PAR

G. MARINESCO

Professeur à l'Université de Bucarest.

« La notion qui doit dominer l'histoire des myélites, c'est que pre

toutes ces affections sont essentiellement secondaires. Il n'y a pas,

qu'on l'a dit et ainsi qu'on l'a enseigné trop longtemps, de myélites 1"1-

mitives ; toujours le processus inflammatoire est dû à la déterminationmé-

dullaire d'une maladie générale, ou encore à l'extension dans la moelle

d'une affection locale siégeant dans un organe plus ou moins rapproché.

Les véritables causes initiales sont d'une part les infections, d'autre part

les intoxications. » Ces paroles de M. P. Marie sont aussi vraies à l'heure

actuelle qu'au moment où il écrivait son remarquable article sur les myé-

lites pour le traité de Charcot-Bouchard. Il n'est pas moins vrai que dans

l'état actuel de la science il règne une grande incertitude dans la concep-

tion anatomo-clinique des myélites aiguës. C'est sans doute cette incerti-

tude qui avait décidé le Comité du congrès français de Médecine de Bor-

deaux de mettre à l'ordre du jour la question des myélites infectieuses,

question qui a été traitée avec beaucoup de talent par MM. Grasset et Vail-

lard. Mais en somme ce qu'ils ont écrit était plutôt une revue critique qui

doit servir de point de départ pour des recherches ultérieures. Il est juste'

de rappeler que le professeur von Leyden, dès l'année 1875, dans son li-

vre classique sur les maladies de la moelle épinière, décrit admirablement

l'anatomo-pathologie et la symptomatologie des myélites. Toutefois les re-

cherches du savant professeur de Berlin ont été faites à une époque où

la théorie microbienne n'avait pas encore acquis droit de cité dans la neu-

ro-pathologie. Quelques années plus tard, en 18ï9, Rallier et Pick signa-

laient la fréquence de la sclérose en plaques à la suite des maladies aiguës

et lui attribuaient pour cause l'action sur les centres nerveux d'un agent

infectieux. En France, Pierre Marie se fait l'apôtre de la même idée pour

la sclérose en plaques ; il a même généralisé cette idée, de sorle qu'il a pu

(1) Rapport présenté à la Section de Neurologie du XIII, Congrès international de

Médecine (Paris, 2-9 aoùt 1900).

xm 37

502 MAKIKESCO

soutenir qu'à part les maladies familiales et la sclérose latérale amyotro-

phique, toutes les affections de la moelle sont dues soit à une infection,

soit à une intoxication venue du dedans ou du dehors. Avec son grand

talent d'observation, Marie a reconnu que dans la queslion des myélites

aiguës, c'est la genèse, la pathogénie qui doit occuper la première place.

Cette notion de pathologie générale a inspiré toutes les recherches anato-

mo-cliniques et expérimentales. Les faits sont venus déposer en faveur de

la théorie de Marie, de manière qu'aujourd'hui on discute moins sur la

nature infectieuse ou toxique, que sur la conception anatomo-pathologi-

que de la myélite. En Allemagne, Oppenheim, Bruns et d'autres ont ad-

'mis pleinement les vues de P. Marie. Les observations que j'ai publiées

avec Pierre Marie et OEttinger sur la paralysie de Landry peuvent être, si

je ne me trompe pas, considérées comme des exemples des plus démons-

tratifs de la nature infectieuse de cette affection et des myélites en général.

Toutefois, dans la définition de la myélite aiguë, on doit envisager non

seulement le côté étiologique, mais aussi les lésions anatomo-pathotogi-

ques. Oppenheim, Obersteiner etltedlicli, Babes et Varnali, Hoche, Mager

se sont appliqués à donner une définition plus précise de la myélite et

' il restreindre le cadre un peu trop vaste que leurs devanciers avaient

inspiré cette affection. Pour Oppenheim comme pour P. Marie, comme

pour Bruns, la myélite aiguë est une maladie rare, tandis que Leyden

et Gowers avaient admis que c'est une affection relativement fréquente et

bien connue.

Dans l'étude que nous allons entreprendre sur la nature de la myélite

aiguë, nous allons faire intervenir d'une part la notion anatomo-patliolo-

gique, c'est-à-dire la réaction organique par laquelle se traduit la myélite

aiguë et, d'autre part, les agents qui provoquent ces réactions. Nous espé-

rons que cette étude va nous conduire d'une manière naturelle à la vraie

conception de la nature de la myélite aiguë.

On pourrait admettre avec Leyden et Goldscheider que la myélite aiguë

présente les modalités. anatomo-cliniques suivantes : 1° la myélite aiguë

transverse; 2° la myélite aiguë diffuse, ascendante et descendante; 3° la

myélite aiguë disséminée; 4° la polyo-myélite antérieure aiguë. Les deux

premières formes, malgré une certaine ressemblance qu'elles présentent

entre elles, doivent être maintenues, parce que, ainsi que nous le verrons

plus loin, le substratum analomo-pathologique habituel de la paralysie

de Landry est représenté par une myélite diffuse ascendante qui a

tendance il se localiser au-dessus du foyer à la substance grise. Dans

toutes ces formes de myélite aiguë, nous trouvons un certain degré de

ramollissement hémorrhagique et même Oppenheim classe le ramollisse-

ment delà moelle parmi les myélites. La moelle est tuméfiée, molle,

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE AIGUË 563

même dil'lluente. Sur une section transversale elle est boursouflée, la

substance grise injectée et même striée de sang. La lésion, quelle que soit

la forme de la myélite, un maximum d'intensité, comme on en voit sur-

tout dans la myélite transverse et dill'use, et puis elle diminue d'une ma-

nière brusque ou petit il petit. Il est incontestable que ce ramollissement

est sous la dépendance des troubles circulatoires ainsi que cela résulte de

l'étude des lésions consécutives à la ligature de l'aorte abdominale, des

oblitérations pathologiques des artères cérébrales, des injections de pou-

dres inertes (Lamy, Rotlunann, Hoche). Mais en est-il de même dans la

myélite aiguë ? Je pense que les processus vasculaires de la myélite jouent

un rôle essentiel dans la production de ce ramollissement de la moelle,

mais il est probable qu'en dehors de ces troubles circulatoires, il faut

tenir compte de l'action directe des microbes et de leurs toxines sur le

parenchyme médullaire, action qui pourrait réaliser, jusqu'à un certain

point, la fonte de ces éléments.

Lorsque le processus inflammatoire de la myélite s'est éteint, le ramol-

lissement diminue de plus en plus et est remplacé par la sclérose. Mais

dans ce dernier cas on trouve parfois des traces d'inflammation se présen-

tant sous l'orme de foyer aréolaire dans la substance blanche.

J'ai eu l'occasion d'examiner 6 cas de myélite aiguë et dans 2 d'entre

eux j'ai constaté la présence des streptocoques, dans un troisième celle du

pneumocoque (lig. 1) pendant qu'un quatrième offrait un microbe res-

semblant au bacille du charbon. Dans le cinquième ni la ponction lom-

baire, ni les coupes histologiques ne m'ont décelé l'existence d'aucun

FIG. 1. Section longitudinale de l'artère sulco-commissurale provenant d'un cas de

méningo-myélite apparue au cours d'une pneumonie. On voit à l'intérieur du vais-

seau un grand nombre de pneumocoques libres ou inclus dans des leucocytes.

5riz MARINESCO

microbe ; toutefois cela ne prouve rien contre la nature infectieuse de la

myélite, attendu que des recherches expérimentales m'ont montré que les

microbes disparaissent de la moelle au bout de quelques jours; or dans

mon cinquième cas la myélite qui avait présenté un début aigu n'a em-

porté le malade que 3 mois après son apparition. Le sixième cas se

rapporte à un cas de méningo-myélite disséminée remarquable à tous les

points de vue. Il s'agissait d'un homme âgé de 35 ans qui quelques jours

avant son entrée à l'hôpital fut pris brusquement d'une paraplégie accom-

pagnée de réaction générale : fièvre, etc., à laquelle vinrent s'ajouter

plus tard des troubles sphinctériens et une parotidite double, de sorte que

l'aspect du malade était celui d'un sujet atteint d'oreillons et le diagnostic

fut mis en conséquence : myélite aiguë avec oreillons (1). A l'autopsie

(1) Je dois les pièces de cette observation à l'obligeance de mon collègue le D' Jur-

bure.

Fio. 2. Méningite avec myélite disséminée dans un cas de paralysie ascendante

accompagnée d'oreillons. Le cordon postérieur, dans sa-partie médiane, contient un

foyer présentant l'état dit aréolaire.

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE AIGUË 565

on trouva que les parotides étaient transformées en de véritables abcès et

des foyers de myélite disséminée dans la substance blanche, plus rarement

dans la substance grise, avec une méningite très caractéristique (fig. 2

et 3). Les examens bactériologique et histoloique (fi. 4) nous ont montré

que quelques-uns de ces foyers contenaient un staphylocoque pathogène.

Enfin j'ai eu la bonne fortune d'examiner quelques moelles des chiens

qui ont succombé à la suite de la maladie du jeune âge. La myélite ou

plutôt la méningo-myélite que j'ai pu constater ici s'est présentée sous

forme de foyers discrets, suivant plus particulièrement le trajet des arté-

rioles radiculaires antérieures et postérieures (fig. 5).

Si nous passons a présent à 1 étude des réactions organiques de la myé-

lite aiguë étudiée au point de vue histologique, nous pourrons définir

encore mieux les caractères du substratum anatomique de cette maladie.

Tout d'abord, dans les premières phases delà myélite aiguë, quelle qu'en

soit la nature, on constate une congestion vasculaire variable d'intensité :

congestion qui peut arriver jusqu'à des hémbrrhagies nombreuses intersti-

tielles et périvasculaires. Cette hyperhémie est le résultat de l'excitation

Fic. 3. - Coupe transversale d'une partie de la moelle et des méninges. On y voit

l'infiltration considérable de la pie-mère et de ses vaisseaux. L'artère du sillon an-

térieur est moins touchée. Les cellules névrogliques de la substance blanche anté-

rieure sont multipliées.

566 MARINESCO

qu'exerce l'agent microbien sur la paroi des vaisseaux ou bien par l'inter-

médiaire du système nerveux.

Peu de temps après la pénétration de l'agent myélitogène dans les vais-

seaux de la moelle, il se produit un autre phénomène très important,

c'est-à-dire l'apparition des leucocytes dans la paroi ou autour des petits

vaisseaux, constituant quelquefois de véritables nodules périvasculaires.

D'autres fois, l'infiltration leucocytaire se produit dans le tissu interstitiel

donnant naissance à une autre infiltration qui peut apparaître autour de

la cellule nerveuse (nodules péricellulaires de la rage, Babès). La subs-

tance blanche ou la substance grise sont parsemées de petits vaisseaux

infiltrés de cellules embryonnaires. Les réactions vasculaires peuvent aller

plus loin et il seproduitdescapillaires embryonnaires de nouvelle forma-

tion constituant un riche réseau dans la substance grise. Lorsque la myélite

aiguë a une marche foudroyante, elle s'arrête seulement à la phase hémor-

rhagique, ce qui est arrivé dans le cas récent de Schiff. Les leucocytes le

plus souvent mononucléaires se ramassent non seulement autour des

vaisseaux mais sont également très nombreux à leur intérieur dont ils

Fig. 4. - Se rapporte au même cas que la précédente. Foyer de myélite aiguë déve-

loppé dans la substance grise antérieure. Certains leucocytes situés dans la partie

centrale du foyer sont remplis de microcoques (staphylocoques).

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE AIGUË 567

peuvent même oblitérer la lumière. Le mécanisme intime de ce phéno-

mène d'hyperhémie et de diapédèse a été attribué par Bouchard et ses

élèves Charrin, Roger et Gley aux troubles vaso-moteurs ; tandis que

Metchnikoff considère la leucocytose comme due à la chimiotaxie positive

ou négative suivant que les leucocytes sont attirés ou repoussés. J'ajoute

pour le moment que dans les produits de nouvelle formation vasculaire

ou interstitielle, on trouve, tout au moins dans quelques cas, un agent

microbien.

Les phénomènes de réaction ne se limitent pas seulement aux vaisseaux,

mais les autres éléments de la moelle sont intéressés. Aussi nous trouvons

dès le début, une réaction manifeste de la part des cellules névrogliques ,

réaction consistant dans la tuméfaction du noyau et du corps cellulaire;

Fiv. 5. - Coupe transversale de la moelle dorsale d'un chien mort avec troubles ner-

veux paralytiques, suite de la maladie du jeune âge. Foyers d'inflammation sui-

vant le trajet des artérioles radiculaires postérieures et de l'artère du sillon antérieur.

celui-ci se colorant d'une manière très intense par le bleu polychrome. La

cellule névroalique ressemble parfois à s'y méprendre aux petites cellules

kariochromes (fig. 6).

Les cellules névrogliques sont très nombreuses au voisinage et dans

les foyers d'inflammation ; il y a là évidemment une néoformation des.

cellules, mais je n'ai pas encore eu la chance de trouver des figures de

kariokinèse. Lorsque la myélite a duré un certain temps, ces cellules

produisent des fibrilles de névroglie et leur volume diminue. Les cellules

de névroglie multipliées, constituent quelquefois de vrais nodules et il

est fort probable que dans ce cas la réaction des cellules névrogliques

est due à leur excitation par une matière qui circule dans les espaces

lymphatiques interstitiels.. Dans ces nodules de cellules névrogliques, je

568 MARINESCO

suis parvenu parfois à trouver des microbes. La réaction des cellules de

névroglie est déjà manifeste après 28 heures. Je désire attirer l'attention

du lecteur sur ce fait que cette réaction des cellules névrogliques dont

nous venons de parler est une réaction primaire, initiale, due à l'irritation

nutritive de ces cellules, et il faut la distinguer de la réaction secondaire,

plus tardive des mêmes cellules qui apparaît lorsque la fibre nerveuse est

altérée.

En dehors de ces réactions vasculaires et interstitielles, il se passe dans

la myélite aiguë des phénomènes importants du côté du tissu nerveux,

phénomènes qui ont un caractère régressif, parce qu'ils aboutissent souvent

à là désorganisation du parenchyme.

Les altérations du tissu nerveux sont très variables et dépendent de la

nature de l'agent myélitogène, du siège que ce dernier occupe relative-

ment aux éléments nerveux ; enfin les altérations des cellules et des fibres

nerveuses dépendent aussi des troubles circulatoires qui existent dans la

myélite.

Les altérations de la cellule nerveuse varient depuis la tuméfaction de

la substance chromatique avec pâleur des éléments chromatophiles et

chromatolyse, jusqu'à la désorganisation de la substance achromatique et

- mutilation de la cellule. La chromatolyse peut présenter tous les types

connus, mais je préfère étudier toutes ces lésions lorsque je traiterai les

myélites expérimentales produites par l'injection des microbes dans le

canal arachnoïdien.

J'ai rencontré dans la substance blanche de la moelle une lésion assez

caractéristique qui a été décrite par Leyden sous le nom de blasiger Zu-

stand et par IIeller, Mager, von Schrôtten sous celui de Lnckenfeld. Cette

lésion qui siège aussi bien dans le cordon postérieur que dans le cordon

FiG. 6. - Cellules névrogliques de nouvelle formation (myélite aiguë). Les cellules

ramifiées présentent une certaine ressemblance avec les cellules kariochromes.

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE AIGUË 369

latéral, se présente sous forme de zones bien délimitées habituellement, et

parfois avec un contour diffus ; elles sont composées par un tissu aréolaire

. dans la constitution duquel il entre des cylindraxes modifiés, hypertro-

phiés jusqu'à atteindre des dimensions considérables ; de corps granuleux

qui siègent dans les mailles dilatées de la névroglie; enfin des fibres à

myéline hypertrophiées; mais la myéline est comme gonflée, excessive-

ment pâle et presque sans structure ; c'est en raison de cette altération qui

la rend pour ainsi dire invisible que quelques auteurs ont admis que les

mailles des zones aréolaires sont pour la plupart du temps vides.

. Par la méthode de Weigert, la myéline des zones altérées se colore peu,

la stratification en est vague, elle a un aspect plus ou moins opaque, tel

qu'un verre mat, ce qui la rend peu apparente. Il est possible cependant

que quelquefois les mailles du réseau que forme le tissu altéré soient vi-

des, justifiant ainsi l'expression de Lüclenfeld, proposée par les auteurs

viennois. Les libres à myéline désorganisée deviennent la proie des pha-

gocytes. Ce sont là des grosses cellules mononucléaires chargées de débris

de myéline et de cylindres détruits. Quelle est l'origine de ces phagocy-

tes ? Il est certain que la plupart d'entre eux sont des leucocytes qui, atti-

rés par la matière désorganisée, la digèrent et puis retournent de nouveau

dans les vaisseaux d'où ils sont sortis. Il est possible que quelques-uns de

ces phagocytes soient des cellules périvasculaires, mais en dehors des leu-

cocytes, les cellules névrogliques jouent aussi un rôle phagocytaire, et elles

sont capables, ainsi que je l'ai montré depuis longtemps, d'absorber les

débris des myélines. J'ai développé la même opinion pour le rôle phago-

cytaire des cellules névrogliques à l'égard des cellules, nerveuses. A l'état

normal, comme il est connu, la cellule nerveuse est entourée quelquefois

d'une espèce de couronne de cellules névrogliques. J'ai constaté à plu-

sieurs reprises que lorsque la substance achromatique de la cellule ner-

veuse est altérée, il se produit une espèce de réveil de cellules névrogli-

ques péri cellulaires ; -elles s'hypertrophient, se multiplient, deviennent

agressives, envahissent et dévorent le protoplasma altéré de la cellule ner-

veuse. C'est à ces cellules de névroglie que j'ai donné le nom de neurono-

phages, et qui jouent également un certain rôle dans la myélite aiguë

(fig. 7 et 8). '

Dans les nodules inflammatoires de la myélite aiguë, nous l'avons déjà

dit, on trouve parfois la cause primitive de la myélite, l'agent infectieux.

L'étude des microbes, comme cause de cette maladie chez l'homme, est

relativement de date récente, malgré que Rallier et Pick aient proclamé la

nature infectieuse de certaines myélites et que P. Marie ait généralisé cette

formule à plusieurs maladies de la moelle; cependant démonstration

de la nature infectieuse de la myélite aiguë ne date que de quelques années.

570 MARINESCO

La théorie était vraie surtout en ce qui concerne les cas de myélite aiguë,

mais elle avait besoin d'être confirmée par des faits précis. Or les faits ne

se sont pas fait longtemps attendre. En effet, parmi les premiers obser- z

vateurs qui ont apporté des documents incontestables sur la myélite aiguë,

je dois citer en première ligne, le professeur Babès. Dans les derniers

temps, les observations de ce genre se sont multipliées, de sorte que le

nombre de cas de myélite avec examen anatomo-pathologique et bactério-

logique positive, sans être grand, est cependant suffisant. Je dois pourtant

ajouter que lorsqu'on compare les données cliniques des observations de.

myélite aiguë avec l'examen anatomo-pathologique et bactériologique, on

éprouve une certaine désillusion. Si les observations de myélite aiguë

sont assez nombreuses, les cas avec examen anatomo-pathologique complet

et avec résultat bactériologique positif se réduisent à une quinzaine. Dans

la plupart des cas, le microbe n'a pas été cherché, ou bien quelquefois il

n'a été trouvé ni par les cultures, ni par l'examen anatomo-pathologique.

Voici les cas de myélite aiguë où on a retrouvé des microbes soit sur des

coupes histologiques, soit avec la méthode des cultures.

Le streptocoque a été trouvé dans le foyer de myélite par Auché et

Hobbs, OLttinger et Marinesco, Babès et Varnaly, Thiroloix etRosenthal ;

le staphylocoque blanc par Barié ; le staphylocoque doré par Eisenlolr ;

le pneumocoque par Fürsiner; un diplocoque spécial par Buzzard et

Russel.

C'est ici l'endroit de rappeler que le professeur Schultze, de Bonn, a

FiG. 7-8. Cellule nerveuse radiculaire dans un cas de myélite expérimentale produite

par le streptocoque ; à l'intérieur du cytoplasma profondément altéré on voit un

très grand nombre de cellules névrogliques jeunes. ,

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE AIGUË 571

pu cultiver du liquide extrait par la ponction lombaire le méningocoque

dans un cas de paralysie infantile.

Ainsi qu'on le voit, le nombre des observations démonstratives de

myélite aiguë est très restreint, et la question mérite de nouvelles recher-

ches. Bien entendu, il y a des observations de myélite aiguë où l'examen

détaillé n'a pas permis de constater des microbes. Cela ne prouve rien

contre la nature infectieuse de ces myélites. En effet, les recherches de

Homen et les miennes ont montré que les microbes, dans certains cas,

après avoir accompli leur oeuvre de destruction, peuvent disparaître com-

plètement de la moelle, et le résultat de l'examen aussi bien anatomo-

pathologique que bactériologique est absolument négatif. L'absence de

microbes dans un autre cas de myélite avec réaction vasculaire intense

n'est pas un argument décisif contre la nature infectieuse de cette maladie.

Le point de départ des agents infectieux qui vont envahir la moelle est

communément une surface cutanée ou une muqueuse déjà altérée. Citons

quelques exemples : pour la peau, nous connaissons quelques observations

de myélite consécutive à la variole, parmi lesquelles il faut citer, en

première ligne, le cas de Auché et IIobbs, et celui que j'ai publié avec

OEttinger. Avant nous, Roger et Damaschino.Westpba) et Leyden avaient

déjà vu des cas de myélite après la variole. Strümpel a observé un cas de

myélite aiguë après un panaris. Comme spécimen de myélite aiguë due à

des microbes ayant leur point dans une surface muqueuse malade nous

pouvons mentionner les cas suivants qui n'ont pas été tous accompagnés

d'examen anatomo-pathologique. Hochhaus a publié un cas de myélite

aiguë au cours d'une amygdalite ; Ebstein, Curschmann, Stone, Salzwe-

del, Laveran, Schiff dans la fièvre typhoïde; Roger et Damaschino,

Laveran, Hoffmann, Babès et Varnaly, Happe ! dans la dysenterie. Au

cours de la ])Iénnoi-i-liigie,la myélite a été décrite par Gull, Du four, Leyden,

üllmann, Barié, Go«ers, Baymond, IIayem et Parmentier. Des myélites

d'origine pneumonique ont été publiées par Olivier d'Angers, Joffroy et

Achard, Bettelheim, Fùrstner. Naturellement l'influenza qui se com-

plique si souvent de manifestations nerveuses doit surtout s'accompagner

dans quelques cas de troubles ressortissant à la myélite, ainsi qu'il résulte

des observations de Laveran, Leyden, Evan, Babès et Varnaly; enfin

Hochhaus a publié une observation de myélite, suite de cystite et pyélo-

néphrite. Ainsi qu'on le voit, la porte d'entrée des microbes qui réalisent

la myélite aiguë est très variable. En tenant compté du fait que le nombre

des myélites aiguës est minime en rapport avec celui des infections cuta-

nées* muqueuses ou viscérales, nous sommes obligés d'admettre que dans

les cas où cette myélite se produit, ou hien lemicrobe s'est trouvé dans un

état de virulence extraordinaire, ou bien que le terrain était préparé par

572 MARINESCO

la diminution de la résistance organique de la moelle ; ou enfin parce que

les deux facteurs sont intervenus. Je suis disposé à admettre que dans la

plupart des cas de myélite aiguë il existe un état de vulnérabilité de la

moelle épinière, vulnérabilité qui commande la localisation dans l'axe

spinal. Sans doute, l'intensité de la virulence microbienne joue un

rôle essentiel. Les infections, qui réalisent pour la plupart du temps les

myélites chez l'homme, sont des infections communes, banales (Ballet),

secondaires (Grasset). Les infections qui parfois sont associées, comme dans

les cas de Babès, Auché et Ilobbs, Jaccoud, Curschmann, donnent nais-

sance à des myélites très intenses, ainsi qu'il résulte également de mes

propres expériences (fig. 8 bis et fig. 20).

Parmi les portes d'entrée des agents microbiens, des virus capables de

produire la myélite aiguë, nous devons citer également les nerfs périphé-

riques lorsqu'ils se trouvent exposés à l'envahissement de ces agents,

comme il arrive, par exemple, dans la rage, dans les ulcérations gangré-

neuses de la peau qui ont mis en contact les nerfs et leurs ramifications

avec les agents microbiens. Ces derniers, en suivant le trajet des vaisseaux

lymphatiques du nerf malade, arriveront, eux ou leurs produits, jusqu'à

la moelle, donnant naissance à ce qu'on appelle myélite, suite de névrite

FiG. 8 bis. - Coupe transversale de la moelle dorsale supérieure dans un cas de myé-

lite aiguë chez l'homme, due à la présence d'un coli-bacille et d'un streptocoque vi-

rulent. La substance blanche antérieure latérale et postérieure est le siège d'une

inflammation très intense.

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE AIGUË 573

ascendante. Autrefois, le champ de la névrite ascendante était très vaste

parce que les différents auteurs qui se sont occupés de ce sujet ont fait

rentrer dans le cadre de la névrite ascendante des affections très différen-

tes. Aussi, quelques neurologistes de valeur Font-ils reçu avec scepticisme.

Quoi qu'il en soit, je m'empresse d'ajouter que l'existence de la névrite

ascendante comme épisode anatomo-clinique est indubitable, et parmi les

savants qui se sont inscrits depuis le commencement pour défendre son

autonomie, le professeur von Leyden occupe une des premières places-

C'est lui qui a pour la première fois reconnu comme névrite ascendante

véritable certains cas de paraplégie, dite réflexe. Un des cas les plus dé-

monstratifs à cet égard'a été communiqué en mon nom par le professeur

Leyden à la Société de médecine interne de Berlin, et publié plus tard in

e.xtenso dans la Presse médicale.

J'ai eu l'occasion d'étudier le système nerveux dans trois cas de rage

observée chez l'homme, dont un avait présenté une paralysie ascendante

et dont le sujet est mort trois jours après. Ensuite, j'ai pratiqué l'examen

des centres nerveux de six chiens enragés, et celui du système nerveux de

sept lapins inoculés avec du virus fixe sous la dure-mère crânienne. Voici

le résultat de ces examens : dans les trois cas de rage chez l'homme, il y

avait des lésions intenses dans les ganglions spinaux, dans les ganglions

jugulaire et sympaunque, et aans

celui de Gasser. Ces lésions peuvent

être résumées de la manière sui-

vante : infiltration de travées inters-

titielles par des leucocytes, mono et

polynucléaires ; infiltration diffuse

qui parfois prend des proportions

considérables (fig. 9), de sorte que

les cellules nerveuses se perdent

dans cette masse de leucocytes. L'ia-

filtration se présente parfois sous

forme de nodules qui existent tantôt

autour des cellules nerveuses (fig.

10), tantôt dans le tissu intersti-

tiel ; ces nodules interstitiels sont

relativement rares, une autre lésion qui mente une attention paru-

culière est celle qui a été décrite récemment par Van Gehuchten et Nélis.

Il s'agit de la prolifération considérable de l'endothélium de la capsule des

cellules nerveuses ; prolifération qui parfois est circulaire et entoure la

cellule nerveuse d'un anneau régulier. D'autres fois, cette prolifération

se fait davantage sur un côté de la capsule, enfin, parfois encore, la cel-

Fir. 9. - Coupe longitudinale d'un gan-

glion spinal lombaire (rage humaine).

Infiltration considérable du tissu in-

terstitiel et péri-cellulaire.

574 MARINESCO

Iule nerveuse disparait et les cellules endothéliales multipliées occupent

toute la cavité de la cellule. Cette néoformation, qui donne tout à fait l'im-

pression d'un follicule glandulaire, a été désignée par Van Gehuchten et

Nélis sous le nom de nodule rabique. En dehors de ces lésions, j'ai vu,

par ci par là, une irritation des cellules fixes péricapsulairé. La lésion

décrite pour la première fois par MM. Van Gehuchten et Nélis sous le nom

de nodules ou tubercules rabiques des ganglions spinaux,n'est pas spécifique

de la rage, car elle apparait dans les conditions pathologiques les plus va-

riables toutes les fois que les cellules ganglionnaires spinales ont disparu.

Le vide créé par l'absence de ces cellules est comblé par un tissu de nou-

velle formation qui joue dans la circonstance actuelle le rôle du tissu in-

terstitiel ou de la névralgie dans les centres nerveux dégénérés. Aussi j'ai

rencontré fréquemment ces nodules dans les ganglions jugulaires des

sujets morts de tuberculose, après la résection du pneumogastrique, etc. ;

dans quelques cas de rage expérimentale par virus fixe. Tout récemment

Ch. Ladame, dans un travail passé dans la Nouvelle Iconographie de la

Salpêtrière (juillet-août 1900), ayant constaté les mêmes altérations après

la résection du nerf pneumogastrique, pense qu'elles motivent une grande

I'ic. 10. Cellule radiculaire dans un cas de rage humaine. Le malade est mort avec

des phénomènes de paralysie ascendante de Landry. La cellule nerveuse est en-

tourée d'une masse de leucocytes mononucléaires, qui constituent un véritable no-

dule péri-nucléaire ; chromatolyse diffuse avec conservation de substance chromati-

que informe, en croissant sur une partie de la membrane nucléaire.

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE AIGUË 575

réserve dans le diagnostic de la rage par la seule lésion histologique. Je

pourrais ajouter que chez un sujet mort à la suite du diabète insipide non

seulernent j'ai trouvé des lésions semblables(fig. 1-1 et 12), mais le tissu in-

terstitiel proliféré présentait une infiltration diffuse de leucocytes et aussi

sous forme circonscrite de nodules. La condition anatomique qui favorise

la prolifération des cellules endothéliales de la capsule ganglionnaire, c'est

l'altération plus ou moins profonde de la cellule nerveuse. C'est pour cette

raison, je pense, que les réactions généralisées des vaisseaux sanguins et

lymphatiques ont plus de valeur pour le diagnostic histologique de la rage,

que la présence des tubercules rabiques de Van Gehuchten et Nélis qui

constituent en somme une lésion banale.

Dans la moelle épinière, j'ai constaté dans les trois cas de rage chez

l'homme des réactions vasculaires plus ou moins intenses, sous forme

d'hyperhémie et d'infiltration leucocytaire périvasculaireplus ou moins

intense. Par ci, par là, on voit des nodules interstitiels composés par des

cellules névrogliques proliférées, et par des leucocytes. Il m'est arrivé par-

fois d'en rencontrer constitués essentiellement par des cellules névrogli-

ques multipliées ; ces nodules siègent tantôt dans la substance blanche,

tantôt dans la substance grise. Dans deux de ces cas, j'ai retrouvé autour

des cellules nerveuses, mais sur quelques coupes seulement, la lésion dé-

crile par Babès sous le nom de nodule rabique. Les lésions des cellules

nerveuses sont très variables quant à leur intensité et à leur forme. Dans

les ganglions spinaux, les cellules, comme l'ont fait remarquer Van

Gehuchten et Nélis, subissent l'effet de la compression qu'exercent les

cellules endothéliales proliférées ; d'autre part, elles sont atteintes primi-

tivement par l'action de l'agent rabique sur le cytoplasma ; altération qui

varie depuis la simple tuméfaction des éléments chromatophiles jusqu'à

Fig. 11. - Prolifération des cellules endothéliales de la

capsule des cellules des ganglions spinaux, dans un

cas de diabète insipide ; elle est identique à celle

qu'on observe dans la rage.

Fin. 12. - Nodule péri-cellulaire ressem-

blant à celui qu'on observe dans la rage.

Même cas que la figure précédente.

576 MARINESCO

Pachromatose la plus complète. Cette achromatose est très caractéristique

dans un de mes cas, car la plupart des cellules ne présentent plus de tra-

ces d'éléments chromatophiles, et la substance achromatique devient for-

tement acidophile. J'ai trouvé, en outre, dans certaines cellules radiculai-

res motrices des corpuscules brillants ayant habituellement la grandeur

d'un globule de sang de forme ronde ou ovoïde et qui se teint très bien

par les couleurs acides (fig. 13). Ces corpuscules ont déjà été vus par Babès,

et je les considère comme étant dus à la nécrose de coagulation partielle.

Le système nerveux des chiens enragés est le siège de lésions encore

plus étendues, et on les rencontre dans tous les ganglions cérébro-spinaux

et dans ceux du sympathique cervical, dans la moelle épinière, dans le

bulbe, dans la protubérance. Les lésions des ganglions cérébro-spinaux

sont identiques à celles qui ont été décrites par Golgi, par Nepveu dans

les ganglions de Gasser et sur l'importance desquelles Van Gehuchten et

Nélis viennent d'attirer l'attention.

Dans l'axe cérébro-spinal et plus particulièrement dans la moelle, j'ai

trouvé une réaction vasculaire avec infiltration leucocytaire, et l'existence

de nodules, de follicules miliaires qui ont pour centre de formation un

vaisseau lymphatique ou un vaisseau sanguin, ou bien encore, le pour-

tour de la cellule nerveuse. Chez les lapins inoculés avec le virus fixe

sous la dure-mère crânienne, je n'ai pas trouvé de lésions vasculaires'

Fic. 13. Une cellule nerveuse radiculaire provenant de la région lombaire, à l'état

d'achromatose relative avec atrophie du noyau. Elle contient à son intérieur un gros

corpuscule, rond, à contour bien indiqué, qui résulte de la nécrose de coagulation

du cytoplasma.

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE AIGUË 57

manifestes dans la moelle ou dans le bulbe. Par contre, dans la plupar

des cas, les cellules des ganglions spinaux présentaient une achromatose qui

parfois était très accentuée et quelquefois des nodules rabiques (fig. 14)

Les lésions interstitielles étaient très rares. A quoi tient cette différend

entre l'action du virus fixe et du virus des rues ? Je pense qu'il y a lieu

de faire intervenir trois facteurs : 1° l'intensité du virus fixe, 2° la courti

durée de survie de l'animal trépané, 3° la voie de transmission de ce virus

par la cavité arachnoidienne. L'absence de lésions manifestes chez ce :

derniers animaux montrerait que ce n'est pas à la lésion des ganglion;

spinaux qu'il faut rapporter les paralysies rabiques. Je pourrais ajoute]

que si les lésions, des ganglions cérébro-spinaux sont vraiment très inten

ses et caractéristiques chez l'homme et chez le ohien enragés, elles ni

doivent pas être considérées comme des altérations spécifiques au point d<

vue morphologique ; ai rencontré des lésions

plus ou moins semblables, dans la névrite as-

cendante chez l'homme et chez les animaux,

dans un cas de diabète insipide, etc. Je con-

viens cependant que les lésions rabiques de

Babès et les altérations des ganglions spinaux,

telles qu'elles ont été décrites dernièrement

par Van Gehuchten et Nélis, sont d'une

grande utilité pour le diagnostic histologique

de la rage. Leur absence, ainsi que l'ont

montré MM.Nocard, Cuillé et Vallée, n'exclut

pas l'existence de la rage.

inous avons montré jusqu présent le grand rôle qui revient aux mi-

crobes dans la production de la myélite aiguë, mais est-ce qu'en dehon

des agents microbiens, il n'y a pas d'autres facteurs capables d'engendré :

la myélite aiguë ? Probablement oui. Les examens anatomo-pathologi-

ques et les recherches expérimentales ont montré qu'il y a des cas de myé-

lite aiguë avec toutes les réactions organiques qui la caractérisent sans

qu'on retrouve dans les foyers inflammatoires le primum morens de la myé-

lite. Il y a deux hypothèses à invoquer, pour expliquer ces cas. 1° Les mi-

crobes ont bien existé dans les foyers inflammatoires, mais ils ont dispan

après quelque temps. C'est là un fait acquis aujourd'hui à la science. ` ? °La

myélite a été produite dès le début par des substances toxiques, par de

toxines. Malheureusement ces toxines nous sont beaucoup moins connue

et leur étude de même que la démonstration de leur existence est difficile

à faire. Aussi, l'intervention des substances toxiques d'origine exogène

ou endogène et qui ne sont pas fabriquées par les microbes dans la moelle

est une étude sans doute intéressante à faire. Je ne veux nullement par 1.

xiii 38

Fic. 14. - Coupe transversal !

d'un nodule rabique. Enva

hissement de la cavité capsu-

laire par un tissu de nouvelle

formation. La cellule nerveuse

a disparu. Lapin injecté ave(

virus fixe.

'578 111ARlNESCO

dénier le rôle myélitogène des toxines, car je pourrais citer à l'appui de

l'inflammation médullaire par les toxines, l'étude que j'ai faite sur les lé-

sions de la moelle provoquées par la toxine du bacille botulis, et qui

ont été confirmées dans la suite par Pollak et Kepmner.

On trouve souvent incriminés dans les observations cliniques, surtout

dans la phase prébactérienne de la myélite, le froid et le traumatisme

comme causes de la myélite. Avant que les pathologistes ne revendi-

quassent le rôle des microbes dans la pathogénie de la myélite, la plupart

des cas de cette affection .étaient dus au froid et au traumatisme. Aujour-

d'lmi, nous sommes plus réservés à l'égard de ces facteurs et nous admet-

tons qu'ils ne font autre chose que créer un locus minoris resistentiæ pour

l'invasion des microbes. Voici les expériences que j'ai faites à ce point de

vue avec mes internes, MM. Partron, Goldstein et Georgesci : Si on soumet

une série de lapins à la réfrigération ou au traumatisme répétés de la

colonne vertébrale, on constate qu'assez souvent ces animaux sont plus

sujets à l'action des microbes injectés dans les veines de l'oreille, ou bien

dans le canal rachidien, que les animaux témoins. Mais ni le froid, ni le

traumatisme ne sont capables de produire par eux-mêmes une myélite

aiguë ; c'est du moins ce qui ressort de nos expériences. En effet, après

avoir soumis des lapins à un froid très intense, ou après avoir produit la

réfrigération de la colonne vertébrale, nous avons constaté parfois de

vraies paralysies, mais jamais chez ces animaux ainsi paralysés, nous»

n'avons trouvé de réactions organiques de la myélite. Les hyperhémies

ou les hémorrhagies discrètes, avec quelques altérations cellulaires que

nous avons décelées dans quelques cas ne méritent pas le nom de myélite.

On peut dire la même chose pour les traumatismes répétés de la colonne

vertébrale, ayant déterminé des paralysies ou des convulsions. Ici, non

plus, nous n'avons pas trouvé la myélite aiguë, telle que nous l'avons

décrite. Je dois cependant faire une réserve à ce point de vue, car dans

deux cas de traumatisme de la colonne vertébrale, j'ai rencontré une

légère méningite exsudalive localisée à la région lombaire. On peut con-

clure, je pense, de ces expériences très nombreuses du reste, que ni

le froid ni le traumatisme ne constituent des causes efficientes pour la

production de la myélite aiguë chez les animaux. Il y a cependant à ce

point de vue, une différence entre l'homme et l'animal soumis à l'expé-

rience, c'est que chez le premier la prédisposition nerveuse joue un rôle

beaucoup plus considérable que chez le dernier, ainsi que nous l'avons

montré précédemment.

