NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE
LA SALPÊTRIÈRE
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
Imp. Vve Lourdot, 33, rue des Batignolles, Paris.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA
SALPETRIÈRE
- FONDÉE par J. M. CHARCOT
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE
F. RAYMOND A. JOFFROY A. FOURNIER
PROFESSEUR DE CLINIQUE PROFESSEUR DE CLINIQUE PROFESSEUR DE CLINIQUE
DES MALADIES DES MALADIES MENTALES DES MALADIES CUTANÉES ET
DU SYSTÈME NERVEUX . SYPHILITIQUES
PAR
PAUL RICHER GILLES DE la TOURETTE
DIRECTEUR DU LABORATOIRE DE PROFESSEUR AGRÉGÉ A LA FACULTÉ DE MÉDECINE
LA CLINIQUE DE PARIS
MÉDECIN DES HÔPITAUX
. ALBERT LONDE
DIRECTEUR DU SERVICE PHOTOGRAPHIQUE
Secrétaire de la Rédaction : HENRY ME1GE
AVEC LA COLLABORATION DE MM.
BOGROFF (Odessa); P. BLOCQ ; BOTTEY; E. BRISSAUD; H. CATHELINEAU ; J.-B. CHARCOT;
A. CHIPAULT; DELPRAT (Amsterdam); DENY; DURET; OUTIL; EMIRZÉ (Smyrne) ; ESTEVES
(Buenos-Ayres); FÉRÉ; G. GUINON ; HALLION ; HUET; KATICHEFF (St-Pétersbourg) ; H. LAMY;
LANNELONGUE; LAUFENAUER (Buda-Pesth); LE DENTU ; P. LONDE ; LUCO ORREGO (San-
ti-go.Chili); P. MARIE; MARINESCO (Bucharest); H. MEIGE; H. MEUNIER; MICHAILOWSKi
(Sofia); MOCZUTKOVSKY (Saint-Pétersbourg); PARINAUD; PARMENTIER; PITRES; RAMA-
DIER ; L. RÉVILLIOD (Genève); A. ROBIN; SABRAZÈS ; THOMAS 0. SAVILL (Londres);
C. SCHAFFER (Buda-Pesth); SÉGLAS; SÉRIEUX; SIKORSKY (Kiew); SOCA (Montevideo); SOU-
QUES ; SURMONT; TARGOWLA; TERRILLON; TUFFIER; WEIL.
TOME HUITIÈME ,
Avec 94 figures intercalées dans le texte et 60 planches
PARIS
. ANCIENNE MAISON DELAHAYE
L. BATTAILLE ET CIE, ÉDITEURS
23, place DE l'école-de-médecine, 23
1895
NOUVELLE ICONOGRAPHIE : '
A q
DELA SALPETRIÈRE
AVERTISSEMENT
Avec ce fascicule, la Non celle Iconographie de la Salpr}ll'iùl'c entre
dans la huitième année de son existence. Exclusivement consa-
crée aux mémoires inédits sur les Maladies du Système Nerveux
dans lesquels les documents figurés occupent une large place,
sa collection renferme actuellement plus de 300 planches hors
texte et de 400 dessins. Il ne nous appartient pas de dire quel
rang elle conquis par la perfection des procédés de reproduction
qu'elle emploie, parmi les périodiques illustrés.
Fondée so-us le haut patronage du professeur Charcot, l'Icollo-
graphie a bénéficié de la glorieuse renommée de notre illustre
Maître ; elle a prospéré sous son éminente direction. Elle ne péri-
clitera pas, car Charcot fut un chef d'École et ses élèves sauront
perpétuer son oeuvre.
Nous sommes certains d'avoir écouté son inspiration, d'avoir
pieusement obéi à sa pensée en demandant à M. F. Raymond de
devenir effectivement notre directeur scientifique. L'École de la
Salpêtrière n'a pas de représentant plus autorisé que le nouveau
professeur de clinique des Maladies du Système NCl'Oell.1 ! . L'Ic01tO-
graphie continuera donc à bénéficier, sous son active et libérale
direction, des matériaux qui s'accumulent sans cesse dans le vieil
Hospice, berceau de la ncuropathologie française.
Appartenant à la même École,, M. A. Joffroy, titulaire de
la chaire de clinique des Maladies Mentales à laquelle l'ont porté
les remarquables travaux qu'il a faits à la Salpêtrière, nous a
VIII 1
\
2 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈT1UÈ11E .
, .
gracieusement promis et ses conseils éclairés et son précieux
concours.
Enfin, cédant à nos sollicitations, M. le professeur Fournier
qui, dans le domaine des maladies cutanées et syphilitiques, a
élevé à la neuropathologie un monument impérissable, a bien
voulu se joindre à ses -collègues pour imprimer, en élargissant son
cadre, une nouvelle et féconde impulsion à notre publication.
On le voit, ce n'est pas une transformation que subit l'Icozo-
graphie, c'est un accroissement de forces qu'elle,va acquérir.
- Des trois chefs sous l'égide desquels nous marcherons, deux
furent les élèves directs de Charcot, tous étaient ses amis : .sa
pensée reste vivace au milieu de nous.
La liste de nos collaborateurs est déjà longue : il suffit de la
parcourir pour y trouver les noms des neurologistes les plus émi-
neufs, tant de la France que de l'étranger. Mais cette liste n'est
pas close. Notre publication est largement ouverte à toux ceux
qui s'intéressent aux maladies du système nerveux, aux maladies
mentales, aux rapports de ces affections avec la syphilis et la der-
matologie.
Comme par le passé, noua accepterons avec reconnaissance
les travaux qui se rattachent à ces branches des sciences médi-
cales et tout particulièrement ceux dans lesquels'le document
figuré, immuable à travers les doctrines médicales, tient la place
importante que nous lui avons réservée.
Nous continuerons aussi à donner dans chacun de nos, numé-
ros une étude concernant un sujet historique intéressant la mé-
decine, avec document artistique à l'appui.
Nous espérons par nos efforts mériter encore la faveur qui a
accueilli notre publication dès le premier jour, et justifier la con-
fiance des maîtres qui nous ont généreusement accordé leur
bienveillant appui. ,
PAUL nICHEH. Gilles de la Tourette. : Ll31 : tT'l' LONDE.
MIGRAINE 0PUT11ALMIQUE ET APHASIE
1
PAR
J. M. CHARCOT (I).
- Messieurs,
.le vais vous entretenir de deux malades qui se sont présentés à la cli-
nique externe et qui nous conduisent à revenir en quelques mots sur les
études, que dans le semestre de l'an passé, nous avons faites ensemble re-
lativement aux diverses formes de l'aphasie.
L'un de ces malades présente un exemple remarquable et fort bien dé-
fini d'aphasie transitoire, à répétition, revenant par accès séparés par des.
intervalles parfaitement libres, c'est-à-dire pendant lesquels, l'expression
de la pensée par les divers modes du langage (parole et écriture), s'exé-
cutent dans des conditions absolument normales. L'autre malade est un
musicien qui très rapidement, dans l'espace de quelques jours a perdu
momentanément, à un certain degré, il la fois la faculté de jouer de l'ins-
Irument qui est sa spécialité (dans l'espèce c'est le trombone) et celle de
pouvoir copier les partitions qu'il lit cependant couramment, genre de
travail dans lequel il excellait autrefois.
Vous vous étonnez peut-être, Messieurs, de me voir rapprocher deux
cas en apparence aussi dissemblables : quels rapports voyez-vous donc,
direz-vous, entre la perte de la faculté d'exprimer sa pensée par la parole
ou l'écriture par exemple, et celle déjà faculté de jouer d'un instrument
' ou de copier de la musique. A cela je répondrai qu'il n'est pas du tout
anti-philosophique tant s'en faut de rapprocher les uns des autres les di-
vers modes d'expression de la pensée pour les comparer tant au point de
vue physiologique qu'au point de vue pathologique. Or à côté du langage
parlé ou écrit, il y a le langage mimique qui consiste il exprimer la pen-
(1) Cette leçon inédite est publiée intégralement d'après le texte du manuscrit origi-
nal du professeur J. M. Cliarcot qui nous a été obligeamment confié par AI. J. B.
Cliarcot, interne des hôpitaux. '
4 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE 'LA SALPÊTRIÈRE
sée par des gestes, le calcul sous toutes ses formes et enfin la musique.
Physiologiquement les analogies ne sont pas douteuses et il est inutile
d'entrer dans de grands développements pour les faire ressortir. Si cette
supposition est vraie et il n'est pas douteux qu'elle se trouvera réalisée
en pathologie, il côté des divers modes de l'aphasie relative au langage
parlé ou écrit, il y aura lieu de traiter des divers modes de l'aphasie re-
latives soit au langage mimique, soit au langage des mathématiques, soit
au langage de la musique.
J'espère pouvoir dans un instant à propos de nos deux malades justifier
quelques-unes au moins des propositions que je viens d'émettre. Pour le
moment j'en viens au premier malade qui lui présente, je le rappelle, un
exemple d'aphasie vulgaire, c'est-à-dire dans lequel le trouble porte sur
le langage considéré dans son acception la plus limitée, la plus étroite.
L'observation de ce malade a été prise par mon interne M. Gilles de la
Tourette. '
Voici d'abord en quelques mots le résumé de l'observation ; le malade
présent pourra au besoin nous fournir quelques détails complémentaires.
Il s'agit' d'un homme de 30 ans autrement bien portant. Employé du
chemin de fer d'Orléans, marié et père de deux enfants. Les antécédents
sont intéressants à relever : son père est atteint d'ataxie locomotrice, sa
mère nerveuse. Ce sont là des circonstances qu'il est fort important de
'relever à propos de l'affection dont vous allez le voir, noire malade est
atteint. Quant à lui, pas de goutte, rhumatisme, hémorrhoïdes, maladies
cutanées ou autres éléments de diathèse arthritique.
Début il y a quinze ans, à retours périodiques, douleur de tète fréquen-
te, accès de fièvre mal analysés ; mais, à l'âge de vingt ans il remarque que
la douleur de tète s'accompagne de certains troubles de la vision, il savoir
obnubilation du champ visuel à droite. Il ne voit que la moitié des objets
et rapporte ainsi que cela a lieu en général, ce trouble à l'oeil droit tandis
qu'en réalité il appartient aux deux yeux; puis surviennent des vomisse-
ments. Un peu plus tard il remarque dans la plupart de ses accès l'exis-
tence d'une figure lumineuse occupant bipartie obscure du champ visuel.
Cette figure lumineuse en forme de demi-cercle dentelé, animé de mou-
vements vibratoires, est ce quiest connu sous le nom de scotome scintillant.
Nous y reviendrons dans un instant. Enfin, il a vu se surajouter il quel-
ques-unes de ses crises encore de nouveaux phénomènes : des picote-
ments, des engourdissements dans le bout de tous les doigts de la main
droite qui montent dans l'avant-bras, le bras, puis le côté droit de la face,
la lèvre supérieure et la lèvre inférieure, le menton, accompagnés d'une
sensation de froid mais sans changement de coloration.
