(1899) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 12]
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(1899) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 12]

NOUVELLE

ICONOGRAPHIE

DE LA

SALPÊTRIÈRE

TOME XII

1899

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

SALPETRIERE

FONDÉE par J. M. CHARCOT .

F. RAYMOND

PROFESSEUR DE CLINIQUE

DES MALADIES

DU SYSTÈME NERVEUX

PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE

A. JOFFROY

PROFESSEUR DE CLINIQUE

DES MALADIES MENTALES

A. FOURNIER

PROFESSEUR DE CLINIQUE

DES MALADIES CUTANEES ET

SYPHILITIQUES

PAR

PAUL RICHER

MEMBRE DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE

DIRECTEUR H0 ! <" DU LABORATOIRE DE

LA CLINIQUE

GILLES DE la TOURETTE

PROFESSEUR AGRÉGÉ A LA FACULTÉ DE MÉDECINE

DE PARIS

MÉDECIN DES HÔPITAUX

ALBERT LONDE

DIRECTEUR DU SERVICE PHOTOGRAPHIQUE

AVEC LA COLLABORATION DE MM.

ACHARD, BOGROFF (Odessa), BOIX, P. BONNIER, BOTTEY, BRISSAUD, CABANNES (Bordeaux),

CATHELINEAU,CESTAN,J.-B. CHARCOT, CHIPAULT, DELPRAT (Amsterdam),DENY,DUFOUR,

DURANTE, DURET, DUTIL (Nice), EMIRZÉ (Smyrne), ESTEVES (Buenos-Ayres), ÉTIENNE (Nancy),

FEINDEL,FÉRÉ, E. FOURNIER, GASNE, GRASSET (Montpellier), G. GUINON, HALLION,

HAUSHALTER (Nancy), HERTOGHE (Anvers), HUET, P. JANET, KATICHEFF (St-Pétersbourg),

H. LAMY, LANNELONGUE, LANNOIS (Lyon), LAUFENAUER (Buda-Pesth), LAUNOIS, LE

DENTU, M. LEMOS(Porto), L. LÉVI, P. LONDE, LUCO ORREGO (Santiago, Chili), P. MARIE,

MARINESCO (Budtarest),DE MASSARY, H. MEUNIER,MICHAILOWSKI (Sofia), MOCZUTKOVSKY

(St-Pétersbourg), NOGUÈS (Toulouse), PARINAUD, PARMENTIER, PITRES (Bordeaux), RAMADIER,

A. RICHE, RÉVILLIOD (Genève), A. ROBIN, ROSSOLIMO (Moscou), SABRAZES (Bordeaux), SAIN-

TON, T. D. SAVILL (Londres), SCHAFFER (Buda-Pesth), SÉGLAS, SÉRIEUX, SIKORSKY (Kiew),

SPILLMANN (Nancy), SOCA (Montevideo), SOLOVTZOFF (Moscou), SOUQUES, SURMONT,

TARGOWLA, TRÉNEL, TUFFIER, WEIL, etc.

Secrétaire de la Rédaction : HENRY NlEIGE

TOME DOUZIÈME

Avec 67 figures intercalées dans le texte et 86 planches' hors texte

PARIS

MASSON ET Ci'" ÉDITEURS

LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE

120, Boulevard Saint-Germain

1899

NOUVELLE

ICONOGRAPHIE'^*

DE LA SALPÊTRIÈRE -

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTEME NERVEUX.

(HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE).

POLYNÉVRITE ET POLIOMYÉLITE

PAR

F. RAYMOND,

Professeur de Clinique des Maladies du Système Nerveux.

Messieurs,

Le cas du malade qui va faire l'objet de la leçon de ce jour se rapporte

à une question de diagnostic différentiel, que j'ai longuement, et à maintes

reprises, étudiée dans mes leçons du vendredi. Je n'hésiterai pas à ) re-

venir de temps à autre, quand se présentera une occasion favorable de le

faire. Il s'agit de vous pénétrer d'une notion qui n'est pas encore assez

répandue dans vos classiques et dans l'esprit des médecins : je l'énon-

cerai ainsi : Une paralysie grave, plus ou moins généralisée, à marche

aiguë ou subaigué, accompagnée de douleurs spontanées ou provoquées,

souvent très vives, et de bien d'autres manifestations pénibles ou inquié-

tantes, aboutissant à une atrophie musculaire plus ou moins prononcée, à

des rétractions tendineuses irrémédiables, peut être l'expression d'une

simple névrite périphérique et d'une névrite radicalement curable. Or,

il y a seulement une dizaine Vannées, on n'eût pas hésité, en présence

d'un pareil ensemble sympt nnatique, diagnostiquer une myélite. Au

surplus, pareille erreur de diagnostic est commise encore très fréquem-

ment par des médecins qui ne se sont pas tenus au courant de l'évolution

survenue dans l'histoire des névrites multiples. Elle a été commise, en

particulier, par le médecin qui nous a adressé le malade que je vais vous

présenter. Pour lui, il s'agissait d'une myélite généralisée, qui devait être

rapidement mortelle. Vous concevez des lors mon empressement à saisir

XII 1

2 1 ? R1TAIONIi

toutes les occasions qui s'offrent a moi de vous prémunir contre ce genre

de méprises, dont je vous ai maintes fois l'ait ressortir les fâcheuses con-

séquences. Une occasion de ce genre m'est fournie par le malade qu'on vient

de placer devant vous.

C'est un nommé CI1..., âgé de 38 ans, couché au no 2 bis de notre salle

Bouvier ; il exerce la profession de maçon.

Sa mère, une « nerveuse », est morte phtisique. Son père vit encore et

se porte bien. Nous n'avons rien relevé, dans ses antécédents héréditaires,

qui ait un semblant de rapport avec l'affection dont il est atteint.

Vers l'âge de 10 ans, le malade a eu des convulsions ;. sa tète se dé-

viait surtout à gauche.

Les yeux se convulsaientun peu en haut ; le malade ne perdait pas con-

naissance.

Ces crises, au nomhre d'une dizaine, ne se sont reproduites que pen-

dant une période de 7 ou 8 mois.

Ch... a eu aussi de l'incontinence d'urine, dans le jeune âge.

Il est père d'une petite fille., âgée de 2 ans, qui, elle aussi, a eu des

convulsions.

Il a perdu une soeur, morte, à l'âge de 7 ans, d'une maladie dont il

ignore le nom et la nature. Il lui reste un frère qui, depuis environ qua-

tre années, tousse beaucoup et a eu des hémoptysies.

Ch... est marié ; il est père de deux enfants, qui sont d'une bonne santé

habituelle. En 1883, alors qu'il faisait son service militaire, il a eu une

lièvre typhoïde. A la suite de cette maladie il a présenté, dit-il, du trem-

hlement des mains.

Le début de son afl'ection actuelle remonte au milieu du mois d'août de

la présente année. A cette époque, Ch... a été pris de vomissements et de

diarrhée, pendant quelques jours ; il a pu continuer son travail. Toutefois

ses jambes se sont mises il faiblir; dès les premiers jours qui ont sui\i, le

malade y éprouvait des fourmillements.

Le 22 août, Ch... dut renoncer il se mellre au travail, tant à cause de

la faiblesse de ses jambes, qu'en raison des sensations pénibles qu'il

éprouvait, dans les membres inférieurs, au niveau des lombes, des .tempes

et des mâchoires; (les fourmillements plutôt que des douleurs

proprement dites.

Le 26 août, le malade a eu les lèvres et les paupières enflées. Il parlait

difficilement et il ne pouvait plus ni fumer, ni cracher. Ses yeux restaient

grand ouverts, même pendant le sommeil.

Jusque-là, Ch... était simplement resté au repos; du 8 au 10 septum-

Nouv. Iconographie DE la SALfCIRIÉRE.

T. XII. r. 1

'Pb%coll. B`rtlmrrd

POLYNEVRITE

(F. Raymond)

MASSON & Cie. Editeurs.

. POLYNÉVRITE ET POLIOMYÉLITE * 3

bre, il dut s'aliter; il était comme paralysé aux quatre membres, au tronc

et à la face. La moindre pression, exercée sur une masse musculaire quel-

conque, lui occasionnait des souffrances horribles; il n'éprouvait pas de

douleurs spontanées. Le malade mettait un peu plus de temps à uriner

qu'avant d'être malade, mais il ne présentait pas de troubles des sphinc-

ters. Cette gène de la miction tenait sans doute à la paralysie des muscles

de la paroi abdominale, et, en partie, à l'impossibilité où se trouvait le

malade de se redresser sur son lit.

A partir de ce moment-là on s'est aperçu que Ch... était en voie de

maigrir; toutefois, au moment de son entrée à l'hôpital, il ne présentait l

pas d'atrophie musculaire bien nette, si ce n'est aux mains. D'après les

renseignements que nous avons recueillis de la bouche de sa femme,

Ch... n'a pas présenté de troubles de l'intelligence ou de la mémoire ; son

caractère ne s'est pas modifié. Il n'a pas eu d'accès d'oppression, pas de

palpitations. Il souffrait simplement au niveau des attaches du diaphragme,

à chaque mouvement d'inspiration. Il n'a pas non plus présenté de signe

d'une paralysie du voile du palais. Cependant la sphère des nerfs crâniens

a dû être touchée, car le malade assure que, par moments, il a vu double

et louché.

Au dire de Ch...,la paralysie des mouvements est parvenue à son apogée

dans les premiers jours de septembre ; à partir du 15, les symptômes se

sont mis à rétrocéder, et l'amélioration est allée en augmentant de jour

en jour. Le médecin qui l'avait soigné lui avait prescrit des purgatifs

salins, répétés quotidiennement, pendant une quinzaine de jours.

Voici l'étal présent, qui a été relevé par mon chef de clinique M.Gasne,

le 29 septembre, jour de l'entrée du malade à l'hôpital.

Ch... s'est présenté à la consultation, soutenu par deux personnes. A

première vue, mon chef de clinique a été frappé de l'immobilité des traits

de la face; seuls, les yeux avaient conservé quelque vie, et leur expression

tranchait sur le reste du masque facial (Pl. I).

Le malade était dans l'impossibilité de se tenir debout, sans assistance,

même en écartant les jambes ; sitôt qu'on l'abandonnait à lui-même, il se

mettait à osciller, et il serait infailliblement tombé, si on ne l'avait de

nouveau soutenu. Pour qu'il fit de nouveau quelques pas, il a fallu en'

quelque sorte le porter; il maintenait le genou fortement élevé, et le pied

était tombant.

Les mouvements des orteils, les mouvements de flexion et d'extension

du pied sur la jambe, de la jambe sur la cuisse, de la cuisse sur le bassin

étaient conservés, mais ils s'exécutaient sans force. Les mouvements pby-

- 1. 1 ? RAYMOND

siologiques des différents segments des membres supérieurs se compor-

taient de même. Aussi le malade était-il encore en état de s'hahiller et de

manger seul, mais non sans difficulté.

De même encore les mouvements qui nécessitent la contraction des

muscles du tronc et du cou s'exécutaient sans vigueur.

La figure se maintenait dans une immobilité complète ; la bouche était

entr'ouverte; les lèvres étaient fortement renversées en dehors,les sillons

nasolabiaux effacés. Les yeux étaient largement ouverts; on n'observait

pas le moindre clignotement; les rides du front étaient effacées (Pi. II).

Le jeu de la physionomie était complètement aboli ; le malade ne pou-

vait ni plisser la peau du front, ni froncer les sourcils, ni abaisser ou éle-

ver les commissures labiales. Essayait-il de clore les paupières, les globes

oculaires se déviaient convulsivement en haut et en dedans; la paupière

supérieure s'abaissait à peine, et le blanc de la sclérotique restait visible

sur une assez grande étendue.

Le malade pouvait ouvrir largement la bouche, et les muscles, intéres-

sés à ce mouvement, se contractaient avec vigueur; il pouvait serrer les

dents avec la force normale, il exécutait, sans difficulté, les mouvements

de diduction qu'on lui commandait. Il pouvait mouvoir la langue en tous

sens. De même, le voile du palais se contractait normalement, aussi bien

à l'occasion des mouvements de phonation que lorsqu'on l'excitait par le

Foucher. Jamais, du reste, le malade n'avait avalé de travers et encore

beaucoup moins rendu les aliments par le nez. ,

Il éprouvait une certaine gène pendant le premier temps de la dégluti-

tion ; les aliments,au lieu d'être véhiculés vers l'arrière-gorge, retombaient

entre les dents et les joues, par suite de la paralysie des joues et des

lèvres.

On ne constatait plus de traces d'une paralysie des muscles extrinsèques

de l'oeil. Les pupilles réagissaient d'une façon très nette, aux impressions

lumineuses et aux efforts d'accommodation. Ch... avait de l'épiphora, mais

moins qu'au début de sa maladie, à ce qu'il prétendait.

Les troubles de la parole, présentés par le malade, reconnaissaient la

même cause : Ch... ne remuait pas les lèvres en parlant; aussi sa voix

était-elle confuse, comme embrouillée; on comprenait cependant tout ce

qu'il disait.

Naturellement Ch... était dans l'impossibilité de souiller, de siffler, de

faire le mouvement que nécessite l'acte de donner un baiser.

Il ne présentait pas, non plus, le moindre trouble de la sensibilité ob-

jective superficielle; au contraire la moindre pression exercée sur les

masses musculaires développait des douleurs très vives. Le moindre ti-

raillement, imprimé à un tronc nerveux, arrachait des cris au malade ; le

NOU,ICONOCHAPFIIE DE~lA SALPÊTRIÈRE.

T. XII. PI. II

POLYNÉVRITE

(F. Raymond)

MASSON & Cte, Editeurs

POLYNÉVRITE ET POLIOMYÉLITE' O

signe de Lasègue existait au plus haut degré. Le malade n'éprouvait pas

de douleurs spontanées.

Il ne présentait pas non plus de troubles de la gustation et de l'audi-

tion.

Le réflexe plantaire se produisait sous la forme de la flexion des orteils.

Les réflexes tendineux étaient abolis partout,au cou-de-pied, au genou,

au poignet, au coude. 01

On ne constatait pas de troubles vaso-moteurs bien nets; toutefois la

température était manifestement abaissée, aux mains et aux pieds.

Le malade avait les jambes émaciées, les éminences thénar et hypothé-

nar peu saillantes; l'avant-bras était aplati, mais sans qu'il y eut d'atro-

phie musculaire circonscrite dans le sens propre du mot. D'ailleurs, le

malade affirmait n'avoir pas maigri. De temps en temps, les muscles des

membres supérieurs étaient agités par quelques secousses fibrillaires.

Le pouls battait 120 à la minute ; la pression de la dixième paire était

douloureuse. La température interne était normale.

La respiration également était accélérée (28), mais le malade n'avait t

aucune sensation subjective de dyspnée.

Ch...mait bon appétit ; ses digestions étaient régulières. Il allaitcliflicile-

ment à la garde-robe, on était obligé de lui administrer des purgatifs et

des lavements. Il urinait sans difficulté à cette époque, ses urines étaient

normales.

Voici, d'autre part, l'état des réactions électriques, relevé par M. Huet,

il la date du 30 septembre 1898.

L'exploration électrique de la face a fait constater de la façon la plus

nette les signes de la IL D., des deux côtés, dans les muscles du menton,

dans les zygomatiques et dans le frontal.

, Les signes de la R. D. se manifestaient d'une façon moins nette, à l'ex-

ploration de l'élévateur commun de la lèvre supérieure et de l'aile du nez,

de l'orbiculaire des paupières.

A la date du 12 octobre, un second examen a permis de constater que les

réactions faradiques et galvaniques étaient sensiblement normales aux deux'

membres supérieurs, sans la moindre trace de R. D.

De même, les réactions faradiques et galvaniques étaient assez hien

conservées, dans les muscles des deux membres inférieurs, sauf dans le

vaste interne et dans le jambier antérieur,à droite; à l'exploration de ces

deux muscles, on constatait une diminution considérable de la contracti-

lité faradique et galvanique, avec quelques indices de R. D.

Le 27 octobre, l'état des réactions électriques était à peu près le même.La

6 F. RAYMOND

R.D. était bien caractérisée dans l'élévateur commun de la lèvre supérieure

et de l'aile du nez, mais comme précédemment elle était moins accentuée

que dans les autres muscles.

Le 11 novembre, l'excitabilité faradique restait toujours abolie des deux

côtés, pour le nerf facial et pour les muscles ; à gauche, cependant, l'exci-

tabilité faradique commençait à reparaître dans l'orbiculaire des paupières

et dans le frontal ; toutefois il était difficile de l'apprécier exactement, à

cause des douleurs provoquées par les forts courants qu'il était nécessaire

d'employer. 1

L'excitabilité galvanique des muscles restait notablement augmentée,

mais à gauche, il n'y avait plus d'inversion polaire. Les contractions

étaient assez vives dans le frontal, l'orbiculaire des paupières, l'élévateur

commun de la lèvre supérieure et de l'aile du nez, l'orbiculaire des lèvres,

les muscles du menton; dans les zygomatiques, les contractions étaient

encore lentes, avecNFC ==- PFC.

A droite, les contractions étaient assez vives, avec NFC = PFC dans

l'orbiculaire des paupières, l'élévateur de la lèvre supérieure et de l'aile

du nez, les muscles du menton ; les contractions étaient encore lentes avec

NFC = PFC dans le frontal, et avec NFC PFC dans les zygomatiques.

Aux membres supérieurs et inférieurs, l'état des réactions électriques

restait sensiblement le même qu'à la date du 12 octobre.

*

.... -

Depuis le 29 septembre, date de son entrée dans la clinique, le malade

a été traité par l'électrisation et le massage.

Les mouvements ont commencé à revenir dans le membre inférieur,

d'abord dans les muscles de la cuisse, ensuite dans ceux des jambes, enfin

dans ceux du pied.

Aux membres supérieurs, l'amélioration a suivi le même ordre, de la

racine du membre à l'extrémité.

L'état général était bon.

*

. ....

Aujourd'hui le malade se lève, marche,se promène, mange et dort bien.

Il relève encore le genou plus que normalement ; le pied est toujours bal-

lant ; mais Ch... peut s'habiller et se déshabiller tout seul, ce qu'il ne fai-

sait auparavant.

Les jamhes et les cuisses sont encore amaigries; il y a de l'atrophie

diffuse, surtout dans le groupe des muscles antéro-exlel'l1es.

Il résiste aux mouvements d'extension générale ; cependant, il relève i

peine la pointe du pied, et les mouvements d'adduction et d'abduction

qu'il lui imprime se font sans force.

POLYNÉVRITE ET POLIOMYÉLITE 7

La jambe droite résiste mieux que la jambe gauche.

En outre, Ch... ne peut se tenir sur la pointe du pied, et quand on lui

fait, fermer les yeux, il présente un certain degré d'incoordination.

La sensibilité objective est conservée sous toutes ses formes.

La jambe étant placée dans l'extension, on note au creux poplité, un

point très douloureux ; les masses musculaires sont très sensibles à la

pression, surtout à droite.

Quant aux réflexes rotuliens, ils sont abolis des deux côtés. En fait de

troubles vaso-moteurs, on ne constate pas de refroidissement du pied,

mais une légère sécrétion sudorale.

Enfin, on voit aussi, pendant l'examen, se dessiner des contractions

fibrillaires.

Les mouvements d'extension du tronc se font bien. D'ailleurs, les mus-

cles du tronc et des épaules sont normaux. De même, les mouvements des

bras sont revenus à l'état physiologique, à l'exception des mouvements

d'extension des mains. La pression au dynamomètre est de 15 à droite et

de 16 à gauche.

La pronation et la supination sont correctes. '

Reste le masque facial : vous voyez que le malade siffle et souffle difficile-

ment. Cependant,du côté gauche, le front commence à se plisser (Pl. II). Les

yeux, il est vrai, se ferment difficilement, et il y a encore du nystagmus au

repos. Pour en finir, il me reste à vous signaler l'existence d'un point-

douloureux, sur le trajet du pneumogastrique, au niveau des scalènes.

En résumé, chez un homme d'une bonne santé habituelle ont éclaté,

sans cause appréciable, des accidents gastro-intestinaux aigus, sous la

forme de vomissements et de diarrhée. Les jambes se sont mises à faiblir ;

les membres inférieurs, la région des lombes, les tempes et les mâchoires

ont été envahis par des sensations pénibles ; elles revêtaient surtout les ca-

ractères du fourmillement. Dix jours au plus s'étaient écoulés, et le malade

dut prendre-le lit, en raison des progrès de la faiblesse des membres. La

paralysie s'était étendue aux muscles du tronc et à ceux de la face. Le ma-

lade n'éprouvait pas de souffrances spontanées, mais partout la pression

des masses musculaires provoquait des douleurs extrêmement vives ; de

même, les mouvements inspiratoires déterminaient des douleurs, au niveau

des attaches du diaphragme.

l3ref, le tableau morbide, à cette période de la maladie, était dominé

par une parésie motrice presque généralisée clans le domaine d'innervation

des nerfs spinaux ; dès cette époque, elle avait dû empiéter sur la

sphère des nerfs crâniens, car le malade a présenté de la diplopie et du

8 F. RAYMOND

strabisme. Elle a mis environ trois semaines à atteindre son apogée.Quand

nous avons vu pour la première fois le malade, elle subsistait dans toute

l'étendue des quatre membres et du tronc, avec son caractère de parésie,

de paralysie motrice incomplète ; elle se conciliait avec la persistance d'un

certain nombre de mouvements physiologiques, mais ceux-ci s'exécutaient

sans force. De plus, elle avait envahi les muscles de la face, les muscles

innervés par la vue paire, au point de supprimer tout le jeu de la physio-

nomie.

Elle ne se compliquait pas d'une atrophie musculaire bien nette ; c'est

tout au plus si on constatait un amaigrissement diffus des muscles. Elle ne

s'accompagnait pas non plus de troubles de la sensibilité objective bien

accusés, ni de troubles vaso-moteurs, ni de troubles des fonctions sphinc-

tériennes, ni de troubles des fonctions intellectuelles. Par contre, il y

avait de la tachycardie et de l'accélération des mouvements respiratoires,

sans signes stéthoscopiques concomitants, susceptibles de rendre compte

de ces deux phénomènes.

Enfin l'examen électrique a fait constater les signes de la R. D., à l'ex-

ploration d'un certain nombre de muscles de la face, avec quelques indices

de R. D. dans le vaste interne et le jambier antérieur du côté droit.

Diagnostic, - Messieurs, la question de diagnostic, que soulève le cas

de ce malade, me parait des plus faciles à résoudre : .

Une paralysie motrice, qui réalise le mode d'évolution et la distribution

que nous lui trouvons chez cet homme, ne peut dépendre que d'une lésion

spinale ou d'une lésion diffuse des nerfs périphériques. Le problème que

soulève le cas actuel peut donc ètre posé en ces termes : Myélite ou poly-

névrite aiguë généralisée.

Quand je dis myélite, je ne m'exprime pas avec la rigueur exigible dans

les circonstances actuelles.

En effet, admettons que myélite il y ait eu ; pour qu'elle se fût tra-

duite par une paralysie exclusivement motrice, sans douleurs spontanées,

sans troubles concomitants de la sensibilité objective, sans contracture, il

eût fallu qu'elle se cantonnât dans les colonnes antérieures de la moelle,

c'eût été une poliomyélite antérieure aiguë.

Eh bien ! je ne crois pas que cette hypothèse soit la bonne, et je vais

vous exposer rapidement les raisons qui me font incliner vers l'hypothèse

d'une polynévrite aiguë généralisée. Je ne ferai du reste que reprendre

une question de diagnostic différentiel, dont je me suis occupé maintes

reprises déjà.

POLYNÉVRITE ET POLIOMYÉLITE 9

Messieurs, la maladie dont soull're cet homme a eu un début aigu.

En pleine santé, et sans cause apparente, Ch... a été pris de vomisse-

ments et de diarrhée. Nous ignorons s'il a eu de la fièvre, le malade ne

peut nous renseigner à cet égard, mais certainement elle a dû être modé-

rée, en raison même de ce qu'elle a passé inaperçue. -

Eh bien ! Messieurs, la brusquerie dans l'invasion des accidents est un

mode de début, commun aux formes aiguës de la poliomyélite antérieure

et de la polynévrite diffuse plus ou moins généralisée, mais nn début

franchement fébrile ne manque presque jamais dans les cas de polio-

myélite antérieure aiguë; il est relativement rare dans les cas de poly-

névrite.

En second lieu, dans un cas de poliomyélite antérieure aiguë, la para-

lysie motrice atteint son maximum d'extension très rapidement, C'esL-à-

dire en l'espace de trois ou quatre jours. Elle frappera en totalité les

quatre membres, ou seulement deux, si tués d'un même côté ou de côtés dif-

férents, ou un seul, ou même un ou plusieurs segments, et de préférence

ceux qui constituent les racines des membres. Une fois parvenue à son

apogée, elle rétrocède en partie, elle se cantonne dans une portion seu-

lement du territoire qu'elle occupait primitivement. Du même coup,

l'atrophie s'empare des muscles dans lesquels la paralysie s'établit à de-

meure. L'atrophie musculaire, qu'on voit survenir dans ces conditions,

est généralement irréparable.

Les choses marchent de toute autre façon,dans les cas de polynévrite plus

ou moins généralisée. Ici. la paralysie se développe avec une lenteur rela-

tive et avec une progressivité bien manifeste. Elle débute presque tou-

jours par les membres inférieurs, et elle se propage des extrémités vers

les racines des membres; presque toujours, elle suit une marche symé-

trique.

Elle met ainsi deux ou trois semaines à se généraliser, à envahir les

quatre membres et le tronc.

Presque toujours, elle reste incomplète, en ce sens qu'elle épargne cer-

tains groupes de muscles. Aussi est-il exceptionnel que tous les mouvements

physiologiques soient abolis.Elle ne s'accompagne pas d'une atrophie en

masse 'de certains groupes de muscles,ou de segments entiers de membre,

mais seulement d'une émaciation diffuse, dont l'intensité est très variable.

Enfin, après s'être maintenue pendant quelque temps in situ, elle se retire

dans l'ordre inverse de son apparition. C'est bien ainsi que les choses se

sont passées chez notre malade.

D'autre part, il est exceptionnel que dans un cas de poliomyélite anté-

10 F. RAYMOND

rieure aiguë, les muscles innervés par l'encéphale participent à la para-

lysie atrophique. Quand cette éventualité se réalise, elle implique un

pronostic d'une haute gravité. Cela peut se dire surtout des cas où une

poliomyélite antérieure se complique de troubles cardiaques et respira-

toires, sous la forme d'une tachycardie, d'une accélération de la respi-

ration. Du reste, les manifestations bulbaires de la poliomyélite anté-

rieure aiguë se présentent presque toujours sous cette forme. Des troubles

en rapport avec une paralysie des muscles de l'oeil, ou avec une 7e paire

sont tout à fait exceptionnels. '

Le contraire est vrai pour ce qui concerne la jJoJyné, rite aiguë généra-

lisée ; assez souvent, elle s'accompagne de quelque paralysie des muscles

de l'oeil, et vous vous rappelez que notre malade a présenté, à un moment

donné, de la diplopie et du strabisme.

On a publié des cas de polynévrite compliquée d'une paralysie simple

ou double de la 7e paire ; la constatation d'une diplégie faciale, chez no-

tre malade, plaide donc en faveur de l'hypothèse d'une polynévrite. On

en peut dire autant du peu de gravité des troubles cardiaques et respira-

toires qu'il a présentés. On conçoit sans peine que l'accélération du pouls

et delà respiration ait une signification beaucoup moins grave, lorsqu'elle

traduit une paralysie du pneumogastrique, que lorsqu'elle est liée à une

lésion inflammatoire ou dégénéra live de son centre bulbaire. En ce cas,

une asphyxie mortelle ou une paralysie irrémédiable du coeur est pres-

que inévitable.

. *

¥ . f

Un autre argument plaide en faveur de l'hypothèse d'une polynévrite :

vous vous rappelez qu'à un moment donné, la moindre pression exercée

sur les masses musculaires du malade, le moindre tiraillement auquel

on exposait ses troncs nerveux et en particulier le sciatique (signe de

Lasègue) développait des douleurs d'une extrême violence. Voilà qui ne

se voit pas dans un cas de poliomyélite antérieure; voilà qui appartient

en propre à la polynévrite généralisée. En maintes occasions déjà, j'ai

insisté sur la valeur diagnostique de ces douleurs provoquées, et je vous

ai dit, dans une précédente leçon, que pour Buzzard, Erb, Oppenheim,

Strümpell, etc., c'était là un des plus sûrs caractères distinctifs de la po-

lynévrite aiguë, à forme de polynévrite motrice.

Au surplus, et pour en finir avec ce qui concerne l'état de la sensibilité,

l'absence de troubles objectifs que nous constatons chez notre malade

s'observe dans les deux affections que je suis en train d'opposer l'une a

l'autre ; seulement, elle est de règle dans les cas de poliomyélite anté-

rieure aiguë, tandis qu'elle est l'exception dans les cas de polynévrite

aiguë généralisée.

POLYNÉVRITE ET POLIOMYÉLITE 11

1 Il en est de même des douleurs spontanées ; il est vrai qu'elles ont

fait défaut chez notre malade. Rappelez-vous cependant qu'il a éprouvé,

à un moment donné, des sensations pénibles, assez tenaces ; c'étaient,

suivant l'expression de Ch..., des fourmillements douloureux. Voilà en-

core un signe qui plaide en faveur de l'existence d'une polynévrite.

J'en dirai autant de l'absence d'une atrophie musculaire frappant, avec

une prépondérance très nette, certains groupes de muscles, et de l'absence

de ces troubles vaso-moteurs qui, dans les cas de poliomyélite antérieure

aiguë, se montrent à la seconde.période de l'affection, sous les dehors

d'une cyanose et d'un refroidissement local des parties dans lesquelles

se cantonnent la paralysie et l'atrophie musculaire.

Enfin, il n'est pas jusqu'à l'état des réactions électriques, qu'on ne

puisse invoquer en faveur de l'hypothèse d'uue polynévrite. En effet,

dans les cas de poliomyélite antérieure aiguë, les anomalies des réactions

électriques sont en raison directe du degré de la paralysie :

Pas de paralysie, vous disais-je, dans une précédente leçon sur un cas

de poliomyélite antérieure aiguë, pas de modification des réactions élec-

triques ; parésie légère, signes en rapport avec une ébauche de réaction

de dégénérescence ; paralysie complète, réaction complète de dégénéres-

cence ; enfin dans les muscles complètement atrophiés, abolition complète

de l'excitabilité galvanique et faradique.

Les choses se présentent tout autrement, en thèse générale, clans les cas

de polynévrite aiguë; ici on observe un défaut de corrélation, une incoll-

gruence entre le degré des modifications électriques et le degré de la pa-

ralysie.C'est précisément ce qui a eu lieu chez notre malade; à une époque

où la paralysie avait atteint son maximum d'intensité, aux quatre membres

et au tronc, les réactions galvaniques et faradiques étaient, il peu de

chose près, normales dans ces mêmes parties, sauf qu'on notait des indi-

ces de réaction de R. D. à l'examen du vaste interne et du jambier anté-

rieur, il droite,lesquels muscles n'étaient pas plus paralysés que d'autres.

Enfin, la face, où la paralysie intéressait uniformément tous les muscles

innervés par la 7° paire, on a constaté, d'une façon très nette, les signes

de la R. D. dans quelques-uns de ces muscles ; dans les autres, les modi-

fications des réactions électriques étaient moins bien accusées.

Etiologie. Pronostic. Notre diagnostic est donc : polynévrite

aiguë généralisée forme de poliomyélite antérieure, de cause obscure.

Maintes fois. j'ai insisté sur ce que l'étiologie des polynévrites peut se ré-

12 F. RAYMOND

sumer dans ces deux termes : Infections, intoxications (et auto-intoxica-

tions). Rien dans les renseignements anamnestiques que nous avons re-

cueillis sur le compte de Ch... ne nous fournit un indice quelconque de

l'intervention d'une infection ou d'une intoxication tangible, dans le dé-

veloppement de sa polynévrite. Nous en sommes donc réduit à des sup-

positions vagues, eu égard à l'intervention de quelque infection ou auto-

intoxication latente.

Peu importe, en l'espèce. L'essentiel est de savoir que notre diagnostic

entraine une conclusion pronostique du plus haut intérêt,qui est celle-ci :

Une polynévrite aiguë généralisée est beaucoup moins grave, q1toad vi-

tam et quoad 1'estitutionem ad infegrlllll, qu'une poliomyélite antérieure

aiguë. Les deux affections comportent des dangers de mort, et dans les

deux cas ces dangers sont liés à l'envahissement de la sphère d'innerva-

tion encéphalique pal' la myélite ou la polynévrite. Eh bien, Messieurs, ces

dangers sont sensiblement plus grands, dans un cas de poliomyélite, que

dans un cas de polynévrite, pour une raison facile à saisir, je vous l'ai

déjà signalée dans le cours de cette leçon : Des accidents crânio-bulbai-

res, quand ils éclatent dans le cours d'une poliomyélite antérieure, dé-

notent que les noyaux gris bulbaires ou protubérantiels ont été envahis

par le processus myélitique; si cet envahissement porte sur les centres

respiratoires et cardio-vasculaires, le malade est voué à une mort à peu

près certaine. Dans un cas de polynévrite, ces mêmes accidents dépen-

dent de lésions qui peuvent se cantonner dans les parties périphériques

des nerfs crânio-hulbaires, lésions réparables, et qui n'intéressent pas for-

cément toutes les fibres de ces nerfs. Les chances de survie sont donc con-

sidérables.

Aussi bien, chez notre malade, les troubles cardiaques et respiratoires,

qui impliquaient une extension de la polynévrite à la dixième paire, n'ont

jamais revêtu des allures inquiétantes ; ils se sont dissipés spontané-

ment.

Reste l'autre point de vue, celui qui est relatif il la restauration des

nerfs et des muscles touchés. Il est extrêmement rare qu'une polio-

myélite antérieure aiguë, aussi bien chez un enfant que chez un adulte,

évolue sans laisser de traces irréparables, sous la forme d'une atrophie

limitée à un segment de membre ou d'un groupe de muscles, et sous la

forme de rétractions tendineuses consécutives. Nombreux sont les indivi-

dus qui, ayant échappé a une attaque de paralysie infantile, restent

impotents, infirmes, pour le restanl de leurs jours, privés qu'ils sont

de l'usage régulier d'un ou de plusieurs membres, en raison de ces atro-

phies et de ces rétractions tendineuses consécutives.

Cela se voit beaucoup plus rarement, la suite d'une attaque de poly-

' POLYNÉVRITE ET POLIOMYÉLITE 13

névrite généralisée, et cela se voit surtout dans les cas où l'intervention

du médecin a été trop tardive ou mal dirigée. Non seulement la polyné-

vrite aiguë comporte moins de dangers, quoad vitam, que la poliomyélite

antérieure aiguë, mais encore elle est radicalement curable, quand elle est.

attaquée à temps et traitée par les moyens appropriés. Voilà une notion

que vous ne sauriez trop vous graver dans l'esprit ; en la mettant à profil,

vous aurez des chances de faire des cures qui passeront pour merveilleuses,

chez des malades atteints d'une paralysie atrophique aiguë et subaiguë,

et qui étaient voués à une infirmité irrémédiable. Les preuves de ce que

j'avance n'ont pas fait défaut à ceux d'entre vous qui ont suivi mon ensei-

gnement pendant les précédentes années.

Traitement. Quel est donc, dans un cas de polynévrite aiguë géné-

ralisée, la conduite à tenir, pour que le malade, une fois arraché aux

dangers inhérents il l'envahissement des nerfs bulbaires par la polynévrite,

ait les meilleures chances de récupérer l'entier usage de ses muscles, sans

conserver ni résidu d'atrophie musculaire, ni rétractions tendineuses ?

Là-dessus, je me suis amplement expliqué dans deux précédentes leçons,

consacrées au traitement des polynévrites. Je ne ferai que vous résumer

en quelques phrases, les notions de thérapeutique que je vous ai exposées

dans ces deux leçons :

Vous instituerez un traitement prophylactique et causal, quand la chose

est possible, quand vous vous trouverez en présence d'une intoxication

tangible (alcoolisme, intoxication professionnelle.alimentaire), d'une in-

fection bien avérée,ou d'autres circonstances étiologiques telles que le sur-

menage physique, connues pour intervenir dans le développement d'une

polynévrite.

Usez avec prudence des analgésiants, pour combattre les douleurs, à la

période d'acuité de la polynévrite : faites alterner les injections de mor-

phine avec l'administration interne de l'antipyrine, du salicylate de soude,

du salophénc, de l'exalgine, de la phénacétine, du bleu de méthylène, de

façon à éviter les effets cumulatifs d'un même médicament.

Contre l'insomnie, si fréquente à la période des douleurs, otis pres-

crirez de préférence le trional, le chloral, la paraldéhyde chez les alcoo-

liques.

Sitôt disparu l'endolorissement des muscles il la pression, sitôt les

malades devenus maniables et transportables, vous leur ferez prendre

des bains chauds, puis des bains tièdes, pour les préparer au traitement

curatif dont les ressources électro-thérapiques feront les frais principaux.

Il, F. RAYMOND

En outre, vous soumettrez les malades il des exercices de gymnastique

bien gradués, en les assistant de vos encouragements, en les soutenant

contre leurs propres défaillances.

Je vous répète que je me suis longuement étendu sur tout ce qui a rap-

port à cette partie du traitement des polynévrites ; le manque de temps

ne me permet pas d'y insister davantage aujourd'hui.

Une fois obtenus la restauration anatomique des muscles atrophiés et

leur rétablissement fonctionnel, vous ferez appel, pour activer et consoli-

der la guérison, à toutes les ressources capables de tonifier les systèmes

musculaire et nerveux : massage, hydrothérapie, exercice en plein air,

alimentation appropriée.

Si, malgré des soins bien entendus, la polynévrite laissait comme traces

des rétractions tendineuses, il ne nous resterait plus qu'à faire appel au

concours d'un orthopédiste ou d'un chirurgien.

MALADIE DE THOMSEN A» FORME FRUSTE

AVEC ATROPHIE MUSCULAIRE

PAR Et

E. NOGUÈS J. SIROL

Médecin directeur Médecin adjoint

de la Maison de Santé pour les Maladies Nerveuses

de Toulouse.

L'observation suivante relative à un malade que nous avons eu l'occasion

d'examiner et de suivre régulièrement, nous a paru digne d'être publiée.

Observation. X ? plâtrier, 33 ans.

Antécédents héréditaires. - Nuls. Cependant nous noterons, comme pou-

vant avoir quelque intérêt dans la suite de cette observation, que le père de

X... éprouvait une certaine difficulté à accomplir les premiers mouvements de

mastication au commencement des repas.

Antécédents personnels. - Né terme, X... n'a jamais eu de convulsions ni

de maladies de l'enfance. A toujours joui d'une excellente santé jusqu'à rage

de 17 ans. A ce moment, il a commencé de tousser un peu. Il s'enrhumait faci-

lement surtout l'hiver. A cette même époque, X... a observé deux phénomènes

qui persistent encore aujourd'hui mais qui le gênent peu, et pour lesquels il

ne serait pas venu nous consulter si des accidents plus graves n'étaient surve-

nus dans la suite.

Il éprouva d'abord une certaine difficulté il opérer les premiers mouvements

de mastication. Cet accident ne se produisait que de temps à autre, irrégutiê-

rement et toujours iL l'occasion des premières bouchées d'aliments.

Nous avons dit que son père présentait ce même symptôme.

En second lieu, lorsque X... tenait dans la main un fardeau d'une certaine

lourdeur et qu'il était obligé de fléchir fortement ses doigts pour le maintenir,

il éprouvait une grande difficulté il le laisser aller. Il n'ouvrait sa main que

lentement. Ce même phénomène se produisait s'il fléchissait fortement ses doigts

dans la main. A part cela il était robuste et vigoureux. Cependant, le malade

n'a pas fait son service militaire. Il a bénéficié de la loi qui dispense du ser-

vice militaire un jeune homme dont le frère est au service. Mais il fut appelé

à faire une période d'un mois d'abord, puis de 28 jours. Il avait alors 25 ans.

16 E. NOGUÈS ET J. SIROL

Le malade fit bien ces deux périodes d'instruction militaire, mais il toussait tou-

jours un peu.

Trois ans plus tard, c'est-à-dire vers l'âge de 28 ans, il prit mal : ') une noce.

Il fut très long à se remettre et dut cesser tout travail. Il était en pleine conva-

lescence lorsqu'il fut appelé de nouveau pour faire une deuxième période de

28 jours. Il se présenta au corps et fut reformé pour bronchite. En rentrant

chez lui.il se soigna très sérieusement et au bout de quelques semaines d'un

traitement rigoureux, il était beaucoup mieux el pouvait reprendre, en partie,

ses occupations.

Mais il partir de cette époque, il s'aperçut qu'il se fatiguait vite et que ses

jambes avaient de la peine à le porter. Cette fatigue se manifesta d'abord il la

jambe gauche, puis à la jambe droite. Il ressentait aux pieds des fourmillements

dès qu'il se reposait. Il dut de nouveau interrompre son travail. Ses jambes se

raidirent. Il ne les pliait que très difficilement. Lorsque étant assis il se levait

pour marcher, il était un moment sans pouvoir remuer ses jambes et devait se

soutenir pour ne pas tomber. La durée de cette sorte d'hésitation était de20 ou

30 secondes. Puis péniblement, il faisait un premier pas, puis un second. Après

quelques pas, la marche devenait de plus en plus facile et enfin normale. Ce-

pendant, après avoir fait un kilomètre, le malade était las et devait se re-

poser.

Il remarqua, il ce moment, que ses jambes avaient diminué de volume. Il

consulta son médecin qui l'envoya à Lamalou. Il trouva dans cette station un

peu de. soulagement, ses jambes étaient moins raides, mais il ne pouvait pas

encore travailler. L'année suivante il revint à Lamalou. A son retour, il

éprouva une nouvelle amélioration. Il put dès lors s'occuper en se faisant

aider. Il travaillait à peu près tous les jours, mais quand il rentrait chez lui,

le soir, il était très fatigué. Il éprouvait bien encore de temps en temps un peu

de gêne au début de la marche, mais il n'avait plus besoin de s'appuyer sur

un objet voisin lorsqu'il se levait ni d'attendre quelques instants avant de faire

les premiers pas. Il triomphait de cette gêne.

Comme la faiblesse que ressentait X... dans ses membres inférieurs, n'avait

aucune tendance il disparaître, qu'elle semblait plutôt s'accentuer tous les jours,

il s'est rendu à Toulouse où nous le voyons.

Etat actuel. L'examen du malade nous a permis de constater une atro-

phie très nette du jumeau interne, du jambier antérieur, de l'extenseur com-

mun des orteils. Celle-ci est un peu moindre pour le groupe des péroniers aux

deux jambes.. Une atrophie également très sensible des vastes interne aux deux

cuisses (PL III).

Mensuration.

Cuisse droite. Cuisse gauche.

A 0,09 centimèt. au-dessus du bord Au même niveau, 0,29.

supérieur de la rotule, 0,30.

A 0,17 centimèt. au-dessus du même 0,31.

point, 0,35.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALFLIRtÈRF.

T. XII. PI. III

MALADIE DE THOMSEN

Forme fruste, avec atrophie musculaire.

(1 : . Vuu ct J. Sirul)

MASSON & Cre, Editeurs.

MALADIE DE THOMSEN A FORME FRUSTE 17

Jambe droite. Jambe gauche.

A 0,13 centimèt. au-dessous de l'angle Au même niveau, 0,27.

inférieur de la rotule, 0,28.

A 0,26 centimèt. du même point, 0,20. - 0,19.

Réactions électriques.

L'excitabilité faradique des muscles atrophiés est très sensiblement dimi-

nuée. Elle l'est plus dans ceux de la jambe que dans ceux de la cuisse. Plus

dans le jumeau interne et jambier antérieur que dans les extenseurs et les pé-

roniers et le vaste interne.

L'excitation faradique des nerfs donne des contractions plus fortes que l'ex-

citation directe des muscles.

L'excitabilité galvanique est encore plus diminuée que l'excitabilité faradique.

Dans aucun des muscles atrophiés il n'y a de réaction de dégénérescence même

partielle. Cependant, un fait nous parait intéressant ci signaler, très manifeste

surtout aux muscles de la cuisse : à côté de réactions qualitatives normales

pour des courants faibles, il se produit, pour un courant un peu plus fort, une

tétanisation durable; et celle-ci se manifeste d'abord à la fermeture positive. ! La tétanisation il la fermeture du pôle négatif se produit un peu plus tard.

Ainsi pour donner un exemple : ,

Cuisse droite Cuisse gauche

Vaste interne. La première contraction

- il la fermeture négative apparaît à .. 7 ni. a. à 5 m. a.

Contraction à la fermeture positive à . m. a. à 7 m. a.

Tétanisation à la fermeture positive à . 11 m. a. à 9 m. a.

- négative à . 13 m. a. à 11 m. a.

Pour les autres muscles les proportions sont à peu près les mêmes.

Fait à remarquer, l'excitabilité galvanique et faradique est moins diminuée

dans le côté qui est cependant le plus atrophié.

A côté de cette modification de l'excitabilité galvanique nous noterons un

autre phénomène qu'il nous paraît bon de rapprocher de celui-là. Lorsqu'on

percute brusquement les muscles du malade à la cuisse, ;1 la jambe ou aux bras,

on provoque une contraction tonique qui persiste plusieurs secondes et ne dis-

paraît que lentement. A la cuisse sur le droit antérieur la percussion donne

lieu à une série de contractions qui peuvent persister de quelques secondes à

une minute et plus. Ces secousses se montrent parfois spontanément dans

ce muscle, mais elles se produisent également quelquefois dans les autres.

Elles sont plus fréquentes à droite qu'à gauche.

Les réllexes rotuliens sont diminués mais non abolis.

Il n'y a pas de troubles de la sensibilité.

Le malade est légèrement constipé depuis un an environ. Il tousse toujours

un peu ; s'enrhume facilement et cependant on.n'entend rien d'anormal à l'aus-

cultation. X... a très bon appétit.

xa 2

18 E. NOGUÈS ET J. S1ROL

Du côté des membres supérieurs on ne constate rien d'anormal sinon un

peu d'amaigrissement. Cependant le malade sent que ses forces ont beaucoup

diminué et il éprouve du côté de ses bras une sensation de lassitude et de fai-

blesse semblable il celle qui a marqué le début des troubles du côté des mem-

bres inférieurs.

Un seul phénomène nous semble devoir attirer l'attention : c'est qu'au-

jourd'hui, comme vers l'âge de 17 ans, il éprouve de la difficulté il ouvrir sa

main lorsqu'il a fortement fléchi ses doigts.

Telle est, aussi complète que possible, l'observation de notre malade.

Ce qui a préoccupé le malade et l'a décidé il venir nous consulter, c'est

la faiblesse progressive qui envahit ses membres inférieurs et le gêne tous

les jours davantage pour son travail ; c'est l'amaigrissement considérable 0

de ces mêmes membres ; c'est enfin la crainte que cette impotence limitée

encore aux membres inférieurs atteigne aussi ses bras, car il commence à

éprouver dans les membres supérieurs ce qu'il a ressenti au début dans

ses jambes.

En effet, cette impotence fonctionnelle et celle atrophie constituent la

note dominante de l'affection de notre malade et lorsqu'on l'examine, ce

sont les manifestations qui attirent d'abord l'attention. Il n'existe pas de

troubles de la sensibilité; pas de troubles trophiques ; pas de modifica-

tions du côté des sphincters. Enfin les réactions électriques nous ont per-

mis de constater une simple diminution de l'excitabilité électrique sans

réaction de dégénérescence.

En présence d'une affection à évolution lente et progressive présentant

les caractères que nous venons d'indiquer, il semble qu'un seul diagnostic

s'impose, c'est celui de myopathie primitive progressive.

Le cas de X... diffère, néanmoins par certains côtés, des divers types

cliniques de myopathie décrits jusqu'à ce jour. Il ne ressemble en rien à

la paralysie pseudo-hypertrophique, maladie héréditaire et familiale qui

atteint surtout les enfants et qu'il est rare de voir débuter après la dixième

année. Il ne ressemble pas davantage au type Landouzy-Déjerine (Favio-

scrtpulo-hmnéral) et à la forme juvénile de Erb.

Cetteconstatationpeut-ellenons faire abandonner notre manière de voir ? ?

Si pour les besoins de l'enseignement on a cru devoir décrire des types

nettement déterminés, la clinique nous apprend que l'on observe tous les

jours des formes nouvelles qu'il est parfois difficile de rattacher à ces ras

types. Certaines en diffèrent même tellement qu'on a cru devoir les sépa-

rer des précédentes.

MALADIE DE T110MSE\ A FORME FRUSTE 19

Il y a quelques années, dit M. Dutil (1), dans son article sur les amyo-

trophies, « lorsque le remaniement nosographique des atrophies muscu-

laires progressives eut abouti à la division fondamentale de ces affections

en deux espèces différentes : 1° l'atrophie d'origine spinale (type Du-

chenne-Aran) ; 2° la myopathie progressive primitive, il semblait que ces

deux grandes formes qu'on opposait l'une à l'autre, l'une individuelle,

l'autre familiale, devaient englober tous les cas d'atrophie musculaire

progressive. II n'eu est rien. En même temps que l'observation clinique

des faits devient plus attentive et plus précise, l'histoire de l'atrophie

musculaire progressive paraît se compliquer de plus en plus et l'on voit

surgir pour ainsi dire chaque jour des faits qui, par leurs caractères clini-

ques ou anatomiques, procèdent à la fois de l'atrophie d'origine spinale

et de la myopathie primitive, ou qui du moins ne rentrent exactement

dans le cadre ni de l'une ni de l'autre. »

Le type de Charcot-Marie est un des mieux étudiés parmi ces formes

irrégulières. Dans une certaine mesure, le cas de notre malade ressemble

à ce dernier type et peut en être rapproché. L'atrophie atteint en premier

' lieu les petits muscles des pieds, puis ceux de la jambe en commençant

par les extenseurs des doigts, puis le jambier, les péroniers, enfin les

muscles du mollet. Après un temps d'arrêt variable, l'atrophie gagne les

muscles des cuisses où elle frappe particulièrement le vaste interne.

Comme on le voit, la localisation de l'atrophie est à peu près la même

dans notre cas, sauf pour les petits muscles des pieds qui sont indemnes

chez X,... Mais où les deux affections diffèrent essentiellement, c'est dans

l'absence chez notre malade de troubles de la sensibilité, de troubles vaso-

moteurs et trophiques, dans l'ahsence surtout de réaction de dégénéres-

cence. Au contraire, ces symptômes sont constants dans la maladie de

Charcot-Marie.

Leur absence chez X... doit donc nous faire abandonner l'hypothèse

d'une myopathie du type Charcot-Marie. Elle est, de plus, une preuve

que les nerfs et les cellules des cornes antérieures sont indemnes ; ce qui

nous permet d'éliminer en même temps toutes les affections où ceux-ci

sont plus ou moins atteints : poliomyélites, névrites, etc.

La manifestation atrophique que nous observons est donc bien la con-

séquence d'une lésion primitive des muscles, car, seule, une semblable

hypothèse nous permet de concilier tous les symptômes présentés par X...

Sans'doute, l'affection de notre malade n'est ni héréditaire, ni familiale

et cependant il nous semble difficile d'en faire autre chose qu'une myopa-

thie primitive progressive.

(1) Drill, Manuel de médecine Debove et L. t. 1lI, p. îOG,

20 E. NOGUÈS ET J. SIROL

Nous savons, en effet, que cette maladie « procède d'une manière élec-

tive, frappant certains groupes musculaires il l'exclusion d'autres groupes.

Elle ne s'accompagne jamais, sauf de très rares exceptions, de contractions

fibrillaires.

C'est une atrophie simple et qui ne donne pas lieu à la réaction de dé-

générescence ; l'excitabilité électrique des muscles s'affaiblit seulement,

puis disparaît au sur et à mesure de la destruction des fibres musculai-

res (1) ».

N'est-ce pas ce que nous observons chez X... ? L'hypothèse de myo-

pathie primitive progressive est donc très vraisemblable et nous nous ar-

rêterions volontiers il ce diagnostic si, à côté des symptômes qui nous ont

amenés à cette conclusion, nous n'en observions pas d'autres qui, à notre

avis, méritent d'être examinés. Nous mentionnerons d'abord les réactions

électriques anormales que nous avons observées. Dans les myopathies, il

existe une simple diminution de l'excitabilité électrique et pas autre chose.

Le fait de la contraction tonique prolongée qui suit, soit l'excitation élec-

trique, soit une excitation mécanique, ne se rencontre pas dans les myopa-

thies. Il est une réaction particulière des muscles que l'on observe dans

certaine maladie, et à laquelle ces phénomènes ressemblent beaucoup,

c'est la réaction myotonique. En second lieu, il faut tenir compte de la

contracture passagère dont le malade triomphe par un effort plus ou

moins grand et qui suit la flexion un peu forte des doigts dans la main.

Dans le même ordre d'idées nous rappellerons les sensations de raideur

survenues à un moment donné de l'affection et la difficulté qu'avait X....

à faire les premiers pas au début d'une promenade.

Enfin, il existe chez notre malade de la difficulté dansTacte de la masti-

cation au début des repas, symptôme que son père éprouvait également.

Si ces phénomènes réunis ne sont pas la reproduction exacte de la ma-

ladie de Thomsen, du moins nous autorisent-ils penser à cette affection.

Nous ne trouons pas en effet, comme dans celle-ci, d'hypertrophie

musculaire, il existe au contraire de l'atrophie très manifeste. L'excitabi-

lité électrique est diminuée chez X..., tandis qu'elle est, en général,

augmentée dans la maladie de Thomsen.

Nous ne trouvons enfin qu'une ébauche, il est vrai, de cette raideur et de

cette difficulté qui existe au début des mouvements voulus et qui est le

signe pathognomonique de la maladie de Thomsen.

Ces accidents ne se produisent pas à l'occasion de tous les mouvements

et ce n'est que de temps en temps qu'ils se manifestent. Enfin nous n'ob-

servons aussi qu'une hérédité relative et les réactions électriques ne se

(1 ) Traité de médecine, Myopathies progressives.

MALADIE DE THOMSEN A FORME FRUSTE 21

rapprochent que par certains côtés seulement de celles que l'on rencontre

dans la maladie de Thomsen.

Nous n'hésiterons pas cependant à conclure à un cas de cette dernière

affection.

Quelques symptômes tels que : l'atrophie musculaire et la diminution

de l'excitabilité électrique, nous avaient permis de penser à la myopathie

primitive progressive; mais la contraclion tonique prolongée qui suit une

excitation mécanique ou électrique, la raideur et la difficulté éprouvées au

début des mouvements voulus, même si elle ne se montre que de temps en

lemps, et enfin, le fait que cette difficulté limitée, il est vrai, à l'acte de la

mastication a pu être notée chez le père du malade constituent un ensem-

ble symptomatique que l'on ne rencontre que dans la maladie de Thomsen.

Et d'ailleurs, les deux affections ne pourraient-elles pas coexister chez

le même malade ? On observe assez souvent de ces associations. Cela serait

d'autant moins surprenant dans le cas actuel que les deux manifestations

paraissent dues il une lésion primitive des muscles.

Quoi qu'il en soit, nous nous arrêterons, pour ne rien préjuger, au

diagnostic de maladie de Thomsen à l'orme fruste avec une atrophie mus-

culaire.

UNIVERSITÉ DE MOSCOU

- TROIS CAS D'ATAXIE CÉRÉBELLEUSE

HÉRÉDITAIRE DANS LA MÊME FAMILLE

PAR

G. ROSSOLIMO

Privat-docent il l'Université de Moscou.

Décrit pour la première fois en 1880 (Fraser) et qualifié seulement en

1893 par P. Marie, qui lui a donné le nom d'ataxie cérébelleuse héréditaire,

le symptôme complexe de cette affection, à en juger par les données de la

littérature, n'a été observé jusqu'à présent que cinq fois dans sa manifes-

tation multiple, chez plusieurs membres d'une même famille.

Dans toutes ces observations les phénomènes morbides correspondaient

si bien au tableau classique donné par Marie qu'à l'heure actuelle l'exis-

tence de cette forme nosologique spéciale doit être considérée comme so-

lidement établie et ne pouvant plus être l'objet d'aucun doute sérieux ;

son diagnostic est facile dans tous les cas où les symptômes morbides car-

dinaux se trouvent présents chez plusieurs membres appartenant à une

même famille.

Il existe pourtant une série de questions se rattachant à celle nouvelle

affection, qui sont loin d'être suffisamment élucidées et qui, pour être

tranchées, exigent de nouvelles observations. Telles sont surtout les ques-

tions ayant trait au rôle de l'hérédité générale et spéciale, à la genèse de

l'arrêt de développement électif du cervelet et de ses connexions, à la

physionomie spéciale familiale de l'affection, aux cas sporadiques du symp-

tôme complexe de Marie, au rapport de cette affection avec la maladie de

Friedreich (dans les cas de combinaison de ces deux affections, cas de

Alentzel, d'Erb, de Seeligmüllerj, au caractère des premiers symptômes

de la maladie, etc., etc. (1).

Ce sont les considérations de cet ordre qui nous décident de publier

l'observation suivante concernant trois membres d'une même famille,

une soeur et deux frères, dont les deux derniers ont été en traitement

(1) Nous nous abstenons de donner ici les détails d'histoire et de littérature ; ils sont

admirablement compulsés dans la thèse classique de P. Lovor : Iléréédo-ataxie céré-

lielleuse, Paris, 1893.

TROIS CAS D'ATAXIE CÉRÉBELLEUSE

23

dans notre clinique aux mois de février et de mars 1898 (la première a

été examinée à notre consultation externe). Ce qui renforce l'intérêt de

notre observation c'est que c'est le premier cas d'ataxie cérébelleuse hé-

réditaire étudié et décrit en Russie (Pl. IV et V).

Pour plus de facilité de la lecture, nous préférons mettre en regard les

observations de nos trois malades dans un même tableau, où se trouvent

condensées les données des antécédents et de l'examen clinique.

Nom. Olga S. (2e enfant). Michel S. Nicolas S.

(5° enfant). (6e enfant).

Age. 29 ans. 2fJ, ans. 17 ans.

Etat civil. Jeune fille. Célibataire. Célibataire.

Lieu de nais- La ville de Twer. Twer. Twer.

sance.

Antécédents Le père de ces trois malades est mort à l'âge de 64 ans

héréditaires. d'une maladie du foie (ictère et oedèmes). Etait alcoolique.

La mère vit encore (elle a 5 ans) et se porte bien.

Ils avaient 7 enfants, dont un est mort en bas âge d'une

cause inconnue. Les autres enfants vivent encore : trois de

ces enfants font l'objet de notre observation, les autres sont

bien portants et assez solides, n'ayant jamais présenté de

phénomènes nerveux tels que : titubation, tremblements,

strabisme. Pas de maladies psychiques dans la famille, ni

de tuberculose. La famille est d'une culture intellectuelle

peu élevée.

De quoi les Démarche vacil- Faiblesse des bras Faiblesse des

malades se plat- tante et faible ; fai- et des jambes ; dé- jambes ; démarche

gnenl. blesse et tremble- marche vacillante, vacillante,

ment des mains ;

diplopie.

Conditions de A toujours habité Vit dans sa fa- Vit dans sa fa-

la vie. avec ses parents ; a mille, s'ocèupe de mille. A l'âge de

peu appris etappre- commerce dans son 8 ans entra à l'école

nait difficilement ; magasin ; fréquen- primaire qu'il ne

actuellement ne tait l'école de 8 finit pas. De là, il

s'occupe de rien. jusqu'à 14 ans. Boit passa au collège,

peu de vin. d'où il fut retiré

pour incapacité et >

' placé à l'âge de 14

ans dans une petite

école spéciale d'a-

griculture.

Antécédents Née à terme ; ac- Né à terme et Né à terme et

personnels. couchement t nor- normalement. Le normalement. Dé-

24

G. ROSSOLI110

Olga S. Michel S. Nicolas S.

mal. Le 3° jour de développement fut veloppement nor-

sa vie supporta une normal. Pas de ma- mal. Comme mala-

maladie aiguë de ladies à signaler diesde l'enfance eut

nature mal déter- dans le bas âge. A la rougeole et une

minée : elle a crié partir de l'âge de pneumonie.

toute la journée, 14 ans, pratiques Pascletraumatis-

puis resta sans for- de masturbation, mes.

- ces et sans mou- d'abord modérées, Pratiques de mas-

vements, les yeux puis de plus en plus turbation à l'âge de

ouverts. Se remit fréquentes jusqu'à 10 ans jusqu'à 13

complètement bien- ! 'age de 20 ans. ans. Pendant cette

tôt après. Commen- Après un intervalle époque se plaignait

ça à parler dans sa de 18 mois, reprit d'une faiblesse gé-

2e année et zézayait cette mauvaise ha- nérale.

jusqu'à l'âge de 12 bitude, bien que Par moments,

ans. Commença à d'une façon plus hémicranie du côté

marcher dans sa modérée. Souffre droit sans vomisse-

3e année et apprit de céphalées, sur- ments.

très difficilement il tout le soir, depuis N'a pas eu de

marcher. A l'âge de 3 ou 4 ans. Il a rapports sexuels.

6 ans eut des ter- 6 ans eut une af- Pas de maladies

reurs nocturnes du- fection fébrile qui vénériennes,

rant 1¡; mois consé- le tint au lit du- '

cutifs. A l'âge de rant deux mois ; la

22 ans fit une chute convalescence fut

sur un rail en fer et longue. Ne se rap-

se fit une contusion pelle pas avoir subi

très forte du genou de traumatismes.

droit, lequel resta N'a pas eu de rap - »

pendant 3 mois dans ports sexuels. Pas

un pansement con- de maladies véné-

tentif. N'a pas eu de riennes.

maladies infectieu-

ses.

Début de la 11 y a 7ans,après A l'âge de 18 ans, A de 13 in s

maladie actuel- avoir été guérie du ;i la suite de la ma- incertitude et titu-

le, traumatisme du ge- ladie fébrile, dont bation de la démar-

nou droit, commen- nous avons parlé clce. Un peu plus

ça à ressentir une plus haut, commen- tard (il l'âge de 14

faiblesse des jambes ça à ressentir une ans) la pcaroledevint t

en même temps courbature gêné- lente et difficile.

qu'une incertitude raie ; la démarche Ces phénomènes

croissante dans sa devint incertaine et s'accentuèrent peu

démarche.

TROIS CAS D'ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 25

Olga S. Michel S. Nicolas S.

La jambe droite vacillante. Les plié- à peu, d'une façon

était toujours la nomènes s'accen- très lente.

plus faible. Plus tuaient peu à peu .

tard survinrent une et s'établirent d'une

faiblesse progressi- façon constante et

ve des membres su- prononcée il partir

périeurs et un trem- de de 20 ans.

blement des mains. Il s'y ajouta égale-

Le dernier temps ment une faiblesse

elle ressent de la des membres supé-

diplopie au regard rieurs. Mais même

dirigé en bas et à le dernier temps la

droite. marche progressive

de ces phénomènes

ne s'est pas arrêtée.

Dans le temps il

y avait un léger

strabisme, qui s'ac-

centua <i l'âge de

19 ans, en même

temps qu'apparut

une diplopie au re-

gard dirigé droite.

Cette diplopie fut -

également consta-

tée dans la clinique

de M. le prof. Ko-

. jewnikow en 1895

, (le malade avait

alors 21 ans), eu

même temps qu'un

' léger nystagme aux

positions extrêmes

des globes oculai-

res, et une certaine

exagération des ,'é-

flexes rotuliens( sans

parler des autres

symptômes men-

tionnés plus haut).

Co)M<t<M<MH ? ennc; Moyenne llo Tenne

Constitution. Moyenne Moyenne Moyenne

t4<0.e<6t))K- Assez y bon Assez bon Assez bon

, ? , , Assez bon Assez bon Assez bon

Il'Ilion G·nétale.

20

G. ROSSOLIMO

Olga S. Michel S. Nicolas. S.

Taille. 1 mètre 41 cent. 1 m. 59 cm. 1 m. 78 cm.

(longueur des (longueur des jam- (longueur des

jambes : ])es 78 cm. 5). jambes : 78 cm.).

Dentition. Les dents sont Les dents supé- Les dents sontir-

- irrégulièrement im- rieures sont très régulièrement im-

plantées, proéminentes. plantées.

Crâne.. Le crâne est sy- Idem. Idem.

métrique. Le front Le front est plu- Le front est dé-

est étroit, surtout tôt étroit et quel- clive.

- en haut, et un peu que peu déclive.

déclive.

L'occiput t est Idem. Idem.

aplati ;

La protubérance Idem. Idem.

occipitale externe

est fortement proé-

minente.

La mâchoire in- Idem. La partie faciale

férieure est très peu est plus développée

proéminente. que la partie crâ-

nienne.

Diamètre IOI ! [ji-

. tudinal : 168 mm. 180 mm. - 180 mm.

Diamètre trans-

versai : 136 mm. - 140 mm. 132 mm.

Hauteur : 9 - 96 muni. 96 mm.

mm.

Index cépli. 8 ? 5 - 75, 2 ' 73,3

Conques aU1'Í- ,...,,

culaires. aît ? ,i- Sans anomalies appréciables.

culaires. ' v

Organes inter- Normaux . Idem. Idem,

lies.

Altitudes du Dans l'attitude

corps. debout vacille .

Reste debout les .

jambes largement

écartées. Impossi-

ble de se tenir im- Il \em. J \eul. 1

mobile ? suruneseu- Idem. Idem.

le jambe, surtout sur

la jambe droite .

Dans l'attitude as-

sise le corps ne va-

cille pas. '

TROIS CAS 'ATASIE CÉRÉBELLEUSE 27

Olga S. Michel S. Nicolas S.

Symptôme de Peu prononcé. Allusion seule- Fait défaut.

Romberg. ment.

Démarche. En marchant Démarche assez Marche avec

vacille dans tous calme, bien qu'un aplomb,maisles pas

les sens, bien qu'elle peu lourde. sont petits et pré-

marche avec un. Pas de phénomè- cipités. On remar-

, certain aplomb. nés spasmodiques que. qu'il éprouve

Boite un peu de dans la démarche : de l'incertitude a )a

la jambe droite (ge- titube surtout marche. Souvent

nou contusionné). quand il tourne. en marchant le

La titubation aug- corps s'écarte brus-

mente d'une façon quement de la ligne

très accusée quand droite vers l'un ou

la malade tourne. l'autre côté. Tourne

Pas d'indices des assez bien.

phénomènes paréti-

ques ou spasmodi-

ques.

Les yeux fermés Idem. Idem.

l'incertitude de la

marche augmente.

L'Altitude de Ne présente rien Léger tremble- Idem,

la tête. d'anormal. ment, qui dans le

Pas de tremble- temps était plus

ment. prononcé.

Expression de Apathique, peu La mimique est Idem,

la physionomie; éveillée, mimique un peu exagérée, La physionomie

mimique. paresseuse. surtout quand il exprime de l'éton-

sourit. nement.

Parole. Zézayait jusqu'à Parole lente ; Parole précipi-

l'àge de 12 ans. quand on le force a tée, par à-coups et

parler vite, butte saccades, rappelant

et perd des mots. en elles le caractère,

de sa démarche.

Phonation. Normale. Normale. Parle d'une voix

de tête (aiguë), avec

. un petit accent

d'enrouement.

Les lettres ch. ne

sont pas bien pro-

noncées.

Déglutition. N 1 JI Idem. ? Normales. Idem. Idem.

Articulation. Normales. lileiii. em.

$17. ROSSOLI\t(1

Olga S. Michel S. Nicolas S.

Convulsions Font défaut et Idem. Idem.

générales et par- n'ont jamais existé.

tielles.

Nerfs crâniens Tous les nerfs Tous les nerfs La seule anoma-

cràniens sont in- sont normaux sauf lie consiste en une

tacts, sauf les nerfs les deux n. n. mo- parésie du m. droit

moteurs oculaires : teurs oculaires pua- interne du côté

, parésie du m. pa- résie des m. m. droit Pas de pto-

thétique droit. Pas droits internes des sis.

de ptosis. lvystag- deux côtés. Quel- Quelques secous-

, mus horizontal ques secousses sous ses cloniques dans

dans les positions les globes oculaires les musclesdu pour-

extrêmes, surtout dans les positions tour orbiculaire ,

du côté droit. extrêmes. de même dans les

Pupilles norma- muscles frontaux.

les, réagissant bien

il la lumière et il

l'accommodation.

Membres su- Développement La seule anoma- Rien d'anormal il

périenrs. normal , sauf les lie consiste en ce noter sous aucun

petits doigts qui que le ? doit de la rapport.

, sont beaucoup trop main gauche pos-

courts en comparai- sède la faculté de

son avec les autres l'hyperextensiou.

. doigts. La muscu- Du reste tout est

lature est normale. normal.

Pas de paralysies ni

de tremblements.

Tous les mouve-

ments, actifs et pas-

sifs , s'effectuent

bien.

Forcedynamo- A droite : 29. A clr. : 00. Ad. : 38.

métrique. A gauche : 33. A g. : 50. A . : 3t.

Réflexes. Normaux. Idem. Idem.

Excitabilités Normales. Normales.

mpcan iqll e et élec-

trique.

Ecriture. Irrégulière, par- Même caractère Mômes remar-

fois tremblante, les de l'écriture, mais ques qu'il propos de

lettres inégales, de ne dénote pas de son frère.

dimensions diffé- tremblement. Le

Nouv. Iconographie DE la SALPh1RrÈRE.

T. XII. PI. IV

ATAXIE HEREDO-CERÉBELLEUSE

(G. Rossolimo)

MASSON & Cie, Editeurs.

TROIS CAS D'ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 29

Olga S. illicltel S. Nicolas S.

rentes, la ligne est malade écrivait tou-

oblique. jours mal, mais le

dernier temps écrit

encore plus mal.

Sensibilité La sensibilité est Idem. Idem,

(des membres tout à fait normale.

supérieurs). Pas de troubles ob-

jectifs. Les troncs

nerveux ne sont pas

sensibles à la près-,

sion.

Tronc. La musculature Idem. Idem.

du tronc (dos, poi-

trine, abdomen) est

normale. Pas de

déformations de la .

colonne vertébale.

Réflexes. Tous les réflexes du tronc, de même que des organes pel-

viens sont normaux chez tous les trois malades.

Membresinfé- Le squelette et la Rien d'anormal à Rien d'anormal à

rieurs. musculature sont noter, sauf que les noter, sauf la con-

très bien dévelop- plantes des pieds formation voûtée

pés, surtout en ce sont légèrement des plantes.La mus-

qui concerne la voûtées. culature des cuisses

jambe gauche. Le La circonférence est d'un développe-

genou droit (ancien max. de la cuisse ment considérable.

traumatisme ) ne droite est de f ! i,5, Tous les mouve-

présente pas d'ano- à gauche : 44 ; ments sont nor-

malies visibles de celle des jambes maux et ne présen-

conformation. Le adroite : 3 ? tent pas d'anoma-

tonus musculaire à gauche : z,,5. lies.

est normal. Le pied Les mouvements

est normal. Les actifs sont libres et

mouvements, pas- s'exécutent bien.

sifs et actifs, s'ef- Les mouvements

fectuent bien. Pas passifs ne sont pas

d'incoordination. tout fait libres et

. se heurtent à une

' certaine résistance.

. Le tonus musculaire

est normal,de même

30 G. ROSS0L1M0

Olga S. Jliclcel . Nicolas S.

que la coordination

des mouvements.

Réflexes tendi- manifestement exa- exagéré. fortement exagéré

lieux : patellaire. géré.

Clonus du pied. fait défaut.

Réflexes cula- Le réflexe plan-

nés. taire est normal.

Excitabilité normale. /

mécanique et l existe, faible. existe, assez pro-

électrique. ( . nonce.

Sensibilité. Pas de troubles \\

objectifs de la sen-

sibilité. I

Subjectivement il existe chez tous les trois malades une

, sensation de fatigue et de courbature.

Troicblesuccso- aucuns. extrémités froides aucuns.

moteurs. et moites.

Sensibilité Acuité visuelle normale chez tous les malades.

spéciale. Le fond de l'oeil a été trouvé normal chez les deux frères

Vue. (pas examiné chez la malade Olga).

' Le champ visuel, normal chez Olga et Nicolas, est légère-

ment rétréci (concentriquement) chez Michel. Pas de troubles

d'accommodation ni de rétraction.

Ouïe. normale. faible droite, à la normale.

suite d'une ancien-

' ne otite perforative.

Olfaction. normaux. Itleîiî. Itlelie.

n , normaux. Idem. Idem,

bout.

Céphalées. d'origineanémique. hémicranie. hémicranie.

Vertiges. font défaut. Idem. Idem.

Vomissements, font défaut et n'unt Idem. Idem.

Syncopes. jamais existé.

Etat psychique. Certaine apathie; Idem. Idem.

culture intellec- En outre rire très

tuelle primitive. Du facile.

côté de la mémoire

et de la sphère émo-

tive rien d'anormal -

il noter, pas d'hal-

lucinations. '

Le sens moral est bien développé chez tous les trois malades.

Nou ? ICO"OGI<AI'HIE DE 1 A SALPêIRIÈRF.

r. XII. Pl. V

TROIS CAS D'HEREDO-CEREBELLEUSE DANS LA MÊME FAMILLE

(G. Rossolimo)

MASSON éc rie éditeurs

. TROIS CAS ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 31

résumons maintenant les données essentielles de nos trois observa-

tions (l'l. IV et V).

1. Olga S..., âgée de 29 ans, née terme, sans dystocie ; se dévelop-'

pait quelque peu lentement ; d'une intelligence et de capacités bien mé-

diocres ; toujours malhabile dans ses mouvements. A l'âge de 22 ans,subit t

un traumatisme du genou droit, à la suite de quoi remarqua, en même

temps qu'une certaine faiblesse de la jambe droite, une incertitude crois-

sante de la démarche ; plus tard un tremblement et une gêne des mouve-

ments des mains ; enfin dans les derniers mois, une diplopie.

Front étroit, occiput aplati, petits doigts courts. Tremblement et gêne

dans les petits mouvements des deux mains ; écriture irrégulière (ataxi-

que) avec léger tremblement.

Démarche ataxique de nature cérébelleuse. Instabilité des jambes ;

impossibilité de se tenir sur une. seule jambe. Développement considéra-

ble de la musculature des jambes. Exagération des réflexes rotutiens. Sen-

sation de lassitude dans les jambes. Parésie du nerf pathétique droit.

II. - Michel S..., 24 ans, né à terme et sans dystocie ; se développait 1

tout à fait normalement. Depuis l'tige de 14 ans avec quelques inter-

valles - pratiques de masturbation. '

A l'âge de 18 ans contracta une maladie fébrile, à la suite de laquelle

. survint une incertitude croissante de la démarche, plus tard il s'y ajouta

également de l'incertitude dans' les mouvements des mains. A l'tige de

19 ans le strabisme, qui avait déjà existé depuis longtemps mais à un

degré faible, s'accentua : l'oeil droit se tourna du côté extérieur (strabisme

divergent) ; il y eut de la diplopie.

Front étroit. Occiput aplati. Mimique exagérée. Rire facile. Intelligence

médiocre.

Parésie des muscles droits oculaires internes des deux côtés. Gène dans

les petits mouvements des mains; écriture irrégulière, légèrement ataxi-

que.

Instabilité. Impossibilité de se tenir sur une seule jambe. Démarche

ataxique, cérébelleuse. Développement considérable des muscles des jam-

bes. Sensation de lassitude dans les jambes. Plantes voûtées. Exagération

des réflexes rotuliens. Léger clonus des pieds.

Léger embarras de la parole. Hémicranie.

III. Nicolas S..., né à terme et sans dystocie, se développait norma-

lement. Intelligence et aptitudes médiocres. De l'âge de 10 ans jusqu'à

(le 13 ans, pratiques de masturbation. A partir de l'âge de 13 ans,

incertitude croissante de la démarche. A l'âge de 14 ans, parole embar-

rassée, lente. Front étroit ; occiput aplati. Mimique exagérée. Rire facile.

Parole embarrassée, par a-coups et saccadée. Ecriture très irrégulière,

32 C. HI1SDOLIMO

ataxique. Gêne dans les petits mouvements des mains. Instabilité. Démar-

che ataxique, cérébelleuse. Impossibilité de se tenir sur une seule jambe.

Sensation de lassitude dans les jambes. Exagération des réflexes rotuliens.

Clonus du pied. Plantes voûtées. Développement considérable de la

musculature des membres inférieurs. Légère parésie du muscle droit

interne oculaire du côté droit. Secousses cloniques de courte durée dans

les muscles de la moitié inférieure de la l'ace, au repos, de même dans

les muscles du front pendant l'effort de l'attention. Hémicranie.

Le diagnostic repose sur l'ensemble des données suivantes :

1° Les malades appartiennent à la même famille :

2° La maladie remonte non à la première enfance, mais à l'âge de 13,

18, 22 ans;

3" Évolution progressive et lentement progressive des symptômes ;

4° Instabilité des membres inférieurs ; attitude debout, les jambes lar-

gement écartées ; impossibilité de se tenir debout sur une seule jambe ;

1° Démarche ataxique de nature cérébelleuse ;

60 Sensation de lassitude dans les jambes :

7° Exagération des réflexes rotuliens chez tous les trois malades et clo-

nus du pied chez le 2e et le 3e malades ;

8° Gêne dans les petits mouvements des mains ; écriture ataxique ;

9° Affaiblissement des muscles oculaires moteurs avec secousses nystag-

mi formes ;

10° Mimique faciale exagérée chez le 2e et le 3° malades ;

11° Secousses choréifonnes dans les muscles inférieurs de la face et

secousses intentionnelles dans les muscles supérieurs de la face (chez le

3e malade) ;

12° État mental presque normal.

Ces données suffisent pour nous permettre de rejeter l'hypotle ede toute

autre maladie nerveuse, telle que :

1° Alaxie spinale médullaire ou maladie de Friedreich, laquelle début('"

à l'âge de première enfance et se caractérise en première ligne par l'ab-

sence des réflexes rotuliens, sans parler d'autres symptômes.

z 20 Sclérose en plaques, qui n'est pas une affection familiale et diffère

sensiblement dans son évolution et dans sa symptomatologie, de ce que

nous avons vu dans l'observation de nos trois malades.

3° Diplégie infantile, qui se développe à la suite d'une dystocie, débute

dès les premières années de la vie extra-utérine, et se révèle par des plié-

nomènes paréto-spastiques et non ataxiques ;

4° Diverses affections cérébelleuses acquises (tumeurs, abcès du cerve-

let, etc.), qu'on peut exclure ici sans plus ample discussion.

Il ne reste clonc plus de doute sur le vrai diagnostic qui est celui cl'cc-

TROIS CAS D'ATAXIE CÉRÉBELLEUSE 33

taxie cérébelleuse héréditaire, à évolution progressive et à caractère fami-

lial (P. Marie).

Nous trouvons cette affection chez nos malades dans le stade précoce

de son développement. En effet, chez le premier malade, elle ne dure que

4 ans, chez le deuxième ans, chez le troisième 7 ans, ce qui est une

période relativement courte pour une maladie qui évolue ordinairement

pendant des dizaines d'années. L'affection n'est encore que dans la pre-

mière période, période ataxique (Londe) ; d'où l'absence d'astasie et

d'impotence, symptômes qui caractérisent les stades ultérieurs de la ma-

ladie. Il n'y a pas non plus d'atrophie des nerfs optiques.

Notre observation présente quelques particularités que nous ne pouvons

passer sous silence et qui sont probablement la marque de famille. Cest

d'abord la distribution particulière de l'affection des muscles des globes ocu-

laires, et notamment la parésie des muscles droits internes et obliques

supérieurs (dans les autres cas de cette maladie, on rencontre plus sou-

vent l'affection des muscles droits externe et supérieur). C'est ensuite le

développement considérable de la musculature des membres inférieurs. Il

ne s'agit ici, ni d'un état pseudo-hypertrophique, ni d'un état myotomi-

que de la musculature, mais bien certainement d'une conséquence de

l'exercice fonctionnel en vue de la conservation de l'équilibre. C'est en

troisième lieu la constatation d'autres phénomènes pathologiques ayant

précédé l'éclosion de l'ataxie héréditaire, et notamment : traumatisme

de la jambe avec immobilité consécutive durant trois mois, dans l'obs. I ;

affection fébrile ayant duré 2 mois, dans l'obs. II ; enfin, dans les obs. II

et III, nous constatons la masturbation forcée ; si celle-ci ne peut être

invoquée c mme facteur étiologique, elle doit être considérée en tout cas

comme un facteur qui affaiblit l'organisme et contribue à l'avènement

précoce d"zne maladie à laquelle il existe une prédisposition héréditaire.

j En publiant notre observation, nous nous permettons de croire que,

fout en confirmant tout ce qui est déjà acquis dans ce nouveau chapitre

de la nosologie névropathique, elle contribuera en certaine mesure au

développement plus détaillé et plus précis de nos connaissances au sujet

de la symptomatologie de la Maladie de Marie.

xn 3

CLINIQUE DERM0-SYPIIILIGRAPI11QUE DE NAPLES

LE SYNDROME DL LlT'rLE

(congénital SPATIC RIGIDITY OI' LIMI3S)

ET LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE

PAR

TOMMASI DE AMICIS

Professeur à la Clinique dermo-syphiligraphique de Naples.

Histoire clinique.

Antécédents. Pierre, 3 ans, fils de Innocent et de Anna S. de

Montenero (Campobasso), est le sujet de cette observation. Mère âgée de

32 ans, mariée à 18, a toujours joui d'une bonne santé ; bien constituée,

sans aucune tare névropathique.

Ses 3 premières grossesses se terminèrent par la naissance de 3 fils

sains, le dernier a aujourd'hui 9 ans. Son mari, fut absent pendant quel-

ques années et contracta la syphilis ; à son retour dans sa famille, il con-

tagionna sa femme qui devint enceinte. Pendant sa grossesse, elle eut de

fortes douleurs de tête, de la tuméfaction ganglionnaire ; elle avorta à

six mois.

Après six mois, nouvelle grossesse et avortement à 6 mois. Autre gros-

sesse après mois, et avortement à 8 mois.

Après ces trois avortements, elle fut soumise à une cure iodique et

mercurielle, qui se continua pendant une autre grossesse laquelle, grâce

au traitement, vint à terme sans aucun trouble ; l'enfant qui naquit heu-

reusement est le sujet de cette observation. Celui-ci, dans les premiers

mois, profita régulièrement, mais la mère s'aperçut d'une certaine rigi-

dité des membres inférieurs, qui alla tous les jours en augmentant jusqu'à

)'age de neuf mois, sans s'accompagner de phénomènes convulsifs. Quand

l'enfant fut sorti des langes, la mère nota avec étonnement qu'il n'était

pas capable de faire un pas, de se tenir sur ses pieds, et quand il s'es-

sayait à marcher, les cuisses se serraient fortement l'une contre l'au-

tre, les jambes se raidissaient en extension pendant que les pieds en ex-

tension dorsale permanente se plaçaient l'un sur l'autre.

Elle remarqua de même, en ce qui regarde les membres supérieurs,

qu'à droite en particulier, l'avant-bras avait de la tendance à rester con-

tracté en flexion sur le bras, le pouce étant replié dans le creux de la

main.

LE SYNDROME DE LITTLE ET LA SYPHILIS HÉRÉDITAIRE 35

Étant donnés les antécédents d'infection syphilitique des parents, l'en-

fant fut soumis à une cure iodo-mercurielle, mais sans résultat ; la con-

tracture spasmodique des membres ne se modifia pas. Quant au reste,

l'enfant est de bonne venue ; la dentition s'est complétée sans aucun

trouble; les fonctions gastro-intestinales sont excellentes. Il est vif,

joyeux, et ne paraît pas avoir d'insuffisance intellectuelle. Toutefois, le

langage est défectueux car, à part papa et maman, il ne prononce que les

monosyllabes oui et non.

C'est dans ces conditions qu'il est conduit à la clinique'dermo-syphilo-

pathique de la R. Université de Naples (janvier 1898).

Etat actuel. Nutrition générale bonne. Constitution squelettique

moyenne. Le crâne parait un peu volumineux par rapport au reste du

corps ; la région occipitale au-dessus du tubercule de même nom ne pré-

sente pas la légère convexité que l'on note normalement, elleparaît apla-

nie. Les bosses frontales sont un peu plus saillantes qu'à l'état normal.

L'affection de l'enfant est caractérisée en général par une contracture

spasmodique des membres.

Motilité. - Il est incapable de se maintenir dans la station debout. Au

lit dans la position horizontale, on remarque que les cuisses sont rigides,

tournées en dedans, les genoux se touchent, les jambes par l'adossement

et la rotation des genoux sont pour ainsi dire écartées laissant entre elles

un espace ovale; les pieds sont tournés en dedans, le gauche tendant ci

chevaucher le droit. Tous les deux par suite de la contracture des jumeaux

sont en flexion plantaire exagérée, plus accentuée à gauche, au point que

la tète de l'astragale fait une saillie notable sur le dos du pied ; il existe

une déviation du bord externe (pied équin-varus). A la palpation les mus-

cles des cuisses et des jambes sont rigides et les tendons d'Achille sem-

blent des cordes fortement tendues.

On rencontre une résistance énergique quand on veut vaincre la con-

tracture et la rigidité des cuisses et des jambes ; celle-ci se résout en parti-

culier quand l'enfant est tranquille ou distrait, alors quelquefois les cuisses

s'écartent et les jambes se fléchissent, mais on ne peut vaincre la contrac-

ture des pieds qui reste permanente.

La marche est impossible. En maintenant l'enfant dans la position de-

bout la contracture en extension des membres inférieurs devient plus visi-

ble par suite de la rigidité des muscles des cuisses et particulièrement des

adducteurs qui maintiennent les deux cuisses en adduction forcée avec

rotation en dedans ; le pied gauche tend toujours à chevaucher le pied

droit.

Dans les membres supérieurs la contracture est en flexion et se montre

plus intense à droite qu'à gauche, l'avant-bras est fléchi sur le bras, la

36 TOMMASI DE AMICIS

main sur l'avant-bras, les 4 derniers doigts ont de la tendance à se fléchir

sur le métacarpe ; le pouce est fléchi et sa première phalange est fléchie

sur le métacarpe correspondant. On peut vaincre ces contractures en y

mettant une certaine énergie : on réussit difficilement à produire l'exten-

sion de l'avant-bras.

Sous l'influence d'une émolion les contractures des membres supérieurs

et inférieurs s'exagèrent, ou elles se manifestent tout à coup si elles étaient

calmées. Alors même qu'on n'observe pas de contracture les mouvements

des membres supérieurs sont incomplets et lents et cela plus à droite qu'à

gauche, de telle façon que-1'enfant pour prendre un objet se sert plus de

la main gauche que de la droite.

Aucun autre groupe musculaire n'est intéressé que ceux indiqués; il

existe du strabisme alternant.

Etat de la nutrition des muscles. Aucune dénutrition.

Sensibilité. La sensation douloureuse est conservée, les autres formes

de la sensibilité ne semblent pas altérées mais l'agitation de l'enfant ne

permet pas de les déterminer exactement.

Réflexes. - Exagération des réflexes rotuliens.

Langage. Intelligence . - Outre les mots déjà indiqués l'enfant ne pro-

nonce que quelques syllabes. L'enfant se montre éveillé, gai, comprenant

tout ce qui se dit; il ne donne aucun signe d'insuffisance intellectuelle.

Peau,. On note une cicatrice incolore de la forme et de la largeur

d'une pièce d'un centime au milieu de la région externe de la cuisse

gauche, et une autre oblongue, linéaire ou peu frangée qui du pli du

creux axillaire se porte en haut sur une longueur d'environ centimètres

s'arrêtant à la partie la plus élevée de la tête de l'humérus.

La mère affirme que l'enfant est né avec ces lésions qui étaient rougeà-

tres et plus étendues puis perdirent leur couleur et se réduisirent à l'état

actuel.

Etat des glandes. - Rien à noter.

Examen électrique (Vizroli). - Contractilité galvanique des muscles,

normale; contractilité faradique un peu augmentée tant pour le courant de

la moelle aux nerfs que pour 1 e nerveux musculaire ou musculaire direct,

en tenant compte toujours de la grande tension musculaire qui empêche

l'interprétation complète des mouvements provoqués. La sensibilité élec-

tro-musculaire est un peu augmentée.

Analyse des urines. - Rien de spécial ; on note quelques granules d'u-

rate de soude et quelques cristaux très rares d'oxalate de chaux.

La mère de l'enfant ne présente actuellement comme manifestation sy-

philitique qu'une tuméfaction des ganglions du cou et des ganglions épi-

trochléens qui atteignent le volume d'une petite noix. -

TRAVAUX DE LA MATERNITÉ DE MOSCOU

L'HYDROCÉPHALIE ET L'HYDROMYÉLIE

COMME CAUSES DES DIFFÉRENTES

DIFFORMITÉS CONGÉNITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL (1)

PAR R

NICOLAS SOLOVTZOFF

Prosecteur de la Maison des Enfants Trouvés et de la Maternité, à Moscou.

Continuant mes recherches sur les difformités congénitales du système

nerve11X central, je passe maintenant à la description de cas plus rares,

qui ont aussi leur raison d'être dans l'hydrocéphalie interne du cer-

veau ; les difformités ainsi provoquées sont très curieuses.

Cas I. Une fillette née avant terme (8 mois).

Le corps tout à fait bien conformé (Pl. VI, B).

La tête présente une curiosité frappante (PI. VI, A).

A côté de la fissure labiale supérieure se remarque une absence com-

plète de la voûte crânienne, et le cerveau se présente comme une vésicule,

séparé en deux moitiés sillonnées; en outre, il y a encore plusieurs sil-

lons plus insignifiants. ,

En coupant le cerveau on trouve une cavité remplie d'un liquide

transparent. Les parois de cette vésicule se composent d'une membrane

mince d'épaisseur de 2-3 millimètres.

Chez cette fillette existe une absence des arcs postérieurs des vertèbres

dans la partie supérieure de la colonne vertébrale et dans sa continuation

les corps vertébraux sont couverts d'une mince membrane nerveuse. Cette

membrane représente la continuation directe de la vésicule cérébrale.

Dans nos recherches microscopiques sur cette vésicule et par la colo-

ration au bleu de méthylène nous avons trouvé un tableau ordinaire qui

se remarque habituellement dans les cas de très forte hydrocéphalie.

L'écorce se compose de cellules nerveuses dans la première époque de leur

formation embryonnaire, nommément dans l'époque de noyaux. La mem-

brane qui couvre en arrière les corps vertébraux a la formation sui-

(1) Rapport fait à la Société des Neurologistes et des Aliénistes de Moscou le 9 octo-

bre 1898. - Voy. Nouvelle Iconographie de la Salpéti-ière. T. XI, 189S, p. 185 et 368.

38 NICOLAS SOLOVTZOFF

vante : des deux côtés de la ligne du milieu se trouve une accumulation

de cellules nerveuses à la première époque de leur formation, de là se con-

tinuent les racines antérieures passant à travers les fibres myéliniques

qui entourent la membrane périphérique.

Cette fillette présente un très grand intérêt et se distingue très nette-

ment d'autres monstruosités de même genre. Chez les anencéphales nous

remarquons habituellement la base crânienne couverte, ou bien seulement

d'une membrane cérébrale, ou bien d'une tumeur vasculaire, et si la

colonne vertébrale est ouverte, la membrane se continue dedans.

Chez notre fillette, malgré la complète absence de la voûte crânienne,

le cerveau se réserve une vésicule. Avec cela, nous remarquons la fissure

labiale. L'existence des deux simultanément ne démontre-t-elle pas que

l'anencépbalie, comme la fissure labiale, est provoquée par la non-jonc-

tion des deux moitiés, provient de la non-fusion des bourrelets médul-

laires ? Cependant, je dois dire que, parmi toutes les monstruosités que

j'ai remarquées, c'est seulement chez cette fillette que se trouvait le bec-

de-lièvre et justement chez elle. Chez elle plutôt que chez toutes les

autres aurait dû être absent le cerveau. Or, justement chez elle le cer-

veau est bien formé, présentant une forme de vésicule, ce qui n'aurait

pas pu être en aucun cas, si la cause de cet effet était effectivement un

arrêt de développement analogue la formation du bec-de-lièvre.

Ce cas démontre que la cause de pareilles difformités n'est

pas la non-fusion des bords de la gouttière médullaire, mais Fhydro-

pisie des vésicules embryonnaires. En effet à cause d'elle la vésicule est

trop élargie, mais il n'y avait pas atrophie complète de cette dernière,

comme ordinairement dans ces cas, malgré que les parois soient amincies,

Ainsi, sous l'influence de l'hydrocéphalie et de l'hydromyélie, s'est pro-

duite l'absence de la voûte crânienne et des arcs postérieurs des vertèbres.

Cas II. - Deux jumelles. Quoique nées en même temps, l'une d'elles

présentait l'aspect d'un foetus de 8 mois et se distinguait fortement de sa

soeur qui était complètement formée et présentait l'aspect d'un enfant

venu à terme; la première ne criait pas, ne remuait presque pas, était

mal et mourut le 15e' jour par débilité; trois jours après, sa soeur est

morte de diarrhée.A l'autopsie, le système nerveux central chez la seconde

était normal, tandis que chez la première nous avons trouvé ce qui suit :

la figure et le corps étaient parfaitement bien constitués, la tète trop

petite, les fontanelles non élargies. Après l'ouverture de la colonnevertébrale

et après la section de l'os occipital, de la cavité postérieure, il s'écoulaune

demi-tasse à théade liquide transparent qui s'était accumulé sous la mem-

brane très fine, adhérente à la face intérieure de l'os occipital.

Noov. Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XII. PI. VI

DIFFORMITES CONGENITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

. (N. Solovtzoff)

A et B Cas I. Aspect .lu mousuc.

C. Caf IL Fosse crânienne postérieure. ventricule très élargi, avec une fine membrane.

MASSON & de, Editeurs.

L HI'DROCEl'L.1LIG ET l'hydromyélie 39

L'ouverture faite, on voyait ce qui suit (PI.VI, C). D'abord la moelle

épinière, continuant le bulbe rachidien, le 4e ventricule tout à fait dé-

couvert et trop élargi. Au-dessus l'ouverture de l'aqueduc de Sylvius

très élargie. Le reste du cerveau couvert sous la tente du cervelet.

Tout l'espace entre cette dernière et l'os occipital était rempli d'un li-

quide transparent. Celui-ci s'amassa au-dessus de la moelle allongée,

ou dans le 4e ventricule trop élargi et communiqua avec les ventri-

cules latéraux par l'aqueduc de Sylvius, et ainsi en place du cervelet

dans la fosse crânienne postérieure s'amassa sous une membrane très fine

le liquide transparent. Après l'enlèvement du cerveauenl'examinantdepro-

fil nous voyons (PI. VII, D) les lobes frontaux et temporaux. Le lobe occi-

pital est aplati et relevé parce que l'accumulation de liquide dans la fosse

crânienne postérieure a refoulé la tente du cervelet en haut. Le cervelet

manque. En face de sa partie postérieure (PI. VII, E) nous trouvons que la

surface des hémisphères cérébraux est couverte par de nombreux sillons.

Le 4e ventricule est trop élargi et tout à fait découvert. L'aqueduc de

Sylvius est élargi. Après la dissection du cerveau on voit que les ventri-

cules latéraux sont très élargis, voilà pourquoi les hémisphères sont amin-

cis principalement dans les lobes occipaux, où ils sont pressés de deux

côtés, du côté des ventricules latéraux et du côté de la fosse crâ-

nienne postérieure à cause de l'accumulalion trop grande de liquide sous

la tente du cervelet. L'hydrocéphalie provoqua une atrophie égale du

cerveau, du côté de la voûte, et du côté de la. base. Ainsi outre

l'absence du corps calleux et l'amincissement des hémisphères, le

pulvinar, les corps genouillés et les couches optiques ne sont pas déve-

loppés. Dans ce cas nous avons l'hydrocéphalie interne du ven-

tricule latéral de même que celle du 3' ventricule ; le cervelet

manque ; à sa place dans la fosse cràniennepostérieure est un liquide trans-

parent ; c'est le résultat de l'hydropisie du 4e ventricule. Ce fait est

intéressant, en ce que, malgré l'hydrocéphalie interne du ventricule laté-

ral et la grande hydropisie du 4° ventricule qui provoqua l'absence du

cervelet, la tête de la fillette était trop petite. Ceci explique que l'absence

du cerveau se manifeste quelquefois seulement l'autopsie.

Cas III. La fillette venue à terme est morte avec une hydrocéphalie

très marquée. Les os du crâne sont écartés, les fontanelles agrandies, la

tète molle et fluctuante. Dans la région dorsale et lombaire le canal rachi-

dien est privé des arcs postérieurs des vertèbres. A l'autopsie on constata

les ventricules latéraux très élargis ainsi que les hémisphères très amin-

cis. Le cervelet est trop enfoncé en bas. Après la dissection de la colonne

vertébrale nous avons trouvé ce qui suit (Pl. VII, F et G). En-dessous de

40 NICOLAS SOLOVTZOFF

l'ouverture de la colonne vertébrale on trouve la moelle ; à la place où

l'ouverture commence, la partie dorsale de la moelle épinière se termine

et la partie antérieure s'élargit et se transforme en une membrane de la-

quelle partent les racines des nerfs.

Sous cet aspect la moelle épinière se continue dans toute l'étendue de

l'ouverture et là où elle se termine apparaît de nouveau la moelle épinière

et sa partie dorsale.

Immédiatement au-dessus de l'ouverture de la colonne vertébrale, la

moelle épinière a la grosseur d'une plume d'oie, mais sa partie supérieure

s'épaissit et la partie cervicale augmente jusqu'à la grosseur du petit doigt :

voilà pourquoi le canal rachidien dans sa partie cervicale est trop élargi.

Ce grossissement de la moelle épinière dans sa partie cervicale provient

de ce que la masse du cerveau en forme de cône à sommet tourné en bas, se

dirige vers la moelle allongée ; dans sa partie inférieure elle n'est pas liée

avec la moelle épinière qui est seulement comprimée d'arrière en avant par

cette masse accumulée, mais plus haut ces deux parties sont unies entre'

elles et passent ainsi dans la moelle allongée.

Ainsi les particularités de ces cas sont :

1° L'ouverture de la colonne vertébrale dans la partie dorsale de la

moelle épinière ;

2° L'hydrocéphalie interne ;

3° Dans la partie cervicale la moelle épinière est couverte par une masse

qui descend du bulbe rachidien.

Un tableau tout à fait analogue est présenté par le cas suivant :

Cas IV. Fillette âgée de 18 jours. Pendant sa vie, nous avons observé

ce qui suit : la tète est un peu agrandie ; les sutures sont écartées; les

fontanelles sont plus normales. Au toucher la tête est molle. En un mot,

tableau habituel de l'hydrocéphalie.

L'enfant tétait mal, ne dormait presque pas. Les extrémités inférieures

tout à fait paralysées. Elle urinait bien et les selles étaient normales. A sa

mort la température était élevée, ce qui démontre que l'inflammation com-

mençait dans la place où la colonne vertébrale était ouverte. A l'autopsie

nous avons aussi trouvé un très fort grossissement de la moelle épinière

dans sa partie cervicale, provoqué par la descente de la partie dor-

sale du bulbe rachidien.

En celle occasion je crois qu'il n'est pas superflu de rappeler encore

une fois les avantages que présente l'inclusion des préparations dans

la paraffine non seulement pour la coloration des préparations par le

bleu de méthylène, mais aussi pour le traitement des préparations par le

procédé de Pal. Ainsi pour l'examen du cerveau de la fillette sans cer-

Nouv. Iconographie DE la SALPÉIRIÈRF.

T. XII. Pl. VII

D

DIFFORMITES CONGÉNITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL.

(N. So)ovtxo<[') "

1) et E. Cas IL Cerveau, face et profil.

1' et G. Cas III. Moelle disséquée et cervelet. La moelle, très épaissie dans la région cervicale,

est de grosseur normale au-dessus de la fissure.

MASSON & cie, Editeurs.

l'hydrocéphalie ET l'hydromyélie 41

velet je n'employais pas plus de 10 jours : 7 jours le cerveau resta

conservé dans une solution de sels de chrome par 36°, 1 jour dans l'al-

cool, changé quelquefois; puis après dans l'aniline pendant 1-2 heures ;

ensuite xylol pendant 1-2 heures, enfin dans la paraffine saturée de xylol

pendant une nuit et après dans la paraffine pure fondue à une température

de 45°. Ainsi le dixième jour je recevais déjà les rubans des prépara-

tions, alors qu'à l'inclusion dans le collodion, je devais attendre environ

10 jours pour que les grands morceaux puissent être bien imbibés.

Passons maintenant à l'examen du système nerveux central de la fillette

sans cervelet.

A l'examen microscopique de la moelle épinière par la méthode de Pal

les particularités pathologiques sautent aux yeux surtout dans la région

cervicale. Nous trouvons ici ce qui suit (PI. VIII, H) : le faisceau pyramidal

du cordon latéral manque ; à la place du faisceau cérébelleux du cordon la-

téral il y a une grande fissure s'enfonçant vers la profondeur de la périphé-

rie ; manquent aussi le faisceau de Gowers et le faisceau pyramidal du cor-

don antérieur. S'observent seulement le faisceau fondamental du cordon

antéro-latéral, mais mal développé, et le faisceau de Goll et de Burdach

bien développé.

A l'examen de la moelle allongée, au niveau de l'entrecroisementdes fibres

du ruban deReil, nous ne trouvons pas ces fibres, non plus que lespyramides

(PI. VIII, I). Manque aussi le faisceau cérébello-spinal. La racine descen-

dante du nerf trijumeau n'est pas encore marquée. Le noyau du faisceau de

Goll et celui de Burdach sont marqués très nettement. Ainsi nous avons ici :

le faisceau fondamental du cordon antéro-latéral, le nerf hypoglosse, le cor-

don postérieur. Plus haut, au niveau de l'ouverture du 4e ventricule, nous

trouvons (Pl. VIII, J) les pédoncules cérébelleux absents; la racine des-

cendante du nerf trijumeau à travers laquelle passe le nerf pneumogas-

trique, est disposée tout à fait extérieurement au-dessus de la racine des-

cendante du glosso-pharyngien et du vague, qui estplacé très latéralement

parce que le quatrième ventricule est très distendu pal' l'hydrocéphalie. Les

fibres arciformes internes sont marquées très mal et seulement dans la

partie supérieure ; les libres arciformes externes et antérieures avec le

noyau arciforme ne sont pas développées, ainsi que les fibres arciformes

externes postérieures,les fibres arciformes internes dans la partie inférieure

et les olives. La coupe du ruban de Reil et les pyramides manquent.

Quant aux olives, elles ne contiennent pas leurs cellules spéciales. Ainsi

nous avons ici le faisceau longitudinal postérieur, les fibres arciformes

internes, presque non développés et seulement dans la partie supérieure,

au-dessus du bord supérieur des olives, la racine descendante du nerf

trijumeau, la racine descendante du glosso-pharyngien et du vague, le

42 NICOLAS SOLOVTZOFF

nerf hypoglosse et le nerf-pneumogastrique. Au niveau du pont de Varole

nous trouvons celui-ci très aplati (Pl. VIII, K). Dans la partie postérieure

nous trouvons le faisceau longitudinal postérieur, au-dessus le genou du

facial, eh dehors le noyauetles fibres du nerf oculo-moteur externe, et d'un

côté la branche radiculaire externe du facial, de l'autre les racines du nerf

acoustique, le noyau accessoire et lenoyau de Deiters. La racine spinale du

nerf trijumeau est marquée très bien, mais le pédoncule cérébelleux infé-

rieur n'est pas développé. Le corps trapézoïde est très bien développé

ainsi que les olives supérieures. La couche des fibres sensitives manque,

ainsi que dans la partie antérieure les fibres protubérantielles et les

pyramides. Plus haut, au niveau du nerf trijumeau, nous trouvons le

4e ventricule très élargi et à la partie latérale du toit le reste très petit des

noyaux dentelés (Pt.VHI, L). Quanta l'axe cérébro-spinal, nous trouvons

ici le faisceau longitudinal postérieur; en dessous la formation réticu-

laire, mais mal développée dans sa partie basale, en dehors nous voyons

les fibres radiculaires du nerf trijumeau.

Nous trouvons encore les olives supérieures et l'origine de la couche

latérale du ruban de Reil. La couche médiane des fibres sensitives n'est

pas développée, ainsi que les pyramides et les fibres protubérantielles.

Les pédoncules cérébelleux inférieurs et supérieurs manquent aussi. Sous

l'épithélium épendymaire normal du plancher nous voyons les vaisseaux

très élargis avec les parois un peu épaissies. Plus haut, là où le 4° ventricule

est encore ouvert, d'un côté du reste du toit on observe le très petit

reste du cervelet. En ce qui concerne l'axe cérébro-spinal nous trou-

vons ce qui suit (Pl. VIII, M) : le faisceau longitudinal postérieur, les

fibres arciformes internes de la formation réticulaire mal développées,

la couche latérale des fibres sensitives. Mais les pédoncules cérébelleux

supérieurs, la couche médiane des fibres sensitives manquent; manquent

aussi les pyramides et les fibres transversales du pont. L'aqueduc de

Sylvius est formé seulement au niveau du nerf oculo-moteur commun ; il

est ici très élargi et déformé. En dehors nous observons les noyaux des

éminences antérieures des tubercules quadrijumeaux (le pulvinar et les

corps genouillés manquent). En dessous les fibres du faisceau longitu-

dinal postérieur qui viennent en contact avec les noyaux du nerf de la

3° paire et les fibres radiculaires du nerf oculo-moteur commun. Quant

aux noyaux rouges, ils ne sont presque pas développés ; en dedans il y a

le faisceau de Meynert. La partie basale est très déformée. Toutes les fibres

nerveuses qui forment le pied du pédoncule manquent; manque aussi

la couche des fibres sensitives. Plus haut, au niveau du 3e ventricule,' nous

voyons tous les noyaux de la couche optique et le noyau lenticulaire pres-

que non développés.

Nous. Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE.

T. XII. Pl. VIII

DIFFORMITES CONGENITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

(N. Solovizoff)

Coupa .1" Cas Il. Il Moelle, région cervicale ; - I Bulbe au niveau de l'entrecroisement des

pyramides ; - J .1 l'ouverture du 4e ventricule ; - K au niveau du pont de variole ; -

L au niveau du trijumeau ; - U un peu au-dessus.

l'hydrocéphalie ET L'HYDR011LYÉLIE 43

Ainsi dans ce cas nous avons trouvé :

1° une absence complète du cervelet ;

2° une atrophie des hémisphères cérébraux ;

3° une atrophie presque totale des ganglions cérébraux centraux (le

pulvinar, les corps genouillés et les noyaux de la couche optique man-

quent de même que les noyaux lenticulaires) ;

4° l'absence de voies pyramidales ;

50 l'absence de la couche du ruban de Reil ;

6° l'absence du faisceau cérébello-spinal, du faisceau de Gowers, des

fibres arciformes externes et antérieures et du noyau arciforme, de même

que des libres arciformes externes et postérieures, des olives, des fibres

arciformes internes et des pédoncules cérébelleux inférieurs. Les fibres

protubérantielles, les faisceaux cortico-protubérantiels et les pédoncules

cérébelleux supérieurs ne sont pas développés, ainsi que les noyaux rouges.

L'absence des voies pyramidales s'explique par l'atrophie des hémi-

sphères. L'absence de la couche du ruban de Reil résulte de l'absence de

la couche optique . Toutes les modifications indiquées en 6° provien-

nent de l'absence du cervelet. Les modifications 3°, proviennent de l'hy-

dropisie du 3° ventricule.

Passons maintenant à l'examen du système nerveux central des cas III

et IV.

Au-dessous de l'ouverture de la colonne vertébrale la moelle est nor-

male, excepté un très grand développement des vaisseaux. Au niveau de

l'ouverture, où la moelle épinière se transforme en membrane, nous

trouvons les cellules nerveuses disposées symétriquement de part el d'au-

tre la lignejmédiane et au stade du développement embryonnaire préma-

turé. A l'examen de cette membrane par la méthode de Pal, nous voyons

que du côté tourné ventralement elle est recouverte de myéline et des

deux côtés vont vers elle les racines nerveuses qui se terminent dans

les cellules nerveuses. Au-dessus de l'ouverture, la moelle épinière a la

forme ordinaire, seulement elle est un peu comprimée d'avant en arrière.

Plus haut, à la place où commence la séparation de la moelle en deux par-

ties, elle est fortement comprimée d'avant en arrière. A cela près, la

moelle épinière a la forme ordinaire de celle d'un enfant nouveau-né

(Pl. IX, N). Le faisceau pyramidal du cordon antérieur est très bien dé-

veloppé et n'a pas de libres myéliniques, le faisceau cérébro-spinal latéral

manque. Le cordon postérieur est bien développé. En arrière, est située

une formation triangulaire, dont un côté, le plus éloigné de ce triangle

suit parallèlement la partie postérieure de la moelle. Dans le côté

opposé du triangle se trouve son sommet ; à quelque distance de ce som-

met se trouve un enfoncement, allant vers la profondeur. Un enfon-

44 - NICOLAS SOLOVTZOFF

cernent moins considérable se remarque dans le bas du triangle. Toute

cette formation est couverte tout autour de fibres myéliniques. Au centre

de ce triangle, il y a beaucoup de vaisseaux. Plus haut la moelle épinière

est comprimée encore pl us (Pl. IX, 0); les cordons postérieurs sont mal

formés. La formation, située en arrière, est sensiblement agrandie, elle a

conservé une forme triangulaire, mais les coins sont fortement arrondis.

Tout autour la formation est couverte de fibres myéliniques. Plus

haut (PI.1X, P) les deux parties se joignent entre elles, avec cela la partie

antérieure reste sans changement, mais les cordons postérieurs se portent

dans la formation située sur eux.

Symétriquement de deux côtés situées dans la partie postérieure,

les stries arciformes de fibres myéliniques rappellent les noyaux du

faisceau de Goll et du faisceau de Burdach. Plus près du cerveau nous

voyons que la fusion passe plus loin. La partie antérieure n'est pas

changée, mais les cordons postérieurs n'apparaissent pas comme for-

mation indépendante, ils montent en haut, dans l'addition située au-dessus

et s'élargissent par la périphérie comme le noyau de Burdach. Si nous

montons encore plus haut, alors la fusion se fait plus distinctement

(P1.X, Q), pourtant on remarque que la moelle se compose de deux parties,

et sa partie antérieure apparaît parfaitement normale. Dans la partie

postérieure, nous trouvons le noyau de Goll duquel s'écartent les fibres

entrecroisées dans la ligne du milieu. Le canal central de la moelle et celui

de la formation supérieure s'unissent entre eux. Dans la partie antérieure

se remarque l'entrecroisement des pyramides. Si nous montons encore

plus haut, alors la fusion est complète (Pl. X, R) . Cette raie de fibres

myéliniques qui était située dans la périphérie de la formation sup-

plémentaire passe maintenant dans les noyaux de Goll et de Bur-

dach ; nous trouvons encore ici la racine descendante du nerf trijumeau,

la racine descendante du glosso-pharyngien, le faisceau cérébelleux du

cordon latéral, les fibres arciformes internes et l'entrecroisement des pyra-

mides. Enfin auniveaudesolives, la moelle allongéea une structure normale

(Pl. X, S). Ainsi commençant du niveau des olives par en bas, la partie

postérieure du bulbe rachidien s'atténuait ; elle se déplaçait et en-

traînait les cordons postérieurs de la moelle, s'unissant avec eux et apla-

tissant la moelle, d'avant en arrière. Plus bas, il quelque distance, elle se

propage au-dessus de la moelle comme formation indépendante.

Quelle est la raison de cette curieuse déformation ? Dans les deux

cas, il existe une ouverture complète de la colonne vertébrale dans

la partie dorsale, avec cela nous avons une hydrocéphalie interne très

forte. C'est dans ces deux conditions qu'il faut chercher l'explication

de cette curieuse déformation. Dans ces deux cas il y a une hydro-

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPCIItIl : ItF.

T. XII. Pl. IX

DIFFORMITES CONGENITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

(. So)ovtxoft')

N et O. G/1» IV. Moc))ecompHn)cesurp)ombec par une fonn.ttion supplémentaire. (Coupes : 1 deux h.lutllrs voisines)

P. Cna III. Soudure de 1.1 moelle et de 1.1 fOlm,nion "'ppIÓment,lire.

M ASSO N C ? EJIteurs

Nouv. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÉlftIERF.

T. XII. Pl. X

DIFFORMITES CONGENITALES DU SYSTÈME NERVEUX CENTRAL

(N. Sotovtzotr)

Ci'% III. Qel R. Coupe de la moelle et du bulbe ,tvec 1.1 formation supplémentaire. La partie

antérieure de la moelle n'a pas changé. Au-dessus noyaux de Goll et de Burdach, entre-

croisement du rnb,111 de Reil ; au-dessous entrecroisement des pyramide ?

S. Coupe au niveau des olives. Le bulbe est normal.

MASSON & Cte, Editeurs

l'hydrocéphalie ET l'hydromyélie 45

myélie très forte dans la partie dorsale, qui provoqua l'ouverture de

la colonne vertébrale et aussi la disparition des cordons posté-

rieurs ; de la moelle restait seulement le faisceau fondamental du cordon

antéro-latéral (tableau ordinaire dans les cas de forte hydromyélie). Par

conséquent, pendant la formation du système nerveux central, la partie

dorsale située au-dessus de l'ouverture ne trouvait pas le soutien nécessaire

dans la partie inférieure et c'est la raison d'être suffisante pour provoquer la

dislocation de la partie dorsale du bulbe rachidien.Mais cette condition était

augmentée par l'hydrocéphalie. L'amas du liquide dans les ventricules

latéraux n'a pas seulement aminci les hémisphères, mais encore déplacé

en bas la partie du bulbe rachidien. La partie dorsale du bulbe rachidien

montrait moins de résistance à cette dépression parce qu'elle était complè-

tement libre dans le canal rachidien et ne s'unissait avec rien, parce que

les racines nerveuses s'enfoncent seulement dans la partie antéro-laté-

rale. Ainsi la cause qui provoqua cette curieuse' difformité de la moelle

dans ces deux cas était double. D'un côté, à cette difformité aidait l'hy-

dromyélie qui provoqua non seulement la disparition du cordon posté-

rieur, mais aussi l'ouverture de la partie dorsale du canal rachidien ; de

l'autre côté l'hydrocéphalie des ventricules latéraux. Il est vrai, comme

nous l'avons dit, que la seule ouverture de la colonne vertébrale

dans la partie dorsale est suffisante pour produire cette difformité de la

moelle. Mais si le spina bifida est dans la région sacrée de la colonne, alors

nous observons seulement la dislocation du vermis inférieur du cervelet.

Ainsi, la cause de toutes les difformités congénitales du système nerveux

central que nous avons décrites est l'hydrocéphalie et l'hydromyélie. Pour

comprendre comment l'accumulation du liquide dans les ventricules peut

provoquerdes difformités si variées et si curieuses nous rappellerons quel-

ques considérations embryologiques.

Les différentes parties de l'axe cérébro-spinal de l'homme proviennent

deladifférenciation des cinq vésicules cérébrales embryonnaires ou des six

anneaux placés au-dessus l'un de l'autre, qui donnent naissance aux diffé-

rentes parties du cerveau. Ainsi : 10 le inyéleiicépliale, 2° le métencéphale,

3° l'isthme du rhobencéphale donnant naissance à la moelle allongée, à

la protubérance annulaire, aux pédoncules cérébelleux supérieurs, à la

partie des pédoncules cérébraux, etc., forment ensemble la partie de l'en-

céphale connue sous le nom de rhombencéphale. Le canal neural pri-

mitif qui correspond à ce rhombencéphale devient le quatrième ventricule

et la partie dorsale du métencéphale donne dans sa partie dorsale le cer-

velet ; 4° le mésencéphale produit les tubercules quadrijumeaux et il est

46 NICOLAS SOLOVTZOFF

traversé par l'aqueduc de Sylvius ; 5° le diencéphale produit les couches

optiques. La partie du canal neural primitif qui correspond au diencéphale

devient le troisième ventricule; -6° le télencéphale se transforme en cer-

veau terminal avec le bulbe olfactif. La cavité du télencéphale forme les

ventricules latéraux.

Le plus souvent l'hydrocéphalie frappe le télencéphale et provoque

un amincissement des hémisphères, de sorte qu'ils ont l'aspect d'une mem-

brane très fine,ou elle s'étend plus ou moins vers le diencéphale provoquant

l'absence du pulvinar, de corps genouillés et des couches optiques.

L'hydrocéphalie de la vésicule cérébrale primitive antérieure se propage

parfois aux vésicules optiques primaires et provoque la cyclopie. Si ce

processus s'étend au bulbe olfactif, il explique l'élargissement de son

ventricule.

Quand le mésencéphale est frappé plus ou moins, nous trouvons ou l'ou-

verture de l'aqueduc de Sylvius ou seulement son élargissement. Très

rarement l'hydropisie frappe aussi le rhombencéphale et alors sa partie

dorsale ne se développe pas, le cervelet manque, et nous trouvons seu-

lement le plancher très élargi. Très souvent l'hydropisie frappe les

cinq vésicules, alors la voûte crânienne n'est pas développée et le cerveau

chez l'enfant se présente sous l'aspect d'une vésicule ou ordinairement sous

l'aspect d'une membrane qui couvre la base du crâne. Si l'hydrocéphalie ne

frappe pas le myélencéphale, nous trouvons alors chez l'enfant le bulbe

rachidien et dans ce cas il peut rester une partie de la voûte crânienne, ce

qui ne peut être si l'hydrocéphalie se répand dans les six segments. Nous

trouvons la même chose dans la moelle épinière : le processus com-

mence par l'hydromyélie et finit par l'ouverture de la colonne vertébrale.

L'ouverture de la colonne vertébrale peut provoquer la dislocation de la

partie dorsale du bulbe rachidien si ce processus frappe la partie dorsalede

la moelle ou elle peut provoquer seulement la dislocation de l'extrémité du

vermis inférieur ; dans ce cas le spina bifida occupe la région sacrée.

En cequi concerne les changements observés lorsqu'une des vésicules n'est

pas développée, on peut les caractériser de la manière suivante : l'absence

d'un centre quelconque provoque une absence du système qui commence à

ce centre et l'absence du système qui s'y termine immédiatement,avec leurs

noyaux. Par exemple, le manque des hémisphères et des couches optiques

produit une absence des pyramides et de la couche du ruban de Reil qui

provient des noyaux du cordon postérieur et se termine dans les couches

optiques. Nous observons la même chose,sisousl'inlluenced'unehydropisie

du rhombencéphale le cervelet ne se développe pas. Alors manquent tous

les systèmes du cervelet constitués par des cylindres-axes descendants et

ascendants avec leurs noyaux. Ainsi manquent les fibres arciformes exter-

L'UYDROCÈPUALIE ET l'hydromyélie 47

nes et antérieures et les noyaux arciformes, les fibres arcifurmes internes et

les olives, etc ? etaussi le pédoncule cérébelleux inférieur et moyen ainsi

que les pédoncules cérébelleux inférieurs avec les noyaux rouges.

La cause de toutes les difformités que nous avons décrites est l'hydro-

pisie des ventricules cérébraux et du canal central de la moelle épinière.

L'accroissement énorme du liquide céphalo-rachidien à l'époque de la vie

intra-utérine romptmécaniquement quelques-unes des vésicules cérébrales,

entrave la formation d'une partie correspondante du cerveau et même du

crâne, si les cinq vésicules sont atteintes d'hydropisie simultanément.

Quant à l'étiologie et à la pathogénie de cette hydropisie, nous avons dit

plus haut, dans quel degré sont atteints les vaisseaux sous l'épendyme.

A un faible grossissement on en peut déjà voir s'élargir avec les parties

épaissies. Mais ces changements si fortement marqués macroscopiquement

se manifestent mieux dans les recherches plus fines ; justement la tunique

externe est épaissie, la quantité de ses noyaux est augmentée, la tunique

interne est aussi épaissie ; à ce moment nous avons affaire à l'artérite

chronique. Il faut encore noter une augmentation de la quantité des vais-

seaux, et il est de règle que plus le système nerveux est déformé, plus la

quantité des vaisseaux nouveaux est augmentée. Enfin, en approchant de

..la partie cervicale nous rencontrons déplus en plus de vaisseaux, et là

où la moelle se termine, elle est toute infiltrée de vaisseaux ; enfin quel-

quefois l'encéphale, à la place de la membrane la base du crâne est cou-

verte d'une tumeur vasculeuse.

Ce changement des vaisseaux par le fait de l'artérite chronique existe

plus ou moins chez toutes les monstruosités décrites par nous auparavant.

Cela peut favoriser, pendant le premier cours de la vie intra-utérine, l'ex-

sudation du liquide lymphatique dans le cerveau, d'où résulte l'hydro-

pisie de vésicules qui provoque les différentes difformités du système

nerveux central.

Cette artérite généralisée dépend, pensons-nous, de la syphilis. Quoi-

que la syphilis à l'examen fut indiquée seulement chez un anencéphale

par une ostéo-chondrite épiphysaire, a l'examen microscopique nous

avons trouvé que le foie chez tous les monstres que nous avons décrits

jusque-là était infiltré d'éléments embryonnaires qui s'accumulaient par-

lois en nodosités miliaires caractéristiques de gommes syphilitiques.

Ainsi, nous pensons que la cause de toutes les difformités congénitales du

système nerveux central est la syphilis héréditaire (1). ,

(1) En terminant je trouve de mon devoir d'exprimer ma profonde reconnaissance à

M. le Du' W. Weidengammer, qui m'a aidé de ses conseils.

LABORATOIRE DES CLINIQUES DE L'UNIVERSITÉ

DE BORDEAUX

DOCUMENTS CLINIQUES ET NrOM'0-rMZ.OGQ ! 7J ? S

A VEC I'110T 05T RI; O L : Rll'lllES

MYOPATHIE PRIMITIVE ET PROGRESSIVE

AVEC AUTOPSIE

(FORME TARDIVE; TYPE HUMÉRO-SCAPULO-FACIAL) (1)

P,vrs 1111.

SABRAZÈS ET BRENGUES

Agrégé, Chef du laboratoire des Cliniques Assistant du laboratoire des Cliniques

de l'Université de Bordeaux.

Observation.

G. (Auguste), âgé de 58 ans, marchand de journaux, vient réclamer

nos soins le 28 mars 1898, il la salle 12 de l'hôpital St-André de Bor-

deaux, pour une tuberculose pulmonaire à marche rapide; il est de plus

atteint d'une atrophie musculaire qui a débuté insidieusement à l'âge de

20 ans par le muscle biceps droit et qui a acquis un haut degré d'inten-

sité.

Antécédents héréditaires. Le père de cet homme a vécu jusqu'à ,1

81 ans ; il travaillait encore à 70 ans. Sa mère est morte à 60 ans asthma-

tique. Ni dans les ascendants ni dans les collatéraux on ne relève de cas

d'atrophie musculaire non plus que chez ses deux frères dont l'un était

très vigoureux à 40 ans, époque à laquelle il a été perdu de vue, et dont

l'autre a succombé à la phtisie pulmonaire il 43 ans et chez sa soeur

actuellement âgée de 39 ans.

Antécédents personnels. L'atrophie musculaire a débuté il l'âge de

20 ans ; G... était alors tailleur de pierre il Lyon ; il était très bien con-

formé et doué d'une force musculaire moyenne. Nourri au sein par sa

mère il a commencé à marcher à un âge tout à fait normal. Pendant son

enfance et son adolescence on n'avait jamais rien remarqué de particulier

dans sa musculature.

A 7 ou 8 ans, rougeole bénigne. r19 ans, il a eu une maladie grave

(1) Les particularités intéressantes d'ordre clinique et anatomo-pathologique

de cette observation sont indiquées en italiques.

MYOPATHIE PRIMITIVE ET PROGRESSIVE AVEC AUTOPSIE 49 z9

qui l'a laissé 2 mois dans la stupeur. La convalescence fut très longue. Il se

rappelle qu'il ressentait des douleurs très vives à la racine du cou et qu'on

dut lui appliquer des sangsues à la région cervicale et des vésicatoires

sur les jambes ; on eut même recours il une saignée. Après guérison,G...

n'accusait aucune espèce de trouble dans la locomotion, dans le fonc-

tionnement des memhres supérieurs et du tronc ; il pouvait sans difficulté

courir, jouer avec ses camarades, exercer son métier de tailleur de pierre ;

cependant, lorsqu'il écrivait, il se plaignait parfois de crampes dans le

membre supérieur droit. Pas de syphilis. Alcoolisme modéré.

A 20 ans, comme il se faisait inscrire pour le tirage au sort, on lui de-

manda s'il avait quelque réclamation il faire valoir ; il réfléchit, s'examina

et remarqua qu'il éprouvait une certaine gêne dans l'épaule droite. Il en

fit part au conseil de revision. On constata en effet que son biceps droit

était atrophié mais que les autres muscles étaient intacts. Il fut réformé

pour atrophié musculaire du bras droit.

Il était droitier,mais il travaillait difficilement du bras droit; il s'essaya

de la main gauche, d'abord sur de la pierre tendre, et finalement il

devint gaucher. Deux ans après, le bras gauche a commencé à être inté-

ressé et l'atrophie a tout d'abord porté sur le biceps.

Cette atrophie symétrique a évolué sans douleurs. Le Dr Vernet, méde-

cin de motet-Dieu de Lyon, l'a examiné très longuement : seuls les mus-

cles des deux bras s'étaient en partie atrophiés sans que jamais ils aient

été le siège de secousses, de contractions fibrillaires, de contracture. Le

malade va ensuite habiter Marseille; il suit à l'hôpital un traitement par

l'électrisation sans qu'il en retire un bénéfice quelconque.

A l'âge de 28 ans, les muscles des membres inférieurs ont commencé à

participer à l'atrophie. Ses amis se sont aperçus avant lui qu'il boitait.

A 38 ans, il a eu une fluxion dentaire en même temps que des lésions

multiples de carie qui ont amené la chute de plusieurs dents.

En 1881, il fut soigné pour une blépharo-conjonctivi te par le Dl' Martin,

oculiste à Bordeaux, qui a constaté l'existence d'une double paralysie

faciale. Enfin, dans le courant de ces dernières années, le malade ne

pouvait plus réussir à fermer complètement les paupières.

Etat actuel, le 28 mars 1898 (1). Face. On est frappé par l'éma-

ciation de cet homme; les pommettes sont saillantes, les sillons naso-

géniens nettement accusés et surmontés d'un second sillon sous-jacent aux

pommettes.

(1) [La Planche XI reproduit par le procédé de la photocollographie une photographie

stéréoscopique du malade. En l'examinant avec un appareil stéréoscopique on obtien-

dra une impression de relief qui permettra d'apprécier très exactement les anomalies

morphologiques. N. D. L. R.]

XII z

50 SABRAZÈS ET BRENGUES

Le crâne est chauve, dénudé jusqu'à l'occiput ; la barbe est clairsemée ;

la moustache peu fournie et à poils rudes. Les yeux sont saillants, parti-

culièrement il gauche. Le front est lisse, dépourvu de rides (PI. XI)..

Le malade ne peut ni souffler ni siffler, il est incapable de disposer ses

lèvres de façon à expulser l'air ; il ne peut même pas faire le simulacre ;

il n'éteint pas une allumette placée à 4 centimètres de la bouche. Lors-

- qu'on lui demande de gonfler ses joues il lui est impossible d'emmagasiner

de l'air dans la bouche; les joues se rident, le sillon naso-génien se tend,

mais les lèvres restent flasques, proéminentes, molles, insuffisantes pour

fermer la cavité buccale. G... arrive cependant à faire la moue et à froncer

le sourcil. Lorsqu'on lui dit de fermer les yeux, la paupière supérieure

n'atteint pas l'inférieure; les paupières restent séparées l'une de l'autre

par une fente de 5 à 6 millimètres à gauche et d'un demi centimètre à

droite. Le malade s'efforce, sans y réussir, de fermer les yeux en redres-

sant la paupière inférieure et les joues. L'examen des yeux a été pratiqué

à la clinique ophtalmologique de M. le professeur Badal par M. Cabannes,

médecin oculiste des hôpitaux : il a donné les résultats suivants : lago-

phtalmos paralytique; dans l'occlusion des paupières le segment le plus

inférieur des deux cornées reste à découvert; une kératite à hypopyon

s'est développée à l'oeil gauche ; on a dû pratiquer une paracentèse de la

cornée qui a produit une amélioration notable. Myosis double; pas d'in-

sensibilité cornéenneni conjonctivale; pas de strabisme; quelques secous-

ses nystagmiques dans l'horizontalité; examen ophtatmoscopique : pas de

lésions du fond de l'oeil ; pas de tremblement des paupières.

Le malade tire la langue, mais celle-ci ne se dégage que très difficile-

ment de la lèvre inférieure saillante qu'elle pousse devant elle. La langue

est mobile latéralement; elle n'est pas déviée; elle se redresse dans la

cavité buccale.

La parole est traînante, mal articulée mais non scandée; la physiono-

mie est peu mobile et devient asymétrique dans le rire, dans l'action de

faire la moue, etc.

Membres supérieurs. - Lorsqu'on découvre le malade, on voit que les

bras sont considérablement émaciés, surtout clans leur moitié inférieure.

L'humérus se trouve immédiatement sous la peau ; celle-ci est flasque,

beaucoup plus large que le membre qu'elle enveloppe ; les pl is que l'on forme

en la soulevant entre le pouce et l'index ont une hauteur de 3 jazz. centi-

mètres ; au-dessous d'elle on palpe avec la plus extrême facilité les

artères, les veines et les nerfs.

Le biceps, le brachial antérieur, le triceps, ont complètement disparu,

ou ne sont plus représentés que par un petit nombre de fibres qui échap-

pent à la palpation. Le coraco-brachial fait un relief assez appréciable.

: o. : OU\'. ICON-OGRAIMIIE DE LA Snr.ucrarsas. T. XII. Pl. XJ

I'Irnlnclnrr%n ryrlri ?

MYOPATHIE PRIMITIVE ET PROGRESSIVE

(S.ibra/L'S et Hrcngucs, île Bru ilciux.")

MASSON A CI, Editeurs

MYOPATHIE PRIMITIVE ET PROGRESSIVE AVEC AUTOPSIE 51

La moitié supérieure du bras contraste avec la moitié inférieure. Le

deltoïde fait une saillie assez accusée ; entre ses deux segments antérieur

et postérieur on perçoit très bien les tendons du biceps. Les mensurations

donnent les résultats suivants :

Circonférence du bras dans la partie inférieure la plus grêle : Il centi-

mètres.

Circonférence de l'épaule, dans le creux axillaire : 24 centimètres.

L'avant-bras estamaigri, mais relativement beaucoup moins que le bras ;

le long supinateur est le seul muscle complètement atrophié; les radiaux

sont fiasques.

Les muscles de la main sont un peu grêles mais non dégénérés : pas de

dépression anormale des espaces interosseux, des éminences thénar et

hypothénar.

Membres INFÉRIEURS.- Les régions fessières sont affaissées. Les cuisses

sont amaigries sur leur face interne. La saillie des muscles du mollet est

normale. Les muscles antéro-externes, principalement le tibia] antérieur

sont très grêles. Les orteils sont infléchis en arc de cercle vers la plante

du pied. En aucun point des membres supérieurs et inférieurs il ne se

produit de contractions fibrillaires. Pas de tremblement. Ces lésions sont

absolument' symétriques ainsi que les suivantes :

Épaule, cou, thorax ET abdomen. On est surpris par la profondeur

du creux sus-claviculaire qui est, de chaque côté, de centimètres en-

viron, par la saillie considérable de la clavicule, par l'exagération du creux

sous-claviculaire, par l'aplatissement d'avant en arrière du sternum et des

côtes.

Au-dessous du manubrium et de l'articulation sterno-claviculaire existe

une dépression en rigole qui se continue avec le creux sous-claviculaire.

La saillie de chaque côte est très marquée au niveau de l'insertion ster-

nale ; le sternum est lui-même entrecoupé de saillies correspondant au

point d'implantation costal et de dépressions se continuant avec les espaces

intercostaux, aussi a-t-il un aspect scalariforme très caractéristique. A

gauche et latéralement au-dessous de lauitième côte, on observe un élar-

gissement considérable de l'espace intercostal sous-jacent qui se laisse

facilement déprimer et qui fait brusquement saillie au dehors quand le

malade tousse : il y a là une pointe de hernie du poumon qui est le siège de

douleurs Vives. Pas de paralysie du diaphragme. L'abdomen est dans son

ensemble déprimé. Pas de hernies ombilicale, inguinales ou crurales.

Le long de la région cervicale la corde formée par le slerno-cléïdo-mas-

toïdien est très apparente des deux côtés ; par contre les muscles des creux

sus-claviculaire, sus-épineux, et sous-épineux ainsi que les muscles pec-

toraux sont atrophiés au plus haut point. Des pectoraux il ne reste que

52 SABRAZÈS ET BRENGUES

quelques fibres qui unissent la clavicule à l'humérus dans l'angle huméro-

claviculaire. De même le grand dorsal est considérablement atrophié. Les

épaules sont saillantes en avant et forment au thorax un rebord qui lui

donne l'aspect d'un bateau à fond plat. ,

Pas de déviation de la colonne vertébrale. En arrière, le thorax est éga-

lement aplati ; les côtes s'étalent transversalement et les espaces intercos-

taux sont, surtout à gauche, deux fois plus larges que chez un homme

normal. Les muscles des gouttières vertébrales sont atrophiés ainsi que

ceux.de la masse sacro-lombaire. Le rebord inférieur des côtes est un peu

voussure à gauche.

Mouvements Vof.OTT.1112GS.- Le malade ne fléchit l'avant-bras sur le bras

qu'au prix d'un grand effort du tronc et de l'épaule et d'une sorte de mou-

vement de bilboquet et cela sans l'intervention active des muscles du bras

et de l'avant-bras. Quand le bras est ainsi fléchi, son extension volontaire

est impossible. Les mouvements d'ensemble du bras pour saisir le nez,

pour porter la main 1 la bouche, etc., ne sont possibles qu'en pronation

forcée et encore le malade est-il incapable de diriger et de soutenir ces

mouvements. Pour porter la cuiller ou la fourchette il la bouche le bras

cherche un point d'appui ; la main est mise en pronation forcée (en supi-

nation tout mouvement est impossible) et de cette façon, par saccades,

les aliments sont introduits dans la cavité buccale.

Dans le haussement les épaules se dévient de plus en plus d'arrière en

avant.

La flexion, l'extension, l'abduction, l'adduction de la main sont norma-

les. La pronation est facile tandis que la supination est compromise et ne

s'accomplit que grâce à une impulsion violente venant de l'épaule.

La flexion, l'extension, le rapprochement, l'éloignement, l'opposition

des doigts s'exécutent convenablement.

La pression dynamométrique est de 19 kilos à gauche, de 14 kilos à

droite.

Depuis quelques mois le malade éprouve de très grandes difficultés pour

se mettre sur son séant et pour monter des escaliers même lorsque la hau-

teur des marches n'excède pas dix centimètres. Dans la station assise

l'épaule et l'omoplate se dévient en avant; l'angle inférieur de l'omoplate

se place sur la paroi latérale du thorax : cet os subit un mouvement de

bascule d'arrière en avant et de dedans en dehors.

La station debout est impossible sans point d'appui. Depuis longtemps

déjà ces troubles de la marche s'accentuaient progressivement; le tronc avait

une tendance il se cambrer; les jambes restaient écartées. Les souliers

s'usaient par la semelle. Cette façon de marcher occasionnait des chutes

fréquentes.

myopathie PRIMITIVE ET PROGRESSIVE avec autopsie 53

Actuellement, appuyé sur deux aides, G... s'avance les genoux déviés

en dehors, les pieds en équerre surtout le pied droit. La jambe a constam-

ment une tendance à fléchir sur la cuisse, aussi le malade traîne-t-il ses

orteils incurvés sur le sol (digitigrade).

Sensibilité. - La sensibilité de la peau et des muqueuses est intacte

sous ses divers modes et dans toutes les régions de l'organisme.

Trophicité DES téguments. On remarque quelques modifications du

revêtement cutané, de date récente : l'épidémie, sur la face palmaire des

mains, est épaissi, sec, squameux; il forme, à la pulpe digitale, une ca-

rapace cornée avec exagération des sillons normaux; autour des ongles,

une hyperkératose en feuillets emboîtés ; la lame unguéale est épaissie,

aplatie et présente des sillons transversaux (pouce et auriculaire de la

main gauche, annulaire, médius de la main droite).

A la surface des pieds on note de l'oedème sur la face dorsale et de l'hy-

perkératose plantaire.

Réflexes : rotuliens normal à droite, faible à gauche ;

abdominaux normal

plantaires

du poignet nuls nuls

Pas de trépidation épileptoïde ni rotulienne.

Les muscles des cuisses sont excitables par la percussion.

Réactions ÉLECTRIQUES. L'examen des muscles a été pratiqué par 1\1. le

professeur Bergomé. Au membre supérieur droit, conservation de l'exci-

tabilité faradique pour tous les muscles qui ne sont pas complètement

atrophiés. Pas d'altération de l'excitabilité.

Au courant galvanique réactions physiologiques, mais inexcitabilite abso-

lue des muscles inexcitables aux faradiques. Excitabilité normale aux points

d'électrisation des nerfs médian, radial, cubital.

Cet homme est dans un état de dénutrition très avancé; il a eu,pendant

'1 mois, des hémoplysies incessantes ; il est en proie à une fièvre hecti-

que, à une toux quintcuse des plus pénibles aec dyspnée et à une

expectoration muco-purulente. 11 a de la micro-polyadéuopathie cervi-

cale et axillaire. L'exploration de l'appareil respiratoire témoigne d'une

tuberculisation pleuro-pulmonaire, u la période cavitaire.

Le pouls est petit, mou, il faible tension ; il bat 104. fois à la minute ;

pas de modifications anormales des bruits du coeur (ni souffles, ni bruit

de galop).

Du côté de l'appareil digestif on note simplement de l'inappétence et

de la diarrhée.

La région du foie est endolorie. Pas d'hypertrophie de la rate.

54 ' sabrazès ET BRENGUES

Le volume des urines est d'environ 700 ce. par 24 heures. La difficulté

de les recueillir en totalité nous a empêché d'en faire une analyse com-

plète; on ne décèle ni sucre ni albumine ; le dépôt ne contient pas de

cylindres.

Le malade quoique affaissé, répond assez bien aux questions qu'on lui

pose ; ses fonctions intellectuelles ne paraissent pas troublées.

Cet homme a succombé aux progrès de la phtisie ; il est mort après une

période de coma ayant duré quelques heures, le 8 mai 1898 ; quatre jours

avant la mort, la température axillaire au lieu d'osciller comme précé-

demment entre 37° G et : 38° 8 est tombée et s'est maintenue entre 36° 2 2

et 36° 6.

Autopsie.

L'autopsie a été pratiquée le 9 mai 1898, 22 heures après la mort ; le

corps étant réclamé, nous avons été limité dans nos dissections.

L'émaciation est extrême ; l'abdomen est rétracté ; les espaces intercos-

taux sont très déprimés. Le cadavre est littéralement squelettique dans la

partie supérieure du corps jusqu'aux cuisses. Les muscles atrophiés sont

symétriques; le biceps est réduit a ses tendons avec quelques tractus fi-

breux accolés. Le triceps est transformé en un tissu d'aspect aponévroti-

que, nacré, résistant, sur lequel s'implantent encore quelques fibres

musculaires décolorées, couleur chair de poisson. Le brachial antérieur

n'est plus qu'un tractus fibreux. Le coraco-brachial est épargné ainsi ,que

le deltoïde dont la fasciculation est exagérée ; cependant les fibres du

deltoïde qui s'insèrent sur la clavicule sont supplantées par une lame de

sclérose. Le grand pectoral a disparu; il n'en reste que quelques expan-

sions aponévrotiques donnant insertion à de rares fibres décolorées. Le

petit pectoral est un peu moins atrophié. Aux avant-bras, le long supina-

teur est dégénéré complètement, les autres muscles superficiels sont sim-

plement amaigris.

Les muscles intercostaux sont très grêles mais encore assez bien colorés.

L'articulation de l'épaule n'est plus maintenue que par des ligaments d'une

laxité exagérée. L'extrémité interne de la clavicule est subluxée au-

devant du sternum ; l'articulation sterno-claviculaire est lâche, mobile clans

tous les sens. Le mnscle sterno-cléido-mastoïdien a sa couleur et sa con-

sistance normales.

Aux membres inférieurs on n'a examiné de près que le couturier qui a

l'aspect d'un muscle sain ; on a noté une laxité extrême de l'articulation

péronéo-tibiale supérieure qui est subluxée.

Les racines nerveuses, le nerf facial, les nerfs du membre supérieur,

circonflexe, radial, médian, cubital, ont leur calibre, leur aspect nacré,

myopathie primitive ET PROGRESSIVE avec autopsie 55

leur consistance habituels. Ce sont des nerfs qui paraissent tout fait sains

ainsi du reste que les filets qui pénètrent dans les muscles plus ou moins

complètement atrophiés (biceps, pectoraux). Les nerfs du membre infé-

rieur ne se distinguent en rien des nerfs normaux.

Macuoscopiquement, l'encéphale, la moelle de ses racines ne présentent

aucune espèce de modification pathologique.

Les poumons sont farcis de tubercules. Les ganglions trachéo-bronchi-

ques agglomérés en amas volumineux contiennent des cavités caséeuses.

La crosse de l'aorte est légèrement dilatée.Symphyse totale du péricarde

au-dessous duquel le myocarde ne parait pas dégénéré. Le coeur est

indemne de toute lésion apparente endocarditique.

L'estomac, l'intestin, le mésentère sont épargnés par la' tuberculose.

Le foie est criblé de tubercules du volume d'une noisette à un pois; le

parenchyme intercalaire est de consistance très dure.

La rate petite, ferme, de forme irrégulière, de consistance fibreuse,

pèse 110 grammes ; pas de tuberculose.

Le pancréas est scléreux, d'une dureté anormale, dépourvu de lésions

tuberculeuses visibles.

Les reins sont petits, scléreux, lobules; ils pèsent chacun 110 gram-

mes. Les pyramides sont décolorées, blanchâtres ai leur base.

Examen microscopique. L'écorce cérébrale, dans le territoire des

frontale et pariétale ascendante ne présente aucune altération histologique

notable.

Sur des coupes étagées de la moelle on ne constate ni foyers de sclérose

ni cavités syringomyéliques. Le nombre des cellules nerveuses dans les

cornes antérieures est sensiblement le même que dans les points correspon-

dants d'une moelle normale. Parmi ces cellules beaucoup ont conservé

leur intégrité parfaite ; quelques-unes présentent des lésions de chroma-

tolyse partielle ou totale englobant parfois le noyau; d'autres, en assez

grand nombre, sont manifestement rapetissées et ne mesurent que 4.0 il 45 p

dans leur grand diamètre. Ces modifications sont particulièrement mar-

quées dans le renflement cervical. Une moelle de tuberculeux du même

âge, noir myopathique, examinée comparativement, a donné les résultais

suivants : le nombre des cellules nerveuses, les lésions de chromatolyse

sont les mêmes que dans la moelle du myopathique, mais les cellules des

cornes antérieures sont moins rapetissées et plus abondamment pourvues

de prolongements protoplasmiques que celle dernière.

Muscles. Le triceps qui a été examiné avec grand soin a subi presque

en totalité la transformation fibreuse; il n'est plus composé que de fais-

ceaux conjonctifs à direction longitudinale, onduleux, parsemés d'un

abondant chevelu de fibres élastiques et entrecoupé de vésicules adipeuses;

5C sabrazès ET brengues

entre eux on trome ça et là des segments de fibre musculaire striée très

rarement intacts, généralement inégaux, présentant des cassures, n'ayant

conservé leur striation qu'en long ou en travers, ressemblant à des débris

feiiilletés de membranes hydatides. Ces tronçons se comportent vis-à-vis des

réactifs colorants comme des globules rouges atteints de dégénérescence

polychrorarctophylique, c'est-à-dire qu'au lieu de rester colorés par les cou-

leurs acides d'aniline ils prennent une teinte mixte ; cette affinité relative

pour les colorants nucléaires rapproche ces fibres altérées des éléments

atteints de nécrose de coagulation. Dans ces segments de fibre musculaire

les noyaux du sarcoplasme se sont multipliés. Autour de ces débris de

muscle le tissu libro-adipeux interstitiel est devenu très exubérant et s'est

substitué à Vêlement contractile qui subit lui-même in situ l'évolution sclé-

reuse.

Les nerfs musculaires se retrouvent jusque dans l'intérieur des mus-

cles atrophiés munis de leur gaine de myéline et de leur cylindre-axe; -,

mais par la méthode de Golgi on ne rencontre aucune trace de terminaison

nerveuse en bouton à l'intérieur des reliquats de fibre musculaire plus ou

moins altérés qui ont encore échappé à la sclérose.

Les vaisseaux des régions du muscle complètement sclérosés sont nom-

breux et perméables. A u voisinage et dans l'interstice des fibres musculaires

dégénérées, l'irrigation est moindre, les vaisseaux ont une lumière centrale

étroite; leur gaine externe est entourée d'un manchon de cellules conjonctives.

On ne trouve pas de tubercules dans l'épaisseur des muscles..

Racines nerveuses et nerfs. Parmi les nombreux filets nerveux qui

ont été examinés par dissociation après fixation par l'acide osmique, il en

est qui sont remarquablement sains ; ce sont les racines nerveuses cervi-

cales et lombaires, antérieures et postérieures, le nerf médian au tiers

moyen du bras, le nerf tibial postérieur; on rencontre toutefois dans les

préparations quelques fibres grêles (1 sur 10 environ).

Les nerfs facial, cubital, médian au niveau de l'avant-bras, radial (au

poignet), tibia) antérieur, les filets musculaires du petit pectoral et du

biceps sont en grande partie intacts ; cependant ici encore on trouve une

libre grêle sur dix et de plus une fibre dégénérée sur vingt ; ces fibres

atteintes de névrite parenchymateuse ont une gaine de myéline réduite en

boules inégales; elles sont parcourues par des noyaux de multiplication

du protoplasma sous-jacent à la gaine de Schwan ; le cylindre-axe n'est

plus reconnaissable le long de ces libres ainsi altérées.

Poumons : tuberculose cavitaire. Reins : néphrite mixte à prédominance

interstitielle. Rate : sclérose diffuse surtout capsulaire et trabéculaire.

Foie : tuberculose avec cirrhose péri et inlra-lobulaire.

LES PEINTRES DE LA MÉDECINE

ÉCOLE FLAMANDE ET HOLLANDAISE

LE MAL D'AMOUR

PAU

HENRY MEIGE.

Vers le milieu du XVIIe siècle, une épidémie insolite fit son apparition

dans les Pays-Bas.

Singulier mal ! ... Seules, les femmes en étaient frappées, et non les

vieilles ni les laides, mais bien les jeunes et les jolies. C'était un fléau

raffiné : il méprisait les demeures des humbles pour pénétrer dans les in-

térieurs aisés où il s'installait en maître.

On en souffrait de cruelle manière ; pourtant, ce mal n'était pas sans

attraits. Au surplus, l'on n'en mourait guère.

Nécessairement, la Faculté en fut émue. Elle accourut, visita les victi-

mes, tâta le pouls, lorgna l'urine, drogua, purgea, saigna, puis, finale-

ment,... se retira. Le mal n'était pas de sa compétence.

Sur cette mystérieuse épidémie les médecins restèrent très sobres de

remarques. Mais des peintres se trouvaient là, observateurs avisés dont le

pinceau fut séduit par certain charme inhérent à l'énigmatique maladie. A

défaut d'historien, celle-ci eut des illustrateurs; ils nous en ont laissé

d'incomparables tableaux, - fout un chapitre de médecine en images.

C'est ce dossier iconographique que nous allons parcourir ici.

Les documents qui le composent sont nombreux. Les noms seuls de leurs

principaux auteurs suffisent à garantir la sincérité, voire l'excellence, de

ces figurations artistiques. Elles sont signées : Gérard Dow, VAN HOOGs-

TRATEN, Metzu, VAN li'IIERIS. Ter 130RCH, NETSCHEII, etc... Toute la pléiade

éclose autour des radieux génies de Frans liais et de Rembrandt semble

avoir voulu rivaliser de talent et de finesse pour peindre la maladie qui

s'attaquait aux jolies filles de Hollande.

58 HENRY MEIGE

Mais, entre tous, le plus habile et le plus fécond, celui qui dans ce

genre s'est montré inimitable, et qui, pour notre plus grand profit, n'a

pas craint de multiplier les répliques de ses oeuvres, c'est assurément JAN

Steen.

A lui seul nous devons, pour le moins, huit peintures inspirées par un

mal, qui, semble-t-il, faisait rage parmi les jeunes femmes de son temps.

Dispersées aujourd'hui dans différentes galeries publiques ou privées,

ces oeuvres d'art perdent par l'isolement leur signification véritable. Il

suffit de les rapprocher pour les voir s'éclairer l'une par l'autre.

Allant de ville en ville, de musée en musée, pour ne nous arrêter que

devant ces seules images, nous en saisirons bien vite la portée. D'ailleurs,

Jan Steen lui-même va nous souffler son diagnostic.

Ce n'est pas que JAN Steen ait été grand clerc en médecine.

Né dans une brasserie de Leyde, vers 1626, entre un repas de noce et

un festin de corporation, il ne pouvait guère prendre dans son entourage

le goût des études scientifiques. Par contre, il témoigna de bonne heure

de surprenantes dispositions pour la bonne chère et la joyeuse compagnie.

En même temps, il révélait des aptitudes merveilleuses pour la peinture.

Sa vie entière semble avoir été partagée entre deux soucis : festoyer et

peindre. La table ou le chevalet, le verre ou le pinceau, Jan Steen ne

quittait l'un que pour courir à l'autre, et alternativement.

Son idéal futpresque atteint le jour où il devint le maître de la fameuse

brasserie de l'Etrille, à Delft. Là, nuit et jour, parents et amis banque-

taient en de mémorables agapes et, quand le propriétaire de céans était t

las de boire et de manger, il se reposait en faisant le portrait de ceux qui i

buvaient et mangeaient encore.

Ces réjouissances familiales ruinèrent le cabaretier; au peintre, elles

ont inspiré des chefs d'oeuvre : la Fête des Rois, la Fêle de St-11'icolccs, et

tant d'autres souvenirs des jours de rire et d'abondance.

A voir le nombre des tableaux que Jan Steen a consacrés à célébrer les

plaisirs de la table, il semble qu'il n'ait connu de la vie que les jouissan-

ces du centre. - Erreur. Ce festoyeur, ce franc luron, dont la verve

éliiicèle en tant de gaies ripailles, cache un observateur supérieurement

doué, un artiste qui demeure toujours scrupuleusement fidèle à la nature.

Et, derrière les gorges débordantes ou les bedaines pleines a crever, il sait

dissimuler parfois des leçons d'une irréprochable moralité.

Sans doute, sa philosophie est surtout faite de scepticisme; elle porte un

masque de comique ; son ton est celui de la raillerie.

Mais n'est-ce pas ainsi que procèdent les meilleurs moralistes ? Le gro-

LE MAL D'AMOUR 59

tesque de Panurge n'empêche pas que l'on saisisse le grand bon sens de

ses réflexions. Et c'est par la bouche de soubrettes et de valets que Molière,

nous fait entendre le langage de la saine raison.

Le parallèle entre Molière et Jan Steen s'impose forcément : certaines

peintures de l'un semblent les illustrations de certaines scènes de l'autre.

On devine que, sans se connaître, . ils eurent tous les deux même com-

préhension de la nature, même idéal en art et en philosophie. Leur morale

est celle des braves gens : elle est simple, elle est humaine, elle est bien-

faisante.

C'est surtout à l'égard des médecins que le peintre et le comédien nous

apparaissent en parfaite communion d'idées.

Les docteurs de Jan Steen - et ils sont nombreux, - rappellent a

s'y méprendre les types des Sganarelle, des Diafoirus et des Purgon. S'ils

venaient à parler, ce serait assurément dans la langue immortalisée par

Molière. Peut-être la vue des costumes du temps évoque-t-elle à tort nos

'souvenirs littéraires. Je crois qu'il ne s'agit pas seulement d'une réminis-

cence, car les médecins de Steen, tout comme ceux de Molière, ne sont pas

des personnages de convention, mais bien des portraits à peine chargés de

nos confrères de l'époque. Docteurs deLeyde ou docteurs de Paris, ce sonl

les mêmes personnages, ignorants et pédants, souvent prétentieux, pres-

que toujours grotesques.

On sait aujourd'hui que Modère a pris ses exemples sur le vif. S'il a

parfois chargé la nature, pour les besoins de la comédie, il faut convenir

qu'à l'égard des médecins, il n'avait pas à se mettre en grands frais d'in-

vention. Ceux-ci se prêtaient suffisamment au rire. Leur costume déjà cri-

tiqué en ce temps, leur langage volontairement suranné et incompréhensi-

file, leur vaine science et leurs retentissantes querelles dont l'inanité n'é-

chappait pas aux esprits éclairés, enfin, au moins pour certains d'entre

eux, le cynisme de leur insouciance et de leur rapacité en face des souf-

frances humaines, tout cela ne pouvait passer inaperçu des satiristes et des

humoristes.

C'était une source merveilleuse de plaisanteries et de sarcasmes. En \

puisant, Molière savait bien que tous les rieurs seraient de son côté. Sur

la scène il montrait du doigt des ridicules dont chacun se gaussait dans

la vie courante. L'effet comique était d'un succès certain. Il est encore

irrésistible aujourd'hui.

Jan Steen, on peut le certifier, s'est aussi contenté de peindre les méde-

cins de son temps, sans trop pousser à la caricature. Observateur très fin.

et spirituel philosophe, il a trouvé dans la nature des éléments de comi-

que amplement suffisants pour satisfaire ses goûts d'humoriste.

Ses docteurs, ses malades, comme tous les personnages de ses tableaux,

60 HENRY MEIGE

ne sont que des portraits sincères. Il a vu ces gens-là, il les a fréquentés :

il eût pu donner leurs noms.

Jan Steen d'ailleurs ne poursuit pas le même but que Molière. Il ne

tient pas à souligner les ridicules de ses médecins. Il lui suffit de les indi-

quer ; il laisse au spectateur le soin de faire lui-même ses remarques. L'ef-

fet risible est moins assuré; mais la critique est beaucoup plus fine. Il s'en

dégage une franche impression de vérité.

Les médecins de Jan Steen ne sont pas tous nécessairement grotesques.

On en voit de très simples et de fort avisés, qui ne prêtent nullement à

rire.-Ils s'acquittent avec conscience de leur mission. Ils l'ont honnêtement

leur métier de praticiens, et l'on devine qu'ils sont pleins de sollicitude

pour leurs malades. A vrai dire, ceux-là ne sont pas les plus nombreux.

La plupart se rapprochent du type classique transmis par Molière.

Leurs accoutrements, leurs gestes précieux ou pédantesques, el leur igno-

rance que le sujet même du tableau met souvent en évidence, montrent

bien qu'ils sont du même accabit que les Filerin, les Tomes, et les Des--

fonandrès, de l'Amour médecin.

Pareillement, les jolies malades que ces plaisants docteurs sont appelés

à soigner évoquent le souvenir des Angéliques et des Lucindes, comme

aussi, les soubrettes délurées qui les accompagnent souvent semblent des

Lisettes, des Tinettes ou des Nicoles.

Mais laissons parler Jean Steen. Oui, - parler, car, en vérité cha-

cun de ses personnages porte en soi tant de naturel et tant de vie, car

leur mimique est tellement expressive qu'on éprouve, malgré soi,le besoin

de leur faire prendre la parole. La tentation est si forte qu'on ne sait pas

toujours y résister. -

.

*

A Amsterdam, dans la collection van der Hoop, au Rijk Muséum, appa-

raît une première victime de la mystérieuse maladie des jolies Hollandai-

ses (1) (Pl. XII).

Une chambre proprette, des meubles assez cossus; un fauteuil, une ta-

ble recouverte d'un tapis d'Orient, sur le mur une horloge, et dans le

fouds un lit à baldaquin et à rideaux verts. Là se tient une petite bour-

geoise approchant de son vingtième printemps. N'est-ce pas celle que l'on

voit, à son petit lever, sur une peinture de Buckingham Palace, la Churrrm-

hi-e à, coucher' ! Si vraiment; mais, en ce temps-là, elle était fraîche et rose,

insouciante et rieuse, resplendissante de santé. Sa chanson et les-accords

de sa guitare égayaient toute la maison.

Aujourd'hui, le mal vient de la frapper :

(1) A'8TEl\IJAM, Kijk Muséum, n° 1377. T. H, 72. L, (il. Collection van der lloop.

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T, XII. PL, XII

Cliché Hansstacngl. Photogravure Hansstaengl.

MAL D'AMOUR

Tableau de JAN Steen, intitule

La Malade

, eu Rijks-Museum d'Amsterdam.

)¡I.\SSO 1 : 1' CI", Editeurs.

LE MAL D'AMOUR 61

Elle a perdu ses roses couleurs ; elle a pleuré ; sa guitare abandonnée

pend tristement sur la muraille. La pauvrette est bien malade. Elle se sou-

tient à peine ; elle n'a pu, comme à l'ordinaire, faire la toilette de sa cham-

bre, ni s'affiner elle-même un peu. Son caraco de satin gris bordé de four-

rure blanche et les reliefs d'or de sa robe flattent l'oeil agréablement.

Mais cela ne la touche guère. Et même, n'a-t-elle pas oublié de dissimuler

sous son lit certain vase intime ? ... Quelle faute pour une ménagère hol-

landaise ! Hélas ! elle est sans forces et sans courage : tout lui fait mal,

tout lui est indifférent, tout l'ennuie. Sa pauvre tête est si faible, si dou- '

loureuse......

Elle a cependant tenté plusieurs remèdes : une potion qui reste à tiédir

sur sa chaufferette, une mouche qu'elle a posée sur sa tempe droite. Rien

n'y fait.

Aussi, désespérée, a-t-elle fait quérir son docteur. Le voici près d'elle.

C'est un vieux brave homme de médecin, blanchi par une rude pratique,

n'aimant point l'apparat, préférant à la science pédantesque les enseigne-

ments du bon sens et de la bonté. Il ne porte ni la robe longue ni le haut

bonnet, qui seraient pour lui une gêne dans les rues boueuses et les logis

étroits; un justaucorps noir, un court manteau marron et un béret, de

couleur sombre, le tout sans aucun ornement : cela suffit à ses yeux pour

assurer le décorum professionnel. Il est vraiment de ceux dont la vue

n'appelle pas le sourire, car il est très simple et très consciencieux. Lors-

qu'il vient à parler, c'est sur un ton de bonhomie familière, et tout en

feignant de plaisanter, il donne une excellente consultation.

« Las ! Voilà une jeune personne capuchonnée comme une mère-grand

qui enfouit son petit minois dans un gros oreiller. Quel peut être son

mal ? ... Une grande pesanteur de la tète ? ... Il se pourrait. Nous connais-

sons de ces méchantes migraines qui torturent cruellement les jeunes filles ;

mais je gage que notre malade souffre encore par ailleurs : ces yeux rougis,

ces lèvres décolorées, cette grande langueur où elle semble être tombée,

tout cela me donne à penser que le coeur aussi doit être atteint. Bien sot

qui ne verrait qu'elle a beaucoup pleuré... Hum ! ... je crois bien que ma

visite n'est pas celle qu'elle souhaitait le plus ardemment de recevoir.

« Voyons le pouls... Il n'est pas mauvais ; mais c'est celui d'une jeune

personne qui a le coeur bien gros. Ne cherchons pas plus avant. Notre

malade me semble atteinte de cette affection à la mode qui, pénétrant par

les yeux, va se loger au coeur... Sera-ce grave ? Oui et non. CesMessieurs

de la Faculté dissertent encore pour savoir s'il faut attribuer ce mal à

quelque vapeur subtile engendrée par quelque humeur volatile, ou réci-

proquement... Pour moi, qui ne suis point si savant, je n'ai d'autre désir

62 HENRY MEIGE

que de le guérir. Cependant je serais fort surpris s'il n'existait pas quelque

part une manière de médecin qui me remplacerait avec avantage.

. » Laissons donc de côté les emplâtres et les potions. Ils ne sauraient

déloger les affections qui attaquent ainsi le coeur... Je n'en dirai pas da-

vantage, car il ne serait guère bienséant que je prescrive un remède qui

n'est point fabriqué par nos apothicaires... »

Au musée de la Haye, seconde victime (1). Ici le cas est plus sérieux.

La malade est alitée (Pl. XIII). ,

Qu'on se rassure : ce n'est pas une moribonde ; elle est encore fort bien

en chair et son bras nu, ferme et potelé, relevé sur sa tête, encadre un

visage assez plaisant. Sans doute, ses joues n'ont pas de vermeilles

couleurs, ses lèvres sont blanches et ses paupières rougies. Mais son oeil

est très vif : elle suit attentivement du regard tout ce qui se passe autour

d'elle. Cependant, il n'est pas douteux que le mal l'il[ brisée au point de

l'obligera garder le ]it,un lit moelleux, douillet, abrité par un balda-

quin et des rideaux verts.- Etrange maladie que cet inexprimable malaise

qui s'attaque ainsi à la jeunesse. Heureusement, la patiente est entre

bonnes mains.

Son docteur est assis près de son chevet. C'est un homme grave, à la

barbe grisonnante, tout de noir vêtu, et qui s'entend aux convenances : il

a ôté ses gants, mais conservé sur sa tête son chapeau doctoral ; c'est ainsi

qu'il convient d'en user au cours d'une visite. Le gant retiré, vous êtes

prêt à tater le pouls ; du même coup, vous montrez que vous portez au

pouce une grosse bague, ce qui vous distingue aussitôt des confrères be-

soigneux et vous attire un surcroît de considération. Quanta se découvrir,

fût-ce en présence d'une dame, c'est la pire des fautes : un médecin sans

chapeau n'a plus aucun prestige. Il ne salue même pas la mort : c'est une

trop vieille connaissance.

Un homme aussi féru sur le chapitre de la civilité n'est point d'humeur

à badiner avec la médecine. Grave ou bénin, il prend le cas au sérieux,

et croirait manquer à tous ses devoirs, s'il ne prescrivait plusieurs re-

mèdes.

C'est d'abord une mouche qu'il a fait appliquer sur la tempe de sa

malade : traitement externe. Puis, c'est un breuvage rougcatre savamment

composé : médication interne.

La mère de la jeune lille, ou quelque amie déjà mûre, s'est chargée de

(1) La Haye. Musée N° B 4J. N lui8. B. II, 60. L, 46. - Collection Guillaume V. Une

réplique aurait figuré à la vente Braamcamp (citée par Sorru), dans laquelle le tableau

accroché à la muraille représentait l'enlèvement des Sabines.

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XII. PL. XIII.

Cliché Hansstacngl.

Photogravure Hansstaengl.

MAL D'AMOUR

Tableau de JAN STEEN, intitulé

Un médecin rendant visite à nue malade

au Musée royal de la Haye.

Maison et C-1, Éditeurs

LE MAL D'AMOUR 63

le préparer. Opulente personne, dont la poitrine rebondie ne demeure

emprisonnée dans son corsage brun qu'à grand renfort d'aiguillettes, elle

a pris soin de protéger avec un tablier sa belle robe de soie verte à galons

dorés. Non sans quelque émotion, elle présente au docteur le verre à demi

plein, prête à parfaire la mesure avec le contenu d'une aiguière de grès.

Et, gravement, l'homme de l'art mesure des yeux le niveau du liquide,

tandis que la patiente tourne vers lui son regard inquiet. « Pourvu,

pense-t-elle, que le docteur n'augmente pas la dose et qu'il ne me fasse

pas avaler un grand plein verre de cette atroce potion ! ... »

Dans ce coup d'oeil anxieux, on devine toute l'angoisse d'un remède

qui, peut-être, sera pire que le mal, et l'on prévoit que, si elle osait, la

jeune alitée enverrait volontiers à tous les diables médecine et médecin.

Au demeurant, celle scène intime n'éclaire guère sur la nature du mal.

L'ensemble en est séduisant. La figure de la malade est expressive. Le

médecin a du décorum, et la femme qui présente le breuvage se distingue

par un naturel parfait qui n'est pas dénué d'élégance.

Les accessoires sont déjà connus, et nous les retrouverons plus d'une

fois encore : à droite un coin de table recouverte d'un tapis d'Orient, avec

un carafon de cristal. Auprès du lit, une chaise et un vase de nuit. - Le

médecin ne doit-il pas tout voir ? Par terre, un réchaud et une mèche

soufrée.

Nous retiendrons cependant deux détails nouveaux indiqués dans le

fond de la pièce :

D'abord, un grand tableau accroché à la muraille, et qui représente des

Centaures enlevant des Nymphes.

Ensuite, sur le palier d'un escalier qui conduit à un demi étage supé-

rieur, deux jeunes chiens occupés à se faire les politesses d'usage.

Celte réminiscence d'une scène de mythologie passionnelle et ce duo

canin d'un naturalisme assez osé, avaient aux yeux du peintre une signi-

fication très précise. Nous verrons bientôt laquelle.

A la Haye encore, on peut voir une autre malade de Jan Steen (1)

(PI. XIV).

Si ce n'est pas la soeur de la précédente, c'est du moins quelque proche

parente. D'ailleurs, toutes ces jeunes femmes ont entre elles un air de

famille. Ceci s'explique aisément, si l'on se rappelle que le peintre repré-

sentait volontiers dans ses tableaux les gens de son entourage, parents ou

familiers. Leurs portraits se retrouvent parmi les figurants des scènes les

(t) La Haye, Musée, nus 3 ÉS, J G7, B. II, 58, L. 4G. Collection Guillaume V.

64 HENRY MEIGE

plus disparates : dans les festins d'abord et l'on festoyait souvent chez

Jan Steen, dans presque toutes les peintures d'intérieurs, dans les fan-

taisies humoristiques, et jusque dans les sujets religieux.

Les dolentes personnes que nous voyons ici sont sans doute des por-

traits de famille. La jeune femme de Jan Steen lui a peut-être servi plus

d'une fois de modèle.

La seconde malade du musée de La Haye est donc encore une jolie bour-

geoise hollandaise, victime de l'épidémie de l'époque.

Elle est assise et semble à bout de forces, pouvant à peine soutenir sa

tête capuchonnée de blanc, les yeux mi-clos, un soupir aux lèvres.

Son costume et son appartement témoignent d'une certaine aisance.

