NOUVELLE
ICONOGRAPHIE
DE LA
SALPÊTRIÈRE
TOME XII
1899
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
SALPETRIERE
FONDÉE par J. M. CHARCOT .
F. RAYMOND
PROFESSEUR DE CLINIQUE
DES MALADIES
DU SYSTÈME NERVEUX
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
A. JOFFROY
PROFESSEUR DE CLINIQUE
DES MALADIES MENTALES
A. FOURNIER
PROFESSEUR DE CLINIQUE
DES MALADIES CUTANEES ET
SYPHILITIQUES
PAR
PAUL RICHER
MEMBRE DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE
DIRECTEUR H0 ! <" DU LABORATOIRE DE
LA CLINIQUE
GILLES DE la TOURETTE
PROFESSEUR AGRÉGÉ A LA FACULTÉ DE MÉDECINE
DE PARIS
MÉDECIN DES HÔPITAUX
ALBERT LONDE
DIRECTEUR DU SERVICE PHOTOGRAPHIQUE
AVEC LA COLLABORATION DE MM.
ACHARD, BOGROFF (Odessa), BOIX, P. BONNIER, BOTTEY, BRISSAUD, CABANNES (Bordeaux),
CATHELINEAU,CESTAN,J.-B. CHARCOT, CHIPAULT, DELPRAT (Amsterdam),DENY,DUFOUR,
DURANTE, DURET, DUTIL (Nice), EMIRZÉ (Smyrne), ESTEVES (Buenos-Ayres), ÉTIENNE (Nancy),
FEINDEL,FÉRÉ, E. FOURNIER, GASNE, GRASSET (Montpellier), G. GUINON, HALLION,
HAUSHALTER (Nancy), HERTOGHE (Anvers), HUET, P. JANET, KATICHEFF (St-Pétersbourg),
H. LAMY, LANNELONGUE, LANNOIS (Lyon), LAUFENAUER (Buda-Pesth), LAUNOIS, LE
DENTU, M. LEMOS(Porto), L. LÉVI, P. LONDE, LUCO ORREGO (Santiago, Chili), P. MARIE,
MARINESCO (Budtarest),DE MASSARY, H. MEUNIER,MICHAILOWSKI (Sofia), MOCZUTKOVSKY
(St-Pétersbourg), NOGUÈS (Toulouse), PARINAUD, PARMENTIER, PITRES (Bordeaux), RAMADIER,
A. RICHE, RÉVILLIOD (Genève), A. ROBIN, ROSSOLIMO (Moscou), SABRAZES (Bordeaux), SAIN-
TON, T. D. SAVILL (Londres), SCHAFFER (Buda-Pesth), SÉGLAS, SÉRIEUX, SIKORSKY (Kiew),
SPILLMANN (Nancy), SOCA (Montevideo), SOLOVTZOFF (Moscou), SOUQUES, SURMONT,
TARGOWLA, TRÉNEL, TUFFIER, WEIL, etc.
Secrétaire de la Rédaction : HENRY NlEIGE
TOME DOUZIÈME
Avec 67 figures intercalées dans le texte et 86 planches' hors texte
PARIS
MASSON ET Ci'" ÉDITEURS
LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE
120, Boulevard Saint-Germain
1899
NOUVELLE
ICONOGRAPHIE'^*
DE LA SALPÊTRIÈRE -
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTEME NERVEUX.
(HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE).
POLYNÉVRITE ET POLIOMYÉLITE
PAR
F. RAYMOND,
Professeur de Clinique des Maladies du Système Nerveux.
Messieurs,
Le cas du malade qui va faire l'objet de la leçon de ce jour se rapporte
à une question de diagnostic différentiel, que j'ai longuement, et à maintes
reprises, étudiée dans mes leçons du vendredi. Je n'hésiterai pas à ) re-
venir de temps à autre, quand se présentera une occasion favorable de le
faire. Il s'agit de vous pénétrer d'une notion qui n'est pas encore assez
répandue dans vos classiques et dans l'esprit des médecins : je l'énon-
cerai ainsi : Une paralysie grave, plus ou moins généralisée, à marche
aiguë ou subaigué, accompagnée de douleurs spontanées ou provoquées,
souvent très vives, et de bien d'autres manifestations pénibles ou inquié-
tantes, aboutissant à une atrophie musculaire plus ou moins prononcée, à
des rétractions tendineuses irrémédiables, peut être l'expression d'une
simple névrite périphérique et d'une névrite radicalement curable. Or,
il y a seulement une dizaine Vannées, on n'eût pas hésité, en présence
d'un pareil ensemble sympt nnatique, diagnostiquer une myélite. Au
surplus, pareille erreur de diagnostic est commise encore très fréquem-
ment par des médecins qui ne se sont pas tenus au courant de l'évolution
survenue dans l'histoire des névrites multiples. Elle a été commise, en
particulier, par le médecin qui nous a adressé le malade que je vais vous
présenter. Pour lui, il s'agissait d'une myélite généralisée, qui devait être
rapidement mortelle. Vous concevez des lors mon empressement à saisir
XII 1
2 1 ? R1TAIONIi
toutes les occasions qui s'offrent a moi de vous prémunir contre ce genre
de méprises, dont je vous ai maintes fois l'ait ressortir les fâcheuses con-
séquences. Une occasion de ce genre m'est fournie par le malade qu'on vient
de placer devant vous.
C'est un nommé CI1..., âgé de 38 ans, couché au no 2 bis de notre salle
Bouvier ; il exerce la profession de maçon.
Sa mère, une « nerveuse », est morte phtisique. Son père vit encore et
se porte bien. Nous n'avons rien relevé, dans ses antécédents héréditaires,
qui ait un semblant de rapport avec l'affection dont il est atteint.
Vers l'âge de 10 ans, le malade a eu des convulsions ;. sa tète se dé-
viait surtout à gauche.
Les yeux se convulsaientun peu en haut ; le malade ne perdait pas con-
naissance.
Ces crises, au nomhre d'une dizaine, ne se sont reproduites que pen-
dant une période de 7 ou 8 mois.
Ch... a eu aussi de l'incontinence d'urine, dans le jeune âge.
Il est père d'une petite fille., âgée de 2 ans, qui, elle aussi, a eu des
convulsions.
Il a perdu une soeur, morte, à l'âge de 7 ans, d'une maladie dont il
ignore le nom et la nature. Il lui reste un frère qui, depuis environ qua-
tre années, tousse beaucoup et a eu des hémoptysies.
Ch... est marié ; il est père de deux enfants, qui sont d'une bonne santé
habituelle. En 1883, alors qu'il faisait son service militaire, il a eu une
lièvre typhoïde. A la suite de cette maladie il a présenté, dit-il, du trem-
hlement des mains.
Le début de son afl'ection actuelle remonte au milieu du mois d'août de
la présente année. A cette époque, Ch... a été pris de vomissements et de
diarrhée, pendant quelques jours ; il a pu continuer son travail. Toutefois
ses jambes se sont mises il faiblir; dès les premiers jours qui ont sui\i, le
malade y éprouvait des fourmillements.
Le 22 août, Ch... dut renoncer il se mellre au travail, tant à cause de
la faiblesse de ses jambes, qu'en raison des sensations pénibles qu'il
éprouvait, dans les membres inférieurs, au niveau des lombes, des .tempes
et des mâchoires; (les fourmillements plutôt que des douleurs
proprement dites.
Le 26 août, le malade a eu les lèvres et les paupières enflées. Il parlait
difficilement et il ne pouvait plus ni fumer, ni cracher. Ses yeux restaient
grand ouverts, même pendant le sommeil.
Jusque-là, Ch... était simplement resté au repos; du 8 au 10 septum-
Nouv. Iconographie DE la SALfCIRIÉRE.
T. XII. r. 1
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POLYNEVRITE
(F. Raymond)
MASSON & Cie. Editeurs.
. POLYNÉVRITE ET POLIOMYÉLITE * 3
bre, il dut s'aliter; il était comme paralysé aux quatre membres, au tronc
et à la face. La moindre pression, exercée sur une masse musculaire quel-
conque, lui occasionnait des souffrances horribles; il n'éprouvait pas de
douleurs spontanées. Le malade mettait un peu plus de temps à uriner
qu'avant d'être malade, mais il ne présentait pas de troubles des sphinc-
ters. Cette gène de la miction tenait sans doute à la paralysie des muscles
de la paroi abdominale, et, en partie, à l'impossibilité où se trouvait le
malade de se redresser sur son lit.
A partir de ce moment-là on s'est aperçu que Ch... était en voie de
maigrir; toutefois, au moment de son entrée à l'hôpital, il ne présentait l
pas d'atrophie musculaire bien nette, si ce n'est aux mains. D'après les
renseignements que nous avons recueillis de la bouche de sa femme,
Ch... n'a pas présenté de troubles de l'intelligence ou de la mémoire ; son
caractère ne s'est pas modifié. Il n'a pas eu d'accès d'oppression, pas de
palpitations. Il souffrait simplement au niveau des attaches du diaphragme,
à chaque mouvement d'inspiration. Il n'a pas non plus présenté de signe
d'une paralysie du voile du palais. Cependant la sphère des nerfs crâniens
a dû être touchée, car le malade assure que, par moments, il a vu double
et louché.
Au dire de Ch...,la paralysie des mouvements est parvenue à son apogée
dans les premiers jours de septembre ; à partir du 15, les symptômes se
sont mis à rétrocéder, et l'amélioration est allée en augmentant de jour
en jour. Le médecin qui l'avait soigné lui avait prescrit des purgatifs
salins, répétés quotidiennement, pendant une quinzaine de jours.
Voici l'étal présent, qui a été relevé par mon chef de clinique M.Gasne,
le 29 septembre, jour de l'entrée du malade à l'hôpital.
Ch... s'est présenté à la consultation, soutenu par deux personnes. A
première vue, mon chef de clinique a été frappé de l'immobilité des traits
de la face; seuls, les yeux avaient conservé quelque vie, et leur expression
tranchait sur le reste du masque facial (Pl. I).
Le malade était dans l'impossibilité de se tenir debout, sans assistance,
même en écartant les jambes ; sitôt qu'on l'abandonnait à lui-même, il se
mettait à osciller, et il serait infailliblement tombé, si on ne l'avait de
nouveau soutenu. Pour qu'il fit de nouveau quelques pas, il a fallu en'
quelque sorte le porter; il maintenait le genou fortement élevé, et le pied
était tombant.
Les mouvements des orteils, les mouvements de flexion et d'extension
du pied sur la jambe, de la jambe sur la cuisse, de la cuisse sur le bassin
étaient conservés, mais ils s'exécutaient sans force. Les mouvements pby-
- 1. 1 ? RAYMOND
siologiques des différents segments des membres supérieurs se compor-
taient de même. Aussi le malade était-il encore en état de s'hahiller et de
manger seul, mais non sans difficulté.
De même encore les mouvements qui nécessitent la contraction des
muscles du tronc et du cou s'exécutaient sans vigueur.
La figure se maintenait dans une immobilité complète ; la bouche était
entr'ouverte; les lèvres étaient fortement renversées en dehors,les sillons
nasolabiaux effacés. Les yeux étaient largement ouverts; on n'observait
pas le moindre clignotement; les rides du front étaient effacées (Pi. II).
Le jeu de la physionomie était complètement aboli ; le malade ne pou-
vait ni plisser la peau du front, ni froncer les sourcils, ni abaisser ou éle-
ver les commissures labiales. Essayait-il de clore les paupières, les globes
oculaires se déviaient convulsivement en haut et en dedans; la paupière
supérieure s'abaissait à peine, et le blanc de la sclérotique restait visible
sur une assez grande étendue.
Le malade pouvait ouvrir largement la bouche, et les muscles, intéres-
sés à ce mouvement, se contractaient avec vigueur; il pouvait serrer les
dents avec la force normale, il exécutait, sans difficulté, les mouvements
de diduction qu'on lui commandait. Il pouvait mouvoir la langue en tous
sens. De même, le voile du palais se contractait normalement, aussi bien
à l'occasion des mouvements de phonation que lorsqu'on l'excitait par le
Foucher. Jamais, du reste, le malade n'avait avalé de travers et encore
beaucoup moins rendu les aliments par le nez. ,
Il éprouvait une certaine gène pendant le premier temps de la dégluti-
tion ; les aliments,au lieu d'être véhiculés vers l'arrière-gorge, retombaient
entre les dents et les joues, par suite de la paralysie des joues et des
lèvres.
On ne constatait plus de traces d'une paralysie des muscles extrinsèques
de l'oeil. Les pupilles réagissaient d'une façon très nette, aux impressions
lumineuses et aux efforts d'accommodation. Ch... avait de l'épiphora, mais
moins qu'au début de sa maladie, à ce qu'il prétendait.
Les troubles de la parole, présentés par le malade, reconnaissaient la
même cause : Ch... ne remuait pas les lèvres en parlant; aussi sa voix
était-elle confuse, comme embrouillée; on comprenait cependant tout ce
qu'il disait.
Naturellement Ch... était dans l'impossibilité de souiller, de siffler, de
faire le mouvement que nécessite l'acte de donner un baiser.
Il ne présentait pas, non plus, le moindre trouble de la sensibilité ob-
jective superficielle; au contraire la moindre pression exercée sur les
masses musculaires développait des douleurs très vives. Le moindre ti-
raillement, imprimé à un tronc nerveux, arrachait des cris au malade ; le
NOU,ICONOCHAPFIIE DE~lA SALPÊTRIÈRE.
T. XII. PI. II
POLYNÉVRITE
(F. Raymond)
MASSON & Cte, Editeurs
POLYNÉVRITE ET POLIOMYÉLITE' O
signe de Lasègue existait au plus haut degré. Le malade n'éprouvait pas
de douleurs spontanées.
Il ne présentait pas non plus de troubles de la gustation et de l'audi-
tion.
Le réflexe plantaire se produisait sous la forme de la flexion des orteils.
Les réflexes tendineux étaient abolis partout,au cou-de-pied, au genou,
au poignet, au coude. 01
On ne constatait pas de troubles vaso-moteurs bien nets; toutefois la
température était manifestement abaissée, aux mains et aux pieds.
Le malade avait les jambes émaciées, les éminences thénar et hypothé-
nar peu saillantes; l'avant-bras était aplati, mais sans qu'il y eut d'atro-
phie musculaire circonscrite dans le sens propre du mot. D'ailleurs, le
malade affirmait n'avoir pas maigri. De temps en temps, les muscles des
membres supérieurs étaient agités par quelques secousses fibrillaires.
Le pouls battait 120 à la minute ; la pression de la dixième paire était
douloureuse. La température interne était normale.
La respiration également était accélérée (28), mais le malade n'avait t
aucune sensation subjective de dyspnée.
Ch...mait bon appétit ; ses digestions étaient régulières. Il allaitcliflicile-
ment à la garde-robe, on était obligé de lui administrer des purgatifs et
des lavements. Il urinait sans difficulté à cette époque, ses urines étaient
normales.
Voici, d'autre part, l'état des réactions électriques, relevé par M. Huet,
il la date du 30 septembre 1898.
L'exploration électrique de la face a fait constater de la façon la plus
nette les signes de la IL D., des deux côtés, dans les muscles du menton,
dans les zygomatiques et dans le frontal.
, Les signes de la R. D. se manifestaient d'une façon moins nette, à l'ex-
ploration de l'élévateur commun de la lèvre supérieure et de l'aile du nez,
de l'orbiculaire des paupières.
A la date du 12 octobre, un second examen a permis de constater que les
réactions faradiques et galvaniques étaient sensiblement normales aux deux'
membres supérieurs, sans la moindre trace de R. D.
De même, les réactions faradiques et galvaniques étaient assez hien
conservées, dans les muscles des deux membres inférieurs, sauf dans le
vaste interne et dans le jambier antérieur,à droite; à l'exploration de ces
deux muscles, on constatait une diminution considérable de la contracti-
lité faradique et galvanique, avec quelques indices de R. D.
Le 27 octobre, l'état des réactions électriques était à peu près le même.La
6 F. RAYMOND
R.D. était bien caractérisée dans l'élévateur commun de la lèvre supérieure
et de l'aile du nez, mais comme précédemment elle était moins accentuée
que dans les autres muscles.
Le 11 novembre, l'excitabilité faradique restait toujours abolie des deux
côtés, pour le nerf facial et pour les muscles ; à gauche, cependant, l'exci-
tabilité faradique commençait à reparaître dans l'orbiculaire des paupières
et dans le frontal ; toutefois il était difficile de l'apprécier exactement, à
cause des douleurs provoquées par les forts courants qu'il était nécessaire
d'employer. 1
L'excitabilité galvanique des muscles restait notablement augmentée,
mais à gauche, il n'y avait plus d'inversion polaire. Les contractions
étaient assez vives dans le frontal, l'orbiculaire des paupières, l'élévateur
commun de la lèvre supérieure et de l'aile du nez, l'orbiculaire des lèvres,
les muscles du menton; dans les zygomatiques, les contractions étaient
encore lentes, avecNFC ==- PFC.
A droite, les contractions étaient assez vives, avec NFC = PFC dans
l'orbiculaire des paupières, l'élévateur de la lèvre supérieure et de l'aile
du nez, les muscles du menton ; les contractions étaient encore lentes avec
NFC = PFC dans le frontal, et avec NFC PFC dans les zygomatiques.
Aux membres supérieurs et inférieurs, l'état des réactions électriques
restait sensiblement le même qu'à la date du 12 octobre.
*
.... -
Depuis le 29 septembre, date de son entrée dans la clinique, le malade
a été traité par l'électrisation et le massage.
Les mouvements ont commencé à revenir dans le membre inférieur,
d'abord dans les muscles de la cuisse, ensuite dans ceux des jambes, enfin
dans ceux du pied.
Aux membres supérieurs, l'amélioration a suivi le même ordre, de la
racine du membre à l'extrémité.
L'état général était bon.
*
. ....
Aujourd'hui le malade se lève, marche,se promène, mange et dort bien.
Il relève encore le genou plus que normalement ; le pied est toujours bal-
lant ; mais Ch... peut s'habiller et se déshabiller tout seul, ce qu'il ne fai-
sait auparavant.
Les jamhes et les cuisses sont encore amaigries; il y a de l'atrophie
diffuse, surtout dans le groupe des muscles antéro-exlel'l1es.
Il résiste aux mouvements d'extension générale ; cependant, il relève i
peine la pointe du pied, et les mouvements d'adduction et d'abduction
qu'il lui imprime se font sans force.
POLYNÉVRITE ET POLIOMYÉLITE 7
La jambe droite résiste mieux que la jambe gauche.
En outre, Ch... ne peut se tenir sur la pointe du pied, et quand on lui
fait, fermer les yeux, il présente un certain degré d'incoordination.
La sensibilité objective est conservée sous toutes ses formes.
La jambe étant placée dans l'extension, on note au creux poplité, un
point très douloureux ; les masses musculaires sont très sensibles à la
pression, surtout à droite.
Quant aux réflexes rotuliens, ils sont abolis des deux côtés. En fait de
troubles vaso-moteurs, on ne constate pas de refroidissement du pied,
mais une légère sécrétion sudorale.
Enfin, on voit aussi, pendant l'examen, se dessiner des contractions
fibrillaires.
Les mouvements d'extension du tronc se font bien. D'ailleurs, les mus-
cles du tronc et des épaules sont normaux. De même, les mouvements des
bras sont revenus à l'état physiologique, à l'exception des mouvements
d'extension des mains. La pression au dynamomètre est de 15 à droite et
de 16 à gauche.
La pronation et la supination sont correctes. '
Reste le masque facial : vous voyez que le malade siffle et souffle difficile-
ment. Cependant,du côté gauche, le front commence à se plisser (Pl. II). Les
yeux, il est vrai, se ferment difficilement, et il y a encore du nystagmus au
repos. Pour en finir, il me reste à vous signaler l'existence d'un point-
douloureux, sur le trajet du pneumogastrique, au niveau des scalènes.
En résumé, chez un homme d'une bonne santé habituelle ont éclaté,
sans cause appréciable, des accidents gastro-intestinaux aigus, sous la
forme de vomissements et de diarrhée. Les jambes se sont mises à faiblir ;
les membres inférieurs, la région des lombes, les tempes et les mâchoires
ont été envahis par des sensations pénibles ; elles revêtaient surtout les ca-
ractères du fourmillement. Dix jours au plus s'étaient écoulés, et le malade
dut prendre-le lit, en raison des progrès de la faiblesse des membres. La
paralysie s'était étendue aux muscles du tronc et à ceux de la face. Le ma-
lade n'éprouvait pas de souffrances spontanées, mais partout la pression
des masses musculaires provoquait des douleurs extrêmement vives ; de
même, les mouvements inspiratoires déterminaient des douleurs, au niveau
des attaches du diaphragme.
l3ref, le tableau morbide, à cette période de la maladie, était dominé
par une parésie motrice presque généralisée clans le domaine d'innervation
des nerfs spinaux ; dès cette époque, elle avait dû empiéter sur la
sphère des nerfs crâniens, car le malade a présenté de la diplopie et du
8 F. RAYMOND
strabisme. Elle a mis environ trois semaines à atteindre son apogée.Quand
nous avons vu pour la première fois le malade, elle subsistait dans toute
l'étendue des quatre membres et du tronc, avec son caractère de parésie,
de paralysie motrice incomplète ; elle se conciliait avec la persistance d'un
certain nombre de mouvements physiologiques, mais ceux-ci s'exécutaient
sans force. De plus, elle avait envahi les muscles de la face, les muscles
innervés par la vue paire, au point de supprimer tout le jeu de la physio-
nomie.
Elle ne se compliquait pas d'une atrophie musculaire bien nette ; c'est
tout au plus si on constatait un amaigrissement diffus des muscles. Elle ne
s'accompagnait pas non plus de troubles de la sensibilité objective bien
accusés, ni de troubles vaso-moteurs, ni de troubles des fonctions sphinc-
tériennes, ni de troubles des fonctions intellectuelles. Par contre, il y
avait de la tachycardie et de l'accélération des mouvements respiratoires,
sans signes stéthoscopiques concomitants, susceptibles de rendre compte
de ces deux phénomènes.
Enfin l'examen électrique a fait constater les signes de la R. D., à l'ex-
ploration d'un certain nombre de muscles de la face, avec quelques indices
de R. D. dans le vaste interne et le jambier antérieur du côté droit.
Diagnostic, - Messieurs, la question de diagnostic, que soulève le cas
de ce malade, me parait des plus faciles à résoudre : .
Une paralysie motrice, qui réalise le mode d'évolution et la distribution
que nous lui trouvons chez cet homme, ne peut dépendre que d'une lésion
spinale ou d'une lésion diffuse des nerfs périphériques. Le problème que
soulève le cas actuel peut donc ètre posé en ces termes : Myélite ou poly-
névrite aiguë généralisée.
Quand je dis myélite, je ne m'exprime pas avec la rigueur exigible dans
les circonstances actuelles.
En effet, admettons que myélite il y ait eu ; pour qu'elle se fût tra-
duite par une paralysie exclusivement motrice, sans douleurs spontanées,
sans troubles concomitants de la sensibilité objective, sans contracture, il
eût fallu qu'elle se cantonnât dans les colonnes antérieures de la moelle,
c'eût été une poliomyélite antérieure aiguë.
Eh bien ! je ne crois pas que cette hypothèse soit la bonne, et je vais
vous exposer rapidement les raisons qui me font incliner vers l'hypothèse
d'une polynévrite aiguë généralisée. Je ne ferai du reste que reprendre
une question de diagnostic différentiel, dont je me suis occupé maintes
reprises déjà.
POLYNÉVRITE ET POLIOMYÉLITE 9
Messieurs, la maladie dont soull're cet homme a eu un début aigu.
En pleine santé, et sans cause apparente, Ch... a été pris de vomisse-
ments et de diarrhée. Nous ignorons s'il a eu de la fièvre, le malade ne
peut nous renseigner à cet égard, mais certainement elle a dû être modé-
rée, en raison même de ce qu'elle a passé inaperçue. -
Eh bien ! Messieurs, la brusquerie dans l'invasion des accidents est un
mode de début, commun aux formes aiguës de la poliomyélite antérieure
et de la polynévrite diffuse plus ou moins généralisée, mais nn début
franchement fébrile ne manque presque jamais dans les cas de polio-
myélite antérieure aiguë; il est relativement rare dans les cas de poly-
névrite.
En second lieu, dans un cas de poliomyélite antérieure aiguë, la para-
lysie motrice atteint son maximum d'extension très rapidement, C'esL-à-
dire en l'espace de trois ou quatre jours. Elle frappera en totalité les
quatre membres, ou seulement deux, si tués d'un même côté ou de côtés dif-
férents, ou un seul, ou même un ou plusieurs segments, et de préférence
ceux qui constituent les racines des membres. Une fois parvenue à son
apogée, elle rétrocède en partie, elle se cantonne dans une portion seu-
lement du territoire qu'elle occupait primitivement. Du même coup,
l'atrophie s'empare des muscles dans lesquels la paralysie s'établit à de-
meure. L'atrophie musculaire, qu'on voit survenir dans ces conditions,
est généralement irréparable.
Les choses marchent de toute autre façon,dans les cas de polynévrite plus
ou moins généralisée. Ici. la paralysie se développe avec une lenteur rela-
tive et avec une progressivité bien manifeste. Elle débute presque tou-
jours par les membres inférieurs, et elle se propage des extrémités vers
les racines des membres; presque toujours, elle suit une marche symé-
trique.
Elle met ainsi deux ou trois semaines à se généraliser, à envahir les
quatre membres et le tronc.
Presque toujours, elle reste incomplète, en ce sens qu'elle épargne cer-
tains groupes de muscles. Aussi est-il exceptionnel que tous les mouvements
physiologiques soient abolis.Elle ne s'accompagne pas d'une atrophie en
masse 'de certains groupes de muscles,ou de segments entiers de membre,
mais seulement d'une émaciation diffuse, dont l'intensité est très variable.
Enfin, après s'être maintenue pendant quelque temps in situ, elle se retire
dans l'ordre inverse de son apparition. C'est bien ainsi que les choses se
sont passées chez notre malade.
D'autre part, il est exceptionnel que dans un cas de poliomyélite anté-
10 F. RAYMOND
rieure aiguë, les muscles innervés par l'encéphale participent à la para-
lysie atrophique. Quand cette éventualité se réalise, elle implique un
pronostic d'une haute gravité. Cela peut se dire surtout des cas où une
poliomyélite antérieure se complique de troubles cardiaques et respira-
toires, sous la forme d'une tachycardie, d'une accélération de la respi-
ration. Du reste, les manifestations bulbaires de la poliomyélite anté-
rieure aiguë se présentent presque toujours sous cette forme. Des troubles
en rapport avec une paralysie des muscles de l'oeil, ou avec une 7e paire
sont tout à fait exceptionnels. '
Le contraire est vrai pour ce qui concerne la jJoJyné, rite aiguë généra-
lisée ; assez souvent, elle s'accompagne de quelque paralysie des muscles
de l'oeil, et vous vous rappelez que notre malade a présenté, à un moment
donné, de la diplopie et du strabisme.
On a publié des cas de polynévrite compliquée d'une paralysie simple
ou double de la 7e paire ; la constatation d'une diplégie faciale, chez no-
tre malade, plaide donc en faveur de l'hypothèse d'une polynévrite. On
en peut dire autant du peu de gravité des troubles cardiaques et respira-
toires qu'il a présentés. On conçoit sans peine que l'accélération du pouls
et delà respiration ait une signification beaucoup moins grave, lorsqu'elle
traduit une paralysie du pneumogastrique, que lorsqu'elle est liée à une
lésion inflammatoire ou dégénéra live de son centre bulbaire. En ce cas,
une asphyxie mortelle ou une paralysie irrémédiable du coeur est pres-
que inévitable.
. *
¥ . f
Un autre argument plaide en faveur de l'hypothèse d'une polynévrite :
vous vous rappelez qu'à un moment donné, la moindre pression exercée
sur les masses musculaires du malade, le moindre tiraillement auquel
on exposait ses troncs nerveux et en particulier le sciatique (signe de
Lasègue) développait des douleurs d'une extrême violence. Voilà qui ne
se voit pas dans un cas de poliomyélite antérieure; voilà qui appartient
en propre à la polynévrite généralisée. En maintes occasions déjà, j'ai
insisté sur la valeur diagnostique de ces douleurs provoquées, et je vous
ai dit, dans une précédente leçon, que pour Buzzard, Erb, Oppenheim,
Strümpell, etc., c'était là un des plus sûrs caractères distinctifs de la po-
lynévrite aiguë, à forme de polynévrite motrice.
Au surplus, et pour en finir avec ce qui concerne l'état de la sensibilité,
l'absence de troubles objectifs que nous constatons chez notre malade
s'observe dans les deux affections que je suis en train d'opposer l'une a
l'autre ; seulement, elle est de règle dans les cas de poliomyélite anté-
rieure aiguë, tandis qu'elle est l'exception dans les cas de polynévrite
aiguë généralisée.
POLYNÉVRITE ET POLIOMYÉLITE 11
1 Il en est de même des douleurs spontanées ; il est vrai qu'elles ont
fait défaut chez notre malade. Rappelez-vous cependant qu'il a éprouvé,
à un moment donné, des sensations pénibles, assez tenaces ; c'étaient,
suivant l'expression de Ch..., des fourmillements douloureux. Voilà en-
core un signe qui plaide en faveur de l'existence d'une polynévrite.
J'en dirai autant de l'absence d'une atrophie musculaire frappant, avec
une prépondérance très nette, certains groupes de muscles, et de l'absence
de ces troubles vaso-moteurs qui, dans les cas de poliomyélite antérieure
aiguë, se montrent à la seconde.période de l'affection, sous les dehors
d'une cyanose et d'un refroidissement local des parties dans lesquelles
se cantonnent la paralysie et l'atrophie musculaire.
Enfin, il n'est pas jusqu'à l'état des réactions électriques, qu'on ne
puisse invoquer en faveur de l'hypothèse d'uue polynévrite. En effet,
dans les cas de poliomyélite antérieure aiguë, les anomalies des réactions
électriques sont en raison directe du degré de la paralysie :
Pas de paralysie, vous disais-je, dans une précédente leçon sur un cas
de poliomyélite antérieure aiguë, pas de modification des réactions élec-
triques ; parésie légère, signes en rapport avec une ébauche de réaction
de dégénérescence ; paralysie complète, réaction complète de dégénéres-
cence ; enfin dans les muscles complètement atrophiés, abolition complète
de l'excitabilité galvanique et faradique.
Les choses se présentent tout autrement, en thèse générale, clans les cas
de polynévrite aiguë; ici on observe un défaut de corrélation, une incoll-
gruence entre le degré des modifications électriques et le degré de la pa-
ralysie.C'est précisément ce qui a eu lieu chez notre malade; à une époque
où la paralysie avait atteint son maximum d'intensité, aux quatre membres
et au tronc, les réactions galvaniques et faradiques étaient, il peu de
chose près, normales dans ces mêmes parties, sauf qu'on notait des indi-
ces de réaction de R. D. à l'examen du vaste interne et du jambier anté-
rieur, il droite,lesquels muscles n'étaient pas plus paralysés que d'autres.
Enfin, la face, où la paralysie intéressait uniformément tous les muscles
innervés par la 7° paire, on a constaté, d'une façon très nette, les signes
de la R. D. dans quelques-uns de ces muscles ; dans les autres, les modi-
fications des réactions électriques étaient moins bien accusées.
Etiologie. Pronostic. Notre diagnostic est donc : polynévrite
aiguë généralisée forme de poliomyélite antérieure, de cause obscure.
Maintes fois. j'ai insisté sur ce que l'étiologie des polynévrites peut se ré-
12 F. RAYMOND
sumer dans ces deux termes : Infections, intoxications (et auto-intoxica-
tions). Rien dans les renseignements anamnestiques que nous avons re-
cueillis sur le compte de Ch... ne nous fournit un indice quelconque de
l'intervention d'une infection ou d'une intoxication tangible, dans le dé-
veloppement de sa polynévrite. Nous en sommes donc réduit à des sup-
positions vagues, eu égard à l'intervention de quelque infection ou auto-
intoxication latente.
Peu importe, en l'espèce. L'essentiel est de savoir que notre diagnostic
entraine une conclusion pronostique du plus haut intérêt,qui est celle-ci :
Une polynévrite aiguë généralisée est beaucoup moins grave, q1toad vi-
tam et quoad 1'estitutionem ad infegrlllll, qu'une poliomyélite antérieure
aiguë. Les deux affections comportent des dangers de mort, et dans les
deux cas ces dangers sont liés à l'envahissement de la sphère d'innerva-
tion encéphalique pal' la myélite ou la polynévrite. Eh bien, Messieurs, ces
dangers sont sensiblement plus grands, dans un cas de poliomyélite, que
dans un cas de polynévrite, pour une raison facile à saisir, je vous l'ai
déjà signalée dans le cours de cette leçon : Des accidents crânio-bulbai-
res, quand ils éclatent dans le cours d'une poliomyélite antérieure, dé-
notent que les noyaux gris bulbaires ou protubérantiels ont été envahis
par le processus myélitique; si cet envahissement porte sur les centres
respiratoires et cardio-vasculaires, le malade est voué à une mort à peu
près certaine. Dans un cas de polynévrite, ces mêmes accidents dépen-
dent de lésions qui peuvent se cantonner dans les parties périphériques
des nerfs crânio-hulbaires, lésions réparables, et qui n'intéressent pas for-
cément toutes les fibres de ces nerfs. Les chances de survie sont donc con-
sidérables.
Aussi bien, chez notre malade, les troubles cardiaques et respiratoires,
qui impliquaient une extension de la polynévrite à la dixième paire, n'ont
jamais revêtu des allures inquiétantes ; ils se sont dissipés spontané-
ment.
Reste l'autre point de vue, celui qui est relatif il la restauration des
nerfs et des muscles touchés. Il est extrêmement rare qu'une polio-
myélite antérieure aiguë, aussi bien chez un enfant que chez un adulte,
évolue sans laisser de traces irréparables, sous la forme d'une atrophie
limitée à un segment de membre ou d'un groupe de muscles, et sous la
forme de rétractions tendineuses consécutives. Nombreux sont les indivi-
dus qui, ayant échappé a une attaque de paralysie infantile, restent
impotents, infirmes, pour le restanl de leurs jours, privés qu'ils sont
de l'usage régulier d'un ou de plusieurs membres, en raison de ces atro-
phies et de ces rétractions tendineuses consécutives.
Cela se voit beaucoup plus rarement, la suite d'une attaque de poly-
' POLYNÉVRITE ET POLIOMYÉLITE 13
névrite généralisée, et cela se voit surtout dans les cas où l'intervention
du médecin a été trop tardive ou mal dirigée. Non seulement la polyné-
vrite aiguë comporte moins de dangers, quoad vitam, que la poliomyélite
antérieure aiguë, mais encore elle est radicalement curable, quand elle est.
attaquée à temps et traitée par les moyens appropriés. Voilà une notion
que vous ne sauriez trop vous graver dans l'esprit ; en la mettant à profil,
vous aurez des chances de faire des cures qui passeront pour merveilleuses,
chez des malades atteints d'une paralysie atrophique aiguë et subaiguë,
et qui étaient voués à une infirmité irrémédiable. Les preuves de ce que
j'avance n'ont pas fait défaut à ceux d'entre vous qui ont suivi mon ensei-
gnement pendant les précédentes années.
Traitement. Quel est donc, dans un cas de polynévrite aiguë géné-
ralisée, la conduite à tenir, pour que le malade, une fois arraché aux
dangers inhérents il l'envahissement des nerfs bulbaires par la polynévrite,
ait les meilleures chances de récupérer l'entier usage de ses muscles, sans
conserver ni résidu d'atrophie musculaire, ni rétractions tendineuses ?
Là-dessus, je me suis amplement expliqué dans deux précédentes leçons,
consacrées au traitement des polynévrites. Je ne ferai que vous résumer
en quelques phrases, les notions de thérapeutique que je vous ai exposées
dans ces deux leçons :
Vous instituerez un traitement prophylactique et causal, quand la chose
est possible, quand vous vous trouverez en présence d'une intoxication
tangible (alcoolisme, intoxication professionnelle.alimentaire), d'une in-
fection bien avérée,ou d'autres circonstances étiologiques telles que le sur-
menage physique, connues pour intervenir dans le développement d'une
polynévrite.
Usez avec prudence des analgésiants, pour combattre les douleurs, à la
période d'acuité de la polynévrite : faites alterner les injections de mor-
phine avec l'administration interne de l'antipyrine, du salicylate de soude,
du salophénc, de l'exalgine, de la phénacétine, du bleu de méthylène, de
façon à éviter les effets cumulatifs d'un même médicament.
Contre l'insomnie, si fréquente à la période des douleurs, otis pres-
crirez de préférence le trional, le chloral, la paraldéhyde chez les alcoo-
liques.
Sitôt disparu l'endolorissement des muscles il la pression, sitôt les
malades devenus maniables et transportables, vous leur ferez prendre
des bains chauds, puis des bains tièdes, pour les préparer au traitement
curatif dont les ressources électro-thérapiques feront les frais principaux.
Il, F. RAYMOND
En outre, vous soumettrez les malades il des exercices de gymnastique
bien gradués, en les assistant de vos encouragements, en les soutenant
contre leurs propres défaillances.
Je vous répète que je me suis longuement étendu sur tout ce qui a rap-
port à cette partie du traitement des polynévrites ; le manque de temps
ne me permet pas d'y insister davantage aujourd'hui.
Une fois obtenus la restauration anatomique des muscles atrophiés et
leur rétablissement fonctionnel, vous ferez appel, pour activer et consoli-
der la guérison, à toutes les ressources capables de tonifier les systèmes
musculaire et nerveux : massage, hydrothérapie, exercice en plein air,
alimentation appropriée.
Si, malgré des soins bien entendus, la polynévrite laissait comme traces
des rétractions tendineuses, il ne nous resterait plus qu'à faire appel au
concours d'un orthopédiste ou d'un chirurgien.
MALADIE DE THOMSEN A» FORME FRUSTE
AVEC ATROPHIE MUSCULAIRE
PAR Et
E. NOGUÈS J. SIROL
Médecin directeur Médecin adjoint
de la Maison de Santé pour les Maladies Nerveuses
de Toulouse.
L'observation suivante relative à un malade que nous avons eu l'occasion
d'examiner et de suivre régulièrement, nous a paru digne d'être publiée.
Observation. X ? plâtrier, 33 ans.
Antécédents héréditaires. - Nuls. Cependant nous noterons, comme pou-
vant avoir quelque intérêt dans la suite de cette observation, que le père de
X... éprouvait une certaine difficulté à accomplir les premiers mouvements de
mastication au commencement des repas.
Antécédents personnels. - Né terme, X... n'a jamais eu de convulsions ni
de maladies de l'enfance. A toujours joui d'une excellente santé jusqu'à rage
de 17 ans. A ce moment, il a commencé de tousser un peu. Il s'enrhumait faci-
lement surtout l'hiver. A cette même époque, X... a observé deux phénomènes
qui persistent encore aujourd'hui mais qui le gênent peu, et pour lesquels il
ne serait pas venu nous consulter si des accidents plus graves n'étaient surve-
nus dans la suite.
Il éprouva d'abord une certaine difficulté il opérer les premiers mouvements
de mastication. Cet accident ne se produisait que de temps à autre, irrégutiê-
rement et toujours iL l'occasion des premières bouchées d'aliments.
Nous avons dit que son père présentait ce même symptôme.
En second lieu, lorsque X... tenait dans la main un fardeau d'une certaine
lourdeur et qu'il était obligé de fléchir fortement ses doigts pour le maintenir,
il éprouvait une grande difficulté il le laisser aller. Il n'ouvrait sa main que
lentement. Ce même phénomène se produisait s'il fléchissait fortement ses doigts
dans la main. A part cela il était robuste et vigoureux. Cependant, le malade
n'a pas fait son service militaire. Il a bénéficié de la loi qui dispense du ser-
vice militaire un jeune homme dont le frère est au service. Mais il fut appelé
à faire une période d'un mois d'abord, puis de 28 jours. Il avait alors 25 ans.
16 E. NOGUÈS ET J. SIROL
Le malade fit bien ces deux périodes d'instruction militaire, mais il toussait tou-
jours un peu.
Trois ans plus tard, c'est-à-dire vers l'âge de 28 ans, il prit mal : ') une noce.
Il fut très long à se remettre et dut cesser tout travail. Il était en pleine conva-
lescence lorsqu'il fut appelé de nouveau pour faire une deuxième période de
28 jours. Il se présenta au corps et fut reformé pour bronchite. En rentrant
chez lui.il se soigna très sérieusement et au bout de quelques semaines d'un
traitement rigoureux, il était beaucoup mieux el pouvait reprendre, en partie,
ses occupations.
Mais il partir de cette époque, il s'aperçut qu'il se fatiguait vite et que ses
jambes avaient de la peine à le porter. Cette fatigue se manifesta d'abord il la
jambe gauche, puis à la jambe droite. Il ressentait aux pieds des fourmillements
dès qu'il se reposait. Il dut de nouveau interrompre son travail. Ses jambes se
raidirent. Il ne les pliait que très difficilement. Lorsque étant assis il se levait
pour marcher, il était un moment sans pouvoir remuer ses jambes et devait se
soutenir pour ne pas tomber. La durée de cette sorte d'hésitation était de20 ou
30 secondes. Puis péniblement, il faisait un premier pas, puis un second. Après
quelques pas, la marche devenait de plus en plus facile et enfin normale. Ce-
pendant, après avoir fait un kilomètre, le malade était las et devait se re-
poser.
Il remarqua, il ce moment, que ses jambes avaient diminué de volume. Il
consulta son médecin qui l'envoya à Lamalou. Il trouva dans cette station un
peu de. soulagement, ses jambes étaient moins raides, mais il ne pouvait pas
encore travailler. L'année suivante il revint à Lamalou. A son retour, il
éprouva une nouvelle amélioration. Il put dès lors s'occuper en se faisant
aider. Il travaillait à peu près tous les jours, mais quand il rentrait chez lui,
le soir, il était très fatigué. Il éprouvait bien encore de temps en temps un peu
de gêne au début de la marche, mais il n'avait plus besoin de s'appuyer sur
un objet voisin lorsqu'il se levait ni d'attendre quelques instants avant de faire
les premiers pas. Il triomphait de cette gêne.
Comme la faiblesse que ressentait X... dans ses membres inférieurs, n'avait
aucune tendance il disparaître, qu'elle semblait plutôt s'accentuer tous les jours,
il s'est rendu à Toulouse où nous le voyons.
Etat actuel. L'examen du malade nous a permis de constater une atro-
phie très nette du jumeau interne, du jambier antérieur, de l'extenseur com-
mun des orteils. Celle-ci est un peu moindre pour le groupe des péroniers aux
deux jambes.. Une atrophie également très sensible des vastes interne aux deux
cuisses (PL III).
Mensuration.
Cuisse droite. Cuisse gauche.
A 0,09 centimèt. au-dessus du bord Au même niveau, 0,29.
supérieur de la rotule, 0,30.
A 0,17 centimèt. au-dessus du même 0,31.
point, 0,35.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALFLIRtÈRF.
T. XII. PI. III
MALADIE DE THOMSEN
Forme fruste, avec atrophie musculaire.
(1 : . Vuu ct J. Sirul)
MASSON & Cre, Editeurs.
MALADIE DE THOMSEN A FORME FRUSTE 17
Jambe droite. Jambe gauche.
A 0,13 centimèt. au-dessous de l'angle Au même niveau, 0,27.
inférieur de la rotule, 0,28.
A 0,26 centimèt. du même point, 0,20. - 0,19.
Réactions électriques.
L'excitabilité faradique des muscles atrophiés est très sensiblement dimi-
nuée. Elle l'est plus dans ceux de la jambe que dans ceux de la cuisse. Plus
dans le jumeau interne et jambier antérieur que dans les extenseurs et les pé-
roniers et le vaste interne.
L'excitation faradique des nerfs donne des contractions plus fortes que l'ex-
citation directe des muscles.
L'excitabilité galvanique est encore plus diminuée que l'excitabilité faradique.
Dans aucun des muscles atrophiés il n'y a de réaction de dégénérescence même
partielle. Cependant, un fait nous parait intéressant ci signaler, très manifeste
surtout aux muscles de la cuisse : à côté de réactions qualitatives normales
pour des courants faibles, il se produit, pour un courant un peu plus fort, une
tétanisation durable; et celle-ci se manifeste d'abord à la fermeture positive. ! La tétanisation il la fermeture du pôle négatif se produit un peu plus tard.
Ainsi pour donner un exemple : ,
Cuisse droite Cuisse gauche
Vaste interne. La première contraction
- il la fermeture négative apparaît à .. 7 ni. a. à 5 m. a.
Contraction à la fermeture positive à . m. a. à 7 m. a.
Tétanisation à la fermeture positive à . 11 m. a. à 9 m. a.
- négative à . 13 m. a. à 11 m. a.
Pour les autres muscles les proportions sont à peu près les mêmes.
Fait à remarquer, l'excitabilité galvanique et faradique est moins diminuée
dans le côté qui est cependant le plus atrophié.
A côté de cette modification de l'excitabilité galvanique nous noterons un
autre phénomène qu'il nous paraît bon de rapprocher de celui-là. Lorsqu'on
percute brusquement les muscles du malade à la cuisse, ;1 la jambe ou aux bras,
on provoque une contraction tonique qui persiste plusieurs secondes et ne dis-
paraît que lentement. A la cuisse sur le droit antérieur la percussion donne
lieu à une série de contractions qui peuvent persister de quelques secondes à
une minute et plus. Ces secousses se montrent parfois spontanément dans
ce muscle, mais elles se produisent également quelquefois dans les autres.
Elles sont plus fréquentes à droite qu'à gauche.
Les réllexes rotuliens sont diminués mais non abolis.
Il n'y a pas de troubles de la sensibilité.
Le malade est légèrement constipé depuis un an environ. Il tousse toujours
un peu ; s'enrhume facilement et cependant on.n'entend rien d'anormal à l'aus-
cultation. X... a très bon appétit.
xa 2
18 E. NOGUÈS ET J. S1ROL
Du côté des membres supérieurs on ne constate rien d'anormal sinon un
peu d'amaigrissement. Cependant le malade sent que ses forces ont beaucoup
diminué et il éprouve du côté de ses bras une sensation de lassitude et de fai-
blesse semblable il celle qui a marqué le début des troubles du côté des mem-
bres inférieurs.
Un seul phénomène nous semble devoir attirer l'attention : c'est qu'au-
jourd'hui, comme vers l'âge de 17 ans, il éprouve de la difficulté il ouvrir sa
main lorsqu'il a fortement fléchi ses doigts.
Telle est, aussi complète que possible, l'observation de notre malade.
Ce qui a préoccupé le malade et l'a décidé il venir nous consulter, c'est
la faiblesse progressive qui envahit ses membres inférieurs et le gêne tous
les jours davantage pour son travail ; c'est l'amaigrissement considérable 0
de ces mêmes membres ; c'est enfin la crainte que cette impotence limitée
encore aux membres inférieurs atteigne aussi ses bras, car il commence à
éprouver dans les membres supérieurs ce qu'il a ressenti au début dans
ses jambes.
En effet, cette impotence fonctionnelle et celle atrophie constituent la
note dominante de l'affection de notre malade et lorsqu'on l'examine, ce
sont les manifestations qui attirent d'abord l'attention. Il n'existe pas de
troubles de la sensibilité; pas de troubles trophiques ; pas de modifica-
tions du côté des sphincters. Enfin les réactions électriques nous ont per-
mis de constater une simple diminution de l'excitabilité électrique sans
réaction de dégénérescence.
En présence d'une affection à évolution lente et progressive présentant
les caractères que nous venons d'indiquer, il semble qu'un seul diagnostic
s'impose, c'est celui de myopathie primitive progressive.
Le cas de X... diffère, néanmoins par certains côtés, des divers types
cliniques de myopathie décrits jusqu'à ce jour. Il ne ressemble en rien à
la paralysie pseudo-hypertrophique, maladie héréditaire et familiale qui
atteint surtout les enfants et qu'il est rare de voir débuter après la dixième
année. Il ne ressemble pas davantage au type Landouzy-Déjerine (Favio-
scrtpulo-hmnéral) et à la forme juvénile de Erb.
Cetteconstatationpeut-ellenons faire abandonner notre manière de voir ? ?
Si pour les besoins de l'enseignement on a cru devoir décrire des types
nettement déterminés, la clinique nous apprend que l'on observe tous les
jours des formes nouvelles qu'il est parfois difficile de rattacher à ces ras
types. Certaines en diffèrent même tellement qu'on a cru devoir les sépa-
rer des précédentes.
MALADIE DE T110MSE\ A FORME FRUSTE 19
Il y a quelques années, dit M. Dutil (1), dans son article sur les amyo-
trophies, « lorsque le remaniement nosographique des atrophies muscu-
laires progressives eut abouti à la division fondamentale de ces affections
en deux espèces différentes : 1° l'atrophie d'origine spinale (type Du-
chenne-Aran) ; 2° la myopathie progressive primitive, il semblait que ces
deux grandes formes qu'on opposait l'une à l'autre, l'une individuelle,
l'autre familiale, devaient englober tous les cas d'atrophie musculaire
progressive. II n'eu est rien. En même temps que l'observation clinique
des faits devient plus attentive et plus précise, l'histoire de l'atrophie
musculaire progressive paraît se compliquer de plus en plus et l'on voit
surgir pour ainsi dire chaque jour des faits qui, par leurs caractères clini-
ques ou anatomiques, procèdent à la fois de l'atrophie d'origine spinale
et de la myopathie primitive, ou qui du moins ne rentrent exactement
dans le cadre ni de l'une ni de l'autre. »
Le type de Charcot-Marie est un des mieux étudiés parmi ces formes
irrégulières. Dans une certaine mesure, le cas de notre malade ressemble
à ce dernier type et peut en être rapproché. L'atrophie atteint en premier
' lieu les petits muscles des pieds, puis ceux de la jambe en commençant
par les extenseurs des doigts, puis le jambier, les péroniers, enfin les
muscles du mollet. Après un temps d'arrêt variable, l'atrophie gagne les
muscles des cuisses où elle frappe particulièrement le vaste interne.
Comme on le voit, la localisation de l'atrophie est à peu près la même
dans notre cas, sauf pour les petits muscles des pieds qui sont indemnes
chez X,... Mais où les deux affections diffèrent essentiellement, c'est dans
l'absence chez notre malade de troubles de la sensibilité, de troubles vaso-
moteurs et trophiques, dans l'ahsence surtout de réaction de dégénéres-
cence. Au contraire, ces symptômes sont constants dans la maladie de
Charcot-Marie.
Leur absence chez X... doit donc nous faire abandonner l'hypothèse
d'une myopathie du type Charcot-Marie. Elle est, de plus, une preuve
que les nerfs et les cellules des cornes antérieures sont indemnes ; ce qui
nous permet d'éliminer en même temps toutes les affections où ceux-ci
sont plus ou moins atteints : poliomyélites, névrites, etc.
La manifestation atrophique que nous observons est donc bien la con-
séquence d'une lésion primitive des muscles, car, seule, une semblable
hypothèse nous permet de concilier tous les symptômes présentés par X...
Sans'doute, l'affection de notre malade n'est ni héréditaire, ni familiale
et cependant il nous semble difficile d'en faire autre chose qu'une myopa-
thie primitive progressive.
(1) Drill, Manuel de médecine Debove et L. t. 1lI, p. îOG,
20 E. NOGUÈS ET J. SIROL
Nous savons, en effet, que cette maladie « procède d'une manière élec-
tive, frappant certains groupes musculaires il l'exclusion d'autres groupes.
Elle ne s'accompagne jamais, sauf de très rares exceptions, de contractions
fibrillaires.
C'est une atrophie simple et qui ne donne pas lieu à la réaction de dé-
générescence ; l'excitabilité électrique des muscles s'affaiblit seulement,
puis disparaît au sur et à mesure de la destruction des fibres musculai-
res (1) ».
N'est-ce pas ce que nous observons chez X... ? L'hypothèse de myo-
pathie primitive progressive est donc très vraisemblable et nous nous ar-
rêterions volontiers il ce diagnostic si, à côté des symptômes qui nous ont
amenés à cette conclusion, nous n'en observions pas d'autres qui, à notre
avis, méritent d'être examinés. Nous mentionnerons d'abord les réactions
électriques anormales que nous avons observées. Dans les myopathies, il
existe une simple diminution de l'excitabilité électrique et pas autre chose.
Le fait de la contraction tonique prolongée qui suit, soit l'excitation élec-
trique, soit une excitation mécanique, ne se rencontre pas dans les myopa-
thies. Il est une réaction particulière des muscles que l'on observe dans
certaine maladie, et à laquelle ces phénomènes ressemblent beaucoup,
c'est la réaction myotonique. En second lieu, il faut tenir compte de la
contracture passagère dont le malade triomphe par un effort plus ou
moins grand et qui suit la flexion un peu forte des doigts dans la main.
Dans le même ordre d'idées nous rappellerons les sensations de raideur
survenues à un moment donné de l'affection et la difficulté qu'avait X....
à faire les premiers pas au début d'une promenade.
Enfin, il existe chez notre malade de la difficulté dansTacte de la masti-
cation au début des repas, symptôme que son père éprouvait également.
Si ces phénomènes réunis ne sont pas la reproduction exacte de la ma-
ladie de Thomsen, du moins nous autorisent-ils penser à cette affection.
Nous ne trouons pas en effet, comme dans celle-ci, d'hypertrophie
musculaire, il existe au contraire de l'atrophie très manifeste. L'excitabi-
lité électrique est diminuée chez X..., tandis qu'elle est, en général,
augmentée dans la maladie de Thomsen.
Nous ne trouvons enfin qu'une ébauche, il est vrai, de cette raideur et de
cette difficulté qui existe au début des mouvements voulus et qui est le
signe pathognomonique de la maladie de Thomsen.
Ces accidents ne se produisent pas à l'occasion de tous les mouvements
et ce n'est que de temps en temps qu'ils se manifestent. Enfin nous n'ob-
servons aussi qu'une hérédité relative et les réactions électriques ne se
(1 ) Traité de médecine, Myopathies progressives.
MALADIE DE THOMSEN A FORME FRUSTE 21
rapprochent que par certains côtés seulement de celles que l'on rencontre
dans la maladie de Thomsen.
Nous n'hésiterons pas cependant à conclure à un cas de cette dernière
affection.
Quelques symptômes tels que : l'atrophie musculaire et la diminution
de l'excitabilité électrique, nous avaient permis de penser à la myopathie
primitive progressive; mais la contraclion tonique prolongée qui suit une
excitation mécanique ou électrique, la raideur et la difficulté éprouvées au
début des mouvements voulus, même si elle ne se montre que de temps en
lemps, et enfin, le fait que cette difficulté limitée, il est vrai, à l'acte de la
mastication a pu être notée chez le père du malade constituent un ensem-
ble symptomatique que l'on ne rencontre que dans la maladie de Thomsen.
Et d'ailleurs, les deux affections ne pourraient-elles pas coexister chez
le même malade ? On observe assez souvent de ces associations. Cela serait
d'autant moins surprenant dans le cas actuel que les deux manifestations
paraissent dues il une lésion primitive des muscles.
Quoi qu'il en soit, nous nous arrêterons, pour ne rien préjuger, au
diagnostic de maladie de Thomsen à l'orme fruste avec une atrophie mus-
culaire.
UNIVERSITÉ DE MOSCOU
- TROIS CAS D'ATAXIE CÉRÉBELLEUSE
HÉRÉDITAIRE DANS LA MÊME FAMILLE
PAR
G. ROSSOLIMO
Privat-docent il l'Université de Moscou.
Décrit pour la première fois en 1880 (Fraser) et qualifié seulement en
1893 par P. Marie, qui lui a donné le nom d'ataxie cérébelleuse héréditaire,
le symptôme complexe de cette affection, à en juger par les données de la
littérature, n'a été observé jusqu'à présent que cinq fois dans sa manifes-
tation multiple, chez plusieurs membres d'une même famille.
Dans toutes ces observations les phénomènes morbides correspondaient
si bien au tableau classique donné par Marie qu'à l'heure actuelle l'exis-
tence de cette forme nosologique spéciale doit être considérée comme so-
lidement établie et ne pouvant plus être l'objet d'aucun doute sérieux ;
son diagnostic est facile dans tous les cas où les symptômes morbides car-
dinaux se trouvent présents chez plusieurs membres appartenant à une
même famille.
Il existe pourtant une série de questions se rattachant à celle nouvelle
affection, qui sont loin d'être suffisamment élucidées et qui, pour être
tranchées, exigent de nouvelles observations. Telles sont surtout les ques-
tions ayant trait au rôle de l'hérédité générale et spéciale, à la genèse de
l'arrêt de développement électif du cervelet et de ses connexions, à la
physionomie spéciale familiale de l'affection, aux cas sporadiques du symp-
tôme complexe de Marie, au rapport de cette affection avec la maladie de
Friedreich (dans les cas de combinaison de ces deux affections, cas de
Alentzel, d'Erb, de Seeligmüllerj, au caractère des premiers symptômes
de la maladie, etc., etc. (1).
Ce sont les considérations de cet ordre qui nous décident de publier
l'observation suivante concernant trois membres d'une même famille,
une soeur et deux frères, dont les deux derniers ont été en traitement
(1) Nous nous abstenons de donner ici les détails d'histoire et de littérature ; ils sont
admirablement compulsés dans la thèse classique de P. Lovor : Iléréédo-ataxie céré-
lielleuse, Paris, 1893.
TROIS CAS D'ATAXIE CÉRÉBELLEUSE
23
dans notre clinique aux mois de février et de mars 1898 (la première a
été examinée à notre consultation externe). Ce qui renforce l'intérêt de
notre observation c'est que c'est le premier cas d'ataxie cérébelleuse hé-
réditaire étudié et décrit en Russie (Pl. IV et V).
Pour plus de facilité de la lecture, nous préférons mettre en regard les
observations de nos trois malades dans un même tableau, où se trouvent
condensées les données des antécédents et de l'examen clinique.
Nom. Olga S. (2e enfant). Michel S. Nicolas S.
(5° enfant). (6e enfant).
Age. 29 ans. 2fJ, ans. 17 ans.
Etat civil. Jeune fille. Célibataire. Célibataire.
Lieu de nais- La ville de Twer. Twer. Twer.
sance.
Antécédents Le père de ces trois malades est mort à l'âge de 64 ans
héréditaires. d'une maladie du foie (ictère et oedèmes). Etait alcoolique.
La mère vit encore (elle a 5 ans) et se porte bien.
Ils avaient 7 enfants, dont un est mort en bas âge d'une
cause inconnue. Les autres enfants vivent encore : trois de
ces enfants font l'objet de notre observation, les autres sont
bien portants et assez solides, n'ayant jamais présenté de
phénomènes nerveux tels que : titubation, tremblements,
strabisme. Pas de maladies psychiques dans la famille, ni
de tuberculose. La famille est d'une culture intellectuelle
peu élevée.
De quoi les Démarche vacil- Faiblesse des bras Faiblesse des
malades se plat- tante et faible ; fai- et des jambes ; dé- jambes ; démarche
gnenl. blesse et tremble- marche vacillante, vacillante,
ment des mains ;
diplopie.
Conditions de A toujours habité Vit dans sa fa- Vit dans sa fa-
la vie. avec ses parents ; a mille, s'ocèupe de mille. A l'âge de
peu appris etappre- commerce dans son 8 ans entra à l'école
nait difficilement ; magasin ; fréquen- primaire qu'il ne
actuellement ne tait l'école de 8 finit pas. De là, il
s'occupe de rien. jusqu'à 14 ans. Boit passa au collège,
peu de vin. d'où il fut retiré
pour incapacité et >
' placé à l'âge de 14
ans dans une petite
école spéciale d'a-
griculture.
Antécédents Née à terme ; ac- Né à terme et Né à terme et
personnels. couchement t nor- normalement. Le normalement. Dé-
24
G. ROSSOLI110
Olga S. Michel S. Nicolas S.
mal. Le 3° jour de développement fut veloppement nor-
sa vie supporta une normal. Pas de ma- mal. Comme mala-
maladie aiguë de ladies à signaler diesde l'enfance eut
nature mal déter- dans le bas âge. A la rougeole et une
minée : elle a crié partir de l'âge de pneumonie.
toute la journée, 14 ans, pratiques Pascletraumatis-
puis resta sans for- de masturbation, mes.
- ces et sans mou- d'abord modérées, Pratiques de mas-
vements, les yeux puis de plus en plus turbation à l'âge de
ouverts. Se remit fréquentes jusqu'à 10 ans jusqu'à 13
complètement bien- ! 'age de 20 ans. ans. Pendant cette
tôt après. Commen- Après un intervalle époque se plaignait
ça à parler dans sa de 18 mois, reprit d'une faiblesse gé-
2e année et zézayait cette mauvaise ha- nérale.
jusqu'à l'âge de 12 bitude, bien que Par moments,
ans. Commença à d'une façon plus hémicranie du côté
marcher dans sa modérée. Souffre droit sans vomisse-
3e année et apprit de céphalées, sur- ments.
très difficilement il tout le soir, depuis N'a pas eu de
marcher. A l'âge de 3 ou 4 ans. Il a rapports sexuels.
6 ans eut des ter- 6 ans eut une af- Pas de maladies
reurs nocturnes du- fection fébrile qui vénériennes,
rant 1¡; mois consé- le tint au lit du- '
cutifs. A l'âge de rant deux mois ; la
22 ans fit une chute convalescence fut
sur un rail en fer et longue. Ne se rap-
se fit une contusion pelle pas avoir subi
très forte du genou de traumatismes.
droit, lequel resta N'a pas eu de rap - »
pendant 3 mois dans ports sexuels. Pas
un pansement con- de maladies véné-
tentif. N'a pas eu de riennes.
maladies infectieu-
ses.
Début de la 11 y a 7ans,après A l'âge de 18 ans, A de 13 in s
maladie actuel- avoir été guérie du ;i la suite de la ma- incertitude et titu-
le, traumatisme du ge- ladie fébrile, dont bation de la démar-
nou droit, commen- nous avons parlé clce. Un peu plus
ça à ressentir une plus haut, commen- tard (il l'âge de 14
faiblesse des jambes ça à ressentir une ans) la pcaroledevint t
en même temps courbature gêné- lente et difficile.
qu'une incertitude raie ; la démarche Ces phénomènes
croissante dans sa devint incertaine et s'accentuèrent peu
démarche.
TROIS CAS D'ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 25
Olga S. Michel S. Nicolas S.
La jambe droite vacillante. Les plié- à peu, d'une façon
était toujours la nomènes s'accen- très lente.
plus faible. Plus tuaient peu à peu .
tard survinrent une et s'établirent d'une
faiblesse progressi- façon constante et
ve des membres su- prononcée il partir
périeurs et un trem- de de 20 ans.
blement des mains. Il s'y ajouta égale-
Le dernier temps ment une faiblesse
elle ressent de la des membres supé-
diplopie au regard rieurs. Mais même
dirigé en bas et à le dernier temps la
droite. marche progressive
de ces phénomènes
ne s'est pas arrêtée.
Dans le temps il
y avait un léger
strabisme, qui s'ac-
centua <i l'âge de
19 ans, en même
temps qu'apparut
une diplopie au re-
gard dirigé droite.
Cette diplopie fut -
également consta-
tée dans la clinique
de M. le prof. Ko-
. jewnikow en 1895
, (le malade avait
alors 21 ans), eu
même temps qu'un
' léger nystagme aux
positions extrêmes
des globes oculai-
res, et une certaine
exagération des ,'é-
flexes rotuliens( sans
parler des autres
symptômes men-
tionnés plus haut).
Co)M<t<M<MH ? ennc; Moyenne llo Tenne
Constitution. Moyenne Moyenne Moyenne
t4<0.e<6t))K- Assez y bon Assez bon Assez bon
, ? , , Assez bon Assez bon Assez bon
Il'Ilion G·nétale.
20
G. ROSSOLIMO
Olga S. Michel S. Nicolas. S.
Taille. 1 mètre 41 cent. 1 m. 59 cm. 1 m. 78 cm.
(longueur des (longueur des jam- (longueur des
jambes : ])es 78 cm. 5). jambes : 78 cm.).
Dentition. Les dents sont Les dents supé- Les dents sontir-
- irrégulièrement im- rieures sont très régulièrement im-
plantées, proéminentes. plantées.
Crâne.. Le crâne est sy- Idem. Idem.
métrique. Le front Le front est plu- Le front est dé-
est étroit, surtout tôt étroit et quel- clive.
- en haut, et un peu que peu déclive.
déclive.
L'occiput t est Idem. Idem.
aplati ;
La protubérance Idem. Idem.
occipitale externe
est fortement proé-
minente.
La mâchoire in- Idem. La partie faciale
férieure est très peu est plus développée
proéminente. que la partie crâ-
nienne.
Diamètre IOI ! [ji-
. tudinal : 168 mm. 180 mm. - 180 mm.
Diamètre trans-
versai : 136 mm. - 140 mm. 132 mm.
Hauteur : 9 - 96 muni. 96 mm.
mm.
Index cépli. 8 ? 5 - 75, 2 ' 73,3
Conques aU1'Í- ,...,,
culaires. aît ? ,i- Sans anomalies appréciables.
culaires. ' v
Organes inter- Normaux . Idem. Idem,
lies.
Altitudes du Dans l'attitude
corps. debout vacille .
Reste debout les .
jambes largement
écartées. Impossi-
ble de se tenir im- Il \em. J \eul. 1
mobile ? suruneseu- Idem. Idem.
le jambe, surtout sur
la jambe droite .
Dans l'attitude as-
sise le corps ne va-
cille pas. '
TROIS CAS 'ATASIE CÉRÉBELLEUSE 27
Olga S. Michel S. Nicolas S.
Symptôme de Peu prononcé. Allusion seule- Fait défaut.
Romberg. ment.
Démarche. En marchant Démarche assez Marche avec
vacille dans tous calme, bien qu'un aplomb,maisles pas
les sens, bien qu'elle peu lourde. sont petits et pré-
marche avec un. Pas de phénomè- cipités. On remar-
, certain aplomb. nés spasmodiques que. qu'il éprouve
Boite un peu de dans la démarche : de l'incertitude a )a
la jambe droite (ge- titube surtout marche. Souvent
nou contusionné). quand il tourne. en marchant le
La titubation aug- corps s'écarte brus-
mente d'une façon quement de la ligne
très accusée quand droite vers l'un ou
la malade tourne. l'autre côté. Tourne
Pas d'indices des assez bien.
phénomènes paréti-
ques ou spasmodi-
ques.
Les yeux fermés Idem. Idem.
l'incertitude de la
marche augmente.
L'Altitude de Ne présente rien Léger tremble- Idem,
la tête. d'anormal. ment, qui dans le
Pas de tremble- temps était plus
ment. prononcé.
Expression de Apathique, peu La mimique est Idem,
la physionomie; éveillée, mimique un peu exagérée, La physionomie
mimique. paresseuse. surtout quand il exprime de l'éton-
sourit. nement.
Parole. Zézayait jusqu'à Parole lente ; Parole précipi-
l'àge de 12 ans. quand on le force a tée, par à-coups et
parler vite, butte saccades, rappelant
et perd des mots. en elles le caractère,
de sa démarche.
Phonation. Normale. Normale. Parle d'une voix
de tête (aiguë), avec
. un petit accent
d'enrouement.
Les lettres ch. ne
sont pas bien pro-
noncées.
Déglutition. N 1 JI Idem. ? Normales. Idem. Idem.
Articulation. Normales. lileiii. em.
$17. ROSSOLI\t(1
Olga S. Michel S. Nicolas S.
Convulsions Font défaut et Idem. Idem.
générales et par- n'ont jamais existé.
tielles.
Nerfs crâniens Tous les nerfs Tous les nerfs La seule anoma-
cràniens sont in- sont normaux sauf lie consiste en une
tacts, sauf les nerfs les deux n. n. mo- parésie du m. droit
moteurs oculaires : teurs oculaires pua- interne du côté
, parésie du m. pa- résie des m. m. droit Pas de pto-
thétique droit. Pas droits internes des sis.
de ptosis. lvystag- deux côtés. Quel- Quelques secous-
, mus horizontal ques secousses sous ses cloniques dans
dans les positions les globes oculaires les musclesdu pour-
extrêmes, surtout dans les positions tour orbiculaire ,
du côté droit. extrêmes. de même dans les
Pupilles norma- muscles frontaux.
les, réagissant bien
il la lumière et il
l'accommodation.
Membres su- Développement La seule anoma- Rien d'anormal il
périenrs. normal , sauf les lie consiste en ce noter sous aucun
petits doigts qui que le ? doit de la rapport.
, sont beaucoup trop main gauche pos-
courts en comparai- sède la faculté de
son avec les autres l'hyperextensiou.
. doigts. La muscu- Du reste tout est
lature est normale. normal.
Pas de paralysies ni
de tremblements.
Tous les mouve-
ments, actifs et pas-
sifs , s'effectuent
bien.
Forcedynamo- A droite : 29. A clr. : 00. Ad. : 38.
métrique. A gauche : 33. A g. : 50. A . : 3t.
Réflexes. Normaux. Idem. Idem.
Excitabilités Normales. Normales.
mpcan iqll e et élec-
trique.
Ecriture. Irrégulière, par- Même caractère Mômes remar-
fois tremblante, les de l'écriture, mais ques qu'il propos de
lettres inégales, de ne dénote pas de son frère.
dimensions diffé- tremblement. Le
Nouv. Iconographie DE la SALPh1RrÈRE.
T. XII. PI. IV
ATAXIE HEREDO-CERÉBELLEUSE
(G. Rossolimo)
MASSON & Cie, Editeurs.
TROIS CAS D'ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 29
Olga S. illicltel S. Nicolas S.
rentes, la ligne est malade écrivait tou-
oblique. jours mal, mais le
dernier temps écrit
encore plus mal.
Sensibilité La sensibilité est Idem. Idem,
(des membres tout à fait normale.
supérieurs). Pas de troubles ob-
jectifs. Les troncs
nerveux ne sont pas
sensibles à la près-,
sion.
Tronc. La musculature Idem. Idem.
du tronc (dos, poi-
trine, abdomen) est
normale. Pas de
déformations de la .
colonne vertébale.
Réflexes. Tous les réflexes du tronc, de même que des organes pel-
viens sont normaux chez tous les trois malades.
Membresinfé- Le squelette et la Rien d'anormal à Rien d'anormal à
rieurs. musculature sont noter, sauf que les noter, sauf la con-
très bien dévelop- plantes des pieds formation voûtée
pés, surtout en ce sont légèrement des plantes.La mus-
qui concerne la voûtées. culature des cuisses
jambe gauche. Le La circonférence est d'un développe-
genou droit (ancien max. de la cuisse ment considérable.
traumatisme ) ne droite est de f ! i,5, Tous les mouve-
présente pas d'ano- à gauche : 44 ; ments sont nor-
malies visibles de celle des jambes maux et ne présen-
conformation. Le adroite : 3 ? tent pas d'anoma-
tonus musculaire à gauche : z,,5. lies.
est normal. Le pied Les mouvements
est normal. Les actifs sont libres et
mouvements, pas- s'exécutent bien.
sifs et actifs, s'ef- Les mouvements
fectuent bien. Pas passifs ne sont pas
d'incoordination. tout fait libres et
. se heurtent à une
' certaine résistance.
. Le tonus musculaire
est normal,de même
30 G. ROSS0L1M0
Olga S. Jliclcel . Nicolas S.
que la coordination
des mouvements.
Réflexes tendi- manifestement exa- exagéré. fortement exagéré
lieux : patellaire. géré.
Clonus du pied. fait défaut.
Réflexes cula- Le réflexe plan-
nés. taire est normal.
Excitabilité normale. /
mécanique et l existe, faible. existe, assez pro-
électrique. ( . nonce.
Sensibilité. Pas de troubles \\
objectifs de la sen-
sibilité. I
Subjectivement il existe chez tous les trois malades une
, sensation de fatigue et de courbature.
Troicblesuccso- aucuns. extrémités froides aucuns.
moteurs. et moites.
Sensibilité Acuité visuelle normale chez tous les malades.
spéciale. Le fond de l'oeil a été trouvé normal chez les deux frères
Vue. (pas examiné chez la malade Olga).
' Le champ visuel, normal chez Olga et Nicolas, est légère-
ment rétréci (concentriquement) chez Michel. Pas de troubles
d'accommodation ni de rétraction.
Ouïe. normale. faible droite, à la normale.
suite d'une ancien-
' ne otite perforative.
Olfaction. normaux. Itleîiî. Itlelie.
n , normaux. Idem. Idem,
bout.
Céphalées. d'origineanémique. hémicranie. hémicranie.
Vertiges. font défaut. Idem. Idem.
Vomissements, font défaut et n'unt Idem. Idem.
Syncopes. jamais existé.
Etat psychique. Certaine apathie; Idem. Idem.
culture intellec- En outre rire très
tuelle primitive. Du facile.
côté de la mémoire
et de la sphère émo-
tive rien d'anormal -
il noter, pas d'hal-
lucinations. '
Le sens moral est bien développé chez tous les trois malades.
Nou ? ICO"OGI<AI'HIE DE 1 A SALPêIRIÈRF.
r. XII. Pl. V
TROIS CAS D'HEREDO-CEREBELLEUSE DANS LA MÊME FAMILLE
(G. Rossolimo)
MASSON éc rie éditeurs
. TROIS CAS ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 31
résumons maintenant les données essentielles de nos trois observa-
tions (l'l. IV et V).
1. Olga S..., âgée de 29 ans, née terme, sans dystocie ; se dévelop-'
pait quelque peu lentement ; d'une intelligence et de capacités bien mé-
diocres ; toujours malhabile dans ses mouvements. A l'âge de 22 ans,subit t
un traumatisme du genou droit, à la suite de quoi remarqua, en même
temps qu'une certaine faiblesse de la jambe droite, une incertitude crois-
sante de la démarche ; plus tard un tremblement et une gêne des mouve-
ments des mains ; enfin dans les derniers mois, une diplopie.
Front étroit, occiput aplati, petits doigts courts. Tremblement et gêne
dans les petits mouvements des deux mains ; écriture irrégulière (ataxi-
que) avec léger tremblement.
Démarche ataxique de nature cérébelleuse. Instabilité des jambes ;
impossibilité de se tenir sur une. seule jambe. Développement considéra-
ble de la musculature des jambes. Exagération des réflexes rotutiens. Sen-
sation de lassitude dans les jambes. Parésie du nerf pathétique droit.
II. - Michel S..., 24 ans, né à terme et sans dystocie ; se développait 1
tout à fait normalement. Depuis l'tige de 14 ans avec quelques inter-
valles - pratiques de masturbation. '
A l'âge de 18 ans contracta une maladie fébrile, à la suite de laquelle
. survint une incertitude croissante de la démarche, plus tard il s'y ajouta
également de l'incertitude dans' les mouvements des mains. A l'tige de
19 ans le strabisme, qui avait déjà existé depuis longtemps mais à un
degré faible, s'accentua : l'oeil droit se tourna du côté extérieur (strabisme
divergent) ; il y eut de la diplopie.
Front étroit. Occiput aplati. Mimique exagérée. Rire facile. Intelligence
médiocre.
Parésie des muscles droits oculaires internes des deux côtés. Gène dans
les petits mouvements des mains; écriture irrégulière, légèrement ataxi-
que.
Instabilité. Impossibilité de se tenir sur une seule jambe. Démarche
ataxique, cérébelleuse. Développement considérable des muscles des jam-
bes. Sensation de lassitude dans les jambes. Plantes voûtées. Exagération
des réflexes rotuliens. Léger clonus des pieds.
Léger embarras de la parole. Hémicranie.
III. Nicolas S..., né à terme et sans dystocie, se développait norma-
lement. Intelligence et aptitudes médiocres. De l'âge de 10 ans jusqu'à
(le 13 ans, pratiques de masturbation. A partir de l'âge de 13 ans,
incertitude croissante de la démarche. A l'âge de 14 ans, parole embar-
rassée, lente. Front étroit ; occiput aplati. Mimique exagérée. Rire facile.
Parole embarrassée, par a-coups et saccadée. Ecriture très irrégulière,
32 C. HI1SDOLIMO
ataxique. Gêne dans les petits mouvements des mains. Instabilité. Démar-
che ataxique, cérébelleuse. Impossibilité de se tenir sur une seule jambe.
Sensation de lassitude dans les jambes. Exagération des réflexes rotuliens.
Clonus du pied. Plantes voûtées. Développement considérable de la
musculature des membres inférieurs. Légère parésie du muscle droit
interne oculaire du côté droit. Secousses cloniques de courte durée dans
les muscles de la moitié inférieure de la l'ace, au repos, de même dans
les muscles du front pendant l'effort de l'attention. Hémicranie.
Le diagnostic repose sur l'ensemble des données suivantes :
1° Les malades appartiennent à la même famille :
2° La maladie remonte non à la première enfance, mais à l'âge de 13,
18, 22 ans;
3" Évolution progressive et lentement progressive des symptômes ;
4° Instabilité des membres inférieurs ; attitude debout, les jambes lar-
gement écartées ; impossibilité de se tenir debout sur une seule jambe ;
1° Démarche ataxique de nature cérébelleuse ;
60 Sensation de lassitude dans les jambes :
7° Exagération des réflexes rotuliens chez tous les trois malades et clo-
nus du pied chez le 2e et le 3e malades ;
8° Gêne dans les petits mouvements des mains ; écriture ataxique ;
9° Affaiblissement des muscles oculaires moteurs avec secousses nystag-
mi formes ;
10° Mimique faciale exagérée chez le 2e et le 3° malades ;
11° Secousses choréifonnes dans les muscles inférieurs de la face et
secousses intentionnelles dans les muscles supérieurs de la face (chez le
3e malade) ;
12° État mental presque normal.
Ces données suffisent pour nous permettre de rejeter l'hypotle ede toute
autre maladie nerveuse, telle que :
1° Alaxie spinale médullaire ou maladie de Friedreich, laquelle début('"
à l'âge de première enfance et se caractérise en première ligne par l'ab-
sence des réflexes rotuliens, sans parler d'autres symptômes.
z 20 Sclérose en plaques, qui n'est pas une affection familiale et diffère
sensiblement dans son évolution et dans sa symptomatologie, de ce que
nous avons vu dans l'observation de nos trois malades.
3° Diplégie infantile, qui se développe à la suite d'une dystocie, débute
dès les premières années de la vie extra-utérine, et se révèle par des plié-
nomènes paréto-spastiques et non ataxiques ;
4° Diverses affections cérébelleuses acquises (tumeurs, abcès du cerve-
let, etc.), qu'on peut exclure ici sans plus ample discussion.
Il ne reste clonc plus de doute sur le vrai diagnostic qui est celui cl'cc-
TROIS CAS D'ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 33
taxie cérébelleuse héréditaire, à évolution progressive et à caractère fami-
lial (P. Marie).
Nous trouvons cette affection chez nos malades dans le stade précoce
de son développement. En effet, chez le premier malade, elle ne dure que
4 ans, chez le deuxième ans, chez le troisième 7 ans, ce qui est une
période relativement courte pour une maladie qui évolue ordinairement
pendant des dizaines d'années. L'affection n'est encore que dans la pre-
mière période, période ataxique (Londe) ; d'où l'absence d'astasie et
d'impotence, symptômes qui caractérisent les stades ultérieurs de la ma-
ladie. Il n'y a pas non plus d'atrophie des nerfs optiques.
Notre observation présente quelques particularités que nous ne pouvons
passer sous silence et qui sont probablement la marque de famille. Cest
d'abord la distribution particulière de l'affection des muscles des globes ocu-
laires, et notamment la parésie des muscles droits internes et obliques
supérieurs (dans les autres cas de cette maladie, on rencontre plus sou-
vent l'affection des muscles droits externe et supérieur). C'est ensuite le
développement considérable de la musculature des membres inférieurs. Il
ne s'agit ici, ni d'un état pseudo-hypertrophique, ni d'un état myotomi-
que de la musculature, mais bien certainement d'une conséquence de
l'exercice fonctionnel en vue de la conservation de l'équilibre. C'est en
troisième lieu la constatation d'autres phénomènes pathologiques ayant
précédé l'éclosion de l'ataxie héréditaire, et notamment : traumatisme
de la jambe avec immobilité consécutive durant trois mois, dans l'obs. I ;
affection fébrile ayant duré 2 mois, dans l'obs. II ; enfin, dans les obs. II
et III, nous constatons la masturbation forcée ; si celle-ci ne peut être
invoquée c mme facteur étiologique, elle doit être considérée en tout cas
comme un facteur qui affaiblit l'organisme et contribue à l'avènement
précoce d"zne maladie à laquelle il existe une prédisposition héréditaire.
j En publiant notre observation, nous nous permettons de croire que,
fout en confirmant tout ce qui est déjà acquis dans ce nouveau chapitre
de la nosologie névropathique, elle contribuera en certaine mesure au
développement plus détaillé et plus précis de nos connaissances au sujet
de la symptomatologie de la Maladie de Marie.
xn 3
CLINIQUE DERM0-SYPIIILIGRAPI11QUE DE NAPLES
LE SYNDROME DL LlT'rLE
(congénital SPATIC RIGIDITY OI' LIMI3S)
ET LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE
PAR
TOMMASI DE AMICIS
Professeur à la Clinique dermo-syphiligraphique de Naples.
Histoire clinique.
Antécédents. Pierre, 3 ans, fils de Innocent et de Anna S. de
Montenero (Campobasso), est le sujet de cette observation. Mère âgée de
32 ans, mariée à 18, a toujours joui d'une bonne santé ; bien constituée,
sans aucune tare névropathique.
Ses 3 premières grossesses se terminèrent par la naissance de 3 fils
sains, le dernier a aujourd'hui 9 ans. Son mari, fut absent pendant quel-
ques années et contracta la syphilis ; à son retour dans sa famille, il con-
tagionna sa femme qui devint enceinte. Pendant sa grossesse, elle eut de
fortes douleurs de tête, de la tuméfaction ganglionnaire ; elle avorta à
six mois.
Après six mois, nouvelle grossesse et avortement à 6 mois. Autre gros-
sesse après mois, et avortement à 8 mois.
Après ces trois avortements, elle fut soumise à une cure iodique et
mercurielle, qui se continua pendant une autre grossesse laquelle, grâce
au traitement, vint à terme sans aucun trouble ; l'enfant qui naquit heu-
reusement est le sujet de cette observation. Celui-ci, dans les premiers
mois, profita régulièrement, mais la mère s'aperçut d'une certaine rigi-
dité des membres inférieurs, qui alla tous les jours en augmentant jusqu'à
)'age de neuf mois, sans s'accompagner de phénomènes convulsifs. Quand
l'enfant fut sorti des langes, la mère nota avec étonnement qu'il n'était
pas capable de faire un pas, de se tenir sur ses pieds, et quand il s'es-
sayait à marcher, les cuisses se serraient fortement l'une contre l'au-
tre, les jambes se raidissaient en extension pendant que les pieds en ex-
tension dorsale permanente se plaçaient l'un sur l'autre.
Elle remarqua de même, en ce qui regarde les membres supérieurs,
qu'à droite en particulier, l'avant-bras avait de la tendance à rester con-
tracté en flexion sur le bras, le pouce étant replié dans le creux de la
main.
LE SYNDROME DE LITTLE ET LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 35
Étant donnés les antécédents d'infection syphilitique des parents, l'en-
fant fut soumis à une cure iodo-mercurielle, mais sans résultat ; la con-
tracture spasmodique des membres ne se modifia pas. Quant au reste,
l'enfant est de bonne venue ; la dentition s'est complétée sans aucun
trouble; les fonctions gastro-intestinales sont excellentes. Il est vif,
joyeux, et ne paraît pas avoir d'insuffisance intellectuelle. Toutefois, le
langage est défectueux car, à part papa et maman, il ne prononce que les
monosyllabes oui et non.
C'est dans ces conditions qu'il est conduit à la clinique'dermo-syphilo-
pathique de la R. Université de Naples (janvier 1898).
Etat actuel. Nutrition générale bonne. Constitution squelettique
moyenne. Le crâne parait un peu volumineux par rapport au reste du
corps ; la région occipitale au-dessus du tubercule de même nom ne pré-
sente pas la légère convexité que l'on note normalement, elleparaît apla-
nie. Les bosses frontales sont un peu plus saillantes qu'à l'état normal.
L'affection de l'enfant est caractérisée en général par une contracture
spasmodique des membres.
Motilité. - Il est incapable de se maintenir dans la station debout. Au
lit dans la position horizontale, on remarque que les cuisses sont rigides,
tournées en dedans, les genoux se touchent, les jambes par l'adossement
et la rotation des genoux sont pour ainsi dire écartées laissant entre elles
un espace ovale; les pieds sont tournés en dedans, le gauche tendant ci
chevaucher le droit. Tous les deux par suite de la contracture des jumeaux
sont en flexion plantaire exagérée, plus accentuée à gauche, au point que
la tète de l'astragale fait une saillie notable sur le dos du pied ; il existe
une déviation du bord externe (pied équin-varus). A la palpation les mus-
cles des cuisses et des jambes sont rigides et les tendons d'Achille sem-
blent des cordes fortement tendues.
On rencontre une résistance énergique quand on veut vaincre la con-
tracture et la rigidité des cuisses et des jambes ; celle-ci se résout en parti-
culier quand l'enfant est tranquille ou distrait, alors quelquefois les cuisses
s'écartent et les jambes se fléchissent, mais on ne peut vaincre la contrac-
ture des pieds qui reste permanente.
La marche est impossible. En maintenant l'enfant dans la position de-
bout la contracture en extension des membres inférieurs devient plus visi-
ble par suite de la rigidité des muscles des cuisses et particulièrement des
adducteurs qui maintiennent les deux cuisses en adduction forcée avec
rotation en dedans ; le pied gauche tend toujours à chevaucher le pied
droit.
Dans les membres supérieurs la contracture est en flexion et se montre
plus intense à droite qu'à gauche, l'avant-bras est fléchi sur le bras, la
36 TOMMASI DE AMICIS
main sur l'avant-bras, les 4 derniers doigts ont de la tendance à se fléchir
sur le métacarpe ; le pouce est fléchi et sa première phalange est fléchie
sur le métacarpe correspondant. On peut vaincre ces contractures en y
mettant une certaine énergie : on réussit difficilement à produire l'exten-
sion de l'avant-bras.
Sous l'influence d'une émolion les contractures des membres supérieurs
et inférieurs s'exagèrent, ou elles se manifestent tout à coup si elles étaient
calmées. Alors même qu'on n'observe pas de contracture les mouvements
des membres supérieurs sont incomplets et lents et cela plus à droite qu'à
gauche, de telle façon que-1'enfant pour prendre un objet se sert plus de
la main gauche que de la droite.
Aucun autre groupe musculaire n'est intéressé que ceux indiqués; il
existe du strabisme alternant.
Etat de la nutrition des muscles. Aucune dénutrition.
Sensibilité. La sensation douloureuse est conservée, les autres formes
de la sensibilité ne semblent pas altérées mais l'agitation de l'enfant ne
permet pas de les déterminer exactement.
Réflexes. - Exagération des réflexes rotuliens.
Langage. Intelligence . - Outre les mots déjà indiqués l'enfant ne pro-
nonce que quelques syllabes. L'enfant se montre éveillé, gai, comprenant
tout ce qui se dit; il ne donne aucun signe d'insuffisance intellectuelle.
Peau,. On note une cicatrice incolore de la forme et de la largeur
d'une pièce d'un centime au milieu de la région externe de la cuisse
gauche, et une autre oblongue, linéaire ou peu frangée qui du pli du
creux axillaire se porte en haut sur une longueur d'environ centimètres
s'arrêtant à la partie la plus élevée de la tête de l'humérus.
La mère affirme que l'enfant est né avec ces lésions qui étaient rougeà-
tres et plus étendues puis perdirent leur couleur et se réduisirent à l'état
actuel.
Etat des glandes. - Rien à noter.
Examen électrique (Vizroli). - Contractilité galvanique des muscles,
normale; contractilité faradique un peu augmentée tant pour le courant de
la moelle aux nerfs que pour 1 e nerveux musculaire ou musculaire direct,
en tenant compte toujours de la grande tension musculaire qui empêche
l'interprétation complète des mouvements provoqués. La sensibilité élec-
tro-musculaire est un peu augmentée.
Analyse des urines. - Rien de spécial ; on note quelques granules d'u-
rate de soude et quelques cristaux très rares d'oxalate de chaux.
La mère de l'enfant ne présente actuellement comme manifestation sy-
philitique qu'une tuméfaction des ganglions du cou et des ganglions épi-
trochléens qui atteignent le volume d'une petite noix. -
TRAVAUX DE LA MATERNITÉ DE MOSCOU
L'HYDROCÉPHALIE ET L'HYDROMYÉLIE
COMME CAUSES DES DIFFÉRENTES
DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL (1)
PAR R
NICOLAS SOLOVTZOFF
Prosecteur de la Maison des Enfants Trouvés et de la Maternité, à Moscou.
Continuant mes recherches sur les difformités congénitales du système
nerve11X central, je passe maintenant à la description de cas plus rares,
qui ont aussi leur raison d'être dans l'hydrocéphalie interne du cer-
veau ; les difformités ainsi provoquées sont très curieuses.
Cas I. Une fillette née avant terme (8 mois).
Le corps tout à fait bien conformé (Pl. VI, B).
La tête présente une curiosité frappante (PI. VI, A).
A côté de la fissure labiale supérieure se remarque une absence com-
plète de la voûte crânienne, et le cerveau se présente comme une vésicule,
séparé en deux moitiés sillonnées; en outre, il y a encore plusieurs sil-
lons plus insignifiants. ,
En coupant le cerveau on trouve une cavité remplie d'un liquide
transparent. Les parois de cette vésicule se composent d'une membrane
mince d'épaisseur de 2-3 millimètres.
Chez cette fillette existe une absence des arcs postérieurs des vertèbres
dans la partie supérieure de la colonne vertébrale et dans sa continuation
les corps vertébraux sont couverts d'une mince membrane nerveuse. Cette
membrane représente la continuation directe de la vésicule cérébrale.
Dans nos recherches microscopiques sur cette vésicule et par la colo-
ration au bleu de méthylène nous avons trouvé un tableau ordinaire qui
se remarque habituellement dans les cas de très forte hydrocéphalie.
L'écorce se compose de cellules nerveuses dans la première époque de leur
formation embryonnaire, nommément dans l'époque de noyaux. La mem-
brane qui couvre en arrière les corps vertébraux a la formation sui-
(1) Rapport fait à la Société des Neurologistes et des Aliénistes de Moscou le 9 octo-
bre 1898. - Voy. Nouvelle Iconographie de la Salpéti-ière. T. XI, 189S, p. 185 et 368.
38 NICOLAS SOLOVTZOFF
vante : des deux côtés de la ligne du milieu se trouve une accumulation
de cellules nerveuses à la première époque de leur formation, de là se con-
tinuent les racines antérieures passant à travers les fibres myéliniques
qui entourent la membrane périphérique.
Cette fillette présente un très grand intérêt et se distingue très nette-
ment d'autres monstruosités de même genre. Chez les anencéphales nous
remarquons habituellement la base crânienne couverte, ou bien seulement
d'une membrane cérébrale, ou bien d'une tumeur vasculaire, et si la
colonne vertébrale est ouverte, la membrane se continue dedans.
Chez notre fillette, malgré la complète absence de la voûte crânienne,
le cerveau se réserve une vésicule. Avec cela, nous remarquons la fissure
labiale. L'existence des deux simultanément ne démontre-t-elle pas que
l'anencépbalie, comme la fissure labiale, est provoquée par la non-jonc-
tion des deux moitiés, provient de la non-fusion des bourrelets médul-
laires ? Cependant, je dois dire que, parmi toutes les monstruosités que
j'ai remarquées, c'est seulement chez cette fillette que se trouvait le bec-
de-lièvre et justement chez elle. Chez elle plutôt que chez toutes les
autres aurait dû être absent le cerveau. Or, justement chez elle le cer-
veau est bien formé, présentant une forme de vésicule, ce qui n'aurait
pas pu être en aucun cas, si la cause de cet effet était effectivement un
arrêt de développement analogue la formation du bec-de-lièvre.
Ce cas démontre que la cause de pareilles difformités n'est
pas la non-fusion des bords de la gouttière médullaire, mais Fhydro-
pisie des vésicules embryonnaires. En effet à cause d'elle la vésicule est
trop élargie, mais il n'y avait pas atrophie complète de cette dernière,
comme ordinairement dans ces cas, malgré que les parois soient amincies,
Ainsi, sous l'influence de l'hydrocéphalie et de l'hydromyélie, s'est pro-
duite l'absence de la voûte crânienne et des arcs postérieurs des vertèbres.
Cas II. - Deux jumelles. Quoique nées en même temps, l'une d'elles
présentait l'aspect d'un foetus de 8 mois et se distinguait fortement de sa
soeur qui était complètement formée et présentait l'aspect d'un enfant
venu à terme; la première ne criait pas, ne remuait presque pas, était
mal et mourut le 15e' jour par débilité; trois jours après, sa soeur est
morte de diarrhée.A l'autopsie, le système nerveux central chez la seconde
était normal, tandis que chez la première nous avons trouvé ce qui suit :
la figure et le corps étaient parfaitement bien constitués, la tète trop
petite, les fontanelles non élargies. Après l'ouverture de la colonnevertébrale
et après la section de l'os occipital, de la cavité postérieure, il s'écoulaune
demi-tasse à théade liquide transparent qui s'était accumulé sous la mem-
brane très fine, adhérente à la face intérieure de l'os occipital.
Noov. Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XII. PI. VI
DIFFORMITES CONGENITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL
. (N. Solovtzoff)
A et B Cas I. Aspect .lu mousuc.
C. Caf IL Fosse crânienne postérieure. ventricule très élargi, avec une fine membrane.
MASSON & de, Editeurs.
L HI'DROCEl'L.1LIG ET l'hydromyélie 39
L'ouverture faite, on voyait ce qui suit (PI.VI, C). D'abord la moelle
épinière, continuant le bulbe rachidien, le 4e ventricule tout à fait dé-
couvert et trop élargi. Au-dessus l'ouverture de l'aqueduc de Sylvius
très élargie. Le reste du cerveau couvert sous la tente du cervelet.
Tout l'espace entre cette dernière et l'os occipital était rempli d'un li-
quide transparent. Celui-ci s'amassa au-dessus de la moelle allongée,
ou dans le 4e ventricule trop élargi et communiqua avec les ventri-
cules latéraux par l'aqueduc de Sylvius, et ainsi en place du cervelet
dans la fosse crânienne postérieure s'amassa sous une membrane très fine
le liquide transparent. Après l'enlèvement du cerveauenl'examinantdepro-
fil nous voyons (PI. VII, D) les lobes frontaux et temporaux. Le lobe occi-
pital est aplati et relevé parce que l'accumulation de liquide dans la fosse
crânienne postérieure a refoulé la tente du cervelet en haut. Le cervelet
manque. En face de sa partie postérieure (PI. VII, E) nous trouvons que la
surface des hémisphères cérébraux est couverte par de nombreux sillons.
Le 4e ventricule est trop élargi et tout à fait découvert. L'aqueduc de
Sylvius est élargi. Après la dissection du cerveau on voit que les ventri-
cules latéraux sont très élargis, voilà pourquoi les hémisphères sont amin-
cis principalement dans les lobes occipaux, où ils sont pressés de deux
côtés, du côté des ventricules latéraux et du côté de la fosse crâ-
nienne postérieure à cause de l'accumulalion trop grande de liquide sous
la tente du cervelet. L'hydrocéphalie provoqua une atrophie égale du
cerveau, du côté de la voûte, et du côté de la. base. Ainsi outre
l'absence du corps calleux et l'amincissement des hémisphères, le
pulvinar, les corps genouillés et les couches optiques ne sont pas déve-
loppés. Dans ce cas nous avons l'hydrocéphalie interne du ven-
tricule latéral de même que celle du 3' ventricule ; le cervelet
manque ; à sa place dans la fosse cràniennepostérieure est un liquide trans-
parent ; c'est le résultat de l'hydropisie du 4e ventricule. Ce fait est
intéressant, en ce que, malgré l'hydrocéphalie interne du ventricule laté-
ral et la grande hydropisie du 4° ventricule qui provoqua l'absence du
cervelet, la tête de la fillette était trop petite. Ceci explique que l'absence
du cerveau se manifeste quelquefois seulement l'autopsie.
Cas III. La fillette venue à terme est morte avec une hydrocéphalie
très marquée. Les os du crâne sont écartés, les fontanelles agrandies, la
tète molle et fluctuante. Dans la région dorsale et lombaire le canal rachi-
dien est privé des arcs postérieurs des vertèbres. A l'autopsie on constata
les ventricules latéraux très élargis ainsi que les hémisphères très amin-
cis. Le cervelet est trop enfoncé en bas. Après la dissection de la colonne
vertébrale nous avons trouvé ce qui suit (Pl. VII, F et G). En-dessous de
40 NICOLAS SOLOVTZOFF
l'ouverture de la colonne vertébrale on trouve la moelle ; à la place où
l'ouverture commence, la partie dorsale de la moelle épinière se termine
et la partie antérieure s'élargit et se transforme en une membrane de la-
quelle partent les racines des nerfs.
Sous cet aspect la moelle épinière se continue dans toute l'étendue de
l'ouverture et là où elle se termine apparaît de nouveau la moelle épinière
et sa partie dorsale.
Immédiatement au-dessus de l'ouverture de la colonne vertébrale, la
moelle épinière a la grosseur d'une plume d'oie, mais sa partie supérieure
s'épaissit et la partie cervicale augmente jusqu'à la grosseur du petit doigt :
voilà pourquoi le canal rachidien dans sa partie cervicale est trop élargi.
Ce grossissement de la moelle épinière dans sa partie cervicale provient
de ce que la masse du cerveau en forme de cône à sommet tourné en bas, se
dirige vers la moelle allongée ; dans sa partie inférieure elle n'est pas liée
avec la moelle épinière qui est seulement comprimée d'arrière en avant par
cette masse accumulée, mais plus haut ces deux parties sont unies entre'
elles et passent ainsi dans la moelle allongée.
Ainsi les particularités de ces cas sont :
1° L'ouverture de la colonne vertébrale dans la partie dorsale de la
moelle épinière ;
2° L'hydrocéphalie interne ;
3° Dans la partie cervicale la moelle épinière est couverte par une masse
qui descend du bulbe rachidien.
Un tableau tout à fait analogue est présenté par le cas suivant :
Cas IV. Fillette âgée de 18 jours. Pendant sa vie, nous avons observé
ce qui suit : la tète est un peu agrandie ; les sutures sont écartées; les
fontanelles sont plus normales. Au toucher la tête est molle. En un mot,
tableau habituel de l'hydrocéphalie.
L'enfant tétait mal, ne dormait presque pas. Les extrémités inférieures
tout à fait paralysées. Elle urinait bien et les selles étaient normales. A sa
mort la température était élevée, ce qui démontre que l'inflammation com-
mençait dans la place où la colonne vertébrale était ouverte. A l'autopsie
nous avons aussi trouvé un très fort grossissement de la moelle épinière
dans sa partie cervicale, provoqué par la descente de la partie dor-
sale du bulbe rachidien.
En celle occasion je crois qu'il n'est pas superflu de rappeler encore
une fois les avantages que présente l'inclusion des préparations dans
la paraffine non seulement pour la coloration des préparations par le
bleu de méthylène, mais aussi pour le traitement des préparations par le
procédé de Pal. Ainsi pour l'examen du cerveau de la fillette sans cer-
Nouv. Iconographie DE la SALPÉIRIÈRF.
T. XII. Pl. VII
D
DIFFORMITES CONGÉNITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL.
(N. So)ovtxo<[') "
1) et E. Cas IL Cerveau, face et profil.
1' et G. Cas III. Moelle disséquée et cervelet. La moelle, très épaissie dans la région cervicale,
est de grosseur normale au-dessus de la fissure.
MASSON & cie, Editeurs.
l'hydrocéphalie ET l'hydromyélie 41
velet je n'employais pas plus de 10 jours : 7 jours le cerveau resta
conservé dans une solution de sels de chrome par 36°, 1 jour dans l'al-
cool, changé quelquefois; puis après dans l'aniline pendant 1-2 heures ;
ensuite xylol pendant 1-2 heures, enfin dans la paraffine saturée de xylol
pendant une nuit et après dans la paraffine pure fondue à une température
de 45°. Ainsi le dixième jour je recevais déjà les rubans des prépara-
tions, alors qu'à l'inclusion dans le collodion, je devais attendre environ
10 jours pour que les grands morceaux puissent être bien imbibés.
Passons maintenant à l'examen du système nerveux central de la fillette
sans cervelet.
A l'examen microscopique de la moelle épinière par la méthode de Pal
les particularités pathologiques sautent aux yeux surtout dans la région
cervicale. Nous trouvons ici ce qui suit (PI. VIII, H) : le faisceau pyramidal
du cordon latéral manque ; à la place du faisceau cérébelleux du cordon la-
téral il y a une grande fissure s'enfonçant vers la profondeur de la périphé-
rie ; manquent aussi le faisceau de Gowers et le faisceau pyramidal du cor-
don antérieur. S'observent seulement le faisceau fondamental du cordon
antéro-latéral, mais mal développé, et le faisceau de Goll et de Burdach
bien développé.
A l'examen de la moelle allongée, au niveau de l'entrecroisementdes fibres
du ruban deReil, nous ne trouvons pas ces fibres, non plus que lespyramides
(PI. VIII, I). Manque aussi le faisceau cérébello-spinal. La racine descen-
dante du nerf trijumeau n'est pas encore marquée. Le noyau du faisceau de
Goll et celui de Burdach sont marqués très nettement. Ainsi nous avons ici :
le faisceau fondamental du cordon antéro-latéral, le nerf hypoglosse, le cor-
don postérieur. Plus haut, au niveau de l'ouverture du 4e ventricule, nous
trouvons (Pl. VIII, J) les pédoncules cérébelleux absents; la racine des-
cendante du nerf trijumeau à travers laquelle passe le nerf pneumogas-
trique, est disposée tout à fait extérieurement au-dessus de la racine des-
cendante du glosso-pharyngien et du vague, qui estplacé très latéralement
parce que le quatrième ventricule est très distendu pal' l'hydrocéphalie. Les
fibres arciformes internes sont marquées très mal et seulement dans la
partie supérieure ; les libres arciformes externes et antérieures avec le
noyau arciforme ne sont pas développées, ainsi que les fibres arciformes
externes postérieures,les fibres arciformes internes dans la partie inférieure
et les olives. La coupe du ruban de Reil et les pyramides manquent.
Quant aux olives, elles ne contiennent pas leurs cellules spéciales. Ainsi
nous avons ici le faisceau longitudinal postérieur, les fibres arciformes
internes, presque non développés et seulement dans la partie supérieure,
au-dessus du bord supérieur des olives, la racine descendante du nerf
trijumeau, la racine descendante du glosso-pharyngien et du vague, le
42 NICOLAS SOLOVTZOFF
nerf hypoglosse et le nerf-pneumogastrique. Au niveau du pont de Varole
nous trouvons celui-ci très aplati (Pl. VIII, K). Dans la partie postérieure
nous trouvons le faisceau longitudinal postérieur, au-dessus le genou du
facial, eh dehors le noyauetles fibres du nerf oculo-moteur externe, et d'un
côté la branche radiculaire externe du facial, de l'autre les racines du nerf
acoustique, le noyau accessoire et lenoyau de Deiters. La racine spinale du
nerf trijumeau est marquée très bien, mais le pédoncule cérébelleux infé-
rieur n'est pas développé. Le corps trapézoïde est très bien développé
ainsi que les olives supérieures. La couche des fibres sensitives manque,
ainsi que dans la partie antérieure les fibres protubérantielles et les
pyramides. Plus haut, au niveau du nerf trijumeau, nous trouvons le
4e ventricule très élargi et à la partie latérale du toit le reste très petit des
noyaux dentelés (Pt.VHI, L). Quanta l'axe cérébro-spinal, nous trouvons
ici le faisceau longitudinal postérieur; en dessous la formation réticu-
laire, mais mal développée dans sa partie basale, en dehors nous voyons
les fibres radiculaires du nerf trijumeau.
Nous trouvons encore les olives supérieures et l'origine de la couche
latérale du ruban de Reil. La couche médiane des fibres sensitives n'est
pas développée, ainsi que les pyramides et les fibres protubérantielles.
Les pédoncules cérébelleux inférieurs et supérieurs manquent aussi. Sous
l'épithélium épendymaire normal du plancher nous voyons les vaisseaux
très élargis avec les parois un peu épaissies. Plus haut, là où le 4° ventricule
est encore ouvert, d'un côté du reste du toit on observe le très petit
reste du cervelet. En ce qui concerne l'axe cérébro-spinal nous trou-
vons ce qui suit (Pl. VIII, M) : le faisceau longitudinal postérieur, les
fibres arciformes internes de la formation réticulaire mal développées,
la couche latérale des fibres sensitives. Mais les pédoncules cérébelleux
supérieurs, la couche médiane des fibres sensitives manquent; manquent
aussi les pyramides et les fibres transversales du pont. L'aqueduc de
Sylvius est formé seulement au niveau du nerf oculo-moteur commun ; il
est ici très élargi et déformé. En dehors nous observons les noyaux des
éminences antérieures des tubercules quadrijumeaux (le pulvinar et les
corps genouillés manquent). En dessous les fibres du faisceau longitu-
dinal postérieur qui viennent en contact avec les noyaux du nerf de la
3° paire et les fibres radiculaires du nerf oculo-moteur commun. Quant
aux noyaux rouges, ils ne sont presque pas développés ; en dedans il y a
le faisceau de Meynert. La partie basale est très déformée. Toutes les fibres
nerveuses qui forment le pied du pédoncule manquent; manque aussi
la couche des fibres sensitives. Plus haut, au niveau du 3e ventricule,' nous
voyons tous les noyaux de la couche optique et le noyau lenticulaire pres-
que non développés.
Nous. Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.
T. XII. Pl. VIII
DIFFORMITES CONGENITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL
(N. Solovizoff)
Coupa .1" Cas Il. Il Moelle, région cervicale ; - I Bulbe au niveau de l'entrecroisement des
pyramides ; - J .1 l'ouverture du 4e ventricule ; - K au niveau du pont de variole ; -
L au niveau du trijumeau ; - U un peu au-dessus.
l'hydrocéphalie ET L'HYDR011LYÉLIE 43
Ainsi dans ce cas nous avons trouvé :
1° une absence complète du cervelet ;
2° une atrophie des hémisphères cérébraux ;
3° une atrophie presque totale des ganglions cérébraux centraux (le
pulvinar, les corps genouillés et les noyaux de la couche optique man-
quent de même que les noyaux lenticulaires) ;
4° l'absence de voies pyramidales ;
50 l'absence de la couche du ruban de Reil ;
6° l'absence du faisceau cérébello-spinal, du faisceau de Gowers, des
fibres arciformes externes et antérieures et du noyau arciforme, de même
que des libres arciformes externes et postérieures, des olives, des fibres
arciformes internes et des pédoncules cérébelleux inférieurs. Les fibres
protubérantielles, les faisceaux cortico-protubérantiels et les pédoncules
cérébelleux supérieurs ne sont pas développés, ainsi que les noyaux rouges.
L'absence des voies pyramidales s'explique par l'atrophie des hémi-
sphères. L'absence de la couche du ruban de Reil résulte de l'absence de
la couche optique . Toutes les modifications indiquées en 6° provien-
nent de l'absence du cervelet. Les modifications 3°, proviennent de l'hy-
dropisie du 3° ventricule.
Passons maintenant à l'examen du système nerveux central des cas III
et IV.
Au-dessous de l'ouverture de la colonne vertébrale la moelle est nor-
male, excepté un très grand développement des vaisseaux. Au niveau de
l'ouverture, où la moelle épinière se transforme en membrane, nous
trouvons les cellules nerveuses disposées symétriquement de part el d'au-
tre la lignejmédiane et au stade du développement embryonnaire préma-
turé. A l'examen de cette membrane par la méthode de Pal, nous voyons
que du côté tourné ventralement elle est recouverte de myéline et des
deux côtés vont vers elle les racines nerveuses qui se terminent dans
les cellules nerveuses. Au-dessus de l'ouverture, la moelle épinière a la
forme ordinaire, seulement elle est un peu comprimée d'avant en arrière.
Plus haut, à la place où commence la séparation de la moelle en deux par-
ties, elle est fortement comprimée d'avant en arrière. A cela près, la
moelle épinière a la forme ordinaire de celle d'un enfant nouveau-né
(Pl. IX, N). Le faisceau pyramidal du cordon antérieur est très bien dé-
veloppé et n'a pas de libres myéliniques, le faisceau cérébro-spinal latéral
manque. Le cordon postérieur est bien développé. En arrière, est située
une formation triangulaire, dont un côté, le plus éloigné de ce triangle
suit parallèlement la partie postérieure de la moelle. Dans le côté
opposé du triangle se trouve son sommet ; à quelque distance de ce som-
met se trouve un enfoncement, allant vers la profondeur. Un enfon-
44 - NICOLAS SOLOVTZOFF
cernent moins considérable se remarque dans le bas du triangle. Toute
cette formation est couverte tout autour de fibres myéliniques. Au centre
de ce triangle, il y a beaucoup de vaisseaux. Plus haut la moelle épinière
est comprimée encore pl us (Pl. IX, 0); les cordons postérieurs sont mal
formés. La formation, située en arrière, est sensiblement agrandie, elle a
conservé une forme triangulaire, mais les coins sont fortement arrondis.
Tout autour la formation est couverte de fibres myéliniques. Plus
haut (PI.1X, P) les deux parties se joignent entre elles, avec cela la partie
antérieure reste sans changement, mais les cordons postérieurs se portent
dans la formation située sur eux.
Symétriquement de deux côtés situées dans la partie postérieure,
les stries arciformes de fibres myéliniques rappellent les noyaux du
faisceau de Goll et du faisceau de Burdach. Plus près du cerveau nous
voyons que la fusion passe plus loin. La partie antérieure n'est pas
changée, mais les cordons postérieurs n'apparaissent pas comme for-
mation indépendante, ils montent en haut, dans l'addition située au-dessus
et s'élargissent par la périphérie comme le noyau de Burdach. Si nous
montons encore plus haut, alors la fusion se fait plus distinctement
(P1.X, Q), pourtant on remarque que la moelle se compose de deux parties,
et sa partie antérieure apparaît parfaitement normale. Dans la partie
postérieure, nous trouvons le noyau de Goll duquel s'écartent les fibres
entrecroisées dans la ligne du milieu. Le canal central de la moelle et celui
de la formation supérieure s'unissent entre eux. Dans la partie antérieure
se remarque l'entrecroisement des pyramides. Si nous montons encore
plus haut, alors la fusion est complète (Pl. X, R) . Cette raie de fibres
myéliniques qui était située dans la périphérie de la formation sup-
plémentaire passe maintenant dans les noyaux de Goll et de Bur-
dach ; nous trouvons encore ici la racine descendante du nerf trijumeau,
la racine descendante du glosso-pharyngien, le faisceau cérébelleux du
cordon latéral, les fibres arciformes internes et l'entrecroisement des pyra-
mides. Enfin auniveaudesolives, la moelle allongéea une structure normale
(Pl. X, S). Ainsi commençant du niveau des olives par en bas, la partie
postérieure du bulbe rachidien s'atténuait ; elle se déplaçait et en-
traînait les cordons postérieurs de la moelle, s'unissant avec eux et apla-
tissant la moelle, d'avant en arrière. Plus bas, il quelque distance, elle se
propage au-dessus de la moelle comme formation indépendante.
Quelle est la raison de cette curieuse déformation ? Dans les deux
cas, il existe une ouverture complète de la colonne vertébrale dans
la partie dorsale, avec cela nous avons une hydrocéphalie interne très
forte. C'est dans ces deux conditions qu'il faut chercher l'explication
de cette curieuse déformation. Dans ces deux cas il y a une hydro-
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPCIItIl : ItF.
T. XII. Pl. IX
DIFFORMITES CONGENITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL
(. So)ovtxoft')
N et O. G/1» IV. Moc))ecompHn)cesurp)ombec par une fonn.ttion supplémentaire. (Coupes : 1 deux h.lutllrs voisines)
P. Cna III. Soudure de 1.1 moelle et de 1.1 fOlm,nion "'ppIÓment,lire.
M ASSO N C ? EJIteurs
Nouv. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÉlftIERF.
T. XII. Pl. X
DIFFORMITES CONGENITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL
(N. Sotovtzotr)
Ci'% III. Qel R. Coupe de la moelle et du bulbe ,tvec 1.1 formation supplémentaire. La partie
antérieure de la moelle n'a pas changé. Au-dessus noyaux de Goll et de Burdach, entre-
croisement du rnb,111 de Reil ; au-dessous entrecroisement des pyramide ?
S. Coupe au niveau des olives. Le bulbe est normal.
MASSON & Cte, Editeurs
l'hydrocéphalie ET l'hydromyélie 45
myélie très forte dans la partie dorsale, qui provoqua l'ouverture de
la colonne vertébrale et aussi la disparition des cordons posté-
rieurs ; de la moelle restait seulement le faisceau fondamental du cordon
antéro-latéral (tableau ordinaire dans les cas de forte hydromyélie). Par
conséquent, pendant la formation du système nerveux central, la partie
dorsale située au-dessus de l'ouverture ne trouvait pas le soutien nécessaire
dans la partie inférieure et c'est la raison d'être suffisante pour provoquer la
dislocation de la partie dorsale du bulbe rachidien.Mais cette condition était
augmentée par l'hydrocéphalie. L'amas du liquide dans les ventricules
latéraux n'a pas seulement aminci les hémisphères, mais encore déplacé
en bas la partie du bulbe rachidien. La partie dorsale du bulbe rachidien
montrait moins de résistance à cette dépression parce qu'elle était complè-
tement libre dans le canal rachidien et ne s'unissait avec rien, parce que
les racines nerveuses s'enfoncent seulement dans la partie antéro-laté-
rale. Ainsi la cause qui provoqua cette curieuse' difformité de la moelle
dans ces deux cas était double. D'un côté, à cette difformité aidait l'hy-
dromyélie qui provoqua non seulement la disparition du cordon posté-
rieur, mais aussi l'ouverture de la partie dorsale du canal rachidien ; de
l'autre côté l'hydrocéphalie des ventricules latéraux. Il est vrai, comme
nous l'avons dit, que la seule ouverture de la colonne vertébrale
dans la partie dorsale est suffisante pour produire cette difformité de la
moelle. Mais si le spina bifida est dans la région sacrée de la colonne, alors
nous observons seulement la dislocation du vermis inférieur du cervelet.
Ainsi, la cause de toutes les difformités congénitales du système nerveux
central que nous avons décrites est l'hydrocéphalie et l'hydromyélie. Pour
comprendre comment l'accumulation du liquide dans les ventricules peut
provoquerdes difformités si variées et si curieuses nous rappellerons quel-
ques considérations embryologiques.
Les différentes parties de l'axe cérébro-spinal de l'homme proviennent
deladifférenciation des cinq vésicules cérébrales embryonnaires ou des six
anneaux placés au-dessus l'un de l'autre, qui donnent naissance aux diffé-
rentes parties du cerveau. Ainsi : 10 le inyéleiicépliale, 2° le métencéphale,
3° l'isthme du rhobencéphale donnant naissance à la moelle allongée, à
la protubérance annulaire, aux pédoncules cérébelleux supérieurs, à la
partie des pédoncules cérébraux, etc., forment ensemble la partie de l'en-
céphale connue sous le nom de rhombencéphale. Le canal neural pri-
mitif qui correspond à ce rhombencéphale devient le quatrième ventricule
et la partie dorsale du métencéphale donne dans sa partie dorsale le cer-
velet ; 4° le mésencéphale produit les tubercules quadrijumeaux et il est
46 NICOLAS SOLOVTZOFF
traversé par l'aqueduc de Sylvius ; 5° le diencéphale produit les couches
optiques. La partie du canal neural primitif qui correspond au diencéphale
devient le troisième ventricule; -6° le télencéphale se transforme en cer-
veau terminal avec le bulbe olfactif. La cavité du télencéphale forme les
ventricules latéraux.
Le plus souvent l'hydrocéphalie frappe le télencéphale et provoque
un amincissement des hémisphères, de sorte qu'ils ont l'aspect d'une mem-
brane très fine,ou elle s'étend plus ou moins vers le diencéphale provoquant
l'absence du pulvinar, de corps genouillés et des couches optiques.
L'hydrocéphalie de la vésicule cérébrale primitive antérieure se propage
parfois aux vésicules optiques primaires et provoque la cyclopie. Si ce
processus s'étend au bulbe olfactif, il explique l'élargissement de son
ventricule.
Quand le mésencéphale est frappé plus ou moins, nous trouvons ou l'ou-
verture de l'aqueduc de Sylvius ou seulement son élargissement. Très
rarement l'hydropisie frappe aussi le rhombencéphale et alors sa partie
dorsale ne se développe pas, le cervelet manque, et nous trouvons seu-
lement le plancher très élargi. Très souvent l'hydropisie frappe les
cinq vésicules, alors la voûte crânienne n'est pas développée et le cerveau
chez l'enfant se présente sous l'aspect d'une vésicule ou ordinairement sous
l'aspect d'une membrane qui couvre la base du crâne. Si l'hydrocéphalie ne
frappe pas le myélencéphale, nous trouvons alors chez l'enfant le bulbe
rachidien et dans ce cas il peut rester une partie de la voûte crânienne, ce
qui ne peut être si l'hydrocéphalie se répand dans les six segments. Nous
trouvons la même chose dans la moelle épinière : le processus com-
mence par l'hydromyélie et finit par l'ouverture de la colonne vertébrale.
L'ouverture de la colonne vertébrale peut provoquer la dislocation de la
partie dorsale du bulbe rachidien si ce processus frappe la partie dorsalede
la moelle ou elle peut provoquer seulement la dislocation de l'extrémité du
vermis inférieur ; dans ce cas le spina bifida occupe la région sacrée.
En cequi concerne les changements observés lorsqu'une des vésicules n'est
pas développée, on peut les caractériser de la manière suivante : l'absence
d'un centre quelconque provoque une absence du système qui commence à
ce centre et l'absence du système qui s'y termine immédiatement,avec leurs
noyaux. Par exemple, le manque des hémisphères et des couches optiques
produit une absence des pyramides et de la couche du ruban de Reil qui
provient des noyaux du cordon postérieur et se termine dans les couches
optiques. Nous observons la même chose,sisousl'inlluenced'unehydropisie
du rhombencéphale le cervelet ne se développe pas. Alors manquent tous
les systèmes du cervelet constitués par des cylindres-axes descendants et
ascendants avec leurs noyaux. Ainsi manquent les fibres arciformes exter-
L'UYDROCÈPUALIE ET l'hydromyélie 47
nes et antérieures et les noyaux arciformes, les fibres arcifurmes internes et
les olives, etc ? etaussi le pédoncule cérébelleux inférieur et moyen ainsi
que les pédoncules cérébelleux inférieurs avec les noyaux rouges.
La cause de toutes les difformités que nous avons décrites est l'hydro-
pisie des ventricules cérébraux et du canal central de la moelle épinière.
L'accroissement énorme du liquide céphalo-rachidien à l'époque de la vie
intra-utérine romptmécaniquement quelques-unes des vésicules cérébrales,
entrave la formation d'une partie correspondante du cerveau et même du
crâne, si les cinq vésicules sont atteintes d'hydropisie simultanément.
Quant à l'étiologie et à la pathogénie de cette hydropisie, nous avons dit
plus haut, dans quel degré sont atteints les vaisseaux sous l'épendyme.
A un faible grossissement on en peut déjà voir s'élargir avec les parties
épaissies. Mais ces changements si fortement marqués macroscopiquement
se manifestent mieux dans les recherches plus fines ; justement la tunique
externe est épaissie, la quantité de ses noyaux est augmentée, la tunique
interne est aussi épaissie ; à ce moment nous avons affaire à l'artérite
chronique. Il faut encore noter une augmentation de la quantité des vais-
seaux, et il est de règle que plus le système nerveux est déformé, plus la
quantité des vaisseaux nouveaux est augmentée. Enfin, en approchant de
..la partie cervicale nous rencontrons déplus en plus de vaisseaux, et là
où la moelle se termine, elle est toute infiltrée de vaisseaux ; enfin quel-
quefois l'encéphale, à la place de la membrane la base du crâne est cou-
verte d'une tumeur vasculeuse.
Ce changement des vaisseaux par le fait de l'artérite chronique existe
plus ou moins chez toutes les monstruosités décrites par nous auparavant.
Cela peut favoriser, pendant le premier cours de la vie intra-utérine, l'ex-
sudation du liquide lymphatique dans le cerveau, d'où résulte l'hydro-
pisie de vésicules qui provoque les différentes difformités du système
nerveux central.
Cette artérite généralisée dépend, pensons-nous, de la syphilis. Quoi-
que la syphilis à l'examen fut indiquée seulement chez un anencéphale
par une ostéo-chondrite épiphysaire, a l'examen microscopique nous
avons trouvé que le foie chez tous les monstres que nous avons décrits
jusque-là était infiltré d'éléments embryonnaires qui s'accumulaient par-
lois en nodosités miliaires caractéristiques de gommes syphilitiques.
Ainsi, nous pensons que la cause de toutes les difformités congénitales du
système nerveux central est la syphilis héréditaire (1). ,
(1) En terminant je trouve de mon devoir d'exprimer ma profonde reconnaissance à
M. le Du' W. Weidengammer, qui m'a aidé de ses conseils.
LABORATOIRE DES CLINIQUES DE L'UNIVERSITÉ
DE BORDEAUX
DOCUMENTS CLINIQUES ET NrOM'0-rMZ.OGQ ! 7J ? S
A VEC I'110T 05T RI; O L : Rll'lllES
MYOPATHIE PRIMITIVE ET PROGRESSIVE
AVEC AUTOPSIE
(FORME TARDIVE; TYPE HUMÉRO-SCAPULO-FACIAL) (1)
P,vrs 1111.
SABRAZÈS ET BRENGUES
Agrégé, Chef du laboratoire des Cliniques Assistant du laboratoire des Cliniques
de l'Université de Bordeaux.
Observation.
G. (Auguste), âgé de 58 ans, marchand de journaux, vient réclamer
nos soins le 28 mars 1898, il la salle 12 de l'hôpital St-André de Bor-
deaux, pour une tuberculose pulmonaire à marche rapide; il est de plus
atteint d'une atrophie musculaire qui a débuté insidieusement à l'âge de
20 ans par le muscle biceps droit et qui a acquis un haut degré d'inten-
sité.
Antécédents héréditaires. Le père de cet homme a vécu jusqu'à ,1
81 ans ; il travaillait encore à 70 ans. Sa mère est morte à 60 ans asthma-
tique. Ni dans les ascendants ni dans les collatéraux on ne relève de cas
d'atrophie musculaire non plus que chez ses deux frères dont l'un était
très vigoureux à 40 ans, époque à laquelle il a été perdu de vue, et dont
l'autre a succombé à la phtisie pulmonaire il 43 ans et chez sa soeur
actuellement âgée de 39 ans.
Antécédents personnels. L'atrophie musculaire a débuté il l'âge de
20 ans ; G... était alors tailleur de pierre il Lyon ; il était très bien con-
formé et doué d'une force musculaire moyenne. Nourri au sein par sa
mère il a commencé à marcher à un âge tout à fait normal. Pendant son
enfance et son adolescence on n'avait jamais rien remarqué de particulier
dans sa musculature.
A 7 ou 8 ans, rougeole bénigne. r19 ans, il a eu une maladie grave
(1) Les particularités intéressantes d'ordre clinique et anatomo-pathologique
de cette observation sont indiquées en italiques.
MYOPATHIE PRIMITIVE ET PROGRESSIVE AVEC AUTOPSIE 49 z9
qui l'a laissé 2 mois dans la stupeur. La convalescence fut très longue. Il se
rappelle qu'il ressentait des douleurs très vives à la racine du cou et qu'on
dut lui appliquer des sangsues à la région cervicale et des vésicatoires
sur les jambes ; on eut même recours il une saignée. Après guérison,G...
n'accusait aucune espèce de trouble dans la locomotion, dans le fonc-
tionnement des memhres supérieurs et du tronc ; il pouvait sans difficulté
courir, jouer avec ses camarades, exercer son métier de tailleur de pierre ;
cependant, lorsqu'il écrivait, il se plaignait parfois de crampes dans le
membre supérieur droit. Pas de syphilis. Alcoolisme modéré.
A 20 ans, comme il se faisait inscrire pour le tirage au sort, on lui de-
manda s'il avait quelque réclamation il faire valoir ; il réfléchit, s'examina
et remarqua qu'il éprouvait une certaine gêne dans l'épaule droite. Il en
fit part au conseil de revision. On constata en effet que son biceps droit
était atrophié mais que les autres muscles étaient intacts. Il fut réformé
pour atrophié musculaire du bras droit.
Il était droitier,mais il travaillait difficilement du bras droit; il s'essaya
de la main gauche, d'abord sur de la pierre tendre, et finalement il
devint gaucher. Deux ans après, le bras gauche a commencé à être inté-
ressé et l'atrophie a tout d'abord porté sur le biceps.
Cette atrophie symétrique a évolué sans douleurs. Le Dr Vernet, méde-
cin de motet-Dieu de Lyon, l'a examiné très longuement : seuls les mus-
cles des deux bras s'étaient en partie atrophiés sans que jamais ils aient
été le siège de secousses, de contractions fibrillaires, de contracture. Le
malade va ensuite habiter Marseille; il suit à l'hôpital un traitement par
l'électrisation sans qu'il en retire un bénéfice quelconque.
A l'âge de 28 ans, les muscles des membres inférieurs ont commencé à
participer à l'atrophie. Ses amis se sont aperçus avant lui qu'il boitait.
A 38 ans, il a eu une fluxion dentaire en même temps que des lésions
multiples de carie qui ont amené la chute de plusieurs dents.
En 1881, il fut soigné pour une blépharo-conjonctivi te par le Dl' Martin,
oculiste à Bordeaux, qui a constaté l'existence d'une double paralysie
faciale. Enfin, dans le courant de ces dernières années, le malade ne
pouvait plus réussir à fermer complètement les paupières.
Etat actuel, le 28 mars 1898 (1). Face. On est frappé par l'éma-
ciation de cet homme; les pommettes sont saillantes, les sillons naso-
géniens nettement accusés et surmontés d'un second sillon sous-jacent aux
pommettes.
(1) [La Planche XI reproduit par le procédé de la photocollographie une photographie
stéréoscopique du malade. En l'examinant avec un appareil stéréoscopique on obtien-
dra une impression de relief qui permettra d'apprécier très exactement les anomalies
morphologiques. N. D. L. R.]
XII z
50 SABRAZÈS ET BRENGUES
Le crâne est chauve, dénudé jusqu'à l'occiput ; la barbe est clairsemée ;
la moustache peu fournie et à poils rudes. Les yeux sont saillants, parti-
culièrement il gauche. Le front est lisse, dépourvu de rides (PI. XI)..
Le malade ne peut ni souffler ni siffler, il est incapable de disposer ses
lèvres de façon à expulser l'air ; il ne peut même pas faire le simulacre ;
il n'éteint pas une allumette placée à 4 centimètres de la bouche. Lors-
- qu'on lui demande de gonfler ses joues il lui est impossible d'emmagasiner
de l'air dans la bouche; les joues se rident, le sillon naso-génien se tend,
mais les lèvres restent flasques, proéminentes, molles, insuffisantes pour
fermer la cavité buccale. G... arrive cependant à faire la moue et à froncer
le sourcil. Lorsqu'on lui dit de fermer les yeux, la paupière supérieure
n'atteint pas l'inférieure; les paupières restent séparées l'une de l'autre
par une fente de 5 à 6 millimètres à gauche et d'un demi centimètre à
droite. Le malade s'efforce, sans y réussir, de fermer les yeux en redres-
sant la paupière inférieure et les joues. L'examen des yeux a été pratiqué
à la clinique ophtalmologique de M. le professeur Badal par M. Cabannes,
médecin oculiste des hôpitaux : il a donné les résultats suivants : lago-
phtalmos paralytique; dans l'occlusion des paupières le segment le plus
inférieur des deux cornées reste à découvert; une kératite à hypopyon
s'est développée à l'oeil gauche ; on a dû pratiquer une paracentèse de la
cornée qui a produit une amélioration notable. Myosis double; pas d'in-
sensibilité cornéenneni conjonctivale; pas de strabisme; quelques secous-
ses nystagmiques dans l'horizontalité; examen ophtatmoscopique : pas de
lésions du fond de l'oeil ; pas de tremblement des paupières.
Le malade tire la langue, mais celle-ci ne se dégage que très difficile-
ment de la lèvre inférieure saillante qu'elle pousse devant elle. La langue
est mobile latéralement; elle n'est pas déviée; elle se redresse dans la
cavité buccale.
La parole est traînante, mal articulée mais non scandée; la physiono-
mie est peu mobile et devient asymétrique dans le rire, dans l'action de
faire la moue, etc.
Membres supérieurs. - Lorsqu'on découvre le malade, on voit que les
bras sont considérablement émaciés, surtout clans leur moitié inférieure.
L'humérus se trouve immédiatement sous la peau ; celle-ci est flasque,
beaucoup plus large que le membre qu'elle enveloppe ; les pl is que l'on forme
en la soulevant entre le pouce et l'index ont une hauteur de 3 jazz. centi-
mètres ; au-dessous d'elle on palpe avec la plus extrême facilité les
artères, les veines et les nerfs.
Le biceps, le brachial antérieur, le triceps, ont complètement disparu,
ou ne sont plus représentés que par un petit nombre de fibres qui échap-
pent à la palpation. Le coraco-brachial fait un relief assez appréciable.
: o. : OU\'. ICON-OGRAIMIIE DE LA Snr.ucrarsas. T. XII. Pl. XJ
I'Irnlnclnrr%n ryrlri ?
MYOPATHIE PRIMITIVE ET PROGRESSIVE
(S.ibra/L'S et Hrcngucs, île Bru ilciux.")
MASSON A CI, Editeurs
MYOPATHIE PRIMITIVE ET PROGRESSIVE AVEC AUTOPSIE 51
La moitié supérieure du bras contraste avec la moitié inférieure. Le
deltoïde fait une saillie assez accusée ; entre ses deux segments antérieur
et postérieur on perçoit très bien les tendons du biceps. Les mensurations
donnent les résultats suivants :
Circonférence du bras dans la partie inférieure la plus grêle : Il centi-
mètres.
Circonférence de l'épaule, dans le creux axillaire : 24 centimètres.
L'avant-bras estamaigri, mais relativement beaucoup moins que le bras ;
le long supinateur est le seul muscle complètement atrophié; les radiaux
sont fiasques.
Les muscles de la main sont un peu grêles mais non dégénérés : pas de
dépression anormale des espaces interosseux, des éminences thénar et
hypothénar.
Membres INFÉRIEURS.- Les régions fessières sont affaissées. Les cuisses
sont amaigries sur leur face interne. La saillie des muscles du mollet est
normale. Les muscles antéro-externes, principalement le tibia] antérieur
sont très grêles. Les orteils sont infléchis en arc de cercle vers la plante
du pied. En aucun point des membres supérieurs et inférieurs il ne se
produit de contractions fibrillaires. Pas de tremblement. Ces lésions sont
absolument' symétriques ainsi que les suivantes :
Épaule, cou, thorax ET abdomen. On est surpris par la profondeur
du creux sus-claviculaire qui est, de chaque côté, de centimètres en-
viron, par la saillie considérable de la clavicule, par l'exagération du creux
sous-claviculaire, par l'aplatissement d'avant en arrière du sternum et des
côtes.
Au-dessous du manubrium et de l'articulation sterno-claviculaire existe
une dépression en rigole qui se continue avec le creux sous-claviculaire.
La saillie de chaque côte est très marquée au niveau de l'insertion ster-
nale ; le sternum est lui-même entrecoupé de saillies correspondant au
point d'implantation costal et de dépressions se continuant avec les espaces
intercostaux, aussi a-t-il un aspect scalariforme très caractéristique. A
gauche et latéralement au-dessous de lauitième côte, on observe un élar-
gissement considérable de l'espace intercostal sous-jacent qui se laisse
facilement déprimer et qui fait brusquement saillie au dehors quand le
malade tousse : il y a là une pointe de hernie du poumon qui est le siège de
douleurs Vives. Pas de paralysie du diaphragme. L'abdomen est dans son
ensemble déprimé. Pas de hernies ombilicale, inguinales ou crurales.
Le long de la région cervicale la corde formée par le slerno-cléïdo-mas-
toïdien est très apparente des deux côtés ; par contre les muscles des creux
sus-claviculaire, sus-épineux, et sous-épineux ainsi que les muscles pec-
toraux sont atrophiés au plus haut point. Des pectoraux il ne reste que
52 SABRAZÈS ET BRENGUES
quelques fibres qui unissent la clavicule à l'humérus dans l'angle huméro-
claviculaire. De même le grand dorsal est considérablement atrophié. Les
épaules sont saillantes en avant et forment au thorax un rebord qui lui
donne l'aspect d'un bateau à fond plat. ,
Pas de déviation de la colonne vertébrale. En arrière, le thorax est éga-
lement aplati ; les côtes s'étalent transversalement et les espaces intercos-
taux sont, surtout à gauche, deux fois plus larges que chez un homme
normal. Les muscles des gouttières vertébrales sont atrophiés ainsi que
ceux.de la masse sacro-lombaire. Le rebord inférieur des côtes est un peu
voussure à gauche.
Mouvements Vof.OTT.1112GS.- Le malade ne fléchit l'avant-bras sur le bras
qu'au prix d'un grand effort du tronc et de l'épaule et d'une sorte de mou-
vement de bilboquet et cela sans l'intervention active des muscles du bras
et de l'avant-bras. Quand le bras est ainsi fléchi, son extension volontaire
est impossible. Les mouvements d'ensemble du bras pour saisir le nez,
pour porter la main 1 la bouche, etc., ne sont possibles qu'en pronation
forcée et encore le malade est-il incapable de diriger et de soutenir ces
mouvements. Pour porter la cuiller ou la fourchette il la bouche le bras
cherche un point d'appui ; la main est mise en pronation forcée (en supi-
nation tout mouvement est impossible) et de cette façon, par saccades,
les aliments sont introduits dans la cavité buccale.
Dans le haussement les épaules se dévient de plus en plus d'arrière en
avant.
La flexion, l'extension, l'abduction, l'adduction de la main sont norma-
les. La pronation est facile tandis que la supination est compromise et ne
s'accomplit que grâce à une impulsion violente venant de l'épaule.
La flexion, l'extension, le rapprochement, l'éloignement, l'opposition
des doigts s'exécutent convenablement.
La pression dynamométrique est de 19 kilos à gauche, de 14 kilos à
droite.
Depuis quelques mois le malade éprouve de très grandes difficultés pour
se mettre sur son séant et pour monter des escaliers même lorsque la hau-
teur des marches n'excède pas dix centimètres. Dans la station assise
l'épaule et l'omoplate se dévient en avant; l'angle inférieur de l'omoplate
se place sur la paroi latérale du thorax : cet os subit un mouvement de
bascule d'arrière en avant et de dedans en dehors.
La station debout est impossible sans point d'appui. Depuis longtemps
déjà ces troubles de la marche s'accentuaient progressivement; le tronc avait
une tendance il se cambrer; les jambes restaient écartées. Les souliers
s'usaient par la semelle. Cette façon de marcher occasionnait des chutes
fréquentes.
myopathie PRIMITIVE ET PROGRESSIVE avec autopsie 53
Actuellement, appuyé sur deux aides, G... s'avance les genoux déviés
en dehors, les pieds en équerre surtout le pied droit. La jambe a constam-
ment une tendance à fléchir sur la cuisse, aussi le malade traîne-t-il ses
orteils incurvés sur le sol (digitigrade).
Sensibilité. - La sensibilité de la peau et des muqueuses est intacte
sous ses divers modes et dans toutes les régions de l'organisme.
Trophicité DES téguments. On remarque quelques modifications du
revêtement cutané, de date récente : l'épidémie, sur la face palmaire des
mains, est épaissi, sec, squameux; il forme, à la pulpe digitale, une ca-
rapace cornée avec exagération des sillons normaux; autour des ongles,
une hyperkératose en feuillets emboîtés ; la lame unguéale est épaissie,
aplatie et présente des sillons transversaux (pouce et auriculaire de la
main gauche, annulaire, médius de la main droite).
A la surface des pieds on note de l'oedème sur la face dorsale et de l'hy-
perkératose plantaire.
Réflexes : rotuliens normal à droite, faible à gauche ;
abdominaux normal
plantaires
du poignet nuls nuls
Pas de trépidation épileptoïde ni rotulienne.
Les muscles des cuisses sont excitables par la percussion.
Réactions ÉLECTRIQUES. L'examen des muscles a été pratiqué par 1\1. le
professeur Bergomé. Au membre supérieur droit, conservation de l'exci-
tabilité faradique pour tous les muscles qui ne sont pas complètement
atrophiés. Pas d'altération de l'excitabilité.
Au courant galvanique réactions physiologiques, mais inexcitabilite abso-
lue des muscles inexcitables aux faradiques. Excitabilité normale aux points
d'électrisation des nerfs médian, radial, cubital.
Cet homme est dans un état de dénutrition très avancé; il a eu,pendant
'1 mois, des hémoplysies incessantes ; il est en proie à une fièvre hecti-
que, à une toux quintcuse des plus pénibles aec dyspnée et à une
expectoration muco-purulente. 11 a de la micro-polyadéuopathie cervi-
cale et axillaire. L'exploration de l'appareil respiratoire témoigne d'une
tuberculisation pleuro-pulmonaire, u la période cavitaire.
Le pouls est petit, mou, il faible tension ; il bat 104. fois à la minute ;
pas de modifications anormales des bruits du coeur (ni souffles, ni bruit
de galop).
Du côté de l'appareil digestif on note simplement de l'inappétence et
de la diarrhée.
La région du foie est endolorie. Pas d'hypertrophie de la rate.
54 ' sabrazès ET BRENGUES
Le volume des urines est d'environ 700 ce. par 24 heures. La difficulté
de les recueillir en totalité nous a empêché d'en faire une analyse com-
plète; on ne décèle ni sucre ni albumine ; le dépôt ne contient pas de
cylindres.
Le malade quoique affaissé, répond assez bien aux questions qu'on lui
pose ; ses fonctions intellectuelles ne paraissent pas troublées.
Cet homme a succombé aux progrès de la phtisie ; il est mort après une
période de coma ayant duré quelques heures, le 8 mai 1898 ; quatre jours
avant la mort, la température axillaire au lieu d'osciller comme précé-
demment entre 37° G et : 38° 8 est tombée et s'est maintenue entre 36° 2 2
et 36° 6.
Autopsie.
L'autopsie a été pratiquée le 9 mai 1898, 22 heures après la mort ; le
corps étant réclamé, nous avons été limité dans nos dissections.
L'émaciation est extrême ; l'abdomen est rétracté ; les espaces intercos-
taux sont très déprimés. Le cadavre est littéralement squelettique dans la
partie supérieure du corps jusqu'aux cuisses. Les muscles atrophiés sont
symétriques; le biceps est réduit a ses tendons avec quelques tractus fi-
breux accolés. Le triceps est transformé en un tissu d'aspect aponévroti-
que, nacré, résistant, sur lequel s'implantent encore quelques fibres
musculaires décolorées, couleur chair de poisson. Le brachial antérieur
n'est plus qu'un tractus fibreux. Le coraco-brachial est épargné ainsi ,que
le deltoïde dont la fasciculation est exagérée ; cependant les fibres du
deltoïde qui s'insèrent sur la clavicule sont supplantées par une lame de
sclérose. Le grand pectoral a disparu; il n'en reste que quelques expan-
sions aponévrotiques donnant insertion à de rares fibres décolorées. Le
petit pectoral est un peu moins atrophié. Aux avant-bras, le long supina-
teur est dégénéré complètement, les autres muscles superficiels sont sim-
plement amaigris.
Les muscles intercostaux sont très grêles mais encore assez bien colorés.
L'articulation de l'épaule n'est plus maintenue que par des ligaments d'une
laxité exagérée. L'extrémité interne de la clavicule est subluxée au-
devant du sternum ; l'articulation sterno-claviculaire est lâche, mobile clans
tous les sens. Le mnscle sterno-cléido-mastoïdien a sa couleur et sa con-
sistance normales.
Aux membres inférieurs on n'a examiné de près que le couturier qui a
l'aspect d'un muscle sain ; on a noté une laxité extrême de l'articulation
péronéo-tibiale supérieure qui est subluxée.
Les racines nerveuses, le nerf facial, les nerfs du membre supérieur,
circonflexe, radial, médian, cubital, ont leur calibre, leur aspect nacré,
myopathie primitive ET PROGRESSIVE avec autopsie 55
leur consistance habituels. Ce sont des nerfs qui paraissent tout fait sains
ainsi du reste que les filets qui pénètrent dans les muscles plus ou moins
complètement atrophiés (biceps, pectoraux). Les nerfs du membre infé-
rieur ne se distinguent en rien des nerfs normaux.
Macuoscopiquement, l'encéphale, la moelle de ses racines ne présentent
aucune espèce de modification pathologique.
Les poumons sont farcis de tubercules. Les ganglions trachéo-bronchi-
ques agglomérés en amas volumineux contiennent des cavités caséeuses.
La crosse de l'aorte est légèrement dilatée.Symphyse totale du péricarde
au-dessous duquel le myocarde ne parait pas dégénéré. Le coeur est
indemne de toute lésion apparente endocarditique.
L'estomac, l'intestin, le mésentère sont épargnés par la' tuberculose.
Le foie est criblé de tubercules du volume d'une noisette à un pois; le
parenchyme intercalaire est de consistance très dure.
La rate petite, ferme, de forme irrégulière, de consistance fibreuse,
pèse 110 grammes ; pas de tuberculose.
Le pancréas est scléreux, d'une dureté anormale, dépourvu de lésions
tuberculeuses visibles.
Les reins sont petits, scléreux, lobules; ils pèsent chacun 110 gram-
mes. Les pyramides sont décolorées, blanchâtres ai leur base.
Examen microscopique. L'écorce cérébrale, dans le territoire des
frontale et pariétale ascendante ne présente aucune altération histologique
notable.
Sur des coupes étagées de la moelle on ne constate ni foyers de sclérose
ni cavités syringomyéliques. Le nombre des cellules nerveuses dans les
cornes antérieures est sensiblement le même que dans les points correspon-
dants d'une moelle normale. Parmi ces cellules beaucoup ont conservé
leur intégrité parfaite ; quelques-unes présentent des lésions de chroma-
tolyse partielle ou totale englobant parfois le noyau; d'autres, en assez
grand nombre, sont manifestement rapetissées et ne mesurent que 4.0 il 45 p
dans leur grand diamètre. Ces modifications sont particulièrement mar-
quées dans le renflement cervical. Une moelle de tuberculeux du même
âge, noir myopathique, examinée comparativement, a donné les résultais
suivants : le nombre des cellules nerveuses, les lésions de chromatolyse
sont les mêmes que dans la moelle du myopathique, mais les cellules des
cornes antérieures sont moins rapetissées et plus abondamment pourvues
de prolongements protoplasmiques que celle dernière.
Muscles. Le triceps qui a été examiné avec grand soin a subi presque
en totalité la transformation fibreuse; il n'est plus composé que de fais-
ceaux conjonctifs à direction longitudinale, onduleux, parsemés d'un
abondant chevelu de fibres élastiques et entrecoupé de vésicules adipeuses;
5C sabrazès ET brengues
entre eux on trome ça et là des segments de fibre musculaire striée très
rarement intacts, généralement inégaux, présentant des cassures, n'ayant
conservé leur striation qu'en long ou en travers, ressemblant à des débris
feiiilletés de membranes hydatides. Ces tronçons se comportent vis-à-vis des
réactifs colorants comme des globules rouges atteints de dégénérescence
polychrorarctophylique, c'est-à-dire qu'au lieu de rester colorés par les cou-
leurs acides d'aniline ils prennent une teinte mixte ; cette affinité relative
pour les colorants nucléaires rapproche ces fibres altérées des éléments
atteints de nécrose de coagulation. Dans ces segments de fibre musculaire
les noyaux du sarcoplasme se sont multipliés. Autour de ces débris de
muscle le tissu libro-adipeux interstitiel est devenu très exubérant et s'est
substitué à Vêlement contractile qui subit lui-même in situ l'évolution sclé-
reuse.
Les nerfs musculaires se retrouvent jusque dans l'intérieur des mus-
cles atrophiés munis de leur gaine de myéline et de leur cylindre-axe; -,
mais par la méthode de Golgi on ne rencontre aucune trace de terminaison
nerveuse en bouton à l'intérieur des reliquats de fibre musculaire plus ou
moins altérés qui ont encore échappé à la sclérose.
Les vaisseaux des régions du muscle complètement sclérosés sont nom-
breux et perméables. A u voisinage et dans l'interstice des fibres musculaires
dégénérées, l'irrigation est moindre, les vaisseaux ont une lumière centrale
étroite; leur gaine externe est entourée d'un manchon de cellules conjonctives.
On ne trouve pas de tubercules dans l'épaisseur des muscles..
Racines nerveuses et nerfs. Parmi les nombreux filets nerveux qui
ont été examinés par dissociation après fixation par l'acide osmique, il en
est qui sont remarquablement sains ; ce sont les racines nerveuses cervi-
cales et lombaires, antérieures et postérieures, le nerf médian au tiers
moyen du bras, le nerf tibial postérieur; on rencontre toutefois dans les
préparations quelques fibres grêles (1 sur 10 environ).
Les nerfs facial, cubital, médian au niveau de l'avant-bras, radial (au
poignet), tibia) antérieur, les filets musculaires du petit pectoral et du
biceps sont en grande partie intacts ; cependant ici encore on trouve une
libre grêle sur dix et de plus une fibre dégénérée sur vingt ; ces fibres
atteintes de névrite parenchymateuse ont une gaine de myéline réduite en
boules inégales; elles sont parcourues par des noyaux de multiplication
du protoplasma sous-jacent à la gaine de Schwan ; le cylindre-axe n'est
plus reconnaissable le long de ces libres ainsi altérées.
Poumons : tuberculose cavitaire. Reins : néphrite mixte à prédominance
interstitielle. Rate : sclérose diffuse surtout capsulaire et trabéculaire.
Foie : tuberculose avec cirrhose péri et inlra-lobulaire.
LES PEINTRES DE LA MÉDECINE
ÉCOLE FLAMANDE ET HOLLANDAISE
LE MAL D'AMOUR
PAU
HENRY MEIGE.
Vers le milieu du XVIIe siècle, une épidémie insolite fit son apparition
dans les Pays-Bas.
Singulier mal ! ... Seules, les femmes en étaient frappées, et non les
vieilles ni les laides, mais bien les jeunes et les jolies. C'était un fléau
raffiné : il méprisait les demeures des humbles pour pénétrer dans les in-
térieurs aisés où il s'installait en maître.
On en souffrait de cruelle manière ; pourtant, ce mal n'était pas sans
attraits. Au surplus, l'on n'en mourait guère.
Nécessairement, la Faculté en fut émue. Elle accourut, visita les victi-
mes, tâta le pouls, lorgna l'urine, drogua, purgea, saigna, puis, finale-
ment,... se retira. Le mal n'était pas de sa compétence.
Sur cette mystérieuse épidémie les médecins restèrent très sobres de
remarques. Mais des peintres se trouvaient là, observateurs avisés dont le
pinceau fut séduit par certain charme inhérent à l'énigmatique maladie. A
défaut d'historien, celle-ci eut des illustrateurs; ils nous en ont laissé
d'incomparables tableaux, - fout un chapitre de médecine en images.
C'est ce dossier iconographique que nous allons parcourir ici.
Les documents qui le composent sont nombreux. Les noms seuls de leurs
principaux auteurs suffisent à garantir la sincérité, voire l'excellence, de
ces figurations artistiques. Elles sont signées : Gérard Dow, VAN HOOGs-
TRATEN, Metzu, VAN li'IIERIS. Ter 130RCH, NETSCHEII, etc... Toute la pléiade
éclose autour des radieux génies de Frans liais et de Rembrandt semble
avoir voulu rivaliser de talent et de finesse pour peindre la maladie qui
s'attaquait aux jolies filles de Hollande.
58 HENRY MEIGE
Mais, entre tous, le plus habile et le plus fécond, celui qui dans ce
genre s'est montré inimitable, et qui, pour notre plus grand profit, n'a
pas craint de multiplier les répliques de ses oeuvres, c'est assurément JAN
Steen.
A lui seul nous devons, pour le moins, huit peintures inspirées par un
mal, qui, semble-t-il, faisait rage parmi les jeunes femmes de son temps.
Dispersées aujourd'hui dans différentes galeries publiques ou privées,
ces oeuvres d'art perdent par l'isolement leur signification véritable. Il
suffit de les rapprocher pour les voir s'éclairer l'une par l'autre.
Allant de ville en ville, de musée en musée, pour ne nous arrêter que
devant ces seules images, nous en saisirons bien vite la portée. D'ailleurs,
Jan Steen lui-même va nous souffler son diagnostic.
Ce n'est pas que JAN Steen ait été grand clerc en médecine.
Né dans une brasserie de Leyde, vers 1626, entre un repas de noce et
un festin de corporation, il ne pouvait guère prendre dans son entourage
le goût des études scientifiques. Par contre, il témoigna de bonne heure
de surprenantes dispositions pour la bonne chère et la joyeuse compagnie.
En même temps, il révélait des aptitudes merveilleuses pour la peinture.
Sa vie entière semble avoir été partagée entre deux soucis : festoyer et
peindre. La table ou le chevalet, le verre ou le pinceau, Jan Steen ne
quittait l'un que pour courir à l'autre, et alternativement.
Son idéal futpresque atteint le jour où il devint le maître de la fameuse
brasserie de l'Etrille, à Delft. Là, nuit et jour, parents et amis banque-
taient en de mémorables agapes et, quand le propriétaire de céans était t
las de boire et de manger, il se reposait en faisant le portrait de ceux qui i
buvaient et mangeaient encore.
Ces réjouissances familiales ruinèrent le cabaretier; au peintre, elles
ont inspiré des chefs d'oeuvre : la Fête des Rois, la Fêle de St-11'icolccs, et
tant d'autres souvenirs des jours de rire et d'abondance.
A voir le nombre des tableaux que Jan Steen a consacrés à célébrer les
plaisirs de la table, il semble qu'il n'ait connu de la vie que les jouissan-
ces du centre. - Erreur. Ce festoyeur, ce franc luron, dont la verve
éliiicèle en tant de gaies ripailles, cache un observateur supérieurement
doué, un artiste qui demeure toujours scrupuleusement fidèle à la nature.
Et, derrière les gorges débordantes ou les bedaines pleines a crever, il sait
dissimuler parfois des leçons d'une irréprochable moralité.
Sans doute, sa philosophie est surtout faite de scepticisme; elle porte un
masque de comique ; son ton est celui de la raillerie.
Mais n'est-ce pas ainsi que procèdent les meilleurs moralistes ? Le gro-
LE MAL D'AMOUR 59
tesque de Panurge n'empêche pas que l'on saisisse le grand bon sens de
ses réflexions. Et c'est par la bouche de soubrettes et de valets que Molière,
nous fait entendre le langage de la saine raison.
Le parallèle entre Molière et Jan Steen s'impose forcément : certaines
peintures de l'un semblent les illustrations de certaines scènes de l'autre.
On devine que, sans se connaître, . ils eurent tous les deux même com-
préhension de la nature, même idéal en art et en philosophie. Leur morale
est celle des braves gens : elle est simple, elle est humaine, elle est bien-
faisante.
C'est surtout à l'égard des médecins que le peintre et le comédien nous
apparaissent en parfaite communion d'idées.
Les docteurs de Jan Steen - et ils sont nombreux, - rappellent a
s'y méprendre les types des Sganarelle, des Diafoirus et des Purgon. S'ils
venaient à parler, ce serait assurément dans la langue immortalisée par
Molière. Peut-être la vue des costumes du temps évoque-t-elle à tort nos
'souvenirs littéraires. Je crois qu'il ne s'agit pas seulement d'une réminis-
cence, car les médecins de Steen, tout comme ceux de Molière, ne sont pas
des personnages de convention, mais bien des portraits à peine chargés de
nos confrères de l'époque. Docteurs deLeyde ou docteurs de Paris, ce sonl
les mêmes personnages, ignorants et pédants, souvent prétentieux, pres-
que toujours grotesques.
On sait aujourd'hui que Modère a pris ses exemples sur le vif. S'il a
parfois chargé la nature, pour les besoins de la comédie, il faut convenir
qu'à l'égard des médecins, il n'avait pas à se mettre en grands frais d'in-
vention. Ceux-ci se prêtaient suffisamment au rire. Leur costume déjà cri-
tiqué en ce temps, leur langage volontairement suranné et incompréhensi-
file, leur vaine science et leurs retentissantes querelles dont l'inanité n'é-
chappait pas aux esprits éclairés, enfin, au moins pour certains d'entre
eux, le cynisme de leur insouciance et de leur rapacité en face des souf-
frances humaines, tout cela ne pouvait passer inaperçu des satiristes et des
humoristes.
C'était une source merveilleuse de plaisanteries et de sarcasmes. En \
puisant, Molière savait bien que tous les rieurs seraient de son côté. Sur
la scène il montrait du doigt des ridicules dont chacun se gaussait dans
la vie courante. L'effet comique était d'un succès certain. Il est encore
irrésistible aujourd'hui.
Jan Steen, on peut le certifier, s'est aussi contenté de peindre les méde-
cins de son temps, sans trop pousser à la caricature. Observateur très fin.
et spirituel philosophe, il a trouvé dans la nature des éléments de comi-
que amplement suffisants pour satisfaire ses goûts d'humoriste.
Ses docteurs, ses malades, comme tous les personnages de ses tableaux,
60 HENRY MEIGE
ne sont que des portraits sincères. Il a vu ces gens-là, il les a fréquentés :
il eût pu donner leurs noms.
Jan Steen d'ailleurs ne poursuit pas le même but que Molière. Il ne
tient pas à souligner les ridicules de ses médecins. Il lui suffit de les indi-
quer ; il laisse au spectateur le soin de faire lui-même ses remarques. L'ef-
fet risible est moins assuré; mais la critique est beaucoup plus fine. Il s'en
dégage une franche impression de vérité.
Les médecins de Jan Steen ne sont pas tous nécessairement grotesques.
On en voit de très simples et de fort avisés, qui ne prêtent nullement à
rire.-Ils s'acquittent avec conscience de leur mission. Ils l'ont honnêtement
leur métier de praticiens, et l'on devine qu'ils sont pleins de sollicitude
pour leurs malades. A vrai dire, ceux-là ne sont pas les plus nombreux.
La plupart se rapprochent du type classique transmis par Molière.
Leurs accoutrements, leurs gestes précieux ou pédantesques, el leur igno-
rance que le sujet même du tableau met souvent en évidence, montrent
bien qu'ils sont du même accabit que les Filerin, les Tomes, et les Des--
fonandrès, de l'Amour médecin.
Pareillement, les jolies malades que ces plaisants docteurs sont appelés
à soigner évoquent le souvenir des Angéliques et des Lucindes, comme
aussi, les soubrettes délurées qui les accompagnent souvent semblent des
Lisettes, des Tinettes ou des Nicoles.
Mais laissons parler Jean Steen. Oui, - parler, car, en vérité cha-
cun de ses personnages porte en soi tant de naturel et tant de vie, car
leur mimique est tellement expressive qu'on éprouve, malgré soi,le besoin
de leur faire prendre la parole. La tentation est si forte qu'on ne sait pas
toujours y résister. -
.
*
A Amsterdam, dans la collection van der Hoop, au Rijk Muséum, appa-
raît une première victime de la mystérieuse maladie des jolies Hollandai-
ses (1) (Pl. XII).
Une chambre proprette, des meubles assez cossus; un fauteuil, une ta-
ble recouverte d'un tapis d'Orient, sur le mur une horloge, et dans le
fouds un lit à baldaquin et à rideaux verts. Là se tient une petite bour-
geoise approchant de son vingtième printemps. N'est-ce pas celle que l'on
voit, à son petit lever, sur une peinture de Buckingham Palace, la Churrrm-
hi-e à, coucher' ! Si vraiment; mais, en ce temps-là, elle était fraîche et rose,
insouciante et rieuse, resplendissante de santé. Sa chanson et les-accords
de sa guitare égayaient toute la maison.
Aujourd'hui, le mal vient de la frapper :
(1) A'8TEl\IJAM, Kijk Muséum, n° 1377. T. H, 72. L, (il. Collection van der lloop.
NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T, XII. PL, XII
Cliché Hansstacngl. Photogravure Hansstaengl.
MAL D'AMOUR
Tableau de JAN Steen, intitule
La Malade
, eu Rijks-Museum d'Amsterdam.
)¡I.\SSO 1 : 1' CI", Editeurs.
LE MAL D'AMOUR 61
Elle a perdu ses roses couleurs ; elle a pleuré ; sa guitare abandonnée
pend tristement sur la muraille. La pauvrette est bien malade. Elle se sou-
tient à peine ; elle n'a pu, comme à l'ordinaire, faire la toilette de sa cham-
bre, ni s'affiner elle-même un peu. Son caraco de satin gris bordé de four-
rure blanche et les reliefs d'or de sa robe flattent l'oeil agréablement.
Mais cela ne la touche guère. Et même, n'a-t-elle pas oublié de dissimuler
sous son lit certain vase intime ? ... Quelle faute pour une ménagère hol-
landaise ! Hélas ! elle est sans forces et sans courage : tout lui fait mal,
tout lui est indifférent, tout l'ennuie. Sa pauvre tête est si faible, si dou- '
loureuse......
Elle a cependant tenté plusieurs remèdes : une potion qui reste à tiédir
sur sa chaufferette, une mouche qu'elle a posée sur sa tempe droite. Rien
n'y fait.
Aussi, désespérée, a-t-elle fait quérir son docteur. Le voici près d'elle.
C'est un vieux brave homme de médecin, blanchi par une rude pratique,
n'aimant point l'apparat, préférant à la science pédantesque les enseigne-
ments du bon sens et de la bonté. Il ne porte ni la robe longue ni le haut
bonnet, qui seraient pour lui une gêne dans les rues boueuses et les logis
étroits; un justaucorps noir, un court manteau marron et un béret, de
couleur sombre, le tout sans aucun ornement : cela suffit à ses yeux pour
assurer le décorum professionnel. Il est vraiment de ceux dont la vue
n'appelle pas le sourire, car il est très simple et très consciencieux. Lors-
qu'il vient à parler, c'est sur un ton de bonhomie familière, et tout en
feignant de plaisanter, il donne une excellente consultation.
« Las ! Voilà une jeune personne capuchonnée comme une mère-grand
qui enfouit son petit minois dans un gros oreiller. Quel peut être son
mal ? ... Une grande pesanteur de la tète ? ... Il se pourrait. Nous connais-
sons de ces méchantes migraines qui torturent cruellement les jeunes filles ;
mais je gage que notre malade souffre encore par ailleurs : ces yeux rougis,
ces lèvres décolorées, cette grande langueur où elle semble être tombée,
tout cela me donne à penser que le coeur aussi doit être atteint. Bien sot
qui ne verrait qu'elle a beaucoup pleuré... Hum ! ... je crois bien que ma
visite n'est pas celle qu'elle souhaitait le plus ardemment de recevoir.
« Voyons le pouls... Il n'est pas mauvais ; mais c'est celui d'une jeune
personne qui a le coeur bien gros. Ne cherchons pas plus avant. Notre
malade me semble atteinte de cette affection à la mode qui, pénétrant par
les yeux, va se loger au coeur... Sera-ce grave ? Oui et non. CesMessieurs
de la Faculté dissertent encore pour savoir s'il faut attribuer ce mal à
quelque vapeur subtile engendrée par quelque humeur volatile, ou réci-
proquement... Pour moi, qui ne suis point si savant, je n'ai d'autre désir
62 HENRY MEIGE
que de le guérir. Cependant je serais fort surpris s'il n'existait pas quelque
part une manière de médecin qui me remplacerait avec avantage.
. » Laissons donc de côté les emplâtres et les potions. Ils ne sauraient
déloger les affections qui attaquent ainsi le coeur... Je n'en dirai pas da-
vantage, car il ne serait guère bienséant que je prescrive un remède qui
n'est point fabriqué par nos apothicaires... »
Au musée de la Haye, seconde victime (1). Ici le cas est plus sérieux.
La malade est alitée (Pl. XIII). ,
Qu'on se rassure : ce n'est pas une moribonde ; elle est encore fort bien
en chair et son bras nu, ferme et potelé, relevé sur sa tête, encadre un
visage assez plaisant. Sans doute, ses joues n'ont pas de vermeilles
couleurs, ses lèvres sont blanches et ses paupières rougies. Mais son oeil
est très vif : elle suit attentivement du regard tout ce qui se passe autour
d'elle. Cependant, il n'est pas douteux que le mal l'il[ brisée au point de
l'obligera garder le ]it,un lit moelleux, douillet, abrité par un balda-
quin et des rideaux verts.- Etrange maladie que cet inexprimable malaise
qui s'attaque ainsi à la jeunesse. Heureusement, la patiente est entre
bonnes mains.
Son docteur est assis près de son chevet. C'est un homme grave, à la
barbe grisonnante, tout de noir vêtu, et qui s'entend aux convenances : il
a ôté ses gants, mais conservé sur sa tête son chapeau doctoral ; c'est ainsi
qu'il convient d'en user au cours d'une visite. Le gant retiré, vous êtes
prêt à tater le pouls ; du même coup, vous montrez que vous portez au
pouce une grosse bague, ce qui vous distingue aussitôt des confrères be-
soigneux et vous attire un surcroît de considération. Quanta se découvrir,
fût-ce en présence d'une dame, c'est la pire des fautes : un médecin sans
chapeau n'a plus aucun prestige. Il ne salue même pas la mort : c'est une
trop vieille connaissance.
Un homme aussi féru sur le chapitre de la civilité n'est point d'humeur
à badiner avec la médecine. Grave ou bénin, il prend le cas au sérieux,
et croirait manquer à tous ses devoirs, s'il ne prescrivait plusieurs re-
mèdes.
C'est d'abord une mouche qu'il a fait appliquer sur la tempe de sa
malade : traitement externe. Puis, c'est un breuvage rougcatre savamment
composé : médication interne.
La mère de la jeune lille, ou quelque amie déjà mûre, s'est chargée de
(1) La Haye. Musée N° B 4J. N lui8. B. II, 60. L, 46. - Collection Guillaume V. Une
réplique aurait figuré à la vente Braamcamp (citée par Sorru), dans laquelle le tableau
accroché à la muraille représentait l'enlèvement des Sabines.
NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XII. PL. XIII.
Cliché Hansstacngl.
Photogravure Hansstaengl.
MAL D'AMOUR
Tableau de JAN STEEN, intitulé
Un médecin rendant visite à nue malade
au Musée royal de la Haye.
Maison et C-1, Éditeurs
LE MAL D'AMOUR 63
le préparer. Opulente personne, dont la poitrine rebondie ne demeure
emprisonnée dans son corsage brun qu'à grand renfort d'aiguillettes, elle
a pris soin de protéger avec un tablier sa belle robe de soie verte à galons
dorés. Non sans quelque émotion, elle présente au docteur le verre à demi
plein, prête à parfaire la mesure avec le contenu d'une aiguière de grès.
Et, gravement, l'homme de l'art mesure des yeux le niveau du liquide,
tandis que la patiente tourne vers lui son regard inquiet. « Pourvu,
pense-t-elle, que le docteur n'augmente pas la dose et qu'il ne me fasse
pas avaler un grand plein verre de cette atroce potion ! ... »
Dans ce coup d'oeil anxieux, on devine toute l'angoisse d'un remède
qui, peut-être, sera pire que le mal, et l'on prévoit que, si elle osait, la
jeune alitée enverrait volontiers à tous les diables médecine et médecin.
Au demeurant, celle scène intime n'éclaire guère sur la nature du mal.
L'ensemble en est séduisant. La figure de la malade est expressive. Le
médecin a du décorum, et la femme qui présente le breuvage se distingue
par un naturel parfait qui n'est pas dénué d'élégance.
Les accessoires sont déjà connus, et nous les retrouverons plus d'une
fois encore : à droite un coin de table recouverte d'un tapis d'Orient, avec
un carafon de cristal. Auprès du lit, une chaise et un vase de nuit. - Le
médecin ne doit-il pas tout voir ? Par terre, un réchaud et une mèche
soufrée.
Nous retiendrons cependant deux détails nouveaux indiqués dans le
fond de la pièce :
D'abord, un grand tableau accroché à la muraille, et qui représente des
Centaures enlevant des Nymphes.
Ensuite, sur le palier d'un escalier qui conduit à un demi étage supé-
rieur, deux jeunes chiens occupés à se faire les politesses d'usage.
Celte réminiscence d'une scène de mythologie passionnelle et ce duo
canin d'un naturalisme assez osé, avaient aux yeux du peintre une signi-
fication très précise. Nous verrons bientôt laquelle.
A la Haye encore, on peut voir une autre malade de Jan Steen (1)
(PI. XIV).
Si ce n'est pas la soeur de la précédente, c'est du moins quelque proche
parente. D'ailleurs, toutes ces jeunes femmes ont entre elles un air de
famille. Ceci s'explique aisément, si l'on se rappelle que le peintre repré-
sentait volontiers dans ses tableaux les gens de son entourage, parents ou
familiers. Leurs portraits se retrouvent parmi les figurants des scènes les
(t) La Haye, Musée, nus 3 ÉS, J G7, B. II, 58, L. 4G. Collection Guillaume V.
64 HENRY MEIGE
plus disparates : dans les festins d'abord et l'on festoyait souvent chez
Jan Steen, dans presque toutes les peintures d'intérieurs, dans les fan-
taisies humoristiques, et jusque dans les sujets religieux.
Les dolentes personnes que nous voyons ici sont sans doute des por-
traits de famille. La jeune femme de Jan Steen lui a peut-être servi plus
d'une fois de modèle.
La seconde malade du musée de La Haye est donc encore une jolie bour-
geoise hollandaise, victime de l'épidémie de l'époque.
Elle est assise et semble à bout de forces, pouvant à peine soutenir sa
tête capuchonnée de blanc, les yeux mi-clos, un soupir aux lèvres.
Son costume et son appartement témoignent d'une certaine aisance.
Elle porte un casaquin de velours bleu, bordé d'hermine, et une robe de
satin vert; sa chambre est décorée de sculptures et de tableaux; elle est
servie par deux caméristes, dont l'une attise le feu dans une grande che-
minée. Elle a aussi un chien couché sur un coussin moelleux. Hélas ! pour
le présent, ce luxe -n'est guère enviable, car la propriétaire de céans ne
semble pas à même de l'apprécier. Le mal l'a brisée; tout ce qui l'en-
toure demeure ignoré d'elle. Voit-elle que son réchaud, sa chaufferette,
sa pantoufle et le panier d'osier qui contient l'urinai (1) jouent au quatre
Coins sur le plancher ? Nullement. A peine s'est-elle rendu compte de
l'arrivée de son médecin,et ce dernier pourtant n'est pas de ceux qui pas-
sent inaperçus.