Dans trois ou quatre accès avant le développement des engourdisse-
MIGRAINE OPHTITAL1111QUE ET APHASIE 5
ments, mais après la disparition du scotome scintillant et le rétablisse-
ment partiel de la vision, survient tout à coup à son grand effroi un
trouble céphalique portant chez lui sur tous les modes de réception et
d'expression du langage, langage parlé, langage écrit, etc. Ce trouble cé-
phalique est transitoire, il dure une heure environ.
Ces grandes crises dans lesquelles se succèdent tous ces accidents ner-
veux d'apparence inquiétante que nous venons d'énumérer, durent envi-
ron sept à huit heures : elles se terminent en général par des nausées ou des
vomissements ; puis vient le sommeil et le lendemain malin tout a disparu
sauf un léger mal de tête qui se dissipe dans la journée et n'empêche pas
le malade de se rendre à son travail habituel.
Pour mieux accentuer les caractères de ces singuliers accès je vais indi-
quer en quelques traits leurs principaux caractères, le mode d'évolution
des divers phénomènes qui les composent d'après une description donnée
par le malade lui-même et fondée sur l'observation d'un de ses accès ré-
cents, alors que le malade déjà éclairé par nos interrogations avait été mis
à même de porter son attention sur les points les plus saillants et les plus
intéressants à notre point de vue.
Il s'agit, dans cette description, d'un grand accès, d'un accès complet,
car nous avons vu qu'il y a chez lui des accès imparfaits, ou les phénomè-
nes de la crise sont réduits à leur plus simple expression, et des accès
complets où tous les éléments se trouvent en quelque sorte réunis.
L'accès en question débute en général vers six heures du soir. Le premier
phénomène qu'il atteste alors est le trouble visuel.
Les personnes, les choses, semblent coupées en deux ; une des moitiés du
champ visuel est obnubilée, obscure. Il s'agit là d'une hémiopie latérale
droite. La limite du défaut passe-t-elle exactement par le point de fixation ?
on ne possède pas d'examen régulier du champ visuel pendant l'accès et je
ne sais si il existe des observationspouvant établir le fait péremptoirement.
Peu après, sur un fond noir se dessine un point gris, vacillant, animé de
vibrations analogues à celles qui se produisent dans l'air chauffé sur un
poële. Ce point s'élargit et s'entoure d'un cercle lumineux, dentelé, ouvert
sur un point. Pour lui ce cercle présente un contour orangé, chez d'autres
il y a du vert, du rouge, du jaune, du blanc etc. Chez d'autres encore il
est également fermé à l'origine, puis rapidement s'élargit, s'ouvre sur
un côté comme dans la description d'Airy, et bientôt il est tellement large
que le champ visuel n'en contient plus qu'une partie; enfin il disparait.
Cette période dure environ une heure ; il n'y a pas encore de céphalal-
gie, seulement des nausées.
La deuxième période est marquée par la disparition du scotome et de
l'hémiopie; remplacée par une douleur de tète qui siège au-dessous du
6 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTf11ÈIOE
/
sourcil gauche vers la moitié externe. C'est.a)ors-qu'apparaissent tes trou-
bles du langage.
Ces troubles chez le malade portent sur tous les éléments de la faculté
du langage, l'intelligence paraissant d'ailleurs parfaitement conservée.
10 Lorsqu'on parle au malade il entend qu'on parle, il n'y a pas de sur-
dité proprement dite, mais les paroles qu'il entend sont pour lui lettre
morte, il n'en comprend pas le sens. Il est atteint de cette l'orme de trou-
bles de la faculté du langage que l'on dislingue sous le nom de surdité
verbale.
2° Quand une idée lui vient à l'esprit et qu'il veut l'exprimer par la
parole, il a perdu la mémoire des mouvements de la langue et des lèvres
nécessaires pour articuler les mots correspondants ai l'idée; ou le mot fait
complètement défaut, ou il est altéré, ou il est remplacé parmi mot qui
ne correspond pas à l'idée. Il y a donc aphasie motrice.
3° Si il prend un livre, bien que la vision soit normale, bien qu'il voit
parfaitement les caractères de l'imprimerie, les lettres groupées sous forme
de mots, il ne peut pas les déchiffrer, les comprendre, les rattacher ;i l'idée
correspondante,- il est donc atteint de cécité verbale.
4° Enfin, il prend la plume et cherche à rendre sa pensée à l'aide de
l'écriture, mais hien qu'il n'y ait aucune paresse ou paralysie des doigts
en ce moment, il ne trace que des caractères informes, ou des mois ne
répondant pas à l'idée. Il est donc atteint à un certain degré tout au
moins d'agraphie.
Il s'agit donc là vous le voyez d'une aphasie complexe au premier chef ;
aphasie de réception puisque le malade ne comprendplus le langage parlé
ou écrit; aphasie de transmission puisqu'il est devenu incapable de com-
'muniquer sa pensée soit par la parole articulée, soit par la parole écrite.
C'est là, dans l'observation de notre malade le point sur lequel j'ai voulu
particulièrement appeler votre attention et sur lequel je veux insister un
peu. Mais auparavant je veux en finir avec la description des grands accès
qu'il présente.
Le trouble aphasique dure environ une heure; alors survient l'engour-
dissement de la main droite, de la lèvre supérieure et inférieure, où il
éprouve en même temps un sentiment de froid. Cela dure peut-être une
heure environ. Pendant ce temps la douleur de tète augmente, elle devient
très pénible ; le malade qui s'est couché est pris de nausées et de vomis-
sements, enfin il s'endort et tout est fini.
' Vous avez sans doute reconnus pour la plupart, Messieurs, la des-
cription qui précède, l'affection dont il s'agit chez notre malade. C'est une
des formes de la migraine assez vulgairement connue sous le nom de mi-
0 cri,.tliieoplitliiliiiiqije à cause des troubles visuels qui en sont un desprillei-
MIGRAINE OPI1TTTAUI1QUE ET 1PTIASIG 7
paux caractères. Mais, il ne faudrait pas croire que migl' : 11ne ojJhthalmi-
que se présente toujours avec ce cortège de symptômes assez inquiétants
que nous trouvons réunis chez notre malade. Réduite il sa plus simple
expression la migraine opbthatmique se compose exclusivement de cépha-
lée frontale, d'hémiopie avec scotome scintillant, avec nausées et vomisse-
menls. Il y a même des cas nombreux, ou le scotome scintillant, existe à
peu près seul, sans troubles gastriques, sans hémiopie bien marquée, sans
céphalée. Des cas ou la céphalée s'accompagne seulement-d'hémiopie et
de troubles gastriques. Ce sont là des exemples de ce que l'on pourrait
appeler la migraine ophlhallnique fruste. Noire malade avant la période
actuelle paraît avoir eu des accès de ce genre. Ce n'est que assez rarement
que les engourdissements des membres et de la face, les diverses formes
d'aphasie, viennent se surajouter aux symptômes de la migraine vulgaire.
On pourrait dire alors, ainsi que j'ai proposé de le faire, empruntant il
Torti le langage qu'il a imaginé pour désigner nosographil111ellient ces
accès de lièvres intermittentes anormales (félins comitatae) que la migraine
ophlhalmique est accompagnée. J'ajouterai, que les engourdissements des '
membres et de la face, l'aphasie, ne sont pas lesseuls accompagnements'
possibles. On peut citer encore certaines hémiplégies transitoires, des accès
épileptoïdes avec perte de connaissance survenant après le scotome scin-
tillant, et quelques autres accidents encore, qu'il serait trop long d'énu-
mérer et dont vous trouverez l'indication dans un travail publié par
M. Féré dans la Revue de médecine de 1881..
Puisque j'en suis il vous indiquer les modifications de la migraine
ophtalmique, il en est quelques-unes encore que je crois devoir vous si-
gnaler en passant. Il est des cas de migraine accompagnée dans lesquels
les Symptômes anormaux prédominent tellement que la nature de la ma-
ladie pourra passer inaperçue. Il en est ainsi des cas d'aphasie transitoire,
des convulsions él71leptoïdes, des troubles de la sensibilité et du mouve-
ment d'un côté du corps dont la nature sera méconnue, faute d'interro-
ger le malade suffisamment en ce qui concerne les troubles visuels, ou
parce que ces troubles sont peu accentués. Il est possible même que ces
troubles fassent défaut et que le trouble aphasique existe seul. Je suis
disposé a1 admettre que la plupart des cas d'aphasie transitoire, récur- z
renie, .appartiennent à la migraine opllthalmique, mais, je ne voudrais
pas vous laisser croire que toutes les aphasies transitoires appartiennent
à ce groupe. Je citerai par exemple l'aphasie transitoire goutteuse, reve-
nant par accès en même temps que la fluxion articulaire goutteuse au lieu
d'élection, c'est-à-dire sur le gros orteil de l'un des pieds par exemple;
dans les quelques cas que j'ai observés il ne m'a pas paru exister des symli-
8 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SAI.PÊTK1ÈHE
tomes oculaires; ces observations sont il la vérité un peu anciennes, elles
rlcmandent il êlrc l'enolllelécs.
Si j'insiste autant sur la nécessité de rechercher si l'aphasie est due à
une migraine ophtalmique, c'est que ce trouble qui passe en général avec
raison pour très rare lorsqu'il fait partie de la migraine ophtalmique, a
dans l'immense majorité des cas une issue favorable malgré ses retours
fréquents. Ainsi je pourrais citer des cas de migraine ophtalmique datant
depuis plus de quinze ans chez lesquels chaque accès Ù retour d'ailleurs
fréquent est. marque par l'accompagnement de troubles aphasiques très pro-
nonces; et, pendant cette longue période, ces troubles du langage ont tou-
jours disparus sans laisser de trace. Mais nous verrons dans un instant
qu'il n'en est pas toujours ainsi. Il ne faut pas oublier en passant qu'en
présence d'un cas d'aphasie développé rapidement et s'accompagnant d'hé-
miopic'et peut-être de céphalée hémi-crânienne il ne faudrait pas se bâter
d'émettre, sans plus attendre, qu'il s'agit là de migraine ophtalmique et
que quelque intense que soient les accidents, ils disparaîtront pour reve-
'nir vraisemblablement plus lard sous forme d'accès. Il n'en est rien en
effet, nous savons par nos leçons de l'an passé, que certaines lésions locali-
sées dans certaines régions du cerveau et qui n'ont rien à faire avec la
migraine ophtalmique peuvent amener une hémiopie et une aphasie
durable.
Ces derniers faits et d'autres tendent il démontrer que, en outre de la
migraine ophlhalmique proprement dite, liée le plus souvent à la diathèsp
arthritique, il y a de fausses migrainesolllltlmlnlillnes, des migraines opb-
llialmiques symptomaliques en quelque sorte : maladie proto-palhiqiie.
Cela parait être le cas, dans la paralysie générale avec attaques dites
congestives.