Une particularité sur laquelle je désire attirer l'attention est la partici-

pation fréquente de la pie-mère au processus de l'inflammation médul-

laire. Dans tous les cas de myélite bien accusée que j'ai eu l'occasion

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE AIGUË 579

d'observer, j'ai rencontré une méningite des plus caractéristiques, ménin-

gite qu'on ne doit pas considérer comme une lésion accidentelle, mais au

contraire comme une altération importante à côté des autres réactions

organiques de la myélite ; des recherches expérimentales que j'ai faites à

ce sujet m'ont encore confirmé dans cette opinion. Le degré de cette

méningite est variable, dans quelques cas elle est extrêmement accusée,

dans d'autres, elle est peu intense. Je pense, si je ne me trompe, que

l'intensité de la méningite concomitante avec la myélite ne dépend pas

seulement de la nature du microbe qui réalise la méningo-myélite, mais

aussi de la voie que cet agent suit pour envahir la moelle épinière. Si

par exemple, le microbe est lancé dans la cavité arachnoïdiei1lle, la mé-

ningite sera non seulement très intense, mais elle constituera également

la première réaction organique de la méningo-myélite. D'autre part, le

canal épendymaire peut aussi jouer un rôle important dans la trans-

mission des microbes. Cette opinion, que j'ai soutenue dans un travail

fait en collaboration avec OEltinger, a été reprise par Babès, Hoche,

etc. ; il est juste d'ajouter' que le professeur Babès, depuis longtemps

déjà, avait fait intervenir le canal épendymaire dans la propagation du

.virus de la rage. J'ajoute que la réaction des cellules névrogliques est

très accusée dans les cas où la méningite est intense et que cette réaction

est primaire, c'est-à-dire qu'elle ne dépend pas de la destruction des

fibres nerveuses.

La méningite aiguë, au cours de la myélite aiguë, a été notée par quel-

ques auteurs, mais aucun d'eux ne l'a mise à sa juste valeur. Je crois pou-

voir expliquer sa fréquence dans la myélite par le fait que les agents in-

fectieux toxiques qui déterminent la myélite se répandent en partie dans

la cavité arachnoïdienne. Mais il existe une autre possibilité, c'est lorsque

les microbes envahissent tout d'abord la cavité arachnoïdienne et ensuite

pénètrent dans la moelle. C'est ce qui m'a engagé à répéter les expérien-

ces intéressantes de Sicard et Jacob qui consistent dans l'injection des mi-

crobes dans la cavité arachnoïdienne.

L'existence fréquente de la méningite au cours de la myélite aiguë et

les expériences que j'ai faites à ce point de vue m'ont conduit à l'idée que

certaines infections qui produisent la myélite arrivent dans la moelle non

pas par l'intermédiaire des vaisseaux sanguins de cet organe, mais bien

par le liquide de la cavité arachnoïdienne.

En effet, la méningite qui accompagne la myélite est parfois considéra-

ble et s'expliquerait difficilement si le microbe était apporté à la moelle

par les vaisseaux sanguins. Du reste, l'injection des microbes dans les ar-

tères lombaires ainsi que Hoche et après lui moi-même l'avons faite, ne

580 111A IiM\CSCO

détermine que' rarement la méningite, et même dans ce cas, elle est loca-

lisée au voisinage des vaisseaux.

Pour étudier les lésions médullaires expérimentales produites par les

embolies aseptiques, j'ai répété les expériences si intéressantes de Lamy,

reprises plus tard par Hoche et Rothmann. Comme tous ces auteurs, j'ai

constaté que l'injection des poudres inertes, telles que le lycopodium, dé-

termine dans la substance grise surtout des foyers de ramollissement dans

le domaine des artérioles oblitérées. Les infarctus limités il la corne an-

térieure ressemblent jusqu'à un certain point aux poliomyélites antérieu-

res aiguës (fig. 15). On a par là une preuve de l'origine vasculaire de la po-

liomyélite antérieure aiguë de l'enfance, car les lésions réalisées par les

embolies aseptiques ressemblent jusqu'à un certain point aux lésions de la

paralysie infantile. Cette analogie est d'autant plus justifiée que, dans les

injections artérielles de lycopodium, on constate non seulement des foyers

de nécrose et de ramollissement, mais aussi de réactions vasculaires

très intenses dans le domaine des différentes branches de la spinale anté-

rieure et postérieure. \

Fic. 15. - Coupe transversale du renflement lombaire (chien ayant survécu 4 jours à

l'expérience) vue à un faible grossissement. Dans la corne antérieure gauche on voit

un foyer de nécrose avec ramollissement dû à l'oblitération de l'artériole centrale

par des grains de lycopodium ; la corne postérieure est également le siège d'un

foyer semblable ; dans la substance grise du côté droit le foyer présente une topo-

graphie différente. Dans les régions occupées par tous ces foyers les cellules ner-

veuses ont disparu ou bien sont très atrophiées.

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE AIGUË 581

On constate, en outre, parmi les lésions médullaires, dues aux embolies

expérimentales, des foyers d'inflammation autour de la substance grise al-

térée, foyers absolument semblables à ceux qu'on rencontre dans la myé-

lite aiguë de l'homme et que Leyden a décrits sous le nom de blassiger

Zustand. Ces lésions irritatives de la substance blanche ont été considé-

rées par Lamy comme des lésions de dégénérescence simple.

En combinant les recherches expérimentales avec les constatations ana-

tomo-pathologiques, je crois pouvoir conclure que la voie de transmission

des microbes'joue un rôle essentiel dans la détermination de la forme de

myélite aiguë. Ainsi la pénétration des microbes par les artères de la

moelle donne surtout naissance à des poliomyélites, tandis que la péné-

tration des mêmes microbes dans le canal arachnoïdien occasionne une

méningo-myélite considérable au niveau de l'injection et diminuant dans

le sens ascendant et descendant. Suivant le système vasculaire affecté, on

peut observer dans ces expériences, la myélite transverse, la myélite dis-

séminée, la poliomyélite en foyer analogue à celle de la paralysie infantile.

Ainsi la poliomyélite antérieure est le résultat d'une infection artérielle

qui se propage par la spinale antérieure. Les foyers de myélite, comme

cela arrive dans la paralysie infantile, se cantonnent dans le domaine de

l'artère sulco-commissurale. A ce point de vue je suis tout à fait d'accord

avec Pierre Marie, Goldscheider, Siemerling, Redlisch, Williamson, etc.

La myélite transverse aiguë résulte de la localisation des microbes dans le*

domaine des branches des artères spinales antérieures, l'altération ne s'é-

tend que sur quelques segments de la moelle. La paralysie ascendante de

Landry, lorsqu'elle est d'origine médullaire est fonction d'une myélite

diffuse qui a son maximum d'intensité dans la région dorso-lombaire et

vers les régions supérieures et se localise dans le domaine de la spinale

antérieure. -

On voit que la connaissance de l'irrigation vasculaire de la moelle telle

qu'elle nous a été fournie par les recherches anatomiques d'Adamkievitz

et Kadyi nous explique d'une manière très simple la production des dif-

férentes formes de myélite. L'application de ces données à la pathologie

nerveuse a été faite pour la première fois par M. Pierre-Marie.

On sait que dans les derniers temps beaucoup d'auteurs français, parmi

lesquels il est juste de rappeler MM. Charrin et Babinski, Gilbert et Lion,

Thoinot et Masselin, Vincent, Il. Roger, Bourges, Widal et Besançon,

Mattion et Enriquez, Claude, Ballet et Lebon, se sont attachés à produire

des myélites expérimentales. Ils ont, à cet effet, utilisé des microbes très

variables comme espèce et comme provenance.

Il est curieux de remarquer qu'en dehors de IIallion et Enriquez, qui

ont fait usage de la toxine diphtérique et Claude de la toxine tétanique,

582 MARINESCO

aucun des auteurs précédents n'ont produit de véritables myélites, dans le

sens que j'attribue à ce mot. Les lésions qu'ils ont décrites sont purement

des lésions dégénératives, soit celles de la substance grise, soit celle de la

substance blanche, sans aucune réaction inflammatoire. Ceci ne diminue

en rien la valeur des expériences de tous les auteurs cités plus haut, mais

je pense qu'il faut être fixé sur la signification du mot myélite.

Lorsqu'on envisage le nombre considérable des expériences de quelques

auteurs (Thoinot et Masselin, Widal et Bezançon) on reste tout étonné de

voir que les lésions produites consistent essentiellement en des lésions

dégénératives, tandis que les mêmes microbes injectés dans le canal épen-

dymaire déterminent presque toujours des réactions inflammatoires violen-

tes. Quelle en est la cause ? On pourrait expliquer cette différence par le

fait que les microbes introduits, lancés dans le torrent circulatoire sont

dispersés dans tout l'organisme, tandis que quelques gouttes d'une culture

microbienne introduite dans la cavité arachnoïdienne s'y localisent, s'y

multiplient, d'une manière considérable, de sorte que les réactions orga-

niques sont en rapport avec celte multiplication vitale qui n'a lieu que

très rarement lorsque le microbe est lancé dans le sang. Dans ce dernier

cas, pour qu'une vraie localisation se manifeste, il faut que la résistance

organique de la moelle soit diminuée, ce qui peut arriver dans les infec-

tions humaines. Il pourrait se faire d'autre part, mais cette hypothèse est

moins probable, que les microbes dont une partie sont détruits dans le

sang, agissent sur la moelle par l'intermédiaire de ces toxines. En effet,

l'action des toxines, sur le système nerveux, est moins violente; elle

réalise surtout des lésions dégénératives ; la preuve en est la toxine téta-

nique [et la toxine du bacilles botlllinus.' On pourrait objecter à cette

manière de voir que Thoinot et Masselin ont retrouvé le coli commune

dans la moelle quelques mois après son injection dans le sang.

Après avoir étudié les différentes lésions histologiques qu'on rencontre

dans la myélite aiguë, il est possible, je pense, de donner une définition

naturelle de ce processus anatomo-pathologique. En effet, nous avons

trouvé dans tous les cas de myélite bien caractérisée, une réaction vascu-

laire consistant dans l'hyperhémie, l'infiltration leucocytaire nodulaire et

diffuse, la prolifération primitive des cellules névrogliques, tandis que le

tissu nerveux présente des lésions de nature régressive. Parfois, la cellule

et la fibre nerveuse avant d'arriver à la désorganisation et l'atrophie per-

manente présentent des phénomènes de tuméfaction, d'ampliation. La

description de ces lésions représente la définition même de la myélite. La

myélite aiguë n'est autre chose que la réaction générale et initiale de tous

les éléments constituants de la moelle suivant leur nature, provoquée par

des microbes ou des toxines. En d'autres termes, dans toute myélite il doit

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE AIGUË 583

y avoir des phénomènes de réaction du côté des vaisseaux et des tissus

conjonctifs, de la part de la névroglie et enfin de la part du tissu nerveux.

Cependant, je tiens à souligner ce fait qu'aucune des lésions décrites n'a

de valeur spécifique par elle-même, mais que c'est l'ensemble de ces lésions

qui entre dans la constitution du processus anatomo-pathologique de la

moelle. Par conséquent, la plupart des scléroses de la moelle épinière

doivent être supprimées du groupe anatomo-clinique delà myélite. Toute-

fois, il y a des scléroses qui constituent un reliquat de la myélite aiguë

par le fait que la maladie, après avoir réalisé le tableau clinique de la

myélite aiguë, a pris une marche subaiguë. J'ai eu l'occasion d'observer,

au point de vue anatomo-clinique, un cas de ce genre. Le malade a présenté

tous les phénomènes de la myélite aiguë, paraplégie complète, troubles

sphinctériens, abolition des réflexes

tendineux, dans les membres para-

lysés, troubles qui ont fait leur ap-

parition subitement. Comme la lé-

sion s'est localisée dans la région

dorsale inférieure, le malade a pu

vivre pendant 3 mois et, à l'autop-

sie, j'ai trouvé que la plupart des

réactions inflammatoires avaient dis-

paru. Il n'y avait qu'une légère in-

filtration de la pie-mère, et dans la

substance blanche atteinte de dégé-

nérescence, quelques ilots présen-

tant l'état dit aréolaire.

J'ai utilisé pour mes expériences

la plupart des microbes connus, tels

que : 1° streptocoques de différentes

provenances ; 2° staphylocoques :

3° pneumocoques ; 4° le méningo-

coque, décrit par Weichselbaum ;

5° le microbe de l'influenza ; 6° le

gonocoque ; 7° les 'bacilles de la

fièvre typhoïde et le colibacille, le

bacille de Lôffler, de la tuberculose,

etc.

Ces nombreuses expériences pratiquées sur l'injection des microbes dans

le canal arachnoïdien m'ont permis d'admettre trois classes d'infection de

la moelle : 4° des infections qui à proprement parler ne déterminent pas

des myélites, mais où le microbe pullule dans la cavité arachnoïdienne et

Fic. 16. - Méningo-myélite expérimentale

avec foyers disséminés dans la subs-

tance blanche et la substance grise. Les

foyers suivent le trajet des vaisseaux et

ont envahi le pourtour du canal ; les

lésions ont été produites par l'injection

intra-rachidienne d'un streptocoque vi-

rulent.

584 MARINESCO

Fig. 17 A. Poliomyélite antérieure due à l'injection d'un streptocoque virulent dans

le canal rachidien ; il existe en outre un foyer inflammatoire dans le cordon posté-

rieur gauche et une réaction vasculaire manifeste.

Fio. 17 B.

Sic 17 C. - Coupe transversale de la moelle épinière d'un lapin (région lombaire).

Injection d'une culture de streptocoque virulent dans le canal rachidien. L'animal

est mort six jours après. A droite de la figure on voit un foyer dans la substance

grise intermédiaire.

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE AIGUË 585

dans les espaces lymphatiques des vaisseaux sans déterminer des réactions

vasculaires et leucocytaires. Dans ce cas les microbes compromettent la

nutrition du tissu nerveux par leur accumulation dans la paroi des vais-

seaux et probablement par les substances toxiques qu'ils sécrètent; 2° des

microbes qui injectés dans le canal arachnoïdien donnent naissance à une

méningo-myélite dont l'intensité varie avec la virulence et l'espèce du mi-

crobe. C'est ainsi que j'ai pu réaliser presque tous les types anatomo-cli-

niques de la myélite transverse jusqu'à la paralysie ascendante, fonction

d'une méningo-myélite également ascendante. J'ai obtenu de très belles

lésions de poliomyélite analogues à ceux de la poliomyélite infantile

par l'injection de streptocoques virulents par le bacille de l'influenza ; etc.

(fig. 16, fig. 17 A, B, C, fig. 18 A, fig. 18 B).

J'ai réalisé avec le méningocoq-ue de Weichselbaum, même chez le lapin

une méningite très caractéristique et au-dessus de l'injection des microbes

Fia. 18 A. Coupe transversale de la moelle lombaire du lapin auquel on a pratiqué

une injection intra-rachidienne du bacille de l'influenza. L'animal a vécu 9 jours.

Poliomyélite avec participation à droite de la substance blanche antérieure.

i'io. 18 B. Le même cas que la figure précédente ; l'inflammation est limitée ici à

la substance grise, substance blanche étant intacte.

586 MARINESCO

une myélite centrale (fig. 19) comme on en voit rarement, même dans la

pathologie humaine. A l'aide du streptocoque également, j'ai produit des

myélites disséminées, des foyers ayant leur siège tantôt dans la substance

blanche, tantôt dans la substance grise. Enfin, toujours avec le même mi-

crobe, j'ai réalisé de la myélite diffuse à type ascendant, telle que'je l'ai

vue dans les cas étudiés avec MM. Marie et OEttinger.

L'injection des microbes associés, tels que le streptocoque virulent et le

microbe de la diphtérie, a produit parfois un véritable abcès localisé dans

le cordon postérieur. Dans mes expériences on voit de la manière la plus

nette que ces abcès résultent de la transmission des microbes à l'aide des

lymphatiques, des méninges aux cordons postérieurs (fig. 20). On sait que

l'abcès de la moelle est très rare et dans la pathologie humaine on ne con-

naît que quelques cas parmi lesquels les mieux étudiés sont les observa-

tions de Notlmabel, Schlessinger, Ilomen. Dautres fois j'ai observé de la

méningite purulente sans abcès de la moelle. 3° Des microbes qui ayant

pénétré dans le canal arachnoïdien déterminent un afflux leucocytaire con-

sidérable, mais ces microbes envahissent les leucocytes où nous les trou-

vons enfermés. Les leucocytes se comportent de différentes manières à l'é-

gard des microbes. Il existe des agents infectieux qui, injectés dans la ca-

vité arachnoïdienne, n'exercent aucune action sur ces leucocytes. Il est

possible que la quantité de microbes injectés puisse nous expliquer ce dé-

faut d'attraction sur les éléments cellulaires. Dans d'autres infections, au

contraire, les microbes injectés exercent une action sur ces leucocytes qui

sortent des vaisseaux très rapidement en très grand nombre, donnant nais-

nance à des infiltrations, à des nodules. Enfin, dans quelques infections,

comme c'est le cas pour le pneumocoque et le méningocoque, les microbes

sont inclus dans de grosses cellules mononucléaires auxquelles ils don-

Fio. 19. - Coupe transversale de la moelle dorsale d'un lapin avec injection intra-ra-

chidienne d'une culture de méningocoque virulent. Myélite centrale plus accusée à

gauche, accompagnée de paraplégie.

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE ATGUE 587

nent un aspect granuleux. Lorsque les microbes sont libres, on les voit

cheminer entre les espaces lymphatiques qui entourent les fibres nerveu-

ses (fig. 21) ; ils constituent une espèce de couronne autour de quelques

fibres, et même pouvant aller plus loin dans la substance grise, et même

pouvant pénétrer dans la cellule nerveuse. Je dois dire que la présence des

microbes dans la substance grise au voisinage des cellules nerveuses dé-

termine des lésions très graves pour celle-ci. Parmi ces lésions je citerai la

rétraction de la cellule avec nécrose de coagulation, homogénéisation du

noyau, etc.

On peut dire d'une façon générale que les altérations des cellules ner-

veuses qu'on rencontre dans la myélite aiguë sont très nombreuses et très

variables comme aspect et comme nature : elles varient de la réaction sim-

ple et passagère jusqu'à la dégénérescence profonde et irréparable de la

cellule nerveuse. Il n'y a pas de lésions spécifiques en rapport avec les dif-

férents agents infectieux et toxiques, mais c'est la virulence variable des

FiG. 20. - Coupe transversale de la moelle d'un chien auquel on a fait une injection

intra-rachidienne d'une association microbienne constituée par le bacille de la

diphtérie et un streptocoque virulent. Les lésions sont très intenses et consistent

dans une méningite avec formation d'abcès autour du canal épendymaire et à la

pointe des cornes postérieures.

588 MARINESCO '

microbes et le degré de toxicité de leurs produits qui pourraient nous ex-

pliquer les différents aspects d'altération dans les myélites,néanmoins, j'ai

rencontré dans certaines myélites des lésions que je n'ai pu retrouver dans

d'autres. Les altérations des cellules nerveuses sont d'autant plus intenses

qu'elles se trouvent plus près du foyer d'infection ; cependant il faut sa-

voir que les altérations que l'on trouve au cours des myélites, ne sont pas

seulement sous la dépendance de l'action des microbes et de leur toxine,

mais qu'elles relèvent encore en partie tout au moins des réactions vascu-

laires, surtout lorsque ces dernières empêchent la libre circulation du

sang dans les vaisseaux. -

La lésion la plus légère et l'une de celles qu'on rencontre du reste dans

la plupart des réactions de la cellule nerveuse, c'est la tuméfaction des

éléments chromatophiles avec état granuleux et vacuolaire de ces élé-

ments. Cette lésion,marquant le début de la réaction de la cellule nerveuse

n'a pas été vue fréquemment par les observateurs attendu que les cas de ce

genre se présentent rarement. Puis, vient la désintégration des éléments

chromatophiles qui reconnaît, ainsi que je l'ai dit ailleurs, plusieurs mé-

canismes : soit la dissolution, soit la fragmentation avec désintégration.

La conséquence de ces altérations c'est la raréfaction des éléments chro-

matophiles, la substance fondamentale de la cellule est tantôt colorée,

tantôt reste incolore. D'autres fois on constate une diminution de volume

et du nombre des éléments chromatophiles, parfois ces derniers changent

complètement de forme, ils s'amincissent, prennent l'aspect de bâtonnets

ou bien se réunissant enlr'eux, constituent une espèce de réseau, l'aspect

de la cellule étant celui de cellules archiochromes. Cet aspect réticulaire

Fie. 21. - Injection de coli-bacille dans le canal rachidien chez un lapin. L'animal

a vécu 12 heures. L'infiltration de la pie-mère et de ses prolongements (septum an-

térieur et postérieur) par les bacilles qui ont envahi également le canal central.

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE AIGUË 589

dépendant tout simplement de Ja fusion plus ou moins complète de la

substance chromatique, présente deux aspects variables suivant que la

substance fondamentale est colorée ou non colorée.

Parfois on constate un changement dans l'orientation des éléments chro-

matophiles, qui sont devenus ondulés ou bien offrent un trajet en zig-zag

(ug.22).

Une autre lésion sur laquelle je désire attirer l'attention, c'est l'acliro-

Fi(;. 22. - Cellule nerveuse radiculaire provenant de la moelle d'un lapin.

FiG. 23. Achromatose relative d'une cellule radiculaire, avec déplacement et atro-

phie considérable du noyau dans un cas de myélite aiguè chez l'homme. L'altéra-

tion a l'aspect des lésions secondaires, ce qui dépend vraisemblablement de la des-

truction du cylindre-axe invisible sur la préparation.

590 MARINESCO

matose. J'ai rencontré cette altération pour la première fois dans les noyaux

médullaires ou bulbaires après l'arrachement des nerfs respectifs. Depuis,

j'ai pu me convaincre qu'elle n'est pas très

rare, dans les myélites expérimentales et

pathologiques. L'aspect de la cellule affec-

tée de cette lésion est homogène, le pro-

toplasma est peu teinté (achromatose rela-

tive, fig. 23) ou bien tout à fait incolore

(achromatose absolue, fig. 24) ressemblant

a'du verre mat ; parfois l'achromatose

n'intéresse qu'une partie de la cellule

(achromatose partielle, fig. 25). J'ajoute

qu'au point de vue de leur sort ultérieur,

les cellules atteintes d'achromatose sont

vouées à la mort. L'état du noyau est va-

riable, parfois sa membrane est peu appa-

rente ; d'autres fois, il est très atrophié

et homogène; enfin il arrive parfois qu'il est complètement déplacé,

comme on le voit sur la figure. Je pense que dans ce dernier cas, ainsi

FiG. 24. - Cellule radiculaire à l'é-

tat d'achromalose relative avec

émigration du noyau et atrophie

des prolongements.

Fio. 23. - Achromatose partielle d'une cellule radiculaire, le reste des éléments chro-

matophiles se trouvent en état de chromatolyse diffuse ; le contour de la membrane

nucléaire est effacé. Paraplégie, suite d'injection intra-rachidienne d'une culture vi-

rulente de staphylocoque.

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE AIGUË 591

du reste qu'il ressort de cette figure même, le cylindre-axe fait défaut,

grâce au processus pathologique de la myélite et par là, la cellule ner-

veuse altérée se trouve dans les mêmes conditions qu'après l'arrache-

ment d'un nerf.

Je viens de trouver dans un cas de myélite expérimentale due à l'injec-

tion d'un streptocoque pathogène dans le canal intra-rachidien, dès lé-

sions qui par leur aspect ont attiré mon attention d'une façon particulière

(fig. 26 A. B). En effet, c'est pour la première fois que je vois de pareilles

lésions. Voici en quoi elles consistent : la cellule se compose d'une partie

centrale, colorée et d'une espèce d'enveloppe périphérique qui produit

parfois l'impression d'une capsule. Le cytoplasma de la cellule ne contient

plus d'éléments chromatophiles, dans la substance fondamentale colorée

d'une façon uniforme, on voit bien des granulations chromatiques, ou

même de petits bâtonnets disséminés. D'autres fois, ces substances cons-

tituent une espèce de réseau chromatique, le contenu de la vésicule nu-

cléaire est également colorée et son réseau est moins bien visible que nor-

malement. La partie périphérique de la cellule est pâle, elle constitue

une espèce d'enveloppe comme nous l'avons déjà dit, d'une épaisseur

variable Sur la surface de section de la cellule dans lesens longitudinal,

cette enveloppe est presque aussi large que le reste du cytoplasma qui va

P1G. ? G.

59 MARINESCO

jusqu'à la membrane nucléaire. Elle n'entoure pas tonte la cellule, mais

seulement son corps et un ou deux de ses prolongements, d'autres prolon-

gement sont libres. Si on passe à l'étude plus détaillée de cette enveloppe,

on voit qu'elle a un contour bien délimité, lequel esten connexion avec le

cytoplasma avec l'aide de travées plus ou moins complètes et granules-

ses, travées qui constituent par ci par là une espèce de réseau. Avec un

fort grossissement on voit bien que ces soi-disant travées sont formées par

de petites granulations bien colorées. La masse de granulation qui forme

comme une espèce d'atmosphère autour du cytoplasma de la cellule est

parfois adhérente à sa surface.

Quelle est la signification de celle atmosphère granuleuse qui entoure le

corps de la cellule ? S'agit-il là d'une masse qui ne lui appartienne pas et

qui serait venue là s'ajouter au corps cellulaire, ou bien au contraire est-ce

la partie superficielle du cytoplasma qui a éprouvé des altérations profon-

des à la suite de l'action des toxines des streptocoques ? C'est cette dernière

opinion qui me paraît la plus vraisemblable. En effet, j'aurais la tendance

d'admettre que le poison en agissant d'une façon très intense sur une grande

partie de la périphérie cellulaire, a produit une destruction systématisée

de la surface du cytoplasma et la région altérée constitue une espèce de

croûte qui adhère encore à la cellule, mais qui peut aussi se détacher, et

alors il se produit une véritable perte dans le cytoplasma.

La cellule (fig. 27) présente une lésion très grave du cytoplasma ; elle

est pour ainsi dire mutilée ; une partie de son corps détruit est remplacée

par une excavation profonde, les bords de cette excavation sont sinueux,

les prolongements sont comme amputés, enfin le noyau, qui a la forme

d'une ellipse allongée, est homogène, coloré d'une manière intensive.

La méningite déterminée par l'introduction des microbes dans le canal

arachnoïdien est variable d'aspect et d'intensité ; tantôt elle est annulaire,

elle intéresse d'une façon régulière toute la périphérie de la moelle ; tantôt

FIG. 27. - Cellule radiculaire; chromatolyse, achromatolyse donnant naissance à une

destruction partielle de la cellule nerveuse, atrophie avec homogénéisation du

noyau.

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE AIGUË 593

elle est circonscrite à une région de la moelle postérieure ou antérieure.

. Un bel exemple de méningite postérieure, je l'ai observé avec le microbe

de l'influenza.

Le rôle du canal épendymaire dans la transmission des infections est

considérable ; tantôt les microbes s'infiltrent dans la paroi du canal épen-

dymaire (fig. 16), tantôt ils pullulent dans ce canal et y déterminent une

exsudation constituée par des leucocytes englobés dans un réticulum fibri-

neux. La propagation des microbes par le canal épendymaire me permet

d'expliquer la présence de foyers de myélite centraux autour de ce canal

à une région supérieure à celle où on a injecté le microbe. Je dois faire

remarquer que l'infection du canal épendymaire s'arrête à une certaine

distance et on ne le trouve pas toujours dans la région dorsale et cervicale

lorsque l'injection de microbes a été faite entre la quatrième et la cinquième

vertèbre lombaire.

Si on considère à un point de vue tout à fait général les lésions que

détermine l'introduction des microbes dans le canal arachnoïdien, on peut

les résumer de la manière suivante : 1° phénomène de réaction du côté

des vaisseaux donnant naissance à une infiltration diffuse ou nodulaire ;

2° des phénomènes de réaction progressive du côté des cellules névrogli-

ques, lesquelles tout d'abord commencent par se tuméfier, leur noyau

augmente de volume, puis il se divise et donne naissance à une multipli-

cation considérable de cellules névrogliques ; 3° des phénomènes de réac-

tion régressive du côté des cellules nerveuses variant depuis la simple

chromatolyse jusqu'à l'achromatose absolue, et depuis la simple distension

du réseau achromatique jusqu'à la destruction, jusqu'à l'achromatolyse.

Toutes ces lésions sont la fonction de plusieurs facteurs : 1° la nature de

l'agent virulent, un microbe ayant une violence plus grande que l'autre ;

par exemple : un streptocoque virulent peut tuer un lapin dans l'espace

de 8 à 12 heures avec paraplégie, troubles sphinctériens ; et dans la moelle,

on trouve une méningo-myélite très accentuée. Au contraire, le méningo-

coque et le bacille de l'influenza réclament un temps beaucoup plus long*-

pour produire les phénomènes ; 2° le degré de virulence du même mi-

crobe : j'ai eu l'occasion d'injecter des streptocoques dans le canal verté-

bral sans avoir observé le moindre trouble ni la moindre lésion ; d'autres

fois le streptocoque ne produit la paraplégie et la méningo-myélite que

quelques jours après ; enfin, lorsqu'il est très virulent, il réalise une

paralysie ascendante suraiguë, avec méningo-myélite très accusée ; 3° l'es-

pèce de l'animal, un animal étant plus résistant que l'autre à l'action de

tel ou tel microbe.

Chez le lapin auquel on a injecté un streptocoque virulent dans le nerf

sciatique, on trouve dans la moelle un grand nombre de streptocoques

xiii 39

594 MARINESCO

accumulés dans la cavité arachnoïdienne et dans les méninges et la lésion

est beaucoup plus considérable du côté du sciatique injecté. Les microbes

remplissent l'espace arachnoïdien en suivant le trajet des lamelles conjonc-

tives de la pie-mère. Ils sont disposés en zooglée plus ou moins considé-

rables et parfois on les trouve dans les leucocytes. Les leucocytes envahis

par les microbes sont dégénérés ou tout au moins ils ne sont plus bien

colorables et on ne voit pas bien leur noyau.

Au niveau de la région lombaire ces microbes siègent au pourtour de

la moitié de la moelle correspondante au nerf injecté et les microbes enva-

hissent quelques artérioles de la spinale antérieure et de la spinale posté-

rieure, de manière qu'on les voit dans les capillaires du cordon et de la

corne postérieure, ainsi que dans la paroi de la spinale antérieure. La

lésion se présente dans la région dorsale inférieure avec les mêmes carac-

tères, ayant cependant la différence que la méningite est moins intense et

les microbes se présentent sous forme de colonies plus discrètes et discon-

tinues. Dans le renflement cervical, les lésions décrites sont très réduites

et localisées du côté de l'opération. J'ajoute que les lésions des cellules

nerveuses sont plus accusées du côté du sciatique opéré. En somme, il

s'agit d'une méningo-myélite prédominante du côté du nerf sciatique opéré

avec participation de quelques vaisseaux de la moelle épinière et les mi-

crobes suivent le trajet de la tunique externe, c'est-à-dire la voie lympha-

tique.

La question du traitement des myélites infectieuses est intimement liée

au progrès de la sérothérapie. Or, actuellement,nous ne disposons que d'un

nombre excessivement restreint de sérums antimicrobiens et antitoxiques.

C'est pour cette raison que les traitements préventif et curatif dans l'état

actuel de nos connaissances sont impossibles. Nous ne possédons pas mal-

heureusement un sérum efficace contre le streptocoque, contre le pneumo-

coque, le staphylocoque, contre le microbe de l'influenza, lesquels cons-

tituent les agents les plus communs de la myélite aiguë.

J'ai fait un assez grand nombre d'expériences sur les animaux avec le

sérum de Marmorek elles résultats que j'ai obtenus n'ont pas été satis-

faisants. En effet, en injectant tout d'abord dans le canal arachnoïdien des

streptocoques et puis du sérum à différents intervalles, je ne suis pas

parvenu à arrêter les réactions organiques dues aux streptocoques. Toute-

fois je crois avoir remarqué que les animaux auxquels on administre du

sérum en même temps que le streptocoque succombent plus tard que les

animaux témoins. D'autre part,l'action phagocytaire des leucocytes est très

manifeste chez les chiens auxquels on a administré des streptocoques et

NATURE ET TRAITEMENT DE LA MYÉLITE AIGUË 595

du sérum de Marmoreck. Je citerai ici une intéressante expérience que

j'ai faite sur le lapin : si on injecte à cet animal une assez forte quantité

de culture de streptocoques virulents dans les veines de l'oreille et puis

du sérum dans le canal arachnoïdien, on trouve une forte leucocytose

dans les vaisseaux de la pie-mère et même de la moelle et les streptoco-

ques se retrouvent à l'intérieur de ces leucocytes. On dirait que le strep-

tocoque a été attiré dans le canal arachnoïdien où on a injecté le sérum

et ensuite phagocyté. On sait qu'habituellement l'injection du streptoco-

que dans l'oreille ne se rencontre pas dans la moelle, ni sur les coupes,

ni par la méthode des cultures. C'est tout au moins ce qui résulte des

expériences faites par Roger, par Vidal et Besançon ; etc.

La sérothérapie par conséquent est, dans l'état actuel, encore impuis-

sante à éviter les altérations de la myélite aiguë et leurs conséquences.

Les substances antiseptiques, non plus injectées dans le canal arachnoïdien,

ne peuvent pas nous rendre de services réels dans le traitement de la

myélite aiguë. Il n'y a pas de substance antiseptique idéale qui puisse

être utilisée avec succès contre le microbe, sans détruire le tissu nerveux.

J'ai essayé cependant l'emploi de l'injection du bleu de méthylène dans

une solution de sérum artificiel dans la cavité arachnoïdienne chez l'homme

et chez les animaux atteints de méningo-myélite, mais sans succès. Par

conséquent, le traitement de la myélite aiguë ne peut être que symptoma-

tique, et parmi les symptômes qu'il s'agit de combattre, on doit éviter en

première ligne les infections secondaires qui produisent la cystite, la pyélo-

néphrite, etc.

Une autre complication très grave est représentée par le décubitus

acutus qu'on pourrait éviter par la propreté et par un lit spécial qui évite

le séjour des matières excrémentielles sous le malade, et par la balnéation

continuelle. Dans un cas de myélite aiguë à forme très douloureuse j'ai

Fm. 28. '

596 MARINESCO

pu calmer les douleurs du malade grâce à l'injection de cocaïne dans

le canal arachnoïdien.

Enfin, il faut veiller à l'état général des malades par l'administration de

médicaments toniques, antipyrétiques, etc.

Les microbes introduits dans le canal arachnoïdien sont susceptibles de

présenter des variétés de forme,de multiplication etc., suivant leur nature

et leur résistance.

Parfois ils disparaissent complètement sans avoir produit la moindre

lésion apparente, d'autres fois ils se multiplient d'une manière consi-

dérable et vivent soit à l'intérieur des cellules, soit librement ; enfin parfois

ils présentent des variations morphologiques sous la dépendance de phé-

nomènes de dégénérescence.

C'est ainsi que la figure 28, qui représente la coupe transversale d'une

méningite à streptocoques, nous offre, à côté de chainettes composées de

coques petites, atrophiées, de véritables granules involutives.

L'ÉCRITURE DE LÉONARD DE VINCI.

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'ÉCRITURE EN MIROIR

PAR

M. GILBERT BALLET

Professeur agrégé à la Faculté de Médecine,

Médecin de l'Hôpital St-Antoine.

Il n'est pas sans intérêt ni sans utilité d'étudier, chez les hommes de gé-

nie, les petites particularités physiologiques ou psychologiques qu'ils peu-

vent présenter. Un tic, une malformation, une habitude anormale en ap-

prennent souvent plus, sur la tournure de leur esprit, que certaines de leurs

oeuvres les plus belles ou les plus puissantes. Si Pascal nous avait légué

un second volume dépensées, nous y eussions trouvé sans doute une am-

ple moisson de précieuses réflexions philosophiques, mais ce volume nous

en eût probablement moins dit sur l'auteur lui-même que le curieux fac-

tum en quinze lignes, trouvé, après sa mort, dans la doublure de son

pourpoint et qu'on appelle son amulette.

Tout le monde a vu et admiré au moins des copies de ces immortels chefs-

d'oeuvre qui s'appellent la Joconde et la Cène, et Léonard de Vinci n'est

pas seulement l'un des plus grands, mais encore l'un des plus populaires

génies de la Renaissance. Beaucoup de ceux qui lui doivent d'infinies jouis-

sances, ignorent peut-être toutefois qu'il fut, en même temps qu'un grand

peintre, un savant de premier ordre, et la plupart ne savent point sans

doute qu'on a de lui de nombreux et intéressants manuscrits et que ces

manuscrits présentent cette particularité curieuse d'être écrits d'une écri-

ture à rebours. Léonard de Vinci était en effet, depuis plus d'un siècle déjà,

tenu pour l'un des peintres les plus glorieux de la plus glorieuse époque

artistique, lorsqu'on s'avisa de découvrir qu'il avait manié la plume aussi

bien et autant que le pinceau. Ambrosio Mazzenta raconte dans une relation

qui remonte à 1635, que « vinrent en ses mains 13 livres de Léonard de

Vinci, quelques-uns écrits in-f°, d'autres ion-4", à l'envers, selon l'usage

des Hébreux, avec de bons caractères, assez facilement lisibles au moyen

d'un grand miroir ».

Il est inutile d'indiquer ici par quel concours de circonstances ces ma-

598 GILBERT BALLET

nuscrits étaient arrivés jusqu'à lui, ce qu'ils devinrent en quittant ses

mains et à la suite de quelles péripéties, ils parvinrent en dernier lieu

où ils sont aujourd'hui,c'est-à-dire pour le plus grand nombre à la biblio-

thèque de l'Institut de France, les autres à celle du château de Windsor,

à la bibliothèque Ambroisienne de Milan et quelques-uns dans des collec-

tions privées ou publiques. M. Gabriel Séailles (1), à la fin de son inté-

ressante étude sur Léonard, a pris soin de conter l'histoire et de dresser

le catalogue de ces importants documents : on pourra s'y référer. Les ma-

nuscrits du grand peintre ont du reste, au cours de ces dernières années,

été reproduits et publiés ; et il sera facile d'en prendre connaissance sans

recourir aux originaux. Déjà en 1883 M*J. P. Richter (2) (de Londres)

avait fait paraître en deux gros volumes plus de 1500 extraits des oeuvres

de Léonard, et récemment M. Charles Ravaisson-Mollien (3) vient déter-

miner l'oeuvre considérable qu'il a entreprise et menée à bout avec tant de

persévérance et de bonheur, la publication des manuscrits « en fac-similés

phototypiques avec transcriptions littérales, traductions françaises, avant-

propos et tables méthodiques ».