Empressé, remuant, recherché dans sa mise, attentif à ses gestes ainsi
qu'à ses propos, c'est un confrère soigneux de toute sa personne et plein
de prévenances pour ses clients. On voit qu'il est rompu aux belles ma-
nières et qu'il sait formuler en termes galants. Son physique, à vrai dire,
manque de distinction : il est franchement laid. Mais qu'importent les
imperfections du visage si l'on sait les racheter par des dehors élégants ?
Sans doute, son oeil est trop petit, son nez trop long, sa bouche trop
grande, sa barbe et ses- cheveux résistent à tous les soins. Mais admirez
l'apprêt et la blancheur de sa fraise, le violet si discret de son pourpoint,
l'ampleur des rubans qui flottent au bas de ses chausses, la souplesse de
(1) L'interprétation de cet accessoire est parfois erronée. On le considère générale-
ment comme une « corbeille à ouvrage » (loy. Lafekestiie et 1 ? cnTSwrncs, La Hol-
lande, p. 115). La confusion est d'ailleurs parfaitement explicable. Il est bon ce-
pendant de préciser le rôle de ce mystérieux panier. II servait de réceptable à l'armai,
sorte de ballon de verre, qui ne pouvait tenir debout, faule de pied. On y remédiait
en le déposant dans un étui cylindrique en osier, muni d'un couvercle. Le panier en
question remplissait donc l'office des couronnes d'osier dont on se sert encore aujour-
d'hui dans les laboratoires pour maintenir debout les ballons de verre. L'urinai comme
son nom l'indique, servait à recueillir les urines du malade, dont le médecin exami-
nait la limpidité, la couleur, etc. Les peintres hollandais et flamands ont maintes fois
représenté ce procédé de diagnostic. Nous aurons souvent l'occasion d'y revenir.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XII. PL. XIV.
Cliché Hansstacngl.
Photogravure Hansstacngl.
MAL D'AMOUR
Tableau de Jan Steen, intitulé
Un médecin t7tant le pouls à une jeune fille
au Musée royal de la Haye.
11 ssoa et CI( ! , Éditeurs
LE MAL D'AMOUR 65
ses gants, les larges bords de son chapeau, et comme il sait se draper
avec aisance dans son manteau noir, tout en donnant sa consultation ! ...
Voilà bien le docteur qui convient à une jeune et riche bourgeoise.
Trop d'austérité ne serait pas de saison ; moins de souci de la toilette ris-
querait de choquer les yeux. Il faut savoir accommoder sa mise à la qua-
lité des malades. Il faut aussi que les paroles se montrent à l'unisson.
(, Serait-il vrai, Madame, que vous ayez mandé votre médecin ? En vé-
rité, je vous croyais bien à l'abri de toutes les impertinences de la maladie,
et j'ai grand peine à m'imaginer que cette insolente ait eu le front de s'at-
taquer à une personne telle que vous. Si vraiment ? En ce cas, elle
trouvera à qui parler, car je ne saurais tolérer que vous demeuriez céans
en butte à ses méchantes atteintes..... Souffrez donc que je connaisse le
mal qui vous importune et daignez me permettre de consulter votre
pouls J'y sens quelque fréquence et le trouve : angustlts..., et même
æqllatiter inycrtli.s... Or, comme il est aisé de le voir par la pâleur de
votre teint, par la fatigue de vos traits, et enfin par cette grande faiblesse
où vous êtes tombée, nous dirons qu'il s'est produit en vous certain mou-
vement impétueux du sang, lequel a reflué des ventricules du cerveau
vers les ventricules du coeur, d'où, nécessairement, résulte toute votre
maladie..... Je n'aurais garde de pousser l'impertinence jusqu'à vous
accabler de questions pour connaître le siège de vos souffrances. Ce sont
petits moyens de malappris. Je n'en veux point savoir davantage et je me
tiens pour complètement édifié sur votre mal. Nous en aurons raison de
par la médecine, et vous en guérirez merveilleusement bien. »
Si, vraiment le cas est sérieux, ce docteur-la semble-t-il fait pour ins-
pirer confiance ? ... Mais qu'importe 9 Certainement, le mal n'est pas
grave. Jean Steen nous le fait entendre finement.
Car, tandis que le médecin s'empresse auprès de sa jolie cliente, der-
rière lui, une jeune camériste en corsage jaune ne dissimule qu'à demi
son sourire. Les grands mots ne la déconcertent pas. « Allez, monsieur
le médecin, débitez votre boniment, tatez le pouls, consultez le ventri-
cule... Tous vos beaux discours ne nous tromperont point, car nous en
savons plus que vous sur la maladie de notre maîtresse. Nous n'avons que
faire de vos médecines, et je sais quelqu'un qui ferait déguerpir le mal
en moins de temps qu'il ne vous en faut pour lui trouver un nom. »
Voilà ce que fait entendre le regard moqueur de la chambrière et nous
devons croire qu'elle a de bonnes raisons pour penser ainsi.
Cet a parle plein de réticences ne nous éclaire pourtant qu'à demi. Il
nous rassure sur les dangers que court la malade, nous apprend que le
médecin n'est pas doué d'une grande perspicacité, ce dont nous nous
xii S
66 HENRY MEIGE
doutions d'ailleurs un peu. Mais il ne nous fait pas connaître la nature de
ce mal dont la patiente pleure et dont la suivante se rit.
Or, cette fois, Jean Steen a voulu donner la clef de l'énigme.
Regardez au fond de la chambre, sur le coin de la cheminée, cette sta-
tuette de marbre : un enfant tout nu, des ailes au dos, un arc à la main.
C'est le petit dieu Cupidon..... Ne voyez-vous pas aussi qu'il s'apprête à
lancer une flèche ? ... Suivez bien la direction de sa trajectoire ; vous arri-
verez droit au but : c'est le cour de la jolie malade...
Là est la blessure dont elle souffre, et ce mal mystérieux qui la fait
tant languir, mal dont le médecin cherche en vain la cause, et dont
la camériste sourit à bon escient, c'est un mal qui souvent s'attaque au
coeur des jeunes femmes : cruels en sont les tourments ; mais aussi le
remède en est doux
C'est le Mal d'amour ! ....
Veut-on, dès à présent, avoir confirmation de ce diagnostic ? On la
trouvera à Munich, dans l'ancienne Pinacothèque. La existe un quatrième
tableau, dûment signé de Jean Steen, où le maître lui-même a écrit de sa
main le nom de la maladie qu'il a tant de fois pris plaisir à peindre
(PI .XV).
La scène est identique, à quelques variantes près.
Même intérieur aisé de bourgeoise hollandaise. Au fond, une fenêtre
garnie de vitraux. Le même grand lit à baldaquin et à rideaux verts, la
même table recouverte du même tapis d'Orient. Par terre, un réchaud et
le panier cylindrique où se cache l'urinal. Enfin, on aperçoit encore le
petit chien blanc et brun qui, cette fois, fait le guet près d'une porte ou-
verte.
Trois personnages au premier plan : le docteur, sa malade et une sui-
vante.
Le docteur est un digne émule de son confrère de la Haye. Par le cos-
tume et par les manières, il montre bien qu'il appartient à la même école.
Sa fraise, ses rubans, son chapeau, ses gants, sortent de chez le même
faiseur. Cependant pour se distinguer, il a pris un habit vert bouteille;
son nez est moins long, sa barbe plus fournie ; de plus, il a de l'embon-
point, bien qu'il cherche à le dissimuler en se drapant de son mieux dans
son court manteau noir.
Au demeurant, c'est un homme plein de politesse et d'urbanité qui sait
parler à la maladie comme il convient. Il a surtout certaine façon de tâter
(1) Munich. Ancienne pinacothèque, no 392, T. II. 61, L. 52, provient de la
galerie de Dusseldorf.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XII. PL. XV.
Cliché Hansstaengl.
Photograuire Hansstaengl.
MAL D'AMOUR
Tableau de JAN Steen, intitule
Un médecin tâtant le pouls d'une femme malade
à l'ancienne Pinacothèque de Munich.
Masson et Ciao, Éditeurs.
LE MAL D'AMOUR 67
le pouls du bout des doigts en faisant une révérence, qui est bien la plus
comique du monde.
Si la malade n'en est pas reconfortée ; c'est qu'apparemment sa souffrance
est extrême. Et, en vérité, rien n'est plus attristant que le regard éploré
qu'elle dirige sur son médecin.
« Ah ! Docteur..... C'en est fait de moi. Je me sens mourir ! ... Tous vos
bons soins ne sauraient me tirer de là. Je suis si faible, si lasse, si brisée.....
Que ma pauvre tête est donc malade et que mon coeur me fait souffrir
Voyez : il me faut accommoder avec des oreillers, et je ne sais encore quelle
position choisir..... Je n'ai plus d'appétit,... ? ce citron, auquel j'avais
envie dégoûter, à présent me répugne Tout m'indiffère, tout me fait t
mal... Ne m'ordonnez aucune médecine. C'est bien fini Hélas ! que me
servirait de vivre ? .... »
Et la suivante, affectueuse et dévouée, penchant son visage compatis-
sant sur l'épaule de sa jolie maîtresse :
« Eh quoi, Madame, sied-il de vous tant désoler ? Votre mal n'est pas
sans remède. Voici monsieur le docteur qui vient il point pour vous sou-
lager et il ne manquera pas d'y réussir, surtout s'il nous parvient avant
ce soir certain billet de qui vous savez...» »
Tout juste, à ce moment, quelqu'un s'arrête devant la maison. C'est un
gracieux jeune homme, élégamment vêtu, qui, mystérieusement, glisse
une lettre entre les mains d'une servante occupée à balayer la porte. Voilà
le billet tant souhaité qui, à lui seul, fera plus d'effet que toutes les po-
tions du monde.
Car la belle Hollandaise est encore une victime du Mal d'amour. Et ce
mal a ses médecins qui ne portent bonnets ni rabats, mais longs rubans et
lines dentelles. Les billets doux sont leurs ordonnances.
Ainsi nous l'apprend Jan Steen. Et, afin que nul n'en ignore, il nous
l'explique par un symbole et par une légende.
Le symbole est déjà connu : c'est le petit Cupidon de marbre, juché sur
quelque coin de meuble, et qui lance sa flèche droit au coeur de la jeune
femme.
La légende est écrite sur une lettre que la malade tient dans sa main :
« Daer helpt geen medecyn,
1V ant bel is miune pn. »
Ici, la médecine ne peut rien,
Car c'est le mal d'amour.
68 HENRY MEIGE
Mal d'amour ! .... Tel est donc ce mal mystérieux qui, s'il faut en croire
Jan Steen, s'attaquait volontiers aux jolies Hollandaises.
Les filles des Pays-Bas y furent-elles prédisposées par quelque tempé-
rament plus facilement accessible à la contagion ? L'histoire ne le dit
point. La peinture semblerait le démontrer. Faut-il la croire ?
Certes, le Mal d'amour existe. Mais il est de tous les temps et de tous les
pays. Il a toujours choisi les mêmes victimes, les a toujours frappées de
la même façon, et toujours a cédé au même remède ; toujours aussi, il a
déconcerté les médecins et s'est gaussé de leurs médecines.
Le Mal d'amour n'est pas spécial à la Hollande. Nulle part cependant
il n'a rencontré d'observateurs plus fidèles, d'analystes plus consciencieux
et plus fins, que chez les peintres hollandais, à commencer par Jan Steen.
Et, les Malades d'amour de Jan Steen ne sont pas seulement de sé-
duisantes études des grâces langoureuses que font éclore les penchants
contrariés. Leur mal est à la fois physique et psychique. Le médecin ne
saurait s'en désintéresser.
Mais, avant d'aller plus loin, il importe de préciser la signification d'un
terme qui semble dépaysé dans le langage médical.
Qu'est-ce donc que le Mal il 'amour ?
. (A suivre.)
Le gérant P. Bouchez.
Imp. G.Saint-Aubin et Tbevenot. J.Thevenot, successeur, Saint-Dizier (Haute-Marne).
12e ANNEE No 2. Mars-Avril 1899
HOPITAL SAINT-ANTOINE
LA D1L'l'IUIRIL DANS LES TROPHONÉVROSES (1)
PAR
E. BRISSAUD
Professeur agrégé à la Faculté de Médecine de Paris,
Médecin de l'Hôpital Saint-Antoine.
Messieurs,
Beaucoup de faits cliniques et, en particulier, des faits empruntés à
l'histoire des dermatoses permettent de reconnaître des syndromes ner-
veux dans des manifestations qui, de prime abord, semblent étrangères à la
neuropa thologie.
Si la relation de cause à effet dont je veux parler a été si longtemps mé-
connue, c'est que les de/'mato-neul'ose¡; ont très souvent une réparti lion
tout à fait indépendante des territoires périphériques des nerfs ou des ra-
cines. Il est certain que l'influence du système nerveux peut nous échap-
per lorsqu'une éruption consiste, par exemple, en des plaques disséminées
sans ordre sur toute la surface tégumentaire. Nous sommes, en pareil cas,
tout naturellement portés à supposer une susceptibilité locale mise en évi-
dence par les hasards de l'infection ou de l'auto-intoxication. Mais,- en re-
vanche, un grand nombre de lésions cutanées se développent sur des dépar-
tements connus et s'y cantonnent si étroitement, qu'il faudrait fermer les
yeux pour contester leur subordination à l'autorité régulatrice du système
nerveux. Telles sont les lésions du zona dont nous avons étudié précé-
demment les principales variétés topographiques.
En revenant aujourd'hui encore sur ce sujet je n'ai pas l'intention de
vous prouver l'existence des de1'111alo-neill'oses ou trophonévroses cutanées.
(1) Leçon clinique extraite pour la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière d'un
volume qui vient de paraitre. - E. Brissaud, Leçons sur les maladies nerveuses
(2° série, hôpital Saint-Antoine), recueillies et publiées par Henry MEME. 1 vol. in-8"
de 560 pages avec 165 figures. Paris, 1899, Masson et Cie, éditeurs.
RII 6 6
70 E. BRISSAUD
Le fait est acquis à la science ; il est irrévocable. Je désire simplement pas-
ser en revue quelques types d'éruptions, dont la distribution périphérique
est parfois - et seulement dans de certaines conditions préparée et
déterminée par une affection préalable des différents appareils nerveux,
centres ou conducteurs.
Vous serez ainsi amenés à constater vous-mêmes que, si un eczéma
vulgaire, un lichen, un psoriasis semblent bien souvent n'obéir à aucun
ordre nerveux, telles circonstances particulières font apparaître ces der-
matoses comme des déterminations localisées d'un processus névropathe-
que. Vous reconnaîtrez que certaines affections périphériques des nerfs se
révèlent exclusivement par une maladie de la peau ; et, selon le siège, la
forme, l'étendue de l'éruption, vous serez en mesure d'affirmer que le trou-
ble initial d'où procède la trophonévrose occupe tel tronc nerveux ou telle
racine.
Enfin j'espère vous démontrer que si le diagnostic de localisation radi-
culaire nous est devenu possible depuis les beaux travaux de. Ross, allez
Starr et Head, tout nous fait espérer que celui des localisations spinales
ne sera bientôt plus insurmontable. En d'autres termes, si nous devons à
ces auteurs de pouvoir localiser les troubles des étages aadic2tlaires ou rhi-
zomères, le jour me semble prochain où nous saurons localiser les troubles
des étages ou myélomères.
I. Les trophonévroses cutanées du tronc, celles du thorax en parti-
culier, sont évidemment fort intéressantes et ont fourni déjà à Head des
indications éminemment utiles sur la superposition des étages radicll-
laires. Vous vous en êtes assurés par l'étude du zona. Mais elles ne nous
apprennent pas grand'chose relativement aux étages spinaux. Sur presque
toute la hauteur des espaces intercostaux, et principalement à la région
supérieure de la cage thoracique, les étages spinaux et les étages radicu-
laires sont faciles à confondre. Aussi l'horizontalité des uns et l'obliquité
des autres peuvent-elles ne pas apparaître très nettement dans les dermato-
neuroses.
Vous vous rappelez sans doute le beau spécimen d'ichthyose sébacée que
je vous ai présenté comme démonstratif d'une localisation métamérique
spinale. Si sa limite supérieure eût été moins franchement horizontale, le
diagnostic aurait pu hésiter. Les trophonévroses des membres, au contraire,
ont des localisations qui nous font bien plus clairement apparaître la mé-
lamérie médullaire. Ici les territoires périphériques qui correspondent
aux étages spinaux sont représentés par des tronçons transversaux, c'est-
à-dire perpendiculaires à l'axe des membres; tandis que les territoires
tributaires des étages radiculaires (déterminés par les chirurgiens), sont
LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 71
représentés par des bandes longitudinales, c'est-à-dire parallèles au grand
axe des membres. J'ai déjà formulé et je répéterai encore cette proposition,
car elle renferme toute la question. Bref, sans les troubles de la sensibilité
qu'on observe dans la syringomyélie, et sans les trophonévroses limitées à
des tronçons de membres nous ne saurions rien des myélomères.
La totalité du revêtement tégumentaire se subdivisant en départements
superposés et transversaux par rapport à l'axe du tronc et des membres, il
faut admettre - et la clinique en fail foi que ces départements super-
posés sont indépendants les uns des autres respectivement tributaires d'un
myélomère. Étant donné que la nutrition de chacun de ces territoires est
soumise à l'action' trophique d'un m) élomère, on comprend que la syrin-
gomyétie par exemple ou l'hématomyélie aient pu nous révéler l'existence
et l'autonomie de territoires cutanés, disposés en tranches perpendiculaires
à l'axe des membres, tandis que les lésions radiculaires mettent en évi-
dence des territoires disposés en zones parallèles à l'axe des membres.
Les chirurgiens ont bien étudié la répartition des territoires en zones
parallèles à l'axe des membres. Ils ont, de cette façon, introduit dans la
pathologie des notions toutes nouvelles et éminemment pratiques ; ils ont
créé une anatomie imprévue, celle des segments radiculaires, ou 1'J¡i : : o-
mères. Aux médecins maintenant incombe une tâche analogue, il s'agit t
pour eux de déterminer les limites de territoires transversaux, qui n'ont
rien de commun avec les précédents et qui reçoivent leur innervation
totale, non plus des racines, mais de la moelle elle-même, non plus des rhi-
zomères, mais des rtélontèc'es.
Nous allons donc examiner quelques-uns des nombreux arguments
que la dermatologie vient prêter à la thèse de la métamérie spinale.
II. A dire vrai, la thèse n'est plus à défendre. Les faits sont trop
évidents pour qu'on les récuse. Tout le problème est de savoir si les
lésions, les symptômes ou les signes localisés à des tronçons de membre et
limités par des lignes circulaires d'amputation, présentent une topographie
si particulière en vertu de l'action spinale exercée par un véritable
centre, et si, corollairement, la moelle est composée elle-même de tron-
çons superposés et régissant les tronçons périphériques. Cette question,
je la réserve provisoirement, mais les observations cliniques prépareront
d'elles-mêmes la réponse. 11 suffit que l'attention soit éveillée sur l'objet
qui nous préoccupe pour que les témoignages probants se succèdent et se
multiplient : et, puisque le zona a été notre point de départ, commençons
par un cas bien typique de zona métamérisé d'origine médullaire.
Il y a quelques semaines,MM. Grasset et Vedel soumettaient à la Société
72 L. 13RISSAUD
des sciences médicales de Montpellier (1) des considérations relatives à un
zona de la cuisse. L'éruption avait été précédée de violentes douleurs
spontanées et localisées un segment de membre : en haut, elles s'arrêtaient
au pli inguinal, et, en bas, elles ne dépassaient pas l'interligne articu-
laire 'du genou. Puis les groupes vésiculaires s'étendirent; et comme ils
étaient disséminés sur toute la surface de la cuisse, il n'y avait pas à
douter que plusieurs territoires nerveux fussent intéressés : obturateur,
crural, fémoro-culané (plexus lombaire), petit sciatique (plexus sacré).
Mais l'éruption restait encore très bien
limitée en haut et en bas par des lignes
d'amputation correspondant aux extrémi-
tés naturelles du segment de membre
(Fig. 1).
Enfin à la suife de l'éruption, se mon-
trèrent des troubles de sensibilité repro-
duisant encore la même disposition seg-
mentaire. On trouva de 1'lipoestliésie au
tact, à la piqûre, à la température, sur la
cuisse gauche, tandis que la sensibilité
n'était en aucune façon touchée au-dessus
du pli inguinal prolongé en arrière par
le pli lombaire et au-dessous du genou.
Donc, que l'on envisage le cas, soit il la
phase prééruplive, soit à la phase érup-
tne, soit à la phase posléruplhe, on voit
-très nettement qu'au point de vue de la
sensibilité el de l'éruption, la disposition
n'a cessé d'être segmentaire.
Vedel et Grasset ajoutent il cette obser-
vation les remarques suivantes : « Pour
expliquer une distribution aussi singu-
lière, aussi peu anatomique, on ne peut
placer le siège de l'altération, dont le zona est la manifestation cutanée,
ni dans les nerfs périphériques ni dans les ganglions spinaux.
« Dans ces conditions, il est permis de penser que l'altération est d'or-
dre médullaire, il est légitime d'accepter la théorie des métamères. Toutes
les fibres sensibles d'un membre ou d'un segment de membre se rendant
au même niveau médullaire, on comprend que l'altération portant au
niveau métamérique de la cuisse gauche, les troubles sensitifs et cutanés
Fig. 1.- Les lignes obliques mar-
quent le territoire du tégument
envahi par le zona (cas de Grasset
et Vedel).- Disposition métamé-
rique.
(1) Séance du 4 mars 1897, Nouveau Montpellier médical, 1898, no 12, p. 226.
LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 73
consécutifs doivent être, comme dans le cas actuel, localisés exclusivement
à ce segment du corps. »
Une objection peut être faite à cette façon de conclure.Ne doit-on pas se
demander, avec M. Carrieu, si l'étrange répartition des éléments éruptifs
ne s'explique pas par la théorie de la fièvre zostérienne de Landouzy ? En
effet, dit M. Carrieu, « si le zoster est consécutif il une infection, on peut
concevoir une localisation à un segment de membre sans avoir recours à la
théorie médullaire ». Assurément les infections ont des déterminations
cutanées parfois bizarres. Mais elles ne poussent pas la bizarrerie jusque
là. Elles ont, en tout cas, beaucoup plus de tendance à généraliser leurs
effets qu'à les restreindre, et il n'est pas dans leurs habitudes de respecter
les plis naturels de l'aine et du jarret comme des barrières infranchissa-
bles. D'ailleurs, rien, dans l'observation de Grasset et Vedel, ne plaidait
en faveur de la fièvre zostérienne. La question est donc tranchée (1).
III. - J'arrive maintenant aux véritables dermatoses.
Vous savez que la plupart des maladies de la peau a l'exception de
quelques affections parasitaires, mais non pas de toutes - peuvent se dé-
clarer sous l'influence d'un trouble nerveux, ce qui diminue d'autant leur
prétendue spontanéité. Il en est du moins qui, sans être forcément et
comme par nature, des trophonévroses, se manifestent à titre de dermopa-
thies nerveuses lorsque la moindre résistance de l'appareil nerveux laisse à
la diathèse ou à la prédisposition innée toute latitude pour s'affirmer ; car
l'appareil nerveux est le régulateur par excellence des phénomènes trophi-
quels, et nous avons chaque jour la preuve que ses imperfections ou ses
défaillances favorisent l'apparition de troubles divers, dont il ne saurait
être tout seul responsable. C'est ainsi que nous voyons se produire nom-
bre d'affections cutanées, sortes de trophonévroses fortuites, de lésions pas-
sagères ou durables des nerfs, des racines ou de la moelle épinière.
Un exemple de trophonévrose à peu prés indiscuté nous est fourni par
la sclérodermie. Nous reviendrons un autre jour sur ce sujet qui comporte
quelques développements; mais dès à présent, considérons tout à fait en
(1) r1 ses remarques 11. Carrieu ajoutait : « Quanta la théorie de la iiiétaniérisption
de la moelle, elle a été émise par Lannegràce et Forgue, bien avant Brissaud, qui n'a
fait que l'appliquer à la pathologie. »
Je n'ai jamais formulé la moindre revendication de priorité, quelque occasion qui
m'en ait été fournie ; et je ne revendiquerai rien aujourd'hui en faisant observer :
il que la théorie de la métamérisation de la moelle est très antérieure aux excellents
travaux de Lannegràce et Forgue ;
2 que la métamérisation de la moelle est absolument différente de la métamérisa-
tion des racines;
3° que je nie suis simplement appliqué à démontrer cette différence par des faits
anatomiques et cliniques.
74 E. BRISSAUD
gros l'ensemble des faits connus et ils sont nombreux ; et voyons
comment ils se répartissent.
La pathologie, qui s'empresse toujours d'établir ses classifications d'après
les caractères cliniques les plus apparents, a distingué trois formes prin-
cipales de sclérodermie :
·1° La sclérodermie progressive généralisée, qui débute presque toujours
par la sclérodactylie, et qui évolue avec la symétrie et la régularité de
développement d'une maladie des centres nerveux.
2° La sclérodermie en bandes ou en zones, dont les variétés de localisa-
tion rappellent les trophonévroses liées aux névrites des racines spinales ou
des troncs nerveux ; -
3° La sclérodermie en plaques qui, il l'inverse des deux précédentes, el,
comme son nom le fait prévoir, ne relève pas d'une perturbation préala-
ble des centres ou des racines, et parait bien plutôt subordonnée à un vice
de nutrition périphérique, plus ou moins circonscrit et ne résultant que
d'une influence de hasard.
Laissons donc de côté la sclérodermie en plaques et occupons-nous seu-
lement de la sclérodermie en bandes et de la sclérodermie généralisée.
La sclérodermie en bandes disséminées se montre si souvent superposée
à la sphère de distribution des nerfs ou des racines, qu'il est absolument
impossible de ne pas lui attribuer une origine nerveuse. Je vous signale-
rai dans une leçon ultérieure les cas sur lesquels s'est appuyée cette ma-
nière de voir; mais je dois vous en citer au moins une aujourd'hui. Je
l'emprunte à mon collègue M. Thibierge. Il s'agit d'une fille de 21 ans,
atteinte de sclérodermie pigmentée et disposée selon des trajets dépour-
vus de toute connexion avec les départements périphériques du système
nerveux ou de l'appareil vasculaire (Fig. 2). Et cependant si l'on s'en
réfère aux schémas de Head, qui vous sont désormais connus, on ne peut
méconnaître la superposition absolument parfaite des bandes sclérosées
aux territoires de certaines racines.
Du premier coup, vous déterminez ces racines. Pour le membre supé-
rieur ce sont les 7" et 8e cervicales et les deux premières dorsales ; pour
le membre inférieur, ce sont la cinquième lombaire et la première sa-
crée (1). Or, voici où j'en veux venir : la localisation métamérique de la
sclérodermie, dans le cas dont vous avez sous les yeux la figure, permet
de préciser le lieu exact de la lésion nerveuse : c'est bien une lésion des
racines, et non pas une lésion de la moelle.
Plusieurs étages de racines sont en cause ; donc l'affection s'est can-
tonnée sur plusieurs métamères radiculaires. Mais la métamérie en ques-
(1) IIE : \111 Drolin, Quelques cas de sclérodermie localisée à 'distribution métamé-
rique. Th. Paris, 1891, no 155.
LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 75
tion n'a, je le répète, rien de commun avec celle de la moelle elle-même.
La métamérie radiculaire, c'est la métamérie- primitive de la chaîne gan-
glionnaire divisant les membres en segments longitudinaux. La métamérie
spinale, au contraire, est la métamérie secondaire des renflements cervico-
dorsal et lombo-sacré du névraxe divisant les membres en segments trans-
versaux. Une sclérodermie qui se conformerait à la métamérie spinale ne
serait donc pas représentée sur les membres par des bandes longitudinales,
mais par des tronçons ou segments transversaux d'induration tégumen-
laire (Fig. 3 et 4).
Fig. 2. Schéma de la distribution des lésions dans un cas de sclérodermie
en bandes disséminées (Thibierge et Drouin).
A, plaque sus-mammaire dans le territoire de distribution de la première racine dor-
sale. B, bande située en dedans du bord interne du biceps suivant le territoire
de la le racine cervicale. - C, plaque scapulaire dans le territoire de la 2e racine
dorsale. - D, bande du bras en arrière, passant, après interruption, sur l'avant-bras ;
elle suit le trajet correspondant au territoire de la 1° racine cervicale. - E, plaque
du dos de la main continuant, par sa partie externe, la bande précédente ; elle dé-
pend de la le cervicale, de la 8" et de la Ire dorsale. F, bande de la jambe el du
pied sur le territoire de la Sa lombaire et un peu de la Ire sacrée.
En résumé les lésions correspondent aux 7° et 8° segments cervicaux, aux 1 ? et
2° dorsaux, et, pour le membre inférieur, aux 5e segment lombaire et 1er segment
sacré.
Ce type de sclérodermie exisle-t-il ? - Oui, assurément ; et c'est la
76
E. BRISSAUD
sclérodermie généralisée qui le réalise. Car elle affecte les membres d'a-
bord, et ce sont, les extrémités qui sont prises en premier lieu : les derniè-
res phalanges, puis les doigts dans leur ensemble, puis la main, puis.les
avant-bras, tel est l'ordre d'envahissement des parties. Dans sa marche
progressive, la sclérodermie intéresse donc à la fois des nerfs différents,
et tous à la même bailleur. Elle observe la métamérie spinale, en ce sens
qu'elle gagne de la périphérie vers le centre, comme une onde perpendi-
culaire à l'axe des membres. Sans doute la ligne de démarcation entre
les tissus malades et les tissus sains est mal déterminée ; et il serait abusif
de considérer les régions sclérosées comme des tronçons comparables à
Fig. 3 et 4. Métamérie primitive du névraxe divisant les membres en segments
longitudinaux (métamérie radiculaire) et métamérie secondaire des renflements cer-
vico--dorsal et lombo-sacré divisant les membres en segments transversaux (méta-
mérie spinale).
ceux de l'anesthésie syringomyélique. Il n'en est pas moins vrai que la
participation de plusieurs nerfs à un trouble trophique procédant régu-
lièrement de l'extrémité du membre vers sa racine implique une symétrie
d'action qui n'apparlient qu'à un centre nerveux : moelle épinière ou
cordon sympathique. Nous examinerons d'ailleurs, dans une autre leçon,
les critiques qu'on peut adresser à cette manière de voir et nous verrons
dans que 1 1 mesure elles sont recevables.
LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 77
Quoi qu'il en soit, si le rôle de la métamérie spinale dans la scléroder-
mie généralisée semble ne devoir pas être accepté sans discussion, je
peux faire appel à d'autres exemples, et je commencerai par une derma-
tose relativement commune : le lichen.
IV. Envisagé au point de vue anatomo-patholobique, le lichen con-
siste en une hyperplasie des éléments des follicules pileux ; celte byper-
plasie a pour siège la gaine externe de la racine, à la partie inférieure de
la tige du poil. Il en résulte « une excroissance de la gaine en forme de
prolongement avec dilatation consécutive ampulliforme des follicules pi-
leux, ainsi qu'une infiltration cellulaire des papilles qui environnent le
follicule et une prolifération du réseau muqueux qui les recouvre (1) ».
Tel est l'ensemble du trouble trophique, ainsi qu'il résulte des observa-
tions de Ilebra, Neumann, Biesadecki, Obtulowic et Kaposi. Le lichen
étant caractérisé, objectivement, par une éruption populeuse, avec épais-
sissement et exfoliation de J'épiderme, chaque papule correspond à un
orifice folliculaire et aux parties qui l'environnent. La tuméfaction et l'in-
filtration des papilles forment la papule, et l'amas d'épiderme hyperpla-
sié ou d'exsudat à l'orifice du follicule représente la squame centrale ou
la petite pustule (2).
Vous le voyez, ce processus complexe peut se résumer d'un mot : il s'agit t
d'une hyperplasie systématisée.
Et maintenant, au point de vue clinique, quels sont les attributs de la
trophonévrose communément appelée lichen ? Sans entrer dans les détails,
il me suffira de vous rappeler que l'élément dermatologique du lichen est
la papule, et que cette papule présente des variétés très nombreuses. L'a-
natomie pathologique vous le faisait bien pressentir. En raison même des
grandes différences objectives qu'il affecte suivant les cas, le lichen a for-
cément été l'objet de subdivisions un peu arbitraires. Deux principales pa-
raissent universellement admises : le lichen de Wilson et le lichen simplex
de Vidal. Celui-ci n'est autre chose que la névrodermite circonscrite de
Brocq, appellation suffisamment significative. Les éléments éruptifs sont
disposés tantôt en plaques, tantôt en bandes longitudinales, tantôt enfin en
tranches transversales. Nous n'avons à considérer, bien entendu, que ces
deux derniers cas. Or, les bandes longitudinales sont parfois mathémati-
quement superposées à un trajet nerveux, et ce ne peut être la l'effet du
hasard (Fig. 5). M. 13alzer a publié un remarquable exemple de lichen ré-
(1) IOHIZ 1W rost, Pathologie el traitement des maladies de la peau. Traduction de
Ernest Besnier et Doyon, t. I, p. G : 1l1.
(2) Ibid., p. 625.
78 E. BRISSAUD
parti sur tout le territoire du petit sciatique (1), et il a bien voulu m'en
signaler un second, celui-là non publié encore, de tout point identique au
premier. Le trouble trophique étant, sans
contestation possible, soumis à la sphère
d'influence d'un conducteur nerveux péri-
phérique, il y a tout lieu de croire qu'une
éruption semblable sera, un jour ou l'autre,
reconnue tributaire, non pas d'un nerf
périphérique, mais d'une racine. Il en a
été ainsi du zona des membres qui.jusqu'à
ces toutes dernières années, semblait de-
voir conformer sa distribution il celle d'un
nerf périphérique. Head a prouvé que s'il
est des zonas de nerfs, il en est aussi de
racines. En tout cas, pour ce qui a trait au
lichen nous savons que l'éruption occupe
parfois une aire cutanée dont les limites
correspondent évidemment à un territoire
de métamérie spinale. Je vous en apporte
la preuve.
Voici un lichen chronique corné observé
dans le service de Quinquaud; l'éruption-
une né¡;l'odeJ'1nite, ne l'oublions pas
occupe tout l'avant-bras, mais rien que
l'avant-bras. Le pli du coude et l'interligne
articulaire du poignet semblent lui avoir
imposé des limites infranchissables. Puis-
qu'il s'agit d'une névrodermile, force est
d'admettre que tous les nerfs cutanés de
l'avant-bras contribuent, chacun pour sa
part, à la dystrophie hvherplasique (Fig.
G). Or ces nerfs proviennent d'étages radi-
culaires différents ; ils ne peuvent avoir
leur conjonction qu'en un point de la
moelle représentant le centre métamérique
du tronçon antibrachial.Ici l'intervention
du myélomère ne saurait donc être dou-
teuse. En fait, elle l'est d'autant moins que
(1) Musée de l'hôpital Saint-Louis, no 1962. Cette figure et les suivantes sont des
photographies de pièces de l'hôpital Saint-Louis (moulages de Baretta), mises obli-
geamment à ma disposition par M. le directeur de l'Assistance publique.
Fig. 5.- Trophonévrose lichénoïde
(cas de Balzer).
LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 79
. e
le lichen et, en général, toutes les éruptions lichénoïdes apparaissent ex-
clusivement chez les sujets entachés de névropathie.
, V. - La disposition névropathique n'est pas moins manifeste dans les
différentes variétés d'urticaire aiguë et chronique. Il n'y a donc pas lieu de
s'étonner si l'on voit de temps à autre l'érythème ou l'oedème orties stric-
tement limités à des départements métamériques. Il en est de même des
cas rangés dans une catégorie à part sous les
noms de dermographisme ou d'autogrrtphisme.
Mais c'est surtout dans l'urticaire pigmentée que
l'influence de la métamérie spinale se révèle avec
une entière et remarquable évidence. Il s'agit,
vous le savez, d'une dermatose fort rare et«plus
spéciale à la première enfance, consistant en une
éruption d'urticaire vulgaire à laquelle succèdent
des macules saillantes de teinte brunâtre. Cette
affection procède par poussées successives et sa
durée est en quelque sorte illimitée.
« Relativement a la nature de cette maladie,
la plupart des auteurs, dit M. Ilallopeau, sont
d'accord pour admettre avec le professeur Pick
une angionellrose, à laquelle il faut ajouter,
d'après M. P. Reymond, une trophonévrose. Les
particularités (constatées) viennent pleinement
confirmer cette manière de voir. On ne peut en
effet s'expliquer autrement que par un trouble
de l'innervation trophique la disposition zoni-
forme des plaques éruptives et les atrophies
d'apparence cicatricielle développées sans cause
occasionnelle appréciable; elles permettent de
dire que l'urticaire pigmentée doit être rangée
parmi les trophonévroses. L'analogie que peuvent Fig. 6. - Lichen chronique
présenter ses localisations avec celles du zona et corné (cas de Quinquaud).
de certains nxvi conduit a penser qu'elles peu- 7&K ? no vs.
vent avoir pour cause prochaine, comme ces affections, une altération
métamérique (1). »
« Nous voyons souvent un mode de répartition très analogue dans les
nombreuses variétés de purpura qui, toutes sans exception et quelle qu'en
soit la cause, relèvent, à l'origine, d'une fragilité vasculaire par vaso-clila-
tation excessive.
(1) LIALLOL'R.1U. Musée de l'hôpital Saint-Louis, p. 323. Pl. XLIX.
80 E. BRISSAUD
. VI. Dans le groupe artificiel des eczémas, la métamérie peut se mon-
trer encore avec autant de précision topographique que dans les dermato-
ses. Et ici cependant le trouble dystrophique ne semble pas jouer le rôle
principal ou, du moins, le rôle primordial. Considérez par exemple les
eczémas chroniques des ongles (Fig. 7). Leurs lésions consistent soit en
une inflammation du tégument au pourtour de l'ongle, avec rougeur et
tuméfaction ou avec desquamation, soit en altérations de l'ongle lui-même
qui est épaissi, rugueux, irrégulier et déformé, présentant l'aspect de la
moelle de sureau son extrémité libre, ou exfolié et strié, parfois simple-
ment piqueté de petites dépressions ; ces dernières altérations constituent
Fig. 7.- Eczéma primitif des ongles. Ibid.,
no 1625 (cas de Quinquaud),
Fig. 8. - Eczéma aigu. Ibid., n 1088
(cas de Besnier).
plutôt des dystl'ophies unguéales (Besnier) que des lésions eczémateuses
proprement dites ('1). »
Assurément la dsGroy7tie unguéale est indiscutable. L'inflammation
simple, purement irritative, telle qu'on l'observe dans les onyxis, n'a rien
de commun avec ce trouble de nutrition. Mais il l'opinion que je soutiens
et qui fait intervenir ici une action nerveuse lointaine, n'est-on pas admis
à opposer une autre thèse : celle d'une maladie systématique de tissu ?
Ce serait une thèse parfaitement soutenable, si l'eczéma des ongles n'était,
dans la plupart des cas, consécutif à l'eczéma des phalanges (Fig. 8). Or
la localisation de la dermatose aux articles digitaux, c'est-à-dire à des
(I) TIIlüIEItGC, 1'Irr : raeutiryte des ntctlaclies cle la pettu, t. I, p. 410.
LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 81
tronçons métamériques caractérisés au premier chef, ne laisse subsister
aucun doute sur le rôle dominant des centres nerveux trophiques. Vous
ne vous méprendrez pas sur la signification que j'attribue au terme centre
trophique pour la commodité du langage.
Ne pourrait-on pas encore objecter que, si l'eczéma se localise aux pha-
langes et à l'extrémité inférieure des métacarpiens, c'est parce que la cir-
culation sanguine est, dans ces régions, plus lente que partout ailleurs ;
ou parce que la richesse vasculaire des doigts favorise et entretient un état
congestif permanent ? Il est bien facile de répondre à cela par un argu-
ment péremptoire. Voici un cas d' eczéma rubrum (Fig. 9) dont les limites
sont exactement celles de la tranche métamérique anti-brachiale. Il n'est
plus permis cette fois d'invoquer la prédisposition anatomo-pliysiologique
du régime circulatoire spécial aux extrémités digitales. Ai-je besoin de
vous dire que, pour affirmer le caractère métamérique d'une éruption, sur-
tout lorsque vous soupçonnez une localisation de métamérie spéciale, il
Fig. 9. - Eczéma rubrum. Ibid. Dessin n° 66 (du fonds Cazenave).
faut éliminer bien soigneusement certaines causes d'erreur : par exemple,
chez nombre d'ouvriers, le fait de travailler les manches relevées, modifie
les conditions trophiques normales du tégument ; il ne faut pas confondre
une pigmentation métamérique d'origine morbide, avec
« ..le teint plus jauni que de vingt ans de hâle. »
Je ne m'attarde pas à ce genre de méprises, mais il en est d'autres dont
je dois vous dire quelques mots.
4À
VII. Certaines éruptions ont les apparences et donnent l'illusion de
troubles trophiques métamérisés conformément à la segmentation radicu-
laire ou à la segmentation spinale. La plupart appartiennent à la patholo-
gie des intoxications. Cependant le groupement des éléments éruptifs sur
les territoires que vous savez n'a rien à voir avec l'influence trophique des
ganglions ou de l'axe gris médullaire. Il faut se garder de commettre cette
erreur, qui serait vraiment le fait d'un examen par trop superficiel.
82 2 E. BRISSAUD
Voici, par exemple, un beau cas de maladie deDuhring observé et coin-
menté par mes collègues MM. Bar et Tissier (1).
A première vue, l'éruption semble répartie sur des départements cuta-
nés radiculaires. L'épreuve photographique qui m'a été obligeamment con-
fiée par M. Bar vous montre que l'herpès affecte une distribution analo-
gue il celle d'un zona bilatéral. La maladie en question, désignée encore
sous les noms de dermatite polymorphe prurigineuse récidivante de la
grossesse, d'hydron gestalionis, d'érythème ou d'herpès de la grossesse,
passe pour une manifestation exallthématique d'auto-intoxication. La
prédisposition individuelle est évidente, puisque la même dermatose
réapparaît chez le même sujet à chaqne grossesse nouvelle. Selon Tenne-
son et Lyon, Thibicrge, Fournier, Brousse, Julien, elle serait liée il une
hypoazoturie transitoire. Même en admettant l'intoxication préalable,
l'influence du S'Stèl]10 Ilel-PUXSel'tit très importante aux yeux de certains
auteurs. « La rapidité avec laquelle bulles et vésicules se développent, la
sensation de cuisson, de brûlure, de vésication qui précède leur apparition
et la symétrie avec laquelle se produisent les poussées dans les différentes
régions atteintes plaideraient en faveur de cette opinion (2). »
Cependant si vous y regardez d'un peu près (Fig. 10), vous vous ren-
drez compte que la topographie des lésions est subordonnée à un fait de
constitution histologique. L'érythème, l'herpès, les bulles, etc., apparais-
sent sur les parties du tégument dont la structure est particulièrement
délicate, à la face antérieure des avant-bras, la face interne des cuisses,
et surtout au thorax où les espaces intercostaux se devinent en quelque
sorte à travers l'éruption. Par contre, les régions découvertes, le visage et
les mains, qui sont moins susceptibles, sont le plus souvent épargnées.
Vous vous souviendrez d'ailleurs que les exanthèmes des maladies
éruptives qui ont leurs lois générales de distribution topographique, et
qui relèvent manifestement d'une infection, présentent des particularités
on pourrait dire des fantaisies - qui excluent toute ingérence pri-
mitive et directe des appareils nerveux centraux ou périphériques.
VIII. Je reviens aux cas de métamérie vraie.
Dans notre énumération des espèces dermatologiques susceptibles d'af-
fecter - à l'occasion les caractères topographiques si tranchés de la
métamérie spinale, j'ai négligé à dessein de vous signaler le vitiligo. Et
cependant le vitiligo est essentiellement d'origine nerveuse : « Se déve-
(1) Contribution à l'élude de dermalite polymorphe prurigineuse récidivante chez
les femmes enceintes et récemment accouchées, in Bull, et 111ém, de la Société obsté-
tricale et gynécologique de Paris, février 1895.
(2) l3an et TissiER, loc. cil., p. 12.
LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 83
loppant au cours du tabes, du goitre exophthalmique, chez les aliénés, à
la suite d'émotions morales vives, il peut être la seule manifestation de
l'état névropathique (héréditaire ou acquis) du sujet qui en est porteur,
mais il doit toujours être considéré comme un stigmate névropathique et
faire rechercher les divers états morbides dont il peut ètre'symptoma-
tique (1). »
Comment donc se fait-il que le vitiligo, en dépit de sa nature nerveuse,
Fig. 10. - Hydrua gestatioizis (cas de Bar et Tissier),
fasse exception à la règle ? Je ne saurais vous le dire. En tout cas, s'il
présente quelquefois une distribution conforme à la segmentation méta-
merique spinale, on doit le considérer comme relevant bien plus souvent
de troubles localisés aux départements périphériques du système grand
sympathique. Vous pourrez même remarquer, de temps à autre, certaines
dispositions de lâches vitiiigineuses qui vous feront supposer au premier
(1) Tiiibieiige, Ibid., t. II, p. 5,
8-1. E. BRISSAUD '
abord l'action distance des étages métamériques spinaux ; en y regardant
de près, vous vous apercevrez que les limites de la dyschromie ne sont
pas nettes, qu'elles dépassent, soit en haut, soit en bas, la frontière du
tronçon métamérique, enfin que des taches erratiques, séparées du groupe
principal, échappent manifestement à l'influence déjà douteuse d'un cen-
tre médullaire(Fig. Il et f : 2).
IX. Ceci nous conduit à examiner une catégorie particulière de faits
dans lesquels la topographie métamérique n'est peut-être qu'apparente ; je
veux dire que, dans les faits en question, l'action pathogène des étages
spinaux reste encore problématique.
Fig. il et 12. - Vitiligo luétanlél-isé (Professeur Fournier).
Deux mots d'abord sur l'angiokéralome : « On donne, avec Mibelli, le
nom d'angiokeratomc à une affection caractérisée par le développement,
sur les doigts et les mains, de petites tumeurs généralement très nom-
breuses, du volume d'un grain de millet environ, planes ou ayant l'aspect
verruqueux, dont la coloration rouge ou violacée disparaît par la pression
prolongée.
« Celte affection encore désignée parfois sous les noms défectueux de
télangieclasies verruqueuses ou de verrues teiangiectasiques, est constam-
ment la suite d'engelures et, comme celles-ci, s'observe surtout sur les
sujets ayant une tendance à présenter de l'asphyxie des extrémités. Le
LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 85
développement des téIangieclasies paraît précéder et causer celui des pro-
ductions verruqueuses qui les recouvrent (1) (Fig. 13). »
Il est certain que le cas de l'angiokératome est spécial, puisque les pro-
ductions verruqueuses apparaissent seulement après la télangiectasie.
L'aptitude créée par l'irrigation plus abondante du terrain semble donc
indispensable. Mais les faits de ce genre nous ouvrent encore un nouvel
horizon.
Vous savez qu'il existe des tumeurs, le plus souvent bénignes, certains
lipomes, par exemple, ou certains fibromes qui se distinguent par une
double singularité : elles sont multiples et symétriques. A ces deux carac-
tères il faut l'avouer, exceptionnels s'en ajoute parfois un troisième :
Fig. 43. -Angiokératome. Ibid., ne 1528
(cas de Tenneson). L'éruption a une dis-
position segmentaire transversale.
Fig. 14. - Fibromes métamérisés.
elles sont réparties sur des étages horizontaux. Comme un bon nombre
jT entre elles sont précoces et comme il en est même de congénitales (les
fibromes molluscoïdes pour ne citer que celles-là), on peut se demander
si leur formation n'est pas indépendante de toute influence nerveuse cen-
trale. Car les centres nerveux, pendant le temps que dure le développe-
ment, n'exercent qu'un contrôle restreint sur les parties qui doivent lui
être ultérieurement soumises (Fig. 14).
Ici quelques explications sont nécessaires.
X. - Après la fécondation de l'ovule, la segmentation des éléments
(1) TIIlHIEI\OE, t. II, p. 46.
XII
86 E. BRISSAUD
embryonnaires résultant delà division de la première cellule, se règle et
se gouverne spontanément; l'apparition des feuillets blastodermiques
n'exige aucune direction étrangère ; et longtemps encore, dans chacun
des feuillets du blastoderme, la multiplication des cellules s'accomplit de
telle sorte que les organes prennent leur forme, acquièrent leur volume,
réalisent leur spécificité anatomo-physiologique, sans que le système ner-
veux intervienne et prennela moindre part à cette opération si méthodi-
que, si ponctuelle et si sûre d'elle-même. L'action régulatrice du système
nerveux ne s'exerce en effet que sur les organes en fonction. Or « chez
l'embryon, il n'y a pas encore d'organes en fonction, il y a seulement des
organes en formation; la formation des parties est, pour ainsi dire, la
fonction générale de l'embryon. Aussi les causespathogéniqucs ne peuvent-
elles produire que des troubles de formation, de développement, c'est-à-
dire aboutir à des malformations, à des arrêts de développement, à des
monstruosités, en un mot. C'est pourquoi la pathologie générale de l'mn-
bryon n'est autre.chose que l'étude des anomalies de l'organisme, que la
tératologie et la tératogénie (1). »
Vous voyez où ces considérations vont nous conduire. Un certain nombre
d'affections dont l'origine remonte à la période embryonnaire et dont l'é-
closion ne devient évidente qu'à l'âge adulte, peuvent présenter une dis-
position topographique évoquant l'idée d'une influence métamérique
spinale. Or il est toute une catégorie de maladies de la peau, qui équiva-
lent il de véritables malformations, qui sont des états monstrueux : les
llteri par exemple. Les espèces en sont très nombreuses. Congénitales, c'est-
à-dire contemporaines de la naissance, ou acquises, c'est-à-dire postérieures
à la naissance, elles peuvent dater effectivement de l'époque à laquelle
s'est formée la partie qui en est le siège. Mais « la malformation, l'état
monstrueux d'une partie n'est pas la conséquence d'une maladie subie par
cette partie ; cet état monstrueux, ce développement anormal constitue la
maladie même ; en d'autres termes, chez l'embryon, une cause pathogène
ne détermine pas une maladie qui, à son tour, produit une monstruosité;
la cause pathogène produit directement la monstruosité, le défaut ou l'ar-
rêt de formation, et elle ne peut produire autre chose, puisque l'embryon
ne traduit sa vie et ses fonctions, que par des actes de développement, et
que les troubles de sa vie et de ses fonctions ne peuvent être que des trou-
bles de développement (2) ».
La meilleure preuve que le système nerveux central n'est pas indispen-
sable au développement des autres parties, c'est qu'un vertébré quelconque
(1) lATII ! AS Dural, Pathogénie générale de l'embryon. Traité de pathologie générale
de Ch. Bouchard, t. I, p. 159.
(2) M. DuvAL, Ibid., p. 161.
LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 87
peut venir au monde, très bien constitué dans son ensemble, ou peu s'en
faut, sans avoir de système nerveux central. Si, comme il arrive souvent,
une monstruosité, un naevus, une pigmentation anormale existent chez cet
être privé de moelle et de cerveau, il est bien évident que toute influence
nerveuse est étrangère au développement de la monstruosité (Fig. 15).
Il est même inutile d'invoquer l'exemple des sujets amyélencéphales pour
démontrer l'autonomie des monstruosités ; un exemple inverse, et moins
brutal, est également significatif. Chez les ectromèles, l'absence ou l'atro-
phie d'un membre on d'un segment de membre n'implique nullement
l'ahsence ou l'atrophie du renflement spinal correspondant à ce membre.
Jules Guérin admettait que les monstruosités étaient sous la dépendance
d'un état morbide antérieur du système nerveux central. Mais vous
voyez bien que cette théorie a fait son temps. Les monstruosités, celles du
tégument comme celles de l'appareil musculaire, relèvent d'un trouble
FIA'. 15. - Sujet amyélencéphate, né à l'hôpital Saint-Antoine (service de M. Bar).
Le développement s'est accompli normalement malgré l'absence complète du système
nerveux central.
88 B. BRISSAUD
plus on moins grave de la segmentation des cellules. trouble autochtone,
et dont la persistance est comme la cicatrice indélébile d'un processus
morbide datant de l'époque embryonnaire.
Donc si un naevus présente une disposition métamérique, et si cette
disposition métamérique répond exactement à celle que nous avons consi-
dérée comme tributaire de la métamérie spinale, il ne s'ensuit pas que la
monstruosité cutanée soit secondaire à une affection primitive d'un ou plu-
sieurs myélomères. Le tégument dans son ensemble est divisé dès l'origine
en un certain nombre de départements superposés et complètement indé-
pendants des m3léloméres.Ces départements sont les dermatomires.lls se dé-
veloppent spontanément, sans subir aucune influence, et c'est seulement
dans une période tardive de la vie intra-utérine qu'ils entrent en connexion
avec les myélomères. La subordination des dermatomères aux myélomères
ne devient pas pour cela absolue. Aussi toute dermopathie n'est-elle pas
précédée de névropalhie. Les « maladies de peau » existent pour elles-
mêmes et par elles-mêmes.
Je vous disais que les monstruosités tégumentaires congénitales, princi-
palement les ncevi, nous fournissent des preuves de dystrophie primitive
des met amer es périphériques ou dennatomères. Il me serait facile de vous en
montrer de nombreux exemples. Mais vous serez rapidement convaincu
par quelques-uns pris au hasard.
D'abord, en voici un dans lequel vous reconnaîtrez une segmentation
identique à celle de tous les symptômes de métamérisation spinale; je l'em-
prunte à Alibert.
« M. Ruggieri a publié naguère le cas d'une monstruosité congénitale
qui fit annuler un mariage presque aussitôt sa célébration. Il s'agit d'nne
jeune demoiselle qui, dans presque toutes les parties du corps que cachent
ordinairement les vêtements, se trouvait couverte de poils noirs, durs,
hérissés, cotonneux, et ressemblant beaucoup à ceux des chiens barbets.
La peau sur laquelle s'élevaient ces poils était aussi noire que celledes nè-
gres. Ce changement brusque de couleur dans la peau formait autour du
corps et des genoux de cette femme des cercles aussi réguliers que si un dessi-
nateur les eût tracés. Cette disposition singulière aurait pu faire croire
d'abord qu'elle portait un gilet et un caleçon noirs. Ce qu'il y avait de
frappant, c'était la transition brusque entre la partie de son corps qui était t
parfaitement blanche et celle qui était d'un noir aussi prononcé que la peau
d'une Africaine. Le mari qui adorait sa femme tant qu'il n'avait vu que ses
mains ou son visage, fut pénétré d'horreur quand il eut connaissance de
cette difformité. La séparation fut prononcée et ce triste événement plon-
gea deux familles dans la plus vive affliction (1). »
(1) ALIBERT, Monographie des dermatoses, t. Il, 1832, p. 729 et suiv.
LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 89
Aux membres la dC1'1natoméJ'ie n'est pas moins nettement caractérisée.
Hugues a observé dans le service de mon collègue M. Variot unepelite
.fille qui avait à l'avant-bras droit une largeplaque « simulant une mitaine ».
Tout l'avant-bras droit était enveloppé d'une énorme gaine mélanodenni-
que. La zone de peau teintée remontait jusqu'au-dessus'du coude et s'ac-
rètait brusquement comme un gant. En bas la teinte noire était limitée au
poignet en avant ; mais elle descendait sur toute la face dorsale de la main
jnsqu'aux articulations métacarpo-plialangiennes. Cette intégrité de la
paume tenait évidemment à ce que l'épiderme palmaire est, dès l'origine,
privé des éléments capables d'accumuler le pigment. La région externe de
l'avant-bras était recouverte d'un épiderme épais et un peu rugueux, par-
semé de poils bruns, forts et courts. Le reste de l'avant-bras était d'une
nuance brune plus claire ; la peau à ce niveau, était plus souple (I).
Ces comparaisons des monstruosités cutanés avec des gants, des mitaines,
des gilets, des caleçons, déjà usitées à l'époque d' Alibert, sont exactement
celles qui figurent dans les observations de syringomyélie. Les territoires
sont en effet les mêmes, et leurs limites sont identiques.
XI. - Il y a un instant, à propos des lipomes et des fibromes symétri-
ques, je vous parlais de maladies qui, bien que survenant chez des adoles-
cents ou des adultes, peuvent être considérées comme congénitales. Tel
est le cas de la plupart des maladies familiales. Le « germe du mal » re-
monte à la période blastodermique, mais reste en sommeil jusqu'à une
époque plus ou moins lointaine. Lorsqu'en vient l'éclosion inattendue, on
ne sait trop si la monstruosité est fortuite, consécutive à des événements
pathogènes récents, ou si elle est constitutionnelle, native, contemporaine
des premiers phénomènes de la vie embryonnaire. Parmi les dermopathies
de ce groupe tératogénique, il en est une, la xérodermie pigmentaire , qui
apporte à la thèse de la métamérie un argument d'un grand poids.
« La xérodermie pigmentaire, dit Kaposi, a beaucoup de rapports avec
la mélanose congénitale, le naevus et le lentigo. » Elle en a surtout au
point de vue ontogénique. C'est-à-dire qu'elle résulte d'une perturbation
congénitale ou acquise dans le développement des tissus de revêtement :
les altérations cellulaires sont limitées il des tranches ou segments cylindri-
ques du tronc, de la tête et des membres. Si le système nerveux prend une
part quelconque à cette maladie, c'est assurément en abdiquant son rôle
de régulateur des fonctions nutritives. Dans les territoires envahis par la
xérodermie, on ne reconnaît plus rien de l'ordre et des rapports normaux
des cellules dermiques et épidermiques : l'atrophie et l'hypertrophie, la
(t) Iluours, Des nævi pigntentaines, Th. Paris, 1890, n 244.
90 E. BRISSAUD
- pigmentation excessive et la pigmentation insuffisante, les cicatrices dé-
primées et les bourgeons exubérants, tout se mêle et se combine ; c'est
l'anarchie dans l'organisme. Mais de ce qu'un pareil désordre peut exister,
faut-il conclure que le système nerveux doive être mis en cause ? Du moins
le système nerveux est-il responsable parce qu'il cesse de discipliner les
phénomènes de croissance et de multiplication cellulaires ? En aucune
façon. Les métamères périphériques tég2ttetGaires, tout comme les myo-
mères ou les angiomères, ont, dans de certaines circonstances, leur indé-
pendance absolue, aussi bien à l'état pathologique qu'à l'état normal.
Il serait donc bien surprenant que la xérodermie pigmentaire ne fût pas,
quoique postérieure à la naissance, une maladie essentiellement cutanée,
liée à l'évolution désordonnée de plusieurs métamères périphériques. Elle
consiste « en taches brun jaune, d'étendue variable, ressemblant à des ta-
ches de rousseur, entre lesquelles se trouvent des dépressions superficiel-
les, semblables à des cicatrices de variole, blanc brillant (1) ». Dès le dé-
but cette pigmentation tentigineuse, disséminée sur des aires atrophiques
et comme parcheminées, combine étrangement sa teinte brunâtre avec la
teinte violacée de taches télangiectasiques. Sur la bigarrure de ce fond
émergent des verrucosités, des papillomes, parfois en très grand nombre,
et tous capables de transformation épithéliomateuse.
Mais ce qui est encore plus étonnant que la variété des éléments der-
mopatliiques, c'est, je le répète, la répartition des lésions. Dans presque
tous les cas publiés jusqu'à ce jour on en compte près d'une centaine
la topographie générale des taches pigmentaires et vasculaires, des ta-
ches atrophiques et des végétations, se retrouve à peu près invariablement
la même. Les parties malades sont la tête, le cou, la région supérieure du
buste, les membres supérieurs depuis le milieu du bras jusqu'à l'extré-
mité des doigts. Particularité très significative, les altérations dermo-épi-
dermiques s'arrêtent au pli du poignet du côté de la flexion ; car la face
palmaire a sa structure propre; elle ne saurait être menacée par des lé-
sions qui frappent précisément les éléments qui lui manquent. Une plan-
che de l'atlas de Radcliffe Crocker montre avec une admirable précision
la disposition métamérique de cette affection extraordinaire (Fig. 16).
C'est le portrait d'une fillette de douze ans, atteinte de xérodermie pig-
mentaire depuis deux ans, et cadette d'une famille de quatre enfants dans
laquelle les trois ainés sont affligés du même mal. Ainsi la dystrophie est
familiale : indice qu'elle est inhérente à un même trouble morphogénique.
La même viciation des phénomènes de division et de nutrition cellulaires
se manifeste chez les trois rejetons comme un accident inévitable de la
(t) KAPO81, trad. par Besnier et Doyon, t. II, p. 233.
LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 91
croissance, attendu que les premiers symptômes apparaissent toujours
dans l'enfance ou l'adolescence (1).
Le caractère familial de la xérodermie pigmentaire n'est pas un des
moins importants à retenir, je le signale et vous en dégage immédiate-
ment la signification précise.
Mais il est un autre fait qui touche de bien plus près à notre sujet.
Fig. 16. Xérodermie pigmentaire chez une jeune fille de douze ans
(Cas de Radcliffe Crocker). -
Remarquez l'horizontalité des lignes où la dermopathie s'arrête ou com-
mence ; aux membres comme au tronc, ces limites sont mathématiquement
perpendiculaires aux grands axes du squelette. C'est le type morbide de
(t) l2.wci.nFe CnocKEn, Atlas of the diseuses of the sliin. Edinburgh, London, 1896.
Pl. XVI.
92
E. BRISSAUD
la dermatomérie dans toute sa pureté ou de la métamérie spinale. Or jl
n'est pas possible d'invoquer ici une prédisposition anatomique créée par
un trouble circulatoire antérieur ou par une myélopathie. D'ailleurs les
nævi véritables, aussi bien, sinon mieux encore, que la xérodermie pig-
mentaire, peuvent se superposer aux départements dermatoméricjues. En
voici un exemple qui vous convaincra (Fig. 17).
Cette figure représente le bras gauche d'une femme âgée de 40 ans,
très bien portante et simplement affligée d'une difformité tératologique :
car, il s'agit d'un naevus congénital. Ce naevus ne s'est pas étendu depuis
la naissance, mais il a complètement changé de couleur. C'est vers l'âge
de 5 ans qu'il a viré du brun au noir. Puis il s'est couvert de poils et de
végétations papillomateuses. Actuellement il n'a
aucune tendance à' gagner les parties normales,
et il reste confiné dans ses premières limites (1).
Vous conviendrez que le hasard seul ne peut
avoir ainsi enfermé entre deux bracelets invi-
sibles une lésion dermo-épidermique dont l'ori-
gine se perd dans l'obscurité de la vie intra-
utérine. Si les frontières de ce département cu-
Fig. 47, - Næv1ts papillomateux (Cas de Radcliffe Crocker).
tané sont respectées , c'est donc que le département en question n'est
pas artificiel ; c'est que ce département existe en réalité, ou, mieux en-
core, qu'il préexiste. II fallait une circonstance pathologique pour le faire
apparaître; le pigment noir qui le recouvre, le fait ressortir sur le fond
blanc de la peau, comme s'il eût été, seul parmi tous les autres dermato-
mères, imprégné d'encre sympathique.
XII. - Maintenant, Messieurs, pour affirmer plus formellement
encore l'indépendance des dermatoluéres par rapport aux myéloméres, il
faudrait examiner dans leurs détails une quantité de faits des plus inté-
(1) HODCLIFFE CROCKER, Allas of the diseases of the skin, Edinburgh, London.
PL. LV.
LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 93
ressants, empruntés à l'anatomie pathologique, à l'anatomie comparée, et
même à l'anatomie normale de l'homme.
Vous êtes-vous demandé, par exemple, pourquoi les vergetures consé-
cutives aux fièvres sont toujours transversales ou, pour être plus précis
encore - perpendiculaires aux grands axes du squelette ? ' ?
Elles n'ont rien à voir avec la croissance ; et cependant elles dessinent
à la surface du tégument, au thorax, aux lombes, aux membres, des cica-
trices qu'on dirait produites par une élongation du derme. Ne représentent-
elles pas bien plutôt les limites des anciens tronçons dermatomériques, de-
puis longtemps fusionnés et maintenant disjoints ?
Chez tous les mammifères la coloration de la robe nous montre des
particularités aussi probantes ; pour rares qu'elles soient, leur valeur n'est
pas discutable.
Fig. 18. - Lapin de race hollandaise à pigmentation métamérisée.
Je ne parle pas des animaux dont le poil est pigmenté de manière à
former des dessins identiques pour chaque espèce ; je ne parle pas non
plus de ceux qui, sous l'influence des croisements multipliés, -- les chats
par exemple se dérobent aux lois de la « trichotaxie » (c'est la pre-
mière fois et aussi la dernière, je vous le promets,que nous emploie-
rons ce mot). Je parle des animaux dont la fourrure a des caractères
térra66logiices. Ainsi chez quelques ovidés, toute la moitié intérieure de
l'individu étant noire, toute la moitié postérieure est blanche; la ligne
de démarcation des deux couleurs est une circonférence dont le plan est
exactement perpendiculaire à l'axe du tronc. Cette limite n'a rien que
puissent faire prévoir les dispositions anatomiques sous-jacentes ni la
structure du tégument lui-même.
Chose curieuse, l'anomalie - car c'en est une se transmet aux pro-
duits et devient un caractère de race. Chez les lapins de la race dite hollan-
daise, on retrouve la même division dermatomérique (Fig. 18).
Je ne m'étendrai pas davantage sur ces bizarreries ; mon intention était
94 E. BRISSAUD
simplement de vous signaler la disjonction originelle des segments méta-
mériques : myélomères et dermatomères. Cette disjonction est temporaire.
Les dermatomères, à un moment donné, perdent au moins en partie leur
indépendance; l'alliance tardive qu'ils contractent avec le névraxe les
assujettit aux myélomères. Dès lors ceux-ci règlent et dirigent leur nutri-
tion. -
C'est ainsi qu'on voit parfois se produire des dermat011eu1'oses réparties
conformément à la topographie métamérique de la moelle (1).
(1) Voy. Etienne, Des nxvi dans leurs rapports avec les territoires nerveux, in
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1897, n" 4.
UN CAS DE
SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE
AVEC AUTOPSIE
par
GILLES DE LA TOURETTE
Professeur Agrégé,
médecin de l'hôpital St-Antoine
ET
G. DURANTE
Chef du laboratoire à la Faculté
de Médecine.
Dans un travail antérieur l'un de nous (1) publiait une série d'obser-
vations tendant à démontrer que si la syphilis héréditaire localisée sur le
cerveau pouvait produire des lésions secondaires dégénératives de la moelle
épinière elle était également capable d'intéresser directement et isolément
l'.axe spinal. Son action de systématisant en particulier sur le faisceau pyra-
midal donnait parfois naissance à une variété de paraplégie spasmodique
se rapprochant par certains côtés du syndrome deLittle, fréquemment lui
aussi sous la dépendance de la syphilis héréditaire (2), mais dans lequel
les lésions centrales sont presque toujours 'primitives.
L'observation I de ce mémoire concernait un homme alors âgé de
53 ans chez lequel s'étaient développés dès l'enfance des phénomènes
spasmodiques des membres intérieurs. Ces symptômes s'étaient améliorés
dans la suite sans jamais disparaître complètement. Vers l'année 1892 il
l'âge de 49 ans se montrèrent subitement des douleurs en ceinture et des
fulgurations dans le membre inférieur gauche qui ne tarda pas à s'engour-
dir ; l'année suivante même phénomène dans le membre inférieur droit :
le traitement ioduré détermina avec notable amélioration. En 1893 sur-
viennent des crampes nocturnes dans les mollets, des paralysies oculaires
passagères, puis en 1894 une poussée du membre supérieur droit avec
exagération de l'engourdissement des membres inférieurs et exaltation des
réflexes rotuliens.
La discussion de cette observation se terminait ainsi : « L'absence de
phénomènes cérébraux plaide en faveur d'une localisation sinon exclusi-
vement médullaire, au moins à prédominance très marquée sur l'axe spi-
nal. »
(1) Gilles DE la TouRETTE, La syphilis héréditaire de la moelle épinière. Nouv.
Iconographie de la Salpêtrière, nos 4 et 5, 1896.
(2) A. FOURNIER et Gilles DE la TOUI1ETTE, La notion étiologique de l'hérédo-syphilis
dans la maladie de Little. Nouv. Icon. de la Salp., no 1, p. 22, 1895.
91 GILLES DE LA TOURETTE ET G. DURANTE
Le malade succomba le G mai 1898 à l'hôpital St-Antoine ; les phéno-
mènes ci-dessus rapportés grosso modo persistant mais sans s'accompagner
de troubles permettant de songer à des lésions cérébrales. La mort était
survenue à la suite de la cachexie due aux eschares fessières.
L'étude que nous avons faite de son système nerveux nous a montré les
lésions suivantes concordant absolument avec le diagnostic anatomique
porté pendant la vie, à savoir la localisation du processus morbide sur la
moelle épinière à l'exclusion du cerveau, ce qui est rare dans les détermi-
nations nerveuses de la syphilis héréditaire.
Examen histologique de la moelle et du cerveau.
MOELLE. - La moelle, conservée dans du liquide de Millier, était,
lorsqu'on nous l'a remise, très molle au loucher, presque diffluente. Cette
consistance nous a fait penser tout d'abord à quelques accidents survenus
lors de l'extraction.
Cependant, ce ramollissement, se montrant d'une façon uniforme sur
toute la longueur de la moelle, il était peu probable qu'il fut dû à des trau-
matismes qui n'agissent, généralement, qu'en des points plus ou moins
nombreux, mais séparés par des portions saines que l'on ne retrouvait pas
ici. L'examen histologique, a, du reste, montré que cette moelle avait été
prélevée avec assez de soins ; nous n'y avons retrouvé qu'un seul point lésé
artificiellement au niveau de la région cervicale inférieure; toutes les
autres portions ne présentaient aucun signe de traumatisme post-mortem.
Ce ramollissement pouvait également être attribué à un début de pu-
tréfaction consécutivement à une autopsie tardive, ou au renouvellement
insuffisant du liquide conservateur. Ces deux hypothèses peuvent être
encore, croyons-nous, éliminées, car, histolo;iquement, les éléments se
colorant bien, ne montraient aucun signe notable d'altération cadavérique,
et, d'autre part, la moelle ayant été placée à l'étuve à 37°, son durcisse-
ment s'est effectué régulièrement sans qu'aucune portion ne demeure plus
molle que les autres, et sans que les fragments ne deviennent plus fria-
bles.
Cette mollesse toute spéciale de l'axe médullaire semble donc sous la
dépendance directe de ses lésions pathologiques, et ne paraît pas devoir
être attribuée à des fautes de technique au cours de l'autopsie ou pendant
la fixation de la pièce.
Les coupes faites sur des téguments de la moelle prélevés à différentes
hauteurs, ont été colorées au picro-carmin, au carmin aluné d'Erhlich, à
l'hématoxyline et par les méthodes de Weigeir, Pol et Kaiser.
La moelle ayant été conservée en totalité dans le Millier, nous n'avons
pas fait de préparation par la méthode de Nissl. Mais nous ne croyons pas
SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 97
que les coupes étudiées par cette méthode eussent été, ici, d'une grande
utilité. Les altérations de prolongements cellulaires, du noyau, la dégéné-
rescence se voient parfaitement bien avec les colorants usuels.
La méthode de Nissl excellente pour la cytologie, pour les études expé-
rimentales sur les animaux examinés de suite après la mort, n'a plus
qu'une valeur très relative en anatomie pathologique humaine. Les modi-
fications de la chromatine (les seules mises en évidence par cette méthode,
mieux que par les autres), sur l'étude desquelles on fondait tant d'espoir,
ont été relevées si fréquemment et dans des cas si disparates, qu'elles
tendent aujourd'hui il passer de plus en plus, pour des lésions banales sur
lesquelles on ne saurait s'appuyer sérieusement.
On les a observées, en effet, non seulement dans les maladies du sys-
tème nerveux central et dans les affections des nerfs périphériques, mais
'encore au cours des infections, des intoxications (poisons et toxines) et
même chez les cancéreux ne faisant que de l'auto-intoxication. La mort
* de nerveux est le plus souvent précédée d'une période plus ou moins lon-
gue d'affaiblissement, si non de cachexie ; souvent elle est occasionnée par
une pneumonie, une escltare, une cystite ou telle autre complication in-
fectieuse. Toutes ces causes sont suffisantes par elles-mêmes pour occasion-
ner les altérations banales révélées par le Nissl, altérations que l'on ne
saurait pas plus regarder comme la cause que comme la conséquence des
lésions plus grossières, mais plus caractéristiques que les autres méthodes
de coloration décèlent dans la substance grise et dans les cordons blancs.
* Ces restrictions étant faites, voici les altérations hislologiques que nous
avons constatées dans cette moelle.
A. Région lombaire.
1) Les colorants de la myéline, montrent une dégénérescence très nette
des deux faisceaux pyramidaux croisés sensiblement égale à droite et il
gauche. Ces deux faisceaux sont intéressés dans toute leur étendue ; la
zone dégénérée arrive au contact de la circonférence de la moelle, mais ne
tranche pas le bord externe des cornes postérieures qui est recouvert par
une mince couche de tubes nerveux conservés.
Tous les autres cordons blancs, et particulièrement les cordons inté-
rieurs, se colorent très bien et ne présentent pas d'altérations.
La substance grise est normale au point de vue de la richesse de son
chevelu de fines fibres myéline.
Aussi bien dans ses cornes antérieures que dans ses cornes postérieures.
2) Par les colorants nucléaires la sclérose des faisceaux pyramidaux est
très utile.
Les autres faisceaux paraissent sains, toutefois on rencontre irréguliè-
98 GILLES DE LA TOURETTE ET G. DURANTE
renient disséminées dans toutes les régions, de nombreuses fibres larges
dont la myéline semble tuméfiée mais reste incolore par le picro-carmin.
Les cellules de la colonne de Clarke sont moins nombreuses à gauche
qu'à droite. Celles des cornes antérieures sont normales et égales des deux
côtés.
Dans les méninges et le long des vaisseaux, surtout dans les faisceaux
latéraux et les racines postérieures, il y a des ilots de périartérite nom-
breux ; ces petites gommes demeurent bien circonscrites au voisinage
immédiat des vaisseaux.
B. Région dorsale inférieure.
1) Par les colorants myéliniques, outre la dégénérescence toujours très
marquée, bilatérale, complète et bien limitée de deux faisceaux pyrami,"
daux latéraux, on observe une dégénérescence moins accentuée de deux
faisceaux cérébelleux directs. A droite seulement, cette dégénérescence se
prolonge .en avant et intéresse la portion périphérique du faisceau de
Gorets.
Les autres faisceaux blancs sont normaux.
2) Par les colorants nucléaires, la sclérose du faisceau pyramidal
semble plus dense à droite qu'à gauche.
La corne antérieure gauche est un peu plus étroite que la droite, ses
cellules sont peut-être un peu moins nombreuses, mais celles que l'on
observe ne présentent rien de pathologique.
On retrouve, irrégulièrement disséminés comme dans la région lom-
baire, des tubes à myéline tuméfiée. Ils sont, ici, peu nombreux dans les
cordons postérieurs que dans les autres faisceaux blancs, mais ne répon-
dent à rien de visible par les colorations myéliniques.
Les vaisseaux radiculaires postérieurs ont une paroi très épaisse.
On retrouve également les mêmes petites gommes périvasculaires irré-
gulièrement disséminées.
C. Région dorsale moyenne.
1) Les colorations myéliniques font ressortir une dégénérescence très
intense des deux faisceaux pyramidaux croisés. Ici, cette dégénérescence
est plus tendue à droite oit elle- comprend toute l'aire du faisceau moteur,
qu'à gauche où elle n'intéresse que des tiers postérieurs (PL XVI, A).
Dégénérescence, moins intense, des deux faisceaux cérébelleux direct
qui se prolonge un peu en avant, dans les faisceaux de Gowers.
Les autres faisceaux blancs, en particulier les cordons postérieurs, ne
présentent pas de lésions appréciables.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SAIPGI'RIE1LE.
T. XII. PI. XVI
SYPHILIS héréditaire DE la MOELLE ÉPINIÈRE
(Gilles de 1.\ TOUl ? tc et Durante)
Coupe de lu moelle (Coloration pur la méthode de 'Pal)
A. Reninndnrsjte moyenne. 13. Région cenicate inférieure
SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 99
2) Par les colorants .nucléaires , la sclérose des faisceaux pyramidaux est
également très nette. Dans l'aire de ces faisceaux, tous les tubes nerveux
ne sont pas, toutefois, détruits ; quelques-uns persistent encore, quoique
moins nombreux que dans les régions sous-jacentes. Parmi ceux-ci, un
certain nombre, possédant encore une gaine de myéline, mais leur cylin-
dre-axe contourné est plus ou moins altéré, d'autres ne sont représentés
que par un cylindre-axe nu.
Dans les cordons postérieurs on rencontre des tubes à myéline atrophiée
et d'autres à myéline tuméfiée mais ne se colorant pas par le picro-car-
min.
La corne antérieure gauche est plus courte que la droite. Les cellules \
paraissent normales des deux côtés. On ne trouve pas de cellules altérées
dans la corne droite. Si quelques-unes ont été lésées à un moment donné,
elles ont disparu sans laisser de traces ;
Les cellules de la colonne de Clarke sont moins nombreuses à gauche
qu'à droite.
Autour de l'épendyme, il existe autour des vaisseaux, une zone assez
étendue de la commissure grise où les tubes nerveux à myéline n'exis-
tent pas.
D. Région dorsale supérieure.
l)Par les colorants myéliniques la topographie des lésions est la même
que plus haut. Les mômes faisceaux sont louches, et on observe toujours
une prédominance de la sclérose à droite dans le faisceau pyramidal.
2) Par les colorants nucléaires, par suite de l'augmentation de nombre
de tubes à myéline atrophiée dans les cordons postérieurs, ceux-ci se co-
lorent plus fortement, et paraissent touchés alors que par le Pal ils ne se
distinguent en rien des faisceaux normaux.
Dans cette région, l'infiltration périvasculaire autour des artérioles des
sillons antérieurs, postérieurs et surtout dans les' artères radiculaires est
plus marquée que dans les coupes précédentes.
E. Région cervicale inférieure.
1) Colorations myéliniques. Dans le cordon latéral droit le faisceau
pyramidal présente une dégénérescence très marquée dans toute son éten-
due. La portion adjacente du faisceau cérébelleux direct et la portion du
faisceau de Gowers située immédiatement en avant du faisceau pyramidal,
sont également très légèrement touchés (PI. XVI, B).
A gauche le faisceau pyramidal croisé est presque normal, va dégénéres-
cence n'est plus représentée que par une teinte un peu claire et quelques
fibres absentes dans la partie moyenne de son aire.
100 GILLES DE LA TOURETTE ET G. DURANTE
Le faisceau cérébelleux voisin présente aussi une légère dégénérescence.
Ace niveau les cordons postérieurs sont nettement intéressés. A gauche
une bande de sclérose partant du voisinage de la commissure postérieure,
se dirige en arrière et se place entre les faisceaux de Goll et de Burdach
en dessinant la virgule de Sclaacltze. Dans le tiers postérieur du cordon,
cette virgule vient se confondre avec une zone de sclérose plus étalée,
comprenant le tiers postérieur du faisceau de Goll et la moitié interne du
tiers postérieur du faisceau de Burdach. Les portions intactes des cordons
postérieurs sont donc : les deux tiers antérieurs du faisceau de Goll, les
deux tiers antérieurs du faisceau de Burdach, et la moitié externe du tiers
postérieur de ce dernier. En aucun point la zone de dégénérescence ne
touche a la substance grise dont elle demeure toujours séparée par une
large bande de tissu sain. '
A droite la même lésion se retrouve, avec la même topographie, mais
infiniment moins accusée, très peu marquée en comparaison de celle du
côté opposé.
Les lésions des cordons postérieurs étant au maximum à gauche, sont
donc croisées par rapport à celles des faisceaux pyramidaux dont le droit
est plus malade que le gauche.
Le chevelu de la substance grise parait partout normalement déve-
loppé.
2) Par les colorants nucléaires, on peut s'assurer que les zones dégé-
nérées sont généralement constituées par une sclérose avec disparition
des tubes. Cette disparition de tubes est surtout accentuée dans le fais-
ceau pyramidal droit et dans la partie postérieure du cordon postérieur
gauche.
Par contre, dans la portion antérieure de la virgule altérée, les tubes
nerveux sont plus nombreux qu'on ne le supposerait à un examen super-
liciel, mais leur gaine de myéline est très réduite. Il s'agit d'une atrophie
des tubes plutôt que d'une dégénérescence avec sclérose. La diminution
de la myéline explique la décoloration observée par le Pal, tandis que la
teinte plus foncée constatée sur les coupes au picro-carmin, dépend de
l'augmentation du tissu conjonctif qui est venu combler les vides laissés
par la myéline amincie.
L'infiltration périvasculaire, l'endo-périartérite, est notablement plus
accentuée dans cette région que dans les régions précédentes. ,
F. Renflement cervical.
Les altérations du renflement cervical sont identiques à celles de la ré-
gion cervicale inférieure et présentent la même topographie.
SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 101
La seule différence à noter ici, est la disparition presque complète des
lésions du faisceau pyramidal gauche qui ne sont plus représentées que par
l'absence d'un petit nombre de fibres dans la portion moyenne.
G. Région CERVICALE supérieure.
Colorations myéliniques. - La dégénérescence du faisceau pyramidal
droit est notablement moins étendue et moins intense que plus bas.
La dégénérescence du faisceau pyramidal gauche réduite à quelques
fibres altérées n'est plus que difficilement reconnaissable.
Des deux côtés les faisceaux cérébelleux directs de Gowers sont plus
fortement altérés que dans la région sous-jacente.
Dans les cordons postérieurs, la dégénérescence affecte la même topogra-
phie ; elle est toujours beaucoup plus intense, plus marquée à gauche
qu'à droite.
H. BULBE ET protubérance.
Les lésions ne semblent pas dépasser la moelle. Au-dessus de l'entre-
croisement des pyramides, le Pal, le Weigert, le Kaiser, etc., etc.. mon-
trent des faisceaux également bien fournis des deux côtés.
Par les colorants nucléaires des cellules nerveuses se colorent bien, ne
paraissent pas altérées et ne semblent faire défaut nulle part.
Les méninges sont cependant un peu épaissies et quelques vaisseaux
sont atteints de périarthrite, mais d'une façon moins accusée que dans la
moelle.
I. Cerveau.
1) Extrémité inférieure de la circonvolution pariétale ascendante.
Cellules nerveuses normales comme nombre, volume et prolongements.
Fibres tangentielles conservées.
Fibres de la couche moyenne légèrement diminuées de nombre.
Fibres profondes saines.
2) Circonvolution du lobe paracentral.
Cellules nerveuses diminuées de nombre et un peu atrophiées, sans ce-
pendant présenter de granulations.
Fibres superficielles normales.
Fibres moyennes mieux conservées que plus haut quoique, peut-être un
peu moins nombreuses que normalement.
Fibres profondes saines. -
, Quelques vaisseaux présentent de petites hémorrhagies dans leur gaine
lymphatique.
3) Circonvolution occipitale.
xii 8
102 GILLES DE LA TOURETTE ET G. DURANTE
Cellules normales.
Fibres superficielles très diminuées.
Fibres moyennes presque absentes.
Fibres profondes normales.
Nous n'avons pas trouvé de périartérite très notable dans le cerveau de
ce malade, qui présente moins de lésions vasculaires- que de lésions des
tubes nerveux.
Ces lésions des tubes nerveux sont limitées aux fibres superficielles et
moyennes des circonvolutions. Les fibres moyennes semblent plus ou
moins altérées dans les différents points que nous avons coupés, les su-
perficielles ne se sont montrées malades que dans la région occipitale.
C'est du reste dans cette région que les altérations cérébrales semblent
avoir atteint le maximum de leur développement, mais même en ce point,
elles sont, en somme, relativement très légères, n'intéressant que des
fibres commissurales et ne sauraient être regardées comme le point de dé-
part de dégénérescences médullaires.
Résumé. - Ces altérations histologiques peuvent se résumer de la fa-
çon suivante :
1) Dégénérescence de faisceaux pyramidaux croisés sur toute la hauteur
de la moelle bilatérale, mais plus intense et plus étendue à droite qu'à
gauche.
Le maximum de cette dégénérescence siège dans la région dorsale su-
périeure, plus haut elle s'atténue rapidement, disparait bientôt à gauche
et à droite, ne dépasse pas l'entrecroisement des pyramides.
Les faisceaux de Turk sont normaux.
2) Dégénérescence des faisceaux cérébelleux directs des deux exilés et sur
toute leur hauteur. Cette dégénérescence est beaucoup moins intense que
celle des faisceaux pyramidaux.
3) Dégénérescence des faisceaux de Gowers en tant que prolongement
antérieur des faisceaux cérébelleux. Cette dégénérescence également peu
marquée, est un peu plus étendue à gauche qu'ai droite.
4) Cordons postérieurs absolument sains dans les régions lombaire et
dorsale. ? '
Dans la région cervicale seulement : dégénérescence (ou plutôt atrophie
des tubes nerveux) intéressant la zone qui sépare le faisceau de Goll du
faisceau de Burdach dans ses 2/3 antérieurs (virgule) ; dégénérescence
du 1/3 postérieur du faisceau de Goll et de la portion adjacente du fais-
ceau de Burdach.
Cette dégénérescence, beaucoup plus marquée à gauche qu'à droite, est
croisée par rapport aux lésions des faisceaux pyramidaux.
SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 103
Les zones radiculaires des cordons postérieurs sont partout parfaite-
ment intactes.
5) La substance grise présente dans la région dorsale, une légère atro-
phie de la corne antérieure gauche, mais là comme ailleurs, les cellules
motrices paraissent absolument normales quant à leur noyau, leurs pro-
longements et leurs affinités colorantes. ,
6) Dans la colonne de Clarke les cellules sont, d'une façon générale, un
peu moins nombreuses, à gauche qu'à droite, mais celles que l'on voit
semblent normales.
7) Le chevelu de la substance grise est, tant dans les cornes antérieures,
que dans les cornes postérieures et dans les colonnes de Clarke, bien
fourni sur toute la hauteur de la moelle.
8) Malgré l'existence d'un peu de péri artérite syphilitique, nous n'avons
pas trouvé de tubes nerveux dégénérés dans les racines postérieures.
D'autre part, les lésions vasculaires de ces racines se retrouvent sur
toute la hauteur de la moelle, on ne peut leur attribuer les altérations des
cordons postérieurs limitées à la région cervicale seulement. Du reste,
comme nous le faisons remarquer plus haut, la zone radiculaire de ces
cordons postérieurs est partout bien conservée.
9) Sur toutes les hauteurs de la moelle existe une périartérite assez
marquée. Cette périartérite qui est à son maximum dans la région cervi-
cale, et forme de véritables petites gommes, intéresse aussi bien les vais-
seaux méningés que ceux des cordons ;
10) Le Bulbe et la Protubérance paraissent sains. Nous n'avons trouvé
de lésions ni dans leurs faisceaux blancs, ni dans leurs noyaux gris.
il) Le cerveau, enfin, ne montre que des minimes altérations vascu-
laires et nerveuses. Ces altérations qui intéressent surtout les fibres de
la zone moyenne des circonvolutions, existent d'une façon assez diffuse,
sont plus marquées dans la région occipitale, mais nulle part très accen-
tuées, elles sont incapables d'avoir donné naissance à une dégénérescence
secondaire des faisceaux pyramidaux.
Maintenant quelle interprétation convient-il de donner à ces lésions,
quel fut leur point de départ, comment peut-on concevoir leur évolution ?
Tout d'abord les dégénérescences observées dans la moelle ne sauraient
en aucune façon être attribuées à une affection cérébrale ; une sclérose des
faisceaux pyramidaux aussi marquée que celle que nous avons décrite de-
manderait si elle relevait d'une lésion encéphalique une destruction éten-
due des circonvolutions motrices ou une solution de continuité dans les
faisceaux moteurs par une hémorrhagie, une tumeur, un foyer quelconque
104 GILLES DE LA TOURETTE ET G. DURANTE
assez volumineux pour ne pouvoir passer inaperçu. Malgré des recherches
attentives nous n'avons rien rencontré qui peut être interprété de cette
façon. Du reste les altérations limitées aux tubes nerveux avec intégrité
des cellules qui siégeaient uniquement dans l'écorce sont de celles que
l'on a assimilées au processus des névrites périphériques et qui ne donnent
pas naissance il des dégénérescences secondaires. De date très vraisembla-
blement récente elles étaient certainement sous la dépendance de l'état
cachectique de l'infection des eschares qui avait précédé la mort. Enfin
l'absence de toute dégénérescence dans les faisceaux blancs du mésen-
céphale est à elle seule une raison suffisante pour affirmer l'origine pure-
ment médullaire de la sclérose constatée des faisceaux pyramidaux.
L'origine périphérique ou radiculaireno saurait pas davantage être mise
en cause pour expliquer les lésions des cordons postérieurs. La zone cornu-
radiculaire étant en effet partout indemne on ne peut invoquer la péri-
artérite observée dans les racines postérieures qui du reste il côté de ces
lésions vasculaires ne montraient pas de fibres dégénérées. Enfin les lé-
sions vasculaires radiculaires sont diminuées également sur toute la hau-
teur de la moelle et ne cadrent pas avec une dégénérescence des cordons
postérieurs limitée à la région cervicale seulement. L'un de nous a, il
est vrai, montré l'existence d'une dégénérescence des cordons postérieurs
consécutives à des lésions encéphaliques (1), mais cette dégénérescence est
toujours beaucoup moins marquée que celle que nous avons observée dans
le cas qui nous occupe et en outre ne s'est jamais montrée que consécuti-
vement à des lésions en foyer que nous ne retrouvons pas ici.
Il s'agit donc indubitablement, dans le cas actuel, d'une affection systé-
matisée de le moelle, d'origine purement spinale.
L'étude des coupes faites à différentes hauteurs nous montre que le
maximum des lésions siège à l'union des régions dorsale et cervicale. C'est
à ce niveau qu'a dû se produire le foyer de myélite dont relèvent les dé-
générescences constatées. Ce foyer de myélite nous ne l'avons pas re-
trouvé sur nos coupes quoique nous ayons multiplié celles-ci à la hauteur
du siège présumé de la lésion initiale. Mais s'il était d'une partie épaisse
on comprend qu'il ai t pu nous échapper, car nous avons sectionné la moelle
en un certain nombre de segments pour obtenir un durcissement plus
rapide et sur la surface de chaque section un millimètre de tissu environ
est inutilisable par suite du traumatisme exercé par le rasoir sur la pièce
non fixée. Une de nos sections portant précisément sur le point le plus
(t) G. Dunwrr, Les dégénérescences secondaires du système nerveux. Bull. de la Soc.
de Biologie, 1894. - Les dégénérescences des cordons postérieurs conséculives aux
lésions en foyer de l'encéphale. Revue neurologique, 1898.
SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 105
malade il se peut qu'elle soit précisément tombée sur l'étroit foyer primi-
tif de myélite qui dans la suite n'a pu de ce fait être retrouvé.
Quoique nous n'ayons pu le constater directement les dégénérescences
des faisceaux blancs sont assez caractéristiques pour nous permettre d'af-
firmer l'existence de ce foyer et le localiser assez exactement à l'union des
région cervicale et dorsale.
Au-dessous s'étend une dégénérescence descendante bilatérale des fais-
ceaux pyramidaux qui s'atténue légèrement à mesure qu'elle se rapproche
de l'extrémité lombaire, mais sans disparaître complètement. Au-dessus
on retrouve une dégénérescence descendante classique des cordons posté-
rieurs. La dégénérescence des faisceaux cérébelleux s'observe sur toute la
hauteur de la moelle. On pourrait la faire dépendre également du foyer
de myélite cervicale puisque nous savons que ce faisceau contient des fibres
qui subissent dans quelques cas la dégénérescence descendante. Mais nous
croyons plutôt qu'elle relève d'une altération de la substance grise, alté-
ration légère caractérisée par une diminution du nombre des cellules dans
les colonnes de Clarke. Cette altération de la colonne de Clarke qui se
montre sur toute sa hauteur paraît plus récente que celle qui a régi la
dégénérescence des faisceaux pyramidaux et concorde avec là dégénéres-
cence des faisceaux cérébelleux qui semble également plus jeune et nota-
blement moins accusée.
Quant à l'atrophie légère de la corne antérieure gauche dans la région
dorsale elle paraît être d'origine ancienne puisque la réparation des cellu-
les et des tubes nerveux y est complète. On ne saurait la rattacher à la
dégénérescence des faisceaux pyramidaux, car elle siège précisément du
côté opposé au faisceau moteur le plus atteint.
Il nous reste enfin à parler de la dégénérescence cervicale des pyrami-
daux. Celle-ci ne nous arrêtera pas longtemps. Allant en s'atténuant rapi-
dement à mesure quelle s'élève et disparaissant complètement avant l'en-
trecroisement des pyramides elle a tous les caractères de la dégénéres-
cence rétrograde. La possibilité d'une dégénérescence ascendante sur une
petite hauteur des faisceaux moteurs est aujourd'hui, croyons-nous, bien
démontrée ; elle est trop fréquente pour exiger ici une plus longue dis-
cussion.
Les altérations de la moelle que nous avons constatées semblent donc
bien relever avant tout d'un ancien foyer de myélite siégeant à l'union des
régions cervicale et dorsale et accessoirement d'une altération légère et
plus récente des cellules de la colonne de Clarke.
L'étiologie de ces lésions n'est pas ici absolument certaine, la notion
de la syphilis des parents n'ayant pu être acquise. Toutefois la clinique
montrant les phénomènes pathologiques améliorés sous l'influence de
106 GILLES DE LA TOURETTE ET G. DURANTE
l'iodure de potassium, le début des accidents dans ce jeune âge et les
dents d'Utchinson sont de fortes présomptions en faveur de la syphilis hé-
réditaire. L'examen histologique en montrant une endo-périartérite dif-
fuse affectant l'aspect de petites gommes miliaires disséminées appuie
également et vient corroborer autant que possible cette hypothèse.
Si maintenant nous essayons de reconstituer l'histoire anatomo-clini-
que de ce fait intéressant, en nous aidant de ce que nous venons de cons-
tater, voici croyons-nous ce qui a dû se passer.
Un foyer de myélite syphilitique développé dans les premières années
de l'existence. Ce foyer a peut-être été, au début, assez étendu quoique
touchant inégalement les différents points de la moelle. Cette myélite a
rétrocédé dans la suite, ne laissant comme traces de son existence dans
les endroits les moins touchés qu'une atrophie légère de la corne anté-
rieure gauche dorsale, mais occasionnant ailleurs, à l'union des régions
dorsale et cervicale, des altérations plus profondes avant déterminé une
dégénérescence secondaire des faisceaux pyramidaux de laquelle dépend
l'état spasmodique relaté dans l'enfance du sujet. Les faisceaux pyrami-
daux qui n'avaient pas été complètement détruits ont suffi à leur tâche,
peut-être même se sont-ils partiellement régénérés. Nous savons en effet
que la régénération des faisceaux blancs est possible dans certaines li-
mites chez l'adulte, à plus forte raison chez l'enfant. Ultérieurement des
poussées successives se sont produites partout particulièrement sur le
point antérieurement malade et amenant une extension de la lésion pri-
mitive.
De ces poussées, les unes plus intenses ont laissé des traces, d'autres
plus légères ont disparu complètement.
Quant aux lésions d'endo et de périartérite disséminée relevées sur les
coupes tant dans les moelles que dans les racines, elles peuvent avoir été
la cause des fourmillements, de certaines douleurs, mais elles ne sont pas
la cause de dégénérescences systématisées beaucoup plus anciennes. Ce
sont du reste, histologiquement, des lésions très récentes et qui n'ont pas
encore eu le temps de provoquer des altérations secondaires du système
nerveux ainsi que le prouve la parfaite intégrité des tissus dans leur
voisinage.
LABORATOIRE DES CLINIQUES DE LA FACULTE DE BORDEAUX.
ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE
DU MEMBRE SUPÉRIEUR DROIT
CONSÉCUTIVE A DES TRAUMATISMES VIOLENTS ET MULTIPLES
PAR
J. SABRAZÈS ET L. MARTY
(de Bordeaux).
Les neurones sont hiérarchisés en vue d'un fonctionnement harmoni-
que du système nerveux.
. Des recherches physiologiques et anatomo-clinidues toutes récentes ont
établi l'étroite solidarité des neurones qui sont spécialisés dans un but
commun. Les lésions des neurones moteurs périphériques, par exemple,
se répercutent sur les neurones moteurs médullaires et encéphaliques;
dans la sphère sensitive et sensorielle ces répercussions n'en existent pas
moins, %niais leur étude n'a pu encore être poussée très loin. Il y a donc le
plus grand intérêt à recueillir les faits de cet ordre où les troubles moteurs
s'associent aux troubles sensitifs et de donner à ces observations le plus
d'ampleur possible pour qu'elles puissent servir à l'élaboration ultérieure
de travaux d'ensemble sur celte importante question.
Observation.
Sommaire. - Homme, 27 ans, colporteur; atrophie du membre supérieur
droit : début à 12 ans après luxation de l'épaule droite facilement réduite;
se manifeste surtout il, 13 ans (fracture de l'humérus droit, au tiers su-
périeur, contusion de l'épaule, irradiations douloureuses) ; contusion de
lavant-bras droit à 14. ails; nouvelle fracture de l'humérus, au même
point, suivie de douleurs très vives à 15 ans; troisième fracture de l'h¡lJ ?
mérus ait même niveau, à 17 ails; à 25 hns, fracture de la clavicule
, droite.
Nàropathie légère ; buveur de vin.
Le 1,1; juillet 1898 : Atrophie d'intensité variable de tous les muscles inner-
. nés par le plexus brachial droit avec participation du squelette ; épaule
droite surélevée (intégrité du trapèze) ; hyperesthésie proportionnelle au
108 J. SABRAZÈS ET L, MARTY
degré d'atrophie des muscles ; épaississement dermique à la surface du
membre supérieur droit atrophié où le pouls est plus petit, la croissance
des ongles et la sudation exagérées, la réaction 'vaso-motrice retardée, la
température plus basse. Exagération des réflexes périostiques des poignets
droit et gauche. '
Mamelon droit plus élevé que le gauche. Légère scoliose et concavité droite
dans la région dorsale. Hyperesthésie lt la piqûre de V hémithorax droit.
Réflexes rotuliens, plantaires, testiculaires exagérés . Trépidation rotulienne
plus marquée à droite ; tendance la trépidation épileptoïde des deux c8-
tés.
Histoire clinique. V... Alfred, Age de 27 ans, exerçant le métier de col-
porteur, entre à l'hôpital St-André, salle 15, lit 3, en juillet 1898; il est atteint
d'une atrophie du membre supérieur droit. Cette atrophie a débuté, à de
12 ans, époque à laquelle le malade, en faisant un saut périlleux, tomba sur
l'épaule et le bras droits ; quand il se releva, toute cette région était considéra-
blement tuméfiée et un médecin consulté constata l'existence d'une luxation
de l'épaule qu'il réduisit et maintint réduite pendant un mois environ. Au
bout de ce laps de temps, le membre était amaigri et affaibli sans qu'il eût été
le siège de douleurs vives. Toutefois un an après cet accident, les fonctions de
ce membre sont récupérées et le malade peut s'en servir comme par le passé
ou peu s'en faut. Mais quelque temps après, à 13 ans, en jouant avec ses ca-
marades, V... fait une chute du haut d'un lit et se fracture l'humérus droit au
tiers supérieur, avec contusion violente et gonflement de l'épaule. Immobilisa-
tion pendant quarante jours, dans un appareil à attelles, de ce bras qui était t
très endolori, au point qu'on ne pouvait même pas l'effleurer. Les douleurs
s'irradient jusque dans l'extrémité des doigts, mais ne remontent pas dans la
région sus-claviculaire. Lorsqu'on enlève l'appareil, la fracture est consolidée',
mais les parties molles sont très amaigries et les douleurs persistent très vives
dans l'épaule. Le malade peut cependant se servir de son bras ; il a du reste
travaillé jusqu'à t'âge de 23 ans, à la Rochelle et à Paris, où il était employé à
la préparation des échantillons dans les chais. C'est de cet accident que date
l'atrophie qui est toujours allée s'accentuant en dépit des traitements employés
(tentatives d'électrisation à la Rochelle, qu'on dût suspendre à cause des dou-
leurs qu'elles provoquaient).
A 14 ans, V... reçoit un coup de bâton sur l'avant-bras ; il apparaît une
large ecchymose et de la raideur pendant quinze jours. Tout rentre dans l'or-
dre sous l'action du massage. Peu à peu, sous l'influence de la gymnastique et
des bains de son, il se fait une amélioration notable et l'amaigrissement tend à
s'atténuer lorsque, à 15 ans, nouvelle chute du haut d'un trapèze (2 à 3 mè-
tres de haut), nouvelle fracture de l'humérus an même niveau que la première.
Immobilisation pendant quarante jours. Pendant ce temps, il existe des dou-
leurs violentes jusqu'à la main, à type lancinant, avec soubresauts. La conso-
lidation opérée, les douleurs ont disparu dans le bras, mais persistent légères
dans l'épaule; l'amaigrissement du membre ne fait par contre que s'accuser.
atrophie musculaire ET OSSEUSE 109
A 17 ans, nouvelle chute sur le coude en glissant il terre sur une écaille.
Nouvelle fracture de l'humérus droit, siégeant à l'union du quart supérieur et
des trois quarts inférieurs. Immobilisation. Douleurs très vives surtout à l'é-
paule. Sensations de picotements et de fourmillements sur la main. La lésion
se répare, mais à partir de ce moment, le bras est frappé d'impotence presque
absolue et ne peut guère être utilisé que pour saluer et manger.
A 25 ans, il y a 2 ans, à Cette, V... reçoit sur l'épaule droite de la hauteur
d'un camion, une pièce de bois sur laquelle on faisait glisser des fûts. Fracture
de la clavicule avec gonflement et ecchymose. Application d'une écharpe. Dou-
leurs très vives surtout dans la région rétro-scapulaire. Fourmillements de la
main. La sensibilité est toujours conservée dans tout le membre. Au bout d'un
mois et demi, les mouvements de l'épaule redeviennent possibles. Ajoutons
que le membre était déjà atrophié (peut-être un peu moins qu'aujourd'hui)
quand se produisit la fracture de la clavicule. Cette fracture apparaît aujour-
d'hui parfaitement consolidée, sans cal exubérant.
A la Rochelle, on essaye l'électrisation qui est extrêmement douloureuse
(sensation d'ostéoclasie) ; on est obligé d'y renoncer. Du reste, d'autres tentati-
ves d'électrisation faites à l'âge de 21 ans, à l'hôpital Lariboisière, furent vai-
nes pour les mêmes raisons. La reprise du travail, au dire du malade, influe-
rait toutefois sur la réapparition relative des forces dans le membre atrophié.
En dehors de ces accidents et de l'atrophie du membre supérieur droit qui
en est la conséquence on ne trouve dans les antécédents de V... ni convulsions,
ni crises de nerfs, ni pertes de connaissance ; on note toutefois un état ner-
veux habituel avec tremblement émotionnel sous l'influence de la colère. Va-
riole dans la première enfance sans paralysie consécutive. Pas de btennorrha-
gie. A 20 ans, plusieurs chancres suppurés. Pas d'accidents syphilitiques. Cet
homme a contracté des habitudes alcooliques depuis t'age de 13 ans. Il lui ar-
rive souvent de boire jusqu'à, cinq litres de vin dans une même journée. Il a,
de ce chef, des troubles gastro-intestinaux qui out nécessité récemment son
entrée à l'hôpital suburbain de Montpellier dans le service de M. le professeur
Grasset. Il a eu dernièrement quelques symptômes nerveux tels que phobies
sur les routes, il la vue d'une charrette, rêves constants avec zooptie ; les
rêves cèdent s'il interrompt ses libations ; tremblement, le matin à jeun, qui
disparaît quand il a bu. Depuis un an, une courte exposition au soleil (un
quart, d'heure) suffit à faire apparaître sur les mains, à gauche et à droite, des
lésions semblables aux soulèvements bulleux d'un vésicatoire.
Antécédents héréditaires. Les parents de ce malade sont vivants et en
- excellente sauté ; ils n'ont eu ni troubles paralytiques, ni chorée, ni accidents
nerveux d'aucune sorte, ni rhumatisme, ni obésité. Une soeur est bien por-
tante ; deux frères sont morts de diphtérie (sans paralysie).
Etat actuel (15 juillet 1898). On se trouve en présence d'un homme au
teint hâté. Les ongles ne sont dystrophiés, ni à droite, ni gauche, mais pous-
seraient très oite à la main droite. Le système pileux est également développé
des deux côtés. On est frappé par la position de l'épaule droite qui est suréle-
110 J. SABRAZÈS ET L. MARTY
vée, tirée en haut, et par le volume inégal des deux membres supérieurs : le
droit est très grêle (Voir 7'/<oo)'. stéréoscopique, Pl. XVII) par rapport au
gauche, lequel a le volume d'un membre bien constitué. Le membre droit
est tombant, appliqué au tronc en pronation marquée, tandis que le gauche a
la position et l'incurvation d'un membre bien suspendu et attaché par des mus-
cles puissants à la partie supérieure du thorax. Si maintenant on examine en
détail le membre droit, on voit que la ceinture scapulaire au lieu des contours
gracieux et arrondis qu'on retrouve sur l'épaule gauche présente de nombreuses
irrégularités : les saillies osseuses (épine de l'omoplate, acrominn, apophyse
coracoïde, clavicule, extrémité supérieure de l'humérus) se dessinent sous la
peau au point qu'en prenant l'épaule à pleine main, on peut en apprécier tous
les reliefs. Les méplats qui séparent les saillies (fosses sus-épineuse, sous-
épineuse, sus et sous-claviculaire, dépression pectorale) sont très accusés et
comme vides de leurs muscles.
Le deltoïde est réduit à une lame très mince, incapable de soutenir le mem-
bre. L'articulation scapulo-humérale est relâchée au maximum ; l'enveloppe
musculaire qui double la capsule ligamenteuse ayant perdu sa tonicité, celle-ci
n'est plus suffisante pour maintenir en contact les surfaces articulaires ; aussi
déprime-t-on facilement les parties molles au niveau de l'interligne articulaire
et peut-on explorer le fond de la cavité glénoïde aussi bien que la tète humé-
raie qu'on embrasse avec les doigts légèrement fléchis. Cette laxité mesurée
par un à deux centimètres d'écartement entre les surfaces articulaires rend les
mouvements extrêmement faciles dans toutes les directions.
Immobilisant le scapulum d'une main et imprimant des déplacements à l'hu-
mérus de l'autre, on produit sans difficulté des subluxations qui se réduisent
toujours spontanément par le fait du poids du membre qui ramène la tête Im-
morale dans le grand axe de la cavité glénoïde. Les pectoraux sont atrophiés
au point qu'on peut insinuer le poing dans la dépression pré-scapulo-humé-
rale.
Saisissant avec les doigts la masse des muscles ronds et du tendon du grand
dorsal, on la trouve sensiblement diminuée de volume.
Portant la main plus bas, sur la région du grand dorsal, on voit que le thorax
est notablement amaigri en ce point. '
Ajoutons que les deux masses sacro-lombaires sont parfaitement égales ettrès
bien développées.
Remontant plus haut, on voit le bord spinal de l'omoplate légèrement déta-
ché de la paroi thoracique et fortement écarté de la colonne vertébrale (12 cent.
environ au lieu de 5 cent. de l'antre côté).
De plus, le grand dentelé supérieur, le rhomboïde, etc. qui remplissent cette
gouttière inter-scapulo-vertébrale sont diminués de volume. Le rhomboïde, qui
normalement tire en haut et en dedans le bord spinal, et faisant basculer en
dedans le sommet de l'omoplate tient, dans certains mouvements d'effort du
membre supérieur, le scapulum en arrêt par rapport au rachis, a perdu ici sa
force et laisse aller l'omoplate au gré du trapèze qui est absolument normal.
Nouv. Iconographie UI la SAII'ÉrRIEHE. T. XII. PI. XVII
ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE DU MEMBRE SUPÉRIEUR DROIT
(S,ibi-izès et Marty)
rP71 ? 1r/,>i ? </ ?
ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 111
Celui-ci tire en haut la base et l'angle externe de l'omoplate dont le sommet bas-
cule en dehors ; aussi l'épaule droite est-elle surélevée de 3 centimètres au-des-
sus de l'autre.
Disons encore que la position du bord spinal de l'omoplate détaché de la pa-
roi costale témoigne de l'impotence du grand dentelé. Ce muscle, en effet, a
pour action de contrebalancer surtout le rhomboïde et d'appliquer le bord spi-
nal sur les côtes. Or ici on peut aisément glisser les doigts entre la paroi cos-
tale et ce bord. L'exploration du creux axillaire accuse un amaigrissement des
espaces intercostaux au niveau des faisceaux d'i; sertion du grand dentelé. il
Le sous-scapulaire est également amaigri aut. nt qu'on en peut juger par le
rapprochement du corps de l'omoplate de la p; roi costale, le matelas charnu
qui l'en sépare ayant été réduit dans son épaisseur.
L'angulaire de l'omoplate semble un peu amaigri.
La colonne charnue des muscles de la nuque a des insertions exactement sy-
métriques sur le sommet du thorax et la ceinture scapulaire.
Les muscles intercostaux de t'hémithorax droit ne participent nullement à
l'atrophie.
Les muscles du bras droit sont très atrophiés.
Le biceps, réduit il l'état de corde,a perdu de sa longueur et maintient l'avant-
bras en légère flexion sur le bras. Le coraco-brachial est également très réduit.
Le triceps brachial a perdu de son volume mais relativement moins que le bi-
ceps et le coraco-brachial ; en le prenant à pleine main on voit qu'il est encore
notablement charnu. En somme, le bras est très rapetissé et contraste avec
l'avant-bras qui est moins atrophié.
Toutefois, l'avant-bras est très grêle si on le compare à celui du côté opposé.
Il a conservé sa forme conique ; la partie charnue a gardé sa configuration.
Cependant la masse externe (muscles épicondyliens) semble plus frappée que
l'interne (muscles épitrochléens). Le long supinateur est le plus atteint des
muscles de l'avant-bras. Il est relativement plus grêle que les autres et ne
peut servir à la supination ni résister à l'extension lorsqu'on met l'avant-bras
en flexion sur le bras.
Les muscles de la région antérieure de l'avant-bras (rond pronateur, grand
et petit palmaires, fléchisseur commun superficiel, fléchisseur propre du pouce,
carré pronateur) sont moins lésés et ont conservé leurs fonctions.
Le cubital antérieur et la portion interne du fléchisseur commun profond
semblent à peu près intacts.
Les muscles de la région postéro-externe de l'avant-bras sont atteints plus
que ceux de la région antérieure mais moins que le long supinateur.
A la main, ce qui frappe, c'est la maigreur de l'éminence thénar ; son sque-
lette est pour ainsi dire sous la peau et les mouvements d'opposition quoique pos-
sibles sont rendus très difficiles. Le pouce peut être porté au contact du petit
doigt mais, pour exercer la plus légère pression, il doit utiliser l'action de son
fléchisseur (flexion de la 2'' phalange sur la 1).
L'éminence hypothénar n'est que légèrement réduite de volume.
112 J. SABRAZÈS ET L. MARTY
Les muscles interosseux sont peu diminués; ils remplissent leurs fonctions
ainsi que l'adducteur du pouce et les lombricaux.
Les espaces interosseux sont cependant un peu plus marqués que du côté
gauche.
En résumé, tous les muscles innervés par le plexus brachial (et ceux-la
seuls, sont atrophiés. Mais si on voulait dresser une échelle du degré d'atrophie,
on verrait que :
1° Le deltoïde est le plus atrophié.
20 Le coraco-brachial, le biceps, le brachial antérieur sont presque aussi
atrophiés que le deltoïde.
3° Le triceps brachial, le long supinateur le sont à un degré un peu moindre.
4° L'atrophie est plus faible et inégalement répartie sur le sus-épineux, le
sous-épineux, le rhomboïde, le grand pectoral, le grand dentelé. le sous-clavier.
5° Viennent ensuite les extenseurs, le grand dorsal, le petit pectoral, le sous-
scapulaire.
6° Les muscles thénariens moins l'adducteur du pouce.
7° Les muscles de la région antérieure de l'avant-bras.
8° Le cubital antérieur, le fléchisseur commun profond, les muscles hypo-
thénariens, les interosseux et les lombricaux.
Les mensurations donnent :
Circonférence du bras au niveau du creux axil- droite à gauche
laire 17 cent. 1/4 28 cent.
Circonférence du bras au-dessus du deltoïde. 17 » 27 »
Circonférence du bras au pli du coude.. 17 » 1/4 24 » 1/2
Longueur de l'avant-bras, de l'apophyse co-
racoïde à l'extrémité du pouce 65 » 70 »
Circonférence de l'hémithorax en passant
par le creux axillaire 40 » 44 »
Circonférence de 1'liémithorax au-dessous
des mamelons......... , . 42 » 41 t »
Longueur du médius 8 » 1/2 8 » 1/4
Au dynamomètre, la main droite, dans un premier effort, donne 9 kilogram-
mes ; dans un second effort, elle ne donne plus que 6 kilogrammes. Dans ces
deux expériences, on est obligé de maintenir le poignet du malade.
A gauche, la pression dynamométrique de la main est de 47 kilogrammes.
Les téguments du bras droit sont parsemés de petites zones cicatricielles si-
mulant des vergetures et consécutives il l'application de topiques par un rebou-
teur. Quand on pince la peau, on constate il droite un état particulier des tégu-
ments. Le pli qu'on forme ainsi est trois fois plus épais environ à droite qu'à
gauche sur l'avant-bras, et quatre fois plus épais sur le bras. Cet épaississe-
ment n'est pas dû à de l'oedème. De plus, la peau est souple il gauche ; elle est
plus résistante il droite. Cependant le pli que l'on forme disparaît assez vite.
Les os faciles à examiner vu la faible épaisseur des tissus mous qui les enve-
loppent participent à l'atrophie.
Nouv. Iconographie DE la Salpètrière. T. XII. PI. XVIII
ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE DU MEMBRE SUPÉRIEUR DROIT
(S.tL,razcs et 1\ ! arty)
Radiographie de l'épaiile
MASSON & etC, Editeurs.
Nouv. Icosograpiiil 1)1 la Sai.fêikickk.. r. XII. Pl. XIX
ph't'tyl'te n, rmsnn Paris
ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE DU MEMBRE SUPERIEUR DROIT
(S.IlW,IZ0s et M.1rty)
Radiographie du coude
MASSON & cle, Editeurs
ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 113
La clavicule ne parait pas offrir un volume anormal. L'omoplate est peut-
être un peu plus grêle sans qu'on puisse l'affirmer.
Les extrémités supérieure et inférieure de l'humérus atteignent presque le
volume normal et sont surmontées de toutes leurs apophyses assez faciles à
trouver. Le corps de l'humérus est tellement ténu qu'il semble qu'on va l'écra-
ser en le serrant entre les doigts. A l'examen radioscopique (PI. XVIII), la
tête humérale est volumineuse par rapport au corps et donne l'impression
d'une énorme massue montée sur un manche long et grêle. A l'union du 1/4
supérieur avec les 3/4 inférieurs, l'humérus change de direction; il décrit t
une courbe à concavité antérieure et à convexité postérieure. De plus, au point
d'inflexion qui correspond au siège des fractures multiples déjà mentionnées,
l'humérus est légèrement renflé ; il n'y a là ni trace de solution de continuité,
ni trace apparente de cal. Au-dessous, le corps redevient un peu plus grêle
jusqu'à l'union des 2/3 supérieurs avec le 1/3 inférieur; là l'humérus semble
soufflé en arrière, décrit un ventre postérieur et atteint ainsi, à ce niveau, un
volume qui rappelle celui d'un humérus normal. Cette reprise de volume nor-
mal porte aussi sur l'extrémité inférieure de cet os (PI.X1X).
Les os de l'avant-bras, surtout le radius, sont diminués d'épaisseur. L'extré-
mité supérieure du cubitus (olécrttnc et apophyse coron oïde) est volumineuse.
L'examen radioscopique montre aussi que les os de la main droite (PI. XX)
(métacarpiens et phalanges) ne sont pas dans le même axe, comme ceux de la
main gauche (PI. XX). Il y a un changement de direction au niveau des arti-
culations métacarpo-phalangiennes, marqué surtout pour les quatre derniers
doigts. Les os des doigts (Ire, 2°, 3e phalanges) sont -sur une ligne droite al-
lant des os du carpe à l'extrémité de la 3° phalange.
La mensuration sur les radiographies donne en ligne droite :
I. De la base des métacarpiens à l'extrémité inférieure de la 3e phalange :
Main droite. Main gauche.
1er doigt. 10 centim. 11 centim.
2° « 15 - .......... . 16
3e « 16 .......... 17 ' .
4° « 15 z . 16
5- « 12 .......... 13 -
Il. Longueur des métacarpiens seuls :
le, métacarpien. 5 cent. 5 cent.
2° « 7 ....... 7 -
3o « 6 - 1/2 ....... 6 - i/2
4e « 6 z , 6 '
5e « « 5 1/2 5 - 112
III. Longueur du squelette des doigts seuls.
1er doigt. 5 cent. 5 ........... 5 cent. 8
2e « 8 ........... . 88
3" « s - 4 ........... 98 s
4° « 9 ........... z 4
50 « 6 - 7 ........... 7 lui
114 J. SABRAZËS ET L. MARTY
Eu résumé, le squelette des doigts de la main droite est plus court que celui
de la main gauche de li à 5 mm. ,
Les extrémités osseuses des métacarpiens et des doigts ont conservé leur vo-
lume normal. Le corps de ces mêmes os, surtout des métacarpiens, est au con-
traire sensiblement réduit. '
En somme, les os du membre supérieur droit (humérus, radius et cubitus)
pris séparément, ont sensiblement leur longueur normale. Revêtus des tissus
mous, ils sont déplacés au niveau des jointures, il en résulte des déformations
et un raccourcissement de 5 centimètres (60 centim. au lieu de 70 centim. pour
tout le membre).
Le corps de ces os est atrophié. Les extrémités osseuses ont un volume à peu
près normal ; elles sont surmontées de toutes leurs apophyses.
- Les capsules articulaires (musculaires et ligamenteuses) sont faibles, d'où le
relâchement des articulations.
La tète humérale ballotte dans sa gaine et s'écarte de la cavité glénoïde.
L'articulation du coude est lâche et 'rend possible les mouvements anormaux
de latéralité. Les extrémités articulaires ont pourtant conservé leurs rapports
normaux. z
L'articulation du poignet est absolument libre, manifestement moins serrée
qu'une articulation normale. Les mouvements d'adduction ont une amplitude
exagérée, de même la flexion et l'extension.
On met la main il angle droit en adduction et en extension sur l'avant-bras.
La flexion de la main se fait à angle droit.
Les articulations phalango-phalanginiennes sont douées de quelques mouve-
ments anormaux et peuvent même se placer spontanément en extension forcée
qu'on peut encore pousser plus loin par pression sur le bout des doigts. Dans
toutes ces articulations, il est impossible de percevoir le moindre craquement t
quel que soit le mouvement qu'on imprime aux surfaces articulaires.
Quand on demande au malade de reporter les épaules en arrière, de rappro-
cher en d'autres termes les bords spinaux des omoplates du rachis, il n'y par-
vient pas pour l'omoplate droite (on dirait que le malade ne sait plus faire ce
mouvement, tant il hésite avant de s'y essayer).
Les mouvements d'élévation de l'épaule sont bien conservés (haussement).
Si on demande à V... de porter la main sur la tête, il arrive à peine, en flé-
chissant les doigts dans la main, à écarter le membre tombant à quatre travers
de doigt environ en dehors du plan du corps. On est en présence d'un membre
ballant. Le malade ramène la main derrière lui, mais avec peine et seulement
en conservant la main dans la pronation (ce mouvement n'est en somme qu'une
pronation exagérée par le rond pronateur qui est presque sain et le grand dor-
sal qui l'est encore dans une certaine mesure).
Le malade ne peut porter la main en avant dans Pacte d'uriner.
Les mouvements d'abduction du bras sont impossibles. Ceux qu'on peut ob-
tenir sont dus il un mouvement de latéralité du tronc qui vient buter contre le
bras et le coude et imprimer une oscillation transversale à l'extrémité du seg-
ment.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE.
T. XII. PL. XX.
ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE DU MEMBRE SUPÉRIEUR DROIT
(Sabrazès et MARTY)
Main gauche {côté sam). Radiographies. Main DROITI : (coté atrophié).
Masson et Cio, Éditeurs
ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 115
La flexion volontaire de l'avant-bras est nulle. Pour l'obtenir, le malade est
obligé de projeter le membre par un mouvement de bilboquet.
Le bras est constamment en pronation ; la supination est très difficile, très
limitée et ne s'obtient (à un très faible degré) que par un mouvement de flexion
et d'adduction du muscle 'cubital antérieur. L'extension de l'avant-bras sur le
bras n'est qu'ébauchée et ne peut s'obtenir complète même au prix de grands
efforts ; la corde tendineuse du biceps qui se dessine sous la peau limite ce
mouvement.
La flexion des doigts dans la main est facile.
L'extension de la main et des doigts ne se fait pas sans le secours d'un aide.
Le malade ne peut faire le simulacre de jouer du piano qu'après immobilisa-
tion préalable du coude sur un plan d'appui. D'ailleurs, même dans ces con-
ditions, les mouvements sont très limités.
Les mouvements d'opposition du pouce et du petit doigt sont possibles mais
peu énergiques.
L'adduction et l'abduction de la main sont conservées. L'adduction est sur-
tout facile.
L'adduction et l'abduction des doigts sont promptes et assez énergiques. Le
malade n'oppose aucune résistance à l'extension de l'avant-bras mis au préala-
ble en flexion ; aucune non plus à la supination.
Il résiste faiblement il la pronation ; assez fortement à l'extension des doigts
mis en flexion, ainsi qu'à l'adduction ou à l'abduction des doigts.
Examen DES réactions électriques DU membre supérieur DROIT ET DU côté DROIT
Du cou (20 juillet), par M. le professeur Bergokié.
Io Aucun muscle ne donne la réaction de dégénérescence.
2° Conservation de l'excitabilité faradique pourles muscles de l'éminence thé-
nar, de l'éminence hypothénar, interosseux palmaires et dorsaux, long exten-
seur du pouce, extenseurs des doigts, sus et sous-épineux, et pour les muscles
du cou.
3° Excitabilité faradique très diminuée. pour le biceps.
4° Excitabilité faradique abolie pour les muscles, deltoïde, triceps, long su-
pinateur ;
5° Nerfs : cubital, médian, facilement excitables ; radial, excitabilité très di-
minuée ; nerfs circonflexe, musculo-cutanés, n'ont pas été explorés.
Examen DE la sensibilité.
La sensation tactile est conservée et ne semble pas exagérée sauf au chatouil-
lement, dans la région de l'omoplate droite.
La sensation du mouillé est normale.
Les objets mis dans la main sont parfaitement reconnus.
Le sens musculaire et la notion de position sont conservés.
Le malade se rend bien compte de sa position dans le lit et il va saisir le mem-
bre malade sans hésitation avec la main gauche.
116 J. SABRAZÈS ET L. MARTY
La sensation douloureuse, en revanche, a subi des perturbations. Le malade
ne se souvient pas d'avoir jamais eu d'insensibilité dans le membre supérieur
droit; mais il a eu des fourmillements dans les mains.
Interrogé au sujet de la température subjective de ses membres, le malade
prétend avoir toujours plus froid en hiver il droite qu'il gauche.
Actuellement, il n'a aucune sensation de température anormale, ni d'un côté,
ni de l'autre. La température objective du membre supérieur droit est un peu
plus basse dans ses divers segments que celle du membre supérieur gauche.
La sensation au contact d'un corps froid est exagérée dans la région postéro-
externe de l'épaule et du bras (zone du circonflexe) ainsi que dans la région
antéro-externe de l'avant-bras (zone du musculo-cutané et du radial). La sen-
sation au contact d'un corps chaud est exagérée dans les mômes zones.
Au pincement,- à la piqûre de la peau, hyperalgésie très vive dans la zone
sensitive du circonflexe (face postérieure de l'épaule et externe du bras). Dans la
zone sensitive du musculo-cutané (face antéro-externe de Pavant-bras) l'hyper-
algésie est un peu moins marquée. Moins vive encore dans la zone sensitive
du radial (face postérieure du bras et de l'avant-bras). A peine accusée sur la
moitié externe du dos de la main.
La sensibilité Ù la piqûre et au pincement est normale dans la zone sensitive
du brachial-cutané interne et de son accessoire, ainsi que du cubital. Peut-être
très légère hyperalgésie dans la zone sensitive du nerf médian (face palmaire
des 10e, 2°, 3° et moitié externe du 4° doigts et de la région correspondante du
carpe et du métacarpe).
Pas d'hyperalgésie dans la région antérieure de l'épaule qui reçoit la sensi-
bilité cutanée du plexus cervical.
L'hyperalgésie musculaire recherchée par le pincement profond, prolongé,
en évitant de la confondre avec l'hyperalgésie cutanée et sous-cutanée, est ma-
nifeste sur tous les muscles de la ceinture scapulaire.
Le pincement du grand dorsal est assez douloureux.
du rhomboïde est très douloureux.
du grand dentelé est. très douloureux.
sus-épineux \\
sous-épineux I
sous-clavier / , , ..
- sous-clavier ora assez douloureux et a peu près
0 grand pectoral au même degré ' z
° grand , . pectoral > au même , degré , ,
angulaire l
grand et petit ronds
sous-scapulaire J
Le deltoïde est extrêmement douloureux. Le moindre pincement de ce mus-
cle provoque un sursaut brusque ; de même pour les muscles c01'aco-brachial,
biceps, brachial antérieur.
Le pincement du triceps, très douloureux au niveau des points où siégeait
la fracture de l'humérus, l'est moins dans le reste de son étendue ; ce muscle
est hyperaIgésique il peu près au même degré que le long supinateur.
ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 1 117 i
Le pincement des muscles de la région postéro-exterlle de l'avant-bras est
assez douloureux.
Celui des muscles de la région antérieure de l'avant-bras et de l'éminence
tbénar l'est peu.
Celui du cubital antérieur, du fléchisseur commun profond, des muscles
hypothénariens, des interosseux et de l'adducteur du pouce ne l'est pas anorma-
lement.
Il existe aussi de l'hyperalgésie osseuse : vive au niveau de l'extrémité supé-
rieure de l'humérus; très vive sur le corps du même os (au niveau du cal
osseux); vive à l'extrémité inférieure de l'humérs ; faible sur l'extrémité su-
périeure du radius et à peu près nulle dans ses 2/3 inférieurs ; nulle ou à peu
près sur le cubitus ; nulle sur les os de la main. 1
Le pincement des troncs nerveux se traduit par une hyperalgésie encore plus
vive.
La pression du nerf scapulaire supérieur, au point où il passe dans l'enco-
che que lui offre la base de l'omoplate, est très douloureuse.
La pression du nerf du grand dentelé contre la paroi tboracique est égale-
ment très pénible.
La pression exercée sur tout le plexus brachial au-dessus de la clavicule et
dans le creux de l'aisselle est douloureuse.
La pression exercée sur les branches radiculaires à leur sortie des trous de
conjugaison et en dehors des scalènes l'est aussi.
La pression exercée sur le circonflexe au moment où il sort du quadrilatère
que lui forment les deux ronds, la longue portion du triceps et l'humérus, est
extrêmement douloureuse.
De même la pression du musculo-cutané et celle du radial dans la gouttière
de torsion de l'humérus, et au niveau du point où la branche musculaire s'en-
gage dans le court supinateur et aussi dans le point où la branche sensitive
quitte la région antérieure (à 7 ou 8 centim. au-dessus de l'apophyse styloïde
du radius) pour devenir postérieure.
La préhension du nerf médian au milieu du bras est douloureuse, ainsi que
la pression exercée sur son tronc au pli du coude et au niveau du poignet.
La préhension des nerfs collatéraux des doigts est indolore.
La pression du cubital est peu douloureuse au-dessus de l'épi trochlée ; au-
dessous de ce point la pression provoque les sensations habituelles.
La sensibilité électrique est très exagérée à droite, sur la totalité du mem-
bre, mais surtout sur le bras. Elle est normale gauche. Une secousse élec-
trique bien supportée même par le malade, au bras gauche, l'a un jour, dans
une foire, jeté à la renverse alors qu'il essayait de la supporter du côté droit.'
Eu résumé, la sensibilité tactile, le sens musculaire sont normaux. Mais la
sensibilité à la douleur est très exagérée dans les zones sensitives et motrices
du nerf circonflexe, du nerf musculo-cutané, du radial ; les hyper31gésies
cutanée, musculaire, osseuse sont superposables dans les territoires où se dis-
tribue un même nerf. L'hyperalgésie, quoique moins marquée, s'étend aux
au 9
118 t J. SABRAZÈS ET L. MARTY
muscles delà ceinture (grand rond, rhomboïde, angulaire, sous-épineux, sus-
épineux, pectoraux, sous-clavier, sous-scapulaire, grand dentelé). Elle est un
peu plus vive pour le rhomboïde et le grand dentelé.
Le degré de l'hyperalgésie est proportionnel au degré d'atrophie des muscles.
Les territoires hyperalgésiques peuvent être classés de la façon suivante par
degrés décroissants :
10 Circonflexe.
2<' Musculo-cutané.
3° Radial.
4" Muscles péri-scapulaires.
Vaisseaux. Le pouls radical est moins fort à droite; il est filiforme. Les
deux pouls sont cependant synchrones. On sent les battements de l'humérale
au-dessous du creux axillaire, au niveau du pli du coude. Le long du bras pas
de cordon induré appréciable au niveau du paquet vasculo-nerveux.
La sudation est exagérée à droite : la main est constamment couverte de sueur.
Si on recherche la réaction vaso-motrice, on constate l'apparition d'une raie
rouge, 7 à 8 secondes après l'impression ; les raies vaso-motrices deviennent
saillantes au bout de deux à trois minutes, mais plus vite sur le membre su-
périeur gauche que sur le droit. Sur le thorax, dans les régions pectorale et
sus-mammaire, quand on trace des raies avec une épingle, il se produit une
saillie démographique, saillie d'un blanc rosé, beaucoup plus marquée à gauche
qu'à droite. Tout autour du bourrelet saillant on remarque une zone érythé-
mateuse s'effaçant à la pression et tout aussi marquée à droite qu'à gauche. Le
dermographisme persiste encore dix minutes après l'impression et la zone éry-
thémateuse est encore visible une demi-heure après, alors que le bourrelet
saillant a disparu. Au niveau des piqûres, deux à trois minutes après, appa-
raissent des papules à droite comme à gauche.
Réflexes. - Les muscles de l'avant-bras ne sont pas hyperexcitables par la
percussion. Quand on percute l'extrémité inférieure du radius, on provoque à
droite des mouvements de flexion des doigts, et, a gauche, des secousses d'une
très grande amplitude de l'avant-bras et de la main.
Pas de contractions fibrillaires des muscles dans le membre supérieur droit,
ni dans la région pectorale et postérieure de l'épaule.
Pas de tremblement, mais instabilité de la main et des doigts qui sont
maintenus à grand'peine dans un plan horizontal. Le malade prétend avoir eu
des tremblements du petit doigt sous l'influence du froid ; ce tremblement
n'existe pas actuellement.
Pas de tremblement à gauche.
Quand on chatouille légèrement la peau, au-dessous de l'omoplate, on voit
que le malade réagit davantage à droite qu'à gauche.
Membres inférieurs. - Marcheur infatigable, V... fait 30 kilomètres par jour
sans éprouver de fatigue des membres inférieurs. Ceux-ci ne se différencient
pas l'un de l'autre quant il leur aspect extérieur et leur musculature. Aucun
trouble de la marche. La station debout sur un pied est facile, ainsi que la z
marche à reculons les yeux fermés.
ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 119
La sensibilité au contact est bien perçue.
La sensibilité à la piqûre est également sentie à droite et à gauche, mais
avec une légère hyperesthésie des deux côtés. De plus, sous l'influence de la
piqûre, on suscite une trépidation rotulienne qui est plus vive à droite qu'à
gauche et qui persiste indéfiniment. Cette trépidation ne se produit pas tou-
jours.
La sensibilité thermique est normale et égale à droite comme à gauche.
Les réflexes plantaires, vifs des deux côtés et les réflexes testiculaires éga-
lement très vifs des deux côtés ne s'épuisent que difficilement.
Les réflexes rotuliens sont très exagérés des deux côtés.
Début de trépidation épileptoïde des deux côtés.
On provoque aussi de la trépidation rotulienne qui persiste moins que lors-
qu'elle a été suscitée par la piqûre.
Quand on fait placer le membre étendu au-dessus du plan du lit, on remar-
que qu'il est animé de petites oscillations rythmées.
Thorax. - Le mamelon droit est sur un plan plus élevé de 2 cent. 1/2 en-
viron que le gauche. En dehors de la déformation et de l'atrophie de la région
pectorale droite, on n'est frappé que par l'existence d'une scoliose commen-
çante ; on note simplement une légère inclinaison latérale à concavité droite
dans la région dorsale. Pas de cyphose. Pas de coudure angulaire. Pas de dou-
leur localisée à la colonne vertébrale.
Quand le malade est resté longtemps assis, on note quelques rares contrac-
tions fibrillaires dans les pectoraux, surtout à gauche.
Hyperesthésie ci la piqûre dans l'hémithorax droit.
Respiration courte, diaphragmatique. Pas de paralysie du diaphragme.
La tète est mobile dans tous les sens. Aucun trouble dans la musculature du
cou. '
L'abdomen est très sensible an chatouillement. Hyperesthésie à la piqûre
des deux côtés. Le réflexe abdominal est normal.
Examen des yeux. - La vueest excellente et n'a subi aucune modification.
Cet homme a eu simplement, sous l'influence du soleil, un peu de rougeur éry-
thémateuse de la conjonctive qui nécessita son entrée à la clinique ophtalmo-
logique de M. le Professeur Badal. Les' pupilles sont égales : ni myosis, ni
mydriase, elles réagissent bien à la lumière, à la convergence, à l'accommoda-
tion. Pas de strabisme; jamais de diplopie ; pas de tremblement des paupières.
Pas de rétrécissement marqué du champ visuel.
Acuité auditive conservée. Olfaction normale. On remarque de l'instabilité
linguale. Quelques légers sillons disséminés sur la langue.
Réflexe pharyngien très vif. Pas de paralysie du voile du palais. Pas de dé-
viation de la luette qui est très mobile. Pas de lésions des joues (le malade
souffle et siffle bien). Pas de déviation des traits. Aucun trouble de la muscu-
lature de la face. Le réflexe massétérin ne se produit pas.
Le malade lit très bien. Son écriture est rendue difficile de la main droite
par l'atrophie musculaire qui empêche d'appuyer ; mais cette écriture n'est pas
120 - J. SABRAZÈS ET L. MARTY
tremblée. Le malade écrit bien de la main gauche. Sa mémoire est parfaite, il
peut réciter ce qu'il a appris il a dix ans.
Le caractère s'est aigri beaucoup depuis quelques années ; émotivité exagérée.
Langue humide. Très mauvaise dentition. Le matin, au réveil, langue pâ-
teuse et régurgitation de bile. V... est très altéré ; il boit 5 à 6 litres de tisane
par jour. Tendance à la diarrhée depuis quelque temps. Pas d'ictère. Appétit
conservé. Douleur légère à la pression du creux épigastrique et de l'hypo-
chondre droit. L'estomac a des limites sensiblement normales. La matité hépa-
tique correspond en bas au rebord costal. Pas de douleurs intestinales.
Champ visuel.
Légère bronchite cet hiver, complètement guérie. Pas d'adénopathie cervi-
cale ni axillaire. Percussion et auscultation tout il fait normales, en avant comme
en arrière.
Pouls égal, régulier, à moyenne tension. Il est plus ample, plus plein à gau-
che qu'à droite. La tension paraît un peu plus forte il gauche, on compte
63 pulsations à la minute. On ne sent pas battre la pointe du coeur. Pas de fré-
missement cataire. Bruits normaux. Pas de souffle. Pas de dédoublement ni de
bruit de galop. L'aorte ne déborde pas le creux sus-sternal. Les jugulaires ne
sont pas turgides. Pas de varices.
Pas de pollakiurie nocturne. Pas de rétention urinaire ni de tendance à la
rétention. Mictions non douloureuses. Urine émise pendant 24 heures avec
un régime composé de 1 litre de lait, 4 oeufs, 2 verres d'eau rougie avec du
vin, 250 grammes de pain.
Q. : 850 grammes.
Urée................. 7 gr. 6 par litre.
Corps xantho-urilues.......... 0 gr. 85 »
Chlorures .............. 18 gr. »
Phosphates.............. 1 gr. 20 »
Ni sucre, ni albumine.
Réaction acide.
Le sens génital est très développé. Cet homme peut avoir six rapprochements
en une nuit. Pas de priapisme. Hyperesthésie excessive des bourses. La près-
. ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 121
sion même légère des testicules est très douloureuse. Le malade déclare que
cette hyperesthésie est plus marquée à droite qu'à gauche. Il reçu autrefois
un violent coup de pied sur les bourses (application de sangsues) ; mais V...
ne sait dire si c'est de cette époque que date cette irritabilité de la région.
Le 2 août, V... quitte Bordeaux et reprend sa vie errante à travers le midi
de la France et l'Italie. Le 15 octobre il se trouvait à Cannes ; en faisant sa
toilette, il eut brusquement une contracture de la face et du cou du côté droit,
ainsi qu'un embarras de la langue, il ne pouvait articuler un mot; cette con-
tracture qui dura 1/4 d'heure n'a pas reparu depuis lors.
Tout récemment (décembre 1898), V... revient à Bordeaux et rentre à l'lo-
pital St-André. Examiné à nouveau, on constate que son état ne diffère pas
sensiblement de ce qu'il était au mois de juillet. L'atrophie du membre supé-
rieur droit ne s'est pas notablement modifiée. Peut-être les extenseurs de la
main droite sont-ils un peu plus faibles. Le malade a de plus remarqué qu'il
ne peut plus mettre la main droite dans la poche de son pantalon sans s'aider
de la main gauche.
La sensibilité sous ses divers modes est conservée. L'hyperalgésie est moins
marquée. Cependant la compression, même légère, du nerf cubital derrière
1'61)itroclilée, du nerf radial dans la gouttière de torsion, du nerf médian au
pli du coude, du nerf sus-scapulaire dans l'échancrure coracoïdienne, du nerf
circonflexe derrière l'humérus, des troncs radiculaires en dehors des scalènes
détermine une douleur vive. Mais, du côté gauche, on détermine, ou peu s'en
faut, les mêmes symptômes dans les mêmes points.
La douleur provoquée par le pincement de la peau a conservé à droite la
même distribution : les territoires du circonflexe, du musculo-cutané, du radial
sont particulièrement intéressés, quoique à un degré moindre qu'en juillet et
suivant le même ordre d'intensité décroissante.
1° Nerf circonflexe ;
2° Nerf musculo-cutané ;
3° Nerf radial ;
4° Nerfs péri-scapulaires.
La traction exercée sur les muscles innervés par ces nerfs est à peu près
indolore. L'humérus reste toujours très douloureux au niveau de la fracture
ancienne ; peut-être cette douleur a-t-elle été entretenue par une chute que fit
V... il y a deux mois, en glissant sur des peaux d'orange. V... ajoute qu'il
tomba sur le côté gauche. A la suite de cette chute, il ressentit des douleurs
vives au niveau de l'épaule droite. Ce sont ces douleurs qui dureraient encore
et iraient en s'amendant.
Tous les réflexes inférieurs sont restés très vifs. D'ailleurs, le malade pré-
sente un état d'excitation générale qui lui donne un aspect étrange : traits mo-
biles, grande volubilité, mouvements brusques du tronc, des membres infé-
rieurs. Lorsqu'on lui serre brusquement les tendons fléchisseurs de l'avant-
bras droit, au-dessus du poignet, on détermine une série de contractions dans
les doigts de la main correspondante ainsi que dans l'épaule et le bras gauches.
122 . J. SABRAZÈS ET L. MARTY
On se trouvé en présence d'une amyotrophie qui ressemble sympto-
matiquement aux monoplégies de la paralysie atrophique de l'enfance ou
de la paralysie spinale aiguë de l'adulte (atrophie musculaire, atrophie
osseuse, épaississement des téguments ; pas d'anesthésie).
Mais les nerfs sont douloureux, ce qui semble indiquer un processus
périphérique et cela dans un territoire tel que les se, 6e, 7°, Se racines
cervicales et lyre dorsale ont pu être intéressées (surtout les se et 6e).
Dans quelles conditions auraient-elles été mises en souffrance ?
A 12 ans, une luxation de l'épaule droite a été suivie d'amaigrisse-
ment et de diminution des forces du membre correspondant, après une
immobilisation de 40 jours. On connaît les troubles nerveux consécutifs
à ces luxations.
Au niveau de la tête humérale, les branches du plexus brachial sont
réparties sur 2 plans : Les nerfs circonflexe et radial (qui forment le plan
postérieur) reposent sur le tendon du sous-scapulaire. Le circonflexe,
placé en dehors, est appliqué sur le tendon, l'embrasse dans l'anse qu'il
décrit pour se porter sur la face profonde du deltoïde. Le radial situé en-
viron à 2 centimètres en dedans ne repose pas directement sur le tendon du
sous-scapulaire ; il est tendu un peu en avant.
Le plan antérieur, séparé du plan postérieur par l'épaisseur des vais-
seaux axillaires et par un matelas de tissu conjonctif lâche de 2 à 3 cen-
timètres environ d'épaisseur, est formé par les nerfs musculo-cutané,
médian, cubital, brachial-cutané interne. Le nerf musculo-cutané, situé
tout à fait en dehors, s'engage dans l'épaisseur du muscle caraco-brachial
croisant ainsi la face antérieure de la tête humérale. Le nerf médian
situé à 1 ou 2 centimètres plus en dedans est à cheval par ses branches
d'origine sur l'artère axillaire. Le nerf cubital est plus en dedans encore.
Le nerf brachial-cutané interne côtoie la face interne du nerf cubital.
Survienne une luxation de l'épaule en avant, la tête humérale roule
dans sa cavité de réception qu'elle abandonne, se porte en avant, impri-
mant ainsi au bras un mouvement de rotation en dehors et le col anatomi-
que vient se placer sur le rebord glénoïdien antérieur. Dans ce mouve-
ment, le tendon du muscle sous-scapulaire (inséré sur la petite tubérosité
de l'humérus) s'enroule autour de la tête et se tend fortement. Quelle
peut être l'action de cette luxation sur les troncs nerveux du voisinage ?
Certains auteurs ont déclaré que le plexus brachial, dans les luxations
antérieures, allait se loger dans la gouttière que forment la paroi costale
et la tête humérale. S'il en était ainsi, le plexus brachial ne pourrait être
lésé que dans les cas où la tête humérale viendrait le comprimer directe-
ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 123
ment contre la paroi thoracique. Or, notre malade n'a pas vraisemblable-
ment présenté cette variété de déplacement, mais plutôt une luxation
extra ou sous-coracoïdienne. Le médecin l'a réduite assez facilement,
sans anesthésie, et l'expérience prouve que les luxations intra-coracoïdien-
nes ne sont généralement réductibles que sous chloroforme.
MM. G. Guillain et P. Duval (1) en reproduisant sur le cadavre les dif-
férentes luxations de l'épaule, ont montré que les traumatismes qui en ré-
sultaient pouvaient déterminer des lésions nerveuses (en dehors de la
compression directe qu'on admettait seule jusqu'ici), par l'élongation des
troncs, élongation en vertu de laquelle sont redressées les courbes que
décrivent les racines du plexus brachial à leur sortie des trous de conju-
gaison. A ce propos, rappelons que les 1° et 6e paires cervicales décrivent
une courbe à concavité inférieure ; les 8e cervicale et 1 'e dorsale une courbe
à concavité supérieure ; la 7e cervicale va en ligne droite de la moelle au
sommet du plexus brachial ; les 5e, 6e, 8e cervicales et lle dorsale décri-
vent une courbe d'autant plus marquée qu'elles sont plus éloignées de la
7e cervicale.
Dans notre cas, en nous plaçant dans l'hypothèse la plus plausible d'une
luxation sous-coracoïdienne, quelle a été la part de la compression et de
l'élongation ? .
La compression au niveau de l'articulation a dû s'exercer particulière-
ment sur les troncs nerveux les plus rapprochés de la tète articulaire.
Le nerf circonflexe est tendu par le muscle sous-scapulaire qui s'enroule
sur la tète humérale; si cette tension se prolonge, par suite d'un retard
dans la réduction, elle équivaut à une véritable compression.
La tète humérale est normalement croisée par la courte portion du bi-
ceps et par le muscle coraco-brachial qui lui forment une coiffe charnue
en avant et en dedans. Quand la tête se déplace en avant, cette coiffe se tend
comme une sangle en formant un angle ouvert en arrière et en dehors. Dans
ces conditions le nerf musculo-cutané tiraillé et appliqué contre l'articu-
lation peut participer à l'inflammation articulaire, ou être contusionné si
la luxation s'est produite à l'occasion d'une très brusque secousse.
Dans cette variété de luxation, la compression ou la propagation de
l'inflammation articulaire aux autres troncs nerveux n'est guère possible.
Les nerfs médian, cubital et brachial-cutané interne, en raison de leur
position éloignée par rapport il l'articulation, aux muscles et aux tendons
périarticulaires, semblent devoir échapper au traumatisme.
Cependant MM. P. Duval et Guillain ont soutenu qu'au moment de l'ac-
cident le bras étant brusquement porté en abduction, les troncs du plexus
(1) Archives de médecine et de chirurgie, août 1898.
124 J. SABRAZÈS ET L. MARTY
brachial seraient tendus et leurs racines correspondantes redressées au ni-
veau des trous de conjugaison tant que le bras n'aurait pas repris sa direc-
tion normale.
Ces auteurs, en exagérant suffisamment, dans des sens variables, les
divers mouvements de l'épaule, ont même pu déterminer des ruptures
radiculaires inlra-racbidiennes, mais des racines motrices seules. Il n'est
pas douteux que les mouvements d'abaissement, par exemple, ainsi que
l'avait montré M. Fieux (1) avant MM. P. Duval ,tG. Guillain, redressent
les 5% 6° et même tendent la 7e cervicale (luxation sous-glénoïdienne).
Dans les mouvements d'abduction (luxations en avant), lés 5e, 6e et 7e cer-
vicales sont non seulement comprimées mais encore tendues et lorsque
le coude est suffisamment écarté du tronc ou même placé dans la position
verticale la 8e cervicale et la Ire dorsale sont aussi tiraillées et, si le sujet
y est prédisposé, lésées quelquefois d'une façon très appréciable ainsi
qu'en témoigne le fait suivant observé dans le service de M. le professeur
Lanne
J. G..., âgé de 56 ans, tombe dans un escalier et se fait une luxation sous-
coracoïdienne gauche. L'examen révèle une abolition à peu près complète de la
sensibilité à la piqûre dans la sphère du nerf cubital. Une diminution très no-
table, avec un retard de quelques secondes des perceptions sensitives, dans la
sphère du nerf médian.
Rien à noter dans la sphère des autres nerfs du bras.
Cet homme présente de plus quelques symptômes- d'excitation générale,
grande volubilité, mobilité exagérée de la physionomie.
La luxation est réduite par le procédé classique de Mothe. Au moment même
le patient s'écrie : « Ça me déchire dans le petit doigt ». Après la réduction qui-
s'opère facilement, J. G... nous déclare : « Qu'il vient de ressentir des tiraille-
ments violents, des sensations de brûlure intenses et de fulguration le long des
doigts, surtout dans l'auriculaire et cela à partir du coude ». A cette douleur suc-
cède un engourdissement de la main. On note la persistance des troubles sen-
sitifs constatés avant la réduction.
Ce jour-là et les jours suivants le malade ne sentait pas la piqûre profonde
dans le domaine du nerf cubital. Cette anesthésie était bien moindre dans les
sphères des nerfs médian et radial.
Quinze jours après, M. le professeur Bergonié fait les constatations suivan
tes :
4° Perte complète de l'excitabilité faradique pour le biceps ;
2° Diminution pour le deltoïde, le triceps, tous les extenseurs de l'avant-bras
et tous les fléchisseurs;
3° Perte complète pour les nerfs médian, radial et cubital ;
(1) Fieux.
ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 125
4° Réaction d'Erb complète pour le biceps. Réaction incomplète pour les au-
tres muscles. '
Un mois après, un nouvel examen permet de constater une paralysie très
marquée des muscles du bras et de l'avant-bras gauche. Le hras droit même
s'est affaibli et le malade insiste sur ce symptôme. La sensibilité est intacte sous
tous ses modes. Mais la pression exercée sur les troncs nerveux en dehors des
scalènes pour les branches radiculaires, dans la fosse coracoïdienne pour le
nerf sus-scapulaire, sur la paroi thoracique pour le nerf grand dentelé, derrière
le col de l'humérus pour le circonflexe, dans la gouttière de torsion pour le ra-
dial, derrière l'épi trochlée pour le cubital, au pli du coude pour le médian, fait
naître une douleur bien plus vive dans le bras malade que dans le bras sain.
Faut-il mettre tous ces troubles sur le compte du traumatisme déter-
miné par la luxation sous-coracoïdienne ou faut-il y joindre le traumatis-
me déterminé par la réduction ? Si nous prenons en considération les re-
cherches de MM. P. Duval et G. Guillain, il semble qu'il faille incriminer
en partie le procédé de Mothe qui, quoique doux, doit forcément, dans le
mouvement d'élévation exagérée, au 3e temps, entraîner un tiraillement
des troncs nerveux, tirer en bas et en dehors les o°, G", 7e cervicales qui
ont toujours leur point de réflexion au niveau de la tète humérale, tirer
en haut la 8° cervicale et la 1 re dorsale qui s'aplatissent sur les apophy-
ses transverses formant la voûte de leurs trous de conjugaison respectifs.
Lors de la réduction, les troubles nerveux étaient limités aux nerfs
cubital et médian, le radial était à peine intéressé (territoire des 8e cervi-
cale et 1" dorsale). Quinze jours après, les réactions électriques accusaient
des lésions portant sur la totalité du plexus brachial.
Doit-on imputer aux manoeuvres du procédé de Mothe les lésions des
racines motrices par élongation portant sur toutes les paires (5e, 6e, 7e, 1
8e cerv., 4e dors.), ainsi que sur les racines sensitives des 8' cervicale et
- 1 re dorsale, ou bien, par l'intermédiaire des branches radiculaires des 8e et
- 1 re dorsales, y a-t-il eu, pendant la réduction, un ébranlement contusif des
segments de moelle correspondants, suivi d'un processus local de polio-
myélite expliquant l'extension des troubles moteurs à tout le bras ? la
diminution rapide des forces dans le bras droit qui n'a nullement été tra1l-
matisé semblerait militer en faveur d'un processus irritatif non seulement
étendu à la corne antérieure gauche qui donne naissance aux racines mo-
trices lésées, mais encore irradié à la corne antérieure droite.
Quoi qu'il en soit, ce fait se rapproche beaucoup du cas de notre pre-
mier malade et on pourrait, au besoin, mettre sur le seul compte de la
luxation de l'épaule l'atrophie dont notre premier malade est atteint. Mais
là ne se bornent pas les traumatismes dont cet homme a été victime.
126 J. SABRAZÈS ET L. MARTY
A 13 ans, une chute du haut d'un lit est suivie de fracture de l'humé-
rus au tiers supérieur et d'un gonflement douloureux de l'épaule avec ir-
radiations des douleurs le long du membre. Ce nouveau traumatisme a-t-il
déterminé une reproduction passagère de la luxation précédente (une
première luxation prédisposant à une seconde) et les nerfs déjà affectés
ont-ils souffert nouveau ? Il est très difficile de l'affirmer. Cependant les
douleurs ont reparu très vives dans l'épaule droite et ont duré plusieurs
mois.
' Quant à la fracture de l'humérus au tiers supérieur elle n'est pas sans
avoir causé quelques dommages au nerf radial qui contourne en ce point
le corps de l'os dont il n'est séparé que par le périoste. Malgré la persis-
tance des douleurs et leur irradiation dans les doigts pendant deux mois,
le tronc du radial ne parait pas avoir été englobé dans le cal ; les douleurs
auraient été autrement tenaces dans ce cas et auraient nécessité une inter-
vention chirurgicale, sans compter que motricité et sensibilité seraient
complètement absolues, selon toute probabilité, dans le territoire de ce
nerf. A moins de traumatismes considérables, comme les écrasements par
une roue de charrette par exemple, les autres troncs nerveux (médian et
cubital) ne peuvent être atteints par une fracture à ce niveau.
A 15 ans, V... tombe du hant d'un trapèze et se fracture à nouveau l'hu-
mérus au même point que la première fois. Les mômes symptômes repa-
raissent (douleurs dans l'épaule, irradiations très pénibles à type lanci-
nant dans la main); les considérations précédentes s'appliquent à cette
deuxième fracture ainsi qu'à une troisième survenue il l'âge de 17 ans. Il
est important de remarquer qu'à partir de cette époque, le membre est
frappé d'impotence presque absolue et que l'atrophie prend une marche
plus rapide.
A 25 ans, intervient une fracture de la clavicule par cause directe avec
gonflement de la région claviculaire, fourmillements dans la main, dou-
leurs rétro-scapulaires et conservation de la sensibilité qui jamais au dire
du malade n'a été diminuée dans ce membre. La part de cette fracture de
la clavicule dans le mécanisme de l'atrophie ne parait pas avoir été bien
grande. La clavicule est séparée du plexus brachial par un muscle assez
épais, le sous-clavier, et, à moins d'une fracture compliquée de rupture du
périoste et de déchirure des faisceaux musculaires sous-jacents. on n'ob-
serve pas de lésions nerveuses. Or, ici on ne trouve aucune trace de cal, ce
qui prouve suffisamment que la consolidation a été parfaite; mais cette con-
solidation n'est telle qu'à la condition que les fragments soient maintenus
par un périoste non déchiré. De plus, l'atrophie était déjà presque anssi
avancée qu'aujourd'hui lors de cette fracture. Néanmoins, le choc du ma-
ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 127
drier qui est tombé sur la clavicule a dû se répercuter sur les filets ner-
veux situés en arrière et exaspérer les douleurs déjà anciennes.
En somme, parmi les traumatismes que nous venons d'examiner, ceux
du bras et de l'épaule en blessant les troncs nerveux expliqueraient les lé-
sions des nerfs circonflexe, musculo-cutané, radial ; mais ils n'éclairent
pas la pathogénie des troubles dépendant des branches collatérales du plexus
brachial (angulaire, rhomboïde, sus-épineux, etc.). Il faut admettre pour
ces nerfs collatéraux que les lésions se sont produites au-dessus de leurs points
d'émergence. Seule une lésion radiculaire sise vers les trous de conjugaison
ou même dans la portion radiculo-médullaire peut rendre compte de l'atro-
phie des muscles de la ceinture scapulaire.
Nous sommes donc en présence d'une atrophie musculaire et osseuse
extrêmement marquée, limitée à un membre. Malgré l'atrophie osseuse,
le raccourcissement du membre n'excède pas 5 centimètres. Il faut tenir
compte, il est vrai, du raccourcissement apparent dû aux déviations des
surfaces articulaires des doigts ; mais n'est-il pas largement compensé par
l'écartement des autres extrémités articulaires que rend facile la laxité
des moyens de contention (capsule, ligaments et muscles) ? Au total, on a
bien un raccourcissement mais n'est pas très grand. Cela prouve que
l'atrophie osseuse n'a pas dû s'établir avec évidence lors du premier trau-
matisme ; car le bras, encore court, se serait arrêté dans son développe-
ment en longueur tout comme en épaisseur. On est donc en droit de con-
clure que l'atrophie osseuse et musculaire s'est produite au sur et M mesure
que les traumatismes s'ajoutaient les uns aux autres sans qu'il soit possible
d'apprécier exactement la valeur de chacun d'eux.
Il est remarquable de n'observer aucune- modification de la sensibilité
autre qu'une hyperalgésie cutanée musculaire et osseuse correspondant aux
territoires où les muscles sont le plus atrophiés. Cette hyperalgésie est d'au-
tant plus intense que l'atrophie est plus avancée. L'anesthésie permanente
ou passagère associée à la paralysie à la suite d'une lésion nerveuse tron-
culaire s'observe quand les lésions des fibres sont suffisantes pour inter-
rompre à la fois les transmissions nerveuses centrifuge et centripète.
Quelquefois la lésion tronculaire se traduit par une simple parésie sans
troubles sensitifs. L'hyperalgésie a été rarement signalée ; on n'a noté dans
quelques observations qu'une exagération passagère de la sensibilité dis-
paraissant au bout de quelques jours. Dans notre cas, il s'agit d'une hyper-
algésie si accusée et si nette que nous avons pu en prendre la topographie
exacte au mois de juillet dernier. Elle existait bien avant au dire du ma-
lade. Actuellement elle persiste ; sa topographie est la même. Elle est très
128 J SABRAZÈS ET L. MARTY
vive le long des troncs nerveux accessibles au doigt (circonflexe, radial,
cubital surtout) : les muscles innervés par ces trois nerfs sont aujourd'hui
moins douloureux. La pression osseuse de l'humérus n'est pénible qu'au
point anciennement fracturé.
Comment expliquer celle hyperalgésie ? . !
MM. P. Duval et G. Guillain dans leurs expérimentations cadavériques
ont remarqué que l'abduction du bras avec rotation de la tête du côté
opposé tend très facilement les racines antérieures mais beaucoup moins
les racines postérieures. Une traction très violente rompt les racines an-
térieures et tend simplement les postérieures.
L'élongation des racines postérieures, à cause de la position oblique
des ganglions qui leur permet de se redresser, nous permet de donner
une explication de cette hyperalgésie. Les traumatismes nombreux qui ont
frappé le membre malade ont déterminé une lésion radiculaire chroni-
que, suivie sans doute, d'une altération des cornes antérieures du même
côté. Le membre droit a été frappé dans sa motricité et dans sa nutrition.
Les mêmes traumatismes (vu la vulnérabilité moindre des racines sensi-
tives et aussi leur plus prompte réparation) n'ont fait qu'entretenir en
elles un processus d'irritation plutôt que de destruction avec retentisse-
ment probable dans les ganglions rachidiens et dans les neurones sensitifs
médullaires correspondants. Du reste, l'élongation des branches radicu-
laires ne peut-elle pas se poursuivre encore quand le bras est pendant le
long du corps ? L'écartement de la tête de l'humérus de la cavité glénoïde
(2 centim. environ) n'équivaut-il pas à une luxation sous-glénoïdienne
permanente entrainant une sourde irritation des racines postérieures des
5e, 6e, 7e cervicales. Par contre, pendant la nuit. le membre est dans
l'attitude du repos ; la traction sur le plexus brachial cesse momentané-
ment. De plus, ce malade a une tendance à porter la main dans sa poche,
ce qui lui donne un point d'appui et diminue d'autant la traction sur les
racines sensitives. Cela est d'autant plus vraisemblable, qu'aujourd'hui,
que V... ne peut plus mettre la main malade dans sa poche sans s'aider
de la main saine, il nous demande un lien en caoutchouc pour fixer son
avant-bras et le lui soutenir. N'est-ce pas là le cri qui indique son mal ?
Nous pensons que les phénomènes de compression et d'élongation ont
joué un rôle essentiel.
Les lésions nerveuses qui en ont été la conséquence ont-elles été la la
fois tronculaires, radiculaires et médullaires !
Tronculaires, pour le nerf radial, au niveau de la fracture humérale et
aussi peut-être pour les autres nerfs du bras individualisés au-dessus de
l'épaule, en regard de la tête humérale luxée.
Radiculaires par suite du traumatisme direct des racines et de la con-
- ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 129
tusion indirecte de la totalité des branches d'origine du plexus brachial
sur les apophyses transverses cervicales où elles se réfléchissent comme sur
une poulie.
Hadiculo-médullaires par élongation, les tiraillements que subissent les
troncs nerveux dans la région de l'épaule, siège de la luxation, peuvent
se répercuter jusque dans la moelle.
Ganglionnaires et médullaires, selon toutes probabilités, consécuti-
vement aux phénomènes de névrite radiculaire ascendante des fibres
sensitives et aussi du fait de micro-traumatismes locaux et de petits foyers
hématomyéliques imputables à une élongation exagérée des segments
intra-médullaires des racines.
Les cellules des cornes antérieures de la moelle ont surtout subi le con-
tre-coup des altérations des nerfs périphériques. Le retentissement d'une
lésion des nerfs jusqu'aux cellules d'origine de leurs prolongements cylin-
draxiles est un fait actuellement établi. Bien plus, les centres nerveux sont
susceptibles d'être modifiés à distance, secondairement aux affections ostéo-
articulaires qui s'accompagnent d'atrophie des muscles.
Ces amyotrophies considérées naguère comme étant simplement d'origine
réflexe correspondent à une altération atrophique des cellules motrices
qui progressivement se raréfient et disparaissent tandis que la corne an-
térieure, dans le territoire intéressé, s'atrophie in globo. Les observations
de Klippel (1), Leyden (2), Achard et L. Lévi (3) d'atrophie localisée des
centres nerveux en rapport avec l'atrophie musculaire et osseuse de cause
articulaire ne laissent aucun doute à cet égard.
De plus t'atteinte du neurone moteur périphérique entraîne la pertur-
bation fonctionnelle et l'atrophie du neurone moteur cérébral : dans le
cas de MM. Achard et Lévi, le lobule paraceutral et la partie supérieure
des circonvolutions frontale et pariétale ascendantes du côté droit partici-
paient à l'atrophie.
Les adultérations persistantes des neurones sensitifs périphériques
provoquent des altérations corrélatives des neurones sensitifs ganglion-
naires et médullaires.
L'atrophie musculaire et osseuse de notre malade est donc sous la dé-
pendance de plusieurs facteurs. Les luxations et les fractures multiples
dont il a été successivement victime et les affections ostéo-articulaires
qui en ont résulté ont certainement influé par elles-mêmes sur la genèse
de l'atrophie ; mais les lésions nerveuses fronculaires et radiculaires sur
(1) Iir.mrrt,, Bull. de la Soc. anal., janv. 1888, p. 37 ; Revue de médecine, 1893.
(2) Leydks, Klinik der Ruckenmarkskrankheiten. Berlin, 1898.
(3) Ch. Acii.iii) etL>;oron Lévi, Nouvelle Iconogr.de la Salpêtrière,juilletet août 1898.
130 J. SABRAZÈS ET L. MARTY
la topographie desquelles nous avons'si longuement insisté et leur reten-
tissement jusque dans la moelle constituent la cause principale, le pri-
mum movens du syndrome atrophique et Itperulésiq2ce. Or on sait - et
M. Apert (1) en a observé un cas très démonstratif que les paralysies
radiculaires traumatiques entraînent, elles aussi, l'atrophie de la corne
antérieure et du centre cérébral correspondant au membre paralysé.
L'intervention de ces divers facteurs permet de comprendre pourquoi
l'atrophie de ce membre a atteint un si haut degré. La participation de la
moelle cervicale nous parait d'autant moins douteuse que tous les réflexes
moteurs et sensitifs sont considérablement exagérés au-dessous.
En résumé, à la suite de contusions, de luxations de l'épaule et de
fractures multiples de l'humérus et de la clavicule du même côté, on peut
voir les muscles du membre intéressé s'atrophier au plus haut point. Les
os participent à l'atrophie, ainsi qu'en témoigne l'examen radiographique.
Par contre, à la surface du membre ainsi rapetissé le derme et le panni-
cule cellulo-adipeux s'épaississent notablement.
Les principaux, facteurs de l'atrophie sont la compression et l'élonga-
tion exagérée des troncs nerveux et des racines jusque dans leur trajet
rachidien et intra-médullaire.
La moelle s'atrophie dans le segment métamérique correspondant non
seulement en vertu du mécanisme réflexe que l'on invoque pour expliquer
les cas d'amyotrophie d'origine ostéo-articulaire ou d'origine névritique,
mais encore par propagation ascendante, le long des racines, des lésionsirri-
tatives des fibres nerveuses sensitives, lésions qui se traduisent par une hy-
peresthésie cutanée, musculaire, osseuse et nerveuse du membre malade.
Déplus l'élongation et l'ébranlement des troncs nerveux et radiculaires sont
susceptibles de retentir, au moment même où ils se produisent, jusque dans
le parenchyme médullaire et d'y déterminer parfois des ruptures, des foyers
leéntalomyéliques points de départ ultérieurs de phénomènes de dégénérescence
des cordons, des plaques de sclérose et même de cavités simulant la sgringo-
myélie. Cette dernière assertion n'est encore qu'une hypothèse, mais elle
nous est suggérée par l'interprétation des faits cliniques et expérimentaux
les plus récents relatifs à la syringomyélie traumatique, d'une part, et
d'autre part aux ruptures et aux déchirures partielles que l'on provoque
dans l'épaisseur des racines, au niveau de leur abouchement médullaire,
sous l'influence de violents efforts de traction exercés sur des membres de
cadavres.
(1) ArrnT, Soc. méd. des hôpitaux, séance du 22 juillet 1898.
LE TABES LABYRINTHIQUE
- PAR
PIERRE BONNIER.
On a presque totalement abandonné, en clinique, le terme de tabès
dorsal. Ces mots ne peuvent évidemment comprendre la généralité des
symptômes tabétiques ; il arrive même, dans nombre de cas, que le dia-
gnostic de tabès se trouve nettement et légitimement formulé en dehors de
toute manifestation d'une lésion dorsale de l'axe cérébro-spinal. Le tabes
en effet est loin d'être toujours uniquement dorsal ; bien plus, il peut
n'être nullement dorsal à un moment donné.
Le mot tabes d'autre part, s'il est préférable au terme d'ataxie locomo-
trice, puisqu'il peut y avoir également à un moment déterminé tabès sans
ataxie, ce mot tabes reste insuffisant en clinique, car il ne nous indi-
que que* le genre de l'affection sans en spécifier la forme ni la phase.-
Il importe donc de lui adjoindre tel qualificatif qui définira la forme cli-
. nique ou la phase de l'affection tabétique. C'est pourquoi aussi le terme
de tabès dorsal ne doit pas être abandonné, car il caractérise nne forme et
une phase du tabes ; et de plus il comprend toute une partie de la symp-
tomalologie : les signes et symptômes relevant de lésions dorsales.