Elle porte un casaquin de velours bleu, bordé d'hermine, et une robe de

satin vert; sa chambre est décorée de sculptures et de tableaux; elle est

servie par deux caméristes, dont l'une attise le feu dans une grande che-

minée. Elle a aussi un chien couché sur un coussin moelleux. Hélas ! pour

le présent, ce luxe -n'est guère enviable, car la propriétaire de céans ne

semble pas à même de l'apprécier. Le mal l'a brisée; tout ce qui l'en-

toure demeure ignoré d'elle. Voit-elle que son réchaud, sa chaufferette,

sa pantoufle et le panier d'osier qui contient l'urinai (1) jouent au quatre

Coins sur le plancher ? Nullement. A peine s'est-elle rendu compte de

l'arrivée de son médecin,et ce dernier pourtant n'est pas de ceux qui pas-

sent inaperçus.

Empressé, remuant, recherché dans sa mise, attentif à ses gestes ainsi

qu'à ses propos, c'est un confrère soigneux de toute sa personne et plein

de prévenances pour ses clients. On voit qu'il est rompu aux belles ma-

nières et qu'il sait formuler en termes galants. Son physique, à vrai dire,

manque de distinction : il est franchement laid. Mais qu'importent les

imperfections du visage si l'on sait les racheter par des dehors élégants ?

Sans doute, son oeil est trop petit, son nez trop long, sa bouche trop

grande, sa barbe et ses- cheveux résistent à tous les soins. Mais admirez

l'apprêt et la blancheur de sa fraise, le violet si discret de son pourpoint,

l'ampleur des rubans qui flottent au bas de ses chausses, la souplesse de

(1) L'interprétation de cet accessoire est parfois erronée. On le considère générale-

ment comme une « corbeille à ouvrage » (loy. Lafekestiie et 1 ? cnTSwrncs, La Hol-

lande, p. 115). La confusion est d'ailleurs parfaitement explicable. Il est bon ce-

pendant de préciser le rôle de ce mystérieux panier. II servait de réceptable à l'armai,

sorte de ballon de verre, qui ne pouvait tenir debout, faule de pied. On y remédiait

en le déposant dans un étui cylindrique en osier, muni d'un couvercle. Le panier en

question remplissait donc l'office des couronnes d'osier dont on se sert encore aujour-

d'hui dans les laboratoires pour maintenir debout les ballons de verre. L'urinai comme

son nom l'indique, servait à recueillir les urines du malade, dont le médecin exami-

nait la limpidité, la couleur, etc. Les peintres hollandais et flamands ont maintes fois

représenté ce procédé de diagnostic. Nous aurons souvent l'occasion d'y revenir.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XII. PL. XIV.

Cliché Hansstacngl.

Photogravure Hansstacngl.

MAL D'AMOUR

Tableau de Jan Steen, intitulé

Un médecin t7tant le pouls à une jeune fille

au Musée royal de la Haye.

11 ssoa et CI( ! , Éditeurs

LE MAL D'AMOUR 65

ses gants, les larges bords de son chapeau, et comme il sait se draper

avec aisance dans son manteau noir, tout en donnant sa consultation ! ...

Voilà bien le docteur qui convient à une jeune et riche bourgeoise.

Trop d'austérité ne serait pas de saison ; moins de souci de la toilette ris-

querait de choquer les yeux. Il faut savoir accommoder sa mise à la qua-

lité des malades. Il faut aussi que les paroles se montrent à l'unisson.

(, Serait-il vrai, Madame, que vous ayez mandé votre médecin ? En vé-

rité, je vous croyais bien à l'abri de toutes les impertinences de la maladie,

et j'ai grand peine à m'imaginer que cette insolente ait eu le front de s'at-

taquer à une personne telle que vous. Si vraiment ? En ce cas, elle

trouvera à qui parler, car je ne saurais tolérer que vous demeuriez céans

en butte à ses méchantes atteintes..... Souffrez donc que je connaisse le

mal qui vous importune et daignez me permettre de consulter votre

pouls J'y sens quelque fréquence et le trouve : angustlts..., et même

æqllatiter inycrtli.s... Or, comme il est aisé de le voir par la pâleur de

votre teint, par la fatigue de vos traits, et enfin par cette grande faiblesse

où vous êtes tombée, nous dirons qu'il s'est produit en vous certain mou-

vement impétueux du sang, lequel a reflué des ventricules du cerveau

vers les ventricules du coeur, d'où, nécessairement, résulte toute votre

maladie..... Je n'aurais garde de pousser l'impertinence jusqu'à vous

accabler de questions pour connaître le siège de vos souffrances. Ce sont

petits moyens de malappris. Je n'en veux point savoir davantage et je me

tiens pour complètement édifié sur votre mal. Nous en aurons raison de

par la médecine, et vous en guérirez merveilleusement bien. »

Si, vraiment le cas est sérieux, ce docteur-la semble-t-il fait pour ins-

pirer confiance ? ... Mais qu'importe 9 Certainement, le mal n'est pas

grave. Jean Steen nous le fait entendre finement.

Car, tandis que le médecin s'empresse auprès de sa jolie cliente, der-

rière lui, une jeune camériste en corsage jaune ne dissimule qu'à demi

son sourire. Les grands mots ne la déconcertent pas. « Allez, monsieur

le médecin, débitez votre boniment, tatez le pouls, consultez le ventri-

cule... Tous vos beaux discours ne nous tromperont point, car nous en

savons plus que vous sur la maladie de notre maîtresse. Nous n'avons que

faire de vos médecines, et je sais quelqu'un qui ferait déguerpir le mal

en moins de temps qu'il ne vous en faut pour lui trouver un nom. »

Voilà ce que fait entendre le regard moqueur de la chambrière et nous

devons croire qu'elle a de bonnes raisons pour penser ainsi.

Cet a parle plein de réticences ne nous éclaire pourtant qu'à demi. Il

nous rassure sur les dangers que court la malade, nous apprend que le

médecin n'est pas doué d'une grande perspicacité, ce dont nous nous

xii S

66 HENRY MEIGE

doutions d'ailleurs un peu. Mais il ne nous fait pas connaître la nature de

ce mal dont la patiente pleure et dont la suivante se rit.

Or, cette fois, Jean Steen a voulu donner la clef de l'énigme.

Regardez au fond de la chambre, sur le coin de la cheminée, cette sta-

tuette de marbre : un enfant tout nu, des ailes au dos, un arc à la main.

C'est le petit dieu Cupidon..... Ne voyez-vous pas aussi qu'il s'apprête à

lancer une flèche ? ... Suivez bien la direction de sa trajectoire ; vous arri-

verez droit au but : c'est le cour de la jolie malade...

Là est la blessure dont elle souffre, et ce mal mystérieux qui la fait

tant languir, mal dont le médecin cherche en vain la cause, et dont

la camériste sourit à bon escient, c'est un mal qui souvent s'attaque au

coeur des jeunes femmes : cruels en sont les tourments ; mais aussi le

remède en est doux

C'est le Mal d'amour ! ....

Veut-on, dès à présent, avoir confirmation de ce diagnostic ? On la

trouvera à Munich, dans l'ancienne Pinacothèque. La existe un quatrième

tableau, dûment signé de Jean Steen, où le maître lui-même a écrit de sa

main le nom de la maladie qu'il a tant de fois pris plaisir à peindre

(PI .XV).

La scène est identique, à quelques variantes près.

Même intérieur aisé de bourgeoise hollandaise. Au fond, une fenêtre

garnie de vitraux. Le même grand lit à baldaquin et à rideaux verts, la

même table recouverte du même tapis d'Orient. Par terre, un réchaud et

le panier cylindrique où se cache l'urinal. Enfin, on aperçoit encore le

petit chien blanc et brun qui, cette fois, fait le guet près d'une porte ou-

verte.

Trois personnages au premier plan : le docteur, sa malade et une sui-

vante.

Le docteur est un digne émule de son confrère de la Haye. Par le cos-

tume et par les manières, il montre bien qu'il appartient à la même école.

Sa fraise, ses rubans, son chapeau, ses gants, sortent de chez le même

faiseur. Cependant pour se distinguer, il a pris un habit vert bouteille;

son nez est moins long, sa barbe plus fournie ; de plus, il a de l'embon-

point, bien qu'il cherche à le dissimuler en se drapant de son mieux dans

son court manteau noir.

Au demeurant, c'est un homme plein de politesse et d'urbanité qui sait

parler à la maladie comme il convient. Il a surtout certaine façon de tâter

(1) Munich. Ancienne pinacothèque, no 392, T. II. 61, L. 52, provient de la

galerie de Dusseldorf.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XII. PL. XV.

Cliché Hansstaengl.

Photograuire Hansstaengl.

MAL D'AMOUR

Tableau de JAN Steen, intitule

Un médecin tâtant le pouls d'une femme malade

à l'ancienne Pinacothèque de Munich.

Masson et Ciao, Éditeurs.

LE MAL D'AMOUR 67

le pouls du bout des doigts en faisant une révérence, qui est bien la plus

comique du monde.

Si la malade n'en est pas reconfortée ; c'est qu'apparemment sa souffrance

est extrême. Et, en vérité, rien n'est plus attristant que le regard éploré

qu'elle dirige sur son médecin.

« Ah ! Docteur..... C'en est fait de moi. Je me sens mourir ! ... Tous vos

bons soins ne sauraient me tirer de là. Je suis si faible, si lasse, si brisée.....

Que ma pauvre tête est donc malade et que mon coeur me fait souffrir

Voyez : il me faut accommoder avec des oreillers, et je ne sais encore quelle

position choisir..... Je n'ai plus d'appétit,... ? ce citron, auquel j'avais

envie dégoûter, à présent me répugne Tout m'indiffère, tout me fait t

mal... Ne m'ordonnez aucune médecine. C'est bien fini Hélas ! que me

servirait de vivre ? .... »

Et la suivante, affectueuse et dévouée, penchant son visage compatis-

sant sur l'épaule de sa jolie maîtresse :

« Eh quoi, Madame, sied-il de vous tant désoler ? Votre mal n'est pas

sans remède. Voici monsieur le docteur qui vient il point pour vous sou-

lager et il ne manquera pas d'y réussir, surtout s'il nous parvient avant

ce soir certain billet de qui vous savez...» »

Tout juste, à ce moment, quelqu'un s'arrête devant la maison. C'est un

gracieux jeune homme, élégamment vêtu, qui, mystérieusement, glisse

une lettre entre les mains d'une servante occupée à balayer la porte. Voilà

le billet tant souhaité qui, à lui seul, fera plus d'effet que toutes les po-

tions du monde.

Car la belle Hollandaise est encore une victime du Mal d'amour. Et ce

mal a ses médecins qui ne portent bonnets ni rabats, mais longs rubans et

lines dentelles. Les billets doux sont leurs ordonnances.

Ainsi nous l'apprend Jan Steen. Et, afin que nul n'en ignore, il nous

l'explique par un symbole et par une légende.

Le symbole est déjà connu : c'est le petit Cupidon de marbre, juché sur

quelque coin de meuble, et qui lance sa flèche droit au coeur de la jeune

femme.

La légende est écrite sur une lettre que la malade tient dans sa main :

« Daer helpt geen medecyn,

1V ant bel is miune pn. »

Ici, la médecine ne peut rien,

Car c'est le mal d'amour.

68 HENRY MEIGE

Mal d'amour ! .... Tel est donc ce mal mystérieux qui, s'il faut en croire

Jan Steen, s'attaquait volontiers aux jolies Hollandaises.

Les filles des Pays-Bas y furent-elles prédisposées par quelque tempé-

rament plus facilement accessible à la contagion ? L'histoire ne le dit

point. La peinture semblerait le démontrer. Faut-il la croire ?

Certes, le Mal d'amour existe. Mais il est de tous les temps et de tous les

pays. Il a toujours choisi les mêmes victimes, les a toujours frappées de

la même façon, et toujours a cédé au même remède ; toujours aussi, il a

déconcerté les médecins et s'est gaussé de leurs médecines.

Le Mal d'amour n'est pas spécial à la Hollande. Nulle part cependant

il n'a rencontré d'observateurs plus fidèles, d'analystes plus consciencieux

et plus fins, que chez les peintres hollandais, à commencer par Jan Steen.

Et, les Malades d'amour de Jan Steen ne sont pas seulement de sé-

duisantes études des grâces langoureuses que font éclore les penchants

contrariés. Leur mal est à la fois physique et psychique. Le médecin ne

saurait s'en désintéresser.

Mais, avant d'aller plus loin, il importe de préciser la signification d'un

terme qui semble dépaysé dans le langage médical.

Qu'est-ce donc que le Mal il 'amour ?

. (A suivre.)

Le gérant P. Bouchez.

Imp. G.Saint-Aubin et Tbevenot. J.Thevenot, successeur, Saint-Dizier (Haute-Marne).

12e ANNEE No 2. Mars-Avril 1899

HOPITAL SAINT-ANTOINE

LA D1L'l'IUIRIL DANS LES TROPHONÉVROSES (1)

PAR

E. BRISSAUD

Professeur agrégé à la Faculté de Médecine de Paris,

Médecin de l'Hôpital Saint-Antoine.

Messieurs,

Beaucoup de faits cliniques et, en particulier, des faits empruntés à

l'histoire des dermatoses permettent de reconnaître des syndromes ner-

veux dans des manifestations qui, de prime abord, semblent étrangères à la

neuropa thologie.

Si la relation de cause à effet dont je veux parler a été si longtemps mé-

connue, c'est que les de/'mato-neul'ose¡; ont très souvent une réparti lion

tout à fait indépendante des territoires périphériques des nerfs ou des ra-

cines. Il est certain que l'influence du système nerveux peut nous échap-

per lorsqu'une éruption consiste, par exemple, en des plaques disséminées

sans ordre sur toute la surface tégumentaire. Nous sommes, en pareil cas,

tout naturellement portés à supposer une susceptibilité locale mise en évi-

dence par les hasards de l'infection ou de l'auto-intoxication. Mais,- en re-

vanche, un grand nombre de lésions cutanées se développent sur des dépar-

tements connus et s'y cantonnent si étroitement, qu'il faudrait fermer les

yeux pour contester leur subordination à l'autorité régulatrice du système

nerveux. Telles sont les lésions du zona dont nous avons étudié précé-

demment les principales variétés topographiques.

En revenant aujourd'hui encore sur ce sujet je n'ai pas l'intention de

vous prouver l'existence des de1'111alo-neill'oses ou trophonévroses cutanées.

(1) Leçon clinique extraite pour la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière d'un

volume qui vient de paraitre. - E. Brissaud, Leçons sur les maladies nerveuses

(2° série, hôpital Saint-Antoine), recueillies et publiées par Henry MEME. 1 vol. in-8"

de 560 pages avec 165 figures. Paris, 1899, Masson et Cie, éditeurs.

RII 6 6

70 E. BRISSAUD

Le fait est acquis à la science ; il est irrévocable. Je désire simplement pas-

ser en revue quelques types d'éruptions, dont la distribution périphérique

est parfois - et seulement dans de certaines conditions préparée et

déterminée par une affection préalable des différents appareils nerveux,

centres ou conducteurs.

Vous serez ainsi amenés à constater vous-mêmes que, si un eczéma

vulgaire, un lichen, un psoriasis semblent bien souvent n'obéir à aucun

ordre nerveux, telles circonstances particulières font apparaître ces der-

matoses comme des déterminations localisées d'un processus névropathe-

que. Vous reconnaîtrez que certaines affections périphériques des nerfs se

révèlent exclusivement par une maladie de la peau ; et, selon le siège, la

forme, l'étendue de l'éruption, vous serez en mesure d'affirmer que le trou-

ble initial d'où procède la trophonévrose occupe tel tronc nerveux ou telle

racine.

Enfin j'espère vous démontrer que si le diagnostic de localisation radi-

culaire nous est devenu possible depuis les beaux travaux de. Ross, allez

Starr et Head, tout nous fait espérer que celui des localisations spinales

ne sera bientôt plus insurmontable. En d'autres termes, si nous devons à

ces auteurs de pouvoir localiser les troubles des étages aadic2tlaires ou rhi-

zomères, le jour me semble prochain où nous saurons localiser les troubles

des étages ou myélomères.

I. Les trophonévroses cutanées du tronc, celles du thorax en parti-

culier, sont évidemment fort intéressantes et ont fourni déjà à Head des

indications éminemment utiles sur la superposition des étages radicll-

laires. Vous vous en êtes assurés par l'étude du zona. Mais elles ne nous

apprennent pas grand'chose relativement aux étages spinaux. Sur presque

toute la hauteur des espaces intercostaux, et principalement à la région

supérieure de la cage thoracique, les étages spinaux et les étages radicu-

laires sont faciles à confondre. Aussi l'horizontalité des uns et l'obliquité

des autres peuvent-elles ne pas apparaître très nettement dans les dermato-

neuroses.

Vous vous rappelez sans doute le beau spécimen d'ichthyose sébacée que

je vous ai présenté comme démonstratif d'une localisation métamérique

spinale. Si sa limite supérieure eût été moins franchement horizontale, le

diagnostic aurait pu hésiter. Les trophonévroses des membres, au contraire,

ont des localisations qui nous font bien plus clairement apparaître la mé-

lamérie médullaire. Ici les territoires périphériques qui correspondent

aux étages spinaux sont représentés par des tronçons transversaux, c'est-

à-dire perpendiculaires à l'axe des membres; tandis que les territoires

tributaires des étages radiculaires (déterminés par les chirurgiens), sont

LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 71

représentés par des bandes longitudinales, c'est-à-dire parallèles au grand

axe des membres. J'ai déjà formulé et je répéterai encore cette proposition,

car elle renferme toute la question. Bref, sans les troubles de la sensibilité

qu'on observe dans la syringomyélie, et sans les trophonévroses limitées à

des tronçons de membres nous ne saurions rien des myélomères.

La totalité du revêtement tégumentaire se subdivisant en départements

superposés et transversaux par rapport à l'axe du tronc et des membres, il

faut admettre - et la clinique en fail foi que ces départements super-

posés sont indépendants les uns des autres respectivement tributaires d'un

myélomère. Étant donné que la nutrition de chacun de ces territoires est

soumise à l'action' trophique d'un m) élomère, on comprend que la syrin-

gomyétie par exemple ou l'hématomyélie aient pu nous révéler l'existence

et l'autonomie de territoires cutanés, disposés en tranches perpendiculaires

à l'axe des membres, tandis que les lésions radiculaires mettent en évi-

dence des territoires disposés en zones parallèles à l'axe des membres.

Les chirurgiens ont bien étudié la répartition des territoires en zones

parallèles à l'axe des membres. Ils ont, de cette façon, introduit dans la

pathologie des notions toutes nouvelles et éminemment pratiques ; ils ont

créé une anatomie imprévue, celle des segments radiculaires, ou 1'J¡i : : o-

mères. Aux médecins maintenant incombe une tâche analogue, il s'agit t

pour eux de déterminer les limites de territoires transversaux, qui n'ont

rien de commun avec les précédents et qui reçoivent leur innervation

totale, non plus des racines, mais de la moelle elle-même, non plus des rhi-

zomères, mais des rtélontèc'es.

Nous allons donc examiner quelques-uns des nombreux arguments

que la dermatologie vient prêter à la thèse de la métamérie spinale.

II. A dire vrai, la thèse n'est plus à défendre. Les faits sont trop

évidents pour qu'on les récuse. Tout le problème est de savoir si les

lésions, les symptômes ou les signes localisés à des tronçons de membre et

limités par des lignes circulaires d'amputation, présentent une topographie

si particulière en vertu de l'action spinale exercée par un véritable

centre, et si, corollairement, la moelle est composée elle-même de tron-

çons superposés et régissant les tronçons périphériques. Cette question,

je la réserve provisoirement, mais les observations cliniques prépareront

d'elles-mêmes la réponse. 11 suffit que l'attention soit éveillée sur l'objet

qui nous préoccupe pour que les témoignages probants se succèdent et se

multiplient : et, puisque le zona a été notre point de départ, commençons

par un cas bien typique de zona métamérisé d'origine médullaire.

Il y a quelques semaines,MM. Grasset et Vedel soumettaient à la Société

72 L. 13RISSAUD

des sciences médicales de Montpellier (1) des considérations relatives à un

zona de la cuisse. L'éruption avait été précédée de violentes douleurs

spontanées et localisées un segment de membre : en haut, elles s'arrêtaient

au pli inguinal, et, en bas, elles ne dépassaient pas l'interligne articu-

laire 'du genou. Puis les groupes vésiculaires s'étendirent; et comme ils

étaient disséminés sur toute la surface de la cuisse, il n'y avait pas à

douter que plusieurs territoires nerveux fussent intéressés : obturateur,

crural, fémoro-culané (plexus lombaire), petit sciatique (plexus sacré).

Mais l'éruption restait encore très bien

limitée en haut et en bas par des lignes

d'amputation correspondant aux extrémi-

tés naturelles du segment de membre

(Fig. 1).

Enfin à la suife de l'éruption, se mon-

trèrent des troubles de sensibilité repro-

duisant encore la même disposition seg-

mentaire. On trouva de 1'lipoestliésie au

tact, à la piqûre, à la température, sur la

cuisse gauche, tandis que la sensibilité

n'était en aucune façon touchée au-dessus

du pli inguinal prolongé en arrière par

le pli lombaire et au-dessous du genou.

Donc, que l'on envisage le cas, soit il la

phase prééruplive, soit à la phase érup-

tne, soit à la phase posléruplhe, on voit

-très nettement qu'au point de vue de la

sensibilité el de l'éruption, la disposition

n'a cessé d'être segmentaire.

Vedel et Grasset ajoutent il cette obser-

vation les remarques suivantes : « Pour

expliquer une distribution aussi singu-

lière, aussi peu anatomique, on ne peut

placer le siège de l'altération, dont le zona est la manifestation cutanée,

ni dans les nerfs périphériques ni dans les ganglions spinaux.

« Dans ces conditions, il est permis de penser que l'altération est d'or-

dre médullaire, il est légitime d'accepter la théorie des métamères. Toutes

les fibres sensibles d'un membre ou d'un segment de membre se rendant

au même niveau médullaire, on comprend que l'altération portant au

niveau métamérique de la cuisse gauche, les troubles sensitifs et cutanés

Fig. 1.- Les lignes obliques mar-

quent le territoire du tégument

envahi par le zona (cas de Grasset

et Vedel).- Disposition métamé-

rique.

(1) Séance du 4 mars 1897, Nouveau Montpellier médical, 1898, no 12, p. 226.

LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 73

consécutifs doivent être, comme dans le cas actuel, localisés exclusivement

à ce segment du corps. »

Une objection peut être faite à cette façon de conclure.Ne doit-on pas se

demander, avec M. Carrieu, si l'étrange répartition des éléments éruptifs

ne s'explique pas par la théorie de la fièvre zostérienne de Landouzy ? En

effet, dit M. Carrieu, « si le zoster est consécutif il une infection, on peut

concevoir une localisation à un segment de membre sans avoir recours à la

théorie médullaire ». Assurément les infections ont des déterminations

cutanées parfois bizarres. Mais elles ne poussent pas la bizarrerie jusque

là. Elles ont, en tout cas, beaucoup plus de tendance à généraliser leurs

effets qu'à les restreindre, et il n'est pas dans leurs habitudes de respecter

les plis naturels de l'aine et du jarret comme des barrières infranchissa-

bles. D'ailleurs, rien, dans l'observation de Grasset et Vedel, ne plaidait

en faveur de la fièvre zostérienne. La question est donc tranchée (1).

III. - J'arrive maintenant aux véritables dermatoses.

Vous savez que la plupart des maladies de la peau a l'exception de

quelques affections parasitaires, mais non pas de toutes - peuvent se dé-

clarer sous l'influence d'un trouble nerveux, ce qui diminue d'autant leur

prétendue spontanéité. Il en est du moins qui, sans être forcément et

comme par nature, des trophonévroses, se manifestent à titre de dermopa-

thies nerveuses lorsque la moindre résistance de l'appareil nerveux laisse à

la diathèse ou à la prédisposition innée toute latitude pour s'affirmer ; car

l'appareil nerveux est le régulateur par excellence des phénomènes trophi-

quels, et nous avons chaque jour la preuve que ses imperfections ou ses

défaillances favorisent l'apparition de troubles divers, dont il ne saurait

être tout seul responsable. C'est ainsi que nous voyons se produire nom-

bre d'affections cutanées, sortes de trophonévroses fortuites, de lésions pas-

sagères ou durables des nerfs, des racines ou de la moelle épinière.

Un exemple de trophonévrose à peu prés indiscuté nous est fourni par

la sclérodermie. Nous reviendrons un autre jour sur ce sujet qui comporte

quelques développements; mais dès à présent, considérons tout à fait en

(1) r1 ses remarques 11. Carrieu ajoutait : « Quanta la théorie de la iiiétaniérisption

de la moelle, elle a été émise par Lannegràce et Forgue, bien avant Brissaud, qui n'a

fait que l'appliquer à la pathologie. »

Je n'ai jamais formulé la moindre revendication de priorité, quelque occasion qui

m'en ait été fournie ; et je ne revendiquerai rien aujourd'hui en faisant observer :

il que la théorie de la métamérisation de la moelle est très antérieure aux excellents

travaux de Lannegràce et Forgue ;

2 que la métamérisation de la moelle est absolument différente de la métamérisa-

tion des racines;

3° que je nie suis simplement appliqué à démontrer cette différence par des faits

anatomiques et cliniques.

74 E. BRISSAUD

gros l'ensemble des faits connus et ils sont nombreux ; et voyons

comment ils se répartissent.

La pathologie, qui s'empresse toujours d'établir ses classifications d'après

les caractères cliniques les plus apparents, a distingué trois formes prin-

cipales de sclérodermie :

·1° La sclérodermie progressive généralisée, qui débute presque toujours

par la sclérodactylie, et qui évolue avec la symétrie et la régularité de

développement d'une maladie des centres nerveux.

2° La sclérodermie en bandes ou en zones, dont les variétés de localisa-

tion rappellent les trophonévroses liées aux névrites des racines spinales ou

des troncs nerveux ; -

3° La sclérodermie en plaques qui, il l'inverse des deux précédentes, el,

comme son nom le fait prévoir, ne relève pas d'une perturbation préala-

ble des centres ou des racines, et parait bien plutôt subordonnée à un vice

de nutrition périphérique, plus ou moins circonscrit et ne résultant que

d'une influence de hasard.

Laissons donc de côté la sclérodermie en plaques et occupons-nous seu-

lement de la sclérodermie en bandes et de la sclérodermie généralisée.

La sclérodermie en bandes disséminées se montre si souvent superposée

à la sphère de distribution des nerfs ou des racines, qu'il est absolument

impossible de ne pas lui attribuer une origine nerveuse. Je vous signale-

rai dans une leçon ultérieure les cas sur lesquels s'est appuyée cette ma-

nière de voir; mais je dois vous en citer au moins une aujourd'hui. Je

l'emprunte à mon collègue M. Thibierge. Il s'agit d'une fille de 21 ans,

atteinte de sclérodermie pigmentée et disposée selon des trajets dépour-

vus de toute connexion avec les départements périphériques du système

nerveux ou de l'appareil vasculaire (Fig. 2). Et cependant si l'on s'en

réfère aux schémas de Head, qui vous sont désormais connus, on ne peut

méconnaître la superposition absolument parfaite des bandes sclérosées

aux territoires de certaines racines.

Du premier coup, vous déterminez ces racines. Pour le membre supé-

rieur ce sont les 7" et 8e cervicales et les deux premières dorsales ; pour

le membre inférieur, ce sont la cinquième lombaire et la première sa-

crée (1). Or, voici où j'en veux venir : la localisation métamérique de la

sclérodermie, dans le cas dont vous avez sous les yeux la figure, permet

de préciser le lieu exact de la lésion nerveuse : c'est bien une lésion des

racines, et non pas une lésion de la moelle.

Plusieurs étages de racines sont en cause ; donc l'affection s'est can-

tonnée sur plusieurs métamères radiculaires. Mais la métamérie en ques-

(1) IIE : \111 Drolin, Quelques cas de sclérodermie localisée à 'distribution métamé-

rique. Th. Paris, 1891, no 155.

LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 75

tion n'a, je le répète, rien de commun avec celle de la moelle elle-même.

La métamérie radiculaire, c'est la métamérie- primitive de la chaîne gan-

glionnaire divisant les membres en segments longitudinaux. La métamérie

spinale, au contraire, est la métamérie secondaire des renflements cervico-

dorsal et lombo-sacré du névraxe divisant les membres en segments trans-

versaux. Une sclérodermie qui se conformerait à la métamérie spinale ne

serait donc pas représentée sur les membres par des bandes longitudinales,

mais par des tronçons ou segments transversaux d'induration tégumen-

laire (Fig. 3 et 4).

Fig. 2. Schéma de la distribution des lésions dans un cas de sclérodermie

en bandes disséminées (Thibierge et Drouin).

A, plaque sus-mammaire dans le territoire de distribution de la première racine dor-

sale. B, bande située en dedans du bord interne du biceps suivant le territoire

de la le racine cervicale. - C, plaque scapulaire dans le territoire de la 2e racine

dorsale. - D, bande du bras en arrière, passant, après interruption, sur l'avant-bras ;

elle suit le trajet correspondant au territoire de la 1° racine cervicale. - E, plaque

du dos de la main continuant, par sa partie externe, la bande précédente ; elle dé-

pend de la le cervicale, de la 8" et de la Ire dorsale. F, bande de la jambe el du

pied sur le territoire de la Sa lombaire et un peu de la Ire sacrée.

En résumé les lésions correspondent aux 7° et 8° segments cervicaux, aux 1 ? et

2° dorsaux, et, pour le membre inférieur, aux 5e segment lombaire et 1er segment

sacré.

Ce type de sclérodermie exisle-t-il ? - Oui, assurément ; et c'est la

76

E. BRISSAUD

sclérodermie généralisée qui le réalise. Car elle affecte les membres d'a-

bord, et ce sont, les extrémités qui sont prises en premier lieu : les derniè-

res phalanges, puis les doigts dans leur ensemble, puis la main, puis.les

avant-bras, tel est l'ordre d'envahissement des parties. Dans sa marche

progressive, la sclérodermie intéresse donc à la fois des nerfs différents,

et tous à la même bailleur. Elle observe la métamérie spinale, en ce sens

qu'elle gagne de la périphérie vers le centre, comme une onde perpendi-

culaire à l'axe des membres. Sans doute la ligne de démarcation entre

les tissus malades et les tissus sains est mal déterminée ; et il serait abusif

de considérer les régions sclérosées comme des tronçons comparables à

Fig. 3 et 4. Métamérie primitive du névraxe divisant les membres en segments

longitudinaux (métamérie radiculaire) et métamérie secondaire des renflements cer-

vico--dorsal et lombo-sacré divisant les membres en segments transversaux (méta-

mérie spinale).

ceux de l'anesthésie syringomyélique. Il n'en est pas moins vrai que la

participation de plusieurs nerfs à un trouble trophique procédant régu-

lièrement de l'extrémité du membre vers sa racine implique une symétrie

d'action qui n'apparlient qu'à un centre nerveux : moelle épinière ou

cordon sympathique. Nous examinerons d'ailleurs, dans une autre leçon,

les critiques qu'on peut adresser à cette manière de voir et nous verrons

dans que 1 1 mesure elles sont recevables.

LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 77

Quoi qu'il en soit, si le rôle de la métamérie spinale dans la scléroder-

mie généralisée semble ne devoir pas être accepté sans discussion, je

peux faire appel à d'autres exemples, et je commencerai par une derma-

tose relativement commune : le lichen.

IV. Envisagé au point de vue anatomo-patholobique, le lichen con-

siste en une hyperplasie des éléments des follicules pileux ; celte byper-

plasie a pour siège la gaine externe de la racine, à la partie inférieure de

la tige du poil. Il en résulte « une excroissance de la gaine en forme de

prolongement avec dilatation consécutive ampulliforme des follicules pi-

leux, ainsi qu'une infiltration cellulaire des papilles qui environnent le

follicule et une prolifération du réseau muqueux qui les recouvre (1) ».

Tel est l'ensemble du trouble trophique, ainsi qu'il résulte des observa-

tions de Ilebra, Neumann, Biesadecki, Obtulowic et Kaposi. Le lichen

étant caractérisé, objectivement, par une éruption populeuse, avec épais-

sissement et exfoliation de J'épiderme, chaque papule correspond à un

orifice folliculaire et aux parties qui l'environnent. La tuméfaction et l'in-

filtration des papilles forment la papule, et l'amas d'épiderme hyperpla-

sié ou d'exsudat à l'orifice du follicule représente la squame centrale ou

la petite pustule (2).

Vous le voyez, ce processus complexe peut se résumer d'un mot : il s'agit t

d'une hyperplasie systématisée.

Et maintenant, au point de vue clinique, quels sont les attributs de la

trophonévrose communément appelée lichen ? Sans entrer dans les détails,

il me suffira de vous rappeler que l'élément dermatologique du lichen est

la papule, et que cette papule présente des variétés très nombreuses. L'a-

natomie pathologique vous le faisait bien pressentir. En raison même des

grandes différences objectives qu'il affecte suivant les cas, le lichen a for-

cément été l'objet de subdivisions un peu arbitraires. Deux principales pa-

raissent universellement admises : le lichen de Wilson et le lichen simplex

de Vidal. Celui-ci n'est autre chose que la névrodermite circonscrite de

Brocq, appellation suffisamment significative. Les éléments éruptifs sont

disposés tantôt en plaques, tantôt en bandes longitudinales, tantôt enfin en

tranches transversales. Nous n'avons à considérer, bien entendu, que ces

deux derniers cas. Or, les bandes longitudinales sont parfois mathémati-

quement superposées à un trajet nerveux, et ce ne peut être la l'effet du

hasard (Fig. 5). M. 13alzer a publié un remarquable exemple de lichen ré-

(1) IOHIZ 1W rost, Pathologie el traitement des maladies de la peau. Traduction de

Ernest Besnier et Doyon, t. I, p. G : 1l1.

(2) Ibid., p. 625.

78 E. BRISSAUD

parti sur tout le territoire du petit sciatique (1), et il a bien voulu m'en

signaler un second, celui-là non publié encore, de tout point identique au

premier. Le trouble trophique étant, sans

contestation possible, soumis à la sphère

d'influence d'un conducteur nerveux péri-

phérique, il y a tout lieu de croire qu'une

éruption semblable sera, un jour ou l'autre,

reconnue tributaire, non pas d'un nerf

périphérique, mais d'une racine. Il en a

été ainsi du zona des membres qui.jusqu'à

ces toutes dernières années, semblait de-

voir conformer sa distribution il celle d'un

nerf périphérique. Head a prouvé que s'il

est des zonas de nerfs, il en est aussi de

racines. En tout cas, pour ce qui a trait au

lichen nous savons que l'éruption occupe

parfois une aire cutanée dont les limites

correspondent évidemment à un territoire

de métamérie spinale. Je vous en apporte

la preuve.

Voici un lichen chronique corné observé

dans le service de Quinquaud; l'éruption-

une né¡;l'odeJ'1nite, ne l'oublions pas

occupe tout l'avant-bras, mais rien que

l'avant-bras. Le pli du coude et l'interligne

articulaire du poignet semblent lui avoir

imposé des limites infranchissables. Puis-

qu'il s'agit d'une névrodermile, force est

d'admettre que tous les nerfs cutanés de

l'avant-bras contribuent, chacun pour sa

part, à la dystrophie hvherplasique (Fig.

G). Or ces nerfs proviennent d'étages radi-

culaires différents ; ils ne peuvent avoir

leur conjonction qu'en un point de la

moelle représentant le centre métamérique

du tronçon antibrachial.Ici l'intervention

du myélomère ne saurait donc être dou-

teuse. En fait, elle l'est d'autant moins que

(1) Musée de l'hôpital Saint-Louis, no 1962. Cette figure et les suivantes sont des

photographies de pièces de l'hôpital Saint-Louis (moulages de Baretta), mises obli-

geamment à ma disposition par M. le directeur de l'Assistance publique.

Fig. 5.- Trophonévrose lichénoïde

(cas de Balzer).

LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 79

. e

le lichen et, en général, toutes les éruptions lichénoïdes apparaissent ex-

clusivement chez les sujets entachés de névropathie.

, V. - La disposition névropathique n'est pas moins manifeste dans les

différentes variétés d'urticaire aiguë et chronique. Il n'y a donc pas lieu de

s'étonner si l'on voit de temps à autre l'érythème ou l'oedème orties stric-

tement limités à des départements métamériques. Il en est de même des

cas rangés dans une catégorie à part sous les

noms de dermographisme ou d'autogrrtphisme.

Mais c'est surtout dans l'urticaire pigmentée que

l'influence de la métamérie spinale se révèle avec

une entière et remarquable évidence. Il s'agit,

vous le savez, d'une dermatose fort rare et«plus

spéciale à la première enfance, consistant en une

éruption d'urticaire vulgaire à laquelle succèdent

des macules saillantes de teinte brunâtre. Cette

affection procède par poussées successives et sa

durée est en quelque sorte illimitée.

« Relativement a la nature de cette maladie,

la plupart des auteurs, dit M. Ilallopeau, sont

d'accord pour admettre avec le professeur Pick

une angionellrose, à laquelle il faut ajouter,

d'après M. P. Reymond, une trophonévrose. Les

particularités (constatées) viennent pleinement

confirmer cette manière de voir. On ne peut en

effet s'expliquer autrement que par un trouble

de l'innervation trophique la disposition zoni-

forme des plaques éruptives et les atrophies

d'apparence cicatricielle développées sans cause

occasionnelle appréciable; elles permettent de

dire que l'urticaire pigmentée doit être rangée

parmi les trophonévroses. L'analogie que peuvent Fig. 6. - Lichen chronique

présenter ses localisations avec celles du zona et corné (cas de Quinquaud).

de certains nxvi conduit a penser qu'elles peu- 7&K ? no vs.

vent avoir pour cause prochaine, comme ces affections, une altération

métamérique (1). »

« Nous voyons souvent un mode de répartition très analogue dans les

nombreuses variétés de purpura qui, toutes sans exception et quelle qu'en

soit la cause, relèvent, à l'origine, d'une fragilité vasculaire par vaso-clila-

tation excessive.

(1) LIALLOL'R.1U. Musée de l'hôpital Saint-Louis, p. 323. Pl. XLIX.

80 E. BRISSAUD

. VI. Dans le groupe artificiel des eczémas, la métamérie peut se mon-

trer encore avec autant de précision topographique que dans les dermato-

ses. Et ici cependant le trouble dystrophique ne semble pas jouer le rôle

principal ou, du moins, le rôle primordial. Considérez par exemple les

eczémas chroniques des ongles (Fig. 7). Leurs lésions consistent soit en

une inflammation du tégument au pourtour de l'ongle, avec rougeur et

tuméfaction ou avec desquamation, soit en altérations de l'ongle lui-même

qui est épaissi, rugueux, irrégulier et déformé, présentant l'aspect de la

moelle de sureau son extrémité libre, ou exfolié et strié, parfois simple-

ment piqueté de petites dépressions ; ces dernières altérations constituent

Fig. 7.- Eczéma primitif des ongles. Ibid.,

no 1625 (cas de Quinquaud),

Fig. 8. - Eczéma aigu. Ibid., n 1088

(cas de Besnier).

plutôt des dystl'ophies unguéales (Besnier) que des lésions eczémateuses

proprement dites ('1). »

Assurément la dsGroy7tie unguéale est indiscutable. L'inflammation

simple, purement irritative, telle qu'on l'observe dans les onyxis, n'a rien

de commun avec ce trouble de nutrition. Mais il l'opinion que je soutiens

et qui fait intervenir ici une action nerveuse lointaine, n'est-on pas admis

à opposer une autre thèse : celle d'une maladie systématique de tissu ?

Ce serait une thèse parfaitement soutenable, si l'eczéma des ongles n'était,

dans la plupart des cas, consécutif à l'eczéma des phalanges (Fig. 8). Or

la localisation de la dermatose aux articles digitaux, c'est-à-dire à des

(I) TIIlüIEItGC, 1'Irr : raeutiryte des ntctlaclies cle la pettu, t. I, p. 410.

LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 81

tronçons métamériques caractérisés au premier chef, ne laisse subsister

aucun doute sur le rôle dominant des centres nerveux trophiques. Vous

ne vous méprendrez pas sur la signification que j'attribue au terme centre

trophique pour la commodité du langage.

Ne pourrait-on pas encore objecter que, si l'eczéma se localise aux pha-

langes et à l'extrémité inférieure des métacarpiens, c'est parce que la cir-

culation sanguine est, dans ces régions, plus lente que partout ailleurs ;

ou parce que la richesse vasculaire des doigts favorise et entretient un état

congestif permanent ? Il est bien facile de répondre à cela par un argu-

ment péremptoire. Voici un cas d' eczéma rubrum (Fig. 9) dont les limites

sont exactement celles de la tranche métamérique anti-brachiale. Il n'est

plus permis cette fois d'invoquer la prédisposition anatomo-pliysiologique

du régime circulatoire spécial aux extrémités digitales. Ai-je besoin de

vous dire que, pour affirmer le caractère métamérique d'une éruption, sur-

tout lorsque vous soupçonnez une localisation de métamérie spéciale, il

Fig. 9. - Eczéma rubrum. Ibid. Dessin n° 66 (du fonds Cazenave).

faut éliminer bien soigneusement certaines causes d'erreur : par exemple,

chez nombre d'ouvriers, le fait de travailler les manches relevées, modifie

les conditions trophiques normales du tégument ; il ne faut pas confondre

une pigmentation métamérique d'origine morbide, avec

« ..le teint plus jauni que de vingt ans de hâle. »

Je ne m'attarde pas à ce genre de méprises, mais il en est d'autres dont

je dois vous dire quelques mots.

VII. Certaines éruptions ont les apparences et donnent l'illusion de

troubles trophiques métamérisés conformément à la segmentation radicu-

laire ou à la segmentation spinale. La plupart appartiennent à la patholo-

gie des intoxications. Cependant le groupement des éléments éruptifs sur

les territoires que vous savez n'a rien à voir avec l'influence trophique des

ganglions ou de l'axe gris médullaire. Il faut se garder de commettre cette

erreur, qui serait vraiment le fait d'un examen par trop superficiel.

82 2 E. BRISSAUD

Voici, par exemple, un beau cas de maladie deDuhring observé et coin-

menté par mes collègues MM. Bar et Tissier (1).

A première vue, l'éruption semble répartie sur des départements cuta-

nés radiculaires. L'épreuve photographique qui m'a été obligeamment con-

fiée par M. Bar vous montre que l'herpès affecte une distribution analo-

gue il celle d'un zona bilatéral. La maladie en question, désignée encore

sous les noms de dermatite polymorphe prurigineuse récidivante de la

grossesse, d'hydron gestalionis, d'érythème ou d'herpès de la grossesse,

passe pour une manifestation exallthématique d'auto-intoxication. La

prédisposition individuelle est évidente, puisque la même dermatose

réapparaît chez le même sujet à chaqne grossesse nouvelle. Selon Tenne-

son et Lyon, Thibicrge, Fournier, Brousse, Julien, elle serait liée il une

hypoazoturie transitoire. Même en admettant l'intoxication préalable,

l'influence du S'Stèl]10 Ilel-PUXSel'tit très importante aux yeux de certains

auteurs. « La rapidité avec laquelle bulles et vésicules se développent, la

sensation de cuisson, de brûlure, de vésication qui précède leur apparition

et la symétrie avec laquelle se produisent les poussées dans les différentes

régions atteintes plaideraient en faveur de cette opinion (2). »

Cependant si vous y regardez d'un peu près (Fig. 10), vous vous ren-

drez compte que la topographie des lésions est subordonnée à un fait de

constitution histologique. L'érythème, l'herpès, les bulles, etc., apparais-

sent sur les parties du tégument dont la structure est particulièrement

délicate, à la face antérieure des avant-bras, la face interne des cuisses,

et surtout au thorax où les espaces intercostaux se devinent en quelque

sorte à travers l'éruption. Par contre, les régions découvertes, le visage et

les mains, qui sont moins susceptibles, sont le plus souvent épargnées.

Vous vous souviendrez d'ailleurs que les exanthèmes des maladies

éruptives qui ont leurs lois générales de distribution topographique, et

qui relèvent manifestement d'une infection, présentent des particularités

on pourrait dire des fantaisies - qui excluent toute ingérence pri-

mitive et directe des appareils nerveux centraux ou périphériques.

VIII. Je reviens aux cas de métamérie vraie.

Dans notre énumération des espèces dermatologiques susceptibles d'af-

fecter - à l'occasion les caractères topographiques si tranchés de la

métamérie spinale, j'ai négligé à dessein de vous signaler le vitiligo. Et

cependant le vitiligo est essentiellement d'origine nerveuse : « Se déve-

(1) Contribution à l'élude de dermalite polymorphe prurigineuse récidivante chez

les femmes enceintes et récemment accouchées, in Bull, et 111ém, de la Société obsté-

tricale et gynécologique de Paris, février 1895.

(2) l3an et TissiER, loc. cil., p. 12.

LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 83

loppant au cours du tabes, du goitre exophthalmique, chez les aliénés, à

la suite d'émotions morales vives, il peut être la seule manifestation de

l'état névropathique (héréditaire ou acquis) du sujet qui en est porteur,

mais il doit toujours être considéré comme un stigmate névropathique et

faire rechercher les divers états morbides dont il peut ètre'symptoma-

tique (1). »

Comment donc se fait-il que le vitiligo, en dépit de sa nature nerveuse,

Fig. 10. - Hydrua gestatioizis (cas de Bar et Tissier),

fasse exception à la règle ? Je ne saurais vous le dire. En tout cas, s'il

présente quelquefois une distribution conforme à la segmentation méta-

merique spinale, on doit le considérer comme relevant bien plus souvent

de troubles localisés aux départements périphériques du système grand

sympathique. Vous pourrez même remarquer, de temps à autre, certaines

dispositions de lâches vitiiigineuses qui vous feront supposer au premier

(1) Tiiibieiige, Ibid., t. II, p. 5,

8-1. E. BRISSAUD '

abord l'action distance des étages métamériques spinaux ; en y regardant

de près, vous vous apercevrez que les limites de la dyschromie ne sont

pas nettes, qu'elles dépassent, soit en haut, soit en bas, la frontière du

tronçon métamérique, enfin que des taches erratiques, séparées du groupe

principal, échappent manifestement à l'influence déjà douteuse d'un cen-

tre médullaire(Fig. Il et f : 2).

IX. Ceci nous conduit à examiner une catégorie particulière de faits

dans lesquels la topographie métamérique n'est peut-être qu'apparente ; je

veux dire que, dans les faits en question, l'action pathogène des étages

spinaux reste encore problématique.

Fig. il et 12. - Vitiligo luétanlél-isé (Professeur Fournier).

Deux mots d'abord sur l'angiokéralome : « On donne, avec Mibelli, le

nom d'angiokeratomc à une affection caractérisée par le développement,

sur les doigts et les mains, de petites tumeurs généralement très nom-

breuses, du volume d'un grain de millet environ, planes ou ayant l'aspect

verruqueux, dont la coloration rouge ou violacée disparaît par la pression

prolongée.

« Celte affection encore désignée parfois sous les noms défectueux de

télangieclasies verruqueuses ou de verrues teiangiectasiques, est constam-

ment la suite d'engelures et, comme celles-ci, s'observe surtout sur les

sujets ayant une tendance à présenter de l'asphyxie des extrémités. Le

LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 85

développement des téIangieclasies paraît précéder et causer celui des pro-

ductions verruqueuses qui les recouvrent (1) (Fig. 13). »

Il est certain que le cas de l'angiokératome est spécial, puisque les pro-

ductions verruqueuses apparaissent seulement après la télangiectasie.

L'aptitude créée par l'irrigation plus abondante du terrain semble donc

indispensable. Mais les faits de ce genre nous ouvrent encore un nouvel

horizon.

Vous savez qu'il existe des tumeurs, le plus souvent bénignes, certains

lipomes, par exemple, ou certains fibromes qui se distinguent par une

double singularité : elles sont multiples et symétriques. A ces deux carac-

tères il faut l'avouer, exceptionnels s'en ajoute parfois un troisième :

Fig. 43. -Angiokératome. Ibid., ne 1528

(cas de Tenneson). L'éruption a une dis-

position segmentaire transversale.

Fig. 14. - Fibromes métamérisés.

elles sont réparties sur des étages horizontaux. Comme un bon nombre

jT entre elles sont précoces et comme il en est même de congénitales (les

fibromes molluscoïdes pour ne citer que celles-là), on peut se demander

si leur formation n'est pas indépendante de toute influence nerveuse cen-

trale. Car les centres nerveux, pendant le temps que dure le développe-

ment, n'exercent qu'un contrôle restreint sur les parties qui doivent lui

être ultérieurement soumises (Fig. 14).

Ici quelques explications sont nécessaires.

X. - Après la fécondation de l'ovule, la segmentation des éléments

(1) TIIlHIEI\OE, t. II, p. 46.

XII

86 E. BRISSAUD

embryonnaires résultant delà division de la première cellule, se règle et

se gouverne spontanément; l'apparition des feuillets blastodermiques

n'exige aucune direction étrangère ; et longtemps encore, dans chacun

des feuillets du blastoderme, la multiplication des cellules s'accomplit de

telle sorte que les organes prennent leur forme, acquièrent leur volume,

réalisent leur spécificité anatomo-physiologique, sans que le système ner-

veux intervienne et prennela moindre part à cette opération si méthodi-

que, si ponctuelle et si sûre d'elle-même. L'action régulatrice du système

nerveux ne s'exerce en effet que sur les organes en fonction. Or « chez

l'embryon, il n'y a pas encore d'organes en fonction, il y a seulement des

organes en formation; la formation des parties est, pour ainsi dire, la

fonction générale de l'embryon. Aussi les causespathogéniqucs ne peuvent-

elles produire que des troubles de formation, de développement, c'est-à-

dire aboutir à des malformations, à des arrêts de développement, à des

monstruosités, en un mot. C'est pourquoi la pathologie générale de l'mn-

bryon n'est autre.chose que l'étude des anomalies de l'organisme, que la

tératologie et la tératogénie (1). »

Vous voyez où ces considérations vont nous conduire. Un certain nombre

d'affections dont l'origine remonte à la période embryonnaire et dont l'é-

closion ne devient évidente qu'à l'âge adulte, peuvent présenter une dis-

position topographique évoquant l'idée d'une influence métamérique

spinale. Or il est toute une catégorie de maladies de la peau, qui équiva-

lent il de véritables malformations, qui sont des états monstrueux : les

llteri par exemple. Les espèces en sont très nombreuses. Congénitales, c'est-

à-dire contemporaines de la naissance, ou acquises, c'est-à-dire postérieures

à la naissance, elles peuvent dater effectivement de l'époque à laquelle

s'est formée la partie qui en est le siège. Mais « la malformation, l'état

monstrueux d'une partie n'est pas la conséquence d'une maladie subie par

cette partie ; cet état monstrueux, ce développement anormal constitue la

maladie même ; en d'autres termes, chez l'embryon, une cause pathogène

ne détermine pas une maladie qui, à son tour, produit une monstruosité;

la cause pathogène produit directement la monstruosité, le défaut ou l'ar-

rêt de formation, et elle ne peut produire autre chose, puisque l'embryon

ne traduit sa vie et ses fonctions, que par des actes de développement, et

que les troubles de sa vie et de ses fonctions ne peuvent être que des trou-

bles de développement (2) ».

La meilleure preuve que le système nerveux central n'est pas indispen-

sable au développement des autres parties, c'est qu'un vertébré quelconque

(1) lATII ! AS Dural, Pathogénie générale de l'embryon. Traité de pathologie générale

de Ch. Bouchard, t. I, p. 159.

(2) M. DuvAL, Ibid., p. 161.

LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 87

peut venir au monde, très bien constitué dans son ensemble, ou peu s'en

faut, sans avoir de système nerveux central. Si, comme il arrive souvent,

une monstruosité, un naevus, une pigmentation anormale existent chez cet

être privé de moelle et de cerveau, il est bien évident que toute influence

nerveuse est étrangère au développement de la monstruosité (Fig. 15).

Il est même inutile d'invoquer l'exemple des sujets amyélencéphales pour

démontrer l'autonomie des monstruosités ; un exemple inverse, et moins

brutal, est également significatif. Chez les ectromèles, l'absence ou l'atro-

phie d'un membre on d'un segment de membre n'implique nullement

l'ahsence ou l'atrophie du renflement spinal correspondant à ce membre.

Jules Guérin admettait que les monstruosités étaient sous la dépendance

d'un état morbide antérieur du système nerveux central. Mais vous

voyez bien que cette théorie a fait son temps. Les monstruosités, celles du

tégument comme celles de l'appareil musculaire, relèvent d'un trouble

FIA'. 15. - Sujet amyélencéphate, né à l'hôpital Saint-Antoine (service de M. Bar).

Le développement s'est accompli normalement malgré l'absence complète du système

nerveux central.

88 B. BRISSAUD

plus on moins grave de la segmentation des cellules. trouble autochtone,

et dont la persistance est comme la cicatrice indélébile d'un processus

morbide datant de l'époque embryonnaire.

Donc si un naevus présente une disposition métamérique, et si cette

disposition métamérique répond exactement à celle que nous avons consi-

dérée comme tributaire de la métamérie spinale, il ne s'ensuit pas que la

monstruosité cutanée soit secondaire à une affection primitive d'un ou plu-

sieurs myélomères. Le tégument dans son ensemble est divisé dès l'origine

en un certain nombre de départements superposés et complètement indé-

pendants des m3léloméres.Ces départements sont les dermatomires.lls se dé-

veloppent spontanément, sans subir aucune influence, et c'est seulement

dans une période tardive de la vie intra-utérine qu'ils entrent en connexion

avec les myélomères. La subordination des dermatomères aux myélomères

ne devient pas pour cela absolue. Aussi toute dermopathie n'est-elle pas

précédée de névropalhie. Les « maladies de peau » existent pour elles-

mêmes et par elles-mêmes.

Je vous disais que les monstruosités tégumentaires congénitales, princi-

palement les ncevi, nous fournissent des preuves de dystrophie primitive

des met amer es périphériques ou dennatomères. Il me serait facile de vous en

montrer de nombreux exemples. Mais vous serez rapidement convaincu

par quelques-uns pris au hasard.

D'abord, en voici un dans lequel vous reconnaîtrez une segmentation

identique à celle de tous les symptômes de métamérisation spinale; je l'em-

prunte à Alibert.

« M. Ruggieri a publié naguère le cas d'une monstruosité congénitale

qui fit annuler un mariage presque aussitôt sa célébration. Il s'agit d'nne

jeune demoiselle qui, dans presque toutes les parties du corps que cachent

ordinairement les vêtements, se trouvait couverte de poils noirs, durs,

hérissés, cotonneux, et ressemblant beaucoup à ceux des chiens barbets.

La peau sur laquelle s'élevaient ces poils était aussi noire que celledes nè-

gres. Ce changement brusque de couleur dans la peau formait autour du

corps et des genoux de cette femme des cercles aussi réguliers que si un dessi-

nateur les eût tracés. Cette disposition singulière aurait pu faire croire

d'abord qu'elle portait un gilet et un caleçon noirs. Ce qu'il y avait de

frappant, c'était la transition brusque entre la partie de son corps qui était t

parfaitement blanche et celle qui était d'un noir aussi prononcé que la peau

d'une Africaine. Le mari qui adorait sa femme tant qu'il n'avait vu que ses

mains ou son visage, fut pénétré d'horreur quand il eut connaissance de

cette difformité. La séparation fut prononcée et ce triste événement plon-

gea deux familles dans la plus vive affliction (1). »

(1) ALIBERT, Monographie des dermatoses, t. Il, 1832, p. 729 et suiv.

LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 89

Aux membres la dC1'1natoméJ'ie n'est pas moins nettement caractérisée.

Hugues a observé dans le service de mon collègue M. Variot unepelite

.fille qui avait à l'avant-bras droit une largeplaque « simulant une mitaine ».

Tout l'avant-bras droit était enveloppé d'une énorme gaine mélanodenni-

que. La zone de peau teintée remontait jusqu'au-dessus'du coude et s'ac-

rètait brusquement comme un gant. En bas la teinte noire était limitée au

poignet en avant ; mais elle descendait sur toute la face dorsale de la main

jnsqu'aux articulations métacarpo-plialangiennes. Cette intégrité de la

paume tenait évidemment à ce que l'épiderme palmaire est, dès l'origine,

privé des éléments capables d'accumuler le pigment. La région externe de

l'avant-bras était recouverte d'un épiderme épais et un peu rugueux, par-

semé de poils bruns, forts et courts. Le reste de l'avant-bras était d'une

nuance brune plus claire ; la peau à ce niveau, était plus souple (I).

Ces comparaisons des monstruosités cutanés avec des gants, des mitaines,

des gilets, des caleçons, déjà usitées à l'époque d' Alibert, sont exactement

celles qui figurent dans les observations de syringomyélie. Les territoires

sont en effet les mêmes, et leurs limites sont identiques.

XI. - Il y a un instant, à propos des lipomes et des fibromes symétri-

ques, je vous parlais de maladies qui, bien que survenant chez des adoles-

cents ou des adultes, peuvent être considérées comme congénitales. Tel

est le cas de la plupart des maladies familiales. Le « germe du mal » re-

monte à la période blastodermique, mais reste en sommeil jusqu'à une

époque plus ou moins lointaine. Lorsqu'en vient l'éclosion inattendue, on

ne sait trop si la monstruosité est fortuite, consécutive à des événements

pathogènes récents, ou si elle est constitutionnelle, native, contemporaine

des premiers phénomènes de la vie embryonnaire. Parmi les dermopathies

de ce groupe tératogénique, il en est une, la xérodermie pigmentaire , qui

apporte à la thèse de la métamérie un argument d'un grand poids.

« La xérodermie pigmentaire, dit Kaposi, a beaucoup de rapports avec

la mélanose congénitale, le naevus et le lentigo. » Elle en a surtout au

point de vue ontogénique. C'est-à-dire qu'elle résulte d'une perturbation

congénitale ou acquise dans le développement des tissus de revêtement :

les altérations cellulaires sont limitées il des tranches ou segments cylindri-

ques du tronc, de la tête et des membres. Si le système nerveux prend une

part quelconque à cette maladie, c'est assurément en abdiquant son rôle

de régulateur des fonctions nutritives. Dans les territoires envahis par la

xérodermie, on ne reconnaît plus rien de l'ordre et des rapports normaux

des cellules dermiques et épidermiques : l'atrophie et l'hypertrophie, la

(t) Iluours, Des nævi pigntentaines, Th. Paris, 1890, n 244.

90 E. BRISSAUD

- pigmentation excessive et la pigmentation insuffisante, les cicatrices dé-

primées et les bourgeons exubérants, tout se mêle et se combine ; c'est

l'anarchie dans l'organisme. Mais de ce qu'un pareil désordre peut exister,

faut-il conclure que le système nerveux doive être mis en cause ? Du moins

le système nerveux est-il responsable parce qu'il cesse de discipliner les

phénomènes de croissance et de multiplication cellulaires ? En aucune

façon. Les métamères périphériques tég2ttetGaires, tout comme les myo-

mères ou les angiomères, ont, dans de certaines circonstances, leur indé-

pendance absolue, aussi bien à l'état pathologique qu'à l'état normal.

Il serait donc bien surprenant que la xérodermie pigmentaire ne fût pas,

quoique postérieure à la naissance, une maladie essentiellement cutanée,

liée à l'évolution désordonnée de plusieurs métamères périphériques. Elle

consiste « en taches brun jaune, d'étendue variable, ressemblant à des ta-

ches de rousseur, entre lesquelles se trouvent des dépressions superficiel-

les, semblables à des cicatrices de variole, blanc brillant (1) ». Dès le dé-

but cette pigmentation tentigineuse, disséminée sur des aires atrophiques

et comme parcheminées, combine étrangement sa teinte brunâtre avec la

teinte violacée de taches télangiectasiques. Sur la bigarrure de ce fond

émergent des verrucosités, des papillomes, parfois en très grand nombre,

et tous capables de transformation épithéliomateuse.

Mais ce qui est encore plus étonnant que la variété des éléments der-

mopatliiques, c'est, je le répète, la répartition des lésions. Dans presque

tous les cas publiés jusqu'à ce jour on en compte près d'une centaine

la topographie générale des taches pigmentaires et vasculaires, des ta-

ches atrophiques et des végétations, se retrouve à peu près invariablement

la même. Les parties malades sont la tête, le cou, la région supérieure du

buste, les membres supérieurs depuis le milieu du bras jusqu'à l'extré-

mité des doigts. Particularité très significative, les altérations dermo-épi-

dermiques s'arrêtent au pli du poignet du côté de la flexion ; car la face

palmaire a sa structure propre; elle ne saurait être menacée par des lé-

sions qui frappent précisément les éléments qui lui manquent. Une plan-

che de l'atlas de Radcliffe Crocker montre avec une admirable précision

la disposition métamérique de cette affection extraordinaire (Fig. 16).

C'est le portrait d'une fillette de douze ans, atteinte de xérodermie pig-

mentaire depuis deux ans, et cadette d'une famille de quatre enfants dans

laquelle les trois ainés sont affligés du même mal. Ainsi la dystrophie est

familiale : indice qu'elle est inhérente à un même trouble morphogénique.

La même viciation des phénomènes de division et de nutrition cellulaires

se manifeste chez les trois rejetons comme un accident inévitable de la

(t) KAPO81, trad. par Besnier et Doyon, t. II, p. 233.

LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 91

croissance, attendu que les premiers symptômes apparaissent toujours

dans l'enfance ou l'adolescence (1).

Le caractère familial de la xérodermie pigmentaire n'est pas un des

moins importants à retenir, je le signale et vous en dégage immédiate-

ment la signification précise.

Mais il est un autre fait qui touche de bien plus près à notre sujet.

Fig. 16. Xérodermie pigmentaire chez une jeune fille de douze ans

(Cas de Radcliffe Crocker). -

Remarquez l'horizontalité des lignes où la dermopathie s'arrête ou com-

mence ; aux membres comme au tronc, ces limites sont mathématiquement

perpendiculaires aux grands axes du squelette. C'est le type morbide de

(t) l2.wci.nFe CnocKEn, Atlas of the diseuses of the sliin. Edinburgh, London, 1896.

Pl. XVI.

92

E. BRISSAUD

la dermatomérie dans toute sa pureté ou de la métamérie spinale. Or jl

n'est pas possible d'invoquer ici une prédisposition anatomique créée par

un trouble circulatoire antérieur ou par une myélopathie. D'ailleurs les

nævi véritables, aussi bien, sinon mieux encore, que la xérodermie pig-

mentaire, peuvent se superposer aux départements dermatoméricjues. En

voici un exemple qui vous convaincra (Fig. 17).

Cette figure représente le bras gauche d'une femme âgée de 40 ans,

très bien portante et simplement affligée d'une difformité tératologique :

car, il s'agit d'un naevus congénital. Ce naevus ne s'est pas étendu depuis

la naissance, mais il a complètement changé de couleur. C'est vers l'âge

de 5 ans qu'il a viré du brun au noir. Puis il s'est couvert de poils et de

végétations papillomateuses. Actuellement il n'a

aucune tendance à' gagner les parties normales,

et il reste confiné dans ses premières limites (1).

Vous conviendrez que le hasard seul ne peut

avoir ainsi enfermé entre deux bracelets invi-

sibles une lésion dermo-épidermique dont l'ori-

gine se perd dans l'obscurité de la vie intra-

utérine. Si les frontières de ce département cu-

Fig. 47, - Næv1ts papillomateux (Cas de Radcliffe Crocker).

tané sont respectées , c'est donc que le département en question n'est

pas artificiel ; c'est que ce département existe en réalité, ou, mieux en-

core, qu'il préexiste. II fallait une circonstance pathologique pour le faire

apparaître; le pigment noir qui le recouvre, le fait ressortir sur le fond

blanc de la peau, comme s'il eût été, seul parmi tous les autres dermato-

mères, imprégné d'encre sympathique.

XII. - Maintenant, Messieurs, pour affirmer plus formellement

encore l'indépendance des dermatoluéres par rapport aux myéloméres, il

faudrait examiner dans leurs détails une quantité de faits des plus inté-

(1) HODCLIFFE CROCKER, Allas of the diseases of the skin, Edinburgh, London.

PL. LV.

LA MÉTAMÉRIE DANS LES TROPHONÉVROSES 93

ressants, empruntés à l'anatomie pathologique, à l'anatomie comparée, et

même à l'anatomie normale de l'homme.

Vous êtes-vous demandé, par exemple, pourquoi les vergetures consé-

cutives aux fièvres sont toujours transversales ou, pour être plus précis

encore - perpendiculaires aux grands axes du squelette ? ' ?

Elles n'ont rien à voir avec la croissance ; et cependant elles dessinent

à la surface du tégument, au thorax, aux lombes, aux membres, des cica-

trices qu'on dirait produites par une élongation du derme. Ne représentent-

elles pas bien plutôt les limites des anciens tronçons dermatomériques, de-

puis longtemps fusionnés et maintenant disjoints ?

Chez tous les mammifères la coloration de la robe nous montre des

particularités aussi probantes ; pour rares qu'elles soient, leur valeur n'est

pas discutable.

Fig. 18. - Lapin de race hollandaise à pigmentation métamérisée.

Je ne parle pas des animaux dont le poil est pigmenté de manière à

former des dessins identiques pour chaque espèce ; je ne parle pas non

plus de ceux qui, sous l'influence des croisements multipliés, -- les chats

par exemple se dérobent aux lois de la « trichotaxie » (c'est la pre-

mière fois et aussi la dernière, je vous le promets,que nous emploie-

rons ce mot). Je parle des animaux dont la fourrure a des caractères

térra66logiices. Ainsi chez quelques ovidés, toute la moitié intérieure de

l'individu étant noire, toute la moitié postérieure est blanche; la ligne

de démarcation des deux couleurs est une circonférence dont le plan est

exactement perpendiculaire à l'axe du tronc. Cette limite n'a rien que

puissent faire prévoir les dispositions anatomiques sous-jacentes ni la

structure du tégument lui-même.

Chose curieuse, l'anomalie - car c'en est une se transmet aux pro-

duits et devient un caractère de race. Chez les lapins de la race dite hollan-

daise, on retrouve la même division dermatomérique (Fig. 18).

Je ne m'étendrai pas davantage sur ces bizarreries ; mon intention était

94 E. BRISSAUD

simplement de vous signaler la disjonction originelle des segments méta-

mériques : myélomères et dermatomères. Cette disjonction est temporaire.

Les dermatomères, à un moment donné, perdent au moins en partie leur

indépendance; l'alliance tardive qu'ils contractent avec le névraxe les

assujettit aux myélomères. Dès lors ceux-ci règlent et dirigent leur nutri-

tion. -

C'est ainsi qu'on voit parfois se produire des dermat011eu1'oses réparties

conformément à la topographie métamérique de la moelle (1).

(1) Voy. Etienne, Des nxvi dans leurs rapports avec les territoires nerveux, in

Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1897, n" 4.

UN CAS DE

SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE

AVEC AUTOPSIE

par

GILLES DE LA TOURETTE

Professeur Agrégé,

médecin de l'hôpital St-Antoine

ET

G. DURANTE

Chef du laboratoire à la Faculté

de Médecine.

Dans un travail antérieur l'un de nous (1) publiait une série d'obser-

vations tendant à démontrer que si la syphilis héréditaire localisée sur le

cerveau pouvait produire des lésions secondaires dégénératives de la moelle

épinière elle était également capable d'intéresser directement et isolément

l'.axe spinal. Son action de systématisant en particulier sur le faisceau pyra-

midal donnait parfois naissance à une variété de paraplégie spasmodique

se rapprochant par certains côtés du syndrome deLittle, fréquemment lui

aussi sous la dépendance de la syphilis héréditaire (2), mais dans lequel

les lésions centrales sont presque toujours 'primitives.

L'observation I de ce mémoire concernait un homme alors âgé de

53 ans chez lequel s'étaient développés dès l'enfance des phénomènes

spasmodiques des membres intérieurs. Ces symptômes s'étaient améliorés

dans la suite sans jamais disparaître complètement. Vers l'année 1892 il

l'âge de 49 ans se montrèrent subitement des douleurs en ceinture et des

fulgurations dans le membre inférieur gauche qui ne tarda pas à s'engour-

dir ; l'année suivante même phénomène dans le membre inférieur droit :

le traitement ioduré détermina avec notable amélioration. En 1893 sur-

viennent des crampes nocturnes dans les mollets, des paralysies oculaires

passagères, puis en 1894 une poussée du membre supérieur droit avec

exagération de l'engourdissement des membres inférieurs et exaltation des

réflexes rotuliens.

La discussion de cette observation se terminait ainsi : « L'absence de

phénomènes cérébraux plaide en faveur d'une localisation sinon exclusi-

vement médullaire, au moins à prédominance très marquée sur l'axe spi-

nal. »

(1) Gilles DE la TouRETTE, La syphilis héréditaire de la moelle épinière. Nouv.

Iconographie de la Salpêtrière, nos 4 et 5, 1896.

(2) A. FOURNIER et Gilles DE la TOUI1ETTE, La notion étiologique de l'hérédo-syphilis

dans la maladie de Little. Nouv. Icon. de la Salp., no 1, p. 22, 1895.

91 GILLES DE LA TOURETTE ET G. DURANTE

Le malade succomba le G mai 1898 à l'hôpital St-Antoine ; les phéno-

mènes ci-dessus rapportés grosso modo persistant mais sans s'accompagner

de troubles permettant de songer à des lésions cérébrales. La mort était

survenue à la suite de la cachexie due aux eschares fessières.

L'étude que nous avons faite de son système nerveux nous a montré les

lésions suivantes concordant absolument avec le diagnostic anatomique

porté pendant la vie, à savoir la localisation du processus morbide sur la

moelle épinière à l'exclusion du cerveau, ce qui est rare dans les détermi-

nations nerveuses de la syphilis héréditaire.

Examen histologique de la moelle et du cerveau.

MOELLE. - La moelle, conservée dans du liquide de Millier, était,

lorsqu'on nous l'a remise, très molle au loucher, presque diffluente. Cette

consistance nous a fait penser tout d'abord à quelques accidents survenus

lors de l'extraction.

Cependant, ce ramollissement, se montrant d'une façon uniforme sur

toute la longueur de la moelle, il était peu probable qu'il fut dû à des trau-

matismes qui n'agissent, généralement, qu'en des points plus ou moins

nombreux, mais séparés par des portions saines que l'on ne retrouvait pas

ici. L'examen histologique, a, du reste, montré que cette moelle avait été

prélevée avec assez de soins ; nous n'y avons retrouvé qu'un seul point lésé

artificiellement au niveau de la région cervicale inférieure; toutes les

autres portions ne présentaient aucun signe de traumatisme post-mortem.

Ce ramollissement pouvait également être attribué à un début de pu-

tréfaction consécutivement à une autopsie tardive, ou au renouvellement

insuffisant du liquide conservateur. Ces deux hypothèses peuvent être

encore, croyons-nous, éliminées, car, histolo;iquement, les éléments se

colorant bien, ne montraient aucun signe notable d'altération cadavérique,

et, d'autre part, la moelle ayant été placée à l'étuve à 37°, son durcisse-

ment s'est effectué régulièrement sans qu'aucune portion ne demeure plus

molle que les autres, et sans que les fragments ne deviennent plus fria-

bles.

Cette mollesse toute spéciale de l'axe médullaire semble donc sous la

dépendance directe de ses lésions pathologiques, et ne paraît pas devoir

être attribuée à des fautes de technique au cours de l'autopsie ou pendant

la fixation de la pièce.

Les coupes faites sur des téguments de la moelle prélevés à différentes

hauteurs, ont été colorées au picro-carmin, au carmin aluné d'Erhlich, à

l'hématoxyline et par les méthodes de Weigeir, Pol et Kaiser.

La moelle ayant été conservée en totalité dans le Millier, nous n'avons

pas fait de préparation par la méthode de Nissl. Mais nous ne croyons pas

SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 97

que les coupes étudiées par cette méthode eussent été, ici, d'une grande

utilité. Les altérations de prolongements cellulaires, du noyau, la dégéné-

rescence se voient parfaitement bien avec les colorants usuels.

La méthode de Nissl excellente pour la cytologie, pour les études expé-

rimentales sur les animaux examinés de suite après la mort, n'a plus

qu'une valeur très relative en anatomie pathologique humaine. Les modi-

fications de la chromatine (les seules mises en évidence par cette méthode,

mieux que par les autres), sur l'étude desquelles on fondait tant d'espoir,

ont été relevées si fréquemment et dans des cas si disparates, qu'elles

tendent aujourd'hui il passer de plus en plus, pour des lésions banales sur

lesquelles on ne saurait s'appuyer sérieusement.

On les a observées, en effet, non seulement dans les maladies du sys-

tème nerveux central et dans les affections des nerfs périphériques, mais

'encore au cours des infections, des intoxications (poisons et toxines) et

même chez les cancéreux ne faisant que de l'auto-intoxication. La mort

* de nerveux est le plus souvent précédée d'une période plus ou moins lon-

gue d'affaiblissement, si non de cachexie ; souvent elle est occasionnée par

une pneumonie, une escltare, une cystite ou telle autre complication in-

fectieuse. Toutes ces causes sont suffisantes par elles-mêmes pour occasion-

ner les altérations banales révélées par le Nissl, altérations que l'on ne

saurait pas plus regarder comme la cause que comme la conséquence des

lésions plus grossières, mais plus caractéristiques que les autres méthodes

de coloration décèlent dans la substance grise et dans les cordons blancs.

* Ces restrictions étant faites, voici les altérations hislologiques que nous

avons constatées dans cette moelle.

A. Région lombaire.

1) Les colorants de la myéline, montrent une dégénérescence très nette

des deux faisceaux pyramidaux croisés sensiblement égale à droite et il

gauche. Ces deux faisceaux sont intéressés dans toute leur étendue ; la

zone dégénérée arrive au contact de la circonférence de la moelle, mais ne

tranche pas le bord externe des cornes postérieures qui est recouvert par

une mince couche de tubes nerveux conservés.

Tous les autres cordons blancs, et particulièrement les cordons inté-

rieurs, se colorent très bien et ne présentent pas d'altérations.

La substance grise est normale au point de vue de la richesse de son

chevelu de fines fibres myéline.

Aussi bien dans ses cornes antérieures que dans ses cornes postérieures.

2) Par les colorants nucléaires la sclérose des faisceaux pyramidaux est

très utile.

Les autres faisceaux paraissent sains, toutefois on rencontre irréguliè-

98 GILLES DE LA TOURETTE ET G. DURANTE

renient disséminées dans toutes les régions, de nombreuses fibres larges

dont la myéline semble tuméfiée mais reste incolore par le picro-carmin.

Les cellules de la colonne de Clarke sont moins nombreuses à gauche

qu'à droite. Celles des cornes antérieures sont normales et égales des deux

côtés.

Dans les méninges et le long des vaisseaux, surtout dans les faisceaux

latéraux et les racines postérieures, il y a des ilots de périartérite nom-

breux ; ces petites gommes demeurent bien circonscrites au voisinage

immédiat des vaisseaux.

B. Région dorsale inférieure.

1) Par les colorants myéliniques, outre la dégénérescence toujours très

marquée, bilatérale, complète et bien limitée de deux faisceaux pyrami,"

daux latéraux, on observe une dégénérescence moins accentuée de deux

faisceaux cérébelleux directs. A droite seulement, cette dégénérescence se

prolonge .en avant et intéresse la portion périphérique du faisceau de

Gorets.

Les autres faisceaux blancs sont normaux.

2) Par les colorants nucléaires, la sclérose du faisceau pyramidal

semble plus dense à droite qu'à gauche.

La corne antérieure gauche est un peu plus étroite que la droite, ses

cellules sont peut-être un peu moins nombreuses, mais celles que l'on

observe ne présentent rien de pathologique.

On retrouve, irrégulièrement disséminés comme dans la région lom-

baire, des tubes à myéline tuméfiée. Ils sont, ici, peu nombreux dans les

cordons postérieurs que dans les autres faisceaux blancs, mais ne répon-

dent à rien de visible par les colorations myéliniques.

Les vaisseaux radiculaires postérieurs ont une paroi très épaisse.

On retrouve également les mêmes petites gommes périvasculaires irré-

gulièrement disséminées.

C. Région dorsale moyenne.

1) Les colorations myéliniques font ressortir une dégénérescence très

intense des deux faisceaux pyramidaux croisés. Ici, cette dégénérescence

est plus tendue à droite oit elle- comprend toute l'aire du faisceau moteur,

qu'à gauche où elle n'intéresse que des tiers postérieurs (PL XVI, A).

Dégénérescence, moins intense, des deux faisceaux cérébelleux direct

qui se prolonge un peu en avant, dans les faisceaux de Gowers.

Les autres faisceaux blancs, en particulier les cordons postérieurs, ne

présentent pas de lésions appréciables.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SAIPGI'RIE1LE.

T. XII. PI. XVI

SYPHILIS héréditaire DE la MOELLE ÉPINIÈRE

(Gilles de 1.\ TOUl ? tc et Durante)

Coupe de lu moelle (Coloration pur la méthode de 'Pal)

A. Reninndnrsjte moyenne. 13. Région cenicate inférieure

SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 99

2) Par les colorants .nucléaires , la sclérose des faisceaux pyramidaux est

également très nette. Dans l'aire de ces faisceaux, tous les tubes nerveux

ne sont pas, toutefois, détruits ; quelques-uns persistent encore, quoique

moins nombreux que dans les régions sous-jacentes. Parmi ceux-ci, un

certain nombre, possédant encore une gaine de myéline, mais leur cylin-

dre-axe contourné est plus ou moins altéré, d'autres ne sont représentés

que par un cylindre-axe nu.

Dans les cordons postérieurs on rencontre des tubes à myéline atrophiée

et d'autres à myéline tuméfiée mais ne se colorant pas par le picro-car-

min.

La corne antérieure gauche est plus courte que la droite. Les cellules \

paraissent normales des deux côtés. On ne trouve pas de cellules altérées

dans la corne droite. Si quelques-unes ont été lésées à un moment donné,

elles ont disparu sans laisser de traces ;

Les cellules de la colonne de Clarke sont moins nombreuses à gauche

qu'à droite.

Autour de l'épendyme, il existe autour des vaisseaux, une zone assez

étendue de la commissure grise où les tubes nerveux à myéline n'exis-

tent pas.

D. Région dorsale supérieure.

l)Par les colorants myéliniques la topographie des lésions est la même

que plus haut. Les mômes faisceaux sont louches, et on observe toujours

une prédominance de la sclérose à droite dans le faisceau pyramidal.

2) Par les colorants nucléaires, par suite de l'augmentation de nombre

de tubes à myéline atrophiée dans les cordons postérieurs, ceux-ci se co-

lorent plus fortement, et paraissent touchés alors que par le Pal ils ne se

distinguent en rien des faisceaux normaux.

Dans cette région, l'infiltration périvasculaire autour des artérioles des

sillons antérieurs, postérieurs et surtout dans les' artères radiculaires est

plus marquée que dans les coupes précédentes.

E. Région cervicale inférieure.

1) Colorations myéliniques. Dans le cordon latéral droit le faisceau

pyramidal présente une dégénérescence très marquée dans toute son éten-

due. La portion adjacente du faisceau cérébelleux direct et la portion du

faisceau de Gowers située immédiatement en avant du faisceau pyramidal,

sont également très légèrement touchés (PI. XVI, B).

A gauche le faisceau pyramidal croisé est presque normal, va dégénéres-

cence n'est plus représentée que par une teinte un peu claire et quelques

fibres absentes dans la partie moyenne de son aire.

100 GILLES DE LA TOURETTE ET G. DURANTE

Le faisceau cérébelleux voisin présente aussi une légère dégénérescence.

Ace niveau les cordons postérieurs sont nettement intéressés. A gauche

une bande de sclérose partant du voisinage de la commissure postérieure,

se dirige en arrière et se place entre les faisceaux de Goll et de Burdach

en dessinant la virgule de Sclaacltze. Dans le tiers postérieur du cordon,

cette virgule vient se confondre avec une zone de sclérose plus étalée,

comprenant le tiers postérieur du faisceau de Goll et la moitié interne du

tiers postérieur du faisceau de Burdach. Les portions intactes des cordons

postérieurs sont donc : les deux tiers antérieurs du faisceau de Goll, les

deux tiers antérieurs du faisceau de Burdach, et la moitié externe du tiers

postérieur de ce dernier. En aucun point la zone de dégénérescence ne

touche a la substance grise dont elle demeure toujours séparée par une

large bande de tissu sain. '

A droite la même lésion se retrouve, avec la même topographie, mais

infiniment moins accusée, très peu marquée en comparaison de celle du

côté opposé.

Les lésions des cordons postérieurs étant au maximum à gauche, sont

donc croisées par rapport à celles des faisceaux pyramidaux dont le droit

est plus malade que le gauche.

Le chevelu de la substance grise parait partout normalement déve-

loppé.

2) Par les colorants nucléaires, on peut s'assurer que les zones dégé-

nérées sont généralement constituées par une sclérose avec disparition

des tubes. Cette disparition de tubes est surtout accentuée dans le fais-

ceau pyramidal droit et dans la partie postérieure du cordon postérieur

gauche.

Par contre, dans la portion antérieure de la virgule altérée, les tubes

nerveux sont plus nombreux qu'on ne le supposerait à un examen super-

liciel, mais leur gaine de myéline est très réduite. Il s'agit d'une atrophie

des tubes plutôt que d'une dégénérescence avec sclérose. La diminution

de la myéline explique la décoloration observée par le Pal, tandis que la

teinte plus foncée constatée sur les coupes au picro-carmin, dépend de

l'augmentation du tissu conjonctif qui est venu combler les vides laissés

par la myéline amincie.

L'infiltration périvasculaire, l'endo-périartérite, est notablement plus

accentuée dans cette région que dans les régions précédentes. ,

F. Renflement cervical.

Les altérations du renflement cervical sont identiques à celles de la ré-

gion cervicale inférieure et présentent la même topographie.

SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 101

La seule différence à noter ici, est la disparition presque complète des

lésions du faisceau pyramidal gauche qui ne sont plus représentées que par

l'absence d'un petit nombre de fibres dans la portion moyenne.

G. Région CERVICALE supérieure.

Colorations myéliniques. - La dégénérescence du faisceau pyramidal

droit est notablement moins étendue et moins intense que plus bas.

La dégénérescence du faisceau pyramidal gauche réduite à quelques

fibres altérées n'est plus que difficilement reconnaissable.

Des deux côtés les faisceaux cérébelleux directs de Gowers sont plus

fortement altérés que dans la région sous-jacente.

Dans les cordons postérieurs, la dégénérescence affecte la même topogra-

phie ; elle est toujours beaucoup plus intense, plus marquée à gauche

qu'à droite.

H. BULBE ET protubérance.

Les lésions ne semblent pas dépasser la moelle. Au-dessus de l'entre-

croisement des pyramides, le Pal, le Weigert, le Kaiser, etc., etc.. mon-

trent des faisceaux également bien fournis des deux côtés.

Par les colorants nucléaires des cellules nerveuses se colorent bien, ne

paraissent pas altérées et ne semblent faire défaut nulle part.

Les méninges sont cependant un peu épaissies et quelques vaisseaux

sont atteints de périarthrite, mais d'une façon moins accusée que dans la

moelle.

I. Cerveau.

1) Extrémité inférieure de la circonvolution pariétale ascendante.

Cellules nerveuses normales comme nombre, volume et prolongements.

Fibres tangentielles conservées.

Fibres de la couche moyenne légèrement diminuées de nombre.

Fibres profondes saines.

2) Circonvolution du lobe paracentral.

Cellules nerveuses diminuées de nombre et un peu atrophiées, sans ce-

pendant présenter de granulations.

Fibres superficielles normales.

Fibres moyennes mieux conservées que plus haut quoique, peut-être un

peu moins nombreuses que normalement.

Fibres profondes saines. -

, Quelques vaisseaux présentent de petites hémorrhagies dans leur gaine

lymphatique.

3) Circonvolution occipitale.

xii 8

102 GILLES DE LA TOURETTE ET G. DURANTE

Cellules normales.

Fibres superficielles très diminuées.

Fibres moyennes presque absentes.

Fibres profondes normales.

Nous n'avons pas trouvé de périartérite très notable dans le cerveau de

ce malade, qui présente moins de lésions vasculaires- que de lésions des

tubes nerveux.

Ces lésions des tubes nerveux sont limitées aux fibres superficielles et

moyennes des circonvolutions. Les fibres moyennes semblent plus ou

moins altérées dans les différents points que nous avons coupés, les su-

perficielles ne se sont montrées malades que dans la région occipitale.

C'est du reste dans cette région que les altérations cérébrales semblent

avoir atteint le maximum de leur développement, mais même en ce point,

elles sont, en somme, relativement très légères, n'intéressant que des

fibres commissurales et ne sauraient être regardées comme le point de dé-

part de dégénérescences médullaires.

Résumé. - Ces altérations histologiques peuvent se résumer de la fa-

çon suivante :

1) Dégénérescence de faisceaux pyramidaux croisés sur toute la hauteur

de la moelle bilatérale, mais plus intense et plus étendue à droite qu'à

gauche.

Le maximum de cette dégénérescence siège dans la région dorsale su-

périeure, plus haut elle s'atténue rapidement, disparait bientôt à gauche

et à droite, ne dépasse pas l'entrecroisement des pyramides.

Les faisceaux de Turk sont normaux.

2) Dégénérescence des faisceaux cérébelleux directs des deux exilés et sur

toute leur hauteur. Cette dégénérescence est beaucoup moins intense que

celle des faisceaux pyramidaux.

3) Dégénérescence des faisceaux de Gowers en tant que prolongement

antérieur des faisceaux cérébelleux. Cette dégénérescence également peu

marquée, est un peu plus étendue à gauche qu'ai droite.

4) Cordons postérieurs absolument sains dans les régions lombaire et

dorsale. ? '

Dans la région cervicale seulement : dégénérescence (ou plutôt atrophie

des tubes nerveux) intéressant la zone qui sépare le faisceau de Goll du

faisceau de Burdach dans ses 2/3 antérieurs (virgule) ; dégénérescence

du 1/3 postérieur du faisceau de Goll et de la portion adjacente du fais-

ceau de Burdach.

Cette dégénérescence, beaucoup plus marquée à gauche qu'à droite, est

croisée par rapport aux lésions des faisceaux pyramidaux.

SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 103

Les zones radiculaires des cordons postérieurs sont partout parfaite-

ment intactes.

5) La substance grise présente dans la région dorsale, une légère atro-

phie de la corne antérieure gauche, mais là comme ailleurs, les cellules

motrices paraissent absolument normales quant à leur noyau, leurs pro-

longements et leurs affinités colorantes. ,

6) Dans la colonne de Clarke les cellules sont, d'une façon générale, un

peu moins nombreuses, à gauche qu'à droite, mais celles que l'on voit

semblent normales.

7) Le chevelu de la substance grise est, tant dans les cornes antérieures,

que dans les cornes postérieures et dans les colonnes de Clarke, bien

fourni sur toute la hauteur de la moelle.

8) Malgré l'existence d'un peu de péri artérite syphilitique, nous n'avons

pas trouvé de tubes nerveux dégénérés dans les racines postérieures.

D'autre part, les lésions vasculaires de ces racines se retrouvent sur

toute la hauteur de la moelle, on ne peut leur attribuer les altérations des

cordons postérieurs limitées à la région cervicale seulement. Du reste,

comme nous le faisons remarquer plus haut, la zone radiculaire de ces

cordons postérieurs est partout bien conservée.

9) Sur toutes les hauteurs de la moelle existe une périartérite assez

marquée. Cette périartérite qui est à son maximum dans la région cervi-

cale, et forme de véritables petites gommes, intéresse aussi bien les vais-

seaux méningés que ceux des cordons ;

10) Le Bulbe et la Protubérance paraissent sains. Nous n'avons trouvé

de lésions ni dans leurs faisceaux blancs, ni dans leurs noyaux gris.

il) Le cerveau, enfin, ne montre que des minimes altérations vascu-

laires et nerveuses. Ces altérations qui intéressent surtout les fibres de

la zone moyenne des circonvolutions, existent d'une façon assez diffuse,

sont plus marquées dans la région occipitale, mais nulle part très accen-

tuées, elles sont incapables d'avoir donné naissance à une dégénérescence

secondaire des faisceaux pyramidaux.

Maintenant quelle interprétation convient-il de donner à ces lésions,

quel fut leur point de départ, comment peut-on concevoir leur évolution ?

Tout d'abord les dégénérescences observées dans la moelle ne sauraient

en aucune façon être attribuées à une affection cérébrale ; une sclérose des

faisceaux pyramidaux aussi marquée que celle que nous avons décrite de-

manderait si elle relevait d'une lésion encéphalique une destruction éten-

due des circonvolutions motrices ou une solution de continuité dans les

faisceaux moteurs par une hémorrhagie, une tumeur, un foyer quelconque

104 GILLES DE LA TOURETTE ET G. DURANTE

assez volumineux pour ne pouvoir passer inaperçu. Malgré des recherches

attentives nous n'avons rien rencontré qui peut être interprété de cette

façon. Du reste les altérations limitées aux tubes nerveux avec intégrité

des cellules qui siégeaient uniquement dans l'écorce sont de celles que

l'on a assimilées au processus des névrites périphériques et qui ne donnent

pas naissance il des dégénérescences secondaires. De date très vraisembla-

blement récente elles étaient certainement sous la dépendance de l'état

cachectique de l'infection des eschares qui avait précédé la mort. Enfin

l'absence de toute dégénérescence dans les faisceaux blancs du mésen-

céphale est à elle seule une raison suffisante pour affirmer l'origine pure-

ment médullaire de la sclérose constatée des faisceaux pyramidaux.

L'origine périphérique ou radiculaireno saurait pas davantage être mise

en cause pour expliquer les lésions des cordons postérieurs. La zone cornu-

radiculaire étant en effet partout indemne on ne peut invoquer la péri-

artérite observée dans les racines postérieures qui du reste il côté de ces

lésions vasculaires ne montraient pas de fibres dégénérées. Enfin les lé-

sions vasculaires radiculaires sont diminuées également sur toute la hau-

teur de la moelle et ne cadrent pas avec une dégénérescence des cordons

postérieurs limitée à la région cervicale seulement. L'un de nous a, il

est vrai, montré l'existence d'une dégénérescence des cordons postérieurs

consécutives à des lésions encéphaliques (1), mais cette dégénérescence est

toujours beaucoup moins marquée que celle que nous avons observée dans

le cas qui nous occupe et en outre ne s'est jamais montrée que consécuti-

vement à des lésions en foyer que nous ne retrouvons pas ici.

Il s'agit donc indubitablement, dans le cas actuel, d'une affection systé-

matisée de le moelle, d'origine purement spinale.

L'étude des coupes faites à différentes hauteurs nous montre que le

maximum des lésions siège à l'union des régions dorsale et cervicale. C'est

à ce niveau qu'a dû se produire le foyer de myélite dont relèvent les dé-

générescences constatées. Ce foyer de myélite nous ne l'avons pas re-

trouvé sur nos coupes quoique nous ayons multiplié celles-ci à la hauteur

du siège présumé de la lésion initiale. Mais s'il était d'une partie épaisse

on comprend qu'il ai t pu nous échapper, car nous avons sectionné la moelle

en un certain nombre de segments pour obtenir un durcissement plus

rapide et sur la surface de chaque section un millimètre de tissu environ

est inutilisable par suite du traumatisme exercé par le rasoir sur la pièce

non fixée. Une de nos sections portant précisément sur le point le plus

(t) G. Dunwrr, Les dégénérescences secondaires du système nerveux. Bull. de la Soc.

de Biologie, 1894. - Les dégénérescences des cordons postérieurs conséculives aux

lésions en foyer de l'encéphale. Revue neurologique, 1898.

SYPHILIS HÉRÉDITAIRE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE 105

malade il se peut qu'elle soit précisément tombée sur l'étroit foyer primi-

tif de myélite qui dans la suite n'a pu de ce fait être retrouvé.

Quoique nous n'ayons pu le constater directement les dégénérescences

des faisceaux blancs sont assez caractéristiques pour nous permettre d'af-

firmer l'existence de ce foyer et le localiser assez exactement à l'union des

région cervicale et dorsale.

Au-dessous s'étend une dégénérescence descendante bilatérale des fais-

ceaux pyramidaux qui s'atténue légèrement à mesure qu'elle se rapproche

de l'extrémité lombaire, mais sans disparaître complètement. Au-dessus

on retrouve une dégénérescence descendante classique des cordons posté-

rieurs. La dégénérescence des faisceaux cérébelleux s'observe sur toute la

hauteur de la moelle. On pourrait la faire dépendre également du foyer

de myélite cervicale puisque nous savons que ce faisceau contient des fibres

qui subissent dans quelques cas la dégénérescence descendante. Mais nous

croyons plutôt qu'elle relève d'une altération de la substance grise, alté-

ration légère caractérisée par une diminution du nombre des cellules dans

les colonnes de Clarke. Cette altération de la colonne de Clarke qui se

montre sur toute sa hauteur paraît plus récente que celle qui a régi la

dégénérescence des faisceaux pyramidaux et concorde avec là dégénéres-

cence des faisceaux cérébelleux qui semble également plus jeune et nota-

blement moins accusée.

Quant à l'atrophie légère de la corne antérieure gauche dans la région

dorsale elle paraît être d'origine ancienne puisque la réparation des cellu-

les et des tubes nerveux y est complète. On ne saurait la rattacher à la

dégénérescence des faisceaux pyramidaux, car elle siège précisément du

côté opposé au faisceau moteur le plus atteint.

Il nous reste enfin à parler de la dégénérescence cervicale des pyrami-

daux. Celle-ci ne nous arrêtera pas longtemps. Allant en s'atténuant rapi-

dement à mesure quelle s'élève et disparaissant complètement avant l'en-

trecroisement des pyramides elle a tous les caractères de la dégénéres-

cence rétrograde. La possibilité d'une dégénérescence ascendante sur une

petite hauteur des faisceaux moteurs est aujourd'hui, croyons-nous, bien

démontrée ; elle est trop fréquente pour exiger ici une plus longue dis-

cussion.

Les altérations de la moelle que nous avons constatées semblent donc

bien relever avant tout d'un ancien foyer de myélite siégeant à l'union des

régions cervicale et dorsale et accessoirement d'une altération légère et

plus récente des cellules de la colonne de Clarke.

L'étiologie de ces lésions n'est pas ici absolument certaine, la notion

de la syphilis des parents n'ayant pu être acquise. Toutefois la clinique

montrant les phénomènes pathologiques améliorés sous l'influence de

106 GILLES DE LA TOURETTE ET G. DURANTE

l'iodure de potassium, le début des accidents dans ce jeune âge et les

dents d'Utchinson sont de fortes présomptions en faveur de la syphilis hé-

réditaire. L'examen histologique en montrant une endo-périartérite dif-

fuse affectant l'aspect de petites gommes miliaires disséminées appuie

également et vient corroborer autant que possible cette hypothèse.

Si maintenant nous essayons de reconstituer l'histoire anatomo-clini-

que de ce fait intéressant, en nous aidant de ce que nous venons de cons-

tater, voici croyons-nous ce qui a dû se passer.

Un foyer de myélite syphilitique développé dans les premières années

de l'existence. Ce foyer a peut-être été, au début, assez étendu quoique

touchant inégalement les différents points de la moelle. Cette myélite a

rétrocédé dans la suite, ne laissant comme traces de son existence dans

les endroits les moins touchés qu'une atrophie légère de la corne anté-

rieure gauche dorsale, mais occasionnant ailleurs, à l'union des régions

dorsale et cervicale, des altérations plus profondes avant déterminé une

dégénérescence secondaire des faisceaux pyramidaux de laquelle dépend

l'état spasmodique relaté dans l'enfance du sujet. Les faisceaux pyrami-

daux qui n'avaient pas été complètement détruits ont suffi à leur tâche,

peut-être même se sont-ils partiellement régénérés. Nous savons en effet

que la régénération des faisceaux blancs est possible dans certaines li-

mites chez l'adulte, à plus forte raison chez l'enfant. Ultérieurement des

poussées successives se sont produites partout particulièrement sur le

point antérieurement malade et amenant une extension de la lésion pri-

mitive.

De ces poussées, les unes plus intenses ont laissé des traces, d'autres

plus légères ont disparu complètement.

Quant aux lésions d'endo et de périartérite disséminée relevées sur les

coupes tant dans les moelles que dans les racines, elles peuvent avoir été

la cause des fourmillements, de certaines douleurs, mais elles ne sont pas

la cause de dégénérescences systématisées beaucoup plus anciennes. Ce

sont du reste, histologiquement, des lésions très récentes et qui n'ont pas

encore eu le temps de provoquer des altérations secondaires du système

nerveux ainsi que le prouve la parfaite intégrité des tissus dans leur

voisinage.

LABORATOIRE DES CLINIQUES DE LA FACULTE DE BORDEAUX.

ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE

DU MEMBRE SUPÉRIEUR DROIT

CONSÉCUTIVE A DES TRAUMATISMES VIOLENTS ET MULTIPLES

PAR

J. SABRAZÈS ET L. MARTY

(de Bordeaux).

Les neurones sont hiérarchisés en vue d'un fonctionnement harmoni-

que du système nerveux.

. Des recherches physiologiques et anatomo-clinidues toutes récentes ont

établi l'étroite solidarité des neurones qui sont spécialisés dans un but

commun. Les lésions des neurones moteurs périphériques, par exemple,

se répercutent sur les neurones moteurs médullaires et encéphaliques;

dans la sphère sensitive et sensorielle ces répercussions n'en existent pas

moins, %niais leur étude n'a pu encore être poussée très loin. Il y a donc le

plus grand intérêt à recueillir les faits de cet ordre où les troubles moteurs

s'associent aux troubles sensitifs et de donner à ces observations le plus

d'ampleur possible pour qu'elles puissent servir à l'élaboration ultérieure

de travaux d'ensemble sur celte importante question.

Observation.

Sommaire. - Homme, 27 ans, colporteur; atrophie du membre supérieur

droit : début à 12 ans après luxation de l'épaule droite facilement réduite;

se manifeste surtout il, 13 ans (fracture de l'humérus droit, au tiers su-

périeur, contusion de l'épaule, irradiations douloureuses) ; contusion de

lavant-bras droit à 14. ails; nouvelle fracture de l'humérus, au même

point, suivie de douleurs très vives à 15 ans; troisième fracture de l'h¡lJ ?

mérus ait même niveau, à 17 ails; à 25 hns, fracture de la clavicule

, droite.

Nàropathie légère ; buveur de vin.

Le 1,1; juillet 1898 : Atrophie d'intensité variable de tous les muscles inner-

. nés par le plexus brachial droit avec participation du squelette ; épaule

droite surélevée (intégrité du trapèze) ; hyperesthésie proportionnelle au

108 J. SABRAZÈS ET L, MARTY

degré d'atrophie des muscles ; épaississement dermique à la surface du

membre supérieur droit atrophié où le pouls est plus petit, la croissance

des ongles et la sudation exagérées, la réaction 'vaso-motrice retardée, la

température plus basse. Exagération des réflexes périostiques des poignets

droit et gauche. '

Mamelon droit plus élevé que le gauche. Légère scoliose et concavité droite

dans la région dorsale. Hyperesthésie lt la piqûre de V hémithorax droit.

Réflexes rotuliens, plantaires, testiculaires exagérés . Trépidation rotulienne

plus marquée à droite ; tendance la trépidation épileptoïde des deux c8-

tés.

Histoire clinique. V... Alfred, Age de 27 ans, exerçant le métier de col-

porteur, entre à l'hôpital St-André, salle 15, lit 3, en juillet 1898; il est atteint

d'une atrophie du membre supérieur droit. Cette atrophie a débuté, à de

12 ans, époque à laquelle le malade, en faisant un saut périlleux, tomba sur

l'épaule et le bras droits ; quand il se releva, toute cette région était considéra-

blement tuméfiée et un médecin consulté constata l'existence d'une luxation

de l'épaule qu'il réduisit et maintint réduite pendant un mois environ. Au

bout de ce laps de temps, le membre était amaigri et affaibli sans qu'il eût été

le siège de douleurs vives. Toutefois un an après cet accident, les fonctions de

ce membre sont récupérées et le malade peut s'en servir comme par le passé

ou peu s'en faut. Mais quelque temps après, à 13 ans, en jouant avec ses ca-

marades, V... fait une chute du haut d'un lit et se fracture l'humérus droit au

tiers supérieur, avec contusion violente et gonflement de l'épaule. Immobilisa-

tion pendant quarante jours, dans un appareil à attelles, de ce bras qui était t

très endolori, au point qu'on ne pouvait même pas l'effleurer. Les douleurs

s'irradient jusque dans l'extrémité des doigts, mais ne remontent pas dans la

région sus-claviculaire. Lorsqu'on enlève l'appareil, la fracture est consolidée',

mais les parties molles sont très amaigries et les douleurs persistent très vives

dans l'épaule. Le malade peut cependant se servir de son bras ; il a du reste

travaillé jusqu'à t'âge de 23 ans, à la Rochelle et à Paris, où il était employé à

la préparation des échantillons dans les chais. C'est de cet accident que date

l'atrophie qui est toujours allée s'accentuant en dépit des traitements employés

(tentatives d'électrisation à la Rochelle, qu'on dût suspendre à cause des dou-

leurs qu'elles provoquaient).

A 14 ans, V... reçoit un coup de bâton sur l'avant-bras ; il apparaît une

large ecchymose et de la raideur pendant quinze jours. Tout rentre dans l'or-

dre sous l'action du massage. Peu à peu, sous l'influence de la gymnastique et

des bains de son, il se fait une amélioration notable et l'amaigrissement tend à

s'atténuer lorsque, à 15 ans, nouvelle chute du haut d'un trapèze (2 à 3 mè-

tres de haut), nouvelle fracture de l'humérus an même niveau que la première.

Immobilisation pendant quarante jours. Pendant ce temps, il existe des dou-

leurs violentes jusqu'à la main, à type lancinant, avec soubresauts. La conso-

lidation opérée, les douleurs ont disparu dans le bras, mais persistent légères

dans l'épaule; l'amaigrissement du membre ne fait par contre que s'accuser.

atrophie musculaire ET OSSEUSE 109

A 17 ans, nouvelle chute sur le coude en glissant il terre sur une écaille.

Nouvelle fracture de l'humérus droit, siégeant à l'union du quart supérieur et

des trois quarts inférieurs. Immobilisation. Douleurs très vives surtout à l'é-

paule. Sensations de picotements et de fourmillements sur la main. La lésion

se répare, mais à partir de ce moment, le bras est frappé d'impotence presque

absolue et ne peut guère être utilisé que pour saluer et manger.

A 25 ans, il y a 2 ans, à Cette, V... reçoit sur l'épaule droite de la hauteur

d'un camion, une pièce de bois sur laquelle on faisait glisser des fûts. Fracture

de la clavicule avec gonflement et ecchymose. Application d'une écharpe. Dou-

leurs très vives surtout dans la région rétro-scapulaire. Fourmillements de la

main. La sensibilité est toujours conservée dans tout le membre. Au bout d'un

mois et demi, les mouvements de l'épaule redeviennent possibles. Ajoutons

que le membre était déjà atrophié (peut-être un peu moins qu'aujourd'hui)

quand se produisit la fracture de la clavicule. Cette fracture apparaît aujour-

d'hui parfaitement consolidée, sans cal exubérant.

A la Rochelle, on essaye l'électrisation qui est extrêmement douloureuse

(sensation d'ostéoclasie) ; on est obligé d'y renoncer. Du reste, d'autres tentati-

ves d'électrisation faites à l'âge de 21 ans, à l'hôpital Lariboisière, furent vai-

nes pour les mêmes raisons. La reprise du travail, au dire du malade, influe-

rait toutefois sur la réapparition relative des forces dans le membre atrophié.

En dehors de ces accidents et de l'atrophie du membre supérieur droit qui

en est la conséquence on ne trouve dans les antécédents de V... ni convulsions,

ni crises de nerfs, ni pertes de connaissance ; on note toutefois un état ner-

veux habituel avec tremblement émotionnel sous l'influence de la colère. Va-

riole dans la première enfance sans paralysie consécutive. Pas de btennorrha-

gie. A 20 ans, plusieurs chancres suppurés. Pas d'accidents syphilitiques. Cet

homme a contracté des habitudes alcooliques depuis t'age de 13 ans. Il lui ar-

rive souvent de boire jusqu'à, cinq litres de vin dans une même journée. Il a,

de ce chef, des troubles gastro-intestinaux qui out nécessité récemment son

entrée à l'hôpital suburbain de Montpellier dans le service de M. le professeur

Grasset. Il a eu dernièrement quelques symptômes nerveux tels que phobies

sur les routes, il la vue d'une charrette, rêves constants avec zooptie ; les

rêves cèdent s'il interrompt ses libations ; tremblement, le matin à jeun, qui

disparaît quand il a bu. Depuis un an, une courte exposition au soleil (un

quart, d'heure) suffit à faire apparaître sur les mains, à gauche et à droite, des

lésions semblables aux soulèvements bulleux d'un vésicatoire.

Antécédents héréditaires. Les parents de ce malade sont vivants et en

- excellente sauté ; ils n'ont eu ni troubles paralytiques, ni chorée, ni accidents

nerveux d'aucune sorte, ni rhumatisme, ni obésité. Une soeur est bien por-

tante ; deux frères sont morts de diphtérie (sans paralysie).

Etat actuel (15 juillet 1898). On se trouve en présence d'un homme au

teint hâté. Les ongles ne sont dystrophiés, ni à droite, ni gauche, mais pous-

seraient très oite à la main droite. Le système pileux est également développé

des deux côtés. On est frappé par la position de l'épaule droite qui est suréle-

110 J. SABRAZÈS ET L. MARTY

vée, tirée en haut, et par le volume inégal des deux membres supérieurs : le

droit est très grêle (Voir 7'/<oo)'. stéréoscopique, Pl. XVII) par rapport au

gauche, lequel a le volume d'un membre bien constitué. Le membre droit

est tombant, appliqué au tronc en pronation marquée, tandis que le gauche a

la position et l'incurvation d'un membre bien suspendu et attaché par des mus-

cles puissants à la partie supérieure du thorax. Si maintenant on examine en

détail le membre droit, on voit que la ceinture scapulaire au lieu des contours

gracieux et arrondis qu'on retrouve sur l'épaule gauche présente de nombreuses

irrégularités : les saillies osseuses (épine de l'omoplate, acrominn, apophyse

coracoïde, clavicule, extrémité supérieure de l'humérus) se dessinent sous la

peau au point qu'en prenant l'épaule à pleine main, on peut en apprécier tous

les reliefs. Les méplats qui séparent les saillies (fosses sus-épineuse, sous-

épineuse, sus et sous-claviculaire, dépression pectorale) sont très accusés et

comme vides de leurs muscles.

Le deltoïde est réduit à une lame très mince, incapable de soutenir le mem-

bre. L'articulation scapulo-humérale est relâchée au maximum ; l'enveloppe

musculaire qui double la capsule ligamenteuse ayant perdu sa tonicité, celle-ci

n'est plus suffisante pour maintenir en contact les surfaces articulaires ; aussi

déprime-t-on facilement les parties molles au niveau de l'interligne articulaire

et peut-on explorer le fond de la cavité glénoïde aussi bien que la tète humé-

raie qu'on embrasse avec les doigts légèrement fléchis. Cette laxité mesurée

par un à deux centimètres d'écartement entre les surfaces articulaires rend les

mouvements extrêmement faciles dans toutes les directions.

Immobilisant le scapulum d'une main et imprimant des déplacements à l'hu-

mérus de l'autre, on produit sans difficulté des subluxations qui se réduisent

toujours spontanément par le fait du poids du membre qui ramène la tête Im-

morale dans le grand axe de la cavité glénoïde. Les pectoraux sont atrophiés

au point qu'on peut insinuer le poing dans la dépression pré-scapulo-humé-

rale.

Saisissant avec les doigts la masse des muscles ronds et du tendon du grand

dorsal, on la trouve sensiblement diminuée de volume.

Portant la main plus bas, sur la région du grand dorsal, on voit que le thorax

est notablement amaigri en ce point. '

Ajoutons que les deux masses sacro-lombaires sont parfaitement égales ettrès

bien développées.

Remontant plus haut, on voit le bord spinal de l'omoplate légèrement déta-

ché de la paroi thoracique et fortement écarté de la colonne vertébrale (12 cent.

environ au lieu de 5 cent. de l'antre côté).

De plus, le grand dentelé supérieur, le rhomboïde, etc. qui remplissent cette

gouttière inter-scapulo-vertébrale sont diminués de volume. Le rhomboïde, qui

normalement tire en haut et en dedans le bord spinal, et faisant basculer en

dedans le sommet de l'omoplate tient, dans certains mouvements d'effort du

membre supérieur, le scapulum en arrêt par rapport au rachis, a perdu ici sa

force et laisse aller l'omoplate au gré du trapèze qui est absolument normal.

Nouv. Iconographie UI la SAII'ÉrRIEHE. T. XII. PI. XVII

ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE DU MEMBRE SUPÉRIEUR DROIT

(S,ibi-izès et Marty)

rP71 ? 1r/,>i ? </ ?

ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 111

Celui-ci tire en haut la base et l'angle externe de l'omoplate dont le sommet bas-

cule en dehors ; aussi l'épaule droite est-elle surélevée de 3 centimètres au-des-

sus de l'autre.

Disons encore que la position du bord spinal de l'omoplate détaché de la pa-

roi costale témoigne de l'impotence du grand dentelé. Ce muscle, en effet, a

pour action de contrebalancer surtout le rhomboïde et d'appliquer le bord spi-

nal sur les côtes. Or ici on peut aisément glisser les doigts entre la paroi cos-

tale et ce bord. L'exploration du creux axillaire accuse un amaigrissement des

espaces intercostaux au niveau des faisceaux d'i; sertion du grand dentelé. il

Le sous-scapulaire est également amaigri aut. nt qu'on en peut juger par le

rapprochement du corps de l'omoplate de la p; roi costale, le matelas charnu

qui l'en sépare ayant été réduit dans son épaisseur.

L'angulaire de l'omoplate semble un peu amaigri.

La colonne charnue des muscles de la nuque a des insertions exactement sy-

métriques sur le sommet du thorax et la ceinture scapulaire.

Les muscles intercostaux de t'hémithorax droit ne participent nullement à

l'atrophie.

Les muscles du bras droit sont très atrophiés.

Le biceps, réduit il l'état de corde,a perdu de sa longueur et maintient l'avant-

bras en légère flexion sur le bras. Le coraco-brachial est également très réduit.

Le triceps brachial a perdu de son volume mais relativement moins que le bi-

ceps et le coraco-brachial ; en le prenant à pleine main on voit qu'il est encore

notablement charnu. En somme, le bras est très rapetissé et contraste avec

l'avant-bras qui est moins atrophié.

Toutefois, l'avant-bras est très grêle si on le compare à celui du côté opposé.

Il a conservé sa forme conique ; la partie charnue a gardé sa configuration.

Cependant la masse externe (muscles épicondyliens) semble plus frappée que

l'interne (muscles épitrochléens). Le long supinateur est le plus atteint des

muscles de l'avant-bras. Il est relativement plus grêle que les autres et ne

peut servir à la supination ni résister à l'extension lorsqu'on met l'avant-bras

en flexion sur le bras.

Les muscles de la région antérieure de l'avant-bras (rond pronateur, grand

et petit palmaires, fléchisseur commun superficiel, fléchisseur propre du pouce,

carré pronateur) sont moins lésés et ont conservé leurs fonctions.

Le cubital antérieur et la portion interne du fléchisseur commun profond

semblent à peu près intacts.

Les muscles de la région postéro-externe de l'avant-bras sont atteints plus

que ceux de la région antérieure mais moins que le long supinateur.

A la main, ce qui frappe, c'est la maigreur de l'éminence thénar ; son sque-

lette est pour ainsi dire sous la peau et les mouvements d'opposition quoique pos-

sibles sont rendus très difficiles. Le pouce peut être porté au contact du petit

doigt mais, pour exercer la plus légère pression, il doit utiliser l'action de son

fléchisseur (flexion de la 2'' phalange sur la 1).

L'éminence hypothénar n'est que légèrement réduite de volume.

112 J. SABRAZÈS ET L. MARTY

Les muscles interosseux sont peu diminués; ils remplissent leurs fonctions

ainsi que l'adducteur du pouce et les lombricaux.

Les espaces interosseux sont cependant un peu plus marqués que du côté

gauche.

En résumé, tous les muscles innervés par le plexus brachial (et ceux-la

seuls, sont atrophiés. Mais si on voulait dresser une échelle du degré d'atrophie,

on verrait que :

1° Le deltoïde est le plus atrophié.

20 Le coraco-brachial, le biceps, le brachial antérieur sont presque aussi

atrophiés que le deltoïde.

3° Le triceps brachial, le long supinateur le sont à un degré un peu moindre.

4° L'atrophie est plus faible et inégalement répartie sur le sus-épineux, le

sous-épineux, le rhomboïde, le grand pectoral, le grand dentelé. le sous-clavier.

5° Viennent ensuite les extenseurs, le grand dorsal, le petit pectoral, le sous-

scapulaire.

6° Les muscles thénariens moins l'adducteur du pouce.

7° Les muscles de la région antérieure de l'avant-bras.

8° Le cubital antérieur, le fléchisseur commun profond, les muscles hypo-

thénariens, les interosseux et les lombricaux.

Les mensurations donnent :

Circonférence du bras au niveau du creux axil- droite à gauche

laire 17 cent. 1/4 28 cent.

Circonférence du bras au-dessus du deltoïde. 17 » 27 »

Circonférence du bras au pli du coude.. 17 » 1/4 24 » 1/2

Longueur de l'avant-bras, de l'apophyse co-

racoïde à l'extrémité du pouce 65 » 70 »

Circonférence de l'hémithorax en passant

par le creux axillaire 40 » 44 »

Circonférence de 1'liémithorax au-dessous

des mamelons......... , . 42 » 41 t »

Longueur du médius 8 » 1/2 8 » 1/4

Au dynamomètre, la main droite, dans un premier effort, donne 9 kilogram-

mes ; dans un second effort, elle ne donne plus que 6 kilogrammes. Dans ces

deux expériences, on est obligé de maintenir le poignet du malade.

A gauche, la pression dynamométrique de la main est de 47 kilogrammes.

Les téguments du bras droit sont parsemés de petites zones cicatricielles si-

mulant des vergetures et consécutives il l'application de topiques par un rebou-

teur. Quand on pince la peau, on constate il droite un état particulier des tégu-

ments. Le pli qu'on forme ainsi est trois fois plus épais environ à droite qu'à

gauche sur l'avant-bras, et quatre fois plus épais sur le bras. Cet épaississe-

ment n'est pas dû à de l'oedème. De plus, la peau est souple il gauche ; elle est

plus résistante il droite. Cependant le pli que l'on forme disparaît assez vite.

Les os faciles à examiner vu la faible épaisseur des tissus mous qui les enve-

loppent participent à l'atrophie.

Nouv. Iconographie DE la Salpètrière. T. XII. PI. XVIII

ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE DU MEMBRE SUPÉRIEUR DROIT

(S.tL,razcs et 1\ ! arty)

Radiographie de l'épaiile

MASSON & etC, Editeurs.

Nouv. Icosograpiiil 1)1 la Sai.fêikickk.. r. XII. Pl. XIX

ph't'tyl'te n, rmsnn Paris

ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE DU MEMBRE SUPERIEUR DROIT

(S.IlW,IZ0s et M.1rty)

Radiographie du coude

MASSON & cle, Editeurs

ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 113

La clavicule ne parait pas offrir un volume anormal. L'omoplate est peut-

être un peu plus grêle sans qu'on puisse l'affirmer.

Les extrémités supérieure et inférieure de l'humérus atteignent presque le

volume normal et sont surmontées de toutes leurs apophyses assez faciles à

trouver. Le corps de l'humérus est tellement ténu qu'il semble qu'on va l'écra-

ser en le serrant entre les doigts. A l'examen radioscopique (PI. XVIII), la

tête humérale est volumineuse par rapport au corps et donne l'impression

d'une énorme massue montée sur un manche long et grêle. A l'union du 1/4

supérieur avec les 3/4 inférieurs, l'humérus change de direction; il décrit t

une courbe à concavité antérieure et à convexité postérieure. De plus, au point

d'inflexion qui correspond au siège des fractures multiples déjà mentionnées,

l'humérus est légèrement renflé ; il n'y a là ni trace de solution de continuité,

ni trace apparente de cal. Au-dessous, le corps redevient un peu plus grêle

jusqu'à l'union des 2/3 supérieurs avec le 1/3 inférieur; là l'humérus semble

soufflé en arrière, décrit un ventre postérieur et atteint ainsi, à ce niveau, un

volume qui rappelle celui d'un humérus normal. Cette reprise de volume nor-

mal porte aussi sur l'extrémité inférieure de cet os (PI.X1X).

Les os de l'avant-bras, surtout le radius, sont diminués d'épaisseur. L'extré-

mité supérieure du cubitus (olécrttnc et apophyse coron oïde) est volumineuse.

L'examen radioscopique montre aussi que les os de la main droite (PI. XX)

(métacarpiens et phalanges) ne sont pas dans le même axe, comme ceux de la

main gauche (PI. XX). Il y a un changement de direction au niveau des arti-

culations métacarpo-phalangiennes, marqué surtout pour les quatre derniers

doigts. Les os des doigts (Ire, 2°, 3e phalanges) sont -sur une ligne droite al-

lant des os du carpe à l'extrémité de la 3° phalange.

La mensuration sur les radiographies donne en ligne droite :

I. De la base des métacarpiens à l'extrémité inférieure de la 3e phalange :

Main droite. Main gauche.

1er doigt. 10 centim. 11 centim.

2° « 15 - .......... . 16

3e « 16 .......... 17 ' .

4° « 15 z . 16

5- « 12 .......... 13 -

Il. Longueur des métacarpiens seuls :

le, métacarpien. 5 cent. 5 cent.

2° « 7 ....... 7 -

3o « 6 - 1/2 ....... 6 - i/2

4e « 6 z , 6 '

5e « « 5 1/2 5 - 112

III. Longueur du squelette des doigts seuls.

1er doigt. 5 cent. 5 ........... 5 cent. 8

2e « 8 ........... . 88

3" « s - 4 ........... 98 s

4° « 9 ........... z 4

50 « 6 - 7 ........... 7 lui

114 J. SABRAZËS ET L. MARTY

Eu résumé, le squelette des doigts de la main droite est plus court que celui

de la main gauche de li à 5 mm. ,

Les extrémités osseuses des métacarpiens et des doigts ont conservé leur vo-

lume normal. Le corps de ces mêmes os, surtout des métacarpiens, est au con-

traire sensiblement réduit. '

En somme, les os du membre supérieur droit (humérus, radius et cubitus)

pris séparément, ont sensiblement leur longueur normale. Revêtus des tissus

mous, ils sont déplacés au niveau des jointures, il en résulte des déformations

et un raccourcissement de 5 centimètres (60 centim. au lieu de 70 centim. pour

tout le membre).

Le corps de ces os est atrophié. Les extrémités osseuses ont un volume à peu

près normal ; elles sont surmontées de toutes leurs apophyses.

- Les capsules articulaires (musculaires et ligamenteuses) sont faibles, d'où le

relâchement des articulations.

La tète humérale ballotte dans sa gaine et s'écarte de la cavité glénoïde.

L'articulation du coude est lâche et 'rend possible les mouvements anormaux

de latéralité. Les extrémités articulaires ont pourtant conservé leurs rapports

normaux. z

L'articulation du poignet est absolument libre, manifestement moins serrée

qu'une articulation normale. Les mouvements d'adduction ont une amplitude

exagérée, de même la flexion et l'extension.

On met la main il angle droit en adduction et en extension sur l'avant-bras.

La flexion de la main se fait à angle droit.

Les articulations phalango-phalanginiennes sont douées de quelques mouve-

ments anormaux et peuvent même se placer spontanément en extension forcée

qu'on peut encore pousser plus loin par pression sur le bout des doigts. Dans

toutes ces articulations, il est impossible de percevoir le moindre craquement t

quel que soit le mouvement qu'on imprime aux surfaces articulaires.

Quand on demande au malade de reporter les épaules en arrière, de rappro-

cher en d'autres termes les bords spinaux des omoplates du rachis, il n'y par-

vient pas pour l'omoplate droite (on dirait que le malade ne sait plus faire ce

mouvement, tant il hésite avant de s'y essayer).

Les mouvements d'élévation de l'épaule sont bien conservés (haussement).

Si on demande à V... de porter la main sur la tête, il arrive à peine, en flé-

chissant les doigts dans la main, à écarter le membre tombant à quatre travers

de doigt environ en dehors du plan du corps. On est en présence d'un membre

ballant. Le malade ramène la main derrière lui, mais avec peine et seulement

en conservant la main dans la pronation (ce mouvement n'est en somme qu'une

pronation exagérée par le rond pronateur qui est presque sain et le grand dor-

sal qui l'est encore dans une certaine mesure).

Le malade ne peut porter la main en avant dans Pacte d'uriner.

Les mouvements d'abduction du bras sont impossibles. Ceux qu'on peut ob-

tenir sont dus il un mouvement de latéralité du tronc qui vient buter contre le

bras et le coude et imprimer une oscillation transversale à l'extrémité du seg-

ment.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE.

T. XII. PL. XX.

ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE DU MEMBRE SUPÉRIEUR DROIT

(Sabrazès et MARTY)

Main gauche {côté sam). Radiographies. Main DROITI : (coté atrophié).

Masson et Cio, Éditeurs

ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 115

La flexion volontaire de l'avant-bras est nulle. Pour l'obtenir, le malade est

obligé de projeter le membre par un mouvement de bilboquet.

Le bras est constamment en pronation ; la supination est très difficile, très

limitée et ne s'obtient (à un très faible degré) que par un mouvement de flexion

et d'adduction du muscle 'cubital antérieur. L'extension de l'avant-bras sur le

bras n'est qu'ébauchée et ne peut s'obtenir complète même au prix de grands

efforts ; la corde tendineuse du biceps qui se dessine sous la peau limite ce

mouvement.

La flexion des doigts dans la main est facile.

L'extension de la main et des doigts ne se fait pas sans le secours d'un aide.

Le malade ne peut faire le simulacre de jouer du piano qu'après immobilisa-

tion préalable du coude sur un plan d'appui. D'ailleurs, même dans ces con-

ditions, les mouvements sont très limités.

Les mouvements d'opposition du pouce et du petit doigt sont possibles mais

peu énergiques.

L'adduction et l'abduction de la main sont conservées. L'adduction est sur-

tout facile.

L'adduction et l'abduction des doigts sont promptes et assez énergiques. Le

malade n'oppose aucune résistance à l'extension de l'avant-bras mis au préala-

ble en flexion ; aucune non plus à la supination.

Il résiste faiblement il la pronation ; assez fortement à l'extension des doigts

mis en flexion, ainsi qu'à l'adduction ou à l'abduction des doigts.

Examen DES réactions électriques DU membre supérieur DROIT ET DU côté DROIT

Du cou (20 juillet), par M. le professeur Bergokié.

Io Aucun muscle ne donne la réaction de dégénérescence.

2° Conservation de l'excitabilité faradique pourles muscles de l'éminence thé-

nar, de l'éminence hypothénar, interosseux palmaires et dorsaux, long exten-

seur du pouce, extenseurs des doigts, sus et sous-épineux, et pour les muscles

du cou.

3° Excitabilité faradique très diminuée. pour le biceps.

4° Excitabilité faradique abolie pour les muscles, deltoïde, triceps, long su-

pinateur ;

5° Nerfs : cubital, médian, facilement excitables ; radial, excitabilité très di-

minuée ; nerfs circonflexe, musculo-cutanés, n'ont pas été explorés.

Examen DE la sensibilité.

La sensation tactile est conservée et ne semble pas exagérée sauf au chatouil-

lement, dans la région de l'omoplate droite.

La sensation du mouillé est normale.

Les objets mis dans la main sont parfaitement reconnus.

Le sens musculaire et la notion de position sont conservés.

Le malade se rend bien compte de sa position dans le lit et il va saisir le mem-

bre malade sans hésitation avec la main gauche.

116 J. SABRAZÈS ET L. MARTY

La sensation douloureuse, en revanche, a subi des perturbations. Le malade

ne se souvient pas d'avoir jamais eu d'insensibilité dans le membre supérieur

droit; mais il a eu des fourmillements dans les mains.

Interrogé au sujet de la température subjective de ses membres, le malade

prétend avoir toujours plus froid en hiver il droite qu'il gauche.

Actuellement, il n'a aucune sensation de température anormale, ni d'un côté,

ni de l'autre. La température objective du membre supérieur droit est un peu

plus basse dans ses divers segments que celle du membre supérieur gauche.

La sensation au contact d'un corps froid est exagérée dans la région postéro-

externe de l'épaule et du bras (zone du circonflexe) ainsi que dans la région

antéro-externe de l'avant-bras (zone du musculo-cutané et du radial). La sen-

sation au contact d'un corps chaud est exagérée dans les mômes zones.

Au pincement,- à la piqûre de la peau, hyperalgésie très vive dans la zone

sensitive du circonflexe (face postérieure de l'épaule et externe du bras). Dans la

zone sensitive du musculo-cutané (face antéro-externe de Pavant-bras) l'hyper-

algésie est un peu moins marquée. Moins vive encore dans la zone sensitive

du radial (face postérieure du bras et de l'avant-bras). A peine accusée sur la

moitié externe du dos de la main.

La sensibilité Ù la piqûre et au pincement est normale dans la zone sensitive

du brachial-cutané interne et de son accessoire, ainsi que du cubital. Peut-être

très légère hyperalgésie dans la zone sensitive du nerf médian (face palmaire

des 10e, 2°, 3° et moitié externe du 4° doigts et de la région correspondante du

carpe et du métacarpe).

Pas d'hyperalgésie dans la région antérieure de l'épaule qui reçoit la sensi-

bilité cutanée du plexus cervical.

L'hyperalgésie musculaire recherchée par le pincement profond, prolongé,

en évitant de la confondre avec l'hyperalgésie cutanée et sous-cutanée, est ma-

nifeste sur tous les muscles de la ceinture scapulaire.

Le pincement du grand dorsal est assez douloureux.

du rhomboïde est très douloureux.

du grand dentelé est. très douloureux.

sus-épineux \\

sous-épineux I

sous-clavier / , , ..

- sous-clavier ora assez douloureux et a peu près

0 grand pectoral au même degré ' z

° grand , . pectoral > au même , degré , ,

angulaire l

grand et petit ronds

sous-scapulaire J

Le deltoïde est extrêmement douloureux. Le moindre pincement de ce mus-

cle provoque un sursaut brusque ; de même pour les muscles c01'aco-brachial,

biceps, brachial antérieur.

Le pincement du triceps, très douloureux au niveau des points où siégeait

la fracture de l'humérus, l'est moins dans le reste de son étendue ; ce muscle

est hyperaIgésique il peu près au même degré que le long supinateur.

ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 1 117 i

Le pincement des muscles de la région postéro-exterlle de l'avant-bras est

assez douloureux.

Celui des muscles de la région antérieure de l'avant-bras et de l'éminence

tbénar l'est peu.

Celui du cubital antérieur, du fléchisseur commun profond, des muscles

hypothénariens, des interosseux et de l'adducteur du pouce ne l'est pas anorma-

lement.

Il existe aussi de l'hyperalgésie osseuse : vive au niveau de l'extrémité supé-

rieure de l'humérus; très vive sur le corps du même os (au niveau du cal

osseux); vive à l'extrémité inférieure de l'humérs ; faible sur l'extrémité su-

périeure du radius et à peu près nulle dans ses 2/3 inférieurs ; nulle ou à peu

près sur le cubitus ; nulle sur les os de la main. 1

Le pincement des troncs nerveux se traduit par une hyperalgésie encore plus

vive.

La pression du nerf scapulaire supérieur, au point où il passe dans l'enco-

che que lui offre la base de l'omoplate, est très douloureuse.

La pression du nerf du grand dentelé contre la paroi tboracique est égale-

ment très pénible.

La pression exercée sur tout le plexus brachial au-dessus de la clavicule et

dans le creux de l'aisselle est douloureuse.

La pression exercée sur les branches radiculaires à leur sortie des trous de

conjugaison et en dehors des scalènes l'est aussi.

La pression exercée sur le circonflexe au moment où il sort du quadrilatère

que lui forment les deux ronds, la longue portion du triceps et l'humérus, est

extrêmement douloureuse.

De même la pression du musculo-cutané et celle du radial dans la gouttière

de torsion de l'humérus, et au niveau du point où la branche musculaire s'en-

gage dans le court supinateur et aussi dans le point où la branche sensitive

quitte la région antérieure (à 7 ou 8 centim. au-dessus de l'apophyse styloïde

du radius) pour devenir postérieure.

La préhension du nerf médian au milieu du bras est douloureuse, ainsi que

la pression exercée sur son tronc au pli du coude et au niveau du poignet.

La préhension des nerfs collatéraux des doigts est indolore.

La pression du cubital est peu douloureuse au-dessus de l'épi trochlée ; au-

dessous de ce point la pression provoque les sensations habituelles.

La sensibilité électrique est très exagérée à droite, sur la totalité du mem-

bre, mais surtout sur le bras. Elle est normale gauche. Une secousse élec-

trique bien supportée même par le malade, au bras gauche, l'a un jour, dans

une foire, jeté à la renverse alors qu'il essayait de la supporter du côté droit.'

Eu résumé, la sensibilité tactile, le sens musculaire sont normaux. Mais la

sensibilité à la douleur est très exagérée dans les zones sensitives et motrices

du nerf circonflexe, du nerf musculo-cutané, du radial ; les hyper31gésies

cutanée, musculaire, osseuse sont superposables dans les territoires où se dis-

tribue un même nerf. L'hyperalgésie, quoique moins marquée, s'étend aux

au 9

118 t J. SABRAZÈS ET L. MARTY

muscles delà ceinture (grand rond, rhomboïde, angulaire, sous-épineux, sus-

épineux, pectoraux, sous-clavier, sous-scapulaire, grand dentelé). Elle est un

peu plus vive pour le rhomboïde et le grand dentelé.

Le degré de l'hyperalgésie est proportionnel au degré d'atrophie des muscles.

Les territoires hyperalgésiques peuvent être classés de la façon suivante par

degrés décroissants :

10 Circonflexe.

2<' Musculo-cutané.

3° Radial.

4" Muscles péri-scapulaires.

Vaisseaux. Le pouls radical est moins fort à droite; il est filiforme. Les

deux pouls sont cependant synchrones. On sent les battements de l'humérale

au-dessous du creux axillaire, au niveau du pli du coude. Le long du bras pas

de cordon induré appréciable au niveau du paquet vasculo-nerveux.

La sudation est exagérée à droite : la main est constamment couverte de sueur.

Si on recherche la réaction vaso-motrice, on constate l'apparition d'une raie

rouge, 7 à 8 secondes après l'impression ; les raies vaso-motrices deviennent

saillantes au bout de deux à trois minutes, mais plus vite sur le membre su-

périeur gauche que sur le droit. Sur le thorax, dans les régions pectorale et

sus-mammaire, quand on trace des raies avec une épingle, il se produit une

saillie démographique, saillie d'un blanc rosé, beaucoup plus marquée à gauche

qu'à droite. Tout autour du bourrelet saillant on remarque une zone érythé-

mateuse s'effaçant à la pression et tout aussi marquée à droite qu'à gauche. Le

dermographisme persiste encore dix minutes après l'impression et la zone éry-

thémateuse est encore visible une demi-heure après, alors que le bourrelet

saillant a disparu. Au niveau des piqûres, deux à trois minutes après, appa-

raissent des papules à droite comme à gauche.

Réflexes. - Les muscles de l'avant-bras ne sont pas hyperexcitables par la

percussion. Quand on percute l'extrémité inférieure du radius, on provoque à

droite des mouvements de flexion des doigts, et, a gauche, des secousses d'une

très grande amplitude de l'avant-bras et de la main.

Pas de contractions fibrillaires des muscles dans le membre supérieur droit,

ni dans la région pectorale et postérieure de l'épaule.

Pas de tremblement, mais instabilité de la main et des doigts qui sont

maintenus à grand'peine dans un plan horizontal. Le malade prétend avoir eu

des tremblements du petit doigt sous l'influence du froid ; ce tremblement

n'existe pas actuellement.

Pas de tremblement à gauche.

Quand on chatouille légèrement la peau, au-dessous de l'omoplate, on voit

que le malade réagit davantage à droite qu'à gauche.

Membres inférieurs. - Marcheur infatigable, V... fait 30 kilomètres par jour

sans éprouver de fatigue des membres inférieurs. Ceux-ci ne se différencient

pas l'un de l'autre quant il leur aspect extérieur et leur musculature. Aucun

trouble de la marche. La station debout sur un pied est facile, ainsi que la z

marche à reculons les yeux fermés.

ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 119

La sensibilité au contact est bien perçue.

La sensibilité à la piqûre est également sentie à droite et à gauche, mais

avec une légère hyperesthésie des deux côtés. De plus, sous l'influence de la

piqûre, on suscite une trépidation rotulienne qui est plus vive à droite qu'à

gauche et qui persiste indéfiniment. Cette trépidation ne se produit pas tou-

jours.

La sensibilité thermique est normale et égale à droite comme à gauche.

Les réflexes plantaires, vifs des deux côtés et les réflexes testiculaires éga-

lement très vifs des deux côtés ne s'épuisent que difficilement.

Les réflexes rotuliens sont très exagérés des deux côtés.

Début de trépidation épileptoïde des deux côtés.

On provoque aussi de la trépidation rotulienne qui persiste moins que lors-

qu'elle a été suscitée par la piqûre.

Quand on fait placer le membre étendu au-dessus du plan du lit, on remar-

que qu'il est animé de petites oscillations rythmées.

Thorax. - Le mamelon droit est sur un plan plus élevé de 2 cent. 1/2 en-

viron que le gauche. En dehors de la déformation et de l'atrophie de la région

pectorale droite, on n'est frappé que par l'existence d'une scoliose commen-

çante ; on note simplement une légère inclinaison latérale à concavité droite

dans la région dorsale. Pas de cyphose. Pas de coudure angulaire. Pas de dou-

leur localisée à la colonne vertébrale.

Quand le malade est resté longtemps assis, on note quelques rares contrac-

tions fibrillaires dans les pectoraux, surtout à gauche.

Hyperesthésie ci la piqûre dans l'hémithorax droit.

Respiration courte, diaphragmatique. Pas de paralysie du diaphragme.

La tète est mobile dans tous les sens. Aucun trouble dans la musculature du

cou. '

L'abdomen est très sensible an chatouillement. Hyperesthésie à la piqûre

des deux côtés. Le réflexe abdominal est normal.

Examen des yeux. - La vueest excellente et n'a subi aucune modification.

Cet homme a eu simplement, sous l'influence du soleil, un peu de rougeur éry-

thémateuse de la conjonctive qui nécessita son entrée à la clinique ophtalmo-

logique de M. le Professeur Badal. Les' pupilles sont égales : ni myosis, ni

mydriase, elles réagissent bien à la lumière, à la convergence, à l'accommoda-

tion. Pas de strabisme; jamais de diplopie ; pas de tremblement des paupières.

Pas de rétrécissement marqué du champ visuel.

Acuité auditive conservée. Olfaction normale. On remarque de l'instabilité

linguale. Quelques légers sillons disséminés sur la langue.

Réflexe pharyngien très vif. Pas de paralysie du voile du palais. Pas de dé-

viation de la luette qui est très mobile. Pas de lésions des joues (le malade

souffle et siffle bien). Pas de déviation des traits. Aucun trouble de la muscu-

lature de la face. Le réflexe massétérin ne se produit pas.

Le malade lit très bien. Son écriture est rendue difficile de la main droite

par l'atrophie musculaire qui empêche d'appuyer ; mais cette écriture n'est pas

120 - J. SABRAZÈS ET L. MARTY

tremblée. Le malade écrit bien de la main gauche. Sa mémoire est parfaite, il

peut réciter ce qu'il a appris il a dix ans.

Le caractère s'est aigri beaucoup depuis quelques années ; émotivité exagérée.

Langue humide. Très mauvaise dentition. Le matin, au réveil, langue pâ-

teuse et régurgitation de bile. V... est très altéré ; il boit 5 à 6 litres de tisane

par jour. Tendance à la diarrhée depuis quelque temps. Pas d'ictère. Appétit

conservé. Douleur légère à la pression du creux épigastrique et de l'hypo-

chondre droit. L'estomac a des limites sensiblement normales. La matité hépa-

tique correspond en bas au rebord costal. Pas de douleurs intestinales.

Champ visuel.

Légère bronchite cet hiver, complètement guérie. Pas d'adénopathie cervi-

cale ni axillaire. Percussion et auscultation tout il fait normales, en avant comme

en arrière.

Pouls égal, régulier, à moyenne tension. Il est plus ample, plus plein à gau-

che qu'à droite. La tension paraît un peu plus forte il gauche, on compte

63 pulsations à la minute. On ne sent pas battre la pointe du coeur. Pas de fré-

missement cataire. Bruits normaux. Pas de souffle. Pas de dédoublement ni de

bruit de galop. L'aorte ne déborde pas le creux sus-sternal. Les jugulaires ne

sont pas turgides. Pas de varices.

Pas de pollakiurie nocturne. Pas de rétention urinaire ni de tendance à la

rétention. Mictions non douloureuses. Urine émise pendant 24 heures avec

un régime composé de 1 litre de lait, 4 oeufs, 2 verres d'eau rougie avec du

vin, 250 grammes de pain.

Q. : 850 grammes.

Urée................. 7 gr. 6 par litre.

Corps xantho-urilues.......... 0 gr. 85 »

Chlorures .............. 18 gr. »

Phosphates.............. 1 gr. 20 »

Ni sucre, ni albumine.

Réaction acide.

Le sens génital est très développé. Cet homme peut avoir six rapprochements

en une nuit. Pas de priapisme. Hyperesthésie excessive des bourses. La près-

. ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 121

sion même légère des testicules est très douloureuse. Le malade déclare que

cette hyperesthésie est plus marquée à droite qu'à gauche. Il reçu autrefois

un violent coup de pied sur les bourses (application de sangsues) ; mais V...

ne sait dire si c'est de cette époque que date cette irritabilité de la région.

Le 2 août, V... quitte Bordeaux et reprend sa vie errante à travers le midi

de la France et l'Italie. Le 15 octobre il se trouvait à Cannes ; en faisant sa

toilette, il eut brusquement une contracture de la face et du cou du côté droit,

ainsi qu'un embarras de la langue, il ne pouvait articuler un mot; cette con-

tracture qui dura 1/4 d'heure n'a pas reparu depuis lors.

Tout récemment (décembre 1898), V... revient à Bordeaux et rentre à l'lo-

pital St-André. Examiné à nouveau, on constate que son état ne diffère pas

sensiblement de ce qu'il était au mois de juillet. L'atrophie du membre supé-

rieur droit ne s'est pas notablement modifiée. Peut-être les extenseurs de la

main droite sont-ils un peu plus faibles. Le malade a de plus remarqué qu'il

ne peut plus mettre la main droite dans la poche de son pantalon sans s'aider

de la main gauche.

La sensibilité sous ses divers modes est conservée. L'hyperalgésie est moins

marquée. Cependant la compression, même légère, du nerf cubital derrière

1'61)itroclilée, du nerf radial dans la gouttière de torsion, du nerf médian au

pli du coude, du nerf sus-scapulaire dans l'échancrure coracoïdienne, du nerf

circonflexe derrière l'humérus, des troncs radiculaires en dehors des scalènes

détermine une douleur vive. Mais, du côté gauche, on détermine, ou peu s'en

faut, les mêmes symptômes dans les mêmes points.

La douleur provoquée par le pincement de la peau a conservé à droite la

même distribution : les territoires du circonflexe, du musculo-cutané, du radial

sont particulièrement intéressés, quoique à un degré moindre qu'en juillet et

suivant le même ordre d'intensité décroissante.

1° Nerf circonflexe ;

2° Nerf musculo-cutané ;

3° Nerf radial ;

4° Nerfs péri-scapulaires.

La traction exercée sur les muscles innervés par ces nerfs est à peu près

indolore. L'humérus reste toujours très douloureux au niveau de la fracture

ancienne ; peut-être cette douleur a-t-elle été entretenue par une chute que fit

V... il y a deux mois, en glissant sur des peaux d'orange. V... ajoute qu'il

tomba sur le côté gauche. A la suite de cette chute, il ressentit des douleurs

vives au niveau de l'épaule droite. Ce sont ces douleurs qui dureraient encore

et iraient en s'amendant.

Tous les réflexes inférieurs sont restés très vifs. D'ailleurs, le malade pré-

sente un état d'excitation générale qui lui donne un aspect étrange : traits mo-

biles, grande volubilité, mouvements brusques du tronc, des membres infé-

rieurs. Lorsqu'on lui serre brusquement les tendons fléchisseurs de l'avant-

bras droit, au-dessus du poignet, on détermine une série de contractions dans

les doigts de la main correspondante ainsi que dans l'épaule et le bras gauches.

122 . J. SABRAZÈS ET L. MARTY

On se trouvé en présence d'une amyotrophie qui ressemble sympto-

matiquement aux monoplégies de la paralysie atrophique de l'enfance ou

de la paralysie spinale aiguë de l'adulte (atrophie musculaire, atrophie

osseuse, épaississement des téguments ; pas d'anesthésie).

Mais les nerfs sont douloureux, ce qui semble indiquer un processus

périphérique et cela dans un territoire tel que les se, 6e, 7°, Se racines

cervicales et lyre dorsale ont pu être intéressées (surtout les se et 6e).

Dans quelles conditions auraient-elles été mises en souffrance ?

A 12 ans, une luxation de l'épaule droite a été suivie d'amaigrisse-

ment et de diminution des forces du membre correspondant, après une

immobilisation de 40 jours. On connaît les troubles nerveux consécutifs

à ces luxations.

Au niveau de la tête humérale, les branches du plexus brachial sont

réparties sur 2 plans : Les nerfs circonflexe et radial (qui forment le plan

postérieur) reposent sur le tendon du sous-scapulaire. Le circonflexe,

placé en dehors, est appliqué sur le tendon, l'embrasse dans l'anse qu'il

décrit pour se porter sur la face profonde du deltoïde. Le radial situé en-

viron à 2 centimètres en dedans ne repose pas directement sur le tendon du

sous-scapulaire ; il est tendu un peu en avant.

Le plan antérieur, séparé du plan postérieur par l'épaisseur des vais-

seaux axillaires et par un matelas de tissu conjonctif lâche de 2 à 3 cen-

timètres environ d'épaisseur, est formé par les nerfs musculo-cutané,

médian, cubital, brachial-cutané interne. Le nerf musculo-cutané, situé

tout à fait en dehors, s'engage dans l'épaisseur du muscle caraco-brachial

croisant ainsi la face antérieure de la tête humérale. Le nerf médian

situé à 1 ou 2 centimètres plus en dedans est à cheval par ses branches

d'origine sur l'artère axillaire. Le nerf cubital est plus en dedans encore.

Le nerf brachial-cutané interne côtoie la face interne du nerf cubital.

Survienne une luxation de l'épaule en avant, la tête humérale roule

dans sa cavité de réception qu'elle abandonne, se porte en avant, impri-

mant ainsi au bras un mouvement de rotation en dehors et le col anatomi-

que vient se placer sur le rebord glénoïdien antérieur. Dans ce mouve-

ment, le tendon du muscle sous-scapulaire (inséré sur la petite tubérosité

de l'humérus) s'enroule autour de la tête et se tend fortement. Quelle

peut être l'action de cette luxation sur les troncs nerveux du voisinage ?

Certains auteurs ont déclaré que le plexus brachial, dans les luxations

antérieures, allait se loger dans la gouttière que forment la paroi costale

et la tête humérale. S'il en était ainsi, le plexus brachial ne pourrait être

lésé que dans les cas où la tête humérale viendrait le comprimer directe-

ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 123

ment contre la paroi thoracique. Or, notre malade n'a pas vraisemblable-

ment présenté cette variété de déplacement, mais plutôt une luxation

extra ou sous-coracoïdienne. Le médecin l'a réduite assez facilement,

sans anesthésie, et l'expérience prouve que les luxations intra-coracoïdien-

nes ne sont généralement réductibles que sous chloroforme.

MM. G. Guillain et P. Duval (1) en reproduisant sur le cadavre les dif-

férentes luxations de l'épaule, ont montré que les traumatismes qui en ré-

sultaient pouvaient déterminer des lésions nerveuses (en dehors de la

compression directe qu'on admettait seule jusqu'ici), par l'élongation des

troncs, élongation en vertu de laquelle sont redressées les courbes que

décrivent les racines du plexus brachial à leur sortie des trous de conju-

gaison. A ce propos, rappelons que les 1° et 6e paires cervicales décrivent

une courbe à concavité inférieure ; les 8e cervicale et 1 'e dorsale une courbe

à concavité supérieure ; la 7e cervicale va en ligne droite de la moelle au

sommet du plexus brachial ; les 5e, 6e, 8e cervicales et lle dorsale décri-

vent une courbe d'autant plus marquée qu'elles sont plus éloignées de la

7e cervicale.

Dans notre cas, en nous plaçant dans l'hypothèse la plus plausible d'une

luxation sous-coracoïdienne, quelle a été la part de la compression et de

l'élongation ? .

La compression au niveau de l'articulation a dû s'exercer particulière-

ment sur les troncs nerveux les plus rapprochés de la tète articulaire.

Le nerf circonflexe est tendu par le muscle sous-scapulaire qui s'enroule

sur la tète humérale; si cette tension se prolonge, par suite d'un retard

dans la réduction, elle équivaut à une véritable compression.

La tète humérale est normalement croisée par la courte portion du bi-

ceps et par le muscle coraco-brachial qui lui forment une coiffe charnue

en avant et en dedans. Quand la tête se déplace en avant, cette coiffe se tend

comme une sangle en formant un angle ouvert en arrière et en dehors. Dans

ces conditions le nerf musculo-cutané tiraillé et appliqué contre l'articu-

lation peut participer à l'inflammation articulaire, ou être contusionné si

la luxation s'est produite à l'occasion d'une très brusque secousse.

Dans cette variété de luxation, la compression ou la propagation de

l'inflammation articulaire aux autres troncs nerveux n'est guère possible.

Les nerfs médian, cubital et brachial-cutané interne, en raison de leur

position éloignée par rapport il l'articulation, aux muscles et aux tendons

périarticulaires, semblent devoir échapper au traumatisme.

Cependant MM. P. Duval et Guillain ont soutenu qu'au moment de l'ac-

cident le bras étant brusquement porté en abduction, les troncs du plexus

(1) Archives de médecine et de chirurgie, août 1898.

124 J. SABRAZÈS ET L. MARTY

brachial seraient tendus et leurs racines correspondantes redressées au ni-

veau des trous de conjugaison tant que le bras n'aurait pas repris sa direc-

tion normale.

Ces auteurs, en exagérant suffisamment, dans des sens variables, les

divers mouvements de l'épaule, ont même pu déterminer des ruptures

radiculaires inlra-racbidiennes, mais des racines motrices seules. Il n'est

pas douteux que les mouvements d'abaissement, par exemple, ainsi que

l'avait montré M. Fieux (1) avant MM. P. Duval ,tG. Guillain, redressent

les 5% 6° et même tendent la 7e cervicale (luxation sous-glénoïdienne).

Dans les mouvements d'abduction (luxations en avant), lés 5e, 6e et 7e cer-

vicales sont non seulement comprimées mais encore tendues et lorsque

le coude est suffisamment écarté du tronc ou même placé dans la position

verticale la 8e cervicale et la Ire dorsale sont aussi tiraillées et, si le sujet

y est prédisposé, lésées quelquefois d'une façon très appréciable ainsi

qu'en témoigne le fait suivant observé dans le service de M. le professeur

Lanne

J. G..., âgé de 56 ans, tombe dans un escalier et se fait une luxation sous-

coracoïdienne gauche. L'examen révèle une abolition à peu près complète de la

sensibilité à la piqûre dans la sphère du nerf cubital. Une diminution très no-

table, avec un retard de quelques secondes des perceptions sensitives, dans la

sphère du nerf médian.

Rien à noter dans la sphère des autres nerfs du bras.

Cet homme présente de plus quelques symptômes- d'excitation générale,

grande volubilité, mobilité exagérée de la physionomie.

La luxation est réduite par le procédé classique de Mothe. Au moment même

le patient s'écrie : « Ça me déchire dans le petit doigt ». Après la réduction qui-

s'opère facilement, J. G... nous déclare : « Qu'il vient de ressentir des tiraille-

ments violents, des sensations de brûlure intenses et de fulguration le long des

doigts, surtout dans l'auriculaire et cela à partir du coude ». A cette douleur suc-

cède un engourdissement de la main. On note la persistance des troubles sen-

sitifs constatés avant la réduction.

Ce jour-là et les jours suivants le malade ne sentait pas la piqûre profonde

dans le domaine du nerf cubital. Cette anesthésie était bien moindre dans les

sphères des nerfs médian et radial.

Quinze jours après, M. le professeur Bergonié fait les constatations suivan

tes :

4° Perte complète de l'excitabilité faradique pour le biceps ;

2° Diminution pour le deltoïde, le triceps, tous les extenseurs de l'avant-bras

et tous les fléchisseurs;

3° Perte complète pour les nerfs médian, radial et cubital ;

(1) Fieux.

ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 125

4° Réaction d'Erb complète pour le biceps. Réaction incomplète pour les au-

tres muscles. '

Un mois après, un nouvel examen permet de constater une paralysie très

marquée des muscles du bras et de l'avant-bras gauche. Le hras droit même

s'est affaibli et le malade insiste sur ce symptôme. La sensibilité est intacte sous

tous ses modes. Mais la pression exercée sur les troncs nerveux en dehors des

scalènes pour les branches radiculaires, dans la fosse coracoïdienne pour le

nerf sus-scapulaire, sur la paroi thoracique pour le nerf grand dentelé, derrière

le col de l'humérus pour le circonflexe, dans la gouttière de torsion pour le ra-

dial, derrière l'épi trochlée pour le cubital, au pli du coude pour le médian, fait

naître une douleur bien plus vive dans le bras malade que dans le bras sain.

Faut-il mettre tous ces troubles sur le compte du traumatisme déter-

miné par la luxation sous-coracoïdienne ou faut-il y joindre le traumatis-

me déterminé par la réduction ? Si nous prenons en considération les re-

cherches de MM. P. Duval et G. Guillain, il semble qu'il faille incriminer

en partie le procédé de Mothe qui, quoique doux, doit forcément, dans le

mouvement d'élévation exagérée, au 3e temps, entraîner un tiraillement

des troncs nerveux, tirer en bas et en dehors les o°, G", 7e cervicales qui

ont toujours leur point de réflexion au niveau de la tète humérale, tirer

en haut la 8° cervicale et la 1 re dorsale qui s'aplatissent sur les apophy-

ses transverses formant la voûte de leurs trous de conjugaison respectifs.

Lors de la réduction, les troubles nerveux étaient limités aux nerfs

cubital et médian, le radial était à peine intéressé (territoire des 8e cervi-

cale et 1" dorsale). Quinze jours après, les réactions électriques accusaient

des lésions portant sur la totalité du plexus brachial.

Doit-on imputer aux manoeuvres du procédé de Mothe les lésions des

racines motrices par élongation portant sur toutes les paires (5e, 6e, 7e, 1

8e cerv., 4e dors.), ainsi que sur les racines sensitives des 8' cervicale et

- 1 re dorsale, ou bien, par l'intermédiaire des branches radiculaires des 8e et

- 1 re dorsales, y a-t-il eu, pendant la réduction, un ébranlement contusif des

segments de moelle correspondants, suivi d'un processus local de polio-

myélite expliquant l'extension des troubles moteurs à tout le bras ? la

diminution rapide des forces dans le bras droit qui n'a nullement été tra1l-

matisé semblerait militer en faveur d'un processus irritatif non seulement

étendu à la corne antérieure gauche qui donne naissance aux racines mo-

trices lésées, mais encore irradié à la corne antérieure droite.

Quoi qu'il en soit, ce fait se rapproche beaucoup du cas de notre pre-

mier malade et on pourrait, au besoin, mettre sur le seul compte de la

luxation de l'épaule l'atrophie dont notre premier malade est atteint. Mais

là ne se bornent pas les traumatismes dont cet homme a été victime.

126 J. SABRAZÈS ET L. MARTY

A 13 ans, une chute du haut d'un lit est suivie de fracture de l'humé-

rus au tiers supérieur et d'un gonflement douloureux de l'épaule avec ir-

radiations des douleurs le long du membre. Ce nouveau traumatisme a-t-il

déterminé une reproduction passagère de la luxation précédente (une

première luxation prédisposant à une seconde) et les nerfs déjà affectés

ont-ils souffert nouveau ? Il est très difficile de l'affirmer. Cependant les

douleurs ont reparu très vives dans l'épaule droite et ont duré plusieurs

mois.

' Quant à la fracture de l'humérus au tiers supérieur elle n'est pas sans

avoir causé quelques dommages au nerf radial qui contourne en ce point

le corps de l'os dont il n'est séparé que par le périoste. Malgré la persis-

tance des douleurs et leur irradiation dans les doigts pendant deux mois,

le tronc du radial ne parait pas avoir été englobé dans le cal ; les douleurs

auraient été autrement tenaces dans ce cas et auraient nécessité une inter-

vention chirurgicale, sans compter que motricité et sensibilité seraient

complètement absolues, selon toute probabilité, dans le territoire de ce

nerf. A moins de traumatismes considérables, comme les écrasements par

une roue de charrette par exemple, les autres troncs nerveux (médian et

cubital) ne peuvent être atteints par une fracture à ce niveau.

A 15 ans, V... tombe du hant d'un trapèze et se fracture à nouveau l'hu-

mérus au même point que la première fois. Les mômes symptômes repa-

raissent (douleurs dans l'épaule, irradiations très pénibles à type lanci-

nant dans la main); les considérations précédentes s'appliquent à cette

deuxième fracture ainsi qu'à une troisième survenue il l'âge de 17 ans. Il

est important de remarquer qu'à partir de cette époque, le membre est

frappé d'impotence presque absolue et que l'atrophie prend une marche

plus rapide.

A 25 ans, intervient une fracture de la clavicule par cause directe avec

gonflement de la région claviculaire, fourmillements dans la main, dou-

leurs rétro-scapulaires et conservation de la sensibilité qui jamais au dire

du malade n'a été diminuée dans ce membre. La part de cette fracture de

la clavicule dans le mécanisme de l'atrophie ne parait pas avoir été bien

grande. La clavicule est séparée du plexus brachial par un muscle assez

épais, le sous-clavier, et, à moins d'une fracture compliquée de rupture du

périoste et de déchirure des faisceaux musculaires sous-jacents. on n'ob-

serve pas de lésions nerveuses. Or, ici on ne trouve aucune trace de cal, ce

qui prouve suffisamment que la consolidation a été parfaite; mais cette con-

solidation n'est telle qu'à la condition que les fragments soient maintenus

par un périoste non déchiré. De plus, l'atrophie était déjà presque anssi

avancée qu'aujourd'hui lors de cette fracture. Néanmoins, le choc du ma-

ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 127

drier qui est tombé sur la clavicule a dû se répercuter sur les filets ner-

veux situés en arrière et exaspérer les douleurs déjà anciennes.

En somme, parmi les traumatismes que nous venons d'examiner, ceux

du bras et de l'épaule en blessant les troncs nerveux expliqueraient les lé-

sions des nerfs circonflexe, musculo-cutané, radial ; mais ils n'éclairent

pas la pathogénie des troubles dépendant des branches collatérales du plexus

brachial (angulaire, rhomboïde, sus-épineux, etc.). Il faut admettre pour

ces nerfs collatéraux que les lésions se sont produites au-dessus de leurs points

d'émergence. Seule une lésion radiculaire sise vers les trous de conjugaison

ou même dans la portion radiculo-médullaire peut rendre compte de l'atro-

phie des muscles de la ceinture scapulaire.

Nous sommes donc en présence d'une atrophie musculaire et osseuse

extrêmement marquée, limitée à un membre. Malgré l'atrophie osseuse,

le raccourcissement du membre n'excède pas 5 centimètres. Il faut tenir

compte, il est vrai, du raccourcissement apparent dû aux déviations des

surfaces articulaires des doigts ; mais n'est-il pas largement compensé par

l'écartement des autres extrémités articulaires que rend facile la laxité

des moyens de contention (capsule, ligaments et muscles) ? Au total, on a

bien un raccourcissement mais n'est pas très grand. Cela prouve que

l'atrophie osseuse n'a pas dû s'établir avec évidence lors du premier trau-

matisme ; car le bras, encore court, se serait arrêté dans son développe-

ment en longueur tout comme en épaisseur. On est donc en droit de con-

clure que l'atrophie osseuse et musculaire s'est produite au sur et M mesure

que les traumatismes s'ajoutaient les uns aux autres sans qu'il soit possible

d'apprécier exactement la valeur de chacun d'eux.

Il est remarquable de n'observer aucune- modification de la sensibilité

autre qu'une hyperalgésie cutanée musculaire et osseuse correspondant aux

territoires où les muscles sont le plus atrophiés. Cette hyperalgésie est d'au-

tant plus intense que l'atrophie est plus avancée. L'anesthésie permanente

ou passagère associée à la paralysie à la suite d'une lésion nerveuse tron-

culaire s'observe quand les lésions des fibres sont suffisantes pour inter-

rompre à la fois les transmissions nerveuses centrifuge et centripète.

Quelquefois la lésion tronculaire se traduit par une simple parésie sans

troubles sensitifs. L'hyperalgésie a été rarement signalée ; on n'a noté dans

quelques observations qu'une exagération passagère de la sensibilité dis-

paraissant au bout de quelques jours. Dans notre cas, il s'agit d'une hyper-

algésie si accusée et si nette que nous avons pu en prendre la topographie

exacte au mois de juillet dernier. Elle existait bien avant au dire du ma-

lade. Actuellement elle persiste ; sa topographie est la même. Elle est très

128 J SABRAZÈS ET L. MARTY

vive le long des troncs nerveux accessibles au doigt (circonflexe, radial,

cubital surtout) : les muscles innervés par ces trois nerfs sont aujourd'hui

moins douloureux. La pression osseuse de l'humérus n'est pénible qu'au

point anciennement fracturé.

Comment expliquer celle hyperalgésie ? . !

MM. P. Duval et G. Guillain dans leurs expérimentations cadavériques

ont remarqué que l'abduction du bras avec rotation de la tête du côté

opposé tend très facilement les racines antérieures mais beaucoup moins

les racines postérieures. Une traction très violente rompt les racines an-

térieures et tend simplement les postérieures.

L'élongation des racines postérieures, à cause de la position oblique

des ganglions qui leur permet de se redresser, nous permet de donner

une explication de cette hyperalgésie. Les traumatismes nombreux qui ont

frappé le membre malade ont déterminé une lésion radiculaire chroni-

que, suivie sans doute, d'une altération des cornes antérieures du même

côté. Le membre droit a été frappé dans sa motricité et dans sa nutrition.

Les mêmes traumatismes (vu la vulnérabilité moindre des racines sensi-

tives et aussi leur plus prompte réparation) n'ont fait qu'entretenir en

elles un processus d'irritation plutôt que de destruction avec retentisse-

ment probable dans les ganglions rachidiens et dans les neurones sensitifs

médullaires correspondants. Du reste, l'élongation des branches radicu-

laires ne peut-elle pas se poursuivre encore quand le bras est pendant le

long du corps ? L'écartement de la tête de l'humérus de la cavité glénoïde

(2 centim. environ) n'équivaut-il pas à une luxation sous-glénoïdienne

permanente entrainant une sourde irritation des racines postérieures des

5e, 6e, 7e cervicales. Par contre, pendant la nuit. le membre est dans

l'attitude du repos ; la traction sur le plexus brachial cesse momentané-

ment. De plus, ce malade a une tendance à porter la main dans sa poche,

ce qui lui donne un point d'appui et diminue d'autant la traction sur les

racines sensitives. Cela est d'autant plus vraisemblable, qu'aujourd'hui,

que V... ne peut plus mettre la main malade dans sa poche sans s'aider

de la main saine, il nous demande un lien en caoutchouc pour fixer son

avant-bras et le lui soutenir. N'est-ce pas là le cri qui indique son mal ?

Nous pensons que les phénomènes de compression et d'élongation ont

joué un rôle essentiel.

Les lésions nerveuses qui en ont été la conséquence ont-elles été la la

fois tronculaires, radiculaires et médullaires !

Tronculaires, pour le nerf radial, au niveau de la fracture humérale et

aussi peut-être pour les autres nerfs du bras individualisés au-dessus de

l'épaule, en regard de la tête humérale luxée.

Radiculaires par suite du traumatisme direct des racines et de la con-

- ATROPHIE MUSCULAIRE ET OSSEUSE 129

tusion indirecte de la totalité des branches d'origine du plexus brachial

sur les apophyses transverses cervicales où elles se réfléchissent comme sur

une poulie.

Hadiculo-médullaires par élongation, les tiraillements que subissent les

troncs nerveux dans la région de l'épaule, siège de la luxation, peuvent

se répercuter jusque dans la moelle.

Ganglionnaires et médullaires, selon toutes probabilités, consécuti-

vement aux phénomènes de névrite radiculaire ascendante des fibres

sensitives et aussi du fait de micro-traumatismes locaux et de petits foyers

hématomyéliques imputables à une élongation exagérée des segments

intra-médullaires des racines.

Les cellules des cornes antérieures de la moelle ont surtout subi le con-

tre-coup des altérations des nerfs périphériques. Le retentissement d'une

lésion des nerfs jusqu'aux cellules d'origine de leurs prolongements cylin-

draxiles est un fait actuellement établi. Bien plus, les centres nerveux sont

susceptibles d'être modifiés à distance, secondairement aux affections ostéo-

articulaires qui s'accompagnent d'atrophie des muscles.

Ces amyotrophies considérées naguère comme étant simplement d'origine

réflexe correspondent à une altération atrophique des cellules motrices

qui progressivement se raréfient et disparaissent tandis que la corne an-

térieure, dans le territoire intéressé, s'atrophie in globo. Les observations

de Klippel (1), Leyden (2), Achard et L. Lévi (3) d'atrophie localisée des

centres nerveux en rapport avec l'atrophie musculaire et osseuse de cause

articulaire ne laissent aucun doute à cet égard.

De plus t'atteinte du neurone moteur périphérique entraîne la pertur-

bation fonctionnelle et l'atrophie du neurone moteur cérébral : dans le

cas de MM. Achard et Lévi, le lobule paraceutral et la partie supérieure

des circonvolutions frontale et pariétale ascendantes du côté droit partici-

paient à l'atrophie.

Les adultérations persistantes des neurones sensitifs périphériques

provoquent des altérations corrélatives des neurones sensitifs ganglion-

naires et médullaires.

L'atrophie musculaire et osseuse de notre malade est donc sous la dé-

pendance de plusieurs facteurs. Les luxations et les fractures multiples

dont il a été successivement victime et les affections ostéo-articulaires

qui en ont résulté ont certainement influé par elles-mêmes sur la genèse

de l'atrophie ; mais les lésions nerveuses fronculaires et radiculaires sur

(1) Iir.mrrt,, Bull. de la Soc. anal., janv. 1888, p. 37 ; Revue de médecine, 1893.

(2) Leydks, Klinik der Ruckenmarkskrankheiten. Berlin, 1898.

(3) Ch. Acii.iii) etL>;oron Lévi, Nouvelle Iconogr.de la Salpêtrière,juilletet août 1898.

130 J. SABRAZÈS ET L. MARTY

la topographie desquelles nous avons'si longuement insisté et leur reten-

tissement jusque dans la moelle constituent la cause principale, le pri-

mum movens du syndrome atrophique et Itperulésiq2ce. Or on sait - et

M. Apert (1) en a observé un cas très démonstratif que les paralysies

radiculaires traumatiques entraînent, elles aussi, l'atrophie de la corne

antérieure et du centre cérébral correspondant au membre paralysé.

L'intervention de ces divers facteurs permet de comprendre pourquoi

l'atrophie de ce membre a atteint un si haut degré. La participation de la

moelle cervicale nous parait d'autant moins douteuse que tous les réflexes

moteurs et sensitifs sont considérablement exagérés au-dessous.

En résumé, à la suite de contusions, de luxations de l'épaule et de

fractures multiples de l'humérus et de la clavicule du même côté, on peut

voir les muscles du membre intéressé s'atrophier au plus haut point. Les

os participent à l'atrophie, ainsi qu'en témoigne l'examen radiographique.

Par contre, à la surface du membre ainsi rapetissé le derme et le panni-

cule cellulo-adipeux s'épaississent notablement.

Les principaux, facteurs de l'atrophie sont la compression et l'élonga-

tion exagérée des troncs nerveux et des racines jusque dans leur trajet

rachidien et intra-médullaire.

La moelle s'atrophie dans le segment métamérique correspondant non

seulement en vertu du mécanisme réflexe que l'on invoque pour expliquer

les cas d'amyotrophie d'origine ostéo-articulaire ou d'origine névritique,

mais encore par propagation ascendante, le long des racines, des lésionsirri-

tatives des fibres nerveuses sensitives, lésions qui se traduisent par une hy-

peresthésie cutanée, musculaire, osseuse et nerveuse du membre malade.

Déplus l'élongation et l'ébranlement des troncs nerveux et radiculaires sont

susceptibles de retentir, au moment même où ils se produisent, jusque dans

le parenchyme médullaire et d'y déterminer parfois des ruptures, des foyers

leéntalomyéliques points de départ ultérieurs de phénomènes de dégénérescence

des cordons, des plaques de sclérose et même de cavités simulant la sgringo-

myélie. Cette dernière assertion n'est encore qu'une hypothèse, mais elle

nous est suggérée par l'interprétation des faits cliniques et expérimentaux

les plus récents relatifs à la syringomyélie traumatique, d'une part, et

d'autre part aux ruptures et aux déchirures partielles que l'on provoque

dans l'épaisseur des racines, au niveau de leur abouchement médullaire,

sous l'influence de violents efforts de traction exercés sur des membres de

cadavres.

(1) ArrnT, Soc. méd. des hôpitaux, séance du 22 juillet 1898.

LE TABES LABYRINTHIQUE

- PAR

PIERRE BONNIER.

On a presque totalement abandonné, en clinique, le terme de tabès

dorsal. Ces mots ne peuvent évidemment comprendre la généralité des

symptômes tabétiques ; il arrive même, dans nombre de cas, que le dia-

gnostic de tabès se trouve nettement et légitimement formulé en dehors de

toute manifestation d'une lésion dorsale de l'axe cérébro-spinal. Le tabes

en effet est loin d'être toujours uniquement dorsal ; bien plus, il peut

n'être nullement dorsal à un moment donné.