Tous ceux qui ont écrit sur Léonard de Vinci depuis dix ans n'ont pas

manqué de consulter et ordinairement de reproduire quelques-uns des

originaux des manuscrits ou quelques-unes des copies qui en ont été four-

nies dans les ouvrages dont nous venons de parler. On en trouvera suffi-

samment pour s'édifier dans le beau livre de M. Eugène Muntz (4).

Enfin récemment M. Sabachnikoff a publié chez l'éditeur Rouveyre, un

luxueux volume où sont photographiés les feuillets de Léonard relatifs à

l'anatomie, tels qu'ils sont conservés à la bibliothèque royale de Windsor.

Ce livre est précédé d'une intéressante et savante introduction de M. Ma-

thias Duval (5).

La figure et le spécimen d'écriture que nous reproduisons PI. LXXIX

lui sont empruntés : nous les accompagnons, comme ont eu l'heureuse

idée de le faire, dans leurs publications, M. Ch. Ravaisson-Mollien et

M. Sabachnikoff, de la traduction diplomatique, de la traduction critique

et de la traduction française du fragment du manuscrit reproduit.

(1) GABIIIEL SÉAILLES, Léonard de Vinci. L'artiste et le savant. Paris, Perrin, 1892.

(2) J. P. RICHTER, The literary Woorks of L. d. V., compiled and edited from the

original manuscripts by J. P. Richter, In two volumes, London, 1883.

(3) Cn. Ravaisson-Moluen, 6 vol. in-folio. *

(4) Eue 1CNTZ, Léonard de Vinci, Paris, Hachette. 1899.

(5) De l'anatomie, Feuillets A publiés par Tn. SADACIINIAOI'F, avec traduction en lan-

gue française, transcrits et annotés par Giovanni Piumati, précédés d'une étude par

Mathias Duval, Paris, Ed. Rouveyre.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE, T. XlII. PL LXXIX.

ÉCRITURE DE LÉONARD DE VINCI

(Ecriture en miroir)

Fragment d'un des feuillets d'Anatomie de la bibliothèque de Windsor,

publiés par A. SABACHN11COPO·,

D'après l'édition française par G. PtuntnTt.

Mhssoa ET CIe, Editeurs.

L'ÉCRITURE DE LÉONARD DE VINCI 599

1. Reproduction en caractères typographiques du manuscrit.

QUESSTO B. DAL GHOMITO A IySINO AL. B. SI DEBBE FARE IN 4 1

MOTJ CIOE INSOMA ALTEZZA E IN SOMA BASSEZA E INDIRIETO I QUANTO SI Puo

ECHOSI INÂZI ESSETIPARE FARLO IN PIU MO I DI ESARE PIU INTELLIGIBILE

LOFITIO DICIASSCU MUSSCHOLO 1 E CQUESSTO FIA BONO PLI STATUARI LI-

QUALI DEBBONO PRO I NUTIARE P1U L1MDSSCHOLI CIIE SONCHAUSA DEMOTI DE

ME Bl CHE CQUELLI CHEINTAL MOTO NÔSI (d) ADOPANO.

Figura IL B dalla SPALLA AL GHOMJTO QUADO ESSO FA IL 1 MOTO

CIRCHULARE FERAMDO LASSPALLA ALMURO E 91ENA1D0 1 LAlIIANO COL CHAR-

BONE INTORNO ATTALLE SPALLA TELNÉDC) IL B DI RICTO EFFARA CÔTALE

C1RCHULATIONE TUTTI LI MOTI DE MUSSCO I LI CHE MOVÂ LASSPALLA MA

FA ESSA SPALLA (dalme) DALLASSPI I NA DEL DORSO ALLA TURACE DEL-

PECTO.

2. Transcription critique de ce manuscrit.

Qzcesto braccio, dal gomito a insino al b, si debbe fare in 4 moti,

cioè : in somma altezza e in somma bassezza, e indiricto quanta si

puô, e cosi inzanzi ; e .seti pare farlo in più modi, e sara più intelli-

gibile l'offizio di ciascun muscolo. E questo fia bono per li statuari,

li quali debbono pronunziare più li mllscoli che son causa de'moti

de'naenzbri, che quelli che in tal moto non si adoprano.

Figura il braccio dalla spalla al gomito, quando esso sa il moto cir-

ciita7,e, fernzando la spalla al nUl1'O e menando la mano col carbone

intorno a tale spalla, tenendo il braccio diritto, e farà con tale circu-

lazione tutti li moti de'nzuscoli che movan la spalla. Ma sa essa spalla

dalla spina del dorso alla torace del petto.

3. Traduction française.

Ce bras, depuis le coude a jusqu'à b, il faut le faire dans quatre mou-

vements, c'est-à-dire : dans la plus grande élévation et dans le plus grand

abaissement, et en arrière autant qu'il se peut, et de même en avant; et

s'il te paraît bon de le faire de plusieurs façons, la fonction de chaque

muscle en sera plus intelligible. Et cela sera bon pour les statuaires, qui

doivent accentuer davantage les muscles qui causent les mouvements des

membres, plus que ceux qui ne s'emploient pas dans ce mouvement.

Représente le bras, depuis l'épaule jusqu'au coude, quand il fait le

mouvement circulaire, en arrêtant l'épaule contre le mur, et en faisant

aller la main avec le charbon autour de cette épaule, le bras étant étendu,

et il fera, par ce mouvement circulaire, toutes les actions des muscles qui

600 GILBERT BALLET

meuvent l'épaule. Mais fais cette épaule depuis l'épine dorsale jusqu'au

thorax de la poitrine.

*

L'échantillon ci-dessus suffit à montrer ce que fut l'écriture de Léonard

de Vinci. C'est bien une écriture à rebours, si on la compare du moins à

notre écriture habituelle de la main droite, ou, comme on dit plus cou-

ramment, une écriture en miroir : pour la déchiffrer en effet il suffit de la

lire par réflexion dans une glace, où elle apparaît avec la physionomie

d'une écriture normale. -

Notons dès maintenant que ce fut là l'écriture habituelle (nous pourrions,

comme nous espérons le prouver, dire l'écriture normale) de Léonard.

Tous ses manuscrits en effet sont écrits de cette sorte; « à peine de, loin en

loin, une ligne en sens ordinaire » (1). Il faut faire une exception cepen-

dant pour le brouillon d'une lettre qu'il adressa à Ludovic le More, alors

régent du duché de Milan pour le compte de Jean Galéas son neveu. Cette

lettre dans laquelle il offrait ses services et faisait, avec une grande con-

fiance en lui, ressortir ses aptitudes multiples, est écrite en écriture de

gauche à droite.Mais l'authenticité du document est douteuse : Richter(2)

et Uzielli (3) à la vérité le croient de Léonard et M. E. Muntz (4) partage

leur opinion; mais M. Ravaisson-IVIollien (5) est d'un avis tout différent.

En somme il y a doute. Comme le pense M. Séailles (6), il est probable

que ce brouillon de lettre fut dicté par Léonard, mais qu'il ne fut pas écrit t

de sa main : il n'est donc pas surprenant que l'écriture en soit différente

de celle des autres manuscrits du peintre.

Pourquoi Léonard de Vinci écrivait-il en miroir ? Une pareille habitude,

si contraire à celle en usage, ne pouvait pas ne pas surprendre et ne pas

provoquer des interprétations. On cite bien quelques-uns de ses contem-

porains, Sabba de Castiglione et le sculpteur BaffalledeMonleluppo qui,

paraît-il, écrivaient à sa manière de droite à gauche « all'ebraica » (7). Mais

à supposer le fait authentique.il n'expliqueraitpasle parti prisde Léonard.

On a avancé un peu à la légère que celui-ci avait pris sur le tard seule-

ment l'habitude d'écrire de la main gauche, à la suite d'une attaque d'hé-

(1) Cité par MeNu, d'après Ravaisson-Mollien.

(2) RICIiTEÜ, The literary Works, t. II, p. 14, cité par MCNTZ.

(3) UZIELLI, Ricerche, 2° éd., t. I, p. 85-89, cité par MuxTz.

(4) E. Muntz, loc. cit., p. 143.

(5) Cii. RAVAISSOU1-IOGLIEIV, Les écrits de Léonard de Vinci, p. 34.

(6) Séailles, loc. cit., p. 45.

(7) Muntz, loc. cit., p. 231.

L'ÉCRITURE DE LÉONARD DE VINCI 601

miplégie dont il aurait été atteint pendant son séjour à Amboise, auprès de

François ter. Cette interprétation tombe d'elle-même : en effet Léonard

avait dépassé la soixantaine quand survint l'accident dont il s'agit, et il

est établi qu'il écrivait déjà en miroir en 1473, comme le prouve une

inscription qui figure en tête d'un dessin déposé au musée des Offices. Or

en 1473 Léonard avait 21 ans.

Une autre explication a trouvé plus de crédit et c'est elle qui semble

actuellement encore généralement admise. On a supposé que Léonard

avait adopté l'écriture en miroir pour dérouter les curieux ; c'était, a-t-on

dit, un homme à recettes, à secrets, à mystères qui, né dans un temps où

l'alchimie était encore en honneur, cherchait à soustraire ses inventions à

l'indiscrétion et à la curiosité. « Ce ne fut pas seulement, ditM. E.Muntz,

le caprice qui lui fit adopter ce mode d'écriture : il cherchait à s'entourer

de précautions pour empêcher qu'on lui dérobât ses secrets. » Ce n'est

là, hâtons-nous de le dire, qu'une simple hypothèse que ne vient étayer

aucun argument décisif. M. Muntz fait remarquer que Léonard « ne se

contente pas d'écrire à rebours, qu'il renverse parfois certains mots à la

manière des anagrammes, écrivant « Amor » au lieu de « Roma », « Ilo-

pan » au lieu de « Napoli ». Mais dans l'écriture en miroir ce n'est pas

seulement chaque lettre qui est renversée, c'est le mot dans son entier et

nous ne saisissons pas très bien la portée de l'argument.

Du reste l'interprétation qui précède résiste difficilement à la critique.

Si Léonard eût eu l'intention de dissimuler aux lecteurs indiscrets le

contenu de ses écrits, il eût été singulièrement mal inspiré en adoptant

l'écriture à rebours, dont la clef est facilement saisissable et qui devient

très vite déchiffrable pour quiconque y prête attention. L'hypothèse nous

paraît tellement inadmissible que nous ferions plutôt l'inverse : à suppo-

ser que l'écriture à rebours ait été un procédé graphique tout simplement

intentionnel chez Léonard, il serait moins invraisemblable d'admettre

qu'il l'ait adoptée pour solliciter l'attention des curieux en leur soumettant

une écriture qui présentait le double caractère d'être au moins originale

et de pouvoir cependant se lire assez aisément.

On n'a peut-être pas suffisamment remarqué que, s'il eût eu simplement

la pensée un peu enfantine de cacher le sens de ses écrits, le peintre eût

été un dissimulateur singulièrement maladroit, car il a pris soin de

fournir lui-même la clef qui permet de déchiffrer son écriture. En effet

les lettres, facilement reconnaissables bien que renversées, qui servent à

indiquer les parties diverses de ses figures et de ses dessins sont à l'envers'

comme celles du texte. Est-il admissible que Léonard de Vinci ait été à

ce point naïf et simple ? Nous avouons que la supposition nous choque. Il

faut en chercher une autre.

602 GILBERT BALLET

Mais au préalable il est nécessaire que nous entrions dans quelques

développements au sujet de l'écriture en miroir, de sa signification et de

sa raison d'être. ,

On n'ignore pas que c'est Buchwald (1) qui, en 1878, appela le pre-

mier l'attention sur l'écriture renversée de certains des hémiplégiques

qui écrivent de la main gauche, en même temps qu'il donna à cette écri-

ture le nom qu'elle a continué à porter (Spiegelschrift, écriture en miroir).

Buchwald crut d'abord avoir affaire à un trouble pathologique, opinion

que devait adopter, sans s'expliquer avec grande netteté, Erlenmeyer (de

Bendorf) (2).

Mais il ne tarda pas à s'apercevoir que tous les hémiplégiques droits

qui tiennent la plume de la main gauche n'écrivent pas en miroir, que

d'autre part l'écriture renversée se rencontre chez beaucoup de personnes

bien portantes particulièrement chez les enfants. Il fit la constatation

sans en tirer des conclusions fermes.

Carl Vogt (3) qui reprit la question, arriva à formuler cette opinion

que l'écriture en miroir est l'écriture ordinaire de la main gauche, et

Martial Durand (4) accepta et développa cette manière de voir dans un

travail très bien conduit présenté à la Société de médecine de Bordeaux.

Quant nous, nous adoptons sans hésitation la formule avec un certain

nombre d'additions complémentaires toutefois, sur lesquelles nous allons

avoir à nous arrêter.

Mais d'abord nous rapporterons une observation typique, qui par sa

netteté nous permettra de résoudre certains points litigieux de la ques-

tion.

. Observation. '

Rose Viol... âgée de huit ans 1/2, nous est amenée à l'hôpital St-Antoine par

son médecin le D E. Bloch, qui a bien voulu recueillir tous les renseignements

sur le compte de l'enfant et nous les communique avec beaucoup d'obligeance.

- Elle est accompagnée de Mme la directrice de l'école où elle a fait ses études,

qui complète et confirme les renseignements.

Antécédents héréditaires. - Rien de particulier à noter. Rose a 6 frères ou

(1) BUCI1W.1LD, Spiegelschrift bei lIirnkrankeiten (Berliner klin. Wochenschrift, no ! ,

p. 6, 7 janvier 1878).

(2) Erlenmeyer, Die Schrift, Gruadüge ihrer Physiologie und Pathologie.

(3) Carl Vont, L'écriture considérée au point de vue physiologique (Revue scienti-

fique, 1880, n- 52).

(4) Martial Durand, De l'écriture en miroir, élude sur l'écriture de la main gauche

dans ses rapports avec l'aphasie (Journal de médecine de Bordeaux, 1881, p. 202 et

suiv.).

L'ÉCRITURE DE LÉONARD DE VINCI 603

soeurs : elle est la cadette. Sa soeur aînée Marguerite, 10 ans 1/2, écrit norma-

lement de la main droite ; 1 frère plus jeune, 6 ans, écrit aussi comme tout le

monde ; 1 soeur, Valentine, 5 ans 1/2, n'écrit pas encore ; 1 frère André, 2 ans

1/2; 1 soeur Madeleine, un mois.

Histoire de l'enfant. - Rose V... est gauchère de naissance. Elle se sert cou-

ramment de. la main gauche pour les usages Je la vie, pour coudre, couper sa

viande etc. Elle est assez adroite des mains.

Elle est très intelligente comme le sont ses frères et soeurs.

Dès un âge très tendre elle a appris à lire, toute seule, en voyant et en en-

tendant lire sa soeur aînée. Mais elle a appris à écrire avant d'apprendre à lire, »

et en voyant écrire sa soeur : elle prenait la plume et traçait de la main gauche

les chiffres et les caractères que sa soeur traçait de la main droite. On assure,

et le renseignement a été vérifié, que d'emblée elle reproduisit en miroir de la

main gauche les chiffres et les lettres qu'elle copiait.

Rose a continué à apprendre à écrire de la main gauche et un peu plus tard

de la main droite, en même temps qu'elle apprenait à lire.

On assure qu'elle lisait en miroir l'écrit et l'imprimé aussi aisément que dans »

le sens ordinaire.

L'enfant a eu plus de peine à apprendre à écrire de la main droite que de la

gauche.

- État actuel (1900). - Rose écrit des deux mains, mais elle écrit plus faci- ' 1

lement de la main gauche que de la droite. L'écriture de la main droite (Fig. 1)-

est plus penchée que celle de la main gauche (Fig. 2); ce qui tient peut-être

FiG. 2. - Ecriture (en miroir) de la main gauche. v

604 GILBERT BALLET

à ce que la première est la reproduction plus approchée de l'écriture de la mai-

tresse qui instruit Rose, tandis que l'écriture de la main gauche est plus spon-

tanée.

L'écriture de la main gauche est un peu plus grande que celle de la main

droite.

La copie (transcription de l'imprimé en cursive ou copie de la cursive) ne

présente rien de particulier qui la différencie de l'écriture spontanée de Rose.

Bien entendu, sauf si on lui demande de faire autrement, Rose copie en écri-

ture droite de la main droite (Fig. 3) et en écriture renversée de la main gau-

che (Fig. 4).

De cette main gauche (Fig. 5) elle peut écrire en écriture droite, mais les

caractères sont formés lentement et péniblement. Il en est de même des carac-

tères renversés de la main droite (Fig. 6).

Fia. 3. - Copie de manuscrit (A) et d'imprimé (B) de la main droite.

FiG. 4. - Copie de manuscrit (A) et d'imprimé (B) de la main gauche.

L'ÉCRITURE DE LÉONARD DE VINCI 605

Lecture. - Pour l'imprimé, Rose le lit assez couramment à l'endroit ; lente-

ment et plus péniblement à l'envers. Il parait qu'étant plus petite elle lisait,. 0

l'imprimé à l'envers mieux qu'aujourd'hui : cette aptitude aurait diminué du

fait de l'éducation.

Quant au manuscrit, elle le lit à l'envers beaucoup mieux qu'elle ne fait de,

l'imprimé, néanmoins elle lit plus couramment le manuscrit en écriture droite

qu'en écriture renversée.

Représentation visuelle verbale. Étant donné l'âge de l'enfant et le peu

d'habitude qu'elle a de s'analyser, il est difficile de savoir exactement ce qu'est

chez elle la représentation visuelle verbale ; cependant Rose nous assure qu'elle

se représente les mots tantôt en écriture droite,tantôt en écriture en miroir (1).

Résumons les traits principaux de ce cas : une enfant née gauchère, ap-

prend à écrire seule ; elle écrit spontanément de la main gauche en miroir;

ce n'est que plus tard, sous l'influence de l'enseignement qu'on lui donne

et des habitudes qu'on lui inculque, qu'elle prend l'habitude d'écrire en

écriture droite, de la main droite et aussi de la main gauche.

Il apparaît déjà, et c'est ce que ce cas très typique met nettement en

lumière, que chez cette enfant gauchère l'écriture naturelle a été l'écri-

ture en miroir de la main gauche, tandis que les autres (écriture droite de

la main droite ou de la main gauche) ont été le résultat d'un effort luttant

contre une tendance originelle. Or tout le mystère de l'écriture en miroir

se dissipe et s'éclaircit si l'on se donne la peine de préciser ce qui, dans

(1) Cette observation et les considérations qui suivent ont fait l'objet d'une commu-

nication au Congrès international de médecine de 1900 (section de Neurologie).

Fic. 5. - Ecriture droite de la main gauche.

FiG. 6. - Ecriture en miroir de la main droite.

606 GILBERT BALLET

-l'écriture de chacun de nous et dans les espèces variées d'écriture, cor-

respond aux tendances naturelles ou combat ces tendances.

Ceci demande quelques brèves explications. On sait qu'il y a deux ty-

pes principaux d'écriture : l'écriture aryenne et l'écri ture sémitique (ri.7).

La première est dite écriture de gauche à droite et la seconde écriture de

droite à gauche. Ces appellations sont défectueuses pour plusieurs raisons,

dont l'une va apparaître évidente. L'écriture aryenne (notre écriture) est

bien une écriture de gauche à droite, quand nous l'écrivons de la main

droite, mais il en est tout autrement si nous l'écrivons naturellement de

la main gauche. En fait si l'on veut s'orienter dans cette question des

écritures diverses et du rôle qu'y joue chaque main, il faut l'envisager

d'autre manière : la direction des écritures, qu'elles soient de main droite

ou de main gauche, aryenne ou sémitique, doit être rapportée à l'axe du

corps. Toute écriture est centrifuge ou centripète (C. Vogt) par rapport à

cet axe, comme le montre le tableau ci-joint (Fig. 8) : l'écriture aryenne

.est centrifuge pour la main gauche comme pour la main droite, l'écriture

sémitique est centripète pour les deux mains (1). Qu'en résulte-t-il ? C'est

que l'écriture de la main gauche est nécessairement ['inverse de celle de

la main droite : au fond, elles ne sont pas plus en miroir l'une que l'autre

et elles sont également toutes les deux en miroir : car à proprement parler

qu'est-ce qu'une écriture en miroir ? C'est celle qui pour reproduire les

types qu'on envisage doit être regardée par réflexion dans une glace. Nous

appelons, nous, écrire en miroir l'écriture aryenne centrifuge, de la main

(1) L'écriture en miroir étant toujours comme celle de la main droite centrifuge

(aryenne) ou. centripète (sémitique), on conçoit qu'un hébreu quand il écrira de la

main gauche, n'écrira en miroir que si sa main va de gauche à droite (écrire centri-

pète). S'il écrit de droite à gauche son écriture ne sera pas renversée mais ce ne

sera pas l'écriture normale de la main gauche. A ce point de vue le malade de M. Ma-

rinesco,dont nous parlons plus loin, se conformait à la règle. Cari Vogt avait du reste

déjà constaté que les Sémites, comme c'était à prévoir, écrivent de la main gauche

en écriture centripète renversée.

FiG. 7. Ecriture sémitique (centripète).

L'ÉCRITURE DE LÉONARD DE VINCI 607

gauche, parce que étant pour la majorité droitiers, écrivant par consé-

quent de la main droite, nous avons pris l'habitude de prendre pour

terme de comparaison notre écriture ordinaire, celle de cette main droite.

Mais supposons qu'on n'ait pas par l'éducation contrarié les tendances

naturelles de notre petite gauchère : elle aurait continué à écrire exclusive-

ment en écriture centrifuge de la main gauche, à lire par conséquent

cette écriture : pour elle l'écriture en miroir eût été celle de la main

droite.

Donc, si nous écrivons d'une façon quasi-automatique et, sans contra-

rier la nature, une phrase de la main droite puis de la main gauche, les

deux écritures seront l'inverse l'une de l'autre, l'une étant en miroir par

rapport à l'autre. L'expérience de Manfred Berliner que rapporte C.Vogt,

le démontre péremptoirement : « on fait écrire à une personne la même

phrase avec les deux mains simultanément, les yeux ouverts et fermés.

On trouvera alors sur toutes les personnes ce que l'on trouve sur soi-

même, c'est-à-dire qu'on écrit involontairement renversé avec la main

gauche, tandis que la droite écrit normalement. « Cela va très facilement

Fis. 8.

608 GILBERT BALLET

de soi-même », disent tous ceux qui essayent cette expérience. On fait

commencer l'écriture depuis la ligne médiane, les deux mains rappro-

chées. Les lignes écrites, surtout celles qui sont tracées les yeux fermés,

s'écartent en montant et forment un angle ouvert en avant. Si l'on veut

forcer la main gauche à écrire aussi l'écriture normale, l'effort devient

bientôt insupportable, et, malgré toute l'attention prêtée, on trouvera

toujours quelques lettres renversées. »

Il est aisé de concevoir que l'écriture de la main droite doit être natu-

rellement l'inverse de celle de la main gauche : cela tient à la disposition

des muscles dans chaque membre, qui sont symétriques par rapport à l'axe

du corps ; un mouvement d'adduction du pouce et de l'index de la main

droite ne correspond pas à un mouvement parallèle (c'est-à-dire d'abduc-

tion) du pouce et de l'index du côté opposé, mais à un mouvement de sens

'inverse qui rapproche de l'axe du corps les deux doigts de la main gauche

comme l'adduction en rapproche ceux de la main droite. Ce qui revient à

dire que si, par rapport à cet axe, ligne d'orientation, les mouvements

physiologiques symétriques des deux membres sont de même sens,ils sont

de sens opposé les uns par rapport aux autres : l'écriture naturelle de la

main gauche est l'opposée de celle de la main droite ; mais elle lui est

symétrique si on les rapporte toutes les deux au sternum.

Voilà des points sur lesquels on est, je crois, aujourd'hui d'accord et

qui n'exigent pas une plus longue démonstration. Qu'il soit donc bien en-

tendu que l'écriture est, par rapport à l'axe du corps, centrifuge (Aryenne)

ou centripète (Sémitique) et que celle de la main gauche est l'inverse (Ecriture

en miroir) de celle de la main droite.

Mais s'il en est ainsi, si l'écriture en miroir est l'écriture naturelle de la

main gauche (Carl Vogt), pourquoi y a-t-il des gens qui écrivent très bien,

d'autres peu et d'autres pas du tout cette écriture ? Pourquoi y a-t-il des

gens qui, contrairement à ce qui devrait être, écrivent en écriture droite

de la main gauche, réalisant de la sorte une écriture centrifuge d'un côté

et centripète de l'autre ? i

Ces différences individuelles sont trop manifestes pour qu'il soit néces-

saire de les démontrer. Les statistiques sont d'abord là pour les mettre en

relief; en voici une de Eider (1), par exemple : sur 451 sujets, il en a

trouvé 23 (5,1 pour 100) qui écrivaient spontanément en miroir avec la

même gauche, tandis que les 428 autres écrivaient plus ou moins en écri-

ture droite de cette main. D'autre part, il y a très loin de ceux d'entre

(1) WILLIA1 Elueh, The scottish med. and surgical Journal, 1891, p. 133 et 213.

L'ÉCRITURE DE LÉONARD DE VINCI 609

nous qui arrivent à griffonner plus ou moins mal quelques caractères en

miroir, à la petite fille dont nous avons rapporté l'observation, ou à Léo-

nard de Vinci. A quoi tiennent de semblables variations ? ' ?

Ici une première remarque s'impose, si l'écriture en miroir est l'écriture

normale de la main gauche, il est singulier qu'on ne la rencontre que chez

23 sujets sur 451 (statistique de Elder). Sans chercher, ce qui a peu d'im-

portance, si le chiffre donné par Elder n'est pas trop faible, il est cer-

tain que, dans les conditions d'observation courante, l'écriture droite de la

main gauche est plus commune que l'écriture en miroir. Que veut dire

cette apparente contradiction à la loi que nous avons formulée plus haut ?

Nous allons nous efforcer de répondre à la question.

Quand on a dit que l'écriture en miroir était l'écriture normale de la

main gauche, on a donné une formule vraie, mais incomplète. Pour qu'il y

ait une écriture normale de la main gauche, il faut qu'il y ait une écriture

de cette main. Or chez la presque totalité de ceux qui savent écrire, celle-

ci reste tout à fait inapte à le faire. « Tous les peuples sans exception, dit

Cari Vogt, écrivent avec la main droite et aucun n'a jamais écrit autre-

ment, pas même les anciens sémites, comme on l'a prétendu. » Pourquoi

sommes-nous droitiers pour l'écriture, comme du reste pour la plupart

des autres actes manuels ? C'est une question qui au point de vue ontogé-

nique a sans doute un grand intérêt, mais dont la solution importe peu

ici étant donné le point de vue auquel nous nous plaçons. Etant droitiers

nous écrivons de la main droite en écriture droite et nous n'avons, sauf

circonstances exceptionnelles, aucune raison d'écrire de la main gauche

en miroir.

Mais il y a des gens qui se trouvent dans une situation toute différente,

ce sont les gauchers. Un gaucher qui prend la plume est instinctivement

porté à écrire de sa bonne'main, c'est-à-dire de la main gauche, et comme

l'écriture de la main gauche est l'écriture en miroir, à écrire en miroir.

On peut dire d'une façon générale que tous les gens qui écrivent aisément

en miroir de la main gauche, et surtout ceux qui tout enfants adoptent

instinctivement cette façon d'écrire, sont des gauchers. La petite fille dont

nous avons rapporté l'observation en est la preuve; le sujet, dont Mari-

nesco (1) a récemment communiqué le cas à l'académie de médecine, « a

eu pendant son enfance des tendances à se servir de la main gauche pour

manger et pour les autres usages ». Ch. Mills (2) a examiné au point de

vue de l'écriture de la main gauche un premier groupe de 60 garçons ou

filles : filles et 3 garçons écrivirent en miroir; tous étaient gauchers.

Dans un second groupe de 134 enfants, il y avait 6 gauchers, dont

(1) G. Marinesco, Etude sur l'écriture en miroir (Acad. de médecine, 30 janvier 1900).

(2) On. Mills, The journal of nervousand mental disease, février 1894.

xn . 40

610 GILBERT BALLET

3 écrivaient en écriture renversée. Une petite fille de 8 ans 1 ? devenue

impotente par suite d'une fracture du bras droit, continua à aller à l'école

et se mit à écrire en miroir de la main gauche. Risley (1), qui rapporte le.

cas, dit qu'elle était naturellement ambidextre, c'est-à-dire à la fois droi-

tière et gauchère. A notre avis, on doit dire, en précisant la formule de

C. Vogt, que l'écriture en miroir et de la main gauche est l'écriture nor-

male chez les gauchers.

*

.Telle que nous venons de l'énoncer cette formule est encore incomplète.

Tous les gauchers n'écrivent pas en miroir, et tous ceux qui écrivent

en miroir ne sont pas gauchers : ces deux propositions qu'on ne saurait

révoquer en doute semblent contredire celle que nous avons formulée

plus haut. Il n'en est rien, et ici, comme ailleurs, on va le voir, les excep-

tions ne font que confirmer la règle.

Tous ceux qui écrivent en miroir ne sont pas gauchers. On peut par un

apprentissage assez délicat arriver à écrire en miroir de la main droite :

c'est le cas de certains lithographes; on peut aussi, même lorsqu'on est

droitier, tracer de la main gauche quelques caractères en miroir : mais il

y a loin de ces essais plus ou moins pénibles à l'écriture facile et courante

des gauchers.

Tous les gauchers, d'autre part, n'écrivent pas en miroir. C'est que

l'éducation intervient souvent pour modifier chez eux les tendances natu-

relles. Les nécessités sociales font que tout le monde a intérêt à lire et à

écrire comme tout le monde, aussi apprend-on aux gauchers la lecture et

l'écriture droites. Arrive un moment où, grâce aux exercices prolongés,

ces derniers écrivent sans trop de difficulté de la main droite ; ils oublient

alors plus ou moins leur écriture normale de la main gauche, c'est-à-dire

l'écriture en miroir, ou ils ne la pratiquent qu'accidentellement. On

parvient même à leur apprendre l'écriture droite de la main gauche :

mais celle-ci qui est antiphysiologique reste en général pénible et labo-

rieuse.

Notre petite fille a passé par ces étapes successives : gauchère, elle a

commencé spontanément et naturellement par écrire en miroir de la main

gauche ; plus tard elle a appris à écrire en écriture droite de la main

droite; plus tard enfin elle est arrivée à écrire en écriture droite de la

main gauche et en écriture renversée de la main droite. Chez elle l'écri-

ture en miroir de la main gauche est l'écriture naturelle et de prédilection ;

l'écriture droite de la main droite est une écriture naturelle, mais nécessi-

tant quelque effort; les autres sont des écritures artificielles, antiphysio-

(1) RisLEY cité par hIILLS.

L'ÉCRITURE DE LÉONARD DE VINCI 611

logiques. Aussi sont-elles défectueuses, comme on peut le voir sur les

spécimens que nous avons reproduits.

Ainsi chez les gauchers dont la tendance est d'écrire de la main gauche

et en miroir, l'éducation concourt à annihiler cette tendance pour les

identifier aux droitiers. Mais l'éducation c'est le développement de l'effort

vers un but déterminé, c'est l'orientation de la volonté dans une certaine

direction : plus il y aura d'effort et de volonté, plus s'atténuera la pro-

pension naturelle, et inversement moins l'individu développera de volonté

et d'effort, plus cette propension se manifestera. «Dans l'écriture de la

main gauche, dit très justement Martial Durand, moins le cerveau entrera

en action, c'est-à-dire moins il agira d'une façon active, plus le sujet aura

de tendance à écrire de droite à gauche et au rebours. » Lochte (1) sur

100 enfants normaux en a trouvé 16 écrivant en miroir de la main

gauche; mais sur 100 sourds-muets il en a compté 27, 30 sur cent alié-

nés, 50 sur cent idiots, ce qui vient à l'appui de la proposition de M. Du-

rand. La représentation mentale de l'image visuelle des lettres telle qu'elle .

se manifeste à notre esprit, c'est-à-dire sous forme d'écriture droite, est

une mauvaise condition pour la libre exécution de l'écriture en miroir :

aussi cette dernière est-elle favorisée par les lésions qui entravent cette

représentation en amenant de la cécité verbale : c'est un fait sur lequel

ont insisté M. Durand et aussi Nicolle et Halipré (2). « Le rôle de l'apha-

sie, dit M. Durand, est de débarrasser l'écriture normale de la main

gauche, l'écriture en miroir, de toutes les circonstances extérieures, de

l'effet de l'éducation, du souvenir de la figure des caractères tracés par la

main droite, du contrôle de la vue (cécité de l'écriture) et par suite de la

volonté, pour ne laisser subsister que le souvenir de l'impression des

mouvements musculaires associé au souvenir de l'impression de l'image. »

La simple, occlusion des yeux peut avoir un résultat analogue. Carl Vogt.

a fait des expériences desquelles il découle qu'on a plus de tendance à

écrire en miroir de la main gauche quand les yeux sont fermés que lors-

qu'ils sont ouverts.

La distraction, en favorisant l'automatisme de la main gauche, facilite

aussi l'écriture en miroir. Mills rapporte l'exemple d'un télégraphiste

qui voulant à la fois manier son appareil de la main droite et prendre

des notes urgentes de la main gauche, prenait ces dernières en écriture

en miroir.

De ce qui précède, il résulte que l'éducation, l'apprentissage de J'écri-

ture droite et de la lecture tendent à entraver le développement de l'écri-

(1) Lochte, Beitrag zur Kenntniss des Vorhommens und der Bedeulung der Spie-

gelschrift (Arch. sur Psychiatrie, t. XRVIII, f. 2, 1896).

(2) CH. NICOLLE et A, IIALLIPli, L'écriture en miroir (Presse médicale, 20 avril 1895).

612 GILBERT BALLET

ture en miroir. Nous sommes ainsi conduits à compléter notre précédente

formule en disant : l'écriture en miroir et- de la main gauche est l'écriture

normale chez les gauchers dont l'éducation n'a pas faussé la tendance na-

turelle.

.

.. *

Nous devons soulever une question incidente qui ne vise pas directe-

ment celle dont nous nous occupons, mais dont il ne nous est pas possible

de ne pas dire quelques mots.

Dans les conditions les plus habituelles, quand nous apprenons à écrire

de* la main droite, nous nous exerçons à copier une image visuelle (de

lettres) dont on nous a d'ordinaire déjà appris la signification ; en d'au-

tre termes nous lisons d'abord et nous copions ensuite les lettres ou les

mots lus. Mais on voit immédiatement que les choses doivent se passer

autrement chez celui qui écrit en miroir. Lorsqu'un hémiplégique prend

pour la première fois la plume de la main gauche et trace des caractères

renversés presque sans se douter de ce qu'il fait, il trace des formes, c'est-

à-dire des lettres, auxquelles son oeil n'est pas habitué, si bien qu'il lui

est souvent difficile de relire le mot qu'il a écrit sans trop de peine. Par

quel mécanisme arrive-t-il à un pareil résultat ?

On peut faire à cet égard plusieurs hypothèses : on peut admettre

d'abord que le sujet renverse mentalement la lettre qu'il va écrire et copie

ainsi une image retournée. Voulant écrire a, il commencerait par se

représenter visuellement v et ferait mouvoir la plume en conséquence. Je

crois que cette supposition est réalisée dans un certain nombre de cas : en

ce qui me concerne, si je cherche à écrire en miroir, je commence souvent

par me représenter les lettres renversées et je ne les écris qu'ensuite.

Mais il ne me semble pas possible d'admettre qu'elle explique tous les

faits, ceux surtout où l'écriture en miroir est la plus nette et la plus belle

parce qu'elle est la manifestation d'une tendance instinctive. A ce propos

revenons au cas de notre petite fille ; rappelons-nous qu'elle a appris à

décrire de la main gauche toute seule en regardant écrire sa soeur de la

main droite et qu'elle écrivait avant de savoir lire, ce qui avait frappé son

entourage. Pour copier une ligne d'écriture il n'est sans doute pas néces-

saire d'en connaitre la signification : nous pourrions à la rigueur copier

du chinois ou de l'arabe, sans savoir la valeur des signes écrits de ces lan-

gues, comme nous le ferions d'un dessin. Mais alors la copie est lente,

servile, trait pour trait ; elle reproduit successivement une série de formes

isolées et très simples dont l'ensemble constitue le dessin ou le mot.

Chacune de ces formes devient ainsi la représentation graphique d'un

mouvement : si bien que notre petite fille n'a fait très vraisemblablement

d'abord que copier les mouvements de sa soeur, soit les mouvements de la

L'ÉCRITURE DE LÉONARD DE VINCI 613

main droite directement observés, soit la représentation graphique de ces

mouvements, constitués par les parties élémentaires des lettres. On conçoit

dès lors très bien d'une part qu'exécutant, parce que gauchère, les mouve-

ments de main droite qu'elle copiait, avec la main gauche, elle ait reproduit

ceux-ci comme la main gauche peut et doit les reproduire, c'est-à-dire

symétriques mais renversés ; que d'autre part elle ai commencé à écrire

avant de savoir lire ; la lecture n'est venue qu'après, car elle n'avait sous

les yeux, pour lire, d'autres exemples que ceux qu'elle traçait elle-même.

Nous ne voulons pas insister davantage sur les questions de psycho-physio-

logie que soulève l'étude de l'écriture en miroir : ces questions qui sont

étroitement connexes à celle des relations de la vision mentale verbale

avec l'écriture méritent d'être reprises en détail et étudiées avec méthode.

Qu'il nous suffise d'avoir montré que l'écriture en miroir n'est pas seule-

ment une transformation accidentelle et accessoire de l'écriture de la main

droite, mais qu'elle peut s'organiser primitivement et rester prépondérante

si l'éducation n'intervient pas, au début pour l'empêcher de se constituer

et de se perfectionner, plus tard pour la refouler en lui substituant l'écri-

ture de la main droite.

* ,

'f . *

Il résulte de ce qui précède que certaines conditions sont nécessaires

pour que l'écriture en miroir (de la main gauche) soit courante et facile :

il faut d'une part que le sujet soit gaucher, d'autre part qu'on n'ait pas

fait dans l'enfance de grands efforts pour s'opposer au développement de

sa tendance naturelle à écrire de la main gauche.