- On emploie aussi couramment le terme de tabès supérieur, qui, lui, est
bien mauvais, pour désigner la forme ou la phase de la maladie, manifes-
tée par des symptômes dont l'origine médullaire est située plus haut que
le segment dorsal. Mais ce tabes supérieur est-il cervical, bulbaire, céré-
bral ? II y aurait dans ce cas une si vive différenciation des caractères
cliniques, selon le siège plus ou moins élevé de la lésion systématique,
qu'il doit sembler indispensable de les classer et de les orienter sous une
qualification d'ordre topographique. On comprend immédiatement ce que
peut être un tabes cervical et même un tabès bulbaire. Pour ce qui con-
cerne le cerveau, nous savons qu'il n'est en quelque sorte qu'une vaste
frondaison de l'extrémité antérieure de la moelle,et il n'y a aucune raison
à priori de ne pas admettre que les affections systématiques de la moelle
ne se retrouveront pas dans le cerveau, sous une formule clinique corres-
pondant à l'extrême variation morphologique.
132 PIERRE BONNIER
L'avenir nous définira sans aucun doute ce tabes cérébral ; mais il
subsiste encore, pour le moment, tant d'incertitudes et de confusions sur
la signification anatomique de bien des ilôts gris de la masse cérébrale,
sur la valeur segmentaire des diverses parties de l'écorce, sur l'homologa-
tion des faisceaux blancs, qui les unissent, avec les commissures corres-
pondantes de, la moelle, que si l'idée d'une systématisation pathologique
possible s'impose formellement à l'esprit, elle ne laisse pourtant pas de
se montrer encore extrêmement délicate et difficile à préciser.
C'est pourquoi il me semble juste et raisonnable de cherchera porter
la systématisation .caractéristique de l'affection tabétique aussi haut que
possible vers le cerveau, dans la mesure où une semblable systématisation
sera réalisable correctement et pourra dans son établissement jalonner,
préparer l'homologation des parties supérieures de l'axe cérébro-spinal avec
les segments inférieurs, médullaires, lesquels sont mieux connus, et dont
l'étude anatomo-pathologique est autrement simplifiée.
Aucun appareil segmentaire ne s'y prêle plus favorablement que l'ap-
pareil labyrinthique, conducteurs et centres.
En effet cette recherche clinique et anatomo-pathologique peut se faire
en dehors de toute vue théorique. Il nous importe peu de savoir en réalité
si la lésion initiale, devenant causale à son tour par sa répercussion sur
d'autres points de l'appareil nerveux, porte sur l'appareil nerveux.périphé-
rique, sur les fibres afférentes des éléments ganglionnaires, sur ces élé-
ments eux-mêmes; sur la racine postérieure spinale, c'est-à-dire sur les
fibres efférentes du protoneurone centripète, sur les éléments des cornes
postérieures ou enfin sur les fibres qui en émanent vers les centres plus
élevés, formant les cordons postérieurs. Quelle que soit la théorie, elle s'ap-
pliquera à l'appareil labyrinthique, parce que cet appareil n'est que la
pl1J.s grosse, la plus active, la plus vigilante et la plus importante des racines
spinales postérieures ; - parce que la lésion systématique atteindra, dans
les racines postérieures des cordons qui en émanent aussi bien que dans le
nerf labyrinthique et ses conducteurs centraux, des appareils de même si-
gnification morphologique et physiologique ; parce que la contribution
de l'appareil labyrinthique dans la symptomatologie du tabes est plus
grande que celle de n'importe quel appareil spinal ; - parce que enfin la
clinique nous montre qu'aucun appareil n'est plus constamment et plus
systématiquement intéressé dans le tabes que l'appareil labyrinthique.
Si ces différentes thèses sont démontrées, je pense qu'il sera difficile
de se refuser à admettre l'existence clinique d'un labes Iabyrinlhique net-
tement défini, et à reconnaître que parmi les symptômes tabétiques qui
ne peuvent correctement être attribués au tabes dorsal, un grand nombre
relèvent directement du tabes labyrinthique.
LE TABES LABYRINTHIQUE 133
Je puis ainsi avancer cette considération que précisément certains symp-
tômes du tabes relèvent de la contribution du labyrinthe et de ses centres à
la symptomatologie générale, et que certains symptômes tabétiques, que
l'on ne songe guère à attribuer à la lésion de l'appareil labyrinthique, se
affections labyrinthiques les plus banales et les plus diverses, tout à fait
indépendantes du tabes.
Indépendamment de la surdité, du bourdonnement, du vertige et de l'op-
pression labyrinthique, qui sont les symptômes cardinaux des troubles la-
byrinthiques, on a signalé, et j'ai quelque peu contribué, au cours des
affections, auriculaires les plus diverses, les plus banales et les plus fuga-
ces, apparaissant, variant et disparaissant avec elles, et cela sans qu'il y
ait eu le moindre signe de tabès, les symptômes suivants : Le signe de
Romberg et l'incertitude de la marche dans l'obscurité, l'agoraphobie et la
claustrophobie, les nombreuses formes des irradiations bulbaires et centrales
du vertige, le nystagmus horizontal ou vertical, les mouvements incohérents
.des globes sous les paupières closes, le Irtosis, le strabisme et la diplopie, l'iné-
galité et le retard à l'accommodation et la lumière, la mydriase et le myosis
unilatéraux ou bilatéraux, l'amblyopie, la paralysie de l'accommodation à
la distance, les combinaisons les plus diverses des troubles de l'oculo-mo-
tricité, la forme spasmodique du signe de Ch. Bell, les oscillations paraly-
tiques des globes, etc., sans compter d'autres troubles purement auditifs,
comme le retard unilatéral de l'audition constituant la diplacousie échoa-
cousique, etc.
On doit se demander si ces troubles, qui sont si souvent d'origine laby-
rinthique en dehors du tabes, ne sont pas quelquefois, et même fréquem-
`ment, aussi bien labyrinthiques dans leur origine quand il y a tabes, sur-
tout si l'on considère que sur cent cas de tabes, l'appareil labyrinthique
est en cause plus de quatre-vingts fois.
Je suis loin de prétendre que ces symptômes sont forcément d'origine
, labyrinthique, mais je crois pouvoir démontrer que c'est toujours au laby
rinthe qu'il faut tout d'abord songer quand on les constate, et je veux en
donner des preuves tirées de l'anatomie normale et pathologique, de la
physiologie et de la clinique.
Anatomie. De tous les ganglions crâniens, aucun n'affirme plus nette-
ment sa parenté avec le système des ganglions rachidiens que le ganglion
auriculaire, surtout dans la période ontogénétique où il ne s'est pas encore
fractionné en deux amas nucléaires principaux, le ganglion de Scarpa, et
le ganglion de Corti. Il appartient à la formation neurale des ganglions
spinaux et dénonce de bonne heure sa signification métamérique. Je n'in-
xii 10
134 PIERRE BONNIER
sisterai pas sur ce point que j'ai longuement développé ailleurs (1).
Ce ganglion auriculaire est donc le centre d'un protoneurone centripète
ou plutôt d'un énorme amas de protoneurones parallèles, dont les cellu-
les, les premières cellules bipolaires qui aient été d'ailleurs décrites, ont
un prolongement afférent qui atteint le neuroderme sensoriel périphéri-
que (rameaux sous-ectodermiques du vestibule et de la cochlée) et un pro-
longement efférent qui va s'épanouir au niveau des éléments médullaires
des cornes postérieures. C'est ce prolongement efférent qui constitue le
tronc labyrinthique proprement dit. En d'autres termes, le nerf labyrin-
thique est une racine postérieure plus longue que les autres, dont le gan-
glion se trouve éloigné de l'axe médullaire et relégué au fond du conduit
auriculaire qui adopte ainsi la signification morphologique d'un trou in-
tervertébral et dont les rameaux périphériques, au lieu de présenter toute
la longueur des nerfs sensitivo-sensoriels des paires mixtes rachidiennes,
se trouvent au contraire d'autant plus réduits qu'ils rencontrent immédia-
tement la périphérie sensorielle, c'est-à-dire les papilles labyrinthiques.
Celles-ci ne sont que des portions d'ectoderme involué dès les premiers
temps du développement embryonnaire. Ces prolongements se sont divisés
en rameaux à mesure que les papilles dérivaient les unes des autres pour
fournir aux nécessités de l'adaptation fonctionnelle de l'appareil labyrin-
thique ; puis les ganglions se sont fragmentés à leur tour. C'est ainsi que
la papille utriculaire primitive a donné successivement la papille utriculo-
sacculaire, puis les papilles utriculaire et sacculaire. De la première dé-
rivent une, deux, puis trois crêtes papillaires qui suivent la formation
des ampoules des canaux semi-circulaires. De la papille sacculaire vont
dériver d'abord la papille lagénaire, puis celle de la partie initiale du
limaçon et enfin, avec un extraordinaire développement, la vaste papille
spirale du limaçon. Certains tronçons de papilles avortent, et je les né-
glige. Le développement remarquable du limaçon et de la fonction audi-
tive si récente, mais d'une adaptation si rapide chez les Vertébrés supé-
rieurs, a en quelque sorte fait un appareil distinct de la papille cochléaire.
Il en est résulté que le nerf cochléaire, devenu énorme, occupe la plus
grande place dans le tronc labyrinthique, et que la fonction cochléaire,
l'audition tonale, la plus consciente, mais non la plus ancienne ni la plus
importante des fonctions auriculaires, a donné son nom à l'appareil tout
entier. On dit : l'appareil de l'audition, le nerf auditif. C'est un abus sans
doute, qui a eu le plus déplorable retentissement dans l'étude de la con- '
tribution de l'appareil labyrinthique à la symptomatologie des affections
nerveuses en général, et plus particulièrement du tabes. Ces troubles au-
(1) L'oreille, anatomie I, coll. Léauté.
LE TABES LABYRINTHIQUE 135
ditifs tiennent relativement peu de place dans la clinique nerveuse. Les
troubles labyrinthiques tiendront, j'en suis convaincu, une place de plus
en plus importante.
On décrit donc au ganglion auriculaire deux grands rameaux périphé-
riques, d'une part le nerf cochléaire, et d'autre part le tronc vestibulaire
qui renferme les trois nerfs ampullaires, l'utriculaire et le sacculaire. De
son côté le ganglion de Corti, la partie du ganglion auriculaire qui s'en-
roule dans le moyeu du limaçon, le long du canal de Rosenthal, s'est tout
à fai t isolé du ganglion de Scarpa, le vieux ganglion rachidien resté dans le
trou auriculaire, légèrement dissocié par les divers systèmes de fibres qui
les traversent.
Dans le trou auriculaire les deux systèmes de fibres sont accolés, et le
tronc cochléaire reste toujours distinct du vestibulaire. Je ne retracerai pas
ici la description des centres bulbo-protubérantiels, cérébelleux, cérébraux
de l'appareil labyrinthique; cette description serait trop longue et je n'en
donnerai que les points intéressant notre sujet, c'est-à-dire le tabes laby-
rinthique.
Remarquons tout d'abord que les centres primaires, bulbo-protubéran-
tiels, ceux qui correspondent aux cornes postérieures de la moelle, sont si
haut placés dans le voisinage des centres supérieurs que les fibres qui en
émanent n'ont aucune raison de se former en cordons pour cheminer de
conserve, et qu'ils se dispersent immédiatement en tous sens sans former
de cordons homologues aux cordons postérieurs de la moelle. Ceci est im
portant à considérer au point de vue anatomo-pathologique.
Néanmoins il est facile de suivre la superposition des voies labyrinthi-
ques aux voies médullo-cérébrales et médullo-cérébelleuses émanées des
racines postérieures.
On peut reconnaître dans l'appareil émané des racines postérieures deux
systèmes de voies centripètes véhiculant des images sensitivo-sensorielles
dont les champs sensoriels sont distincts. Pour l'un, champ sensoriel est
objectif, c'est-à-dire extra-organique ; c'est l'ensemble des appareils tacti-
les superficiels, le toucher sous toutes ses modalités ; il a pour conducteurs
des fibres grêles externes, à engainement myélinique plus tardif, aboutis
sanl à la tête des cornes postérieures, d'où les impressions s'élèvent vers les
centres supérieurs et corticaux, pour former les images tactiles de toute
nature, tactilité tégumentaire. thermesthésie, etc. Ces centres occupent les
zones sensitives paicto-occipitcles. A cet appareil spinal correspond un
système labyrinthique à champ également objectif, l'audition elle-même,
qui a pour conducteurs de mômes fibres grêles externes, à engainement
myélinique également tardif. C'est le nerf cochléaire, aboutissant dans la
protubérance à des noyaux primaires (noyau antérieur, tubercule acousti-
136 PIERRE BONNIER
que, et olives), qui sont les prolongements de la tète des cornes postérieu-
res de la moelle. De ces noyaux partent les impressions qui, soit directe-
ment, soit après d'intéressants relais, vont vers les centres supérieurs et
corticaux former les images auditives (zones auditives temporales). Ces
deux appareils sont donc de tous points parallèles entre eux. Ils sont de
plus croisés, c'est-à-dire se dirigent vers l'hémisphère cérébral opposé.
Pour l'autre système centripète nous trouvons un appareil dont le champ
sensoriel est subjectif, c'est-à-dire infra-organique. C'est, pour la moelle,
l'ensemble des appareils tactiles profonds, articulaires et autres. Il a pour
conducteurs des fibres grosses internes, à engainement myélinique précoce,
aboutissant à la'base des cornes postérieures, et particulièrement à la co-
lonne de Clarke, d'où les impressions vont d'une part vers le cervelet, par
voie directe, former les images d'attitudes segmentaires indispensables
à l'équilibration réflexe,- et, d'autre part, vers le cerveau, par voie
croisée, former les images d'attitudes segmentaires indispensables non
seulement à l'équilibration volontaire, mais à tous les mouvements appro-
priés. C'est le sens des attitudes segmentaires dont le siège cortical occupe
les zones d'appropriation motrice, zones purement sensorielles et, par
abus, nommées motrices (fronto-ariétales). Pour le labyrinthe, c'est
l'ensemble de l'appareil vestibulaire, et surtout ampullaire ; il a pour con-
ducteurs de grosses fibres internes, a engainement myélinique également
précoce, aboutissant, sous le plancher du quatrième ventricule, à des
noyaux (n. interne ou triangulaire, n. de BechtIJre1V, et Il. de Deiters rap-
pelant la colonne de Clarke) qui sont les prolongements de la base des
cornes postérieures . De ces noyaux partent les impressions qui vont
d'une part vers le cervelet, par voie directe, former les images d'attitudes
céphaliques indispensables à l'équilibration réflexe, - et d'autre part,
vers le cerveau, par voie croisée, former les images d'attitudes céphali-
ques, les images d'identité somatique, c'est-à-dire d'unité de localisation
subjective, indispensables à l'équilibration volontaire et à tous les mouve-
ments appropriés. C'est le sens des attitudes céphaliques et de l'orienta-
tion subjective directe, dont le siège cortical est surtout la pariétale ascen-
dante, zone purement sensorielle indispensable à l'exercice de la motricité
volontaire. Nous aurons à revenir sur ce sens si important, le sixième sens,
quand nous poserons la question au point de vue physiologique.
Il existe dans la moelle des fibres qui des cornes postérieures vont direc-
tement vers les centres nucléaires des cornes antérieures, formant un
arc réflexe d'une extrême brièveté. De môme nous trouverons au niveau
des centres labyrinthiques bulbo-protubél';1l1ticls des fibres unissant cer-
tains noyaux labyrinthiques primaires, prolongeant les cornes postérieu-
res,à des centres nucléaires prolongeant les cornes antérieures de la moelle.
LE TABES LABYRINTHIQUE 137
Certaines de ces fibres vont au noyau du facial. Certaines autres s'élèvent
du noyau interne et du noyau de Deiters vers le noyau de la sixième paire
du même côté (noyau oculo-moteur externe) et vers les noyaux de la troi-
sième paire du côté opposé. Il est de plus très vraisemblable qu'il existe
des rapports avec la troisième paire du même côté. Nous verrons plus loin
l'importance considérable de ces remarquables connexions.
Voici donc des données anatomiques qui confirment l'homologation des
flbresdu système labyrinthique et de leurs centres avec l'appareil des racines
postérieures et de leurs centres primaires. De par l'anatomie normale,
s'il existe une affection qui frappe systématiquement ce qu'on appelle
le protoneurone centripète, c'est-à-dire le ganglion spinal et ses branches
afférentes et efférentes, extra et intra médullaires, cette affection nepourra
manquer d'intéresser, par sa systématisation même, le plus considérable
de ces protoneurones hulbo-médullaires, c'est-à-dire le ganglion auricu-
laire deScarpa-Corti, et les branches du tronc labyrinthique. Nous pouvons
donc admettre a priori que de par l'anatomie elle-même, aucun appareil
n'est plus systématiquement menacé par le tabes que l'appareil labyrin-
thique.
Anatomie pathologique. L'anatomie pathologique est, sur cette ques-
tion, assez peu définitive. Mais j'ai fait plus haut une remarque dont il im-
porte ici de tenir le plus grand compte. Les noyaux primaires de la protu-
bérance et du bulbe auxquels aboutissent les fibres centripètes du tronc
labyrinthique émettent sans doute vers les centres supérieurs un très grand
nombre de fibres, plus qu'aucun centre médullaire des racines postérieu-
res. Mais tandis que les fibres émanées des centres médullaires des racines
postérieures cheminent de conserve le long de la moelle et se forment en .
cordons systématisés qui rendent très manifestes les lésions présentées si-
multanément par un grand nombre de fibres parallèles, il n'en est pas de
même pour les fibres émanées des centres labyrinthiques. Celles-ci diver-
gent en tous sens, qui vers le cervelet, qui vers les tubercules quadriju-
meaux, qui vers le gros faisceaux des anses pédonculaires après de nom-
breux entrecroisements au niveau duraphé. Il n'existe plus ici de cordons
systématisés, ni de faisceaux de fibres parallèles, chaque fibre gagnant iso-
. lément ou à peu près isolément les centres supérieurs dont beaucoup ne
sont pas éloignés. Ces mêmes lésions, si apparentes au niveau des cordons
ascendants et parallèles de la moelle, ne se montrent plus ici qu'indivi-
duellement ; et si l'atrophie des fibres peut se reconnaître, la sclérose fasci-
culaire n'a guère lieu de se dessiner.
. En revanche s'il n'y a pas ou guère de sclérose des cordons, z faute
de cordons - l'atrophie des fibres labyrinthiques a été depuis longtemps
138 PIERRE BONNIER
signalée, et sur ce point la lésion du protoneurone centripète y est plus
évidente qu'au niveau des racines postérieures. Wernicke, Althaus décri-
vent dans le tabes une névrite atrophique de la huilièmepaire qu'ils com-
parent à la névrite optique. Strumpell rapporte deux cas où il a observé
simultanément l'atrophie du nerf acoustique et celle du nerf optique.
Oppenheim et Siemerling ont constaté, également dans un cas de tabes,
une atrophie de la plupart des faisceaux du nerf vestibulaire au voisinage
des gros noyaux postérieurs. Ces faisceaux étaient transformés en tissu
conjonctif riche en noyaux. La sclérose y était donc apparente dans les
racines intra-bulbaires du tronc vestibulaire. De même, Ilahermann a
observé, chez un tabétique sourd depuis douze ans, une atrophie profonde
des nerfs acoustiques qui n'étaient plus que deux bandelettes. Les fibres
du nerf cochléaire avaient presque toutes disparu et quelques cellules gan-
glionnaires seules persistaient. Enfin Collet a examiné le bulbe d'un ta-
bétique de Pierret, et a trouvé également l'atrophie des racines du nerf
cochléaire sous le plancher du quatrième ventricule au niveau du calamus.
Les petits amas cellulaires dont est semé le nerf à cet endroit a l'état nor-
mal avait presque totalement disparu.
Ces cas sont peu nombreux, on le voit, mais de leur juxtaposition nous
pouvons reconnaître que,depuis la périphérie papillaire jusqu'aux noyaux
bulbo-protubérantiels, tous les points du protoneurone labyrinthique ont
été atteints dans le tabès ; et pour cette grosse racine postérieure qui est
le tronc labyrinthique, on en sait plus, au point de vue anatomo-patho-
logique, que pour toutes les autres racines postérieures spinales.
Remarquons que dans la surdité d'origine périphérique sans lésion
primitive du tronc nerveux, l'atrophie est loin d'avoir cette allure ; et il
semble que, dans ces cas, il s'agisse bien d'une atrophie primitive du
protoneurone labyrinthique.
Néanmoins, si dans beaucoup de cas peut-être cette atrophie n'est pas
primitive, il faudrait la considérer secondaire à quelque affection périphé-
rique de l'oreille elle-même, labyrinthe ou oreille moyenne. Or, les
affections de l'oreille sont extrêmement fréquentes chez les tabétiques, en
dehors des lésions de pure coïncidence et sans valeur systématique, telles
qu'obstruction cérumineuse, otite accidentelle ou spécifique qui n'ont
ici aucun intérêt ; mais quelques causes plus spéciales interviennent ici
dans l'étiologie des affections auriculaires chez les tabétiques.
L'âge auquel peut survenir le labes est, en général, aussi celui où
l'oreille commence à se scléroser, bien que l'on sache combien l'athérome
précoce se' porte volontiers, d'une part sur les tympans membraneux de
l'oreille moyenne et de l'oreille interne, et d'autre part sur les artères
flexueuses et glomérulaires de l'oreille interne, où les anévrysmes mi-
LE TABES LABYRINTHIQUE 139
liaires sont peut-être plus fréquents que partout ailleurs. Il y a sans doute
là une cause de coïncidence fréquente entre la lésion médullaire et la
lésion labyrinthique périphérique. Mais il faut admettre que c'est surtout
au niveau des centres labyrinthiques que doit apparaître la lésion systé-
matique.
D'autre part, qui dit tabes dit souvent syphilis, c'est-à-dire encore une
chance d'athérome auriculaire. Peu d'organes] sont plus accessibles à
l'athérome que les membranes de l'oreille moyenne et celles de l'oreille
interne. Ces dernières sont simplement recouvertes d'un endothélium sur
lequel peut en outre s'exercer l'action prolongée des intoxications chroni-
ques et les troubles trophiques dus aux intoxications, aux infections
aiguës s'y font naturellement sentir, absolument comme sur les endothé-
liums du rein. Il en résulte des troubles dans la quantité et la qualité des
excrétions qui, par un cercle vicieux fréquent en pathologie, réagissent à
leur tour sur la vitalité des parties molles en contact avec les liquides
labyrinthiques vasculaires et circumvasculaires.
Collet (1) insiste avec raison sur un trouble auriculaire très fréquent
dans le tabes. C'est la névralgie du trijumeau, douleurs fulgurantes, ou
encore son anesthésie, son analgésie, l'engourdissement, ou encore les
troubles trophiques dépendant de ce nerf^qui donne la sensibilité à une
grande partie de l'appareil auriculaire, et dont les lésions nucléaires ont
un retentissement si formidable au niveau du système vasculaire timpa-
nique et labyrinthique.
« Cette coexistence des lésions du trijumeau et des lésions de l'oreille,
remarque Collet (2) , lésions que leur unilatéralité vient rendre quel-
quefois plus apparente, mérite une attention toute particulière. Dans les
cas où elles sont symétriques, il est permis de n'y voir que l'extension
progressive du tabes vers le bulbe, ou sa localisation initiale dans ce
point des centres nerveux; il n'y a rien d'étonnant à ce que le tabes frappe
simultanément l'acoustique et le trijumeau. Mais dans le cas où les lésions
de l'oreille et du trijumeau sont du même côté, cette interprétation est
déjà moins séduisante ; elle l'est moins encore si l'on veut bien remarquer
qu'il ne s'agit pas toujours en pareil cas de la coexistence d'une lésion
des deux nerfs, mais quelquefois de la coexistence d'une lésion du triju-
meau, et d'une lésion de l'oreille moyenne, avec intégrité parfaite du nerf
acoustique. Des recherches récentes ont montré quel rôle important reve-
nait aux nerfs de sensibilité générale et aux nerfs trophiques dans le
fonctionnement normal des organes des sens... » Il est très admissible,
en effet, que l'abaissement de l'ouïe chez certains tabétiques s'explique,
(1) F. J. Collet, Les troubles auditifs du tabes, Lyon, 1894.
(2) Loc. cit., p. 151. -
140 PIERRE BONNIER .
comme le pense Collet, par la lésion des nerfs trophiques. La névralgie
du trijumeau existe, d'après lui, dans les 2/5 des cas, et explique non
seulement les faits d'ostéoporose du maxillaire, mais les troubles trophi-
ques de l'oeil et de l'oreille, l'atrophie simultanée des papilles et l'am-
blyopie associée à la surdité par étranglement papillaire.
En résumé, nous voyons qu'il est possible de trouver soit dans une lésion
de l'appareil de transmission, soit dans celle de l'appareil de perception,
c'est-à-dire dans l'appareil labyrinthique tant périphérique que central, la
raison anatomique de la fréquence extrême des symptômes labyrinthiques
dans le tabes : et cette variété de localisation de la lésion causale nous per-
met de répéter que l'appareil labyrinthique a toujours quelque droit à
figurer dans la symptomatologie de cette affection.
L'anatomie systématique et l'anatomie pathologique de son côté nous
montrent donc que l'appareil labyrinthique est directement exposé, et légi-
timement, à l'offense de la lésion tabétique, quelle que soit la théorie pa-
thogénique ; et nous verrons dans la partie clinique de cette étude qu'en
donnantà la symptomatologie des affections labyrinthiques toute son éten-
due, aucun appareil ne contribue pour une part aussi considérable et aussi
constante à la symptomatologie du tabes.
Physiologie. Le caractère systématique de l'affection tabétique est
apparu tout d'abord par l'analyse topographique de la lésion anatomique.
Mais si l'on y regarde de plus près, on constate que cette systématisation
est avant tout fonctionnelle et qu'elle n'est anatomique que parce qu'elle
est physiologique. C'est un système fonctionnel qui est attaqué, bien plus
qu'une distribution organique, et à ce titre encore bien plus que par sa
qualité de racine postérieure plus importante que toutes les autres, l'appa-
reil labyrinthique était, de par son appropriation physiologique, la victime
de choix vouée à la maladie.
Non seulement en effet le tabes et les conditions ordinaires de sa pro-
duction menacent l'organe auriculaire dans son fonctionnement d'appareil
à membranes, à papilles, et à excrétion angio-endothéliale , mais la systé-
matisation même de l'affection tabétique ne peut pas ne pas intéresser les
fonctions auriculaires.
En réalité, indépendamment des fonctions auditives, qui exposent l'o-
reille à une affection systématique qui atteint si profondément toutes les
fonctions sensitivo-sensorielles, il est une attribution labyrinthique qui ap-
partient au système physiologique le plus primitivement et le plus profon-
dément compromis par le tabes.
Cette fonction, la plus ancienne des fonctions allribuables aux organes
auriculaires et aux formations physiologiques qui ont précédé l'oreille dans
LE TABES LABYRINTHIQUE 141
la série animale, est ce'que j'ai appelé l'orientation subjective directe, ou
sens des attitudes céphaliques, ou plus simplement sens ampullaire. Elle ap-
partient aux fonctions labyrinthiques et præl<1hyrinthiques les plus diver-
ses, aux plus parfaites comme aux plus rudimentaires J'a i étudié le fonc-
tionnement et les fondions de ces merveilleux appareils, depuis les pre-
mières modifications ectodermiques jusqu'au labyrinthe de l'homme, dans
le 2e et le 3e vol. de mon travail sur L'oreille (Coll. Léauté). Je rappellerai
seulement que le nerf ampullaire véhicule, des crêtes ampullaires des
canaux semi-circulaires de l'oreille interne aux centres bulbaires, cérébel-
leux et cérébraux, les données sensorielles qui fournissent, par leur com-
position, les images d'attitudes, et des variations d'attitudes, c'est-à-dire
des mouvements passifs ou actifs, du segment céphalique. C'est dans l'in-
suffisance et surtout dans l'irritation de ce service sensoriel que réside le
vertige proprement dit.
Les mouvements de la tête jouent dans l'exercice de l'équilibration un
rôle des plus importants. La tête occupe en effet le poiut le plus élevé du
corps au-dessus de notre base de sustentation, et ses mouvements mesurent
dans leur plus grande amplitude les moindres écarts autour de l'attitude
verticale. De plus le centre du monde objectif révélé par la vue est égale-
ment la tête, et la moindre variation d'attitude de la tête modifie la dis-
tribution perspective des objets de notre milieu par rapport à nous. La
notion de l'attitude de notre tête au moment d'un regard quelconque en-
tre forcément pour une grande part dans l'orientation des objets regardés,
par rapport à nous. Je reviendrai sur ce point.
. La tête est enfin en quelque sorte la base et le centre d'opérations de
toutes nos investigations sensorielles, surtout pour ce qui concerne les
fonctions d'orientation, soit objective, soit subjective.
L'orientation objective est, dans chaque domaine sensoriel, la localisa-
tion, l'extériorisation, la distribution, bref l'orientation des choses de
notre milieu par rapport à nous. ,
Quant à l'orientation subjective, qui nous fournit la notion de notre pro-
pre situation dans notre milieu, elle s'effectue de deux façons. Il y a tout L
d'abord l'orientation subjective que j'ai dite indirecte, qui résulte du ren-
versement de l'orientation objective : la même opération qui définit topo-
graphiquement notre milieu par rapport à nous, définit forcément par
renversement notre situation dans notre milieu et par cette orientation
réfléchie, le sujet qui oriente devient en même temps l'objet de l'orienta-
tion. Tous les sens, et tous possèdent l'orientation objective, contribuent
par un renversement de leurs opérations, à former cette orientation sub-
jective, que j'appelle indirecte pour l'opposer à la suivante.
Il existe en effet une autre forme d'orientation subjective, que l'on doit
142 PIERRE BONNIER
considérer comme directe, pour laquelle il n'y a pas de repères objectifs,
c'est-à-dire extraorganiques. Sa forme,la plus concrète est ce que j'ai
nommé sens des attitudes. Il faut distinguer, pour analyser le domaine et
l'exercice de ce sens, les attitudes segmentaires et les attitudes totales.
Le sens des attitudes segmentaires est ce qu'on désigne souvent sous le
nom de « conscience de la position des membres ». J'avoue préférer de
beaucoup le terme attitude au terme position. Position peut en effet signi-
fier situation, localisation, distribution dans le milieu objectif; le mot
attitude a une signification plus subjective, c'est plus une position considé-
rée en elle-même, en soi, indépendamment du milieu extérieur. Un mem-
bre sera posé par terre, sur le lit, en l'air ; mais il sera dans l'attitude de
flexion, d'extension, de supination, etc. Le mot position a une significa-
tion tellement objective, qu'en l'outrant un peu, on a pu dire, par exem-
ple, « coucher sur ses positions » ; tandis que l'attitude reste toujours une
qualité subjective, elle est l'expression d'un état plus que celui d'un rap-
port. -
Je préfère d'autre part le mot segment au terme membre. La tête, le cou,
le tronc ne sont pas des membres, ce sont des segments du corps : segment
étant pris ici dans le sens de partie de l'organisme susceptible de mouve-
ments propres. Or, les attitudes segmentaires signifient les attitudes de
toutes les parties mobiles du corps, tandis que la position des membres ne
peut signifier que la distribution dans l'espace de certaines de ces parties
mobiles, les membres articulés. Mon expression est donc plus générale,
plus compréhensive et plus exacte aussi.
Avant de passer au rôle propre du sens ampullaire, et au sens des atti-
tudes totales, il importe de discuter la valeur physiologique du sens des
attitudes segmentaires.
On le confond communément, en clinique, avec le problématique et mal
défini sens musculaire. On dit par exemple que tel ataxique a perdu le sens
musculaire parce qu'il oscille dans l'attitude debout, les yeux fermés, dans
l'attitude où il présente ce qu'on nomme le signe de Romberg, c'est-à-dire
l'incapacité de se tenir immobile, correctement droit ; or, la clinique nous
montre que ces oscillations autour de la verticale sont de règle chez les la-
byrinthiques à insuffisance ou à irritation ampullaire, et le sensditmuscu-
laire ne peut ici être mis en cause. Le malade oscille parce qu'il se repré-
sente maison attitude par rapport à la verticale, il n'en connaît plus que
les écarts assez sensibles, et l'exercice musculaire qu'il destine à son
maintien subit les fluctuations commandées par l'incohérence ou l'insuffi-
sance de ses représentations d'attitude.Tout mouvement volontaire, coor-
donné, de la vie de relation, et particulièrement, tout mouvement de lo-
comotion, tout effort ayant pour but la station d'équilibre, est forcément
LE TABES LABYRINTHIQUE 143
approprié au maintien ou à la variation d'une ou de plusieurs attitudes
segmentaires. Un mouvement est une variation d'attitude et n'est connu
subjectivement que comme variation d'attitude, objectivement en outre,
comme variation déposition, de localisation.
On a malheureusement trop intimement associé le mouvement à l'agent
moteur, la variation d'attitude à l'action musculaire qui la réalisait, la
conscience de la variation dans l'espace à celle de l'effort exercé. Il faut
distinguer trois points dans cette question délicate. Premier point : nous
avons conscience de nos attitudes et de leurs variations, aussi bien quand
le maintien ou la variation de nos attitudes sont passifs que quand ils sont
actifs et voulus. Deuxième point : nous avons conscience des phénomènes
produits au niveau des segments considérés, phénomènes dont la repré-
sentation varie selon que le maintien ou la variation de nos attitudes sont
passifs ou actifs. Troisième point : nous avons conscience des phénomè-
nes centraux, vraisemblablement cérébraux, qui nous révèlent si le main-
tien ou la variation de nos attitudes sont passifs ou actifs, voulus ou non.
Prenons donc successivement les deux cas d'attitude ou de mouvement
d'abord passifs, puis actifs.
L'attitude passive est celle dont le maintien n'exige aucun effort de notre
part.Lemouvement passif est une variation imposée à tels segments de notre
corps, sans que nous ayions dépensé la moindre force pour la réalisation
de ce mouvement.
J'ai conscience d'une attitude passive,. je sais quelle attitude affectent
tous les segments de mon corps, et je connais mon attitude totale. Comme
toutes les perceptions sensorielles, cette perception s'émousse assez rapi-
dement, s'il n'y a pas'variation dans l'objet de la perception, ou surcroît,
ou rappel d'attention. C'est pourquoi nous avons plus facilement conscience
d'un mouvement que d'une position, d'une variation d'attitude que d'une
attitude maintenue. C'est pourquoi aussi on s'est plus attaché à définir un
sens des mouvements qu'un sens des attitudes. D'autre part, comme le
mouvement voulu est forcément plus conscient qu'un mouvement subi,
comme le muscle est l'agent du mouvement actif, il était assez naturel que
l'on pensât plutôt à un sens musculaire qu'au sens des attitudes.
Mais revenons à celui-ci. Il est certain que nous avons conscience de nos
variations d'attitudes, aussi bien quand elles sont passives que quand elles
sont actives et voulues. Comment en avons-nous conscience ? Quand elles
sont passives, nos attitudes et leurs variations nous sont révélées par l'exer-
cice continu d'une tactilité superficielle et profonde, qui perçoit l'état de
toutes les parties de chaque segment susceptibles d'être garnies de termi-
naisons sensorielles. Dans chaque attitude, l'état de ces parties est repré-
senté par une image d'ordre tactile, mais de signification subjective et in-
144 ' PIERRE BONNIER
traorganique. Quand l'altitude varie, l'état de ces parties varie également
et donne lieu aune autre représentation sensorielle. Un mouvement est re-
présenté par une série ininterrompue d'images d'attitudes. Les téguments,
comme lestissusprofonds, os, articulation, fascias, tendons, muscles même,
fournissent à cette tactilité superficielle et profonde des images élémen-
taires dont la composition définit l'attitude du segment considéré à ce
moment, donné. L'attitude étant passive, il n'y entre aucune notion d'ac-
tivité musculaire, et le sens musculaire des auteurs n'a ahsolument rien à
y voir.
Quand les attitudes et leurs variations sont actives, l'activité musculaire
entre en jeu. Nous avons conscience qu'il se passe au niveau du segment
considéré quelque chose de plus que dans le cas précédent. Je n'ai pas
à refaire ici l'historique déjà long des théories du sens musculaire, ni
à en faire la critique; je procéderai uniquement par l'analyse subjective.
Quand l'attitude considérée n'est plus passive, mais maintenue on
modifiée activement par l'intervention des muscles, les parties tégumen-
taires et profondes des segments intéressés offrent sans aucun doute à
l'analyse tactile des images élémentaires autres que dans le cas où le
maintien ou la variation d'attitude sont passifs. Le muscle se raccourcit,
se gonfle, se durcit, les tendons sont tiraillés, les surfaces articulaires
fortement coaptées en certains points, les ligaments et aponévroses péri-
articulaires sont distendus, la forme du segment varie et les téguments
sont le siège de variations de forme, d'expansion, de pression, etc.
Si nous analysons une même attitude segmentaire, un même mouve-
ment, selon qu'ils sont réalisés passivement ou activement avec interven-
tion de notre propre activité musculaire, l'image d'attitude, l'image de
mouvement seront les mêmes, puisqu'il s'agit d'une même attitude, d'un
même mouvement, mais les images tactiles élémentaires, superficielles et
profondes, seront très différentes, selon qu'il s'agit de phénomènes passifs
ou actifs. II y a en plus la sensation d'activité. Est-ce spécialement la sensa-
tion d'activité musculaire qu'il faut dire ? Non, je sens que mon mouve-
ment est actif et voulu, mais je ne sens rien de musculaire dans cette acti-
vité. J'ai à l'intérieur des segments la sensation de tension, de traction, de
pression, de gonflement, de déplacement des parties profondes et superli-
cielles, sans doute le muscle a sa sensibilité, comme tous les autres tissus
qui composent le segment, mais sais-je plus qu'un muscle ou plusieurs se
sont contractés, que je ne sais qu'un ou plusieurs ligaments sont distendus,
ou tiraillés, telle aponévrose refoulée, etc. Je sais qu'il se passe dans ces
segments, en cas d'attitude activement maintenue ou modifiée quelque
chose de plus que dans le cas de passivité ; mais quelque chose ne me
donne nullement la sensation d'un état musculaire ; c'est une variation de
LE TABES LABYRINTHIQUE 145
force, de résistance et de forme dans l'état de presque toutes les parties
profondes et superficielles du segment. Il y a en plus de l'activité dans l'at-
titude ou dans le mouvement,ou plutôt une sensation d'activité, mais pas
plus de sens musculaire que de sens articulaire, aponévrotique, ligamen-
taire, tégumentaire, etc. Il y a une activité superficielle et profonde, qui
définit l'attitude et cetle définition repose sur des opérations de même na-
ture, mais de valeurs différentes, selon que l'attitude est passive ou active.
La notion de résistance est forcément d'ordre tactile ; elle résulte d'une
intensité variable dans les sensations de pression au contact ou de tiraille-
ment. Ces sensations sont plus extramusculaires que musculaires à propre-
ment parler.
Au niveau du segment ou des segments acti fs, j'ai donc le pouvoir de lo-
caliser une sensation d'activité qui s'ajoute à la notion d'attitude, mais
rien ne me permet objectivement ni subjectivement d'attribuer cette acti-
vité à la contraction musculaire, si je ne l'ai appris autrement. Les ima-
ges d'attitudes et de mouvements sont donc forcément localisées et tout
en restant du domaine subjectif et intraorganiques elles s'objectivent à la
périphérie de notre tactilité. Il en est ainsi de toutes ces perceptions :
elles sont à la fois subjectives et objectives ; subjectives en ce sens qu'elles
se localisent sur nous-même, et objectives en ce sens qu'une partie de
nous-môme les sent et les localise en nous. Ce qui se passe en ma main
est subjectif puisque ma main fait partie démon moi organique ; c'est
aussi objectif en ce sens que cette partie de moi est connue, perçue, ana-
lysée, localisée, par moi-même et qu'en la percevant, je l'extériorise en
quelque sorte de ma connaissance. '
La perception a pour effet d'objectiver la chose perçue, quelle qu'elle soit :
l'effort que nous faisons pour nous définir à nous-même une perception,
une sensation, est avant tout un effort d'objectivation. Il suffit que l'on
analyse une sensation, même intime et profonde, pour qu'en cherchant à la
formuler, à la définir, on lui prête un corps, une identité objective par le
fait même du recul que nous devons prendre pour accommoder la vision de
notre conscience. Quand, les doigts ouverts et les yeux fermés, je fixe
l'attention de mon sens des attitudes segmentaires successivement sur
les cinq doigts de ma main, j'éprouve une double sensation. D'abord cha-
cun de mes doigts, à mesure que mon attention s'y porte, semble s'animer
et s'affirmer à moi objectivement; il se fait sentir et connaître il moi,
comme si sa personnalité de segment de mon organisme sortait des ténè-
bres démon inconscience et s'offrait à cette vue intérieure qui me révèle
le détail de ma personnalité somatique. Le sens des attitudes fixe tel point
de mon corps comme l'oeil le fixerait pour sa part. Je sens tel doigt en y
fixant mon attention, comme je le verrais en le regardant. Mais en même
146 PIERRE BONNIER
temps que je fais varier l'orientation de mon champ sensoriel en le diri-
geant vers tel ou tel point, j'ai la sensation de ce travail d'attention auquel
je me livre, j'ai la notion de l'effort d'accommodation sensorielle de mon
sens des attitudes, vers tel ou tel point de mon organisme...
Quand il s'agit non plus de me représenter une attitude segmentaire,
mais une variation d'attitudes, mon attention redouble et s'efforce encore.
Dans les expériences de Cumberland, cette attention du sens des attitudes
segmentaires est poussée à l'extrême de la part de la personne conduite.
Mais quand il s'agit d'une attitude maintenue activement, volontaire-
ment, avec une variation active d'attitude, la sensation se complique de la
perception de l'effort voulu. Il y a déjà la sensation de l'effort exercé,
réalisé, perceptible au niveau du segment considéré, nous l'avons vu plus
haut. Mais il y a en plus la sensation de la volonté employée, de l'effort de
réalisation, c'est à peu près ce que Wundt a appelé la sensation cl'izne ?
vation. J'ai d'une part la sensation des modifications produites au niveau
du segment actif par l'effort musculaire, sensation qui n'est pas plus
musculaire qu'articulaire ou cutanée ; mais j'ai d'autre part la sensation
de quelque chose de tendu dans le cerveau, la sensation qu'une partie de
ma volonté générale, disponible, est en ce moment en tension, si je puis
dire. De quelle nature est cette sensation ?
Il m'est possible d'analyser ce que je ressens cérébralement et indé-
pendamment de la sensation périphérique et segmentaire de l'effort réa-
lisé, quand je veux cet effort. C'est,avant tout, la conscience, la sensation de
l'exercice de ma faculté d'attention ; je ne trouve pas de mot plus juste.
Quand je veux comprendre, sentir, percevoir, quand je veux me sou-
venir, retrouver une image, - quand je veux maîtriser un mouvement ré-
flexe, un trouble moral ou organique ou quand je veux réaliser un geste,
un effort moteur, c'est toujours la même sensation cérébrale que
j'éprouve, une perception de tension, d'attention dans la faculté en jeu.
Si cela s'appelle volonté, la sensation de ma volonté agissante est la même
pour un effort de mémoire, de compréhension, de perception ou d'action
motrice. J'ai souvent cherché à analyser celle sensation d'effort nerveux
et à voir si elle varie de forme selon ses applications à telle ou telle fa-
culté, je n'y suis jamais parvenu. C'est évidemment le même mode d'exci-
tation et d'appel que nous pouvons appliquer à telle partie de notre
écorce et comme celle-ci est en réalité très uniforme malgré ses complexes
attributions, si variables selon les points considérés, la sensation de sa
mise en travail est également uniforme. Et cela se conçoit si l'on réfléchit
que ce qui semble différencier l'écorce en attributions fonctionnelles, ce
qui fait que telle région cérébrale semble toute différente de telle autre,
ce n'est pas sa nature propre, sa structure à ce point donné, mais bien
LE TABES LABYRINTHIQUE 147
son domaine extérieur, l'exploitation lointaine de sa signification corti-
cale. De même que tel point de l'écorce commande le langage, tel autre
point la danse et la marche, sans différer pour cela en tant qu'écorce céré-
brale tout en offrant de grandes différences dans l'office fonctionnel, de
même l'écorce pensante, sensorielle, n'a pas à différer beaucoup de l'écorce
qui régit les appropriations motrices aux images d'attitudes et de mouve-
ments. Seulement l'image de telle région représente une attitude et c'est
naturellement cette région qui commande à la motricité médullaire appro-
priée à cette attitude ; l'image de telle autre région représente telle sensa-
tion, telle faculté psychique, etc., et n'aqu'indirectement rapport avec la
motricité. Mais la mise en tension de toutes ces régions est sentie de
même, parce qu'elles offrent le même mode de mise en tension, et que ce
phénomène est sensiblement le même dans tous les points où nous éveil-
lons l'activité de notre écorce cérébrale.
Il n'y a donc pas de sens musculaire spécial. Nous sentons notre vo-
lonté, au point de notre écorce où elle prend naissance, nous en sentons
les effets associés au point de nos segments où ces effets se produisent.
L'ataxique médullaire, dorsal, garde la sensation de la volonté agissante,
il n'a plus celle de son activité et de son application motrices; il peut
vouloir et imaginer toutes les attitudes et tous les mouvements, mais il ne
les connaît plus objectivement par le sens des attitudes : la vue seule le
sert en ce point. Si le labyrinthe est intact, il ne sait plus bien régir les
attitudes indispensables à l'équilibration, mais il connaît les écarts d'équi-
libre ; si le labyrinthe est faussé dans son fonctionnement ou si les images
sont troublées, il ne connaît plus même les écarts d'équilibre ou en subit
d'imaginaires. Si le sens des attitudes segmentaires étant intact, le labyrin-
the est seul en défaut, l'équilibration se maintient grâce à la plus instante
vigilance du sens segmentaire et le plus souvent le conflit qui se produit
entre les opérations du sens ampullaire et du sens des attitudes segmentai-
res se manifeste par une des formes du signe de Romberg. L'exercice mus-
culaire destiné au maintien de l'équilibre subit nécessairement les fluctua-
tions commandées par l'incohérence des fonctions d'attitudes.
En admettant qu'il existe un sens musculaire, il ne pourrait naître que
de la sensation du mouvement destiné il rétablir l'équilibre perdu. Or, ce
mouvement est dicté par la sensation d'une perte de l'équilibre, forcément
antérieure à la recherche de son rétablissement. C'est donc le sens des at-
titudes qui, averti d'une oscillation incompatible avec l'attitude d'équili-
bre, commande l'exercice musculaire destiné au maintien de l'attitude, et
ce ne peut être que de cet exercice musculaire que naîtraient les sensations
d'activité musculaire dont on a cherché à faire un sens spécial.
Il y a plus; on comprend l'idée de sens musculaire à propos d'un ma-
148 PIERRE BONNIER
lade qui ne sait pas réaliser activement telle altitude commandée; mais,
quand ce malade, couché les yeux fermés, et à qui on prescrit la passivité
la plus grande, la résolution musculaire la plus complète, ignore l'atti-
tude que l'on donne à tel segment de ses membres, que vient faire, dans
ce cas d'inactivité musculaire, ce qu'on appelle le sens musculaire dans les
observations cliniques ? Comment, on cherche à placer le malade dans une
abstention musculaire telle que le sens de l'activité musculaire, s'il existe,
doit rester silencieux, et l'on constate, précisément alors, qu'il a disparu z
chez ce malade ? En réalité, l'ataxique, qui ne sait pas où sont placés et
comment sont disposés ses membres quand il ne les voit pas, a perdu la
notion subjective de ses attitudes. Quand on les dispose sans qu'il intervienne
activement, il a simplement encore perdu le sens des attitudes segmentai-
res ; quand il ne parvient pas, malgré l'intégrité de ses muscles, à réaliser
telle attitude commandée, ce n'est pas parce qu'il ne mesure pas l'activité de
ses muscles, ce n'est même pas parce qu'il coordonne mal ses efforts mus-
culaires,c'est simplement parce qu'il approprie mal ses efforts. Et s'il appro-
prie mal c'est parce qu'il ne se représente plus l'attitude de départ, les at-
titudes intermédiaires, et qu'il ne sait plus s'il a atteint ou dépassé l'atti-
tude d'arrivée, celle qu'il s'est corticalement proposée et représentée,
mais dont les images périphériques ne lui sont plus véhiculées, grâce à
l'interception des voies médullaires.
Quand j'exécute un mouvement volontaire, il me faut la notion cons-
ciente de l'attitude actuelle, celle que je dois faire varier, plus la
représentation forcément imaginative de l'attitude à laquelle ma variation
aboutira, - et aussi la représentation de la série des attitudes par lesquelles
je passerai de l'attitude de départ à l'attitude d'arrivée. Ai-je la moindre
notion que cette variation d'attitude s'effectue grâce à des muscles, à des
os, à des articulations ? Aucunement. Sais-je que je dépense telle somme
de force ? Nullement. Ce que je sais, c'est qu'à partir de la variation d'at-
titude, je réalise successivement les attitudes de passage, que je m'approche
déplus en plus de l'attitude d'arrivée, et, quand celle-ci d'imaginaire
devientréelle, c'est-à-dire représentée comme telle par les opérations du
sens des attitudes, la variation cesse. Ai-je, encore une fois, la moindre
idée du mécanisme grâce auquel mon attitude a varié; si j'ai contracté
tant d'extenseurs, tant de fléchisseurs, dans quelle proportion les uns et les
autres ont fonctionné ? Sais-je même où sont mes muscles et si j'en ai ? En
fait, de mes centres de représentation d'attitudes, qui selon moi ne sont
pas plus réellement des zones motrices que le sens des représentations
d'attitudes n'est un sens musculaire, de ces circonvolutions centrales est
partie une série de réflexes comme il en part de tout autre point de la
périphérie de l'appareil nerveux. Seulement, ceux-ci sont, par adaptation
LE TABES LABYRINTHIQUE 149
organique et fonctionnelle, destinés à mettre en oeuvre les activités mus-
culaires, inconnues de ma conscience, précisément parce que l'ap-
pareil moteur, le muscle, est en dehors de ma sensorialité, qui cor-
respondent respectivement à la réalisation des attitudes. Chaque attitude
répond à un certain groupement d'activités musculaires; chaque mouve-
ment, chaque variation d'attitude répond à une variation dans le tableau
d'emploi de ces activités musculaires, et, ce qui est conscient dans la mo-
tricité, c'est l'attitude. Quant la force dépensée, elle n'est que consécu-
tivement perçue, bien qu'elle puisse être imaginée d'avance, par expérience
acquise.
De même que je rejette toute idée de sens musculaire, de même je suis
forcé de ne voir dans l'ataxie qu'un défaut dans l'appropriation muscu-
laire par défaut dans la représentation de l'attitude et, par suite, je
dois constater qu'il n'y apas incoordination au sens exact du mot. L'ataxi-
que coordonne parfaitement ses efforts musculaires sous une appropriation
motrice qui est fautive. Un capitaine qui ne sait quelle tactique suivre
peut commander une fausse manoeuvre, laquelle sera parfaitement exécutée.
La fausse manoeuvre de l'ataxique dépend d'une appropriation motrice
exercée sans but bien défini et surtout sans contrôle, mais elle ne comporte
pas d'incoordination, et le mouvement absurde de l'ataxique coordonne
bien et approprie mal, parce qu'il est troublé dans la représentation de
ses attitudes segmentaires ; le choréique se représente bien ses attitudes,
approprierait bien, mais ne peut coordonner.
Ce sens des attitudes segmentaires, cette tactilité spéciale qui donne la
représentation des attitudes partielles des différents segments du corps,
complété par le sens des attitudes céphaliques, qui fournit par extension
la notion de l'attitude de tout le corps, constitue ce que j'ai nommé l'oricit-
tation subjective directe. C'est sur cette fonction que repose la plus grande
partie de l'intervention cérébelleuse dans la motricité. On sait les rapports
du cervelet et de l'appareil vestibulaire. Quand ce sens est altéré, notre
motricité et notre équilibration sont profondément troublées; elles ne se
maintiennent correctes que sous le contrôle infidèle de la tactilité, et sous
la direction infiniment plus précieuse de la vue. Quand celle-ci nous man-
que, comme dans le signe de Romberg ou dans l'obscurité, nous sommes
livrés à l'incohérence de nos images d'attitudes, et toute notre orientation
- en souffre.
Il est un appareil qui ne peut se passer des images d'attitudes et de mou-
vements céphaliques : c'est l'appareil de la vision. Cyon avait créé pour les
mouvements des globes associés aux mouvements de la tête le nom de
mouvements compensateurs, mais sa théorie inadmissible du sens de l'es-
parce compromet l'interprétation qu'il donne de ce mécanisme d'associa-
XII il
150 PIERRE BONNIER
tion. Breuer a mieux compris le rôle de l'oculomotricité à l'occasion des
mouvements passifs des globes pendant les déplacements de la tête. Ils
sont inertes et mobiles au moins dans une certaine mesure dans les ca-
vités orbitaires et doivent naturellement apporter quelque indocilité à
suivre les mouvements de la tète. Si, quand la tête tourne d'un certain
angle, l'oeil ne suit pas exactement la variation d'attitude, ou si même il
- met du retard à la suivre, la notion de la variation d'attitude fournie par
le labyrinthe et celle fournie par la vue ne concordent plus, et il faut que
l'oculomotricité répare cette cause d'erreur. Cette erreur d'appréciation,
ou plutôt ce trouble résultant des deux procédés d'orientation révélant la
variation d'attitude, disparaît dès que l'oeil est, par l'oculomotricité, im-
mobilisé dans l'orbite et que par conséquent la vue indique un écart d'at-
titude absolument superposable à celui que révèle le labyrinthe. Il faut
distinguer l'indocilité que met le globe à se conformer immédiatement au
déplacement de la tête, de la paresse qu'il apporte à détacher le regard de
la direction qu'il avait avant le déplacement de la tète. Ce dernier fait a
quelque chose de volontaire ; il s'agit d'un mouvement approprié appar-
tenant à l'acte volontaire du regard, et l'action de l'oculomotricité n'a ici
rien de réflexe ni de compensateur. Quand le mouvement de la tête ne
. permet plus à l'oeil de fixer le même point, l'oeil s'en détache et fixe un
autre point; c'est ce qui produit le nystagmus de rotation, ou le nystag-
mus de translation, celui qu'ont en chemin de fer les personnes qui veu-
lent fixer des objets que le déplacement du train force à abandonner
aussitôt.
Ce n'est pas du nystagmus il vrai dire, c'est un regard rapidement dé-
placé ; c'est le report continuel du regard vers d'autres points ; le vrai
nystagmus est spasmodique et celui dont nous nous occupons en ce moment
se produit également les paupières fermées. Chez certains sujets, le globe
de l'oeil met un grand retard à suivre le mouvement de la tête, et il revient
en position normale par,une véritable secousse; si le mouvement con-
tinue, l'oeil fait ainsi une série de sauts dans le sens de la rotation ; au
moment du saut, il n'y a pas de vision nette, tandis que, pendant le retard
du globe à se déplacer, l'oeil semble reculer par rapport au mouvement
de la tète, et se déplacer en sens inverse. Les objets que perçoit la rétine
sont donc animés du mouvement rotatoire inverse de celui de l'oeil et par
conséquent de même sens que le déplacement de la tête. Si notre milieu
paraît tourner avec nous, nous pensons tourner nous-même moins que
nous ne tournons en réalité, et c'est cette erreur qu'une oculomotricité très
sensible l'action delà vigilance ampullaire doit combattre aussitôt qu'elle
tend à se produire. Cette. question a été également discutée par Delage,
qui remarque qu'au moment de l'arrêt du mouvement de rotation de la tête,
LE TABES LABYRINTHIQUE 151
il se produit un nystagmus dans le sens de la rotation, et par conséquent
l'espace semble tourner en sens inverse de cette rotation, et se déplacer
par conséquent encore dans le même sens, après que nous nous sommes
arrêtés. Il fait de ce phénomène l'explication du vertige visuel dePurkinje.
Il se passe quelque chose d'analogue dans le mouvement de translation.
En chemin de fer, si nous sommes placés face à la machine, « allant en
avant », le paysage court naturellement en sens inverse ; si nous entrons
dans un tunnel, à la faible lueur de la lampe, il nous semble que la partie
opposée du compartiment vient à nous et que nous nous mettons à mar-
cher en sens inverse ; l'illusion disparaît en sortant du tunnel. 11 n'y a pas
cependant ici de nystagmus, et cependant l'illusion visuelle est nette.
Il y a ici plus qu'une illusion due à un trouble moteur de l'oeil, et j'y vois
une véritable hallucination d'une grande simplicité. Avant d'entrer dans
le tunnel, la fuite en arrière du paysage nous confirmait dans la sensation
de la projection du train dans le sens direct; cette fuite en arrière dispa-
raissait subitement par l'entrée dans le tunnel, l'image de la projection en
avant s'efface rapidement et la sensation produite par cette image anté-
rieure se transforme en la sensation inverse, laquelle éveille l'hallucina-
tion sensorielle. Il y a peut-être un mécanisme du même genre dans la
vision de la couleur complémentaire de la couleur que nous cessons subi-
tement de voir.
Ce que Delage prend pour un renversement subit du nystagmus n'est, à
mon avis, autre chose que l'oscillation du globe, qui se continue dans le
même sens que la rotation de la tête, après l'arrêt brusque de celle-ci.
Certains tabétiques ont ainsi des globes oculaires qui oscillent dans l'or-
bite et dépassent à chaque rotation de la tête la position normale. Les yeux
sont indociles à suivre la rotation, puis, quand celle-ci s'arrête, ils sont
encore indociles à l'action de cet arrêt. Il y a un ralentissement dans l'in-
tervention oculomotrice de fixation parce qu'il y a retard dans les opérations
labyrinlbiques. De même ce que Delage appelle le nystagmus inverse n'est
autre chose que l'indocilité que met le globe à suivre le mouvement de
l'orbite.
Mais ces phénomènes doivent s'étudier en dehors de l'action du regard,
c'est-à-dire les paupières abaissées, en appuyant les doigts sur la cornée
dont on perçoit les mouvements ; ou bien en faisant ouvrir les yeux du
malade aussitôt le mouvement de la tête exécuté et en notant la position im-
médiate des yeux, avant que le regard les ait de nouveau fixés et orientés.
On constate alors que ce nystagmus de rotation n'est pas sensible chez le
sujet sain et qu'il appartient donc surtout à la recherche du regard ; tan-
dis que chez le labyrinthique il apparaît au contraire assez nettement
quand les yeux sont fermés, ainsi que les oscillations exagérées du globe.
152 PIERRE BONNIER
Le tabétique présente ce retard du globe à suivre le mouvement et l'arrêt
de l'orbite, quand le labyrinthe est lésé dans ses centres, les mouvements
dits, je ne sais pourquoi, compensateurs, disparaissent quand la lésion la-
byrinthique centrale est définitive et bilatérale, car l'oeil n'a plus à se re-
prendre pour suivre ce mouvement qu'il ne connaît plus.
Clinique. Dans la première observation de tabes du mémoire de Du-
chenne, en 1858, la surdité et le bourdonnement sont signalés ; chose
curieuse, c'est, remarque-t-il, le seul malade chez lequel il ait trouvé des
troubles auditifs. Un certain nombre d'auteurs, Carre, Remak, Eisen-
mann, Pierret, Wernicke, Lucae, Erb, Allbaus, Vulpian, Leyden, Fournier
les ont depuis fréquemment retrouvés. Mais il importe, quand il s'agit
d'un organe aux attributions aussi complexes que l'oreille, de ne pas se
borner à relever uniquement les symptômes cochléaires, c'est-à-dire audi-
tifs, tels que surdité, bourdonnement. Il faut connaître la totalité des
symptômes labyrinthiques et en premier lieu le vertige. D'ailleurs les
symptômes labyrinthiques sur lesquels nous aurons à revenir au cours de
cette étude sont naturellement signalés depuis les premières observations
classiques de tabes ; mais ce n'est pas comme tels qu'ils sont présentés,
et la seule originalité de ce travail sera de grouper et d'orienter des phé-
nomènes épars et dépourvus de leur véritable signification pathognomo-
nique.
Pierret a, je crois, le premier signalé le vertige de Menière dans le tabes,
et l'a rangé parmi les symptômes auriculaires du tabès. Vulpian en a éga-
lement parlé, mais on sait combien peu précises étaient ses idées sur ce
qu'il appelait le vertige auditif. Féré et Demars ont encore publié deux
observations de vertige auriculaire chez des tabétiques, de même Althaus
et Fournier, etc. Mais c'est à Marie et à Wallon que revient l'honneur
d'avoir fait au vertige sa place dans la symptomatologie du tabès, en l'attri-
buant à la lésion des troncs ampullaires du nerf ]ibyi-iiiiiiique. Il est tout à
fait remarquable que cette notion ait encore aujourd'hui assez peu profon-
dément pénétré dans l'esprit des cliniciens,pourqui l'oreille reste en quel-
que sorte l'organe de l'ouïe et pas autre chose. Combien de neurologistes,
habitués à ne tenir que peu de compte des symptômes auditifs dans le
tabes, seront surpris de l'énorme proportion de symptômes auriculaires
qu'il faudrait considérer et que nous énumérerons plus loin. Il s'en faut
en effet de très peu que l'appareil labyrinthique ne fournisse à lui seul la
moitié des symptômes du tabes.
Sur 24 tabétiques, Marie et Wallon ont observé 17 cas de vertige et
souvent des troubles auditifs. Voit n'a trouvé de surdité que 2 fois sur
100 tabétiques, tandis que Marina et Morpurgo, sur 40 tabétiques, ont
LE TABES LABYRINTHIQUE 153
trouvé 33 fois les oreilles intéressées. Morpurgo a relevé 43 sujets durs
d'oreille sur 55 tabétiques ; en revanche Treitel n'en a rencontré que 5
sur 20. Ces chiffres sont donc très variables, mais il faut observer que la
fonction auditive n'est qu'une des fonctions, la plus récente et la plus
consciente aussi, de l'appareil auriculaire, et comme je le remarquais, il
ne faut pas confondre troubles auditifs avec troubles labyrinthiques.
D'ailleurs la surdité peut être méconnue du malade interrogé et de plus
les grandes différences observées dans la proportion des troubles auditifs
dans les deux séries de malades peuvent encore tenir aux différences dans
le procédé d'examen des divers auteurs. Il est certain que si l'on se conten-
tait d'interroger un malade sur la qualité de son audition, on se verrait
fréquemment trompé de la meilleure foi du monde par le malade lui-même,
qui peut ignorer sa surdité, quand elle n'est pas très prononcée. Il ne
manque d'ailleurs pas d'exemples de surdité unilatérale presque absolue,
totalement ignorée du sujet.
Pour avoir donc une idée suffisante de la contribution de l'appareil la-
byrinthique à la symptomatologie du tabes, il faut, je le répète, prendre la
totalité des symptômes d'origine auriculaire, périphérique ou centrale. Il
faut même le plus souvent se rappeler que, quand il s'agit du tabes, les
centres sont au moins aussi accessibles à la lésion systématique que la péri-
phérie, et qu'à côté de l'irritation de l'appareil périphérique et même de
tout le protoneurone centripète, il faut tenir compte de l'irritabilité pro-
pre des centres bulbo-médullaires auquel aboutit ce protoneurone, irri-
tabilité qui caractérise les phases initiales de l'affection. Il semble que dès
que le protoneurone est lésé, l'irritabilité des centres en rapport avec ce
protoneurone est accrue momentanément, et qu'une période d'irritation
précède la suppression de l'irritabilité réflexe. C'est à cette période qu'ap-
partient le vertige, et qu'il faut aussi rapporter les irradiations réflexes si
remarquables au niveau de l'appareil oculomoteur par exemple.
J'ajouterai, pour le vertige en particulier, qu'il n'est pas toujours causé
par une lésion de l'appareil périphérique de l'oreille ; il faut néanmoins le
considérer comme la réaction propre de certaines parties du vaste noyau
interne, et toujours le vertige résulte d'une irritation de ce noyau,
qu'elle provienne d'une excitation périphérique de l'appareil labyrinthi-
que ou.d'une irradiation internucléaire partant de tout autre point de l'or-
ganisme. Ce noyau peut et doit toujours être mis en cause dans tout cas de
vertige, et je répète que le vertige ne peut s'expliquer sans lui, pas plus
que la nausée sans le noyau glossopharyngien, l'anxiété, la palpitation,
l'asthme, etc. sans le noyau pneumogastrique. Je n'y insisterai pas da-
vantage.
Si l'on applique les lois de Pflü3er aux noyaux gris de la moelle allon-
154 PIERRE BONNIER
gée, on s'explique immédiatement qu'une irritation de l'appareil labyrin-
thique périphérique ou central pourra, par irradiation, éveiller des symp-
tômes dans des noyaux voisins, unis aux noyaux de la 8e paire par des
faisceaux commissuraux, comme les noyaux oculomoteurs, ou simplement
mis avec eux en rapport de contiguïté et môme de continuité comme les
noyaux glossopharyngien et pneumogastrique étendus le long du vaste
noyau interne.
Nous comprenons ainsi que le vertige, dû à l'irritation du noyau interne,
s'accompagne de troubles visuels et oculomoteurs, de nausée, de palpita-
tion, d'oppression, d'anxiétés de tout genre, d'alfre cardiaque ou gastrique,
de troubles viscéraux, sécrétoires et vaso-moteurs, etc.
Inversement nous savons qu'une irritation périphérique ou centrale,
dans le domaine de n'importe quel appareil, peut irradier vers le noyau
interne et associer levertige à sa symptomatologie propre. Le vertige visuel,
le vertige qui accompagne les nausées, et, dans le domaine du vague, les
vertiges laryngé, stomacal, hépatique, cardiaque, etc., n'ont pas d'autre
cause.
Mais il est un phénomène curieux que je nommerai l'enjambement in-
ternucléaire, car je ne sache pas qu'il ait été baptisé. Il consiste en ce fait
qu'une irritation périphérique ou centrale, dans un domaine nerveux
donné, pourra cheminer comme une aura, de noyau à noyau, sans éveil-
ler le moindre symptôme dans les uns, faisant au contraire éclater la réac-
tion propre à tel autre noyau particulièrement susceptible. Le noyau même
primitivement intéressé peut rester silencieux.
Je citerai, comme exemples, les cent irritations diverses qui éveilleront
l'asthme chez un sujet dont le pneumogastrique est plus accessible et plus
sujet à cette réaction. L'asthme d'origine nasale peut ne donner aucun
symptôme indiquant que le trijumeau ait véhiculé la moindre irritation.
Le vertige peut naître d'un effort oculaire, d'une orientation pénible des
globes, d'une accommodation difficile, sans qu'il y ait dans certains cas la
moindre fatigue sentie au niveau des yeux ; il peut provenir d'un trouble
stomacal qui ne sera aucunement localisé ni perçu parle naïade, et même
(Dieulafoy) d'une colique hépatique dont les noyaux sensitifs du pneu-
mogastrique n'auront rien' dit. t.
Dans Je vertige stomacal le vertige est parfois remplacé par l'éblouisse-
ment, c'est-à-dire par un réflexe oculomoteur irradié à son tour des noyaux
du vertige. Chez l'enfant ne voyons-nous pas les convulsions oculaires, le
strabisme, apparaissant comme symptômes d'une irritation sous-périto-
néale, colique, hernie, etc. ? Tel mouvement, tel jeu de moire, tel contraste
de couleurs qui donnera du vertige à l'un, donnera à tel autre la nausée,
LE TABES LABYRINTHIQUE 155
à celui-ci la petite mort, à celui-là une affre épigastrique, etc. Et combien
d'irritations bizarres et lointaines chez certains dégénérés
Dans le tabes, comme dans la paralysie générale, il existe une phase
d'irritabilité nucléaire, dans laquelle ces irradiations et ces enjambements
se donnent carrière du haut en bas de l'axe cérébro-spinal. C'est à cette
période qu'appartiennent le plus grand nombre des troubles réflexes que
je vais énumérer.
Jemebornerai à relever les troubles qui peuvent apparaître comme symp-
tômes fonctionnels ou irradiés d'affections labyrinthiques absolument in-
dépendantes du tabes. Il sera facile de remarquer qu'ils sont seulement
plus fréquents dans cette maladie, mais qu'à part certaines conditions, ils
n'en semblent pas moins être le plus souvent symptomatiques du trouble
labyrinthique, el caractérisent la forme ou la phase labyrinthique du
tabes, comme d'autres en définissent la forme ou la phase dorsale.
Les troubles auditifs consistent en insuffisance fonctionnelle (surdité)
ou en irritation fonctionnelle (bourdonnement, sifflement, hallucination)
de l'appareil cochléaire périphérique ou central. Ils sont d'une trop grande
banalité dans les affections auriculaires pour que j'y insiste; ils indi-
quent, dans une foule d'affections générales, la contribution cochléaire au
complexe séméiologique. Leur fréquence dans le tabes est affirmée parles
chiffres de Marina etdeMorpurgo (83 pour 100) et de Collet (97 pour 100).
Le bourdonnement, c'est-à-dire l'irritation cochléaire, ne passe guère ina-
perçu ; il n'en est pas de même de la surdité, que l'on constate fréquemment
chez des sujets qui ne s'en doutaient nullement, même quand elle est très
prononcée. Il ne suffira donc pas de demander au malade s'il a ou non tel 1
trouble auditif, il faut le rechercher méthodiquement. Inversement, en cas
de surdité ou de bruits subjectifs chez un tabétique, il importe d'éliminer
ce qui, dans l'appareil auriculaire, peut n'avoir aucune signification au
point de vue tabélique, comme l'obstruction cérumineuse, le catarrhe tu-
baire, l'otorrhée, etc.
C'est à MM. Marie et Wallon que l'on doit de voir entrer le vertige laby-
rinthique dans la symptomatologie du tabes. Nous remarquerons que ce
vertige labyrinthique peut être provoqué par lésion banale de l'oreille ex-
terne, de l'oreille moyenne, de l'oreille interne, des papilles, des rameaux
afférents du ganglion de Scarpa, de ses rameaux eflerents ou tronc vesti-
bulaire, des fibres intrabulbaires de ce tronc, des noyaux étalés sous le
plancher du quatrième ventricule ; ces noyaux peuvent être irrités primi-
tivement, soit par l'expansion de la masse cérébelleuse, comme dans le ver-
tige cérébelleux, soit par irradiation internucléaire, avec ou sans enjam-
bement, soit par toute autre lésion. C'est toujours du vertige labyrinthi-
que, comme l'anxiété ou l'asthme sont toujours pneumogastriques, quel
zoo PIERRE BONNIER
que soit le point. de départ de l'irritation périphérique ou centrale qui
éveille la réaction nucléaire symptomatique. Gowers pensait que sur dix
cas de vertige, neuf étaient certainement auriculaires. On voit que tout
vertige est, pour nous, labyrinthique, même s'il ne naît pas d'une irrita-
tion auriculaire. Ce vertige est fréquent dans le tabes, et ses causes
sont diverses et multiples. Les lésions périphériques et auriculaires abon-
dent, ainsi que les raisons d'irritabilité nucléaire. De plus, le vertige est
le symptôme d'une irritation ou d'une insuffisance du sens des attitudes
céphaliques et totales de l'organisme, c'est un trouble de l'orientation sub-
jective. Il a donc, nous l'avons vu, sa place indiquée dans la symptomato-
logie du tabes.
Ce vertige auriculaire, et même la forme brutale du vertige de Menière,
n'est pas rare dans cette affection. Comme vertiges d'irradiation internu-
cléaire, je rappellerai le vertige laryngé, stomacal, qui se trouve également
chez les tabétiques.
Mais, il est un symptôme que l'on .attribue exclusivement au tabès, et
qui est fréquent chez les vertigineux labyrinthiques, c'est le signe de Rom-
berg. Dans la grande majorité des cas, il n'y a aucune différence entre le
signe de Romberg des labyrinthiques simples et celui que l'on observe chez
le labyrinthique tabétique. J'en ai ailleurs (1) étudié les formes. Tant
qu'il n'y a pas tabes dorsal, c'est-à-dire avant l'ataxie proprement dite,
le labyrinthique et le tabétique perdent leur équilibre de la même façon,
elle signe de Romberg est identique chez eux ; quand l'ataxie apparaît, la
recherche de l'équilibre la rend manifeste. Mais c'est la perte de l'équilibre,
et non sa recherche, qui constitue le signe de Romberg. Il est évident
qu'un hémiplégique, qu'un boiteux ou un tabétique, trahiront leur insuffi-
sance par la façon dont chacun cherche à rétablir la correction de son
attitude, mais le signe de Romberg, c'est-à-dire l'oscillation avec ou sans
chute, appartient à l'insuffisance et surtout à l'irritation labyrinthique.
Quatre cas pourront se présenter :
1° Le sujet n'éprouve aucune oscillation et n'a pas à rectifier l'attitude.
C'est-à-dire que ses images d'attitudes (sens ampullaire et sens segmentaire)
sont si nettes qu'il approprie exactement, correctement et constamment,
sa motricité au maintien de l'attitude d'équilibre. Il n'a pas le signe de
Romberg.
2° Il oscille plus ou moins, mais parvient à corriger ses écarts d'atti-
ude et garde l'équilibre. Les images ampullaires sont vagues et la notion
de l'attitude verticale n'est pas suffisamment définie ; aussi, l'appropria-
tion motrice correspondant à cette attitude est elle-même flottante et hé-
(1) BONNIER, Le signe de Romberg. Soc. de Biologie, 2 novembre 1895.
LE TABES LABYRINTHIQUE 157
site entre certaines limites. Le sujet oscille, et oscille activement, réalisant
volontairement un équilibre dont l'image varie sans cesse. Quand ses
oscillations deviennent incompatibles avec l'équilibre réel, elles s'impo-
sent à la vigilance ampullaire, et le sujet qui ne savaitpas vouloir correc-
tement l'équilibre absolu, sait néanmoins corriger les écarts grossiers. C'est
le signe de Romberg compensé. On le rencontre presque constamment dans
les cas d'insuffisance labyrinthique ou d'irritation labyrinthique légère et
double. La correction du sens pédieux apparaît dans la précision des efforts
compensateurs des muscles tihio-tarsiens. Cette correction manque chez
les tabétiques ordinaires. Cette forme de signe de Romberg est de règle
dans beaucoup d'affections de l'appareil labyrinthique périphérique ou
central ; James et Aloys Kreidl l'ont signalée comme très fréquente chez
les sourds-muets. Je l'ai souvent isolée chez les tabétiques supérieurs.
3° Quand l'irritation labyrinthique est considérable (inflammations, in-
toxications ébrieuses, excès de tension des liquides, etc.), le sujet est en
proie à des illusions du sens ampullaire qui lui font dépasser la mesure
des oscillations compatibles avec l'équilibre, et c'est maintenant la base
de sustentation qui doit courir après le centre de gravité. Les remarqua-
bles appropriations d'attitudes de l'ivrogne, qui obéit aux sollicitations de
son labyrinthe affolé, ont un tel caractère de rectitude qu'elles nous appa-
raissent comme réellement impulsives : elles sont, au point de vue loco-
moteur, absolument correctes, mais suggérées par des images d'attitudes
fantaisistes et le sujet poursuit un fantôme d'équilibre qui se dérobe et
varie sans cesse, suscité par le désarroi labyrinthique. Il n'est relativement
corrigé que par la vue. Tel est le signe de Romberg de l'irritation lahy-
rinthique, et nous pouvons affirmer qu'il est de règle de l'observer, quand
on songe à le chercher, dans un très grand nombre d'affections auriculai-
res moyennes ou internes, et dans beaucoup d'affections générales aiguës
ou chroniques chez des individus porteurs d'appareils ampullaires ou de
centres labyrinthiques particulièrement susceptibles ; il est alors intermit-
tent ou paroxystique comme le vertige lui-même.
Il va sans dire que c'est la perte de l'équilibre qui est ampullaire, et
que les ataxiques, les boiteux, les hémiplégiques auront chacun leur façon
particulière de rechercher l'équilibre perdu ; il faut donc distinguer dans
le signe de Romberg l'insuffisance ou l'irritation ampullaire, qui fait per-
, dre l'équilibre et commande l'oscillation, et l'insuffisance du sens pédieux
(sclérose des cordons postérieurs, etc.) qui compromet l'appropriation et
la coordination de l'effort musculaire destiné à ramener le centre de gra-
vité et la base de sustentation sur la même verticale.
Le tabétique présente le signe de Romberg en qualité de sujet dont
l'appareil ampullaire périphérique ou central, parfois les deux, se trouve
158 PIERRE BONNIER
lésé. Il ne diffère aucunement en ce point de tous les labyrinthiques. Ce
qui le distingue, c'est l'incoordination motrice qui apparaît quand il doit
avoir recours au sens des attitudes pédieuses qui lui manque. Nous n'avons
jamais trouvé le signe de Romberg chez un ataxique sans qu'il nous ait
été possible d'incriminer un trouble labyrinthique. Il sera particulier dans
la recherche active, et non dans la perte de l'équilibre.
. 4° Quand il y a abolition simultanée du sens ampullaire et du sens des
attitudes segmentaires, le sujet tombe sans le sentir.
En résumé, dans le signe de Romberg, nous pensons que la perte de
l'équilibre est toujours due aux lésions de l'appareil ampullaire, ou de ses
noyaux et conducteurs ; car ce signe apparaît presque constamment dans
les cas d'insuffisance ou d'irritation labyrinthique, si fréquents d'ailleurs
chez les tabétiques.
Il en est de même de l'incertitude de la marche dans l'obscurité. Quand
la vue, qui fixe notre orientation subjective par les variations de la distri-
bution perspective des choses de notre milieu, nous fait défaut, c'est sur-
tout par le labyrinthe que nous nous orientons, et par le sens des attitudes.
Or il suffit d'un trouble labyrinthique pour nous troubler dans notre orien-
tation, sans tabes, et toute l'économie de nos mouvements de progression,
la sécurité et la certitude de notre marche, s'en ressentent. Ce signe,
comme le signe de Romberg, se trouve fréquemment et passagèrement au
cours d'affections labyrinthiques troublant l'appareil ampullaire.
L'irritabilité nucléaire, quand elle frappera le pneumogastrique, pourra
éveiller, outre l'asthme, l'angine de poitrine et les crises viscérales du
domaine de ce nerf, des anxiétés partielles comme l'alfre épigastrique,
l'angoisse laryngée et pharyngée, et aussi des anxiétés plus profondes et
plus générales, comme l'anxiété paroxystique et des anxiétés plus direc-
tement provoquées par le trouble des perceptions ampullaires, comme la
peur des espaces, du vide, qu'éveillera à son tour la fonction visuelle, dès
que le terrain sera ainsi préparé. Cetle agoraphobie d'origine labyrinthi-
que n'est pas rare dans le tabes ; nous y joindrons l'anxiété produite
par le silence, c'est-à-dire par le vide auditif, l'appréhension des bruits
subits et même des sonorités les plus attendues.
Mais, c'est surtout par ses rapports avec les noyaux oculomoteurs que
l'appareil labyrinthique revêt une symptomatologie qui semblerait em-
pruntée au tabes, si elle n'appartenait pas, dans la grande majorité des cas,
aux affections labyrinthiques, tabétiques ou non.
Le noyau oculomoteur le plus directement en rapport avec l'appareil
labyrinthique est celui de la sixième paire. La paralysie de ce noyau et la
diplopie qui en résulte, ne sont pas bien rares dans les affections labyrin-
thiques. Je rappellerai les observations de Keller, de Boerne llettman, de
LE TABES LABYRINTHIQUE 159
Styx, Urbantschitsch. J'ai publié (1), pour ma part, celle d'un malade qui
vint me consulter à l'hôpital Cochin pour un vertige violent, qui datait
d'une opération subie trois mois auparavant. La cicatrice qu'il portait der-
rière l'oreille indiquait l'opération de Slacke.
On sait que cette opération consiste à rogner la partie antéro-supérieure
de l'apophyse mastoïde,pour pénétrer, par la partie supérieure du conduit,
dans la caisse et l'antre mastoïdien. Il me semble vraisemblable que le la-
byrinthe fut lésé dans l'opération, car, dès le réveil, le malade, qui n'avait
qu'une otorrhée, accusa un vertige violent, des bourdonnements intenses,
et une surdité totale de ce côté, le côté gauche. Quelques jours après, il
commença à voir double. Quand je le vis (trois mois après), je cherchai le
signe de Romberg; le malade tombait invariablement à gauche, c'est-à-
dire du côté lésé, ce qui est de règle dans le vertige auriculaire périphé-
rique. L'oeil gauche était en adduction forcée et la diplopie très accusée.
J'indiquai un traitement plus médical de son otorrhée et adressai le ma-
lade à M. Brissaud, qui voulut bien le garder en observation dans son
service, où sa vue fut examinée également par M. Péchin. En moins d'un
mois, t'otorrhée, le bourdonnement et le strabisme disparurent. Le vertige
et le signe de Romberg persistèrent plus longtemps.
La paralysie de l'oculomoteur externe, paralysie passagère, comme la
paralysie réflexe, d'origine purement labyrinthique, se retrouve dans le
tabes, favorisée dans sa fréquence sans doute par l'irritabilité nucléaire. Je
ne rappellerai que l'observation de M. Dieulafoy, au sujet d'un tabétique
syphilitique, qui présentait, en même temps qu'une surdité notable à gau-
che, une paralysie de l'oculomoteur externe du même côté (2).
Un autre phénomène assez fréquent dans les affections labyrinthiques,
celui-là même qui produit l'illusion visuelle qui a donné son nom au ver-
tige, le nystagmus, se rencontre encore dans le tabes bien que rarement.
J'ai eu souvent l'occasion de provoquer le vertige labyrinthique, et
dans tous les cas où le sujet voyait les objets tourner, je constatai un nys-
tagmus passager plus ou moins prononcé, et presque constamment les cho-
ses se passent ainsi. Le nystagmus est un mouvement spasmodiquc non
pas de deux muscles antagonistes alternativement contractés, mais d'un
seul muscle, généralement l'abducteur du côté de l'oreille sollicitée. La
crispation,, le spasme de l'abducteur est immédiat, brusque, et jette l'oeil
de côté sans laisser à la rétine le temps de fixer les objets. Puis, ce spasme
cessant, le globe est ramené en position moyenne et même an delà, si l'ab-
(1) Rapports entre l'appareil ampullaire de l'oreille interne les centres oculumo-
leurs. Soc. de Biologie, 11 mai 1895 et Revue neurologique, déc. 1895.
(2) Gaz.hebdom., 21 août 1817, et Thèse de Giraudeau, Accidents verlig. et apopleclif,
dans les maladies de la moelle épinière, 1882, p. 45.
160 PIERRE BONNIER
ducteur est relâché, par l'adducteur, et ce mouvement de retour beaucoup
plus lent, montre au sujet la série des objets que rencontre successivement
l'axe visuel.
Comme ce mouvement de retour n'est pas plus conscient ni volontaire
que le premier, le malade a forcément l'impression que ce sont les objets
qui se déplacent dans son champ visuel supposé fixe, et non que celui-ci
se déplace dans l'espace visible.
Supposons que nous irritions l'oreille chez certain vertigineux labyrin-
thique gauche, le spasme de l'abducteur gauche et de l'adducteur droit
associés jette les globes oculaires vers la gauche, avec une telle brusque-
rie que le malade ne voit rien. Puis l'abducteur droit et l'adducteur gau-
che ramènent à leur tour les globes vers la droite, mais plus lentement, et
cette fois le malade voit les objets tourner en sens inverse du déplacement
oculaire, c'est-à-dire sur la gauche, vers l'oreille sollicitée.
En d'autres termes, les objets se déplacent dans le sens de la déviation
spasmodique, mais pendant l'intervalle même des spasmes ; et comme
ceux-ci sont extrêmement courts et rapides, l'illusion semble continue.
Toujours mes expérimentations ont concordé sur ce point et il m'est
habituel de présumer le siège de l'affection auriculaire vertigineuse en
l'attribuant au côté vers lequel le malade voit lés objets tourner. Ajoutons
que quand le malade se sent lui-même tomber, il tombe également de ce
côté, contrairement à ce que l'on pourrait supposer d'abord et que ces
deux signes, sans être infaillibles, ont une grande valeur clinique d'u-
sage. ,
Ce nystagmus peut devancer et même remplacer le vertige, et c'est sans
doute ce qui a poussé Mendel à donner aux troubles oculaires une telle
importance dans sa théorie du vertige.
Le nystagmus vertical, beaucoup plus rare, s'expliquerait par le jeu
réflexe d'autres muscles. J'en ai observé deux cas, dont un d'origine net-
tement labyrinthique. ,
Le nystagmus expérimental dû aux interventions sur le labyrinthe est
connu depuis les recherches de Flourens, Brown-Sequard, Cyon, Ba-
ginsky, Lucae, Ilogyes, Sewall. Je l'ai, comme ce dernier, mis en évidence
chez les Poissons.
Schwabach provoquait le nystagmus eu comprimant chez un de ses ma-
lades la région mastoïdienne tuméfiée; Pllüger le vit pendant l'ablation
d'un polype de la caisse ; Deleau, Kipp, au cours d'otites moyennes puru-
lentes ; Burckner, Moos, Jansen, Michaët Cohn, Gellé, Verdos, et tout ré-
cemment encore Urbantschitsch ont publié des cas analogues. Celui-ci l'a
également observé à l'occasion de l'audition de certains sons; Laurens en a
réuni quelques observations. Le nystagmus peut apparaître quand on fait
LE TABES LABYRINTHIQUE 161
effort d'attention auditive (cas de Burckner) ou dans certaines attitudes.
Juliusberger signale le cas du malade tabétique qui provoquait en lui l'au-
dition d'une certaine mélodie en tournant les yeux à droite. Il semblerait
que le nystagmus permanent d'origine labyrinthique est assez rare II en est
une forme extrêmement fréquente sur laquelle j'attirerai l'attention.
Soignant il y a quatre ans un jeune homme atteint d'une otorrhée rebelle
et ancienne, je remarquai à plusieurs reprises un strabisme léger qui exagé-
rait la divergence de l'oeil correspondant au côté de l'oreille atteint. Je sa-
vais le père atteint d'un tabès à marche très lente, qui avait débuté autre-
fois par du vertige, de la diplopie et un certain degré d'incertitude de la
marche dans l'obscurité. Ces phénomènes existaient chez le fils et je vou-
lus aussitôt me rendre un compte exact de l'état fonctionnel de son oculo-
motricité réflexe.
Quand les paupières sont fermées, ou dans l'obscurité, les repères objec-
tifs de la distribution perspective des objets nous font défaut et notre
orientation subjective ne dépend plus, à part le secours du toucher, que
du sens des attitudes et par-dessus tout des opérations du sens ampullaire.
Si celui-ci est lésé le malade présente l'une des formes du signe de Rom-
berg, de l'incertitude dans la marche comme dans la station, mais souvent
aussi une véritable incohérence de l'exercice de l'oculomotricité réflexe.
Mon malade eut à peine fermé les paupières, très clignotantes d'ailleurs,
que je pus percevoir, par la saillie de la cornée, et en y appuyant légère-
ment le doigt, un nystagmus très actif, avec spasme abducteur du côté de
l'oreille atteinte. Ce nystagmus cessait avec l'ouverture des paupières. Le
diagnostic s'imposait, à mon avis, d'un tabes débutant, comme il semble
logique, par la plus grosse des racines postérieures, c'est-à-dire par l'ap-
pareil labyrinthique.
J'ai depuis méthodiquement et fréquemment dépisté ce nystagmus pré-
coce, dissimulé derrière les paupières et qu'il faut y chercher, et dans
un très grand nombre de cas d'insuffisance et surtout d'irritation labyrin-
thique, je l'ai rencontré ; parfois, il était remplacé par des mouvements
absolument incohérents des globes. A défaut de nystagmus, on trouve
quelquefois chez les tabétiques des oscillations exagérées des globes ocu-
laires par défaut de fixation oculomotrice,à l'occasion des mouvements de
la tête. Ce trouble est fréquent chez les labyrinthiques. Je l'ai trouvé
plus nettement chez un jeune homme, aujourd'hui paralytique général.
J'ai encore rencontré dans ces cas de la déviation conjuguée du côté de
l'oreille atteinte; un phénomène plus fréquent est le strabisme divergent
avec diplopie au moment où le malade rouvre les paupières : ce stra-
bisme, que je n'ai pas encore rencontré convergent, il en existe un cas
d'Urbantscbitsch est généralement limité au côté de l'affection auriculai
162 . PIERRE BONNIER
re. Urbantschitsch le vit augmenter subitement par l'extraction du polype
de la caisse et persister après la guérison de l'otorrhée. Il est tout différent
de l'attitude vague que prennent spontanément les yeux quand la vue se
trouve privée, par l'occlusion des paupières, d'un exercice objectif.
Deux fois, j'ai pu constater encore qu'après une longue occlusion des
paupières, quand le malade rouvrait les yeux, la pupille du côté de la lé-
sion auriculaire mettait du retard à se contracter et accommoder comme
l'autre.
On peut encore trouver le myosis bilatéral ou unilatéral ; et l'inégalité
pupillaire, d'qrigine labyrinthique. Je n'ai jamais rencontré le signe d'Ar-
gyl-Robertson unilatéral, dans une affection labyrinthique pure. J'ai pu-
blié un cas de mgdriase observée chez une surveillante de l'hôpital Necker.
Enfin Gellé a observé un cas d'exophtalmie double après l'ablation de poly-
pes de la caisse.
Tous les malades de cette catégorie avaient soit de l'insuffisance, soit
surtout de l'irritation ampullaire, que j'avais constatée par l'examen for-
cément indirect du fond de l'oreille et par d'autres épreuves sur lesquelles
il serait oiseux d'insister maintenant.
Si l'on songe que, les paupières étant closes et les attitudes du globe
n'étant plus commandées par la nécessité de la vision active ni par les re-
pères de la perspective objective, les globes.oculaires devraient tout natu-
rellement revenir à l'état de repos, il semble évident que les mouvements
et les attitudes absurdes des globes ne peuvent dans ces cas être attribués
qu'à l'irritation nucléaire de l'appareil ampullaire qui après l'appareil
visuel lui-même, reste seul chargé de la coordination et de l'appropriation
oculomotrices.
Ces troubles oculomoteurs réflexes, apparaissant quand l'ocul01l10tricité
cesse d'être directement réglée par la vue elle-même, me semblent donc
symptomatiques d'une affection de l'appareil ampullaire périphérique ou
central. 1.
Si nous revenons à l'accès vertigineux lui-même, nous trouverons que
beaucoup de ses caractères sont associés à des troubles oculomoteurs ré-
flexes. L'irritation d'origine labyrinthique périphérique ou nucléaire peut
dépasser 1'.il)ducens et aller fondre sur d'autres noyaux plus haut placés,
enjambant certains d'entre eux, provoquant des troubles de l'accommoda-
tion avec illusion de distance rapprochant ou éloignant les objets, les effa-
çant ou donnant l'illusion d'un grossissement énorme de tout le champ vi-
suel qu'on s'explique mal.
L'obnubilation visuelle qui accompagne l'irritation ampullaire, et qui
peut être le seul symptôme vertigineux, sera due soit à un trouble de l'ac-
commodation et résultera de l'irritation des noyaux les plus élevés de la
LE TABES LABYRINTHIQUE 163
chaîne des oculomoteurs, soit à la contraction momentanée de plusieurs
muscles droits, produisant la rétraction du globe et la compression réti-
nienne. C'est encore un phénomène banal. Laurens a publié un cas d'as-
-thénopie oculaire évoluant avec une otite moyenne.
Le cas d'enjambement internucléaire le plus curieux que j'aie signalé
est celui d'un malade, que m'adressa M. le Dr Charrier, affecté d'une surdité
passagère due à un bouchon cérumineux de l'oreille droite. Lesujet étant
assez susceptible et le bouchon profondément serti dans la paroi étranglée
du conduit, je recommandai, en attendant une seconde tentative, des in-
jections délayantes. Dès la première, qui poussa le bouchon contre le tym-
pan, le malade sans avoir éprouvé ni vertige, ni sensation de constriction
labyrinthique, mais seulement une surdité et un bourdonnement plus
marqués, s'aperçut que sa vue s'était troublée et reconnut bientôt quetan-
dis que son oeil gauche restait myope comme auparavant, il ne lisait plus
de l'oeil droit qu'à une distance assez grande.
L'accommodation à la distance était paralysée de ce côté. Cet état dura
plusieurs heures, et s'atténua peu à peu. Le lendemain, une seconde in-
jection eut des effets identiques, et le même phénomène pénible se repro-
duisit à plusieurs reprises. Toul disparut, surdité, bourdonnement et pres-
byopie unilatérale, avec le cérumen.
Nous voyons donc une irritation labyrinthique, sans symptômes du côté
des noyaux ampullaires eux-mêmes, sans trouble de la sixième paire, ni
de la quatrième, enjamber, dans son irradiation, la série des noyaux de la
troisième paire et épuiser tout son effort sur le plus élevé de ces noyaux,
celui de l'accommodation à la distance, et le paralyser. Ce phénomène est
resté unilatéral et s'est répété plusieurs fois dans des conditions iden-
tiques. Aujourd'hui, quatre ans après, ce malade est un tabétique confirmé.
Ilolt a signalé un cas de paralysie de l'accommodation coïncidant avec
une otite moyenne et une paralysie faciale, toutes deux et peut-être toutes
trois et frigorie. Ce cas n'est pas démonstratif.
M. Brissaud voulut bien m'adresser, il y a trois ans, une malade atteinte
de vertige labyrinthique consécutif aune otile grippale, et qui présentait,
pendant ses accès, non seulement de la diplopie passagère, mais un nystag-
mus vertical qui lui faisait voir les objets s'élevant sans cesse au-dessus
d'elle. Sa première attaque de vertige, remontant à trois mois et au dé-
but de son otite, s'était compliquée d'emblée non seulement de cette di-
plopie et de cette illusion nystagmique, mais de ptosis. Je ne pus assister
à une crise et constater son strabisme, mais comme l'oreille gauche était
atteinte, que la malade tombait de ce côté, il me semble légitime de l'at-
tribuera une irritation paralysante de l'abducteur de ce côté, indépendam-
. 164 PIERRE BONNIER
ment du nystagmus vertical, spasme des élévateurs. Buzard, Ziem rap-
portent des cas de úléph(t1;ospâsme d'origine auriculaire. '
Autres cas. M. Sauvineau a présenté dans le service de M. Dieula-
foy, à l'hôpital Necker, une malade sur laquelle on constatait, outre un
ptosis du côté droit, une paralysie des mouvements de l'adducteur du
même côté pour les mouvements conjugués de droite à gauche, l'adduc-
teur restant actif dans les mouvements de convergence. C'est-à-dire que
l'adducteur droit fonctionnait normalement quand il était en quelque
sorte attelé avec l'adducteur gauche, mais qu'il se refusait à fonctionner
avec l'abducteur gauche et que l'oeil droit restait immobile tandis que
l'oeil gauche se portait en dehors. « De plus, remarque M. Sauvineau, le
droit externe gauche présentait un état spasmodique nettement caracté-
risé. » Chez cette malade, syphilitique, M. Sauvineau a supposé qu'une
petite.lésion, artérite ou gomme, avait pu touchera la fois et le noyau du
releveur palpébral droit (ptosis) et le rameau anastomotique décrit par
Duval et Laborde entre l'adducteur droit et l'abducteur gauche (paralysie
du premier et spasme du second).
A quel point du filet anastomotique était la lésion ; était-ce en haut vers
la troisième paire ou en bas vers la sixième ? La maladie avait débuté par
un violent accès de vertige qui s'était précédemment esquissé plusieurs
fois et c'est immédiatement après que le ptosis et la diplopie étaient ap-
parus.
Il est difficile d'admettre une lésion artérielle intéressant à la fois le
noyau palpébral, le filet anastomotique de l'adducteur à l'abducteur opposé
et les noyaux ampullaires sans toucher aux noyaux des muscles obliques,
des droits supérieur et inférieur. De même pour une gomme. Je ne con-
nais, pour expliquer ces capricieuses associations, que l'enjambement
internucléaire des irradiations réflexes dont nous avons vu un exemple
remarquable plus haut.
Je pense que, dans le cas présenté par M. Sauvineau, il s'agissait du
vertige labyrinthique nucléaire, bulbaire, comme il s'en voit assez fré-
quemment dans la syphilis des centres, et irradiant dès noyaux du nerf
ampullaire vers l'abducteur du même côté, l'irritant sans le paralyser, et
vers l'adducteur opposé qu'elle paralyse ainsi que l'élévateur palpébral
voisin. Pourquoi ces muscles-là et pas les autres ? Nous le saurons quand
à côté de l'anatomie normale théorique, celle qui explique les troubles
constants et définis, nous pourrons systématiser et classer les anatomies
individuelles que la clinique nous force à tout instant de considérer comme
très variées.
Nous voyons, en résumé, que les troubles ampullaires peuvent emprun-
LE TABES LABYRINTHIQUE ' 165
ter leur symptomatologie à toute espèce de trouhles·oéulonloteurs,et qu'en , v
présence de ces derniers, il faut bien se rappeler qu'après la rétine elle-
même, c'est le labyrinthe et particulièrement l'appareil ampullaire qui
commande aux appropriations oculomotrices, comme aux fonctions d'équi-
libration.
Les troubles oculomoteurs sont fréquemment symptomatiques d'affec-
tions labyrinthiques, surtout nucléaires.
Tous les noyaux oculomoteurs, à l'exception peut-être de ceux des obli-
ques, que pour ma part je n'ai jamais vus intéressés, peuvent ainsi se
trouver pris par l'irradiation réflexe issue de l'appareil ampullaire, et réa-
liser les tableaux cliniques les plus complexes, parfois durables. Il faut
donc, en présence de ces troubles oculomoteurs, songer à l'appareil am-
pullaire et se rappeler que le nerf labyrinthique, en sa qualité de racine
postérieure la plus active et la plus grosse de toutes, sera la victime de
choix guettée par le tabes.
J'ajouterai enfin, pour m'efforcer d'être complet, les variations dans
l'excitabilité réflexe de la moelle au cours d'affections labyrinthiques, et
particulièrement les variations du réflexe rotulien, et l'inégalité patellaire
apparaissant et disparaissant avec l'affection auriculaire (1). ce qui s'ac-
corde avec la théorie d'Ewald. -
Je voudrais, en terminant, me défendre d'avoir cherché à faire attribuer
au labyrinthe un rôle plus considérable qu'il ne convient. Sans aucun
doute, l'appareil oculomoteur peut obéir à des incitations d'origine ocu-
laire, qui ne sont pas rares dans le tabes. Mais je ne pense pas que les
troubles oculomoteurs réflexes d'origine rétinienne, à part l'appareil de
l'accommodation, soient plus fréquents que ceux qui ont pour origine une
lésion labyrinthique.
D'une part, des troubles du domaine du trijumeau peuvent provoquer
simultanément l'hyperémie et des phénomènes plus durables qui se termi-
neront par l'atrophie, aussi bien pour les papilles du fond de l'oreille que
pour celles du fond de l'oeil (Rousseau, Moos, Gellé, Zaufal, Mac-Kay, Kipp,
Schwartze, Politzer, Schmiegelow, Bouchut, Kiiapp, l3arnilc, etc.). D'autre
part, on sait qu'une congestion du fond de l'oreille s'accompagne volon-
tiers do celle de l'oeil correspondant. Peut-être ces troubles vasculaires et
périvascùlaires réflexes dans le domaineoptique ouoculomoteuret d'origine
labyrinthique ou bulbaire (trijumeau) constituent-ils la base de la théorie
des troubles d'origine trop exclusivement périphérique.
Ce que je veux surtout préciser, c'est ce fait que, dans le tabes, on trouve
(1) BONNIER, Variations du réflexe patellaire au cours de certaines cc/jeclions laby-
t' ! ? t</tt0t<es. Soc. de Biologie, 1er février 1896.
XII 12
166 ' PIERRE'BONNIER
certains symptômes qui se retrouvent également dans les affections laby-
rinthiques ; et vu la presque constance des troubles labyrinthiques dans
le tabes et l'irritabilité nucléaire si grande à certaines périodes de cette
maladie,je pense que l'on peut,dans une large mesure, rattacher ces symp-
tômes, soit à la forme, soit à la phase labyrinthique du tabes, et définir,
à côté du tabès dorsal, un tabes labyrinthique dont l'évolution pourra
emprunter à la marche particulière du tabès, des caractères qui le distin-
gueront d'une maladie labyrinthique simple, et permettront des diagnos-
tics et des pronostics à longue portée en évitant au malade les risques
d'interventions locales non justifiées et qui sont loin d'être toujours inof-
lessives.
INCONTINENCE D'URINE D'ORIGINE HYSTÉRIQUE
PAR R
P. RAVAUT
Interne des hôpitaux.
L'observation que nous rapportons a Irait à un malade qui entra dans
le service de notre maître Gilles de la Tourette à l'hôpital Saint-Antoine
pour un tremblement hystérique et qui au cours de son séjour à l'hôpital
fut atteint d'incontinence d'urine de même nature que son tremblement ;
bien que l'incontinence d'urine d'origine hystérique soit un fait rare, mais
bien connu, nous n'aurions pas songé à le signaler si en même temps et
ainsi que l'avait déjà fait Gasne z1) nous n'avions pas eu l'occasion d'en
vérifier la pathogénie.
Le 4 mars 1898 le nommé P ? âgé de 31 ans, sculpteur sur nacre, se pré-
sente à la consultation se plaignant d'un tremblement généralisé survenu
quelques jours avant à la suite d'un accident. Dans ses antécédents nous
trouvons la grand'mère paternelle qui était nerveuse et le père qui, sujet
à des crises d'épilepsie, se suicida au cours d'un accès impulsif ; rien du
côté maternel; il n'est pas marié et n'a pas eu d'enfants. Pendant son
enfance, le malade prétend avoir eu des crises sur la nature desquelles il
est difficile de se faire une opinion : elles cessèrent quelques années, puis
revinrent à 12 ans ayant alors tous les caractères de la crise hystérique.
Il ne fil pas de maladie pendant sa jeunesse et vivait tranquillement, sujet
à quelques crises de temps en temps, quand huit jours avant son entrée à
l'hôpital en s'approchant d'une courroie de transmission, sa manche fut
prise entre la courroie et la roue, il fut enlevé de terre et retomba après
que la roue eût achevé son demi-tour : il se releva sans aucun mal, mais
très effrayé par cet accident il se mit à trembler et conserva ce tremble-
(1) Iconographie de la Salpêtrière, novembre 159, n" 6, p. 3jo.
168 P. RAVAUT
ment jusqu'au moment où il vint, à la consul talion ; nous vîmes alors que
ce tremblement était généralisé, lent, 5 à 6 oscillations par seconde i se-
cousses amples, existant au repos, pas augmenté par les mouvements vo-
lontaires, analogue à celui de la maladie de Parkinson : aussi étant donnés
les antécédents du malade, la notion de crises antérieures, la cause de ces
tremblements il y avait tout lieu de supposer qu'une fois encore l'hystérie
était en cause. L'examen plus approfondi du malade confirma ce dia-
gnostic : en effet il fut facile de constater une diminution totale de la
sensibilité, une perte absolue du sens musculaire, un affaiblissement consi-
dérable du goût, un rétrécissement bilatéral du champ auditif, une impos-
sibilité absolue de distinguer les couleurs, seul l'odorat était conservé;
enfin pour compléter ces symptômes nous trouvâmes un rétrécissement
considérable du champ visuel un peu plus accentué à gauche qu'a droite,
mais tel que le malade nous raconte qu'il renversait très souvent des objets
placés à ses côtés ou se cognait contre les murs et que c'est faute d'avoir
vu la courroie de transmission qui aurait pu le broyer qu'il fut saisi par
elle ; d'autre part sur ce malade « vihrant de partout » nous constatâmes
un nystagmus hystérique très net dû à des secousses des muscles de
roi)."
Tel était l'état du malade à son entrée à l'hôpital ; pendant son séjour
il continua sous nos yeux la série de ses accidents hystériques : il se plai-
gnit successivement d'une série de zones hystérogènes à l'épigastre, dans
le dos, sur le cuir chevelu, ensuite il eut de la polyurie, urinant jusqu'à
8 et 10 litres par jour ; enfin un matin il se plaignit d'être constamment
mouillé, son uriue s'écoulant jour et nuit sans qu'il s'en aperçût et mal-
gré lui : cette incontinence d'urine succédant à cette série de manifesta-
tions hystériques était certainement de même nature.
Aussi notre maître Gilles de la Tourelle l'attribua a une anesthésie
vésico-uréthrale et nous conseilla de vérifier ce fait.
Pour ce faire, après avoir fermé les yeux du malade, nous introduisîmes
une sonde dans l'ur;thre : ce cathétérisme ne fut pas senti ; puis par cette
sonde nous fîmes passer successivement de l'eau froide el, après avoir vidé
la vessie, de l'eau à 70° ; le malade ne sut à peine faire la différence entre
les deux températures alors que nous avions de la peine à maintenir les
doigts dans de l'eau à celte température ; enfin un malade du service à qui
nous injectâmes dans la vessiede l'eau (1JJ°r'eSSelltlt des brûlures très vives,
la preuve était suffisamment faite, il existait bien une anesthésie desmu-
queuses vésicale et uréthrate.
INCONTINENCE D'URINE D'OtUGINE UYSTÉRIQUE 169
Tel était le fait, restait à l'expliquer : la physiologie nous montre que
lorsque l'urine a trop distendu la paroi vésicale, celle-ci réagit, se con-
tracte et l'urine expulsée arrive au contact de la muqueuse prostatique;
cette muqueuse, très sensible est le point de départ d'un réllexe qui se tra-
duit par la contraction du sphincter uréthral et l'urine ne pouvant aller
plus loin rentre dans la vessie dont les contractions ont cessé; dès lors,
que cette sensibilité de la muqueuse prostatique vienne à disparaître, la
contraction du sphincter uréthral ne se l'ait plus et l'urine s'écoule au sur
et à mesure de son arrivée dans la vessie, donnant lieu à une incontinence
d'urine analogue à celle qui accompagne les paralysies du sphincter uré-
thral.
UN NOUVEAU TABLEAU
REPRÉSENTANT
LES ARRACHEURS DE « PIERRES DE TÈTE »
. pau Il
HENRY MEIGE.
Au nombre des documents figurés qui nous ont servi antérieurement à
faire connaître la supercherie chirurgicale des « pierres de tête » se trou-
vait une gravure de Pierre Bruegel le Vieux, appartenant au Rijk Muséum
d'Amsterdam. Cette gravure, datée de 1557, représente une officine cbar-
latanesque,où plusieurs chirurgiens bizarrement accoutrés se livrent avec
fureur à la prestidigitation sanglante qui semble avoir joui d'une si grande
vogue au XVIe siècle, dans les Pays-Bas.
L'étrange clinique du « doyen de Ronse », c'est le nom que porte
sur sa robe le principal opérateur, - a été décrite dans ses moindres dé-
tails (1). Nous n'y reviendrons pas. Mais nous donnerons ici une nouvelle
reproduction de la gravure du Rijk Muséum (PI. XXI) pour la rapprocher
d'un très curieux tableau dont nous avons eu récemment connaissance
et qui semble avoir été inspiré par l'oeuvre de P. Bruegel le Vieux
(PI. XXII).
Le tableau en question se trouve à Paris. Il faisait autrefois partie de la
collection du D ï4lesnet qui l'avait acquis dans une vente, probablement
à Anvers.
Un jour, Charcot. se trouvant chez le Dr Mesnet, remarqua.celte pein-
ture et y prit un très vif intérêt; il offrit môme de l'acheter un bon prix.
Le propriétaire qui ne voulait pas s'en dessaisir de son vivant, fit alors à
Charcot la généreuse promesse de la lui laisser par testament. Charcot
étant mort avant le Dr Mesnet, le tableau revint aux héritiers de ce der-
nier. Il appartient actuellement au Dr Paul de Molènes (2).
(1) V. Henry Neige, Les peintres de la médecine (Ecoles flamande et hollandaise).
Les opérations sur la tête. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, no 4, 1895 et Les
arracheurs de pierres de têle, Janus, 5e livr. 1891. Voir aussi : Documents nouveaux
sur les opérations sur la tête. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, n" 2, 1898.
(2) C'est un plaisir pour moi que de rappeler qu'un artiste et un ami, le Dr Boix, m'a
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XII. PL. XXI.
LES ARRACHEURS DE « PIERRES DE TÊTE »
Gravure d'après un dessin de Pierre BpUEGEL-LE-ViEux, au cabinet des estampes du Rijk Muséum d'Amsterdam.
Masson i : t C¡c', Editeurs.
LES ARRACUEUHS DE PIERRES DE TÊTE 171 i
Au point de vue artistique, la peinture n'est pas exempte de reproches.
Elle est même assez grossièrement traitée (1).
Les figures sont d'une expression uniforme, les mains inhabiles, les
plis des étoffes lourdement indiqués, les touches lumineuses épaisses et
maladroites.
Le ton général des couleurs rappelle cependant celui des peintures de
Bruegel, les jaunes en particulier ne manquent pas de fraîcheur. -
Au surplus, le panneau est en bon état de conservation. Il ne porte pas
trace de retouches. On peut garantir son ancienneté.
Quant à son auteur, il ne nous parait pas que celte peinture soit de la
main de P. Bruegel l'Ancien. Le souvenir des oeuvres decemaitre qui sont
aux musées de Vienne, de Bruxelles, etc. est encore trop présent à notre
esprit pour nous permettre le moindre doute. Il s'agit plus probablement
d'une copie d'après un tableau ou une estampe de P. Bruegel, copie an-
cienne assurément, mais assez grossière.
Il est vrai que la gravure du Rijk Muséum est datée- de 1537, époque à
laquelle l'.l3rueel n'avait pas,dit-on, commencé à s'adonner à la peinture.
Ses premiers tableaux ne remonteraient pas au delà de l'année 1559. On
pourrait donc supposer que l'artiste hollandais ait composé le tableau d'a-
près son estampe. Ce serait un de ses premiers essais, et ainsi s'explique-
rait l'imperfection de l'oeuHcpeinte. Mais, encore une fois, la comparaison
avec les premières peintures de P. Bruegel n'autorise pas cette attribu-
tion.
Il est, au contraire, parfaitement démontré que les tableaux et les es-
lampes deP.Bruegel l'Ancien ont servi de prétexte a nombre de peintures
exécutées par ses successeurs, homonymes, fils, petits-fils, ou arrière petits-
lils. On compte, pour le moins, vingt-six peintres dans la famille ! ...Et les
oeuvres picturales de cette légion de Bruegel ne sont pas toujours des co-
pies exactes des créations du père de famille. La donnée et l'ensemble res-
tent les mêmes, mais les détails sont souvent modifiés (2).
fait connaîtra, en même temps que cette intéressante peinture, son aimable posses-
seur. Grâce au bienveillant accueil du Dr P. de .Molènes, j'ai pu avoir toutes les fa-
cilités nécessaires pour permettre à M. A. Londe d'en faire une photographie malaisée.
Je tiens à exprimer ici à i\1. P. de Molènes mes vifs remerciements pour son amicale
obligeance^et pour les renseignements qu'il a bien voulu me communiquer sur l'ori-
gine de ce tableau.
(1) Panneau de bois ; hauteur : 0 m. 31 ; largeur : 0 m. 66, non signé. On lit, dans
un coin, en bas, à droite, une fausse signature : Holbein, grossièrement apocryphe.
(2) Je n'en citerai pour exemple qu'un tableau de la galerie Ilarrach, à Vienne, re-
présentant les Sept oe¡w/'es de la miséricorde et attribué à Jean I Bruegel, dit Bruegel
172 HENRY MEIGE
En résumé, la qualité de la peinture qui nous occupe ne permet pas de
l'attribuer à P. Bruegel l'Ancien. Il faut la considérer, ou bien comme
une production inspirée il un artiste d'ordre secondaire par la gravure du
Rijk Muséum, et dans laquelle l'auteur a introduit quelques modifications
de son crû, ou bien comme la copie exacte, quoique fort médiocre, d'un
tableau de P. Bruegel l'Ancien, tableau aujourd'hui disparu, qui n'était
lui-même qu'une réplique libre du sujet de la gravure « le Doyen de
Ronse ».
On peut ajouter que les deux fils de P. Bruegel, Jean (de Velours) et
Pierre (d'Enfer), qui ont témoigné l'un et l'autre d'un réel talent, ne sont
pas non plus les auteurs probables du tableau. D'ailleurs, il n'est pas si-
gné dans leur mode habituel.
Il s'agit donc de quelque artiste assez médiocre qui s'est complu il pas-
ticher le vieux Bruegel.
Quelqu'imparfaite que soit son oeuvre, elle n'en est pas moins fort in-
téressante il notre point de vue spécial. Elle permet en outre de soupçonner
l'existence d'un tableau, aujourd'hui disparu, de P. Bruegel l'Ancien (1).
Au milieu, le groupe principal reproduit assez exactement celui de la
gravure du Rijk Muséum.
Le patient est un homme, complètement chauve, velu d'une casaque
olive, et d'un pantalon jaune serin. Il est doté d'une grosse bedaine qui
fait craquer ses aiguillettes. Sa jambe droite ramenée sous le fauteuil, la
gauche allongée en avant, il a perdu un de ses souliers dans la lutte qu'il
tente en vain de soutenir pour échapper à son bourreau ; mais un solide
lacs passé autour desa poitrine le maintient sur le fauteuil opératoire, en-
de Velours. Or, j'ai mis la main sur une gravure signée Bulegel 1559. Il. Cock exctcdit
qui reproduit dans son ensemble le tableau de la rollection de llarrach,mais en diffère
par plusieurs détails (en particulier, une femme, Charilas, qui porte sur la tête le pélican
symbolique et qui figure sur la gravure, mais non sur le tableau).
Si l'attribution du tableau à Jean Bruegel. est exacte (et l'on n'est pas autorisé ti la
suspecter), on peut admettre que ce dernier a composé sa peinture d'après le dessin
ou la gravure de son père en y introduisant un personnage de sa façon.
Il se peut sans doute qu'il ait existé un tableau de Pierre Bruegel Vieux, présentant
les mêmes dilférences avec la gravure de Il. Cock et dont Jean Bruegel aurait fait
une copie exacte ; mais je n'ai pas trouvé traces de l'existence de ce tableau.
(1) On remarquera que la scène représentée sur la peinture du 1)' de Molènes est
renversée par rapport à la gravure du llijk Muséum. 1
On peut en inférer que cette dernière gravure était renversée par rapport au tableau
supposé de P. Bruegel. C'est celui-ci que l'auteur de la peinture qui nous occupe
aurait copié directement. La copie a pu encore être faite d'après un dessin original
ou une autre édition retournée de la gravure.
NOUV. Iconographie ur la SAII·FIItIFHI, 1. XII. PI. XXII
LES ARRACHEURS DE « PIERRES DE TÈTE n
D'après un tableau appartenant : 1 M, le D1 Paul de Molènes, Paris
MASSON C ? Editeurs
LES ARRACHEURS DE PIEHRES DE TÊTE 173
gin mastoc, à dossier plein, solidement campé sur sa base, véritable chaise
de torture dont il n'est pas aisé de se dégager.
Et le pauvre homme se démène comme un diable en bénitier, hurlant à
pleine bouche, ouvrant de grands yeux effarés aux paupières rougies.
De la main gauche, il cherche à prendre un point d'appui sur le bras
de son siège, tandis que de la droite il s'efforce de repousser l'aide chargé
de le ligotter, au risque d'éborgner ce compère plein de zèle.
Insensible A ces cris et à ces gesticulations, l'opérateur procède impas-
siblement à sa charlatanesque besogne. Vêtu d'une houppelande noire à
ceinture jaune, coiffé d'un bonnet noir à longues oreilles tombantes, il est
bien la réplique grossière du fameux Doyen de Ronse. Vieux, ridé, avec
un nez et un menton de polichinelle, bossu en outre et court détaille, il
rappelle aussi les rustres pseudo-acromégaliques de Brouwer et de Teniers.
A deux mains, il tient une grosse tenaille avec laquelle il feint de saisir
sur le front de son client la pierre traitresse, toute rouge du sang de l'in-
cision. 11 semble d'ailleurs fort satisfait de son opération, car il pince ma-
licieusement les lèvres, certain sans doute d'un succès éclatant. Cepresli-
digitateur sanguinaire n'a pas de binocle sur le nez, ni d'inscription au
bas de sa robe comme le Doyen de Ronse de Bruegel.
Derrière le fauteuil, un autre compère aux cheveux ras montre sa tête,
une main et une partie de son dos vêtu de rouge. Il regarde l'opéré en
riant, sans s'émouvoir de ses clameurs.
L'aide éborgné, un gaillard aux cheveux touffus, également vêtu de
rouge, témoigne au contraire par sa grimace douloureuse de la vigueur que
le patient met dans son pugilat. Tout n'est pas profit dans le métier
d'assistant d'un arracheur de pierres.
Par terre, devant l'opérateur et sous le fauteuil, on voit une collection
d'outils bizarres : crochets, pinces, hachettes, etc., qui ont la prétention
de représenter des instruments de chirurgie. Leur forme terrifiante ainsi
que leur couleur noire, entièrement fantaisistes, s'accordent avec la nature
charlatanesque de l'opération.
A gauche du groupe principal, au beau milieu de la pièce, une étrange
commère qui louche affreusement est assise dans un panier d'osier, un
voile noir sur la tète, une fraise au cou, les jambes nues, un pied chaussé
hors du panier, l'autre dedans. Armée d'un soufflet, elle attise le feu d'un
réchaud où l'on devine enfouie une manière de cornue qui doit contenir
d'inénarrables drogues.
A droite eten arrière de ce groupe principal, on en voit un second com-
posé de 3 personnages.
. Au milieu, un malheureux qu'on veut opérer à son corps défendant et
qui proteste avec force gestes, cris et regards furibonds. Il est vêtu de brun,
174 . HENRY MEIGE
porte à la ceinture un poignard qu'il essaye en vain de tirer pour défendre
son chef.
Mais il est solidement maintenu par un homme coiffé d'un haut bonnet
fourré et qui tient entre ses dents un énorme scalpel. Un chirurgien vé-
nérable, avec des cheveux blancs, vêtu d'une longue robe rouge, une es-
carcetie noire à la ceinture, et coiffé d'un long bonnet rose tendre qui
retombe en arrière sur son dos, soulève de la main gauche la casquette de
fourrure du futur client et découvre sur le milieu de son front la tumeur
à extirper. De la main droite, il fait un geste persuasif pour l'engager à se
laisser opérer : « Voyons, mon ami, sied-il que vous conserviez au front
pareille tumeur ? Vile, prenezplace sur ce fauteuil qui vous tend lesbras,
je me charge de vous délivrer en moins d'un instant. »
Cette scène est bien connue ; nous n'y insistons pas.
Mais voici un épisode nouveau qui ne ligure pas sur la gravure d'Ams-
terdam.
Dans le coin gauche du tableau, l'artiste nous fait assister à une opéra-
tion particulièrement orageuse.
Dans le feu de l'extirpation, opérateur et opéré ont culbuté l'un sous
l'autre, et le fauteuil opératoire les a accompagnés dans leur chute, avec
la trousse aux instruments. Croit-on que le chirurgien s'en soit ému ?
Point. Il opérait debout ; à plat ventre, il opère encore, allongé sur le dos
de son client,qui, solidement ficelé à son siège, n'a pu parvenir à s'échap-
per.
Imperturbable, cet enragé arracheur à bonnet rouge continue à labou-
rer le front du malheureux à grands coups d'un scalpel gigantesque. Le
sang coule à flots. Peu importe : il reste encore à extirper une pierre de
lête. Le chirurgien l'a vue, il la veut, il l'aura.
Car ce n'est pas la première. L'opéré montre dans sa main gauche deux
pierres déjà retirées de son chef, toutes saignantes : une grosse et une pe-
tite. Et l'infortuné a beau crier et demander grâce, il en sortira une
troisième encore de sa boîte crânienne. C'est du moins ce que prétend
son bourreau.
Cette bousculade opératoire jette une note nouvelle que rendent vrai-
ment comique, le sérieux, la ténacité du chirurgien et la position invrai-
semblable où se poursuit l'opération.
Cette scène fait défaut, disions-nous, dans la gravure du Rijk Muséum.
Mais nous en connaissons l'équivalent sur une autre gravure de Bruegel où
l'opération se passe dans un oeuf (I), allégorie dont le sens est difficile à
percevoir.
(1) Cette gravure est celle que nous avons décrite dans une de nos précédentes étu-
des, comme nous ayant été communiquée par le Dr Brissaud.
LES ARRACHEURS DE PIERRES DE TETE 175 la"
Au fond du tableau du même côté, scènes de pansements.
Un gros homme rouge et barbu, à gilet vert et chausses blanches, est
ligoité corps et bras sur un fauteuil, les jambes allongées en avant.
Il s'abandonne, épuisé, aux soins d'une aide, infirmière de cette étrange
clinique, grosse femme à coiffe blanche qui noue à tour de bras un bandage
sur le front du patient.
L'indifférence absolue de ce dernier indique qu'il n'est plus en état de
réagir. Peut-être se croit-il réellement soulagé..... La suggestion chirur-
gicale est capable de bien des miracles.
Près de ce client résigné, on voit, sur un autre fauteuil, un petit homme
vêtu de brun, le front bandé, les deux bras passés dans une écharpe blan-
che, un grand sabre à poignée rouge sous le bras, un pied chaussé et l'au-
tre nu, son soulier gisant non loin de là. C'est le client gouailleur. Il re-
garde d'un air moqueur la scène du milieu et se gausse hautement des
hurlements de l'opéré. Peut-être ne faisait-il pas une mine aussi gaillarde
lorsqu'il était ligotté sur la chatière il n'y a qu'un instant.
Derrière ces groupes, au dernier plan, on distingue l'arrière-officine, à
demi voilée par un rideau rouge. On y devine une cheminée haute, avec
du feu. Un enfant curieux, passe sa tête derrière la draperie.
Un autre, tout à fait à gauche, entièrement nu, dans une posture non
équivoque, cède aux besoins les plus impérieux de la nature. On distingue
même le louable résultat de ses efforts. Plaisanterie rabelaisienne que les
artistes des Pays-Bas ne répugnaient pas à figurer dans leurs tableaux, et
dont le sel ne nous apparaît plus aussi agréable aujourd'hui.
L'arrière-boutique donne encore jour sur la grande salle par une petite
baie fermée par une claie d'osier. Parla un troisième enfant passe sa main
munie d'une cruche qu'il vide dans une marmite.
Enfin, par la porte de l'officine, porte à vitraux qui s'entr'ouvre bruyam-
ment, entre avec grand fracas une foule de malades et de curieux. En tète,
un vigoureux gaillard qui porte sur ses épaules un, gros homme vêtu de
jaune, coiffé d'un bonnet noir, la pierre de tète au front. Derrière eux,
cinq ou six personnages dont le plus pressé hurle désespérément et mon-
tre sur son chef la tumeur à extraire.
Au dehors, on aperçoit, flottante, l'enseigne de la maison, peinte en
rouge, avec des pendeloques noires et dans le lointain un paysage maritime
de couleur anormale avec des bateaux grossièrement esquissés.
La décoration de ce cabinet chirurgical est fruste :
Aux murs, à gauche de la porte, deux plats à harbe en cuivre et une
serviette sur un rouleau. A droite, sur un rayon, des pots d'onguent,
une fiole, des herbes pharmaceutiques. Au-dessous, une collection de
« pierres de tête » monstrueuses, accrochées à des clous, et un parchemin
176 ' HENRY MEIGE
muni de deux larges sceaux verts. Sur ce dernier, on ne voit guère que des
caractères confus, certainement rendus illisibles à dessein. Dans le haut,
cependant, une date bien nette, 1gaz, et dans le bas, fort indistinct, le mot
bruegle, qui d'ailleurs n'a aucune ressemblance avec la signature des
Bruegel, père ou fils.
Telles sont la description et l'interprétation de la curieuse peinture
que possède le Du' P. de Molènes et que reproduit la PI. XXII.
Nous n'avons pas à revenir sur l'explication qu'il convient de donner
de ces scènes charlatanesques. Ce nouveau document ne fait que confirmer
nos précédentes remarques. La jonglerie chirurgicale en question est am-
plement commentée par les tableaux de van Bosch, van IIemessen, A. Both,
Fr. Hais le Jeune, et surtout Jean Steen, que nous avons décrits, ainsi
que par les gravures de N. Weydmans, D. Teniers, Th. de Bry, etc.
Cette série déjà longue n'est pas encore close, car nous avons eu tout
récemment connaissance des deux nouvelles peintures relatives à des scè-
nes du même genre. L'une est un tableau attribué (non sans raisons) à
A. Brouwer et que nous avons vu au musée d'Aix-la-Chapelle ; l'autre
peinture, qui n'est pas 'signée, mais de la môme époque et de la môme
école, se trouve dans une collection privée et nous a été signalée par notre
ami, Léon Goujon. Nous aurons bientôt l'occasion de faire connaître ces do-
cuments complémentaires.
Le gérant : P. Bouchez.
Imp. G.Saint-Aubm et Thevenot. - J. Thevenot, successeur, Saint-Dizier.
12e ANNÉE NI, 3. Mai- Juin 1899
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA PARALYSIE ISOLÉE
DU MUSCLE GRAND DENTELÉ
\
PAR
A. SOUQUES
Médecin des hôpitaux.
ET
J. CASTAIGNE
Interne des hôpitaux.
L'histoire de la paralysie du muscle grand dentelé est relativement ré-
cente : elle ne remonte guère au delà des travaux mémorables de Du-
chenne. Velpeau d'abord (1), puis Gendrin (2), l\Iarchessaux (3), Desnos (4)
en publient chacun un exemple. Un seul journal médical (5), en trois ans,
contient quinze observations de paralysies dites du grand dentelé. Mais
ce sont là des faits discordants et sujets à critiques. « On a compris, dit
Duchenne (6), ou plutôt confondu, sous le nom de paralysies du grand
dentelé, -une affection complexe dans laquelle un ou plusieurs faisceaux
musculaires se trouvent ou atrophiés ou paralysés ou contracturés. C'est
ce dont on se convaincra facilement, en relevant les observations de pa-
ralysies du grand dentelé qui ont été publiées. »
Du reste, tous les faits de paralysie isolée du grand dentelé - la seule
que nous aurons ici en vue parus depuis le travail de Duchenne, tant
en France qu'en Allemagne, sont loin d'être incontestables. Lewinski (7)
qui en faisait, il y a quelques années, une critique très serrée, ne regar-
dait comme inattaquable que l'observation de Busch. Et tout récemment,
dans son intéressante monographie, Barreïro (8) n'en retient que seize
cas.
Somme toute, celte paralysie isolée constitue une rareté clinique. Du-
(1) Velpeau, Anatomie chirurg., 1835, p. 312.
(2) Genoiun, Traduction du livre d'Abercroznbie sur les maladies de l'encéphale et
de la moelle épinière, 1S35.
(3) MAUCHESSAU, Arch. gén. méd., 1810, p. 313.
(4) Desnos, Th. de Paris, 4845 et Archiv. gén. méd., 1846, p. 246.
(5) Gazette des hôpitaux (du 21 juin 1815 au 5 juin ici18).
(6) Duciienxe, Eleclris. local., 2e édit., p. 166, Paris, 1867.
(î) Lewinski, Archiv für path. anat. und Phys., t. LXXIV, 4Rtû.
(8) Bauheiro, Contnib. à l'étude de la paralysie du muscle grand dentelé, Th. de
Paris, XII. 1895. 13
xn ^3
178 A. SOUQUES ET J. CASTAIGNE
chenne (1) déclare n'avoir pas vu de paralysie ou d'atrophie « parfaitement
limitée au grand dentelé, ce qui prouve que cette localisation doit être
rare, poursuit-il, puisque sur une vingtaine de cas au moins d'atrophie
ou de paralysie du grand dentelé que j'ai explorés, je ne l'ai pas rencon-
trée une seule fois ».
En effet, les cas rapportés par cet auteur sonl fort complexes : la plu-
part ressortissent à l'atrophie musculaire d'origine myopathique ou myé-
lopathique. Môme complexité se retrouve dans les 40 observations réunies
par Berger (2).
Actuellement tout le monde est d'accord sur la rareté de la paralysie
du grand dentelé. Ilenial (3), sur z.000 admissions hospitalières, n'a
constaté que 23 cas de paralysie ou de contracture périphérique des mus-
cles de la ceinture scapulo-humérale. Or, de ces 23 faits, 3 se rapportent
à la paralysie isolée du muscle grand dentelé, et 6 à cette même paralysie
associée à celle de la portion moyenne du trapèze.
, Par contre, les ailleurs ne sont plus du même avis, au sujet de l'attitude
du scapulum, quand le bras au repos tombe naturellement sur le côté du
tronc, et au sujet de la hauteur à laquelle peut s'élever volontairement le
bras. L'omoplate est-elle déplacée, dans la station debout, le bras pendant
naturellement le long du tronc ? L'élévation volontaire du bras peut-elle
dépasser la ligne horizontale ? Ce sont là deux questions auxquelles nous
répondrons, après avoir rapporté l'observation suivante :
Observation.
Ch. Isidore, âgé de 29 ans, palefrenier, entré il l'hôpital Cocliin le 5 août
1898, au quatrième jour d'une infection qui a débuté brusquement par un
point de côté violent sous le sein droit et un grand frisson. A son entrée il
l'hôpital, le malade présente il la base droite tous les signes d'une pneumonie
lobaire franche aiguë ; la température reste il 40° jusqu'au 7 jour, époque à
laquelle le malade commence sa défervescence qui ne se maintient pas, car
dès le 9e jour le malade avait 40° de température vespérale, malgré une dis-
parition presque complète des symptômes pulmonaires. En môme temps, de
nouveaux signes avaient apparu (lâches rosées, gargouillement de la fosse
iliaque, diarrhée, splénomégalie) qui faisaient soupçonner la fièvre typhoïde,
affirmée d'ailleurs au 12e jour par un séro-diagnostic positif.
La dothiénentérie traitée par les bains froids évolua d'une façon bénigne, et
le 28 août, c'est-à-dire le 26e jour de la maladie, le typhique pouvait être
considéré comme convalescent; au 30e jour, il commença à s'alimenter et au
40'jour il se levait et marchait dans la salle. C'est alors qu'il s'aperçut de quel-
(1) Duchenne, Physiol. des mouvem., p. 40.
(2) Beuger, Breslau, 1813.
(3) HEMAK, Berlin. Gesells. sur Psychiat. und Nervenkrank., 12 décembre 1892.
NOUV. Iconographie Dt la SAI PÊTRIERE.
r. XII. PI. XX111
PARALYSIE ISOLEE DU MUSCLE GRAND DENTELE
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PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 179
que gène dans les mouvements du bras droit. Pendant toute l'évolution de sa
dothiénentérie, il avait continué à se plaindre du point de côté sous-mamelon-
naire qui avait survécu à sa pneumonie, .mais l'attention ne fut réellement
attirée sur sa paralysie, qu'au moment de sa convalescence. Jamais,' aupara-
vant, le malade n'avait eu la moindre gêne dans les mouvements de ses bras.
Palefrenier, il pansait les chevaux et les conduisait aux relais. Il était
obligé pour soigner ses chevaux de lever les bras jusqu'à la verticale et, dans*
les mouvements nécessaires il l'étrillage notamment, il ne s'était jamais aperçu
qu'un de ses bras fut plus faible que l'autre. Les phénomènes de paralysie
qu'il présente sont donc apparus au cours de sa fièvre typhoïde.
Ces phénomènes paralytiques sont très nettement localisés au muscle grand
dentelé droit. '
Etat actuel.
I. Si l'on examine le malade dans la station debout les bras tombant le
long du corps, on s'aperçoit que la région scapulo-humérale droite ne présente
pas de déformation bien apparente : le moignon de l'épaule n'est pas abaissé,
l'acromion est aussi saillant que du côté sain : il n'est porté ni en bas, ni en
avant, ni en dehors.
L'omoplate est très peu élevée en masse ; son bord spinal est un peu plus
rapproché de la ligne médiane à droite qu'à gauche : cette différence au niveau
de l'épine est d'environ 1/2 centimètre (PI. XXIII, A).
L'angle inférieur du scapulum est plus saillant, un peu plus élevé et un peu
plus rapproché du rachis à droite qu'à gauche. De telle sorte que, en réalité,
le bord spinal reste sensiblement parallèle à la ligne médiane. Ajoutons que,
de plus, il ne semble pas nettement détaché du thorax.
Le méplat normal compris entre ce bord spinal et la ligne médiane. du corps
est moins marqué du côté droit ; il est remplacé par un léger relief dû à l'ac-
tion hypertonique du trapèze et du rhomboïde dont le bord inférieur se dessine
nettement.
II. Lorsque les bras sont élevés directement en avant jusqu'à l'horizontale
(PI. XXIII, D), la déformation de la région scapulaire devient très évidente :
l'omoplate est élevée en masse beaucoup plus que dans l'attitude précédente ;
le bord spinal se détache du thorax et forme la gouttière verticale classique,
profonde ici de 5 à 6 centimètres ; dans cette gouttière, on aperçoit le relief du
bord inférieur du trapèze qui se dirige obliquement en haut et en dehors, et qui
coupe ainsi la gouttière en deux parties inégales : la partie située au-dessus du
trapèze, entre la ligne médiane et le hord spinal, a la forme d'une rigole
étroite ; quant à la partie inférieure, beaucoup plus petite en étendue, qui.se
trouve située entre le relief du bord inférieur du trapèze et l'angle inférieur de
l'omoplate, elle forme sous la face interne du scapulum une dépression pyra-
midale où l'on enfonce facilement et largement le pouce tout entier, ce qui
permet de palper la face antérieure de l'omoplate.
De plus, le bord spinal est très rapproché du rachis, il devient oblique en. bas
et en dehors ; cette obliquité peut être mesurée par les chiffres suivants : au
180 A. SOUQUES ET J. CASTAIGNE
niveau de l'épine, le bord spinal est éloigné de la ligne médiane de 2 centimè-
tres 1/2 environ, tandis que cette distance est à peu près de 5 centimètres au
niveau de l'angle inférieur.
Dans cette position, les muscles sus et sous-épineux forment des bourrelets
très durs et très saillants qui donnent aux fosses sus et sous-cpineuses une
forme convexe contrastant avec l'aspect normal du côté sain.
III. Lorsque les bras sont levés en dehors jusqu'à l'horizontale (PI. XXIV,
F), d'une façon générale, la déformation de la région scapulaire est la même
que dans l'attitude précédente, mais elle est moins accentuée : l'élévation de
l'omoplate en totalité est moins marquée, son bord spinal est moins écarté du
thorax, il est par contre plus rapproché de la figue médiane qu'il atteint à
1 centimètre près, au niveau de l'épine, tandis qu'il en reste distant de 3 cen-
timètres au niveau de l'angle inférieur. Il s'ensuit que l'aspect de la gouttière
thoraco-scapulaire se trouve modifié : sa partie supérieure ne constitue plus
une rigole, mais un plan un peu oblique en avant et en dedans ; sa partie infé-
rieure est moins modifiée, la dépression pyramidale, qui persiste cependant,
est beaucoup moins accentuée. Le relief des muscles sus et sous-épineux reste
aussi saillant et aussi dur que dans l'attitude précédente.
IV. Bras élevés dans la direction verticale. Quand on fait élever au malade
le bras droit isolément, il arrive à le porter au-dessus de l'horizontale sans
atteindre la verticale. Pour exécuter ce mouvement, il a soin, il est vrai, d'in-
cliner un peu le tronc du côté opposé, ce qui fait que le bras paraît plus élevé
qu'il ne l'est en réalité.
En effet, quand on lui fait élever les deux bras simultanément (PI.XXV, G),
il s'incline beaucoup moins du côté sain ; aussi le bras droit, tout en dépassant t
l'horizontale, paraît s'approcher moins de la verticale que dans le cas où le seul
bras droit était élevé.
Ajoutons que, d'ailleurs, dans l'élévation du bras vers la verticale, la région
scapulaire présente la même morphologie que dans les cas où le malade élève
directement le bras en dehors.
1° Mouvements de l'épaule.
L'élévation directe ci, haut des épaules se fait avec une force normale à
droite comme à gauche : il est en effet impossible d'abaisser l'épaule droite,
même par une pression très énergique, lorsque le malade résiste à cette pres-
sion. Dans cette attitude, il n'y a pas de déformation appréciable de la région
scapulo-humérale.
L'acte de porter les épaules en avant et en dedans (PI. XXV, 1) se fait avec
une énergie normale. Dans ce mouvement, il n'y a pas de déformation évi-
dente de la région scapulaire droite, sauf que l'angle inférieur est un peu plus
saillant et que le bord spinal de l'omoplate est plus rapproché du rachis à
droite qu'à gauche, tout en restant parallèle à la ligne médiane. En dedans de
ce bord on voit un relief du muscle trapèze, beaucoup plus accusé à droite
qu'à gauche. '
L'acte de porter les épaules en arrière et en dedans se fait d'une façon nor-
NOUV. Iconographie DF la Salpêtrière.
l'. XII. PI. XXI'"
PARALYSIE ISOLEE DU MUSCLE GRAND DENTELE
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PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 181
male sans déformation appréciable, dételle façon que les deux omoplates arri-
vent presque au contact (PI. XXV, H). '
2° Déformations thoraciques.
1° Station debout, bras tombant naturellement le long du corps (Pl. XXIII,
A. B). ,
Vu de dos, de face ou de profil le thorax n'offre aucune déformation visible.
2° Bras élevés en avant jusqu'à l'horizontale (PI. XXV111, D).
A) Vu de dos, on note surtout l'étroitesse delà paroi thoracique droite, tout
particulièrement dans la partie supérieure, et la modification de la ligne qui
réunit la paroi postérieure à la paroi latérale de l'aisselle (ligne en S avec
boucles très ouvertes).
B) Vue de face, l'aisselle droite présente une diminution très notable de son
creux et la paroi thoracique antérieure est élargie.
C) Vue de profil, la paroi axillaire est lisse car elle ne présente pas les digi-
tations normales du grand dentelé ; de plus le thorax est très voussuré, au-
dessous du prolongement de la ligne bimamelonnaire.
3° Lorsque les bras sont élevés en dehors jusqu'à l'horizontale (PI. XXIV,
E. F.), la déformation du thorax est à peu près identique la précédente,
tant en avant qu'en arrière et de profil.
fil, Les bras aM'7eoe' jusqu'à la verticale, la déformation persiste, et môme
la voussure de la Yaroi latérale s'accentue beaucoup, surtout dans la moitié
inférieure.
Dans ces diverses situations des membres supérieurs, le cou et la tête ne
présentent aucune attitude vicieuse, cependant les muscles du cou (trapèze,
sterno-mitstoïdien) paraissent se contracter plus énergiquement à droite qu'à
gauche. Il
Examen électrique. Voici l'état des réactions électriques, tel qu'il nous a
été fourni par notre ami, M. le Dr Huet : Réactions faradiques et galvaniques
sensiblement normales dans tous les muscles qui s'attachent à l'omoplate, et
semblables il droite et gauche, excepté dans le grand dentelé. A droite, réac-
tions faradiques nulles dans ce muscle il 90 millimètres d'écartement des bobi-
nes, taudis que, il gauche, on obtient des contractions à 135 millimètres d'écar-
tement. Réactions galvaniques également très diminuées tandis que, à gauche,
la première N Fc apparaît à 3 m. A, à droite les premières C.apparaissent vers
10 m. A et sont assez lentes, 1\ Fc est égale ou seulement un peu plus grande
que P F C.
De plus l'excitabilité indirecte par le nerf dans le creux sus-claviculaire est
diminuée à droite : aucune contraction apparente '1100 millimètres, tandis que
il gauche on obtient des C. à 120 millimètres.
Il est possible que, chez ce malade, la paralysie du grand dentelé soit incom-
plète ; mais les excitations les plus fortes que peut supporter le malade ne don-
nent rien. Il est vrai que dans la région du thorax ces excitations sont assez
vite douloureuses.
182 A. SOUQUES ET J. CASTAIGNE
Tels sont les détails de l'observation. Il s'agit incontestablement d'un
cas de paralysie isolée du grand dentelé droit survenue au cours d'une fièvre
typhoïde.
Les cas dus à pareille cause sont véritablement exceptionnels. Bæull1-
ler (1) a publié un fait identique, concernant un homme de 50 ans, ro-
buste et bien musclé. Deux mois après le début de la maladie, pendant
la convalescence, cet homme fut pris brusquement de douleurs vives dans
la nuque. Rapidement s'installa une paralysie des muscles du bras droit,
puis du bras gauche, enfin du grand dentelé droit, qui resta le seul mus-
cle paralysé.
Dans le cas de Bæumler, comme dans le nôtre, la seule hypothèse qu'on
puisse faire est celle d'une névrite du nerf du grand dentelé, causée par
le poison typhique. Il resterait à savoir pour quel motif ce poison s'est
localisé sur ce nerf. C'est là un point que nous aborderons plus loin.
Il est compréhensible que la névrite du grand dentelé soit exception-
nelle au cours de la fièvre typhoïde. La paralysie isolée du muscle grand
dentelé n'est-elle pas très rare ? Nous avons vu que Barreïro n'en avait
réuni que seize cas. Ces seize cas, au point de vue étiologique, se décom-
posent ainsi :
Effort ou fatigue musculaire.......... cas
Froid et humidité .............. 3 »
Fièvre typhoïde............... 1 »
P uerpéra 1 i lé ................ 1 »
Blessure chirurgicale du nerf ......... 2 »
Hystérie.................. 1 Il
Cause inconnue ............... 3 »
Ces trois derniers faits étant laissés de côté, les cas dus ;i une blessure
chirurgicale et à l'hystérie étant mis à part, en raison du caractère spécial
de leur cause, il reste dix faits dont l'interprétation présente des obscu-
rités.
Or cinq sont attribués, sans autre explication d'ailleurs, à un effort ou
à une fatigue musculaire.
Dans le cas de Wiesner (1) il s'agit d'un charpentier de ` ? t. ans, qui
portait depuis trois ans de lourds fardeaux sur l'épaule droite. Dans le
.courant de l'hiver 18ego, il souffrit beaucoup pendant les nuits de dou-
leurs dans le creux sus-claviculaire droit. Ces douleurs persistèrent pen-
dant deux ans, et, au bljt de ce temps, survint une impotence fonction-
(t) I)ent. Auciiiv sur 1,1. 1880, p. 305.
(1) 13,r·.w.rs, Deut. Archiv sur kt. Ied" 1880, p. 30a.
(-1) Wiesner, Archiv sur kl. Med., 1869, t. VI, p. 95.
Nouv. Iconographie 17F la SAI.IltTRIÈRF,.
T. XII. PI. XXV
PARALYSIE ISOLEE DU MUSCLE GRAND DENTELE
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PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 183
nelle du bras droit. Il lui était difficile d'élever ce bras au-dessus de l'ho-
rizontale. Il continua cependant de travailler, en se servant du côté gauche
pour porter ses fardeaux. Les deux grands dentelés se paralysèrent, le
droit beaucoup plus que le gauche.
Woodmann (1) cite le fait suivant : un marin de 39 ans fut nommé au
grade de lampiste sur un navire; il avait chaque jour allumer et trans-
porter seize lampes avec réflecteurs et appareils, travail qui nécessitait
des efforts d'élévation de l'épaule. Six mois après ce début dans ces fonc-
tions, il éprouva de la faiblesse dans l'épaule droite, avec difficulté d'éle-
ver le bras correspondant. Il continua cependant son métier, en s'aidant
du bras gauche, et, six mois plus tard, il était incapable d'élever son
bras droit et présentait les signes ordinaires de la paralysie du grand
dentelé.
Le cas de Bernhardt (2) mérite une mention toute spéciale. Il concerne
un boucher, qui avait l'habitude de porter ses fardeaux sur l'épaule gau-
che. Cet homme éprouva, quelques semaines avant l'apparition d'une
paralysie du grand dentelé gauche, des douleurs vives dans l'épaule gau-
che, avec notable difficulté dans les mouvements du membre inférieur
correspondant.
L'observation de Buchmuller (3) mérite d'être soulignée également :
un domestique, âgé de 18 ans, essaye de jeter un sac de pommes de terre
sur son épaule et ressent une vive douleur dans la région scapulaire droite.
Presque immédiatement après, il ne peut soulever son bras droit au-des-
sus de l'horizontale.
Enfin le cas de Barreïro (4) a trait un fumiste, âgé de 56 ans, bien
musclé et vigoureux, qui portait sur l'épaule droite, une colonne de fonte
de 300 kilos. Cet homme dépose sa charge et éprouve à ce moment un
craquement au niveau de la fosse sus-épineuse droite. Aussitôt après il ne
peut élever le bras correspondant au-dessus de ligne horizontale. Il conti-
nue son travail durant quatre jours, tant bien que mal, et cesse alors en
constatant lui-même dans la glace la déformation de son omoplate.
Quant aux trois observations de paralysie isolée du grand dentelé, attri-
buée au froid et l'humidité, voici dans quelles conditions cette paralysie
est survenue.
Dans le cas de Busch (5), il s'agit d'une paralysie isolée et bilatérale
des deux grands dentelés. Le début fut marqué par des douleurs vives dans
(1) Woodmann, Brit. med ? lourn., 1 octobre 1815.
(2) Beamtntinr, Archiv sur kl. Med., 1819, p. 380.
(3) l3f : Ct1>1(;Lt.I : li, Thèse d'Erlangen, 1892.
(4) Bnntiatrso, loc. cit.
(5) Buscn, Deut. Archiv fùr kl. Chir., 1863, p. 39.
184 A. SOUQUES ET .1. CASTAIGNE
le dos, la poitrine et les épaules. L'enfant avait dormi sur la terre humide
deux mois avant le début du mal, et c'était là la cause unique qu'on pût
retrouver.
Une femme de 39 ans, citée par Bernhardt (1), s'expose à un courant
d'air pendant une nuit. Cette nuit même, elle ressent des douleurs très
vives dans l'épaule droite, irradiant dans le bras et la nuque. Six à huit
semaines après, elle constate des troubles dans la motilité du bras droit.
L'observation, déjà ancienne de Marcbessaux(2), se rapporte à un fac-
teur de pianos, âgé de 27 ans, qui éprouva un jour des douleurs assez
vives dans la région de l'épaule droite et du côté correspondant du thorax,
depuis le creux de l'aisselle jusqu'à la sixième côte. A la même époque, il
constata un affaiblissement dans les mouvements du bras et la déformation
de l'omoplate. Il n'avait jamais reçu de traumatisme sur l'épaule, mais il
couchait depuis quelque temps dans une chambre située au premier sur
une cour, dans laquelle était placée un réservoir ; un tuyau de conduite
en mauvais état passait dans l'épaisseur de la muraille contre laquelle était
placé son lit, et cette muraille était fort humide.
II nous reste à mentionner le fait de L. Weber (3) ; il concerne une
femme de 27 ans, prise trois semaines après un accouchement de douleurs
vives dans le bras droit et consécutivement de paralysie isolée du muscle
grand dentelé, du même côté.
Voilà dans quelles conditions s'est produite, chez ces dix malades, la
paralysie du grand dentelé (4). Il conviendrait maintenant d'en rechercher
le mécanisme proprement dit.
(1.) Bernhardt, IOC. Cit.
(2) MAMHESSAUX, Arch. gén. méd., 1840, p. 313.
(3) WEBER, Deut. med. Woch., 1880, p. 27 î.
(4) Dans un très intéressant travail sur la paralysie du grand dentelé, paru dans le
Moniteur des médecins tchèques en 1896, M. J. IIN.\TEK, qui nous a obligeamment
adressé son mémoire, a publié deux observations de paralysie isolée du muscle grand
dentelé. En voici le résumé très succinct :
Premier cas. Un ouvrier, (ils d'alcoolique, qui travaillait pendant quatre jours, de
cinq heures du matin à minuit à gratter des tiges de porte-cigares, particulièrement de
la main droite, le corps penché, éprouve des douleurs dans l'épaule droite. Quatre
jours après, sa jeune femme constate une déformation de l'épaule.
Il s'agit d'un homme très musclé qui, vu de dos, au repos, présente les troubles sui-
vants : omoplate droite plus rapprochée du rachis que la gauche (1 centim. de diti'é-
rence) en même temps qu'elle est plus élevée. L'élévation du bras au-dessus de l'hori-
zontale est impossible au début, mais quelques semaines plus tard, elle dépasse le
plan horizontal de 15° à 20.
Second cas. -Un jeune homme de 20 ans, sans cause connue, est pris de douleurs
très violentes, l'ayant empêché de dormir pendant quatre nuits, dans la région du bras
droit. Quelque temps après, on lui fit remarquer la déformation de l'épaule droite.
Les troubles de l'attitude de l'épaule ressemblent à ceux du premier cas. Toutefois, le
malade aurait toujours pu lever le bras au-dessus de l'horizontale.
PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 185
Voyons tout d'abord les cas qui ressortissent à l'effort musculaire. Les
deux faits de Buchmùller et de Barreïro sont très suggestifs : effort mus-
culaire violent et aussitôt après paralysie du grand dentelé. Ne peut-on
pas supposer ici qu'il s'agisse d'une névrite apoplectiforme, d'une sorte de
traumatisme du nerf du grand dentelé (tiraillement, compression) sur un
point difficile à déterminer de son trajet, que ce traumatisme résulte de la
contraction propre du muscle grand dentelé ou de celle des muscles voi-
sins. On conçoitaisémentqu'il soit difficile de préciser davantage le méca-
nisme exact. Ce n'est d'ailleurs là qu'une hypothèse. Le trajet et les rap-
ports du nerf du grand dentelé la rendent plausible. Ce nerf, remarquable
par la longueur de son parcours, nait des cinquième et sixième paires cer-
vicales par deux racines. Pour les anatomistes allemands, pour Luschka
et IIenle particulièrement, ces deux racines traversent les fibres du scalène
postérieur avant de se réunir; quelquefois même, le tronc du nerf lui-
même traverserait les fibres musculaires. On concevrait ainsi qu'il fût faci-
lement tiraillé.
Dans les cas de Wiesner, de Woodmann et de Bernhardt, il ne s'agit
plus d'effort musculaire brusque et violent, mais bien de fatigue, de sur-
menage musculaire.
Il nous semble nécessaire de souligner ici la profession rude et péni-
ble qu'exerçaient ces malades, de faire remarquer qu'il s'agit toujours
d'hommes et que la paralysie siège chez tous, sauf chez le malade de
Bernhardt, du côté droit, c'est-à-dire du côté qui normalement fait le
plus d'ell'orts et subit le plus la fatigue. Chez le malade de Bernhardt,
qui fait exception, c'est le côté gauche qui est paralysé. Or cet homme
avait l'habitude de porter ses fardeaux sur l'épaule gauche. Donc l'excep-
tion n'est qu'apparente. Elle a même, à notre avis, une valeur confirma-
tive, comme l'aphasie, dans une hémiplégie gauche, chez un gaucher,
confirme la loi de Bouillaud-Broca.
Le cas de Wiesner a une valeur de même ordre : son malade porte de
lourds fardeaux sur l'épaule droite, et paralyse son grand dentelé droit ;
il continue son travail, en se servant de l'épaule gauche, et bientôt son
grand dentelé gauche se paralyse.
Le rôle du surmenage du muscle grand dentelé nous semble hors de
contestation (1).
Quel est donc le rôle physiologique de ce muscle ? Pour Cruveillier,
« le grand dentelé portant l'omoplate en avant et élevant le moignon
de l'épaule, c'esL de tous les muscles celui qui agit le plus puissam-
(1) On sait que la paralysie des tambours, d'après les travaux de Bruns et de Zeuder
est localisée aux muscles du pouce gauche et due à l'excès de fonctionnement de ces
muscles.
186 A. SOUQUES ET J. CASTAIGNE
ment dans l'action de soutenir un fardeau sur l'épaule ». Ilenle est du
même avis. Duchenne, il est vrai, pense le contraire. Si on fait élever
l'épaule à un sujet, dit-il, pendant qu'on pèse fortement sur le moignon
de l'épaule (pour remplacer le poids d'un fardeau), on voit que le tra-
pèze, le rhomboïde et le tiers supérieur du grand pectoral sont seuls
contractés. Le grand dentelé reste fiasque, pourvu que le bras soit appliqué
contre le thorax. Donc le grand dentelé, encore qu'il élève le moignon de
l'épaule, n'intervient pas dans cet acte. Mais nous savons qu'il intervient
fortement dans l'acte d'élever le bras soit jusqu'à l'horizontale, soit jus-
qu'à la verticale. Nous savons qu'il se contracte puissamment, pour em-
ployer l'expression de Duchenne, dans l'acte de pousser en avant avec le
moignon de l'épaule. Nous savons aussi qu'il a encore d'autres usages,
qu'il concourt, avec les autres muscles qui s'insèrent à l'omoplate, à fixer
cet os et à le maintenir appliqué contre le thorax, afin de donner ainsi de
la solidité à la moitié postérieure de la ceinture scapulaire, c'est-à-dire
de donner un point fixe aux muscles qui vont du scapulum au membre
supérieur. Il joue donc un rôle primordial, dans les divers mouvements
du bras. La gène considérable de ces mouvements, dans la paralysie
isolée du grand dentelé, en est une preuve irréfutable. Le muscle grand
dentelé est donc soumis, dans les divers mouvements du bras et de
l'épaule, à un exercice répété et puissant. Si cet exercice devient immo-
déré, excessif, il pourra y avoir fatigue, surmenage. N'est-il pas admissi-
ble que cet exercice immodéré soumette le nerf du grand dentelé à des
tiraillements capables de le paralyser ?
Bref, qu'il s'agisse d'une paralysie du muscle grand dentelé, consécu-
tive à un effort brusque et violent ou à un surmenage musculaire propre-
ment dit, le mécanisme intime nous parait analogue et relève vraisem-
blablement d'une sorte de traumatisme du nerf lui-même.
Comment peut-on interpréter le rôle du froid et de l'humidité, invoqué
dans les trois cas de Marcbessaux, Busch et Bernhardt ? Le malade de
Marchessaux dormait près d'une muraille humide, celui de Busch avait
dormi sur la terre humide, enfin la femme de Bernhardt s'était exposée à
un courant d'air pendant une nuit. On peut évidemment incriminer dans
tous ces faits l'action directe du froid et de l'humidité sur le nerf du
grand dentelé, qui est superficiel dans la partie inférieure de son trajet.
Mais l'action du froid humide ne nous semble pas prouvée. On invoquait
jadis pareille action pour expliquer la paralysie du nerf radial, qu'on
attribue aujourd'hui à une compression du nerf. Ne s'agit-il pas de com-
pression, dans les paralysies du grand dentelé, survenues la nuit, peut-être
à la suite d'une attitude vicieuse, ayant amené une compression ou un
tiraillement du nerf ? Sans pouvoir l'affirmer et sans vouloir rejeter le
PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 187
rôle du froid humide, nous ferons remarquer que notre hypothèse peut
s'appuyer sur les cas analogues de paralysies diverses, survenues pendant
le sommeil, à la suite d'une attitude vicieuse.
Il nous reste maintenant à envisager le mécanisme des cas de Baeumler
et de Weber : la paralysie est consécutive à la fièvre typhoïde et à l'accou-
chement. Pourquoi l'infection a-t-elle été se localiser sur le nerf du
grand dentelé du côté droit ? Il est impossible de répondre à cette question,
à moins qu'on ne veuille supposer une attitude vicieuse, ayant produit
un tiraillement du nerf du grand dentelé par suite du décubitus latéral
droit ou de toute autre cause et créé ainsi un locus minorais resistantue
pour la toxine. Dans notre cas, il n'est pas illogique de supposer que la
pneumo-typhoïde, siégeant précisément à droite, ait pu jouer le rôle de
cause localisatrice.
Le mécanisme intime, presque univoque, que nous venons d'exposer
pour expliquer la physiologie pathologique des paralysies isolées du grand
dentelé, quelle que soit leur cause apparente, est purement hypothétique.
II nous semble cependant impossible de ne pas tenir compte de cette
hypothèse, si on veut bien considérer que, sur ces dix cas de paralysie du
grand dentelé, sept siègent à droite, deux sont bilatéraux avec prédomi-
nance du côté droit, et qu'un siège à gauche chez un gaucher. N'est-ce
pas la une localisation qui plaide en faveur de notre hypothèse ? Dans le
même genre d'idées, nous ferons remarquer que tous ces cas, sauf deux,
concernent des hommes.
Nous arrivons maintenant aux considérations d'ordre symptomatique.
Elles portent sur trois points :
1° Sur l'attitude du scapulum, lorsque le bras pend inerte le long du
tronc ;
2° Sur l'élévation possible du bras au delà de la ligne horizontale ; : 3° Sur la déformation du thorax.
L'attitude du scapulum, lorsque le bras tombe naturellement le long
du corps, a été vivement discutée. Sur ce point deux opinions sont en
présence.
Les uns soutiennent avec Duchenne (1) que la morphologie de l'épaule
n'est pas troublée. « Les signes palhognomoniques de l'atrophie du grand
dentelé, dit en effet Duchenne (2), ne se manifestent que pendant l'élé-
vation volontaire du bras. J'ai démontré, en effet, que l'atrophie du grand
dentelé n'occasionne aucune difformité appréciable dans l'attitude de
l'épaule, pendant le repos musculaire et lorsque les bras tombent sur les
côtés du tronc, à moins toutefois que les deux tiers inférieurs du trapèze
(1) Duchenne, Electris. local., 3° édit., p. 942.
(2) Duchenne, eod. loc., p. 944.
188 A. SOUQUES ET .T. CASTAIGNE
ne soient en même temps paralysés. Ainsi, il eût été certainement impos-
si)))ede soupçonner l'existence de celle grave affection musculaire chez
les sujets représentés dans les figures'189 et 190, lorsqu'ils laissaient pen-
dre leurs bras sur le côté du tronc. » « Je démontrerai plus loin qu'il
existe un signe pathognomonique, à l'aide duquel on peut établir le dia-
gnostic de la paralysie ou de l'atrophie du grand dentelé, alors que le
malade nepeut élever volontairement son bras. » Cosigne pathognomoni-
que, important à connaître dans les cas où la paralysie du grand dentelé se
complique de celle du deltoïde (complication qui n'est pas rare, déclare
Duchenne, el qui a dû bien des fois empêcher la paralysie du muscle grand
dentelé de se manifester), se constate en faisant porter les épaules en avant.
On voit alors du côté malade :
« 1° Le moignon de l'épaule entraîné en avant ;
2° Le bord spinal du scapulum rester en place, puis soulever la peau en
se portant un peu en arrière par un mouvement de rotation de cet os sur
son axe vertical. Cette attitude du scapulum, du côté malade, faisait alors
un contraste frappant avec l'attitude du scapulum du côté opposé, qui
avait exécuté son mouvement normal. On remarque, en effet, dans la
figure 192 que du côté sain le bord spinal du scapulum obéissant il J'action
du grand dentelé, a été entraîné en dehors et en avant, en s'appliquant
solidement contre paroi thoracique, et qu'il a pris une direction oblique
en sens inverse de celle du scapulum droit où le grand dentelé était pa-
ralysé. J'ai eu l'occasion de constater les mêmes phénomènes sur d'autres
sujets atteints de la paralysie du grand dentelé. »
A la page suivante, Duchenne explique ainsi le mécanisme de ce signe :
« Dans le mouvement des épaules en avant, le grand dentelé entraîne en
dehors et en avant le bord spinal du scapulum, pendant que le grand
pectoral (muscle synergique) agit sur l'angle externe de cet os par l'inter-
médiaire de l'humérus auquel il s'allache. Il est évident que si, dans ce
mouvement volontaire, le grand dentelé vient à ne plus prêter son con-
cours, le bord spinal du scapulum doit rester en place, et l'angle externe
de cet os être entraîné en avant. » Et plus loin, il ajoute : « La rétraction
de la portion abductrice du trapèze pourrait bien, il est vrai, pendant ce
mouvement, maintenir le scapulum rapproché de la ligne médiane, malgré
l'intégrité du grand dentelé, mais alors il n'y aurait pas de confusion pos-
sible, car, dans ce dernier cas, le scapulum resterait appliqué contre le
thorax, et prendrait une direction opposée il celle que l'on observe, lorsque
le grand dentelé a perdu son action. »
Duchenne donne encore un autre signe. qui permet de reconnaître la
paralysie du grand dentelé, lorsque l'élévation du bras est impossible.
Pour percevoir ce signe, il faut appliquer une main sur chaque épaule du
PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 189
sujet, en repoussant les deux épaules dans un sens opposé ; on sent alors
quelescapulum, du côté lésé, résiste moins que l'autre. On pourrait même
imprimer au scapulum un mouvement de recul et faire saillir davantage
son bord spinal sous la peau.
Ce sont là des signes intéressants à connaître, dans un cas donné d'élé-
vation impossible du bras, par exemple dans un cas 'de paralysie du del-
toïde compliquant celle du grand dentelé.
Mais, après cette longue parenthèse, revenons à l'attitude du scapulum.
Il n'en reste pas moins établi, pour Duchenne, que la paralysie du grand
dentelé n'entraîne aucune difformité appréciable de l'épaule, lorsque le
bras pend naturellement sur le côté du tronc.
Lewinski (1), dans une intéressante critique, confirme l'opinion de Du-
chenne. Il pense que tous les cas de paralysie du grand dentelé, accom-
pagnés de déformation de la région scapulaire, au repos du bras, sont des
faits complexes. D'autres muscles, dit-il, sont paralysés en même temps,
le trapèze particulièrement. Si le trapèze est normal, le scapulum reste
dans sa position physiologique, malgré la paralysie du grand dentelé.
Cet auteur rapporte une observation d'amyotrophie dans laquelle, en
même temps que le grand dentelé, le rhomboïde, l'angulaire, le trapèze,
le grand et le petit pectoral étaient paralysés. Dans ce cas, le scapulum
présentait, au repos du bras, les déformations que les Allemands considè-
rent comme caractéristique de la paralysie isolée du grand dentelé, à sa-
voir, l'écartemellt,en aile du bord spinal, son obliquité en bas et en dedans
et l'abaissement de l'angle externe.
Or, pour Lewinski, cette déformation est analogue à celle que le scapu-
lum prend sur le cadavre, après la période de rigidité, ou bien quand il
est désinséré de tous ses muscles. Cette attitude cadavérique de l'omoplate
dépend de la cessation d'action des muscles s'insérant sur cet os, lequel
n'obéit plus alors qu'au poids du bras. Il s'ensuit que le scapulum
s'abaisse et s'éloigne du rachis, et que son bord spinal devient oblique en
bas et en dedans et s'écarte du thorax, principalement au niveau de l'angle
inférieur.
Par conséquent, la déformation qu'on regarde, en Allemagne, comme
caractéristique de la paralysie isolée du grand dentelé témoigne de la
participation d'autres. muscles et avant tout du trapèze. Le trapèze en
effet, à l'état normal, contrebalance l'action du poids du bras, puisqu'il
élève le moignon de l'épaule, rapproche le scapulum du rachis et dirige
son bord spinal obliquement en bas et en dehors. Si le trapèze est intact,
dans la paralysie du grand dentelé, le scapulum garde sa position physio-
(1) Lewinski, Archiv f. pathol. Anat. und Phys., t. LXXIV, s. 4î3.
190 A. SOUQUES ET J. CASTAIGNE
logique, lorsque le bras est au repos. Le seul déplacement qui puisse se
produire, dans ces conditions, c'est que le bord spinal ne soit pas aussi
exactement maintenu contre le thorax et que l'angle inférieur surtout se
détache un peu de la paroi thoracique.
Remak (1 ) se rapproche aussi de l'opinion de Duchenne. Dans trois cas
de paralysie isolée du grand dentelé qu'il a observés, la déformation de l'é-
paule était minime. Le scapulum était élevé, son bord spinal parallèle au
rachis dont il se rapprochait, et son angle inférieur légèrement écarté du
thorax. Toutes les fois, ajoute-t-il, que dans une paralysie du grand den-
telé, le bras étant au repos, le bord spinal de l'omoplate est très oblique
en bas et en dedans et que l'angle inférieur est très rapproché du rachis,
c'est que la portion moyenne du trapèze est paralysée en même temps.
En somme, Duchenne n'admet aucune déformation du scapulum. II est
vrai que cet auteur ne peut appuyer sa conviction sur aucun fait de para-
lysie isolée Au grand dentelé, car il n'a pas vu de paralysie ou d'atro-
phie « parfaitement limitée au grand dentelé (ce qui prouve que cette
localisation doit être rare, puisque sur une vingtaine de cas au moins
d'atrophie ou de paralysie du grand dentelé que j'ai explorés, dit-il, je ne
l'ai pas rencontrée une seule fois ».
Lewinski et Remak se rapprochent de l'avis de Duchenne, mais ad-
mettent cependant une minime déformation.
Par contre, la majorité des auteurs allemands se prononce pour l'exis-
tence d'un'déplacement notable de l'omoplate. Pour Berger, qui a le pre-
mier défendu cette opinion, lorsque le grand dentelé est paralysé, le tra-
pèze, le rhomboïde et l'angulaire, qui sont ses antagonistes, attirent le
scapulum vers le rachis. Pareillement le petit pectoral, le biceps, lecoraco-
brachial qui sont aussi antagonistes du grand dentelé détachent du thorax,
par leur action tonique, l'angle inférieur du scapulum. Il en résulte une
déformation caractéristique.
Seeligmüller (2), Boeumler (3), Eulenburg (4) et l3uchmüller (5), etc.
sont du même avis. La paralysie isolée du grand dentelé entraîne une
déformation, peut-être légère, mais certaine de la région scapulaire, au
repos du bras : l'angle inférieur du scapulaire est rapproché du rachis et
l'omoplate est élevée en masse; le bord spinal peut s'écarter du thorax
en se rapprochant de la colonne vertébrale. Seeiigmuiier explique ce
(1) Remak, Berl. Gesell. f. Psych. und. Nerv., 12 décembre 1892.
(2) Duchenne, Physiologie des mouvements, p. 40.
(3) SEEI,10-,IULLEii, Neurolog. Centralbl., 1882.
(4) Baumi.er, loc. cil.
(5) EuLENniuno, Real. Encyclop., t. XII.
(6) IIUCII11CLLER, Thèse d'Erlangen, 1892.
PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 191
déplacement de la façon suivante : Chez un homme sain, lorsque le bras
est au repos, l'omoplate est fixé dans sa position normale par l'action
tonique des muscles qui s'y insèrent et dont l'effet se balance. Que l'on
suppose le grand dentelé paralysé, alors le rhomboïde, le trapèze et Fangu-
laire, qui sont adducteurs, deviennent prédominants, n'ayant plus à lutter
contre l'action antagoniste du grand dentelé. Cette adduction se répète»*
très souvent, et si la paralysie dure quelque temps, l'adduction deYil1;Jï.t
habituelle. A force de se contracter, les adducteurs se contracturent.