Le mot tabes d'autre part, s'il est préférable au terme d'ataxie locomo-

trice, puisqu'il peut y avoir également à un moment déterminé tabès sans

ataxie, ce mot tabes reste insuffisant en clinique, car il ne nous indi-

que que* le genre de l'affection sans en spécifier la forme ni la phase.-

Il importe donc de lui adjoindre tel qualificatif qui définira la forme cli-

. nique ou la phase de l'affection tabétique. C'est pourquoi aussi le terme

de tabès dorsal ne doit pas être abandonné, car il caractérise nne forme et

une phase du tabes ; et de plus il comprend toute une partie de la symp-

tomalologie : les signes et symptômes relevant de lésions dorsales.

- On emploie aussi couramment le terme de tabès supérieur, qui, lui, est

bien mauvais, pour désigner la forme ou la phase de la maladie, manifes-

tée par des symptômes dont l'origine médullaire est située plus haut que

le segment dorsal. Mais ce tabes supérieur est-il cervical, bulbaire, céré-

bral ? II y aurait dans ce cas une si vive différenciation des caractères

cliniques, selon le siège plus ou moins élevé de la lésion systématique,

qu'il doit sembler indispensable de les classer et de les orienter sous une

qualification d'ordre topographique. On comprend immédiatement ce que

peut être un tabes cervical et même un tabès bulbaire. Pour ce qui con-

cerne le cerveau, nous savons qu'il n'est en quelque sorte qu'une vaste

frondaison de l'extrémité antérieure de la moelle,et il n'y a aucune raison

à priori de ne pas admettre que les affections systématiques de la moelle

ne se retrouveront pas dans le cerveau, sous une formule clinique corres-

pondant à l'extrême variation morphologique.

132 PIERRE BONNIER

L'avenir nous définira sans aucun doute ce tabes cérébral ; mais il

subsiste encore, pour le moment, tant d'incertitudes et de confusions sur

la signification anatomique de bien des ilôts gris de la masse cérébrale,

sur la valeur segmentaire des diverses parties de l'écorce, sur l'homologa-

tion des faisceaux blancs, qui les unissent, avec les commissures corres-

pondantes de, la moelle, que si l'idée d'une systématisation pathologique

possible s'impose formellement à l'esprit, elle ne laisse pourtant pas de

se montrer encore extrêmement délicate et difficile à préciser.

C'est pourquoi il me semble juste et raisonnable de cherchera porter

la systématisation .caractéristique de l'affection tabétique aussi haut que

possible vers le cerveau, dans la mesure où une semblable systématisation

sera réalisable correctement et pourra dans son établissement jalonner,

préparer l'homologation des parties supérieures de l'axe cérébro-spinal avec

les segments inférieurs, médullaires, lesquels sont mieux connus, et dont

l'étude anatomo-pathologique est autrement simplifiée.

Aucun appareil segmentaire ne s'y prêle plus favorablement que l'ap-

pareil labyrinthique, conducteurs et centres.

En effet cette recherche clinique et anatomo-pathologique peut se faire

en dehors de toute vue théorique. Il nous importe peu de savoir en réalité

si la lésion initiale, devenant causale à son tour par sa répercussion sur

d'autres points de l'appareil nerveux, porte sur l'appareil nerveux.périphé-

rique, sur les fibres afférentes des éléments ganglionnaires, sur ces élé-

ments eux-mêmes; sur la racine postérieure spinale, c'est-à-dire sur les

fibres efférentes du protoneurone centripète, sur les éléments des cornes

postérieures ou enfin sur les fibres qui en émanent vers les centres plus

élevés, formant les cordons postérieurs. Quelle que soit la théorie, elle s'ap-

pliquera à l'appareil labyrinthique, parce que cet appareil n'est que la

pl1J.s grosse, la plus active, la plus vigilante et la plus importante des racines

spinales postérieures ; - parce que la lésion systématique atteindra, dans

les racines postérieures des cordons qui en émanent aussi bien que dans le

nerf labyrinthique et ses conducteurs centraux, des appareils de même si-

gnification morphologique et physiologique ; parce que la contribution

de l'appareil labyrinthique dans la symptomatologie du tabes est plus

grande que celle de n'importe quel appareil spinal ; - parce que enfin la

clinique nous montre qu'aucun appareil n'est plus constamment et plus

systématiquement intéressé dans le tabes que l'appareil labyrinthique.

Si ces différentes thèses sont démontrées, je pense qu'il sera difficile

de se refuser à admettre l'existence clinique d'un labes Iabyrinlhique net-

tement défini, et à reconnaître que parmi les symptômes tabétiques qui

ne peuvent correctement être attribués au tabes dorsal, un grand nombre

relèvent directement du tabes labyrinthique.

LE TABES LABYRINTHIQUE 133

Je puis ainsi avancer cette considération que précisément certains symp-

tômes du tabes relèvent de la contribution du labyrinthe et de ses centres à

la symptomatologie générale, et que certains symptômes tabétiques, que

l'on ne songe guère à attribuer à la lésion de l'appareil labyrinthique, se

affections labyrinthiques les plus banales et les plus diverses, tout à fait

indépendantes du tabes.

Indépendamment de la surdité, du bourdonnement, du vertige et de l'op-

pression labyrinthique, qui sont les symptômes cardinaux des troubles la-

byrinthiques, on a signalé, et j'ai quelque peu contribué, au cours des

affections, auriculaires les plus diverses, les plus banales et les plus fuga-

ces, apparaissant, variant et disparaissant avec elles, et cela sans qu'il y

ait eu le moindre signe de tabès, les symptômes suivants : Le signe de

Romberg et l'incertitude de la marche dans l'obscurité, l'agoraphobie et la

claustrophobie, les nombreuses formes des irradiations bulbaires et centrales

du vertige, le nystagmus horizontal ou vertical, les mouvements incohérents

.des globes sous les paupières closes, le Irtosis, le strabisme et la diplopie, l'iné-

galité et le retard à l'accommodation et la lumière, la mydriase et le myosis

unilatéraux ou bilatéraux, l'amblyopie, la paralysie de l'accommodation à

la distance, les combinaisons les plus diverses des troubles de l'oculo-mo-

tricité, la forme spasmodique du signe de Ch. Bell, les oscillations paraly-

tiques des globes, etc., sans compter d'autres troubles purement auditifs,

comme le retard unilatéral de l'audition constituant la diplacousie échoa-

cousique, etc.

On doit se demander si ces troubles, qui sont si souvent d'origine laby-

rinthique en dehors du tabes, ne sont pas quelquefois, et même fréquem-

`ment, aussi bien labyrinthiques dans leur origine quand il y a tabes, sur-

tout si l'on considère que sur cent cas de tabes, l'appareil labyrinthique

est en cause plus de quatre-vingts fois.

Je suis loin de prétendre que ces symptômes sont forcément d'origine

, labyrinthique, mais je crois pouvoir démontrer que c'est toujours au laby

rinthe qu'il faut tout d'abord songer quand on les constate, et je veux en

donner des preuves tirées de l'anatomie normale et pathologique, de la

physiologie et de la clinique.

Anatomie. De tous les ganglions crâniens, aucun n'affirme plus nette-

ment sa parenté avec le système des ganglions rachidiens que le ganglion

auriculaire, surtout dans la période ontogénétique où il ne s'est pas encore

fractionné en deux amas nucléaires principaux, le ganglion de Scarpa, et

le ganglion de Corti. Il appartient à la formation neurale des ganglions

spinaux et dénonce de bonne heure sa signification métamérique. Je n'in-

xii 10

134 PIERRE BONNIER

sisterai pas sur ce point que j'ai longuement développé ailleurs (1).

Ce ganglion auriculaire est donc le centre d'un protoneurone centripète

ou plutôt d'un énorme amas de protoneurones parallèles, dont les cellu-

les, les premières cellules bipolaires qui aient été d'ailleurs décrites, ont

un prolongement afférent qui atteint le neuroderme sensoriel périphéri-

que (rameaux sous-ectodermiques du vestibule et de la cochlée) et un pro-

longement efférent qui va s'épanouir au niveau des éléments médullaires

des cornes postérieures. C'est ce prolongement efférent qui constitue le

tronc labyrinthique proprement dit. En d'autres termes, le nerf labyrin-

thique est une racine postérieure plus longue que les autres, dont le gan-

glion se trouve éloigné de l'axe médullaire et relégué au fond du conduit

auriculaire qui adopte ainsi la signification morphologique d'un trou in-

tervertébral et dont les rameaux périphériques, au lieu de présenter toute

la longueur des nerfs sensitivo-sensoriels des paires mixtes rachidiennes,

se trouvent au contraire d'autant plus réduits qu'ils rencontrent immédia-

tement la périphérie sensorielle, c'est-à-dire les papilles labyrinthiques.

Celles-ci ne sont que des portions d'ectoderme involué dès les premiers

temps du développement embryonnaire. Ces prolongements se sont divisés

en rameaux à mesure que les papilles dérivaient les unes des autres pour

fournir aux nécessités de l'adaptation fonctionnelle de l'appareil labyrin-

thique ; puis les ganglions se sont fragmentés à leur tour. C'est ainsi que

la papille utriculaire primitive a donné successivement la papille utriculo-

sacculaire, puis les papilles utriculaire et sacculaire. De la première dé-

rivent une, deux, puis trois crêtes papillaires qui suivent la formation

des ampoules des canaux semi-circulaires. De la papille sacculaire vont

dériver d'abord la papille lagénaire, puis celle de la partie initiale du

limaçon et enfin, avec un extraordinaire développement, la vaste papille

spirale du limaçon. Certains tronçons de papilles avortent, et je les né-

glige. Le développement remarquable du limaçon et de la fonction audi-

tive si récente, mais d'une adaptation si rapide chez les Vertébrés supé-

rieurs, a en quelque sorte fait un appareil distinct de la papille cochléaire.

Il en est résulté que le nerf cochléaire, devenu énorme, occupe la plus

grande place dans le tronc labyrinthique, et que la fonction cochléaire,

l'audition tonale, la plus consciente, mais non la plus ancienne ni la plus

importante des fonctions auriculaires, a donné son nom à l'appareil tout

entier. On dit : l'appareil de l'audition, le nerf auditif. C'est un abus sans

doute, qui a eu le plus déplorable retentissement dans l'étude de la con- '

tribution de l'appareil labyrinthique à la symptomatologie des affections

nerveuses en général, et plus particulièrement du tabes. Ces troubles au-

(1) L'oreille, anatomie I, coll. Léauté.

LE TABES LABYRINTHIQUE 135

ditifs tiennent relativement peu de place dans la clinique nerveuse. Les

troubles labyrinthiques tiendront, j'en suis convaincu, une place de plus

en plus importante.

On décrit donc au ganglion auriculaire deux grands rameaux périphé-

riques, d'une part le nerf cochléaire, et d'autre part le tronc vestibulaire

qui renferme les trois nerfs ampullaires, l'utriculaire et le sacculaire. De

son côté le ganglion de Corti, la partie du ganglion auriculaire qui s'en-

roule dans le moyeu du limaçon, le long du canal de Rosenthal, s'est tout

à fai t isolé du ganglion de Scarpa, le vieux ganglion rachidien resté dans le

trou auriculaire, légèrement dissocié par les divers systèmes de fibres qui

les traversent.

Dans le trou auriculaire les deux systèmes de fibres sont accolés, et le

tronc cochléaire reste toujours distinct du vestibulaire. Je ne retracerai pas

ici la description des centres bulbo-protubérantiels, cérébelleux, cérébraux

de l'appareil labyrinthique; cette description serait trop longue et je n'en

donnerai que les points intéressant notre sujet, c'est-à-dire le tabes laby-

rinthique.

Remarquons tout d'abord que les centres primaires, bulbo-protubéran-

tiels, ceux qui correspondent aux cornes postérieures de la moelle, sont si

haut placés dans le voisinage des centres supérieurs que les fibres qui en

émanent n'ont aucune raison de se former en cordons pour cheminer de

conserve, et qu'ils se dispersent immédiatement en tous sens sans former

de cordons homologues aux cordons postérieurs de la moelle. Ceci est im

portant à considérer au point de vue anatomo-pathologique.

Néanmoins il est facile de suivre la superposition des voies labyrinthi-

ques aux voies médullo-cérébrales et médullo-cérébelleuses émanées des

racines postérieures.

On peut reconnaître dans l'appareil émané des racines postérieures deux

systèmes de voies centripètes véhiculant des images sensitivo-sensorielles

dont les champs sensoriels sont distincts. Pour l'un, champ sensoriel est

objectif, c'est-à-dire extra-organique ; c'est l'ensemble des appareils tacti-

les superficiels, le toucher sous toutes ses modalités ; il a pour conducteurs

des fibres grêles externes, à engainement myélinique plus tardif, aboutis

sanl à la tête des cornes postérieures, d'où les impressions s'élèvent vers les

centres supérieurs et corticaux, pour former les images tactiles de toute

nature, tactilité tégumentaire. thermesthésie, etc. Ces centres occupent les

zones sensitives paicto-occipitcles. A cet appareil spinal correspond un

système labyrinthique à champ également objectif, l'audition elle-même,

qui a pour conducteurs de mômes fibres grêles externes, à engainement

myélinique également tardif. C'est le nerf cochléaire, aboutissant dans la

protubérance à des noyaux primaires (noyau antérieur, tubercule acousti-

136 PIERRE BONNIER

que, et olives), qui sont les prolongements de la tète des cornes postérieu-

res de la moelle. De ces noyaux partent les impressions qui, soit directe-

ment, soit après d'intéressants relais, vont vers les centres supérieurs et

corticaux former les images auditives (zones auditives temporales). Ces

deux appareils sont donc de tous points parallèles entre eux. Ils sont de

plus croisés, c'est-à-dire se dirigent vers l'hémisphère cérébral opposé.

Pour l'autre système centripète nous trouvons un appareil dont le champ

sensoriel est subjectif, c'est-à-dire infra-organique. C'est, pour la moelle,

l'ensemble des appareils tactiles profonds, articulaires et autres. Il a pour

conducteurs des fibres grosses internes, à engainement myélinique précoce,

aboutissant à la'base des cornes postérieures, et particulièrement à la co-

lonne de Clarke, d'où les impressions vont d'une part vers le cervelet, par

voie directe, former les images d'attitudes segmentaires indispensables

à l'équilibration réflexe,- et, d'autre part, vers le cerveau, par voie

croisée, former les images d'attitudes segmentaires indispensables non

seulement à l'équilibration volontaire, mais à tous les mouvements appro-

priés. C'est le sens des attitudes segmentaires dont le siège cortical occupe

les zones d'appropriation motrice, zones purement sensorielles et, par

abus, nommées motrices (fronto-ariétales). Pour le labyrinthe, c'est

l'ensemble de l'appareil vestibulaire, et surtout ampullaire ; il a pour con-

ducteurs de grosses fibres internes, a engainement myélinique également

précoce, aboutissant, sous le plancher du quatrième ventricule, à des

noyaux (n. interne ou triangulaire, n. de BechtIJre1V, et Il. de Deiters rap-

pelant la colonne de Clarke) qui sont les prolongements de la base des

cornes postérieures . De ces noyaux partent les impressions qui vont

d'une part vers le cervelet, par voie directe, former les images d'attitudes

céphaliques indispensables à l'équilibration réflexe, - et d'autre part,

vers le cerveau, par voie croisée, former les images d'attitudes céphali-

ques, les images d'identité somatique, c'est-à-dire d'unité de localisation

subjective, indispensables à l'équilibration volontaire et à tous les mouve-

ments appropriés. C'est le sens des attitudes céphaliques et de l'orienta-

tion subjective directe, dont le siège cortical est surtout la pariétale ascen-

dante, zone purement sensorielle indispensable à l'exercice de la motricité

volontaire. Nous aurons à revenir sur ce sens si important, le sixième sens,

quand nous poserons la question au point de vue physiologique.

Il existe dans la moelle des fibres qui des cornes postérieures vont direc-

tement vers les centres nucléaires des cornes antérieures, formant un

arc réflexe d'une extrême brièveté. De môme nous trouverons au niveau

des centres labyrinthiques bulbo-protubél';1l1ticls des fibres unissant cer-

tains noyaux labyrinthiques primaires, prolongeant les cornes postérieu-

res,à des centres nucléaires prolongeant les cornes antérieures de la moelle.

LE TABES LABYRINTHIQUE 137

Certaines de ces fibres vont au noyau du facial. Certaines autres s'élèvent

du noyau interne et du noyau de Deiters vers le noyau de la sixième paire

du même côté (noyau oculo-moteur externe) et vers les noyaux de la troi-

sième paire du côté opposé. Il est de plus très vraisemblable qu'il existe

des rapports avec la troisième paire du même côté. Nous verrons plus loin

l'importance considérable de ces remarquables connexions.

Voici donc des données anatomiques qui confirment l'homologation des

flbresdu système labyrinthique et de leurs centres avec l'appareil des racines

postérieures et de leurs centres primaires. De par l'anatomie normale,

s'il existe une affection qui frappe systématiquement ce qu'on appelle

le protoneurone centripète, c'est-à-dire le ganglion spinal et ses branches

afférentes et efférentes, extra et intra médullaires, cette affection nepourra

manquer d'intéresser, par sa systématisation même, le plus considérable

de ces protoneurones hulbo-médullaires, c'est-à-dire le ganglion auricu-

laire deScarpa-Corti, et les branches du tronc labyrinthique. Nous pouvons

donc admettre a priori que de par l'anatomie elle-même, aucun appareil

n'est plus systématiquement menacé par le tabes que l'appareil labyrin-

thique.

Anatomie pathologique. L'anatomie pathologique est, sur cette ques-

tion, assez peu définitive. Mais j'ai fait plus haut une remarque dont il im-

porte ici de tenir le plus grand compte. Les noyaux primaires de la protu-

bérance et du bulbe auxquels aboutissent les fibres centripètes du tronc

labyrinthique émettent sans doute vers les centres supérieurs un très grand

nombre de fibres, plus qu'aucun centre médullaire des racines postérieu-

res. Mais tandis que les fibres émanées des centres médullaires des racines

postérieures cheminent de conserve le long de la moelle et se forment en .

cordons systématisés qui rendent très manifestes les lésions présentées si-

multanément par un grand nombre de fibres parallèles, il n'en est pas de

même pour les fibres émanées des centres labyrinthiques. Celles-ci diver-

gent en tous sens, qui vers le cervelet, qui vers les tubercules quadriju-

meaux, qui vers le gros faisceaux des anses pédonculaires après de nom-

breux entrecroisements au niveau duraphé. Il n'existe plus ici de cordons

systématisés, ni de faisceaux de fibres parallèles, chaque fibre gagnant iso-

. lément ou à peu près isolément les centres supérieurs dont beaucoup ne

sont pas éloignés. Ces mêmes lésions, si apparentes au niveau des cordons

ascendants et parallèles de la moelle, ne se montrent plus ici qu'indivi-

duellement ; et si l'atrophie des fibres peut se reconnaître, la sclérose fasci-

culaire n'a guère lieu de se dessiner.

. En revanche s'il n'y a pas ou guère de sclérose des cordons, z faute

de cordons - l'atrophie des fibres labyrinthiques a été depuis longtemps

138 PIERRE BONNIER

signalée, et sur ce point la lésion du protoneurone centripète y est plus

évidente qu'au niveau des racines postérieures. Wernicke, Althaus décri-

vent dans le tabes une névrite atrophique de la huilièmepaire qu'ils com-

parent à la névrite optique. Strumpell rapporte deux cas où il a observé

simultanément l'atrophie du nerf acoustique et celle du nerf optique.

Oppenheim et Siemerling ont constaté, également dans un cas de tabes,

une atrophie de la plupart des faisceaux du nerf vestibulaire au voisinage

des gros noyaux postérieurs. Ces faisceaux étaient transformés en tissu

conjonctif riche en noyaux. La sclérose y était donc apparente dans les

racines intra-bulbaires du tronc vestibulaire. De même, Ilahermann a

observé, chez un tabétique sourd depuis douze ans, une atrophie profonde

des nerfs acoustiques qui n'étaient plus que deux bandelettes. Les fibres

du nerf cochléaire avaient presque toutes disparu et quelques cellules gan-

glionnaires seules persistaient. Enfin Collet a examiné le bulbe d'un ta-

bétique de Pierret, et a trouvé également l'atrophie des racines du nerf

cochléaire sous le plancher du quatrième ventricule au niveau du calamus.

Les petits amas cellulaires dont est semé le nerf à cet endroit a l'état nor-

mal avait presque totalement disparu.

Ces cas sont peu nombreux, on le voit, mais de leur juxtaposition nous

pouvons reconnaître que,depuis la périphérie papillaire jusqu'aux noyaux

bulbo-protubérantiels, tous les points du protoneurone labyrinthique ont

été atteints dans le tabès ; et pour cette grosse racine postérieure qui est

le tronc labyrinthique, on en sait plus, au point de vue anatomo-patho-

logique, que pour toutes les autres racines postérieures spinales.

Remarquons que dans la surdité d'origine périphérique sans lésion

primitive du tronc nerveux, l'atrophie est loin d'avoir cette allure ; et il

semble que, dans ces cas, il s'agisse bien d'une atrophie primitive du

protoneurone labyrinthique.

Néanmoins, si dans beaucoup de cas peut-être cette atrophie n'est pas

primitive, il faudrait la considérer secondaire à quelque affection périphé-

rique de l'oreille elle-même, labyrinthe ou oreille moyenne. Or, les

affections de l'oreille sont extrêmement fréquentes chez les tabétiques, en

dehors des lésions de pure coïncidence et sans valeur systématique, telles

qu'obstruction cérumineuse, otite accidentelle ou spécifique qui n'ont

ici aucun intérêt ; mais quelques causes plus spéciales interviennent ici

dans l'étiologie des affections auriculaires chez les tabétiques.

L'âge auquel peut survenir le labes est, en général, aussi celui où

l'oreille commence à se scléroser, bien que l'on sache combien l'athérome

précoce se' porte volontiers, d'une part sur les tympans membraneux de

l'oreille moyenne et de l'oreille interne, et d'autre part sur les artères

flexueuses et glomérulaires de l'oreille interne, où les anévrysmes mi-

LE TABES LABYRINTHIQUE 139

liaires sont peut-être plus fréquents que partout ailleurs. Il y a sans doute

là une cause de coïncidence fréquente entre la lésion médullaire et la

lésion labyrinthique périphérique. Mais il faut admettre que c'est surtout

au niveau des centres labyrinthiques que doit apparaître la lésion systé-

matique.

D'autre part, qui dit tabes dit souvent syphilis, c'est-à-dire encore une

chance d'athérome auriculaire. Peu d'organes] sont plus accessibles à

l'athérome que les membranes de l'oreille moyenne et celles de l'oreille

interne. Ces dernières sont simplement recouvertes d'un endothélium sur

lequel peut en outre s'exercer l'action prolongée des intoxications chroni-

ques et les troubles trophiques dus aux intoxications, aux infections

aiguës s'y font naturellement sentir, absolument comme sur les endothé-

liums du rein. Il en résulte des troubles dans la quantité et la qualité des

excrétions qui, par un cercle vicieux fréquent en pathologie, réagissent à

leur tour sur la vitalité des parties molles en contact avec les liquides

labyrinthiques vasculaires et circumvasculaires.

Collet (1) insiste avec raison sur un trouble auriculaire très fréquent

dans le tabes. C'est la névralgie du trijumeau, douleurs fulgurantes, ou

encore son anesthésie, son analgésie, l'engourdissement, ou encore les

troubles trophiques dépendant de ce nerf^qui donne la sensibilité à une

grande partie de l'appareil auriculaire, et dont les lésions nucléaires ont

un retentissement si formidable au niveau du système vasculaire timpa-

nique et labyrinthique.

« Cette coexistence des lésions du trijumeau et des lésions de l'oreille,

remarque Collet (2) , lésions que leur unilatéralité vient rendre quel-

quefois plus apparente, mérite une attention toute particulière. Dans les

cas où elles sont symétriques, il est permis de n'y voir que l'extension

progressive du tabes vers le bulbe, ou sa localisation initiale dans ce

point des centres nerveux; il n'y a rien d'étonnant à ce que le tabes frappe

simultanément l'acoustique et le trijumeau. Mais dans le cas où les lésions

de l'oreille et du trijumeau sont du même côté, cette interprétation est

déjà moins séduisante ; elle l'est moins encore si l'on veut bien remarquer

qu'il ne s'agit pas toujours en pareil cas de la coexistence d'une lésion

des deux nerfs, mais quelquefois de la coexistence d'une lésion du triju-

meau, et d'une lésion de l'oreille moyenne, avec intégrité parfaite du nerf

acoustique. Des recherches récentes ont montré quel rôle important reve-

nait aux nerfs de sensibilité générale et aux nerfs trophiques dans le

fonctionnement normal des organes des sens... » Il est très admissible,

en effet, que l'abaissement de l'ouïe chez certains tabétiques s'explique,

(1) F. J. Collet, Les troubles auditifs du tabes, Lyon, 1894.

(2) Loc. cit., p. 151. -

140 PIERRE BONNIER .

comme le pense Collet, par la lésion des nerfs trophiques. La névralgie

du trijumeau existe, d'après lui, dans les 2/5 des cas, et explique non

seulement les faits d'ostéoporose du maxillaire, mais les troubles trophi-

ques de l'oeil et de l'oreille, l'atrophie simultanée des papilles et l'am-

blyopie associée à la surdité par étranglement papillaire.

En résumé, nous voyons qu'il est possible de trouver soit dans une lésion

de l'appareil de transmission, soit dans celle de l'appareil de perception,

c'est-à-dire dans l'appareil labyrinthique tant périphérique que central, la

raison anatomique de la fréquence extrême des symptômes labyrinthiques

dans le tabes : et cette variété de localisation de la lésion causale nous per-

met de répéter que l'appareil labyrinthique a toujours quelque droit à

figurer dans la symptomatologie de cette affection.

L'anatomie systématique et l'anatomie pathologique de son côté nous

montrent donc que l'appareil labyrinthique est directement exposé, et légi-

timement, à l'offense de la lésion tabétique, quelle que soit la théorie pa-

thogénique ; et nous verrons dans la partie clinique de cette étude qu'en

donnantà la symptomatologie des affections labyrinthiques toute son éten-

due, aucun appareil ne contribue pour une part aussi considérable et aussi

constante à la symptomatologie du tabes.

Physiologie. Le caractère systématique de l'affection tabétique est

apparu tout d'abord par l'analyse topographique de la lésion anatomique.

Mais si l'on y regarde de plus près, on constate que cette systématisation

est avant tout fonctionnelle et qu'elle n'est anatomique que parce qu'elle

est physiologique. C'est un système fonctionnel qui est attaqué, bien plus

qu'une distribution organique, et à ce titre encore bien plus que par sa

qualité de racine postérieure plus importante que toutes les autres, l'appa-

reil labyrinthique était, de par son appropriation physiologique, la victime

de choix vouée à la maladie.

Non seulement en effet le tabes et les conditions ordinaires de sa pro-

duction menacent l'organe auriculaire dans son fonctionnement d'appareil

à membranes, à papilles, et à excrétion angio-endothéliale , mais la systé-

matisation même de l'affection tabétique ne peut pas ne pas intéresser les

fonctions auriculaires.

En réalité, indépendamment des fonctions auditives, qui exposent l'o-

reille à une affection systématique qui atteint si profondément toutes les

fonctions sensitivo-sensorielles, il est une attribution labyrinthique qui ap-

partient au système physiologique le plus primitivement et le plus profon-

dément compromis par le tabes.

Cette fonction, la plus ancienne des fonctions allribuables aux organes

auriculaires et aux formations physiologiques qui ont précédé l'oreille dans

LE TABES LABYRINTHIQUE 141

la série animale, est ce'que j'ai appelé l'orientation subjective directe, ou

sens des attitudes céphaliques, ou plus simplement sens ampullaire. Elle ap-

partient aux fonctions labyrinthiques et præl<1hyrinthiques les plus diver-

ses, aux plus parfaites comme aux plus rudimentaires J'a i étudié le fonc-

tionnement et les fondions de ces merveilleux appareils, depuis les pre-

mières modifications ectodermiques jusqu'au labyrinthe de l'homme, dans

le 2e et le 3e vol. de mon travail sur L'oreille (Coll. Léauté). Je rappellerai

seulement que le nerf ampullaire véhicule, des crêtes ampullaires des

canaux semi-circulaires de l'oreille interne aux centres bulbaires, cérébel-

leux et cérébraux, les données sensorielles qui fournissent, par leur com-

position, les images d'attitudes, et des variations d'attitudes, c'est-à-dire

des mouvements passifs ou actifs, du segment céphalique. C'est dans l'in-

suffisance et surtout dans l'irritation de ce service sensoriel que réside le

vertige proprement dit.

Les mouvements de la tête jouent dans l'exercice de l'équilibration un

rôle des plus importants. La tête occupe en effet le poiut le plus élevé du

corps au-dessus de notre base de sustentation, et ses mouvements mesurent

dans leur plus grande amplitude les moindres écarts autour de l'attitude

verticale. De plus le centre du monde objectif révélé par la vue est égale-

ment la tête, et la moindre variation d'attitude de la tête modifie la dis-

tribution perspective des objets de notre milieu par rapport à nous. La

notion de l'attitude de notre tête au moment d'un regard quelconque en-

tre forcément pour une grande part dans l'orientation des objets regardés,

par rapport à nous. Je reviendrai sur ce point.

. La tête est enfin en quelque sorte la base et le centre d'opérations de

toutes nos investigations sensorielles, surtout pour ce qui concerne les

fonctions d'orientation, soit objective, soit subjective.

L'orientation objective est, dans chaque domaine sensoriel, la localisa-

tion, l'extériorisation, la distribution, bref l'orientation des choses de

notre milieu par rapport à nous. ,

Quant à l'orientation subjective, qui nous fournit la notion de notre pro-

pre situation dans notre milieu, elle s'effectue de deux façons. Il y a tout L

d'abord l'orientation subjective que j'ai dite indirecte, qui résulte du ren-

versement de l'orientation objective : la même opération qui définit topo-

graphiquement notre milieu par rapport à nous, définit forcément par

renversement notre situation dans notre milieu et par cette orientation

réfléchie, le sujet qui oriente devient en même temps l'objet de l'orienta-

tion. Tous les sens, et tous possèdent l'orientation objective, contribuent

par un renversement de leurs opérations, à former cette orientation sub-

jective, que j'appelle indirecte pour l'opposer à la suivante.

Il existe en effet une autre forme d'orientation subjective, que l'on doit

142 PIERRE BONNIER

considérer comme directe, pour laquelle il n'y a pas de repères objectifs,

c'est-à-dire extraorganiques. Sa forme,la plus concrète est ce que j'ai

nommé sens des attitudes. Il faut distinguer, pour analyser le domaine et

l'exercice de ce sens, les attitudes segmentaires et les attitudes totales.

Le sens des attitudes segmentaires est ce qu'on désigne souvent sous le

nom de « conscience de la position des membres ». J'avoue préférer de

beaucoup le terme attitude au terme position. Position peut en effet signi-

fier situation, localisation, distribution dans le milieu objectif; le mot

attitude a une signification plus subjective, c'est plus une position considé-

rée en elle-même, en soi, indépendamment du milieu extérieur. Un mem-

bre sera posé par terre, sur le lit, en l'air ; mais il sera dans l'attitude de

flexion, d'extension, de supination, etc. Le mot position a une significa-

tion tellement objective, qu'en l'outrant un peu, on a pu dire, par exem-

ple, « coucher sur ses positions » ; tandis que l'attitude reste toujours une

qualité subjective, elle est l'expression d'un état plus que celui d'un rap-

port. -

Je préfère d'autre part le mot segment au terme membre. La tête, le cou,

le tronc ne sont pas des membres, ce sont des segments du corps : segment

étant pris ici dans le sens de partie de l'organisme susceptible de mouve-

ments propres. Or, les attitudes segmentaires signifient les attitudes de

toutes les parties mobiles du corps, tandis que la position des membres ne

peut signifier que la distribution dans l'espace de certaines de ces parties

mobiles, les membres articulés. Mon expression est donc plus générale,

plus compréhensive et plus exacte aussi.

Avant de passer au rôle propre du sens ampullaire, et au sens des atti-

tudes totales, il importe de discuter la valeur physiologique du sens des

attitudes segmentaires.

On le confond communément, en clinique, avec le problématique et mal

défini sens musculaire. On dit par exemple que tel ataxique a perdu le sens

musculaire parce qu'il oscille dans l'attitude debout, les yeux fermés, dans

l'attitude où il présente ce qu'on nomme le signe de Romberg, c'est-à-dire

l'incapacité de se tenir immobile, correctement droit ; or, la clinique nous

montre que ces oscillations autour de la verticale sont de règle chez les la-

byrinthiques à insuffisance ou à irritation ampullaire, et le sensditmuscu-

laire ne peut ici être mis en cause. Le malade oscille parce qu'il se repré-

sente maison attitude par rapport à la verticale, il n'en connaît plus que

les écarts assez sensibles, et l'exercice musculaire qu'il destine à son

maintien subit les fluctuations commandées par l'incohérence ou l'insuffi-

sance de ses représentations d'attitude.Tout mouvement volontaire, coor-

donné, de la vie de relation, et particulièrement, tout mouvement de lo-

comotion, tout effort ayant pour but la station d'équilibre, est forcément

LE TABES LABYRINTHIQUE 143

approprié au maintien ou à la variation d'une ou de plusieurs attitudes

segmentaires. Un mouvement est une variation d'attitude et n'est connu

subjectivement que comme variation d'attitude, objectivement en outre,

comme variation déposition, de localisation.

On a malheureusement trop intimement associé le mouvement à l'agent

moteur, la variation d'attitude à l'action musculaire qui la réalisait, la

conscience de la variation dans l'espace à celle de l'effort exercé. Il faut

distinguer trois points dans cette question délicate. Premier point : nous

avons conscience de nos attitudes et de leurs variations, aussi bien quand

le maintien ou la variation de nos attitudes sont passifs que quand ils sont

actifs et voulus. Deuxième point : nous avons conscience des phénomènes

produits au niveau des segments considérés, phénomènes dont la repré-

sentation varie selon que le maintien ou la variation de nos attitudes sont

passifs ou actifs. Troisième point : nous avons conscience des phénomè-

nes centraux, vraisemblablement cérébraux, qui nous révèlent si le main-

tien ou la variation de nos attitudes sont passifs ou actifs, voulus ou non.

Prenons donc successivement les deux cas d'attitude ou de mouvement

d'abord passifs, puis actifs.

L'attitude passive est celle dont le maintien n'exige aucun effort de notre

part.Lemouvement passif est une variation imposée à tels segments de notre

corps, sans que nous ayions dépensé la moindre force pour la réalisation

de ce mouvement.

J'ai conscience d'une attitude passive,. je sais quelle attitude affectent

tous les segments de mon corps, et je connais mon attitude totale. Comme

toutes les perceptions sensorielles, cette perception s'émousse assez rapi-

dement, s'il n'y a pas'variation dans l'objet de la perception, ou surcroît,

ou rappel d'attention. C'est pourquoi nous avons plus facilement conscience

d'un mouvement que d'une position, d'une variation d'attitude que d'une

attitude maintenue. C'est pourquoi aussi on s'est plus attaché à définir un

sens des mouvements qu'un sens des attitudes. D'autre part, comme le

mouvement voulu est forcément plus conscient qu'un mouvement subi,

comme le muscle est l'agent du mouvement actif, il était assez naturel que

l'on pensât plutôt à un sens musculaire qu'au sens des attitudes.

Mais revenons à celui-ci. Il est certain que nous avons conscience de nos

variations d'attitudes, aussi bien quand elles sont passives que quand elles

sont actives et voulues. Comment en avons-nous conscience ? Quand elles

sont passives, nos attitudes et leurs variations nous sont révélées par l'exer-

cice continu d'une tactilité superficielle et profonde, qui perçoit l'état de

toutes les parties de chaque segment susceptibles d'être garnies de termi-

naisons sensorielles. Dans chaque attitude, l'état de ces parties est repré-

senté par une image d'ordre tactile, mais de signification subjective et in-

144 ' PIERRE BONNIER

traorganique. Quand l'altitude varie, l'état de ces parties varie également

et donne lieu aune autre représentation sensorielle. Un mouvement est re-

présenté par une série ininterrompue d'images d'attitudes. Les téguments,

comme lestissusprofonds, os, articulation, fascias, tendons, muscles même,

fournissent à cette tactilité superficielle et profonde des images élémen-

taires dont la composition définit l'attitude du segment considéré à ce

moment, donné. L'attitude étant passive, il n'y entre aucune notion d'ac-

tivité musculaire, et le sens musculaire des auteurs n'a ahsolument rien à

y voir.

Quand les attitudes et leurs variations sont actives, l'activité musculaire

entre en jeu. Nous avons conscience qu'il se passe au niveau du segment

considéré quelque chose de plus que dans le cas précédent. Je n'ai pas

à refaire ici l'historique déjà long des théories du sens musculaire, ni

à en faire la critique; je procéderai uniquement par l'analyse subjective.

Quand l'attitude considérée n'est plus passive, mais maintenue on

modifiée activement par l'intervention des muscles, les parties tégumen-

taires et profondes des segments intéressés offrent sans aucun doute à

l'analyse tactile des images élémentaires autres que dans le cas où le

maintien ou la variation d'attitude sont passifs. Le muscle se raccourcit,

se gonfle, se durcit, les tendons sont tiraillés, les surfaces articulaires

fortement coaptées en certains points, les ligaments et aponévroses péri-

articulaires sont distendus, la forme du segment varie et les téguments

sont le siège de variations de forme, d'expansion, de pression, etc.

Si nous analysons une même attitude segmentaire, un même mouve-

ment, selon qu'ils sont réalisés passivement ou activement avec interven-

tion de notre propre activité musculaire, l'image d'attitude, l'image de

mouvement seront les mêmes, puisqu'il s'agit d'une même attitude, d'un

même mouvement, mais les images tactiles élémentaires, superficielles et

profondes, seront très différentes, selon qu'il s'agit de phénomènes passifs

ou actifs. II y a en plus la sensation d'activité. Est-ce spécialement la sensa-

tion d'activité musculaire qu'il faut dire ? Non, je sens que mon mouve-

ment est actif et voulu, mais je ne sens rien de musculaire dans cette acti-

vité. J'ai à l'intérieur des segments la sensation de tension, de traction, de

pression, de gonflement, de déplacement des parties profondes et superli-

cielles, sans doute le muscle a sa sensibilité, comme tous les autres tissus

qui composent le segment, mais sais-je plus qu'un muscle ou plusieurs se

sont contractés, que je ne sais qu'un ou plusieurs ligaments sont distendus,

ou tiraillés, telle aponévrose refoulée, etc. Je sais qu'il se passe dans ces

segments, en cas d'attitude activement maintenue ou modifiée quelque

chose de plus que dans le cas de passivité ; mais quelque chose ne me

donne nullement la sensation d'un état musculaire ; c'est une variation de

LE TABES LABYRINTHIQUE 145

force, de résistance et de forme dans l'état de presque toutes les parties

profondes et superficielles du segment. Il y a en plus de l'activité dans l'at-

titude ou dans le mouvement,ou plutôt une sensation d'activité, mais pas

plus de sens musculaire que de sens articulaire, aponévrotique, ligamen-

taire, tégumentaire, etc. Il y a une activité superficielle et profonde, qui

définit l'attitude et cetle définition repose sur des opérations de même na-

ture, mais de valeurs différentes, selon que l'attitude est passive ou active.

La notion de résistance est forcément d'ordre tactile ; elle résulte d'une

intensité variable dans les sensations de pression au contact ou de tiraille-

ment. Ces sensations sont plus extramusculaires que musculaires à propre-

ment parler.

Au niveau du segment ou des segments acti fs, j'ai donc le pouvoir de lo-

caliser une sensation d'activité qui s'ajoute à la notion d'attitude, mais

rien ne me permet objectivement ni subjectivement d'attribuer cette acti-

vité à la contraction musculaire, si je ne l'ai appris autrement. Les ima-

ges d'attitudes et de mouvements sont donc forcément localisées et tout

en restant du domaine subjectif et intraorganiques elles s'objectivent à la

périphérie de notre tactilité. Il en est ainsi de toutes ces perceptions :

elles sont à la fois subjectives et objectives ; subjectives en ce sens qu'elles

se localisent sur nous-même, et objectives en ce sens qu'une partie de

nous-môme les sent et les localise en nous. Ce qui se passe en ma main

est subjectif puisque ma main fait partie démon moi organique ; c'est

aussi objectif en ce sens que cette partie de moi est connue, perçue, ana-

lysée, localisée, par moi-même et qu'en la percevant, je l'extériorise en

quelque sorte de ma connaissance. '

La perception a pour effet d'objectiver la chose perçue, quelle qu'elle soit :

l'effort que nous faisons pour nous définir à nous-même une perception,

une sensation, est avant tout un effort d'objectivation. Il suffit que l'on

analyse une sensation, même intime et profonde, pour qu'en cherchant à la

formuler, à la définir, on lui prête un corps, une identité objective par le

fait même du recul que nous devons prendre pour accommoder la vision de

notre conscience. Quand, les doigts ouverts et les yeux fermés, je fixe

l'attention de mon sens des attitudes segmentaires successivement sur

les cinq doigts de ma main, j'éprouve une double sensation. D'abord cha-

cun de mes doigts, à mesure que mon attention s'y porte, semble s'animer

et s'affirmer à moi objectivement; il se fait sentir et connaître il moi,

comme si sa personnalité de segment de mon organisme sortait des ténè-

bres démon inconscience et s'offrait à cette vue intérieure qui me révèle

le détail de ma personnalité somatique. Le sens des attitudes fixe tel point

de mon corps comme l'oeil le fixerait pour sa part. Je sens tel doigt en y

fixant mon attention, comme je le verrais en le regardant. Mais en même

146 PIERRE BONNIER

temps que je fais varier l'orientation de mon champ sensoriel en le diri-

geant vers tel ou tel point, j'ai la sensation de ce travail d'attention auquel

je me livre, j'ai la notion de l'effort d'accommodation sensorielle de mon

sens des attitudes, vers tel ou tel point de mon organisme...

Quand il s'agit non plus de me représenter une attitude segmentaire,

mais une variation d'attitudes, mon attention redouble et s'efforce encore.

Dans les expériences de Cumberland, cette attention du sens des attitudes

segmentaires est poussée à l'extrême de la part de la personne conduite.

Mais quand il s'agit d'une attitude maintenue activement, volontaire-

ment, avec une variation active d'attitude, la sensation se complique de la

perception de l'effort voulu. Il y a déjà la sensation de l'effort exercé,

réalisé, perceptible au niveau du segment considéré, nous l'avons vu plus

haut. Mais il y a en plus la sensation de la volonté employée, de l'effort de

réalisation, c'est à peu près ce que Wundt a appelé la sensation cl'izne ?

vation. J'ai d'une part la sensation des modifications produites au niveau

du segment actif par l'effort musculaire, sensation qui n'est pas plus

musculaire qu'articulaire ou cutanée ; mais j'ai d'autre part la sensation

de quelque chose de tendu dans le cerveau, la sensation qu'une partie de

ma volonté générale, disponible, est en ce moment en tension, si je puis

dire. De quelle nature est cette sensation ?

Il m'est possible d'analyser ce que je ressens cérébralement et indé-

pendamment de la sensation périphérique et segmentaire de l'effort réa-

lisé, quand je veux cet effort. C'est,avant tout, la conscience, la sensation de

l'exercice de ma faculté d'attention ; je ne trouve pas de mot plus juste.

Quand je veux comprendre, sentir, percevoir, quand je veux me sou-

venir, retrouver une image, - quand je veux maîtriser un mouvement ré-

flexe, un trouble moral ou organique ou quand je veux réaliser un geste,

un effort moteur, c'est toujours la même sensation cérébrale que

j'éprouve, une perception de tension, d'attention dans la faculté en jeu.

Si cela s'appelle volonté, la sensation de ma volonté agissante est la même

pour un effort de mémoire, de compréhension, de perception ou d'action

motrice. J'ai souvent cherché à analyser celle sensation d'effort nerveux

et à voir si elle varie de forme selon ses applications à telle ou telle fa-

culté, je n'y suis jamais parvenu. C'est évidemment le même mode d'exci-

tation et d'appel que nous pouvons appliquer à telle partie de notre

écorce et comme celle-ci est en réalité très uniforme malgré ses complexes

attributions, si variables selon les points considérés, la sensation de sa

mise en travail est également uniforme. Et cela se conçoit si l'on réfléchit

que ce qui semble différencier l'écorce en attributions fonctionnelles, ce

qui fait que telle région cérébrale semble toute différente de telle autre,

ce n'est pas sa nature propre, sa structure à ce point donné, mais bien

LE TABES LABYRINTHIQUE 147

son domaine extérieur, l'exploitation lointaine de sa signification corti-

cale. De même que tel point de l'écorce commande le langage, tel autre

point la danse et la marche, sans différer pour cela en tant qu'écorce céré-

brale tout en offrant de grandes différences dans l'office fonctionnel, de

même l'écorce pensante, sensorielle, n'a pas à différer beaucoup de l'écorce

qui régit les appropriations motrices aux images d'attitudes et de mouve-

ments. Seulement l'image de telle région représente une attitude et c'est

naturellement cette région qui commande à la motricité médullaire appro-

priée à cette attitude ; l'image de telle autre région représente telle sensa-

tion, telle faculté psychique, etc., et n'aqu'indirectement rapport avec la

motricité. Mais la mise en tension de toutes ces régions est sentie de

même, parce qu'elles offrent le même mode de mise en tension, et que ce

phénomène est sensiblement le même dans tous les points où nous éveil-

lons l'activité de notre écorce cérébrale.

Il n'y a donc pas de sens musculaire spécial. Nous sentons notre vo-

lonté, au point de notre écorce où elle prend naissance, nous en sentons

les effets associés au point de nos segments où ces effets se produisent.

L'ataxique médullaire, dorsal, garde la sensation de la volonté agissante,

il n'a plus celle de son activité et de son application motrices; il peut

vouloir et imaginer toutes les attitudes et tous les mouvements, mais il ne

les connaît plus objectivement par le sens des attitudes : la vue seule le

sert en ce point. Si le labyrinthe est intact, il ne sait plus bien régir les

attitudes indispensables à l'équilibration, mais il connaît les écarts d'équi-

libre ; si le labyrinthe est faussé dans son fonctionnement ou si les images

sont troublées, il ne connaît plus même les écarts d'équilibre ou en subit

d'imaginaires. Si le sens des attitudes segmentaires étant intact, le labyrin-

the est seul en défaut, l'équilibration se maintient grâce à la plus instante

vigilance du sens segmentaire et le plus souvent le conflit qui se produit

entre les opérations du sens ampullaire et du sens des attitudes segmentai-

res se manifeste par une des formes du signe de Romberg. L'exercice mus-

culaire destiné au maintien de l'équilibre subit nécessairement les fluctua-

tions commandées par l'incohérence des fonctions d'attitudes.

En admettant qu'il existe un sens musculaire, il ne pourrait naître que

de la sensation du mouvement destiné il rétablir l'équilibre perdu. Or, ce

mouvement est dicté par la sensation d'une perte de l'équilibre, forcément

antérieure à la recherche de son rétablissement. C'est donc le sens des at-

titudes qui, averti d'une oscillation incompatible avec l'attitude d'équili-

bre, commande l'exercice musculaire destiné au maintien de l'attitude, et

ce ne peut être que de cet exercice musculaire que naîtraient les sensations

d'activité musculaire dont on a cherché à faire un sens spécial.

Il y a plus; on comprend l'idée de sens musculaire à propos d'un ma-

148 PIERRE BONNIER

lade qui ne sait pas réaliser activement telle altitude commandée; mais,

quand ce malade, couché les yeux fermés, et à qui on prescrit la passivité

la plus grande, la résolution musculaire la plus complète, ignore l'atti-

tude que l'on donne à tel segment de ses membres, que vient faire, dans

ce cas d'inactivité musculaire, ce qu'on appelle le sens musculaire dans les

observations cliniques ? Comment, on cherche à placer le malade dans une

abstention musculaire telle que le sens de l'activité musculaire, s'il existe,

doit rester silencieux, et l'on constate, précisément alors, qu'il a disparu z

chez ce malade ? En réalité, l'ataxique, qui ne sait pas où sont placés et

comment sont disposés ses membres quand il ne les voit pas, a perdu la

notion subjective de ses attitudes. Quand on les dispose sans qu'il intervienne

activement, il a simplement encore perdu le sens des attitudes segmentai-

res ; quand il ne parvient pas, malgré l'intégrité de ses muscles, à réaliser

telle attitude commandée, ce n'est pas parce qu'il ne mesure pas l'activité de

ses muscles, ce n'est même pas parce qu'il coordonne mal ses efforts mus-

culaires,c'est simplement parce qu'il approprie mal ses efforts. Et s'il appro-

prie mal c'est parce qu'il ne se représente plus l'attitude de départ, les at-

titudes intermédiaires, et qu'il ne sait plus s'il a atteint ou dépassé l'atti-

tude d'arrivée, celle qu'il s'est corticalement proposée et représentée,

mais dont les images périphériques ne lui sont plus véhiculées, grâce à

l'interception des voies médullaires.

Quand j'exécute un mouvement volontaire, il me faut la notion cons-

ciente de l'attitude actuelle, celle que je dois faire varier, plus la

représentation forcément imaginative de l'attitude à laquelle ma variation

aboutira, - et aussi la représentation de la série des attitudes par lesquelles

je passerai de l'attitude de départ à l'attitude d'arrivée. Ai-je la moindre

notion que cette variation d'attitude s'effectue grâce à des muscles, à des

os, à des articulations ? Aucunement. Sais-je que je dépense telle somme

de force ? Nullement. Ce que je sais, c'est qu'à partir de la variation d'at-

titude, je réalise successivement les attitudes de passage, que je m'approche

déplus en plus de l'attitude d'arrivée, et, quand celle-ci d'imaginaire

devientréelle, c'est-à-dire représentée comme telle par les opérations du

sens des attitudes, la variation cesse. Ai-je, encore une fois, la moindre

idée du mécanisme grâce auquel mon attitude a varié; si j'ai contracté

tant d'extenseurs, tant de fléchisseurs, dans quelle proportion les uns et les

autres ont fonctionné ? Sais-je même où sont mes muscles et si j'en ai ? En

fait, de mes centres de représentation d'attitudes, qui selon moi ne sont

pas plus réellement des zones motrices que le sens des représentations

d'attitudes n'est un sens musculaire, de ces circonvolutions centrales est

partie une série de réflexes comme il en part de tout autre point de la

périphérie de l'appareil nerveux. Seulement, ceux-ci sont, par adaptation

LE TABES LABYRINTHIQUE 149

organique et fonctionnelle, destinés à mettre en oeuvre les activités mus-

culaires, inconnues de ma conscience, précisément parce que l'ap-

pareil moteur, le muscle, est en dehors de ma sensorialité, qui cor-

respondent respectivement à la réalisation des attitudes. Chaque attitude

répond à un certain groupement d'activités musculaires; chaque mouve-

ment, chaque variation d'attitude répond à une variation dans le tableau

d'emploi de ces activités musculaires, et, ce qui est conscient dans la mo-

tricité, c'est l'attitude. Quant la force dépensée, elle n'est que consécu-

tivement perçue, bien qu'elle puisse être imaginée d'avance, par expérience

acquise.

De même que je rejette toute idée de sens musculaire, de même je suis

forcé de ne voir dans l'ataxie qu'un défaut dans l'appropriation muscu-

laire par défaut dans la représentation de l'attitude et, par suite, je

dois constater qu'il n'y apas incoordination au sens exact du mot. L'ataxi-

que coordonne parfaitement ses efforts musculaires sous une appropriation

motrice qui est fautive. Un capitaine qui ne sait quelle tactique suivre

peut commander une fausse manoeuvre, laquelle sera parfaitement exécutée.

La fausse manoeuvre de l'ataxique dépend d'une appropriation motrice

exercée sans but bien défini et surtout sans contrôle, mais elle ne comporte

pas d'incoordination, et le mouvement absurde de l'ataxique coordonne

bien et approprie mal, parce qu'il est troublé dans la représentation de

ses attitudes segmentaires ; le choréique se représente bien ses attitudes,

approprierait bien, mais ne peut coordonner.

Ce sens des attitudes segmentaires, cette tactilité spéciale qui donne la

représentation des attitudes partielles des différents segments du corps,

complété par le sens des attitudes céphaliques, qui fournit par extension

la notion de l'attitude de tout le corps, constitue ce que j'ai nommé l'oricit-

tation subjective directe. C'est sur cette fonction que repose la plus grande

partie de l'intervention cérébelleuse dans la motricité. On sait les rapports

du cervelet et de l'appareil vestibulaire. Quand ce sens est altéré, notre

motricité et notre équilibration sont profondément troublées; elles ne se

maintiennent correctes que sous le contrôle infidèle de la tactilité, et sous

la direction infiniment plus précieuse de la vue. Quand celle-ci nous man-

que, comme dans le signe de Romberg ou dans l'obscurité, nous sommes

livrés à l'incohérence de nos images d'attitudes, et toute notre orientation

- en souffre.

Il est un appareil qui ne peut se passer des images d'attitudes et de mou-

vements céphaliques : c'est l'appareil de la vision. Cyon avait créé pour les

mouvements des globes associés aux mouvements de la tête le nom de

mouvements compensateurs, mais sa théorie inadmissible du sens de l'es-

parce compromet l'interprétation qu'il donne de ce mécanisme d'associa-

XII il

150 PIERRE BONNIER

tion. Breuer a mieux compris le rôle de l'oculomotricité à l'occasion des

mouvements passifs des globes pendant les déplacements de la tête. Ils

sont inertes et mobiles au moins dans une certaine mesure dans les ca-

vités orbitaires et doivent naturellement apporter quelque indocilité à

suivre les mouvements de la tète. Si, quand la tête tourne d'un certain

angle, l'oeil ne suit pas exactement la variation d'attitude, ou si même il

- met du retard à la suivre, la notion de la variation d'attitude fournie par

le labyrinthe et celle fournie par la vue ne concordent plus, et il faut que

l'oculomotricité répare cette cause d'erreur. Cette erreur d'appréciation,

ou plutôt ce trouble résultant des deux procédés d'orientation révélant la

variation d'attitude, disparaît dès que l'oeil est, par l'oculomotricité, im-

mobilisé dans l'orbite et que par conséquent la vue indique un écart d'at-

titude absolument superposable à celui que révèle le labyrinthe. Il faut

distinguer l'indocilité que met le globe à se conformer immédiatement au

déplacement de la tête, de la paresse qu'il apporte à détacher le regard de

la direction qu'il avait avant le déplacement de la tète. Ce dernier fait a

quelque chose de volontaire ; il s'agit d'un mouvement approprié appar-

tenant à l'acte volontaire du regard, et l'action de l'oculomotricité n'a ici

rien de réflexe ni de compensateur. Quand le mouvement de la tête ne

. permet plus à l'oeil de fixer le même point, l'oeil s'en détache et fixe un

autre point; c'est ce qui produit le nystagmus de rotation, ou le nystag-

mus de translation, celui qu'ont en chemin de fer les personnes qui veu-

lent fixer des objets que le déplacement du train force à abandonner

aussitôt.

Ce n'est pas du nystagmus il vrai dire, c'est un regard rapidement dé-

placé ; c'est le report continuel du regard vers d'autres points ; le vrai

nystagmus est spasmodique et celui dont nous nous occupons en ce moment

se produit également les paupières fermées. Chez certains sujets, le globe

de l'oeil met un grand retard à suivre le mouvement de la tête, et il revient

en position normale par,une véritable secousse; si le mouvement con-

tinue, l'oeil fait ainsi une série de sauts dans le sens de la rotation ; au

moment du saut, il n'y a pas de vision nette, tandis que, pendant le retard

du globe à se déplacer, l'oeil semble reculer par rapport au mouvement

de la tète, et se déplacer en sens inverse. Les objets que perçoit la rétine

sont donc animés du mouvement rotatoire inverse de celui de l'oeil et par

conséquent de même sens que le déplacement de la tête. Si notre milieu

paraît tourner avec nous, nous pensons tourner nous-même moins que

nous ne tournons en réalité, et c'est cette erreur qu'une oculomotricité très

sensible l'action delà vigilance ampullaire doit combattre aussitôt qu'elle

tend à se produire. Cette. question a été également discutée par Delage,

qui remarque qu'au moment de l'arrêt du mouvement de rotation de la tête,

LE TABES LABYRINTHIQUE 151

il se produit un nystagmus dans le sens de la rotation, et par conséquent

l'espace semble tourner en sens inverse de cette rotation, et se déplacer

par conséquent encore dans le même sens, après que nous nous sommes

arrêtés. Il fait de ce phénomène l'explication du vertige visuel dePurkinje.

Il se passe quelque chose d'analogue dans le mouvement de translation.

En chemin de fer, si nous sommes placés face à la machine, « allant en

avant », le paysage court naturellement en sens inverse ; si nous entrons

dans un tunnel, à la faible lueur de la lampe, il nous semble que la partie

opposée du compartiment vient à nous et que nous nous mettons à mar-

cher en sens inverse ; l'illusion disparaît en sortant du tunnel. 11 n'y a pas

cependant ici de nystagmus, et cependant l'illusion visuelle est nette.

Il y a ici plus qu'une illusion due à un trouble moteur de l'oeil, et j'y vois

une véritable hallucination d'une grande simplicité. Avant d'entrer dans

le tunnel, la fuite en arrière du paysage nous confirmait dans la sensation

de la projection du train dans le sens direct; cette fuite en arrière dispa-

raissait subitement par l'entrée dans le tunnel, l'image de la projection en

avant s'efface rapidement et la sensation produite par cette image anté-

rieure se transforme en la sensation inverse, laquelle éveille l'hallucina-

tion sensorielle. Il y a peut-être un mécanisme du même genre dans la

vision de la couleur complémentaire de la couleur que nous cessons subi-

tement de voir.

Ce que Delage prend pour un renversement subit du nystagmus n'est, à

mon avis, autre chose que l'oscillation du globe, qui se continue dans le

même sens que la rotation de la tête, après l'arrêt brusque de celle-ci.

Certains tabétiques ont ainsi des globes oculaires qui oscillent dans l'or-

bite et dépassent à chaque rotation de la tête la position normale. Les yeux

sont indociles à suivre la rotation, puis, quand celle-ci s'arrête, ils sont

encore indociles à l'action de cet arrêt. Il y a un ralentissement dans l'in-

tervention oculomotrice de fixation parce qu'il y a retard dans les opérations

labyrinlbiques. De même ce que Delage appelle le nystagmus inverse n'est

autre chose que l'indocilité que met le globe à suivre le mouvement de

l'orbite.

Mais ces phénomènes doivent s'étudier en dehors de l'action du regard,

c'est-à-dire les paupières abaissées, en appuyant les doigts sur la cornée

dont on perçoit les mouvements ; ou bien en faisant ouvrir les yeux du

malade aussitôt le mouvement de la tête exécuté et en notant la position im-

médiate des yeux, avant que le regard les ait de nouveau fixés et orientés.

On constate alors que ce nystagmus de rotation n'est pas sensible chez le

sujet sain et qu'il appartient donc surtout à la recherche du regard ; tan-

dis que chez le labyrinthique il apparaît au contraire assez nettement

quand les yeux sont fermés, ainsi que les oscillations exagérées du globe.

152 PIERRE BONNIER

Le tabétique présente ce retard du globe à suivre le mouvement et l'arrêt

de l'orbite, quand le labyrinthe est lésé dans ses centres, les mouvements

dits, je ne sais pourquoi, compensateurs, disparaissent quand la lésion la-

byrinthique centrale est définitive et bilatérale, car l'oeil n'a plus à se re-

prendre pour suivre ce mouvement qu'il ne connaît plus.

Clinique. Dans la première observation de tabes du mémoire de Du-

chenne, en 1858, la surdité et le bourdonnement sont signalés ; chose

curieuse, c'est, remarque-t-il, le seul malade chez lequel il ait trouvé des

troubles auditifs. Un certain nombre d'auteurs, Carre, Remak, Eisen-

mann, Pierret, Wernicke, Lucae, Erb, Allbaus, Vulpian, Leyden, Fournier

les ont depuis fréquemment retrouvés. Mais il importe, quand il s'agit

d'un organe aux attributions aussi complexes que l'oreille, de ne pas se

borner à relever uniquement les symptômes cochléaires, c'est-à-dire audi-

tifs, tels que surdité, bourdonnement. Il faut connaître la totalité des

symptômes labyrinthiques et en premier lieu le vertige. D'ailleurs les

symptômes labyrinthiques sur lesquels nous aurons à revenir au cours de

cette étude sont naturellement signalés depuis les premières observations

classiques de tabes ; mais ce n'est pas comme tels qu'ils sont présentés,

et la seule originalité de ce travail sera de grouper et d'orienter des phé-

nomènes épars et dépourvus de leur véritable signification pathognomo-

nique.

Pierret a, je crois, le premier signalé le vertige de Menière dans le tabes,

et l'a rangé parmi les symptômes auriculaires du tabès. Vulpian en a éga-

lement parlé, mais on sait combien peu précises étaient ses idées sur ce

qu'il appelait le vertige auditif. Féré et Demars ont encore publié deux

observations de vertige auriculaire chez des tabétiques, de même Althaus

et Fournier, etc. Mais c'est à Marie et à Wallon que revient l'honneur

d'avoir fait au vertige sa place dans la symptomatologie du tabès, en l'attri-

buant à la lésion des troncs ampullaires du nerf ]ibyi-iiiiiiique. Il est tout à

fait remarquable que cette notion ait encore aujourd'hui assez peu profon-

dément pénétré dans l'esprit des cliniciens,pourqui l'oreille reste en quel-

que sorte l'organe de l'ouïe et pas autre chose. Combien de neurologistes,

habitués à ne tenir que peu de compte des symptômes auditifs dans le

tabes, seront surpris de l'énorme proportion de symptômes auriculaires

qu'il faudrait considérer et que nous énumérerons plus loin. Il s'en faut

en effet de très peu que l'appareil labyrinthique ne fournisse à lui seul la

moitié des symptômes du tabes.

Sur 24 tabétiques, Marie et Wallon ont observé 17 cas de vertige et

souvent des troubles auditifs. Voit n'a trouvé de surdité que 2 fois sur

100 tabétiques, tandis que Marina et Morpurgo, sur 40 tabétiques, ont

LE TABES LABYRINTHIQUE 153

trouvé 33 fois les oreilles intéressées. Morpurgo a relevé 43 sujets durs

d'oreille sur 55 tabétiques ; en revanche Treitel n'en a rencontré que 5

sur 20. Ces chiffres sont donc très variables, mais il faut observer que la

fonction auditive n'est qu'une des fonctions, la plus récente et la plus

consciente aussi, de l'appareil auriculaire, et comme je le remarquais, il

ne faut pas confondre troubles auditifs avec troubles labyrinthiques.

D'ailleurs la surdité peut être méconnue du malade interrogé et de plus

les grandes différences observées dans la proportion des troubles auditifs

dans les deux séries de malades peuvent encore tenir aux différences dans

le procédé d'examen des divers auteurs. Il est certain que si l'on se conten-

tait d'interroger un malade sur la qualité de son audition, on se verrait

fréquemment trompé de la meilleure foi du monde par le malade lui-même,

qui peut ignorer sa surdité, quand elle n'est pas très prononcée. Il ne

manque d'ailleurs pas d'exemples de surdité unilatérale presque absolue,

totalement ignorée du sujet.

Pour avoir donc une idée suffisante de la contribution de l'appareil la-

byrinthique à la symptomatologie du tabes, il faut, je le répète, prendre la

totalité des symptômes d'origine auriculaire, périphérique ou centrale. Il

faut même le plus souvent se rappeler que, quand il s'agit du tabes, les

centres sont au moins aussi accessibles à la lésion systématique que la péri-

phérie, et qu'à côté de l'irritation de l'appareil périphérique et même de

tout le protoneurone centripète, il faut tenir compte de l'irritabilité pro-

pre des centres bulbo-médullaires auquel aboutit ce protoneurone, irri-

tabilité qui caractérise les phases initiales de l'affection. Il semble que dès

que le protoneurone est lésé, l'irritabilité des centres en rapport avec ce

protoneurone est accrue momentanément, et qu'une période d'irritation

précède la suppression de l'irritabilité réflexe. C'est à cette période qu'ap-

partient le vertige, et qu'il faut aussi rapporter les irradiations réflexes si

remarquables au niveau de l'appareil oculomoteur par exemple.

J'ajouterai, pour le vertige en particulier, qu'il n'est pas toujours causé

par une lésion de l'appareil périphérique de l'oreille ; il faut néanmoins le

considérer comme la réaction propre de certaines parties du vaste noyau

interne, et toujours le vertige résulte d'une irritation de ce noyau,

qu'elle provienne d'une excitation périphérique de l'appareil labyrinthi-

que ou.d'une irradiation internucléaire partant de tout autre point de l'or-

ganisme. Ce noyau peut et doit toujours être mis en cause dans tout cas de

vertige, et je répète que le vertige ne peut s'expliquer sans lui, pas plus

que la nausée sans le noyau glossopharyngien, l'anxiété, la palpitation,

l'asthme, etc. sans le noyau pneumogastrique. Je n'y insisterai pas da-

vantage.

Si l'on applique les lois de Pflü3er aux noyaux gris de la moelle allon-

154 PIERRE BONNIER

gée, on s'explique immédiatement qu'une irritation de l'appareil labyrin-

thique périphérique ou central pourra, par irradiation, éveiller des symp-

tômes dans des noyaux voisins, unis aux noyaux de la 8e paire par des

faisceaux commissuraux, comme les noyaux oculomoteurs, ou simplement

mis avec eux en rapport de contiguïté et môme de continuité comme les

noyaux glossopharyngien et pneumogastrique étendus le long du vaste

noyau interne.

Nous comprenons ainsi que le vertige, dû à l'irritation du noyau interne,

s'accompagne de troubles visuels et oculomoteurs, de nausée, de palpita-

tion, d'oppression, d'anxiétés de tout genre, d'alfre cardiaque ou gastrique,

de troubles viscéraux, sécrétoires et vaso-moteurs, etc.

Inversement nous savons qu'une irritation périphérique ou centrale,

dans le domaine de n'importe quel appareil, peut irradier vers le noyau

interne et associer levertige à sa symptomatologie propre. Le vertige visuel,

le vertige qui accompagne les nausées, et, dans le domaine du vague, les

vertiges laryngé, stomacal, hépatique, cardiaque, etc., n'ont pas d'autre

cause.

Mais il est un phénomène curieux que je nommerai l'enjambement in-

ternucléaire, car je ne sache pas qu'il ait été baptisé. Il consiste en ce fait

qu'une irritation périphérique ou centrale, dans un domaine nerveux

donné, pourra cheminer comme une aura, de noyau à noyau, sans éveil-

ler le moindre symptôme dans les uns, faisant au contraire éclater la réac-

tion propre à tel autre noyau particulièrement susceptible. Le noyau même

primitivement intéressé peut rester silencieux.

Je citerai, comme exemples, les cent irritations diverses qui éveilleront

l'asthme chez un sujet dont le pneumogastrique est plus accessible et plus

sujet à cette réaction. L'asthme d'origine nasale peut ne donner aucun

symptôme indiquant que le trijumeau ait véhiculé la moindre irritation.

Le vertige peut naître d'un effort oculaire, d'une orientation pénible des

globes, d'une accommodation difficile, sans qu'il y ait dans certains cas la

moindre fatigue sentie au niveau des yeux ; il peut provenir d'un trouble

stomacal qui ne sera aucunement localisé ni perçu parle naïade, et même

(Dieulafoy) d'une colique hépatique dont les noyaux sensitifs du pneu-

mogastrique n'auront rien' dit. t.

Dans Je vertige stomacal le vertige est parfois remplacé par l'éblouisse-

ment, c'est-à-dire par un réflexe oculomoteur irradié à son tour des noyaux

du vertige. Chez l'enfant ne voyons-nous pas les convulsions oculaires, le

strabisme, apparaissant comme symptômes d'une irritation sous-périto-

néale, colique, hernie, etc. ? Tel mouvement, tel jeu de moire, tel contraste

de couleurs qui donnera du vertige à l'un, donnera à tel autre la nausée,

LE TABES LABYRINTHIQUE 155

à celui-ci la petite mort, à celui-là une affre épigastrique, etc. Et combien

d'irritations bizarres et lointaines chez certains dégénérés

Dans le tabes, comme dans la paralysie générale, il existe une phase

d'irritabilité nucléaire, dans laquelle ces irradiations et ces enjambements

se donnent carrière du haut en bas de l'axe cérébro-spinal. C'est à cette

période qu'appartiennent le plus grand nombre des troubles réflexes que

je vais énumérer.

Jemebornerai à relever les troubles qui peuvent apparaître comme symp-

tômes fonctionnels ou irradiés d'affections labyrinthiques absolument in-

dépendantes du tabes. Il sera facile de remarquer qu'ils sont seulement

plus fréquents dans cette maladie, mais qu'à part certaines conditions, ils

n'en semblent pas moins être le plus souvent symptomatiques du trouble

labyrinthique, el caractérisent la forme ou la phase labyrinthique du

tabes, comme d'autres en définissent la forme ou la phase dorsale.

Les troubles auditifs consistent en insuffisance fonctionnelle (surdité)

ou en irritation fonctionnelle (bourdonnement, sifflement, hallucination)

de l'appareil cochléaire périphérique ou central. Ils sont d'une trop grande

banalité dans les affections auriculaires pour que j'y insiste; ils indi-

quent, dans une foule d'affections générales, la contribution cochléaire au

complexe séméiologique. Leur fréquence dans le tabes est affirmée parles

chiffres de Marina etdeMorpurgo (83 pour 100) et de Collet (97 pour 100).

Le bourdonnement, c'est-à-dire l'irritation cochléaire, ne passe guère ina-

perçu ; il n'en est pas de même de la surdité, que l'on constate fréquemment

chez des sujets qui ne s'en doutaient nullement, même quand elle est très

prononcée. Il ne suffira donc pas de demander au malade s'il a ou non tel 1

trouble auditif, il faut le rechercher méthodiquement. Inversement, en cas

de surdité ou de bruits subjectifs chez un tabétique, il importe d'éliminer

ce qui, dans l'appareil auriculaire, peut n'avoir aucune signification au

point de vue tabélique, comme l'obstruction cérumineuse, le catarrhe tu-

baire, l'otorrhée, etc.

C'est à MM. Marie et Wallon que l'on doit de voir entrer le vertige laby-

rinthique dans la symptomatologie du tabes. Nous remarquerons que ce

vertige labyrinthique peut être provoqué par lésion banale de l'oreille ex-

terne, de l'oreille moyenne, de l'oreille interne, des papilles, des rameaux

afférents du ganglion de Scarpa, de ses rameaux eflerents ou tronc vesti-

bulaire, des fibres intrabulbaires de ce tronc, des noyaux étalés sous le

plancher du quatrième ventricule ; ces noyaux peuvent être irrités primi-

tivement, soit par l'expansion de la masse cérébelleuse, comme dans le ver-

tige cérébelleux, soit par irradiation internucléaire, avec ou sans enjam-

bement, soit par toute autre lésion. C'est toujours du vertige labyrinthi-

que, comme l'anxiété ou l'asthme sont toujours pneumogastriques, quel

zoo PIERRE BONNIER

que soit le point. de départ de l'irritation périphérique ou centrale qui

éveille la réaction nucléaire symptomatique. Gowers pensait que sur dix

cas de vertige, neuf étaient certainement auriculaires. On voit que tout

vertige est, pour nous, labyrinthique, même s'il ne naît pas d'une irrita-

tion auriculaire. Ce vertige est fréquent dans le tabes, et ses causes

sont diverses et multiples. Les lésions périphériques et auriculaires abon-

dent, ainsi que les raisons d'irritabilité nucléaire. De plus, le vertige est

le symptôme d'une irritation ou d'une insuffisance du sens des attitudes

céphaliques et totales de l'organisme, c'est un trouble de l'orientation sub-

jective. Il a donc, nous l'avons vu, sa place indiquée dans la symptomato-

logie du tabes.

Ce vertige auriculaire, et même la forme brutale du vertige de Menière,

n'est pas rare dans cette affection. Comme vertiges d'irradiation internu-

cléaire, je rappellerai le vertige laryngé, stomacal, qui se trouve également

chez les tabétiques.

Mais, il est un symptôme que l'on .attribue exclusivement au tabès, et

qui est fréquent chez les vertigineux labyrinthiques, c'est le signe de Rom-

berg. Dans la grande majorité des cas, il n'y a aucune différence entre le

signe de Romberg des labyrinthiques simples et celui que l'on observe chez

le labyrinthique tabétique. J'en ai ailleurs (1) étudié les formes. Tant

qu'il n'y a pas tabes dorsal, c'est-à-dire avant l'ataxie proprement dite,

le labyrinthique et le tabétique perdent leur équilibre de la même façon,

elle signe de Romberg est identique chez eux ; quand l'ataxie apparaît, la

recherche de l'équilibre la rend manifeste. Mais c'est la perte de l'équilibre,

et non sa recherche, qui constitue le signe de Romberg. Il est évident

qu'un hémiplégique, qu'un boiteux ou un tabétique, trahiront leur insuffi-

sance par la façon dont chacun cherche à rétablir la correction de son

attitude, mais le signe de Romberg, c'est-à-dire l'oscillation avec ou sans

chute, appartient à l'insuffisance et surtout à l'irritation labyrinthique.

Quatre cas pourront se présenter :

1° Le sujet n'éprouve aucune oscillation et n'a pas à rectifier l'attitude.

C'est-à-dire que ses images d'attitudes (sens ampullaire et sens segmentaire)

sont si nettes qu'il approprie exactement, correctement et constamment,

sa motricité au maintien de l'attitude d'équilibre. Il n'a pas le signe de

Romberg.

2° Il oscille plus ou moins, mais parvient à corriger ses écarts d'atti-

ude et garde l'équilibre. Les images ampullaires sont vagues et la notion

de l'attitude verticale n'est pas suffisamment définie ; aussi, l'appropria-

tion motrice correspondant à cette attitude est elle-même flottante et hé-

(1) BONNIER, Le signe de Romberg. Soc. de Biologie, 2 novembre 1895.

LE TABES LABYRINTHIQUE 157

site entre certaines limites. Le sujet oscille, et oscille activement, réalisant

volontairement un équilibre dont l'image varie sans cesse. Quand ses

oscillations deviennent incompatibles avec l'équilibre réel, elles s'impo-

sent à la vigilance ampullaire, et le sujet qui ne savaitpas vouloir correc-

tement l'équilibre absolu, sait néanmoins corriger les écarts grossiers. C'est

le signe de Romberg compensé. On le rencontre presque constamment dans

les cas d'insuffisance labyrinthique ou d'irritation labyrinthique légère et

double. La correction du sens pédieux apparaît dans la précision des efforts

compensateurs des muscles tihio-tarsiens. Cette correction manque chez

les tabétiques ordinaires. Cette forme de signe de Romberg est de règle

dans beaucoup d'affections de l'appareil labyrinthique périphérique ou

central ; James et Aloys Kreidl l'ont signalée comme très fréquente chez

les sourds-muets. Je l'ai souvent isolée chez les tabétiques supérieurs.

3° Quand l'irritation labyrinthique est considérable (inflammations, in-

toxications ébrieuses, excès de tension des liquides, etc.), le sujet est en

proie à des illusions du sens ampullaire qui lui font dépasser la mesure

des oscillations compatibles avec l'équilibre, et c'est maintenant la base

de sustentation qui doit courir après le centre de gravité. Les remarqua-

bles appropriations d'attitudes de l'ivrogne, qui obéit aux sollicitations de

son labyrinthe affolé, ont un tel caractère de rectitude qu'elles nous appa-

raissent comme réellement impulsives : elles sont, au point de vue loco-

moteur, absolument correctes, mais suggérées par des images d'attitudes

fantaisistes et le sujet poursuit un fantôme d'équilibre qui se dérobe et

varie sans cesse, suscité par le désarroi labyrinthique. Il n'est relativement

corrigé que par la vue. Tel est le signe de Romberg de l'irritation lahy-

rinthique, et nous pouvons affirmer qu'il est de règle de l'observer, quand

on songe à le chercher, dans un très grand nombre d'affections auriculai-

res moyennes ou internes, et dans beaucoup d'affections générales aiguës

ou chroniques chez des individus porteurs d'appareils ampullaires ou de

centres labyrinthiques particulièrement susceptibles ; il est alors intermit-

tent ou paroxystique comme le vertige lui-même.

Il va sans dire que c'est la perte de l'équilibre qui est ampullaire, et

que les ataxiques, les boiteux, les hémiplégiques auront chacun leur façon

particulière de rechercher l'équilibre perdu ; il faut donc distinguer dans

le signe de Romberg l'insuffisance ou l'irritation ampullaire, qui fait per-

, dre l'équilibre et commande l'oscillation, et l'insuffisance du sens pédieux

(sclérose des cordons postérieurs, etc.) qui compromet l'appropriation et

la coordination de l'effort musculaire destiné à ramener le centre de gra-

vité et la base de sustentation sur la même verticale.

Le tabétique présente le signe de Romberg en qualité de sujet dont

l'appareil ampullaire périphérique ou central, parfois les deux, se trouve

158 PIERRE BONNIER

lésé. Il ne diffère aucunement en ce point de tous les labyrinthiques. Ce

qui le distingue, c'est l'incoordination motrice qui apparaît quand il doit

avoir recours au sens des attitudes pédieuses qui lui manque. Nous n'avons

jamais trouvé le signe de Romberg chez un ataxique sans qu'il nous ait

été possible d'incriminer un trouble labyrinthique. Il sera particulier dans

la recherche active, et non dans la perte de l'équilibre.

. 4° Quand il y a abolition simultanée du sens ampullaire et du sens des

attitudes segmentaires, le sujet tombe sans le sentir.

En résumé, dans le signe de Romberg, nous pensons que la perte de

l'équilibre est toujours due aux lésions de l'appareil ampullaire, ou de ses

noyaux et conducteurs ; car ce signe apparaît presque constamment dans

les cas d'insuffisance ou d'irritation labyrinthique, si fréquents d'ailleurs

chez les tabétiques.

Il en est de même de l'incertitude de la marche dans l'obscurité. Quand

la vue, qui fixe notre orientation subjective par les variations de la distri-

bution perspective des choses de notre milieu, nous fait défaut, c'est sur-

tout par le labyrinthe que nous nous orientons, et par le sens des attitudes.

Or il suffit d'un trouble labyrinthique pour nous troubler dans notre orien-

tation, sans tabes, et toute l'économie de nos mouvements de progression,

la sécurité et la certitude de notre marche, s'en ressentent. Ce signe,

comme le signe de Romberg, se trouve fréquemment et passagèrement au

cours d'affections labyrinthiques troublant l'appareil ampullaire.

L'irritabilité nucléaire, quand elle frappera le pneumogastrique, pourra

éveiller, outre l'asthme, l'angine de poitrine et les crises viscérales du

domaine de ce nerf, des anxiétés partielles comme l'alfre épigastrique,

l'angoisse laryngée et pharyngée, et aussi des anxiétés plus profondes et

plus générales, comme l'anxiété paroxystique et des anxiétés plus direc-

tement provoquées par le trouble des perceptions ampullaires, comme la

peur des espaces, du vide, qu'éveillera à son tour la fonction visuelle, dès

que le terrain sera ainsi préparé. Cetle agoraphobie d'origine labyrinthi-

que n'est pas rare dans le tabes ; nous y joindrons l'anxiété produite

par le silence, c'est-à-dire par le vide auditif, l'appréhension des bruits

subits et même des sonorités les plus attendues.

Mais, c'est surtout par ses rapports avec les noyaux oculomoteurs que

l'appareil labyrinthique revêt une symptomatologie qui semblerait em-

pruntée au tabes, si elle n'appartenait pas, dans la grande majorité des cas,

aux affections labyrinthiques, tabétiques ou non.

Le noyau oculomoteur le plus directement en rapport avec l'appareil

labyrinthique est celui de la sixième paire. La paralysie de ce noyau et la

diplopie qui en résulte, ne sont pas bien rares dans les affections labyrin-

thiques. Je rappellerai les observations de Keller, de Boerne llettman, de

LE TABES LABYRINTHIQUE 159

Styx, Urbantschitsch. J'ai publié (1), pour ma part, celle d'un malade qui

vint me consulter à l'hôpital Cochin pour un vertige violent, qui datait

d'une opération subie trois mois auparavant. La cicatrice qu'il portait der-

rière l'oreille indiquait l'opération de Slacke.

On sait que cette opération consiste à rogner la partie antéro-supérieure

de l'apophyse mastoïde,pour pénétrer, par la partie supérieure du conduit,

dans la caisse et l'antre mastoïdien. Il me semble vraisemblable que le la-

byrinthe fut lésé dans l'opération, car, dès le réveil, le malade, qui n'avait

qu'une otorrhée, accusa un vertige violent, des bourdonnements intenses,

et une surdité totale de ce côté, le côté gauche. Quelques jours après, il

commença à voir double. Quand je le vis (trois mois après), je cherchai le

signe de Romberg; le malade tombait invariablement à gauche, c'est-à-

dire du côté lésé, ce qui est de règle dans le vertige auriculaire périphé-

rique. L'oeil gauche était en adduction forcée et la diplopie très accusée.

J'indiquai un traitement plus médical de son otorrhée et adressai le ma-

lade à M. Brissaud, qui voulut bien le garder en observation dans son

service, où sa vue fut examinée également par M. Péchin. En moins d'un

mois, t'otorrhée, le bourdonnement et le strabisme disparurent. Le vertige

et le signe de Romberg persistèrent plus longtemps.

La paralysie de l'oculomoteur externe, paralysie passagère, comme la

paralysie réflexe, d'origine purement labyrinthique, se retrouve dans le

tabes, favorisée dans sa fréquence sans doute par l'irritabilité nucléaire. Je

ne rappellerai que l'observation de M. Dieulafoy, au sujet d'un tabétique

syphilitique, qui présentait, en même temps qu'une surdité notable à gau-

che, une paralysie de l'oculomoteur externe du même côté (2).

Un autre phénomène assez fréquent dans les affections labyrinthiques,

celui-là même qui produit l'illusion visuelle qui a donné son nom au ver-

tige, le nystagmus, se rencontre encore dans le tabes bien que rarement.

J'ai eu souvent l'occasion de provoquer le vertige labyrinthique, et

dans tous les cas où le sujet voyait les objets tourner, je constatai un nys-

tagmus passager plus ou moins prononcé, et presque constamment les cho-

ses se passent ainsi. Le nystagmus est un mouvement spasmodiquc non

pas de deux muscles antagonistes alternativement contractés, mais d'un

seul muscle, généralement l'abducteur du côté de l'oreille sollicitée. La

crispation,, le spasme de l'abducteur est immédiat, brusque, et jette l'oeil

de côté sans laisser à la rétine le temps de fixer les objets. Puis, ce spasme

cessant, le globe est ramené en position moyenne et même an delà, si l'ab-

(1) Rapports entre l'appareil ampullaire de l'oreille interne les centres oculumo-

leurs. Soc. de Biologie, 11 mai 1895 et Revue neurologique, déc. 1895.

(2) Gaz.hebdom., 21 août 1817, et Thèse de Giraudeau, Accidents verlig. et apopleclif,

dans les maladies de la moelle épinière, 1882, p. 45.

160 PIERRE BONNIER

ducteur est relâché, par l'adducteur, et ce mouvement de retour beaucoup

plus lent, montre au sujet la série des objets que rencontre successivement

l'axe visuel.

Comme ce mouvement de retour n'est pas plus conscient ni volontaire

que le premier, le malade a forcément l'impression que ce sont les objets

qui se déplacent dans son champ visuel supposé fixe, et non que celui-ci

se déplace dans l'espace visible.

Supposons que nous irritions l'oreille chez certain vertigineux labyrin-

thique gauche, le spasme de l'abducteur gauche et de l'adducteur droit

associés jette les globes oculaires vers la gauche, avec une telle brusque-

rie que le malade ne voit rien. Puis l'abducteur droit et l'adducteur gau-

che ramènent à leur tour les globes vers la droite, mais plus lentement, et

cette fois le malade voit les objets tourner en sens inverse du déplacement

oculaire, c'est-à-dire sur la gauche, vers l'oreille sollicitée.

En d'autres termes, les objets se déplacent dans le sens de la déviation

spasmodique, mais pendant l'intervalle même des spasmes ; et comme

ceux-ci sont extrêmement courts et rapides, l'illusion semble continue.

Toujours mes expérimentations ont concordé sur ce point et il m'est

habituel de présumer le siège de l'affection auriculaire vertigineuse en

l'attribuant au côté vers lequel le malade voit lés objets tourner. Ajoutons

que quand le malade se sent lui-même tomber, il tombe également de ce

côté, contrairement à ce que l'on pourrait supposer d'abord et que ces

deux signes, sans être infaillibles, ont une grande valeur clinique d'u-

sage. ,

Ce nystagmus peut devancer et même remplacer le vertige, et c'est sans

doute ce qui a poussé Mendel à donner aux troubles oculaires une telle

importance dans sa théorie du vertige.

Le nystagmus vertical, beaucoup plus rare, s'expliquerait par le jeu

réflexe d'autres muscles. J'en ai observé deux cas, dont un d'origine net-

tement labyrinthique. ,

Le nystagmus expérimental dû aux interventions sur le labyrinthe est

connu depuis les recherches de Flourens, Brown-Sequard, Cyon, Ba-

ginsky, Lucae, Ilogyes, Sewall. Je l'ai, comme ce dernier, mis en évidence

chez les Poissons.

Schwabach provoquait le nystagmus eu comprimant chez un de ses ma-

lades la région mastoïdienne tuméfiée; Pllüger le vit pendant l'ablation

d'un polype de la caisse ; Deleau, Kipp, au cours d'otites moyennes puru-

lentes ; Burckner, Moos, Jansen, Michaët Cohn, Gellé, Verdos, et tout ré-

cemment encore Urbantschitsch ont publié des cas analogues. Celui-ci l'a

également observé à l'occasion de l'audition de certains sons; Laurens en a

réuni quelques observations. Le nystagmus peut apparaître quand on fait

LE TABES LABYRINTHIQUE 161

effort d'attention auditive (cas de Burckner) ou dans certaines attitudes.

Juliusberger signale le cas du malade tabétique qui provoquait en lui l'au-

dition d'une certaine mélodie en tournant les yeux à droite. Il semblerait

que le nystagmus permanent d'origine labyrinthique est assez rare II en est

une forme extrêmement fréquente sur laquelle j'attirerai l'attention.

Soignant il y a quatre ans un jeune homme atteint d'une otorrhée rebelle

et ancienne, je remarquai à plusieurs reprises un strabisme léger qui exagé-

rait la divergence de l'oeil correspondant au côté de l'oreille atteint. Je sa-

vais le père atteint d'un tabès à marche très lente, qui avait débuté autre-

fois par du vertige, de la diplopie et un certain degré d'incertitude de la

marche dans l'obscurité. Ces phénomènes existaient chez le fils et je vou-

lus aussitôt me rendre un compte exact de l'état fonctionnel de son oculo-

motricité réflexe.

Quand les paupières sont fermées, ou dans l'obscurité, les repères objec-

tifs de la distribution perspective des objets nous font défaut et notre

orientation subjective ne dépend plus, à part le secours du toucher, que

du sens des attitudes et par-dessus tout des opérations du sens ampullaire.

Si celui-ci est lésé le malade présente l'une des formes du signe de Rom-

berg, de l'incertitude dans la marche comme dans la station, mais souvent

aussi une véritable incohérence de l'exercice de l'oculomotricité réflexe.

Mon malade eut à peine fermé les paupières, très clignotantes d'ailleurs,

que je pus percevoir, par la saillie de la cornée, et en y appuyant légère-

ment le doigt, un nystagmus très actif, avec spasme abducteur du côté de

l'oreille atteinte. Ce nystagmus cessait avec l'ouverture des paupières. Le

diagnostic s'imposait, à mon avis, d'un tabes débutant, comme il semble

logique, par la plus grosse des racines postérieures, c'est-à-dire par l'ap-

pareil labyrinthique.

J'ai depuis méthodiquement et fréquemment dépisté ce nystagmus pré-

coce, dissimulé derrière les paupières et qu'il faut y chercher, et dans

un très grand nombre de cas d'insuffisance et surtout d'irritation labyrin-

thique, je l'ai rencontré ; parfois, il était remplacé par des mouvements

absolument incohérents des globes. A défaut de nystagmus, on trouve

quelquefois chez les tabétiques des oscillations exagérées des globes ocu-

laires par défaut de fixation oculomotrice,à l'occasion des mouvements de

la tête. Ce trouble est fréquent chez les labyrinthiques. Je l'ai trouvé

plus nettement chez un jeune homme, aujourd'hui paralytique général.

J'ai encore rencontré dans ces cas de la déviation conjuguée du côté de

l'oreille atteinte; un phénomène plus fréquent est le strabisme divergent

avec diplopie au moment où le malade rouvre les paupières : ce stra-

bisme, que je n'ai pas encore rencontré convergent, il en existe un cas

d'Urbantscbitsch est généralement limité au côté de l'affection auriculai

162 . PIERRE BONNIER

re. Urbantschitsch le vit augmenter subitement par l'extraction du polype

de la caisse et persister après la guérison de l'otorrhée. Il est tout différent

de l'attitude vague que prennent spontanément les yeux quand la vue se

trouve privée, par l'occlusion des paupières, d'un exercice objectif.

Deux fois, j'ai pu constater encore qu'après une longue occlusion des

paupières, quand le malade rouvrait les yeux, la pupille du côté de la lé-

sion auriculaire mettait du retard à se contracter et accommoder comme

l'autre.

On peut encore trouver le myosis bilatéral ou unilatéral ; et l'inégalité

pupillaire, d'qrigine labyrinthique. Je n'ai jamais rencontré le signe d'Ar-

gyl-Robertson unilatéral, dans une affection labyrinthique pure. J'ai pu-

blié un cas de mgdriase observée chez une surveillante de l'hôpital Necker.

Enfin Gellé a observé un cas d'exophtalmie double après l'ablation de poly-

pes de la caisse.

Tous les malades de cette catégorie avaient soit de l'insuffisance, soit

surtout de l'irritation ampullaire, que j'avais constatée par l'examen for-

cément indirect du fond de l'oreille et par d'autres épreuves sur lesquelles

il serait oiseux d'insister maintenant.

Si l'on songe que, les paupières étant closes et les attitudes du globe

n'étant plus commandées par la nécessité de la vision active ni par les re-

pères de la perspective objective, les globes.oculaires devraient tout natu-

rellement revenir à l'état de repos, il semble évident que les mouvements

et les attitudes absurdes des globes ne peuvent dans ces cas être attribués

qu'à l'irritation nucléaire de l'appareil ampullaire qui après l'appareil

visuel lui-même, reste seul chargé de la coordination et de l'appropriation

oculomotrices.

Ces troubles oculomoteurs réflexes, apparaissant quand l'ocul01l10tricité

cesse d'être directement réglée par la vue elle-même, me semblent donc

symptomatiques d'une affection de l'appareil ampullaire périphérique ou

central. 1.

Si nous revenons à l'accès vertigineux lui-même, nous trouverons que

beaucoup de ses caractères sont associés à des troubles oculomoteurs ré-

flexes. L'irritation d'origine labyrinthique périphérique ou nucléaire peut

dépasser 1'.il)ducens et aller fondre sur d'autres noyaux plus haut placés,

enjambant certains d'entre eux, provoquant des troubles de l'accommoda-

tion avec illusion de distance rapprochant ou éloignant les objets, les effa-

çant ou donnant l'illusion d'un grossissement énorme de tout le champ vi-

suel qu'on s'explique mal.

L'obnubilation visuelle qui accompagne l'irritation ampullaire, et qui

peut être le seul symptôme vertigineux, sera due soit à un trouble de l'ac-

commodation et résultera de l'irritation des noyaux les plus élevés de la

LE TABES LABYRINTHIQUE 163

chaîne des oculomoteurs, soit à la contraction momentanée de plusieurs

muscles droits, produisant la rétraction du globe et la compression réti-

nienne. C'est encore un phénomène banal. Laurens a publié un cas d'as-

-thénopie oculaire évoluant avec une otite moyenne.

Le cas d'enjambement internucléaire le plus curieux que j'aie signalé

est celui d'un malade, que m'adressa M. le Dr Charrier, affecté d'une surdité

passagère due à un bouchon cérumineux de l'oreille droite. Lesujet étant

assez susceptible et le bouchon profondément serti dans la paroi étranglée

du conduit, je recommandai, en attendant une seconde tentative, des in-

jections délayantes. Dès la première, qui poussa le bouchon contre le tym-

pan, le malade sans avoir éprouvé ni vertige, ni sensation de constriction

labyrinthique, mais seulement une surdité et un bourdonnement plus

marqués, s'aperçut que sa vue s'était troublée et reconnut bientôt quetan-

dis que son oeil gauche restait myope comme auparavant, il ne lisait plus

de l'oeil droit qu'à une distance assez grande.

L'accommodation à la distance était paralysée de ce côté. Cet état dura

plusieurs heures, et s'atténua peu à peu. Le lendemain, une seconde in-

jection eut des effets identiques, et le même phénomène pénible se repro-

duisit à plusieurs reprises. Toul disparut, surdité, bourdonnement et pres-

byopie unilatérale, avec le cérumen.

Nous voyons donc une irritation labyrinthique, sans symptômes du côté

des noyaux ampullaires eux-mêmes, sans trouble de la sixième paire, ni

de la quatrième, enjamber, dans son irradiation, la série des noyaux de la

troisième paire et épuiser tout son effort sur le plus élevé de ces noyaux,

celui de l'accommodation à la distance, et le paralyser. Ce phénomène est

resté unilatéral et s'est répété plusieurs fois dans des conditions iden-

tiques. Aujourd'hui, quatre ans après, ce malade est un tabétique confirmé.

Ilolt a signalé un cas de paralysie de l'accommodation coïncidant avec

une otite moyenne et une paralysie faciale, toutes deux et peut-être toutes

trois et frigorie. Ce cas n'est pas démonstratif.

M. Brissaud voulut bien m'adresser, il y a trois ans, une malade atteinte

de vertige labyrinthique consécutif aune otile grippale, et qui présentait,

pendant ses accès, non seulement de la diplopie passagère, mais un nystag-

mus vertical qui lui faisait voir les objets s'élevant sans cesse au-dessus

d'elle. Sa première attaque de vertige, remontant à trois mois et au dé-

but de son otite, s'était compliquée d'emblée non seulement de cette di-

plopie et de cette illusion nystagmique, mais de ptosis. Je ne pus assister

à une crise et constater son strabisme, mais comme l'oreille gauche était

atteinte, que la malade tombait de ce côté, il me semble légitime de l'at-

tribuera une irritation paralysante de l'abducteur de ce côté, indépendam-

. 164 PIERRE BONNIER

ment du nystagmus vertical, spasme des élévateurs. Buzard, Ziem rap-

portent des cas de úléph(t1;ospâsme d'origine auriculaire. '

Autres cas. M. Sauvineau a présenté dans le service de M. Dieula-

foy, à l'hôpital Necker, une malade sur laquelle on constatait, outre un

ptosis du côté droit, une paralysie des mouvements de l'adducteur du

même côté pour les mouvements conjugués de droite à gauche, l'adduc-

teur restant actif dans les mouvements de convergence. C'est-à-dire que

l'adducteur droit fonctionnait normalement quand il était en quelque

sorte attelé avec l'adducteur gauche, mais qu'il se refusait à fonctionner

avec l'abducteur gauche et que l'oeil droit restait immobile tandis que

l'oeil gauche se portait en dehors. « De plus, remarque M. Sauvineau, le

droit externe gauche présentait un état spasmodique nettement caracté-

risé. » Chez cette malade, syphilitique, M. Sauvineau a supposé qu'une

petite.lésion, artérite ou gomme, avait pu touchera la fois et le noyau du

releveur palpébral droit (ptosis) et le rameau anastomotique décrit par

Duval et Laborde entre l'adducteur droit et l'abducteur gauche (paralysie

du premier et spasme du second).

A quel point du filet anastomotique était la lésion ; était-ce en haut vers

la troisième paire ou en bas vers la sixième ? La maladie avait débuté par

un violent accès de vertige qui s'était précédemment esquissé plusieurs

fois et c'est immédiatement après que le ptosis et la diplopie étaient ap-

parus.

Il est difficile d'admettre une lésion artérielle intéressant à la fois le

noyau palpébral, le filet anastomotique de l'adducteur à l'abducteur opposé

et les noyaux ampullaires sans toucher aux noyaux des muscles obliques,

des droits supérieur et inférieur. De même pour une gomme. Je ne con-

nais, pour expliquer ces capricieuses associations, que l'enjambement

internucléaire des irradiations réflexes dont nous avons vu un exemple

remarquable plus haut.

Je pense que, dans le cas présenté par M. Sauvineau, il s'agissait du

vertige labyrinthique nucléaire, bulbaire, comme il s'en voit assez fré-

quemment dans la syphilis des centres, et irradiant dès noyaux du nerf

ampullaire vers l'abducteur du même côté, l'irritant sans le paralyser, et

vers l'adducteur opposé qu'elle paralyse ainsi que l'élévateur palpébral

voisin. Pourquoi ces muscles-là et pas les autres ? Nous le saurons quand

à côté de l'anatomie normale théorique, celle qui explique les troubles

constants et définis, nous pourrons systématiser et classer les anatomies

individuelles que la clinique nous force à tout instant de considérer comme

très variées.

Nous voyons, en résumé, que les troubles ampullaires peuvent emprun-

LE TABES LABYRINTHIQUE ' 165

ter leur symptomatologie à toute espèce de trouhles·oéulonloteurs,et qu'en , v

présence de ces derniers, il faut bien se rappeler qu'après la rétine elle-

même, c'est le labyrinthe et particulièrement l'appareil ampullaire qui

commande aux appropriations oculomotrices, comme aux fonctions d'équi-

libration.

Les troubles oculomoteurs sont fréquemment symptomatiques d'affec-

tions labyrinthiques, surtout nucléaires.

Tous les noyaux oculomoteurs, à l'exception peut-être de ceux des obli-

ques, que pour ma part je n'ai jamais vus intéressés, peuvent ainsi se

trouver pris par l'irradiation réflexe issue de l'appareil ampullaire, et réa-

liser les tableaux cliniques les plus complexes, parfois durables. Il faut

donc, en présence de ces troubles oculomoteurs, songer à l'appareil am-

pullaire et se rappeler que le nerf labyrinthique, en sa qualité de racine

postérieure la plus active et la plus grosse de toutes, sera la victime de

choix guettée par le tabes.

J'ajouterai enfin, pour m'efforcer d'être complet, les variations dans

l'excitabilité réflexe de la moelle au cours d'affections labyrinthiques, et

particulièrement les variations du réflexe rotulien, et l'inégalité patellaire

apparaissant et disparaissant avec l'affection auriculaire (1). ce qui s'ac-

corde avec la théorie d'Ewald. -

Je voudrais, en terminant, me défendre d'avoir cherché à faire attribuer

au labyrinthe un rôle plus considérable qu'il ne convient. Sans aucun

doute, l'appareil oculomoteur peut obéir à des incitations d'origine ocu-

laire, qui ne sont pas rares dans le tabes. Mais je ne pense pas que les

troubles oculomoteurs réflexes d'origine rétinienne, à part l'appareil de

l'accommodation, soient plus fréquents que ceux qui ont pour origine une

lésion labyrinthique.

D'une part, des troubles du domaine du trijumeau peuvent provoquer

simultanément l'hyperémie et des phénomènes plus durables qui se termi-

neront par l'atrophie, aussi bien pour les papilles du fond de l'oreille que

pour celles du fond de l'oeil (Rousseau, Moos, Gellé, Zaufal, Mac-Kay, Kipp,

Schwartze, Politzer, Schmiegelow, Bouchut, Kiiapp, l3arnilc, etc.). D'autre

part, on sait qu'une congestion du fond de l'oreille s'accompagne volon-

tiers do celle de l'oeil correspondant. Peut-être ces troubles vasculaires et

périvascùlaires réflexes dans le domaineoptique ouoculomoteuret d'origine

labyrinthique ou bulbaire (trijumeau) constituent-ils la base de la théorie

des troubles d'origine trop exclusivement périphérique.

Ce que je veux surtout préciser, c'est ce fait que, dans le tabes, on trouve

(1) BONNIER, Variations du réflexe patellaire au cours de certaines cc/jeclions laby-

t' ! ? t</tt0t<es. Soc. de Biologie, 1er février 1896.

XII 12

166 ' PIERRE'BONNIER

certains symptômes qui se retrouvent également dans les affections laby-

rinthiques ; et vu la presque constance des troubles labyrinthiques dans

le tabes et l'irritabilité nucléaire si grande à certaines périodes de cette

maladie,je pense que l'on peut,dans une large mesure, rattacher ces symp-

tômes, soit à la forme, soit à la phase labyrinthique du tabes, et définir,

à côté du tabès dorsal, un tabes labyrinthique dont l'évolution pourra

emprunter à la marche particulière du tabès, des caractères qui le distin-

gueront d'une maladie labyrinthique simple, et permettront des diagnos-

tics et des pronostics à longue portée en évitant au malade les risques

d'interventions locales non justifiées et qui sont loin d'être toujours inof-

lessives.

INCONTINENCE D'URINE D'ORIGINE HYSTÉRIQUE

PAR R

P. RAVAUT

Interne des hôpitaux.

L'observation que nous rapportons a Irait à un malade qui entra dans

le service de notre maître Gilles de la Tourette à l'hôpital Saint-Antoine

pour un tremblement hystérique et qui au cours de son séjour à l'hôpital

fut atteint d'incontinence d'urine de même nature que son tremblement ;

bien que l'incontinence d'urine d'origine hystérique soit un fait rare, mais

bien connu, nous n'aurions pas songé à le signaler si en même temps et

ainsi que l'avait déjà fait Gasne z1) nous n'avions pas eu l'occasion d'en

vérifier la pathogénie.

Le 4 mars 1898 le nommé P ? âgé de 31 ans, sculpteur sur nacre, se pré-

sente à la consultation se plaignant d'un tremblement généralisé survenu

quelques jours avant à la suite d'un accident. Dans ses antécédents nous

trouvons la grand'mère paternelle qui était nerveuse et le père qui, sujet

à des crises d'épilepsie, se suicida au cours d'un accès impulsif ; rien du

côté maternel; il n'est pas marié et n'a pas eu d'enfants. Pendant son

enfance, le malade prétend avoir eu des crises sur la nature desquelles il

est difficile de se faire une opinion : elles cessèrent quelques années, puis

revinrent à 12 ans ayant alors tous les caractères de la crise hystérique.

Il ne fil pas de maladie pendant sa jeunesse et vivait tranquillement, sujet

à quelques crises de temps en temps, quand huit jours avant son entrée à

l'hôpital en s'approchant d'une courroie de transmission, sa manche fut

prise entre la courroie et la roue, il fut enlevé de terre et retomba après

que la roue eût achevé son demi-tour : il se releva sans aucun mal, mais

très effrayé par cet accident il se mit à trembler et conserva ce tremble-

(1) Iconographie de la Salpêtrière, novembre 159, n" 6, p. 3jo.

168 P. RAVAUT

ment jusqu'au moment où il vint, à la consul talion ; nous vîmes alors que

ce tremblement était généralisé, lent, 5 à 6 oscillations par seconde i se-

cousses amples, existant au repos, pas augmenté par les mouvements vo-

lontaires, analogue à celui de la maladie de Parkinson : aussi étant donnés

les antécédents du malade, la notion de crises antérieures, la cause de ces

tremblements il y avait tout lieu de supposer qu'une fois encore l'hystérie

était en cause. L'examen plus approfondi du malade confirma ce dia-

gnostic : en effet il fut facile de constater une diminution totale de la

sensibilité, une perte absolue du sens musculaire, un affaiblissement consi-

dérable du goût, un rétrécissement bilatéral du champ auditif, une impos-

sibilité absolue de distinguer les couleurs, seul l'odorat était conservé;

enfin pour compléter ces symptômes nous trouvâmes un rétrécissement

considérable du champ visuel un peu plus accentué à gauche qu'a droite,

mais tel que le malade nous raconte qu'il renversait très souvent des objets

placés à ses côtés ou se cognait contre les murs et que c'est faute d'avoir

vu la courroie de transmission qui aurait pu le broyer qu'il fut saisi par

elle ; d'autre part sur ce malade « vihrant de partout » nous constatâmes

un nystagmus hystérique très net dû à des secousses des muscles de

roi)."

Tel était l'état du malade à son entrée à l'hôpital ; pendant son séjour

il continua sous nos yeux la série de ses accidents hystériques : il se plai-

gnit successivement d'une série de zones hystérogènes à l'épigastre, dans

le dos, sur le cuir chevelu, ensuite il eut de la polyurie, urinant jusqu'à

8 et 10 litres par jour ; enfin un matin il se plaignit d'être constamment

mouillé, son uriue s'écoulant jour et nuit sans qu'il s'en aperçût et mal-

gré lui : cette incontinence d'urine succédant à cette série de manifesta-

tions hystériques était certainement de même nature.

Aussi notre maître Gilles de la Tourelle l'attribua a une anesthésie

vésico-uréthrale et nous conseilla de vérifier ce fait.

Pour ce faire, après avoir fermé les yeux du malade, nous introduisîmes

une sonde dans l'ur;thre : ce cathétérisme ne fut pas senti ; puis par cette

sonde nous fîmes passer successivement de l'eau froide el, après avoir vidé

la vessie, de l'eau à 70° ; le malade ne sut à peine faire la différence entre

les deux températures alors que nous avions de la peine à maintenir les

doigts dans de l'eau à celte température ; enfin un malade du service à qui

nous injectâmes dans la vessiede l'eau (1JJ°r'eSSelltlt des brûlures très vives,

la preuve était suffisamment faite, il existait bien une anesthésie desmu-

queuses vésicale et uréthrate.

INCONTINENCE D'URINE D'OtUGINE UYSTÉRIQUE 169

Tel était le fait, restait à l'expliquer : la physiologie nous montre que

lorsque l'urine a trop distendu la paroi vésicale, celle-ci réagit, se con-

tracte et l'urine expulsée arrive au contact de la muqueuse prostatique;

cette muqueuse, très sensible est le point de départ d'un réllexe qui se tra-

duit par la contraction du sphincter uréthral et l'urine ne pouvant aller

plus loin rentre dans la vessie dont les contractions ont cessé; dès lors,

que cette sensibilité de la muqueuse prostatique vienne à disparaître, la

contraction du sphincter uréthral ne se l'ait plus et l'urine s'écoule au sur

et à mesure de son arrivée dans la vessie, donnant lieu à une incontinence

d'urine analogue à celle qui accompagne les paralysies du sphincter uré-

thral.

UN NOUVEAU TABLEAU

REPRÉSENTANT

LES ARRACHEURS DE « PIERRES DE TÈTE »

. pau Il

HENRY MEIGE.

Au nombre des documents figurés qui nous ont servi antérieurement à

faire connaître la supercherie chirurgicale des « pierres de tête » se trou-

vait une gravure de Pierre Bruegel le Vieux, appartenant au Rijk Muséum

d'Amsterdam. Cette gravure, datée de 1557, représente une officine cbar-

latanesque,où plusieurs chirurgiens bizarrement accoutrés se livrent avec

fureur à la prestidigitation sanglante qui semble avoir joui d'une si grande

vogue au XVIe siècle, dans les Pays-Bas.

L'étrange clinique du « doyen de Ronse », c'est le nom que porte

sur sa robe le principal opérateur, - a été décrite dans ses moindres dé-

tails (1). Nous n'y reviendrons pas. Mais nous donnerons ici une nouvelle

reproduction de la gravure du Rijk Muséum (PI. XXI) pour la rapprocher

d'un très curieux tableau dont nous avons eu récemment connaissance

et qui semble avoir été inspiré par l'oeuvre de P. Bruegel le Vieux

(PI. XXII).

Le tableau en question se trouve à Paris. Il faisait autrefois partie de la

collection du D ï4lesnet qui l'avait acquis dans une vente, probablement

à Anvers.

Un jour, Charcot. se trouvant chez le Dr Mesnet, remarqua.celte pein-

ture et y prit un très vif intérêt; il offrit môme de l'acheter un bon prix.

Le propriétaire qui ne voulait pas s'en dessaisir de son vivant, fit alors à

Charcot la généreuse promesse de la lui laisser par testament. Charcot

étant mort avant le Dr Mesnet, le tableau revint aux héritiers de ce der-

nier. Il appartient actuellement au Dr Paul de Molènes (2).

(1) V. Henry Neige, Les peintres de la médecine (Ecoles flamande et hollandaise).

Les opérations sur la tête. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, no 4, 1895 et Les

arracheurs de pierres de têle, Janus, 5e livr. 1891. Voir aussi : Documents nouveaux

sur les opérations sur la tête. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, n" 2, 1898.

(2) C'est un plaisir pour moi que de rappeler qu'un artiste et un ami, le Dr Boix, m'a

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XII. PL. XXI.

LES ARRACHEURS DE « PIERRES DE TÊTE »

Gravure d'après un dessin de Pierre BpUEGEL-LE-ViEux, au cabinet des estampes du Rijk Muséum d'Amsterdam.

Masson i : t C¡c', Editeurs.

LES ARRACUEUHS DE PIERRES DE TÊTE 171 i

Au point de vue artistique, la peinture n'est pas exempte de reproches.

Elle est même assez grossièrement traitée (1).

Les figures sont d'une expression uniforme, les mains inhabiles, les

plis des étoffes lourdement indiqués, les touches lumineuses épaisses et

maladroites.

Le ton général des couleurs rappelle cependant celui des peintures de

Bruegel, les jaunes en particulier ne manquent pas de fraîcheur. -

Au surplus, le panneau est en bon état de conservation. Il ne porte pas

trace de retouches. On peut garantir son ancienneté.

Quant à son auteur, il ne nous parait pas que celte peinture soit de la

main de P. Bruegel l'Ancien. Le souvenir des oeuvres decemaitre qui sont

aux musées de Vienne, de Bruxelles, etc. est encore trop présent à notre

esprit pour nous permettre le moindre doute. Il s'agit plus probablement

d'une copie d'après un tableau ou une estampe de P. Bruegel, copie an-

cienne assurément, mais assez grossière.

Il est vrai que la gravure du Rijk Muséum est datée- de 1537, époque à

laquelle l'.l3rueel n'avait pas,dit-on, commencé à s'adonner à la peinture.

Ses premiers tableaux ne remonteraient pas au delà de l'année 1559. On

pourrait donc supposer que l'artiste hollandais ait composé le tableau d'a-

près son estampe. Ce serait un de ses premiers essais, et ainsi s'explique-

rait l'imperfection de l'oeuHcpeinte. Mais, encore une fois, la comparaison

avec les premières peintures de P. Bruegel n'autorise pas cette attribu-

tion.

Il est, au contraire, parfaitement démontré que les tableaux et les es-

lampes deP.Bruegel l'Ancien ont servi de prétexte a nombre de peintures

exécutées par ses successeurs, homonymes, fils, petits-fils, ou arrière petits-

lils. On compte, pour le moins, vingt-six peintres dans la famille ! ...Et les

oeuvres picturales de cette légion de Bruegel ne sont pas toujours des co-

pies exactes des créations du père de famille. La donnée et l'ensemble res-

tent les mêmes, mais les détails sont souvent modifiés (2).

fait connaîtra, en même temps que cette intéressante peinture, son aimable posses-

seur. Grâce au bienveillant accueil du Dr P. de .Molènes, j'ai pu avoir toutes les fa-

cilités nécessaires pour permettre à M. A. Londe d'en faire une photographie malaisée.

Je tiens à exprimer ici à i\1. P. de Molènes mes vifs remerciements pour son amicale

obligeance^et pour les renseignements qu'il a bien voulu me communiquer sur l'ori-

gine de ce tableau.

(1) Panneau de bois ; hauteur : 0 m. 31 ; largeur : 0 m. 66, non signé. On lit, dans

un coin, en bas, à droite, une fausse signature : Holbein, grossièrement apocryphe.

(2) Je n'en citerai pour exemple qu'un tableau de la galerie Ilarrach, à Vienne, re-

présentant les Sept oe¡w/'es de la miséricorde et attribué à Jean I Bruegel, dit Bruegel

172 HENRY MEIGE

En résumé, la qualité de la peinture qui nous occupe ne permet pas de

l'attribuer à P. Bruegel l'Ancien. Il faut la considérer, ou bien comme

une production inspirée il un artiste d'ordre secondaire par la gravure du

Rijk Muséum, et dans laquelle l'auteur a introduit quelques modifications

de son crû, ou bien comme la copie exacte, quoique fort médiocre, d'un

tableau de P. Bruegel l'Ancien, tableau aujourd'hui disparu, qui n'était

lui-même qu'une réplique libre du sujet de la gravure « le Doyen de

Ronse ».

On peut ajouter que les deux fils de P. Bruegel, Jean (de Velours) et

Pierre (d'Enfer), qui ont témoigné l'un et l'autre d'un réel talent, ne sont

pas non plus les auteurs probables du tableau. D'ailleurs, il n'est pas si-

gné dans leur mode habituel.

Il s'agit donc de quelque artiste assez médiocre qui s'est complu il pas-

ticher le vieux Bruegel.

Quelqu'imparfaite que soit son oeuvre, elle n'en est pas moins fort in-

téressante il notre point de vue spécial. Elle permet en outre de soupçonner

l'existence d'un tableau, aujourd'hui disparu, de P. Bruegel l'Ancien (1).

Au milieu, le groupe principal reproduit assez exactement celui de la

gravure du Rijk Muséum.

Le patient est un homme, complètement chauve, velu d'une casaque

olive, et d'un pantalon jaune serin. Il est doté d'une grosse bedaine qui

fait craquer ses aiguillettes. Sa jambe droite ramenée sous le fauteuil, la

gauche allongée en avant, il a perdu un de ses souliers dans la lutte qu'il

tente en vain de soutenir pour échapper à son bourreau ; mais un solide

lacs passé autour desa poitrine le maintient sur le fauteuil opératoire, en-

de Velours. Or, j'ai mis la main sur une gravure signée Bulegel 1559. Il. Cock exctcdit

qui reproduit dans son ensemble le tableau de la rollection de llarrach,mais en diffère

par plusieurs détails (en particulier, une femme, Charilas, qui porte sur la tête le pélican

symbolique et qui figure sur la gravure, mais non sur le tableau).

Si l'attribution du tableau à Jean Bruegel. est exacte (et l'on n'est pas autorisé ti la

suspecter), on peut admettre que ce dernier a composé sa peinture d'après le dessin

ou la gravure de son père en y introduisant un personnage de sa façon.

Il se peut sans doute qu'il ait existé un tableau de Pierre Bruegel Vieux, présentant

les mêmes dilférences avec la gravure de Il. Cock et dont Jean Bruegel aurait fait

une copie exacte ; mais je n'ai pas trouvé traces de l'existence de ce tableau.

(1) On remarquera que la scène représentée sur la peinture du 1)' de Molènes est

renversée par rapport à la gravure du llijk Muséum. 1

On peut en inférer que cette dernière gravure était renversée par rapport au tableau

supposé de P. Bruegel. C'est celui-ci que l'auteur de la peinture qui nous occupe

aurait copié directement. La copie a pu encore être faite d'après un dessin original

ou une autre édition retournée de la gravure.

NOUV. Iconographie ur la SAII·FIItIFHI, 1. XII. PI. XXII

LES ARRACHEURS DE « PIERRES DE TÈTE n

D'après un tableau appartenant : 1 M, le D1 Paul de Molènes, Paris

MASSON C ? Editeurs

LES ARRACHEURS DE PIEHRES DE TÊTE 173

gin mastoc, à dossier plein, solidement campé sur sa base, véritable chaise

de torture dont il n'est pas aisé de se dégager.

Et le pauvre homme se démène comme un diable en bénitier, hurlant à

pleine bouche, ouvrant de grands yeux effarés aux paupières rougies.

De la main gauche, il cherche à prendre un point d'appui sur le bras

de son siège, tandis que de la droite il s'efforce de repousser l'aide chargé

de le ligotter, au risque d'éborgner ce compère plein de zèle.

Insensible A ces cris et à ces gesticulations, l'opérateur procède impas-

siblement à sa charlatanesque besogne. Vêtu d'une houppelande noire à

ceinture jaune, coiffé d'un bonnet noir à longues oreilles tombantes, il est

bien la réplique grossière du fameux Doyen de Ronse. Vieux, ridé, avec

un nez et un menton de polichinelle, bossu en outre et court détaille, il

rappelle aussi les rustres pseudo-acromégaliques de Brouwer et de Teniers.

A deux mains, il tient une grosse tenaille avec laquelle il feint de saisir

sur le front de son client la pierre traitresse, toute rouge du sang de l'in-

cision. 11 semble d'ailleurs fort satisfait de son opération, car il pince ma-

licieusement les lèvres, certain sans doute d'un succès éclatant. Cepresli-

digitateur sanguinaire n'a pas de binocle sur le nez, ni d'inscription au

bas de sa robe comme le Doyen de Ronse de Bruegel.

Derrière le fauteuil, un autre compère aux cheveux ras montre sa tête,

une main et une partie de son dos vêtu de rouge. Il regarde l'opéré en

riant, sans s'émouvoir de ses clameurs.

L'aide éborgné, un gaillard aux cheveux touffus, également vêtu de

rouge, témoigne au contraire par sa grimace douloureuse de la vigueur que

le patient met dans son pugilat. Tout n'est pas profit dans le métier

d'assistant d'un arracheur de pierres.

Par terre, devant l'opérateur et sous le fauteuil, on voit une collection

d'outils bizarres : crochets, pinces, hachettes, etc., qui ont la prétention

de représenter des instruments de chirurgie. Leur forme terrifiante ainsi

que leur couleur noire, entièrement fantaisistes, s'accordent avec la nature

charlatanesque de l'opération.

A gauche du groupe principal, au beau milieu de la pièce, une étrange

commère qui louche affreusement est assise dans un panier d'osier, un

voile noir sur la tète, une fraise au cou, les jambes nues, un pied chaussé

hors du panier, l'autre dedans. Armée d'un soufflet, elle attise le feu d'un

réchaud où l'on devine enfouie une manière de cornue qui doit contenir

d'inénarrables drogues.

A droite eten arrière de ce groupe principal, on en voit un second com-

posé de 3 personnages.

. Au milieu, un malheureux qu'on veut opérer à son corps défendant et

qui proteste avec force gestes, cris et regards furibonds. Il est vêtu de brun,

174 . HENRY MEIGE

porte à la ceinture un poignard qu'il essaye en vain de tirer pour défendre

son chef.

Mais il est solidement maintenu par un homme coiffé d'un haut bonnet

fourré et qui tient entre ses dents un énorme scalpel. Un chirurgien vé-

nérable, avec des cheveux blancs, vêtu d'une longue robe rouge, une es-

carcetie noire à la ceinture, et coiffé d'un long bonnet rose tendre qui

retombe en arrière sur son dos, soulève de la main gauche la casquette de

fourrure du futur client et découvre sur le milieu de son front la tumeur

à extirper. De la main droite, il fait un geste persuasif pour l'engager à se

laisser opérer : « Voyons, mon ami, sied-il que vous conserviez au front

pareille tumeur ? Vile, prenezplace sur ce fauteuil qui vous tend lesbras,

je me charge de vous délivrer en moins d'un instant. »

Cette scène est bien connue ; nous n'y insistons pas.

Mais voici un épisode nouveau qui ne ligure pas sur la gravure d'Ams-

terdam.

Dans le coin gauche du tableau, l'artiste nous fait assister à une opéra-

tion particulièrement orageuse.

Dans le feu de l'extirpation, opérateur et opéré ont culbuté l'un sous

l'autre, et le fauteuil opératoire les a accompagnés dans leur chute, avec

la trousse aux instruments. Croit-on que le chirurgien s'en soit ému ?

Point. Il opérait debout ; à plat ventre, il opère encore, allongé sur le dos

de son client,qui, solidement ficelé à son siège, n'a pu parvenir à s'échap-

per.

Imperturbable, cet enragé arracheur à bonnet rouge continue à labou-

rer le front du malheureux à grands coups d'un scalpel gigantesque. Le

sang coule à flots. Peu importe : il reste encore à extirper une pierre de

lête. Le chirurgien l'a vue, il la veut, il l'aura.

Car ce n'est pas la première. L'opéré montre dans sa main gauche deux

pierres déjà retirées de son chef, toutes saignantes : une grosse et une pe-

tite. Et l'infortuné a beau crier et demander grâce, il en sortira une

troisième encore de sa boîte crânienne. C'est du moins ce que prétend

son bourreau.

Cette bousculade opératoire jette une note nouvelle que rendent vrai-

ment comique, le sérieux, la ténacité du chirurgien et la position invrai-

semblable où se poursuit l'opération.

Cette scène fait défaut, disions-nous, dans la gravure du Rijk Muséum.

Mais nous en connaissons l'équivalent sur une autre gravure de Bruegel où

l'opération se passe dans un oeuf (I), allégorie dont le sens est difficile à

percevoir.

(1) Cette gravure est celle que nous avons décrite dans une de nos précédentes étu-

des, comme nous ayant été communiquée par le Dr Brissaud.

LES ARRACHEURS DE PIERRES DE TETE 175 la"

Au fond du tableau du même côté, scènes de pansements.

Un gros homme rouge et barbu, à gilet vert et chausses blanches, est

ligoité corps et bras sur un fauteuil, les jambes allongées en avant.

Il s'abandonne, épuisé, aux soins d'une aide, infirmière de cette étrange

clinique, grosse femme à coiffe blanche qui noue à tour de bras un bandage

sur le front du patient.

L'indifférence absolue de ce dernier indique qu'il n'est plus en état de

réagir. Peut-être se croit-il réellement soulagé..... La suggestion chirur-

gicale est capable de bien des miracles.

Près de ce client résigné, on voit, sur un autre fauteuil, un petit homme

vêtu de brun, le front bandé, les deux bras passés dans une écharpe blan-

che, un grand sabre à poignée rouge sous le bras, un pied chaussé et l'au-

tre nu, son soulier gisant non loin de là. C'est le client gouailleur. Il re-

garde d'un air moqueur la scène du milieu et se gausse hautement des

hurlements de l'opéré. Peut-être ne faisait-il pas une mine aussi gaillarde

lorsqu'il était ligotté sur la chatière il n'y a qu'un instant.

Derrière ces groupes, au dernier plan, on distingue l'arrière-officine, à

demi voilée par un rideau rouge. On y devine une cheminée haute, avec

du feu. Un enfant curieux, passe sa tête derrière la draperie.

Un autre, tout à fait à gauche, entièrement nu, dans une posture non

équivoque, cède aux besoins les plus impérieux de la nature. On distingue

même le louable résultat de ses efforts. Plaisanterie rabelaisienne que les

artistes des Pays-Bas ne répugnaient pas à figurer dans leurs tableaux, et

dont le sel ne nous apparaît plus aussi agréable aujourd'hui.

L'arrière-boutique donne encore jour sur la grande salle par une petite

baie fermée par une claie d'osier. Parla un troisième enfant passe sa main

munie d'une cruche qu'il vide dans une marmite.

Enfin, par la porte de l'officine, porte à vitraux qui s'entr'ouvre bruyam-

ment, entre avec grand fracas une foule de malades et de curieux. En tète,

un vigoureux gaillard qui porte sur ses épaules un, gros homme vêtu de

jaune, coiffé d'un bonnet noir, la pierre de tète au front. Derrière eux,

cinq ou six personnages dont le plus pressé hurle désespérément et mon-

tre sur son chef la tumeur à extraire.

Au dehors, on aperçoit, flottante, l'enseigne de la maison, peinte en

rouge, avec des pendeloques noires et dans le lointain un paysage maritime

de couleur anormale avec des bateaux grossièrement esquissés.

La décoration de ce cabinet chirurgical est fruste :

Aux murs, à gauche de la porte, deux plats à harbe en cuivre et une

serviette sur un rouleau. A droite, sur un rayon, des pots d'onguent,

une fiole, des herbes pharmaceutiques. Au-dessous, une collection de

« pierres de tête » monstrueuses, accrochées à des clous, et un parchemin

176 ' HENRY MEIGE

muni de deux larges sceaux verts. Sur ce dernier, on ne voit guère que des

caractères confus, certainement rendus illisibles à dessein. Dans le haut,

cependant, une date bien nette, 1gaz, et dans le bas, fort indistinct, le mot

bruegle, qui d'ailleurs n'a aucune ressemblance avec la signature des

Bruegel, père ou fils.

Telles sont la description et l'interprétation de la curieuse peinture

que possède le Du' P. de Molènes et que reproduit la PI. XXII.

Nous n'avons pas à revenir sur l'explication qu'il convient de donner

de ces scènes charlatanesques. Ce nouveau document ne fait que confirmer

nos précédentes remarques. La jonglerie chirurgicale en question est am-

plement commentée par les tableaux de van Bosch, van IIemessen, A. Both,

Fr. Hais le Jeune, et surtout Jean Steen, que nous avons décrits, ainsi

que par les gravures de N. Weydmans, D. Teniers, Th. de Bry, etc.

Cette série déjà longue n'est pas encore close, car nous avons eu tout

récemment connaissance des deux nouvelles peintures relatives à des scè-

nes du même genre. L'une est un tableau attribué (non sans raisons) à

A. Brouwer et que nous avons vu au musée d'Aix-la-Chapelle ; l'autre

peinture, qui n'est pas 'signée, mais de la môme époque et de la môme

école, se trouve dans une collection privée et nous a été signalée par notre

ami, Léon Goujon. Nous aurons bientôt l'occasion de faire connaître ces do-

cuments complémentaires.

Le gérant : P. Bouchez.

Imp. G.Saint-Aubm et Thevenot. - J. Thevenot, successeur, Saint-Dizier.

12e ANNÉE NI, 3. Mai- Juin 1899

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE LA PARALYSIE ISOLÉE

DU MUSCLE GRAND DENTELÉ

\

PAR

A. SOUQUES

Médecin des hôpitaux.

ET

J. CASTAIGNE

Interne des hôpitaux.

L'histoire de la paralysie du muscle grand dentelé est relativement ré-

cente : elle ne remonte guère au delà des travaux mémorables de Du-

chenne. Velpeau d'abord (1), puis Gendrin (2), l\Iarchessaux (3), Desnos (4)

en publient chacun un exemple. Un seul journal médical (5), en trois ans,

contient quinze observations de paralysies dites du grand dentelé. Mais

ce sont là des faits discordants et sujets à critiques. « On a compris, dit

Duchenne (6), ou plutôt confondu, sous le nom de paralysies du grand

dentelé, -une affection complexe dans laquelle un ou plusieurs faisceaux

musculaires se trouvent ou atrophiés ou paralysés ou contracturés. C'est

ce dont on se convaincra facilement, en relevant les observations de pa-

ralysies du grand dentelé qui ont été publiées. »

Du reste, tous les faits de paralysie isolée du grand dentelé - la seule

que nous aurons ici en vue parus depuis le travail de Duchenne, tant

en France qu'en Allemagne, sont loin d'être incontestables. Lewinski (7)

qui en faisait, il y a quelques années, une critique très serrée, ne regar-

dait comme inattaquable que l'observation de Busch. Et tout récemment,

dans son intéressante monographie, Barreïro (8) n'en retient que seize

cas.

Somme toute, celte paralysie isolée constitue une rareté clinique. Du-

(1) Velpeau, Anatomie chirurg., 1835, p. 312.

(2) Genoiun, Traduction du livre d'Abercroznbie sur les maladies de l'encéphale et

de la moelle épinière, 1S35.

(3) MAUCHESSAU, Arch. gén. méd., 1810, p. 313.

(4) Desnos, Th. de Paris, 4845 et Archiv. gén. méd., 1846, p. 246.

(5) Gazette des hôpitaux (du 21 juin 1815 au 5 juin ici18).

(6) Duciienxe, Eleclris. local., 2e édit., p. 166, Paris, 1867.

(î) Lewinski, Archiv für path. anat. und Phys., t. LXXIV, 4Rtû.

(8) Bauheiro, Contnib. à l'étude de la paralysie du muscle grand dentelé, Th. de

Paris, XII. 1895. 13

xn ^3

178 A. SOUQUES ET J. CASTAIGNE

chenne (1) déclare n'avoir pas vu de paralysie ou d'atrophie « parfaitement

limitée au grand dentelé, ce qui prouve que cette localisation doit être

rare, poursuit-il, puisque sur une vingtaine de cas au moins d'atrophie

ou de paralysie du grand dentelé que j'ai explorés, je ne l'ai pas rencon-

trée une seule fois ».

En effet, les cas rapportés par cet auteur sonl fort complexes : la plu-

part ressortissent à l'atrophie musculaire d'origine myopathique ou myé-

lopathique. Môme complexité se retrouve dans les 40 observations réunies

par Berger (2).

Actuellement tout le monde est d'accord sur la rareté de la paralysie

du grand dentelé. Ilenial (3), sur z.000 admissions hospitalières, n'a

constaté que 23 cas de paralysie ou de contracture périphérique des mus-

cles de la ceinture scapulo-humérale. Or, de ces 23 faits, 3 se rapportent

à la paralysie isolée du muscle grand dentelé, et 6 à cette même paralysie

associée à celle de la portion moyenne du trapèze.

, Par contre, les ailleurs ne sont plus du même avis, au sujet de l'attitude

du scapulum, quand le bras au repos tombe naturellement sur le côté du

tronc, et au sujet de la hauteur à laquelle peut s'élever volontairement le

bras. L'omoplate est-elle déplacée, dans la station debout, le bras pendant

naturellement le long du tronc ? L'élévation volontaire du bras peut-elle

dépasser la ligne horizontale ? Ce sont là deux questions auxquelles nous

répondrons, après avoir rapporté l'observation suivante :

Observation.

Ch. Isidore, âgé de 29 ans, palefrenier, entré il l'hôpital Cocliin le 5 août

1898, au quatrième jour d'une infection qui a débuté brusquement par un

point de côté violent sous le sein droit et un grand frisson. A son entrée il

l'hôpital, le malade présente il la base droite tous les signes d'une pneumonie

lobaire franche aiguë ; la température reste il 40° jusqu'au 7 jour, époque à

laquelle le malade commence sa défervescence qui ne se maintient pas, car

dès le 9e jour le malade avait 40° de température vespérale, malgré une dis-

parition presque complète des symptômes pulmonaires. En môme temps, de

nouveaux signes avaient apparu (lâches rosées, gargouillement de la fosse

iliaque, diarrhée, splénomégalie) qui faisaient soupçonner la fièvre typhoïde,

affirmée d'ailleurs au 12e jour par un séro-diagnostic positif.

La dothiénentérie traitée par les bains froids évolua d'une façon bénigne, et

le 28 août, c'est-à-dire le 26e jour de la maladie, le typhique pouvait être

considéré comme convalescent; au 30e jour, il commença à s'alimenter et au

40'jour il se levait et marchait dans la salle. C'est alors qu'il s'aperçut de quel-

(1) Duchenne, Physiol. des mouvem., p. 40.

(2) Beuger, Breslau, 1813.

(3) HEMAK, Berlin. Gesells. sur Psychiat. und Nervenkrank., 12 décembre 1892.

NOUV. Iconographie Dt la SAI PÊTRIERE.

r. XII. PI. XX111

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PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 179

que gène dans les mouvements du bras droit. Pendant toute l'évolution de sa

dothiénentérie, il avait continué à se plaindre du point de côté sous-mamelon-

naire qui avait survécu à sa pneumonie, .mais l'attention ne fut réellement

attirée sur sa paralysie, qu'au moment de sa convalescence. Jamais,' aupara-

vant, le malade n'avait eu la moindre gêne dans les mouvements de ses bras.

Palefrenier, il pansait les chevaux et les conduisait aux relais. Il était

obligé pour soigner ses chevaux de lever les bras jusqu'à la verticale et, dans*

les mouvements nécessaires il l'étrillage notamment, il ne s'était jamais aperçu

qu'un de ses bras fut plus faible que l'autre. Les phénomènes de paralysie

qu'il présente sont donc apparus au cours de sa fièvre typhoïde.

Ces phénomènes paralytiques sont très nettement localisés au muscle grand

dentelé droit. '

Etat actuel.

I. Si l'on examine le malade dans la station debout les bras tombant le

long du corps, on s'aperçoit que la région scapulo-humérale droite ne présente

pas de déformation bien apparente : le moignon de l'épaule n'est pas abaissé,

l'acromion est aussi saillant que du côté sain : il n'est porté ni en bas, ni en

avant, ni en dehors.

L'omoplate est très peu élevée en masse ; son bord spinal est un peu plus

rapproché de la ligne médiane à droite qu'à gauche : cette différence au niveau

de l'épine est d'environ 1/2 centimètre (PI. XXIII, A).

L'angle inférieur du scapulum est plus saillant, un peu plus élevé et un peu

plus rapproché du rachis à droite qu'à gauche. De telle sorte que, en réalité,

le bord spinal reste sensiblement parallèle à la ligne médiane. Ajoutons que,

de plus, il ne semble pas nettement détaché du thorax.

Le méplat normal compris entre ce bord spinal et la ligne médiane. du corps

est moins marqué du côté droit ; il est remplacé par un léger relief dû à l'ac-

tion hypertonique du trapèze et du rhomboïde dont le bord inférieur se dessine

nettement.

II. Lorsque les bras sont élevés directement en avant jusqu'à l'horizontale

(PI. XXIII, D), la déformation de la région scapulaire devient très évidente :

l'omoplate est élevée en masse beaucoup plus que dans l'attitude précédente ;

le bord spinal se détache du thorax et forme la gouttière verticale classique,

profonde ici de 5 à 6 centimètres ; dans cette gouttière, on aperçoit le relief du

bord inférieur du trapèze qui se dirige obliquement en haut et en dehors, et qui

coupe ainsi la gouttière en deux parties inégales : la partie située au-dessus du

trapèze, entre la ligne médiane et le hord spinal, a la forme d'une rigole

étroite ; quant à la partie inférieure, beaucoup plus petite en étendue, qui.se

trouve située entre le relief du bord inférieur du trapèze et l'angle inférieur de

l'omoplate, elle forme sous la face interne du scapulum une dépression pyra-

midale où l'on enfonce facilement et largement le pouce tout entier, ce qui

permet de palper la face antérieure de l'omoplate.

De plus, le bord spinal est très rapproché du rachis, il devient oblique en. bas

et en dehors ; cette obliquité peut être mesurée par les chiffres suivants : au

180 A. SOUQUES ET J. CASTAIGNE

niveau de l'épine, le bord spinal est éloigné de la ligne médiane de 2 centimè-

tres 1/2 environ, tandis que cette distance est à peu près de 5 centimètres au

niveau de l'angle inférieur.

Dans cette position, les muscles sus et sous-épineux forment des bourrelets

très durs et très saillants qui donnent aux fosses sus et sous-cpineuses une

forme convexe contrastant avec l'aspect normal du côté sain.

III. Lorsque les bras sont levés en dehors jusqu'à l'horizontale (PI. XXIV,

F), d'une façon générale, la déformation de la région scapulaire est la même

que dans l'attitude précédente, mais elle est moins accentuée : l'élévation de

l'omoplate en totalité est moins marquée, son bord spinal est moins écarté du

thorax, il est par contre plus rapproché de la figue médiane qu'il atteint à

1 centimètre près, au niveau de l'épine, tandis qu'il en reste distant de 3 cen-

timètres au niveau de l'angle inférieur. Il s'ensuit que l'aspect de la gouttière

thoraco-scapulaire se trouve modifié : sa partie supérieure ne constitue plus

une rigole, mais un plan un peu oblique en avant et en dedans ; sa partie infé-

rieure est moins modifiée, la dépression pyramidale, qui persiste cependant,

est beaucoup moins accentuée. Le relief des muscles sus et sous-épineux reste

aussi saillant et aussi dur que dans l'attitude précédente.

IV. Bras élevés dans la direction verticale. Quand on fait élever au malade

le bras droit isolément, il arrive à le porter au-dessus de l'horizontale sans

atteindre la verticale. Pour exécuter ce mouvement, il a soin, il est vrai, d'in-

cliner un peu le tronc du côté opposé, ce qui fait que le bras paraît plus élevé

qu'il ne l'est en réalité.

En effet, quand on lui fait élever les deux bras simultanément (PI.XXV, G),

il s'incline beaucoup moins du côté sain ; aussi le bras droit, tout en dépassant t

l'horizontale, paraît s'approcher moins de la verticale que dans le cas où le seul

bras droit était élevé.

Ajoutons que, d'ailleurs, dans l'élévation du bras vers la verticale, la région

scapulaire présente la même morphologie que dans les cas où le malade élève

directement le bras en dehors.

1° Mouvements de l'épaule.

L'élévation directe ci, haut des épaules se fait avec une force normale à

droite comme à gauche : il est en effet impossible d'abaisser l'épaule droite,

même par une pression très énergique, lorsque le malade résiste à cette pres-

sion. Dans cette attitude, il n'y a pas de déformation appréciable de la région

scapulo-humérale.

L'acte de porter les épaules en avant et en dedans (PI. XXV, 1) se fait avec

une énergie normale. Dans ce mouvement, il n'y a pas de déformation évi-

dente de la région scapulaire droite, sauf que l'angle inférieur est un peu plus

saillant et que le bord spinal de l'omoplate est plus rapproché du rachis à

droite qu'à gauche, tout en restant parallèle à la ligne médiane. En dedans de

ce bord on voit un relief du muscle trapèze, beaucoup plus accusé à droite

qu'à gauche. '

L'acte de porter les épaules en arrière et en dedans se fait d'une façon nor-

NOUV. Iconographie DF la Salpêtrière.

l'. XII. PI. XXI'"

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PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 181

male sans déformation appréciable, dételle façon que les deux omoplates arri-

vent presque au contact (PI. XXV, H). '

2° Déformations thoraciques.

1° Station debout, bras tombant naturellement le long du corps (Pl. XXIII,

A. B). ,

Vu de dos, de face ou de profil le thorax n'offre aucune déformation visible.

2° Bras élevés en avant jusqu'à l'horizontale (PI. XXV111, D).

A) Vu de dos, on note surtout l'étroitesse delà paroi thoracique droite, tout

particulièrement dans la partie supérieure, et la modification de la ligne qui

réunit la paroi postérieure à la paroi latérale de l'aisselle (ligne en S avec

boucles très ouvertes).

B) Vue de face, l'aisselle droite présente une diminution très notable de son

creux et la paroi thoracique antérieure est élargie.

C) Vue de profil, la paroi axillaire est lisse car elle ne présente pas les digi-

tations normales du grand dentelé ; de plus le thorax est très voussuré, au-

dessous du prolongement de la ligne bimamelonnaire.

3° Lorsque les bras sont élevés en dehors jusqu'à l'horizontale (PI. XXIV,

E. F.), la déformation du thorax est à peu près identique la précédente,

tant en avant qu'en arrière et de profil.

fil, Les bras aM'7eoe' jusqu'à la verticale, la déformation persiste, et môme

la voussure de la Yaroi latérale s'accentue beaucoup, surtout dans la moitié

inférieure.

Dans ces diverses situations des membres supérieurs, le cou et la tête ne

présentent aucune attitude vicieuse, cependant les muscles du cou (trapèze,

sterno-mitstoïdien) paraissent se contracter plus énergiquement à droite qu'à

gauche. Il

Examen électrique. Voici l'état des réactions électriques, tel qu'il nous a

été fourni par notre ami, M. le Dr Huet : Réactions faradiques et galvaniques

sensiblement normales dans tous les muscles qui s'attachent à l'omoplate, et

semblables il droite et gauche, excepté dans le grand dentelé. A droite, réac-

tions faradiques nulles dans ce muscle il 90 millimètres d'écartement des bobi-

nes, taudis que, il gauche, on obtient des contractions à 135 millimètres d'écar-

tement. Réactions galvaniques également très diminuées tandis que, à gauche,

la première N Fc apparaît à 3 m. A, à droite les premières C.apparaissent vers

10 m. A et sont assez lentes, 1\ Fc est égale ou seulement un peu plus grande

que P F C.

De plus l'excitabilité indirecte par le nerf dans le creux sus-claviculaire est

diminuée à droite : aucune contraction apparente '1100 millimètres, tandis que

il gauche on obtient des C. à 120 millimètres.

Il est possible que, chez ce malade, la paralysie du grand dentelé soit incom-

plète ; mais les excitations les plus fortes que peut supporter le malade ne don-

nent rien. Il est vrai que dans la région du thorax ces excitations sont assez

vite douloureuses.

182 A. SOUQUES ET J. CASTAIGNE

Tels sont les détails de l'observation. Il s'agit incontestablement d'un

cas de paralysie isolée du grand dentelé droit survenue au cours d'une fièvre

typhoïde.

Les cas dus à pareille cause sont véritablement exceptionnels. Bæull1-

ler (1) a publié un fait identique, concernant un homme de 50 ans, ro-

buste et bien musclé. Deux mois après le début de la maladie, pendant

la convalescence, cet homme fut pris brusquement de douleurs vives dans

la nuque. Rapidement s'installa une paralysie des muscles du bras droit,

puis du bras gauche, enfin du grand dentelé droit, qui resta le seul mus-

cle paralysé.

Dans le cas de Bæumler, comme dans le nôtre, la seule hypothèse qu'on

puisse faire est celle d'une névrite du nerf du grand dentelé, causée par

le poison typhique. Il resterait à savoir pour quel motif ce poison s'est

localisé sur ce nerf. C'est là un point que nous aborderons plus loin.

Il est compréhensible que la névrite du grand dentelé soit exception-

nelle au cours de la fièvre typhoïde. La paralysie isolée du muscle grand

dentelé n'est-elle pas très rare ? Nous avons vu que Barreïro n'en avait

réuni que seize cas. Ces seize cas, au point de vue étiologique, se décom-

posent ainsi :

Effort ou fatigue musculaire.......... cas

Froid et humidité .............. 3 »

Fièvre typhoïde............... 1 »

P uerpéra 1 i lé ................ 1 »

Blessure chirurgicale du nerf ......... 2 »

Hystérie.................. 1 Il

Cause inconnue ............... 3 »

Ces trois derniers faits étant laissés de côté, les cas dus ;i une blessure

chirurgicale et à l'hystérie étant mis à part, en raison du caractère spécial

de leur cause, il reste dix faits dont l'interprétation présente des obscu-

rités.

Or cinq sont attribués, sans autre explication d'ailleurs, à un effort ou

à une fatigue musculaire.

Dans le cas de Wiesner (1) il s'agit d'un charpentier de ` ? t. ans, qui

portait depuis trois ans de lourds fardeaux sur l'épaule droite. Dans le

.courant de l'hiver 18ego, il souffrit beaucoup pendant les nuits de dou-

leurs dans le creux sus-claviculaire droit. Ces douleurs persistèrent pen-

dant deux ans, et, au bljt de ce temps, survint une impotence fonction-

(t) I)ent. Auciiiv sur 1,1. 1880, p. 305.

(1) 13,r·.w.rs, Deut. Archiv sur kt. Ied" 1880, p. 30a.

(-1) Wiesner, Archiv sur kl. Med., 1869, t. VI, p. 95.

Nouv. Iconographie 17F la SAI.IltTRIÈRF,.

T. XII. PI. XXV

PARALYSIE ISOLEE DU MUSCLE GRAND DENTELE

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PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 183

nelle du bras droit. Il lui était difficile d'élever ce bras au-dessus de l'ho-

rizontale. Il continua cependant de travailler, en se servant du côté gauche

pour porter ses fardeaux. Les deux grands dentelés se paralysèrent, le

droit beaucoup plus que le gauche.

Woodmann (1) cite le fait suivant : un marin de 39 ans fut nommé au

grade de lampiste sur un navire; il avait chaque jour allumer et trans-

porter seize lampes avec réflecteurs et appareils, travail qui nécessitait

des efforts d'élévation de l'épaule. Six mois après ce début dans ces fonc-

tions, il éprouva de la faiblesse dans l'épaule droite, avec difficulté d'éle-

ver le bras correspondant. Il continua cependant son métier, en s'aidant

du bras gauche, et, six mois plus tard, il était incapable d'élever son

bras droit et présentait les signes ordinaires de la paralysie du grand

dentelé.

Le cas de Bernhardt (2) mérite une mention toute spéciale. Il concerne

un boucher, qui avait l'habitude de porter ses fardeaux sur l'épaule gau-

che. Cet homme éprouva, quelques semaines avant l'apparition d'une

paralysie du grand dentelé gauche, des douleurs vives dans l'épaule gau-

che, avec notable difficulté dans les mouvements du membre inférieur

correspondant.

L'observation de Buchmuller (3) mérite d'être soulignée également :

un domestique, âgé de 18 ans, essaye de jeter un sac de pommes de terre

sur son épaule et ressent une vive douleur dans la région scapulaire droite.

Presque immédiatement après, il ne peut soulever son bras droit au-des-

sus de l'horizontale.

Enfin le cas de Barreïro (4) a trait un fumiste, âgé de 56 ans, bien

musclé et vigoureux, qui portait sur l'épaule droite, une colonne de fonte

de 300 kilos. Cet homme dépose sa charge et éprouve à ce moment un

craquement au niveau de la fosse sus-épineuse droite. Aussitôt après il ne

peut élever le bras correspondant au-dessus de ligne horizontale. Il conti-

nue son travail durant quatre jours, tant bien que mal, et cesse alors en

constatant lui-même dans la glace la déformation de son omoplate.

Quant aux trois observations de paralysie isolée du grand dentelé, attri-

buée au froid et l'humidité, voici dans quelles conditions cette paralysie

est survenue.

Dans le cas de Busch (5), il s'agit d'une paralysie isolée et bilatérale

des deux grands dentelés. Le début fut marqué par des douleurs vives dans

(1) Woodmann, Brit. med ? lourn., 1 octobre 1815.

(2) Beamtntinr, Archiv sur kl. Med., 1819, p. 380.

(3) l3f : Ct1>1(;Lt.I : li, Thèse d'Erlangen, 1892.

(4) Bnntiatrso, loc. cit.

(5) Buscn, Deut. Archiv fùr kl. Chir., 1863, p. 39.

184 A. SOUQUES ET .1. CASTAIGNE

le dos, la poitrine et les épaules. L'enfant avait dormi sur la terre humide

deux mois avant le début du mal, et c'était là la cause unique qu'on pût

retrouver.

Une femme de 39 ans, citée par Bernhardt (1), s'expose à un courant

d'air pendant une nuit. Cette nuit même, elle ressent des douleurs très

vives dans l'épaule droite, irradiant dans le bras et la nuque. Six à huit

semaines après, elle constate des troubles dans la motilité du bras droit.

L'observation, déjà ancienne de Marcbessaux(2), se rapporte à un fac-

teur de pianos, âgé de 27 ans, qui éprouva un jour des douleurs assez

vives dans la région de l'épaule droite et du côté correspondant du thorax,

depuis le creux de l'aisselle jusqu'à la sixième côte. A la même époque, il

constata un affaiblissement dans les mouvements du bras et la déformation

de l'omoplate. Il n'avait jamais reçu de traumatisme sur l'épaule, mais il

couchait depuis quelque temps dans une chambre située au premier sur

une cour, dans laquelle était placée un réservoir ; un tuyau de conduite

en mauvais état passait dans l'épaisseur de la muraille contre laquelle était

placé son lit, et cette muraille était fort humide.

II nous reste à mentionner le fait de L. Weber (3) ; il concerne une

femme de 27 ans, prise trois semaines après un accouchement de douleurs

vives dans le bras droit et consécutivement de paralysie isolée du muscle

grand dentelé, du même côté.

Voilà dans quelles conditions s'est produite, chez ces dix malades, la

paralysie du grand dentelé (4). Il conviendrait maintenant d'en rechercher

le mécanisme proprement dit.

(1.) Bernhardt, IOC. Cit.

(2) MAMHESSAUX, Arch. gén. méd., 1840, p. 313.

(3) WEBER, Deut. med. Woch., 1880, p. 27 î.

(4) Dans un très intéressant travail sur la paralysie du grand dentelé, paru dans le

Moniteur des médecins tchèques en 1896, M. J. IIN.\TEK, qui nous a obligeamment

adressé son mémoire, a publié deux observations de paralysie isolée du muscle grand

dentelé. En voici le résumé très succinct :

Premier cas. Un ouvrier, (ils d'alcoolique, qui travaillait pendant quatre jours, de

cinq heures du matin à minuit à gratter des tiges de porte-cigares, particulièrement de

la main droite, le corps penché, éprouve des douleurs dans l'épaule droite. Quatre

jours après, sa jeune femme constate une déformation de l'épaule.

Il s'agit d'un homme très musclé qui, vu de dos, au repos, présente les troubles sui-

vants : omoplate droite plus rapprochée du rachis que la gauche (1 centim. de diti'é-

rence) en même temps qu'elle est plus élevée. L'élévation du bras au-dessus de l'hori-

zontale est impossible au début, mais quelques semaines plus tard, elle dépasse le

plan horizontal de 15° à 20.

Second cas. -Un jeune homme de 20 ans, sans cause connue, est pris de douleurs

très violentes, l'ayant empêché de dormir pendant quatre nuits, dans la région du bras

droit. Quelque temps après, on lui fit remarquer la déformation de l'épaule droite.

Les troubles de l'attitude de l'épaule ressemblent à ceux du premier cas. Toutefois, le

malade aurait toujours pu lever le bras au-dessus de l'horizontale.

PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 185

Voyons tout d'abord les cas qui ressortissent à l'effort musculaire. Les

deux faits de Buchmùller et de Barreïro sont très suggestifs : effort mus-

culaire violent et aussitôt après paralysie du grand dentelé. Ne peut-on

pas supposer ici qu'il s'agisse d'une névrite apoplectiforme, d'une sorte de

traumatisme du nerf du grand dentelé (tiraillement, compression) sur un

point difficile à déterminer de son trajet, que ce traumatisme résulte de la

contraction propre du muscle grand dentelé ou de celle des muscles voi-

sins. On conçoitaisémentqu'il soit difficile de préciser davantage le méca-

nisme exact. Ce n'est d'ailleurs là qu'une hypothèse. Le trajet et les rap-

ports du nerf du grand dentelé la rendent plausible. Ce nerf, remarquable

par la longueur de son parcours, nait des cinquième et sixième paires cer-

vicales par deux racines. Pour les anatomistes allemands, pour Luschka

et IIenle particulièrement, ces deux racines traversent les fibres du scalène

postérieur avant de se réunir; quelquefois même, le tronc du nerf lui-

même traverserait les fibres musculaires. On concevrait ainsi qu'il fût faci-

lement tiraillé.

Dans les cas de Wiesner, de Woodmann et de Bernhardt, il ne s'agit

plus d'effort musculaire brusque et violent, mais bien de fatigue, de sur-

menage musculaire.

Il nous semble nécessaire de souligner ici la profession rude et péni-

ble qu'exerçaient ces malades, de faire remarquer qu'il s'agit toujours

d'hommes et que la paralysie siège chez tous, sauf chez le malade de

Bernhardt, du côté droit, c'est-à-dire du côté qui normalement fait le

plus d'ell'orts et subit le plus la fatigue. Chez le malade de Bernhardt,

qui fait exception, c'est le côté gauche qui est paralysé. Or cet homme

avait l'habitude de porter ses fardeaux sur l'épaule gauche. Donc l'excep-

tion n'est qu'apparente. Elle a même, à notre avis, une valeur confirma-

tive, comme l'aphasie, dans une hémiplégie gauche, chez un gaucher,

confirme la loi de Bouillaud-Broca.

Le cas de Wiesner a une valeur de même ordre : son malade porte de

lourds fardeaux sur l'épaule droite, et paralyse son grand dentelé droit ;

il continue son travail, en se servant de l'épaule gauche, et bientôt son

grand dentelé gauche se paralyse.

Le rôle du surmenage du muscle grand dentelé nous semble hors de

contestation (1).

Quel est donc le rôle physiologique de ce muscle ? Pour Cruveillier,

« le grand dentelé portant l'omoplate en avant et élevant le moignon

de l'épaule, c'esL de tous les muscles celui qui agit le plus puissam-

(1) On sait que la paralysie des tambours, d'après les travaux de Bruns et de Zeuder

est localisée aux muscles du pouce gauche et due à l'excès de fonctionnement de ces

muscles.

186 A. SOUQUES ET J. CASTAIGNE

ment dans l'action de soutenir un fardeau sur l'épaule ». Ilenle est du

même avis. Duchenne, il est vrai, pense le contraire. Si on fait élever

l'épaule à un sujet, dit-il, pendant qu'on pèse fortement sur le moignon

de l'épaule (pour remplacer le poids d'un fardeau), on voit que le tra-

pèze, le rhomboïde et le tiers supérieur du grand pectoral sont seuls

contractés. Le grand dentelé reste fiasque, pourvu que le bras soit appliqué

contre le thorax. Donc le grand dentelé, encore qu'il élève le moignon de

l'épaule, n'intervient pas dans cet acte. Mais nous savons qu'il intervient

fortement dans l'acte d'élever le bras soit jusqu'à l'horizontale, soit jus-

qu'à la verticale. Nous savons qu'il se contracte puissamment, pour em-

ployer l'expression de Duchenne, dans l'acte de pousser en avant avec le

moignon de l'épaule. Nous savons aussi qu'il a encore d'autres usages,

qu'il concourt, avec les autres muscles qui s'insèrent à l'omoplate, à fixer

cet os et à le maintenir appliqué contre le thorax, afin de donner ainsi de

la solidité à la moitié postérieure de la ceinture scapulaire, c'est-à-dire

de donner un point fixe aux muscles qui vont du scapulum au membre

supérieur. Il joue donc un rôle primordial, dans les divers mouvements

du bras. La gène considérable de ces mouvements, dans la paralysie

isolée du grand dentelé, en est une preuve irréfutable. Le muscle grand

dentelé est donc soumis, dans les divers mouvements du bras et de

l'épaule, à un exercice répété et puissant. Si cet exercice devient immo-

déré, excessif, il pourra y avoir fatigue, surmenage. N'est-il pas admissi-

ble que cet exercice immodéré soumette le nerf du grand dentelé à des

tiraillements capables de le paralyser ?

Bref, qu'il s'agisse d'une paralysie du muscle grand dentelé, consécu-

tive à un effort brusque et violent ou à un surmenage musculaire propre-

ment dit, le mécanisme intime nous parait analogue et relève vraisem-

blablement d'une sorte de traumatisme du nerf lui-même.

Comment peut-on interpréter le rôle du froid et de l'humidité, invoqué

dans les trois cas de Marcbessaux, Busch et Bernhardt ? Le malade de

Marchessaux dormait près d'une muraille humide, celui de Busch avait

dormi sur la terre humide, enfin la femme de Bernhardt s'était exposée à

un courant d'air pendant une nuit. On peut évidemment incriminer dans

tous ces faits l'action directe du froid et de l'humidité sur le nerf du

grand dentelé, qui est superficiel dans la partie inférieure de son trajet.

Mais l'action du froid humide ne nous semble pas prouvée. On invoquait

jadis pareille action pour expliquer la paralysie du nerf radial, qu'on

attribue aujourd'hui à une compression du nerf. Ne s'agit-il pas de com-

pression, dans les paralysies du grand dentelé, survenues la nuit, peut-être

à la suite d'une attitude vicieuse, ayant amené une compression ou un

tiraillement du nerf ? Sans pouvoir l'affirmer et sans vouloir rejeter le

PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 187

rôle du froid humide, nous ferons remarquer que notre hypothèse peut

s'appuyer sur les cas analogues de paralysies diverses, survenues pendant

le sommeil, à la suite d'une attitude vicieuse.

Il nous reste maintenant à envisager le mécanisme des cas de Baeumler

et de Weber : la paralysie est consécutive à la fièvre typhoïde et à l'accou-

chement. Pourquoi l'infection a-t-elle été se localiser sur le nerf du

grand dentelé du côté droit ? Il est impossible de répondre à cette question,

à moins qu'on ne veuille supposer une attitude vicieuse, ayant produit

un tiraillement du nerf du grand dentelé par suite du décubitus latéral

droit ou de toute autre cause et créé ainsi un locus minorais resistantue

pour la toxine. Dans notre cas, il n'est pas illogique de supposer que la

pneumo-typhoïde, siégeant précisément à droite, ait pu jouer le rôle de

cause localisatrice.

Le mécanisme intime, presque univoque, que nous venons d'exposer

pour expliquer la physiologie pathologique des paralysies isolées du grand

dentelé, quelle que soit leur cause apparente, est purement hypothétique.

II nous semble cependant impossible de ne pas tenir compte de cette

hypothèse, si on veut bien considérer que, sur ces dix cas de paralysie du

grand dentelé, sept siègent à droite, deux sont bilatéraux avec prédomi-

nance du côté droit, et qu'un siège à gauche chez un gaucher. N'est-ce

pas la une localisation qui plaide en faveur de notre hypothèse ? Dans le

même genre d'idées, nous ferons remarquer que tous ces cas, sauf deux,

concernent des hommes.

Nous arrivons maintenant aux considérations d'ordre symptomatique.

Elles portent sur trois points :

1° Sur l'attitude du scapulum, lorsque le bras pend inerte le long du

tronc ;

2° Sur l'élévation possible du bras au delà de la ligne horizontale ; : 3° Sur la déformation du thorax.

L'attitude du scapulum, lorsque le bras tombe naturellement le long

du corps, a été vivement discutée. Sur ce point deux opinions sont en

présence.

Les uns soutiennent avec Duchenne (1) que la morphologie de l'épaule

n'est pas troublée. « Les signes palhognomoniques de l'atrophie du grand

dentelé, dit en effet Duchenne (2), ne se manifestent que pendant l'élé-

vation volontaire du bras. J'ai démontré, en effet, que l'atrophie du grand

dentelé n'occasionne aucune difformité appréciable dans l'attitude de

l'épaule, pendant le repos musculaire et lorsque les bras tombent sur les

côtés du tronc, à moins toutefois que les deux tiers inférieurs du trapèze

(1) Duchenne, Electris. local., 3° édit., p. 942.

(2) Duchenne, eod. loc., p. 944.

188 A. SOUQUES ET .T. CASTAIGNE

ne soient en même temps paralysés. Ainsi, il eût été certainement impos-

si)))ede soupçonner l'existence de celle grave affection musculaire chez

les sujets représentés dans les figures'189 et 190, lorsqu'ils laissaient pen-

dre leurs bras sur le côté du tronc. » « Je démontrerai plus loin qu'il

existe un signe pathognomonique, à l'aide duquel on peut établir le dia-

gnostic de la paralysie ou de l'atrophie du grand dentelé, alors que le

malade nepeut élever volontairement son bras. » Cosigne pathognomoni-

que, important à connaître dans les cas où la paralysie du grand dentelé se

complique de celle du deltoïde (complication qui n'est pas rare, déclare

Duchenne, el qui a dû bien des fois empêcher la paralysie du muscle grand

dentelé de se manifester), se constate en faisant porter les épaules en avant.

On voit alors du côté malade :

« 1° Le moignon de l'épaule entraîné en avant ;

2° Le bord spinal du scapulum rester en place, puis soulever la peau en

se portant un peu en arrière par un mouvement de rotation de cet os sur

son axe vertical. Cette attitude du scapulum, du côté malade, faisait alors

un contraste frappant avec l'attitude du scapulum du côté opposé, qui

avait exécuté son mouvement normal. On remarque, en effet, dans la

figure 192 que du côté sain le bord spinal du scapulum obéissant il J'action

du grand dentelé, a été entraîné en dehors et en avant, en s'appliquant

solidement contre paroi thoracique, et qu'il a pris une direction oblique

en sens inverse de celle du scapulum droit où le grand dentelé était pa-

ralysé. J'ai eu l'occasion de constater les mêmes phénomènes sur d'autres

sujets atteints de la paralysie du grand dentelé. »

A la page suivante, Duchenne explique ainsi le mécanisme de ce signe :

« Dans le mouvement des épaules en avant, le grand dentelé entraîne en

dehors et en avant le bord spinal du scapulum, pendant que le grand

pectoral (muscle synergique) agit sur l'angle externe de cet os par l'inter-

médiaire de l'humérus auquel il s'allache. Il est évident que si, dans ce

mouvement volontaire, le grand dentelé vient à ne plus prêter son con-

cours, le bord spinal du scapulum doit rester en place, et l'angle externe

de cet os être entraîné en avant. » Et plus loin, il ajoute : « La rétraction

de la portion abductrice du trapèze pourrait bien, il est vrai, pendant ce

mouvement, maintenir le scapulum rapproché de la ligne médiane, malgré

l'intégrité du grand dentelé, mais alors il n'y aurait pas de confusion pos-

sible, car, dans ce dernier cas, le scapulum resterait appliqué contre le

thorax, et prendrait une direction opposée il celle que l'on observe, lorsque

le grand dentelé a perdu son action. »

Duchenne donne encore un autre signe. qui permet de reconnaître la

paralysie du grand dentelé, lorsque l'élévation du bras est impossible.

Pour percevoir ce signe, il faut appliquer une main sur chaque épaule du

PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 189

sujet, en repoussant les deux épaules dans un sens opposé ; on sent alors

quelescapulum, du côté lésé, résiste moins que l'autre. On pourrait même

imprimer au scapulum un mouvement de recul et faire saillir davantage

son bord spinal sous la peau.

Ce sont là des signes intéressants à connaître, dans un cas donné d'élé-

vation impossible du bras, par exemple dans un cas 'de paralysie du del-

toïde compliquant celle du grand dentelé.

Mais, après cette longue parenthèse, revenons à l'attitude du scapulum.

Il n'en reste pas moins établi, pour Duchenne, que la paralysie du grand

dentelé n'entraîne aucune difformité appréciable de l'épaule, lorsque le

bras pend naturellement sur le côté du tronc.

Lewinski (1), dans une intéressante critique, confirme l'opinion de Du-

chenne. Il pense que tous les cas de paralysie du grand dentelé, accom-

pagnés de déformation de la région scapulaire, au repos du bras, sont des

faits complexes. D'autres muscles, dit-il, sont paralysés en même temps,

le trapèze particulièrement. Si le trapèze est normal, le scapulum reste

dans sa position physiologique, malgré la paralysie du grand dentelé.

Cet auteur rapporte une observation d'amyotrophie dans laquelle, en

même temps que le grand dentelé, le rhomboïde, l'angulaire, le trapèze,

le grand et le petit pectoral étaient paralysés. Dans ce cas, le scapulum

présentait, au repos du bras, les déformations que les Allemands considè-

rent comme caractéristique de la paralysie isolée du grand dentelé, à sa-

voir, l'écartemellt,en aile du bord spinal, son obliquité en bas et en dedans

et l'abaissement de l'angle externe.

Or, pour Lewinski, cette déformation est analogue à celle que le scapu-

lum prend sur le cadavre, après la période de rigidité, ou bien quand il

est désinséré de tous ses muscles. Cette attitude cadavérique de l'omoplate

dépend de la cessation d'action des muscles s'insérant sur cet os, lequel

n'obéit plus alors qu'au poids du bras. Il s'ensuit que le scapulum

s'abaisse et s'éloigne du rachis, et que son bord spinal devient oblique en

bas et en dedans et s'écarte du thorax, principalement au niveau de l'angle

inférieur.

Par conséquent, la déformation qu'on regarde, en Allemagne, comme

caractéristique de la paralysie isolée du grand dentelé témoigne de la

participation d'autres. muscles et avant tout du trapèze. Le trapèze en

effet, à l'état normal, contrebalance l'action du poids du bras, puisqu'il

élève le moignon de l'épaule, rapproche le scapulum du rachis et dirige

son bord spinal obliquement en bas et en dehors. Si le trapèze est intact,

dans la paralysie du grand dentelé, le scapulum garde sa position physio-

(1) Lewinski, Archiv f. pathol. Anat. und Phys., t. LXXIV, s. 4î3.

190 A. SOUQUES ET J. CASTAIGNE

logique, lorsque le bras est au repos. Le seul déplacement qui puisse se

produire, dans ces conditions, c'est que le bord spinal ne soit pas aussi

exactement maintenu contre le thorax et que l'angle inférieur surtout se

détache un peu de la paroi thoracique.

Remak (1 ) se rapproche aussi de l'opinion de Duchenne. Dans trois cas

de paralysie isolée du grand dentelé qu'il a observés, la déformation de l'é-

paule était minime. Le scapulum était élevé, son bord spinal parallèle au

rachis dont il se rapprochait, et son angle inférieur légèrement écarté du

thorax. Toutes les fois, ajoute-t-il, que dans une paralysie du grand den-

telé, le bras étant au repos, le bord spinal de l'omoplate est très oblique

en bas et en dedans et que l'angle inférieur est très rapproché du rachis,

c'est que la portion moyenne du trapèze est paralysée en même temps.

En somme, Duchenne n'admet aucune déformation du scapulum. II est

vrai que cet auteur ne peut appuyer sa conviction sur aucun fait de para-

lysie isolée Au grand dentelé, car il n'a pas vu de paralysie ou d'atro-

phie « parfaitement limitée au grand dentelé (ce qui prouve que cette

localisation doit être rare, puisque sur une vingtaine de cas au moins

d'atrophie ou de paralysie du grand dentelé que j'ai explorés, dit-il, je ne

l'ai pas rencontrée une seule fois ».

Lewinski et Remak se rapprochent de l'avis de Duchenne, mais ad-

mettent cependant une minime déformation.

Par contre, la majorité des auteurs allemands se prononce pour l'exis-

tence d'un'déplacement notable de l'omoplate. Pour Berger, qui a le pre-

mier défendu cette opinion, lorsque le grand dentelé est paralysé, le tra-

pèze, le rhomboïde et l'angulaire, qui sont ses antagonistes, attirent le

scapulum vers le rachis. Pareillement le petit pectoral, le biceps, lecoraco-

brachial qui sont aussi antagonistes du grand dentelé détachent du thorax,

par leur action tonique, l'angle inférieur du scapulum. Il en résulte une

déformation caractéristique.

Seeligmüller (2), Boeumler (3), Eulenburg (4) et l3uchmüller (5), etc.

sont du même avis. La paralysie isolée du grand dentelé entraîne une

déformation, peut-être légère, mais certaine de la région scapulaire, au

repos du bras : l'angle inférieur du scapulaire est rapproché du rachis et

l'omoplate est élevée en masse; le bord spinal peut s'écarter du thorax

en se rapprochant de la colonne vertébrale. Seeiigmuiier explique ce

(1) Remak, Berl. Gesell. f. Psych. und. Nerv., 12 décembre 1892.

(2) Duchenne, Physiologie des mouvements, p. 40.

(3) SEEI,10-,IULLEii, Neurolog. Centralbl., 1882.

(4) Baumi.er, loc. cil.

(5) EuLENniuno, Real. Encyclop., t. XII.

(6) IIUCII11CLLER, Thèse d'Erlangen, 1892.

PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 191

déplacement de la façon suivante : Chez un homme sain, lorsque le bras

est au repos, l'omoplate est fixé dans sa position normale par l'action

tonique des muscles qui s'y insèrent et dont l'effet se balance. Que l'on

suppose le grand dentelé paralysé, alors le rhomboïde, le trapèze et Fangu-

laire, qui sont adducteurs, deviennent prédominants, n'ayant plus à lutter

contre l'action antagoniste du grand dentelé. Cette adduction se répète»*

très souvent, et si la paralysie dure quelque temps, l'adduction deYil1;Jï.t

habituelle. A force de se contracter, les adducteurs se contracturent.