Léonard de Vinci réalisait-il ces conditions ? Si oui, les hypothèses peu

plausibles qu'on a faites pour expliquer sa manière d'écrire doivent tom-

ber d'elles-mêmes et faire place à une interprétation plus simple et plus

conforme aux enseignements de la physiologie.

Il réalisait certainement la seconde : esprit primesautier comme pas un,

il était peu fait pour se plier à une contrainte et à une règle qui eût con-

trarié ses tendances. Vasari parle sans cesse de son- humeur mobile et

capricieuse, de l'élan et de la fantaisie de son esprit : ce sont là défauts ou

qualités qui d'ordinaire s'accommodent mal d'une discipline. Au reste cette

discipline il est peu vraisemblable qu'on ait cherché à la lui imposer : Fils

naturel d'un tabellion de village Ser Piéro de Vinci, et d'une paysanne du

nom de Catarina, il ne connut pas sa mère avec laquelle son père rompit

aussitôt sa naissance, pour épouser presqu'immédiatement Albiera di Gio-

vanni Amadori. Il semble donc avoir été un peu abandonné à lui-même :

circonstance plutôt favorable que contraire au libre développement de ses

dispositions originelles. ,

D'autre part il réalisait aussi la première condition : il était gaucher, le

fait ne nous semble pas contestable et c'est aussi l'opinion de M. Eugène'

614 GILBERT BALLET

Müntz : « il me paraît difficile nous écrit l'éminent historien, d'admettre

que Léonard de Vinci n'ait pas été gaucher (1) ».

Les preuves ne sont peut-être pas très nombreuses, mais il y en a de

décisives. Au dire de Gallichon (2), Léonard esquissait rapidement de la

main gauche les figures qui l'avaient beaucoup frappé et de la main droite

celles qui étaient le fruit suffisamment mûri de ses raisonnements ; ses

amis croyaient qu'il n'écrivait que de la main gauche. Mais ce témoignage

est trop moderne et de trop seconde main pour faire autorité, d'autant

plus qu'il y a controverse en ce qui concerne le rôle de la main gauche

dans les dessins de Vinci. ` .

Vasari (3), et c'est déjà plus décisif, parle des caratteri scritti con la

lancina a rorescio (caractères écrits à rebours avec la main gauche). Mais

le témoignage le plus concluant est celui de Luca Pacioli. Le mathémati-

cien Pacioli, surnommé de Burgo, était très lié avec Léonard : lors de

l'arrivée des Français à Milan il quitta cette ville avec lui, pour se rendre

à Florence. Léonard avait illustré de planches le livre de Pacioli : de dÙ'ina'

proportione. Les relations ont donc été très étroites entre les deux hom-

mes, et les renseignements fournis par Pacioli sur Léonard peuvent être

considérés comme de bonne et authentique source. Or voici ce que dit

celui-ci : « Il écrivait encore à rebours de la main gauche une écriture qui

ne pouvait se lire qu'avec un miroir ou en regardant le papier à l'envers à

contre jour. »

Toute l'explication de l'écriture de Léonard de Vinci réside dans ce fait

qu'il écrivait habituellement de la main gauche (e mancina). Il n'est donc

pas besoin de recourir pour en interpréter les causes à des hypothèses dont

nous avons montré l'invraisemblance. Léonard qui écrivait en miroir

longtemps avant d'avoir été paralysé de la main droite, n'a vraisembla-

blement jamais songé à se servir de cette manière pour dissimuler le sens

de ses écrits. Il écrivait naturellement à l'envers, simplement parce qu'il

était gaucher.

(1) E. 1U.NTZ, Communication écrite. Nous sommes heureux de remercier M. Muntz

de l'empressement avec lequel il a bien voulu répondre aux questions que nous

nous sommes permis de lui poser, et de l'obligeance avec laquelle il nous a fourni

diverses indications..

(2) GALLICHOY, Gaz. des Beaux-Arts, 1867. Cité aussi par Lovnrsoso, L'homme de

génie, p. 26,2'' éd., Paris, 1896. - Voir : GEY MuLLEH, Les derniers travaux de Léo-

nard de Vinci, p. 55 et 56.

(3) VASARI, éd. Milaneri, p. 37, t. IV.

(4) Voici le passage italien en entier, tel qu'il est reproduit par M. E. MUNT7, (loc.

cil., p. 16) : « Scrivesi ancora allo rovescia e mancina che non si posson leggere se

non con lo specchio,ovvero guardando la carta del suo rovescio contro alla luce, como

so m'intendi senz'altro dica, e corne sa il nostro Leonardo da Vinci, lume della pittura,

qual'mancino, corne piu volte e detto. » Dans l'ouvrage de M. Muntz ce passage est

donné comme extrait du de Divina proportione de Pacioli. Mais nous savons par

l'auteur que cette indication est erronée : le passage se trouve en réalité dans le de

viribus guantitatis.

ÉTUDE SUR L'OPHTALMOPLÉGIE CONGÉNITALE

(OPTHALMOPLÉGIE COMPLEXE)

PAR

CABANNES et B. V. BARNEFF

Médecin des hôpitaux

(de Bordeaux).

Les paralysies congénitales des muscles oculaires constituent un des

chapitres les plus intéressants mais des moins approfondis de la neuropa-

thologie. Elles représentent cependant une grande variété et c'est à leur

étude et à une tentative de classification que nous nous sommes attachés.

Au point de vue clinique, on peut les diviser en :

a) paralysies isolées ;

b) paralysies associées ;

c) paralysies complexes.

a) Les premières (paralysies isolées) assez communes comprennent :

1° le ptosis congénital (très souvent héréditaire et familial).

2° le strabisme congénital (dû à la paralysie congénitale d'un seul muscle

oculaire : droit interne, externe, supérieur, inférieur ou plus rarement

un des obliques).

b) Les secondes (paralysies asssociées ou combinées) comprennent :

1° La paralysie combinée du releveur de la paupière et du droit su-

périeur (ptosis et strabisme supérieur congénitaux).

2° Les paralysies associées du droit interne d'un côté et du droit ex-

terne du côté opposé.

3° Le ptosis congénital associé à des mouvements anormaux d'ouver-

ture de la mâchoire quand la paupière tend à se relever.

c) Les troisièmes (paralysies complexes) tiennent à une paralysie con-

génitale de la plupart des muscles oculaires. Elles sont constituées dans la

majorité des cas par la réunion des éléments suivants :

1° ptosis, paralysie du droit supérieur ;

2° paralysie ou parésie des droits interne, externe, inférieur;

3° paralysie ou parésie des obliques (plus rare) ;

616 CABANNES ET BARNEFF

4° intégrité de la musculature interne (sphincter pupillaire et muscle

ciliaire).

Nous avons désigné cette dernière forme de paralysie congénitale sous

le nom de paralysie complexe en raison du nombre considérable de mus-

cles atteints et des physionomies cliniques variées qui peuvent dépendre

du degré plus ou moins marqué d'intensité du trouble fonctionnel des di-

vers muscles. C'est à proprement parler l'ol)htalitiolilégie coïîgéîzitale ; il est

plus juste cependant de la désigner sous le nom d'ophtalmoplégie congéni-

tale externe, puisque la musculature interne reste toujours indemne. Nous

devons ajouter avant d'entrer dans son étude (car c'est à elle seule que cet

article sera consacré) qu'elle peut être associée à d'autres troubles paraly-

tiques congénitaux (paralysie faciale congénitale, anesthésie trigémellaire)

ou à d'autres malformations. /

Nous allons considérer dans son ensemble la question de l'ophtalmoplé-

gie congénitale tout en relatant au cours de notre exposé une observation

des plus typiques de cette curieuse affection (pour les détails consulter la

thèse de l'un de nous) (1).

La première observation authentique et vraiment complète d'ophtalmo-

plégie congénitale a été publiée en 1840 par Baumgarten. Cet auteur prit

son cas pour un strabisme interne bilatéral congénital ; il pratiqua même

une double ténotomie qui ne modifia aucunement la motilité de l'aeil.

Schrôder en 1872 constata l'intégrité des branches de l'oculo-moteur

destinées au sphincter de la pupille.

Steinheim (1877) signala une observation nouvelleoù leptosis très pro-

noncé tenait à une absence complète du releveur de la paupière supé-

rieure ; la ténotomie montra l'absence complète du droit supérieur. Les

facultés intellectuelles étaient incomplètement développées.

Puis vient une observation de Raehlmann (1878).

Heuck (1878) fait paraître un travail très intéressant sur la question

des ophtalmoplégies congénitales. Le premier, il signale l'importance du

caractère familial de quelques-unes d'entre elles et il admet, en se basant

sur les résultats de la ténotomie et sur les examens nécropsiques des mus-

cles oculaires d'un de ses malades, que la pathogénie de cette maladie tient

dans tous les cas à une anomalie dans le développement ou dans l'inser-

tion des muscles des yeux.

Schenkl (1881) se rallie à son opinion.

- Des faits nouveaux sontpubliés par Uthoff (1881), Rampoldi (1884).

Hirschberg (1885) relate deux observations d'ophtalmoplégie congéni-

tale et familiale, avec coexistence d'un épicantus dans l'une d'elles. Pour

.

(1) Barné V. Barneff, Contribution à l'élude de l'oplttalmoplégie congénitale . Th.

Bordeaux, 21 juillet 1900. '

ÉTUDE SUR L'OPHTALMOPLÉGIE CONGÉNITALE 617 7

lui, il faut invoquer une aphasie des centres portant sur les noyaux bul-

baires des nerfs moteurs des yeux. Lucanus (1886) admet dans son cas la

même pathogénie ; il incrimine une altération du système nerveux central

sans laquelle est impossible d'expliquer la conservation de la conver-

gence avec perte des mouvements de latéralité qu'il avait remarqués chez

son malade.

En 1888, Lawford communique une série de cas familiaux d'ophtalmo-

plégie complète. Les observations de Mauthner, Gast, Grauer, Lagrange,

Recken (1889), de Vossius (1892) apportent chacune quelque particularité

clinique intéressante : nous signalerons surtout celles de Recken où il y

avait coexistence de paralysie faciale et celle de Vossius dans laquelle on

note le fait curieux de l'ouverture des yeux lorsque le malade ouvrait la

bouche.

Gazépy (1894) attire l'attention sur la coexistence fréquente d'autres

anomalies de développement, en particulier la paralysie faciale, avec l'opll-

talmoplégie congénitale.

Gourfein (1897) revient à nouveau sur le caractère familial des oph-

talmoplégies congénitales et rapproche ses observations des cas d'amyo-

trophie étudiés pour des muscles d'autres régions du corps par Lan-

douzy, Déjerine, etc.

Enfin l'un de nous (Dr Cabannes)a eu la bonne fortune d'observer et

de suivre un cas d'ophtalmoplégie congénitale des mieux caractérisés et

des plus complets chez une enfant de deux ans.

En voici l'observation :

Alice N ? âgée actuellement de 28 mois, se présente pour la première

fois à notre examen (Dr Cabannes) au mois d'octobre 1899 à la Consultation

Ophtalmologique de l'Hôpital des Enfants.

Cette enfant ne présente rien de bien saillant dans ses antécédents hérédi-

taires. Sa mère a toujours été en très bonne santé ; cette dernière nous ap-

prend qu'elle a perdu son père d'une affection de poitrine à l'âge de 51 ans,

mais que sa mère est encore vivante et très bien portante. Elle n'a jamais

connu dans sa famille de gens porteurs d'affections oculaires congénitales

analogues à celle de sa fillette.

Elle a eu une première enfant (une fille également) actuellement âgée

de 9 ans, qui est née à terme, sans forceps, ni version. Cette enfant est

venue au monde en très bonne santé, elle n'a pas présenté de signes d'as-

phyxie des nouveau-nés. Elle a marché à 15 mois et elle n'a jamais eu de

convulsions, de crises de nerfs, de strabisme, de ptosis ou d'ophtalmo-

plégie. Elle ne bégaie pas, mais son teint est pâle, anémique, elle est un-

peu chétive. Elle n'a jamais eu de maladie et elle ne tousse pas.

La mère de cet enfant et de celle qui fait le sujet de notre- observation

618 CABANNES ET BARNEFF

et dont il sera question tout à l'heure, n'a jamais eu de fausses couches.

Voici les renseignements que nous avons obtenus du côté du père de

notre malade. Il n'est ni alcoolique, ni syphilitique, ni nerveux. La seule

maladie sérieuse qu'il ait eue date d'il y a 6 ans : à la suite d'un refroi-

dissement, en plein mois de juin, il a eu une fièvre continue qui a duré

neuf jours, s'accompagnant de maux de reins sans céphalée ni diarrhée

et qui semble avoir cédé à l'administration du sulfate de quinine. Au

moment où il a quitté le lit, il était très faible, sa vue était trouble et ce

n'est qu'après deux mois de convalescence qu'il a retrouvé sa force et

'qu'il a pu reprendre ses occupations ordinaires. Depuis ce moment-là, sa

santé a toujours'été excellente. '

Il nous apprend que son père actuellement âgé de 68 ans a toujours été

bien portant et que sa vue est très bonne ; que sa mère est nerveuse et se

plaint d'une maladie de coeur. Mais il affirme n'avoir jamais connu dans

sa famille de ptosis, de strabisme ou d'ophtalmoplégie.

La petite malade qui fait le sujet de notre observation est née à terme,

sans phénomènes asphyxiques, après un accouchement absolument normal.

Elle était seulement un peu chétive à sa naissance. Elle a commencé à

marcher et à parler à l'âge de 17 mois. Ses parents ont remarqué qu'elle

parlait un peu plus difficilement que les enfants de son âge. Elle n'a ja-

mais eu de convulsions, mais de tout' temps elle s'est enrhumée avec beau-

coup de facilité.

Ses parents sont très affirmatifs sur l'origine congénitale de l'affection

oculaire qu'elle présente. Elle est née les yeux fermés et ce n'est que

15 jours après sa naissance qu'elle a commencé à les ouvrir insensiblement.

Il semble même que l'une des deux paupières se soit dès le début relevée

avant l'autre, mais la mère ne sait pas nous dire quelle est celle qui a

commencé. Depuis, les yeux se sont toujours ouverts un peu plus et chaque

jour le ptosis diminue, mais d'une façon insensible. L'enfant avait 19 mois

(en août 1899) lorsque ses parents ont constaté l'immobilité des globes

oculaires pour la première fois ; ils nous disent cependant que de tout

temps, leur fillette tournait la tête dans tous les sens pour regarder et

suivre les objets qui l'entouraient. La vision était très bonne ; la compré-

hension et l'ouïe ont toujours été parfaites. Les dents se sont développées

normalement. La croissance seule est restée en retard ; née chétive, elle

est actuellement petite pour son âge (21 mois) et a l'apparence d'une en-

fant de 15 à 16 mois tout au plus.

Ce qui frappe à l'examen de cette petite malade, c'est tout d'abord son

ptosis double, à peu près également marqué des deux côtés, qui fait que

lorsqu'elle veut regarder en face, elle rejette fortement la tète en arrière.

Cette chute des deux paupières supérieures lui donne l'aspect d'une per-

ÉTUDE SUR L'OPUTALMOPLÉGIE CONGÉNITALE 619

sonne toujours endormie ou à peine éveillée et lorsqu'on la voit en outre

tourner la tête un peu de tous côtés pour voir tout ce qui l'entoure, on a

déjà presque porté son diagnostic d'immobilité des globes oculaires. L'ap-

parence des paupières tombantes est à peu près normale ; leur surface

cutanée est blanche, lisse, sans plis, avec un développement exagéré de

poils follets et une circulation veineuse sous-cutanée très marquée. Elles

ne sont ni infiltrées, ni oedémateuses et ne présentent pas de contractions

fibrillaires. Les sourcils sont normalement constitués, mais ils reposent sur

des arcades orbitaires supérieures aplaties surtout dans leurs partiesmoyen-

ne et interne. Les apophyses orbitaires externes sont moins saillantes qu'à

l'état normal. L'espace qui sépare la partie la plus saillante des deux sour-

cils du rebord libre des paupières est de 3 centimètres. Le front sans être

fuyant est moins saillant dans son ensemble que normalement ; il est plus

plat, sauf peut-être dans ses parties externes où existent des bosses laté-

rales peu développées. Il résulte de cette disposition qu'il surplombe

moins le globe oculaire et que le sillon orbitaire supérieur est moins

profond que d'habitude. Rien cependant dans l'orbite ne paraît soulever

ce sillon et le petit doigt introduit légèrement entre l'oeil et sa cavité ne

découvre aucune anomalie. Le rebord orbitaire inférieur et l'apophyse

malaire sont peu saillants; les os de la face symétriquement développés

ont subi une évolution en rapport avec les os qui entourent l'orbite. Les

cils sont normalement placés sur le rebord des paupières. Les fentes pal-

pébrales présentent une ouverture moyenne de. millimètres environ de

chaque côté ; cette ouverture est due à l'action du seul muscle releveur.

Elle atteint 7 millimètres à droite et à gauche lorsque les muscles frontaux

se contractent, contraction que rendent évidente l'apparition de plis

transversaux sur le front et le soulèvement bilatéral des sourcils. L'oc-

clusion des yeux s'effectue très normalement. Les yeux sont larmoyants,

particulièrement l'oeil droit, particularité qui s'est montrée dès la nais-

sance. Les points et les conduits lacrymaux ne présentent pas d'anomalie

apparente.

Lorsque le regard est horizontal (ce qui nécessite le rejet de la tête en

arrière) le tiers supérieur de la cornée est recouvert par le bord libre de

la paupière supérieure ainsi qu'une petite partie du rebord supérieur 5e

la pupille : celle-ci se découvre d'une façon complète dans les mouvements

d'élévation complète de la paupière supérieure (Ce mouvement est peut-

être un peu moins marqué à droite qu'à gauche). Lorsque la tête est pla-

cée dans la rectitude, on remarque que les axes visuels sont inclinés en

bas et en convergence ; cette convergence des axes existe même lorsque la

malade regarde un objet placé horizontalement, ce qui nécessite le rejet

4e la tête en arrière. L'oeil droit converge d'une façon plus marquée que

620 CABANNES ET BARNEFF

le gauche. Les mouvements en haut, en dehors et en bas sont entièrement

supprimés (action des droit supérieur, externe, inférieur et grand oblique),

faits dont on se rend compte en promenant des objets devant les yeux de

la petite malade en allant de droite à gauche et inversement. Lorsqu'on

fait examiner à la fillette un objet placé à sa gauche en immobilisent sa

tête, on constate que l'oeil droit converge fortement vers l'objet, tandis

que l'oeil gauche, au lieu de tourner lui aussi à gauche, se porte à droite

et converge par conséquent, comme l'oeil droit. A ce mouvement d'adduc-

tion se joint encore, mais à un degré plus faible, un mouvement de rota-

tion du globe oculaire (sous la forme de secousses nystagmiformes rares

autour d'un axe antéro-postérieur, de tell e sorte que l'extrémité supérieure

du méridien vertical s'incline en dehors. Il est aisé de reconnaître dans

cette double action la conservation de la fonction des droits internes et

des petits obliques. Des phénomènes identiques se produisent si l'enfant

essaie de regarder un objet placé à sa droite.

Il n'existe pas de différences bien sensibles dans l'état des deux yeux et

la description qui précède s'applique avec autant de vérité à l'oeil droit

qu'à l'oeil gauche.

Les pupilles, égales, ont environ 2 millimètres de diamètre de chaque

côté; elles sont rondes. Le réflexe lumineux est normal des deux côtés.

Le réflexe à l'accommodation est très difficile à rechercher. Il ne nous a

pas été possible, vu l'âge de la malade, de mesurer l'acuité visuelle ainsi

que l'étendue du champ visuel et du champ de regard. L'examen oph-

talmoscopique assez difficile à pratiquer nous a permis de constater une

excavation physiologique bilatérale et légère des deux pupilles dont les

vaisseaux, naissant à une faible distance du rebord interne du disque op-

tique, sont représentés par quatre branches, deux supérieures, deux infé-

rieures qui quittent rapidement la papille pour aller se diviser ensuite

plus loin à la surface de la rétine. Les segments externes des papilles sont

bordés par des croissants staphylomateux (peut-être un peu plus marqués

à gauche), à contours réguliers et à surface rosée, peu pigmentée. Le reste

du fond de l'oeil est entièrement normal : pas d'exagération ou de dispo-

sition spéciale du pigment, pas de colobome du nerf optique ou de la

choroïde.

L'étude de la réfraction montre que notre malade est emmétrope.

Il n'y a rien à signaler de spécial du côté des autres organes des sens.

La mimique faciale est conservée ; l'enfant rit et pleure comme les au-

tres enfants. Lorsqu'elle rit, elle cligne les yeux un peu plus que norma-

lement.

Les mouvements des membres se font très convenablement.

La marche est normale ; la petite malade court et s'amuse parfaitement.

ÉTUDE SUR L'OPHT1L11LOPLÉGIE CONGÉNITALE 621 i

Tous les réflexes sont intacts ; le réflexe palpébral se produit très bien.

La sensibilité est également intacte, autant' sur les membres que sur les

deux parties symétriques de la face. Les points d'émergence du trijumeau

ne sont pas douloureux à la pression : il n'existe en aucun point de trou-

bles trophiques, ni d'hémiatrophie ou d'hémihypertrophie de la face.

L'enfant est très nerveuse ; elle se met facilement en colère. Elle crie

alors et pleure longtemps. Elle n'a jamais de crises de nerfs.

On ne découvre pas non plus de malformation congénitale en d'autres

points du corps et tous les appareils fonctionnent normalement (digestif,

circulatoire ou pulmonaire). Rien de spécial du côté des urines ou de

l'appareil rénal.

Cette petite malade, observée pour la première fois au mois d'octobre

1899, a été revue par nous en février puis en avril 1900. Nous avions con-

seillé aux parents l'expectative, ainsi que des massages quotidiens sur les

paupières et la région frontale. Il semble que, dans nos derniers examens,

les paupières supérieures se relevaient peut-être un peu mieux, surtout

la gauche.

La mobilité des yeux s'est aussi un peu améliorée. Il n'y a cependant

pas des progrès bien sensibles de ce côté-là.

' La dernière fois que nous avons vu la malade, elle était assez fortement

enrhumée depuis quelques jours déjà et présentait un peu de fièvre. Son

état général était cependant assez satisfaisant.

L'enfant nous est ramenée le 4 septembre 1900 ; elle est à ce moment-

là âgée de trois ans moins deux mois.

La santé générale est bonne ; son développement physique et intellec-

tuel se fait bien. Son oeil droit larmoie un petit peu au soleil et surtout

au vent. La mobilité des paupières et celle des yeux ne paraît pas s'être

sensiblement améliorée : cependant, au dire des parents, l'oeil gauche re-

muerait par moments un peu mieux que le droit.

Nous avons recueilli dans la science et analysé avec soin 43 observa-

tions d'ophtalmoplégies congénitales répondant au type que nous avons en

vue. Le sexe masculin est atteint dans la proportion de 65 0/0, le sexe

féminin est représenté par le chiffre de 35 0/0. Dans la moitié des cas

environ, l'affection est héréditaire et familiale ; très exceptionnellement

la maladie est familiale sans être héréditaire. Toujours congénitale, elle

est isolée ou associée à d'autres malformations également congénitales,

telles que aplatissement du rebord inférieur de l'orbite, de l'apophyse

malaire et de l'arcade soucilière, coexistence d'épicantus, de circulation

veineuse et de poils follets sur les paupières, protrusion du globe oculaire,

excavation de la papille et staphylome, pigmentation anormale du fond

622 CABANNES ET BARNEFF

de l'oeil; malformation des doigts, des mains, des pieds, anesthésie du

trijumeau, paralysie faciale : La croissance de l'enfant peut se faire avec

lenteur (Cabannes) et ses yeux restent fermés jusqu'à 15 jours après sa

naissance.

. Les antécédents héréditaires directs manquent le plus souvent : on a

noté cependant, mais titre exceptionnel, a syphilis (Tilley),la tuberculose

des parents (Heuck), la consanguinité. L'infection que l'on a le plus sou-

vent rencontrée chez les parents, c'est le paludisme signalé à deux repri-

ses par Jocqs-et par Cabannes. Il n'existe aucun document relatif à l'al-

coolisme ou à l'existence de malformations autres que l'ophtalmoplégie

elle-même, chez les ascendants. On ne parle pas non plus de fausses cou-

ches chez les mères.

L'étude des antécédents collatéraux est aussi muette : dans un cas seu-

lement une tante d'un malade était atteinte de strabisme.

Description clinique (1). Les parents qui accompagnent les jeunes

malades, ou les malades eux-mêmes lorsqu'ils viennent seuls, prétendent

que de tout temps ils ont eu une attitude spéciale : dans la marche, pour

se guider, ils rejettent fortement la tête en arrière. La malade de Luca-

nus était obligée de relever le menton si haut que son niveau venait attein-

dre celui des lobules des oreilles. '

Le malade de Schenkl ne pouvait aller sans guide dès, qu'on redressait

sa tète. Les patients tournent aussi la tête de tous côtés pour voir. Dans le ,

cas de Mauthner, la tête était toujours tournée vers la droite, elle se rele-

vait et s'abaissait à tout propos.

Ce qui frappe tout d'abord à l'examen des malades, c'est la chute des

paupières supérieures; le ptosis existe dans toutes les observations ; il est

bilatéral, généralement aussi marqué d'un côté que de l'autre, inégal ce-

pendant dans un cas de Heuck et dans celui de Mauthner. La hauteur de

la paupière mesurée depuis le point culminant du sourcil jusqu'au bord

ciliaire est de 3 centimètres dans notre cas, de 28 millimètres dans le

premier cas de Hirschberg, et de 20 millimètres dans le second cas de

Hirschberg. L'aspect des téguments de la paupière tombante n'est ordinai-

rement pas indiqué ; dans la première observation de Heuck, la peau

était lisse et portait une cicatrice linéaire, vestige d'une opération faite

antérieurement ; dans notre observation (Cabannes) la peau était lisse,

mais des poils follets et surtout un réseau veineux sous-cutané s'y mon-

traient d'une façon très marquée.

Le ptosis est habituellement incomplet et l'ouverture de la fente palpé-

brale notée dans quelques cas (Schenkl, cas de Heuck, 2 cas de Hirschberg,

(1) Ce chapitre que nous avons fait en collaboration a paru intégralement dans la

thèse précitée (de Barneff).

ÉTUDE SUR L'OPHTALMOPLÉGIE CONGÉNITALE 623

Gast, Cabannes) varie entre 4 et 9 millimètres d'étendue. Ces chiffres sont

égaux des deux côtés ou bien rarement il existe une différence de 1 à 3

millimètres en faveur de l'une ou de l'autre ouverture palpébrale(Schenkl,

Heuck). Dans le dernier cas de Gourfein la fente des paupières n'existait

pour ainsi dire plus et le ptosis était presque complet. En réalité le rele-

veur n'est ordinairement pas entièrement aboli ; le peu de fonction qui

lui reste opère et maintient l'ouverture de la fente palpébrale, mais le sou-

lèvement de la paupière supérieure qu'il produit est toujours minime. La

contraction adjuvante du frontal qui se manifeste par l'apparition de plis

transversaux sur le front et par le soulèvement des sourcils arrive ordi-

nairement, mais pas toujours, à augmenter l'étendue verticale de la fente

palpébrale ; dans quelques observations (Schenkl, Schruder, Heuck, 1 ? cas,

Cabannes, cas de Gourfein) cette fente augmente de la sorte de 2 à 4 milli-

mètres de hauteur. L'occlusion des yeux s'effectue d'une façon normale.

La coexistence de l'épicanthus et du ptosis est notée dans le 2e cas

de Hirschberg. Les rebords orbitaires et les portions accessibles de la ca-

vité orbitaire sont ordinairement sains. Les arcades sourcilières étaient

aplaties dans toute leur longueur dans les 5 observations de Gourfein, dans

leurs 2/3 internes dans notre observation ; lesapophyses orbitaire externe

et malaire ainsi que la surface du frontal étaient aussi dans notre cas plus

aplaties que normalement.

Il est des cas (Cabannes) où les yeux sont toujours larmoyants bien qu'il

n'existe aucune anomalie apparente des voies lacrymales.

La protrusion des deux globes oculaires est observée par Schenkl dans

son observation; elle était aussi bilatérale mais extrêmement marquée

pour l'oeil gauche dans un cas de Heuck. L'oeil droit présentait un volume

énorme dans l'observation de Baumgarten. Habituellement cette exophtal-

mie manque et les yeux ont leur profondeur normale. Dans le cas de

Mauthner, l'oeil droit (Hyperm.) était même un peu exophtalme.

Les axes des yeux sont souvent inclinés en bas (Schenkl, cas de Heuck,

Cabannes, Lucanus, Tilley, Stenheim, Raehlmam, Uthoff, Rampoldi) au-

dessous du plan horizontal suivant un angle qui varie entre 22" et 40°.

On peut remarquer, d'après les constatations de Heuck qui a fait sur ce

point des recherches très précises, que cet angle n'est pas toujours égal

pour les deux yeux et dans trois cas (Heuck) il y avait entre la valeur de

chacun des angles correspondant aux deux yeux chez un même malade une

différence variant entre 6° et 10°.

Les axes des yeux sont en outre habituellement convergents. Dans les

cas de Schenkl, Hirschberg, Schroder, Raehlmam, Uthoff, Rampoldi, ils

étaient divergents. Enfin dans l'observation de Mauthner, l'oeil gauche

était convergent, l'oeil droit était divergent de telle sorte que les deux yeux

624 CABANNES ET BARNEFF

étaient tournés vers la droite et un peu inclinés en bas. D'autres fois un

seul oeil diverge, le droit (Lawford).

L'étude des mouvements des yeux montre que les muscles extrinsèques

sont généralement plus ou moins complètement paralysés. Certains d'entre

eux semblent dans quelques cas plus volontiers épargnés d'une façon plus

ou moins complète. Ainsi sur les 17 observations que nous avons soigneu-

sement analysées, nous trouvons le muscle droit supérieur paralysé dans

tous les cas, deux fois seulement (dans les 4 cas de Lawford, dans ceux

de Gunn, dans le le, de Heuck et le leur de Hirschberg) sa paralysie est in-

complète. Le droit inférieur et le droit externe viennent ensuite : 13 fois

leur mobilité est entièrement abolie, 2 fois elle l'est partiellement, dans

2 cas de Heuck pour le droit externe; dans le le, cas de Heuck et le 1 eu

de Hirschberg pour le droit inférieur.

Dans 2 autres cas, le droit inférieur (Lucanus et Gast) et le droit externe

(3e cas de Gourfein, 2° cas de Hirschberg) sont entièrement indemnes. Le

petit oblique est complètement paralysé dans 11 cas; dans 3 autres (1er,

3e et 4° de Heuck) il conserve un peu de sa fonction.Dans 3 cas (Cabannes,

Mauthner, 2' cas de Hirschberg) il est entièrement sain.

Le droit interne est dans 10 cas complètement paralysé ; dans un cas, sa

fonction est diminuée (leur de Heuck).Dans 6 cas elle est tout à fait conservée

[2 derniers de Heuck, Cabannes, Mauthner (oeil gauche),Gourfein (3e cas),

Hirschberg (2" cas), Gast].

Le grand oblique est complètement paralysé dans 10 cas, partiellement

dans 6 (2 derniers de Heuck, Raehlmam, Schenkl, Uthoff, Hirschberg) ;

il est indemne dans 5 cas (2e, 3e de Heuck, Mauthner,Lucanus, 1" de Hirsch-

berg). Ces paralysies atteignent ordinairement d'une façon égale les deux

yeux, ce n'est que dans des circonstances rares que nous voyons un oeil re-

lativement indemne (` ? ° cas de Heuck et Mauthner) alors que la mobilité

de l'autre est presque entièrement abolie.

Il est aisé de comprendre d'après cette énumération que, suivant le nom-

bre des muscles atteints et l'intensité de la paralysie, les mouvements res-

tants seront plus ou moins limités. Tantôt, et c'est le cas le plus ordinaire,

on n'obtient que des mouvements de convergence, quelleque soitla direction

du regard (à droite ou à gauche) ; dans ces conditions les mouvements asso-

ciés de latéralité ne peuvent être obtenus. Le plus ordinairement la paraly-

sie des mouvements de latéralité se complique de celle de la convergence.

Il existe des cas cependant où celle-ci reste normale alors que les premiers

sont abolis (Heuck, Uthoff, Lucanus, Lawford, Recken, Cabannes). Cepen-

dant dans l'observation de Mauthner le regard à droite était le seul possible ;

mais c'est là une exception. Par contre la convergence peut se produire

jusqu'à une distance très rapprochée de l'oeil et la vision binoculaire au

ÉTUDE SUR t'OPIITALMÜPLtGIE CONGÉNITALE 628

moins dans quelques cas (2 derniers de Heuck, Cabannes et Lucanus) est

suffisante pour la vision de près.

A ces mouvements de convergence s'associent le plus souvent, lorsque

les obliques sont partiellement ou complètement intacts, des mouvements

de rotation du globe oculaire : ainsi dans 5 cas (Mauthner, " de Heuck,

2e de Hirschberg, Lucanus, Cabannes) l'extrémité supérieure de l'axe verti-

cal s'incline en dehors, sous forme de petites contractions, presque nystag-

miformes (Cabannes). Ces mouvements sont dus à l'action du petit oblique.

Dans deux autres cas (Hirschberg) l'inclinaison de l'extrémité supérieure de

l'axe se faisait au contraire en dedans à cause de la conservation delà fonc-

tion du grand oblique. Ces divers mouvements surajoutés sont plutôt es-

quissés que nettement effectués ; ils ne se produisent pas seulement dans

la sphère d'action des obliques, maisaussi sous l'influence des autres mus-

cles de l'oeil, alors que ceux-ci sont incomplètement paralysés et que leur

contraction n'est qu'une secousse légère et peu étendue, tendant à dépla-

cer l'oeil dans le sens de l'action du muscle atteint. Ces secousses surve-

nant dans les efforts ou dans les mouvements extrêmes ne sont en réalité

que des mouvements nystagmiformes. Le vrai nystagmus est assez rare ; il

existe cependant dans les 5 observations de Gourfein et dans le 2e cas de

Hirschberg. Les oscillations sont habituellement rotatoires, intermittentes ;

plus rarement elles s'effectuent dans le sens horizontal (5e cas de Gourfein)

ou bien encore consistent en mouvements de divergence alternant avec des

mouvements convulsifs de convergence.

Il existe de l'inégalité pupillaire dans le premier cas de Lawford, dans

celui de Raehlmann.

Les pupilles sont ordinairement égales et rondes. Leur diamètre est de

2 millimètres (Cabannes), de 3 millimètres (Gast). Les réflexes pupillaires

à la lumière et à l'accommodation sonthabituellement conservés ou bien ils

répondent mal aux incitations lumineuses (Lawford).

Ils se produisent aussi pour la convergence (,le' cas de Heuck). Dans le

dernier cas de Gourfein, le réflexe lumineux est le seul qu'on obtienne ;

le jeune âge du malade n'a pas permis de se rendre compte du réflexe de

l'accommodation. Dans deux observations (Schenkl, Cabannes) les pupilles

se dilataient très bien sous l'influence de l'atropine.

On ne signale dans aucun cas d'anomalie dans la structure de l'iris, du

cristallin ou du corps vitré. Nous devons ajouter que l'on ne trouve dans

aucun cas de modification dans l'aspect ou la forme des globes oculaires et

que la tension de ces derniers recherchée dans 3 cas (Lucanus, Gast, Ca-

bannes) n'offre rien d'anormal.

L'examen ophtalmoscopique pratiqué dans 8 cas (Schenkl, Cabannes,

3 premiers cas de Gourfein, Lucanus, 1ex cas de Hirschberg et Gast) mon-

xm 41

626 CABANNES ET BARNEFF

tre une papille ronde et normale dans 4 cas (Schenkl, Cabannes, 3° de

Gourfein, 1" de Hirschberg), excavée dans une étendue plus ou moins

grande dans 4 cas (Lucanus, Gast, 2 premiers cas de Gourfein), entourée

d'un croissant staphylomateux situé dans la région temporale dans 3 cas

(Schenkl, Cabannes, 1er de Gourfein), au-dessus de la papille en forme de

cône à sommet en haut dans l'observation de Lucanus ; enveloppant tout

le contour de la papille mais plus marqué dans la région externe (cas de

Gast). La couleur de la papille est blanche dans le 2° cas de Gourfein.

Elle est atrophiée dans le cas de Schrôder, excavée bilatéralement dans

1 observation de Raehlmann. Les vaisseaux centraux naissent du centre de

la papille ordinairement ; mais ils peuvent naître près de l'un des côtés,

le côté interne (Cabannes). Leur calibre est habituellement normal ; dans

le cas de Gast, il existait à leur niveau du pouls veineux mais pas de pouls

artériel. Le reste du fond de l'oeil ne présente pas d'anomalie ; la pigmen-

tation est ordinairement normale ; dans 2 cas (Schenkl, Gast) elle se dis-

posait sous forme de granulations assez volumineuses simulant même

(Gast) la rétinite pigmentaire, mais s'en distinguant cependant par le vo-

lume moindre et la coloration moins intense des taches pigmentaires.

L'acuité visuelle recherchée à peu près dans toutes les observations est

presque toujours représentée par un chiffre inférieur à la normale. Elle

varie entre 1/10, 1/6, 1/3 et 1. Elle est égale dans les 2 yeux (leur cas

de Heuck, 3e cas de Ueuck, 1er et 30 cas de Gourfein) ou inégale pour

l'oeil droit et l'oeil gauche du même sujet (2" et 4c cas de Heuck, Mauth-

ner, 2a cas de Gourfein). Dans le seul cas de Mauthner, nous trouvons

l'acuité visuelle égale d'un côté à l'unité. Dans 6 cas (Schenkl, Cabannes,

Lagrange, tue et 5e de Gourfein, e de Hirschberg) l'acuité n'a pas été re-

cherchée ou n'a pu être mesurée à cause du bas âge des malades.

L'étude de la réfraction montre de l'hypermétropie peu élevée dans

3 observations (Schenkl. Mauthner et Gast, Lawford, Schenkl). Dans l'ob-

servation de Mauthner l'oeil droit seul était hypermétrope, le gauche était

emmétrope. Dans celle de Gast, il existait de l'hypermétropie légère il

droite, de la myopie légère à gauche. Les deux yeux sont myopes à des

degrés divers dans le 1er et le 2e cas de Gourfein, dans le cas de Schrôder,

de Raehlmann, Lawford, Gazépy ; ils sont emmétropes dans notre obser-

vation.