11 s'ensuit nécessairement que le scapulum sera élevé et rapproché cttJ ?
rachis. '
D'autre part, le petit pectoral, le biceps brachial et le coraco-brachial,
qui s'insèrent à l'apophyse coracoïde, se contracturent par le même méca-
nisme et attirent en bas l'angle externe du scapulum, c'est-à-dire qu'ils
élèvent l'angle inférieur qui s'écarte du thorax.
Comme de plus, le grand dentelé n'agit point, le bord spinal quitte la
paroi thoracique, grâce à l'action du muscle sous-épineux. 11 est vrai que,
pendant un temps plus ou moins long, le trapèze et le rhomboïde peuvent,
parleur tonicité, empêcher cet écartement du bord spinal.
Bref, Seeligmûller, Baümler, etc., acceptent l'opinion de Berger, mais
en l'atténuant. Tandis que celui-ci déclare que le bord interne de l'omo-
plate est très oblique en bas et en dedans, ceux-là disent seulement que
cette obliquité est peu prononcée, ainsi que l'écartement en aile du bord
spinal et se rapprochent ainsi de l'avis, de Lewinski et de Remak.
Telles sont les opinions en présence. La vérité nous semble entre les
deux affirmations extrêmes de Duchenne et de Berger. Il y a, en réalité,
un déplacement de l'omoplate-, mais ce déplacement est modéré et peut
passer inaperçu ai un examen superficiel.
Ce déplacement est du reste noté dans presque toutes les observations
publiées, ainsi qu'on peut en juger par les extraits qui suivent. Dans une
des observations de Bernhardt, l'angle inférieur de l'omoplate se détache
en arrière beaucoup plus que le gauche (côté sain). Toute l'omoplate
est légèrement plus élevée que la gauche. Le bord interne du scapulum
n'est pas plus éloigné du rachis qLl'à gauche. Il n'y a pas de déviation ap-
préciable dans la direction du bord interne de l'omoplate. Dans la seconde
observation du même auteur, l'angle inférieur est un peu plus élevé et plus
éloigné du thorax du côté paralysé ; il est en outre plus rapproché du ra-
chis.- Le bord interne est un peu moins vertical que normalement ; il re-
garde un peu plus en dehors et en haut. Dans un des cas de Weber, le bord
spinal du scapulum droit est seulement un peu plus rapproché de la co-
lonne vertébrale que celui du scapulum gauche et l'angle inférieur écarté
du thorax de 1 centimètre. Dans l'autre cas, l'angle inférieur s'écarte du
192 A. SOUQUES ET J. CASTAIGNE
thorax de un demi-centimètre environ ; il est en outre un peu porté en de-
hors de la ligne médiane.
Le malade de Voodmann avait l'angle inférieur du scapulum plus élevé
et situé plus en dedans que le même angle du côté sain. En outre, cet an-
gle s'écartait du thorax. Chez le malade de Busch, le bord spinal de l'omo-
plate est seulement un peu écarté du thorax. Bruns dit que chez son ma-
lade, le scapulum est plus élevé en totalité, le bord spinal plus rapproché
du rachis, l'angle interne plus élevé que l'angle externe : l'angle inférieur
saille en arrière sous la peau ; enfin le bord spinal est très légèrement obli-
que en bas et en dedans. Dans le cas de 1W nmler. le bord spinal est pres-
que parallèle au rachis dont il est plus rapproché que normalement, l'an-
gle inférieur est écarté du thorax et un peu élevé (1).
Dans le fait de Barreïro, l'angle supéro-inlerne est un peu plus élevé
que l'angle homonyme du côté sain, l'angle inférieur est saillant en arrière
sous la peau, le bord spinal presque vertical se rapproche de l'épine dor-
sale et saille plus fortement que du côté sain. Chez le malade de Wiesner,
l'omoplate est très légèrement écartée en aile et l'angle inférieur un peu
porté en dehors. Dans le cas de Sen,tor, il y a une déviation constatahle
du scapulum, qui est élevé en totalité; l'angle inférieur est plus élevé de
trois centimètres environ. Chez le malade de Buchmiiller, le scapulum se
détache du thorax et son bord spinal est un peu oblique en bas et en de-
dans ; l'angle inférieur s'écarte beaucoup en arrière et se rapproche de la
1 igné médiane. Chez la femme de Kohlcr, l'angle inférieur de l'omoplate
est détaché du thorax et rapproché du rachis.
On peut donc admettre en thèse générale que, dans la paralysie isolée
du grand dentelé, lorsque le bras est au repos le long du tronc, il y a un
déplacement duscapulum.
Ce déplacement est surtout appréciable an niveau de l'angle inférieur
et du bord spinal qui sont les parties les plus accessibles de l'omoplate.
Il est souvent dit, dans les observations, que l'omoplate est élevée en
totalité, mais le fait qui semble le plus fréquent et le plus manifeste,
c'est l'écartement de l'angle inférieur par rapport au thorax. Cet angle in-
férieur est en outre assez souvent élevé (de 1/2 il 3 centimètres) et rap-
proché de la ligne médiane. Dans le fait de Wiesner et dans un cas de
Wéber, il est pourtant noté que cet angle était porté en dehors. Quant au
bord spinal, il est tantôt rapproché du rachis, tantôt il la distance nor-
male. D'autre pari, il est quelquefois écarté du thorax et esquisse le
scapulum alalum. Enfin il reste parfois parallèle au rachis, et très sou-
vent il devient légèrement oblique en haut et en dehors, obliquité obligée
(1) Dans les trois cas mentionnés par Remak (Berl. Gesellsch. sur l'sychiat., 12 déc.
1892), le scapulum était élevé en totalité, et son bord spinal, parallèle au rachis, en
était rapproché de deux centimètres environ.
PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 193
en quelque sorte, si l'on considère que le plus souvent l'angle inférieur
est porté en dedans (1).
Le déplacement du scapulum semble donc presque constant pour ne pas
dire constant. Il est, en effet, difficile de concevoir qu'il n'en soit pas
ainsi. Le muscle grand dentelé joue un rôle considérable dans la statique
de l'omoplate. Sa paralysie doit nécessairement entraîner un trouble de
cette statique. L'action tonique des autres muscles, qui s'insèrent au sca-
pulum, ayant libre cours, doit logiquement modifier la situation normale
de cet os. La physiologie de ces divers muscles étant connue, ainsi que
leur degré respectif d'action tonique, il est aisé de concevoir l'attitude que
doit prendre l'omoplate.
Il ressort, d'autre part, de la lecture des observations publiées, que le
déplacement est minime, et trouble peu la morphologie de la région sca-
pulaire. On conçoit dès lors qu'il puisse passer inaperçu à un examen
superficiel, et qu'il demande à être recherché de prés. '
Nous venons de voir, en analysant les diverses observations, que les au-
teurs ne sont pas absolument d'accord sur les caractères de ce déplacement,
notamment sur la situation de l'angle inférieur et du bord spinal. Com-
ment expliquer ces divergences ? Sans faire intervenir des particularités
individuelles d'anatomie et de physiologie musculaire, on pourrait peut-
être invoquer soit l'existence d'une association paralytique du trapèze, soit
le degré de paralysie du grand dentelé, complète ici, plus ou moins
incomplète la.
Voyons maintenant les caractères de la paralysie du grand dentelé,
dans l'élévation volontaire du bras.
Il est tout d'abord un signe que nous ne discuterons point : c'est la dé-
formation en aile du scapulum. Tout le monde est d'accord sur ses carac-
tères et sur son mécanisme.
Il n'en est pas de même du degré qu'atteint l'élévation du bras. Dans
la grande majorité des faits, l'élévation du bras n'atteint pas ou atteint
exactement la ligne horizontale , mais ne la dépasse pas. C'est la règle. Il
y a cependant quelques exceptions, constituées par les cas de Baeumler,
de Jolly, de Bruns. Dans l'observation de Bammler il est dit que l'élé-
vation du bras au-dessus de l'horizontale est possible et que ce bras peut
être élevé, presque sans effort, jusqu'aux deux tiers de la verticale. Dans
l'observation de Jolly, l'élévation s'effectue jusqu'à la verticale. Il en est
de même chez le malade de Bruns. Cet auteur cite en note un travail de
Morstadt, élève de Ziemmssen, sur quatre cas de paralysie du grand den-
telé, Dans un de ces cas, semble-t-il, l'élévation du bras au-dessus de
(1) Il faut admettre, avec Ilitzig, Remak, etc., que l'obliquité notable du bord
spinal traduit la participation fi. la paralysie des portions moyenne ou inférieure du
trapèze.
XII 14
cpc-7
194 A. SOUQUES ET J. CASTAIGNE
l'horizontale était possible. Nous n'avons pu nous procurer ce travail.
Comment peut-on interpréter ces faits ? En invoquant l'une ou l'autre
des deux opinions suivantes : ou bien il s'agit de parésie (et non de para-
lysie) du muscle grand dentelé, ou bien le trapèze supplée le muscle com-
plètement paralysé. Mais ceci demande quelques notions de physiologie
normale. ~
Duchenne a montré que la contraction électro-physiologique isolée du
deltoïde suffit pour porter le bras jusqu'à l'horizontale et que « le maxi-
mum d'élévation de l'humérus par la contraction isolée du deltoïde arrive
à peu près à la direction horizontale (1) ». Il se produit, dans ces condi-
tions, une déformation de la région scapulaire, due à ce fait que le mem-
bre supérieur, pesant de tout son poids, dit Duchenne, sur l'angle externe
du scapulum fait exécuter à celui-ci deux mouvements : un mouvement
de bascule par lequel )'acromion est déprimé, tandis que l'angle inférieur
s'élève et se rapproche de la ligne médiane ; un mouvement de rotation
sur un axe vertical, placé au niveau de l'angle externe, qui éloigne cet os
de la paroi postérieure de la cage thoracique, en faisant saillir sous la
peau son bord spinal. Entre ce bord spinal et le point correspondant du
thorax, on voit se former une gouttière plus ou moins profonde.
C'est là tout le mécanisme du scapulum (illalît71t, qui relève, pour le
dire en passant, de la contraction isolée du muscle deltoïde.
Or, à l'état physiologique, lors de l'élévation volontaire du bras, on ne
voit pas ces deux mouvements qui engendrent l'omoplate ailée. Et cela
parce que la volonté ne peut faire contracter isolément le deltoïde. En
effet, à l'état normal, dans l'élévation du bras, le grand dentelé agit tou-
jours en même temps que le deltoïde. Il maintient « solidement contre la
paroi thoracique le bord spinal de l'omoplate et soutient en même temps
l'angle de ce dernier ». Grâce à cette synergie, la morphologie de la ré-
gion scapulaire n'est pas troublée. « Le grand dentelé est le seul muscle
qui, par son association avec le deltoïde, empêche cette attitude vicieuse
de l'omoplate de se produire pendant l'élévation du bras (2). »
Que va-t-il se passer dans le cas de paralysie du grand dentelé. L'éléva-
tion volontaire du bras jusqu'à l'horizontale est possible ; elle est détermi-
née par le deltoïde seul. La morphologie de l'épaule va être troublée né-
cessairement, comme dans le cas de contracture électro-physiologique
isolée de ce muscle. L'omoplate, non maintenue par le grand dentelé, va
exécuter les deux mouvements que nous venons de rappeler et se mettre
en aile. C'est effectivement ce qui a lieu.
Voilà le premier temps de l'élévation du bras accompli. Reste le second
temps, c'est-à-dire le passage il l'élévation verticale.
(1) Duchenne, Physiol. des noruem., p. 53.
(2) DUCIIEPNE, loc. cil., p. 65.
PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 105
Dans Jes conditions physiologiques « l'élévation du bras au-dessus de
la direction horizontale, déclare Duchenne (1), ne peut se faire sans que
l'omoplate tourne sur son angle interne de manière il élever à la fois,
comme une seule pièce, l'angle externe de cet os et l'humérus déjà étendu
sur celui-ci ». Or c'est le muscle grand dentelé qui est chargé d'imprimer
au scapulum ce mouvement de rotation. « L'intervention du grand dentelé
n'est pas bornée à fixer l'omoplate. Ce muscle imprime, en outre, avec
une grande puissance, à cet os le mouvement de rotation nécessaire à la
dernière moitié de l'élévation verticale du bras. » Duchenne en a fourni
la preuve expérimentale, en excitant électriquement le deltoïde.et le grand
dentelé à la fois. Dans cette expérience « le bras s'élevait verticalement
avec une telle énergie que le tronc en était rejeté violemment du côté op-
posé, au point de rendre une chute imminente ».
Il est donc logique que, dans la paralysie du grand dentelé, l'élévation
du bras s'arrête à la ligne horizontale et ne la dépasse point. C'est, du
reste, ce qui se voit dans la majorité des observations. Cette paralysie sup-
prime, en effet, le mouvement de rotation nécessaire à l'élévation verticale.
Les notions précédentes vont nous permettre de comprendre les hypo-
thèses qu'il convient de formuler pour expliquer les cas exceptionnels
d'élévation du bras au-dessus de l'horizontale, dans la paralysie du grand
dentelé. ,
On peut d'abord supposer qu'il s'agit, dans ces cas, non de paralysie
absolue, mais de simple parésie, autrement dit de paralysie incomplète.
S'il en était ainsi, l'action du grand dentelé pourrait être encore assez
forte pour permettre l'élévation au-dessus de l'horizontale.
Mais s'il s'agit de paralysie complète, l'hypothèse précédente ne vaut
plus. Il faut alors invoquer un autre mécanisme. « Le grand dentelé; dit
Duchenne (2), n'est pas le seul muscle qui jouisse du privilègede déter-
miner l'élévation verticale du bras, par l'intermédiaire de l'omoplate; le
tiers moyen du trapèze fait ainsi exécuter à cet os un assez grand mouve-
ment de rotation sur son angle interne pour produire, avec l'aide du
deltoïde, l'élévation verticale du bras, avec beaucoup moins de puissance
toutefois que le grand dentelé. » Donc le tiers moyen du trapèze et le
grand dentelé peuvent « se suppléer mutuellement dans la production de
ce mouvement d'élévation du bras..... Ce fait électro-physiologique est
confirmé encore par la pathologie, avec quelques restrictions cependant, en
ce qui concerne l'action de la portion moyenne du trapèze. Pour que cette
dernière portion musculaire produise, en effet, avec le deltoïde, et sans
l'intervention du grand dentelé, le mouvement volontaire de rotation de
(1) DUCIIGNNE, Physiol. des mouv., p. 58.
(2) Duchenne, Physiol. des naouvem., p. 57.
(3) Duchenne, eod. lac., p. 70.
196 A. SOUQUES ET .1. CASTAIGNE
l'omoplate sur son angle interne, mouvement qui élève le bras au-dessus
de la ligne horizontale, il faut qu'elle soit très développée et qu'elle
jouisse d'une grande force. »
Par conséquent, dans la paralysie isolée du grand dentelé, l'élévation
du bras jusqu'à la verticale sera possible, par l'action combinée du del-
toïde et de la portion moyenne du trapèze, si toutefois cette portion
moyenne est très développée et jouit d'une grande force. Ainsi peuvent s'ex-
pliquer les cas de Baeumler, Jolly, Bruns.
Si, au contraire, cette portion moyenne est peu développée et jouit de
peu de force, l'élévation volontaire du bras jusqu'à la verticale restera
impossible. Comme corollaire, on peut dire que la facilité et la vigueur,
avec lesquelles se fait l'élévation verticale du membre supérieur, est pro-
portionnelle à la force du tiers moyen du trapèze.
L'interprétation donnée par Duchenne de ces faits exceptionnels est-
elle applicable dans tous les cas ? Chez les deux malades de Bacumler et
de Bruns, il s'agissait effectivement de gens très fortement musclés. Mais,
dans un autre exemple de Bruns, le sujet était très bien musclé et cepen-
dant l'élévation du bras ne dépassait pas l'horizontale. Dans le cas de
Jolly, il s'agissait d'une jeune fille. Notre malade enfin est médiocrement
musclé. Il est vrai que son bras dépasse à peine la ligne horizontale,
Il nous reste, en terminant, à souligner la déformation particulière du
thorax, sur laquelle l'un de nous a déjà attiré l'attention (1). Cette défor-
mation doit vraisemblablement exister, dans tous les cas de paralysie iso-
lée du muscle grand dentelé. Elle ne se voit que du côté paralysé et exclu-
sivement dans l'élévation volontaire du bras. Elle est essentiellement
caractérisée par une asymétrie manifeste qui porte sur la région axillaire
et sur la paroi thoracique proprement dite.
Le creux de l'aisselle èst profondément modifié : sa paroi postérieure dis-
paraît àpeu près complètement et se place sur le même plan que la paroi
interne, avec laquelle elle se confond et qu'elle prolonge en arrière. Ces
modifications dépendent du scapulum ullclt2lul.
Le thorax présente les changements suivants : élargissement de la paroi i
antérieure, plus marquée dans l'élévation du bras en avant que dans son
élévation en dehors; modification de la ligne latérale qui prend la forme
d'une S à boucles très allongées ; rétrécissement de la paroi postérieure;
dilatation générale de la cage thoracique avec voussure latérale convexe en
dehors ; élévation modérée de la cage thoracique. Les facteurs de cette dif-
formité sont d'une part l'existence de l'omoplate ailée, et d'autre part l'é-
tat paralytique du muscle grand dentelé et l'action supplémentaire exagé-
rée des muscles inspirateurs accessoires.
(1) Souques, Déformations du thorax dans la paralysie du muscle grand dentelé.
Soc. méd. des hôp., 21 oclobre 1898.
NOUV. ICOIJOGRAPIIIE DE LA SAIPÉIRIERF.
r. XII. PI XXVI
SCLERODERMIE ET VITILIGO CHEZ DES ENFANTS
(P. Haushalter et L. Spillmann)
A, Sclérodei mie localisée. Morphée. - 13. Sclérodermie disséminée en pL1qllc, - C. Vitiligo.
mnçanN ,4 ? r.1C Fditurs
FACULTÉ DE MÉDECINE DE NANCY
QUELQUES CAS DE SCLÉRODERMIE ET DE VITILIGO
CHEZ DES ENFANTS
P. HAUSHALTER ET L. SPILLMANN
Agrégé à la Faculté de Nancy. Interne des hôpitaux.
Nous avons eu l'occasion d'observer quelques cas de troublestrophi-
ques de la peau chez des enfants. Les uns rentrent nettement dans le
cadre des sclérodermies ; les aulres peuvent en être rapprochés. La sclé-
rodermie parait être une affection rare chez l'enfant puisqne les' plus
récents traités de pathologie infantile n'en font même pas mention.
Ces observations présentent de plus bien des points particuliers sur
lesquels nous avons cru bon d'attirer l'attention. La première observation
a trait à un cas de sclérodermie localisée du type Morphée (voirfi. A.
Pl. XXVI).
Observation I. - Marie D..., 12 ans, vue à la consultation de la cli-
nique infantile le 15 novembre 1898. ' '
Père et mère bien'portants. 10 enfants vivants. Il y a 18 mois l'enfant'
qui n'avait jamais été malade remarque sur son front la présence d'une
tache blanchâtre, située au-dessus du sourcil gauche. Cette tache grandit
petit à petit. Au mois de septembre 1898 elle avait gagné le cuir chevelu
et à son niveau, les cheveux étant tombés, la peau était lisse et brillante.
Etal actuel. - Enfant robuste. On constate sur le front la présence
d'une plaque blanchâtre, brillante, allongée (longueur : 8 cent., largeur :
2 cent. à la partie supérieure et 1 cent. à la partie inférieure), s'étendant
de la racine du nez, près de la racine du sourcil gauche, jusqu'au som-
met de la tête. Cette plaque se continue jusqu'au lobule du nez par une
ligne blanchâtre, peu apparente, large d'un demi-centimètre. La plaque
frontale est vernissée, plissée transversalement et donne au doigt la sen-
sation du parchemin. Elle présente dans sa moitié inférieure une colora-
tion blanc nacré et dans sa moitié supérieure une teinte jaune-brunâtre.
A la périphérie de cette plaque se trouve un liseré rose légèrement saillant
198 P. IIAUSEIALTER ET L. SPILLMANN
se continuant insensiblement avec la peau saine par une zone violacée.
Au niveau de la moitié inférieure, il existe un léger degré d'oedème. Dans
la moitié supérieure, la peau adhère intimement il l'os. La palpation fait
constater un léger enfoncement du frontal avec diminution de résistance
à la pression. Pas de trouble de sensibilité au niveau do la tache.
La malade est revue au bout de mois; la plaque de sclérose n'a pas
changé d'aspect.
Chez cette enfant le diagnostic était des plus faciles à établir étant
donné les caractères de la lésion cutanée. Nous retrouvons là en effet la
plaque lardacée brillante, entourée de l'anneau lilas caractéristique de
la morphée.
L'intérêt de cette observation réside,surtout dans l'absence complète
d'antécédents et de symptômes nerveux. Issue d'une robuste famille de
cultivateurs, l'enfant qui n'avait jamais été malade s'aperçoit un jour
qu'elle porte sur le front une raie blanche. Cette raie ne fait que grandir
pour arriver à l'état qu'elle présente aujourd'hui : telle est toute la symp-
tomatologie. Il semble donc que dans la pathogénie de la sclérodermie,
l'importance des tares névropathiques ne soit pas aussi prépondérante
qu'on se le figure souvent. L'un de nous a observé antérieurement un
malade (1) de 32 ans qui portait sur le front 2 bandes de morphée et qui
en outre présentait des crises épileptiformes, apparues quelques mois après
le début de la lésion cutanée. Chez notre petite malade, il fut impossible
de découvrir aucune tare névropathique héréditaire ou personnelle. Au
point de vue de la topographie de la sclérose cutanée, on pourrait cepen-
dant trouver des rapports entre la lésion de la peau et des filets nerveux
(br. oplitalm. du trijumeau). Mais l'existence même de ces rapports ne
saurait entraîner une relation de cause à effet, car, comme le disent très
justement MM. Besnier et Doyon (2) : « La localisation d'une altération
de la peau sur un territoire nerveux déterminé, indique bien que l'élé-
ment nerveux joue un rôle important, mais ne prouve pas que la lésion
soit une tropho-névroce. Elle établit seulement que l'élément pathogéni-
que essentiel de la maladie, lequel peut être très variable, a élu domicile
sur un territoire nerveux ».
On pourrait appliquer ces mêmes considérations aux deux cas suivants
qui rentrent également dans les sclérodermies localisées (forme disséminée
en plaques).
(1) L. Spillmann, Sclérodermie lardacée en coup de sabre. Nouvelle Iconographie de la
Salpêtrière, mai-juin 1898.
(2) E. Hesnier et A. Doyon, Traduction du Traité des Maladies de la peau de Ka-
posi, t. II, p. 108.
CAS DE SCLÉRODERMIE ET DE VITILIGO CHEZ DES ENFANTS 199
Observation II (fig. B., pl. 1VI) .-I;milie R...., âgée de 11 ans, entre
au service des enfants le 23 février 1899. Père âgé de 37 ans, tubercu-
leux. Mère morte tuberculeuse à l'âge de 27 ans, 8 mois après la naissance
de l'enfant. Une soeur âgée de 16 ans, bien portante. La petite malade est
née à 7 mois. A été élevée au sein jusqu'au moment de la mort de la mère.
N'a jamais été malade. Rougeole il y a trois ans. La lésion sclérodermique
est passée inaperçue. Tout au plus a-t-on remarqué depuis quelques mois
que la peau du flanc était sèche.
Etat actuel, 25 février. Enfant de taille moyenne. Bonne constitu-
tion. On constate au-dessous du sein gauche la présence d'une bande blan-
che de 7 centimètres de largeur sur 4 centimètres de hauteur, ovalaire,
encadrée d'une auréole pigmentée. Au niveau de cette tache, la peau est
légèrement affaissée, donne à la palpation une impression de sécheresse et
de dureté, et ne se laisse pas plisser. Celte bande se continue vers l'ais-
selle avec une zone blanchâtre de 3 à 4 centimètres de long, irrégulière,
de consistance dure, ressemblant à une cicatrice supérieure de la peau.
Dans la partie latérale droite de l'abdomen et du flanc, la peau est
plus pigmentée qu'à gauche. Sur ce fond pigmenté on voit une tache
blanche, du diamètre d'une pièce de 5 francs, à bords irréguliers, se con-
tinuant jusqu'à la partie inférieure du creux de l'aisselle, par une traînée
blanchâtre irrégulière entourée. d'une auréole couleur café au lait. Au
niveau de la plaque de la fosse iliaque, les plis cutanés sont plus accen-
tués. A la palpation, la peau est dure, pachydermique, donne l'impression
du cuir et ne se laisse pas plisser.
Sur la face dorsale du pied droit existe une bande blanc nacré, partant
du '1er et du 2° orteil, large de 2 centimètres, et s'arrêtant au cou-de-
pied. Cette plaqïia. est limitée à sa périphérie par une peau pigmentée
brun violacé. Au niveau de la bande nacrée, la peau est déprimée, lisse,
adhérente aux parties sous-jacentes. Dans les deux tiers inférieurs de la
jambe, le long du bord antérieur du tibia, la peau est livide, dure, Jar-
dacée, adhérente à l'os. La peau des régions malléolaires est épaisse et
donne au palper l'impression du cuir. ,
Le pied est placé à angle droit sur la jambe. L'extension est impossible.
Aucun trouble de sensibilité. Les différents appareils sont normaux.
Observation III. Fillette de 6 ans. Père et mère bien portants.
Grand-père maternel mort à 42 ans d'une affection médullaire.
Un frère âgé de 9 ans bien portant. Grossesse normale. Enfant né à
terme. Nourrie au sein. Bien de particulier dans la première enfance.
Eut un jour sans motif, à l'âge de 2 ans 1/2, une petite crise convulsive
avec perte de connaissance.
200 P. HAUSHALTER ET L. SPILLMANN
Entre 21/2 et 3 ans, la mère aperçut sur le dos du pied droit une petite
tache au niveau de laquelle la peau était blanche, fine, d'aspect cicatriciel.
Cetle tache grandit petit à petit. Une tache semblable apparut ensuite à
la face externe de la cuisse droite; deux au niveau du thorax en avant et
une à la face interne du ri/3 supérieur de l'avant-bras droit. Ces taches
ressemblaient à des cicatrices de brûlures. Elles s'accompagnaient d'atro-
phie des membres du môme côté. Ces plaques blanchâtres semblaient être
collées à l'os.
État actuel, octobre 1898. - Enfant petite, intelligence vive, éveillée,
un peu nerveuse. Sur le dos du pied droit une tache blanche d'aspect cica-
triciel comprenant les 2" et 3° orteils qui sont
grêles et remontant en bande jusqu'au pli sépa-
rant le dos du pied de la jambe (fig. 1).
A la face antéro-externe de la cuisse droite,
une tache commençant au tiers supérieur de la
cuisse et descendant jusqu'au-dessous du genou,
large de 3 à 4 cent. 1/2, lisse, fine, légèrement
pigmentée, se continuant par une auréole de
peau pâle, lisse. A la face interne du tiers su-
périeur du bras droit, tache comme 5 francs,
lisse, fine, pigmentée assez faiblement en brun.
Sous le mamelon droit, tache des dimensions
d'une pièce de 5 francs, peu visible, à peau
plus fine. Une autre plaque de même dimen-
sion, à contours moins nets à la base du thorax
en avant et à droite.
Au niveau de ces 2 dernières taches, le tissu
adipeux sous-cutané a disparu. Les lâches sont
légèrement déprimées. Atrophie en masse du
bras, de la cuisse et de la jambe du côté droit,
l'atrophie musculaire est surtout marquée au niveau des taches. A ce ni-
veau il existe une sorte de gouttière où les muscles sont moins fermes et
moins élastiques. La masse des muscles scapulaires est un peu moins dé-
veloppée.
Le membre inférieur droit au centimètres de moins en longueur que
le gauche.
Courbure de compensation de la colonne vertébrale. Pour remédier à la
boiterie, l'enfant doit porter une bottine à haute semelle. Pas de troubles
de sensibilité au niveau des taches. Pas de douleurs, pas de troubles de la
motricité. -
Fig. 1. - Sclérodermie dis-
séminée en plaques (Ob-
servation III). '
NOUV. Iconographie DE la SALPÈIRIERF.
r. XII. PI. XXVII
SCLERODERMIE CHEZ DES ENFANTS
(P. Ilaus'ialtcr et L. Sl'i1l11J.11111)
D. Sclérodermie congénitales I : . Sclérodacn lie (face dors,¡ ? ). - F. Sclérod,\Ctyli< : (face palmaire).
MASSON w Cie, éditeurs.
CAS DE SCLÉRODERMIE ET DE VITILIGO CUËZ. DES ENFANTS 201
Ces deux dernières observations concernant des cas de sclérodermie
en plaques disséminées paraissent très semblables au premier abord mais
elles se distinguent cependant l'une de l'autre par quelques caractères.
Dans l'observation II, tout se borne à l'existence de 3 placards scléro-
dermiques, l'un paraissant suivre un nerf intercostal, le 2e situé dans le
flanc et le 3e longeant la croie antérieure du tibia elle dos du pied. Sauf
au dos du pied où la peau a un aspect fin, cicatriciel, la plupart de ces
placards sont infiltrés, lardacés, oedémateux.
Dans l'observation III, il s'agit également de plaques blanchâtres, mais
au niveau de toutes ces plaques, la peau est lisse, déprimée, d'aspect cica-
triciel et considérablement amincie. De plus, il existe une atrophie muscu-
laire manifeste de tout le côté droit, surtout accentuée au niveau des pla-
cards sclérodermiques. Le membre inférieur du côté droit est même
raccourci de plusieurs centimètres. Il est curieux de remarquer que
depuis quelque temps, tous les phénomènes tendent à régresser. La peau
au niveau des taches sclérodermiques est moins fine, moins adhérente et
les muscles atrophiés reprennent un peu de fermeté.
Chez ces deux malades, le processus sclérodermique a évolué en l'ab-
sence de toute tare héréditaire ou personnelle. Tout au plus pourrait-on
insister sur ce fait que, dans l'observation III, l'enfant eut vers. Page de
2 ans 1/2 une crise convulsive qui précéda de peu l'apparition des pre-
mières plaques de sclérose.
Notre quatrième observation se rapporte probablement à un cas de$clé-
rodact5'lie, une des localisations régionales importantes de la sclérodermie.
Observation IV (ng. E et F, pl. XXVII). Camille P..., 7 ans.
Vue il la consultation de la clinique infantile le 4e avril 1898. Père bien
portant, légèrement dyspeptique. Mère nerveuse. 2 autres enfants bien por-
tants. L'enfanta toujours eu une bonne santé. C'est il l'âge de i à 6 mois
qu'a débuté la lésion des mains pour laquelle elle est amenée à l'hôpital.
Cette lésion va en s'accentuant.
Etat actuel. - Enfant bien constituée. Rien de particulier dans les
différents appareils. Système nerveux normal. Mains assez petites. Doigts
effilés. L'extrémité du doigt est entièrement recouverte par l'ongle qui
n'est pas débordé latéralement par la pulpe; .
Les ongles sont blancs, étroits et un peu recourbés. La face dorsale des
doigts surtout au niveau des dernières phalanges,- est recouverte par une
peau très fine, vernissée, bleuâtre, froide et au niveau de laquelle la
sensibilité est très diminuée. Le reste du dos de la main parait normal.
La paume de la main et la face palmaire des doigts sont tapissées par un.
épiderme épais, sec, d'apparence cornée, lamelleuse. Les lames épidernii-
202 P. HAUSHALTER ET L. SPILLMANN
ques se présentent sous formes de petites lamelles ou de grands placards
légèrement décollés sur leurs bords. Cet aspect lamelleux est surtout
marqué à la paume des mains. La pulpe des doigts est sèche, amincie,
surtout au niveau de l'index.
Les pieds sont habituellement bleuâtres et froids. Au niveau du talon
et du 1/3 antérieur de la plante du pied, l'épiderme est corné, dur.
légèrement exfolié. Etat rugueux de la partie postérieure du bras.
L'enfant est revue le 9 juin 1898. 11 semble que l'extrémité des doigts
est plus pâle et la main plus cyanosée.
Une soeur de la malade, âgée de 2 ans, présente depuis l'âge de 6 ou
7 mois des lésions analogues des extrémités. La paume de la main serait
également squameuse et sèche et les extrémités des doigts blanchâtres. Le
talon commencerait également depuis quelque temps à desquamer.
Les principales lésions sont donc ici : l'effilement, la cyanose, la se- -y
cheresse des doigts et des orteils, les altérations des ongles, l'aspect ver- '
nissé et l'amincissement de la peau au niveau des phalanges, l'exfoliation
de l'épiderme à la la paume des mains et à la plante des pieds. Cesphéno- l,
mènes existant chez deux enfants d'une même famille, ont apparu chez '
tous deux au même âge.
Il s'agit bien chez ces deux enfants d'un trouble trophique des extrémi-
tés, trouble symétrique prédominant à la périphérie des doigts et des or-
teils, avec desquamation lamelleuse de l'épiderme palmp-plantaire. Cette
affection difficile à classer est-elle une forme de début de sclérodactylie ?
L'avenir le montrera. D'ailleurs le terme de sclérodactylie ne préjuge rien
sur la nature de la maladie et sur ses rapports avec les lésions notées dans
nos premières observations. Notons encore que cette affection s'est déve-
loppée sans cause connue chez les deux soeurs.
L'observation suivante se rapporte aussi à un fait assez difficile à éti-
queter et que l'on peut intituler : un cas de sclérodermie congénitale.
1
Observation V (tig. D, pi. XXVII).- Suzanne P..., âgée de 1 mois, est
amenée au service des enfants le 17 janvier 1899. Peu de renseignements
sur les antécédents héréditaires. Pasde syphilis. Soeur de 16 mois bien
portante. L'enfant est née à terme. Présentait à la naissance la pigmen-
tation du membre inférieur gauche et l'atrophie de la jambe qui existent
encore actuellement.
État actuel. Enfant grasse. Nourrie au biberon. Taille 0 m. 54.
Blépharo-conjonctivite et vulvo-vaginite gonococcique. Pas de syphilis.
Le membre inférieur gauche est atrophié. La cuisse a 1 centimètre de
moins en circonférence et 1 centimètre de moins en longueur que du côté
droit. Mêmes proportions pour la jambe.
CAS DE SCLÉRODERMIE ET DE VITILIGO- CUEZ DES ENFANTS 203
Sur le membre inférieur gauche existe une pigmentation violacée partant t
sous forme de bande du grand trochanter, descendant sur la face antéro-
externe de la cuisse et de la jambe, et formant au-dessous du genou une
sorte de jarretière. Cette bande est constituée par des mailles arrondies
d'un brun lilas, circonscrivant des espaces de peau livide. A ce niveau la
peau est très amincie, et le tissu cellulo-adipeux est absent. Sur le genou,
placard violacé du diamètre d'une pièce de 0 fr. 50 ayant en son centre
une dépression jaunâtre.
Placard analogue sur le grand trochanter droit avec dépression centrale.
Sur le dos du pied, bande bleuâtre occupant le 2° et le 3e métatarsien et
les phalanges correspondantes.
' Le diagnostic de cette lésion cutanée n'est pas sans présenter quel-
que difficulté, vu le jeune âge du sujet.
Si l'on avait eu affaire à un adulte, le diagnostic de sclérodermie aurait
été posé sans hésitation.
Jusqu'à présent, à notre connaissance, on n'a pas encore cité d'observa-
tion de sclérodermie congénitale. Il est cependant assez difficile, dans le
cas particulier, de donner une autre étiquette à l'affection en question.
La syphilis ne semble pas pouvoir être mise en cause; elle ne fait pas
de lésions de cet aspect; d'ailleurs elle est absente ici. Il est fort peu
probable que nous ayons affaire à des cicatrices provenant de brides
amniotiques : l'hypothèse de ces cicatrices cadrerait mal avec l'étendue de
la lésion et son aspect réticulé. Au reste rien ne peut en réalité faire
repousser le diagnostic de sclérodermie et nous ne voyons pas ce qui peut
s'opposer à ce que cette affection si obscure d'ailleurs débute pendant la
vie intra-utérine. Nous serions donc en présence de celte phase du début
de la sclérodermie, que MM. Besnier et Doyon (1) caractérisent de la fa-
çon suivante : « Réseau fin et superficiel à mailles inégales, dessinant des
stries entrecroisées, un peu surélevées, luisantes, comme vernissées. Il
faut une certaine délicatesse de palpation pour y percevoir tout d'abord
l'induration. La région sous-claviculaire, les espaces inguinaux, la face
interne de la cuisse ou les plis articulaires sont les lieux où ce mode de
début peut être surtout relevé. A ces réseaux sclérosiques succèdent des
plaques. » Cette description qui a en vue la sclérodermie de l'adulte
semble bien pouvoir s'appliquer au cas que, nous venons de rapporter.
Nous rapprocherons l'observation de ce nouveau-né chez qui les phé-
nomènes de sclérose cutanée au début coïncidaient avec une atrophie e
légère du membre, du cas de l'observation nI où l'amincissement de la
(1) E. BasNiFu et A. DoyoN, loc. cit., p. 94.
204 P. HAUSHALTER ET L. SPILLMANN
peau était accompagné d'une atrophie très accentuée des muscles et d'un
raccourcissement de la jambe.
Si la sclérodermie congénitale parait être inconnue, il n'en est pas
absolument de même de la sclérodermie chez le nouveau-né. Neumann (1),
qui récemment rapportait l'observation d'un enfant qui à ]'lige de 13 jours
présenta les premiers symptômes de sclérodermie, rappelle que Cruse (2)
aurait étudié 4 faits analogues dont 2 concernant des enfants de 2 à 3 se-
maines. Dans les 5 cas de Neumann et de Cruse, il semble s'être agi de
sclérodermie à forme circonscrite avec épaississement de la peau. L'atro-
phie consécutive de la peau ne fut observée que dans un cas (Cruse). La
guérison fut la règle. Le cas que nous intitulons sclérodermie congéni-
tale ne présente pas d'ailleurs la même physionomie clinique que les faits
de Neumann et de Cruse.
A ces 5 observations de troubles trophiques de la peau à forme de sclé-
rodermie, nous ajoutons, sans vouloir les confondre, un cas de vitiligo
observé chez une enfant.
Observation VI (fig. C, pl. 11VI). - Augustine D..., 11 ans, vue
à la consultation de la Clinique infantile le 29 mars 1898. Père 58 ans,
journalier, zouave pendant 7 ans en Afrique, alcoolique et absinthique
invétéré. Mère 45 ans, nerveuse, migraineuse, goitreuse. 2 fausses cou-
ches. 6 enfants dont une morte de scarlatine à 7 ans.
Antécédents personnels. - Toujours bien portante, mais sujette aux
céphalées depuis deux ans. Vers la même époque on remarque quelques
cheveux blancs que l'on arrache au sur et à mesure qu'ils se produisent.
Il y a un an, on aperçoit les premières taches blanches sur les hanches et
une plaque blanche sur la nuque, des dimensions d'une pièce de 20 cen-
times. Depuis quelque temps, souffre de maux d'estomac et est essoufflée
quand elle court.
Etat actuel. - Enfant bien constituée, bien musclée, portant un petit
goitre. Pommettes injectées. Quelques cheveux blancs épars. D'une façon
générale, le cuir chevelu paraît plus pâle, plus blanc que normalement.
Pigmentation marquée du cou et de la nuque. Au niveau de la nuque,
une tache blanche de 3 centimètres de hauteur environ, de forme irrégu-
lièrement quadrangulaire. A droite de cette plaque, une autre plus petite,
portant en son centre un point brunâtre. Une autre à gauche. Sur le
tronc, larges taches blanches entourées d'une auréole pigmentée, quelques-
unes ont la largeur de la main et parlent de la région antérieure pour
gagner la région postérieure du thorax.
(1) NEUMANN, Arch. sur Kinderheilkunde, 1898, p. 24.
(2) CBLSE, Jahrb. f. Kinderh.. Bd. XV, 1880.
CAS DE SCLÉRODERMIE ET DE VITILIGO CHEZ DES ENFANTS 205
Au niveau de la ceinture, la pigmentation est plus marquée autour des
taches blanches. Quelques taches blanches sur les fesses. A la racine de la
cuisse gauche, deux taches larges comme une pièce de 50 centimes.
Pas de troubles sensitifs et moteurs. Dermographisme très accentué,
aussi marqué au niveau des taches blanches qu'au niveau des parties
normales. Appareils respiratoire et circulatoire normaux. Urines très
albumineuses, 3 grammes environ par 24 heures.
L'enfant est revue le 27 mai. Les cheveux blancs n'ont pas augmenté
de nombre pas plus que les taches blanches. La pigmentation autour des
taches est plus marquée. Les plaques qui se trouvent au niveau du cuir
chevelu à la limite des cheveux sont plus accentuées. A ce niveau la peau
est fine et transparente. Les urines renferment toujours une grande quan-
tité d'albumine.
Nous ne prétendons pas identifier le vitiligo et la sclérodermie, bien
qu'on ait pu signaler entre le vitiligo et certaines formes de sclérodermie,
quelques analogies plus ou moins lointaines ; la coexistence des deux af-
fections a d'ailleurs été constatée chez un même individu. L'origine du
trouble de pigmentation dont le vitiligo est la marque, nous échappe ici
comme dans les cas du même genre. Nous nous bornerons il signaler chez
cette enfant, sans chercher à établir des hypothèses gratuites pour l'expli-
quer, la coïncidence du vitiligo avec le goitre et avec une albuminurie
fort prononcée, existant sans aucun trouble fonctionnel.
Le hasard nous a permis d'observer récemment un cas qui peut, en
quelque sorte, servir de forme de transition entre ! e vitiligo et la scléro-
dermie. Chez une fillette de 10 ans, issue d'un père français el d'une
femme arabe, nous avons découvert à la racine cle la cuisse droite une
tache blanche ovalaire, un peu déchiquetée, longue de 5 centimètres, et
entourée d'une auréole légèrement pigmentée. Cette tache présente abso-
lument l'aspect d'une plaque de vitiligo, mais au palper on constate nette-
ment qu'à ce niveau sans qu'il y ait. de dépression cutanée appréciable,
la peau est amincie, plus fine, et se laisse plisser plus facilement. La lé-
sion est congénitale.
Il est probable d'ailleurs que sous les termes de sclérodermie et de viii-
ligo, on range parfois des ilfectioiis disparates, d'étiologie et de pathogénie
diverses. '
Nous ne voulons tirer de ces observations aucune conclusion générale.
Nous n'avons eu d'autre prétention que celle de rapporter des faits, qui,
vu leur rareté, nous ont paru présenter quelque intérêt.
HOSPICE DE BICÊTRE.
TRAVAIL DU LABORATOIRE DE 111. LE Dr PIERRE MARIE.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE ANATOMO-PATIIOLOGIQUE ET CLINIQUE
DE E
L'AlVlYOTROPIl1E CHARCOT-MARIE
PAR
PAUL SAINTON
Ancien interne des hôpitaux.
Depuis qu'en 1886, Charcot et Marie ont décrit la « forme particulière
d'atrophie musculaire progressive souvent familiale, débutant par les pieds
et les jambes et atteignant plus tard les mains » qui porte leur nom, de
nombreuses observations de la même maladie ont été publiées à l'étran-
ger. Elles ne font que confirmer la réalité clinique de la description des
premiers auteurs. Jusqu'à maintenant, l'étude anatomo-patboiogique de
la maladie a été très incomplètement faite ; seuls, Hoffmann, Marinesco ont
essayé de décrire les lésions correspondant aux symptômes, et d'esquisser
la caractéristique anatomique de cette amyotrophie.
Nous avons eu la bonne fortune d'observer dans le service de M. le
Dr Pierre Marie un sujet atteint de cette affection. Nous avons pu examiner
les pièces provenant de ce malade : les lésions que nous avons observées
sont des plus nettes et montrent de toute évidence que cette variété d'amyo-
trophie doit trouver sa place dans les amyolrcpbies d'origine spinale, con-
trairement à l'opinion de certains auteurs.
Nous rapporterons donc ici cette observa lion : elle nous servira de
point de départ pour rappeler ce' que l'on doit entendre par Amyotrophie
type Claa·cot-ltaie et pour tracer il grands traits le tableau clinique et
analomo-palbologique de la maladie. Ces considérations ne nous parais-
sent point inutiles, car, depuis quelques années, aussi bien en France qu'à
l'étranger, il parait y avoir quelque confusion dans les observations pu-
bliées par les auteurs. ,
DE l'amyotrophie CHARCOT-MARIE 207
I
Observation.
II..., 56 ans, dessinateur, entre le 26 mai 1896, salle Laénnec, 1'lions-
pice de Bicétre. Il n'y a rien de spécial dans ses antécédents, soit héré-
ditaires, soit collatéraux.
Il aurait été faible des muscles, dès sa jeunesse. En 1860, chancre dont
la nature n'est pas bien établie. Le malade n'a jamais présenté d'accidents
secondaires.
Jusqu'en 1882, il ne s'est pas aperçu que ses muscles aient diminué de
volume; à cette époque, il entra à l'hôpital Laënnec, dans le service de
M. Damaschino, pour une ulcération de la cheville droite dont il n'existe
actuellement aucune trace. Dès cette époque, M. Damaschino l'ayant exa-
miné avec soin, s'aperçut que les muscles de l'éminence thénar du côté
droit étaient moins volumineux que ceux de la main gauche; il diagnos-
tiqua une atrophie musculaire progressive. H... resta deux mois à l'hôpi-
tal et put continuer pendant quelque temps son travail de dessinateur.
Mais l'atrophie s'étendit rapidement aux muscles du membre inférieur
droit, puis aux muscles gauches, de sorte qu'il fut obligé de rentrer à
Laënnec où il resta un an. Il passa également un an à l'hôpital Tenon,
dans le service de M. Landouzy. L'atrophie, après avoir envahi un certain
nombre de groupes musculaires, resta stationnaire. Le malade put conti-
nuer son métier jusqu'en 1890, époque il laquelle il entra à l'hospice de
Bicétre; il pouvait marcher en se servant de chaussures orthopédiques
faites spécialement.
État actuel, le 26 mai 1896. Il existe des secousses légères dans les
quatre membres, survenant à intervalles irréguliers et durant dix à quinze
secondes : ces secousses sont beaucoup plus m arquées au membre inférieur
du côté gauche.
Membre supérieur droit. Atrophie très marquée des muscles des émi-
nences thénar et hypothénar et des muscles interosseux. L'adducteur du
pouce a complètement disparu. Aux doigts, la phalangette est en extension,
tandis que les deuxièmes phalanges sont fléchies sur la première, les ten-
dons fléchisseurs font saillie à la paume de la main qui, dans son ensem-
ble, présente une déformation en griffe.
À l'avant-bras, les muscles sont très atrophiés, les fléchisseurs comme
les extenseurs ; mais cette atrophie est surtout marquée au niveau de la
moitié inférieure, faisant ainsi contraste avec la moitié supérieure. Le
long supinateur en dehors, les palmaires et le cubital antérieur à la partie
interne font encore une saillie assez marquée.
Les tendons fléchissent, au niveau du tiers inférieur de l'avant-bras,
par suite de leur contraction, les extenseurs étant paralysés, sans cepen-
208 PAUL SAINTON
dant fléchir la main sur l'avant-bras. Le bras est amaigri, les muscles font
une saillie très nette, mais ils ne semblent pas atteints. Le deltoïde, les
pectoraux, les sus et sous-épineux sont normaux.
Membre inférieur droit. - Les muscles de la région antéro-externe et
postérieurs sont un peu atrophiés, seuls les adducteurs, le demi-membra-
neux, le demi-tendineux sont bien conservés. A la jambe, l'atrophie atteint
tous les muscles. Le membre inférieur droit est dans une position spé-
ciale; la cuisse est en adduction, légèrement fléchie sur lebassin, la jambe
et le pied sont projetés en dehors, fléchis sur la cuisse sous un angle de
120° ; le pied en adduction et en varus équin forme un angle plus que
droit avec la jambe, l'extrémité inférieure des os de la jambe, par suite
de cette position du pied, fait une saillie et ils ne sont plus en contact in-
time avec la surface articulaire des os du pied (astragale et scaphoïde) qui
semblent être luxés.
Membre supérieur gauche. L'examen des membres de ce côté présente
un intérêt moins grand que du côté droit, parce que le malade présente
une hémiplégie gauche légère pour laquelle entre à l'infirmerie. L'aspect
du membre supérieur droit est comparable à celui du côté gauche.
Membre inférieur gauche. - L'atrophie y est moins marquée que du
côté droit. Le membre inférieur présente également une position parti-
culière. La cuisse est en abduction légèrement fléchie sur le bassin, la
jambe et le pied sont rejetés en dedans, le pied en varus équin forme un
angle obtus avec la jambe, les extrémités inférieures du tibia et du péro-
né font saillie et ne sont plus en contact avec les facettes articulaires des
os du pied.
Etat de la motilité. - La résistance à la flexion des phalanges sur la
main et de celle-ci sur l'avant-bras est très diminuée, la résistance à l'ex-
tension de ces deux segments est relativement conservée.
La résistance à la flexion de l'avant-bras droit sur le bras est diminuée,
la résistance à l'extension est conservée. Les mouvements d'écartement et
de rapprochement du bras du tronc sont assez bien consenés.
L'examen de la moitié des membres inférieurs n'a pu être fait à gauche
il cause de l'hémiplégie, au membre inférieur droit, par suite d'une eschare
sacrée et des douleurs qu'accuse II... aussitôt qu'on imprime le moindre
mouvement à ses membres inférieurs.
Tels sont les renseignements que nous avons pu recueillir sur ce ma-
lade ; il a été examiné par M. Marie qui porta le diagnostic du type d'atro-
phie qu'il a décrit avec Charcot. Si cette observation n'est pas plus délai liée,
cela tient à l'état psychique du malade. Il est bizarre, fantasque, d'un
caractère difficile, insupportable, il se refusa toujours à toute investigation
et fallut qu'une hémiplégie le frappât pour qu'on pût procéder à un
DE L'A1111OTROPllIE CllA1rC01'-lIAlIIE 209
examen succinct. Il ne tarda pas à succomber à cetle hémiplégie au bout
de six semaines.
Autopsie. Elle fut pratiquée vingt-quatre heures après la mort.
Examen du GEMEAU. Extérieurement, celui-ci ne présente rien d'a-
normal.
Sur une coupe perpendiculaire à l'axe des pédoncules passant à 2 cen-
timètres au-dessus de la coupe d'élection, coupe faite immédiatement au-
dessus du chiasma, on aperçoit, dans l'hémisphère gauche, des lacunes de
la grosseur d'un grain de millet qui siègent dans la substance blanche, au
niveau de la circonvolution frontale ascendante.
Dans l'hémisphère droit, on constate l'existence d'un petit foyer hé-
morrbagique ancien, devenu absolument linéaire, dont la longueur dans
le sens antéro-postérieur est de 15 millimètres. Il siège dans la zone la
plus externe du noyau lenticulaire, au niveau de l'extrémité supérieure
de celui-ci, il coupe un peu la partie la plus externe du segment antérieur
de la capsule interne.
MOELLE.- L'examen de la moelle a été pratiqué par plusieurs métho-
des.
1° Méthode de Nissl pour l'examen de la substance grise et des cellules
nerveuses.
2° Méthode de Marchi.. : 3° Méthodes de Weigert et de Pal .
Voici les principaux résultats de cet examen :
1" Méthode de Nissl. Altérations cellulaires (1). - Pour les étudier,
nous avons eu recours à la méthode de Nissl (formol, alcool, alcool absolu,
coloration au bleu de méthylène, différenciation dans alcool absolu et es-
sence de girofle, montage dans le baume).
Au point de vue topographique, les lésions sont plus avancées à mesure
qu'on se rapproche de la région cervicale inférieure ; à la région lombaire,
elles sont moins accusées dans le segment supérieur que dans le segment
inférieur et dans la région sacrée.
D'une façon générale, les lésions se réduisent à l'atrophie simple de tou-
tes les parties constituantes de la cellule.
Sur une coupe de la moelle cervicale inférieure (entre la 8e racine cer-
vicale et la' 1re dorsale), on est frappé de la diminution de volume très
prononcée des cellules de ce groupe postéro-latéral. Quelques cellules
gardent encore quelques prolongements; d'autres en sont complètement
dépourvues.
(1) Nous tenons à remercier M. Marinesco de l'obligeance avec laquelle il nous a
assisté dans cet examen.
xi 1;;
210 PAUL SAINTON
Si, à un plus fort grossissement, on veut analyser les modifications du
cytoplasme, on s'aperçoit qu'aux modifications du volume des cellules al-
térées correspondent des altérations fines de la cellule.
Dans les cellules les mieux conservées, les éléments chromatopliiles sont
raréfiés et quelques-uns de ceux-ci sont changés de forme et de volume.
Le noyau et le nucléole sont beaucoup moins atteints.
Dans les cellules très atrophiées, les altérations sont considérables. Les
cellules sans prolongements se présentent habituellement sous forme de
corps arrondis, contenant dans leur cytoplasme bien peu d'éléments chro-
matophiles; ces éléments eux-mêmes sont atrophiés et arrondis. Il existe,
de plus, dans ces cellules, des masses jaunâtres composées par des granu-
lations ou des gouttelettes ; ces masses ont été considérées par des auteurs
comme du pigment. Pour Marinesco, ces masses proviennent de la trans-
formation lente et progressive de la substance chromatique du proloplas-
ma. Quant au noyau et au nucléole, ilsiont atrophiés dans ces cellules très
altérées ; ils manquent parfois complètement. La substance' fondamentale
de quelques cellules atrophiées est légèrement teintée en bleu par la mé-
thode de Nissl.
1° Méthode DE MARC ! ) ! . L'examen des coupes colorées par la méthode
de Marchi (acide osmique, Mutter) révèle la présence de corps granuleux
très nets et très abondants dans le faisceau pyramidal croisé du côlé droit
et dans le faisceau pyramidal du côlé droit II existe quelques granulations
dans le faisceau pyramidal croisé du côté droit et dans le faisceau pyra-
midal direct du côté gauche.
Au niveau des cordons postérieurs, même dans les parties sclérosées, il
n'existe aucun corps granuleux. Il en est de même dans les racines posté-
rieures.
3° Méthode de WEIGEIIT et de PAL. - Région cervicale supérieure.
Coupe entre la V0 et 2e cervicale. On est frappé à un simple examen
des altérations étendues qui existent dans les cordons postérieurs. La
sclérose a envahi les cordons de Goll et de Burdach. Elle prédomine au
niveau des cordons de Burdach. Cette sclérose n'atteint pas la commissure
postérieure, elle en est séparée par une bande de fibres saines. De même
la région voisine des racines est respectée. A la partie postérieure des cor-
dons de Burdach se trouve une zone de fibres normales correspondant à
la bandelette externe (PI. XXIX, fig. N et PI. XXX, fig. 0,P).
- Les racines postérieures sont intactes.
Outre les cordons postérieurs, les cordons antéro-latéraux présentent
quelques lésions; mais celles-ci sont beaucoup moins profondes que celles
des cordons postérieurs. Il y a une très légère dégénération des faisceaux
pyramidaux directs et des deux faisceaux pyramidaux croisés. Celle-ci
Nouv. Iconographie DE la Sai.pêtrièkl.
r. XII. PI. XXVIII
AMYOTROPHIE CHARCOT MARIE
(1'. S.1Ïntoll)
I. - Coupe au niveau de la l'" dorsale.
K. - Coupe au niveau de la 1 rc lombaire.
M ASSO N & Cie. Editeurs..
de L'AMYOTROPHIE CHARCOT-MARIE 211
n'est plus marquée dans le faisceau pyramidal croisé du côté droit. Les
racines postérieures sont intactes. Sur des coupes faites entre la Ille et la
IV' cervicale et au niveau de la cinquième cervicale, les lésions sont les
mêmes (PI. XXIX, fig. L).
Région cervicale inférieure. Coupe entre la cinquième et la sixième
cervicale (Pl. XXIX, fig. M).
Dans les cordons postérieurs il existe toujours de la dégénération des
cordons de Goll et de Burdach, mais prédominant d'une façon très nette.
La conservation du triangle cornu marginal tranche très vivement sur les
parties dégénérées.
Les faisceaux pyramidaux directs présentent des lésions à peine appré-
ciables. La diminution des fibres dans les faisceaux pyramidaux croisés est
toujours des plus nettes, mais la dégénération est peu intense et étendue
en surface.
Les racines postérieures paraissent un peu atteintes, le nombre des fibres
y est certainement inférieur à la normale. -
Dans la substance grise, te réseau des fibrilles nerveuses, qui jusqu'alors
était très bien conservé dans toute la substance grise, éprouve une raréfac-
tion notable au niveau du col des cornes postérieures.
Sur une coupe au niveau de la 7° cervicale on retrouve les mêmes lé-
sions, la conservation du triangle cornu marginal est un peu moins com-
plète que dans les coupes précédentes.
Entre la VIIe et la VIIIe cervicale, on retrouve encore les mêmes lésions,
la conservation du triangle cornu marginal parait à peu près complète.
Les lésions des racines postérieures paraissent beaucoup moins marquées
que dans les coupes de l'étage précédent.
Région dorsale supérieure. - Sur une coupe entre la première et la
deuxième dorsale, on retrouve a peu près les mêmes lésions (PI. XXVIII,
lig. I).
Les cordons de Burdach sont profondément altérés et sur la coupe, la
teinte claire qu'ils présentent forme un contraste frappant avec la colora-
tion des autres cordons. La dégénération se présente sous la forme d'une
bande en forme de virgule, très allongée. La partie antérieure est séparée
de la commissure grise par une bande de tissu sain, séparée en arrière de
la périphérie par la zone cornu-commissurale. Les cordons de Goll sont
altérés, mais beaucoup moins que les cordons de Burdach, le nombre de
fibres colorées est beaucoup plus intense que dans ce dernier. Les faisceaux
pyramidaux croisés présentent une très légère dégénération.
Sur une coupe pratiquée au niveau de la 3e dorsale, les altérations ne
sont pas sensiblement différentes de celles que présente la coupe précé-
dente.
212 PAUL SAINTON
Sur une coupe passant par la région dorsale inférieure, la lésion des
cordons postérieurs est toujours marquée ; la région la plus atteinte cor-
respond aux cordons de Burdach, elle est constituée par une longue bande
atteignant en dehors les racines postérieures, séparée de la périphérie de
la moelle par une zone de fibres saines. Les colonnes de Clarke présentent
des altérations notables : les cellules sont intactes, mais le réseau des fibres
est nettement dégénéré.
Région lombail'e.- Coupe passant par la première lombaire (PL XXVIII,
fig. K).
La localisation des lésions est la suivante : Le maximum des altérations
correspond toujours aux cordons de Burdach : la dégénération est très
marquée a leur niveau ; elle est moins intense dans les cordons de Goll.
La zone voisine des racines est intacte. Enfin les zones de Lissauer sont
peut-être un peu touchées.
Les fibres des racines postérieures sont un peu diminuées de nombre ;
mais leur atteinte est en somme très modérée.
Ces lésions rappellent les lésions du tabes incipiens.. '.
Sur une coupe au niveau de la troisième lombaire les lésions sont les
mêmes : il est inutile de les décrire en détail : ce serait répéter ce qui a
été dit pour la coupe précédente.
Ganglions SPINAUX. - Nous avons pu pratiquer l'examen du onzième
ganglion spinal du côté droit. La coloration en a été faite par l'aniline
bleue black, la nigrosine, le picro-carmin.
Il n'existe pas d'altérations notables du tissu conjonctif péricellulaire.
La capsule ne semble point épaissie. Parmi les cellules, les unes se co-
lorent bien par les réactifs, sont de volume normal ; leur noyau, leur nu-
cléole sont bien visibles ; ce sont en général les cellules les plus petites.
Elles sont la plupart infiltrées de pigment formant des amas jaunâtres,
tantôt déposés en croissant autour du noyau, tantôt l'entourant d'un cercle,
tantôt réunis en un point quelconque de la cellule.
Les autres ne remplissent pas la capsule dont les cellules semblent aug-
mentées de volume ; elles se colorent mal par les réactifs, soit picro-carmin,
soit couleur d'aniline ; leur protoplasma ne parait pas présenter de gra-
nulations soit pigmentaires, soit d'autre nature. Elles semblent atrophiées
ou en voie d'atrophie.
Nkhks. Les nerfs périphériques au point de vue macroscopique pré-
sentent leur volume normal : aucun d'eux n'est le siège d'une augmenta-
tion de volume. Le sympathique cervical est plus petit que normalement.
Les altérations des nerfs périphériques sont beaucoup moins accentuées
que l'on pourrait s'y attendre.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XII. PI. XXIX
AMYOTROPHIE CHARCOT MARIE
(P. Sainton)
1-. - Coupe au niveau de la : 1e cervicale.
M. - Coupe au niveau de la (je cervicale.
V. - Partie supérieure de la moelle cervicale.
DE L'AMYOTROPHIE CHARCOT-MARIE 213
Aux membres inférieurs, les nerfs examinés ont été : le nerf cutané pé-
ronier, le tibial postérieur, le sciatique.
Le nerf péronier présente quelques altérations comme le montre la
figure 1 ; les fibres nerveuses altérées sont en petit nombre, mais il existe
un épaississement marqué delà gaine lamelleuse avec sclérose interfasci-
culaire notable. En certains endroits les cellules adipeuses au milieu de ce
tissu conjonctif sont assez nombreuses.
Le nerf tibial postérieur est moins atteint : les fibres nerveuses sont
normales ; il existe un peu d'augmentation du tissu interstitiel avec un
épaississement léger de la gaine lamelleuse.
Le nerf sciatique peut être considéré comme sain, ainsi que le nerf
crural.
Au membre supérieur, les altérations des nerfs sont encore moins in-
tenses qu'aux membres inférieurs : le médian et le cubital ont été exami-
nés.
Sur le nerf cubital, on constate un épaississement de la gaine lamelleuse,
un développement peu anormal du tissu interstitiel.
Le nombre des fibres nerveuses est à peu près normal : quelques-unes
ne sont point colorées, mais elles constituent l'exception.
. Le nerf médian .présente des altérations très légères ; les fibres sont en
nombre normal. La sclérose péri ou interfasciculaire existe à peine.
Muscles. - Aspect macroscopique. Les muscles de la région postérieure
et de la région antérieure delà cuisse ont une coloration presque normale.
La partie inférieure du couturier gauche est pâle, tandis que la partie su-
périeure est intacte.
Le grand adducteur est un peu pâle. ,
Les muscles antéro-externes de la jambe droite sont de couleur vieille
cire, les muscles jumeaux de la jambe sont constitués par de simples
amas de graisse, tandis que ceux de la jambe droite sont un peu charnus.
Les interosseux ainsi que les muscles du pied ont complètement disparu.
Les muscles du bras sont d'aspect normal ; le deltoïde, le grand pecto-
ral, les muscles de l'épaule ne paraissent point altérés.
Les muscles de l'avant-bras sont diminués de volume, mais ils ne me
paraissent pas très atteints; les petits muscles de la main, au contraire,
ont complètement disparu.
Aspect microscopique Les muscles ont été étudiés sur des coupes, soit
longitudinales, soit transversales. Les méthodes de coloration employées
ont été le picro-carmin, J'hématoxyline,l'hématoxyline-éosine et pour les
nerfs intra-musculaires, la méthode de Weigert.
Les muscles du membre supérieur qui ont été examinés sont : l'exten-
seur du pouce droit, les muscles de l'éminence thénar.
214 PAUL SAINTON
Extenseur dit pouce droit. - Sur une coupe transversale celui-ci paraît
peu atteint. Cependant un certain nombre de faisceaux musculaires sont
atrophiés, ces fibres en voie d'atrophie se trouvent à côté de fibres absolu-
ment saines : le tissu interfasciculaire est certainement augmenté. Les
artères présentent des altérations : il existe autour d'elles une véritable
prolifération du tissu conjonctif, il y de la périartérite. Les nerfs intra-
musculaires ne montrent d'autres lésions qu'une légère hypertrophie de
la gaine lamelleuse; si quelques fibres ont disparu, le plus grand nombre
paraît normal. 1
La striation des fibres musculaires est conservée, il n'y a pas d'altéra-
tions des noyaux.
Muscles de l'éminence thénar. Les lésions sont très profondes et très
étendues, sur des coupes transversales on aperçoit de très rares faisceaux
musculaires noyés au milieu d'un tissu scléreux très ancien; ces ilots
musculaires se colorent mal par le picro-carmin. Au milieu du tissu con-
jonctif, qui a pris la place occupée du muscle, on trouve des amas consi-
dérables de tissu adipeux. Sur des coupes colorées par la méthode Weigert,
les nerfs intra-musculaires apparaissent avec la plus grande netteté. Ils
ont conservé un assez grand nombre de fibres : leur gaine lamelleuse est un
peu épaissie. Il y a une sclérose périarfériefteetpériveineuse très intense.
Au membre inférieur, les muscles examinés sont le biceps crural droit,
le couturier, les jumeaux, les muscles de la région antéro-exteme du
même côté.
Muscle biceps crural. Ce muscle présente peu de lésions des faisceaux :
atrophie de certains faisceaux musculaires, conservation du plus grand
nombre. Il y a surtout une prolifération du tissu cellulaire avec augmen-
tation notable du nombre de noyaux entre chaque fihre avec inliltration
de quelques cellules adipeuses, partout la striation est conservée. Cette
augmentation du nombre des noyaux du tissu conjonctif est des plus
nettes.
Muscle couturier droit. Les lésions se montrent à un degré plus
accentué; le nombre de faisceaux musculaires intacts est encore grand
proportionnellement à celui des faisceaux atteints. Le nombre des fais-
ceaux atrophiés est beaucoup plus considérable que dans le muscle pré-
cédent. Certains se colorentmal parle picro-carmin et présentent un aspect
légèrement granuleux ; cependant la striation est en général conservée.
Mais ici les lésions sont extrêmement diffuses, tous les faisceaux sont pris,
en ce sens que dans chaque faisceau il existe des fibres atteintes à côté de
fibres restées saines. Les faisceaux sont déjà envahis par des cellules adi-
NoUV. ! cO ! <OGRAfmh ! )ELASAtPÊTRIÈKE.
l'. XII. PI. XXX
AMYOTROPHIE CHARCOT MARIE
(P. Sainton)
O. - Coupe au niveau de la partie inférieure du bulbe.
P. Au-dessus de la précédente.
MASSON & Cle, EJltt'urs.
DE L'AMYOTROPHIE CHARCOT-MARIE 215
peuses. Les nerfs présentent un épaississement très marqué des gaines
lamelleuses ; il semble y avoir peu d'altération des fibres.
Muscles jumeaux. - Les fibres musculaires intactes sont en très petit
nombre : sur une coupe transversale on voit de grands espaces dans les-
quels il n'existe plus trace du tissu musculaire et qui sont occupés par du
tissu adipeux, au milieu duquel se trouvent quelques ilots conjonctifs des
nerfs et des vaisseaux. Dans le segment où se trouvent encore quelques
fibres musculaires, celles-ci sont diminuées de volume, mais elles se colo-
rent encore bien parles réactifs. Il existe un très grand nombre de noyaux
entourant ces fibres en voie d'atrophie. Les vaisseaux sont épaissis, entou-
rés d'un cercle de tissu conjonctif très développé ; les autres présentent de
l'endartérite. Les lésions des nerfs intramusculaires sont inégales : les uns
ont conservé leurs fibres ; les autres au contraire paraissent dégénérés.
Muscles de la région antp1'o-exteJ'/le de la jambe gauche. - Sur des coupes
transversales, les lésions sont absolument les mêmes que celles que nous
venons de décrire pour les muscles jumeaux, mais elles sont plus accen-
tuées. Un point important reste à signaler, c'est que la striation des fibres
a il peu près disparu.
En résumé, les lésions que nous avons rencontrées sont :
1° Des altérations de la moelle : .'
a) Sclérose des cordons postérieurs prédominante dans le cordon de
Burdach.
b) Une dégénération légère des faisceaux pyramidaux des deux côtés.
c) Des altérations de la colonne de Clarke.
d) Des lésions cellulaires des cornes antérieures consistant en atrophie
de la cellule.
2° Des altérations des nerfs périphériques : .'
a) Dégénération des libres nerveuses des nerfs intra-mnsculaires, peu
considérable. -
b) Lésions des troncs nerveux de l'avant-bras et de la jambe consistant
en sclérose légère, bien nette seulement sur le nerf péronier.
c) Les gros troncs nerveux, tels que le sciatique, sont normaux. : 3° Des lésions musculaires consistant en : atrophie des fibres muscu-
laires, inégale clans les mêmes muscles, pouvant aller jusqu'à la dispari-
tion complète des fibres et à leur remplacement par du tissu conjonclivo-
adipeux.
(A suivre.)
' HOSPICE DE LA Salpêtrière
SERVICE DE M. LE Der PAUL SECOND
Observation
Catherine C., veuve, âgée de h 7 ans, marchande de vin, entre le 10 avril
1899 dans le service du Dr Paul Segond, à la Salpêtrière. Elle occupe les
lits 32 et 34 de la petite salle. ,
Antécédents héréditaires et collatéraux : .
Père mort en 1881 il l'âge de 61 ans d'une grosse hernie ombilicale
étranglée opérée tardivement à Lariboisière. Il pesait 210 ki[ogs, avait
toujours été obèse, mais ne présentait aucune anomalie ni déformation.
Mère morte en 1884 à t'age de 62 ans d'une maladie de coeur n. Elle,
pesait 180 livres et n'était ni grosse ni déformée. Elle a présenté pendant
les dix années qui ont précédé sa mort des vomissements de sang, cela
régulièrement tous les trois mois.
Une soeur aînée morte phtisique à 26 ans, laissant des enfants bien por-
tants. Elle n'avait pas d'embonpoint anormal.
Un frère plus jeune, mort il 19 ans, tuberculeux pulmonaire très pro-
bablement. Taille normale.
Histoire DE la malade.
La malade est née aux Tllermes, près de Saint-Fioul' (Cantal). Elle est
venue il terme, a dû marcher il l'époque normale.
A l'âge de il ans elle a suivi sa famille à Paris. ,
. 4 't'âgede 12 ans, elle quitte l'école pour aider au commerce de ses
parents qui tenaient un petit établissement de vins.
De 12 ans à 16 ans elle a vécu dans ce cabaret privé d'air etde lumière.
Quoique très forte elle était bien constituée et agile comme ses camarades.
(1) L'observation et les photographies de cette surprenante monstruosité, ont été
communiquées par M. le Dr PAUL SEGO¡>i11 à la Société de Chirurgie, le 24 mai 1899.
LIPOMATOSE MONSTRUEUSE
PRINCIPALEMENT LOCALISÉE A LA PARTIE SOUS-DIAPIIRAGMATIQUE
DU CORPS (1)
PAIt n
ET
BONNEAU
Externe des hôpitaux
DARTIGUES
Interne des hôpitaux
LIPOMATOSE monstrueuse 217
Réglée et 1'2 ans régulièrement, chaque époque menstruelle durant 8 jours
et assez abondante.
A 15 ans, à la suite d'un bain de pieds froid pris pendant les règles,
celles-ci ont cessé pendant 11 mois pendant lesquels la malade ne se
plaignait que de quelques vertiges.
A 16 ans, les règles- sont revenues, mais très irrégulières, paraissant
4 il 5 fois par an, chaque pél'iode menstruelle durant 8 jours et sans caillots.
A 16 ans et li. mois, la malade se marie. Elle pèse alors 180 livres.
A 24 ans, avant sa première grossesse, elle pesait 220 livres.
A 24 ans donc première grossesse absolument normale.
Accouchement à terme d'une belle fille bien conformée qui vit actuel-
lement, pèse 150 livres et n'est aucunement difforme.
A 25 6MM, deuxième grossesse normale. Accouchement à terme d'un
gros garçon bien conformé qui vit actuellement. C'était il y a 3 ans le
plus gros conscrit de France : il pesait 300 livres, avait 1 mètre 50 de
tour de taille, et une hauteur de 1 mètre 74. -
Vers les derniers mois de celle grossesse, apparition d'une hernie ombili-
cale. Cette hernie s'est étranglée une fois, mais la malade a pu la réduire.
Plus tard, s'est développé un abcès de la paroi abdominale au-dessous de
la hernie; il a guéri après incision.
C'est à partir de la deuxième grossesse que l'embonpoint a augmenté
progressivement et régulièrement tout en respectant la figure. .
Il y a ;; ails la malade pesait 555 kilogs. Actuellement elle ne pèse plus
que 180 kilogs.
Etat général excellent : pas de troubles de la miction, ni de la déféca-
tion, pas de troubles cardiaques, pas de gène à la respiration... La marche
est difficile; la station debout nécessite un point d'appui; quand elle est
prolongée les jambes et les masses saillantes des cuisses, augmentent de vo-
lume. Au lit, elles diminuent et les urines deviennent plus abondantes.
Nous ne nous étendrons pas en longs détails sur l'aspect général de la
malade et les particularités dél'ormatives dues à ses masses lipomateuses.
Les photographies qui accompagnent cette note en disent plus long et
mieux que toute description (PI. XXXI il XXXIV).
L'observation que nous donnons est curieuse à plusieurs points de vue.
D'abord, au point de vue des renseignements recueillis sur l'hérédité
soit ascendante, soit descendante. C'est ainsi que la malade est issue d'un
père obèse, adipeux et pesant un poids considérable, et elle donne nais-
sance à un enfant qui est lors du conseil de révision le plus gros conscrit
de France. Et'chose curieuse, elle est née d'une mère qui étant fortement
218 DARTIGUES ET BONNEAU
constituée ne pèse pas d'une façon anormale et n'est pas adipeuse, et elle-
même donne naissance à une fille qui n'est ni difforme ni obèse. Il est à
remarquer aussi que le père de cette femme est mort d'une hernie étran-
glée et qu'elle-même a présenté une hernie étranglée qui ne nécessita
d'ailleurs pas d'opération.
L'influence de l'hérédité, du côté paternel, est donc tout à fait mani-
feste, et s'il est permis de penser que certaines conditions d'hygiène et
d'aération qui ont manqué à cette femme, ayant vécu une partie de son
adolescence dans un réduit obscur et confiné, ainsi que sa dernière gros-
sesse, ont pu influer sur le développement anormal et débordant de son
tissu adipeux, il est certain qu'il faut mettre en cause surtout l'hérédité
et nous remarquons que cette malade a réalisé un type plus accentué, al-
lant jusqu'à la déformation, de l'hypertrophie du système cellulo-adipeux.
Il est à noter que cette hypertrophie énorme a respecté la face et la
partie supérieure du tronc. Et à part deux masses lipomateuses appendues
à la racine des bras, c'est surtout aux dépens de la partie sous-diaphrag-
matique du corps qu'elle s'est constituée.
Malgré la présence des masses graisseuses autour de l'anus et de la
vulve, masses tellement développées qu'elles empêchaient de voir ces or-
ganes, même les cuisses étant écartées, la malade peut effectuer ses diver-
ses fonctions de défécation et de miction, et elle arrive à s'entretenir d'une
façon convenable. Disons en passant, qu'un audacieux coït, même si la
malade s'y prêtait, serait absolument impossible.
Nous n'avons relevé aucun trouble delà sensibilité ou niveau des mem-
bres inférieurs qui présentent un aspect éléphantiasique. Mais n'oublions
pas qu'il s'agit d'un cas de lipomatose et non d'un éléphantiasis véritable.
Celle malade a été vue jadis par Péan qui lui proposa l'ablation de
quelques masses adipeuses, les plus gênantes, mais elle-s'y refusa.
Notre maître, M. Segond, cette malade ne souffrant pas, se trouvant
suffisamment heureuse dans sa plénitude adipeuse, et ayant d'ailleurs
augmenté de volume et de poids depuis l'époque où elle fut vue par Péan,
ne jugea pas, avec raison, utile d'inlervenir d'une façon quelconque ni de
tenter l'exérèse de quelques-unes de ces masses, voire même la cure de la
hernie ombilicale.
HÉRÉDITÉ SYPHILITIQUE A TRÈS LONG TERME (1)
PAR
Le D PAUL DE MOLÈNES.
Il est peu de questions plus passionnantes que celle de l'hérédité sy-
philitique : les nombreux problèmes qu'elle soulève tant au point de vue
médical que social ont donné lieu, dans ces dernières années, à des dis-
cussions, à des interprétations et à des controverses toujours fort intéres-
santes il est vrai, mais combien d'entre eux sont encore loin d'être résolus !
Si décourageant que soit cet aveu, il faut bien dire que plus la question
est étudiée, plus fréquents sont les cas observés, plus rigoureuse est l'ob-
servation de chacun des cas soumis à l'étude, plus grandes apparaissent
les lacunes. En vain les auteurs qui se sont particulièrement intéressés à
cette question ont voulu établir des lois destinées à la rendre plus acces-
sible, à chaque instant le clinicien observe des faits qui semblent les in-
firmer et qui déroutent.
L'observation que j'apporte aujourd'hui a trait à quelques points les
plus importants de l'hérédité syphilitique, à savoir ce que l'on a désigné
sous le nom d'Hérédité syphilitique et très long terme, l'Hérédité mater-
nelle et enfin l'IIéréd ité d'imprégnation ou par influence. '
Rappelons d'abord ce que l'ona appelé la loi deKassowitz ou deW.Boeck,
ou loi de l'affaiblissement graduel, spontané de 'l'Hérédité syphilitique.
D'après Boeck et nombre d'auteurs, les manifestations de la syphilis hé-
réditaire sont d'autant moins accusées que la syphilis des parents est de
date plus ancienne, et le dernier né d'une mère ayant eu déjà plusieurs
enfants syphilitiques peut présenter des symptômes syphilitiques si peu
saillants qu'ils n'attirent même pas l'attention, ou, comme le dit Kasso-
witz, il peut naître un enfant très faiblement affecté. Le professeur Four-
nier, dans ses leçons si remarquables sur l'hérédité syphilitique (2) a for-
mulé les trois propositions suivantes :
1° L'influence hérédo-syphilitique qui s'exerce d'une façon très inégale
aux divers âges de la maladie comporte un maximum considérable, énorme,
qui correspond aux trois premières années de l'infection ;
(1) Communication a la Société médico-chirurgicale de Paris, 10 avril 1S99.
(2) P A. Fournie», L'hérédité syphilitique. Leçons recueillies par le Dr P. Pontar-
lier, Paris, 1891, page 103.
220 PAUL DE MOLÈNES ' 1
2° Le maximum répond au plus jeune âge de la diathèse, c'est-à-dire
approximativement à sa première année :
3° Au delà des trois premières années de la maladie la décroissance de
l'influence héréditaire se continue encore les années suivantes, mais d'une
façon infiniment moins marquée. »
Mais il se hâte d'ajouter (1) que « même dans ses étapes avancées, la
syphilis peut conserver encore son levain de transmission héréditaire, et
il signale des observations personnelles ainsi que d'llutchinson, Thomp-
son Forster, Ilénocb, Barthélémy, l31bemout-Dessaines, etc., où elle s'est
exercée vers la 8e, la 1 ? voire la 15° et peut-être plus tard vers la 17e,
la ISe et jusqu'à la 20 année de l'infection « limite extrême qui jusqu'à
ce jour ne paraît pas avoir été dépassée ». C'est ce qu'il désigne sous le
nom d'hérédité syphilitique à long terme.
L'influence atténuante exercée par le temps n'est donc pas absolue, et
il est impossible actuellement d'établir des règles fixes relatives à la durée
de la transmissibilité de la syphilis aussi bien d'ailleurs que de la conta-
giosité de la syphilis acquise, ce qu'llomolle (2) avait constaté quand il
déclare qu'il est des cas où les effets de l'hérédité, bien loin de s'atténuer
progressivement, se montrent au contraire plus graves chez les enfants
qui naissent à une période avancée de la syphilis de leurs parents que chez
les premiers nés.
On sait, en outre, que différents auteurs ont pensé que la syphilis pou-
vait se transmettre à la deuxième génération. S'il en est ainsi,- et je serais
très porté à l'admettre, une observation personnelle récente me confirmant
dans cette opinion encore fort discutée, - si un sujet atteint de syphilis
héréditaire est tellement imprégné du poison spécifique qu'il peut encore
le transmettre à une nouvelle génération, on est bien forcé de reconnaître
que ce poison, dans quelques cas heureusement rares, résiste à l'action du
temps. D'ailleurs, trop souvent nous voyons combien la syphilis aussi
bien dans ses manifestations que dans sa transmissibilité est capricieuse
et inégale ; bonne et bénigne pour les uns, cruelle et néfaste pour les
autres; je dirai même injuste, car l'influence favorable du traitement lui-
même, qui devrait être absolue, ne l'est pas toujours. Je ne veux avoir en
vue présentement que la question cle l'hérédité syphilitique. Si découra-
eantque soit encore cet aveu, il est des cas où, malgré le traitement, la
transmissibilité héréditaire persiste, et même quelquefois des syphilis en
apparence légères et traitées médiocrement provoquent des méfaits ter-.
ribles. Le D'' Landouzy et Tarassé\\'iLch (3) déclarent que les sypliilis
(1) Loc. cilal., p. 109 et suivantes.
(2) Ilonot.e, Article Syphilis. Dictionnaire de médecine et de chirurgie prat., p. G.93.
(3) TAIIASSÉ\VJ'1'CII. Contagiosité syphilitique tardive, thèse de Paris, 1897.
HÉRÉDITÉ SYPHILITIQUE A TRÈS LONG TERME 221 1
bénignes, mais avec tendance aux récidives fréquentes, sont celles qui
restent le plus longtemps virulentes et peuvent donner naissance a des
syphilis graves : la syphilis gagne rail en durée ce qu'elle a paru ne pas
avoir en gravité : ces considérations relatives aux symptômes de la syphilis
s'appliquent également à la transmissibilité cle la maladie. lI<\tons-nous
d'ajouter qu'il n'en convient pas moins d'instituer toujours un traitement
énergique il tous les syphilitiques, quelle que soit l'intensité apparente du
mal, et que peut-être les cas malheureux que nous venons de signaler
provenaient de ce que les sujets avaient été traités avec trop de modéra-
tion ; il faut espérer qu'ils seront beaucoup plus rares aujourd'hui que la
syphilis est encore mieux étudiée et connue, et surtout plus énergique-
ment attaquée par les méthodes nouvelles.
J'ajouterai une dernière considération qui m'est suggérée par l'ohserva-
tion que je vais vous soumettre.
Pour bien mettre au point un cas Syphilitique, il est très important,
quand c'est possible, de tenir compte de tous les enfants; car en exami-
nant tout leur dossier pathologique, dont certaines pièces étaient jusqu'a-
lors demeurées indéchiffrables, surgitparfois un document symptomatique
qui, brusquement, éclaire d'une lumière vive les points obscurs, permet
de reconstituer toute la filiation et d'instituer un traitement rationnel. On
sait combien les affections du système nerveux, et particulièrement la
méningite et les convulsions souvent mortelles sont fréquentes dans la
première enfance. Leur pathogénie fréquemment inexpliquée est parfois
élucidée par leur apparition chez plusieurs enfants d'une même famille
dont l'un présente à un moment donné un stigmate d'hérédo-syphilis dé-
nonciateur.
Plusieurs auteurs, d'ailleurs, ont signalé la fréquence de ces affections
nerveuses survenant chez les enfants issus d'ascendants syphilitiques.
Notre malade a eu sur 8 grossesses sept enfants morts de méningite et
de convulsions.
Enfin, s'il est prouvé qu'un père peut transmettre héréditairement la
syphilis à son enfant, il n'en est pas moins vrai que les cas d'hérédité ma-
ternelle pure, c'est-à-dire sans hérédité paternelle, sont relativement très
rares, puisque le Professeur Fournier, dans son livre, n'en présente que
13 observations personnelles, insistant avec raison sur la difficulté très
grande de réunir des pièces à conviction exemptes de tout reproche. Il faut ,
en effet, compter avec ce que l'on a désigné sous le nom d'hérédité d'im-
prégnation ou par influence, ou hérédité ovarienne, et notre observation,
ainsi qu'il est facile de s'en rendre compte est, sur ce point très délicat,
sujette à contestation et à discussion : elle n'en est pour cela même que
plus intéressante.
222 ' PAUL DE MOLÈNES
OBSERVATION.
Madame X., âgée de 44 ans, se présente à ma consultation du dispen-
saire municipal du 15° arrondissement le 26 juin 1894. Elle se ditatteinte
d'un eczéma tenace et très ancien des mains, des poignets et des pieds',
soigné il maintes reprises et récidivant sans cesse.C'est une femme grande,
vigoureuse,, maigre et nerveuse. Je lui demande si elle a des enfants;
elle me répond qu'elle a un grand fils de 22 ans, très robuste, mais qu'elle
a eu ensuite six grossesses, 4 filles et deux garçons, tous six morts entre
18 et 20 mois. Ce cas me semblant singulier, je la prie de me donner des
détails très circonstanciés, et elle me les donne avec une précision et une
intelligence très nettes. Ils me sont d'ailleurs confirmés par la directrice
du dispensaire qui connaît depuis fort longtemps celte malade.
Très saine, très bien portante et mariée pour la première fois à 21 ans
avec un ouvrier mégissier, elle eut à 22 ans un garçon actuellement vi-
vant, grand, vigoureux, faisant son service militaire. Je l'ai vu deux ans
après, en 1896, il ne présentait aucun stigmate de syphilis héréditaire ;
puis elle eut six grossesses toutes à terme.
Ces six enfants étaient tous d'assez bonne apparence en venant au
monde. Nourris tous six par la mère, ils sont morts tous entre 18 et 20
mois, et tous de la même façon, d'une affection déclarée méningite par les
médecins traitants, ayant une durée de 20 à 25 jours, se caractérisant par
des convulsions, des vomissements, et un état comateux. Un de mes con-
frères du dispensaire a soigné deux de ces enfants et avait effectivement
porté le diagnostic de méningite sans songer, m'a-t-il dit, à la syphilis.
Or la première atteinte de l'eczéma actuel est survenue au cours de la
première de ces grossesses fatales, c'est-à-dire un an et demi environ après
la naissance du premier garçon vivant aujourd'hui. A cette époque appa-
rurent des boutons sur la figure, sur le corps, dans le cuir chevelu, bou-
tons croûteux, dit-elle, qui ne ressemblaient pas du tout à l'éruption ac-
tuelle. Les cheveux tombèrent, la malade eut mal à la gorge, et le mari,
qui lui aussi avait des boutons, conduisit plusieurs fois sa femme à l'hô-
pital Saint-Louis, où on lui prescrivit des pilules, puis cle l'iodure de
potassium, et du sirop de Gibert, médicaments qu'elle prit assez réguliè-
rement pendant un peu plus d'un an. Son mari suivit le même traite-
ment, et se garda bien de dire à sa femme de quelle maladie tous deux
étaient atteints. La grossesse suivit son cours et la malade mit au monde
une fille qui ne présenta rien d'anormal jusqu'à t'age de 18 mois ; elle fut
prise alors de convulsions violentes suivies de coma, et mourut au bout
hérédité SYPHILITIQUE A TRÈS LONG TERME 223
de trois semaines ; le diagnostic porté par le médecin fut celui de ménin-
gite.
Depuis lors, et à 5 reprises différentes le même fait se reproduisit et
dans des circonstances toujours identiques.
Les enfants venaient à terme, la mère les nourrissait; ils ne présen-
taient jusqu'à 18 à 20 mois aucun symptôme ayant attiré l'attention. II
est vrai que jamais le mot de syphilis n'ayant été prononcé par elle, et
d'autre part en raison de la situation très modeste de la malade, le méde-
cin n'étant appelé que pour constater les convulsions, il nous est difficile
d'affirmer qu'aucun de ces enfants n'ait présenté des symptômes d'hérédo-
syphilis. La mère déclare seulement qu'ils étaient bien portants, mais
sujets à la gourme. Pendant 15 ans elle eut à plusieurs reprises des
poussées d'eczéma très tenace, sec, squameux aux mains el aux pieds, des
aphtes à la langue, elle perdit ses cheveux, et n'en a presque plus. Elle
employa diverses pommades et des sirops dépuratifs fournis par son phar-
macien, mais ne semble avoir été soumise à aucun traitement spécifique
sérieux, en dehors de celui suivi à Saint-Louis, avec son mari, après la
naissance du premier enfant aujourd'hui vivant.
Quand je la vis donc pour la première fois, le 26 juin 1894, elle me
raconta tout ce qui précède, me dit que son mari était mort il y a 7 ans
d'une tumeur de la langue (leucoplasie, dégénérescence épithéliale chez
un ancien syphilitique ? ), et qu'elle était remariée depuis 6 mois, avec un
autre mégissier très bien portant, veuf, ayant deux filles de 16 et 19 ans,
tressailles. A diverses reprises j'ai vu ces deux jeunes filles, ainsi que
leur père. et jamais je n'ai observé la moindre trace de syphilis.
Depuis trois ans, elle n'avait pas eu d'eczéma, mais une nouvelle pous-
sée était survenue il y avait trois semaines, assez intense, occupant les
deux mains et les deux poignets ; les pieds n'étaient envahis que depuis
huit jours. A première vue la lésion des mains et des poignets rappelait
très nettement l'épidermo-dermite professionnelle eczématiforme des la-
veuses ; et, en effet, notre malade va très fréquemment au lavoir : il exis-
tait à la peau des mains, à la face antérieure et postérieure des poignets,
remontant vers le coude sous forme de traînées, de la rougeur, de la tu-
méfaction, du suintement, des croûtelles, de nombreuses papules exco-
riées, en un mot tous les signes d'une eczématisation diffuse; mais en
examinant déplus près, on constatait à la paume des mains, un peu
masquées et altérées par la limite accidentelle, les lésions décrites sous le
nom très défectueux de psoriasis syphilitique palmaire, lésions essentiel-
lement épaisses, squameuses, kératosiques, rouges et cuivrées, constituées
tantôt par des placards nettement arrondis, circinés, tantôt par des élé-
ments serpigineux pouvant gagner les bords de la main ou la face anté-
224 PAUL DE MOLÈNES
rieure du poignet. A la plante des pieds et plus particulièrement du pied
gauche, les manifestations cutanées étaient identiques à celles de la paume
des mains, l'eczématisation diffuse en moins, et confirmaient le diagnostic
de syphilide psoriasiforme ancienne palmaire et plantaire.
Ajoutons que les ongles des pieds et des mains étaient intacts, et qu'il
n'existait aucune manifestation cutanée syphilitique autre qu'une syphilide
pigmentaire de la nuque, douteuse cependant, car la malade était peu soi-
gneuse de sa personne, et l'été avait toujours le cou très découvert.
Je n'hésitais donc pas à porter le diagnostic de syphilis ignorée, basé
sur les caractères objectifs actuels, et surtout sur les commémoratifs si
intéressants. Je prescrivais de l'iodure de potassium à la dose progressive
de'), puis 2, puis 3, 4 et 5 grammes, et recommandais il la malade de
prendre cette médication, fùt-elle mal tolérée, pendant 6 semaines. Loca-
lement, aux mains et aux avant-bras, cataplasmes tièdes de fécule de
pomme de terre fréquemment renouvelés pour calmer t'eczématisation
diffuse et pâte de zinc très faiblement résorcinée ; aux pieds emplâtre à
l'huile de cade pour détacher les squames épaisses accumulées.
16 juillet 19. - Les phénomènes de dermite aiguë ont disparu :
seuls les éléments kératosiques persistent. Continuer l'iodure qui est
bien toléré pendant encore vingt jours et appliquer aux mains et aux pieds
l'emplâtre de Vigo.
.25 septembre. - Amélioration, mais la guérison n'est pas encore ob-
tenue. Reprendre l'iodure de potassium comme précédemment..
18 décembre. - Guérison complète après six mois de traitement.
En mars 1895, nouvelle poussée aux mains accompagnée, comme la
première fois, d'épidermo-dermite diffuse et provoquée encore par le
retour au lavoir. Au lieu d'iodure de potassium, je prescrivis des pilules
de protoiodure d'hydrargyre de 0,05 centigrammes : là malade en prit
50 pendant un mois. Le 23 avril suivant, toutes les manifestations cuta-
nées avaient disparu, bien plus rapidement que lors de la première pous-
sée. Du 15 mai au 15 juin, elle reprit 1 puis 2 puis 3 grammes d'iodure.
Le 28 janvier 189ü, je revois madame X... ; elle est enceinte de 6 mois ;
elle n'a ressenti pendant toute cette grossesse aucun malaise; l'éruption
des pieds et des mains n'ayant pas reparu, elle n'est pas venue au dispen-
saire, et ne s'est pas traitée. N'ayant pas, en raison cle son âge (elle a
45 ans 1/2), prévu une nouvelle grossesse, j'avais négligé de lui faire les
recommandations nécessaires au cas où celte éventualité se serait produite :
j'instituais donc de suite un traitement énergique ; je fis pendant 6 semai-
nes, du 28 janvier au 4 mars, une fois par semaine, une injection intra-
fessière d'Huile grise, injectant chaque fois G centigrammes de mercure
purifié (formule de 13aller), ayant bien soin d'exagérer pour ainsi dire
HÉRÉDITÉ SYPHILITIQUE A TRÈS LONG TERME 225
toutes les précautions nécessaires, en raison de l'état de grossesse. Ces
injections, bien qu'assez douloureuses, furent très bien supportées, et
le 10 avril 1896, la malade accouchait à terme d'une fille très bien cons-
tituée à tous égards que je vis pour la première fois le 5 mai, 25 jours
après sa naissance, et qui ne présentait aucun stigmate de syphilis héré-
ditaire, aucune malformation.
Du 5 mai 1896, au 16 mars 1897, je ne trouve sur la fiche propre à
chacune de mes malades du dispensaire que les indications suivantes :
L'enfant est nourrie par la mère qui la conduit toutes les trois semaines
environ ; elle profite très bien, ne présente aucun symptôme anormal : la
mère en décembre a eu une poussée légère de dermite avec eczématisation
des avant-bras et des mains qui a peu duré, et a pris pendant deux mois
de l'iodure de potassium et pendant un mois des pilules de protoiodure
'de 0,05 centigrammes, comme précédemment, à savoir, 50 en un mois.
Elle vint, comme je l'ai dit, plusieurs fois, avec son mari ou avec les
filles de son mari qui tous trois étaient absolument sains, et cessa de
paraître le 16 mars 1897.
Le 21 juin 1898, c'est-à-dire 15 mois après, elle me revenait avec une
nouvelle poussée de dermite intense des mains et des poignets, et de nou-
veaux placards épais, squameux, fissurés des deux pieds, et comme je lui
demandais des nouvelles de sa petite fille, elle me disait que, exactement
comme ses autres enfants, elle était morte le 14 octobre dernier à l'âge
de 18 mois ; elle venait très bien, marchait depuis t'age de 15 mois, avait
été sevrée a 16 mois. Seule la dentition était fort en retard. L'enfant,
qui ne présentait aucune malformation, aucun symptôme d'hydrocéphalie
ou d'autre maladie nerveuse, avait été. prise subitement de convulsions
violentes, et de vomissements, qui avaient persisté une dizaine de jours;
le médecin appelé avait diagnostiqué une méningite ; l'enfant était restée
trois jours sans connaissance, et était morte, comme ses 4 soeurs et ses deux
frères du premier fil ! Et. cela malgré un traitement relativement énergi-
que, quoiqu'un peu irrégulier, de la mère !
Je ne crois pas qu'il puisse y avoir le moindre doute sur l'origine de
cette véritable hécatombe ! .
On pourra objecter que le diagnostic dut rester hésitant pour le médecin
qui n'a pas observé les symptômes nerveux qui ont entraîné la mort de
tous ces enfants.
Mais, comme l'a fort bien dit le professeur Fournier, « la syphilis céré-
brale héréditaire ou acquise n'a pas et ne saurait avoir de symptômes
XII 16
226 PAUL DE MOLÈNES
propres ; une seule considération servira d'élément diagnostique, c'est la
notion des antécédents spécifiques héréditaires ».
Mais n'avons-nous pas longuement développé les manifestations spéci-
fiques présentées par la mère et son premier mari ?
)Jxiste-t-il une hérédité pathologique capable d'être aussi cruelle que
cette hérédo-syphilis qui poursuitla progéniture d'une malheureuse femme
plus de 21 ans après qu'elle a été contaminée par son mari, alors même
que s'étant traitée, et ayant un autre mari sain, elle pouvait espérer être
débarrassée de cette tare fatale (1) !
(1) l'oonmen, L'hérédité syphilitique, page 401 (note). ,
LES PEINTRES DE LA MÉDECINE
(ÉCOLE FLAMANDE ET HOLLANDAISE).
LE MAL D'AMOUR
(Suite).
PAR
HENRY MEIGE.
II
« Un grand médecin de Montpellier, un des maîtres les plus éminents
et un des représentants les plus autorisés de l'Université de cette ville au
XVIIIe siècle, Boissier de Sauvages, l'ami de Boerhaave et de Linnée, a
mérité de ses contemporains le gracieux et bizarre surnom de Médecin de
l'Amour...
« Il a aimé l'amour, il l'a chanté, et aussi il l'a étudié...
« Car c'est un savant de premier ordre : botaniste éminent, clinicien
expérimenté, nosologiste célèbre, médecin répandu, professeur suivi, il
a été universellement connu et apprécié de son vivant et il a laissé une
trace durable dans l'histoire de la médecine... Il avait donc les aptitudes et
les connaissances scientifiques qui donnent du poids à ses théories mé-
dicales de l'amour. »
C'est en ces termes que le professeur Grasset, de Montpellier, rend
hommage à la mémoire de Boissier de Sauvages. Dans une étude fertile en
documents inédits et en critiques érudites (1),M. Grasset a retracé la vie
et l'oeuvre de son compatriote, son ancêtre par alliance, qui fut, sans con-
tredit, l'un des médecins les plus distingués du siècle précédent.
Pour connaître le Mal d'Amour, on ne saurait mieux faire que de
s'adresser au Médecin de l'Amour lui-même. Demandons-lui donc de
nous révéler les secrets de cette mystérieuse affection.
C'est en l'année 1724 que 'François Boissier de Sauvages soutint, à
Montpellier, sa thèse de licence. Elle avait pour titre : Dissertatio medica
(1) Ghasset, Le Médecin de l'Amour au temps de Marivaux, Etude sur Dossier de
Sauvages d'après des documents inédits, Paris, Masson, 1896.
228 HENRY MEIGE
atque ludicm de amore, etc. (1). Etude, ;i la fois badine et scientifique,
elle met exactement au point les opinions courantes sur l'amour. L'au-
teur, il est vrai, n'hésite pas à se documenter auprès des poêles do l'an-
tiquité, Ovide, Virgile, Horace, émaillant de citations littéraires ses dis-
sertations scientifiques. Au demeurant, il se révèle exégète avisé, fin ob-
servateur, et; avant tout, médecin.
Précurseur des psychologues modernes dans sa conception du mal d'ai-
mer, Sauvages y reconnaît déjà un trouble psycho-physiologique, ayant, à
la façon d'une affection morbide, des causes, des symptômes, des compli-
cations, une pathogénie, un diagnostic, une thérapeutique.
Les médecins, dit-il, définissent l'amour « cette maladie qui s'insinue
entre les jeunes filles et les jeunes gens, avec délire au sujet de l'objet
aimé et désir honnête de l'union intime ». Et Sauvages insiste sur les
caractères de ce « délire » dont on entreprend aujourd'hui l'analyse, en
l'envisageant comme une forme psychopathique spéciale (2).
Le « mal d'amour » se manifeste donc par des signes psychiques. Mais
il s'accompagne aussi d'un cortège de signes physiques ; ceux-ci nous inté-
ressent tout particulièrement, car les artistes ont certainement été tentés
de les représenter selon l'idée qu'on s'en faisait à leur époque, et très
souvent, il faut le reconnaître, conformément à la réalité.
Or, voici la maladie, telle que la dépeint le « médecin de l'amour » :
« Une fébricule, tantôt continue", tantôt variable, qui se manifeste par
la pâleur, l'inappétence, et parfois la mélancolie, lé désir de la solitude,
et est appelée fièvre blanche à cause de la couleur, fièvre amoureuse ou des
jeunes filles, parce qu'elle affecte surtout les jeunes filles amoureuses :
ajoutez-y les palpitations, les syncopes, etc.
A cette description l'on ne peut guère se méprendre, et au XVIIIe siè-
cle ce mal portait déjà un nom dont le parrain, Jean Varandal, fut un des
prédécesseurs de Sauvages à la Faculté de Montpellier. C'est la Chlorose.
Chlorose : voilà un terme qui, dans le langage médical actuel, corres-
pond à une espèce nosographique dûment cataloguée. Consultons les au-
teurs récents. -
« A l'heure présente, on peut considérer la chlorose comme une espèce
morbide des plus pures et des mieux définies....
(1) Les idées vraiment curieuses soutenues dans cette thèse aujourd'hui introuvable
sont exposées en détail dans le livre du professeur Grasset auquel nous ferons de
fréquents emprunts.
(2) Voy. G. hA\VILLE, Psychologie de l'amour, Bibl. de philosophie contemporaine,
1894, cité par Grasset.
LE MAL D'AMOUR 229
« ...Anémie de la puberté, spontanée, préparée par une tare hérédi-
taire de dégénérescence de la nutrition, soit latente; soit 'exprimée par
des hypoplasies organiques ; anémie occasionnée par toutes les conditions
susceptibles de rompre l'équilibre entre la formation globulaire demeurée
normale et la déglobunisalion qui est exagérée, d'où résulte une perte
d'hémoglobine telle que les globules rouges néo-formés sont incapables
d'acquérir la résistance et la taille des globules normaux (1). »
Telle est la chlorose.
Le mal d'amour aurait-il été aussi tout cela ? Peut-être...
A vrai dire, les modernes nosoloistes ont laissé tomber dans le discré-
dit à la fois le nom de mal d'amour et l'idée qui s'y rattache.
Les termes de febris a7nat.oria ou d'icterus amantiwn qui se retrouvent
dans les anciens écrits ne sont plus cités qu'au chapitre des synonymes;
il est de bon goût de faire ressortir leur frivolité, en affirmant que notre
science actuelle a su faire justice de ces préjugés lointains. On rappelle
encore, comme une antique légende, que de très vieux médecins ont au-
trefois signalé une sorte d'affection engendrée par l'amour contrarié qui
présente en effet certaines analogies avec la moderne chlorose. Et sans nier
complètement l'influence des émotions morales sur le développement des
accidents chlorotiques, on admet volontiers que ces causes ne sauraient
suffire à les faire éclore, s'il n'existait antérieurement une prédisposition
à la maladie.
En définitive, aujourd'hui, il n'y a plus de mal d'amour. Ce qui 'existe,
ce qui est digne de figurer dans les traités de nosographie, c'est la chlo-
rose définie comme précédemment.
Nous n'aurions garde d'y contredire. "
Mais il nous sera permis de relever quelques-uns des liens de parenté
qui unissent la chlorose contemporaine au ci-devant mal d'amour du
XVIIIe siècle. '
*
.. <
La description de la fièvre amoureuse donnée par Sauvages est déjà par
elle-même assez explicite. Pâleur, inappétence, désir de solitude, mélan-
colie, palpitations, syncopes, etc. défaut d'hématoscopie, on trouve là
de quoi orienter le diagnostic.
Plus tard, dans sa Nosologie méthodique qui fut, pendant de longues
années, justement réputée, Sauvages a consacré une étude détaillée à la
chlorose ; l'une des cinq formes qu'il décrit porte le nom de chlorose par
amour. Elle ne diffère pas de cette « fièvre amoureuse » dont il parle dans
sa thèse. C'est la chlorose et c'est aussi le mal d'amour.
(1) LIZET, La chlorose, Bibl. Charcot-Debove, Rueff, 1892, p. 1.
230 HENRY MEIGE
Les idées de Sauvages ne sont d'ailleurs elles-mêmes que le reflet d'o-
pinions déjà fort anciennes dont on peut faire remonter la paternité jus-
qu'à Ilippocrate.
La plus antique théorie de la febris amatoria attribue en effet à des
troubles de l'appareil génital la plupart des symptômes que l'on décrit en-
core dans la chlorose. La rétention du sang dans la matrice, et, d'une façon
générale, les troubles de la menstruation furent pendant de longues an-
nées invoqués pour expliquer les « colorations verdâtres » et tous les
phénomènes qui les accompagnent.
Ilippocrate l'avait laissé soupçonner, Galien l'affirmait, Ambroise Paré
n'en doutait pas : « A d'aucunes, dit ce dernier, le sang menstruel ne
s'écoule, à cause que les vaisseaux, à scavoir veines et artères sont angus-
tes et estroicts et encor non destouppez ; si que ne pouvant sortir regorge
en la masse sanguinaire, qui s'altère et corrompt, faulte d'être évacué, et
toute l'habitude du corps ne peut être bien nourrie, dont se fait leuco-
phlegmatie, qui fait le corps tout bouffi, et la couleur du visage basannée
et btafardée, c'est pourquoi on les appelle pâlies couleurs. »
Plus tard, Varandal, Lazare Rivière, Sennert et bien d'autres, ont con-
tribué à accréditer le rôle des troubles menstruels dans la patbogénie de
la chlorose.
Il ne nous appartient pas d'apprécier la valeur de cette théorie, assuré-
ment trop exclusive, mais contre laquelle on s'est insurgé depuis lors,
peut-être avec une ardeur excessive.
Ce que nous nous contenterons de retenir, c'est qu'elle est demeuréeen
vigueur pendant lelVII et le XVIIIe siècle, el qu'en ce temps là, « pâles
couleurs », « maladie virginale » ou « chlorose » semblaient intimement
liées aux troubles de l'appareil génital féminin.
On admettait aussi volontiers, toujours en s'appuyant sur l'autorité
d'IIippocrale, que les caprices de la matrice étaient solidaires de ceux de
l'esprit. De là à rattacher Vobstructio virgiaua d'Avicenne, ou la febris
alba d'Archigéne, au « chagrin amoureux » ou à la « passion contrariée »,
il n'y avait qu'un pas. Depuis longtemps, il avait été franchi.
Sous le terme générique de mélancolie, les médecins du XVII° siècle,
désignaient toute une série de malaises ou de maladies « sortes de rêve-
ries accompagnées de tristesse », provenant d'une « perversion des esprits
animaux » et attribués, « soit à l'intempérie froide et sèche du cerveau, soit
à des vapeurs s'élevant du corps tout entier, du coeur, ou deshypochondres,
ou enfin de la matrice. » Entre toutes, la plus redoutable était, sans con-
tredit, la « mélancolie hypochondriaque », « le fléau et l'opprobre des
médecins. »
Mais il existait aussi une mélancolie d'amour, provenant d'une passion
LE MAL D'AMOUR 231
immodérée pour l'objet aimable, laquelle se confondait souvent avec la mé-
lancolie utérine, due à une obstruction des veines ou artères péri-utérines
amenant la suppression des règles; elle coïncidait d'ordinaire avec les
« pâles couleurs ». A son plus haut degré, cette affection devenait la
suffocation utérine, « procédant d'une vapeur maligne s'élevant du sang
menstruel corrompu ».
« La cause de celle maladie, dit Constant de Behecque, est une grande
quantité, chaleur et acrimonie de quelque chose qu'il n'est pas besoin de
nommer... (1). » Elle s'attaque de préférence aux jeunes veuves, récla-
mant pour remèdes des saignées copieuses et des purgatifs doux ; « mais
de tous les remèdes employés,- le mariage est le meilleur ».
On retrouve là l'influence des vieilles théories hippocratiques sur la ge-
nèse et le traitement des accidents nerveux imputés de nos jours à l'hysté-
rie. C'est qu'en effet la parenté était déjà admise entre les pâles couleurs
et la névrose. Sydenham considérait la chlorose comme une « espèce d'hys-
térie, attribuée à l'ataxie des esprits et à la cacochymie qui en dépend ».
Aussi ne doit-on pas être surpris de lire dans Sauvages : « Le mal
d'amour expose à de graves complications : la mélancolie, la manie, la
passion hystérique, même une rage telle que ceux qui en sont atteints
portent une main violente sur les autres et sur eux-mêmes; la plupart
restent déments et amaigris... Tant et de si grandes maladies dérivent de
l'amour qu'il est étonnant de voir les médecins passer outre à celte mala-
die si sèchement (tant sicco pede) ».
Enfin, le parrain de la chlorose lui-même, Jean Varandal, n'avait-il
pas écrit en 1615 : « S'il est une maladie propre au tempérament féminin,
qui est plus humide et plus froid que celui des hommes, c'est celle que
nous voyons actuellement se développer dans ces contrées, d'une manière
presque endémique, notamment chez les jeunes filles les plus nobles et
les plus belles, chez les veuves ou autres, vivant dans l'abstinence de
tout rapport sexuel. On la qualifie d'ordinaire de pâles couleurs, d'ictère
blanc, de fièvre d'amour, de maladie virginale ; nous l'appellerons chlorose
d'après IIippocrate (2). » .
Ainsi, dans les idées comme dans le langage médical de l'époque, mal
d'amour et chlorose sont unis il ce point qu'ils se confondent en une seule
et même maladie. C'est ce qu'il nous importait de relever.
Et voici la question qui se pose : Les malades d'amour représentées
par les peintres des Pays-Bas ne seraient-elles donc que des chloroti-
ques ? .....
(1) Constant de HEUECQUE, Le médecin h'rattt;ois Charitable, 1683. - Consulter à ce
sujet une thèse récente, bien documentée et d'une lecture séduisante. Le 111AGVET, Le
monde médical parisien sous le grand roi. Thèse Paris,1899. 9.
(2) Cité par l'.waor, art. Chlorose in Dict. encycl. des Se. méd.
232
UENRY MEIGE
111
Tout d'abord, - à peine est-il besoin de le dire, il ne saurait être
question d'identifier les aimables personnes dont les portraits sont par-
venus jusqu'à nous avec les cblorotiques nosocomiales qui ont servi a tra-
cer la description actuelle de la chlorose. Ne faudrait-il pas, en effet, dé-
montrer premièrement, tentative absurde, - que les malades d'amour
en peinture étaient atteintes d'une lésion sanguine caractéristique ? Ce
serait vraiment faire injure à ces gracieuses enamourées que de désigner
leur mal par ces termes rébarbatifs de « dyscrasie », de « dégtobutisa-
tion ». ou pis encore « d'hypoplasie angiohématique » !
Mais, tout en reconnaissant que la critique picturale pèche par l'absence
d'examen liématoscopique, nous ne pouvons pas ne pas être frappés de la
véracité avec laquelle les peintres du mal d'amour ont mis en évidence
certains caraclères cliniques de la chlorose.
Et nous entendons par chlorose, la maladie définie par Varandal, dé-
crite ensuite par Rivières, Sennert et Sauvages. Nous l'envisageons sur-
tout dans son syndrome morphologique qui, seul, pouvait être bien rendu
par l'image, et, seul, peut prêtera un examen comparatif.
Au surplus, ces signes physiques, bien étudiés par les vieux cliniciens,
font toujours partie du tableau de la chlorose et ils suffisent souvent à éta-
blir son diagnostic. Rappelons-les donc brièvement
En premier lieu, li\ pâleur des c))torotiquesde\ : .it forcément attirer l'at-
tention des peintres, aptes à saisir les variations les plus délicates du co-
loris. C'est aussi le symptôme qui, le premier, met le médecin en éveil.
C'est celui que les artistes se sont efforcés de traduire, par des procédés
différents, mais presque toujours avec succès.
Les malades d'amour de Jan Steen se distinguent toutes par une inté-
ressante pâleur des personnages qui les entourent. Le maître hollandais
semble même avoir cherché à accentuer le contraste par le choix des cou-
leurs dont il a revêtu ses malades et par le teint fleuri des assistants.
Cette pâleur cependant n'est pas très caractéristique. Elle est de teinte
laiteuse : c'est peut-être la M/Mre, du nom dont les Allemands dési-
gnent la chlorose. En tout cas, c'est, au premier chef, le signe pathogno-
monique du mal d'amour. Sauvages le proclame, s'en référant lui-même
au vers d'Ovide :
Palletit omnis amans : color est Itic aplus amanli (1).
(1) «Toute personne qui aime pâlit ù l'aspect de ce qu'elle aime. » Telle était une
LE MAL D'AMOUR 233
A vrai dire, dans les peintures de Jan Steen, sous le blanc des chairs
transperce toujours une nuance rosée. C'est que Jan Steen ne tient pas
à nous inquiéter outre mesure sur la gravité de la situation. Pour lui,
le mal est éphémère : il se dissipera au premier billet doux.
D'autres, au contraire, tels que Gérard Dow, Frans Miéris, Metzu,
vont nous montrer, dans toute sa pureté, la pâleur blafarde des chloroti-
ques. Les chairs prendront alors ce ton de « cire vieillie » que signalent
les descriptions classiques. Et Samuel van Hoogstraaten, à qui sans doute il
fut donné de contempler un cas plus sévère, ne craindra pas d'indiquer
par des reflets d'un jaune verdâtre la décoloration qui fit donner à la chlo-
rose le nom demorbus viridis ; « green Sickness » disent lés Anglais.
Fait remarquable, les malades d'amour malgré leur extrême pâleur, ne
sont jamais amaigries. Au contraire, elles semblent toutes grassouillettes
à souhait. t. 1
Est-ce affaire de race, les Hollandaises étant enclines à certain embon-
point ? Ou bien est-ce afin qu'en les voyant on soit tenté de s'écrier avec
Sganarelle :
« Voilà une malade qui n'est pas dégoûtante et je tiens qu'un homme bien sain
s'en accommoderait assez 1... »
Jan Steen devait faire souvent de semblables réflexions.
Mais peut-être faut-il voir là mieux qu'une gauloiserie : un fait d'obser-
vation parfaitement authentique. C'est qu'en réalité les cblorotiques n'ont L
pas l'apparence émaciée. Il n'est pas rare qu'on observe chez elles une
sorte d'embonpoint de cause encore mal définie : turgor vitrtlis ou 1 ! 11111)ha-
ticus, enveloppement oedémateux réparti sur tout le corps, bouffissure
légère qui donne l'illusion d'un revêtement adipeux. A la face, les traits
sont mollement dessinés; au cou, les « colliers de Vénus » s'accentuent,
rendus plus visibles encore par une hypertrophie thyroïdienne qui man-
que rarement, si bien que la chloroticlue peut donner l'impression d'être
dodue comme il convient. Ce qui n'était pas pour déplaire aux artistes
hollandais, à Jan Steen tout particulièrement.
Les membres eux-mêmes participent à cette légère enflure qui prend
parfois aux extrémités l'apparence d'un oedème véritable.
Il serait vraiment trop osé de prétendre que les mains si délicatement
des règles des arrêts du Code d'amour d'André le Chapelain, au XIIe siècle. On peut,
il est vrai, en dire autant de la rougeur, qui s'observe dans les mêmes conditions :
deux réflexes vaso-moteurs de sens inverse qui se succèdent presque toujours à la
suite d'une émotion.
234 HENRY MEIGE
potelées des gentilles malades de La Haye ou de Munich doivent leur mo-
delé à l'oedème chiorotique. Mais qui sait si l'une d'elles, dont la mule a
quitté le pied, n'éprouvait pas dans sa chaussure quelque compression
causée par une enflure maladive ? ...
Dans leurs masques d'albâtre, les yeux des chlorotiques prennent une
expression singulière. L'iris se détache vivement sur une sclérotique
bleuâtre cerclée de paupières bistrées. Sans analyser par le menu tous ces
détails anatomiques, les artistes ont fort bien rendu l'impression générale
qui en résulte. Un médecin de Montpellier, Baille, a judicieusement re-
marqué que les yeux des chlorotiques, ont « une expression de langueur
et de tristesse particulière». Il n'est pas une de nos malades d'amour
dont on ne puisse en dire autant.
La disposition des lignes et les oppositions des couleurs jouent assuré-
ment un rôle dans l'expression de ce facies, triste et languissant. Mais une
plus large part relève de l'état mental des malades.
A cet égard encore les chlorotiques ne diffèrent en rien des malades
d'amour. '
« Elles soupirent et pleurent souvent, dit Moriez, fuient la société, et
présentent tous les signes d'une mélancolie, qui va parfois jusqu'à l'alié-
nation mentale »
« Il existe certainement, ajoute Luzet, tout au moins une grande apa-
thie, chez le plus grand nombre des chtorotiques, de l'inaptitude au tra-
vail intellectuel ou physique : c'est ce qui constitue le fond de leur carac-
t
tère. »
Voilà pour les chlorotiques d'aujourd'hui. Et voici ce que disait Sau-
vages des malades d'amour :
« Elles sont tourmentées de mille maladies, l'anxiété, la tristesse, la
pâleur. » Et citant encore Ovide à ce propos :
r1 ttenuant juvenmn vigilitx corpora nocles
Curaque, et e magno qui fit amorll, dolor...
Littore quoi conchoe, lot sunt in nmorc dolores...
Ailleurs, Sauvages parle encore de la mélancolie et d cette invincible
lassitude qui semble paralyser les victimes du mal d'aimer. N'est-ce pas
justement l'état moral des chlorotiques Et n'est-ce pas aussi ce qui
frappe le plus dans les portraits de ces jeunes femmes douloureusement
alanguies, cherchant vainement, à grand renfort d'oreillers, une position
qui leur procure un repos introuvable, insensibles aux propos joyeux,
LE MAL D'AMOUR 235
aux paroles réconfortantes, incapables de parler, d'agir, anéanties, iner-
tes, quasi-pâmées ? ... Fidèle il la loi des contrastes, Jan Steen a soin de
placer auprès de ces fausses moribondes un ou plusieurs personnages re-
muants, rieurs, débordant d'entrain et de santé.
Ainsi sautent aux yeux l'asthénie et la mélancolie des malades d'amour.
Un degré de plus, et cette « imbécillité des forces » peul conduire à la
perte des « esprits vitaux », à l'évanouissement. Etourdissements, lypo-
thymies el syncopes, sont du cortège de l'anémie cérébrale inséparable de
la chlorose. Nous aurons aussi à passer en revue toute une série de pâ-
moisons qui semblent bien se rattacher aux funestes conséquences du mal 1
d'amour.
Dans l'histoire clinique de la chlorose, on décrit longuement Jes trou-
bles cardio-vasculaires.
Les palpitations y tiennent le premier rang, survenant par accès, péni-
bles, angoissants, « anarchie complète, véritable folie du coeur », disait
Bouillaud. Une sorte de dyspnée s'y mêle parfois, dont Cazin a noté le
caractère suspicieux, « lié à la tristesse des malades ».
Nous verrons que Jan Steen, Frans Mieris et Gérard Dow, n'ont pas
négligé d'indiquer ces symptômes. En montrant que les malades d'amour
portent la main sur le côté gauche de leur poitrine, ils laissent bien en-
tendre que chez elles le coeur est atteint, au propre comme au figuré.
Cette attitude, révélatrice d'une passion affective, traduit aussi le geste
. instinctif que provoque la crise de palpitations. La malade d'amour cher-
che à comprimer le « mouvement dépravé et fréquent de son coeur et
l'effort qu'il fait pour chasser ce qui l'incommode, ou pour attirer ce qui
l'accommode », suivant la définition qu'on donnait alors des palpitations.
Quant à la dyspnée suspirieuse, n'est-elle pas un des attributs les plus
significatifs des amoureux ? On les nomme encore soupirants. Certaines
malades d'amour soupirent à fendre l'âme.
Cette agitation du coeur qui, chez les chlorotiques, s'exaspère : '1 la
moindre émotion, se transmet nécessairement à tout l'arbre artériel. Le
pouls en subit les effets : il s'accélère et devient bondissant.
Il en est de môme dans le mal d'amour.
« L'amour, dit Sauvages, est facilement découvert par un coup d'oeil,
le changement de couleur à la vue de l'objet aimé, la fréquence du pouls ;
c'est par ce signe que le médecin de Ptolémée découvrit son amour pour
sa belle-mère, au rapport d'Hérodote dans Caliope. »
236 HENRY MEIGE
Aussi voyons-nous les médecins de Jan Steen interroger attentivement
le pouls de leurs languissantes malades. Leur doigté subtil, mieux exercé
assurément que le nôtre, arrivait peut-être à percevoir la nuance qui dé-
cidaitde leur diagnostic.Aujourd'hui la psycho-physiologie expérimentale
en recueillant sur des cylindres enregistreurs un tracé sphygmographique
n'a fait que confirmer l'antique remarque du médecin de Ptolémée. On
dit, pour employer la terminologie savante de notre temps, que l'émotion
amoureuse se traduit par des troubles cardio-vasculaires et des phéno-
mènes vaso-moteurs. Mots nouveaux, vieilles idées.
Au demeurant, ce sont toujours les variations qualitatives et quantita-
tives du pouls qui permettent d'apprécier les troubles circulatoires. On
voit que les médecins des malades d'amour ne négligeaient pas de recueil-
lir ces renseignements auxquels ils attachaient, à tort ou il raison, une
extrême, importance. Les peintres n'ont pas omis de nous en informer.
Dans la chlorose, la céphalalgie est fréquente; fréquentes aussi sont les
névralgies. Qu'il s'agisse de céphalée à forme neurasthénique ou de né-
vralgie faciale, ou enfin de migraine, il est constant que les chloroliques
souffrent de maux de tète.
Les malades d'amour témoignent surabondamment par leurs attitudes
qu'elles sont atteintes des mêmes maux. Tantôt, accoudées contre un meu-
ble, on les voit soutenir leur tète avec leur main ; tantôt, s'abandonnant
davantage, elles reposent sur un oreiller; presque toujours, elles s'enca-
puchonnent, afin de se préserver du froid.
Enfin, nombre d'entre elles ont appliqué sur leurs tempes des emplâtres
que le fichu dissimule à demi.
C'était le remède obligatoire contre toutes* douleurs ou névralgies. Au
moindre mal de tête, on posait loco dolenli un emplâtre de grandeur et de
composition variables.
Contre la migraine, « laquelle, d'après de la Martinière, provient de
fumées chaudes, de mélancolie et de ventosités..... il faut appliquer sur
les deux tempesde la racine debrione cuite sous les cendres chaudes (1 ) ».
Contre le mal de dent, on conseillait les emplâtres de mastic.
« Vous portez une mouche, avez-vous mal aux dents ? »
lit-on dans une satire de Courval-Sonnet, en 1631 (2).
(1) Cité par LE Maguet, Le monde médical parisien sous le grand roi, p. 129.
(2) Une locution proverbiale, encore usitée de nos jours, dit explicitement : « Mal
de dent, mal d'amour. » D'où vient ce rapprochement ? De la similitude du remède
peut-être, de la mouche.
LE MAL D'AMOUR . 237
Ces emplâtres recouverts de taffetas noir, n'étaient autre chose que
les mouches dont la destinée thérapeutique n'est pas encore oubliée.
Chez les malades d'amour, la mouche temporale est une règle. Et l'on
ne peut s'empêcher de remarquer que le lieu d'élection de cet emplâtre
analgésique coïncide justement avec le siège d'une des douleurs de tête
qu'on observe le plus souvent dans la chlorose.
, Les artistes hollandais qui nous ont fait connaître cette coutume, se sont
conformés à leur ordinaire désir de se montrer des copistes sincères de
la réalité. Mais ils n'ont pas manqué de remarquer aussi combien le petit
emplâtre noir était apte à faire ressortir la blancheur du visage.
On sait comment, plus tard, la mouche, réduite à des proportions de
plus en plus minimes, devint, pour la même raison, un accessoire de
toilette, et se promena sur la figure des élégantes, prenant, suivant sa
place, telle ou telle signification galante.
N'est-il pas curieux de la voir déjà figurer parmi les attributs des ma-
lades d'amour ? ...
Les chlorotiques souffrent encore de troubles digestifs parmi lesquels
l'inappétence attire facilement l'attention.
En même temps qu'il est diminué, l'appétit est aussi perverti et, sans
parler de pica ni de malacia, l'on sait quel attrait ont pour ces malades z
les aliments et les boissons acides.
Le citron il demi-pelé, que nous avons vu sur la table de la malade
d'amour de Munich, n'est-il pas un indice de ce goût particulier pour les
crudités ? Les flacons, les tasses ou les verres qui figurent sur tous les
tableaux, contiennent sans doute quelque limonade ou autre boisson
acidulé. Sauvages les recommandait expressément.
Sans doute ce sont là des symptômes peu caractéristiques. Mieux vau-
drait connaître le chimisme stomacal de nos malades. Sont-elles hypo]JI'J ! -
tique : ; ? Ont-elles de l'hyperchlorhydrie ? Les peintres ne le disent pas, et
pour cause. Mais ils avaient remarqué que le citron leur était cher. C'est
une indication qu'il était bon de relever.
Enfin, un' gros chapitre de la chlorose est consacré à la description des
troubles de l'appareil génital.
Nous avons déjà vu que, selon les idées médicales de l'époque, on
admettait d'intimes relations entre les désordres menstruels et le mal 1
d'aimer. Faut-il s'attendre à ce que la peinture ait osé aborder ce sujet
délicat ? ... Qui sait ? ... Certain tableau de Steen et certain autre de
238 HENRY MEIGE
Brackenburgh peuvent prêter aisément à ces suppositions. Nous en parle-
rons à leur place, avec toute la réserve que comporte une interprétation
aussi risquée.
Ce n'est pas tout.
La thérapeutique du mal d'amour, telle qu'on la comprenait alors,
vient encore confirmer sa parenté avec la chlorose, aussi bien dans l'his-
toire que dans l'art. Les médecins et les peintres sont d'accord sur ce
point.
Sauvages, qui ne néglige jamais une occasion de citer son poète favori,
fait remarquer avec Ovide que, si le mal n'est pas incurable, les malades
cependant répugnent à se laisser soigner.
Omnes Immanos sanat medicina doloues,
Solus amor morbi non amat arlificem.
Il suffit de regarderas nonchalantes hollandaises des musées d'Amster-
dam ou de la Haye pour se convaincre que le poète et les artistes ont
éprouvé la même impression. 11 suffit de se rappeler l'asthénie des chlo-
l'otiques pour établir aussitôt le rapprochement.
Fidèle aux idées de son.temps, Sauvages accordait grande confiance aux
vertus des simples,
« Il est, dit-il, des plantes dont la vertu est funeste à l'amour : telle la
rue, tel le camphre ». Et il s'insurge « contre l'avis.d'Apollon, qui avait
dit à Daphnie :
llei mihi ! quod nullis amor est medicabilis herbis ! »
Aussi, Sauvages conclut au nom de l'expérience : Ergo amor est citi-abilis
herbes.
Respectons cette foi, sans insister davantage.
Mais écoutez le traitement que conseille le médecin de l'amour :
« On prescrira, dit-il, un régime sobre et rafraîchissant : laitage, tisane
d'orge, racines de nénuphar, semences d'agnus castus ; des exercices cor-
porels, des distractions saines, des voyages. Mais on proscrira toutes les
causes d'aggravation : la trop bonne chère, les vins généreux, les mets
épicés... »
Aux infusions près, qui paraissent aujourd'hui surannées, ce sont bien
les mêmes prescriptions d'hygiène et de régime que l'on retrouve au
chapitre du traitement de la chlorose. Les mêmes conseils étaient don-
nés par C. de Rebecque, en 1683 : il ordonnait contre la mélancolie d'a-
mour « les changements d'air, les divertissements, les exercices violents,
etc... »
' LE MAL D'AMOUR 239
A ces prescriptions qu'aucun médecin ne désavouerait aujourd'hui
pour combattre les fâcheux effets de la chlorose, l'opinion publique ajou-
tait un autre mode de traitement, infaillible, souverain : le mariage. Les
médecins eux-mêmes n'en faisaient pas fi.
La mélancolie d'amour, dit encore C. de Rebecque, qui provient « d'un
amour immodéré de l'objet aimable, se guérit par la jouissance, et cela se
peut sans offenser la piété et l'honnêteté... »
Aussi conseille-t-il de s'adresser, avant toutes choses, aux « remèdes
moraux » : « L'absence, la considération des défauts de la personne
aimée, et celle du danger où l'on se met en l'aimant, et autres réflexions
y pourront servir. Il faut tout mettre en oeuvre dans ces rencontres (1). »
Ceux qui se piquent aujourd'hui de manier utilement la thérapeutique
psychologique trouveront là d'utiles indications.
Au surplus, l'aphorisme hippocratique : nucal illlc, et mal1t1n effugiet
n'est pas tellement démodé. On s'accorde à reconnaître que le mariage,
et surtout la grossesse, peuvent exercer une influence heureuse sur cer-
taines formes de chlorose.
Le mal d'amour était justiciable du même traitement.
Là dessus, Molière a dit aussi son mot. Il l'a placé dans la bouche de
la nourrice de Lucinde, celle opulente Jacqueline, incarnation du gros
bon sens populaire, qui s'insurge, non sans raison, contre les médica-
tions intempestives, car elle sait bien que sa languissante maîtresse
n'a d'autre maladie qu'un très grand mal d'amour :
« La meilleure médeçaine que l'an pourrait bailler à votre fille, ce serait, selon
moi, un biau et bon mari, pour qui aile eût de l'amiquié.
Et plus loin :
« Je vous dis, et vous douze, que tous ces médecins n'y feront rian que de l'ian
claire, que votre fille a besoin d'antre chose que de ribarbe et de séné, et qu'un mari
est un emplâtre qui gârit tous les maux des filles (2) ».
Tel était aussi, à n'en pas douter, l'avis de maître Jan Steen sur la
thérapeutique du mal d'amour.
- * .
.. *
De tout ceci faudra-t-jl donc conclure que les images représentant des
malades d'amour ne sont que des portraits de chlorotiques ?
Assurément non.
La critique d'art a des limites. Elles lui sont imposées par les uaisem-
(1) C. de Rrnscecr, cité par Le lIla¡ : uet, p. 132.
(2) MOLII\nr, Le Médecin malgré lui, Acte II, Se. II.
240 HENRY MEIGE . 1
blances. Et il serait puéril de soutenir que tant d'artistes ont consacré leurs
efforts et leur talent à la peinture d'une maladie. Quelque passionnés
qu'on les suppose pour la vérité réaliste, ils n'ont jamais songé ;i se faire
les illustrateurs de la pathologie.
Aussi bien, ce que nous désirons simplement constater, c'est qu'il fût
un temps où, non seulement dans le langage populaire, mais encore dans
les écrits médicaux, le mal d'amour était considéré contre une vérita-
ble maladie, c'est que les descriptions qu'en ont laissé les hommes de
l'art se rapprochent singulièrement de celles que l'on donne aujourd'hui
.de la chlorose, c'est, enfin et surtout, que des artistes contemporains
voulant peindre le mal d'amour, ont doté leurs malades d'un certain nom-
bre d'attributs que nous retrouvons aujourd'hui chez les chlorotiques.
Les remarques qui précèdent n'ont d'antre but que de faciliter cette
comparaison.
Quant à la cause de l'abondance des Malades d'amour dans les oeuvres
de l'école hollandaise, il ne nous paraît guère soutenable qu'elle tienne
à une plus grande fréquence locale de la maladie.
On admet bien, sans d'ailleurs s'appuyer sur des statistiques très rigou-
reuses,que la chlorose est plus fréquente dans les climats humides et froids.
A cet égard les Pays-Bas sont dans les conditions requises et les artistes
hollandais pouvaient sans doute rencontrer de nombreux modèles dans
leur entourage. Mais c'est la une raison bien spécieuse de leur choix.
N'en était-il pas de même en d'autres pays ? Varandal affirme qu'en son
temps la maladie sévissait à Montpellier « d'une manière presque endé-
mique ». Le parrain de la chlorose était peut-être un peu partial pour sa
filleule. Il n'est pas démontré qu'elle ait sévi plus cruellement dans les
siècles passés que de nos jours. Mais, nouvelle venue, elle devait forcé-
ment retenir l'attention davantage. Il en est ainsi de toutes les espèces
morbides récemment isolées.
Bien mieux que par ces conditions étiologiques douteuses, le mal
d'amour devait frapper les artistes par la cause passionnelle qu'on lui
attribuait et par la charme même qu'il emprunte à ses symptômes.
Cette troublante pâleur du teint, cette langueur. du regard, ,cet abandon
nonchalant de tout le corps, cette insurmontable mélancolie que rien
n'arrive à vaincre, et tant d'autres indices où les maux de l';ime semblent
à ceux du corps intimement mêlés en fallait-il davantage pour tenter
le pinceau de maîtres peintres, habiles a rendre avec une égale virtuosité
toutes les réalités naturelles et toutes les finesses du sentiment ?
Inutile de chercher ailleurs la raison d'être de leur prédilection.
LE MAL D'AMOUR 241
Enfin, on sait combien sont fréquentes, dans l'école hollandaise, les
répétitions d'un même sujet. Le goût de l'époque ayant affirmé le succès
des premières malades d'amour, chaque artiste tint Ù honneur de produire
sa réplique personnelle. De là surtout l'abondance des variations sur ce
thème favori .
IV
Il existe, il ma connaissance, une trentaine de tableaux de l'école hol-
landaise que l'on peut rattacher au mal d'amour. Et cette liste n'est peut-
être pas close ! ... '
Au point, de vue artistique, toutes ces oeuvres ne sont pas d'égale va-
leur ; cependant la plupart sont justement réputées parmi les meilleures
productions des peintres des Pays-Bas.
Leur intérêt, au point de vue spécial de notre critique, est variable
également. Il est des scènes dont la signification ne saurait être suspectée,
l'auteur ayant pris soin de donner lui-même le titre de son tableau.
D'autres, par comparaison, s'y rattachent sans aucun doute. D'autres enfin
présentent avec les précédentes d'étroits liens de parenté, et, sans qu'on
puisse les identifier avec certitude, elles ne peuvent que gagner au rappro-
chement.
Jan Steen, d'une part, Samuel von IIoo7straten et Gérard Dow, d'autre
part, semblent avoir été les premiers illustrateurs du mal d'amour.
Frans van Mieris, Vletzu,'lerborch, Netscher, Schalken, ont,parallèle-
ment ou postérieurement, traité le même sujet, que des élèves ou des
copistes ont encore abordé après eux.
La part d'originalité qui revient à chacun de ces peintres serait inté-
ressante à rechercher, mais sortirait du cadre de cetle étude. Nous nous
bornerons donc à faire connaître ces peintures, sans insister sur les in-
fluences d'écoles ou d'ateliers.
On remarquera toutefois que les deux grands chefs de file de l'école
des Pays-Bas, Frans Hais et Rembrandt, n'ont, ni l'un ni l'autre, repré-
senté le mal d'amour. Ce n'est donc pas dans l'oeuvre de Rembrandt que
ses élèves, Gérard Dow et Hoogstraaten, entre autres, ont pu puiser
l'inspiration de leurs tableaux.
Quant ;i Jan Steen, s'il est vrai qu'il ait pu subir l'influence de Frans
Hais, directement ou par l'intermédiaire d'Adrien Van Ostade, on peut
affimer que ses malades d'amour lui appartiennent en toute propriété. Il
n'en est pas qui portent l'empreinte d'un talent plus personnel. Tout au
plus pourrait-on regretter l'abondance de ces répétitions... Car, aux qua-
tres peintures étudiées précédemment, il faut en ajouter encore cinq, qui,
de près ou de loin, se rattachent au même sujet.
,\Il n -1
242 HENRY MEIGE
Nous allons les passer rapidement en revue, les remarques qui précè-
dent nous dispensant d'insister sur des détails dont la signification est
désormais précisée.
*
.. z
La scène que l'on voit à la Pinacothèque de Munich se retrouve avec
quelques variantes dans la galerie de ,Schwerin (1) (PI. XXXV).
Décor et accessoires connus : un intérieur de jeune hollandaise; dans
le fond un lit à 'baldaquin ; au mur, un tableau représentant un paysage ;
une tablé recouverte de l'éternel tapis d'Orient. Par terre, le réchaud, le
panier d'osier à mettre t'urinai, et, mal dissimulé sous la table, le vase
i-ntimè que Jan Steen n'oublie jamais. r 1 .
. Le. petit chien est là aussi, tout mélancolique, près de sa maîtresse.
Celle-ci, nonchalamment assise, le coude appuyé contre un oreiller
placé sur : le dossier d'une chaise, soutenant sa tète avec sa main droite,
semble plongée dans un douloureux anéantissement.
. Ses paupières alourdies s'abaissent sur ses yeux dont le regard mourant
est perdu dans le vague. Encore une jeune et jolie femme qui parait être
à deux doigts du trépas. Voyez comme elle est pâle, comme ses lèvres
sont blanches, comme son bras retombe inerte sur ses genoux, quel ma-
ladif ahandon de tout son être, quelle lamentable désespérance !
. .Le. mal d'amour l'a prise et l'a frappée 'de cruelle manière. Vraiment,
ce mal.est. sans pitié.
- Celle- belle enfant qui ne demandait qu'à jouir de la vie. Son profil est
charmant, son cou est plein de grâce ; elle a les doigts les plus fluets
qu'on puisse imaginer. A voir le joli bonnet qui enserre sa chevelure el
le petit' frison qui serpente sur sa tempe, on devine qu'elle saità merveille
s'attiffer. N'a-t-elle pas enfin de quoi parer richement toute son aimable
personne : coraco de velours orange bordé d'hermine, robe de satin violet
à passementeries d'or ? ... Hélas ! Tant de charmes et tant de parures ne
protègent pas contre l'impitoyable fléau. Au contraire, ce sont là causes
provocatrices, qui semblent exposer plus grièvement aux blessures du mal
d'amour. Ainsi l'avait remarqué Varandal.
Ainsi pense assurément le médecin delà dame ; mais il ne semhle guère
ému de la voir en si pitoyable état.
C'est un docteur bon enfant, peu soucieux du décorum, et. qui, volon-
tiers, aime la plaisanterie. Ne se faisant aucune illusion sur la gravité de
la maladie, sans vergogne, il ne se cache môme pas pour en rire. Après
tout, les apparences sont peut-être plus alarmantes que la réalité.
(1) Die Liebes7tnazz7ze, n° 971 du Catal,F. Schlie, 1892. - T. IL, (12, L, u2. Signé Jan
Steen. - La photographie de ce tableau m'a été fort obligeamment communiquée
par M. le L)r Friedrich Schlie, directeur de la galerie de peinture de Schwerin.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XII. PL. XXXV.
MAL D'AMOUR
Tableau de JAN STEEN, intitulé
La Malade d'Amour.
Galerie de Schwerin.
MASSON et C ? Éditeurs.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XII. PL. XXXVI.
Photographie Braun, Clément et Cil'. Photogravure Rougeron, Yignel'ol, Dumoulin.
MAL D'AMOUR
Tableau de JnN STSCN, intitulé
La Visite du Médecin.
Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg.
Masson ET Ci», Editeurs
LE MAL D'AMOUR 243
Par habitude, il a pris l'urinai ; mais il oublie d'en examiner le con-
tenu, et, se tournant vers une vieille servante, il lui glisse à demi-voix
quelque gauloiserie. Le malicieux sourire de la vieille montre bien que le
docteur a deviné juste.
Cet a parte est du meilleur effet comique. Très habilement, Jan Steen a
placé dans l'ombre ce groupe qui contraste par sa gaieté avec la tristesse
de la malade et qui suffit à dissiper toute impression pénible. Un mal que
le médecin se permet de rallier ainsi sous les yeux de sa cliente ne peut
être inquiétant. D'ailleurs la porte ouverte au fond de la chambre nous
permet d'en entrevoir à la fois la cause et le remède.
La cause ? - C'est ce jeune cavalier à cheveux blonds qui met une main
sur son coeur, geste qui ne laisse aucun doute sur la nature de ses senti-
ments. Le remède est dans son autre main : c'est le billet qu'il remet à
une servante. Ce poulet va bientôt réconforter la jolie moribonde.
Nous connaissons déjà cette scène à la cautonnade. Elle équivaut à une
légende. D'ailleurs la légende existe, par surcroît. Jan Steen aime à mettre
les points sur les I.
Regardez sur la table : à côté d'un chandelier de cuivre, se trouve
d'abord le citron révélateur. Et, non loin de là, une feuille de papier
froissée. On y lit ces mots : '
Dner bael geen medesijn
Want het is minne pijn.
Médecine, tu n'es bonne à rien céans.
. Ne vois-tu pas que c'est le mal d'amour ?
Plus de doute sur le diagnostic. Et pour nous obligera le lire, Jan Steen
a placé prés de la table, un jeune garçonnet, joufllu, frisé et rieur qui,
du doigt, nous montre l'inscription.
Le proverbe ne dit-il pas : La vérité sort de la bouche des enfants ? .....
*
....
Au musée de l'Ermitage, à St-Pétersbourg, sixième malade (1) (PI.
XXXVI).
Malade d'amour, elle aussi, comme sa compatriote du musée d'Ams-
terdam dont elle a, non seulement le costume et les traits, mais le même
oreiller pour reposer sa tète. Plus cruellement atteinte, elle se renverse, à
demi-pâmée, sur son fauteuil, gardant cependant une étincelle de vie dans
ses jolis yeux et quelques frissons dans son petit pied.
Tablier blanc, robe rouge et corsage vert bordé de cygne, mouchoir
(1) N" 89G. La visite du médecin, B. II. 0,62. L. 0,ol, autrefois dans la galerie
d'Ilooenberg, à Amsterdam.
244 HENRY MEIGE
"'blanc encadrant le visage : voilà pour son habillement. Il ne faut pas son-
'- ,ger à tirer d'elle une parole : l'âme voltige bien loin de ce corps alangui.
^N^ous sommes à deux doigts de la syncope. Mais ce ne sont encore que
des vapeurs.
Le médecin ici présent n'en semble nullement alarmé. Solide gail-
lard au pourpoint brun, la face joyeuse, la moustache retroussée, il est,
lui aussi, d'humeur plaisante, comme son collègue de la galerie de Schwe-
rin. Les allures moribondes ne sont pas pour l'intimider.
D'ailleurs, une vieille servante au corsage jaune coiffée de noir, lui
dévoile en confidence le mystère de cette maladie : « C'est un tel ! ..... » -
,« J'entends bien, répond-il, - tandis que d'une main distraite, il fait
mine de là ter le pouls sur un petit poignet dodu, qui, nonchalamment
.s'abandonne. - « J'entends, c'est ici que le mal la lient », - et de sa
main le médecin montre son coeur; puis en badinant : « Par ma foi,
- ajoute-t-il, je regrette fort de n'être pas moi-même la cause de ce mal là,
car je l'aurais guéri de merveilleuse manière ! ... » -
Plaisanterie dont la malade ne semble guère réconfortée, mais qui fait
'sourire un jeune garçon à demi caché derrière un lit à rideaux rouges.
C'est lui peut-être qui représente ici la « cause du mal » en personne, un
Cu'pidon de chair et d'os. l'« agent provocateur du mal d'amour.. » (1).
Nous signalerons encore ici, bien qu'elle soit d'une signification moins
précise que les précédentes, une oeuvre de Jan Steen qui se trouve au
Rijk museum d'Amsterdam (2) (Pl. XXXVII). "
Elle provient de la collection van der Lloop et est intitulée actuellement
Le couple buvant. On a voulu y voir le portrait de Jan Steen et de sa
femme, opinion contredite par Burger (3). « La femme, dit-il, assise de
'profil à droite-et vue jusqu'aux genoux, mouchoir blanc noué autour de
la tête, caraco bleu sombre, jupe rouge, tablier blanc, boit dans un verre
à pied. L'homme, un peu en arrière à droite, tout vêtu de noir, la re-
garde et lui parle ; il tient de sa main gauche le pot en grès d'o>1 il vient
de lui verser à boire. Il parait avoir au moins quarante ans, et la jeune
femme guère plus de vingt. Différence d'âge qui prouve que les person-
nages ne sauraient être le couple qu'on suppose, car Jan Steen s'est marié
en Gtl.9, tout jeune, environ vingt-trois ans, et Margarita, qu'il avait
(1) Accessoires : une table dont, cette fois, le tapis est uni et de couleur violette.
Un chandelier d'argent, deux livres, une tasse, un flacon de cristal sur un plateau et
une cuiller : attirail ordinaire de la maladie. Sur le sol carrelé, l'inoubliable réchaud.
Pas de chien.
(2) 1'\0 1380 du Catal. B. 11, 21, L. 21.
(3) Bcm;rn, Musées de llollamle, t. 11, p. HO-
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE. T. XII. PL. LXXVII
MAL D'AMOUR
Tableau de JAN STEEN, intitulé
Le Couple buvant.
au Rijk Museum d'Amsterdam.
MASSOX et Cie, Éditeurs.
LE MAL D'AMOUR 245
d'abord séduite dans l'atelier de maître van Goijen, devait être assez drue
déjà. Et puis, vraiment, quoique cet homme ait bien un peu le nez en
biseau comme Steen, on n'a jamais vu maître Jan si sérieux, surtout près
d'une femme, fut-ce la sienne, surtout quand il verse à boire. »
La description et la remarque humoristique de Burger sont exactes, à
cela près qu'il nous paraît avoir quelque peu rajeuni la buveuse et vieilli
l'échanson. Il n'y a certainement pas entre eux un écart de vingt ans d'âge.
La jeune femme ressemble à bien des figurantes de Jan Steen : elle a pu
exister dans son entourage. En tous cas, elle ressemble singulièrement
aux malades d'amour d'Amsterdam et de la Haye,
Charcot et Paul Richer, mentionnant cette peinture (1), lui donnent
pour titre La femme malade. « Une femme assise, la tête enveloppée, boit
une liqueur que vient de lui verser un homme qui tient encore le broc,
et qui attend avec anxiété le résultat du remède. C'est d'un cordial que
paraît avoir besoin la malade dont les traits sont bien languissants, et
qui, par le geste de la main gauche placée sur sa poitrine, semble indi-
qner le siège du mal ».
Voilà qui ressemble singulièrement au mal d'amour.
Et en vérité, il est très possible que ce tableau ait été, lui aussi, ins-
piré par la febris amatoria. L'air dolent de la jeune femme,. le malaise
évident que son geste exprime, la similitude de son maintien avec celui
des malades d'amour authentiques, tout cela nous le reconnaissons bien.
Je crois même que l'on distingue, sous le fichu blanc qui encapuchonne
la tête, une tache noire au niveau de la tempe : indice d'un emplâtre ré-
vélateur du mal d'aimer.
On pourrait s'étonner que pour prendre une médecine, elle fit usage
d'un verre aussi allongé, véritable flûte à champagne. Mais qu'importe le
récipient pourvu que le breuvage soit efficace ? D'ailleurs, il ne s'agit
pas d'une drogue, mais d'une tisane tenue en réserve dans un pot de
grès, quelque limonade sans doute.
Quant à l'homme, son costume d'un noir sévère et le rabbat blanc qui
orne son cou autorisent à penser qu'il n'est pas étranger au docte corps
médical. S'il n'a point sur le chef le haut bonnet pointu, c'est qu'appa-
remment il n'en est pas encore digne ou qu'il l'a déposé pour prodiguer
ses soins. Au demeurant, il se montre attentif à l'exécution du traitement
prescrit et l'on devine que, par de persuasives paroles, il encourage la
malade à surmonter sa répugnance pour la médication.
C'est donc, très vraisemblablement, encore une scène de la vie médi-
cale que Jan Steen a voulu représenter. Et les analogies sont suffisantes
(1) Cune4· T PAUL R,¡CI11111, Les difformes et les malades dans l'art, p. 11G.
246 HENRY MEIGE
pour qu'on puisse songer à rattacher ce tableau il la série que le maître
hollandais a consacrée au mal d'amour.
Mais voici maintenant que maître Steen s'écarte un peu de son thème
favori et s'abandonne avec complaisance à son goût natif pour les sujets
risqués.
En entrant dans la galerie du baron Steengracht, à la Haye, nous disons
adieu aux languissantes victimes d'une chaste passion contrariée, souf-
frant de tous les maux de la fièvre amoureuse. La Visite à la malade
de la collection Steengracht est d'apparence beaucoup plus leste. C'est
cependant une scène médicale et il n'est pas dit que le mal d'amour ne
l'ait pas inspirée (Pl. XXXVIII).
Dans un lit, aux rideaux de pourpre, savamment relevés sur un balda-
quin frangé, une jeune femme est couchée, la chemise défaite, la gorge a
nu une gorge fort enviable, même en cette occurrence. Le bras droit
arrondi au-dessus de la tête,de la main gauche retenant ses draps,l'aimable
patiente repose sur plusieurs oreillers, dans la plus complète insouciance
de son audacieux négligé.
Le mal qui l'a, frappée est-il grave à ce point qu'elle en oublie toute
pudeur ? Ou bien, tout simplement, est-elle peu scrupuleuse sur le chapitre
des libertés ? Cet oeil mutin, cette lèvre rieuse, les frisons d'or qui enca-
drent ce minois éveillé n'inspirent guère d'inquiétude. Non ! vraiment.
Sa vie n'est pas en danger.
Si l'amour est encore coupable, il a du moins su galamment ménager
les formes de sa séduisante victime. La blancheur de son teint n'a rien
d'alarmant ; tout au contraire. Dans son mol abandon perce certaine
grâce voluptueuse qui n'inspire guère la commisération. Malade d'amour,
cette belle dénudée ? Peut-être...., mais cet amour a-t-il toujours été
malheureux ? ... -Il est permis d'en douter. ,
Sur une table recouverte dé l'invariable tapis de Steen, on voit dans
un plat d'argent des reliefs de volaille, et, tout à côté, une fiasque ren-
versée de vin d'Italie. C'est dire clairement que l'appétit ne va pas trop
mal. .
Grave ou non, la maladie cependant existe. Une mouche appliquée sur la
tempe gauche témoigne d'une première tentative faite pour la combattre,
sans déroger aux lois de la coquetterie.
Mais il y a mieux à faire, et le médecin est prêt à appliquer un tout
puissant remède.
Ce confrère-là est bien l'un des plus plaisants que Jan Steen ait repré-
sentés. Gros, ventru, suant, soufflant, tout gonflé de graisse et de suffisance,
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XII. PL. XXXVIII,
Cliolié Dcwald (La Haye).
Photogravure Ilougeron, Y'gnerot, Dumoulin.
MAL D'AMOUR
Tableau de JAN Steen, intitulé
La Visite à la Malade.
Collection du Baron Steengracht, à La Haye.
l\IA8o : \ 1;1' Cic, Editeurs.
LE MAL D'AMOUR 247
le chapeau sur l'oreille, la collerette dégrafée, étouffant de chaleur sous
sa longue robe brune et sous le gilet rayé qui sangle sa bedaine, il man-
que vraiment de décorum et de correction. Mais il doit brillamment tenir
sa place dans ces agapes confraternelles dont Guy Patin nous dit qu'il n'y
vit « jamais tant rire et tant boire pour des gens sérieux ». A
Ce ventripotent docteur devait plaire à Jan Steen, grand amateur de
belles fourchettes. Aussi a-t-il tout particulièrement soigné son portrait.
Debout devant le lit, un pied posé sur la marche qui le précède, le
gros homme se détourne pour faire part de ses impressions aux assistants.
Se rengorgeant, clignant de l'oeil, la lèvre malicieuse sous une ombre de
moustache tortillée : « Peste, dit-il, le beau mal à iiié(liciiiienier Ah !
que n'ai-je le moyen de lui appliquer tous les remèdes qui sont à ma
connaissance. Un surtout ! .... Mais je n'en ai pas qualité Car, évi-
demment, le mal est là ! », - et ce disant, notre homme met la main sur
son coeur, - « C'est encore quelque vilain tour de ce que nous nommons
febris amatoria, laquelle est engendrée, comme chacun sait, par des hu-
meurs pntrides et conglutineuses qui sont recuites dans le bas-ventre, se
portent ensuite au coeur et fument vers la région du cerveau... 11 faudrait
être un maître sot pour ne le point deviner et nous avons un moyen in-
faillible pour remédier à cet encombrement de fuliginosités. »
Le moyen, le voici. Une vieille femme l'apporte sous forme d'une se-
ringue qu'elle s'apprête à manoeuvrer.
Est-ce donc un lavement ? ...
Le clystère, on le sait, était à l'apogée de sa gloire, au temps de Jan
Steen, et, plus qu'aucun autre, ce procédé de traitement était fait pour
plaire à l'esprit rabelaisien du peintre.
Mais le clystère faisait-il partie de l'arsenal thérapeutique du mal
d'amour ?
S'il est vrai que mal d'amour et chlorose ont d'étroites affinités, c'est ici
le lieu de rappeler du'Hamilton a voulu voir dans la constipation la cause
même de la chlorose. « Or, dit Desormeaux, la constipation, qui est un
symptôme assez ordinaire de la chlorose, exige l'emploi des clystères, et
même quelquefois des laxatifs (1). »
Mais le clystère était à cette époque d'une pratique tellement cou-
rante qu'il est impossible de préjuger de la nature de la maladie par la
simple constatation de l'emploi d'un remède aussi banal.
On ne peut .cependant oublier ce que dit Sauvages, abordant la théra-
peutique de la lièvre amoureuse :
« Il faut détruire les oscillations des libres par les purgatifs drastiques ;
(1) Desoiimeaux, art. Chlorose, Dict. de méd., en 1S vol. 1822.
24S llLNlt1' MEIGE
relâcher leur tension par la saignée, les bains, les boissons acidules ; et
comme, d'après Baglivi, alro liquida venus fi,igescit, sicca loetatu ? il faut,
relâcher par des cathartiques. Il est arrivé souvent que des amoureux ont
été guéris après des maladies aiguës dans lesquelles ils ont été saignés et
purgés. Huetius en rapporte des exemples chez quelques-uns de ses
amis.» »
Donc, le clystère, parmi tant d'autres applications thérapeutiques, fai-
sait partie' des médications usitées contre le mal d'amour. '
Etait-il « discussif ou 'carminatif, détersif ou insinuatif, confortatif ou
corrqboratif, voire même mirobolant... » ? 2- Jan Steen n'en a cure. L'idée
seule de l'opération éveille en lui une foule de pensées joyeuses; il est
trop heureux de donner libre cours à son humeur grivoise. 11 tient à nous
y faire participer. Il n'en demande pas davantage.
C'est pour la même raison qu'il n'oublie pas défaire figurer le vase
nocturne où le médecin doit inspecter, de visu et odoratu, la qualité des
humeurs « critiques, symptomatiques ou collicluatives ». Ce procédé
d'examen avait le don d'égayer le mailre humoriste au môme titre que
le lavement, et c'est bien pour nous faire partager sa joie qu'il s'arrête à
ces détails intimes.
Chose curieuse cependant : la seringue que l'on voit sur le tableau de
la galerie Steengracht n'est pas une seringue ordinaire.
Elle est de très petit calibre et suffirait il peine pour un tout jeune en-
fant. En outre, elle est munie d'une canule, non pas de celles qu'en)
ployaient alors les apothicaires, mais terminée par un bouton renflé tel
qu'on en adapte couramment aux appareils pour injections spéciales. On
peut y regarder de près ; la forme est reconnaissable.
Alors, il ne s'agirait plus d'un lavement ? ... Et Jan Steen n'aurait pas
hésité ci faire cette allusion transparente il une intervention de l'ordre le e
plus intime ? ...
De la part de cet incorrigible luron qu'était le cabaretier de l'Etrille,
il faut s'attendre à toutes les audaces ; on peut être certain que partout-
où Jan Steen voyait un sujet de se divertir, il trouvait également le sujet
d'un tableau. Mais passons.
L'hilarité que cause la vue de l'instrument se communique d'ailleurs à
tous les assistants de cette scène.
La vieille matrone qui tient en main l'appareil se tord de rire ; derrière
elle, une jeune servante qui porte un plat de cuivre, et un homme
coiffé de noir semblent au comble de la joie. Et c'est encore en souriant
que, plus loin, près d'une porte ouverte sur une enfilade de pièces, un
homme élève au-dessus de sa télé un verre dont il inspecte le contenu.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T XII, PL. XXXIX.
Cliche Loewy (\"JeuHe\.
Photogravure Loewy.
MAL D'AMOUR
Tableau de JAN STEEN, intitulé
La Visite du Médecin.
Collection Nostitz, à Prague.
.\IASSON et CI', Éditeurs.
LE MAL D'AMOUR 249
La malade elle-même dissimule mal son sourire. Quant au médecin,
nous l'avons vu, il ne se gêne guère pour plaisanter grassement.
Seul, un petit épagneul, assis auprès du lit, semble concevoir quelque
inquiétude de l'intervention projetée.
Quelle qu'elle soit, tenons pour certain qu'elle ne sera ni grave ni dou-
loureuse. Et sans préciser autrement la nature du mal ni celle de l'opéra-
tion, simple clystère évacuât ? ou injection commandée par quelque
désordre génital, l'un ou l'autre d'ailleurs applicables au mal d'amour, -
rendons encore une fois hommage au maitre hollandais qui sut allier dans
tant de scènes médicales sa verve d'humoriste et son incomparable justesse
d'observation.
A Prague, dans la galerie Nostitz (1), autre genre de consultation.
Le décor varie peu : une chambre propre et nette ; à gauche, un lit à à
baldaquin; sur les murs, une guitare, une pendule, un tableau ; dans le
fond, une porte laissant voir des pièces éclairées par une fenêtre à vi-
traux (PI. XXXIX).
Mais ici la scène change. Le médecin a terminé son examen et rédige
une ordonnance.
Assis dans un fauteuil, courbé sur la table où il écrit, tout à ses for-
mules, c'est,un homme consciencieux, vêtu d'une longue robe brune à
manches rouges. Son crâne est pris dans une sorte de serre-tête noir sur
lequel se dresse un énorme chapeau pointu. Le visage n'est pas banal ;
les traits ont de la finesse ; sa moustache relevée en crocs, lui donne une
allure décidée, presque martiale. De toute la Faculté représentée par Jan
Steen, c'est assurément un des membres les plus sympathiques.
Sa cliente, au contraire, manque de retenue. Au risque de faire com-
mettre une erreur de formule, elle ne cesse de gémir et de se lamenter.
Assise de l'autre côté de la table, la tête soutenue par sa main gauche,
elle applique la main droite sur sa poitrine, et pousse des soupirs na-
vrants, en levant les yeux au ciel.
Cette cliente, un peu trop langoureuse, n'est plus de prime jeunesse ,
ce qui frappe surtout, c'est son embonpoint.
Or, à bien examiner ses formes, je me suis demandé si maître Steen
n'avait pas voulu nous montrer un mal d'amour d'une nature toute par-
ticulière. La dame est en effet douée d'un abdomen imposant qui bombe
de façon très appréciable. La posture de la malade y prête assurément,
car elle a le pied gauche posé sur une chaufferette et la jambe droite
(1) N° 204 delà collection. Bois, Signé.
250 HENRY MEIGE
écartée s'allonge en avant. Dans cette attitude, les plis de l'étoffe ne
dissimulent qu'à demi la rotondité suspecte. Après tout, le mal en question
n'est peut-être encore qu'une conséquence de l'amour, - mais d'un
amour qui n'aurait pas toujours été contrarié.
Bref, cette langoureuse et opulente personne pourrait bel et bien être
enceinte.
Je ne sais ce qu'en pense le confrère qui la soigne ; mais je crois qu'il
aurait tort de ne pas avoir ce soupçon. Quant à Jan Steen, nous le con-
naissons : il était homme à ne pas reculer devant une grossesse; même
en peinture, il ne voyait là qu'une occasion d'exercer sa verve gauloise
et sa malicieuse raillerie. Cet incident, en somme, n'a rien que de très
naturel, et Jan Steen aimait la nature dans toutes ses manifestations.
Le tableau de la galerie Nostitz nous ferait ainsi connaître une forme
du mal d'amour qui n'a rien de commun avec les précédentes.
C'est une hypothèse. Elle s'appuie sur la constatation d'une proémi-'
nence abominable assez suspecte, sur l'attitude de la malade, sur le dé-
braillé de son ajustement, sur le geste qu'elle fait en appuyant sa main
droite, non sur son coeur, mais sur sa gorge rebondie. L'ensemble repré-
sente assez bien une femme en mal de grossesse, souffrant de pesanteurs,
de constrictions, de nausées ; ... un vase est près de là dont la destination
est facile à deviner.
Et cette hypothèse est rendue plausible par ce que nous savons du goût
qu'avait Jan Steen pour tous les réalismes de la vie de famille.
Nous dirons donc qu'il s'agit encore ici d'un épisode du mal d'amour,
mais du mal qui provient de l'amour consommé.
Un dernier détail : comme dans les précédentes peintures, la patiente
souffre assurément de la tête ; il faut qu'elle la soutienne dans sa main
en s'accoudant sur une table. En outre, elle a posé sur sa tempe droite
l'emplâtre traditionnel destiné à adoucir ses maux.
Enfin n'oublions pas la servante qui arrive par le fond en portant l'uri-
nal. Si vraiment la dame est enceinte, il ne serait pas mauvais que son
médecin fit un examen sommaire des urines. Peut-être sommes-nous ici
en présence d'un de ces empiristes habiles à tout découvrir par le moyen de
l'uroscopie, tout, hormis ce qui était vraiment nécessaire à connaître.
.
..
Telles sont les peintures de Jan Steen qui nous ont paru se rattacher de
près ou de loin au Mal d'Amour. Neuf tableaux, - sans compter ceux qui
ont pu nous échapper, ceci témoigne d'un goût bien vif pour les scènes
amoureuses (1).
(1) Ch. Blanc donne l'indication de plusieurs oeuvres de Jan Steen qui appartien-
LE MAL D'AMOUR 251
Et si Boissier de Sauvages, au XVIIIe siècle, a mérité le gracieux sur-
nom de « médecin de l'amour », Jan Steen, un siècle auparavant, aurait
pu mériter celui de « peintre de l'amour ».
Assurément, Jan Steen avait aussi pour la bonne chère un penchant
tout particulier ; mais il ne dédaigna point les autres jouissances hu-
maines. La tradition nous apprend qu'il fut grand connaisseur en amour.
Comme en toutes choses, il n'est de meilleur maître que l'expérience,
Jan Steen commença par expérimenter sur lui-même. La propre fille de
son maître, la jolie Margarethe van Goyen, lui parut un sujet d'étude
extrêmement séduisant. Il y consacra tant d'ardeur, qu'un beau jour il ne
lui resta plus qu'à l'épouser. Ce qu'il fit de la meilleure grâce, encore
qu'il n'eut que vingt trois ans ; mais ce mariage, dit-on, était devenu in-
dispensable.
Après vingt ans d'une union d'où naquirent plusieurs enfants, Marga-
rethe mourut. Jan Steen resta veuf pendant quatre années,, puis, féru
d'une nouvelle passion, il épousa une veuve, Maria van Egmont, dont le
mari avait été imprimeur et libraire. Il devait mourir lui-même, six ans
plus tard, en février 1679.
Ces souvenirs biographiques montrent que, dans sa vie, le peintre
n'élait pas resté étranger aux choses de l'amour. Loin de là. Il prisait fort
la gaillardise; il aimait à y participer. Il devait être de ceux qui savent
mener rondement une aventure galante. A coup sûr, il prenait plaisir à
certaines privautés, couramment de mise dans la brasserie de l'Etrille.
La Societé légère du musée de Berlin, la Vie libertine à Vienne, les
Rhétoriciens et l'Offre galante à Bruxelles, la Mauvaise compagnie, à Paris,
et tant d'autres épisodes plus ou moins scabreux, témoignent hautement
de la grande indulgence qu'avait Jan Steen pour les ébats amoureux. Nul
doute qu'en pareille circonstance, il ne se montrât, comme dans les festins,
tantôt spectateur et tantôt acteur.
Loin de lui en faire un reproche, il faut au contraire lui savoir gré
d'avoir pris prétexte de ces scènes grivoises pour faire oeuvre de moralis- -
te. Car, parmi ces peintures, les plus licencieuses renferment toujours
un avertissement salutaire qui fait vite oublier les détails un peu risqués.
Est-il rien de plus dévergondé, en apparence, que le tableau du Rïjk
Museum, intitulé Après boire ? Mais n'est-ce pas peindre la débauche de
façon à la rendre répugnante aux plus libertins ?
nent vraisemblablement à a série des malades d'amour. Il est possible que certains
de ces tableaux se confondent avec ceux que nous avons examinés.
3 Le médecin el sa jeune malade, vente Laperrière (t817), « tableau admirable : il
se compose simplement de trois figures, la malade, la mère et le médecin ».
2° Médecin tdlarze le pouls à une jeune fille, Collection du duc de Wellington.
30 L'Indisposition, vente Hieris, 1841.
252 HENRY MEIGE
Et si vraiment Jean Steen a voulu représenter les conséquences natu-
relles des ébats amoureux, comme dans le tableau de la galerie Nostitz,
quel censeur maladroit songerait à s'en formaliser ? ...
Il semble que Jan Steen ait voulu enseigner la morale à la manière des
Lacédémoniens qui' faisaient enivrer leurs esclaves pour inspirer à leurs
enfantsThorreur de l'ivresse. Dans son oeuvre, les scènes de ce genre sont
parmi les meilleures. : Entre autres choses', elles nous font bien voir qu'il
avait observé l'amour dans sa brutale. réalité. Mais il est certain qu'il en
avaitsaisi également toutes'les délicatesses.' La souplesse merveilleuse de
son talent se prêtait à,la peinture de toutes les émotions, raffinées ou
grossières. ' .
Il a su représenter avec une égale franchise, des scènes naïves et tou-
chantes inspirées par l'amour maternel. Le plus joli groupe de la Noce
de campagne, à Vienne, est formé par une mère allaitant son enfant. Dans
la Scène de famille du musée de la Haye, c'est une aïeule qui fait sauter
sur ses genoux le dernier né. Et dans la Fête de Saint Nicolas, à Amster-
dam, que 'd'indulgence pour les petits, que de tendresse épandue dans
cette affectueuse réunion de famille !
Enfin', Jan Steen n'ignorait. pas les formes que revêt l'amour, lorsqu'il
s'adresse au coeur et à l'esprit. Et il a voulu peindre cette mystérieuse
affection'de l'âme dont les effets ont d'étranges réactions sur le corps. De
là, ]esMM/a</M d'amour où, sous les dehors d'un humoriste, Jan Steen se
montre en même temps bon psychologue, bon clinicien, mais surtout fidèle
observateur de la nature.' .
Pour les tableaux que nous venons de passer en revue,.cette constata-
tion n'est plus à faire. Ce sont eux précisément qui nous ont permis d'é-
tablir les caractéristiques de l'épidémie amoureuse des filles de Hollande.
Et,sans parler de la plaisante satire qui s'adresse aux médecins, nous
avons vu que l'oeil du peintre avait su percevoir plus d'un détail clinique,
plus d'une nuance psychologique, qui témoignent hautement de ses qua-
lités d'observation. -
En somme, si c'est généraliser peut-être un peu trop que de voir en
Jan Steen le peintre de l'amour, sans contredit il mérite bien le surnom
de « peintre du mal d'amour ».
Il est impossible de séparer de l'oeuvre de Jan Steen, celle d'un de ses
compatriotes, Richard (ou Régnier) Brackenburgh, né à Haarlem en 1650,
mort en 1702.