11 s'ensuit nécessairement que le scapulum sera élevé et rapproché cttJ ?

rachis. '

D'autre part, le petit pectoral, le biceps brachial et le coraco-brachial,

qui s'insèrent à l'apophyse coracoïde, se contracturent par le même méca-

nisme et attirent en bas l'angle externe du scapulum, c'est-à-dire qu'ils

élèvent l'angle inférieur qui s'écarte du thorax.

Comme de plus, le grand dentelé n'agit point, le bord spinal quitte la

paroi thoracique, grâce à l'action du muscle sous-épineux. 11 est vrai que,

pendant un temps plus ou moins long, le trapèze et le rhomboïde peuvent,

parleur tonicité, empêcher cet écartement du bord spinal.

Bref, Seeligmûller, Baümler, etc., acceptent l'opinion de Berger, mais

en l'atténuant. Tandis que celui-ci déclare que le bord interne de l'omo-

plate est très oblique en bas et en dedans, ceux-là disent seulement que

cette obliquité est peu prononcée, ainsi que l'écartement en aile du bord

spinal et se rapprochent ainsi de l'avis, de Lewinski et de Remak.

Telles sont les opinions en présence. La vérité nous semble entre les

deux affirmations extrêmes de Duchenne et de Berger. Il y a, en réalité,

un déplacement de l'omoplate-, mais ce déplacement est modéré et peut

passer inaperçu ai un examen superficiel.

Ce déplacement est du reste noté dans presque toutes les observations

publiées, ainsi qu'on peut en juger par les extraits qui suivent. Dans une

des observations de Bernhardt, l'angle inférieur de l'omoplate se détache

en arrière beaucoup plus que le gauche (côté sain). Toute l'omoplate

est légèrement plus élevée que la gauche. Le bord interne du scapulum

n'est pas plus éloigné du rachis qLl'à gauche. Il n'y a pas de déviation ap-

préciable dans la direction du bord interne de l'omoplate. Dans la seconde

observation du même auteur, l'angle inférieur est un peu plus élevé et plus

éloigné du thorax du côté paralysé ; il est en outre plus rapproché du ra-

chis.- Le bord interne est un peu moins vertical que normalement ; il re-

garde un peu plus en dehors et en haut. Dans un des cas de Weber, le bord

spinal du scapulum droit est seulement un peu plus rapproché de la co-

lonne vertébrale que celui du scapulum gauche et l'angle inférieur écarté

du thorax de 1 centimètre. Dans l'autre cas, l'angle inférieur s'écarte du

192 A. SOUQUES ET J. CASTAIGNE

thorax de un demi-centimètre environ ; il est en outre un peu porté en de-

hors de la ligne médiane.

Le malade de Voodmann avait l'angle inférieur du scapulum plus élevé

et situé plus en dedans que le même angle du côté sain. En outre, cet an-

gle s'écartait du thorax. Chez le malade de Busch, le bord spinal de l'omo-

plate est seulement un peu écarté du thorax. Bruns dit que chez son ma-

lade, le scapulum est plus élevé en totalité, le bord spinal plus rapproché

du rachis, l'angle interne plus élevé que l'angle externe : l'angle inférieur

saille en arrière sous la peau ; enfin le bord spinal est très légèrement obli-

que en bas et en dedans. Dans le cas de 1W nmler. le bord spinal est pres-

que parallèle au rachis dont il est plus rapproché que normalement, l'an-

gle inférieur est écarté du thorax et un peu élevé (1).

Dans le fait de Barreïro, l'angle supéro-inlerne est un peu plus élevé

que l'angle homonyme du côté sain, l'angle inférieur est saillant en arrière

sous la peau, le bord spinal presque vertical se rapproche de l'épine dor-

sale et saille plus fortement que du côté sain. Chez le malade de Wiesner,

l'omoplate est très légèrement écartée en aile et l'angle inférieur un peu

porté en dehors. Dans le cas de Sen,tor, il y a une déviation constatahle

du scapulum, qui est élevé en totalité; l'angle inférieur est plus élevé de

trois centimètres environ. Chez le malade de Buchmiiller, le scapulum se

détache du thorax et son bord spinal est un peu oblique en bas et en de-

dans ; l'angle inférieur s'écarte beaucoup en arrière et se rapproche de la

1 igné médiane. Chez la femme de Kohlcr, l'angle inférieur de l'omoplate

est détaché du thorax et rapproché du rachis.

On peut donc admettre en thèse générale que, dans la paralysie isolée

du grand dentelé, lorsque le bras est au repos le long du tronc, il y a un

déplacement duscapulum.

Ce déplacement est surtout appréciable an niveau de l'angle inférieur

et du bord spinal qui sont les parties les plus accessibles de l'omoplate.

Il est souvent dit, dans les observations, que l'omoplate est élevée en

totalité, mais le fait qui semble le plus fréquent et le plus manifeste,

c'est l'écartement de l'angle inférieur par rapport au thorax. Cet angle in-

férieur est en outre assez souvent élevé (de 1/2 il 3 centimètres) et rap-

proché de la ligne médiane. Dans le fait de Wiesner et dans un cas de

Wéber, il est pourtant noté que cet angle était porté en dehors. Quant au

bord spinal, il est tantôt rapproché du rachis, tantôt il la distance nor-

male. D'autre pari, il est quelquefois écarté du thorax et esquisse le

scapulum alalum. Enfin il reste parfois parallèle au rachis, et très sou-

vent il devient légèrement oblique en haut et en dehors, obliquité obligée

(1) Dans les trois cas mentionnés par Remak (Berl. Gesellsch. sur l'sychiat., 12 déc.

1892), le scapulum était élevé en totalité, et son bord spinal, parallèle au rachis, en

était rapproché de deux centimètres environ.

PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 193

en quelque sorte, si l'on considère que le plus souvent l'angle inférieur

est porté en dedans (1).

Le déplacement du scapulum semble donc presque constant pour ne pas

dire constant. Il est, en effet, difficile de concevoir qu'il n'en soit pas

ainsi. Le muscle grand dentelé joue un rôle considérable dans la statique

de l'omoplate. Sa paralysie doit nécessairement entraîner un trouble de

cette statique. L'action tonique des autres muscles, qui s'insèrent au sca-

pulum, ayant libre cours, doit logiquement modifier la situation normale

de cet os. La physiologie de ces divers muscles étant connue, ainsi que

leur degré respectif d'action tonique, il est aisé de concevoir l'attitude que

doit prendre l'omoplate.

Il ressort, d'autre part, de la lecture des observations publiées, que le

déplacement est minime, et trouble peu la morphologie de la région sca-

pulaire. On conçoit dès lors qu'il puisse passer inaperçu à un examen

superficiel, et qu'il demande à être recherché de prés. '

Nous venons de voir, en analysant les diverses observations, que les au-

teurs ne sont pas absolument d'accord sur les caractères de ce déplacement,

notamment sur la situation de l'angle inférieur et du bord spinal. Com-

ment expliquer ces divergences ? Sans faire intervenir des particularités

individuelles d'anatomie et de physiologie musculaire, on pourrait peut-

être invoquer soit l'existence d'une association paralytique du trapèze, soit

le degré de paralysie du grand dentelé, complète ici, plus ou moins

incomplète la.

Voyons maintenant les caractères de la paralysie du grand dentelé,

dans l'élévation volontaire du bras.

Il est tout d'abord un signe que nous ne discuterons point : c'est la dé-

formation en aile du scapulum. Tout le monde est d'accord sur ses carac-

tères et sur son mécanisme.

Il n'en est pas de même du degré qu'atteint l'élévation du bras. Dans

la grande majorité des faits, l'élévation du bras n'atteint pas ou atteint

exactement la ligne horizontale , mais ne la dépasse pas. C'est la règle. Il

y a cependant quelques exceptions, constituées par les cas de Baeumler,

de Jolly, de Bruns. Dans l'observation de Bammler il est dit que l'élé-

vation du bras au-dessus de l'horizontale est possible et que ce bras peut

être élevé, presque sans effort, jusqu'aux deux tiers de la verticale. Dans

l'observation de Jolly, l'élévation s'effectue jusqu'à la verticale. Il en est

de même chez le malade de Bruns. Cet auteur cite en note un travail de

Morstadt, élève de Ziemmssen, sur quatre cas de paralysie du grand den-

telé, Dans un de ces cas, semble-t-il, l'élévation du bras au-dessus de

(1) Il faut admettre, avec Ilitzig, Remak, etc., que l'obliquité notable du bord

spinal traduit la participation fi. la paralysie des portions moyenne ou inférieure du

trapèze.

XII 14

cpc-7

194 A. SOUQUES ET J. CASTAIGNE

l'horizontale était possible. Nous n'avons pu nous procurer ce travail.

Comment peut-on interpréter ces faits ? En invoquant l'une ou l'autre

des deux opinions suivantes : ou bien il s'agit de parésie (et non de para-

lysie) du muscle grand dentelé, ou bien le trapèze supplée le muscle com-

plètement paralysé. Mais ceci demande quelques notions de physiologie

normale. ~

Duchenne a montré que la contraction électro-physiologique isolée du

deltoïde suffit pour porter le bras jusqu'à l'horizontale et que « le maxi-

mum d'élévation de l'humérus par la contraction isolée du deltoïde arrive

à peu près à la direction horizontale (1) ». Il se produit, dans ces condi-

tions, une déformation de la région scapulaire, due à ce fait que le mem-

bre supérieur, pesant de tout son poids, dit Duchenne, sur l'angle externe

du scapulum fait exécuter à celui-ci deux mouvements : un mouvement

de bascule par lequel )'acromion est déprimé, tandis que l'angle inférieur

s'élève et se rapproche de la ligne médiane ; un mouvement de rotation

sur un axe vertical, placé au niveau de l'angle externe, qui éloigne cet os

de la paroi postérieure de la cage thoracique, en faisant saillir sous la

peau son bord spinal. Entre ce bord spinal et le point correspondant du

thorax, on voit se former une gouttière plus ou moins profonde.

C'est là tout le mécanisme du scapulum (illalît71t, qui relève, pour le

dire en passant, de la contraction isolée du muscle deltoïde.

Or, à l'état physiologique, lors de l'élévation volontaire du bras, on ne

voit pas ces deux mouvements qui engendrent l'omoplate ailée. Et cela

parce que la volonté ne peut faire contracter isolément le deltoïde. En

effet, à l'état normal, dans l'élévation du bras, le grand dentelé agit tou-

jours en même temps que le deltoïde. Il maintient « solidement contre la

paroi thoracique le bord spinal de l'omoplate et soutient en même temps

l'angle de ce dernier ». Grâce à cette synergie, la morphologie de la ré-

gion scapulaire n'est pas troublée. « Le grand dentelé est le seul muscle

qui, par son association avec le deltoïde, empêche cette attitude vicieuse

de l'omoplate de se produire pendant l'élévation du bras (2). »

Que va-t-il se passer dans le cas de paralysie du grand dentelé. L'éléva-

tion volontaire du bras jusqu'à l'horizontale est possible ; elle est détermi-

née par le deltoïde seul. La morphologie de l'épaule va être troublée né-

cessairement, comme dans le cas de contracture électro-physiologique

isolée de ce muscle. L'omoplate, non maintenue par le grand dentelé, va

exécuter les deux mouvements que nous venons de rappeler et se mettre

en aile. C'est effectivement ce qui a lieu.

Voilà le premier temps de l'élévation du bras accompli. Reste le second

temps, c'est-à-dire le passage il l'élévation verticale.

(1) Duchenne, Physiol. des noruem., p. 53.

(2) DUCIIEPNE, loc. cil., p. 65.

PARALYSIE ISOLÉE DU MUSCLE GRAND DENTELÉ 105

Dans Jes conditions physiologiques « l'élévation du bras au-dessus de

la direction horizontale, déclare Duchenne (1), ne peut se faire sans que

l'omoplate tourne sur son angle interne de manière il élever à la fois,

comme une seule pièce, l'angle externe de cet os et l'humérus déjà étendu

sur celui-ci ». Or c'est le muscle grand dentelé qui est chargé d'imprimer

au scapulum ce mouvement de rotation. « L'intervention du grand dentelé

n'est pas bornée à fixer l'omoplate. Ce muscle imprime, en outre, avec

une grande puissance, à cet os le mouvement de rotation nécessaire à la

dernière moitié de l'élévation verticale du bras. » Duchenne en a fourni

la preuve expérimentale, en excitant électriquement le deltoïde.et le grand

dentelé à la fois. Dans cette expérience « le bras s'élevait verticalement

avec une telle énergie que le tronc en était rejeté violemment du côté op-

posé, au point de rendre une chute imminente ».

Il est donc logique que, dans la paralysie du grand dentelé, l'élévation

du bras s'arrête à la ligne horizontale et ne la dépasse point. C'est, du

reste, ce qui se voit dans la majorité des observations. Cette paralysie sup-

prime, en effet, le mouvement de rotation nécessaire à l'élévation verticale.

Les notions précédentes vont nous permettre de comprendre les hypo-

thèses qu'il convient de formuler pour expliquer les cas exceptionnels

d'élévation du bras au-dessus de l'horizontale, dans la paralysie du grand

dentelé. ,

On peut d'abord supposer qu'il s'agit, dans ces cas, non de paralysie

absolue, mais de simple parésie, autrement dit de paralysie incomplète.

S'il en était ainsi, l'action du grand dentelé pourrait être encore assez

forte pour permettre l'élévation au-dessus de l'horizontale.

Mais s'il s'agit de paralysie complète, l'hypothèse précédente ne vaut

plus. Il faut alors invoquer un autre mécanisme. « Le grand dentelé; dit

Duchenne (2), n'est pas le seul muscle qui jouisse du privilègede déter-

miner l'élévation verticale du bras, par l'intermédiaire de l'omoplate; le

tiers moyen du trapèze fait ainsi exécuter à cet os un assez grand mouve-

ment de rotation sur son angle interne pour produire, avec l'aide du

deltoïde, l'élévation verticale du bras, avec beaucoup moins de puissance

toutefois que le grand dentelé. » Donc le tiers moyen du trapèze et le

grand dentelé peuvent « se suppléer mutuellement dans la production de

ce mouvement d'élévation du bras..... Ce fait électro-physiologique est

confirmé encore par la pathologie, avec quelques restrictions cependant, en

ce qui concerne l'action de la portion moyenne du trapèze. Pour que cette

dernière portion musculaire produise, en effet, avec le deltoïde, et sans

l'intervention du grand dentelé, le mouvement volontaire de rotation de

(1) DUCIIGNNE, Physiol. des mouv., p. 58.

(2) Duchenne, Physiol. des naouvem., p. 57.

(3) Duchenne, eod. lac., p. 70.

196 A. SOUQUES ET .1. CASTAIGNE

l'omoplate sur son angle interne, mouvement qui élève le bras au-dessus

de la ligne horizontale, il faut qu'elle soit très développée et qu'elle

jouisse d'une grande force. »

Par conséquent, dans la paralysie isolée du grand dentelé, l'élévation

du bras jusqu'à la verticale sera possible, par l'action combinée du del-

toïde et de la portion moyenne du trapèze, si toutefois cette portion

moyenne est très développée et jouit d'une grande force. Ainsi peuvent s'ex-

pliquer les cas de Baeumler, Jolly, Bruns.

Si, au contraire, cette portion moyenne est peu développée et jouit de

peu de force, l'élévation volontaire du bras jusqu'à la verticale restera

impossible. Comme corollaire, on peut dire que la facilité et la vigueur,

avec lesquelles se fait l'élévation verticale du membre supérieur, est pro-

portionnelle à la force du tiers moyen du trapèze.

L'interprétation donnée par Duchenne de ces faits exceptionnels est-

elle applicable dans tous les cas ? Chez les deux malades de Bacumler et

de Bruns, il s'agissait effectivement de gens très fortement musclés. Mais,

dans un autre exemple de Bruns, le sujet était très bien musclé et cepen-

dant l'élévation du bras ne dépassait pas l'horizontale. Dans le cas de

Jolly, il s'agissait d'une jeune fille. Notre malade enfin est médiocrement

musclé. Il est vrai que son bras dépasse à peine la ligne horizontale,

Il nous reste, en terminant, à souligner la déformation particulière du

thorax, sur laquelle l'un de nous a déjà attiré l'attention (1). Cette défor-

mation doit vraisemblablement exister, dans tous les cas de paralysie iso-

lée du muscle grand dentelé. Elle ne se voit que du côté paralysé et exclu-

sivement dans l'élévation volontaire du bras. Elle est essentiellement

caractérisée par une asymétrie manifeste qui porte sur la région axillaire

et sur la paroi thoracique proprement dite.

Le creux de l'aisselle èst profondément modifié : sa paroi postérieure dis-

paraît àpeu près complètement et se place sur le même plan que la paroi

interne, avec laquelle elle se confond et qu'elle prolonge en arrière. Ces

modifications dépendent du scapulum ullclt2lul.

Le thorax présente les changements suivants : élargissement de la paroi i

antérieure, plus marquée dans l'élévation du bras en avant que dans son

élévation en dehors; modification de la ligne latérale qui prend la forme

d'une S à boucles très allongées ; rétrécissement de la paroi postérieure;

dilatation générale de la cage thoracique avec voussure latérale convexe en

dehors ; élévation modérée de la cage thoracique. Les facteurs de cette dif-

formité sont d'une part l'existence de l'omoplate ailée, et d'autre part l'é-

tat paralytique du muscle grand dentelé et l'action supplémentaire exagé-

rée des muscles inspirateurs accessoires.

(1) Souques, Déformations du thorax dans la paralysie du muscle grand dentelé.

Soc. méd. des hôp., 21 oclobre 1898.

NOUV. ICOIJOGRAPIIIE DE LA SAIPÉIRIERF.

r. XII. PI XXVI

SCLERODERMIE ET VITILIGO CHEZ DES ENFANTS

(P. Haushalter et L. Spillmann)

A, Sclérodei mie localisée. Morphée. - 13. Sclérodermie disséminée en pL1qllc, - C. Vitiligo.

mnçanN ,4 ? r.1C Fditurs

FACULTÉ DE MÉDECINE DE NANCY

QUELQUES CAS DE SCLÉRODERMIE ET DE VITILIGO

CHEZ DES ENFANTS

P. HAUSHALTER ET L. SPILLMANN

Agrégé à la Faculté de Nancy. Interne des hôpitaux.

Nous avons eu l'occasion d'observer quelques cas de troublestrophi-

ques de la peau chez des enfants. Les uns rentrent nettement dans le

cadre des sclérodermies ; les aulres peuvent en être rapprochés. La sclé-

rodermie parait être une affection rare chez l'enfant puisqne les' plus

récents traités de pathologie infantile n'en font même pas mention.

Ces observations présentent de plus bien des points particuliers sur

lesquels nous avons cru bon d'attirer l'attention. La première observation

a trait à un cas de sclérodermie localisée du type Morphée (voirfi. A.

Pl. XXVI).

Observation I. - Marie D..., 12 ans, vue à la consultation de la cli-

nique infantile le 15 novembre 1898. ' '

Père et mère bien'portants. 10 enfants vivants. Il y a 18 mois l'enfant'

qui n'avait jamais été malade remarque sur son front la présence d'une

tache blanchâtre, située au-dessus du sourcil gauche. Cette tache grandit

petit à petit. Au mois de septembre 1898 elle avait gagné le cuir chevelu

et à son niveau, les cheveux étant tombés, la peau était lisse et brillante.

Etal actuel. - Enfant robuste. On constate sur le front la présence

d'une plaque blanchâtre, brillante, allongée (longueur : 8 cent., largeur :

2 cent. à la partie supérieure et 1 cent. à la partie inférieure), s'étendant

de la racine du nez, près de la racine du sourcil gauche, jusqu'au som-

met de la tête. Cette plaque se continue jusqu'au lobule du nez par une

ligne blanchâtre, peu apparente, large d'un demi-centimètre. La plaque

frontale est vernissée, plissée transversalement et donne au doigt la sen-

sation du parchemin. Elle présente dans sa moitié inférieure une colora-

tion blanc nacré et dans sa moitié supérieure une teinte jaune-brunâtre.

A la périphérie de cette plaque se trouve un liseré rose légèrement saillant

198 P. IIAUSEIALTER ET L. SPILLMANN

se continuant insensiblement avec la peau saine par une zone violacée.

Au niveau de la moitié inférieure, il existe un léger degré d'oedème. Dans

la moitié supérieure, la peau adhère intimement il l'os. La palpation fait

constater un léger enfoncement du frontal avec diminution de résistance

à la pression. Pas de trouble de sensibilité au niveau do la tache.

La malade est revue au bout de mois; la plaque de sclérose n'a pas

changé d'aspect.

Chez cette enfant le diagnostic était des plus faciles à établir étant

donné les caractères de la lésion cutanée. Nous retrouvons là en effet la

plaque lardacée brillante, entourée de l'anneau lilas caractéristique de

la morphée.

L'intérêt de cette observation réside,surtout dans l'absence complète

d'antécédents et de symptômes nerveux. Issue d'une robuste famille de

cultivateurs, l'enfant qui n'avait jamais été malade s'aperçoit un jour

qu'elle porte sur le front une raie blanche. Cette raie ne fait que grandir

pour arriver à l'état qu'elle présente aujourd'hui : telle est toute la symp-

tomatologie. Il semble donc que dans la pathogénie de la sclérodermie,

l'importance des tares névropathiques ne soit pas aussi prépondérante

qu'on se le figure souvent. L'un de nous a observé antérieurement un

malade (1) de 32 ans qui portait sur le front 2 bandes de morphée et qui

en outre présentait des crises épileptiformes, apparues quelques mois après

le début de la lésion cutanée. Chez notre petite malade, il fut impossible

de découvrir aucune tare névropathique héréditaire ou personnelle. Au

point de vue de la topographie de la sclérose cutanée, on pourrait cepen-

dant trouver des rapports entre la lésion de la peau et des filets nerveux

(br. oplitalm. du trijumeau). Mais l'existence même de ces rapports ne

saurait entraîner une relation de cause à effet, car, comme le disent très

justement MM. Besnier et Doyon (2) : « La localisation d'une altération

de la peau sur un territoire nerveux déterminé, indique bien que l'élé-

ment nerveux joue un rôle important, mais ne prouve pas que la lésion

soit une tropho-névroce. Elle établit seulement que l'élément pathogéni-

que essentiel de la maladie, lequel peut être très variable, a élu domicile

sur un territoire nerveux ».

On pourrait appliquer ces mêmes considérations aux deux cas suivants

qui rentrent également dans les sclérodermies localisées (forme disséminée

en plaques).

(1) L. Spillmann, Sclérodermie lardacée en coup de sabre. Nouvelle Iconographie de la

Salpêtrière, mai-juin 1898.

(2) E. Hesnier et A. Doyon, Traduction du Traité des Maladies de la peau de Ka-

posi, t. II, p. 108.

CAS DE SCLÉRODERMIE ET DE VITILIGO CHEZ DES ENFANTS 199

Observation II (fig. B., pl. 1VI) .-I;milie R...., âgée de 11 ans, entre

au service des enfants le 23 février 1899. Père âgé de 37 ans, tubercu-

leux. Mère morte tuberculeuse à l'âge de 27 ans, 8 mois après la naissance

de l'enfant. Une soeur âgée de 16 ans, bien portante. La petite malade est

née à 7 mois. A été élevée au sein jusqu'au moment de la mort de la mère.

N'a jamais été malade. Rougeole il y a trois ans. La lésion sclérodermique

est passée inaperçue. Tout au plus a-t-on remarqué depuis quelques mois

que la peau du flanc était sèche.

Etat actuel, 25 février. Enfant de taille moyenne. Bonne constitu-

tion. On constate au-dessous du sein gauche la présence d'une bande blan-

che de 7 centimètres de largeur sur 4 centimètres de hauteur, ovalaire,

encadrée d'une auréole pigmentée. Au niveau de cette tache, la peau est

légèrement affaissée, donne à la palpation une impression de sécheresse et

de dureté, et ne se laisse pas plisser. Celte bande se continue vers l'ais-

selle avec une zone blanchâtre de 3 à 4 centimètres de long, irrégulière,

de consistance dure, ressemblant à une cicatrice supérieure de la peau.

Dans la partie latérale droite de l'abdomen et du flanc, la peau est

plus pigmentée qu'à gauche. Sur ce fond pigmenté on voit une tache

blanche, du diamètre d'une pièce de 5 francs, à bords irréguliers, se con-

tinuant jusqu'à la partie inférieure du creux de l'aisselle, par une traînée

blanchâtre irrégulière entourée. d'une auréole couleur café au lait. Au

niveau de la plaque de la fosse iliaque, les plis cutanés sont plus accen-

tués. A la palpation, la peau est dure, pachydermique, donne l'impression

du cuir et ne se laisse pas plisser.

Sur la face dorsale du pied droit existe une bande blanc nacré, partant

du '1er et du 2° orteil, large de 2 centimètres, et s'arrêtant au cou-de-

pied. Cette plaqïia. est limitée à sa périphérie par une peau pigmentée

brun violacé. Au niveau de la bande nacrée, la peau est déprimée, lisse,

adhérente aux parties sous-jacentes. Dans les deux tiers inférieurs de la

jambe, le long du bord antérieur du tibia, la peau est livide, dure, Jar-

dacée, adhérente à l'os. La peau des régions malléolaires est épaisse et

donne au palper l'impression du cuir. ,

Le pied est placé à angle droit sur la jambe. L'extension est impossible.

Aucun trouble de sensibilité. Les différents appareils sont normaux.

Observation III. Fillette de 6 ans. Père et mère bien portants.

Grand-père maternel mort à 42 ans d'une affection médullaire.

Un frère âgé de 9 ans bien portant. Grossesse normale. Enfant né à

terme. Nourrie au sein. Bien de particulier dans la première enfance.

Eut un jour sans motif, à l'âge de 2 ans 1/2, une petite crise convulsive

avec perte de connaissance.

200 P. HAUSHALTER ET L. SPILLMANN

Entre 21/2 et 3 ans, la mère aperçut sur le dos du pied droit une petite

tache au niveau de laquelle la peau était blanche, fine, d'aspect cicatriciel.

Cetle tache grandit petit à petit. Une tache semblable apparut ensuite à

la face externe de la cuisse droite; deux au niveau du thorax en avant et

une à la face interne du ri/3 supérieur de l'avant-bras droit. Ces taches

ressemblaient à des cicatrices de brûlures. Elles s'accompagnaient d'atro-

phie des membres du môme côté. Ces plaques blanchâtres semblaient être

collées à l'os.

État actuel, octobre 1898. - Enfant petite, intelligence vive, éveillée,

un peu nerveuse. Sur le dos du pied droit une tache blanche d'aspect cica-

triciel comprenant les 2" et 3° orteils qui sont

grêles et remontant en bande jusqu'au pli sépa-

rant le dos du pied de la jambe (fig. 1).

A la face antéro-externe de la cuisse droite,

une tache commençant au tiers supérieur de la

cuisse et descendant jusqu'au-dessous du genou,

large de 3 à 4 cent. 1/2, lisse, fine, légèrement

pigmentée, se continuant par une auréole de

peau pâle, lisse. A la face interne du tiers su-

périeur du bras droit, tache comme 5 francs,

lisse, fine, pigmentée assez faiblement en brun.

Sous le mamelon droit, tache des dimensions

d'une pièce de 5 francs, peu visible, à peau

plus fine. Une autre plaque de même dimen-

sion, à contours moins nets à la base du thorax

en avant et à droite.

Au niveau de ces 2 dernières taches, le tissu

adipeux sous-cutané a disparu. Les lâches sont

légèrement déprimées. Atrophie en masse du

bras, de la cuisse et de la jambe du côté droit,

l'atrophie musculaire est surtout marquée au niveau des taches. A ce ni-

veau il existe une sorte de gouttière où les muscles sont moins fermes et

moins élastiques. La masse des muscles scapulaires est un peu moins dé-

veloppée.

Le membre inférieur droit au centimètres de moins en longueur que

le gauche.

Courbure de compensation de la colonne vertébrale. Pour remédier à la

boiterie, l'enfant doit porter une bottine à haute semelle. Pas de troubles

de sensibilité au niveau des taches. Pas de douleurs, pas de troubles de la

motricité. -

Fig. 1. - Sclérodermie dis-

séminée en plaques (Ob-

servation III). '

NOUV. Iconographie DE la SALPÈIRIERF.

r. XII. PI. XXVII

SCLERODERMIE CHEZ DES ENFANTS

(P. Ilaus'ialtcr et L. Sl'i1l11J.11111)

D. Sclérodermie congénitales I : . Sclérodacn lie (face dors,¡ ? ). - F. Sclérod,\Ctyli< : (face palmaire).

MASSON w Cie, éditeurs.

CAS DE SCLÉRODERMIE ET DE VITILIGO CUËZ. DES ENFANTS 201

Ces deux dernières observations concernant des cas de sclérodermie

en plaques disséminées paraissent très semblables au premier abord mais

elles se distinguent cependant l'une de l'autre par quelques caractères.

Dans l'observation II, tout se borne à l'existence de 3 placards scléro-

dermiques, l'un paraissant suivre un nerf intercostal, le 2e situé dans le

flanc et le 3e longeant la croie antérieure du tibia elle dos du pied. Sauf

au dos du pied où la peau a un aspect fin, cicatriciel, la plupart de ces

placards sont infiltrés, lardacés, oedémateux.

Dans l'observation III, il s'agit également de plaques blanchâtres, mais

au niveau de toutes ces plaques, la peau est lisse, déprimée, d'aspect cica-

triciel et considérablement amincie. De plus, il existe une atrophie muscu-

laire manifeste de tout le côté droit, surtout accentuée au niveau des pla-

cards sclérodermiques. Le membre inférieur du côté droit est même

raccourci de plusieurs centimètres. Il est curieux de remarquer que

depuis quelque temps, tous les phénomènes tendent à régresser. La peau

au niveau des taches sclérodermiques est moins fine, moins adhérente et

les muscles atrophiés reprennent un peu de fermeté.

Chez ces deux malades, le processus sclérodermique a évolué en l'ab-

sence de toute tare héréditaire ou personnelle. Tout au plus pourrait-on

insister sur ce fait que, dans l'observation III, l'enfant eut vers. Page de

2 ans 1/2 une crise convulsive qui précéda de peu l'apparition des pre-

mières plaques de sclérose.

Notre quatrième observation se rapporte probablement à un cas de$clé-

rodact5'lie, une des localisations régionales importantes de la sclérodermie.

Observation IV (ng. E et F, pl. XXVII). Camille P..., 7 ans.

Vue il la consultation de la clinique infantile le 4e avril 1898. Père bien

portant, légèrement dyspeptique. Mère nerveuse. 2 autres enfants bien por-

tants. L'enfanta toujours eu une bonne santé. C'est il l'âge de i à 6 mois

qu'a débuté la lésion des mains pour laquelle elle est amenée à l'hôpital.

Cette lésion va en s'accentuant.

Etat actuel. - Enfant bien constituée. Rien de particulier dans les

différents appareils. Système nerveux normal. Mains assez petites. Doigts

effilés. L'extrémité du doigt est entièrement recouverte par l'ongle qui

n'est pas débordé latéralement par la pulpe; .

Les ongles sont blancs, étroits et un peu recourbés. La face dorsale des

doigts surtout au niveau des dernières phalanges,- est recouverte par une

peau très fine, vernissée, bleuâtre, froide et au niveau de laquelle la

sensibilité est très diminuée. Le reste du dos de la main parait normal.

La paume de la main et la face palmaire des doigts sont tapissées par un.

épiderme épais, sec, d'apparence cornée, lamelleuse. Les lames épidernii-

202 P. HAUSHALTER ET L. SPILLMANN

ques se présentent sous formes de petites lamelles ou de grands placards

légèrement décollés sur leurs bords. Cet aspect lamelleux est surtout

marqué à la paume des mains. La pulpe des doigts est sèche, amincie,

surtout au niveau de l'index.

Les pieds sont habituellement bleuâtres et froids. Au niveau du talon

et du 1/3 antérieur de la plante du pied, l'épiderme est corné, dur.

légèrement exfolié. Etat rugueux de la partie postérieure du bras.

L'enfant est revue le 9 juin 1898. 11 semble que l'extrémité des doigts

est plus pâle et la main plus cyanosée.

Une soeur de la malade, âgée de 2 ans, présente depuis l'âge de 6 ou

7 mois des lésions analogues des extrémités. La paume de la main serait

également squameuse et sèche et les extrémités des doigts blanchâtres. Le

talon commencerait également depuis quelque temps à desquamer.

Les principales lésions sont donc ici : l'effilement, la cyanose, la se- -y

cheresse des doigts et des orteils, les altérations des ongles, l'aspect ver- '

nissé et l'amincissement de la peau au niveau des phalanges, l'exfoliation

de l'épiderme à la la paume des mains et à la plante des pieds. Cesphéno- l,

mènes existant chez deux enfants d'une même famille, ont apparu chez '

tous deux au même âge.

Il s'agit bien chez ces deux enfants d'un trouble trophique des extrémi-

tés, trouble symétrique prédominant à la périphérie des doigts et des or-

teils, avec desquamation lamelleuse de l'épiderme palmp-plantaire. Cette

affection difficile à classer est-elle une forme de début de sclérodactylie ?

L'avenir le montrera. D'ailleurs le terme de sclérodactylie ne préjuge rien

sur la nature de la maladie et sur ses rapports avec les lésions notées dans

nos premières observations. Notons encore que cette affection s'est déve-

loppée sans cause connue chez les deux soeurs.

L'observation suivante se rapporte aussi à un fait assez difficile à éti-

queter et que l'on peut intituler : un cas de sclérodermie congénitale.

1

Observation V (tig. D, pi. XXVII).- Suzanne P..., âgée de 1 mois, est

amenée au service des enfants le 17 janvier 1899. Peu de renseignements

sur les antécédents héréditaires. Pasde syphilis. Soeur de 16 mois bien

portante. L'enfant est née à terme. Présentait à la naissance la pigmen-

tation du membre inférieur gauche et l'atrophie de la jambe qui existent

encore actuellement.

État actuel. Enfant grasse. Nourrie au biberon. Taille 0 m. 54.

Blépharo-conjonctivite et vulvo-vaginite gonococcique. Pas de syphilis.

Le membre inférieur gauche est atrophié. La cuisse a 1 centimètre de

moins en circonférence et 1 centimètre de moins en longueur que du côté

droit. Mêmes proportions pour la jambe.

CAS DE SCLÉRODERMIE ET DE VITILIGO- CUEZ DES ENFANTS 203

Sur le membre inférieur gauche existe une pigmentation violacée partant t

sous forme de bande du grand trochanter, descendant sur la face antéro-

externe de la cuisse et de la jambe, et formant au-dessous du genou une

sorte de jarretière. Cette bande est constituée par des mailles arrondies

d'un brun lilas, circonscrivant des espaces de peau livide. A ce niveau la

peau est très amincie, et le tissu cellulo-adipeux est absent. Sur le genou,

placard violacé du diamètre d'une pièce de 0 fr. 50 ayant en son centre

une dépression jaunâtre.

Placard analogue sur le grand trochanter droit avec dépression centrale.

Sur le dos du pied, bande bleuâtre occupant le 2° et le 3e métatarsien et

les phalanges correspondantes.

' Le diagnostic de cette lésion cutanée n'est pas sans présenter quel-

que difficulté, vu le jeune âge du sujet.

Si l'on avait eu affaire à un adulte, le diagnostic de sclérodermie aurait

été posé sans hésitation.

Jusqu'à présent, à notre connaissance, on n'a pas encore cité d'observa-

tion de sclérodermie congénitale. Il est cependant assez difficile, dans le

cas particulier, de donner une autre étiquette à l'affection en question.

La syphilis ne semble pas pouvoir être mise en cause; elle ne fait pas

de lésions de cet aspect; d'ailleurs elle est absente ici. Il est fort peu

probable que nous ayons affaire à des cicatrices provenant de brides

amniotiques : l'hypothèse de ces cicatrices cadrerait mal avec l'étendue de

la lésion et son aspect réticulé. Au reste rien ne peut en réalité faire

repousser le diagnostic de sclérodermie et nous ne voyons pas ce qui peut

s'opposer à ce que cette affection si obscure d'ailleurs débute pendant la

vie intra-utérine. Nous serions donc en présence de celte phase du début

de la sclérodermie, que MM. Besnier et Doyon (1) caractérisent de la fa-

çon suivante : « Réseau fin et superficiel à mailles inégales, dessinant des

stries entrecroisées, un peu surélevées, luisantes, comme vernissées. Il

faut une certaine délicatesse de palpation pour y percevoir tout d'abord

l'induration. La région sous-claviculaire, les espaces inguinaux, la face

interne de la cuisse ou les plis articulaires sont les lieux où ce mode de

début peut être surtout relevé. A ces réseaux sclérosiques succèdent des

plaques. » Cette description qui a en vue la sclérodermie de l'adulte

semble bien pouvoir s'appliquer au cas que, nous venons de rapporter.

Nous rapprocherons l'observation de ce nouveau-né chez qui les phé-

nomènes de sclérose cutanée au début coïncidaient avec une atrophie e

légère du membre, du cas de l'observation nI où l'amincissement de la

(1) E. BasNiFu et A. DoyoN, loc. cit., p. 94.

204 P. HAUSHALTER ET L. SPILLMANN

peau était accompagné d'une atrophie très accentuée des muscles et d'un

raccourcissement de la jambe.

Si la sclérodermie congénitale parait être inconnue, il n'en est pas

absolument de même de la sclérodermie chez le nouveau-né. Neumann (1),

qui récemment rapportait l'observation d'un enfant qui à ]'lige de 13 jours

présenta les premiers symptômes de sclérodermie, rappelle que Cruse (2)

aurait étudié 4 faits analogues dont 2 concernant des enfants de 2 à 3 se-

maines. Dans les 5 cas de Neumann et de Cruse, il semble s'être agi de

sclérodermie à forme circonscrite avec épaississement de la peau. L'atro-

phie consécutive de la peau ne fut observée que dans un cas (Cruse). La

guérison fut la règle. Le cas que nous intitulons sclérodermie congéni-

tale ne présente pas d'ailleurs la même physionomie clinique que les faits

de Neumann et de Cruse.

A ces 5 observations de troubles trophiques de la peau à forme de sclé-

rodermie, nous ajoutons, sans vouloir les confondre, un cas de vitiligo

observé chez une enfant.

Observation VI (fig. C, pl. 11VI). - Augustine D..., 11 ans, vue

à la consultation de la Clinique infantile le 29 mars 1898. Père 58 ans,

journalier, zouave pendant 7 ans en Afrique, alcoolique et absinthique

invétéré. Mère 45 ans, nerveuse, migraineuse, goitreuse. 2 fausses cou-

ches. 6 enfants dont une morte de scarlatine à 7 ans.

Antécédents personnels. - Toujours bien portante, mais sujette aux

céphalées depuis deux ans. Vers la même époque on remarque quelques

cheveux blancs que l'on arrache au sur et à mesure qu'ils se produisent.

Il y a un an, on aperçoit les premières taches blanches sur les hanches et

une plaque blanche sur la nuque, des dimensions d'une pièce de 20 cen-

times. Depuis quelque temps, souffre de maux d'estomac et est essoufflée

quand elle court.

Etat actuel. - Enfant bien constituée, bien musclée, portant un petit

goitre. Pommettes injectées. Quelques cheveux blancs épars. D'une façon

générale, le cuir chevelu paraît plus pâle, plus blanc que normalement.

Pigmentation marquée du cou et de la nuque. Au niveau de la nuque,

une tache blanche de 3 centimètres de hauteur environ, de forme irrégu-

lièrement quadrangulaire. A droite de cette plaque, une autre plus petite,

portant en son centre un point brunâtre. Une autre à gauche. Sur le

tronc, larges taches blanches entourées d'une auréole pigmentée, quelques-

unes ont la largeur de la main et parlent de la région antérieure pour

gagner la région postérieure du thorax.

(1) NEUMANN, Arch. sur Kinderheilkunde, 1898, p. 24.

(2) CBLSE, Jahrb. f. Kinderh.. Bd. XV, 1880.

CAS DE SCLÉRODERMIE ET DE VITILIGO CHEZ DES ENFANTS 205

Au niveau de la ceinture, la pigmentation est plus marquée autour des

taches blanches. Quelques taches blanches sur les fesses. A la racine de la

cuisse gauche, deux taches larges comme une pièce de 50 centimes.

Pas de troubles sensitifs et moteurs. Dermographisme très accentué,

aussi marqué au niveau des taches blanches qu'au niveau des parties

normales. Appareils respiratoire et circulatoire normaux. Urines très

albumineuses, 3 grammes environ par 24 heures.

L'enfant est revue le 27 mai. Les cheveux blancs n'ont pas augmenté

de nombre pas plus que les taches blanches. La pigmentation autour des

taches est plus marquée. Les plaques qui se trouvent au niveau du cuir

chevelu à la limite des cheveux sont plus accentuées. A ce niveau la peau

est fine et transparente. Les urines renferment toujours une grande quan-

tité d'albumine.

Nous ne prétendons pas identifier le vitiligo et la sclérodermie, bien

qu'on ait pu signaler entre le vitiligo et certaines formes de sclérodermie,

quelques analogies plus ou moins lointaines ; la coexistence des deux af-

fections a d'ailleurs été constatée chez un même individu. L'origine du

trouble de pigmentation dont le vitiligo est la marque, nous échappe ici

comme dans les cas du même genre. Nous nous bornerons il signaler chez

cette enfant, sans chercher à établir des hypothèses gratuites pour l'expli-

quer, la coïncidence du vitiligo avec le goitre et avec une albuminurie

fort prononcée, existant sans aucun trouble fonctionnel.

Le hasard nous a permis d'observer récemment un cas qui peut, en

quelque sorte, servir de forme de transition entre ! e vitiligo et la scléro-

dermie. Chez une fillette de 10 ans, issue d'un père français el d'une

femme arabe, nous avons découvert à la racine cle la cuisse droite une

tache blanche ovalaire, un peu déchiquetée, longue de 5 centimètres, et

entourée d'une auréole légèrement pigmentée. Cette tache présente abso-

lument l'aspect d'une plaque de vitiligo, mais au palper on constate nette-

ment qu'à ce niveau sans qu'il y ait. de dépression cutanée appréciable,

la peau est amincie, plus fine, et se laisse plisser plus facilement. La lé-

sion est congénitale.

Il est probable d'ailleurs que sous les termes de sclérodermie et de viii-

ligo, on range parfois des ilfectioiis disparates, d'étiologie et de pathogénie

diverses. '

Nous ne voulons tirer de ces observations aucune conclusion générale.

Nous n'avons eu d'autre prétention que celle de rapporter des faits, qui,

vu leur rareté, nous ont paru présenter quelque intérêt.

HOSPICE DE BICÊTRE.

TRAVAIL DU LABORATOIRE DE 111. LE Dr PIERRE MARIE.

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE ANATOMO-PATIIOLOGIQUE ET CLINIQUE

DE E

L'AlVlYOTROPIl1E CHARCOT-MARIE

PAR

PAUL SAINTON

Ancien interne des hôpitaux.

Depuis qu'en 1886, Charcot et Marie ont décrit la « forme particulière

d'atrophie musculaire progressive souvent familiale, débutant par les pieds

et les jambes et atteignant plus tard les mains » qui porte leur nom, de

nombreuses observations de la même maladie ont été publiées à l'étran-

ger. Elles ne font que confirmer la réalité clinique de la description des

premiers auteurs. Jusqu'à maintenant, l'étude anatomo-patboiogique de

la maladie a été très incomplètement faite ; seuls, Hoffmann, Marinesco ont

essayé de décrire les lésions correspondant aux symptômes, et d'esquisser

la caractéristique anatomique de cette amyotrophie.

Nous avons eu la bonne fortune d'observer dans le service de M. le

Dr Pierre Marie un sujet atteint de cette affection. Nous avons pu examiner

les pièces provenant de ce malade : les lésions que nous avons observées

sont des plus nettes et montrent de toute évidence que cette variété d'amyo-

trophie doit trouver sa place dans les amyolrcpbies d'origine spinale, con-

trairement à l'opinion de certains auteurs.

Nous rapporterons donc ici cette observa lion : elle nous servira de

point de départ pour rappeler ce' que l'on doit entendre par Amyotrophie

type Claa·cot-ltaie et pour tracer il grands traits le tableau clinique et

analomo-palbologique de la maladie. Ces considérations ne nous parais-

sent point inutiles, car, depuis quelques années, aussi bien en France qu'à

l'étranger, il parait y avoir quelque confusion dans les observations pu-

bliées par les auteurs. ,

DE l'amyotrophie CHARCOT-MARIE 207

I

Observation.

II..., 56 ans, dessinateur, entre le 26 mai 1896, salle Laénnec, 1'lions-

pice de Bicétre. Il n'y a rien de spécial dans ses antécédents, soit héré-

ditaires, soit collatéraux.

Il aurait été faible des muscles, dès sa jeunesse. En 1860, chancre dont

la nature n'est pas bien établie. Le malade n'a jamais présenté d'accidents

secondaires.

Jusqu'en 1882, il ne s'est pas aperçu que ses muscles aient diminué de

volume; à cette époque, il entra à l'hôpital Laënnec, dans le service de

M. Damaschino, pour une ulcération de la cheville droite dont il n'existe

actuellement aucune trace. Dès cette époque, M. Damaschino l'ayant exa-

miné avec soin, s'aperçut que les muscles de l'éminence thénar du côté

droit étaient moins volumineux que ceux de la main gauche; il diagnos-

tiqua une atrophie musculaire progressive. H... resta deux mois à l'hôpi-

tal et put continuer pendant quelque temps son travail de dessinateur.

Mais l'atrophie s'étendit rapidement aux muscles du membre inférieur

droit, puis aux muscles gauches, de sorte qu'il fut obligé de rentrer à

Laënnec où il resta un an. Il passa également un an à l'hôpital Tenon,

dans le service de M. Landouzy. L'atrophie, après avoir envahi un certain

nombre de groupes musculaires, resta stationnaire. Le malade put conti-

nuer son métier jusqu'en 1890, époque il laquelle il entra à l'hospice de

Bicétre; il pouvait marcher en se servant de chaussures orthopédiques

faites spécialement.

État actuel, le 26 mai 1896. Il existe des secousses légères dans les

quatre membres, survenant à intervalles irréguliers et durant dix à quinze

secondes : ces secousses sont beaucoup plus m arquées au membre inférieur

du côté gauche.

Membre supérieur droit. Atrophie très marquée des muscles des émi-

nences thénar et hypothénar et des muscles interosseux. L'adducteur du

pouce a complètement disparu. Aux doigts, la phalangette est en extension,

tandis que les deuxièmes phalanges sont fléchies sur la première, les ten-

dons fléchisseurs font saillie à la paume de la main qui, dans son ensem-

ble, présente une déformation en griffe.

À l'avant-bras, les muscles sont très atrophiés, les fléchisseurs comme

les extenseurs ; mais cette atrophie est surtout marquée au niveau de la

moitié inférieure, faisant ainsi contraste avec la moitié supérieure. Le

long supinateur en dehors, les palmaires et le cubital antérieur à la partie

interne font encore une saillie assez marquée.

Les tendons fléchissent, au niveau du tiers inférieur de l'avant-bras,

par suite de leur contraction, les extenseurs étant paralysés, sans cepen-

208 PAUL SAINTON

dant fléchir la main sur l'avant-bras. Le bras est amaigri, les muscles font

une saillie très nette, mais ils ne semblent pas atteints. Le deltoïde, les

pectoraux, les sus et sous-épineux sont normaux.

Membre inférieur droit. - Les muscles de la région antéro-externe et

postérieurs sont un peu atrophiés, seuls les adducteurs, le demi-membra-

neux, le demi-tendineux sont bien conservés. A la jambe, l'atrophie atteint

tous les muscles. Le membre inférieur droit est dans une position spé-

ciale; la cuisse est en adduction, légèrement fléchie sur lebassin, la jambe

et le pied sont projetés en dehors, fléchis sur la cuisse sous un angle de

120° ; le pied en adduction et en varus équin forme un angle plus que

droit avec la jambe, l'extrémité inférieure des os de la jambe, par suite

de cette position du pied, fait une saillie et ils ne sont plus en contact in-

time avec la surface articulaire des os du pied (astragale et scaphoïde) qui

semblent être luxés.

Membre supérieur gauche. L'examen des membres de ce côté présente

un intérêt moins grand que du côté droit, parce que le malade présente

une hémiplégie gauche légère pour laquelle entre à l'infirmerie. L'aspect

du membre supérieur droit est comparable à celui du côté gauche.

Membre inférieur gauche. - L'atrophie y est moins marquée que du

côté droit. Le membre inférieur présente également une position parti-

culière. La cuisse est en abduction légèrement fléchie sur le bassin, la

jambe et le pied sont rejetés en dedans, le pied en varus équin forme un

angle obtus avec la jambe, les extrémités inférieures du tibia et du péro-

né font saillie et ne sont plus en contact avec les facettes articulaires des

os du pied.

Etat de la motilité. - La résistance à la flexion des phalanges sur la

main et de celle-ci sur l'avant-bras est très diminuée, la résistance à l'ex-

tension de ces deux segments est relativement conservée.

La résistance à la flexion de l'avant-bras droit sur le bras est diminuée,

la résistance à l'extension est conservée. Les mouvements d'écartement et

de rapprochement du bras du tronc sont assez bien consenés.

L'examen de la moitié des membres inférieurs n'a pu être fait à gauche

il cause de l'hémiplégie, au membre inférieur droit, par suite d'une eschare

sacrée et des douleurs qu'accuse II... aussitôt qu'on imprime le moindre

mouvement à ses membres inférieurs.

Tels sont les renseignements que nous avons pu recueillir sur ce ma-

lade ; il a été examiné par M. Marie qui porta le diagnostic du type d'atro-

phie qu'il a décrit avec Charcot. Si cette observation n'est pas plus délai liée,

cela tient à l'état psychique du malade. Il est bizarre, fantasque, d'un

caractère difficile, insupportable, il se refusa toujours à toute investigation

et fallut qu'une hémiplégie le frappât pour qu'on pût procéder à un

DE L'A1111OTROPllIE CllA1rC01'-lIAlIIE 209

examen succinct. Il ne tarda pas à succomber à cetle hémiplégie au bout

de six semaines.

Autopsie. Elle fut pratiquée vingt-quatre heures après la mort.

Examen du GEMEAU. Extérieurement, celui-ci ne présente rien d'a-

normal.

Sur une coupe perpendiculaire à l'axe des pédoncules passant à 2 cen-

timètres au-dessus de la coupe d'élection, coupe faite immédiatement au-

dessus du chiasma, on aperçoit, dans l'hémisphère gauche, des lacunes de

la grosseur d'un grain de millet qui siègent dans la substance blanche, au

niveau de la circonvolution frontale ascendante.

Dans l'hémisphère droit, on constate l'existence d'un petit foyer hé-

morrbagique ancien, devenu absolument linéaire, dont la longueur dans

le sens antéro-postérieur est de 15 millimètres. Il siège dans la zone la

plus externe du noyau lenticulaire, au niveau de l'extrémité supérieure

de celui-ci, il coupe un peu la partie la plus externe du segment antérieur

de la capsule interne.

MOELLE.- L'examen de la moelle a été pratiqué par plusieurs métho-

des.

1° Méthode de Nissl pour l'examen de la substance grise et des cellules

nerveuses.

2° Méthode de Marchi.. : 3° Méthodes de Weigert et de Pal .

Voici les principaux résultats de cet examen :

1" Méthode de Nissl. Altérations cellulaires (1). - Pour les étudier,

nous avons eu recours à la méthode de Nissl (formol, alcool, alcool absolu,

coloration au bleu de méthylène, différenciation dans alcool absolu et es-

sence de girofle, montage dans le baume).

Au point de vue topographique, les lésions sont plus avancées à mesure

qu'on se rapproche de la région cervicale inférieure ; à la région lombaire,

elles sont moins accusées dans le segment supérieur que dans le segment

inférieur et dans la région sacrée.

D'une façon générale, les lésions se réduisent à l'atrophie simple de tou-

tes les parties constituantes de la cellule.

Sur une coupe de la moelle cervicale inférieure (entre la 8e racine cer-

vicale et la' 1re dorsale), on est frappé de la diminution de volume très

prononcée des cellules de ce groupe postéro-latéral. Quelques cellules

gardent encore quelques prolongements; d'autres en sont complètement

dépourvues.

(1) Nous tenons à remercier M. Marinesco de l'obligeance avec laquelle il nous a

assisté dans cet examen.

xi 1;;

210 PAUL SAINTON

Si, à un plus fort grossissement, on veut analyser les modifications du

cytoplasme, on s'aperçoit qu'aux modifications du volume des cellules al-

térées correspondent des altérations fines de la cellule.

Dans les cellules les mieux conservées, les éléments chromatopliiles sont

raréfiés et quelques-uns de ceux-ci sont changés de forme et de volume.

Le noyau et le nucléole sont beaucoup moins atteints.

Dans les cellules très atrophiées, les altérations sont considérables. Les

cellules sans prolongements se présentent habituellement sous forme de

corps arrondis, contenant dans leur cytoplasme bien peu d'éléments chro-

matophiles; ces éléments eux-mêmes sont atrophiés et arrondis. Il existe,

de plus, dans ces cellules, des masses jaunâtres composées par des granu-

lations ou des gouttelettes ; ces masses ont été considérées par des auteurs

comme du pigment. Pour Marinesco, ces masses proviennent de la trans-

formation lente et progressive de la substance chromatique du proloplas-

ma. Quant au noyau et au nucléole, ilsiont atrophiés dans ces cellules très

altérées ; ils manquent parfois complètement. La substance' fondamentale

de quelques cellules atrophiées est légèrement teintée en bleu par la mé-

thode de Nissl.

1° Méthode DE MARC ! ) ! . L'examen des coupes colorées par la méthode

de Marchi (acide osmique, Mutter) révèle la présence de corps granuleux

très nets et très abondants dans le faisceau pyramidal croisé du côlé droit

et dans le faisceau pyramidal du côlé droit II existe quelques granulations

dans le faisceau pyramidal croisé du côté droit et dans le faisceau pyra-

midal direct du côté gauche.

Au niveau des cordons postérieurs, même dans les parties sclérosées, il

n'existe aucun corps granuleux. Il en est de même dans les racines posté-

rieures.

3° Méthode de WEIGEIIT et de PAL. - Région cervicale supérieure.

Coupe entre la V0 et 2e cervicale. On est frappé à un simple examen

des altérations étendues qui existent dans les cordons postérieurs. La

sclérose a envahi les cordons de Goll et de Burdach. Elle prédomine au

niveau des cordons de Burdach. Cette sclérose n'atteint pas la commissure

postérieure, elle en est séparée par une bande de fibres saines. De même

la région voisine des racines est respectée. A la partie postérieure des cor-

dons de Burdach se trouve une zone de fibres normales correspondant à

la bandelette externe (PI. XXIX, fig. N et PI. XXX, fig. 0,P).

- Les racines postérieures sont intactes.

Outre les cordons postérieurs, les cordons antéro-latéraux présentent

quelques lésions; mais celles-ci sont beaucoup moins profondes que celles

des cordons postérieurs. Il y a une très légère dégénération des faisceaux

pyramidaux directs et des deux faisceaux pyramidaux croisés. Celle-ci

Nouv. Iconographie DE la Sai.pêtrièkl.

r. XII. PI. XXVIII

AMYOTROPHIE CHARCOT MARIE

(1'. S.1Ïntoll)

I. - Coupe au niveau de la l'" dorsale.

K. - Coupe au niveau de la 1 rc lombaire.

M ASSO N & Cie. Editeurs..

de L'AMYOTROPHIE CHARCOT-MARIE 211

n'est plus marquée dans le faisceau pyramidal croisé du côté droit. Les

racines postérieures sont intactes. Sur des coupes faites entre la Ille et la

IV' cervicale et au niveau de la cinquième cervicale, les lésions sont les

mêmes (PI. XXIX, fig. L).

Région cervicale inférieure. Coupe entre la cinquième et la sixième

cervicale (Pl. XXIX, fig. M).

Dans les cordons postérieurs il existe toujours de la dégénération des

cordons de Goll et de Burdach, mais prédominant d'une façon très nette.

La conservation du triangle cornu marginal tranche très vivement sur les

parties dégénérées.

Les faisceaux pyramidaux directs présentent des lésions à peine appré-

ciables. La diminution des fibres dans les faisceaux pyramidaux croisés est

toujours des plus nettes, mais la dégénération est peu intense et étendue

en surface.

Les racines postérieures paraissent un peu atteintes, le nombre des fibres

y est certainement inférieur à la normale. -

Dans la substance grise, te réseau des fibrilles nerveuses, qui jusqu'alors

était très bien conservé dans toute la substance grise, éprouve une raréfac-

tion notable au niveau du col des cornes postérieures.

Sur une coupe au niveau de la 7° cervicale on retrouve les mêmes lé-

sions, la conservation du triangle cornu marginal est un peu moins com-

plète que dans les coupes précédentes.

Entre la VIIe et la VIIIe cervicale, on retrouve encore les mêmes lésions,

la conservation du triangle cornu marginal parait à peu près complète.

Les lésions des racines postérieures paraissent beaucoup moins marquées

que dans les coupes de l'étage précédent.

Région dorsale supérieure. - Sur une coupe entre la première et la

deuxième dorsale, on retrouve a peu près les mêmes lésions (PI. XXVIII,

lig. I).

Les cordons de Burdach sont profondément altérés et sur la coupe, la

teinte claire qu'ils présentent forme un contraste frappant avec la colora-

tion des autres cordons. La dégénération se présente sous la forme d'une

bande en forme de virgule, très allongée. La partie antérieure est séparée

de la commissure grise par une bande de tissu sain, séparée en arrière de

la périphérie par la zone cornu-commissurale. Les cordons de Goll sont

altérés, mais beaucoup moins que les cordons de Burdach, le nombre de

fibres colorées est beaucoup plus intense que dans ce dernier. Les faisceaux

pyramidaux croisés présentent une très légère dégénération.

Sur une coupe pratiquée au niveau de la 3e dorsale, les altérations ne

sont pas sensiblement différentes de celles que présente la coupe précé-

dente.

212 PAUL SAINTON

Sur une coupe passant par la région dorsale inférieure, la lésion des

cordons postérieurs est toujours marquée ; la région la plus atteinte cor-

respond aux cordons de Burdach, elle est constituée par une longue bande

atteignant en dehors les racines postérieures, séparée de la périphérie de

la moelle par une zone de fibres saines. Les colonnes de Clarke présentent

des altérations notables : les cellules sont intactes, mais le réseau des fibres

est nettement dégénéré.

Région lombail'e.- Coupe passant par la première lombaire (PL XXVIII,

fig. K).

La localisation des lésions est la suivante : Le maximum des altérations

correspond toujours aux cordons de Burdach : la dégénération est très

marquée a leur niveau ; elle est moins intense dans les cordons de Goll.

La zone voisine des racines est intacte. Enfin les zones de Lissauer sont

peut-être un peu touchées.

Les fibres des racines postérieures sont un peu diminuées de nombre ;

mais leur atteinte est en somme très modérée.

Ces lésions rappellent les lésions du tabes incipiens.. '.

Sur une coupe au niveau de la troisième lombaire les lésions sont les

mêmes : il est inutile de les décrire en détail : ce serait répéter ce qui a

été dit pour la coupe précédente.

Ganglions SPINAUX. - Nous avons pu pratiquer l'examen du onzième

ganglion spinal du côté droit. La coloration en a été faite par l'aniline

bleue black, la nigrosine, le picro-carmin.

Il n'existe pas d'altérations notables du tissu conjonctif péricellulaire.

La capsule ne semble point épaissie. Parmi les cellules, les unes se co-

lorent bien par les réactifs, sont de volume normal ; leur noyau, leur nu-

cléole sont bien visibles ; ce sont en général les cellules les plus petites.

Elles sont la plupart infiltrées de pigment formant des amas jaunâtres,

tantôt déposés en croissant autour du noyau, tantôt l'entourant d'un cercle,

tantôt réunis en un point quelconque de la cellule.

Les autres ne remplissent pas la capsule dont les cellules semblent aug-

mentées de volume ; elles se colorent mal par les réactifs, soit picro-carmin,

soit couleur d'aniline ; leur protoplasma ne parait pas présenter de gra-

nulations soit pigmentaires, soit d'autre nature. Elles semblent atrophiées

ou en voie d'atrophie.

Nkhks. Les nerfs périphériques au point de vue macroscopique pré-

sentent leur volume normal : aucun d'eux n'est le siège d'une augmenta-

tion de volume. Le sympathique cervical est plus petit que normalement.

Les altérations des nerfs périphériques sont beaucoup moins accentuées

que l'on pourrait s'y attendre.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XII. PI. XXIX

AMYOTROPHIE CHARCOT MARIE

(P. Sainton)

1-. - Coupe au niveau de la : 1e cervicale.

M. - Coupe au niveau de la (je cervicale.

V. - Partie supérieure de la moelle cervicale.

DE L'AMYOTROPHIE CHARCOT-MARIE 213

Aux membres inférieurs, les nerfs examinés ont été : le nerf cutané pé-

ronier, le tibial postérieur, le sciatique.

Le nerf péronier présente quelques altérations comme le montre la

figure 1 ; les fibres nerveuses altérées sont en petit nombre, mais il existe

un épaississement marqué delà gaine lamelleuse avec sclérose interfasci-

culaire notable. En certains endroits les cellules adipeuses au milieu de ce

tissu conjonctif sont assez nombreuses.

Le nerf tibial postérieur est moins atteint : les fibres nerveuses sont

normales ; il existe un peu d'augmentation du tissu interstitiel avec un

épaississement léger de la gaine lamelleuse.

Le nerf sciatique peut être considéré comme sain, ainsi que le nerf

crural.

Au membre supérieur, les altérations des nerfs sont encore moins in-

tenses qu'aux membres inférieurs : le médian et le cubital ont été exami-

nés.

Sur le nerf cubital, on constate un épaississement de la gaine lamelleuse,

un développement peu anormal du tissu interstitiel.

Le nombre des fibres nerveuses est à peu près normal : quelques-unes

ne sont point colorées, mais elles constituent l'exception.

. Le nerf médian .présente des altérations très légères ; les fibres sont en

nombre normal. La sclérose péri ou interfasciculaire existe à peine.

Muscles. - Aspect macroscopique. Les muscles de la région postérieure

et de la région antérieure delà cuisse ont une coloration presque normale.

La partie inférieure du couturier gauche est pâle, tandis que la partie su-

périeure est intacte.

Le grand adducteur est un peu pâle. ,

Les muscles antéro-externes de la jambe droite sont de couleur vieille

cire, les muscles jumeaux de la jambe sont constitués par de simples

amas de graisse, tandis que ceux de la jambe droite sont un peu charnus.

Les interosseux ainsi que les muscles du pied ont complètement disparu.

Les muscles du bras sont d'aspect normal ; le deltoïde, le grand pecto-

ral, les muscles de l'épaule ne paraissent point altérés.

Les muscles de l'avant-bras sont diminués de volume, mais ils ne me

paraissent pas très atteints; les petits muscles de la main, au contraire,

ont complètement disparu.

Aspect microscopique Les muscles ont été étudiés sur des coupes, soit

longitudinales, soit transversales. Les méthodes de coloration employées

ont été le picro-carmin, J'hématoxyline,l'hématoxyline-éosine et pour les

nerfs intra-musculaires, la méthode de Weigert.

Les muscles du membre supérieur qui ont été examinés sont : l'exten-

seur du pouce droit, les muscles de l'éminence thénar.

214 PAUL SAINTON

Extenseur dit pouce droit. - Sur une coupe transversale celui-ci paraît

peu atteint. Cependant un certain nombre de faisceaux musculaires sont

atrophiés, ces fibres en voie d'atrophie se trouvent à côté de fibres absolu-

ment saines : le tissu interfasciculaire est certainement augmenté. Les

artères présentent des altérations : il existe autour d'elles une véritable

prolifération du tissu conjonctif, il y de la périartérite. Les nerfs intra-

musculaires ne montrent d'autres lésions qu'une légère hypertrophie de

la gaine lamelleuse; si quelques fibres ont disparu, le plus grand nombre

paraît normal. 1

La striation des fibres musculaires est conservée, il n'y a pas d'altéra-

tions des noyaux.

Muscles de l'éminence thénar. Les lésions sont très profondes et très

étendues, sur des coupes transversales on aperçoit de très rares faisceaux

musculaires noyés au milieu d'un tissu scléreux très ancien; ces ilots

musculaires se colorent mal par le picro-carmin. Au milieu du tissu con-

jonctif, qui a pris la place occupée du muscle, on trouve des amas consi-

dérables de tissu adipeux. Sur des coupes colorées par la méthode Weigert,

les nerfs intra-musculaires apparaissent avec la plus grande netteté. Ils

ont conservé un assez grand nombre de fibres : leur gaine lamelleuse est un

peu épaissie. Il y a une sclérose périarfériefteetpériveineuse très intense.

Au membre inférieur, les muscles examinés sont le biceps crural droit,

le couturier, les jumeaux, les muscles de la région antéro-exteme du

même côté.

Muscle biceps crural. Ce muscle présente peu de lésions des faisceaux :

atrophie de certains faisceaux musculaires, conservation du plus grand

nombre. Il y a surtout une prolifération du tissu cellulaire avec augmen-

tation notable du nombre de noyaux entre chaque fihre avec inliltration

de quelques cellules adipeuses, partout la striation est conservée. Cette

augmentation du nombre des noyaux du tissu conjonctif est des plus

nettes.

Muscle couturier droit. Les lésions se montrent à un degré plus

accentué; le nombre de faisceaux musculaires intacts est encore grand

proportionnellement à celui des faisceaux atteints. Le nombre des fais-

ceaux atrophiés est beaucoup plus considérable que dans le muscle pré-

cédent. Certains se colorentmal parle picro-carmin et présentent un aspect

légèrement granuleux ; cependant la striation est en général conservée.

Mais ici les lésions sont extrêmement diffuses, tous les faisceaux sont pris,

en ce sens que dans chaque faisceau il existe des fibres atteintes à côté de

fibres restées saines. Les faisceaux sont déjà envahis par des cellules adi-

NoUV. ! cO ! <OGRAfmh ! )ELASAtPÊTRIÈKE.

l'. XII. PI. XXX

AMYOTROPHIE CHARCOT MARIE

(P. Sainton)

O. - Coupe au niveau de la partie inférieure du bulbe.

P. Au-dessus de la précédente.

MASSON & Cle, EJltt'urs.

DE L'AMYOTROPHIE CHARCOT-MARIE 215

peuses. Les nerfs présentent un épaississement très marqué des gaines

lamelleuses ; il semble y avoir peu d'altération des fibres.

Muscles jumeaux. - Les fibres musculaires intactes sont en très petit

nombre : sur une coupe transversale on voit de grands espaces dans les-

quels il n'existe plus trace du tissu musculaire et qui sont occupés par du

tissu adipeux, au milieu duquel se trouvent quelques ilots conjonctifs des

nerfs et des vaisseaux. Dans le segment où se trouvent encore quelques

fibres musculaires, celles-ci sont diminuées de volume, mais elles se colo-

rent encore bien parles réactifs. Il existe un très grand nombre de noyaux

entourant ces fibres en voie d'atrophie. Les vaisseaux sont épaissis, entou-

rés d'un cercle de tissu conjonctif très développé ; les autres présentent de

l'endartérite. Les lésions des nerfs intramusculaires sont inégales : les uns

ont conservé leurs fibres ; les autres au contraire paraissent dégénérés.

Muscles de la région antp1'o-exteJ'/le de la jambe gauche. - Sur des coupes

transversales, les lésions sont absolument les mêmes que celles que nous

venons de décrire pour les muscles jumeaux, mais elles sont plus accen-

tuées. Un point important reste à signaler, c'est que la striation des fibres

a il peu près disparu.

En résumé, les lésions que nous avons rencontrées sont :

1° Des altérations de la moelle : .'

a) Sclérose des cordons postérieurs prédominante dans le cordon de

Burdach.

b) Une dégénération légère des faisceaux pyramidaux des deux côtés.

c) Des altérations de la colonne de Clarke.

d) Des lésions cellulaires des cornes antérieures consistant en atrophie

de la cellule.

2° Des altérations des nerfs périphériques : .'

a) Dégénération des libres nerveuses des nerfs intra-mnsculaires, peu

considérable. -

b) Lésions des troncs nerveux de l'avant-bras et de la jambe consistant

en sclérose légère, bien nette seulement sur le nerf péronier.

c) Les gros troncs nerveux, tels que le sciatique, sont normaux. : 3° Des lésions musculaires consistant en : atrophie des fibres muscu-

laires, inégale clans les mêmes muscles, pouvant aller jusqu'à la dispari-

tion complète des fibres et à leur remplacement par du tissu conjonclivo-

adipeux.

(A suivre.)

' HOSPICE DE LA Salpêtrière

SERVICE DE M. LE Der PAUL SECOND

Observation

Catherine C., veuve, âgée de h 7 ans, marchande de vin, entre le 10 avril

1899 dans le service du Dr Paul Segond, à la Salpêtrière. Elle occupe les

lits 32 et 34 de la petite salle. ,

Antécédents héréditaires et collatéraux : .

Père mort en 1881 il l'âge de 61 ans d'une grosse hernie ombilicale

étranglée opérée tardivement à Lariboisière. Il pesait 210 ki[ogs, avait

toujours été obèse, mais ne présentait aucune anomalie ni déformation.

Mère morte en 1884 à t'age de 62 ans d'une maladie de coeur n. Elle,

pesait 180 livres et n'était ni grosse ni déformée. Elle a présenté pendant

les dix années qui ont précédé sa mort des vomissements de sang, cela

régulièrement tous les trois mois.

Une soeur aînée morte phtisique à 26 ans, laissant des enfants bien por-

tants. Elle n'avait pas d'embonpoint anormal.

Un frère plus jeune, mort il 19 ans, tuberculeux pulmonaire très pro-

bablement. Taille normale.

Histoire DE la malade.

La malade est née aux Tllermes, près de Saint-Fioul' (Cantal). Elle est

venue il terme, a dû marcher il l'époque normale.

A l'âge de il ans elle a suivi sa famille à Paris. ,

. 4 't'âgede 12 ans, elle quitte l'école pour aider au commerce de ses

parents qui tenaient un petit établissement de vins.

De 12 ans à 16 ans elle a vécu dans ce cabaret privé d'air etde lumière.

Quoique très forte elle était bien constituée et agile comme ses camarades.

(1) L'observation et les photographies de cette surprenante monstruosité, ont été

communiquées par M. le Dr PAUL SEGO¡>i11 à la Société de Chirurgie, le 24 mai 1899.

LIPOMATOSE MONSTRUEUSE

PRINCIPALEMENT LOCALISÉE A LA PARTIE SOUS-DIAPIIRAGMATIQUE

DU CORPS (1)

PAIt n

ET

BONNEAU

Externe des hôpitaux

DARTIGUES

Interne des hôpitaux

LIPOMATOSE monstrueuse 217

Réglée et 1'2 ans régulièrement, chaque époque menstruelle durant 8 jours

et assez abondante.

A 15 ans, à la suite d'un bain de pieds froid pris pendant les règles,

celles-ci ont cessé pendant 11 mois pendant lesquels la malade ne se

plaignait que de quelques vertiges.

A 16 ans, les règles- sont revenues, mais très irrégulières, paraissant

4 il 5 fois par an, chaque pél'iode menstruelle durant 8 jours et sans caillots.

A 16 ans et li. mois, la malade se marie. Elle pèse alors 180 livres.

A 24 ans, avant sa première grossesse, elle pesait 220 livres.

A 24 ans donc première grossesse absolument normale.

Accouchement à terme d'une belle fille bien conformée qui vit actuel-

lement, pèse 150 livres et n'est aucunement difforme.

A 25 6MM, deuxième grossesse normale. Accouchement à terme d'un

gros garçon bien conformé qui vit actuellement. C'était il y a 3 ans le

plus gros conscrit de France : il pesait 300 livres, avait 1 mètre 50 de

tour de taille, et une hauteur de 1 mètre 74. -

Vers les derniers mois de celle grossesse, apparition d'une hernie ombili-

cale. Cette hernie s'est étranglée une fois, mais la malade a pu la réduire.

Plus tard, s'est développé un abcès de la paroi abdominale au-dessous de

la hernie; il a guéri après incision.

C'est à partir de la deuxième grossesse que l'embonpoint a augmenté

progressivement et régulièrement tout en respectant la figure. .

Il y a ;; ails la malade pesait 555 kilogs. Actuellement elle ne pèse plus

que 180 kilogs.

Etat général excellent : pas de troubles de la miction, ni de la déféca-

tion, pas de troubles cardiaques, pas de gène à la respiration... La marche

est difficile; la station debout nécessite un point d'appui; quand elle est

prolongée les jambes et les masses saillantes des cuisses, augmentent de vo-

lume. Au lit, elles diminuent et les urines deviennent plus abondantes.

Nous ne nous étendrons pas en longs détails sur l'aspect général de la

malade et les particularités dél'ormatives dues à ses masses lipomateuses.

Les photographies qui accompagnent cette note en disent plus long et

mieux que toute description (PI. XXXI il XXXIV).

L'observation que nous donnons est curieuse à plusieurs points de vue.

D'abord, au point de vue des renseignements recueillis sur l'hérédité

soit ascendante, soit descendante. C'est ainsi que la malade est issue d'un

père obèse, adipeux et pesant un poids considérable, et elle donne nais-

sance à un enfant qui est lors du conseil de révision le plus gros conscrit

de France. Et'chose curieuse, elle est née d'une mère qui étant fortement

218 DARTIGUES ET BONNEAU

constituée ne pèse pas d'une façon anormale et n'est pas adipeuse, et elle-

même donne naissance à une fille qui n'est ni difforme ni obèse. Il est à

remarquer aussi que le père de cette femme est mort d'une hernie étran-

glée et qu'elle-même a présenté une hernie étranglée qui ne nécessita

d'ailleurs pas d'opération.

L'influence de l'hérédité, du côté paternel, est donc tout à fait mani-

feste, et s'il est permis de penser que certaines conditions d'hygiène et

d'aération qui ont manqué à cette femme, ayant vécu une partie de son

adolescence dans un réduit obscur et confiné, ainsi que sa dernière gros-

sesse, ont pu influer sur le développement anormal et débordant de son

tissu adipeux, il est certain qu'il faut mettre en cause surtout l'hérédité

et nous remarquons que cette malade a réalisé un type plus accentué, al-

lant jusqu'à la déformation, de l'hypertrophie du système cellulo-adipeux.

Il est à noter que cette hypertrophie énorme a respecté la face et la

partie supérieure du tronc. Et à part deux masses lipomateuses appendues

à la racine des bras, c'est surtout aux dépens de la partie sous-diaphrag-

matique du corps qu'elle s'est constituée.

Malgré la présence des masses graisseuses autour de l'anus et de la

vulve, masses tellement développées qu'elles empêchaient de voir ces or-

ganes, même les cuisses étant écartées, la malade peut effectuer ses diver-

ses fonctions de défécation et de miction, et elle arrive à s'entretenir d'une

façon convenable. Disons en passant, qu'un audacieux coït, même si la

malade s'y prêtait, serait absolument impossible.

Nous n'avons relevé aucun trouble delà sensibilité ou niveau des mem-

bres inférieurs qui présentent un aspect éléphantiasique. Mais n'oublions

pas qu'il s'agit d'un cas de lipomatose et non d'un éléphantiasis véritable.

Celle malade a été vue jadis par Péan qui lui proposa l'ablation de

quelques masses adipeuses, les plus gênantes, mais elle-s'y refusa.

Notre maître, M. Segond, cette malade ne souffrant pas, se trouvant

suffisamment heureuse dans sa plénitude adipeuse, et ayant d'ailleurs

augmenté de volume et de poids depuis l'époque où elle fut vue par Péan,

ne jugea pas, avec raison, utile d'inlervenir d'une façon quelconque ni de

tenter l'exérèse de quelques-unes de ces masses, voire même la cure de la

hernie ombilicale.

HÉRÉDITÉ SYPHILITIQUE A TRÈS LONG TERME (1)

PAR

Le D PAUL DE MOLÈNES.

Il est peu de questions plus passionnantes que celle de l'hérédité sy-

philitique : les nombreux problèmes qu'elle soulève tant au point de vue

médical que social ont donné lieu, dans ces dernières années, à des dis-

cussions, à des interprétations et à des controverses toujours fort intéres-

santes il est vrai, mais combien d'entre eux sont encore loin d'être résolus !

Si décourageant que soit cet aveu, il faut bien dire que plus la question

est étudiée, plus fréquents sont les cas observés, plus rigoureuse est l'ob-

servation de chacun des cas soumis à l'étude, plus grandes apparaissent

les lacunes. En vain les auteurs qui se sont particulièrement intéressés à

cette question ont voulu établir des lois destinées à la rendre plus acces-

sible, à chaque instant le clinicien observe des faits qui semblent les in-

firmer et qui déroutent.

L'observation que j'apporte aujourd'hui a trait à quelques points les

plus importants de l'hérédité syphilitique, à savoir ce que l'on a désigné

sous le nom d'Hérédité syphilitique et très long terme, l'Hérédité mater-

nelle et enfin l'IIéréd ité d'imprégnation ou par influence. '

Rappelons d'abord ce que l'ona appelé la loi deKassowitz ou deW.Boeck,

ou loi de l'affaiblissement graduel, spontané de 'l'Hérédité syphilitique.

D'après Boeck et nombre d'auteurs, les manifestations de la syphilis hé-

réditaire sont d'autant moins accusées que la syphilis des parents est de

date plus ancienne, et le dernier né d'une mère ayant eu déjà plusieurs

enfants syphilitiques peut présenter des symptômes syphilitiques si peu

saillants qu'ils n'attirent même pas l'attention, ou, comme le dit Kasso-

witz, il peut naître un enfant très faiblement affecté. Le professeur Four-

nier, dans ses leçons si remarquables sur l'hérédité syphilitique (2) a for-

mulé les trois propositions suivantes :

1° L'influence hérédo-syphilitique qui s'exerce d'une façon très inégale

aux divers âges de la maladie comporte un maximum considérable, énorme,

qui correspond aux trois premières années de l'infection ;

(1) Communication a la Société médico-chirurgicale de Paris, 10 avril 1S99.

(2) P A. Fournie», L'hérédité syphilitique. Leçons recueillies par le Dr P. Pontar-

lier, Paris, 1891, page 103.

220 PAUL DE MOLÈNES ' 1

2° Le maximum répond au plus jeune âge de la diathèse, c'est-à-dire

approximativement à sa première année :

3° Au delà des trois premières années de la maladie la décroissance de

l'influence héréditaire se continue encore les années suivantes, mais d'une

façon infiniment moins marquée. »

Mais il se hâte d'ajouter (1) que « même dans ses étapes avancées, la

syphilis peut conserver encore son levain de transmission héréditaire, et

il signale des observations personnelles ainsi que d'llutchinson, Thomp-

son Forster, Ilénocb, Barthélémy, l31bemout-Dessaines, etc., où elle s'est

exercée vers la 8e, la 1 ? voire la 15° et peut-être plus tard vers la 17e,

la ISe et jusqu'à la 20 année de l'infection « limite extrême qui jusqu'à

ce jour ne paraît pas avoir été dépassée ». C'est ce qu'il désigne sous le

nom d'hérédité syphilitique à long terme.

L'influence atténuante exercée par le temps n'est donc pas absolue, et

il est impossible actuellement d'établir des règles fixes relatives à la durée

de la transmissibilité de la syphilis aussi bien d'ailleurs que de la conta-

giosité de la syphilis acquise, ce qu'llomolle (2) avait constaté quand il

déclare qu'il est des cas où les effets de l'hérédité, bien loin de s'atténuer

progressivement, se montrent au contraire plus graves chez les enfants

qui naissent à une période avancée de la syphilis de leurs parents que chez

les premiers nés.

On sait, en outre, que différents auteurs ont pensé que la syphilis pou-

vait se transmettre à la deuxième génération. S'il en est ainsi,- et je serais

très porté à l'admettre, une observation personnelle récente me confirmant

dans cette opinion encore fort discutée, - si un sujet atteint de syphilis

héréditaire est tellement imprégné du poison spécifique qu'il peut encore

le transmettre à une nouvelle génération, on est bien forcé de reconnaître

que ce poison, dans quelques cas heureusement rares, résiste à l'action du

temps. D'ailleurs, trop souvent nous voyons combien la syphilis aussi

bien dans ses manifestations que dans sa transmissibilité est capricieuse

et inégale ; bonne et bénigne pour les uns, cruelle et néfaste pour les

autres; je dirai même injuste, car l'influence favorable du traitement lui-

même, qui devrait être absolue, ne l'est pas toujours. Je ne veux avoir en

vue présentement que la question cle l'hérédité syphilitique. Si découra-

eantque soit encore cet aveu, il est des cas où, malgré le traitement, la

transmissibilité héréditaire persiste, et même quelquefois des syphilis en

apparence légères et traitées médiocrement provoquent des méfaits ter-.

ribles. Le D'' Landouzy et Tarassé\\'iLch (3) déclarent que les sypliilis

(1) Loc. cilal., p. 109 et suivantes.

(2) Ilonot.e, Article Syphilis. Dictionnaire de médecine et de chirurgie prat., p. G.93.

(3) TAIIASSÉ\VJ'1'CII. Contagiosité syphilitique tardive, thèse de Paris, 1897.

HÉRÉDITÉ SYPHILITIQUE A TRÈS LONG TERME 221 1

bénignes, mais avec tendance aux récidives fréquentes, sont celles qui

restent le plus longtemps virulentes et peuvent donner naissance a des

syphilis graves : la syphilis gagne rail en durée ce qu'elle a paru ne pas

avoir en gravité : ces considérations relatives aux symptômes de la syphilis

s'appliquent également à la transmissibilité cle la maladie. lI<\tons-nous

d'ajouter qu'il n'en convient pas moins d'instituer toujours un traitement

énergique il tous les syphilitiques, quelle que soit l'intensité apparente du

mal, et que peut-être les cas malheureux que nous venons de signaler

provenaient de ce que les sujets avaient été traités avec trop de modéra-

tion ; il faut espérer qu'ils seront beaucoup plus rares aujourd'hui que la

syphilis est encore mieux étudiée et connue, et surtout plus énergique-

ment attaquée par les méthodes nouvelles.

J'ajouterai une dernière considération qui m'est suggérée par l'ohserva-

tion que je vais vous soumettre.

Pour bien mettre au point un cas Syphilitique, il est très important,

quand c'est possible, de tenir compte de tous les enfants; car en exami-

nant tout leur dossier pathologique, dont certaines pièces étaient jusqu'a-

lors demeurées indéchiffrables, surgitparfois un document symptomatique

qui, brusquement, éclaire d'une lumière vive les points obscurs, permet

de reconstituer toute la filiation et d'instituer un traitement rationnel. On

sait combien les affections du système nerveux, et particulièrement la

méningite et les convulsions souvent mortelles sont fréquentes dans la

première enfance. Leur pathogénie fréquemment inexpliquée est parfois

élucidée par leur apparition chez plusieurs enfants d'une même famille

dont l'un présente à un moment donné un stigmate d'hérédo-syphilis dé-

nonciateur.

Plusieurs auteurs, d'ailleurs, ont signalé la fréquence de ces affections

nerveuses survenant chez les enfants issus d'ascendants syphilitiques.

Notre malade a eu sur 8 grossesses sept enfants morts de méningite et

de convulsions.

Enfin, s'il est prouvé qu'un père peut transmettre héréditairement la

syphilis à son enfant, il n'en est pas moins vrai que les cas d'hérédité ma-

ternelle pure, c'est-à-dire sans hérédité paternelle, sont relativement très

rares, puisque le Professeur Fournier, dans son livre, n'en présente que

13 observations personnelles, insistant avec raison sur la difficulté très

grande de réunir des pièces à conviction exemptes de tout reproche. Il faut ,

en effet, compter avec ce que l'on a désigné sous le nom d'hérédité d'im-

prégnation ou par influence, ou hérédité ovarienne, et notre observation,

ainsi qu'il est facile de s'en rendre compte est, sur ce point très délicat,

sujette à contestation et à discussion : elle n'en est pour cela même que

plus intéressante.

222 ' PAUL DE MOLÈNES

OBSERVATION.

Madame X., âgée de 44 ans, se présente à ma consultation du dispen-

saire municipal du 15° arrondissement le 26 juin 1894. Elle se ditatteinte

d'un eczéma tenace et très ancien des mains, des poignets et des pieds',

soigné il maintes reprises et récidivant sans cesse.C'est une femme grande,

vigoureuse,, maigre et nerveuse. Je lui demande si elle a des enfants;

elle me répond qu'elle a un grand fils de 22 ans, très robuste, mais qu'elle

a eu ensuite six grossesses, 4 filles et deux garçons, tous six morts entre

18 et 20 mois. Ce cas me semblant singulier, je la prie de me donner des

détails très circonstanciés, et elle me les donne avec une précision et une

intelligence très nettes. Ils me sont d'ailleurs confirmés par la directrice

du dispensaire qui connaît depuis fort longtemps celte malade.

Très saine, très bien portante et mariée pour la première fois à 21 ans

avec un ouvrier mégissier, elle eut à 22 ans un garçon actuellement vi-

vant, grand, vigoureux, faisant son service militaire. Je l'ai vu deux ans

après, en 1896, il ne présentait aucun stigmate de syphilis héréditaire ;

puis elle eut six grossesses toutes à terme.

Ces six enfants étaient tous d'assez bonne apparence en venant au

monde. Nourris tous six par la mère, ils sont morts tous entre 18 et 20

mois, et tous de la même façon, d'une affection déclarée méningite par les

médecins traitants, ayant une durée de 20 à 25 jours, se caractérisant par

des convulsions, des vomissements, et un état comateux. Un de mes con-

frères du dispensaire a soigné deux de ces enfants et avait effectivement

porté le diagnostic de méningite sans songer, m'a-t-il dit, à la syphilis.

Or la première atteinte de l'eczéma actuel est survenue au cours de la

première de ces grossesses fatales, c'est-à-dire un an et demi environ après

la naissance du premier garçon vivant aujourd'hui. A cette époque appa-

rurent des boutons sur la figure, sur le corps, dans le cuir chevelu, bou-

tons croûteux, dit-elle, qui ne ressemblaient pas du tout à l'éruption ac-

tuelle. Les cheveux tombèrent, la malade eut mal à la gorge, et le mari,

qui lui aussi avait des boutons, conduisit plusieurs fois sa femme à l'hô-

pital Saint-Louis, où on lui prescrivit des pilules, puis cle l'iodure de

potassium, et du sirop de Gibert, médicaments qu'elle prit assez réguliè-

rement pendant un peu plus d'un an. Son mari suivit le même traite-

ment, et se garda bien de dire à sa femme de quelle maladie tous deux

étaient atteints. La grossesse suivit son cours et la malade mit au monde

une fille qui ne présenta rien d'anormal jusqu'à t'age de 18 mois ; elle fut

prise alors de convulsions violentes suivies de coma, et mourut au bout

hérédité SYPHILITIQUE A TRÈS LONG TERME 223

de trois semaines ; le diagnostic porté par le médecin fut celui de ménin-

gite.

Depuis lors, et à 5 reprises différentes le même fait se reproduisit et

dans des circonstances toujours identiques.

Les enfants venaient à terme, la mère les nourrissait; ils ne présen-

taient jusqu'à 18 à 20 mois aucun symptôme ayant attiré l'attention. II

est vrai que jamais le mot de syphilis n'ayant été prononcé par elle, et

d'autre part en raison de la situation très modeste de la malade, le méde-

cin n'étant appelé que pour constater les convulsions, il nous est difficile

d'affirmer qu'aucun de ces enfants n'ait présenté des symptômes d'hérédo-

syphilis. La mère déclare seulement qu'ils étaient bien portants, mais

sujets à la gourme. Pendant 15 ans elle eut à plusieurs reprises des

poussées d'eczéma très tenace, sec, squameux aux mains el aux pieds, des

aphtes à la langue, elle perdit ses cheveux, et n'en a presque plus. Elle

employa diverses pommades et des sirops dépuratifs fournis par son phar-

macien, mais ne semble avoir été soumise à aucun traitement spécifique

sérieux, en dehors de celui suivi à Saint-Louis, avec son mari, après la

naissance du premier enfant aujourd'hui vivant.

Quand je la vis donc pour la première fois, le 26 juin 1894, elle me

raconta tout ce qui précède, me dit que son mari était mort il y a 7 ans

d'une tumeur de la langue (leucoplasie, dégénérescence épithéliale chez

un ancien syphilitique ? ), et qu'elle était remariée depuis 6 mois, avec un

autre mégissier très bien portant, veuf, ayant deux filles de 16 et 19 ans,

tressailles. A diverses reprises j'ai vu ces deux jeunes filles, ainsi que

leur père. et jamais je n'ai observé la moindre trace de syphilis.

Depuis trois ans, elle n'avait pas eu d'eczéma, mais une nouvelle pous-

sée était survenue il y avait trois semaines, assez intense, occupant les

deux mains et les deux poignets ; les pieds n'étaient envahis que depuis

huit jours. A première vue la lésion des mains et des poignets rappelait

très nettement l'épidermo-dermite professionnelle eczématiforme des la-

veuses ; et, en effet, notre malade va très fréquemment au lavoir : il exis-

tait à la peau des mains, à la face antérieure et postérieure des poignets,

remontant vers le coude sous forme de traînées, de la rougeur, de la tu-

méfaction, du suintement, des croûtelles, de nombreuses papules exco-

riées, en un mot tous les signes d'une eczématisation diffuse; mais en

examinant déplus près, on constatait à la paume des mains, un peu

masquées et altérées par la limite accidentelle, les lésions décrites sous le

nom très défectueux de psoriasis syphilitique palmaire, lésions essentiel-

lement épaisses, squameuses, kératosiques, rouges et cuivrées, constituées

tantôt par des placards nettement arrondis, circinés, tantôt par des élé-

ments serpigineux pouvant gagner les bords de la main ou la face anté-

224 PAUL DE MOLÈNES

rieure du poignet. A la plante des pieds et plus particulièrement du pied

gauche, les manifestations cutanées étaient identiques à celles de la paume

des mains, l'eczématisation diffuse en moins, et confirmaient le diagnostic

de syphilide psoriasiforme ancienne palmaire et plantaire.

Ajoutons que les ongles des pieds et des mains étaient intacts, et qu'il

n'existait aucune manifestation cutanée syphilitique autre qu'une syphilide

pigmentaire de la nuque, douteuse cependant, car la malade était peu soi-

gneuse de sa personne, et l'été avait toujours le cou très découvert.

Je n'hésitais donc pas à porter le diagnostic de syphilis ignorée, basé

sur les caractères objectifs actuels, et surtout sur les commémoratifs si

intéressants. Je prescrivais de l'iodure de potassium à la dose progressive

de'), puis 2, puis 3, 4 et 5 grammes, et recommandais il la malade de

prendre cette médication, fùt-elle mal tolérée, pendant 6 semaines. Loca-

lement, aux mains et aux avant-bras, cataplasmes tièdes de fécule de

pomme de terre fréquemment renouvelés pour calmer t'eczématisation

diffuse et pâte de zinc très faiblement résorcinée ; aux pieds emplâtre à

l'huile de cade pour détacher les squames épaisses accumulées.

16 juillet 19. - Les phénomènes de dermite aiguë ont disparu :

seuls les éléments kératosiques persistent. Continuer l'iodure qui est

bien toléré pendant encore vingt jours et appliquer aux mains et aux pieds

l'emplâtre de Vigo.

.25 septembre. - Amélioration, mais la guérison n'est pas encore ob-

tenue. Reprendre l'iodure de potassium comme précédemment..

18 décembre. - Guérison complète après six mois de traitement.

En mars 1895, nouvelle poussée aux mains accompagnée, comme la

première fois, d'épidermo-dermite diffuse et provoquée encore par le

retour au lavoir. Au lieu d'iodure de potassium, je prescrivis des pilules

de protoiodure d'hydrargyre de 0,05 centigrammes : là malade en prit

50 pendant un mois. Le 23 avril suivant, toutes les manifestations cuta-

nées avaient disparu, bien plus rapidement que lors de la première pous-

sée. Du 15 mai au 15 juin, elle reprit 1 puis 2 puis 3 grammes d'iodure.

Le 28 janvier 189ü, je revois madame X... ; elle est enceinte de 6 mois ;

elle n'a ressenti pendant toute cette grossesse aucun malaise; l'éruption

des pieds et des mains n'ayant pas reparu, elle n'est pas venue au dispen-

saire, et ne s'est pas traitée. N'ayant pas, en raison cle son âge (elle a

45 ans 1/2), prévu une nouvelle grossesse, j'avais négligé de lui faire les

recommandations nécessaires au cas où celte éventualité se serait produite :

j'instituais donc de suite un traitement énergique ; je fis pendant 6 semai-

nes, du 28 janvier au 4 mars, une fois par semaine, une injection intra-

fessière d'Huile grise, injectant chaque fois G centigrammes de mercure

purifié (formule de 13aller), ayant bien soin d'exagérer pour ainsi dire

HÉRÉDITÉ SYPHILITIQUE A TRÈS LONG TERME 225

toutes les précautions nécessaires, en raison de l'état de grossesse. Ces

injections, bien qu'assez douloureuses, furent très bien supportées, et

le 10 avril 1896, la malade accouchait à terme d'une fille très bien cons-

tituée à tous égards que je vis pour la première fois le 5 mai, 25 jours

après sa naissance, et qui ne présentait aucun stigmate de syphilis héré-

ditaire, aucune malformation.

Du 5 mai 1896, au 16 mars 1897, je ne trouve sur la fiche propre à

chacune de mes malades du dispensaire que les indications suivantes :

L'enfant est nourrie par la mère qui la conduit toutes les trois semaines

environ ; elle profite très bien, ne présente aucun symptôme anormal : la

mère en décembre a eu une poussée légère de dermite avec eczématisation

des avant-bras et des mains qui a peu duré, et a pris pendant deux mois

de l'iodure de potassium et pendant un mois des pilules de protoiodure

'de 0,05 centigrammes, comme précédemment, à savoir, 50 en un mois.

Elle vint, comme je l'ai dit, plusieurs fois, avec son mari ou avec les

filles de son mari qui tous trois étaient absolument sains, et cessa de

paraître le 16 mars 1897.

Le 21 juin 1898, c'est-à-dire 15 mois après, elle me revenait avec une

nouvelle poussée de dermite intense des mains et des poignets, et de nou-

veaux placards épais, squameux, fissurés des deux pieds, et comme je lui

demandais des nouvelles de sa petite fille, elle me disait que, exactement

comme ses autres enfants, elle était morte le 14 octobre dernier à l'âge

de 18 mois ; elle venait très bien, marchait depuis t'age de 15 mois, avait

été sevrée a 16 mois. Seule la dentition était fort en retard. L'enfant,

qui ne présentait aucune malformation, aucun symptôme d'hydrocéphalie

ou d'autre maladie nerveuse, avait été. prise subitement de convulsions

violentes, et de vomissements, qui avaient persisté une dizaine de jours;

le médecin appelé avait diagnostiqué une méningite ; l'enfant était restée

trois jours sans connaissance, et était morte, comme ses 4 soeurs et ses deux

frères du premier fil ! Et. cela malgré un traitement relativement énergi-

que, quoiqu'un peu irrégulier, de la mère !

Je ne crois pas qu'il puisse y avoir le moindre doute sur l'origine de

cette véritable hécatombe ! .

On pourra objecter que le diagnostic dut rester hésitant pour le médecin

qui n'a pas observé les symptômes nerveux qui ont entraîné la mort de

tous ces enfants.

Mais, comme l'a fort bien dit le professeur Fournier, « la syphilis céré-

brale héréditaire ou acquise n'a pas et ne saurait avoir de symptômes

XII 16

226 PAUL DE MOLÈNES

propres ; une seule considération servira d'élément diagnostique, c'est la

notion des antécédents spécifiques héréditaires ».

Mais n'avons-nous pas longuement développé les manifestations spéci-

fiques présentées par la mère et son premier mari ?

)Jxiste-t-il une hérédité pathologique capable d'être aussi cruelle que

cette hérédo-syphilis qui poursuitla progéniture d'une malheureuse femme

plus de 21 ans après qu'elle a été contaminée par son mari, alors même

que s'étant traitée, et ayant un autre mari sain, elle pouvait espérer être

débarrassée de cette tare fatale (1) !

(1) l'oonmen, L'hérédité syphilitique, page 401 (note). ,

LES PEINTRES DE LA MÉDECINE

(ÉCOLE FLAMANDE ET HOLLANDAISE).

LE MAL D'AMOUR

(Suite).

PAR

HENRY MEIGE.

II

« Un grand médecin de Montpellier, un des maîtres les plus éminents

et un des représentants les plus autorisés de l'Université de cette ville au

XVIIIe siècle, Boissier de Sauvages, l'ami de Boerhaave et de Linnée, a

mérité de ses contemporains le gracieux et bizarre surnom de Médecin de

l'Amour...

« Il a aimé l'amour, il l'a chanté, et aussi il l'a étudié...

« Car c'est un savant de premier ordre : botaniste éminent, clinicien

expérimenté, nosologiste célèbre, médecin répandu, professeur suivi, il

a été universellement connu et apprécié de son vivant et il a laissé une

trace durable dans l'histoire de la médecine... Il avait donc les aptitudes et

les connaissances scientifiques qui donnent du poids à ses théories mé-

dicales de l'amour. »

C'est en ces termes que le professeur Grasset, de Montpellier, rend

hommage à la mémoire de Boissier de Sauvages. Dans une étude fertile en

documents inédits et en critiques érudites (1),M. Grasset a retracé la vie

et l'oeuvre de son compatriote, son ancêtre par alliance, qui fut, sans con-

tredit, l'un des médecins les plus distingués du siècle précédent.

Pour connaître le Mal d'Amour, on ne saurait mieux faire que de

s'adresser au Médecin de l'Amour lui-même. Demandons-lui donc de

nous révéler les secrets de cette mystérieuse affection.

C'est en l'année 1724 que 'François Boissier de Sauvages soutint, à

Montpellier, sa thèse de licence. Elle avait pour titre : Dissertatio medica

(1) Ghasset, Le Médecin de l'Amour au temps de Marivaux, Etude sur Dossier de

Sauvages d'après des documents inédits, Paris, Masson, 1896.

228 HENRY MEIGE

atque ludicm de amore, etc. (1). Etude, ;i la fois badine et scientifique,

elle met exactement au point les opinions courantes sur l'amour. L'au-

teur, il est vrai, n'hésite pas à se documenter auprès des poêles do l'an-

tiquité, Ovide, Virgile, Horace, émaillant de citations littéraires ses dis-

sertations scientifiques. Au demeurant, il se révèle exégète avisé, fin ob-

servateur, et; avant tout, médecin.

Précurseur des psychologues modernes dans sa conception du mal d'ai-

mer, Sauvages y reconnaît déjà un trouble psycho-physiologique, ayant, à

la façon d'une affection morbide, des causes, des symptômes, des compli-

cations, une pathogénie, un diagnostic, une thérapeutique.

Les médecins, dit-il, définissent l'amour « cette maladie qui s'insinue

entre les jeunes filles et les jeunes gens, avec délire au sujet de l'objet

aimé et désir honnête de l'union intime ». Et Sauvages insiste sur les

caractères de ce « délire » dont on entreprend aujourd'hui l'analyse, en

l'envisageant comme une forme psychopathique spéciale (2).

Le « mal d'amour » se manifeste donc par des signes psychiques. Mais

il s'accompagne aussi d'un cortège de signes physiques ; ceux-ci nous inté-

ressent tout particulièrement, car les artistes ont certainement été tentés

de les représenter selon l'idée qu'on s'en faisait à leur époque, et très

souvent, il faut le reconnaître, conformément à la réalité.

Or, voici la maladie, telle que la dépeint le « médecin de l'amour » :

« Une fébricule, tantôt continue", tantôt variable, qui se manifeste par

la pâleur, l'inappétence, et parfois la mélancolie, lé désir de la solitude,

et est appelée fièvre blanche à cause de la couleur, fièvre amoureuse ou des

jeunes filles, parce qu'elle affecte surtout les jeunes filles amoureuses :

ajoutez-y les palpitations, les syncopes, etc.

A cette description l'on ne peut guère se méprendre, et au XVIIIe siè-

cle ce mal portait déjà un nom dont le parrain, Jean Varandal, fut un des

prédécesseurs de Sauvages à la Faculté de Montpellier. C'est la Chlorose.

Chlorose : voilà un terme qui, dans le langage médical actuel, corres-

pond à une espèce nosographique dûment cataloguée. Consultons les au-

teurs récents. -

« A l'heure présente, on peut considérer la chlorose comme une espèce

morbide des plus pures et des mieux définies....

(1) Les idées vraiment curieuses soutenues dans cette thèse aujourd'hui introuvable

sont exposées en détail dans le livre du professeur Grasset auquel nous ferons de

fréquents emprunts.

(2) Voy. G. hA\VILLE, Psychologie de l'amour, Bibl. de philosophie contemporaine,

1894, cité par Grasset.

LE MAL D'AMOUR 229

« ...Anémie de la puberté, spontanée, préparée par une tare hérédi-

taire de dégénérescence de la nutrition, soit latente; soit 'exprimée par

des hypoplasies organiques ; anémie occasionnée par toutes les conditions

susceptibles de rompre l'équilibre entre la formation globulaire demeurée

normale et la déglobunisalion qui est exagérée, d'où résulte une perte

d'hémoglobine telle que les globules rouges néo-formés sont incapables

d'acquérir la résistance et la taille des globules normaux (1). »

Telle est la chlorose.

Le mal d'amour aurait-il été aussi tout cela ? Peut-être...

A vrai dire, les modernes nosoloistes ont laissé tomber dans le discré-

dit à la fois le nom de mal d'amour et l'idée qui s'y rattache.

Les termes de febris a7nat.oria ou d'icterus amantiwn qui se retrouvent

dans les anciens écrits ne sont plus cités qu'au chapitre des synonymes;

il est de bon goût de faire ressortir leur frivolité, en affirmant que notre

science actuelle a su faire justice de ces préjugés lointains. On rappelle

encore, comme une antique légende, que de très vieux médecins ont au-

trefois signalé une sorte d'affection engendrée par l'amour contrarié qui

présente en effet certaines analogies avec la moderne chlorose. Et sans nier

complètement l'influence des émotions morales sur le développement des

accidents chlorotiques, on admet volontiers que ces causes ne sauraient

suffire à les faire éclore, s'il n'existait antérieurement une prédisposition

à la maladie.

En définitive, aujourd'hui, il n'y a plus de mal d'amour. Ce qui 'existe,

ce qui est digne de figurer dans les traités de nosographie, c'est la chlo-

rose définie comme précédemment.

Nous n'aurions garde d'y contredire. "

Mais il nous sera permis de relever quelques-uns des liens de parenté

qui unissent la chlorose contemporaine au ci-devant mal d'amour du

XVIIIe siècle. '

*

.. <

La description de la fièvre amoureuse donnée par Sauvages est déjà par

elle-même assez explicite. Pâleur, inappétence, désir de solitude, mélan-

colie, palpitations, syncopes, etc. défaut d'hématoscopie, on trouve là

de quoi orienter le diagnostic.

Plus tard, dans sa Nosologie méthodique qui fut, pendant de longues

années, justement réputée, Sauvages a consacré une étude détaillée à la

chlorose ; l'une des cinq formes qu'il décrit porte le nom de chlorose par

amour. Elle ne diffère pas de cette « fièvre amoureuse » dont il parle dans

sa thèse. C'est la chlorose et c'est aussi le mal d'amour.

(1) LIZET, La chlorose, Bibl. Charcot-Debove, Rueff, 1892, p. 1.

230 HENRY MEIGE

Les idées de Sauvages ne sont d'ailleurs elles-mêmes que le reflet d'o-

pinions déjà fort anciennes dont on peut faire remonter la paternité jus-

qu'à Ilippocrate.

La plus antique théorie de la febris amatoria attribue en effet à des

troubles de l'appareil génital la plupart des symptômes que l'on décrit en-

core dans la chlorose. La rétention du sang dans la matrice, et, d'une façon

générale, les troubles de la menstruation furent pendant de longues an-

nées invoqués pour expliquer les « colorations verdâtres » et tous les

phénomènes qui les accompagnent.

Ilippocrate l'avait laissé soupçonner, Galien l'affirmait, Ambroise Paré

n'en doutait pas : « A d'aucunes, dit ce dernier, le sang menstruel ne

s'écoule, à cause que les vaisseaux, à scavoir veines et artères sont angus-

tes et estroicts et encor non destouppez ; si que ne pouvant sortir regorge

en la masse sanguinaire, qui s'altère et corrompt, faulte d'être évacué, et

toute l'habitude du corps ne peut être bien nourrie, dont se fait leuco-

phlegmatie, qui fait le corps tout bouffi, et la couleur du visage basannée

et btafardée, c'est pourquoi on les appelle pâlies couleurs. »

Plus tard, Varandal, Lazare Rivière, Sennert et bien d'autres, ont con-

tribué à accréditer le rôle des troubles menstruels dans la patbogénie de

la chlorose.

Il ne nous appartient pas d'apprécier la valeur de cette théorie, assuré-

ment trop exclusive, mais contre laquelle on s'est insurgé depuis lors,

peut-être avec une ardeur excessive.

Ce que nous nous contenterons de retenir, c'est qu'elle est demeuréeen

vigueur pendant lelVII et le XVIIIe siècle, el qu'en ce temps là, « pâles

couleurs », « maladie virginale » ou « chlorose » semblaient intimement

liées aux troubles de l'appareil génital féminin.

On admettait aussi volontiers, toujours en s'appuyant sur l'autorité

d'IIippocrale, que les caprices de la matrice étaient solidaires de ceux de

l'esprit. De là à rattacher Vobstructio virgiaua d'Avicenne, ou la febris

alba d'Archigéne, au « chagrin amoureux » ou à la « passion contrariée »,

il n'y avait qu'un pas. Depuis longtemps, il avait été franchi.

Sous le terme générique de mélancolie, les médecins du XVII° siècle,

désignaient toute une série de malaises ou de maladies « sortes de rêve-

ries accompagnées de tristesse », provenant d'une « perversion des esprits

animaux » et attribués, « soit à l'intempérie froide et sèche du cerveau, soit

à des vapeurs s'élevant du corps tout entier, du coeur, ou deshypochondres,

ou enfin de la matrice. » Entre toutes, la plus redoutable était, sans con-

tredit, la « mélancolie hypochondriaque », « le fléau et l'opprobre des

médecins. »

Mais il existait aussi une mélancolie d'amour, provenant d'une passion

LE MAL D'AMOUR 231

immodérée pour l'objet aimable, laquelle se confondait souvent avec la mé-

lancolie utérine, due à une obstruction des veines ou artères péri-utérines

amenant la suppression des règles; elle coïncidait d'ordinaire avec les

« pâles couleurs ». A son plus haut degré, cette affection devenait la

suffocation utérine, « procédant d'une vapeur maligne s'élevant du sang

menstruel corrompu ».

« La cause de celle maladie, dit Constant de Behecque, est une grande

quantité, chaleur et acrimonie de quelque chose qu'il n'est pas besoin de

nommer... (1). » Elle s'attaque de préférence aux jeunes veuves, récla-

mant pour remèdes des saignées copieuses et des purgatifs doux ; « mais

de tous les remèdes employés,- le mariage est le meilleur ».

On retrouve là l'influence des vieilles théories hippocratiques sur la ge-

nèse et le traitement des accidents nerveux imputés de nos jours à l'hysté-

rie. C'est qu'en effet la parenté était déjà admise entre les pâles couleurs

et la névrose. Sydenham considérait la chlorose comme une « espèce d'hys-

térie, attribuée à l'ataxie des esprits et à la cacochymie qui en dépend ».

Aussi ne doit-on pas être surpris de lire dans Sauvages : « Le mal

d'amour expose à de graves complications : la mélancolie, la manie, la

passion hystérique, même une rage telle que ceux qui en sont atteints

portent une main violente sur les autres et sur eux-mêmes; la plupart

restent déments et amaigris... Tant et de si grandes maladies dérivent de

l'amour qu'il est étonnant de voir les médecins passer outre à celte mala-

die si sèchement (tant sicco pede) ».

Enfin, le parrain de la chlorose lui-même, Jean Varandal, n'avait-il

pas écrit en 1615 : « S'il est une maladie propre au tempérament féminin,

qui est plus humide et plus froid que celui des hommes, c'est celle que

nous voyons actuellement se développer dans ces contrées, d'une manière

presque endémique, notamment chez les jeunes filles les plus nobles et

les plus belles, chez les veuves ou autres, vivant dans l'abstinence de

tout rapport sexuel. On la qualifie d'ordinaire de pâles couleurs, d'ictère

blanc, de fièvre d'amour, de maladie virginale ; nous l'appellerons chlorose

d'après IIippocrate (2). » .

Ainsi, dans les idées comme dans le langage médical de l'époque, mal

d'amour et chlorose sont unis il ce point qu'ils se confondent en une seule

et même maladie. C'est ce qu'il nous importait de relever.

Et voici la question qui se pose : Les malades d'amour représentées

par les peintres des Pays-Bas ne seraient-elles donc que des chloroti-

ques ? .....

(1) Constant de HEUECQUE, Le médecin h'rattt;ois Charitable, 1683. - Consulter à ce

sujet une thèse récente, bien documentée et d'une lecture séduisante. Le 111AGVET, Le

monde médical parisien sous le grand roi. Thèse Paris,1899. 9.

(2) Cité par l'.waor, art. Chlorose in Dict. encycl. des Se. méd.

232

UENRY MEIGE

111

Tout d'abord, - à peine est-il besoin de le dire, il ne saurait être

question d'identifier les aimables personnes dont les portraits sont par-

venus jusqu'à nous avec les cblorotiques nosocomiales qui ont servi a tra-

cer la description actuelle de la chlorose. Ne faudrait-il pas, en effet, dé-

montrer premièrement, tentative absurde, - que les malades d'amour

en peinture étaient atteintes d'une lésion sanguine caractéristique ? Ce

serait vraiment faire injure à ces gracieuses enamourées que de désigner

leur mal par ces termes rébarbatifs de « dyscrasie », de « dégtobutisa-

tion ». ou pis encore « d'hypoplasie angiohématique » !

Mais, tout en reconnaissant que la critique picturale pèche par l'absence

d'examen liématoscopique, nous ne pouvons pas ne pas être frappés de la

véracité avec laquelle les peintres du mal d'amour ont mis en évidence

certains caraclères cliniques de la chlorose.

Et nous entendons par chlorose, la maladie définie par Varandal, dé-

crite ensuite par Rivières, Sennert et Sauvages. Nous l'envisageons sur-

tout dans son syndrome morphologique qui, seul, pouvait être bien rendu

par l'image, et, seul, peut prêtera un examen comparatif.

Au surplus, ces signes physiques, bien étudiés par les vieux cliniciens,

font toujours partie du tableau de la chlorose et ils suffisent souvent à éta-

blir son diagnostic. Rappelons-les donc brièvement

En premier lieu, li\ pâleur des c))torotiquesde\ : .it forcément attirer l'at-

tention des peintres, aptes à saisir les variations les plus délicates du co-

loris. C'est aussi le symptôme qui, le premier, met le médecin en éveil.

C'est celui que les artistes se sont efforcés de traduire, par des procédés

différents, mais presque toujours avec succès.

Les malades d'amour de Jan Steen se distinguent toutes par une inté-

ressante pâleur des personnages qui les entourent. Le maître hollandais

semble même avoir cherché à accentuer le contraste par le choix des cou-

leurs dont il a revêtu ses malades et par le teint fleuri des assistants.

Cette pâleur cependant n'est pas très caractéristique. Elle est de teinte

laiteuse : c'est peut-être la M/Mre, du nom dont les Allemands dési-

gnent la chlorose. En tout cas, c'est, au premier chef, le signe pathogno-

monique du mal d'amour. Sauvages le proclame, s'en référant lui-même

au vers d'Ovide :

Palletit omnis amans : color est Itic aplus amanli (1).

(1) «Toute personne qui aime pâlit ù l'aspect de ce qu'elle aime. » Telle était une

LE MAL D'AMOUR 233

A vrai dire, dans les peintures de Jan Steen, sous le blanc des chairs

transperce toujours une nuance rosée. C'est que Jan Steen ne tient pas

à nous inquiéter outre mesure sur la gravité de la situation. Pour lui,

le mal est éphémère : il se dissipera au premier billet doux.

D'autres, au contraire, tels que Gérard Dow, Frans Miéris, Metzu,

vont nous montrer, dans toute sa pureté, la pâleur blafarde des chloroti-

ques. Les chairs prendront alors ce ton de « cire vieillie » que signalent

les descriptions classiques. Et Samuel van Hoogstraaten, à qui sans doute il

fut donné de contempler un cas plus sévère, ne craindra pas d'indiquer

par des reflets d'un jaune verdâtre la décoloration qui fit donner à la chlo-

rose le nom demorbus viridis ; « green Sickness » disent lés Anglais.

Fait remarquable, les malades d'amour malgré leur extrême pâleur, ne

sont jamais amaigries. Au contraire, elles semblent toutes grassouillettes

à souhait. t. 1

Est-ce affaire de race, les Hollandaises étant enclines à certain embon-

point ? Ou bien est-ce afin qu'en les voyant on soit tenté de s'écrier avec

Sganarelle :

« Voilà une malade qui n'est pas dégoûtante et je tiens qu'un homme bien sain

s'en accommoderait assez 1... »

Jan Steen devait faire souvent de semblables réflexions.

Mais peut-être faut-il voir là mieux qu'une gauloiserie : un fait d'obser-

vation parfaitement authentique. C'est qu'en réalité les cblorotiques n'ont L

pas l'apparence émaciée. Il n'est pas rare qu'on observe chez elles une

sorte d'embonpoint de cause encore mal définie : turgor vitrtlis ou 1 ! 11111)ha-

ticus, enveloppement oedémateux réparti sur tout le corps, bouffissure

légère qui donne l'illusion d'un revêtement adipeux. A la face, les traits

sont mollement dessinés; au cou, les « colliers de Vénus » s'accentuent,

rendus plus visibles encore par une hypertrophie thyroïdienne qui man-

que rarement, si bien que la chloroticlue peut donner l'impression d'être

dodue comme il convient. Ce qui n'était pas pour déplaire aux artistes

hollandais, à Jan Steen tout particulièrement.

Les membres eux-mêmes participent à cette légère enflure qui prend

parfois aux extrémités l'apparence d'un oedème véritable.

Il serait vraiment trop osé de prétendre que les mains si délicatement

des règles des arrêts du Code d'amour d'André le Chapelain, au XIIe siècle. On peut,

il est vrai, en dire autant de la rougeur, qui s'observe dans les mêmes conditions :

deux réflexes vaso-moteurs de sens inverse qui se succèdent presque toujours à la

suite d'une émotion.

234 HENRY MEIGE

potelées des gentilles malades de La Haye ou de Munich doivent leur mo-

delé à l'oedème chiorotique. Mais qui sait si l'une d'elles, dont la mule a

quitté le pied, n'éprouvait pas dans sa chaussure quelque compression

causée par une enflure maladive ? ...

Dans leurs masques d'albâtre, les yeux des chlorotiques prennent une

expression singulière. L'iris se détache vivement sur une sclérotique

bleuâtre cerclée de paupières bistrées. Sans analyser par le menu tous ces

détails anatomiques, les artistes ont fort bien rendu l'impression générale

qui en résulte. Un médecin de Montpellier, Baille, a judicieusement re-

marqué que les yeux des chlorotiques, ont « une expression de langueur

et de tristesse particulière». Il n'est pas une de nos malades d'amour

dont on ne puisse en dire autant.

La disposition des lignes et les oppositions des couleurs jouent assuré-

ment un rôle dans l'expression de ce facies, triste et languissant. Mais une

plus large part relève de l'état mental des malades.

A cet égard encore les chlorotiques ne diffèrent en rien des malades

d'amour. '

« Elles soupirent et pleurent souvent, dit Moriez, fuient la société, et

présentent tous les signes d'une mélancolie, qui va parfois jusqu'à l'alié-

nation mentale »

« Il existe certainement, ajoute Luzet, tout au moins une grande apa-

thie, chez le plus grand nombre des chtorotiques, de l'inaptitude au tra-

vail intellectuel ou physique : c'est ce qui constitue le fond de leur carac-

t

tère. »

Voilà pour les chlorotiques d'aujourd'hui. Et voici ce que disait Sau-

vages des malades d'amour :

« Elles sont tourmentées de mille maladies, l'anxiété, la tristesse, la

pâleur. » Et citant encore Ovide à ce propos :

r1 ttenuant juvenmn vigilitx corpora nocles

Curaque, et e magno qui fit amorll, dolor...

Littore quoi conchoe, lot sunt in nmorc dolores...

Ailleurs, Sauvages parle encore de la mélancolie et d cette invincible

lassitude qui semble paralyser les victimes du mal d'aimer. N'est-ce pas

justement l'état moral des chlorotiques Et n'est-ce pas aussi ce qui

frappe le plus dans les portraits de ces jeunes femmes douloureusement

alanguies, cherchant vainement, à grand renfort d'oreillers, une position

qui leur procure un repos introuvable, insensibles aux propos joyeux,

LE MAL D'AMOUR 235

aux paroles réconfortantes, incapables de parler, d'agir, anéanties, iner-

tes, quasi-pâmées ? ... Fidèle il la loi des contrastes, Jan Steen a soin de

placer auprès de ces fausses moribondes un ou plusieurs personnages re-

muants, rieurs, débordant d'entrain et de santé.

Ainsi sautent aux yeux l'asthénie et la mélancolie des malades d'amour.

Un degré de plus, et cette « imbécillité des forces » peul conduire à la

perte des « esprits vitaux », à l'évanouissement. Etourdissements, lypo-

thymies el syncopes, sont du cortège de l'anémie cérébrale inséparable de

la chlorose. Nous aurons aussi à passer en revue toute une série de pâ-

moisons qui semblent bien se rattacher aux funestes conséquences du mal 1

d'amour.

Dans l'histoire clinique de la chlorose, on décrit longuement Jes trou-

bles cardio-vasculaires.

Les palpitations y tiennent le premier rang, survenant par accès, péni-

bles, angoissants, « anarchie complète, véritable folie du coeur », disait

Bouillaud. Une sorte de dyspnée s'y mêle parfois, dont Cazin a noté le

caractère suspicieux, « lié à la tristesse des malades ».

Nous verrons que Jan Steen, Frans Mieris et Gérard Dow, n'ont pas

négligé d'indiquer ces symptômes. En montrant que les malades d'amour

portent la main sur le côté gauche de leur poitrine, ils laissent bien en-

tendre que chez elles le coeur est atteint, au propre comme au figuré.

Cette attitude, révélatrice d'une passion affective, traduit aussi le geste

. instinctif que provoque la crise de palpitations. La malade d'amour cher-

che à comprimer le « mouvement dépravé et fréquent de son coeur et

l'effort qu'il fait pour chasser ce qui l'incommode, ou pour attirer ce qui

l'accommode », suivant la définition qu'on donnait alors des palpitations.

Quant à la dyspnée suspirieuse, n'est-elle pas un des attributs les plus

significatifs des amoureux ? On les nomme encore soupirants. Certaines

malades d'amour soupirent à fendre l'âme.

Cette agitation du coeur qui, chez les chlorotiques, s'exaspère : '1 la

moindre émotion, se transmet nécessairement à tout l'arbre artériel. Le

pouls en subit les effets : il s'accélère et devient bondissant.

Il en est de môme dans le mal d'amour.

« L'amour, dit Sauvages, est facilement découvert par un coup d'oeil,

le changement de couleur à la vue de l'objet aimé, la fréquence du pouls ;

c'est par ce signe que le médecin de Ptolémée découvrit son amour pour

sa belle-mère, au rapport d'Hérodote dans Caliope. »

236 HENRY MEIGE

Aussi voyons-nous les médecins de Jan Steen interroger attentivement

le pouls de leurs languissantes malades. Leur doigté subtil, mieux exercé

assurément que le nôtre, arrivait peut-être à percevoir la nuance qui dé-

cidaitde leur diagnostic.Aujourd'hui la psycho-physiologie expérimentale

en recueillant sur des cylindres enregistreurs un tracé sphygmographique

n'a fait que confirmer l'antique remarque du médecin de Ptolémée. On

dit, pour employer la terminologie savante de notre temps, que l'émotion

amoureuse se traduit par des troubles cardio-vasculaires et des phéno-

mènes vaso-moteurs. Mots nouveaux, vieilles idées.

Au demeurant, ce sont toujours les variations qualitatives et quantita-

tives du pouls qui permettent d'apprécier les troubles circulatoires. On

voit que les médecins des malades d'amour ne négligeaient pas de recueil-

lir ces renseignements auxquels ils attachaient, à tort ou il raison, une

extrême, importance. Les peintres n'ont pas omis de nous en informer.

Dans la chlorose, la céphalalgie est fréquente; fréquentes aussi sont les

névralgies. Qu'il s'agisse de céphalée à forme neurasthénique ou de né-

vralgie faciale, ou enfin de migraine, il est constant que les chloroliques

souffrent de maux de tète.

Les malades d'amour témoignent surabondamment par leurs attitudes

qu'elles sont atteintes des mêmes maux. Tantôt, accoudées contre un meu-

ble, on les voit soutenir leur tète avec leur main ; tantôt, s'abandonnant

davantage, elles reposent sur un oreiller; presque toujours, elles s'enca-

puchonnent, afin de se préserver du froid.

Enfin, nombre d'entre elles ont appliqué sur leurs tempes des emplâtres

que le fichu dissimule à demi.

C'était le remède obligatoire contre toutes* douleurs ou névralgies. Au

moindre mal de tête, on posait loco dolenli un emplâtre de grandeur et de

composition variables.

Contre la migraine, « laquelle, d'après de la Martinière, provient de

fumées chaudes, de mélancolie et de ventosités..... il faut appliquer sur

les deux tempesde la racine debrione cuite sous les cendres chaudes (1 ) ».

Contre le mal de dent, on conseillait les emplâtres de mastic.

« Vous portez une mouche, avez-vous mal aux dents ? »

lit-on dans une satire de Courval-Sonnet, en 1631 (2).

(1) Cité par LE Maguet, Le monde médical parisien sous le grand roi, p. 129.

(2) Une locution proverbiale, encore usitée de nos jours, dit explicitement : « Mal

de dent, mal d'amour. » D'où vient ce rapprochement ? De la similitude du remède

peut-être, de la mouche.

LE MAL D'AMOUR . 237

Ces emplâtres recouverts de taffetas noir, n'étaient autre chose que

les mouches dont la destinée thérapeutique n'est pas encore oubliée.

Chez les malades d'amour, la mouche temporale est une règle. Et l'on

ne peut s'empêcher de remarquer que le lieu d'élection de cet emplâtre

analgésique coïncide justement avec le siège d'une des douleurs de tête

qu'on observe le plus souvent dans la chlorose.

, Les artistes hollandais qui nous ont fait connaître cette coutume, se sont

conformés à leur ordinaire désir de se montrer des copistes sincères de

la réalité. Mais ils n'ont pas manqué de remarquer aussi combien le petit

emplâtre noir était apte à faire ressortir la blancheur du visage.

On sait comment, plus tard, la mouche, réduite à des proportions de

plus en plus minimes, devint, pour la même raison, un accessoire de

toilette, et se promena sur la figure des élégantes, prenant, suivant sa

place, telle ou telle signification galante.

N'est-il pas curieux de la voir déjà figurer parmi les attributs des ma-

lades d'amour ? ...

Les chlorotiques souffrent encore de troubles digestifs parmi lesquels

l'inappétence attire facilement l'attention.

En même temps qu'il est diminué, l'appétit est aussi perverti et, sans

parler de pica ni de malacia, l'on sait quel attrait ont pour ces malades z

les aliments et les boissons acides.

Le citron il demi-pelé, que nous avons vu sur la table de la malade

d'amour de Munich, n'est-il pas un indice de ce goût particulier pour les

crudités ? Les flacons, les tasses ou les verres qui figurent sur tous les

tableaux, contiennent sans doute quelque limonade ou autre boisson

acidulé. Sauvages les recommandait expressément.

Sans doute ce sont là des symptômes peu caractéristiques. Mieux vau-

drait connaître le chimisme stomacal de nos malades. Sont-elles hypo]JI'J ! -

tique : ; ? Ont-elles de l'hyperchlorhydrie ? Les peintres ne le disent pas, et

pour cause. Mais ils avaient remarqué que le citron leur était cher. C'est

une indication qu'il était bon de relever.

Enfin, un' gros chapitre de la chlorose est consacré à la description des

troubles de l'appareil génital.

Nous avons déjà vu que, selon les idées médicales de l'époque, on

admettait d'intimes relations entre les désordres menstruels et le mal 1

d'aimer. Faut-il s'attendre à ce que la peinture ait osé aborder ce sujet

délicat ? ... Qui sait ? ... Certain tableau de Steen et certain autre de

238 HENRY MEIGE

Brackenburgh peuvent prêter aisément à ces suppositions. Nous en parle-

rons à leur place, avec toute la réserve que comporte une interprétation

aussi risquée.

Ce n'est pas tout.

La thérapeutique du mal d'amour, telle qu'on la comprenait alors,

vient encore confirmer sa parenté avec la chlorose, aussi bien dans l'his-

toire que dans l'art. Les médecins et les peintres sont d'accord sur ce

point.

Sauvages, qui ne néglige jamais une occasion de citer son poète favori,

fait remarquer avec Ovide que, si le mal n'est pas incurable, les malades

cependant répugnent à se laisser soigner.

Omnes Immanos sanat medicina doloues,

Solus amor morbi non amat arlificem.

Il suffit de regarderas nonchalantes hollandaises des musées d'Amster-

dam ou de la Haye pour se convaincre que le poète et les artistes ont

éprouvé la même impression. 11 suffit de se rappeler l'asthénie des chlo-

l'otiques pour établir aussitôt le rapprochement.

Fidèle aux idées de son.temps, Sauvages accordait grande confiance aux

vertus des simples,

« Il est, dit-il, des plantes dont la vertu est funeste à l'amour : telle la

rue, tel le camphre ». Et il s'insurge « contre l'avis.d'Apollon, qui avait

dit à Daphnie :

llei mihi ! quod nullis amor est medicabilis herbis ! »

Aussi, Sauvages conclut au nom de l'expérience : Ergo amor est citi-abilis

herbes.

Respectons cette foi, sans insister davantage.

Mais écoutez le traitement que conseille le médecin de l'amour :

« On prescrira, dit-il, un régime sobre et rafraîchissant : laitage, tisane

d'orge, racines de nénuphar, semences d'agnus castus ; des exercices cor-

porels, des distractions saines, des voyages. Mais on proscrira toutes les

causes d'aggravation : la trop bonne chère, les vins généreux, les mets

épicés... »

Aux infusions près, qui paraissent aujourd'hui surannées, ce sont bien

les mêmes prescriptions d'hygiène et de régime que l'on retrouve au

chapitre du traitement de la chlorose. Les mêmes conseils étaient don-

nés par C. de Rebecque, en 1683 : il ordonnait contre la mélancolie d'a-

mour « les changements d'air, les divertissements, les exercices violents,

etc... »

' LE MAL D'AMOUR 239

A ces prescriptions qu'aucun médecin ne désavouerait aujourd'hui

pour combattre les fâcheux effets de la chlorose, l'opinion publique ajou-

tait un autre mode de traitement, infaillible, souverain : le mariage. Les

médecins eux-mêmes n'en faisaient pas fi.

La mélancolie d'amour, dit encore C. de Rebecque, qui provient « d'un

amour immodéré de l'objet aimable, se guérit par la jouissance, et cela se

peut sans offenser la piété et l'honnêteté... »

Aussi conseille-t-il de s'adresser, avant toutes choses, aux « remèdes

moraux » : « L'absence, la considération des défauts de la personne

aimée, et celle du danger où l'on se met en l'aimant, et autres réflexions

y pourront servir. Il faut tout mettre en oeuvre dans ces rencontres (1). »

Ceux qui se piquent aujourd'hui de manier utilement la thérapeutique

psychologique trouveront là d'utiles indications.

Au surplus, l'aphorisme hippocratique : nucal illlc, et mal1t1n effugiet

n'est pas tellement démodé. On s'accorde à reconnaître que le mariage,

et surtout la grossesse, peuvent exercer une influence heureuse sur cer-

taines formes de chlorose.

Le mal d'amour était justiciable du même traitement.

Là dessus, Molière a dit aussi son mot. Il l'a placé dans la bouche de

la nourrice de Lucinde, celle opulente Jacqueline, incarnation du gros

bon sens populaire, qui s'insurge, non sans raison, contre les médica-

tions intempestives, car elle sait bien que sa languissante maîtresse

n'a d'autre maladie qu'un très grand mal d'amour :

« La meilleure médeçaine que l'an pourrait bailler à votre fille, ce serait, selon

moi, un biau et bon mari, pour qui aile eût de l'amiquié.

Et plus loin :

« Je vous dis, et vous douze, que tous ces médecins n'y feront rian que de l'ian

claire, que votre fille a besoin d'antre chose que de ribarbe et de séné, et qu'un mari

est un emplâtre qui gârit tous les maux des filles (2) ».

Tel était aussi, à n'en pas douter, l'avis de maître Jan Steen sur la

thérapeutique du mal d'amour.

- * .

.. *

De tout ceci faudra-t-jl donc conclure que les images représentant des

malades d'amour ne sont que des portraits de chlorotiques ?

Assurément non.

La critique d'art a des limites. Elles lui sont imposées par les uaisem-

(1) C. de Rrnscecr, cité par Le lIla¡ : uet, p. 132.

(2) MOLII\nr, Le Médecin malgré lui, Acte II, Se. II.

240 HENRY MEIGE . 1

blances. Et il serait puéril de soutenir que tant d'artistes ont consacré leurs

efforts et leur talent à la peinture d'une maladie. Quelque passionnés

qu'on les suppose pour la vérité réaliste, ils n'ont jamais songé ;i se faire

les illustrateurs de la pathologie.

Aussi bien, ce que nous désirons simplement constater, c'est qu'il fût

un temps où, non seulement dans le langage populaire, mais encore dans

les écrits médicaux, le mal d'amour était considéré contre une vérita-

ble maladie, c'est que les descriptions qu'en ont laissé les hommes de

l'art se rapprochent singulièrement de celles que l'on donne aujourd'hui

.de la chlorose, c'est, enfin et surtout, que des artistes contemporains

voulant peindre le mal d'amour, ont doté leurs malades d'un certain nom-

bre d'attributs que nous retrouvons aujourd'hui chez les chlorotiques.

Les remarques qui précèdent n'ont d'antre but que de faciliter cette

comparaison.

Quant à la cause de l'abondance des Malades d'amour dans les oeuvres

de l'école hollandaise, il ne nous paraît guère soutenable qu'elle tienne

à une plus grande fréquence locale de la maladie.

On admet bien, sans d'ailleurs s'appuyer sur des statistiques très rigou-

reuses,que la chlorose est plus fréquente dans les climats humides et froids.

A cet égard les Pays-Bas sont dans les conditions requises et les artistes

hollandais pouvaient sans doute rencontrer de nombreux modèles dans

leur entourage. Mais c'est la une raison bien spécieuse de leur choix.

N'en était-il pas de même en d'autres pays ? Varandal affirme qu'en son

temps la maladie sévissait à Montpellier « d'une manière presque endé-

mique ». Le parrain de la chlorose était peut-être un peu partial pour sa

filleule. Il n'est pas démontré qu'elle ait sévi plus cruellement dans les

siècles passés que de nos jours. Mais, nouvelle venue, elle devait forcé-

ment retenir l'attention davantage. Il en est ainsi de toutes les espèces

morbides récemment isolées.

Bien mieux que par ces conditions étiologiques douteuses, le mal

d'amour devait frapper les artistes par la cause passionnelle qu'on lui

attribuait et par la charme même qu'il emprunte à ses symptômes.

Cette troublante pâleur du teint, cette langueur. du regard, ,cet abandon

nonchalant de tout le corps, cette insurmontable mélancolie que rien

n'arrive à vaincre, et tant d'autres indices où les maux de l';ime semblent

à ceux du corps intimement mêlés en fallait-il davantage pour tenter

le pinceau de maîtres peintres, habiles a rendre avec une égale virtuosité

toutes les réalités naturelles et toutes les finesses du sentiment ?

Inutile de chercher ailleurs la raison d'être de leur prédilection.

LE MAL D'AMOUR 241

Enfin, on sait combien sont fréquentes, dans l'école hollandaise, les

répétitions d'un même sujet. Le goût de l'époque ayant affirmé le succès

des premières malades d'amour, chaque artiste tint Ù honneur de produire

sa réplique personnelle. De là surtout l'abondance des variations sur ce

thème favori .

IV

Il existe, il ma connaissance, une trentaine de tableaux de l'école hol-

landaise que l'on peut rattacher au mal d'amour. Et cette liste n'est peut-

être pas close ! ... '

Au point, de vue artistique, toutes ces oeuvres ne sont pas d'égale va-

leur ; cependant la plupart sont justement réputées parmi les meilleures

productions des peintres des Pays-Bas.

Leur intérêt, au point de vue spécial de notre critique, est variable

également. Il est des scènes dont la signification ne saurait être suspectée,

l'auteur ayant pris soin de donner lui-même le titre de son tableau.

D'autres, par comparaison, s'y rattachent sans aucun doute. D'autres enfin

présentent avec les précédentes d'étroits liens de parenté, et, sans qu'on

puisse les identifier avec certitude, elles ne peuvent que gagner au rappro-

chement.

Jan Steen, d'une part, Samuel von IIoo7straten et Gérard Dow, d'autre

part, semblent avoir été les premiers illustrateurs du mal d'amour.

Frans van Mieris, Vletzu,'lerborch, Netscher, Schalken, ont,parallèle-

ment ou postérieurement, traité le même sujet, que des élèves ou des

copistes ont encore abordé après eux.

La part d'originalité qui revient à chacun de ces peintres serait inté-

ressante à rechercher, mais sortirait du cadre de cetle étude. Nous nous

bornerons donc à faire connaître ces peintures, sans insister sur les in-

fluences d'écoles ou d'ateliers.

On remarquera toutefois que les deux grands chefs de file de l'école

des Pays-Bas, Frans Hais et Rembrandt, n'ont, ni l'un ni l'autre, repré-

senté le mal d'amour. Ce n'est donc pas dans l'oeuvre de Rembrandt que

ses élèves, Gérard Dow et Hoogstraaten, entre autres, ont pu puiser

l'inspiration de leurs tableaux.

Quant ;i Jan Steen, s'il est vrai qu'il ait pu subir l'influence de Frans

Hais, directement ou par l'intermédiaire d'Adrien Van Ostade, on peut

affimer que ses malades d'amour lui appartiennent en toute propriété. Il

n'en est pas qui portent l'empreinte d'un talent plus personnel. Tout au

plus pourrait-on regretter l'abondance de ces répétitions... Car, aux qua-

tres peintures étudiées précédemment, il faut en ajouter encore cinq, qui,

de près ou de loin, se rattachent au même sujet.

,\Il n -1

242 HENRY MEIGE

Nous allons les passer rapidement en revue, les remarques qui précè-

dent nous dispensant d'insister sur des détails dont la signification est

désormais précisée.

*

.. z

La scène que l'on voit à la Pinacothèque de Munich se retrouve avec

quelques variantes dans la galerie de ,Schwerin (1) (PI. XXXV).

Décor et accessoires connus : un intérieur de jeune hollandaise; dans

le fond un lit à 'baldaquin ; au mur, un tableau représentant un paysage ;

une tablé recouverte de l'éternel tapis d'Orient. Par terre, le réchaud, le

panier d'osier à mettre t'urinai, et, mal dissimulé sous la table, le vase

i-ntimè que Jan Steen n'oublie jamais. r 1 .

. Le. petit chien est là aussi, tout mélancolique, près de sa maîtresse.

Celle-ci, nonchalamment assise, le coude appuyé contre un oreiller

placé sur : le dossier d'une chaise, soutenant sa tète avec sa main droite,

semble plongée dans un douloureux anéantissement.

. Ses paupières alourdies s'abaissent sur ses yeux dont le regard mourant

est perdu dans le vague. Encore une jeune et jolie femme qui parait être

à deux doigts du trépas. Voyez comme elle est pâle, comme ses lèvres

sont blanches, comme son bras retombe inerte sur ses genoux, quel ma-

ladif ahandon de tout son être, quelle lamentable désespérance !

. .Le. mal d'amour l'a prise et l'a frappée 'de cruelle manière. Vraiment,

ce mal.est. sans pitié.

- Celle- belle enfant qui ne demandait qu'à jouir de la vie. Son profil est

charmant, son cou est plein de grâce ; elle a les doigts les plus fluets

qu'on puisse imaginer. A voir le joli bonnet qui enserre sa chevelure el

le petit' frison qui serpente sur sa tempe, on devine qu'elle saità merveille

s'attiffer. N'a-t-elle pas enfin de quoi parer richement toute son aimable

personne : coraco de velours orange bordé d'hermine, robe de satin violet

à passementeries d'or ? ... Hélas ! Tant de charmes et tant de parures ne

protègent pas contre l'impitoyable fléau. Au contraire, ce sont là causes

provocatrices, qui semblent exposer plus grièvement aux blessures du mal

d'amour. Ainsi l'avait remarqué Varandal.

Ainsi pense assurément le médecin delà dame ; mais il ne semhle guère

ému de la voir en si pitoyable état.

C'est un docteur bon enfant, peu soucieux du décorum, et. qui, volon-

tiers, aime la plaisanterie. Ne se faisant aucune illusion sur la gravité de

la maladie, sans vergogne, il ne se cache môme pas pour en rire. Après

tout, les apparences sont peut-être plus alarmantes que la réalité.

(1) Die Liebes7tnazz7ze, n° 971 du Catal,F. Schlie, 1892. - T. IL, (12, L, u2. Signé Jan

Steen. - La photographie de ce tableau m'a été fort obligeamment communiquée

par M. le L)r Friedrich Schlie, directeur de la galerie de peinture de Schwerin.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XII. PL. XXXV.

MAL D'AMOUR

Tableau de JAN STEEN, intitulé

La Malade d'Amour.

Galerie de Schwerin.

MASSON et C ? Éditeurs.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XII. PL. XXXVI.

Photographie Braun, Clément et Cil'. Photogravure Rougeron, Yignel'ol, Dumoulin.

MAL D'AMOUR

Tableau de JnN STSCN, intitulé

La Visite du Médecin.

Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg.

Masson ET Ci», Editeurs

LE MAL D'AMOUR 243

Par habitude, il a pris l'urinai ; mais il oublie d'en examiner le con-

tenu, et, se tournant vers une vieille servante, il lui glisse à demi-voix

quelque gauloiserie. Le malicieux sourire de la vieille montre bien que le

docteur a deviné juste.

Cet a parte est du meilleur effet comique. Très habilement, Jan Steen a

placé dans l'ombre ce groupe qui contraste par sa gaieté avec la tristesse

de la malade et qui suffit à dissiper toute impression pénible. Un mal que

le médecin se permet de rallier ainsi sous les yeux de sa cliente ne peut

être inquiétant. D'ailleurs la porte ouverte au fond de la chambre nous

permet d'en entrevoir à la fois la cause et le remède.

La cause ? - C'est ce jeune cavalier à cheveux blonds qui met une main

sur son coeur, geste qui ne laisse aucun doute sur la nature de ses senti-

ments. Le remède est dans son autre main : c'est le billet qu'il remet à

une servante. Ce poulet va bientôt réconforter la jolie moribonde.

Nous connaissons déjà cette scène à la cautonnade. Elle équivaut à une

légende. D'ailleurs la légende existe, par surcroît. Jan Steen aime à mettre

les points sur les I.

Regardez sur la table : à côté d'un chandelier de cuivre, se trouve

d'abord le citron révélateur. Et, non loin de là, une feuille de papier

froissée. On y lit ces mots : '

Dner bael geen medesijn

Want het is minne pijn.

Médecine, tu n'es bonne à rien céans.

. Ne vois-tu pas que c'est le mal d'amour ?

Plus de doute sur le diagnostic. Et pour nous obligera le lire, Jan Steen

a placé prés de la table, un jeune garçonnet, joufllu, frisé et rieur qui,

du doigt, nous montre l'inscription.

Le proverbe ne dit-il pas : La vérité sort de la bouche des enfants ? .....

*

....

Au musée de l'Ermitage, à St-Pétersbourg, sixième malade (1) (PI.

XXXVI).

Malade d'amour, elle aussi, comme sa compatriote du musée d'Ams-

terdam dont elle a, non seulement le costume et les traits, mais le même

oreiller pour reposer sa tète. Plus cruellement atteinte, elle se renverse, à

demi-pâmée, sur son fauteuil, gardant cependant une étincelle de vie dans

ses jolis yeux et quelques frissons dans son petit pied.

Tablier blanc, robe rouge et corsage vert bordé de cygne, mouchoir

(1) N" 89G. La visite du médecin, B. II. 0,62. L. 0,ol, autrefois dans la galerie

d'Ilooenberg, à Amsterdam.

244 HENRY MEIGE

"'blanc encadrant le visage : voilà pour son habillement. Il ne faut pas son-

'- ,ger à tirer d'elle une parole : l'âme voltige bien loin de ce corps alangui.

^N^ous sommes à deux doigts de la syncope. Mais ce ne sont encore que

des vapeurs.

Le médecin ici présent n'en semble nullement alarmé. Solide gail-

lard au pourpoint brun, la face joyeuse, la moustache retroussée, il est,

lui aussi, d'humeur plaisante, comme son collègue de la galerie de Schwe-

rin. Les allures moribondes ne sont pas pour l'intimider.

D'ailleurs, une vieille servante au corsage jaune coiffée de noir, lui

dévoile en confidence le mystère de cette maladie : « C'est un tel ! ..... » -

,« J'entends bien, répond-il, - tandis que d'une main distraite, il fait

mine de là ter le pouls sur un petit poignet dodu, qui, nonchalamment

.s'abandonne. - « J'entends, c'est ici que le mal la lient », - et de sa

main le médecin montre son coeur; puis en badinant : « Par ma foi,

- ajoute-t-il, je regrette fort de n'être pas moi-même la cause de ce mal là,

car je l'aurais guéri de merveilleuse manière ! ... » -

Plaisanterie dont la malade ne semble guère réconfortée, mais qui fait

'sourire un jeune garçon à demi caché derrière un lit à rideaux rouges.

C'est lui peut-être qui représente ici la « cause du mal » en personne, un

Cu'pidon de chair et d'os. l'« agent provocateur du mal d'amour.. » (1).

Nous signalerons encore ici, bien qu'elle soit d'une signification moins

précise que les précédentes, une oeuvre de Jan Steen qui se trouve au

Rijk museum d'Amsterdam (2) (Pl. XXXVII). "

Elle provient de la collection van der Lloop et est intitulée actuellement

Le couple buvant. On a voulu y voir le portrait de Jan Steen et de sa

femme, opinion contredite par Burger (3). « La femme, dit-il, assise de

'profil à droite-et vue jusqu'aux genoux, mouchoir blanc noué autour de

la tête, caraco bleu sombre, jupe rouge, tablier blanc, boit dans un verre

à pied. L'homme, un peu en arrière à droite, tout vêtu de noir, la re-

garde et lui parle ; il tient de sa main gauche le pot en grès d'o>1 il vient

de lui verser à boire. Il parait avoir au moins quarante ans, et la jeune

femme guère plus de vingt. Différence d'âge qui prouve que les person-

nages ne sauraient être le couple qu'on suppose, car Jan Steen s'est marié

en Gtl.9, tout jeune, environ vingt-trois ans, et Margarita, qu'il avait

(1) Accessoires : une table dont, cette fois, le tapis est uni et de couleur violette.

Un chandelier d'argent, deux livres, une tasse, un flacon de cristal sur un plateau et

une cuiller : attirail ordinaire de la maladie. Sur le sol carrelé, l'inoubliable réchaud.

Pas de chien.

(2) 1'\0 1380 du Catal. B. 11, 21, L. 21.

(3) Bcm;rn, Musées de llollamle, t. 11, p. HO-

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE. T. XII. PL. LXXVII

MAL D'AMOUR

Tableau de JAN STEEN, intitulé

Le Couple buvant.

au Rijk Museum d'Amsterdam.

MASSOX et Cie, Éditeurs.

LE MAL D'AMOUR 245

d'abord séduite dans l'atelier de maître van Goijen, devait être assez drue

déjà. Et puis, vraiment, quoique cet homme ait bien un peu le nez en

biseau comme Steen, on n'a jamais vu maître Jan si sérieux, surtout près

d'une femme, fut-ce la sienne, surtout quand il verse à boire. »

La description et la remarque humoristique de Burger sont exactes, à

cela près qu'il nous paraît avoir quelque peu rajeuni la buveuse et vieilli

l'échanson. Il n'y a certainement pas entre eux un écart de vingt ans d'âge.

La jeune femme ressemble à bien des figurantes de Jan Steen : elle a pu

exister dans son entourage. En tous cas, elle ressemble singulièrement

aux malades d'amour d'Amsterdam et de la Haye,

Charcot et Paul Richer, mentionnant cette peinture (1), lui donnent

pour titre La femme malade. « Une femme assise, la tête enveloppée, boit

une liqueur que vient de lui verser un homme qui tient encore le broc,

et qui attend avec anxiété le résultat du remède. C'est d'un cordial que

paraît avoir besoin la malade dont les traits sont bien languissants, et

qui, par le geste de la main gauche placée sur sa poitrine, semble indi-

qner le siège du mal ».

Voilà qui ressemble singulièrement au mal d'amour.

Et en vérité, il est très possible que ce tableau ait été, lui aussi, ins-

piré par la febris amatoria. L'air dolent de la jeune femme,. le malaise

évident que son geste exprime, la similitude de son maintien avec celui

des malades d'amour authentiques, tout cela nous le reconnaissons bien.

Je crois même que l'on distingue, sous le fichu blanc qui encapuchonne

la tête, une tache noire au niveau de la tempe : indice d'un emplâtre ré-

vélateur du mal d'aimer.

On pourrait s'étonner que pour prendre une médecine, elle fit usage

d'un verre aussi allongé, véritable flûte à champagne. Mais qu'importe le

récipient pourvu que le breuvage soit efficace ? D'ailleurs, il ne s'agit

pas d'une drogue, mais d'une tisane tenue en réserve dans un pot de

grès, quelque limonade sans doute.

Quant à l'homme, son costume d'un noir sévère et le rabbat blanc qui

orne son cou autorisent à penser qu'il n'est pas étranger au docte corps

médical. S'il n'a point sur le chef le haut bonnet pointu, c'est qu'appa-

remment il n'en est pas encore digne ou qu'il l'a déposé pour prodiguer

ses soins. Au demeurant, il se montre attentif à l'exécution du traitement

prescrit et l'on devine que, par de persuasives paroles, il encourage la

malade à surmonter sa répugnance pour la médication.

C'est donc, très vraisemblablement, encore une scène de la vie médi-

cale que Jan Steen a voulu représenter. Et les analogies sont suffisantes

(1) Cune4· T PAUL R,¡CI11111, Les difformes et les malades dans l'art, p. 11G.

246 HENRY MEIGE

pour qu'on puisse songer à rattacher ce tableau il la série que le maître

hollandais a consacrée au mal d'amour.

Mais voici maintenant que maître Steen s'écarte un peu de son thème

favori et s'abandonne avec complaisance à son goût natif pour les sujets

risqués.

En entrant dans la galerie du baron Steengracht, à la Haye, nous disons

adieu aux languissantes victimes d'une chaste passion contrariée, souf-

frant de tous les maux de la fièvre amoureuse. La Visite à la malade

de la collection Steengracht est d'apparence beaucoup plus leste. C'est

cependant une scène médicale et il n'est pas dit que le mal d'amour ne

l'ait pas inspirée (Pl. XXXVIII).

Dans un lit, aux rideaux de pourpre, savamment relevés sur un balda-

quin frangé, une jeune femme est couchée, la chemise défaite, la gorge a

nu une gorge fort enviable, même en cette occurrence. Le bras droit

arrondi au-dessus de la tête,de la main gauche retenant ses draps,l'aimable

patiente repose sur plusieurs oreillers, dans la plus complète insouciance

de son audacieux négligé.

Le mal qui l'a, frappée est-il grave à ce point qu'elle en oublie toute

pudeur ? Ou bien, tout simplement, est-elle peu scrupuleuse sur le chapitre

des libertés ? Cet oeil mutin, cette lèvre rieuse, les frisons d'or qui enca-

drent ce minois éveillé n'inspirent guère d'inquiétude. Non ! vraiment.

Sa vie n'est pas en danger.

Si l'amour est encore coupable, il a du moins su galamment ménager

les formes de sa séduisante victime. La blancheur de son teint n'a rien

d'alarmant ; tout au contraire. Dans son mol abandon perce certaine

grâce voluptueuse qui n'inspire guère la commisération. Malade d'amour,

cette belle dénudée ? Peut-être...., mais cet amour a-t-il toujours été

malheureux ? ... -Il est permis d'en douter. ,

Sur une table recouverte dé l'invariable tapis de Steen, on voit dans

un plat d'argent des reliefs de volaille, et, tout à côté, une fiasque ren-

versée de vin d'Italie. C'est dire clairement que l'appétit ne va pas trop

mal. .

Grave ou non, la maladie cependant existe. Une mouche appliquée sur la

tempe gauche témoigne d'une première tentative faite pour la combattre,

sans déroger aux lois de la coquetterie.

Mais il y a mieux à faire, et le médecin est prêt à appliquer un tout

puissant remède.

Ce confrère-là est bien l'un des plus plaisants que Jan Steen ait repré-

sentés. Gros, ventru, suant, soufflant, tout gonflé de graisse et de suffisance,

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XII. PL. XXXVIII,

Cliolié Dcwald (La Haye).

Photogravure Ilougeron, Y'gnerot, Dumoulin.

MAL D'AMOUR

Tableau de JAN Steen, intitulé

La Visite à la Malade.

Collection du Baron Steengracht, à La Haye.

l\IA8o : \ 1;1' Cic, Editeurs.

LE MAL D'AMOUR 247

le chapeau sur l'oreille, la collerette dégrafée, étouffant de chaleur sous

sa longue robe brune et sous le gilet rayé qui sangle sa bedaine, il man-

que vraiment de décorum et de correction. Mais il doit brillamment tenir

sa place dans ces agapes confraternelles dont Guy Patin nous dit qu'il n'y

vit « jamais tant rire et tant boire pour des gens sérieux ». A

Ce ventripotent docteur devait plaire à Jan Steen, grand amateur de

belles fourchettes. Aussi a-t-il tout particulièrement soigné son portrait.

Debout devant le lit, un pied posé sur la marche qui le précède, le

gros homme se détourne pour faire part de ses impressions aux assistants.

Se rengorgeant, clignant de l'oeil, la lèvre malicieuse sous une ombre de

moustache tortillée : « Peste, dit-il, le beau mal à iiié(liciiiienier Ah !

que n'ai-je le moyen de lui appliquer tous les remèdes qui sont à ma

connaissance. Un surtout ! .... Mais je n'en ai pas qualité Car, évi-

demment, le mal est là ! », - et ce disant, notre homme met la main sur

son coeur, - « C'est encore quelque vilain tour de ce que nous nommons

febris amatoria, laquelle est engendrée, comme chacun sait, par des hu-

meurs pntrides et conglutineuses qui sont recuites dans le bas-ventre, se

portent ensuite au coeur et fument vers la région du cerveau... 11 faudrait

être un maître sot pour ne le point deviner et nous avons un moyen in-

faillible pour remédier à cet encombrement de fuliginosités. »

Le moyen, le voici. Une vieille femme l'apporte sous forme d'une se-

ringue qu'elle s'apprête à manoeuvrer.

Est-ce donc un lavement ? ...

Le clystère, on le sait, était à l'apogée de sa gloire, au temps de Jan

Steen, et, plus qu'aucun autre, ce procédé de traitement était fait pour

plaire à l'esprit rabelaisien du peintre.

Mais le clystère faisait-il partie de l'arsenal thérapeutique du mal

d'amour ?

S'il est vrai que mal d'amour et chlorose ont d'étroites affinités, c'est ici

le lieu de rappeler du'Hamilton a voulu voir dans la constipation la cause

même de la chlorose. « Or, dit Desormeaux, la constipation, qui est un

symptôme assez ordinaire de la chlorose, exige l'emploi des clystères, et

même quelquefois des laxatifs (1). »

Mais le clystère était à cette époque d'une pratique tellement cou-

rante qu'il est impossible de préjuger de la nature de la maladie par la

simple constatation de l'emploi d'un remède aussi banal.

On ne peut .cependant oublier ce que dit Sauvages, abordant la théra-

peutique de la lièvre amoureuse :

« Il faut détruire les oscillations des libres par les purgatifs drastiques ;

(1) Desoiimeaux, art. Chlorose, Dict. de méd., en 1S vol. 1822.

24S llLNlt1' MEIGE

relâcher leur tension par la saignée, les bains, les boissons acidules ; et

comme, d'après Baglivi, alro liquida venus fi,igescit, sicca loetatu ? il faut,

relâcher par des cathartiques. Il est arrivé souvent que des amoureux ont

été guéris après des maladies aiguës dans lesquelles ils ont été saignés et

purgés. Huetius en rapporte des exemples chez quelques-uns de ses

amis.» »

Donc, le clystère, parmi tant d'autres applications thérapeutiques, fai-

sait partie' des médications usitées contre le mal d'amour. '

Etait-il « discussif ou 'carminatif, détersif ou insinuatif, confortatif ou

corrqboratif, voire même mirobolant... » ? 2- Jan Steen n'en a cure. L'idée

seule de l'opération éveille en lui une foule de pensées joyeuses; il est

trop heureux de donner libre cours à son humeur grivoise. 11 tient à nous

y faire participer. Il n'en demande pas davantage.

C'est pour la même raison qu'il n'oublie pas défaire figurer le vase

nocturne où le médecin doit inspecter, de visu et odoratu, la qualité des

humeurs « critiques, symptomatiques ou collicluatives ». Ce procédé

d'examen avait le don d'égayer le mailre humoriste au môme titre que

le lavement, et c'est bien pour nous faire partager sa joie qu'il s'arrête à

ces détails intimes.

Chose curieuse cependant : la seringue que l'on voit sur le tableau de

la galerie Steengracht n'est pas une seringue ordinaire.

Elle est de très petit calibre et suffirait il peine pour un tout jeune en-

fant. En outre, elle est munie d'une canule, non pas de celles qu'en)

ployaient alors les apothicaires, mais terminée par un bouton renflé tel

qu'on en adapte couramment aux appareils pour injections spéciales. On

peut y regarder de près ; la forme est reconnaissable.

Alors, il ne s'agirait plus d'un lavement ? ... Et Jan Steen n'aurait pas

hésité ci faire cette allusion transparente il une intervention de l'ordre le e

plus intime ? ...

De la part de cet incorrigible luron qu'était le cabaretier de l'Etrille,

il faut s'attendre à toutes les audaces ; on peut être certain que partout-

où Jan Steen voyait un sujet de se divertir, il trouvait également le sujet

d'un tableau. Mais passons.

L'hilarité que cause la vue de l'instrument se communique d'ailleurs à

tous les assistants de cette scène.

La vieille matrone qui tient en main l'appareil se tord de rire ; derrière

elle, une jeune servante qui porte un plat de cuivre, et un homme

coiffé de noir semblent au comble de la joie. Et c'est encore en souriant

que, plus loin, près d'une porte ouverte sur une enfilade de pièces, un

homme élève au-dessus de sa télé un verre dont il inspecte le contenu.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T XII, PL. XXXIX.

Cliche Loewy (\"JeuHe\.

Photogravure Loewy.

MAL D'AMOUR

Tableau de JAN STEEN, intitulé

La Visite du Médecin.

Collection Nostitz, à Prague.

.\IASSON et CI', Éditeurs.

LE MAL D'AMOUR 249

La malade elle-même dissimule mal son sourire. Quant au médecin,

nous l'avons vu, il ne se gêne guère pour plaisanter grassement.

Seul, un petit épagneul, assis auprès du lit, semble concevoir quelque

inquiétude de l'intervention projetée.

Quelle qu'elle soit, tenons pour certain qu'elle ne sera ni grave ni dou-

loureuse. Et sans préciser autrement la nature du mal ni celle de l'opéra-

tion, simple clystère évacuât ? ou injection commandée par quelque

désordre génital, l'un ou l'autre d'ailleurs applicables au mal d'amour, -

rendons encore une fois hommage au maitre hollandais qui sut allier dans

tant de scènes médicales sa verve d'humoriste et son incomparable justesse

d'observation.

A Prague, dans la galerie Nostitz (1), autre genre de consultation.

Le décor varie peu : une chambre propre et nette ; à gauche, un lit à à

baldaquin; sur les murs, une guitare, une pendule, un tableau ; dans le

fond, une porte laissant voir des pièces éclairées par une fenêtre à vi-

traux (PI. XXXIX).

Mais ici la scène change. Le médecin a terminé son examen et rédige

une ordonnance.

Assis dans un fauteuil, courbé sur la table où il écrit, tout à ses for-

mules, c'est,un homme consciencieux, vêtu d'une longue robe brune à

manches rouges. Son crâne est pris dans une sorte de serre-tête noir sur

lequel se dresse un énorme chapeau pointu. Le visage n'est pas banal ;

les traits ont de la finesse ; sa moustache relevée en crocs, lui donne une

allure décidée, presque martiale. De toute la Faculté représentée par Jan

Steen, c'est assurément un des membres les plus sympathiques.

Sa cliente, au contraire, manque de retenue. Au risque de faire com-

mettre une erreur de formule, elle ne cesse de gémir et de se lamenter.

Assise de l'autre côté de la table, la tête soutenue par sa main gauche,

elle applique la main droite sur sa poitrine, et pousse des soupirs na-

vrants, en levant les yeux au ciel.

Cette cliente, un peu trop langoureuse, n'est plus de prime jeunesse ,

ce qui frappe surtout, c'est son embonpoint.

Or, à bien examiner ses formes, je me suis demandé si maître Steen

n'avait pas voulu nous montrer un mal d'amour d'une nature toute par-

ticulière. La dame est en effet douée d'un abdomen imposant qui bombe

de façon très appréciable. La posture de la malade y prête assurément,

car elle a le pied gauche posé sur une chaufferette et la jambe droite

(1) N° 204 delà collection. Bois, Signé.

250 HENRY MEIGE

écartée s'allonge en avant. Dans cette attitude, les plis de l'étoffe ne

dissimulent qu'à demi la rotondité suspecte. Après tout, le mal en question

n'est peut-être encore qu'une conséquence de l'amour, - mais d'un

amour qui n'aurait pas toujours été contrarié.

Bref, cette langoureuse et opulente personne pourrait bel et bien être

enceinte.

Je ne sais ce qu'en pense le confrère qui la soigne ; mais je crois qu'il

aurait tort de ne pas avoir ce soupçon. Quant à Jan Steen, nous le con-

naissons : il était homme à ne pas reculer devant une grossesse; même

en peinture, il ne voyait là qu'une occasion d'exercer sa verve gauloise

et sa malicieuse raillerie. Cet incident, en somme, n'a rien que de très

naturel, et Jan Steen aimait la nature dans toutes ses manifestations.

Le tableau de la galerie Nostitz nous ferait ainsi connaître une forme

du mal d'amour qui n'a rien de commun avec les précédentes.

C'est une hypothèse. Elle s'appuie sur la constatation d'une proémi-'

nence abominable assez suspecte, sur l'attitude de la malade, sur le dé-

braillé de son ajustement, sur le geste qu'elle fait en appuyant sa main

droite, non sur son coeur, mais sur sa gorge rebondie. L'ensemble repré-

sente assez bien une femme en mal de grossesse, souffrant de pesanteurs,

de constrictions, de nausées ; ... un vase est près de là dont la destination

est facile à deviner.

Et cette hypothèse est rendue plausible par ce que nous savons du goût

qu'avait Jan Steen pour tous les réalismes de la vie de famille.

Nous dirons donc qu'il s'agit encore ici d'un épisode du mal d'amour,

mais du mal qui provient de l'amour consommé.

Un dernier détail : comme dans les précédentes peintures, la patiente

souffre assurément de la tête ; il faut qu'elle la soutienne dans sa main

en s'accoudant sur une table. En outre, elle a posé sur sa tempe droite

l'emplâtre traditionnel destiné à adoucir ses maux.

Enfin n'oublions pas la servante qui arrive par le fond en portant l'uri-

nal. Si vraiment la dame est enceinte, il ne serait pas mauvais que son

médecin fit un examen sommaire des urines. Peut-être sommes-nous ici

en présence d'un de ces empiristes habiles à tout découvrir par le moyen de

l'uroscopie, tout, hormis ce qui était vraiment nécessaire à connaître.

.

..

Telles sont les peintures de Jan Steen qui nous ont paru se rattacher de

près ou de loin au Mal d'Amour. Neuf tableaux, - sans compter ceux qui

ont pu nous échapper, ceci témoigne d'un goût bien vif pour les scènes

amoureuses (1).

(1) Ch. Blanc donne l'indication de plusieurs oeuvres de Jan Steen qui appartien-

LE MAL D'AMOUR 251

Et si Boissier de Sauvages, au XVIIIe siècle, a mérité le gracieux sur-

nom de « médecin de l'amour », Jan Steen, un siècle auparavant, aurait

pu mériter celui de « peintre de l'amour ».

Assurément, Jan Steen avait aussi pour la bonne chère un penchant

tout particulier ; mais il ne dédaigna point les autres jouissances hu-

maines. La tradition nous apprend qu'il fut grand connaisseur en amour.

Comme en toutes choses, il n'est de meilleur maître que l'expérience,

Jan Steen commença par expérimenter sur lui-même. La propre fille de

son maître, la jolie Margarethe van Goyen, lui parut un sujet d'étude

extrêmement séduisant. Il y consacra tant d'ardeur, qu'un beau jour il ne

lui resta plus qu'à l'épouser. Ce qu'il fit de la meilleure grâce, encore

qu'il n'eut que vingt trois ans ; mais ce mariage, dit-on, était devenu in-

dispensable.

Après vingt ans d'une union d'où naquirent plusieurs enfants, Marga-

rethe mourut. Jan Steen resta veuf pendant quatre années,, puis, féru

d'une nouvelle passion, il épousa une veuve, Maria van Egmont, dont le

mari avait été imprimeur et libraire. Il devait mourir lui-même, six ans

plus tard, en février 1679.

Ces souvenirs biographiques montrent que, dans sa vie, le peintre

n'élait pas resté étranger aux choses de l'amour. Loin de là. Il prisait fort

la gaillardise; il aimait à y participer. Il devait être de ceux qui savent

mener rondement une aventure galante. A coup sûr, il prenait plaisir à

certaines privautés, couramment de mise dans la brasserie de l'Etrille.

La Societé légère du musée de Berlin, la Vie libertine à Vienne, les

Rhétoriciens et l'Offre galante à Bruxelles, la Mauvaise compagnie, à Paris,

et tant d'autres épisodes plus ou moins scabreux, témoignent hautement

de la grande indulgence qu'avait Jan Steen pour les ébats amoureux. Nul

doute qu'en pareille circonstance, il ne se montrât, comme dans les festins,

tantôt spectateur et tantôt acteur.

Loin de lui en faire un reproche, il faut au contraire lui savoir gré

d'avoir pris prétexte de ces scènes grivoises pour faire oeuvre de moralis- -

te. Car, parmi ces peintures, les plus licencieuses renferment toujours

un avertissement salutaire qui fait vite oublier les détails un peu risqués.

Est-il rien de plus dévergondé, en apparence, que le tableau du Rïjk

Museum, intitulé Après boire ? Mais n'est-ce pas peindre la débauche de

façon à la rendre répugnante aux plus libertins ?

nent vraisemblablement à a série des malades d'amour. Il est possible que certains

de ces tableaux se confondent avec ceux que nous avons examinés.

3 Le médecin el sa jeune malade, vente Laperrière (t817), « tableau admirable : il

se compose simplement de trois figures, la malade, la mère et le médecin ».

2° Médecin tdlarze le pouls à une jeune fille, Collection du duc de Wellington.

30 L'Indisposition, vente Hieris, 1841.

252 HENRY MEIGE

Et si vraiment Jean Steen a voulu représenter les conséquences natu-

relles des ébats amoureux, comme dans le tableau de la galerie Nostitz,

quel censeur maladroit songerait à s'en formaliser ? ...

Il semble que Jan Steen ait voulu enseigner la morale à la manière des

Lacédémoniens qui' faisaient enivrer leurs esclaves pour inspirer à leurs

enfantsThorreur de l'ivresse. Dans son oeuvre, les scènes de ce genre sont

parmi les meilleures. : Entre autres choses', elles nous font bien voir qu'il

avait observé l'amour dans sa brutale. réalité. Mais il est certain qu'il en

avaitsaisi également toutes'les délicatesses.' La souplesse merveilleuse de

son talent se prêtait à,la peinture de toutes les émotions, raffinées ou

grossières. ' .

Il a su représenter avec une égale franchise, des scènes naïves et tou-

chantes inspirées par l'amour maternel. Le plus joli groupe de la Noce

de campagne, à Vienne, est formé par une mère allaitant son enfant. Dans

la Scène de famille du musée de la Haye, c'est une aïeule qui fait sauter

sur ses genoux le dernier né. Et dans la Fête de Saint Nicolas, à Amster-

dam, que 'd'indulgence pour les petits, que de tendresse épandue dans

cette affectueuse réunion de famille !

Enfin', Jan Steen n'ignorait. pas les formes que revêt l'amour, lorsqu'il

s'adresse au coeur et à l'esprit. Et il a voulu peindre cette mystérieuse

affection'de l'âme dont les effets ont d'étranges réactions sur le corps. De

là, ]esMM/a</M d'amour où, sous les dehors d'un humoriste, Jan Steen se

montre en même temps bon psychologue, bon clinicien, mais surtout fidèle

observateur de la nature.' .

Pour les tableaux que nous venons de passer en revue,.cette constata-

tion n'est plus à faire. Ce sont eux précisément qui nous ont permis d'é-

tablir les caractéristiques de l'épidémie amoureuse des filles de Hollande.

Et,sans parler de la plaisante satire qui s'adresse aux médecins, nous

avons vu que l'oeil du peintre avait su percevoir plus d'un détail clinique,

plus d'une nuance psychologique, qui témoignent hautement de ses qua-

lités d'observation. -

En somme, si c'est généraliser peut-être un peu trop que de voir en

Jan Steen le peintre de l'amour, sans contredit il mérite bien le surnom

de « peintre du mal d'amour ».