Les attaques congestives dans certaines formes reviennent, on le sail,
par accès, ainsi que quelques monoplégies transitoires, attaques épilepli-
l'onnes, accès d'aphasie transitoire, etc. La diversité des phénomènesdépcnd
ainsi qu'on l'a bien démontré dans. ces derniers temps, du genre do loca-
lisation de la lésion corticale; si il en est ainsi, on comprend l'apparition
de la fausse migraine olllltlmlmiclne sous forme d'accès, dans le cours de
cette maladie redoutable, si iaiésionditecongestiveportosuria région de
l'écorce qui détermine l'héiniopie corticale, et aussi sans doule le scotome
scintillant.
Puisque nous en sommes au pronostic de la migraine ollhtllalmidue, il
est encore un dernier point sur lequel je dois tout particulièrement con-
centrer votre attention. , .
Jevons ai présenté tout a l'heure la migraine oplilhahniquc comme une
affection bénigne, d'un pronostic favorable, non seulement quand elle se
. MIGRAINE 0P11TUALMIQUE ET APHASIE 9
montre dans ses formes légères, mais encore, quand dans quelques-uns de
ses accès elle s'accompagne de symptômes plus ou moins inquiétants tels
que aphasie, parésie, troubles de la sensibilité etc. L'épilepsie même, liée
a la migraine ophtllalmique parait être une épilepsie relativement bénigne,
curable. Mais vous avez sans doute remarqué que sur ce point j'ai eu soin
de faire des réserves. Je crois en effet pouvoir affirmer que dans certains
cas heureusement très rares, la migraine ophthalmique la plus légitime,
indépendant de toute lésion cérébrale antérieure peut en se prolongeant
amener des accidents durables et par conséquent grades. Il n'est pas en
effet, à part la douleur hémicrànienne et le scotome scintillant, accidents
essentiellement transitoires, un seul des phénomènes constitutifs de la mi-
graine ophtalmique soit simple, soit accompagnée qui ne puisse cesser
d'être transitoire et s'établir à l'état permanent. Ainsi, il y a des exemples
de migraines dans lesquelles l'hémlopie, après avoir été transitoire à cha-
que accès pendant plus de quinze ans, s'est établie d'une façon permanente
à la suite d'un accès. Il en est de même pour ce qui concerne les troubles
de la sensibilité et du mouvement et enfin de l'aphasie. L'aphasie transi-
toire est devenue en d'autres termes définitive. -
De là, découle un principe que j'ai- adopté dans ma pratique et dont je
dois vous faire part, car vous aurez sans doute l'occasion de le mettre en
oeuvre. Dans l'immense majorité des cas la migraine ophlhalmique est
une maladie ou mieux un syndrome qu'on peut abandonner à lui-même,
en tenant compte dans le traitement, si traitement il y a, que de l'état dias-
thésique parexemple et de ses moyens de soulagement. Mais, dans quelques
cas, il est prudent' d'intervenir et de couper court aux accès si faire se
peut. Je n'hésite pas : 1 donner ce conseil toutes les fois que les accès
accompagnés d'aphasie prennent une grande intensité, et que les symptô-
mes inquiétants s'attardent.
Je vous dirai dans un instant, en quoi consiste la médication que je
propose alors. Mais, je voudrais, avant d'en venir là, rechercher avec vous
comment on peut dans l'état actuel de la science, se rendre compte anato-
miquement et physiologiquement des symptômes delà migraine opllthal-
mique, et comment on peut comprendre pourquoi quelques-uns de ces ac-
cidents, après s'être montrés pendant si longtemps passagers deviennent
un beau jour définitifs.
Je dois vous prévenir qu'à cet égard, nous n'avons guère actuelle-
ment que des hypothèses à sous offrir, mais, ces hypothèses sont assez
plausibles en certains points, et dénature tout au moins à fixer les phéno-
mènes dans notre esprit.
. En premier lieu, la théorie de Dubois Raymond reprise par Latham
pour expliquer. sans distinction de forme les phénomènes de la migraine,
10 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
peut être appliquée sans restriction il la migraine Oplltllall111Cllle. Le rail ini-
tial serait un spasme vasculaire sous la dépendance d'une irritation des
vaso-moteurs. Mais, la nature si particulière des accidents de la migraine
ophthallnique doit répondre à une localisation spéciale.
Or, quelle est la région du cerveau dont la lésion pourra produire si-
multanément l'hémiopie, le scotome, les formes variées de l'aphasie, les
troubles moteurs ou de sensibilité, les accidents épileptiformes ? Dans
l'étal actuel de nos connaissances, la. seule région qui puisse répondre à
toutes ces nécessités est représentée par l'ensemble des circonvolutions
- .dont l'étendue pourrait être nommée le domaine sylvien, puisque l'irriga-
tion de l'écorce dans ces parties se fait par le canal de l'artère sylvienne
et de ses branches.- - .
Considérons en effet la distribution de cette artère; du troncse détache
successivement : l'arlériole du pied de la troisième circonvolution fron-
tale la. où siège la mémoire des mouvements qu'il faut faire pour arti-
. culer les mots l'altération de cette partie produit l'aphasie motrice;
une artériole pour le centre de la mémoire des mouvements nécessaires il
la formation des mots par l'écriture ; les artérioles de la première circon-
volution temporale où siège la mémoire auditive des mots- là sont dépo-
sées les images auditives, là elles se mettent en rapport avec l'idée corres-
r pondante, là elles sont évoquées spontanément lorsque nous cherchons à
nous rappeler un nom, ou bien elles sont réveillées lorsque le mot pro-
noncé par une personne étrangère résonne à l'oreille quand cet appa-
reil est détruit, il y a surdité verbale, le malade entend les mots, mais
l'image entendue du mot est détruite, elle ne peut être mise en rapport
avec l'idée correspondante et le mot prononcé reste lettre morte, on ne le
comprend pas ; la branche qui irrigue la région du pli courbe dont la lé-
sion produit l'hémiopie et peut-être le scotome scintillant, région qu'on
a trouvé lésée dans les quelques cas de cécité verbale où l'autopsie a été
faite; là très vraisemblablement sont déposées les images visuelles des
mots, c'est le siège de la mémoire des mots écrits, c'est ta que ces mots
sont rapprochés et mis en rapport avec l'idée correspondante; suppri-
mons l'organe, le mot sera vu comme un dessin ou comme un caractère
appartenant à une langue étrangère, mais sa valeur symbolique est mé-
connue, aucune idée ne s'y rattache.
Enfin, la lésion des circonvolutions frontale et pariétale ascendantes
pourra rendre compte des troubles moteurs, sensitifs, et des accidents
épilepti 1'0 1'111 es qui si souvent reviennent dans la migraine ophlhalmique.
Nous avons vu que chez notre -malade la plupart des accidents men-
tionnés se sont montrés simultanément, et que ce fait peut s'expliquer
assez bien par t'attrition simultanée des vaisseaux de l'artère svivienne.
MIGRAINE OPUTnAMHOUE ET APHASIE 11
Il ne nous reste plus du'a faire intervenir la théorie du spasme vascu-
laire par Duhois Raymond et Latll;I111; nn spasme vasculaire produit l'is-
chémie dans les parties correspondantes de l'écorce ; par le fait de l'isché-
mie la fonction propre il chacune des parties intéressées sera momenta-
nément contrariée ; mais le spasme ne peut être que transitoire. L'ischémie
disparait pour faire place peut-être une hypérémie également transitoire;
on comprendra par conséquent que les troubles symptomatiques liés il ces
désordtes de canalisation soient passagers.
Jusqu'ici, tout va assez bien dans la théorie, mais, nous ne devons pas
oublier que nous ignorons :
1° Pourquoi l'excitation desnerfs vaso-moteurs sylviens est mise en jeu
périodiquement sous forme d'accès ; 1
2° Pourquoi telle artériole est affectée plutôt que telle autre ; : 3° Enfin pourquoi les accidents habituellement passagers deviennent
ainsi que nous l'avons vu, quelquefois permanents.
Pour ce dernier point cependant, il n'est peut-être pas impossible de
proposer une explication vraisemblable. La fréquente répétition du
spasme finit à la longue par amener dans les vaisseaux d'ailleurs prédispo-
sés par la diathèse arthritique, des lésions portant sans doute sur la mem-
brane interne, une sorte d'endartérite capable de déterminer une lésion
de canalisation permanente. Ainsi, l'aphasie deviendra durable si cette
lésion organique consécutive s'est établie dans l'artériole de la circonvo-
lution de Broca ; l'hémiopie si c'est celle dupli courbe, etc.,»etc.
A l'appui de cette hypothèse on pourrait citer un cas de M. Galezowsky
qui au congrès de Londres a dit avoir vu chez un maladeatleint de migraine
opltllalmillue des troubles permanents delà vision s'établira la suite d'un
accès. Dans ce cas, il s'était formé une thrombose de l'artère centrale de
la rétine.
Je n'attache pas bien entendu à cette théorie plus d'importance qu'elle
n'en mérite, et, si je l'ai développée, c'est parce qu'elle me paraît rendre
raison d'un certain nombre de faits, et que d'un autre côté elle a l'avan-
tage de bien réunir les questions pendantes. L'avenir dira si elle doit être
remaniée du tout au tout, ou si, au contraire elle n'a besoin que d'être
complétée et modifiée sur certains points.
J'en viens enfin au dernier point dont je veux vous parler à propos de
notre malade.
Il s'agit du traitement que je préconise pour les cas graves. Il n'est
pas fondé sur la théorie ; il est de provenance surtout empirique. Les
analogies entre les attaques d'épilepsie survenant par accès et la migraine
ophtalmique ne sont pas incomparables ; quelques cas où il y a alter-
nance de l'épilepsie et de la migraine ohhthalmicluc semblent établir qu'il
12 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
existe entre ces deux sortes d'accident une certaine relation. Cela m'a
conduit à penser que' le bromure de potassium administré méthodique-
ment et à doses suffisantes pourrait dans la migraine ophtalmique,
comme il le fait dans l'épilepsie, rendre des services. Je procède d'ail-
leurs identiquement comme pour l'épilepsie.
Cette méthode si je ne me trompe, a réussi plusieurs fois dans des
cas où les accidents inquiétants semblaient en raison de leur persistance
après l'accès plus que de coutume, vouloir s'établir d'une façon définitive.
Les accès se sont éloignés, ils sont devenus moins intenses, moins longs,
le plus souvent même les accidents concomitants ont cessé de les accom-
pagner.
L'heure est très avancée et je m'aperçois que je n'ai pas eu le temps
de vous parler de notre musicien ; j'espère qu'il ne nous en tiendra pas
rigueur et qu'il voudra bien se présenter à nous de nouveau, dans la le-
çon prochaine. '
PARALYSIE BILATÉRALE DU DELTOIDE
PAR ÉLONGATION DES DEUX NERFS CIRCONFLEXES
par
F. RAYMOND
Professeur de Clinique des Maladies du Système Nerveux.
1 Leçon faite à la Salpêtrière, le 23 novembre 1894, recueillie par
A. SOUQUES
Chef de Clinique.