D'un dessin moins serré, d'un coloris moins sûr, les oeuvres de Brac-
kenburgh ont cependant avec celles de Steen tant d'analogies qu'on hésite
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XII. PL. XL,
MAL D'AMOUR
Tableau de R. Brackenburgh, intitulé
Il n'y a pas de remède au Mal d'Amour.
Musée Boijmans, à Rotterdam.
lassoa rr C °, Éditeurs.
LE MAL D'AMOUR 253
souvent clans leur attribution. L'influence qu'Adrien van Ostade exerça
sur les deux artistes n'explique qu'à demi ces similitudes. On peut aisé-
ment supposer que Brackenburgh s'est laissé entraînera imiter la manière
si personnelle du peintre cabaretier, lequel d'ailleurs vécut à Ilaarlem
entre 1661 et 1669.
Le tableau que nous allons examiner est à cet égard tellement caracté-
ristique qu'on éprouve en le voyant des doutes au sujet de sa paternité.
Mais il est bien signé de Brakenburgb et daté de 1696.
11 s'agit d'un peinture intitulée : il n'y a pas de remèdes au mal d'a-
mour (1) (PI. XL) au musée Boijmans, à Rotterdam.
Le'titre ne prête à aucune ambiguïté. Cependant l'interprétation n'est
pas sans soulever quelques difficultés.
En vérité, c'est du Steen tout pur : La malade alanguie, son grotesque
docteur, les assistants aux faces rieuses ; mêmes costumes, mêmes coiffures,
même agencement de l'intérieur : au fond, le lit à baldaquin, par terre, la
chaufferette et le réchaud ; sur la table, des papiers, de l'encre, une bou-
teille clissée et le panier d'osier de l'urinai. Il n'est pas jusqu'au petit épa-
gneul qui ne vienne indiquer lui aussi d'où a pu partir l'inspiration. Seule,
au plafond, une cage en cuivre où se trouve un perroquet, diffère des ac-
cessoires traditionnels.
Le médecin, un grand diable, dégingandé, débraillé, à l'habit râpé, au
chapeau défoncé, aux manchettes froissées, avec une fraise sans apprêt,
dégrafée au cou, des chausses tout juste closes.et d'informes souliers, les
cheveux ras, le nez pointu, le menton en galoche, lançant sur le côté un
coup d'oeil qu'il s'efforce de rendre malicieux et qui n'est que grotes-
que, - tel est bien le portrait peu flatteur, mais sincère de ce confrère
aux allures assez louches.
C'est vraiment Sganarelle en peinture. Le faiseur de fagots, grand
caresseur de bouteilles, lorsqu'il vient il coiffer le bonnet doctoral, n'a
pas une autre façon de se présenter. D'une main, il feint de tàter le pouls,
de l'autre il tient l'urinai, et sans regarder celui-ci ni consulter celui-là,
il débite avec une gravité comique son savant boniment rehaussé d'un
latin outrageusement fantaisiste : « Cabriciccs arci tlmram, catalamus, sin-
gulai-itei, 1 ! omin(ltiro, hoec musa, la muse, bonus, bona, bOl/u1n..... etc.
Voilà justement ce qui fait que la malade ne se porte pas bien ! ......... »
C'est merveille de l'ouïr.
Une grosse commère, les mains croisées, se pâme d'admiration, devant
ce maître du galimatias. Cependant les autres assistants ne cherchent guère
(t) Musée Boijmans à Rotterdam, n" 33, T. II, 0,45. L 0,38,
254 HENRY MEIGE
à dissimuler leurs railleuses moqueries. Une bonne fille à la face réjouie
éclate franchement de rire. Un gros homme coiffé d'un feutre noir, se
tient les côtes. Un vieux, coiffé d'un bonnet, une main sur le panier de
l'urinai, fait avec un sérieux grotesque des gestes explicatifs. Enfin, une
jeune femme, n'y tenant plus, a dû quitter la chambre pour pouffer à son
aise ; on la. voit dans le fond se pencher vers la porte et jeter un regard
plein de malice et de gailé.
Au milieu de cette joie débordante, la malade, pâle, languissante,
anéantie, est assise dans un fauteuil, enfouie clans des oreillers, un pied'
par terre, l'autre sur une chaufferette. La tète, langoureusement pen-
chée sur l'épaule, enveloppée d'un fichu hlanc, elle abandonne avec non-
chalance son bras droit au médecin qui lui tâte le pouls.
Cette attitude nous est connue ; mais voici un détail inattendu : la jeune
femme, qui écarte légèrement les jambes, tient dans sa main gauche un
objet rougeâtre qu'elle appuié contre son bas-ventre... Quel est cet objet ?
J'avoue que, malgré tous mes efforts pour essayer d'en reconnaître la
nature, il m'a été impossible de lui donner un nom. C'est une chose rou-
geâtre et de forme arrondie que la malade tient à pleine main entre ses
cuisses, et par dessus ses vêtements. La peinture ne permet pas d'en dire
davantage et la signification de cet accessoire insolite prêle toutes les sup-
positions.
Est-ce une compresse, un cataplasme, une brique chaude destinée à
adoucir une crise de douleurs abdominales ? ... Et quelles douleurs ? ...
Est-ce un mal ovarien que pourrait soulager la compression, quelque
« suffocation de la matrice », proche parente de la chlorose et de l'hys-
térie ? ..... Peut-être.
Ou bien ces douleurs ne seraient-elles pas tout simplement les prodro-
mes d'un accouchement ?
Il n'est pas défendu de le croire, d'aulant que la jeune personne est
dotée d'un abdomen suffisamment rebondi.
Et c'est justement là ce qui semble mettre en gaîté l'assistance. Le mal
pour lequel on amande le médecin n'est pas précisément de sa compétence.
Il a beau discourir et raisonner selon les règles d'Aristote ou de Galien,
une bonne sage-femme ferait sans doute bien mieux l'affaire, car ici le mal
d'amour ressemble fort au mal d'enfant. A ce mal en effet, comme le dit
la légende, on ne connaît pas de remède ! ...
Qu'on se bâte ! L'heure approche peut-être où verra le jour un petit
hollandais, à moins que ce ne soit une petite hollandaise...
NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE,
T. XII. PL. XLI.
Choho liaiiistaeiigl.
l'hotogravurellaasstacng
MAL D'AMOUR
Tableau de S.1MUEL VAN HooGSTRAATEN, au Rijk Muséum d'Amsterdam.
IASSO\ LT C ? l : diL2UCS.
LE MAL D'AMOUR 255
VI .
Sous l'influence de l'école de Rembrandt, le mal d'amour revêt un as-
pect plus sévère.
La note humoristique disparaît complètement : la maladie semble plus
grave. A la tristesse de la patiente, aucun sourire ne vient faire diversion.
Le médecin prend son rôle au sérieux : il n'est même plus ridicule.
La peinture y perd en réalisme, en mouvement, en vie ; elle y gagne en
délicatesse et en sentiment. Les détails familiers passent au second plan ;
Par contre, la morbidesse des belles enamourées prend un nouvel attrait,
plein de charme et de séduction.
Le mal physique demeure cependant visible, mais on devine que l'âme
y participe grandement.
On sent que l'artiste est surtout séduit par la grâce langoureuse des ma-
lades d'amour; il est ému de leur incurable mélancolie; il en connaît la
cause; il veut nous associer sa compassion pour le mal charmant qui
s'attaque à de si jolies malades. Toute pensée joyeuse est bannie de son
oeuvre, toute équivoque disparaît; toute plaisanterie serait déplacée. Le
mal d'amour est un mal dont on pleure : sur ce mal il faut nous apitoyer.
Aussi, plus de médecins pédants et grotesques, plus de soubrettes au sou-
rire ambigu, plus d'allusions grivoises, plus de transparentes allégories.
Mais des docteurs, jeunes ou vieux, corrects, .de bonne tenue, de nobles
manières, attentifs et graves, uniquement préoccupés de leurs diagnostics
ou de leurs ordonnances. Des servantes parfois. mais discrètes et réservées.
Jamais de curieux pendant les consultations. ,
Il semble qu'on soit transporté dans un monde de moeurs plus hautai-
nes, sévère sur le chapitre des convenances, réprouvant le sans-gène et
le laisser-aller. Les médecins s'y montrent à l'unisson. Sont-ils plus pers-
picaces ? ...
Les malades cependant, malgré la réserve et la distinction de leurs ma-
nières, demeurent avant tout des malades, et les peintres nous renseignent
amplement sur la nature de leur maladie. A défaut de symboles ou de lé-
gendes, les stigmates physiques suffisent. Le mal d'amour frappe plus
haut, mais il frappe toujours de même.
..
Un des exemples les plus caractéristiques de cette nouvelle série d'ob-
servations imagées est fourni par un élève direct de Rembrandt, Samuel
VAIN IIoOGSTllAATEN (1627-1678).
La Malade de la collection van der IIoop, au Rijk muséum d'Amsterdam,
est un type du genre (PI. XLI). C'est une oeuvre délicate, soignée,
d'allure sévère.
256 HENRY MEIGE
C'est que Samuel van Iloogstraaten était un homme grave, réfléchi,
érudit, d'une famille d'artistes laborieux. Rien de commun par conséquent t
avec le joyeux Steen. De là une conception toute différente du même sujet
traité par les deux peintres. On peut aisément en juger (1).
La scène se passe dans une grande chambre aux tentures sombres, com-
muniquant à gauche par plusieurs degrés avec une enfilade de pièces. La
dernière, dont on ne voit qu'une partie dans l'encadrement d'une porte,
est pleine de lumière et richement décorée : on y distingue une cheminée
à colonnes avec des chenets de cuivre.
La chambre du premier plan est nue. Au fond, une fenêtre rondegrillée
donne un faible éclairage. A droite, un grand lit rideaux v erts légère-
ment entrebâillés laisse voir la blancheur des draps et des oreillers (2).
Deux personnages seulement animent cet intérieur un peu froid : une
(1) Nous avons déjà eu l'occasion de signaler cette peinture dans un article antérieur
dont nous rappelons ici quelques fragments. Samuelvan Hoogstraaten, Nouv. Icono-
gr. de la Salpêtrière, no 3, 1895.
Chez les Hoogstraaten, comme chez les Brenghel, les Teniers, et tant d'autres artistes
hollandais la vocation de peintre se transmettait comme un métier de père en fils.
Dirck Iloogstraaten, le plus ancien, né à Anvers (1396 1640), d'abord simple apprenti
chez un orfèvre, se fit remarquer par son adresse à ciseler l'argent. Il s'occupa bientôt
de gravure, puis de peinture. Ses tableaux d'un dessin correct et d'un vif coloris sont
rares aujourd'hui.
Son fils, Samuel van Hoogstraaten, né et mort à Dordrecht (1627-1678) fit ses pre-
miers essais de peinture dans l'atelier de son père, et devint ensuite l'élève de Rem-
brandt. Rapidement il acquit la notoriété dont il était digne, voyagea beaucoup, en
Autriche où l'empereur Ferdinand voulut l'attacher à sa cour, en Italie, en Angleterre
vendant fort cher ses tableaux, enfin revint se fixer dans sa ville natale où il ouvrit un
atelier très fréquenté, et mourut prévôt de la Monnaie.
Il peignait dans tous les genres, tableaux d'histoire, portraits, paysages, natures mor-
tes, etc. ayant hérité de son père la correction du dessin et la fraicheur du coloris et
appris à l'école de Rembrandt l'heureuse distribution des lumières et les mystères des
clair-obscurs.
Jean Hoogstraaten, son frère, s'adonna également à la peinture et devint membre
de l'Académie des beaux-arts de Dordrecht (1649).
Un de leurs neveux, David van Hoogstraaten, d'abord médecin à Dordrecht, philolo-
gue érudit, devint professeur, puis correcteur à l'Ecole latine d'Amsterdam. Il a laissé
plusieurs traductions et dictionnaires longtemps renommés.
De cette famille laborieuse, Samuel van Iloogstraaten parait être le représentant le
plus distingué. Il a fait preuve en peinture d'un certain talent ; ce fut de plus un lettré
et un esprit fort cultivé. On a de lui une Relation en vers de son voyage en Italie.
Un Traité sur la peinture ; un ouvrage curieux intitulé Le monde éclairé et le monde
aveugle.
Hoogstraaten ou IIoogstrreten (ville haute), es le nom d'une ville de la province
d'Anvers, où est né vers la fin du XVe siècle un controversiste Jacques van Hoogstraa-
ten, prieur des dominicains de Cologno, célèbre par ses écrits passionnés contre la
Réforme.
(2) N 692 du Cat. l3redius (1Y91), H. 0,67. L. 0,55. - Signé §. v. Il. - Vendu en
1833 850 florins. Collection van der Hoop. -
LE MAL D'AMOUR 2S'7
jeune femme, - la malade - et un homme entre deux âges, le méde-
cin debout derrière elle.
La malade est assise, une chaufferette sous les pieds, le coude gauche
appuyé sur une table couverte d'un tapis rouge à ornements noirs et
blancs ; dessus, une serviette blanche, une fiole et le panier de l'urinai.
La jeune personne croise nonchalamment ses mains sur sa taille, regar-
dant en face, dans le vague. Elle est vêtue d'une robe bleu clair et d'un
caraco de piqué jaune bordé d'hermine; une étoffe blanche légère cache
toute la moitié gauche de sa jupe. Sa tête est prise dans une cornette
blanche avec un grand voile. A ses pieds, un chat est accroupi.
Derrière la table, se tient debout le médecin, vêtu de noir, une toque
noire sur la tête. Vu de trois quarts, il regarde le contenu de l'urinai qu'il
élève de la main gauche à la hauteur de son oeil : sa main droite qui tient
des gants est appuyée sur sa poitrine.
Rien de plus.
De cette composition très simple se dégage un charme infini.
La pose de la jeune femme est pleine d'abandon, mais non sans une cer-
taine retenue de bon ton. Son pâle visage aux traits fatigués, ses paupières
battues témoignent d'un réel malaise. L'oeil humide et triste semble
poursuivre au loin la vision d'un rêve que la visite médicale n'interrompt
point.
Cette pâleur d'albâtre, ce teint de « cire vieillie », ces yeux langou-
reux, ces lèvres exsangues, ce brisement du corps et cette rêverie que rien
ne distrait, voilà plus de symptômes qu'il n'en faut pour être édifié sur
la nature du mal. C'est le Mal d'Amour !
Samuel van Iloogstralen a rendu tous ces détails avec une remarquable
expression de vérité, aussi bien dans la ligne que dans la couleur.
Et sa malade d'amour ressemble singulièrement à une chlorotique.
Elle en a « les pâles couleurs », d'un jaune presque verdâtre, l'oeil
alangui, la fatigue extrême ; on devine qu'elle en a aussi l'état mental : la
torpeur des idées, et les obsédantes rêvasseries.
\V. Burger, qui a décrit le tableau avec éloges (-1), émet des doutes sur
la perspicacité du docteur. « Ce médecin là, dit-il, n'est pas si subtil que
les médecins de Jan Steen, et il y a chance qu'il ne devine pas la ma
die. » .
Assurément, le médecin de Van Iloogslraten n'a pas la douce bonhomie
ni la compatissante figure de son pendant du musée Van der IIoop. Mais
rien ne prouve qu'il soit plus ignorant. Sans doute, il aurait mieux à
faire clu'a contempler les jeux de lumière au travers du liquide ambré.
(I) W. Burger, Les m niées de Hollande, t. Il, p ? 3.
XII IS
258 HENRY MEIGE
Mais qui sait si l'oeil exercé de cet éminent urologue n'est pas capable de
déceler la présence de l'urobiline ou de 1 ui-oliémtline ? Cette recherche
s'est parfaitement justifiée dans le cas actuel. On peut douter cependant
qu'il y parvienne avec le seul secours de l'inspection. Et Burger a raison
de suspecter la science uroscopique, telle que la pratiquaient les empiristes
du temps.
, Le médecin de van Hoogstraten est néanmoins très digne est très cons-
ciencieux. Sa barbe blanche el sa gravité ne prêtent pas à rire. Il n'eût
pas fait la conquête de Jan Steen. Peut-être n'est-il pas plus savant que
ses confrères en bonnet pointu. Mais il a plus de décorum.
Samuel van Hoogstraten ne pouvait pas oublier qu'il comptait au moins
un médecin dans sa famille.
C'est encore un fameux urologue que le jeune docteur appelé par G11-
rard Dow auprès de la jolie Malade d'amour dont le portrait se trouve à
Buckingham Palace (PI. XLII), tableau charmant, plein de délicatesse, d'é-
légance et de distinction.
On y retrouve toutes les qualités du maître hollandais : le choix judi-
cieux du sujet,. la belle ordonnance des personnages, une grande finesse
de coloris, une transparence et une profondeur sans égales.
Bien, que la fréquentation de Rembrandt ait exercé une heureuse
influence sur Gérard Dow, il s'est acquis un juste renom par ses qualités
personnelles, par son originalité discrète, et même son réel talent.
C'est le peintre par excellence des intérieurs aisés, confortables et élé-
gants de la bourgeoisie hollandaise. La vie familiale, dans ses épisodes les
plus insignifiants, suffit à lui fournir cent sujets de peinture. Et qu'il s'a-
gisse d'un cabinet de travail, d'une cuisine ou d'une chambre à coucher,
on peut être certain que, dans chacune des pièces ou l'on pénètre avec
Gérard Dow, le ménage est fait avec soin : tout est propre, lavé, ciré, asti-
qué, bien rangé. Si d'aventure on y voit quelque désordre, croyez bien
que celui-ci est un effet de l'art.
Et avec quelle patience, avec quelle sollicitude de ménagère éprise d'es-
thétique, le peintre sait ranger les meùbles, draper les rideaux, éclaircir
les cuivres, dresser les volailles, disposer avec art mille utiles bibelots !
Pas un grain de poussière ne lui échappe, nul détail ne lui semble super-
flu. De là une facture d'un fini déconcertant, mais tellement habile qu'elle
ne donne presque jamais l'impression de sécheresse. On l'a dit avec raison,
les tableaux de Gérard Dow, toujours de petites dimensions, ressemblent il
la nature elle-même, vue dans une chambre noire.
Gérard Dow nous a laissé un certain nombre de scènes médicales parmi
lesquelles La Femme hydropique du Louvre vient en tout premier rang.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XII, PL. XLII.
Cliché IIansstaeng
l'hotograwro nansslacngl.
MAL D'AMOUR
Tableau de GLRARD Dow, à Buckingham Palace.
Même sujet par G. NETSC11ER, au Musée de Dresde.
Masson et CU ! , Éditeurs.
LE MAL D'AMOUR 259
C'est peut-être la plus belle production du maître hollandais ; à coup sûr
c'est un chef-d'oeuvre. Nous y reviendrons avant peu.
On a encore de lui un Médecin urologue, à Vienne, dont une réplique
existe à Pétersbourg et une copie dans la galerie Six Amsterdam ; une
autre copie est au musée d'Angers.
Son Arracheur de dents du Louvre est aussi une peinture de premier
ordre. Il en existe d'autres dans les musées de Dresde et de Schwerin,
ainsi que de nombreuses répliques ou copies.
La Malade d'amour de Buckingham Palace ne le cède en rien aux meil-
leurs tableaux de Gérard Dow.
Scène d'intérieur, familière et discrète, d'un naturel parfait ; person-
nages réservés, « comme il faut » ; décor simple, mais confortable; ac-
cessoires en bon ordre ; un fauteuil bien rembourré, une table, et sur la
table, recouverte d'un tapis d'Orient, un encrier de cuivre, très brillant,
une fiole proprement bouchée, une feuille de papier, et le panier d'osier
cylindrique pour ranger l'urinal.
Dans le fond, un grand lit surmonté d'un dais rond dont une servante
proprette et silencieuse écarte légèrement les rideaux.
C'est une maison tenue avec le plus grand soin, et la maladie peut y
pénétrer sans déranger la régularité du ménage. L'arrivée du médecin se
fait aussi sans bruit; il est sûr de trouver un accueil respectueux et de
donner en paix sa consultation. Que nous sommes loin des intérieurs
bouleversés peints parJan Steen et des moeurs souvent cavalières de ses
figurants !
Dans le silence, et non sans quelque émotion, la malade attend que le
médecin se prononce.
C'est une gracieuse petite bourgeoise, douillettement velue de satin, de
velours et de fourrure, la tète prise clans un grand fichu blanc. Elle est
assise auprès de la table, muette, inquiète, suivant du regard tous les dé-
tails de l'examen.
Nul doute sur la nature du mal qui l'afflige. C'est le Mal d'amour. Voyez
son teint d'albâtre, ses lèvres pâlies, et, malgré la rondeur de ses joues,
l'expression douloureuse de son visage. '
Sur sa tempe, une large mouche, bien en vue, tranche par sa noirceur
sur le blanc mal de la figure, stigmate certain de la maladie.
Et voici un nouvel indice : La main droite appuyée contre la poitrine
montre clairement le siège du mal : c'est le coeur, dont les battements tu-
multueux trahissent la lièvre amoureuse, fièvre de l'àme dont le corps
subit les fâcheux effets, et que la qualité du pouls fêta sans doute connai-
S60 HENRY MEIGE
e; : tre à celui qui la soigne. Aussi lui abandonne-t-elle timidement sa main, ? redoutant un peu la révélation de sa peine.
A l'inverse d'Hoogstraaten, Gérard Dow a choisi son docteur parmi les
moins âgés de la Faculté. A jeune malade, jeune médecin.
Celui-ci est des plus novices; il n'en semble pas moins digne de la grave
mission qui lui est confiée. Très sérieux, l'neil attentif, la lèvre réfléchie,
il oublie les attraits de sa jolie cliente pour ne songer qu'au mal qu'il veut
dépister. Et, détournant ses regards d'un trop séduisant visage, il les con-
centre sur le contenu de la bouteille uroscopique où se jouent les reflets
des vitraux lumineux.
Rien de plus expressif que cette figure de jeune savant, aux traits mâles
et énergiques, ombrée par un soupçon de moustache, éclairée par un oeil
vif et pénétrant. '
Costume discret, ni trop sévère, ni trop riche. Pas de chapeau pointu,
pas de robe magistrale : un simple bonnet entouré de fourrures, et des
fourrures encore autour du vêtement ; ce qu'il faut enfin pour assurer le
respect professionnel, sans tomber dans le ridicule des emblèmes pédantes-
ques. ,
Voilà bien la tenue qui convient au médecin du mal d'amour. Et, s'il
manque à ce jeune docteur l'expérience d'une longue pratique, peut-être
est-il mieux en mesure qu'un confrère au chef blanchi de comprendre le
mal dont souffre la belle clame. Mais qu'il se garde de la contagion ! Le Mal
d'Amour guette parfois les hommes : il n'est pas sûr qu'il épargne les mé-
decins.
*
..
Il existe, au musée de Dresde, une réplique de ce tableau, signé de Gans-
PARU NETSCHER. On se rappellera à ce propos que Netscher, né à Ileidel-
berg en 1639, fut destiné d'abord à la médecine, puis s'adonna à la pein-
ture sous la direction de Terburg.
Son tableau du musée de Dresde semble être une copie de celui de Gé-
rard Dow. Il porte cependant la signature de Netscher, avec la date 166lui,
sur le socle cle l'encrier que l'on voit sur la table. Pas d'autre particularité
notable à signaler.
(A suivre.)
Le gérant : Il. Boxcuez.
fiep. J. Thevenot, Saint-Duiei (Haute-Marne;.
12' Année N°4. Juillet- Août
DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE
ou
MYXOEDÈME FRUSTE (1)
par le Dr
E. HERTOGHE,
d'Anvers.
Je me propose de faire la description clinique de ce qu'on appellera le
mY : l'oedèllle fruste, l'appauvrissement thyroïdien bénin, ou, mieux encore,
l'liypothyroïdze bénigne chronique.
Cette dernière dénomination est préférable, parce qu'elle n'impose pas
à l'esprit l'idée du'symptôme oedème, lequel n'est rien moins que cons-
tant dans l'espèce.
HISTORIQUE.
Le myxoedème franc est actuellement bien connu, suffisamment du
moins pour être diagnostiqué et guéri. Il a été l'objet d'un grand nom-
bre de monographies. Comme modèles du genre, nous citerons celle du
professeur Pel à Amsterdam, et celle plus récente du Dr G. Buschau, à
Slettin. Cette dernière fait partie de la Reaf-Encyclopiidie der gesa11l1Jlteu
Heilkttnde (1898), éditée à Vienne. Elle est très complète et constitue
un document précieux, établissant exactement, à ce moment, l'état de la
question.
Il n'en est pas de même du myxoedème fruste, de celui qui n'aboutit
pas fatalement à la déchéance totale.
Entre l'intégrité thyroïdienne parfaite et le myxoedème franc, il y a, on
le conçoit, une infinité de degrés, dont quelques-uns sont compatibles avec
une activité intellectuelle intense et les exigences les plus compliquées
de la vie sociale. Brissaud les a signalés et s'est même avancé jusqu'à dire
que certaines formes relèvent de l'insuffisance du principe thyroïdien,
d'autres de la diminution de l'élément parathyroïdien.
(1) Une partie de ce travail a été présentée à l'Académie royale de médecine de Bel-
,gigue, séance du 25 mars 1899.
XII 18
262 E. HERTOGHE
Pour Robert Hutchison, le suc para thyroïdien serait sans effet thérapeu-
tique dans le myxoedème (1) : «Feeding with a parathyroid bas no elfect
on myxoedema. » La question est donc encore s7cb jzcdice et Brissaud, à coup
sur, ne s'en tiendra pas là.
Buschau consacre à peine deux lignes aux formes frustes du myxoedème
des adultes : « Le diagnotic est très ardu, dit-il, lorsque la maladie est im-
parfaitement développée ou lorsqu'elle se présente comme forme transi-
toire vers l'obésité. » Il propose de juger les cas douteux par le traite-
ment. l.
Thibierge a publié, le 10 novembre 1898, une monographie : cMy.Toe-
dème (2). Elle est d'une érudition profonde et la lecture en est attrayante.
Il dit à propos des formes frustes dont l'élude est encore à faire et qui
peuvent seulement être soupçonnées :
Chez les adultes : « Un état habituel d'apathie succédant à un caractère
plutfitactif ou tout au moins normalement éveillé, le développement d'un
embonpoint un peu exagéré, sans qu'on puisse parler d'infiltration du tégu-
ment, tels sont les symptômes, dit-il, qui peuvent faire présumer les for-
mes frustes du my°xaedéme; si, en outre, on remarque l'existence d'une
plaque congestive au centre de la joue, si le sujet éprouve une sensation
persistante de froid et si surtout on constate que le corps thyroïde est d'un
volume inférieur à la normale, ce diagnostic acquiert une grande vrai-.
semblance. L'effet favorable du traitement thyroïdien peut fournir un ar-
gument important en sa faveur. D'autres fois, le myxoedème fruste peut se
traduire uniquement par une tendance morbide à l'embonpoint et certai-
nes formes d'obésité tardive ne sont peut-être que des cas de ce genre. »
Ce complexus symptomatique : apathie, embonpoint naissant, plaque
congestive de la joue, sensation persistante de froid, volume amoindri du
corps thyroïde, ce n'est plus du myxoedème fruste, c'est la maladie fran-
che et bien confirmée.
Chez les enfants, Thibierge admet qu'il y a des formes frustes : « Bris-
saud, dit-il, pense que l'état décrit sous le nom d'infantilisme peut être
une forme atténuée de myxoedème. » Thibierge lui-même, en 1891 déjà,
affirmait que les sujets restés infantiles par leurs proportions générales et
par le développement insuffisant de leur appareil sexuel sont souvent
les bérédo-syphilitiques mis à part - des myxoedémateux à forme atté-
nuée.
(1) Furlher observations on the chemisti-y and action of the IhYl'oid gland (Journ.
of. physiol., vol. XXIII, n" 3, July 1898), cité par 1).-J. LEECII in Med. Chron., sept
1898, vol. IX, no 6, p. 419.
(2) Cette monographie fait partie de la collection des Monographies cliniques sur les
questions nouvelles en médecine, chirurgie et biologie.
DE L'i11 POTQYROtDIG BÉNIGNE CHRONIQUE 263
Thibierge nous a fait l'honneur de mentionner la thèse que nous avons
défendue en la matière, à savoir : l'unité dysthyroïdienne étiologique £ le
toutes les formes de l'infantilisme (1). « Cette extension du domaine patho-
logique, dit-il, parait excessive. »
Je profite de l'occasion pour préciser ma pensée et la compléter. Je pense
que tous les infantiles, quels qu'ils soient, même ceux qui ont une taille su-
périeure ci la normale, sont des ddstlyroïdieats.
Que l'arrêt de développement porte sur la taille ou non, qu'il soit dû à
la syphilis héréditaire, au paludisme, à l'alcoolisme ou à la tuberculose
des générateurs, il y a toujours atteinte préalable à la vitalité du corps
thyroïde.
Les variétés les plus dissemblables d'infantilisme se rencontrent parmi les
enfants d'une même famille, sous le même toit. J'ai vu, dans la -même fa-
mille, deux cas de myxoedème franc avec idiotie, deux cas de chondro-dys-
trophie grave, un nain rachitique et un cas d'obésité infantile. Je traite
deux cousins germains dont l'un représente le type infantile décrit par
Lorain, le plus net qu'on puisse trouver, et l'autre est franchement myxoe-
démateux. Une dame, atteinte de goitre exophtalmique, m'amène son fils
atteint d'infantilisme (type Lorain), d'une taille supérieure à la normale,
très intelligent du reste et se rendant parfaitement compte de son état de
retard sexuel.
On sait que l'ossification du squelette palmaire est retardée chez le my-
xoedémateux franc (2).
Voici le squelette palmaire d'un infantile (type Lorain), âgé de 24 ans. Je
le traite depuis trois ans. Au début de la cure, il mesurait 1 m. 40. Au-
jourd'hui, il dépasse 1 m. 60. La puberté, qui était absente, est à l'heure
actuelle en plein développement. (Fig. 1.)
Remarquez comme les cartilages d'accroissement sont intacts et trans-
lucides. Je traite en même temps la cousine germaine du sujet : celle-ci
est atteinte de myxoedème franc.
Le traitement thyroïdien est vivement ressenti dans toutes les formes d'in-
fantilisme. Là où l'ossification n'est pas achevée, il y a reprise de la crois-
sance. La poitrine se développe en largeur. La respiration nasale, rétro-
nasale, pharyngienne s'améliore. Les organes sexuels s'achèvent.
Les lésions osseuses du rachitisme, de l'ostéomalacie (3), de la syphilis
(1) Nouvelles recherches sur l'infantilisme et les arrêts de croissance (Bulletin de
l'Académie royale de médecine de Belgique, 1S9 ï, 4" sér., t. XI, no 9, 18ï).
(2) Diagnostic de la possibilité d'une reprise de croissance, etc. (Bulletin de l'Aca-
démie royale de médecine de Belgique, 1896, t.X, 4e sér., p. 504).
(3) A propos de l'infantilisme et de son affinité avec l'ostéomalacie, voir F. SIEGERT,
Un cas d'osléomalacie chez l'enfant (Munchener med. Wochenschrift, 1898, 1er nOI'em-
264. E. HERTOGUE
héréditaire, du myxoedème congénital se ressemblent à s'y méprendre.
Je montrerai plus loin (voir fig. 12) une petite lille au ventre gros et
hernié, au cou raccourci par le gonflement sus-claviculaire du myxoedème
et qui présente en même temps le tibia iieredo-specinque en lame de
sabre. v
Il sérail impossible de montrer un crétin myxoedémateux qui ne fût en
Fig. 1. - Radiogramme du squelette palmaire d'un infantile type Lorain, âgé de 24 ans
(Les flèches indiquent les cartilages d'accroissement encore translucides).
même temps rachitique. Voyez les figures 10 et Il 1 , et comment le rachi-
tisme s'est corrigé sous l'influence du traitement thyroïdien.
Les diverses causes morbides énumérées plus haut impriment à leurs
victimes un cachet propre, je l'admets. Mais toutes commencent par
amoindrir l'activité thyroïdienne. De la vient la similitude des lésions,
toutes d'ordre trophique en somme, en présence de la multiplicité et de la
diversité causales.
bre, 44, p, 1401). Article analysé par Rôwoc, dans Presse Médicale, 7 décembre 1898,
p. 336.
DE L'HYPOTHYROïDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 265
On verra plus loin, lorsque je traiterai plus particulièrement de l'hy-
pothyroïdie bénigne chez les enfants, que la notion de l'infantilisme doit
être notablement élargie. Beaucoup de manifestations maladives de l'en-
fance et de l'adolescence doivent être attribuées à l'insuffisance thyroï-
dienne. '
Il y a deux choses dans l'infantilisme : l'appauvrissement des ressources
thyroïdiennes et l'aberration qui préside à la répartition de ces mêmes res-
sources.
L'infantilisme n'entraîne pas essentiellement l'arrêt, ni même le retard
de la croissance. Certains infantiles sont d'une taille élevée, qui paraît
même excessive à cause de l'étroitesse du thorax et l'invraisemblable min-
ceur des fémurs et des jambes.
Lorsque tout l'effort thyroïdien se porte vers le développement en hau-
teur, l'inanition trophogène n'en est que plus vivement ressentie en d'au-
tres territoires. Le plus souvent, c'est l'appareil sexuel qui en souffre..
Parfois l'apport thyroïdien suffit à édifier la taille et môme à élaborer
les organes de reproduction. L'infantilisme se fait alors sentir ailleurs.
Les manifestations de ces infantilismes frustes sont infiniment variées
et nombreuses. Nous avons déjà (1) signalé les végétations adénoïdes du
naso-pharynx, les hypertrophies de la muqueuse nasale, si caractéristiques
dans le grand myxoeclème et qu'on retrouve si obstinément dans l'infanti-
lisme mitigé. Qu'on se donne simplement la peine d'inspecter les amyg-
dales chez les infantiles (type Lorain). J'en connais de monstrueuses.
Il y a une forme d'infantilisme qui affecte l'appareil vocal : persistance
du timbre enfantin à l'âge d'homme, les organes sexuels étant bien déve-
loppés.
Il y a l'infantilisme du système pileux, la face restant glabre et imberbe,
et l'infantilisme du système dentaire, sur lequel je reviendrai plus loin.
Il y a une variété d'infantilisme qui se traduit par une fragilité anor-
male et, si je puis m'exprimer ainsi, par une sénilité précoce du système
veineux : varices, varicocèles, bourrelets hémorroïdaires. D'autres fois, ce
sont les veines du bras, du dos de la main, monstrueusement dilatées, mains
de vieillards. -
Il y a l'infantilisme vésical ; l'incontinence nocturne, dite essentielle,
est, à mon avis, un phénomène d'hypothyroïdie. Je le prouverai dans un
autre travail. Celle infirmité, qu'on a qualifiée d'essentielle pour masquer
l'ignorance absolue où l'on est quant à sa cause, s'accompagne toujours
d'autres manifestations infantiliques visibles.
Il y l'infantilisme de l'appareil visuel. J'ai pu améliorer notablement la
(1) Végétations adénoides et myxoedème (Bulletin de l'Académie royale de médecine
de Belgique, 1898).
266 E. HERTOGHE
vue, par la thyroïdine, dans une famille ou mère et enfants étaient atteints
de nyctalopie. La fille aînée est une naine rachitique à ménorrhagies. La
mère est manifestement hypothyroïdienne. Certaines formes de strabisme
ou plutôt de défaut de synergie des muscles moteurs de l'eeil, reconnais-
sent la môme origine. L'hémophilie proprc1tu myxoedèmc peut se traduire
par des épistaxis dits de la puberté. Ces derniers accidents disparaissentra-
pidement'sous l'influence de la thyroïdine.
L'exposé historique du myxoedème fruste serait incomplet si nous ne
disions un mot du travail publié par M. G. Murray dans le British médical
Journal du ,le, octobre 1898, page 942, travail intitulé : Diagnosis ol'eai -y 1
thyroidal fibrosis. « L'insuffisance thyroïdienne bénigne, dit-il, est beau-
coup moins facile à reconnaître que le myxaedéme franc. » Il donne quatre
cas de ce genre. Il insiste sur le fond ambré du teint, plaqué de rouge aux
joues. Il signale comme symptôme nerveux certaines hallucinations de
l'ouïe et de la vue. Il y attache une grande importance, surtout à l'âge
critique. L'auteur affirme connaître beaucoup de cas de ce genre. Dans les
cas douteux, le traitement servirait de critérium.
MÉTHODES D'INVESTIGATION.
Pourquoi le myxoedème fruste, qu'il ne faut pas confondre avec les pro-
dromes du grand myxoedème, n'est-il pas ou guère connu ? C'est parce
qu'il n'a pas été étudié méthodiquement. On s'est contenté de soupçonner la
maladie. On n'a jamais attaqué le problème par les moyens appropriés, et
cela par suite d'un manque de logique que l'on retrouve trop souvent en
.médecine. 1
A. On n'insiste pas assez sur les antécédents héréditaires d'un mal aussi
essentiellement héréditaire que le myxoedème.
On m'objectera peut-être que la maladie n'est pas fatalement un héri-
tage et que l'adulte peut devenir spontanément myxoedématux à un cer-
tain âge. Je le nie. Mais admettons pour un instant que cela soit.
On ne contestera pas qu'il y a des cas où le myxoedémeest congénital.
L'enfant est déjà myxoedémateux à sa naissance. Les parents ne peuvent
léguer ce qu'ils n'ont pas. Il faut qu'un des générateurs soit atteint d'hy-
pothyroïdie. Supposons que ce soit la mère. L'influence paludéenne, pour
citer un exemple que j'ai vu, agit sur elle pendant grossesse et déter-
mine l'effondrement strumiprive du foetus. D'autres fois, la syphilis, l'al-
coolisme, la tuberculose jouent le rôle d'aggravant.
Les myxoedèmes congénitaux graves offrent au point de vue héréditaire,
des ressources précieuses et des lumières dont il faut profiter. On élimi-
nera facilement ce qui revient à la tuberculose, à l'alcoolisme qui n'af-
fectent dans la règle qu'un des conjoints; on aura plus de peine dans la
DE L'BYPOTIIYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 267
syphilis où les deux peuvent être atteints. Examinez surtout la mère. Ne
vous contentez pas de lui palper le cou pour apprécier le volume du corps
thyroïde, atrophié ou non, ce qui est une exploration illusoire. Examinez
tous les organes et surtout ceux qui sont pris dans le grand myxoedème.
Comment s'est passée son enfance, son adolescence ? Quand s'est établie
chez elle la puberté et son signe visible, la menstruation ? Comment s'est-
elle comportée travers ses grossesses, ses accouchements ? Récapitulez
toute sa vie sexuelle. En dehors de cela, interrogez la pour savoir si elle
souffre actuellement et de quoi, si elle a souffert antérieurement. Neuf
fois sur dix, vous mettrez la main sur un myxoedème fruste. Nemo dat
quod non IrrcGcl. Examinez aussi le père. Faites une enquête soignée sur
les frères et soeurs de l'enfant myxoedémateux, et vous trouverez des ta-
res d'hypothyroïdie variées, plus ou moins graves. La encore vous trou-
verez des myxoedèmes frustes.
Répétez cette recherche méthodique dix fois, cent fois, et vous serez
étonné de voir où elle vous mènera.
Au cours de mes recherches sur l'infantilisme elles arrêts de croissance,
j'ai interrogé et examiné de propos délibéré beaucoup de mères d'enfants
nains, arriérés, rachitiques, tous hypothyroïdiens d'après moi. J'étais
frappé de voir chez ces femmes, non seulement un facies caractéristique
et une allure spéciale, mais aussi un ensemble de phénomènes pathologi-
ques toujours les mêmes.
J'ai fait imprimer un questionnaire double pour me faciliter la ré-
daction de l'enquête. Questions relatives à l'enfant, d'un côté ; de l'autre,
questions relatives'à l'enfance, l'adolescence de la mère, l'apparition de
la puberté, la santé générale el l'état de chaque organe en particulier.
L'uniformité, le retour constant des mêmes réponses aux mêmes ques-
tions est surprenante, et c'est après avoir dépouillé un grand nombre de
cas que je suis arrivé à me tracer une image caractérisée, saisissante pour
moi, d'une entité morbide très nette, très semblable à elle-même dans les
incarnations individuelles, de t'hypothyroïdie bénigne chronique chez la
femme adulte, de cette forme de myxoedème qui ne marche pas fatalement
vers la cachexie, compatible avec les exigences de la vie ordinaire et sus-
ceptible même d'amélioration spontanée.
Partir de l'enfant nettement dysthyroïdien, remonter aux parents, (il-
tribuer provisoirement aux désordres que présentent ces derniers une origine
hypolhyroïdienne, jusqu'à plus ample justification, voilà le premier procédé
dont je me suis servi pour arriver à connaître les symptômes du rra.xadème
larvé.
Une seconde méthode d'investigation, non moins fructueuse que la pre-
mière, est la suivante : .
268 E. HERTOGHE
B. Dans mon dernier mémoire à l'Académie (1), je disais que de toutes
les maladies, le myxoedème franc est la plus suggestive et celle qui se
prête le mieux à l'étude. On la guérit aussi vite et aussi lentement qu'on
veut, complètement même, de manière à dérouter l'oeil le plus exercé. Une
fois guérie, on peut refaire la maladie. Le malade, naturellement insou-
ciant, se néglige, abandonne le traitement et retombe insensiblement dans
son état primitif. Il passe, sous vos yeux, de la santé parfaite à l'hypothy-
roïdie bénigne d'abord et retourne à la cachexie primitive. La maladie se
présente sous ses aspects les plus variés, soit en guérissant, soit en récidi-
vant. A force de voir ces états intermédiaires, on arrive il se familiariser
avec eux et à les reconnaître tout de suite. C'est ce qu'on peut formuler
en deux mots : défaire le myxoecIème pal' le traitement; en faire la synthèse
en supprimant la médication.
Pour mieux faire comprendre l'avantage que l'on peut retirer de cette
méthode d'investigation, citons quelques exemples :
La femme représentée à la figure 2 est atteinte de myxoedëme franc.
Voyez la bouffissure du visage, le gonflement de la lèvre inférieure, la
déprédation sourcilière et celle de la chevelure sur la ligne médiane. Les
pommettes sont plaquées de rouge écarlate. Le fond de la face est jaune
ambré; la voix, lente et coassante. La peau est sèche, rugueuse; le cuir
chevelu, squameux, dépouillé en grande partie. (Fig. 2.)
Au début de ma carrière médicale, il y a une quinzaine d'années, j'ai
traité cette femme parce qu'elle se plaignait de rhumatismes. Je ne con-
naissais rien alors du myxcedéme. Je me rappelle que tous ses muscles
étaient raides et douloureux, les articulations gonflées, la démarche lourde,
ankylosée. Les douleurs du dos étaient intolérables. Puis, sans avoir jamais
pu la soulager, je la perdis de vue pendant six ans. Je la revis ; elle avait
alors 64 ans. Je reconnus le myxoedème au son de sa voix. J'instituai le
traitement. Je ne m'attendais nullement à voir disparaître la douleur et la
raideur universelles, ne rangeant point ces symptômes sous la bannière
hypothyroïdienne. Elles disparurent cependant, lentement et progressive-
ment, en même temps que l'oppression très pénible à laquelle j'avais
toujours vu cette femme en proie et que j'attribuais en partie à l'obésité
et en partie à l'emphysème pulmonaire.
En mai 1896, il ne restait plus rien de tout cela. (Fig. 3.)
Guérie, la malade ne tarda pas à délaisser son traitement. L'oppression
et les douleurs revinrent peu à peu, pour disparaître de nouveau lorsque
le traitement fut repris. Or, ces phénomènes rhumatismaux, la patiente
les présentait déjà au temps où elle élevait ses enfants. Elle avait fini par
(1) Végétations adénoïdes et myxoedème (Loc. cit.).
DE L'HYPOTHYRODIE BÉNIGNE CHRONIQUE 269
s'y résigner, ne demandant plus les soins du médecin que lorsque les dou-
leurs du dos et des membres devenaient trop fortes el que le gonflement
des articulations (poignets, genoux) devenait inquiétant. Ces douleurs
étaient alors comme maintenant une simple manifestation d'hypothyroï-
die.
Quand on se rappelle que les classiques (1) rangent parmi les causes du
grand myxoedème le rhumatisme articulaire aigu, on se met à penser qu'il
Fig. 2. - A..., Gtj ans. Myxoedème franc;
forme rhumatismale, avant le traitement.
Fig. 3. - A... Même sujet ;
après le traitement.
y a erreur et que le rhumatisme, loin d'avoir produit la déchéance thy-
roïdienne, en est au contraire le contre-coup musculaire et articulaire. Le
myxoedémateux vit dans un hiver perpétuel.
Il faut attirer l'attention des médecins sur ce point important, afin qu'ils
(1) Voir à ce propos : Report of a Commuée of the clinical Society of London, 1888,
p. 26 : a In two cases, myxoedema is ascribed to prolongea lactation, in four cases to
excessive he11 ! ol'l'hage, and in eight to acute l'heumatis11 ! , in two of which the inyxoe-
dema is said to have commenced after the attack.
270 E. HERTOGHE
se livrent, en présence de ces rhumatismes chroniques inguérissables, à
une enquête minutieuse, et fassent en sorte de trouver des symptômes
d'hypothyroïdie concomitants chez le sujet lui-même, chez ses ascendants
et descendants. -
L'étude analytique et synthétique du grand myxoedème est intéressante
Fig. 4. \Iyxcedème franc à la période de cachexie, trois jours avant la mort.
au point de vue de certains désordres viscéraux que l'on rencontre presque
invariablement dans l'hypothyroïdie bénigne. Nous voulons parler du foie
et des intestins.
La figure 4 montre une femme atteinte de cachexie strumiprive. Elle
mourut trois jours après que fut prise cette photographie. Nous ne dirons
rien des symptômes. Nous ne ferons remarquer qu'un point, c'est que
DE L'RYPOTHYROIDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 271
cette femme conserva jusqu'à la fin de sa vie toute sa lucidité d'esprit, ce
qui est eu contradiction avec l'enseignement classique. (Fig. 4.)
Je ne cite cette observation que parce que l'autopsie fut permise. La
vésicule biliaire était fortement
distendue, prête à se rompre,
soufflée à son pôle supérieur. Il
s'y trouvait un gros calcul qui
permettait l'entrée de la bile et
en bloquait la sortie. (Fig. ">-)
Je fus très frappé par cette
constatation, et plus tard, sur le
vivant, j'ai toujours recherché,
clans le myxoedème, la sensibilité
du foie et spécialement celle de la
vésicule biliaire 0). Très sou-
vent, pour ne pas dire toujours,
on découvre un point douloureux
il l'endroit indiqué. Cette sensi-
hiiite disparaît par le traitement.
Bien qu'une vésicule calculeuse
soit chose banale dans une salle
d'autopsie, j'ai tenu à en donner
ici la reproduction, afin d'insister
davantage sur les désordres du
foie dans le myxoedème franc ou
fruste. Il faut toujours, dans ces
affections, penser aux congestions
du foie el il la présence de calculs
ou de sable biliaire dans la vési-
cule.
La coloration jaune ambré, par-
ticulière aux strumiprives, n'est
qu'une jaunisse atténuée et dé-
pend de troubles biliaires.
La femme C... (PI. XLIII, 6) nous
fournit un exemple très instructif
au point de vue du foie.
Fig. 5. - Myxoedème franc ; vésicule biliaire
contenant un gros calcul. La vésicule est
fortement dilatée et prête à se rompre.
Comme on le voit, c'est un cas de myxoedème très net. Le sujet est âgé de
(1) 13USCII.\U (loc. cit.) mentionne, parmi les causes qui ont amené la mort dans le
myxoedème, les calculs biliaires enclavés (eingeklemmle Gallensleine).
272 E. HERTOGHE
40 ans. Je reçus sa première visite en décembre 1894. J'obtins difficilement
des renseignements exacts sur les parents. Le père serait mort d'hydropisie et
de rhumatismes. La patiente se plaint surtout de fatigue des membres et de
douleurs dans le dos. Elle a eu six enfants. L'aînée, une fille, est sujette il des
ménorrhagies. Deux jeunes garçons ont eu le rhumatisme articulaire aigu il un
degré intense. Son appétit est nul : elle ne mangerait jamais si elle s'écoutait,
dit-elle. Elle a des hémorrhagies intarissables, des douleurs de tête intolérables,
des frissons fréquents. La température buccale est de 35°7. La face est bouffie,
ambrée, rouge aux pommettes, la chevelure très bien conservée ; les dents sont
bonnes et belles. Les troubles trophiques du côté des cheveux et des dents sont
peu accusés. La gencive est saine, ce qui est exceptionnel dans le myxoedème.
Il y a de la mélancolie, de l'apathie, de la difficulté de penser, d'agir. Mise en
traitement à l'Institut Saint-Camille, elle en sort au bout de six semaines.
(PI. XLIII, 7.)
Depuis ce temps, Mme C... suit son traitement et l'abandonne alternative-
ment. Son état s'améliore et parfois il y a récidive. Quand elle laisse le médi-
cament, le retour du mal s'annonce en premier lieu par de la pesanteur de
l'estomac, de la difficulté de se coucher, de la sensibilité du foie et du dégoût
pour la viande.
Le 2 novembre 1897, après s'être longtemps négligée, Mme C... me fit man-
der, à la hâte, la nuit. Je la trouvai en proie à d'atroces coliques biliaires. Le
traitement d'urgence, huileux, calmant, plus tard la thyroïdine, remirent tout
en place.
Qu'on nous permette une réflexion. La ménorrhagic est un des symptô-
mes les plus constants du myxoedème. La calculose et les troubles biliai-
res sont tout aussi fréquents. Que de théories n'a-t-on pas échaufaudées
pour expliquer la coexistence de ces deux ordres de symptômes : ménor-
rhagies et crises douloureuses (calculs) du l'oie ? M. Paul Dalché a publié,
le 12 novembre 1898, dans les Bulletins et mémoires de la Société médicale
des hôpitaux de Paris, page 130G, une étude très documentée qu'il inti-
tule : Les métrorrhagies dans les maladies du foie. « Avons-nous, dit-il, le
droit de risquer une interprétation de physiologie pathologique pour expli-
quer comment les maladies du foie retentissent ainsi (par des ménorrhagies)
sur la menstruation ? » Il considère comme la plus vraisemblable l'hypo-
thèse qui attribue les ménorrhagies à une congestion menstruelle poussée,
« sous l'influence hépatique, au delà de ses limites habituelles ». Reste à
expliquer le pourquoi de la congestion.
« A. Robin, continue M. Dalclié, rattache les accidents à une altération
du sang ou des parois vasculaires dépendant de poisons, de toxines, etc. »
Nous pensons que la ménorrhagie est essentiellement dysthyroïdienne.
La calculose biliaire et la congestion du foie (dans certains cas) se trou-
vent sous la même dépendance. Les désordres du foie ne sont donc pas la
NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XII. PL. XLIII.
MYXOEDÈl\lE FRANC
(Hertoghe)
6. Mme C. Avant le traitement. - 7. Après le traitement
8. Mme D. Avant le traitement. - 9. Après le traitement.
DE l'hypothyroïdie BÉNIGNE CHRONIQUE 273
cause des désordres utérins, ni réciproquement ; les uns et les autres sont
d'origine hypothyroïdienne et cèdent à un même traitement.
M. A. Robin, sans savoir au juste pourquoi, n'était pas si loin de la vé-
rité.
On consultera utilement, au sujet de la congestion expérimentale du foie
chez les animaux thyroïdisés, les beaux travaux de A. Ver Eecke, assistant
à l'Université de Gand (1). '
Donnons encore un exemple : (PI. XLIII, 8.)
Mme D... s'est mariée de bonne heure Elle a eu dix-sept grossesses. Douze
ont amené des enfants vivants et à terme. Les autres se sont terminées pré-
maturément, à des époques variées. Ceci pour la fatigue thyroïdienne. Ac-
tuellement, elle a 52 ans. Les règles ont toujours été profuses. Après les ac-
couchements, il y eut des hémorrhagies violentes.Cette dame est très oppressée,
a des douleurs rhumatismales intenses et des céphalées violentes. Elle est
constamment enchifrenée. Les pieds sont gros. Elle présente le teint clas-
sique. Cette femme est irréductiblement constipée, et durant toute sa vie il en
a été ainsi. Jamais elle n'a de selles sans drastique violent. La face est bouffie.
Les cheveux commencent à tomber dans la nuque. Le ventre est douloureux
au niveau de la vésicule biliaire.
Le traitement est institué en août 1895. Le résultat ne s'est pas fait atten -
dre. Les douleurs disparaissent et la constipation cède petit à petit.
Une fois guérie (PI. XLIII, 9), elle oublie ses souffrances et sa détresse pas-
sées, se néglige, et lès premiers symptômes de synthèse se présentent : enchi-
frènement, hypertrophie de la muqueuse naso-pharyngienne, augmentation du
poids du corps. Ensuite, elle accuse uu poids à l'estomac, éprouve de la diffi-
culté à se courber, il ramasser un objet. La constipation revient. Le foie évi-
demment se recongestionne. Tous ces symptômes se dissipent à nouveau par
le traitement.
Mme D... a été hypothyroïdique depuis ses premières couches et peut-
être bien dès avant son mariage. Les métrorrhagies en témoignent.
Au sur et à mesure que, sous l'influence de grossesses répétées, l'ina-
nition et la fatigue thyroïdiennes s'accentuent, les symptômes s'aggravent
et se multiplient. Toute sa vie, cette malade a été. constipée et dyspepti-
que. Le médecin qui l'aurait traitée, il y a trente ans, n'aurait pu saisir
la véritable pathogénie de ces symptômes.
C'est à nous de profiter de la leçon que les événements nous ont don-
née.
J'ai vu, il y a quelques mois à peine, une dame de 38 ans, atteinte de
myxoedème franc et dont les antécédents en disent long sur la filiation des
(1) Les lésions du foie et des reins chez les animaux éthyroïdés. Bulletin de l'Aca-
démie royale de médecine de Belgique, octobre 1891, p. 666-668 et 698-700.
274 E. HERTOGHE
désordres du foie avec la diathèse strumiprive. Avant son mariage, elle a
fait deux cures à Vichy, pour calculs biliaires. Elle a toujours eu des règles
profuses. Sa mère est morte d'un calcul hépatique enclavé ; son grand-père
d'un abcès du foie. Elle-même a légué une-lare hépatique à sa fille. Cette
petite, âgée de 1-1 ans, a déjà eu deux fois la jaunisse. Le traitement thy-
roïdien ne s'impose- [-il paspourcclle enfant et n'élail-il pas indiqué pour
la mère/au temps où, jeune fille encore, elle suivait la cure thermale de
Vichy ? Ce qui était, à 18 ans, hypothyroïdie bénigne avec prédominance
biliaire, est devenu plus tard hypothyroïdie grave, confirmée.
On ne saurait mieux mettre en évidence la constipation qui est de règle
dans 1'lipotli\,t-oï(lie grave et se retrouve avec persistance dans la forme
bénigne, qu'en la monlrant chez les enfants myxoedémateux francsou frus-
tes. La sangle abdominale, peu solide, se laisse distendre passivement
sous la pression du contenu solide et gazeux des intestins. La hernie
ombilicale est constante. Ces enfants ne défèquent que par regorgement.
Lorsque le gros ventre et la constipation invincible coïncident avec t'ar-
rèt notable de la croissance et l'idiotie crétinique, le diagnostic est sim-
ple. -
Le sujet qui doit nous servir d'exemple a déjà été présenté à l'Académie
en 1896, dans mon premier mémoire : Influence des produits thyroïdiens
sur la croissance. Il a suivi depuis ce temps sa cure d'une manière non
interrompue. Parti de 0 m. 74 à t'age cle 14 ans, il mesure actuellement
1 m. 15 (février 1899). Il a donc presque doublé de taille. La gravure le
représente avec lès proportions exactes. (Voir fig. 10 et 11.)
Au point de vue intellectuel, le développement de cet enfant a été tout
aussi extraordinaire qu'au physique. Il parle couramment et son intelli-
gence est complètement éveillée.
Le diagnostic ne s'impose plus d'une manière aussi évidente lorsque le
ventre gros, la constipation, le retard de croissance sont à peu près les
seuls symptômes de l'lypothyroïdie et lorsque l'intelligence est intacte.
On prend très souvent pour de la tuberculose mésentérique (carreau)
ces gros ventres d'enfants.
Le jugement du médecin s'égare d'autant plus facilement que certaines
lésions rachitiques (tibia en lame de sabre et d'autres, gonflements épi-
physaires) s'ajoutent au tableau symptomatique. Lorsqu'il y a un soupçon
cle syphilis chez les parents, la chose est jugée.
J'ai démontré dans un travail antérieur que la syphilis héréditaire se
manifeste par des phénomènes {l'hypothyroïdie el. que l'effet désastreux du
virus syphilitique s'exerce en premier lieu sur la glande thyroïde, par
contre-coup sur la croissance et l'atrophie en général.
Nous allons en donner tout de suite un exemple des plus instructifs.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE. T. XII PL, XLIV.
i\IYXOEDÈi\IE FRUSTE
(Hertoghe)
12. Avant le traitement. - 13. Après le traitement.
DE L'IlYPO'l'IlYHOïDOE BÉNIGNE CHRONIQUE
z
La petite fille représentée (Pl. XLIV, 12) est âgée de 7 ans.Le ventre est
énorme ; la constipation est opiniâtre et finit parfois en débâcle diarrhéi-
que. La physionomie est intelligente et le langage est net. Le cou est court.
Les tibias portent le cachet spécifique. La taille est de 0 m. 897 au lieu
de 1 m. 10.
Voyez l'influence du traitement thyroïdien. En huit mois, la taille s'é-
lève de 0 m. 897 à 0 m. 94G. Le ventre a fondu ; la hernie a disparu. Le
Fig. 10. - llyxaedème franc, 14 ans. Taille, 0 m. 14. Gros ventre.
Constipation invincible. Hernie ombilicale. -
cou s'est dégagé. La mère me dit avoir perdu un enfant de 3 ans, d'un
« gros ventre » tout à fait identique. (PI. XLIV, 13.)
Voilà un cas d'hypothyroïdie bénigne avec prédominance de symptômes
abdominaux. Qu'il y ait de la syphilis dans l'éliologie, qu'importe ? L'es-
sentiel, c'est que les symptômes relèvent de l'hypothyroïdie et qu'ils sont
guérissables par la thyroïdine.
Nous avons déjà parlé des liémol'rhagies utérines excessives qui carac-
térisent le myxoedème. Ces femmes perdent du sang en quantité in-
276
E. HERTOGHE
croyable au moment menstruel et aussi après la délivrance. L'hémorrhagie
menstruelle va jusqu'à épuisement et détérioration grave de la constitution.
Fig. il . - Même sujet que la fig. 10, après 2 ans et 9 mois de traitement. Réduction
complète du ventre. Selles normales. Disparition de la hernie ombilicale. Augmen-
tation de la taille : 41 centimètres.
NOUV ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE.
T XII. PL. XLV.
IY1CDrl; F.RUSTE
(Hertoghe)
14. Mme G. Myacdème franc à forme hémorrhagique. - y. La même. Après guérison.
16. Mme H. My'\ : oeJème fruste; troubles trophiques des cheveux. 17. La même.
Après six mois de traitement.
DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 277
Le combat cesse faute de munitions : Alors survient l'aménorrhée. C'est
pourquoi les appréciations des auteurs varient. On a même accusé les hé-
morrhagies excessives de créer le myxoedème. En réalité, l'appauvrissement
thyroïdien préexiste à la ménorrhagie, comme il est antérieur aux douleurs
musculaires et articulaires que nous avons indiquées plus haut.
La femme que nous montrons (PI. XLV, 14) doit arrêter l'attention sur
les ménorrhagies du myxoedème franc et sur les pertes proportionnellement
moins fortes de l'hypothyroïdie bénigne.
G... s'est mariée trois fois. Elle a eu de son premier mariage cinq enfants
dont un seul est mort; du second mariage, elle a eu quatre enfants dont
.trois sont morts ; du troisième lit, elle n'a qu'un enfant, qui vit. Ceci pour
la fatigue thyroïdienne. Toute sa vie, dès avant son mariage, les règles ont été
extraordinairement fortes. Aujourd'hui, à 45 ans, la période dure de huit it dix
jours. Pour le reste, elle présente les symptômes classiques. La bouffissure de
la face est légère. L'expression de tristesse, très accentuée sur la photographie,
n'est pas constante. La nuque commence à se dépouiller ainsi que la ligne mé-
diane du cuir chevelu. Les mains sont hivernales, froides, durcies. Les dents
sont cariées. La gencive est rouge, tomenteuse, les dents couvertes de tartre
noir. Les sourcils sont peu fournis dans leur tiers externe. La voix est traî-
nante. Mme G... éprouve des douleurs musculaires et articulaires très intenses,
attribuées au rhumatisme. Sa mère est morte d'albuminurie. Le traitement
commence en avril 1895. Le sujet pèse 83 k. 930. Le 22 octobre de la même
année, le poids est tombé à 74 k. 600. Les règles ne durent plus que trois
jours. La photographie (PI. XLV, 15) est prise après huit mois de traitement.
Malgré mes avertissements, Mme G... ne tarda pas à se négliger et retomba
petit il petit dans son état antérieur. Les règles redevinrent de plus en plus
abondantes. A un moment donné, cette femme redevient semblable à ce qu'elle
doit avoir été, il y a quinze ou vingt ans, lorsqu'elle en était au stade bénin
(hypothyroïdie bénigne), capable encore de concevoir, de porter à terme et
d'allaiter.
Inutile d'ajouter que la thyroïdine la rétablit dans la mesure de l'assiduité
qu'elle met à la reprendre.
Si j'insiste tellement sur le symptôme hémorrhagique. c'est qu'il nous
sera des plus précieux dans le diagnostic et la découverte de l'hypothyroï-
die bénigne.
*
..
. Il nous reste, avant de terminer l'élude analytique et synthétique du
grand myxoedeme, à signaler quelques troubles trophiques qui tombent
plus directement sous le sens de la vue. Il importe de se les bien graver
dans la mémoire aux diverses phases de retour. Nous pourrons ainsi faci-
lement les reconnaître dans l'hyperlhyroïdie même la plus légère.
xlc 19
278 E. HERTOGHE
Les trois sujets que nous allons montrer sont des myxoedèmes francs.
Cependant ils sont bien moins avancés que les précédents else rapprochent
sensiblement de l'hypothyroïdie bénigne qui fait l'objet spécial de ce tra-
vail.
. H... est âgée de 39 ans. Elle a l'air beaucoup plus vieille. La face est légère-
ment infiltrée, ambrée, plaquée de rouge aux pommettes. Les règles ont dis-
paru à sa suite du dernier accouchement, il y a deux ans et demi. Les désordres
strumiprives ont porté surtout sur les cheveux et les dents. La photographie
(PI. XLV,' 1.6) montre bien les ravages du cuir chevelu et des sourcils : la
nuque est presque complètement dégarnie.
Elle éprouve une sensation continuelle de froid. La constipation est opiniâ-
tre. Il y a des douleurs attribuées au rhumatisme. Toutes les dents sont ébran-
lées ; beaucoup sont cariées ; la gencive est rouge, rongée de tartre. La voix
est traînante. '
Le traitement commença le 4 juin 1895. La patiente pèse 78 k. 700.
Après six mois, elle fut photographiée de nouveau. Mme H... ne pesait alors
que 60 k. 500. (PI. XLV, 17.)
Les cheveux ont repoussé avec vigueur. La patiente a rajeuni de vingt ans.
Elle a l'air d'être sa propre fille. Elle se rétablit si bien qu'en décembre 1897
elle se déclara enceinte. Elle s'accoucha en juin 1898 d'un enfant très bien
portant.
L'épouse I... (PI. XLVI,18) vint chez mois le 10 mai 1895. Elle a 42 ans.
A la suite d'un refroidissement, il y a quatorze ans, elle eut un gonflement
des mains et des pieds, présenta de l'albuminurie et fut traitée dans ce sens.
Elle ne se rétablit pas et traîna, lasse, épuisée, somnolente, ayant des dou-
leurs dans tous les membres; de plus, elle eut des ménorrhagies pendant un
grand nombre d'années. Devenue enceinte, elle se trouva beaucoup mieux
(exaltation de la glande thyroïde sous l'influence de la grossesse) au cours de
la gestation et de l'allaitement, et prolongea à dessein cette dernière période
pendant près de deux ans.
L'enfant sevré, elle redevint apathique, triste, et ses douleurs revinrent
plus fortes que jamais. La nuque est dépouillée. Les sourcils sont fortement
épilés. Les traits sont très légèrement bouffis. Le teint jaune, pâle, rappelle
celui des albuminuriques. Il y a de la constipation, de la céphalalgie. Le sys-
tème dentaire est gravement dégénéré. Elle a des frissons fréquents surtout vers
le soir, qui eu imposent pour des accès fébriles.
Soumise au traitement thyroïdien, elle en ressent aussitôt les effets répara-
leurs. "
Les cheveux repoussent dans la nuque, sur le front, et le cuir chevelu ne
tarde pas se regarnir. (PI. XLVf, 19.) ,
Le poids, qui n'était pas très élevé : 63 k. 500, tombe ir 50 k. 230.Le myxoe-
dème franc n'est donc pas toujours synonyme d'obésité ni même d'infiltration
notable. J'ai vu des myxoedémateux qui n'avaient que la peau sur les os.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XII. PL. XLVI.
VIY»D11E FRANC
(Hertoghe)
18. My,oedème franc, troubles trophiques des cheveux et des sourcils. - 19. Même
slilet, après guérison.
20. Myxoedème avec lésions du système pileux. - 21. Même sujet, après guérison.
DE L'HYPOTÜYR01DIE BÉNIGNE CnRONIQUE 279
On remarquera que je présente tous ces sujets dans un ordre de gravité
décroissante. Je le fais à dessein afin de se familiariser petit à petit avec
les formes larvées qui sont l'objet de notre étude.
L'épouse K... (PI. XLVI, 20), comme les deux malades précédentes, offre
surtout des lésions trophiques d'ordre épithélial. La nuque est ici complètement
dépouillée. C'est la nuque de casoar. La calvitie spéciale de la nuque est un
symptôme précieux dans l'hypothyroïdie bénigne chronique. Le cuir chevelu
de Mme K... est très éprouvé et le sourcil dans son tiers externe semble fauché.
Les dents sont cariées. Les gencives sont rouges, saignantes, tomenteuses,
rongées par le tartre. '
Cette malheureuse souffre beaucoup de douleurs musculaires des membres
et attribue tous ses maux au rhumatisme. La constipation est opiniâtre. Au-
trefois, il y eut des ménorrhagies incoercibles. La bouffissure, peu accentuée au
visage, est très forte à la région sous-mentonnière, les céphalées sont fréquen-
tes. Elle se plaint beaucoup de l'estomac et du foie. Mme K... est âgée actuel-
lement de 45 ans. Il y a de l'aménorrhée depuis sept mois.
La photographie prise après la guérison (Pl. XLVI, 21), mieux que toute
description, donne une idée du changement opéré en cette femme sous l'in-
fluence de la thyroïdine. Le retour de la chevelure n'est pas aussi complet que
dans le cas précédent. Il s'accentue de jour en jour. Les règles sont revenues,
normales en durée et en période.
Nous en avons dit assez, pensons-nous, pour montrer l'avantage que
l'on peut tirer de l'étude attentive du grand myxoedème guérissant et puis
récidivant.
C. Un troisième moyen d'arriver à connaître ce qui, dans certains cas
pathologiques, revient à la c1ysthyroïdie, c'est l'application du traitement.
L'iode et les mercuriaux sont la pierre de touche de la syphilis et, bien
souvent, constituent l'unique moyen d'arriver à un diagnostic certain. De
même, la thyroïdine est la pierre de touche de l'hypothyroïdie larvée.
Je pose en principe que la thyroïdine ne guérit que les accidents d'lrypo-
thyroïdie.
La thyroïdine est essentiellement spécifique en son action. Elle n'est
profitable que Ici où il y a misère ou inanition thyroïdienne. C'est ainsi
qu'il ne faut point dire que la thyroïdine guérit le psoriasis. Elle ne l'ex-
tirpe que pour autant qu'il y a hypothyroïdie préalable et que le ralentis-
sement de vitalité organique de la peau et l'abaissement de température
du corps ont pu permettre au micropllyte psoriasique de végéter.
La thyroïdine ne combat l'obésité que pour autant que celle-ci est due
à l'affaiblissement de l'activité glandulaire du corps thyroïde.
Elle ne combat les ménorrhagies, la fausse couche récidivante, la
dégénérescence fibromateuse de l'utérus, l'ovarite chronique, que parce
280 E. UERTOGHE
que, dans beaucoup de cas, ces divers états pathologiques trouvent leur
origine dans l'appauvrissement thyroïdien.
Elle ne relève la lactation périclitante que là où il y a détresse thyroï-
dienne et, dans ces cas, on obtient des résultats étonnants avec des doses
très minimes.
La thyroïdine n'améliore l'oppression, les palpitations indolores ou
douloureuses du coeur, la congestion et la calculose biliaire, que lorsque
Fig. 22. - Myxoedème franc. Calvitie strumiprive, avant le traitement.
ces désordres relèvent de sa compétence spéciale, ce qui est le cas bien
plus souvent qu'on ne le pense.
Il en est de même des troubles trophiques du tégument et du système
épithélial. Toute calvitie qui se répare parla thyroïdine est en réalité d'o-
rigine hypothyroïdienne.
Que l'on jette un coup d'oeil sur le sujet que nous montrons ici, avant
et après le traitement. (Fig. 22 et 23.)
Le résultat étonnant obtenu par la thyroïdine s'explique par la nature
de la dystrophie.
DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 281
Le champ de la thyroïdothérapie ne s'étend pas au delà du myxoedème,
soit franc, soit fruste ; et il ne faut pas attendre de ce principe glandulaire
ce qu'il ne peut donner.
Voici donc les trois sources d'où nous viennent la connaissance de l'hy-
pothyroïdie bénigne chronique et la certitude d'avoir réellement affaire à
des cas de cette espèce :
A. L'analyse des caractères organiques et fonctionnels que présentent
Fig. 23. - Même sujet, après le traitement thyroïdien.
les parents des enfants manifestement hypothyroïdiens et infantiles.
B. L'analyse et la synthèse du myxoedème franc qui nous familiarisent
avec les plus faibles traces de la tare hypothyroïdienne.
C. L'application du traitement thyroïdien aux désordres soupçonnés
d'hypothyroïdie.
GÉNÉRALITÉS
Nous avons surtout en vue l'hypothyroïdie bénigne de la femme adulte.
Il nous serait impossible d'en donner une idée exacte sans décrire son
282 E. HERTOGHE
enfance et son adolescence. La symptomatologie de l'adulte est la consé-
quence et la continuation de celle de l'enfant.
La maladie existe chez l'homme, mais elle est incontestablement plus fré-
quente dans le sexe féminin, à partir de l'âge pubère, comme du reste le
myxoedème franc et le goitre exophtalmique. La fatigue plus grande de la
glande thyroïde par suite de la grossesse, de l'involution utérine, de l'al-
laitement, explique cette prédominance. Elle atteint plus fréquemment
les pluripares. Elle n'est point rare chez les filles.
Nous nous réservons de revenir dans un autre travail sur la maladie
chez les adultes mâles. Nous dirons seulement, en passant, que la sperma-
torrhée est souvent d'origine dysthyroïdienne et correspond symptomati-
quement aux ménorrhagies épuisantes de la femme. Certaines hypertro-
phies de la prostate nous paraissent également être sous la dépendance
d'une sénilité précoce dysthyroïdienne.
Les femmes atteintes d'hypothyroïdie bénigne chronique ne se plaignent
que peu ou pas. C'est presque fortuitement qu'on arrive à se rendre compte
de leur état. Le plus grand nombre de celles que j'ai pu examiner et trai-
ter ne sont pas venues chez moi pour elles-mêmes, mais pour l'un ou l'au-
tre de leurs enfants en état d'infantilisme plus ou moins confirmé. Il
existe, en effet, une relation étroite entre l'état de ces mères etcelui de leurs
enfants. On pourrait tracer l'histoire complète de l'hypothyroïdie bénigne
en décrivant d'abord l'enfant en puissance d'infantilisme, le suivant
ensuite à travers l'adolescence, jusqu'à sa forme définitive d'adulte com-
plet.
Il n'est pas possible de dire d'avance si tel cas d'hypothyroïdie bénigne,
en apparence stationnaire, ne prendra pas dans la suite une allure préci-
pitée, pour aboutir plus ou moins tôt au myxoedème franc. Il est certain
pourtant que beaucoup de ces affections ne s'aggravent qu'avec une extrême
lenteur et s'améliorent même dans quelques-uns de leurs modes sympto-
matiques. Les ressources thyroïdiennes, insuffisantes à 35 ans en présence
de grossesses et d'allaitements répétés, peuvent être adéquates à 50. L'âge
de retour emporte bien souvent des symptômes qui ont vingt-cinq ans de
date : la migraine, la rachialgie, la constipation. La thyroïdine dépensée
à l'inhibition de la fonction menstruelle devient disponible et l'équilibre
peut se rétablir. Qualifiée de bénigne, par opposition à la cachexie stru-
miprive qui équivaut à l'annihilation quasi complète de l'individu, au
moral et au physique, l'hypothyroïdie, telle que je l'entends, est néan-
moins un état des plus pénibles. Les symptômes n'entrent pas tous en
scène à la fois. Ils alternent entre eux. Ils s'installent si insidieusement
que le malade se figure n'avoir jamais été autrement qu'il n'est, que cela
fait partie de sa constitution. Il se résigne à souffrir. Comme la maladie
DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 283
est de race, il a vu beaucoup souffrir autour de lui, chez lui, chez ses
parents et ses collatéraux, et il ne s'en étonne ni ne s'en alarme.
ÉTIOLOGIE.
L'insuffisance thyroïdienne est essentiellement héréditaire. On ne de-
vient pas liypotljyroïdien. On l'est ou plutôt on l'a toujours été. La femn\.8'
qui, à 35 ans, se présente avec des symptômes d'hypothyroïdie, a été (re,
tout temps, dès le berceau, dans un état d'infantilisme plus ou moins pros'
noncé.
La goutte, l'albuminurie, les maladies du foie (congestion calculeuse),
la gravelle rénale se retrouvent presque constamment chez les parents des
hypothyroïdiens, le plus souvent dans la ligne maternelle.
La tuberculose, si souvent relevée dans l'hérédité du grand myxoedème,
se retrouve ici, mais avec moins de constance.
Tous les grands facteurs morbides capables d'altérer la constitution,
l'alcoolisme, la misère et l'inanition chroniques, la consanguinité des
unions, le paludisme, les influences spécifiques avenere, les excès de tout
genre, exercent une influence déprimante sur le corps thyroïde et se tra-
duisent à la génération suivante par l'infantilisme et l'hypothyroïdie à des
degrés variés.
Grâce à la force de reconstitution qui existe incontestablement chez
tout enfant élevé dans de bonnes conditions d'hygiène et de nutrition,
l'infantilisme léger, qui pour nous est synonyme d'hypothyroïdie, peut
s'améliorer spontanément. La puberté, lente à venir, s'installe tout de
même. Vers 17 ou 18 ans, la menstruation apparaît, et de pareils sujets
se marient et procréent dans des conditions apparemment semblables aux
autres femmes.
Les grossesses répétées, l'allaitement prolongé indûment, les privations
de tout genre dans la classe pauvre, ou, au contraire, la vie molle et
oisive, l'alimentation tiop riche dans les classes élevées, les excitations
génitales répétées non suivies de conception, l'infection blennorrhagique
ou syphilitique, comme j'en ai vu un cas, finissent par amoindrir la force
sécrétoire du corps thyroïde, resté l'endroit faible, et l'hypothyroïdie se
révèle petit il petit, de jour en jour plus distincte et plus nette. Ce sont à
les cause.) déterminantes.
SYMPTOMATOLOGIE.
Nous décrirons d'abord dans ses grandes lignés l'hypothyroïdie bénigne
chronique chez la femme adulte, ainsi que les particularités qu'elle a pré-
sentées au point de vue infantilique ou hypothyroïdien à travers son en-
284 E. HERTOGHE
fance et sa formation. Si, en outre, nous décrivons les enfants qu'une
telle femme engendre, nous aurons tracé le tableau complet de l'insuffi-
sance bénigne thyroïdienne à tous les âges.
Je ne dirai rien des cas dans lesquels l'hypothyroïdie marche sûrement
et visiblement vers le myxoedème franc. La teinte ambrée du visage ; la
plaque congestive des joues et du nez ; la bouffissure évidente de la face,
des pieds, des mains; la température subnormale ; la voix coassante; la
parole traînante; la sensation de froid persistant, dénotent le myxoedème
franc, et ce n'est pas pour décrire ces formes que j'ai fait ce mémoire.
A première vue, la femme atteinte d'hypothyroïdie bénigne chronique
paraît phts âgée qu'elle n'est en réalité. Elle grisonne de bonne heure. Qui
ne connaît de ces femmes dont la chevelure d'argent forme un si vif con-
traste avec une physionomie encore jeune et rosée ? La décoloration pré-
maturée et généralisée de la chevelure doit mettre en éveil l'attention du
médecin, d'autant plus qu'on ne manquera pas de lui objecter, s'il veut y
voir un phénomène morbide, que plusieurs personnes de la même famille
présentent la même particularité. A un degré plus avancé d'hypothyroï-
die, les cheveux tombent en abondance. Tantôt c'est la lisière frontale du
cuir chevelu qui s'éclaircit, et le front semble grandir. D'autres fois, les
cheveux commencent par tomber sur la ligne médiane. La ligne s'élargit
beaucoup, et chez les sujets à cheveux foncés, cette calvitie, surtout lors-
qu'il y a en même temps du grisonnement partiel, donne à la tête un as-
pect caractéristique qu'on n'oubliera plus après l'avoir vu. L'épilation
plus ou moins complète du sourcil est un symptôme précieux et facilement
appréciable. La déprédation sourcilière commence par le tiers externe. La
chute du sourcil est précédée, pendant un temps variable, d'une espèce
de dermatite de la zone d'implantation. Cette dermatile se traduit par une
rougeur assez vive de la peau. Elle s'accompagne d'une desquamation
assez rapide de l'épiderme et de démangeaisons très sensibles. Le sourcil
une fois tombé en tout ou en partie, la peau reprend sa coloration primi-
tive, devient peu à peu pâle et comme nacrée, polie comme le cuir chevelu
dans la calvitie de longue date. Chez les blondes, le grisonnement est
plus tardif. Les cheveux deviennent excessivement fins, flottants et légers.
Longtemps l'artifice de la frisure parvient à masquer la chule rapide de la
chevelure frontale.
Parallèlement, et je dirais même antérieurement à la déprédation capil-
laire, il se fait un travail de dégénérescence très accusé du côté des ? rats
et des gencives. Bien que l'on puisse être induit eu erreur par quelques
incisives de bel aspect, on observera presque toujours que les molaires
sont délabrées et cariées profondément. Dans la classe riche, les soins du
dentiste enraient et corrigent, lorsque de bonne heure on y a recours, les
DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 285
progrès du mal. Dans classe pauvre, où l'on se fait arracher les dents
au sur et à mesure qu'elles deviennent douloureuses, la déprédation est
encore plus appréciable. On observera souvent des malformations et des
malpositions dentaires. Très fréquemment, une ou plusieurs petites in-
cisives supérieures sont séparées par un espace anormalement grand. D'au-
tres fois, les petites incisives supérieures sont détaille rudimentaire, noi-
râtres, dégénérées de bonne heure. On retrouvera fréquemment des chicots
de la première dentition parmi les dents définitives, trouant mômela gen-
cive à des distances parfois très grandes du bord maxillaire.
Les gencives sont rouges, molles, gonflées. Elles saignent facilement à
la brosse. Elles se relèvent en prolongements polypiformes vis-à-vis des es-
paces interdentaires. Les dents sont, déplus, recouvertes d'un tartre noir,
noir-vert, rarement jaunâtre, surtout aux incisives de la mâchoire infé-
rieure. Le dépôt calcaire ronge la gencive et déchausse finalement la dent.
Ici encore les soins de la bouche retardent et atténuent, dans une large
mesure, ce processus désastreux.
L'aspect de la chevelure, des sourcils, l'état des dents et des gencives
constituent un ensemble facile à noter à première vue : J'y attache une
très grande importance.
L'examen de la bouche entraîne tout naturellement celui de l'arrière-
bouche et du pharynx. Les amygdales sont le plus souvent hypertrophiées
et déchiquetées par des abcédations antérieures. Le pharynx est rouge vif
et il est rare de ne pas y voir des végétations adénoïdes.
Les fosses nasales sont rétrécies, partiellement obstruées par l'hypertro-
phie de la muqueuse. L'adénoïdie, sur laquelle j'ai tant insisté dans un
mémoire antérieur, se retrouve ici à tous les degrés avec tous les désagré-
ments fonctionnels qu'elle entraîne. Chez les femmes atteintes d'hypothy-
roïdie très légère, les fosses nasales sont habituellement libres et dégagées.
Elles ne s'obstruent que pour peu de temps, à certains moments, spécia-
lement à l'approche des règles. Chez d'autres, le plus léger refroidisse-
ment se traduit tout de suite par le nasonnement. Les régions supérieures
semblent s'engorger d'abord. Les malades se plaignent beaucoup de ce
symptôme et lui attribuent une lourdeur générale de tête et une paresse
cérébrale contre laquelle elles réagissent à grand'peine. Chez d'autres, les
congestions de la muqueuse nasale provoquent des éternûments intermi-
nables, des plus pénibles.
On remarquera que chez les femmes atteintes d'hypothyroïdie bénigne, la
voix est légèrement assourdie, voilée, surtout au moment ou à l'approche
de la menstruation. J'attribue ce phénomène à un léger gonflement des
cordes vocales et au manque de consonnance du pharynx supérieur, les-
quels phénomènes se trouvent sous la dépendance de l'inanition relative
286 E. IIERTOGHE
en thyroïdine au moment menstruel. Parfois la dysphonie est beaucoup
plus évidente. Le timbre de la voix est faux, passe de la note grave au sif-
flement strident. Elle fait peine à entendre.
La tendance au coryza, aux amygdalites et aux extinctions de voix est
des plus marquées.
Georges Murray relève comme très fréquentes (nol unC01ll1non J, dans les
cas qu'il désigne sous le nom de « early thyroidal fihrosis », certaines
hallucinations de la vue et de l'ouïe (1). Les patients voient des ohjets à
contours mal définis, ressemblant à des chats, des rats ou des souris qui
traversent rapidement l'appartement, en même temps que des étoiles bril-
lantes éclairent le champ visuel. Des bruits de cloches se font entendre.
D'après l'auteur, les malades n'aiment pas à s'expliquer sur ce point.
Est-ce à cause de la ressemblance de ces phénomènes avec les hallucina-
lions de l'alcoolisme ? Depuis que le mémoire de Murray a attiré mon
attention sur ces symptômes, j'ai interrogé quelques malades et j'ai pu me
convaincre que les faits avancés par le savant médecin anglais sont
réels.
J'ai rencontré beaucoup d'hypothyroïdiens qui se plaignaient de bour-
donnements d'oreilles. Je songeais alors involontairement aux bourdonne-
ments qui incommodent si souvent les goutteux. D'après l'étiologie que
nous avons exposée, il n'y a rien d'improbable à ce que les bruits auditifs
subjectifs des hypothyroïdiens soient de la même nature que ceux qui se
produisent dans la goutte.
Les symptômes du côté du nez et des sinus frontaux, dont les muqueu-
ses participent vraisemblablement à la congestion hypothyroïdienne, nous
amènent à parler de la céphalalgie, symptôme à peu près constamment
relevé dans l'hypothyroïdie chronique bénigne. L'appauvrissement thyroï-
dien se manifeste par des maux de tète qui ont été longtemps attribués à
l'anémie cérébrale. Celle céphalalgie hypotltyroïdienne revêt surtout deux
formes. Tantôt elle semble partir des sinus frontaux, s'étend au-dessus
des orbites et reste frontale. Elle ressemble à la céphalée du début du co-
ryza aigu. Tantôt elle part de l'occiput. Un point douloureux au niveau
du nerf occipital, lui donne l'allure d'une névralgie. De l'occiput, elle'en-
vahit la moitié correspondante du crâne et les malades la désignent sous
le nom de migraine. Elle se différencie de la migraine vraie en ce qu'elle
est plus intense le matin, au lever de la malade, et se dissipe vers le soir,
après un repas copieux. Les malades sont si habituées à cette céphalalgie
continuelle qu'elles n'en parlent guère,et il faut leur poser la question pour
qu'elles s'en déclarent atteintes. La perte des cheveux est attribuée par les
(1) British médical Journal, 10 octobre 1898, p. 944. '
DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 287
patientes à ces douleurs incessantes. Le médecin, bien souvent impuis-
sant à les combattre, encourage la malade dans ce mode d'interprétation et
donne au malle nom de rhumatisme épicrànien.
La moindre fatigue, la plus légère transpiration, le passage d'un cou-
rant d'air provoquent le retour de la céphalée occipitale. Ajoutez à cela
que le triste état de la denture provoque facilement des névralgies dans le
domaine du trijumeau. La névralgie sus et sous-orbitaire est des plus fré-
quentes dans la diathèse hypothyroïdienne.
Comme je l'ai déjà dit, la migraine dysthyroïdienne, intolérable le ma-
tin, après le refroidissement et l'inanition de la nuit, s'améliore vers le
soir et disparaît après un bon repas. C'est peut-être ici le moment de dire
que les malades recherchent instinctivement le coup de fouet du vin et
des liqueurs, bien qu'au fond l'alcool leur soit extrêmement nuisible, en
ce sens qu'il est l'antidote du suc thyroïdien et qu'il aggrave la détresse
hypothyroïdienne de l'organisme. Elles supportent des doses élevées sans
se sentir incommodées.
Après cette première enquête, on posera quelques questions'. Nous avons
déjà parlé de la disproportion entre Page réel et l'âge apparent.
La malade a-t-elle des enfants ? Combien en a-t-elle mis au monde.
vivants et à terme ? A-t elle présenté des fausses couches ? Les couches
ont-elles été suivies d'accidents hémorrhagiques ? A-t-elle allaité et combien '
de temps ? Les grossesses répétées coup sur coup, l'allaitement prolongé
au delà de ses limites physiologiques agissent comme causes déterminan-
tes sur l'apparition des symptômes d'hypothyroïdie, hypothyroïdie cachée
jusque-là par l'exubérance de la jeunesse.
Il faut signaler cependant qu'il n'est pas rare d'observer que la grossesse
elle-même provoque une amélioration chez beaucoup de ces femmes. Elles
se disent être mieux portantes alors qu'à l'état de non-gestation. « Dans
ce temps-là, j'avais des enfants, mais je me portais bien », entendra-t-on
dire souvent. Cet état de bien-être, dû à l'exaltation de la glande thyroïde,
persiste pendant l'allaitement. J'ai signalé d'autre part une amélioration
semblable dans le grand myxoedème, etKirk et Landau en ont fait autant.
Cependant, il ne faut pas prendre l'exception pour la règle. Une grande
quantité de thyroïdine nécessaire au développement du foetus est, au cours
de la grossesse, soustraite à l'organisme de la mère. Aussi voit-on redou-
bler les phénomènes dystrophiques du côté des cheveux et des dents ;
« chaque enfant emporte sa dent ». Des caries que l'on croyait guéries
depuis longtemps au fond de cavités parfaitement aurifiées, se réveillent
et provoquent, en raison même de la perfection de l'obturation, des acci-
dents du côté des racines et du périoste alvéolaire.
Je ne suis pas éloigné de croire que beaucoup d'accidents de la grossesse,
288 E. HERTOGHE
les vomissements matutinaux, la constipation et d'autres, sont dus à cette
hypothyroïdie passagère. ,
Pendant la lactation, l'inanition thyroïdienne se manifeste par de la
lourdeur de tête, par une somnolence inaccoutumée. La perte de la mé-
moire, un certain laisser-aller chez des femmes habituellement soigneuses
et attentives à tous les devoirs d'une maîtresse de maison, une diminution
sensible de l'acuité intellectuelle s'observent très fréquemment, surtout
chez les femmes à ressources thyroïdiennes amoindries. La délivrance est
habituellement suivie d'une hémorrhagie assez forte chez la femme à thy-
roïde faible. Les règles sont généralement profuses, et leur apparition est
précédée de douleurs ives dans la région sacrée et lombaire.
On sera étonné, si l'on se donne la peine de toucher, de trouver dans
beaucoup de cas la matrice en rétroflexion. La rétroflexion, si fréquente
dans l'hypothyroïdie, est due, d'après moi, à un manque de développe-
ment de la paroi postérieure de l'utérus, laquelle s'infléchit sous la pous-
sée de la paroi antérieure. Ce manque de développement est d'origine
dysthyroïdienne.
J'ai rencontré la rétroflexion, dans toute sa netteté, chez des vierges.
Les gynécologues pourraient diriger leur attention sur d'autres symp-
tômes d'hypothyroïdie qui coexistent toujours. Les ménorrhagies, si inex-
plicables, qui sont le propre de la rétroflexion, relèvent de l'hémophilie
générale dysthyroïdienne, et leur pathogénie est ainsi élucidée à peu de
frais.
Très fréquemment, on relèvera le myome, depuis la tumeur colossale
jusqu'aux petits fibromes interstitiels. L'influence heureuse de la médica-
tion dans la dégénérescence fibromateuse confirme la nature dysthyroï-
dienne de ces néoplasmes.
On connaît la fréquence de la dysménorrhée et de la ménorrhagie dans
le grand myxoedème. Dans les formes larvées, ces mêmes symptômes sont
constants.
Indépendamment des douleurs sacrées et dorso-lomhaires attribuables
aux troubles utérins, il existe dans l'hypothyroïdie bénigne chronique une
rachialgie spéciale, qu'il faut bien faire ressortir. Elle siège le plus sou-
vent entre les omoplates. Les malades disent que le dos est comme rongé,
évidé. Cette rachialgie présente ceci de caractéristique et de pathognomo-
nique qu'elle s'aggrave pendant la nuit. Certaines femmes, pour échapper
à leur lit et à leurs douleurs, se lèvent de bonne heure, brisées, rouées.
C'est comme si elles avaient dormi sur un corps dur, dans une position
forcée. La douleur s'améliore, comme la céphalalgie, vers le soir, lorsque
l'exercice musculaire et l'alimentation ont déterminé l'ascension de la
température du corps, transi durant la nuit.
DE L'HYYOTHYROïDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 289
Les manifestations douloureuses de l'hypothyroïdie chronique ne se
bornent pas à la céphalée et à la rachialgie. Dans la plupart des cas, beau-
coup de muscles et d'articulations sont douloureusement affectés. Invaria-
blement, les patientes attribuent leurs maux au rhumatisme. Cette expli-
cation rencontre d'autant plus de crédit que la température est sensible-
ment subnormale. Malgré une charge incroyable de couvertures, ces
femmes sont glacées dans leur lit, dorment dans de la flanelle et se lèvent
néanmoins, le matin, les pieds froids. Dans les cas avancés, la raideur des
muscles et des articles vient confirmer l'idée de rhumatisme. La douleur
peut siéger dans un ou plusieurs membres simultanément. Fréquente est
la douleur des épaules et des bras ; il y a impossibilité de se coiffer. D'au-
tres fois, les genoux sont entrepris et les malades éprouvent une réelle
souffrance à se relever d'une chaise ou à s'agenouiller. Une forme fréquente
est la douleur de la plante du pied, uni ou bilatérale. La douleur est
vive, surtout le matin ou après avoir été assise pendant quelque temps.
A rapprocher de ce fait la mauvaise conformation du pied pied plat
que l'on rencontre très souvent chez les infantiles jeunes et adultes.
J'ai fortement insisté sur ces douleurs prétendument rhumatismales,
lorsque j'ai parlé de la synthèse du myxoedème franc. Je ne peux que con-
firmer ce que je disais alors. Il faut rechercher avec la plus grande atten-
tion les douleurs articulaires et musculaires quand il y a soupçon d'hy-
pothyroïdie, et ne pas perdre de vue que ces accidents, inguérissables par
tout autre traitement, disparaissent et sont curables dans la mesure de
l'hypothyroïdie elle-même.
Nous pouvons maintenant passera l'appareil respiratoire et circulatoire,
et étudier le ralentissement entraîné par l'appauvrissement thyroïdien
dans leur fonctionnement.
L'oppression est un des symptômes les plus constants. Elle existe à tous
les degrés. Parfois elle est imperceptible, ne se révélant qu'à l'occasion
d'un effort musculaire ou en gravissant un escalier. D'autres fois elle est
plus accentuée. La respiration adopte alors, pendant la conversation, un
type spécial, très caractéristique. Elle devient suspirieuse,le malade, après
chaque bout de phrase, faisant une inspiration bruyante. Ces sujets pas-
sent pour franchement asthmatiques. Les degrés légers sont attribués à un
peu d'embonpoint. L'oppression existe cependant en dehors de toute sur-
charge graisseuse, et l'examen attentif de la poitrine montre (dilatation
de la base thoracique, soulèvement de la région sus-claviculaire) qu'il s'a-
git plutôt d'un degré, variable d'après les cas, d'emphysème pulmonaire.
L'emphysème pulmonaire est pathogéniquement difficile à expliquer et
sa genèse est aussi incompréhensible que sa fréquence. Je considère l'em-
physème comme une forme de sénilité pulmonaire. Or le myxoedème se
290 E. HERTOGHE
caractérise par la sénescence prématurée de tout l'organisme. L'emphy-
sème pulmonaire est au poumon ce que le grisonnement est à la chevelure,
ce que la carie dentaire est ci l'appareil masticatoire, ce que le varicocèle,
les varices spontanées et les hémorroïdes sont au système veineux. La
constance de l'emphysème à l'autopsie des vieillards, des alcooliques, con-
firme cette manière de voir.
L'oppression de nature hypothyroïdienne s'accompagne presque tou-
jours de palpitations du coeur, le plus souvent mais pas toujours indolo-
res. La région cardiaque est assez souvent le siège de douleurs lancinan-
tes très pénibles, qui effraient fortement les malades.
Appareil circulatoire périphérique. - J'ai déjà dit que le système vei-
neux ressent vivement et de bonne heure l'influence dystrophique de l'i-
nanition thyroïdienne. Rien n'est plus commun que de voir, aux conseils
de milice, des jeunes gens être exemptés du service pour varices volumi-
neuses, pour varicocèles pouvant gêner la marche.
La théorie mécanique de la formation des varices, qui veut qu'elles ré-
sultent d'un obstacle au retour du sang, ne tient pas ici. Il doit y avoir
autre chose. Les jeunes sujets dont nous parlons, présentent, en réalité,
d'autres tares dysthyroïdiennes : le pied plat, l'hyperhydrose plantaire
fétide, l'adénoïdie, l'ozène. la carie généralisée de la denture, sans comp-
ter le défaut de taille, l'étroitesse de la poitrine et les hernies.
La formation des varices chez la femme enceinte s'explique par la com-
pression des troncs veineux iliaques. Personne n'a jamais infirmé une théo-
rie aussi vénérable et aussi rationnelle. Nous ferons remarquer qu'il existe
cependant de très grandes variétés individuelles au point de vue de l'ex-
tension du réseau variqueux, que les varices ne se déclarent généralement
pas au cours d'une première grossesse, alors que la compression des troncs
iliaques doit être à son maximum, la sangle abdominale résistant et main-
tenant l'utérus dans l'axe du détroit supérieur. Les varices se déclarent au
bout de deux ou trois grossesses, alors que la résistance musculaire du
ventre a fortement fléchi et que l'utérus pend en besace, dégageant ainsi
les troncs iliaques. La dégénérescence variqueuse s'aggrave parfois après
la délivrance; l'état des veines devient de plus en plus précaire avec l'âge
et il n'est pas rare de voir, en fin de compte, d'interminables ulcères s'ins-
taller et perdurer toute la vie. D'autres fois les varices, très développées
pendant la grossesse, disparaissent complètement. A l'àge de retour, il n'y
parait plus.
. La sénilité précoce du système veineux s'accuse du reste en d'autres
régions, soustraites à l'action cle la pesanteur et de la compression : ic la
face (dilatations veineuses très évidentes du réseau capillaire, des joues et
du bout du nez), aux tempes, aux mains (le dos de la main, chez de jeu-
DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 291
nes sujets, couvert de veines tortueuses, énormes), à la face antérieure du
thorax..
Nous ne parlerons pas de la sénescence infantilique du réseau artériel,
pour la simple raison que nous n'en sawnsrien. Virchow pensait quel'é-
troitesse congénitale de l'aorte était la-cause du nanisme. Aujourd'hui
cette théorie est ruinée. L'étroitesse aortique n'est que le résultat de la
dysthyroïd ie, laquelle est congéni ta le et antérieure à l'existence de l'aorte.
Appareil digestif. Ce que nous avons dit au sujet du foie dans la pre-
mière partie de ce mémoire nous dispensera d'être long. En général, on
retrouve la calculose biliaire chez les parents des livpouliyi-oïdiens. Les
femmes atteintes d'insuffisance thyroïdienne présentent souvent un point
douloureux au niveau de la vésicule biliaire.
La grossesse, qui, dans l'immense majorité des cas, s'accompagne d'une
spoliation thyroïdienne considérable au détriment de l'organisme maternel,
aggrave notablement la prédisposition aux congestions et aux calculs bi-
liaires. Le fait est notoire. L'explication qu'on en a donnée est insuf-
fisante. Le ralentissement circulatoire a été le plus généralement incri-
miné. Cette théorie ne résiste pas à un examen sérieux. Il n'est pas prouvé
que la circulation soit moins active dans le foie pendant la gestation qu'en
dehors d'elle. Il n'est pas prouvé que le chimisme biliaire soit moins ac-
tif non plus, bien au contraire. L'augmentation de l'urée, de l'acide, l'ap-
parition de kyestéine sont In pour le dire.
Le foie se congestionne sous l'influence de l'hypothyroïdie gravidique.
Les expériences de Ver Eecke sur les animaux prouvent que l'éthyroïdi-
sation provoque l'hyperémie du foie d'une manière frappante, pouvant
même aller jusqu'à la rupture vasculaire.
Dans les degrés légers d'hypothyroïdie, le foie est simplement augmenté
de volume et l'appétit est conservé. Dans les cas plus avancés, les malades
se plaignent d'un poids dans l'hypochondre; les mouvements du tronc sont
gênés et il existe un profond dégoût pour la viande. Il n'est pas rare de
constater des calculs et des crises hépatiques. Je n'insisterai pas davan-
tage. Je voudrais qu'on retint, de tout ceci, une chose : c'est que les con-
gestions chroniques du foie et l'existence de calculs biliaires doivent attirer
l'attention du médecin sur la possibilité d'une hypothyroïdie chronique.
Le symptôme qui domine en quelque sorte toute la scène pathologique
dans l'insuffisance thyroïdienne, c'est la constipation.
J'ai montré le rôle de la constipation dans le myxeedéme franc du jeune
âge et des adultes. J'ai fait voir les conséquences esthétiques qu'elle en-
traine chez les enfants manifestement dysthyroïdiens, la distension de la
sangle abdominale, la formation de la hernieombilicaleet les changements
que provoque le traitement thyroïdien.
292 E. HERTOGHE
La constipation que l'on rencontre invariablement dans le grand myxoe-
dème se trouve, dans l'immense majorité des cas, dans l'insuffisance bé-
nigne. C'est un mal de toute la vie. Elle existe dès l'enfance, traverse l'a-
dolescence et la jeunesse, et ne se corrige pas à t'age adulte, parce qu'elle
est la conséquence directe de l'hypothyroïdie, laquelle est congénitale et
dure toute la vie.
Je ne veux pas dire que toutes les constipations soient d'origine dysthy-
roïdienne ; mais il est certain que, dans un grand nombre de cas, surtout
chez les femmes et les enfants, cette influence n'y est pas étrangère. Dans
la chlorose, la constipation est si fréquente que certains l'on prise pour
base de leur médication et la considèrent comme la cause de la maladie.
Or la chlorose rentre de plus en plus dans le giron de la dysthyroïdie, et
si l'on se donnait la peine de prendre la température des chlorotiques, on
serait vite édifié sur la question.
Des femmes qui, normalement, ont des selles faciles et régulières, de-
viennent, une fois enceintes, obstinément constipées, surtout dans les pre-
miers temps de la grossesse, lorsque le volume de l'utérus ne peut encore
être invoqué.
Les hypothyroïdiens attribuent tous leurs maux céphalée, rachial-
gie, névralgies, douleurs dentaires et douleurs hépatiques - à leur cons-
tipation invincible, et les médecins les encouragent dans cette manière de
voir. Encore une fois ici, il y a erreur. Tous ces symptômes dépendent
d'une seule et même cause : l'appauvrissement thyroïdien. Le traitement
le confirme.
Le sommeil. Lorsque la maladie est nettement établie, les patientes
sont somnolentes, fatiguées, languissantes. Un rien les énerve. Tout sem-
ble être au-dessus de leurs forces, physiquement et moralement. Ces fem-
mes, contrairement à ce qui se passe dans la fatigue saine et physiologi-
que, se lèvent le matin plus fatiguées et plus abîmées qu'en se couchant.
Elles se sentent mieux le soir et éprouvent de la peine à trouver le som-
meil. Les premières heures de la nuit sont agitées. Vers le matin, le som-
meil est impérieux et profond. Dans les cas graves, les douleurs matuti-
nales les chassent du lit, malgré le sommeil. La température du corps est
sub-normale. Les malades transpirent facilement. Les mains sont froides,
humides, bleuâtres et flasques. Les articulations des doigts et du pouce
sont lâches et les doigts peuvent être à peu près renversés sur le dos de
la main. Lorsque la main est gantée, elle perd sa forme, et quand on la
serre, elle fait l'effet d'un gant bourré de terre glaise. Avec un peu d'habi-
tude, il suffit de serrer la main d'une personne pour juger de son état de
détresse thyroïdienne.
Thibierge indique comme symptôme du myxoedème fruste « une sensa-
DE L'HYPOTRYROïDtE BÉNIGNE CHRONIQUE 293
tion persistante de froid éprouvée par le malade ». C'est là, nous l'avons
déjà dit, un symptôme qui appartient en propre au grand myxoedème.
Dans l'hypothyroïdie bénigne chronique, le froid n'est perçu que d'une
manière intermittente. Des frissons parcourent le corps, surtout la région
dorsale, à certains moments de la journée, généralement vers 4 à 5 heures
du soir. Les médecins attachent peu d'importance à ces dires du patient
et celui-ci attribue les frissons à la fièvre. J'ai vu une servante qui était
régulièrement prise de frissons à la même heure, au point de claquer des
dents. Ce que cette femme a avalé de quinine est inimaginable, étant soup-
çonnée de paludisme. Plus tard, les frissons ont été attribués à l'hystérie,
d'où bromure de potassium à haute dose, sans le moindre succès. Aujour-
d'hui, elle est, complètement rétablie, grâce à l'ingestion journalière de
quelques pastilles de thyroïdine; lorsqu'elle cesse la médication, les fris-
sons reviennent. Elle présente, du reste, une série complète de phéno-
mènes hypothyroïdiens, surtout de la dysphonie.
Chez l'enfant, l'hypothyroïdie bénigne se manifeste par une foule de
symptômes. Le plus important de tous, c'est le retard de la croissance;
c'est aussi le plus constant. Le retard de la taille n'est généralement re-
marqué qu'à partir de la première communion, à l'occasion de laquelle
l'enfant est comparé à d'autres du même âge. Avant cela, l'insuffisance
thyroïdienne se manifeste par une première dentition tardive. Les dents
de lait se carient de bonne heure. Les incisives se couvrent d'un tartre
noir et les dents paraissent grasses et luisantes. La chute des premières
dents, qui doit être achevée de la septième à la neuvième année, se fait
beaucoup plus tardivement. Il arrive qu'on doive les enlever pour faire
place aux dents définitives. Celles-ci viennent mal. irrégulièrement. Les
incisives supérieures latérales manquent parfois ; d'autres fois, elles sont
plus petites d'un ou des deux côtés ; elles noircissent de bonne heure. La
marche est tardive chez ces enfants ; il n'est point rare de les trouver, à
dix-huit mois, incapables de se diriger seuls. Nous avons parlé du ventre
et de la constipation ; nous n'y reviendrons plus. La peau est sèche, fen-
dillée, rugueuse ; déshabillés, ces enfants se grattent obstinément le dos,
aussi haut qu'ils peuvent, et la poitrine ; ils sont couverts d'égratignures.
Il y a certainement chez les enfants une forme de prurigo sec, dépendant
de l'inanition thyroïdienne. J'ai rencontré aussi quelques cas très nets
d'ichthyose. Les pieds sont froids, humides et plats,transpirant facilement
en été et se couvrant d'engelures en hiver. Les mains sont moites et sem-
blables à celles que j'ai décrites chez l'adulte.
Les parties sexuelles, nous l'avons déjà dit, sont souvent incomplètes.
La monorchidie n'est rien moins que rare. Elle est généralement ignorée.
Je l'ai souvent trouvée chez des enfants atteints d'incontinence nocturne
xu £ 20
294 E. HERTOGUE
d'urine. Très souvent les testicules sont appliqués encore contre l'anneau
inguinal à un âge où ils devraient être librement descendus. D'autres fois,
les organes semblent bien développés, mais le pénis est long, pendant,
flasque, et il existe même des varicocèles très étonnantes. J'en ai vu à Page
de seize ans.
L'intelligence de ces enfants est variable. Ils sont très turbulents, anor-
malement remuants et agiles. Il y de ces enfants qui cassent et démolis-
sent tout ce qui leur tombe sous la main, stupidement, non pour se ren-
dre compte de la construction dn joujou, mais par simple agitation et
athétose musculaire. Il faut rechercher attentivement chez eux les traces
d'hypothyroïdie. Généralement, leur langage est rudimentaire et ils sont
malaisés à instruire.
D'autres sont plus intelligents, mais oublieux, légers. La mémoire sur-
tout semble leur faire défaut. Certains enfants, déjà grandelets, ont une
peine infinie à se loger dans la tête les notions les plus élémentaires de l'or-
thographe. Cette malheureuse disposition leur attire des réprimandes abso-
lument infructueuses. Il leur est aussi impossible d'avoir une orthographe
correcte que d'avoir les pieds chauds : l'organisation cérébrale est incom-
plète.
Il arrive que le cerveau, adapté à la mémoire photographique des mots,
soit absolument incapable de recevoir l'impression du calcul. Cette infir-
mité cérébrale est évidemment susceptible de culture, mais il n'est point
rare de la voir persister jusqu'à l'âge adulte. Lorsqu'une personne ayant
reçu une éducation soignée et prolongée fait montre d'ignorance grave en
matière d'orthographe, il faut se défier et soupçonner l'inanition thyroï-
dienne.
Enfin, il arrive que l'intelligence soit intacte. Très éveillés et perspi-
caces, certains infantiles, surtout ceux du type Lorain, se rendent parfaite-
ment compte de leur étal.
Notons encore - et ce détail peut avoir son importance que ces en-
fants, comme les hypothyroïdiens adultes, éprouvent un violent attrait
pour les boissons alcooliques.
L'adénoïdie est fréquente chez les infantiles, la respiration est courte et
le coeur très émotif. Le sommeil est lourd et profond, la température est
subnormale.
Ce serait ici le lieu de répéter ce que je disais plus haut au sujet de
l'infantilisme vocal, veineux, pileux. Je n'y reviendrai pas.
Les symptômes que nous venons de décrire ne valent que par leur en-
semble. Isolément, ils ne signifient rien. Intentionnellement, j'ai passé
sous silence les manifestations qui sont le propre du myxoedème franc : le
teint ambré, plaqué de rouge, l'infiltration des paupières, l'obésité Coin-
DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CIIRONIQUE 295
mençante, l'oedème, le gonflement des mains et des pieds. L'hypothyroï-
die bénigne chronique existe sans ces symptômes.
MARCHE DE LA MALADIE.
L'hypothyroïdie chez les enfants tend manifestement vers la guérison.
L'enfance est longue, l'adolescence se prolonge, mais enfin, dans de bon-
nes conditions d'hygiène, et lorsque la maladie n'est pas trop avancée, le
sujet finit par arriver au développement complet.
Cela est aussi vrai pour l'esprit que pour le corps.
Chez la femme adulte, la tare dysthyroïdienne se réveille sous l'influence
des causes qui ont été signalées lorsque nous avons parlé de l'étiologie,
et elle s'aggrave en raison de l'intensité de ces facteurs.
Une fois établie, elle n'a aucune tendance à la guérison, en deçà de la
ménopause. La ménopause, tardive le plus souvent, amène parfois une
amélioration notable, et la longévité ne semble pas inquiétée par l'hypo-
thyroïdie.
TRAITEMENT.
L'ingestion de thyroïdine est la pierre de touche de l'hypothyroïdie bé-
o nigne chronique. Ses effets ne sont pas moins brillants que dans le myxoe-
dème franc. Il faut seulement se pénétrer de quelques notions indispen-
sables à la bonne réussite de la cure.
1. Il faut éviter de vouloir aller trop vite. On ne connaît pas la quantité
de thyroïdine que déverse dans le sang une glande saine. A fortiori ne
sait-on point le déficit capable de déterminer l'explosion de phénomènes
d'hypothyroïdie. 11 importe donc d'aller prudemment et de donner des
doses faibles.
2. L'excès de thyroïdine ingérée fait naître précisément les symptômes
que l'on désire combattre. Citons la céphalalgie, la douleur du dos à la
région des reins, les douleurs musculaires et articulaires, l'oppression et
les palpitations douloureuses simulant parfois l'angine de poitrine, l'ano-
rexie et les douleurs du foie. L'administration de doses trop fortes décou-
rage le malade et effraie le médecin plus qu'il ne le laisse voir. D'où aban-
don du traitement et discrédit de la méthode.
3. La médication thyroïdienne ne peut rien si le malade ne s'astreint à
quelques mesures diététiques, qui sont le contraire de tout ce qu'il a
jamais entendu de la bouche de ses médecins. Le traitement habituel de
l'anémie (l'hypothyroïdie bénigne est habituellement prise pour de l'ané-
mie) comporte l'usage du vin, de bières fortes, de vins médicamenteux.
L'anémie est fréquemment combattue par les bains, les allusions et dou-
296 E. HERTOGHE
ches froides. Or tout cela est diamétralement opposé à l'activité du remède
thyroïdien.
Pour ce qui regarde les bains froids, la démonstration n'est pas diffi-
cile. Soustraire du calorique à un organisme déjà anormalement frigide et
refroidi, c'est un pur non-sens. La réaction ne se fait pas chez ces femmes
et chez ces enfants. Il faut .avoir traité ces malades, qui toutes ont fait du
« Kneipp », pour se rendre compte des souffrances qu'on leur a inutile-
ment imposées. Toutes ont été forcées d'abandonner cette cure barbare, et
leurs rhumatismes en ont été aggravés dans des proportions terribles. Un
simple bain froid suffit à diminuer la résistance thyroïdienne. J'en ai vu
des exemples nombreux dans des conditions de précision presque mathé-
matique. Je m'expliquerai la-dessus dans un autre travail.
Il faut conseiller, au contraire, les bains chauds, les enveloppements
chauds, les bains de vapeur, les boissons chaudes.
Le bain de pied chaud et même le bain général très chaud, avant le
coucher, ont la plus heureuse influence et sont un adjuvant précieux du
traitement organothérapique.
Les boissons alcooliques, si recherchées par les anémiques hypothyroï-
diens, doivent être absolument proscrites. Elles sont d'abord contre-indi-
quées à cause de la congestion et de la susceptibilité du foie. Au même
titre que la morphine, dont nous avons signalé depuis longtemps l'anta-,
monisme, l'alcool détruit les bons effets de la médication et peut être con-
sidéré comme l'antidote du principe glandulaire.
Les phénomènes les plus pénibles que peut provoquer l'ingestion d'une
dose excessive de thyroïdine, même administrée à un sujet sain, tels que
la douleur excruciante du dos à la région rénale ou les symptômes angini-
formes du coeur, se dissipent à l'instant par l'ingestion d'une dose relati-
vement faible d'alcool ou de morphine. J'ai d'autres raisons, du reste, qui
confirment cette opinion. J'y reviendrai également dans un travail ulté-
rieur.
L'usage inconsidéré du sucre doit aussi être défendu. J'en donnerai la
raison plus tard.
Le tabac doit être sévèrement interdit aux enfants... et aux femmes.
Beaucoup d'enfants fument en cachette ou même au vu de leurs parents.
La faiblesse des parents sous ce rapport est parfois incroyable. Aujour-
d'hui même, on m'a amené un diabétique de 12 ans, si maigre (18 kilo-
grammes), si cachectique, qu'on était obligé de le porter. J'ai cru qu'il
allait mourir dans mon cabinet. Ce gamin fume ses quatre cigares par
jour. II y a même des enfants qui mâchent le tabac. Jamais on n'arrivera
à rien chez des sujets qui persistent à en user.
4. La thyroïdine ne peut donner que ce qu'elle a. Capable de rendre
DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE . 297
aux muscles rhumatisés leur souplesse et leur élasticité indolore d'autre-
fois, capable de rendre aux tuniques intestinales le tonus et la force qui
leur font défaut, capable encore d'éliminer les poisons qui produisent le
malaise des centres nerveux (céphalalgie, rachialgie, névralgies), de rele-
ver la température du corps en brûlant plus complètement la graisse, elle
est cependant impuissante à rendre au poumon emphysémateux le terri-
toire qui lui manque. Elle ne saurait régénérer une denture détruite par
la carie, ni faire disparaître un varicocèle ou des paquets volumineux de
varices.
Si nous avions à notre disposition de la thyroïdine humaine, fraîche,
vivante, à l'état naissant, et si nous pouvions la déverser directement dans
le sang des hypothyroïdiens, nos résultats seraient plus brillants qu'ils ne
sont actuellement. Cependant, avec la thyroïdine telle que nous l'em-
ployons, il y a moyen d'opérer des cures vraiment brillantes. Avec un
peu de patience, de prudence et de régime, on pourra faire disparaître
une foule de symptômes : la céphalée, la rachialgie, la calvitie, la consti-
pation, les raideurs et douleurs rhumatoïdes, les douleurs hépatiques, la
somnolence, le découragement, la mélancolie et la fatigue de vivre. On
empêchera l'emphysème pulmonaire de faire de nouveaux progrès, et l'op-
pression s'en trouvera beaucoup soulagée, en vertu du principe d'accou-
tumance. Les douleurs anginiformesaucoeur disparaîtront complètement.
Les troubles hémorrhagiques de l'utérus obéissent merveilleusement à
l'action de la thyroïdine. La matrice diminue de volume et de sensibilité.
Dans les fibromes, son action n'est pas moins nette. La tumeur fond
lentement. L'amélioration se constate surtout à la diminution de Phémor-
rhagie et à la disparition des phénomènes de compression (sciatique uni
ou bilatérale). J'ai sauvé plus d'une femme du couteau.
Dans la rétroflexion infantile des vierges, la thyroïdine, au bout d'un
temps très court, fortifie la paroi postérieure de la matrice, la redresse.
Pourquoi s'étonner de cette action, puisque j'ai montré dans un précédent
travail l'évolution complète des organes génitaux mâles chez un infantile
de 20 ans en moins de six mois. Au bout d'un temps très court, la matrice
se relève; le sang menstruel s'en dégage plus facilement. Je ne demande
pas à être cru sur parole. Dans la rétroflexion des vierges, on sait d'avance
que toute médication thérapeutique est inutile. Avant d'en arriver à l'hys-
téropexie. ou à toute autre méthode sanglante, que l'on suive mon conseil,
et l'on en verra les heureux effets.
Dans la stérilité qui dépend d'un retour trop facile et trop violent de la
menstruation, on n'aura qu'à se louer de l'action inhibitive de la thyroï-
dine. Son usage, à dose faible, devra, être continué pendant tout le temps
de la gestation.. ·
298 . E. HERTOGHE
On commencera par des doses d'une demi-pastille de Burroughs et Well-
come, préparation à laquelle je suis toujours resté fidèle, sauf dans quel-
ques cas d'intolérance gastrique. Je me trouvais alors mieux de l'iodolhy-
rine de Baeyer, plus douce et plus facile à supporter.
Je me suis trouvé bien de faire agir la thyroïdine après avoir alcalinisé
le sang par quelques doses répétées de bicarbonate de soude. Il me sem-
ble qu'elle est alors plus efficace et mieux tolérée.
Lorsque la thyroïdine détermine de la diarrhée, il faut l'associer au ma-
gistère de bismuth.
Chez les enfants arriérés, infantiles bénins, la thyroïdine sera plus ap-
préciée encore. Elle relève la taille, complète les appareils en retard, gué-
rit la constipation et développe incontestablement des facultés cérébrales
qui, sans elle, seraient restées dans l'ombre. Ajoutons que les enfants
supportent la thyroïdine bien plus facilement que les adultes.
Nous terminons en formulant le voeu de voir le public médical s'inté-
resser de plus en plus à la médication thyroïdienne, que nous avons seu-
lement esquissée. Nous demandons que l'on veuille sans esprit de déni-
grement, vérifier, le complexus symptomatoloique que nous avons décrit,
très imparfaitement, mais suffisamment pour servir de point de départ à
des études plus détaillées. '
.
..
Je fais suivre mon mémoire d'une série d'observations.
1° Adultes.
Uns. I. - Gastralgie et ménorrhagie hypothyroïdiennes.
Mélancolie. Douleurs des membres.
L'épouse A... vient me consulter pour ses douleurs d'estomac. Agée de
51 ans, elle est encore abondamment réglée, au point d'en être fortement affai-
blie. Son père est encore en vie; sa mère est morte d'albuminurie à l'âge de
retour. Notre patiente, petite de taille et chétive d'apparence, n'a été réglée
qu'à l'âge de 17 ans. Elle a eu quatorze enfants dont dix sont en vie. Sur ces
dix enfants, il y a neuf filles. L'aînée a été longtemps malade et perd beaucoup
de sang. La seconde présenta plusieurs fausses couches avant de porter à
terme des jumeaux dont l'un mourut quelques heures après sa venue. La troi-
sième est obèse ; la quatrième fera le sujet de l'observation suivante ; la cin-
quième fille s'est mal développée, contrefaite, pâle et oppressée. Les autres
enfants sont bien portants. La femme A... a allaité tous ses enfants. Les dou-
leurs d'estomac remontent au début de sou mariage. Disposée à la tristesse,
somnolente et toujours accablée, elle se portait mieux, dit-elle, étant enceinte
qu'autrement. La figure est pâle, légèrement bouffie, les sourcils sont déla-
brés. Un examen corporel démontre une vive sensibilité au niveau de la vési-
DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 299
cule biliaire. L'utérus est gros, congestionné. Le col est profondément déchiré
attiré fortement par le ligament large de gauche, qui paraît raccourci. Elle se
plaint aussi de douleurs dorsales, de douleurs dans les jambes et dans la
plante des pieds. Le traitement commence à la dose d'une pastille anglaise par
jour, le 17 mai 1898. Le 2t juin suivant, à la seconde visite, elle me déclare
avec joie que la menstruation n'a plus reparu. L'appétit est meilleur et elle ne
ressent plus de douleurs nulle part. Le 12 juillet suivant, les règles réappa-
raissent et la patiente éprouve pendant quelques jours de la lassitude et de l'ac-
cablement. L'amélioration générale persiste. J'élève la dose à deux pastilles par
jour. Le 10 octobre 1898, la patiente se déclare guérie. Elle mange beaucoup
et de tout. Je l'ai encore revue le 17 janvier dernier : elle a gagné en poids.
Par prudence, je lui fais continuer son traitement à la dose d'une pastille par
jour.
Ces. IL Adénoidie. - Gastralgie et ménorrhagies
hypothyrouliennes. Constipation.
Mlle A..., fille de la femme dont nous venons de tracer l'histoire, est âgée
de 19 ans. A première vue, ce qui frappe le plus l'attention, c'est la largeur
de la face et celle du dos du nez. Les sourcils sont rares. Cette jeune fille est
très souvent enchifrenée, respire à bouche ouverte. Les muqueuses du nez sont
hypertrophiées et se rétractent fortement au contact de la cocaïne. Elle aussi
se plaint de l'estomac. Les digestions sont lentes et difficiles; son corps semble
gonfler démesurément après les repas. Les règles sont très abondantes et
reviennent trop vite. Elle souffre beaucoup de constipation. Le foie n'est cepen-
dant pas douloureux. Etant petite, elle a beaucoup souffert d'engelures. Les
amygdales sont grosses, hypertrophiées et s'enflamment périodiquement. Le
' traitement commence le 11 mai 1898. Poids GO hg. 300. Le 26 du même mois,
elle déclare pouvoir mieux respirer par le nez. La constipation est moins opi-
niâtre. L'appétit est excellent. Les douleurs de l'estomac ont complètement
disparu. A l'heure actuelle, cette enfant est tout à fait rétablie. Elle pèse
57 kg. 600. Elle a donc perdu pendant son traitement environ 3 kilogrammes.
Les règles se sont beaucoup modérées.
Obs. III. Hépatalgie.- Constipatioll.-1Ué1W1'l'hagies.- Sensibilité au froid.
Mme B..., est âgée de 60 ans. Elle a eu sept enfants. Elle les a tous allaités,
sauf un, mort après quelques jours. L'allaitement a été chaque fois très. long et
très complet. Elle est de bonne taille et pèse 79 kilogrammes. Elle se plaint
d'éprouver presque journellement dans la matinée un malaise indéfinissable,
une sensation de syncope imminente. Bien qu'a un examen très attentif il y ait
chez cette femme un léger degré de bouffissure de la face, un peu d'épilation
sourcilière et une teinte quelque peu subictériquo du visage, on ne pense pas,
en la voyant, à l'existence d'une influence myoedématense. La parole, cepen-
dant, traîne un peu, et les pommettes sont légèrement rouges. Elle est habi-
tuellement constipée. Elle présente aussi des douleurs dans la région du foie,
tant à droite qu'à gauche, et dans le dos, au niveau de ce viscère. La ménopause
300
E. HERTOGHE
s'est installée normalement à 50 ans. Toute sa vie, les règles ont été profuses
et les accouchements suivis de pertes considérables. La vésicule biliaire est
sensible à la pression et même douloureuse. La délimitation du niveau infé-
rieur du foie est impossible cause de l'infiltration adipeuse de la paroi abdo-
minale. La chevelure est notablement dégarnie sur la ligne médiane.
Les enfants mâles issus de cette femme sont bien portants. Il n'en est pas de
même des filles. L'aînée a eu le rhumatisme articulaire à l'âge de 16 ans.
Aujourd'hui sa santé est passable, mais il lui est resté, au dire de la mère, un
certain degré d'hydrémie et de gonflement oedémateux : Zij is waterachtig
gebleven van het flei,eci,i71. La seconde fille n'a pas eu d'enfants et est fort ané-
Fig. 24. - Eetromélie de la main et de l'avant-bras gauches chez une femme issue
de mère hypothyroïdienne (Observation III).
mique. La troisième a des ménorrhagies inquiétantes. La dernière enfin est
venue au monde avec une ectromélie de la main et de l'avant-bras gauches.
(Fig. 24.)
Cet arrêt de développement in utero reconnaît-il pour cause l'infériorité
thyroïdienne de la mère ? Nous n'oserions l'affirmer. De nouvelles recherches
doivent être faites dans ce sens.
MmeB... est très sensible au froid. J'installai le traitement thyroïdien le
16 novembre 1897, à la dose d'une pastille anglaise par jour. Le 19 décembre
suivant, les lypothymies matutinales ne se représentent plus aussi souvent. La
DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 301
douleur du foie persiste encore. Les selles restent difficiles. J'évite intention-
nellement les purgatifs pour ne pas troubler le mécanisme du traitement. Le
5 janvier 1898, la douleur du foie a complètement disparu et, à part un certain
degré de constipation, la femme se déclare guérie. Je la revois encore le 27 jan-
vier. Son état est alors des plus satisfaisants. Par précaution, elle continuera
son traitement a la dose d'un quart de
pastille anglaise, dose d'entretien suf-
fisante chez une femme de cet âge.
La figure 25 représente le radio-
gramme du membre ectromélique.
Ous. IV. Menstruation tardive.
Ménorrhagies. Grisonnement yré-
11latul'é de la chevelure. Grises
gastriques. Foie douloureux. -
Calculs biliaires. Météorisme gas-
trique. Constipation. /7fMO)'-
1'hoides. Lésions des gencives et
des dents caractéristiques.
Mlle G..., 53 ans, sembleau premier
abord jouir de la plus brillante santé.
En y regardant de plus près, on re-
marque que le teint est un peu jaunâtre.
Les pommettes sont un peu rouges,
mais il faut avoir l'attention appelée
sur ce point pour en tirer quelque
déduction d'ordre pathologique. De
taille plutôt élevée, elle pèse 83 kilo-
grammes. Les règles ont commencé
Fig. 2;).- Radiographie du membre
ectromélique (Observation 11l).
tard, vers la dix-huitième année, et ne se sont suspendues qu 52 ans. Jusqu a
la fin, elles ont été profuses, interminables. Son grand-père et son père, quatre
de ses frères et soeurs sont morts de tuberculose. La mère était bien consti-
tuée et a vécu jusque l',iâe de 89 ans.
Vers la quarantaine, Mlle G... a vu à peu près subitement blanchir sa che-
velure, et à l'heure actuelle, les cheveux tombent rapidement.
Toute sa vie, elle a souffert de ce qu'elle appelle des crises gastriques. Il y
a un an, elle a eu, la nuit, un accès terrible. Les souffrances ont duré deux
jours. La convalescence a été lente et longue, le foie restant longtemps dou-
loureux, puis sensible. Vomissements, selles décolorées. Le médecin, avec
raison, crut à des calculs biliaires.
Actuellement, après le repas, il arrive que le ventre gonfle très rapidement
au point d'empêcher tout travail. La malade supporte mal le froid. La consti-
pation est opiniâtre, Les gencives sont rouges, irritées, saignent facilement à
la brosse. Les dents sont en majeure partie cariées. La malade a eu et a
encore des hémorrholùes très gênantes.
302 E. HERTOGHE
L'examen du ventre démontre l'existence d'une vive sensibilité au niveau
de la vésicule biliaire. Les parois du ventre sont lourdes et chargées de
graisse.
Le traitement commença le 16 janvier 1898, à la dose d'une pastille par
jour, le poids étant de 83 kilogrammes. Le 14 mars suivant, la malade se sent
plus dégagée. Elle n'est plus si enserrée la taille. La marche et la respira-
tion sont bien plus faciles, les dilatations subites du ventre sont moins fré-
quentes. Le 13 avril, l'amélioration s'accentue. La constipation persiste encore
Le 25 août, le poids est tombé à 76 kg. 200. La marche et la respiration sont
maintenant faciles et normales. La digestion est facile. La patiente supporte les
mets les plus indigestes, ceux dont elle était obligée de se passer depuis des
années. Le traitement continue toujours il la même dose. Le 17 décembre 1898,
la patiente se déclare guérie. Par mesure de prudence, le traitement sera
continué pendant quelques mois encore.
OBs. V. Ménorrhagies. - Douleurs du rachis. Céphalalgie hypothyroï-
dienne. - Gencives caractéristiques . Jaunisse. - G1'isonnernent p1'éma-
turé. - Rétroflexion utérine.
Mme D..., 35 ans, depuis dix ans, n'a eu que deux enfants. Ces enfants sont
manifestement en retard de croissance, présentent un système dentaire déplo-
rable et se sont notablement relevés en taille et en force par l'usage de la thy-
roïdine. C'est après avoir constaté l'heureuse influence de ce médicament que
Mme D... s'est décidée il me consulter pour elle-même.
Dès avant son mariage, elle souffrait du ventre. Cet état pénible n'a fait
que s'accentuer par la suite. Les règles sont très abondantes et reviennent
tous les quinze jours. Elles sont précédées de vives douleurs dans le dos et
dans la région sacrée. La malade souffre beaucoup de la tête et est obligée de
s'alitera l'approche des règles. Elle a eu la jaunisse, il y a deux ans. Les gen-
cives sont rouges et saignent très facilement. Les dents sont dans un état dé-
plorable. Malgré son âge, elle grisonne fortement et perd beaucoup de cheveux.
Elle est extrêmement frileuse et a toujours les pieds froids. Elle ressent de
vives douleurs dans la région ovarienne droite. L'examen local démontre une
rétroversion utérine fort douloureuse. Les ovaires sont très sensibles. L'utérus
est gros, très sensible il la pression.
Le traitement commence le Il juin 1898, à la dose d'une demi-pastille par
jour.
Progressivement, sous l'empire de ce traitement, les douleurs du dos, du
ventre et les irr'adiations douloureuses dans les cuisses diminuent. Le 18 août
1898, la malade n'a plus mal ni il la tête, ni dans le dos, ni dans le ventre ;
les règles viennent à leur temps, ne déterminent aucun phénomène doulou-
reux. Le 17 janvier dernier, je vois la patiente pour la dernière fois. Elle se
déclare complètement guérie. La constipation a cédé complètement. Elle vit
d'une vie toute nouvelle et inconnue pour elle. La sensibilité ovarienne a
complètement disparu, et au toucher l'utérus indolore a repris sa position nor-
male.
DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 303
Or;s. VI. Malaria pendant la grossesse. Lassitude et somnolence conti-
11Uelles. Céphalalgie . Ménorrhagies. Dents et gencives caractéris-
tiques.
Mme E... vient d'abord me consulter pour sa fille. Cette enfant est atteinte
d'hypothyroïdie ou de myxoedème franc.
Cette dame, voyant les bons effets du traitement thyroïdien chez sa fille, se
décida, le 23 juin 1898, à me consulter pour elle-même. A ce moment, elle
avait 36 ans et pesait 51 kilogrammes. Elle s'est mariée à 21 ans. Elle a eu
trois enfants. L'ainé, un garçon, est bien portant et bien développé. Le second
enfant est mort au bout de peu de jours. Le troisième est la petite lille pour
laquelle elle vint me consulter. Son mari est bien portant, intelligent et actif.
Au cours de sa troisième grossesse, la malade résida dans un village poldérien
aux environs d'Anvers, contracta la fièvre intermittente et dut se réfugier fina-
lement en ville pour faire ses couches. On a vu l'influence néfaste de la ma-
laria sur le fruit de cette grossesse. Actuellement, Mme E... se plaint d'une '
grande lassitude, d'une somnolence perpétuelle. La voix est comme voilée,
éteinte par moments. De fréquents maux de tête lui font garder le lit plusieurs
jours de suite. Elle ressent beaucoup de douleurs dans le dos. Les règles sont
profuses. La constipation est opiniâtre. Cependant, rien dans l'aspect extérieur
de cette femme n'indique le myxoedème. Les dents sont mauvaises, les genci-
ves rouges, irritées, bordées de tartre. Je commençai le traitement à la dose
d'une pastille par jour. Je la revis le 20 octobre suivant. Les maux de tête, de
dos, d'estomac avaient complètement disparu et la malade se considère comme
guérie.
OBS. VII. Météorisme gastrique. Constipation opiniâtre. - Rétroflexion
utérine. Congestion chronique des annexes. - Influence du traitement sur
les organes du bassin.
Mlle F..., 49 ans, n'a été réglée que fort tard, vers sa dix-huitième année.
Elle se présente chez moi parce que son ventre grossit à certains moments,
particulièrement lors de la digestion. Elle ressent depuis quelque temps dix
à douze mois - des douleurs dans le bas-ventre. La menstruation perdure
encore, mais n'est nullement exagérée ni pénible. La constipation est opiniâtre.
Elle n'a pas de douleurs du foie. Après lui avoir fait prendre quelques purga-
tifs pour faciliter l'examen du ventre, je constate que le cul-de-sac de Douglas
est rempli par le corps rétrofléciii de l'utérus. L'utérus est gros, volumineux,
sensible et difficile à soulever; de grosses masses solides garnissent les culs-
de-sac latéraux. La cavité pelvienne semble comme bourrée par tous ces orga-
nes distendus et congestionnés. Je commence le traitement à la dose d'une
demi-pastille par jour, le 15 septembre 1898. Le 25 septembre suivant, la tu-
méfaction des organes intrapelviens a beaucoup diminué. La dose est élevée à
une pastille et demie. Le 28 octobre, le ventre ne fait plus souffrir la malade.
Plus de maux de tête ni de dos ; le pelvis est pour ainsi dire complètement dé-
gagé. La sensibilité de l'utérus et des ovaires a énormément diminué et l'on
304 E. HERTOGHE
peut mobiliser et délimiter nettement les ovaires dans les culs-de-sac latéraux.
Le 9 décembre, Mlle F... se sent si bien qu'elle se déclare guérie. Par précau-
tion cependant, elle continue à prendre son remède,
OBs. VIII. Cas type d'hypothyroïdie bénigne chronique : migraine, constipa-
pérale. - Teint et visage caractéristiques. - Constipation.
Mme Je me présente son fils, âgé de 14 ans, le 27 septembre 1897. Cet
enfant saigne du nez trois à quatre fois par semaine, dort la bouche ouverte
et présente des végétations adénoïdes dans le pharynx supérieur. Comme il
me paraissait en retard de développement, je lui donnai de la thyroïdine. Il
s'en trouva très bien. Les épistaxis disparurent presque aussitôt.
La mère me consulta également pour son état de santé. Très intelligente et
analysant parfaitement ses sensations, elle put me tracer le tableau suivant,
qui est l'image à peu près complète de l'hypothyroïdie chronique bénigne. Elle
se plaint de trois symptômes : la migraine, la constipation et l'oppression. La
migraine est surtout matutinale : elle se lève ayant mal de tête. Elle a souffert
beaucoup aussi de névralgies faciales. Les dents sont mauvaises, couvertes de
tartre, et les gencives sont molles et saignantes. Elle se plaint également de
rachialgie. La douleur siège surtout au niveau des omoplates et elle s'exaspère
par le séjour au lit. La patiente est quelquefois comme chassée de son lit par
la douleur du dos. Actuellement âgée de 43 ans, elle a mis au monde deux
enfants vivants et à terme. Elle a eu trois fausses couches dont l'une accom-
pagnée d'accès éclamptiques. Après son premier enfant, elle a souffert deux
fois de rhumatisme articulaire aigu, et pendant longtemps a eu de l'albumine
dans ses urines. Durant sa seconde grossesse, elle a vu les veines des jambes
se gonfler considérablement et, à l'heure actuelle, elle porte encore un bas
élastique. Elle perd beaucoup de cheveux et les sourcils sont légèrement raré-
fiés. Le visage est haut en couleur, un peu bouffi, avec une légère teinte am-
brée dans les fonds. Les oppressions surviennent environ trois à quatre heures
après le repas principal, généralement vers 6 heures du soir. Cependant, elle
ne ressent pas de palpitation de coeur. Un peu de vin la soulage vite et elle a
pris l'habitude d'en prendre, ases repas, une assez belle quantité, pour se sti-
muler et se donner des forces. En effet, elle se sent faible, somnolente, toujours
disposée il se coucher et à dormir. Elle n'est jamais mieux qu'après avoir co-
pieusement dormi. La constipation est des plus opiniâtres. lui semble qu'elle
n'irait jamais à selle, si elle ne prenait des purgatifs. Elle est frileuse. Elle a
fait toutes les variétés d'hydrothérapie froide et chaude, et attribue les douleurs
des épaules, du dos et des membres aux rhumatismes que la douche lui a con-
férés. Une de ses soeurs est morte tuberculeuse. Ses deux frères sont sujets à
la goutte. La digestion est en général laborieuse ; le ventre se gonfle rapide-
ment pendant qu'elle est en cours. Le traitement consiste dans l'administration
d'une pastille et demie par jour, la suppression des alcools, vins, bières, et la
suspension de toute pratique d'hydrothérapie froide. Ceci fut fait le 27 septem-
bre 1898. Je passe sous silence les visites intermédiaires qu'elle me fit et au
DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 305
cours desquelles je constatai l'amélioration progressive des douleurs de tête,
du dos, des membres, la disparition des phénomènes dyspnéiques. J'arrive au
24 novembre 1898. A ce moment la patiente se considère comme rétablie. Elle
mange admirablement. L'asthme a disparu. Elle n'a plus eu de migraine. Elle
continuera à prendre sa thyroïdine pendant quelque temps encore. Elle pesait
75 kilog. 400 en commençant ; à la date dernière, 73 kilog. 500. La perte en
poids très modérée confirme le diagnostic et prouve que l'infiltration myxoedé-
mateuse était insignifiante.
Cas. IX. - Migraine, névralgies faciales. - Somnolence et perte de mémoire.
Chute des cheveux. - Dents et gencives caractéristiques. - Règles pro-
fuses. - Utérus en rétroflexion.
Mme H... est âgée de 32 ans. Elle a eu rapidement, coup sur coup, cinq
enfants en sept ans de mariage. Une soeur porte un myome utérin hémorrha-
gique très affaiblissant. Mme H... se plaint d'éprouver depuis trois a quatre
mois une série de phénomènes qui ont fini par l'inquiéter. Elle perd la mé-
moire ou plutôt la faculté de penser, de lier les idées. Elle éprouve une véri-
table difficulté à agir, à commander, il diriger ses affaires de ménage. Elle a
facilement le sang à la tête. Le teint est très haut en couleur. Les pommettes
sont vivement et largement colorées de rouge. Il y a cependant une légère
teinte ambrée dans les fonds. Elle perd énormément de cheveux. Elle est pres-
que toujours somnolente et dormirait constamment, si elle ne s'en empêchait
à force de volonté. Les dents sont mauvaises ; beaucoup sont cariées ; les gen-
cives sont rouges, injectées et saignent facilement. Elle a snuvent de la mi-
graine et des névralgies de la face. La constipation n'existe pas dans ce cas.
Mme II... se plaint de ressentir ces phénomènes de paresse intellectuelle et
physique il l'approche des règles. Celles-ci se sont très rapprochées. Elles du-
rent longtemps et sont profuses. Le ventre est douloureux. Il semble à la ma-
lade que quelque chose descend. A certains moments, en pleine marche, elle
est forcée de s'arrêter brusquement, immobilisée par une douleur atroce dans
le bas des reins.
A l'examen, on constate que l'utérus est en rétroflexion. Il est gonné, dou-
loureux, comme affalé au fond du bassin qu'il semble remplir dans tous ses
diamètres. Les ligaments utérins sont évidemment relâchés, car la matrice
plonge profondément dans le canal pelvien.
Je commence, le 30 janvier 1899, le traitement à la dose d'une demi-pas-
tille par jour. Abstention complète de vin, bière, liqueurs, et de toute pratique
d'hydrothérapie froide. Le 6 février suivant, l'amélioration est évidente ; la
somnolence a pour ainsi dire disparu. Le courage est revenu. La douleur du
ventre existe encore. Le 20 février, le mieux s'accentue rapidement. A l'exa-
men local, l'utérus s'est notablement relevé, il s'est sensiblement dégonflé et il
ne présente plus, il beaucoup près, la sensibilité douloureuse d'auparavant. Le
traitement continue.
306 E. HERTOGHE
Oes. X. Céphalée incoercible et constipation continuelle, ménorrhagies.
Rhumatisme épicrânien. - Chute prématurée de la chevelure. Palpitations
cardiaques nocturnes. - Sensibilité anormale au froid.
Mlle J..., 2 ans, célibataire, souffre depuis sa dix-septième année et pres-
que constamment de douleurs de tête. Les souffrances sont réellement intolé-
rables et siègent tant aux tempes qu'à la région occipitale, également au-dessus
des yeux. La douleur est surtout intense le matin, au saut du lit. Cette jeune
fille est invinciblement constipée. Elle n'a jamais eu la jaunisse. Elle n'a été
réglée que fort tard, vers sa dix-septième année. Elle souffre beaucoup avant
et après les règles. L'hémorrhagie est excessive et les intervalles intermenstruels
plus courts que de raison. Elle perd beaucoup de cheveux et attribue ce symp-
tôme au rhumatisme épicrânien, cause de ses douleurs de tète. Elle est facile-
ment oppressée en gravissant un escalier et elle est sujette à des palpitations
de coeur, surtout la nuit. Les dents sont mauvaises au delà de toute descrip-
tion. Les gencives sont enflammées, bordées de tartre. Elle supporte mal le
froid et tout aussi mal les chaleurs, se fatigue facilement et a une tendance in-
vincible il s'assoupir. Elle est maigre et pèse 47 kilogrammes. Le traitement
commença le 19 septembre 1898, à la dose d'une pastille et demie par jour.
Le 23 du même mois, la céphalalgie n'a pas encore disparu, mais les fonctions
digestives se sont notablement amendées. Le poids monte à 48 kil. 700. Le
30 septembre, le mal de tête a beaucoup diminué; la constipation tend à dis-
paraître; poids : 49 hil. 100. Le 6 octobre, la constipation est définitivement
levée ; le mal de tête a presque cessé. Poids : 49 kil. 500. Le 28 novembre, la
céphalalgie a disparu, les règles se sont notablement amendées. La jeune fille
se considère comme guérie.
OBs. XI. - dléléorisme gastrique. - Constipation. Iliii71go vulvaire. -
Douleurs frontales, des épaules, bras, genoux. - Douleurs plantaires. - Op-
pression et palpitations nocturnes.
Mlle J..., religieuse, 46 ans, de petite taille, pesant 47 kilogrammes, se plaint
de ce que depuis plusieurs années elle augmente en poids. Son ventre surtout
parait grossir démesurément. Elle est très constipée et souffre depuis longtemps
de prurigo vulvaire qui la prive de sommeil.De plus elle souffre de douleurs de
tête frontales, de douleurs dans Ips épaules, les bras, et dans la plante des pieds.
Cette douleur plantaire la chagrine beaucoup. La souffrance, très intense au dé-
but de la marche, se calme petit il petit par l'exercice, pour revenir dès que la
patiente s'assied et s'est reposée, Les dents sont mauvaises, les gencives rouges,
saignantes, bordées de tartre dentaire. Fréquemment, elle a des oppressions et
des palpitations, même douloureuses, du coeur; la respiration nasale est diffi-
cile. La nuit, elle ronfle et dort la bouche ouverte. Les règles n'ont jamais été
fortes et actuellement déjà ont une tendance il disparaitre. La physionomie est
jeune, presque enfantine. Les traits sont légèrement bouffis, elles sourcils, très
blonds, sont rares. Le traitement commence le 15 août 1898, à la dose de trois
pastilles anglaises par jour. Cette dose est trop forte. A sa seconde visite, le
NOUV. IGOVOGItAYlflt UF LA SAfNFT7tItKF.
Tome XII. Pl. XLVII
INFANTILE TYPE LORAIN. (OBS. I. X1...)
(Hertoghe)
A. Avant le traitement, le S /liai 1898, Taille : 1 m. 525. Poids ' 36 k. 300 (nu).
B. Après le traitement, le 21 février 1899. Taille : 1 ni. 597. Poids : 39k.Soo(nu).
La taille mesurée 26 mai 1899 était de 1 m. 612.
· MASSON & cte, Editeurs
l'I¡nlflt' 1 1.. ! I.rthaud Paris
DE L'IIYPOTUYHOïDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 307
29 septembre, les douleurs de tête ont augmenté, les selles sont difficiles et font t
saigner. Le 8 octobre, la constipation est levée et les maux de têle deviennent
moins fréquents. Elle ressent encore des oppressions et de la talalgie. Le 2 no-
vembre, l'oppression est moins forte ; la douleur plantaire a disparu ainsi que
la céphalalgie. Elle a pu se lever en même temps que les autres soeurs de la com-
munauté pour assister aux offices, ce qu'elle n'avait pu faire depuis plusieurs
années. Le 7 janvier de cette année, la guérison est complète. Plus de cons-
tipation. Les douleurs rhumatismales, les démangeaisons vulvaires, la douleur
du pied, l'oppression n'existent plus qu'à l'état de souvenir.
2° Enfants.
Toutes les observations qui vont suivre se rapportent à des enfants at-
teints d'hypothyroïdie bénigne chronique. Ce type d'infantilisme est connu
dans la science sous le nom d'infantilisme type Lorain, ou gringalets.
J'ai démontré dans un mémoire antérieur que l'arrêt de développement
des infantiles Lorain est dû à l'appauvrissement thyroïdien, qu'on les
trouve en même temps que le myxoedème infantile franc dans les mêmes
familles, sous le même toit, et qu'ils se développent merveilleusement
sous l'influence de la thyroïdine, mieux même que les myxoedémateux
francs.
ans ? XI... est âgé de 16 ans. (PI. XLVII, A.) Il pèse 30 kilogrammes et
mesure 1 m. foi25. D'après les tables d'Axel Key, cet âge comporte chez les
garçons une taille de z1 m. 60 et un poids de 60 à 62 kilogrammes. Désireux
d'entrer au service des chemins de fer, sa taille a été reconnue inférieure, et il
est venu chez moi pour que je le fasse grandir. Il appartient à la catégorie des
infantiles dits type Lorain, que Brissaud appelle gringalets.
Les infantiles type Lorain se distinguent par leurs proportions fines et élan-
cées. Les fémurs et les jambes sont très longs ; la poitrine est extrêmement
étroite : les parties génitales sont souvent peu développées. C'est le cas ici.
L'intelligence est médiocre. Les cheveux sont rares, fins, minces. Le visage est
plaqué de psoriasis. (Fig. 26.) Le père est mort tuberculeux. La mère est
obèse et je n'ai pu recueillir son histoire détaillée.
Puéril, infantile lorsqu'il vint me consulter, la figure est devenue plus sé-
rieuse, plus réfléchie et s'est grandement dépouillée de son cachet d'extrême
juvénilité pendant le traitement.
Après neuf mois de thyroldisation, la taille s'est élevée de 1 m. 525 à 1 m. 597
et le poids du corps de 36 à 39 kil. 800. (PI. XLVII, B.)
Le psoriasis a pour ainsi dire disparu. (Fig. 27.)
OBs IL - X2... appartient à la même catégorie d'infantiles. Les membres in-
férieurs sont grêles, allongés ; il y a de l'étroitesse du thorax et les pieds sont
plats. Il est extrêmement maigre et délicat. Agé de 17 ans, il devrait avoir 1 m.65
308 E. HERTOGHE
C'est à peine s'il mesure 1 m. 572. Son poids, au lieu d'être de 65 kilogram-
mes, n'est que de 41 kilogrammes.
A l'âge de 4 ans, il a été atteint de scarlatine et, au cours de sa convales-
cence, il a été affecté d'oedème généralisé. A partir de ce moment, il y a eu de
l'incontinence d'urine la nuit; toutes les nuits, sans exception aucune, il
mouille son lit.
Les dents sont presque toutes cariées ; les gencives sont rouges, irritées, ron-
gées de tartre. Les pieds transpirent beaucoup, surtout l'été, et cette transpira-
tion est fétide.
L'examen radiographique de la main et de l'avant-bras montre que les car-
tilages d'ossification sont loin d'être ossifiés et que le sujet peut encore beau-
coup grandir. (Pl. XLIX, F.) Ceci démontre la parenté étroite qui existe entre
Fig. 26. - Infantile type Lorain (XI). Psoriasis du
visage ; avant le traitement.
Fig. 27. - Le même, après le traitement.
Disparition du psoriasis.
les arrêts de croissance dus au myxoedème franc et ceux qui sont dus 1 l'in-
fantilisme Lorain. Il n'y a qu'une différence de degré dans la dégénérescence.
Traitement. - Il commença le 8 mai 1898, avec une taille de 1 m. 525, à
la dose d'une pastille par jour. Le 9 juin, la taille atteignait 1 m. 5 ; le 14 juil-
let, 1 m. 55; le 26 janvier 1899, 1 m. 588, et le 21 février, 1 m. 597. L'en-
fant avait gagné en poids 3 kilog. 800.
L'influence du traitement thyroïdien à la dose d'une pastille par jour fut
des plus remarquables. En huit mois, la taille s'éleva de 0 m. 072, le poids
du corps remonta de 5 kilogr. 200 ; l'incontinence nocturne disparut presque
NOUV. iLONOGKAlMMb 1)1 LA Sa ! Pf.rKIEKH .
Toue XII. Pl. 1L'III
INFANTILE TYPE LORAIN. (OBS III. 71 ...)
(Hartoghe)
C. 20 mars 1898. Taille : 1 m.)2 ! . (Avant le traitement thyroïdien).
D. 21 fiviicr 1899. Taille : 1 m. 573. (Après 8 mois traitement)
E. y juin 1899. Taille : 1 ni. 602. (Après 1 an de traitement).
MASSON S, etC, Editeurs.
Phnlop't le PW Ihaud. Paris
DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE ~ 309
immédiatement : du 24 juin 1898 au 19 février 1899, il ne mouilla son lit que
sept fois.
L'histoire de la mère de cet enfant est des plus intéressantes au point de
vue de la relation qui existe entre l'état de santé de ces infantiles et celui de
leurs ascendants.
Malgré ses 52 ans, cette femme est encore fortement réglée. Toute sa vie
elle a eu des règles profuses. Elle n'a eu que trois enfants : d'abord une fille,
âgée aujourd'hui de 23 ans. Cette fille est sujette à des saignements de nez fré-
quents. Elle a le sang facilement à la tête et le visage fortement coloré. Très
fortement constipée. Le second enfant, un garçon de 21 ans, est sujet à de
fréquentes migraines et très constipé. Le troisième est le sujet que nous avons
montré plus haut.
Il y a deux ans, Mme M... a eu un crachement de sang extrêmement abon-
dant et qui ne s'est pas répété. Elle souffre beaucoup de céphalalgie et de dou-
leurs du dos il la région rénale. Ces souffrances sont plus fortes le matin que
le soir et la chassent du lit. Très constipée. Les dents sont très malades, pres-
que toutes cariées ; les gencives rouges, injectées, chargées de tartre. Les
membres supérieurs sont douloureux et raides ; elle ne peut lever les bras pour
se coiffer. Les membres inférieurs sont le siège de fourmillements très péni-
bles et il est impossible à la malade de se tenir longtemps en place. Les bour-
donnements d'oreilles sont fréquents. Elle entend comme le sourd grondement
d'un train qui passe très loin. La vue présente des phénomènes hallucina-
toires ; la malade aperçoit des étoiles brillantes, elle voit des objets mal définis
raser le sol et traverser rapidement l'appartement.
A l'examen du bas-ventre, l'utérus est gros, sensible, et un gros ovaire se
trouve dans le Douglas.
Sa mère est morte de tuberculose. Trois de ses tantes du côté paternel sont
mortes de phtisie pulmonaire.
Le traitement thyroïdien a été suivi par cette femme en même temps qu'il
a été imposé au fils. Sous l'influence de la médication, les maux de tête, la
constipation, les douleurs des membres, l'oppression avaient cédé, puis ces
symptômes ont reparu à cause de l'abandon du remède. Actuellement elle suit
de nouveau sa cure et les accidents ne tarderont pas à disparaître.
OBs. 111. - X3... est plus âgé que les deux enfants précédents. (PI. XLVIII,
C.) Il a 20 ans, a tiré au sort et a été refusé cette année au service militaire
pour défaut de taille. Il mesure en effet 1 m. 521 et pèse 35 kilogr. 500. La
taille minima pour la milice est de 1 m. 55. Les testicules sont extrême-
ment petits, appendus à des cordons très minces et très allongés. Pénis long
et fiasque. Les dents sont très mauvaises, les gencives rouges, chargées do
tartre. Les amygdales sont très grosses. La respiration nasale est très gênée.
La radiographie qui fut prise chez ce sujet de 20 ans, (PI. XLIX, G.) com-
parée à celle du sujet précédent, âgé de 17 ans, (PI. XLIX, F.) démontre
que, de 17 à 20 ans, le squelette de ces infantiles n'a pas eu la moindre ten-
XII 21
310
E. HERTOGHE
dance à parachever son évolution de croissance. En d'autres termes, le sque-
lette s'est comporté comme chez les enfants myxoedémateux francs.
Je ne possède malheureusement pas le moindre renseignement sur les pa-
rents de ce jeune homme.
Le traitement fut des plus fructueux. En huit mois de temps, la taille s'éleva
de 0 m. 052, le poids de 5 kilogr. 900. (Pl. LVIII, D.) L'expression du
visage est bien plus virile et plus assurée ; la tristesse et l'air grognon qu'il
portait d'habitude ont complètement disparu. Le 29 juin 1899, il atteint
1 m. 602 et pèse 43 kilogr. (PI. 1LVIIl, E.) ,
Fig. 28. - Infantilisme de transition.
(Observation IV, 1 ? )
Fig. 29. -nlyxoedème franc; 40 ans.
Malade de la f g. 6.
OBs. IV. -X4..., âgé de 14 ans, a une taille de 1 m. G12, ce qui dépasse la
normale. (Fig. 28.) Il est incontinent d'urines la nuit. Les pieds sont extrê-
NOUV. ICO-.IOC;RAI'IIIE DE LA SAlPr.l'RltRE.
Tome XII. Pl, XLI : \
INFANTILISME
(Herloghe)
F Radiogramme de l'infantile Lorain X ,... âgé de 16 ans. Translucidité extrême des caitilages d'accroissement.
r C...1,t ? t ? <f ? tï ? \' "\ 'fT. rJ......,n ? °1 ? 11,.... T n, r, T
DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 311
mement plats et fétides. Les mains sont froides, couvertes d'engelures et
font beaucoup souffrir le malade. « En hiver, ce sont les mains », dit-il,
« et en été ce sont les pieds qui me mettent au supplice ». La conformation
du corps est la même que celle des sujets précédents ; seulement, les cuisses
et le bas des jambes sont quelque peu oedématiés, ce qui leur donne la confor-
mation en colonne dont parle Cbarcot à propos de la cachexie pachydermique.
Les dents sont mauvaises, les gencives rouges et chargées de tartre.
J'ai placé en regard de X4 (Fig. 28) l'image en [pied (Fig. 29) d'une femme
atteinte de myxoedème franc et dont l'histoire a été donnée au cours de ce tra-
vail (Fig. 6 et 7). La photographie montre admirablement cette disposition
en colonnes uniformément cylindriques signalée par Charcot. Les images 28 et
29 affirment une fois de plus, et ad oculos, la parenté étiologique qui existe entre
l'infantilisme Lorain et le grand myxoedème.
Le traitement thyroïdien a fait beaucoup de bien au malade. Il a réduit pres-
que complètement l'incontinence nocturne des urines. Les pieds sont bien
moins fétides. La taille s'est élevée de 1 m. 642 à 1 m. 674 (du 11 mars au
30 octobre 1898).
Les renseignements au sujet des parents font défaut.
OBs. V. XI... présente tous les caractères des infantiles définis plus haut.
Les membres sont grêles, élancés, la poitrine étroite. Il est âgé de 18 ans,
mesure 1 m. 488 et pèse 37 kg. 100. Les pieds sont plats, transpirent facilement.
Les parties génitales sont très peu développées. Il urine au lit toutes les nuits.
La mère (44 ans) souffre beaucoup du dos, a eu plusieurs fois la jaunisse.
Elle est habituellement très constipée. Fortement réglée jusqu'à -36 ans, puis
aménorrhée complète et définitive. Teint rose et fond ambré du visage.
Le traitement de l'enfant relève la taille de 1 m. 488 à 1 m. 516 (du 20 juillet
1898 au 17 janvier 1899). Le poids monte de 37 kg. 100 à 42 kg. 100. A l'heure
actuelle, l'incontinence nocturne d'urines a complètement disparu.
HOSPICE DE BICÊ'TRE.
LE PRURIT ET LA TRICHOTILLOMANIE
CHEZ LES
PARALYTIQUES GÉNÉRAUX
PAR
CH. FÉRÉ
Médecin de Bicêtre.
Les émotions morales et pathologiques s'accompagnent souvent de'
troubles de la circulation et de la motilité de la peau plus ou moins dura-
hles ; elles jouent le rôle d'agent provocateur dans l'étiologie des affections
cutanées et bon nombre de troubles trophiques sont liés à leur évolution.
J'ai déjà eu occasion de rappeler les principaux faits de cet ordre (1).
Chez les paralytiques généraux, on a signalé souvent des troubles tro-
phiques de la peau (2) se manifestant tantôt d'une manière aiguë, tantôt
d'une manière chronique ; les formes les plus fréquentes sont les lésions
érythémateuses ou bullaires, le purpura, le zona ; on a observé aussi des
pigmentations de la peau (3),t'ichthyose(4). L'érylbromélalgie, les escha-
res, le mal perforant peuvent être rattachés aux troubles trophiques de la
peau.
En dehors de ces manifestations grossières des troubles de la nu-
trition de la peau on peut observer chez les paralytiques généraux des
manifestations moins graves, mais capables de présenter un certain inté-
rêt à litre de dermatoneuroses indicatrices (Leloir). Sarbo (5) a signalé
(1) La pathologie des émotions, 1892, pp. 212, 24(i, 362. - Note sur un cas de méla-
zaocler·nxie récurrente chez un épileptique apathique (Nouvelle lcon. de la Salp., 1897,
p. 332). Note sur un cas de canitie rapide (Progrès médical, 189 ï, 3e série, t. V,
p. 49).
(2) CoLonAx, Les ll'ouhles trophiques de la paralysie générale (Arch. de Neurol.,
1898, 2e série, t. V, p. 32).
(3) IhGNAi : D, Deux cas de maladie ou de coloration bronzée dans le cours de la para-
lysie générale (Gaz. hebd., 18G5, 2 série, II, p. 184).
(4) Cil. Flué, Faits pour servir à l'histoire des Iroubles trophiques dans la paralysie
générale des aliénés (Nouv. lcon. de la Salp., IS89, p. 156).
(5) A. SABBO, Weber Pruritus, als Symptom der progressiven Paralyse (Pester mediz.-
chirurg. Presse, 1897, p. 879).
NOUV. ICOXOGRAPHIE DF LA SALPÉrRrÈIU.
Tome XII. 1'1. L
TRICHOTILLOMANIE ET PRURIT CHEZ UN PARALYTIQUE GENERAL
(Ch. Fére)
MASSON & çie, Editeurs.
LE PRURIT ET LA TRICHOTILLOMANIE 313
l'existence au début de la paralysie générale d'un prurit isolé indépendant
de toute lésion cutanée appréciable et pouvant disparaître plus tard. La
connaissance de ces névrodermies (Brocq et Jacquet) est d'autant plus in-
téressante que ce prurit, indépendant de lésions cutanées grossières, peut se
rencontrer non seulement dans divers états névropathiques comme l'hys-
térie ou la neurasthénie (Loevenfeld) mais aussi dans certains cas morbi-
des généraux, où il existe une altération du sang, comme dans le diabète,
la goutte, dans l'ictère. On le voit encore clans certaines intoxications : il
est fréquent dans le morphinisme et aussi dans l'amorphinisnle : certains
auteurs l'accusent d'être le fait primitif dans les intoxications qui déter-
minent l'urticaire (1). Le prurit primaire est aussi fréquent chez les vieil-
lards. On le voit se développ.er surtout chez les gens nerveux sous l'in-
fluence du froidou de chocs moraux (2). Le prurit primaire est en général
généralisé, plus rarement il se limite aux parties exposées à l'air ou aux
frottements. Il est plus souvent limité quand il se présente à titre réflexe
dans des affections très diverses d'ailleurs : maladies organiques de l'uté-
rus, irrégularités de la menstruation, calculs vésicaux, végétations del'u-
rèthre, hémorrhoïdes. vers intestinaux, etc. (3).
Le prurit est sans doute moins sûr qu'on pourrait le croire chez les para-
lytiques généraux. Depuis que j'ai eu connaissance de son existence je l'ai
recherché chez 26 paralytiques au début, je l'ai observé trois fois. Dans
un cas, il était généralisé sauf à la tête, c'était une sensation de chatouil-
lement existant d'une façon constante et présentant des exaspérations sous
l'influence des repas, d'émotions morales, d'un exercice violent ; il a duré
environ huit mois et n'a cessé d'être accusé qu'à la suite d'une attaque apo-
plectiforme qui a laissé après elle un grand affaiblissement de l'intelli-
gence. Ce prurit n'était pas associé à une anesthésie sensible. Un autre
avait eu pendant plusieurs mois des sensations de fourmillement et de
brûlure sur la face externe de la fesse droite, sur la cuisse et sur la ré-
gion épigastrique. Elles ont disparu, mais il reste de l'anesthésie sur ces
régions. Dans ce fait, la plaque fémorale rappelait d'autant mieux la mé-
ralgie paresthésique de Roth-Bernhardt (4) que l'on peut voir dans la mé-
ralgie l'anesthésie survivre à la paresthésie (Good). Le troisième s'estplaint
pendant six semaines environ d'une sensation de démangeaison et de cuis-
son sur les deux épaules, en avant et en arrière et sur la partie supérieure
(1) Tu. D. Savill, On the pathology of itching and ils treatment by large doses
of calcium chloride (The Lancet, 1896, Il, p. 300).
(2) Mac CALL ANDERSON, On the pathology and treatment of prurilus (The Lancet,
1895, t. II, p. 307),
(3) J. M. \VI : '1FIELD, The influence of the nervous system in the skin diseuses (Med.
News, 1897, LXXI, t. II).
(4) CI ! . Féré, La méraillie paresthésique (La Belgique médicale, 1899, t. II).
314 CH. FÉRÉ
du thorax qu'il appelait dans le langage métaphorique qu'il employait
volontiers « le boléro de Nessus ». Il y avait deux mois que cette sensation
avait disparu rapidement sinon brusquement, quand j'ai eu occasion de
le voir : il n'y avait aucune différence grossière de sensibilité dans la ré-
gion qui avait été le siège de la démangeaison.
Le prurit sans lésion apparente de la peau peut être interprété, soit
par une excitation des extrémités des nerfs cutanés, soit par une irritation
des fibres des nerfs sensitifs, soit par une action réflexe, soit par une lé-
sion centrale, irritation corticale. La distribution du phénomène et l'ab-
sence de lésion déterminée, n'est guère en faveur de la dernière interpré-
tation. La disparition rapide ne concorde guère avec une lésion des filets
nerveux, lésion qui, au cours de la paralysie générale, n'aurait d'ail-
leurs guère de tendance à la guérison. L'hypothèse d'une irritation pé-
riphérique à distance dont la guérison peut plus facilement se compren-
dre si on admet que le trouble peut être attribué à une altération du
sang serait plus plausible si, dans les trois cas, le phénomène avait été
généralisé, mais il n'en était rien. Quant à l'hypothèse de l'origine cen-
trale, elle peut s'appuyer sur des analogies : les paralysies d'origine cen-
trale, les hémiplégies cérébrales peuvent s'accompagner non seulement
d'anesthésie, mais encore de dysesthésie (Wood, l'etrina, etc. [1]), et
aussi de sensations subjectives douloureuses comme Von Bechtereid en a
cité tout récemment des exemples. Au cours de la paralysie générale le
prurit transitoire peut s'expliquer comme une paralysie transitoire (ané-
mie locale du cerveau). Si on peut rester dans le doute sur la pathogénie
du phénomène, la réalité n'en est pas moins établie par les faits, et il-
peut servir à l'interprétation d'un autre phénomène sur lequel je vais
maintenant appeler l'attention.
Hallopeau a signalé en 1889 et il a défini plus précisément plus tard (2),
sous le nom de trichotillomanie (rv),),oNav, j'arrache), une affection carac-
térisée par un prurit intense sur toutes les parties velues du corps, et par
une véritable vésanie qui porte les malades non seulement à se gratter
mais surtout à arracher ou à casser les poils près de leur émergence ; il en
résulte une alopécie artificielle. '
Cet état morbide, dit-il, est constitué par de vives sensations prurigi-
neuses, s'exagérant par accès dans les parties velues du corps. Ni les poils
ni les téguments ne présentent d'altérations appréciables à l'oeil nu; au
(1) Cil. ri : Ri ? Contribution à l'étude des troubles fonctionnels de la vision par lésions
cérébrales, 1882, p. 49.
(2) H. IIALLOPPAU, Sur un nouveau cas de trichotillomanie (Ann.de Dermat. et Syph.,
V, 1894, p. 541).
LE PRURIT ET LA TRICHOTILLOMANIE 315
microscope les poils paraissent aussi intacts ; un certain nombre d'entre
eux rampent sous l'épiderme. Il ne s'agit pas d'une variété de prurigo, car
les éruptions caractéristiques de cette affection font complètement défaut.
Cet état morbide est de longue durée et vraisemblablement incurable; la
médication qui paraît le mieux soulager les malades est l'isolement des
parties prurigineuses soit à l'aide des vernis protecteurs, soit par l'enve-
loppement avec du caoutchouc.
Besnier, Jullien et Fournier ont fait remarquer à propos du malade de
IIallopeau que la trichotillomanie peut être partielle..
OBs. - E. D..., employé de chemin de fer, âgé de 37 ans, entre à Bicêtre le
24 décembre 1897.
On n'a que des renseignements très incomplets sur ses antécédents héréditai-
res. Bien que sa mémoire fût encore assez bonne quand il a été interrogé en
janvier 1898, on n'a pu obtenir autre chose que l'affirmation qu'il n'existait
ni aliénés ni convulsifs parmi ceux de ses parents qu'il connaissait. Il affirmait
que lui-même n'avait jamais eu de trouble nerveux ou mental jusqu'au début
de l'affection pour laquelle il est entré. Il ne porte aucune trace de lésion
syphilitique : il avoue plusieurs blennorrhagies, mais ne se souvient pas d'autre
chose. ZD
Il prétend que c'est à la suite d'une chute accidentelle que 18 mois avant
son entrée il a commencé à perdre la mémoire par moments et à souffrir de
douleurs sous forme d'élancements dans les membres. Il imaginait un sys-
tème de signaux, mais dès qu'il eût parlé à son chef d'équipe, il s'aperçut
qu'on le regardait de travers, et peu de temps après, il quitta son emploi. Il
présente du myosis et le signe d'Aryll-Robertsou, sa parole est embarrassée
mais il répond encore assez clairement. Il a des lacunes momentanées de la
mémoire, mais au bout de peu de temps, il répond à une question antérieure.
Il marche convenablement, n'a aucun signe d'incoordination, il a de temps en
temps des secousses dans les membres. Les réflexes rotuliens sont conservés.
Il existe quelques plaques d'anesthésie sur la région thoracique où il se plaint
de douleurs par séries à de certains jours. Il se plaint toujours de douleurs
lancinantes dans les membres surtout au voisinage des articulations et aussi
dans la verge. La nutrition n'est pas trop défectueuse, bien qu'il prétende avoir
beaucoup maigri. La contraction idio-musculaire est peu marquée. La peau est
intacte : on ne provoque pas l'urticaire artificiel par les excitations ordinaires.
Sa taille est de 1 m. 60, envergure 1 m. 61, poids 59 kg. 500. Ses oreilles
sont mal ourlées et l'hélix présente des nodosilés. Il y a 8 taches érectiles
ponctiformes sur la partie antérieure du thorax, 4 naevi pigmentaires dans la
région dorsale, dont un très saillant du côté droit. Il existe une cicatrice dans
l'aine droite dont il ne sait pas donner l'explication. Sur la partie antérieure
de chaque avant-bras, il porte un tatouage d'un coeur de carte à jouer. Il,
n'existe aucun autre vice de conformation. Son système pileux est bien déve-
loppé, les cheveux, la barbe, les poils des aisselles et du pubis sont bien
fournis et noirs.