Il est impossible de séparer de l'oeuvre de Jan Steen, celle d'un de ses

compatriotes, Richard (ou Régnier) Brackenburgh, né à Haarlem en 1650,

mort en 1702.

D'un dessin moins serré, d'un coloris moins sûr, les oeuvres de Brac-

kenburgh ont cependant avec celles de Steen tant d'analogies qu'on hésite

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XII. PL. XL,

MAL D'AMOUR

Tableau de R. Brackenburgh, intitulé

Il n'y a pas de remède au Mal d'Amour.

Musée Boijmans, à Rotterdam.

lassoa rr C °, Éditeurs.

LE MAL D'AMOUR 253

souvent clans leur attribution. L'influence qu'Adrien van Ostade exerça

sur les deux artistes n'explique qu'à demi ces similitudes. On peut aisé-

ment supposer que Brackenburgh s'est laissé entraînera imiter la manière

si personnelle du peintre cabaretier, lequel d'ailleurs vécut à Ilaarlem

entre 1661 et 1669.

Le tableau que nous allons examiner est à cet égard tellement caracté-

ristique qu'on éprouve en le voyant des doutes au sujet de sa paternité.

Mais il est bien signé de Brakenburgb et daté de 1696.

11 s'agit d'un peinture intitulée : il n'y a pas de remèdes au mal d'a-

mour (1) (PI. XL) au musée Boijmans, à Rotterdam.

Le'titre ne prête à aucune ambiguïté. Cependant l'interprétation n'est

pas sans soulever quelques difficultés.

En vérité, c'est du Steen tout pur : La malade alanguie, son grotesque

docteur, les assistants aux faces rieuses ; mêmes costumes, mêmes coiffures,

même agencement de l'intérieur : au fond, le lit à baldaquin, par terre, la

chaufferette et le réchaud ; sur la table, des papiers, de l'encre, une bou-

teille clissée et le panier d'osier de l'urinai. Il n'est pas jusqu'au petit épa-

gneul qui ne vienne indiquer lui aussi d'où a pu partir l'inspiration. Seule,

au plafond, une cage en cuivre où se trouve un perroquet, diffère des ac-

cessoires traditionnels.

Le médecin, un grand diable, dégingandé, débraillé, à l'habit râpé, au

chapeau défoncé, aux manchettes froissées, avec une fraise sans apprêt,

dégrafée au cou, des chausses tout juste closes.et d'informes souliers, les

cheveux ras, le nez pointu, le menton en galoche, lançant sur le côté un

coup d'oeil qu'il s'efforce de rendre malicieux et qui n'est que grotes-

que, - tel est bien le portrait peu flatteur, mais sincère de ce confrère

aux allures assez louches.

C'est vraiment Sganarelle en peinture. Le faiseur de fagots, grand

caresseur de bouteilles, lorsqu'il vient il coiffer le bonnet doctoral, n'a

pas une autre façon de se présenter. D'une main, il feint de tàter le pouls,

de l'autre il tient l'urinai, et sans regarder celui-ci ni consulter celui-là,

il débite avec une gravité comique son savant boniment rehaussé d'un

latin outrageusement fantaisiste : « Cabriciccs arci tlmram, catalamus, sin-

gulai-itei, 1 ! omin(ltiro, hoec musa, la muse, bonus, bona, bOl/u1n..... etc.

Voilà justement ce qui fait que la malade ne se porte pas bien ! ......... »

C'est merveille de l'ouïr.

Une grosse commère, les mains croisées, se pâme d'admiration, devant

ce maître du galimatias. Cependant les autres assistants ne cherchent guère

(t) Musée Boijmans à Rotterdam, n" 33, T. II, 0,45. L 0,38,

254 HENRY MEIGE

à dissimuler leurs railleuses moqueries. Une bonne fille à la face réjouie

éclate franchement de rire. Un gros homme coiffé d'un feutre noir, se

tient les côtes. Un vieux, coiffé d'un bonnet, une main sur le panier de

l'urinai, fait avec un sérieux grotesque des gestes explicatifs. Enfin, une

jeune femme, n'y tenant plus, a dû quitter la chambre pour pouffer à son

aise ; on la. voit dans le fond se pencher vers la porte et jeter un regard

plein de malice et de gailé.

Au milieu de cette joie débordante, la malade, pâle, languissante,

anéantie, est assise dans un fauteuil, enfouie clans des oreillers, un pied'

par terre, l'autre sur une chaufferette. La tète, langoureusement pen-

chée sur l'épaule, enveloppée d'un fichu hlanc, elle abandonne avec non-

chalance son bras droit au médecin qui lui tâte le pouls.

Cette attitude nous est connue ; mais voici un détail inattendu : la jeune

femme, qui écarte légèrement les jambes, tient dans sa main gauche un

objet rougeâtre qu'elle appuié contre son bas-ventre... Quel est cet objet ?

J'avoue que, malgré tous mes efforts pour essayer d'en reconnaître la

nature, il m'a été impossible de lui donner un nom. C'est une chose rou-

geâtre et de forme arrondie que la malade tient à pleine main entre ses

cuisses, et par dessus ses vêtements. La peinture ne permet pas d'en dire

davantage et la signification de cet accessoire insolite prêle toutes les sup-

positions.

Est-ce une compresse, un cataplasme, une brique chaude destinée à

adoucir une crise de douleurs abdominales ? ... Et quelles douleurs ? ...

Est-ce un mal ovarien que pourrait soulager la compression, quelque

« suffocation de la matrice », proche parente de la chlorose et de l'hys-

térie ? ..... Peut-être.

Ou bien ces douleurs ne seraient-elles pas tout simplement les prodro-

mes d'un accouchement ?

Il n'est pas défendu de le croire, d'aulant que la jeune personne est

dotée d'un abdomen suffisamment rebondi.

Et c'est justement là ce qui semble mettre en gaîté l'assistance. Le mal

pour lequel on amande le médecin n'est pas précisément de sa compétence.

Il a beau discourir et raisonner selon les règles d'Aristote ou de Galien,

une bonne sage-femme ferait sans doute bien mieux l'affaire, car ici le mal

d'amour ressemble fort au mal d'enfant. A ce mal en effet, comme le dit

la légende, on ne connaît pas de remède ! ...

Qu'on se bâte ! L'heure approche peut-être où verra le jour un petit

hollandais, à moins que ce ne soit une petite hollandaise...

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE,

T. XII. PL. XLI.

Choho liaiiistaeiigl.

l'hotogravurellaasstacng

MAL D'AMOUR

Tableau de S.1MUEL VAN HooGSTRAATEN, au Rijk Muséum d'Amsterdam.

IASSO\ LT C ? l : diL2UCS.

LE MAL D'AMOUR 255

VI .

Sous l'influence de l'école de Rembrandt, le mal d'amour revêt un as-

pect plus sévère.

La note humoristique disparaît complètement : la maladie semble plus

grave. A la tristesse de la patiente, aucun sourire ne vient faire diversion.

Le médecin prend son rôle au sérieux : il n'est même plus ridicule.

La peinture y perd en réalisme, en mouvement, en vie ; elle y gagne en

délicatesse et en sentiment. Les détails familiers passent au second plan ;

Par contre, la morbidesse des belles enamourées prend un nouvel attrait,

plein de charme et de séduction.

Le mal physique demeure cependant visible, mais on devine que l'âme

y participe grandement.

On sent que l'artiste est surtout séduit par la grâce langoureuse des ma-

lades d'amour; il est ému de leur incurable mélancolie; il en connaît la

cause; il veut nous associer sa compassion pour le mal charmant qui

s'attaque à de si jolies malades. Toute pensée joyeuse est bannie de son

oeuvre, toute équivoque disparaît; toute plaisanterie serait déplacée. Le

mal d'amour est un mal dont on pleure : sur ce mal il faut nous apitoyer.

Aussi, plus de médecins pédants et grotesques, plus de soubrettes au sou-

rire ambigu, plus d'allusions grivoises, plus de transparentes allégories.

Mais des docteurs, jeunes ou vieux, corrects, .de bonne tenue, de nobles

manières, attentifs et graves, uniquement préoccupés de leurs diagnostics

ou de leurs ordonnances. Des servantes parfois. mais discrètes et réservées.

Jamais de curieux pendant les consultations. ,

Il semble qu'on soit transporté dans un monde de moeurs plus hautai-

nes, sévère sur le chapitre des convenances, réprouvant le sans-gène et

le laisser-aller. Les médecins s'y montrent à l'unisson. Sont-ils plus pers-

picaces ? ...

Les malades cependant, malgré la réserve et la distinction de leurs ma-

nières, demeurent avant tout des malades, et les peintres nous renseignent

amplement sur la nature de leur maladie. A défaut de symboles ou de lé-

gendes, les stigmates physiques suffisent. Le mal d'amour frappe plus

haut, mais il frappe toujours de même.

..

Un des exemples les plus caractéristiques de cette nouvelle série d'ob-

servations imagées est fourni par un élève direct de Rembrandt, Samuel

VAIN IIoOGSTllAATEN (1627-1678).

La Malade de la collection van der IIoop, au Rijk muséum d'Amsterdam,

est un type du genre (PI. XLI). C'est une oeuvre délicate, soignée,

d'allure sévère.

256 HENRY MEIGE

C'est que Samuel van Iloogstraaten était un homme grave, réfléchi,

érudit, d'une famille d'artistes laborieux. Rien de commun par conséquent t

avec le joyeux Steen. De là une conception toute différente du même sujet

traité par les deux peintres. On peut aisément en juger (1).

La scène se passe dans une grande chambre aux tentures sombres, com-

muniquant à gauche par plusieurs degrés avec une enfilade de pièces. La

dernière, dont on ne voit qu'une partie dans l'encadrement d'une porte,

est pleine de lumière et richement décorée : on y distingue une cheminée

à colonnes avec des chenets de cuivre.

La chambre du premier plan est nue. Au fond, une fenêtre rondegrillée

donne un faible éclairage. A droite, un grand lit rideaux v erts légère-

ment entrebâillés laisse voir la blancheur des draps et des oreillers (2).

Deux personnages seulement animent cet intérieur un peu froid : une

(1) Nous avons déjà eu l'occasion de signaler cette peinture dans un article antérieur

dont nous rappelons ici quelques fragments. Samuelvan Hoogstraaten, Nouv. Icono-

gr. de la Salpêtrière, no 3, 1895.

Chez les Hoogstraaten, comme chez les Brenghel, les Teniers, et tant d'autres artistes

hollandais la vocation de peintre se transmettait comme un métier de père en fils.

Dirck Iloogstraaten, le plus ancien, né à Anvers (1396 1640), d'abord simple apprenti

chez un orfèvre, se fit remarquer par son adresse à ciseler l'argent. Il s'occupa bientôt

de gravure, puis de peinture. Ses tableaux d'un dessin correct et d'un vif coloris sont

rares aujourd'hui.

Son fils, Samuel van Hoogstraaten, né et mort à Dordrecht (1627-1678) fit ses pre-

miers essais de peinture dans l'atelier de son père, et devint ensuite l'élève de Rem-

brandt. Rapidement il acquit la notoriété dont il était digne, voyagea beaucoup, en

Autriche où l'empereur Ferdinand voulut l'attacher à sa cour, en Italie, en Angleterre

vendant fort cher ses tableaux, enfin revint se fixer dans sa ville natale où il ouvrit un

atelier très fréquenté, et mourut prévôt de la Monnaie.

Il peignait dans tous les genres, tableaux d'histoire, portraits, paysages, natures mor-

tes, etc. ayant hérité de son père la correction du dessin et la fraicheur du coloris et

appris à l'école de Rembrandt l'heureuse distribution des lumières et les mystères des

clair-obscurs.

Jean Hoogstraaten, son frère, s'adonna également à la peinture et devint membre

de l'Académie des beaux-arts de Dordrecht (1649).

Un de leurs neveux, David van Hoogstraaten, d'abord médecin à Dordrecht, philolo-

gue érudit, devint professeur, puis correcteur à l'Ecole latine d'Amsterdam. Il a laissé

plusieurs traductions et dictionnaires longtemps renommés.

De cette famille laborieuse, Samuel van Iloogstraaten parait être le représentant le

plus distingué. Il a fait preuve en peinture d'un certain talent ; ce fut de plus un lettré

et un esprit fort cultivé. On a de lui une Relation en vers de son voyage en Italie.

Un Traité sur la peinture ; un ouvrage curieux intitulé Le monde éclairé et le monde

aveugle.

Hoogstraaten ou IIoogstrreten (ville haute), es le nom d'une ville de la province

d'Anvers, où est né vers la fin du XVe siècle un controversiste Jacques van Hoogstraa-

ten, prieur des dominicains de Cologno, célèbre par ses écrits passionnés contre la

Réforme.

(2) N 692 du Cat. l3redius (1Y91), H. 0,67. L. 0,55. - Signé §. v. Il. - Vendu en

1833 850 florins. Collection van der Hoop. -

LE MAL D'AMOUR 2S'7

jeune femme, - la malade - et un homme entre deux âges, le méde-

cin debout derrière elle.

La malade est assise, une chaufferette sous les pieds, le coude gauche

appuyé sur une table couverte d'un tapis rouge à ornements noirs et

blancs ; dessus, une serviette blanche, une fiole et le panier de l'urinai.

La jeune personne croise nonchalamment ses mains sur sa taille, regar-

dant en face, dans le vague. Elle est vêtue d'une robe bleu clair et d'un

caraco de piqué jaune bordé d'hermine; une étoffe blanche légère cache

toute la moitié gauche de sa jupe. Sa tête est prise dans une cornette

blanche avec un grand voile. A ses pieds, un chat est accroupi.

Derrière la table, se tient debout le médecin, vêtu de noir, une toque

noire sur la tête. Vu de trois quarts, il regarde le contenu de l'urinai qu'il

élève de la main gauche à la hauteur de son oeil : sa main droite qui tient

des gants est appuyée sur sa poitrine.

Rien de plus.

De cette composition très simple se dégage un charme infini.

La pose de la jeune femme est pleine d'abandon, mais non sans une cer-

taine retenue de bon ton. Son pâle visage aux traits fatigués, ses paupières

battues témoignent d'un réel malaise. L'oeil humide et triste semble

poursuivre au loin la vision d'un rêve que la visite médicale n'interrompt

point.

Cette pâleur d'albâtre, ce teint de « cire vieillie », ces yeux langou-

reux, ces lèvres exsangues, ce brisement du corps et cette rêverie que rien

ne distrait, voilà plus de symptômes qu'il n'en faut pour être édifié sur

la nature du mal. C'est le Mal d'Amour !

Samuel van Iloogstralen a rendu tous ces détails avec une remarquable

expression de vérité, aussi bien dans la ligne que dans la couleur.

Et sa malade d'amour ressemble singulièrement à une chlorotique.

Elle en a « les pâles couleurs », d'un jaune presque verdâtre, l'oeil

alangui, la fatigue extrême ; on devine qu'elle en a aussi l'état mental : la

torpeur des idées, et les obsédantes rêvasseries.

\V. Burger, qui a décrit le tableau avec éloges (-1), émet des doutes sur

la perspicacité du docteur. « Ce médecin là, dit-il, n'est pas si subtil que

les médecins de Jan Steen, et il y a chance qu'il ne devine pas la ma

die. » .

Assurément, le médecin de Van Iloogslraten n'a pas la douce bonhomie

ni la compatissante figure de son pendant du musée Van der IIoop. Mais

rien ne prouve qu'il soit plus ignorant. Sans doute, il aurait mieux à

faire clu'a contempler les jeux de lumière au travers du liquide ambré.

(I) W. Burger, Les m niées de Hollande, t. Il, p ? 3.

XII IS

258 HENRY MEIGE

Mais qui sait si l'oeil exercé de cet éminent urologue n'est pas capable de

déceler la présence de l'urobiline ou de 1 ui-oliémtline ? Cette recherche

s'est parfaitement justifiée dans le cas actuel. On peut douter cependant

qu'il y parvienne avec le seul secours de l'inspection. Et Burger a raison

de suspecter la science uroscopique, telle que la pratiquaient les empiristes

du temps.

, Le médecin de van Hoogstraten est néanmoins très digne est très cons-

ciencieux. Sa barbe blanche el sa gravité ne prêtent pas à rire. Il n'eût

pas fait la conquête de Jan Steen. Peut-être n'est-il pas plus savant que

ses confrères en bonnet pointu. Mais il a plus de décorum.

Samuel van Hoogstraten ne pouvait pas oublier qu'il comptait au moins

un médecin dans sa famille.

C'est encore un fameux urologue que le jeune docteur appelé par G11-

rard Dow auprès de la jolie Malade d'amour dont le portrait se trouve à

Buckingham Palace (PI. XLII), tableau charmant, plein de délicatesse, d'é-

légance et de distinction.

On y retrouve toutes les qualités du maître hollandais : le choix judi-

cieux du sujet,. la belle ordonnance des personnages, une grande finesse

de coloris, une transparence et une profondeur sans égales.

Bien, que la fréquentation de Rembrandt ait exercé une heureuse

influence sur Gérard Dow, il s'est acquis un juste renom par ses qualités

personnelles, par son originalité discrète, et même son réel talent.

C'est le peintre par excellence des intérieurs aisés, confortables et élé-

gants de la bourgeoisie hollandaise. La vie familiale, dans ses épisodes les

plus insignifiants, suffit à lui fournir cent sujets de peinture. Et qu'il s'a-

gisse d'un cabinet de travail, d'une cuisine ou d'une chambre à coucher,

on peut être certain que, dans chacune des pièces ou l'on pénètre avec

Gérard Dow, le ménage est fait avec soin : tout est propre, lavé, ciré, asti-

qué, bien rangé. Si d'aventure on y voit quelque désordre, croyez bien

que celui-ci est un effet de l'art.

Et avec quelle patience, avec quelle sollicitude de ménagère éprise d'es-

thétique, le peintre sait ranger les meùbles, draper les rideaux, éclaircir

les cuivres, dresser les volailles, disposer avec art mille utiles bibelots !

Pas un grain de poussière ne lui échappe, nul détail ne lui semble super-

flu. De là une facture d'un fini déconcertant, mais tellement habile qu'elle

ne donne presque jamais l'impression de sécheresse. On l'a dit avec raison,

les tableaux de Gérard Dow, toujours de petites dimensions, ressemblent il

la nature elle-même, vue dans une chambre noire.

Gérard Dow nous a laissé un certain nombre de scènes médicales parmi

lesquelles La Femme hydropique du Louvre vient en tout premier rang.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XII, PL. XLII.

Cliché IIansstaeng

l'hotograwro nansslacngl.

MAL D'AMOUR

Tableau de GLRARD Dow, à Buckingham Palace.

Même sujet par G. NETSC11ER, au Musée de Dresde.

Masson et CU ! , Éditeurs.

LE MAL D'AMOUR 259

C'est peut-être la plus belle production du maître hollandais ; à coup sûr

c'est un chef-d'oeuvre. Nous y reviendrons avant peu.

On a encore de lui un Médecin urologue, à Vienne, dont une réplique

existe à Pétersbourg et une copie dans la galerie Six Amsterdam ; une

autre copie est au musée d'Angers.

Son Arracheur de dents du Louvre est aussi une peinture de premier

ordre. Il en existe d'autres dans les musées de Dresde et de Schwerin,

ainsi que de nombreuses répliques ou copies.

La Malade d'amour de Buckingham Palace ne le cède en rien aux meil-

leurs tableaux de Gérard Dow.

Scène d'intérieur, familière et discrète, d'un naturel parfait ; person-

nages réservés, « comme il faut » ; décor simple, mais confortable; ac-

cessoires en bon ordre ; un fauteuil bien rembourré, une table, et sur la

table, recouverte d'un tapis d'Orient, un encrier de cuivre, très brillant,

une fiole proprement bouchée, une feuille de papier, et le panier d'osier

cylindrique pour ranger l'urinal.

Dans le fond, un grand lit surmonté d'un dais rond dont une servante

proprette et silencieuse écarte légèrement les rideaux.

C'est une maison tenue avec le plus grand soin, et la maladie peut y

pénétrer sans déranger la régularité du ménage. L'arrivée du médecin se

fait aussi sans bruit; il est sûr de trouver un accueil respectueux et de

donner en paix sa consultation. Que nous sommes loin des intérieurs

bouleversés peints parJan Steen et des moeurs souvent cavalières de ses

figurants !

Dans le silence, et non sans quelque émotion, la malade attend que le

médecin se prononce.

C'est une gracieuse petite bourgeoise, douillettement velue de satin, de

velours et de fourrure, la tète prise clans un grand fichu blanc. Elle est

assise auprès de la table, muette, inquiète, suivant du regard tous les dé-

tails de l'examen.

Nul doute sur la nature du mal qui l'afflige. C'est le Mal d'amour. Voyez

son teint d'albâtre, ses lèvres pâlies, et, malgré la rondeur de ses joues,

l'expression douloureuse de son visage. '

Sur sa tempe, une large mouche, bien en vue, tranche par sa noirceur

sur le blanc mal de la figure, stigmate certain de la maladie.

Et voici un nouvel indice : La main droite appuyée contre la poitrine

montre clairement le siège du mal : c'est le coeur, dont les battements tu-

multueux trahissent la lièvre amoureuse, fièvre de l'àme dont le corps

subit les fâcheux effets, et que la qualité du pouls fêta sans doute connai-

S60 HENRY MEIGE

e; : tre à celui qui la soigne. Aussi lui abandonne-t-elle timidement sa main, ? redoutant un peu la révélation de sa peine.

A l'inverse d'Hoogstraaten, Gérard Dow a choisi son docteur parmi les

moins âgés de la Faculté. A jeune malade, jeune médecin.

Celui-ci est des plus novices; il n'en semble pas moins digne de la grave

mission qui lui est confiée. Très sérieux, l'neil attentif, la lèvre réfléchie,

il oublie les attraits de sa jolie cliente pour ne songer qu'au mal qu'il veut

dépister. Et, détournant ses regards d'un trop séduisant visage, il les con-

centre sur le contenu de la bouteille uroscopique où se jouent les reflets

des vitraux lumineux.

Rien de plus expressif que cette figure de jeune savant, aux traits mâles

et énergiques, ombrée par un soupçon de moustache, éclairée par un oeil

vif et pénétrant. '

Costume discret, ni trop sévère, ni trop riche. Pas de chapeau pointu,

pas de robe magistrale : un simple bonnet entouré de fourrures, et des

fourrures encore autour du vêtement ; ce qu'il faut enfin pour assurer le

respect professionnel, sans tomber dans le ridicule des emblèmes pédantes-

ques. ,

Voilà bien la tenue qui convient au médecin du mal d'amour. Et, s'il

manque à ce jeune docteur l'expérience d'une longue pratique, peut-être

est-il mieux en mesure qu'un confrère au chef blanchi de comprendre le

mal dont souffre la belle clame. Mais qu'il se garde de la contagion ! Le Mal

d'Amour guette parfois les hommes : il n'est pas sûr qu'il épargne les mé-

decins.

*

..

Il existe, au musée de Dresde, une réplique de ce tableau, signé de Gans-

PARU NETSCHER. On se rappellera à ce propos que Netscher, né à Ileidel-

berg en 1639, fut destiné d'abord à la médecine, puis s'adonna à la pein-

ture sous la direction de Terburg.

Son tableau du musée de Dresde semble être une copie de celui de Gé-

rard Dow. Il porte cependant la signature de Netscher, avec la date 166lui,

sur le socle cle l'encrier que l'on voit sur la table. Pas d'autre particularité

notable à signaler.

(A suivre.)

Le gérant : Il. Boxcuez.

fiep. J. Thevenot, Saint-Duiei (Haute-Marne;.

12' Année N°4. Juillet- Août

DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE

ou

MYXOEDÈME FRUSTE (1)

par le Dr

E. HERTOGHE,

d'Anvers.

Je me propose de faire la description clinique de ce qu'on appellera le

mY : l'oedèllle fruste, l'appauvrissement thyroïdien bénin, ou, mieux encore,

l'liypothyroïdze bénigne chronique.

Cette dernière dénomination est préférable, parce qu'elle n'impose pas

à l'esprit l'idée du'symptôme oedème, lequel n'est rien moins que cons-

tant dans l'espèce.

HISTORIQUE.

Le myxoedème franc est actuellement bien connu, suffisamment du

moins pour être diagnostiqué et guéri. Il a été l'objet d'un grand nom-

bre de monographies. Comme modèles du genre, nous citerons celle du

professeur Pel à Amsterdam, et celle plus récente du Dr G. Buschau, à

Slettin. Cette dernière fait partie de la Reaf-Encyclopiidie der gesa11l1Jlteu

Heilkttnde (1898), éditée à Vienne. Elle est très complète et constitue

un document précieux, établissant exactement, à ce moment, l'état de la

question.

Il n'en est pas de même du myxoedème fruste, de celui qui n'aboutit

pas fatalement à la déchéance totale.

Entre l'intégrité thyroïdienne parfaite et le myxoedème franc, il y a, on

le conçoit, une infinité de degrés, dont quelques-uns sont compatibles avec

une activité intellectuelle intense et les exigences les plus compliquées

de la vie sociale. Brissaud les a signalés et s'est même avancé jusqu'à dire

que certaines formes relèvent de l'insuffisance du principe thyroïdien,

d'autres de la diminution de l'élément parathyroïdien.

(1) Une partie de ce travail a été présentée à l'Académie royale de médecine de Bel-

,gigue, séance du 25 mars 1899.

XII 18

262 E. HERTOGHE

Pour Robert Hutchison, le suc para thyroïdien serait sans effet thérapeu-

tique dans le myxoedème (1) : «Feeding with a parathyroid bas no elfect

on myxoedema. » La question est donc encore s7cb jzcdice et Brissaud, à coup

sur, ne s'en tiendra pas là.

Buschau consacre à peine deux lignes aux formes frustes du myxoedème

des adultes : « Le diagnotic est très ardu, dit-il, lorsque la maladie est im-

parfaitement développée ou lorsqu'elle se présente comme forme transi-

toire vers l'obésité. » Il propose de juger les cas douteux par le traite-

ment. l.

Thibierge a publié, le 10 novembre 1898, une monographie : cMy.Toe-

dème (2). Elle est d'une érudition profonde et la lecture en est attrayante.

Il dit à propos des formes frustes dont l'élude est encore à faire et qui

peuvent seulement être soupçonnées :

Chez les adultes : « Un état habituel d'apathie succédant à un caractère

plutfitactif ou tout au moins normalement éveillé, le développement d'un

embonpoint un peu exagéré, sans qu'on puisse parler d'infiltration du tégu-

ment, tels sont les symptômes, dit-il, qui peuvent faire présumer les for-

mes frustes du my°xaedéme; si, en outre, on remarque l'existence d'une

plaque congestive au centre de la joue, si le sujet éprouve une sensation

persistante de froid et si surtout on constate que le corps thyroïde est d'un

volume inférieur à la normale, ce diagnostic acquiert une grande vrai-.

semblance. L'effet favorable du traitement thyroïdien peut fournir un ar-

gument important en sa faveur. D'autres fois, le myxoedème fruste peut se

traduire uniquement par une tendance morbide à l'embonpoint et certai-

nes formes d'obésité tardive ne sont peut-être que des cas de ce genre. »

Ce complexus symptomatique : apathie, embonpoint naissant, plaque

congestive de la joue, sensation persistante de froid, volume amoindri du

corps thyroïde, ce n'est plus du myxoedème fruste, c'est la maladie fran-

che et bien confirmée.

Chez les enfants, Thibierge admet qu'il y a des formes frustes : « Bris-

saud, dit-il, pense que l'état décrit sous le nom d'infantilisme peut être

une forme atténuée de myxoedème. » Thibierge lui-même, en 1891 déjà,

affirmait que les sujets restés infantiles par leurs proportions générales et

par le développement insuffisant de leur appareil sexuel sont souvent

les bérédo-syphilitiques mis à part - des myxoedémateux à forme atté-

nuée.

(1) Furlher observations on the chemisti-y and action of the IhYl'oid gland (Journ.

of. physiol., vol. XXIII, n" 3, July 1898), cité par 1).-J. LEECII in Med. Chron., sept

1898, vol. IX, no 6, p. 419.

(2) Cette monographie fait partie de la collection des Monographies cliniques sur les

questions nouvelles en médecine, chirurgie et biologie.

DE L'i11 POTQYROtDIG BÉNIGNE CHRONIQUE 263

Thibierge nous a fait l'honneur de mentionner la thèse que nous avons

défendue en la matière, à savoir : l'unité dysthyroïdienne étiologique £ le

toutes les formes de l'infantilisme (1). « Cette extension du domaine patho-

logique, dit-il, parait excessive. »

Je profite de l'occasion pour préciser ma pensée et la compléter. Je pense

que tous les infantiles, quels qu'ils soient, même ceux qui ont une taille su-

périeure ci la normale, sont des ddstlyroïdieats.

Que l'arrêt de développement porte sur la taille ou non, qu'il soit dû à

la syphilis héréditaire, au paludisme, à l'alcoolisme ou à la tuberculose

des générateurs, il y a toujours atteinte préalable à la vitalité du corps

thyroïde.

Les variétés les plus dissemblables d'infantilisme se rencontrent parmi les

enfants d'une même famille, sous le même toit. J'ai vu, dans la -même fa-

mille, deux cas de myxoedème franc avec idiotie, deux cas de chondro-dys-

trophie grave, un nain rachitique et un cas d'obésité infantile. Je traite

deux cousins germains dont l'un représente le type infantile décrit par

Lorain, le plus net qu'on puisse trouver, et l'autre est franchement myxoe-

démateux. Une dame, atteinte de goitre exophtalmique, m'amène son fils

atteint d'infantilisme (type Lorain), d'une taille supérieure à la normale,

très intelligent du reste et se rendant parfaitement compte de son état de

retard sexuel.

On sait que l'ossification du squelette palmaire est retardée chez le my-

xoedémateux franc (2).

Voici le squelette palmaire d'un infantile (type Lorain), âgé de 24 ans. Je

le traite depuis trois ans. Au début de la cure, il mesurait 1 m. 40. Au-

jourd'hui, il dépasse 1 m. 60. La puberté, qui était absente, est à l'heure

actuelle en plein développement. (Fig. 1.)

Remarquez comme les cartilages d'accroissement sont intacts et trans-

lucides. Je traite en même temps la cousine germaine du sujet : celle-ci

est atteinte de myxoedème franc.

Le traitement thyroïdien est vivement ressenti dans toutes les formes d'in-

fantilisme. Là où l'ossification n'est pas achevée, il y a reprise de la crois-

sance. La poitrine se développe en largeur. La respiration nasale, rétro-

nasale, pharyngienne s'améliore. Les organes sexuels s'achèvent.

Les lésions osseuses du rachitisme, de l'ostéomalacie (3), de la syphilis

(1) Nouvelles recherches sur l'infantilisme et les arrêts de croissance (Bulletin de

l'Académie royale de médecine de Belgique, 1S9 ï, 4" sér., t. XI, no 9, 18ï).

(2) Diagnostic de la possibilité d'une reprise de croissance, etc. (Bulletin de l'Aca-

démie royale de médecine de Belgique, 1896, t.X, 4e sér., p. 504).

(3) A propos de l'infantilisme et de son affinité avec l'ostéomalacie, voir F. SIEGERT,

Un cas d'osléomalacie chez l'enfant (Munchener med. Wochenschrift, 1898, 1er nOI'em-

264. E. HERTOGUE

héréditaire, du myxoedème congénital se ressemblent à s'y méprendre.

Je montrerai plus loin (voir fig. 12) une petite lille au ventre gros et

hernié, au cou raccourci par le gonflement sus-claviculaire du myxoedème

et qui présente en même temps le tibia iieredo-specinque en lame de

sabre. v

Il sérail impossible de montrer un crétin myxoedémateux qui ne fût en

Fig. 1. - Radiogramme du squelette palmaire d'un infantile type Lorain, âgé de 24 ans

(Les flèches indiquent les cartilages d'accroissement encore translucides).

même temps rachitique. Voyez les figures 10 et Il 1 , et comment le rachi-

tisme s'est corrigé sous l'influence du traitement thyroïdien.

Les diverses causes morbides énumérées plus haut impriment à leurs

victimes un cachet propre, je l'admets. Mais toutes commencent par

amoindrir l'activité thyroïdienne. De la vient la similitude des lésions,

toutes d'ordre trophique en somme, en présence de la multiplicité et de la

diversité causales.

bre, 44, p, 1401). Article analysé par Rôwoc, dans Presse Médicale, 7 décembre 1898,

p. 336.

DE L'HYPOTHYROïDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 265

On verra plus loin, lorsque je traiterai plus particulièrement de l'hy-

pothyroïdie bénigne chez les enfants, que la notion de l'infantilisme doit

être notablement élargie. Beaucoup de manifestations maladives de l'en-

fance et de l'adolescence doivent être attribuées à l'insuffisance thyroï-

dienne. '

Il y a deux choses dans l'infantilisme : l'appauvrissement des ressources

thyroïdiennes et l'aberration qui préside à la répartition de ces mêmes res-

sources.

L'infantilisme n'entraîne pas essentiellement l'arrêt, ni même le retard

de la croissance. Certains infantiles sont d'une taille élevée, qui paraît

même excessive à cause de l'étroitesse du thorax et l'invraisemblable min-

ceur des fémurs et des jambes.

Lorsque tout l'effort thyroïdien se porte vers le développement en hau-

teur, l'inanition trophogène n'en est que plus vivement ressentie en d'au-

tres territoires. Le plus souvent, c'est l'appareil sexuel qui en souffre..

Parfois l'apport thyroïdien suffit à édifier la taille et môme à élaborer

les organes de reproduction. L'infantilisme se fait alors sentir ailleurs.

Les manifestations de ces infantilismes frustes sont infiniment variées

et nombreuses. Nous avons déjà (1) signalé les végétations adénoïdes du

naso-pharynx, les hypertrophies de la muqueuse nasale, si caractéristiques

dans le grand myxoeclème et qu'on retrouve si obstinément dans l'infanti-

lisme mitigé. Qu'on se donne simplement la peine d'inspecter les amyg-

dales chez les infantiles (type Lorain). J'en connais de monstrueuses.

Il y a une forme d'infantilisme qui affecte l'appareil vocal : persistance

du timbre enfantin à l'âge d'homme, les organes sexuels étant bien déve-

loppés.

Il y a l'infantilisme du système pileux, la face restant glabre et imberbe,

et l'infantilisme du système dentaire, sur lequel je reviendrai plus loin.

Il y a une variété d'infantilisme qui se traduit par une fragilité anor-

male et, si je puis m'exprimer ainsi, par une sénilité précoce du système

veineux : varices, varicocèles, bourrelets hémorroïdaires. D'autres fois, ce

sont les veines du bras, du dos de la main, monstrueusement dilatées, mains

de vieillards. -

Il y a l'infantilisme vésical ; l'incontinence nocturne, dite essentielle,

est, à mon avis, un phénomène d'hypothyroïdie. Je le prouverai dans un

autre travail. Celle infirmité, qu'on a qualifiée d'essentielle pour masquer

l'ignorance absolue où l'on est quant à sa cause, s'accompagne toujours

d'autres manifestations infantiliques visibles.

Il y l'infantilisme de l'appareil visuel. J'ai pu améliorer notablement la

(1) Végétations adénoides et myxoedème (Bulletin de l'Académie royale de médecine

de Belgique, 1898).

266 E. HERTOGHE

vue, par la thyroïdine, dans une famille ou mère et enfants étaient atteints

de nyctalopie. La fille aînée est une naine rachitique à ménorrhagies. La

mère est manifestement hypothyroïdienne. Certaines formes de strabisme

ou plutôt de défaut de synergie des muscles moteurs de l'eeil, reconnais-

sent la môme origine. L'hémophilie proprc1tu myxoedèmc peut se traduire

par des épistaxis dits de la puberté. Ces derniers accidents disparaissentra-

pidement'sous l'influence de la thyroïdine.

L'exposé historique du myxoedème fruste serait incomplet si nous ne

disions un mot du travail publié par M. G. Murray dans le British médical

Journal du ,le, octobre 1898, page 942, travail intitulé : Diagnosis ol'eai -y 1

thyroidal fibrosis. « L'insuffisance thyroïdienne bénigne, dit-il, est beau-

coup moins facile à reconnaître que le myxaedéme franc. » Il donne quatre

cas de ce genre. Il insiste sur le fond ambré du teint, plaqué de rouge aux

joues. Il signale comme symptôme nerveux certaines hallucinations de

l'ouïe et de la vue. Il y attache une grande importance, surtout à l'âge

critique. L'auteur affirme connaître beaucoup de cas de ce genre. Dans les

cas douteux, le traitement servirait de critérium.

MÉTHODES D'INVESTIGATION.

Pourquoi le myxoedème fruste, qu'il ne faut pas confondre avec les pro-

dromes du grand myxoedème, n'est-il pas ou guère connu ? C'est parce

qu'il n'a pas été étudié méthodiquement. On s'est contenté de soupçonner la

maladie. On n'a jamais attaqué le problème par les moyens appropriés, et

cela par suite d'un manque de logique que l'on retrouve trop souvent en

.médecine. 1

A. On n'insiste pas assez sur les antécédents héréditaires d'un mal aussi

essentiellement héréditaire que le myxoedème.

On m'objectera peut-être que la maladie n'est pas fatalement un héri-

tage et que l'adulte peut devenir spontanément myxoedématux à un cer-

tain âge. Je le nie. Mais admettons pour un instant que cela soit.

On ne contestera pas qu'il y a des cas où le myxoedémeest congénital.

L'enfant est déjà myxoedémateux à sa naissance. Les parents ne peuvent

léguer ce qu'ils n'ont pas. Il faut qu'un des générateurs soit atteint d'hy-

pothyroïdie. Supposons que ce soit la mère. L'influence paludéenne, pour

citer un exemple que j'ai vu, agit sur elle pendant grossesse et déter-

mine l'effondrement strumiprive du foetus. D'autres fois, la syphilis, l'al-

coolisme, la tuberculose jouent le rôle d'aggravant.

Les myxoedèmes congénitaux graves offrent au point de vue héréditaire,

des ressources précieuses et des lumières dont il faut profiter. On élimi-

nera facilement ce qui revient à la tuberculose, à l'alcoolisme qui n'af-

fectent dans la règle qu'un des conjoints; on aura plus de peine dans la

DE L'BYPOTIIYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 267

syphilis où les deux peuvent être atteints. Examinez surtout la mère. Ne

vous contentez pas de lui palper le cou pour apprécier le volume du corps

thyroïde, atrophié ou non, ce qui est une exploration illusoire. Examinez

tous les organes et surtout ceux qui sont pris dans le grand myxoedème.

Comment s'est passée son enfance, son adolescence ? Quand s'est établie

chez elle la puberté et son signe visible, la menstruation ? Comment s'est-

elle comportée travers ses grossesses, ses accouchements ? Récapitulez

toute sa vie sexuelle. En dehors de cela, interrogez la pour savoir si elle

souffre actuellement et de quoi, si elle a souffert antérieurement. Neuf

fois sur dix, vous mettrez la main sur un myxoedème fruste. Nemo dat

quod non IrrcGcl. Examinez aussi le père. Faites une enquête soignée sur

les frères et soeurs de l'enfant myxoedémateux, et vous trouverez des ta-

res d'hypothyroïdie variées, plus ou moins graves. La encore vous trou-

verez des myxoedèmes frustes.

Répétez cette recherche méthodique dix fois, cent fois, et vous serez

étonné de voir où elle vous mènera.

Au cours de mes recherches sur l'infantilisme elles arrêts de croissance,

j'ai interrogé et examiné de propos délibéré beaucoup de mères d'enfants

nains, arriérés, rachitiques, tous hypothyroïdiens d'après moi. J'étais

frappé de voir chez ces femmes, non seulement un facies caractéristique

et une allure spéciale, mais aussi un ensemble de phénomènes pathologi-

ques toujours les mêmes.

J'ai fait imprimer un questionnaire double pour me faciliter la ré-

daction de l'enquête. Questions relatives à l'enfant, d'un côté ; de l'autre,

questions relatives'à l'enfance, l'adolescence de la mère, l'apparition de

la puberté, la santé générale el l'état de chaque organe en particulier.

L'uniformité, le retour constant des mêmes réponses aux mêmes ques-

tions est surprenante, et c'est après avoir dépouillé un grand nombre de

cas que je suis arrivé à me tracer une image caractérisée, saisissante pour

moi, d'une entité morbide très nette, très semblable à elle-même dans les

incarnations individuelles, de t'hypothyroïdie bénigne chronique chez la

femme adulte, de cette forme de myxoedème qui ne marche pas fatalement

vers la cachexie, compatible avec les exigences de la vie ordinaire et sus-

ceptible même d'amélioration spontanée.

Partir de l'enfant nettement dysthyroïdien, remonter aux parents, (il-

tribuer provisoirement aux désordres que présentent ces derniers une origine

hypolhyroïdienne, jusqu'à plus ample justification, voilà le premier procédé

dont je me suis servi pour arriver à connaître les symptômes du rra.xadème

larvé.

Une seconde méthode d'investigation, non moins fructueuse que la pre-

mière, est la suivante : .

268 E. HERTOGHE

B. Dans mon dernier mémoire à l'Académie (1), je disais que de toutes

les maladies, le myxoedème franc est la plus suggestive et celle qui se

prête le mieux à l'étude. On la guérit aussi vite et aussi lentement qu'on

veut, complètement même, de manière à dérouter l'oeil le plus exercé. Une

fois guérie, on peut refaire la maladie. Le malade, naturellement insou-

ciant, se néglige, abandonne le traitement et retombe insensiblement dans

son état primitif. Il passe, sous vos yeux, de la santé parfaite à l'hypothy-

roïdie bénigne d'abord et retourne à la cachexie primitive. La maladie se

présente sous ses aspects les plus variés, soit en guérissant, soit en récidi-

vant. A force de voir ces états intermédiaires, on arrive il se familiariser

avec eux et à les reconnaître tout de suite. C'est ce qu'on peut formuler

en deux mots : défaire le myxoecIème pal' le traitement; en faire la synthèse

en supprimant la médication.

Pour mieux faire comprendre l'avantage que l'on peut retirer de cette

méthode d'investigation, citons quelques exemples :

La femme représentée à la figure 2 est atteinte de myxoedëme franc.

Voyez la bouffissure du visage, le gonflement de la lèvre inférieure, la

déprédation sourcilière et celle de la chevelure sur la ligne médiane. Les

pommettes sont plaquées de rouge écarlate. Le fond de la face est jaune

ambré; la voix, lente et coassante. La peau est sèche, rugueuse; le cuir

chevelu, squameux, dépouillé en grande partie. (Fig. 2.)

Au début de ma carrière médicale, il y a une quinzaine d'années, j'ai

traité cette femme parce qu'elle se plaignait de rhumatismes. Je ne con-

naissais rien alors du myxcedéme. Je me rappelle que tous ses muscles

étaient raides et douloureux, les articulations gonflées, la démarche lourde,

ankylosée. Les douleurs du dos étaient intolérables. Puis, sans avoir jamais

pu la soulager, je la perdis de vue pendant six ans. Je la revis ; elle avait

alors 64 ans. Je reconnus le myxoedème au son de sa voix. J'instituai le

traitement. Je ne m'attendais nullement à voir disparaître la douleur et la

raideur universelles, ne rangeant point ces symptômes sous la bannière

hypothyroïdienne. Elles disparurent cependant, lentement et progressive-

ment, en même temps que l'oppression très pénible à laquelle j'avais

toujours vu cette femme en proie et que j'attribuais en partie à l'obésité

et en partie à l'emphysème pulmonaire.

En mai 1896, il ne restait plus rien de tout cela. (Fig. 3.)

Guérie, la malade ne tarda pas à délaisser son traitement. L'oppression

et les douleurs revinrent peu à peu, pour disparaître de nouveau lorsque

le traitement fut repris. Or, ces phénomènes rhumatismaux, la patiente

les présentait déjà au temps où elle élevait ses enfants. Elle avait fini par

(1) Végétations adénoïdes et myxoedème (Loc. cit.).

DE L'HYPOTHYRODIE BÉNIGNE CHRONIQUE 269

s'y résigner, ne demandant plus les soins du médecin que lorsque les dou-

leurs du dos et des membres devenaient trop fortes el que le gonflement

des articulations (poignets, genoux) devenait inquiétant. Ces douleurs

étaient alors comme maintenant une simple manifestation d'hypothyroï-

die.

Quand on se rappelle que les classiques (1) rangent parmi les causes du

grand myxoedème le rhumatisme articulaire aigu, on se met à penser qu'il

Fig. 2. - A..., Gtj ans. Myxoedème franc;

forme rhumatismale, avant le traitement.

Fig. 3. - A... Même sujet ;

après le traitement.

y a erreur et que le rhumatisme, loin d'avoir produit la déchéance thy-

roïdienne, en est au contraire le contre-coup musculaire et articulaire. Le

myxoedémateux vit dans un hiver perpétuel.

Il faut attirer l'attention des médecins sur ce point important, afin qu'ils

(1) Voir à ce propos : Report of a Commuée of the clinical Society of London, 1888,

p. 26 : a In two cases, myxoedema is ascribed to prolongea lactation, in four cases to

excessive he11 ! ol'l'hage, and in eight to acute l'heumatis11 ! , in two of which the inyxoe-

dema is said to have commenced after the attack.

270 E. HERTOGHE

se livrent, en présence de ces rhumatismes chroniques inguérissables, à

une enquête minutieuse, et fassent en sorte de trouver des symptômes

d'hypothyroïdie concomitants chez le sujet lui-même, chez ses ascendants

et descendants. -

L'étude analytique et synthétique du grand myxoedème est intéressante

Fig. 4. \Iyxcedème franc à la période de cachexie, trois jours avant la mort.

au point de vue de certains désordres viscéraux que l'on rencontre presque

invariablement dans l'hypothyroïdie bénigne. Nous voulons parler du foie

et des intestins.

La figure 4 montre une femme atteinte de cachexie strumiprive. Elle

mourut trois jours après que fut prise cette photographie. Nous ne dirons

rien des symptômes. Nous ne ferons remarquer qu'un point, c'est que

DE L'RYPOTHYROIDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 271

cette femme conserva jusqu'à la fin de sa vie toute sa lucidité d'esprit, ce

qui est eu contradiction avec l'enseignement classique. (Fig. 4.)

Je ne cite cette observation que parce que l'autopsie fut permise. La

vésicule biliaire était fortement

distendue, prête à se rompre,

soufflée à son pôle supérieur. Il

s'y trouvait un gros calcul qui

permettait l'entrée de la bile et

en bloquait la sortie. (Fig. ">-)

Je fus très frappé par cette

constatation, et plus tard, sur le

vivant, j'ai toujours recherché,

clans le myxoedème, la sensibilité

du foie et spécialement celle de la

vésicule biliaire 0). Très sou-

vent, pour ne pas dire toujours,

on découvre un point douloureux

il l'endroit indiqué. Cette sensi-

hiiite disparaît par le traitement.

Bien qu'une vésicule calculeuse

soit chose banale dans une salle

d'autopsie, j'ai tenu à en donner

ici la reproduction, afin d'insister

davantage sur les désordres du

foie dans le myxoedème franc ou

fruste. Il faut toujours, dans ces

affections, penser aux congestions

du foie el il la présence de calculs

ou de sable biliaire dans la vési-

cule.

La coloration jaune ambré, par-

ticulière aux strumiprives, n'est

qu'une jaunisse atténuée et dé-

pend de troubles biliaires.

La femme C... (PI. XLIII, 6) nous

fournit un exemple très instructif

au point de vue du foie.

Fig. 5. - Myxoedème franc ; vésicule biliaire

contenant un gros calcul. La vésicule est

fortement dilatée et prête à se rompre.

Comme on le voit, c'est un cas de myxoedème très net. Le sujet est âgé de

(1) 13USCII.\U (loc. cit.) mentionne, parmi les causes qui ont amené la mort dans le

myxoedème, les calculs biliaires enclavés (eingeklemmle Gallensleine).

272 E. HERTOGHE

40 ans. Je reçus sa première visite en décembre 1894. J'obtins difficilement

des renseignements exacts sur les parents. Le père serait mort d'hydropisie et

de rhumatismes. La patiente se plaint surtout de fatigue des membres et de

douleurs dans le dos. Elle a eu six enfants. L'aînée, une fille, est sujette il des

ménorrhagies. Deux jeunes garçons ont eu le rhumatisme articulaire aigu il un

degré intense. Son appétit est nul : elle ne mangerait jamais si elle s'écoutait,

dit-elle. Elle a des hémorrhagies intarissables, des douleurs de tête intolérables,

des frissons fréquents. La température buccale est de 35°7. La face est bouffie,

ambrée, rouge aux pommettes, la chevelure très bien conservée ; les dents sont

bonnes et belles. Les troubles trophiques du côté des cheveux et des dents sont

peu accusés. La gencive est saine, ce qui est exceptionnel dans le myxoedème.

Il y a de la mélancolie, de l'apathie, de la difficulté de penser, d'agir. Mise en

traitement à l'Institut Saint-Camille, elle en sort au bout de six semaines.

(PI. XLIII, 7.)

Depuis ce temps, Mme C... suit son traitement et l'abandonne alternative-

ment. Son état s'améliore et parfois il y a récidive. Quand elle laisse le médi-

cament, le retour du mal s'annonce en premier lieu par de la pesanteur de

l'estomac, de la difficulté de se coucher, de la sensibilité du foie et du dégoût

pour la viande.

Le 2 novembre 1897, après s'être longtemps négligée, Mme C... me fit man-

der, à la hâte, la nuit. Je la trouvai en proie à d'atroces coliques biliaires. Le

traitement d'urgence, huileux, calmant, plus tard la thyroïdine, remirent tout

en place.

Qu'on nous permette une réflexion. La ménorrhagic est un des symptô-

mes les plus constants du myxoedème. La calculose et les troubles biliai-

res sont tout aussi fréquents. Que de théories n'a-t-on pas échaufaudées

pour expliquer la coexistence de ces deux ordres de symptômes : ménor-

rhagies et crises douloureuses (calculs) du l'oie ? M. Paul Dalché a publié,

le 12 novembre 1898, dans les Bulletins et mémoires de la Société médicale

des hôpitaux de Paris, page 130G, une étude très documentée qu'il inti-

tule : Les métrorrhagies dans les maladies du foie. « Avons-nous, dit-il, le

droit de risquer une interprétation de physiologie pathologique pour expli-

quer comment les maladies du foie retentissent ainsi (par des ménorrhagies)

sur la menstruation ? » Il considère comme la plus vraisemblable l'hypo-

thèse qui attribue les ménorrhagies à une congestion menstruelle poussée,

« sous l'influence hépatique, au delà de ses limites habituelles ». Reste à

expliquer le pourquoi de la congestion.

« A. Robin, continue M. Dalclié, rattache les accidents à une altération

du sang ou des parois vasculaires dépendant de poisons, de toxines, etc. »

Nous pensons que la ménorrhagie est essentiellement dysthyroïdienne.

La calculose biliaire et la congestion du foie (dans certains cas) se trou-

vent sous la même dépendance. Les désordres du foie ne sont donc pas la

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XII. PL. XLIII.

MYXOEDÈl\lE FRANC

(Hertoghe)

6. Mme C. Avant le traitement. - 7. Après le traitement

8. Mme D. Avant le traitement. - 9. Après le traitement.

DE l'hypothyroïdie BÉNIGNE CHRONIQUE 273

cause des désordres utérins, ni réciproquement ; les uns et les autres sont

d'origine hypothyroïdienne et cèdent à un même traitement.

M. A. Robin, sans savoir au juste pourquoi, n'était pas si loin de la vé-

rité.

On consultera utilement, au sujet de la congestion expérimentale du foie

chez les animaux thyroïdisés, les beaux travaux de A. Ver Eecke, assistant

à l'Université de Gand (1). '

Donnons encore un exemple : (PI. XLIII, 8.)

Mme D... s'est mariée de bonne heure Elle a eu dix-sept grossesses. Douze

ont amené des enfants vivants et à terme. Les autres se sont terminées pré-

maturément, à des époques variées. Ceci pour la fatigue thyroïdienne. Ac-

tuellement, elle a 52 ans. Les règles ont toujours été profuses. Après les ac-

couchements, il y eut des hémorrhagies violentes.Cette dame est très oppressée,

a des douleurs rhumatismales intenses et des céphalées violentes. Elle est

constamment enchifrenée. Les pieds sont gros. Elle présente le teint clas-

sique. Cette femme est irréductiblement constipée, et durant toute sa vie il en

a été ainsi. Jamais elle n'a de selles sans drastique violent. La face est bouffie.

Les cheveux commencent à tomber dans la nuque. Le ventre est douloureux

au niveau de la vésicule biliaire.

Le traitement est institué en août 1895. Le résultat ne s'est pas fait atten -

dre. Les douleurs disparaissent et la constipation cède petit à petit.

Une fois guérie (PI. XLIII, 9), elle oublie ses souffrances et sa détresse pas-

sées, se néglige, et lès premiers symptômes de synthèse se présentent : enchi-

frènement, hypertrophie de la muqueuse naso-pharyngienne, augmentation du

poids du corps. Ensuite, elle accuse uu poids à l'estomac, éprouve de la diffi-

culté à se courber, il ramasser un objet. La constipation revient. Le foie évi-

demment se recongestionne. Tous ces symptômes se dissipent à nouveau par

le traitement.

Mme D... a été hypothyroïdique depuis ses premières couches et peut-

être bien dès avant son mariage. Les métrorrhagies en témoignent.

Au sur et à mesure que, sous l'influence de grossesses répétées, l'ina-

nition et la fatigue thyroïdiennes s'accentuent, les symptômes s'aggravent

et se multiplient. Toute sa vie, cette malade a été. constipée et dyspepti-

que. Le médecin qui l'aurait traitée, il y a trente ans, n'aurait pu saisir

la véritable pathogénie de ces symptômes.

C'est à nous de profiter de la leçon que les événements nous ont don-

née.

J'ai vu, il y a quelques mois à peine, une dame de 38 ans, atteinte de

myxoedème franc et dont les antécédents en disent long sur la filiation des

(1) Les lésions du foie et des reins chez les animaux éthyroïdés. Bulletin de l'Aca-

démie royale de médecine de Belgique, octobre 1891, p. 666-668 et 698-700.

274 E. HERTOGHE

désordres du foie avec la diathèse strumiprive. Avant son mariage, elle a

fait deux cures à Vichy, pour calculs biliaires. Elle a toujours eu des règles

profuses. Sa mère est morte d'un calcul hépatique enclavé ; son grand-père

d'un abcès du foie. Elle-même a légué une-lare hépatique à sa fille. Cette

petite, âgée de 1-1 ans, a déjà eu deux fois la jaunisse. Le traitement thy-

roïdien ne s'impose- [-il paspourcclle enfant et n'élail-il pas indiqué pour

la mère/au temps où, jeune fille encore, elle suivait la cure thermale de

Vichy ? Ce qui était, à 18 ans, hypothyroïdie bénigne avec prédominance

biliaire, est devenu plus tard hypothyroïdie grave, confirmée.

On ne saurait mieux mettre en évidence la constipation qui est de règle

dans 1'lipotli\,t-oï(lie grave et se retrouve avec persistance dans la forme

bénigne, qu'en la monlrant chez les enfants myxoedémateux francsou frus-

tes. La sangle abdominale, peu solide, se laisse distendre passivement

sous la pression du contenu solide et gazeux des intestins. La hernie

ombilicale est constante. Ces enfants ne défèquent que par regorgement.

Lorsque le gros ventre et la constipation invincible coïncident avec t'ar-

rèt notable de la croissance et l'idiotie crétinique, le diagnostic est sim-

ple. -

Le sujet qui doit nous servir d'exemple a déjà été présenté à l'Académie

en 1896, dans mon premier mémoire : Influence des produits thyroïdiens

sur la croissance. Il a suivi depuis ce temps sa cure d'une manière non

interrompue. Parti de 0 m. 74 à t'age cle 14 ans, il mesure actuellement

1 m. 15 (février 1899). Il a donc presque doublé de taille. La gravure le

représente avec lès proportions exactes. (Voir fig. 10 et 11.)

Au point de vue intellectuel, le développement de cet enfant a été tout

aussi extraordinaire qu'au physique. Il parle couramment et son intelli-

gence est complètement éveillée.

Le diagnostic ne s'impose plus d'une manière aussi évidente lorsque le

ventre gros, la constipation, le retard de croissance sont à peu près les

seuls symptômes de l'lypothyroïdie et lorsque l'intelligence est intacte.

On prend très souvent pour de la tuberculose mésentérique (carreau)

ces gros ventres d'enfants.

Le jugement du médecin s'égare d'autant plus facilement que certaines

lésions rachitiques (tibia en lame de sabre et d'autres, gonflements épi-

physaires) s'ajoutent au tableau symptomatique. Lorsqu'il y a un soupçon

cle syphilis chez les parents, la chose est jugée.

J'ai démontré dans un travail antérieur que la syphilis héréditaire se

manifeste par des phénomènes {l'hypothyroïdie el. que l'effet désastreux du

virus syphilitique s'exerce en premier lieu sur la glande thyroïde, par

contre-coup sur la croissance et l'atrophie en général.

Nous allons en donner tout de suite un exemple des plus instructifs.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE. T. XII PL, XLIV.

i\IYXOEDÈi\IE FRUSTE

(Hertoghe)

12. Avant le traitement. - 13. Après le traitement.

DE L'IlYPO'l'IlYHOïDOE BÉNIGNE CHRONIQUE

z

La petite fille représentée (Pl. XLIV, 12) est âgée de 7 ans.Le ventre est

énorme ; la constipation est opiniâtre et finit parfois en débâcle diarrhéi-

que. La physionomie est intelligente et le langage est net. Le cou est court.

Les tibias portent le cachet spécifique. La taille est de 0 m. 897 au lieu

de 1 m. 10.

Voyez l'influence du traitement thyroïdien. En huit mois, la taille s'é-

lève de 0 m. 897 à 0 m. 94G. Le ventre a fondu ; la hernie a disparu. Le

Fig. 10. - llyxaedème franc, 14 ans. Taille, 0 m. 14. Gros ventre.

Constipation invincible. Hernie ombilicale. -

cou s'est dégagé. La mère me dit avoir perdu un enfant de 3 ans, d'un

« gros ventre » tout à fait identique. (PI. XLIV, 13.)

Voilà un cas d'hypothyroïdie bénigne avec prédominance de symptômes

abdominaux. Qu'il y ait de la syphilis dans l'éliologie, qu'importe ? L'es-

sentiel, c'est que les symptômes relèvent de l'hypothyroïdie et qu'ils sont

guérissables par la thyroïdine.

Nous avons déjà parlé des liémol'rhagies utérines excessives qui carac-

térisent le myxoedème. Ces femmes perdent du sang en quantité in-

276

E. HERTOGHE

croyable au moment menstruel et aussi après la délivrance. L'hémorrhagie

menstruelle va jusqu'à épuisement et détérioration grave de la constitution.

Fig. il . - Même sujet que la fig. 10, après 2 ans et 9 mois de traitement. Réduction

complète du ventre. Selles normales. Disparition de la hernie ombilicale. Augmen-

tation de la taille : 41 centimètres.

NOUV ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE.

T XII. PL. XLV.

IY1CDrl; F.RUSTE

(Hertoghe)

14. Mme G. Myacdème franc à forme hémorrhagique. - y. La même. Après guérison.

16. Mme H. My'\ : oeJème fruste; troubles trophiques des cheveux. 17. La même.

Après six mois de traitement.

DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 277

Le combat cesse faute de munitions : Alors survient l'aménorrhée. C'est

pourquoi les appréciations des auteurs varient. On a même accusé les hé-

morrhagies excessives de créer le myxoedème. En réalité, l'appauvrissement

thyroïdien préexiste à la ménorrhagie, comme il est antérieur aux douleurs

musculaires et articulaires que nous avons indiquées plus haut.

La femme que nous montrons (PI. XLV, 14) doit arrêter l'attention sur

les ménorrhagies du myxoedème franc et sur les pertes proportionnellement

moins fortes de l'hypothyroïdie bénigne.

G... s'est mariée trois fois. Elle a eu de son premier mariage cinq enfants

dont un seul est mort; du second mariage, elle a eu quatre enfants dont

.trois sont morts ; du troisième lit, elle n'a qu'un enfant, qui vit. Ceci pour

la fatigue thyroïdienne. Toute sa vie, dès avant son mariage, les règles ont été

extraordinairement fortes. Aujourd'hui, à 45 ans, la période dure de huit it dix

jours. Pour le reste, elle présente les symptômes classiques. La bouffissure de

la face est légère. L'expression de tristesse, très accentuée sur la photographie,

n'est pas constante. La nuque commence à se dépouiller ainsi que la ligne mé-

diane du cuir chevelu. Les mains sont hivernales, froides, durcies. Les dents

sont cariées. La gencive est rouge, tomenteuse, les dents couvertes de tartre

noir. Les sourcils sont peu fournis dans leur tiers externe. La voix est traî-

nante. Mme G... éprouve des douleurs musculaires et articulaires très intenses,

attribuées au rhumatisme. Sa mère est morte d'albuminurie. Le traitement

commence en avril 1895. Le sujet pèse 83 k. 930. Le 22 octobre de la même

année, le poids est tombé à 74 k. 600. Les règles ne durent plus que trois

jours. La photographie (PI. XLV, 15) est prise après huit mois de traitement.

Malgré mes avertissements, Mme G... ne tarda pas à se négliger et retomba

petit il petit dans son état antérieur. Les règles redevinrent de plus en plus

abondantes. A un moment donné, cette femme redevient semblable à ce qu'elle

doit avoir été, il y a quinze ou vingt ans, lorsqu'elle en était au stade bénin

(hypothyroïdie bénigne), capable encore de concevoir, de porter à terme et

d'allaiter.

Inutile d'ajouter que la thyroïdine la rétablit dans la mesure de l'assiduité

qu'elle met à la reprendre.

Si j'insiste tellement sur le symptôme hémorrhagique. c'est qu'il nous

sera des plus précieux dans le diagnostic et la découverte de l'hypothyroï-

die bénigne.

*

..

. Il nous reste, avant de terminer l'élude analytique et synthétique du

grand myxoedeme, à signaler quelques troubles trophiques qui tombent

plus directement sous le sens de la vue. Il importe de se les bien graver

dans la mémoire aux diverses phases de retour. Nous pourrons ainsi faci-

lement les reconnaître dans l'hyperlhyroïdie même la plus légère.

xlc 19

278 E. HERTOGHE

Les trois sujets que nous allons montrer sont des myxoedèmes francs.

Cependant ils sont bien moins avancés que les précédents else rapprochent

sensiblement de l'hypothyroïdie bénigne qui fait l'objet spécial de ce tra-

vail.

. H... est âgée de 39 ans. Elle a l'air beaucoup plus vieille. La face est légère-

ment infiltrée, ambrée, plaquée de rouge aux pommettes. Les règles ont dis-

paru à sa suite du dernier accouchement, il y a deux ans et demi. Les désordres

strumiprives ont porté surtout sur les cheveux et les dents. La photographie

(PI. XLV,' 1.6) montre bien les ravages du cuir chevelu et des sourcils : la

nuque est presque complètement dégarnie.

Elle éprouve une sensation continuelle de froid. La constipation est opiniâ-

tre. Il y a des douleurs attribuées au rhumatisme. Toutes les dents sont ébran-

lées ; beaucoup sont cariées ; la gencive est rouge, rongée de tartre. La voix

est traînante. '

Le traitement commença le 4 juin 1895. La patiente pèse 78 k. 700.

Après six mois, elle fut photographiée de nouveau. Mme H... ne pesait alors

que 60 k. 500. (PI. XLV, 17.)

Les cheveux ont repoussé avec vigueur. La patiente a rajeuni de vingt ans.

Elle a l'air d'être sa propre fille. Elle se rétablit si bien qu'en décembre 1897

elle se déclara enceinte. Elle s'accoucha en juin 1898 d'un enfant très bien

portant.

L'épouse I... (PI. XLVI,18) vint chez mois le 10 mai 1895. Elle a 42 ans.

A la suite d'un refroidissement, il y a quatorze ans, elle eut un gonflement

des mains et des pieds, présenta de l'albuminurie et fut traitée dans ce sens.

Elle ne se rétablit pas et traîna, lasse, épuisée, somnolente, ayant des dou-

leurs dans tous les membres; de plus, elle eut des ménorrhagies pendant un

grand nombre d'années. Devenue enceinte, elle se trouva beaucoup mieux

(exaltation de la glande thyroïde sous l'influence de la grossesse) au cours de

la gestation et de l'allaitement, et prolongea à dessein cette dernière période

pendant près de deux ans.

L'enfant sevré, elle redevint apathique, triste, et ses douleurs revinrent

plus fortes que jamais. La nuque est dépouillée. Les sourcils sont fortement

épilés. Les traits sont très légèrement bouffis. Le teint jaune, pâle, rappelle

celui des albuminuriques. Il y a de la constipation, de la céphalalgie. Le sys-

tème dentaire est gravement dégénéré. Elle a des frissons fréquents surtout vers

le soir, qui eu imposent pour des accès fébriles.

Soumise au traitement thyroïdien, elle en ressent aussitôt les effets répara-

leurs. "

Les cheveux repoussent dans la nuque, sur le front, et le cuir chevelu ne

tarde pas se regarnir. (PI. XLVf, 19.) ,

Le poids, qui n'était pas très élevé : 63 k. 500, tombe ir 50 k. 230.Le myxoe-

dème franc n'est donc pas toujours synonyme d'obésité ni même d'infiltration

notable. J'ai vu des myxoedémateux qui n'avaient que la peau sur les os.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XII. PL. XLVI.

VIY»D11E FRANC

(Hertoghe)

18. My,oedème franc, troubles trophiques des cheveux et des sourcils. - 19. Même

slilet, après guérison.

20. Myxoedème avec lésions du système pileux. - 21. Même sujet, après guérison.

DE L'HYPOTÜYR01DIE BÉNIGNE CnRONIQUE 279

On remarquera que je présente tous ces sujets dans un ordre de gravité

décroissante. Je le fais à dessein afin de se familiariser petit à petit avec

les formes larvées qui sont l'objet de notre étude.

L'épouse K... (PI. XLVI, 20), comme les deux malades précédentes, offre

surtout des lésions trophiques d'ordre épithélial. La nuque est ici complètement

dépouillée. C'est la nuque de casoar. La calvitie spéciale de la nuque est un

symptôme précieux dans l'hypothyroïdie bénigne chronique. Le cuir chevelu

de Mme K... est très éprouvé et le sourcil dans son tiers externe semble fauché.

Les dents sont cariées. Les gencives sont rouges, saignantes, tomenteuses,

rongées par le tartre. '

Cette malheureuse souffre beaucoup de douleurs musculaires des membres

et attribue tous ses maux au rhumatisme. La constipation est opiniâtre. Au-

trefois, il y eut des ménorrhagies incoercibles. La bouffissure, peu accentuée au

visage, est très forte à la région sous-mentonnière, les céphalées sont fréquen-

tes. Elle se plaint beaucoup de l'estomac et du foie. Mme K... est âgée actuel-

lement de 45 ans. Il y a de l'aménorrhée depuis sept mois.

La photographie prise après la guérison (Pl. XLVI, 21), mieux que toute

description, donne une idée du changement opéré en cette femme sous l'in-

fluence de la thyroïdine. Le retour de la chevelure n'est pas aussi complet que

dans le cas précédent. Il s'accentue de jour en jour. Les règles sont revenues,

normales en durée et en période.

Nous en avons dit assez, pensons-nous, pour montrer l'avantage que

l'on peut tirer de l'étude attentive du grand myxoedème guérissant et puis

récidivant.

C. Un troisième moyen d'arriver à connaître ce qui, dans certains cas

pathologiques, revient à la c1ysthyroïdie, c'est l'application du traitement.

L'iode et les mercuriaux sont la pierre de touche de la syphilis et, bien

souvent, constituent l'unique moyen d'arriver à un diagnostic certain. De

même, la thyroïdine est la pierre de touche de l'hypothyroïdie larvée.

Je pose en principe que la thyroïdine ne guérit que les accidents d'lrypo-

thyroïdie.

La thyroïdine est essentiellement spécifique en son action. Elle n'est

profitable que Ici où il y a misère ou inanition thyroïdienne. C'est ainsi

qu'il ne faut point dire que la thyroïdine guérit le psoriasis. Elle ne l'ex-

tirpe que pour autant qu'il y a hypothyroïdie préalable et que le ralentis-

sement de vitalité organique de la peau et l'abaissement de température

du corps ont pu permettre au micropllyte psoriasique de végéter.

La thyroïdine ne combat l'obésité que pour autant que celle-ci est due

à l'affaiblissement de l'activité glandulaire du corps thyroïde.

Elle ne combat les ménorrhagies, la fausse couche récidivante, la

dégénérescence fibromateuse de l'utérus, l'ovarite chronique, que parce

280 E. UERTOGHE

que, dans beaucoup de cas, ces divers états pathologiques trouvent leur

origine dans l'appauvrissement thyroïdien.

Elle ne relève la lactation périclitante que là où il y a détresse thyroï-

dienne et, dans ces cas, on obtient des résultats étonnants avec des doses

très minimes.

La thyroïdine n'améliore l'oppression, les palpitations indolores ou

douloureuses du coeur, la congestion et la calculose biliaire, que lorsque

Fig. 22. - Myxoedème franc. Calvitie strumiprive, avant le traitement.

ces désordres relèvent de sa compétence spéciale, ce qui est le cas bien

plus souvent qu'on ne le pense.

Il en est de même des troubles trophiques du tégument et du système

épithélial. Toute calvitie qui se répare parla thyroïdine est en réalité d'o-

rigine hypothyroïdienne.

Que l'on jette un coup d'oeil sur le sujet que nous montrons ici, avant

et après le traitement. (Fig. 22 et 23.)

Le résultat étonnant obtenu par la thyroïdine s'explique par la nature

de la dystrophie.

DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 281

Le champ de la thyroïdothérapie ne s'étend pas au delà du myxoedème,

soit franc, soit fruste ; et il ne faut pas attendre de ce principe glandulaire

ce qu'il ne peut donner.

Voici donc les trois sources d'où nous viennent la connaissance de l'hy-

pothyroïdie bénigne chronique et la certitude d'avoir réellement affaire à

des cas de cette espèce :

A. L'analyse des caractères organiques et fonctionnels que présentent

Fig. 23. - Même sujet, après le traitement thyroïdien.

les parents des enfants manifestement hypothyroïdiens et infantiles.

B. L'analyse et la synthèse du myxoedème franc qui nous familiarisent

avec les plus faibles traces de la tare hypothyroïdienne.

C. L'application du traitement thyroïdien aux désordres soupçonnés

d'hypothyroïdie.

GÉNÉRALITÉS

Nous avons surtout en vue l'hypothyroïdie bénigne de la femme adulte.

Il nous serait impossible d'en donner une idée exacte sans décrire son

282 E. HERTOGHE

enfance et son adolescence. La symptomatologie de l'adulte est la consé-

quence et la continuation de celle de l'enfant.

La maladie existe chez l'homme, mais elle est incontestablement plus fré-

quente dans le sexe féminin, à partir de l'âge pubère, comme du reste le

myxoedème franc et le goitre exophtalmique. La fatigue plus grande de la

glande thyroïde par suite de la grossesse, de l'involution utérine, de l'al-

laitement, explique cette prédominance. Elle atteint plus fréquemment

les pluripares. Elle n'est point rare chez les filles.

Nous nous réservons de revenir dans un autre travail sur la maladie

chez les adultes mâles. Nous dirons seulement, en passant, que la sperma-

torrhée est souvent d'origine dysthyroïdienne et correspond symptomati-

quement aux ménorrhagies épuisantes de la femme. Certaines hypertro-

phies de la prostate nous paraissent également être sous la dépendance

d'une sénilité précoce dysthyroïdienne.

Les femmes atteintes d'hypothyroïdie bénigne chronique ne se plaignent

que peu ou pas. C'est presque fortuitement qu'on arrive à se rendre compte

de leur état. Le plus grand nombre de celles que j'ai pu examiner et trai-

ter ne sont pas venues chez moi pour elles-mêmes, mais pour l'un ou l'au-

tre de leurs enfants en état d'infantilisme plus ou moins confirmé. Il

existe, en effet, une relation étroite entre l'état de ces mères etcelui de leurs

enfants. On pourrait tracer l'histoire complète de l'hypothyroïdie bénigne

en décrivant d'abord l'enfant en puissance d'infantilisme, le suivant

ensuite à travers l'adolescence, jusqu'à sa forme définitive d'adulte com-

plet.

Il n'est pas possible de dire d'avance si tel cas d'hypothyroïdie bénigne,

en apparence stationnaire, ne prendra pas dans la suite une allure préci-

pitée, pour aboutir plus ou moins tôt au myxoedème franc. Il est certain

pourtant que beaucoup de ces affections ne s'aggravent qu'avec une extrême

lenteur et s'améliorent même dans quelques-uns de leurs modes sympto-

matiques. Les ressources thyroïdiennes, insuffisantes à 35 ans en présence

de grossesses et d'allaitements répétés, peuvent être adéquates à 50. L'âge

de retour emporte bien souvent des symptômes qui ont vingt-cinq ans de

date : la migraine, la rachialgie, la constipation. La thyroïdine dépensée

à l'inhibition de la fonction menstruelle devient disponible et l'équilibre

peut se rétablir. Qualifiée de bénigne, par opposition à la cachexie stru-

miprive qui équivaut à l'annihilation quasi complète de l'individu, au

moral et au physique, l'hypothyroïdie, telle que je l'entends, est néan-

moins un état des plus pénibles. Les symptômes n'entrent pas tous en

scène à la fois. Ils alternent entre eux. Ils s'installent si insidieusement

que le malade se figure n'avoir jamais été autrement qu'il n'est, que cela

fait partie de sa constitution. Il se résigne à souffrir. Comme la maladie

DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 283

est de race, il a vu beaucoup souffrir autour de lui, chez lui, chez ses

parents et ses collatéraux, et il ne s'en étonne ni ne s'en alarme.

ÉTIOLOGIE.

L'insuffisance thyroïdienne est essentiellement héréditaire. On ne de-

vient pas liypotljyroïdien. On l'est ou plutôt on l'a toujours été. La femn\.8'

qui, à 35 ans, se présente avec des symptômes d'hypothyroïdie, a été (re,

tout temps, dès le berceau, dans un état d'infantilisme plus ou moins pros'

noncé.

La goutte, l'albuminurie, les maladies du foie (congestion calculeuse),

la gravelle rénale se retrouvent presque constamment chez les parents des

hypothyroïdiens, le plus souvent dans la ligne maternelle.

La tuberculose, si souvent relevée dans l'hérédité du grand myxoedème,

se retrouve ici, mais avec moins de constance.

Tous les grands facteurs morbides capables d'altérer la constitution,

l'alcoolisme, la misère et l'inanition chroniques, la consanguinité des

unions, le paludisme, les influences spécifiques avenere, les excès de tout

genre, exercent une influence déprimante sur le corps thyroïde et se tra-

duisent à la génération suivante par l'infantilisme et l'hypothyroïdie à des

degrés variés.

Grâce à la force de reconstitution qui existe incontestablement chez

tout enfant élevé dans de bonnes conditions d'hygiène et de nutrition,

l'infantilisme léger, qui pour nous est synonyme d'hypothyroïdie, peut

s'améliorer spontanément. La puberté, lente à venir, s'installe tout de

même. Vers 17 ou 18 ans, la menstruation apparaît, et de pareils sujets

se marient et procréent dans des conditions apparemment semblables aux

autres femmes.

Les grossesses répétées, l'allaitement prolongé indûment, les privations

de tout genre dans la classe pauvre, ou, au contraire, la vie molle et

oisive, l'alimentation tiop riche dans les classes élevées, les excitations

génitales répétées non suivies de conception, l'infection blennorrhagique

ou syphilitique, comme j'en ai vu un cas, finissent par amoindrir la force

sécrétoire du corps thyroïde, resté l'endroit faible, et l'hypothyroïdie se

révèle petit il petit, de jour en jour plus distincte et plus nette. Ce sont à

les cause.) déterminantes.

SYMPTOMATOLOGIE.

Nous décrirons d'abord dans ses grandes lignés l'hypothyroïdie bénigne

chronique chez la femme adulte, ainsi que les particularités qu'elle a pré-

sentées au point de vue infantilique ou hypothyroïdien à travers son en-

284 E. HERTOGHE

fance et sa formation. Si, en outre, nous décrivons les enfants qu'une

telle femme engendre, nous aurons tracé le tableau complet de l'insuffi-

sance bénigne thyroïdienne à tous les âges.

Je ne dirai rien des cas dans lesquels l'hypothyroïdie marche sûrement

et visiblement vers le myxoedème franc. La teinte ambrée du visage ; la

plaque congestive des joues et du nez ; la bouffissure évidente de la face,

des pieds, des mains; la température subnormale ; la voix coassante; la

parole traînante; la sensation de froid persistant, dénotent le myxoedème

franc, et ce n'est pas pour décrire ces formes que j'ai fait ce mémoire.

A première vue, la femme atteinte d'hypothyroïdie bénigne chronique

paraît phts âgée qu'elle n'est en réalité. Elle grisonne de bonne heure. Qui

ne connaît de ces femmes dont la chevelure d'argent forme un si vif con-

traste avec une physionomie encore jeune et rosée ? La décoloration pré-

maturée et généralisée de la chevelure doit mettre en éveil l'attention du

médecin, d'autant plus qu'on ne manquera pas de lui objecter, s'il veut y

voir un phénomène morbide, que plusieurs personnes de la même famille

présentent la même particularité. A un degré plus avancé d'hypothyroï-

die, les cheveux tombent en abondance. Tantôt c'est la lisière frontale du

cuir chevelu qui s'éclaircit, et le front semble grandir. D'autres fois, les

cheveux commencent par tomber sur la ligne médiane. La ligne s'élargit

beaucoup, et chez les sujets à cheveux foncés, cette calvitie, surtout lors-

qu'il y a en même temps du grisonnement partiel, donne à la tête un as-

pect caractéristique qu'on n'oubliera plus après l'avoir vu. L'épilation

plus ou moins complète du sourcil est un symptôme précieux et facilement

appréciable. La déprédation sourcilière commence par le tiers externe. La

chute du sourcil est précédée, pendant un temps variable, d'une espèce

de dermatite de la zone d'implantation. Cette dermatile se traduit par une

rougeur assez vive de la peau. Elle s'accompagne d'une desquamation

assez rapide de l'épiderme et de démangeaisons très sensibles. Le sourcil

une fois tombé en tout ou en partie, la peau reprend sa coloration primi-

tive, devient peu à peu pâle et comme nacrée, polie comme le cuir chevelu

dans la calvitie de longue date. Chez les blondes, le grisonnement est

plus tardif. Les cheveux deviennent excessivement fins, flottants et légers.

Longtemps l'artifice de la frisure parvient à masquer la chule rapide de la

chevelure frontale.

Parallèlement, et je dirais même antérieurement à la déprédation capil-

laire, il se fait un travail de dégénérescence très accusé du côté des ? rats

et des gencives. Bien que l'on puisse être induit eu erreur par quelques

incisives de bel aspect, on observera presque toujours que les molaires

sont délabrées et cariées profondément. Dans la classe riche, les soins du

dentiste enraient et corrigent, lorsque de bonne heure on y a recours, les

DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 285

progrès du mal. Dans classe pauvre, où l'on se fait arracher les dents

au sur et à mesure qu'elles deviennent douloureuses, la déprédation est

encore plus appréciable. On observera souvent des malformations et des

malpositions dentaires. Très fréquemment, une ou plusieurs petites in-

cisives supérieures sont séparées par un espace anormalement grand. D'au-

tres fois, les petites incisives supérieures sont détaille rudimentaire, noi-

râtres, dégénérées de bonne heure. On retrouvera fréquemment des chicots

de la première dentition parmi les dents définitives, trouant mômela gen-

cive à des distances parfois très grandes du bord maxillaire.

Les gencives sont rouges, molles, gonflées. Elles saignent facilement à

la brosse. Elles se relèvent en prolongements polypiformes vis-à-vis des es-

paces interdentaires. Les dents sont, déplus, recouvertes d'un tartre noir,

noir-vert, rarement jaunâtre, surtout aux incisives de la mâchoire infé-

rieure. Le dépôt calcaire ronge la gencive et déchausse finalement la dent.

Ici encore les soins de la bouche retardent et atténuent, dans une large

mesure, ce processus désastreux.

L'aspect de la chevelure, des sourcils, l'état des dents et des gencives

constituent un ensemble facile à noter à première vue : J'y attache une

très grande importance.

L'examen de la bouche entraîne tout naturellement celui de l'arrière-

bouche et du pharynx. Les amygdales sont le plus souvent hypertrophiées

et déchiquetées par des abcédations antérieures. Le pharynx est rouge vif

et il est rare de ne pas y voir des végétations adénoïdes.

Les fosses nasales sont rétrécies, partiellement obstruées par l'hypertro-

phie de la muqueuse. L'adénoïdie, sur laquelle j'ai tant insisté dans un

mémoire antérieur, se retrouve ici à tous les degrés avec tous les désagré-

ments fonctionnels qu'elle entraîne. Chez les femmes atteintes d'hypothy-

roïdie très légère, les fosses nasales sont habituellement libres et dégagées.

Elles ne s'obstruent que pour peu de temps, à certains moments, spécia-

lement à l'approche des règles. Chez d'autres, le plus léger refroidisse-

ment se traduit tout de suite par le nasonnement. Les régions supérieures

semblent s'engorger d'abord. Les malades se plaignent beaucoup de ce

symptôme et lui attribuent une lourdeur générale de tête et une paresse

cérébrale contre laquelle elles réagissent à grand'peine. Chez d'autres, les

congestions de la muqueuse nasale provoquent des éternûments intermi-

nables, des plus pénibles.

On remarquera que chez les femmes atteintes d'hypothyroïdie bénigne, la

voix est légèrement assourdie, voilée, surtout au moment ou à l'approche

de la menstruation. J'attribue ce phénomène à un léger gonflement des

cordes vocales et au manque de consonnance du pharynx supérieur, les-

quels phénomènes se trouvent sous la dépendance de l'inanition relative

286 E. IIERTOGHE

en thyroïdine au moment menstruel. Parfois la dysphonie est beaucoup

plus évidente. Le timbre de la voix est faux, passe de la note grave au sif-

flement strident. Elle fait peine à entendre.

La tendance au coryza, aux amygdalites et aux extinctions de voix est

des plus marquées.

Georges Murray relève comme très fréquentes (nol unC01ll1non J, dans les

cas qu'il désigne sous le nom de « early thyroidal fihrosis », certaines

hallucinations de la vue et de l'ouïe (1). Les patients voient des ohjets à

contours mal définis, ressemblant à des chats, des rats ou des souris qui

traversent rapidement l'appartement, en même temps que des étoiles bril-

lantes éclairent le champ visuel. Des bruits de cloches se font entendre.

D'après l'auteur, les malades n'aiment pas à s'expliquer sur ce point.

Est-ce à cause de la ressemblance de ces phénomènes avec les hallucina-

lions de l'alcoolisme ? Depuis que le mémoire de Murray a attiré mon

attention sur ces symptômes, j'ai interrogé quelques malades et j'ai pu me

convaincre que les faits avancés par le savant médecin anglais sont

réels.

J'ai rencontré beaucoup d'hypothyroïdiens qui se plaignaient de bour-

donnements d'oreilles. Je songeais alors involontairement aux bourdonne-

ments qui incommodent si souvent les goutteux. D'après l'étiologie que

nous avons exposée, il n'y a rien d'improbable à ce que les bruits auditifs

subjectifs des hypothyroïdiens soient de la même nature que ceux qui se

produisent dans la goutte.

Les symptômes du côté du nez et des sinus frontaux, dont les muqueu-

ses participent vraisemblablement à la congestion hypothyroïdienne, nous

amènent à parler de la céphalalgie, symptôme à peu près constamment

relevé dans l'hypothyroïdie chronique bénigne. L'appauvrissement thyroï-

dien se manifeste par des maux de tète qui ont été longtemps attribués à

l'anémie cérébrale. Celle céphalalgie hypotltyroïdienne revêt surtout deux

formes. Tantôt elle semble partir des sinus frontaux, s'étend au-dessus

des orbites et reste frontale. Elle ressemble à la céphalée du début du co-

ryza aigu. Tantôt elle part de l'occiput. Un point douloureux au niveau

du nerf occipital, lui donne l'allure d'une névralgie. De l'occiput, elle'en-

vahit la moitié correspondante du crâne et les malades la désignent sous

le nom de migraine. Elle se différencie de la migraine vraie en ce qu'elle

est plus intense le matin, au lever de la malade, et se dissipe vers le soir,

après un repas copieux. Les malades sont si habituées à cette céphalalgie

continuelle qu'elles n'en parlent guère,et il faut leur poser la question pour

qu'elles s'en déclarent atteintes. La perte des cheveux est attribuée par les

(1) British médical Journal, 10 octobre 1898, p. 944. '

DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 287

patientes à ces douleurs incessantes. Le médecin, bien souvent impuis-

sant à les combattre, encourage la malade dans ce mode d'interprétation et

donne au malle nom de rhumatisme épicrànien.

La moindre fatigue, la plus légère transpiration, le passage d'un cou-

rant d'air provoquent le retour de la céphalée occipitale. Ajoutez à cela

que le triste état de la denture provoque facilement des névralgies dans le

domaine du trijumeau. La névralgie sus et sous-orbitaire est des plus fré-

quentes dans la diathèse hypothyroïdienne.

Comme je l'ai déjà dit, la migraine dysthyroïdienne, intolérable le ma-

tin, après le refroidissement et l'inanition de la nuit, s'améliore vers le

soir et disparaît après un bon repas. C'est peut-être ici le moment de dire

que les malades recherchent instinctivement le coup de fouet du vin et

des liqueurs, bien qu'au fond l'alcool leur soit extrêmement nuisible, en

ce sens qu'il est l'antidote du suc thyroïdien et qu'il aggrave la détresse

hypothyroïdienne de l'organisme. Elles supportent des doses élevées sans

se sentir incommodées.

Après cette première enquête, on posera quelques questions'. Nous avons

déjà parlé de la disproportion entre Page réel et l'âge apparent.

La malade a-t-elle des enfants ? Combien en a-t-elle mis au monde.

vivants et à terme ? A-t elle présenté des fausses couches ? Les couches

ont-elles été suivies d'accidents hémorrhagiques ? A-t-elle allaité et combien '

de temps ? Les grossesses répétées coup sur coup, l'allaitement prolongé

au delà de ses limites physiologiques agissent comme causes déterminan-

tes sur l'apparition des symptômes d'hypothyroïdie, hypothyroïdie cachée

jusque-là par l'exubérance de la jeunesse.

Il faut signaler cependant qu'il n'est pas rare d'observer que la grossesse

elle-même provoque une amélioration chez beaucoup de ces femmes. Elles

se disent être mieux portantes alors qu'à l'état de non-gestation. « Dans

ce temps-là, j'avais des enfants, mais je me portais bien », entendra-t-on

dire souvent. Cet état de bien-être, dû à l'exaltation de la glande thyroïde,

persiste pendant l'allaitement. J'ai signalé d'autre part une amélioration

semblable dans le grand myxoedème, etKirk et Landau en ont fait autant.

Cependant, il ne faut pas prendre l'exception pour la règle. Une grande

quantité de thyroïdine nécessaire au développement du foetus est, au cours

de la grossesse, soustraite à l'organisme de la mère. Aussi voit-on redou-

bler les phénomènes dystrophiques du côté des cheveux et des dents ;

« chaque enfant emporte sa dent ». Des caries que l'on croyait guéries

depuis longtemps au fond de cavités parfaitement aurifiées, se réveillent

et provoquent, en raison même de la perfection de l'obturation, des acci-

dents du côté des racines et du périoste alvéolaire.

Je ne suis pas éloigné de croire que beaucoup d'accidents de la grossesse,

288 E. HERTOGHE

les vomissements matutinaux, la constipation et d'autres, sont dus à cette

hypothyroïdie passagère. ,

Pendant la lactation, l'inanition thyroïdienne se manifeste par de la

lourdeur de tête, par une somnolence inaccoutumée. La perte de la mé-

moire, un certain laisser-aller chez des femmes habituellement soigneuses

et attentives à tous les devoirs d'une maîtresse de maison, une diminution

sensible de l'acuité intellectuelle s'observent très fréquemment, surtout

chez les femmes à ressources thyroïdiennes amoindries. La délivrance est

habituellement suivie d'une hémorrhagie assez forte chez la femme à thy-

roïde faible. Les règles sont généralement profuses, et leur apparition est

précédée de douleurs ives dans la région sacrée et lombaire.

On sera étonné, si l'on se donne la peine de toucher, de trouver dans

beaucoup de cas la matrice en rétroflexion. La rétroflexion, si fréquente

dans l'hypothyroïdie, est due, d'après moi, à un manque de développe-

ment de la paroi postérieure de l'utérus, laquelle s'infléchit sous la pous-

sée de la paroi antérieure. Ce manque de développement est d'origine

dysthyroïdienne.

J'ai rencontré la rétroflexion, dans toute sa netteté, chez des vierges.

Les gynécologues pourraient diriger leur attention sur d'autres symp-

tômes d'hypothyroïdie qui coexistent toujours. Les ménorrhagies, si inex-

plicables, qui sont le propre de la rétroflexion, relèvent de l'hémophilie

générale dysthyroïdienne, et leur pathogénie est ainsi élucidée à peu de

frais.

Très fréquemment, on relèvera le myome, depuis la tumeur colossale

jusqu'aux petits fibromes interstitiels. L'influence heureuse de la médica-

tion dans la dégénérescence fibromateuse confirme la nature dysthyroï-

dienne de ces néoplasmes.

On connaît la fréquence de la dysménorrhée et de la ménorrhagie dans

le grand myxoedème. Dans les formes larvées, ces mêmes symptômes sont

constants.

Indépendamment des douleurs sacrées et dorso-lomhaires attribuables

aux troubles utérins, il existe dans l'hypothyroïdie bénigne chronique une

rachialgie spéciale, qu'il faut bien faire ressortir. Elle siège le plus sou-

vent entre les omoplates. Les malades disent que le dos est comme rongé,

évidé. Cette rachialgie présente ceci de caractéristique et de pathognomo-

nique qu'elle s'aggrave pendant la nuit. Certaines femmes, pour échapper

à leur lit et à leurs douleurs, se lèvent de bonne heure, brisées, rouées.

C'est comme si elles avaient dormi sur un corps dur, dans une position

forcée. La douleur s'améliore, comme la céphalalgie, vers le soir, lorsque

l'exercice musculaire et l'alimentation ont déterminé l'ascension de la

température du corps, transi durant la nuit.

DE L'HYYOTHYROïDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 289

Les manifestations douloureuses de l'hypothyroïdie chronique ne se

bornent pas à la céphalée et à la rachialgie. Dans la plupart des cas, beau-

coup de muscles et d'articulations sont douloureusement affectés. Invaria-

blement, les patientes attribuent leurs maux au rhumatisme. Cette expli-

cation rencontre d'autant plus de crédit que la température est sensible-

ment subnormale. Malgré une charge incroyable de couvertures, ces

femmes sont glacées dans leur lit, dorment dans de la flanelle et se lèvent

néanmoins, le matin, les pieds froids. Dans les cas avancés, la raideur des

muscles et des articles vient confirmer l'idée de rhumatisme. La douleur

peut siéger dans un ou plusieurs membres simultanément. Fréquente est

la douleur des épaules et des bras ; il y a impossibilité de se coiffer. D'au-

tres fois, les genoux sont entrepris et les malades éprouvent une réelle

souffrance à se relever d'une chaise ou à s'agenouiller. Une forme fréquente

est la douleur de la plante du pied, uni ou bilatérale. La douleur est

vive, surtout le matin ou après avoir été assise pendant quelque temps.

A rapprocher de ce fait la mauvaise conformation du pied pied plat

que l'on rencontre très souvent chez les infantiles jeunes et adultes.

J'ai fortement insisté sur ces douleurs prétendument rhumatismales,

lorsque j'ai parlé de la synthèse du myxoedème franc. Je ne peux que con-

firmer ce que je disais alors. Il faut rechercher avec la plus grande atten-

tion les douleurs articulaires et musculaires quand il y a soupçon d'hy-

pothyroïdie, et ne pas perdre de vue que ces accidents, inguérissables par

tout autre traitement, disparaissent et sont curables dans la mesure de

l'hypothyroïdie elle-même.

Nous pouvons maintenant passera l'appareil respiratoire et circulatoire,

et étudier le ralentissement entraîné par l'appauvrissement thyroïdien

dans leur fonctionnement.

L'oppression est un des symptômes les plus constants. Elle existe à tous

les degrés. Parfois elle est imperceptible, ne se révélant qu'à l'occasion

d'un effort musculaire ou en gravissant un escalier. D'autres fois elle est

plus accentuée. La respiration adopte alors, pendant la conversation, un

type spécial, très caractéristique. Elle devient suspirieuse,le malade, après

chaque bout de phrase, faisant une inspiration bruyante. Ces sujets pas-

sent pour franchement asthmatiques. Les degrés légers sont attribués à un

peu d'embonpoint. L'oppression existe cependant en dehors de toute sur-

charge graisseuse, et l'examen attentif de la poitrine montre (dilatation

de la base thoracique, soulèvement de la région sus-claviculaire) qu'il s'a-

git plutôt d'un degré, variable d'après les cas, d'emphysème pulmonaire.

L'emphysème pulmonaire est pathogéniquement difficile à expliquer et

sa genèse est aussi incompréhensible que sa fréquence. Je considère l'em-

physème comme une forme de sénilité pulmonaire. Or le myxoedème se

290 E. HERTOGHE

caractérise par la sénescence prématurée de tout l'organisme. L'emphy-

sème pulmonaire est au poumon ce que le grisonnement est à la chevelure,

ce que la carie dentaire est ci l'appareil masticatoire, ce que le varicocèle,

les varices spontanées et les hémorroïdes sont au système veineux. La

constance de l'emphysème à l'autopsie des vieillards, des alcooliques, con-

firme cette manière de voir.

L'oppression de nature hypothyroïdienne s'accompagne presque tou-

jours de palpitations du coeur, le plus souvent mais pas toujours indolo-

res. La région cardiaque est assez souvent le siège de douleurs lancinan-

tes très pénibles, qui effraient fortement les malades.

Appareil circulatoire périphérique. - J'ai déjà dit que le système vei-

neux ressent vivement et de bonne heure l'influence dystrophique de l'i-

nanition thyroïdienne. Rien n'est plus commun que de voir, aux conseils

de milice, des jeunes gens être exemptés du service pour varices volumi-

neuses, pour varicocèles pouvant gêner la marche.

La théorie mécanique de la formation des varices, qui veut qu'elles ré-

sultent d'un obstacle au retour du sang, ne tient pas ici. Il doit y avoir

autre chose. Les jeunes sujets dont nous parlons, présentent, en réalité,

d'autres tares dysthyroïdiennes : le pied plat, l'hyperhydrose plantaire

fétide, l'adénoïdie, l'ozène. la carie généralisée de la denture, sans comp-

ter le défaut de taille, l'étroitesse de la poitrine et les hernies.

La formation des varices chez la femme enceinte s'explique par la com-

pression des troncs veineux iliaques. Personne n'a jamais infirmé une théo-

rie aussi vénérable et aussi rationnelle. Nous ferons remarquer qu'il existe

cependant de très grandes variétés individuelles au point de vue de l'ex-

tension du réseau variqueux, que les varices ne se déclarent généralement

pas au cours d'une première grossesse, alors que la compression des troncs

iliaques doit être à son maximum, la sangle abdominale résistant et main-

tenant l'utérus dans l'axe du détroit supérieur. Les varices se déclarent au

bout de deux ou trois grossesses, alors que la résistance musculaire du

ventre a fortement fléchi et que l'utérus pend en besace, dégageant ainsi

les troncs iliaques. La dégénérescence variqueuse s'aggrave parfois après

la délivrance; l'état des veines devient de plus en plus précaire avec l'âge

et il n'est pas rare de voir, en fin de compte, d'interminables ulcères s'ins-

taller et perdurer toute la vie. D'autres fois les varices, très développées

pendant la grossesse, disparaissent complètement. A l'àge de retour, il n'y

parait plus.

. La sénilité précoce du système veineux s'accuse du reste en d'autres

régions, soustraites à l'action cle la pesanteur et de la compression : ic la

face (dilatations veineuses très évidentes du réseau capillaire, des joues et

du bout du nez), aux tempes, aux mains (le dos de la main, chez de jeu-

DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 291

nes sujets, couvert de veines tortueuses, énormes), à la face antérieure du

thorax..

Nous ne parlerons pas de la sénescence infantilique du réseau artériel,

pour la simple raison que nous n'en sawnsrien. Virchow pensait quel'é-

troitesse congénitale de l'aorte était la-cause du nanisme. Aujourd'hui

cette théorie est ruinée. L'étroitesse aortique n'est que le résultat de la

dysthyroïd ie, laquelle est congéni ta le et antérieure à l'existence de l'aorte.

Appareil digestif. Ce que nous avons dit au sujet du foie dans la pre-

mière partie de ce mémoire nous dispensera d'être long. En général, on

retrouve la calculose biliaire chez les parents des livpouliyi-oïdiens. Les

femmes atteintes d'insuffisance thyroïdienne présentent souvent un point

douloureux au niveau de la vésicule biliaire.

La grossesse, qui, dans l'immense majorité des cas, s'accompagne d'une

spoliation thyroïdienne considérable au détriment de l'organisme maternel,

aggrave notablement la prédisposition aux congestions et aux calculs bi-

liaires. Le fait est notoire. L'explication qu'on en a donnée est insuf-

fisante. Le ralentissement circulatoire a été le plus généralement incri-

miné. Cette théorie ne résiste pas à un examen sérieux. Il n'est pas prouvé

que la circulation soit moins active dans le foie pendant la gestation qu'en

dehors d'elle. Il n'est pas prouvé que le chimisme biliaire soit moins ac-

tif non plus, bien au contraire. L'augmentation de l'urée, de l'acide, l'ap-

parition de kyestéine sont In pour le dire.

Le foie se congestionne sous l'influence de l'hypothyroïdie gravidique.

Les expériences de Ver Eecke sur les animaux prouvent que l'éthyroïdi-

sation provoque l'hyperémie du foie d'une manière frappante, pouvant

même aller jusqu'à la rupture vasculaire.

Dans les degrés légers d'hypothyroïdie, le foie est simplement augmenté

de volume et l'appétit est conservé. Dans les cas plus avancés, les malades

se plaignent d'un poids dans l'hypochondre; les mouvements du tronc sont

gênés et il existe un profond dégoût pour la viande. Il n'est pas rare de

constater des calculs et des crises hépatiques. Je n'insisterai pas davan-

tage. Je voudrais qu'on retint, de tout ceci, une chose : c'est que les con-

gestions chroniques du foie et l'existence de calculs biliaires doivent attirer

l'attention du médecin sur la possibilité d'une hypothyroïdie chronique.

Le symptôme qui domine en quelque sorte toute la scène pathologique

dans l'insuffisance thyroïdienne, c'est la constipation.

J'ai montré le rôle de la constipation dans le myxeedéme franc du jeune

âge et des adultes. J'ai fait voir les conséquences esthétiques qu'elle en-

traine chez les enfants manifestement dysthyroïdiens, la distension de la

sangle abdominale, la formation de la hernieombilicaleet les changements

que provoque le traitement thyroïdien.

292 E. HERTOGHE

La constipation que l'on rencontre invariablement dans le grand myxoe-

dème se trouve, dans l'immense majorité des cas, dans l'insuffisance bé-

nigne. C'est un mal de toute la vie. Elle existe dès l'enfance, traverse l'a-

dolescence et la jeunesse, et ne se corrige pas à t'age adulte, parce qu'elle

est la conséquence directe de l'hypothyroïdie, laquelle est congénitale et

dure toute la vie.

Je ne veux pas dire que toutes les constipations soient d'origine dysthy-

roïdienne ; mais il est certain que, dans un grand nombre de cas, surtout

chez les femmes et les enfants, cette influence n'y est pas étrangère. Dans

la chlorose, la constipation est si fréquente que certains l'on prise pour

base de leur médication et la considèrent comme la cause de la maladie.

Or la chlorose rentre de plus en plus dans le giron de la dysthyroïdie, et

si l'on se donnait la peine de prendre la température des chlorotiques, on

serait vite édifié sur la question.

Des femmes qui, normalement, ont des selles faciles et régulières, de-

viennent, une fois enceintes, obstinément constipées, surtout dans les pre-

miers temps de la grossesse, lorsque le volume de l'utérus ne peut encore

être invoqué.

Les hypothyroïdiens attribuent tous leurs maux céphalée, rachial-

gie, névralgies, douleurs dentaires et douleurs hépatiques - à leur cons-

tipation invincible, et les médecins les encouragent dans cette manière de

voir. Encore une fois ici, il y a erreur. Tous ces symptômes dépendent

d'une seule et même cause : l'appauvrissement thyroïdien. Le traitement

le confirme.

Le sommeil. Lorsque la maladie est nettement établie, les patientes

sont somnolentes, fatiguées, languissantes. Un rien les énerve. Tout sem-

ble être au-dessus de leurs forces, physiquement et moralement. Ces fem-

mes, contrairement à ce qui se passe dans la fatigue saine et physiologi-

que, se lèvent le matin plus fatiguées et plus abîmées qu'en se couchant.

Elles se sentent mieux le soir et éprouvent de la peine à trouver le som-

meil. Les premières heures de la nuit sont agitées. Vers le matin, le som-

meil est impérieux et profond. Dans les cas graves, les douleurs matuti-

nales les chassent du lit, malgré le sommeil. La température du corps est

sub-normale. Les malades transpirent facilement. Les mains sont froides,

humides, bleuâtres et flasques. Les articulations des doigts et du pouce

sont lâches et les doigts peuvent être à peu près renversés sur le dos de

la main. Lorsque la main est gantée, elle perd sa forme, et quand on la

serre, elle fait l'effet d'un gant bourré de terre glaise. Avec un peu d'habi-

tude, il suffit de serrer la main d'une personne pour juger de son état de

détresse thyroïdienne.

Thibierge indique comme symptôme du myxoedème fruste « une sensa-

DE L'HYPOTRYROïDtE BÉNIGNE CHRONIQUE 293

tion persistante de froid éprouvée par le malade ». C'est là, nous l'avons

déjà dit, un symptôme qui appartient en propre au grand myxoedème.

Dans l'hypothyroïdie bénigne chronique, le froid n'est perçu que d'une

manière intermittente. Des frissons parcourent le corps, surtout la région

dorsale, à certains moments de la journée, généralement vers 4 à 5 heures

du soir. Les médecins attachent peu d'importance à ces dires du patient

et celui-ci attribue les frissons à la fièvre. J'ai vu une servante qui était

régulièrement prise de frissons à la même heure, au point de claquer des

dents. Ce que cette femme a avalé de quinine est inimaginable, étant soup-

çonnée de paludisme. Plus tard, les frissons ont été attribués à l'hystérie,

d'où bromure de potassium à haute dose, sans le moindre succès. Aujour-

d'hui, elle est, complètement rétablie, grâce à l'ingestion journalière de

quelques pastilles de thyroïdine; lorsqu'elle cesse la médication, les fris-

sons reviennent. Elle présente, du reste, une série complète de phéno-

mènes hypothyroïdiens, surtout de la dysphonie.

Chez l'enfant, l'hypothyroïdie bénigne se manifeste par une foule de

symptômes. Le plus important de tous, c'est le retard de la croissance;

c'est aussi le plus constant. Le retard de la taille n'est généralement re-

marqué qu'à partir de la première communion, à l'occasion de laquelle

l'enfant est comparé à d'autres du même âge. Avant cela, l'insuffisance

thyroïdienne se manifeste par une première dentition tardive. Les dents

de lait se carient de bonne heure. Les incisives se couvrent d'un tartre

noir et les dents paraissent grasses et luisantes. La chute des premières

dents, qui doit être achevée de la septième à la neuvième année, se fait

beaucoup plus tardivement. Il arrive qu'on doive les enlever pour faire

place aux dents définitives. Celles-ci viennent mal. irrégulièrement. Les

incisives supérieures latérales manquent parfois ; d'autres fois, elles sont

plus petites d'un ou des deux côtés ; elles noircissent de bonne heure. La

marche est tardive chez ces enfants ; il n'est point rare de les trouver, à

dix-huit mois, incapables de se diriger seuls. Nous avons parlé du ventre

et de la constipation ; nous n'y reviendrons plus. La peau est sèche, fen-

dillée, rugueuse ; déshabillés, ces enfants se grattent obstinément le dos,

aussi haut qu'ils peuvent, et la poitrine ; ils sont couverts d'égratignures.

Il y a certainement chez les enfants une forme de prurigo sec, dépendant

de l'inanition thyroïdienne. J'ai rencontré aussi quelques cas très nets

d'ichthyose. Les pieds sont froids, humides et plats,transpirant facilement

en été et se couvrant d'engelures en hiver. Les mains sont moites et sem-

blables à celles que j'ai décrites chez l'adulte.

Les parties sexuelles, nous l'avons déjà dit, sont souvent incomplètes.

La monorchidie n'est rien moins que rare. Elle est généralement ignorée.

Je l'ai souvent trouvée chez des enfants atteints d'incontinence nocturne

xu £ 20

294 E. HERTOGUE

d'urine. Très souvent les testicules sont appliqués encore contre l'anneau

inguinal à un âge où ils devraient être librement descendus. D'autres fois,

les organes semblent bien développés, mais le pénis est long, pendant,

flasque, et il existe même des varicocèles très étonnantes. J'en ai vu à Page

de seize ans.

L'intelligence de ces enfants est variable. Ils sont très turbulents, anor-

malement remuants et agiles. Il y de ces enfants qui cassent et démolis-

sent tout ce qui leur tombe sous la main, stupidement, non pour se ren-

dre compte de la construction dn joujou, mais par simple agitation et

athétose musculaire. Il faut rechercher attentivement chez eux les traces

d'hypothyroïdie. Généralement, leur langage est rudimentaire et ils sont

malaisés à instruire.

D'autres sont plus intelligents, mais oublieux, légers. La mémoire sur-

tout semble leur faire défaut. Certains enfants, déjà grandelets, ont une

peine infinie à se loger dans la tête les notions les plus élémentaires de l'or-

thographe. Cette malheureuse disposition leur attire des réprimandes abso-

lument infructueuses. Il leur est aussi impossible d'avoir une orthographe

correcte que d'avoir les pieds chauds : l'organisation cérébrale est incom-

plète.

Il arrive que le cerveau, adapté à la mémoire photographique des mots,

soit absolument incapable de recevoir l'impression du calcul. Cette infir-

mité cérébrale est évidemment susceptible de culture, mais il n'est point

rare de la voir persister jusqu'à l'âge adulte. Lorsqu'une personne ayant

reçu une éducation soignée et prolongée fait montre d'ignorance grave en

matière d'orthographe, il faut se défier et soupçonner l'inanition thyroï-

dienne.

Enfin, il arrive que l'intelligence soit intacte. Très éveillés et perspi-

caces, certains infantiles, surtout ceux du type Lorain, se rendent parfaite-

ment compte de leur étal.

Notons encore - et ce détail peut avoir son importance que ces en-

fants, comme les hypothyroïdiens adultes, éprouvent un violent attrait

pour les boissons alcooliques.

L'adénoïdie est fréquente chez les infantiles, la respiration est courte et

le coeur très émotif. Le sommeil est lourd et profond, la température est

subnormale.

Ce serait ici le lieu de répéter ce que je disais plus haut au sujet de

l'infantilisme vocal, veineux, pileux. Je n'y reviendrai pas.

Les symptômes que nous venons de décrire ne valent que par leur en-

semble. Isolément, ils ne signifient rien. Intentionnellement, j'ai passé

sous silence les manifestations qui sont le propre du myxoedème franc : le

teint ambré, plaqué de rouge, l'infiltration des paupières, l'obésité Coin-

DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CIIRONIQUE 295

mençante, l'oedème, le gonflement des mains et des pieds. L'hypothyroï-

die bénigne chronique existe sans ces symptômes.

MARCHE DE LA MALADIE.

L'hypothyroïdie chez les enfants tend manifestement vers la guérison.

L'enfance est longue, l'adolescence se prolonge, mais enfin, dans de bon-

nes conditions d'hygiène, et lorsque la maladie n'est pas trop avancée, le

sujet finit par arriver au développement complet.

Cela est aussi vrai pour l'esprit que pour le corps.

Chez la femme adulte, la tare dysthyroïdienne se réveille sous l'influence

des causes qui ont été signalées lorsque nous avons parlé de l'étiologie,

et elle s'aggrave en raison de l'intensité de ces facteurs.

Une fois établie, elle n'a aucune tendance à la guérison, en deçà de la

ménopause. La ménopause, tardive le plus souvent, amène parfois une

amélioration notable, et la longévité ne semble pas inquiétée par l'hypo-

thyroïdie.

TRAITEMENT.

L'ingestion de thyroïdine est la pierre de touche de l'hypothyroïdie bé-

o nigne chronique. Ses effets ne sont pas moins brillants que dans le myxoe-

dème franc. Il faut seulement se pénétrer de quelques notions indispen-

sables à la bonne réussite de la cure.

1. Il faut éviter de vouloir aller trop vite. On ne connaît pas la quantité

de thyroïdine que déverse dans le sang une glande saine. A fortiori ne

sait-on point le déficit capable de déterminer l'explosion de phénomènes

d'hypothyroïdie. 11 importe donc d'aller prudemment et de donner des

doses faibles.

2. L'excès de thyroïdine ingérée fait naître précisément les symptômes

que l'on désire combattre. Citons la céphalalgie, la douleur du dos à la

région des reins, les douleurs musculaires et articulaires, l'oppression et

les palpitations douloureuses simulant parfois l'angine de poitrine, l'ano-

rexie et les douleurs du foie. L'administration de doses trop fortes décou-

rage le malade et effraie le médecin plus qu'il ne le laisse voir. D'où aban-

don du traitement et discrédit de la méthode.

3. La médication thyroïdienne ne peut rien si le malade ne s'astreint à

quelques mesures diététiques, qui sont le contraire de tout ce qu'il a

jamais entendu de la bouche de ses médecins. Le traitement habituel de

l'anémie (l'hypothyroïdie bénigne est habituellement prise pour de l'ané-

mie) comporte l'usage du vin, de bières fortes, de vins médicamenteux.

L'anémie est fréquemment combattue par les bains, les allusions et dou-

296 E. HERTOGHE

ches froides. Or tout cela est diamétralement opposé à l'activité du remède

thyroïdien.

Pour ce qui regarde les bains froids, la démonstration n'est pas diffi-

cile. Soustraire du calorique à un organisme déjà anormalement frigide et

refroidi, c'est un pur non-sens. La réaction ne se fait pas chez ces femmes

et chez ces enfants. Il faut .avoir traité ces malades, qui toutes ont fait du

« Kneipp », pour se rendre compte des souffrances qu'on leur a inutile-

ment imposées. Toutes ont été forcées d'abandonner cette cure barbare, et

leurs rhumatismes en ont été aggravés dans des proportions terribles. Un

simple bain froid suffit à diminuer la résistance thyroïdienne. J'en ai vu

des exemples nombreux dans des conditions de précision presque mathé-

matique. Je m'expliquerai la-dessus dans un autre travail.

Il faut conseiller, au contraire, les bains chauds, les enveloppements

chauds, les bains de vapeur, les boissons chaudes.

Le bain de pied chaud et même le bain général très chaud, avant le

coucher, ont la plus heureuse influence et sont un adjuvant précieux du

traitement organothérapique.

Les boissons alcooliques, si recherchées par les anémiques hypothyroï-

diens, doivent être absolument proscrites. Elles sont d'abord contre-indi-

quées à cause de la congestion et de la susceptibilité du foie. Au même

titre que la morphine, dont nous avons signalé depuis longtemps l'anta-,

monisme, l'alcool détruit les bons effets de la médication et peut être con-

sidéré comme l'antidote du principe glandulaire.

Les phénomènes les plus pénibles que peut provoquer l'ingestion d'une

dose excessive de thyroïdine, même administrée à un sujet sain, tels que

la douleur excruciante du dos à la région rénale ou les symptômes angini-

formes du coeur, se dissipent à l'instant par l'ingestion d'une dose relati-

vement faible d'alcool ou de morphine. J'ai d'autres raisons, du reste, qui

confirment cette opinion. J'y reviendrai également dans un travail ulté-

rieur.

L'usage inconsidéré du sucre doit aussi être défendu. J'en donnerai la

raison plus tard.

Le tabac doit être sévèrement interdit aux enfants... et aux femmes.

Beaucoup d'enfants fument en cachette ou même au vu de leurs parents.

La faiblesse des parents sous ce rapport est parfois incroyable. Aujour-

d'hui même, on m'a amené un diabétique de 12 ans, si maigre (18 kilo-

grammes), si cachectique, qu'on était obligé de le porter. J'ai cru qu'il

allait mourir dans mon cabinet. Ce gamin fume ses quatre cigares par

jour. II y a même des enfants qui mâchent le tabac. Jamais on n'arrivera

à rien chez des sujets qui persistent à en user.

4. La thyroïdine ne peut donner que ce qu'elle a. Capable de rendre

DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE . 297

aux muscles rhumatisés leur souplesse et leur élasticité indolore d'autre-

fois, capable de rendre aux tuniques intestinales le tonus et la force qui

leur font défaut, capable encore d'éliminer les poisons qui produisent le

malaise des centres nerveux (céphalalgie, rachialgie, névralgies), de rele-

ver la température du corps en brûlant plus complètement la graisse, elle

est cependant impuissante à rendre au poumon emphysémateux le terri-

toire qui lui manque. Elle ne saurait régénérer une denture détruite par

la carie, ni faire disparaître un varicocèle ou des paquets volumineux de

varices.

Si nous avions à notre disposition de la thyroïdine humaine, fraîche,

vivante, à l'état naissant, et si nous pouvions la déverser directement dans

le sang des hypothyroïdiens, nos résultats seraient plus brillants qu'ils ne

sont actuellement. Cependant, avec la thyroïdine telle que nous l'em-

ployons, il y a moyen d'opérer des cures vraiment brillantes. Avec un

peu de patience, de prudence et de régime, on pourra faire disparaître

une foule de symptômes : la céphalée, la rachialgie, la calvitie, la consti-

pation, les raideurs et douleurs rhumatoïdes, les douleurs hépatiques, la

somnolence, le découragement, la mélancolie et la fatigue de vivre. On

empêchera l'emphysème pulmonaire de faire de nouveaux progrès, et l'op-

pression s'en trouvera beaucoup soulagée, en vertu du principe d'accou-

tumance. Les douleurs anginiformesaucoeur disparaîtront complètement.

Les troubles hémorrhagiques de l'utérus obéissent merveilleusement à

l'action de la thyroïdine. La matrice diminue de volume et de sensibilité.

Dans les fibromes, son action n'est pas moins nette. La tumeur fond

lentement. L'amélioration se constate surtout à la diminution de Phémor-

rhagie et à la disparition des phénomènes de compression (sciatique uni

ou bilatérale). J'ai sauvé plus d'une femme du couteau.

Dans la rétroflexion infantile des vierges, la thyroïdine, au bout d'un

temps très court, fortifie la paroi postérieure de la matrice, la redresse.

Pourquoi s'étonner de cette action, puisque j'ai montré dans un précédent

travail l'évolution complète des organes génitaux mâles chez un infantile

de 20 ans en moins de six mois. Au bout d'un temps très court, la matrice

se relève; le sang menstruel s'en dégage plus facilement. Je ne demande

pas à être cru sur parole. Dans la rétroflexion des vierges, on sait d'avance

que toute médication thérapeutique est inutile. Avant d'en arriver à l'hys-

téropexie. ou à toute autre méthode sanglante, que l'on suive mon conseil,

et l'on en verra les heureux effets.

Dans la stérilité qui dépend d'un retour trop facile et trop violent de la

menstruation, on n'aura qu'à se louer de l'action inhibitive de la thyroï-

dine. Son usage, à dose faible, devra, être continué pendant tout le temps

de la gestation.. ·

298 . E. HERTOGHE

On commencera par des doses d'une demi-pastille de Burroughs et Well-

come, préparation à laquelle je suis toujours resté fidèle, sauf dans quel-

ques cas d'intolérance gastrique. Je me trouvais alors mieux de l'iodolhy-

rine de Baeyer, plus douce et plus facile à supporter.

Je me suis trouvé bien de faire agir la thyroïdine après avoir alcalinisé

le sang par quelques doses répétées de bicarbonate de soude. Il me sem-

ble qu'elle est alors plus efficace et mieux tolérée.

Lorsque la thyroïdine détermine de la diarrhée, il faut l'associer au ma-

gistère de bismuth.

Chez les enfants arriérés, infantiles bénins, la thyroïdine sera plus ap-

préciée encore. Elle relève la taille, complète les appareils en retard, gué-

rit la constipation et développe incontestablement des facultés cérébrales

qui, sans elle, seraient restées dans l'ombre. Ajoutons que les enfants

supportent la thyroïdine bien plus facilement que les adultes.

Nous terminons en formulant le voeu de voir le public médical s'inté-

resser de plus en plus à la médication thyroïdienne, que nous avons seu-

lement esquissée. Nous demandons que l'on veuille sans esprit de déni-

grement, vérifier, le complexus symptomatoloique que nous avons décrit,

très imparfaitement, mais suffisamment pour servir de point de départ à

des études plus détaillées. '

.

..

Je fais suivre mon mémoire d'une série d'observations.

1° Adultes.

Uns. I. - Gastralgie et ménorrhagie hypothyroïdiennes.

Mélancolie. Douleurs des membres.

L'épouse A... vient me consulter pour ses douleurs d'estomac. Agée de

51 ans, elle est encore abondamment réglée, au point d'en être fortement affai-

blie. Son père est encore en vie; sa mère est morte d'albuminurie à l'âge de

retour. Notre patiente, petite de taille et chétive d'apparence, n'a été réglée

qu'à l'âge de 17 ans. Elle a eu quatorze enfants dont dix sont en vie. Sur ces

dix enfants, il y a neuf filles. L'aînée a été longtemps malade et perd beaucoup

de sang. La seconde présenta plusieurs fausses couches avant de porter à

terme des jumeaux dont l'un mourut quelques heures après sa venue. La troi-

sième est obèse ; la quatrième fera le sujet de l'observation suivante ; la cin-

quième fille s'est mal développée, contrefaite, pâle et oppressée. Les autres

enfants sont bien portants. La femme A... a allaité tous ses enfants. Les dou-

leurs d'estomac remontent au début de sou mariage. Disposée à la tristesse,

somnolente et toujours accablée, elle se portait mieux, dit-elle, étant enceinte

qu'autrement. La figure est pâle, légèrement bouffie, les sourcils sont déla-

brés. Un examen corporel démontre une vive sensibilité au niveau de la vési-

DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 299

cule biliaire. L'utérus est gros, congestionné. Le col est profondément déchiré

attiré fortement par le ligament large de gauche, qui paraît raccourci. Elle se

plaint aussi de douleurs dorsales, de douleurs dans les jambes et dans la

plante des pieds. Le traitement commence à la dose d'une pastille anglaise par

jour, le 17 mai 1898. Le 2t juin suivant, à la seconde visite, elle me déclare

avec joie que la menstruation n'a plus reparu. L'appétit est meilleur et elle ne

ressent plus de douleurs nulle part. Le 12 juillet suivant, les règles réappa-

raissent et la patiente éprouve pendant quelques jours de la lassitude et de l'ac-

cablement. L'amélioration générale persiste. J'élève la dose à deux pastilles par

jour. Le 10 octobre 1898, la patiente se déclare guérie. Elle mange beaucoup

et de tout. Je l'ai encore revue le 17 janvier dernier : elle a gagné en poids.

Par prudence, je lui fais continuer son traitement à la dose d'une pastille par

jour.

Ces. IL Adénoidie. - Gastralgie et ménorrhagies

hypothyrouliennes. Constipation.

Mlle A..., fille de la femme dont nous venons de tracer l'histoire, est âgée

de 19 ans. A première vue, ce qui frappe le plus l'attention, c'est la largeur

de la face et celle du dos du nez. Les sourcils sont rares. Cette jeune fille est

très souvent enchifrenée, respire à bouche ouverte. Les muqueuses du nez sont

hypertrophiées et se rétractent fortement au contact de la cocaïne. Elle aussi

se plaint de l'estomac. Les digestions sont lentes et difficiles; son corps semble

gonfler démesurément après les repas. Les règles sont très abondantes et

reviennent trop vite. Elle souffre beaucoup de constipation. Le foie n'est cepen-

dant pas douloureux. Etant petite, elle a beaucoup souffert d'engelures. Les

amygdales sont grosses, hypertrophiées et s'enflamment périodiquement. Le

' traitement commence le 11 mai 1898. Poids GO hg. 300. Le 26 du même mois,

elle déclare pouvoir mieux respirer par le nez. La constipation est moins opi-

niâtre. L'appétit est excellent. Les douleurs de l'estomac ont complètement

disparu. A l'heure actuelle, cette enfant est tout à fait rétablie. Elle pèse

57 kg. 600. Elle a donc perdu pendant son traitement environ 3 kilogrammes.

Les règles se sont beaucoup modérées.

Obs. III. Hépatalgie.- Constipatioll.-1Ué1W1'l'hagies.- Sensibilité au froid.

Mme B..., est âgée de 60 ans. Elle a eu sept enfants. Elle les a tous allaités,

sauf un, mort après quelques jours. L'allaitement a été chaque fois très. long et

très complet. Elle est de bonne taille et pèse 79 kilogrammes. Elle se plaint

d'éprouver presque journellement dans la matinée un malaise indéfinissable,

une sensation de syncope imminente. Bien qu'a un examen très attentif il y ait

chez cette femme un léger degré de bouffissure de la face, un peu d'épilation

sourcilière et une teinte quelque peu subictériquo du visage, on ne pense pas,

en la voyant, à l'existence d'une influence myoedématense. La parole, cepen-

dant, traîne un peu, et les pommettes sont légèrement rouges. Elle est habi-

tuellement constipée. Elle présente aussi des douleurs dans la région du foie,

tant à droite qu'à gauche, et dans le dos, au niveau de ce viscère. La ménopause

300

E. HERTOGHE

s'est installée normalement à 50 ans. Toute sa vie, les règles ont été profuses

et les accouchements suivis de pertes considérables. La vésicule biliaire est

sensible à la pression et même douloureuse. La délimitation du niveau infé-

rieur du foie est impossible cause de l'infiltration adipeuse de la paroi abdo-

minale. La chevelure est notablement dégarnie sur la ligne médiane.

Les enfants mâles issus de cette femme sont bien portants. Il n'en est pas de

même des filles. L'aînée a eu le rhumatisme articulaire à l'âge de 16 ans.

Aujourd'hui sa santé est passable, mais il lui est resté, au dire de la mère, un

certain degré d'hydrémie et de gonflement oedémateux : Zij is waterachtig

gebleven van het flei,eci,i71. La seconde fille n'a pas eu d'enfants et est fort ané-

Fig. 24. - Eetromélie de la main et de l'avant-bras gauches chez une femme issue

de mère hypothyroïdienne (Observation III).

mique. La troisième a des ménorrhagies inquiétantes. La dernière enfin est

venue au monde avec une ectromélie de la main et de l'avant-bras gauches.

(Fig. 24.)

Cet arrêt de développement in utero reconnaît-il pour cause l'infériorité

thyroïdienne de la mère ? Nous n'oserions l'affirmer. De nouvelles recherches

doivent être faites dans ce sens.

MmeB... est très sensible au froid. J'installai le traitement thyroïdien le

16 novembre 1897, à la dose d'une pastille anglaise par jour. Le 19 décembre

suivant, les lypothymies matutinales ne se représentent plus aussi souvent. La

DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 301

douleur du foie persiste encore. Les selles restent difficiles. J'évite intention-

nellement les purgatifs pour ne pas troubler le mécanisme du traitement. Le

5 janvier 1898, la douleur du foie a complètement disparu et, à part un certain

degré de constipation, la femme se déclare guérie. Je la revois encore le 27 jan-

vier. Son état est alors des plus satisfaisants. Par précaution, elle continuera

son traitement a la dose d'un quart de

pastille anglaise, dose d'entretien suf-

fisante chez une femme de cet âge.

La figure 25 représente le radio-

gramme du membre ectromélique.

Ous. IV. Menstruation tardive.

Ménorrhagies. Grisonnement yré-

11latul'é de la chevelure. Grises

gastriques. Foie douloureux. -

Calculs biliaires. Météorisme gas-

trique. Constipation. /7fMO)'-

1'hoides. Lésions des gencives et

des dents caractéristiques.

Mlle G..., 53 ans, sembleau premier

abord jouir de la plus brillante santé.

En y regardant de plus près, on re-

marque que le teint est un peu jaunâtre.

Les pommettes sont un peu rouges,

mais il faut avoir l'attention appelée

sur ce point pour en tirer quelque

déduction d'ordre pathologique. De

taille plutôt élevée, elle pèse 83 kilo-

grammes. Les règles ont commencé

Fig. 2;).- Radiographie du membre

ectromélique (Observation 11l).

tard, vers la dix-huitième année, et ne se sont suspendues qu 52 ans. Jusqu a

la fin, elles ont été profuses, interminables. Son grand-père et son père, quatre

de ses frères et soeurs sont morts de tuberculose. La mère était bien consti-

tuée et a vécu jusque l',iâe de 89 ans.

Vers la quarantaine, Mlle G... a vu à peu près subitement blanchir sa che-

velure, et à l'heure actuelle, les cheveux tombent rapidement.

Toute sa vie, elle a souffert de ce qu'elle appelle des crises gastriques. Il y

a un an, elle a eu, la nuit, un accès terrible. Les souffrances ont duré deux

jours. La convalescence a été lente et longue, le foie restant longtemps dou-

loureux, puis sensible. Vomissements, selles décolorées. Le médecin, avec

raison, crut à des calculs biliaires.

Actuellement, après le repas, il arrive que le ventre gonfle très rapidement

au point d'empêcher tout travail. La malade supporte mal le froid. La consti-

pation est opiniâtre, Les gencives sont rouges, irritées, saignent facilement à

la brosse. Les dents sont en majeure partie cariées. La malade a eu et a

encore des hémorrholùes très gênantes.

302 E. HERTOGHE

L'examen du ventre démontre l'existence d'une vive sensibilité au niveau

de la vésicule biliaire. Les parois du ventre sont lourdes et chargées de

graisse.

Le traitement commença le 16 janvier 1898, à la dose d'une pastille par

jour, le poids étant de 83 kilogrammes. Le 14 mars suivant, la malade se sent

plus dégagée. Elle n'est plus si enserrée la taille. La marche et la respira-

tion sont bien plus faciles, les dilatations subites du ventre sont moins fré-

quentes. Le 13 avril, l'amélioration s'accentue. La constipation persiste encore

Le 25 août, le poids est tombé à 76 kg. 200. La marche et la respiration sont

maintenant faciles et normales. La digestion est facile. La patiente supporte les

mets les plus indigestes, ceux dont elle était obligée de se passer depuis des

années. Le traitement continue toujours il la même dose. Le 17 décembre 1898,

la patiente se déclare guérie. Par mesure de prudence, le traitement sera

continué pendant quelques mois encore.

OBs. V. Ménorrhagies. - Douleurs du rachis. Céphalalgie hypothyroï-

dienne. - Gencives caractéristiques . Jaunisse. - G1'isonnernent p1'éma-

turé. - Rétroflexion utérine.

Mme D..., 35 ans, depuis dix ans, n'a eu que deux enfants. Ces enfants sont

manifestement en retard de croissance, présentent un système dentaire déplo-

rable et se sont notablement relevés en taille et en force par l'usage de la thy-

roïdine. C'est après avoir constaté l'heureuse influence de ce médicament que

Mme D... s'est décidée il me consulter pour elle-même.

Dès avant son mariage, elle souffrait du ventre. Cet état pénible n'a fait

que s'accentuer par la suite. Les règles sont très abondantes et reviennent

tous les quinze jours. Elles sont précédées de vives douleurs dans le dos et

dans la région sacrée. La malade souffre beaucoup de la tête et est obligée de

s'alitera l'approche des règles. Elle a eu la jaunisse, il y a deux ans. Les gen-

cives sont rouges et saignent très facilement. Les dents sont dans un état dé-

plorable. Malgré son âge, elle grisonne fortement et perd beaucoup de cheveux.

Elle est extrêmement frileuse et a toujours les pieds froids. Elle ressent de

vives douleurs dans la région ovarienne droite. L'examen local démontre une

rétroversion utérine fort douloureuse. Les ovaires sont très sensibles. L'utérus

est gros, très sensible il la pression.

Le traitement commence le Il juin 1898, à la dose d'une demi-pastille par

jour.

Progressivement, sous l'empire de ce traitement, les douleurs du dos, du

ventre et les irr'adiations douloureuses dans les cuisses diminuent. Le 18 août

1898, la malade n'a plus mal ni il la tête, ni dans le dos, ni dans le ventre ;

les règles viennent à leur temps, ne déterminent aucun phénomène doulou-

reux. Le 17 janvier dernier, je vois la patiente pour la dernière fois. Elle se

déclare complètement guérie. La constipation a cédé complètement. Elle vit

d'une vie toute nouvelle et inconnue pour elle. La sensibilité ovarienne a

complètement disparu, et au toucher l'utérus indolore a repris sa position nor-

male.

DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 303

Or;s. VI. Malaria pendant la grossesse. Lassitude et somnolence conti-

11Uelles. Céphalalgie . Ménorrhagies. Dents et gencives caractéris-

tiques.

Mme E... vient d'abord me consulter pour sa fille. Cette enfant est atteinte

d'hypothyroïdie ou de myxoedème franc.

Cette dame, voyant les bons effets du traitement thyroïdien chez sa fille, se

décida, le 23 juin 1898, à me consulter pour elle-même. A ce moment, elle

avait 36 ans et pesait 51 kilogrammes. Elle s'est mariée à 21 ans. Elle a eu

trois enfants. L'ainé, un garçon, est bien portant et bien développé. Le second

enfant est mort au bout de peu de jours. Le troisième est la petite lille pour

laquelle elle vint me consulter. Son mari est bien portant, intelligent et actif.

Au cours de sa troisième grossesse, la malade résida dans un village poldérien

aux environs d'Anvers, contracta la fièvre intermittente et dut se réfugier fina-

lement en ville pour faire ses couches. On a vu l'influence néfaste de la ma-

laria sur le fruit de cette grossesse. Actuellement, Mme E... se plaint d'une '

grande lassitude, d'une somnolence perpétuelle. La voix est comme voilée,

éteinte par moments. De fréquents maux de tête lui font garder le lit plusieurs

jours de suite. Elle ressent beaucoup de douleurs dans le dos. Les règles sont

profuses. La constipation est opiniâtre. Cependant, rien dans l'aspect extérieur

de cette femme n'indique le myxoedème. Les dents sont mauvaises, les genci-

ves rouges, irritées, bordées de tartre. Je commençai le traitement à la dose

d'une pastille par jour. Je la revis le 20 octobre suivant. Les maux de tête, de

dos, d'estomac avaient complètement disparu et la malade se considère comme

guérie.

OBS. VII. Météorisme gastrique. Constipation opiniâtre. - Rétroflexion

utérine. Congestion chronique des annexes. - Influence du traitement sur

les organes du bassin.

Mlle F..., 49 ans, n'a été réglée que fort tard, vers sa dix-huitième année.

Elle se présente chez moi parce que son ventre grossit à certains moments,

particulièrement lors de la digestion. Elle ressent depuis quelque temps dix

à douze mois - des douleurs dans le bas-ventre. La menstruation perdure

encore, mais n'est nullement exagérée ni pénible. La constipation est opiniâtre.

Elle n'a pas de douleurs du foie. Après lui avoir fait prendre quelques purga-

tifs pour faciliter l'examen du ventre, je constate que le cul-de-sac de Douglas

est rempli par le corps rétrofléciii de l'utérus. L'utérus est gros, volumineux,

sensible et difficile à soulever; de grosses masses solides garnissent les culs-

de-sac latéraux. La cavité pelvienne semble comme bourrée par tous ces orga-

nes distendus et congestionnés. Je commence le traitement à la dose d'une

demi-pastille par jour, le 15 septembre 1898. Le 25 septembre suivant, la tu-

méfaction des organes intrapelviens a beaucoup diminué. La dose est élevée à

une pastille et demie. Le 28 octobre, le ventre ne fait plus souffrir la malade.

Plus de maux de tête ni de dos ; le pelvis est pour ainsi dire complètement dé-

gagé. La sensibilité de l'utérus et des ovaires a énormément diminué et l'on

304 E. HERTOGHE

peut mobiliser et délimiter nettement les ovaires dans les culs-de-sac latéraux.

Le 9 décembre, Mlle F... se sent si bien qu'elle se déclare guérie. Par précau-

tion cependant, elle continue à prendre son remède,

OBs. VIII. Cas type d'hypothyroïdie bénigne chronique : migraine, constipa-

pérale. - Teint et visage caractéristiques. - Constipation.

Mme Je me présente son fils, âgé de 14 ans, le 27 septembre 1897. Cet

enfant saigne du nez trois à quatre fois par semaine, dort la bouche ouverte

et présente des végétations adénoïdes dans le pharynx supérieur. Comme il

me paraissait en retard de développement, je lui donnai de la thyroïdine. Il

s'en trouva très bien. Les épistaxis disparurent presque aussitôt.

La mère me consulta également pour son état de santé. Très intelligente et

analysant parfaitement ses sensations, elle put me tracer le tableau suivant,

qui est l'image à peu près complète de l'hypothyroïdie chronique bénigne. Elle

se plaint de trois symptômes : la migraine, la constipation et l'oppression. La

migraine est surtout matutinale : elle se lève ayant mal de tête. Elle a souffert

beaucoup aussi de névralgies faciales. Les dents sont mauvaises, couvertes de

tartre, et les gencives sont molles et saignantes. Elle se plaint également de

rachialgie. La douleur siège surtout au niveau des omoplates et elle s'exaspère

par le séjour au lit. La patiente est quelquefois comme chassée de son lit par

la douleur du dos. Actuellement âgée de 43 ans, elle a mis au monde deux

enfants vivants et à terme. Elle a eu trois fausses couches dont l'une accom-

pagnée d'accès éclamptiques. Après son premier enfant, elle a souffert deux

fois de rhumatisme articulaire aigu, et pendant longtemps a eu de l'albumine

dans ses urines. Durant sa seconde grossesse, elle a vu les veines des jambes

se gonfler considérablement et, à l'heure actuelle, elle porte encore un bas

élastique. Elle perd beaucoup de cheveux et les sourcils sont légèrement raré-

fiés. Le visage est haut en couleur, un peu bouffi, avec une légère teinte am-

brée dans les fonds. Les oppressions surviennent environ trois à quatre heures

après le repas principal, généralement vers 6 heures du soir. Cependant, elle

ne ressent pas de palpitation de coeur. Un peu de vin la soulage vite et elle a

pris l'habitude d'en prendre, ases repas, une assez belle quantité, pour se sti-

muler et se donner des forces. En effet, elle se sent faible, somnolente, toujours

disposée il se coucher et à dormir. Elle n'est jamais mieux qu'après avoir co-

pieusement dormi. La constipation est des plus opiniâtres. lui semble qu'elle

n'irait jamais à selle, si elle ne prenait des purgatifs. Elle est frileuse. Elle a

fait toutes les variétés d'hydrothérapie froide et chaude, et attribue les douleurs

des épaules, du dos et des membres aux rhumatismes que la douche lui a con-

férés. Une de ses soeurs est morte tuberculeuse. Ses deux frères sont sujets à

la goutte. La digestion est en général laborieuse ; le ventre se gonfle rapide-

ment pendant qu'elle est en cours. Le traitement consiste dans l'administration

d'une pastille et demie par jour, la suppression des alcools, vins, bières, et la

suspension de toute pratique d'hydrothérapie froide. Ceci fut fait le 27 septem-

bre 1898. Je passe sous silence les visites intermédiaires qu'elle me fit et au

DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 305

cours desquelles je constatai l'amélioration progressive des douleurs de tête,

du dos, des membres, la disparition des phénomènes dyspnéiques. J'arrive au

24 novembre 1898. A ce moment la patiente se considère comme rétablie. Elle

mange admirablement. L'asthme a disparu. Elle n'a plus eu de migraine. Elle

continuera à prendre sa thyroïdine pendant quelque temps encore. Elle pesait

75 kilog. 400 en commençant ; à la date dernière, 73 kilog. 500. La perte en

poids très modérée confirme le diagnostic et prouve que l'infiltration myxoedé-

mateuse était insignifiante.

Cas. IX. - Migraine, névralgies faciales. - Somnolence et perte de mémoire.

Chute des cheveux. - Dents et gencives caractéristiques. - Règles pro-

fuses. - Utérus en rétroflexion.

Mme H... est âgée de 32 ans. Elle a eu rapidement, coup sur coup, cinq

enfants en sept ans de mariage. Une soeur porte un myome utérin hémorrha-

gique très affaiblissant. Mme H... se plaint d'éprouver depuis trois a quatre

mois une série de phénomènes qui ont fini par l'inquiéter. Elle perd la mé-

moire ou plutôt la faculté de penser, de lier les idées. Elle éprouve une véri-

table difficulté à agir, à commander, il diriger ses affaires de ménage. Elle a

facilement le sang à la tête. Le teint est très haut en couleur. Les pommettes

sont vivement et largement colorées de rouge. Il y a cependant une légère

teinte ambrée dans les fonds. Elle perd énormément de cheveux. Elle est pres-

que toujours somnolente et dormirait constamment, si elle ne s'en empêchait

à force de volonté. Les dents sont mauvaises ; beaucoup sont cariées ; les gen-

cives sont rouges, injectées et saignent facilement. Elle a snuvent de la mi-

graine et des névralgies de la face. La constipation n'existe pas dans ce cas.

Mme II... se plaint de ressentir ces phénomènes de paresse intellectuelle et

physique il l'approche des règles. Celles-ci se sont très rapprochées. Elles du-

rent longtemps et sont profuses. Le ventre est douloureux. Il semble à la ma-

lade que quelque chose descend. A certains moments, en pleine marche, elle

est forcée de s'arrêter brusquement, immobilisée par une douleur atroce dans

le bas des reins.

A l'examen, on constate que l'utérus est en rétroflexion. Il est gonné, dou-

loureux, comme affalé au fond du bassin qu'il semble remplir dans tous ses

diamètres. Les ligaments utérins sont évidemment relâchés, car la matrice

plonge profondément dans le canal pelvien.

Je commence, le 30 janvier 1899, le traitement à la dose d'une demi-pas-

tille par jour. Abstention complète de vin, bière, liqueurs, et de toute pratique

d'hydrothérapie froide. Le 6 février suivant, l'amélioration est évidente ; la

somnolence a pour ainsi dire disparu. Le courage est revenu. La douleur du

ventre existe encore. Le 20 février, le mieux s'accentue rapidement. A l'exa-

men local, l'utérus s'est notablement relevé, il s'est sensiblement dégonflé et il

ne présente plus, il beaucoup près, la sensibilité douloureuse d'auparavant. Le

traitement continue.

306 E. HERTOGHE

Oes. X. Céphalée incoercible et constipation continuelle, ménorrhagies.

Rhumatisme épicrânien. - Chute prématurée de la chevelure. Palpitations

cardiaques nocturnes. - Sensibilité anormale au froid.

Mlle J..., 2 ans, célibataire, souffre depuis sa dix-septième année et pres-

que constamment de douleurs de tête. Les souffrances sont réellement intolé-

rables et siègent tant aux tempes qu'à la région occipitale, également au-dessus

des yeux. La douleur est surtout intense le matin, au saut du lit. Cette jeune

fille est invinciblement constipée. Elle n'a jamais eu la jaunisse. Elle n'a été

réglée que fort tard, vers sa dix-septième année. Elle souffre beaucoup avant

et après les règles. L'hémorrhagie est excessive et les intervalles intermenstruels

plus courts que de raison. Elle perd beaucoup de cheveux et attribue ce symp-

tôme au rhumatisme épicrânien, cause de ses douleurs de tète. Elle est facile-

ment oppressée en gravissant un escalier et elle est sujette à des palpitations

de coeur, surtout la nuit. Les dents sont mauvaises au delà de toute descrip-

tion. Les gencives sont enflammées, bordées de tartre. Elle supporte mal le

froid et tout aussi mal les chaleurs, se fatigue facilement et a une tendance in-

vincible il s'assoupir. Elle est maigre et pèse 47 kilogrammes. Le traitement

commença le 19 septembre 1898, à la dose d'une pastille et demie par jour.

Le 23 du même mois, la céphalalgie n'a pas encore disparu, mais les fonctions

digestives se sont notablement amendées. Le poids monte à 48 kil. 700. Le

30 septembre, le mal de tête a beaucoup diminué; la constipation tend à dis-

paraître; poids : 49 hil. 100. Le 6 octobre, la constipation est définitivement

levée ; le mal de tête a presque cessé. Poids : 49 kil. 500. Le 28 novembre, la

céphalalgie a disparu, les règles se sont notablement amendées. La jeune fille

se considère comme guérie.

OBs. XI. - dléléorisme gastrique. - Constipation. Iliii71go vulvaire. -

Douleurs frontales, des épaules, bras, genoux. - Douleurs plantaires. - Op-

pression et palpitations nocturnes.

Mlle J..., religieuse, 46 ans, de petite taille, pesant 47 kilogrammes, se plaint

de ce que depuis plusieurs années elle augmente en poids. Son ventre surtout

parait grossir démesurément. Elle est très constipée et souffre depuis longtemps

de prurigo vulvaire qui la prive de sommeil.De plus elle souffre de douleurs de

tête frontales, de douleurs dans Ips épaules, les bras, et dans la plante des pieds.

Cette douleur plantaire la chagrine beaucoup. La souffrance, très intense au dé-

but de la marche, se calme petit il petit par l'exercice, pour revenir dès que la

patiente s'assied et s'est reposée, Les dents sont mauvaises, les gencives rouges,

saignantes, bordées de tartre dentaire. Fréquemment, elle a des oppressions et

des palpitations, même douloureuses, du coeur; la respiration nasale est diffi-

cile. La nuit, elle ronfle et dort la bouche ouverte. Les règles n'ont jamais été

fortes et actuellement déjà ont une tendance il disparaitre. La physionomie est

jeune, presque enfantine. Les traits sont légèrement bouffis, elles sourcils, très

blonds, sont rares. Le traitement commence le 15 août 1898, à la dose de trois

pastilles anglaises par jour. Cette dose est trop forte. A sa seconde visite, le

NOUV. IGOVOGItAYlflt UF LA SAfNFT7tItKF.

Tome XII. Pl. XLVII

INFANTILE TYPE LORAIN. (OBS. I. X1...)

(Hertoghe)

A. Avant le traitement, le S /liai 1898, Taille : 1 m. 525. Poids ' 36 k. 300 (nu).

B. Après le traitement, le 21 février 1899. Taille : 1 ni. 597. Poids : 39k.Soo(nu).

La taille mesurée 26 mai 1899 était de 1 m. 612.

· MASSON & cte, Editeurs

l'I¡nlflt' 1 1.. ! I.rthaud Paris

DE L'IIYPOTUYHOïDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 307

29 septembre, les douleurs de tête ont augmenté, les selles sont difficiles et font t

saigner. Le 8 octobre, la constipation est levée et les maux de têle deviennent

moins fréquents. Elle ressent encore des oppressions et de la talalgie. Le 2 no-

vembre, l'oppression est moins forte ; la douleur plantaire a disparu ainsi que

la céphalalgie. Elle a pu se lever en même temps que les autres soeurs de la com-

munauté pour assister aux offices, ce qu'elle n'avait pu faire depuis plusieurs

années. Le 7 janvier de cette année, la guérison est complète. Plus de cons-

tipation. Les douleurs rhumatismales, les démangeaisons vulvaires, la douleur

du pied, l'oppression n'existent plus qu'à l'état de souvenir.

2° Enfants.

Toutes les observations qui vont suivre se rapportent à des enfants at-

teints d'hypothyroïdie bénigne chronique. Ce type d'infantilisme est connu

dans la science sous le nom d'infantilisme type Lorain, ou gringalets.

J'ai démontré dans un mémoire antérieur que l'arrêt de développement

des infantiles Lorain est dû à l'appauvrissement thyroïdien, qu'on les

trouve en même temps que le myxoedème infantile franc dans les mêmes

familles, sous le même toit, et qu'ils se développent merveilleusement

sous l'influence de la thyroïdine, mieux même que les myxoedémateux

francs.

ans ? XI... est âgé de 16 ans. (PI. XLVII, A.) Il pèse 30 kilogrammes et

mesure 1 m. foi25. D'après les tables d'Axel Key, cet âge comporte chez les

garçons une taille de z1 m. 60 et un poids de 60 à 62 kilogrammes. Désireux

d'entrer au service des chemins de fer, sa taille a été reconnue inférieure, et il

est venu chez moi pour que je le fasse grandir. Il appartient à la catégorie des

infantiles dits type Lorain, que Brissaud appelle gringalets.

Les infantiles type Lorain se distinguent par leurs proportions fines et élan-

cées. Les fémurs et les jambes sont très longs ; la poitrine est extrêmement

étroite : les parties génitales sont souvent peu développées. C'est le cas ici.

L'intelligence est médiocre. Les cheveux sont rares, fins, minces. Le visage est

plaqué de psoriasis. (Fig. 26.) Le père est mort tuberculeux. La mère est

obèse et je n'ai pu recueillir son histoire détaillée.

Puéril, infantile lorsqu'il vint me consulter, la figure est devenue plus sé-

rieuse, plus réfléchie et s'est grandement dépouillée de son cachet d'extrême

juvénilité pendant le traitement.

Après neuf mois de thyroldisation, la taille s'est élevée de 1 m. 525 à 1 m. 597

et le poids du corps de 36 à 39 kil. 800. (PI. XLVII, B.)

Le psoriasis a pour ainsi dire disparu. (Fig. 27.)

OBs IL - X2... appartient à la même catégorie d'infantiles. Les membres in-

férieurs sont grêles, allongés ; il y a de l'étroitesse du thorax et les pieds sont

plats. Il est extrêmement maigre et délicat. Agé de 17 ans, il devrait avoir 1 m.65

308 E. HERTOGHE

C'est à peine s'il mesure 1 m. 572. Son poids, au lieu d'être de 65 kilogram-

mes, n'est que de 41 kilogrammes.

A l'âge de 4 ans, il a été atteint de scarlatine et, au cours de sa convales-

cence, il a été affecté d'oedème généralisé. A partir de ce moment, il y a eu de

l'incontinence d'urine la nuit; toutes les nuits, sans exception aucune, il

mouille son lit.

Les dents sont presque toutes cariées ; les gencives sont rouges, irritées, ron-

gées de tartre. Les pieds transpirent beaucoup, surtout l'été, et cette transpira-

tion est fétide.

L'examen radiographique de la main et de l'avant-bras montre que les car-

tilages d'ossification sont loin d'être ossifiés et que le sujet peut encore beau-

coup grandir. (Pl. XLIX, F.) Ceci démontre la parenté étroite qui existe entre

Fig. 26. - Infantile type Lorain (XI). Psoriasis du

visage ; avant le traitement.

Fig. 27. - Le même, après le traitement.

Disparition du psoriasis.

les arrêts de croissance dus au myxoedème franc et ceux qui sont dus 1 l'in-

fantilisme Lorain. Il n'y a qu'une différence de degré dans la dégénérescence.

Traitement. - Il commença le 8 mai 1898, avec une taille de 1 m. 525, à

la dose d'une pastille par jour. Le 9 juin, la taille atteignait 1 m. 5 ; le 14 juil-

let, 1 m. 55; le 26 janvier 1899, 1 m. 588, et le 21 février, 1 m. 597. L'en-

fant avait gagné en poids 3 kilog. 800.

L'influence du traitement thyroïdien à la dose d'une pastille par jour fut

des plus remarquables. En huit mois, la taille s'éleva de 0 m. 072, le poids

du corps remonta de 5 kilogr. 200 ; l'incontinence nocturne disparut presque

NOUV. iLONOGKAlMMb 1)1 LA Sa ! Pf.rKIEKH .

Toue XII. Pl. 1L'III

INFANTILE TYPE LORAIN. (OBS III. 71 ...)

(Hartoghe)

C. 20 mars 1898. Taille : 1 m.)2 ! . (Avant le traitement thyroïdien).

D. 21 fiviicr 1899. Taille : 1 m. 573. (Après 8 mois traitement)

E. y juin 1899. Taille : 1 ni. 602. (Après 1 an de traitement).

MASSON S, etC, Editeurs.

Phnlop't le PW Ihaud. Paris

DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE ~ 309

immédiatement : du 24 juin 1898 au 19 février 1899, il ne mouilla son lit que

sept fois.

L'histoire de la mère de cet enfant est des plus intéressantes au point de

vue de la relation qui existe entre l'état de santé de ces infantiles et celui de

leurs ascendants.

Malgré ses 52 ans, cette femme est encore fortement réglée. Toute sa vie

elle a eu des règles profuses. Elle n'a eu que trois enfants : d'abord une fille,

âgée aujourd'hui de 23 ans. Cette fille est sujette à des saignements de nez fré-

quents. Elle a le sang facilement à la tête et le visage fortement coloré. Très

fortement constipée. Le second enfant, un garçon de 21 ans, est sujet à de

fréquentes migraines et très constipé. Le troisième est le sujet que nous avons

montré plus haut.

Il y a deux ans, Mme M... a eu un crachement de sang extrêmement abon-

dant et qui ne s'est pas répété. Elle souffre beaucoup de céphalalgie et de dou-

leurs du dos il la région rénale. Ces souffrances sont plus fortes le matin que

le soir et la chassent du lit. Très constipée. Les dents sont très malades, pres-

que toutes cariées ; les gencives rouges, injectées, chargées de tartre. Les

membres supérieurs sont douloureux et raides ; elle ne peut lever les bras pour

se coiffer. Les membres inférieurs sont le siège de fourmillements très péni-

bles et il est impossible à la malade de se tenir longtemps en place. Les bour-

donnements d'oreilles sont fréquents. Elle entend comme le sourd grondement

d'un train qui passe très loin. La vue présente des phénomènes hallucina-

toires ; la malade aperçoit des étoiles brillantes, elle voit des objets mal définis

raser le sol et traverser rapidement l'appartement.

A l'examen du bas-ventre, l'utérus est gros, sensible, et un gros ovaire se

trouve dans le Douglas.

Sa mère est morte de tuberculose. Trois de ses tantes du côté paternel sont

mortes de phtisie pulmonaire.

Le traitement thyroïdien a été suivi par cette femme en même temps qu'il

a été imposé au fils. Sous l'influence de la médication, les maux de tête, la

constipation, les douleurs des membres, l'oppression avaient cédé, puis ces

symptômes ont reparu à cause de l'abandon du remède. Actuellement elle suit

de nouveau sa cure et les accidents ne tarderont pas à disparaître.

OBs. 111. - X3... est plus âgé que les deux enfants précédents. (PI. XLVIII,

C.) Il a 20 ans, a tiré au sort et a été refusé cette année au service militaire

pour défaut de taille. Il mesure en effet 1 m. 521 et pèse 35 kilogr. 500. La

taille minima pour la milice est de 1 m. 55. Les testicules sont extrême-

ment petits, appendus à des cordons très minces et très allongés. Pénis long

et fiasque. Les dents sont très mauvaises, les gencives rouges, chargées do

tartre. Les amygdales sont très grosses. La respiration nasale est très gênée.

La radiographie qui fut prise chez ce sujet de 20 ans, (PI. XLIX, G.) com-

parée à celle du sujet précédent, âgé de 17 ans, (PI. XLIX, F.) démontre

que, de 17 à 20 ans, le squelette de ces infantiles n'a pas eu la moindre ten-

XII 21

310

E. HERTOGHE

dance à parachever son évolution de croissance. En d'autres termes, le sque-

lette s'est comporté comme chez les enfants myxoedémateux francs.

Je ne possède malheureusement pas le moindre renseignement sur les pa-

rents de ce jeune homme.

Le traitement fut des plus fructueux. En huit mois de temps, la taille s'éleva

de 0 m. 052, le poids de 5 kilogr. 900. (Pl. LVIII, D.) L'expression du

visage est bien plus virile et plus assurée ; la tristesse et l'air grognon qu'il

portait d'habitude ont complètement disparu. Le 29 juin 1899, il atteint

1 m. 602 et pèse 43 kilogr. (PI. 1LVIIl, E.) ,

Fig. 28. - Infantilisme de transition.

(Observation IV, 1 ? )

Fig. 29. -nlyxoedème franc; 40 ans.

Malade de la f g. 6.

OBs. IV. -X4..., âgé de 14 ans, a une taille de 1 m. G12, ce qui dépasse la

normale. (Fig. 28.) Il est incontinent d'urines la nuit. Les pieds sont extrê-

NOUV. ICO-.IOC;RAI'IIIE DE LA SAlPr.l'RltRE.

Tome XII. Pl, XLI : \

INFANTILISME

(Herloghe)

F Radiogramme de l'infantile Lorain X ,... âgé de 16 ans. Translucidité extrême des caitilages d'accroissement.

r C...1,t ? t ? <f ? tï ? \' "\ 'fT. rJ......,n ? °1 ? 11,.... T n, r, T

DE L'HYPOTHYROÏDIE BÉNIGNE CHRONIQUE 311

mement plats et fétides. Les mains sont froides, couvertes d'engelures et

font beaucoup souffrir le malade. « En hiver, ce sont les mains », dit-il,

« et en été ce sont les pieds qui me mettent au supplice ». La conformation

du corps est la même que celle des sujets précédents ; seulement, les cuisses

et le bas des jambes sont quelque peu oedématiés, ce qui leur donne la confor-

mation en colonne dont parle Cbarcot à propos de la cachexie pachydermique.

Les dents sont mauvaises, les gencives rouges et chargées de tartre.

J'ai placé en regard de X4 (Fig. 28) l'image en [pied (Fig. 29) d'une femme

atteinte de myxoedème franc et dont l'histoire a été donnée au cours de ce tra-

vail (Fig. 6 et 7). La photographie montre admirablement cette disposition

en colonnes uniformément cylindriques signalée par Charcot. Les images 28 et

29 affirment une fois de plus, et ad oculos, la parenté étiologique qui existe entre

l'infantilisme Lorain et le grand myxoedème.

Le traitement thyroïdien a fait beaucoup de bien au malade. Il a réduit pres-

que complètement l'incontinence nocturne des urines. Les pieds sont bien

moins fétides. La taille s'est élevée de 1 m. 642 à 1 m. 674 (du 11 mars au

30 octobre 1898).

Les renseignements au sujet des parents font défaut.

OBs. V. XI... présente tous les caractères des infantiles définis plus haut.

Les membres sont grêles, élancés, la poitrine étroite. Il est âgé de 18 ans,

mesure 1 m. 488 et pèse 37 kg. 100. Les pieds sont plats, transpirent facilement.

Les parties génitales sont très peu développées. Il urine au lit toutes les nuits.

La mère (44 ans) souffre beaucoup du dos, a eu plusieurs fois la jaunisse.

Elle est habituellement très constipée. Fortement réglée jusqu'à -36 ans, puis

aménorrhée complète et définitive. Teint rose et fond ambré du visage.

Le traitement de l'enfant relève la taille de 1 m. 488 à 1 m. 516 (du 20 juillet

1898 au 17 janvier 1899). Le poids monte de 37 kg. 100 à 42 kg. 100. A l'heure

actuelle, l'incontinence nocturne d'urines a complètement disparu.

HOSPICE DE BICÊ'TRE.

LE PRURIT ET LA TRICHOTILLOMANIE

CHEZ LES

PARALYTIQUES GÉNÉRAUX

PAR

CH. FÉRÉ

Médecin de Bicêtre.

Les émotions morales et pathologiques s'accompagnent souvent de'

troubles de la circulation et de la motilité de la peau plus ou moins dura-

hles ; elles jouent le rôle d'agent provocateur dans l'étiologie des affections

cutanées et bon nombre de troubles trophiques sont liés à leur évolution.

J'ai déjà eu occasion de rappeler les principaux faits de cet ordre (1).

Chez les paralytiques généraux, on a signalé souvent des troubles tro-

phiques de la peau (2) se manifestant tantôt d'une manière aiguë, tantôt

d'une manière chronique ; les formes les plus fréquentes sont les lésions

érythémateuses ou bullaires, le purpura, le zona ; on a observé aussi des

pigmentations de la peau (3),t'ichthyose(4). L'érylbromélalgie, les escha-

res, le mal perforant peuvent être rattachés aux troubles trophiques de la

peau.

En dehors de ces manifestations grossières des troubles de la nu-

trition de la peau on peut observer chez les paralytiques généraux des

manifestations moins graves, mais capables de présenter un certain inté-

rêt à litre de dermatoneuroses indicatrices (Leloir). Sarbo (5) a signalé

(1) La pathologie des émotions, 1892, pp. 212, 24(i, 362. - Note sur un cas de méla-

zaocler·nxie récurrente chez un épileptique apathique (Nouvelle lcon. de la Salp., 1897,

p. 332). Note sur un cas de canitie rapide (Progrès médical, 189 ï, 3e série, t. V,

p. 49).

(2) CoLonAx, Les ll'ouhles trophiques de la paralysie générale (Arch. de Neurol.,

1898, 2e série, t. V, p. 32).

(3) IhGNAi : D, Deux cas de maladie ou de coloration bronzée dans le cours de la para-

lysie générale (Gaz. hebd., 18G5, 2 série, II, p. 184).

(4) Cil. Flué, Faits pour servir à l'histoire des Iroubles trophiques dans la paralysie

générale des aliénés (Nouv. lcon. de la Salp., IS89, p. 156).

(5) A. SABBO, Weber Pruritus, als Symptom der progressiven Paralyse (Pester mediz.-

chirurg. Presse, 1897, p. 879).

NOUV. ICOXOGRAPHIE DF LA SALPÉrRrÈIU.

Tome XII. 1'1. L

TRICHOTILLOMANIE ET PRURIT CHEZ UN PARALYTIQUE GENERAL

(Ch. Fére)

MASSON & çie, Editeurs.

LE PRURIT ET LA TRICHOTILLOMANIE 313

l'existence au début de la paralysie générale d'un prurit isolé indépendant

de toute lésion cutanée appréciable et pouvant disparaître plus tard. La

connaissance de ces névrodermies (Brocq et Jacquet) est d'autant plus in-

téressante que ce prurit, indépendant de lésions cutanées grossières, peut se

rencontrer non seulement dans divers états névropathiques comme l'hys-

térie ou la neurasthénie (Loevenfeld) mais aussi dans certains cas morbi-

des généraux, où il existe une altération du sang, comme dans le diabète,

la goutte, dans l'ictère. On le voit encore clans certaines intoxications : il

est fréquent dans le morphinisme et aussi dans l'amorphinisnle : certains

auteurs l'accusent d'être le fait primitif dans les intoxications qui déter-

minent l'urticaire (1). Le prurit primaire est aussi fréquent chez les vieil-

lards. On le voit se développ.er surtout chez les gens nerveux sous l'in-

fluence du froidou de chocs moraux (2). Le prurit primaire est en général

généralisé, plus rarement il se limite aux parties exposées à l'air ou aux

frottements. Il est plus souvent limité quand il se présente à titre réflexe

dans des affections très diverses d'ailleurs : maladies organiques de l'uté-

rus, irrégularités de la menstruation, calculs vésicaux, végétations del'u-

rèthre, hémorrhoïdes. vers intestinaux, etc. (3).

Le prurit est sans doute moins sûr qu'on pourrait le croire chez les para-

lytiques généraux. Depuis que j'ai eu connaissance de son existence je l'ai

recherché chez 26 paralytiques au début, je l'ai observé trois fois. Dans

un cas, il était généralisé sauf à la tête, c'était une sensation de chatouil-

lement existant d'une façon constante et présentant des exaspérations sous

l'influence des repas, d'émotions morales, d'un exercice violent ; il a duré

environ huit mois et n'a cessé d'être accusé qu'à la suite d'une attaque apo-

plectiforme qui a laissé après elle un grand affaiblissement de l'intelli-

gence. Ce prurit n'était pas associé à une anesthésie sensible. Un autre

avait eu pendant plusieurs mois des sensations de fourmillement et de

brûlure sur la face externe de la fesse droite, sur la cuisse et sur la ré-

gion épigastrique. Elles ont disparu, mais il reste de l'anesthésie sur ces

régions. Dans ce fait, la plaque fémorale rappelait d'autant mieux la mé-

ralgie paresthésique de Roth-Bernhardt (4) que l'on peut voir dans la mé-

ralgie l'anesthésie survivre à la paresthésie (Good). Le troisième s'estplaint

pendant six semaines environ d'une sensation de démangeaison et de cuis-

son sur les deux épaules, en avant et en arrière et sur la partie supérieure

(1) Tu. D. Savill, On the pathology of itching and ils treatment by large doses

of calcium chloride (The Lancet, 1896, Il, p. 300).

(2) Mac CALL ANDERSON, On the pathology and treatment of prurilus (The Lancet,

1895, t. II, p. 307),

(3) J. M. \VI : '1FIELD, The influence of the nervous system in the skin diseuses (Med.

News, 1897, LXXI, t. II).

(4) CI ! . Féré, La méraillie paresthésique (La Belgique médicale, 1899, t. II).

314 CH. FÉRÉ

du thorax qu'il appelait dans le langage métaphorique qu'il employait

volontiers « le boléro de Nessus ». Il y avait deux mois que cette sensation

avait disparu rapidement sinon brusquement, quand j'ai eu occasion de

le voir : il n'y avait aucune différence grossière de sensibilité dans la ré-

gion qui avait été le siège de la démangeaison.

Le prurit sans lésion apparente de la peau peut être interprété, soit

par une excitation des extrémités des nerfs cutanés, soit par une irritation

des fibres des nerfs sensitifs, soit par une action réflexe, soit par une lé-

sion centrale, irritation corticale. La distribution du phénomène et l'ab-

sence de lésion déterminée, n'est guère en faveur de la dernière interpré-

tation. La disparition rapide ne concorde guère avec une lésion des filets

nerveux, lésion qui, au cours de la paralysie générale, n'aurait d'ail-

leurs guère de tendance à la guérison. L'hypothèse d'une irritation pé-

riphérique à distance dont la guérison peut plus facilement se compren-

dre si on admet que le trouble peut être attribué à une altération du

sang serait plus plausible si, dans les trois cas, le phénomène avait été

généralisé, mais il n'en était rien. Quant à l'hypothèse de l'origine cen-

trale, elle peut s'appuyer sur des analogies : les paralysies d'origine cen-

trale, les hémiplégies cérébrales peuvent s'accompagner non seulement

d'anesthésie, mais encore de dysesthésie (Wood, l'etrina, etc. [1]), et

aussi de sensations subjectives douloureuses comme Von Bechtereid en a

cité tout récemment des exemples. Au cours de la paralysie générale le

prurit transitoire peut s'expliquer comme une paralysie transitoire (ané-

mie locale du cerveau). Si on peut rester dans le doute sur la pathogénie

du phénomène, la réalité n'en est pas moins établie par les faits, et il-

peut servir à l'interprétation d'un autre phénomène sur lequel je vais

maintenant appeler l'attention.

Hallopeau a signalé en 1889 et il a défini plus précisément plus tard (2),

sous le nom de trichotillomanie (rv),),oNav, j'arrache), une affection carac-

térisée par un prurit intense sur toutes les parties velues du corps, et par

une véritable vésanie qui porte les malades non seulement à se gratter

mais surtout à arracher ou à casser les poils près de leur émergence ; il en

résulte une alopécie artificielle. '

Cet état morbide, dit-il, est constitué par de vives sensations prurigi-

neuses, s'exagérant par accès dans les parties velues du corps. Ni les poils

ni les téguments ne présentent d'altérations appréciables à l'oeil nu; au

(1) Cil. ri : Ri ? Contribution à l'étude des troubles fonctionnels de la vision par lésions

cérébrales, 1882, p. 49.

(2) H. IIALLOPPAU, Sur un nouveau cas de trichotillomanie (Ann.de Dermat. et Syph.,

V, 1894, p. 541).

LE PRURIT ET LA TRICHOTILLOMANIE 315

microscope les poils paraissent aussi intacts ; un certain nombre d'entre

eux rampent sous l'épiderme. Il ne s'agit pas d'une variété de prurigo, car

les éruptions caractéristiques de cette affection font complètement défaut.

Cet état morbide est de longue durée et vraisemblablement incurable; la

médication qui paraît le mieux soulager les malades est l'isolement des

parties prurigineuses soit à l'aide des vernis protecteurs, soit par l'enve-

loppement avec du caoutchouc.

Besnier, Jullien et Fournier ont fait remarquer à propos du malade de

IIallopeau que la trichotillomanie peut être partielle..

OBs. - E. D..., employé de chemin de fer, âgé de 37 ans, entre à Bicêtre le

24 décembre 1897.

On n'a que des renseignements très incomplets sur ses antécédents héréditai-

res. Bien que sa mémoire fût encore assez bonne quand il a été interrogé en

janvier 1898, on n'a pu obtenir autre chose que l'affirmation qu'il n'existait

ni aliénés ni convulsifs parmi ceux de ses parents qu'il connaissait. Il affirmait

que lui-même n'avait jamais eu de trouble nerveux ou mental jusqu'au début

de l'affection pour laquelle il est entré. Il ne porte aucune trace de lésion

syphilitique : il avoue plusieurs blennorrhagies, mais ne se souvient pas d'autre

chose. ZD

Il prétend que c'est à la suite d'une chute accidentelle que 18 mois avant

son entrée il a commencé à perdre la mémoire par moments et à souffrir de

douleurs sous forme d'élancements dans les membres. Il imaginait un sys-

tème de signaux, mais dès qu'il eût parlé à son chef d'équipe, il s'aperçut

qu'on le regardait de travers, et peu de temps après, il quitta son emploi. Il

présente du myosis et le signe d'Aryll-Robertsou, sa parole est embarrassée

mais il répond encore assez clairement. Il a des lacunes momentanées de la

mémoire, mais au bout de peu de temps, il répond à une question antérieure.

Il marche convenablement, n'a aucun signe d'incoordination, il a de temps en

temps des secousses dans les membres. Les réflexes rotuliens sont conservés.

Il existe quelques plaques d'anesthésie sur la région thoracique où il se plaint

de douleurs par séries à de certains jours. Il se plaint toujours de douleurs

lancinantes dans les membres surtout au voisinage des articulations et aussi

dans la verge. La nutrition n'est pas trop défectueuse, bien qu'il prétende avoir

beaucoup maigri. La contraction idio-musculaire est peu marquée. La peau est

intacte : on ne provoque pas l'urticaire artificiel par les excitations ordinaires.