L'astigmatisme se rencontre assez rarement ; il est cependant noté dans

les deux premières observations de Gourfein. Le plus souvent, c'est de

l'astigmatisme hypermétropique (Rampoldi, Uthoff) aux deux yeux ou à

un seul oeil, l'autre étant normal, myope ou atteint d'astigmatisme myo-

pique.

La lecture se fait à une distance normale ou bien un peu rapprochée

ÉTUDE SUR L'OP11TALVIOPLT : GIE CONGÉNITALE 627

(cas de Heuck). Le malade de Mauthner ne pouvait lire que lorsque le

livre était placé à sa droite. Dans.la plupart des cas, sans doute à cause

du jeune âge des malades, il n'existe pas d'indications au sujet de la lec-

ture.

Il en est de même pour les points suivants que nous serons dans l'obli-

gation de citer d'une façon rapide.

La diplopie n'existe pas habituellement (Schenkl, 1 er cas de Heuck,

Mauthner, 1er cas de Hirschberg), ou bien elle se produit dans le regard

de côté et non dans le regard en haut (Lucanus), ou bien elle est périodi-

que (Baumgarten) ; d'autres fois elle est provoquée par l'interposition d'un

prisme faible entre l'oeil et l'objet.

Dans presque tous les cas la recherche du champ visuel est difficile

parce que les malades ne peuvent pas fixer du tout ou bien parce qu'ils

fixent mal. Il est normal dans deux cas (Lucanus, Gast), rétréci dans sa

moitié supérieure (1er cas de Heuck) à cause de l'inclinaison en bas des

axes oculaires.

L'état de la vision des couleurs recherché dans quelques observations

est normal (Schenkl, 1er et 3e cas de Gourfein).

Telles sont les considérations cliniques concernant l'état de l'oeil dans

17 cas d'ophtalmoplégies congénitales que nous avons analysés.

Les autres organes des sens sont normauxdans le ler et le 2e cas de Gour-

fein. L'ouïe est très bonne dans le cas de Schenkl et dans le nôtre. On la

trouve profondément altérée dans le 3e cas de Heuck, à cause de per-

forations bilatérales du tympan consécutives à un vieux catarrhe de la caisse

datant de l'enfance.

Le facial, le trijumeau et les autres nerfs crâniens sont dans presque

tous les cas en très bon état. Il existe cependant de l'anesthésie trigémellaire

et de la surdité unilatérale dans un cas de Gazépy ainsi que des malforma-

tions des doigts. Le facial estparésié ou paralysé entièrement (Recken).Tous

les muscles de l'organisme fonctionnent bien, on ne trouve'pas ailleurs

d'autres lésions musculaires. La sensibilité et les réflexes sont normaux.

L'intelligence est normale. Aucun malade n'est idiot ni arriéré au point

de vue intellectuel. Le crâne est bien conformé, les os des membres sont

bien constitués à l'exception du 3e cas de Heuck où les épiphyses sont vo-

lumineuses (rachitisme).

L'état général des malades est excellent. Dans 3 cas.( 1 or et 2" de Gour-

fein, Cabannes) les malades sont chétifs et peu musclés. Dans notre obser-

vation, la petite malade âgée de zig mois paraissait à peine avoir 18 à

19 mois.

. Évolution.-On ignore entièrement (l'affection étant d'origine intra-uté-

rine) dans quel ordre se montrent les différents symptômes oculaires pré-

628 CABANNES ET BARNEFF

sentes par les malades. Il est probable cependant que les diverses para-

lysies musculaires sont contemporaines.

Quoi qu'il en soit, l'affection ne frappe pas toujours à la naissance l'at-

tention des parents, sans doute parce que le ptosis est incomplet et qu'il

existe un certain degré d'ouverture palpébrale. Dans notre observation,

le ptosis était complet à la naissance, et la fente palpébrale ne commença

à devenir manifeste que 15 jours après la naissance.

L'affection ainsi constituée reste ordinairement stationnaire toute la vie

(Lucanus). Dans certains cas rares, le ptosis et l'immobilité des yeux dimi-

nuent mais d'une manière presque insensible (Cabannes) ; dans d'autres

l'immobilité s'exagère (Heuck) sous l'influence des études (Schenkl).

Pour établir sur des bases solides la palhogénie des ophtalmoplégies ' "

congénitales, il faudrait avant tout des documents précis au sujet de l'état

des muscles de l'oeil, des nerfs de l'orbite, de leurs noyaux bulbaires et

de leur trajet intra-cérébral ainsi que de la représentation corticale mal-

heureusement encore hypothétique des fibres constitutives de ces différents

nerfs.

Les renseignements les plus complets concernent peut-être l'état des

muscles des yeux : position reculée de l'insertion des tendons musculaires

sur le globe, des droits supérieur et externe dans un cas de Heuck où

l'opération fut pratiquée, de tous les muscles de l'oeil à l'exception du

droit interne (la position du tendon de ce muscle étant normale) et du

grand oblique dont l'insertion était avancée, dans un second cas de Heuck

suivi d'autopsie. Rossi, Dieffenbach ont aussi rencontré de semblables

anomalies chez des strabiques.

Le muscle anormalement inséré peut être grêle, gracile, tout en con-

servant les apparences du tissu musculaire, ou bien il offre un aspect et

une structure fibro-membraneuse (Hotz, Baumgarten, Uthoff). D'autres

fois, les muscles peuvent être soudés entre eux(01bers, Wrisberg) ou avec

les parties voisines (Morgagni).

On peut se demander aussi si certains muscles ne peuvent pas manquer

entièrement dans les ophtalmoplégies congénitales, bien que le fait n'ait

été rencontré dans aucun des rares examens pratiqués dans ces cas. Macken-

zie, Wrisberg, Klinkoch et Sclnn ont observé des cas d'absence totale de

tous les muscles des globes oculaires bien que ceux-ci fussent présents.

Cette absence peut aussi être partielle (Cazeau, Steinheim, Seiler). La

combinaison de diverses anomalies dans l'état des muscles (recul des ten-

dons, leur soudure, etc.) est encore possible.

Tels sont les documents que nous possédons sur l'état des muscles ex-

ÉTUDE SUR L'oPHTAL1110PLÉGIE CONGÉNITALE 629

trinsèques des yeux dans l'ophtalmoplégie congénitale. La musculature

intrinsèque n'a jamais été examinée.

Voici maintenant les courts renseignements qui concernent l'état du sys-

tème nerveux : dans la seule observation qui fut suivie d'autopsie (Heuck),

les nerfs de l'orbite étaient d'apparence normale. L'examen microsco-

pique n'en a malheureusement pas été fait. De plus les nerfs oculaires

n'ont pas été poursuivis dans leur trajet intua-crânien jusqu'aux noyaux

bulbaires, et rien n'est dit sur l'état du cerveau et des autres nerfs crâ-

niens.

Nous ne trouvons de renseignements plus précis sur l'état du système

nerveux que dans un cas de Bernhardt relatif à une paralysie partielle des

muscles des yeux compliquée de paralysie faciale congénitale, dans lequel

les noyaux bulbaires étaient entièrement normaux. Iteubner'a, d'autre

part, observé des névrites du moteur oculaire commun d'origine intra-

utérine (peut-être syphilitiques).

On peut penser aussi, bien que le fait n'ait pas été démontré pour

l'ophtalmoplégie congénitale, à l'absence congénitale possible d'un ou plu-

sieurs des nerfs oculaires : Seiler et Cerutti ont vu la presque totalité des

nerfs orbitaires manquer dans trois cas d'hydrocéphalie compliqués de

microphtalmie.

Quoi qu'il en soit, la pathogénie de l'ophtalmoplégie congénitale reste

encore entourée d'obscurités : la rareté et l'insuffisance des examens pra-

tiqués au cours d'opérations ou post montera ne permettent pas de décou-

vrir un substratum anatomique solide pouvant par analogie s'appliquer à

tous les faits. On s'est contenté de faire des hypothèses.

« Les uns (Manthner, Gast, Lucanus, Hirschberg), partisans fervents de

la théorie nerveuse, incriminent dans leur cas la paralysie ou le défaut de

développement des noyaux bulbaires qui président au fonctionnement des

nerfs moteurs des yeux ; les autres (Schenkl, Becker et Heuck surtout)

ont défendu avec énergie la théorie musculaire. Or, ces deux ordres de

théories, aussi séduisantes qu'exclusives, sont passibles de nombreuses

objections. Nous ne saurions mieux faire, pour rendre un compte exact de

ces différentes opinions, que de résumer les grandes lignes du débat qui a

été si explicitement exposé dans le travail de Kunn » (in thèse Barneff,

loc. cit.).

Après avoir exposé et discuté les arguments mis en avant par les parti-

sans de la théorie nerveuse et de la théorie musculaire, Kunn émet une

conception qui, fondée sur le développement embryogénique, constitue

une interprétation des plus originales, des paralysies congénitales en gé-

néral, et des ophtalmoplégies congénitales en particulier.

Pour cet auteur, on doit considérer l'appareil de motilité des yeux

630 CABALES ET BARNEFF

comme un mécanisme composé à la façon d'une chaîne, de plusieurs arti-

cles : le centre cortical, dont le siège nous est inconnu, les voies qui vont

de ce centre aux amas ganglionnaires sub-corticaux, les centres sub-corti-

caux eux-mêmes, les nerfs des muscles oculaires et enfin les muscles ocu-

laires sont les diverses parties constituantes de cette chaîne. Ces différents

éléments, se développant indépendamment les uns des autres, n'offrent

pas dès le début de relations entre eux. Leur dépendance réciproque ne

s'établit que lorsqu'ils sont complètement et normalement ébauchés. Dès

lors il est aisé de comprendre que si l'un des articles de la chaîne manque

ou se développe mal, il en résultera des troubles plus ou moins profonds

et durables dans la motilité des muscles oculaires. Kunn apporte l'appui

de son opinion les deux autopsies de Léonowa concernant des foetus privés

congénitàlement de cerveau et de moelle et chez lesquels les muscles ocu-

laires ainsi que ceux du corps étaient tout à fait normaux. II en conclut à

l'indépendance de développement des muscles et de la moelle. Si la rela-

tion ne s'établit pas entre ces organes, par suite d'un arrêt dans l'évolu-

tion de l'un des chaînons nerveux, il en résultera un trouble de la moti-

lité, mais avec intégrité des fibres musculaires; celles-ci dégénèrent au

contraire, si une lésion est survenue dans le système nerveux lorsque l'as-

sociation fonctionnelle précitée était déjà établie.

Telle est la thèse défendue par Kunn ; elle concilie d'une façon par-

faite, nous semble-t-il, les opinions des partisans exclusifs de la théorie

nerveuse et de la théorie musculaire. Elle nous paraît aussi la plus ra-

tionnelle et la plus scientifique : aussi l'admettrons-nous intégralement

en espérant cependant que des faits anatomo-pathologiques nouveaux

viendront à l'avenir lui donner un appui plus solide.

1 Telle est l'ensemble des considérations qui nous ont été suggérées par

l'étude de l'ophtalmoplégie congénitale.

Laissant un peu de côté la pathogénie, qui est encore purement hypo-

thétique, nous nous sommes surtout attachés à faire une classification

clinique. Elle peut se résumer dans la proposition suivante :

A côté des formes isolées et partielles des paralysies congénitales des

muscles des yeux, formes qui sont parfaitement connues, il en existe une,

plus rare, et qui n'a pas encore été nettement séparée au point de vue

nosographique : nous proposons de l'appeler Ophlalmoplégie complexe, par

opposition avec les premières et de lui réserver désormais une place à

part dans la pathologie, en raison de sa physionomie clinique bien spé-

ciale et vraiment curieuse.

UNE OBSERVATION

DE

il TROPHOEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE

PAR

M. LANNOIS

Agrégé, médecin des hôpitaux de Lyon.

M. Henry Meige a bien mis en évidence, dans le groupe si confus des

oedèmes d'origine névropathique, une forme spécifiée par son caractère

héréditaire et familial. Il lui a donné les noms de dystrophie oedémateuse

héréditaire ou de trophoedème chronique héréditaire (1), cherchant à indiquer

sous ce nom les traits d'une affection encore peu connue. C'est, dit-il, « une

affection oedémateuse héréditaire et familiale, capable d'envahir progres-

sivement de bas en haut les membres inférieurs, tantôt un seul, tantôt les

deux à la fois, s'arrêtant soit au cou-de-pied, soit au genou, soit à la

racine de la cuisse, affection indolore, apyrétique, chronique et perma-

nente, qui n'entraîne aucun trouble de la santé générale et peut même

persister jusqu'à un âge avancé ».

Les faits de ce genre sont rarissimes, ajoute-t-il. Et il n'arrive à citer

dans l'historique de cette forme héréditaire et familiale que les noms de

Desnos, de Higier et de Milroy.

Desnos (2), décrivant en 1891 une variété d'eedéme lié à l'arthritisme

et à la névropathie, sous le nom d'oedème rhumatismal chronique lui donne

entre autres caractères celui d'être plus fréquent chez les femmes et, au

point de vue héréditaire, de se trouver le plus habituellement dans la ligne

maternelle.

Higier (3), s'occupant des oedèmes aigus et chroniques dans quelques

névroses, en particulier dans l'hystérie, donne la description d'un oedème

variable, mais pouvant durer toute la vie. Il n'est pas rare qu'il soit héré-

ditaire.

(1) H. Meige, Il^ Congrès des Aliénisles et Neurologistes, Angers, 1898. - Presse

médicale, decembre 1898. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, novembre-dé-

cembre 1899.

(2)DESxos, Soc. méd. des hôp., févr. 1891.

(3) IliciEit, Saint-Petersburger med. 'Vochensch., 1894.

632 LANNOIS

Mais le cas le plus remarquable est celui de Milroy (1). Sur 97 indivi-

dus de la même famille échelonnées sur six générations, 22 ont été atteints

de cet oedème des extrémités inférieures.

Le cas de M. Meige lui-même pour ne pas porter sur un aussi grand

nombre de malades, n'en est pas moins des plus intéressants : «Sur per-

sonnes de la même famille, échelonnées sur quatre générations, dont cinq

actuellement vivantes, on retrouve un oedème dur, blanc, indolore, chro-

nique, s'étant montré à l'âge de la puberté, occupant tantôt les pieds et

les jambes, tantôt la totalité des membres inférieurs et généralement les

deux côtés. »

Lorsque M. H. Meige fit sa communication à Angers, j'observais préci-

sément la première malade dont je rapporte ci-dessous l'histoire et pour

laquelle on avait songé au myxoedème. Mais ce diagnostic ne me satisfaisait

pas en raison de la vivacité intellectuelle conservée, de l'intégrité de la pa-

role, de l'aspect des doigts, de la conservation des règles, etc., et surtout

de l'absence de tout résultat par le traitement thyroïdien.

En interrogeant alors cette malade j'appris que sa mère et une de ses

soeurs présentaient des troubles analogues aux siens, quoique moins mar-

qués, et tout récemment je pus examiner une de ses nièces, une fillette de

trois ans dont les pieds étaient nettement oedématiés.

Ce sont ces faits que je publie ici à titre de contribution à l'histoire d'une

affection rare.

OBs. Il La nommée P... (Virginie), femme B..., âgée de 38 ans, entre dans

le service des maladies nerveuses le 6 août 1897.

Son père fréquente depuis longtemps la consultation externe pour de l'épi-

lepsie essentielle à crises fréquentes (il a succombé ultérieurement à des acci-

dents cardiaques).

La mère est vivante et bien portante, mais elle présente un oedème de la

jambe gauche sur lequel nous aurons à revenir (Obs. II). '

Notre malade a eu dix frères ou soeurs dont quatre sont morts en bas âge.

Sur ce nombre deux seulement ne jouiraient pas d'une santé parfaite; un

frère âgé de 28 ans qui est maigre et tousse l'hiver, c'est le père de l'enfant de

l'Observation VI ; une soeur âgée de 19 ans, chloro-anémique (Obs. 111).

Il ne semble y avoir eu ni alcoolisme, ni syphilis chez les parents.

La malade est le deuxième enfant de la famille ; elle est née à terme. Elle a

eu toutes les petites maladies de l'enfance, sans gravité. A 10 ans, elle aurait

eu pendant 5 à 6 mois de l'oedème des pieds et des chevilles, qui gardait l'em-

preinte du doigt et disparut après un séjour à la campagne.

Elle se porta très bien jusqu'à 18 ans, après avoir été réglée à 14 ans, ré-

gulièrement, mais peu abondamment.

(1) Milroy, New-York med. Record, 1893.

Nouv. Iconographie DE la SALPÉTRIÊRE T. XIII. PL LXXX

TROPHOEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE

(Lainwis )

Masson & Cie, 1-ditctj,,

UNE OBSERVATION DE TROPHOEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 633

A 18 ans, elle eut une bronchite simple, sans hémoptysie, à la fin de la-

quelle sa jambe droite devint subitement grosse, tendue, rouge, mais très peu

.douloureuse, sans plaie ni excoriation. A dater de cette époque la jambe resta

volumineuse, mais elle n'y éprouvait de fatigue que si elle restait longtemps

debout.' -

A 20 ans, elle se fit amener à l'Hôtel-Dieu pour-cette jambe ; on lui fit gar-

der le lit, la jambe en élévation, ce qui parut diminuer l'oedème, mais ne le fit

pas disparaître complètement. Elle se rappelle qu'à ce moment la pression avec

le doigt laissait un godet sur la jambe et le pied et qu'on lui trouva aussi un

peu d'oedème de la jambe gauche qu'elle ignorait.

A 24 ans, elle se marie; elle dit qu'à ce moment elle était maigre, que sa

jambe droite était toujours grosse et était devenue dure; elle ne s'apercevait

de rien à gauche. Un an et demi après, elle eut une petite fille, assez petite et

chétive,morte l'an passé de broncho-pneumonie rubéolique. Pas d'autre gros-

sesse.

Pendant cette grossesse, la malade devint très rapidement obèse ; c'est un

point sur lequel elle insiste et qui l'a beaucoup frappée parce qu'elle eut une

grossesse pénible avec vomissements jusqu'à la fin. En même temps la jambe

droite augmenta nettement de volume et la malade fut gênée par le développe-

ment de la jambe gauche à laquelle elle n'avait pas pris garde jusqu'alors.

L'état s'est peu modifié depuis, sauf un peu d'augmentation des deux mem-

bres inférieurs, la gauche conservant son retard du début sur la droite ; la

dureté et l'épaississement de la peau ont fait de lents progrès aux jambes.

En hiver les jambes deviennent aisément cyanosées avec sensation de froid ;

en été, au contraire, elle y éprouve une sensation de brûlure de temps à autre.

Jamais de desquamation, d'ulcération, etc. e

En dehors de cela, la malade a une assez bonne santé, sauf des bronchites

en hiver. -Elle est régulièrement réglée, mais peu abondamment. - Elle

n'a jamais eu de crises nerveuses d'aucune espèce' ; de 18 à 24 ans, elle était

un peu émotive, pleurait facilement, avait parfois une sensation de boule à la

gorge, était sujette à des maux de tête. Elle dit aussi que, depuis sa grossesse,

elle est plus apathique, a de la faiblesse musculaire et un peu de perte de la

mémoire. Mais elle s'exprime très couramment et son intelligence est parfaite.

A l'examen, femme de petite taille, de corpulence forte, à figure pleine, ronde

sans rides, la lèvre naturelle, les paupières minces et bien souples, les oreilles

non déformés. Les mains et les doigts, les membres supérieurs sont ceux d'une

femme grasse, sans déformations ; les doigts frappent par leur aspect relative-

ment gracile, les ongles sont hippocratiques.

Le membre inférieur droit est considérablement augmenté de volume ; le

mollet a la circonférence d'une forte cuisse,soit 41 centimètres et demi à sa par-

tie la plus large. Au niveau des chevilles, un sillon brusque et profond comme

dans l'éléphantiasis. Au-dessous, la boursouflure reprend et occupe le dos du

pied dont la circonférence est de 24 centimètres et demi (Pl. LXXX).

Les orteils sont en boudins, sertis à leur insertion par un sillon profond, la

face dorsale coupée de rides transversales. -

634 LANNOIS '

Le genou est empâté et a perdu sa forme, mais au-dessus de lui les cuisses

ont sensiblement le même volume, 49 centimètres à 10 centimètres au-dessus

de la rotule. Mais la peau n'y a pas la même consistance. -

Sur la jambe, le doigt rencontre une dureté ligneuse et ne peut faire de go-

det ; sur le pied, il laisse une dépression superficielle, mais on sent plus pro-

fondément une masse qui ne se laisse pas déprimer. A la cuisse, on trouve la

même dureté, mais à un degré moindre et la peau ne retrouve sa souplesse que

vers la racine du membre et à sa face interne.

Le membre inférieur gauche est moins cylindroïde que le droit ; il a mieux

conservé sa forme générale, et si la circonférence maxima est de 40 centimè-

tres, c'est à niveau plus élevé que de l'autre côté. Les sillons sont moins pro-

fonds, les doigts moins boudinés, la circonférence du pied d'à peine 23 centimè-

tres. Mais la dureté ligneuse du tissu cellulaire sous-cutané est peu près la

même sur le segment inférieur, respectant la cuisse.

Du côté des ongles, rien à noter à ceux des gros orteils ; les autres sont seu-

lement un peu ternes, striés dans le sens de la longueur, non écailleux. La

peau est presque totalement glabre, mais la malade l'a toujours vue ainsi.

D'ailleurs les poils du pubis, ceux des aisselles, des sourcils sont normaux

comme nombre et comme aspect. - Les grandes lèvres ne sont pas liypertro-

phiées. ,

La peau du ventre est souple, molle, la paroi est celle d'une femme grasse,

sans dureté ; pas de pseudo-hernie ombilicale. Les seins ne sont pas hyper-

trophiés. Dans le dos, adiposité simple. Pas de pseudo-lipome sus-cla-

viculaire.

Aucune altération de la sensibilité dans ses différents modes.

On ne note absolument rien du côté des muqueuses.

La malade en chemise et en jupon pèse 70 kil. 300. Un peu d'emphysème

pulmonaire. - Rien au coeur. Pas de lésions vasculaires. Ni sucre, ni al-

bumine dans l'urine. s

Le corps thyroïde paraît normal ; on sent nettement le lobe gauche.

Bien qu'à cette époque le diagnostic le plus probable parût être le myxoe-

dème, il est bien spécifié dans l'observation que ni la parole ni l'état mental ne

ressemblent à ceux des myxoedémateux.

La malade fut soumise au traitement par l'iodothyrine de Baumann, d'abord

une, puis deux pastilles ; il n'y eut aucune modification objective, ni subjec-

tive. Pendant presque toute la durée de l'hiver 1897-1898, elle prit soit un

demi, soit un corps thyroïde de mouton. Après ce traitement, qui était surtout

un moyen d'épreuve, elle se remit d'elle-même aux pastilles de thyroiodine (1)

sans autre qu'une sensation de faiblesse générale avec pâleur, anorexie, dispa-

rition des règles pendant trois mois, tremblement des membres inférieurs.

Eu novembre 1898, elle se trouvait mieux, ce qu'elle attribuait aux bains

(1) Cette thyroïodine était certainement très active, car un chat en ayant mangé

plusieurs fois fut pris quelques heures après d'une longue crise épileptique avec écume

et resta longtemps très maigre.

Nouv. Iconographie DE la Salpêtkilre T. XIII. PI. LXXXI

TROPHCEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE

(LI/ lillOis)

Masson & CI-, Editeurs

UNE OBSERVATION DE TROPUOËDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 635

sulfureux et à l'électricité (courants continus). Elle pesait à ce moment 75 ki-

logrammes.

Au commencement de 1899, on nota qu'elle avait assez fréquemment des

ecchymoses spontanées en différents points du-corps et on constata qu'elle en

avait une, large comme une pièce de 5 francs, ;i la partie inférieure et externe

de la cuisse droite. 1

A la fin de cette même année, elle vint nous faire voir sa jambe droite qui

présentait un peu au-dessus de l'articulation tibio-tarsienne une petite fistule,

venue spontanément, par laquelle s'écoulait une notable quantité de sérosité

incolore. Celle-ci était fermée dès le lendemain. On proposa alors à la malade

de la reprendre dans le service et de lui mettre des tubes de Sonthey, mais

elle refusa et se fit elle-même des piqûres d'épingle au niveau de la malléole

interne. Chaque fois il s'écoula une notable quantité de liquide, mais les pe-

tites plaies se refermèrent pendant la nuit. .

Eu somme l'état de cette malade qui continue à venir régulièrement à la

consultation est exactement le même qu'au début de l'observation, il y a

trois ans.

Les deux malades suivantes n'ont été vues qu'en passant, car elles ha-

bitent loin de Lyon et il n'a malheureusement pas été possible de pren-

dre leur photographie dans le court espace de temps dont nous dispo-

sions.

Cas. II. La nommée D... (Annette), femme P..., âgée de 55 ans, est la

mère de la précédente. Elle dit que son affection est sans importance, ne la

gêne pas et elle ne vient se montrer que sur les sollicitations de sa fille. Elle

s'est toujours bien portée et attribue son oedème à sa première couche à l'âge

de 1 ans. Cet oedème avait débuté d'une manière insidieuse pendant la gros-

sesse, sans douleur, et avait eu des alternatives d'augmentation et de diminu-

tion surtout au moment de ses grossesses (10 enfants).

Actuellement, il y a un oedème unilatéral gauche très marqué, occupant la

partie inférieure du mollet, et surtout le dos du pied ; sillon assez net au ni-

veau de l'articulation tibio-tarsienne. C'est un oedème dur, prenant cependant

l'empreinte du doigt. -La malade dit qu'il augmente le soir lorsqu'elle a été

longtemps debout. Malgré quelques faisceaux de varices superficielles, la peau

a un aspect blanc et luisant.

Pas d'affection cardiaque, ni rénale.

uns. III. Célestine P..., âgée de 21 ans, est la soeur de notre première

malade. Elle n'a eu aucune affection grave dans l'enfance. Elle a toujours été

nerveuse, mais n'a jamais eu de crises. Dès l'âge de 13 ans, elle a fait un mé-

tier qui l'oblige à la station debout (blanc'hisseuse). Elle eut rapidement de l'a-

némie assez marquée et se plaignait souvent d'avoir les pieds enflés le soir. A

l'âge de 19 ans, elle eut une scarlatine, et ses pieds furent très enflés pendant

la convalescence. Elle avait des vomissements et, bien qu'elle n'en soit pas

636 LANNOIS

.sûre, croit que les urines avaient de l'albumine. Celle-ci a d'ailleurs dis-

paru actuellement.

Après la scarlatine, l'oeùème redevint ce qu'il était avant, mais depuis six à

huit mois, elle en est beaucoup, plus gênée. L'oedème occupe les deux jambes,

augmente le soir, diminue par le repos de la nuit, mais ne disparaît jamais com-

plètement ; il est plus marqué à gauche. C'est un oedème blanc, beaucoup

moins dur que chez la mère et la soeur, un peu élastique, sans épaississement

de la peau, gardant passagèrement l'empreinte du doigt. Il occupe la partie in-

férieure des jambes, les malléoles et le dos du pied.

Aucune lésion viscérale. Pas de troubles de la sensibilité.

Cas. IV. - Victorine P..., âgée de 3 ans, est la nièce de notre première ma-

Iade.Son père est maigre, sans aucune trace d'oedème, un peu nerveux ; pas de

crises. »

Le père donne les renseignements suivants : il a deux autres enfants, dont

l'un, âgé de 5 ans, a des convulsions qui d'après la description paraissent bien

comitiales (rappelons que le grand-père était épileptique).

Victorine est venue à terme, l'accouchement a été normal. Elle a commencé

à parler à 14 mois. Elle avait commencé à marcher à la même époque, puis

sans cause connue, sans convulsions, elle a cessé à peu près complètement de

marcher. Elle peut se tenir debout et même faire deux ou trois pas, mais on

voit qu'elle a peur et elle se laisse tomber aussitôt.

Le père qui avait depuis quelque temps l'intention de me la montrer, me

l'amène aujourd'hui (5 mai 1900) parce qu'elle marche encore moins bien de-

puis quelques semaines. En l'examinant, on trouve un oedème double des pieds.

La plante est complètement effacée, et le dos du pied est considérablement tu-

méfié, surtout à droite. La peau a conservé sa teinte rosée, l'oedème se laisse

facilement déprimer par le doigt, mais revient aussitôt, sans garder l'empreinte.

Il n'y a ni exagération des réflexes, ni trépidation épileptoïde. -- Rien aux

organes splanchniques.

Le mémoire si complet et si intéressant de M.IIenry Meige est encore trop

récent pour qu'il soit nécessaire de reproduire ici la discussion des faits

à laquelle il s'est livré pour arriver à isoler la forme clinique du trophoe-

dème chronique héréditaire. Je me contenterai donc d'indiquer les traits

les plus saillants de cette observation familiale.

Et d'abord la question' de diagnostic. Il était relativement facile d'élimi-

ner toutes les causes habituelles d'oedème pour ne laisser en présence que

l'oedème névropathique. Restait lemyxoedéme; là, la question devenait plus

difficile.Avec sa face ronde,son adipose généralisée, sa perte de mémoire, sa

faiblesse,cette malade donnait de suite l'impression d'un cas de myxoedème

fruste, d'autant plus qu'il était assez difficile de trouver le corps thyroïde

dans un cou gras et court. C'est ce que pensèrent les premiers médecins

qui la virent. Mais l'échec complet de la médication thyroïdienne, la con-

UNE OBSERVATION DE TR0PH0EDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 637

servation de l'intelligence et de la parole, l'absence de bouffissure des pau-

pières et des doigts, de troubles menstruels marqués, etc., devaient faire

écarter ce diagnostic. La localisation des troubles aux membres inférieurs

n'était pas en faveur de la cachexie pachydermique. Il ne s'agissait bien

que d'un oedème névropathique avec adipose généralisée, coïncidence d'ail-

leurs fréquente. Le suintement séreux consécutif aux mouchetures ne

pouvait que confirmer ce diagnostic et la notion d'hérédité permit de clas-

sifier le cas plus exactement.

Le caractère héréditaire est des plus nets puisqu'il porte sur trois géné-

rations qui se suivent. Il est à noter cependant qu'un des-chaînons peut

manquer, comme c'est le cas pour ma quatrième petite malade dont le père

est resté indemne.

Mes quatre malades appartiennent au sexe féminin, ce qui confirme l'o-

pinion de Desnos, et ce qui a d'ailleurs été constaté d'une façon générale

par les autres observateurs, sans qu'il y ait là, bien entendu, de règle ab-

solue.

Il est bon de souligner, à côté de l'hérédité maternelle de notre cas, l'é-

pilepsie du père qui n'est peut-être pas sans avoir joué un rôle dans le

développement de l'oedème névropathique de ses descendants.

On pourrait faire une objection à ma IV. observation où il s'agit d'une

enfant de trois ans ; je n'ai cependant pas hésité à la rapprocher des autres,

car il ne me paraît pas que l'on doive limiter l'apparition de l'oedème

dans des limites trop étroites, à l'apparition de la puberté par exemple. Il

est très possible que l'oedème puisse se montrer à diverses reprises d'une

manière passagère avant de s'installer définitivement avec tous ses caractè-

res. La-malade de l'observation 1 affirme qu'à l'âge de dix ans, elle eut

assez longtemps de l'oedème des pieds et des chevilles qui gardait l'em-

preinte des doigts : l'apparition des règles à quatorze ans ne fit pas revenir

cet oedème qui s'installa seulement à dix-huit ans avec un peu de fracas à

la suite d'une bronchite et s'accentua nettement pendant la grossesse.

Dans l'observation II, c'est seulement à vingt et un ans, pendant la

première grossesse, que l'oedème apparut incidemment.

Dans l'observation III, la scarlatine parait avoir joué un rôle assez net

dans l'apparition de l'oedème. Je ne serais donc pas étonné que l'oedème

de ma petite malade de l'observation IV ne fût que passager et le premier

indice d'une affection devant évoluer seulement dans plusieurs années : il

faut souligner chez cette enfant le retard de la marche qui n'est pas sans

importance au point de vue de la possibilité.de lésions médullaires.

Je dois ajouter que le fait de ces poussées successives avant l'oedème

définitif n'a pas échappé à M. H. Meige : c'était d'ailleurs le cas chez sa

638 LANNOIS .

première malade, et il cite également un cas de la thèse de Follet (1), où

à la suite de poussées d'oedème angio-neurotique s'installa un oedème

chronique très comparable à ceux que nous avons en vue. Il est vrai que

/ Follet ne parle pas d'hérédité dans la famille, mais cela doit simplement

nous mettre en garde contre des classifications nosologiques trop rigoureu-

ses. Il est certain qu'on trouverait dans la littérature beaucoup d'autres

cas isolés d'oedème chronique, blanc, dur, indolore, non hystérique, par-

fois segmentaire (Debove, Mathieu), qu'il serait assez difficile de classer

, actuellement. -

Tout au moins devra-t-on chercher désormais devant des cas semblables

si la notion d'hérédité ne vient pas leur donner leur caractéristique.

Si on admet, avec M. H. Meige, que le trophaedéme n'est qu'une ano-

malie évolutive du système vasculo-conjonctif, une dystrophie conjonc-

tive, il faut du moins remonter plus haut pour en chercher la cause dans

une disposition anormale, congénitale, véritablement tératologique, des

centres trophiques. C'est ce que nous avons essayé de démontrer, M. Pa-

viot et moi (2), pour une autre maladie familiale, la chorée héréditaire.

On voit que la question à résoudre par l'anatomie pathologique ne manque

pas d'importance et d'intérêt. ,

(1) Follet, Thèse de Paris, 1895.

(2) Lannois et Paviot, Deux cas de chorée héréditaire avec autopsies (Congrès des

Aliénistes et Neurologistes de Toulouse, août 1897, et Revue de médecine, 1891).

UN CAS DE DERMO-NEURO-rIBROM'I'OSE

COMPLIQUÉE DE PHÉNOMÈNES SPINAUX

ET DE DÉFORMATION CONSIDÉRABLE DE LA COLONNE VERTÉBRALE (1)

PAR

P. HAUSHALTER

Agrégé à la Faculté de Nancy.

Pour chaque espèce morbide, à mesure que s'éloigne l'époque où elle

sortit du chaos, on voit, autour du type primitif aux grandes lignes sim-

plifiées, se multiplier sous des aspects divers, les formes aberrantes ou

anormales dont la position ne se détermine quelquefois qu'après bien des

hésitations. La preuve en est dans l'observation que nous apportons ici,

où, après avoir cru avoir affaire à un cas atypique de syringomyélie, nous

nous sommes aperçu être en face d'une forme assez exceptionnelle de la

dermo-neuro-fibromatose. Au titre d'une localisation spinale de la fibro-

matose, cette observation nous a paru mériter d'être rapportée.

Observation. F. M... est vu par nous pour la première fois en septembre

1898 : à ce moment, il est âgé de 14 ans.

Antécédents héréditaires. Le père, âgé de 62 ans, et la mère âgée de

56 ans, sont parfaitement bien portants et ne présentent pasde tares névropathi-

ques : ils ont eu 9 enfants; un est né avant terme et mort aussitôt : un autre est

mort de diarrhée à 3 mois ; 7 sont vivants ; notre malade est le dernier né ; ses

frères et soeurs âgés de 36, 33, 30, 26, 23, 17 ans sont parfaitement constitués

et bien portants ; 4 de ses frères ont été admis au service militaire.

Antécédents personnels. - F. M... a eu une enfance normale, a marché à

16 mois, n'a jamais eu de grave maladie, s'est toujours bien porté ; il n'était

pas nerveux, et était, à l'école, considéré comme intelligent.

Début et évolution de la maladie. Jusqu'en août 1896, c'est-à-dire jus-

qu'à l'âge de 12 ans, on ne note chez l'enfant rien de particulier ; le 15 août

1896, à la distribution des prix de l'école, il put encore sans gêne, exécuter

divers exercices de gymnastique ; à la fin du mois d'août, il commence à se

plaindre de fatigues dans le dos ; un médecin consulté à cette époque appliqua

(1) Communication faite au XIIIB Congrès international de Médecine (Paris, août

1900).

640 UAUSUALTER

un corset plâtré qui fut laissé 2 mois ; vers la fin d'octobre, la marche devint

difficile ; l'enfant trébuchait et traînait le pied en marchant. A la fin de 1896,

il cessa de pouvoir marcher. Vers le printemps de 1897, il put pendant quel-

ques semaines avancer sans béquilles, puis la paralysie reparut, les jambes

devinrent raides, le dos se voûta petit à petit ; jamais il n'y eut de douleurs ou

de troubles intellectuels ; au début de la maladie, il y eut pendant quelques

mois de la difficulté d'uriner.

État actuel. Septembre 1898. 14 ans. Garçon d'intelligence, de taille,

de développement normaux (PI. LXXXII).

On est frappé au premier abord par la déformation considérable du thorax :

la colonne vertébrale décrit dans son ensemble un arc de cercle à grande cour-

bure et à convexité postérieure, le sommet de la courbure correspond à la ré-

gion dorso-lombaire : lorsque le malade est assis sur son lit, il repose sur sa

colonne lombaire ; il existe en même temps une incurvation scoliotique de la

région dorsale à convexité droite, d'où résulte une voussure de la partie su-

périeure du thorax à droite. En avant le thorax est plié en deux : le sternum

est fortement dévié d'avant en arrière et sa partie inférieure fortement rentrée ;

le tiers inférieur du thorax est appliqué sur l'épigastre. L'examen radiographi-

que de la colonne vertébrale complaisamment pratiqué au laboratoire de ra-

diographie par M. Guilloz ne montre aucune altération des vertèbres.

. Système nerveux. Pas de troubles, intellectuels.

Motricité.- Pas de troubles moteurs notables dans les membres supérieurs ;

tout au plus existe-t-il une légère indécision dans les mouvements de la main,

lorsqu'on commande au malade de toucher un objet du doigt.

Le malade ne peut ni se tenir debout, ni marcher ; raideur assez accentuée

dans les deux membres inférieurs, qui sont habituellement au lit fixés en ad-

duction et en extension ; on peut arriver cependant à vaincre cette raideur; le

malade ne peut mouvoir la jambe droite ; il soulève de quelques centimètres la

jambe gauche au-dessus du plan du lit.

Réflexes ? Le réflexe rotulien est exagéré des deux côtés, trépidation épi-

leptoïde des deux pieds, par redressement brusque du pied.

Troubles trophiques. Atrophie légère des muscles des deux mollets ; pas

de troubles trophiques de la peau.