316 CH. FÉRÉ
Le 29 janvier il eut une crise épileptiforme peu intense dont il parut sortir
indemne. Mais à partir de ce moment la mémoire s'est rapidement affaiblie et
au bout de quelques jours il a cessé de parler spontanément ; on n'obtient plus
de lui que des réponses monosyllabiques. Ce sont les fonctions intellectuelles
qui paraissent souffrir le plus, il continue à marcher. Un amaigrissement assez
rapide se produit après l'attaque. Le 2 février il ne pesait plus que 50 kilos,
mais il reprend bientôt, 54 kilos le 5 mars, 57 le 6 avril, 57,500 le 11 mai,
58,50 le 15 juin. Le 22 novembre, il a perdu de nouveau du poids, 56, puis
55,500 le 6 janvier 1899, il n'a plus diminué depuis.
Le 6 février il passait la visite nu, à son tour, lorsqu'on s'aperçut que son
pubis et les parties génitales étaient presque dénudés, et qu'un grand nombre
de poils étaient cassés. On constata alors que presque constamment ses deux
mains étaient enfoncées dans son pantalon sous la ceinture et qu'il passait son
temps à tirer ses poils.' La peau ne présentait aucune lésion, à part quelques
écorchures saignantes ou croûteuses, traces de grattage. Si on l'interrogeait
sur ses sensations il répétait constamment « non ». On ne peut pas savoir s'il
éprouvait du prurit. Il prenait assez souvent des bains, il n'existait aucune
trace d'irritation des organes génitaux, ni de l'anus, ni des régions inguinales.
Les évacuations étaient régulières et ne contenaient aucun parasite. En quel-
ques jours l'épilation fut complète. La photographie qui fut faite le 13 février
montre un pubis et une région génitale tout à fait glabres.
On constata alors que l'urticaire artificiel que l'on ne pouvait pas provoquer
pendant les premiers mois de séjour était obtenu très facilement sur les ré-
gions dorsales et sur la région pectorale mais pas du tout sur l'abdomen, le
pubis et les cuisses. L'épilation a continué jusqu'à la fin d'avril. C'est alors
qu'on a remarqué que le malade portait les mains hors de son pantalon et on
a constaté que les poils commençaient à repousser. La restauration s'est conti-
nuée depuis. Le phénomène de l'urticaire artificiel persiste.
L'état intellectuel rendant complètement nulle l'exploration de la sen-
sibilité on n'a aucun renseignement sur la possibilité qu'aurait eue le ma-
lade d'être provoqué au grattage et à l'épilation par un prurit lié soit à
des lésions nerveuses, soit à une auto-intoxication dont on ne trouve
d'ailleurs aucun autre symptôme. Le développement peut-être récent de
l'urticaire artificiel ne fournit aucun renseignement sur la pathogénie, car
c'est un phénomène fréquent chez les paralytiques généraux (1) qui ne
sont pas sujets à la trichotillomanie et il a survécu au tic chez notre ma-
lade. On est réduità des conjectures basées sur la possibilité de l'existence
d'un prurit primaire localisé chez un paralytique général.
(1) Cn. Fin £ et P. Lance, La dermographie chez les aliénés (Journal de Neurologie;
1898, 20 novembre).
HOSPICE DE BICETRE.
TRAVAIL DU LABORATOIRE DE M. LE D' PIERRE MARIE.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE ANATOMO-PATIIOLOGIQUE ET CLINIQUE
DE
L'AMYOTROPHIE CHARCOT-MARIE
PAUL SAINTON
Ancien interne des hôpitaux.
(Suite et fin) (1).
L'observation que nous venons de rapporter montre bien qu'il s'agit
d'un cas d'atrophie Charcot-Marie non familial survenu chez un homme
de 32 ans : l'atrophie a débuté, comme cela a déjà été observé par Hoffmann,
par les membres supérieurs,puis elle s'est étendue aux membres inférieurs,
de sorte que huit ans après l'apparition des premiers symptômes, le ma-
lade était incapable de gagner sa vie. A ce moment l'atrophie avait atteint
aux membres supérieurs les éminences thénar et hypothénar, les inter-
osseux, les muscles de la moitié inférieure de l'avant-bras, aux membres
inférieurs les muscles de la jambe et du pied, les muscles des régions
antéro-externe et postérieure de la cuisse.
A l'autopsie, les lésions observées portaient sur la moelle, les nerfs pé-
riphériques et les muscles. La moelle était le siège d'une sclérose des plus
marquées au niveau des cordons de Goll et de Burdach, la zone cornu-
commissurale était à peu près intacte. Les cellules des cornes antérieures
et des ganglions spinaux étaient manifestement atrophiées. Les nerfs pé-
riphériques étaient atteints d'altérations interstitielles plus ou moins accen-
tuées avec conservation presque complète des tubes nerveux. Dans les
muscles on constatait une diminution de volume des fibres musculaires
avec développement exagéré de tissu conjonctif et à un degré plus accentué
une disparition presque complète du tissu musculaire remplacé par des
éléments conjonctifs et adipeux.
Les cas d'amyotrophie type Charcot-Marie avec autopsie publiés jusqu'à
(1) Voy. la première partie de ce travail dans le no 3, mai-juin 1899.
318 PAUL SAINTON
ce jour sont encore peu nombreux. Hoffmann (1) dans son travail de 1889
s'appuie sur trois cas empruntés le premier à Virchow, les deux autres à
Friedreich pour considérer la maladie comme due à une altération des
nerfs périphériques ; plus tard dans un second mémoire (1891) (2), il
cite une observation empruntée à Dubreuihl (3) à l'appui de sa thèse.
D'après l'étude que nous avons faite de ces différents cas, il ne nous sem-
ble pas que l'on soit autorisé à les considérer comme des cas types de la
maladie qui nous occupe. Les trois premiers ont été publiés à une époque
où l'atrophie Charcot-Marie était inconnue et où la technique de l'examen
du système nerveux était peu avancée : au point de vue clinique, les symp-
tômes signalés chez les malades ne semblent pas devoir être rapportés à
l'atrophie Charcot-Marie. Quant au cas de Dubreuibl, il est loin d'être
certain que l'on puisse le faire entrer en toute assurance dans le cadre de
cette maladie.
Les seules observations sur lesquelles il est possible de s'appuyer pour
la description analomo-pathologique de la maladie sont : l'observation
publiée par Marinesco dans les Archives de médecine expérimentale (J88H)
et celle que nous venons de rapporter (4). Les deux malades qui en font
l'ohjet ont été vus par M P. Marie : aucun doute ne peut être élevé sur la
légitimité du diagnostic clinique. Voici le résumé des lésions qui ont été
constatées et que l'on peut considérer comme caractéristique de cette forme
d'amyotrophie.
1° Lésions médullaires (5). La moelle ne présente rien de spécial ni
dans sa conformation extérieure, ni dans ses dimensions. Les méninges,
ne sont ni épaisses, ni adhérentes. A l'examen microscopique on rencon-
tre des altérations de la substance grise et des altérations des cordons.
1° Lésions de la substance grise. - Il existe des lésions des cellules et
des lésions des fibres.
Le nombre des cellules des cornes antérieures n'est pas très inférieur à
(1) Ueber progressive neurotische Muskelatrophie. Arch. f. Psychiatrie, 1889, p. 660.
(2) Weiterer Beitrag zur Leltre von der progressiven neurotischen Muskelatrophie.
D. Zeitschrift sur Nervenheilkunde, 1891.
(3) DU811EUIIIL, Etude sur quelques cas d'atrophie musculaire limitée aux extrémités
et dépendant d'altérations des nerfs périphériques. Revue de médecine, 1890, p. 44.
(4) Nous croyons inutile de rapporter ici cette observation in extenso et renvoyons
au mémoire original.
(5) Tout récemment Siemerling a publié, sous le nom de « neuritische Atrophie »,
une ubservation dans laquelle les lésions présentent la plus grande analogie avec
celles que nous avons décrites. Nous considérons ce cas comme douteux parce que les
symptômes observés chez le malade offraient, au point de vue clinique, des différences
vraiment trop grandes avec ceux de la description classique. Il nous semble que l'on
ne saurait se montrer trop circonspect en pareille matière et n'admettre que des cas
qui ne puissent prêter à aucune discussion.
DE L'AMYOTROPHIE CHARCOT-MARIE -319
celui que l'on voit snr une moelle normale. Mais ces cellules sont dimi-
nuées de volume. Dans notre cas où la méthode de Nissl a été employée
pour l'examen des cellules, leur atrophie est des plus manifestes et se
montre d'autant plus intense que l'on se rapproche de la portion lombo-
sacrée de la moelle. A un faible grossissement, outre cette diminution de
volume des cellules, on constate chez nombre d'entre elles la perte des
prolongements.
A un très fort grossissement, les altérations fines des cellules apparais-
sent avec la plus grande netteté. A un premier degré, les éléments chro-
matophiles sont raréfiés et quelques-uns d'entre eux sont modifiés de forme
et de volume. Le noyau et le nucléole de la cellule sont relativement in-
tacts. A un degré plus avancé, les cellules se présentent sous forme de
corps arrondis sans prolongement : elles contiennent très peu d'éléments
chromatophites et ceux-ci sont très atrophiés; en certains points delà
cellule on trouve des masses jaunâtres composées par des granulations ou
des gouttelettes, que la plupart des auteurs considèrent comme du pig-
cent. Marinesco les attribue à la transformation lente et progressive de
la substance chromatique du protoplasma. Le noyau et le nucléole sont
absents.
Les cellules des cornes postérieures sont diminuées de nombre et atro-
phiées.
Le réseau de fibrilles nerveuses qui se trouvent dans les cornes posté-
rieures est notablement raréfié, aussi bien dans le cas examiné par Mari-
nesco que dans le nôtre.
Les cellules des colonnes de Clarke sont conservées ; mais le réseau de
fibrilles est atrophié.
2° Lésions de la substance blanche. I. - Dans le cas de Marinesco,
la substance blanche antéro-latérale était intacte. Dans notre cas il existait
une dégénération légère mais assez étendue des faisceaux pyramidaux,
plus prononcée sur l'un des faisceaux pyramidaux directs, et sur l'autre
des faisceaux pyramidaux croisés. Il est difficile, dans ce cas particulier,
de dire quelle valeur on doit attribuera ces lésions dans la genèse de
l'atrophie. C'est un sujet sur lequel nous n'oserions émettre d'opinion
formelle, parce que le malade a été frappé d'hémiplégie et qu'il y avait
quelques foyers lacunaires dans ses hémisphères. Nous nous montrerons
donc réservé, en attendant que de nouvelles autopsies viennent éclaircir
ce point spécial de l'anatomie pathologique.
IL - Les lésions vraiment capitales se rencontrent dans les cordons
postérieurs. Elles acquièrent à peu près la même intensité dans toute
l'étendue de la moelle de la région cervicale jusqu'à la région lombaire.
Elles consistent en une dégénératiou extrêmement intense du cordon de
320 PAUL SAINTON
Burdach, s'accompagnant d'une dégénération moins marquée du cordon
de Goll avec intégrité à peu près complète de la région cornu-marginale
(obs. personnelle), avec lésion de celle-ci dans le cas de Marinesco. Dans
la région lombaire, les zones de Lissauer sont un peu touchées ; mais en
général elles sont respectées dans le reste de la hauteur de la moelle. Sur
une coupe faite au niveau de cette région, les altérations rappellent com-
plètement celles qui ont été décrites dans le labes incipiens.
Lésions des ganglions spinaux et des racines. - Dans le cas de
Marinesco, les racines postérieures étaient très altérées, semble-t-il,
dans toute la hauteur de la moelle ; il n'en était pas de même chez notre
malade IL ? les racines présentent des altérations dégénératives assez
marquées dans Ta région dorsale et clans la région lombaire, mais aucune
lésion dans la région cervicale.
Fig. 1. - Coupe du nerf péronier (lésion maximum).
L'examen des ganglions spinaux fait par nous, nous permet d'admettre
une altération des cellules des ganglions; elles sont tout à fait compara-
bles à celles qui sont signalées dans les cellules des cornes antérieures.
Les lésions du cytoplasme sont très importantes si l'on considère avec
Marinesco les amas de pigments comme l'indice de la transformation de
la substance chromatique de la cellule; plus du tiers des cellules des gan-
glions présentent des amas de granulations ou gouttelettes jaunâtres aux-
quels nous faisons allusion.
DE L'AIMYOTROIIIIIE CHARCOT-MARIE 321
Lésions des nerfs. - Les nerfs ne sont point augmentés de volume ;
leur aspect extérieur n'a rien de particulier.
Au point de vue microscopique les lésions dont ils sont atteints sont
beaucoup plus marquées dans les nerfs de l'avant-bras et du poignet, dans
les nerfs de la jambe qu'au niveau des nerfs de la racine du memhre qui
sont à peu près intacts. (Fig. 1.)
Sur des dissociations on trouve (Marinesco) : 10 des fibres nerveuses
dont la myéline est fragmentée ou réduite en boule ; 2° des fibres atro-
phiées contenant beaucoup de noyaux et semblant garder encore leur
cylindre-axe ; 3° des fibres minces où il est impossible de distinguer un
Fig. 2. - Coupe musculaire.
véritable cylindre-axe, et enfin des fibres qui présentent au point de vue
morphologique les caractères des fibres embryonnaires.
Sur des coupes il y a augmentation du tissu interstitiel avec hypertro-
phie de la gaine lamelleuse ; diminution des tubes nerveux assez marquée
dans le cas de Marinesco ; modérée dans le nôtre.
Lésions des muscles. Elles sont beaucoup plus intenses au niveau
des muscles des extrémités. Les muscles' de la cuisse sont de coloration
normale ou un peu pâles, tandis que les muscles de la jambe présentent
un aspect de vieille cire ou sont transformés en un véritable magma grais-
seux, au milieu duquel on n'aperçoit plus de chair musculaire.
322 PAUL SAINTON
- Au membre supérieur, les muscles de la main sont le siège d'altérations
comparables à celles des muscles de la jambe, tandis que les muscles de
l'avant-bras sont mieux respectés.
Les lésions au microscope se présentent sous plusieurs degrés. (Fig.2.)
1° Au début on constate une diminution de volume des fibres muscu-
laires plus ou moins diffuse dans les différents faisceaux, la striation est
conservée. Il n'y a que prolifération du lissu conjonctif qui se traduit par
une augmentation considérable du nombre des noyaux périfasciculaires.
2" A une seconde période le nombre des fibres musculaires saines est
moins considérable, mais celles qui sont atrophiées conservent encore la
striation. Le tissu conjonctif s'est développé entre les faisceaux, des amas
de graisse commencent à apparaître en certains endroits et à remplacer les
libres musculaires.
3° A un degré plus avancé le muscle est remplacé par du tissu conjonc-
tif peu abondant, limitant des champs considérables jadis occupés par les
fibres musculaires, et qui ne sont plus constitués que par du tissu adipeux.
Quelques faisceaux musculaires, dont on ne reconnaît plus la striation,
sont les derniers vestiges de l'élément noble.
Les vaisseaux intra-musculaires sont le siège d'une sclérose périvascu-
laire très accentuée, qui tend à oblitérer dans certains cas leur lumière.
Les artères intra-vasculaires présentent aussi une augmentation très grande
de l'épaisseur de leurs tuniques.
Les nerfs intra-musculaires, très atteints dans le cas de Marinesco,
étaient un peu dégénérés chez notre malade, mais beaucoup moins que
dans son cas.
Ces lésions ont-elles quelque chose de caractéristique ? Nous ne le croyons
point. Elles se retrouvent dans la plupart des cas d'atrophie musculaire
qui relèvent d'une affection nerveuse. I,6wentlial qui a fait une étude très
complète des altérations musculaires dans les atrophies, conclut qu'il est
impossible, dans l'état actuel de la science, de différencier celles-ci par
l'examen histologique des muscles.
En résumé l'exposé des lésions que nous venons de faire nous montre
que le type d'amyotrophie décrit par Charcot et Marie reconnaît pour subs-
tra tum :
- 10 Une sclérose des cordons de Goll et Burdach ;
2° Des lésions atrophiques probables des cellules des cornes antérieures;
3° Des altérations des nerfs périphériques plus ou moins intenses, par-
fois minimes.
L'énumération de ces lésions, qui n'est que la traduction des deux obser-
vations anatomo-pathologiques, suffit pour indiquer qu'il s'agit bien là
d'une lésion spinale. Nous tenons notre cas comme plus probant que celui
DE l'AMYOTROPHIE CHARCOT-MARIE 323
de Marinesco, parce que les lésions y étaient moins avancées et par suite
plus faciles à analyser. En présence de faits aussi nets, il est impossible
d'admettre l'opinion émise par Hoffmann, attribuant la maladie à une
altération des nerfs périphériques.
Bernhardt se rapproche beaucoup plus de la vérité (1) en considérant
l'amyotrophie Charcot-Marie comme une atrophie d'origine spinale etné-
vritique, quoique la seconde épithète nous paraisse moins justifiée parles
faits que la première.
Comme Charcot et Marie l'avaient soupçonné dans le mémoire dans le-
quel ils ont décrit la maladie, il s'agit bien là d'une affection d'origine
spinale, et c'est ce point capital que nous voulons mettre en relief. Nous
ne discuterons point la nature intime et la genèse de cette altération. Ce
serait nous lancer dans des hypothèses et dans des théories et nous voulons
rester dans le domaine des faits.
Si les lésions de l'amyotrophie Charcot-Marie sont des plus évidentes,
son tahleau clinique est aussi caractéristique. Depuis quelques années
cependant certains auteurs, pour n'avoir pas eu suffisamment présente
à l'esprit la description fondamentale des deux parrains de la maladie,
ont publié sous ce nom des observations qui s'écartent trop du type pri-
mitif. Aussi nous semble-t-il utile, avant de terminer ces considérations,
d'exposer les principaux symptômes de la maladie, en insistant sur ceux
qui lui sont particuliers. Nous accompagnons cette description de photo-
graphies prises dans le service de notre maître M. le Dr Pierre Marie.
Se montrant très rarement sous forme de cas isolés (10 cas dans la
science), l'atrophie Charcot-Marie est essentiellement familiale et hérédi-
taire ; le nombre d'individus atteints dans la même famillepeutétreconsi-
dérable z)6 personnes clans une observation d'lIen'inghal1l) (2). Elle a une
prédilection marquée pour le sexe masculin, on peut dire qu'elle est cinq
fois plus fréquente chez l'homme que chez la femme. Les infections pa-
raissent jouer un certain rôle dans son apparition : on a vu les premiers
symptômes apparaître quelque temps après une rougeole, une fièvre ty-
phoïde, une variole.
La date du début est des plus variables; sur une Malistique de 52 cas
il a eu lieu 40 fois avant 22 ans, 14 fois après cet âge. Les chiffres extrê-
mes sont 2 ans et 40 ans ; la maladie n'apparaît jamais immédiatement
(1) Bernhardt, Weilerer Beilrag zur Lehre von der hei'ediliil'en und familiàren
Erkrankungen des Nervensystems. Virchow's Archiv, 1893, p. 259.
(2) Hehhingiiam, Muscular atrophy of the penoneul type affecting many membens of
family. Brain, 1S8S, p. 230.
324 PAUL SAINTON
après la naissance. En général ce sont les membres inférieurs qui sont
pris les premiers ; quelquefois cependant l'atrophie se montre d'abord aux
membres supérieurs. Le début n'est jamais brusque : il est lent, insidieux,
traînant. L'atteinte des mains est postérieure à celle des pieds de deux ans
en moyenne (chiffres extrêmes 6 semaines à 15 ans).
A la [période d'état, lorsqu'on examine le malade, on est frappé du
contraste qui existe entre l'aspect du tronc, puissant, bien développé, entre
l'aspect des cuisses et des bras aux saillies musculaires accusées et la gra-
cilité subite que présentent les avant-bras et les jambes.
En effet aux membres inférieurs, l'atrophie frappe les péroniers, l'ex-
tenseur propre du gros orteil, le jambier antérieur, les petits muscles du
pied : les muscles du mollet sont tardivement diminués de volume : à la
cuisse les muscles pris sont le triceps dans son tiers inférieur, quelquefois
le biceps. Par suite de l'amaigrissement et de l'affaiblissement de ces
groupes musculaires le pied prend des attitudes variables ; à un premier
degré (v.' PI. LI, fig. ABC D) le pied est en varus équin, quand il pend
inerte, sa plante regarde en dedans ; sa face intense est très excavée (fig. 3
et 4) ; les orteils présentent la déformation en griffe, les premières pha-
langes flrschies, les dernières en ltypel'extension. La démarche est steppante.
A un degré plus avancé, la plante du pied est complètement portée en
dedans, le malade marche sur le bord externe du pied, les jambes un peu
écartées, comme s'il avait des échasses. La jambe est mince, la cuisse est
atrophiée en jarretière.
Aux membres supérieurs (v. PI. LU, fig. E. IL), l'atrophie occupe les
interosseux, les éminences thénar et hypothénar : elle atteint les mus-
cles de l'avant-bras, surtout les muscles de la région antérieure ; les mus-
cles du bras et de la racine du membre sont habituellement intacts. Par
suite de ces lésions, il existe des déformations absolument comparables à
celles qui ont été décrites dans l'atrophie dite du type Âran-Duchenne. A
un premier degré (PI. III, fig. E), la main est simplement amaigrie, les
doigts plus minces, plus effilés, les espaces interosseux profondément creu-
sés. A un degré plus avancé (PI. III, fig. II), c'est la main en griffe. De
même qu'au membre inférieur, l'atrophie est en jarretière, elle est ici
en manchette, s'arrêtant au tiers moyen de l'avant-bras. Nous n'insiste-
rons point sur les troubles fonctionnels qui en résultent pour signaler un
fait très particulier sur lequel avait insisté Charcot, c'est l'aGsence presque
constante de toute rétraction tendineuse.
' II n'est pas rare d'observer chez les malades des secousses musculaires
NOIi ? ICONOGPAPHIL DC LA SAIF'F'CRIENF. TOME XII P. LI
AMYOTROPHIE CHARCOT-MARIE
(P. Sainton)
MASSON & çie, Editeurs.
NOUV. ICO\OGRAYFiIL DE LA SAI.PÊTRIERE.
Tome XII. PI. LU
AMYOTROPHIE CHARCOT-MARIE
(P. Sainton)
MASSON & Cie, Editeurs.
326 PAUL SAINTON '
à l'épiderme une véritable macération, susceptible d'amener des ulcéra-
tions.
Les organes des sens sont rarement atteints, Vizioli a cependant publié
une observation concernant le père et le fils, où l'on avait noté une atro-
phie de la papille.
L'état mental est parfois spécial, les malades sont bizarres, fantasques ;
dans un cas, nous avons pu observer un véritable arrêt du développement
intellectuel.
La marche de la maladie est lente : c'est un de ses caractères principaux,
suffisant pour la distinguer des névrites. La progression est tellementra-
lentie que nous avons pu recueillir l'observation d'un malade âgé de
81 ans, qui pouvait encore marcher alors que la maladie avait débuté dans
l'adolescence.
HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE
TRAVAIL DE LA CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
ÉTUDE SUR LES
TROUBLES OBJECTIFS DES SENSIBILITÉS SUPERFICIELLES
DANS LE TABES
PAR LES Drs
André RICHE ET de GOTHARD
L'étude des troubles de la sensibilité dans le tabes est hérissée de diffi-
cultés tant à cause du polymorphisme des troubles en question qu'en rai-
son de leur caractère erratique changeant et de la délicatesse des recher-
ches que nécessite l'exploration de la sensibilité.
Comme troubles de la sensibilité subjective on trouve des douleurs
fulgurantes et lancinantes dont la fréquence et la signification diagnostique
sont de notoriété vulgaire.
Ces manifestations douloureuses peuvent revêtir de tout autres caractè-
res, elles peuvent se montrer sous la forme de douleurs constrictives, en
ceinture, en bracelet, en brodequin, sous la forme de crises viscéralgiques
il sièges extrêmement variés, crises gastriques, hépatalgiques, entéralgi-
ques, rénales, vésicales, uréthrales, clitoridiennes, etc...
On trouve ensuite dans le tabes des troubles objectifs de la sensibilité
superficielle, de la sensibilité cutanée ; leur variété n'est pas moindre, on
rencontre isolément ou conjointement des hyperestésies, des anesthésies,
des hypoesthésies, des retards, des dédoublements et des perversions de la
perception. Les uns ou les autres peuvent intéresser séparément ou en-
semble les diverses manières d'être de la sensibilité des téguments : la sen-
sibilité tactile, la sensibilité à la douleur, la sensibilité au chaud et au
froid, la sensibilité que mettent en jeu les excitations électriques.
En troisième lieu il peut y avoir des troubles, des sensibilités profondes,
viscérales, musculaires, articulaires, osseuseset même des troncs nerveux.
Nous trouvons enfin altérées dans les cas de tabes certaines perceptions
complexes fruit d'une éducation préalable et qui nécessitent l'association
328 ANDRÉ RICHE ET DE GOTHARD
des sensibilités superficielles et profondes; c'est ce que l'on appelle cou-
ramment la notion des attitudes et la perception stéréognostique en
vertu de laquelle nous apprécions la forme et la nature des objets à l'aide
des renseignements fournis par le toucher.
Quant on consulte la plupart des traités classiques il semble qu'il n'y
ait plus rien à dire sur la nature, les caractères, la répartition des trou-
bles objectifs ; anesthésies, hyperesthésies qu'on rencontre dans les cas de
tabès, la vérité est celle-ci ; on sait que dans le tabes, l'anesthésie tactile,
l'analgésie, le ralentissement de la perception et ses perversions sont très
fréquents : mais on est encore très mal fixé sur le point de savoir à quelle
période de la maladie ces troubles se montrent, sur les sièges d'élection de
ces mêmes troubles, leur mode de distribution et de circonscription; on
sait aujourd'hui distinguer suivant leur origine les anesthésies en
rapport avec une lésion des nerfs périphériques, radiculaire,intraspinale,
cérébrale et même corticale, jusqu'ici on ne s'est guère préoccupé de re-
chercher jusqu'à quel point les caractères des anesthésies tabétiques con-
cordent avec ceux qui sont attribués aux anesthésies d'origine périphéri-
ques, radiculaire, intraspinale, cérébrale et corticale.
Nous avons précisément voulu concourir à élucider ces différents points
en apportant un contingent de recherches personnelles; sans avoir la
prétention de mettre la dernière main à un chapitre jusqu'ici encore
encombré par les assertions les plus contradictoires, nous avons du moins
l'espoir de contribuer à établir sur des preuves positives certaines notions
relativement nouvelles qui attribuent aux anesthésies et hyperesthésies
du tabès des caractères tout à fait particuliers.
Avant d'exposer nos recherches il y a lieu de faire ressortir les difficul-
tés auxquelles se heurte l'étude des troubles de la sensibilité dans la cli-
nique du tabès et de faire l'historique des travaux qui ont eu pour objet
cette étude.
*
. "
DIFFICULTÉ DE L'ÉTUDE DES TROUBLES OBJECTIFS DE LA SENSIBILITÉ
CHEZ LES TABÉTIQUES.
Même chez un sujetqui réalise un état normal, l'étude de la sensibilité
superficielle expose à ces erreurs, elle est plus ou moins exagérée suivant
les régions ; en une même région elle peut être émoussée ou rendue plus
exquise par la fatigue cérébrale qu'engendre un examen prolongé ou par
une sorte de surexcitation locale qu'entraîne des irritations répétées.
Ce qui a lieu à l'état normal se produit encore plus facilement chez les
tabétiques, catégorie de malades essentiellement suggestionnables qui
présentent des troubles de la conscience beaucoup plus souvent qu'on ne
TROUBLES OBJECTIFS DES SENSIBILITÉS SUPERFICIELLES 329
se le figure en général ; chez eux on voit apparaître et disparaître des
anesthésies circonscrites sous l'influence d'excitations tant soit peu vi-
ves (1).
Le caractère changeant des troubles de la sensibilité dans le tabes doit
donc nous faire pressentir les résultats contradictoires qu'on obtient au
commencement, dans le cours et à la fin d'un examen un peu prolongé :
il nous suffira de dire que l'observation de la sensibilité chez un tabétique
embrasse une durée de huit heures pour faire comprendre la difficulté de
ce genre de recherches et le peu de valeur qu'il convient d'attribuer à
des examens sommaires.
La difficulté que présenté un examen sérieux de la sensibilité n'avait
pas échappé déjà à Topinard qui décrit minutieusement les précautions
qu'il faut prendre et les erreurs dans lesquelles on peut tomber.
Nous avons dans nos examens recherché les modifications de la sensibi-
lité thermique au moyen du thermo-esthésiomètre de M. Gilles de la Tou-
relle (2). La sensibilité à la douleur a été décelée au moyen d'une épingle
à pointe acérée pour éviter la sensation de tact que donnent les eslhésio-
. mètres. La sensation tactile a été éprouvée à l'aide d'un tampon d'ouate
bien comprimée, monté sur un long manche et suffisamment épais pour
que l'extrémité de celui-ci ne soit pas perçue ; cet appareil tenu entre l'in-
dex et le médius doit entrer en contact avec la peau par son seul poids :
on évite par ces moyens les erreurs dues aux sensations thermiques que
donnent souvent les doigts, et aux impressions de chatouillement que pro-
duit l'inégalité des poils d'un pinceau. - Il importe enfin de tenir
compte d'une part, des sensations plus exquises que donnent les contacts
dans les régions recouvertes de poils, le déplacement de ceux-ci transmet-
tant plus directement et d'une façon plus intense les impressions aux
corpuscules tactiles, et d'autre part, l'épaississement de l'épiderme de
la plante du pied qui peut être un obstacle à la perception.
CARACTÈRES DES TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ SUPERFICIELLE.
Voyons maintenant les principaux résultats énoncés par les auteurs qui
ont porté leur attention sur ce chapitre de l'histoire du tabes.
(1) Il y a probablement lieu de rattacher a la même cause les différents phénomènes
étudiés sous les noms de métamorphose des sensations, contradiction dans les locali-
sations, rappel des sensations, troubles du nombre de perceptions par rapport à celui
des excitations qui se manifestent sous les formes de tétanos sensitif, de polyesthésies,
de sommations des excitations et d'épuisement aux excitations.
(2) On en trouvera la description et l'usage dans le Traité de Séméiologie des mala-
dies nerveuses de Blocq et Onanoff, IS92.
330 ANDRÉ RICHE ET DE GOTHARD
Déjà Topinard (1) en 1864, puis Duchenne de Boulogne (2) en 1871,
avaient constaté le caractère de dissociation des trouhles de la sensibilité
dans les cas de tabès.
Quelques années plus lard, P. Oulmont (3) en 1877 a essayé de nous
renseigner sur la répartition de l'analgésie dans les cas de tabes. Il lui as-
signait des lieux d'élection que d'autres observateurs ont contestés dans la
suite.
A la même époque, Berger (4) de Breslau nous a révélé dans le phéno-
mène de l'hyperesthésie relative une des manifestations précoces du tabes.
Il lui a attribué une signification diagnostique qui a été battue en brèche
parErb.
Dès 1878 Erb (S) a eu le mérite de mettre en lumière le polymorphisme
et le caractère changeant des troubles objectifs de la sensibilité qu'on
observe dans les cas de tabes; ces troubles varient d'un malade à l'autre,
ils varient chez le même maladed'un jour à l'autre, n'empêche que d'après
les recherches d'Erb, l'analgésie grossière, c'est-à-dire facile à découvrir,
est une manifestation fréquente de la période d'état du tabes et J'émousse-
ment de la sensibilité farado-musculaire une manifestation encore plus
fréquente.
Les recherches de Fischer (6) (1880), ont mis également en lumière la
fréquence de l'analgésie chez les tabétiques; très fréquent aussi et de plus
très précoce est le ralentissement de la perception douloureuse signalé déjà
par Cruveilhier et par Duchenne.
Plus tard Stern (1886) (7) a essayé de faire la lumière sur les caractères
de la dissociation des troubles objectifs de la sensibilité qu'on observe
dans le tabès. D'après lui l'émoussement de la sensibilité à la douleur
l'emporterait comme précocité, comme fréquence et comme étendue sur
les autres modes d'anesthésie. Stern constate que la sensibilité thermique
peut être affectée en premier lieu, que la répartition des anesthésies est
(1) Topinard, De l'alaxie locomotrice et en particulier de l'alaxie locomotrice progres-
sive, 1864.
(2) Duchenne DE BOULONNE, De l'électrisation localisée, Paris, 1812.
(3) Oulmont, De la répartition des lrotsbles de la sensibilité dans le tabes dorsalis.
Gazette médicale, 1811, n° 19, p. 229.
(4) Berger, Zur Symptomatologie der Tabes dorsalis, Berlin, Iilin.1'ocliensc., 1818,
n- 4, p. 51.
(5) Erb, Zur Pathologie der Tabes dorsalis. Deutsche Archiv für klin. Mediein, 1879,
t. XXIV, fasc. 1, p. 1.
(6) Fischer, Zur Symptomatologie der Tabes dorsalis. Deutsche Archiv sur klin. ile
dic., 1880, t. XXVI, p. 83.
(7) Stern, Ueber die Anomalien der Empfinduugen und ihre Bezichuergen zur Alaxie
bei Tabès dorsalis. Archiv sur Psychiatrie und Nervenkrank., 1886, t. XXVII, fasc. 2,
p. 48.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T, XII. PL. LUI.
Anesthésie au tact.
Hypoesthésie à la chaleur.
Hypoesthésie au tact.
Anesthésie à la piqûre.
Hypoesthésie à la piqûre.
Hyperesthésie à la piqûre.
Anesthésie à la chaleur.
TROUBLES DES SENSIBILITÉS SUPERFICIELLES DANS LE TABES
(A. Riche et De Gothard.)
¡,¡n nmYf ? 1\¡l ! \prh
Hyperesthésie à la chaleur.
Anesthésie au froid.
Hypoesthésie au froid.
Hyperesthésie au froid.
Thermoparesthésie
P1. I
TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES
(A. Riche et De Gaillard)
Obsemation I.
MASSON ET C", Éditeurs.
TROUBLES OBJECTIFS DES SENSIBILITÉS SUPERFICIELLES 331
sujette à une extrême irrégularité, que cependant leur début habituel se
fait par les membres inférieurs et qu'aux membres supérieurs leur siège
d'élection se trouve être la zone de distribution du cubital. ,
Biswanger (1) (1887), est arrivé aux mêmes conclusions relativement à
l'irrégularité de la distribution des anesthésies tabétiques.
Enfin avec Laehr (2) (1895) et Patrick (3) (1897) l'étude des troubles ob-
jectifs de la sensibilité chez les tabétiques est entrée dans une phase nou-
velle ; nous avons appris que dans les cas de tabès ces troubles objectifs
affectent une distribution segmentaire comparable à celle qu'on observe
dans les cas de section des racines postérieures, de section transversale
de la moelle.
Marinesco (4) reprenant les recherches de Læhr conclut en disant que
les troubles observés confirment la théorie radiculaire du tabès, mais en
faisant remarquer qu'il ne faut pas s'attendre à trouver une zone d'anes-
thésie exactement superposable au champ radiculaire, car il existe trois
facteurs qui peuvent influencer cette topographie radiculaire :
1° La répartition inégale des lésions dans les différentes racines succes-
sives ;
2° L'innervation d'un même territoire par plusieurs racines (Sher-
rington) ; .
3° La participation d'un processus endogène à la lésion radiculaire,
opinion émise par Marie et soutenue par Philippe.
Chez tous les tabétiques que nous avons examinés les troubles de la
sensibilité superficielle se sont montrés constamment et à des degrés
divers.
Nous rapportons dans huit observations du service de M. le professeur
Raymond ces troubles sensitifs. Nous avons établi des figures schémati-
ques en planches lithographiques où l'on trouve superposées les quatre
sensations avec leurs différents degrés. (Voir Pl . LUI.)
Observation I.
Péd... (Francine), 45 ans, domestique, entrée le 27 septembre 1892, salle
Pinel, lit ilo 1. Salle Rostan, lit n° 11.
(1) Biswanger, Ueber Sensibililatprilfungen bei Tabes und Tabes paralyse. Neurolo-
gisches Centralblatt, 1881, no 2, p. 28.
(2) Lmm, Ueber Sensibililàtstôruagen bei Tabes dorsalis. Archiv. sur Psychiatrie
und Nerwenkrankheiten, 1899. B. XXVII. Fasc. 3, p. 688.
(3) Patrice, Anesthésia of the Trunck in locomotor Ataxia. New-York medicaljour-
nal, 1897, t. 63, n° 6.
(4) Marinesco, De la topographie des lrouhles sensitifs dans le tabès ; ses rapports avec
les sensations des tabétiques (Sem. méd., 13 octobre 1891, n° 41).
332 ANDRÉ RICHE ET DE GOTIIARD
Antécédents. Le père est mort à 57 ans, d'une maladie de coeur, la mère
est morte à 30 ans de suite de couches.
Une soeur est morte à 35 ans, il en reste une autre, mariée, bien portante.
La malade est la deuxième de la famille. Elle a eu la rougeole, la coquelu-
che, la fièvre typhoïde avant l'âge de 14 ans. Réglée à 16 ans, elle a eu une
bronchite à 29 ans.
Elle affirme n'avoir jamais eu la syphilis ; mais, il y a cinq ans, elle a perdu
les cheveux en peu de temps.
Début de la maladie. Elle s'est manifestée par des douleurs en ceinture,
rapidement la marche est devenue difficile. A la suite d'une chute, en 1892,
elle reste quinze jours couchée pour une entorse très douloureuse ; une fois
guérie elle s'aperçoit, en voulant se lever, qu'elle ne peut plus marcher, et
elle entre à la Salpêtrière, où on lui fait suivre le traitement ioduré.
Jamais elle n'a éprouvé de troubles oculaires et vésicaux ; depuis deux ou
trois mois les douleurs ont presque disparu.
Etat actuel. - Il est très satisfaisant. On ne relève aucun trouble gastri-
que, intestinal, laryngé, urinaire.
A l'examen oculaire (1) : myosis, inégalité pupillaire, signe d'Argyl Robert-
son. Pas de dyschromatopsie ; acuité visuelle normale. Pas de rétrécissement
du champ visuel, quelques secousses nystagmiformes, aucune lésion du fond
de toit.
Les réflexes sont abolis aux membres supérieurs. Les réflexes du genou et
du tendon d'Achille le sont également. La recherche du réflexe plantaire est
douloureuse ; il y a extension à droite, la direction du mouvement provoqué
est douteuse à gauche. Il n'y a pas de trépidation spinale, pas d'atrophie mus-
culaire ; la force est conservée partout, au dynamomètre elle amène à droite
22 kilogrammes, à gauche 21 kilogrammes.
Actuellement les douleurs sont rares, elles reviennent environ une fois par
mois ; elles se produisent aux membres inférieurs et remontent des pieds jus-
qu'à la moitié de la jambe sous forme de crises d'élancements qui durent dix
minutes.
1. Sensibilité objective superficielle (PI. LV).
I. Tact. - A. Face antérieure. - Anesthésie jusqu'à l'articulation tibio-
tarsienne droite. Plaque anesthésique à la moitié externe du sein droit. Hy-
poesthésie à la jambe gauche jusqu'au genou ; à la jambe droite, l'hypoesthésie
s'arrête au tiers antérieur de la face dorsale du pied. La sensibilité tactile est
conservée également au bord interne de ce pied.
- B. Face postérieure. - A la plante du pied droit le côté interne, les trois
premiers orteils ne perçoivent pas le toucher ; il en est de même pour la par-
tie médiane de la plante du pied gauche. Les deux fesses et à gauche le bord
externe de la jambe sont également insensibles : il y a seulement diminution
de la perception tactile dans l'autre moitié de la face plantaire droite.
(1) Les examens oculaires de ces malades ont été faits par M. Kônig.
illi. il TROUBLES DES SENSIBILITES DANS LE TABES
PL ICI
PI. II (A. Riche et De Gothari.)
Observation Il. L
MASSONHTC" Editeur'
TROUBLES OBJECTIFS DES SENSIBILITÉS SUPERFICIELLES 333
II. Douleur. - A. Face antérieure. - Hyperalgésie à la cuisse gauche, à la
région sus-claviculaire et à toute la main droite, seulement à l'extrémité des
doigts de la main gauche.
B. Face postérieure. - Hypoalgésie au talon droit, hyperalgésie aux qua-
tre doigts de la main gauche et à tous les doigts de la main droite.
Retard à la perception de la douleur ; pied gauche, face supérieure 4", ra-
cine du deuxième orteil 4" ; pied droit, racine du gros orteil 2". Face plan-
taire gauche : racines des deuxième, troisième et quatrième orteils, 3" ; face
plantaire droite : racine du gros orteil, 3". Aux jambes la piqûre est ressentie
comme un pincement.
III. Température. - A. Face antérieure. - A la jambe droite hypoesthé-
sie à la chaleur et à la jambe gauche dans la région périmalléolaire. A la cuisse
droite hyperesthésie à la chaleur.
B. Face postérieure. - Thermo-hypoesthésie jusqu'au genou droit ; thermo-
hyperesthésie à la fesse droite et aux deux tiers de la cuisse du même côté.
Hyperesthésie au froid en ceinture. ,
A la jambe droite, en avant, le chaud est perçu comme froid et inverse-
ment ; la véritable sensation ne s'établit qu'à la longue. Au pied et à la che-
ville gauche le froid est ressenti comme une piqûre, l'impression de froid n'a
lieu que 4" après.
Observation II.
Rous... (Clémence), 35 ans, domestique, entrée le 31 mars 1898 à la Salpê-
trière, salle Cruveilhier, lit n° 9.
Antécédents . - Son père est mort à 60 ans subitement, sa mère est morte
à 70 ans de tuberculose pulmonaire probablement.
Elle a cinq frères et trois soeurs, vivants et bien portants.
On ne signale pas d'affections nerveuses chez les collatéraux.
La malade est la dernière de la famille ; réglée à 13 ans, elle l'a toujours été
régulièrement.
A 25 ans elle a eu la fièvre typhoïde et elle est restée deux mois au lit.
Elle affirme n'avoir pas eu la syphilis et on ne relève pas de traces de cette
infection.
Début de la maladie. - Il y a quatre ans, en avril 1895. La malade voit
trouble et double à la fois. Ces modifications de la vue persistent pendant une
année et la vue redevient normale.
Peu de temps après le début, la malade commence à ressentir des douleurs
dans les jambes et dans les cuisses ; ces douleurs sont fulgurantes et se décla-
rent le plus souvent à la tombée de la nuit ; elles amènent de l'insomnie, elles
laissent des sensations douloureuses sur leur trajet.
Un an plus tard, apparaissent des douleurs en ceinture ; vers la même épo-
que se déclarent des troubles de la miction qui devient difficile, la malade est
obligée d'attendre et de pousser pour pouvoir uriner, et elle ne sent pas le pas-
sage de l'urine pendant l'émission, à aucun moment elle n'a eu d'incontinence.
En même temps surviennent des crises de vomissements qui reviennent tous
334 ANDRÉ RICHE ET DE GOTHAIID
les huit ou quinze jours durant deux à trois jours ; ces vomissements contien-
nent les aliments aussitôt après leur ingestion, ou des matières claires, filantes,
quelquefois verdâtres : les crises ont duré deux à trois mois.
Lorsque les phénomènes douloureux commencèrent à se produire, la malade
s'aperçut qu'elle sentait mal le sol sous ses pieds, il lui semblait marcher sur
des coussins de plumes ; bientôt elle éprouva de la peine a se tenir en équili-
bre, quand elle levait le pied pour avancer elle croyait être tirée en arrière.
La marche devenant de plus en plus difficile, la malade vient la Salpêtrière
le 31 mars 1898. On la soumet pendant trois mois à l'élongation, qui a été mal
tolérée.
Étal actuel. La malade présente un certain nombre de stigmates de dégé-
nérescence, les bosses frontales sont proéminentes, le lobule de l'oreille adhé-
rent, la voûte palatine très ogivale.
L'état général n'est pas très satisfaisant, l'amaigrissement est très prononcé,
des sueurs nocturnes ont lieu parfois, mais il n'y a pas de phénomènes fé-
briles.
Il ne se produit pas de crises laryngées.
L'auscultation révèle aux deux sommets des poumens une diminution mani-
feste dans l'ampleur de la respiration.
Au coeur rien d'anormal, les artères sont souples.
Le pouls bat 76 à la minute.
Les troubles de la miction sont très peu accusés. Elle doit quelquefois atten-
dre et pousser pour provoquer l'émission de l'urine, il n'y a pas d'insensibilité
du canal.
Les crises gastriques ont cessé, mais l'anorexie est prononcée et la constipa-
tion habituelle.
L'acuité visuelle est normale ; il y a une légère inégalité pupillaire, la pupille
droite étant un peu plus grande que la gauche, le réllexe lumineux est normal
à gauche ; à droite la pupille réagit très faiblement, le réllexe accommodateur
est conservé des deux côtés, la convergence se fait bien. La recherche avec le
verre rouge fait constater une diplopie homonyme dans le champ du regard à
gauche (paralysie de la troisième paire gauche), pas de dyschromatopsie.
Le réflexe du poignet et celui du coude sont abolis, la percussion du triceps
donne toutefois la flexion de l'avant-bras. Les réflexes rotuliens et celui du
tendon d'Achille sont abolis également.
Le réflexe plantaire a lieu en flexion, il n'y a pas de trépidation spinale.
L'amaigrissement n'est pas accompagné d'atrophie musculaire.
L'examen électrique ne donne en aucun point la réaction de dégénérescence.
Tous les muscles se contractent bien ; au dynamomètre elle amène à droite
19 kilogr., à gauche 15 kilogr.
Actuellement la malade éprouve des douleurs passant rapidement en éclairs
dans les jambes ; elle ressent également des douleurs qu'elle compare il des
coups d'épingles, à des brûlures, et aussi des douleurs en ceinture.
TROUBLES OBJECTIFS DES SENSIBILITÉS SUPER FICIELLES 335
Sensibilité objective superficielle (pli. LV).
I. Tact. A. Face antérieure. Anesthésie au pied droit jusqu'à l'articu-
lation tibio-tarsienne ; petite plaque d'anesthésie au-dessus du genou à la face
interne de la cuisse droite; anesthésie aux quatrième et cinquième orteils gau-
ches ; hypoesthésie périmalléolaire à droite, s'étendant à gauche depuis les
orteils jusqu'au milieu de la jambe ; plaque d'hypoesthésie au bord externe de
la cuisse droite.
B. Face postérieure. - Anesthésie plantaire des deux côtés ; hypoesthésie
périmalléolaire droite ; à gauche, celle-ci s'étend du pied au tiers inférieur de
la jambe.
II. Douleur. A. Face antérieure. Hypoalgésie à droite de tout le pied
jusqu'à l'articulation tibio-tarsienne; hyperalgésie sus-claviculaire gauche.
B. Face postérieure. - Analgésie à la plante du pied gauche, respectant le
talon; au pied droit analgésie au talon, au gros orteil, aux quatrième et cin-
quième orteils.
III. Température. A. Face antérieure. Hypoesthésie il la chaleur, aux
orteils droits, s'étendant un peu au bord interne du pied droit ; hypoesthésie
périmalléolaire à droite; hyperesthésie à tout le tronc avec exagération plus
prononcée dans la région sus-claviculaire des deux côtés. Hyperesthésie au
froid depuis une ligne transversale passant par l'ombilic jusqu'à une ligne obli-
que allant aux deux jambes depuis le tiers inférieur du bord interne de la cuisse
jusqu'à la face externe de l'articulation du genou. -
B. Face postérieure. - Hyperesthésie, à la chaleur, depuis une ligne trans-
versale passant par l'angle inférieur de l'omoplate jusqu'à une ligne oblique
allant de l'articulation du genou au tiers supérieur de la face externe de la
jambe. Hyperesthésie, au froid, occupant tout le tronc et s'arrêtant aux fesses.
Retard de la perception à la chaleur de 5 ' au gros orteil droit, de 2" au
dernier orteil, de " à la malléole interne du même côté, et de 4" au gros or-
teil du côté opposé. Le retard est de 10" au talon gauche, de 3" à la racine
des orteils à droite.
Observation III.
Caud... (Marie), 44 ans, employée de commerce, entrée le 20 octobre 1896,
salle Broca, lit n° 10.
Antécédents. Son père est mort à 65 ans des suites d'un accident de che-
min de fer ; sa mère est morte subitement à 60 ans ; une soeur est morte à
15 ans pendant une fièvre typhoïde ; il reste deux frères et une soeur bien
portants,
Il n'y a pas de maladies nerveuses dans la famille. La malade est l'aînée ;
réglée à 17 ans, elle l'a toujours été régulièrement ; vers 18 ans, elle eut une
bronchite qui dura plusieurs semaines. Elle affirme n'avoir pas eu la syphi-
lis, cependant on relève des laryngites et des angines fréquentes, elle a eu des
céphalées très tenaces ; à 25 ans, elle a présenté un état anémique au cours
duquel elle a perdu les cheveux ; elle a fait une fausse couche de trois mois.
336
ANDRÉ RICHE ET DE GOTHARD
Début de la maladie. - Celle-ci a commencé par des modifications de la
vue, « des brouillards devant les yeux » ; elle n'a pas présenté de diplopie.
Survinrent des crises fréquentes de diarrhée, des envies fréquentes d'uriner
et même de l'incontinence avec anesthésie du canal. cette époque elle éprouve
des douleurs dans les deux jambes, se produisant principalement vers quatre
heures du soir et durant jusqu'au lendemain ; ces douleurs à caractère fulgu-
rant empêchaient souvent le sommeil, elle a ressenti également des douleurs
en ceinture.
Pendant que ces phénomènes s'accentuaient, les jambes devinrent plus fai-
bles ; elle arrivait à tomber quand elle voulait se lever; dans l'obscurité la
marche était difficile.
Fig. 1. - Schéma du champ visuel (Observation III).
Entrée le 20 octobre 1896 à la Salpêtrière, la marche étant devenue impos-
sible, elle fut soignée par la suspension. Elle en éprouva un certain soulage-
ment, mais les crises de diarrhée persistèrent et la marche ne s'améliora pas
sensiblement.
Etat actuel. - L'état général est satisfaisant, elle éprouve quelques palpita-
tions du coeur sans lésion organique constatable à l'auscultation ; il n'y a rien
du côté des vaisseaux, le pouls bat 80 pulsations, la radiale est souple.
Pas de troubles gastriques ni laryngés. Il reste des envies fréquentes d'uri-
ner et l'anesthésie du canal persiste ; rien d'anormal dans les urines, les rè-
yles sont toujours régulières.
Pl. III
TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES
(A. Riche et De Gaillard.)
Observation Il L
MASSON ET C ? h,dil,
TROUBLES OBJECTIFS DES SENSIBILITÉS SUPERFICIELLES 337
L'oeil gauche converge difficilement, il y a une légère inégalité pupillaire : la
droite est plus large que la gauche, signe d'Argyl Robertson. A l'ophtalmos-
cope, on constate une atrophie des nerfs optiques, plus accentuée à gauche,
l'oeil de ce côté est complètement amaurotique. Myopie à droite, 4 dioptries
environ, acuité visuelle 1/3. Quand on provoque des mouvements d'abduction,
on constate qu'il existe quelques oscillations lentes, pas de dyschromatopsie.
La mesure du champ visuel de l'oeil droit fait constater un rétrécissement
considérable (Fig. 1).
Les réflexes du coude, du poignet, du genou et de l'articulation tibio-tar-
sienne sont abolis. Le réflexe plantaire a lieu en flexion, il n'y a pas de trépi-
dation spinale.
La force musculaire est partout conservée ; au dynamomètre elle amène
18 kilogrammes à droite et 13 à gauche.
La malade ressent encore des douleurs dans les genoux, la région inguinale
des deux côtés, les régions lombaires et scapulaire. Ces douleurs irradient le
long de la cuisse, il y a aussi des douleurs en b émiceinture du côté droit ; les
crises reviennent environ tous les trois jours et durent trente-six heures. Pen-
dant les règles elle a des douleurs sourdes da ns la région ovarienne et dans les
parties du thorax jusqu'à la ceinture.
Sensibilité objective superficielle (Pl. LYI).
I. Tact. A. Face antérieure. Anesthésie aux membres inférieurs, mon-
tant à gauche sur le tronc dans la ligne mamillaire ; elle rejoint dans l'aisselle
une zone d'anesthésie, comprenant tout le territoire d'innervation du nerf cu-
bital.
B. Face postérieure. - Anesthésie depuis les pieds jusqu'à la région sa-
crée ; la sensation tactile est toutefois conservée sur une bande large de trois
travers de doigt, s'étendant du genou au cou-de-pied. Au-dessus des fesses
monte une bande transversale d'anesthésie allant jusqu'à l'aisselle gauche, où
elle rejoint l'anesthésie cubitale décrite.
Il. DOULEUR. - A. Face antérieure. Hypoalgésie dans tout le bord in-
terne du bras gauche et au-dessus du genou gauche. Hyperalgésie à la tête,
au tronc, aux membres supérieurs, et à la cuisse gauche dans une petite zone
à la face antéro-interne. Hyperalgésie en bande il la face externe de la jambe
gauche jusqu'au dernier orteil, et au pied droit il la base du gros orteil.
B. Face postérieure. Analgésie aux deux faces plantaires ; hypoalgésie au
tronc dans le même territoire que l'anesthésie. Hyperalgésie à la tête, aux
bras et au tronc.
Il[. Température. - A. Face antérieure. - Thermo-hyperesthésie tout
le corps sauf aux pieds. Hyperesthésie au froid descendant plus bas que l'hy-
peresthésie au chaud à la jambe droite.
B. Face postérieure. - Thermo-hyperesthésie il tout le tronc, à la tête, aux
bras. Hyperesthésie à la chaleur aux membres inférieurs.
338 ANDRÉ RICHE ET DE GOTHARD
' Observation IV.
Bas... (Louise), 60 ans, lingère. entrée le 18 octobre 1898, salle Duchenne
de Boulogne, lit n° 14. ,
Antécédents. Le père est mort à 84 ans ; la mère est morte du choléra en
1849, à 32 ans.
Elle a un frère bien portant, un autre est mort à 28 mois.
Il n'y a pas de maladie nerveuse dans la famille. '
Réglée à 14 ans, elle l'a toujours été régulièrement jusqu'à 52 ans.
Mariée à 25 ans ; son mari, de bonne santé habituelle, est mort à 27 ans du
charbon.
Elle a eu deux enfants : un fils qui est en bonne santé, et une fillette qui est
atteinte de la maladie de Basedow.
Au dire de la malade, elle n'aurait pas eu la syphilis, dans les commémora-
tifs on ne relève aucune trace de cette infection.
Début de la maladie. Il y a 8 ans, en 1891, elle ressent des douleurs en
ceinture, et à. ans après seulement, des douleurs fulgurantes dans les jambes.
La gène de la marche a débuté à ce moment, mais elle n'en a pas moins
continué à travailler jusqu'en octobre dernier. Depuis cette époque, et très
rapidement, la marche est devenue impossible, surtout dans l'obscurité, par
suite d'une sensation de fourmillement dans les pieds, accompagnée de perte
de sa sensation du contact avec le sol.
Il y a trois ans, étaient survenus des troubles vésicaux, consistant en envies
fréquentes d'uriner ; jamais il n'y a eu d'incontinence.
Il y a deux ans, la vue était devenue trouble, il y a même eu de la diplopie
qui a cessé depuis un an.
A son entrée à la Salpêtrière elle ne pouvait marcher sans se tenir aux meu-
bles ; on la soumit à quelques exercices au lit.
Etat actuel. - La malade a l'aspect fatigué, la peau est sèche et ridée»,
l'amaigrissement est manifeste.
Sans avoir eu jamais de troubles gastriques, elle a de l'anorexie assez pro-
noncée, elle est soumise à des crises de diarrhée difficiles il maîtriser.
Il n'existe pas de symptômes laryngés.
L'auscultation des poumons ne décèle rien de spécial.
Le coeur présente des battements sourds et précipités, le rythme foetal. Les
artères ne sont pas dures; le pouls est mou, parfois irrégulier, il bat 112.
La recherche de la sensibilité cutanée aux différents modes provoque des
éruptions variées, indices de troubles vaso-moteurs.
Les fonctions vésicales sont normales, il n'y a pas d'anesthésie du sphincter.
L'examen des urines ne révèle rien de spécial.
L'examen des yeux montre que les pupilles sont égales, elles réagissent aux
distances mais le réflexe lumineux est perdu. A l'ophtalmoscope, le nerf opti-
que est décoloré à droite. L'acuité visuelle est normale, il n'y a ni diplopie, ni
dyschromatopsie ; on remarque un peu de nystagmus rotatoire.
Le réllexe du coude est conservé à gauche ; à droite il est très affaibli ; ceux
l'1. IV
TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES
(A. Riche et De Gothard.)
Observittion IV.
TROUBLES OBJECTIFS DES SENSIBILITÉS SUPERFICIELLES 339
du genou et du talon sont abolis. La recherche du réflexe plantaire provoque
une sensation de brûlure sans donner de mouvements bien nets des orteils.
Pas de trépidation spinale, il n'y a pas d'atrophie des muscles, leur force est
conservée partout : le dynamomètre donne 18 à droite et 16 à gauche.
Actuellement, la malade'a des douleurs dans le bord externe du pied droit,
surtout dans les deux derniers orteils ; elles remontent le long de la hanche et
jusqu à la colonne vertébrale ; elles sont fulgurantes.
La malade éprouve dans les doigts, surtout à la main gauche, une sensation
d'engourdissement.
La région lombaire est vaguement douloureuse.
Sensibilité objective superficielle (PI. LVII).
I. Tact. A . Face antérieure. - Hypoesthésie à la jambe droite depuis
l'articulation tibio-tarsienne jusqu'au pli inguinal.
B. Face postérieure. - L'hypoesthésie existe aux plantes des pieds et la
jambe droite jusqu'au pli fessier. Cet amoindrissement dans la perception du
tact devient de l'anesthésie absolue à la cuisse dans une bande étroite, située
sur la ligne médiane au-dessous du pli fessier, qui se prolonge jusqu'à la moitié
de ce segment de membre.
II. Douleur. - A. Face antérieure. - Hyperesthésie dans la région ombili-
cale aux bras, à la face, au cou et il la partie supérieure du thorax jusqu'à une
ligne passant par les creux axillaires. L'extrémité des doigts et les éminences
thénar présentent une hyperesthésie plus prononcée.
B. Face postérieure . - Hyperalgésie aux plantes des pieds et à la cuisse ;
Dans la zone d'anesthésie ; elle s'étend atout le thorax à partir de la région
lombaire.
III. Température. - A. Face antérieure. - Thermo-hypoesthésie depuis
l'articulation du pied jusqu'au pli inguinal; hyperesthésie au froid dans la ré-
gion ombilicale et au pied gauche ; hyperesthésie à la chaleur dans une bande
s'étendant de la ligne bi-atillairo à la ceinture et aux éminences thénar.
B. Face postérieure. Hyperesthésie à la chaleur dans toute l'étendue du
tronc et jusqu'à une ligue passant par le milieu des deux cuisses; hyperesthé-
sie au froid dans une bande s'étendant de la ligne bi-axillaire à la ceinture, et
à la'cuisse dans la même zone où l'on trouve de l'hyperalgésie.
(A suivre.)
LES PEINTRES DE LA MÉDECINE
(ÉCOLES FLAMANDE ET HOLLANDAISE)
LE. MAL D'AMOUR
(Suite).
. ' ' PAR ,
HENRY MEIGE.
VII
Allier à la verve deJan Steen la distinction de Gérard Dow, c'était pour
un peintre hollandais un idéal bien séduisant. GABRIEL IVIFTZU a fait de
consciencieux efforts pour atteindre ce but.
Natif de Leyde (1630 ? -1GG7) et camarade de Steen, il a voulu, lui
aussi, célébrer le vin et les festins ; mais de moeurs plus rassises et d'es-
prit moins pétulant que le cabaretier de l'Etrille, il n'a pas osé aborder
les folles ripailles ni les orgies débraillées. Il s'est maintenu dans une
note correcte, discrète, soignant il l'extrême les détails menus, guindé peut-
être parle souci d'un réalisme quasi photographique, au détriment de la
hardiesse et de la vie.
Au demeurant, dessinateur précis, coloriste délicat, ordonnateur irré-
prochable, Metzu conserve une place très honorable à côté de Gérard Dow
et de Terborch, parmi les meilleurs peintres de genre de l'Ecole hollan-
daise.
Ses scènes médicales sont en nombre restreint. Celles que nous allons
décrire montrent cependant que Metzu n'a pas négligé ce genre de sujet.
Il existe d'ailleurs un tableau de lui dans la collection Stcengracht, il
la Haye, intitulé l'Enfant malade, qui peut passer à juste titre pour un
chef-d'oeuvre. La touchante émotion de cette scène familière ne saurait
être plus communicative; mais surtout la vérité pathologique en est saisis-
sante.
Donnée bien simple : une mère tient sur ses genoux son enfant malade,
mais que de tendresse anxieuse chez cette maman ! Avec quelle affectueuse
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XII. PL, LVIII.
Photographie Braun, Clément et CiC. Photogravure Rougcron, Vignerut, Dumoulin.
MAL D'AMOUR
Tableau de GABRIEL Metzu, intitulé '
La Malade
Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg.
\fy550 Lt C ? Éditeurs.
LE MAL D'AMOUR 341
angoisse elle serre le bras amaigri de sa fillette. Et chez cette dernière,
comme l'artiste a su rendre les méfaits de la maladie : la faiblesse de ce
petit corps, ses membres amaigris, ses chairs flasques,et surtout ce visage
souffreteux, qu'éclairent deux grands yeux noirs, lamentablement tristes.
Je ne connais pas d'image plus vraie de l'enfance maladive, telle que
la tuberculose la réalise souvent. Dans cette oeuvre de premier ordre,
Metzu a fait preuve de remarquables qualités d'observation; là, son ta-
lent minutieux a pris une réelle ampleur.
La Malade du musée de l'Ermitage, à St-Pétersbourg (1), donne encore
une excellente idée des qualités de Metzu. C'est une oeuvre consciencieuse
et soignée dont l'extrême fini n'exclut pas les qualités naturalistes. On y
soupçonne une pointe de satire, un peu trop dissimulée peut-être par un
goût prépondérant pour le bon ordre et le bon ton (PI. LVIII).
Avec Metzu, il faut s'attendre à fréquenter la belle société. Nous voici
donc dans une chambre luxueuse.
Au fond, un beau lit à colonnes torses dorées entouré d'un rideau blanc.
Au mur, un grand tableau représentant le sacrifice d'Isaac. A droite,
une table avec un lourd tapis d'Orient.
Au milieu de la pièce se tient la malade ; bien entendu, c'est une per-
sonne de distinction.
Elle conserve une attitude correcte et le souci de son ajustement. Elle
lient à recevoir la Faculté en maîtresse de maison qui connaît ses devoirs.
La maladie n'a-t-elle pas, elle aussi, son protocole ?
Or, voici la tenue de rigueur : Robe de satin rose à larges parements
d'argent, jaquette de velours rouge bordée de cygne; sur la tête,une coiffe
et un fichu blanc ; comme parure, de riches pendants d'oreilles en diamant.
Ainsi vêtue, l'on s'asseoit dans un grand fauteuil, la tête appuyée contre
un oreiller, les yeux mi-clos, le regard mourant, les lèvres molles, les
mains inertes. Et l'on ébauche un semblant depamoison.Votrepetit chien,
dressé sur ses pattes de derrière, cherche en vain vos caresses. N'y prenez
garde. Ne dites mot. Remuez moins encore. N'ayez d'autre souci que de
défaillir honnêtement.
Cependant, dans un grand silence, le docteur fait son entrée, grave,
majestueux, tout de noir vêtu, avec une robe très ample et très longue,
une calotte sur le crâne surmontée d'un haut chapeau de feutre à bords
relevés. Il s'arrête, regarde, réfléchit, puis pince sévèrement les lèvres.
Maigre visage à barbe grise, encadré de boucles argentées descendant sur
la nuque, il en impose vraimentpar la dignité de ses traits. Et son attitude
(1) N° 878 de Catal, Somof, 1895. - B. H, 61 ; L, 48.
Ni 23
342 HENRY MEIGE
est plus impressionnante encore quand, la main droite posée sur la hanche,
de la gauche il saisit l'urinai et semble s'abstraire dans la contemplation
de son miroitement. Instant d'angoisse ! Quelle sentence va-t-il pronon-
cer ? ...
Metzu a exécuté ce duo avec un art très émouvant. Et la scène nous
laisserait, sous une impression d'anxiété presque tragique, sans la pré-
sence d'un troisième personnage destiné à nous rassurer sur la gravité du
cas.
C'est, derrière le fauteuil de la malade, une vieille servante, vêtue et
coiffée de noir, qui se prépare à verser dans uile cuiller le contenu d'une
petite fiole, un cordial sans doute. Il est grand temps de l'administrer.
Pourtant. la vieille ne se presse guère. Elle suit du coin de l'oeil l'exa-
men du docteur,au risque de renverser la potion, et un malicieux sourire
égayé sa face ridée. La perspicacité de l'homme de l'art ne semble pas lui
inspirer grande confiance et nous comprenons qu'elle en sait plus qu'elle
n'en dit. Ce sourire là, Jean Steen en faisait un gros rire qui se commu-
niquait à tous les assistants, y compris le médecin. Metzu n'a pas osé
traiter la Faculté de façon si cavalière : la note comique est à peine es-
quissée. Elle suffit néanmoins à nous tirer d'inquiétude. Consolons-nous,
le mal est plus apparent que réel.
N'est-ce pas le propre du mal d'amour ? Si vraiment. Et nous en trou-
vons la preuve, d'abord dans l'altitude delà malade dont la défaillance
nous est connue par maints exemples similaires ; puis, sur la table,
dans une belle assiette de faïence bleue, à côté du panier de l'urinai,
voici les tranches de citron révélatrices.
Enfin, sur le dais du lit, un joli groupe sculpté représente deux amours
folâtres. Ce symbole cher à Jean Steen, Metzu a dû le lui emprunter. Nous
savons qu'il équivaut à un diagnostic. C'est bien encore le Mal d'Amour.
Metzu a peint une autre scène médicale qui certainement appartient à
notre série. Elle se trouve actuellement à Vienne, dans la collection
G. Edlen von Preyer (PI. LIX).
C"est une oeuvre moins sévère que la précédente, pleine de sous-enten-
dus discrets, infiniment gracieuse. On y retrouve la joyeuse humeur de
Jan Steen tempérée par cette recherche de l'élégance qui plaisait tant à
Metzu. Tout y est séduisant ; et médecin semblent rivaliser de
jeunesse et de grâce. Un docteur ne saurait souhaiter cliente plus attrayante
ni cliente d'être soignée par un visage plus avenant. C'est en peinture
seulement que la médecine peut réaliser de ces rencontres.
Un minois frais, de tendres yeux, la bouche mignonne, les épaules et
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T, XII. PL, LIX.
Photographie Loewy (Vienne). Photogra\ ure Loewy.
MAL D'AMOUR
Tableau de G. METZU, de la.collection G. Edlen von Preyer
Vienne. -
Masson et Cic, Editeurs.
LE MAL D'AMOUR 343
le bras d'un agréable dessin, le poignet et la main d'une irréprochable
finesse, et ce qu'on entrevoit de la gorge permettant de deviner l'attrait
des charmes qu'on ne voit pas : telle est la victime qui, mollement, s'a-
bandonne, accoudée sur un oreiller, les bras nus, le corsage entrouvert,
attendant le verdict de son juge aux blonds cheveux.
. Elle tient par son visage et sa pose de la Malade de Steen du musée
d'Amsterdam, à laquelle elle ressemble étrangement. Par son négligé,
elle rappelle la jolie fille de la collection Steengracht, si peu soucieuse de
la liberté de son ajustement.
Jamais le mal d'amour n'a revêtu un aspect plus séduisant. La langueur
du regard, la nonchalance de la pose sont de réels indices de sa présence ;
encore ne font-ils qu'ajouter aux appas de la maladie.
Mais que penser du médecin ?
Cet élégant aux cheveux bouclés, la lèvre rieuse, l'oeil séducteur, le
corps moulé de velours noir, paré des plus riches dentelles, a-t-il l'aspect
d'un guérisseur ? Et n'est-il pas plutôt le propagateur d'un mal dont il
pourrait être aussi le remède ?
Vraiment, il semble s'occuper beaucoup plus de l'effet produit par
ses boucles blondes et ses jolis yeux que de regarder l'urinal qu'il tient
dans sa main droite. Après tout, c'est peut-être la meilleure façon qu'il
connaisse de soulager les maux de sa cliente.
Ce type de docteur frisé, musqué, tiré il quatre épingles, n'est pas fait
pour nous surprendre. Nous le connaissons par d'autres portraits, non
moins vivants et non moins séduisants que celui de Metzu,. C'est Ma-
dame de Sévigné elle-même qui les a tracés de sa plume alerte et pim-
pante.
Lorsqu'elle se rendit aux eaux de Vichy, vers 1676, Madame deNoailles
lui adressa un médecin de Gannat, remplissant, paraît-il, toutes les condi-
tions désirables pour soigner la précieuse santé de la marquise. Celle-ci
en fut enchantée. C'était eu effet, « un fort beau garçon, point charlatan,
ni préoccupé de rien, pas même de médecine » ; et, ajoute-t-elle, « il a de
l'esprit, de l'honnêteté, il connaît le monde ; enfin, j'en suis contente ».
Il faut dire que ce gracieux confrère assistait, privilège enviable, à
la douche de la belle marquise ; toutefois, il se tenait discrètement dissi-
mulé derrière un rideau ; mais pendant la suerie, qui succédait à la dou-
che, il lui faisait la lecture. « Au lieu de m'abandonner à deux heures
d'un ennui qui ne peut se séparer de la sueur, je le fais lire, et cela me
divertit... 11 sait vivre; il n'est point charlatan... Il traite la médecine en
galant homme. Enfin, il m'amuse... »
Et la frivole ajoute, ingénument : « Je le retiens, dût- il m'en coûter mon
bonnet ! ... »
344 HENRY MEIGE
La gentille malade de Metzu aurait bien pu en dire autant.
Cependant, dans le tableau de Vienne, il ne semble pas que le docteur
ait été lui-môme la cause du mal. Le coupable est non moins jeune et
non moins beau, mais a demi caché dans l'ombre, regardant sa victime
d'un oeil tendre et anxieux, tandis qu'une vieille servante ne lui ménage
ni les encouragements ni les consolations. Aparté significatif que Steen
nous a rendu familier et qui nous permet d'affirmer qu'il s'agit du Mal
d'Amour. Si la malade n'estpas des plus dangereusement atteintes, à coup
sûr, elle est bien la plus charmante de notre série. Chez elle, la faculté
concupiscible, comme on disait alors, « devait dégager des esprits tendant
vers le dehors avec une très grande promptitude.... ». C'est ainsi qu'on
expliquait la genèse du mal d'amour.
Au nombre des élèves de Gérard Dow, celui sur lequel le maître fonda
les plus grandes espérances avait nom Frans van Mieris (1G35-1681). Ce
fut un disciple studieux, un très bon imitateur ; mais il ne témoigna jamais
d'une réelle originalité. Son dessin demeure impeccable, il ordonne fort
bien un tableau, il peint avec finesse; mais il est froid; on regrette sa
correcte monotonie.
Frans van Mieris, surnommé le Vieux pour le distinguer de son fils et
de son petit-fils, qui furent peintres également,a laissé un grand nombre
de tableaux dont plusieurs lui ont été inspirés par des scènes médicales :
La Consultation du musée de Vienne (1) est une oeuvre réputée. C'est
une des meilleurs peintures de van Miens le Vieux (PI. LX).
Une chambre élégante et riche; à côté d'un lit à rideaux, un beau
meuble surmonté de faïences et de verreries ; sur le meuble un tableau
représentant un paysage; non loin de là,un escalier conduit par une porte
cintrée dans une vaste pièce garnie de boiseries et de vitraux.
Près d'un lit, une jeune femme est assise, une coiffe blanche sur la
tête, vêtue d'un casaquin de velours bordé de cygne : la main gauche ap-
puyée sur sa poitrine, elle abandonne son bras droit au médecin qui lui
tâte le pouls. Sur ses genoux un livre de prières est ouvert ; c'est l'Ancien
Testament.
Langoureusement, la malade tourne à demi la tête vers son docteur,
levant au ciel un oeil désespéré, aux paupières rougies,où perle une grosse
larme.
Ce regard humide est d'une expression lamentable. La pauvre fille se
croit sûrement condamnée ; elle se prépare à mourir saintement, soutenue
(1) N° 1381, B. Il, 43. L, 27. Une copie existe également à Vienne dans la galerie des
Beaux- Arts. N° 697.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XII. PL. LX.
Photographie l.oe\\y (Vienne).
Phutugmure LlC\\).
MAL D'AMOUR
Tableau de FRANS VAN Maris le Vieux
La Consultation
Musée de Vienne.
Masson et Cie, Éditeurs.
. LE MAL D'AMOUR 345
par de pieuses lectures. « Ah ! docteur, tout est bien fini ! ... Je sens venir
mon heure dernière. Dieu veuille m'accorder une bonne fin ! ... » Pensées
mystiques et mélancoliques, idées noires qu'engendre souvent l'anémie et
que l'on retrouve dans le mal d'amour.
L'homme de l'art qu'elle consulte en cet instant critique n'est guère fait
pour ranimer le courage de cette fausse moribonde.
C'est un docteur très sévère et très richement vêtu, qui, lui, ne traite
pas la médecine en bagatelle. Il sait la rendre grave jusqu'à l'austérité,
digne, pompeuse, imposante, presque effrayante.
Admirez les reflets de son satin, les crevés de ses manches, la finesse de
ses dentelles, et l'anneau d'or qu'il porte au doigt, insigne visible de sa
dignité doctorale. Et voyez comme il fronce un sourcil menaçant, comme
son oeil est sévère, tout cela uniquement pour consulter le pouls. Voilà
un médecin avec qui il ne ferait pas bon de risquer une plaisanterie à la
façon de Steen.
De l'index il montre son front. C'est qu'une pensée profonde vient
de lui traverser le cerveau, - ce cerveau, où sans doute, comme Sga-
rarelle, il a condensé toute la médecine.
Il va parler. Nous savons ce qu'il va dire : quelque galimatias à la façon
de Bahis et de Macroton,où il sera question « d'une vapeur fuligineuse et
mordicante qui picote les membranes du cerveau..., de cette vapeur, que
l'on nomme en grec Atmos, causée par des humeurs putrides, tenaces et
conglutineuses qui sont contenues dans les bas-ventre... et, comme ces
humeurs ont été engendrées par une longue succession de temps, elles s'y
sont.recuites et ont acquis cette malignité qui fume vers la région du cer-
veau... ».
Voilà le mal. C'est celui de l'héroïne de l'Amour médecin ; on ne niera
pas que c'est le mal d'amour.
Ce médecin de van Mieris est vraiment bien de son temps. On eût pu
lui appliquer le sonnet qui courut au temps de Molière :
Affecter un air pédantesque,
Cracher du grec et du latin,
Longue perruque, habit grotesque,
De la fourrure et du satin :
Tout cela réuni fait presque...
. Ce qu'on appelle un médecin.
Tel est le tableau du musée de Vienne. On y voi t encore quelques acces-
soires dignes d'attention. Ils sont disposés sur une table en face de la pa-
tiente : une fiole, un bassin de cuivre avec un linge et une éponge. C'est
l'attirail de la saignée que nous rencontrons pour la première fois dans
l'arsenal thérapeutique du mal d'amour. A cela, rien de surprenant. Le
346 HENRY MEIGE
contraire l'eût été'davantage, tant les médecins d'alors se montraientpro-
digues du sang de leurs malades. L'anémie, la pâleur, la perte presque
complète des forces, n'étaient pas pour les arrêter' dans leur fureur phlé-
botomique. On saignait pour l'excès de sang ; mais on saignait aussi pour
l'insuffisance. Une saignée appelait une autre saignée, celle-ci une troi-
sième, et indéfiniment. Ne pas saigner, c'était ne pas soigner. Pourquoi
faire une exception en faveur du Mal d'Amour ?
. *
..
Il est intéressant de rapprocher de ce 'tableau de Frans van Mieris lé
Vieux, un de ses dessins conservé à la bibliothèque Albertine, à Vienne
(Pl. LXI). C'est sans doute une étude pour une scène médicale qui ne fut
pas exécutée. On n'y voit qu'une malade, mais très soigneusement figurée.
C'est une jeune femme couchée dans un lit à rideaux soutenue par de gros
oreillers, la tête prise dans une cornette, une double pèlerine sur les épau-
les, le bras droit allongé sur les couvertures, la main gauche appuyée sur
des vêtements entassés sur le ventre.
Le visage amaigri est encadré de frisons qui simulent des favoris; l'oeil 1
est triste, fatigué, alangui.
Près du lit, une table avec une bouteille de pharmacie, un pot d'on-
guent et un panier à urinai.
Ces détails sont insuffisants pour qu'on puisse dire qu'il s'agit d'une
malade d'amour. Mais cette étude consciencieuse mérite d'être connue.
Elle fait grand honneur au talent de van Mieris le Vieux. On peut se de-
mander si ce n'est pas le portrait d'une jeune accouchée, et cette image ne
serait pas déplacée dans une scène de nativité religieuse. -
*
PIETER VAN Slingelant (1640-1691) est un élève de Gérard Dow, dont
on peut voir, à la -galerie de Mannheim (1), une scène médicale, nouvelle
répétition du Mal d'Amour (PI.LXII).
Cette peinture de valeur secondaire ne rappelle que de loin les qualités
du maître qui l'inspira. Slinelant n'est qu'un imitateur médiocre ; il eut
pu être bon copiste; encore aurait-il eu grand'peine se débarrasser d'une
sécheresse que Gérard Dow parvint toujours à éviter, même dans ses oeu-
vres les plus délicatement finies.
Sans insister sur les imperfections cle métier, il suffit de dire que le
fableau de la galerie de Mannheim donne une idée très exacte du talent
maniéré de Slingelant. La préciosité des personnages atteint presque le
(1) N° 131. B. II, 47, L. 41.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XII. PL. LXI.
Dessin de FRANS VAN MIERIS le Vieux
Femme malade
Bibliothèque Albertine, Vienne.
ET CI" Éditeurs.
Photographie Braun, Clément et Cie. Photogravure Rougeron, Vignerot, Dumoulin.
NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T XII. PL. LXII.
Photographie C. Ruf (Mannheim). Photogravure Rougeron, Vignerot, Dumoulin.
MAL D'AMOUR
Tableau de P. van Slingelant, intitulé
Dame malade .
Galerie de Mannheim.
Massok ET Ci-, Editeurs.
LE MAL D'AMOUR 347'
ridicule; c'est au point qu'on se demande si le peintre n'a pas eu l'in-
tention de faire oeuvre d'ironiste (1).
Assise sur une chaise, la malade s'appuie du coude sur une table,tenant
dans sa main droite une sorte de fichu blanc, abandonnant sa main gauche
au médecin. Elle est vêtue de couleurs criardes : une robe jaune, une
jaquette bleu clair garnie de cygne; une pèlerine blanche sur les épaules;
sur la tête, une cornette de même couleur.
Grande, mince,raide, elle feint de détourner la tête pour ne pas voir son
médecin; mais ses yeux se portent vers lui, avec un regard oblique de
l'espèce dite « en coulisse ».
Cependant elle parle, et l'on peut être certain qu'elle débite force futi-
lités, fadaises langoureuses, et frivolités sentimentales.
Elle ne saurait d'ailleurs s'adresser à mieux.
Son docteur l'emporte sur tous les autres par l'affectation de sa mise et
la mignardise de son maintien.
Jeune précieux, aux beaux yeux assassins, portant un fil de moustache
soigneusement cirée au dessus de ses lèvres très roses, il sait encadrer son
cher visage avec de longs cheveux ondulés tombant jusqu'aux épaules ; un
col très grand, raidi d'empois, décapite cette jolie tète, qu'ombrage un vaste
feutre aussi large de bords que haut de coiffe.
Pour le corps,il est tout de noir vêtu ; mais velours et satin se disputent
cet honneur. Très court est son manteau, que négligemment il rejette en
arrière, afin de ne point laisser ignorer les somptueux (lois de rubans qu'il
porte à la jarretière, superposés sur plus de six rangs. Et quant à ses
souliers, il faudrait être aveugle pour n'être point frappé de l'ampleur de
leurs rosettes et de l'importance de leurs bouts carrés.
Voilà, n'est-il pas vrai, un fameux spécimen de l'espèce décrite par
Mme de Sévigné. Il eut été capable de faire la conquête de la marquise.
Car C'eSt tout à fait le portrait d'un certain seigneur Amonio, médecin
italien établi à Chettes, dont elle fait le plus grand éloge dans une de ses
lettres.
« Ma chère, dit-elle, c'est un homme de -vingt-huit ans, dont le visage
est le plus beau et le plus charmant que j'aie jamais vu ; il a les yeux de
madame de Mazarin et les dents parfaites, le reste du visage comme on
imagine Rinatdo ; de grandes boucles noires qui lui font la plus agréable
tète du monde. Voilà mon joli médecin; il est habillé comme un prince
et bon garçon au dernier point. »
Nulle description ne saurait mieux convenir au docteur de Slingelant.
(t) La photographie de ce tableau a légèrement déformé les personnages. La repro-
duction a fait disparaître en partie la cheminée et la carte géographique qui ornent
le fond de la pièce.
348 HENRY MEIGE
On le voit, les Apollons de la médecine ne manquaient pas auXVIP siè-
cle. Un gracieux visage, de belles dents, des yeux langoureux, et surtout
une mise galante, rehaussée par d'aimables façons, .il n'en fallait pas da-
vantage pour plaire aux gens de qualité.
Quant à la vraie science, le galimatias pédantesque la rendait tellement
insupportable que pour devenir médecin des gens de distinction, la pre-
mière qualité était de ne jamais parler de médecine.
Il suffit de regarder le docteur petit maître de la galerie de Mannheim
pour voir qu'il sait en user comme il convient avec les honnêtes gens. Il
excelle surtout dans l'art de tâter le pouls et de soupeser l'urinai avec
certain geste des bras et certaine posture des jambes qui font de sa con-
sultation une manière de pavanne, laquelle est sans contredit du dernier
galant.
Et c'est bien encore un épisode du mal d'amour que Slingelant a voulu
représenter. La pâleur blafarde de la malade, son affaissement, sa langueur
en' sont des signes présomptifs. Le citron a demi pelé que l'on voit sur la
table est plus significatif encore.
Un élève de Gérard Dow, GODFRIED Schalken (1643-1706) a joui de son
vivant d'une assez grande 'réputation. Il réussissait surtout dans les effets
de lumière et a composé nombre de petites scènes d'intérieur qui ne man-
quent pas d'intérêt.
Nous connaissons de lui deux peintures inspirées par des épisodes de
la vie médicale.
Chose curieuse, tandis que dans leurs Malades d'Amour, Hoogstraaten
et Gérard Dow n'ont évoqué que les troubles produits par l'amour pla-
tonique et malheureux, évitant avec soin toute note comique et toute
allusion risquée, Schalken au contraire, imitant en cela Jan Steen etBrac-
kenburgh, semble avoir voulu représenter le mal qui résulte de l'amour
consommé.
La Consultation indiscrète du musée de la Haye (1) ne laisse à cet égard
aucun doute (Pl. LXIII).
La scène se passe chez un vieux praticien de l'espèce qu'a souvent re-
présentée Teniers, portant longues houppelandes et bonnets garnis de
fourrures. Il est assis dans son cabinet, près d'une table sur laquelle est
posée une seringue ; au fond, derrière un rideau, on aperçoit l'officine avec
des rayons garnis de fioles et de pots. C'est un vieillard rasé, ridé, mais
(1) No 331. II, 35. L, 29. ,
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T, XII. PL. LXIII.
MAL D'AMOUR
Gravure d'après un tableau de GODFRIED SCHALKEN, intitulé
La Consultation indiscrète
Musée de la Haye.
Massos et C'c, Éditeurs.
LE MAL d'amour 349
l'oeil vif et le sourire facile. Il doit trop bien connaître les tristesses des
maux irrémédiables pour laisser échapper les occasions de plaisanter, les
maladies qui n'en sont pas.
Aujourd'hui le cas est de ceux dont on peut se permettre de rire.
Une jeune femme est là, fraîche, jolie, bien en chair, mais tout en lar-
mes, et s'essuyant les yeux. D'où vient ce gros chagrin ? De l'excès de sa
souffrance ? - Nullement. Mais d'une découverte que vient de faire le
vieux docteur, grand connaisseur en urologie.
Surprenante révélation en vérité ! Ne voilà-t-il pas qu'au fond de la
bouteille à urines, il se produit une sorte de remous où bientôt apparaît
une forme animée. Cela se meut, s'agite, se démène ; cela prend un aspect
de plus en plus précis : On dirait d'un animalcule pourvu d'un corps, de
membres, d'une tète, et cet infiniment petit a toute l'apparence d'un être
humain de dimensions microscopiques. Le vieux savant l'a reconnu : « Eh
parbleu ! dit-il, ou je me trompe fort, ou voici une manière d'l101nunculus
qui doit être le germe même de cette maladie...
mua belle enfant, votre mal n'est pas grave. Car c'est le mal qui en-
gendre la vie. Vous savez mieux que moi par qui, quand, et comment la
contagion s'est faite. Tout ce que je puis vous dire, c'est que vous en souf-
frirez neuf mois durant,- la règle est inflexible,- et qu'il vous en advien-
dra une grosse enflure où vous savez. Mais rassurez-vous : cela disparaîtra
subitement,au jour dit,après quelques douleurs : Dieu l'a voulu ainsi. Au
demeurant, n'en prenez pas trop d'ombrage : vous en guérirez merveilleu-
sement bien et trouverez par la suite de grandes jouissances à caresser l'ho-
munculus lorsqu'il aura quelque peu grandi. »
Ces bonnes paroles n'ont pas le don de consoler la jolie pécheresse ; elle
redoute fort ce mal que l'amour a causé. Car il n'y a plus à se leurrer ; le
médecin a bien vu : la pauvrette est enceinte. Le symbolisme de Schalken
laisse entrevoir toute la vérité.
Cette vérité qui fait pleurer la coupable ne semble pas non plus très
agréable à un troisième personnage présent à la consultation, un beau
jeune homme aux cheveux frisés et à la fine moustache, qui fait une moue
significative et serre nerveusement le poing. Il y a de grandes chances
pour qu'il ne soit pas étranger à la genèse de la maladie, et c'est bien ce
qui le préoccupe : il voit qu'il lui faudra en supporter les frais. Pour les
honoraires du docteur, passe encore; mais le reste... voilà une décou-
verte qui ne le ravit pas. Au diable l'homunculus...
Cet épisode tragi-comique, conclusion fréquente des aventures amou-
reuses, est rendu par Schalken avec beaucoup d'esprit. Son tableau de la
Haye est une jolie page d'observation pbysio-psycbologique dont le côté
scabreux est très ingénieusement dissimulé.
350 HENRY MEIGE
Seul, un jeune garçon qui se cache derrière le docteur, laisse percer dans
son sourire et dans son geste toutes les réflexions malicieuses que lui sug-
gère la consultation.
C'est bien l'amour encore qui vient de l'aire une nouvelle victime. Mais
ce mal d'amour n'a rien de pathologique : il appartient à la physiologie.
Une peinture analogue de Godfried Schalken se trouve dans la collec-
tion du prince d'Aremberg, à Bruxelles. La donnée est identique et la
scène traitée à peu près de la même façon, quoique d'allure plus licen-
cieuse.
Le médecin, assis, regarde l'urinai avec un sourire moqueur qu'il ne
cherche guère à dissimuler. Près de lui, la patiente est debout, toute
confuse et baissant les yeux. Son attitude est déjà un aveu. En vain d'ail-
leurs chercherait-elle à donner le change : la proéminence de son ventre
ne laisse aucun doute sur la nature du mal dont elle est affligée : c'est, à
une période plus avancée, la même déformation physiologique qui menace
sa compatriote du musée de la Haye.
Ici Schalken a négligé le symbole pour faire oeuvre naturaliste. L'idée
demeure la même, le procédé seul a varié.
Et certainement cette peinture n'avait d'autre but que de prêter à rire,
son principal attrait devait être la grivoiserie, car, dans le fond de l'offi-
cine, on aperçoit plusieurs personnages, hommes et femmes, qui s'égayent
librement du résultat de la consultation. Même, un jeune garçon, plus dé-
luré que les autres, fait avec ses doigts un geste outrageusement risqué.
Le sévère van Hoogstraaten et le distingué Gérard Dow n'auraient assuré-
ment pas approuvé cette fantaisie libertine de leur élève.
Nous ne signalons ce tableau que pour le rapprocher cle celui du musée
de la Haye.
Il s'ajoute d'ailleurs à la série des peintures inspirées par les effets de
l'amour, qu'ils soient pathologiques ou physiologiques.
Au petit musée de )'H6te)-de-Vi)ie de Louvain, j'ai encore relevé une
peinture d'un artiste Anversois, .1. Joseph IIoiikmans (1682-1759). Ce ta-
bleau de valeur médiocre est intitulé l'Empirique. On y voi un docteur, en
costumedu temps, tâtant le pouls d'une jeune femme assise; de l'autre main
le médecin lient l'urinai dont il examine le contenu. Dans le fonds plusieurs
personnages, enfants, servantes, curieux. Celle scène est une répétition
sans originalité des précédentes. Il suffit de la mentionner.
LE MAI/D'AMOUR 351
VIII
Voilà, à notre connaissance, les principales scènes médicales que les.ar-
tistes hollandais ont consacrées au Mal d'Amour (1).
Comme dans tous les tableaux de genre de l'école des Pays-Bas, on y
retrouve d'abord un désir primordial de conserver par le pinceau le sou-
venir d'un épisode marquant de la vie courante. Dans la monotonie de
l'existence bourgeoise, les jours de fête comme les jours de maladie étaient t
des événements mémorables. Ils créaient des diversions ; ils donnaient des
impressions nouvelles ; ils suffisaient à inspirer un tableau. »
Un banquet de confrérie, une noce villageoise, une querelle dans un
cabaret, et cent autres menus faits qui venaient incidemment rompre la
banalité journalière, furent ainsi des prétextes suffisants pour faire éclore
désoeuvrés d'art, - des chefs-d'oeuvre parfois.
La visite du médecin n'était pas une éventualité demoindre importance.
Elle ne pouvait rester inoubliée. De là, le grand nombre de scènes médi-
cales dans les productions des artistes des Pays-Bas.
Au docteur, figure nouvelle dans la maison, la place d'honneur est tou-
jours donnée. Pour lui, le peintre, selon la tournure de son esprit, se
montre, tantôt admiratif, élogieux, tantôt moqueur et satirique. A cet
égard, rien n'est plus instructif que ce défilé des robes longues et des cha-
peaux pointus dans les nombreux tableaux genre de l'école hollandaise,
rien ne saurait mieux renseigner sur les moeurs médicales de l'époque.
Mais, à côté du docteur, grave ou plaisant, respecté ou tourné en ridi-
cule, l'arliste se livre à une étude non moins consciencieuse de la maladie.
Il en note les moindres détails, les altérations du corps, les troubles de
l'esprit, le désordre produit dans son entourage, aussi bien sur les per-
sonnes que parmi les objets : observations patientes, remarques minutieu-
ses .dont chacune comporte un enseignement.
A ce seul titre, la série d'images que nous venons d'examiner peut comp-
ter parmi les plus fertiles en indications rétrospectives.
Le groupement que nous en avons fait est suffisamment justifié, nous
semble-t-il, par les descriptions et les interprétations qui précèdent.
La seule comparaison de celle série d'image montre bien qu'un même
lien de parenté les unit les unes aux autres.
La conception qu'on avait alors du mal d'amour, aussi bien dans le
monde médical que dans le gros public, permet précisément d'expliquer
l'air de famille commun à toutes ces oeuvres d'art.
(1) Cette collection, je le répète, n'est probablement pas complète. Des répétitions et
des imitations fort nombreuses se sont éparpillées avec le temps ; beaucoup sont per-
dues à jamais. Et j'ai cru ne pouvoir parler avec détail que des ae uvres d'art dont j'a-
vais pu juger de visu.
352 HENRY MEIGE
*
Une distinction est pourtant nécessaire entre les peintures de genre
proprement dites et les scènes humoristiques à double entente.
Devant les tableaux de Samuel van Iloogstraaten, de Gérard Dow, de
Frans Van Mieris le Vieux, et devant plusieurs autres de Jan Steen, on
peut soutenir avec vraisemblance que l'on est en présence du mal d'amour
médicalement décrit par Varandal et Sauvages. C'est la « fièvre blanche,
amoureuse, des jeunes filles » qui ressortit à la pathologie virginale ; mal
bien réel, du corps et de l'esprit. Nous avons vu qu'il était cousin germain
de la chlorose.
D'autres peintures, celles de Brackenburgh et de Schalken en particulier,
semblent inspirées différemment. Satiriques et quelque peu risquées, elles
nous montrent gauloisement les conséquences physiologiques de l'amour.
Ici, il n'est nullement question de la maladie de Varandal ; c'est tout crû-
ment le prologue du mal d'enfant.
Cependant, nous n'avons pas cru devoir les séparer des précédentes.
D'abord, parce qu'entre les unes et les autres il existe de nombreuses ana-
logies dans la composition, dans l'agencement, les altitudes, la mimique
des personnages, et jusque dans les accessoires. En outre, parce que la
distinction entre le mal d'amour, avant ou après la faute, reste forcément
conjecturale. Telle jeune personne, à qui nous avons décerné un brevet de
maladie virginale sur la candeur de son visage et la retenue de ses gestes,
pourrait aussi être victime des premiers avertissements de la maternité.
Et lors môme que l'artiste prend soin, comme Jan Steen, de nous dire qu'il I
a fait le portrait d'une malade d'amour, nous ne savons pas si cet amour-là
est de l'espèce platonique,..... ou de l'autre.
Dans l'esprit des peintres, cette différenciation ne semble pas avoir été
toujours très nette ; d'où la nécessité de ne pas établir entre des oeuvres si-
milaires des distinctions catégoriquement tranchées. Mais ce qui ne saurait
être mis en doute, c'est que, certainement, l'amour joue le premier rôle
dans ces scènes médicales. -.
Le terme général de Mal d'Amour, choisi par les artistes eux-mêmes et
perpétué sur plusieurs tableaux, est donc applicable à cette étude. Le plus
souvent le mal d'amour est celle maladie virginale, qui a droit (le cité dans
la nosographie ; d'autres fois, ce n'est pas autre chose que le prélude de
la gestation.
Mais, dans tous les cas, la pensée et le but du peintre ont été de nous
donner en spectacle les conséquences physiques et morales de l'amour,
tantôt pour nous divertir, tantôt pour nous apitoyer.
. (A suivre.)
Le gérant : P. Bouchez.
Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
HOSPICE DE LA SALPÊT1UÈRE
NOTE SUR DEUX TICS DU PIED
PAR
F. RAYMOND.
Professeur de la Clinique des Maladies
du Système Nerveux.
ET
PIERRE JANET.
Directeur du Laboratoire de Psychologie
de la Clinique.
Nous avons déjà, à plusieurs reprises, insisté sur la fréquence des tics
par automatisme psychologique et nous avons cherché à montrer que de
tels tics pouvaient affecter toutes les régions du corps et prendre les formes
les plus diverses. « Le torticolis spasmodique, disions-nous (1), est bien
connu et il est en général rattaché à sa véritable origine : c'est une mau-
vaise habitude développée chez des individus de volonté insuffisante à la
suite de quelque petite impression ou de quelque émotion, habitude qui a
donné de l'importance à un petit système d'images motrices ou, en d'autres
termes qui a excité un centre fonctionnel. Mais nous voudrions faire ob-
server que ces remarques ne s'appliquent pas seulement à ce torticolis; il
y a une foule de grimaces, de spasmes, de troubles du mouvement d'ap-
parence plus ou moins compliquée, siégeant sur tous les membres et qui
se rattachent plus ou moins directement à la même interprétation. » Les
deux malades que nous voudrions rapprocher aujourd'hui de ceux de la
catégorie précédente justifient de nouveau ces remarques ; ils nous pré-
sentent, tous les deux, un spasme ou plutôt un tic qui semble bien être
d'origine psychique et qui siège sur un organe assez rarement atteint par
des affections de ce genre, sur le pied.
*
OBs. 1. - Cette dame Db..., âgée de 37 ans, vient se plaindre de ne
plus pouvoir marcher à cause d'une maladie de son pied gauche. En
effet, ce pied, comme le montre la figure (Pl. LIX, A), se porte légère-
(1) Névroses et idées fixes, II, 381.
XII 24 il
354 ' F. RAYMOND ET PIERRE JANET
ment en dedans dans l'attitude du varus ; en même temps le gros orteil se
relève dans l'extension forcée, tandis que les trois orteils médians et sur-
tout le petit doigt s'écartent fortement l'un de l'autre en se dirigeant vers
le côté externe. Cette attitude permanente provoque, pendant la marche,
d'horribles souffrances depuis plusieurs années, car l'affection a débuté
insidieusement, il y a sept ans, et s'est beaucoup aggravée depuis quatre
ans. La malade, qui se désespère, a pris la résolution de suivre les conseils
d'un chirurgien et de se faire couper les doigts du pied gauche. Elle espère
pouvoir marcher beaucoup mieux après cette mutilation. Et c'est en quel-
que sorte par acquit de conscience qu'elle vient nous demander notre avis
avant de se faire opérer.
Au premier abord, cette attitude permanente, que nous observons pen-
dant que la malade est debout, le pied posé à terre, éveille l'idée d'une
contracture, d'autant mieux que nous rencontrons une vive résistance
quand nous essayons de ramener les doigts à la position normale. Il est
vrai que ce serait une contracture bien bizarre, analogue à certaines con-
tractures systématiques, que l'on observe chez les hystériques et qui peu-
vent conserver indéfiniment des attitudes singulières.
Mais il est inutile d'insister sur ce point, car on remarque très vite
qu'il ne s'agit pas d'une contracture. Quand la malade est couchée bien
tranquille, qu'elle ne songe plus à marcher, tout disparaît, le pied rede-
vient souple. Même quand la malade est debout et quand le pied porte à
terre on le sent revenir à l'attitude normale, si la malade n'essaie plus de
marcher et si elle est fortement distraite par des interrogations sur un au-
tre sujet. Il es), vrai que cette position normale ne dure ainsi que peu de
temps : Db... ne tarde pas à se préoccuper de nouveau de son pied, le
i'ègarde, et immédiatement, le pied dévie en dedans, le pouce se relève et
les doigts s'écartent. En un mot, il s'agit d'une attitude qui n'est aucu-
nement permanente, mais qui se reproduit par un mouvement complexe
et brusque dès que la malade essaie de marcher ou mieux dès qu'elle
pense à son pied. Db... remarque elle-même que la nuit tout va mieux ;
pendant une petite maladie, elle est restée couchée sans pouvoir se lever
et ce jour-là son pied était guéri. Au contraire, l'humidité, lèvent, qui
la préoccupent pour son pied, augmentent le spasme et les souffrances.
Ajoutons que l'on ne constate, ni au pied, ni sur la jambe, aucun trou-
ble de la sensibilité tactile ou de la sensibilité musculaire. Le diagnostic
de contracture hystérique doit donc être écarté ; c'est bien plutôt ce qu'on
appelle un tic. analogue, dans ses caractères, au torticolis spasmodique.
. Dans quelles conditions ce tic bizarre s'est-il développé ? L'origine en
est amusante et confirme notre diagnostic. Cette brave dame, d'une fa-
mille assez normale, était assez bien portante, quoique nerveuse et colère.
NOUV. ! CO'<OGRAPH ! E DE LA SALPÊTRIÈITE.
T. XII. Pl. LIX
TICS DU PIED
F. Ravinm.uL-ii2. Tr1 ? L"
NOTE SUR DEUX TICS DU PIED 355
Elle eut, dès le début de son mariage, des accidents syphilitiques, il y,a
17 ans. Une dizaine d'années plus tard, c'est-à-dire il y a 7 ans, elle pré-
senta des troubles oculaires que le médecin, probablement avec raison,
rattacha à la syphilis antérieure. Il lui prescrivit des frictions mercuriel-
les qu'elle devait faire suivant la méthode dite d'lix-la-Clapelle, d'abord
sur les jambes, puis sur les cuisses, puis sur le ventre, etc. A ce moment
la pauvre dame souffrait également d'un cor au petit doigt du pied gau-
che ; elle se dit, avec une logique que nous ne pouvons pas blâmer, que
la pommade mercurielle étant bonne pour son mollet devait être égale-
mont bonne pour son cor au pied et elle appliqua la dite pommade sur le
petit doigt. Le malheur voulut qu'en coupant ce cor douloureux, elle le
fît saigner un peu. Elle fut aussitôt saisie d'une grande frayeur. Ne lui
avait-on pas dit que cette pommade était dangereuse ? qu'arriverait-il, si
par hasard un petit globule de mercure avait pénétré dans le petit doigt ?
Elle sentait déjà les contorsions déterminées par cet aspect mystérieux. Dès
le lendemain elle avait des crampes dans le pied ; à force de s'observer, de
s'interroger sur l'état du pied malade, elle l'a vu peu à peu se déformer
jusqu'à rendre la marche impossible.
Peu intelligente, elle a été émotionnée par cette histoire de l'onguent
mercuriel et a conservé, sans réagir, cette préoccupation et cette crainte.
Il semble bien vraisemblable de rattacher, à celte préoccupation, les spas-
mes et les attitudes du pied qui, peu à peu, ont donné naissance à une
habitude pathologique. D'ailleurs, le succès facile du traitement va con-
firmer cette interprétation.
..
Oiis. II. Rapprochons de cette première malade un jeune homme de
20 ans, Te..., qui présente également au pied un accident très comparable
au précédent. Ce jeune homme marche également avec peine, car il res-
sent au bout de quelques minutes de marche une grande souffrance dans
la jambe droite. Il est obligé de s'arrêter une dizaine de minutes. Il re-
part ; mais, au bout de quelques minutes, la même grande douleur le
force de s'arrêter. Cette description éveille l'idée d'une claudication in-
termittente douloureuse par oblitération artérielle ; mais l'examen de la
jambe malade nous amène à une autre supposition.
Cette jambe qui garde, même dans les grandes douleurs, la même co-
loration que la jambe saine, dont la température ne se modifie pas, dont les
artères semblent normales est, en réalité, raidie par des spasmes qui siè-
gent non seulement au mollet, mais encore à la cuisse. Après 10 minutes
de marche, la jambe est entièrement raide et l'on croit observer une con-
tracture hystérique. Cette raideur disparaît complètement quand le ma-
lade est couché ou quand, étant debout, il ne pense ni à la marche ni à sa
356 F. RAYMOND ET PIERRE JANET
jambe. Dès qu'il regarde sa jambe droite ou dès qu'il essaie de marcher
tous les orteils du pied droit se fléchissent fortement, se recroquevillent
vers la plante du pied et cette flexion forcée des orteils persiste tant que
Te... essaie de marcher (PI. LIX,BetC). C'est cette flexion forcée, au début
peu gênante, qui devient au bout de peu de minutes insupportable et qui
amène, à sa suite, la raideur de toute la jambe. Le malade sent très bien
que la flexion des orteils se fait, dès le premier pas, qu'elle persiste et que
c'est la douleur consécutive qui amène la raideur générale.
Ce n'est donc pas une claudication intermittente, c'est un spasme des
orteils. Cette jambe ne présente aucun autre trouble du mouvement ; si le
malade est étendu, la force du membre est conservée, les mouvements des
orteils sont libres, les réflexes sont normaux. La sensibilité tactile et
musculaire est intacte. Tout au plus peut-on observer que le malade sent
quelquefois une impression de froid il ce pied quand il est resté longtemps
dans une attitude de raideur. Enfin il est facile de constater que, sous di-
verses influences morales, ce spasme peut disparaître. Si on dirige le ma-
lade et si on lui commande avec fermeté chaque mouvement des jambes, il
peut exécuter des pas gymnastiques sans spasmes ; quand il monte sur
une bicyclette le spasme ne se produit pas. Enfin, au grand étonnement
du malade, nous lui faisons constater que, s'il marche pieds nus en cher-
chant à bien sentir le sol avec la plante des pieds, il peut poser le pied à
plat indéfiniment. Ce sont bien comme dans le cas précédent, les carac-
tères d'un tic qui cesse momentanément sous l'influence d'un effort d'at-
tention et de volonté.
L'éliologie est moins nette que pour Db... Ce que le malade peut nous
raconter, c'est qu'il a toujours eu des tics. En particulier, on a, sans suc
cès, d'ailleurs, usé de tous les procédés connus pour l'empêcher de se man-
ger les ongles : les gants, la poix, les amers n'ont eu aucun résultat pendant
des années. Cette habitude de se ronger les ongles a disparu complètement
au moment où s'est développé le trouble de la marche, il y a à peu près s
trois ans. Ce trouble aurait commencé, comme dit le malade, parce qu'il
a beaucoup souffert en mettant un soulier trop court et trop étroit. Cette
explication est vraisemblable : nous voyons comment l'attention a été at-
tirée vers le pied, et comment cette habitude a supprimé l'autre tic, qui
existait depuis l'enfance.
Le traitement a été à peu près le même chez les deux malades. Nous
avons essayé de leur faire bien comprendre la nature de leur infirmité. Il
n'a pas été facile d'enlever à Dh... ses craintes sur l'action terrible du mer-
cure et de la faire renoncer à l'opération. Quand les malades ont compris
qu'il s'agissait d'une mauvaise habitude et d'un trouble de leur propre vo-
NOTE SUR DEUX TICS DU PIED 357
lonté, nous les avons soumis à une gymnastique portant, non pas précisé-
ment sur le mouvement de la jambe, mais sur l'attention à ce mouvement.
Ils devaient chercher à sentir exactement le sol sur lequel leurs pieds ap-
puyaient, à le presser volontairement avec les orteils, à apprécier tous les
détails du mouvement. Ce traitement, que proposait déjà l'un de nous
en 1889 dans ses études sur l'autorisation psychologique et qui depuis a
été souvent décrit, dérive en somme toujours du traitement des paralysies
hystériques par le mouvement attentif tel que le recommandait Charcot.
Nous n'insistons que sur quelques détails particuliers. La malade Db...
guérit très vite, en quelques semaines, et d'une manière tout à fait com-
plète. La suggestion avait sur elle une grande influence et l'éducation se
faisait facilement.
Malheureusement, la guérison de sa jambe, était à peine obtenue que Db...
eut à souffrir d'un autre accident. A la suite d'une querelle violente avec
sa concierge, elle conserva des sortes de crises bizarres. Presque tous les
jours, elle sentait une angoisse, un sentiment violent de colère et des im-
pulsions à frapper et à mordre. Cet accident rentre dans les délires émo-
tifs systématiques dont nous avons déjà parlé (1). Il constitue encore une
forme très spéciale de l'idée fixe : le système de phénomènes psycholo-
giques et physiologiques qui se développe d'une manière exagérée est
surtout d'ordre émotif. Nous n'avons pas à insister sur ce nouvel accident
qui est en dehors de notre étude actuelle. Il montre seulement la nature
du tic précédent qui semble bien avoir été un phénomène du même genre,
chez une personne très suggestible.
Le jeune homme Te... fut beaucoup plus difficile à guérir. Il arrivait à
marcher correctement s'il était chaussé de pantouffles à semelles fort min-
ces, et s'il faisait une attention continuelle aux mouvements de son pied
droit, mais le tic recommençait dès qu'il se relâchait de ses efforts. Nous
avons dû l'aider par un petit traitement au moyen de l'électricité statique.
Il est bien probable que l'électricité a eu surtout, dans ce cas, une in-
fluence suggestive. Le traitement complet a bien duré, chez lui, un peu
plus de trois mois et il faut malheureusement constater que chez lui des
rechutes sont fort à craindre.
Ces deux tics des pieds, par leur évolution et par leur traitement, con-
firment donc toutes les études qui nous montrent aujourd'hui le méca-
nisme psycho-physiologique de ces accidents.
(1) Névroses et idées fixes, 11,-ch, IV, p. 5.
FACULTÉ DE MÉDECINE DE NANCY
CLINIQUE DE 111. LE PROFESSEUR .S7/7\W.
SUR LES ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES
D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE
PAR .
G. ETIENNE
Professeur agrégé à la Faculté de Médecine de l'Université de Nancy.
On eut tendance, il y a quelques années, à détruire le groupe des atro-
phies musculaires progressives d'origine myélopathique, à le dissocier pour
en rattacher les cas à la syringomyélie, à la polynévrite, etc. Certains au-
teurs ont même tenté de le rayer du cadre nosologique. Depuis lors, cepen-
dant, les travaux de J.-B. Charcot, Raymond, Crocq sont venus lui rendre
son individualité.
Je rapporte six cas d'atrophie musculaire progressive d'origine myélo-
pathique, bien caractérisés; l'intérêt de cette série réside surtout dans
leur rapprochement, chacun d'eux s'écartant du schéma classique par quel-
ques points plus ou moins importants ; et cependant leur comparaison met
en évidence le véritable air de famille que tous présentent.
D'une façon générale, l'atrophie musculaire progressive myélopathique,
poliomyélite antérieure chronique, maladie- de Duchenne-Aran, est carac-
térisée cliniquement par :
1) Son début habituel par l'extrémité des membres supérieurs, leplus
souvent par les petits muscles de la main droite ;
2) L'existence des contractions fibrillaires ;
3) L'existence de la réaction de dégénérescence;
4) L'absence d'hérédité ; -,
5) Le début au delà de l'adolescence; .
6) L'évolution chronique, en 4 ou 5 ans en moyenne.
Les anomalies que nous avons observées portent sur :
1) La rapidité de l'évolution ;
2) La précocité du début.
3) Les modes de début ;
4) L'adjonction d'accidents rares, les arthropathies ;
5) La présence d'hérédité.
Nouv. Iconographie DE la SALPÈTRIÉRK.
T. XII. l'l. LiI
ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE MYÉLOPATHIQUE
(G. Etienne).
MASSON & C'e, Editeurs.
Nouv. Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XII. Pl. LXII
ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE MYELOPATHIQUE
(G. Élieuu).
MASSON & cle, Editeurs.
ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 359
1. Rapidité DE L'ÉVOLUTION.
Très habituellement, la malade d'Aran-Duchenne évolue dans un laps de
- temps de 3 à 6 ans. Dans le cas suivant, d'ailleurs très classique, elle aboutit
à la mort 18 mois après le début des premières manifestations.
Observation I. '
A trophie musculaire progressive , d'origine myélopathique, type Aran-Duchenze;
début classique par les petits muscles de la main, surmenés'; évolution rapide
en 18 mois ; troubles bulbaires ; mort par bronchopneumonie intercurrente.
Dur... Hub..., ouvrier maçon, 61 ans (Pl. LXII, fig. F et G).
Antécédents héréditaires. Père mort à 61 ans, cause inconnue; mère morte
à 71 ans ; a eu 2 frères et 1 soeur.
Les deux frères sont morts l'un à 64 ans, l'autre à 66 ans sans cause connue.
La soeur est bien portante. , ,
Antécédents personnels. Marié ; a un enfant âgé de 37 ans. 11 a perdu
deux autres enfants morts l'un au bout d'une 1/2 heure, l'autre à 14 ans.
Le fils de 37 ans, marié, a perdu sa femme, morte tuberculeuse à l'hôpital
de Nancy. Remarié.
Dur... n'a jamais été malade antérieurement ; il a reçu un éclat d'obus au
niveau de l'épaule droite. ,
. Se plaint de crampes dans les mollets. v
Comme maçon, il monte des moellons l'échelle. Depuis 2 mois,le malade s'est
aperçu d'une certaine faiblesse dans la main et surtout au pouce. Depuis 8 jours
ne peut même plus saisir une allumette pour allumer sa pipe ; en même temps
le malade accuse des fourmillements dans la main droite. ,
État actuel. Malade bien conformé, très robuste; 2 hernies inguinales,
varices aux 2 jambes. '
La main droite présente les doigts écartés l'un de l'autre, en demi-flexion sur
la main, les phalanges en demi-flexions les unes sur les autres (PI. LXIf, G).
Atrophie notable de l'éminence thénar qui est aplatie; le premier adducteur est
très aplati, presque disparu et très mou; disparition presque totale des inter-
osseux qui sont remplacés par une véritable gouttière circonscrite par les ten-
dons extenseurs. ' ' . '
Le malade ne peut absolument pas étendre les doigts, ne peut pas les fléchir
au delà de la demi-flexion, ne peut imprimer au pouce, qu'un mouvement d'ab-
duction de quelques centimètres. L'adduction ne se fait que lentement, jusqu'à
l'index ; dans le mouvement d'opposition le pouce ne peut aller que jusqu'au
niveau de l'index.
Impossibilité de l'adduction et de l'abduction des doigts. La flexion du poignet
sur l'avant-bras se fait assez bien, l'extension sur l'avant-bras est très limitée et
ne peut pas dépasser l'horizontale de l'avant-bras.
La flexion de l'avant-bras sur le bras est également limitée, et se fait par
360 G. RETIENNE
contorsion. Les mouvements de pronation se font relativement bien. Les mou-
vements de supination ne se font qu'à moitié.
Le malade arrive encore il mettre la main derrière sa tête, mais en l'amenant
d'abord sur le front, et en la faisant glisser sur la tête. Tous ces mouvements
sont douloureux.
Les mouvements d'élévation par le deltoïde ne se font pas.
Mensurations.................. - D G
Circonférence au poignet.............. lao 161/2
. - moitié de ['avant-bras......... 19 191/2
- partie supérieure de t'avant-bras .... ` ? ') 23
- - moyenne du bras........ 23 231/2
- - supérieure du bras....... su 2S1/2
Les muscles du bras et de l'avant-bras droits sont flasques, surtout l'avant-
bras ; la force est presque nulle. Le malade s'assied et se recouche facilement.
Les mouvements des bras et des jambes se font bien.
Le malade marche bien.
Les omoplates ne sont pas saillantes.
Tremblements fibrillaires spontanés au niveau des muscles de l'épaule, des
deux cuisses et du membre supérieur gauche, et provoqués très énergiquement
par la percussion.
Le malade ne peut pas ramasser une épingle dans le lit, mais peut saisir une
bouteille en la serrant contre l'éminence hypothénar.
Résistance aux mouvements passifs relativement conservée à droite.
Sensation spontanée de fourmillements dans toute l'étendue des membres
supérieurs.
Sensibilité conservée au tact, à la douleur, à la chaleur.
Les pupilles réagissent à l'acommodation, mais médiocrement ; pas de diplo-
pie, pas de nystagmus.
Les mouvements de l'oeil se font bien ; occlusion complète. La parole est
très nette. Le malade siffle bien. Pas de mouvements fibrillaires de la langue.
Rien de particulier à noter dans les autres appareils.
27 septembre. - L'état du malade reste stationnaire ; il est électrisé tous les
deux jours.
15 décembre. Aucun symptôme nouveau n'est survenu.
L'atrophie n'a ni rétrocédé ni augmenté ; le volume des membres supérieurs
est resté ce qu'il était à l'entrée du malade. La force musculaire presque nulle
n'a pas varié.
Le malade sort.
Le malade rentre le 8 novembre 1895.
L'état est resté stationnaire encore un mois après sa sortie de l'hôpital, le
malade travaillant un peu.
A partir du mois de janvier l'atrophie a gagné les muscles du dos en allant
vers la gauche jusqu'à l'épaule ; le malade ressentait des douleurs lancinantes
continuelles, mais pas de crampes par contractions fibrillaires. En deuxoutrois
mois, l'épaule, le bras et les mains se sont successivement atrophiées. Cet état
atrophies musculaires PROGRESSIVES D'ORIGINE myélopathique 361
a duré jusqu'en septembre, époque à laquelle apparurent des douleurs dans les
reins et dans les genoux, aussitôt que le malade avait fait deux ou trois cents
mètres. Les cuisses se sont aussi amaigries. Les crampes des mollets ont tou-
jours persisté.
Etat actuel. - Malade amaigri.
Le bras et la main gauche présentent exactement les mêmes signes que la
main droite il y a un an. Atrophie des muscles de l'éminence thénar, moins
prononcée à l'éminence hypothénar (PI. LXII, F, G).
Disparition presque complète du premier adducteur. Gouttières interosseu-
ses. Tous les mouvements des doigts sont lents, la flexion presque impossible.
L'extension plus rapide.
Le pouce droit peut se placer vis-a-vis de l'index; à gauche c'est impossible.
La flexion des poignets se fait bien, celle de l'avant-bras sur le bras Pst presque
complète.
Les mouvements de pronation et de supination se font lentement, surtout la
supination à gauche. Le malade peut mettre les deux mains derrière la tête.
Mensurations .................. D G
Circonférence du poignet 16 16
moitié de l'avant-bras 17 19
partie supérieure........... 20 18
partie moyenne du bras........ 19 20
Les muscles du cou, des bras et des avant-bras sont très flasques.
Les omoplates sont saillantes, les muscles sous-épineux semblent surtout
atrophiés.
L'atrophie est à peu près symétrique.
Les apophyses épineuses des premières vertèbres dorsales sont saillantes.
Les muscles intercostaux présentent des contractions fibrillaires.
Les cuisses sont amaigries, contractions fibrillaires en masse et fréquentes.
Partie moyenne D 41 G 41 z
Les genoux ne sont pas douloureux à la pression.
La pression profonde est surtout douloureuse dans le bras gauche et au
cou.
Le malade marche assez bien ; même les yeux fermés, il peut se tenir sur
chaque jambe.
Sensibilité : douleurs lancinantes et fourmillements spontanés; sensibilités
tactile et caloriques conservées.
Les pupilles réagissent la lumière; pas de nystagmus ni de diplopie, pas
do vertiges.
Janvier 1895. L'atrophie musculaire des muscles de la main gauche est
totale, plus accentuée qu'à la main droite.
Main droite. Actuellement le mouvement d'apposition se fait péniblement
il peut cependant arriver jusqu'à l'annulaire ; le mouvement d'écart des doigts
est impossible
La flexion du pouce est très limitée ; la 2° phalange ne se fléchit pas.
362 G. ÉTIENNE
Grille interosseuse.
A gauche, le pouce est complètement écarté de l'index (PI. LXII, G). L'é-
cart entre les deux extrémités est à 9 millimètres ; les 2° et 3e phalanges de
l'annulaire en demi-flexion. Les doigts étant en extension, le malade ne peut
arriver à amener sa 4re phalange au niveau de la ligne palmaire. Tout mou-
vement d'opposition est absolument impossible. La flexion des doigts est limi-
tée ; absolument impossible au niveau du pouce ; la flexion du poignet peut se
faire mais l'extension est douloureuse.
A droite, l'extension et la flexion du pouce sont possibles mais lentes.
Pour mettre sa main droite sur sa tète, le malade avance d'abord le coude
au niveau de la partie antérieure du thorax, met la main sur le front et la
laisse glisser par derrière. Du côté gauche le mouvement est encore plus diffi-
cile ; il fléchit le coude, amène l'humérus en adduction forcée, met la main
sur le front et la laisse glisser en arrière.
Le malade peut descendre seul de son lit, mais en se tordant, en s'arcbou-
tant ; avec ses mains il prend point d'appui sur le lit, puis s'appuie sur le
coude, fait un mouvement d'extension et arrive à s'asseoir.
Le malade marche assez facilement, sans grande modification de la marche
physiologique.
Le mouvement pour amener la main sur le nez se fait par secousses, par
saccades, mais tombe exactement sur le lobule.
Le mouvement se fait mieux à droite.
Le malade étant assis, pour se coucher, se laisse tomber en arrière.
Aux membres inférieurs les mouvements se font bien.
La résistance aux mouvements passifs est conservée aux membres infé-
rieurs.
Aux membres supérieurs la résistance aux mouvements passifs est absolu-
ment nulle.
Circonférence au niveau du poignet droit 16
avant-bras circonférence médiane 16
au niveau du poignet gauche 16
avant-bras circonférence médiane 16.5
partie inférieure du bras droit 19.5
gauche 20
partie moyenne du bras droit.......... 21
gauche 21
Au palper, état absolument mollasse des muscles.
Au bras on ne sent que la peau et le tissu cellulaire sous-cutané.
Le triceps est réduit à un petit faisceau.
Le deltoïde presque complètement détruit (Pl. LXII, F).
Les pectoraux ont disparu.
Espaces intercostaux extrêmement marqués.
Les trapèzes, les sterno-cléido-mastoïdiens ne sont plus que de petites lanières.
Les muscles des lombes sont atropliiés puisque le malade ne peut pas se lever,
mais l'atrophie n'est pas apparente.
atrophies musculaires PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 363
Les muscles de l'omoplate semblent assez conservés. Cependant les fosses
sous-épineuses sont très marquées.
Mouvements fibrillaires et fasciculaires existant partout. Crampes, douleurs à
chaque instant ; ces crampes n'existent plus spontanées comme au moment de
la rentrée du malade. Elles ne se produisent que quand il fait des mouvements.
Pas de modification des muscles de la face. Langue normale. Le malade ne
peut pas siffler et se plaint de ne pas pouvoir serrer au niveau des commissures
labiales. Troubles de déglutition, le malade avale de travers mais moins sou-
vent qu'auparavant et quelquefois les aliments lui sortent par le nez.
La trophicité n'est pas modifiée ; pas J'eschares ; pas de troubles du dévelop-
pement des poils, ni arthropathies.
Les mouvements sont douloureux mais seulement au niveau des muscles
qui entrent enjeu.
Sensibilité conservée au tact, au froid, à la piqûre.
Réflexes normaux. Pas de phénomène du pied.
Vue normale.
Goût, odorat, ouïe normaux.
Pas de phénomènes psychiques anormaux.
Urine facilement, pas d'incontinence vésicale ou anale.
Le 25 au soir, Dur... est pris de points de côté, d'étouffements.
26. Pneumonie du lobe inférieur gauche.
Souffle tubaire intense, mais pas encore de ràles.
29. - Le malade ne tousse plus. Le souffle a complètement disparu. Il n'y a
pas de râles.
La sonorité est également revenue.
30. - Le matin prise de 30 grammes d'huile de ricin. Etant sur le bassin il
a été pris à plusieurs reprises de crises d'étouffement avec état syncopal très
prononcé.
14 janvier. Il continue à avaler de travers de temps en temps ; il a éga-
lement quelques crises d'étouffement sans qu'on trouve rien de nouveau à l'aus-
cultation.
15. - Difficulté pour respirer et tousser en raison de l'atrophie des pecto-
raux ; il sent les crachats obstruant ses bronches, ne peut expectorer.
2 milligrammes de strychnine ; rien aux poumons ; à 6 heures du soir les
symptômes ne font que s'accentuer; il présente à l'auscultation quelques râles,
expectoration impossible.
Dyspnée intense ; mort à 8 heures du soir.
Autopsie. - Poumon D. B. congestion pulmonaire avec bronchite. OEdème
du lobe moyen.
P. G. congestion à la base. OEdème, broncho-pneumonie du lobe inférieur.
Ccvur. Adhérences entre les feuillets du péricarde au niveau de la face
antérieure du ventricule droit (rég. sup.).
Valvules mitrales un peu épaissies, quelques plaques jaunes molles. Végéta-
tions athéromateuses au niveau de l'aorte.
Intestin normal.
Reins. Congestion. Décortication facile.
364 G. ÉTIENNE
Foie un peu augmenté de volume, brillant à la coupe, assez dur.
Rate normale, capsule un peu épaissie.
Examen histologique. - M. le Dr Hoche, chef du laboratoire d'anatomie pa-
thologique, a examiné des fragments de moelle épinière, de nerfs, de muscles.
On constate sur des coupes pratiquées à différents étages de la moelle épi-
nière une atrophie très considérable des cornes antérieures avec disparition
presque complète des cellules nerveuses de ces cornes, atrophie et sclérose des
racines qui en émergent.
Les nerfs moteurs (médian) possèdent une gangue conjonctive très épaisse,
qui enserre des filets nerveux et des fibres à myéline moins abondants que
normalement.
Les muscles atrophiés présentent à côté de fibres saines, des fibres atteintes
de dégénérescence vitreuse, colloïde, et d'autres déjà atrophiées et presque
entièrement résorbées.
L'étude plus complète de ces lésions sera pratiquée et fera l'objet d'une
note ultérieure.
Le malade a succombé à une broncho-pneumonie intercurrente, mais
la-maladie spinale n'en était pas moins arrivée à son terme ultime.
Malgré cette grande rapidité d'évolution, il s'agit bien ici d'une atrophie
musculaire myélopathique. Il ne peut être question d'une paralysie spinale
subaiguë de Duchenne, puisque l'impotence fut toujours fonction de l'atro-
phie musculaire, sans paralysie proprement dite, dominant nettement à
l'extrémité des membres; il ne peut y avoir syringomyélie, la principale
caractéristique clinique manquant ; et d'ailleurs l'autopsie a tranché- la
question.
Du reste, l'évolution, plus rapide qu'à l'ordinaire, resta cependant à
type bien chronique, et une durée de 18 mois au lieu de 3 ans ne crée
pas en pathologie médullaire une objection plus forte qu'en pathologie
pulmonaire par exemple : une tuberculose pulmonaire reste une tubercu-
lose pulmonaire, qu'elle évolue en 18 mois ou en 3 ans.
II. PRÉCOCITÉ DU DÉBUT.
Habituellement l'atrophie myélopathique évolue dans l'âge mûr, entre
40 et 60 ans. Ici, nous la voyons débuter à 24 ans par les muscles fatigués
des. mains. Il est vrai que le sujet avait été, comme celui de l'observa-
tion IV, atteint d'une paralysie infantile, et prédisposé; remarquons ce-
pendant que la paralysie infantile n'avait intéressé que la jambe droite.
Observation IL
Paralysie infantile du membre inférieur droit. - Atrophie musculaire, type
- Aral2-Dacc12e212e.
Pravel... Just..., 25 ans, employé de commerce, entre à la clinique le 22 juin
1891 (PI. LXI, fig. C).
ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 365
A l'âge de 2 ans, il fut atteint d'une paralysie infantile qui laissa comme
déformation une atrophie des masses musculaire du membre inférieur droit,
et une luxation de la hanche en haut, d'où raccourcissement considérable.
En mars 1889, il partit pour l'Amérique ; à Buenos-Ayres, il contracta la
fièvre typhoïde. Il revint en France en 1890, et pendant la traversée il fut at-
teint d'une crise d'ictère qui dura 3 semaines.
Pas d'alcoolisme, pas de syphilis.
En juin 1890, le malade ressentit des picotements dans le .nains, de l'en-
gourdissement, rendant les mouvements difficiles. A partir d ce moment com-
mença l'atrophie musculaire, lentement progressive ; dès lors, il ne ressentit
plus les fourmillements.
Etat actuel. Les mains au repos prennent une position spéciale : la
1 re phalange est en extension forcée, les deux autres sont un peu fléchies.
L'extension des premières phalanges sur le métacarpe est difficile des deux
côtés ; flexion et extension des phalanges se font à gauche, mais pas à droite.
L'abduction et l'adduction du pouce sont possibles à gauche, impossible
à droite ; l'opposition du pouce aux autres doigts ne peut se faire d'aucun
côté. ,
L'éminence thénar, à droite et à gauche, non seulement ne forme plus de
relief, mais est représentée par un méplat; la peau, trop large à son niveau,
fait des plis à la surface ; les muscles sont mous à la pression.
Aux éminences hypothénar, l'atrophie musculaire a aussi déterminé les
méplats.
Les interosseux ont presque totalement disparu de même par les lombri-
caux.
Ces atrophies et les déformations qui en résultent, donnent aux mains la
forme de griffes (PI. LXI, C).
Aux avant-bras, les muscles sont moins atrophiés ; conservés en grande
partie dans les deux tiers supérieurs, ils disparaissent brusquement dans la
région prétendineuse, d'où la forme d'avant-bras en fuseaux.
Les bras ne paraissent pas atrophiés.
Pas d'atrophie musculaire dans les autres régions.
Les autres appareils sont normaux. '
Le malade quitte le service en août 1891.
Signalons encore dans ce cas la coïncidence de l'atrophie musculaire
progressive avec la paralysie infantile ; nous insisterons.sur ce point au
sujet de l'observation IV.
III. - Modes DE début.
Dans la très grande majorité des cas, l'atrophie musculaire débute par
les petits muscles de la main, surtout delà main droite, par les muscles de
l'éminence thénar et tout d'abord par le court abducteur du pouce. C'est
366 G. ÉTIENNE
ce que nous voyons manifestement se produire dans les observations I,
II, V, VI.
Il n'en est cependant pas toujours ainsi.
Dans l'observation suivante, nous voyons l'atrophie débuter par le del-
toïde et les muscles péri-scapulaires : c'est la caractéristique du typescapuio-
huméral décrit par Vulpian.
Observation III.
Atrophie musculaire progressive, d'origine myélopathique ; début scapulo - hmnéral
(type Vulpian) par les muscles surmenés. Troubles bulbaires ; mort.
Poull..., 65 ans, manoeuvre (Pl. LXI, fig. D).
Personne dans sa famille n'a eu de maladie nerveuse ni d'atrophie muscu-
laire.
. Père mort il 80 ans.
Mère morte à 45 ans.
A encore une soeur de 58 ans bien portante ; 3 soeurs mortes jeunes.
Marié, n'a pas eu d'enfants. N'a pas eu de convulsions dans son enfance ; a
eu la petite vérole vers 10-12 ans, le choléra à 10 ans et une fracture de cuisse.
N'aurait eu ni scarlatine, ni rougeole, ni fièvre typhoïde; n'a jamais eu la
syphilis.
Pas d'antécédents alcooliques. ,
Son atrophie musculaire ne remonterait qu'à 3 ans. Il y a 7 ans, il portait
encore des sacs de 100 kilogrammes et était très musclé ; il pouvait se livrer à
de forts travaux.
Il y a 3-4 ans il aurait remarqué de la faiblesse et de la gêne dans les épau-
les ; l'amaigrissement aurait commencé des deux côtés parles masses mus-
culaires scapulo-humérales. La partie antérieure de l'avant-bras se serait amai-
grie avant la face postérieure et avant le bras.
Depuis deux ans il aurait remarqué la rétraction des tendons de la main.
L'état reste stationnaire depuis 18 mois dans les membres supérieurs.
L'atrophie du thorax aurait accompagné celle des bras dont la partie supé-
rieure aurait été prise la première.
Il y a un an, il aurait remarqué que ses mollets maigrissaient. Les cuisses
ont commencé à maigrir peu près en même temps. Il peut encore bien
marcher et peut faire 25-30 kilomètres.
Depuis 18 mois crampes dans les mollets.
Depuis qu'il ne peut faire de métier fatiguant, il remplace des garçons dans
les fermes.
Etat actuel. - Rien dans les organes des sens.
Pas de paralysie des muscles de la face ni de l'oeil, ni du palais.
Muscles du cou. - Sterno-mastoïdiens diminués, surtout l'insertion clavicu-
laire apparaissant sous forme de minces cordelettes (Pl. LXII, D).
Trapèze à peine perceptible il son insertion occipitale.
Muscles scapulaires. - Les creux du sus-claviculaire absolument déprimés.
ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 367
Le grand pectoral n'est plus qu'une lame surtout à son insertion thoraci-
que.
Les grands dorsaux sont atrophiés à droite. Muscles sus et sous-épineux
atrophiés à droite, plus qu'à gauche ; les fosses ,sus et sous-épineuses sont dé-
primées.
Les deltoïdes sont absolument disparus. Tête de l'humérus saillante.
Membres supérieurs . - Biceps réduit à l'état d'une corde, le droit étant plus
atrophié que le gauche. Il semble qu'il existe un peu de rétraction du biceps
droit ; les muscles de la région postérieure du bras sont très diminués surtout
à droite. ,
A la face postérieure de l'avant-bras, muscles disparus, os saillant. L'espace
interosseux forme un méplat à la partie postérieure.
Les muscles de la partie antérieure de l'avant-bras sont en partie conservés
surtout dans le 1/3 supérieur.
La main : Le malade laisse le poignet en demi-flexion; la main a l'aspect
d'une main de singe. Atrophie des muscles du thénar et de l'hypothénar ; gril
interosseux apparent. Métacarpiens apparents au dos de la main. L'index et le
pouce peuvent être portés en extension complète mais les 3 autres doigts sont
en demi-flexion constante sur la paume de la main : la première phalange est
fléchie, la 2e fléchie sur la 4r, et la 39 en extension (Pl. LXII, D).
La paume de la main forme une concavité hémisphérique séparée en 2 par la
saillie du tendon rétracté. Toutes ces dispositions sont plus marquées à droite
qu'à gauche.
Mouvements des membres supérieurs. - Le malade ne peut élever le bras en
abduction et horizontalement. L'adduction des deux bras se fait encore bien, en
avant commme en arrière.
Il fléchit difficilement l'avant-bras droit sur le bras droit. Pendant les flexions
le biceps reste mou. Au bout d'un certain nombre de flexions, le malade se fati-
gue et est pris de crampes.
Du côté gauche la contraction se fait mieux et on peut sentir le durcissement
du biceps pendant la contraction.
A gauche la supination de l'avant-bras se fait incomplètement et difficilement.
La supination de l'avant-bras est impossible à droite et quand il l'essaie, la
- crampe le prend dans les muscles antérieurs de l'avant-bras.
Extension du poignet impossible à droite ; à gauche se faisant jusqu'à l'hori-
zontale.
La pression des deux mains est absolument rudimentaire.
L'adduction du pouce des 2 côtés est impossible. L'abduction également.
Muscles du tronc : les grands dentelés sont très atrophiés, surtout à droite où
l'omoplate s'écarte du tronc. Les apophyses épineuses sont saillantes, espaces
intercostaux saillants. Thorax aplati à sa partie inférieure.
Les muscles de l'abdomen se contractent bien.
Membres inférieurs : les saillies musculaires existent comme normalement
chez les personnes maigres. Léger méplat à la face interne des muscles de la
cuisse. Le malade plie facilement la cuisse.
368 G. ÉTIENNE
Mensuration 1/3 supérieure de l'avant-bras droit.... 18 ' `
gauche... 19
partie moyenne du bras droit 18
- gauche. ..... 20
partie moyenne de la cuisse droite .... 40
gauche.... 39
du mollet droit ..... 29
- gauche .... 29
Le malade étant couché au repos, on constate clans tous les muscles, surtout
dans ceux de la cuisse et du tronc, une série d'ondulations et de frémissements
musculaires. La contraction idio-musculaire se manifeste nettement dans le
grand pectoral.
Abolition du réflexe rotulien ; pas de fourmillement, pas de sensations sub-
jectives anormales.
Après électrisation avec courants continus pendant 1 mois, le malade dit se
trouver beaucoup plus fort.
Quitte l'hôpital le 2 mai 1890.
Rentré le 8 mai 1891.
Le malade est resté à l'hôpital depuis ce moment, les symptômes se sont
progressivement accentués.
16 décembre.
État actuel. - Intelligence nette, pas de troubles de la mémoire. L'acuité
visuelle semble un peu diminuée, pupilles égales, réagissant bien. Pas de
troubles auditifs, Déglutition difficile. Quand le malade avale soit des aliments
solides, soit des aliments liquides, ou sa- salive, ils reviennent parfois par le
nez. La parole est un peu nasonnée, un peu confuse ; il arriva cependant à
articuler toutes les consonnes quoique les b, p, m, n, soient moins nettes ; la
langue ne paraît pas parésiée. Quelques difficultés pour souffler et pour siffler.
Système musculaire. - L'insertion occipitale du trapèze est en partie dis-
parue ; atrophie marquée des muscles des fosses sus-épineuses particulièrement t
à droite ; ces deux fosses sont creusées en bateau ; atrophie musculaire marquée
dans les fosses sous-épineuses ; méplats surtout appréciables à droite; les
muscles sont réduits à l'état de languettes aplaties laissant voir la saillie de l'os ;
atrophie presque complète du grand dorsal ; à ce niveau on soulève la peau
qui semble reposer directement sur le système osseux; atrophie des muscles
lombaires, mais moins marquée.
Les sterno-cléido-mastoïdiens et les scalènes sont réduits à l'état d'un petit
ruban aplati du 1/3 du volume primitif (PI. LXII, D.). Clavicules très sail-
lantes ; le grand pectoral des deux côtés n'est plus constitué que par quelques
fibres musculaires à peine perceptibles sous la peau. Relief très considérable
de la tête de l'humérus faisant saillie ; deltoïde très réduit de volume ; ces mus-
- des semblent surtout atrophiés quand le sujet est vu de dos ; on croirait le bras
constitué exclusivement par l'humérus directement attaché à l'omoplate.
Atrophie générale des muscles du bras et de l'avant-bras ; à la partie moyenne
du bras gauche; diamètre 20 1/2, à droite 19. A l'avant-bras gauche, 16, 5 ; à
ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 369
droite 16, 5 ; biceps réduit à l'état d'un petit cordon de 1 cm. 1/2 d'épaisseur ;
atrophie en masse du triceps; la peau est trop ample.
Atrophie musculaire également marquée de tous les muscles de l'avant-bras ; -
qui a la forme d'une planchette de 6 centimètres de largeur sur 2 d'épaisseur ;
cet état parait encore plus marqué du côté droit.
A l'état de repos le poignet est fléchi ; le métacarpe est fléchi sur le carpe ;
phalanges et phalangines fléchies, excepté au pouce qui est en extension. Dis-
parition du relief de l'éminence thénar et de l'hypothénar, remplacés par des
méplats ; atrophie très marquée des interosseux; creux entre les métacarpiens
égal des deux côtés.
L'atrophie, moins considérable aux membres inférieurs, contraste avec celle
des membres supérieurs.
Circonférence partie moyenne cuisse droite 39.5
gauche 40
mollet droit 30
- gauche...... 29
Motilité. - Mouvements de la tête conservés.
Le malade ne peut s'asseoir sur son lit tout seul sans aide. La motilité des
membres inférieurs semble intacte.
Impossibilité d'élever le bras à l'horizontale, abduction très limitée à un an-
gle de 40° tout au plus des deux côtés.
Flexion de l'avant-bras sur le bras complète à gauche, moins à droite.
Les avant-bras, étant en pronation, ne peuvent être amenés en demi-supi-
nation.
Très légère abduction du pouce.
Impossibilité de l'extension du poignet fléchi ; de l'extension des doigts sauf
l'index de la main droite ; dans la paume des mains on sent, surtout à droite, la
saillie des tendons des fléchisseurs contracturés.
Sensibilité intacte ; pas de sensation subjective ; se plaint de respirer diffici-
lement.
Le m1-ide se plaint parfois de contractions fibrillaires, que l'on ne constate
pas actuellement.
Face : atrophie musculaire.
. Abolition des réflexes.
Le malade quitte le service à la fin de novembre 1891 ; et nous apprenons sa
mort survenue quelques jours plus tard, par suffocation d'origine bulbaire.
Si, de ce mode de début, nous rapprochons la profession de garçon meu-
nier et les occupations habituelles du malade, nous voyons qu'il employait
toute sa journée à porter sur les épaules des sacs de 100 kilos ; ce surme-
nage musculaire évident est la cause déterminante de la localisation mor-
bide, comme l'a bien montré le professeur Raymond dans les cas réunis par
lui. C'est ainsi que l'atrophie a commencé par le deltoïde chez un ouvrier
rubanier élevant ou abaissant continuellement les bras (Raymond) ; chez un
xii 25
370 G. ÉTIENNE
ouvrier occupé à pomper l'eau dans la cale des navires (Schauvagt) ; par
les mollets chez un maître de ballet (IIall11110nd); par les muscles de la
jambe chez un maçon qui, pendant son travail, faisait supporter tout le
poids du corps sur cette jambe (Hammond). Parmi les malades présentant
le mode habituel de début, nous retrouverons ce même facteur très net
chez notre ouvrier formier poussant son rabot avec la paume de la main
(obs. VI) ; chez notre maçon élevant les moellons en leur donnant appui éga-
lement sur les paumes des mains (obs. I) ; chez le malade qui est l'objet de
l'observation V, cocher qui s'occupait à frotter ses harnais ; chez notre em-
ployé de bureau (obs. II). Bien plus, c'est par la main gauche qu'a dé-
buté l'affection dans certaines professions surmenant plus spécialement
cette main : chez un maroquinier (Voisin) ; chez un joueur de contre-
basse (Schappel), chez un dragon s'étant beaucoup fatigué la main gauche
en maintenant les brides de son cheval .
C'est encore la fatigue musculaire qui intervient dans l'observation sui-
vante : un fossoyeur voit débuter l'atrophie musculaire par les muscles
extenseurs de l'avant-bras droit ; or ce sont les muscles qui travaillent
surtout lorsque cet ouvrier, du fond de la fosse, rejette par dessus bord la
terre enlevée du fond.
Observation IV.
Atrophie musculaire progressive d'origine myélopathique. - Paralysie infantile
dans les premières années de la vie ; début par la jambe paralysée et par les
muscles surmenés des avant-bras.
Mas..., 44 ans, fossoyeur, salle 10, n° 4, entré le 7 juillet 1888 (PI. LXI,
fig. E).
Antécédents héréditaires. Mère morte à 57 ans après une maladie qui
aurait duré 7 ans ; elle était sans force dans les membres et serait morte dans
un grand état d'amaigrissement.
Père mort à 66 ans, de pneumonie; dans les ascendants collatéraux, pas de
maladies nerveuses connues.
A l'âge de 14 ans, demeurant dans le voisinage des étangs de Sarrebourg,
aurait eu pendant un an des fièvres intermittentes avec accès revenant tous
les deux jours.
A 21 ans il eut une pneumonie.
Il fut reformé pour pied plat gauche datant de l'enfance.
Le malade a remarqué que la jambe gauche a toujours été plus maigre que
la droite.
Pas de syphilis, pas d'alcoolisme ;
Cinq enfants bien portants, bien conformés.
En janvier 1888 il remarqua que ses membres inférieurs fléchissaient pen-
dant la marche ; environ trois semaines après il ressentit une sorte de gêne dans
les deux épaules.
ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 371
Depuis quatre mois, le malade a constaté l'amaigrissement des membres
inférieurs, et des membres supérieurs ; depuis deux mois il ne peut plus s'ha
biller, et depuis trois semaines, il ne peut plus manger seul.
État actuel. Apyrexie. Fonctions digestives, respiratoires et circulatoires
normales ; pas de douleurs ; intelligence nette.
Membres inférieurs. - Le pied gauche présente l'apparence du pied plat
valgus.
Pied droit normal ; applatissement des mollets et des régions musculaires
antéro-internes des deux jambes.
Circonférence des jambes à la partie moyenne, 27 centimètres des deux
côtés.
Circonférence des cuisses à la partie moyenne, 53 centimètres des deux
côtés.
Abolition des réflexes patellaires et plantaires. Pas d'atrophie appréciable des
muscles fessiers et lomhaires. ,
Marche normale. - Le malade se baisse facilement pour ramasser un objet.
Pas d'atrophie des muscles abdominaux.
Membres supérieurs. - Aplatissement des muscles des éminences thénar et
hypothénar des deux côtés ; mouvements d'opposition et d'abduction du pouce
impossible ; main à demi fermée ; extension de la main et des doigts impossible ;
les mouvements de pronation et de supination ne peuvent plus se faire.
Atrophie considérable de la partie postérieure de l'avant-bras ; atrophie des *
radiaux.
Le malade peut fermer les doigts avec une force médiocre.
Circonférence du tiers supérieur de l'avant-bras, 22 centimètres. Bras cylin-
drique. Atrophie considérable du deltoïde et des muscles du bras. Le biceps
semble assez bien conservé, mais le malade ne peut résister quand on veut éten-
dre le bras fléchi, le muscle contracté reste mou : il ne peut élever le bras droit
à l'horizontale, mais y arrive avec le bras gauche ; il peut mettre la main gau-
che sur la tête, mais non la main droite.
Circonférence moyenne du bras droit et du bras gauche, 20 centimètres.
Les creux sous-claviculaires sont aplatis. Il existe une atrophie légère des
pectoraux, le malade croise facilement les bras et porte sans peine la main sur
l'épaule opposée. -
L'omoplate ne suit pas les mouvements de l'épaule. Atrophie légère des
muscles sus et sous -épineux.
Le chef claviculaire du trapèze est conservé ; le chef occipital est atrophié.
Atrophie peu marquée des sterno-cléido-mastoïdiens.
Le grand dorsal et les muscles de la gouttière vertébrale ne semblent pas
atrophiés.
Pas de troubles trophiques de la peau, pas de troubles vaso-moteurs.
Rien dans les muscles de la face. Contraction fibrillaire des muscles, surtout
à la cuisse. Sensibilité intacte.
Outre cette particularité dans le mode de débul par les avant-bras et
372 9 G. ÉTIENNE
les jambes, ce cas, de même que l'observation II, présente encore un point
des plus intéressants : c'est l'intervention de la poliomyélite chronique
chez un malade atteint dans l'enfance d'une poliomyélite aiguë. C'est ce
fait rare étudié par M. le professeur Bernheim (1) et par Sterne (2). Mais
des observations rapportées par Sterne, toutes ne nous paraissent pas pou-
voir être retenues ; dans notre cas, rentrent seulement celles de MM. Ray-
mond, Quinquaud, Rémond et Bernheim.
Chez notre malade, l'atrophie progressive a très nettement débuté si-
multanément et par la jambe antérieurement atteinte par la paralysie
infantile, et par les muscles surmenés de l'avant-bras.
III. Hérédité poliomyélitique.
Dans l'observation précédente, nous avons trouvé chez le malade des
antécédents poliomyélitiques personnels ; chez le suivant, nous trouvons
ces mômes antécédents héréditaires. Ce fait est très exceptionnellement
signalé dans les observations d'atrophie musculaire progréssive myélo-
pathique ; on sait que l'hérédité directe est au contraire fréquente dans
les myopathies.
Observation V.
Atrophie musculaire progressive, d'origine myélopathique, Antécédents
myélopathiques héréditaires et familiaux.
Prév... Gab..., 42 ans, cocher (P,j. LX, fig. A et B).
Antécédents héréditaires. Père atteint de paralysie infantile, attaque
d'apoplexie, étylisme avéré.
Mère bien portante.
Grand-père maternel mort d'hémorrhagie cérébrale.
Tante paternelle atteinte aussi de paralysie infantile.
A 2 frères et 2 soeurs bien portants.
Antécédents personnels. Rhumatisme articulaire il y a 7 ans n'a pas eu
d'autres maladies ; est marié (femme bien portante), a trois enfants bien por-
tants.
Maladie ACTUELLE. - Il ? j a 18 mois environ, le malade a commencé à sentir
de la faiblesse dans la main droite et principalement dans le pouce. Il ne pou-
vait plus que difficilement se servir de cette main. Cette faiblesse musculaire
aurait été en s'exagérant et,se serait communiquée aux muscles de l'avant-bras
et du bras droit.
Depuis environ 8 mois le malade dit avoir remarqué une diminution de force
dans le bras gauche qu'il ne pouvait plus soulever que difficilement, tout en con-
(1) Behnheim, Revue de médecine, 1891.
(2) J. Sterne, Thèse de Nancy, 1891. ,
Nouv. Iconographie de la SALI'G1HIIi1·.
T. XII. PI. LX
ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE (TYPE ARAN-DUCHESNE)
- (G. Etienne).
On,. V
MASSON & C ? Editeurs.
ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 373
servant l'usage de sa main gauche et des doigts, dont il ne peut plus faire usage
depuis 2 mois.
Depuis un mois seulement la tête fléchit et tombe (PI. LX, A), en même temps
que le malade a de la difficulté pour parler, pour manger et pour avaler, même
sa salive. Il se sert de ses mains pour l'action du maxillaire inférieur.
Etat actuel. - Sujet fortement amaigri, de constitution primitivement assez
bonne.
Membre supérieur droit. La main droite présente l'aspect de main en
griffe assez caractéristique, fortement rejetée sur le bord du cubital. Les pre-
mières phalanges sont fléchies sur les métacarpiens, les secondes sur les pre-
mières, les troisièmes sont dans l'extension (PI. LX, B).
La flexion est plus accentuée pour le médius et l'annulaire que pour l'index
et l'auriculaire ; le pouce est dans l'extension forcée (fig. B).
, Les muscles de l'éminence thénar sont complètement disparus, ainsi que les
interosseux.
Le malade peut mettre légèrement l'index en extension, ce qu'il ne peut
faire pour les autres doigts. \\
Le pouce peut se fléchir assez fortement, mais les mouvements d'oppositions
sont presque nuls. Le malade pouvant à peine arriver à toucher l'index avec
le pouce, ne peut tenir un porte-plume de moyenne grosseur qu'en le compri-
mant entre le pouce et la base de la pe phalange de l'index.
Les muscles de l'éminence hypothénar sont en partie atrophiés aussi, toute-
fois il en reste une petite portion, de consistance flasque.
La force au dynamomètre est à peu près nulle. Les mouvements passifs des
doigts ne sont possibles qu'incomplètement ; on ne peut arriver entièrement à
les mettre en extension.
. Les muscles de l'avant-bras sont atrophiés en grande partie, surtout ceux
de la région antéro-externe. Il en est de même des muscles du bras ; il est im-
possible au malade de mettre le bras sur la tête et même d'arriver à le mettre
horizontalement par les mouvements d'abduction.
La flexion de l'avant-bras sur le bras se fait bien.
La résistance aux mouvements passifs est assez bien conservée.
Membre supérieur gauche. - Les doigts de la main gauche sont restés en
extension ; le malade peut les fléchir. Force au dynamomètre à peu près nulle ;
atrophie considérable des muscles de l'avant-bras et du bras.
Le malade ne peut soulever le bras même au niveau de l'horizontale, il
l'écarte du tronc à peine de 20 centimètres. La résistance aux mouvements
passifs d'extension est profondément diminué.
La résistance aux mouvements d'abduction est assez bien conservée.
Dimensions :
Droite, bras il 6 centimètres au-dessus du pli du coude. 20 centimètres.
Gauche ..................... 20 -
Droite, avant-bras à 6 centimètres au-dessous du pli du
coude...................... 19 -
Gauche..................... 19 -
? 1
G. ÉTIE1VNE '
Muscles de la nuque considérablement atrophiés. La tête est fléchie forte-
ment sur le sternum (Pl. LX, fig. A et B), toutefois le malade peut encore la
redresser mais ne peut la maintenir longtemps dans cet état.
Les muscles pectoraux sont assez bien conservés.
Le malade peut se soulever sur son séant, sans le secours de ses bras, mais
avec difficulté, et il retombe lourdement dès qu'il veut se recoucher.
Membres inférieurs considérablement atrophiés, toutefois le malade marche
encore facilement : tous les mouvements sont possibles ; les réflexes rotuliens
sont exagérés. Pas de phénomènes du pied.
Contracture des extenseurs du pied.
Tremblements fibrillaires.
Dimensions : mollet gauche .. 27 cenlimètres.
droit .. z
Cuisse gauche 34 à 10 centimètres au-dessus de la rotule.
droite 36 -
Tremblements fibrillaires. Le malade accuse des crampes dans les cuisses et
les mollets.
Face. Les muscles de la face se sont atrophiés à leur tour, en particulier les
muscles masticateurs et les muscles du plancher de la bouche, ce qui empêche
la mastication et la déglutition. Le malade avale difficilement sa salive qui
coule souvent hors de la bouche.
Le malade peut encore siffler. (
Pas d'inégalité pupillaire, pas de nystagmus ; tous les mouvements de l'oeil
se font bien. Le malade accuse une diplopie passagère, fréquente après un peu
de fatigue.
Les nerfs et les muscles offrent la réaction de dégénérescence, partielle chez
les uns, plus complète chez les autres. Les secousses sont lentes et traînantes.
Pour le nerf, l'excitabilité faradique et galvanique est diminuée.
Pour le muscle, l'excitabilité faradique est diminuée. L'excitabilité galvano-
musculaire qui a passé par un maximum décroît ; les secousses d'ouverture
ont disparu.
Voici d'ailleurs cette étude des réactions électriques, faite par notre collègue
M. le professeur Guilloz.
Membre supérieur gauche : réactions électriques :
A. - 111uscles. 1° Electricité galvanique.
Lombricaux Ka SF : 2 millia.
Apposant du pouce Ka SF. : 2 millia.
An SF : 3 millia.
Fléchisseur superficiel des doigts An SF : 6 millia.
Ka SF : 3 millia.
Fléchisseur des doigts An SF : 4 millia.
Ka SF : 3 millia.
Biceps An SF : 12 millia.
ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 375
Deltoïde An S : 3 millia.
Ka SF : 14 millia.
Triceps, adducteur du pouce, muscles de l'éminence hypothénar. Rien.
Les secousses d'ouverture ont disparu.
L'excitabilité galvanique décroît ; elle est plus faible, et pour certains mus-
cles n'existe plus qu'à l'anode.
B. - Nerfs.
N. médian (au-dessus du poignet) An S : rien avec 7 millia.
Ka SF : 3 millia.
N. cubital (au-dessus du poignet) An : rien avec 7 millia.
K a SF : 9 millia.
N. médian (au pli du coude) An FS : 8 millia.
Ka SF : 7 millia.
N. cubital (dans le sillon bicipital) An SF : 10 millia.
Ka SF : 7 millia.
N. radial (côté externe du biceps) An SF : 15 millia.
Ka SF : 15 millia.
Diminution considérable de l'excitabilité galvanique du nerf.
2° Electricité faradique.
Appareil Duhois-Reymond ; bobine à fil moyen.
A. - Muscles. -
Lombricaux : 10 centim. 5.
Fléchisseur superficiel des doigts : 7 centimètres.
Fléchisseur profond : 7
Biceps : rien.
Triceps : rien
Deltoïde : rien
Diminution de l'excitabilité faradique ; disparition complète pour plusieurs
muscles.
B. Nerfs.
N. médian (poignet) : 4 centim. 50 .
N. cubital : 5 50
N. médian (pli du coude) : 6 50
N. cubital : 7 centimètres.
N. radial (niveau du biceps) : 7
Diminution de l'excitabilité faradique.
Le malade dort bien la nuit, n'a pas de cauchemar, pas de céphalée ; la mé-
moire est bien conservée.
Réflexes patellaires exagérés légèrement, pas de phénomènes du pied.
Du côté de l'oeil, diplopie passagère après fatigue.
En somme, les nerfs et les muscles offrent la réaction de dégénérescence,
partielle chez les uns, plus complète chez les autres ; les secousses sont lentes
et traînantes.
Pour les nerfs, l'excitabilité faradique et galvanique est diminuée. Pour les
376 G. ÉTIENNE
muscles, l'excitabilité faradique est diminuée, l'excitabilité galvano-musculaire,
qui a passé par un maximum, décroît ; les secousses d'ouverture ont disparu.
Appareil circulatoire. Bruit du coeur roulé à la pointe.
Respiration. Ne présente rien de particulier.
Digestion. - Bien conservée, le malade digère bien ce qu'il prend.
Pas d'hypertrophie du foie, de la rate ; un peu de tendance à la constipa-
tion.
Appareil urinaire. Rien de spécial, urines claires, abondantes.
15 mars. - La déglutition est toujours difficile, la salive continue à s'écou-
ler, par intervalles, hors de la bouche, le malade ne peut manger seul.
10 avril. - Même état, pas de phénomènes nouveaux.
25. L'atrophie des muscles de la face n'a pas progressé.
Les muscles des bras et des jambes, ont sensiblement gardé le même vo-
lume.
L'impotence fonctionnelle est restée ce qu'elle était. En somme, pas d'amé-
lioration, mais pas d'aggravation notable.
26. - Le malade veut partir à tout prix et demande sa sortie.
V. Symptômes EXCEPTIONNELS.
Dans l'observation suivante, nous voyons un cas très pur d'atrophie
myélopathique type Aran-Duchenne se compliquer de troubles trophiques
exceptionnels : arthropathies d'abord, puiseschares multiples se produisant
en tout point du corps exposé à une pression un peu prolongée (1).
Observation VI.
Atrophie musculaire progressive d'origine myélopathique ; début classique par
les petits muscles de la main, surmenés. - Troubles trophiques : Artlaropa-
thies de l'épaule, eschares multiples. Mort dans le marasme. - Lésions
nerveuses classiques.
G... Emile, formier de chapellerie, âgé de 48 ans (PI. LXII, fig. H et K et
PI. LXIII, fig. L, M, N).
Hérédité ET parenté. Les grands-parents ont atteint un âge avancé; mère
morte à 57 ans, asthmatique; père mort d'accident.
Un frère, atteint de bronchite bacillaire ( ? ) aurait succombé à 26 ans ; une
soeur bien portante.
Antécédents personnels. - Erysipèle dans l'enfance, variole il 13 ans. Cinq
années de service militaire en France. Depuis l'âge de 10 ans travaille dans la
chapellerie ; bon ouvrier, intelligent ; a vécu assez largement.
(1) PRAUTOIS ET G. Etienne. Troubles trophiques osseux et articulaires chez un hom-
me atteint d'atrophie musculaire myélopat/ ! lqlle,l pr mémoire, Revue de médecine,1894.
G. ETiENNE, Id., 2° mémoire, Revue de médecine, 1899.
No1.;v. ICUSOGHAPHIE DE LA SAlPÊTRII : KI ?
T. XII. 1'1. LXIII
ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE
(G. Etienne)
Arthropathies de l'épaule droite. Ostéophyte d'insertions musculaires et rupture spontanée de la capsule distendue.
ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 377
Pas de syphilis, pas d'alcoolisme, pas d'intoxication par le mercure ou le
plomb.
Débuts DE la maladie actuelle. En 1879, cet homme s'aperçut qu'il avait
de la difficulté à ramasser de l'argent sur un comptoir ; peu de temps après,.
éprouvant de la gêne dans son travail, il dut se faire faire des rabots à poignées.
A dater de cette époque, la difficulté des mouvements augmenta lentement,
progressivement et devint telle enfin que en 1893 il dut renoncer à son travail,
d'autant plus qu'il survint dans l'articulation de l'épaule droite une douleur
irradiant dans le bras. Ce bras lui paraissait lourd ; parésie assez accentuée.
Il affirme n'avoir jamais eu de fièvre.
Depuis quelque temps le malade, qui avait toujours été légèrement voûté,
s'aperçut que la tête tombe en avant.
État actuel. - Constitution très débilitée. Facies anémié; légère bouffissure
de la face, décoloration des muqueuses, aspect dégénéré ; crâne en pointe ;
barbe rare, front couvert. Pouls régulier, égal, à 80. Respiration normale.
Eczéma localisé aux membres inférieurs et au niveau du coccyx.
Troubles trophiques. - Atrophie totale des éminences thénar et hypothé-
nar, des interosseux. Entre le premier et le second métacarpien, il existe une
dépression considérable, où il ne semble rester aucune fibre musculaire. Atro-
phie notable des muscles de l'avant-bras et du bras, surtout accentuée aux
groupes dorsaux et plus marquée à droite.
partie moyenne tiers supérieur tiers inférieur
Circonf. avant-bras droit 16 15 22
- - gauche 18 15 22
bras droit » 23 20
gauche 0) 25 20,5
Subluxation carpo-radicale bilatérale.
Le deltoïde est légèrement atrophié, mais vu l'élévation de l'humérus sur
laquelle nous allons revenir, l'empreinte deltoïdienne se rapproche des inser-
tions supérieures, et le deltoïde devient saillant.
Tremblement fibrillaire des muscles, ondulations spontanées, s'exagérant
par un léger choc.
A droite, la tête de l'humérus frotte très nettement contre la cavité glénoï-
dienne en donnant la sensation de contact de deux surfaces rugueuses ; elle est
usée et luxée en haut. En sorte qu'en cherchant dans le creux de l'aisselle, on
ne peut arriver à saisir la tubérosité. Cette luxation se serait produite brus-
quement ; le malade dit avoir senti un beau matin « son épaule descendre ».
Il existe au niveau du scapulum une plaque osseuse ostéophytique de 8 cent-
mètres de longueur sur 5 centimètres de haut, à grand diamètre aciléro-postérie : ir,
un peu plus large en avant, à contours irréguliers, a surface mamelonnée, faisant
corps avec l'omoplate, d'une dureté osseuse caractéristique, non mobile (PI. LXII,
fig. K). On ne peut, en palpant les téguments, faire la part de ce qui revient à
l'os scapulaire et aux formations nouvelles.
A gauche, on sent quelques craquements en faisant jouer l'articulation ; l'ex-
trémité externe de la clavicule est luxée et mobile.
378 G. BTIENNE '
Le malade ne peut élever le bras droit jusqu'à la verticale ; pour arriver à
amener la main droite derrière la tête, il fait intervenir des mouvements de
latéralité, mettant le coude horizontalement, la main contre la joue, puis la
faisant glisser derrière le cou.
Les mouvements de pronation et de supination et tous les mouvements de
la main sont possibles, mais le pouce droit ne peut être écarté en abduction
forcée. -
Dynamomètre : main droite, 12 ; main gauche, 35.
Les sterno-cléido-mastoïdiens sont réduits à l'état d'une lame extrêmement
mince ; les trapèzes, les pectoraux, les sous-épineux sont presque complète-
ment atrophiés. Les grands dentelés et les muscles du cou ont totalement dis-
paru.
La tête pend en avant, et le malade éprouve une grande difficulté à la rele-
ver (fig. H, K). Dans cette position, les deux lames supérieures du trapèze dont
il ne reste que l'aponévrose, forment de chaque côté du cou une sorte de repli
très mince reliant le tubercule occipital aux épaules.
L'omoplate gauche est complètement détachée du tronc, l'angle inférieur re-
levé est attiré en dedans.
L'atrophie est beaucoup moins marquée à la partie inférieure du tronc et aux
membres inférieurs (fig. H). ,
Circonférence, partie moyenne de la cuisse droite, 40 cent. 5 ; gauche,
42 centimètres.
Circonférence, partie moyenne de la jambe droite, 31 cent. 5 ; gauche,
31 centimètres.
Le malade peut s'asseoir seul dans son lit sans se servir des mains ; une fois
assis, pour se coucher, il retombe brusquement en arrière, entraîné par le
corps, qui, dit-il, a un poids énorme. Même sensation subjective de poids
pendant la marche.
Le malade se tient debout, bien que titubant un peu ; il peut se tenir sur un
pied, même les yeux fermés. Il marche encore assez facilement, mais lourde-
ment, et il peut se retourner avec rapidité.
Craquement dans les articulations des genoux.
La face amaigrie n'est pas intéressée par l'atrophie musculaire.
Réaction de dégénérescence dans tous les muscles.
RÉACTION ÉLECTRIQUE.
1° Electricité galvanique.
A. Muscles.
Biceps du bras : NFC < PFC.
A droite, NFC = 11 m. a., PFC = 6 m. a.
A gauche, NFC = 9 m. a., PFC = 3 m. a.
Triceps, chef interne : NFG < PFC.
A droite, NFC = 9 m. a., PFC = 4 m. a.
A gauche, NFC = 8 m. a., PFC = 4 m. a.
ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 379
Deltoïde : NFC < PFC.
A droite, NFC = 13 m. a., PFC = 8 m. a.
A gauche, NFC = 4 m. a., PFC = 3 m. a.
Extenseur commun : NFC < PFC.
A droite, NFC = 4 m. a., PFC = 3 m. a.
A gauche, NFC = 5 m. a., PFC = 6 m. a. (1)
Long supinateur : NFC < PFC.
A droite, NFC = 4 m. a., PFC = 2 m. a.
Adducteur du pouce : = NFC < PFC.
A droite, NFC = 0 contrait., PFC = o contract.
A gauche, NFC = 3 m. a., PFC = 0,5 m. a.
30 interosseux dorsal : NFC < PFC.
A droite, NFC = 3 m. a., PFC = 2,5 m. a.
Trapèze : NFC < PFC.
A gauche, NFC = 12 m. a., PFC = 4 m. a.
B. Nerfs. '
Médian : NFC < PFC.
A droite, NFC = 4,5 ; PFC = 5.
A gauche, NFC = 6 ; PFC = 6. '
2° Electricité faradique.
Appareil de Dubois-Reymond ; interrupteur à balancier de Gaiffe. Bobine a
fil moyen.
A. - Muscles.
Biceps : à droite, 7,5 c. m. ; à gauche, 8,56 m. ; Trapèze : à droite, 8 c. m. ;
à gauche 10 c. m. ; Deltoïde : à droite, 9,5 c. m. ; à gauche, 9,5 c. m. ;
Triceps : à droite, 5,5 c. m. ; à gauche, 6,5 c. m. Long supinateur : à droite,
6 c. m. ; à gauche, 5,25 c. m. Extenseur commun : à droite, 6 c. m. ; à gau-
che, 6,5 c. m. Fléchisseur commun : à droite, 7, 75 ; à gauche, 5,75. Petit ad-
ducteur du pouce : à droite, o, contract. ; gauche, o, contract. Court adduc-
teur du pouce : à droite, o, contract. ; à gauche, 4 c. m. Triceps de la cuisse :
à droite, 8,5 c. m., à gauche, 6 c. m. Extenseur du gros orteil : à droite,
3,5 c. m. ; à gauche, 4,5 c. m. Masséter ; à droite, 6, à gauche, 7.
B. - Nerfs.
Nerfs médians ; à droite, 7,25 c. m. ; à gauche, 7,50 c. m. Crural : à droite,
4 c. m. ; à gauche, 3,5 c. m.
La sensibilité à la piqûre est normale partout, sauf aux jambes où elle est
très légèrement retardée (au niveau des plaques d'eczéma). Il n'y a jamais eu
de douleurs spontanées d'aucune sorte : crises gastriques, vésicales, rectales,
douleurs lancinantes ou térébrantes, etc.
Réflexes patellaires normaux ; pas de phénomènes du pied. Les pupilles ne
réagissent que faiblement à la lumière et à l'accommodation. Pas de diplopie;
pas de chute de la paupière.
L'intelligenee, la mémoiro sont bien conservées ; la parole est nette.
Grande suffisance et satisfaction personnelle; léger tremblement; insomnies;
380 ' ' G. ÉTIENNE
le malade ne se trouve jamais bien au lit, il se relève, se recouche, est agité.
Pas de cauchemars ; pas de céphalée.
Appareil digestif. - Il n'existe pas de gêne de déglutition ; quelques trou-
bles gastriques sans importance; sensation de pesanteur. Pas de dilatation de
l'estomac ; constipation habituelle, hémorrhoïdes ; pointe de hernie inguinale
bilatérale. Le foie et la rate ne sont pas augmentés de volume; sensation de
soif continue.
Appareil génito-1t1'inaire. - Pas de troubles vésicaux ; on note une diminu-
tion considérable de l'urée (Il gr. 87) ; de l'acide phosphorique total (0 gr. 75
en 24 heures).