Sa taille est de 1 m. 60, envergure 1 m. 61, poids 59 kg. 500. Ses oreilles

sont mal ourlées et l'hélix présente des nodosilés. Il y a 8 taches érectiles

ponctiformes sur la partie antérieure du thorax, 4 naevi pigmentaires dans la

région dorsale, dont un très saillant du côté droit. Il existe une cicatrice dans

l'aine droite dont il ne sait pas donner l'explication. Sur la partie antérieure

de chaque avant-bras, il porte un tatouage d'un coeur de carte à jouer. Il,

n'existe aucun autre vice de conformation. Son système pileux est bien déve-

loppé, les cheveux, la barbe, les poils des aisselles et du pubis sont bien

fournis et noirs.

316 CH. FÉRÉ

Le 29 janvier il eut une crise épileptiforme peu intense dont il parut sortir

indemne. Mais à partir de ce moment la mémoire s'est rapidement affaiblie et

au bout de quelques jours il a cessé de parler spontanément ; on n'obtient plus

de lui que des réponses monosyllabiques. Ce sont les fonctions intellectuelles

qui paraissent souffrir le plus, il continue à marcher. Un amaigrissement assez

rapide se produit après l'attaque. Le 2 février il ne pesait plus que 50 kilos,

mais il reprend bientôt, 54 kilos le 5 mars, 57 le 6 avril, 57,500 le 11 mai,

58,50 le 15 juin. Le 22 novembre, il a perdu de nouveau du poids, 56, puis

55,500 le 6 janvier 1899, il n'a plus diminué depuis.

Le 6 février il passait la visite nu, à son tour, lorsqu'on s'aperçut que son

pubis et les parties génitales étaient presque dénudés, et qu'un grand nombre

de poils étaient cassés. On constata alors que presque constamment ses deux

mains étaient enfoncées dans son pantalon sous la ceinture et qu'il passait son

temps à tirer ses poils.' La peau ne présentait aucune lésion, à part quelques

écorchures saignantes ou croûteuses, traces de grattage. Si on l'interrogeait

sur ses sensations il répétait constamment « non ». On ne peut pas savoir s'il

éprouvait du prurit. Il prenait assez souvent des bains, il n'existait aucune

trace d'irritation des organes génitaux, ni de l'anus, ni des régions inguinales.

Les évacuations étaient régulières et ne contenaient aucun parasite. En quel-

ques jours l'épilation fut complète. La photographie qui fut faite le 13 février

montre un pubis et une région génitale tout à fait glabres.

On constata alors que l'urticaire artificiel que l'on ne pouvait pas provoquer

pendant les premiers mois de séjour était obtenu très facilement sur les ré-

gions dorsales et sur la région pectorale mais pas du tout sur l'abdomen, le

pubis et les cuisses. L'épilation a continué jusqu'à la fin d'avril. C'est alors

qu'on a remarqué que le malade portait les mains hors de son pantalon et on

a constaté que les poils commençaient à repousser. La restauration s'est conti-

nuée depuis. Le phénomène de l'urticaire artificiel persiste.

L'état intellectuel rendant complètement nulle l'exploration de la sen-

sibilité on n'a aucun renseignement sur la possibilité qu'aurait eue le ma-

lade d'être provoqué au grattage et à l'épilation par un prurit lié soit à

des lésions nerveuses, soit à une auto-intoxication dont on ne trouve

d'ailleurs aucun autre symptôme. Le développement peut-être récent de

l'urticaire artificiel ne fournit aucun renseignement sur la pathogénie, car

c'est un phénomène fréquent chez les paralytiques généraux (1) qui ne

sont pas sujets à la trichotillomanie et il a survécu au tic chez notre ma-

lade. On est réduità des conjectures basées sur la possibilité de l'existence

d'un prurit primaire localisé chez un paralytique général.

(1) Cn. Fin £ et P. Lance, La dermographie chez les aliénés (Journal de Neurologie;

1898, 20 novembre).

HOSPICE DE BICETRE.

TRAVAIL DU LABORATOIRE DE M. LE D' PIERRE MARIE.

CONTRIBUTION A L'ÉTUDE ANATOMO-PATIIOLOGIQUE ET CLINIQUE

DE

L'AMYOTROPHIE CHARCOT-MARIE

PAUL SAINTON

Ancien interne des hôpitaux.

(Suite et fin) (1).

L'observation que nous venons de rapporter montre bien qu'il s'agit

d'un cas d'atrophie Charcot-Marie non familial survenu chez un homme

de 32 ans : l'atrophie a débuté, comme cela a déjà été observé par Hoffmann,

par les membres supérieurs,puis elle s'est étendue aux membres inférieurs,

de sorte que huit ans après l'apparition des premiers symptômes, le ma-

lade était incapable de gagner sa vie. A ce moment l'atrophie avait atteint

aux membres supérieurs les éminences thénar et hypothénar, les inter-

osseux, les muscles de la moitié inférieure de l'avant-bras, aux membres

inférieurs les muscles de la jambe et du pied, les muscles des régions

antéro-externe et postérieure de la cuisse.

A l'autopsie, les lésions observées portaient sur la moelle, les nerfs pé-

riphériques et les muscles. La moelle était le siège d'une sclérose des plus

marquées au niveau des cordons de Goll et de Burdach, la zone cornu-

commissurale était à peu près intacte. Les cellules des cornes antérieures

et des ganglions spinaux étaient manifestement atrophiées. Les nerfs pé-

riphériques étaient atteints d'altérations interstitielles plus ou moins accen-

tuées avec conservation presque complète des tubes nerveux. Dans les

muscles on constatait une diminution de volume des fibres musculaires

avec développement exagéré de tissu conjonctif et à un degré plus accentué

une disparition presque complète du tissu musculaire remplacé par des

éléments conjonctifs et adipeux.

Les cas d'amyotrophie type Charcot-Marie avec autopsie publiés jusqu'à

(1) Voy. la première partie de ce travail dans le no 3, mai-juin 1899.

318 PAUL SAINTON

ce jour sont encore peu nombreux. Hoffmann (1) dans son travail de 1889

s'appuie sur trois cas empruntés le premier à Virchow, les deux autres à

Friedreich pour considérer la maladie comme due à une altération des

nerfs périphériques ; plus tard dans un second mémoire (1891) (2), il

cite une observation empruntée à Dubreuihl (3) à l'appui de sa thèse.

D'après l'étude que nous avons faite de ces différents cas, il ne nous sem-

ble pas que l'on soit autorisé à les considérer comme des cas types de la

maladie qui nous occupe. Les trois premiers ont été publiés à une époque

où l'atrophie Charcot-Marie était inconnue et où la technique de l'examen

du système nerveux était peu avancée : au point de vue clinique, les symp-

tômes signalés chez les malades ne semblent pas devoir être rapportés à

l'atrophie Charcot-Marie. Quant au cas de Dubreuibl, il est loin d'être

certain que l'on puisse le faire entrer en toute assurance dans le cadre de

cette maladie.

Les seules observations sur lesquelles il est possible de s'appuyer pour

la description analomo-pathologique de la maladie sont : l'observation

publiée par Marinesco dans les Archives de médecine expérimentale (J88H)

et celle que nous venons de rapporter (4). Les deux malades qui en font

l'ohjet ont été vus par M P. Marie : aucun doute ne peut être élevé sur la

légitimité du diagnostic clinique. Voici le résumé des lésions qui ont été

constatées et que l'on peut considérer comme caractéristique de cette forme

d'amyotrophie.

1° Lésions médullaires (5). La moelle ne présente rien de spécial ni

dans sa conformation extérieure, ni dans ses dimensions. Les méninges,

ne sont ni épaisses, ni adhérentes. A l'examen microscopique on rencon-

tre des altérations de la substance grise et des altérations des cordons.

1° Lésions de la substance grise. - Il existe des lésions des cellules et

des lésions des fibres.

Le nombre des cellules des cornes antérieures n'est pas très inférieur à

(1) Ueber progressive neurotische Muskelatrophie. Arch. f. Psychiatrie, 1889, p. 660.

(2) Weiterer Beitrag zur Leltre von der progressiven neurotischen Muskelatrophie.

D. Zeitschrift sur Nervenheilkunde, 1891.

(3) DU811EUIIIL, Etude sur quelques cas d'atrophie musculaire limitée aux extrémités

et dépendant d'altérations des nerfs périphériques. Revue de médecine, 1890, p. 44.

(4) Nous croyons inutile de rapporter ici cette observation in extenso et renvoyons

au mémoire original.

(5) Tout récemment Siemerling a publié, sous le nom de « neuritische Atrophie »,

une ubservation dans laquelle les lésions présentent la plus grande analogie avec

celles que nous avons décrites. Nous considérons ce cas comme douteux parce que les

symptômes observés chez le malade offraient, au point de vue clinique, des différences

vraiment trop grandes avec ceux de la description classique. Il nous semble que l'on

ne saurait se montrer trop circonspect en pareille matière et n'admettre que des cas

qui ne puissent prêter à aucune discussion.

DE L'AMYOTROPHIE CHARCOT-MARIE -319

celui que l'on voit snr une moelle normale. Mais ces cellules sont dimi-

nuées de volume. Dans notre cas où la méthode de Nissl a été employée

pour l'examen des cellules, leur atrophie est des plus manifestes et se

montre d'autant plus intense que l'on se rapproche de la portion lombo-

sacrée de la moelle. A un faible grossissement, outre cette diminution de

volume des cellules, on constate chez nombre d'entre elles la perte des

prolongements.

A un très fort grossissement, les altérations fines des cellules apparais-

sent avec la plus grande netteté. A un premier degré, les éléments chro-

matophiles sont raréfiés et quelques-uns d'entre eux sont modifiés de forme

et de volume. Le noyau et le nucléole de la cellule sont relativement in-

tacts. A un degré plus avancé, les cellules se présentent sous forme de

corps arrondis sans prolongement : elles contiennent très peu d'éléments

chromatophites et ceux-ci sont très atrophiés; en certains points delà

cellule on trouve des masses jaunâtres composées par des granulations ou

des gouttelettes, que la plupart des auteurs considèrent comme du pig-

cent. Marinesco les attribue à la transformation lente et progressive de

la substance chromatique du protoplasma. Le noyau et le nucléole sont

absents.

Les cellules des cornes postérieures sont diminuées de nombre et atro-

phiées.

Le réseau de fibrilles nerveuses qui se trouvent dans les cornes posté-

rieures est notablement raréfié, aussi bien dans le cas examiné par Mari-

nesco que dans le nôtre.

Les cellules des colonnes de Clarke sont conservées ; mais le réseau de

fibrilles est atrophié.

2° Lésions de la substance blanche. I. - Dans le cas de Marinesco,

la substance blanche antéro-latérale était intacte. Dans notre cas il existait

une dégénération légère mais assez étendue des faisceaux pyramidaux,

plus prononcée sur l'un des faisceaux pyramidaux directs, et sur l'autre

des faisceaux pyramidaux croisés. Il est difficile, dans ce cas particulier,

de dire quelle valeur on doit attribuera ces lésions dans la genèse de

l'atrophie. C'est un sujet sur lequel nous n'oserions émettre d'opinion

formelle, parce que le malade a été frappé d'hémiplégie et qu'il y avait

quelques foyers lacunaires dans ses hémisphères. Nous nous montrerons

donc réservé, en attendant que de nouvelles autopsies viennent éclaircir

ce point spécial de l'anatomie pathologique.

IL - Les lésions vraiment capitales se rencontrent dans les cordons

postérieurs. Elles acquièrent à peu près la même intensité dans toute

l'étendue de la moelle de la région cervicale jusqu'à la région lombaire.

Elles consistent en une dégénératiou extrêmement intense du cordon de

320 PAUL SAINTON

Burdach, s'accompagnant d'une dégénération moins marquée du cordon

de Goll avec intégrité à peu près complète de la région cornu-marginale

(obs. personnelle), avec lésion de celle-ci dans le cas de Marinesco. Dans

la région lombaire, les zones de Lissauer sont un peu touchées ; mais en

général elles sont respectées dans le reste de la hauteur de la moelle. Sur

une coupe faite au niveau de cette région, les altérations rappellent com-

plètement celles qui ont été décrites dans le labes incipiens.

Lésions des ganglions spinaux et des racines. - Dans le cas de

Marinesco, les racines postérieures étaient très altérées, semble-t-il,

dans toute la hauteur de la moelle ; il n'en était pas de même chez notre

malade IL ? les racines présentent des altérations dégénératives assez

marquées dans Ta région dorsale et clans la région lombaire, mais aucune

lésion dans la région cervicale.

Fig. 1. - Coupe du nerf péronier (lésion maximum).

L'examen des ganglions spinaux fait par nous, nous permet d'admettre

une altération des cellules des ganglions; elles sont tout à fait compara-

bles à celles qui sont signalées dans les cellules des cornes antérieures.

Les lésions du cytoplasme sont très importantes si l'on considère avec

Marinesco les amas de pigments comme l'indice de la transformation de

la substance chromatique de la cellule; plus du tiers des cellules des gan-

glions présentent des amas de granulations ou gouttelettes jaunâtres aux-

quels nous faisons allusion.

DE L'AIMYOTROIIIIIE CHARCOT-MARIE 321

Lésions des nerfs. - Les nerfs ne sont point augmentés de volume ;

leur aspect extérieur n'a rien de particulier.

Au point de vue microscopique les lésions dont ils sont atteints sont

beaucoup plus marquées dans les nerfs de l'avant-bras et du poignet, dans

les nerfs de la jambe qu'au niveau des nerfs de la racine du memhre qui

sont à peu près intacts. (Fig. 1.)

Sur des dissociations on trouve (Marinesco) : 10 des fibres nerveuses

dont la myéline est fragmentée ou réduite en boule ; 2° des fibres atro-

phiées contenant beaucoup de noyaux et semblant garder encore leur

cylindre-axe ; 3° des fibres minces où il est impossible de distinguer un

Fig. 2. - Coupe musculaire.

véritable cylindre-axe, et enfin des fibres qui présentent au point de vue

morphologique les caractères des fibres embryonnaires.

Sur des coupes il y a augmentation du tissu interstitiel avec hypertro-

phie de la gaine lamelleuse ; diminution des tubes nerveux assez marquée

dans le cas de Marinesco ; modérée dans le nôtre.

Lésions des muscles. Elles sont beaucoup plus intenses au niveau

des muscles des extrémités. Les muscles' de la cuisse sont de coloration

normale ou un peu pâles, tandis que les muscles de la jambe présentent

un aspect de vieille cire ou sont transformés en un véritable magma grais-

seux, au milieu duquel on n'aperçoit plus de chair musculaire.

322 PAUL SAINTON

- Au membre supérieur, les muscles de la main sont le siège d'altérations

comparables à celles des muscles de la jambe, tandis que les muscles de

l'avant-bras sont mieux respectés.

Les lésions au microscope se présentent sous plusieurs degrés. (Fig.2.)

1° Au début on constate une diminution de volume des fibres muscu-

laires plus ou moins diffuse dans les différents faisceaux, la striation est

conservée. Il n'y a que prolifération du lissu conjonctif qui se traduit par

une augmentation considérable du nombre des noyaux périfasciculaires.

2" A une seconde période le nombre des fibres musculaires saines est

moins considérable, mais celles qui sont atrophiées conservent encore la

striation. Le tissu conjonctif s'est développé entre les faisceaux, des amas

de graisse commencent à apparaître en certains endroits et à remplacer les

libres musculaires.

3° A un degré plus avancé le muscle est remplacé par du tissu conjonc-

tif peu abondant, limitant des champs considérables jadis occupés par les

fibres musculaires, et qui ne sont plus constitués que par du tissu adipeux.

Quelques faisceaux musculaires, dont on ne reconnaît plus la striation,

sont les derniers vestiges de l'élément noble.

Les vaisseaux intra-musculaires sont le siège d'une sclérose périvascu-

laire très accentuée, qui tend à oblitérer dans certains cas leur lumière.

Les artères intra-vasculaires présentent aussi une augmentation très grande

de l'épaisseur de leurs tuniques.

Les nerfs intra-musculaires, très atteints dans le cas de Marinesco,

étaient un peu dégénérés chez notre malade, mais beaucoup moins que

dans son cas.

Ces lésions ont-elles quelque chose de caractéristique ? Nous ne le croyons

point. Elles se retrouvent dans la plupart des cas d'atrophie musculaire

qui relèvent d'une affection nerveuse. I,6wentlial qui a fait une étude très

complète des altérations musculaires dans les atrophies, conclut qu'il est

impossible, dans l'état actuel de la science, de différencier celles-ci par

l'examen histologique des muscles.

En résumé l'exposé des lésions que nous venons de faire nous montre

que le type d'amyotrophie décrit par Charcot et Marie reconnaît pour subs-

tra tum :

- 10 Une sclérose des cordons de Goll et Burdach ;

2° Des lésions atrophiques probables des cellules des cornes antérieures;

3° Des altérations des nerfs périphériques plus ou moins intenses, par-

fois minimes.

L'énumération de ces lésions, qui n'est que la traduction des deux obser-

vations anatomo-pathologiques, suffit pour indiquer qu'il s'agit bien là

d'une lésion spinale. Nous tenons notre cas comme plus probant que celui

DE l'AMYOTROPHIE CHARCOT-MARIE 323

de Marinesco, parce que les lésions y étaient moins avancées et par suite

plus faciles à analyser. En présence de faits aussi nets, il est impossible

d'admettre l'opinion émise par Hoffmann, attribuant la maladie à une

altération des nerfs périphériques.

Bernhardt se rapproche beaucoup plus de la vérité (1) en considérant

l'amyotrophie Charcot-Marie comme une atrophie d'origine spinale etné-

vritique, quoique la seconde épithète nous paraisse moins justifiée parles

faits que la première.

Comme Charcot et Marie l'avaient soupçonné dans le mémoire dans le-

quel ils ont décrit la maladie, il s'agit bien là d'une affection d'origine

spinale, et c'est ce point capital que nous voulons mettre en relief. Nous

ne discuterons point la nature intime et la genèse de cette altération. Ce

serait nous lancer dans des hypothèses et dans des théories et nous voulons

rester dans le domaine des faits.

Si les lésions de l'amyotrophie Charcot-Marie sont des plus évidentes,

son tahleau clinique est aussi caractéristique. Depuis quelques années

cependant certains auteurs, pour n'avoir pas eu suffisamment présente

à l'esprit la description fondamentale des deux parrains de la maladie,

ont publié sous ce nom des observations qui s'écartent trop du type pri-

mitif. Aussi nous semble-t-il utile, avant de terminer ces considérations,

d'exposer les principaux symptômes de la maladie, en insistant sur ceux

qui lui sont particuliers. Nous accompagnons cette description de photo-

graphies prises dans le service de notre maître M. le Dr Pierre Marie.

Se montrant très rarement sous forme de cas isolés (10 cas dans la

science), l'atrophie Charcot-Marie est essentiellement familiale et hérédi-

taire ; le nombre d'individus atteints dans la même famillepeutétreconsi-

dérable z)6 personnes clans une observation d'lIen'inghal1l) (2). Elle a une

prédilection marquée pour le sexe masculin, on peut dire qu'elle est cinq

fois plus fréquente chez l'homme que chez la femme. Les infections pa-

raissent jouer un certain rôle dans son apparition : on a vu les premiers

symptômes apparaître quelque temps après une rougeole, une fièvre ty-

phoïde, une variole.

La date du début est des plus variables; sur une Malistique de 52 cas

il a eu lieu 40 fois avant 22 ans, 14 fois après cet âge. Les chiffres extrê-

mes sont 2 ans et 40 ans ; la maladie n'apparaît jamais immédiatement

(1) Bernhardt, Weilerer Beilrag zur Lehre von der hei'ediliil'en und familiàren

Erkrankungen des Nervensystems. Virchow's Archiv, 1893, p. 259.

(2) Hehhingiiam, Muscular atrophy of the penoneul type affecting many membens of

family. Brain, 1S8S, p. 230.

324 PAUL SAINTON

après la naissance. En général ce sont les membres inférieurs qui sont

pris les premiers ; quelquefois cependant l'atrophie se montre d'abord aux

membres supérieurs. Le début n'est jamais brusque : il est lent, insidieux,

traînant. L'atteinte des mains est postérieure à celle des pieds de deux ans

en moyenne (chiffres extrêmes 6 semaines à 15 ans).

A la [période d'état, lorsqu'on examine le malade, on est frappé du

contraste qui existe entre l'aspect du tronc, puissant, bien développé, entre

l'aspect des cuisses et des bras aux saillies musculaires accusées et la gra-

cilité subite que présentent les avant-bras et les jambes.

En effet aux membres inférieurs, l'atrophie frappe les péroniers, l'ex-

tenseur propre du gros orteil, le jambier antérieur, les petits muscles du

pied : les muscles du mollet sont tardivement diminués de volume : à la

cuisse les muscles pris sont le triceps dans son tiers inférieur, quelquefois

le biceps. Par suite de l'amaigrissement et de l'affaiblissement de ces

groupes musculaires le pied prend des attitudes variables ; à un premier

degré (v.' PI. LI, fig. ABC D) le pied est en varus équin, quand il pend

inerte, sa plante regarde en dedans ; sa face intense est très excavée (fig. 3

et 4) ; les orteils présentent la déformation en griffe, les premières pha-

langes flrschies, les dernières en ltypel'extension. La démarche est steppante.

A un degré plus avancé, la plante du pied est complètement portée en

dedans, le malade marche sur le bord externe du pied, les jambes un peu

écartées, comme s'il avait des échasses. La jambe est mince, la cuisse est

atrophiée en jarretière.

Aux membres supérieurs (v. PI. LU, fig. E. IL), l'atrophie occupe les

interosseux, les éminences thénar et hypothénar : elle atteint les mus-

cles de l'avant-bras, surtout les muscles de la région antérieure ; les mus-

cles du bras et de la racine du membre sont habituellement intacts. Par

suite de ces lésions, il existe des déformations absolument comparables à

celles qui ont été décrites dans l'atrophie dite du type Âran-Duchenne. A

un premier degré (PI. III, fig. E), la main est simplement amaigrie, les

doigts plus minces, plus effilés, les espaces interosseux profondément creu-

sés. A un degré plus avancé (PI. III, fig. II), c'est la main en griffe. De

même qu'au membre inférieur, l'atrophie est en jarretière, elle est ici

en manchette, s'arrêtant au tiers moyen de l'avant-bras. Nous n'insiste-

rons point sur les troubles fonctionnels qui en résultent pour signaler un

fait très particulier sur lequel avait insisté Charcot, c'est l'aGsence presque

constante de toute rétraction tendineuse.

' II n'est pas rare d'observer chez les malades des secousses musculaires

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MASSON & Cie, Editeurs.

326 PAUL SAINTON '

à l'épiderme une véritable macération, susceptible d'amener des ulcéra-

tions.

Les organes des sens sont rarement atteints, Vizioli a cependant publié

une observation concernant le père et le fils, où l'on avait noté une atro-

phie de la papille.

L'état mental est parfois spécial, les malades sont bizarres, fantasques ;

dans un cas, nous avons pu observer un véritable arrêt du développement

intellectuel.

La marche de la maladie est lente : c'est un de ses caractères principaux,

suffisant pour la distinguer des névrites. La progression est tellementra-

lentie que nous avons pu recueillir l'observation d'un malade âgé de

81 ans, qui pouvait encore marcher alors que la maladie avait débuté dans

l'adolescence.

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE

TRAVAIL DE LA CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

ÉTUDE SUR LES

TROUBLES OBJECTIFS DES SENSIBILITÉS SUPERFICIELLES

DANS LE TABES

PAR LES Drs

André RICHE ET de GOTHARD

L'étude des troubles de la sensibilité dans le tabes est hérissée de diffi-

cultés tant à cause du polymorphisme des troubles en question qu'en rai-

son de leur caractère erratique changeant et de la délicatesse des recher-

ches que nécessite l'exploration de la sensibilité.

Comme troubles de la sensibilité subjective on trouve des douleurs

fulgurantes et lancinantes dont la fréquence et la signification diagnostique

sont de notoriété vulgaire.

Ces manifestations douloureuses peuvent revêtir de tout autres caractè-

res, elles peuvent se montrer sous la forme de douleurs constrictives, en

ceinture, en bracelet, en brodequin, sous la forme de crises viscéralgiques

il sièges extrêmement variés, crises gastriques, hépatalgiques, entéralgi-

ques, rénales, vésicales, uréthrales, clitoridiennes, etc...

On trouve ensuite dans le tabes des troubles objectifs de la sensibilité

superficielle, de la sensibilité cutanée ; leur variété n'est pas moindre, on

rencontre isolément ou conjointement des hyperestésies, des anesthésies,

des hypoesthésies, des retards, des dédoublements et des perversions de la

perception. Les uns ou les autres peuvent intéresser séparément ou en-

semble les diverses manières d'être de la sensibilité des téguments : la sen-

sibilité tactile, la sensibilité à la douleur, la sensibilité au chaud et au

froid, la sensibilité que mettent en jeu les excitations électriques.

En troisième lieu il peut y avoir des troubles, des sensibilités profondes,

viscérales, musculaires, articulaires, osseuseset même des troncs nerveux.

Nous trouvons enfin altérées dans les cas de tabes certaines perceptions

complexes fruit d'une éducation préalable et qui nécessitent l'association

328 ANDRÉ RICHE ET DE GOTHARD

des sensibilités superficielles et profondes; c'est ce que l'on appelle cou-

ramment la notion des attitudes et la perception stéréognostique en

vertu de laquelle nous apprécions la forme et la nature des objets à l'aide

des renseignements fournis par le toucher.

Quant on consulte la plupart des traités classiques il semble qu'il n'y

ait plus rien à dire sur la nature, les caractères, la répartition des trou-

bles objectifs ; anesthésies, hyperesthésies qu'on rencontre dans les cas de

tabès, la vérité est celle-ci ; on sait que dans le tabes, l'anesthésie tactile,

l'analgésie, le ralentissement de la perception et ses perversions sont très

fréquents : mais on est encore très mal fixé sur le point de savoir à quelle

période de la maladie ces troubles se montrent, sur les sièges d'élection de

ces mêmes troubles, leur mode de distribution et de circonscription; on

sait aujourd'hui distinguer suivant leur origine les anesthésies en

rapport avec une lésion des nerfs périphériques, radiculaire,intraspinale,

cérébrale et même corticale, jusqu'ici on ne s'est guère préoccupé de re-

chercher jusqu'à quel point les caractères des anesthésies tabétiques con-

cordent avec ceux qui sont attribués aux anesthésies d'origine périphéri-

ques, radiculaire, intraspinale, cérébrale et corticale.

Nous avons précisément voulu concourir à élucider ces différents points

en apportant un contingent de recherches personnelles; sans avoir la

prétention de mettre la dernière main à un chapitre jusqu'ici encore

encombré par les assertions les plus contradictoires, nous avons du moins

l'espoir de contribuer à établir sur des preuves positives certaines notions

relativement nouvelles qui attribuent aux anesthésies et hyperesthésies

du tabès des caractères tout à fait particuliers.

Avant d'exposer nos recherches il y a lieu de faire ressortir les difficul-

tés auxquelles se heurte l'étude des troubles de la sensibilité dans la cli-

nique du tabès et de faire l'historique des travaux qui ont eu pour objet

cette étude.

*

. "

DIFFICULTÉ DE L'ÉTUDE DES TROUBLES OBJECTIFS DE LA SENSIBILITÉ

CHEZ LES TABÉTIQUES.

Même chez un sujetqui réalise un état normal, l'étude de la sensibilité

superficielle expose à ces erreurs, elle est plus ou moins exagérée suivant

les régions ; en une même région elle peut être émoussée ou rendue plus

exquise par la fatigue cérébrale qu'engendre un examen prolongé ou par

une sorte de surexcitation locale qu'entraîne des irritations répétées.

Ce qui a lieu à l'état normal se produit encore plus facilement chez les

tabétiques, catégorie de malades essentiellement suggestionnables qui

présentent des troubles de la conscience beaucoup plus souvent qu'on ne

TROUBLES OBJECTIFS DES SENSIBILITÉS SUPERFICIELLES 329

se le figure en général ; chez eux on voit apparaître et disparaître des

anesthésies circonscrites sous l'influence d'excitations tant soit peu vi-

ves (1).

Le caractère changeant des troubles de la sensibilité dans le tabes doit

donc nous faire pressentir les résultats contradictoires qu'on obtient au

commencement, dans le cours et à la fin d'un examen un peu prolongé :

il nous suffira de dire que l'observation de la sensibilité chez un tabétique

embrasse une durée de huit heures pour faire comprendre la difficulté de

ce genre de recherches et le peu de valeur qu'il convient d'attribuer à

des examens sommaires.

La difficulté que présenté un examen sérieux de la sensibilité n'avait

pas échappé déjà à Topinard qui décrit minutieusement les précautions

qu'il faut prendre et les erreurs dans lesquelles on peut tomber.

Nous avons dans nos examens recherché les modifications de la sensibi-

lité thermique au moyen du thermo-esthésiomètre de M. Gilles de la Tou-

relle (2). La sensibilité à la douleur a été décelée au moyen d'une épingle

à pointe acérée pour éviter la sensation de tact que donnent les eslhésio-

. mètres. La sensation tactile a été éprouvée à l'aide d'un tampon d'ouate

bien comprimée, monté sur un long manche et suffisamment épais pour

que l'extrémité de celui-ci ne soit pas perçue ; cet appareil tenu entre l'in-

dex et le médius doit entrer en contact avec la peau par son seul poids :

on évite par ces moyens les erreurs dues aux sensations thermiques que

donnent souvent les doigts, et aux impressions de chatouillement que pro-

duit l'inégalité des poils d'un pinceau. - Il importe enfin de tenir

compte d'une part, des sensations plus exquises que donnent les contacts

dans les régions recouvertes de poils, le déplacement de ceux-ci transmet-

tant plus directement et d'une façon plus intense les impressions aux

corpuscules tactiles, et d'autre part, l'épaississement de l'épiderme de

la plante du pied qui peut être un obstacle à la perception.

CARACTÈRES DES TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ SUPERFICIELLE.

Voyons maintenant les principaux résultats énoncés par les auteurs qui

ont porté leur attention sur ce chapitre de l'histoire du tabes.

(1) Il y a probablement lieu de rattacher a la même cause les différents phénomènes

étudiés sous les noms de métamorphose des sensations, contradiction dans les locali-

sations, rappel des sensations, troubles du nombre de perceptions par rapport à celui

des excitations qui se manifestent sous les formes de tétanos sensitif, de polyesthésies,

de sommations des excitations et d'épuisement aux excitations.

(2) On en trouvera la description et l'usage dans le Traité de Séméiologie des mala-

dies nerveuses de Blocq et Onanoff, IS92.

330 ANDRÉ RICHE ET DE GOTHARD

Déjà Topinard (1) en 1864, puis Duchenne de Boulogne (2) en 1871,

avaient constaté le caractère de dissociation des trouhles de la sensibilité

dans les cas de tabès.

Quelques années plus lard, P. Oulmont (3) en 1877 a essayé de nous

renseigner sur la répartition de l'analgésie dans les cas de tabes. Il lui as-

signait des lieux d'élection que d'autres observateurs ont contestés dans la

suite.

A la même époque, Berger (4) de Breslau nous a révélé dans le phéno-

mène de l'hyperesthésie relative une des manifestations précoces du tabes.

Il lui a attribué une signification diagnostique qui a été battue en brèche

parErb.

Dès 1878 Erb (S) a eu le mérite de mettre en lumière le polymorphisme

et le caractère changeant des troubles objectifs de la sensibilité qu'on

observe dans les cas de tabes; ces troubles varient d'un malade à l'autre,

ils varient chez le même maladed'un jour à l'autre, n'empêche que d'après

les recherches d'Erb, l'analgésie grossière, c'est-à-dire facile à découvrir,

est une manifestation fréquente de la période d'état du tabes et J'émousse-

ment de la sensibilité farado-musculaire une manifestation encore plus

fréquente.

Les recherches de Fischer (6) (1880), ont mis également en lumière la

fréquence de l'analgésie chez les tabétiques; très fréquent aussi et de plus

très précoce est le ralentissement de la perception douloureuse signalé déjà

par Cruveilhier et par Duchenne.

Plus tard Stern (1886) (7) a essayé de faire la lumière sur les caractères

de la dissociation des troubles objectifs de la sensibilité qu'on observe

dans le tabès. D'après lui l'émoussement de la sensibilité à la douleur

l'emporterait comme précocité, comme fréquence et comme étendue sur

les autres modes d'anesthésie. Stern constate que la sensibilité thermique

peut être affectée en premier lieu, que la répartition des anesthésies est

(1) Topinard, De l'alaxie locomotrice et en particulier de l'alaxie locomotrice progres-

sive, 1864.

(2) Duchenne DE BOULONNE, De l'électrisation localisée, Paris, 1812.

(3) Oulmont, De la répartition des lrotsbles de la sensibilité dans le tabes dorsalis.

Gazette médicale, 1811, n° 19, p. 229.

(4) Berger, Zur Symptomatologie der Tabes dorsalis, Berlin, Iilin.1'ocliensc., 1818,

n- 4, p. 51.

(5) Erb, Zur Pathologie der Tabes dorsalis. Deutsche Archiv für klin. Mediein, 1879,

t. XXIV, fasc. 1, p. 1.

(6) Fischer, Zur Symptomatologie der Tabes dorsalis. Deutsche Archiv sur klin. ile

dic., 1880, t. XXVI, p. 83.

(7) Stern, Ueber die Anomalien der Empfinduugen und ihre Bezichuergen zur Alaxie

bei Tabès dorsalis. Archiv sur Psychiatrie und Nervenkrank., 1886, t. XXVII, fasc. 2,

p. 48.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T, XII. PL. LUI.

Anesthésie au tact.

Hypoesthésie à la chaleur.

Hypoesthésie au tact.

Anesthésie à la piqûre.

Hypoesthésie à la piqûre.

Hyperesthésie à la piqûre.

Anesthésie à la chaleur.

TROUBLES DES SENSIBILITÉS SUPERFICIELLES DANS LE TABES

(A. Riche et De Gothard.)

¡,¡n nmYf ? 1\¡l ! \prh

Hyperesthésie à la chaleur.

Anesthésie au froid.

Hypoesthésie au froid.

Hyperesthésie au froid.

Thermoparesthésie

P1. I

TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES

(A. Riche et De Gaillard)

Obsemation I.

MASSON ET C", Éditeurs.

TROUBLES OBJECTIFS DES SENSIBILITÉS SUPERFICIELLES 331

sujette à une extrême irrégularité, que cependant leur début habituel se

fait par les membres inférieurs et qu'aux membres supérieurs leur siège

d'élection se trouve être la zone de distribution du cubital. ,

Biswanger (1) (1887), est arrivé aux mêmes conclusions relativement à

l'irrégularité de la distribution des anesthésies tabétiques.

Enfin avec Laehr (2) (1895) et Patrick (3) (1897) l'étude des troubles ob-

jectifs de la sensibilité chez les tabétiques est entrée dans une phase nou-

velle ; nous avons appris que dans les cas de tabès ces troubles objectifs

affectent une distribution segmentaire comparable à celle qu'on observe

dans les cas de section des racines postérieures, de section transversale

de la moelle.

Marinesco (4) reprenant les recherches de Læhr conclut en disant que

les troubles observés confirment la théorie radiculaire du tabès, mais en

faisant remarquer qu'il ne faut pas s'attendre à trouver une zone d'anes-

thésie exactement superposable au champ radiculaire, car il existe trois

facteurs qui peuvent influencer cette topographie radiculaire :

1° La répartition inégale des lésions dans les différentes racines succes-

sives ;

2° L'innervation d'un même territoire par plusieurs racines (Sher-

rington) ; .

3° La participation d'un processus endogène à la lésion radiculaire,

opinion émise par Marie et soutenue par Philippe.

Chez tous les tabétiques que nous avons examinés les troubles de la

sensibilité superficielle se sont montrés constamment et à des degrés

divers.

Nous rapportons dans huit observations du service de M. le professeur

Raymond ces troubles sensitifs. Nous avons établi des figures schémati-

ques en planches lithographiques où l'on trouve superposées les quatre

sensations avec leurs différents degrés. (Voir Pl . LUI.)

Observation I.

Péd... (Francine), 45 ans, domestique, entrée le 27 septembre 1892, salle

Pinel, lit ilo 1. Salle Rostan, lit n° 11.

(1) Biswanger, Ueber Sensibililatprilfungen bei Tabes und Tabes paralyse. Neurolo-

gisches Centralblatt, 1881, no 2, p. 28.

(2) Lmm, Ueber Sensibililàtstôruagen bei Tabes dorsalis. Archiv. sur Psychiatrie

und Nerwenkrankheiten, 1899. B. XXVII. Fasc. 3, p. 688.

(3) Patrice, Anesthésia of the Trunck in locomotor Ataxia. New-York medicaljour-

nal, 1897, t. 63, n° 6.

(4) Marinesco, De la topographie des lrouhles sensitifs dans le tabès ; ses rapports avec

les sensations des tabétiques (Sem. méd., 13 octobre 1891, n° 41).

332 ANDRÉ RICHE ET DE GOTIIARD

Antécédents. Le père est mort à 57 ans, d'une maladie de coeur, la mère

est morte à 30 ans de suite de couches.

Une soeur est morte à 35 ans, il en reste une autre, mariée, bien portante.

La malade est la deuxième de la famille. Elle a eu la rougeole, la coquelu-

che, la fièvre typhoïde avant l'âge de 14 ans. Réglée à 16 ans, elle a eu une

bronchite à 29 ans.

Elle affirme n'avoir jamais eu la syphilis ; mais, il y a cinq ans, elle a perdu

les cheveux en peu de temps.

Début de la maladie. Elle s'est manifestée par des douleurs en ceinture,

rapidement la marche est devenue difficile. A la suite d'une chute, en 1892,

elle reste quinze jours couchée pour une entorse très douloureuse ; une fois

guérie elle s'aperçoit, en voulant se lever, qu'elle ne peut plus marcher, et

elle entre à la Salpêtrière, où on lui fait suivre le traitement ioduré.

Jamais elle n'a éprouvé de troubles oculaires et vésicaux ; depuis deux ou

trois mois les douleurs ont presque disparu.

Etat actuel. - Il est très satisfaisant. On ne relève aucun trouble gastri-

que, intestinal, laryngé, urinaire.

A l'examen oculaire (1) : myosis, inégalité pupillaire, signe d'Argyl Robert-

son. Pas de dyschromatopsie ; acuité visuelle normale. Pas de rétrécissement

du champ visuel, quelques secousses nystagmiformes, aucune lésion du fond

de toit.

Les réflexes sont abolis aux membres supérieurs. Les réflexes du genou et

du tendon d'Achille le sont également. La recherche du réflexe plantaire est

douloureuse ; il y a extension à droite, la direction du mouvement provoqué

est douteuse à gauche. Il n'y a pas de trépidation spinale, pas d'atrophie mus-

culaire ; la force est conservée partout, au dynamomètre elle amène à droite

22 kilogrammes, à gauche 21 kilogrammes.

Actuellement les douleurs sont rares, elles reviennent environ une fois par

mois ; elles se produisent aux membres inférieurs et remontent des pieds jus-

qu'à la moitié de la jambe sous forme de crises d'élancements qui durent dix

minutes.

1. Sensibilité objective superficielle (PI. LV).

I. Tact. - A. Face antérieure. - Anesthésie jusqu'à l'articulation tibio-

tarsienne droite. Plaque anesthésique à la moitié externe du sein droit. Hy-

poesthésie à la jambe gauche jusqu'au genou ; à la jambe droite, l'hypoesthésie

s'arrête au tiers antérieur de la face dorsale du pied. La sensibilité tactile est

conservée également au bord interne de ce pied.

- B. Face postérieure. - A la plante du pied droit le côté interne, les trois

premiers orteils ne perçoivent pas le toucher ; il en est de même pour la par-

tie médiane de la plante du pied gauche. Les deux fesses et à gauche le bord

externe de la jambe sont également insensibles : il y a seulement diminution

de la perception tactile dans l'autre moitié de la face plantaire droite.

(1) Les examens oculaires de ces malades ont été faits par M. Kônig.

illi. il TROUBLES DES SENSIBILITES DANS LE TABES

PL ICI

PI. II (A. Riche et De Gothari.)

Observation Il. L

MASSONHTC" Editeur'

TROUBLES OBJECTIFS DES SENSIBILITÉS SUPERFICIELLES 333

II. Douleur. - A. Face antérieure. - Hyperalgésie à la cuisse gauche, à la

région sus-claviculaire et à toute la main droite, seulement à l'extrémité des

doigts de la main gauche.

B. Face postérieure. - Hypoalgésie au talon droit, hyperalgésie aux qua-

tre doigts de la main gauche et à tous les doigts de la main droite.

Retard à la perception de la douleur ; pied gauche, face supérieure 4", ra-

cine du deuxième orteil 4" ; pied droit, racine du gros orteil 2". Face plan-

taire gauche : racines des deuxième, troisième et quatrième orteils, 3" ; face

plantaire droite : racine du gros orteil, 3". Aux jambes la piqûre est ressentie

comme un pincement.

III. Température. - A. Face antérieure. - A la jambe droite hypoesthé-

sie à la chaleur et à la jambe gauche dans la région périmalléolaire. A la cuisse

droite hyperesthésie à la chaleur.

B. Face postérieure. - Thermo-hypoesthésie jusqu'au genou droit ; thermo-

hyperesthésie à la fesse droite et aux deux tiers de la cuisse du même côté.

Hyperesthésie au froid en ceinture. ,

A la jambe droite, en avant, le chaud est perçu comme froid et inverse-

ment ; la véritable sensation ne s'établit qu'à la longue. Au pied et à la che-

ville gauche le froid est ressenti comme une piqûre, l'impression de froid n'a

lieu que 4" après.

Observation II.

Rous... (Clémence), 35 ans, domestique, entrée le 31 mars 1898 à la Salpê-

trière, salle Cruveilhier, lit n° 9.

Antécédents . - Son père est mort à 60 ans subitement, sa mère est morte

à 70 ans de tuberculose pulmonaire probablement.

Elle a cinq frères et trois soeurs, vivants et bien portants.

On ne signale pas d'affections nerveuses chez les collatéraux.

La malade est la dernière de la famille ; réglée à 13 ans, elle l'a toujours été

régulièrement.

A 25 ans elle a eu la fièvre typhoïde et elle est restée deux mois au lit.

Elle affirme n'avoir pas eu la syphilis et on ne relève pas de traces de cette

infection.

Début de la maladie. - Il y a quatre ans, en avril 1895. La malade voit

trouble et double à la fois. Ces modifications de la vue persistent pendant une

année et la vue redevient normale.

Peu de temps après le début, la malade commence à ressentir des douleurs

dans les jambes et dans les cuisses ; ces douleurs sont fulgurantes et se décla-

rent le plus souvent à la tombée de la nuit ; elles amènent de l'insomnie, elles

laissent des sensations douloureuses sur leur trajet.

Un an plus tard, apparaissent des douleurs en ceinture ; vers la même épo-

que se déclarent des troubles de la miction qui devient difficile, la malade est

obligée d'attendre et de pousser pour pouvoir uriner, et elle ne sent pas le pas-

sage de l'urine pendant l'émission, à aucun moment elle n'a eu d'incontinence.

En même temps surviennent des crises de vomissements qui reviennent tous

334 ANDRÉ RICHE ET DE GOTHAIID

les huit ou quinze jours durant deux à trois jours ; ces vomissements contien-

nent les aliments aussitôt après leur ingestion, ou des matières claires, filantes,

quelquefois verdâtres : les crises ont duré deux à trois mois.

Lorsque les phénomènes douloureux commencèrent à se produire, la malade

s'aperçut qu'elle sentait mal le sol sous ses pieds, il lui semblait marcher sur

des coussins de plumes ; bientôt elle éprouva de la peine a se tenir en équili-

bre, quand elle levait le pied pour avancer elle croyait être tirée en arrière.

La marche devenant de plus en plus difficile, la malade vient la Salpêtrière

le 31 mars 1898. On la soumet pendant trois mois à l'élongation, qui a été mal

tolérée.

Étal actuel. La malade présente un certain nombre de stigmates de dégé-

nérescence, les bosses frontales sont proéminentes, le lobule de l'oreille adhé-

rent, la voûte palatine très ogivale.

L'état général n'est pas très satisfaisant, l'amaigrissement est très prononcé,

des sueurs nocturnes ont lieu parfois, mais il n'y a pas de phénomènes fé-

briles.

Il ne se produit pas de crises laryngées.

L'auscultation révèle aux deux sommets des poumens une diminution mani-

feste dans l'ampleur de la respiration.

Au coeur rien d'anormal, les artères sont souples.

Le pouls bat 76 à la minute.

Les troubles de la miction sont très peu accusés. Elle doit quelquefois atten-

dre et pousser pour provoquer l'émission de l'urine, il n'y a pas d'insensibilité

du canal.

Les crises gastriques ont cessé, mais l'anorexie est prononcée et la constipa-

tion habituelle.

L'acuité visuelle est normale ; il y a une légère inégalité pupillaire, la pupille

droite étant un peu plus grande que la gauche, le réllexe lumineux est normal

à gauche ; à droite la pupille réagit très faiblement, le réllexe accommodateur

est conservé des deux côtés, la convergence se fait bien. La recherche avec le

verre rouge fait constater une diplopie homonyme dans le champ du regard à

gauche (paralysie de la troisième paire gauche), pas de dyschromatopsie.

Le réflexe du poignet et celui du coude sont abolis, la percussion du triceps

donne toutefois la flexion de l'avant-bras. Les réflexes rotuliens et celui du

tendon d'Achille sont abolis également.

Le réflexe plantaire a lieu en flexion, il n'y a pas de trépidation spinale.

L'amaigrissement n'est pas accompagné d'atrophie musculaire.

L'examen électrique ne donne en aucun point la réaction de dégénérescence.

Tous les muscles se contractent bien ; au dynamomètre elle amène à droite

19 kilogr., à gauche 15 kilogr.

Actuellement la malade éprouve des douleurs passant rapidement en éclairs

dans les jambes ; elle ressent également des douleurs qu'elle compare il des

coups d'épingles, à des brûlures, et aussi des douleurs en ceinture.

TROUBLES OBJECTIFS DES SENSIBILITÉS SUPER FICIELLES 335

Sensibilité objective superficielle (pli. LV).

I. Tact. A. Face antérieure. Anesthésie au pied droit jusqu'à l'articu-

lation tibio-tarsienne ; petite plaque d'anesthésie au-dessus du genou à la face

interne de la cuisse droite; anesthésie aux quatrième et cinquième orteils gau-

ches ; hypoesthésie périmalléolaire à droite, s'étendant à gauche depuis les

orteils jusqu'au milieu de la jambe ; plaque d'hypoesthésie au bord externe de

la cuisse droite.

B. Face postérieure. - Anesthésie plantaire des deux côtés ; hypoesthésie

périmalléolaire droite ; à gauche, celle-ci s'étend du pied au tiers inférieur de

la jambe.

II. Douleur. A. Face antérieure. Hypoalgésie à droite de tout le pied

jusqu'à l'articulation tibio-tarsienne; hyperalgésie sus-claviculaire gauche.

B. Face postérieure. - Analgésie à la plante du pied gauche, respectant le

talon; au pied droit analgésie au talon, au gros orteil, aux quatrième et cin-

quième orteils.

III. Température. A. Face antérieure. Hypoesthésie il la chaleur, aux

orteils droits, s'étendant un peu au bord interne du pied droit ; hypoesthésie

périmalléolaire à droite; hyperesthésie à tout le tronc avec exagération plus

prononcée dans la région sus-claviculaire des deux côtés. Hyperesthésie au

froid depuis une ligne transversale passant par l'ombilic jusqu'à une ligne obli-

que allant aux deux jambes depuis le tiers inférieur du bord interne de la cuisse

jusqu'à la face externe de l'articulation du genou. -

B. Face postérieure. - Hyperesthésie, à la chaleur, depuis une ligne trans-

versale passant par l'angle inférieur de l'omoplate jusqu'à une ligne oblique

allant de l'articulation du genou au tiers supérieur de la face externe de la

jambe. Hyperesthésie, au froid, occupant tout le tronc et s'arrêtant aux fesses.

Retard de la perception à la chaleur de 5 ' au gros orteil droit, de 2" au

dernier orteil, de " à la malléole interne du même côté, et de 4" au gros or-

teil du côté opposé. Le retard est de 10" au talon gauche, de 3" à la racine

des orteils à droite.

Observation III.

Caud... (Marie), 44 ans, employée de commerce, entrée le 20 octobre 1896,

salle Broca, lit n° 10.

Antécédents. Son père est mort à 65 ans des suites d'un accident de che-

min de fer ; sa mère est morte subitement à 60 ans ; une soeur est morte à

15 ans pendant une fièvre typhoïde ; il reste deux frères et une soeur bien

portants,

Il n'y a pas de maladies nerveuses dans la famille. La malade est l'aînée ;

réglée à 17 ans, elle l'a toujours été régulièrement ; vers 18 ans, elle eut une

bronchite qui dura plusieurs semaines. Elle affirme n'avoir pas eu la syphi-

lis, cependant on relève des laryngites et des angines fréquentes, elle a eu des

céphalées très tenaces ; à 25 ans, elle a présenté un état anémique au cours

duquel elle a perdu les cheveux ; elle a fait une fausse couche de trois mois.

336

ANDRÉ RICHE ET DE GOTHARD

Début de la maladie. - Celle-ci a commencé par des modifications de la

vue, « des brouillards devant les yeux » ; elle n'a pas présenté de diplopie.

Survinrent des crises fréquentes de diarrhée, des envies fréquentes d'uriner

et même de l'incontinence avec anesthésie du canal. cette époque elle éprouve

des douleurs dans les deux jambes, se produisant principalement vers quatre

heures du soir et durant jusqu'au lendemain ; ces douleurs à caractère fulgu-

rant empêchaient souvent le sommeil, elle a ressenti également des douleurs

en ceinture.

Pendant que ces phénomènes s'accentuaient, les jambes devinrent plus fai-

bles ; elle arrivait à tomber quand elle voulait se lever; dans l'obscurité la

marche était difficile.

Fig. 1. - Schéma du champ visuel (Observation III).

Entrée le 20 octobre 1896 à la Salpêtrière, la marche étant devenue impos-

sible, elle fut soignée par la suspension. Elle en éprouva un certain soulage-

ment, mais les crises de diarrhée persistèrent et la marche ne s'améliora pas

sensiblement.

Etat actuel. - L'état général est satisfaisant, elle éprouve quelques palpita-

tions du coeur sans lésion organique constatable à l'auscultation ; il n'y a rien

du côté des vaisseaux, le pouls bat 80 pulsations, la radiale est souple.

Pas de troubles gastriques ni laryngés. Il reste des envies fréquentes d'uri-

ner et l'anesthésie du canal persiste ; rien d'anormal dans les urines, les rè-

yles sont toujours régulières.

Pl. III

TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES

(A. Riche et De Gaillard.)

Observation Il L

MASSON ET C ? h,dil,

TROUBLES OBJECTIFS DES SENSIBILITÉS SUPERFICIELLES 337

L'oeil gauche converge difficilement, il y a une légère inégalité pupillaire : la

droite est plus large que la gauche, signe d'Argyl Robertson. A l'ophtalmos-

cope, on constate une atrophie des nerfs optiques, plus accentuée à gauche,

l'oeil de ce côté est complètement amaurotique. Myopie à droite, 4 dioptries

environ, acuité visuelle 1/3. Quand on provoque des mouvements d'abduction,

on constate qu'il existe quelques oscillations lentes, pas de dyschromatopsie.

La mesure du champ visuel de l'oeil droit fait constater un rétrécissement

considérable (Fig. 1).

Les réflexes du coude, du poignet, du genou et de l'articulation tibio-tar-

sienne sont abolis. Le réflexe plantaire a lieu en flexion, il n'y a pas de trépi-

dation spinale.

La force musculaire est partout conservée ; au dynamomètre elle amène

18 kilogrammes à droite et 13 à gauche.

La malade ressent encore des douleurs dans les genoux, la région inguinale

des deux côtés, les régions lombaires et scapulaire. Ces douleurs irradient le

long de la cuisse, il y a aussi des douleurs en b émiceinture du côté droit ; les

crises reviennent environ tous les trois jours et durent trente-six heures. Pen-

dant les règles elle a des douleurs sourdes da ns la région ovarienne et dans les

parties du thorax jusqu'à la ceinture.

Sensibilité objective superficielle (Pl. LYI).

I. Tact. A. Face antérieure. Anesthésie aux membres inférieurs, mon-

tant à gauche sur le tronc dans la ligne mamillaire ; elle rejoint dans l'aisselle

une zone d'anesthésie, comprenant tout le territoire d'innervation du nerf cu-

bital.

B. Face postérieure. - Anesthésie depuis les pieds jusqu'à la région sa-

crée ; la sensation tactile est toutefois conservée sur une bande large de trois

travers de doigt, s'étendant du genou au cou-de-pied. Au-dessus des fesses

monte une bande transversale d'anesthésie allant jusqu'à l'aisselle gauche, où

elle rejoint l'anesthésie cubitale décrite.

Il. DOULEUR. - A. Face antérieure. Hypoalgésie dans tout le bord in-

terne du bras gauche et au-dessus du genou gauche. Hyperalgésie à la tête,

au tronc, aux membres supérieurs, et à la cuisse gauche dans une petite zone

à la face antéro-interne. Hyperalgésie en bande il la face externe de la jambe

gauche jusqu'au dernier orteil, et au pied droit il la base du gros orteil.

B. Face postérieure. Analgésie aux deux faces plantaires ; hypoalgésie au

tronc dans le même territoire que l'anesthésie. Hyperalgésie à la tête, aux

bras et au tronc.

Il[. Température. - A. Face antérieure. - Thermo-hyperesthésie tout

le corps sauf aux pieds. Hyperesthésie au froid descendant plus bas que l'hy-

peresthésie au chaud à la jambe droite.

B. Face postérieure. - Thermo-hyperesthésie il tout le tronc, à la tête, aux

bras. Hyperesthésie à la chaleur aux membres inférieurs.

338 ANDRÉ RICHE ET DE GOTHARD

' Observation IV.

Bas... (Louise), 60 ans, lingère. entrée le 18 octobre 1898, salle Duchenne

de Boulogne, lit n° 14. ,

Antécédents. Le père est mort à 84 ans ; la mère est morte du choléra en

1849, à 32 ans.

Elle a un frère bien portant, un autre est mort à 28 mois.

Il n'y a pas de maladie nerveuse dans la famille. '

Réglée à 14 ans, elle l'a toujours été régulièrement jusqu'à 52 ans.

Mariée à 25 ans ; son mari, de bonne santé habituelle, est mort à 27 ans du

charbon.

Elle a eu deux enfants : un fils qui est en bonne santé, et une fillette qui est

atteinte de la maladie de Basedow.

Au dire de la malade, elle n'aurait pas eu la syphilis, dans les commémora-

tifs on ne relève aucune trace de cette infection.

Début de la maladie. Il y a 8 ans, en 1891, elle ressent des douleurs en

ceinture, et à. ans après seulement, des douleurs fulgurantes dans les jambes.

La gène de la marche a débuté à ce moment, mais elle n'en a pas moins

continué à travailler jusqu'en octobre dernier. Depuis cette époque, et très

rapidement, la marche est devenue impossible, surtout dans l'obscurité, par

suite d'une sensation de fourmillement dans les pieds, accompagnée de perte

de sa sensation du contact avec le sol.

Il y a trois ans, étaient survenus des troubles vésicaux, consistant en envies

fréquentes d'uriner ; jamais il n'y a eu d'incontinence.

Il y a deux ans, la vue était devenue trouble, il y a même eu de la diplopie

qui a cessé depuis un an.

A son entrée à la Salpêtrière elle ne pouvait marcher sans se tenir aux meu-

bles ; on la soumit à quelques exercices au lit.

Etat actuel. - La malade a l'aspect fatigué, la peau est sèche et ridée»,

l'amaigrissement est manifeste.

Sans avoir eu jamais de troubles gastriques, elle a de l'anorexie assez pro-

noncée, elle est soumise à des crises de diarrhée difficiles il maîtriser.

Il n'existe pas de symptômes laryngés.

L'auscultation des poumons ne décèle rien de spécial.

Le coeur présente des battements sourds et précipités, le rythme foetal. Les

artères ne sont pas dures; le pouls est mou, parfois irrégulier, il bat 112.

La recherche de la sensibilité cutanée aux différents modes provoque des

éruptions variées, indices de troubles vaso-moteurs.

Les fonctions vésicales sont normales, il n'y a pas d'anesthésie du sphincter.

L'examen des urines ne révèle rien de spécial.

L'examen des yeux montre que les pupilles sont égales, elles réagissent aux

distances mais le réflexe lumineux est perdu. A l'ophtalmoscope, le nerf opti-

que est décoloré à droite. L'acuité visuelle est normale, il n'y a ni diplopie, ni

dyschromatopsie ; on remarque un peu de nystagmus rotatoire.

Le réllexe du coude est conservé à gauche ; à droite il est très affaibli ; ceux

l'1. IV

TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES

(A. Riche et De Gothard.)

Observittion IV.

TROUBLES OBJECTIFS DES SENSIBILITÉS SUPERFICIELLES 339

du genou et du talon sont abolis. La recherche du réflexe plantaire provoque

une sensation de brûlure sans donner de mouvements bien nets des orteils.

Pas de trépidation spinale, il n'y a pas d'atrophie des muscles, leur force est

conservée partout : le dynamomètre donne 18 à droite et 16 à gauche.

Actuellement, la malade'a des douleurs dans le bord externe du pied droit,

surtout dans les deux derniers orteils ; elles remontent le long de la hanche et

jusqu à la colonne vertébrale ; elles sont fulgurantes.

La malade éprouve dans les doigts, surtout à la main gauche, une sensation

d'engourdissement.

La région lombaire est vaguement douloureuse.

Sensibilité objective superficielle (PI. LVII).

I. Tact. A . Face antérieure. - Hypoesthésie à la jambe droite depuis

l'articulation tibio-tarsienne jusqu'au pli inguinal.

B. Face postérieure. - L'hypoesthésie existe aux plantes des pieds et la

jambe droite jusqu'au pli fessier. Cet amoindrissement dans la perception du

tact devient de l'anesthésie absolue à la cuisse dans une bande étroite, située

sur la ligne médiane au-dessous du pli fessier, qui se prolonge jusqu'à la moitié

de ce segment de membre.

II. Douleur. - A. Face antérieure. - Hyperesthésie dans la région ombili-

cale aux bras, à la face, au cou et il la partie supérieure du thorax jusqu'à une

ligne passant par les creux axillaires. L'extrémité des doigts et les éminences

thénar présentent une hyperesthésie plus prononcée.

B. Face postérieure . - Hyperalgésie aux plantes des pieds et à la cuisse ;

Dans la zone d'anesthésie ; elle s'étend atout le thorax à partir de la région

lombaire.

III. Température. - A. Face antérieure. - Thermo-hypoesthésie depuis

l'articulation du pied jusqu'au pli inguinal; hyperesthésie au froid dans la ré-

gion ombilicale et au pied gauche ; hyperesthésie à la chaleur dans une bande

s'étendant de la ligne bi-atillairo à la ceinture et aux éminences thénar.

B. Face postérieure. Hyperesthésie à la chaleur dans toute l'étendue du

tronc et jusqu'à une ligue passant par le milieu des deux cuisses; hyperesthé-

sie au froid dans une bande s'étendant de la ligne bi-axillaire à la ceinture, et

à la'cuisse dans la même zone où l'on trouve de l'hyperalgésie.

(A suivre.)

LES PEINTRES DE LA MÉDECINE

(ÉCOLES FLAMANDE ET HOLLANDAISE)

LE. MAL D'AMOUR

(Suite).

. ' ' PAR ,

HENRY MEIGE.

VII

Allier à la verve deJan Steen la distinction de Gérard Dow, c'était pour

un peintre hollandais un idéal bien séduisant. GABRIEL IVIFTZU a fait de

consciencieux efforts pour atteindre ce but.

Natif de Leyde (1630 ? -1GG7) et camarade de Steen, il a voulu, lui

aussi, célébrer le vin et les festins ; mais de moeurs plus rassises et d'es-

prit moins pétulant que le cabaretier de l'Etrille, il n'a pas osé aborder

les folles ripailles ni les orgies débraillées. Il s'est maintenu dans une

note correcte, discrète, soignant il l'extrême les détails menus, guindé peut-

être parle souci d'un réalisme quasi photographique, au détriment de la

hardiesse et de la vie.

Au demeurant, dessinateur précis, coloriste délicat, ordonnateur irré-

prochable, Metzu conserve une place très honorable à côté de Gérard Dow

et de Terborch, parmi les meilleurs peintres de genre de l'Ecole hollan-

daise.

Ses scènes médicales sont en nombre restreint. Celles que nous allons

décrire montrent cependant que Metzu n'a pas négligé ce genre de sujet.

Il existe d'ailleurs un tableau de lui dans la collection Stcengracht, il

la Haye, intitulé l'Enfant malade, qui peut passer à juste titre pour un

chef-d'oeuvre. La touchante émotion de cette scène familière ne saurait

être plus communicative; mais surtout la vérité pathologique en est saisis-

sante.

Donnée bien simple : une mère tient sur ses genoux son enfant malade,

mais que de tendresse anxieuse chez cette maman ! Avec quelle affectueuse

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XII. PL, LVIII.

Photographie Braun, Clément et CiC. Photogravure Rougcron, Vignerut, Dumoulin.

MAL D'AMOUR

Tableau de GABRIEL Metzu, intitulé '

La Malade

Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg.

\fy550 Lt C ? Éditeurs.

LE MAL D'AMOUR 341

angoisse elle serre le bras amaigri de sa fillette. Et chez cette dernière,

comme l'artiste a su rendre les méfaits de la maladie : la faiblesse de ce

petit corps, ses membres amaigris, ses chairs flasques,et surtout ce visage

souffreteux, qu'éclairent deux grands yeux noirs, lamentablement tristes.

Je ne connais pas d'image plus vraie de l'enfance maladive, telle que

la tuberculose la réalise souvent. Dans cette oeuvre de premier ordre,

Metzu a fait preuve de remarquables qualités d'observation; là, son ta-

lent minutieux a pris une réelle ampleur.

La Malade du musée de l'Ermitage, à St-Pétersbourg (1), donne encore

une excellente idée des qualités de Metzu. C'est une oeuvre consciencieuse

et soignée dont l'extrême fini n'exclut pas les qualités naturalistes. On y

soupçonne une pointe de satire, un peu trop dissimulée peut-être par un

goût prépondérant pour le bon ordre et le bon ton (PI. LVIII).

Avec Metzu, il faut s'attendre à fréquenter la belle société. Nous voici

donc dans une chambre luxueuse.

Au fond, un beau lit à colonnes torses dorées entouré d'un rideau blanc.

Au mur, un grand tableau représentant le sacrifice d'Isaac. A droite,

une table avec un lourd tapis d'Orient.

Au milieu de la pièce se tient la malade ; bien entendu, c'est une per-

sonne de distinction.

Elle conserve une attitude correcte et le souci de son ajustement. Elle

lient à recevoir la Faculté en maîtresse de maison qui connaît ses devoirs.

La maladie n'a-t-elle pas, elle aussi, son protocole ?

Or, voici la tenue de rigueur : Robe de satin rose à larges parements

d'argent, jaquette de velours rouge bordée de cygne; sur la tête,une coiffe

et un fichu blanc ; comme parure, de riches pendants d'oreilles en diamant.

Ainsi vêtue, l'on s'asseoit dans un grand fauteuil, la tête appuyée contre

un oreiller, les yeux mi-clos, le regard mourant, les lèvres molles, les

mains inertes. Et l'on ébauche un semblant depamoison.Votrepetit chien,

dressé sur ses pattes de derrière, cherche en vain vos caresses. N'y prenez

garde. Ne dites mot. Remuez moins encore. N'ayez d'autre souci que de

défaillir honnêtement.

Cependant, dans un grand silence, le docteur fait son entrée, grave,

majestueux, tout de noir vêtu, avec une robe très ample et très longue,

une calotte sur le crâne surmontée d'un haut chapeau de feutre à bords

relevés. Il s'arrête, regarde, réfléchit, puis pince sévèrement les lèvres.

Maigre visage à barbe grise, encadré de boucles argentées descendant sur

la nuque, il en impose vraimentpar la dignité de ses traits. Et son attitude

(1) N° 878 de Catal, Somof, 1895. - B. H, 61 ; L, 48.

Ni 23

342 HENRY MEIGE

est plus impressionnante encore quand, la main droite posée sur la hanche,

de la gauche il saisit l'urinai et semble s'abstraire dans la contemplation

de son miroitement. Instant d'angoisse ! Quelle sentence va-t-il pronon-

cer ? ...

Metzu a exécuté ce duo avec un art très émouvant. Et la scène nous

laisserait, sous une impression d'anxiété presque tragique, sans la pré-

sence d'un troisième personnage destiné à nous rassurer sur la gravité du

cas.

C'est, derrière le fauteuil de la malade, une vieille servante, vêtue et

coiffée de noir, qui se prépare à verser dans uile cuiller le contenu d'une

petite fiole, un cordial sans doute. Il est grand temps de l'administrer.

Pourtant. la vieille ne se presse guère. Elle suit du coin de l'oeil l'exa-

men du docteur,au risque de renverser la potion, et un malicieux sourire

égayé sa face ridée. La perspicacité de l'homme de l'art ne semble pas lui

inspirer grande confiance et nous comprenons qu'elle en sait plus qu'elle

n'en dit. Ce sourire là, Jean Steen en faisait un gros rire qui se commu-

niquait à tous les assistants, y compris le médecin. Metzu n'a pas osé

traiter la Faculté de façon si cavalière : la note comique est à peine es-

quissée. Elle suffit néanmoins à nous tirer d'inquiétude. Consolons-nous,

le mal est plus apparent que réel.

N'est-ce pas le propre du mal d'amour ? Si vraiment. Et nous en trou-

vons la preuve, d'abord dans l'altitude delà malade dont la défaillance

nous est connue par maints exemples similaires ; puis, sur la table,

dans une belle assiette de faïence bleue, à côté du panier de l'urinai,

voici les tranches de citron révélatrices.

Enfin, sur le dais du lit, un joli groupe sculpté représente deux amours

folâtres. Ce symbole cher à Jean Steen, Metzu a dû le lui emprunter. Nous

savons qu'il équivaut à un diagnostic. C'est bien encore le Mal d'Amour.

Metzu a peint une autre scène médicale qui certainement appartient à

notre série. Elle se trouve actuellement à Vienne, dans la collection

G. Edlen von Preyer (PI. LIX).

C"est une oeuvre moins sévère que la précédente, pleine de sous-enten-

dus discrets, infiniment gracieuse. On y retrouve la joyeuse humeur de

Jan Steen tempérée par cette recherche de l'élégance qui plaisait tant à

Metzu. Tout y est séduisant ; et médecin semblent rivaliser de

jeunesse et de grâce. Un docteur ne saurait souhaiter cliente plus attrayante

ni cliente d'être soignée par un visage plus avenant. C'est en peinture

seulement que la médecine peut réaliser de ces rencontres.

Un minois frais, de tendres yeux, la bouche mignonne, les épaules et

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T, XII. PL, LIX.

Photographie Loewy (Vienne). Photogra\ ure Loewy.

MAL D'AMOUR

Tableau de G. METZU, de la.collection G. Edlen von Preyer

Vienne. -

Masson et Cic, Editeurs.

LE MAL D'AMOUR 343

le bras d'un agréable dessin, le poignet et la main d'une irréprochable

finesse, et ce qu'on entrevoit de la gorge permettant de deviner l'attrait

des charmes qu'on ne voit pas : telle est la victime qui, mollement, s'a-

bandonne, accoudée sur un oreiller, les bras nus, le corsage entrouvert,

attendant le verdict de son juge aux blonds cheveux.

. Elle tient par son visage et sa pose de la Malade de Steen du musée

d'Amsterdam, à laquelle elle ressemble étrangement. Par son négligé,

elle rappelle la jolie fille de la collection Steengracht, si peu soucieuse de

la liberté de son ajustement.

Jamais le mal d'amour n'a revêtu un aspect plus séduisant. La langueur

du regard, la nonchalance de la pose sont de réels indices de sa présence ;

encore ne font-ils qu'ajouter aux appas de la maladie.

Mais que penser du médecin ?

Cet élégant aux cheveux bouclés, la lèvre rieuse, l'oeil séducteur, le

corps moulé de velours noir, paré des plus riches dentelles, a-t-il l'aspect

d'un guérisseur ? Et n'est-il pas plutôt le propagateur d'un mal dont il

pourrait être aussi le remède ?

Vraiment, il semble s'occuper beaucoup plus de l'effet produit par

ses boucles blondes et ses jolis yeux que de regarder l'urinal qu'il tient

dans sa main droite. Après tout, c'est peut-être la meilleure façon qu'il

connaisse de soulager les maux de sa cliente.

Ce type de docteur frisé, musqué, tiré il quatre épingles, n'est pas fait

pour nous surprendre. Nous le connaissons par d'autres portraits, non

moins vivants et non moins séduisants que celui de Metzu,. C'est Ma-

dame de Sévigné elle-même qui les a tracés de sa plume alerte et pim-

pante.

Lorsqu'elle se rendit aux eaux de Vichy, vers 1676, Madame deNoailles

lui adressa un médecin de Gannat, remplissant, paraît-il, toutes les condi-

tions désirables pour soigner la précieuse santé de la marquise. Celle-ci

en fut enchantée. C'était eu effet, « un fort beau garçon, point charlatan,

ni préoccupé de rien, pas même de médecine » ; et, ajoute-t-elle, « il a de

l'esprit, de l'honnêteté, il connaît le monde ; enfin, j'en suis contente ».

Il faut dire que ce gracieux confrère assistait, privilège enviable, à

la douche de la belle marquise ; toutefois, il se tenait discrètement dissi-

mulé derrière un rideau ; mais pendant la suerie, qui succédait à la dou-

che, il lui faisait la lecture. « Au lieu de m'abandonner à deux heures

d'un ennui qui ne peut se séparer de la sueur, je le fais lire, et cela me

divertit... 11 sait vivre; il n'est point charlatan... Il traite la médecine en

galant homme. Enfin, il m'amuse... »

Et la frivole ajoute, ingénument : « Je le retiens, dût- il m'en coûter mon

bonnet ! ... »

344 HENRY MEIGE

La gentille malade de Metzu aurait bien pu en dire autant.

Cependant, dans le tableau de Vienne, il ne semble pas que le docteur

ait été lui-môme la cause du mal. Le coupable est non moins jeune et

non moins beau, mais a demi caché dans l'ombre, regardant sa victime

d'un oeil tendre et anxieux, tandis qu'une vieille servante ne lui ménage

ni les encouragements ni les consolations. Aparté significatif que Steen

nous a rendu familier et qui nous permet d'affirmer qu'il s'agit du Mal

d'Amour. Si la malade n'estpas des plus dangereusement atteintes, à coup

sûr, elle est bien la plus charmante de notre série. Chez elle, la faculté

concupiscible, comme on disait alors, « devait dégager des esprits tendant

vers le dehors avec une très grande promptitude.... ». C'est ainsi qu'on

expliquait la genèse du mal d'amour.

Au nombre des élèves de Gérard Dow, celui sur lequel le maître fonda

les plus grandes espérances avait nom Frans van Mieris (1G35-1681). Ce

fut un disciple studieux, un très bon imitateur ; mais il ne témoigna jamais

d'une réelle originalité. Son dessin demeure impeccable, il ordonne fort

bien un tableau, il peint avec finesse; mais il est froid; on regrette sa

correcte monotonie.

Frans van Mieris, surnommé le Vieux pour le distinguer de son fils et

de son petit-fils, qui furent peintres également,a laissé un grand nombre

de tableaux dont plusieurs lui ont été inspirés par des scènes médicales :

La Consultation du musée de Vienne (1) est une oeuvre réputée. C'est

une des meilleurs peintures de van Miens le Vieux (PI. LX).

Une chambre élégante et riche; à côté d'un lit à rideaux, un beau

meuble surmonté de faïences et de verreries ; sur le meuble un tableau

représentant un paysage; non loin de là,un escalier conduit par une porte

cintrée dans une vaste pièce garnie de boiseries et de vitraux.

Près d'un lit, une jeune femme est assise, une coiffe blanche sur la

tête, vêtue d'un casaquin de velours bordé de cygne : la main gauche ap-

puyée sur sa poitrine, elle abandonne son bras droit au médecin qui lui

tâte le pouls. Sur ses genoux un livre de prières est ouvert ; c'est l'Ancien

Testament.

Langoureusement, la malade tourne à demi la tête vers son docteur,

levant au ciel un oeil désespéré, aux paupières rougies,où perle une grosse

larme.

Ce regard humide est d'une expression lamentable. La pauvre fille se

croit sûrement condamnée ; elle se prépare à mourir saintement, soutenue

(1) N° 1381, B. Il, 43. L, 27. Une copie existe également à Vienne dans la galerie des

Beaux- Arts. N° 697.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XII. PL. LX.

Photographie l.oe\\y (Vienne).

Phutugmure LlC\\).

MAL D'AMOUR

Tableau de FRANS VAN Maris le Vieux

La Consultation

Musée de Vienne.

Masson et Cie, Éditeurs.

. LE MAL D'AMOUR 345

par de pieuses lectures. « Ah ! docteur, tout est bien fini ! ... Je sens venir

mon heure dernière. Dieu veuille m'accorder une bonne fin ! ... » Pensées

mystiques et mélancoliques, idées noires qu'engendre souvent l'anémie et

que l'on retrouve dans le mal d'amour.

L'homme de l'art qu'elle consulte en cet instant critique n'est guère fait

pour ranimer le courage de cette fausse moribonde.

C'est un docteur très sévère et très richement vêtu, qui, lui, ne traite

pas la médecine en bagatelle. Il sait la rendre grave jusqu'à l'austérité,

digne, pompeuse, imposante, presque effrayante.

Admirez les reflets de son satin, les crevés de ses manches, la finesse de

ses dentelles, et l'anneau d'or qu'il porte au doigt, insigne visible de sa

dignité doctorale. Et voyez comme il fronce un sourcil menaçant, comme

son oeil est sévère, tout cela uniquement pour consulter le pouls. Voilà

un médecin avec qui il ne ferait pas bon de risquer une plaisanterie à la

façon de Steen.

De l'index il montre son front. C'est qu'une pensée profonde vient

de lui traverser le cerveau, - ce cerveau, où sans doute, comme Sga-

rarelle, il a condensé toute la médecine.

Il va parler. Nous savons ce qu'il va dire : quelque galimatias à la façon

de Bahis et de Macroton,où il sera question « d'une vapeur fuligineuse et

mordicante qui picote les membranes du cerveau..., de cette vapeur, que

l'on nomme en grec Atmos, causée par des humeurs putrides, tenaces et

conglutineuses qui sont contenues dans les bas-ventre... et, comme ces

humeurs ont été engendrées par une longue succession de temps, elles s'y

sont.recuites et ont acquis cette malignité qui fume vers la région du cer-

veau... ».

Voilà le mal. C'est celui de l'héroïne de l'Amour médecin ; on ne niera

pas que c'est le mal d'amour.

Ce médecin de van Mieris est vraiment bien de son temps. On eût pu

lui appliquer le sonnet qui courut au temps de Molière :

Affecter un air pédantesque,

Cracher du grec et du latin,

Longue perruque, habit grotesque,

De la fourrure et du satin :

Tout cela réuni fait presque...

. Ce qu'on appelle un médecin.

Tel est le tableau du musée de Vienne. On y voi t encore quelques acces-

soires dignes d'attention. Ils sont disposés sur une table en face de la pa-

tiente : une fiole, un bassin de cuivre avec un linge et une éponge. C'est

l'attirail de la saignée que nous rencontrons pour la première fois dans

l'arsenal thérapeutique du mal d'amour. A cela, rien de surprenant. Le

346 HENRY MEIGE

contraire l'eût été'davantage, tant les médecins d'alors se montraientpro-

digues du sang de leurs malades. L'anémie, la pâleur, la perte presque

complète des forces, n'étaient pas pour les arrêter' dans leur fureur phlé-

botomique. On saignait pour l'excès de sang ; mais on saignait aussi pour

l'insuffisance. Une saignée appelait une autre saignée, celle-ci une troi-

sième, et indéfiniment. Ne pas saigner, c'était ne pas soigner. Pourquoi

faire une exception en faveur du Mal d'Amour ?

. *

..

Il est intéressant de rapprocher de ce 'tableau de Frans van Mieris lé

Vieux, un de ses dessins conservé à la bibliothèque Albertine, à Vienne

(Pl. LXI). C'est sans doute une étude pour une scène médicale qui ne fut

pas exécutée. On n'y voit qu'une malade, mais très soigneusement figurée.

C'est une jeune femme couchée dans un lit à rideaux soutenue par de gros

oreillers, la tête prise dans une cornette, une double pèlerine sur les épau-

les, le bras droit allongé sur les couvertures, la main gauche appuyée sur

des vêtements entassés sur le ventre.

Le visage amaigri est encadré de frisons qui simulent des favoris; l'oeil 1

est triste, fatigué, alangui.

Près du lit, une table avec une bouteille de pharmacie, un pot d'on-

guent et un panier à urinai.

Ces détails sont insuffisants pour qu'on puisse dire qu'il s'agit d'une

malade d'amour. Mais cette étude consciencieuse mérite d'être connue.

Elle fait grand honneur au talent de van Mieris le Vieux. On peut se de-

mander si ce n'est pas le portrait d'une jeune accouchée, et cette image ne

serait pas déplacée dans une scène de nativité religieuse. -

*

PIETER VAN Slingelant (1640-1691) est un élève de Gérard Dow, dont

on peut voir, à la -galerie de Mannheim (1), une scène médicale, nouvelle

répétition du Mal d'Amour (PI.LXII).

Cette peinture de valeur secondaire ne rappelle que de loin les qualités

du maître qui l'inspira. Slinelant n'est qu'un imitateur médiocre ; il eut

pu être bon copiste; encore aurait-il eu grand'peine se débarrasser d'une

sécheresse que Gérard Dow parvint toujours à éviter, même dans ses oeu-

vres les plus délicatement finies.

Sans insister sur les imperfections cle métier, il suffit de dire que le

fableau de la galerie de Mannheim donne une idée très exacte du talent

maniéré de Slingelant. La préciosité des personnages atteint presque le

(1) N° 131. B. II, 47, L. 41.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XII. PL. LXI.

Dessin de FRANS VAN MIERIS le Vieux

Femme malade

Bibliothèque Albertine, Vienne.

ET CI" Éditeurs.

Photographie Braun, Clément et Cie. Photogravure Rougeron, Vignerot, Dumoulin.

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T XII. PL. LXII.

Photographie C. Ruf (Mannheim). Photogravure Rougeron, Vignerot, Dumoulin.

MAL D'AMOUR

Tableau de P. van Slingelant, intitulé

Dame malade .

Galerie de Mannheim.

Massok ET Ci-, Editeurs.

LE MAL D'AMOUR 347'

ridicule; c'est au point qu'on se demande si le peintre n'a pas eu l'in-

tention de faire oeuvre d'ironiste (1).

Assise sur une chaise, la malade s'appuie du coude sur une table,tenant

dans sa main droite une sorte de fichu blanc, abandonnant sa main gauche

au médecin. Elle est vêtue de couleurs criardes : une robe jaune, une

jaquette bleu clair garnie de cygne; une pèlerine blanche sur les épaules;

sur la tête, une cornette de même couleur.

Grande, mince,raide, elle feint de détourner la tête pour ne pas voir son

médecin; mais ses yeux se portent vers lui, avec un regard oblique de

l'espèce dite « en coulisse ».

Cependant elle parle, et l'on peut être certain qu'elle débite force futi-

lités, fadaises langoureuses, et frivolités sentimentales.

Elle ne saurait d'ailleurs s'adresser à mieux.

Son docteur l'emporte sur tous les autres par l'affectation de sa mise et

la mignardise de son maintien.

Jeune précieux, aux beaux yeux assassins, portant un fil de moustache

soigneusement cirée au dessus de ses lèvres très roses, il sait encadrer son

cher visage avec de longs cheveux ondulés tombant jusqu'aux épaules ; un

col très grand, raidi d'empois, décapite cette jolie tète, qu'ombrage un vaste

feutre aussi large de bords que haut de coiffe.

Pour le corps,il est tout de noir vêtu ; mais velours et satin se disputent

cet honneur. Très court est son manteau, que négligemment il rejette en

arrière, afin de ne point laisser ignorer les somptueux (lois de rubans qu'il

porte à la jarretière, superposés sur plus de six rangs. Et quant à ses

souliers, il faudrait être aveugle pour n'être point frappé de l'ampleur de

leurs rosettes et de l'importance de leurs bouts carrés.

Voilà, n'est-il pas vrai, un fameux spécimen de l'espèce décrite par

Mme de Sévigné. Il eut été capable de faire la conquête de la marquise.

Car C'eSt tout à fait le portrait d'un certain seigneur Amonio, médecin

italien établi à Chettes, dont elle fait le plus grand éloge dans une de ses

lettres.

« Ma chère, dit-elle, c'est un homme de -vingt-huit ans, dont le visage

est le plus beau et le plus charmant que j'aie jamais vu ; il a les yeux de

madame de Mazarin et les dents parfaites, le reste du visage comme on

imagine Rinatdo ; de grandes boucles noires qui lui font la plus agréable

tète du monde. Voilà mon joli médecin; il est habillé comme un prince

et bon garçon au dernier point. »

Nulle description ne saurait mieux convenir au docteur de Slingelant.

(t) La photographie de ce tableau a légèrement déformé les personnages. La repro-

duction a fait disparaître en partie la cheminée et la carte géographique qui ornent

le fond de la pièce.

348 HENRY MEIGE

On le voit, les Apollons de la médecine ne manquaient pas auXVIP siè-

cle. Un gracieux visage, de belles dents, des yeux langoureux, et surtout

une mise galante, rehaussée par d'aimables façons, .il n'en fallait pas da-

vantage pour plaire aux gens de qualité.

Quant à la vraie science, le galimatias pédantesque la rendait tellement

insupportable que pour devenir médecin des gens de distinction, la pre-

mière qualité était de ne jamais parler de médecine.

Il suffit de regarder le docteur petit maître de la galerie de Mannheim

pour voir qu'il sait en user comme il convient avec les honnêtes gens. Il

excelle surtout dans l'art de tâter le pouls et de soupeser l'urinai avec

certain geste des bras et certaine posture des jambes qui font de sa con-

sultation une manière de pavanne, laquelle est sans contredit du dernier

galant.

Et c'est bien encore un épisode du mal d'amour que Slingelant a voulu

représenter. La pâleur blafarde de la malade, son affaissement, sa langueur

en' sont des signes présomptifs. Le citron a demi pelé que l'on voit sur la

table est plus significatif encore.

Un élève de Gérard Dow, GODFRIED Schalken (1643-1706) a joui de son

vivant d'une assez grande 'réputation. Il réussissait surtout dans les effets

de lumière et a composé nombre de petites scènes d'intérieur qui ne man-

quent pas d'intérêt.

Nous connaissons de lui deux peintures inspirées par des épisodes de

la vie médicale.

Chose curieuse, tandis que dans leurs Malades d'Amour, Hoogstraaten

et Gérard Dow n'ont évoqué que les troubles produits par l'amour pla-

tonique et malheureux, évitant avec soin toute note comique et toute

allusion risquée, Schalken au contraire, imitant en cela Jan Steen etBrac-

kenburgh, semble avoir voulu représenter le mal qui résulte de l'amour

consommé.

La Consultation indiscrète du musée de la Haye (1) ne laisse à cet égard

aucun doute (Pl. LXIII).

La scène se passe chez un vieux praticien de l'espèce qu'a souvent re-

présentée Teniers, portant longues houppelandes et bonnets garnis de

fourrures. Il est assis dans son cabinet, près d'une table sur laquelle est

posée une seringue ; au fond, derrière un rideau, on aperçoit l'officine avec

des rayons garnis de fioles et de pots. C'est un vieillard rasé, ridé, mais

(1) No 331. II, 35. L, 29. ,

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T, XII. PL. LXIII.

MAL D'AMOUR

Gravure d'après un tableau de GODFRIED SCHALKEN, intitulé

La Consultation indiscrète

Musée de la Haye.

Massos et C'c, Éditeurs.

LE MAL d'amour 349

l'oeil vif et le sourire facile. Il doit trop bien connaître les tristesses des

maux irrémédiables pour laisser échapper les occasions de plaisanter, les

maladies qui n'en sont pas.

Aujourd'hui le cas est de ceux dont on peut se permettre de rire.

Une jeune femme est là, fraîche, jolie, bien en chair, mais tout en lar-

mes, et s'essuyant les yeux. D'où vient ce gros chagrin ? De l'excès de sa

souffrance ? - Nullement. Mais d'une découverte que vient de faire le

vieux docteur, grand connaisseur en urologie.

Surprenante révélation en vérité ! Ne voilà-t-il pas qu'au fond de la

bouteille à urines, il se produit une sorte de remous où bientôt apparaît

une forme animée. Cela se meut, s'agite, se démène ; cela prend un aspect

de plus en plus précis : On dirait d'un animalcule pourvu d'un corps, de

membres, d'une tète, et cet infiniment petit a toute l'apparence d'un être

humain de dimensions microscopiques. Le vieux savant l'a reconnu : « Eh

parbleu ! dit-il, ou je me trompe fort, ou voici une manière d'l101nunculus

qui doit être le germe même de cette maladie...

mua belle enfant, votre mal n'est pas grave. Car c'est le mal qui en-

gendre la vie. Vous savez mieux que moi par qui, quand, et comment la

contagion s'est faite. Tout ce que je puis vous dire, c'est que vous en souf-

frirez neuf mois durant,- la règle est inflexible,- et qu'il vous en advien-

dra une grosse enflure où vous savez. Mais rassurez-vous : cela disparaîtra

subitement,au jour dit,après quelques douleurs : Dieu l'a voulu ainsi. Au

demeurant, n'en prenez pas trop d'ombrage : vous en guérirez merveilleu-

sement bien et trouverez par la suite de grandes jouissances à caresser l'ho-

munculus lorsqu'il aura quelque peu grandi. »

Ces bonnes paroles n'ont pas le don de consoler la jolie pécheresse ; elle

redoute fort ce mal que l'amour a causé. Car il n'y a plus à se leurrer ; le

médecin a bien vu : la pauvrette est enceinte. Le symbolisme de Schalken

laisse entrevoir toute la vérité.

Cette vérité qui fait pleurer la coupable ne semble pas non plus très

agréable à un troisième personnage présent à la consultation, un beau

jeune homme aux cheveux frisés et à la fine moustache, qui fait une moue

significative et serre nerveusement le poing. Il y a de grandes chances

pour qu'il ne soit pas étranger à la genèse de la maladie, et c'est bien ce

qui le préoccupe : il voit qu'il lui faudra en supporter les frais. Pour les

honoraires du docteur, passe encore; mais le reste... voilà une décou-

verte qui ne le ravit pas. Au diable l'homunculus...

Cet épisode tragi-comique, conclusion fréquente des aventures amou-

reuses, est rendu par Schalken avec beaucoup d'esprit. Son tableau de la

Haye est une jolie page d'observation pbysio-psycbologique dont le côté

scabreux est très ingénieusement dissimulé.

350 HENRY MEIGE

Seul, un jeune garçon qui se cache derrière le docteur, laisse percer dans

son sourire et dans son geste toutes les réflexions malicieuses que lui sug-

gère la consultation.

C'est bien l'amour encore qui vient de l'aire une nouvelle victime. Mais

ce mal d'amour n'a rien de pathologique : il appartient à la physiologie.

Une peinture analogue de Godfried Schalken se trouve dans la collec-

tion du prince d'Aremberg, à Bruxelles. La donnée est identique et la

scène traitée à peu près de la même façon, quoique d'allure plus licen-

cieuse.

Le médecin, assis, regarde l'urinai avec un sourire moqueur qu'il ne

cherche guère à dissimuler. Près de lui, la patiente est debout, toute

confuse et baissant les yeux. Son attitude est déjà un aveu. En vain d'ail-

leurs chercherait-elle à donner le change : la proéminence de son ventre

ne laisse aucun doute sur la nature du mal dont elle est affligée : c'est, à

une période plus avancée, la même déformation physiologique qui menace

sa compatriote du musée de la Haye.

Ici Schalken a négligé le symbole pour faire oeuvre naturaliste. L'idée

demeure la même, le procédé seul a varié.

Et certainement cette peinture n'avait d'autre but que de prêter à rire,

son principal attrait devait être la grivoiserie, car, dans le fond de l'offi-

cine, on aperçoit plusieurs personnages, hommes et femmes, qui s'égayent

librement du résultat de la consultation. Même, un jeune garçon, plus dé-

luré que les autres, fait avec ses doigts un geste outrageusement risqué.

Le sévère van Hoogstraaten et le distingué Gérard Dow n'auraient assuré-

ment pas approuvé cette fantaisie libertine de leur élève.

Nous ne signalons ce tableau que pour le rapprocher cle celui du musée

de la Haye.

Il s'ajoute d'ailleurs à la série des peintures inspirées par les effets de

l'amour, qu'ils soient pathologiques ou physiologiques.

Au petit musée de )'H6te)-de-Vi)ie de Louvain, j'ai encore relevé une

peinture d'un artiste Anversois, .1. Joseph IIoiikmans (1682-1759). Ce ta-

bleau de valeur médiocre est intitulé l'Empirique. On y voi un docteur, en

costumedu temps, tâtant le pouls d'une jeune femme assise; de l'autre main

le médecin lient l'urinai dont il examine le contenu. Dans le fonds plusieurs

personnages, enfants, servantes, curieux. Celle scène est une répétition

sans originalité des précédentes. Il suffit de la mentionner.

LE MAI/D'AMOUR 351

VIII

Voilà, à notre connaissance, les principales scènes médicales que les.ar-

tistes hollandais ont consacrées au Mal d'Amour (1).

Comme dans tous les tableaux de genre de l'école des Pays-Bas, on y

retrouve d'abord un désir primordial de conserver par le pinceau le sou-

venir d'un épisode marquant de la vie courante. Dans la monotonie de

l'existence bourgeoise, les jours de fête comme les jours de maladie étaient t

des événements mémorables. Ils créaient des diversions ; ils donnaient des

impressions nouvelles ; ils suffisaient à inspirer un tableau. »

Un banquet de confrérie, une noce villageoise, une querelle dans un

cabaret, et cent autres menus faits qui venaient incidemment rompre la

banalité journalière, furent ainsi des prétextes suffisants pour faire éclore

désoeuvrés d'art, - des chefs-d'oeuvre parfois.

La visite du médecin n'était pas une éventualité demoindre importance.

Elle ne pouvait rester inoubliée. De là, le grand nombre de scènes médi-

cales dans les productions des artistes des Pays-Bas.

Au docteur, figure nouvelle dans la maison, la place d'honneur est tou-

jours donnée. Pour lui, le peintre, selon la tournure de son esprit, se

montre, tantôt admiratif, élogieux, tantôt moqueur et satirique. A cet

égard, rien n'est plus instructif que ce défilé des robes longues et des cha-

peaux pointus dans les nombreux tableaux genre de l'école hollandaise,

rien ne saurait mieux renseigner sur les moeurs médicales de l'époque.

Mais, à côté du docteur, grave ou plaisant, respecté ou tourné en ridi-

cule, l'arliste se livre à une étude non moins consciencieuse de la maladie.

Il en note les moindres détails, les altérations du corps, les troubles de

l'esprit, le désordre produit dans son entourage, aussi bien sur les per-

sonnes que parmi les objets : observations patientes, remarques minutieu-

ses .dont chacune comporte un enseignement.

A ce seul titre, la série d'images que nous venons d'examiner peut comp-

ter parmi les plus fertiles en indications rétrospectives.

Le groupement que nous en avons fait est suffisamment justifié, nous

semble-t-il, par les descriptions et les interprétations qui précèdent.

La seule comparaison de celle série d'image montre bien qu'un même

lien de parenté les unit les unes aux autres.

La conception qu'on avait alors du mal d'amour, aussi bien dans le

monde médical que dans le gros public, permet précisément d'expliquer

l'air de famille commun à toutes ces oeuvres d'art.

(1) Cette collection, je le répète, n'est probablement pas complète. Des répétitions et

des imitations fort nombreuses se sont éparpillées avec le temps ; beaucoup sont per-

dues à jamais. Et j'ai cru ne pouvoir parler avec détail que des ae uvres d'art dont j'a-

vais pu juger de visu.

352 HENRY MEIGE

*

Une distinction est pourtant nécessaire entre les peintures de genre

proprement dites et les scènes humoristiques à double entente.

Devant les tableaux de Samuel van Iloogstraaten, de Gérard Dow, de

Frans Van Mieris le Vieux, et devant plusieurs autres de Jan Steen, on

peut soutenir avec vraisemblance que l'on est en présence du mal d'amour

médicalement décrit par Varandal et Sauvages. C'est la « fièvre blanche,

amoureuse, des jeunes filles » qui ressortit à la pathologie virginale ; mal

bien réel, du corps et de l'esprit. Nous avons vu qu'il était cousin germain

de la chlorose.

D'autres peintures, celles de Brackenburgh et de Schalken en particulier,

semblent inspirées différemment. Satiriques et quelque peu risquées, elles

nous montrent gauloisement les conséquences physiologiques de l'amour.

Ici, il n'est nullement question de la maladie de Varandal ; c'est tout crû-

ment le prologue du mal d'enfant.

Cependant, nous n'avons pas cru devoir les séparer des précédentes.

D'abord, parce qu'entre les unes et les autres il existe de nombreuses ana-

logies dans la composition, dans l'agencement, les altitudes, la mimique

des personnages, et jusque dans les accessoires. En outre, parce que la

distinction entre le mal d'amour, avant ou après la faute, reste forcément

conjecturale. Telle jeune personne, à qui nous avons décerné un brevet de

maladie virginale sur la candeur de son visage et la retenue de ses gestes,

pourrait aussi être victime des premiers avertissements de la maternité.

Et lors môme que l'artiste prend soin, comme Jan Steen, de nous dire qu'il I

a fait le portrait d'une malade d'amour, nous ne savons pas si cet amour-là

est de l'espèce platonique,..... ou de l'autre.

Dans l'esprit des peintres, cette différenciation ne semble pas avoir été

toujours très nette ; d'où la nécessité de ne pas établir entre des oeuvres si-

milaires des distinctions catégoriquement tranchées. Mais ce qui ne saurait

être mis en doute, c'est que, certainement, l'amour joue le premier rôle

dans ces scènes médicales. -.

Le terme général de Mal d'Amour, choisi par les artistes eux-mêmes et

perpétué sur plusieurs tableaux, est donc applicable à cette étude. Le plus

souvent le mal d'amour est celle maladie virginale, qui a droit (le cité dans

la nosographie ; d'autres fois, ce n'est pas autre chose que le prélude de

la gestation.

Mais, dans tous les cas, la pensée et le but du peintre ont été de nous

donner en spectacle les conséquences physiques et morales de l'amour,

tantôt pour nous divertir, tantôt pour nous apitoyer.

. (A suivre.)

Le gérant : P. Bouchez.

Imp. J. Thevenot, Saint-Dizier (Haute-Marne).

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

HOSPICE DE LA SALPÊT1UÈRE

NOTE SUR DEUX TICS DU PIED

PAR

F. RAYMOND.

Professeur de la Clinique des Maladies

du Système Nerveux.

ET

PIERRE JANET.

Directeur du Laboratoire de Psychologie

de la Clinique.

Nous avons déjà, à plusieurs reprises, insisté sur la fréquence des tics

par automatisme psychologique et nous avons cherché à montrer que de

tels tics pouvaient affecter toutes les régions du corps et prendre les formes

les plus diverses. « Le torticolis spasmodique, disions-nous (1), est bien

connu et il est en général rattaché à sa véritable origine : c'est une mau-

vaise habitude développée chez des individus de volonté insuffisante à la

suite de quelque petite impression ou de quelque émotion, habitude qui a

donné de l'importance à un petit système d'images motrices ou, en d'autres

termes qui a excité un centre fonctionnel. Mais nous voudrions faire ob-

server que ces remarques ne s'appliquent pas seulement à ce torticolis; il

y a une foule de grimaces, de spasmes, de troubles du mouvement d'ap-

parence plus ou moins compliquée, siégeant sur tous les membres et qui

se rattachent plus ou moins directement à la même interprétation. » Les

deux malades que nous voudrions rapprocher aujourd'hui de ceux de la

catégorie précédente justifient de nouveau ces remarques ; ils nous pré-

sentent, tous les deux, un spasme ou plutôt un tic qui semble bien être

d'origine psychique et qui siège sur un organe assez rarement atteint par

des affections de ce genre, sur le pied.

*

OBs. 1. - Cette dame Db..., âgée de 37 ans, vient se plaindre de ne

plus pouvoir marcher à cause d'une maladie de son pied gauche. En

effet, ce pied, comme le montre la figure (Pl. LIX, A), se porte légère-

(1) Névroses et idées fixes, II, 381.

XII 24 il

354 ' F. RAYMOND ET PIERRE JANET

ment en dedans dans l'attitude du varus ; en même temps le gros orteil se

relève dans l'extension forcée, tandis que les trois orteils médians et sur-

tout le petit doigt s'écartent fortement l'un de l'autre en se dirigeant vers

le côté externe. Cette attitude permanente provoque, pendant la marche,

d'horribles souffrances depuis plusieurs années, car l'affection a débuté

insidieusement, il y a sept ans, et s'est beaucoup aggravée depuis quatre

ans. La malade, qui se désespère, a pris la résolution de suivre les conseils

d'un chirurgien et de se faire couper les doigts du pied gauche. Elle espère

pouvoir marcher beaucoup mieux après cette mutilation. Et c'est en quel-

que sorte par acquit de conscience qu'elle vient nous demander notre avis

avant de se faire opérer.

Au premier abord, cette attitude permanente, que nous observons pen-

dant que la malade est debout, le pied posé à terre, éveille l'idée d'une

contracture, d'autant mieux que nous rencontrons une vive résistance

quand nous essayons de ramener les doigts à la position normale. Il est

vrai que ce serait une contracture bien bizarre, analogue à certaines con-

tractures systématiques, que l'on observe chez les hystériques et qui peu-

vent conserver indéfiniment des attitudes singulières.

Mais il est inutile d'insister sur ce point, car on remarque très vite

qu'il ne s'agit pas d'une contracture. Quand la malade est couchée bien

tranquille, qu'elle ne songe plus à marcher, tout disparaît, le pied rede-

vient souple. Même quand la malade est debout et quand le pied porte à

terre on le sent revenir à l'attitude normale, si la malade n'essaie plus de

marcher et si elle est fortement distraite par des interrogations sur un au-

tre sujet. Il es), vrai que cette position normale ne dure ainsi que peu de

temps : Db... ne tarde pas à se préoccuper de nouveau de son pied, le

i'ègarde, et immédiatement, le pied dévie en dedans, le pouce se relève et

les doigts s'écartent. En un mot, il s'agit d'une attitude qui n'est aucu-

nement permanente, mais qui se reproduit par un mouvement complexe

et brusque dès que la malade essaie de marcher ou mieux dès qu'elle

pense à son pied. Db... remarque elle-même que la nuit tout va mieux ;

pendant une petite maladie, elle est restée couchée sans pouvoir se lever

et ce jour-là son pied était guéri. Au contraire, l'humidité, lèvent, qui

la préoccupent pour son pied, augmentent le spasme et les souffrances.

Ajoutons que l'on ne constate, ni au pied, ni sur la jambe, aucun trou-

ble de la sensibilité tactile ou de la sensibilité musculaire. Le diagnostic

de contracture hystérique doit donc être écarté ; c'est bien plutôt ce qu'on

appelle un tic. analogue, dans ses caractères, au torticolis spasmodique.

. Dans quelles conditions ce tic bizarre s'est-il développé ? L'origine en

est amusante et confirme notre diagnostic. Cette brave dame, d'une fa-

mille assez normale, était assez bien portante, quoique nerveuse et colère.

NOUV. ! CO'<OGRAPH ! E DE LA SALPÊTRIÈITE.

T. XII. Pl. LIX

TICS DU PIED

F. Ravinm.uL-ii2. Tr1 ? L"

NOTE SUR DEUX TICS DU PIED 355

Elle eut, dès le début de son mariage, des accidents syphilitiques, il y,a

17 ans. Une dizaine d'années plus tard, c'est-à-dire il y a 7 ans, elle pré-

senta des troubles oculaires que le médecin, probablement avec raison,

rattacha à la syphilis antérieure. Il lui prescrivit des frictions mercuriel-

les qu'elle devait faire suivant la méthode dite d'lix-la-Clapelle, d'abord

sur les jambes, puis sur les cuisses, puis sur le ventre, etc. A ce moment

la pauvre dame souffrait également d'un cor au petit doigt du pied gau-

che ; elle se dit, avec une logique que nous ne pouvons pas blâmer, que

la pommade mercurielle étant bonne pour son mollet devait être égale-

mont bonne pour son cor au pied et elle appliqua la dite pommade sur le

petit doigt. Le malheur voulut qu'en coupant ce cor douloureux, elle le

fît saigner un peu. Elle fut aussitôt saisie d'une grande frayeur. Ne lui

avait-on pas dit que cette pommade était dangereuse ? qu'arriverait-il, si

par hasard un petit globule de mercure avait pénétré dans le petit doigt ?

Elle sentait déjà les contorsions déterminées par cet aspect mystérieux. Dès

le lendemain elle avait des crampes dans le pied ; à force de s'observer, de

s'interroger sur l'état du pied malade, elle l'a vu peu à peu se déformer

jusqu'à rendre la marche impossible.

Peu intelligente, elle a été émotionnée par cette histoire de l'onguent

mercuriel et a conservé, sans réagir, cette préoccupation et cette crainte.

Il semble bien vraisemblable de rattacher, à celte préoccupation, les spas-

mes et les attitudes du pied qui, peu à peu, ont donné naissance à une

habitude pathologique. D'ailleurs, le succès facile du traitement va con-

firmer cette interprétation.

..

Oiis. II. Rapprochons de cette première malade un jeune homme de

20 ans, Te..., qui présente également au pied un accident très comparable

au précédent. Ce jeune homme marche également avec peine, car il res-

sent au bout de quelques minutes de marche une grande souffrance dans

la jambe droite. Il est obligé de s'arrêter une dizaine de minutes. Il re-

part ; mais, au bout de quelques minutes, la même grande douleur le

force de s'arrêter. Cette description éveille l'idée d'une claudication in-

termittente douloureuse par oblitération artérielle ; mais l'examen de la

jambe malade nous amène à une autre supposition.

Cette jambe qui garde, même dans les grandes douleurs, la même co-

loration que la jambe saine, dont la température ne se modifie pas, dont les

artères semblent normales est, en réalité, raidie par des spasmes qui siè-

gent non seulement au mollet, mais encore à la cuisse. Après 10 minutes

de marche, la jambe est entièrement raide et l'on croit observer une con-

tracture hystérique. Cette raideur disparaît complètement quand le ma-

lade est couché ou quand, étant debout, il ne pense ni à la marche ni à sa

356 F. RAYMOND ET PIERRE JANET

jambe. Dès qu'il regarde sa jambe droite ou dès qu'il essaie de marcher

tous les orteils du pied droit se fléchissent fortement, se recroquevillent

vers la plante du pied et cette flexion forcée des orteils persiste tant que

Te... essaie de marcher (PI. LIX,BetC). C'est cette flexion forcée, au début

peu gênante, qui devient au bout de peu de minutes insupportable et qui

amène, à sa suite, la raideur de toute la jambe. Le malade sent très bien

que la flexion des orteils se fait, dès le premier pas, qu'elle persiste et que

c'est la douleur consécutive qui amène la raideur générale.

Ce n'est donc pas une claudication intermittente, c'est un spasme des

orteils. Cette jambe ne présente aucun autre trouble du mouvement ; si le

malade est étendu, la force du membre est conservée, les mouvements des

orteils sont libres, les réflexes sont normaux. La sensibilité tactile et

musculaire est intacte. Tout au plus peut-on observer que le malade sent

quelquefois une impression de froid il ce pied quand il est resté longtemps

dans une attitude de raideur. Enfin il est facile de constater que, sous di-

verses influences morales, ce spasme peut disparaître. Si on dirige le ma-

lade et si on lui commande avec fermeté chaque mouvement des jambes, il

peut exécuter des pas gymnastiques sans spasmes ; quand il monte sur

une bicyclette le spasme ne se produit pas. Enfin, au grand étonnement

du malade, nous lui faisons constater que, s'il marche pieds nus en cher-

chant à bien sentir le sol avec la plante des pieds, il peut poser le pied à

plat indéfiniment. Ce sont bien comme dans le cas précédent, les carac-

tères d'un tic qui cesse momentanément sous l'influence d'un effort d'at-

tention et de volonté.

L'éliologie est moins nette que pour Db... Ce que le malade peut nous

raconter, c'est qu'il a toujours eu des tics. En particulier, on a, sans suc

cès, d'ailleurs, usé de tous les procédés connus pour l'empêcher de se man-

ger les ongles : les gants, la poix, les amers n'ont eu aucun résultat pendant

des années. Cette habitude de se ronger les ongles a disparu complètement

au moment où s'est développé le trouble de la marche, il y a à peu près s

trois ans. Ce trouble aurait commencé, comme dit le malade, parce qu'il

a beaucoup souffert en mettant un soulier trop court et trop étroit. Cette

explication est vraisemblable : nous voyons comment l'attention a été at-

tirée vers le pied, et comment cette habitude a supprimé l'autre tic, qui

existait depuis l'enfance.

Le traitement a été à peu près le même chez les deux malades. Nous

avons essayé de leur faire bien comprendre la nature de leur infirmité. Il

n'a pas été facile d'enlever à Dh... ses craintes sur l'action terrible du mer-

cure et de la faire renoncer à l'opération. Quand les malades ont compris

qu'il s'agissait d'une mauvaise habitude et d'un trouble de leur propre vo-

NOTE SUR DEUX TICS DU PIED 357

lonté, nous les avons soumis à une gymnastique portant, non pas précisé-

ment sur le mouvement de la jambe, mais sur l'attention à ce mouvement.

Ils devaient chercher à sentir exactement le sol sur lequel leurs pieds ap-

puyaient, à le presser volontairement avec les orteils, à apprécier tous les

détails du mouvement. Ce traitement, que proposait déjà l'un de nous

en 1889 dans ses études sur l'autorisation psychologique et qui depuis a

été souvent décrit, dérive en somme toujours du traitement des paralysies

hystériques par le mouvement attentif tel que le recommandait Charcot.

Nous n'insistons que sur quelques détails particuliers. La malade Db...

guérit très vite, en quelques semaines, et d'une manière tout à fait com-

plète. La suggestion avait sur elle une grande influence et l'éducation se

faisait facilement.

Malheureusement, la guérison de sa jambe, était à peine obtenue que Db...

eut à souffrir d'un autre accident. A la suite d'une querelle violente avec

sa concierge, elle conserva des sortes de crises bizarres. Presque tous les

jours, elle sentait une angoisse, un sentiment violent de colère et des im-

pulsions à frapper et à mordre. Cet accident rentre dans les délires émo-

tifs systématiques dont nous avons déjà parlé (1). Il constitue encore une

forme très spéciale de l'idée fixe : le système de phénomènes psycholo-

giques et physiologiques qui se développe d'une manière exagérée est

surtout d'ordre émotif. Nous n'avons pas à insister sur ce nouvel accident

qui est en dehors de notre étude actuelle. Il montre seulement la nature

du tic précédent qui semble bien avoir été un phénomène du même genre,

chez une personne très suggestible.

Le jeune homme Te... fut beaucoup plus difficile à guérir. Il arrivait à

marcher correctement s'il était chaussé de pantouffles à semelles fort min-

ces, et s'il faisait une attention continuelle aux mouvements de son pied

droit, mais le tic recommençait dès qu'il se relâchait de ses efforts. Nous

avons dû l'aider par un petit traitement au moyen de l'électricité statique.

Il est bien probable que l'électricité a eu surtout, dans ce cas, une in-

fluence suggestive. Le traitement complet a bien duré, chez lui, un peu

plus de trois mois et il faut malheureusement constater que chez lui des

rechutes sont fort à craindre.

Ces deux tics des pieds, par leur évolution et par leur traitement, con-

firment donc toutes les études qui nous montrent aujourd'hui le méca-

nisme psycho-physiologique de ces accidents.

(1) Névroses et idées fixes, 11,-ch, IV, p. 5.

FACULTÉ DE MÉDECINE DE NANCY

CLINIQUE DE 111. LE PROFESSEUR .S7/7\W.

SUR LES ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES

D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE

PAR .

G. ETIENNE

Professeur agrégé à la Faculté de Médecine de l'Université de Nancy.

On eut tendance, il y a quelques années, à détruire le groupe des atro-

phies musculaires progressives d'origine myélopathique, à le dissocier pour

en rattacher les cas à la syringomyélie, à la polynévrite, etc. Certains au-

teurs ont même tenté de le rayer du cadre nosologique. Depuis lors, cepen-

dant, les travaux de J.-B. Charcot, Raymond, Crocq sont venus lui rendre

son individualité.

Je rapporte six cas d'atrophie musculaire progressive d'origine myélo-

pathique, bien caractérisés; l'intérêt de cette série réside surtout dans

leur rapprochement, chacun d'eux s'écartant du schéma classique par quel-

ques points plus ou moins importants ; et cependant leur comparaison met

en évidence le véritable air de famille que tous présentent.

D'une façon générale, l'atrophie musculaire progressive myélopathique,

poliomyélite antérieure chronique, maladie- de Duchenne-Aran, est carac-

térisée cliniquement par :

1) Son début habituel par l'extrémité des membres supérieurs, leplus

souvent par les petits muscles de la main droite ;

2) L'existence des contractions fibrillaires ;

3) L'existence de la réaction de dégénérescence;

4) L'absence d'hérédité ; -,

5) Le début au delà de l'adolescence; .

6) L'évolution chronique, en 4 ou 5 ans en moyenne.

Les anomalies que nous avons observées portent sur :

1) La rapidité de l'évolution ;

2) La précocité du début.

3) Les modes de début ;

4) L'adjonction d'accidents rares, les arthropathies ;

5) La présence d'hérédité.

Nouv. Iconographie DE la SALPÈTRIÉRK.

T. XII. l'l. LiI

ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE MYÉLOPATHIQUE

(G. Etienne).

MASSON & C'e, Editeurs.

Nouv. Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XII. Pl. LXII

ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE MYELOPATHIQUE

(G. Élieuu).

MASSON & cle, Editeurs.

ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 359

1. Rapidité DE L'ÉVOLUTION.

Très habituellement, la malade d'Aran-Duchenne évolue dans un laps de

- temps de 3 à 6 ans. Dans le cas suivant, d'ailleurs très classique, elle aboutit

à la mort 18 mois après le début des premières manifestations.

Observation I. '

A trophie musculaire progressive , d'origine myélopathique, type Aran-Duchenze;

début classique par les petits muscles de la main, surmenés'; évolution rapide

en 18 mois ; troubles bulbaires ; mort par bronchopneumonie intercurrente.

Dur... Hub..., ouvrier maçon, 61 ans (Pl. LXII, fig. F et G).

Antécédents héréditaires. Père mort à 61 ans, cause inconnue; mère morte

à 71 ans ; a eu 2 frères et 1 soeur.

Les deux frères sont morts l'un à 64 ans, l'autre à 66 ans sans cause connue.

La soeur est bien portante. , ,

Antécédents personnels. Marié ; a un enfant âgé de 37 ans. 11 a perdu

deux autres enfants morts l'un au bout d'une 1/2 heure, l'autre à 14 ans.

Le fils de 37 ans, marié, a perdu sa femme, morte tuberculeuse à l'hôpital

de Nancy. Remarié.

Dur... n'a jamais été malade antérieurement ; il a reçu un éclat d'obus au

niveau de l'épaule droite. ,

. Se plaint de crampes dans les mollets. v

Comme maçon, il monte des moellons l'échelle. Depuis 2 mois,le malade s'est

aperçu d'une certaine faiblesse dans la main et surtout au pouce. Depuis 8 jours

ne peut même plus saisir une allumette pour allumer sa pipe ; en même temps

le malade accuse des fourmillements dans la main droite. ,

État actuel. Malade bien conformé, très robuste; 2 hernies inguinales,

varices aux 2 jambes. '

La main droite présente les doigts écartés l'un de l'autre, en demi-flexion sur

la main, les phalanges en demi-flexions les unes sur les autres (PI. LXIf, G).

Atrophie notable de l'éminence thénar qui est aplatie; le premier adducteur est

très aplati, presque disparu et très mou; disparition presque totale des inter-

osseux qui sont remplacés par une véritable gouttière circonscrite par les ten-

dons extenseurs. ' ' . '

Le malade ne peut absolument pas étendre les doigts, ne peut pas les fléchir

au delà de la demi-flexion, ne peut imprimer au pouce, qu'un mouvement d'ab-

duction de quelques centimètres. L'adduction ne se fait que lentement, jusqu'à

l'index ; dans le mouvement d'opposition le pouce ne peut aller que jusqu'au

niveau de l'index.

Impossibilité de l'adduction et de l'abduction des doigts. La flexion du poignet

sur l'avant-bras se fait assez bien, l'extension sur l'avant-bras est très limitée et

ne peut pas dépasser l'horizontale de l'avant-bras.

La flexion de l'avant-bras sur le bras est également limitée, et se fait par

360 G. RETIENNE

contorsion. Les mouvements de pronation se font relativement bien. Les mou-

vements de supination ne se font qu'à moitié.

Le malade arrive encore il mettre la main derrière sa tête, mais en l'amenant

d'abord sur le front, et en la faisant glisser sur la tête. Tous ces mouvements

sont douloureux.

Les mouvements d'élévation par le deltoïde ne se font pas.

Mensurations.................. - D G

Circonférence au poignet.............. lao 161/2

. - moitié de ['avant-bras......... 19 191/2

- partie supérieure de t'avant-bras .... ` ? ') 23

- - moyenne du bras........ 23 231/2

- - supérieure du bras....... su 2S1/2

Les muscles du bras et de l'avant-bras droits sont flasques, surtout l'avant-

bras ; la force est presque nulle. Le malade s'assied et se recouche facilement.

Les mouvements des bras et des jambes se font bien.

Le malade marche bien.

Les omoplates ne sont pas saillantes.

Tremblements fibrillaires spontanés au niveau des muscles de l'épaule, des

deux cuisses et du membre supérieur gauche, et provoqués très énergiquement

par la percussion.

Le malade ne peut pas ramasser une épingle dans le lit, mais peut saisir une

bouteille en la serrant contre l'éminence hypothénar.

Résistance aux mouvements passifs relativement conservée à droite.

Sensation spontanée de fourmillements dans toute l'étendue des membres

supérieurs.

Sensibilité conservée au tact, à la douleur, à la chaleur.

Les pupilles réagissent à l'acommodation, mais médiocrement ; pas de diplo-

pie, pas de nystagmus.

Les mouvements de l'oeil se font bien ; occlusion complète. La parole est

très nette. Le malade siffle bien. Pas de mouvements fibrillaires de la langue.

Rien de particulier à noter dans les autres appareils.

27 septembre. - L'état du malade reste stationnaire ; il est électrisé tous les

deux jours.

15 décembre. Aucun symptôme nouveau n'est survenu.

L'atrophie n'a ni rétrocédé ni augmenté ; le volume des membres supérieurs

est resté ce qu'il était à l'entrée du malade. La force musculaire presque nulle

n'a pas varié.

Le malade sort.

Le malade rentre le 8 novembre 1895.

L'état est resté stationnaire encore un mois après sa sortie de l'hôpital, le

malade travaillant un peu.

A partir du mois de janvier l'atrophie a gagné les muscles du dos en allant

vers la gauche jusqu'à l'épaule ; le malade ressentait des douleurs lancinantes

continuelles, mais pas de crampes par contractions fibrillaires. En deuxoutrois

mois, l'épaule, le bras et les mains se sont successivement atrophiées. Cet état

atrophies musculaires PROGRESSIVES D'ORIGINE myélopathique 361

a duré jusqu'en septembre, époque à laquelle apparurent des douleurs dans les

reins et dans les genoux, aussitôt que le malade avait fait deux ou trois cents

mètres. Les cuisses se sont aussi amaigries. Les crampes des mollets ont tou-

jours persisté.

Etat actuel. - Malade amaigri.

Le bras et la main gauche présentent exactement les mêmes signes que la

main droite il y a un an. Atrophie des muscles de l'éminence thénar, moins

prononcée à l'éminence hypothénar (PI. LXII, F, G).

Disparition presque complète du premier adducteur. Gouttières interosseu-

ses. Tous les mouvements des doigts sont lents, la flexion presque impossible.

L'extension plus rapide.

Le pouce droit peut se placer vis-a-vis de l'index; à gauche c'est impossible.

La flexion des poignets se fait bien, celle de l'avant-bras sur le bras Pst presque

complète.

Les mouvements de pronation et de supination se font lentement, surtout la

supination à gauche. Le malade peut mettre les deux mains derrière la tête.

Mensurations .................. D G

Circonférence du poignet 16 16

moitié de l'avant-bras 17 19

partie supérieure........... 20 18

partie moyenne du bras........ 19 20

Les muscles du cou, des bras et des avant-bras sont très flasques.

Les omoplates sont saillantes, les muscles sous-épineux semblent surtout

atrophiés.

L'atrophie est à peu près symétrique.

Les apophyses épineuses des premières vertèbres dorsales sont saillantes.

Les muscles intercostaux présentent des contractions fibrillaires.

Les cuisses sont amaigries, contractions fibrillaires en masse et fréquentes.

Partie moyenne D 41 G 41 z

Les genoux ne sont pas douloureux à la pression.

La pression profonde est surtout douloureuse dans le bras gauche et au

cou.

Le malade marche assez bien ; même les yeux fermés, il peut se tenir sur

chaque jambe.

Sensibilité : douleurs lancinantes et fourmillements spontanés; sensibilités

tactile et caloriques conservées.

Les pupilles réagissent la lumière; pas de nystagmus ni de diplopie, pas

do vertiges.

Janvier 1895. L'atrophie musculaire des muscles de la main gauche est

totale, plus accentuée qu'à la main droite.

Main droite. Actuellement le mouvement d'apposition se fait péniblement

il peut cependant arriver jusqu'à l'annulaire ; le mouvement d'écart des doigts

est impossible

La flexion du pouce est très limitée ; la 2° phalange ne se fléchit pas.

362 G. ÉTIENNE

Grille interosseuse.

A gauche, le pouce est complètement écarté de l'index (PI. LXII, G). L'é-

cart entre les deux extrémités est à 9 millimètres ; les 2° et 3e phalanges de

l'annulaire en demi-flexion. Les doigts étant en extension, le malade ne peut

arriver à amener sa 4re phalange au niveau de la ligne palmaire. Tout mou-

vement d'opposition est absolument impossible. La flexion des doigts est limi-

tée ; absolument impossible au niveau du pouce ; la flexion du poignet peut se

faire mais l'extension est douloureuse.

A droite, l'extension et la flexion du pouce sont possibles mais lentes.

Pour mettre sa main droite sur sa tète, le malade avance d'abord le coude

au niveau de la partie antérieure du thorax, met la main sur le front et la

laisse glisser par derrière. Du côté gauche le mouvement est encore plus diffi-

cile ; il fléchit le coude, amène l'humérus en adduction forcée, met la main

sur le front et la laisse glisser en arrière.

Le malade peut descendre seul de son lit, mais en se tordant, en s'arcbou-

tant ; avec ses mains il prend point d'appui sur le lit, puis s'appuie sur le

coude, fait un mouvement d'extension et arrive à s'asseoir.

Le malade marche assez facilement, sans grande modification de la marche

physiologique.

Le mouvement pour amener la main sur le nez se fait par secousses, par

saccades, mais tombe exactement sur le lobule.

Le mouvement se fait mieux à droite.

Le malade étant assis, pour se coucher, se laisse tomber en arrière.

Aux membres inférieurs les mouvements se font bien.

La résistance aux mouvements passifs est conservée aux membres infé-

rieurs.

Aux membres supérieurs la résistance aux mouvements passifs est absolu-

ment nulle.

Circonférence au niveau du poignet droit 16

avant-bras circonférence médiane 16

au niveau du poignet gauche 16

avant-bras circonférence médiane 16.5

partie inférieure du bras droit 19.5

gauche 20

partie moyenne du bras droit.......... 21

gauche 21

Au palper, état absolument mollasse des muscles.

Au bras on ne sent que la peau et le tissu cellulaire sous-cutané.

Le triceps est réduit à un petit faisceau.

Le deltoïde presque complètement détruit (Pl. LXII, F).

Les pectoraux ont disparu.

Espaces intercostaux extrêmement marqués.

Les trapèzes, les sterno-cléido-mastoïdiens ne sont plus que de petites lanières.

Les muscles des lombes sont atropliiés puisque le malade ne peut pas se lever,

mais l'atrophie n'est pas apparente.

atrophies musculaires PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 363

Les muscles de l'omoplate semblent assez conservés. Cependant les fosses

sous-épineuses sont très marquées.

Mouvements fibrillaires et fasciculaires existant partout. Crampes, douleurs à

chaque instant ; ces crampes n'existent plus spontanées comme au moment de

la rentrée du malade. Elles ne se produisent que quand il fait des mouvements.

Pas de modification des muscles de la face. Langue normale. Le malade ne

peut pas siffler et se plaint de ne pas pouvoir serrer au niveau des commissures

labiales. Troubles de déglutition, le malade avale de travers mais moins sou-

vent qu'auparavant et quelquefois les aliments lui sortent par le nez.

La trophicité n'est pas modifiée ; pas J'eschares ; pas de troubles du dévelop-

pement des poils, ni arthropathies.

Les mouvements sont douloureux mais seulement au niveau des muscles

qui entrent enjeu.

Sensibilité conservée au tact, au froid, à la piqûre.

Réflexes normaux. Pas de phénomène du pied.

Vue normale.

Goût, odorat, ouïe normaux.

Pas de phénomènes psychiques anormaux.

Urine facilement, pas d'incontinence vésicale ou anale.

Le 25 au soir, Dur... est pris de points de côté, d'étouffements.

26. Pneumonie du lobe inférieur gauche.

Souffle tubaire intense, mais pas encore de ràles.

29. - Le malade ne tousse plus. Le souffle a complètement disparu. Il n'y a

pas de râles.

La sonorité est également revenue.

30. - Le matin prise de 30 grammes d'huile de ricin. Etant sur le bassin il

a été pris à plusieurs reprises de crises d'étouffement avec état syncopal très

prononcé.

14 janvier. Il continue à avaler de travers de temps en temps ; il a éga-

lement quelques crises d'étouffement sans qu'on trouve rien de nouveau à l'aus-

cultation.

15. - Difficulté pour respirer et tousser en raison de l'atrophie des pecto-

raux ; il sent les crachats obstruant ses bronches, ne peut expectorer.

2 milligrammes de strychnine ; rien aux poumons ; à 6 heures du soir les

symptômes ne font que s'accentuer; il présente à l'auscultation quelques râles,

expectoration impossible.

Dyspnée intense ; mort à 8 heures du soir.

Autopsie. - Poumon D. B. congestion pulmonaire avec bronchite. OEdème

du lobe moyen.

P. G. congestion à la base. OEdème, broncho-pneumonie du lobe inférieur.

Ccvur. Adhérences entre les feuillets du péricarde au niveau de la face

antérieure du ventricule droit (rég. sup.).

Valvules mitrales un peu épaissies, quelques plaques jaunes molles. Végéta-

tions athéromateuses au niveau de l'aorte.

Intestin normal.

Reins. Congestion. Décortication facile.

364 G. ÉTIENNE

Foie un peu augmenté de volume, brillant à la coupe, assez dur.

Rate normale, capsule un peu épaissie.

Examen histologique. - M. le Dr Hoche, chef du laboratoire d'anatomie pa-

thologique, a examiné des fragments de moelle épinière, de nerfs, de muscles.

On constate sur des coupes pratiquées à différents étages de la moelle épi-

nière une atrophie très considérable des cornes antérieures avec disparition

presque complète des cellules nerveuses de ces cornes, atrophie et sclérose des

racines qui en émergent.

Les nerfs moteurs (médian) possèdent une gangue conjonctive très épaisse,

qui enserre des filets nerveux et des fibres à myéline moins abondants que

normalement.

Les muscles atrophiés présentent à côté de fibres saines, des fibres atteintes

de dégénérescence vitreuse, colloïde, et d'autres déjà atrophiées et presque

entièrement résorbées.

L'étude plus complète de ces lésions sera pratiquée et fera l'objet d'une

note ultérieure.

Le malade a succombé à une broncho-pneumonie intercurrente, mais

la-maladie spinale n'en était pas moins arrivée à son terme ultime.

Malgré cette grande rapidité d'évolution, il s'agit bien ici d'une atrophie

musculaire myélopathique. Il ne peut être question d'une paralysie spinale

subaiguë de Duchenne, puisque l'impotence fut toujours fonction de l'atro-

phie musculaire, sans paralysie proprement dite, dominant nettement à

l'extrémité des membres; il ne peut y avoir syringomyélie, la principale

caractéristique clinique manquant ; et d'ailleurs l'autopsie a tranché- la

question.

Du reste, l'évolution, plus rapide qu'à l'ordinaire, resta cependant à

type bien chronique, et une durée de 18 mois au lieu de 3 ans ne crée

pas en pathologie médullaire une objection plus forte qu'en pathologie

pulmonaire par exemple : une tuberculose pulmonaire reste une tubercu-

lose pulmonaire, qu'elle évolue en 18 mois ou en 3 ans.

II. PRÉCOCITÉ DU DÉBUT.

Habituellement l'atrophie myélopathique évolue dans l'âge mûr, entre

40 et 60 ans. Ici, nous la voyons débuter à 24 ans par les muscles fatigués

des. mains. Il est vrai que le sujet avait été, comme celui de l'observa-

tion IV, atteint d'une paralysie infantile, et prédisposé; remarquons ce-

pendant que la paralysie infantile n'avait intéressé que la jambe droite.

Observation IL

Paralysie infantile du membre inférieur droit. - Atrophie musculaire, type

- Aral2-Dacc12e212e.

Pravel... Just..., 25 ans, employé de commerce, entre à la clinique le 22 juin

1891 (PI. LXI, fig. C).

ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 365

A l'âge de 2 ans, il fut atteint d'une paralysie infantile qui laissa comme

déformation une atrophie des masses musculaire du membre inférieur droit,

et une luxation de la hanche en haut, d'où raccourcissement considérable.

En mars 1889, il partit pour l'Amérique ; à Buenos-Ayres, il contracta la

fièvre typhoïde. Il revint en France en 1890, et pendant la traversée il fut at-

teint d'une crise d'ictère qui dura 3 semaines.

Pas d'alcoolisme, pas de syphilis.

En juin 1890, le malade ressentit des picotements dans le .nains, de l'en-

gourdissement, rendant les mouvements difficiles. A partir d ce moment com-

mença l'atrophie musculaire, lentement progressive ; dès lors, il ne ressentit

plus les fourmillements.

Etat actuel. Les mains au repos prennent une position spéciale : la

1 re phalange est en extension forcée, les deux autres sont un peu fléchies.

L'extension des premières phalanges sur le métacarpe est difficile des deux

côtés ; flexion et extension des phalanges se font à gauche, mais pas à droite.

L'abduction et l'adduction du pouce sont possibles à gauche, impossible

à droite ; l'opposition du pouce aux autres doigts ne peut se faire d'aucun

côté. ,

L'éminence thénar, à droite et à gauche, non seulement ne forme plus de

relief, mais est représentée par un méplat; la peau, trop large à son niveau,

fait des plis à la surface ; les muscles sont mous à la pression.

Aux éminences hypothénar, l'atrophie musculaire a aussi déterminé les

méplats.

Les interosseux ont presque totalement disparu de même par les lombri-

caux.

Ces atrophies et les déformations qui en résultent, donnent aux mains la

forme de griffes (PI. LXI, C).

Aux avant-bras, les muscles sont moins atrophiés ; conservés en grande

partie dans les deux tiers supérieurs, ils disparaissent brusquement dans la

région prétendineuse, d'où la forme d'avant-bras en fuseaux.

Les bras ne paraissent pas atrophiés.

Pas d'atrophie musculaire dans les autres régions.

Les autres appareils sont normaux. '

Le malade quitte le service en août 1891.

Signalons encore dans ce cas la coïncidence de l'atrophie musculaire

progressive avec la paralysie infantile ; nous insisterons.sur ce point au

sujet de l'observation IV.

III. - Modes DE début.

Dans la très grande majorité des cas, l'atrophie musculaire débute par

les petits muscles de la main, surtout delà main droite, par les muscles de

l'éminence thénar et tout d'abord par le court abducteur du pouce. C'est

366 G. ÉTIENNE

ce que nous voyons manifestement se produire dans les observations I,

II, V, VI.

Il n'en est cependant pas toujours ainsi.

Dans l'observation suivante, nous voyons l'atrophie débuter par le del-

toïde et les muscles péri-scapulaires : c'est la caractéristique du typescapuio-

huméral décrit par Vulpian.

Observation III.

Atrophie musculaire progressive, d'origine myélopathique ; début scapulo - hmnéral

(type Vulpian) par les muscles surmenés. Troubles bulbaires ; mort.

Poull..., 65 ans, manoeuvre (Pl. LXI, fig. D).

Personne dans sa famille n'a eu de maladie nerveuse ni d'atrophie muscu-

laire.

. Père mort il 80 ans.

Mère morte à 45 ans.

A encore une soeur de 58 ans bien portante ; 3 soeurs mortes jeunes.

Marié, n'a pas eu d'enfants. N'a pas eu de convulsions dans son enfance ; a

eu la petite vérole vers 10-12 ans, le choléra à 10 ans et une fracture de cuisse.

N'aurait eu ni scarlatine, ni rougeole, ni fièvre typhoïde; n'a jamais eu la

syphilis.

Pas d'antécédents alcooliques. ,

Son atrophie musculaire ne remonterait qu'à 3 ans. Il y a 7 ans, il portait

encore des sacs de 100 kilogrammes et était très musclé ; il pouvait se livrer à

de forts travaux.

Il y a 3-4 ans il aurait remarqué de la faiblesse et de la gêne dans les épau-

les ; l'amaigrissement aurait commencé des deux côtés parles masses mus-

culaires scapulo-humérales. La partie antérieure de l'avant-bras se serait amai-

grie avant la face postérieure et avant le bras.

Depuis deux ans il aurait remarqué la rétraction des tendons de la main.

L'état reste stationnaire depuis 18 mois dans les membres supérieurs.

L'atrophie du thorax aurait accompagné celle des bras dont la partie supé-

rieure aurait été prise la première.

Il y a un an, il aurait remarqué que ses mollets maigrissaient. Les cuisses

ont commencé à maigrir peu près en même temps. Il peut encore bien

marcher et peut faire 25-30 kilomètres.

Depuis 18 mois crampes dans les mollets.

Depuis qu'il ne peut faire de métier fatiguant, il remplace des garçons dans

les fermes.

Etat actuel. - Rien dans les organes des sens.

Pas de paralysie des muscles de la face ni de l'oeil, ni du palais.

Muscles du cou. - Sterno-mastoïdiens diminués, surtout l'insertion clavicu-

laire apparaissant sous forme de minces cordelettes (Pl. LXII, D).

Trapèze à peine perceptible il son insertion occipitale.

Muscles scapulaires. - Les creux du sus-claviculaire absolument déprimés.

ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 367

Le grand pectoral n'est plus qu'une lame surtout à son insertion thoraci-

que.

Les grands dorsaux sont atrophiés à droite. Muscles sus et sous-épineux

atrophiés à droite, plus qu'à gauche ; les fosses ,sus et sous-épineuses sont dé-

primées.

Les deltoïdes sont absolument disparus. Tête de l'humérus saillante.

Membres supérieurs . - Biceps réduit à l'état d'une corde, le droit étant plus

atrophié que le gauche. Il semble qu'il existe un peu de rétraction du biceps

droit ; les muscles de la région postérieure du bras sont très diminués surtout

à droite. ,

A la face postérieure de l'avant-bras, muscles disparus, os saillant. L'espace

interosseux forme un méplat à la partie postérieure.

Les muscles de la partie antérieure de l'avant-bras sont en partie conservés

surtout dans le 1/3 supérieur.

La main : Le malade laisse le poignet en demi-flexion; la main a l'aspect

d'une main de singe. Atrophie des muscles du thénar et de l'hypothénar ; gril

interosseux apparent. Métacarpiens apparents au dos de la main. L'index et le

pouce peuvent être portés en extension complète mais les 3 autres doigts sont

en demi-flexion constante sur la paume de la main : la première phalange est

fléchie, la 2e fléchie sur la 4r, et la 39 en extension (Pl. LXII, D).

La paume de la main forme une concavité hémisphérique séparée en 2 par la

saillie du tendon rétracté. Toutes ces dispositions sont plus marquées à droite

qu'à gauche.

Mouvements des membres supérieurs. - Le malade ne peut élever le bras en

abduction et horizontalement. L'adduction des deux bras se fait encore bien, en

avant commme en arrière.

Il fléchit difficilement l'avant-bras droit sur le bras droit. Pendant les flexions

le biceps reste mou. Au bout d'un certain nombre de flexions, le malade se fati-

gue et est pris de crampes.

Du côté gauche la contraction se fait mieux et on peut sentir le durcissement

du biceps pendant la contraction.

A gauche la supination de l'avant-bras se fait incomplètement et difficilement.

La supination de l'avant-bras est impossible à droite et quand il l'essaie, la

- crampe le prend dans les muscles antérieurs de l'avant-bras.

Extension du poignet impossible à droite ; à gauche se faisant jusqu'à l'hori-

zontale.

La pression des deux mains est absolument rudimentaire.

L'adduction du pouce des 2 côtés est impossible. L'abduction également.

Muscles du tronc : les grands dentelés sont très atrophiés, surtout à droite où

l'omoplate s'écarte du tronc. Les apophyses épineuses sont saillantes, espaces

intercostaux saillants. Thorax aplati à sa partie inférieure.

Les muscles de l'abdomen se contractent bien.

Membres inférieurs : les saillies musculaires existent comme normalement

chez les personnes maigres. Léger méplat à la face interne des muscles de la

cuisse. Le malade plie facilement la cuisse.

368 G. ÉTIENNE

Mensuration 1/3 supérieure de l'avant-bras droit.... 18 ' `

gauche... 19

partie moyenne du bras droit 18

- gauche. ..... 20

partie moyenne de la cuisse droite .... 40

gauche.... 39

du mollet droit ..... 29

- gauche .... 29

Le malade étant couché au repos, on constate clans tous les muscles, surtout

dans ceux de la cuisse et du tronc, une série d'ondulations et de frémissements

musculaires. La contraction idio-musculaire se manifeste nettement dans le

grand pectoral.

Abolition du réflexe rotulien ; pas de fourmillement, pas de sensations sub-

jectives anormales.

Après électrisation avec courants continus pendant 1 mois, le malade dit se

trouver beaucoup plus fort.

Quitte l'hôpital le 2 mai 1890.

Rentré le 8 mai 1891.

Le malade est resté à l'hôpital depuis ce moment, les symptômes se sont

progressivement accentués.

16 décembre.

État actuel. - Intelligence nette, pas de troubles de la mémoire. L'acuité

visuelle semble un peu diminuée, pupilles égales, réagissant bien. Pas de

troubles auditifs, Déglutition difficile. Quand le malade avale soit des aliments

solides, soit des aliments liquides, ou sa- salive, ils reviennent parfois par le

nez. La parole est un peu nasonnée, un peu confuse ; il arriva cependant à

articuler toutes les consonnes quoique les b, p, m, n, soient moins nettes ; la

langue ne paraît pas parésiée. Quelques difficultés pour souffler et pour siffler.

Système musculaire. - L'insertion occipitale du trapèze est en partie dis-

parue ; atrophie marquée des muscles des fosses sus-épineuses particulièrement t

à droite ; ces deux fosses sont creusées en bateau ; atrophie musculaire marquée

dans les fosses sous-épineuses ; méplats surtout appréciables à droite; les

muscles sont réduits à l'état de languettes aplaties laissant voir la saillie de l'os ;

atrophie presque complète du grand dorsal ; à ce niveau on soulève la peau

qui semble reposer directement sur le système osseux; atrophie des muscles

lombaires, mais moins marquée.

Les sterno-cléido-mastoïdiens et les scalènes sont réduits à l'état d'un petit

ruban aplati du 1/3 du volume primitif (PI. LXII, D.). Clavicules très sail-

lantes ; le grand pectoral des deux côtés n'est plus constitué que par quelques

fibres musculaires à peine perceptibles sous la peau. Relief très considérable

de la tête de l'humérus faisant saillie ; deltoïde très réduit de volume ; ces mus-

- des semblent surtout atrophiés quand le sujet est vu de dos ; on croirait le bras

constitué exclusivement par l'humérus directement attaché à l'omoplate.

Atrophie générale des muscles du bras et de l'avant-bras ; à la partie moyenne

du bras gauche; diamètre 20 1/2, à droite 19. A l'avant-bras gauche, 16, 5 ; à

ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 369

droite 16, 5 ; biceps réduit à l'état d'un petit cordon de 1 cm. 1/2 d'épaisseur ;

atrophie en masse du triceps; la peau est trop ample.

Atrophie musculaire également marquée de tous les muscles de l'avant-bras ; -

qui a la forme d'une planchette de 6 centimètres de largeur sur 2 d'épaisseur ;

cet état parait encore plus marqué du côté droit.

A l'état de repos le poignet est fléchi ; le métacarpe est fléchi sur le carpe ;

phalanges et phalangines fléchies, excepté au pouce qui est en extension. Dis-

parition du relief de l'éminence thénar et de l'hypothénar, remplacés par des

méplats ; atrophie très marquée des interosseux; creux entre les métacarpiens

égal des deux côtés.

L'atrophie, moins considérable aux membres inférieurs, contraste avec celle

des membres supérieurs.

Circonférence partie moyenne cuisse droite 39.5

gauche 40

mollet droit 30

- gauche...... 29

Motilité. - Mouvements de la tête conservés.

Le malade ne peut s'asseoir sur son lit tout seul sans aide. La motilité des

membres inférieurs semble intacte.

Impossibilité d'élever le bras à l'horizontale, abduction très limitée à un an-

gle de 40° tout au plus des deux côtés.

Flexion de l'avant-bras sur le bras complète à gauche, moins à droite.

Les avant-bras, étant en pronation, ne peuvent être amenés en demi-supi-

nation.

Très légère abduction du pouce.

Impossibilité de l'extension du poignet fléchi ; de l'extension des doigts sauf

l'index de la main droite ; dans la paume des mains on sent, surtout à droite, la

saillie des tendons des fléchisseurs contracturés.

Sensibilité intacte ; pas de sensation subjective ; se plaint de respirer diffici-

lement.

Le m1-ide se plaint parfois de contractions fibrillaires, que l'on ne constate

pas actuellement.

Face : atrophie musculaire.

. Abolition des réflexes.

Le malade quitte le service à la fin de novembre 1891 ; et nous apprenons sa

mort survenue quelques jours plus tard, par suffocation d'origine bulbaire.

Si, de ce mode de début, nous rapprochons la profession de garçon meu-

nier et les occupations habituelles du malade, nous voyons qu'il employait

toute sa journée à porter sur les épaules des sacs de 100 kilos ; ce surme-

nage musculaire évident est la cause déterminante de la localisation mor-

bide, comme l'a bien montré le professeur Raymond dans les cas réunis par

lui. C'est ainsi que l'atrophie a commencé par le deltoïde chez un ouvrier

rubanier élevant ou abaissant continuellement les bras (Raymond) ; chez un

xii 25

370 G. ÉTIENNE

ouvrier occupé à pomper l'eau dans la cale des navires (Schauvagt) ; par

les mollets chez un maître de ballet (IIall11110nd); par les muscles de la

jambe chez un maçon qui, pendant son travail, faisait supporter tout le

poids du corps sur cette jambe (Hammond). Parmi les malades présentant

le mode habituel de début, nous retrouverons ce même facteur très net

chez notre ouvrier formier poussant son rabot avec la paume de la main

(obs. VI) ; chez notre maçon élevant les moellons en leur donnant appui éga-

lement sur les paumes des mains (obs. I) ; chez le malade qui est l'objet de

l'observation V, cocher qui s'occupait à frotter ses harnais ; chez notre em-

ployé de bureau (obs. II). Bien plus, c'est par la main gauche qu'a dé-

buté l'affection dans certaines professions surmenant plus spécialement

cette main : chez un maroquinier (Voisin) ; chez un joueur de contre-

basse (Schappel), chez un dragon s'étant beaucoup fatigué la main gauche

en maintenant les brides de son cheval .

C'est encore la fatigue musculaire qui intervient dans l'observation sui-

vante : un fossoyeur voit débuter l'atrophie musculaire par les muscles

extenseurs de l'avant-bras droit ; or ce sont les muscles qui travaillent

surtout lorsque cet ouvrier, du fond de la fosse, rejette par dessus bord la

terre enlevée du fond.

Observation IV.

Atrophie musculaire progressive d'origine myélopathique. - Paralysie infantile

dans les premières années de la vie ; début par la jambe paralysée et par les

muscles surmenés des avant-bras.

Mas..., 44 ans, fossoyeur, salle 10, n° 4, entré le 7 juillet 1888 (PI. LXI,

fig. E).

Antécédents héréditaires. Mère morte à 57 ans après une maladie qui

aurait duré 7 ans ; elle était sans force dans les membres et serait morte dans

un grand état d'amaigrissement.

Père mort à 66 ans, de pneumonie; dans les ascendants collatéraux, pas de

maladies nerveuses connues.

A l'âge de 14 ans, demeurant dans le voisinage des étangs de Sarrebourg,

aurait eu pendant un an des fièvres intermittentes avec accès revenant tous

les deux jours.

A 21 ans il eut une pneumonie.

Il fut reformé pour pied plat gauche datant de l'enfance.

Le malade a remarqué que la jambe gauche a toujours été plus maigre que

la droite.

Pas de syphilis, pas d'alcoolisme ;

Cinq enfants bien portants, bien conformés.

En janvier 1888 il remarqua que ses membres inférieurs fléchissaient pen-

dant la marche ; environ trois semaines après il ressentit une sorte de gêne dans

les deux épaules.

ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 371

Depuis quatre mois, le malade a constaté l'amaigrissement des membres

inférieurs, et des membres supérieurs ; depuis deux mois il ne peut plus s'ha

biller, et depuis trois semaines, il ne peut plus manger seul.

État actuel. Apyrexie. Fonctions digestives, respiratoires et circulatoires

normales ; pas de douleurs ; intelligence nette.

Membres inférieurs. - Le pied gauche présente l'apparence du pied plat

valgus.

Pied droit normal ; applatissement des mollets et des régions musculaires

antéro-internes des deux jambes.

Circonférence des jambes à la partie moyenne, 27 centimètres des deux

côtés.

Circonférence des cuisses à la partie moyenne, 53 centimètres des deux

côtés.

Abolition des réflexes patellaires et plantaires. Pas d'atrophie appréciable des

muscles fessiers et lomhaires. ,

Marche normale. - Le malade se baisse facilement pour ramasser un objet.

Pas d'atrophie des muscles abdominaux.

Membres supérieurs. - Aplatissement des muscles des éminences thénar et

hypothénar des deux côtés ; mouvements d'opposition et d'abduction du pouce

impossible ; main à demi fermée ; extension de la main et des doigts impossible ;

les mouvements de pronation et de supination ne peuvent plus se faire.

Atrophie considérable de la partie postérieure de l'avant-bras ; atrophie des *

radiaux.

Le malade peut fermer les doigts avec une force médiocre.

Circonférence du tiers supérieur de l'avant-bras, 22 centimètres. Bras cylin-

drique. Atrophie considérable du deltoïde et des muscles du bras. Le biceps

semble assez bien conservé, mais le malade ne peut résister quand on veut éten-

dre le bras fléchi, le muscle contracté reste mou : il ne peut élever le bras droit

à l'horizontale, mais y arrive avec le bras gauche ; il peut mettre la main gau-

che sur la tête, mais non la main droite.

Circonférence moyenne du bras droit et du bras gauche, 20 centimètres.

Les creux sous-claviculaires sont aplatis. Il existe une atrophie légère des

pectoraux, le malade croise facilement les bras et porte sans peine la main sur

l'épaule opposée. -

L'omoplate ne suit pas les mouvements de l'épaule. Atrophie légère des

muscles sus et sous -épineux.

Le chef claviculaire du trapèze est conservé ; le chef occipital est atrophié.

Atrophie peu marquée des sterno-cléido-mastoïdiens.

Le grand dorsal et les muscles de la gouttière vertébrale ne semblent pas

atrophiés.

Pas de troubles trophiques de la peau, pas de troubles vaso-moteurs.

Rien dans les muscles de la face. Contraction fibrillaire des muscles, surtout

à la cuisse. Sensibilité intacte.

Outre cette particularité dans le mode de débul par les avant-bras et

372 9 G. ÉTIENNE

les jambes, ce cas, de même que l'observation II, présente encore un point

des plus intéressants : c'est l'intervention de la poliomyélite chronique

chez un malade atteint dans l'enfance d'une poliomyélite aiguë. C'est ce

fait rare étudié par M. le professeur Bernheim (1) et par Sterne (2). Mais

des observations rapportées par Sterne, toutes ne nous paraissent pas pou-

voir être retenues ; dans notre cas, rentrent seulement celles de MM. Ray-

mond, Quinquaud, Rémond et Bernheim.

Chez notre malade, l'atrophie progressive a très nettement débuté si-

multanément et par la jambe antérieurement atteinte par la paralysie

infantile, et par les muscles surmenés de l'avant-bras.

III. Hérédité poliomyélitique.

Dans l'observation précédente, nous avons trouvé chez le malade des

antécédents poliomyélitiques personnels ; chez le suivant, nous trouvons

ces mômes antécédents héréditaires. Ce fait est très exceptionnellement

signalé dans les observations d'atrophie musculaire progréssive myélo-

pathique ; on sait que l'hérédité directe est au contraire fréquente dans

les myopathies.

Observation V.

Atrophie musculaire progressive, d'origine myélopathique, Antécédents

myélopathiques héréditaires et familiaux.

Prév... Gab..., 42 ans, cocher (P,j. LX, fig. A et B).

Antécédents héréditaires. Père atteint de paralysie infantile, attaque

d'apoplexie, étylisme avéré.

Mère bien portante.

Grand-père maternel mort d'hémorrhagie cérébrale.

Tante paternelle atteinte aussi de paralysie infantile.

A 2 frères et 2 soeurs bien portants.

Antécédents personnels. Rhumatisme articulaire il y a 7 ans n'a pas eu

d'autres maladies ; est marié (femme bien portante), a trois enfants bien por-

tants.

Maladie ACTUELLE. - Il ? j a 18 mois environ, le malade a commencé à sentir

de la faiblesse dans la main droite et principalement dans le pouce. Il ne pou-

vait plus que difficilement se servir de cette main. Cette faiblesse musculaire

aurait été en s'exagérant et,se serait communiquée aux muscles de l'avant-bras

et du bras droit.

Depuis environ 8 mois le malade dit avoir remarqué une diminution de force

dans le bras gauche qu'il ne pouvait plus soulever que difficilement, tout en con-

(1) Behnheim, Revue de médecine, 1891.

(2) J. Sterne, Thèse de Nancy, 1891. ,

Nouv. Iconographie de la SALI'G1HIIi1·.

T. XII. PI. LX

ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE (TYPE ARAN-DUCHESNE)

- (G. Etienne).

On,. V

MASSON & C ? Editeurs.

ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 373

servant l'usage de sa main gauche et des doigts, dont il ne peut plus faire usage

depuis 2 mois.

Depuis un mois seulement la tête fléchit et tombe (PI. LX, A), en même temps

que le malade a de la difficulté pour parler, pour manger et pour avaler, même

sa salive. Il se sert de ses mains pour l'action du maxillaire inférieur.

Etat actuel. - Sujet fortement amaigri, de constitution primitivement assez

bonne.

Membre supérieur droit. La main droite présente l'aspect de main en

griffe assez caractéristique, fortement rejetée sur le bord du cubital. Les pre-

mières phalanges sont fléchies sur les métacarpiens, les secondes sur les pre-

mières, les troisièmes sont dans l'extension (PI. LX, B).

La flexion est plus accentuée pour le médius et l'annulaire que pour l'index

et l'auriculaire ; le pouce est dans l'extension forcée (fig. B).

, Les muscles de l'éminence thénar sont complètement disparus, ainsi que les

interosseux.

Le malade peut mettre légèrement l'index en extension, ce qu'il ne peut

faire pour les autres doigts. \\

Le pouce peut se fléchir assez fortement, mais les mouvements d'oppositions

sont presque nuls. Le malade pouvant à peine arriver à toucher l'index avec

le pouce, ne peut tenir un porte-plume de moyenne grosseur qu'en le compri-

mant entre le pouce et la base de la pe phalange de l'index.

Les muscles de l'éminence hypothénar sont en partie atrophiés aussi, toute-

fois il en reste une petite portion, de consistance flasque.

La force au dynamomètre est à peu près nulle. Les mouvements passifs des

doigts ne sont possibles qu'incomplètement ; on ne peut arriver entièrement à

les mettre en extension.

. Les muscles de l'avant-bras sont atrophiés en grande partie, surtout ceux

de la région antéro-externe. Il en est de même des muscles du bras ; il est im-

possible au malade de mettre le bras sur la tête et même d'arriver à le mettre

horizontalement par les mouvements d'abduction.

La flexion de l'avant-bras sur le bras se fait bien.

La résistance aux mouvements passifs est assez bien conservée.

Membre supérieur gauche. - Les doigts de la main gauche sont restés en

extension ; le malade peut les fléchir. Force au dynamomètre à peu près nulle ;

atrophie considérable des muscles de l'avant-bras et du bras.

Le malade ne peut soulever le bras même au niveau de l'horizontale, il

l'écarte du tronc à peine de 20 centimètres. La résistance aux mouvements

passifs d'extension est profondément diminué.

La résistance aux mouvements d'abduction est assez bien conservée.

Dimensions :

Droite, bras il 6 centimètres au-dessus du pli du coude. 20 centimètres.

Gauche ..................... 20 -

Droite, avant-bras à 6 centimètres au-dessous du pli du

coude...................... 19 -

Gauche..................... 19 -

? 1

G. ÉTIE1VNE '

Muscles de la nuque considérablement atrophiés. La tête est fléchie forte-

ment sur le sternum (Pl. LX, fig. A et B), toutefois le malade peut encore la

redresser mais ne peut la maintenir longtemps dans cet état.

Les muscles pectoraux sont assez bien conservés.

Le malade peut se soulever sur son séant, sans le secours de ses bras, mais

avec difficulté, et il retombe lourdement dès qu'il veut se recoucher.

Membres inférieurs considérablement atrophiés, toutefois le malade marche

encore facilement : tous les mouvements sont possibles ; les réflexes rotuliens

sont exagérés. Pas de phénomènes du pied.

Contracture des extenseurs du pied.

Tremblements fibrillaires.

Dimensions : mollet gauche .. 27 cenlimètres.

droit .. z

Cuisse gauche 34 à 10 centimètres au-dessus de la rotule.

droite 36 -

Tremblements fibrillaires. Le malade accuse des crampes dans les cuisses et

les mollets.

Face. Les muscles de la face se sont atrophiés à leur tour, en particulier les

muscles masticateurs et les muscles du plancher de la bouche, ce qui empêche

la mastication et la déglutition. Le malade avale difficilement sa salive qui

coule souvent hors de la bouche.

Le malade peut encore siffler. (

Pas d'inégalité pupillaire, pas de nystagmus ; tous les mouvements de l'oeil

se font bien. Le malade accuse une diplopie passagère, fréquente après un peu

de fatigue.

Les nerfs et les muscles offrent la réaction de dégénérescence, partielle chez

les uns, plus complète chez les autres. Les secousses sont lentes et traînantes.

Pour le nerf, l'excitabilité faradique et galvanique est diminuée.

Pour le muscle, l'excitabilité faradique est diminuée. L'excitabilité galvano-

musculaire qui a passé par un maximum décroît ; les secousses d'ouverture

ont disparu.

Voici d'ailleurs cette étude des réactions électriques, faite par notre collègue

M. le professeur Guilloz.

Membre supérieur gauche : réactions électriques :

A. - 111uscles. 1° Electricité galvanique.

Lombricaux Ka SF : 2 millia.

Apposant du pouce Ka SF. : 2 millia.

An SF : 3 millia.

Fléchisseur superficiel des doigts An SF : 6 millia.

Ka SF : 3 millia.

Fléchisseur des doigts An SF : 4 millia.

Ka SF : 3 millia.

Biceps An SF : 12 millia.

ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 375

Deltoïde An S : 3 millia.

Ka SF : 14 millia.

Triceps, adducteur du pouce, muscles de l'éminence hypothénar. Rien.

Les secousses d'ouverture ont disparu.

L'excitabilité galvanique décroît ; elle est plus faible, et pour certains mus-

cles n'existe plus qu'à l'anode.

B. - Nerfs.

N. médian (au-dessus du poignet) An S : rien avec 7 millia.

Ka SF : 3 millia.

N. cubital (au-dessus du poignet) An : rien avec 7 millia.

K a SF : 9 millia.

N. médian (au pli du coude) An FS : 8 millia.

Ka SF : 7 millia.

N. cubital (dans le sillon bicipital) An SF : 10 millia.

Ka SF : 7 millia.

N. radial (côté externe du biceps) An SF : 15 millia.

Ka SF : 15 millia.

Diminution considérable de l'excitabilité galvanique du nerf.

2° Electricité faradique.

Appareil Duhois-Reymond ; bobine à fil moyen.

A. - Muscles. -

Lombricaux : 10 centim. 5.

Fléchisseur superficiel des doigts : 7 centimètres.

Fléchisseur profond : 7

Biceps : rien.

Triceps : rien

Deltoïde : rien

Diminution de l'excitabilité faradique ; disparition complète pour plusieurs

muscles.

B. Nerfs.

N. médian (poignet) : 4 centim. 50 .

N. cubital : 5 50

N. médian (pli du coude) : 6 50

N. cubital : 7 centimètres.

N. radial (niveau du biceps) : 7

Diminution de l'excitabilité faradique.

Le malade dort bien la nuit, n'a pas de cauchemar, pas de céphalée ; la mé-

moire est bien conservée.

Réflexes patellaires exagérés légèrement, pas de phénomènes du pied.

Du côté de l'oeil, diplopie passagère après fatigue.

En somme, les nerfs et les muscles offrent la réaction de dégénérescence,

partielle chez les uns, plus complète chez les autres ; les secousses sont lentes

et traînantes.

Pour les nerfs, l'excitabilité faradique et galvanique est diminuée. Pour les

376 G. ÉTIENNE

muscles, l'excitabilité faradique est diminuée, l'excitabilité galvano-musculaire,

qui a passé par un maximum, décroît ; les secousses d'ouverture ont disparu.

Appareil circulatoire. Bruit du coeur roulé à la pointe.

Respiration. Ne présente rien de particulier.

Digestion. - Bien conservée, le malade digère bien ce qu'il prend.

Pas d'hypertrophie du foie, de la rate ; un peu de tendance à la constipa-

tion.

Appareil urinaire. Rien de spécial, urines claires, abondantes.

15 mars. - La déglutition est toujours difficile, la salive continue à s'écou-

ler, par intervalles, hors de la bouche, le malade ne peut manger seul.

10 avril. - Même état, pas de phénomènes nouveaux.

25. L'atrophie des muscles de la face n'a pas progressé.

Les muscles des bras et des jambes, ont sensiblement gardé le même vo-

lume.

L'impotence fonctionnelle est restée ce qu'elle était. En somme, pas d'amé-

lioration, mais pas d'aggravation notable.

26. - Le malade veut partir à tout prix et demande sa sortie.

V. Symptômes EXCEPTIONNELS.

Dans l'observation suivante, nous voyons un cas très pur d'atrophie

myélopathique type Aran-Duchenne se compliquer de troubles trophiques

exceptionnels : arthropathies d'abord, puiseschares multiples se produisant

en tout point du corps exposé à une pression un peu prolongée (1).

Observation VI.

Atrophie musculaire progressive d'origine myélopathique ; début classique par

les petits muscles de la main, surmenés. - Troubles trophiques : Artlaropa-

thies de l'épaule, eschares multiples. Mort dans le marasme. - Lésions

nerveuses classiques.

G... Emile, formier de chapellerie, âgé de 48 ans (PI. LXII, fig. H et K et

PI. LXIII, fig. L, M, N).

Hérédité ET parenté. Les grands-parents ont atteint un âge avancé; mère

morte à 57 ans, asthmatique; père mort d'accident.

Un frère, atteint de bronchite bacillaire ( ? ) aurait succombé à 26 ans ; une

soeur bien portante.

Antécédents personnels. - Erysipèle dans l'enfance, variole il 13 ans. Cinq

années de service militaire en France. Depuis l'âge de 10 ans travaille dans la

chapellerie ; bon ouvrier, intelligent ; a vécu assez largement.

(1) PRAUTOIS ET G. Etienne. Troubles trophiques osseux et articulaires chez un hom-

me atteint d'atrophie musculaire myélopat/ ! lqlle,l pr mémoire, Revue de médecine,1894.

G. ETiENNE, Id., 2° mémoire, Revue de médecine, 1899.

No1.;v. ICUSOGHAPHIE DE LA SAlPÊTRII : KI ?

T. XII. 1'1. LXIII

ATROPHIE MUSCULAIRE PROGRESSIVE

(G. Etienne)

Arthropathies de l'épaule droite. Ostéophyte d'insertions musculaires et rupture spontanée de la capsule distendue.

ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 377

Pas de syphilis, pas d'alcoolisme, pas d'intoxication par le mercure ou le

plomb.

Débuts DE la maladie actuelle. En 1879, cet homme s'aperçut qu'il avait

de la difficulté à ramasser de l'argent sur un comptoir ; peu de temps après,.

éprouvant de la gêne dans son travail, il dut se faire faire des rabots à poignées.

A dater de cette époque, la difficulté des mouvements augmenta lentement,

progressivement et devint telle enfin que en 1893 il dut renoncer à son travail,

d'autant plus qu'il survint dans l'articulation de l'épaule droite une douleur

irradiant dans le bras. Ce bras lui paraissait lourd ; parésie assez accentuée.

Il affirme n'avoir jamais eu de fièvre.

Depuis quelque temps le malade, qui avait toujours été légèrement voûté,

s'aperçut que la tête tombe en avant.

État actuel. - Constitution très débilitée. Facies anémié; légère bouffissure

de la face, décoloration des muqueuses, aspect dégénéré ; crâne en pointe ;

barbe rare, front couvert. Pouls régulier, égal, à 80. Respiration normale.

Eczéma localisé aux membres inférieurs et au niveau du coccyx.

Troubles trophiques. - Atrophie totale des éminences thénar et hypothé-

nar, des interosseux. Entre le premier et le second métacarpien, il existe une

dépression considérable, où il ne semble rester aucune fibre musculaire. Atro-

phie notable des muscles de l'avant-bras et du bras, surtout accentuée aux

groupes dorsaux et plus marquée à droite.

partie moyenne tiers supérieur tiers inférieur

Circonf. avant-bras droit 16 15 22

- - gauche 18 15 22

bras droit » 23 20

gauche 0) 25 20,5

Subluxation carpo-radicale bilatérale.

Le deltoïde est légèrement atrophié, mais vu l'élévation de l'humérus sur

laquelle nous allons revenir, l'empreinte deltoïdienne se rapproche des inser-

tions supérieures, et le deltoïde devient saillant.

Tremblement fibrillaire des muscles, ondulations spontanées, s'exagérant

par un léger choc.

A droite, la tête de l'humérus frotte très nettement contre la cavité glénoï-

dienne en donnant la sensation de contact de deux surfaces rugueuses ; elle est

usée et luxée en haut. En sorte qu'en cherchant dans le creux de l'aisselle, on

ne peut arriver à saisir la tubérosité. Cette luxation se serait produite brus-

quement ; le malade dit avoir senti un beau matin « son épaule descendre ».

Il existe au niveau du scapulum une plaque osseuse ostéophytique de 8 cent-

mètres de longueur sur 5 centimètres de haut, à grand diamètre aciléro-postérie : ir,

un peu plus large en avant, à contours irréguliers, a surface mamelonnée, faisant

corps avec l'omoplate, d'une dureté osseuse caractéristique, non mobile (PI. LXII,

fig. K). On ne peut, en palpant les téguments, faire la part de ce qui revient à

l'os scapulaire et aux formations nouvelles.

A gauche, on sent quelques craquements en faisant jouer l'articulation ; l'ex-

trémité externe de la clavicule est luxée et mobile.

378 G. BTIENNE '

Le malade ne peut élever le bras droit jusqu'à la verticale ; pour arriver à

amener la main droite derrière la tête, il fait intervenir des mouvements de

latéralité, mettant le coude horizontalement, la main contre la joue, puis la

faisant glisser derrière le cou.

Les mouvements de pronation et de supination et tous les mouvements de

la main sont possibles, mais le pouce droit ne peut être écarté en abduction

forcée. -

Dynamomètre : main droite, 12 ; main gauche, 35.

Les sterno-cléido-mastoïdiens sont réduits à l'état d'une lame extrêmement

mince ; les trapèzes, les pectoraux, les sous-épineux sont presque complète-

ment atrophiés. Les grands dentelés et les muscles du cou ont totalement dis-

paru.

La tête pend en avant, et le malade éprouve une grande difficulté à la rele-

ver (fig. H, K). Dans cette position, les deux lames supérieures du trapèze dont

il ne reste que l'aponévrose, forment de chaque côté du cou une sorte de repli

très mince reliant le tubercule occipital aux épaules.

L'omoplate gauche est complètement détachée du tronc, l'angle inférieur re-

levé est attiré en dedans.

L'atrophie est beaucoup moins marquée à la partie inférieure du tronc et aux

membres inférieurs (fig. H). ,

Circonférence, partie moyenne de la cuisse droite, 40 cent. 5 ; gauche,

42 centimètres.

Circonférence, partie moyenne de la jambe droite, 31 cent. 5 ; gauche,

31 centimètres.

Le malade peut s'asseoir seul dans son lit sans se servir des mains ; une fois

assis, pour se coucher, il retombe brusquement en arrière, entraîné par le

corps, qui, dit-il, a un poids énorme. Même sensation subjective de poids

pendant la marche.

Le malade se tient debout, bien que titubant un peu ; il peut se tenir sur un

pied, même les yeux fermés. Il marche encore assez facilement, mais lourde-

ment, et il peut se retourner avec rapidité.

Craquement dans les articulations des genoux.

La face amaigrie n'est pas intéressée par l'atrophie musculaire.

Réaction de dégénérescence dans tous les muscles.

RÉACTION ÉLECTRIQUE.

1° Electricité galvanique.

A. Muscles.

Biceps du bras : NFC < PFC.

A droite, NFC = 11 m. a., PFC = 6 m. a.

A gauche, NFC = 9 m. a., PFC = 3 m. a.

Triceps, chef interne : NFG < PFC.

A droite, NFC = 9 m. a., PFC = 4 m. a.

A gauche, NFC = 8 m. a., PFC = 4 m. a.

ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 379

Deltoïde : NFC < PFC.

A droite, NFC = 13 m. a., PFC = 8 m. a.

A gauche, NFC = 4 m. a., PFC = 3 m. a.

Extenseur commun : NFC < PFC.

A droite, NFC = 4 m. a., PFC = 3 m. a.

A gauche, NFC = 5 m. a., PFC = 6 m. a. (1)

Long supinateur : NFC < PFC.

A droite, NFC = 4 m. a., PFC = 2 m. a.

Adducteur du pouce : = NFC < PFC.

A droite, NFC = 0 contrait., PFC = o contract.

A gauche, NFC = 3 m. a., PFC = 0,5 m. a.

30 interosseux dorsal : NFC < PFC.

A droite, NFC = 3 m. a., PFC = 2,5 m. a.

Trapèze : NFC < PFC.

A gauche, NFC = 12 m. a., PFC = 4 m. a.

B. Nerfs. '

Médian : NFC < PFC.

A droite, NFC = 4,5 ; PFC = 5.

A gauche, NFC = 6 ; PFC = 6. '

2° Electricité faradique.

Appareil de Dubois-Reymond ; interrupteur à balancier de Gaiffe. Bobine a

fil moyen.

A. - Muscles.

Biceps : à droite, 7,5 c. m. ; à gauche, 8,56 m. ; Trapèze : à droite, 8 c. m. ;

à gauche 10 c. m. ; Deltoïde : à droite, 9,5 c. m. ; à gauche, 9,5 c. m. ;

Triceps : à droite, 5,5 c. m. ; à gauche, 6,5 c. m. Long supinateur : à droite,

6 c. m. ; à gauche, 5,25 c. m. Extenseur commun : à droite, 6 c. m. ; à gau-

che, 6,5 c. m. Fléchisseur commun : à droite, 7, 75 ; à gauche, 5,75. Petit ad-

ducteur du pouce : à droite, o, contract. ; gauche, o, contract. Court adduc-

teur du pouce : à droite, o, contract. ; à gauche, 4 c. m. Triceps de la cuisse :

à droite, 8,5 c. m., à gauche, 6 c. m. Extenseur du gros orteil : à droite,

3,5 c. m. ; à gauche, 4,5 c. m. Masséter ; à droite, 6, à gauche, 7.

B. - Nerfs.

Nerfs médians ; à droite, 7,25 c. m. ; à gauche, 7,50 c. m. Crural : à droite,

4 c. m. ; à gauche, 3,5 c. m.

La sensibilité à la piqûre est normale partout, sauf aux jambes où elle est

très légèrement retardée (au niveau des plaques d'eczéma). Il n'y a jamais eu

de douleurs spontanées d'aucune sorte : crises gastriques, vésicales, rectales,

douleurs lancinantes ou térébrantes, etc.

Réflexes patellaires normaux ; pas de phénomènes du pied. Les pupilles ne

réagissent que faiblement à la lumière et à l'accommodation. Pas de diplopie;

pas de chute de la paupière.

L'intelligenee, la mémoiro sont bien conservées ; la parole est nette.

Grande suffisance et satisfaction personnelle; léger tremblement; insomnies;

380 ' ' G. ÉTIENNE

le malade ne se trouve jamais bien au lit, il se relève, se recouche, est agité.

Pas de cauchemars ; pas de céphalée.

Appareil digestif. - Il n'existe pas de gêne de déglutition ; quelques trou-

bles gastriques sans importance; sensation de pesanteur. Pas de dilatation de

l'estomac ; constipation habituelle, hémorrhoïdes ; pointe de hernie inguinale

bilatérale. Le foie et la rate ne sont pas augmentés de volume; sensation de

soif continue.

Appareil génito-1t1'inaire. - Pas de troubles vésicaux ; on note une diminu-

tion considérable de l'urée (Il gr. 87) ; de l'acide phosphorique total (0 gr. 75

en 24 heures).

Abolition du sens génital depuis 4 ans ; pas de spormatorrhée.