Messieurs,
J'ai l'intention de soumettre aujourd'hui à votre examen un cas simple,
facile à diagnostiquer, un véritable « cas d'étude M. Il s'agit, pour vous le
dire de suite, d'une paralysie deltoïdienne, survenue dans des conditions
fort singulières. Vous verrez qu'en dépit de sa simplicité, le cas mérite
d'attirer l'attention à beaucoup de titres. Tout d'abord, celle paralysie
deltoïdienne est double, symétrique et rigoureusement limitée aux mus-
cles deltoïdes. Les faits de ce genre doivent être exceptionnels : je n'en
connais, pour mon compte, aucun autre exemple, présentant ce caractère
de pureté et de bilatéralité. D'autre part, les circonstances étiologiques et
le mécanisme pathogénique, qui ont présidé à son développement, com-
portent des considérations intéressantes, d'ordre, anatomique, que je me
réserve de vous exposer au moment voulu. Je profiterai de l'occasion,
qui m'est fournie, pour poser le premier jalon d'une étude que je compte
reprendre plus tard, avec tous les développements qu'elle exige, c'est-à-
dire pour commencer l'étude des paralysies motrices, considérées au dou-
ble point de vue de leurs lésions causales et de leur siège central ou péri-
phérique.
Aujourd'hui, à propos du sujet que je vais vous présenter, je veux
me borner à discuter les trois points suivants : ce malade est-il atteint
d'une paralysie isolée du muscle deltoïde, ou bien la paralysie s'étend-
elle à des muscles qui, comme le grand dentelé et le sous-épineux, sont
synergiques du premier ? Quelle est la nature et l'origine de cette paraly-
sie : est-elle dynamique ou organique et, dans ce dernier cas, s'agit-il de
lésions matérielles centrales ou périphériques; autrement dit, ces lésions
ont-elles pour siège le cerveau, la moelle, le nerf ou le muscle ? Quel est
enfin le mécanisme de cette paralysie ?
14 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Une fois cetle triple question résolue, il ne-me restera qu'a souligner
brièvement le pronostic et la thérapeutique du cas. Mais avant d'aborder
la discussion de ces différents problèmes, permettez-moi de vous résumer
;'1 grands traits l'histoire du malade.
- C'est un homme de 24 ans qui exerce, il Paris, depuis deux mois envi-
ron, le pénible métier de facteur auxiliaire'des postes. Les renseigne-
ments qu'il nous a fournis sur sa famille ne donnent prise il aucun soup-
, çon de lare névropatlriclue héréditaire. Quant à lui, il a vécu au milieu
des champs, dans la Drôle, jusqu'à ! 'age de la conscription, sans jamais
être malade. Il affirme très catégoriquement qu'il n'a jamais contracté de
maladie vénérienne et qu'il n'a jamais fait d'excès alcooliques. Le -1 el' sep-
tembre dernier, il est entré dans l'administration des Postes, en qualité
de « leveur de boîtes ».
Depuis son séjour à Paris, cet homme avait pris l'habitude intermit-
tente de dormir, étendu- sur le dos, les membres supérieurs relevés et les
mains jointes derrière la nuque.
- Le 13 oclobre dernier, après s'être couché, vers onze heures du soir,
bien portant et sans avoir présenté rien d'anormal dans la journée, il
s'endort dans celte attitude bizarre.Or le lendemain malin, en se réveil-
lant à son heure habituelle, il s'aperçut avec stupéfaction qu'il ne pouvait
plus lever son bras droit. Il ressentit en même temps, dans ce même côté
droit, au niveau de la région deltoïdienne, une douleur conlusive et cons-
tata, dans 'cette région, des secousses musculaires superficielles et assez
violentes. La région delloïdienne du côté gauche était également le siège
d'une douleur coiiiusivé, mais moins forte que du côté opposé. Il pouvail,
en effet, lever encore le bras correspondant. Mais trois heures après le
réveil, le deltoïde gauche était envahi, à son tour, par les secousses ii"ril-
la ires qui persistèrent quelques heures et la paralysie s'était établie dans
ce même côté. Seules, les épaules étaient paralysées; les muscles des bras,
des avant-bras et des mains étaient complètement respectés.
Notre malade se trouva ainsi dans l'impossibilité de reprendre son ser-
vice. Il souffrit des épaules pendant toute la journée et pondant toute la
nuit suivante. Le lendemain, 15 septembre, les douleurs de la région del-
toïdienne s'atténuèrent, mais reparurent, dans la nuit, et empêchèrent
encore le malade de dormir. Depuis lors, ces douleurs sont restées exclu-
sivement nocturnes et tolérables.
*
..
Au moment de l'entrée de ce malade dans le service, M. Souques, mon'
chef de clinique, a constaté l'existence d'une paralysie deltoïdienne double
PARALYSIE BILATÉRALE DU DELTOIDE 15
qui subsiste encore aujourd'hui, comme je vous le montrerai dans un ins-
tant. Cette paralysie bilatérale était, et est encore, plus accusée à droite
qu'à gauche. A l'inspection des épaules, on ne voyait rien d'anormal,
c'est-à-dire ni secousses fibrillaires ni affaissement dans la région des del-
toïdes, en rapport avec une atrophie de ces muscles. Les denxbras étaient
pendants de chaque côté, le long du thorax. Le malade était dans l'impos-
sibilité de les déranger de celte attitude; il pouvait à peine esquisser un
léger écartement du bras gauche. C'est vous dire qu'il ne pouvait aucune-
ment élever ses membres supérieurs. Ainsi, quand on lui demandait de
faire un effort pour les soulever, la main de l'observateur, appliquée sur
l'épaule, ne percevait aucune contraction deltoïdienne. La rotation des
humérus en dedans s'effectuait cependant dans de bonnes conditions ; leur l'
rotation en dehors, au contraire, était très. limitée. De même, les mouve-
ments qui portent le bras en avant ou en arrière étaient à peine ébauchés.
Enfin, détail significatif, cet homme éprouvait une grande difficulté à in-
troduire ses mains dans ses poches et surtout,à les en retirer.
Nous nous trouvions donc bien en présence des signes d'une paralysie
dettoïdienne. Vous savez tous, je suppose,. que la contraction du deltoïde
j'entends de la totalité du muscle - produit l'élévation et l'abduction
directe du bras, qui va s'écartant du tronc jusqu'à atteindre la situation
horizontale. Pour que le bras puisse continuer de s'élever jusqu'à la verti-
cale, il faut,' comme vous le savez, que le grand dentelé intervienne.
Mais continuons, Messieurs, l'examen du malade à son entrée dans le
service. Ses réllexes tendineux, au niveau du coude et du poignet, étaient
normaux et égaux de chaque côté. La force musculaire des mains, explo-
rée au dynamomètre, était parfaitement conservée.
Pour ce qui concerne l'état de la sensibilité, notre malade accusait dans
les deux régions deltoïdiennes un endolorissement vague durant le jour,
s'exaspérant la nuit par paroxysmes, au point de troubler le sommeil. D'au-
tre part, fait beaucoup plus remarquable, on constatait dans la zone d'in-
nervation cutanée du nerf circonflexe, de chaque côté, une hypoesthésie
très manifeste, portant sur tous les modes de la sensibilité. Enfin, d'a-
près une note qui m'a été remise par M. Iluet, l'examen électrique a four-
ni des résultats que je vais vous résumer en quelques mots. L'excitabilité
faradique et galvanique directe des diverses parties du deltoïde était très
affaiblie; et on constatait les signes de la réaction partielle de dégél1eres-
cence, plus ou moins accusée, dans les divers segments des deux muscles
deltoïdes. Je dois ajouter que l'excitabilité galvanique et faradique du
sous-épineux paraissait un peu faible, comparativement à celle des autres
muscles voisins, mais cela peut être expliqué par la situation profonde de
ce muscle. Recouvert qu'il est, en grande partie, par les faisceaux posté-
1G NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
rieurs du deltoïde, très développés chez notre malade, le sous-épineux est
,en effet difficilement accessible aux excitations électriques.
*
..
Ces renseignements connus, examinons maintenant ensemble la situa-
tion actuelle de noire malade. Il s'agit, comme vous le voyez, d'un sujet
de taille moyenne, très vigoureusement musclé. Sur son visage vous aper-
cevez, de temps en temps, de légères secousses involontaires, non rythmées,
non systématisées. C'est un vulgaire tic, c'est-à-dire un mouvement habi-
tuel, devenu inconscient à force d'être répété. Je ne fais que vous le signa-
ler en passant. -
Vous voyez, Messieurs, que ce malade peut exécuter avec ses mains,
avec ses avant-bras, tous les mouvements qu'on lui commande et qu'il les
exécute avec régularité, avec énergie, d'une manière normale, en un mot.
Il n'en est plus de même, lorsque je le prie d'écarter les bras du tronc.
L'abduction est certainement très limitée, surtout dans le bras droit, mais
elle est un peu plus étendue qu'au début. Si je lui demande d'élever les
bras, vous constatez qu'il ne peut y arriver; de même, si je lui dis de les
porter en arrière ; en avant, il le peut encore mais dans une certaine
limite. Il lui est possible aujourd'hui d'introduire la main dans la poche
et de l'en sortir. Mais l'épaule ne peut être soulevée et c'est à peine si,
dans l'effort, vous apercevez quelques tentatives de contraction du côté des
deltoïdes.
On ne voit, cependant, aucune secousse librillaire dans ces muscles.
Mais les réactions idio-musculailes, provoquées par la percussion, y sont
un peu lentes. En outre, et c'est là un point sur lequel je tiens à insis-
ter, il existe du côté des deltoïdes, un léger degré d'atrophie musculaire.
L'examen électrique, récemment pratiqué, montre que la réaction partielle
de dégénérescence tend, à l'heure actuelle, à s'amender. Veuillez remar-
quer, que le malade peut écrire facilement et qu'il peut coudre. Vous
verrez, tout à l'heure, la raison de ces détails. Du côté de la sensibilité,
les troubles objectifs commencent il s'atténuer. Les douleurs, spontanées
ou provoquées, ont disparu. J'ajoute enfin que l'état général est très satis-
faisant.
*
.. x ,
Le simple récit que je viens de vous faire vous a déjà fixé sur un dia-
gnostic qui saute aux yeux, si je puis m'exprimer ainsi. Il s'agit, ;i n'en
pas douter, d'un cas de paralysie deltoïdienne bilatérale.
Mais y a-t-il exclusivement paralysie des muscles deltoïdes ? En d'autres
termes, la paralysie ne s'étend-elle pas soit au grand dentelé, soit au sous-
épineux, dont l'action est, dans une certaine mesure, synergique de celle
du deltoïde ?
PARALYSIE BILATÉRALE DU DELTOIDE 17
Si je pose cette question, c'est parce que cette sorte d'association est
relativement fréquente. Ceci mérite quelques éclaircissements. Duchenne
de Boulogne (1) a fait remarquer que l'atrophie ou la paralysie du
grand dentelé n'occasionne aucune difformité notable pendant le repos
musculaire, et ne peut être décelée que lorsque le sujet élève le bras, ou
bien lorsqu'on provoque un mouvement d'élévation au moyen de la farà-
disation localisée. On voit alors le scapulum exécuter un mouvement de
basculé et de rotation, en vertu duquel l'angle inférieur de l'omoplate
s'élève en se rapprochant de la ligne médiane, tandis que son bord spinal
s'écarte de la paroi thoracique. Ce mouvement fera défaut, si la paralysie
du grand dentelé s'associe à la paralysie du deltoïde.