Sensibilité. - Strabisme interne de l'oeil gauche dont le début remonterait

à l'époque de l'apparition des premiers symptômes parétiques. Diminution

considérable de l'acuité visuelle à droite ; névrite optique légère de ce côté.

Diminution de la sensibilité tactile au niveau des membres inférieurs, sur

l'abdomen, jusqu'à la ceinture ; en certaines régions sur la jambe droite, à par-

tir du genou en particulier, la sensibilité tactile est complètement abolie. La

sensibilité thermique au chaud et au froid,est intacte sur le tronc et les cuisses,

diminuée notablement sur la jambe gauche, abolie sur la jambe droite. La sen-

sibilité à la piqûre d'une épingle est diminuée dans les zones où existe la dimi-

nution de la sensibilité tactile.

Pas de troubles du sens musculaire.

Nous, ICONOGRAPIIIE DE LA SALPêTRIèRE

T. XIII. PI. LXXXII

DERMO-NEURO-FIBROMATOSE

avec déformation considérable de la colonne vertébrale.

(flnusbnllcr)

UN CAS DE DERMO-NEURO-FIBROIiATOSE 641

Sphincters. - Parfois, au moment d'une émotion, selles et urines incons-

cientes.

- Durant un an l'état du malade, qui est revu à plusieurs reprises, demeure à

peu près stationnaire ; aux différents examens, les troubles de la sensibilité

dans la moitié inférieure du corps se montrent avec des localisations, des dis-

tributions et des intensités variables. A plusieurs reprises, on note en des ré-

gions variables la diminution de la sensibilité, la sensibilité au tact étant con-

servée et la thermanesthésie diminuée ou supprimée par régions d'ailleurs

variables, suivant les moments.

Avril 1900. - Depuis les premiers examens de septembre 1898, les cour-

bures de la colonne vertébrale se sont accentuées et la déformation du thorax

s'est exagérée. La paraplégie ne s'est pas modifiée ; seule l'atrophie des mollets

est un peu plus accentuée, quoique modérée. Aux membres supérieurs, même

maladresse légère dans les mouvements de la main.

Les troubles de la sensibilité thermique en particulier sont moins marqués

- que lors des examens précédents.

A cet examen d'avril, nous constatons au niveau de la peau des symptômes

et des lésions qui jusqu'alors ne nous avaient pas frappé ou étaient moins pro-

noncés.

Altération de la peau. - Sur le front, au niveau delà bosse frontale droite,

une masse sous-cutanée dure, aplatie, du volume d'une petite lentille, mobile,

roulant sous le doigt, soulevant à peine la peau ; au niveau de la bosse frontale

gauche, deux petites masses de même aspect. Au dire des parents, ces petites

masses auraient été remarquées dans la première année de la vie.

Sur le côté gauche du cou, un petit molluscum gros comme un grain de

millet.

Au niveau de la partie supérieure du sternum, une verrue colorée du volume

d'un grain de chènevis ; au niveau du tiers inférieur du sternum, deux petits

molluscum du volume d'une tête d'épingle.

A gauche de l'appendice xyphoïde, une petite élevure de la peau, aplatie, à

peine saillante, visible surtout à jour frisant, blanchâtre, du diamètre d'un

petit haricot, molle, surmontée de quelques poils durs et colorés. '

Dans l'aisselle gauche une macule de couleur café au lait clair, de 2 centi-

mètres sur 1 centimètre. A la base des côtes à gauche un petit fibrome pig-

mentaire gros comme un grain de chènevis ; à coté une élevure surmontée de

quelques poils.

Sur le flanc droit, deux papules blanches, plates, lenticulaires à peine appa-

rentes, de même aspect.

Au-dessous de la crête iliaque droite, une élevure blanche, grosse comme un

haricot, et recouverte de quelques poils durs; au-dessus de la crête iliaque

droite, une petite élevure blanche avec une touffe de poils ; toutes les élevures

sont d'ailleurs semblables à la première décrite.

Sur le dos, 4 à 6 papules recouvertes de poils, et une dizaine de taches café

au lait, du diamètre d'un grain de chènevis.

xni 42

642 ' HAUSITALTER

Au niveau du coude gauche, une élevure avec une touffe de poils ; sur la

partie postérieure de l'avant-bras gauche, une tache pigmentaire foncée.

Au tiers supérieur de l'avant-bras droit, une tache pigmentaire grande com-

me une pièce de un franc, peu colorée et mal limitée.

Au niveau du pli du coude droit, une masse sous-cutanée faisant saillir la

peau, du volume d'une petite noix, dure,ronde, mobile sous la peau, non dou-

loureuse.

Au tiers antérieur de la cuisse gauche une élevure grande comme une pièce

de un franc et recouverte de longs poils bruns. A la face interne de la cuisse

gauche, une tache pigmentaire foncée, une autre, couleur café au lait clair : à

la face interne du genou une élevure plate avec de longs poils ; sous le genou

une élevure plate sans poils.

En dedans de la cheville gauche, une élevure avec une touffe de poils.

A la face interne de la cuisse droite, une tache noire, foncée, du diamètre

d'un grain de chènevis ; à la face interne du genou droit, une élevure avec de

longs poils. Au-dessus du genou, une tache pigmentaire, et une papule blan-

che avec une touffe de poils.

Le malade n'avait pas connaissance de ces différentes lésions, pas même la

petite tumeur du coude droit.

En présence de ce cas, à l'époque de notre premier examen, lorsque les

lésions peu apparentes de la peau, n'avaient pas encore frappé notre atten-

tion. notre diagnostic fut hésitant.. ,

Il n'existait pas de signes d'une affection primitive des' vertèbres pou-

vant provoquer une compression de la moelle : la déformation de la colonne

vertébrale s'effaçait du reste dans le décubitus dorsal, et ne se montrait

que dans la situation assise. Après avoir cru un instant à une myélite

transverse, ou à une forme fruste de sclérose en plaques, compliquée de

troubles trophiques de la colonne vertébrale ou de ses muscles, finalement

nous pensâmes pouvoir rattacher ce cas à la syringomyélie, une syringo-

myélie un peu anormale il est vrai : nous basions notre opinion sur les

troubles de la sensibilité et surtout sur la déformation de la colonne ver-

tébrale. La thermanesthésie était cependant ici, comme il arrive souvent

du reste, limitée à un segment de membre ; elle était relative et mobile ;

elle s'accompagnait aussi, il est vrai, de diminution de la sensibilité tactile,

mais Raymond n'a-t-il pas réuni une série de cas dans lesquels des sy-

ringomyélies authentiques existaient avec anesthésie totale ! Et nous

savons d'autre part que la dissociation de la sensibilité, même quand elle

existe au complet est loin d'être pathognomonique de la syringomyélie. Par

contre, la déformation de la colonne vertébrale si fréquente dans les syrin-

gomyélies était à son maximum. Les troubles moteurs se réduisaient à une

paraplégie spasmodique avec atrophie légère des muscles des membres in-

férieurs : mais nous savons que l'on a décrit des syringomyélies à forme

UN CAS DE DERM0-NEUR0-F1BR0MAT0SE 643

de sclérose en plaques et à forme de tabes spasmodique (Strumpell, Kah-

ler, Schlesinger, etc... etc.).

Notre diagnostic en était là, incertain, instable, quand nous vînmes à

découvrir, existant à un degré rudimentaire, mais pourtant caractéris-

tiques, les altérations cutanées de la maladie deRecklinghausen : à ce

moment le cas de notre malade s'éclairait d'un jour nouveau.

Les altérations cutanées se réduisaient à : 1° une quinzaine de petits fi-

bromes mous, du diamètre moyen d'une pièce de 20 centimes, sessiles, apla-

tisse montrant sous forme de papules à peine surélevées, disséminées sur

toute la surface du corps, et surmontées presque toutes de quelques poils

rudes ; 2° deux verrues colorées ; 3° trois petites tumeurs molles pédiculées '

du volume d'une tête d'épingle à l'aspect de molluscum ; 4° quatre nodules

durs sous-cutanés mobiles, dont l'un dépasse de beaucoup le petit volume

des autres tumeurs, atteint les dimensions d'une noix, semble être actuel-

lement en voie de progression et mérite, suivant l'expression de Boudet,

l'épithète de tumeur royale; 5° une vingtaine de taches pigmentaires géné-

ralement peu foncées, de couleur jaune sale, à bords assez diffus. Il n'était

pas démontré qu'il existât des tumeurs le long des nerfs rachidiens.

Ces lésions de la peau suffisent au diagnostic de la maladie de Recklin-

ghausen. Le début parait remonter à la première enfance; et même

il est très légitime de supposer que, comme-dans nombre de faits, l'affec-

tion fut congénitale : c'est en effet dans le cours de la première année

que les parents du jeune malade remarquèrent sous la peau du front les

petites fibromes qui depuis cette époque ne se sont pas modifiés. Ils n'a-

vaient pas connaissance du gros fibrome du coude droit, des taches pig-

mentaires et de petits fibromes mous papuleux.

L'affection fût-elle depuis la première enfance, lentement progressive ?

Ou bien stationnaire et latente jusque l'âge de 12 ans, subit-elle à partir

de ce moment une poussée ? Cette seconde hypothèse parait plausible, si

l'on se souvient que c'est à cet âge qu'apparurent les premiers symptômes

médullaires, effet d'un développement fibromateux dans la moelle. C'est

précisément la localisation spinale qui rend intéressant ce fait de dermo-

fibromatose, qui, en raison de la discrétion des manifestations cutanées,

pourrait être considéré comme une forme de début, ou comme une for-

me fruste, si l'on tient compte de l'absence chez notre malade de la dégé-

nérescence physique et mentale, terrain commun sur lequel se développe

si souvent la maladie de Recl;linghausen..

La prédominance des accidents spinaux, l'atténuation chez notre malade

des phénomènes cutanés, expliquent comment pendant quelque temps, la

nature véritable de la lésion médullaire fut méconnue.

Ici cependant les localisations nerveuses ne sont pas simplement spi-

644 17AUSIiALTER

" sales; en présence de la névrite optique droite, du strabisme interne de

l'oeil gauche, nous pouvons conclure, les symptômes de lésions cérébrales

manquant complètement, que des nodules fibromateux intéressent le nerf

optique droit et le moteur oculaire externe gauche.

L'existence de troubles du système nerveux central au cours de la der-

mo-neuro-fibromatose, depuis les faits rapportés par Lannois et Variot,

Massé et Cavalié, Spillmann et Etienne, Zinna, Feindel et Froussard est

bien connue; et par leurs observations nous savons quelle variété, suivant

la localisation, peuvent revêtir ces troubles, depuis le syndrome du para-

clonus jusqu'à la symptomatologie de la paraplégie simple, de la para-

myoplégie spasmodique ou de la sclérose latérale amyotrophique. C'est dans

les signes d'une paraplégie spasmodique accompagnée de troubles de la

sensibilité, que se résumaient dans notre cas les phénomènes spinaux ; et

comme les troubles sensitifs prenaient parfois en certaines régions, la;for-

me d'une dissociation relative de la sensibilité, comme d'autre part un des

phénomènes les plus saillants chez notre malade consistait en une énorme

cyphoscoliose qui avait amené l'extraordinaire déformation thoracique re-

présentée par nos photographies, nous songeâmes tout d'abord, avant que

la signature de la maladie nous fût donnée par la fibromatose cutanée, à

une forme fruste de la syringomyélie.

La scoliose peut cependant elle aussi faire partie de la symptomatologie

de plus en plus complexe de la neuro-dermo-fibromatose, comme en té-

moignent les observations de Lotzbech, P. Marie, Moisnard ; cette scoliose

peut exister en dehors de tout symptôme spinal ; on ne peut donc lui

attribuer une origine purement musculaire ; dans notre cas elle était in-

dépendante d'une soudure vertébrale, puisque la déformation dispa-

raissait presque totalement dans le décubitus dorsal.

Il semble que cette scoliose de la neuro-fibromatose, comme d'ailleurs

le ramollissement ou la fragilité des côtes, de la clavicule, du sternum, ou

du crâne notés dans quelques cas, en particulier dans une observation fort

intéressante de P. Marie et Couvelaire (1) puisse être attribuée à des alté-

rations osseuses analogues à l'ostéomalacie et sur la nature ou l'origine

desquelles la lumière est loin d'être faite, pas plus qu'elle ne l'est sur

l'étrange affection qu'est la maladie de Recklinghausen. D'ailleurs le fait

que nous apportons ici, n'a pas la prétention d'en éclairer la pathogénie,

mais simplement de faire connaître un cas particulier et en même temps

une des physionomies sous laquelle peut se manifester et se dérober la

maladie.

(t) Société méd. des hôpitaux, 1" déc. 1899.

UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

LABORATOIRE DE M. LE PROFESSEUR ED. BUGNION,

. LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE

APRÈS LA RÉSECTION DU NERF PNEUMOGASTRIQUE

(Suite et fin).

PAR

CHARLES LADAME.

CINQUIÈME PARTIE

INTERPRÉTATION DES PHÉNOMÈNES OBSERVÉS.

L'étude critique que nous venons de faire de nos coupes demande à être

suivie d'une interprétation des phénomènes que nous avons observés, en

tenant compte des faits publiés antérieurement à notre travail.

Nous rechercherons d'abord si la chromatolyse se manifeste dans les

cellules sensitives comme dans les neurones moteurs.

Nous nous demanderons ensuite si la chromatolyse a lieu à la suite d'une

lésion quelconque du prolongement cylindraxile et des prolongements pro-

toplasmiques.. ,

Après quoi nous examinerons si la réunion des deux bouts du nerf

réséqué a une influence sur le phénomène de réparation cellulaire.

Puis nous nous occuperons des phénomènes intimes de la chromalotyse,

de la désagrégation et de la dissolution des blocs de Nissl, de leur répara-

tion et enfin des divers processus de dégénérescence et d'atrophie des cel-

lules nerveuses, en nous arrêtant spécialement sur le phénomène de va-

cuolisation.

La chromatolyse est un phénomène qui se manifeste après la lésion

quelconque des prolongements cylindraxile et protoplasmiques du neu-

rone. 1

646 CHARLES LADAME '

« Il semble résulter » dit van Gehuchten « de toutes les observations

faites jusqu'à présent que la chromatolyse surgit chaque fois qu'un neu-

rone moteur ou sensible, central ou périphérique, se trouve lésé dans son

intégrité anatomique, soit que la lésion qui est en cause agisse en un point

quelconque du prolongement cylindraxile, soit qu'elle retentisse directe-

ment sur le corps de la cellule nerveuse (1). »

D'après les auteurs, la chromatolyse est la conséquence de la ligature,

de la section, de la résection, de l'arrachementnerf; du elle peut encore être

provoquée par les agents'toxiques (2) et par les maladies infectieuses (3).

Chaque jour apporte de nouveaux faits qui élargissent de plus en plus

le domaine de ces deux dernières causes. Mais les observations sont loin

d'être coordonnées et ne permettent pas pour le moment d'attribuer à ces

causes une action nettement déterminée. -

Il n'en est pas de même pour les lésions opératoires dont les résultats

sont plus aisément interprétés. ,

Ces lésions sont sensiblement différentes suivant que l'on pratique la

ligature, la section, la résection ou l'arrachement du nerf.

La ligature est'généralement suivie d'une chromatolyse faible et de

courte durée. Dans ces cas, la réparation des lésions cellulaires se fait

rapidement.

On admet généralement que la section du nerf provoque aussi la chro-

matolyse, cependant certains auteurs affirment que les conséquences de

la section varient suivant que l'on opère sur les nerfs crâniens ou sur les

nerfs rachidiens.

Pour Van Gehuchten (4) la clrromatolyse suit invariablement la section

des nerfs crâniens, tandis qu'elle n'a lieu pour les nerfs spinaux que dans

certaines conditions spéciales.

Marinesco z) admet une réaction pour les nerfs crâniens, mais quand

on y regarde de près, on constate qu'il fait la résection ou pratique l'arra-

chement des nerfs, ce qui n'a certainement pas les mêmes conséquences.

(1) VAN Gehuchten, Le phénomène de la clenomatolyse consécutif ii la lésion patholo-

gique ou expérimentale de l'axone. Bulletin de l'Ac. de Véd. de Belgique, lS97, p. 1.

(2) La pathologie générale delà cellule nerveuse. Presse Médicale, 27

janvier 1898.

(3) JACOTTET, Etude sur les altérations des cellules nerveuses de la moelle et des gan-

glions spinaux dans quelques intoxications expérimentales. Travaux de l'Institut pa-

thologique de Lausanne (Prof. Slilling), Fase. Il, 1898. ,

(4) VA ? Gehuchtex, Les phénomènes de réparation, etc. Presse Médicale, 4 janvier

4899,,p. 3.

(5) MARlIOESCO, Pathologie générale de la cellule nerveuse. Presse médicale, 27 janvier

189S. .

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 647

- 11 remarque d'autre part, toutefois, que la simple section n'est pas suf-

fisante pour produire la chromatolyse.

Voici en effet comment il s'exprime à ce sujet : « J'avais commencé tout

d'abord par sectionner chez ces animaux les nerfs principaux du membre

antérieur... Après avoir gardé les animaux de dix à vingt jours, je les ai

sacrifiés... j'ai été quelque peu surpris, après plusieurs expériences, de

n'avoir pu déceler les modifications de chromatolyse dans les segments

qui correspondent à l'origine apparente de ces nerfs », et plus loin : « J'ai

voulu varier quelque peu les conditions d'expérimentation. Ainsi, au

lieu de simples sections, j'ai déterminé tantôt la résection des nerfs du

plexus brachial sur un trajet plus ou moins long, tantôt leur arrache-

ment (1). »

Dans un travail récent Van Gehuchten confirme le fait qu'il avait précé-

demment observé, et donne de nouvelles preuves expérimentales à l'appui.

Comme on le voit, l'accord entre les auteurs est loin d'exister sur ce

point. Les expériences de Van Gehuchten sont trop précises pour qu'on

puisse douter des résultats qu'il a obtenus.Nous devons donc admettre ses

conclusions.

Flemming (2) en mars 1897 constate les réactions qui apparaissent du

quatrième au septième jour après la section de la ligature des nerfs sur

les cellules des ganglions rachidiens et sur les cellules multipolaires. La

lésion atteint d'abord le noyau qui devient plus petit, puis les blocs

chromatiques sont atteints à leur tour, leur disposition dans le proto-

plasma cellulaire se modifie, ils diminuent peu à peu de volume et finis-

sent par se réduire en poussière.

La résection est constamment suivie d'une réaction dans les cellules

d'origine des nerfs lésés, la lésion est ici plus profonde que dans les cas

précédents. L'opinion unanime des auteurs en témoigne.

Nos expériences contribuent aussi à la confirmation de ces résultats. La

chromatolyse a lieu aussi bien pour les nerfs rachidiens que pour les nerfs

crâniens.

Les nerfs coupés dans les amputations ne sont pas autre chose que des

nerfs réséqués dont le bout périphérique n'est plus afforté au bout cen-

tral (Van Gehuchten, Sano). Marinesco pense cependant que dans les am-

putations les lésions sont plus profondes, « car, dit-il, on saitque dans les

amputations des membres où l'effort régénérateur du bout central du nerf

(1) Marinesco, Contribution à l'élude des noyaux, sections des noyaux moteurs dans

la moelle épinière. Revue neurologique, 30 juillet 1898, p. 483.

(2) Flemming, The e/fect of ascending degencmtion on tlce nervecells of ihe ganglia

of the poslerior nerve 7-oots and the anlerioo cornua of the lord. The Edimburg Mé-

dical Journal, mars lS91, p. 219 (résumé dans Revue neurol., 1898, p. 246).

648 CHARLES LADAME

reste stérile, on trouve toujours dans la moelle un certain nombre de cel-

lules en voie de disparition ».

.. Pour Van Gehuchten, comme pour nous, ainsi que nous le dirons plus

tard, la soudure n'a aucune importance pour la réparation ultérieure. En

tous cas son influence sur les phénomènes de réparation n'est nullement

prouvée.

D'après l'opinion de V. Gehuchten la lésion d'un nerf périphérique

n'est pas la cause unique de la chromatolyse. qui peut survenir à la suite

d'infection, d'intoxication et d'autres troubles généraux. Or c'est précisé-

ment le cas dans les expériences que nous venons de citer. En outre nos

observations ont démontré aussi que la lésion d'un nerf périphérique n'était t

pas indispensable à la production de la chromatolyse, puisque celle-ci se

manifeste dans les cellules des ganglions plexiformes chez le chien, du

côté opposé à la lésion.

Les effets de l'arrachement du nerf sont connus depuis longtemps, c'est

par cette méthode, comme on le sait, que Gudden, Forel et V. Monakow

et d'autres savants ont déterminé exactement les noyaux d'origine des nerfs

moteurs et Forel en particulier avait déjà reconnu en 1881 la nature mo-

trice du noyau dorsal du Vague.

Tous les auteurs sont d'accord sur les conséquences de l'arrachement

du nerf. Cette opération est constamment suivie de chromatolyse intense

et irrémédiable. Il n'y a jamais de période de réparation ; toutes les cel-

lules dont les cylindres sont arrachés disparaissent fatalement.

En résumé nous voyons que la chromatolyse se manifeste dans les cel-

lules sensibles et dans les cellules motrices à la suite d'une lésion quelcon-

que du neurone.

Le phénomène de la chromatolyse se manifeste-t-il dans les cellules

sensibles et dans les cellules motrices ?

La chromatolyse se manifeste aussi bien dans les cellules sensibles que

dans les cellules motrices à la suite d'une lésion quelconque de leurs pro-

longements.

Il y a cependant certaines différences entre les processus de réparation

et de réaction qui s'observent dans les unes et dans les autres. Toutefois

ces différences ne sont pas essentielles, car les phénomènes sont identi-

ques dans les deux cas ; ils ne diffèrent que par leur intensité, leur durée

et la date d'apparition de la chromatolyse.

Pour apprécier ces divers éléments il faut connaître le genre de trau-

matisme qu'a subi la cellule ou ses prolongements.

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 649

Ce n'est, du reste, que tout récemment qu'on a reconnu la nature de'

cet ordre de phénomènes, car, dans son rapport de Moscou en août 1897,

Van Gehuchten disait : « Il existe donc une différence profonde entre la

manière dont une cellule motrice de la corne antérieure de la moelle et

une cellule d'un ganglion spinal réagissent à la section de leur prolonge-

ment périphérique.

« La cellule motriceréagit par la dissolution de sa substance chromatique.

Ce trouble cellulaire dure environ 1D jours, puis tout rentre insensible-

ment dans l'ordre et la cellule non seulement reconstitue la substance

chromatique qu'elle a perdue, mais encore s'en charge tellement qu'elle

présente pendant plus de 70 jours un véritable état pychnomorphe.

« La cellule sensitive réagit aussi par la dissolution de la substance chro-

matique. Ce trouble cellulaire est même plus précoce que dans la cellule

motrice. Il augmente insensiblement jusqu'au 15e jour après la section.

Cette cellule parcourt donc, comme la cellule motrice, et même plus rapi-

dement que cette dernière, la phase de dissolution des éléments chroma-

tophiles. Mais alors, au lieu de réorganiser sa partie chromatique utilisée,

elle se désorganise et disparaît (1). »

D'autres auteurs, parmi lesquels Lugaro, émirent à cette époque la

même opinion (2).

Van Gehuchten arrive encore aux mêmes conclusions en novembre 1897,

conclusions exposées à l'Académie royale de médecine de Belgique (3).

En 1898 les résultats des recherches sont déjà plus en accord avec la

réalité.

De nombreuses observations ont permis de préciser les notions concer-

nant la chromatolyse et d'arriver à des conclusions plus certaines.

Les auteurs sont généralement d'accord aujourd'hui pour admettre que

les deux phases caractéristiques de la réaction et de la réparation existent

dans les cellules sensibles aussi bien que dans les motrices.

On est ainsi arrivé à pouvoir reconnaître la nature sensitive ou motrice

du noyau d'origine d'un nerf par les différences que présentent la préco-

cité, l'intensité et la durée de sa réaction chromatolytique.

La réunion des deux bouts du nerf réséqué joue-t-elle un rôle

dans les phénomènes de la réparation ?

En nous basant sur nos expériences, nous croyons pouvoir affirmer que

(1) VAN GEHUCHTEN, L'anatomie fixe de la cellule nerveuse. Rapport de Moscou,

1897, p. 316.

(2) VAN GEHUCHTEN, loc. ( £ 1., p. 313.

(3) VAN GEHUCHTEN, Le phénomène de la chromatolyse. Bulletin de l'Académie royale

de médecine de Belgique, 1897, p. 12.

650 CHAULES LADAME

la non-réunion des deux fragments du nerf réséqué n'a pas d'influence

manifeste sur le phénomène de la réparation. Dans aucun de nos cas nous

n'avons constaté à l'autopsie la réunion des segments du nerf sectionné;

mais seulement l'existence d'un névrome central plus ou moins développé.

Cependant au 118e jour chez le chat, au 122e jour chez le chien, au 157°

jour chez le chat et au 195e jour chez le lapin la réorganisation de la suh-,

stance chromatique était plus ou moins complète ou même parachevée,

aussi bien dans les ganglions noueux que dans les noyaux moteurs de la

moelle allongée. -

Pour Marinesco, la soudure des deux fragments du nerf est une condi-

tion indispensable à la rapidité de la réparation des cellules lésées. Et

même la simple présence du bout périphérique dans le voisinage du seg-

ment central suffit à ses yeux pour faciliter la réparation.

. C'est ainsi qu'il s'explique la lenteur de la réparation des cellules des

amputés chez lesquels le segment périphérique est absent et où par con-

séquent, dit-il, « l'effort régénérateur du bout central du nerf reste sté-

rile ».

Van Gehuchten s'est également occupé de la question. Vu le manque de

faits, il s'abstient pour le moment de toute conclusion quelconque touchant

la relation qui existerait entre la soudure des deux bouts du nerf et la ré-

paration plus ou moins hâtive des cellules.

En se basant sur une seule observation (1) il pense que la soudure n'a

d'influence que sur le sort ultérieur des éléments.

Les observations des auteurs précédents concernent essentiellement les

celiules motrices.

Dans nos expériences nous avons constaté le même phénomène dans les

cellules des ganglions noueux comme dans celles des noyaux moteurs.

Chez les chats, en effet, nous avons trouvé au 118e jour une réparation

complète des noyaux moteurs. D'autre part le ganglion plexiforme répa-

rait activement ses pertes de substance chromatique. Mais il y avait aussi

bon nombre de cellules en voie d'atrophie dans ce ganglion.

Nos autres cas nous ont donné des résultats exactement semblables.

Nous pouvons donc affirmer que la réunion des deux bouts du nerf est

sans influence sur le phénomène de la réparation, puisque dans tous nos

cas celle-ci a eu lieu en l'absence de toute coalescence du nerf réséqué,

dont on avait enlevé un tronçon de 1 à 2 centimètres.

d-

Phénomènes intimes de la chromatolyse.

De l'analyse de nos nombreuses coupes il ressort nettement que la chro-

(1) VAX Gehuchten, Presse médicale, 4 janvier 1899, p. 4, 3e colonne.

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 651

matotyse est centrale après la résection du vague dans les cellules sensi-

bles comme dans les motrices.

Le processus de désagrégation et de dissolution s'étend de proche en

proche du centre à la périphérie. Au début il n'existe qu'une petite tache

claire en plein corps cellulaire; cette tache s'agrandit régulièrement, re-

foulant devant elle les blocs qui se condensent en une bordure péricellu-

laire et périnucléaire.

Ces faits concordent avec les diverses observations publiées.

Les blocs restent le plus souvent isolés, mais quelquefois je les ai vus

s'agglomérer et se fusionner en une seule masse chromatique continue, ce

qui n'avait pas encore été signalé, à ma connaissance.

Il est plus difficile d'interpréter sûrement l'action de la chromatolyse

sur le noyau. On sait que celui-ci est un organe indispensable à la vie de

la cellule. Le traumatisme qui agit sur les prolongements de la cellule

retentit-il directement sur le noyau ? Provoque-t-il sa migration active

à l'un des pôles de la cellule ? On bien est-ce par le gonflement ou les

autres troubles dans la substance achromatique que le noyau est expulsé

passivement ?

Nous avons fait remarquer que la cellule s'allonge dans le sens de la

migration du noyau, ce qui indiquerait, à notre avis, que le noyau est ac-

tif et qu'il attire à sa suite le protoplasma cellulaire déformé.

En tout cas nous ne pouvons pas admettre que l'expulsion du noyau est

due à la turgescence, puisque nous démontrons surabondamment que cette

dernière n'existe pas.

Nous admettons par contre sans conteste l'expulsion passive du noyau

dans les cas de vacuolisation cellulaire que nous avons analysés dans l'ex-

périence VI, et dont nous reparlerons dans un instant.

Il faudrait sans doute pouvoir tenir compte des autres troubles de la

partie achromatique du protoplasma pour connaître exactement les vraies

causes de la migration du noyau, mais à l'heure actuelle on ignore abso-

lument la nature de ces troubles.

Il nous semble que dans la théorie de la migration ou de l'expulsion du

noyau dans les cellules en chromatolyse, on n'a pas jusqu'ici tenu suffi-

samment compte du rôle physiologique si important que joue le noyau

dans la vie cellulaire.

Les observations ont presque exclusivement porté sur les modifications

du prafoplasma, tandis que la question ne peut être résolue, selon nous,

que si l'on fait intervenir le noyau lui-même.

Nous avons déjà longuement parlé du phénomène de la turgescence au

cours de l'analyse de nos expériences, aussi serons-nous brefs dans nos

conclusions.

652 CHARLES LADAME

Les auteurs sont loin d'être d'accord sur la durée de la turgescence.

Nissl l'observe jusqu'au 12e jour après la lésion des nerfs ; Van Gehuchten

jusqu'au 20. jour et Marinesco jusqu'au 100° jour.

Nous rappelons que, dans aucun de nos cas, nous n'avons observé la

moindre augmentation du volume des cellules en chromatolyse en les

comparant aux cellules saines du noyau correspondant. Nous avons fait

cette constatation aussi bien pour les noyaux moteurs que pour les gan-

glions plexiformes.

' Nous concluons donc positivement à la non-existence de la turgescence

des cellules en chromatolyse, en nous basant sur les faits cités dans nos

expériences (Voir tableaux, pp. 38, 47, 57, 64, 76, 80, 85, 96, du pré-

sent travail). 1

Nous ferons observer à ce propos que la réalité de la turgescence des

cellules en chromatolyse est admise jusqu'ici sans exception par tous les

auteurs. Les dessins et les reproductions photographiques de préparations

ne paraissent laisser aucun doute à cet égard. Aussi avons-nous été très

surpris, en commençant nos mensurations, de constater qu'elles ne révé-

laient aucun gonflement des cellules en chromatolyse. Nous nous aperçu-

mes alors que les auteurs n'étayaient leur opinion sur aucune mensu-

ration. '

Nous avons multiplié nos mesures pour contrôler nos premiers résultats

qui nous paraissaient en trop nette contradiction avec les affirmations

unanimes des précédents observateurs. Mais plus le nombre de nos men-

surations croissait, plus aussi nous confirmions l'exactitude de nos pre-

mières mesures. Il ne nous reste donc actuellement aucun doute sur l'ab-

sence de gonflement des cellules chromatolysées, de sorte que pour nous

la chromatolyse n'a plus que deux caractères essentiels, la désagrégation

et la dissolution des blocs chromatophiles et la migration du noyau.

Remarquons encore à quel point sont divergentes les opinions des au-

teurs qui admettent la turgescence des cellules au sujet de la durée de ce

phénomène.

Tandis que Nissl ne l'observe plus à partir du 12e jour, Marinesco le

constate encore au 100e jour.

Van Gehuchten a trouvé « que les cellules gonflent considérablement

pendant les 15 à 20 premiers jours qui suivent la section, c'est-à-dire

pendant toute la durée de la phase de dissolution des éléments chromato-

phyles ». t

Il ajoute qu'après cette phase les cellules diminuent graduellement de

volume et sont revenues à leurs dimensions normales au 92° jour.

Nous ne saurions nous expliquer les causes de pareilles divergences

d'opinion chez des observateurs aussi savants et aussi expérimentés,

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 653

Peut-être ces opinions divergentes proviennent-elles de ce que les ob-

servateurs ont expérimenté sur des espèces animales différentes, avec des

procédés opératoires différents ? Nous ferons remarquer d'autre part que

les affirmations des auteurs au sujet de la turgescence des cellules en chro-

matolyse ne reposent que sur des impressions visuelles, et que personne

jusqu'à présent n'a eu recours à des mensurations. On s'est contenté de

comparer à un vol d'oiseau, pour ainsi dire, sous le microscope, le noyau

sain avec le noyau pathologique, sans donner des chiffres qui auraient

permis le contrôle ultérieur de ces comparaisons.

Comme il ne peut s'agir que d'impressions visuelles peut-être pourrait-

on chercher en partie l'explication de l'apparence d'une turgescence, dans

la disposition des blocs chromatiques en cordon péricellulaire, qui laisse

une tache claire au centre de la cellule ? Peut-être aussi la coloration

différente des cellules en chromatolyse les fait-elle paraître plus volumi-

neuses ?

Quoi qu'il en soit, nous avons estimé qu'on ne pouvait résoudre cette

question que par des mensurations exactes. C'est pourquoi nous avons me-

suré un grand nombre de cellules et leurs noyaux. Nous avons déjà donné

pour chacune de nos expériences, sous forme de tableaux, les résultats

inattendus auxquels nous sommes arrivés.

Les phénomènes de réparation dans les cellules

sensibles et dans les motrices.

Le phénomène de réparation des pertes de substance chromatique suc-

cèdeà celui de réaction. Il a lieu toutes les fois que les lésions n'ont pas

été trop profondes dans la partie achromatique du protoplasma cellulaire.

Tous les auteurs sont d'accord sur la constance du phénomène de répa-

ration pour les cellules motrices. Cette réparation, cependant, ne peut

pas avoir lieu lorsque la cellule a subi des lésions trop profondes; dans ce

cas elle s'atrophie et disparaît. L'atrophie et la disparition des cellules à

la suite de la lésion d'un nerf ne saurait donc devenir un caractère dis-

tinctif entre les cellules motrices et les sensibles, comme on l'avait cru au

premier abord.

On affirmait naguère encore la possibilité de distinguer les noyauxmo-

teurs des noyaux sensibles par le fait que les moteurs réparaient leurs

pertes, tandis que les sensibles n'offraient pas la phase de réparation.

On découvrit bientôt que les cellules sensibles réparaient leurs lésions

comme les motrices et que les motrices pouvaient disparaître sans passer

654 CHAULES LADAME

- par la phase de réorganisation de la substance chromatique comme c'est le

cas pour le noyau dorsal du vague chez le lapin, par exemple.

La réparation des cellules s'effectue de la même façon pour les neurones

moteurs et sensibles, il n'y a de différence que dans le moment de l'appa-

rition du processus et dans la rapidité de son évolution.

Dans les cellules sensibles la réparation est plus lente à venir et plus

pénible à se parachever.

Nous avons donné une description détaillée des phénomènes de la répa-

ration à propos de l'analyse de nos coupes. Nous n'y reviendrons donc

pas ici.

Rappelons cependant que nos observations concernant le phénomène de

la réparation ont été faites sur des animaux sacrifiés beaucoup plus tardi-

vement que ceux de Van Gehuchten et de Marinesco.

Tandis que le plus long terme de survie des lapins de Van Gehuchten

ne dépasse pas 92 jours, et celui des chiens de Marinesco 100 et quelques

jours, nous avons deux chats tués 118 et 147 jours après l'opération, un

chien 122 jours et un lapin 195 jours après, auxquels nous pourrons

joindre prochainement, grâce à l'obligeance de M. le professeur Herzen,

un chien qui a été opéré il y a plus d'une année.

L'existence de la réparation a été constatée depuis longtemps. Van

Gehuchten dit que si des cellules motrices disparaissent, ce n'est qu'acci-

dentellement, car il a vu les cellules motrices lésées revenir insensible-

ment à l'état normal.

Marinesco a fait des observations semblables, seulement, il voit dans la

réparation, comme nous l'avons dit, une influence directe de la présence

du bout périphérique du nerf coupé.

La moelle de notre chat de 118 jours, celle du chien de 122 jours et

celle du chat de 147 jours sont'tout à fait démonstratives à cet égard.

En effet, si nous étudions attentivement, dans la série des coupes, les

noyaux moteurs dorsal et ambigu, il est impossible d'y trouver une lésion

quelconque de ces noyaux. Toutes les cellules ont parfaitement réorganisé

leurs réserves chromatiques, on ne constate, de plus, aucune diminution

dans le nombre des éléments en comparant les noyaux opposés entre eux.

L'autopsie des animaux n'avait cependant révélé aucune coalescence des

deux tronçons du nerf réséqué.

En revanche, si l'on examine la moelle du lapin de 195 jours, on est

frappé d'y voir une très sensible réduction du nombre des éléments ner-

veux. C'est cette diminution, constatée par Van Gehuchten et par d'autres

auteurs qui a surtout contribué à confirmer l'opinion que l'on avait de-

puis Stilling de la nature sensible du noyau dorsal du vague, opinion qui

'était en outre corroborée par la précocité de réaction de ce noyau au trau-

LE PHÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 655

matisme de son nerf. Or, on admettaità cette époque que la rapidité de

la réaction et l'absence de réparation caractérisait la nature sensible d'un

noyau.

Cette préparation du lapin concorde ainsi parfaitement avec celles de

Van Gehuchten, tandis que nous venons de voir qu'il n'y avait aucune

diminution des cellules chez le chien et chez le chat.

A quoi donc faut-il attribuer une telle différence de réaction selon les

animaux ? Nous nous bornons à poser cette question qu'il nous est im-

possible de résoudre présentement.

La question controversée de l'existence de la réparation pour les cellu-

les sensibles est désormais résolue par nos résultats qui ont été positifs

dans toutes nos expériences.

La réparation est un fait indiscutable pour les cellules sensibles des

ganglions plexiformes après la résection du pneumogastrique.

La vacuolisation, forme de dégénération cellulaire.

Une forme curieuse de dégénération de la cellule nerveuse est celle qui

.a lieu par le processus de vacuolisation que nous avons longuement dé-

crit à propos de notre sixième expérience.

Il est incontestable, à notre avis, que nous sommesici'en présence d'un

mode particulier de dégénérescence, bien que nombre d'auteurs profes-

sent une opinion contraire.

Nous avons rencontré la vacuolisation à un degré très prononcé chez le

lapin au 195e jour apr'ès la résection du vague.

Chez les autres animaux elle n'existait pas, à l'exception d'un chat

(147 jours) chez lequel nous n'avons du reste rencontré que quelques

très rares cellules vacuolisées.