Appareil respiratoire. Signes stéthoscopiques nets d'induration bacillaires

à droite.

Appareil circulatoire. Léger éclat diastolique à la base; pas d'hypertrophie

cardiaque, artères un peu dures.

Le malade quitte le service, mais vient très souvent se faire examiner; il

reste en surveillance médicale continue.

, Le 1 avril 18S)5, Geof... se présente à la clinique, montrant une tumeur grosse

comme une tête de foetus qui se serait formée subitement, le matin même, en

s'accompagnant d'une douleur très vive, au moment où, en essayant de s'habil-

ler, il avait fait un faux mouvement et était tombé.

Cette tumeur est bleuâtre, ecchymotique ; elle est de consistance molle,

comme gélatineuse, fluctuante.

Trois semaines plus tard, la tumeur est encore sensible à la pression, ayant

la forme d'un épais bourrelet dans l'aisselle; la peau la recouvrant a sa cou-

leur et son aspect normaux ; fluctuation vague. Tuberculose pulmonaire au dé-

but.

En juillet, orchite tuberculeuse du testicule droit.

En septembre, on constate la présence au niveau de l'articulation scapulo-

humérale droite, d'une nouvelle plaque ostéophytique, large de près de 10 centi-

mètres, en forme de cuirasse, située en arrière des anciennes.

25 octobre. Le malade absolument impotent, rentre à la clinique.

L'atrophie musculaire est au maximum, état squelettique. Cachexie pro-

fonde.

- Large eschare sacrée, profonde, mettant à nu le sacrum, à surface noirâtre.

Eschare, large comme une pièce de 5 francs, au niveau de la clavicule droite,

un centimètre en dehors de l'articulation sterno-claviculaire, au point où le

menton vient appliquer sur la clavicule. Depuis longtemps, en effet, par suite de

l'atrophie précoce des muscles de la nuque, la malade porte la tête penchée en

avant, ainsi que le montrent les photographies (V. fig. II, K, pl. LXII) publiées.

Très rapidement, en quelques jours, la clavicule se dénude, puis la peau du

menton s'escharifie à son tour.

Eschare noirâtre, ayant 4 centimètres de diamètre, au niveau de la pointe de

l'omoplate droite ; eschare semblable au niveau de l'épine de l'omoplate gauche. : Le bourrelet pseudo-oedématéux de l'aisselle droite persiste.

ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 381'

Ulcération de la cornée gauche.

Cachexie extrême.

A aucun moment le malade n'a présenté le moindre accident bulbaire. Le

malade succombe à une véritable cachexie trophique, le 29 octobre 1895 à

7 heures du matin.

Autopsie le même jour, à 10 heures du matin.

Le cadavre est en parfait état de conservation.

On est immédiatement frappé de la multiplicité, de l'étendue et de la pro-

fondeur des eschares.

1° L'eschare sacrée, mesurant 16 centimètres de largeur sur 12 de longueur,

est très profonde; en raison de l'atrophie musculaire, le plan du muscle a pour

ainsi dire totalement disparu, et l'on arrive directement de la peau sur le sa-

crum à nu.

1° Eschare profonde au niveau de l'épine de l'omoplate gauche, mesurant

4 centimètres sur 2.

3° Eschare sur le bord gauche de la colonne vertébrale, dont les dimensions

atteignent 6 centimètres sur 4. '

4° Eschare au niveau de l'angle de l'omoplate droite, ayant 8 centimètres.

sur 5. -

5° Eschare de 3 centimètres de longueur, étendue suivant l'axe de la clavi-

cule droite, arrivant jusqu'à 1 centimètre en dehors de l'articulation sterno-'

claviculaire. La clavicule est à nu.

6° Cette eschare claviculaire correspond symétriquement à une autre eschare

située sur le trajet de la branche horizontale du maxillaire inférieur, mettant

cet os complètement à nu sur une longueur de 5 centimètres.

7° Petite eschare superficielle, de 1 centimètre de circonférence, au niveau

du cartilage thyroïde.

Ulcération profonde de la cornée de l'oeil droit.

A l'ouverture de la tumeur axillaire, on constate qu'elle est constituée par

une poche développée dans le tissu cellulaire sous-cutané dont les mailles se

sont refoulées, communiquant largement et librement avec l'articulation sca-

pulo-humérale par un orilice situé à la partie inférieure de celle-ci et large

comme une pièce de cinq francs (V. fig. N, pl. LX111) (1).

Au moment de l'effort fait par le malade, il s'est donc produit une rupture de

la synoviale avec irruption du liquide articulaire qui a refoulé le tissu cellulaire,

a formé une poche, s'est enkysté, après avoir pour ainsi dire imbibé le tissu

lâche environnant, d'où la teinte ecchymotique prise par la tumeur axillaire

après l'effraction. Mais il est important de noter que la cavité était formée ex-

clusivement par le tissu cellulaire refoulé, sans épaississement, sans formation

de parois enkystantes.

Cette poche renfermait un demi-litre de liquide brunâtre, très trouble.

Articulation scapulo-humérale droite. - La capsule, énormément distendue,

(1) Les photographies de ces arthropathies sont dues à M. L. Spillmann, interne

des hôpitaux. '

382 G. ÉTIENNE

à parois amincies, mesure 13 centimètres en hauteur, 7 cent. 5 de largeur

(fig.N, L).

A l'intérieur, on constate la disparition totale de la tête humérale (fig. N).

A la périphérie de l'articulation existe une série d'ostéophytes siégeant au

niveau des tendons péri-articulaires d'insertion musculaire.

Io A l'insertion supérieure du deltoïde est une plaque (fig. M, L) osseuse en

forme d'épaulette, mesurant 7 centimètres dans sa dimension antéro-posté-

rieure, 5 centimètres de hauteur et environ 2 centimètres d'épaisseur. En bas,

l'épaisseur diminuait progressivement et la plaque devenait presque tranchante

en haut.

2o Plaque mesurant 3 centimètres sur 2, aplatie, ronde, en forme de pastè-

que, au niveau de l'insertion commune du petit pectoral, de la courte portion du

biceps et du coraco-braclaial (fig. L).

3° De l'insertion de la longue portion du biceps part une plaque large de 2 cen-

timètres, s'étendant sur le trajet du muscle sous forme de fuseau ostéophytique

sur une longueur de 8 centimètres (fig. L).

4° Nodule osseux ayant les dimensions d'une noix à l'insertion de la longue

portion du triceps (fig. M). ,

5° Nodule comme un gros pois à l'insertion du sous-épineux.

Appareil nerveux. - Moelle. - La moelle ne présente aucune altération ma-

croscopique, en aucun point n'existe ni renflement anormal ni aplatissement,

A la coupe, ni tumeur gliomateuse, ni cavité.

Examen histologique. Sur les coupes, les cornes antérieures sont légè-

rement diminuées de volume. Les grosses cellules des groupes antérieurs sont

beaucoup moins nombreuses que d'habitude; elles sont atrophiées et n'occupent

qu'une faible partie de leur loge. Elles sont déformées (1), vaguement arron-

dies, beaucoup sont réduites à de petits amas de granulations. Leurs prolonge-

ments sont peu nombreux, courts, ratatinés ; quelques cellules en sont totale-

ment dépourvues.

Parmi ces cellules plus ou moins altérées, on en retrouve un certain nom-

bre intactes.

Je n'ai pas relevé la zone de dégénérescence partielle du faisceau fondamental

antérieur, si nette sur les coupes de J.-B. Charcot.

Coloration par la méthode de Nissl. Disparition centrale du corps de

Nissl ; aspect très grenu, coloration diffuse. 11 ne persiste que quelques cor-

puscules à la périphérie.

Tendance du noyau à devenir périphérique, dans bon nombre de cellules.

Ilérnatox ! Jline d'Heidenhain et éosine. - Névroglie augmentée de quantité ;

les travées sont notablement épaissies. Cylindre-axe persistant dans tous les

tubes. A la périphérie, les contours de la moelle sont fortement ondulés ; dé-

pression assez forte en vallées et en sillons. Sclérose vasculaire.

Le canal de l'épendyme est presque complètement obstrué par un amas de

(1) Etudiant ici l'atrophie musculaire myélopathique au point de vue clinique, je

renvoie aux figures reproduisant ces lésions, Revue de médecine, 1899, p. 557 et seq.

ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 383

cellules épithéliales (1) provenant de la desquamation de l'épithélium épendy-

maire, devenues cubiques par tassement et déformation. De la cavité centrale

partent quelques petits diverticules.

Il est impossible de confondre cet amas cellulaire intra-épendymaire avec un

gliome.

Cotation de Weigert, après fixation par le formol et mordançage prolongé

par le liquide d'Erlich. Altération de la myéline; sclérose disséminée dans les

cordons postérieurs ; disparition dans un certain nombre de tubes du faisceau

de Goll. Cette altération est déjà signalée dans l'observation IV de J.-B. Char-

cot.

Toutes ces altérations sont identiques dans la moelle cervicale et dans la

moelle lombaire.

Les racines ne présentent pas d'altérations notables.

Nerfs périphériques. - Petits filets musculaires de l'éminence thénar. - Dis-

parition très marquée des fibres nerveuses ; très nombreux tubes sans cylindre-

axe. Augmentation très considérable du tissu conjonctif interstitiel, dont des

ilots et des tractus découpent la largeur du filet nerveux.

Médian, eM&t<6tt)Y<t. Epaississement du tissu conjonctif, diminution

du nombre des filets nerveux ; nombreuses gaines vides. Mais lésions très nota-

blement moins prononcées que dans les petits filets terminaux.

Muscles. - Atrophie musculaire extraordinaire surtout du côté droit. De ce

côté, tous les muscles du membre supérieur sont pour ainsi dire totalement

disparus, complètement décolorés ; à la main, surtout, les muscles de l'éminence

thénar sont réduits à quelques fibres blanches, nacrées, de consistance et d'as-

pect gélatineux.

Les muscles périscapulaires manquent. Les muscles du tronc, thorax, abdo-

men et bassin, ceux du cou, ceux du membre supérieur gauche, ceux des

membres inférieurs, n'apparaissent plus que sous forme de minces lames ou de

minces cordelettes des plus réduites, peu colorées.

Par contre, si la face est émaciée, les muscles de la face, les masséters, les

muscles de la langue et du voile du palais paraissent à peu près normaux.

A l'examen histologique, sur tes coupes transversales des muscles de l'éminence

thénar droite, on trouve de grandes différences entre les dimensions des fibres,

dont beaucoup sont amincies. Atrophie simple, augmentation du tissu con-

jonctif, notable prolifération nucléaire.

Plèvres. Dans la cavité pleurale droite existait une notable quantité de

liquide citrin ; adhérences pleurales cédant facilement.

Poumon, à gauche, congestion à la base ; bronchite. Infiltration tuberculeuse

du sommet, tubercules gris, durs, crus. A droite, atélectasie des lobes inférieur

et moyen avec infiltration de tubercules ; bronchite. Dans le lobe supérieur,

tubercules crétacés. '

C ? Surcharge graisseuse légère. Quelques plaques laiteuses au ni-

(1) Brissaud, De la névroglie dans la moelle normale et dans lasyringomyélie, Revue

neurologique, 1894, p. 5't5.

384 ' G. ÉTIENNE

veau des faces antérieures et postérieures, surtout au niveau du ventricule

droit. '

Aucune lésion valvulaire.

Les parois du coeur sont épaissies, couleur feuilles mortes, quoique encore

assez fermes.

' Quelques végétations athéromateuses molles sur la crosse de l'aorte.

Foie. - Gros, pâteux, mais non friable; légère congestion veineuse.

Rate un peu grosse, de consistance normale.

Reins. Pas de délimitation nette entre les deux substances corticale et

centrale ; décortication difficile.

1 ' Le tissu est grisâtre, décoloré, granuleux à la surface, avec nombreuses dé-

pressions de néphrite interstitielle.

Orchite tuberculeuse double.

Dans cette observation, le diagnostic différentiel avec la syringomyélie

se posait ; mais tous les signes d'ordre sensitifs de cette maladie faisaient

défaut; aussi n'avons-nous pas hésité à maintenir le diagnostic d'atro-

phie musculaire progressive, myélopathique, vérifié d'ailleurs ultérieure-

ment par l'autopsie et les recherches histologiques. Sans doute, nous

avons bien constaté des lésions de névrite périphérique ; le contraire seul

serait étonnant, d'après ce que nous connaissons actuellement de la pa-

thologie nerveuse ; mais rien ne permet de penser que cette névrite fût

primitive;

Ce cas d'arthropathie dans la poliomyélite chronique paraît unique dans

la littérature médicale. Charcot, et après lui MM. Grasset et Rauzier, ont

attribué à l'atrophie musculaire progressive les faits d'arthropathie rap-

portés par Remak, Patruban et Rosenthal ; les deux premiers ne sont que

des nodosités osseuses aux mains et aux doigts chez des nerveux ; quant au

troisième, celui de Rosenthal, il paraît devoir rentrer dans la syringo-

myélie (1).

.

.. x

· En somme, dans chacune de ces six observations, nous rencontrons

quelques particularités s'écartant plus oumoins du schéma classique : évo-

lution plus rapide (observation I), début plus précoce (observation II),

mode dé début (observations III et IV) ; présence d'antécédents poliomyé-

litiques (paralysie infantile) personnels (observations II et'IV) ou hérédi-

taires (observation V) ; présence d'accidents trophiques anorniaux (obser-

vation VI).

Et cependant ces anomalies sont insuffisantes pour différencier réelle-

(1) P. LoNDE, De 1'(i ? ,thi,opathie nerveuse vraie et des troubles trophiques articulaires

d'apparence rhumaloïde. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1898.

ATROPHIES MUSCULAIRES PROGRESSIVES D'ORIGINE MYÉLOPATHIQUE 385

ment ces cas l'un de l'autre ; si, par exemple, l'atrophie débute par les

muscles scapulaires ou par les muscles des avant-bras, au lieu de débuter

par les petits muscles de la main, nous trouvons dans ces cas la même loi

fixant le point de départ; l'intervention de troubles trophiques articulai-

res ou tégumentaires ne modifie pas l'évolution des troubles de trophicité

musculaire; etc.

Toules ces observations, malgré leurs variantes de détail, conservent,

comme nous le disions au début, un air de famille, qui, mieux que toute

autre base, constitue un groupe clinique bien défini. Que la syringomyélie,

que d'autres lésions médullaires venant atteindre secondairement les grou-

pes cellulaires des cornes antérieures, lui empruntent son aspect clinique,

cela s'observe ; mais il n'en reste pas moins l'ensemble des faits dans les-

quels le syndrome décrit par Duchenne et par Aran se trouve uni à sa lésion

anatomo-palhologique bien connue, l'altération des grosses cellules des

cornes antérieures essentiellement atteintes (observations I et VI) ; dans les-

quels le rôleétiologique du surmenage musculaire apparaît nettement dans

la détermination de la première localisation atrophique ; dans lesquels par

conséquent se retrouvent les éléments constitutifs d'une maladie bien in-

dépendante, bien caractérisée, l'atrophie musculaire progressive d'origine

myélopathique, poliomyélitique.

Mais cette maladie n'est pas isolée dans la pathologie ; assez fréquem-

ment la lésion s'étend aux cellules des noyaux antérieurs et inférieurs du

bulbe, et la maladie de Duchenne-Aran se complique du syndrome labio-

glosso-laryné (observations I, V). Parfois les lésions débutent dans ces

noyaux du bulbe, restent localisées et constituent la paralysie labio-glosso-

laryngée progressive essentielle; à un étage encore plus élevé, nous avons

l'ophtalmoplégie nucléaire progressive. Il existe donc une série morbide

constituée par l'atrophie musculaire myélopathique progressive, la para-

lysie Iabio-glosso-Iaryngée progressive, l'ophtalmoplégie nucléaire pro-

gressive, trois termes caractérisés analouio-palhologiquemenlpar la même

lésion du même appareil nerveux pris en des étages différents, pouvant se

succéder par extension ou pouvant exister isolément ; ce sont trois locali-

sations d'un même processus ; mais au point de vue général, ils constituent t

une seule maladie.

ni 26

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE

AMYOTROPHIE DOUBLE DU TYPE SCAPULO-IIUMÉRAL

CONSÉCUTIVE A UN TRAUMATISME UNILATÉRAL EXTRA-ARTICULAIRE (1),

PAR

GEORGES GUILLAIN

Interne à la Salpêtrière.

Si les 'observations d'atrophies musculaires survenant à la suite d'une

lésion articulaire sont relativement banales, s'il est fréquent après une

arthropathie infectieuse, après une arthropathie traumatique de voir les

muscles extenseurs des articulations lésées s'atrophier, ils sont de beaucoup

plus rares les cas d'amyotrophie qui succèdent à des traumatismes, à des

lésions extra-articulaires. Parmi les multiples individus qui tombent, se

contusionnent ou un bras ou une jambe, qui reçoivent un traumatisme

violent, qui ont des plaies qui saignent, ils sont peu nombreux ceux qui

après leur accident voient se développer une atrophie musculaire et ils

sont très rares ceux qui, à l'occasion d'un traumatisme unilatéral, font une

amyotrophie bilatérale. M. Charcot (2), dans une de ses leçons à l'hospice

de la Salpêtrière, disait : « le malade que nous allons examiner nous four-

nira le motif d'une étude clinique intéressante. Il appartient en effet à un

groupe de cas encore peu connus et sans doute mal interprétés. Un trau-

matisme parfois léger et banal portant sur un point quelconque du mem-

bre inférieur peut devenir le point de départ d'une impuissance motrice

relative avec atrophie plus ou moins prononcée et parfois très prononcée

de ce membre. »

L'observation que nous rapportons est celle d'un malade observé dans

le service de M. le professeur Raymond. Ce malade s'est présenté à la

consultation de la Salpêtrière avec une atrophie scapulo-humérale bila-

térale. En présence de telles atrophies musculaires, il est d'une importance

capitale de faire un diagnostic étiologique, de savoir s'il s'agit d'une ma-

ladie curable, ou au contraire s'il s'agit d'une affection de la moelle incu-

rable souvent, parfois mortelle.

(1) Le malade qui fait le sujet de cette observation a été présenté par M. le profes-

seur Raymond à l'une de ses policliniques du mardi. G. G.

(2) Charcot, Amyotrophies spinales réflexes d'origine articulaire. Progrès médical,

1893, p. 225.

amyotrophie double du TYPE scapulo-huméral 387

OBSERVATION.

Le 13 juin 1899 se présentait à la consultation de la Salpêtrière un

homme de 63 ans, P.... Alexandre, jardinier de son état. Il venait con-

sulter parce qu'il lui était difficile de soulever les bras, il avait perdu ses

forces, il avait vu ses bras maigrir, bref il lui était impossible de continuer

sa profession, impossible de faire usage de ses membres supérieurs. Cette

impotence de ses membres supérieurs elle existait depuis plusieurs mois,

et elle était consécutive à un accident que nous a raconté le malade. C'était

en 1898 le 4 juin, il revenait de son travail le soir ; au tournant d'une

rue il trébuche, il fait un faux pas, il tombe ; par un hasard malheureux

une voiture survient, une roue passe sur son bras droit vers le haut du

bras, le marchepied atteint sa joue, il saigne. Il est étourdi par ce trau-

matisme, on le relève, on le porte dans une pharmacie, on panse sa joue,

et il rentre chez lui seul. Il ne souffrait que fort peu de son bras, le re-

muait avec facilité. Le lendemain il va à l'hôpital Bichat; on lui assure

qu'il n'a ni fracture ni luxation de l'épaule, une simple contusion. Tou-

tefois avant de travailler de nouveau au jardinage,' le malade préfère se

reposer quinze jours, il reste donc chez lui sans souffrance de ses bras,

s'habillant et se déshabillant seul, conservant en un mot tous les mouve-

ments normaux dans les articulations de l'épaule droite et gauche. Quel-

que quinze jours après son accident, c'était au mois de juillet 1898, il

veut reprendre ses travaux, mais il a de la difficulté légère à soulever son

bras droit, et celte difficulté persiste, bien plus elle augmente. D'ailleurs

son articulation n'était pas douloureuse, elle n'était pas augmentée de

volume, il n'y avait pas d'arthrite, au contraire le malade constate que

son bras, que son épaule ont maigri. Cette impotence fonctionnelle, cet

amaigrissement de la région scapulo-humérale droite persistent et aug-

mentent ; il travaille, mais le travail lui est pénible, et cet état anormal

dure des mois. En 1899, vers le mois de février, la malade, qui jusqu'alors

avait conservé tous les mouvements dans le bras gauche, fit la constatation

que son bras gauche devenait lourd, qu'il se fatiguait facilement et aussi

qu'il maigrissait. Il souffrait môme légèrement dans l'épaule gauche. Cet

état s'accentua, l'impotence devint grande à gauche comme elle l'était à

droite, et c'est pour cette impotence, pour cet amaigrissement de ses épau-

les et de ses bras que cet homme venait à la Salpêtrière, n'ayant pas en-

core consulté pour sa maladie, n'ayant fait aucun traitement.

Les antécédents de cet homme sont peu instructifs. Son père, qui tou-

jours aurait joui d'une bonne santé, serait mort en 1870 de la variole. Sa

mère serait morte en 1882 d'une maladie qu'il ne peut spécifier. Il n'a eu

ni frères, ni soeurs. Dans ses antécédents, il n'existe aucune affection ner-

veuse particulière et son père était, paraît-il, d'une sobriété parfaite.

388 G. GUILLAIN

Il naît à terme, il eut une enfance normale sans convulsions, sans fièvres

éruptives. A 19 ans, il contracte une biennorrhagie ayant d'ailleurs vite

guéri. Jl se marie à vingt-trois ans, sa femme a troisenfants, tous en bonne

santé, dont l'aîné aujourd'hui a 40 ans. A 33 ans il se souvient d'une af-

fection intestinale violente, qu'on lui dit être la dysenterie, il fut deux

mois malade, il guérit. Tels sont ses antécédents personnels. On ne trouve

chez lui ni stigmates arthritiques, ni stigmates nerveux. Ce n'est pas un

syphilitique, ce n'est pas un alcoolique ni un absinthique, ce n'est pas un

scléreux.

Notre malade âgé, avons-nous dit, de G3 ans, est de taille plutôt infé-

rieure à la normale, présente toutes les apparences d'une très bonne santé

malgré son teint un peu pâle. Il est bien constitué, mais on est frappé de

suite, quand on le regarde, de l'amaigrissement de l'épaule et du brasdroi ts

et de l'amaigrissement moindre d'ailleurs du bras et de l'épaule gauches

(PI. LXIV, A). Il a, en un mot, l'aspect classique d'une atrophie mus-

culaire bilatérale scapulo-lmmérale. La maigreur des bras el de l'épaule

fait un contraste frappant avec les avant-bras et les mains qui ont conservé

leur aspect et leurs dimensions normaux. C'est avec la plus grande faci-

lité que l'on suit de bas en haut l'humérus, que l'on en perçoit toutes les

saillies, toutes les tubérosités. L'acromion et la coracoïde sont également

faciles à sentir. La paroi antérieure de l'aisselle n'est nullement atrophiée

et le muscle grand pectoral a son relief normal.

Quand on regarde le malade de dos, les bras tombant le long du corps,

l'épine de l'omoplate apparaît nettement et on peut constater la profon-

deur anormale des fosses sus et sous-épineuses témoignant de l'atrophie

des masses musculaires. L'omoplate est un peu élevée à droite. mais son

bord spinal n'est pas éloigné de la paroi thoracique. La paroi postérieure du

creux de l'aisselle est très amaigrie à droite, ce que l'on perçoit non seule-

ment par la simple inspection, mais en palpant avec la main la masse des

muscles ronds et grand dorsal.

Le malade a conservé tous les mouvements de ses doigts et de la main.

Il la l1échit et l'étend facilement sur l'avant-bras, il résiste très bien quand

on s'oppose à ces divers mouvements. Normaux sont les mouvements de

pronation et de supination de l'avant-bras. Il peut arriver fléchir l'a-

vant-bras sur le bras, mais oppose-t-on à ce mouvement une légère résis-

tance, alors la flexion est impossible, il n'a plus sa force habituelle dans

les muscles biceps et brachial antérieur surtout du côté droit. De môme

le triceps quoique relativement peu atrophié est incapable de vaincre une

résistance légère.

Il est impossible au malade de soulever les bras jusqu'à l'horizontale

(PI. LXIV, B et C). Les figures II et III montrent ce qu'il peut faire, ce

Nouv. Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XII. 111. LXIV

AMYOTROPHIE DOUBLE SCAPULO HUMERALE D'ORIGINE TRAUMATIQUE

(G. Guillain).

MASSON & cle, Edltcurs.

AMYOTROPHIE DOUBLE DU TYPE SCAPULO-UtIIIÉRAL 38D

sont les mouvements maximum qu'il peut donner, il lui est impossible de

lever les bras plus haut, partant il est incapable de porter les mains à sa

tête, il ne peut porter les bras en avant ni en arrière, ce qui témoigne de

l'impotence des faisceaux antérieurs et postérieurs du deltoïde; il a de

multiples difficultés pour rapprocher les épaules en arrière et malgré ses

efforts- il n'y parvient pas. les mouvements de rotation de l'humérus sont

très limités.

Les divers mouvements du cou sont normaux, le slerno mastoïdien a

conservé son aspect normal. Le malade étend et fléchit la tête facilement, il

la tourne à droite et à gauche, ses muscles faciaux sont normaux eux aussi.

L'atrophie musculaire, quoique bilatérale, est un peu plus marquée à

droite qu'à gauche. Alors que la mensuration du périmètre brachial faite à

10 centimètres au-dessus du pli de flexion du coude donne 24 centimètres

;t gauche, on ne trouve que 21 centimètres à droite.

Le malade n'a que peu de troubles de la sensibilité subjective, il n'a

jamais eu de fourmillements dans ses membres atrophiés, mais il a des

douleurs parfois dans les régions scapulaires. A droite et a gauche, la sen-

sibilité tactile est intacte. Le deltoïde droit et le deltoïde gauche sont un

peu douloureux à la pression profonde; il existe quelques craquements

dans les articulations scapulo-humérales ; ailleurs normale est la sensibi-

lité à la douleur, à la piqûre, normale aussi la sensibilité thermique; la

notion de position des membres est bien conservée, le sens musculaire est

intact, et la perception stéréognostique se fait normalement. Les nerfs ne

sont pas douloureux. '

Aucun tremblement fibrillaire ne se remarque sur les muscles envoie

d'atrophie, aucun trouble trophique sur les membres supérieurs du malade.

Les réflexes tendineux du poignet sont très exagérés à droite et à gau-

che, les réflexes olécraniens exagérés aussi. Les réllexes cutanés et périos-

tiques sont exagérés de même. Cette exagération des réflexes se retrouve

quoiqu'à un degré moindre au membre inférieur droit.

Voici l'examen des réactions électriques qui nous a été donné par M. le

D Huet.

L'incitabilité faradique est conservée dans les muscles trapèze, sous-

épineux, petit rond, rhomboïde et deltoïde des deux côtés. Les contrac-

tions sont bonnes.

L'incitabilité galvanique est diminuée dans les mêmes muscles à droite

et à gauche. Cette diminution est surtout marquée dans le faisceau anté-

rieur du muscle deltoïde droit dont les contractions sont moins brusques.

Pas d'inversion de l'action polaire en aucun point.

En dehors de cetle atrophie musculaire à type scapulo-liuméral le ma-

lade ne présente aucune autre affection. 11 n'a aucun stigmate d'hystérie.

390 G. GUILLAIN

Le champ visuel est normal, il n'a aucun trouble oculaire. Tous ses orga-

nes sont sains. La pression artérielle aux bras droit et gauche nous a donné

17 centimètres de mercure avec le sphygmomanomètre du Professeur Po-

tain, chiffre tout à fait normal. Les urines ne contiennent ni sucre, ni

albumine. Leur quantité varie de 1500 à 1800 grammes par 24 heures.

*

.... .

Nous n'avons pas cru devoir développer plus cette observation clinique

qui somme toute peut se résumer facilement. Il s'agit d'un homme en

très bonne santé, sans antécédents nerveux héréditaires ni personnels qui,

en 1898 au mois de juin, reçoit une contusion à la région humérale droite.

II n'a aucun accident immédiat, il continue à se servir de son bras. Un

mois après l'accident les mouvements deviennent difficiles dans l'épaule

droite et les muscles adjacents à l'articulation maigrissent. Sept mois après

l'atrophie se montre à l'épaule gauche et au bras gauche. Le malade se

présente à la Salpêtrière au mois de juin 1899 avec une atrophie nette

du type scapulo-huméral. C'est une atrophie musculaire s'étant dévelop-

pée progressivement sans troubles de sensibilité, sans troubles trophiques,

sans réaction de dégénérescence mais avec une exagération notable des

réflexes tendineux. La question se posait de savoir de quelle variété

d'atrophie musculaire il s'agissait chez cet homme ? Quelle était la cause

première, quel était le substratum anatomique, quel était le pronostic ?

.

x r

Nous croyons absolument inutile de discuter longuement le diagnostic

et de faire la séméiologie des diverses atrophies musculaires du type sca-

pulo-huméral. Il ne s'agit pas chez notre malade de paralysie hystérique,

il n'a aucun stigmate de la grande névrose. Ce n'est pas une paralysie ra-

diculaire traumatique bilatérale du plexus brachial dont d'ailleurs il n'existe

aucune raison pathogénique. Le malade est arrivé à un âge beaucoup trop

avancé pour que l'on puisse songer à une myopathie scapulo-humérale de

Erb. L'atrophie musculaire que nous constatons n'a aucun des caractères

de celles qui se voient au cours de névrites infectieuses ou toxiques. Il ne

s'agit pas d' atrophie musculaire progressive du type.c1l'an-Duchenne qui dé-

bute par les petits muscles des mains, ce n'est pas la forme scapulo-hu-

morale de Vulpian où les contractions fibrillaires existent, où se voit la

réaction de dégénérescence. Ce n'est pas une poliomyélite chronique, ce

n'est pas une syringomyélie traumatique, ce n'est pas une pachyméningite

cervicale hypertrophique, ce n'est pas une sclérose latérale amyotrophique.

Au contraire, l'atrophie musculaire présentée par le malade par ce fait

qu'elle est survenue après un traumatisme, qu'elle ne s'est pas accompa-

gnée de troubles de sensibilité, de troubles des réactions électriques, par

AMYOTROPHIE DOUBLE DU TYPE SCAPULO-HUMÉRAL 391

celait qu'il existe quelques craquements dans l'articulation scapulo-humé-

rale, par ce fait que les réflexes sont très exagérés, répond bien à la descrip-

tion des atrophies musculaires d'origine articulaire et abarticulaires dites

réflexes dont le pronostic n'est pas un pronostic très grave. Ce qui nous

paraît faire l'intérêt de notre observation, c'est la bilatéralité de l'atrophie

malgré l'unilatéralité du traumatisme.

S'il existe dans la littérature médicale des observations d'atrophies ré-

flexes abarticulaires unilatérales, il en est très peu qui puissent être mises

en parallèle avec celle que nous avons rapportée. Voici d'ailleurs les

quelques observations d'amyotrophies abarticulaires qui nous ont paru

intéressantes à rapprocher de la précédente.

Un jeune homme (1), âgé de 20 ans, occupé il fendre un tronc d'arbre,

reçoit à la partie antérieure de la jambe gauche un éclat de bois qui lui fit

une plaie confuse. Il y eut une douleur très vive et une petite hémorrha-

gie. La plaie guérit sans complication. Peu de temps après l'accident, le

malade qui n'avait pas cessé de travailler, remarqua que sa jambe s'était

affaiblie et qu'elle avait diminué de volume. A son entrée dans le service

de la clinique, plusieurs mois après le traumatisme, on constatait la pré-

sence de la cicatrice mesurant trois centimètres de longueur, elle était

située exactement à la paroi moyenne de la région antérieure de la jambe

gauche, elle n'était nullement douloureuse. Il existait une atrophie con-

sidérable de tout le membre inférieur portant sur les muscles de la jambe,

de la cuisse, de la fesse et ne prédominant pas sur tel ou tel groupe de

muscles. Il s'agissait d'une atrophie simple, sans réaction de dégénéres-

cence, sans contractions fibrillaires. Le réflexe rotulien était notablement

exagéré du côté malade. Pas de douleurs, aucun trouble de la sensibilité.

Le malade marchait sans difficulté, sans boiter. Il accusait seulement une

certaine faiblesse de son membre inférieur.

Un jeune, garçon (2) de dix-huit ans, employé de commerce, assis sur le

marchepied d'un wagon dans un train de banlieue, tombe sur la voie, et

se fait dans sa chute une légère érallure avec contusion au niveau du tiers

inférieur de la jambe gauche. Il put se relever aussitôt et faire une assez

longue marche après l'accident. La plaie guérit rapidement, mais au bout

de quelques jours il éprouva une sensation de faiblesse dans le membre

inférieur; bientôt il s'aperçut que sa jambe avait maigri ; il vint consul-

ter. Le membre inférieur était notablement atrophié dans ses trois seg-

ments (jambe, cuisse et fesse) ; toutefois l'atrophie prédominait manifes-

(i) Charcot, Progrès médical, 1893, p. 227.

(2) Charcot, loC. cit.

392 G. GUILLAIN

ment dans les muscles de la jambe. Atrophie simple, sans contractions

fibrillaires, sans réaction de dégénérescence. Les réflexes rotuliens étaient

exagérés des deux côtés, mais plus exaltés à gauche qu'à droite. Il n'y

avait pas de trépidation du pied, il n'existait aucun trouble de la sensi-

bilité, aucune douleur ni spontanée, ni provoquée. Tous les mouvements

étaient faciles, seulement le malade était incapable de se tenir longtemps

debout, de faire une course un peu longue sans éprouver un sentiment de

fatigue très marquée dans le membre inférieur malade.

Un jeune homme (1) héréditaire nerveux et nerveux lui-même dans le

cours d'une promenade en bicycle heurte violemment contre la pédale le

bord interne de son pied droit au-dessous de la malléole interne. Le gon-

flement survint dans la région contusionnée, et les médecins qui l'obser-

vèrent alors, diagnostiquèrent une ténosite des tendons fléchisseurs. Le

membre inférieur droit s'atrophie, et quand Charcot le voit, le malade

est obligé de s'aider d'une canne pour marcher. L'amyotrophie porte sur

la jambe, la cuisse, la fesse, elle est diffuse. Il n'y a pas de contractions

fibrillaires, pas de réaction de dégénérescence. Les réflexes rotuliens sont

exagérés des deux côtés. Il n'existe pas de troubles de la sensibilité.

Chez un autre malade de Charcot, une atrophie du même caractère s'é-

tait produite dans le membre inférieur droit à la suite d'une rupture mus-

culaire, de la déchirure du muscle soléaire.

Ces observations de M. Charcot sont absolument semblables à celle que

nous avons rapportée. C'est un traumatisme léger, vulgaire, banal, qui est

le point de départ d'une amyotrophie avec exagération des réflexes et ab-

sence de troubles de sensibilité. Quand Charcot publia des observations,

on connaissait déjà quelques faits semblables. Gosselin et Tillaux avaient

signalé des amyotrophies consécutives à des fractures. On en avait signalé

quelques cas à la suite des lésions phlegmoneuses ayant pour origine la

bourse du grand fessier. Von Lûcke avait mentionné le fait que la déchi-

rure d'un muscle pendant un effort peut en déterminer l'atrophie. Mais

ces observations, comme le dit Charcot, étaient exceptionnelles. Sans être

exceptionnelles, elles sont relativement rares si on les compare aux amyo-

trophies consécutives aux lésions des articulations qui, elles, sont fré-

quentes. '

M. le professeur Raymond rapportait récemment encore des exemples

d'amyotrophies réflexes d'origine articulaire (2). Dans l'une de ses observa-

tions, intéressante à cause de la bilatéralité de l'atrophie, il s'agissait d'un

(1) CHARCOT, loc. cit.

(2) Raymond, Atrophie musculaire d'origine réflexe. Bulletin médical, 28 mars 189'7 .

RAYMOI : OE, Atrophie musculaire réflexe. Journal de médecine et de chirurgie prati-

tiques, 1897, p. 809.

AMYOTROPIIIE DOUBLE DU TYPE SCAPULO-HUMÉRAL 393

homme de 45 ans qui, à la suite d'une course en bicyclette, eut une légère

arthrite tibio-tarsienne. Les muscles s'atrophièrent beaucoup au mollet et

à la cuisse, la marche devint impossible. Après une saison il Aix, la ma-

lade s'améliore, il reprend ses occupations, mais il y eut récidive et cette

fois l'atrophie envahit le côté gauche. Après un long traitement par le

massage el l'électricité la guérison fut à peu près.complète bien qu'il sub-

sistât un degré notable d'atrophie musculaire ainsi qu'une certaine exagé-

ration des réflexes. On trouvera dans une policlinique de Charcot (-1) une

intéressante observation de paralysie spasmodique amyotrophique de cause

articulaire. D'ailleurs nous croyons inutile demultiplierlescitations d'atro-

phies réflexes d'origine articulaire ; il s'agit là de faits bien connus et au-

jourd'hui classiques.

.. x

Les atrophies musculaires d'origine abarticulaire sont à rapprocher des

atrophies musculaires d'origine articulaire et cela de par l'évolution de

l'amyotrophie et sa guérison possible, de par l'absence de contractions

fibrillaires dans les muscles en voie d'amaigrissement, de par l'exagéra-

tion des réflexes tendineux, de par l'absence de la réaction de dégénéres-

cence. AuX'atrophiés musculaires d'origine articulaire et celles d'origine

abarticulaire sont applicables les mêmes notions pathogéniques, la même

interprétation étiologique. Cette pathogénie a été particulièrement étudiée

dans deux mémoires : l'un est de M. Raymond (2), l'autre de MM. Duplay et

Cazin (3). On trouvera dans ces deux travaux et aussi dans la thèse de Dero-

che (4) les développements historiques de la question, on y trouvera la

mention et la discussion des diverses théories proposées pour expliquer

cette variété particulière d'atrophie musculaire. Nous rappellerons briè-

vement certaines de ces théories intéressantes à connaître, car quelques-

unes d'entre elles sont encore défendues aujourd'hui.

1° Les muscles, a-t-on dit, s'atrophient parce que le membre est im-

mobilisé. C'est la théorie de Cruveilhier, d'Onimus, de Gillet. Max Sul-

zer (5) dans un travail récent défend encore cette opinion. Que l'inacti-

vité fonctionnelle ait une influence sur l'atrophie musculaire consécutive

à un séjour au lit de plusieurs- semaines ou de plusieurs mois chez un

malade ayant une lésion articulaire grave, une fracture maintenue sous

un appareil inamovible, il y a là un fait possible. Toutefois cette théorie

(1) Charcot, Leçons du mardi, t. 1, p. 243.

(2) RAYMOND, Revue de médecine, 1890, p. 374.

(3) Duplay et Cazin, Archives générales de médecine, 1891, p. 5.

(4)=Dsuocur, Th. Paris, 1890.

(5) Max SULZEI1, Allalomische Unteosuchurtgeu Uber llttskelatropltie arlicul. Uo-

sprungs, Basel, 1891. Analyse in Neurologisches Cenlralblalt, 1891, p. 845.

394 G. GUILLAIN

ne peut se généraliser,. elle ne peut expliquer tous les cas. Valtat (1) a

bien montré que, dans certaines observations, au bout de trois à quatre

jours la paralysie du muscle extenseur du genou peut exister, que, au

bout de dix à douze jours, l'atrophie est nette. Expérimentant chez les

animaux en injectant des liquides irritants dans les jointures, Valtat a

trouvé que déjà six jours après l'opération le mnscle extenseur correspon-

dant à l'articulation lésée a perdu 1/5 de son poids. Le jeune homme de

Charcot, dont nous avons rapporté plus haut l'observation, qui reçoit à la

jambe un éclat de bois et qui fait dans la suite une atrophie massive de

sa jambe, avait continué son travail. L'employé de commerce, qui sur le

marchepied d'un wagon tombe et s'érafle la jambe, fait une longue mar-

che après l'accident et ne s'immobilise pas. Le malade qui fait le sujet de

notre observation avait tous les mouvements de son bras normaux après

son accident. Donc la théorie de l'inactivité musculaire est insuffisante.

2° On a invoqué une névrite de voisinage. C'est une théorie soupçonnée

par Sabourin (2), développée spécialement par Descosse (3). L'iiiflamma-

tion partie de l'articulation se propagerait à l'enveloppe fibreuse des fais-

ceaux musculaires et de là au névrilème des dernières ramifications ner-

veuses. Les examens histologiques n'ont pas confirmé cette théorie. Otto

Kiliani (4), pour expliquer les atrophies consécutives aux fractures, admet

que le sang épanché au niveau du foyer de la fracture peut jouer le rôle

de corps toxique et agir comme un véritable poison.

3° La théorie de la propagation aux muscles de l'inflammation articu-

laire est infirmée, comme le disent MM. Duplay et Cazin, par les examens

histologiques. Elle ne peut d'ailleurs s'appliquer aux amyotrophies déve-

loppées à distance ou généralisées à un membre tout entier, ni rendre

compte de la rapidité avec laquelle ces atrophies peuvent se produire.

4° La théorie réflexe est la théorie admise aujourd'hui par la plupart

des neurologistes. Cette théorie soutenue par Vulpian, Valtat (5), Le

Fort (6), Charcot (7) a été expérimentalement prouvée par M. Ray-

mond (8). M. Raymond, chez les animaux, en injectant dans l'articulation

du genou soit du nitrate d'argent, soit de l'essence de térébenthine, a

amené la production d'atrophies musculaires ayant des caractères cliniques

(1) VALTAT, De l'atrophie musculaire consécutive aux maladies des articulations.

Th. Paris, 1877.

(2) Sabourin, De l'atrophie musculaire rhumatismale. Th. Paris, 1873.

(3) Descosse, Troubles nerveux locaux consécutifs aux arthrites. Th. Paris, 1880.

(4) OTTO Kiliam, Muskelatrophie nach Fracluren. Neurologisches Centralbl., 1897,

p. 846.

(5) VALTAT, IOC. cit.

(6) LE Fort, Société de chirurgie, 1872.

(7) Charcot, OLuvres complètes, t. 111, p. 23.

(8) Raymond, Revue de médecine, 1890, p. 374-392.

AMYOTROPHIE DOUBLE DU TYPE SCAPULO-HUIIfÉRAL 395

analogues à ceux que l'on constate chez l'homme. On voyait apparaître

chez les animaux l'impotence fonctionnelle, l'exagération des réflexes,

l'atrophie musculaire. Dans aucune de ses expériences M. Raymond n'a

constaté d'anesthésie, d'analgésie, mais souvent de l'hyperesthésie cuta-

née. M. Raymond a fait voir que l'atrophie musculaire ne se produit pas

si les racines postérieures de la moelle qui concourent à l'exercice de la

réflectivité des muscles sont sectionnées ou détruites. L'absence physiologi-

que des cordons latéraux chez les animaux nouveau-nés, leur destruction

ou leur section chez les adultes ainsi que l'hémisection de la moelle accé-

lèrent la marche de l'atrophie musculaire dans le membre correspondant

dont une articulation a été lésée, mais n'influent pas sur la marche de l'a-

trophie dans le membre opposé, si les articulations des deux membres ho-

mologues ont été le siège d'un traumatisme.

Hoffa (1) est arrivé aux mêmes conclusions que M. Raymond.

*

. "-

L'absence de lésions dans les examens anatomiques va nous expliquer

pourquoi les atrophies réflexes peuvent guérir.

Les examens histologiques de Valtat sont tout à fait insuffisants, M. De-

bove (2) dans un cas de rhumatisme chronique s'est livré à un examen

minutieux de la moelle et des nerfs périphériques, ses résultats ont été

négatifs. Négatifs aussi les résultats deMoussous (3). M. Raymond (4) n'a

pas constaté de lésions de la moelle ni des nerfs chez ses animaux ; il a

trouvé des lésions des muscles. Dans les muscles atrophiés la surface de

section des fibres primitives a subi une diminution de 1/4 à 1/3 à en

juger par comparaison avec la surface de section des fibres provenant du

muscle sain. De plus les divers éléments du champ de Cohnheim sont très

difficiles à distinguer même à un examen attentif. Les parties claires qui

correspondent à la substance interfibrillaire sont amincies considérable-

ment, les fibrilles viennent presque en contact immédiat les unes des au-

tres, ce n'est que par places irrégulières que l'on découvre des traînées

claires de matière proloplasmique.

En somme, dit M. Raymond, pour les atrophies musculaires traumati-

ques la diminution du volume du muscle dépend non pas d'une destruc-

tion de la substance contractile, mais d'une atrophie de la substance inter-

fibrillaire à laquelle le muscle est en majeure partie redevable de son

élasticité. Aussi l'on peut conclure que l'atrophie musculaire consécutive

(t) IIo'FA, Congrès des chirurgiens allemands. Berlin, 1892.

(2) DEBOVE, Progrès médical, 18S0, cité par Duplay et Cazin.

(3) Moussous, Contribution à l'étude des atrophies musculaires succédant aux lésions

articulaires, Th. Bordeaux, 1885.

(4) Raymond, loc. cil.

396 G. GUILLAIN

à une lésion articulaire est de nature réflexe elle dépend du retentisse-

ment de la lésion locale sur la moelle qui devient le siège d'altérations

purement dynamiques.

MM. Duplay et Cazin dans leurs expériences out, examiné les muscles,

les nerfs, la moelle de leurs animaux, ct, étant donné l'absence de lésions,

ils arrivent eux aussi à cette conclusion que l'atrophie musculaire ne peut

s'expliquer que par une action dynamique, par un simple réflexe dû li

l'irritation des filets terminaux des nerfs articulaires.

Darkschew itsch (1) a constaté l'intégrité de la moelle, des nerfs périphé-

riques, des muscles dans un cas d'atrophie musculaire consécutive à une

lésion articulaire observée chez l'homme.

Les résultais histologiques obtenus ont donc toujours été négatifs. Il

existe sans doute une observation de M. Klippel () qui, à l'autopsie d'un

sujet tuberculeux atteint d'une arthrite du genou, a trouvé des altéra-

tions manifestes des cornes antérieures du côté de l'arthrite. Mais, comme

le fait remarquer M. Raymond, il s'agit d'un tuberculeux et clans la cir-

constance on est toujours en droit de se demander si la lésion spinale était

sous la dépendance de l'arthrite ou si c'était uniquement une localisation

de la tuberculose.

.. *

Si l'on envisage le mécanisme le plus intime de l'atrophie musculaire

au point de vue de la pathologie générale, peut-être est-il possible, avec

Metchnikoff(3), de voir dans l'atrophie des muscles une résultante clel'ac-

tion des phagocytes musculaires, desmyophages de Podwyssotsky(4).

On peut se demander si, dans le cas des atrophies dites réflexes, la fibre

musculaire altérée quant à sa trophicité, recevant une excitabilité anormale,

ne devient pas alors la proie facile des nnophages. L'hypothèse de \letclmi-

koff et de Soudalcew itclt () nous a paru intéressante à rappeler dans cette

étude des atrophies réflexes, d'autant qu'il parait y avoir dans les phéno-

mènes phagocytaires une loi de biologie générale.

Somme toute ces atrophies musculaires consécutives à des lésions arti-

claires où à des traumatismes extra-articulaires ne sont pas fonction

(1) D1RRSCIISR'ITSCfI, Neurol. Centralbl., 1891, p. 353.

(2) Klippel, Bulletin.de la Société anatomique, novembre 1881 et janvier 1888.

(3) Metcunikoff, Phagocytose musculaire . Atrophie des muscles pendant la trans-

formation des batraciens. Annales de l'Institut Pasteur, t. VI, p. 1.

(4) PODWYSSOTSKY, Traité de pathologie générale, 1891.

(5) SOUDAKEWITCII, Modifications des fibres musculaires dans la trichinose. Annales

de l'Institut Pasteur, 1892, p. 13.

AMYOTROI'JlOE DOUBLE DU TYPE SCAI'UW-llG1>1ÉRAL 397

d'une lésion des cellules radiculaires des cornes antérieures de la moelle,

mais fonction d'un trouble dynamique des corps cellulaires. Pour que la

cellule radiculaire exerce son action trophique normale, il faut que les

collatérales réflexes de Külliker n'amènent pas une irritation anormale.

Mais on peut se demander comment une irritation réflexe unilatérale peut

amener, comme dans l'observation que nous avons rapportée, une amyotro-

1)[ile double et symétrique ? Il y a des relations anatomiques évidentes, des

corrélations intimes entre les deux moitiés de la moelle. La loi de la sy-

métrie des réflexes de Ptlûger succède d'ailleurs à la loi de localisation.

CAJAL Gehugiiten, Külliker ont insisté sur la commissure protoplasmique

delà substance grise. Les corps cellulaires des parties médianes de la corne

antérieure ont des dentrites traversant la commissure antérieure pour se

ramifier et se terminer dans la substance grise delà moitié opposée delà

moelle. Par ces dentrites on comprencl qu'une incitation des cellulesradieu-

laires droites puisse agir sur les cellules radiculaires gauches et récipro-

quement. Les phénomènes de symétrie sont fréquents en pathologie mé-

dullaire et peut-être que, si l'on recherchait plus souvent les amyotrophies

bilatérales à la suite des arthrites, à la suite des traumatismes unilatéraux,

peut-être les rencontrerait-on plus fréquemment à des degrés divers d'ail-

leurs.

*

" "

On peut interpréter les amyotrophies d'origine abarticulaire d'une ma-

nière semblable aux amyotrophies d'origine articulaire. Puisque ces

deux variétés d'atrophie musculaire évoluent cliniquement avec des phé-

nomènes identiques, on peut supposer qu'elles sont similaires de par

leurs lésions ou mieux de par l'absence de lésions médullaires.

Sur les conseils de M. le professeur Raymond, nous avons profité de

l'observation de notre malade pour rappeler rapidement la nature et la

symptomatologie clinique des atrophies musculaires réflexes. Chez un ma-

lade tel que celui que nous avons observé, se présentant avec une atrophie

musculaire bilatérale scapulo-humérale avec une grande exagération des

réflexes tendineux, il était important de savoir reconnaître qu'il s'agissait

d'une atrophie simple consécutive un traumatisme banal chez un individu

ni héréditaire nerveux, ni nerveux lui-même, que cette atrophie pouvait

guérir par un traitement prolongé, partant que le pronostic était loin d'être

aussi sombre que le pronostic habituel des atrophies musculaires scapulo-

humérales, qui le plus souvent ne sont qu'une des phases de maladies

progressives et graves.

ACROMÉGALIE ET DÉGÉNÉRESCENCE MENTALE

PAR

F. FARNARIER

Interne des Asiles de la Seine.

Depuis que P. Marie (18) a fait connaître l'entité morbide qui porte son

nom, un nombre considérable de travaux ont été publiés sur J'acromégalie.

Actuellement, la symptomatologie est bien fixée ; l'anatomie pathologique,

grâce à des autopsies de plus en plus nombreuses, s'établit sur des bases

solides ; seule, la pathogénie permet encore de larges discussions, et des

observations nombreuses et précises sont nécessaires pour élucider tous les

problèmes qu'elle comporte, A ce point de vue, il nous a paru intéressant,

et peut-être utile, d'étudier les antécédents héréditaires des acromégalie-

ques, et d'examiner de près les troubles psychiques, les névroses et les

stigmates de dégénérescence assez fréquemment notés chez ces malades.

Mais avant de procéder à cette revue des documents épars dans la littéra-

ture médicale, nous allons brièvement rapporter l'observation d'un ma-

lade que nous suivons depuis 18 mois dans le service de notre maître,

M. le D' Sérieux, à l'asile de Ville-Evrard (1).

(1) Ce travail a été lu devant la Société médico-psychologique (séance du 31 juillet).

Quelques jours avant (le 20 juillet), notre excellent camarade Brunet, interne de

M. le Dr Magnan, avait présenté à la Faculté, comme thèse de doctorat, un travail

sur l'état mental des acromégaliques. Brunet arrive à la conclusion que 25 0/0 des

acromégaliques présentent des troubles psychiques, et que, chez ces malades, l'aliéna-

tion mentale est environ 8 fois plus fréquente que chez les individus normaux.

Au point de vue de la forme des troubles mentaux, Brunet sépare nettement les

psychoses confirmées (l'internement lui sert de critérium), des troubles plus légers,

compatibles avec la vie commune. Pour lui, les psychoses sont essentiellement cons-

tituées par des formes dégénératives, et la dégénérescence mentale doit seule être

incriminée dans leur pathogénie. Les troubles moins accentués se rangeraient en

deux catégories :

Dans la lre, on note de l'affaiblissement de l'intelligence et de la mémoire, avec

caractère inquiet et irritable. Brunet n'hésite pas, par analogie avec le myxoedème,

à mettre ces troubles sur le compte des altérations du corps thyroïde, si souvent

notées chez les acromégaliques.

Dans la 2', on trouve de la tristesse, avec misanthropie, hypochondrie allant

parfois jusqu'à la dépression mélancolique avec idées de suicide. Ces troubles, comme

les psychoses confirmées, ressortiraient à la dégénérescence mentale.

Ces conclusions de Brunet sont trop semblables aux nôtres pour que nous ne les

Nouv. Iconographie DE la SALPGTRll : RC. T. XII. PI. LXV

ACROMÉGALIE ET DÉGÉNÉRESCENCE MENTALE

(7'M;W.

ACROMÉGALIE ET DÉGÉNÉRESCENCE MENTALE 399

P... Georges, ébéniste, entré le 21 mars 1891.

Les renseignements que nous possédons sur les antécédents héréditaires

sont assez incomplets. Nous savons seulement que le père est mort à

80 ans de vieillesse, la mère à 50 ans, de congestion cérébrale. Le malade

n'a qu'une soeur, fort nerveuse et émotive, mariée et mère d'une fillette

en bonne santé. Dans les antécédents personnels nous ne relevons que des

convulsions entre 3 et 8 ans ; ces convulsions ont cessé pendant 3 ans

environ; puis elles ont reparu au moment de la puberté et persistent

encore. Elles ont déterminé l'internement du malade à Bicêtre, de 1871

à 1891, sauf un essai démise en liberté bien vite abandonné; depuis

1891, le malade est interné à la Maison de santé de Ville-Evrard.

A aucun moment la famille n'a remarqué de modifications notables dans

les traits du malade, ni dans le volume de ses mains ; une photographie

prise à l'âge de 20 ans le montre avec des extrémités normales ; le nez

et le menton ne présentent pas un développement excessif; la lèvre infé-

rieure seule est déjà proéminente et un peu renversée en dehors, ce

caractère se retrouve d'ailleurs chez la soeur du malade.

Aucune maladie infectieuse, ni dans l'enfance, ni depuis. Le malade

serait vierge ; il n'aurait jamais commis d'excès alcooliques.

Actuellement cet homme est âgé de 48 ans; il présente une taille de

1 m. 57 ; son teint est coloré, son poil blond roux. Le regard est sans

expression, et le visage tout entier exprime l'hébétude (PI. LXV).

L'attention est attirée, dès l'abord, par le développement exagéré de

toutes les saillies osseuses de la face : nez, pommettes, menton. Le nez est

très fort, long et large; de même les pommettes sont très saillantes et le

contraste est frappant entre le tiers moyen du visage, ainsi hypertrophié,

adoptions pas. Nous ferons seulement quelques réserves relativement aux modifica-

tions du caractère et de l'intelligence que Brunet rattache aux lésions thyroïdiennes.

Tout en reconnaissant l'influence que les troubles des fonctions thyroïdiennes (et

hypophysaires) ont sur la genèse de ces manifestations psychiques, il nous semble

que l'importance étiologique des tares héréditaires ne peut être niée même dans

ces cas, pas plus qu'elle n'est niable d'ailleurs chez les myxoedémateux eux-mêmes.

(La tuberculose et l'alcoolisme se retrouveraient souvent dans les antécédents héré-

ditaires des myxoedémateux, écrit M. 13oUl',qes (Art. Myxoedème du Manuel de De-

bove), on a noté aussi différentes névroses, la goutte, le diabète, le rhumatisme...). ).

Peut-être faudrait-il chercher dans la forme de l'hérédité la condition de ces difl'é-

rences. des troubles psychiques ; et de même que nous voyons des paralytiques gé-

néraux, fils de congestifs ou de neuro-arthritiques, faire une p. g. sans délire, alors

qu'un paralytique général fils de vésaniques sera délirant, de même nous serions

portés à admettre que les acromégaliques fils de congestifs seront seulement affai-

blis au point de vue intellectuel, alors que ceux qui ont des aliénés parmi leurs

ascendants seront mélancoliques ou arriveront même à une psychose confirmée. Ce

n'est évidemment là qu'une simple hypothèse que nous donnons pour ce qu'elle

vaut, et que des recherches ultérieures pourront seules confirmer ou infirmer.

400 F. FARNARIER

'et le front bas et fuyant. Mais, la partie dont le développement est leplus

extrême est certainement le maxillaire inférieur ; il est épaissi, augmenté

de hauteur et projeté en avant. L'hypertrophie porte non seulement sur

le corps de l'os, mais aussi sur le rebord alvéolaire, si bien que, malgré le

prognatisme assez marqué du maxillaire supérieur, l'arcade dentaire infé-

rieure est encore débordante d'au moins un centimètre (On sait que nor-

malement c'est le maxillaire supérieur qui chevauche sur l'inférieur). Cette

projection en avant de la partie inférieure de la face a pour effet d'accen-

tuer beaucoup l'obliquité du diamètre occipito-mentonnier, qui, chez

notre malade, fait, avec l'horizontale, un angle de 35 à 40° environ.

Les parties molles qui recouvrent ces massifs osseux sont également

hypertrophiées : la peau est épaisse, mais sans oedème, très rouge; les

lèvres sont énormes, et l'inférieure, repoussée en avant par le développe-

ment du rebord alvéolaire, laisse constamment la bouche entr'ouverte. Les

dents sont en très mauvais état, noires, déchaussées, mais sans anomalie

de nombre, ni d'implantation : la voûte palatine est très fortement ogivale ;

la langue, large et épaisse, couturée de cicatrices, ne remplit qu'imparfai-

tement ses fonctions phonétiques ; aussi cette difformité, jointe à l'infé-

riorité intellectuelle du sujet, rend la parole lente et embarrassée.

Voici quelques mensurations de l'extrémité céphalique.

Diamètre occipito-mentonnier ....... 24 cent.

, - frontal (à la glabelle) ....... -18,9

- bi-paiiétal ........... z,2

- hi-temporal........... 1 ? ,,2

- bi-malaire ........... M1,9

Si nous passons maintenant à l'examen des membres, nous constatons

que les masses musculaires assez peu développées sont flasques et se con-

tractent mollement ; aussi l'essai dynamométrique ne donne-t-il que 21 à

droite et 35 à gauche (bien que le malade ne soit pas gaucher). Contrastant

avec le faible volume des segments supérieurs, les extrémités paraissent

énormes; les mains sont larges et épaisses, le développement maximum

correspondant la région des articulationsmtacarpo-phalangiennes; néan-

moins les doigts sont également larges et carrés ; les éminences thénar et

hypothénar sont développées ; la peau, particulièrement sur la face dor-

sale, est épaisse et rugueuse, mais sans infiltration. Les ongles, striés lon-

gitudinalement, sont friables.

Les déformations des pieds sont analogues, et lit encore, l'hypertrophie

est surtout apparente au niveau des tôles métatarsiennes (surtout de la

première) ; à noter aussi la saillie postérieure du calcanéum.

Voici quelques dimensions des mains et des pieds :

ACIi01'fÉGALIE ET DÉGÉNÉRESCENCE MENTALE

401

Droite Gauche

' c/m c/m

Longueur du pli radio-palmaire à l'extrémité du

Mains 1 médius 20 » 20 »

Mains Largeur à la base des 4 derniers doigts 8 » 8 »

Circonférence au niveau des éminences 28 » 27 »

1 Longueur 27 » 28 »

Pieds Circonférence au niveau des articulations métatar- 25 »

( so-phalangiennes 25" » 25)) »

Signalons en passant, que la grande envergure est de 1 m. 69, supé-

rieure par conséquent de 12 centimètres à la taille.

Au tronc nous constatons une cyphose très prononcée s'étendant des

premières cervicales aux dernières dorsales, sans scoliose ; pas de lordose

compensatrice; aussi la tête est-elle fortement projetée en avant. Il

n'existe par contre pas de déformations thoraciques, et le sternum est nor-

mal.

La verge est un peu hypertrophiée, surtout au niveau du gland ; les

testicules sont normaux.

Nous en aurons terminé avec l'examen physique du malade quand nous

aurons dit que sa vue est hasse (l'acuité visuelle est de 1/2) ; il existe un

très léger degré de rétrécissement du champ visuel, surtout à gauche, mais

sans trace d'hémianopsie. Enfin, le corps thyroïde est normal et il n'existe

pas de matité rétrosternale dans la région thymique.

Nous avons dit que le malade était sujet depuis l'enfance à des crises

épileptiques. Ces crises ne sont pas très fréquentes actuellement ; elles

reviennent en moyenne tous les 12 à 15 jours, parfois remplacées par un

vertige.

Le tableau suivant résume les manifestations comitiales qu'a présentées

le malade depuis janvier 1898.

? H ' ? 3 ? ë .. Mars Avrit Mai JuinJuiUet Août 1 o s s TOTAL

r : z 'g s i; 'g u Mars Avril Mai Juin Juillet Août s g ^ ° -g s J2 I Total

jLjLJL ? JLJLJLJL

)898 544 4 4 31212212 2 31

1899 3 2 0 2 2 1 ) 10

Soit au total 41 crises ou vertiges en 18 mois, en moyenne 2 1/2 par

mois; le traitement bromure prolongé et intensif auquel est soumis le

malade ne parait pas influer sur la fréquence de ces manifestations.

Actuellement les facultés intellectuelles de notre malade sont très mo-

destes, et il peut être considéré comme dément. 11 sait lire, écrire et comp-

ter, mais il est incapable d'un raisonnement suivi, ses conceptions sont

au 27

402 F. FARNARIER

incohérentes, ses distractions frivoles; sa mémoire a baissé au point qu'il

évalue très faussement la durée de son séjour ici (12 ans au lieu de 8). Il

ne paraît se rendre nul compte des difformités dont il est atteint, et semble

très étonné quand on lui en parle ; son humeur, d'ordinaire paisible, est

parfois agressive, surtout après ses crises.

En résumé notre malade est très nettement acromégalique ; il est de

plus épileptique, et sa névrose l'a conduit sur les confins de la démence.

Nous n'avons trouvé dans la littérature médicale que trois cas de cette

curieuse association acromégalo-épileptique. Le premier, rapporté par

Raymond et Souques (25) au Congrès de Nancy de 1896, concerne un acro-

mégalique de 54 ans, sujet depuis 3 ans à des crises d'épilepsie partielle ;

dans ce cas, la pathogénie est bien nette, et les auteurs admettent que la

tumeur hypophysaire irrite à distance, par action réflexe, la zone psycho-

motrice, et est ainsi la cause des convulsions. La même interprétation est

sans doute applicable aussi aux deux cas de Chalk (5) et de Marinesco (21)

où l'apparition des phénomènes convulsifs a l'âge adulte, en dehors de

toute infection, permet de supposer qu'il s'agit d'épilepsie partielle. Mais

elle ne saurait en aucune façon convenir à notre malade, qui présente

depuis l'enfance les symptômes de l'épilepsie la plus légitime.

Nous ne croyons d'ailleurs pas pour cela il une simple coïncidence des

deux affections ; nous pensons au contraire que le terrain de dégénéres-

cence mentale, ou pour mieux dire que l'hérédité névropathique, condition

nécessaire du mal comitial, est une condition au moins favorable au déve-

loppement de la maladie de Marie ; c'est ce qui nous parait ressortir de

l'examen de nombreuses observations éparses dans la littérature médicale.

Nous examinerons ces observations d'abord au point de vue des antécé-

dents héréditaires des malades qui en sont l'objet; nous étudierons ensuite

les troubles du caractère notés fréquemment chez les acromégaliques, et,

en dernier lieu, les cas d'acromégalie associée il une maladie mentale ou

nerveuse bien caractérisée.

I. Hérédité des acromégaliques.

Notons d'abord que cette influence de l'hérédité est diversement appré-

ciée par les auteurs ; c'est ainsi que Marie (18-20) et Sonaa-LeiGe (29)

rejettent absolument cette influence. Recklinghausen, Verstroeten (3 i), au

contraire, l'admettent, et, pour ce dernier auteur, « on rencontre souvent

dans les familles d'acromégaliques, une tendance au suicide, de la dipso-

manie, des maladies cérébrales ». Ajoutons que l'hérédité similaire a été

ACROMÉGALIE ET DÉGÉNÉRESCENCE MENTALE 403

notée deux fois d'une façon douteuse ; la tante d'une malade de Yerstrce-

ten (35) parait avoir été acromégalique, de même que la mère de la ma-

lade de Schwoner (27).

Enfin, le diabète est plusieurs fois signalé, soit dans les antécédents

héréditaires, soit chez le malade lui-même [Haskover (12), Lancer 'eaux (16),

Pick (24)].

Au point de vue de l'hérédité nerveuse ou vésanique, voici quelques

documents :

Verstroeten (35) donne en 1889 deux observations. Dans la première,

le père est triste et mélancolique, la mère meurt d'apoplexie ; sur dix en-

fants, deux se suicident, un troisième est faible d'esprit; plusieurs oncles

sont alcooliques. Dans la deuxième, le père est buveur, la mère, goitreuse.

Gïtiiioîî,(11), en 1890, publie le cas d'une malade acromégalique et hys-

térique ; le père et les parents paternels sont inconnus ; on sait seulement

qu'ils sont israëlites ; un oncle maternel est un déséquilibré, qui, quoique

fort intelligent, n'a jamais voulu apprendre de métier.

Une observation de Szcrnzont (30), la même année, est peut-être plus

démonstrative encore : on note l'apoplexie chez le grand-père paternel et

chez une tante paternelle ; du délire des persécutions ayant nécessité l'in-

ternement chez un oncle paternel ; la mère eststrabique ; sur 9 enfants, on

compte, outre l'acromégalie de la malade, un cas de strabisme, un cas

mortel de méningite, un cas d'imperforation congénitale de l'oesophage.

Le malade d'Haskovec (12), déjà cité, diabétique et alcoolique, était fils

et neveu de buveurs.

- Thomas (33) signale une acromégalique dont la mère mourut mélanco-

lique dans un asile d'aliénés.

Le malade de Lancereaux (16) avait « une lourde tare héréditaire ner-

veuse et herpétique ». 4

Moncorvo (23) publie en 1895 un cas, d'ailleurs caractéristique, d'acro-

mégalie chez un enfant de 14 mois microcéphale : la grand-mère mater-

nelle était nerveuse et asthmatique ; la mère, faible et nerveuse, avait

supporté beaucoup d'émotions pendant la grossesse ; le père était un ner-

veux, bizarre et exalté.

Le père d'un malade d'Uzverricht (34) meurt d'apoplexie.

Un autre malade d'Haskovec (13) a sa mère et un oncle maternel mélan-

coliques.

Le père du géant acromégalique illustré par Brissaud et Meige (3) est

mort d'apoplexie.

Garnier et Saintenoise (8) observent une malade aliénée et acromégali-

que, dont une tante paternelle a été internée, tandis qu'un frère est goi-

treux, comme la malade elle-même.

404 F. FARNARIER

Enfin Feindel et Froussard (7) publient le cas d'un malade de M. Bris-

saud, dont le père, alcoolique, s'est suicidé, et dont quatre frères ou soeurs

sont morts de convulsions en bas-âge.

Nous arrêterons là cette trop longue énumération ; elle suffit à montrer

quelles lourdes tares héréditaires pèsent souvent sur les acromégaliques, et

à nous expliquer les troubles de l'intelligence et du caractère, les psycho-

ses et névroses fréquemment signalées chez ces malades et que nous allons

passer en revue.

II. Troubles du caractère et de l'intelligence .

Nous serons bref sur ce sujet, car la notion de ces troubles est devenue

classique.

« Le caractère des malades est d'ordinaire sombre et mélancolique, leur

humeur inégale, écrit le Pr Grasset (1) ; mais ces modifications intellec-

tuellespeuvent être attribuées à l'impression pénible provoquée chez eux

par la contemplation constante des difformités dont ils sont porteurs, et

que l'intégrité de la sphère intellectuelle leur permet d'apprécier. »

Certes, nous ne contredirons point cette interprétation, encore que

nombre d'autres affections, plus graves et aussi « déformantes » que l'a-

cromégalie, n'affectent pas le moral de la même façon ; mais peut-on con-

sidérer comme « légitimement déprimé», le sujet observé par Brigidi [et

dont l'observation est rapportée par M.Marie (18)], qui fait une tentative de

suicide par submersion, et qui, retiré de l'eau par des bateliers, meurt le

surlendemain dans le coma après deux jours de délire ?

D'ailleurs, le professeur Grasset, dans son remarquable article déjà cité,

a soin de dire que « si l'intelligence est ordinairement intacte, dans des

circonstances exceptionnelles on a noté cependant de la dépression men-

taje et un état de mélancolie avec impulsions au suicide ; l'aliénation men-

tale a même été constatée ».

De fait, il est bien rare que dans les observations où ces recherches

ont été faites, on ne note pas l'indication d'un état mental bien spécial.

Voici l'observation de Fe ? ' (19). « L'intelligence était un peu lente,

mais assez lucide, l'humeur égale, mais plutôt susceptible à la plus légère

contrariété ». Celle de Henrol (19) : « l'intelligence est lourde ». Celle

de Kojernikof, « céphalées, indolence, apathie». Celles de Gerdinier (9) :

« les enfants du malade ont noté que depuis l'an dernier la mémoire a

baissé et le caractère s'est modifié, par ce fait que le malade rit à tout

propos; d'autre part, il se montre indifférent à tout ce qui se passe autour

de lui », et du même auteur, à propos d'un second malade : « on ne peut

obtenir aucun renseignement précis sur le début de la maladie, par suite

de l'infériorité de l'état intellectuel . »

ACROMÉGALIE ET DÉGÉNÉRESCENCE MENTALE 405

Nous pourrions multiplier à l'infini les citations, mais nous préférons

passer immédiatement à l'examen des troubles les plus prononcés du sys-

tème nerveux chez les acromégaliques.

III. - Psychoses et névroses.

Rappelons tout d'abord les cas d'épilepsie observés par Raymond et Sou-

ques (25), par Marinesco (21), par Chai ? (5), ainsi que celui de notre

malade.

La malade déjà citée de Guinon (11) est une hystérique (plaques dyses-

thésiques au niveau des poignets, ovarie droite, point douloureux xyphoï-

dien, attaques de nerfs nettement hystériques).

DerCU1n (6) cite un malade « qui a eu, à plusieurs reprises, de véritables

accès de dépression mélancolique ».

Un des malades d'Hccslrovec (12) est également sujet, la nuit surtout, à

des accès de désespoir et de mélancolie qui le portent à des idées de sui-

cide.

Lynn Thomas (17) nous rapporte le cas d'une jeune fille de 18 ans,

acromégalique, « qui perdit peu à peu la mémoire, la raison et le contrôle

de ses sphincters ; rapidement, elle devint triste et mélancolique ».

Mendel (22) a également observé l'acromégalie associée à l'aliénation

mentale chez une jeune femme de 25 ans. ,

Tamburini (31) cite le fait d'une malade qui, acromégalique à l'âge de

28 ans, fut atteinte, quelques années plus tard, de délire des persécutions

avec phases d'agitation et démence terminale.

Un malade déjà cité d'llaskovec (13), atteint de faiblesse psychique, est

colère et agressif ; dans l'enfance, consécutivement à une méningite trau-

matique, il était resté muet pendant trois ans.

D'db2cndo (1) appelle l'attention sur les troubles psychiques d'un acro-

mégalique observé par lui.

Pick (24), en 1890, publie l'observation d'un acromégalique, diabéti-

que, frère d'un suicidé, qui fut atteint de paranoïa hallucinatoire aiguë, et

qui, remis en liberté après guérison, se suicida- au bout de quelques

années.

Tanzi (32), en 1891, donne l'histoire d'un malade soigné une première

fois à l'asile de Genève pendant 25 ans, et qui y revint cinq ans après avec

une acromégalie typique. Lors de ses deux séjours, il était violent, irrita-

ble, sujet à des accès de vive agitation, de plus, halluciné lors du premier

internement. Un de ses frères est également interné.

Plus récemment, Gamieret Sainlenoise (8) observent une malade entrée

à l'asile de Dijon avec le diagnostic de manie aiguë ; mais, ajoutent les

406 F. FARNARIER

auteurs, il ne s'agit vraisemblablement là que d'un épisode délirant dû à

la dégénérescence mentale (cette malade, déjà citée, était nièce d'une alié-

née, soeur d'un goitreux, goitreuse elle-même).

Le Pr Joffroy (14) fait en 1895 une leçon clinique sur une femme

de 58 ans, acromégalique depuis 4 ou Sans. « La mémoire a tellement

faibli qu'elle ne peut plus se rappeler le jour ou la date et qu'elle oublie

d'un moment à l'autre ce qu'on vient de lui dire ou ce qu'elle doit faire ;

c'est ainsi qu'elle est incapable actuellement de faire le moindre achat

ou de préparer sa nourriture. En même temps, elle est indifférente, apa-

thique, insouciante, et dans un état d'aboulie tel que son placement dans

un asile s'est imposé. »

Enfin, D. Blair (2), relate l'observation d'une acromégalique atteinte

de délire des persécutions systématisé, avec idées de grandeur.

Ajoutons, pour terminer cette trop longue énumération, que Schlesin-

ger (26) a observé un cas de tic généralisé très prononcé chez une acro-

mégalique , que Silva (28) a publié le cas d'un acromégalique atteint

d'arrêt de développement entre 12 et 20 ans (la taille à 25 ans était de

1 m. 58, une soeur du malade âgé de 30 ans mesure 1 m. 38) ; que le

malade de Moncorvo (23), déjà cité, était un microcéphale, idiot, avec pa-

raplégie et contractures, elqu'enfin, tout récemment, Feindel et Frous-

sard (7) publiaient leur remarquable observation d'acromégalie chez un

dégénéré, présentant des stigmates physiques et psychiques, une myoclo-

nie intermittente, et la maladie de Recklinghausen.

En résumé, et pour faire la synthèse des nombreux faits que nous venons

d'exposer succinctement, nous voyons que les maladies nerveuses et men-

tales sont fréquentes dans les familles d'acromégaliques; et que, d'autre

part, les malades présentent eux-mêmes souvent des manifestations diver-

ses de l'état de dégénérescence, allant depuis l'affaiblissement intellectuel

jusqu'à la démence complète (cas de Joffroy) depuis la dépression mélan-

colique jusqu'à des idées systématisées de persécutions (malade de Blair),

depuis des stigmates physiques bénins jusqu'à la microcéphalie avec

idiotie (cas de Moncorvo) ; enfin, qu'on a rencontré des associations acro-

mégaio-bystériques et acromégaio-épiieptiques ; que le diabète est aussi

plusieurs fois noté.

Nous ne voudrions pas tirer de ces faits des conclusions prématurées ;

mais il nous semble légitime de les constater dans une formule géné-

rale, acceptable quelle que soit la théorie pathogénique que l'on adopte

pour la maladie de Marie, et de dire, par exemple, que « l'hérédité neu-

ro-artlanitiqase oit vésaniqn8 offre un terrain favorable au développement de

ACROMÉGALIE ET DÉGÉNÉRESCENCE MENTALE 407

l'acromégalie, et que celle-ci à son tour, par les perturbations certaines

qu'elle provoque dans le fonctionnement de glandes et sécrétion interne comme

l'hypophyse, réagit sur le système nerveux déséquilibré de l'héréditaire, dé-

terminant ainsi, suivant les prédispositions individuelles, l'éclosion d'affec-

tions nerveuses ou mentales variées, mais toujours en rapport avec l'état de

dégénérescence » .

AUTEURS CITÉS :

(1) D'ABUNDO, Manicomio moderno, 1896.

(2) D. Blair, Journal of mental Sciences, 1899.

(3) BI11SS.1UD ET Neige, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1897.

(4) Brunet, Thèse de Paris, 1899. ,

(SI CIIALK, in Duchesneau, th. de Lyon, 1891.

(6) DEMUM, Amer. Journal of the med. Sciences, 1893.

(7) Feindel ET Froussard, Revue neurologique, 1899.

(8) Gaunier ET Saintenoise, Archives de neurologie, 1897.

(9) Gordinier, Medical News, 1895.

(10) Grasset, Traité des maladies nerveuses, t. II, p. 231

(11) GUI : 010N, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1890.

(12) Haskovec, Revue de médecine, 1893.

(13) - Un cas d'acromégalie, Vienne, 1896.

(le) Joffroy, Progrès médical, 1898.

(15) KOZERNIKOFF, Société des aliénistes et neurolog. de Moscou, 1892.

(16) Lancereaux, Semaine médicale, 1895.

(17) LyxN Thomas, Brit. medic. Journal, 1895.

(18) Marie, Revue de médecine, 1886.

(19) - Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1888-89.

(20) - Progrès médical, 1889.

(21) Marinesco, Société de Biologie, 1895.

(22) 111ewEL, Berliner lin. Wochenschr., 1895.

(23) Moncorvo, Allg. Wiener med. Zeitschr., 1895.

(24) Pick, Prager med. Wochenschr, 1890.

(25) RAYMOND ET Souques, Congrès de Nancy, 1896.

(26) SC ! II.EIGER, Club medical Viennois, 1895.

(27) SCIJWOi'OER, Zeitschr, f. Klin. Med. Bd. XXXII.

(28) SILVA, Société médico-chirurg. de Pavie, 1895.

(29) Souza LEITE, Thèse de Paris, 1890.

(30) Surmont, Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1890.

(31) Tamrurim, Centralbl. f. Nervenheilk., 1894.

(32) Tanzi, Archiv. ital. di clinica médica, 1891.

(33) Thomas, Revue médicale de la Suisse romande, 1893.

(34) Uwrwucnr, Mùnchn. med. Wochenschr., 1895.

(35) Verstroeten, Revue de médecine, 1889.

HOSPICE DE LA SALPÊTRIÈRE

TRAVAIL DE LA CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

ETUDE SUR LES

TROUBLES OBJECTIFS DES SENSIBILITÉS SUPERFICIELLES

DANS LE TABES

(Suite et fin.)

par LES Drs

André RICHE et de GOTHARD

Observation V.

Caub... (Honorine), 47 ans, couturière ; entrée le 18 avril 1896.

Antécédents. - Son père est mort subitement il 55 ans, sa mère est âgée de

76 ans, elle a une bronchite chronique. Ses deux frères et ses trois soeurs sont

bien portants. -

Rien à signaler dans l'enfance. Réglée à 11 ans elle l'est encore régulière-

ment. Elle est mariée, son mari est en bonne santé ; elle a eu un enfant qui

est mort de la coqueluche à 3 ans 1/2 ; on ne relève aucun signe syphilitique.

Début de la maladie. - Il Y a quatre ans, en 1895, elle éprouve des don-

leurs fulgurantes très intenses. Rapidement, en deux mois, la marche est de-

venue difficile, et pour piquer à la machine, elle devait fixer ses pieds sur la

pédale ; elle avait tendu des cordes dans sa chambre pour éviter des chutes.

Après différents séjours à Bichat, à l'Hôtel-Dieu, à Lariboisière, la malade

entra à la Salpêtrière il y a deux ans; il ce moment la marche était impossible,

les jambes sautant dans tous les sens. Elle aurait eu des crises laryngées.

Depuis le commencement de la maladie, elle dit voir trouble et elle a eu de

la diplopie. Au début également elle aurait eu de l'incontinence d'urine et des

matières avec de l'anesthésie des sphincters.

Depuis son entrée à la Salpêtrière, il s'est déclaré de la rétention de l'urine

qui a nécessité des sondages et qui persiste encore, mais à un degré moindre,

la malade parvenant à uriner seule. Elle a éprouvé des troubles gastriques

revenant par crises dans lesquelles ont lieu des vomissements après de grands

efforts.

Elle a été traitée par le nitrate d'argent, l'iodure de potassium, l'hydrothé-

rapie, et quelque temps par la méthode de Frenkel.

T, XII. PL, LXVI.

PL V

TROUBLES DES SENSIBILITES DANS LE TABES

(A. Riche et De Gothard.)

Observation V.

TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES 409

Etat actuel. - L'état général est bon, il n'y a pas de troubles de l'appareil

digestif, l'appétit est seulement un peu diminué.

Rien aux poumons ; le coeur bat normalement, le deuxième temps à la base

est éclatant, le pouls bat 96, l'artère radiale est un peu dure. Quelques trou-

bles vaso-moteurs sont décelés par l'apparition de rougeurs à l'exploration de

la sensibilité.

A l'examen des yeux, on note de l'inégalité pupillaire, la pupille droite étant

plus large que la gauche. Les réflexes sont normaux. A l'ophtalmoscope, les

nerfs optiques sont un peu décolorés dans leurs contours; l'acuité visuelle est

normale, il n'y a pas de rétrécissement du champ de la vision ; pas de diplopie,

de dyschromatopsie, ni de nystagmus.

Les réflexes sont abolis aux membres supérieurs et inférieurs, le réflexe

plantaire est en flexion, il n'y a pas de clonus.

Pas d'atrophie musculaire, la force est partout conservée, le dynamomètre

marque à droite 24, à gauche 20.

Aujourd'hui les douleurs persistent dans l'espace compris entre le pied et

l'articulation du genou ; ces douleurs sont lancinantes, reviennent trois à qua-

tre fois par semaine, par crises durant environ un quart d'heure ou une demi-

heure ; il n'y à pas de douleurs en ceinture. Pendant les règles les douleurs

sont plus vives.

1. - Sensibilité objective superficielle (PI. LXVI).

I. Tact. - A. Face antérieure. - Anesthésie des deux membres inférieurs,

remontant du pied jusqu'au pli inguinal.

B. Face postérieure. Anesthésie jusqu'au pli fessier.

IL Douleur. A. Face antérieure. Analgésie remontant jusqu'à la moi-

tié de la jambe droite, hyperalgésie aux membres supérieurs et au thorax jus-

qu'à la ligue bi-axillaire.

B. Face postérieure, - Hypoalgésie aux deux plantes des pieds et hyperal-

gésie en ceinture.

III. Température. - A. Face antérieure. - Hyperesthésie au froid, à l'ab-

domen.

B. Face postérieure. Hyperesthésie an chaud à la plante du pied droit ;

hyperesthésie à la plante du pied gauche. Hyperesthésie à la chaleur, aux deux

fesses, hyperesthésie au froid.

Observation VI.

Boit... Elise, 49 ans, corsetière, entrée le 13 juillet 1897, salle Rayer, lit

no 3.

Antécédents. Son père est mort à 63 ans accidentellement, sa mère est

morte à 74 ans d'une affection pulmonaire aiguë.

Elle a eu cinq frères et soeurs : deux sont morts vraisemblablement de tu-

berculose pulmonaire ; les trois qui vivent ont une bonne santé.

On ne relève pas de maladies nerveuses dans la famille.

Rien à signaler dans l'enfance. A 12 ans, fièvre typhoïde. Réglée à 13 ans,

410 ANDRÉ RICHE ET DE GOTUARD

elle l'a toujours été régulièrement et elle l'est encore' maintenant. Elle s'est

mariée il 35 ans, son mari est mort à 67 ans. Elle a eu deux filles ; l'une est

bien portante, l'autre est morte il 24 ans, ayant présenté pendant 5 ans, de

grandes crises convulsives. La malade dit n'avoir jamais eu de syphilis, et on

ne relève pas de traces de cette infection.

Débul de la maladie. - Celle-ci s'est manifestée, il y a 8 ans, par de la gène

dans les mouvements de la jambe gauche ; elle a éprouvé en même temps de

la diplopie qui a disparu après une quinzaine de jours. Un an après elle eut

du ptosis de la paupière gauche. Les troubles dans la jambe gauche sont restés

à peu près stationnaires pendant 5 ans, sauf des périodes de 8 à 15 jours pen-

dant lesquelles elle était obligée de s'arrêter, la malade continuait à marcher et

à piquer à la machine ; pendant tout ce temps, elle ressentait des douleurs ful-

gurantes dans les genoux, les cuisses et les orteils, ainsi que des fourmille-

ments dans les talons et la plante des pieds. Il y a trois ans, les mouvements

de la jambe droite qui, jusque-là, était restés absolument normaux, se sont

troublés à leur tour et, bientôt après, la marche est devenue impossible ; depuis

ce temps les douleurs fulgurantes ont diminué d'intensité ; c'est dans ces

conditions qu'elle est venue à l'hôpital le 13 juillet 1897. Depuis ce temps elle

a subi 27 séances d'élongation à deux fois par semaine. Les troubles urinaires

ont disparu. Elle a suivi également un traitement ioduré; enfin on lui a fait

faire, mais sans suite, quelques exercices de rééducation.

Etat actuel. -Il est bon : aucun trouble des fonctions digestive, respira-

toire, urinaire. Les règles viennent encore quoique moins régulières depuis

deux mois ; rien au coeur, l'artère radiale est souple, le pouls bat 90 à la mi-

nute. Du côté des yeux, on remarque de l'inégalité pupillaire, le réflexe lumi-

neux est aboli, la pupille droite se contracte pour l'accommodation, tandis que

la gauche, plus large, se dilate un peu. La paupière supérieure gauche est lé-

gèrement tombante. Acuité visuelle normale, pas de dyschromatopsie, pas de

lésion du fond de l'oeil. ,

Les réflexes sont abolis aux poignets, aux coudes, aux genoux, aux tendons

d'Achille.

Les réflexes plantaires ont lieu en flexion.

Il n'y a pas de trépidation spinale.

La force musculaire est conservée; le dynamomètre marque 36 kilogr. à

droite, et 25 kilogr. à gauche.

Les douleurs sont moins vives ; elle ressent dans les seins, le gauche sur-

tout, des sensations de fourmillement, d'arrachement que calme la compres-

sion de la région. Dans les pieds, elle éprouve des douleurs constrictives que

n'influence pas la venue des règles.

1. - Sensibilité objective superficielle (PI. LXVII).

I. Tact. A. Face antérieure. - Anesthésie remontant jusqu'à une ligne

transversale, passant au-dessus des seins, s'étendant dans l'aisselle droite. Il y

a cependant dans toute cette étendue des zones où la perception tacite existe,

quoique très émoussée, comme aux flancs, à la face antéro-externe de la cuisse

Pu. vu

TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES

(A. Riche et De Gothard.)

TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES 411

droite; à la face interne de la cuisse gauche, la perception est normale. Il

y a de l'hypoesthésie dans la zone du cubital, au bras gauche, aux deux

mains.

B. Face postérieure. - Anesthésie jusqu'à la ceinture, remontant du côté

droit du tronc jusqu'à l'aisselle. Le tact est perçu très faiblement à la racine

des orteils droits et dans une zone en ceinture remontant il gauche jusqu'à la

ligne axillaire. On retrouve l'hypoesthésie cubitale qui s'étend à tous les doigts

en respectant l'éminence thénar et le pouce de la main gauche.

IL Douleur. - A. Face antérieure. - Hypoalgésie depuis l'articulation

tibio-tarsienne, jusqu'à la ligne bi-axillaire. L'aisselle droite est insensible, il

y a une petite plaque d'hypoalgésie à la partie externe de la face supérieure du

pied droit. Hyperalgésie au flanc droit et aux mains jusqu'à l'extrémité des

doigts.

B. Face postérieure. Hypoalgésie depuis les orteils jusqu'au pli fessier, et

dans la zone cubitale jusqu'à l'articulation du poignet. Hyperalgésie aux mains

jusqu'au bout des doigts.

Aux pieds, il y a un retard de la perception de 3" à la face supérieure, de

4" à la face plantaire, de 2" aux artères.

III. Température. A. Face antérieure. A la chaleur, hypoesthésie aux

jambes, à la face externe des cuisses et à la main droite ; hyperesthésie à tout

le tronc. Au froid, hyperesthésie dans les régions axillaires.

B. Face postérieure. - A la chaleur, hyperesthésie à la face interne des

cuisses et aux fesses.

A la plante des pieds, la sensation de chaleur est perçue avec un retard de 3".

Observation VII.

Sou... (Marie), 47 ans, ménagère.

Entrée le 10 août 1897 petite salle Cruveilhier, lit n° 4.

Antécédents. - Le père est mort à 72 ans, d'une fluxion de poitrine ; la

mère est morte à 40 ans, un an après avoir accouché de sa fille,

Elle a cinq frères et deux soeurs, tous bien portants.

On ne relève pas de maladies nerveuses dans la famille.

Rien à signaler dans ses antécédents personnels.

Réglée à 15 ans, elle l'a toujours été régulièrement. A 29 ans, elle a eu une

bronchite qui dura plusieurs mois. Au dire de la malade elle n'a jamais eu

la syphilis ; dans les commémoratifs on ne trouve aucune trace de cette infec-

tion.

Début de la maladie. - Il y a quatre ans, la malade, âgée de 43 ans,

éprouva de la faiblesse dans les deux jambes; elle chancelait dans l'obscurité,

la marche devint de plus en plus difficile. A ce moment elle ressentait de la

gêne pour uriner, elle était obligée d'attendre, de faire des efforts pour provo-

quer la miction, elle eut en même temps quelques crises d'incontinence.

Il y a deux ans, sont survenues des douleurs fulgurantes, parcourant les jam-

bes depuis le genou jusqu'aux orteils; elles se produisaient principalement la

nuit. Elle en eût aussi dans les bras. -

412 r) ANDRÉ RICHE ET DE GOTHARD

Vers cette époque également, la vue devint moins bonne, mais il n'y eut pas

de diplopie. ,

A son entrée dans le service de M. Raymond, la marche était devenue im-

possible.

Elle a suivi un traitement à l'iodure de potassium, puis elle a été sou-

mise à l'élongation pendant dix mois; les douleurs ont considérablement di-

minué.

Etat actuel. L'état général est assez satisfaisant : aucun trouble'gastrique,

constipation habituelle sans anesthésie du sphincter. Rien au larynx ni aux

poumons. Pas de troubles cardiaques, l'artère radiale n'est pas dure; le pouls

est petit, il bat 94.

Du côté des capillaires, on observe des phénomènes vaso-moteurs assez

spéciaux; il y a du dermographisme et la trace d'un crayon fait apparaître

sur la peau des raies rouges plus prononcées et plus rapidement visibles au

thorax qu'aux jambes.

La recherche de la sensibilité à la piqûre, faite le soir, amène une éruption

qui se présente le lendemain avec le caractère de papules, et bientôt se produi-

sent de véritables soulèvements épidermiques dont la trace persiste encore

quatre jours après. °

Les troubles urinaires ont disparu, il n'y a plus d'insensibilité du canal :

l'analyse de l'urine ne révèle rien de spécial.

Les règles ne viennent pas depuis deux mois.

Du côté de l'oeil, la malade n'a pas présenté de diplopie transitoire ; il y a

une légère inégalité pupillaire, la convergence se. fait bien. Les pupilles ne se

contractent pas à la lumière, maisréagissenténergiquementà l'accommodation.

Pas de dyschromatopsie. Acuité visuelle; o. d. = 1/6, o. g. = 1. A l'ophtal-

moscope décoloration grisâtre des nerfs optiques.

Les réflexes du poignet et du coude sont abolis des deux côtés, il en est de

même du réflexe rotulien et de celui du tendon d'Achille. Les réflexes plantai-

res ont lieu en flexion ; pas de trépidation spinale.

Il n'y a pas d'atrophie musculaire ; la force est conservée dans tous les seg-

ments de membres comme dans les muscles du tronc : le dynamomètre donne

à gauche 31 kilogr. et 33 à droite.

La malade ressent actuellement dans les jambes des élancements brusques

et passagers, ils augmentent pendant les règles et pendant cette période des

engourdissements douloureux persistent dans les membres inférieurs.

1. Sensibilité objective superficielle (PI. LXV111).

I. Tact. - A. Face antérieure. - Anesthésie sur la face médiane et au

côté droit, depuis les orteils jusqu'à trois travers de doigt au-dessus de l'om-

bilic, à gauche la perte de la sensation tactile remonte jusqu'à l'aisselle ; une

bande d'anesthésie s'étend sur les deux seins. On constate également l'existence

d'une zone d'anesthésie occupant la moitié droite du crâne à partir de deux tra-

vers de doigt au-dessus du sourcil.

Pl. VII

TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES

(A. Riche et'De Gaillard.)

Observation VII. '

Masson et CI., Éditeurs.

TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES 413

B. Face postérieure. - Anesthésie comme à la face antérieure dans les zones

correspondantes.

Au niveau des omoplates, zone anesthésique transversale, qui, réunie à la

zone mamillaire antérieure, forme une ceinture complète. La perception tactile

est abolie dans les creux axillaires. La plaque d'anesthésie crânienne s'étend

en arrière jusqu'à deux travers de doigt de la ligne sus-auriculaire.

IL DouLEUR. - A. Face antérieure. - Analgésie aux jambes, depuis le

pied jusqu'aux genoux ; hypoalgésie jusqu'aux plis inguinaux. Hypoalgésie dans

la zone d'anesthésie crânienne.

B. Face postérieure. A gauche, analgésie depuis le pied jusqu'au creux

poplité ; au-dessus hypoalgésie jusqu'au pli fessier. A droite, l'analgésie s'é-

lève moins haut, l'hypoalgésie est manifeste jusqu'au creux poplité.

Analgésie à la plante du pied droit hypoalgésie à celle du pied gauche. Anal-

gésie au creux axillaire s'étendant jusqu'au tiers supérieur de la face interne

du bras. Hypoalgésie au crâne disposée de la même manière que l'anesthésie.

III. Température. Chaleur. - A. Face antérieure. - Hyperesthésie à toute

la surface du corps, excepté dans la zone d'anesthésie crânienne où il y a di-

minution de la sensation thermique.

B. Face postérieure. - Hypoesthésie plantaire remontant à droite jusqu'à

quatre travers de doigt au-dessus des malléoles. Hyperesthésie remontant jus-

qu'à une ligne passant par les deux aisselles ; hypoesthésie en hémi-catotte.

A la racine de la cuisse gauche on observe dans la perception un retard de

1 seconde ; de 2 secondes au milieu de la cuisse , de 4 secondes au milieu de

la jambe ; de deux secondes à la face dorsale du pied.

A droite le retard est de 2 secondes au milieu de la cuisse et de la jambe ;

de 4 secondes à la face dorsale du pied.

FROID. A. Face antérieure. - Anesthésie à la face dorsale des pieds, re-

montant à droite jusqu'au tiers inférieur de la jambe ; on trouve aussi de l'hy-

poesthésie en demi-calotte.

B. Face postérieure. - L'anesthésie remonte à droite jusqu'au creux poplité,

à gauche jusqu'au tiers inférieur de la jambe. Il existe une plaque d'anesthésie

sur la fesse gauche et l'anesthésie en demi-calotte.

Une zone de dysesthésie s'étend en corset depuis la ligne axillaire jusqu'à la

ceinture ; le froid y doune la sensation de chaleur. *

Observation VIII.

. Desm... (Annette), 42 ans, entrée le 12 janvier 1899 à la Salpêtrière, salle

Rayer, lit n° 14.

Antécédents. - Le père est mort à G5 ans, d'une pneumonie ; la mère est vi-

vante, elle a 62 ans, et elle est bien portante, Ils ont eu huit enfants, dont il

reste six qui sont bien portants, l'un est mort à 19 ans d'une fluxion de poi-

trine, l'autre a été enlevée à la suite d'une fausse couche.

Il n'y a pas de maladies nerveuses dans la famille.

La malade est née à terme dans de bonnes conditions ; réglée à 16 ans, elle

l'a été toujours régulièrement. Elle s'est mariée à 21 ans, son mari a 45 ans,

414 ANDRÉ ITICIIE ET DE GOTIIARD

il a été atteint, il y a dix ans, d'une paralysie de la jambe droite. Elle a deux

enfants, et n'a pas fait de fausses couches.

Début de la maladie. - Il y a trois ans, elle a ressenti des douleurs dans

les bras ; très violentes elles parcouraient les membres dans toute leur étendue

la malade les compare à des coups de lance. A la même époque ont apparu des

douleurs en ceinture constrictives ; elle était comme serrée dans un étau, il

lui semblait être coupée en deux; elle eut en même temps des troubles de la

vue, elle voyait double : tous ces phénomènes se sont accompagnés de cépha-

lalgies violentes. Quatre mois après, elle éprouva des douleurs très fortes et

continues à la région épigastrique sans vomissements, mais d'une intensité

telle qu'elle ne pouvait dormir.

Jamais elle n'a éprouvé de troubles urinaires.

Elle entre à l'hôpital le 12 janvier 1899, dans un état d'amaigrissement très

grand ; on l'a traitée aux bains sulfureux, à l'électricité.

Etat actuel. - L'amaigrissement continue à s'accentuer, malgré la conser-

vation relative de l'appétit et la régularité actuelle des fonctions digestives. Pas

de troubles laryngés. L'auscultation des poumons et du coeur ne révèle rien

d'anormal ; l'artère radiale est un peu dure, l'artère temporale sinueuse.

Pas de troubles urinaires.

Le signe d'Argyll Robertson existe des deux côtés.

Elle a présenté de la diplopie transitoire pendant un mois, mais elle n'aurait

pas eu de strabisme. Il n'y a pas de dyschromatopsie, l'acuité visuelle esl nor-

male. Il y a de l'inégalité pupillaire, la pupille droite est un peu dilaté. A

l'ophtalmoscope pas de lésion du nerf optique.

Les réflexes du poignet et du coude sont abolis des deux côtés. Le réflexe

patellaire existe, un peu diminué cependant à gauche. Celui du tendon d'A-

chille est diminué à droite, il persiste il gauche. Le réflexe du gros orteil a lieu

en flexion à droite, il est douteux à gauche.

La malade présente de l'atrophie musculaire à un degré assez accentué.

L'état électrique établi le 6 mars 1899, par M. Dignat, donne les résultats

suivants :

Excitabilité faradique. - Les nerfs des membres supérieurs ont conservé

l'excitabilité (distance moyenne des bobines = 100 mm.). Les contractions sont

bonnes et égales des deux côtés, il en est de même pour les muscles, sauf ceux

de l'éminence thénar droite (atrophie).

Excitabilité galvanique. - Contractions dans les nerfs des membres supé-

rieurs, un peu affaiblies surtout dans la gauche NFC > PFC.

Cette excitation est conservée dans tous les muscles des membres supérieurs,

les contractions sont assez bonnes, il n'y a pas d'inversion polaire ; cependant

hypoexcitabilité très manifeste pour les muscles de l'éminence thénar droite.

A l'éminence hypothénar du même côté les contractions sont faibles et lentes

et PFC NFC. A l'éminence thénar gauche, les contractions existent, quoi-

que affaiblies et lentes, et PFC = NFC. De même, pour les muscles de l'émi-

nence hypothénar du même côté.

VIII

TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES

(A. Riche et De Gothard.)

Ou sen atioa VIII.

TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES 415

La force musculaire est un peu diminuée au bras droit; le dynamomètre

amène à gauche 18 kilogr., à droite 4 kilogr.

La malade souffre actuellement de démangeaisons douloureuses aux bras,

dans la zone d'innervation du cubital, depuis le coude jusqu'à l'extrémité des

deux derniers doigts. Ces sensations se retrouvent à l'épigastre et à la région

mammaire, elle ressent également des douleurs en corset très pénibles, parti-

culièrement à la région dorsale. -

1.- Sensibilité objective superficielle (Pl. LXIX).

I. TACT. - A. Face antérieure. - Anesthésie dans une zone comprenant la

région ombilicale et les trois quarts du thorax depuis le flanc gauche jusqu'à

une ligne horizontale passant par le creux axillaire. Hypoesthésie le long du

bord interne du bras jusqu'à l'extrémité des deux derniers doigts de la main.

B. Face postérieure. - Anesthésie en corset ; hypoesthésie aux fesses et aux

plantes des pieds.

IL Douleur. - A. Face antérieure. - Hypoalgésie dans le domaine du cu-

bital, à toute la paume de la main et aux deux derniers doigts à gauche; à

droite, dans toute la zone du cubital et aux deux derniers doigts ; enfin, dans

la région frontale gauche. Analgésie en corset. Hyperalgésie aux trois premiers

doigts de la main gauche et à tout le reste du corps.

B. Face postérieure. - Analgésie depuis l'aisselle droite jusqu'au bord in-

terne de l'omoplate gauche d'où elle s'étend jusqu'à la ceinture. Au côté gauche,

une bande d'analgésie va rejoindre celle observée à la face antérieure, cette

plaque d'analgésie est entourée d'une zone d'hypoalgésie qui complète le corset

et descend le long de la face interne des bras jusqu'aux deux derniers doigts.

Hypoalgésie en hémi-calotte gauche. Hyperalgésie partout sauf à la main droite,

dans le territoire innervé par le radial.

III. TEMl'ÉnATunE. 1. Face antérieure'. Hyperesthésie au chaud à toute

la partie supérieure du corps et aux jambes jusqu'à i'articu)ation tihio-tarsienne.

Hypoesthésie au froid dans une zone ovalaire, s'étendant du creux épigastrique

jusqu'au sein droit : une autre plaque existe au sein gauche et dans les deux

régions axillaires d'où elle s'étend dans les territoires d'innervation des nerfs

cubitaux. Aux autres parties du corps, excepté la tète, la sensation du froid

est plus intense que normalement.

B. Face postérieure. - Hypoesthésie en corset, au chaud, descendant le

long de la face interne des bras. Hypoesthésie au froid, remontant au thorax,

plus haut que l'hypoesthésie au chaud, descendant aussi le long des bras. Aux

autres parties du corps, les sensations thermiques sont perçues plus fortement

q i il'état normal.

L'hyperesthésie ne se produit pas immédiatement au contact du corps chaud,

notamment à la plante des pieds où il y a 2" de retard.

Chez tous ces malades on voit l'importance de ces troubles de la sensibi-

lité dans le tableau de leur affection ; un coup d'oeil jeté sur les figures sché-

matiques fait apprécier les caractères communs que réalisent les troubles

416 ANDRÉ RICHE ET DE GOTUARD

sensitifs superficiels et qu'on peut exprimer par ces mots, polymorphisme,

dissociation, tendance à la disposition segmentaire .

Ces trois caractères bien entendu ne se retrouvent pas constamment et

partout.

Valeur diagnostique DES troubles objectifs DE la sensibilité superficielle.

Il ne saurait être question de valeur absolue pathognomonique ces

phénomènes se montrent dans d'autres affections.

Le ralentissement dans la transmission des impressions périphériques

est cependant extrêmement fréquent dans le tabès, on ne l'observe qu'à

titre exceptionel dans d'autres affections du système nerveux.

Le caractère dissocié des anesthésies et des hypereslhésies se retrouve

dans la syringomyélie, dans la sclérose en plaques et dans les affections

générales qui comportent une altération de la substance grise centrale.

Toutefois dans la syringomyélie l'anesthésie dissociée se présente d'habi-

tude avec les caractères suivants : elle respecte la sensibilité tactile, elle

s'établit à demeure dans une zone aux limites bien définies et ces limites

sont sensiblement les mêmes pour l'analgésie et la lermanalgésie, elle

s'accompagne rarement de phénomènes d'hyperesthésie, au contraire

dans les cas de labes nous rencontrons toutes les modalités possibles de la

dissociation de la sensibilité.

Dans chacune des observations que nous présentons nous avons cons-

taté des altérations des sensibilités thermiques plus particulièrement de

l'hyperesthésie. -

Les modifications de ces sensibilités spéciales présentent plus généra-

lement une disposition segmentaire par rapport à la disposition générale-

ment radiculaire des troubles de la sensibilité au tact et à la douleur.

L'exagération des différents modes de la sensibilité se retrouve fré-

quemment (6 fois sur 8) à l'extrémité des doigts, contrairement à ce que

l'on observe dans la syringomyélie.

Enfin ou constate une ceinture incomplète d'anesthésie au tact dans

2 cas ; dans le cas du tabes supérieur une ceinture de môme ordre dans

l'étendue de laquelle l'anesthésie au tact et à la douleur existera première

dans des limites plus étendues que la deuxième, s'accompagnant d'hypo-

esthésies thermiques en zones disséminées au lieu de la dissocialion

syringomyél ique.

Dans les cas de sclérose en plaques, les troubles objectifs cle la sensibi-

lité sont relativement rares; quand ils existent ils sont le plus souvent

dissociés mais fugaces, sujets à des changements rapides, nulle part aussi

TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES 417 7

la tendance à la disposition segmentaire des anesthésies et des hyperesthé-

sies se montre aussi accentuée que dans les cas de tabes.

Si donc ces anesthésies et ces hyperesthésies n'ont pas une valeur pa-

thognomonique, elles peuvent néanmoins contribuer donner le caractère

de certitude à un diagnostic de présomption fait sur la constatation de

phénomènes tels que l'abolition des réflexes tendineux, les douleurs fulgu-

rantes, le signe d'Argyll et autres manifestations du tabes incipiens. Cette

valeur complémentaire des troubles objectifs de la sensibilité est surtout

à utiliser dans les cas de tabès supérieur, de tabes cervical lorsque l'aboli-

tion du réflexe patellaire, les douleurs fulgurantes, l'incoordination aux

membres inférieurs, les troubles urinaires font défaut.

Enfin la constatation de ces mêmes caractères est de nature à lever toute

hésitation dans un cas où des doutes s'élèveraient entre le diagnostic du

tabes vrai et celui du pseudo-tabes périphérique. Des troubles objectifs de

la sensibilité qui se présentent à la fois avec le caractère de dissociation

et la disposition segmentaire que vous avez vue ne peuvent dépendre que

d'une lésion des fibres radiculaires postérieures dans les racines postérieu-

res ou dans la moelle.

Déductions physiologiques.

La tendance à la disposition segmentaire des troubles en question auto-

rise en premier lieu à conclure que la lésion dont ils dépendent siège

dans les racines postérieures ou dans l'épaisseur même de la moelle. En

effet, on sait de par les remarquables recherches de Sherrington (1) que

le mode de distribution des fibres sensitives diffère notablement, selon que

l'on considère ces fibres dans les racines postérieures ou dans les nerfs

périphériques, chaque racine spinale postérieure fournit des fibres à dij"é-

rents nerfs sensitifs de la périphérie, d'autre part la surface tégumentaire

se trouve subdivisée en zones, en segments dont chacun tire son innerva-

tion sensitive d'une môme racine postérieure, ses segments empiètent les

uns sur les autres, en d'autres termes les territoires cutanés qui tirent leur

innervation sensitive d'une même racine postérieure ne constituent pas

des ¡lots circonscrits, ils se fondent les uns dans les autres, la plupart des

régions cutanées reçoivent ainsi des filets nerveux provenant de deux ou

trois racines contiguës.

On conçoit dès lors que tout autre sera la distribution d'une zone d'a-

nesthésie quand elle dépend de l'altération d'un nerf périphérique et tout

(1) Siieiuungton, Philosophical transactions of lhe Royal Society of London, vol. '181,

p. 641. Imperiments in examination of the peripheral distribution of the fibres of

the posterior roots, etc. Eod. loco, 1898, vol. 115, p. 45.

XII 28 z

418 ANDRÉ RICHE ET DE GOTUARD

autre quand elle dépend d'une ou de plusieurs racines postérieures ou de

leurs prolongements intra-médullaires.

Dans le premier cas : à la suite d'une névrite périphérique limitée à un

nerf, d'abord l'anesthésie s'observe très rarement, ce que l'on explique

d'habitude par l'intervention de la sensibilité récurrente, alors qu'il est

préférable de tenir compte dans ce fait des relations de l'innervation sensi-

tive de la peau avec les racines postérieures, ensuite cette anesthésie, si

elle existe, occupera tout entier et seulement le domaine de distribution

du nerf. Enfin il est tout à fait exceptionnel qu'une anesthésie d'origine

périphérique révèle le caractère de la dissociation.

Dans le 2e cas, au contraire, à la suite de dégénération par simple com-

pression, par exemple d'une ou de plusieurs racines postérieures, l'anes-

thésie tactile et l'analgésie ne s'observent que dans le domaine des seuls

nerfs qui tirent leurs fibres des racines lésées.

Or des lésions semblables ne nous rendent pas compte suffisamment de

la disposition segmentaire de certaines anesthésies et hyperesthésies que

nous avons constatée chez nos malades ; elles ne nous expliquent pas non

plus le caractère de dissociation des troubles de la sensibilité non moins

accusées dans les cas de tabes.

L'explication de ces deux caractères se trouve au contraire en remon-

tant plus haut et en cherchant la cause véritable dans la lésion des cordons

médullaires et de la substance grise de la moelle.

D'après les recherches de Ross (1), d'Allen Star (2), de Thornburn (3),

de Bruns (4), de Laer (5) et de Sherrington (6), qui nous ont renseigné sur

le mode de distribution des anesthésies d'origine spinale, nous savons que

les lésions intra-spinales se traduisent par des anesthésies à disposition

segmentaire : A chaque segment (en hauteur) de la moelle correspond une

zone d'innervation sensitive périphérique et on a pu ainsi établir des rela-

tions précises entre la distribution des anesthésies segmentaires et la hau-

teur à laquelle siège la lésion intra-spinale dont elle est une des consé-

quences.

D'après les recherches d'Allen Star une lésion du segment d'où émer-

(1) Ross, On the segment distribution of se¡¡so¡'y dis01'del's, Drain, 1888, t. 10, p. 333.

(2) ALLEX Star, Local anesthesia as a guide of lhe diagnosis of llze lesions of llze

lewer spinal cord, Journ. of med. sciences, 1892, - Brait), 1894, t. XVII, p. 481, - A

contribution of the subjecl of lumours of the spinal cord, etc... American Journal

of medical Sciences, 1895, p. 613.

(3) TIlOnXB1JRl'i, The sens, distribution of spin. nerves, Brain, 1893, t. XVI, p. 35.

(4) Bruns, Ueber einen Fait lolaler Irommalischer Zersloerung des Riickellinai-Ics,

Archiv. sur Psychiatrie undNervenkrank., 1893, t. XXV, fasc. 3, p. 750.

(5) Lien, Ueber sensibililae Slcerungen bei Tabès dorsalis und ihre localisation,

Eod. loco, 1895, t. XXVII, fas. 3, p. 688 et t. XXVIII, fasc. 3.

(6) SIICIIIiING'rON, loc. cil.

TROUBLES DES SENSIBILITÉS DANS LE TABES 419

gent les première et deuxième racines dorsales se traduit par une étroite

zone d'anesthésie de la face interne des bras et des avant-bras, l'anesthé-

sie respectant la main.

Une lésion d'où émane la 81 paire cervicale produit une môme zone

d'anesthésie à la face dorsale et à la face ventrale du membre supérieur

contiguë à la zone précédente, mais qui se continue sur le bord cubital de

la main englobant le petit doigt et la portion adjacente de l'annulaire.

Une lésion du segment d'où émane la 4° paire cervicale entraîne une

anesthésie de la région deltoïdienne etc.

Si l'on compare sur nos schémas la disposition des zones d'anesthésie

avec la distribution anatomique normale des racines rachidiennes, on voit

ainsi que dans la planche 3 la lésion intéresse la 1'° dorsale gauche seule ;

dans la planche S, la lésion intéresse les lyre, 2" et 3e racines lombaires et

les 4° et 2e sacrées, la 4" sacrée étant respectée ; dans la planche 7, les 2%

3° et 4° dorsales sont atteintes; dans la planche 8 ce sollt les 4 ? 4e, 5°, 6e

dorsales.

Il est clair qu'une lésion transverse totale entraîne une anesthésie qui

intéresse toutes les manières de la sensibilité.

D'un autre celé la clinique aidée par l'anatomie pathologique montre

que les lésions de la substance blanche des cordons postérieurs se tradui-

sent surtout par de l'anesthésie tactile ; que les lésions de la substance

grise centrale donnent habituellement naissance à des troubles dissociés

de la sensibilité.

Les troubles objectifs de la sensibilité, anesthésies, hyperesthésies que

nous constatons chez les tabétiques avec leur tendance à la disposition

segmentaire et leur caractère de dissociation ne peuvent être expliqués ni

par une lésion des nerfs périphériques ni même entièrement par une lé-

sion des racines postérieures. Elles sont l'expression d'une lésion intra-

spinale qui intéresse à la fois la substance blanche des cordons postérieurs

et la substance grise centrale.

En résumé, les troubles objectifs de la sensibilité se traduisent chez

les tabétiques par des anesthésies, des hyperesthésies portant l'empreinte

d'un triple caractère qui peut être défini par ces mots polymorphisme, dis-

sociation, tendance à la disposition segmentaire.

Si leur valeur diagnostique est d'importance secondaire,elle n'est cepen-

dant pas négligeable et leur constatation sera utile dans bien des cas

Enfin, la disposition de ces troubles montre qu'ils sont sous la dépen-

dance sinon exclusive du moins prépondérante de lésions intra-spinales

du tabes.

LES PEINTRES DE LA MÉDECINE

(ÉCOLES FLAMANDE ET HOLLANDAISE)

LE MAL D'AMOUR

(Suite et fin)

PAR

HENRY MEIGE

X

De la série des oeuvres d'art que nous venons de passer en revue, il

n'est pas sans intérêt de rapprocher d'autres scènes médicales qui présen-

tent avec les précédentes plus d'un lien de parenté.

Ce sont d'abord les nombreuses peinturée suggérées par les Médecins

empiriques, docteurs ès urines, dont toute la science diagnostique était

enclose dans des récipients de verre soigneusement protégés par des paniers

d'osier, accessoires indispensables de la médecine hollandaise. Le nombre

de ces documents figurés est assez important pour nécessiter une étude

spéciale. Parmi eux, cependant, il en est qui méritent au moins une ci-

tation à propos du Mal d'amour. Ce sont, bien entendu, des consultations

féminines.

Le mal d'amour en est-il la raison ? Peut-être ? Mais il s'agirait alors

de la variété d'affection engendrée par cet amour prosaïque qui se termine

par un vulgaire accouchement. Il n'est pas impossible en effet que les

peintres humoristiques aient songé à tirer parti d'une erreur de diagnostic

prêtant à la raillerie.

Voilà une jeune fille réputée sage et vertueuse, dont l'abdomen prend

soudain d'inquiétantes proportions. Serait-elle menacée de devenir hydro-

pique ? Vite, que l'on recueille ses urines et qu'on les porte chez l'empi-

rique à l'oeil clairvoyant. Rien déplus judicieux de la part des parents.

Mais voici que le savant urologue, procédant à son examen, s'aperçoit

que rien ne révèle les signes d'une hydropisie. Il lui faut bien trouver une

autre cause il la tumeur suspecte. Et dame ! si la cliente est jeune et jolie,

NOUV, iconographie DE la salpêtrière.

T. XII. PL. LXX.

Photugr. 1.J.uge.

UN CABINET DE CONSULTATION

Tableau de Thomas (Gérard).

Musée de Dijon.

ET Cil, Editeurs.

LE MAL D'AMOUR 421

il est en droit de se demander si sa vertu n'a pas subi quelque fâcheux

assaut.

De là son sourire équivoque, son narquois clignement d'ceil ; de là

l'embarras et les pleurs de la pauvre jeune fille, aggravés par les gros

rires et les grasses moqueries des assistants. z

Un épisode plaisant renfermant une leçon de morale : Il n'en fallait pas

plus pour inspirer un tableau à succès.

A vrai dire, les médecins urologues ne se bornaient pas à diagnosti-

quer l'hydropisie. Leur science embrassait toutes les maladies, et ils se

faisaient forts de les reconnaitre, par la seule inspection du ballon divi-

natoire. '

On les voit déjà s'exercer à leur pratique mystérieuse sur des gravures

du XV. siècle, et cesont le plus souvent des femmes, jeunes ou vieilles,' qui

s'adressent à eux. Saint-Damien lui-môme, le patron de la médecine, est

souvent figuré un urinal à la main. '

Sans insister davantage sur les origines de l'uroscopie, nous nous con-

tenterons de rappeler ici les peintures des écoles des Pays-Bas, qui se rat-

tachent aux consultations féminines données par les urologues empiriques.

Le musée de Dijon possède un tableau de l'école flamande, attribué à

un peintre peu connu, Thomas (Gérard) (mort en 1721 ? ) z1). ,

C'est une oeuvre d'art de valeur secondaire, mais intéressante par la

profusion des accessoires médicaux et pharmaceutiques que l'artiste y a'

entassés (Pl. LXX).

En outre la scène principale rappelle encore les consultations de Sciai-

ken sur le mal d'amour. ' '

Dans une vaste officine, où gisent au premier plan une énorme mappe-

monde, des pots de pharmacie et des ustensiles professionnels, trône un

empirique éminent. à la barbe et au chef blanchis, portant manches à

crevés et bonnet de fourrure. Il est assis à contre-jour, devant une table

couverte d'un tapis d'Orient, encombrée d'in-folios et de paperasses. De

la main gauche, il soulève l'urinai où se reflète le jour des vitraux. Et il

vaticine.

' Près de lui se tient une jeune femme, coiffée d'un bonnet blanc, le cor-

sage entr'ouvert, les bras croisés sur la taille. Il faut croire que la bouteille

est indiscrète et que ses révélations ne sont pas faites pour plaire à la cliente,

car celle-ci détourne la tète d'un air assez embarrassé. Par contre, ce secret

(1) No 175, T-I. 0, 38. L,-0,73. Legs A. Chevalier, 1816. La photographie de ce

tableau a été faite grâce à l'obligeance de M. A. Joliot, conservateur du musée de

Dijon.

422 1) HENRY MEIGE

réjouit fort un gros homme, debout derrière la table, et qui ne se gêne pas,

pour en rire à son gré.

C'est bien la scène connue : la découverte du péché d'amour,... avec

toutes ses conséquences.

Nous y. avons suffisammenLinsisté. Signalons cependant encore la pré-

sence, auprès du groupe précédent, d'un jeune aide qui, lui aussi, s'inté-

resse au diagnostic de l'urologue, tandis qu'au fond de l'officine un chi-

rurgien s'efforce d'arracher une dent à un second client : ces deux-là n'ont

pas la moindre envie de rire.

Un artiste Wiirzboureois, J. A. Heurlein (1720-179G), qui s'est efforcé

d'imiter les peintres d'intérieur des Pays-Bas, avec un succès d'ailleurs

très contestable, a laissé un Médecin de village, aujourd'hui au musée de

Prague (1). ..

On y voit un docteur assis dans son cabinet de consultation, auprès

d'une table recouverte d'un tapis vert, surchargée de livres, de papiers et

de fioles. Il se retourne pour regarder il la lumière le contenu d'un uri-

rial. ,

Comme dans le tableau du musée.de Dijon, près de lui se tient debout

une blonde jeune femme qui cherche, mais en vain, à dissimuler la proé-

minence de son ventre en croisant ses mains par dessus. Une commère l'ac-

compagne, et son sourire narquois, souligné par un geste expressif, sem-

blent aussi explicites que ceux des comparses représentés par Schalken.

L'amour doit 'être entré pour une grosse part dans la maladie de la pau-

vrette, et il ne lui reste plus qu'à attendre le terme fatidique où sa dé-

livrance aura lieu. '

On reconnaît. là la variété physiologique du mal d'amour que nous

ayons déjà signalée^ Elle est d'ailleurs indiquée de façon discrète, et les

autres personnages du tableau (un homme blessé à la main, deux femmes

avec des enfants malades, une servante qui apporte un flacon sur un pla-

teau) écartent toute pensée de gauloiserie. Au surplus, peinture sèche,

plate et terne.

*

..

Dans un grande nombre de Consultations empiriques, la consultante est

une femme âgée. Il ne semble alors guère possible de mettre en cause le

mal d'amour.

Peut-être, faut-il le soupçonner dans un tableau de DAVID RYCKAEnr

(1612-1GGl), intitulé Un Slwant, de la galerie deMannheim(2) (PI.LXXI).

(1) N. 3G6.

(2) 1^ 29. 13. -IL, 58, L. 79.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XII. PL. LXXI.

Phologr. Mauge.

LE SAVANT

Tableau de DAviD RYCIiAERT (1612-1661).

Galerie de Mannheim.

lIlAs"ox et C", Éditeurs.

LE MAL d'amour 423

Là, il est vrai, la cliente est plus que mûre, si l'on en juge par les rides

de son visage, et bien peu faite pour inspirer une passion. Cependant, on

est surpris de voir apparaître au fond de l'urinal cet homunclllus que Schal-

ken a figuré dans la Consultation indiscrète du musée de la Haye. L'éba-

hissement du médecin, un vieux savant à barbe grise, l'air à la fois con-

trit et suppliant de la vieille devant cette invraisemblable découverte,

donneraient-ils à entendre que, malgré les années, celle-ci n'a pas su se

mettre à l'abri de la contagion, qu'elle y à succombé comme une jouven-

celle, et que trop tard elle s'en repent ? ...

Ne serait-ce pas le mal d'amour, dans ce qu'il a de moins éthéré, es-

quissé à la façon de Brackenburgh et de Schalken ?

Ou bien ne faut-il voir dans cette vieille figurante qu'une ménagère

inquiète de ce que le savant poursuit, au moyen de coûteuses recherches, la

découverte illusoire de l'hom1lnClllus, au détriment des impérieuses né-

cessités du présent ? .... La 'donnée serait ainsi analogue à celle que Jan

Steen a utilisée dans son Alchimiste, du musée de Francfort : une famille

éplorée, réduite à la plus noire misère, suppliant un père insensé qui gas-

pille tout son avoir à la poursuite de la pierre philosophale.

Pensée de moraliste exprimée avec une satirique humour. Cette seconde

interprétation est très défendable; le désespoir d'un petit garçon qui i

assiste à cette scène semblerait en confirmer l'exactitude.

Au demeurant, la peinture en question est digne d'éloges. Si sa signi-

fication peut paraître aujourd'hui ambiguë, l'exécution vaut qu'on la re-

marque. L'expression des figures, le fini des accessoires, fioles, livres,

parchemins, tête de mort, etc., et surtout l'étrangeté et l'habileté de l'é-

clairage en font un des meilleurs tableaux de Ryckaert. Enfin, la présence

de l'homullculns dans l'urinal est une particularité peu commune qui né-

cessitait un rapprochement avec la Consultation indiscrète de Schalken.

Nombreuses sont encore les consultations urologiques où la cliente ne

peut même être soupçonnée d'avoir eu maille à partir avec le mal d'amour.

Tel, le Médecin attribué à DAVID TENIERS LE Vieux au musée des Offices,

de Florence.

Et toute une série de peintures que son fils, DAVID TENIERS LE Jeune,

a consacrées à ce sujet.

Ce sont en général des femmes d'un âge avancé, de très vieilles commè-

res parfois, qui portent chez l'Empirique la bouteille révélatrice.

Exemples : le Médecin de Village du musée de Bruxelles, celui du Sé-

minaire de Venise, celui de l'Institut Staedel à Frankfort-sur-Main, dont

424 HENRY MEIGE

une réplique signée et une variante se voient encore au musée de Carls-

ruhe, etc.

Et je ne parle pas des dessins ni des gravures.

De TER BOIICII, la Consultation du musée de Berlin se passe entre un

vieil urologue et une plus vieille cliente.

De Gérard Dow, on voit à Vienne, un gracieux Empirique qui fait à une

femme en larmes de cruelles révélations. Il existe plus d'une réplique de ce

tableau : à Pétersbourg, à Amsterdam, dans la galerie Six (par Adriaen

van Staveren) ; une variante est au musée d'Angers.

A Carlsrulle, une Consultation de J. OCIITERVELT rappelle, malgré ses

imperfections, les scènes de Gérard Dow.

Au musée d'Orléans, un petit tableau attribué il 11L< : NDlllK Martinez Ro-

KES, plus connu sous le nom de Zone, représente encore une consultation

féminine : un empirique, coiffé d'un chapeau noir haut de forme, vêtu

d'un habit jaune garni de fourrures,examine le contenu d'un urinal qu'une

femme, debout, derrière lui, vient de lui apporter (1).

A propos du mal d'amour, ces oeuvres d'art méritaient simplement

d'être rappelées.

XI

Un autre rapprochement est encore nécessaire.

Je veux parler des peintures que les artistes hollandais ont consacrées

aux Evanouissements.

Assurément, le mal d'amour n'en a pas été l'inspirateur nécessaire.

Mais les détails communs abondent dans l'une et l'autre série. Elles ne

peuvent que gagner à être mises en contact.

N'oublions pas d'ailleurs que les malades d'amour, aussi bien celles de

Sauvages que celles de Jan Steen ou de Gérard Dow, étaient.par la nature

même de leur affection, enclines « aux défaillances » et il la « perte des

esprits vitaux ».

Elles étaient, par excellence, prédisposées à ces « vapeurs » qui, « par-

tant de la matrice, gagnaient les hypochondres, pour envahir enfin le cer-

veau ».

Pour celles, chez qui l'on s'accordera à reconnaître les atteintes de la chlo-

rose, il n'y a là rien que de très conforme à ce que l'on sait des accidents

syncopaux fréquents dans cette maladie. '

Pour celles dont le mal n'est autre qu'une très physiologique grossesse,

les lypothymies et pertes de connaissance sembleraient non' moins expli-

cables. Ne sont-elles pas au nombre des signes prodromiques de la gesta-

tion ? ...

(lot. II. 0,33. L. O ? i,

LE MAL d'amour 425

Le mal d'amour, sous quelque forme qu'on l'envisage, peut doncs'ac-

compagner d'évanouissements.

Les syncopes d'ailleurs sont abondamment représentées dans l'art pic-

tural.

Les tableaux religieux en fournissent le plus large contingent. Presque

toutes les Mises en croix, Descentes de croix, Mises au tombeau, etc., s'ac-

compagnent d'un évanouissement de la Vierge. Dans le nombre, il en est

qui témoignent de remarquables qualités d'observation de la part des ar-

tistes et d'un réel désir de représenter la vérité pathologique.

Les Evanouissements d'Esther prêtentauxmémes remarques,ainsi qu'une

longue suite de sujets bibliques ou historiques.

Mais nous ne voulons parler ici que des petits tableaux de genre de l'é-

cole hollandaise.

*

.. s

Le nom de Gérard Ter BORCII (1608-1681) ne figure que très rarement

parmi ceux des peintres hollandais qui ont représenté des scènes médi-

cales.

Il faut le regretter, car les oeuvres de Ter Borcli sont d'une élégance et

d'une harmonie merveilleuses. On y trouve un sentiment très vif du pit-

toresque et un souci constant de la vérité naturaliste. Nul doute qu'il ait su

tiré des épisodes pathologiques des compositions d'un très grand intérêt et

d'une haute valeur artistique. Mais il ne semble pas qu'à cet égard, il ait

partagé le goût de Gérard Dow, de van Mieris et leurs imitateurs (1).

Il existe cependant à l'Académie de Venise un tableau attribué à Ter

Borch (attribution contestée et d'ailleurs contestable), qui représente une

Femme évanouie (2).

C'est une gracieuse hollandaise en robe de satin blanc, qui, le corsage

ouvert, est étendue par terre, la tête appuyée sur des coussins.

Elle a perdu connaissance, son regard est mourant, ses mains tombent

inertes.

Deux femmes s'empressent à ses côtés et s'efforcent de la ranimer, tan-

dis que, dans le fond, deux servantes introduisent une visiteuse.

Derrière le groupe principal, à droite, un médecin se tient debout et

regarde l'urinal. Clignant des yeux d'un air narquois, il montre avec le

doigt la malade à l'une des assistantes.

Ce geste peut s'interpréter diversement. Mais il est surtout familier aux

(1) Dans la galerie de Mannheim, un tableau de Ter Borch représente une jeune

femme vêtue d'une jaquette rouge qui travaille devant une table. Elle porte sur la

tempe gauche une de ces larges mouches que nous avons déjà eu plusieurs fois l'oc-

casion de faire remarquer.

(2) N° 183, t. 7, 81,1. 72.

426 HENRY MEIGE

docteurs des malades d'amour. Et cet Evanouissement de l'Académie de Ve-

nise, quel qu'en soit l'auteur, devait être signalé ici. Il semble bien ap-

partenir ci la série des pâmoisons que peut engendrer le mal d'amour.

On voit, au musée de Rennes, un dessin aux crayons blanc et noir, re-

présentant une Femme malade, et qui est attribué à G. Mnrsu (1).

La patiente est assise sur une chaise, la tête appuyée sur un oreiller,

un large emplâtre de taffetas noir sur la tempe gauche. Les yeux clos, elle

semble avoir perdu connaissance ; son bras pend, inerte, le long du corps.

Dort-elle ? Est-elle évanouie ? ... On ne sait. Et l'attribution de ce dessin

à Metzu est-elle exacte ? ...

En tous cas, il s'agit probablement d'une étude pour un tableau analo-

gue à ceux 'que nous avons décrits. Mais, comme la femme est déjà âgée,

envahie par l'embonpoint, et en l'absence d'autres détails, on ne peut

songer avoir en elle une victime du mal d'amour (2).

Frans Mieris le Vieux est magistralement représenté il la Pinacothèque

de Munich par un tableau bien connu sous le nom de La Femme malade (3).

C'est une admirable peinture de la syncope dans tout son réalisme pa-

thologique, et c'est un chef-d'oeuvre d'exécution (PL LXII).

Une femme, jeune et jolie, perdant soudain connaissance, s'affaisse sur

le plancher, soutenue par une autre femme, parente ou amie déjà mûre.

Tel est le motif principal du tableau, au premier plan, en belle lumière.

Le costume de la malade est traité avec une élégance et un fini vrai-

ment hors de pair ; et l'on ne sait ce qu'il faut louer davantage des reflets

miroitants d'une robe en satin jaune, du chatoiement d'un corsage de ve-

lours grenat, ou du moelleux de ses parements de cygne.

Vaines parures dont la pauvre évanouie a déjà perdu la notion.

Rien de plus exact que l'attitude effondrée de son corps, une jambe

repliée, l'autre allongée en avant, le talon raclant le sol. La flaccidité des

bras, la chute abandonnée de la tête, la pâleur du teint, la mollesse des

(1) Cadre 99, ne 2. II. 0, 31. -L. 0,22.

(2) Au même musée de Rennes, on voit encore un dessin à la plume rehaussé de

l'avis attribué à Picard (Ecole française, XVI le siècle, détails inconnus) et intitulé La

Dame malade.

Au milieu d'une société élégante, pendant un repas, une jeune femme se trouve mal.

Une des convives, plus âgée, la soutient et lui fait respirer des sels. Plusieurs person-

nages empressés autour d'elle s'efforcent de la ranimer. L'évanouie, la bouche entr'ou-

verte, les yeux levés au ciel, est peut-être une jeune mariée qui ressent les premiers

cll'ets de la maternité future.

(3) N 417, B, Il., 4t. 4. 31. Daté 1GG i.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XII. PL, LXXII.

Cliché llan(Waençl.

Typogr. ïlansstaengl.

LA FEMME ÉVANOUIE

Tableau de Frans VA ? MIERIS le Vieux.

A la Pinacothèque de Munich.

Masson i : r C, Éditeurs.

LE MAL D'AMOUR 427

paupières, tout est vrai, tout a été attentivement observé et fidèlement

rendu. Cette belle personne n'est plus qu'une masse inerte, inconsciente,

dont la vie vient de s'éteindre soudainement.

Mais, rassurons-nous, cette mort ne peut être qu'apparente. La vieille

dame s'en émeut sans doute, mais non exagérément. Si son visage exprime

quelque inquiétude, elle n'est ni trop effrayée ni trop désespérée. Elle s'y

connaît en pâmoisons. Ce n'est pas le fatal départ pour cet inconnu dont

on ne revient pas; c'est une très courte escapade des esprits vitaux dans

le pays du néant.

La jeune personne qui, dans le fond de la pièce, semble si profondé-

ment affligée, pourra bientôt sécher ses larmes et la soubrette n'a plus

qu'à préparer le lit.

D'ailleurs, pour dissiper toute angoisse, le Docteur n'est-il pas là ? Un

docteur très savant, qui ne s'embarrasse pas de la malade et ne perd pas

son temps en soins précipités. Qu'importe que les esprits vitaux sortent

du corps humain ? Les ignorants peuvent s'en émouvoir. La science a bien

d'autres soucis. Premièrement, il s'agit de savoir quelle est la cause de la

maladie. On avisera par la suite à combattre ses effets... s'il en est temps

encore. Donc, avant de rien tenter, un coup d'oeil à l'urinai.

Et tandis que la malade perd ses sens et s'affaisse sur le plancher, notre

Docteur, clignant de l'oeil, inspecte d'un air entendu le petit ballon aux

urines qu'il vient d'extraire de son panier.

Ce qu'il y voit ? Nous l'ignorons, et peut-être ne le sait-il pas lui-

même. Cependant il pérore, avec gestes à l'appui, et la servante en est

émerveillée. Assurément, elle n'y comprend goutte, mais elle a grand res-

pect pour Messieurs les Médecins et c'est une fervente de leurs remèdes :

une grosse mouche noire appliquée sur son front en est la meilleure

preuve.

Comment en effet ne pas être impressionnée par un large manteau, un

col de dentelles, des manches à crevés, des cheveux vagabonds, et surtout

par cet air d'assurance et de profond dédain en face d'un accident qui

émeut les moins sensibles ?

Tel est bien le Docteur de céans, et la satirique image qu'en a donnée

Van Mieris n'est pas un des moindres morceaux de cetle intéressante pein-

ture. Réalisme dans la maladie et réalisme chez le médecin, l'un et l'au-

tre sont de première marque.

Quant à la nature du mal qui cause cet évanouissement, rien ne permet

de la préciser. Est-ce le mal d'amour ? Est-ce le mal d'enfant ? Est-ce toute

autre affection capable de provoquer une syncope ? Mieux vaut ne pas se

prononcer. Les accessoires eux-mêmes ne nous renseignent pas : le vase

intime qu'on voit auprès de la malade peut s'expliquer de mille façons. Et t

428 HENRY MEIGE

quant à l'urinai, il dirait aisément tout ce qu'on voudrait lui faire dire.

Ne cherchons donc pas le nom de la maladie ; mais admirons l'art vrai-

ment supérieur avec lequel le peintre a rendu le tableau cle la syncope. Il

n'en est peut-être pas de plus exacts ni de mieux observés.

Un autre tableau attribué à FRANS UN Mieris le Vieux, conservé dans

la collection Steengracllt, à La Haye, est intitulé La Moderne Lucrèce

(PI. LXXIII).

Une jeune femme en jupe bleue, bien en chair, très pâle, le corsage dé-

fait, les cheveux épars, s'est laissée' glisser par lerre, auprès d'une chaise

sur laquelle repose encore son bras gauche. Ses yeux rougis, aux paupiè-

res- mi-closes, son regard mourant, la chute abandonnée de sa tête, la

flaccidité de ses mains, tout indique une défaillance qui va jusqu'à la perte

des esprits. , -

' Or, à ses pieds, gît un couteau pointu. -

Ces ! l'arme avec laquelle on suppose qu'elle vient de se percer le coeur.

Et cette défaillance n'est peut-être que le prélude d'une mort prochaine.

Devant elle, un petit chien aboie lamentablement. Derrière, une vieille

'femme se précipite angoissée, et à la vue de ce tragique accident, exprime

à la fois toute son épouvante et tout son désespoir.

Cette scène, on le voit, est essentiellement différente. La peinture est

d'ailleurs de qualité moins bonne, plus sèche, plus maniérée, beaucoup

moins réaliste. De sang, on ne voit pas trace, ni sur le couteau, ni sur la

poitrine ou les vêtements de la victime. Et le médecin fait défaut.

. Un tapis d'orienfjeté sur un meuble au premier plan prés d'un manteau

doublé de cygne, au mur une mandoline, dans le fond un'grand lit à ri-

deaux et une porte qui s'ouvre sur une enfilade de pièces, complètent le

décor de ce drame émouvant.

L'amour est-il coupable en celle triste occurence ? C'est possible'; mais

rien n'autorise à l'affirmer. Et l'intérêt pour nous réside surtout dans la

comparaison qu'on peut faire de la moribonde avec la femme évanouie du

tableau de Munich. Elle est toute à l'avantage de celle dernière dont le

naturalisme pathologique est à la fois plus sincèrement observé et beaucoup

mieux rendu.

*

* ♦

Le fils de Frans van Mieris le vieux, Willem VAN Mieris (1GU2-174.7),

élève et imitateur de son père, a peint un assez joli tableau, aujourd'hui

dans le musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg (1).

(1) N 124f, B.-l-I., 0,23. L. 0,20. Signé et daté 1093. Photographie due à l'obligeance

de M. le Directeur Somoll'. '

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. XII. PL. LXXIII,

ClIché Yinkenhos et Dcwalcl.

1'liotogi,. èllaugc.

LA MODERNE LUCRÈCE

Tableau attribué à Frans VAN Mieris le Vieux.

Collection Steengracht, à La Haye.

ET Ci', Éditeurs.

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. T. XII. PL. LXXIV.

Clichè \'inkenbos et Dowald. l'liotogr. Mauge.

SUITE D'UNE NOUVELLE FACHEUSE

Tableau de \VILL1 : M VAN MIERIS (1662-1747).

Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg.

Masson ET Cil', Editeurs.

LE MAL d'amour 429

On l'intitule : Suite d'une nouvelle fâcheuse (Pl. LXXIV).

Une charmante jeune femme, vêtue d'une robe orange et d'un châle

bleu, la gorge demi-nue, tombe en défaillance sur une chaise auprès d'une

table.

Près d'elle son médecin, qui lui tâte le pouls.

Au fond de la chambre, une servante apporte un réchaud.

Le titre donné à la peinture s'explique par la présence d'une lettre ou-

verte sur la table, et au bas de laquelle on lit ces mots : « Dieu vous garde. »

La lettre, suppose-t-on, contient quelque fâcheuse nouvelle et c'est en la

lisant que la belle personne, cruellement émue, a senti ses esprits l'aban-

donner. A cela rien d'impossible, comme il n'est pas impassible d'ajouter

que la lettre fatale émane de quelqu'un qui tient fortement au coeur de la

dame. Les émotions amoureuses sont capables d'effets aussi troublants,

par l'excès de leur joie, comme par celui de leur douleur. Ce « Dieu vous

garde » ne dit rien de bon et n'est sans doute que le trop froid épilogue

d'une galante aventure dont un des deux héros a voulu précipiter la fin.

A ce coup imprévu, l'héroïne ne sait résister : une pamoison en est la

conséquence. ,

Enviable défaillance où l'artiste a su faire valoir toutes les séductions

de la victime, l'éclat de ses blonds cheveux entremêlés de perles, la grâce

de son cou souple et potelé, la langueur de ses yeux, toute la splendeur de

ses charmes librement entrevus à travers le négligé de son ajustement.

Mais un éclair de vie brille encore sous ces molles paupières, et ici la

syncope n'est que simple « vapeur », ou, si l'on veut, « lipothymie ».

Attentif, discret, plein de prévenances et de retenue, le Docteur,

homme de bon ton et de noble allure, palpe doucement le joli poignet de

sa cliente. Son regard compatissant n'aperçoit que le mal à guérir, et,

volontairement, dédaigne de voir tous les attraits qui s'offrent à ses

yeux.

Tout cela est un peu maniéré sans doute et nous sommes loin des

scènes familières de Jan Steen ou de Godfried Shalken. Cependant c'est

encore une des peintures où l'on peut avec vraisemblance reconnaître

un épisode inspiré par le Mal d'Amour.

Elégant parmi les plus élégants des peintres d'intérieur néerlandais

fut EGLON IlEiNDR[li VAN Der NEER (1643-1703), le fils du célèbre paysagiste

Aart van der Ncer. Il s'efforça d'imiter Gérard Dow, et van Mieris ; mais,

s'il peut rivaliser avec eux par l'harmonie de ses compositions et le fini

de ses détails, il n'atteignit jamais ni la délicatesse de leur coloris ni le

naturalisme de leurs personnages. Un maniérisme excessif joint à un

poli glacial gâtent dans ses meilleures oeuvres l'impression du mouvement

430 , HENRY MEIGE

et de la vie. Trop de coups de pinceau pour un poil de fourrure, trop de

caresses sur les chairs, dans celle peinture qui semble faite à la loupe

avec une patience évidemment digne d'éloges, mais où s'alourdit l'inspi-

ration.

Au demeurant, dessinateur sévère, ordonnateur de premier ordre,

exécutant laborieux, réfléchi et consciencieux, Eglon van der Neer mérite

plus d'éloges que de reproches.

Sa Femme évanouie de la Pinacothèque de Munich est une oeuvre dont

les réelles qualités font oublier aisément la froideur (l'1. LXXV).

C'est un évanouissement splendide : le mot n'a rien d'excessif en

cette occasion.' Resplendissante est la malade, somptueux est son ha-

billement.

Visage noble et majestueux, gorge de déesse, bras et mains d'un irré-

prochable modelé, la défaillante est magnifique.

Une robe du satin blanc le plus soyeux épouse ses formes opulentes,

le velours rouge de son casaquin est de la plus fine trame, ses fourrures

ne sauraient être plus duveteuses. La dentelle qui couvre les ondulations

des cheveux doit être du point le plus rare, et il n'est pas jusqu'à sa

pantoufle où l'on ne puisse admirer un chef-d'oeuYt'e de.broderié.

Cependant, cette belle et riche personne vient de se trouver mal.

Mais, comme il fallait s'y attendre, cet incident ne dépare nullement

sa somptueuse beauté. : Si ses jambes ne la soutiennent plus, du moins repose-t-elle sur une

étoffe moelleuse et sur d'épais oreillers. Si son corsage est dégrafé, c'est

pour nous faire entrevoir tous les charmes qu'il emprisonne. Ses pau-

pières sont closes, mais nous apercevons davantage la longueur de leurs

cils et l'arc délicat des sourcils. Sa tète s'incline sur l'épaule : le dessin

du cou n'en est que plus attrayant, et quant à sa pâleur, les reflets du

velours viennent à point pour l'atténuer de tons rosés.

Vraiment on ne saurait plus magnifiquement défaillir.

A syncope si fastueuse il fallait des assistants de choix. Trois personnes

de distinction étaient au moins nécessaires, sans compter le médecin.

Une d'elles, toute gracieuse et non moins élégante, petite poupée si

blonds cheveux frisés, vêtue de salin et de brocatelle, les bras et les épaules

nues, soutient à deux mains le bras droit de la malade.

Une autre, plus âgée, à droite et vue de profil, la tète enveloppée d'une

étoffe légère, s'agenouille pour approcher un linge imbibé de quelque vi-

naigre parfumé.

La troisième est une fillette en larmes qui, tristement, s'essuie les yeux.

Quant au décor, ce qu'on en voit est à l'unisson, une table à larges

pieds tournés, un épais tapis d'Orient, une aiguière et un plat richement

Cliché lIansstncngl. '1'.\ pogl'. IIansstaengl.

LA DAME ÉVANOUIE

Tableau de EGLON VAN DGR NEER (164,-1703).

A l'ancienne Pinacothèque de Munich.

Masson et G, Editeurs.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALFBTrUÈRE T. XII. Fi, LXXV.

LE MAL D'AMOUR 431

ouvragés ; dans le fond une imposante cheminée à colonnes surmontée

d'un grand tableau.

Le médecin, lui, est relégué au second plan. L'inélégance de ses traits

eut sans doute paru par trop choquante à côté de ceux de la jolie pâmée.

Coiffé d'une toque à créneaux, vêtu d'un justaucorps à crevés, ce doc-

teur inesthétique se tient dans l'ombre et se contente d'appuyer discrète-

ment sa main sur l'épaule de sa cliente.

Personne ne s'occupe de lui, et il semble manquer d'assurance.

Peut-être redoute-t-il qu'on ne lui fasse un grief de cette pâmoison.

Car après tout, il n'y est peut-être pas étranger.

Et voici pourquoi :

Par terre, près de la table, remarquez cette éponge et ce bassin de cuivre

à demi rempli d'un liquide rutilant. C'est du sang.

Et regardez le bras droit de la malade. Vous y verrez, au niveau du

coude, comme une ligature faite avec un linge blanc.

C'est de là que le sang provient.

Tout s'explique alors : le docteur vient de pratiquer une saignée (peu

importe la cause : on ne s'embarrassait pas de justifier si banale interven-

tion). Et la saignée a provoqué une syncope. Ce qui est toujours un inci-

dent désagréable pour un médecin. De là vient que celui-ci se tient pru-

demment à l'écart.

Peut-être dira-t-on que cette saignée était le remède destiné à faire

cesser un évanouissement antérieur. C'est fort possible : on saignait in-

différemment avant, pendant ou après. La règle était de saigner jusqu'aux

morts. Mais si l'opération n'était pas suivie de succès, l'opérateur sentait

décroître son prestige. Et c'est peut-être encore le cas du docteur de van

der Neer. -

Cette intéressante peinture trouverait donc plus justement sa place dans

le dossier iconographique de la saignée qui compte des oeuvres de réelle

valeur. Elle se rapproche cependant par plus d'un détail des scènes mé-

dicales que nous venons de décrire.'

Et qui sait si le mal d'amour n'est pas la cause inconnue qui fait per-

dre les sens à cette opulente jeune femme ? Plus qu'aucune autre elle

semble faite pour contracter le joli mal qui s'abattait alors sur les filles de

Hollande. ,

XII

Pour clôturer ce relevé des Consultations féminines dans la peinture

hollandaise, nous rappellerons, mais pour les différencier des précédents,

les deux seuls tableaux qui représentent au Louvre les malades et les mé-

432 HENRY MEIGE

decins des Pays-Bas. L'un est de Gérard Dow : c'est la Femme hydropique ;

l'autre, de QuiRyNc. Brekelenkam, s'appelle la Consultation.

Ni l'un ni l'autre ne peuvent être confondus avec les scènes du mal

d'amour.

* *

La. Femme hydropique de Gérard Dow est trop universellement connue

et admirée pour que nous entreprenions d'en faire valoir l'excellence.

D'ailleurs, cette oeuvre admirable n'a rien de commun avec les peintures

relatives au mal d'amour (1).

La Consultation de BREKELENKAM, dans la collection Lacaze, au Louvre,

est aussi une oeuvre de premier ordre (2).

Selon le goût du peintre, la scène, le personnage et le décor sont d'une

extrême simplicité.

Mais de cette composition très succincte se dégage une grande impres-

sion de vérité et un sentiment très touchant de compassion.

Le visage fatigué de la malade, ses yeux inquiets aux paupières alour-

dies; l'affaissement de tout son corps, expriment un malaise anxieux qui

commande la pitié. La bonne figure du médecin à barbiche grise, l'af-

fectueuse sollicitude de son regard, la discrétion de son costume et de

ses gestes en font une des figures les plus sympathiques de toute la Fa-

culté néerlandaise.

Il inspire confiance et respect, et l'on peut être certain que jamais il ne

se permet les clignements d'yeux ni les propos gouailleurs des docteurs

de Shalken ou de Brakenburgh.

Il est. fait pour nous réconcilier avec ce corps médical dont Jan Steen

et bien d'autres ont stigmatisé tant de fâcheux représentants.

Quant au mal qu'il est appelé à guérir, impossible aujourd'hui de le

diagnostiquer. Peu importe d'ailleurs. Le tableau se suffit à lui-môme et

l'incertitude où l'artiste nous laisse sur la nature de la maladie ne fait

qu'ajouter il l'émotion ressentie.

(1) Voyez à ce sujet CHARCOT et PAUL Riciier, Les Difformes et les Malades dans

l'Art, p. 114.

(2) Un autre tableau La Ventouseuse, au musée de la Haye, a été étudié par Charcot

et Paul Rrcuen et reproduit in Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1892, p. 200.

Le gérant : P. Bouchez.

Imp. J. Thevenot, Saint-Dlzior (Haute-Marne).

12° Année N"6. Novembre-Décembre E

Dans une série de récentes leçons, M. Pitres (1) a repris l'élude de

l'aphasie amnésique et il décrit comme tels les cas « déjà cliniquement

rangés par Trousseau et ses contemporains dans le groupe des aphasies

amnésiques » et que la théorie des amnésies partielles n'explique pas.

Après une discussion clinique approfondie, M. Pitres montre combien

sont rares et peu précises les notions anatomiques que nous possédons

sur cette curieuse variété d'aphasie. Le relevé des dix cas avec autopsie

utilisable qu'il a pu trouver enseigne seulement que les lésions siègent

« au niveau des régions pariétale et temporale, dans l'aire ou sur les con-

fins immédiats des centres de la vision et de l'audition des mots. Le plus

souvent (8 fois sur 10) elles portaient sur le lobule pariétal inférieur,

y compris le pli courbe, mais quelquefois elles ne s'étendaient pas jus-

que-là. Il ne semble donc pas que ce lobule puisse être considéré comme

le centre unique et exclusif de l'évocation amnésique des mots puisqu'il

n'est pas toujours altéré quand cette évocation est compromise ».141. Pitres

arrive à formuler 1'liypotliùsvÏue l'aphasie amnésique est produite par

la rupture « d'une partie des voies commissurales qui réunissent les cen-

tres différenciés des images verbales aux parties de l'écorce dans les-

quelles s'opèrent les actes supérieurs ».

J'ai observé récemment deux cas d'aphasie amnésique avec paraphasie :

leur étude clinique, que l'état mental des malades n'a malheureusement

pas permis de faire avec toute la régularité et la rigueur désirables, auto-

risé à les ranger dans le cadre tracé par M. Pitres. Le symptôme prédo-

minant a bien été chez l'une et l'autre malade l'amnésie des mots et plus

exactement l'amnésie des substantifs, l'antonomasie (Luys) avec agramma-

(i) Pitres, L'aphasie amnésique el ses variétés cliniques. Progrès médical, n 21

et sq., 1S98.

11 I 2U

APHASIE AMNÉSIQUE

APHASIE DE CONDUCTIBILITÉ

PAR

TRÉNEL

Médecin-adjoint de l'asile de St-Yon.

434 TRÉNEL

tisme des plus marqués ; il n'y a aucune trace de cécité psychique. La cé-

cité verbale ne peut être affirmée en raison des lacunes inévitables de l'exa-

men. La cécité littérale n'existe sûrement pas chez la 2e malade.

Quant à l'autopsie, elle vient dans le 1er cas absolument à l'appui de

l'hypothèse de M. Pitres au sujet du siège des lésions de l'aphasie amné-

sique et de sa nature : les lésions corticales primitives y sont négligeables,

et la lésion importante consiste presque uniquement en une section des

faisceaux blancs, lésion dont la topographie devra être déterminée. Cette

autopsie ne représente cependant pas encore tout à fait le cas de lésion

sous-corticale pure qui manque jusqu'ici.

Observation 1.

Sommaire. - Aphasie amnésique avec paraphasie. - L'amnésie porte pres-

que uniquement sur les substantifs. -- Cécité verbale et littérale probable, mais

non complète. - Pas de cécité psychique. - Agraphie incomplète. - Pas trace

de surditéverbale. - Hémiplégie droite avec hémi-anesthé.çie. - Attaques épi-

leptiformes. - Troubles psychiques de forme circulaire. - Mort par hémor-

rhagie cérébrale. - Autopsie. - Vaste hémorrhagie récente de l'hémisphère

droit. /jfemo)' ? '/Mtp ancienne à ,gauche au niveau delà substance blanche du

pli courbe, du lobule du pli courbe et de l'insula avec participation du segment

postérieur de la capsule interne.

A son entrée à l'asile de St-Yon, Mme L..., âgée de 46 ans, présente une hé-

miplégie droite avec contracture, de l'aphasie, et est en pleine excitation ma-

niaque. Elle se trouvait depuis un an en traitement dans un hospice ; il y a

huit jours qu'elle est dans un état d'agitation maniaque qui parait avoir dé-

buté subitement. Au point de vue mental, elle a présenté pendant son séjour

à l'asile une succession continue d'accès d'agitation et de dépression d'une du-

rée d'un mois environ chacun, sans intervalle lucide, soit une psychose de

type circulaire; elle eut en outre des attaques épileptiformes généralisées qui

paraissent avoir été indépendantes des troubles psychiques susdits (ceci sous

toutes réserves).Les périodes d'excitation etde dépression sont bien caractérisées

et se succèdent brusquement. Les actes et le langage de. la malade sont bien

différents dans les deux cas, et il est curieux de voir comment Mme L... prend

tantôt gaiement parti de son aphasie, tantôt s'en afflige dans son jargon para-

phasique.

Dans les périodes de dépression, elle reste immobile, répond avec peine, se

refuse à l'examen, comme les mélancoliques que tout excède et elle s'exprime

ainsi : « Je ne sais plus rien, ça ne se peut pas... tout ce que vous voudrez,

c'est fini... Bien mieux quand je serai morte. » Elle regarde à peine les ima-

ges et les objets qu'on lui montre, se refuse aux exercices qu'on tente de lui

faire faire. Elle se plaint de ne pas dormir, de souffrir de la tête quand je la

questionne sur sa santé.

APHASIE AMNÉSIQUE 435

Question. Avez-vous dormi ?

Réponse. - Jamais.

Question. Pourquoi ?

Réponse. Tout, tout (elle montre sa tête).

Question. Avez-vous mal à la tête ?

Réponse. Tout (elle montre son front).

Dans les périodes maniaques elle va, vient, s'agite, crie ou chantonne sans

prononcer de paroles. Pendant l'examen, elle se lève, cueille des (leurs dans

un vase en disant que ça sent bon et me les offre ; elle va regarder les tableaux

en disant que « c'est ça qui est encore gentil ». Comme je lui dis de mettre sa

main sur la tète, elle me montre sa main droite contracturée, d'un air de mo-

querie, en disant, « celle-là ? » puis elle exécute le mouvement de la main

gauche avec mille simagrées. Elle déclare pendant qu'on l'examine « que c'est

rigolo » ; elle rit aux éclats pour avoir appelé un médecin « madame ». Elle s'ex-

prime au sujet de son aphasie de toute autre façon que dans la période mélan-

colique : « Ça n'est pas, parce que je ne peux pas, ça sera tout de même. » Et

elle rit d'elle-même.

Question. Avez-vous bien dormi ?

Réponse. Oui très bien, je vais seulement un peu mal là (Quelques tra-

ces de prurigo).

Question. Avez-vous'mal la tête ? ` ?

Réponse. Non du tout, je vais bien ; je vais vous donner quelque chose

(elle va chercher une fleur dans un bouquet), ça sent très bon.

Question. - Avez-vous eu des crises de nerfs ?

Réponse. - Non,' pas ça.

Il existe une hémiplégie droite avec contracture incomplète (en flexion pour

la main, en extension pour la jambe) sans paralysie faciale. Quelques mouve-

ments partiels et peu étendus sont possibles. La main droite est rouge et tu-

méfiée (rougeur et tuméfaction inconstantes d'ailleurs) et d'une façon perma-

nente plus froide que la main gauche. Le pied droit est aussi notablement plus

froid. Les réflexes tendineux sont exagérés ; il n'y a pas de tremblement épilep-

toïde, mais la percussion du tendon rotulien donne lieu à toute une série de

secousses. La pupille gauche est un peu déformée et plus petite que la droite ;

le réflexe à la convergence est conservé. Il existe une hémianesthésie droite

complète sur laquelle la malade attire elle-même l'attention en disant : « Comme

si... » et en faisant de la main le geste de tracer une division nette sur la ligne

médiane du corps. La langue est un peu tremblante. Il existe un certain affai-

blissement de l'ouïe à droite : la montre n'est entendue qu'à une courte dis-

tance de l'oreille de ce côté. L'état de la sensibilité gustative et olfactive n'a pu

être déterminé.

Il n'y a aucune variation des symptômes physiques pendant les périodes de

calme ou d'agitation.

Compréhension de la parole. - Sauf inattention due suivant les périodes

où l'examen est fait, soit à l'excitation maniaque, soit à la dépression psychique,

43G , trénel ,

la malade comprend tout ce qu'on lui dit : elle exécute immédiatement (quand

elle le veut bien) tous les ordres qui lui sont donnés. D'autre part elle désigne

sans erreur tous les objets qu'on lui dénomme.

Exemple : Montrez le lit; (elle le montre.)

Question. - Dites ce que c'est ?

Réponse. - Je ne peux pas, je sais ce que c'est. Je ne peux pas. (Et effec-

tivement elle y monte et s'y couche.)

La répétition d'une phrase est impossible : « Dites : je voudrais bien aller me

coucher. » Elle fait un essai infructueux, incompréhensible, qui n'est même

pas de la jargonophasie ; mais si j'insiste et lui dis : « Que vous ai-je dit de

répéter ? » elle montre le lit. On lui redit encore : « Répétez : je voudrais aller

me coucher. » Réponse : « Quand je voudrais 15 fois, 100 fois, si vous pouvez,

je ne pourrais pas. »

Aphasie amnésique el paraphasie. La malade est incapable de dénommer

un objet quel qu'il soit ou d'en répéter le nom quand on le lui dit. Les exem-

ples suivants donnent une idéede ce fait et de la façon dont Mme L... s'exprime

habituellement. On lui montre :

Un porte-plume. - Réponse : Pour le prendre, peux pas le dire, pour écrire,

je sais bien pour le dire.

Un livre. - Réponse : je vois encore ce que c'est, lire, ça sert pour écrire.

Un encrier. - C'est pour mettre (elle plonge le porte plume qu'elle a vive-

ment saisi)... je pourrais tout dire, je ne peux rien dire.

Une clef. -Elle montre sans répondre la porte ; si on'insiste elle va mettre,

d'un air de triomphe la clef dans la serrure.

Une chaise.- Réponse : Là où l'autre (en montrant les autres chaises et avec

un geste qu'on peut traduire de la sorte : c'est un objet semblable ceux que

vous voyez là).

Dans un autre examen on obtient des réponses identiques ; on lui montre :

Un porte plume. - ,Réponse : c'est la même chose, ça n'est pas parce que je

ne sais, je ne puis pas.

Encrier. Réponse : je sais bien ce que c'est, un rouge, on peut la rouge,

c'est parce que je ne l'ai pas.

Un livre. Réponse : C'est tout ce qu'il faut, je vois ce que c'est va-t-en

voir ma vieille 1 (la malade est ce jour là dans une période d'excitation mauia-

que). ,

Un canif. Réponse : Quand je regarderais ça ne me donnerait pas. - Et

comme on insiste elle dit « vous êtes méchant ». '

L'amnésie des mots est telle que MmeL... ne peut dire son nom (qu'elle re-

connaît par écrit) ni son adresse, ni son lieu de naissance - interrogatoire

fait dans une période de dépression ; dans une période d'excitation elle a pu

dire une fois son prénom, mais rien de plus.

a) Examen pendant la période de dépression.

Question : Comment vous appelez-vous ?

APHASIE AMNÉSIQUE 437

Réponse : Je ne peux pas le dire, je ne peux rien, rien, ça ne se peut pas.

Question : Quel âge avez-vous ?

Réponse : Je ne sais plus rien (comme j'insiste elle ajoute : « Dites-moi ce

que vous voudrez, allez ! »).

Question : Quand êtes-vous née ?

- Pas de réponse.

Question : A Paris ?

Réponse : Je ne sais plus, je ne sais plus rien, ce que vous voudrez, c'est fini,

c'est fini, bien mieux quand je serai morte.

Question : Avez-vous des enfants ?

Réponse : Non je n'en ai pas eu.

Question : Depuis quand êtes-vous ici ? : z

Réponse : Je vous en prie, ne peux rien, ferai tout ce que vous voudrez, je

sais bien ce que c'est là, je peux parler, je peux rien dire.

Question : Depuis quand avez-vous des crises de nerfs ?

Réponse : Même rappelle plus, du tout, du tout ; quand je pourrai, je ne peux

pas, il n'y a pas moyen.

Question : Comprenez-vous bien ce que je vous dis ?

Réponse : Bien sûr, je vois du papier, papier bien sûr (en montrant la feuille

d'observation).

. b) Examen dans une période d'excitation.

Question : Comment vous appelez-vous ?

Réponse : Marie.

Question : Comment ? 1

Réponse : Je ne peux pas... Paris.

Question : Où êtes-vous née ?

Réponse : Je ne peux pas, pas moyen.

Question : Avez-vous des enfants ?

Réponse : Dieu merci, pas besoin ; qu'est-ce que j'aurais avec tout ça ! 1

Question : Depuis quand êtes-vous ici ?

Réponse : Je n'en sais rien, je suis bien embarrassée.

Question : Depuis 2 ans ?

Réponse : Il n'y a pas si longtemps que ça, grand Dieu 1 (c'est exact).

Question : Votre mari est-il venu vous voir ?

Réponse : Une fois (exact).

Question : Pourquoi avez-vous les cheveux coupés ?

Réponse : La bas. C'était-il parce que c'est la maison (on lui a coupé les che-

veux dans une autre salle, et elle demande en plaisantant si c'est une règle ici

de couper les cheveux aux malades).

' Cécité psychique. - Il n'y a pas trace de cécité psychique, la malade recon-

naît tous les objets et sait parfaitement à quoi ils servent ; elle le prouve avec

vivacité et se montre très vexée qu'où puisse en douter.

Lecture. Les essais de lecture ont été difficiles et infructueux sans qu'il

438 TRÉNEL

soit possible de décider nettement s'il existe une cécité verbale absolue et com-

plète. L... reconnaît le nom de son mari, elle essaie de le lire à haute voix

sans y parvenir ; quand on lui demande ce que signifie ce mot, elle répond :

« De mon mari ». Elle a pu lire (et recopier) son propre prénom « Marie », mais

tout autre essai de lecture reste sans résultat. Elle a paru un jour déchiffrer

un nom écrit à la plume sur la page de garde du livre où je tente inutilement

de la faire lire : en découvrant par hasard ce nom, elle a dit spontanément dans

son langage télégraphique et paraphasique « c'est un que j'ai cossu, que j'ai

connu ». Mais il m'a semblé que ceci ait été tout fortuit, car, quand plus tard

j'ai voulu recommencer l'expérience, il a été impossible de rien obtenir. La

malade n'a pu reconnaître d'ailleurs dans les différents examens quelque mot

que ce soit, imprimé ou manuscrit, en dehors des. rares exceptions qui vien-

nent d'être notées. Aurait-elle reconnu son nom et celui de son mari (et éven-

tuellement un 3e nom propre) simplement comme un dessin familier ?

En tout cas, elle reconnaît assez bien les gravures. Je lui montre une image

représentant des Chinois et lui demande ce que c'est ? Réponse. « Des hommes,

des hommes... » Elle paraît tenter de lire la légende qu'elle suit du doigt et

s'écrie enfin : « Je sais ce que c'est... Quand je serais devant... (elle fait un

geste comme pour invoquer les puissances célestes)... Je ne pourrais pas dire. »

Pour une image représentant des nègres quand on lui demande si ce sont des

chevaux, des femmes, elle répond : « Des hommes ». - Demande : sont-ils

blancs ou noirs ? Réponse : « Noirs ». Elle feuillette le livre et dit en regar;

dant les images représentant divers personnages : « Des bonshommes, toujours

des bonshommes, ils ne sont pas beaux. » Une autre fois comme elle regardait

une chromolithographie représentant des fleurs et déclarait que c'était joli, je

lui demande ce que c'est, elle avise alors des fleurs sur un meuble et me les

apporte.

Lecture de lettres séparées. - Dans cet examen seule la lettre A a été dési-

gnée exactement (on avait demandé de désigner cette lettre en premier lieu).

Dans la suite de l'examen c'est toujours un A que la malade montrait quand

on lui demandait de désigner une autre lettre quelconque au hasard (cette der-

nière éventualité étant la plus fréquente). Il est difficile de dire quelle est la

part de l'inattention ou de la cécité littérale. Il a d'ailleurs été impossible de

décider la malade à réciter l'alphabet.

Elle compte inexactement le nombre de lettres d'un mot, plus inexactement

encore le nombre des mots dans une ligne. Quand on lui a fait compter le

nombre des lignes d'une page, après avoir compté à haute voix 1, 2..., elle

s'est tue ; elle a continué cependant à mettre successivement le doigt sur cha-

que ligne en paraissant compter des yeux ; elle s'est arrêtée rapidement en

disant : « Peux pas lire. » Il a été impossible d'obtenir un autre résultat.

Mme L... a bien dénombré à plusieurs reprises, les objets qu'on lui présen-

tait. Exemple on lui montre :

3 porte-plumes : Réponse exacte (quant au chiffre, les objets n'étant natu-

rellement pas dénommés).

APHASIE AMNÉSIQUE 439

7 clefs : Elle montre d'abord quatre doigts ; on insiste ; elle dit alors :

« 3, 3 ». Enfin elle montre 5 doigts, puis en ferme 3 en disant : « trois en

plus » (La traduction de ce geste est évidemment celle-ci : 5 doigts, plus 5 doigts

moins trois, ce qui fait 7 ; la malade a gesticulé et compté, si l'on peut dire,

d'nne façon paraphasique). Dans un autre examen, on lui montre 3 clefs, elle

s'exprime de la façon suivante : « 3 machines, une, deux, ça fait trois. »

Ecriture. - La seule fois où j'ai pu décider la malade à tenter d'écrire,

j'ai obtenu les résultats suivants :

Fio. 1. - Spécimen d'écriture représentant le prénom de la malade (Marie).

Sur l'ordre d'écrire son nom (Marie), elle a écrit spontanément (Fig. 1) :

a) le na 1 sans modèle en s'aidant des deux mains, la main gauche tenant

droite (contracturée) serrée sur le porte-plume.

440 TRÉNEL

b) D'après un modèle elle a écrit les nos 2 et 3, cette fois de la main gauche

seule, en refusant énergiquement d'utiliser la main droite comme dans l'essai

précédent. t.

c) Le n° 4 a été écrit avec les deux mains en suivant le modèle.

d) Le n° 5 a été écrit avec la main gauche seule, en suivant le modèle.

On le voit, l'écriture devient très rapidement de plus en plus incorrecte

pour ne plus être constituée que par des jambages informes. Comme pour la

lecture, il est difficile de faire la part de l'inattention et de l'agraphie, sans

compter l'impotence fonctionnelle. L'indocilité de la malade n'a pas permis de

renouveler cet examen. Elle refuse énergiquement dans les termes suivants :

« Il n'y a pas moyen.... je voudrais bien ; je ne ferai pas la sotte, ce serait

bête ; mais je ne peux pas. » Ceci accompagné d'une mimique expressive oit

elle montre sa main contracturée. Notons en passant que s'étant taché la main

d'encre pendant cet examen, elle s'essuie à sa robe en disant : « j'ai du noir

à la main. » Il est impossible de lui faire prononcer le mot encre ; elle fait sa 1

réponse habituelle : « je ne peux pas dire. »

Les couleurs ont été reconnues et dénommées exactement dans les examens

faits dans le but de rechercher la dyschromatopsie. Cet examen n'a pu être

fait d'ailleurs que très sommairement; la recherche du champ visuel a été

impossible.

Les attaques épileptiformes étant devenues plus fréquentes, l'intelligence a

baissé rapidement. La malade est morte avec des symptômes d'une hémorrhagie

cérébrale de l'hémisphère droit.