D'autre part, Duchenne avait également remarqué que l'action syner-
gique du deltoïde et du grand dentelé intervient dans le mouvement de
projection des épaules en avant. Quand on exécute ce mouvement, le bord
spinal de l'omoplate se trouve porté en dehors et en avant, du fait de la
contraction du grand dentelé. Si ce muscle est paralysé, le bord spinal
reste en place et c'est l'angle externe du scapulum qui se trouve entraîné
en avant, du fait de la' contraction du grand pectoral.
C'est précisément ce qui n'a pas lieu chez notre malade. C'était à pré-
voir, puisque l'exploration électrique des grands dentelés nous a montré
une contractilité intacte. -
Quant à l'association de la paralysie du sous-épineux à celle du deltoïde,
elle se traduit, toujours d'après les recherches de Duchenne, par une diffi-
culté particulière de l'écriture. Cette difficulté tient à l'impossibilité où
se trouve le sujet d'imprimer, à son avant-bras fléchi sur la table, les
mouvements de dedans en dehors, grâce auxquels la plume se déplace sur
le papier dans le sens transversal. Dans ces conditions, l'écriture ne de-
vient possible que si, à l'aide de sa main gauche, le sujet déplace sa main
droite, au sur et à mesure que celle-ci trace de nouveaux caractères. Je
pourrais ajouter que la paralysie du sous-épineux apporte encore une gêne
semblable à l'exercice de certaines professions ; elle met, par exemple,
les personnes employées à des travaux de couture, dans l'impossibilité de
tirer l'aiguille de dedans en dehors. Mais je ne veux pas insister davan-
tage sur ces particulartiés. Je ne me suis appesanti sur ce point quepour
mieux souligner, chez notre malade, l'absence de ces différents troubles
et faire ressortir par contraste l'existence, dans le cas qui nous occupe,
d'une paralysie isolée des deux muscles deltoïdes. L'étiologie, d'ailleurs,
va nous montrer qu'il doit en être ainsi.
.
.. *
Les circonstances dans lesquelles est survenue cette paralysie bilatérale
(1) Duchenne. De l'électrisation localisée, 2e édition, p. 710.
vin 2
18 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
du deltoïde, et sur lesquelles le malade a été le premier à attirer notre
attention, devaient naturellement nous faire songera une paralysie par
compression el distension du nerf circonflexe. Je vais essayer de vous dé,-
montrer que c'est bien là, en ell'et, le mécanisme à invoquer. -
Vous savez que le nerf circonflexe est une des branches terminales du
plexus brachial, et qu'après, s'être détaché d'un tronc qui lui est commun
avec le. radial, il chemine le long de la face interne du muscle sous-scapu-.
laire. Puis, il contourne le bord inférieur de .ce muscle pour envelopper,
à la façon d'un arc de cercle, le col chirurgical de 1'litiiiiéiuis.'In(lépeii dam-
ment, de ses branches motrices terminales, qui s'épuisent dans la masse
du deltoïde, ce nerf fournit une branche collatérale motrice, destinée au
muscle petit rond et un rameau cutané sensitif qui s'épuise dans la peau
de l'épaule.
¡
Le schéma que vous avez sous les
yeux (Fig. 1 et 2), mis.en parallèle
avec la préparation anatomique ci-
jointe, vous montre une superposi-
tion parfaite entre la zone d'liypoes-
thésie, notée chez notre malade, et le
territoire de distribution cutanée
de ce rameau sensitif. D'autre part,
en examinant cette préparation (1),
vous pourrez aisément vous convain-
cre qu'en donnant au membre supé-
rieur l'altitude prise et gardée par
notre malade, durant la nuit qui a
précédé sa paralysie, le nerf circonflexe se trouve soumis à une tension
très manifeste.
C'est vraisemblablement à une tension analogue qu'ont été soumis les
nerfs circonflexes du malade, pendant son sommeil. Ce n'était cependant
pas la première fois que cet homme s'endormait dans cette attitude singuliè-
re. S'il n'en avait éprouvé jusque là aucun inconvénient, il est permis de
supposer que l'attitude avait été gardée moins longtemps ou avait été moins
exagérée^ c'est-à-dire que les nerfs circonflexes avaient subi une tension
moins considérable ou moins prolongée. Quoiqu'il en soit de cette hypo-
thèse, fort plausible en vérité, notre malade s'est réveillé, le 14 octobre,
avec une paralysie bideltoïdienne, après avoir dormi toute la nuit dans la
position que je vous ai indiquée. 1
Il s'est passé ici, Messieurs, si je ne m'abuse, ce qui se passe dans le
(1) Pièce anatomique (tête, cou, membres supérieurs et tronc d'un cadavre) disséquée
M. A. Julien. 1
Fig. 1 et 2.
PARALYSIE BILATÉRALE DU DELTOIDE 19
cas de ces paralysies radiales, dites a frigorie, qui surviennent pendant le
sommeil. Un sujet s'endort profondément, couché sur l'un des côtés, ha-
bituellement sur le côté droit, ou bien la tête reposant sur le bras replié
comme sur un oreiller. Dans les deux cas, le nerf radial se trouve com-
primé à sa sortie de la gouttière de torsion, au point où il contourne le
bord externe de cet humérus . En raison du profond sommeil du sujet,
la compression, malgré la douleur qui en résulte, se prolonge assez'
longtemps pour produire une paralysie plus ou moins durable du nerf
radial. Comme dans un certain nombre de cas, celle paralysie a été obser-
vée chez des gens qui avaient dormi en plein air, sur le sol, ou près d'une
fenêtre ouverte, on a cru devoir incriminer le froid. Mon collègue, M. le
professeur Panas, a fait justice de cette théorie a /1`iyoe et lui a subs-
titué le mécanisme compressif que je viens de vous rappeler. Cette inter-
prétation de M. Panas, iL peu près universellement acceptée jusqu'ici, me
semble comporter actuellement une petite restriction. Mon collègue et ami
Debove (1) a montré récemment que la paralysie radiale se produisait par-
fois à la suite de certaines attitudes (pronation forcée) imprimées au bras
et maintenues pendant quelque temps, attitudes forcées qui soumettent le
nerf radial aune véritable élongation. Il y a tout lieu de croire que c'est
par un mécanisme analogue qu'a dû se produire la paralysie des deltoïdes
chez notre malade. '
Je suis sûr qu'en m'entendant discuter l'étiologie de cette paralysie bi-
de) toïdienne, vous vous demandez comment il se l'ait que tous les gens
qui dorment, comme notre malade, les bras repliés derrière la tète, ne se
paralysent pas leurs muscles deltoïdes. La paralysie deltoïdienne, surve-
nant dans ces conditions, n'est pas en effet chose fréquente. Elle est très
rare, si je ne me trompe, exceptionnelle môme. Quoi qu'il en soit, je
pense être en mesure de vous répondre d'une manière satisfaisante.
A mon instigation, MM. Jean Faure et A. Julien ont entrepris, à l'am-
phithéâtre de Clamart, des recherches dont il est temps de vous faire con-
naître les résultats. Laissez-moi vous rappeler, d'abord, que dans la posi-
tion prise par notre malade, la tête humérale proémine dans l'aisselle,
où elle fait assez fortement saillil le muscle sous-scapulaire. Si par hasard
le nerf circonflexe n'est pas sinueux,\\ est aisé de concevoir qu'il sera alors
distendu et comprimé sur la face antérieure et sur le bord inférieur de ce
dernier muscle, ainsi que'sur le col de l'humérus. Or MM. Faure et Julien
ont précisément constaté ce fait sur le premier cadavre qu'ils ont étudié
à cet égard. N'allez pas croire que le phénomène soit fréquent. Il doit être,
te pense, extrêmement rare. Sur quatre autres cadavres, examinés par la
(I) DI : BON LI 1,"I' lllIUIlL. Des paralysies par élongation des nerfs. Médecine moderne. 1802,
p. 130. '
20 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
suite, le nerf circonflexe, très sinueux, n'a jamais pu être, en effet, ni
comprimé ni distendu, quelque extrême que fût la position donnée au
membre supérieur. Ces résultats sont d'ailleurs, en parfait accord avec cette
remarque de Cruveilhier (1), à savoir que si, le plus souvent, le trajet
des nerfs est rectiligne, il est des nerfs cependant qui décrivent des zig-zags,
à la manière des artères.
Il me semble que nous avons maintenant, grâce aux recherches des sa-
vants anatomistes dont je vous parlais plus haut, l'explication précise que
nous cherchions tout à l'heure. Pourquoi l'altitude en question a-t-elle
provoqué chez noire malade une paralysie deltoïdienne ? Pourquoi nom-
bre de personnes, s'endormant dans la même position, se réveillent-elles
sans paralysie ? Parce que, chez le premier, le nerf circonflexe doit avoir l'
un trajet recliligine, tandis qu'il a un trajet sinueux chez la plupart des
gens. C'est là, Messieurs, un détail anatomique qui mérite d'être mis en lu-
mière et que je tenais à souligner expressément.
Du moment que cette paralysie bilatérale a été la conséquence d'un
véritable traumatisme du nerf circonflexe, on peut a priori en recon-
naître la nature. Il s'agit ici, à n'en pas douter, d'une paralysie neuroti-
que, c'est-à-dire, consécutive à des altérations du nerf lui-même. Ce dia-
gnostic se trouve, d'ailleurs, corroboré par les données de la clinique. La
paralysie motrice, chez notre malade, s'accompagne d'hypoesthésie dans
le territoire cutané du circonflexe. Ce seul caractère suffirait, à la ri-
gueur, pour affirmer que nous avons affaire à une paralysie par lésion
d'un nerf mixte. En outre, l'examen électrique des muscles paralysés
nous a révélé l'existence d'une réaction partielle de dégénérescence. Cette
réaction dénote, comme vous le savez, que les muscles paralysés sont le
siège d'altérations dégénératives, qui se développent quand les muscles
en question sont soustraits à l'influence de leurs centres trophiques, au-
trement dit à l'influence des cornes antérieures de la moelle. Par consé-
quent la cause de cette paralysie deltoïdienne ne peut siéger que dans les'
centres trophiques spinaux ou dans les filets nerveux qui en émanent.
(1) C1u1vEiLi11r.11 {Traité d'anatomie descriptive, IV0 édition, t. 111, p. 485), parlant de
la direction générale des nerfs, s'exprime ainsi : « Les nerfs ont, en général, une di-
rection rectiligne et ne présentent que juste la longueur qu'il leur faut, pour aller de
leur point d'origine à leur point de terminaison ; de telle sorte que si les mouvements
dépassent leurs limites accoutumées, les nerfs peuvent être le siège de tiraillements
funestes. Cependant, il est un grand nombre de nerfs qui se dévient dans leur trajet,
pour décrire un arc de cercle et même pour se réllvcLir sur eux-mêmes dans un sens
entièrement opposé il leur direction première. 11 en est d'autres qui dérivent des zig-
zags, à la manière des artères, mais ces llexuosités s'effacent dans certaines attitudes
ou pendant la distension des organes ».