Les auteurs sont loin d'être d'accord sur la signification que l'on doit

attribuer à la vacuolisation.

Pour les uns, c'est un processus de dégénération cellulaire. Nous cite-

rons d'après Van Gehuchten ('1) comme se ralliant à cette opinion : Ley-

den, Déjerine, Elischen, Rosenbach, Ziegler, Bôttiger, Obersteiner,

Danillo, Popow, Schmauss, Aufimow.

Pour les autres, la vacuolisation n'est qu'un phénomène cadavérique,

ou une production artificielle, due au mode de fixation. Flesch et Konoff,

Gitiss, Charcot, R. Schulz se rattachent à cette manière de voir.

(1) V AY. Gehuchten, Contribution à l'élude des localisations des noyaux moteurs dans

la moelle lombo-sacde el de la vacuolisation des cellules nerveuses, Revue neurologi

que, 1898, p. 517.

656 CHARLES LADAME

Les divers auteurs que nous venons de citer ont fait leurs observations

sur des éléments nerveux fixés par des réactifs variés, et colorés par les

procédés ordinairement employés avant l'introduction de la méthode de

Nissl.

Depuis l'emploi du bleu de méthylène une nouvel le série de chercheurs

ont étudié par cette méthode la vacuolisation cellulaire et l'ont considérée,

de même que leurs prédécesseurs, soit comme un phénomène cadavéri que,

soit comme un phénomène de dégénérescence.

Parmi les premiers nous rencontrons les auteurs suivants : Monachow,

Obersteiner, Held ; tandis que Marinesco, Westphall, H. Berger, Gold-

scheider et Flatan, Mourawieff, Souklanoll' y voient un phénomène patho-

logique, un processus particulier de dégénération.

Van Gehuchten,auquel nous avons emprunté la littérature du sujet, ne

se prononce pas entre les deux opinions. D'après lui, les observations ne

sont pas encore assez nombreuses, ni les faits suffisamment établis pour

permettre une solution définitive de cette question. Nous pensons toutefois

pouvoir nous rattacher aux auteurs qui voient dans la vacuolisation une

forme spéciale de dégénérescence cellulaire, en nous basant sur les re-

cherches que nous avons faites sur le lapin de l'expérience VI.

Les ganglions plexiformes de cet animal ont été traités simultanément

et dans des conditions exactement semblables. Ils ont subi tous les deux

la même fixation, le même durcissement et ont été enrobés en même

temps dans la paraffine. Enfin le traitement ultérieur des coupes des

deux ganglions a été le même. Ils étaient donc dans des conditions identi-

ques et des plus favorables pour être comparés l'un à l'autre.

Les altérations provenant de la décomposition cadavérique ou des réac-

tifs devraient donc agir également sur les deux ganglions, et si la vacuo-

lisation en avait été la conséquence on l'aurait certainement rencontrée

des deux côtés. Or, ça n'a pas été le cas. Les cellules du ganglion normal

n'en présentaient pas trace, tandis que de très nombreuses cellules du

ganglion pathologique en étaient profondément atteintes.

THÈSES

. 1. La chromatolyse des ganglions plexiformes et des noyaux bulbaires

du vague est un phénomène constant après la résection du nerf pneumo-

gastrique ou vago-sympathique (chien) au cou.

2. La chromatolyse est caractérisée par la désagrégation et la fonte des

blocs chromatiques et par la migration du noyait, (1).

(1) Les thèses soulignées sont personnelles et représentent une opinion ou un fait

nouveau.

LE PUÉNOMÈNE DE LA CHROMATOLYSE 657

3. La turgescence n'est nullement un phénomène régulier de la chroma-

tolyse.

4. Le noyau est actif dans son déplacement pendant le phénomène de la

chromatolyse.

5. Les phénomènes de réaction et de réparation sont sensiblement diffé-

rents chez le chien, le chat et le lapin.

6. La réparation est un phénomène constant pour les cellules sensibles

comme pour les motrices.

7. Les cellules sensibles sont plus rapidement éprouvées, plus long-

temps et profondément en réaction et en réparation que les cellules mo-

trice. -

8. Le nombre des cellules est sensiblement le même dans les ganglions

plexiformes normaux et pathologiques chez le chien et le chat 118 jours,

4 jours, 147 jours après la résection du pneumogastrique.

9. Chez le chien au 122e jour et chez le chat au 147" jour après la résec-

tion du vague, le noyau dorsal pathologique de la 10e paire ne présente pas

de diminution dans le nombre de ses éléments.

10. Le chien au 22° et au, 122e jour présente la chromatolyse dans le gan-

glion dont le nerf n'a pas été lésé aussi bien que dans celui dont le pneu-

mogastnque a été réséqué. '

11. Le noyau dorsal et le ganglion plexiforme du nerf vague, chez le

lapin au 195'' jour après l'opération, présentent une sensible réduction

de leurs éléments nerveux dont la moitié environ a disparu.

12. La substance chromatique joue un rôle accessoire dans le fonction-

nement normal des éléments nerveux.

13. La soudure des deux bouts du nerf réséqué n'est nullement indis-

pensable à la réparation de la réserve chromatique des cellules nerveuses.

14. La vacuolisation est une des formes du processus de dégénération

cellulaire.

15. Chez le chat au 147e jour, le ganglion plexiforme dont le nerf a été

fortement lésé entre les mors d'une pince ne présente aucune trace de

chromatolyse.

xm 43

ICONOGRAPHIE

- DES

ARRACHEURS DE DENTS

(Suite et fin)

PAR

HENRY MEIGE

Teniers, van Ostade, Brouwer, ont eu des imitateurs nombreux, con-

tinuateurs fidèles de leurs traditions. Ils ont donc peint des scènes de mé-

decine et de chirurgie populaires. Us ont représenté des Arracheurs de

dents.

Tel est, par exemple, Jac. VAN IIELMO ? \T (168Ô-1726) dont le musée

d'Augsbourg possède un Dentiste, manifestement inspiré par l'Arracheur

de dents de Teniers, actuellement au musée de Dresde.

C'est presque une copie. Le Dentiste, un vieillard a longue barbe, coiffé

d'un bonnet fourré, est assis au milieu de la pièce, tenant de la main

gauche une pince qui mord une dent.

A droite, derrière une table, le patient appuie sa mâchoire sur sa

main. Tout ceci est connu (V. Pl. LXVII).

Mais à gauche et c'est là qu'est l'innovation de J. van IIelmont,- on

voit une table couverte d'un tapis vert, de livres et des parchemins, avec

lesquels joue un singe attaché à une boule par une chaîne.

Ce singe remplace ici le petit chien du tableau de Dresde. En outre,

sur la muraille est accroché un tableau représentant la stigmatisation de

St François.

Il est possible que Teniers ait peint un tableau identique à celui du

musée d'Augsbourg : J. van Ilelmont se serait contenté de;le copier exacte-

ment. Le Dentiste de Dresde ne serait alors qu'un fragment reproduit par

Teniers lui-môme, ou une première étude pour une composition plus éten-

due, aujourd'hui perdue peut-être. .

Nouv. Iconographie DE la SALY1 : TRI1 : RE T. XIII. PI. LXXXVI 1

L'ARRACHEUR DE DENTS

Tableau de DiL'Duoj, dans la Galerie de Schwerin.

Masson&C ? he)iteurs

il ARRACHEURS DE DENTS 6 : jeu

; Au musée de Rotterdam, est un Arracheur de dents de l'école hollan-

paise (2e moitié du VILE siècle), dans le genre de Brouwer (1).

1 Un paysan est assis sur un banc, les mains jointes, la tète renversée, la

bouche ouverte ; un barbier de village lui soutient la tête d'une main et

de l'autre lui arrache une dent. Derrière, une femme, émue, fait un geste

de prière.

1 Le décor est classique : des rayons avec des pots de pharmacie. A droite,

une porte et une petite table.

1 Faisant pendant au Médecin des J'eitx (2) dont nous avons parlé en une

Faisant pendant au Médecin des Yeux (2) dont nous avons parlé en une

autre occasion, le Dentiste de DIETRICIJ (peintre allemand, 1712-1774)

figure dans la galerie de Schwerin (3) (Pl. LXXXIII). Dietricij s'est

efforcé d'imiter les scènes populaires de l'école des Pays-Pas. Toutefois

sa peinture ne dépasse pas la valeur d'un médiocre pastiche, où malheureu-

sement ne se retrouvent guère l'habileté du dessin ni la facture aisée des

maîtres hollandais... -

] Un dentiste coiffé d'un feutre déformé, orné de plumes ébarbées, rabbat

,blanc au cou, un large collier de molaires tombant sur la poitrine,

cherche à ébranler du bout de son index la dent de 'son client, un misé-

reux aux vêtements en lambeaux, assis sur un escabeau. Dans sa main

gauche qui maintient la tête du patient, l'opérateur tient un instrument

'bifide, pince ou davier, et il semble assez perplexe sur le mode opératoire

, qu'il va employer. Nul doute qu'il ait mis le doigt sur la dent doulou-

reuse, car le patient cherche à lui arrêter le bras avec sa main droite.

L'artiste a médiocrement rendu la physionomie anxieuse et dolente de

il'opéré, expression que Brouwer a si souvent traduite avec tant de

naturel et tant de vie, La mimique reste froide et inexpressive, mal-

gré quelques tentatives réalistes.

1 Cette scène banale se passe dans une officine quelconque, éclairée à

droite par une fenêtre devant laquelle sont entassées des verreries et des

faïences. A gauche, on voit un perroquet sur un perchoir (4).

1 J'ai déjà eu l'occasion de parler, à propos du Mal d'Amour, d'un tableau

de Gérard Thomas (5) (commencement du XVIIIe siècle), aujourd'hui au

musée de Dijon, intitulé Un cabinet de consultation. La scène principale qui

se passe dans une vaste officine de barbier a bien trait aux consultations

(i)·N 126. Il, 40. L, 34. B.

(2) Voy. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, ? 1, 1898.

(3) N° 212, B. H, 34. L, 25.

(4) Au musée d'Aix-la-Chapelle, j'ai noté une gravure de Dietricij représentant un

autre Arracheur de dents. On y voit aussi de lui un Charlatan.

(5) Voy. Nouv. iconogr. de la Salpêtrière, Planche LXX, 1899.

660 HENRY MEIGE

uroscopiques pour le mal d'amour ; mais, dans le fond de la pièce, un aide

est en train d'arracher une dent à un pauvre diable assis sur une chaise. Il

suffit de le rappeler (1).

Au musée de Weimar, se trouve un Dentiste de CORNELIsz BEGA (1620-

1644).

La figure 1 représente encore un arracheur de dents, opérant dans une

officine bien garnie de pots de pharmacie et de tiroirs pour les simples.

La scène se passe au XVII" siècle. L'opérateur, selon la tradition, porte au

cou une chaîne de grosses molaires. Il s'apprête à faire sauter la dent de

son client, assis devant lui, les vêtements défaits, la chemise largement

ouverte laissant l'épaule à nu, toujours selon la tradition des maîtres

flamands. Une petite table supporte des pots d'onguent et des instru-

ments.

A droite, entre, appuyé sur un bâton, un nouveau client qui montre

avec son doigt la dent qui le fait souffrir.

La gravure porte en légende ces deux vers :

Le plus sûr est d'aller à l'arracheur de dents,

Qui promet les tirer sans douleur ny tourment.

Le principal intérêt de cette gravure est de nous montrer un manuel

opératoire qui rappelle celui du pélican. 0

Cet instrument doit sans doute à son nom bizarre la renommée dont il

(1) Je signalerai encore une peinture de FHAN1. iNI01,ENABI, au musée des Offices, à

Florence : Un dentiste arrachant une dent.

Fig. 1.

arracheurs DE DENTS 661

a joui, fort injustement d'ailleurs, car tous ceux qui s'en sont servi, à

commencer par A. Paré, comme nous l'avons vu plus haut, sont unani-

mes pour déplorer ses méfaits.

« Dionis, dit M. L. Lemerle (1), fait remonter le pélican aux latins,

qui l'appelaient polycampus, parce qu'il ressemble au bec d'un pélican,

analogie qu'il est cependant difficile de retrouver.

« Le pélican est composé d'une tige fixe, en fer forgé, en bois, ou en

os, dont les extrémités sont terminées en un demi-cercle appelé demi-

roue. Sur le milieu d'une des faces du corps de l'instrument est fixé un

crochet mobile.

« Gariot, dans son ouvrage, donne une bonne description de la ma-

nière de se servir du pélican. D'après lui, l'opérateur se place générale-

ment derrière son malade, tient son instrument de la main droite ou de

la main gauche, selon qu'il doit opérer à droite ou à gauche du patient.

Il place le crochet sur la dent à enlever et prend son point d'appui avec

la demi-roue sur la gencive ou sur les dents voisines, quelquefois même

à un point assez éloigné de la résistance, c'est-à-dire de la dent à enle-

ver ; puis, par un mouvement du poignet qui suit la courbe de la demi-

roue, il opère l'extraction de la dent. »

Telle est bien la position, et tel semble bien être le geste de l'opérateur

sur notre gravure.

Quant à l'instrument déposé sur la table, c'est sans doute quelque

poussoir.

Gérard Dow (1612-1661) s'est trop intéressé aux scènes médicales

pour avoir négligé les Arracheurs de dents. De fait, il nous en a laissé

plusieurs peintures, qui, toutes, portent la marque de son beau talent.

Les Dentistes de Gérard Dow sont des hommes graves, déjà mûrs, cons-

ciencieux, ennemis des parades retentissantes et des boniments pompeux.

Us opèrent discrètement dans leurs modestes officines, loin des badauds

et des curieux. Ce sont d'honnêtes barbiers, accoutumés à pratiquer la pe-

tite chirurgie. Ils s'en acquittent à merveille, et leurs interventions, pour

n'être pas proclamées à son de trompe ou de tambour, ne sont ni moins

bienfaisantes, ni moins habilement exécutées. On ne saurait trop louer

leur prudence et leur douceur. Et s'ils ne se vantent pas à l'avance d'o-

pérer sans douleur, du moins n'agissent-ils qu'avec sollicitude et après ré-

flexion.

Sans doute, ils conseillaient parfois d'étranges remèdes, tels que la

corne de cerf brûlée, le lait de chienne, la cervelle de lièvre, l'os de tête

(1) L. LEMERLE, Notice sur l'histoire de l'art dentaire, p. 181.

662 HENRY MEIGE

de loup, la poudre d'astragale, le foie de lézard, les cendres de vers de

terre, l'urine, les crottes de chat sauvage, les excréments agglutinés à la

queue des moutons, ou bien de se frotter avec une dent de mort, ou en-

core, selon le conseil de Pline, de manger tous les mois une souris.

Ces médications étaient, à vrai dire, répugnantes ou macabres, ineffi-

caces assurément, mais aussi moins périlleuses que les extractions à tour

de bras.

Aussi, les chirurgiens avisés ne tenaient-ils pas en grande estime les

arracheurs de dents grand fracas.

Dionis en donne une première raison qui n'est pas la meilleure :

... « Les chirurgiens, dit-il, qui sont dans la pratique de beaucoup sai-

gner, et qui veulent toujours avoir la main ferme et légère, ne doivent ja-

mais arracher de dents, de crainte que les efforts qu'il faut faire ne leur

rendent la main tremblante : on laissera donc cet emploi aux opérateurs

qui en font un exercice journalier, et qui n'ont d'autre métier pour gagner

leur vie. »

La vérité est qu'alors les arracheurs de dents étaient pour la plupart

peu recommandables. Dionis le dit franchement plus loin :

« Si je conseille aux chirurgiens d'abandonner cette opération, ce n'est

pas seulement pour le préjudice que sa main en pourroit recevoir, c'est

aussi qu'elle me paroit un peu tenir du charlatan et du bateleur. En effet,

la plupart de ces arracheurs abusent de leur talent pour tromper le public

faisant accroire qu'ils n'ont besoin que de leurs doigts ou d'un bout d'épée

pour emporter les dents les plus enracinées. Mais un chirurgien ne doit

point connaître ces tours de souplesse, et comme c'est la probité qui doit

être la règle de toutes les actions, il faut qu'il se distingue de ceux qui veu-

lent en imposer aux autres (1). »

Conseil fort sage. Cependant, Dionis a donné lui-même des indica-

tions opératoires pour l'extraction des dents. Les chirurgiens la prati-

quaient donc, les chirurgiens de village surtout, et, dans le nombre,

il faut bien admettre qu'il s'en trouvait d'habiles et de consciencieux.

Les écrits médicaux du XVIIe siècle nous renseignent suffisamment sur

leur pratique de l'art dentaire. Ce serait sortir de notre sujet que de les

passer en revue (2).

(i) Cité par FIIANKLIN, Var. clair., p. 142.

(2) Là-dessus on consultera avec grand profit un intéressant ouvrage intitulé, Notice

sur l'histoire de lai,t dentaire, contenant de nombreuses figurations d'instruments spé-

ciaux, récemment publié par M. L. 1,ENIEII.E, professeur à l'Ecole dentaire de Paris

(Paris, publicat. de l'Odontologie, M. C. M.).

L'auteur y a condensé sous une forme excellente les documents déjà parus sur ce

arracheurs DE DENTS 663

Je me contenterai de rappeler quelques passages des OEurres chi1'1l1'-

gicales de Fabrice d'Aquapendente (1) résumant les principales opérations

alors en usage, et indiquant «... comment on arrache les dents, ou [qui

branlent, ou qui font douleur, ou qui sont trouées, ou font puanteur de

bouche. »

Renchérissant sur les conseils de prudence donnés par Celse, Fabrice

d'Aquapendente dit « qu'il ne faut en aucune façon arracher les dents,

sans y prendre bien garde, et sans y faire préparation qui les fasse arra-

cher plus aisément (2) ».

« Aux dents, ajoute-t-il, se font sept opérations chirurgicales :

« La première ouvre les dents joinctes et fort serrées à fin que le ma-

lade ne meure de faim.

« La deuxiesme oste la vilainie et puanteur de la bouche.

« La troisiesme garde que les dents ne se gastent et ne se pourrissent

(cautérisation par l'huile de soufre, le vitriol ou le fer chaud).

« La quatriesme met de l'or au trou des dents, pour les préserver.

« La cinquiesme arrache les dents qui ne sont pas au lieu qu'il faut,

soit dedans vers la langue, ou en hors vers la bouche.

,( La sixiesme râpe les dents qui viennent ainsi hors de leur lieu natu-

rel. '

« La septiesme arrache les dents qui branlent, qui font mal et qui se

gastent. »

Ainsi, les chirurgiens pratiquaient couramment le nettoyage, la cauté-

risation, l'aurification et l'avulsion des dents.

Mais déjà, à cette époque, on connaissait aussi plus d'un procédé d'ob-

turation des dents. Sans parler de l'histoire légendaire de la dent d'or,

sujet, en particulier dans les travaux du Dr Louis Thomas, L'Odontologie dans l'an-

tiquité, Le passé de l'Odontologie, dans le livre du Dr G. P. GEisr-1 \com.Geschichle der

Zahnheilfwnde (Frankfurt, A. M.), et dans plusieurs publications plus récentes.

Ce livre précieux pour l'histoire de la médecine, contient un Catalogue détaillé des

instruments anciens et des pièces prothétiques rétrospectives qui furent réunis à l'Ex-

position universelle de 1900, et dont la majeure partie appartient au musée de l'Ecole

dentaire de Paris.

(1) OEuvres chirurgicales de HI&ROSB FABRICE Di'AQUAPENDENTO, fameux médecin,

chirurgien, et professeur anatomique en la célèbre université de Padoue. Seconde

partie, traitant des opérations chirurgicales qui s'exercent en toutes les parties du

corps humain, depuis la teste, insques aux pieds. A Lyon, chez Pierre Ravaut, rue

Mercière, à l'Enseigne de St-Pierre. A1.D.C.XLIII.

(2) Le chirurgien de Padoue était d'une louable prudence. Il est vrai qu'il avait eu

quelques désagréments dans sa pratique dentaire. « J'ay plusieurs fois arraché, dit-

il, la moitié de la mâchoire ou aussi toute, s'estant pourrie pour avoir fait arracher

une dent : car la mâchoire, aussitôt qu'elle est attaquée du pus, se pourrit toute

aisément, parce qu'après la platine externe fort dense et mince qui luy est comme

une croûte, en tout le reste elle est poreuse, fangeuse et partant sujette à se pourrir. »

664 HENRY MEIGE

l'emploi de l'or en feuilles semble remonter à Giovanni d'Arcoli qui

vivait à Bologne vers 1450. Au temps deDionis, on connaissait plusieurs

pâles obturatrices.

Albucasis avait exposé la façon de ligaturer les dents branlantes au

moyen de fils d'or ou d'argent, pratique déjà en usage au temps de Celse,

et ce mode de prothèse s'était répandu et perfectionné.

Avicenne avait prescrit l'emploi des narcotiques pour calmer la dou-

leur. Guy de Chauliac, au XIVe siècle, recommandait l'opium.

Enfin Ambroise Paré avait parlé de réimplantation.

On le voit, l'art dentaire, au XVII" siècle, était déjà assez perfectionné.

Mais tous ces enseignements se trouvaient épars et la grande majorité des

arracheurs de dents les ignoraient totalement.

La plupart n'avaient d'ailleurs à leur disposition qu'un nombre res-

treint d'instruments. Et cependant, on en avait inventé, on en inventait

encore, à profusion.

Fabrice d'Aquapendente les a décrits sommairement (1). Il en compte

neuf, parmi lesquels les Pélicans occupent la première place. Puis vien-

nent les becs de corbeau pour extraire les racines, différentes tenailles, ou

daviers (en italien cagnoli , « parce qu'ils mordent comme un chien »),

les tarières (trirellini) pour séparer les dents, les cure-dents pour déchaus-

ser les gencives, les limes pour abattre les aspérités.

Notons à l'honneur du chirurgien italien qu'il recommande de n'em-

ployer que des instruments bien propres. Si le client est « un Grand », il

faut se servir d'instruments en argent. Pour le Roi et les Princes ils

étaient en or ; et même, dit ingénument Dionis, « s'il y avoit encore un

(1) Fabrice d'Aquapendente s'est surtout préoccupé de trouver un moyen pour nour-

rir les malades atteints de trismus ou de constriction des mâchoires.

11 conseille d'essayer d'abord d'entrouvrir les dents avec un (, ferrement ». Mais si

l'on éprouve une trop grande résistance, il faut y renoncer. On nourrira alors le pa-

tient par d'autres procédés (a clystères faits de bouillons de poulets et d'autres bouil-

lons gras, vulgairement des consumés »).

S'il manque quelque dent, on introduit dans la bouche une « fistule » (sonde) par

où l'on fait pénétrer des liquides nourrissants à l'aide d'un entonnoir.

Si ce procédé n'est pas réalisable, Fabrice d'Aquapendente conseille alors l'emploi

de la sonde nasale dont l'invention lui appartient.

« J'ai expérimenté (sur moi-même), dit-il, m'ayant fait mettre une syringue, faite

pour les femmes, dans le nez jusqu'au gosier, où je n'ay rien senty, qui m'aye fait

du mal... Toute la difficulté est là que la liqueur, tombant sur le gosier, ne tombe

sur le larynx et n'y aye danger d'estre suffoqué. » Pour parer à ce danger, le chi-

rurgien de Padoue conseille plusieurs modifications au bec de la canule et décrit les

expériences probantes qu'il a faites « sur la teste d'un mort ».

Fabrice d'Aquapendente, tout en revendiquant cette invention, avoue ne l'avoir ja-

mais mise en pratique sur des malades. Plus tard, ses'conseils ont été mis à profit

et sont encore appliqués de nos jours.

30UV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XIII. PL. LXXXIV.

L'ARRACHEUR DE DENTS

Gravure de ÏAYLOR.

D'après un tableau de GÎ RARD Dow, dans la galerie de Schwerin.

Masson et Ci-, Éditeurs.

ARRACHEURS DE DENTS 665

métal plus précieux, on l'employerait à leur service, parce qu'ils récom-

pensent magnifiquement ».

L'arsenal des dentistes était d'ailleurs beaucoup plus riche que ne le

laisse supposer Fabrice d'Aquapendente. Tous- les instruments transmis

par les Romains et les Arabes se retrouvent dans les descriptions et les

-figurations des ouvrages des XVIe et XVIF siècles.

Vodonlagre des Grecs, toutes les variétés du rhizagre, du forceps, du

specill2cfo, de la volsella de Celse, le dentiduc1l1n de C. Aurelianus, le

scalprun de Scribonius Largus, l'acaathobolos de Paul d'Egine, etc., re-

paraissent plus ou moins modifiés dans les livres d'Ambroise Paré, puis

de Dionis, en tenailles, fouloirs, poussoirs, déchaussoirs, élévatoires,

dilatatoires, tiretoires, etc., sans oublier toutes les métamorphoses du

fameux pélican, en bois, en corne, en os, en ivoire, en bronze, avec un

ou deux crochets, avec ou sans vis.

Cès instruments eux-mêmes devaient devenir plus tard les pinces, les

daviers, les précelles, les bruxelles, les stylets, les élévateurs, les rugines,

les pinces à racines, les pieds de biche, les becs de corbeau, les langues

de carpe, etc...

Il n'est pas de terminologie plus baroque ni plus variée.

Mais un modeste barbier de village, et à fortiori un dentiste ambulant

n'avait pas à sa disposition tout cet arsenal terrifiant. Une solide pince,

bonne à tout faire, parfois un élévateur, plus rarement un pélican, suffi-

saient à la besogne courante. A la pénurie de l'outillage suppléait l'ingé-

niosité de l'opérateur. De la prudence, de la patience et du sang-froid,

avec cela, un barbier-chirurgien pouvait « traire les dents » de façon très

honorable.

Regardez l'Arracheur de dents de G. Dow, dans la galerie de Schwerin

(PI. LXXXIV) :

C'est un bon vieux barbier, défraîchi par les ans, tout à fait édenté,

au point qu'on se demande s'il n'a pas expérimenté toutes les variétés

d'extraction sur sa propre mâchoire. Une houppelande fatiguée, une

barette déformée, sont les seuls attributs de sa profession qu'il porte sur

lui-même. CI).

Très soigneux et très prudent, il tient à s'assurer, avant de recourir au

fer,du siège exact de la douleur. Et renversant en arrière la tête de son

client, délicatement, il touche du bout du doigt les dents qu'il soupçonne

malades, pour n'arrêter son choix qu'à bon escient.

(1) Nu 327. B. Il, 37. L, 30. Signé. - Il existe une très bonne copie de ce tableau

dans la galerie d'Aschafîenburb. - Notre planche LXXXIII reproduit une gravure

par Taylor, éditée par W. millier, Londres, 1811, et intitulée < 77te Tooth Draiver ».

(Coll. II. M.)

666 HENRY MEIGE

Si discrète que soit celte exploration préliminaire, elle n'en cause pas

moins une cruelle appréhension au patient qui se tient sur la défensive,

assis dans un fauteuil, serrant les poings dans l'attente de la douleur su-

raigue que produira le contact de la dent vraiment atteinte, car, comme

dit Ambroise Paré « la douleur de dents est la plus grande et cruelle entre

toutes les douleurs, sans mort ».

Cette scène est fort heureusement choisie. Elle est d'une vérité admira-

ble, et rendue avec toute la maîtrise dont Gérard Dow est coutumier.

Pour ajouter l'angoisse de ce prélude opératoire, l'artiste nous mon-

tre aussi une vieille femme qui suit les péripéties de l'examen avec une

mine inquiète et apitoyée, vraiment communicative.

Comme toujours, Gérard Dow a apporté le plus grand soin à l'éclairage,

au décor et aux accessoires. Par l'ouverture d'une fenêtre cintrée garnie

dans le haut d'une draperie rouge artistement relevée, on a l'impression

d'entrevoir en passant une scène d'intérieur éclairée à gauche par' une

baie garnie de vitraux.

Dans le fond, on distingue l'amorce d'un escalier, une étagère garnie

de pots de pharmacie, surveillés par une tête de mort. Des ciseaux, des

pinces, une seringue sont accrochés a la muraille. Du plafond pend un

crocodile empaillé, gardien traditionnel des officines de ce genre.

Enfin, sur l'appui de la fenêtre, Gérard Dow s'est évertué à combiner

toute une gamme de couleurs, faisant tomber de délicates touches lumi-

neuses sur la nacre rosée d'un coquillage, sur le verre transparent d'une

petite bouteille, sur le métal d'un plat à barbe, et sur les fleurs doucement

nuancées d'un pot d'oeillet.

N'est ce pas encore un Arracheur de dents tout à fait respectable que

celui du tableau de Gérard Dowpossédé par le Louvre (1) ? (PI. LXXXV).

Un vieillard, portant moustache et barbiche blanches, on veut recon-

naître en lui le portrait du père de Rembrandt, vêtu d'une longue robe

garnie de fourrures, coiffé d'une petite calotte noire, ébranle avec un

instrument d'acier la dent de son client, tandis qu'il lui maintient la tête

avec son bras gauche contre sa poitrine.

Le patient, un paysan, vêtu de vert, renversé en arrière sur son fau-

teuil, crispe les poings, ferme les yeux et racle le sol de ses talons. Sa

douleur doit être fort vive; mais il veut la supporter. Et l'opérateur,

ferme et prudent, poursuit attentivement sa besogne.

Ce groupe est seul,aumilieu delà pièce qu'éclaire à gauche une fenêtre

(1) Na 2355. II, 32. L, 25. B. Il existe de nombreuses copies de ce tableau, entre

autres aux musées d'Amiens et de lfontpeltier.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T.

L'ARRACHEUR DE DENTS

Gravure -

d'après le tableau de Gérard Dow, au musée du Louvre.

Massos ET 0', Éditeurs.

ARRACHEURS DE DENTS 667

cintrée. A droite, un escalier conduit par quelques degrés à une chambre

supérieure.

Au fond, derrière un rideau, s'étagent sur plusieurs rayons des pots

de pharmacie, des fioles, un mortier, une mappemonde, un livre et un

violon. Au premier plan, un plat à barbe est posé sur un escaheau. Près

de l'opéré, par terre, gisent son chapeau, son bâton, et un panier rempli

d'oeufs, les honoraires de l'arracheur de dents.

Je n'insisterai pas sur la perfection de cet agencement, non plus que

sur la distinction du coloris. Ce sont des éloges que toutes les peintures de

Gérard Dow méritent indistinctement, mais l'on peut remarquer ici encore

que le fini et l'élégance du maître .hollandais ne nuisent en rien au na-

turalisme et à la vie de ses compositions.

Y ! Arracheur de dents du musée de Dresde (1) (PI. LXXXVI) est

presque aussi connu que le tableau du Louvre. C'est une de ces scènes

encadrées dans une fenêtre cintrée dont le maître hollandais a laissé tant

d'exemplaires. Un rideau à demi relevé complète l'encadrement dans le

haut ; sur l'appui de la fenêtre, Gérard Dow dépose encore quelques us-

tensiles professionnels : un plat à barbe en cuivre, une boîte à instruments

joliment ouvragée, et une petite fiole. Au fond, on aperçoit l'intérieur de

l'officine avec une étagère garnie de bocaux et de pots de pharmacie; du

plafond pend nécessairement un crocodile empaillé. Notons encore ici la

présence des parchemins garnis de sceaux, diplômes des barbiers, des

chirurgiens ou des dentistes, qui, à certaines époques, furent sévèrement

exigés pour autoriser l'exercice de la profession.

L'opérateur et l'opéré sont les seuls personnages qui se montrent dans

l'embrasure de la fenêtre. Le premier, un vieillard à longs cheveux gris

bouclés coiffé d'un bonnet garni de fourrures, montre de la main droite

la dent qu'il vient d'extraire à son client, un tout jeune garçon, que la

main du dentiste, posée à plat sur sa tête, tient encore en respect; ce-

pendant l'opération est terminée, sans instrument et sans grande douleur.

Le gamin, qui a eu plus de peur que de mal, demeure cependant les

yeux pleins de larmes, tâtant avec son doigt la place vide de la dent frai-

chement extraite, une dent de lait probablement. Le contraste est

parfait entre sa figure encore angoissée, son regard méfiant, son geste

d'incrédulité soupçonneuse, et la mine satisfaite, l'air dégagé et assuré

de l'arracheur de dent.

i) N° 1710. B. II, 57. L, 24. Signé et daté 1672.

Ce joli tableau a été maintes fois copié et imité. Il en existe en particulier une copie

au musée de Schwerin, et un dessin par Gaspard Klengel au musée de Dresde.

668 HENRY MEIGE

Peut-être ce dentiste-là connaissait-il le secret de faire choir les dents

sans instruments et sans douleur. ,

Sonnet de Courval (1) nous apprend qu'au début du XVIIe siècle il exis-

tait un habile homme, sachant « tirer et arracher (les dents) sans exciter

aucune douleur n'y mesme sans user d'aucun instrument ou polican que

de ses deux doigts, à savoir le poulce et l'index..... Avant que d'arracher

la dent que le patient vouloit faire oster, il la touchoit de ses deux doigts,

au bout de l'un desquels il mettoit subtilement, en babillant, un peu de

poudre narcotique ou stupéfactoire, pour endormir et engourdir la partie,

afin de la rendre stupide et sans aucun sentiment. Et à l'autre doigt il

mettoit une poudre merveilleusement caustique, laquelle estoit d'opéra-

tion si soudaine qu'en un moment elle faisait escharre et ouverture en la

gencive, deschaussant et desracinant tellement la dent qu'aussi tost qu'il

la touchoit de ses deux doigts seulement,il l'arrachoit, et quelquefois tom-

boit sans y toucher ».

Ce mélange d'anesthésie et de cautérisation locale mis en usage il va a

environ quatre cents ans, est intéressant à connaître. Il n'est pas absurde

en soi et nos dentistes aujourd'hui ne font souventpas autre chose. Mal-

heureusement dans les débuts son application n'était pas exempte de dan-

gers.

« ... C'est chose asseurée, continue Sonnet de Courval, comme j'ay ouy

à réciter des gens de bien et dignes de foy, que la plupart de ceux aux-

quels elles (les dents) furent tirées par le susdict charlatan tombèrent puis

après en de grandes fluxions et catherres, à cause des attractions qui avoient

été excitées ausdites parties affligées par les susdites pouldres violentes.

Et mesmes à quelques-uns les dens en tombèrent toutes, de façon qu'ayant

pris résolution de n'en faire tirer qu'une ou deux, ils furent tout eston-

nez qu'elles leur cheurent presque toutes : chose misérable et déplora-

ble. »

De tous les Arracheurs de Dents de Gérard Dow, un des moins connus,

et à coup sûr l'un des plus intéressants, se trouve dans la galerie Six, à

Amsterdam.

J'ai vu cette peinture en 1895. Et, faute d'en pouvoir donner une re-

production, je me contenterai de transcrire les notes prises à cette époque.

« C'est surtout une curieuse étude d'éclairage, mais c'est aussi une

scène pleine de réalisme et de sentiment.

« Une pièce très sombre, éclairée par une lanterne hollandaise posée,

en premier plan, sur une table, à côté d'ustensiles divers : un plat d'é-

(1) Tn. Sonnet de C01711VAL, Satyre contre les charlatans et pseudo-médecins empyri-

ques, 1610, cité par Franklin, Var. clein., p. 137.

Nouv. Iconographie DE la SALPÉTRIÈRE T. XIII. PI. LXXXV

L'ARRACHEUR DE DENTS

Tableau de Gérard Dow, au Musée de Dresde.

Masson & Cie, 1Jncurs

ARRACHEURS DE DENTS 669

tain, un panier, des fioles, etc. ; un crocodile empaillé se balance au pla-

fond.

« Derrière la table, le patient est assis sur un fauteuil, la tète penchée

en arrière et ouvrant largement la bouche.

« Le Dentiste, un jeune homme à longs cheveux bouclés, à fine mous-

tache, un béret sur la tête, se tient devant son client, de la main droite

renversant la tête de ce dernier,et tenant dans la main gauche unechandelle

avec laquelle il cherche à éclairer son futur champ opératoire. Sa phy-

sionomie est très expressive : on saisit à merveille l'effort attentif de son

examen.

« A droite de ce groupe, et toujours derrière la table, une vieille femme

saisit avec la main gauche la main droite du malade, posée sur le bras du

fauteuil. On la voit de profil, bien éclairée par la lumière, que tient l'o-

pérateur. Son regard anxieux, sa bouche enlr'ouverte, sa main gauche ap-

puyée contre sa poitrine expriment bien l'émotion qu'elle éprouve. On

devine les paroles de commisération ou de réconfort qu'elle prodigue au

patient.

« L'effet de cette peinture est vraiment séduisant tant à cause de la har-

diesse des éclairages que de la délicatesse de sa composition.

« S'agit-il bien d'un Arracheur de Dents ?

« Tel est du moins le titre consacré à ce tableau. Et rien n'empêche de

l'admettre.»

Malgré son jeune âge, l'opérateur appartient déjà à cette série de den-

tistes, consciencieux et prudents, qui plaisaient à Gérard Dow. Il ne veut

pas opérer à la légère, et, contrairement à tant de confrères moins scru-

puleux, il prend soin d'examiner à fond la mâchoire sur laquelle il aura

peut-être à intervenir dans un instant.

Après les Arracheurs de Dents aux manières discrètes que peignit Gé-

rard Dow, nous allons trouver dans l'oeuvre bruyante de JANSïEEK (1626-

1679) les types charlatanesques qui se sont perpétués jusqu'à nous.

Tandis que les premiers travaillent à domicile, dans des officines pro-

pres et toujours soigneusement rangées, les seconds se livrent en plein air,

sur les carrefours et les places publiques, aux plus tapageuses opérations.

Brouwer, Jan Victoor, Andries Booth nous en ont déjà fait connaître

plusieurs types.

Les Dentistes en plein vent sont toujours bien achalandés, tant est grand

le prestige de leurs oripeaux multicolores et de leurs boniments. Qu'ils se

payent par surcroit le luxe d'un musicien ou d'un pitre, et leur succès

est assuré.

670 HENRY MEIGE

Ils appartiennent réellement à la catégorie des prestidigitateurs et des

jongleurs de foire. Leurs costumes, leurs parades, les prodigieuses sor-

nettes qu'ils lancent en appât aux badauds, justifient le dicton populaire :

« Menteur comme un Arracheur de dents ». ).

A. Franklin,dans ses Variétés chirurgicales (1), recueilli une série de

documents écrits contemporains sur les arracheurs de dents en plein air.

Rien n'est plus intéressantque de les rapprocher de nos documents figurés.

, Voici, par exemple, un extrait de l'Histoire de Francion, qui date du

XIV siècle : - .