Autopsie faite avec M. Crété, interne du service.

L'hémisphère droit est le siège d'une vaste hémorrhagie cérébrale de type

classique qui refoule les parties voisines eu dehors de la ligne médiane. Il ne

présente aucune lésion corticale.

L'hémisphère gauche paraît intact, sans la moindre lésion corticale comme

on peut le constater sur la photographie ci-jointe (Fig. 2). Nous verrons plus

loin que cette intégrité de la substance grise n'est pas absolue, car il y a un

petit foyer hémorrhagique en un point limité de la Ire temporale. Il existe nn

vaste foyer hémorrhagique, en partie lacunaire, s'étendant de la partie moyenne

de l'insula jusqu'au pli courbe et limité à la substance blanche sauf dans le

point cité plus haut.

Les deux hémorrhagies sont presque symétriques.

Une série de coupes par la méthode de Pitres montre la localisation des

lésions sous-corticales. M. Brissaud a eu la grande obligeance de faire exé-

cuter les photographies de ces coupes à son laboratoire et de me donner

des indications pour leur étude.

La coupe 1 passe par le pied de la pariétale ascendante.

La coupe 2 passe par la partie postérieure du pied de la pariétale as-

cendante.

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA qAl.1lerR[Èlig.

T. XII. Pl. LXXVI

Coupe G passant à l'union du pli courbe et

du lobule du pli courbe.

Coupe 7 passant par le pli courbe.

APHASIE AMNÉSIQUE

(Ti-éiiel)

MASSON & Cie, Editeurs.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T XII. SCHÉMA DE LA PL. LXXVI

Fig. 4-

Coupe 6. passant à l'union du pli coui be et du lobule

du pli courbe.

Fig. ¡.

Coupe 7, passant par le pli courbe.

MASSON et 0'. Éditeurs.

APHASIE AMNÉSIQUE

( Tréncl)

APHASIE AMNÉSIQUE 441

La coupe 3 passe par la partie antérieure du pied de la 2e circonvolu-

tion pariétale et coupe la pariétale ascendante à sa partie moyenne.

Les coupes 4 et S passent à différents niveaux du lobule dupli courbe.

La coupe G passe à l'union du lobule du pli courbe et du pli courbe.

Les coupes 7 et 8 passent par le pli courbe.

Les coupes seront examinées d'arrière en avant; les figures représen-

tent la face postérieure de chaque coupe. Les légendes ( l) en sont données

sur les schémas que je dois ainsi que les deux autres figures à l'obligeance

de mon ami M. Gruzelle.

FiG. 2. - Hémisphère gauche. Observ. I. L'écorce est intacte, sauf une petite portion

de la première temporale, cachée au fond du sillon parallèle et invisible sur la pho-

tographie. Les lignes verticales numérotées indiquent les coupes.

Coupe 8. - Cette coupe ne laisse en arrière qu'une faible portion de

la corne ventriculaire. Le manteau blanc de la face externe du ventricule

n'est pas lésé ; on en distingue les différentes couches. Dans la substance

blanche de la partie supérieure du pli courbe, on voit une petite traînée

décoloration rougeàtre indiquant la limite extrême du foyer hémorrha-

gique. La substance corticale est indemne, le ventricule a les dimensions

normales.

Coupe 7 (PI. LXXVI et Schéma 3). -Le ventricule est extrêmement di-

laté ; le foyer hémorrhagique est séparé de la cavité du ventricule par

l'épendyme épaissi (conditions qui se trouve réalisée dans'toutes les autres

coupes) Il affecte une forme en V ou en L renversé () ; la partie verticale

(1) Sur ces figures le pointillé indique, suivant son intensité, le foyer principal

ou ses expansions.

442 TRÉNEL

s'étend sur toute la hauteur du bord ventriculaire, la partie horizontale a

détruit la subslance blanche du pli courbe; l'angle supérieur affleure

l'extrémité supérieure du ventricule dilaté. La partie inférieure du faisceau

longitudinal, des radiations optiques de Gratiolet et du tapetum se montre

intacte ; il en 'est de même dans les coupes suivantes. Dans la coupe 7

sont détruites les fibres de la portion inférieure du pli courbe et des

plis de passage pariéto-occipi taux.

Coupe 6 (Pl. LXXVI el Schéma 4). Le ventricule est déplus en plus

large. L'hémorrhagie a détruit toute la substance blanche des circonvolu-

tions pariétales dans lesquelles ses prolongements pénètrent en respectant

l'écorce, tandis que la partie principale occupe toute la hauteur du ventri-

cule, el étend des prolongements plus marqués clans la substance blanche

de la circonvolution pariétale supérieure; son extrémité inférieure at-

teint le niveau de la 2° temporale. Donc, destruction de tous les fibres

blanches du pli courbe et d'une partie de celles de la pariétale supérieure

et des 1 ra et 2e temporales.

Coupe 5 (PL LXXVII et Schéma 5). C'est le centre du foyer hémorrha-

gique. Toute la substance blanche sous-jacente au lobule du pli courbe est

détruite. La substance grise n'en est pas touchée. Mais la face inféro-in-

terne de la 111, temporale, qui limite en haut le sillon parallèle et en forme

le fond, est envahie par l'hémorrhagie. En bas le foyer s'arrête au niveau

de la substance blanche de la 2e temporale. La coupe passe ici au niveau

de la dernière portion de la scissure de Sylvius, laquelle présente une

anastomose avec le sillon parallèle, disposition assez rare. Au point où

porte la coupe apparaît l'angle postéro-supérieur de l'insula. La lésion a

détruit toutes les fibres de la première temporale, du lobule du pli courbe

et coupé en partie celles qui dépendent de la pariétale supérieure el de la

2" temporale.

Dans la coupe 4 (I'1. LXXVII et Schéma G), on voit encore la lésion corti-

cale de la même portion de la fie temporale, lésion d'ailleurs ici moins

étendue et n'atteignait pas la périphérie. En dehors de ce point la subs-

tance grise est respectée, celle de l'insula en particulier. La circonvolution

postérieure de l'insula apparaît à ce niveau au fond de la scissure de Syl-

vius, la substance grise est séparée du foyer hémorrhagique par une mince

couche cle substance blanche. La lésion a complètement détruit ou coupé

les faisceaux qui constituent la substance blanche de la 1" temporale, du

lobule du pli courbe, de la pariétale ascendante, et apparemment certains

faisceaux de la frontale ascendante. Entre le foyer et la cavité du ventri-

cule, ou plutôt du carrefour ventriculaire existe une région bordant le

ventricule que l'hémorrhagie a dissociée mais n'a pas entièrement détruite.

Coupe 3 (Pl. LXXVIII et Schéma 7). L'hémorrhagie forme une mince

Nouv. IcnnnenHmE nF la SAI,l'lÎmll\lIh.

T. XII. I'f. LXXVII

Coupe 4 passant à la partie antérieure d

lobule du pli courbe.

Coupe 5 passant à la partie postérieure du

lobule du pli courbe.

APHASIE AMNÉSIQUE

(Trérrel)

MASSON & Cie, K.hteurs

NOUV. ICONOCRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE.

T XII. SCHÉMA DE LA PL LXXVfI

Fiv. 6.

Coupe 4, passant à la pat tic antérieure du lobule

du pli courbe.

Fit. S.

. Coupe i, passant à la partie postérieure du lobule

du pli courbe.

- - d

APHASIE AMNÉSIQUE

( Trénel)

MASSON ET Cite, éditeurs.

i(71 : 1'. ICf7\OCHAHFIIfi 17 LA "AI "F.TIIII¡H,

T. XII. PI. I.XXVIII

Coupe 3 passant a la partie postérieure du

pied de la pariétale ascendante.

Coupc 3 passant à la partie antérieure du

pied de la 3c pariétale.

APHASIE AMNÉSIQUE

(Trénel)

MASSON & Cie, Editeurs

NOUV, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

T. Xll. SCHÉMA DE LA PL. LXXV III.

APHASIE AMNÉSIQUE

( Tréllet)

Fig. 8.

Coupe 2, passant à la partie postérieure du pied

de la pariétale ascendante.

Fig. 7.

Coupe ;, passant par la partie antérieure du pied

de la deuxième pariétale.

Maison ET Cie, Éditeurs

APHASIE AMNÉSIQUE 443

bande qui s'étend sur toute la hauteur de l'insula en respectant l'écorce

au' ras de laquelle elle s'arrête. Elle s'étale en haut et en bas : en haut,

elle affleure la partie interne de l'écorce de la pariétale ascendante, en

bas, elle pénètre dans la substance blanche de la -1 r8 temporale. Un cons-

tate un prolongement de la lésion à la partie supérieure du segment pos-

térieur de la capsule interne qui est profondément atteinte au niveau et en

arrière de cette coupe. L'avant-mur, la capsule externe sont détruits et

le segment avoisinant du noyau lenticulaire est intéressé par la lésion.

Dans la coupe 2 (l'l. L11VIII et Schéma 8) qui passe par le pied de la

pariétale ascendante, la lésion siège nettement dans la capsule externe, elle

laisse indemne à sa partie moyenne une zone de substance blanche qui

tapisse l'insula (capsule extrême), mais, en haut, où elle s'étale un peu,

et surtout en bas, elle en affleure l'écorce. Le noyau lenticulaire n'est in-

téressé qu'au niveau de son angle inférieur, la capsule interne est indemne.

L'hémorrhagie a coupé la couronne rayonnante de la pariétale ascen-

dante (au moins dans sa partie inférieure) jusqu'au niveau de l'extrémité

supérieure de l'incisure parhâtate de l'opercule (i p) et môme celle d'une

portion de la pariétale] située au-dessus de celte,incisure. Elle a coupé

toutes les fibres profondes de l'insula et atteint la substance blanche de la

première temporale.

La coupe 1 montre l'extrémité antérieure de la lésion, étroit foyer qui

s'éteint à l'angle inféro-externe du noyau lenticulaire.

Comme nous l'avons remarqué, cette lésion est presque schématique. Il

ne semble pas qu'on doive tenir particulièrement compte de la lésion lo-

calisée de la substance'grise de la première temporale, lésion qui ne répond

sinon à aucun des symptômes cliniques enregistrés, car il y a un léger af-

faiblissement de l'ouïe (attribuable plutôt à la lésion du carrefour sensitif),

mais du moins à aucun des symptômes se rapportant aux troubles apha-

siques (1). La lésion est en somme presque uniquement sous-corticale.

En nous reportant aux schémas que donne M. Déjerine pour les libres

d'association dans les figures 376 et 377 de son traité et en y superposant t

la lésion de notre cas, nous constatons les faits suivants (Fig. 9) : la capsule

externe est détruite dans ses deux tiers supérieurs, le faisceau arqué est

complètement coupé depuis sa courbure postérieure jusqu'à son tiers an-

térieur, le système du faisceau longitudinal inférieur et des radiations

optiques ne sont détruites qu'à leur partie supérieure dans une portion de

leur trajet, mais le sont entièrement au niveau de leur extrémité anté-

rieure. Le faisceau crochu doit être complètement indemne. La capsule

(1) Il y a lieu de noter en passant que dans l'observation VII de Pitres (cas de Ro-

senthal) un ramollissement a détruit les 2e et 3° temporales et empiète sur la partie

moyenne de la moitié inférieure de la première.

444 TRÉNEL

interne est détruite à la partie supérieure de sa région postérieure rétro-

lenticulaire. Le genou et le segment antérieur en sont respectés. Mais la

plupart des fibres qui par la couronne rayonnante la mettent en commu-

nication avec la pariétale ascendante dans les deux tiers inférieurs au

moins de celle-ci sont coupées.

La figure 10 donne les limites de la lésion reportées sur une coupe

horizontale empruntée au cahier d'autopsie de M. Déjerine, on y note

la limitation précise de la lésion à la substance blanche. Le pointillé

passe seulement en un point de la substance grise qui, dans la réalité,

n'est pas à ce niveau englobé par la lésion : ceci pour rappeler que la

substance grise est détruite dans un point limité de la première tempo-

rale. Cette figure n'est qu'approximative. Une coupe reproduisant réelle-

ment la lésion n'aurait pu être faite d'après nature qu'en sacrifiant com-

plètement la pièce. Il est facile de se rendre compte de ces faits sur les

figures établies par M. Gruzelle.

Au point de vue clinique nous ferons les remarques suivantes :

La malade quoique reconnaissant tous les objets et sachant en indiquer

l'emploi et le nombre, est incapable de les dénommer. Par conséquent la

perception visuelle simple et la vision psychique sont conservées, mais la

malade est incapable d'appliquer volontairement, spontanément, même

d'une façon puraphasique, le terme à l'objet qu'il désigne, sauf rares ex-

ceptions où le mot est dit, d'une façon réflexe. Secondement comme L...

comprend parfaitement une phrase mais est incapable de la répéter, tout

en sachant accomplir l'ordre contenu dans cette phrase. A cGté de cela,

elle n'est pas, à vrai dire, aphasique motrice ; para phasique, agrammati-

que, mais non aphémique. Son vocabulaire est relativement considérable,

son langage compréhensible, seuls les termes servant à désigner les objets '

lui manquentabsolument,ainsi que les noms propres, le sien en particulier;

la faculté de construire normalement unephrase lui fait défaut aussi, moins

à cause de la diminution de son vocabulaire que par une sorte d'incoor-

dination, de bégaiement de la pensée, ou pour mieux dire de l'impulsion

verbale si l'on peut s'exprimer ainsi. La malade sait ce qu'elle veut dire

(spontanément), ce qu'elle doit dire (dans ses réponses), elle n'y arrive

qu'incomplètement et maladroitement. Les transmissions se feraient-elles

irrégulièrement soit par des voies anormales, détournées, soit par les

voies habituelles mais en partie détruites (1).

(1) M. Pitres dans une nouvelle série d'articles tout récents, discute la question à

propos des paraphasies et y étudie les différentes théories. Il repousse en particulier

la théorie dc Wernicke (Revue de médecine, juin 1899 et se;.).

Fic;. 9. - Imitée de Déjerine. Les circonvolutions figurées sont celles de la pièce.

Le pointillé indique les limites de la lésion en projection.

FIG. 10. - Coupe schématique reportée sur un schéma de Déjerine.

C. circonvolution limbique. - cc. Corps calleux. - CE. Capsule externe. - Cld.

Segmeut postérieur de la capsule interne. - CL. AvanL-mur. - Cri. Segment rétro-

lenticulaire de la capsule interne. F. Circonvolution frontale ascendante. - F2.

2 circonvolution frontale. f'... Sillons secondaires du lobe frontal. - Fd. Corps

godronné. - Fo. Forceps. CeP*. Lobule du pli courbe. 1. Insula. ip. ln-

cisure pariétale de l'opercule. - ipc. Tncisure du pli courbe. -1\.. Scissure calcarine.

- L. Scissure lombique. - LFS. Capsule extrême. Op. Opercule pariétale.

OOp. Opercule sylvienne. - P. c. Pariétale ascendante. - Ps, Pli courbe. - p. P.

Pied de la deuxième pariétale. - p. i. Sillon interpariétal. -- Pt. Circonvolution de

passage. Put. - Noyau lenticulaire. - Q. Lobe carré. R. Scissure de ltolando.

- S. Scissure do Sylvius. - sp. Scissure sous-pariétale. - SP. Splenium. - Th.

Couche optique. - TRI. Trigone.

446 TRÉNEL

A ce propos on peut se demander si le terme d'aphasie sous-corticale

répond à la réalité des faits, et s'il n'y aurait pas lieu¡ de tenir'compte

des lésions probables des cellules corticales faisant partie du système des

fibres d'association ainsi détruites. Seules les techniques actuelles pour-

raient donner des indications sur une semblable]ésion secondaire. Le'terme

d'aphasie de conductibilité a l'avantage de ne pas préjuger de la question.

En nous en tenant aux théories actuelles, nous ferons ressortir que,

dans notre observation, si la limitation de la lésion presque exclusivement

à la substance blanche confirme la nature sous-corticale de l'aphasie am-

nésique, l'étendue même de cette lésion dans la substance blanche ne per-

met nullement de déterminer une localisation étroite ; le nombre, la variété

des faisceaux intéressés nous empêche de donner une conclusion ferme,

aussi avons-nous dû nous borner à une description plutôt macroscopi-

que ; notre cas en effet est loin de réaliser le desideratum de Flechsig (1)

pour « la méthode des plus petits foyers ». Il y a lieu de noter cependant

que le faisceau arqué est très profondément lésé, et que ce faisceau parait

avoir été toujours plus ou moins intéressé à différents niveaux dans les

observations relevées par M. Pitres.

Observation II.

Sommaire. -'Hémiplégie gauche incomplète avec demi-contracture; état paré-

to-.spasmodique généralisé. - Dysarthrie. - Paraphasie ; aphasie amnésique.

- La malade ne peut dénommer la plupart des objets qu'on lui montre, elle les

décrit sommairement, les définit ou indique leur nature ; ses phrases sont in-

complètes, mal construites (antonomase, agmmmatisme). - Pas de cécité

verbale ou plutôt littérale (la malade n'ayant jamais su que ses lettres).

Surdité notable ; diminution considérable de la vision (hémianopsie douteuse,

opacités de la cornée).- Affaiblissement intellectuel avec grande irritabilité.

L...Olympiade,femme R.,âgée de 59 ans,entrée à l'Asile St-Yon en avril 1899.

La malade est atteinte depuis quatre mois de ramollissement cérébral ; elle

est agitée, violente et aurait menacé de mort son mari. A son entrée, on cons-

tate une hémiplégie spasmodique gauche incomplète avec rigidité spasmodi-

que généralisée, dysarthrie et aphasie.

Le mot de dgsarlhrie n'exprime peut-être pas exactement le trouble parti-

culier de la parole dont il s'agit. Il y a bien une certaine difficulté de l'articu-

lation des mots, mais il y a en même temps difficulté de l'élocution - dyslalie

si l'on veut ; de sorte que, quand L... prononce une phrase longue ou un

mot compliqué, elle bredouille souvent d'une façon peu compréhensible. On ne

peut dire qu'elle éprouve uue difficulté spéciale à prononcer certaines lettres ;

(1) FLECHSIG, Eludes sur le cerveau, trad. L. Lévi, 1898, p. 113.

APHASIE AMNÉSIQUE 447 7

elle écourte ou, si l'on peut employer l'expression vulgaire, elle avale les

mots. Il a de plus un certain nasonnement.

L'aphasie présente les caractères de l'aphasie amnésique avec paraphasie. La

malade désigne tout très bien, gens et objets qu'on lui dénomme et qu'on lui

dit de montrer du doigt; l'encrier, le lit, le poêle, une infirmière etc. On lui

montre une image représentant un cerf, elle dit : « une bête ».

Est-ce un homme ? Non..

Une bête ? Oui une bête.

Qu'a-t-elle sur la tête ? Ça comme ça. (Elit ! fait signe qu'elle a des cornes.)

La malade est incapable de dénommer quelqu'objet que ce soit ; il y a cepen-

dant de rares exceptions : elle a parfois prononcé certains mots (chaise,

pain...), mais c'est presque un hasard semble-t-il. En général elle prononce une

syllabe quelconque sans rapport avec le nom de l'objet; plus souvent elle donne

la définition de l'objet en question ou en indique l'usage par un geste appro-

prié.

Les exemples suivants donnent une idée du langage de la malade ;

On montre une clef. - Un gnon, peux pas le dire, si le savais, je le dirais.

Montre. - Un gnon, pour mettre comme ça, pas ? A quoi ça sert, je ne sais

pas au juste, c'est comme ça (elle fait le geste de mettre la montre dans un

gousset). '

Savon. - C'est un gnon, c'est pour aire ça (fait le geste de se savonner vi-

goureusement la figure). Petixpqs dire (elle prend son châle et fait mine de

s'en débarbouiller après l'avoir savonné).

Porte-plume. La con...pour faire ça (fait le simulacre d'écrire).

A quoi sert ceci (une clef) ? Elle fait le geste d'ouvrir une porte, et si, on

lui donne la clef, va la mettre dans serrure.

Dans un autre examen on lui montre encore :

Des clefs. Je ne peux pas le dire ; c'est méchant.. , elle montre la porte.

Boîte d'allumettes. - C'est une chaise, peux pas dire ; pour faire la soupe....

(elle fait le simulacre de frotter une allumette, d'allumer le feu et souffle vigou-

reusement, une autre fois elle a fait le simulacre d'allumer une pipe).

Un livre. - C'est pour ça (fait signe d'écrire).

Une chaise. - Une chai, une chai, c'est ça. - (Dans un autre examen, elle

a dit : chai pour ça moucher).

Un lit. - Un do, un do. un dodo. Il est impossible de lui l'aire dire un lit.

Brosse. Pour faire ça (elle brosse) une poi, unpeu.

Une montre. - Pour faire ça (fait signe de la mettre à son oreille), une po,

mne po.

Une clef. -Je vous l'ai dit, des mains, des machines, comme ça.

Dans un autre examen.

Une cuiller ? Pour manger, peux pas dire.

Est-ce un couteau, une fourchette, un verre ? ? - Non, non.

Est-ce une cuiller ? - Oui c'est ça, c'est ça.

Répétez cuiller. - Quiète, Quih'e, c'est ça j'ai bien dit.

On montre un dé. Pour coudre, pour faire ça (fait signe de coudre).

448 TRÉNEL

Est-ce une aiguille, des ciseaux ? - Elle proteste avec vivacité.

Répétez dé ? - Ré, lé c'est ça... Dites moi tout, tout ce qu'il veut.

On montre une brosse. - Pour ça (elle brosse) des caix, des caix.

Est-ce un balai ? - Non, non.

Répétez brosse. - Des bois, des bois.

On montre des ciseaux. - C'est pour noz mon; des cous, des cous (fait le si-

gne de couper au moyen du médius et de l'index comme avec des ciseaux).

On montre un livre. - Un pieu, je ne sais pas ; pour faire AAA BB.

Récitez l'alphabet, abc. - A 13 C DE.... (elle refuse de continuer).

Qu'est-ce que vous aimez manger ? - Lasonpe.

Quel légume aimez-vous ? Les crus ? les crus ? elle parait ne pas com-

prendre, on répète la question : Les pommes de terre ? oui, oui, c'est ça. Elle

réfléchit : L'autre jour il y en a eu beaucoup.

De quoi y a-t-il eu beaucoup ? Elle ne parvient pas à dire le mot haricots dont

il s'agit et qu'elle reconnait quand on le lui dit.

Dans la suite de l'interrogatoire elle a retrouvé spontanément le mot riz, et,

sur demande, a répondu que c'était blanc. Elle ne peut dire les mots viande,

gâteau, sucre. On lui montre un morceau de sucre, elle le dénomme cru.

La malade éprouve les plus grandes difficultés à dire son propre nom ; elle

répond à toutes les questions en donnant son petit nom ; elle n'a dit qu'une

fois son nom de famille. En général elle donne à sa place un mot quelconque

ou une désignation nettement paraphasique. Comment vous appelez-vous ?

Olympe peut pas dire, Olympe, Olympe.

Vous appelez-vous Joséphine ? Non pas ça, Olympe.

Quel est votre autre nom ? Olympe, Olympe.

Celui de votre mari ? Ampel, Ampel, mon mari, comme ça : Ampel (il

s'appelle Jules Alfred), mon mari s'appelle Hardi, Hardi.

Vous appelez-vous Lefèvre, Charpentier, Fortin, Collet ? -- Pas ça, pas ça.

Dans un autre examen :

Quel est votre nom ? Olympe.

Encore ? Olympe, peut pas dire ; dites lui vous (elle s'adresse à la soeur),

vous savez vous, dites-le Monsieur. Peut pas dire, il n'y a que moi, peux pas

dire ; je meures ! (elle se fâche.)

Vous appelez-vous Martin... etc. ? - Pas ça Olympe.

Et Ribert (nom de son mari) - (Elle n'a pas l'air de comprendre), je ne sais

pas, je ne sais plus rien.

Et Louvet ? (nom de sa famille) - C'est moi ; peut pas le dire, tllorctcG,

Montet, Nutet, Velet.. peux pas dire. Oh ! puis moi, je voudrais m'en aller.

Qu'est-ce que Ribert ? - Je ne sais plus, je le jure que je ne sais pas. '

Dans un autre examen après avoir déchiffré lettre par lettre son nom de dame

(Ribert) elle est incapable de le répéter, mais le'reconnait cette fois comme son

nom. On lui demande : Ribert, qu'est-ce que c'est que cela ` ? - Ilebei-1, Robert,

mon mari.

Et Louvet ? - C'est moi.

Comment vous appelez-vous ? Louvet.

APHASIE AMNÉSIQUE 449

Dites encore ce nom ? - Olympe, comment encore ? peux pas le dire ; c'est un

cochon (elle s'irrite).

Qui appelez-vous comme cela ? - Mon mari, me laisse là.

Connaissez-vous M. B... (son ancien patron) ? -- On faisait des saletés (elle

était ouvrière en chiffons). Il faisait comme ça (elle fait le simulacre de couper

des chiffons avec un instrument et son geste professionnel est très exact au

dire d'une autre malade qui a été sa camarade d'atelier).

On éprouve de grandes difficultés à faire répéter une phrase la malade,

car elle est inattentive, excitée, bruyante et de plus elle présente un notable

affaiblissement de l'ouïe. Cependant elle comprend parfaitement tout ce qu'on

lui dit.

- Répétez : Je voudrais bien manger ma soupe.

Ma soupe (en écho) ; je ne peux pas, peux pas le dire.

On insiste : Je voudrais ma soupe.

- Répétez : Il fait beau temps aujourd'hui.

- Oui pas mal (d'un ton de moquerie, car il fait en réalité un temps af-

freux). La malade refuse de répéter la phrase.

Dites : Je veux aller me coucher ?

Dodo, dodo, peux pas dire.

On répète la question.

Je veux dodo.

On répète encore la question.

- De cacher, de cacher.

On lui demande alors : qu'est-ce que cela ? (un lit) :

Dodo, fais dodo, je dis comme ça : na do.

- Répétez : je ne peux pas manger de viande. Jian (en écho). Comme

on insiste elle refuse avec colère : Il veut que je dise comme lui !

Lecture. Elle prétend ne pas savoir lire ; avec bien de l'insistance on

parvient il lui faire lire des lettres de grande dimension les unes après les au-

tres, sans faute notable quand elle veut bien s'appliquer. Elle a lu, entre autres,

toutes les lettres de son nom sans se rendre compte qu'elle lisait ainsi son

nom, et sans qu'on puisse parvenir ensuite a lui faire dire ce même nom.

Elle lit aussi assez bien les chiffres (un il un) avec des fautes évidemment

dues à l'inattention, 1, 3, 4, 8 sont bien lus, pour 7 elle dit 3, pour 6 succes-

sivement elle dit, B, D, dix, dix. 9 n'est pas reconnu. Elle tâche d'esquiver tout

examen en disant : « Je n'ai pas été à l'école, je n'ai pas pu, regardez là (son

oeil couvert d'une taie). Je n'ai pas menti. » Quand elle est bien disposée, elle

plaisante : en lisant la lettre E, elle montre son nez et dit un nez, un ne ?

Dans ces essais de lecture elle ne lit qu'au moyen de l'oeil gauche et en te-

nant le modèle tout à fait en dehors comme si elle ne pouvait lire que dans un

segment limité du champ visuel.

Ecriture. - Elle dit ne pas savoir écrire : on a tenté à diverses reprises de

lui faire copier un rond, un carré, ou n'obtient que des images informes, où

cependant on reconnaît il la rigueur des traits arrondis dans le premier cas,

XII 30

IâQ TRÉNEL

anguleux dans le second. Tous ses mouvements sont d'ailleurs maladroits,

raides et saccadés.

Elle reconnaît les couleurs sans pouvoir en dire le nom en général ; elle indi-

que du doigt les arbres de la cour quand on lui montre une feuille verte arti-

ficielle et dit : « C'est dix, dix, dix. »

On lui montre un papier rouge : - Ou, ou, dix, dix.

C'est rouge ? Attendez ! elle fait un effort et dit brusquement : Rouge ! Un

instant après on lui demande de quelle couleur était le papier ? Elle répond :

Ou, ou, peux pas le dire.

On lui montre un papier bleu. - Dix, dix, rou, 1'OU; puis elle dit : Comme

ça (en montrant son tablier déteinte bleue).

Dans un autre examen, on lui montre des papiers de couleurs variées :

Jaune ? Dou.

Blanc ? - Du blanc ! 2

Lilas ? - Blanc.

Vert ? - Blanc, blanc, je ne sais pas ; comme ça (elle montre les arbres par

la fenêtre).

Rose ? - Du noir (Il y a en effet quelques lignes imprimées sur le papier et

comme on insiste : Nou, ) : ou.

Jaune ? - Du blanc je ne sais pas, nou ?

Tout cet interrogatoire est entrecoupé de formidables jurons et la malade

finit par déchirer violemment tous les objets qu'on veut lui montrer.

Dans un autre examen :

Quelle est la couleur de votre tablier ? Je ne sais pas, je peux pas dire, at-

tendez, deu deu..

Et ceci (le voile de l'infirmière) ? - C'est deu, c'est deu.

Mais non, c'est noir. - Oui c'est ça, noir.

Je lui montre une boite jaune : Est-ce vert, rouge ? Non pas ça, écoutez

(elle prend un air goguenard) je vais vous dire ; c'est quand c'est le mari de mou

mari qui joue avec une autre... (elle fait un geste obscène).

C'est jaune ? - Oui c'est ça, c'est ça.

Eh bien, dites le mot jaune. - Je ne peux pas dire.

On insiste : Mais puisque je vous ai dit, c'esl mon mari, quand mon mari

est avec une autre, c'est lui, c'esl lui 1 (elle rit plaisamment). On ne peut

demander mieux comme définition de la part d'une aphasique amnésique. Son

idée paraît la mettre en joie, car dans les examens suivants elle s'empresse

tonjours de répondre, en riant : « C'est mon mari, c'est mon mari. »

Etal physique. - La malade présente une raideur spasmodique généralisée;

les mouvements sont maladroits, saccadés. La marche est très raide ; la rigi-

dité est notablement plus marquée a la jambe gauche, l'extension et la flexion

volontaires se font normalement ; les mouvements passifs sont obtenus sans

résistance quand la malade est calme. Les réflexes rotuliens sont très exagérés,

il y a ébauche de tremblement épileptoïde des deux côtés. Le membre supé-

rieur gauche présente une contracture incomplète, en demi-flexion ; le bras ne

OU ? ICOOOKAPHIE DE L SAlPÊIRIÈRF.

T. XII. 1'1. LXXIX

APHASIE AMNESIQUE

l'aresie sp.tsmodiyuc ynér.tlisec prédominant Ù g.tuchc.

La malade grimace d'une façon spasmodiquc dès qu'on s'occupe d'elle.

A gauche, une maniaque périodique.

(Trille ! )

MASSON & cie, Editeurs.

APHASIE AMNÉSIQUE 451

peut être mis en abduction complète, le coude ne peut être complètement

étendu, soit passivement, soit volontairement; les 2 derniers doigts sont en

demi-flexion non réductible. Les réflexes tendineux sont exagérés ; en dehors

de ce dernier symptôme iLn'y a rien à noter au bras droit. La malade n'est

pas gauchère.

Il n'y a pas de paralysie faciale (1), la langue est un peu tremblante et lé-

gèrement déviée a gauche. Il n'y a pas de dyspbagie, la malade avale glouton-

nement. D'habitude elle' ne laisse pas, couler la salive ; quand on la fait parler

elle bave et cra`cbotte. Pas de troubles de la respiration. Pouls fort et rapide

(90).

Aux yeux, reliquat de kératite ancienne, avec opacité quasiment complète à

droite, peu accentuée à gauche. Ces lésions rendent l'examen très difficile. Les

pupilles sont dilatées. ,

11 existe un affaiblissement notable de l'ouïe qu'il a été impossible de mesu-

rer même approximativement et de déterminer comparativement des deux

côtés, en raison de la résistance de la malade.

La malade est pleurarde ou plutôt criarde, surtout dès qu'on veut lui faire

subir un examen ; elle s'excite alors, prononce une série ininterrompue de lam-

beaux de phrases paraphasiques d'une voix un peunasonnée, puis crie, grimace

d'une façon presque spasmodique (PI. LXXIX) et finit par entrer dans une P.

fureur des plus comiques, mais qui ne permet pas d'achever l'examen : elle se

lève brusquement, cherche à s'enfuir au risque de tomber, en raison de sa

raideur et de sa maladresse, et elle tombe en effet en se démenant sur sa chaise.

Elle parle sans s'arrêter d'une façon paraphasique pendant tout l'examen. « Il

vaudrait mieux ! mon dieu ! . c'est fini, voyons, vite, vite, il va me prendre ;

mais va-t-en ; il va me faire du mal. Quitte-moi. J'ai mal à la tête... Viens mon

vieux (en parlant à la soeur). »

Dans ces derniers jours elle a employé des arguments irrésistibles en frap-

pant, mordant et en faisant voler de tous côtés les objets qu'elle peut atteindre;

elle me déclare en parlant nègres «Jamais quand vous venir là vous dirai pas

bonjour. » Il faut parlementer, batailler avec-elle pour obtenir qu'elle se laisse

examiner et qu'elle réponde aux interrogatoires.

Au point de vue des troubles du langage cette malade se rapproche

beaucoup de la précédente et appartient au même type. Chez elle aussi

l'aphasie amnésique parait être assez nette et accompagne la paraphasie.

Tous les objets sont bien reconnus, bien désignés, mais sauf de rares ex-

ceptions la malade ne peut les dénommer ; quelques noms ça et là surgis-

sent isolés au milieu de son jargon paraphasique.. z

Il faut remarquer qu'elle donne toujours au moins une désignation pa-

raphasique, tandis que l'autre malade, plus manifestement aphasique

(1) Depuis plusieurs semaines la face est, au repos, fréquemment déviée à gauche

(octobre 1899).

452 TRÉNEL

amnésique, n'en donnait aucune. Exemple : une brosse, un pfeu, un savon,

un gnon, une chaise, chai, etc. Couramment elle désigne les objets par une

définition ou en indiquant l'usage par un geste bien approprié. Elle a

même à l'occasion des définitions pour les termes plus abstraits qu'elle

ne peut retrouver, et sa définition, plutôt moliéresque, de certaine couleur

est à retenir.

Le diagnostic de la localisation est assez obscur. 11 y a apparemment des

lésions multiples sous ou infra-corticales, bilatérales (1) : les symptômes

de forme pseudo-bulbaire ne sont pas assez nets pour qu'on puisse em-

ployer ici le terme de syndrome pseudo-bulbaire : il y a lieu cependant

de remarquer la parésie spasmodique généralisée, la dysarthrie, la ten-

dance à la salivation, un certain nasonnement, l'accélération du pouls

(en rapport peut-être seulement avec l'émotivité de la malade), enfin cette

émotivité même, cette hyperexcitabilité accompagnée de cris et de grimaces

presque spasmodiques et qu'on pourrait à la rigueur rapprocher du rire

ou du pleurer spasmodique, comme on peut le voir sur la photographie

(Pl. LXXIX).

D'autre part la nature des troubles visuels ne peut être bien déterminée,

et l'hémianopsie, quoique plus que probable, ne peut être démontrée

dans l'état des choses.

(1) Peut-être syphilitiques. - A noter que le mari de la malade, que j'ai vu sans

pouvoir l'examiner, a la parole embarrassée, une inégalité;pupillaire énorme, et l'in-

telligence manifestement affaiblie (Paralysie générale ? ).

LE TROPHOEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE

PAR

HENRY MEIGE

Sous la dénomination de Dystrophie oedémateuse héréditaire, nous avons

cru devoir attirer l'attention, l'an dernier, sur une variété d'arme chro-

nique des membres inférieurs survenant chez plusieurs membres d'une même

famille et pendant plusieurs générations (1).

Les faits de ce genre semblant rarissimes dans la littérature médicale,

il n'est peut-être pas sans intérêt d'y revenir avec quelques développe-

ments.

Nous reprendrons donc en détail l'histoire de la curieuse famille oedé-

mateuse que nous avons eu l'occasion d'observer, en y ajoutant des re-

marques sur les exemples qui paraissent s'en rapprocher.

Observation I.

Une jeune fille de 17 ans, Fe..., est entrée, vers- la fin du mois de juin

1898, dans le service de M. le professeur Brissaud.

Elle était venue à l'hôpital Saint-Antoine pour un examen rhinoscopi-

que, se plaignant depuis longtemps déjà d'être gênée pour respirer ; on

lui avait parlé en effet de « végétations adénoïdes » et même de « polype

nasal » dont elle désirait se faire opérer.

Pour le reste, elle déclarait être de bonne santé, n'avoir jamais été ma-

lade, faisant aisément son métier de domestique, sauf depuis un mois en-

viron où elle se sentait un peu gênée par ;< sa phlébite »....

Interrogée sur cette phlébite à laquelle elle semblait n'attacher qu'une

minime importance, « C'est, répondit-elle, une grosse enflure de la jambe

droite, qui dure depuis près de cinq ans ».

A l'époque de la formation, le pied et la cheville ont commencé à gros-

sir, puis l'enflure a gagné la jambe et s'est arrêtée au genou. Aucune chute,

(1) Voy. C. R. du Il® Congrès des médecins aliénistes et neurologistes tenu à

Angers le 4 août 1898, - et Presse médicale, 14 décembre 1898.

454 . HENRY MEIGE

aucun choc, nulle douleur, nulle fièvre, au début de cette tuméfaction,

non plus que les années suivantes. La jambe et le pied sont restés gros,

durs au toucher, toujours blancs, jamais rouges, et jamais ils n'ont été

douloureux. Il a bien fallu porter un bas et une chaussure plus larges, la

jambe est devenue un peu lourde à mouvoir, mais la marche n'en a ja-

mais été sérieusement gênée.

Au demeurant, la jeune fille paraissait considérer sa « grosse jambe »

comme une infirmité de vieille date avec laquelle elle était depuis long-

temps résignée il faire bon ménage. Sa « phlébite » l'incommodait fort peu.

« Cependant, ajoula-l-elle, depuis un mois ou deux, l'enflure a peu à

peu gagné la cuisse, sans toutefois causer la moindre douleur. »

La malade fut admise à l'hôpital, et dès le premier examen, voici ce

qu'on a pu constater :

Tout le membre inférieur droit, depuis la racine de la cuisse jusqu'aux

orteils, est envahi par une enflure volumineuse, défigurant tous les con-

tours. Cuisse, genou, jambe et pied disparaissent, noyés dans une sorte

de gangue oedémateuse qui se boursoufle au-dessus des plis cutanés, for-

mant des bourrelets d'apparence éléphantiasique (PI. LXXX et LXXXI).

Au pied, la tuméfaction fait bomber la face dorsale au-dessus des doigts

qui, eux-mêmes, sont un peu épaissis. Sur le cou-de-pied la boursouflure

est extrême et les téguments distendus retombent en replis gonflés qui mas-

quent les reliefs malléolaires et la corde du tendon d'Achille, rappelant,

ici surtout, le « pantalon de zouave » de l'éléphantiasis. Sur la jambe,

on chercherait en vain à reconnaître en avant la crête tibiale et en arrière

la saillie des jumeaux. On ne retrouve pas davantage la morphologie du

genou dans les bosselures insolites qui dénaturent les reliefs ordinaires

de la région. Quant à la cuisse, c'est un énorme cylindre à peu près régu-

lier, qui, en bas, part de la jarretière, pour aboutir en haut aux plis in-

guinaux et fessiers.

Tel est l'aspect de ce membre bouffi dont la difformité est rendue plus

saisissante encore par comparaison avec la jambe saine qui conserve un

irréprochable modelé.

A la racine de la cuisse, nettement, l'enflure cesse. En avanl, le pli

inguinal, le mont de Vénus, et en arrière, la fesse sont strictement res-

pectés. Au-dessus, sur le ventre, la poitrine, le dos, sur les bras, sur le

cou, sur la face, la peau est mince et souple, les contours sont réguliers,

les formes correctes.

Et il en est ainsi de la jambe gauche : elle est indemne du haut en bas.

Une différence d'au moins dix centimètres dans toutes les mesures circon-

\OU%-. lcOSOGHAPlIlE DE LA SALPÉERIÈttE.

T. XII. Pl. LXXX

Fé..., 17.\115. Ar..., 21 ans.

TROPHOEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE

(Henry f}¡Cl'ige)

MASSON & cie, Editeurs.

Nouv. Iconographie DE la Salpêtrière.

T. XII. PI. LXXXI

, Ij .1175.

Ar..., 21 ans.

TROPHCEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE

(Heuy ClCrino)

MASSON & CIC, Editeurs.

LE TROPHoeDÈ1E CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 455

férencielles permet d'évaluer approximativement l'augmentation de vo-

lume du membre oedématié.

Ce dernier n'est pas seulement difforme. La peau en est très épaissie et

distendue ; elle ne présente, il est vrai, aucune trace d'excoriation.'aucune

fissure, aucune marbrure ; elle est blanche et elle est lisse ; mais on ne peut

la pincer entre les doigts ni la faire glisser au-dessus des masses osseuses

ou musculaires ; ce n'est que très difficilement qu'on peut y imprimer le

godet ou la cupule classiques. On y parvient cependant après une pres-

sion longue et forte dans les points où la tuméfaction forme les plus gros

bourrelets, au pourtour des chevilles, sur la face dorsale du pied, et

cela principalement lorsque la malade est restée debout un certain temps.

Car l'enflure, dans la position verticale, augmente à la fois en volume

et en mollesse ; cependant elle ne disparaît jamais par le décubitus pro-

longé.

Enfin, fait remarquable, aucune douleur, ni spontanée, ni provoquée

par les mouvements ou les attouchements.

OEdème blanc, dur, boursouflé, exactement limité au seul membre inférieur

droit, survenu sans douleurs et sans fièvre, cantonné au pied et à la jambe

pendant plusieurs années et ayant récemment envahi la cuisse, telle était t

cette prétendue phlébite. ,

Or. le coeur et les reins sont en excellent état (il n'y a pas trace d'al-

bumine dans les urines) ; d'ailleurs l'affection est franchement unilatérale.

Nul souvenir de rhumatisme, aucun désordre des organes du petit

bassin, jamais de douleurs sur les trajets vasculaires ou nerveux.

Tout le mal se réduit- à cette vaste enflure blanche, dure et indolore,

occupant tout le membre inférieur droit, et celui-ci seulement.

Poursuivant l'examen, on fut conduit à rechercher l'état de la sensibilité.

Celle-ci apparut très notablement diminuée sur toute la moitié droite du

corps : tête, bras, tronc et jambe. C'était une hémi-hypoesthésie nettement

arrêtée suivant la ligne médiane et accompagnée d'une anesthésie en

botte de la jambe et du pied droit. Par surcroît, on découvrait une dimi-

nution notable de l'ouïe à droite, et l'abolition complète du réflexe pha-

ryngien. En l'absence même d'autres stigmates (pas de rétrécissement du

champ visuel ni de dyschromatopsie, aucune crise convulsive) on de-

vait songer à l'hystérie.

Tel fut en effet le premier diagnostic, et l'on aurait pu s'en contenter.

Mais, en poussant plus loin l'interrogatoire, la malade nous apprit

qu'une de ses soeurs, un peu plus âgée qu'elle, était atteinte d'un oedème

analogue, mais occupant les deux membres inférieurs tout entiers.

Le fait était rigoureusement exact ; nous avons pu nous en assurer.

456

UENRY MEIGE

OBSERVATION II.

Ar..., âgée de 21 ans, soeur de la précédente malade, vint à l'hôpital

Saint-Antoine, et confirma tous les dires de Fe...

Chez elle aussi, l'enflure des jambes avait débuté vers l'âge de 13 ans

au moment de la formation, se cantonnant d'abord aux pieds et aux che-

villes, des deux côtés, pendant un an environ. Peu à peu, la limite supé-

rieure de l'oedème avait atteint les genoux et était restée telle jusqu'à

l'âge de 17 ans. Alors seulement, les deux cuisses furent envahies simul-

tanément, et depuis près de quatre ans, pieds, jambes et cuisses sont dé-

formés à l'extrême, tuméfiés, boursouflés, d'aspect éléphantiasique.

Ici encore, l'oedème est blanc, dur, absolument indolore. La pression du

doigt n'y détermine un godet qu'à la condition d'être prolongée et très

forte. Au dire de la malade, cette empreinte était beaucoup plus facile à

obtenir autrefois qu'aujourd'hui. L'oedème serait devenu sensiblement

plus dur depuis deux ou trois ans (l'l. LXXX et LXXXI).

Cependant, par places, la piqûre laisse écouler quelques gouttes de sé-

rosité transparente, et les bandes que la jeune fille enroule autour de ses

jambes dessinent des sillons assez longtemps persistants. Enfin les jam-

bes sont notablement plus volumineuses le soir que le matin ; par contre,

le repos horizontal les fait un peu diminuer de volume ; mais jamais elles

ne retrouvent leur forme normale.

L'enflure augmente régulièrement au moment des règles, puis diminue

dans les périodes intercalaires, et surtout avec le repos ; en aucun cas, elle

ne disparaît complètement. Les mesures circonférencielles en témoignent.

Elles excèdent d'au moins dix centimètres celles d'une jambe normale.

Il est facile de s'en rendre compte en prenant pour terme de comparai-

son la jambe saine de la soeur cadette, qui est à peu près de même taille

que son aînée.

On constate en outre que chez cette dernière la jambe droite est nota-

blement plus grosse que la gauche, de 3 à 4 centimètres en moyenne.

Voici d'ailleurs les mensurations prises à la date du 25 juin 1898 par

M. Léon Goujon.

MESURES 21" nn FE ?

de circonférence des membres 21 ans 11 ans

inférieurs droite gauche droite gauche

cm. cm. cm. cm.

Au niveau des malléoles 29 28 32 23

de la jambe (p. moy.).... 42 39 42 31

du genou 43 38 H 1 32

de la cuisse (p. moy.).... 52 48 titi 45

LE TROPHOEDÈiIIE CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 457

En résumé, chez cette seconde malade, les deux membres inférieurs

sont envahis par un oedème volumineux, blanc, dur, et indolore, en tout

semblable à celui que la soeur cadette présente au seul membre inférieur

droit.

Les deux membres sont atteints à un degré presque égal : voilà déjà

une première différence.

Il en existe une seconde, importante à noter : La sensibilité est conser-

vée intégralement, sous tous ses modes, des deux côtés, de haut en bas.

Et la malade ne présente aucun stigmate d'hystérie. Tout au plus la tour-

nure de son caractère offrirait-elle une certaine analogie avec celle des

hystériques....

D'autre part, le reste de l'examen ne donne que des renseignements né-

gatifs : coeur normal, pas d'albumine dans les urines, aucun désordre des

organes abdominaux.

A 14 ans, une fièvre typhoïde très bénigne, mais nulle autre maladie

depuis lors, ni rhumatisme, ni érysipèle.

A signaler simplement des maux de tête qui se renouvellent assez fré-

quemment.

Ici, cependant, cette maladie oedémateuse, - mieux vaudrait dire cette

infirmité, - n'a pas toujours été d'allure aussi discrète.

A cinq reprises différentes, sont survenues des poussées aiguës et dou-

loureuses, accompagnées d'une augmentation de l'enflure et d'une colora-

tion rouge des téguments.

La première fois, il y a 7 ans, en 1891, la malade est entrée à l'Hô-

pital St-Louis où elle fut soignée, dit-elle, pour une «phlébite ». La jambe

droite était plus grosse, plus rouge, et extrêmement douloureuse : dou-

leurs spontanées exaspérées par les mouvements, la pression, elles avaient

débuté au pli de l'aine ; mais la malade ne se rappelle pas qu'elles aient

siégé sur un trajet défini : toute la périphérie du membre était doulou-

reuse ; le contact des draps était insupportable.

Au bout d'un mois environ, douleur et rougeur disparurent; mais

l'oedème persista comme auparavant.

Depuis lors, quatre nouvelles poussées semblables se,sont produites,

obligeant la malade à s'aliter. Chaque fois, elle est allée se reposer dans

sa famille; au bout d'un mois ou six semaines, les accidents disparais-

saient ; la marche et le travail redevenaient possibles, bien que ]'oedème

blanc, dur, indolore persistât comme devant.

A l'occasion de ces poussées aiguës, Ar... a d'abord été soignée comme

s'il s'agissait réellement d'une phlébite. Puis on l'a mise au régime lacté.

Et il y a 5 ans, pendant une durée de 6 mois, on lui a fait prendre des

458 HENRY MEIGE

corps thyroïdes de mouton. On voit par là les diagnostics qui sont venus

successivement à l'esprit des médecins traitants : phlébite, affection car-

diaque ou rénale, et jusqu'au myxoedème.

Sans insister pour le présent, poursuivons notre historique.

En effet, au cours de son interrogatoire, Ar... nous a appris que sa

soeur et elle n'étaient pas les seules personnes de leur famille qui fussent

affligées de la même infirmité oedémateuse.

OBSERVATION III.

La mère de Fe... et de Ar..., âgée de 40 ans, a été, elle aussi, depuis

sa treizième année, atteinte d'une enflure des jambes en tous points com-

parable à celle que présentent ses deux filles. Même oedème, blanc, dur et

indolore, ayant débuté de la même façon, par les deux pieds, pour enva-

hir ensuite les jambes ; toutefois, il n'a jamais dépassé le genou.

Nous avons tenu à contrôler le fait par nous-même et nous avons vu

cette femme dans le petit village où elle habite, depuis son enfance

(PI.LXXXII).

C'est une travailleuse, alerte et bien portante, sans aucune affection

cardiaque ni rénale ; elle n'a jamais été malade ; ses grosses jambes, qui

sont effectivement l'image exacte de celles de ses deux filles, ne lui cau-

sent qu'une gêne insignifiante et ne l'empêchent nullement de faire son

rude métier de ménagère.

C'est bien la même maladie, bilatérale, mais arrêtée aux deux genoux.

Ici. pas de poussées douloureuses, pas de troubles de la sensibilité.

Rien qu'une difformité symétrique des deux jambes portant sur le tissu

cellulaire sous-cutané.

Or, ce n'est pas tout : cette difformité s'étend encore à d'autres membres

de la famille.

Observation IV. 1 .

A..., âgée de 13 ans, lé frère de Fe... et de Ar..., présente déjà les

signes du début de la même affection. Son pied droit, le cou-de-pied et la

moitié inférieure de la jambe du même côté sont notablement tuméfiés.

Et c'est encore le même oedème dur et indolore, un peu moins blanc ici

que chez la mère et les deux soeurs. La jambe gauche est indemne ; mais

rien ne dit, fait remarquer la mère, que celle-ci ne grossira pas à son

tour, car ce mal semble être un héritage ancestral auquel il semble diffi-

cile d'échapper (Pl. XXXII).

Et à l'appui de son dire, elle nous communique les renseignements

suivants :

NOU1'. ICONOGKAPUIE DE LA SALPhIH1ÈHF.

T. XII. J'I. LXXXII

Mère de Fe... et Ar..., 40 ans.

Frère de l'c... et Ar..., 13 ans.

TROPHOEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE

71')t/'V ? < ?

MASSON 5 Cl, EdltcUt ?

LE TROPHCEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 459

Observations V et VI.

Deux frères de la mère de nos malades, leurs oncles maternels par

conséquent, ont été l'un et l'autre porteurs de « grosses jambes » qui res-

semblaient à celles des enfants.

L'un de ces oncles, mort il l'âge de 25 ans,était oedématié des deux mem-

lires inférieurs, pieds, jambes et cuisses. Il mourut brusquement, parait-il,

en 48 heures « l'enflure, dit la famille, lui étant remontée au coeur ».

L'autre oncle est mort aussi, âgé de 27 ans, on ne sait trop de quoi.

Celui-ci, comme sa soeur, n'avait que des grosses jambes, les cuisses étaient

respectées. Il aurait eu, de bonne heure, à la face interne des chevilles

des plaies qui mirent longtemps à se cicatriser, étant constamment avivées

par le frottement des bourrelets oedémateux. Un séjour prolongé dans un

hospice l'en guérit cependant, mais, peu après, paraît-il, l'enflure s'étendit t

à tout le corps et il ne vécut pas longtemps.

Il faut évidemment faire quelques réserves sur ces renseignements ré-

trospectifs.

Un fait reste certain cependant, c'est l'existence, chez les deux oncles

maternels de Fe... et de Ar..., d'une difformité oedémateuse semblable à

celle dont elles sont atteintes actuellement. Les souvenirs de la mère sont

à cet égard très affirmatifs.

Quant au père des deux jeunes filles c'est un homme de bonne santé,

dont l'hérédité est exempte de toute tare.

Ainsi, sur deux générations, voici six membres d'une même famille,

atteints, à des degrés divers, de la môme singulière affection.

Et ce n'est pas tout encore....

Observation VII.

La grand'mère de nos malades, âgée de 60 ans, actuellement vivante et

bien portante dans un petit village de la Brie, présente, elle aussi, la

même difformité des jambes, et des jambes seulement, comme sa fille, et

l'un de ses fils. Et toujours, c'est le même oedème blanc, dur, indolore,

qui laisse possible la marche et ne cause d'autre désagrément que la né-

cessité de porter des chaussures et des bas très larges.

Observation VIII.

Enfin, huitième et dernier représentant de cette famille oedémateuse :

le père de cette vieille femme, l'arrière grand-père de nos jeunes malades,

avait été, le fait est certifié, affligé de la même façon des deux pieds

et des deux jambes, les cuisses étant respectées. '

Arrière grand-père maternel.

Grand'mère maternelle (60 ans).

Frère de la mère (m. à 25 ans). Mère (40 ans). Frère de la mère (m. à 27 ans).

Ar. (21 ans). Fe. (17 ans). Frère (13 ans).

Schéma généalogique montrant la répartition de l'oedème dans la famille de Fe...

Sur le schéma de cette dernière, le pointillé correspond aux territoires hypoesthési-

ques ? Les cniiirba indiquent les mesures de circonférence des membres inférieurs.

LE TROPIIOEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 461

Ici s'arrêtent les renseignements généalogiques que nous avons pu re-

cueillir.

Mais qui sait si cet ancêtre, venu au monde peu de temps après la fin

du siècle dernier, ne tenait pas lui-même ses « grosses jambes » d'un

héritage pathologique encore plus reculé ? ....

En résumé, huit personnes de la même famille, hommes ou femmes,

échelonnées sur quatre générations, dont cinq actuellement vivantes , sont at-

teintes de la même affection singulière : un oedème chronique, blanc, dur et

indolore (sauf le cas de Ar...) apparaissant à l'âge de la puberté, occu-

pant tantôt les pieds et les jambes, tantôt la totalité des membres infé-

rieurs, et généralement des deux côtés (Fe... exceptée).

11

Pareille hérédité n'est pas chose vulgaire dans les affections oedéma-

teuses, et suffirait à mettre hors de cause les oedèmes les plus générale-

ment connus.

Nous rappellerons cependant, pour mémoire, les raisons qui permettent

de les éliminer dans chacun des cas pris isolément.

Chez aucun des membres de la famille que nous avons eu l'occasion

d'examiner il n'existe de lésion cardiaque. Chez aucun l'artériosclérose ne

peut être incriminée. Aucune lésion locale du système vasculaire. Aucun

traumatisme, aucune tumeur. Les reins, le foie, la rate, les organes abdo-

minaux ou pelviens sont parfaitement sains. Et, comme maladies infec-

tieuses, il n'y aurait à rappeler qu'une fièvre typhoïde tellement bénigne

que le diagnostic en demeure incertain. Enfin on ne retrouve aucun

souvenir de rhumatisme aigu ou subaigu, et l'on ne peut guère soupçon-

ner la chlorose, la leucocythémie, moins encore le cancer et toutes les au-

tres causes de cachexie oedémateuse.

D'ailleurs les caractères cliniques de l'enflure, sa dureté, son indo-

lence, sa répartition, sa longue durée, suffisent à la différencier des oedè-

mes mécaniques, infectieux, dscrccsiqices.

Faut-il envisager l'hypothèse d'une phlébite ? Bien que ce nom soit de-

venu d'usage courant dans la famille de nos malades, il semble bien super-

flu de s'y arrêter.

La phlegmatia alba iNDOLENS, chronique et familiale, ne figure pas dans

les nosographies.

Tout au plus pourrait-on se demander si les crises aiguës qu'a présen-

462 HENRY MEIGE

tées l'aînée des jeunes filles n'étaient pas des poussées d'inflammations

veineuses ?

Si le cas était isolé, ce diagnostic serait il coup sûr défendable, bien qu'à

vrai dire, la malade n'ait pas gardé le souvenir qu'au cours de ces pous-

sées aiguës les trajets veineux aient été spécialement douloureux. Au sur-

plus, pour les autres malades, la phlébite ne peut être mise en cause.

On pourrait peut-être incriminer l'érysipèle qui, parfois, laisse à sa suite

des oedèmes durs longtemps persistants. Mais la fièvre a fait défaut au dé-

but ainsi que la rougeur, et ces lymphangites résiduelles ne sont pas, non

plus que les phlébites, des affections familiales, transmissibles héréditai-

rement. t.

On a bien signalé l'apparition d'érysipèles il répétition suivis d'oedè-

mes persistants d'aspect éléphantiasique il la suite de l'ablation des gan-

glions inguinaux (1). Nos malades n'ont subi aucune opération ; leurs gan-

glions ne sont pas volumineux.

Une maladie à laquelle on ne pouvait s'empêcher de songer par le simple

examen des membres malades, c'est l'éléphantiasis.

Nous ferons remarquer d'abord que le terme d'éléphantiasis est com-

munément appliqué à toutes les variétés d'enflure de membres qui attei-

gnent un développement anormal.

Il est donc indispensable de préciser sa signification. Or, si l'on envisage

la maladie des pays chauds causée par la filariose, il ne saurait en être

question ici, les malades, ainsi que leurs parents, sont originaires de la

Brie et n'ont jamais vécu que dans leur province ou à Paris.

Sans doute on a décrit des cas d'éléphantiasis noslras, présentant clini-

quement toutes les apparences de l'éléphantiasis tropical. Et précisément

un des caractères cliniques de l'éléphantiasis, qu'il soit tropical ou de nos

contrées, serait, selon M. Besnier, une succession cle poussées aiguës, sou-

vent fébriles, toujours douloureuses, accompagnées de symptômes géné-

rauxplusou moins bruyants. Ce qui n'est pas sans analogie avec l'histoire

deFe...

Et bien que le parasite tropical n'ait pu être retrouvé dans les cas d'élé-

phantiasis nostras, on admet que le syndrome clinique de la maladie peut

être réalisé par un autre agent infectieux, le streptocoque il. Dans no-

tre cas, l'examen bactériologique eût-il été positif, n'eût pas suffi à expli-

quer l'hérédité de la maladie.

(1) Riedel, OEdème persistant et éléphantiasis à la suite de l'extirpation de gan-

glions lymphatiques. Arch. f. klin. Chir., XLVII. 3. 4.

(2) Rexon, Eléphantiasis noslras. Soc. de biologie, 3 avril 1897.

LE TROPHCEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 463

D'ailleurs, si l'on tient à employer le terme d'éléphantiasis, on n'ou-

bliera pas que celui-ci s'applique encore à des affections qui ne semblent

nullement d'origine parasitaire, et que l'on s'accorde à considérer comme

des troubles trophiques d'origine névropathique (1).

. *

.... x

Ceci nous amène à parler des oedèmes qualifiés de nerveux, et c'estdans

cette catégorie que nous allons trouver bientôt des caractères cliniques com-

parables à ceux que nous avons observés.

Bien entendu, il faut encore laisser de côté nombre d'affeeLions.oedéma-

teuses dont les causes font défaut ici.

Tels sont les oedèmes consécutifs aux lésions traumatiques ou compres-

sives des nerfs, ceux qui accompagnent les névralgies, et tous ceux qui

apparaissent comme épiphénomènes au cours d'une maladie définie du

système nerveux (hémiplégie, paralysie infantile, labes,'syringomyélie,

etc...). Leur mécanisme pathogénique peut sans doute offrir plus d'une

ressemblance avec celui de l'affection qui nous occupe. Mais, au point de

vue étiologique, la différence n'a même pas besoin d'être relevée.

On peut en dire autant des oedèmes par intoxication qui sont, eux aussi,

sous la dépendance d'un trouble de l'innervation vaso-motrice.

Quelques exemples récents méritent cependant d'être signalés.

Drummond a rapporté un cas d'oedème alcoolique (2) chez un homme

ayant fait de grands abus de boisson. Celui-ci fut envahi par un oedème

généralisé à toute la surface du corps, sans pourtant présenter de lésions

cardiaques ou rénales. Mais ce malade guérit sous l'influence du régime

anti-alcoolique; les noires n'ont jamais commis d'excès de ce genre.

Tchirkolf a décrit en 1895 (3), des oedèmes observés par lui chez 7 sujets

du sexe masculin, âgés de 25 à 60 ans. La maladie consistait en une en-

flure oedémateuse considérable, survenant sans lésion viscérale apprécia-

ble et sans modifications des urines. Chez certains malades, l'apparition

de l'oedème coïncidait avec une chute complète des poils de la face et des

organes génitaux ; bientôt les cheveux se décoloraient, puis tombaient à

leur tour. Sur les 7 malades, 5 étaient syphilitiques, et chez eux, les oedè-

' (1) Souques a publié dans ce recueil, en 1890, un cas intitulé : Eléphantiasis noslras

symétrique du pied el de la jambe. Cette observation diffère notablement des nôtres

par la marche et les caractères de l'affection. Les phénomènes douloureux ont été

très accentués. En outre, Souques indique explicitement qu'aucun cas analogue n'exis-

tait dans la famille de sa malade.

(2) Dhummond, Alcoholic oedema. Northumberland and Durham med. Soc., 11 mars

1897, Brit. med. journ., 27 mars 1897, p. 790.

(3) TCIIIIi);OFF, OGdèmes vaso-moteurs sans albuminurie. Revue de médecine, août 1895.

464 HENRY MEIGE ,

mes disparurent sous l'influence du traitement ioduré. Les deux autres

n'ont pas guéri. Ces oedèmes se développaient lentement, en 3 ou foi mois,

ou rapidement, affectant l'allure de ceux qu'on observe dans la néphrite

chronique ou dans la néphrite aiguë. Dans ce dernier cas, on constatait

des épanchements pleuraux et péricardiques. Dans le sang, on trouvait

l'hémoglobine réduite. Tcbirkoff croit que ces oedèmes dépendent d'une

affection des centres vaso-moteurs, due le plus souvent à la syphilis, mais

que toute autre toxine peut également réaliser.

Ces observations semblent bien appartenir au groupe des oedèmes infec-

tieux ou toxiques; mais elles sont un peu disparates, et est difficile d'en

tirer une conclusion. En tous cas, la syphilis n'est pas coupable chez nos

huit malades.

Plus récemment, MM. A. Mathieu et Sikora ont communiqué à la So-

ciété médicale des hôpitaux (1) un cas d'oedème névropathique consécutif

à une intoxication aiguë par le sulfure de carbone. Les deux membres

inférieurs ont été envahis par un oedème dur, blanc, mais douloureux, qui

d'ailleurs est bientôt entré en voie de régression. En l'absence de lésion

cardiaque ou rénale, de fièvre, de phlébite ou de lymphangite, on est

conduit à admettre l'origine névropathique de cet oedème, qui serait de

même nature que les érythèmes ou tepurpuraconsécutifaux intoxications.

Notons ici qu'il s'agit d'une affection transitoire, et que ni l'oxyde de

carbone, ni le plomb, ni l'arsenic, ni aucune autre substance toxique n'ont

pu être mises en cause dans notre famille d'oedémateux.

Toute une série d'observations se rapportent encore aux oedèmes d'ori-

gine névropathique.

Les noms les plus divers leur sont appliqués (oedème circonscrit, an-

gio-ae2crotique, névro-vasculaire, oedème intermittent, wandered oedema des

Anglais, etc.).

Les auteurs s'accordent à voir dans ces accidents des manifestations dys-

trophiques d'origine nerveuse, favorisées par une prédisposition névropa-

thique, arthritique ou goutteuse. °

Ici encore, il s'agit presque toujours de poussées transitoires (2).

(1) Séance du 15 juillet 1898.

(2) Voy. à ce sujet :

- Le Gendre, Ol;dèmes intermittents des extrémités et du scrotum. Soc. méd. des hôpi-

taux, 11 novembre 1892. - C'est l'histoire d'un malade, émotif, névropathe, albuminu-

rique, atteint depuis l'âge de 18 ans d'oedèmes partiels (pieds, mains, avant-bras, jambe,

scrotum), indolores, apparaissant brusquement et disparaissant de même au bout de 3

ou 4 jours. Ces oedèmes rentreraient dans la catégorie des oedèmes angio-neurotiques.

- J. COLLINS, OEdème aigu circonscrit angio-neurolique. The Americ. Journ. of med.

LE TIi01'1101 : UL : 1113 CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 465

Des oedèmes ont aussi été observés dans la maladie de Basedow (1). Mais

la face y participe presque toujours (faux oedème des paupières décrit par

Vigouroux). On a signalé en particulier la présence d'un oedème du ? non

séreux etsur lequel le traitement thyroïdien n'aurait pas de prise. Ce sont

là, pense-t-on des accidents comparables à ceux du myxoedème et sous la

dépendance d'une lésion thyroïdienne (2).

Mais nos malades n'avaient aucun symptôme de goitre exophtalmique.

Leur corps thyroïde n'était nullement hypertrophié.

Il n'était pas non plus atrophié, et nous avons dû rejeter aussi l'hypo-

thèse du myxoedème. D'abord, les cas de my.Toedème localisé sont à bon droit

contestables. Règle générale, c'est à la face que l'enflure sentauifesle avec

ses caractères spéciaux. Il est à peine besoin de le rappeler ; la confusion

n'était pas possible. D'ailleurs le traitement thyroïdien institué pendant

deux mois n'a pas donné de résultats appréciables.

En 1897, Vidal (de Lyon) a décrit une maladie hypertrophiante singu-

lière, caractérisée par des lésions éléphantiasiques des parties molles et du

squelette. Observation presque unique en son genre, en raison de la partici-

pation du tissu osseux à l'hypertrophie, différant de l'éléphantiasis et de

sciences, 1893. Observation d'un oedème localisé à certaines parties du visage, des

mains, des bras, des parties génitales ; oedème dur, d'apparition soudaine, accompa-

gne de troubles généraux ; mais peu douloureux et de courte durée. Il ressemblerait

à l'urticaire géante.

Gevaert (de Bruxelles), OEdème angio-neurotique chez un enfant de trois ans, Rev.

des mal. de l'enfance, 1895. - Histoire d'une fillette de 3 ans, nerveuse, issue de pa-

rents nerveux. Tous les 15 jours, un oedème dur, indolore de la région gauche du

cou, apparaissait au lever, pour disparaitre au bout de 2 à 3 heures. - L'auteur cite une

observation analogue de Hénoch et fait ressortir les analogies avec l'urticaire chroni-

que. L'origine nerveuse de ces accidents semble indiscutable, et l'hystérie peut souvent

être incriminée.

- W. C. BROWN, Wandering oedema, Brit. med. Journal, 25 septembre is97, p. 803.

- Exemple d'oedème douloureux migrateur, qui ne serait pas sans rapports avec la

goutte et l'urticaire.

Voir encore : Rapin, Rev. de la'Suisse Rom., XII, 1886.

Alun Jaorcsov, Lancet, 9 février 1S80.

BRAUYN, Br. med. Journ., 2 octobre 1891, p. 944.

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Stephen, Wandering oedema. Br. med. Journ., 12 juin 1891.

(1) Mackenzie, OEdème dans la maladie de Graves, The Edinburgh med. Journal,

avril 1897.

(2) IIOWAIID Momiow (de San-Francisco) a publié (Brit. Journ. of dermatology,

juillet 1S99) une observation d'OEdème dur et douloureux en plaques symétriques à

la partie antérieure des deux jambes, rappelant l'aspect de l'éléphantiasis, survenu

chez une femme atteinte de maladie de Basedow et ayant présenté également des

symptômes rappelant le myxoedème.

XII . 31

466 HENHY MEIGE

l'acromégalie, tout en présentant certaines apparences cliniques de l'une

et l'autre de ces affections.

Ce cas curieux offre un grand intérêt. Mais il diffère essentiellement des

nôtres où le tissu osseux était strictement respecté 1).

Parmi ces accidents vaso-moteurs dont la cause et le mécanisme sont

encore obscurs, bon nombre ont été attribués aux différentes névroses,

et même aux vésanies.

Manheimer a publié un cas d'oedèmedes mains chez une mélancolique (2).

Verriest a communiqué à la Société belge de Neurologie, en 1897, un

cas d'oedème survenu chez un aliéné, à la suite d'accès maniaques.

La Neurasthénie, elle aussi, a été souvent mise en cause.

Mais c'est surtout à l'Hystérie qu'on a rapporté le plus grand nombre

de manifestations oedémateuses.

Pour la première de nos malades, le diagnostic d'oedème hystérique eut

été certainement conservé, si le cas se fut présenté isolément.

On y retrouvait la variété décrite par Sydenham, l'oedème blanc, qui

peut attaquer isolément toutes les parties du corps, y déterminant « une

enflure dont celle des jambes est la plus remarquable... » telle due « quand

on la presse avec le doigt, il ne reste aucune marque »... et qui « le plus

souvent n'est qu'à une des jambes ».

La description de l'auteur anglais semblait donc s'appliquer à merveille.

La superposition des troubles sensitifs aux troubles vaso-moteurs parlait

encore en faveur de la nature hystérique de l'oedème.

On sait en effet que, selon les cas, les téguments oedémateux sont hy-

peresthésiés (oedèmes hystériques à formes arthraigiques) ; ou anesthésies

(oedèmes superposés aux paralysies ou aux contractures hystériques).

Chez notre malade, la botte anesthésique correspondait bien à la loca-

lisation la plus ancienne de son enflure (jambe et pied).

Au-dessus, la cuisse, l'oedème étant de date plus récente, l'anesthésie

pouvait être moins complète ; elle était d'ailleurs plus marquée cependant

que sur le reste de la moitié droite du corps.

A la vérité, les exemples d'oedème blanc hystérique semblent plus rares

que ne le laisse entendre Sydenham et, depuis la description de Charcot,

(1) Rapprocher l'observation de Chauffa un et V. Griffon, Hypertrophie yseuclo-

acromégalique segmentaire de tord un membre supérieur, avec troubles syringomyé-

liques ayant la même topographie, Revue Neurologique, n 9, 1899.

(2) Tribune méd., n° 35, 26 août 1896.

LE TROPIOED1;DIE CIIIIO\IQUE HÉRÉDITAIRE 467

l'oedème bleu a surtout attiré l'attention. En outre, dans les statistiques

récentes, les localisations sur le membre supérieur sont de beaucoup les

plus fréquemment relatées.

L'existence de l'oedème blanc hystérique n'en est pas moins admise sans

conteste. Celui-ci peut atteindre des proportions considérables; il peut

aussi persister fort longtemps.

Cependant, il est rare que l'oedème demeure blanc et dur; de nou-

veaux troubles trophiques s'y surajoutent le plus souvent.

Georges Meyer (1) cite l'observation d'une femme de 32 ans, hystérique,

qui fut atteinte d'éléphantiasis des jambes et des pieds à Page de 15 ans.

D'abord l'oedème était blanc et dur. Plus tard sont survenus des troubles

trophiques des mains et des pieds (cyanose, petites ulcérations). La peau

était par endroits, tuméfiée et oedématiée comme celle d'une myxoedéma-

teuse. Mais il n'y avait pas de troubles de sensibilité ; simplement un ar-

rêt de la transpiration.

Pardo, il la Société des hôpitaux de Rome (1896) a signalé un oedème

des deux pieds et jambes survenu chez une hystérique; mais les mains

étaient aussi atteintes, et on vit bientôt se produire des plaques cyanoti-

(lues (2).

Il importe de remarquer que cyanose et ulcérations font défaut chez

toutes nos malades, même les plus avancées en âge.

Sous le nom'de Pseudo-éléphalltiasis ae2l·o-arth·itique, M. Mathieu a

publié en 1893, une observation qui se rapproche davantage des nôtres (3).

C'est l'histoire d'une femme de 58 ans, obèse, arthritique, sujette à la lithiase

biliaire et il l'eczéma. Cette femme, atteinte desciatique double avec dou-

leurs rhumatoïdes des membres inférieurs, présentait en outre un oedème

symétrique des jambes.

L'oedème était dur, très résistant, douloureux à la pression, rappelant

certains éléphantiasis nostras en ce qu'il se terminait brusquement par un

(1) Geoiiges moyeu, Eléphanliasis des jambes chez une hystérique, Soc. de med. de

Berlin, 1 mai 1894.

(2) Voy. enlre autres : : A[\x ! )nmE ! <, 7You&/esMM- ! ) : o<eu ? urttM/t)/s<e' ! q'Me,Arch.

de Neurologie, septembre 1896. - Cas d'oedème bleu sur un membre contracture. Ce-

pendant l'auteur a observé l'oedème avec coloration ordinaire de la peau, légèrement

rosée. OEdème dur, élastique, gardant mal l'empreinte du doigt.

- F. Wiual, Ulcérations buccales et cutanées, oedèmes, él'ylhèmes noueux, orchiles

d'origine hystérique, Soc. méd. des hôp. de Paris, 29 mai 1896.

- IOU1'.\RD-MAI\TIN et IL1CALOGLU, Main succulente dans l'hémiplégie hystérique, Soc.

méd. des hôp., 18 juin 1897.

- E. VAIII)11,, OEdème hystérique, thèse Paris, 1897.

(3) Mathieu, Sur une forme particulière d'oedème névropallzique, .lnn. de dermatol.

et de syphtt., janv. 1893. '

468 llENl\Y MEIGE

bourrelet au niveau des chevilles, sans envahir les pieds. Cependant, à la

suite de la marche, le dos des pieds se tuméfiait également; mais l'oedème

qui survenait alors était mou, dépressible au doigt, et nullement doulou-

reux. La pression aux points d'émergence et sur le trajet des sciatiques

était douloureuse. Aucun trouble de la sensibilité. Rien d'anormal dans

les organes du bassin.

L'auteur supposa que la lésion du sciatique pouvait être la cause de

cet oedème que favorisait en outre la faiblesse du coeur. La malade était

artério-scléreuse avec des symptômes d'asystolie à marche très lente.

La description de l'oedème ainsi que sa localisation correspondent assez

bien à celles que nous avons indiquées ; mais nos malades ne sont ni lithia-

siques, ni eczémateuses, et elles n'ont jamais eu de sciatique; chez les

trois plus jeunes enfin l'artério-sclérose ne saurait être accusée.

Dans la thèse de Follet (1895), on trouve une observation intitulée :

OEdème névropathique consécutif et des poussées d'oedème angio.neurotique,

qui nous intéresse plus directement.

Une femme de 42 ans, sujette dès l'âge de 20 ans à des « faiblesses,

des pertes de connaissance et des névralgies », eut successivement trois

poussées d'oedème mou des membres inférieurs accompagnées de douleurs

dans les cuisses et dans les lombes. A la troisième poussée d'oedème la

tuméfaction persista, surtout à la jambe droite où elle atteignit des pro-

portions considérables-. OEdème dur, blanc, commençant au niveau de la

cheville, formant en ce point le repli « en pantalon de zouave » de l'élé-

phantiasis, et remontant en arrière jusqu au pli fessier, le pied demeu-

rant normal.

La jambe gauche était également oedématiée, dure, mais normale au-

dessus du genou. Aucun trouble de la sensibilité.

Par le repos au lit, la compression à la bande de caoutchouc, les dou-

ches, le massage, l'enflure du membre inférieur droit a été diminuée.

Les caractères, la localisation et la marche de cet oedème paraissent

ici semblables à ceux que nous avons observés. Les poussées prémoni-

toires accompagnées de douleurs rappellent celles d'une de nos malades,

Fe.... Mais il n'est fait mention d'aucun cas analogue dans la famille de

la malade de Follet (1).

Dans une thèse parue en 1897, A. Lourier a recueilli un certain nom-

bre de cas d'oedème éléphanliasique d'origine nerveuse.

(1) Dans une seconde observation de Follet, il s'agit d'un homme de 32 ans chez

lequel, à la suite de douleurs vives de la jambe droite, survint un oedème mou, et

indolore du pied et de la jambe.

LE TROl'H(DÉME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 469

C'est un recueil d'observations assez disparates en apparence où l'auteur

fait rentrer à la fois tous les oedèmes névropathiques, les lipomes symétri-

ques et les pseudo-lipomes arthritiques.

Ces affections, d'ailleurs incurables, ont pour lien principal la tumé-

faction des téguments accompagnée d'ulcérations rebelles qui viennent

compléter la ressemblance avec le tableau de l'éléphantiasis des pays

chauds.

L'observation personnelle publiée par Lourier a trait à une malade de

30 ans, sujette à des crises nerveuses, atteinte d'un oedème du membre

supérieur droit datant de six années. L'enflure avait débuté par le coude

pour s'étendre ensuite d'une part au bras, s'arrêtant au moignon de l'é-

paule, de l'autre, à l'avant-bras et à la main. D'abord blanche, lisse et

dure, la peau devint ensuite cyanosée et des ulcérations apparurent.

Evolution, localisation et symptômes diffèrent de ceux que nous avons

en vue, et cet exemple pourrait bien être un cas d'oedème hystérique.

En 1897, à la Société médicale des Hôpitaux, une intéressante discus-

sion a été soulevée par une communication de M. Debove (I).

Il s'agissait d'une femme de 23 ans, atteinte depuis 8 mois d'un oedème

des membres inférieurs.

L'enflure était très développée au niveau de la cuisse, de la jambe, de

la face dorsale du pied, nulle à la fesse, à peine marquée au creux po-

plité, au niveau de l'articulation tibio-tarsienne et aux orteils.

Cet oedème permettait toute liberté aux mouvements des membres infé-

rieurs. Au demeurant, cette femme était de bonne santé ; elle présentait un

léger rétrécissement mitral, mais n'avait jamais eu de crises asystoliques.

Les urines ne contenaient pas d'albumine.

Ce n'était donc pas un oedème d'origine pulmonaire ou rénale, et comme

il n'y avait aucune gêne de la circulation lymphatique ni veineuse, il

fallait rejeter aussi l'hypothèse d'un oedème par lésion mécanique.

D'ailleurs, aucun trouble de la sensibilité ni de la motilité ne permet-

tait dépenser à un oedème névropathique. Aussi, M. Debove, conseil-

lant de laisser le diagnostic en suspens, se contenta-t-il de proposer le

le nom d'oedème segmentaire pour désigner cette affection. '

A propos de cette communication, M. Mathieu rappela les observations

de trois femmes, atteintes de la même variété d'oedème segmentaire des

membres inférieurs. Ces malades, sans lésions cardiaques appréciables,

étaient cependant des artério-scléreuses. En outre, chez elles, l'oedème

(1) Debove, OEdème segmentaire des membres inférieurs, Soc. méd. des hôpitaux,

15 octobre 1891.

470 HENRY MEIGE

avait été précédé de douleurs affectant la forme de sciatiques doubles.

Aussi, M. Mathieu, s'appuyant sur les rapports que le professeur Potain

admet entre les oedèmes névropathiques et t'artério-sciérose. s'est-il mon-

tré disposé à rattacher ces cas aux oedèmes d'origine nerveuse.

Tel fut aussi l'avis de M. Joffroy qui ce propos,le cas d'une malade

atteinte de paralysie infantile du membre inférieur droit accompagnée d'un

oedème présentant les caractères indiqués par M. Debove (considérable à la

cuisse, à la jambe et sur le dos du pied, nul à la l'esse, au creux poplité,

sur la plante du pied et sur les orteils). Là, on pouvait soutenir avec vrai-

semblance qu'il s'agissait d'un trouble trophique consécutif à une ancienne

lésion nerveuse.

Chez une seconde malade âgée de 60 ans, obèse, artério-scléreuse, non

albuminurique, M. Joffroy a encore observé un oedème localisé à certains

segments de membres inférieurs et au dos des mains. Pour lui, il s'agis-

sait encore d'un oedème névropathique.

Les exemples cités par MM. Mathieu et Joffroy diffèrent des nôtres (ar-

tério-sclérose, sciatique, paralysie infantile). Celui de M. Debove s'en

rapproche davantage (1).

Le jeune âge de la malade. la localisation de l'oedème, l'absence de lé-

sions cardiaques et nerveuses, la conservation de la santé générale, l'in-

dolence complète de la maladie, toutes ces données concordent avec celles

que nous avons indiquées. Il n'y manque que l'hérédité des phénomènes

oedémateux. El la dénomination d'oedème segmentaire qui ne préjuge rien

de la cause de la maladie pourrait conservée.

Tout récemment, Duckworth présenté à la Société clinique de Londres

(13 janvier 1899) une jeune fille de vingt ans atteinte depuis ans d'un

oedème dur du membre inférieur gauche. Aucune lésion viscérale, gan-

glionnaire, vasculaire, ni sanguine, ne pouvait être incriminée.

L'intéressante observation de M. A. Vigoureux publiée dans ce fascicule

semble absolument comparable.

Mais dans ces deux cas encore, l'hérédité n'a pas été constatée (2).

(1) Une observation intitulée également oedème segmentaire, a été communiquée

l'an dernier¡par MM. Chauffard et Leviste à la Société médicale des Hôpitaux (9 dé-

tembrc 1898). Mais il s'agit ici d'un oedème du bras, à poussées successives, se pro-

pageant de haut en bas, et ne présentant pas les caractères objectifs de ceux que nous

avons décrits chez nos malades.

(2) Dans un cas d'oedèmeéléphantiasique des membres inférieurs rapporté par M. A.

Weil, il s'agissait d'une atï'ection survenue depuis 27 ans, sans poussées aiguës, chez

une femme obèse. L'hypertrophie avait atteint des proportions énormes, réalisant aux

jambes cet aspect de l'éléphantiasis connu sous le nom de « pantalon de zouave ».

Ce cas rentrerait, selon l'auteur dans la catégorie des éléphantiasis d'origine ner-

veuse. Il aurait été considérablement amendé par le traitement galvanique (France

médicale, 24 juin 1898 et 28 août 1899).

LE TROPUOEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 471 t

A tous ces exemples, où parfois les caractères cliniques, et en particu-

lier la localisation de l'oedème. offrent des ressemblances avec ceux que

nous étudions, il manque cependant une donnée capitale : c'est la plura-

lité des cas dans la même famille. Il n'est pas impossible qu'elle ait existé,

mais l'attention des auteurs ne semble pas s'être arrêtée sur ce point.

La première fois que la notion d'hérédité nous parait avoir été signalée,

c'est dans une communication faile par Desnos en 1891, à la Société médi-

cale des Hôpitaux, où il décrivit une variété d'oedème à laquelle il donnait

le nom d' oedème rhumatismal chronique (1).

OEdème dur des jambes et des pieds, plus marqué à droite, donnant la-

sensation du lipome ou du myxoedème, la peau conservant sa coloration

normale, survenu chez une femme de 63 ans, ayant eu plusieurs attaques

de rhumatisme généralisé de longue durée, et ayant présenté des pseudo-

lipomes sus-claviculaires douloureux. Ce serait lit, selon Desnos, une va-

riété d'oedème liée à l'arthrilisme et à la névropathie. Il serait plus fré-

que chez les femmes ; et au point de vue héréditaire, c'est le plus ordinai-

rement dans la ligne maternelle qu'on le retrouve.

Le diagnostic, ajoute Desnos, peut être difficile à faire avec l'éléphan-

tiasis.

Cette notion de l'hérédité, et de l'hérédité dans la ligne maternelle, chez

les sujets du sexe féminin, est particulièrement intéressante pour nous.

Elle se trouve confirmée dans nos observations. -

La description de l'oedème, sa couleur, sa consistance, son apparence

éléphantiasique, sont également conformes à ce que nous avons pu cons-

tater.

*

¥ ¥

La remarque de Desnos n'a guère été renouvelée depuis lors,

On trouve cependant une indication similaire dans un travail de

Iligier (2) de Varsovie, sur les oedèmes aigus ou chroniques dans quel-

ques névroses, en particulier dans l'hystérie.

D'une façon générale, Iligier donne la description de l'oedème névro-

pathique, lequel est blanc, brillant, indolore, sauf la sensation de disten-

sion des téguments qu'il provoque souvent. Il peut,apparaitre et dispa-

raître en quelques heures ou en quelques jours, mais il peut aussi durer

toute la vie. Tantôt il est bilatéral, plus souvent unilatéral .[Enfin, ajoute

l'auteur, il n'est pas rare qu'il soit héréditaire.

(1) Desnos, OEdème rhumatismal chronique, Soc. méd..des hôpitaux, 13 février 1891.

(2) ¡¡IGIEII (de Varsovie), OEdème aigu et chronique dans quelques névroses et en par-

ticulier dans l'hystérie, St-Petersburger med. Wochenschrift, 1894, 1V° 50.

472 HENRY MEIGE

Plus récemment, au congrès de Bordeaux de 1895, M. Ricochon (1) a

rapporté l'histoire d'une famille dont les membres ont pendant trois généra-

tions présenté une variété d'oedème fort curieuse, mais notablement diffé-

rente des précédentes. L'affection se décomposait en deux phases : la pre-

mière dans laquelle l'oedème seul apparaissait par poussées successives en

denx ou trois jours ; la seconde, coïncidant avec la disparition de l'oedème,

et consistant en coliques, météorisme, quelquefois vomissements, suppres-

sion presque complète des urines, quelquefois albuminurie, obnubilation

sensorielle, tendance au sommeil, fièvre, soif vive, etc.ï4l. Ricoclion admet

qu'il s'agit de véritables symptômes urémiques tenant à des modifications

fonctionnelles du rein liées à une sorte de névrose paroxystique du plexus

rénal (2).

Malgré le caractère familial de l'affection, celle-ci ne saurait être con-

fondue avec la maladie oedémateuse apyrétique, chronique et progressive

que nous avons observée.

*

..

Le seul fait véritablement comparable, et l'exemple le plus surprenant

que nous connaissions au sujet de l'oedème héréditaire, est, sans contredit,

l'histoire publiée par Milroy, en 1893, dans le New-York médical record.

Parmi quatre-vingt dix-sept individus de la même famille, échelonnés

sur six générations, vingt-deux ont été atteints de la même difformité oedé-

mateuse, à des degrés divers, il est vrai. Mais toujours, il s'agissait d'un

oedème des extrémités inférieures, plus accentué aux pieds et aux jambes,

et s'arrêtant au genou.

Les caractères cliniques de cette affection sont résumés ainsi :

1° Elle est congénitale et se développe lentement avec t'age.

2° Elle est limitée aux membres inférieurs, tantôt bilatérale, tantôt uni-

latérale.

3° Elle est permanente.

4° Elle ne s'accompagne d'aucun autre trouble local ou général.

Et voici la répartition dans la famille.

lyre génération (1 168) : Mme W., indemne. La soeur de Mme W. : oedème

d'une jambe.

2e génération : Joseph W., fils de Mme W. : oedème des deux jambes.

(1) RtCocnoN.Cas familiaux '0'dëMM aigus et récidivants de la peau, 2e Congrès fran-

çais de médecine interne, tenu à Bordeaux, 8-13 août 1895.

(2) Dans une observation de Tebaldo Falcone rapportée par Lourier, il est question

d'un enfant sujet à des poussées d'oedème aigu. Le père de l'enfant présentait des

accidents identiques.

LE TROPllOIïDÈIIiE CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 473

3" génération : Les enfants de J. W., au nombre de neuf.

4. enfants indemnes.

4 enfants avec oedème d'une jambe.

1 enfant avec oedème des deux jambes.

4e génération : A. Les enfants de Lydia, 2e fille de Joseph W.

3 fils avec oedème d'un pied.

3 filles indemnes.

B. Les enfants de Sarah, 3e fille de Joseph W.

5 'morts en bas âge.

2 indemnes,

1 oedème d'un pied.

C. Les enfants de Olive, 1,0 fils de Joseph W.

4 indemnes.

'1 oedème d'un pied.

. D. Les enfants de Charité, 6e fils de Joseph W.

3 indemnes.

1 oedème de la jambe.

E. Les enfants de Sally, 7e fille de Joseph W.

2 indemnes.

1 oedème du pied.

F. Les enfants de Julia, ge fille de Joseph W.

3 indemnes.

1 oedème des deux jambes. ? 0 génération : Comprenant 48 membres, sur lesquels li-3 indemnes.

1 oedème des deux jambes .

4 oedème d'un pied.

6e génération : Sur les nombreux enfants connus.

1 oedème d'un pied.

1 oedème des deux jambes.

Cette étonnante généalogie peut se passer de commentaires.

Le caractère familial et héréditaire de la dystrophie oedémateuse se

trouve ici surabondamment démontré. Nous ferons remarquer seulement

que dans la famille W.. l'oedème n'a jamais dépassé la jambe. On a vu que

dans notre exemple, il avait plusieurs fois envahi la cuisse, d'un seul

ou de-deux côtés.

*

- ..

En rapprochant de la communication de Desnos les remarques de Hi-

gier, le cas mémorable de Milroy et nos propres observations, il nous

semble qu'il est permis de croire, d'ores et déjà, à l'existence d'une affec-

tion oedémateuse héréditaire et familiale, capable d'envahir progressivement

474 urinity MEIGE

de bas en haut les membres inférieurs, tantôt un seul, tantôt les deux il la

fois, s'arrêtant soit au cou-de-pied, soit au genou, soit il la racine de la cuisse,

affection indolore, apgrélique, chronique et permanente qui n'en Irai ne au-

cun trouble de la sanlé générale et peut même persister jusqu'à un âge

avancé.

Nous proposerons cle désigner cette affection sous le nom de Il'ophoedème

ch l'onique Icérédita2re..

III

..

Tout néologisme a besoin d'être expliqué, sinon excusé. Le terme de

tropf¿oedè1lle n'a d'autre but que de servir à désigner d'un seul mot une

catégorie d'affections oedémateuses décrites jusqu'ici sous des vocables

différents, mais paraissant appartenir au même groupe nosographique.

Les faits cliniques démontrent qu'il existe un oedème chronique, blanc,

du}' et indolore, qui envahit un ou plusieurs segments du corps, et qui ne

semble imputable à aucune des affections connues comme pouvant être

productrices d'oedème.

Il n'appartient pas à la catégorie des oedèmes mécaniques ou dyscra-

siques,

Ce n'est ni l'oedème toxique, ni l'oedème infectieux, puisque l'intoxi-

cation ou ]''infection initiale font défaut, et que dans l'un ou l'autre

genre les accidents oedémateux sont généralement transitoires.

Ce n'est pas non plus l'oedème observé au cours des affections du sys-

tème nerveux, lésions organiques ou nécroses : c'est encore moins une

modalité du myxoedéme'donl l'origine thyroïdienne, la localisation et tous

les autres symptômes (troubles circulatoires, intellectuels, altérations du

système pileux, etc.) sont manifestement différents.

Les oedèmes dits circonscrits, angio-ueuroliques, ou ceux qualifiés plus

généralement cle névropathiques, sont bien, eux aussi, des oedèmes dys-

trophiques, et présentent certainement de grandes affinités pathogéniques

avec les faits que nous avons en vue. Mais il s'agit là dephénomènes passa-

;ers,transitoires, parfois à répétition, généralement douloureux, accompa-

gnés de cyanose, de modifications thel'll1ométri ! IUeS, auxquels souvent

viennent se surajouter d'autres troubles trophiques cutanés, éruptions

ou ulcérations.

Dans les cas que nous proposons d'isoler, la coloration blanche de l'en-

flure, sa consistance, son indolence, sa localisation, l'absence de lésions

ulcératives de la peau 'sont assez [caractéristiques, pour justifier un grou-

pement spécial.

Les classifications nosographiques étant forcément artificielles, on peut

évidemment prévoir qu'il existe tous les intermédiaires entre les oedè-

LE TROP110ED);111E CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 475

mes névropathiques aigus et les chroniques. Le cas de Follet semble

démontrer que la forme chronique peut apparaître à la suite de poussées

aiguës ; c'est aussi le cas de notre malade, Fe...

D'autre part, la forme chronique peut persister pendant de longues an-

nées, avec ses caractères d'indolence, de dureté et d'intégrité des tégu-

ments ; puis, sous une influence inconnue, des lésions cutanées peuvent

s'y surajouter de façon à réaliser tout le tableau de l'éléphantiasis. Tel

semble avoir été le cas d'un des oncles de nos jeunes malades.

Mais ces- accidents exceptionnels ne sauraient faire oublier le caractère

de chronicité de l'enflure qui constitue une donnée différentielle capitale.

Il peut donc y avoir quelque utilité, - ne fût-ce qu'en manière d'a-

bréviation, à réunir sous le même nom les exemples déjà connus de

cet oedème chronique, blanc, dur, indolore, et répartition segmentaire, et de

cause actuellement indéterminée, qui diffère des autres variétés d'oedème

névropathique.

Les cas signalés par Follet, parDebove, par Iligier, parDuckwoith, par

Vigouroux. dans lesquels la cause de l'oedème est demeurée introuvable,

rentrent ainsi dans une même catégorie morbide à laquelle la dénomina-

tion de trophoedème chronique peut être appliquée. Suivant les cas, on

pourra y ajouter tel ou tel qualificatif : celui de segmentaire, comme l'a

proposé Dehove, pour caractériser la répartition de l'enflure; celui de

pselldo-éléplwntiasique employé par Desnos, lorsque la tuméfaction attein-

dra des proportions excessives.

L'épithète' de rhumatismal ou arthritique usitée par Desnos, Mathieu,

Lourier, peut également convenir à certains cas particuliers. Mais il faut

attendre de nouveaux exemples avant d'affirmer le rôle que le rhuma-

tisme ou l'arthritisme jouent dans la genèse du trophaedème.

Enfin, lorsque le trophoedème chronique se rencontrera dans plusieurs

générations de la même famille, on pourra le dire héréditaire. C'est le litre

qui nous a paru applicable aux cas signalés par Desnos, Iligier, Milroy et

nous-même (1).

IV

En présence de faits cliniques encore fort clairsemés, toute discussion

sur lenr nature et leur pathogénie ne peut être abordée qu'avec la plus

grande réserve.

Nous nous bornerons donc- à quelques brèves remarques.

Le terme même de f ? 'o ? oe<me semble indiquer que la manifestation

(1) Le terme de ll'ophoedème sans epithète, pourrait être employé d'une façon gé-

nérale pour désigner tous les oedèmes dystrophiques de cause encore inconnue, mais

vraisemblablement d'origine nerveuse. Il n'aurait d'autre mérite que sa brièveté.

47G HENRY MEIGE

oedémateuse doit être considérée comme une perturbation trophique. A

cet égard, l'accord est complet entre les auteurs. Tous les exemples pu-

bliés ont été considérés comme représentant des accidents dystrophiques.

Et tous s'accordent à supposer qu'un désordre nerveux est la cause ini-

tiale de ces accidents.

Mais comme rien n'est plus obscur encore que le mécanisme nutritif

de nos différents systèmes, on ne peut guère qu'émettre des conjectures

sur la pathogénie de ces troubles de nutrition. Existe-t-il une lésion ?

Siège-t-elle sur les centres ou les conducteurs trophiques ? Frappe-l-elle

le système sympathique ou l'axe cérébro-spinal ?

En l'absence de constatations anatomiques et dans l'attente des rensei-

gnements que pourra fournir la physiologie, il est sage de ne pas trop

s'aventurer dans ces théories pathogéniques.

Constatons seulement que le.trophoedème offre plus d'une ressemblance

avec les manifestations oedémateuses que l'on observe, soit expérimenta-

lement à la suite de lésions nerveuses, soit cliniquement au cours d'affec-

tions névropathiques anatomiquement définies. Et de ces analogies, con-

tentons-nous d'inférer, sous forme hypothétique, qu'il n'est pas impossi-

ble qu'une altération du système nerveux soit la cause de la maladie.

On peut ajouter cependant que la lésion, si lésion il y a, est sans doute

une lésion médullaire, intéressant plus ou moins profondément l'axe gris.

La répartition segmentaire de l'oedème n'irait pas à rencontre de cette

dernière hypothèse. Bien au contraire : on peut y voir en effet une déli-

mitation comparableà celles que réalisent certaines affections de la moelle

et tout spécialement la syringomyélie. Dans cette dernière, les troubles

sensitifs et trophiques occupent des segments de membres à limites supé-

rieures circulaires, qui n'offrent aucun rapport avec la distribution ner-

veuse périphérique. Et la théorie de la métamérie invoquée par M. Bris-

saud rend bien compte de cette répartition en apparence paradoxale.

Comme à chaque étage médullaire correspond un segment de l'individu,

la lésion d'un métamère spinal doit retentir sur le segment périphérique

correspondant.

Des faits en nombre croissant viennent justifier cette conception.

Elle n'est pas seulement applicable à la la syringomyélie, mais à toutes les

trophonévroses, au zona, à la sclérodermie, et à la plupart des affections

cutanées (lichen, urticaire, purpura, vitiligo, etc.) (1). Elle conviendrait

également bien au trophoedème dont la distribution segmentaire ne sem-

ble pas douteuse.

Suivant que la lésion médullaire porte sur un ou plusieurs étages '

(1) Voy. E. BnissAuD, Leçons sur les maladies nerveuses, t. I, p. 203 et seq., t. Il,

leçons 111 à VIII.

LE TROPUOEDÈME CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 477

métamériques, la dystrophie périphérique envahit un ou plusieurs seg-

ments du corps (les pieds, les jambes, les cuisses). ,

Si une seule moitié du métamère spinal est atteinte, le trouble, tro-

phique reste unilatéral. La théorie s'accorde donc avec les faits d'observa-

tion.

Mais nous n'insisterons pas davantage.

*

..

Quelques rapprochements cliniques peuvent avoir leur utilité.

Le tropltaedème étant considéré comme un trouble trophique du tissu

cellulaire sous-cutané, on peut l'envisager comme un processus patholo-

gique diamétralement opposé à celui delà sclérodermie.

Ici, amincissement et resserrement poussés l'extrême, jusqu'au par-

cheminage et à la momification.

Là, distension et laxité qui aboutissent à l'excès opposé, à la boursouf-

flure d'aspect éléphantiasique.

Mais n'est-ce pas le propre des accidents dystrophiques d'un même

système d'affecter tantôt des formes exubérantes, tantôt d'évoluer vers

l'atrophie. Exemples : les hyperostoses d'une part, les fontes osseuses de

l'autre; les amyotrophies et les pseudohvpertrophies musculaires. Ano-

malies par excès et anomalies par défaut sont des modes de réaction con-

traires qu'une même lésion peut engendrer. ,

Et l'on peut se demander si le processus sclérodermique et le trophoe-

dème ne sont pas commandés l'un et l'autre par les mêmes centres de

trophicité, réagissant vers un extrême ou l'autre.

La sclérodermie oedémateuse (sclérétnie de Besnier) constituerait un type

intermédiaire.

Si cette parenté de la sclérodermie et du trophoedème venait à être

démontrée, on pourrait encore appliquera celui-ci la théorie pathogénique

proposée par Brissaud pour celle-là, théorie qui admet « à l'origine de

toute sclérodermie chronique d'emblée une altération préalable du sys-

tème sympathique, cette altération pouvant d'ailleurs être primitive ou

secondaire à une lésion de la moelle » (1).

.

..

La parenté des oedèmes névropathiques avec la lipomatosc (ou ptse7cclo-li-

]JOll'Ultose) a été maintes fois signalée. Suivant que la cellule adipeuse

participe plus ou moins à la prolifération l'âdème prend une consistance

plus ou moins graisseuse et dans la série des oedèmes nêvropathiques on

trouve tous les intermédiaires.

(1) 13111S5AUD, ibid., t. II, p. 400 et seq.

478 HENRY MEIGE

L'infiltration séreuse, selon Potain, prépare et provoque l'accumulation

de la graisse, el l'on peut voir des pseudo-lipomes oedémateux se trans-

former en lipomes graisseux.

« L'oedème circonscrit dépressible, dit Chauffart, l'oedème circonscrit

non dépressible et le lipome vrai, constituent les trois termes, les trois

degrés d'évolution d'une seule et même tumeur. »

Pseudo-lipome et trophoedeme chronique sont donc vraisemblablement

des modes de réaction relevant d'une même perturbation trophique et du

tissu cellulaire et ne diffèrent entre eux que par le degré de participation

du tissu graisseux.

Car, même dans sa distribution, l'hypertrophie lipomateuse peut être

analogue celle du trophaedème chronique.

Nous rappellerons à ce propos la lipomalose monstrueuse d'une malade

deM. Second, dont l'histoire et les photographies ont été récemment pu-

bliées dans ce recueil (1). Dans cette invraisemblable monstruosité, l'hy-

pertrophie tégumentaire occupait toute la partie inférieure du corps. Elle

cessait à partir de la ceinture. L'adipose affectait donc une disposition

segmentaire, analogue à celle du trophoedeme. Chez une de nos malades,

Ar ? il ne s'en faut guère que la répartition de la dystrophie soit exacte-

ment comparable.

On s'accorde à considérer tantôt le rhumatisme, tantôt l'arthritisme,

comme la cause, sinon provocatrice, du moins la plus fréquente, des ma-

nifestations pseudo-lipomatenses et pseudo-oedémateuses. Pour ce qui est

du rhumatisme articulaire aigu, son étiologie peut être comparable à celle

des autres maladies infectieuses. Dans les observations de tropllaedéme

chronique, la fièvre typhoïde se rencontre même plus souvent parmi les

antécédents morbides.

Quanta t'arthritisme, Mathieu semble avoir bien défini son rôle dans

la production des oedèmes nerveux, en rappelant qu'on peut le consi-

dérer « comme une modalité particulière de la névropathie constitution-

nelle ».

En somme, c'est toujours à une altération du système nerveux qu'abou-

lissent, en dernière analyse, les hypothèses pathogéniques (2).

.. f

L'évolution du tropboedème prête encore à quelques remarques :

Dans toutes nos observations, l'affection a commencé, ponctuellement,

(1) Voy. no 3, 1899.

(2) On peut encore rapprocher l'affection décrite par DEUCUM sous le nom d'Adipose

douloureuse.

L'adéao-Li ? omatosP, cette curieuse affection décrite par L.\Un015 et BENSAUDE (Presse

méd ? 1er juin 1899), présente une localisation ganglionnaire, à prédominance cervi-

cale, qui la différencie suffisamment.

LE 1'ROPHOEDCIVIE CHRONIQUE HÉRÉDITAIRE 479

au moment de la puberté. Dans la majorité des cas, elle semble avoir dé-

buté entre 13 et 23 ans, c'est-à-dire pendant l'adolescence.

Le tropheedéme ne devrait-il donc pas prendre place parmi les troubles

si variés du développement ?

A l'appui de cette hypothèse, les arguments ne manqueraient pas,

La série des anomalies de l'évolution corporelle semble infinie, et l'on

peut admettre que le système vasculo-conjonctif est capable de dystrophie

aussi bien que les systèmes osseux ou musculaire.

. Les excès de croissance, - comme d'ailleurs les défauts, - portent

tantôt sur un appareil, tantôt sur un autre, frappent un seul ou plusieurs

segments de l'individu, suivant des processus capricieux, à nos yeux

tout au moins.

On voit des jeunes gens qui poussent tout en jambes, d'autres tout en

tronc, on en voit chez qui la charpente osseuse semble absorber à son

profit toute la nutrition ; chez ceux-ci, le muscle prédomine ; chez ceux-là,

lotit se transforme en tissu cellulo-graisseux.

Le tropltaedénie n'est peut-être qu'une anomalie évolutive du système

vascu)o-conjonctif. f..

Sa limitation à certains segments du corps ne va pas à l'encontre de

cette idée, si l'on admet l'opinion courante sur les causes des troubles de

l'évolution : à savoir des altérations des centres trophiques chargés d'as-

surer le développement régulier de nos différents organes.

Les mêmes réflexions que l'on peut faire pour la myopathie primitive,

anomalie du développement musculaire, seraient applicables au tropllaedè-

me, anomalie du développement conjonctif. Dystrophie musculaire et

dystrophie conjonctive semblent régies par des causes similaires. L'époque

d'apparition est. sensiblement la même dans les deux cas : c'est le temps

de l'adolescence. La marche est lentement progressive jusqu'à une limite

qui, une fois atteinte, est rarement dépassée. '

La répartition de la myopathie primitive ne tient aucun compte de la

distribution nerveuse périphérique : souvent même elle semble obéir,

elle aussi, aux commandements d'un métamère spinal (1). Et ainsi du

tropltaedéme. 1 1

Sans doute, les variétés de la dystrophie musculaire sont innombrables

et l'on a même du renoncer à classifier les types; mais les variantes du

tropboedème ne semblent moins nombreuses qu'en raison du petit nombre

des cas connus et de la répartition même du tissu cellulaire.

Avec les seules observations que nous avons signalées, on peut voir

déjà la diversité des localisations : un seul pied, les deux pieds, une jambe,

(1) La distribution métamérique de certaines amyotrophies a été indiquée par

M. Brissaud. Voy. à ce sujet une récente observation de CROCQ, Un cas d'amyotrophie

en gant. Journal de Neurologie de Bruxelles, 1S99, no 9.

480 HENRY MEIGE

deux jambes, un membre inférieur tout entier, ou les deux à la fois.

Enfin la dystrophie musculaire frappe souvent plusieurs sujets de la

même famille; le trophædème héréditaire n'en fait-il pas autant ?

Si l'on veut voir dans la myopathie primitive une affection commandée

par une altération congénitale des centres de la trophicité musculaire, on

pourra également considérer le trophoedème héréditaire comme la consé-

quence d'une altération congénitale des centres qui président au dévelop-

pement du tissu cellulaire.

En envisageant le trophaedème comme un trouble du développement,

on n'est pas surpris de le voir apparaître au cours de générations succes-

sives. L'hérédité des malformations corporelles est démontrée par des

exemples surabondants. Sans parler des monstruosités, il est de notoriété

courante que de mère en fille, de père en fils, les anomalies osseuses,

cutanées, sensorielles, etc. se transmettent par héritage. Il se peut que la

cause première soit une disposition anormale des centres trophiques. Ce

qui est certain c'est que l'anomalie reparaît dans la descendance

Le trophoedème héréditaire n'est peut-être qu'une anomalie de déve-

loppement du tissu conjonctif, conséquence d'une lésion ou d'une perver-

sion des centres trophiques chargés d'assurer la vitalité de ce tissu, spé

cialement dans les membres inférieurs.

En tout état de cause, l'importance de l'hérédité dans la plupart des

cas signalés jusqu'à ce jour est un fait digne d'attirer l'attention.

Les remarques qui précèdent ont surtout pour but d'éveiller le désir

de rechercher des exemples nouveaux permettant de préciser la nature et

les causes de cette singulière dystrophie.

* .

..

Un dernier mot au sujet des traitements appliqués au trophoedème

chronique, mais malheureusement pour signaler leur insuffisance.

Repos au lit prolongé, massages, compression ouatée ou caoutchoutée,

hydrothérapie, électricité, réussissent presque toujours à atténuer plus ou

moins l'hypertrophie des membres; mais jamais l'oedème ne disparaît

complètement.

Le traitement thyroïdien poursuivi avec persévérance pendant deux

mois ne nous a pas donné de résultats plus engageants.

Le trophoedème chronique est donc un mal incurable. En prenant des

.précautions pour éviter les excoriations de la peau, les malades devront

se contenter, jusqu'à nouvel ordre, d'avoir avec leur infirmité un modus

vivendi à peu près supportable.

L'inefficacité des traitements employés contre cet affection tendrait à

confirmer qu'il s'agit là d'une anomalie évolutive. Jusqu'à ce jour nos

ressources thérapeutiques ne demeurent-elles pas impuissantes à enrayer

les troubles du développement ? ...

Nouv. Iconographie DE la SALI'ÊI HIÈRL

T. XII. PI. LXXXIII

OEDÈME DYSTROPHIQUE DU MEMBRE INFÉRIEUR GAUCHE

(,4.

MASSON & cie, Editeurs.

OEDÈME DYSTROPIIIQUE

DU MEMBRE INFÉRIEUR GAUCHE

PAR

, A. VIGOUROUX

Médecin de la colonie d'aliénés de Dun-sur-Auron.

Nous avons eu l'occasion d'observer récemment une jeune femme âgée

de 22 ans, couturière, qui présentait un oedème dsytrophique du membre

supérieur gauche.

Toute la jambe gauche depuis la racine de la cuisse jusqu'aux orteils

est envahie d'un oedème blanc, dure et indolore. Le membre semble noyé

dans une sorte de gangue oedémateuse dont la photographie ci-jointe donne

la physionomie. On voit par comparaison avec la jambe saine, combien la

déformation est considérable. (Pl. LXXXIII.)

Le tableau comparatif des mesures de circonférence des membres in-

férieurs est le suivant :

Jambe droite. Jambe gauche.

Circonférence au niveau des malléoles.. 0,27 c. 0,40 c.

» » des mollets... 0,39 c. 0,52 c.

» » du genou... 0,39 c. 0,50 c.

o » de la cuisse à

0,20 c. au-dessus de la rotule .... 0,50 c. 0,60 c.

Circonférence au niveau de la cuisse .. 0,5, c. 0,66 c.

La peau est blanche, sans excoriations, luisante, elle porte imprimée

sur elle la trace du bas à varice, et des jarretières ; mais elle ne garde pas

la trace du doigt après une pression de courte durée, même énergique. Au

toucher, elle est rugueuse, et sensiblement plus froide que celle du côté

droit ; elle ne se laisse pas pincer entre les doigts tant elle est épaisse. Au

début, il y a cinq à six ans, l'oedème était moins dur et se laissait dépri-

mer par le doigt ; il augmentait aussi dans la station debout, ce qui n'existe

plus aujourd'hui.

La sensibilité est intacte dans ses divers modes sur toute la jambe

oedématiée (tact, chaleur, froid, douleur, humidité, etc.).

xii 32

482 A. VIGOUROUX

La motilité de la jambe est entièrement conservée ; les mouvements de

flexion de la jambe sur la cuisse ne sont limités que par l'épaisseur de la

peau, qui cependant, est plus lisse et moins épaisse au niveau du creux

poplité : les mouvements du pied sur la jambe sont très libres.

La malade n'éprouve pas de douleur dans la jambe et n'en a jamais

éprouvé. Elle marche facilement et sans fatigue, elle danse, et toutes les

semaines elle fait ses 22 kilomètres il pied pour venir à la ville et re-

tourner chez elle.

Sa démarche est normale, elle tire cependant un peu la jambe quand

elle est fatiguée : la seule gêne qu'elle éprouve, dit-elle, est celle d'avoir

une jambe plus lourde que l'autre : mais lorsqu'elle n'éprouve pas de

fatigue elle marche sans boiter.

La jambe droite, le tronc, les bras, la face, sont entièrement respectés;

d'autre part, il n'existe aucune lésion viscérale : le coeur, les poumons, les

reins, le corps thyroïde sont en parfait état. Nous n'avons trouvé aucun

stigmate d'hystérie.

Dans ses antécédents personnels nous ne relevons aucune maladie

grave : vers l'âge de huit ans, elle aurait eu une rougeole, sans gravité

aucune.

Conformément la règle, c'est vers l'époque de la puberté, à (le

treize ans, qu'elle s'est aperçue que sa jambe gauche était plus grosse que

l'autre, mais elle ne souffrait pas, c'est en voulant mettre son soulier qu'elle

fit cette remarque. Depuis, l'oedème, d'abord moins dur, s'est accentué et a

envahi tout le membre ; et depuis sept ans que nous connaissons la ma-

lade le rapport volumétrique des deux jambes n'a pas varié, non plus que

leur aspect. -

L'étude des antécédents héréditaires n'a rien donné d'intéressant. Le

père et la mère sont bien portants, une soeur plus jeune et sept frères sont

vivants et en bonne santé. Le grand'père paternel se porte bien, la

grand'mère paternelle est morte a la suite de couches, les grands-parents

maternels sont morts de vieillesse, la grand'mère à 79 ans, le grand-père

à 82 ans, porteur cependant d'un épithélioma de l'oreille. Dans toute la

famille on ne connaît personne ayant ou ayant eu une affection similaire.

(IN CAS DE TORTICOLIS MENTAL

PAR

E. NOGUÈS, ET J. SIROL,

Médecin directeur Médecin adjoint

de la maison de santé pour les maladies nerveuses de Toulouse.

Depuis que le professeur Brissaud et ses élèves ont attiré l'attention des

cliniciens sur cette forme de tic spasmodique, les observations de tortico-

lis mental se sont multipliées. Cette affection nerveuse, sans être donc une

rareté, n'est cependant pas tellement fréquente qu'il ne soit intéressant

de publier les cas qu'on a pu observer. Notre malade présente d'ailleurs

quelques particularités symptomatiques qui sont en contradiction appa-

rente avec les cas types décrits par M. Brissaud.

Ces symptômes anormaux sur lesquels nous reviendrons, en y insistant t

nous paraissent légitimer la publication de l'observation suivante :

OBSERVATION

X..., 30 ans, jardinier.

Antécédents héréditaires. - Le grand-père et le père du malade étaient

bègues. Chez l'un comme chez l'autre ce bégayement a présenté cette par-

ticularité qu'il n'a commencé à se manifester qu'à l'âge de 7 ou 8 ans en-

viron. Il augmente alors progressivement jusqu'à ! 'age de 18 ou 20 ans,

époque à laquelle il atteint son maximum d'intensité; il diminue ensuite

à mesure que le sujet avance en âge. Le père du malade qui vit encore ne

bégaie plus en ce moment.

Antécédents personnels. - Rougeole à 7 ans et bronchite consécutive

qui n'a pas laissé de traces; cinq ans après fièvre typhoïde. Vers ! 'age de

8 ans X... commence à bégayer comme son grand-père et son père. Comme

eux il a vu son bégaiement augmenter déplus en plus jusqu'à Lige de

18'ans. De 18 à 20 ans cette infirmité était telle que le malade avait la

plus grande difficulté à s'exprimer. Vers l'âge de 20 ans le bégaiement a

diminué peu à peu. Aujourd'hui X... parle assez facilement, et son bé-

gaiement ne se manifeste qu'à l'occasion d'une émotion.

A part cette infirmité notre malade jouissait d'une excellente santé lors-

qu'au mois de septembre 1898, sans raison connue, il sentit à deux repri-

jlHl4 E. NOGUÈS ET J. SIROL

ses sa tête brusquement et irrésistiblement entraînée du côté droit. Cette

contraction spasmodique ne dura qu'un instant et ne produisit pas d'au-

tres mouvements de la tête : il put se livrer le jour même et les jours sui-

vants à ses travaux habituels et ne se préoccupa pas de cet accident.

Au commencement de novembre il sentit de nouveau sa tête se dévier,

mais cette fois du côté gauche. A peine déviée, il la redressait par un effort

de la volonté, mais une nouvelle contraction l'attirail du côté gauche dans

la position que produit le spasme du sterno-mastoïdien droit. Après un

certain nombre de contractions la tête reprenait sa position normale. Mais

celle-ci n'était conservée que quelques instants, car une nouvelle crise

spasmodique se produisant, la tête était entraînée, malgré les efforts du

malade et demeurait dans la position anormale (flexion et rotation à

gauche).

Au début ce ne fut que de temps à autre que ces crises se produisirent ;

le malade avait quelques instants de répit. Au bout de quelques jours,

son spasme ne lui laisse presque plus un seul instant de repos et les con-

tractions deviennent plus violentes. La nuit cependant X... dort bien, son

spasme ne se produisant pas. Du mois de novembre pendant lequel cette

affection s'est installée d'une façon permanente, jusqu'à ce jour, les spas-

mes ont progressivement augmenté en intensité et en durée ; au moment

où nous voyons le malade, ils persistent toute la journée.

Lorsqu'on observe X... on voit sa tête exécuter des mouvements bi-

zarres (flexion en avant, en arrière ; inclinaisons à droite combinées à des

mouvements de rotation à droite ou il gauche avec prédominance des mou-

vements de flexion en avant et de rotation à gauche). (Pl. LXXXIV.)

Alternativement la tête tourne dans un sens et se relève, dépassant plus

ou moins la position normale, pour s'incliner de nouveau.

Par un effort de la volonté le malade peut résister à une contraction.

Dans cette lutte inégale où les contractions du sterno-mastoïdien et

du trapèze droits paraissent plus fortes que celles des antagonistes, on voit

bientôt, comme après quelques hésitations, la tète irrésistiblement entraî-

née dans la flexion en avant avec rotation forcée à gauche. L'épaule droite

est soulevée dans cetle position, ce qui indique bien la participation du

trapèze à la manifestation spasmodique. X... reste ainsi de une plu-

sieurs secondes, puis il relève sa tête et de nouveau les contractions se

reproduisent avec une violence et une rapidité variables.

Cependant le malade peut par certains procédés modifier et môme quel-

quefois arrêter momentanément ces spasmes.

Ainsi lorsqu'il fait un effort, lorsqu'il saute, qu'il danse, ou se livre à

des mouvements exigeant un effort musculaire, le spasme s'arrête presque

complètement, mais il recommence dès que le malade demeure au repos.

Nouv. Iconographie DE la SALP1NIlatL.

T. XII. PI. LXXXIV

TORTICOLIS MENTAL

(E. Noguès et J. Si roi)

MASSON & Clc, Editeurs.

r1 : lototyrle Denhaud. rarl ? *

UN CAS DE TORTICOLIS MENTAL 485

Le fait de fixer très attentivement son doigt suffit également pour atténuer

et même faire disparaître le spasme, mais si le malade est distrait ou s'il

parle pendant cet exercice la contraction spasmodique se reproduit.

Enfin il peut complètement arrêter le spasme par la simple application,

sans effort, de son doigt sur la joue du côté de la déviation, du côté op-

posé, sur le menton ou sur le nez, etc. Un doigt autre que le sien produit

le même résultat. Dernièrement le malade a inventé un petit appareil très

ingénieux qui lui permet également d'arrêter les contractions spasmodi-

ques.

Cet appareil n'est autre chose qu'une monture de pince-nez dépourvue

de ses verres auquel X*... a ajusté un bout de fil de fer d'une longueur de

dix centimètres environ. Cette tige est fixée dans une position perpendi-

culaire au plan du pince-nez, sur le milieu du ressort qui soutenait les

porte-verres.

Il suffit que le malade place cet appareil sur son nez pour que le spasme

s'arrête. Il peut alors causer, marcher, se mouvoir de toutes façons, faire

exécuter à sa tête tous les mouvements sans que son torticolis se produise.

Il n'est même pas nécessaire que le malade fixe l'extrémité de la tige ; il

suffit simplement que ce lorgnon d'un nouveau genre soit placé sur son

nez, pour que les contractions de son sterno-mastoïdien et de son trapèze

disparaissent.

Nous ne nous attarderons pas à faire un diagnostic différentiel, et à

rechercher s'il s'agit d'un torticolis ressortissant soit d'une névrose (hys-

térie, neurasthénie, épilepsie), soit de lésions irritatives de l'écorce (cas

de Poore cité par M. Féré) (1), ou d'altérations cérébrales, néoplasmes ou

parasites (cas de Dommer, Steiner, Griesinger cités parM. Bompaire) (2).

Il ne nous paraît pas non plus que nous ayons à faire ce spasme dé-

crit par M. le professeur Jaccoud, sous le nom d'hyperkinésie de l'acces-

soire de Willis, malgré que ce soit bien la branche externe du spinal qui

innerve les deux muscles sterno-mastoïdien et trapèze, ceux-là mêmes

qui chez notre malade sont animés de mouvements spasmodiques.

Outre qu'on ne retrouve pas chez lui la cause des phénomènes irri-

tati fs présumés (absence de tumeurs ou de corps étrangers, pas de dou-

leurs de tête non plus que sur le trajet du nerf, pas de troubles de la sen-

sibil.i[é) X... présente un signe qui ne se retrouve que dans le torticolis

spécial décrit par M. Brissaud : Notre malade peut à volonté arrêter le

spasme en plaçant son doigt sur la joue ou sur le menton, sans qu'il lui

soit nécessaire, pour maintenir la tête, d'opposer la moindre pression, et

de faire un léger effort.

(1) Féré, Revue de médecine, 1894.

(2) Bompaire, Torticolis mental, Th. de Paris, 1894.

486 E. NOGUÈS ET J. SIROL

M. Brissaud, présentant à ses élèves un malade atteint d'un spasme com-

parable à celui de notre malade, leur disait :

« L'homme que voici ne peut s'empêcher de tourner la tête à gauche si

ce n'est en la maintenant, lui aussi avec sa main. Croyez-vous trouver là

comme cause l'irritation du spinal, qui anime les muscles présidant à ce

mouvement ? assurément non, s'il y avait une compression quelconque de

ce nerf, le sujet ne pourrait pas replacer sa tête lui-même. C'est bien sa

seule idée qui le force à exécuter ce mouvement (1). »

Lorsque la tète est déviée chez X..., il peut la ramener dans la position

normale par un effort de la volonté.

Mais à peine est-elle redressée que de nouvelles contractions spasmodi-

ques se produisent et l'entraînent après quelques hésitations dans la po-

sition vicieuse. Il semble que la volonté, assez forte pour ramener la tête,

un instant, dans la position normale, manque de l'énergie suffisante pour

la maintenir. Le malade paraît déployer des efforts considérables pour

opérer ce redressement. Mais il s'aide du doigt en l'appliquant sur le nez,

la joue ou le menton ; la tête est très facilement ramenée dans sa position

normale et l'équilibre aisément conservé.

Comme le fait remarquer M. Brissaud, « le] malade fait à son insu un

dédoublement de sa personne physique. Il est convaincu que, pour redres-

ser l'attitude vicieuse, la force qui doit intervenir ce n'est pas seulement

la volonté de faire agir les muscles du cou, mais la force de ces mains ; sa

volonté qui se fait obéir de ses mains ne commande plus à ses muscles du

cou » (2).

Il s'agit donc là d'un état psychique défectueux qui produit'cette espèce

de torticolis que M. Brissaud a très justement appelé mental.

Ce torticolis présente d'ailleurs à peu près les caractères du torticolis

spasmodique (un grand nombre de torticolis mentaux ont dû être décrits

sous le nom de torticolis spasmodiques), auxquels s'ajoutent certains

symptômes particuliers. D'après M. Brissaud, c'est par une sorte d'habi-

tude que la maladie s'installe. C'est à la suite de la répétition très fré-

quente et consciente au début, de certains mouvements que le spasme des

muscles qui participent à ces mouvements se développe et devient invo-

lontaire. « Le mouvement une fois exécuté, dit M. Brissaud, le malade ne

peut pas parvenir à relâcher ses muscles et à remettre sa tète dans la si-

tuation normale qu'elle occupait auparavant ; il fait des elTorts de volonté

stériles, impuissants. » Une force très minime dirigée contre le spasme

(doigt sur la joue ou le menton, etc.) suffit pour maintenir l'équilibre.

Cette force, on le voit, agit bien plutôt comme « soutien moral » que

(1) Brissaud, Leçottç sur les maladies du système nerveux, 18J3-t894.

(2) Biiissvui), loc. cil.

UN CAS DE TORTICOLIS MENTAL 487

comme puissance faisant équilibre à la contraction musculaire. Enfin, si

le malade, en appliquant son doigt comme nous l'avons dit, peut, sans

effort, redresser et maintenir sa tête, celui du médecin ou d'une autre

personne, d'après M. Feindel (1) serait impuissant à opérer le même re-

dressement. Le doigt étranger ne peut vaincre la résistance alors que celui

du malade en vient facilement à bout.

Notre cas diffère un peu de ceux qui ont servi à définir le type de ce

curieux syndrome.

Chez notre malade, en effet, le torticolis ne s'est pas développé par ha-

bitudes. Le spasme involontaire qui constitue aujourd'hui son affection

n'est pas le résultat de la répétition de ces mêmes mouvements. C'est là

le premier caractère qui le différencie des cas types de M. Brissaud. mais

vous avons trouvé d'autres observations où l'habitude n'est pour rien dans

l'étiologie de ce tic.

Nous avons vu aussi que, d'après M. Brissaud et ses élèves, dès que la

tète a été amenée dans sa position vicieuse, le malade s'épuise en efforts

stériles s'il essaye de la redresser par un simple effort de la volonté ; mais

que « l'appui moral » fourni par le doigt du malade, appliqué sur un

point de la face, et n'ayant aucune résistance à vaincre, suffit pour redres-

ser la tête très facilement.

Si, chez notre malade, l'application du doigt sur la joue, le nez, le

menton, etc., lui permet de ramener sa tête dans la position normale,

avec la plus grande facilité, son cas diffère de ceux de M. Brissaud par ce

fait que sa volonté n'est pas absolument impuissante à produire le même

effet. Ce résultat, il est vrai, n'est obtenu qu'au prix d'un effort violent.

Le spasme recommence d'ailleurs aussitôt après que la tête a pris sa po-

sition normale, mais enfin la malade peut la redresserai' un simple e/fort

de la volonté et cela chaque fois qu'il le veut.

Enfin, M. Feindel prétend que si l'on cherche à substituer son propre

doigt à celui du malade pour redresser la tête ou la maintenir dans la po-

sition normale lorsqu'elle y a été ramenée on a à lutter contre une énergi-

que contraction et tout effort l'ail dans ce but est impuissant. Vcilà en-

core un caractère que nous n'avons pas constaté chez notre malade. Si

nous essayons de redresser la tête de X... lorsqu'elle est déviée ou si

nous remplaçons le doigt du malade par le nôtre lorsqu'il la maintient

dans la rectitude, le spasme ne se reproduit pas. Nous n'avons pas plus

d'effort à faire qu'il n'en ferait lui-même. Quoiqu'il en soit, nous avons

affaire chez X... à une affection spéciale clans laquelle l'état psychique

joue un très grand rôle ; c'est bien de torticolis mental qu'il est atteint.

(1) Bwssaun, loc. cil.

(2) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière (1891).

488 E. NOGUÈS ET .T. SIROL

Il est bien mental, en effet, puisque à tout moment la volonté peut le

modifier, puisque le simple « appui moral » fourni par l'application,sans

effort, du doigt sur la joue, le menton, le nez, etc. suflit pour redresser

la tête et la maintenir en équilibre ; puisque un petit appareil, ingénieu-

sement combiné et que le malade place sur son nez comme un lorgnon,

lui permet également, et alors même qu'il ne fixe pas l'extrémité du fil

de fer, de causer, de se mouvoir, sans que son tic se reproduise.

Notre malade présente aussi un symptôme intéressant dans son évolu-

tion c'est son bégaiement héréditaire Celui-ci constitue un argument de

plus en faveur de la valeur mentale de l'affection dont il est atteint. Bom-

paire a d'ailleurs signalé ce fait, que, lorsqu'on étudie sérieusement un

malade atteint de torticolis mental, on finit toujours par découvrir chez lui

quelque stigmate de dégénérescence.

« Quand on va au fond des choses, quand on interroge le sujet soi-

gneusement, on reconnaît que ce syndrome n'est pas isolé en réalité et

qu'il coexiste avec une série plus ou moins longue de stigmate de dégé-

nérescence (1). »

Il est vrai que cette opinion n'est pas partagée par tous les auteurs :

M. Féré (2) dit en effet : « que les dégénérés soient sujets à un spasme es-

sentiel, mental par le seul fait de leur dégénérescence, comme l'admet

Bompaire, qui du reste ne signale chez ses sujets aucun caractère de dé-

générescence soit physique soit mentale, c'est un fait qui reste à prou-

ver. »

Il n'est pas douteux que notre malade soit un dégénéré par le seul fait

de son bégaiement si curieusement héréditaire, si nettement similaire et

nous pensons que ce fait ajoute encore à l'originalité de notre observa-

tion qui vient corroborer l'opinion de Bompaire, à savoir que le torticolis

mental est un tic spasmodique et comme tous les tics a une origine men-

tale'et se développe souvent, sinon toujours chez des dégénérés.

(1) Bompaire, Du torticolis mental. Th. de Paris, 1894.

(2) Cn. FÉnÉ, Revue de médecine, 1894, p. 757.

FACULTÉ DE MÉDECINE DE BORDEAUX

DOCUMENTS CLINIQUES AVEC PIIOTOSTÉRÉOGRAPH1ES

SYRINGOMYÉLIE

AVEC MAINS SUCCULENTES,

ATTITUDE DE PRÉDICATEUR ET ACROMÉGALIE

PAR R

SABRAZÈS,

Professeur agrégé à Faculté de médecine de Bordeaux.

SOMMAIRE

Homme, 66 ans, charretier et Bordeaux ; n'a jamais quitté la région.

Début à 18 ans : paralysie progressive avec atrophie musculaire des mem-

bres supérieurs.

Antécédents héréditaire nuls.

Antécédents personnels : rachitisme, quelques troubles gastro-intestinaux,

métier exposant à toutes les intempéries; ni syphilis, ni alcoolisme, ni

traumatisme.

L'atrophie musculaire frappe d'abord le membre supérieur gauche et inté-

resse successivement son symétrique ; elle s'accompagne de déviations de la

colonne vertébrale ; engelures ; panaris anesthésique.

En novembre 1898, impotence absolue des membres supérieurs ; mains

succulentes cyanosées et refroidies, avec atrophie des divers groupes

musculaires ; dissociation des troubles de la sensibilité avec distribu-

tion segmentaire ; dystrophie unguéale; acromégalie (radiographie).

Paralysie avec atrophie des muscles extenseurs et des cubitaux ; partici-

pation du triceps, des muscles de la ceinture scapulaire.

Thorax en bateau. Cyphose cervico-dorsale et scoliose dorso-lombnire à

concavité droite.

Examen électrique : inexcitabilité faradique et galvanique des muscles des

deux mains. Inexcitabilité faradique des deux nerfs cubitaux qui sont

insensibles, indurés et augmentés de calibre.

Réflexes plantaire et rotulien vifs à gauche. '

490 sabrazès

Observation.

Jean M..., âgé de 60 ans, natif de Bordeaux qu'il a toujours habité et où

il a exercé jusqu'à )'age de 33 ans la profession de charretier, se présente

il notre consultation de l'hôpital Saint-André, en novembre 1898. Cet

- homme est atteint, depuis l'âge de 18 ans, d'une paralysie progressive des

membres supérieurs.

On ne connaît pas de maladie semblable dans sa famille. Le père a suc-

combé à )'age de 79 ans; il ne s'était adonné il la boisson qu'après la

naissance du malade. La mère est morte ci 48 ans hydropique. Un frère a

été emporté par une affection indéterminée. Une soeur, âgée de 71 ans,

jouit d'une parfaite santé.

Après une première enfance souffreteuse (sevrage à 5 mois, rachitisme)

la santé générale de cet homme a toujours été bonne, par la suite, sauf une

constipation légère et quelques troubles gastriques. Marié il 37 ans, II... a

eu 3 enfants ; le premier est mort à G mois , le deuxième à 4 ans du croup,

le troisième vit encore : c'est un jeune homme de 20 ans, chétif, mais ne

présentant aucune tare nerveuse.

Dans les commémoratifs on ne relève ni alcoolisme, ni tabagisme, ni

blennorrhagie, ni syphilis, ni traumatismes. Le malade était exposé aux

refroidissements en raison de son métier..1 Page de 18 ans, il commença à

ressentir des sensations de fourmillement et de faiblesse dans la main gau-

che ; le matin, en se levant, il éprouvait de la difficuitéa remuer les doigts.

Il se développa ensuite progressivement une atrophie musculaire du mem-

bre supérieur gauche, puis, 7 ou 8 ans après, du membre supérieur droit.

La colonne vertébrale subit, il cette époque, une incurvation lente, conti-

nue, d'où un rapetissement très marqué de la taille. Cette affection évoluait

cependant sans douleur.

H... fut contraint de cesser son métier. Il était de plus sujet à des trans-

pirations abondantes de la tête, à des engelures des doigts ; il y a 2 ans, il

eut un panaris de l'auriculaire gauche ; malgré l'élimination d'un séques-

tre osseux cette suppuration ne s'accompagna d'aucune douleur.

Le 6 novembre 1898, nous procédons il un examen complet de cel

homme. On ne remarque rien d'anormal dans la musculature, la sensibi-

lité et la trophicité de la face. L'acuité visuelle est bonne.; le malade lit

sans lunettes ; les pupilles égales réagissent l'accommodation, à la lumière

et à la convergence ; le champ visuel n'est pas rétréci.

Pas d'bémiatropbie linguale. Sens du goût intact ainsi que celui de

l'ouïe. Odorat un peu émoussé; sécrétion nasale abondante.

NOUV. ICONOGRAPHIE DE LA SALYLIN1LR1 : .

T. XII. 1,1. LXXXV

SYRINGOMYÉLIE AVEC MAIN SUCCULENTE

Attitude de prédicateur et .¡cro1110g,dic.

( J..s'avw1a. )

(t'ho ! ugrnp)))cS[ercosco))iqm.)

MAESOM&C ? CdUl1l15.

SYRINGOMYÉLIE 491

On est frappé surtout par l'état des membres supérieurs. Dans la sta-

lion debout, les bras tombent inertes le long du corps (photostéréogra-

phie), les deux mains en extension sur le poignet dans une position in-

termédiaire à la pronation et à la supination. Dans la marche, les mains

sont ballantes, portées beaucoup plus que pendant le repos en dehors de

l'axe du corps, en supination plus accentuée (mains de prédicateur). Dans

l'attitude du serment on voit se produire des mouvements involontaires

des doigts et des mains, mouvements irréguliers, de flexion, d'extension,

de latéralité au nombre de 52 environ par minute, sortes de secousses

lentes et de faible amplitude. (Pl. LXXXV.)

Main gauche. - La particularité qui attire le plus l'attention c'est la

boursouflure en masse dont elle est le siège (pholostéréographie) : peau

remarquablement lisse et luisante depuis le pli du poignet jusqu'au bout

des doigts, surtout à la face dorsale; teinte violacée, asphyxique, plus

marquée vers les deux dernières phalanges. Pas de douleur spontanée ni

provoquée par la pression, mais sensation permanente de froid sans phé-

nomène de l'onglée.

Mensurations : Circonférence des mains, immédiatement au-dessous de

l'extrémité inférieure des métacarpiens 22 centimètres à gauche, 20 cen-

timètres à droite; circonférence du médius(lre phalange) 9 c. 5 à gauche,

9 centimètres à droite; circonférence du médius 1° phalange) 9 centi-

mètres à gauche, 8 c.5 à droite; circonférence du médius (3° phalange)

6 c. 5 à gauche, 6 centimètres à droite.

La ligne cubitale de la main, surtout dans la pronation, apparaît légè-

rement excavée ; la ligne de profil de l'index est également un peu ren-

trante mais beaucoup moins que la ligne de l'auriculaire. La face dorsale

de la main est le siège d'un gonflement considérable ; la pression légère

produit une zone de pâleur blanchâtre qui disparaît rapidement, mais la

pression forte imprime aux téguments un véritable godet persistant. Cette

tuméfaction du dos de la main efface complètement les détails de struc-

ture ; le relief des tendons extenseurs n'est plus visible-; la saillie des

veines a disparu elles fossettes intermétacarpiennes sont comblées, ce qui

donne à la main dans son ensemble un aspect très potelé. La face palmaire

est tuméfiée mais les plis de la peau y sont moins effacés.

Les muscles des éminences thénar et hypothénar sont atrophiés au der-

nier point ; la main plaie, simiesque sur la face palmaire, a sur la face

dorsale l'apparence d'une main gelée très froide au toucher. ' .

L'altitude tombante des membres supérieurs, les abaissements de la

température extérieure augmentent considérablement la cyanose locale qui

s'atténue sous l'influence de la chaleur du lit ; la main ainsi réchauffée se

refroidit très vite quand elle est replacée à la température ambiante, prin-

492 sabrazès

cipalement en hiver. La température locale du dos des mains est dès lors

de 27°.

Tous les doigts ont la forme de fuseaux allongés. Le pouce est en ex-

tension ; l'index, le médius, l'annulaire sont légèrement infléchis ; le petit

doigt, en rectitude dans l'abduction, forme avec l'annulaire un angle assez

ouvert.

A la surface des doigts la peau est lisse, luisante, cyanotique, froide et

comme distendue. Dystrophie unguéale depuis 2 ans : l'altération a dé-

buté par le petit doigt dont l'ongle est surélevé, épaissi, inégal, dépoli,

incurvé hippocratiquement, strié transversalement, de couleur gris bru-

notre ; cet ongle va s'effilant à l'extrémité libre qui est particulièrement

déformée. Ce doigt a été le siège d'un panaris analgésique qui a nécessité

pendant plusieurs mois l'application de pansements phéniqués ; on voit

encore la cicatrice d'un trajet fistuleux profondément adhérente sur le

bord externe de ce doigt ; il existe de plus des mouvements anormaux à

l'union de la première et de la deuxième phalange, une déviation en dehors

de la deuxième et de la troisième phalanges : l'articulation phalange-

phalangienne peut être coudée en extension sous un angle de 100° sans

douleur. Ongles de l'annulaire et du médius hippocratiques avec sillons

transversaux et cannelures longitudinales exagérées ; lame unguéale gri-

sâtre vers sa racine, rouge violacé vers le bord libre ; repli sus-épidermi-

que inégal et desquamé. L'ongle de l'index informe, cassant, creusé de

sillons transversaux a perdu son poli et repose sur un lit hyperkératosi-

que ; altérations de début au niveau de l'ongle du pouce.

Main droite. - Elle se différencie de la main gauche par un gonfle-

ment et un aspect succulent moins marqués, par sa déviation plus accusée

vers le bord cubital,par l'extension plus grande de la main sur le poignet,

parla flexion des deuxième ellroisièmephalanges (griffe). Les téguments sont t

aussi froids qu'à gauche, mais la cyanose est moindre ; une pression forte

creusesur la peau oedémateuseun godet profond. La surfacedeta main droite

est parsemée d'ecchymoses dues à de petits traumatismes : à la base du

premier métacarpien on voit une petite tache lenticulaire ecchymotique ;

on en trouve une aussi à la racine du médius. Cette main est plate (atro-

phie des éminences thénar et hypothénar) ; les ongles présentent les mêmes

déformations qu'à gauche.

La radiographie des deux mains permet de se rendre compte de l'atti-

tude vicieuse des phalanges (à gauche), de l'épaisseur considérable des

parties molles, de la lésion osseuse de l'auriculaire gauche et surtout de la

participation du squelette à l'augmentation de volume des extrémités. La

main droite, cause des déviations moins marquées de ses divers segments,

est particulièrement favorable pour les mensurations que nous avons

SYRINGOMYÉLIE 493

pratiquées par comparaison avec des radiographies de mains normales de

sujets du même âge dont un atteint de rhumatisme articulaire aigu avec

oedème douloureux des mains.

Voici les résultats de ces mensurations :

Longueur totale du 3e métacarpien et du médius :

18 centimètres : syringomyélique; 17 centimètres : sujets normaux.

Longueur totale du 1er métacarpien et du pouce :

12 centimètres : syringomyélique ; 10 centimètres 5 : sujets normaux.

Hauteur maxima du carpe :

4 centimètres 5 : syringomyélique; 4 centimètres : sujets normaux.

Diamètre transverse maximum du carpe :

7 centimètres : syringomyétique ; 5 centimètres 5 : sujets normaux.

Distance maxima de l'apophyse styloïde du cubitus à l'apophyse sty-

loïde du radius :

6 centimètres 2 : syringomyétique ; 5 centimètres : sujets normaux.

Aux avant-bras, atrophie musculaire intéressant surtout les extenseurs ;

les autres groupes de muscles sont inégalement atrophiés ; celui des cubi-

taux est particulièrement frappé ; par contre les épicondyliens sont rela-

tivement épargnés.

Les muscles des bras, quoique grêles, sont moins atrophiés ; les biceps

font une saillie notable tandis que les triceps, mous et flasques, sont très

réduits.

Les muscles de l'avant-bras et le biceps sont le siège de contractions

et fibrillaires.

On note une ankylose fibreuse des articulations du coude et, à un

moindre degré, de l'épaule ; on sent la tête humérale rouler dans la cavité

glénoïde.

Il existe une déformation considérable de la cage thoracique ; le thorax

est creusé en bateau; en arrière, cyphose cervico-dorsale à grande cour-

bure, sans douleurs à la pression, sans déviation angulaire, accompagnée

d'une scoliose dorso-lombaire à concavité droite. Toutes ces déformations

se sont produites lentement sans aucune manifestation douloureuse.

Le grand rond, le grand dorsal, les sus et sous-épineux, le deltoïde

sont atrophiés ainsi que les pectoraux dont il ne reste que des vestiges.

Le relief des muscles des gouttières vertébrales est assez apparent.

La motilité a subi les modifications suivantes : haussement des épaules

difficile; possibilité de porter les mains derrière le dos, mais difficulté

extrême à les placer au niveau de la tête ; le bras peut être écarté du tronc

d'un angle de 70° ; la flexion de l'avant-bras sur le bras arrive à l'angle

droit; l'avant-bras étant en extension aucune résistance active n'est op-

posée aux mouvements imprimés de flexion. L'avant-bras, quand le ma-

494 sabrazès

lade est assis, se place en pronation; les mouvements spontanés de supi-

nation sont très restreiiits et celle-ci, au lieu d'avoir pour centrel'articulation

du coude exige pour se produire un mouvement de rotation de tout le

membre. Les mains ne sont plus douées que de mouvements très rudimen-

taires de flexion et d'extension; le malade ne peut s'en servir ni pour

.manger ni pour s'habiller; les doigts ont perdu toute facul té de se mouvoir.

Au-dessus de la limite des mains la peau n'est ni épaissie ni oedéma-

teuse ; on note simplement un peu de rougeur violacée des poignets.

Sur la face postérieure du bras gauche, à 4 travers de doigt au-dessus de

l'olécrane, on trouve une tumeur allongée, lobulée, ayant les dimensions

d'une figue et présentant la consistance molle du lipome. A deux travers

de doigt au-dessus de l'épilrochlée on rencontre une seconde tumeur du

volume d'un gros haricot. Le bras droit porte, an même niveau, une tu-

meur semblable à la première. Les téguments qui recouvrent ces tumeurs

sont très légèrement pigmentés en brun et de teinte rougeziti'e; on y

remarque de plus une saillie anormale des orifices glandulaires.

L'examen électrique des muscles pratiqué par M. le professeur Bergonié

a donné les résultats suivants :

Conservation de l'excitabilité faradique pour tous les muscles de l'é-

paule, du bras et de l'avant-bras ; inexcitabilité des muscles des éminences

thénar et hypothénar, des interosseux palmaires et dorsaux, des lombri-

caux. Mêmes réactions à gauche qu'à droite.

Conservation de l'excitabilité faradique pour tous les muscles des

membres inférieurs et pour les muscles des gouttières vertébrales.

Conservation de l'excitabilité faradique pour le nerf médian au tiers

moyen du bras et pour le radial. Inexcitabilité à peu près complète du

cubital. Mêmes réactions pour les deux membres. Excitabilité normale des

nerfs aux membres inférieurs.

Courants galvaniques : impossible de trouver une réaction de dégéné-

rescence nette sur les membres même les plus atrophiés. Inexcitabilité

galvanique de tous les muscles ayant perdu leur excitabilité faradique.

Sensibilité. Membre supérieur gauche. Contact bien perçu et

bien localisé sur toute la surface du membre, moins l'auriculaire et l'an-

nulaire qui sont anesthésiques. Analgésie à la piqûre sur toute l'étendue de

la main ; à l'avant-bras et au bras sensibilité d'autant plus émoussée qu'on

se rapproche de l'extrémité libre du membre. Température : thermanes-

thésie au chaud depuis le tiers moyen du bras jusqu'au bout des doigts.

La sensibilité au froid est simplement émoussée.

SYRINGOMYÉLIE 9J

Membre supérieur droit. Contact et piqûre très bien perçus.

Sensibilité au froid et au chaud diminuée surtout à la surface des

doigts et de la main. Distribution segmentaire des troubles sensitifs.

Le calibre des deux nerfs cubitaux paraît plus gros que normalement ; ces

nerfs, de consistance plus dure que des nerfs sains ne sont pas monilifor-

mes ; du côté gauche, le nerf cubital présente, avant de pénétrer dans la

gouttière du coude, un renflement fusiforme indolore. Le pincement de ce

nerf, à gauche comme à droite, est absolument insensible et ne détermine

aucune répercussion dans les doigts.

Membres inférieurs. - Pendant la marche, le pied droit est traîné et

fauche légèrement; la chaussure s'use surtout à droite et par la pointe. Genu

valgum remontant à l'enfance. La station sur un pied est impossible.

Le malade se tient debout les yeux fermés, mais incoordination de la

marche dans ces conditions.

La partie antérieure des cuisses est notablement amaigrie, particulière-

ment à droite ; la mensuration pratiquée à 10 centimètres au-dessus de la

rotule donne 3 : i centimètres à droite, 36 à gauche. Les mollets font un

relief normal (33 centimètres). Excavation tibiale sous-rotulienne de

nature rachitique, intéressant le tiers supérieur du tibia, beaucoup plus

accentuée à gauche qu'à droite. Etat ichthyosique des téguments de la face

interne de la jambe droite.

Les orteils sont en extension légère par leur première phalange et très

légèrement infléchis par leur troisième. Les deux gros orteils sont plus en

extension que les autres et leurs tendons extenseurs font un relief très

apparent qui persiste toujours quels que soient les mouvements.

Les ongles sont dystrophiés, particulièrement celui du gros orteil droit ;

l'ongle est épaissi, coupé de sillons transversaux et se termine par une

carapace cornée brunâtre. Le petit doigt, l'annulaire, le médius du pied

droit sont le siège de durillons et de cors. Pas de kératose plantaire. Ja-

mais de mal perforant ni de bulles pempliigoïdes. La sensibilité au contact,

à la piqûre, à la température est normale sur toute l'étendue des membres

inférieurs.

. Le pouls est ample mais un peu inégal. La tension artérielle est un peu

plus forte à gauche qu'à droite ; on compte 76 pulsations par minute.

Les bruits du coeur sont sourds; ni souilles, ni bruits surajoutés ou dé-

doublés.

496 SABRAZÈS

L'appareil respiratoire fonctionne normalement.

Du côté du tube digestif et de ses annexes on ne relève que des alterna-

tives de constipation et de diarrhée.

Les mictions ne sont pas trop fréquentes, mais elles se font un peu at-

tendre. Les urines normales comme quantité ne contiennent ni sucre, ni

albumine.

Réflexes : périostique nul au membre supérieur droit, conservé à gau-

che ; abdominauxnuls; testiculaires nuls; auchatouillement plantaire plus

vif à gauche qu'à droite ; rotulien normal à droite, vif à gauche ; pas de

trépidation épileptoïde.

En aucun point du corps cet homme ne présente ni taches hyperchro-

miques, zones érythémateuses, ni plaques d'infiltration dermique. Il n'a

jamais quitté Bordeaux et ses environs.

NOUV. Iconographie DE la SALPÊIRIERF.

T. XII. 1'1. LXXXV1

LE VIEILLARD MALADE

Tableau de JAK S'I EEN, Musée de l'Ermitage, à Saint-Pétersbourg.

MASSON & Cic, Editeurs.

LES PEINTRES DE LA MEDECINE

(ÉCOLES FLAMANDE ET HOLLANDAISE).

LE VIEILLARD MALADE DE JEAN STEEN

PAR

HENRY MEIGE.

Le musée de l'Ermitage, à St-Pétersbourg, possède un tableau de Jean

Steen, intitulé Le Vieillard Malade (1) (PI. LXXXV1).

C'est une de-ces fantaisies humoristiques chères au maître hollandais

dans lesquelles il se divertissait à peindre simultanément les ridicules de

la médecine et ceux de la maladie. Ici, comme ailleurs, Jean Steen se

montre un observateur plein de finesse, spirituellement malicieux, fri-

sant de près la grivoiserie, mais avec tant de bonhommie joyeuse qu'il

semble avoir pris à tâche de traduire en peinture les enseignements de

Rabelais. On ne saurait s'offenser de son libertinage : . c'est sa manière à

lui de philosopher. , .

Je ne connais guère que Jordaens qui puisse l'emporter sur Steen dans

l'art de représenter les ripailles pantagruéliques et les gargantuesques

orgies. Mais nul, mieux que le peintre cabaretier de Leyde, ne sait abor-

der les gauloiseries les plus aventurées, en s'arrètant tout juste aux confins

du trivial. z

, ..

Dans ses scènes médicales", Jean Steen est sans rival. Nous en avons

cité trop d'exemples pour avoir à y revenir. Seul, Molière au théâtre, a

su manier l'ironie avec autant d'à,propos,, d'entrain et d'esprit. .

Le Vieillard Malade de Jean Steen semble au premier abord comme une

illustration du Malade imaginaire de Molière.

Ne reconnaissez-vous pas cet incorrigible hypochondriaque d'Argan,

« embéguiné d'apothicaires et de médecins », qui s'entête à persuader aux

autres et à lui-même qu'il est le réceptacle des pires maladies et que son

(1) ? 899 du catal. Somoff, p. 356. B. H., 49. L. 57. Provient de la vente du

duc de Choiseul 477, acheté 400 florins. Faisait partie auparavant de la collection

Lormier, à la Havez Gravé par Le Bas ; reproduit par Ch. Blanc, llist. des peintres,

p. 7. - La photographie reproduite pl. LXXXVI, nous a été obligeamment communi-

niquée par M. Somoff, directeur du musée de l'Ermitage.

xn 33

498 HENRY MEIGE

trépas n'est qu'une question d'heures. Il est là, au premier plan, effondré

dans son fauteuil, voûté, cassé, le chef branlant, emmitouflé dans une

épaisse robe de chambre jaune, les oreilles emprisonnées dans une serre-

tête blanc que recouvre encore un chaud bonnet rouge. Il ne lui manque

même pas sa canne, ce grand jonc à pomme d'ivoire dont Toinette connait

bien les inutiles menaces... Le mal est-il au foie, à la rate ou au poumon ? ' ?

Il est partout, et il n'est nulle part. Pour le moment on peut soupçonner

quelque crise de goutte à ce pied mal chaussé qui repose sur une chauffe-

rette.

Par bonheur, une réconfortante tisane, « inventée et formée dans toutes

les règles de l'art », va faire « dans les entrailles un effet merveilleux ».

Argan, semble-t-il, s'apprête à l'absorber, religieusement.

Près de lui, souriante, accorte et bien en chair, vêtue d'une jupe vio-

lette à corsage rose, décolletée à souhait, une jeune femme est assise, te-

nant une cafetière de la main droite. Si ce n'est pas la Toinette de Molière,

elle est trop rièhement vêtue pour n'être qu'une soubrette de la mai-

son, - c'est du moins quelque aimable fille, rieuse et de libre allure, qui

s'entend aux espiègleries et ne répugne point aux propos malicieux. Met-

tons qu'elle soit de la même famille que Toinette, qu'elle en ait la verve

et l'esprit mordant ; mais ne poussons pas plus loin la comparaison : la

jeune personne ne pourrait qu'y perdre.

C'est qu'en effet, si dans le tableau deSteen le décor et les personnages

semblent empruntés à la troupe de Molière, la donnée de cette scène s'é-

carte singulièrement de celle du Malade imaginaire.

Argan synthétise merveilleusement tous les ridicules du faux malade.

En outre, il est faible, craintif à l'excès, aveugle sur les bassesses et les

vilenies humaines - sur celles de sa femme comme sur celles de ses mé-

decins, sa naïveté semble sans limites. Mais il est « honnête homme »,

doué d'un coeur excellent, malgré son égoïsme maladif. Il a plus d'un tra-

vers ; il n'a pas de vices.

Du Vieillard Malade de Jean Steen, il n'est malheureusement pas pos-

sible d'en dire autant. La donnée est tout autre, et, il faut bien l'avouer,

franchement scabreuse.

Ce vieux podagre à la bouche édentée, aux reins brisés, aux membres

ankylosés, tout perclus de rhumatismes, possède encore un oeil singuliè-

rement audacieux. Son regard oublie de surveiller la main tremblante qui

tient la potion régénératrice, pour se fixer, avec une insistance troublante,

sur les charmes mal dissimulés de l'avenante enfant assise à ses côtés.

S'il pense à ses propres infirmités, ce n'est pas pour se lamenter sur elles,

mais avec l'espoir qu'une trêve fût-elle momentanée, - lui permettra

. LE VIEILLARD MALADE DE JEAN STEEN 499

de réveiller sous des cendres déjà refroidies quelque étincelle du temps

jadis.

Et la jolie fille, tout en se gaussant de ces efforts surannés, ne dédaigne

pas de leur faire un accueillant visage. Sans doute, elle a su estimer à leur

juste valeur ces espérances cacochymes : leur prix est représenté sans

ambages par la bourse que le vieillard tient dans sa main gauche. ,

A quoi bon insister davantage sur les allusions risquées qui foisonnent

dans ce tableau. Les plaisanteries osées ne sont tolérables que sous le

voile d'un spirituel mystère. Jean Steen a pris grand soin de ne pas trop

le soulever, encore qu'il l'ait choisi d'une étoffe suffisamment transpa-

rente. N'a-t-il pas, par un symbolisme à lui très familier, accroché aux

parois de la chambre, un tableau, d'après Rubens, représentant cette scène

biblique nullement ambiguë : Suzanne et les vieillards ? ...

Bornons-nous, donc à compléter noire description en ajoutant que la

jeune personne en jupe violette offre très galamment à son vieil admirateur

un objet dont le spectateur définira tant bien que mal la nature et la si-

gnification : apparemment, ce sont des os.

Derrière ce duo mal assorti, une servante vêtue de brun et coiffée de

blanc, présente aussi deux os sur une assiette. Un autre est tombé par

terre, près du chauffe-pied.

Pourquoi ces os ? ? Mieux vaux feindre de ne pouvoir le deviner. Et le

joyeux drille qui, dans le fond de la pièce, à droite, entreprend de donner

à une mari trône des explications mimées, fera il beaucoup mieux d'imiter

la naïve indifférence de cette soubrette, qui, vers la gauche, s'apprête

tranquillement à bassiner le lit. '

Ce Mascarille libertin ne se soucie guère des soins du ménage, non

plus que sa commère dodue. Ils laissent traîner par terre, pèle-mêle, tous

les ustensiles de cuisine ou autres : une bouteille, un plat, une poêle à

frire, des coquilles d'oeufs, un réchaud, un chandelier.... Peu leur chaud

qu'un jeune chat profite de tout ce désordre pour se livrer aux mêmes

incongruités que les petits chiens des Plaideurs de Racine.

Mais voici M. Purgon lui-même qui entre par la porte du fond, fraise

au cou, haut feutre pointu sur la tête, drapé dans son long manteau noir.

.« Je viens d'apprendre ta-bas à la porte de jolies nouvelles : qu'on se

moque ici de mes ordonnances... Voilà une hardiesse bien grande, une

étrange rébellion d'un malade contre son médecin ! ? »

On connaît la tonitruante apostrophe qui se poursuit par le duo mé-

morable où M. Purgon menace Argan de l'abandonner à l'intempérie de

ces entrailles, à la corruption de son sang, à J'àcreté de sa bile, et à la

féculence de ses humeurs, ce qui le conduira fatalement à la brady-

500 llENRY MEIGE

pepsie, à la dyspepsie, à l'apepsie, à la lienterie, à la dysenterie, à l'hy-

dropisie et à la privation de la vie......

Le Purgon de Jan Steen n'est pas d'aussi farouche humeur, et le spec-

tacle qu'il voit en entrant lui arrache aisément un sourire. Gageons qu'il

ne saura pas tenir son sérieux au cours de ses imprécations et que même

il participera à la grivoiserie de l'assistance.

Contrairement à Molière qui ridiculisa l'excès de la gravité doctorale,

Jean Steen aimait à critiquer l'extrême liberté d'allures et le sans-gêne

outrecuidant des médecins de son époqne : deux travers opposés qui prê-

taient également à la satire des humoristes de la plume ou du pinceau.

TABLE DES MATIÈRES

Acromégalie et dégénérescence mentale,

par F.115 ? IISIEIt (3 phot.), 398.

Amyolrophie double du type scapulo-hu-

mé1'al consécutive il un traumatisme

(3 phot.), 386.

Amyotrophie Charcot-Marie (Contribution

à l'élude analomo-pathologique et clini-

que), par P. Sainton, 207, 317.

Aphasie amnésique (aphasie de conductibi-

lité),par Trénel (12 dessins, S phot.), 433,

Ataxie cérébelleuse héréditaire (Trois cas

dans la même famille),par G. ROS80LIMO,

22.

Atrophie musculaire et osseuse du mem-

bre supérieur, par J. Sabrazès et L.

MARTY, 107.

Atrophies musculaires progressives d'ori-

gine myélopathique, par Etienne (12

phot.), 358.

Hydrocéphalie et hydromyélie (causes des

différentes difformités congénitales du

système nerveux central), par N. So-

LOVTzorF, 37.

Hypothyroïdie bénigne chronique ou

myxoedème fruste, par IiEaTO6RE; 261.

Incontinence nocturne d'origine hystéri-

que, par P. Ravaut, 167.

Lipomalose monstrueuse (principalement

localisée à la partie sous-diaph1"agmati-

que du corps), par DARTIGUES et Bonneau,

216.

Little (syndrome de) et syphilis hérédi-

taire, par Tommasi de Amicis, 34.

Mal d'amour (Les peintres de la méde-

cine, école flamande et hollandaise)

(24 phot.), 51,221, 340, 420.

Métamérie dans les trophonévroses, par

E. Brissaud, 69.

Myopathie primitive el progressive avec

autopsie, par Sabrazès et Brenguès, 48.

OEdème dystrophique du membre inférieur

gauche, par Vigoureux (1 phot.), 481.

Paralysie isolée du muscle grand dentelé

(Contribution à l'étude de la), par A.

Souques et J. CASTAIGNE, 178.

Peintres de la médecine. Le vieillard ma-

lade de Jean Steen, par Henry MEIGE.

(1 phot.), 497.

Pierres de têtes (Nouveau tableau repré--

sentant les arracheurs de), par Henry

lllErcr : , 110.

Polynévrite et poliomyélite, par F. RAY-

bio«\11).

Prurit et ll'ic/wtillomanie chez les paraly-

tiques généraux, par C. Féré. 312.

Sclérodermie (localisée chez les enfants),

par P. IlAUSHALTËR et L. Spillmann, 197.

Syphilis (héréditaire à 1res long terme),

par P. de Molènes, 219.

Syphilis héréditaire de la moelle (un cas

de), par DURANTE et Gilles de r.a Toa-

nETTE (2 phot.), 95.

Syringomyélie avec main succulente, atti-

tude de prédicateur et acromégalie, par

Sabrazès (4 phot.), iS9.

Tabes (Etude sur les troubles objectifs des

sensibilités superficielles) par A. Riche

et de Gotiiard, 327, 40S.

Tabes labyrinthique, par P. Bonnier, 131.

Tics du pied (noie sur deux cas), par

Raymond et P. JAXET, 353.

Thomsen (Maladie de) (forme fruste avec

atrophie musculaire), 15.

Torticolis mental (un cas de), par NOGUÈS

et Sirol, 4S3.

Trophoedème chronique héréditaire , par

Henry MEME (5 phot.), 453.

TABLE DES AUTEURS

Awcis (de Tommasi). Le syndrome de Little

et la syphilis héréditaire, 34.

Bonneau et DAIITIGUES. Lipomatose mons-

trueuse principalement localisée- à la

partie sous-diaphragmatique du corps

(4 phot.), 216.

Bonnier (Pierre). Le tabes labyrinthique,

131.

BREXGUES et SANRAZÈS. Myopathie primitive

et progressive avec autopsie (1 stéréo-

phot.), 118.

Brissaud (E.). La métamérie dans les tro-

phonévroses (18 phot.), 69.

Castaigne J. et A. Souques. Contribution

à l'étude de la paralysie du muscle grand

dentelé (4 phot.), 178.

Dartigues et Bonneau. Lipomatose mons-

trueuse principalement localisée à la par-

tie sous-diaphragmatique du corps (4

phot.), 216.

Durante et Gilles de la TOURETTE. Un cas

de syphilis héréditaire de la moelle

(2 phot.), 95.

Etienne. Sur les atrophies musculaires pro-

gressives d'origine myélopathique (12

phot.), 358.

FAHXAHIEIL Acromégalie et dégénérescence

mentale (3 phot.), 358.

Féré (CII.\HLES). Le prurit et la trichotillo-

manie chez les paralytiques généraux

(1 phot.), 312.

Gilles de la TOURHTTE et Durante. Un cas

de syphilis héréditaire de la moelle (2

phot.), 95.

Gotiiard (de) et A. Riche. Etude sur les

troubles objectifs des sensibilités super-

ficielles dans le tabes (.i phot.), 321, 408.

GUlLL.\JN (G.). Amyotrophie double du type

scapulo-huméral consécutive à un trapu.

matisme (3 phot.), 386.

Haushalter P. et L. Spillmann. Quelques

cas de sclérodermie et de vitiligo chez

les enfants (6 phot.), 191.

IIFnrocne . De l'hypothyroïdie bénigne

chronique ou myxoedème fruste (36

phot.), 261.

Janet P. et F. Note sur deux

tics du pied (3 phot.), 353.

.Marty L. et G. SABRAZES. Atrophie mus- '

culaire et osseuse du membre supérieur

(1 stéréo-phot.), 107.

Meige (Henry). Ti-opliù3dèine chronique

héréditaire (5 phot., Siscliemas), 453.

MEME (Henry). Les peintres de la méde-

cine (Ecoles flatiiande et hollandaise).

Le Mal d'Amour (24 phot.), 51, 227, 340,

420.

Meige (Henry). Les peintres de la méde-

cine. Le vieillard malade de Jean Steen

(1 phot.), 197.

MEIGE (Henry). Nouveau tableau représen-

tant les arracheurs de Pierres de Tête

(2 phot.), 170.

Molènes (Paul nE). Hérédité syphilitique à

très long terme, 219.

Nocuès et Sirol. Torticolis mental (4

phot.), 183.

NouuÈs E. et J. SIROL. Maladie de Thomsen

à forme fruste avec atrophie musculaire.

(3 phot.l, 15. z

RAVAUT P. Incontinence nocturne d'origine

hystérique, 167.

Raymond. Polynévrite et poliomyélite

(4 phot.), 1.

Raymond LT Pierre JANET. Note sur deux

tics du pied (3 phot.), 3;i3.

BICIIE A. et de Gotiiard. Etude sur les

troubles objectifs des sensibilités super-

ficielles dans le tabes (5 phot.), 327, 408.

RossoLmo (G.). Trois cas d'ataxie céré-

belleuse héréditaire dans la même fa-

mille (4 phot.), 22.

Suiiiazès J. et L. MARTY. Atrophie muscu-

laire el osseuse du membre supérieur

(1 stéréo-phot.), 107.

Sabrazès et Bnwouss. Myopathie primitive

et progressive avec autopsie (1 sléréo-

phot.), 48.

Sahrazès. Syringomyélie avec main succu-

lente, attitude de prédicateur et acromé-

galie (4 phot.), 489.

SAMTON (P.). Contribution à l'étude ana-

TABLE DES PLANCHES

Acromégalie et dégénérescence mentale

(FARNARIrji), LXV.

Amyotrophie Charcot-Marie (P. Sainton),

XXVIII, XXIX, XXX. Ll, LU.

Amyotrophie double scapulo-humérale d'o-

rigine traumatique (GUILLAIN), LXIV.

Aphasie amnésique (Trénel), LXXVI,

LXXVII, LXXVIII, LXXIX.

Atrophie musculaire progressive d'origine

myélopathique (G. Etienne), LX, LXI,

LXfI, LXIII.

Atrophie musculaire et osseuse du mem-

bre supérieur droit (Sabrazès etMARTY).

XVII, XVIII, XIX, XX.

Arracheurs de Pierres de Tête (Henry

Meige), XXI, XXII.

Ataxie hérédo-cérébelleuse (G. Rossolimo),

IV, V.

Hydrocéphalie et hydromyélie. Difformités

congénitales du système nerveux cen-

tral (N. SOLOVTZORF), VI, VII, VIII. IX,

X.

Hypothyroïdie bénigne chronique ou

myxoedème fruste (E. Hertoghe), XLIII,

.XLIV, XLV, XLVI, XLVII, XLVIII,

1LIX.

Lipomatose monstrueuse (Dartigues et

Bonneau), XXXI, XXXII, XXX111, XXXIV.

Maladie de Thomsen (E. Noguès et J.

Sirol), III.

Mal d'Amour (Henry 111E1GE),XII, XIII, XIV,

, xv, xxxv, xxxvi, X1YVII, xxxvm,

XXXIX, XL, XLI, XLII, LVIII, LIX, LX,

LXII, LXIII, LXX, LXXI, LXXII, LXXXIII,

LXXIV, LXXV.

Myopathie primitive et progressive (Sabra-

ZÈS et BRENGUES), XI.

OEdème dystrophique du membre inférieur

gauche (VIGOUROUX). LXXXIII.

Paralysie isolée du muscle grand dentelé

(Souques et Castaigne), XXII, XXIV,

XXV.

Polynévrite et poliomyélite (F. Raymond),

1,11.

Prurit et trichotillomanie chez un paraly-

tique général (C. Féré), L.

Sclérodermie et vitiligo chez les enfants

(HAUSHALTER et Spillmann), XXVI, XXVII.

Syphilis héréditaire de la moelle épinière

(Gilles DE la Tourette et DCTR.1NTE),XVI.

Syringomyélie avec main succulente, atti-

tude de prédicateur et acromégalie (Sa-

BRAZÈS), LXXXV.

Tabes (troubles des sensibilités superfi-

cielles dans le) (A. Riche et de Gotiiard),

LUI, LIV, LV, LVI, LVII, LXVI, LXVII,

L1VI11, LXIX.

Tics du pied et P. Janet), LIX.

Torticolis mental (Noguès), LXXXIV.

Trophoedème chronique héréditaire (HENRY

Meige), LXXX, LX<TYf, LXXXII.

Vieillard malade de Jean Steen (Henry

Meige), LXXXVI.

Le aérant : P. Bouchez.

Imp. J. Thevenot, Saint-Dizicl' (Haute-Marne),'

TABLE DES AUTEURS

503

tomo-pathologique et clinique de l'amyo-

trophie Charcot-Marie (13 phot.), 207,

317.

SiaoL et Noguès. Torticolis mental (4

phot.), 483.

SIROL J, et E. Noguès. Maladie de Thom-

sen à forme fruste avec atrophie muscu-

laire (3 phot.), 15.

SOLOVTZOFF (N.). L'hydrocéphalie et l'hy-

dromyélie comme causes des différentes

difformités congénitales du système ner-

veux central (19 phot.), 37.

Souques A. et J. Castaigne. Contribution

à l'étude de la paralysie isolée du muscle

grand dentelé (4 phot.). 178.

Spillmann L. et P. Il AUSIIALTER. Quelques

cas de sclérodermie et de vitiligo chez

les enfants (9 phot.), 197.

Trénel. Aphasie amnésique (aphasie de

conductibililé) (12 dessins, 8 phot.), 433.

Vsoomsooa. OEdème dystrophique du mem-

bre inférieur gauche (1 phot.), 481.