PARALYSIE BILATÉRALE DU DELTOIDE 21
Or, la première hypothèse, celle d'une lésion des cornes antérieures,
doit être rejetée dans le cas actuel. En effet, la paralysie n'a été ici ni de-
vancée ni accompagnée par l'atrophie musculaire, comme c'est la règle
dans les faits de poliomyélite antérieure aiguë. D'ailleurs, il est malaisé de
concevoir une lésion bilatérale des cornes, limitée aux centres trophiques
des deltoïdes. Enfin l'existence de troubles de la sensibilité : douleurs, hy-
poestllésie, plaident encore contrecette hypothèse que je viens de soulever.
Il en est une autre, qui pourrait peut-être se présenter à votre esprit, celle
d'une paralysie hystéro-traumatique. Mais d'abord la constatation de la
réaction dégénérative permet de l'écarter d'emblée. D'autre part, les pa-
ralysies hystéro-traumatiques s'accompagnent le plus souvent d'une anes-
thésie plus franche et autrement délimitée. J'ajoute que notre malade ne
présente aucun stigmate de l'hystérie. Il ne viendra, je pense, à personne
l'idée de soupçonner à l'origine corticale d'une pareille monoplégie bidel-
toïdienne. Tous les caractères cliniques que nous avons relevés, chemin
faisant, chez notre sujet, parlent contre une semblable supposition.
En résumé, après élimination comme Il priori, nous arrivons à cette
conclusion qu'il s'agit d'une paralysie d'origine neuroti jne, consécutive à
/ une contusion, ou mieux à une élongation des nerfs circonflexes, élonga-
tion déterminée elle-même par une attitude forcée des deux membres su-
périeurs, chez un homme ayant vraisemblablement les nerfs circonflexes
rectilignes, non sinueux.
Il me semble inutile de revenir sur la symptomatologie très simple de
la paralysie du deltoïde l'histoire de notre malade vous a suffisamment
édifiés sur ce point ni sur la facilité du diagnostic. Je veuxsimplement,
avant de terminer, vous rappeler quelques considérations générales d'or-
dre étiologique.
Les causes habituelles de la paralysie unilatérale du deltoïde peuvent se
résumer en trois mots : refroidissement, rhumatisme et arthrite de l'arti-
. culation scapulo-humérale, traumatismes. Les paralysies traumatiques
du deltoïde sonl, de beaucoup, les plus fréquentes. On les a vues surve-
nir à la suite d'une contusion ou d'une compression prolongée du muscle
ou de son nerf (par les béquilles par exemple), à la suite d'une chute,
d'un coup de feu, etc., mais surtout, retenez bien ce détail, à la suite
d'une luxation de la tête humérale. Le mécanisme, dans cette dernière
condition, nerappelle-t-il pas, dans une certaine mesure, celui que nous
avons invoqué chez notre malade ? C'est là, du reste, la seule analogie
due l'on puisse établir, car, ainsi que je vous l'ai déjà fait observer, je
22 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE -
ne connais pour mon compte aucun exemple de paralysie bilatérale du
deltoïde, survenue dans les mêmes conditions (1).
Je serai bref, Messieurs sur le pronostic de la paralysie deltoïdienne. Il
dépend, d'une manière générale, de la nature des lésions musculaires ou
neurotiques qui sont en jeu. Chez notre malade, ce pronostic est des plus
favorables. La paralysie est déjà en voie de résolution ; l'atrophie muscu-
laire est fort peu accusée, et les signes de la réaction de dégénérescence
tendent, si je puis m'exprimer aussi, vers la régression. Bref, cet homme,
déjà très amélioré, n'est pas loin de la guérison définitive.
En fait de traitement, nous avons utilisé les courants faradiques, à in-
termittences assez espacées. Les courants faradiques remplacent, dans une
certaine mesure, l'excitant naturel ; ils provoquent la contraction et entre-
tiennent ainsi le fonctionnement du muscle, en attendant que l'influx
nerveux puisse parvenir jusqu'à la fibre musculaire. Je vous ferai remar-
quer que ces courants agissent indirectement sur la nutrition du muscle,
en activant, au moyen, des contractions provoquées, la circulation intra-
musculaire. Il est aussi possible que, par voie réflexe, ils aillent exciter
les centres trophiques médullaires correspondants.
Sous l'influence de ce traitement électrique, notre malade a déjà obtenu
une amélioration très appréciable. J'espère pouvoir vous le montrer bientôt
en état de guérison complète (2). J'ai tenu il vous le présenter auparavant,
afin de vous convaincre que les cas simples constituent toujours, quand on
les scrute profondément, une source inépuisable d'études intéressantes et
d'enseignements féconds.
(1) Il existe quelques faits de paralysie traumatique bilatérale dans le domaine du
plexus brachial. Celui de llEIHOE.\1\IJT (Neurologisches Cenlmlblat 1892), peut servir de
type. Il s'agit d'un cas de paralysie bilatérale du type Duchenne Erb, chez une femme
sur laquelle on pratiquait une ovariotomie. Cette femme resta pendant plus d'une heure
le bassin élevé, tandis qu'un assistant lui serrait fortement les bras en haut et en arrière.
Quand elle sortit du sommeil'chloroformique, elle avait les deux bras paralysés. 11 est
à supposer que, dans cettre traction des bras en haut et en arrière, les deux clavicules
sont venues heurter les plexus brachiaux et les ont comprimés contre les apophyses
transverses des vertèbres cervicales. 6-è
(2) Actuellement la guérison est pour ainsi dire complète. Les divers mouvements
des bras ont retrouvé une étendue et une énergie à peu près normales. L'élévation des
deux bras jusqu'u la verticale est non seulement possible mais encore très facile. (Note
du 7 janvier 1895.
LA NOTION ÉTIOLOGIQUE DE L'HIJRIJDO-S1'PIIILIS
DANS LA.
MALADIE DE LITTLE
PAR
A. FOURNIER et GILLES DE LA TOURETTE
Professeur des maladies cutanées Médecin des Hôpitaux
et syphilitiques .
Nous désirons attirer l'attention sur deux observations où l'influence
de l'hérédo-syphilis se montre évidente, à notre avis, dans l'étiologie
jusqu'ici obscure du tabès congénital spasmodique ou maladie de Little. Ces
deux faits présentent en outre quelques particularités intéressantes que
nous signalerons chemin faisant.
Ous. I. Louis X... âgé de 4 ans, vient en novembre 1893, accompagné
de sa mère, à la consultation de la Clinique des maladies cutanées et syphilitiques,
hôpital Saint-Louis, pour une « paralysie » des membres inférieurs.
La mère bien portante, âgée de 30 ans, a mis au monde L. X... après 6 mois 1/2
de gestation. Un an après, elle a fait une fausse couche de 4 mois. Elle a un
deuxième enfant, actuellement âgé de 2 ans, qui paraît se hien porter et n'est
pas paralysé. Vers rage de 9 mois il aurait eu au cou un abcès ( ? ) qu'on a
incisé. (Cet enfant est mort du croup en mars 1891 ; quelque temps après la
mère a fait une fausse couche de 5 mois 1/2).
Le père de Louis X..., âgé de 34 ans, a eu la syphilis.
Louis X... est donc venu au monde à 6 mois 1/2. On constata chez lui une
faiblesse générale qui fut naturellement attribuée à sa naissance avant terme.
Cependant cette faiblesse persista sous une forme un peu particulière. Alors
que les fonctions digestives étaient normales, que la santé en un mot laissait
peu à désirer, les 4 membres semblaient frappés de paralysie, au moins les
membres inférieurs. De même, l'enfant ne pouvait se tenir assis, il fallait qu'il
restât couché ou appuyé sur les bras, les reins ne le soutenant pas (PI. l'et II).
Vers )'age de 12 à 14 mois, les mouvements des bras s'améliorèrent et devin-
rent presque normaux, surtout pour le membre supérieur gauclie, le bras droit
devenant raide, difficile il plier, lorsqu'on voulait habiller l'enfant.,Cette raideur
disparut elle aussi peu il peu, mais le bras droit resta toujours plus faible,
moins gros que le bras gauche.
24 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Vers la môme époque, les membres inférieurs firent eux aussi des progrès : ail
savoir que l'enfant les souleva mieux du plan horizontal du lit, « gigotta » da-
vantage lorsqu'on l'emmaillottait. Mais, parallèlement avec les mouvements,
apparut une raideur qui devint de plus en plus marquée, surtout au membre
inférieur gauche. La mère a souvent noté que, si l'on cherchait à fléchir les
jambes raides de l'enfant en appuyant la plante du pied sur la paume de la
main, on déterminait l'apparition d'un « tremblement » qui n'est autre chose
que de la trépidation spinale.
Depuis l'âge de 15 il 18 mois ces phénomènes sont restés à peu près station-
naires.
Actuellement (nov. 1893) les membres supérieurs, qui sont peut-être un peu
raides (surtout le droit), possèdent tous leurs mouvements.
Quant aux membres inférieurs, si on les considère pendant que l'enfant est
couché, on remarque qu'ils sont accolés l'un à l'autre surtout dans le segment
crural, que l'enfant les sépare avec peine pour les soulever du plan horizontal.
La cuisse gauche en particulier est moins grosse que la cuisse droite.
Les pieds offrent un aspect spécial, intéressant à considérer, surtout lorsque
l'enfant est debout.
Il faut d'abord dire que Louis X. n'a jamais pu marcher ; bien que les jam-
bes soient raides, elles fléchissent sous lui, lorsqu'on essaye de le faire tenir
debout. Louis se traîne par terre comme un cul-de-jatte ; il peut encore pro-
gresser sur les genoux en s'aidant des membres supérieurs (Pl. I et II).
Dans toutes ces positions, les pieds restent constamment en équin direct; ils
ne peuvent être fléchis sur la jambe car il existe une rétraction manifeste du
tendon d'Achille des deux côtés. Les réflexes rotuliens sont exagérés ; on cons-
tate de la trépidation spinale, surtout marquée à gauche. Pas de paralysie
du sphincter vésical ou anal ; l'enfant « a été propre » d'assez bonne heure.
Louis X... présente divers stigmates de syphilis héréditaire. Disons cepen-
dant qu'il est fort intelligent, causant très bien, bavard même, et répondant
malgré son âge aux questions qu'on lui pose avec un certain à propos.
Le crâne rappelle assez bien l'aspect d'une carène de navire avec sa bosse
centrale saillante, limitée par deux dépressions latérales. Jamais de plaies ni
d'écorchures sur le tégument cutané. Les ongles du pied gauche, membre le
plus atteint, sont mal nourris, striés transversalement, et se cassent facile-
ment. Les deux pieds sont d'ailleurs toujours froids.