« Un jour me promenant sur le Pont-Neuf, je vis arriver un homme

à cheval vers les Augustins, qui avait une casaque fourrée, un manteau

de taffetas par dessus, une épée pendue au côté droit, et un cordon de

chapeau fait avec des dents enfilées ensemble. Sa mine était grotesque

comme son habit (2). »

L'Iconographie contemporaine nous a laissé plus d'une réplique imagée

de ce tableau imprimé.

Rappelons encore ce portrait de Carmeline, un des plus célèbres charla-

tans du XVIIo siècle, qui s'était installé selon l'usage sur le terre-plein du

Pont-Neuf,et avait choisi cette devise expressive : « Uno avitlso non déficit

aller ».

Carmeline l'opérateur, '

. Vestu d'un colet de senteur,

Chausses de damas à ramage,

La grosse fraize a double estage,

Bas d'attache et le brodequin

De vache noire ou maroquin,

Le sabre pendant sur la hanche,

Et sur tout l'escharpe blanche ;

Tenant en main bec de corbin,

Monté sur un cheval aubin,

Gardoit avec six cens et onze

Le poste du cheval de bronze,

Et fit assez diligemment

Un bizarre retranchement.

De cette belle architecture ,

A peu près voicy la peinture :

De l'un jusqu'à l'autre pillier

On mit des dents, un râtelier ;

Sur les dents on mit des mâchoires,

Des brayers, des suppositoires,

(1) Collection de La vie privée d'autrefois; chez Plon, 1894.

(2) Cité par Franklin, loc. cil., p. 144.

ARRACHEURS DE DENTS 671

Des pellicans, des bistoris

Des boetes de poudre d'iris,

. Des châlits, des portes, des cruches, ,

Des coquemars, des oeufs d'autruche,

Quelques saloirs remplis de lard.

Et sur ce solide rempart

On fit un parapet de grilles

Par où guignoit deux crocodilles :

Il est vray qu'ils ne vivoient pas.

Mais chacun ne le sçavoit pas (1).

L'Arracheur de dents de Jan Steen, au musée de La Haye (2), est un de

ces opérateurs ambulants sans vergogne qui, pendant plusieurs siècles, sil-

lonnèrent les campagnes en recueillant une riche moisson de molaires ou

de « pierres de tête ». sans parler de pièces de monnaies dont tant de ba-

dauds payèrent leurs propres souffrances. Il

Coiffé d'un noir chapeau pointu, un long manteau brun rejeté sur l'é-

paule, portant au cou un collier d'énormes médailles, le Dentiste de pas-

sage s'est armé de pinces formidables qu'il introduit dans la bouche du pa-

tient, d'un geste délibéré, le petit doigt dressé en l'air.

La victime geint, se débat, se cramponne au bras de son siège, piétine,

nerveusement au point d'en perdre ses bas..... Indifférent et solennel.

l'opérateur n'y prend garde et saisissant à pleine poigne le menton du

malheureux, il s'apprête à lui disloquer la mâchoire.

Cependant le public se presse pour contempler ce spectacle toujours al-

léchant, et, suivant sa complexion, chacun exprime les sentiments qu'il

éprouve.Un jeune enfant, tout de rouge vètu, coiffé d'un feutre immense

un cerceau à la main, s'arrête, comme pétrifié. Une veille femme, un pa-

nier au bras, croise les mains dans un geste de supplication et d'effroi.

D'autres, moins sensibles, prennent plaisir aux grimaces de l'opéré ; un

méchant gamin en rit sans pitié aucune.

Jan Steen excelle dans cette peinture des foules badaudes, où tour à

tour transparaissent' les bons et les mauvais instincts. C'est un spectacle

que nous pouvons encore contempler aujourd'hui. Il durera tant que

n'aura pas changé la nature humaine. Aussi les peintures de Steen ne

vieilliront-elles jamais.

Sans doute les costumes ont changé. L'éventaire, un simple tonneau,

ou, pêle-mêle, gisent les fioles, les onguents, les instruments et les diplô-

(1) ln L'agréable récit de ce qui s'est passé aux dernières barricades de Paris. 1649,

in-4° .

(2) No 346, H, 33. L., 26. T.

672 HENRY MEIGE '

mes à larges sceaux, s'est transformé par la suite en un carrosse étin-

celant d'or. Qu'importe ? ? L'audace et la fourberie du charlatan, la cré-

dulité, l'émotivitéet la cruauté des spectateurs seront éternelles. '

Il existe, au musée du Louvre, un dessin de Jan Steen, à la plume,

rehaussé de lavis, intitulé l'Arracheur de dents, qui est un excellent spé-

cimen de ces opérations en plein air. o

Au carrefour d'une rue dont les maisons profilent en perspective leurs

pignons dentelés, une estrade est dressée que surmonte une grande affi-

che et un parasol branlant sur lequel est perché un oiseau, hibou ou

perroquet.

La victime, une vieille femme, s'affaise sur le fauteuil opératoire ap-

puyant sur sa main gauche sa tête enveloppée de linges. Car elle vient

d'être soulagée e

Un truculent arracheur, coiffé d'unebarette emplumée, tend vers la

foule ébahie une terrible pince en fer qui mord solidement la molaire

fraîchement extraite. Assurément, ce n'est point là un disciple d'Erasis-

trate qui, au dire de Cmlius Aurelianus, fit placer dans le temple d'A-

pollon, une pince de plomb, voulant enseigner ainsi qu'on doit toujours

opérer sans violence (1).

Et chacun d'applaudir dans l'assistance mélangée qui se presse autour

de l'estrade : soldats, bourgeois, marchands de poissons, artisans, fem-

mes du peuple, sans parler des enfants et des chiens, qu'on écrase et qui

hurlent. A droite, près d'une fontaine, un infirme est assis, exhibant le

pilon qui remplace sa jambe absente. Peut-être a-t-il eu maille à partir

autrefois avec quelque chirurgien de carrefour

Ce croquis plein de verve a-t-il jamais été transformé en tableau ? Tel

qu'il est, il constitue un des documents les plus réalistes de l'iconographie

des dentistes ambulants. Les badauds que nous montre Jean Steen font

songer à ceux qui, au XVIe siècle, se pressaient auprès du Pont-Neuf au-

tour de l'Arracheur de dents entrevu par Francien, et qui se composaient

d' « un crocheteur, un laquais, une vendeuse de cerises, trois maquereaux,

deux filous, une garce et un vendeur d'almanachs » ().

Remarquons la grande bannière ornée d'inscriptions et de dessins tout

à l'honneur du charlatan. Elle remplace les parchemins que nous avons

vus dans les officines clauses. C'est une manière de diplôme démesuré-

ment agrandi.

Un édit de Charles V publié en 13G ? avait ordonné de brûler toutes

(1) FIIANKLIN, IDe. cit., p. 123.

(2) Ibid., p. Hi.

ARRACHEURS DE DENTS 673

ces affiches trompeuses. Mais elles renaissaient sans cesse de leurs propres

cendres.

Avec JOHANNES Lingelbach (1623-1674) nous apprenons à connaitre une

nouvelle variété de dentistes ambulants, le Dentiste à cheval.

C'est un opérateur pressé qui, dans la même journée, cueille les mo-

laires de plusieurs villages. Aussi ne s'encombre-t-il pas de tréteaux ni

d'affiches. Il ne prend même pas la peine de descendre de sa monture.

Aussitôt arrivé sur la grande place, il entame son boniment, rassemble

autour de lui quelques badauds, et immédiatement se met à attaquer les

dents malades. N'y a-t-il pas toujours quelque mâchoire endolorie dans la

plus modeste bourgade ? Et, comme disait Jean Goeurot (1), médecin de

François le', ne sait-on pas que le mal de dents « entreaultres immortelles

passions desquelles l'homme ha douleur, est plus moleste... » ? ?

Campé sur son cheval, dominant l'assistance, le Dentiste équestre fait

approcher le client, tire de ses fontes une pince martiale, la plonge vive-

ment dans la bouche du malheureux, puis, piquant des deux, fait cabrer sa

monture... La dent la plus récalcitrante ne saurait résister, dût-elle être

suivie d'un fragment de mâchoire.

Cette cavalière extraction,si elle n'est pas sans danger, paraîtra du moins

ingénieuse.Elle rappelle un peu le procédé naïf usité parfois pour arracher

les dents de laits. On attache au collier de la dent un fil dont l'autre ex-

trémité est fixée à la poignée de la porte. On recommande à l'enfant de

maintenir le fil légèrement tendu. Puis, tandis qu'il suit avec un vif in-

térêt tous ces préparatifs, quelqu'un ouvre la porte brusquement. Natu-

rellement, la dent s'envole au bout du fil.

Lingelbach a peint deux Dentistes à cheval : l'un est au musée d'Ams-

terdam (2) ; l'autre à l'Académie de Venise (3). Dans cette dernière pein-

ture, la scène se passe sur la piazza del Popolo, à Rome, où Lingelbach a

longtemps résidé. Ce jour-là, le cheval ne voulut sans doute pas obéir à

l'éperon, et le patient eut le temps de se cramponner aux mains de l'opé-

rateur, mais celui-ci, plutôt que de lâcher prise, souleva sa victime à la

force des poignets. Nous ne savons pas si la dent consentit à sortir de son

alvéole.

Au XVIII" siècle, l'Iconographie des Arracheurs de dents devient moins

riche en documents picturaux. Par contre, les gravures abondent.

(1) L'entrelenement delà vie... 1541. Cité par Franklin, Var. c/iu'M)'y., p. 121.

(2) No 842. II. 68, L, Signé daté 1651.

(3) N° 803. Un Charlatan de Lingelbach est au musée de Bruxelles. '

xiit 44

674 . HENRY MEIGE

Parmi les peintures, j'ai relevé, entre autres, un tableau de Pietro

LONGIII, peintre vénitien, intitulé la Pharmacie, et conservé à T Académie

de Venise (1). ,

La scène représente une officine garnie de pots de pharmacie, au mi-

lieu de laquelle, un vieillard, vêtu d'une houppelande jaune, coiffé d'un

honnetde coton, de grosses besicles sur le nez, examine les dents d'une

jeune femme en robe rose et châle blanc.

A droite, un médecin, assis devant une table, écrit' une ordonnance.

A gauche, un jeune apprenti allise un fourneau. Au fond, deux clients,

un abbé et un gentilhomme, attendent sur un banc.

Rien ne prouve que ce pharmacien bien achalandé aille se livrer sur la

mâchoire de sa jolie cliente à quelque douloureuse extraction. Bien plus

probablement, il va lui offrir, moyennant finances, quelque essence de gi-

rolle ou de thym, quelque pâte dentifrice de sa façon, un morceau de corail

ou un barreau aimanté, ou encore lui ordonner quelque emplâtre de mastic

recouvert de taffetas noir, qui, s'il ne la soulage pas, aura du moins le mé-

rite de faire ressortir la blancheur de son teint.

Jean Steen, qui s'entendait à médicamenter les jolies femmes, n'oublie

jamais de poser un de ces topiques avantageux sur la tempe des malades

d'amour qu'il aimait tant-à peindre. Ce morceau de taffetas noir qui, plus

tard, dégénéra en mouche, a, dans les tableaux du maître hollandais, la

valeur d'un symbole.

« Vous portez une mousche, avez-vous mal aux dents ? »

lit-on dans une pièce de vers de l'époque. Et le dicton répétait : « Alal de

dent, mal d'amour. »

La planche LXXXVII reproduit une gravure italienne du 1VIII° siècle

d'après Franco 1\L\r.IO'I''I'O, dessinée par Car. Paroli, et gravée par Amad.

Gabrieli.

Cette gravure porte en légende, un titre : Il Caradellti (l'Arracheur de

dents) et les deux vers humoristiques suivants :

Per caritn levatl ! 1111 daanLascia,

Mu non mi s,qoengherall' la ganascia.

Par charité, faites cesser mon tourment,

Mais ne me disloquez pas la mâchoire.

(1) N- 461. T. 5 : 1-r7. - Ce tableau fait partie d'une série dans laquelle se rouve

encore un Charlatan, diseur de bonne aventure, qui parle à ses clients au moyen

d'une sarbacane.

iOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

T XIII PL LXXXVII.

ARRACHEURS DE DENTS * 675

La composition, suivant le goût de l'époque, est aussi peu réaliste que

possible, et nous sommes loin des scènes naturalistes des maîtres hollan-

dais ou flamands · . -

Sur une estrade soutenue par des tréteaux où l'on accède par une échelle

un Charlatan de bonne tenue, les cheveux poudrés, portant jabot et man-

chettes, lutte contre un patient qui, pour sauver sa mâchoire a dû se dé-

battre violemment, car il est tombé par terre. L'opérateur persévérant n'a

cependant pas lâché prise et tient encore dans un solide davier la dent ré-

calcitrante. Dans la culbute qu'il vient de faire, l'opéré a perdu ses meil-

leurs moyens de défense ; ses efforts ne servent qu'à favoriser l'extraction.

Ces manoeuvres violentes paraissent aujourd'hui excessives.Les chirur-

giens ne condamnaient cependant pas ce procédé opératoire.

Déjà Abulcasis recommandait au XIIe siècle de maintenir la tête du

patient entre les deux genoux. Ambroise Paré conseillait la même pos-

ture.

Et voici comment Dionis conseillait d'opérer :

« On fait asseoir à terre, sur un carreau seulement, celui à qui on

veut arracher une dent. L'opérateur se met derrière luy, et ayant engagé

la tête entre les deux cuisses, il la luy fait un peu hausser. La. bouche du

patient étant ouverte, il y remarque la dent gâtée, afin de ne pas prendre

l'une pour l'autre ; puis avec le déchaussoiril sépare la gencive de la dent,

qu'il empoigne ensuite avec l'instrument qui luy aura paru le plus con-

venable » (4 )..

En somme, on procédait comme s'il se fût agi de déboucher une bou-

teille !

Sur l'estrade du Caradenti de Magiotto se trouve une table chargée de

fioles, d'onguents et d'élixirs, avec un coffret et toute une collection de di-

plômes et de parchemins garnis de sceaux.

A gauche, sur une chaise, un singe est assis, jouant avec le chapeau à

trois cornes du Dentiste. A côté, une affiche représente ce dernier exhi-

bant uu vaste diplôme, avec cette inscription au-dessus : FAMA volât.

Cet arracheur de dents italien rappelle un célèbre charlatan qui s'ins-

talla sur le Pont-Neuf entre 1711 et 1712, le Grand-Thomas, ancien gar-

çon chirurgien à l'Hôtel-Dieu, reçu maître à Saint-Côme. Il était de taille

gigantesque, doué d'une voix de stentor « vêtu d'un habit rouge galonné

d'or et coiffé d'un vaste tricorne empanaché de plumes de paon; un

énorme sabre pendait à sa ceinture ».

Sa main surpassoit son conseil,

J'en atteste l'expérience ;

Et le titre de Sans-Pareil,

(1) Cours d'opérations de chirurgie, p. 512.

676 HENRY MEIGE

Lui fut acquis par sa science.

Dentistes, qui suivez ses pas.

Bientôt vous n'en douterez pas,

Lisez sa mémorable histoire :

Elle annonce pour évident,

Qu'il arrachait une mâchoire.

Plus vite que vous une dent (1).

Voici encore à titre documentaire deux images de date plus récenle.

Elles montrent que les Dentistes en plein air ont toujours eu le goût des

costumes pompeux et d'allure guerrière, pourpoints à crevés, chapeaux à

plumes, en usage aux siècles précédents.

Dans la première (fig. 2) le, charlatan est secondé par un orchestre

bruyant dont le tapage est autant destiné à attirer vers lui les badauds

friands des exhibitions sensationnelles qu'à couvrir les cris de douleur

desopérés. Les âmes simples peuvent ainsi s'imaginer que l'extraction se

fait sans douleur.

Dans la seconde (fig. 3),le dentiste est accompagné d'un singe qui paro-

die tous les gestes de l'arracheur de dents. Encore une façon de distraire

les regards des assistants et de leur faire oublier les contorsions doulou-

reuses du pauvre patient (2).

(1) V. FItANKLIN, IOC. cil., p. 159, avec la reproduction d'une estampe de l'époque

représentant le Grand-Thomas.

2) M. Lemerle a reproduit dans sa Notice sur l'histoire de l'Art dentaire (p. 63)

une intéressante gravure du Xsiècle, appartenant à M. Viau, et représentant l'in-

Fig. 2.

ARRACHEURS DE DENTS 677

On pourrait multiplier ces exemples. Ceux que nous venons de passer

en revue suffiront, je pense, à montrer la richesse artistique et l'intérêt

historique de l'Iconographie des Arracheurs de dents (1).

térieur d'une vaste officine de chirurgie, (ledicalrina), sorte de temple des opérateurs

avec colonnades.

Cinq chirurgiens y sont aux prises avec leurs clients :

L'un d'eux fait une trépanation, un autre une opération sur l'oeil, un troisième une

incision à la jambe, un quatrième une extraction de dent; le dernier cautérise une

plaie sur le flanc d'un soldat soutenu par deux aides.

Dans le fond de la pièce une étagère est garnie de pots de pharmacie et de divers

instruments chirurgicaux.

(1) Je n'ai pas parlé des vers rongeurs de dents, me réservant d'y revenir en une

autre occasion. Il suffira de rappeler ici cette ancienne légende, d'après laquelle le

mal de dent serait causé par un ver logé dans la cavité dentaire. Ergo, il fallait tuer

le ver (par la cautérisation), ou l'arracher (par l'extirpation de la dent). Jean Platea-

rius, de Pise, avait cherché au XV. siècle le moyen de détruire ces parasites suppo-

sés. Au XVIE siècle, Valther Ryff, de Strasbourg, y croyait fermement. Ambroise Paré

conseillait le vitriol ou le cautère actuel pour tuer les vers rongeurs de dents. Et

môme au XVII, siècle, plusieurs chirurgiens affirment avoir vu sortir des dents ca-

riées des vers de formes diverses. Un certain Philippe Salmuth en chassa un « en

forme de ciron » d'un demi-pouce de long, au moyen de vieille huile et de « vapeur

condensée ». Jean-Nicolas Pechlin, de Kiel, en compta cinq dans une dent creuse

qui furent délogés avec du miel.

Sur la gravure du livre de Hartmann Schopper (1571), que nous avons reproduite

au début de cette étude, on peut voir sur la table de l'opérateur un paquet de vers

Fig. 3.

678 HENRY MEIGE

Autrefois, toute corporation était placée sous le patronage d'un Saint,

qui, de son vivant, avait exercé, peu ou prou, le métier de ses protégés.

Saint Cosme et Saint Damien, patrons des Chirurgiens et des Médecins, s'é-

taient,dit-on, acquis un grand renom par leurs cures heureuses. Les Den-

tistes ont-ils leur patron ? ...

Je sais bien qu'Esculape, s'il faut en croire Cicéron, jouit de la réputa-

tion d'avoir inventé l'extraction dentaire. Mais Esculape était païen, et le

Patronage est réservé aux seuls adeptes du christianisme. Or, il existe une

Sainte, peu connue il est vrai, Sainte Apollonie, dont les Dentistes ne

doivent pas ignorer l'histoire.

Ce n'est pas que Sainte Apollonie se soit, ma connaissance.particulière-

ment distinguée dans l'exercice de l'art dentaire. Mais la malheureuse a

souffert un atroce martyre : on lui a arraché de son vivant toutes les dents

l'une après l'autre. Les hagiographes ne disent pas que ces dents eussent

été mauvaises, ni que cette brutale extraction se soit passée sans douleur.

Mais il est notoire que ce supplice valut à Apollonie les honneurs de la ca-

nonisation (1). ,

Les peintres du XVe siècle nous en ont laissé de fort beaux témoignages.

Il ne serait pas bienséant de les oublier dans une revue iconographique

des extractions dentaires. Je crois donc devoir signaler çeux de ces docu-

ments que j'ai relevés.

Ce sont d'abord, à Florence, dans la galerie antique et moderne, sous

le N° 290, sept panneaux consacrés par Francesco Granacci (1 ! ¡ 69-U;43)

à l'llisioire de Sainte Apollonie. Dans le 7° compartiment, la Sainte est

représentée assise, les mains liées derrière le dos, maintenue par deux

solides gaillards. Le bourreau, armé d'une formidable tenaille, arrache

brutalement une dent il la pauvre martyre.

C'est ensuite, à Nuremberg, au Musée Germanique (N° 127), une pein-

énormes, grouillant comme des anguilles : ce sont, à n'en pas douter, des vers ron-

geurs de dents, que cet habile homme a su extraire,- on devine par quel tour de pres-

tidigitation.

De semblables vers sont aussi figurés sur l'affiche de l'Arracheur de dents de Hans

Burgkmaier.

(1) Ce supplice était encore en usage au moyen âge pour punir certains délits

d'ordre religieux, tel que de manger de la viande pendant le carême. En Auvergne,

c'était la punition des voleurs de raisins.

On raconte que Jean Sans-Terre fit arracher une à une les dents d'un juif de Bristol

jusqu'à ce qu'il eut fait connaitre le lieu où était caché son trésor. A la dernière dent

le malheureux avoua.

Un certain Guillaume aurait fait arracher toutes les dents aux prisonniers enfermés

dans son château de St-Venant en 1318.

arracheurs de DENTS 679

' ture de l'École allemande, dans le genre' de M. Wolgemuth, représentant

la Sainte en robe de damas bleu et manteau rouge, tenant d'une main la

palme des martyres et de l'autre un davier enserrant une molaire.

C'est enfin, au musée de Bruxelles (N° 140), un tableau de l'École fla-

mande du XV. siècle où l'on voit la Vierge et l'Enfant-Jésus, adorés par

plusieurs Saintes. L'artiste a choisi dans le nombre celles qui ont subi les

plus affreux supplices et, pour éviter toute confusion, il a doté chacune

d'elles d'un attribut significatif. L'une des Saintes tient sur ses genoux

un bassin de cuivre soigneusement poli dans lequel sont déposés ses deux

yeux, avec quelques discrètes gouttes de sang. Une autre, Sainte Agathe

sans doute, porte à la main une grosse tenaille dans laquelle est enchâssé

son sein. Enfin, Sainte Apollonie est encore là, avec sa pince emblématique

et l'une des dents qui lui furent arrachées.

Il est fâcheux que de nos jours les Saints-patrons aient perdu de leur

crédit. Sinon, Sainte Apollonie ne mériterait-elle pas de devenir la

patronne des Dentistes ? ... (1)

(1) Je veux signaler encore un document iconographique qui se rattache aux affec-

tions dentaires.

C'est un mascaron moderne du sculpteur Boecklin que l'on peut voir au-dessus des

portes de la Kunsthalle de Bâle. Il représente avec une parfaite exactitude les défor-

mations du visage que produit la fluxion dentaire : asymétrie de la face, énorme gon-

flement de la joue, protrusion de la lèvre supérieure, bouffissure des paupières allant

jusqu'à l'occlusion de l'oeil. Une mentonnière entoure ce masque boursouflé. L'en-

semble est d'un réalisme absolu ; l'effet comique est obtenu par la seule reproduction

d'une difformité bien connue.

TABLE DES MATIÈRES

Adénolipomatosc (V) à prédominance cer-

vicale, par LAUNOIS et BEXSAUDE (13 pi.

en photocollogr.), 41, 184, 243.

Amyotrophie dite essentielle avec réaction

de dégénérescence, par J. Abadie et

J. Denoyés (avec 1 pl. en photocollogr.),

415.

Angiome segmentaire, par G. GASNE et

G. GUILLA1 ? (2 pl, en photocollogr.),

169.

Anévrysme de l'artère vertébrale gauche

suivi d'autopsie, par LADAME et VON Mo-

NAKOW (1 photograv., 3-pl. en photo-

collogr.), 1.

Anorexie hystérique (Un cas d'), par GEon-

CES Gasne (2 photocollogr.), 51.

Arracheurs de Dents (Iconographie des),

par Henry MEME (2 fig., 6 photogr., 9 pi.

en photocollogr.), 198, 296, 439, 558 et

658.

Arthropathies (les) tabéliques et la radio-

graphie, par GWERT (3 pl. en photocol-

logr.), 145.

Atrophie olivo-ponto-cérébelleuse, par J.

Dcrcxmc et A. Thomas (avec 3 pl. pho-

tocollogr. en couleur et 2 figures), 330.

Chromatolyse après la résection du nerf

pneumogastrique (le phénomène de la),

par CH. Ladame (avec 2 pl. en couleur),

301.

Croisade de J. H. Cohausen contre le la-

bac (La), par A. BEAUvois (avec 1 pi.),

448.

Dcomo-neuro-fi,bromatose compliquée de

phénomènes spinaux et de déformation

vertébrale considérable (un cas de), par

Haushalter (1 photocollogr.), 639.

Ecriture en miroir. (L'Ecriture de Léonard

de Vinci ; contribution à l'étude de l'),

par GIL13ERT Ballet (8 fig., 1 photograv.),

597.

Gigantisme, acromégalie et diabète, par

Gn. Acmard et LOEPER (3 pl : en photocol-

logr.), 398.

Hémiplégie (un cas d') hystérique guéri

par la suggestion hypnotique et étudié

à l'aide du cinématographe, par G. MA-

rinesco (4 fig.), 116.

Hémiplégie (La marche de l'), par Gilles

DE la TOURETTE, 293.

Hémiplégie (de l') traumatique, par RENÉ

Martial (4 pl. en photograv. et 10 fig.

dans le texte), 209, 371, 532.

Hystérie et goitre exophtalmique alternes,

par Ch. 1·cxé (1 photocollogr.), 494.

Malformation digitale dite en « pinces de

homard » (Un cas de), par F. ALLmsn

et P. LEREBOULLET (2 radiogr.), 250.

nfédico-arlisliqzte (Iconographie) , par

Henry MEME. - Un Goitreux, gravure

de Renou (1 gravure), 100. - Quelques

mascarons de la cathédrale de Reims

(6 photogr.), 471. - Le Barbier chirur-

{lien de Lucas de Leyde (1 pl. en pho-

tograv.), 208.

Myélite aiguë (Nature et traitement de la),

par G. Marinesco, (28 fig.), 561.

Myxoedème (le) franc et le myxoedème

fruste de l'enfance, par E. HEHTOGHE

(4 pl. en photocollogr.), 411.

Neurofibromatose généralisée, par Pierre

Marie et COUVELAIIIE (3 pl. en photocol-

logr.), 26.

Ophtalznoplé,gie congénitale (ou complexe)

(Etude sur l'), par Barneff et Cabannes,

615.

ostéoarthi-opctiltie (Un cas rare d'), par

Georges Gasne (2 pl. en photocollogr.),

404.

Ostéoarthropathies vertébrales dans le ta-

bes, par Jean A6ADIE (5 pl. en photocol-

logr., 9 dessins), 116, 260, 42, 502.

Paralysie (un cas de) bulbaire supérieure

chronique, par IIudovernig (1 photocol-

logr.), 473.

Paralysie générale (Anatomie pathologique

et histopathologie de la), par GEIER et

Serge Soukhanoff (2 pi. en photocol-

logr.), 418.

Pierres de tête (A propos d'un tableau du

musée de Saint-Omel' représentant les

arracheurs de), par H. GAUDiER (2 pl.

en photograv.), 205.

« Pierres de tête » et « Pierres du ventre »,

par HENRY Meige (2 photocollogr., 1 pho-

tograv.), 77.

Polynévrite (La) syphilitique, par R. Ces-

TAN (1 pl. en photocollogr.), 153.

Sommeil prolongé (un cas de) pendant sept

mois par tumeur de l'hypophyse, par

SOCA (1 fig.), 101.

Syndrome de Wéber (double) suivi d'autop-

sie, par A. Socques (1 pl. en photocol-

logr.), 173.

Tabès (Une complication du) non encore

signalée, par Sabrazès et F AUQCET (1 sté-

réophotograv.), 263.

Tabès trophique, arthropathie, 1'Ctdiogm-

phie, par A Dr·.vnm et E. DUPRÉ (2 pho-

tocollogr.), 498.

Trophoedème (un cas de) chronique hél'é-

ditaire, par LANNOIS (2 photocollogr.),

631.

Tumeur congénitale de la région lombaire,

par PIOLLET (3 photocollogr.), 71.

Tympanisme abdominal d'origine hysté-

rique (Un cas de), par l3r.aaano et l3saocT

(2 photocollogr.), 57.

TABLE DES AUTEURS

Aihdie (Jean). Les ostéo-arthropathies

vertébrales dans le tabes (5 pi. et pho-

tocollogr., 9 dessins), 116, 260, 425, 502.

AnA ! )tE et J. DENOYLS. Un cas d'amyotro-

phie dite essentielle avec reaction de dé-

générescence (avec 1 pi. en photocol-

logr.), 415.

,\CIIA"O. Cil. et LOEI'EII. Gigantisme, acro-

mégalie et diabète (3 pl, en photocol-

lographie), 398.

F. Ai.lard et P. Lereboullet. Un cas de

malformation digitale dite « en pinces

de homard » (2 radiogr.), 250.

GILBEIIT Ballet. L'écriture de Léonard de

Vinci. Contribution à l'étude de l'écri.

ture en miroir (8 fig., 1 phot.), 597.

Barneff et Cabannes. Etude sur l'ophtal-

moplégie congénitale (complexe), 615.

BtauvoisA. La croisade de J. Il. Cohausen

contre le tabac (1 pl. 448.

BENOIT et Bernard. Un cas de tympanisme

abdominal d'origine hystérique (2 pho-

tocollogr.), 57.

85 ? SAIiUR et LAUNois. L'adénolipomatose

symétrique à prédominance cervicale

(13 pl. photocollogr.), 41, 184, 243.

Bennanu (Raymond) et BENOIT. Un cas de

tympanisme abdominal d'origine hysté-

rique (2 photocollogr.), 57.

Cabannes et 13AIt.NEI,r. Etude sur l'ophtal-

moplégie congénitale (ophtalmoplégie

complexe), 615.

CESTAN R. La polynévrite syphilitique

(1 pi. en photocollogr.), 1.i;3,

COU'l3LaIIiE et Pierre Marie. Neurofibroma-

tose généralisée (3 pl. en photocollogr.),

26.

DF.IEI11\E J. et A. Thomas. L'atrophie olivo-

ponto-cérébelleuse (avec 3 pi. photo-

collogr. en couleur et 2 fig), 330.

DnKOYËsJ.etJ. Asrame. Un cas d'amyo-

trophie dite essentielle avec réaction de

dégénérescence (avec 1 pi. en photocol-

logr.), 415.

DevauxA. et E. Ditre. Tabès trophique,

arthropathie, radiographie (2 photocol-

logr.), 498..

DurW : E. et A. REVAUX. Tabes trophique,

arthropathie, radiographie (2 photocol-

logr.), 498.

Fauquet et S,%13[tAZi,S. Une complication du

tabes non encore signalée (1 stéréo-pho-

togr.), 2M.

Féré Cn. Hystérie et goitre exophtalmique

alternes (1 photocollogr.), 494.

Gasne (GEORGES). Un cas d'anorexie hys-

térique (2 photocollogr.), 51.

GASNE G. Un cas rare d'ostéo-arthropathie

(avec 2 pi. en photocollogr.), 404.

Gasne G. et G. GUILLAIN. Angiome segmen-

taire (2 pl. en photocollogr.), 169.

Gaudier 11. A propos d'un tableau du mu-

sée de St-Omer représentant les « Arra-

cheurs de pierres de tête » (2 pl. en

phot.), 205.

GEIEH et Serge Soukhanoff. L'anatomie

pathologique et l'histoputhologie de la

paralysie générale (2 pl. en photocol-

logr.),478.

Gmsar. Les arthropathies tabétiques et la

radiographie (3 pl. en photocollogr.),

145.

Gilles de la TOURETTE. La marche dans

l'hémiplégie, 293.

Guillain G. et G. GAsNE. Angiome seg-

mentaire (2 pl. en photocollogr.), 169.

IIAUSIIALTER. Un cas de dermo-neuro-fibro-

matose compliquée de phénomènes spi-

naux et de déformation vertébrale con-

sidérable (1 photocollogr.), 639.

Hertoghe G. Le myxoedème franc et le

myxoedème fruste de l'enfance (avec 4 pl.

en photocollogr.), 411.

HUOOVEHNIG. Un cas de paralysie bulbaire

supérieure chronique (1 photocollogr.),

473.

Ladame (CIIAHLES). Le phénomène de la

chromatolyse après la résection du nerf

pneumo-gastrique (avec 4 pl.en couleur),

301, 518, 645.

LA DAME et VoN Monakow. Anévrysme de

TABLE DES AUTEURS 683

l'artère vertébrale gauche suivi d'autop-

sie (1 photocollogr.), 1.

LANNOIS. Une observation de trophoedème

chronique héréditaire (2 photocollogr.),

631.

LANNOIS et BENSAUDE. L'adénolipomatose

symétrique à prédominance cervicale

(13 pl. en photocollogr.), 41, 184, 243.

P. LEREBouLi-ET et F. ALLAHD. Un cas de

malformation digitale dite '1 en pinces

de homard » (2radiogr.), 250.

Louper et Acnnnn. Gigantisme, acroméga-

lie et diabète (3 pl. en photocollogr.),

398.

Marie (Pierre) et Couvelaire. Neurofibro-

matose généralisée (3 pl. en photocol-

logr.), 26.

Marinesco G. Un cas d'hémiplégie hysté-

rique guéri par la suggestion hypnotique

et étudié à l'aide du cinématographe

(4 fig.), 176.

Marinesco G. Nature et traitement de la

myélite aiguë (28 fig.), 561.

1\1.\R1 IAL René. De l'hémiplégie traumatique

(4 pl. en photograv. et 10 fig. dans le

texte), 209, 3 11, 532.

MEiGE (Henry). Iconographie des Arra-

cheurs de Dents (8 photogr., 9 pl. en

photocollogr.), 198, 296, 439, 558, 658.

Meige (Henry-). Les peintres de la méde-

cine (Ecoles Flamande et Hollandaise).

« Pierres de têtes » et « Pierres de ven-

tre ». (2 photocol., 1 photogr.), 77.

MEME (Henry). Le Barbier chirurgien de

Lucas de Leyde(l pl. en photograv.), 208.

Meige (Henry). Iconographie médico-artis-

tique. Un goitreux, gravure de Denou

(1 grav.), 100.

Meige (Henry). Iconographie médico-artis-

tique. Quelques mascarons de la cathé-

drale de Reims (avec 6 photograv.),

411.

Monakow (VON) et C. Ladame. Anévrysme

de l'artère vertébrale gauche suivi d'au-

topsie (9 photograv., 8 coupes en 3 pl.

photollogr.). 1.

PIOf.LET. Tumeur congénitale de la région

lombaire (3 photocollogr.), il.

Sabrues et Fauquet. Une complication du

tabes non encore signalée (1 stéréo-

phogr.), 253.

Soukhanoff et F. GEfEre. L'anatomie pa-

thologique et l'histopathologie de la pa-

ralysie générale (2 pl. en photocollogr.),

478.

SocA. Sur un cas de sommeil prolongé

pendant sept mois par tumeur de l'hypo-

physe (4 fig.), p. 101.

Souques A. Double syndrome de Wéber

suivi d'autopsie (1 pl. photogr.), 113.

Thomas A. et J. Déierine. L'atrophie olivo-

ponto-cérébelleuse (3 pl. photocollogr.

en couleur et 2 fig.), 330.

TABLE DES PLANCHES

Adénolipomatose symétrique (LAuNOis et

BEKSA.UDE1, VU, VIII, IX, X, XI, XXVIII,

xxix,xxx,xxxi,xxxv, xxxvi,xxxvii,

XXXVdII. 1.

Amyotrophie progressive avec réaction de

dégénérescence (ABADIE et DENOYÉS),

LX111.

Anévrysme de l'artère vertébrale (P. LADA-

ME et C. VOX Monakow), I, II, III.

Angiome segmentaire (Gnsar et GUILLAIN),

XXV,XXVI.

Anorexie hystérique (G. Gnsve), XII.

Arthropatliies tabétiques (radiographies)

(Gibert), XXI, XXII, XXIII. 0

Arthropathies tabétiques (E. DUPRÉ et DE-

vaux). LXXIV, LXXV.

Arthropathie olivo-ponto-cérébelleuse (DE-

JEH OEE et Thomas), XLVU, XLVIII, XLIX.

Barbier-Chirurgien de Lucas de Leye (IIE1'\-

nr Meige), XXXIV.

Chromatolyse après résection du pneumo-

gastrique (Cu. LADAME), XLV, XLVI,

LXXVI, LXXVII.

Ecriture de Léonard de Vinci (Ballet),

LXXIX.

Gigantisme, acromégalie et diabète (ACIIAIID

et LOEPEII), LIV, LV, LVI.

Hystérie et goitre exophtalmique alternes

(Cu. Fén>;), LXXIII.

Hémiplégie traumatique (Martial), L, LI,

LII, LUI.

Iconographie des Arracheurs de Dents

(Henry Meige), XLIII, XLIV, LXIV, LXV,

LXVI, LXVII, LXVIII, LXXVI11,LXXX111,

LXXXIV, LXXXV, LXXXVI, LXXXVII.

Myxoedème franc et myxoedème fruste de

l'enfance (HERTOCUE), LIX, LX, LXI,

LXII.

Neurofibromatose généralisée (P. Marie et

A. COUuvELAiRE), IV, V, VI.

Neurofibromatose avec déformation verté-

brale excessive (HAUSHALTER), LXXXII.

Ostéo-arthropathies vertébrales dans le ta-

bes (Jean ABaDIE), XVIII, XIX, XX, XLI,

XLII.

Ostéo - arthropathie rare (gaine), LVII,

LVIII.

Paralysie bulbaire supérieure chronique

(HUDOYERNW), LXX.

Paralysie générale : histopathologie (Souk-

HA\OFF et GEtEn), LXXI, LXXII.

De Pica Nasi (BEauvois), LXIX.

Pierres de tôle et pierres de ventre (Henry

Meige), XV, XVI, XVII.

Pierres de tête (Arracheurs de) (GAuniER),

XXXII, XXXI11.

Pinces de homard (LEREUOULLET et ALLAltD),

XXXIX.

Polynévrite syphilitique (CESTAN), XXIV.

Syndrome de Weber (Souques), XXVII.

Tabes : facies démoniaque (Sabrazès et

FAUQUET), XL.

Trophoedème chronique héréditaire (Lan-

Nos), LXXX, LXXXI.

Tumeur de .la région sacro-coccygienne

(PlOLMT), XIV.

Tympanisme hystérique (BENOIT et Il. BER-

nard), XIII,

Le gérant : P. Bouchez.

imp. J. Ttiovenot, Saint-Dizier (Hauta-Marnu).