Abolition du sens génital depuis 4 ans ; pas de spormatorrhée.
Appareil respiratoire. Signes stéthoscopiques nets d'induration bacillaires
à droite.
Appareil circulatoire. Léger éclat diastolique à la base; pas d'hypertrophie
cardiaque, artères un peu dures.
Le malade quitte le service, mais vient très souvent se faire examiner; il
reste en surveillance médicale continue.
, Le 1 avril 18S)5, Geof... se présente à la clinique, montrant une tumeur grosse
comme une tête de foetus qui se serait formée subitement, le matin même, en
s'accompagnant d'une douleur très vive, au moment où, en essayant de s'habil-
ler, il avait fait un faux mouvement et était tombé.
Cette tumeur est bleuâtre, ecchymotique ; elle est de consistance molle,
comme gélatineuse, fluctuante.
Trois semaines plus tard, la tumeur est encore sensible à la pression, ayant
la forme d'un épais bourrelet dans l'aisselle; la peau la recouvrant a sa cou-
leur et son aspect normaux ; fluctuation vague. Tuberculose pulmonaire au dé-
but.
En juillet, orchite tuberculeuse du testicule droit.
En septembre, on constate la présence au niveau de l'articulation scapulo-
humérale droite, d'une nouvelle plaque ostéophytique, large de près de 10 centi-
mètres, en forme de cuirasse, située en arrière des anciennes.
25 octobre. Le malade absolument impotent, rentre à la clinique.
L'atrophie musculaire est au maximum, état squelettique. Cachexie pro-
fonde.
- Large eschare sacrée, profonde, mettant à nu le sacrum, à surface noirâtre.
Eschare, large comme une pièce de 5 francs, au niveau de la clavicule droite,
un centimètre en dehors de l'articulation sterno-claviculaire, au point où le
menton vient appliquer sur la clavicule. Depuis longtemps, en effet, par suite de
l'atrophie précoce des muscles de la nuque, la malade porte la tête penchée en
avant, ainsi que le montrent les photographies (V. fig. II, K, pl. LXII) publiées.
Très rapidement, en quelques jours, la clavicule se dénude, puis la peau du
menton s'escharifie à son tour.
Eschare noirâtre, ayant 4 centimètres de diamètre, au niveau de la pointe de
l'omoplate droite ; eschare semblable au niveau de l'épine de l'omoplate gauche. : Le bourrelet pseudo-oedématéux de l'aisselle droite persiste.
ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 381'
Ulcération de la cornée gauche.
Cachexie extrême.
A aucun moment le malade n'a présenté le moindre accident bulbaire. Le
malade succombe à une véritable cachexie trophique, le 29 octobre 1895 à
7 heures du matin.
Autopsie le même jour, à 10 heures du matin.
Le cadavre est en parfait état de conservation.
On est immédiatement frappé de la multiplicité, de l'étendue et de la pro-
fondeur des eschares.
1° L'eschare sacrée, mesurant 16 centimètres de largeur sur 12 de longueur,
est très profonde; en raison de l'atrophie musculaire, le plan du muscle a pour
ainsi dire totalement disparu, et l'on arrive directement de la peau sur le sa-
crum à nu.
1° Eschare profonde au niveau de l'épine de l'omoplate gauche, mesurant
4 centimètres sur 2.
3° Eschare sur le bord gauche de la colonne vertébrale, dont les dimensions
atteignent 6 centimètres sur 4. '
4° Eschare au niveau de l'angle de l'omoplate droite, ayant 8 centimètres.
sur 5. -
5° Eschare de 3 centimètres de longueur, étendue suivant l'axe de la clavi-
cule droite, arrivant jusqu'à 1 centimètre en dehors de l'articulation sterno-'
claviculaire. La clavicule est à nu.
6° Cette eschare claviculaire correspond symétriquement à une autre eschare
située sur le trajet de la branche horizontale du maxillaire inférieur, mettant
cet os complètement à nu sur une longueur de 5 centimètres.
7° Petite eschare superficielle, de 1 centimètre de circonférence, au niveau
du cartilage thyroïde.
Ulcération profonde de la cornée de l'oeil droit.
A l'ouverture de la tumeur axillaire, on constate qu'elle est constituée par
une poche développée dans le tissu cellulaire sous-cutané dont les mailles se
sont refoulées, communiquant largement et librement avec l'articulation sca-
pulo-humérale par un orilice situé à la partie inférieure de celle-ci et large
comme une pièce de cinq francs (V. fig. N, pl. LX111) (1).
Au moment de l'effort fait par le malade, il s'est donc produit une rupture de
la synoviale avec irruption du liquide articulaire qui a refoulé le tissu cellulaire,
a formé une poche, s'est enkysté, après avoir pour ainsi dire imbibé le tissu
lâche environnant, d'où la teinte ecchymotique prise par la tumeur axillaire
après l'effraction. Mais il est important de noter que la cavité était formée ex-
clusivement par le tissu cellulaire refoulé, sans épaississement, sans formation
de parois enkystantes.
Cette poche renfermait un demi-litre de liquide brunâtre, très trouble.
Articulation scapulo-humérale droite. - La capsule, énormément distendue,
(1) Les photographies de ces arthropathies sont dues à M. L. Spillmann, interne
des hôpitaux. '
382 G. ÉTIENNE
à parois amincies, mesure 13 centimètres en hauteur, 7 cent. 5 de largeur
(fig.N, L).
A l'intérieur, on constate la disparition totale de la tête humérale (fig. N).
A la périphérie de l'articulation existe une série d'ostéophytes siégeant au
niveau des tendons péri-articulaires d'insertion musculaire.
Io A l'insertion supérieure du deltoïde est une plaque (fig. M, L) osseuse en
forme d'épaulette, mesurant 7 centimètres dans sa dimension antéro-posté-
rieure, 5 centimètres de hauteur et environ 2 centimètres d'épaisseur. En bas,
l'épaisseur diminuait progressivement et la plaque devenait presque tranchante
en haut.
2o Plaque mesurant 3 centimètres sur 2, aplatie, ronde, en forme de pastè-
que, au niveau de l'insertion commune du petit pectoral, de la courte portion du
biceps et du coraco-braclaial (fig. L).
3° De l'insertion de la longue portion du biceps part une plaque large de 2 cen-
timètres, s'étendant sur le trajet du muscle sous forme de fuseau ostéophytique
sur une longueur de 8 centimètres (fig. L).
4° Nodule osseux ayant les dimensions d'une noix à l'insertion de la longue
portion du triceps (fig. M). ,
5° Nodule comme un gros pois à l'insertion du sous-épineux.
Appareil nerveux. - Moelle. - La moelle ne présente aucune altération ma-
croscopique, en aucun point n'existe ni renflement anormal ni aplatissement,
A la coupe, ni tumeur gliomateuse, ni cavité.
Examen histologique. Sur les coupes, les cornes antérieures sont légè-
rement diminuées de volume. Les grosses cellules des groupes antérieurs sont
beaucoup moins nombreuses que d'habitude; elles sont atrophiées et n'occupent
qu'une faible partie de leur loge. Elles sont déformées (1), vaguement arron-
dies, beaucoup sont réduites à de petits amas de granulations. Leurs prolonge-
ments sont peu nombreux, courts, ratatinés ; quelques cellules en sont totale-
ment dépourvues.
Parmi ces cellules plus ou moins altérées, on en retrouve un certain nom-
bre intactes.
Je n'ai pas relevé la zone de dégénérescence partielle du faisceau fondamental
antérieur, si nette sur les coupes de J.-B. Charcot.
Coloration par la méthode de Nissl. Disparition centrale du corps de
Nissl ; aspect très grenu, coloration diffuse. 11 ne persiste que quelques cor-
puscules à la périphérie.
Tendance du noyau à devenir périphérique, dans bon nombre de cellules.
Ilérnatox ! Jline d'Heidenhain et éosine. - Névroglie augmentée de quantité ;
les travées sont notablement épaissies. Cylindre-axe persistant dans tous les
tubes. A la périphérie, les contours de la moelle sont fortement ondulés ; dé-
pression assez forte en vallées et en sillons. Sclérose vasculaire.
Le canal de l'épendyme est presque complètement obstrué par un amas de
(1) Etudiant ici l'atrophie musculaire myélopathique au point de vue clinique, je
renvoie aux figures reproduisant ces lésions, Revue de médecine, 1899, p. 557 et seq.
ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 383
cellules épithéliales (1) provenant de la desquamation de l'épithélium épendy-
maire, devenues cubiques par tassement et déformation. De la cavité centrale
partent quelques petits diverticules.
Il est impossible de confondre cet amas cellulaire intra-épendymaire avec un
gliome.
Cotation de Weigert, après fixation par le formol et mordançage prolongé
par le liquide d'Erlich. Altération de la myéline; sclérose disséminée dans les
cordons postérieurs ; disparition dans un certain nombre de tubes du faisceau
de Goll. Cette altération est déjà signalée dans l'observation IV de J.-B. Char-
cot.
Toutes ces altérations sont identiques dans la moelle cervicale et dans la
moelle lombaire.
Les racines ne présentent pas d'altérations notables.
Nerfs périphériques. - Petits filets musculaires de l'éminence thénar. - Dis-
parition très marquée des fibres nerveuses ; très nombreux tubes sans cylindre-
axe. Augmentation très considérable du tissu conjonctif interstitiel, dont des
ilots et des tractus découpent la largeur du filet nerveux.
Médian, eM&t<6tt)Y<t. Epaississement du tissu conjonctif, diminution
du nombre des filets nerveux ; nombreuses gaines vides. Mais lésions très nota-
blement moins prononcées que dans les petits filets terminaux.
Muscles. - Atrophie musculaire extraordinaire surtout du côté droit. De ce
côté, tous les muscles du membre supérieur sont pour ainsi dire totalement
disparus, complètement décolorés ; à la main, surtout, les muscles de l'éminence
thénar sont réduits à quelques fibres blanches, nacrées, de consistance et d'as-
pect gélatineux.
Les muscles périscapulaires manquent. Les muscles du tronc, thorax, abdo-
men et bassin, ceux du cou, ceux du membre supérieur gauche, ceux des
membres inférieurs, n'apparaissent plus que sous forme de minces lames ou de
minces cordelettes des plus réduites, peu colorées.
Par contre, si la face est émaciée, les muscles de la face, les masséters, les
muscles de la langue et du voile du palais paraissent à peu près normaux.
A l'examen histologique, sur tes coupes transversales des muscles de l'éminence
thénar droite, on trouve de grandes différences entre les dimensions des fibres,
dont beaucoup sont amincies. Atrophie simple, augmentation du tissu con-
jonctif, notable prolifération nucléaire.
Plèvres. Dans la cavité pleurale droite existait une notable quantité de
liquide citrin ; adhérences pleurales cédant facilement.
Poumon, à gauche, congestion à la base ; bronchite. Infiltration tuberculeuse
du sommet, tubercules gris, durs, crus. A droite, atélectasie des lobes inférieur
et moyen avec infiltration de tubercules ; bronchite. Dans le lobe supérieur,
tubercules crétacés. '
C ? Surcharge graisseuse légère. Quelques plaques laiteuses au ni-
(1) Brissaud, De la névroglie dans la moelle normale et dans lasyringomyélie, Revue
neurologique, 1894, p. 5't5.
384 ' G. ÉTIENNE
veau des faces antérieures et postérieures, surtout au niveau du ventricule
droit. '
Aucune lésion valvulaire.
Les parois du coeur sont épaissies, couleur feuilles mortes, quoique encore
assez fermes.
' Quelques végétations athéromateuses molles sur la crosse de l'aorte.
Foie. - Gros, pâteux, mais non friable; légère congestion veineuse.
Rate un peu grosse, de consistance normale.
Reins. Pas de délimitation nette entre les deux substances corticale et
centrale ; décortication difficile.
1 ' Le tissu est grisâtre, décoloré, granuleux à la surface, avec nombreuses dé-
pressions de néphrite interstitielle.
Orchite tuberculeuse double.
Dans cette observation, le diagnostic différentiel avec la syringomyélie
se posait ; mais tous les signes d'ordre sensitifs de cette maladie faisaient
défaut; aussi n'avons-nous pas hésité à maintenir le diagnostic d'atro-
phie musculaire progressive, myélopathique, vérifié d'ailleurs ultérieure-
ment par l'autopsie et les recherches histologiques. Sans doute, nous
avons bien constaté des lésions de névrite périphérique ; le contraire seul
serait étonnant, d'après ce que nous connaissons actuellement de la pa-
thologie nerveuse ; mais rien ne permet de penser que cette névrite fût
primitive;
Ce cas d'arthropathie dans la poliomyélite chronique paraît unique dans
la littérature médicale. Charcot, et après lui MM. Grasset et Rauzier, ont
attribué à l'atrophie musculaire progressive les faits d'arthropathie rap-
portés par Remak, Patruban et Rosenthal ; les deux premiers ne sont que
des nodosités osseuses aux mains et aux doigts chez des nerveux ; quant au
troisième, celui de Rosenthal, il paraît devoir rentrer dans la syringo-
myélie (1).
.
.. x
· En somme, dans chacune de ces six observations, nous rencontrons
quelques particularités s'écartant plus oumoins du schéma classique : évo-
lution plus rapide (observation I), début plus précoce (observation II),
mode dé début (observations III et IV) ; présence d'antécédents poliomyé-
litiques (paralysie infantile) personnels (observations II et'IV) ou hérédi-
taires (observation V) ; présence d'accidents trophiques anorniaux (obser-
vation VI).
Et cependant ces anomalies sont insuffisantes pour différencier réelle-
(1) P. LoNDE, De 1'(i ? ,thi,opathie nerveuse vraie et des troubles trophiques articulaires
d'apparence rhumaloïde. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1898.
ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 385
ment ces cas l'un de l'autre ; si, par exemple, l'atrophie débute par les
muscles scapulaires ou par les muscles des avant-bras, au lieu de débuter
par les petits muscles de la main, nous trouvons dans ces cas la même loi
fixant le point de départ; l'intervention de troubles trophiques articulai-
res ou tégumentaires ne modifie pas l'évolution des troubles de trophicité
musculaire; etc.
Toules ces observations, malgré leurs variantes de détail, conservent,
comme nous le disions au début, un air de famille, qui, mieux que toute
autre base, constitue un groupe clinique bien défini. Que la syringomyélie,
que d'autres lésions médullaires venant atteindre secondairement les grou-
pes cellulaires des cornes antérieures, lui empruntent son aspect clinique,
cela s'observe ; mais il n'en reste pas moins l'ensemble des faits dans les-
quels le syndrome décrit par Duchenne et par Aran se trouve uni à sa lésion
anatomo-palhologique bien connue, l'altération des grosses cellules des
cornes antérieures essentiellement atteintes (observations I et VI) ; dans les-
quels le rôleétiologique du surmenage musculaire apparaît nettement dans
la détermination de la première localisation atrophique ; dans lesquels par
conséquent se retrouvent les éléments constitutifs d'une maladie bien in-
dépendante, bien caractérisée, l'atrophie musculaire progressive d'origine
myélopathique, poliomyélitique.
Mais cette maladie n'est pas isolée dans la pathologie ; assez fréquem-
ment la lésion s'étend aux cellules des noyaux antérieurs et inférieurs du
bulbe, et la maladie de Duchenne-Aran se complique du syndrome labio-
glosso-laryné (observations I, V). Parfois les lésions débutent dans ces
noyaux du bulbe, restent localisées et constituent la paralysie labio-glosso-
laryngée progressive essentielle; à un étage encore plus élevé, nous avons
l'ophtalmoplégie nucléaire progressive. Il existe donc une série morbide
constituée par l'atrophie musculaire myélopathique progressive, la para-
lysie Iabio-glosso-Iaryngée progressive, l'ophtalmoplégie nucléaire pro-
gressive, trois termes caractérisés analouio-palhologiquemenlpar la même
lésion du même appareil nerveux pris en des étages différents, pouvant se
succéder par extension ou pouvant exister isolément ; ce sont trois locali-
sations d'un même processus ; mais au point de vue général, ils constituent t
une seule maladie.
ni 26
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE
AMYOTROPHIE DOUBLE DU TYPE SCAPULO-IIUMÉRAL
CONSÉCUTIVE A UN TRAUMATISME UNILATÉRAL EXTRA-ARTICULAIRE (1),
PAR
GEORGES GUILLAIN
Interne à la Salpêtrière.
Si les 'observations d'atrophies musculaires survenant à la suite d'une
lésion articulaire sont relativement banales, s'il est fréquent après une
arthropathie infectieuse, après une arthropathie traumatique de voir les
muscles extenseurs des articulations lésées s'atrophier, ils sont de beaucoup
plus rares les cas d'amyotrophie qui succèdent à des traumatismes, à des
lésions extra-articulaires. Parmi les multiples individus qui tombent, se
contusionnent ou un bras ou une jambe, qui reçoivent un traumatisme
violent, qui ont des plaies qui saignent, ils sont peu nombreux ceux qui
après leur accident voient se développer une atrophie musculaire et ils
sont très rares ceux qui, à l'occasion d'un traumatisme unilatéral, font une
amyotrophie bilatérale. M. Charcot (2), dans une de ses leçons à l'hospice
de la Salpêtrière, disait : « le malade que nous allons examiner nous four-
nira le motif d'une étude clinique intéressante. Il appartient en effet à un
groupe de cas encore peu connus et sans doute mal interprétés. Un trau-
matisme parfois léger et banal portant sur un point quelconque du mem-
bre inférieur peut devenir le point de départ d'une impuissance motrice
relative avec atrophie plus ou moins prononcée et parfois très prononcée
de ce membre. »
L'observation que nous rapportons est celle d'un malade observé dans
le service de M. le professeur Raymond. Ce malade s'est présenté à la
consultation de la Salpêtrière avec une atrophie scapulo-humérale bila-
térale. En présence de telles atrophies musculaires, il est d'une importance
capitale de faire un diagnostic étiologique, de savoir s'il s'agit d'une ma-
ladie curable, ou au contraire s'il s'agit d'une affection de la moelle incu-
rable souvent, parfois mortelle.
(1) Le malade qui fait le sujet de cette observation a été présenté par M. le profes-
seur Raymond à l'une de ses policliniques du mardi. G. G.
(2) Charcot, Amyotrophies spinales réflexes d'origine articulaire. Progrès médical,
1893, p. 225.
amyotrophie double du TYPE scapulo-huméral 387
OBSERVATION.
Le 13 juin 1899 se présentait à la consultation de la Salpêtrière un
homme de 63 ans, P.... Alexandre, jardinier de son état. Il venait con-
sulter parce qu'il lui était difficile de soulever les bras, il avait perdu ses
forces, il avait vu ses bras maigrir, bref il lui était impossible de continuer
sa profession, impossible de faire usage de ses membres supérieurs. Cette
impotence de ses membres supérieurs elle existait depuis plusieurs mois,
et elle était consécutive à un accident que nous a raconté le malade. C'était
en 1898 le 4 juin, il revenait de son travail le soir ; au tournant d'une
rue il trébuche, il fait un faux pas, il tombe ; par un hasard malheureux
une voiture survient, une roue passe sur son bras droit vers le haut du
bras, le marchepied atteint sa joue, il saigne. Il est étourdi par ce trau-
matisme, on le relève, on le porte dans une pharmacie, on panse sa joue,
et il rentre chez lui seul. Il ne souffrait que fort peu de son bras, le re-
muait avec facilité. Le lendemain il va à l'hôpital Bichat; on lui assure
qu'il n'a ni fracture ni luxation de l'épaule, une simple contusion. Tou-
tefois avant de travailler de nouveau au jardinage,' le malade préfère se
reposer quinze jours, il reste donc chez lui sans souffrance de ses bras,
s'habillant et se déshabillant seul, conservant en un mot tous les mouve-
ments normaux dans les articulations de l'épaule droite et gauche. Quel-
que quinze jours après son accident, c'était au mois de juillet 1898, il
veut reprendre ses travaux, mais il a de la difficulté légère à soulever son
bras droit, et celte difficulté persiste, bien plus elle augmente. D'ailleurs
son articulation n'était pas douloureuse, elle n'était pas augmentée de
volume, il n'y avait pas d'arthrite, au contraire le malade constate que
son bras, que son épaule ont maigri. Cette impotence fonctionnelle, cet
amaigrissement de la région scapulo-humérale droite persistent et aug-
mentent ; il travaille, mais le travail lui est pénible, et cet état anormal
dure des mois. En 1899, vers le mois de février, la malade, qui jusqu'alors
avait conservé tous les mouvements dans le bras gauche, fit la constatation
que son bras gauche devenait lourd, qu'il se fatiguait facilement et aussi
qu'il maigrissait. Il souffrait môme légèrement dans l'épaule gauche. Cet
état s'accentua, l'impotence devint grande à gauche comme elle l'était à
droite, et c'est pour cette impotence, pour cet amaigrissement de ses épau-
les et de ses bras que cet homme venait à la Salpêtrière, n'ayant pas en-
core consulté pour sa maladie, n'ayant fait aucun traitement.
Les antécédents de cet homme sont peu instructifs. Son père, qui tou-
jours aurait joui d'une bonne santé, serait mort en 1870 de la variole. Sa
mère serait morte en 1882 d'une maladie qu'il ne peut spécifier. Il n'a eu
ni frères, ni soeurs. Dans ses antécédents, il n'existe aucune affection ner-
veuse particulière et son père était, paraît-il, d'une sobriété parfaite.
388 G. GUILLAIN
Il naît à terme, il eut une enfance normale sans convulsions, sans fièvres
éruptives. A 19 ans, il contracte une biennorrhagie ayant d'ailleurs vite
guéri. Jl se marie à vingt-trois ans, sa femme a troisenfants, tous en bonne
santé, dont l'aîné aujourd'hui a 40 ans. A 33 ans il se souvient d'une af-
fection intestinale violente, qu'on lui dit être la dysenterie, il fut deux
mois malade, il guérit. Tels sont ses antécédents personnels. On ne trouve
chez lui ni stigmates arthritiques, ni stigmates nerveux. Ce n'est pas un
syphilitique, ce n'est pas un alcoolique ni un absinthique, ce n'est pas un
scléreux.
Notre malade âgé, avons-nous dit, de G3 ans, est de taille plutôt infé-
rieure à la normale, présente toutes les apparences d'une très bonne santé
malgré son teint un peu pâle. Il est bien constitué, mais on est frappé de
suite, quand on le regarde, de l'amaigrissement de l'épaule et du brasdroi ts
et de l'amaigrissement moindre d'ailleurs du bras et de l'épaule gauches
(PI. LXIV, A). Il a, en un mot, l'aspect classique d'une atrophie mus-
culaire bilatérale scapulo-lmmérale. La maigreur des bras el de l'épaule
fait un contraste frappant avec les avant-bras et les mains qui ont conservé
leur aspect et leurs dimensions normaux. C'est avec la plus grande faci-
lité que l'on suit de bas en haut l'humérus, que l'on en perçoit toutes les
saillies, toutes les tubérosités. L'acromion et la coracoïde sont également
faciles à sentir. La paroi antérieure de l'aisselle n'est nullement atrophiée
et le muscle grand pectoral a son relief normal.
Quand on regarde le malade de dos, les bras tombant le long du corps,
l'épine de l'omoplate apparaît nettement et on peut constater la profon-
deur anormale des fosses sus et sous-épineuses témoignant de l'atrophie
des masses musculaires. L'omoplate est un peu élevée à droite. mais son
bord spinal n'est pas éloigné de la paroi thoracique. La paroi postérieure du
creux de l'aisselle est très amaigrie à droite, ce que l'on perçoit non seule-
ment par la simple inspection, mais en palpant avec la main la masse des
muscles ronds et grand dorsal.
Le malade a conservé tous les mouvements de ses doigts et de la main.
Il la l1échit et l'étend facilement sur l'avant-bras, il résiste très bien quand
on s'oppose à ces divers mouvements. Normaux sont les mouvements de
pronation et de supination de l'avant-bras. Il peut arriver fléchir l'a-
vant-bras sur le bras, mais oppose-t-on à ce mouvement une légère résis-
tance, alors la flexion est impossible, il n'a plus sa force habituelle dans
les muscles biceps et brachial antérieur surtout du côté droit. De môme
le triceps quoique relativement peu atrophié est incapable de vaincre une
résistance légère.
Il est impossible au malade de soulever les bras jusqu'à l'horizontale
(PI. LXIV, B et C). Les figures II et III montrent ce qu'il peut faire, ce
Nouv. Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XII. 111. LXIV
AMYOTROPHIE DOUBLE SCAPULO HUMERALE D'ORIGINE TRAUMATIQUE
(G. Guillain).
MASSON & cle, Edltcurs.
AMYOTROPHIE DOUBLE DU TYPE SCAPULO-UtIIIÉRAL 38D
sont les mouvements maximum qu'il peut donner, il lui est impossible de
lever les bras plus haut, partant il est incapable de porter les mains à sa
tête, il ne peut porter les bras en avant ni en arrière, ce qui témoigne de
l'impotence des faisceaux antérieurs et postérieurs du deltoïde; il a de
multiples difficultés pour rapprocher les épaules en arrière et malgré ses
efforts- il n'y parvient pas. les mouvements de rotation de l'humérus sont
très limités.
Les divers mouvements du cou sont normaux, le slerno mastoïdien a
conservé son aspect normal. Le malade étend et fléchit la tête facilement, il
la tourne à droite et à gauche, ses muscles faciaux sont normaux eux aussi.
L'atrophie musculaire, quoique bilatérale, est un peu plus marquée à
droite qu'à gauche. Alors que la mensuration du périmètre brachial faite à
10 centimètres au-dessus du pli de flexion du coude donne 24 centimètres
;t gauche, on ne trouve que 21 centimètres à droite.
Le malade n'a que peu de troubles de la sensibilité subjective, il n'a
jamais eu de fourmillements dans ses membres atrophiés, mais il a des
douleurs parfois dans les régions scapulaires. A droite et a gauche, la sen-
sibilité tactile est intacte. Le deltoïde droit et le deltoïde gauche sont un
peu douloureux à la pression profonde; il existe quelques craquements
dans les articulations scapulo-humérales ; ailleurs normale est la sensibi-
lité à la douleur, à la piqûre, normale aussi la sensibilité thermique; la
notion de position des membres est bien conservée, le sens musculaire est
intact, et la perception stéréognostique se fait normalement. Les nerfs ne
sont pas douloureux. '
Aucun tremblement fibrillaire ne se remarque sur les muscles envoie
d'atrophie, aucun trouble trophique sur les membres supérieurs du malade.
Les réflexes tendineux du poignet sont très exagérés à droite et à gau-
che, les réflexes olécraniens exagérés aussi. Les réllexes cutanés et périos-
tiques sont exagérés de même. Cette exagération des réflexes se retrouve
quoiqu'à un degré moindre au membre inférieur droit.
Voici l'examen des réactions électriques qui nous a été donné par M. le
D Huet.
L'incitabilité faradique est conservée dans les muscles trapèze, sous-
épineux, petit rond, rhomboïde et deltoïde des deux côtés. Les contrac-
tions sont bonnes.
L'incitabilité galvanique est diminuée dans les mêmes muscles à droite
et à gauche. Cette diminution est surtout marquée dans le faisceau anté-
rieur du muscle deltoïde droit dont les contractions sont moins brusques.
Pas d'inversion de l'action polaire en aucun point.
En dehors de cetle atrophie musculaire à type scapulo-liuméral le ma-
lade ne présente aucune autre affection. 11 n'a aucun stigmate d'hystérie.
390 G. GUILLAIN
Le champ visuel est normal, il n'a aucun trouble oculaire. Tous ses orga-
nes sont sains. La pression artérielle aux bras droit et gauche nous a donné
17 centimètres de mercure avec le sphygmomanomètre du Professeur Po-
tain, chiffre tout à fait normal. Les urines ne contiennent ni sucre, ni
albumine. Leur quantité varie de 1500 à 1800 grammes par 24 heures.
*
.... .
Nous n'avons pas cru devoir développer plus cette observation clinique
qui somme toute peut se résumer facilement. Il s'agit d'un homme en
très bonne santé, sans antécédents nerveux héréditaires ni personnels qui,
en 1898 au mois de juin, reçoit une contusion à la région humérale droite.
II n'a aucun accident immédiat, il continue à se servir de son bras. Un
mois après l'accident les mouvements deviennent difficiles dans l'épaule
droite et les muscles adjacents à l'articulation maigrissent. Sept mois après
l'atrophie se montre à l'épaule gauche et au bras gauche. Le malade se
présente à la Salpêtrière au mois de juin 1899 avec une atrophie nette
du type scapulo-huméral. C'est une atrophie musculaire s'étant dévelop-
pée progressivement sans troubles de sensibilité, sans troubles trophiques,
sans réaction de dégénérescence mais avec une exagération notable des
réflexes tendineux. La question se posait de savoir de quelle variété
d'atrophie musculaire il s'agissait chez cet homme ? Quelle était la cause
première, quel était le substratum anatomique, quel était le pronostic ?
.
x r
Nous croyons absolument inutile de discuter longuement le diagnostic
et de faire la séméiologie des diverses atrophies musculaires du type sca-
pulo-huméral. Il ne s'agit pas chez notre malade de paralysie hystérique,
il n'a aucun stigmate de la grande névrose. Ce n'est pas une paralysie ra-
diculaire traumatique bilatérale du plexus brachial dont d'ailleurs il n'existe
aucune raison pathogénique. Le malade est arrivé à un âge beaucoup trop
avancé pour que l'on puisse songer à une myopathie scapulo-humérale de
Erb. L'atrophie musculaire que nous constatons n'a aucun des caractères
de celles qui se voient au cours de névrites infectieuses ou toxiques. Il ne
s'agit pas d' atrophie musculaire progressive du type.c1l'an-Duchenne qui dé-
bute par les petits muscles des mains, ce n'est pas la forme scapulo-hu-
morale de Vulpian où les contractions fibrillaires existent, où se voit la
réaction de dégénérescence. Ce n'est pas une poliomyélite chronique, ce
n'est pas une syringomyélie traumatique, ce n'est pas une pachyméningite
cervicale hypertrophique, ce n'est pas une sclérose latérale amyotrophique.
Au contraire, l'atrophie musculaire présentée par le malade par ce fait
qu'elle est survenue après un traumatisme, qu'elle ne s'est pas accompa-
gnée de troubles de sensibilité, de troubles des réactions électriques, par
AMYOTROPHIE DOUBLE DU TYPE SCAPULO-HUMÉRAL 391
celait qu'il existe quelques craquements dans l'articulation scapulo-humé-
rale, par ce fait que les réflexes sont très exagérés, répond bien à la descrip-
tion des atrophies musculaires d'origine articulaire et abarticulaires dites
réflexes dont le pronostic n'est pas un pronostic très grave. Ce qui nous
paraît faire l'intérêt de notre observation, c'est la bilatéralité de l'atrophie
malgré l'unilatéralité du traumatisme.
S'il existe dans la littérature médicale des observations d'atrophies ré-
flexes abarticulaires unilatérales, il en est très peu qui puissent être mises
en parallèle avec celle que nous avons rapportée. Voici d'ailleurs les
quelques observations d'amyotrophies abarticulaires qui nous ont paru
intéressantes à rapprocher de la précédente.
Un jeune homme (1), âgé de 20 ans, occupé il fendre un tronc d'arbre,
reçoit à la partie antérieure de la jambe gauche un éclat de bois qui lui fit
une plaie confuse. Il y eut une douleur très vive et une petite hémorrha-
gie. La plaie guérit sans complication. Peu de temps après l'accident, le
malade qui n'avait pas cessé de travailler, remarqua que sa jambe s'était
affaiblie et qu'elle avait diminué de volume. A son entrée dans le service
de la clinique, plusieurs mois après le traumatisme, on constatait la pré-
sence de la cicatrice mesurant trois centimètres de longueur, elle était
située exactement à la paroi moyenne de la région antérieure de la jambe
gauche, elle n'était nullement douloureuse. Il existait une atrophie con-
sidérable de tout le membre inférieur portant sur les muscles de la jambe,
de la cuisse, de la fesse et ne prédominant pas sur tel ou tel groupe de
muscles. Il s'agissait d'une atrophie simple, sans réaction de dégénéres-
cence, sans contractions fibrillaires. Le réflexe rotulien était notablement
exagéré du côté malade. Pas de douleurs, aucun trouble de la sensibilité.
Le malade marchait sans difficulté, sans boiter. Il accusait seulement une
certaine faiblesse de son membre inférieur.
Un jeune, garçon (2) de dix-huit ans, employé de commerce, assis sur le
marchepied d'un wagon dans un train de banlieue, tombe sur la voie, et
se fait dans sa chute une légère érallure avec contusion au niveau du tiers
inférieur de la jambe gauche. Il put se relever aussitôt et faire une assez
longue marche après l'accident. La plaie guérit rapidement, mais au bout
de quelques jours il éprouva une sensation de faiblesse dans le membre
inférieur; bientôt il s'aperçut que sa jambe avait maigri ; il vint consul-
ter. Le membre inférieur était notablement atrophié dans ses trois seg-
ments (jambe, cuisse et fesse) ; toutefois l'atrophie prédominait manifes-
(i) Charcot, Progrès médical, 1893, p. 227.
(2) Charcot, loC. cit.
392 G. GUILLAIN
ment dans les muscles de la jambe. Atrophie simple, sans contractions
fibrillaires, sans réaction de dégénérescence. Les réflexes rotuliens étaient
exagérés des deux côtés, mais plus exaltés à gauche qu'à droite. Il n'y
avait pas de trépidation du pied, il n'existait aucun trouble de la sensi-
bilité, aucune douleur ni spontanée, ni provoquée. Tous les mouvements
étaient faciles, seulement le malade était incapable de se tenir longtemps
debout, de faire une course un peu longue sans éprouver un sentiment de
fatigue très marquée dans le membre inférieur malade.
Un jeune homme (1) héréditaire nerveux et nerveux lui-même dans le
cours d'une promenade en bicycle heurte violemment contre la pédale le
bord interne de son pied droit au-dessous de la malléole interne. Le gon-
flement survint dans la région contusionnée, et les médecins qui l'obser-
vèrent alors, diagnostiquèrent une ténosite des tendons fléchisseurs. Le
membre inférieur droit s'atrophie, et quand Charcot le voit, le malade
est obligé de s'aider d'une canne pour marcher. L'amyotrophie porte sur
la jambe, la cuisse, la fesse, elle est diffuse. Il n'y a pas de contractions
fibrillaires, pas de réaction de dégénérescence. Les réflexes rotuliens sont
exagérés des deux côtés. Il n'existe pas de troubles de la sensibilité.
Chez un autre malade de Charcot, une atrophie du même caractère s'é-
tait produite dans le membre inférieur droit à la suite d'une rupture mus-
culaire, de la déchirure du muscle soléaire.
Ces observations de M. Charcot sont absolument semblables à celle que
nous avons rapportée. C'est un traumatisme léger, vulgaire, banal, qui est
le point de départ d'une amyotrophie avec exagération des réflexes et ab-
sence de troubles de sensibilité. Quand Charcot publia des observations,
on connaissait déjà quelques faits semblables. Gosselin et Tillaux avaient
signalé des amyotrophies consécutives à des fractures. On en avait signalé
quelques cas à la suite des lésions phlegmoneuses ayant pour origine la
bourse du grand fessier. Von Lûcke avait mentionné le fait que la déchi-
rure d'un muscle pendant un effort peut en déterminer l'atrophie. Mais
ces observations, comme le dit Charcot, étaient exceptionnelles. Sans être
exceptionnelles, elles sont relativement rares si on les compare aux amyo-
trophies consécutives aux lésions des articulations qui, elles, sont fré-
quentes. '
M. le professeur Raymond rapportait récemment encore des exemples
d'amyotrophies réflexes d'origine articulaire (2). Dans l'une de ses observa-
tions, intéressante à cause de la bilatéralité de l'atrophie, il s'agissait d'un
(1) CHARCOT, loc. cit.
(2) Raymond, Atrophie musculaire d'origine réflexe. Bulletin médical, 28 mars 189'7 .
RAYMOI : OE, Atrophie musculaire réflexe. Journal de médecine et de chirurgie prati-
tiques, 1897, p. 809.
AMYOTROPIIIE DOUBLE DU TYPE SCAPULO-HUMÉRAL 393
homme de 45 ans qui, à la suite d'une course en bicyclette, eut une légère
arthrite tibio-tarsienne. Les muscles s'atrophièrent beaucoup au mollet et
à la cuisse, la marche devint impossible. Après une saison il Aix, la ma-
lade s'améliore, il reprend ses occupations, mais il y eut récidive et cette
fois l'atrophie envahit le côté gauche. Après un long traitement par le
massage el l'électricité la guérison fut à peu près.complète bien qu'il sub-
sistât un degré notable d'atrophie musculaire ainsi qu'une certaine exagé-
ration des réflexes. On trouvera dans une policlinique de Charcot (-1) une
intéressante observation de paralysie spasmodique amyotrophique de cause
articulaire. D'ailleurs nous croyons inutile demultiplierlescitations d'atro-
phies réflexes d'origine articulaire ; il s'agit là de faits bien connus et au-
jourd'hui classiques.
.. x
Les atrophies musculaires d'origine abarticulaire sont à rapprocher des
atrophies musculaires d'origine articulaire et cela de par l'évolution de
l'amyotrophie et sa guérison possible, de par l'absence de contractions
fibrillaires dans les muscles en voie d'amaigrissement, de par l'exagéra-
tion des réflexes tendineux, de par l'absence de la réaction de dégénéres-
cence. AuX'atrophiés musculaires d'origine articulaire et celles d'origine
abarticulaire sont applicables les mêmes notions pathogéniques, la même
interprétation étiologique. Cette pathogénie a été particulièrement étudiée
dans deux mémoires : l'un est de M. Raymond (2), l'autre de MM. Duplay et
Cazin (3). On trouvera dans ces deux travaux et aussi dans la thèse de Dero-
che (4) les développements historiques de la question, on y trouvera la
mention et la discussion des diverses théories proposées pour expliquer
cette variété particulière d'atrophie musculaire. Nous rappellerons briè-
vement certaines de ces théories intéressantes à connaître, car quelques-
unes d'entre elles sont encore défendues aujourd'hui.
1° Les muscles, a-t-on dit, s'atrophient parce que le membre est im-
mobilisé. C'est la théorie de Cruveilhier, d'Onimus, de Gillet. Max Sul-
zer (5) dans un travail récent défend encore cette opinion. Que l'inacti-
vité fonctionnelle ait une influence sur l'atrophie musculaire consécutive
à un séjour au lit de plusieurs- semaines ou de plusieurs mois chez un
malade ayant une lésion articulaire grave, une fracture maintenue sous
un appareil inamovible, il y a là un fait possible. Toutefois cette théorie
(1) Charcot, Leçons du mardi, t. 1, p. 243.
(2) RAYMOND, Revue de médecine, 1890, p. 374.
(3) Duplay et Cazin, Archives générales de médecine, 1891, p. 5.
(4)=Dsuocur, Th. Paris, 1890.
(5) Max SULZEI1, Allalomische Unteosuchurtgeu Uber llttskelatropltie arlicul. Uo-
sprungs, Basel, 1891. Analyse in Neurologisches Cenlralblalt, 1891, p. 845.
394 G. GUILLAIN
ne peut se généraliser,. elle ne peut expliquer tous les cas. Valtat (1) a
bien montré que, dans certaines observations, au bout de trois à quatre
jours la paralysie du muscle extenseur du genou peut exister, que, au
bout de dix à douze jours, l'atrophie est nette. Expérimentant chez les
animaux en injectant des liquides irritants dans les jointures, Valtat a
trouvé que déjà six jours après l'opération le mnscle extenseur correspon-
dant à l'articulation lésée a perdu 1/5 de son poids. Le jeune homme de
Charcot, dont nous avons rapporté plus haut l'observation, qui reçoit à la
jambe un éclat de bois et qui fait dans la suite une atrophie massive de
sa jambe, avait continué son travail. L'employé de commerce, qui sur le
marchepied d'un wagon tombe et s'érafle la jambe, fait une longue mar-
che après l'accident et ne s'immobilise pas. Le malade qui fait le sujet de
notre observation avait tous les mouvements de son bras normaux après
son accident. Donc la théorie de l'inactivité musculaire est insuffisante.
2° On a invoqué une névrite de voisinage. C'est une théorie soupçonnée
par Sabourin (2), développée spécialement par Descosse (3). L'iiiflamma-
tion partie de l'articulation se propagerait à l'enveloppe fibreuse des fais-
ceaux musculaires et de là au névrilème des dernières ramifications ner-
veuses. Les examens histologiques n'ont pas confirmé cette théorie. Otto
Kiliani (4), pour expliquer les atrophies consécutives aux fractures, admet
que le sang épanché au niveau du foyer de la fracture peut jouer le rôle
de corps toxique et agir comme un véritable poison.
3° La théorie de la propagation aux muscles de l'inflammation articu-
laire est infirmée, comme le disent MM. Duplay et Cazin, par les examens
histologiques. Elle ne peut d'ailleurs s'appliquer aux amyotrophies déve-
loppées à distance ou généralisées à un membre tout entier, ni rendre
compte de la rapidité avec laquelle ces atrophies peuvent se produire.
4° La théorie réflexe est la théorie admise aujourd'hui par la plupart
des neurologistes. Cette théorie soutenue par Vulpian, Valtat (5), Le
Fort (6), Charcot (7) a été expérimentalement prouvée par M. Ray-
mond (8). M. Raymond, chez les animaux, en injectant dans l'articulation
du genou soit du nitrate d'argent, soit de l'essence de térébenthine, a
amené la production d'atrophies musculaires ayant des caractères cliniques
(1) VALTAT, De l'atrophie musculaire consécutive aux maladies des articulations.
Th. Paris, 1877.
(2) Sabourin, De l'atrophie musculaire rhumatismale. Th. Paris, 1873.
(3) Descosse, Troubles nerveux locaux consécutifs aux arthrites. Th. Paris, 1880.
(4) OTTO Kiliam, Muskelatrophie nach Fracluren. Neurologisches Centralbl., 1897,
p. 846.
(5) VALTAT, IOC. cit.
(6) LE Fort, Société de chirurgie, 1872.
(7) Charcot, OLuvres complètes, t. 111, p. 23.
(8) Raymond, Revue de médecine, 1890, p. 374-392.
AMYOTROPHIE DOUBLE DU TYPE SCAPULO-HUIIfÉRAL 395
analogues à ceux que l'on constate chez l'homme. On voyait apparaître
chez les animaux l'impotence fonctionnelle, l'exagération des réflexes,
l'atrophie musculaire. Dans aucune de ses expériences M. Raymond n'a
constaté d'anesthésie, d'analgésie, mais souvent de l'hyperesthésie cuta-
née. M. Raymond a fait voir que l'atrophie musculaire ne se produit pas
si les racines postérieures de la moelle qui concourent à l'exercice de la
réflectivité des muscles sont sectionnées ou détruites. L'absence physiologi-
que des cordons latéraux chez les animaux nouveau-nés, leur destruction
ou leur section chez les adultes ainsi que l'hémisection de la moelle accé-
lèrent la marche de l'atrophie musculaire dans le membre correspondant
dont une articulation a été lésée, mais n'influent pas sur la marche de l'a-
trophie dans le membre opposé, si les articulations des deux membres ho-
mologues ont été le siège d'un traumatisme.
Hoffa (1) est arrivé aux mêmes conclusions que M. Raymond.
*
. "-
L'absence de lésions dans les examens anatomiques va nous expliquer
pourquoi les atrophies réflexes peuvent guérir.
Les examens histologiques de Valtat sont tout à fait insuffisants, M. De-
bove (2) dans un cas de rhumatisme chronique s'est livré à un examen
minutieux de la moelle et des nerfs périphériques, ses résultats ont été
négatifs. Négatifs aussi les résultats deMoussous (3). M. Raymond (4) n'a
pas constaté de lésions de la moelle ni des nerfs chez ses animaux ; il a
trouvé des lésions des muscles. Dans les muscles atrophiés la surface de
section des fibres primitives a subi une diminution de 1/4 à 1/3 à en
juger par comparaison avec la surface de section des fibres provenant du
muscle sain. De plus les divers éléments du champ de Cohnheim sont très
difficiles à distinguer même à un examen attentif. Les parties claires qui
correspondent à la substance interfibrillaire sont amincies considérable-
ment, les fibrilles viennent presque en contact immédiat les unes des au-
tres, ce n'est que par places irrégulières que l'on découvre des traînées
claires de matière proloplasmique.
En somme, dit M. Raymond, pour les atrophies musculaires traumati-
ques la diminution du volume du muscle dépend non pas d'une destruc-
tion de la substance contractile, mais d'une atrophie de la substance inter-
fibrillaire à laquelle le muscle est en majeure partie redevable de son
élasticité. Aussi l'on peut conclure que l'atrophie musculaire consécutive
(t) IIo'FA, Congrès des chirurgiens allemands. Berlin, 1892.
(2) DEBOVE, Progrès médical, 18S0, cité par Duplay et Cazin.
(3) Moussous, Contribution à l'étude des atrophies musculaires succédant aux lésions
articulaires, Th. Bordeaux, 1885.
(4) Raymond, loc. cil.
396 G. GUILLAIN
à une lésion articulaire est de nature réflexe elle dépend du retentisse-
ment de la lésion locale sur la moelle qui devient le siège d'altérations
purement dynamiques.
MM. Duplay et Cazin dans leurs expériences out, examiné les muscles,
les nerfs, la moelle de leurs animaux, ct, étant donné l'absence de lésions,
ils arrivent eux aussi à cette conclusion que l'atrophie musculaire ne peut
s'expliquer que par une action dynamique, par un simple réflexe dû li
l'irritation des filets terminaux des nerfs articulaires.
Darkschew itsch (1) a constaté l'intégrité de la moelle, des nerfs périphé-
riques, des muscles dans un cas d'atrophie musculaire consécutive à une
lésion articulaire observée chez l'homme.
Les résultais histologiques obtenus ont donc toujours été négatifs. Il
existe sans doute une observation de M. Klippel () qui, à l'autopsie d'un
sujet tuberculeux atteint d'une arthrite du genou, a trouvé des altéra-
tions manifestes des cornes antérieures du côté de l'arthrite. Mais, comme
le fait remarquer M. Raymond, il s'agit d'un tuberculeux et clans la cir-
constance on est toujours en droit de se demander si la lésion spinale était
sous la dépendance de l'arthrite ou si c'était uniquement une localisation
de la tuberculose.
.. *
Si l'on envisage le mécanisme le plus intime de l'atrophie musculaire
au point de vue de la pathologie générale, peut-être est-il possible, avec
Metchnikoff(3), de voir dans l'atrophie des muscles une résultante clel'ac-
tion des phagocytes musculaires, desmyophages de Podwyssotsky(4).
On peut se demander si, dans le cas des atrophies dites réflexes, la fibre
musculaire altérée quant à sa trophicité, recevant une excitabilité anormale,
ne devient pas alors la proie facile des nnophages. L'hypothèse de \letclmi-
koff et de Soudalcew itclt () nous a paru intéressante à rappeler dans cette
étude des atrophies réflexes, d'autant qu'il parait y avoir dans les phéno-
mènes phagocytaires une loi de biologie générale.
Somme toute ces atrophies musculaires consécutives à des lésions arti-
claires où à des traumatismes extra-articulaires ne sont pas fonction
(1) D1RRSCIISR'ITSCfI, Neurol. Centralbl., 1891, p. 353.
(2) Klippel, Bulletin.de la Société anatomique, novembre 1881 et janvier 1888.
(3) Metcunikoff, Phagocytose musculaire . Atrophie des muscles pendant la trans-
formation des batraciens. Annales de l'Institut Pasteur, t. VI, p. 1.
(4) PODWYSSOTSKY, Traité de pathologie générale, 1891.
(5) SOUDAKEWITCII, Modifications des fibres musculaires dans la trichinose. Annales
de l'Institut Pasteur, 1892, p. 13.
AMYOTROI'JlOE DOUBLE DU TYPE SCAI'UW-llG1>1ÉRAL 397
d'une lésion des cellules radiculaires des cornes antérieures de la moelle,
mais fonction d'un trouble dynamique des corps cellulaires. Pour que la
cellule radiculaire exerce son action trophique normale, il faut que les
collatérales réflexes de Külliker n'amènent pas une irritation anormale.
Mais on peut se demander comment une irritation réflexe unilatérale peut
amener, comme dans l'observation que nous avons rapportée, une amyotro-
1)[ile double et symétrique ? Il y a des relations anatomiques évidentes, des
corrélations intimes entre les deux moitiés de la moelle. La loi de la sy-
métrie des réflexes de Ptlûger succède d'ailleurs à la loi de localisation.
CAJAL Gehugiiten, Külliker ont insisté sur la commissure protoplasmique
delà substance grise. Les corps cellulaires des parties médianes de la corne
antérieure ont des dentrites traversant la commissure antérieure pour se
ramifier et se terminer dans la substance grise delà moitié opposée delà
moelle. Par ces dentrites on comprencl qu'une incitation des cellulesradieu-
laires droites puisse agir sur les cellules radiculaires gauches et récipro-
quement. Les phénomènes de symétrie sont fréquents en pathologie mé-
dullaire et peut-être que, si l'on recherchait plus souvent les amyotrophies
bilatérales à la suite des arthrites, à la suite des traumatismes unilatéraux,
peut-être les rencontrerait-on plus fréquemment à des degrés divers d'ail-
leurs.
*
" "
On peut interpréter les amyotrophies d'origine abarticulaire d'une ma-
nière semblable aux amyotrophies d'origine articulaire. Puisque ces
deux variétés d'atrophie musculaire évoluent cliniquement avec des phé-
nomènes identiques, on peut supposer qu'elles sont similaires de par
leurs lésions ou mieux de par l'absence de lésions médullaires.
Sur les conseils de M. le professeur Raymond, nous avons profité de
l'observation de notre malade pour rappeler rapidement la nature et la
symptomatologie clinique des atrophies musculaires réflexes. Chez un ma-
lade tel que celui que nous avons observé, se présentant avec une atrophie
musculaire bilatérale scapulo-humérale avec une grande exagération des
réflexes tendineux, il était important de savoir reconnaître qu'il s'agissait
d'une atrophie simple consécutive un traumatisme banal chez un individu
ni héréditaire nerveux, ni nerveux lui-même, que cette atrophie pouvait
guérir par un traitement prolongé, partant que le pronostic était loin d'être
aussi sombre que le pronostic habituel des atrophies musculaires scapulo-
humérales, qui le plus souvent ne sont qu'une des phases de maladies
progressives et graves.
ACROMÉGALIE ET DÉGÉNÉRESCENCE MENTALE
PAR
F. FARNARIER
Interne des Asiles de la Seine.
Depuis que P. Marie (18) a fait connaître l'entité morbide qui porte son
nom, un nombre considérable de travaux ont été publiés sur J'acromégalie.
Actuellement, la symptomatologie est bien fixée ; l'anatomie pathologique,
grâce à des autopsies de plus en plus nombreuses, s'établit sur des bases
solides ; seule, la pathogénie permet encore de larges discussions, et des
observations nombreuses et précises sont nécessaires pour élucider tous les
problèmes qu'elle comporte, A ce point de vue, il nous a paru intéressant,
et peut-être utile, d'étudier les antécédents héréditaires des acromégalie-
ques, et d'examiner de près les troubles psychiques, les névroses et les
stigmates de dégénérescence assez fréquemment notés chez ces malades.
Mais avant de procéder à cette revue des documents épars dans la littéra-
ture médicale, nous allons brièvement rapporter l'observation d'un ma-
lade que nous suivons depuis 18 mois dans le service de notre maître,
M. le D' Sérieux, à l'asile de Ville-Evrard (1).
(1) Ce travail a été lu devant la Société médico-psychologique (séance du 31 juillet).
Quelques jours avant (le 20 juillet), notre excellent camarade Brunet, interne de
M. le Dr Magnan, avait présenté à la Faculté, comme thèse de doctorat, un travail
sur l'état mental des acromégaliques. Brunet arrive à la conclusion que 25 0/0 des
acromégaliques présentent des troubles psychiques, et que, chez ces malades, l'aliéna-
tion mentale est environ 8 fois plus fréquente que chez les individus normaux.
Au point de vue de la forme des troubles mentaux, Brunet sépare nettement les
psychoses confirmées (l'internement lui sert de critérium), des troubles plus légers,
compatibles avec la vie commune. Pour lui, les psychoses sont essentiellement cons-
tituées par des formes dégénératives, et la dégénérescence mentale doit seule être
incriminée dans leur pathogénie. Les troubles moins accentués se rangeraient en
deux catégories :
Dans la lre, on note de l'affaiblissement de l'intelligence et de la mémoire, avec
caractère inquiet et irritable. Brunet n'hésite pas, par analogie avec le myxoedème,
à mettre ces troubles sur le compte des altérations du corps thyroïde, si souvent
notées chez les acromégaliques.
Dans la 2', on trouve de la tristesse, avec misanthropie, hypochondrie allant
parfois jusqu'à la dépression mélancolique avec idées de suicide. Ces troubles, comme
les psychoses confirmées, ressortiraient à la dégénérescence mentale.
Ces conclusions de Brunet sont trop semblables aux nôtres pour que nous ne les
Nouv. Iconographie DE la SALPGTRll : RC. T. XII. PI. LXV
ACROMÉGALIE ET DÉGÉNÉRESCENCE MENTALE
(7'M;W.
ACROMÉGALIE ET DÉGÉNÉRESCENCE MENTALE 399
P... Georges, ébéniste, entré le 21 mars 1891.
Les renseignements que nous possédons sur les antécédents héréditaires
sont assez incomplets. Nous savons seulement que le père est mort à
80 ans de vieillesse, la mère à 50 ans, de congestion cérébrale. Le malade
n'a qu'une soeur, fort nerveuse et émotive, mariée et mère d'une fillette
en bonne santé. Dans les antécédents personnels nous ne relevons que des
convulsions entre 3 et 8 ans ; ces convulsions ont cessé pendant 3 ans
environ; puis elles ont reparu au moment de la puberté et persistent
encore. Elles ont déterminé l'internement du malade à Bicêtre, de 1871
à 1891, sauf un essai démise en liberté bien vite abandonné; depuis
1891, le malade est interné à la Maison de santé de Ville-Evrard.
A aucun moment la famille n'a remarqué de modifications notables dans
les traits du malade, ni dans le volume de ses mains ; une photographie
prise à l'âge de 20 ans le montre avec des extrémités normales ; le nez
et le menton ne présentent pas un développement excessif; la lèvre infé-
rieure seule est déjà proéminente et un peu renversée en dehors, ce
caractère se retrouve d'ailleurs chez la soeur du malade.
Aucune maladie infectieuse, ni dans l'enfance, ni depuis. Le malade
serait vierge ; il n'aurait jamais commis d'excès alcooliques.
Actuellement cet homme est âgé de 48 ans; il présente une taille de
1 m. 57 ; son teint est coloré, son poil blond roux. Le regard est sans
expression, et le visage tout entier exprime l'hébétude (PI. LXV).
L'attention est attirée, dès l'abord, par le développement exagéré de
toutes les saillies osseuses de la face : nez, pommettes, menton. Le nez est
très fort, long et large; de même les pommettes sont très saillantes et le
contraste est frappant entre le tiers moyen du visage, ainsi hypertrophié,
adoptions pas. Nous ferons seulement quelques réserves relativement aux modifica-
tions du caractère et de l'intelligence que Brunet rattache aux lésions thyroïdiennes.
Tout en reconnaissant l'influence que les troubles des fonctions thyroïdiennes (et
hypophysaires) ont sur la genèse de ces manifestations psychiques, il nous semble
que l'importance étiologique des tares héréditaires ne peut être niée même dans
ces cas, pas plus qu'elle n'est niable d'ailleurs chez les myxoedémateux eux-mêmes.
(La tuberculose et l'alcoolisme se retrouveraient souvent dans les antécédents héré-
ditaires des myxoedémateux, écrit M. 13oUl',qes (Art. Myxoedème du Manuel de De-
bove), on a noté aussi différentes névroses, la goutte, le diabète, le rhumatisme...). ).
Peut-être faudrait-il chercher dans la forme de l'hérédité la condition de ces difl'é-
rences. des troubles psychiques ; et de même que nous voyons des paralytiques gé-
néraux, fils de congestifs ou de neuro-arthritiques, faire une p. g. sans délire, alors
qu'un paralytique général fils de vésaniques sera délirant, de même nous serions
portés à admettre que les acromégaliques fils de congestifs seront seulement affai-
blis au point de vue intellectuel, alors que ceux qui ont des aliénés parmi leurs
ascendants seront mélancoliques ou arriveront même à une psychose confirmée. Ce
n'est évidemment là qu'une simple hypothèse que nous donnons pour ce qu'elle
vaut, et que des recherches ultérieures pourront seules confirmer ou infirmer.
400 F. FARNARIER
'et le front bas et fuyant. Mais, la partie dont le développement est leplus
extrême est certainement le maxillaire inférieur ; il est épaissi, augmenté
de hauteur et projeté en avant. L'hypertrophie porte non seulement sur
le corps de l'os, mais aussi sur le rebord alvéolaire, si bien que, malgré le
prognatisme assez marqué du maxillaire supérieur, l'arcade dentaire infé-
rieure est encore débordante d'au moins un centimètre (On sait que nor-
malement c'est le maxillaire supérieur qui chevauche sur l'inférieur). Cette
projection en avant de la partie inférieure de la face a pour effet d'accen-
tuer beaucoup l'obliquité du diamètre occipito-mentonnier, qui, chez
notre malade, fait, avec l'horizontale, un angle de 35 à 40° environ.
Les parties molles qui recouvrent ces massifs osseux sont également
hypertrophiées : la peau est épaisse, mais sans oedème, très rouge; les
lèvres sont énormes, et l'inférieure, repoussée en avant par le développe-
ment du rebord alvéolaire, laisse constamment la bouche entr'ouverte. Les
dents sont en très mauvais état, noires, déchaussées, mais sans anomalie
de nombre, ni d'implantation : la voûte palatine est très fortement ogivale ;
la langue, large et épaisse, couturée de cicatrices, ne remplit qu'imparfai-
tement ses fonctions phonétiques ; aussi cette difformité, jointe à l'infé-
riorité intellectuelle du sujet, rend la parole lente et embarrassée.
Voici quelques mensurations de l'extrémité céphalique.
Diamètre occipito-mentonnier ....... 24 cent.
, - frontal (à la glabelle) ....... -18,9
- bi-paiiétal ........... z,2
- hi-temporal........... 1 ? ,,2
- bi-malaire ........... M1,9
Si nous passons maintenant à l'examen des membres, nous constatons
que les masses musculaires assez peu développées sont flasques et se con-
tractent mollement ; aussi l'essai dynamométrique ne donne-t-il que 21 à
droite et 35 à gauche (bien que le malade ne soit pas gaucher). Contrastant
avec le faible volume des segments supérieurs, les extrémités paraissent
énormes; les mains sont larges et épaisses, le développement maximum
correspondant la région des articulationsmtacarpo-phalangiennes; néan-
moins les doigts sont également larges et carrés ; les éminences thénar et
hypothénar sont développées ; la peau, particulièrement sur la face dor-
sale, est épaisse et rugueuse, mais sans infiltration. Les ongles, striés lon-
gitudinalement, sont friables.
Les déformations des pieds sont analogues, et lit encore, l'hypertrophie
est surtout apparente au niveau des tôles métatarsiennes (surtout de la
première) ; à noter aussi la saillie postérieure du calcanéum.
Voici quelques dimensions des mains et des pieds :
ACIi01'fÉGALIE ET DÉGÉNÉRESCENCE MENTALE
401
Droite Gauche
' c/m c/m
Longueur du pli radio-palmaire à l'extrémité du
Mains 1 médius 20 » 20 »
Mains Largeur à la base des 4 derniers doigts 8 » 8 »
Circonférence au niveau des éminences 28 » 27 »
1 Longueur 27 » 28 »
Pieds Circonférence au niveau des articulations métatar- 25 »
( so-phalangiennes 25" » 25)) »
Signalons en passant, que la grande envergure est de 1 m. 69, supé-
rieure par conséquent de 12 centimètres à la taille.
Au tronc nous constatons une cyphose très prononcée s'étendant des
premières cervicales aux dernières dorsales, sans scoliose ; pas de lordose
compensatrice; aussi la tête est-elle fortement projetée en avant. Il
n'existe par contre pas de déformations thoraciques, et le sternum est nor-
mal.
La verge est un peu hypertrophiée, surtout au niveau du gland ; les
testicules sont normaux.
Nous en aurons terminé avec l'examen physique du malade quand nous
aurons dit que sa vue est hasse (l'acuité visuelle est de 1/2) ; il existe un
très léger degré de rétrécissement du champ visuel, surtout à gauche, mais
sans trace d'hémianopsie. Enfin, le corps thyroïde est normal et il n'existe
pas de matité rétrosternale dans la région thymique.
Nous avons dit que le malade était sujet depuis l'enfance à des crises
épileptiques. Ces crises ne sont pas très fréquentes actuellement ; elles
reviennent en moyenne tous les 12 à 15 jours, parfois remplacées par un
vertige.
Le tableau suivant résume les manifestations comitiales qu'a présentées
le malade depuis janvier 1898.
? H ' ? 3 ? ë .. Mars Avrit Mai JuinJuiUet Août 1 o s s TOTAL
r : z 'g s i; 'g u Mars Avril Mai Juin Juillet Août s g ^ ° -g s J2 I Total
jLjLJL ? JLJLJLJL
)898 544 4 4 31212212 2 31
1899 3 2 0 2 2 1 ) 10
Soit au total 41 crises ou vertiges en 18 mois, en moyenne 2 1/2 par
mois; le traitement bromure prolongé et intensif auquel est soumis le
malade ne parait pas influer sur la fréquence de ces manifestations.
Actuellement les facultés intellectuelles de notre malade sont très mo-
destes, et il peut être considéré comme dément. 11 sait lire, écrire et comp-
ter, mais il est incapable d'un raisonnement suivi, ses conceptions sont
au 27
402 F. FARNARIER
incohérentes, ses distractions frivoles; sa mémoire a baissé au point qu'il
évalue très faussement la durée de son séjour ici (12 ans au lieu de 8). Il
ne paraît se rendre nul compte des difformités dont il est atteint, et semble
très étonné quand on lui en parle ; son humeur, d'ordinaire paisible, est
parfois agressive, surtout après ses crises.
En résumé notre malade est très nettement acromégalique ; il est de
plus épileptique, et sa névrose l'a conduit sur les confins de la démence.
Nous n'avons trouvé dans la littérature médicale que trois cas de cette
curieuse association acromégalo-épileptique. Le premier, rapporté par
Raymond et Souques (25) au Congrès de Nancy de 1896, concerne un acro-
mégalique de 54 ans, sujet depuis 3 ans à des crises d'épilepsie partielle ;
dans ce cas, la pathogénie est bien nette, et les auteurs admettent que la
tumeur hypophysaire irrite à distance, par action réflexe, la zone psycho-
motrice, et est ainsi la cause des convulsions. La même interprétation est
sans doute applicable aussi aux deux cas de Chalk (5) et de Marinesco (21)
où l'apparition des phénomènes convulsifs a l'âge adulte, en dehors de
toute infection, permet de supposer qu'il s'agit d'épilepsie partielle. Mais
elle ne saurait en aucune façon convenir à notre malade, qui présente
depuis l'enfance les symptômes de l'épilepsie la plus légitime.
Nous ne croyons d'ailleurs pas pour cela il une simple coïncidence des
deux affections ; nous pensons au contraire que le terrain de dégénéres-
cence mentale, ou pour mieux dire que l'hérédité névropathique, condition
nécessaire du mal comitial, est une condition au moins favorable au déve-
loppement de la maladie de Marie ; c'est ce qui nous parait ressortir de
l'examen de nombreuses observations éparses dans la littérature médicale.
Nous examinerons ces observations d'abord au point de vue des antécé-
dents héréditaires des malades qui en sont l'objet; nous étudierons ensuite
les troubles du caractère notés fréquemment chez les acromégaliques, et,
en dernier lieu, les cas d'acromégalie associée il une maladie mentale ou
nerveuse bien caractérisée.
I. Hérédité des acromégaliques.
Notons d'abord que cette influence de l'hérédité est diversement appré-
ciée par les auteurs ; c'est ainsi que Marie (18-20) et Sonaa-LeiGe (29)
rejettent absolument cette influence. Recklinghausen, Verstroeten (3 i), au
contraire, l'admettent, et, pour ce dernier auteur, « on rencontre souvent
dans les familles d'acromégaliques, une tendance au suicide, de la dipso-
manie, des maladies cérébrales ». Ajoutons que l'hérédité similaire a été
ACROMÉGALIE ET DÉGÉNÉRESCENCE MENTALE 403
notée deux fois d'une façon douteuse ; la tante d'une malade de Yerstrce-
ten (35) parait avoir été acromégalique, de même que la mère de la ma-
lade de Schwoner (27).
Enfin, le diabète est plusieurs fois signalé, soit dans les antécédents
héréditaires, soit chez le malade lui-même [Haskover (12), Lancer 'eaux (16),
Pick (24)].
Au point de vue de l'hérédité nerveuse ou vésanique, voici quelques
documents :
Verstroeten (35) donne en 1889 deux observations. Dans la première,
le père est triste et mélancolique, la mère meurt d'apoplexie ; sur dix en-
fants, deux se suicident, un troisième est faible d'esprit; plusieurs oncles
sont alcooliques. Dans la deuxième, le père est buveur, la mère, goitreuse.
Gïtiiioîî,(11), en 1890, publie le cas d'une malade acromégalique et hys-
térique ; le père et les parents paternels sont inconnus ; on sait seulement
qu'ils sont israëlites ; un oncle maternel est un déséquilibré, qui, quoique
fort intelligent, n'a jamais voulu apprendre de métier.
Une observation de Szcrnzont (30), la même année, est peut-être plus
démonstrative encore : on note l'apoplexie chez le grand-père paternel et
chez une tante paternelle ; du délire des persécutions ayant nécessité l'in-
ternement chez un oncle paternel ; la mère eststrabique ; sur 9 enfants, on
compte, outre l'acromégalie de la malade, un cas de strabisme, un cas
mortel de méningite, un cas d'imperforation congénitale de l'oesophage.
Le malade d'Haskovec (12), déjà cité, diabétique et alcoolique, était fils
et neveu de buveurs.
- Thomas (33) signale une acromégalique dont la mère mourut mélanco-
lique dans un asile d'aliénés.
Le malade de Lancereaux (16) avait « une lourde tare héréditaire ner-
veuse et herpétique ». 4
Moncorvo (23) publie en 1895 un cas, d'ailleurs caractéristique, d'acro-
mégalie chez un enfant de 14 mois microcéphale : la grand-mère mater-
nelle était nerveuse et asthmatique ; la mère, faible et nerveuse, avait
supporté beaucoup d'émotions pendant la grossesse ; le père était un ner-
veux, bizarre et exalté.
Le père d'un malade d'Uzverricht (34) meurt d'apoplexie.
Un autre malade d'Haskovec (13) a sa mère et un oncle maternel mélan-
coliques.
Le père du géant acromégalique illustré par Brissaud et Meige (3) est
mort d'apoplexie.
Garnier et Saintenoise (8) observent une malade aliénée et acromégali-
que, dont une tante paternelle a été internée, tandis qu'un frère est goi-
treux, comme la malade elle-même.
404 F. FARNARIER
Enfin Feindel et Froussard (7) publient le cas d'un malade de M. Bris-
saud, dont le père, alcoolique, s'est suicidé, et dont quatre frères ou soeurs
sont morts de convulsions en bas-âge.
Nous arrêterons là cette trop longue énumération ; elle suffit à montrer
quelles lourdes tares héréditaires pèsent souvent sur les acromégaliques, et
à nous expliquer les troubles de l'intelligence et du caractère, les psycho-
ses et névroses fréquemment signalées chez ces malades et que nous allons
passer en revue.
II. Troubles du caractère et de l'intelligence .
Nous serons bref sur ce sujet, car la notion de ces troubles est devenue
classique.
« Le caractère des malades est d'ordinaire sombre et mélancolique, leur
humeur inégale, écrit le Pr Grasset (1) ; mais ces modifications intellec-
tuellespeuvent être attribuées à l'impression pénible provoquée chez eux
par la contemplation constante des difformités dont ils sont porteurs, et
que l'intégrité de la sphère intellectuelle leur permet d'apprécier. »
Certes, nous ne contredirons point cette interprétation, encore que
nombre d'autres affections, plus graves et aussi « déformantes » que l'a-
cromégalie, n'affectent pas le moral de la même façon ; mais peut-on con-
sidérer comme « légitimement déprimé», le sujet observé par Brigidi [et
dont l'observation est rapportée par M.Marie (18)], qui fait une tentative de
suicide par submersion, et qui, retiré de l'eau par des bateliers, meurt le
surlendemain dans le coma après deux jours de délire ?
D'ailleurs, le professeur Grasset, dans son remarquable article déjà cité,
a soin de dire que « si l'intelligence est ordinairement intacte, dans des
circonstances exceptionnelles on a noté cependant de la dépression men-
taje et un état de mélancolie avec impulsions au suicide ; l'aliénation men-
tale a même été constatée ».
De fait, il est bien rare que dans les observations où ces recherches
ont été faites, on ne note pas l'indication d'un état mental bien spécial.
Voici l'observation de Fe ? ' (19). « L'intelligence était un peu lente,
mais assez lucide, l'humeur égale, mais plutôt susceptible à la plus légère
contrariété ». Celle de Henrol (19) : « l'intelligence est lourde ». Celle
de Kojernikof, « céphalées, indolence, apathie». Celles de Gerdinier (9) :
« les enfants du malade ont noté que depuis l'an dernier la mémoire a
baissé et le caractère s'est modifié, par ce fait que le malade rit à tout
propos; d'autre part, il se montre indifférent à tout ce qui se passe autour
de lui », et du même auteur, à propos d'un second malade : « on ne peut
obtenir aucun renseignement précis sur le début de la maladie, par suite
de l'infériorité de l'état intellectuel . »
ACROMÉGALIE ET DÉGÉNÉRESCENCE MENTALE 405
Nous pourrions multiplier à l'infini les citations, mais nous préférons
passer immédiatement à l'examen des troubles les plus prononcés du sys-
tème nerveux chez les acromégaliques.
III. - Psychoses et névroses.
Rappelons tout d'abord les cas d'épilepsie observés par Raymond et Sou-
ques (25), par Marinesco (21), par Chai ? (5), ainsi que celui de notre
malade.
La malade déjà citée de Guinon (11) est une hystérique (plaques dyses-
thésiques au niveau des poignets, ovarie droite, point douloureux xyphoï-
dien, attaques de nerfs nettement hystériques).
DerCU1n (6) cite un malade « qui a eu, à plusieurs reprises, de véritables
accès de dépression mélancolique ».
Un des malades d'Hccslrovec (12) est également sujet, la nuit surtout, à
des accès de désespoir et de mélancolie qui le portent à des idées de sui-
cide.
Lynn Thomas (17) nous rapporte le cas d'une jeune fille de 18 ans,
acromégalique, « qui perdit peu à peu la mémoire, la raison et le contrôle
de ses sphincters ; rapidement, elle devint triste et mélancolique ».
Mendel (22) a également observé l'acromégalie associée à l'aliénation
mentale chez une jeune femme de 25 ans. ,
Tamburini (31) cite le fait d'une malade qui, acromégalique à l'âge de
28 ans, fut atteinte, quelques années plus tard, de délire des persécutions
avec phases d'agitation et démence terminale.
Un malade déjà cité d'llaskovec (13), atteint de faiblesse psychique, est
colère et agressif ; dans l'enfance, consécutivement à une méningite trau-
matique, il était resté muet pendant trois ans.
D'db2cndo (1) appelle l'attention sur les troubles psychiques d'un acro-
mégalique observé par lui.
Pick (24), en 1890, publie l'observation d'un acromégalique, diabéti-
que, frère d'un suicidé, qui fut atteint de paranoïa hallucinatoire aiguë, et
qui, remis en liberté après guérison, se suicida- au bout de quelques
années.
Tanzi (32), en 1891, donne l'histoire d'un malade soigné une première
fois à l'asile de Genève pendant 25 ans, et qui y revint cinq ans après avec
une acromégalie typique. Lors de ses deux séjours, il était violent, irrita-
ble, sujet à des accès de vive agitation, de plus, halluciné lors du premier
internement. Un de ses frères est également interné.
Plus récemment, Gamieret Sainlenoise (8) observent une malade entrée
à l'asile de Dijon avec le diagnostic de manie aiguë ; mais, ajoutent les
406 F. FARNARIER
auteurs, il ne s'agit vraisemblablement là que d'un épisode délirant dû à
la dégénérescence mentale (cette malade, déjà citée, était nièce d'une alié-
née, soeur d'un goitreux, goitreuse elle-même).
Le Pr Joffroy (14) fait en 1895 une leçon clinique sur une femme
de 58 ans, acromégalique depuis 4 ou Sans. « La mémoire a tellement
faibli qu'elle ne peut plus se rappeler le jour ou la date et qu'elle oublie
d'un moment à l'autre ce qu'on vient de lui dire ou ce qu'elle doit faire ;
c'est ainsi qu'elle est incapable actuellement de faire le moindre achat
ou de préparer sa nourriture. En même temps, elle est indifférente, apa-
thique, insouciante, et dans un état d'aboulie tel que son placement dans
un asile s'est imposé. »
Enfin, D. Blair (2), relate l'observation d'une acromégalique atteinte
de délire des persécutions systématisé, avec idées de grandeur.
Ajoutons, pour terminer cette trop longue énumération, que Schlesin-
ger (26) a observé un cas de tic généralisé très prononcé chez une acro-
mégalique , que Silva (28) a publié le cas d'un acromégalique atteint
d'arrêt de développement entre 12 et 20 ans (la taille à 25 ans était de
1 m. 58, une soeur du malade âgé de 30 ans mesure 1 m. 38) ; que le
malade de Moncorvo (23), déjà cité, était un microcéphale, idiot, avec pa-
raplégie et contractures, elqu'enfin, tout récemment, Feindel et Frous-
sard (7) publiaient leur remarquable observation d'acromégalie chez un
dégénéré, présentant des stigmates physiques et psychiques, une myoclo-
nie intermittente, et la maladie de Recklinghausen.
En résumé, et pour faire la synthèse des nombreux faits que nous venons
d'exposer succinctement, nous voyons que les maladies nerveuses et men-
tales sont fréquentes dans les familles d'acromégaliques; et que, d'autre
part, les malades présentent eux-mêmes souvent des manifestations diver-
ses de l'état de dégénérescence, allant depuis l'affaiblissement intellectuel
jusqu'à la démence complète (cas de Joffroy) depuis la dépression mélan-
colique jusqu'à des idées systématisées de persécutions (malade de Blair),
depuis des stigmates physiques bénins jusqu'à la microcéphalie avec
idiotie (cas de Moncorvo) ; enfin, qu'on a rencontré des associations acro-
mégaio-bystériques et acromégaio-épiieptiques ; que le diabète est aussi
plusieurs fois noté.
Nous ne voudrions pas tirer de ces faits des conclusions prématurées ;
mais il nous semble légitime de les constater dans une formule géné-
rale, acceptable quelle que soit la théorie pathogénique que l'on adopte
pour la maladie de Marie, et de dire, par exemple, que « l'hérédité neu-
ro-artlanitiqase oit vésaniqn8 offre un terrain favorable au développement de
ACROMÉGALIE ET DÉGÉNÉRESCENCE MENTALE 407
l'acromégalie, et que celle-ci à son tour, par les perturbations certaines
qu'elle provoque dans le fonctionnement de glandes et sécrétion interne comme
l'hypophyse, réagit sur le système nerveux déséquilibré de l'héréditaire, dé-
terminant ainsi, suivant les prédispositions individuelles, l'éclosion d'affec-
tions nerveuses ou mentales variées, mais toujours en rapport avec l'état de
dégénérescence » .
AUTEURS CITÉS :
(1) D'ABUNDO, Manicomio moderno, 1896.
(2) D. Blair, Journal of mental Sciences, 1899.
(3) BI11SS.1UD ET Neige, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1897.
(4) Brunet, Thèse de Paris, 1899. ,
(SI CIIALK, in Duchesneau, th. de Lyon, 1891.
(6) DEMUM, Amer. Journal of the med. Sciences, 1893.
(7) Feindel ET Froussard, Revue neurologique, 1899.
(8) Gaunier ET Saintenoise, Archives de neurologie, 1897.
(9) Gordinier, Medical News, 1895.
(10) Grasset, Traité des maladies nerveuses, t. II, p. 231
(11) GUI : 010N, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1890.
(12) Haskovec, Revue de médecine, 1893.
(13) - Un cas d'acromégalie, Vienne, 1896.
(le) Joffroy, Progrès médical, 1898.
(15) KOZERNIKOFF, Société des aliénistes et neurolog. de Moscou, 1892.
(16) Lancereaux, Semaine médicale, 1895.
(17) LyxN Thomas, Brit. medic. Journal, 1895.
(18) Marie, Revue de médecine, 1886.
(19) - Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1888-89.
(20) - Progrès médical, 1889.
(21) Marinesco, Société de Biologie, 1895.
(22) 111ewEL, Berliner lin. Wochenschr., 1895.
(23) Moncorvo, Allg. Wiener med. Zeitschr., 1895.
(24) Pick, Prager med. Wochenschr, 1890.
(25) RAYMOND ET Souques, Congrès de Nancy, 1896.
(26) SC ! II.EIGER, Club medical Viennois, 1895.
(27) SCIJWOi'OER, Zeitschr, f. Klin. Med. Bd. XXXII.
(28) SILVA, Société médico-chirurg. de Pavie, 1895.
(29) Souza LEITE, Thèse de Paris, 1890.
(30) Surmont, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1890.
(31) Tamrurim, Centralbl. f. Nervenheilk., 1894.
(32) Tanzi, Archiv. ital. di clinica médica, 1891.
(33) Thomas, Revue médicale de la Suisse romande, 1893.
(34) Uwrwucnr, Mùnchn. med. Wochenschr., 1895.
(35) Verstroeten, Revue de médecine, 1889.
HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE
TRAVAIL DE LA CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
ETUDE SUR LES
TROUBLES OBJECTIFS DES SENSIBILITÉS SUPERFICIELLES
DANS LE TABES
(Suite et fin.)
par LES Drs
André RICHE et de GOTHARD
Observation V.
Caub... (Honorine), 47 ans, couturière ; entrée le 18 avril 1896.
Antécédents. - Son père est mort subitement il 55 ans, sa mère est âgée de
76 ans, elle a une bronchite chronique. Ses deux frères et ses trois soeurs sont
bien portants. -
Rien à signaler dans l'enfance. Réglée à 11 ans elle l'est encore régulière-
ment. Elle est mariée, son mari est en bonne santé ; elle a eu un enfant qui
est mort de la coqueluche à 3 ans 1/2 ; on ne relève aucun signe syphilitique.
Début de la maladie. - Il Y a quatre ans, en 1895, elle éprouve des don-
leurs fulgurantes très intenses. Rapidement, en deux mois, la marche est de-
venue difficile, et pour piquer à la machine, elle devait fixer ses pieds sur la
pédale ; elle avait tendu des cordes dans sa chambre pour éviter des chutes.
Après différents séjours à Bichat, à l'Hôtel-Dieu, à Lariboisière, la malade
entra à la Salpêtrière il y a deux ans; il ce moment la marche était impossible,
les jambes sautant dans tous les sens. Elle aurait eu des crises laryngées.
Depuis le commencement de la maladie, elle dit voir trouble et elle a eu de
la diplopie. Au début également elle aurait eu de l'incontinence d'urine et des
matières avec de l'anesthésie des sphincters.
Depuis son entrée à la Salpêtrière, il s'est déclaré de la rétention de l'urine
qui a nécessité des sondages et qui persiste encore, mais à un degré moindre,
la malade parvenant à uriner seule. Elle a éprouvé des troubles gastriques
revenant par crises dans lesquelles ont lieu des vomissements après de grands
efforts.
Elle a été traitée par le nitrate d'argent, l'iodure de potassium, l'hydrothé-
rapie, et quelque temps par la méthode de Frenkel.
T, XII. PL, LXVI.
PL V
TROUBLES DES SENSIBILITES DANS LE TABES
(A. Riche et De Gothard.)
Observation V.
TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES 409
Etat actuel. - L'état général est bon, il n'y a pas de troubles de l'appareil
digestif, l'appétit est seulement un peu diminué.
Rien aux poumons ; le coeur bat normalement, le deuxième temps à la base
est éclatant, le pouls bat 96, l'artère radiale est un peu dure. Quelques trou-
bles vaso-moteurs sont décelés par l'apparition de rougeurs à l'exploration de
la sensibilité.
A l'examen des yeux, on note de l'inégalité pupillaire, la pupille droite étant
plus large que la gauche. Les réflexes sont normaux. A l'ophtalmoscope, les
nerfs optiques sont un peu décolorés dans leurs contours; l'acuité visuelle est
normale, il n'y a pas de rétrécissement du champ de la vision ; pas de diplopie,
de dyschromatopsie, ni de nystagmus.
Les réflexes sont abolis aux membres supérieurs et inférieurs, le réflexe
plantaire est en flexion, il n'y a pas de clonus.
Pas d'atrophie musculaire, la force est partout conservée, le dynamomètre
marque à droite 24, à gauche 20.
Aujourd'hui les douleurs persistent dans l'espace compris entre le pied et
l'articulation du genou ; ces douleurs sont lancinantes, reviennent trois à qua-
tre fois par semaine, par crises durant environ un quart d'heure ou une demi-
heure ; il n'y à pas de douleurs en ceinture. Pendant les règles les douleurs
sont plus vives.
1. - Sensibilité objective superficielle (PI. LXVI).
I. Tact. - A. Face antérieure. - Anesthésie des deux membres inférieurs,
remontant du pied jusqu'au pli inguinal.
B. Face postérieure. Anesthésie jusqu'au pli fessier.
IL Douleur. A. Face antérieure. Analgésie remontant jusqu'à la moi-
tié de la jambe droite, hyperalgésie aux membres supérieurs et au thorax jus-
qu'à la ligue bi-axillaire.
B. Face postérieure, - Hypoalgésie aux deux plantes des pieds et hyperal-
gésie en ceinture.
III. Température. - A. Face antérieure. - Hyperesthésie au froid, à l'ab-
domen.
B. Face postérieure. Hyperesthésie an chaud à la plante du pied droit ;
hyperesthésie à la plante du pied gauche. Hyperesthésie à la chaleur, aux deux
fesses, hyperesthésie au froid.
Observation VI.
Boit... Elise, 49 ans, corsetière, entrée le 13 juillet 1897, salle Rayer, lit
no 3.
Antécédents. Son père est mort à 63 ans accidentellement, sa mère est
morte à 74 ans d'une affection pulmonaire aiguë.
Elle a eu cinq frères et soeurs : deux sont morts vraisemblablement de tu-
berculose pulmonaire ; les trois qui vivent ont une bonne santé.
On ne relève pas de maladies nerveuses dans la famille.
Rien à signaler dans l'enfance. A 12 ans, fièvre typhoïde. Réglée à 13 ans,
410 ANDRÉ RICHE ET DE GOTUARD
elle l'a toujours été régulièrement et elle l'est encore' maintenant. Elle s'est
mariée il 35 ans, son mari est mort à 67 ans. Elle a eu deux filles ; l'une est
bien portante, l'autre est morte il 24 ans, ayant présenté pendant 5 ans, de
grandes crises convulsives. La malade dit n'avoir jamais eu de syphilis, et on
ne relève pas de traces de cette infection.
Débul de la maladie. - Celle-ci s'est manifestée, il y a 8 ans, par de la gène
dans les mouvements de la jambe gauche ; elle a éprouvé en même temps de
la diplopie qui a disparu après une quinzaine de jours. Un an après elle eut
du ptosis de la paupière gauche. Les troubles dans la jambe gauche sont restés
à peu près stationnaires pendant 5 ans, sauf des périodes de 8 à 15 jours pen-
dant lesquelles elle était obligée de s'arrêter, la malade continuait à marcher et
à piquer à la machine ; pendant tout ce temps, elle ressentait des douleurs ful-
gurantes dans les genoux, les cuisses et les orteils, ainsi que des fourmille-
ments dans les talons et la plante des pieds. Il y a trois ans, les mouvements
de la jambe droite qui, jusque-là, était restés absolument normaux, se sont
troublés à leur tour et, bientôt après, la marche est devenue impossible ; depuis
ce temps les douleurs fulgurantes ont diminué d'intensité ; c'est dans ces
conditions qu'elle est venue à l'hôpital le 13 juillet 1897. Depuis ce temps elle
a subi 27 séances d'élongation à deux fois par semaine. Les troubles urinaires
ont disparu. Elle a suivi également un traitement ioduré; enfin on lui a fait
faire, mais sans suite, quelques exercices de rééducation.
Etat actuel. -Il est bon : aucun trouble des fonctions digestive, respira-
toire, urinaire. Les règles viennent encore quoique moins régulières depuis
deux mois ; rien au coeur, l'artère radiale est souple, le pouls bat 90 à la mi-
nute. Du côté des yeux, on remarque de l'inégalité pupillaire, le réflexe lumi-
neux est aboli, la pupille droite se contracte pour l'accommodation, tandis que
la gauche, plus large, se dilate un peu. La paupière supérieure gauche est lé-
gèrement tombante. Acuité visuelle normale, pas de dyschromatopsie, pas de
lésion du fond de l'oeil. ,
Les réflexes sont abolis aux poignets, aux coudes, aux genoux, aux tendons
d'Achille.
Les réflexes plantaires ont lieu en flexion.
Il n'y a pas de trépidation spinale.
La force musculaire est conservée; le dynamomètre marque 36 kilogr. à
droite, et 25 kilogr. à gauche.
Les douleurs sont moins vives ; elle ressent dans les seins, le gauche sur-
tout, des sensations de fourmillement, d'arrachement que calme la compres-
sion de la région. Dans les pieds, elle éprouve des douleurs constrictives que
n'influence pas la venue des règles.
1. - Sensibilité objective superficielle (PI. LXVII).
I. Tact. A. Face antérieure. - Anesthésie remontant jusqu'à une ligne
transversale, passant au-dessus des seins, s'étendant dans l'aisselle droite. Il y
a cependant dans toute cette étendue des zones où la perception tacite existe,
quoique très émoussée, comme aux flancs, à la face antéro-externe de la cuisse
Pu. vu
TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES
(A. Riche et De Gothard.)
TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES 411
droite; à la face interne de la cuisse gauche, la perception est normale. Il
y a de l'hypoesthésie dans la zone du cubital, au bras gauche, aux deux
mains.
B. Face postérieure. - Anesthésie jusqu'à la ceinture, remontant du côté
droit du tronc jusqu'à l'aisselle. Le tact est perçu très faiblement à la racine
des orteils droits et dans une zone en ceinture remontant il gauche jusqu'à la
ligne axillaire. On retrouve l'hypoesthésie cubitale qui s'étend à tous les doigts
en respectant l'éminence thénar et le pouce de la main gauche.
IL Douleur. - A. Face antérieure. - Hypoalgésie depuis l'articulation
tibio-tarsienne, jusqu'à la ligne bi-axillaire. L'aisselle droite est insensible, il
y a une petite plaque d'hypoalgésie à la partie externe de la face supérieure du
pied droit. Hyperalgésie au flanc droit et aux mains jusqu'à l'extrémité des
doigts.
B. Face postérieure. Hypoalgésie depuis les orteils jusqu'au pli fessier, et
dans la zone cubitale jusqu'à l'articulation du poignet. Hyperalgésie aux mains
jusqu'au bout des doigts.
Aux pieds, il y a un retard de la perception de 3" à la face supérieure, de
4" à la face plantaire, de 2" aux artères.
III. Température. A. Face antérieure. A la chaleur, hypoesthésie aux
jambes, à la face externe des cuisses et à la main droite ; hyperesthésie à tout
le tronc. Au froid, hyperesthésie dans les régions axillaires.
B. Face postérieure. - A la chaleur, hyperesthésie à la face interne des
cuisses et aux fesses.
A la plante des pieds, la sensation de chaleur est perçue avec un retard de 3".
Observation VII.
Sou... (Marie), 47 ans, ménagère.
Entrée le 10 août 1897 petite salle Cruveilhier, lit n° 4.
Antécédents. - Le père est mort à 72 ans, d'une fluxion de poitrine ; la
mère est morte à 40 ans, un an après avoir accouché de sa fille,
Elle a cinq frères et deux soeurs, tous bien portants.
On ne relève pas de maladies nerveuses dans la famille.
Rien à signaler dans ses antécédents personnels.
Réglée à 15 ans, elle l'a toujours été régulièrement. A 29 ans, elle a eu une
bronchite qui dura plusieurs mois. Au dire de la malade elle n'a jamais eu
la syphilis ; dans les commémoratifs on ne trouve aucune trace de cette infec-
tion.
Début de la maladie. - Il y a quatre ans, la malade, âgée de 43 ans,
éprouva de la faiblesse dans les deux jambes; elle chancelait dans l'obscurité,
la marche devint de plus en plus difficile. A ce moment elle ressentait de la
gêne pour uriner, elle était obligée d'attendre, de faire des efforts pour provo-
quer la miction, elle eut en même temps quelques crises d'incontinence.
Il y a deux ans, sont survenues des douleurs fulgurantes, parcourant les jam-
bes depuis le genou jusqu'aux orteils; elles se produisaient principalement la
nuit. Elle en eût aussi dans les bras. -
412 r) ANDRÉ RICHE ET DE GOTHARD
Vers cette époque également, la vue devint moins bonne, mais il n'y eut pas
de diplopie. ,
A son entrée dans le service de M. Raymond, la marche était devenue im-
possible.
Elle a suivi un traitement à l'iodure de potassium, puis elle a été sou-
mise à l'élongation pendant dix mois; les douleurs ont considérablement di-
minué.
Etat actuel. L'état général est assez satisfaisant : aucun trouble'gastrique,
constipation habituelle sans anesthésie du sphincter. Rien au larynx ni aux
poumons. Pas de troubles cardiaques, l'artère radiale n'est pas dure; le pouls
est petit, il bat 94.
Du côté des capillaires, on observe des phénomènes vaso-moteurs assez
spéciaux; il y a du dermographisme et la trace d'un crayon fait apparaître
sur la peau des raies rouges plus prononcées et plus rapidement visibles au
thorax qu'aux jambes.
La recherche de la sensibilité à la piqûre, faite le soir, amène une éruption
qui se présente le lendemain avec le caractère de papules, et bientôt se produi-
sent de véritables soulèvements épidermiques dont la trace persiste encore
quatre jours après. °
Les troubles urinaires ont disparu, il n'y a plus d'insensibilité du canal :
l'analyse de l'urine ne révèle rien de spécial.
Les règles ne viennent pas depuis deux mois.
Du côté de l'oeil, la malade n'a pas présenté de diplopie transitoire ; il y a
une légère inégalité pupillaire, la convergence se. fait bien. Les pupilles ne se
contractent pas à la lumière, maisréagissenténergiquementà l'accommodation.
Pas de dyschromatopsie. Acuité visuelle; o. d. = 1/6, o. g. = 1. A l'ophtal-
moscope décoloration grisâtre des nerfs optiques.
Les réflexes du poignet et du coude sont abolis des deux côtés, il en est de
même du réflexe rotulien et de celui du tendon d'Achille. Les réflexes plantai-
res ont lieu en flexion ; pas de trépidation spinale.
Il n'y a pas d'atrophie musculaire ; la force est conservée dans tous les seg-
ments de membres comme dans les muscles du tronc : le dynamomètre donne
à gauche 31 kilogr. et 33 à droite.
La malade ressent actuellement dans les jambes des élancements brusques
et passagers, ils augmentent pendant les règles et pendant cette période des
engourdissements douloureux persistent dans les membres inférieurs.
1. Sensibilité objective superficielle (PI. LXV111).
I. Tact. - A. Face antérieure. - Anesthésie sur la face médiane et au
côté droit, depuis les orteils jusqu'à trois travers de doigt au-dessus de l'om-
bilic, à gauche la perte de la sensation tactile remonte jusqu'à l'aisselle ; une
bande d'anesthésie s'étend sur les deux seins. On constate également l'existence
d'une zone d'anesthésie occupant la moitié droite du crâne à partir de deux tra-
vers de doigt au-dessus du sourcil.
Pl. VII
TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES
(A. Riche et'De Gaillard.)
Observation VII. '
Masson et CI., Éditeurs.
TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES 413
B. Face postérieure. - Anesthésie comme à la face antérieure dans les zones
correspondantes.
Au niveau des omoplates, zone anesthésique transversale, qui, réunie à la
zone mamillaire antérieure, forme une ceinture complète. La perception tactile
est abolie dans les creux axillaires. La plaque d'anesthésie crânienne s'étend
en arrière jusqu'à deux travers de doigt de la ligne sus-auriculaire.
IL DouLEUR. - A. Face antérieure. - Analgésie aux jambes, depuis le
pied jusqu'aux genoux ; hypoalgésie jusqu'aux plis inguinaux. Hypoalgésie dans
la zone d'anesthésie crânienne.
B. Face postérieure. A gauche, analgésie depuis le pied jusqu'au creux
poplité ; au-dessus hypoalgésie jusqu'au pli fessier. A droite, l'analgésie s'é-
lève moins haut, l'hypoalgésie est manifeste jusqu'au creux poplité.
Analgésie à la plante du pied droit hypoalgésie à celle du pied gauche. Anal-
gésie au creux axillaire s'étendant jusqu'au tiers supérieur de la face interne
du bras. Hypoalgésie au crâne disposée de la même manière que l'anesthésie.
III. Température. Chaleur. - A. Face antérieure. - Hyperesthésie à toute
la surface du corps, excepté dans la zone d'anesthésie crânienne où il y a di-
minution de la sensation thermique.
B. Face postérieure. - Hypoesthésie plantaire remontant à droite jusqu'à
quatre travers de doigt au-dessus des malléoles. Hyperesthésie remontant jus-
qu'à une ligne passant par les deux aisselles ; hypoesthésie en hémi-catotte.
A la racine de la cuisse gauche on observe dans la perception un retard de
1 seconde ; de 2 secondes au milieu de la cuisse , de 4 secondes au milieu de
la jambe ; de deux secondes à la face dorsale du pied.
A droite le retard est de 2 secondes au milieu de la cuisse et de la jambe ;
de 4 secondes à la face dorsale du pied.
FROID. A. Face antérieure. - Anesthésie à la face dorsale des pieds, re-
montant à droite jusqu'au tiers inférieur de la jambe ; on trouve aussi de l'hy-
poesthésie en demi-calotte.
B. Face postérieure. - L'anesthésie remonte à droite jusqu'au creux poplité,
à gauche jusqu'au tiers inférieur de la jambe. Il existe une plaque d'anesthésie
sur la fesse gauche et l'anesthésie en demi-calotte.
Une zone de dysesthésie s'étend en corset depuis la ligne axillaire jusqu'à la
ceinture ; le froid y doune la sensation de chaleur. *
Observation VIII.
. Desm... (Annette), 42 ans, entrée le 12 janvier 1899 à la Salpêtrière, salle
Rayer, lit n° 14.
Antécédents. - Le père est mort à G5 ans, d'une pneumonie ; la mère est vi-
vante, elle a 62 ans, et elle est bien portante, Ils ont eu huit enfants, dont il
reste six qui sont bien portants, l'un est mort à 19 ans d'une fluxion de poi-
trine, l'autre a été enlevée à la suite d'une fausse couche.
Il n'y a pas de maladies nerveuses dans la famille.
La malade est née à terme dans de bonnes conditions ; réglée à 16 ans, elle
l'a été toujours régulièrement. Elle s'est mariée à 21 ans, son mari a 45 ans,
414 ANDRÉ ITICIIE ET DE GOTIIARD
il a été atteint, il y a dix ans, d'une paralysie de la jambe droite. Elle a deux
enfants, et n'a pas fait de fausses couches.
Début de la maladie. - Il y a trois ans, elle a ressenti des douleurs dans
les bras ; très violentes elles parcouraient les membres dans toute leur étendue
la malade les compare à des coups de lance. A la même époque ont apparu des
douleurs en ceinture constrictives ; elle était comme serrée dans un étau, il
lui semblait être coupée en deux; elle eut en même temps des troubles de la
vue, elle voyait double : tous ces phénomènes se sont accompagnés de cépha-
lalgies violentes. Quatre mois après, elle éprouva des douleurs très fortes et
continues à la région épigastrique sans vomissements, mais d'une intensité
telle qu'elle ne pouvait dormir.
Jamais elle n'a éprouvé de troubles urinaires.
Elle entre à l'hôpital le 12 janvier 1899, dans un état d'amaigrissement très
grand ; on l'a traitée aux bains sulfureux, à l'électricité.
Etat actuel. - L'amaigrissement continue à s'accentuer, malgré la conser-
vation relative de l'appétit et la régularité actuelle des fonctions digestives. Pas
de troubles laryngés. L'auscultation des poumons et du coeur ne révèle rien
d'anormal ; l'artère radiale est un peu dure, l'artère temporale sinueuse.
Pas de troubles urinaires.
Le signe d'Argyll Robertson existe des deux côtés.
Elle a présenté de la diplopie transitoire pendant un mois, mais elle n'aurait
pas eu de strabisme. Il n'y a pas de dyschromatopsie, l'acuité visuelle esl nor-
male. Il y a de l'inégalité pupillaire, la pupille droite est un peu dilaté. A
l'ophtalmoscope pas de lésion du nerf optique.
Les réflexes du poignet et du coude sont abolis des deux côtés. Le réflexe
patellaire existe, un peu diminué cependant à gauche. Celui du tendon d'A-
chille est diminué à droite, il persiste il gauche. Le réflexe du gros orteil a lieu
en flexion à droite, il est douteux à gauche.
La malade présente de l'atrophie musculaire à un degré assez accentué.
L'état électrique établi le 6 mars 1899, par M. Dignat, donne les résultats
suivants :
Excitabilité faradique. - Les nerfs des membres supérieurs ont conservé
l'excitabilité (distance moyenne des bobines = 100 mm.). Les contractions sont
bonnes et égales des deux côtés, il en est de même pour les muscles, sauf ceux
de l'éminence thénar droite (atrophie).
Excitabilité galvanique. - Contractions dans les nerfs des membres supé-
rieurs, un peu affaiblies surtout dans la gauche NFC > PFC.
Cette excitation est conservée dans tous les muscles des membres supérieurs,
les contractions sont assez bonnes, il n'y a pas d'inversion polaire ; cependant
hypoexcitabilité très manifeste pour les muscles de l'éminence thénar droite.
A l'éminence hypothénar du même côté les contractions sont faibles et lentes
et PFC NFC. A l'éminence thénar gauche, les contractions existent, quoi-
que affaiblies et lentes, et PFC = NFC. De même, pour les muscles de l'émi-
nence hypothénar du même côté.
VIII
TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES
(A. Riche et De Gothard.)
Ou sen atioa VIII.
TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES 415
La force musculaire est un peu diminuée au bras droit; le dynamomètre
amène à gauche 18 kilogr., à droite 4 kilogr.
La malade souffre actuellement de démangeaisons douloureuses aux bras,
dans la zone d'innervation du cubital, depuis le coude jusqu'à l'extrémité des
deux derniers doigts. Ces sensations se retrouvent à l'épigastre et à la région
mammaire, elle ressent également des douleurs en corset très pénibles, parti-
culièrement à la région dorsale. -
1.- Sensibilité objective superficielle (Pl. LXIX).
I. TACT. - A. Face antérieure. - Anesthésie dans une zone comprenant la
région ombilicale et les trois quarts du thorax depuis le flanc gauche jusqu'à
une ligne horizontale passant par le creux axillaire. Hypoesthésie le long du
bord interne du bras jusqu'à l'extrémité des deux derniers doigts de la main.
B. Face postérieure. - Anesthésie en corset ; hypoesthésie aux fesses et aux
plantes des pieds.
IL Douleur. - A. Face antérieure. - Hypoalgésie dans le domaine du cu-
bital, à toute la paume de la main et aux deux derniers doigts à gauche; à
droite, dans toute la zone du cubital et aux deux derniers doigts ; enfin, dans
la région frontale gauche. Analgésie en corset. Hyperalgésie aux trois premiers
doigts de la main gauche et à tout le reste du corps.
B. Face postérieure. - Analgésie depuis l'aisselle droite jusqu'au bord in-
terne de l'omoplate gauche d'où elle s'étend jusqu'à la ceinture. Au côté gauche,
une bande d'analgésie va rejoindre celle observée à la face antérieure, cette
plaque d'analgésie est entourée d'une zone d'hypoalgésie qui complète le corset
et descend le long de la face interne des bras jusqu'aux deux derniers doigts.
Hypoalgésie en hémi-calotte gauche. Hyperalgésie partout sauf à la main droite,
dans le territoire innervé par le radial.
III. TEMl'ÉnATunE. 1. Face antérieure'. Hyperesthésie au chaud à toute
la partie supérieure du corps et aux jambes jusqu'à i'articu)ation tihio-tarsienne.
Hypoesthésie au froid dans une zone ovalaire, s'étendant du creux épigastrique
jusqu'au sein droit : une autre plaque existe au sein gauche et dans les deux
régions axillaires d'où elle s'étend dans les territoires d'innervation des nerfs
cubitaux. Aux autres parties du corps, excepté la tète, la sensation du froid
est plus intense que normalement.
B. Face postérieure. - Hypoesthésie en corset, au chaud, descendant le
long de la face interne des bras. Hypoesthésie au froid, remontant au thorax,
plus haut que l'hypoesthésie au chaud, descendant aussi le long des bras. Aux
autres parties du corps, les sensations thermiques sont perçues plus fortement
q i il'état normal.
L'hyperesthésie ne se produit pas immédiatement au contact du corps chaud,
notamment à la plante des pieds où il y a 2" de retard.
Chez tous ces malades on voit l'importance de ces troubles de la sensibi-
lité dans le tableau de leur affection ; un coup d'oeil jeté sur les figures sché-
matiques fait apprécier les caractères communs que réalisent les troubles
416 ANDRÉ RICHE ET DE GOTUARD
sensitifs superficiels et qu'on peut exprimer par ces mots, polymorphisme,
dissociation, tendance à la disposition segmentaire .
Ces trois caractères bien entendu ne se retrouvent pas constamment et
partout.
Valeur diagnostique DES troubles objectifs DE la sensibilité superficielle.
Il ne saurait être question de valeur absolue pathognomonique ces
phénomènes se montrent dans d'autres affections.
Le ralentissement dans la transmission des impressions périphériques
est cependant extrêmement fréquent dans le tabès, on ne l'observe qu'à
titre exceptionel dans d'autres affections du système nerveux.
Le caractère dissocié des anesthésies et des hypereslhésies se retrouve
dans la syringomyélie, dans la sclérose en plaques et dans les affections
générales qui comportent une altération de la substance grise centrale.
Toutefois dans la syringomyélie l'anesthésie dissociée se présente d'habi-
tude avec les caractères suivants : elle respecte la sensibilité tactile, elle
s'établit à demeure dans une zone aux limites bien définies et ces limites
sont sensiblement les mêmes pour l'analgésie et la lermanalgésie, elle
s'accompagne rarement de phénomènes d'hyperesthésie, au contraire
dans les cas de labes nous rencontrons toutes les modalités possibles de la
dissociation de la sensibilité.
Dans chacune des observations que nous présentons nous avons cons-
taté des altérations des sensibilités thermiques plus particulièrement de
l'hyperesthésie. -
Les modifications de ces sensibilités spéciales présentent plus généra-
lement une disposition segmentaire par rapport à la disposition générale-
ment radiculaire des troubles de la sensibilité au tact et à la douleur.
L'exagération des différents modes de la sensibilité se retrouve fré-
quemment (6 fois sur 8) à l'extrémité des doigts, contrairement à ce que
l'on observe dans la syringomyélie.
Enfin ou constate une ceinture incomplète d'anesthésie au tact dans
2 cas ; dans le cas du tabes supérieur une ceinture de môme ordre dans
l'étendue de laquelle l'anesthésie au tact et à la douleur existera première
dans des limites plus étendues que la deuxième, s'accompagnant d'hypo-
esthésies thermiques en zones disséminées au lieu de la dissocialion
syringomyél ique.
Dans les cas de sclérose en plaques, les troubles objectifs cle la sensibi-
lité sont relativement rares; quand ils existent ils sont le plus souvent
dissociés mais fugaces, sujets à des changements rapides, nulle part aussi
TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES 417 7
la tendance à la disposition segmentaire des anesthésies et des hyperesthé-
sies se montre aussi accentuée que dans les cas de tabes.
Si donc ces anesthésies et ces hyperesthésies n'ont pas une valeur pa-
thognomonique, elles peuvent néanmoins contribuer donner le caractère
de certitude à un diagnostic de présomption fait sur la constatation de
phénomènes tels que l'abolition des réflexes tendineux, les douleurs fulgu-
rantes, le signe d'Argyll et autres manifestations du tabes incipiens. Cette
valeur complémentaire des troubles objectifs de la sensibilité est surtout
à utiliser dans les cas de tabès supérieur, de tabes cervical lorsque l'aboli-
tion du réflexe patellaire, les douleurs fulgurantes, l'incoordination aux
membres inférieurs, les troubles urinaires font défaut.
Enfin la constatation de ces mêmes caractères est de nature à lever toute
hésitation dans un cas où des doutes s'élèveraient entre le diagnostic du
tabes vrai et celui du pseudo-tabes périphérique. Des troubles objectifs de
la sensibilité qui se présentent à la fois avec le caractère de dissociation
et la disposition segmentaire que vous avez vue ne peuvent dépendre que
d'une lésion des fibres radiculaires postérieures dans les racines postérieu-
res ou dans la moelle.
Déductions physiologiques.
La tendance à la disposition segmentaire des troubles en question auto-
rise en premier lieu à conclure que la lésion dont ils dépendent siège
dans les racines postérieures ou dans l'épaisseur même de la moelle. En
effet, on sait de par les remarquables recherches de Sherrington (1) que
le mode de distribution des fibres sensitives diffère notablement, selon que
l'on considère ces fibres dans les racines postérieures ou dans les nerfs
périphériques, chaque racine spinale postérieure fournit des fibres à dij"é-
rents nerfs sensitifs de la périphérie, d'autre part la surface tégumentaire
se trouve subdivisée en zones, en segments dont chacun tire son innerva-
tion sensitive d'une môme racine postérieure, ses segments empiètent les
uns sur les autres, en d'autres termes les territoires cutanés qui tirent leur
innervation sensitive d'une même racine postérieure ne constituent pas
des ¡lots circonscrits, ils se fondent les uns dans les autres, la plupart des
régions cutanées reçoivent ainsi des filets nerveux provenant de deux ou
trois racines contiguës.
On conçoit dès lors que tout autre sera la distribution d'une zone d'a-
nesthésie quand elle dépend de l'altération d'un nerf périphérique et tout
(1) Siieiuungton, Philosophical transactions of lhe Royal Society of London, vol. '181,
p. 641. Imperiments in examination of the peripheral distribution of the fibres of
the posterior roots, etc. Eod. loco, 1898, vol. 115, p. 45.
XII 28 z
418 ANDRÉ RICHE ET DE GOTUARD
autre quand elle dépend d'une ou de plusieurs racines postérieures ou de
leurs prolongements intra-médullaires.
Dans le premier cas : à la suite d'une névrite périphérique limitée à un
nerf, d'abord l'anesthésie s'observe très rarement, ce que l'on explique
d'habitude par l'intervention de la sensibilité récurrente, alors qu'il est
préférable de tenir compte dans ce fait des relations de l'innervation sensi-
tive de la peau avec les racines postérieures, ensuite cette anesthésie, si
elle existe, occupera tout entier et seulement le domaine de distribution
du nerf. Enfin il est tout à fait exceptionnel qu'une anesthésie d'origine
périphérique révèle le caractère de la dissociation.
Dans le 2e cas, au contraire, à la suite de dégénération par simple com-
pression, par exemple d'une ou de plusieurs racines postérieures, l'anes-
thésie tactile et l'analgésie ne s'observent que dans le domaine des seuls
nerfs qui tirent leurs fibres des racines lésées.
Or des lésions semblables ne nous rendent pas compte suffisamment de
la disposition segmentaire de certaines anesthésies et hyperesthésies que
nous avons constatée chez nos malades ; elles ne nous expliquent pas non
plus le caractère de dissociation des troubles de la sensibilité non moins
accusées dans les cas de tabes.
L'explication de ces deux caractères se trouve au contraire en remon-
tant plus haut et en cherchant la cause véritable dans la lésion des cordons
médullaires et de la substance grise de la moelle.
D'après les recherches de Ross (1), d'Allen Star (2), de Thornburn (3),
de Bruns (4), de Laer (5) et de Sherrington (6), qui nous ont renseigné sur
le mode de distribution des anesthésies d'origine spinale, nous savons que
les lésions intra-spinales se traduisent par des anesthésies à disposition
segmentaire : A chaque segment (en hauteur) de la moelle correspond une
zone d'innervation sensitive périphérique et on a pu ainsi établir des rela-
tions précises entre la distribution des anesthésies segmentaires et la hau-
teur à laquelle siège la lésion intra-spinale dont elle est une des consé-
quences.
D'après les recherches d'Allen Star une lésion du segment d'où émer-
(1) Ross, On the segment distribution of se¡¡so¡'y dis01'del's, Drain, 1888, t. 10, p. 333.
(2) ALLEX Star, Local anesthesia as a guide of lhe diagnosis of llze lesions of llze
lewer spinal cord, Journ. of med. sciences, 1892, - Brait), 1894, t. XVII, p. 481, - A
contribution of the subjecl of lumours of the spinal cord, etc... American Journal
of medical Sciences, 1895, p. 613.
(3) TIlOnXB1JRl'i, The sens, distribution of spin. nerves, Brain, 1893, t. XVI, p. 35.
(4) Bruns, Ueber einen Fait lolaler Irommalischer Zersloerung des Riickellinai-Ics,
Archiv. sur Psychiatrie undNervenkrank., 1893, t. XXV, fasc. 3, p. 750.
(5) Lien, Ueber sensibililae Slcerungen bei Tabès dorsalis und ihre localisation,
Eod. loco, 1895, t. XXVII, fas. 3, p. 688 et t. XXVIII, fasc. 3.
(6) SIICIIIiING'rON, loc. cil.
TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES 419
gent les première et deuxième racines dorsales se traduit par une étroite
zone d'anesthésie de la face interne des bras et des avant-bras, l'anesthé-
sie respectant la main.
Une lésion d'où émane la 81 paire cervicale produit une môme zone
d'anesthésie à la face dorsale et à la face ventrale du membre supérieur
contiguë à la zone précédente, mais qui se continue sur le bord cubital de
la main englobant le petit doigt et la portion adjacente de l'annulaire.
Une lésion du segment d'où émane la 4° paire cervicale entraîne une
anesthésie de la région deltoïdienne etc.
Si l'on compare sur nos schémas la disposition des zones d'anesthésie
avec la distribution anatomique normale des racines rachidiennes, on voit
ainsi que dans la planche 3 la lésion intéresse la 1'° dorsale gauche seule ;
dans la planche S, la lésion intéresse les lyre, 2" et 3e racines lombaires et
les 4° et 2e sacrées, la 4" sacrée étant respectée ; dans la planche 7, les 2%
3° et 4° dorsales sont atteintes; dans la planche 8 ce sollt les 4 ? 4e, 5°, 6e
dorsales.
Il est clair qu'une lésion transverse totale entraîne une anesthésie qui
intéresse toutes les manières de la sensibilité.
D'un autre celé la clinique aidée par l'anatomie pathologique montre
que les lésions de la substance blanche des cordons postérieurs se tradui-
sent surtout par de l'anesthésie tactile ; que les lésions de la substance
grise centrale donnent habituellement naissance à des troubles dissociés
de la sensibilité.
Les troubles objectifs de la sensibilité, anesthésies, hyperesthésies que
nous constatons chez les tabétiques avec leur tendance à la disposition
segmentaire et leur caractère de dissociation ne peuvent être expliqués ni
par une lésion des nerfs périphériques ni même entièrement par une lé-
sion des racines postérieures. Elles sont l'expression d'une lésion intra-
spinale qui intéresse à la fois la substance blanche des cordons postérieurs
et la substance grise centrale.
En résumé, les troubles objectifs de la sensibilité se traduisent chez
les tabétiques par des anesthésies, des hyperesthésies portant l'empreinte
d'un triple caractère qui peut être défini par ces mots polymorphisme, dis-
sociation, tendance à la disposition segmentaire.
Si leur valeur diagnostique est d'importance secondaire,elle n'est cepen-
dant pas négligeable et leur constatation sera utile dans bien des cas
Enfin, la disposition de ces troubles montre qu'ils sont sous la dépen-
dance sinon exclusive du moins prépondérante de lésions intra-spinales
du tabes.
LES PEINTRES DE LA MÉDECINE
(ÉCOLES FLAMANDE ET HOLLANDAISE)
LE MAL D'AMOUR
(Suite et fin)
PAR
HENRY MEIGE
X
De la série des oeuvres d'art que nous venons de passer en revue, il
n'est pas sans intérêt de rapprocher d'autres scènes médicales qui présen-
tent avec les précédentes plus d'un lien de parenté.
Ce sont d'abord les nombreuses peinturée suggérées par les Médecins
empiriques, docteurs ès urines, dont toute la science diagnostique était
enclose dans des récipients de verre soigneusement protégés par des paniers
d'osier, accessoires indispensables de la médecine hollandaise. Le nombre
de ces documents figurés est assez important pour nécessiter une étude
spéciale. Parmi eux, cependant, il en est qui méritent au moins une ci-
tation à propos du Mal d'amour. Ce sont, bien entendu, des consultations
féminines.
Le mal d'amour en est-il la raison ? Peut-être ? Mais il s'agirait alors
de la variété d'affection engendrée par cet amour prosaïque qui se termine
par un vulgaire accouchement. Il n'est pas impossible en effet que les
peintres humoristiques aient songé à tirer parti d'une erreur de diagnostic
prêtant à la raillerie.
Voilà une jeune fille réputée sage et vertueuse, dont l'abdomen prend
soudain d'inquiétantes proportions. Serait-elle menacée de devenir hydro-
pique ? Vite, que l'on recueille ses urines et qu'on les porte chez l'empi-
rique à l'oeil clairvoyant. Rien déplus judicieux de la part des parents.
Mais voici que le savant urologue, procédant à son examen, s'aperçoit
que rien ne révèle les signes d'une hydropisie. Il lui faut bien trouver une
autre cause il la tumeur suspecte. Et dame ! si la cliente est jeune et jolie,
NOUV, iconographie DE la salpêtrière.
T. XII. PL. LXX.
Photugr. 1.J.uge.
UN CABINET DE CONSULTATION
Tableau de Thomas (Gérard).
Musée de Dijon.
ET Cil, Editeurs.
LE MAL D'AMOUR 421
il est en droit de se demander si sa vertu n'a pas subi quelque fâcheux
assaut.
De là son sourire équivoque, son narquois clignement d'ceil ; de là
l'embarras et les pleurs de la pauvre jeune fille, aggravés par les gros
rires et les grasses moqueries des assistants. z
Un épisode plaisant renfermant une leçon de morale : Il n'en fallait pas
plus pour inspirer un tableau à succès.
A vrai dire, les médecins urologues ne se bornaient pas à diagnosti-
quer l'hydropisie. Leur science embrassait toutes les maladies, et ils se
faisaient forts de les reconnaitre, par la seule inspection du ballon divi-
natoire. '
On les voit déjà s'exercer à leur pratique mystérieuse sur des gravures
du XV. siècle, et cesont le plus souvent des femmes, jeunes ou vieilles,' qui
s'adressent à eux. Saint-Damien lui-môme, le patron de la médecine, est
souvent figuré un urinal à la main. '
Sans insister davantage sur les origines de l'uroscopie, nous nous con-
tenterons de rappeler ici les peintures des écoles des Pays-Bas, qui se rat-
tachent aux consultations féminines données par les urologues empiriques.
Le musée de Dijon possède un tableau de l'école flamande, attribué à
un peintre peu connu, Thomas (Gérard) (mort en 1721 ? ) z1). ,
C'est une oeuvre d'art de valeur secondaire, mais intéressante par la
profusion des accessoires médicaux et pharmaceutiques que l'artiste y a'
entassés (Pl. LXX).
En outre la scène principale rappelle encore les consultations de Sciai-
ken sur le mal d'amour. ' '
Dans une vaste officine, où gisent au premier plan une énorme mappe-
monde, des pots de pharmacie et des ustensiles professionnels, trône un
empirique éminent. à la barbe et au chef blanchis, portant manches à
crevés et bonnet de fourrure. Il est assis à contre-jour, devant une table
couverte d'un tapis d'Orient, encombrée d'in-folios et de paperasses. De
la main gauche, il soulève l'urinai où se reflète le jour des vitraux. Et il
vaticine.
' Près de lui se tient une jeune femme, coiffée d'un bonnet blanc, le cor-
sage entr'ouvert, les bras croisés sur la taille. Il faut croire que la bouteille
est indiscrète et que ses révélations ne sont pas faites pour plaire à la cliente,
car celle-ci détourne la tète d'un air assez embarrassé. Par contre, ce secret
(1) No 175, T-I. 0, 38. L,-0,73. Legs A. Chevalier, 1816. La photographie de ce
tableau a été faite grâce à l'obligeance de M. A. Joliot, conservateur du musée de
Dijon.
422 1) HENRY MEIGE
réjouit fort un gros homme, debout derrière la table, et qui ne se gêne pas,
pour en rire à son gré.
C'est bien la scène connue : la découverte du péché d'amour,... avec
toutes ses conséquences.
Nous y. avons suffisammenLinsisté. Signalons cependant encore la pré-
sence, auprès du groupe précédent, d'un jeune aide qui, lui aussi, s'inté-
resse au diagnostic de l'urologue, tandis qu'au fond de l'officine un chi-
rurgien s'efforce d'arracher une dent à un second client : ces deux-là n'ont
pas la moindre envie de rire.
Un artiste Wiirzboureois, J. A. Heurlein (1720-179G), qui s'est efforcé
d'imiter les peintres d'intérieur des Pays-Bas, avec un succès d'ailleurs
très contestable, a laissé un Médecin de village, aujourd'hui au musée de
Prague (1). ..
On y voit un docteur assis dans son cabinet de consultation, auprès
d'une table recouverte d'un tapis vert, surchargée de livres, de papiers et
de fioles. Il se retourne pour regarder il la lumière le contenu d'un uri-
rial. ,
Comme dans le tableau du musée.de Dijon, près de lui se tient debout
une blonde jeune femme qui cherche, mais en vain, à dissimuler la proé-
minence de son ventre en croisant ses mains par dessus. Une commère l'ac-
compagne, et son sourire narquois, souligné par un geste expressif, sem-
blent aussi explicites que ceux des comparses représentés par Schalken.
L'amour doit 'être entré pour une grosse part dans la maladie de la pau-
vrette, et il ne lui reste plus qu'à attendre le terme fatidique où sa dé-
livrance aura lieu. '
On reconnaît. là la variété physiologique du mal d'amour que nous
ayons déjà signalée^ Elle est d'ailleurs indiquée de façon discrète, et les
autres personnages du tableau (un homme blessé à la main, deux femmes
avec des enfants malades, une servante qui apporte un flacon sur un pla-
teau) écartent toute pensée de gauloiserie. Au surplus, peinture sèche,
plate et terne.
*
..
Dans un grande nombre de Consultations empiriques, la consultante est
une femme âgée. Il ne semble alors guère possible de mettre en cause le
mal d'amour.
Peut-être, faut-il le soupçonner dans un tableau de DAVID RYCKAEnr
(1612-1GGl), intitulé Un Slwant, de la galerie deMannheim(2) (PI.LXXI).
(1) N. 3G6.
(2) 1^ 29. 13. -IL, 58, L. 79.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XII. PL. LXXI.
Phologr. Mauge.
LE SAVANT
Tableau de DAviD RYCIiAERT (1612-1661).
Galerie de Mannheim.
lIlAs"ox et C", Éditeurs.
LE MAL d'amour 423
Là, il est vrai, la cliente est plus que mûre, si l'on en juge par les rides
de son visage, et bien peu faite pour inspirer une passion. Cependant, on
est surpris de voir apparaître au fond de l'urinal cet homunclllus que Schal-
ken a figuré dans la Consultation indiscrète du musée de la Haye. L'éba-
hissement du médecin, un vieux savant à barbe grise, l'air à la fois con-
trit et suppliant de la vieille devant cette invraisemblable découverte,
donneraient-ils à entendre que, malgré les années, celle-ci n'a pas su se
mettre à l'abri de la contagion, qu'elle y à succombé comme une jouven-
celle, et que trop tard elle s'en repent ? ...
Ne serait-ce pas le mal d'amour, dans ce qu'il a de moins éthéré, es-
quissé à la façon de Brackenburgh et de Schalken ?
Ou bien ne faut-il voir dans cette vieille figurante qu'une ménagère
inquiète de ce que le savant poursuit, au moyen de coûteuses recherches, la
découverte illusoire de l'hom1lnClllus, au détriment des impérieuses né-
cessités du présent ? .... La 'donnée serait ainsi analogue à celle que Jan
Steen a utilisée dans son Alchimiste, du musée de Francfort : une famille
éplorée, réduite à la plus noire misère, suppliant un père insensé qui gas-
pille tout son avoir à la poursuite de la pierre philosophale.
Pensée de moraliste exprimée avec une satirique humour. Cette seconde
interprétation est très défendable; le désespoir d'un petit garçon qui i
assiste à cette scène semblerait en confirmer l'exactitude.
Au demeurant, la peinture en question est digne d'éloges. Si sa signi-
fication peut paraître aujourd'hui ambiguë, l'exécution vaut qu'on la re-
marque. L'expression des figures, le fini des accessoires, fioles, livres,
parchemins, tête de mort, etc., et surtout l'étrangeté et l'habileté de l'é-
clairage en font un des meilleurs tableaux de Ryckaert. Enfin, la présence
de l'homullculns dans l'urinal est une particularité peu commune qui né-
cessitait un rapprochement avec la Consultation indiscrète de Schalken.
Nombreuses sont encore les consultations urologiques où la cliente ne
peut même être soupçonnée d'avoir eu maille à partir avec le mal d'amour.
Tel, le Médecin attribué à DAVID TENIERS LE Vieux au musée des Offices,
de Florence.
Et toute une série de peintures que son fils, DAVID TENIERS LE Jeune,
a consacrées à ce sujet.
Ce sont en général des femmes d'un âge avancé, de très vieilles commè-
res parfois, qui portent chez l'Empirique la bouteille révélatrice.
Exemples : le Médecin de Village du musée de Bruxelles, celui du Sé-
minaire de Venise, celui de l'Institut Staedel à Frankfort-sur-Main, dont
424 HENRY MEIGE
une réplique signée et une variante se voient encore au musée de Carls-
ruhe, etc.
Et je ne parle pas des dessins ni des gravures.
De TER BOIICII, la Consultation du musée de Berlin se passe entre un
vieil urologue et une plus vieille cliente.
De Gérard Dow, on voit à Vienne, un gracieux Empirique qui fait à une
femme en larmes de cruelles révélations. Il existe plus d'une réplique de ce
tableau : à Pétersbourg, à Amsterdam, dans la galerie Six (par Adriaen
van Staveren) ; une variante est au musée d'Angers.
A Carlsrulle, une Consultation de J. OCIITERVELT rappelle, malgré ses
imperfections, les scènes de Gérard Dow.
Au musée d'Orléans, un petit tableau attribué il 11L< : NDlllK Martinez Ro-
KES, plus connu sous le nom de Zone, représente encore une consultation
féminine : un empirique, coiffé d'un chapeau noir haut de forme, vêtu
d'un habit jaune garni de fourrures,examine le contenu d'un urinal qu'une
femme, debout, derrière lui, vient de lui apporter (1).
A propos du mal d'amour, ces oeuvres d'art méritaient simplement
d'être rappelées.
XI
Un autre rapprochement est encore nécessaire.
Je veux parler des peintures que les artistes hollandais ont consacrées
aux Evanouissements.
Assurément, le mal d'amour n'en a pas été l'inspirateur nécessaire.
Mais les détails communs abondent dans l'une et l'autre série. Elles ne
peuvent que gagner à être mises en contact.
N'oublions pas d'ailleurs que les malades d'amour, aussi bien celles de
Sauvages que celles de Jan Steen ou de Gérard Dow, étaient.par la nature
même de leur affection, enclines « aux défaillances » et il la « perte des
esprits vitaux ».
Elles étaient, par excellence, prédisposées à ces « vapeurs » qui, « par-
tant de la matrice, gagnaient les hypochondres, pour envahir enfin le cer-
veau ».
Pour celles, chez qui l'on s'accordera à reconnaître les atteintes de la chlo-
rose, il n'y a là rien que de très conforme à ce que l'on sait des accidents
syncopaux fréquents dans cette maladie. '
Pour celles dont le mal n'est autre qu'une très physiologique grossesse,
les lypothymies et pertes de connaissance sembleraient non' moins expli-
cables. Ne sont-elles pas au nombre des signes prodromiques de la gesta-
tion ? ...
(lot. II. 0,33. L. O ? i,
LE MAL d'amour 425
Le mal d'amour, sous quelque forme qu'on l'envisage, peut doncs'ac-
compagner d'évanouissements.
Les syncopes d'ailleurs sont abondamment représentées dans l'art pic-
tural.
Les tableaux religieux en fournissent le plus large contingent. Presque
toutes les Mises en croix, Descentes de croix, Mises au tombeau, etc., s'ac-
compagnent d'un évanouissement de la Vierge. Dans le nombre, il en est
qui témoignent de remarquables qualités d'observation de la part des ar-
tistes et d'un réel désir de représenter la vérité pathologique.
Les Evanouissements d'Esther prêtentauxmémes remarques,ainsi qu'une
longue suite de sujets bibliques ou historiques.
Mais nous ne voulons parler ici que des petits tableaux de genre de l'é-
cole hollandaise.
*
.. s
Le nom de Gérard Ter BORCII (1608-1681) ne figure que très rarement
parmi ceux des peintres hollandais qui ont représenté des scènes médi-
cales.
Il faut le regretter, car les oeuvres de Ter Borcli sont d'une élégance et
d'une harmonie merveilleuses. On y trouve un sentiment très vif du pit-
toresque et un souci constant de la vérité naturaliste. Nul doute qu'il ait su
tiré des épisodes pathologiques des compositions d'un très grand intérêt et
d'une haute valeur artistique. Mais il ne semble pas qu'à cet égard, il ait
partagé le goût de Gérard Dow, de van Mieris et leurs imitateurs (1).
Il existe cependant à l'Académie de Venise un tableau attribué à Ter
Borch (attribution contestée et d'ailleurs contestable), qui représente une
Femme évanouie (2).
C'est une gracieuse hollandaise en robe de satin blanc, qui, le corsage
ouvert, est étendue par terre, la tête appuyée sur des coussins.
Elle a perdu connaissance, son regard est mourant, ses mains tombent
inertes.
Deux femmes s'empressent à ses côtés et s'efforcent de la ranimer, tan-
dis que, dans le fond, deux servantes introduisent une visiteuse.
Derrière le groupe principal, à droite, un médecin se tient debout et
regarde l'urinal. Clignant des yeux d'un air narquois, il montre avec le
doigt la malade à l'une des assistantes.
Ce geste peut s'interpréter diversement. Mais il est surtout familier aux
(1) Dans la galerie de Mannheim, un tableau de Ter Borch représente une jeune
femme vêtue d'une jaquette rouge qui travaille devant une table. Elle porte sur la
tempe gauche une de ces larges mouches que nous avons déjà eu plusieurs fois l'oc-
casion de faire remarquer.
(2) N° 183, t. 7, 81,1. 72.
426 HENRY MEIGE
docteurs des malades d'amour. Et cet Evanouissement de l'Académie de Ve-
nise, quel qu'en soit l'auteur, devait être signalé ici. Il semble bien ap-
partenir ci la série des pâmoisons que peut engendrer le mal d'amour.
On voit, au musée de Rennes, un dessin aux crayons blanc et noir, re-
présentant une Femme malade, et qui est attribué à G. Mnrsu (1).
La patiente est assise sur une chaise, la tête appuyée sur un oreiller,
un large emplâtre de taffetas noir sur la tempe gauche. Les yeux clos, elle
semble avoir perdu connaissance ; son bras pend, inerte, le long du corps.
Dort-elle ? Est-elle évanouie ? ... On ne sait. Et l'attribution de ce dessin
à Metzu est-elle exacte ? ...
En tous cas, il s'agit probablement d'une étude pour un tableau analo-
gue à ceux 'que nous avons décrits. Mais, comme la femme est déjà âgée,
envahie par l'embonpoint, et en l'absence d'autres détails, on ne peut
songer avoir en elle une victime du mal d'amour (2).
Frans Mieris le Vieux est magistralement représenté il la Pinacothèque
de Munich par un tableau bien connu sous le nom de La Femme malade (3).
C'est une admirable peinture de la syncope dans tout son réalisme pa-
thologique, et c'est un chef-d'oeuvre d'exécution (PL LXII).
Une femme, jeune et jolie, perdant soudain connaissance, s'affaisse sur
le plancher, soutenue par une autre femme, parente ou amie déjà mûre.
Tel est le motif principal du tableau, au premier plan, en belle lumière.
Le costume de la malade est traité avec une élégance et un fini vrai-
ment hors de pair ; et l'on ne sait ce qu'il faut louer davantage des reflets
miroitants d'une robe en satin jaune, du chatoiement d'un corsage de ve-
lours grenat, ou du moelleux de ses parements de cygne.
Vaines parures dont la pauvre évanouie a déjà perdu la notion.
Rien de plus exact que l'attitude effondrée de son corps, une jambe
repliée, l'autre allongée en avant, le talon raclant le sol. La flaccidité des
bras, la chute abandonnée de la tête, la pâleur du teint, la mollesse des
(1) Cadre 99, ne 2. II. 0, 31. -L. 0,22.
(2) Au même musée de Rennes, on voit encore un dessin à la plume rehaussé de
l'avis attribué à Picard (Ecole française, XVI le siècle, détails inconnus) et intitulé La
Dame malade.
Au milieu d'une société élégante, pendant un repas, une jeune femme se trouve mal.
Une des convives, plus âgée, la soutient et lui fait respirer des sels. Plusieurs person-
nages empressés autour d'elle s'efforcent de la ranimer. L'évanouie, la bouche entr'ou-
verte, les yeux levés au ciel, est peut-être une jeune mariée qui ressent les premiers
cll'ets de la maternité future.
(3) N 417, B, Il., 4t. 4. 31. Daté 1GG i.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XII. PL, LXXII.
Cliché llan(Waençl.
Typogr. ïlansstaengl.
LA FEMME ÉVANOUIE
Tableau de Frans VA ? MIERIS le Vieux.
A la Pinacothèque de Munich.
Masson i : r C, Éditeurs.
LE MAL D'AMOUR 427
paupières, tout est vrai, tout a été attentivement observé et fidèlement
rendu. Cette belle personne n'est plus qu'une masse inerte, inconsciente,
dont la vie vient de s'éteindre soudainement.
Mais, rassurons-nous, cette mort ne peut être qu'apparente. La vieille
dame s'en émeut sans doute, mais non exagérément. Si son visage exprime
quelque inquiétude, elle n'est ni trop effrayée ni trop désespérée. Elle s'y
connaît en pâmoisons. Ce n'est pas le fatal départ pour cet inconnu dont
on ne revient pas; c'est une très courte escapade des esprits vitaux dans
le pays du néant.
La jeune personne qui, dans le fond de la pièce, semble si profondé-
ment affligée, pourra bientôt sécher ses larmes et la soubrette n'a plus
qu'à préparer le lit.
D'ailleurs, pour dissiper toute angoisse, le Docteur n'est-il pas là ? Un
docteur très savant, qui ne s'embarrasse pas de la malade et ne perd pas
son temps en soins précipités. Qu'importe que les esprits vitaux sortent
du corps humain ? Les ignorants peuvent s'en émouvoir. La science a bien
d'autres soucis. Premièrement, il s'agit de savoir quelle est la cause de la
maladie. On avisera par la suite à combattre ses effets... s'il en est temps
encore. Donc, avant de rien tenter, un coup d'oeil à l'urinai.
Et tandis que la malade perd ses sens et s'affaisse sur le plancher, notre
Docteur, clignant de l'oeil, inspecte d'un air entendu le petit ballon aux
urines qu'il vient d'extraire de son panier.
Ce qu'il y voit ? Nous l'ignorons, et peut-être ne le sait-il pas lui-
même. Cependant il pérore, avec gestes à l'appui, et la servante en est
émerveillée. Assurément, elle n'y comprend goutte, mais elle a grand res-
pect pour Messieurs les Médecins et c'est une fervente de leurs remèdes :
une grosse mouche noire appliquée sur son front en est la meilleure
preuve.
Comment en effet ne pas être impressionnée par un large manteau, un
col de dentelles, des manches à crevés, des cheveux vagabonds, et surtout
par cet air d'assurance et de profond dédain en face d'un accident qui
émeut les moins sensibles ?
Tel est bien le Docteur de céans, et la satirique image qu'en a donnée
Van Mieris n'est pas un des moindres morceaux de cetle intéressante pein-
ture. Réalisme dans la maladie et réalisme chez le médecin, l'un et l'au-
tre sont de première marque.
Quant à la nature du mal qui cause cet évanouissement, rien ne permet
de la préciser. Est-ce le mal d'amour ? Est-ce le mal d'enfant ? Est-ce toute
autre affection capable de provoquer une syncope ? Mieux vaut ne pas se
prononcer. Les accessoires eux-mêmes ne nous renseignent pas : le vase
intime qu'on voit auprès de la malade peut s'expliquer de mille façons. Et t
428 HENRY MEIGE
quant à l'urinai, il dirait aisément tout ce qu'on voudrait lui faire dire.
Ne cherchons donc pas le nom de la maladie ; mais admirons l'art vrai-
ment supérieur avec lequel le peintre a rendu le tableau cle la syncope. Il
n'en est peut-être pas de plus exacts ni de mieux observés.
Un autre tableau attribué à FRANS UN Mieris le Vieux, conservé dans
la collection Steengracllt, à La Haye, est intitulé La Moderne Lucrèce
(PI. LXXIII).
Une jeune femme en jupe bleue, bien en chair, très pâle, le corsage dé-
fait, les cheveux épars, s'est laissée' glisser par lerre, auprès d'une chaise
sur laquelle repose encore son bras gauche. Ses yeux rougis, aux paupiè-
res- mi-closes, son regard mourant, la chute abandonnée de sa tête, la
flaccidité de ses mains, tout indique une défaillance qui va jusqu'à la perte
des esprits. , -
' Or, à ses pieds, gît un couteau pointu. -
Ces ! l'arme avec laquelle on suppose qu'elle vient de se percer le coeur.
Et cette défaillance n'est peut-être que le prélude d'une mort prochaine.
Devant elle, un petit chien aboie lamentablement. Derrière, une vieille
'femme se précipite angoissée, et à la vue de ce tragique accident, exprime
à la fois toute son épouvante et tout son désespoir.
Cette scène, on le voit, est essentiellement différente. La peinture est
d'ailleurs de qualité moins bonne, plus sèche, plus maniérée, beaucoup
moins réaliste. De sang, on ne voit pas trace, ni sur le couteau, ni sur la
poitrine ou les vêtements de la victime. Et le médecin fait défaut.
. Un tapis d'orienfjeté sur un meuble au premier plan prés d'un manteau
doublé de cygne, au mur une mandoline, dans le fond un'grand lit à ri-
deaux et une porte qui s'ouvre sur une enfilade de pièces, complètent le
décor de ce drame émouvant.
L'amour est-il coupable en celle triste occurence ? C'est possible'; mais
rien n'autorise à l'affirmer. Et l'intérêt pour nous réside surtout dans la
comparaison qu'on peut faire de la moribonde avec la femme évanouie du
tableau de Munich. Elle est toute à l'avantage de celle dernière dont le
naturalisme pathologique est à la fois plus sincèrement observé et beaucoup
mieux rendu.
*
* ♦
Le fils de Frans van Mieris le vieux, Willem VAN Mieris (1GU2-174.7),
élève et imitateur de son père, a peint un assez joli tableau, aujourd'hui
dans le musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg (1).
(1) N 124f, B.-l-I., 0,23. L. 0,20. Signé et daté 1093. Photographie due à l'obligeance
de M. le Directeur Somoll'. '
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. XII. PL. LXXIII,
ClIché Yinkenhos et Dcwalcl.
1'liotogi,. èllaugc.
LA MODERNE LUCRÈCE
Tableau attribué à Frans VAN Mieris le Vieux.
Collection Steengracht, à La Haye.
ET Ci', Éditeurs.
NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XII. PL. LXXIV.
Clichè \'inkenbos et Dowald. l'liotogr. Mauge.
SUITE D'UNE NOUVELLE FACHEUSE
Tableau de \VILL1 : M VAN MIERIS (1662-1747).
Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg.
Masson ET Cil', Editeurs.
LE MAL d'amour 429
On l'intitule : Suite d'une nouvelle fâcheuse (Pl. LXXIV).
Une charmante jeune femme, vêtue d'une robe orange et d'un châle
bleu, la gorge demi-nue, tombe en défaillance sur une chaise auprès d'une
table.
Près d'elle son médecin, qui lui tâte le pouls.
Au fond de la chambre, une servante apporte un réchaud.
Le titre donné à la peinture s'explique par la présence d'une lettre ou-
verte sur la table, et au bas de laquelle on lit ces mots : « Dieu vous garde. »
La lettre, suppose-t-on, contient quelque fâcheuse nouvelle et c'est en la
lisant que la belle personne, cruellement émue, a senti ses esprits l'aban-
donner. A cela rien d'impossible, comme il n'est pas impassible d'ajouter
que la lettre fatale émane de quelqu'un qui tient fortement au coeur de la
dame. Les émotions amoureuses sont capables d'effets aussi troublants,
par l'excès de leur joie, comme par celui de leur douleur. Ce « Dieu vous
garde » ne dit rien de bon et n'est sans doute que le trop froid épilogue
d'une galante aventure dont un des deux héros a voulu précipiter la fin.
A ce coup imprévu, l'héroïne ne sait résister : une pamoison en est la
conséquence. ,
Enviable défaillance où l'artiste a su faire valoir toutes les séductions
de la victime, l'éclat de ses blonds cheveux entremêlés de perles, la grâce
de son cou souple et potelé, la langueur de ses yeux, toute la splendeur de
ses charmes librement entrevus à travers le négligé de son ajustement.
Mais un éclair de vie brille encore sous ces molles paupières, et ici la
syncope n'est que simple « vapeur », ou, si l'on veut, « lipothymie ».
Attentif, discret, plein de prévenances et de retenue, le Docteur,
homme de bon ton et de noble allure, palpe doucement le joli poignet de
sa cliente. Son regard compatissant n'aperçoit que le mal à guérir, et,
volontairement, dédaigne de voir tous les attraits qui s'offrent à ses
yeux.
Tout cela est un peu maniéré sans doute et nous sommes loin des
scènes familières de Jan Steen ou de Godfried Shalken. Cependant c'est
encore une des peintures où l'on peut avec vraisemblance reconnaître
un épisode inspiré par le Mal d'Amour.
Elégant parmi les plus élégants des peintres d'intérieur néerlandais
fut EGLON IlEiNDR[li VAN Der NEER (1643-1703), le fils du célèbre paysagiste
Aart van der Ncer. Il s'efforça d'imiter Gérard Dow, et van Mieris ; mais,
s'il peut rivaliser avec eux par l'harmonie de ses compositions et le fini
de ses détails, il n'atteignit jamais ni la délicatesse de leur coloris ni le
naturalisme de leurs personnages. Un maniérisme excessif joint à un
poli glacial gâtent dans ses meilleures oeuvres l'impression du mouvement
430 , HENRY MEIGE
et de la vie. Trop de coups de pinceau pour un poil de fourrure, trop de
caresses sur les chairs, dans celle peinture qui semble faite à la loupe
avec une patience évidemment digne d'éloges, mais où s'alourdit l'inspi-
ration.
Au demeurant, dessinateur sévère, ordonnateur de premier ordre,
exécutant laborieux, réfléchi et consciencieux, Eglon van der Neer mérite
plus d'éloges que de reproches.
Sa Femme évanouie de la Pinacothèque de Munich est une oeuvre dont
les réelles qualités font oublier aisément la froideur (l'1. LXXV).
C'est un évanouissement splendide : le mot n'a rien d'excessif en
cette occasion.' Resplendissante est la malade, somptueux est son ha-
billement.
Visage noble et majestueux, gorge de déesse, bras et mains d'un irré-
prochable modelé, la défaillante est magnifique.
Une robe du satin blanc le plus soyeux épouse ses formes opulentes,
le velours rouge de son casaquin est de la plus fine trame, ses fourrures
ne sauraient être plus duveteuses. La dentelle qui couvre les ondulations
des cheveux doit être du point le plus rare, et il n'est pas jusqu'à sa
pantoufle où l'on ne puisse admirer un chef-d'oeuYt'e de.broderié.
Cependant, cette belle et riche personne vient de se trouver mal.
Mais, comme il fallait s'y attendre, cet incident ne dépare nullement
sa somptueuse beauté. : Si ses jambes ne la soutiennent plus, du moins repose-t-elle sur une
étoffe moelleuse et sur d'épais oreillers. Si son corsage est dégrafé, c'est
pour nous faire entrevoir tous les charmes qu'il emprisonne. Ses pau-
pières sont closes, mais nous apercevons davantage la longueur de leurs
cils et l'arc délicat des sourcils. Sa tète s'incline sur l'épaule : le dessin
du cou n'en est que plus attrayant, et quant à sa pâleur, les reflets du
velours viennent à point pour l'atténuer de tons rosés.
Vraiment on ne saurait plus magnifiquement défaillir.
A syncope si fastueuse il fallait des assistants de choix. Trois personnes
de distinction étaient au moins nécessaires, sans compter le médecin.
Une d'elles, toute gracieuse et non moins élégante, petite poupée si
blonds cheveux frisés, vêtue de salin et de brocatelle, les bras et les épaules
nues, soutient à deux mains le bras droit de la malade.
Une autre, plus âgée, à droite et vue de profil, la tète enveloppée d'une
étoffe légère, s'agenouille pour approcher un linge imbibé de quelque vi-
naigre parfumé.
La troisième est une fillette en larmes qui, tristement, s'essuie les yeux.
Quant au décor, ce qu'on en voit est à l'unisson, une table à larges
pieds tournés, un épais tapis d'Orient, une aiguière et un plat richement
Cliché lIansstncngl. '1'.\ pogl'. IIansstaengl.
LA DAME ÉVANOUIE
Tableau de EGLON VAN DGR NEER (164,-1703).
A l'ancienne Pinacothèque de Munich.
Masson et G, Editeurs.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALFBTrUÈRE T. XII. Fi, LXXV.
LE MAL D'AMOUR 431
ouvragés ; dans le fond une imposante cheminée à colonnes surmontée
d'un grand tableau.
Le médecin, lui, est relégué au second plan. L'inélégance de ses traits
eut sans doute paru par trop choquante à côté de ceux de la jolie pâmée.
Coiffé d'une toque à créneaux, vêtu d'un justaucorps à crevés, ce doc-
teur inesthétique se tient dans l'ombre et se contente d'appuyer discrète-
ment sa main sur l'épaule de sa cliente.
Personne ne s'occupe de lui, et il semble manquer d'assurance.
Peut-être redoute-t-il qu'on ne lui fasse un grief de cette pâmoison.
Car après tout, il n'y est peut-être pas étranger.
Et voici pourquoi :
Par terre, près de la table, remarquez cette éponge et ce bassin de cuivre
à demi rempli d'un liquide rutilant. C'est du sang.
Et regardez le bras droit de la malade. Vous y verrez, au niveau du
coude, comme une ligature faite avec un linge blanc.
C'est de là que le sang provient.
Tout s'explique alors : le docteur vient de pratiquer une saignée (peu
importe la cause : on ne s'embarrassait pas de justifier si banale interven-
tion). Et la saignée a provoqué une syncope. Ce qui est toujours un inci-
dent désagréable pour un médecin. De là vient que celui-ci se tient pru-
demment à l'écart.
Peut-être dira-t-on que cette saignée était le remède destiné à faire
cesser un évanouissement antérieur. C'est fort possible : on saignait in-
différemment avant, pendant ou après. La règle était de saigner jusqu'aux
morts. Mais si l'opération n'était pas suivie de succès, l'opérateur sentait
décroître son prestige. Et c'est peut-être encore le cas du docteur de van
der Neer. -
Cette intéressante peinture trouverait donc plus justement sa place dans
le dossier iconographique de la saignée qui compte des oeuvres de réelle
valeur. Elle se rapproche cependant par plus d'un détail des scènes mé-
dicales que nous venons de décrire.'
Et qui sait si le mal d'amour n'est pas la cause inconnue qui fait per-
dre les sens à cette opulente jeune femme ? Plus qu'aucune autre elle
semble faite pour contracter le joli mal qui s'abattait alors sur les filles de
Hollande. ,
XII
Pour clôturer ce relevé des Consultations féminines dans la peinture
hollandaise, nous rappellerons, mais pour les différencier des précédents,
les deux seuls tableaux qui représentent au Louvre les malades et les mé-
432 HENRY MEIGE
decins des Pays-Bas. L'un est de Gérard Dow : c'est la Femme hydropique ;
l'autre, de QuiRyNc. Brekelenkam, s'appelle la Consultation.
Ni l'un ni l'autre ne peuvent être confondus avec les scènes du mal
d'amour.
* *
La. Femme hydropique de Gérard Dow est trop universellement connue
et admirée pour que nous entreprenions d'en faire valoir l'excellence.
D'ailleurs, cette oeuvre admirable n'a rien de commun avec les peintures
relatives au mal d'amour (1).
La Consultation de BREKELENKAM, dans la collection Lacaze, au Louvre,
est aussi une oeuvre de premier ordre (2).
Selon le goût du peintre, la scène, le personnage et le décor sont d'une
extrême simplicité.
Mais de cette composition très succincte se dégage une grande impres-
sion de vérité et un sentiment très touchant de compassion.
Le visage fatigué de la malade, ses yeux inquiets aux paupières alour-
dies; l'affaissement de tout son corps, expriment un malaise anxieux qui
commande la pitié. La bonne figure du médecin à barbiche grise, l'af-
fectueuse sollicitude de son regard, la discrétion de son costume et de
ses gestes en font une des figures les plus sympathiques de toute la Fa-
culté néerlandaise.
Il inspire confiance et respect, et l'on peut être certain que jamais il ne
se permet les clignements d'yeux ni les propos gouailleurs des docteurs
de Shalken ou de Brakenburgh.
Il est. fait pour nous réconcilier avec ce corps médical dont Jan Steen
et bien d'autres ont stigmatisé tant de fâcheux représentants.
Quant au mal qu'il est appelé à guérir, impossible aujourd'hui de le
diagnostiquer. Peu importe d'ailleurs. Le tableau se suffit à lui-môme et
l'incertitude où l'artiste nous laisse sur la nature de la maladie ne fait
qu'ajouter il l'émotion ressentie.
(1) Voyez à ce sujet CHARCOT et PAUL Riciier, Les Difformes et les Malades dans
l'Art, p. 114.
(2) Un autre tableau La Ventouseuse, au musée de la Haye, a été étudié par Charcot
et Paul Rrcuen et reproduit in Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1892, p. 200.
Le gérant : P. Bouchez.
Imp. J. Thevenot, Saint-Dlzior (Haute-Marne).
12° Année N"6. Novembre-Décembre E
Dans une série de récentes leçons, M. Pitres (1) a repris l'élude de
l'aphasie amnésique et il décrit comme tels les cas « déjà cliniquement
rangés par Trousseau et ses contemporains dans le groupe des aphasies
amnésiques » et que la théorie des amnésies partielles n'explique pas.
Après une discussion clinique approfondie, M. Pitres montre combien
sont rares et peu précises les notions anatomiques que nous possédons
sur cette curieuse variété d'aphasie. Le relevé des dix cas avec autopsie
utilisable qu'il a pu trouver enseigne seulement que les lésions siègent
« au niveau des régions pariétale et temporale, dans l'aire ou sur les con-
fins immédiats des centres de la vision et de l'audition des mots. Le plus
souvent (8 fois sur 10) elles portaient sur le lobule pariétal inférieur,
y compris le pli courbe, mais quelquefois elles ne s'étendaient pas jus-
que-là. Il ne semble donc pas que ce lobule puisse être considéré comme
le centre unique et exclusif de l'évocation amnésique des mots puisqu'il
n'est pas toujours altéré quand cette évocation est compromise ».141. Pitres
arrive à formuler 1'liypotliùsvÏue l'aphasie amnésique est produite par
la rupture « d'une partie des voies commissurales qui réunissent les cen-
tres différenciés des images verbales aux parties de l'écorce dans les-
quelles s'opèrent les actes supérieurs ».
J'ai observé récemment deux cas d'aphasie amnésique avec paraphasie :
leur étude clinique, que l'état mental des malades n'a malheureusement
pas permis de faire avec toute la régularité et la rigueur désirables, auto-
risé à les ranger dans le cadre tracé par M. Pitres. Le symptôme prédo-
minant a bien été chez l'une et l'autre malade l'amnésie des mots et plus
exactement l'amnésie des substantifs, l'antonomasie (Luys) avec agramma-
(i) Pitres, L'aphasie amnésique el ses variétés cliniques. Progrès médical, n 21
et sq., 1S98.
11 I 2U
APHASIE AMNÉSIQUE
APHASIE DE CONDUCTIBILITÉ
PAR
TRÉNEL
Médecin-adjoint de l'asile de St-Yon.
434 TRÉNEL
tisme des plus marqués ; il n'y a aucune trace de cécité psychique. La cé-
cité verbale ne peut être affirmée en raison des lacunes inévitables de l'exa-
men. La cécité littérale n'existe sûrement pas chez la 2e malade.
Quant à l'autopsie, elle vient dans le 1er cas absolument à l'appui de
l'hypothèse de M. Pitres au sujet du siège des lésions de l'aphasie amné-
sique et de sa nature : les lésions corticales primitives y sont négligeables,
et la lésion importante consiste presque uniquement en une section des
faisceaux blancs, lésion dont la topographie devra être déterminée. Cette
autopsie ne représente cependant pas encore tout à fait le cas de lésion
sous-corticale pure qui manque jusqu'ici.
Observation 1.
Sommaire. - Aphasie amnésique avec paraphasie. - L'amnésie porte pres-
que uniquement sur les substantifs. -- Cécité verbale et littérale probable, mais
non complète. - Pas de cécité psychique. - Agraphie incomplète. - Pas trace
de surditéverbale. - Hémiplégie droite avec hémi-anesthé.çie. - Attaques épi-
leptiformes. - Troubles psychiques de forme circulaire. - Mort par hémor-
rhagie cérébrale. - Autopsie. - Vaste hémorrhagie récente de l'hémisphère
droit. /jfemo)' ? '/Mtp ancienne à ,gauche au niveau delà substance blanche du
pli courbe, du lobule du pli courbe et de l'insula avec participation du segment
postérieur de la capsule interne.
A son entrée à l'asile de St-Yon, Mme L..., âgée de 46 ans, présente une hé-
miplégie droite avec contracture, de l'aphasie, et est en pleine excitation ma-
niaque. Elle se trouvait depuis un an en traitement dans un hospice ; il y a
huit jours qu'elle est dans un état d'agitation maniaque qui parait avoir dé-
buté subitement. Au point de vue mental, elle a présenté pendant son séjour
à l'asile une succession continue d'accès d'agitation et de dépression d'une du-
rée d'un mois environ chacun, sans intervalle lucide, soit une psychose de
type circulaire; elle eut en outre des attaques épileptiformes généralisées qui
paraissent avoir été indépendantes des troubles psychiques susdits (ceci sous
toutes réserves).Les périodes d'excitation etde dépression sont bien caractérisées
et se succèdent brusquement. Les actes et le langage de. la malade sont bien
différents dans les deux cas, et il est curieux de voir comment Mme L... prend
tantôt gaiement parti de son aphasie, tantôt s'en afflige dans son jargon para-
phasique.
Dans les périodes de dépression, elle reste immobile, répond avec peine, se
refuse à l'examen, comme les mélancoliques que tout excède et elle s'exprime
ainsi : « Je ne sais plus rien, ça ne se peut pas... tout ce que vous voudrez,
c'est fini... Bien mieux quand je serai morte. » Elle regarde à peine les ima-
ges et les objets qu'on lui montre, se refuse aux exercices qu'on tente de lui
faire faire. Elle se plaint de ne pas dormir, de souffrir de la tête quand je la
questionne sur sa santé.
APHASIE AMNÉSIQUE 435
Question. Avez-vous dormi ?
Réponse. - Jamais.
Question. Pourquoi ?
Réponse. Tout, tout (elle montre sa tête).
Question. Avez-vous mal à la tête ?
Réponse. Tout (elle montre son front).
Dans les périodes maniaques elle va, vient, s'agite, crie ou chantonne sans
prononcer de paroles. Pendant l'examen, elle se lève, cueille des (leurs dans
un vase en disant que ça sent bon et me les offre ; elle va regarder les tableaux
en disant que « c'est ça qui est encore gentil ». Comme je lui dis de mettre sa
main sur la tète, elle me montre sa main droite contracturée, d'un air de mo-
querie, en disant, « celle-là ? » puis elle exécute le mouvement de la main
gauche avec mille simagrées. Elle déclare pendant qu'on l'examine « que c'est
rigolo » ; elle rit aux éclats pour avoir appelé un médecin « madame ». Elle s'ex-
prime au sujet de son aphasie de toute autre façon que dans la période mélan-
colique : « Ça n'est pas, parce que je ne peux pas, ça sera tout de même. » Et
elle rit d'elle-même.
Question. Avez-vous bien dormi ?
Réponse. Oui très bien, je vais seulement un peu mal là (Quelques tra-
ces de prurigo).
Question. Avez-vous'mal la tête ? ` ?
Réponse. Non du tout, je vais bien ; je vais vous donner quelque chose
(elle va chercher une fleur dans un bouquet), ça sent très bon.
Question. - Avez-vous eu des crises de nerfs ?
Réponse. - Non,' pas ça.
Il existe une hémiplégie droite avec contracture incomplète (en flexion pour
la main, en extension pour la jambe) sans paralysie faciale. Quelques mouve-
ments partiels et peu étendus sont possibles. La main droite est rouge et tu-
méfiée (rougeur et tuméfaction inconstantes d'ailleurs) et d'une façon perma-
nente plus froide que la main gauche. Le pied droit est aussi notablement plus
froid. Les réflexes tendineux sont exagérés ; il n'y a pas de tremblement épilep-
toïde, mais la percussion du tendon rotulien donne lieu à toute une série de
secousses. La pupille gauche est un peu déformée et plus petite que la droite ;
le réflexe à la convergence est conservé. Il existe une hémianesthésie droite
complète sur laquelle la malade attire elle-même l'attention en disant : « Comme
si... » et en faisant de la main le geste de tracer une division nette sur la ligne
médiane du corps. La langue est un peu tremblante. Il existe un certain affai-
blissement de l'ouïe à droite : la montre n'est entendue qu'à une courte dis-
tance de l'oreille de ce côté. L'état de la sensibilité gustative et olfactive n'a pu
être déterminé.
Il n'y a aucune variation des symptômes physiques pendant les périodes de
calme ou d'agitation.
Compréhension de la parole. - Sauf inattention due suivant les périodes
où l'examen est fait, soit à l'excitation maniaque, soit à la dépression psychique,
43G , trénel ,
la malade comprend tout ce qu'on lui dit : elle exécute immédiatement (quand
elle le veut bien) tous les ordres qui lui sont donnés. D'autre part elle désigne
sans erreur tous les objets qu'on lui dénomme.
Exemple : Montrez le lit; (elle le montre.)
Question. - Dites ce que c'est ?
Réponse. - Je ne peux pas, je sais ce que c'est. Je ne peux pas. (Et effec-
tivement elle y monte et s'y couche.)
La répétition d'une phrase est impossible : « Dites : je voudrais bien aller me
coucher. » Elle fait un essai infructueux, incompréhensible, qui n'est même
pas de la jargonophasie ; mais si j'insiste et lui dis : « Que vous ai-je dit de
répéter ? » elle montre le lit. On lui redit encore : « Répétez : je voudrais aller
me coucher. » Réponse : « Quand je voudrais 15 fois, 100 fois, si vous pouvez,
je ne pourrais pas. »
Aphasie amnésique el paraphasie. La malade est incapable de dénommer
un objet quel qu'il soit ou d'en répéter le nom quand on le lui dit. Les exem-
ples suivants donnent une idéede ce fait et de la façon dont Mme L... s'exprime
habituellement. On lui montre :
Un porte-plume. - Réponse : Pour le prendre, peux pas le dire, pour écrire,
je sais bien pour le dire.
Un livre. - Réponse : je vois encore ce que c'est, lire, ça sert pour écrire.
Un encrier. - C'est pour mettre (elle plonge le porte plume qu'elle a vive-
ment saisi)... je pourrais tout dire, je ne peux rien dire.
Une clef. -Elle montre sans répondre la porte ; si on'insiste elle va mettre,
d'un air de triomphe la clef dans la serrure.
Une chaise.- Réponse : Là où l'autre (en montrant les autres chaises et avec
un geste qu'on peut traduire de la sorte : c'est un objet semblable ceux que
vous voyez là).
Dans un autre examen on obtient des réponses identiques ; on lui montre :
Un porte plume. - ,Réponse : c'est la même chose, ça n'est pas parce que je
ne sais, je ne puis pas.
Encrier. Réponse : je sais bien ce que c'est, un rouge, on peut la rouge,
c'est parce que je ne l'ai pas.
Un livre. Réponse : C'est tout ce qu'il faut, je vois ce que c'est va-t-en
voir ma vieille 1 (la malade est ce jour là dans une période d'excitation mauia-
que). ,
Un canif. Réponse : Quand je regarderais ça ne me donnerait pas. - Et
comme on insiste elle dit « vous êtes méchant ». '
L'amnésie des mots est telle que MmeL... ne peut dire son nom (qu'elle re-
connaît par écrit) ni son adresse, ni son lieu de naissance - interrogatoire
fait dans une période de dépression ; dans une période d'excitation elle a pu
dire une fois son prénom, mais rien de plus.
a) Examen pendant la période de dépression.
Question : Comment vous appelez-vous ?
APHASIE AMNÉSIQUE 437
Réponse : Je ne peux pas le dire, je ne peux rien, rien, ça ne se peut pas.
Question : Quel âge avez-vous ?
Réponse : Je ne sais plus rien (comme j'insiste elle ajoute : « Dites-moi ce
que vous voudrez, allez ! »).
Question : Quand êtes-vous née ?
- Pas de réponse.
Question : A Paris ?
Réponse : Je ne sais plus, je ne sais plus rien, ce que vous voudrez, c'est fini,
c'est fini, bien mieux quand je serai morte.
Question : Avez-vous des enfants ?
Réponse : Non je n'en ai pas eu.
Question : Depuis quand êtes-vous ici ? : z
Réponse : Je vous en prie, ne peux rien, ferai tout ce que vous voudrez, je
sais bien ce que c'est là, je peux parler, je peux rien dire.
Question : Depuis quand avez-vous des crises de nerfs ?
Réponse : Même rappelle plus, du tout, du tout ; quand je pourrai, je ne peux
pas, il n'y a pas moyen.
Question : Comprenez-vous bien ce que je vous dis ?
Réponse : Bien sûr, je vois du papier, papier bien sûr (en montrant la feuille
d'observation).
. b) Examen dans une période d'excitation.
Question : Comment vous appelez-vous ?
Réponse : Marie.
Question : Comment ? 1
Réponse : Je ne peux pas... Paris.
Question : Où êtes-vous née ?
Réponse : Je ne peux pas, pas moyen.
Question : Avez-vous des enfants ?
Réponse : Dieu merci, pas besoin ; qu'est-ce que j'aurais avec tout ça ! 1
Question : Depuis quand êtes-vous ici ?
Réponse : Je n'en sais rien, je suis bien embarrassée.
Question : Depuis 2 ans ?
Réponse : Il n'y a pas si longtemps que ça, grand Dieu 1 (c'est exact).
Question : Votre mari est-il venu vous voir ?
Réponse : Une fois (exact).
Question : Pourquoi avez-vous les cheveux coupés ?
Réponse : La bas. C'était-il parce que c'est la maison (on lui a coupé les che-
veux dans une autre salle, et elle demande en plaisantant si c'est une règle ici
de couper les cheveux aux malades).
' Cécité psychique. - Il n'y a pas trace de cécité psychique, la malade recon-
naît tous les objets et sait parfaitement à quoi ils servent ; elle le prouve avec
vivacité et se montre très vexée qu'où puisse en douter.
Lecture. Les essais de lecture ont été difficiles et infructueux sans qu'il
438 TRÉNEL
soit possible de décider nettement s'il existe une cécité verbale absolue et com-
plète. L... reconnaît le nom de son mari, elle essaie de le lire à haute voix
sans y parvenir ; quand on lui demande ce que signifie ce mot, elle répond :
« De mon mari ». Elle a pu lire (et recopier) son propre prénom « Marie », mais
tout autre essai de lecture reste sans résultat. Elle a paru un jour déchiffrer
un nom écrit à la plume sur la page de garde du livre où je tente inutilement
de la faire lire : en découvrant par hasard ce nom, elle a dit spontanément dans
son langage télégraphique et paraphasique « c'est un que j'ai cossu, que j'ai
connu ». Mais il m'a semblé que ceci ait été tout fortuit, car, quand plus tard
j'ai voulu recommencer l'expérience, il a été impossible de rien obtenir. La
malade n'a pu reconnaître d'ailleurs dans les différents examens quelque mot
que ce soit, imprimé ou manuscrit, en dehors des. rares exceptions qui vien-
nent d'être notées. Aurait-elle reconnu son nom et celui de son mari (et éven-
tuellement un 3e nom propre) simplement comme un dessin familier ?
En tout cas, elle reconnaît assez bien les gravures. Je lui montre une image
représentant des Chinois et lui demande ce que c'est ? Réponse. « Des hommes,
des hommes... » Elle paraît tenter de lire la légende qu'elle suit du doigt et
s'écrie enfin : « Je sais ce que c'est... Quand je serais devant... (elle fait un
geste comme pour invoquer les puissances célestes)... Je ne pourrais pas dire. »
Pour une image représentant des nègres quand on lui demande si ce sont des
chevaux, des femmes, elle répond : « Des hommes ». - Demande : sont-ils
blancs ou noirs ? Réponse : « Noirs ». Elle feuillette le livre et dit en regar;
dant les images représentant divers personnages : « Des bonshommes, toujours
des bonshommes, ils ne sont pas beaux. » Une autre fois comme elle regardait
une chromolithographie représentant des fleurs et déclarait que c'était joli, je
lui demande ce que c'est, elle avise alors des fleurs sur un meuble et me les
apporte.
Lecture de lettres séparées. - Dans cet examen seule la lettre A a été dési-
gnée exactement (on avait demandé de désigner cette lettre en premier lieu).
Dans la suite de l'examen c'est toujours un A que la malade montrait quand
on lui demandait de désigner une autre lettre quelconque au hasard (cette der-
nière éventualité étant la plus fréquente). Il est difficile de dire quelle est la
part de l'inattention ou de la cécité littérale. Il a d'ailleurs été impossible de
décider la malade à réciter l'alphabet.
Elle compte inexactement le nombre de lettres d'un mot, plus inexactement
encore le nombre des mots dans une ligne. Quand on lui a fait compter le
nombre des lignes d'une page, après avoir compté à haute voix 1, 2..., elle
s'est tue ; elle a continué cependant à mettre successivement le doigt sur cha-
que ligne en paraissant compter des yeux ; elle s'est arrêtée rapidement en
disant : « Peux pas lire. » Il a été impossible d'obtenir un autre résultat.
Mme L... a bien dénombré à plusieurs reprises, les objets qu'on lui présen-
tait. Exemple on lui montre :
3 porte-plumes : Réponse exacte (quant au chiffre, les objets n'étant natu-
rellement pas dénommés).
APHASIE AMNÉSIQUE 439
7 clefs : Elle montre d'abord quatre doigts ; on insiste ; elle dit alors :
« 3, 3 ». Enfin elle montre 5 doigts, puis en ferme 3 en disant : « trois en
plus » (La traduction de ce geste est évidemment celle-ci : 5 doigts, plus 5 doigts
moins trois, ce qui fait 7 ; la malade a gesticulé et compté, si l'on peut dire,
d'nne façon paraphasique). Dans un autre examen, on lui montre 3 clefs, elle
s'exprime de la façon suivante : « 3 machines, une, deux, ça fait trois. »
Ecriture. - La seule fois où j'ai pu décider la malade à tenter d'écrire,
j'ai obtenu les résultats suivants :
Fio. 1. - Spécimen d'écriture représentant le prénom de la malade (Marie).
Sur l'ordre d'écrire son nom (Marie), elle a écrit spontanément (Fig. 1) :
a) le na 1 sans modèle en s'aidant des deux mains, la main gauche tenant
droite (contracturée) serrée sur le porte-plume.
440 TRÉNEL
b) D'après un modèle elle a écrit les nos 2 et 3, cette fois de la main gauche
seule, en refusant énergiquement d'utiliser la main droite comme dans l'essai
précédent. t.
c) Le n° 4 a été écrit avec les deux mains en suivant le modèle.
d) Le n° 5 a été écrit avec la main gauche seule, en suivant le modèle.
On le voit, l'écriture devient très rapidement de plus en plus incorrecte
pour ne plus être constituée que par des jambages informes. Comme pour la
lecture, il est difficile de faire la part de l'inattention et de l'agraphie, sans
compter l'impotence fonctionnelle. L'indocilité de la malade n'a pas permis de
renouveler cet examen. Elle refuse énergiquement dans les termes suivants :
« Il n'y a pas moyen.... je voudrais bien ; je ne ferai pas la sotte, ce serait
bête ; mais je ne peux pas. » Ceci accompagné d'une mimique expressive oit
elle montre sa main contracturée. Notons en passant que s'étant taché la main
d'encre pendant cet examen, elle s'essuie à sa robe en disant : « j'ai du noir
à la main. » Il est impossible de lui faire prononcer le mot encre ; elle fait sa 1
réponse habituelle : « je ne peux pas dire. »
Les couleurs ont été reconnues et dénommées exactement dans les examens
faits dans le but de rechercher la dyschromatopsie. Cet examen n'a pu être
fait d'ailleurs que très sommairement; la recherche du champ visuel a été
impossible.
Les attaques épileptiformes étant devenues plus fréquentes, l'intelligence a
baissé rapidement. La malade est morte avec des symptômes d'une hémorrhagie
cérébrale de l'hémisphère droit.
Autopsie faite avec M. Crété, interne du service.