Le sternum fait une saillie bombée en avant. Les yeux et les oreilles sont
sains ; de même pour le nez.
Les dents sont caractéristiques. Elles ont poussé tard, irrégulièrement, et
certaines d'entre elles offrent l'aspect suivant : Incisive médiane supérieure
gauche, deux larges cupules latérales ; incisive médiane supérieure droite,
2 cupules également ; l'une d'elles a favorisé une large brisure de la dent.
Incisive latérale supérieure droite détruite ; il ne reste que trois cuspides acu-
minées. Incisive latérale gauche supérieure, il ne reste que deux cuspides
pointues. Il existe un léger sillon sur l'incisive médiane inférieure gauche. Les
canines supérieures droite et gauche sont normales. Les canines inférieu-
LA NOTION ÉTIOLOGIQUE DE L'IIÉRÉDO-SYPÜILIS DANS LA MALADIE DE LITTLE 25 5
res sont malformées, amincies. Les prémolaires inférieures sont cariées à
droite ; à gauche, la dernière est également cariée. En haut, la première
prémolaire droite est amincie; la première prémolaire gauche présente de l'a-
trophie cuspidienne.
Les organes thoraciques et abdominaux sont sains : leur fonctionnement est
régulier. Pupilles normales.
Louis X... a fait quelques légères maladies ; une fois, sa mère l'a conduit il
l'hôpital des Enfants-Malades. On lui a ordonné des frictions avec une pom-
made grise (onguent mercuriel). « Ces frictions rendaient, dit-elle, les jambes
plus souples ».
Le diagnostic de tabes spasmodiquo infantile s'imposait, Il n'était pas non
plus douteux que Louis X... fut un hérédo-syphilitique. Dans ces conditions,
il fut soumis immédiatement à deux séries de 15 frictions avec 2 grammes
d'onguent mercuriel double, les deux séries séparées par un intervalle de
8 jours. Pendant un mois et demi consécutif, il prit par jour 1 gramme d'iodure
de potassium.
Ce traitement fut appliqué et rigoureusement surveillé dans le service de
M. Gilles de la Tourette à l'hôpital Cochin, où l'enfant entra en* décembre 1893
pour subir l'opération suivante.
Nous rappellerons que les deux pieds étaient en équin direct. Dans la sta-
tion debout, l'enfant soutenu par les épaules ne reposait que sur les orteils.
Lorsqu'on voulait fléchir le pied sur la jambe, on sentait que des 2 côtés le ten-
don d'Achille était manifestement trop court. La rétraction avait-elle eu lieu
par prédominance' d'action des muscles du mollet, contractures et immobilisés
dans cette position ? datait-elle de l'époque où les membres inférieurs étaient
flasques et où la pointe du pied se portait naturellement en bas sous l'action
du maillot ou des couvertures, cela était difficile à préciser; nous penchons
vers la première hypothèse. ,
Bien qu'il existât de la trépidation spinale, que la contracture fut en somme
encore active et qu'on pût craindre de voir la déformation se reproduire, il
fallait opérer parce que l'enfant grandissait vite et qne les os du pied mena-
çaient de se déformer.
Cet avis fut partagé par M. le Dr Beurnier, chirurgien des hôpitaux qui,
le 14 décembre 1893, fit la section du tendon d'Achille droit. Le membre in-
férieur fut placé dans un appareil plâtré d'où il fut retiré après 15 jours. La
soudure du tendon était parfaite. Le pied pouvait être fléchi sur la jambe norma-
lement.
Au mois de juin 1894, le pied-bot équin no s'étant pas reproduit, l'enfant
posant bien son pied à plat, section du tendon d'Achille gauche ; résultat opé-
ratoire immédiat et consécutif excellent. (PI. III).
Pendant toute la période qui s'étend de novembre 1893 il novembre 1894
l'enfant a été soumis au traitement mixte avec intervalles de repos de 15 jours
à un mois.
Aujourd'hui (janvier 1895) la trépidation spinale a presque complètement dis-
paru ; toutefois les 2 membres inférieurs sont toujours raides. Mais Louis X...
26 .NOUVELLE, ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
pose ses pieds. plat,. les cuisses ne. sont plus accolées l'une à l'autre et il peut
en somme progresser debout en se'tenant aux meubles, alors qu'il y a un an il
ue pouvait que se traîner sur les genoux. La mère a spontanément remarqué,
il plusieurs reprises, que les jambes devenaient « plus molles », c'est-à-dire
que les contractures diminuaient, en particulier pendant les périodes où l'en-
fant était soumis aux frictions mercurielles. Des massages légers, quotidiens,
dans le -sens de la longueur des membres, suivis de l'exécution répétée des
mouvements' physiologiques de flexion et d'extension paraissent avoir été éga-
lement fort utiles.
Ons. II. En novembre 1893, M. X... vient consulter M. le professeur
Fournier pour sa fillette qui est âgée de 11 mois et présente du côté des mem-
bres supérieurs et inférieurs des phénomènes qui l'inquiètent.
M. X ? s'est marié à 24 ans, en 1889. Trois ans auparavant, il avait eu la
syphilis. Son oncle paternel est ataxique.
Il a épousé Madame X..., délicate, anémique et névropathe, dont le père avait
été atteint d'une maladie de la moelle ( ? ) qui aurait guéri. Une tante aurait été
neurasthénique.
Après 10 mois de mariage, il est né, à terme; une fillette qui est morte à l'âge
de 17 mois d'une hroncho-pneumonie. `
. Cette enfant n'avait'jamais marché : sa tête se tenait difficilement, droite, rou-
lant d'une épaule sur l'autre, les reins faiblissaient constamment; les membres
supérieurs étaient maladroits, saisissant mal les objets que la main laissait vite
tomber. Les membres inférieurs d'abord mous, « paralysés », jusque vers le 4"
ou 5° mois, étaient' peu à peu devenus raides.
L'enfant paraissait intelligente, mais elle bégayait à peine et ne parlait pas ;
vers le 3 mois elle avait eu sa première dent. Lorsqu'elle mourut, elle en
avait 17, toutes en bon état. ,
Sa soeur, pour laquelle.on demande nos soins, est pour ainsi dire, nous affirme
le père, la. copie, mais un peu atténuée de son aînée. Elle est venue à terme le
25 décembre 1892; elle a donc 11 mois au moment où nous la voyous pour
la première fois (fin nov. 1893).
C'est une enfant assez grande pour son âge et ne présentant aucune anomalie
apparente de développement. La tète, est assez bien conformée. L'expression
générale de la physionomicest souriante quoique mêlée de tristesse, la nutri-
tion générale est satisfaisante. Elle' paraît intelligente bien qu'elle bégaye à peine
quelques mots inarticulés ; elle semble bien reconnaître les personnes de son
entourage. ,
La dentitioma été précoce chez elle; il 5 mois-elle avait 4 dents ; elle en a ac-
tuellement 7 ; nous ajoutons immédiatement que la dentition était terminée à
l'âge de 20 mois.
L'enfant est incapable de maintenir sa tête droite, ;i moins que celle-ci ne re-
pose par sa partie postérieure sur la poitrine de sa nourrice qui la tient sur ses
genoux : autrement elle s'incline à droite ou ;'1 gaucho. Ce soutien est aussi né-
" ....
NOUV. ICONOGR. DE LA SALY6fHILHF T VIII PL I, Il & III
MALADIE DE LITTLE
A et 13. Avant la double résection des tendons d'Achille. - C. Après l'opération.
L BATTAILLE ET C"
Éditeurs
LA NOTION ÉTIOLOGIQUE DE L;IIÉIiÉDO-SlPIIIL1S DANS LA MALADIE DE LITTLE 27
cessaire pour assurer la rectitude de la colonne vertébrale, le tronc s'infléchis-
sant à droite ou a gauche s'il n'est pas soutenu.
L'enfant lève très difficilement les bras, même si on l'en sollicite en lui offrant
un jouet, un objet brillant; le bras gauche en particulier est très impotent; il
est plus maigre que le droit.
Les membres inférieurs sont manifestement raides, on les plie sans force vu
l'âge de l'enfant mais, cependant, ils semblent être en extension constante. Les
réflexes tendineux semblent forts autant qu'il est possible d'en juger chez cette
enfant qui crie après quelques minutes d'examen; il n'existe pas de trépida-
tion spinale. La sensibilité est partout conservée sans êtro, à ce qu'il semble
exagérée.
Les pupilles réagissent bien à la lumière.
Il est impossible d'être renseigné sur l'étal des sphincters chez un enfant
de cet âge.
Depuis le mois de novembre 1893, nous avons reçu il différentes reprises des
nouvelles de cette fillette.
Le traitement prescrit avait été : frictions quotidiennes avec 1 à 2 grammes
d'onguent mercuriel simple. Continuer 15 jours, se reposer 15 jours et repren-
dre. Pendant la même période de trois quinzaines, mais sans interruption, faire
prendre de 0 gr. 30 à 0 gr. 50 d'iodure de potassium : faire ainsi trois séries
en laissant un intervalle d'un mois entre chaque période de traitement. Deux
bains sulfureux par semaine ; trois bains électriques (courants continus) suivis
de massages doux dans le sens de la continuité des membres.
Ce traitement semble avoir donné de bons résultats. A plusieurs reprises
M. X... nous a écrit : « le traitement, lorsqu'on le renouvelle, produit constam-
ment et sûrement une détente dans la raideur des membres inférieurs en parti-
culier, qui sont affectés davantage que les supérieurs ».
Malheureusement l'enfant a eu une grippe très forte, une coqueluche qui a
failli être mortelle; chaque période d'éruption dentaire a été marquée par une
aggravation au moins momentanée des symptômes. Il est à signaler qu'à 20 mois
(sept. 1894) la première dentition était complète mais que les dents se cariaient
sans qu'il eût existé de stomatite mercurielle.
A la date du 12 septembre 1894, nous recevions la lettre suivante : « L'en-
fant a 20 mois aujourd'hui, sa taille n'est pas encore ferme ; elle ne parle pas,
les'mouvements des bras ne sont pas réguliers et sont toujours raides. L'enfant
tète toujours, mais elle a maigri. Elle est assez nerveuse, très impressionnable
et les crises de la dentition augmentaient sa nervosité. Je répète que sous l'in-
fluence des frictions un mieux sensible se produisait et que l'ensemble de sa
santé s'est amélioré depuis. Déc. 1894. « Les jambes ont toujours de la ten-
dance à se raidir ; l'enfant porte assez fréquemment les pieds en dedans ».
La lecture de ces deux observations ne laisse aucun doute sur la nature
de l'affection dont les enfants qui en sont l'objet étaient atteints.
L'état paralytique des membres et du tronc qui a persisté jusqu'à l'âge
28 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
de 5 à 7 mois, l'apparition alors d'une rigidité spasmodique allant tou-
jours s'accentuant surtout dans les membres inférieurs ; l'intégrité de la
sensibilité sous ses divers modes jointe il l'exagération des réflexes tendi-
neux, à la trépidation spinale et aux réactions normales des pupilles
montre bien qu'on était en présence d'un tabes dorsal spasmodique con-
génial ou maladie de Little.