L'hémisphère droit est le siège d'une vaste hémorrhagie cérébrale de type
classique qui refoule les parties voisines eu dehors de la ligne médiane. Il ne
présente aucune lésion corticale.
L'hémisphère gauche paraît intact, sans la moindre lésion corticale comme
on peut le constater sur la photographie ci-jointe (Fig. 2). Nous verrons plus
loin que cette intégrité de la substance grise n'est pas absolue, car il y a un
petit foyer hémorrhagique en un point limité de la Ire temporale. Il existe nn
vaste foyer hémorrhagique, en partie lacunaire, s'étendant de la partie moyenne
de l'insula jusqu'au pli courbe et limité à la substance blanche sauf dans le
point cité plus haut.
Les deux hémorrhagies sont presque symétriques.
Une série de coupes par la méthode de Pitres montre la localisation des
lésions sous-corticales. M. Brissaud a eu la grande obligeance de faire exé-
cuter les photographies de ces coupes à son laboratoire et de me donner
des indications pour leur étude.
La coupe 1 passe par le pied de la pariétale ascendante.
La coupe 2 passe par la partie postérieure du pied de la pariétale as-
cendante.
NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA qAl.1lerR[Èlig.
T. XII. Pl. LXXVI
Coupe G passant à l'union du pli courbe et
du lobule du pli courbe.
Coupe 7 passant par le pli courbe.
APHASIE AMNÉSIQUE
(Ti-éiiel)
MASSON & Cie, Editeurs.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T XII. SCHÉMA DE LA PL. LXXVI
Fig. 4-
Coupe 6. passant à l'union du pli coui be et du lobule
du pli courbe.
Fig. ¡.
Coupe 7, passant par le pli courbe.
MASSON et 0'. Éditeurs.
APHASIE AMNÉSIQUE
( Tréncl)
APHASIE AMNÉSIQUE 441
La coupe 3 passe par la partie antérieure du pied de la 2e circonvolu-
tion pariétale et coupe la pariétale ascendante à sa partie moyenne.
Les coupes 4 et S passent à différents niveaux du lobule dupli courbe.
La coupe G passe à l'union du lobule du pli courbe et du pli courbe.
Les coupes 7 et 8 passent par le pli courbe.
Les coupes seront examinées d'arrière en avant; les figures représen-
tent la face postérieure de chaque coupe. Les légendes ( l) en sont données
sur les schémas que je dois ainsi que les deux autres figures à l'obligeance
de mon ami M. Gruzelle.
FiG. 2. - Hémisphère gauche. Observ. I. L'écorce est intacte, sauf une petite portion
de la première temporale, cachée au fond du sillon parallèle et invisible sur la pho-
tographie. Les lignes verticales numérotées indiquent les coupes.
Coupe 8. - Cette coupe ne laisse en arrière qu'une faible portion de
la corne ventriculaire. Le manteau blanc de la face externe du ventricule
n'est pas lésé ; on en distingue les différentes couches. Dans la substance
blanche de la partie supérieure du pli courbe, on voit une petite traînée
décoloration rougeàtre indiquant la limite extrême du foyer hémorrha-
gique. La substance corticale est indemne, le ventricule a les dimensions
normales.
Coupe 7 (PI. LXXVI et Schéma 3). -Le ventricule est extrêmement di-
laté ; le foyer hémorrhagique est séparé de la cavité du ventricule par
l'épendyme épaissi (conditions qui se trouve réalisée dans'toutes les autres
coupes) Il affecte une forme en V ou en L renversé () ; la partie verticale
(1) Sur ces figures le pointillé indique, suivant son intensité, le foyer principal
ou ses expansions.
442 TRÉNEL
s'étend sur toute la hauteur du bord ventriculaire, la partie horizontale a
détruit la subslance blanche du pli courbe; l'angle supérieur affleure
l'extrémité supérieure du ventricule dilaté. La partie inférieure du faisceau
longitudinal, des radiations optiques de Gratiolet et du tapetum se montre
intacte ; il en 'est de même dans les coupes suivantes. Dans la coupe 7
sont détruites les fibres de la portion inférieure du pli courbe et des
plis de passage pariéto-occipi taux.
Coupe 6 (Pl. LXXVI el Schéma 4). Le ventricule est déplus en plus
large. L'hémorrhagie a détruit toute la substance blanche des circonvolu-
tions pariétales dans lesquelles ses prolongements pénètrent en respectant
l'écorce, tandis que la partie principale occupe toute la hauteur du ventri-
cule, el étend des prolongements plus marqués clans la substance blanche
de la circonvolution pariétale supérieure; son extrémité inférieure at-
teint le niveau de la 2° temporale. Donc, destruction de tous les fibres
blanches du pli courbe et d'une partie de celles de la pariétale supérieure
et des 1 ra et 2e temporales.
Coupe 5 (PL LXXVII et Schéma 5). C'est le centre du foyer hémorrha-
gique. Toute la substance blanche sous-jacente au lobule du pli courbe est
détruite. La substance grise n'en est pas touchée. Mais la face inféro-in-
terne de la 111, temporale, qui limite en haut le sillon parallèle et en forme
le fond, est envahie par l'hémorrhagie. En bas le foyer s'arrête au niveau
de la substance blanche de la 2e temporale. La coupe passe ici au niveau
de la dernière portion de la scissure de Sylvius, laquelle présente une
anastomose avec le sillon parallèle, disposition assez rare. Au point où
porte la coupe apparaît l'angle postéro-supérieur de l'insula. La lésion a
détruit toutes les fibres de la première temporale, du lobule du pli courbe
et coupé en partie celles qui dépendent de la pariétale supérieure el de la
2" temporale.
Dans la coupe 4 (I'1. LXXVII et Schéma G), on voit encore la lésion corti-
cale de la même portion de la fie temporale, lésion d'ailleurs ici moins
étendue et n'atteignait pas la périphérie. En dehors de ce point la subs-
tance grise est respectée, celle de l'insula en particulier. La circonvolution
postérieure de l'insula apparaît à ce niveau au fond de la scissure de Syl-
vius, la substance grise est séparée du foyer hémorrhagique par une mince
couche cle substance blanche. La lésion a complètement détruit ou coupé
les faisceaux qui constituent la substance blanche de la 1" temporale, du
lobule du pli courbe, de la pariétale ascendante, et apparemment certains
faisceaux de la frontale ascendante. Entre le foyer et la cavité du ventri-
cule, ou plutôt du carrefour ventriculaire existe une région bordant le
ventricule que l'hémorrhagie a dissociée mais n'a pas entièrement détruite.
Coupe 3 (Pl. LXXVIII et Schéma 7). L'hémorrhagie forme une mince
Nouv. IcnnnenHmE nF la SAI,l'lÎmll\lIh.
T. XII. I'f. LXXVII
Coupe 4 passant à la partie antérieure d
lobule du pli courbe.
Coupe 5 passant à la partie postérieure du
lobule du pli courbe.
APHASIE AMNÉSIQUE
(Trérrel)
MASSON & Cie, K.hteurs
NOUV. ICONOCRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE.
T XII. SCHÉMA DE LA PL LXXVfI
Fiv. 6.
Coupe 4, passant à la pat tic antérieure du lobule
du pli courbe.
Fit. S.
. Coupe i, passant à la partie postérieure du lobule
du pli courbe.
- - d
APHASIE AMNÉSIQUE
( Trénel)
MASSON ET Cite, éditeurs.
i(71 : 1'. ICf7\OCHAHFIIfi 17 LA "AI "F.TIIII¡H,
T. XII. PI. I.XXVIII
Coupe 3 passant a la partie postérieure du
pied de la pariétale ascendante.
Coupc 3 passant à la partie antérieure du
pied de la 3c pariétale.
APHASIE AMNÉSIQUE
(Trénel)
MASSON & Cie, Editeurs
NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
T. Xll. SCHÉMA DE LA PL. LXXV III.
APHASIE AMNÉSIQUE
( Tréllet)
Fig. 8.
Coupe 2, passant à la partie postérieure du pied
de la pariétale ascendante.
Fig. 7.
Coupe ;, passant par la partie antérieure du pied
de la deuxième pariétale.
Maison ET Cie, Éditeurs
APHASIE AMNÉSIQUE 443
bande qui s'étend sur toute la hauteur de l'insula en respectant l'écorce
au' ras de laquelle elle s'arrête. Elle s'étale en haut et en bas : en haut,
elle affleure la partie interne de l'écorce de la pariétale ascendante, en
bas, elle pénètre dans la substance blanche de la -1 r8 temporale. Un cons-
tate un prolongement de la lésion à la partie supérieure du segment pos-
térieur de la capsule interne qui est profondément atteinte au niveau et en
arrière de cette coupe. L'avant-mur, la capsule externe sont détruits et
le segment avoisinant du noyau lenticulaire est intéressé par la lésion.
Dans la coupe 2 (l'l. L11VIII et Schéma 8) qui passe par le pied de la
pariétale ascendante, la lésion siège nettement dans la capsule externe, elle
laisse indemne à sa partie moyenne une zone de substance blanche qui
tapisse l'insula (capsule extrême), mais, en haut, où elle s'étale un peu,
et surtout en bas, elle en affleure l'écorce. Le noyau lenticulaire n'est in-
téressé qu'au niveau de son angle inférieur, la capsule interne est indemne.
L'hémorrhagie a coupé la couronne rayonnante de la pariétale ascen-
dante (au moins dans sa partie inférieure) jusqu'au niveau de l'extrémité
supérieure de l'incisure parhâtate de l'opercule (i p) et môme celle d'une
portion de la pariétale] située au-dessus de celte,incisure. Elle a coupé
toutes les fibres profondes de l'insula et atteint la substance blanche de la
première temporale.
La coupe 1 montre l'extrémité antérieure de la lésion, étroit foyer qui
s'éteint à l'angle inféro-externe du noyau lenticulaire.
Comme nous l'avons remarqué, cette lésion est presque schématique. Il
ne semble pas qu'on doive tenir particulièrement compte de la lésion lo-
calisée de la substance'grise de la première temporale, lésion qui ne répond
sinon à aucun des symptômes cliniques enregistrés, car il y a un léger af-
faiblissement de l'ouïe (attribuable plutôt à la lésion du carrefour sensitif),
mais du moins à aucun des symptômes se rapportant aux troubles apha-
siques (1). La lésion est en somme presque uniquement sous-corticale.
En nous reportant aux schémas que donne M. Déjerine pour les libres
d'association dans les figures 376 et 377 de son traité et en y superposant t
la lésion de notre cas, nous constatons les faits suivants (Fig. 9) : la capsule
externe est détruite dans ses deux tiers supérieurs, le faisceau arqué est
complètement coupé depuis sa courbure postérieure jusqu'à son tiers an-
térieur, le système du faisceau longitudinal inférieur et des radiations
optiques ne sont détruites qu'à leur partie supérieure dans une portion de
leur trajet, mais le sont entièrement au niveau de leur extrémité anté-
rieure. Le faisceau crochu doit être complètement indemne. La capsule
(1) Il y a lieu de noter en passant que dans l'observation VII de Pitres (cas de Ro-
senthal) un ramollissement a détruit les 2e et 3° temporales et empiète sur la partie
moyenne de la moitié inférieure de la première.
444 TRÉNEL
interne est détruite à la partie supérieure de sa région postérieure rétro-
lenticulaire. Le genou et le segment antérieur en sont respectés. Mais la
plupart des fibres qui par la couronne rayonnante la mettent en commu-
nication avec la pariétale ascendante dans les deux tiers inférieurs au
moins de celle-ci sont coupées.
La figure 10 donne les limites de la lésion reportées sur une coupe
horizontale empruntée au cahier d'autopsie de M. Déjerine, on y note
la limitation précise de la lésion à la substance blanche. Le pointillé
passe seulement en un point de la substance grise qui, dans la réalité,
n'est pas à ce niveau englobé par la lésion : ceci pour rappeler que la
substance grise est détruite dans un point limité de la première tempo-
rale. Cette figure n'est qu'approximative. Une coupe reproduisant réelle-
ment la lésion n'aurait pu être faite d'après nature qu'en sacrifiant com-
plètement la pièce. Il est facile de se rendre compte de ces faits sur les
figures établies par M. Gruzelle.
Au point de vue clinique nous ferons les remarques suivantes :
La malade quoique reconnaissant tous les objets et sachant en indiquer
l'emploi et le nombre, est incapable de les dénommer. Par conséquent la
perception visuelle simple et la vision psychique sont conservées, mais la
malade est incapable d'appliquer volontairement, spontanément, même
d'une façon puraphasique, le terme à l'objet qu'il désigne, sauf rares ex-
ceptions où le mot est dit, d'une façon réflexe. Secondement comme L...
comprend parfaitement une phrase mais est incapable de la répéter, tout
en sachant accomplir l'ordre contenu dans cette phrase. A cGté de cela,
elle n'est pas, à vrai dire, aphasique motrice ; para phasique, agrammati-
que, mais non aphémique. Son vocabulaire est relativement considérable,
son langage compréhensible, seuls les termes servant à désigner les objets '
lui manquentabsolument,ainsi que les noms propres, le sien en particulier;
la faculté de construire normalement unephrase lui fait défaut aussi, moins
à cause de la diminution de son vocabulaire que par une sorte d'incoor-
dination, de bégaiement de la pensée, ou pour mieux dire de l'impulsion
verbale si l'on peut s'exprimer ainsi. La malade sait ce qu'elle veut dire
(spontanément), ce qu'elle doit dire (dans ses réponses), elle n'y arrive
qu'incomplètement et maladroitement. Les transmissions se feraient-elles
irrégulièrement soit par des voies anormales, détournées, soit par les
voies habituelles mais en partie détruites (1).
(1) M. Pitres dans une nouvelle série d'articles tout récents, discute la question à
propos des paraphasies et y étudie les différentes théories. Il repousse en particulier
la théorie dc Wernicke (Revue de médecine, juin 1899 et se;.).
Fic;. 9. - Imitée de Déjerine. Les circonvolutions figurées sont celles de la pièce.
Le pointillé indique les limites de la lésion en projection.
FIG. 10. - Coupe schématique reportée sur un schéma de Déjerine.
C. circonvolution limbique. - cc. Corps calleux. - CE. Capsule externe. - Cld.
Segmeut postérieur de la capsule interne. - CL. AvanL-mur. - Cri. Segment rétro-
lenticulaire de la capsule interne. F. Circonvolution frontale ascendante. - F2.
2 circonvolution frontale. f'... Sillons secondaires du lobe frontal. - Fd. Corps
godronné. - Fo. Forceps. CeP*. Lobule du pli courbe. 1. Insula. ip. ln-
cisure pariétale de l'opercule. - ipc. Tncisure du pli courbe. -1\.. Scissure calcarine.
- L. Scissure lombique. - LFS. Capsule extrême. Op. Opercule pariétale.
OOp. Opercule sylvienne. - P. c. Pariétale ascendante. - Ps, Pli courbe. - p. P.
Pied de la deuxième pariétale. - p. i. Sillon interpariétal. -- Pt. Circonvolution de
passage. Put. - Noyau lenticulaire. - Q. Lobe carré. R. Scissure de ltolando.
- S. Scissure do Sylvius. - sp. Scissure sous-pariétale. - SP. Splenium. - Th.
Couche optique. - TRI. Trigone.
446 TRÉNEL
A ce propos on peut se demander si le terme d'aphasie sous-corticale
répond à la réalité des faits, et s'il n'y aurait pas lieu¡ de tenir'compte
des lésions probables des cellules corticales faisant partie du système des
fibres d'association ainsi détruites. Seules les techniques actuelles pour-
raient donner des indications sur une semblable]ésion secondaire. Le'terme
d'aphasie de conductibilité a l'avantage de ne pas préjuger de la question.
En nous en tenant aux théories actuelles, nous ferons ressortir que,
dans notre observation, si la limitation de la lésion presque exclusivement
à la substance blanche confirme la nature sous-corticale de l'aphasie am-
nésique, l'étendue même de cette lésion dans la substance blanche ne per-
met nullement de déterminer une localisation étroite ; le nombre, la variété
des faisceaux intéressés nous empêche de donner une conclusion ferme,
aussi avons-nous dû nous borner à une description plutôt macroscopi-
que ; notre cas en effet est loin de réaliser le desideratum de Flechsig (1)
pour « la méthode des plus petits foyers ». Il y a lieu de noter cependant
que le faisceau arqué est très profondément lésé, et que ce faisceau parait
avoir été toujours plus ou moins intéressé à différents niveaux dans les
observations relevées par M. Pitres.
Observation II.
Sommaire. -'Hémiplégie gauche incomplète avec demi-contracture; état paré-
to-.spasmodique généralisé. - Dysarthrie. - Paraphasie ; aphasie amnésique.
- La malade ne peut dénommer la plupart des objets qu'on lui montre, elle les
décrit sommairement, les définit ou indique leur nature ; ses phrases sont in-
complètes, mal construites (antonomase, agmmmatisme). - Pas de cécité
verbale ou plutôt littérale (la malade n'ayant jamais su que ses lettres).
Surdité notable ; diminution considérable de la vision (hémianopsie douteuse,
opacités de la cornée).- Affaiblissement intellectuel avec grande irritabilité.
L...Olympiade,femme R.,âgée de 59 ans,entrée à l'Asile St-Yon en avril 1899.
La malade est atteinte depuis quatre mois de ramollissement cérébral ; elle
est agitée, violente et aurait menacé de mort son mari. A son entrée, on cons-
tate une hémiplégie spasmodique gauche incomplète avec rigidité spasmodi-
que généralisée, dysarthrie et aphasie.
Le mot de dgsarlhrie n'exprime peut-être pas exactement le trouble parti-
culier de la parole dont il s'agit. Il y a bien une certaine difficulté de l'articu-
lation des mots, mais il y a en même temps difficulté de l'élocution - dyslalie
si l'on veut ; de sorte que, quand L... prononce une phrase longue ou un
mot compliqué, elle bredouille souvent d'une façon peu compréhensible. On ne
peut dire qu'elle éprouve uue difficulté spéciale à prononcer certaines lettres ;
(1) FLECHSIG, Eludes sur le cerveau, trad. L. Lévi, 1898, p. 113.
APHASIE AMNÉSIQUE 447 7
elle écourte ou, si l'on peut employer l'expression vulgaire, elle avale les
mots. Il a de plus un certain nasonnement.
L'aphasie présente les caractères de l'aphasie amnésique avec paraphasie. La
malade désigne tout très bien, gens et objets qu'on lui dénomme et qu'on lui
dit de montrer du doigt; l'encrier, le lit, le poêle, une infirmière etc. On lui
montre une image représentant un cerf, elle dit : « une bête ».
Est-ce un homme ? Non..
Une bête ? Oui une bête.
Qu'a-t-elle sur la tête ? Ça comme ça. (Elit ! fait signe qu'elle a des cornes.)
La malade est incapable de dénommer quelqu'objet que ce soit ; il y a cepen-
dant de rares exceptions : elle a parfois prononcé certains mots (chaise,
pain...), mais c'est presque un hasard semble-t-il. En général elle prononce une
syllabe quelconque sans rapport avec le nom de l'objet; plus souvent elle donne
la définition de l'objet en question ou en indique l'usage par un geste appro-
prié.
Les exemples suivants donnent une idée du langage de la malade ;
On montre une clef. - Un gnon, peux pas le dire, si le savais, je le dirais.
Montre. - Un gnon, pour mettre comme ça, pas ? A quoi ça sert, je ne sais
pas au juste, c'est comme ça (elle fait le geste de mettre la montre dans un
gousset). '
Savon. - C'est un gnon, c'est pour aire ça (fait le geste de se savonner vi-
goureusement la figure). Petixpqs dire (elle prend son châle et fait mine de
s'en débarbouiller après l'avoir savonné).
Porte-plume. La con...pour faire ça (fait le simulacre d'écrire).
A quoi sert ceci (une clef) ? Elle fait le geste d'ouvrir une porte, et si, on
lui donne la clef, va la mettre dans serrure.
Dans un autre examen on lui montre encore :
Des clefs. Je ne peux pas le dire ; c'est méchant.. , elle montre la porte.
Boîte d'allumettes. - C'est une chaise, peux pas dire ; pour faire la soupe....
(elle fait le simulacre de frotter une allumette, d'allumer le feu et souffle vigou-
reusement, une autre fois elle a fait le simulacre d'allumer une pipe).
Un livre. - C'est pour ça (fait signe d'écrire).
Une chaise. - Une chai, une chai, c'est ça. - (Dans un autre examen, elle
a dit : chai pour ça moucher).
Un lit. - Un do, un do. un dodo. Il est impossible de lui l'aire dire un lit.
Brosse. Pour faire ça (elle brosse) une poi, unpeu.
Une montre. - Pour faire ça (fait signe de la mettre à son oreille), une po,
mne po.
Une clef. -Je vous l'ai dit, des mains, des machines, comme ça.
Dans un autre examen.
Une cuiller ? Pour manger, peux pas dire.
Est-ce un couteau, une fourchette, un verre ? ? - Non, non.
Est-ce une cuiller ? - Oui c'est ça, c'est ça.
Répétez cuiller. - Quiète, Quih'e, c'est ça j'ai bien dit.
On montre un dé. Pour coudre, pour faire ça (fait signe de coudre).
448 TRÉNEL
Est-ce une aiguille, des ciseaux ? - Elle proteste avec vivacité.
Répétez dé ? - Ré, lé c'est ça... Dites moi tout, tout ce qu'il veut.
On montre une brosse. - Pour ça (elle brosse) des caix, des caix.
Est-ce un balai ? - Non, non.
Répétez brosse. - Des bois, des bois.
On montre des ciseaux. - C'est pour noz mon; des cous, des cous (fait le si-
gne de couper au moyen du médius et de l'index comme avec des ciseaux).
On montre un livre. - Un pieu, je ne sais pas ; pour faire AAA BB.
Récitez l'alphabet, abc. - A 13 C DE.... (elle refuse de continuer).
Qu'est-ce que vous aimez manger ? - Lasonpe.
Quel légume aimez-vous ? Les crus ? les crus ? elle parait ne pas com-
prendre, on répète la question : Les pommes de terre ? oui, oui, c'est ça. Elle
réfléchit : L'autre jour il y en a eu beaucoup.
De quoi y a-t-il eu beaucoup ? Elle ne parvient pas à dire le mot haricots dont
il s'agit et qu'elle reconnait quand on le lui dit.
Dans la suite de l'interrogatoire elle a retrouvé spontanément le mot riz, et,
sur demande, a répondu que c'était blanc. Elle ne peut dire les mots viande,
gâteau, sucre. On lui montre un morceau de sucre, elle le dénomme cru.
La malade éprouve les plus grandes difficultés à dire son propre nom ; elle
répond à toutes les questions en donnant son petit nom ; elle n'a dit qu'une
fois son nom de famille. En général elle donne à sa place un mot quelconque
ou une désignation nettement paraphasique. Comment vous appelez-vous ?
Olympe peut pas dire, Olympe, Olympe.
Vous appelez-vous Joséphine ? Non pas ça, Olympe.
Quel est votre autre nom ? Olympe, Olympe.
Celui de votre mari ? Ampel, Ampel, mon mari, comme ça : Ampel (il
s'appelle Jules Alfred), mon mari s'appelle Hardi, Hardi.
Vous appelez-vous Lefèvre, Charpentier, Fortin, Collet ? -- Pas ça, pas ça.
Dans un autre examen :
Quel est votre nom ? Olympe.
Encore ? Olympe, peut pas dire ; dites lui vous (elle s'adresse à la soeur),
vous savez vous, dites-le Monsieur. Peut pas dire, il n'y a que moi, peux pas
dire ; je meures ! (elle se fâche.)
Vous appelez-vous Martin... etc. ? - Pas ça Olympe.
Et Ribert (nom de son mari) - (Elle n'a pas l'air de comprendre), je ne sais
pas, je ne sais plus rien.
Et Louvet ? (nom de sa famille) - C'est moi ; peut pas le dire, tllorctcG,
Montet, Nutet, Velet.. peux pas dire. Oh ! puis moi, je voudrais m'en aller.
Qu'est-ce que Ribert ? - Je ne sais plus, je le jure que je ne sais pas. '
Dans un autre examen après avoir déchiffré lettre par lettre son nom de dame
(Ribert) elle est incapable de le répéter, mais le'reconnait cette fois comme son
nom. On lui demande : Ribert, qu'est-ce que c'est que cela ` ? - Ilebei-1, Robert,
mon mari.
Et Louvet ? - C'est moi.
Comment vous appelez-vous ? Louvet.
APHASIE AMNÉSIQUE 449
Dites encore ce nom ? - Olympe, comment encore ? peux pas le dire ; c'est un
cochon (elle s'irrite).
Qui appelez-vous comme cela ? - Mon mari, me laisse là.
Connaissez-vous M. B... (son ancien patron) ? -- On faisait des saletés (elle
était ouvrière en chiffons). Il faisait comme ça (elle fait le simulacre de couper
des chiffons avec un instrument et son geste professionnel est très exact au
dire d'une autre malade qui a été sa camarade d'atelier).
On éprouve de grandes difficultés à faire répéter une phrase la malade,
car elle est inattentive, excitée, bruyante et de plus elle présente un notable
affaiblissement de l'ouïe. Cependant elle comprend parfaitement tout ce qu'on
lui dit.
- Répétez : Je voudrais bien manger ma soupe.
Ma soupe (en écho) ; je ne peux pas, peux pas le dire.
On insiste : Je voudrais ma soupe.
- Répétez : Il fait beau temps aujourd'hui.
- Oui pas mal (d'un ton de moquerie, car il fait en réalité un temps af-
freux). La malade refuse de répéter la phrase.
Dites : Je veux aller me coucher ?
Dodo, dodo, peux pas dire.
On répète la question.
Je veux dodo.
On répète encore la question.
- De cacher, de cacher.
On lui demande alors : qu'est-ce que cela ? (un lit) :
Dodo, fais dodo, je dis comme ça : na do.
- Répétez : je ne peux pas manger de viande. Jian (en écho). Comme
on insiste elle refuse avec colère : Il veut que je dise comme lui !
Lecture. Elle prétend ne pas savoir lire ; avec bien de l'insistance on
parvient il lui faire lire des lettres de grande dimension les unes après les au-
tres, sans faute notable quand elle veut bien s'appliquer. Elle a lu, entre autres,
toutes les lettres de son nom sans se rendre compte qu'elle lisait ainsi son
nom, et sans qu'on puisse parvenir ensuite a lui faire dire ce même nom.
Elle lit aussi assez bien les chiffres (un il un) avec des fautes évidemment
dues à l'inattention, 1, 3, 4, 8 sont bien lus, pour 7 elle dit 3, pour 6 succes-
sivement elle dit, B, D, dix, dix. 9 n'est pas reconnu. Elle tâche d'esquiver tout
examen en disant : « Je n'ai pas été à l'école, je n'ai pas pu, regardez là (son
oeil couvert d'une taie). Je n'ai pas menti. » Quand elle est bien disposée, elle
plaisante : en lisant la lettre E, elle montre son nez et dit un nez, un ne ?
Dans ces essais de lecture elle ne lit qu'au moyen de l'oeil gauche et en te-
nant le modèle tout à fait en dehors comme si elle ne pouvait lire que dans un
segment limité du champ visuel.
Ecriture. - Elle dit ne pas savoir écrire : on a tenté à diverses reprises de
lui faire copier un rond, un carré, ou n'obtient que des images informes, où
cependant on reconnaît il la rigueur des traits arrondis dans le premier cas,
XII 30
IâQ TRÉNEL
anguleux dans le second. Tous ses mouvements sont d'ailleurs maladroits,
raides et saccadés.
Elle reconnaît les couleurs sans pouvoir en dire le nom en général ; elle indi-
que du doigt les arbres de la cour quand on lui montre une feuille verte arti-
ficielle et dit : « C'est dix, dix, dix. »
On lui montre un papier rouge : - Ou, ou, dix, dix.
C'est rouge ? Attendez ! elle fait un effort et dit brusquement : Rouge ! Un
instant après on lui demande de quelle couleur était le papier ? Elle répond :
Ou, ou, peux pas le dire.
On lui montre un papier bleu. - Dix, dix, rou, 1'OU; puis elle dit : Comme
ça (en montrant son tablier déteinte bleue).
Dans un autre examen, on lui montre des papiers de couleurs variées :
Jaune ? Dou.
Blanc ? - Du blanc ! 2
Lilas ? - Blanc.
Vert ? - Blanc, blanc, je ne sais pas ; comme ça (elle montre les arbres par
la fenêtre).
Rose ? - Du noir (Il y a en effet quelques lignes imprimées sur le papier et
comme on insiste : Nou, ) : ou.
Jaune ? - Du blanc je ne sais pas, nou ?
Tout cet interrogatoire est entrecoupé de formidables jurons et la malade
finit par déchirer violemment tous les objets qu'on veut lui montrer.
Dans un autre examen :
Quelle est la couleur de votre tablier ? Je ne sais pas, je peux pas dire, at-
tendez, deu deu..
Et ceci (le voile de l'infirmière) ? - C'est deu, c'est deu.
Mais non, c'est noir. - Oui c'est ça, noir.
Je lui montre une boite jaune : Est-ce vert, rouge ? Non pas ça, écoutez
(elle prend un air goguenard) je vais vous dire ; c'est quand c'est le mari de mou
mari qui joue avec une autre... (elle fait un geste obscène).
C'est jaune ? - Oui c'est ça, c'est ça.
Eh bien, dites le mot jaune. - Je ne peux pas dire.
On insiste : Mais puisque je vous ai dit, c'esl mon mari, quand mon mari
est avec une autre, c'est lui, c'esl lui 1 (elle rit plaisamment). On ne peut
demander mieux comme définition de la part d'une aphasique amnésique. Son
idée paraît la mettre en joie, car dans les examens suivants elle s'empresse
tonjours de répondre, en riant : « C'est mon mari, c'est mon mari. »
Etal physique. - La malade présente une raideur spasmodique généralisée;
les mouvements sont maladroits, saccadés. La marche est très raide ; la rigi-
dité est notablement plus marquée a la jambe gauche, l'extension et la flexion
volontaires se font normalement ; les mouvements passifs sont obtenus sans
résistance quand la malade est calme. Les réflexes rotuliens sont très exagérés,
il y a ébauche de tremblement épileptoïde des deux côtés. Le membre supé-
rieur gauche présente une contracture incomplète, en demi-flexion ; le bras ne
OU ? ICOOOKAPHIE DE L SAlPÊIRIÈRF.
T. XII. 1'1. LXXIX
APHASIE AMNESIQUE
l'aresie sp.tsmodiyuc ynér.tlisec prédominant Ù g.tuchc.
La malade grimace d'une façon spasmodiquc dès qu'on s'occupe d'elle.
A gauche, une maniaque périodique.
(Trille ! )
MASSON & cie, Editeurs.
APHASIE AMNÉSIQUE 451
peut être mis en abduction complète, le coude ne peut être complètement
étendu, soit passivement, soit volontairement; les 2 derniers doigts sont en
demi-flexion non réductible. Les réflexes tendineux sont exagérés ; en dehors
de ce dernier symptôme iLn'y a rien à noter au bras droit. La malade n'est
pas gauchère.
Il n'y a pas de paralysie faciale (1), la langue est un peu tremblante et lé-
gèrement déviée a gauche. Il n'y a pas de dyspbagie, la malade avale glouton-
nement. D'habitude elle' ne laisse pas, couler la salive ; quand on la fait parler
elle bave et cra`cbotte. Pas de troubles de la respiration. Pouls fort et rapide
(90).
Aux yeux, reliquat de kératite ancienne, avec opacité quasiment complète à
droite, peu accentuée à gauche. Ces lésions rendent l'examen très difficile. Les
pupilles sont dilatées. ,
11 existe un affaiblissement notable de l'ouïe qu'il a été impossible de mesu-
rer même approximativement et de déterminer comparativement des deux
côtés, en raison de la résistance de la malade.
La malade est pleurarde ou plutôt criarde, surtout dès qu'on veut lui faire
subir un examen ; elle s'excite alors, prononce une série ininterrompue de lam-
beaux de phrases paraphasiques d'une voix un peunasonnée, puis crie, grimace
d'une façon presque spasmodique (PI. LXXIX) et finit par entrer dans une P.
fureur des plus comiques, mais qui ne permet pas d'achever l'examen : elle se
lève brusquement, cherche à s'enfuir au risque de tomber, en raison de sa
raideur et de sa maladresse, et elle tombe en effet en se démenant sur sa chaise.
Elle parle sans s'arrêter d'une façon paraphasique pendant tout l'examen. « Il
vaudrait mieux ! mon dieu ! . c'est fini, voyons, vite, vite, il va me prendre ;
mais va-t-en ; il va me faire du mal. Quitte-moi. J'ai mal à la tête... Viens mon
vieux (en parlant à la soeur). »
Dans ces derniers jours elle a employé des arguments irrésistibles en frap-
pant, mordant et en faisant voler de tous côtés les objets qu'elle peut atteindre;
elle me déclare en parlant nègres «Jamais quand vous venir là vous dirai pas
bonjour. » Il faut parlementer, batailler avec-elle pour obtenir qu'elle se laisse
examiner et qu'elle réponde aux interrogatoires.
Au point de vue des troubles du langage cette malade se rapproche
beaucoup de la précédente et appartient au même type. Chez elle aussi
l'aphasie amnésique parait être assez nette et accompagne la paraphasie.
Tous les objets sont bien reconnus, bien désignés, mais sauf de rares ex-
ceptions la malade ne peut les dénommer ; quelques noms ça et là surgis-
sent isolés au milieu de son jargon paraphasique.. z
Il faut remarquer qu'elle donne toujours au moins une désignation pa-
raphasique, tandis que l'autre malade, plus manifestement aphasique
(1) Depuis plusieurs semaines la face est, au repos, fréquemment déviée à gauche
(octobre 1899).
452 TRÉNEL
amnésique, n'en donnait aucune. Exemple : une brosse, un pfeu, un savon,
un gnon, une chaise, chai, etc. Couramment elle désigne les objets par une
définition ou en indiquant l'usage par un geste bien approprié. Elle a
même à l'occasion des définitions pour les termes plus abstraits qu'elle
ne peut retrouver, et sa définition, plutôt moliéresque, de certaine couleur
est à retenir.
Le diagnostic de la localisation est assez obscur. 11 y a apparemment des
lésions multiples sous ou infra-corticales, bilatérales (1) : les symptômes
de forme pseudo-bulbaire ne sont pas assez nets pour qu'on puisse em-
ployer ici le terme de syndrome pseudo-bulbaire : il y a lieu cependant
de remarquer la parésie spasmodique généralisée, la dysarthrie, la ten-
dance à la salivation, un certain nasonnement, l'accélération du pouls
(en rapport peut-être seulement avec l'émotivité de la malade), enfin cette
émotivité même, cette hyperexcitabilité accompagnée de cris et de grimaces
presque spasmodiques et qu'on pourrait à la rigueur rapprocher du rire
ou du pleurer spasmodique, comme on peut le voir sur la photographie
(Pl. LXXIX).
D'autre part la nature des troubles visuels ne peut être bien déterminée,
et l'hémianopsie, quoique plus que probable, ne peut être démontrée
dans l'état des choses.
(1) Peut-être syphilitiques. - A noter que le mari de la malade, que j'ai vu sans
pouvoir l'examiner, a la parole embarrassée, une inégalité;pupillaire énorme, et l'in-
telligence manifestement affaiblie (Paralysie générale ? ).
LE TROPHOEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE
PAR
HENRY MEIGE
Sous la dénomination de Dystrophie oedémateuse héréditaire, nous avons
cru devoir attirer l'attention, l'an dernier, sur une variété d'arme chro-
nique des membres inférieurs survenant chez plusieurs membres d'une même
famille et pendant plusieurs générations (1).
Les faits de ce genre semblant rarissimes dans la littérature médicale,
il n'est peut-être pas sans intérêt d'y revenir avec quelques développe-
ments.
Nous reprendrons donc en détail l'histoire de la curieuse famille oedé-
mateuse que nous avons eu l'occasion d'observer, en y ajoutant des re-
marques sur les exemples qui paraissent s'en rapprocher.
Observation I.
Une jeune fille de 17 ans, Fe..., est entrée, vers- la fin du mois de juin
1898, dans le service de M. le professeur Brissaud.
Elle était venue à l'hôpital Saint-Antoine pour un examen rhinoscopi-
que, se plaignant depuis longtemps déjà d'être gênée pour respirer ; on
lui avait parlé en effet de « végétations adénoïdes » et même de « polype
nasal » dont elle désirait se faire opérer.
Pour le reste, elle déclarait être de bonne santé, n'avoir jamais été ma-
lade, faisant aisément son métier de domestique, sauf depuis un mois en-
viron où elle se sentait un peu gênée par ;< sa phlébite »....
Interrogée sur cette phlébite à laquelle elle semblait n'attacher qu'une
minime importance, « C'est, répondit-elle, une grosse enflure de la jambe
droite, qui dure depuis près de cinq ans ».
A l'époque de la formation, le pied et la cheville ont commencé à gros-
sir, puis l'enflure a gagné la jambe et s'est arrêtée au genou. Aucune chute,
(1) Voy. C. R. du Il® Congrès des médecins aliénistes et neurologistes tenu à
Angers le 4 août 1898, - et Presse médicale, 14 décembre 1898.
454 . HENRY MEIGE
aucun choc, nulle douleur, nulle fièvre, au début de cette tuméfaction,
non plus que les années suivantes. La jambe et le pied sont restés gros,
durs au toucher, toujours blancs, jamais rouges, et jamais ils n'ont été
douloureux. Il a bien fallu porter un bas et une chaussure plus larges, la
jambe est devenue un peu lourde à mouvoir, mais la marche n'en a ja-
mais été sérieusement gênée.
Au demeurant, la jeune fille paraissait considérer sa « grosse jambe »
comme une infirmité de vieille date avec laquelle elle était depuis long-
temps résignée il faire bon ménage. Sa « phlébite » l'incommodait fort peu.
« Cependant, ajoula-l-elle, depuis un mois ou deux, l'enflure a peu à
peu gagné la cuisse, sans toutefois causer la moindre douleur. »
La malade fut admise à l'hôpital, et dès le premier examen, voici ce
qu'on a pu constater :
Tout le membre inférieur droit, depuis la racine de la cuisse jusqu'aux
orteils, est envahi par une enflure volumineuse, défigurant tous les con-
tours. Cuisse, genou, jambe et pied disparaissent, noyés dans une sorte
de gangue oedémateuse qui se boursoufle au-dessus des plis cutanés, for-
mant des bourrelets d'apparence éléphantiasique (PI. LXXX et LXXXI).
Au pied, la tuméfaction fait bomber la face dorsale au-dessus des doigts
qui, eux-mêmes, sont un peu épaissis. Sur le cou-de-pied la boursouflure
est extrême et les téguments distendus retombent en replis gonflés qui mas-
quent les reliefs malléolaires et la corde du tendon d'Achille, rappelant,
ici surtout, le « pantalon de zouave » de l'éléphantiasis. Sur la jambe,
on chercherait en vain à reconnaître en avant la crête tibiale et en arrière
la saillie des jumeaux. On ne retrouve pas davantage la morphologie du
genou dans les bosselures insolites qui dénaturent les reliefs ordinaires
de la région. Quant à la cuisse, c'est un énorme cylindre à peu près régu-
lier, qui, en bas, part de la jarretière, pour aboutir en haut aux plis in-
guinaux et fessiers.
Tel est l'aspect de ce membre bouffi dont la difformité est rendue plus
saisissante encore par comparaison avec la jambe saine qui conserve un
irréprochable modelé.
A la racine de la cuisse, nettement, l'enflure cesse. En avanl, le pli
inguinal, le mont de Vénus, et en arrière, la fesse sont strictement res-
pectés. Au-dessus, sur le ventre, la poitrine, le dos, sur les bras, sur le
cou, sur la face, la peau est mince et souple, les contours sont réguliers,
les formes correctes.
Et il en est ainsi de la jambe gauche : elle est indemne du haut en bas.
Une différence d'au moins dix centimètres dans toutes les mesures circon-
\OU%-. lcOSOGHAPlIlE DE LA SALPÉERIÈttE.
T. XII. Pl. LXXX
Fé..., 17.\115. Ar..., 21 ans.
TROPHOEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE
(Henry f}¡Cl'ige)
MASSON & cie, Editeurs.
Nouv. Iconographie DE la Salpêtrière.
T. XII. PI. LXXXI
, Ij .1175.
Ar..., 21 ans.
TROPHCEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE
(Heuy ClCrino)
MASSON & CIC, Editeurs.
LE TROPHoeDÈ1E CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 455
férencielles permet d'évaluer approximativement l'augmentation de vo-
lume du membre oedématié.
Ce dernier n'est pas seulement difforme. La peau en est très épaissie et
distendue ; elle ne présente, il est vrai, aucune trace d'excoriation.'aucune
fissure, aucune marbrure ; elle est blanche et elle est lisse ; mais on ne peut
la pincer entre les doigts ni la faire glisser au-dessus des masses osseuses
ou musculaires ; ce n'est que très difficilement qu'on peut y imprimer le
godet ou la cupule classiques. On y parvient cependant après une pres-
sion longue et forte dans les points où la tuméfaction forme les plus gros
bourrelets, au pourtour des chevilles, sur la face dorsale du pied, et
cela principalement lorsque la malade est restée debout un certain temps.
Car l'enflure, dans la position verticale, augmente à la fois en volume
et en mollesse ; cependant elle ne disparaît jamais par le décubitus pro-
longé.
Enfin, fait remarquable, aucune douleur, ni spontanée, ni provoquée
par les mouvements ou les attouchements.
OEdème blanc, dur, boursouflé, exactement limité au seul membre inférieur
droit, survenu sans douleurs et sans fièvre, cantonné au pied et à la jambe
pendant plusieurs années et ayant récemment envahi la cuisse, telle était t
cette prétendue phlébite. ,
Or. le coeur et les reins sont en excellent état (il n'y a pas trace d'al-
bumine dans les urines) ; d'ailleurs l'affection est franchement unilatérale.
Nul souvenir de rhumatisme, aucun désordre des organes du petit
bassin, jamais de douleurs sur les trajets vasculaires ou nerveux.
Tout le mal se réduit- à cette vaste enflure blanche, dure et indolore,
occupant tout le membre inférieur droit, et celui-ci seulement.
Poursuivant l'examen, on fut conduit à rechercher l'état de la sensibilité.
Celle-ci apparut très notablement diminuée sur toute la moitié droite du
corps : tête, bras, tronc et jambe. C'était une hémi-hypoesthésie nettement
arrêtée suivant la ligne médiane et accompagnée d'une anesthésie en
botte de la jambe et du pied droit. Par surcroît, on découvrait une dimi-
nution notable de l'ouïe à droite, et l'abolition complète du réflexe pha-
ryngien. En l'absence même d'autres stigmates (pas de rétrécissement du
champ visuel ni de dyschromatopsie, aucune crise convulsive) on de-
vait songer à l'hystérie.
Tel fut en effet le premier diagnostic, et l'on aurait pu s'en contenter.
Mais, en poussant plus loin l'interrogatoire, la malade nous apprit
qu'une de ses soeurs, un peu plus âgée qu'elle, était atteinte d'un oedème
analogue, mais occupant les deux membres inférieurs tout entiers.
Le fait était rigoureusement exact ; nous avons pu nous en assurer.
456
UENRY MEIGE
OBSERVATION II.
Ar..., âgée de 21 ans, soeur de la précédente malade, vint à l'hôpital
Saint-Antoine, et confirma tous les dires de Fe...
Chez elle aussi, l'enflure des jambes avait débuté vers l'âge de 13 ans
au moment de la formation, se cantonnant d'abord aux pieds et aux che-
villes, des deux côtés, pendant un an environ. Peu à peu, la limite supé-
rieure de l'oedème avait atteint les genoux et était restée telle jusqu'à
l'âge de 17 ans. Alors seulement, les deux cuisses furent envahies simul-
tanément, et depuis près de quatre ans, pieds, jambes et cuisses sont dé-
formés à l'extrême, tuméfiés, boursouflés, d'aspect éléphantiasique.
Ici encore, l'oedème est blanc, dur, absolument indolore. La pression du
doigt n'y détermine un godet qu'à la condition d'être prolongée et très
forte. Au dire de la malade, cette empreinte était beaucoup plus facile à
obtenir autrefois qu'aujourd'hui. L'oedème serait devenu sensiblement
plus dur depuis deux ou trois ans (l'l. LXXX et LXXXI).
Cependant, par places, la piqûre laisse écouler quelques gouttes de sé-
rosité transparente, et les bandes que la jeune fille enroule autour de ses
jambes dessinent des sillons assez longtemps persistants. Enfin les jam-
bes sont notablement plus volumineuses le soir que le matin ; par contre,
le repos horizontal les fait un peu diminuer de volume ; mais jamais elles
ne retrouvent leur forme normale.
L'enflure augmente régulièrement au moment des règles, puis diminue
dans les périodes intercalaires, et surtout avec le repos ; en aucun cas, elle
ne disparaît complètement. Les mesures circonférencielles en témoignent.
Elles excèdent d'au moins dix centimètres celles d'une jambe normale.
Il est facile de s'en rendre compte en prenant pour terme de comparai-
son la jambe saine de la soeur cadette, qui est à peu près de même taille
que son aînée.
On constate en outre que chez cette dernière la jambe droite est nota-
blement plus grosse que la gauche, de 3 à 4 centimètres en moyenne.
Voici d'ailleurs les mensurations prises à la date du 25 juin 1898 par
M. Léon Goujon.
MESURES 21" nn FE ?
de circonférence des membres 21 ans 11 ans
inférieurs droite gauche droite gauche
cm. cm. cm. cm.
Au niveau des malléoles 29 28 32 23
de la jambe (p. moy.).... 42 39 42 31
du genou 43 38 H 1 32
de la cuisse (p. moy.).... 52 48 titi 45
LE TROPHOEDÈiIIE CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 457
En résumé, chez cette seconde malade, les deux membres inférieurs
sont envahis par un oedème volumineux, blanc, dur, et indolore, en tout
semblable à celui que la soeur cadette présente au seul membre inférieur
droit.
Les deux membres sont atteints à un degré presque égal : voilà déjà
une première différence.
Il en existe une seconde, importante à noter : La sensibilité est conser-
vée intégralement, sous tous ses modes, des deux côtés, de haut en bas.
Et la malade ne présente aucun stigmate d'hystérie. Tout au plus la tour-
nure de son caractère offrirait-elle une certaine analogie avec celle des
hystériques....
D'autre part, le reste de l'examen ne donne que des renseignements né-
gatifs : coeur normal, pas d'albumine dans les urines, aucun désordre des
organes abdominaux.
A 14 ans, une fièvre typhoïde très bénigne, mais nulle autre maladie
depuis lors, ni rhumatisme, ni érysipèle.
A signaler simplement des maux de tête qui se renouvellent assez fré-
quemment.
Ici, cependant, cette maladie oedémateuse, - mieux vaudrait dire cette
infirmité, - n'a pas toujours été d'allure aussi discrète.
A cinq reprises différentes, sont survenues des poussées aiguës et dou-
loureuses, accompagnées d'une augmentation de l'enflure et d'une colora-
tion rouge des téguments.
La première fois, il y a 7 ans, en 1891, la malade est entrée à l'Hô-
pital St-Louis où elle fut soignée, dit-elle, pour une «phlébite ». La jambe
droite était plus grosse, plus rouge, et extrêmement douloureuse : dou-
leurs spontanées exaspérées par les mouvements, la pression, elles avaient
débuté au pli de l'aine ; mais la malade ne se rappelle pas qu'elles aient
siégé sur un trajet défini : toute la périphérie du membre était doulou-
reuse ; le contact des draps était insupportable.
Au bout d'un mois environ, douleur et rougeur disparurent; mais
l'oedème persista comme auparavant.
Depuis lors, quatre nouvelles poussées semblables se,sont produites,
obligeant la malade à s'aliter. Chaque fois, elle est allée se reposer dans
sa famille; au bout d'un mois ou six semaines, les accidents disparais-
saient ; la marche et le travail redevenaient possibles, bien que ]'oedème
blanc, dur, indolore persistât comme devant.
A l'occasion de ces poussées aiguës, Ar... a d'abord été soignée comme
s'il s'agissait réellement d'une phlébite. Puis on l'a mise au régime lacté.
Et il y a 5 ans, pendant une durée de 6 mois, on lui a fait prendre des
458 HENRY MEIGE
corps thyroïdes de mouton. On voit par là les diagnostics qui sont venus
successivement à l'esprit des médecins traitants : phlébite, affection car-
diaque ou rénale, et jusqu'au myxoedème.
Sans insister pour le présent, poursuivons notre historique.
En effet, au cours de son interrogatoire, Ar... nous a appris que sa
soeur et elle n'étaient pas les seules personnes de leur famille qui fussent
affligées de la même infirmité oedémateuse.
OBSERVATION III.
La mère de Fe... et de Ar..., âgée de 40 ans, a été, elle aussi, depuis
sa treizième année, atteinte d'une enflure des jambes en tous points com-
parable à celle que présentent ses deux filles. Même oedème, blanc, dur et
indolore, ayant débuté de la même façon, par les deux pieds, pour enva-
hir ensuite les jambes ; toutefois, il n'a jamais dépassé le genou.
Nous avons tenu à contrôler le fait par nous-même et nous avons vu
cette femme dans le petit village où elle habite, depuis son enfance
(PI.LXXXII).
C'est une travailleuse, alerte et bien portante, sans aucune affection
cardiaque ni rénale ; elle n'a jamais été malade ; ses grosses jambes, qui
sont effectivement l'image exacte de celles de ses deux filles, ne lui cau-
sent qu'une gêne insignifiante et ne l'empêchent nullement de faire son
rude métier de ménagère.
C'est bien la même maladie, bilatérale, mais arrêtée aux deux genoux.
Ici. pas de poussées douloureuses, pas de troubles de la sensibilité.
Rien qu'une difformité symétrique des deux jambes portant sur le tissu
cellulaire sous-cutané.
Or, ce n'est pas tout : cette difformité s'étend encore à d'autres membres
de la famille.
Observation IV. 1 .
A..., âgée de 13 ans, lé frère de Fe... et de Ar..., présente déjà les
signes du début de la même affection. Son pied droit, le cou-de-pied et la
moitié inférieure de la jambe du même côté sont notablement tuméfiés.
Et c'est encore le même oedème dur et indolore, un peu moins blanc ici
que chez la mère et les deux soeurs. La jambe gauche est indemne ; mais
rien ne dit, fait remarquer la mère, que celle-ci ne grossira pas à son
tour, car ce mal semble être un héritage ancestral auquel il semble diffi-
cile d'échapper (Pl. XXXII).
Et à l'appui de son dire, elle nous communique les renseignements
suivants :
NOU1'. ICONOGKAPUIE DE LA SALPhIH1ÈHF.
T. XII. J'I. LXXXII
Mère de Fe... et Ar..., 40 ans.
Frère de l'c... et Ar..., 13 ans.
TROPHOEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE
71')t/'V ? < ?
MASSON 5 Cl, EdltcUt ?
LE TROPHCEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 459
Observations V et VI.
Deux frères de la mère de nos malades, leurs oncles maternels par
conséquent, ont été l'un et l'autre porteurs de « grosses jambes » qui res-
semblaient à celles des enfants.
L'un de ces oncles, mort il l'âge de 25 ans,était oedématié des deux mem-
lires inférieurs, pieds, jambes et cuisses. Il mourut brusquement, parait-il,
en 48 heures « l'enflure, dit la famille, lui étant remontée au coeur ».
L'autre oncle est mort aussi, âgé de 27 ans, on ne sait trop de quoi.
Celui-ci, comme sa soeur, n'avait que des grosses jambes, les cuisses étaient
respectées. Il aurait eu, de bonne heure, à la face interne des chevilles
des plaies qui mirent longtemps à se cicatriser, étant constamment avivées
par le frottement des bourrelets oedémateux. Un séjour prolongé dans un
hospice l'en guérit cependant, mais, peu après, paraît-il, l'enflure s'étendit t
à tout le corps et il ne vécut pas longtemps.
Il faut évidemment faire quelques réserves sur ces renseignements ré-
trospectifs.
Un fait reste certain cependant, c'est l'existence, chez les deux oncles
maternels de Fe... et de Ar..., d'une difformité oedémateuse semblable à
celle dont elles sont atteintes actuellement. Les souvenirs de la mère sont
à cet égard très affirmatifs.
Quant au père des deux jeunes filles c'est un homme de bonne santé,
dont l'hérédité est exempte de toute tare.
Ainsi, sur deux générations, voici six membres d'une même famille,
atteints, à des degrés divers, de la môme singulière affection.
Et ce n'est pas tout encore....
Observation VII.
La grand'mère de nos malades, âgée de 60 ans, actuellement vivante et
bien portante dans un petit village de la Brie, présente, elle aussi, la
même difformité des jambes, et des jambes seulement, comme sa fille, et
l'un de ses fils. Et toujours, c'est le même oedème blanc, dur, indolore,
qui laisse possible la marche et ne cause d'autre désagrément que la né-
cessité de porter des chaussures et des bas très larges.
Observation VIII.
Enfin, huitième et dernier représentant de cette famille oedémateuse :
le père de cette vieille femme, l'arrière grand-père de nos jeunes malades,
avait été, le fait est certifié, affligé de la même façon des deux pieds
et des deux jambes, les cuisses étant respectées. '
Arrière grand-père maternel.
Grand'mère maternelle (60 ans).
Frère de la mère (m. à 25 ans). Mère (40 ans). Frère de la mère (m. à 27 ans).
Ar. (21 ans). Fe. (17 ans). Frère (13 ans).
Schéma généalogique montrant la répartition de l'oedème dans la famille de Fe...
Sur le schéma de cette dernière, le pointillé correspond aux territoires hypoesthési-
ques ? Les cniiirba indiquent les mesures de circonférence des membres inférieurs.
LE TROPIIOEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 461
Ici s'arrêtent les renseignements généalogiques que nous avons pu re-
cueillir.
Mais qui sait si cet ancêtre, venu au monde peu de temps après la fin
du siècle dernier, ne tenait pas lui-même ses « grosses jambes » d'un
héritage pathologique encore plus reculé ? ....
En résumé, huit personnes de la même famille, hommes ou femmes,
échelonnées sur quatre générations, dont cinq actuellement vivantes , sont at-
teintes de la même affection singulière : un oedème chronique, blanc, dur et
indolore (sauf le cas de Ar...) apparaissant à l'âge de la puberté, occu-
pant tantôt les pieds et les jambes, tantôt la totalité des membres infé-
rieurs, et généralement des deux côtés (Fe... exceptée).
11
Pareille hérédité n'est pas chose vulgaire dans les affections oedéma-
teuses, et suffirait à mettre hors de cause les oedèmes les plus générale-
ment connus.
Nous rappellerons cependant, pour mémoire, les raisons qui permettent
de les éliminer dans chacun des cas pris isolément.
Chez aucun des membres de la famille que nous avons eu l'occasion
d'examiner il n'existe de lésion cardiaque. Chez aucun l'artériosclérose ne
peut être incriminée. Aucune lésion locale du système vasculaire. Aucun
traumatisme, aucune tumeur. Les reins, le foie, la rate, les organes abdo-
minaux ou pelviens sont parfaitement sains. Et, comme maladies infec-
tieuses, il n'y aurait à rappeler qu'une fièvre typhoïde tellement bénigne
que le diagnostic en demeure incertain. Enfin on ne retrouve aucun
souvenir de rhumatisme aigu ou subaigu, et l'on ne peut guère soupçon-
ner la chlorose, la leucocythémie, moins encore le cancer et toutes les au-
tres causes de cachexie oedémateuse.
D'ailleurs les caractères cliniques de l'enflure, sa dureté, son indo-
lence, sa répartition, sa longue durée, suffisent à la différencier des oedè-
mes mécaniques, infectieux, dscrccsiqices.
Faut-il envisager l'hypothèse d'une phlébite ? Bien que ce nom soit de-
venu d'usage courant dans la famille de nos malades, il semble bien super-
flu de s'y arrêter.
La phlegmatia alba iNDOLENS, chronique et familiale, ne figure pas dans
les nosographies.
Tout au plus pourrait-on se demander si les crises aiguës qu'a présen-
462 HENRY MEIGE
tées l'aînée des jeunes filles n'étaient pas des poussées d'inflammations
veineuses ?
Si le cas était isolé, ce diagnostic serait il coup sûr défendable, bien qu'à
vrai dire, la malade n'ait pas gardé le souvenir qu'au cours de ces pous-
sées aiguës les trajets veineux aient été spécialement douloureux. Au sur-
plus, pour les autres malades, la phlébite ne peut être mise en cause.
On pourrait peut-être incriminer l'érysipèle qui, parfois, laisse à sa suite
des oedèmes durs longtemps persistants. Mais la fièvre a fait défaut au dé-
but ainsi que la rougeur, et ces lymphangites résiduelles ne sont pas, non
plus que les phlébites, des affections familiales, transmissibles héréditai-
rement. t.
On a bien signalé l'apparition d'érysipèles il répétition suivis d'oedè-
mes persistants d'aspect éléphantiasique il la suite de l'ablation des gan-
glions inguinaux (1). Nos malades n'ont subi aucune opération ; leurs gan-
glions ne sont pas volumineux.
Une maladie à laquelle on ne pouvait s'empêcher de songer par le simple
examen des membres malades, c'est l'éléphantiasis.
Nous ferons remarquer d'abord que le terme d'éléphantiasis est com-
munément appliqué à toutes les variétés d'enflure de membres qui attei-
gnent un développement anormal.
Il est donc indispensable de préciser sa signification. Or, si l'on envisage
la maladie des pays chauds causée par la filariose, il ne saurait en être
question ici, les malades, ainsi que leurs parents, sont originaires de la
Brie et n'ont jamais vécu que dans leur province ou à Paris.
Sans doute on a décrit des cas d'éléphantiasis noslras, présentant clini-
quement toutes les apparences de l'éléphantiasis tropical. Et précisément
un des caractères cliniques de l'éléphantiasis, qu'il soit tropical ou de nos
contrées, serait, selon M. Besnier, une succession cle poussées aiguës, sou-
vent fébriles, toujours douloureuses, accompagnées de symptômes géné-
rauxplusou moins bruyants. Ce qui n'est pas sans analogie avec l'histoire
deFe...
Et bien que le parasite tropical n'ait pu être retrouvé dans les cas d'élé-
phantiasis nostras, on admet que le syndrome clinique de la maladie peut
être réalisé par un autre agent infectieux, le streptocoque il. Dans no-
tre cas, l'examen bactériologique eût-il été positif, n'eût pas suffi à expli-
quer l'hérédité de la maladie.
(1) Riedel, OEdème persistant et éléphantiasis à la suite de l'extirpation de gan-
glions lymphatiques. Arch. f. klin. Chir., XLVII. 3. 4.
(2) Rexon, Eléphantiasis noslras. Soc. de biologie, 3 avril 1897.
LE TROPHCEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 463
D'ailleurs, si l'on tient à employer le terme d'éléphantiasis, on n'ou-
bliera pas que celui-ci s'applique encore à des affections qui ne semblent
nullement d'origine parasitaire, et que l'on s'accorde à considérer comme
des troubles trophiques d'origine névropathique (1).
. *
.... x
Ceci nous amène à parler des oedèmes qualifiés de nerveux, et c'estdans
cette catégorie que nous allons trouver bientôt des caractères cliniques com-
parables à ceux que nous avons observés.
Bien entendu, il faut encore laisser de côté nombre d'affeeLions.oedéma-
teuses dont les causes font défaut ici.
Tels sont les oedèmes consécutifs aux lésions traumatiques ou compres-
sives des nerfs, ceux qui accompagnent les névralgies, et tous ceux qui
apparaissent comme épiphénomènes au cours d'une maladie définie du
système nerveux (hémiplégie, paralysie infantile, labes,'syringomyélie,
etc...). Leur mécanisme pathogénique peut sans doute offrir plus d'une
ressemblance avec celui de l'affection qui nous occupe. Mais, au point de
vue étiologique, la différence n'a même pas besoin d'être relevée.
On peut en dire autant des oedèmes par intoxication qui sont, eux aussi,
sous la dépendance d'un trouble de l'innervation vaso-motrice.
Quelques exemples récents méritent cependant d'être signalés.
Drummond a rapporté un cas d'oedème alcoolique (2) chez un homme
ayant fait de grands abus de boisson. Celui-ci fut envahi par un oedème
généralisé à toute la surface du corps, sans pourtant présenter de lésions
cardiaques ou rénales. Mais ce malade guérit sous l'influence du régime
anti-alcoolique; les noires n'ont jamais commis d'excès de ce genre.
Tchirkolf a décrit en 1895 (3), des oedèmes observés par lui chez 7 sujets
du sexe masculin, âgés de 25 à 60 ans. La maladie consistait en une en-
flure oedémateuse considérable, survenant sans lésion viscérale apprécia-
ble et sans modifications des urines. Chez certains malades, l'apparition
de l'oedème coïncidait avec une chute complète des poils de la face et des
organes génitaux ; bientôt les cheveux se décoloraient, puis tombaient à
leur tour. Sur les 7 malades, 5 étaient syphilitiques, et chez eux, les oedè-
' (1) Souques a publié dans ce recueil, en 1890, un cas intitulé : Eléphantiasis noslras
symétrique du pied el de la jambe. Cette observation diffère notablement des nôtres
par la marche et les caractères de l'affection. Les phénomènes douloureux ont été
très accentués. En outre, Souques indique explicitement qu'aucun cas analogue n'exis-
tait dans la famille de sa malade.
(2) Dhummond, Alcoholic oedema. Northumberland and Durham med. Soc., 11 mars
1897, Brit. med. journ., 27 mars 1897, p. 790.
(3) TCIIIIi);OFF, OGdèmes vaso-moteurs sans albuminurie. Revue de médecine, août 1895.
464 HENRY MEIGE ,
mes disparurent sous l'influence du traitement ioduré. Les deux autres
n'ont pas guéri. Ces oedèmes se développaient lentement, en 3 ou foi mois,
ou rapidement, affectant l'allure de ceux qu'on observe dans la néphrite
chronique ou dans la néphrite aiguë. Dans ce dernier cas, on constatait
des épanchements pleuraux et péricardiques. Dans le sang, on trouvait
l'hémoglobine réduite. Tcbirkoff croit que ces oedèmes dépendent d'une
affection des centres vaso-moteurs, due le plus souvent à la syphilis, mais
que toute autre toxine peut également réaliser.
Ces observations semblent bien appartenir au groupe des oedèmes infec-
tieux ou toxiques; mais elles sont un peu disparates, et est difficile d'en
tirer une conclusion. En tous cas, la syphilis n'est pas coupable chez nos
huit malades.
Plus récemment, MM. A. Mathieu et Sikora ont communiqué à la So-
ciété médicale des hôpitaux (1) un cas d'oedème névropathique consécutif
à une intoxication aiguë par le sulfure de carbone. Les deux membres
inférieurs ont été envahis par un oedème dur, blanc, mais douloureux, qui
d'ailleurs est bientôt entré en voie de régression. En l'absence de lésion
cardiaque ou rénale, de fièvre, de phlébite ou de lymphangite, on est
conduit à admettre l'origine névropathique de cet oedème, qui serait de
même nature que les érythèmes ou tepurpuraconsécutifaux intoxications.
Notons ici qu'il s'agit d'une affection transitoire, et que ni l'oxyde de
carbone, ni le plomb, ni l'arsenic, ni aucune autre substance toxique n'ont
pu être mises en cause dans notre famille d'oedémateux.
Toute une série d'observations se rapportent encore aux oedèmes d'ori-
gine névropathique.
Les noms les plus divers leur sont appliqués (oedème circonscrit, an-
gio-ae2crotique, névro-vasculaire, oedème intermittent, wandered oedema des
Anglais, etc.).
Les auteurs s'accordent à voir dans ces accidents des manifestations dys-
trophiques d'origine nerveuse, favorisées par une prédisposition névropa-
thique, arthritique ou goutteuse. °
Ici encore, il s'agit presque toujours de poussées transitoires (2).
(1) Séance du 15 juillet 1898.
(2) Voy. à ce sujet :
- Le Gendre, Ol;dèmes intermittents des extrémités et du scrotum. Soc. méd. des hôpi-
taux, 11 novembre 1892. - C'est l'histoire d'un malade, émotif, névropathe, albuminu-
rique, atteint depuis l'âge de 18 ans d'oedèmes partiels (pieds, mains, avant-bras, jambe,
scrotum), indolores, apparaissant brusquement et disparaissant de même au bout de 3
ou 4 jours. Ces oedèmes rentreraient dans la catégorie des oedèmes angio-neurotiques.
- J. COLLINS, OEdème aigu circonscrit angio-neurolique. The Americ. Journ. of med.
LE TIi01'1101 : UL : 1113 CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 465
Des oedèmes ont aussi été observés dans la maladie de Basedow (1). Mais
la face y participe presque toujours (faux oedème des paupières décrit par
Vigouroux). On a signalé en particulier la présence d'un oedème du ? non
séreux etsur lequel le traitement thyroïdien n'aurait pas de prise. Ce sont
là, pense-t-on des accidents comparables à ceux du myxoedème et sous la
dépendance d'une lésion thyroïdienne (2).
Mais nos malades n'avaient aucun symptôme de goitre exophtalmique.
Leur corps thyroïde n'était nullement hypertrophié.
Il n'était pas non plus atrophié, et nous avons dû rejeter aussi l'hypo-
thèse du myxoedème. D'abord, les cas de my.Toedème localisé sont à bon droit
contestables. Règle générale, c'est à la face que l'enflure sentauifesle avec
ses caractères spéciaux. Il est à peine besoin de le rappeler ; la confusion
n'était pas possible. D'ailleurs le traitement thyroïdien institué pendant
deux mois n'a pas donné de résultats appréciables.
En 1897, Vidal (de Lyon) a décrit une maladie hypertrophiante singu-
lière, caractérisée par des lésions éléphantiasiques des parties molles et du
squelette. Observation presque unique en son genre, en raison de la partici-
pation du tissu osseux à l'hypertrophie, différant de l'éléphantiasis et de
sciences, 1893. Observation d'un oedème localisé à certaines parties du visage, des
mains, des bras, des parties génitales ; oedème dur, d'apparition soudaine, accompa-
gne de troubles généraux ; mais peu douloureux et de courte durée. Il ressemblerait
à l'urticaire géante.
Gevaert (de Bruxelles), OEdème angio-neurotique chez un enfant de trois ans, Rev.
des mal. de l'enfance, 1895. - Histoire d'une fillette de 3 ans, nerveuse, issue de pa-
rents nerveux. Tous les 15 jours, un oedème dur, indolore de la région gauche du
cou, apparaissait au lever, pour disparaitre au bout de 2 à 3 heures. - L'auteur cite une
observation analogue de Hénoch et fait ressortir les analogies avec l'urticaire chroni-
que. L'origine nerveuse de ces accidents semble indiscutable, et l'hystérie peut souvent
être incriminée.
- W. C. BROWN, Wandering oedema, Brit. med. Journal, 25 septembre is97, p. 803.
- Exemple d'oedème douloureux migrateur, qui ne serait pas sans rapports avec la
goutte et l'urticaire.
Voir encore : Rapin, Rev. de la'Suisse Rom., XII, 1886.
Alun Jaorcsov, Lancet, 9 février 1S80.
BRAUYN, Br. med. Journ., 2 octobre 1891, p. 944.
MASTEIIMAN, 1,Vandel'ing oedema, Br. med. Journ., 3 avril 1S97.
Davies William, Wandering oede11la, Br. med. Journ., 24 avril 1S97.
Stephen, Wandering oedema. Br. med. Journ., 12 juin 1891.
(1) Mackenzie, OEdème dans la maladie de Graves, The Edinburgh med. Journal,
avril 1897.
(2) IIOWAIID Momiow (de San-Francisco) a publié (Brit. Journ. of dermatology,
juillet 1S99) une observation d'OEdème dur et douloureux en plaques symétriques à
la partie antérieure des deux jambes, rappelant l'aspect de l'éléphantiasis, survenu
chez une femme atteinte de maladie de Basedow et ayant présenté également des
symptômes rappelant le myxoedème.
XII . 31
466 HENHY MEIGE
l'acromégalie, tout en présentant certaines apparences cliniques de l'une
et l'autre de ces affections.
Ce cas curieux offre un grand intérêt. Mais il diffère essentiellement des
nôtres où le tissu osseux était strictement respecté 1).
Parmi ces accidents vaso-moteurs dont la cause et le mécanisme sont
encore obscurs, bon nombre ont été attribués aux différentes névroses,
et même aux vésanies.
Manheimer a publié un cas d'oedèmedes mains chez une mélancolique (2).
Verriest a communiqué à la Société belge de Neurologie, en 1897, un
cas d'oedème survenu chez un aliéné, à la suite d'accès maniaques.
La Neurasthénie, elle aussi, a été souvent mise en cause.
Mais c'est surtout à l'Hystérie qu'on a rapporté le plus grand nombre
de manifestations oedémateuses.
Pour la première de nos malades, le diagnostic d'oedème hystérique eut
été certainement conservé, si le cas se fut présenté isolément.
On y retrouvait la variété décrite par Sydenham, l'oedème blanc, qui
peut attaquer isolément toutes les parties du corps, y déterminant « une
enflure dont celle des jambes est la plus remarquable... » telle due « quand
on la presse avec le doigt, il ne reste aucune marque »... et qui « le plus
souvent n'est qu'à une des jambes ».
La description de l'auteur anglais semblait donc s'appliquer à merveille.
La superposition des troubles sensitifs aux troubles vaso-moteurs parlait
encore en faveur de la nature hystérique de l'oedème.
On sait en effet que, selon les cas, les téguments oedémateux sont hy-
peresthésiés (oedèmes hystériques à formes arthraigiques) ; ou anesthésies
(oedèmes superposés aux paralysies ou aux contractures hystériques).
Chez notre malade, la botte anesthésique correspondait bien à la loca-
lisation la plus ancienne de son enflure (jambe et pied).
Au-dessus, la cuisse, l'oedème étant de date plus récente, l'anesthésie
pouvait être moins complète ; elle était d'ailleurs plus marquée cependant
que sur le reste de la moitié droite du corps.
A la vérité, les exemples d'oedème blanc hystérique semblent plus rares
que ne le laisse entendre Sydenham et, depuis la description de Charcot,
(1) Rapprocher l'observation de Chauffa un et V. Griffon, Hypertrophie yseuclo-
acromégalique segmentaire de tord un membre supérieur, avec troubles syringomyé-
liques ayant la même topographie, Revue Neurologique, n 9, 1899.
(2) Tribune méd., n° 35, 26 août 1896.
LE TROPIOED1;DIE CIIIIO\IQUE HÉRÉDITAIRE 467
l'oedème bleu a surtout attiré l'attention. En outre, dans les statistiques
récentes, les localisations sur le membre supérieur sont de beaucoup les
plus fréquemment relatées.
L'existence de l'oedème blanc hystérique n'en est pas moins admise sans
conteste. Celui-ci peut atteindre des proportions considérables; il peut
aussi persister fort longtemps.
Cependant, il est rare que l'oedème demeure blanc et dur; de nou-
veaux troubles trophiques s'y surajoutent le plus souvent.
Georges Meyer (1) cite l'observation d'une femme de 32 ans, hystérique,
qui fut atteinte d'éléphantiasis des jambes et des pieds à Page de 15 ans.
D'abord l'oedème était blanc et dur. Plus tard sont survenus des troubles
trophiques des mains et des pieds (cyanose, petites ulcérations). La peau
était par endroits, tuméfiée et oedématiée comme celle d'une myxoedéma-
teuse. Mais il n'y avait pas de troubles de sensibilité ; simplement un ar-
rêt de la transpiration.
Pardo, il la Société des hôpitaux de Rome (1896) a signalé un oedème
des deux pieds et jambes survenu chez une hystérique; mais les mains
étaient aussi atteintes, et on vit bientôt se produire des plaques cyanoti-
(lues (2).
Il importe de remarquer que cyanose et ulcérations font défaut chez
toutes nos malades, même les plus avancées en âge.
Sous le nom'de Pseudo-éléphalltiasis ae2l·o-arth·itique, M. Mathieu a
publié en 1893, une observation qui se rapproche davantage des nôtres (3).
C'est l'histoire d'une femme de 58 ans, obèse, arthritique, sujette à la lithiase
biliaire et il l'eczéma. Cette femme, atteinte desciatique double avec dou-
leurs rhumatoïdes des membres inférieurs, présentait en outre un oedème
symétrique des jambes.
L'oedème était dur, très résistant, douloureux à la pression, rappelant
certains éléphantiasis nostras en ce qu'il se terminait brusquement par un
(1) Geoiiges moyeu, Eléphanliasis des jambes chez une hystérique, Soc. de med. de
Berlin, 1 mai 1894.
(2) Voy. enlre autres : : A[\x ! )nmE ! <, 7You&/esMM- ! ) : o<eu ? urttM/t)/s<e' ! q'Me,Arch.
de Neurologie, septembre 1896. - Cas d'oedème bleu sur un membre contracture. Ce-
pendant l'auteur a observé l'oedème avec coloration ordinaire de la peau, légèrement
rosée. OEdème dur, élastique, gardant mal l'empreinte du doigt.
- F. Wiual, Ulcérations buccales et cutanées, oedèmes, él'ylhèmes noueux, orchiles
d'origine hystérique, Soc. méd. des hôp. de Paris, 29 mai 1896.
- IOU1'.\RD-MAI\TIN et IL1CALOGLU, Main succulente dans l'hémiplégie hystérique, Soc.
méd. des hôp., 18 juin 1897.
- E. VAIII)11,, OEdème hystérique, thèse Paris, 1897.
(3) Mathieu, Sur une forme particulière d'oedème névropallzique, .lnn. de dermatol.
et de syphtt., janv. 1893. '
468 llENl\Y MEIGE
bourrelet au niveau des chevilles, sans envahir les pieds. Cependant, à la
suite de la marche, le dos des pieds se tuméfiait également; mais l'oedème
qui survenait alors était mou, dépressible au doigt, et nullement doulou-
reux. La pression aux points d'émergence et sur le trajet des sciatiques
était douloureuse. Aucun trouble de la sensibilité. Rien d'anormal dans
les organes du bassin.
L'auteur supposa que la lésion du sciatique pouvait être la cause de
cet oedème que favorisait en outre la faiblesse du coeur. La malade était
artério-scléreuse avec des symptômes d'asystolie à marche très lente.
La description de l'oedème ainsi que sa localisation correspondent assez
bien à celles que nous avons indiquées ; mais nos malades ne sont ni lithia-
siques, ni eczémateuses, et elles n'ont jamais eu de sciatique; chez les
trois plus jeunes enfin l'artério-sclérose ne saurait être accusée.
Dans la thèse de Follet (1895), on trouve une observation intitulée :
OEdème névropathique consécutif et des poussées d'oedème angio.neurotique,
qui nous intéresse plus directement.
Une femme de 42 ans, sujette dès l'âge de 20 ans à des « faiblesses,
des pertes de connaissance et des névralgies », eut successivement trois
poussées d'oedème mou des membres inférieurs accompagnées de douleurs
dans les cuisses et dans les lombes. A la troisième poussée d'oedème la
tuméfaction persista, surtout à la jambe droite où elle atteignit des pro-
portions considérables-. OEdème dur, blanc, commençant au niveau de la
cheville, formant en ce point le repli « en pantalon de zouave » de l'élé-
phantiasis, et remontant en arrière jusqu au pli fessier, le pied demeu-
rant normal.
La jambe gauche était également oedématiée, dure, mais normale au-
dessus du genou. Aucun trouble de la sensibilité.
Par le repos au lit, la compression à la bande de caoutchouc, les dou-
ches, le massage, l'enflure du membre inférieur droit a été diminuée.
Les caractères, la localisation et la marche de cet oedème paraissent
ici semblables à ceux que nous avons observés. Les poussées prémoni-
toires accompagnées de douleurs rappellent celles d'une de nos malades,
Fe.... Mais il n'est fait mention d'aucun cas analogue dans la famille de
la malade de Follet (1).
Dans une thèse parue en 1897, A. Lourier a recueilli un certain nom-
bre de cas d'oedème éléphanliasique d'origine nerveuse.
(1) Dans une seconde observation de Follet, il s'agit d'un homme de 32 ans chez
lequel, à la suite de douleurs vives de la jambe droite, survint un oedème mou, et
indolore du pied et de la jambe.
LE TROl'H(DÉME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 469
C'est un recueil d'observations assez disparates en apparence où l'auteur
fait rentrer à la fois tous les oedèmes névropathiques, les lipomes symétri-
ques et les pseudo-lipomes arthritiques.
Ces affections, d'ailleurs incurables, ont pour lien principal la tumé-
faction des téguments accompagnée d'ulcérations rebelles qui viennent
compléter la ressemblance avec le tableau de l'éléphantiasis des pays
chauds.
L'observation personnelle publiée par Lourier a trait à une malade de
30 ans, sujette à des crises nerveuses, atteinte d'un oedème du membre
supérieur droit datant de six années. L'enflure avait débuté par le coude
pour s'étendre ensuite d'une part au bras, s'arrêtant au moignon de l'é-
paule, de l'autre, à l'avant-bras et à la main. D'abord blanche, lisse et
dure, la peau devint ensuite cyanosée et des ulcérations apparurent.
Evolution, localisation et symptômes diffèrent de ceux que nous avons
en vue, et cet exemple pourrait bien être un cas d'oedème hystérique.
En 1897, à la Société médicale des Hôpitaux, une intéressante discus-
sion a été soulevée par une communication de M. Debove (I).
Il s'agissait d'une femme de 23 ans, atteinte depuis 8 mois d'un oedème
des membres inférieurs.
L'enflure était très développée au niveau de la cuisse, de la jambe, de
la face dorsale du pied, nulle à la fesse, à peine marquée au creux po-
plité, au niveau de l'articulation tibio-tarsienne et aux orteils.
Cet oedème permettait toute liberté aux mouvements des membres infé-
rieurs. Au demeurant, cette femme était de bonne santé ; elle présentait un
léger rétrécissement mitral, mais n'avait jamais eu de crises asystoliques.
Les urines ne contenaient pas d'albumine.
Ce n'était donc pas un oedème d'origine pulmonaire ou rénale, et comme
il n'y avait aucune gêne de la circulation lymphatique ni veineuse, il
fallait rejeter aussi l'hypothèse d'un oedème par lésion mécanique.
D'ailleurs, aucun trouble de la sensibilité ni de la motilité ne permet-
tait dépenser à un oedème névropathique. Aussi, M. Debove, conseil-
lant de laisser le diagnostic en suspens, se contenta-t-il de proposer le
le nom d'oedème segmentaire pour désigner cette affection. '
A propos de cette communication, M. Mathieu rappela les observations
de trois femmes, atteintes de la même variété d'oedème segmentaire des
membres inférieurs. Ces malades, sans lésions cardiaques appréciables,
étaient cependant des artério-scléreuses. En outre, chez elles, l'oedème
(1) Debove, OEdème segmentaire des membres inférieurs, Soc. méd. des hôpitaux,
15 octobre 1891.
470 HENRY MEIGE
avait été précédé de douleurs affectant la forme de sciatiques doubles.
Aussi, M. Mathieu, s'appuyant sur les rapports que le professeur Potain
admet entre les oedèmes névropathiques et t'artério-sciérose. s'est-il mon-
tré disposé à rattacher ces cas aux oedèmes d'origine nerveuse.
Tel fut aussi l'avis de M. Joffroy qui ce propos,le cas d'une malade
atteinte de paralysie infantile du membre inférieur droit accompagnée d'un
oedème présentant les caractères indiqués par M. Debove (considérable à la
cuisse, à la jambe et sur le dos du pied, nul à la l'esse, au creux poplité,
sur la plante du pied et sur les orteils). Là, on pouvait soutenir avec vrai-
semblance qu'il s'agissait d'un trouble trophique consécutif à une ancienne
lésion nerveuse.
Chez une seconde malade âgée de 60 ans, obèse, artério-scléreuse, non
albuminurique, M. Joffroy a encore observé un oedème localisé à certains
segments de membres inférieurs et au dos des mains. Pour lui, il s'agis-
sait encore d'un oedème névropathique.
Les exemples cités par MM. Mathieu et Joffroy diffèrent des nôtres (ar-
tério-sclérose, sciatique, paralysie infantile). Celui de M. Debove s'en
rapproche davantage (1).
Le jeune âge de la malade. la localisation de l'oedème, l'absence de lé-
sions cardiaques et nerveuses, la conservation de la santé générale, l'in-
dolence complète de la maladie, toutes ces données concordent avec celles
que nous avons indiquées. Il n'y manque que l'hérédité des phénomènes
oedémateux. El la dénomination d'oedème segmentaire qui ne préjuge rien
de la cause de la maladie pourrait conservée.
Tout récemment, Duckworth présenté à la Société clinique de Londres
(13 janvier 1899) une jeune fille de vingt ans atteinte depuis ans d'un
oedème dur du membre inférieur gauche. Aucune lésion viscérale, gan-
glionnaire, vasculaire, ni sanguine, ne pouvait être incriminée.
L'intéressante observation de M. A. Vigoureux publiée dans ce fascicule
semble absolument comparable.
Mais dans ces deux cas encore, l'hérédité n'a pas été constatée (2).
(1) Une observation intitulée également oedème segmentaire, a été communiquée
l'an dernier¡par MM. Chauffard et Leviste à la Société médicale des Hôpitaux (9 dé-
tembrc 1898). Mais il s'agit ici d'un oedème du bras, à poussées successives, se pro-
pageant de haut en bas, et ne présentant pas les caractères objectifs de ceux que nous
avons décrits chez nos malades.
(2) Dans un cas d'oedèmeéléphantiasique des membres inférieurs rapporté par M. A.
Weil, il s'agissait d'une atï'ection survenue depuis 27 ans, sans poussées aiguës, chez
une femme obèse. L'hypertrophie avait atteint des proportions énormes, réalisant aux
jambes cet aspect de l'éléphantiasis connu sous le nom de « pantalon de zouave ».
Ce cas rentrerait, selon l'auteur dans la catégorie des éléphantiasis d'origine ner-
veuse. Il aurait été considérablement amendé par le traitement galvanique (France
médicale, 24 juin 1898 et 28 août 1899).
LE TROPUOEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 471 t
A tous ces exemples, où parfois les caractères cliniques, et en particu-
lier la localisation de l'oedème. offrent des ressemblances avec ceux que
nous étudions, il manque cependant une donnée capitale : c'est la plura-
lité des cas dans la même famille. Il n'est pas impossible qu'elle ait existé,
mais l'attention des auteurs ne semble pas s'être arrêtée sur ce point.
La première fois que la notion d'hérédité nous parait avoir été signalée,
c'est dans une communication faile par Desnos en 1891, à la Société médi-
cale des Hôpitaux, où il décrivit une variété d'oedème à laquelle il donnait
le nom d' oedème rhumatismal chronique (1).
OEdème dur des jambes et des pieds, plus marqué à droite, donnant la-
sensation du lipome ou du myxoedème, la peau conservant sa coloration
normale, survenu chez une femme de 63 ans, ayant eu plusieurs attaques
de rhumatisme généralisé de longue durée, et ayant présenté des pseudo-
lipomes sus-claviculaires douloureux. Ce serait lit, selon Desnos, une va-
riété d'oedème liée à l'arthrilisme et à la névropathie. Il serait plus fré-
que chez les femmes ; et au point de vue héréditaire, c'est le plus ordinai-
rement dans la ligne maternelle qu'on le retrouve.
Le diagnostic, ajoute Desnos, peut être difficile à faire avec l'éléphan-
tiasis.
Cette notion de l'hérédité, et de l'hérédité dans la ligne maternelle, chez
les sujets du sexe féminin, est particulièrement intéressante pour nous.
Elle se trouve confirmée dans nos observations. -
La description de l'oedème, sa couleur, sa consistance, son apparence
éléphantiasique, sont également conformes à ce que nous avons pu cons-
tater.
*
¥ ¥
La remarque de Desnos n'a guère été renouvelée depuis lors,
On trouve cependant une indication similaire dans un travail de
Iligier (2) de Varsovie, sur les oedèmes aigus ou chroniques dans quel-
ques névroses, en particulier dans l'hystérie.
D'une façon générale, Iligier donne la description de l'oedème névro-
pathique, lequel est blanc, brillant, indolore, sauf la sensation de disten-
sion des téguments qu'il provoque souvent. Il peut,apparaitre et dispa-
raître en quelques heures ou en quelques jours, mais il peut aussi durer
toute la vie. Tantôt il est bilatéral, plus souvent unilatéral .[Enfin, ajoute
l'auteur, il n'est pas rare qu'il soit héréditaire.
(1) Desnos, OEdème rhumatismal chronique, Soc. méd..des hôpitaux, 13 février 1891.
(2) ¡¡IGIEII (de Varsovie), OEdème aigu et chronique dans quelques névroses et en par-
ticulier dans l'hystérie, St-Petersburger med. Wochenschrift, 1894, 1V° 50.
472 HENRY MEIGE
Plus récemment, au congrès de Bordeaux de 1895, M. Ricochon (1) a
rapporté l'histoire d'une famille dont les membres ont pendant trois généra-
tions présenté une variété d'oedème fort curieuse, mais notablement diffé-
rente des précédentes. L'affection se décomposait en deux phases : la pre-
mière dans laquelle l'oedème seul apparaissait par poussées successives en
denx ou trois jours ; la seconde, coïncidant avec la disparition de l'oedème,
et consistant en coliques, météorisme, quelquefois vomissements, suppres-
sion presque complète des urines, quelquefois albuminurie, obnubilation
sensorielle, tendance au sommeil, fièvre, soif vive, etc.ï4l. Ricoclion admet
qu'il s'agit de véritables symptômes urémiques tenant à des modifications
fonctionnelles du rein liées à une sorte de névrose paroxystique du plexus
rénal (2).
Malgré le caractère familial de l'affection, celle-ci ne saurait être con-
fondue avec la maladie oedémateuse apyrétique, chronique et progressive
que nous avons observée.
*
..
Le seul fait véritablement comparable, et l'exemple le plus surprenant
que nous connaissions au sujet de l'oedème héréditaire, est, sans contredit,
l'histoire publiée par Milroy, en 1893, dans le New-York médical record.
Parmi quatre-vingt dix-sept individus de la même famille, échelonnés
sur six générations, vingt-deux ont été atteints de la même difformité oedé-
mateuse, à des degrés divers, il est vrai. Mais toujours, il s'agissait d'un
oedème des extrémités inférieures, plus accentué aux pieds et aux jambes,
et s'arrêtant au genou.
Les caractères cliniques de cette affection sont résumés ainsi :
1° Elle est congénitale et se développe lentement avec t'age.
2° Elle est limitée aux membres inférieurs, tantôt bilatérale, tantôt uni-
latérale.
3° Elle est permanente.
4° Elle ne s'accompagne d'aucun autre trouble local ou général.
Et voici la répartition dans la famille.
lyre génération (1 168) : Mme W., indemne. La soeur de Mme W. : oedème
d'une jambe.
2e génération : Joseph W., fils de Mme W. : oedème des deux jambes.
(1) RtCocnoN.Cas familiaux '0'dëMM aigus et récidivants de la peau, 2e Congrès fran-
çais de médecine interne, tenu à Bordeaux, 8-13 août 1895.
(2) Dans une observation de Tebaldo Falcone rapportée par Lourier, il est question
d'un enfant sujet à des poussées d'oedème aigu. Le père de l'enfant présentait des
accidents identiques.
LE TROPllOIïDÈIIiE CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 473
3" génération : Les enfants de J. W., au nombre de neuf.
4. enfants indemnes.
4 enfants avec oedème d'une jambe.
1 enfant avec oedème des deux jambes.
4e génération : A. Les enfants de Lydia, 2e fille de Joseph W.
3 fils avec oedème d'un pied.
3 filles indemnes.
B. Les enfants de Sarah, 3e fille de Joseph W.
5 'morts en bas âge.
2 indemnes,
1 oedème d'un pied.
C. Les enfants de Olive, 1,0 fils de Joseph W.
4 indemnes.
'1 oedème d'un pied.
. D. Les enfants de Charité, 6e fils de Joseph W.
3 indemnes.
1 oedème de la jambe.
E. Les enfants de Sally, 7e fille de Joseph W.
2 indemnes.
1 oedème du pied.
F. Les enfants de Julia, ge fille de Joseph W.
3 indemnes.
1 oedème des deux jambes. ? 0 génération : Comprenant 48 membres, sur lesquels li-3 indemnes.
1 oedème des deux jambes .
4 oedème d'un pied.
6e génération : Sur les nombreux enfants connus.
1 oedème d'un pied.
1 oedème des deux jambes.
Cette étonnante généalogie peut se passer de commentaires.
Le caractère familial et héréditaire de la dystrophie oedémateuse se
trouve ici surabondamment démontré. Nous ferons remarquer seulement
que dans la famille W.. l'oedème n'a jamais dépassé la jambe. On a vu que
dans notre exemple, il avait plusieurs fois envahi la cuisse, d'un seul
ou de-deux côtés.
*
- ..
En rapprochant de la communication de Desnos les remarques de Hi-
gier, le cas mémorable de Milroy et nos propres observations, il nous
semble qu'il est permis de croire, d'ores et déjà, à l'existence d'une affec-
tion oedémateuse héréditaire et familiale, capable d'envahir progressivement
474 urinity MEIGE
de bas en haut les membres inférieurs, tantôt un seul, tantôt les deux il la
fois, s'arrêtant soit au cou-de-pied, soit au genou, soit il la racine de la cuisse,
affection indolore, apgrélique, chronique et permanente qui n'en Irai ne au-
cun trouble de la sanlé générale et peut même persister jusqu'à un âge
avancé.
Nous proposerons cle désigner cette affection sous le nom de Il'ophoedème
ch l'onique Icérédita2re..
III
..
Tout néologisme a besoin d'être expliqué, sinon excusé. Le terme de
tropf¿oedè1lle n'a d'autre but que de servir à désigner d'un seul mot une
catégorie d'affections oedémateuses décrites jusqu'ici sous des vocables
différents, mais paraissant appartenir au même groupe nosographique.
Les faits cliniques démontrent qu'il existe un oedème chronique, blanc,
du}' et indolore, qui envahit un ou plusieurs segments du corps, et qui ne
semble imputable à aucune des affections connues comme pouvant être
productrices d'oedème.
Il n'appartient pas à la catégorie des oedèmes mécaniques ou dyscra-
siques,
Ce n'est ni l'oedème toxique, ni l'oedème infectieux, puisque l'intoxi-
cation ou ]''infection initiale font défaut, et que dans l'un ou l'autre
genre les accidents oedémateux sont généralement transitoires.
Ce n'est pas non plus l'oedème observé au cours des affections du sys-
tème nerveux, lésions organiques ou nécroses : c'est encore moins une
modalité du myxoedéme'donl l'origine thyroïdienne, la localisation et tous
les autres symptômes (troubles circulatoires, intellectuels, altérations du
système pileux, etc.) sont manifestement différents.
Les oedèmes dits circonscrits, angio-ueuroliques, ou ceux qualifiés plus
généralement cle névropathiques, sont bien, eux aussi, des oedèmes dys-
trophiques, et présentent certainement de grandes affinités pathogéniques
avec les faits que nous avons en vue. Mais il s'agit là dephénomènes passa-
;ers,transitoires, parfois à répétition, généralement douloureux, accompa-
gnés de cyanose, de modifications thel'll1ométri ! IUeS, auxquels souvent
viennent se surajouter d'autres troubles trophiques cutanés, éruptions
ou ulcérations.
Dans les cas que nous proposons d'isoler, la coloration blanche de l'en-
flure, sa consistance, son indolence, sa localisation, l'absence de lésions
ulcératives de la peau 'sont assez [caractéristiques, pour justifier un grou-
pement spécial.
Les classifications nosographiques étant forcément artificielles, on peut
évidemment prévoir qu'il existe tous les intermédiaires entre les oedè-
LE TROP110ED);111E CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 475
mes névropathiques aigus et les chroniques. Le cas de Follet semble
démontrer que la forme chronique peut apparaître à la suite de poussées
aiguës ; c'est aussi le cas de notre malade, Fe...
D'autre part, la forme chronique peut persister pendant de longues an-
nées, avec ses caractères d'indolence, de dureté et d'intégrité des tégu-
ments ; puis, sous une influence inconnue, des lésions cutanées peuvent
s'y surajouter de façon à réaliser tout le tableau de l'éléphantiasis. Tel
semble avoir été le cas d'un des oncles de nos jeunes malades.
Mais ces- accidents exceptionnels ne sauraient faire oublier le caractère
de chronicité de l'enflure qui constitue une donnée différentielle capitale.
Il peut donc y avoir quelque utilité, - ne fût-ce qu'en manière d'a-
bréviation, à réunir sous le même nom les exemples déjà connus de
cet oedème chronique, blanc, dur, indolore, et répartition segmentaire, et de
cause actuellement indéterminée, qui diffère des autres variétés d'oedème
névropathique.
Les cas signalés par Follet, parDebove, par Iligier, parDuckwoith, par
Vigouroux. dans lesquels la cause de l'oedème est demeurée introuvable,
rentrent ainsi dans une même catégorie morbide à laquelle la dénomina-
tion de trophoedème chronique peut être appliquée. Suivant les cas, on
pourra y ajouter tel ou tel qualificatif : celui de segmentaire, comme l'a
proposé Dehove, pour caractériser la répartition de l'enflure; celui de
pselldo-éléplwntiasique employé par Desnos, lorsque la tuméfaction attein-
dra des proportions excessives.
L'épithète' de rhumatismal ou arthritique usitée par Desnos, Mathieu,
Lourier, peut également convenir à certains cas particuliers. Mais il faut
attendre de nouveaux exemples avant d'affirmer le rôle que le rhuma-
tisme ou l'arthritisme jouent dans la genèse du trophaedème.
Enfin, lorsque le trophoedème chronique se rencontrera dans plusieurs
générations de la même famille, on pourra le dire héréditaire. C'est le litre
qui nous a paru applicable aux cas signalés par Desnos, Iligier, Milroy et
nous-même (1).
IV
En présence de faits cliniques encore fort clairsemés, toute discussion
sur lenr nature et leur pathogénie ne peut être abordée qu'avec la plus
grande réserve.
Nous nous bornerons donc- à quelques brèves remarques.
Le terme même de f ? 'o ? oe<me semble indiquer que la manifestation
(1) Le terme de ll'ophoedème sans epithète, pourrait être employé d'une façon gé-
nérale pour désigner tous les oedèmes dystrophiques de cause encore inconnue, mais
vraisemblablement d'origine nerveuse. Il n'aurait d'autre mérite que sa brièveté.
47G HENRY MEIGE
oedémateuse doit être considérée comme une perturbation trophique. A
cet égard, l'accord est complet entre les auteurs. Tous les exemples pu-
bliés ont été considérés comme représentant des accidents dystrophiques.
Et tous s'accordent à supposer qu'un désordre nerveux est la cause ini-
tiale de ces accidents.
Mais comme rien n'est plus obscur encore que le mécanisme nutritif
de nos différents systèmes, on ne peut guère qu'émettre des conjectures
sur la pathogénie de ces troubles de nutrition. Existe-t-il une lésion ?
Siège-t-elle sur les centres ou les conducteurs trophiques ? Frappe-l-elle
le système sympathique ou l'axe cérébro-spinal ?
En l'absence de constatations anatomiques et dans l'attente des rensei-
gnements que pourra fournir la physiologie, il est sage de ne pas trop
s'aventurer dans ces théories pathogéniques.
Constatons seulement que le.trophoedème offre plus d'une ressemblance
avec les manifestations oedémateuses que l'on observe, soit expérimenta-
lement à la suite de lésions nerveuses, soit cliniquement au cours d'affec-
tions névropathiques anatomiquement définies. Et de ces analogies, con-
tentons-nous d'inférer, sous forme hypothétique, qu'il n'est pas impossi-
ble qu'une altération du système nerveux soit la cause de la maladie.
On peut ajouter cependant que la lésion, si lésion il y a, est sans doute
une lésion médullaire, intéressant plus ou moins profondément l'axe gris.
La répartition segmentaire de l'oedème n'irait pas à rencontre de cette
dernière hypothèse. Bien au contraire : on peut y voir en effet une déli-
mitation comparableà celles que réalisent certaines affections de la moelle
et tout spécialement la syringomyélie. Dans cette dernière, les troubles
sensitifs et trophiques occupent des segments de membres à limites supé-
rieures circulaires, qui n'offrent aucun rapport avec la distribution ner-
veuse périphérique. Et la théorie de la métamérie invoquée par M. Bris-
saud rend bien compte de cette répartition en apparence paradoxale.
Comme à chaque étage médullaire correspond un segment de l'individu,
la lésion d'un métamère spinal doit retentir sur le segment périphérique
correspondant.
Des faits en nombre croissant viennent justifier cette conception.
Elle n'est pas seulement applicable à la la syringomyélie, mais à toutes les
trophonévroses, au zona, à la sclérodermie, et à la plupart des affections
cutanées (lichen, urticaire, purpura, vitiligo, etc.) (1). Elle conviendrait
également bien au trophoedème dont la distribution segmentaire ne sem-
ble pas douteuse.
Suivant que la lésion médullaire porte sur un ou plusieurs étages '
(1) Voy. E. BnissAuD, Leçons sur les maladies nerveuses, t. I, p. 203 et seq., t. Il,
leçons 111 à VIII.
LE TROPUOEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 477
métamériques, la dystrophie périphérique envahit un ou plusieurs seg-
ments du corps (les pieds, les jambes, les cuisses). ,
Si une seule moitié du métamère spinal est atteinte, le trouble, tro-
phique reste unilatéral. La théorie s'accorde donc avec les faits d'observa-
tion.
Mais nous n'insisterons pas davantage.
*
..
Quelques rapprochements cliniques peuvent avoir leur utilité.
Le tropltaedème étant considéré comme un trouble trophique du tissu
cellulaire sous-cutané, on peut l'envisager comme un processus patholo-
gique diamétralement opposé à celui delà sclérodermie.
Ici, amincissement et resserrement poussés l'extrême, jusqu'au par-
cheminage et à la momification.
Là, distension et laxité qui aboutissent à l'excès opposé, à la boursouf-
flure d'aspect éléphantiasique.
Mais n'est-ce pas le propre des accidents dystrophiques d'un même
système d'affecter tantôt des formes exubérantes, tantôt d'évoluer vers
l'atrophie. Exemples : les hyperostoses d'une part, les fontes osseuses de
l'autre; les amyotrophies et les pseudohvpertrophies musculaires. Ano-
malies par excès et anomalies par défaut sont des modes de réaction con-
traires qu'une même lésion peut engendrer. ,
Et l'on peut se demander si le processus sclérodermique et le trophoe-
dème ne sont pas commandés l'un et l'autre par les mêmes centres de
trophicité, réagissant vers un extrême ou l'autre.
La sclérodermie oedémateuse (sclérétnie de Besnier) constituerait un type
intermédiaire.
Si cette parenté de la sclérodermie et du trophoedème venait à être
démontrée, on pourrait encore appliquera celui-ci la théorie pathogénique
proposée par Brissaud pour celle-là, théorie qui admet « à l'origine de
toute sclérodermie chronique d'emblée une altération préalable du sys-
tème sympathique, cette altération pouvant d'ailleurs être primitive ou
secondaire à une lésion de la moelle » (1).
.
..
La parenté des oedèmes névropathiques avec la lipomatosc (ou ptse7cclo-li-
]JOll'Ultose) a été maintes fois signalée. Suivant que la cellule adipeuse
participe plus ou moins à la prolifération l'âdème prend une consistance
plus ou moins graisseuse et dans la série des oedèmes nêvropathiques on
trouve tous les intermédiaires.
(1) 13111S5AUD, ibid., t. II, p. 400 et seq.
478 HENRY MEIGE
L'infiltration séreuse, selon Potain, prépare et provoque l'accumulation
de la graisse, el l'on peut voir des pseudo-lipomes oedémateux se trans-
former en lipomes graisseux.
« L'oedème circonscrit dépressible, dit Chauffart, l'oedème circonscrit
non dépressible et le lipome vrai, constituent les trois termes, les trois
degrés d'évolution d'une seule et même tumeur. »
Pseudo-lipome et trophoedeme chronique sont donc vraisemblablement
des modes de réaction relevant d'une même perturbation trophique et du
tissu cellulaire et ne diffèrent entre eux que par le degré de participation
du tissu graisseux.
Car, même dans sa distribution, l'hypertrophie lipomateuse peut être
analogue celle du trophaedème chronique.
Nous rappellerons à ce propos la lipomalose monstrueuse d'une malade
deM. Second, dont l'histoire et les photographies ont été récemment pu-
bliées dans ce recueil (1). Dans cette invraisemblable monstruosité, l'hy-
pertrophie tégumentaire occupait toute la partie inférieure du corps. Elle
cessait à partir de la ceinture. L'adipose affectait donc une disposition
segmentaire, analogue à celle du trophoedeme. Chez une de nos malades,
Ar ? il ne s'en faut guère que la répartition de la dystrophie soit exacte-
ment comparable.
On s'accorde à considérer tantôt le rhumatisme, tantôt l'arthritisme,
comme la cause, sinon provocatrice, du moins la plus fréquente, des ma-
nifestations pseudo-lipomatenses et pseudo-oedémateuses. Pour ce qui est
du rhumatisme articulaire aigu, son étiologie peut être comparable à celle
des autres maladies infectieuses. Dans les observations de tropllaedéme
chronique, la fièvre typhoïde se rencontre même plus souvent parmi les
antécédents morbides.
Quanta t'arthritisme, Mathieu semble avoir bien défini son rôle dans
la production des oedèmes nerveux, en rappelant qu'on peut le consi-
dérer « comme une modalité particulière de la névropathie constitution-
nelle ».
En somme, c'est toujours à une altération du système nerveux qu'abou-
lissent, en dernière analyse, les hypothèses pathogéniques (2).
.. f
L'évolution du tropboedème prête encore à quelques remarques :
Dans toutes nos observations, l'affection a commencé, ponctuellement,
(1) Voy. no 3, 1899.
(2) On peut encore rapprocher l'affection décrite par DEUCUM sous le nom d'Adipose
douloureuse.
L'adéao-Li ? omatosP, cette curieuse affection décrite par L.\Un015 et BENSAUDE (Presse
méd ? 1er juin 1899), présente une localisation ganglionnaire, à prédominance cervi-
cale, qui la différencie suffisamment.
LE 1'ROPHOEDCIVIE CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 479
au moment de la puberté. Dans la majorité des cas, elle semble avoir dé-
buté entre 13 et 23 ans, c'est-à-dire pendant l'adolescence.
Le tropheedéme ne devrait-il donc pas prendre place parmi les troubles
si variés du développement ?
A l'appui de cette hypothèse, les arguments ne manqueraient pas,
La série des anomalies de l'évolution corporelle semble infinie, et l'on
peut admettre que le système vasculo-conjonctif est capable de dystrophie
aussi bien que les systèmes osseux ou musculaire.
. Les excès de croissance, - comme d'ailleurs les défauts, - portent
tantôt sur un appareil, tantôt sur un autre, frappent un seul ou plusieurs
segments de l'individu, suivant des processus capricieux, à nos yeux
tout au moins.
On voit des jeunes gens qui poussent tout en jambes, d'autres tout en
tronc, on en voit chez qui la charpente osseuse semble absorber à son
profit toute la nutrition ; chez ceux-ci, le muscle prédomine ; chez ceux-là,
lotit se transforme en tissu cellulo-graisseux.
Le tropltaedénie n'est peut-être qu'une anomalie évolutive du système
vascu)o-conjonctif. f..
Sa limitation à certains segments du corps ne va pas à l'encontre de
cette idée, si l'on admet l'opinion courante sur les causes des troubles de
l'évolution : à savoir des altérations des centres trophiques chargés d'as-
surer le développement régulier de nos différents organes.
Les mêmes réflexions que l'on peut faire pour la myopathie primitive,
anomalie du développement musculaire, seraient applicables au tropllaedè-
me, anomalie du développement conjonctif. Dystrophie musculaire et
dystrophie conjonctive semblent régies par des causes similaires. L'époque
d'apparition est. sensiblement la même dans les deux cas : c'est le temps
de l'adolescence. La marche est lentement progressive jusqu'à une limite
qui, une fois atteinte, est rarement dépassée. '
La répartition de la myopathie primitive ne tient aucun compte de la
distribution nerveuse périphérique : souvent même elle semble obéir,
elle aussi, aux commandements d'un métamère spinal (1). Et ainsi du
tropltaedéme. 1 1
Sans doute, les variétés de la dystrophie musculaire sont innombrables
et l'on a même du renoncer à classifier les types; mais les variantes du
tropboedème ne semblent moins nombreuses qu'en raison du petit nombre
des cas connus et de la répartition même du tissu cellulaire.
Avec les seules observations que nous avons signalées, on peut voir
déjà la diversité des localisations : un seul pied, les deux pieds, une jambe,
(1) La distribution métamérique de certaines amyotrophies a été indiquée par
M. Brissaud. Voy. à ce sujet une récente observation de CROCQ, Un cas d'amyotrophie
en gant. Journal de Neurologie de Bruxelles, 1S99, no 9.
480 HENRY MEIGE
deux jambes, un membre inférieur tout entier, ou les deux à la fois.
Enfin la dystrophie musculaire frappe souvent plusieurs sujets de la
même famille; le trophædème héréditaire n'en fait-il pas autant ?
Si l'on veut voir dans la myopathie primitive une affection commandée
par une altération congénitale des centres de la trophicité musculaire, on
pourra également considérer le trophoedème héréditaire comme la consé-
quence d'une altération congénitale des centres qui président au dévelop-
pement du tissu cellulaire.
En envisageant le trophaedème comme un trouble du développement,
on n'est pas surpris de le voir apparaître au cours de générations succes-
sives. L'hérédité des malformations corporelles est démontrée par des
exemples surabondants. Sans parler des monstruosités, il est de notoriété
courante que de mère en fille, de père en fils, les anomalies osseuses,
cutanées, sensorielles, etc. se transmettent par héritage. Il se peut que la
cause première soit une disposition anormale des centres trophiques. Ce
qui est certain c'est que l'anomalie reparaît dans la descendance
Le trophoedème héréditaire n'est peut-être qu'une anomalie de déve-
loppement du tissu conjonctif, conséquence d'une lésion ou d'une perver-
sion des centres trophiques chargés d'assurer la vitalité de ce tissu, spé
cialement dans les membres inférieurs.
En tout état de cause, l'importance de l'hérédité dans la plupart des
cas signalés jusqu'à ce jour est un fait digne d'attirer l'attention.
Les remarques qui précèdent ont surtout pour but d'éveiller le désir
de rechercher des exemples nouveaux permettant de préciser la nature et
les causes de cette singulière dystrophie.
* .
..
Un dernier mot au sujet des traitements appliqués au trophoedème
chronique, mais malheureusement pour signaler leur insuffisance.
Repos au lit prolongé, massages, compression ouatée ou caoutchoutée,
hydrothérapie, électricité, réussissent presque toujours à atténuer plus ou
moins l'hypertrophie des membres; mais jamais l'oedème ne disparaît
complètement.
Le traitement thyroïdien poursuivi avec persévérance pendant deux
mois ne nous a pas donné de résultats plus engageants.
Le trophoedème chronique est donc un mal incurable. En prenant des
.précautions pour éviter les excoriations de la peau, les malades devront
se contenter, jusqu'à nouvel ordre, d'avoir avec leur infirmité un modus
vivendi à peu près supportable.
L'inefficacité des traitements employés contre cet affection tendrait à
confirmer qu'il s'agit là d'une anomalie évolutive. Jusqu'à ce jour nos
ressources thérapeutiques ne demeurent-elles pas impuissantes à enrayer
les troubles du développement ? ...
Nouv. Iconographie DE la SALI'ÊI HIÈRL
T. XII. PI. LXXXIII
OEDÈME DYSTROPHIQUE DU MEMBRE INFÉRIEUR GAUCHE
(,4.
MASSON & cie, Editeurs.
OEDÈME DYSTROPIIIQUE
DU MEMBRE INFÉRIEUR GAUCHE
PAR
, A. VIGOUROUX
Médecin de la colonie d'aliénés de Dun-sur-Auron.
Nous avons eu l'occasion d'observer récemment une jeune femme âgée
de 22 ans, couturière, qui présentait un oedème dsytrophique du membre
supérieur gauche.
Toute la jambe gauche depuis la racine de la cuisse jusqu'aux orteils
est envahie d'un oedème blanc, dure et indolore. Le membre semble noyé
dans une sorte de gangue oedémateuse dont la photographie ci-jointe donne
la physionomie. On voit par comparaison avec la jambe saine, combien la
déformation est considérable. (Pl. LXXXIII.)
Le tableau comparatif des mesures de circonférence des membres in-
férieurs est le suivant :
Jambe droite. Jambe gauche.
Circonférence au niveau des malléoles.. 0,27 c. 0,40 c.
» » des mollets... 0,39 c. 0,52 c.
» » du genou... 0,39 c. 0,50 c.
o » de la cuisse à
0,20 c. au-dessus de la rotule .... 0,50 c. 0,60 c.
Circonférence au niveau de la cuisse .. 0,5, c. 0,66 c.
La peau est blanche, sans excoriations, luisante, elle porte imprimée
sur elle la trace du bas à varice, et des jarretières ; mais elle ne garde pas
la trace du doigt après une pression de courte durée, même énergique. Au
toucher, elle est rugueuse, et sensiblement plus froide que celle du côté
droit ; elle ne se laisse pas pincer entre les doigts tant elle est épaisse. Au
début, il y a cinq à six ans, l'oedème était moins dur et se laissait dépri-
mer par le doigt ; il augmentait aussi dans la station debout, ce qui n'existe
plus aujourd'hui.
La sensibilité est intacte dans ses divers modes sur toute la jambe
oedématiée (tact, chaleur, froid, douleur, humidité, etc.).
xii 32
482 A. VIGOUROUX
La motilité de la jambe est entièrement conservée ; les mouvements de
flexion de la jambe sur la cuisse ne sont limités que par l'épaisseur de la
peau, qui cependant, est plus lisse et moins épaisse au niveau du creux
poplité : les mouvements du pied sur la jambe sont très libres.
La malade n'éprouve pas de douleur dans la jambe et n'en a jamais
éprouvé. Elle marche facilement et sans fatigue, elle danse, et toutes les
semaines elle fait ses 22 kilomètres il pied pour venir à la ville et re-
tourner chez elle.
Sa démarche est normale, elle tire cependant un peu la jambe quand
elle est fatiguée : la seule gêne qu'elle éprouve, dit-elle, est celle d'avoir
une jambe plus lourde que l'autre : mais lorsqu'elle n'éprouve pas de
fatigue elle marche sans boiter.
La jambe droite, le tronc, les bras, la face, sont entièrement respectés;
d'autre part, il n'existe aucune lésion viscérale : le coeur, les poumons, les
reins, le corps thyroïde sont en parfait état. Nous n'avons trouvé aucun
stigmate d'hystérie.
Dans ses antécédents personnels nous ne relevons aucune maladie
grave : vers l'âge de huit ans, elle aurait eu une rougeole, sans gravité
aucune.
Conformément la règle, c'est vers l'époque de la puberté, à (le
treize ans, qu'elle s'est aperçue que sa jambe gauche était plus grosse que
l'autre, mais elle ne souffrait pas, c'est en voulant mettre son soulier qu'elle
fit cette remarque. Depuis, l'oedème, d'abord moins dur, s'est accentué et a
envahi tout le membre ; et depuis sept ans que nous connaissons la ma-
lade le rapport volumétrique des deux jambes n'a pas varié, non plus que
leur aspect. -
L'étude des antécédents héréditaires n'a rien donné d'intéressant. Le
père et la mère sont bien portants, une soeur plus jeune et sept frères sont
vivants et en bonne santé. Le grand'père paternel se porte bien, la
grand'mère paternelle est morte a la suite de couches, les grands-parents
maternels sont morts de vieillesse, la grand'mère à 79 ans, le grand-père
à 82 ans, porteur cependant d'un épithélioma de l'oreille. Dans toute la
famille on ne connaît personne ayant ou ayant eu une affection similaire.
(IN CAS DE TORTICOLIS MENTAL
PAR
E. NOGUÈS, ET J. SIROL,
Médecin directeur Médecin adjoint
de la maison de santé pour les maladies nerveuses de Toulouse.
Depuis que le professeur Brissaud et ses élèves ont attiré l'attention des
cliniciens sur cette forme de tic spasmodique, les observations de tortico-
lis mental se sont multipliées. Cette affection nerveuse, sans être donc une
rareté, n'est cependant pas tellement fréquente qu'il ne soit intéressant
de publier les cas qu'on a pu observer. Notre malade présente d'ailleurs
quelques particularités symptomatiques qui sont en contradiction appa-
rente avec les cas types décrits par M. Brissaud.
Ces symptômes anormaux sur lesquels nous reviendrons, en y insistant t
nous paraissent légitimer la publication de l'observation suivante :
OBSERVATION
X..., 30 ans, jardinier.
Antécédents héréditaires. - Le grand-père et le père du malade étaient
bègues. Chez l'un comme chez l'autre ce bégayement a présenté cette par-
ticularité qu'il n'a commencé à se manifester qu'à l'âge de 7 ou 8 ans en-
viron. Il augmente alors progressivement jusqu'à ! 'age de 18 ou 20 ans,
époque à laquelle il atteint son maximum d'intensité; il diminue ensuite
à mesure que le sujet avance en âge. Le père du malade qui vit encore ne
bégaie plus en ce moment.
Antécédents personnels. - Rougeole à 7 ans et bronchite consécutive
qui n'a pas laissé de traces; cinq ans après fièvre typhoïde. Vers ! 'age de
8 ans X... commence à bégayer comme son grand-père et son père. Comme
eux il a vu son bégaiement augmenter déplus en plus jusqu'à Lige de
18'ans. De 18 à 20 ans cette infirmité était telle que le malade avait la
plus grande difficulté à s'exprimer. Vers l'âge de 20 ans le bégaiement a
diminué peu à peu. Aujourd'hui X... parle assez facilement, et son bé-
gaiement ne se manifeste qu'à l'occasion d'une émotion.
A part cette infirmité notre malade jouissait d'une excellente santé lors-
qu'au mois de septembre 1898, sans raison connue, il sentit à deux repri-
jlHl4 E. NOGUÈS ET J. SIROL
ses sa tête brusquement et irrésistiblement entraînée du côté droit. Cette
contraction spasmodique ne dura qu'un instant et ne produisit pas d'au-
tres mouvements de la tête : il put se livrer le jour même et les jours sui-
vants à ses travaux habituels et ne se préoccupa pas de cet accident.
Au commencement de novembre il sentit de nouveau sa tête se dévier,
mais cette fois du côté gauche. A peine déviée, il la redressait par un effort
de la volonté, mais une nouvelle contraction l'attirail du côté gauche dans
la position que produit le spasme du sterno-mastoïdien droit. Après un
certain nombre de contractions la tête reprenait sa position normale. Mais
celle-ci n'était conservée que quelques instants, car une nouvelle crise
spasmodique se produisant, la tête était entraînée, malgré les efforts du
malade et demeurait dans la position anormale (flexion et rotation à
gauche).
Au début ce ne fut que de temps à autre que ces crises se produisirent ;
le malade avait quelques instants de répit. Au bout de quelques jours,
son spasme ne lui laisse presque plus un seul instant de repos et les con-
tractions deviennent plus violentes. La nuit cependant X... dort bien, son
spasme ne se produisant pas. Du mois de novembre pendant lequel cette
affection s'est installée d'une façon permanente, jusqu'à ce jour, les spas-
mes ont progressivement augmenté en intensité et en durée ; au moment
où nous voyons le malade, ils persistent toute la journée.
Lorsqu'on observe X... on voit sa tête exécuter des mouvements bi-
zarres (flexion en avant, en arrière ; inclinaisons à droite combinées à des
mouvements de rotation à droite ou il gauche avec prédominance des mou-
vements de flexion en avant et de rotation à gauche). (Pl. LXXXIV.)
Alternativement la tête tourne dans un sens et se relève, dépassant plus
ou moins la position normale, pour s'incliner de nouveau.
Par un effort de la volonté le malade peut résister à une contraction.
Dans cette lutte inégale où les contractions du sterno-mastoïdien et
du trapèze droits paraissent plus fortes que celles des antagonistes, on voit
bientôt, comme après quelques hésitations, la tète irrésistiblement entraî-
née dans la flexion en avant avec rotation forcée à gauche. L'épaule droite
est soulevée dans cetle position, ce qui indique bien la participation du
trapèze à la manifestation spasmodique. X... reste ainsi de une plu-
sieurs secondes, puis il relève sa tête et de nouveau les contractions se
reproduisent avec une violence et une rapidité variables.
Cependant le malade peut par certains procédés modifier et môme quel-
quefois arrêter momentanément ces spasmes.
Ainsi lorsqu'il fait un effort, lorsqu'il saute, qu'il danse, ou se livre à
des mouvements exigeant un effort musculaire, le spasme s'arrête presque
complètement, mais il recommence dès que le malade demeure au repos.
Nouv. Iconographie DE la SALP1NIlatL.
T. XII. PI. LXXXIV
TORTICOLIS MENTAL
(E. Noguès et J. Si roi)
MASSON & Clc, Editeurs.
r1 : lototyrle Denhaud. rarl ? *
UN CAS DE TORTICOLIS MENTAL 485
Le fait de fixer très attentivement son doigt suffit également pour atténuer
et même faire disparaître le spasme, mais si le malade est distrait ou s'il
parle pendant cet exercice la contraction spasmodique se reproduit.
Enfin il peut complètement arrêter le spasme par la simple application,
sans effort, de son doigt sur la joue du côté de la déviation, du côté op-
posé, sur le menton ou sur le nez, etc. Un doigt autre que le sien produit
le même résultat. Dernièrement le malade a inventé un petit appareil très
ingénieux qui lui permet également d'arrêter les contractions spasmodi-
ques.
Cet appareil n'est autre chose qu'une monture de pince-nez dépourvue
de ses verres auquel X*... a ajusté un bout de fil de fer d'une longueur de
dix centimètres environ. Cette tige est fixée dans une position perpendi-
culaire au plan du pince-nez, sur le milieu du ressort qui soutenait les
porte-verres.
Il suffit que le malade place cet appareil sur son nez pour que le spasme
s'arrête. Il peut alors causer, marcher, se mouvoir de toutes façons, faire
exécuter à sa tête tous les mouvements sans que son torticolis se produise.
Il n'est même pas nécessaire que le malade fixe l'extrémité de la tige ; il
suffit simplement que ce lorgnon d'un nouveau genre soit placé sur son
nez, pour que les contractions de son sterno-mastoïdien et de son trapèze
disparaissent.
Nous ne nous attarderons pas à faire un diagnostic différentiel, et à
rechercher s'il s'agit d'un torticolis ressortissant soit d'une névrose (hys-
térie, neurasthénie, épilepsie), soit de lésions irritatives de l'écorce (cas
de Poore cité par M. Féré) (1), ou d'altérations cérébrales, néoplasmes ou
parasites (cas de Dommer, Steiner, Griesinger cités parM. Bompaire) (2).
Il ne nous paraît pas non plus que nous ayons à faire ce spasme dé-
crit par M. le professeur Jaccoud, sous le nom d'hyperkinésie de l'acces-
soire de Willis, malgré que ce soit bien la branche externe du spinal qui
innerve les deux muscles sterno-mastoïdien et trapèze, ceux-là mêmes
qui chez notre malade sont animés de mouvements spasmodiques.
Outre qu'on ne retrouve pas chez lui la cause des phénomènes irri-
tati fs présumés (absence de tumeurs ou de corps étrangers, pas de dou-
leurs de tête non plus que sur le trajet du nerf, pas de troubles de la sen-
sibil.i[é) X... présente un signe qui ne se retrouve que dans le torticolis
spécial décrit par M. Brissaud : Notre malade peut à volonté arrêter le
spasme en plaçant son doigt sur la joue ou sur le menton, sans qu'il lui
soit nécessaire, pour maintenir la tête, d'opposer la moindre pression, et
de faire un léger effort.
(1) Féré, Revue de médecine, 1894.
(2) Bompaire, Torticolis mental, Th. de Paris, 1894.
486 E. NOGUÈS ET J. SIROL
M. Brissaud, présentant à ses élèves un malade atteint d'un spasme com-
parable à celui de notre malade, leur disait :
« L'homme que voici ne peut s'empêcher de tourner la tête à gauche si
ce n'est en la maintenant, lui aussi avec sa main. Croyez-vous trouver là
comme cause l'irritation du spinal, qui anime les muscles présidant à ce
mouvement ? assurément non, s'il y avait une compression quelconque de
ce nerf, le sujet ne pourrait pas replacer sa tête lui-même. C'est bien sa
seule idée qui le force à exécuter ce mouvement (1). »
Lorsque la tète est déviée chez X..., il peut la ramener dans la position
normale par un effort de la volonté.
Mais à peine est-elle redressée que de nouvelles contractions spasmodi-
ques se produisent et l'entraînent après quelques hésitations dans la po-
sition vicieuse. Il semble que la volonté, assez forte pour ramener la tête,
un instant, dans la position normale, manque de l'énergie suffisante pour
la maintenir. Le malade paraît déployer des efforts considérables pour
opérer ce redressement. Mais il s'aide du doigt en l'appliquant sur le nez,
la joue ou le menton ; la tête est très facilement ramenée dans sa position
normale et l'équilibre aisément conservé.
Comme le fait remarquer M. Brissaud, « le] malade fait à son insu un
dédoublement de sa personne physique. Il est convaincu que, pour redres-
ser l'attitude vicieuse, la force qui doit intervenir ce n'est pas seulement
la volonté de faire agir les muscles du cou, mais la force de ces mains ; sa
volonté qui se fait obéir de ses mains ne commande plus à ses muscles du
cou » (2).
Il s'agit donc là d'un état psychique défectueux qui produit'cette espèce
de torticolis que M. Brissaud a très justement appelé mental.
Ce torticolis présente d'ailleurs à peu près les caractères du torticolis
spasmodique (un grand nombre de torticolis mentaux ont dû être décrits
sous le nom de torticolis spasmodiques), auxquels s'ajoutent certains
symptômes particuliers. D'après M. Brissaud, c'est par une sorte d'habi-
tude que la maladie s'installe. C'est à la suite de la répétition très fré-
quente et consciente au début, de certains mouvements que le spasme des
muscles qui participent à ces mouvements se développe et devient invo-
lontaire. « Le mouvement une fois exécuté, dit M. Brissaud, le malade ne
peut pas parvenir à relâcher ses muscles et à remettre sa tète dans la si-
tuation normale qu'elle occupait auparavant ; il fait des elTorts de volonté
stériles, impuissants. » Une force très minime dirigée contre le spasme
(doigt sur la joue ou le menton, etc.) suffit pour maintenir l'équilibre.
Cette force, on le voit, agit bien plutôt comme « soutien moral » que
(1) Brissaud, Leçottç sur les maladies du système nerveux, 18J3-t894.
(2) Biiissvui), loc. cil.
UN CAS DE TORTICOLIS MENTAL 487
comme puissance faisant équilibre à la contraction musculaire. Enfin, si
le malade, en appliquant son doigt comme nous l'avons dit, peut, sans
effort, redresser et maintenir sa tête, celui du médecin ou d'une autre
personne, d'après M. Feindel (1) serait impuissant à opérer le même re-
dressement. Le doigt étranger ne peut vaincre la résistance alors que celui
du malade en vient facilement à bout.
Notre cas diffère un peu de ceux qui ont servi à définir le type de ce
curieux syndrome.
Chez notre malade, en effet, le torticolis ne s'est pas développé par ha-
bitudes. Le spasme involontaire qui constitue aujourd'hui son affection
n'est pas le résultat de la répétition de ces mêmes mouvements. C'est là
le premier caractère qui le différencie des cas types de M. Brissaud. mais
vous avons trouvé d'autres observations où l'habitude n'est pour rien dans
l'étiologie de ce tic.
Nous avons vu aussi que, d'après M. Brissaud et ses élèves, dès que la
tète a été amenée dans sa position vicieuse, le malade s'épuise en efforts
stériles s'il essaye de la redresser par un simple effort de la volonté ; mais
que « l'appui moral » fourni par le doigt du malade, appliqué sur un
point de la face, et n'ayant aucune résistance à vaincre, suffit pour redres-
ser la tête très facilement.
Si, chez notre malade, l'application du doigt sur la joue, le nez, le
menton, etc., lui permet de ramener sa tête dans la position normale,
avec la plus grande facilité, son cas diffère de ceux de M. Brissaud par ce
fait que sa volonté n'est pas absolument impuissante à produire le même
effet. Ce résultat, il est vrai, n'est obtenu qu'au prix d'un effort violent.
Le spasme recommence d'ailleurs aussitôt après que la tête a pris sa po-
sition normale, mais enfin la malade peut la redresserai' un simple e/fort
de la volonté et cela chaque fois qu'il le veut.
Enfin, M. Feindel prétend que si l'on cherche à substituer son propre
doigt à celui du malade pour redresser la tête ou la maintenir dans la po-
sition normale lorsqu'elle y a été ramenée on a à lutter contre une énergi-
que contraction et tout effort l'ail dans ce but est impuissant. Vcilà en-
core un caractère que nous n'avons pas constaté chez notre malade. Si
nous essayons de redresser la tête de X... lorsqu'elle est déviée ou si
nous remplaçons le doigt du malade par le nôtre lorsqu'il la maintient
dans la rectitude, le spasme ne se reproduit pas. Nous n'avons pas plus
d'effort à faire qu'il n'en ferait lui-même. Quoiqu'il en soit, nous avons
affaire chez X... à une affection spéciale clans laquelle l'état psychique
joue un très grand rôle ; c'est bien de torticolis mental qu'il est atteint.
(1) Bwssaun, loc. cil.
(2) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière (1891).
488 E. NOGUÈS ET .T. SIROL
Il est bien mental, en effet, puisque à tout moment la volonté peut le
modifier, puisque le simple « appui moral » fourni par l'application,sans
effort, du doigt sur la joue, le menton, le nez, etc. suflit pour redresser
la tête et la maintenir en équilibre ; puisque un petit appareil, ingénieu-
sement combiné et que le malade place sur son nez comme un lorgnon,
lui permet également, et alors même qu'il ne fixe pas l'extrémité du fil
de fer, de causer, de se mouvoir, sans que son tic se reproduise.
Notre malade présente aussi un symptôme intéressant dans son évolu-
tion c'est son bégaiement héréditaire Celui-ci constitue un argument de
plus en faveur de la valeur mentale de l'affection dont il est atteint. Bom-
paire a d'ailleurs signalé ce fait, que, lorsqu'on étudie sérieusement un
malade atteint de torticolis mental, on finit toujours par découvrir chez lui
quelque stigmate de dégénérescence.
« Quand on va au fond des choses, quand on interroge le sujet soi-
gneusement, on reconnaît que ce syndrome n'est pas isolé en réalité et
qu'il coexiste avec une série plus ou moins longue de stigmate de dégé-
nérescence (1). »
Il est vrai que cette opinion n'est pas partagée par tous les auteurs :
M. Féré (2) dit en effet : « que les dégénérés soient sujets à un spasme es-
sentiel, mental par le seul fait de leur dégénérescence, comme l'admet
Bompaire, qui du reste ne signale chez ses sujets aucun caractère de dé-
générescence soit physique soit mentale, c'est un fait qui reste à prou-
ver. »
Il n'est pas douteux que notre malade soit un dégénéré par le seul fait
de son bégaiement si curieusement héréditaire, si nettement similaire et
nous pensons que ce fait ajoute encore à l'originalité de notre observa-
tion qui vient corroborer l'opinion de Bompaire, à savoir que le torticolis
mental est un tic spasmodique et comme tous les tics a une origine men-
tale'et se développe souvent, sinon toujours chez des dégénérés.
(1) Bompaire, Du torticolis mental. Th. de Paris, 1894.
(2) Cn. FÉnÉ, Revue de médecine, 1894, p. 757.
FACULTÉ DE MÉDECINE DE BORDEAUX
DOCUMENTS CLINIQUES AVEC PIIOTOSTÉRÉOGRAPH1ES
SYRINGOMYÉLIE
AVEC MAINS SUCCULENTES,
ATTITUDE DE PRÉDICATEUR ET ACROMÉGALIE
PAR R
SABRAZÈS,
Professeur agrégé à Faculté de médecine de Bordeaux.
SOMMAIRE
Homme, 66 ans, charretier et Bordeaux ; n'a jamais quitté la région.
Début à 18 ans : paralysie progressive avec atrophie musculaire des mem-
bres supérieurs.
Antécédents héréditaire nuls.
Antécédents personnels : rachitisme, quelques troubles gastro-intestinaux,
métier exposant à toutes les intempéries; ni syphilis, ni alcoolisme, ni
traumatisme.
L'atrophie musculaire frappe d'abord le membre supérieur gauche et inté-
resse successivement son symétrique ; elle s'accompagne de déviations de la
colonne vertébrale ; engelures ; panaris anesthésique.
En novembre 1898, impotence absolue des membres supérieurs ; mains
succulentes cyanosées et refroidies, avec atrophie des divers groupes
musculaires ; dissociation des troubles de la sensibilité avec distribu-
tion segmentaire ; dystrophie unguéale; acromégalie (radiographie).
Paralysie avec atrophie des muscles extenseurs et des cubitaux ; partici-
pation du triceps, des muscles de la ceinture scapulaire.
Thorax en bateau. Cyphose cervico-dorsale et scoliose dorso-lombnire à
concavité droite.
Examen électrique : inexcitabilité faradique et galvanique des muscles des
deux mains. Inexcitabilité faradique des deux nerfs cubitaux qui sont
insensibles, indurés et augmentés de calibre.
Réflexes plantaire et rotulien vifs à gauche. '
490 sabrazès
Observation.
Jean M..., âgé de 60 ans, natif de Bordeaux qu'il a toujours habité et où
il a exercé jusqu'à )'age de 33 ans la profession de charretier, se présente
il notre consultation de l'hôpital Saint-André, en novembre 1898. Cet
- homme est atteint, depuis l'âge de 18 ans, d'une paralysie progressive des
membres supérieurs.
On ne connaît pas de maladie semblable dans sa famille. Le père a suc-
combé à )'age de 79 ans; il ne s'était adonné il la boisson qu'après la
naissance du malade. La mère est morte ci 48 ans hydropique. Un frère a
été emporté par une affection indéterminée. Une soeur, âgée de 71 ans,
jouit d'une parfaite santé.
Après une première enfance souffreteuse (sevrage à 5 mois, rachitisme)
la santé générale de cet homme a toujours été bonne, par la suite, sauf une
constipation légère et quelques troubles gastriques. Marié il 37 ans, II... a
eu 3 enfants ; le premier est mort à G mois , le deuxième à 4 ans du croup,
le troisième vit encore : c'est un jeune homme de 20 ans, chétif, mais ne
présentant aucune tare nerveuse.
Dans les commémoratifs on ne relève ni alcoolisme, ni tabagisme, ni
blennorrhagie, ni syphilis, ni traumatismes. Le malade était exposé aux
refroidissements en raison de son métier..1 Page de 18 ans, il commença à
ressentir des sensations de fourmillement et de faiblesse dans la main gau-
che ; le matin, en se levant, il éprouvait de la difficuitéa remuer les doigts.
Il se développa ensuite progressivement une atrophie musculaire du mem-
bre supérieur gauche, puis, 7 ou 8 ans après, du membre supérieur droit.
La colonne vertébrale subit, il cette époque, une incurvation lente, conti-
nue, d'où un rapetissement très marqué de la taille. Cette affection évoluait
cependant sans douleur.
H... fut contraint de cesser son métier. Il était de plus sujet à des trans-
pirations abondantes de la tête, à des engelures des doigts ; il y a 2 ans, il
eut un panaris de l'auriculaire gauche ; malgré l'élimination d'un séques-
tre osseux cette suppuration ne s'accompagna d'aucune douleur.
Le 6 novembre 1898, nous procédons il un examen complet de cel
homme. On ne remarque rien d'anormal dans la musculature, la sensibi-
lité et la trophicité de la face. L'acuité visuelle est bonne.; le malade lit
sans lunettes ; les pupilles égales réagissent l'accommodation, à la lumière
et à la convergence ; le champ visuel n'est pas rétréci.
Pas d'bémiatropbie linguale. Sens du goût intact ainsi que celui de
l'ouïe. Odorat un peu émoussé; sécrétion nasale abondante.
NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALYLIN1LR1 : .
T. XII. 1,1. LXXXV
SYRINGOMYÉLIE AVEC MAIN SUCCULENTE
Attitude de prédicateur et .¡cro1110g,dic.
( J..s'avw1a. )
(t'ho ! ugrnp)))cS[ercosco))iqm.)
MAESOM&C ? CdUl1l15.
SYRINGOMYÉLIE 491
On est frappé surtout par l'état des membres supérieurs. Dans la sta-
lion debout, les bras tombent inertes le long du corps (photostéréogra-
phie), les deux mains en extension sur le poignet dans une position in-
termédiaire à la pronation et à la supination. Dans la marche, les mains
sont ballantes, portées beaucoup plus que pendant le repos en dehors de
l'axe du corps, en supination plus accentuée (mains de prédicateur). Dans
l'attitude du serment on voit se produire des mouvements involontaires
des doigts et des mains, mouvements irréguliers, de flexion, d'extension,
de latéralité au nombre de 52 environ par minute, sortes de secousses
lentes et de faible amplitude. (Pl. LXXXV.)
Main gauche. - La particularité qui attire le plus l'attention c'est la
boursouflure en masse dont elle est le siège (pholostéréographie) : peau
remarquablement lisse et luisante depuis le pli du poignet jusqu'au bout
des doigts, surtout à la face dorsale; teinte violacée, asphyxique, plus
marquée vers les deux dernières phalanges. Pas de douleur spontanée ni
provoquée par la pression, mais sensation permanente de froid sans phé-
nomène de l'onglée.
Mensurations : Circonférence des mains, immédiatement au-dessous de
l'extrémité inférieure des métacarpiens 22 centimètres à gauche, 20 cen-
timètres à droite; circonférence du médius(lre phalange) 9 c. 5 à gauche,
9 centimètres à droite; circonférence du médius 1° phalange) 9 centi-
mètres à gauche, 8 c.5 à droite; circonférence du médius (3° phalange)
6 c. 5 à gauche, 6 centimètres à droite.
La ligne cubitale de la main, surtout dans la pronation, apparaît légè-
rement excavée ; la ligne de profil de l'index est également un peu ren-
trante mais beaucoup moins que la ligne de l'auriculaire. La face dorsale
de la main est le siège d'un gonflement considérable ; la pression légère
produit une zone de pâleur blanchâtre qui disparaît rapidement, mais la
pression forte imprime aux téguments un véritable godet persistant. Cette
tuméfaction du dos de la main efface complètement les détails de struc-
ture ; le relief des tendons extenseurs n'est plus visible-; la saillie des
veines a disparu elles fossettes intermétacarpiennes sont comblées, ce qui
donne à la main dans son ensemble un aspect très potelé. La face palmaire
est tuméfiée mais les plis de la peau y sont moins effacés.
Les muscles des éminences thénar et hypothénar sont atrophiés au der-
nier point ; la main plaie, simiesque sur la face palmaire, a sur la face
dorsale l'apparence d'une main gelée très froide au toucher. ' .
L'altitude tombante des membres supérieurs, les abaissements de la
température extérieure augmentent considérablement la cyanose locale qui
s'atténue sous l'influence de la chaleur du lit ; la main ainsi réchauffée se
refroidit très vite quand elle est replacée à la température ambiante, prin-
492 sabrazès
cipalement en hiver. La température locale du dos des mains est dès lors
de 27°.
Tous les doigts ont la forme de fuseaux allongés. Le pouce est en ex-
tension ; l'index, le médius, l'annulaire sont légèrement infléchis ; le petit
doigt, en rectitude dans l'abduction, forme avec l'annulaire un angle assez
ouvert.
A la surface des doigts la peau est lisse, luisante, cyanotique, froide et
comme distendue. Dystrophie unguéale depuis 2 ans : l'altération a dé-
buté par le petit doigt dont l'ongle est surélevé, épaissi, inégal, dépoli,
incurvé hippocratiquement, strié transversalement, de couleur gris bru-
notre ; cet ongle va s'effilant à l'extrémité libre qui est particulièrement
déformée. Ce doigt a été le siège d'un panaris analgésique qui a nécessité
pendant plusieurs mois l'application de pansements phéniqués ; on voit
encore la cicatrice d'un trajet fistuleux profondément adhérente sur le
bord externe de ce doigt ; il existe de plus des mouvements anormaux à
l'union de la première et de la deuxième phalange, une déviation en dehors
de la deuxième et de la troisième phalanges : l'articulation phalange-
phalangienne peut être coudée en extension sous un angle de 100° sans
douleur. Ongles de l'annulaire et du médius hippocratiques avec sillons
transversaux et cannelures longitudinales exagérées ; lame unguéale gri-
sâtre vers sa racine, rouge violacé vers le bord libre ; repli sus-épidermi-
que inégal et desquamé. L'ongle de l'index informe, cassant, creusé de
sillons transversaux a perdu son poli et repose sur un lit hyperkératosi-
que ; altérations de début au niveau de l'ongle du pouce.
Main droite. - Elle se différencie de la main gauche par un gonfle-
ment et un aspect succulent moins marqués, par sa déviation plus accusée
vers le bord cubital,par l'extension plus grande de la main sur le poignet,
parla flexion des deuxième ellroisièmephalanges (griffe). Les téguments sont t
aussi froids qu'à gauche, mais la cyanose est moindre ; une pression forte
creusesur la peau oedémateuseun godet profond. La surfacedeta main droite
est parsemée d'ecchymoses dues à de petits traumatismes : à la base du
premier métacarpien on voit une petite tache lenticulaire ecchymotique ;
on en trouve une aussi à la racine du médius. Cette main est plate (atro-
phie des éminences thénar et hypothénar) ; les ongles présentent les mêmes
déformations qu'à gauche.
La radiographie des deux mains permet de se rendre compte de l'atti-
tude vicieuse des phalanges (à gauche), de l'épaisseur considérable des
parties molles, de la lésion osseuse de l'auriculaire gauche et surtout de la
participation du squelette à l'augmentation de volume des extrémités. La
main droite, cause des déviations moins marquées de ses divers segments,
est particulièrement favorable pour les mensurations que nous avons
SYRINGOMYÉLIE 493
pratiquées par comparaison avec des radiographies de mains normales de
sujets du même âge dont un atteint de rhumatisme articulaire aigu avec
oedème douloureux des mains.
Voici les résultats de ces mensurations :
Longueur totale du 3e métacarpien et du médius :
18 centimètres : syringomyélique; 17 centimètres : sujets normaux.
Longueur totale du 1er métacarpien et du pouce :
12 centimètres : syringomyélique ; 10 centimètres 5 : sujets normaux.
Hauteur maxima du carpe :
4 centimètres 5 : syringomyélique; 4 centimètres : sujets normaux.
Diamètre transverse maximum du carpe :
7 centimètres : syringomyétique ; 5 centimètres 5 : sujets normaux.
Distance maxima de l'apophyse styloïde du cubitus à l'apophyse sty-
loïde du radius :
6 centimètres 2 : syringomyétique ; 5 centimètres : sujets normaux.
Aux avant-bras, atrophie musculaire intéressant surtout les extenseurs ;
les autres groupes de muscles sont inégalement atrophiés ; celui des cubi-
taux est particulièrement frappé ; par contre les épicondyliens sont rela-
tivement épargnés.
Les muscles des bras, quoique grêles, sont moins atrophiés ; les biceps
font une saillie notable tandis que les triceps, mous et flasques, sont très
réduits.
Les muscles de l'avant-bras et le biceps sont le siège de contractions
et fibrillaires.
On note une ankylose fibreuse des articulations du coude et, à un
moindre degré, de l'épaule ; on sent la tête humérale rouler dans la cavité
glénoïde.
Il existe une déformation considérable de la cage thoracique ; le thorax
est creusé en bateau; en arrière, cyphose cervico-dorsale à grande cour-
bure, sans douleurs à la pression, sans déviation angulaire, accompagnée
d'une scoliose dorso-lombaire à concavité droite. Toutes ces déformations
se sont produites lentement sans aucune manifestation douloureuse.
Le grand rond, le grand dorsal, les sus et sous-épineux, le deltoïde
sont atrophiés ainsi que les pectoraux dont il ne reste que des vestiges.
Le relief des muscles des gouttières vertébrales est assez apparent.
La motilité a subi les modifications suivantes : haussement des épaules
difficile; possibilité de porter les mains derrière le dos, mais difficulté
extrême à les placer au niveau de la tête ; le bras peut être écarté du tronc
d'un angle de 70° ; la flexion de l'avant-bras sur le bras arrive à l'angle
droit; l'avant-bras étant en extension aucune résistance active n'est op-
posée aux mouvements imprimés de flexion. L'avant-bras, quand le ma-
494 sabrazès
lade est assis, se place en pronation; les mouvements spontanés de supi-
nation sont très restreiiits et celle-ci, au lieu d'avoir pour centrel'articulation
du coude exige pour se produire un mouvement de rotation de tout le
membre. Les mains ne sont plus douées que de mouvements très rudimen-
taires de flexion et d'extension; le malade ne peut s'en servir ni pour
.manger ni pour s'habiller; les doigts ont perdu toute facul té de se mouvoir.
Au-dessus de la limite des mains la peau n'est ni épaissie ni oedéma-
teuse ; on note simplement un peu de rougeur violacée des poignets.
Sur la face postérieure du bras gauche, à 4 travers de doigt au-dessus de
l'olécrane, on trouve une tumeur allongée, lobulée, ayant les dimensions
d'une figue et présentant la consistance molle du lipome. A deux travers
de doigt au-dessus de l'épilrochlée on rencontre une seconde tumeur du
volume d'un gros haricot. Le bras droit porte, an même niveau, une tu-
meur semblable à la première. Les téguments qui recouvrent ces tumeurs
sont très légèrement pigmentés en brun et de teinte rougeziti'e; on y
remarque de plus une saillie anormale des orifices glandulaires.
L'examen électrique des muscles pratiqué par M. le professeur Bergonié
a donné les résultats suivants :
Conservation de l'excitabilité faradique pour tous les muscles de l'é-
paule, du bras et de l'avant-bras ; inexcitabilité des muscles des éminences
thénar et hypothénar, des interosseux palmaires et dorsaux, des lombri-
caux. Mêmes réactions à gauche qu'à droite.
Conservation de l'excitabilité faradique pour tous les muscles des
membres inférieurs et pour les muscles des gouttières vertébrales.
Conservation de l'excitabilité faradique pour le nerf médian au tiers
moyen du bras et pour le radial. Inexcitabilité à peu près complète du
cubital. Mêmes réactions pour les deux membres. Excitabilité normale des
nerfs aux membres inférieurs.
Courants galvaniques : impossible de trouver une réaction de dégéné-
rescence nette sur les membres même les plus atrophiés. Inexcitabilité
galvanique de tous les muscles ayant perdu leur excitabilité faradique.
Sensibilité. Membre supérieur gauche. Contact bien perçu et
bien localisé sur toute la surface du membre, moins l'auriculaire et l'an-
nulaire qui sont anesthésiques. Analgésie à la piqûre sur toute l'étendue de
la main ; à l'avant-bras et au bras sensibilité d'autant plus émoussée qu'on
se rapproche de l'extrémité libre du membre. Température : thermanes-
thésie au chaud depuis le tiers moyen du bras jusqu'au bout des doigts.
La sensibilité au froid est simplement émoussée.
SYRINGOMYÉLIE 9J
Membre supérieur droit. Contact et piqûre très bien perçus.
Sensibilité au froid et au chaud diminuée surtout à la surface des
doigts et de la main. Distribution segmentaire des troubles sensitifs.
Le calibre des deux nerfs cubitaux paraît plus gros que normalement ; ces
nerfs, de consistance plus dure que des nerfs sains ne sont pas monilifor-
mes ; du côté gauche, le nerf cubital présente, avant de pénétrer dans la
gouttière du coude, un renflement fusiforme indolore. Le pincement de ce
nerf, à gauche comme à droite, est absolument insensible et ne détermine
aucune répercussion dans les doigts.
Membres inférieurs. - Pendant la marche, le pied droit est traîné et
fauche légèrement; la chaussure s'use surtout à droite et par la pointe. Genu
valgum remontant à l'enfance. La station sur un pied est impossible.
Le malade se tient debout les yeux fermés, mais incoordination de la
marche dans ces conditions.
La partie antérieure des cuisses est notablement amaigrie, particulière-
ment à droite ; la mensuration pratiquée à 10 centimètres au-dessus de la
rotule donne 3 : i centimètres à droite, 36 à gauche. Les mollets font un
relief normal (33 centimètres). Excavation tibiale sous-rotulienne de
nature rachitique, intéressant le tiers supérieur du tibia, beaucoup plus
accentuée à gauche qu'à droite. Etat ichthyosique des téguments de la face
interne de la jambe droite.
Les orteils sont en extension légère par leur première phalange et très
légèrement infléchis par leur troisième. Les deux gros orteils sont plus en
extension que les autres et leurs tendons extenseurs font un relief très
apparent qui persiste toujours quels que soient les mouvements.
Les ongles sont dystrophiés, particulièrement celui du gros orteil droit ;
l'ongle est épaissi, coupé de sillons transversaux et se termine par une
carapace cornée brunâtre. Le petit doigt, l'annulaire, le médius du pied
droit sont le siège de durillons et de cors. Pas de kératose plantaire. Ja-
mais de mal perforant ni de bulles pempliigoïdes. La sensibilité au contact,
à la piqûre, à la température est normale sur toute l'étendue des membres
inférieurs.
. Le pouls est ample mais un peu inégal. La tension artérielle est un peu
plus forte à gauche qu'à droite ; on compte 76 pulsations par minute.
Les bruits du coeur sont sourds; ni souilles, ni bruits surajoutés ou dé-
doublés.
496 SABRAZÈS
L'appareil respiratoire fonctionne normalement.
Du côté du tube digestif et de ses annexes on ne relève que des alterna-
tives de constipation et de diarrhée.
Les mictions ne sont pas trop fréquentes, mais elles se font un peu at-
tendre. Les urines normales comme quantité ne contiennent ni sucre, ni
albumine.
Réflexes : périostique nul au membre supérieur droit, conservé à gau-
che ; abdominauxnuls; testiculaires nuls; auchatouillement plantaire plus
vif à gauche qu'à droite ; rotulien normal à droite, vif à gauche ; pas de
trépidation épileptoïde.
En aucun point du corps cet homme ne présente ni taches hyperchro-
miques, zones érythémateuses, ni plaques d'infiltration dermique. Il n'a
jamais quitté Bordeaux et ses environs.
NOUV. Iconographie DE la SALPÊIRIERF.
T. XII. 1'1. LXXXV1
LE VIEILLARD MALADE
Tableau de JAK S'I EEN, Musée de l'Ermitage, à Saint-Pétersbourg.
MASSON & Cic, Editeurs.
LES PEINTRES DE LA MEDECINE
(ÉCOLES FLAMANDE ET HOLLANDAISE).
LE VIEILLARD MALADE DE JEAN STEEN
PAR
HENRY MEIGE.
Le musée de l'Ermitage, à St-Pétersbourg, possède un tableau de Jean
Steen, intitulé Le Vieillard Malade (1) (PI. LXXXV1).
C'est une de-ces fantaisies humoristiques chères au maître hollandais
dans lesquelles il se divertissait à peindre simultanément les ridicules de
la médecine et ceux de la maladie. Ici, comme ailleurs, Jean Steen se
montre un observateur plein de finesse, spirituellement malicieux, fri-
sant de près la grivoiserie, mais avec tant de bonhommie joyeuse qu'il
semble avoir pris à tâche de traduire en peinture les enseignements de
Rabelais. On ne saurait s'offenser de son libertinage : . c'est sa manière à
lui de philosopher. , .
Je ne connais guère que Jordaens qui puisse l'emporter sur Steen dans
l'art de représenter les ripailles pantagruéliques et les gargantuesques
orgies. Mais nul, mieux que le peintre cabaretier de Leyde, ne sait abor-
der les gauloiseries les plus aventurées, en s'arrètant tout juste aux confins
du trivial. z
, ..
Dans ses scènes médicales", Jean Steen est sans rival. Nous en avons
cité trop d'exemples pour avoir à y revenir. Seul, Molière au théâtre, a
su manier l'ironie avec autant d'à,propos,, d'entrain et d'esprit. .
Le Vieillard Malade de Jean Steen semble au premier abord comme une
illustration du Malade imaginaire de Molière.
Ne reconnaissez-vous pas cet incorrigible hypochondriaque d'Argan,
« embéguiné d'apothicaires et de médecins », qui s'entête à persuader aux
autres et à lui-même qu'il est le réceptacle des pires maladies et que son
(1) ? 899 du catal. Somoff, p. 356. B. H., 49. L. 57. Provient de la vente du
duc de Choiseul 477, acheté 400 florins. Faisait partie auparavant de la collection
Lormier, à la Havez Gravé par Le Bas ; reproduit par Ch. Blanc, llist. des peintres,
p. 7. - La photographie reproduite pl. LXXXVI, nous a été obligeamment communi-
niquée par M. Somoff, directeur du musée de l'Ermitage.
xn 33
498 HENRY MEIGE
trépas n'est qu'une question d'heures. Il est là, au premier plan, effondré
dans son fauteuil, voûté, cassé, le chef branlant, emmitouflé dans une
épaisse robe de chambre jaune, les oreilles emprisonnées dans une serre-
tête blanc que recouvre encore un chaud bonnet rouge. Il ne lui manque
même pas sa canne, ce grand jonc à pomme d'ivoire dont Toinette connait
bien les inutiles menaces... Le mal est-il au foie, à la rate ou au poumon ? ' ?
Il est partout, et il n'est nulle part. Pour le moment on peut soupçonner
quelque crise de goutte à ce pied mal chaussé qui repose sur une chauffe-
rette.
Par bonheur, une réconfortante tisane, « inventée et formée dans toutes
les règles de l'art », va faire « dans les entrailles un effet merveilleux ».
Argan, semble-t-il, s'apprête à l'absorber, religieusement.
Près de lui, souriante, accorte et bien en chair, vêtue d'une jupe vio-
lette à corsage rose, décolletée à souhait, une jeune femme est assise, te-
nant une cafetière de la main droite. Si ce n'est pas la Toinette de Molière,
elle est trop rièhement vêtue pour n'être qu'une soubrette de la mai-
son, - c'est du moins quelque aimable fille, rieuse et de libre allure, qui
s'entend aux espiègleries et ne répugne point aux propos malicieux. Met-
tons qu'elle soit de la même famille que Toinette, qu'elle en ait la verve
et l'esprit mordant ; mais ne poussons pas plus loin la comparaison : la
jeune personne ne pourrait qu'y perdre.
C'est qu'en effet, si dans le tableau deSteen le décor et les personnages
semblent empruntés à la troupe de Molière, la donnée de cette scène s'é-
carte singulièrement de celle du Malade imaginaire.
Argan synthétise merveilleusement tous les ridicules du faux malade.
En outre, il est faible, craintif à l'excès, aveugle sur les bassesses et les
vilenies humaines - sur celles de sa femme comme sur celles de ses mé-
decins, sa naïveté semble sans limites. Mais il est « honnête homme »,
doué d'un coeur excellent, malgré son égoïsme maladif. Il a plus d'un tra-
vers ; il n'a pas de vices.
Du Vieillard Malade de Jean Steen, il n'est malheureusement pas pos-
sible d'en dire autant. La donnée est tout autre, et, il faut bien l'avouer,
franchement scabreuse.
Ce vieux podagre à la bouche édentée, aux reins brisés, aux membres
ankylosés, tout perclus de rhumatismes, possède encore un oeil singuliè-
rement audacieux. Son regard oublie de surveiller la main tremblante qui
tient la potion régénératrice, pour se fixer, avec une insistance troublante,
sur les charmes mal dissimulés de l'avenante enfant assise à ses côtés.
S'il pense à ses propres infirmités, ce n'est pas pour se lamenter sur elles,
mais avec l'espoir qu'une trêve fût-elle momentanée, - lui permettra
. LE VIEILLARD MALADE DE JEAN STEEN 499
de réveiller sous des cendres déjà refroidies quelque étincelle du temps
jadis.
Et la jolie fille, tout en se gaussant de ces efforts surannés, ne dédaigne
pas de leur faire un accueillant visage. Sans doute, elle a su estimer à leur
juste valeur ces espérances cacochymes : leur prix est représenté sans
ambages par la bourse que le vieillard tient dans sa main gauche. ,
A quoi bon insister davantage sur les allusions risquées qui foisonnent
dans ce tableau. Les plaisanteries osées ne sont tolérables que sous le
voile d'un spirituel mystère. Jean Steen a pris grand soin de ne pas trop
le soulever, encore qu'il l'ait choisi d'une étoffe suffisamment transpa-
rente. N'a-t-il pas, par un symbolisme à lui très familier, accroché aux
parois de la chambre, un tableau, d'après Rubens, représentant cette scène
biblique nullement ambiguë : Suzanne et les vieillards ? ...
Bornons-nous, donc à compléter noire description en ajoutant que la
jeune personne en jupe violette offre très galamment à son vieil admirateur
un objet dont le spectateur définira tant bien que mal la nature et la si-
gnification : apparemment, ce sont des os.
Derrière ce duo mal assorti, une servante vêtue de brun et coiffée de
blanc, présente aussi deux os sur une assiette. Un autre est tombé par
terre, près du chauffe-pied.
Pourquoi ces os ? ? Mieux vaux feindre de ne pouvoir le deviner. Et le
joyeux drille qui, dans le fond de la pièce, à droite, entreprend de donner
à une mari trône des explications mimées, fera il beaucoup mieux d'imiter
la naïve indifférence de cette soubrette, qui, vers la gauche, s'apprête
tranquillement à bassiner le lit. '
Ce Mascarille libertin ne se soucie guère des soins du ménage, non
plus que sa commère dodue. Ils laissent traîner par terre, pèle-mêle, tous
les ustensiles de cuisine ou autres : une bouteille, un plat, une poêle à
frire, des coquilles d'oeufs, un réchaud, un chandelier.... Peu leur chaud
qu'un jeune chat profite de tout ce désordre pour se livrer aux mêmes
incongruités que les petits chiens des Plaideurs de Racine.
Mais voici M. Purgon lui-même qui entre par la porte du fond, fraise
au cou, haut feutre pointu sur la tête, drapé dans son long manteau noir.
.« Je viens d'apprendre ta-bas à la porte de jolies nouvelles : qu'on se
moque ici de mes ordonnances... Voilà une hardiesse bien grande, une
étrange rébellion d'un malade contre son médecin ! ? »
On connaît la tonitruante apostrophe qui se poursuit par le duo mé-
morable où M. Purgon menace Argan de l'abandonner à l'intempérie de
ces entrailles, à la corruption de son sang, à J'àcreté de sa bile, et à la
féculence de ses humeurs, ce qui le conduira fatalement à la brady-
500 llENRY MEIGE
pepsie, à la dyspepsie, à l'apepsie, à la lienterie, à la dysenterie, à l'hy-
dropisie et à la privation de la vie......
Le Purgon de Jan Steen n'est pas d'aussi farouche humeur, et le spec-
tacle qu'il voit en entrant lui arrache aisément un sourire. Gageons qu'il
ne saura pas tenir son sérieux au cours de ses imprécations et que même
il participera à la grivoiserie de l'assistance.
Contrairement à Molière qui ridiculisa l'excès de la gravité doctorale,
Jean Steen aimait à critiquer l'extrême liberté d'allures et le sans-gêne
outrecuidant des médecins de son époqne : deux travers opposés qui prê-
taient également à la satire des humoristes de la plume ou du pinceau.
TABLE DES MATIÈRES
Acromégalie et dégénérescence mentale,
par F.115 ? IISIEIt (3 phot.), 398.
Amyolrophie double du type scapulo-hu-
mé1'al consécutive il un traumatisme
(3 phot.), 386.
Amyotrophie Charcot-Marie (Contribution
à l'élude analomo-pathologique et clini-
que), par P. Sainton, 207, 317.
Aphasie amnésique (aphasie de conductibi-
lité),par Trénel (12 dessins, S phot.), 433,
Ataxie cérébelleuse héréditaire (Trois cas
dans la même famille),par G. ROS80LIMO,
22.
Atrophie musculaire et osseuse du mem-
bre supérieur, par J. Sabrazès et L.
MARTY, 107.
Atrophies musculaires progressives d'ori-
gine myélopathique, par Etienne (12
phot.), 358.
Hydrocéphalie et hydromyélie (causes des
différentes difformités congénitales du
système nerveux central), par N. So-
LOVTzorF, 37.
Hypothyroïdie bénigne chronique ou
myxoedème fruste, par IiEaTO6RE; 261.
Incontinence nocturne d'origine hystéri-
que, par P. Ravaut, 167.
Lipomalose monstrueuse (principalement
localisée à la partie sous-diaph1"agmati-
que du corps), par DARTIGUES et Bonneau,
216.
Little (syndrome de) et syphilis hérédi-
taire, par Tommasi de Amicis, 34.
Mal d'amour (Les peintres de la méde-
cine, école flamande et hollandaise)
(24 phot.), 51,221, 340, 420.
Métamérie dans les trophonévroses, par
E. Brissaud, 69.
Myopathie primitive el progressive avec
autopsie, par Sabrazès et Brenguès, 48.
OEdème dystrophique du membre inférieur
gauche, par Vigoureux (1 phot.), 481.
Paralysie isolée du muscle grand dentelé
(Contribution à l'étude de la), par A.
Souques et J. CASTAIGNE, 178.
Peintres de la médecine. Le vieillard ma-
lade de Jean Steen, par Henry MEIGE.
(1 phot.), 497.
Pierres de têtes (Nouveau tableau repré--
sentant les arracheurs de), par Henry
lllErcr : , 110.
Polynévrite et poliomyélite, par F. RAY-
bio«\11).
Prurit et ll'ic/wtillomanie chez les paraly-
tiques généraux, par C. Féré. 312.
Sclérodermie (localisée chez les enfants),
par P. IlAUSHALTËR et L. Spillmann, 197.
Syphilis (héréditaire à 1res long terme),
par P. de Molènes, 219.
Syphilis héréditaire de la moelle (un cas
de), par DURANTE et Gilles de r.a Toa-
nETTE (2 phot.), 95.
Syringomyélie avec main succulente, atti-
tude de prédicateur et acromégalie, par
Sabrazès (4 phot.), iS9.
Tabes (Etude sur les troubles objectifs des
sensibilités superficielles) par A. Riche
et de Gotiiard, 327, 40S.
Tabes labyrinthique, par P. Bonnier, 131.
Tics du pied (noie sur deux cas), par
Raymond et P. JAXET, 353.
Thomsen (Maladie de) (forme fruste avec
atrophie musculaire), 15.
Torticolis mental (un cas de), par NOGUÈS
et Sirol, 4S3.
Trophoedème chronique héréditaire , par
Henry MEME (5 phot.), 453.
TABLE DES AUTEURS
Awcis (de Tommasi). Le syndrome de Little
et la syphilis héréditaire, 34.
Bonneau et DAIITIGUES. Lipomatose mons-
trueuse principalement localisée- à la
partie sous-diaphragmatique du corps
(4 phot.), 216.
Bonnier (Pierre). Le tabes labyrinthique,
131.
BREXGUES et SANRAZÈS. Myopathie primitive
et progressive avec autopsie (1 stéréo-
phot.), 118.
Brissaud (E.). La métamérie dans les tro-
phonévroses (18 phot.), 69.
Castaigne J. et A. Souques. Contribution
à l'étude de la paralysie du muscle grand
dentelé (4 phot.), 178.
Dartigues et Bonneau. Lipomatose mons-
trueuse principalement localisée à la par-
tie sous-diaphragmatique du corps (4
phot.), 216.
Durante et Gilles de la TOURETTE. Un cas
de syphilis héréditaire de la moelle
(2 phot.), 95.
Etienne. Sur les atrophies musculaires pro-
gressives d'origine myélopathique (12
phot.), 358.
FAHXAHIEIL Acromégalie et dégénérescence
mentale (3 phot.), 358.
Féré (CII.\HLES). Le prurit et la trichotillo-
manie chez les paralytiques généraux
(1 phot.), 312.
Gilles de la TOURHTTE et Durante. Un cas
de syphilis héréditaire de la moelle (2
phot.), 95.
Gotiiard (de) et A. Riche. Etude sur les
troubles objectifs des sensibilités super-
ficielles dans le tabes (.i phot.), 321, 408.
GUlLL.\JN (G.). Amyotrophie double du type
scapulo-huméral consécutive à un trapu.
matisme (3 phot.), 386.
Haushalter P. et L. Spillmann. Quelques
cas de sclérodermie et de vitiligo chez
les enfants (6 phot.), 191.
IIFnrocne . De l'hypothyroïdie bénigne
chronique ou myxoedème fruste (36
phot.), 261.
Janet P. et F. Note sur deux
tics du pied (3 phot.), 353.
.Marty L. et G. SABRAZES. Atrophie mus- '
culaire et osseuse du membre supérieur
(1 stéréo-phot.), 107.
Meige (Henry). Ti-opliù3dèine chronique
héréditaire (5 phot., Siscliemas), 453.
MEME (Henry). Les peintres de la méde-
cine (Ecoles flatiiande et hollandaise).
Le Mal d'Amour (24 phot.), 51, 227, 340,
420.
Meige (Henry). Les peintres de la méde-
cine. Le vieillard malade de Jean Steen
(1 phot.), 197.
MEIGE (Henry). Nouveau tableau représen-
tant les arracheurs de Pierres de Tête
(2 phot.), 170.
Molènes (Paul nE). Hérédité syphilitique à
très long terme, 219.
Nocuès et Sirol. Torticolis mental (4
phot.), 183.
NouuÈs E. et J. SIROL. Maladie de Thomsen
à forme fruste avec atrophie musculaire.
(3 phot.l, 15. z
RAVAUT P. Incontinence nocturne d'origine
hystérique, 167.
Raymond. Polynévrite et poliomyélite
(4 phot.), 1.
Raymond LT Pierre JANET. Note sur deux
tics du pied (3 phot.), 3;i3.
BICIIE A. et de Gotiiard. Etude sur les
troubles objectifs des sensibilités super-
ficielles dans le tabes (5 phot.), 327, 408.
RossoLmo (G.). Trois cas d'ataxie céré-
belleuse héréditaire dans la même fa-
mille (4 phot.), 22.
Suiiiazès J. et L. MARTY. Atrophie muscu-
laire el osseuse du membre supérieur
(1 stéréo-phot.), 107.
Sabrazès et Bnwouss. Myopathie primitive
et progressive avec autopsie (1 sléréo-
phot.), 48.
Sahrazès. Syringomyélie avec main succu-
lente, attitude de prédicateur et acromé-
galie (4 phot.), 489.
SAMTON (P.). Contribution à l'étude ana-
TABLE DES PLANCHES
Acromégalie et dégénérescence mentale
(FARNARIrji), LXV.
Amyotrophie Charcot-Marie (P. Sainton),
XXVIII, XXIX, XXX. Ll, LU.
Amyotrophie double scapulo-humérale d'o-
rigine traumatique (GUILLAIN), LXIV.
Aphasie amnésique (Trénel), LXXVI,
LXXVII, LXXVIII, LXXIX.
Atrophie musculaire progressive d'origine
myélopathique (G. Etienne), LX, LXI,
LXfI, LXIII.
Atrophie musculaire et osseuse du mem-
bre supérieur droit (Sabrazès etMARTY).
XVII, XVIII, XIX, XX.
Arracheurs de Pierres de Tête (Henry
Meige), XXI, XXII.
Ataxie hérédo-cérébelleuse (G. Rossolimo),
IV, V.
Hydrocéphalie et hydromyélie. Difformités
congénitales du système nerveux cen-
tral (N. SOLOVTZORF), VI, VII, VIII. IX,
X.
Hypothyroïdie bénigne chronique ou
myxoedème fruste (E. Hertoghe), XLIII,
.XLIV, XLV, XLVI, XLVII, XLVIII,
1LIX.
Lipomatose monstrueuse (Dartigues et
Bonneau), XXXI, XXXII, XXX111, XXXIV.
Maladie de Thomsen (E. Noguès et J.
Sirol), III.
Mal d'Amour (Henry 111E1GE),XII, XIII, XIV,
, xv, xxxv, xxxvi, X1YVII, xxxvm,
XXXIX, XL, XLI, XLII, LVIII, LIX, LX,
LXII, LXIII, LXX, LXXI, LXXII, LXXXIII,
LXXIV, LXXV.
Myopathie primitive et progressive (Sabra-
ZÈS et BRENGUES), XI.
OEdème dystrophique du membre inférieur
gauche (VIGOUROUX). LXXXIII.
Paralysie isolée du muscle grand dentelé
(Souques et Castaigne), XXII, XXIV,
XXV.
Polynévrite et poliomyélite (F. Raymond),
1,11.
Prurit et trichotillomanie chez un paraly-
tique général (C. Féré), L.
Sclérodermie et vitiligo chez les enfants
(HAUSHALTER et Spillmann), XXVI, XXVII.
Syphilis héréditaire de la moelle épinière
(Gilles DE la Tourette et DCTR.1NTE),XVI.
Syringomyélie avec main succulente, atti-
tude de prédicateur et acromégalie (Sa-
BRAZÈS), LXXXV.
Tabes (troubles des sensibilités superfi-
cielles dans le) (A. Riche et de Gotiiard),
LUI, LIV, LV, LVI, LVII, LXVI, LXVII,
L1VI11, LXIX.
Tics du pied et P. Janet), LIX.
Torticolis mental (Noguès), LXXXIV.
Trophoedème chronique héréditaire (HENRY
Meige), LXXX, LX<TYf, LXXXII.
Vieillard malade de Jean Steen (Henry
Meige), LXXXVI.
Le aérant : P. Bouchez.
Imp. J. Thevenot, Saint-Dizicl' (Haute-Marne),'
TABLE DES AUTEURS
503
tomo-pathologique et clinique de l'amyo-
trophie Charcot-Marie (13 phot.), 207,
317.
SiaoL et Noguès. Torticolis mental (4
phot.), 483.
SIROL J, et E. Noguès. Maladie de Thom-
sen à forme fruste avec atrophie muscu-
laire (3 phot.), 15.
SOLOVTZOFF (N.). L'hydrocéphalie et l'hy-
dromyélie comme causes des différentes
difformités congénitales du système ner-
veux central (19 phot.), 37.
Souques A. et J. Castaigne. Contribution
à l'étude de la paralysie isolée du muscle
grand dentelé (4 phot.). 178.
Spillmann L. et P. Il AUSIIALTER. Quelques
cas de sclérodermie et de vitiligo chez
les enfants (9 phot.), 197.
Trénel. Aphasie amnésique (aphasie de
conductibililé) (12 dessins, 8 phot.), 433.
Vsoomsooa. OEdème dystrophique du mem-
bre inférieur gauche (1 phot.), 481.