Comme la symptomatologie de cette affection est encore assez sujette à
controverse, nous signalerons ce fait : que chez les deux malades il existait
un certain degré d'amyotrophie portant, pour l'observation I sur le bras
droit et la cuisse gauche, pour l'observation II, sur le bras gauche.
A vrai dire on ne peut affirmer qu'il s'agissait d'une amyotrophie véri-
table, impliquant une lésion du système des cornes antérieures, car la dimi-
nution comparative de volume portait sur les membres les plus raides,
c'est-à-dire sur ceux dont les mouvements physiologiques nécessaires à la
bonne nutrition des muscles étaient le plus entravés. Nous ajouterons que
l'examen électrique des muscles (difficile dans l'observation II, en raison
de l'âge du sujet), n'a révélé aucune trace de réaction de dégénérescence.
Sans préjuger la nature intime, la lésion cérébrale ou médullaire de la
maladie de Little, nous en venons à la notion étiologique qu'on peut tirer
des deux observations. Insistons auparavant sur ce fait que le sujet de
l'observation I était remarquablement intelligent, ce qui permettraitde sup-
poser qu'il n'existait pas de sclérose encéphalique.
Les deux enfants sont issus de pères syphilitiques ; dans un cas (obs. II)
la syphilis ne datait que de 3 ans; les mères semblent être restées indem-
nes.
Dans l'observation I, l'enfant est né à G mois 1/2 ; la mère a eu un
deuxième enfant qui paraissait sain et est mort à 2 ans, du croup ; puis elle
a fait une fausse couche de 5 mois 1/2. L'enfant, atteint de la maladie de
Little, présente les stigmates indéniables de l'hérédo-syphilis. Toutes les
apparences sont donc pour que l'affection nerveuse dont il souffre soit sous
la dépendance directe de la syphilis ou au moins se soit développée sous
son influence (parasyphilis).
Mais enfin il pourrait se faire que le tabes spasmodique coexiste sim-
plement chez un hérédo-syphilitique.
L'observation,lI répond à cette objection. Là nous voyons un père syphi-
litique engendrer un premier enfant qui est atteint manifestement de ma-
ladie de Little. Cet enfant meurt de broncho-pneumonie. Deux ans plus
tard, naissance d'un deuxième enfant qui, comme sa soeur, présente au
grand complet l'ensemble symptomatique du tabes spasmodique. A noire
avis, ce caractère familial juge l'origine, sinon la nature, de l'affection
spasmodique, au moins dans ces cas particuliers.
LA NOTION ÉTIOLOGIQUE DE L'EIÉRÉDO-SYPiIILiS DANS LA MALADIE DE LITTLE 29
Dans les deux faits que nous avons observés, le traitement spécifique a
toujours produit une amélioration notable, une détente certaine dans la rai-
deur des membres. Les parents des enfants sont à ce sujet très affirmatifs,
ils ajoutent même que les frictions mercurielles ont été plus efficaces, plus
résolutives pour ainsi dire, que l'iodure de potassium. Nous croyons qu'il y
a dans ces observations des indications thérapeutiques bonnes à retenir.
Loin de nous la pensée de généraliser à tous les cas de tabes spasmodique
congénial l'étiologie qui est si clairement indiquée dans les deux cas que
nous venons de rapporter. Mais enfin ces faits nous permettent d'établir que
la syphilis ne doit pas toujours être innocentée dans la production du syn-
drome de Little, et, comme tous les procédés thérapeutiques ont échoué
jusqu'à ce jour contre cette affection, nous pensons qu'il y aura tout inté-
rêt dans l'avenir à user du traitement spécifique avec moins de modéra-
tion et plus de conviction qu'on ne l'a fait jusqu'à ce jour (1).
(1) M. le docteur Breton, qui a eu connaissance des observations que nous venons
de rapporter et qui avaient été signalées dans l'ouvrage du professeur A. Fournier : Les
affections parasyphilitiques, Paris, 1894, p. 336, vient de publier : « Un cas de maladie
de Little » (Gaz. des hdp., 25 déc. 1891, p. 141G) dans lequel l'origine liérédo-syphili-
tique de l'affection est également manifeste.
\
DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE A FORME TABÉTIQUE '>
PAR
- A. JOFFROY,
PROFESSEUR DE CLINIQUE DES MALADIES MENTALES.
L'étude des relations du tabes et de la paralysie générale, quoique
rajeunie dans ces derniers temps, n'a pas encore reçu une solution défi-
nitive et l'on ne peut espérer parvenir à ce résultat qu'au moyen d'obser-
vations nouvelles et de recherches anatomiques minutieusement condui-
tes, car il faut des documents nouveaux pour répondre aux objections
opposées à chacune des opinions en présence.
Je dis que la question a été rajeunie, c'est qu'en effet elle n'est point
nouvelle. Dès 182G, Calmeil avait noté d'une façon toute spéciale les
symptômes de paraplégie chez les aliénés paralytiques et dans un cas il
les a nettement rattachés à un ramollissement de la moelle épinière (2).
Plus tard, en 1859, il devait revenir d'une façon plus explicite sur les
faits de ce genre et faire ressortir cette particularité que parfois les symp-
tômes de la myélite chronique précèdent l'apparition du tableau clinique
de la paralysie générale. « Il existe certainement, dit-il, des cas où l'in-'
flammalion débute, dans le mode chronique, par la moelle épinière, où
les mouvements et la sensibilité sont d'abord seuls altérés, où les facultés
morales et intellectuelles sont ensuite compromises à leur tour, et où les
derniers dérangements fonctionnels sont la conséquence évidente d'une
péri-encéphalite chronique diffuse ».
En 1833, IIorn avait publié des faits qui comptent parmi les premières
observations de tabcs dorsal, et qui présentent comme particularités
remarquables l'apparition de troubles cérébraux longtemps après le début
des accidents médullaires, ainsi que la constatation nécroscopique d'une
dégénération des cordons postérieurs et latéraux de la moelle.
Plus tard, en 1841, Parchappe observait des fails de folie paralytique
avec lésions spinales. Plus tard encore, en 1856 et en 1858, Tùrck notait
chez des aliénés la coexistence d'une dégénération grise des cordons pos-
térieurs et de lésions de péri-encéphalite. ,
(1) Communication faite au Congrès des aliénistes et neurologistes, à Cleruiont-
Ferrand, 1894.
(2) Calmeil, De la paralysie considérée chez les aliénés, Paris, 9 82G, p. 2 : jO.
' DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE A FORME TABÉTIQUE 31
C'est vers la même époque (1857-1860) que les travaux anatomo-
pathologiques de Jolie établissent la question dans des termes précis : cet
auteur décrit en effet diverses lésions médullaires dans la paralysie géné-
rale, entre autres la dégénération grise des cordons postérieurs et latéraux,
et les rattache, non à une maladie spinale indépendante, mais à une lésion
propre de la paralysie générale, laquelle peut débuter par la moelle ou'
par le cerveau, mais finit toujours par envahir tout l'axe cérébro-spinal.
Mais à cette époque le labes dorsal était encore enfoui dans le chaos
des maladies spinales et n'existait pas à l'étal d'entité morbide, et sous le
nom de tabes dorsal on comprenait des altérations très diverses. C'est
donc seulement lorsque Duchenne eut donné à l'ataxie locomotrice pro-
gressive son autonomie clinique, confirmée^ .bientôt par l'anatomie. patho-
logique, que les rapports de cette affection avec la paralysie générale pu-
rent être envisagés nettement.
En 1862, Baillarger montra que les symptômes de la maladie de Du-
chenne et de la paralysie générale pouvaient s'associer. Puis Westphal,
dans une série de travaux, apporta à l'étude de ces rapports une contri-
bution fort importante, éclairée par des recherches anatomiqu'es appro-
fondies, et conclut à l'indépendance des deux processus cérébral et spinal.
M. Jaccoud inclinait il admettre que dans le cas d'association, la para-
lysie générale résulte de la propagation au cerveau du processus médul-
laire. C'était aussi la conclusion de Magnan (1866, 18riz1)..
Depuis lors, on n'a pas cessé de publier des faits relatifs à ce sujet, mais
c'est en 1892 que la discussion soulevée à la Société médicale des hôpitaux
a fait faire à la question un nouveau pas.
M. Raymond a développé ce thème, que « la paralysie générale et le
tabes dorsalis sont deux maladies qui s'associent fréquemment » et il n'a
pas hésité à se ranger parmi les défenseurs de l'opinion qui fait du tabes
et de la paralysie générale « une seule et môme maladie », opinion déve-
loppée dans la thèse de son élevé Nageotte. MM. Rendu et Mathieu ont
apporté à l'appui de cetle manière de voir quelques faits cliniques.
D'autre part M. Ballet et moi, nous avons soutenu au contraire que si
tabes et paralysie générale pouvaient parfois, quoique rarement, exister
'chez le môme sujet, il s'agissait là d'une association comme on en voit
fréquemment dans la pathologie nerveuse, mais que les deux affections
étaient différentes et que l'une ne pouvait être considérée comme la con-
tinuation de l'autre. Mon élève Stojanowitch a développé cette opinion
clans sa thèse el montré que les tabétiques deviennent aussi rarement pa-
ralytiques généraux que persécutés ou mélancoliques, que les deux mala-
dies ne sont pas réunies par une cause commune la syphilis, car celle-ci
fait assez fréquemment défaut soit dans le tabes, soit dans la paralysie
32 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
générale et intervient seulement, quand elle existe, comme un facteur ac-
cessoire.
La thèse de M. G. Renaud, tout en admettant que le labes se rencon-
tre chez les paralytiques généraux avec une fréquence relative (dans la
proportion de 3 0/0), conclut aussi à la dualité nosologique du tabès et
de la paralysie générale.
Au congrès de Blois, M. Pierret envisage le tabes associé a la paralysie
générale comme une affection systématique intéressant tout le système
sensitif cérébral et spinal : c'est un tabes psycho-sensoriel dont le pen-
dant est représenté par la sclérose systématique du système psycho-mo-
teur, donnant lieu au tableau clinique de la démence paralytique pure ou
paralysie générale sans délire.
M. Fournier, invoquant le grand nombre de symptômes communs qui
figurent à la fois dans le tableau clinique du tabes et de la paralysie gé-
nérale, invoquant aussi les faits cliniques dans lesquels paralysie géné-
rale et tabes s'associent chez le même sujet soit successivement, soit d'em-
blée, pense que les deux maladies n'en font qu'une, capable seulement
de se localiser diversement, tantôt dans la moelle seule, tantôt dans le
cerveau seul, tantôt à la fois dans ces deux organes, de manière à consti-
tuer ainsi soit le tabes, soit la paralysie générale, soit le « tabes cérébro-
spinal ». Dans tous ces cas d'ailleurs, une même cause, la syphilis, domine
l'étiologie des lésions encéphaliques et médullaires ; ces lésions, sans
être de nature spécifique, sont du moins d'origine syphilitique ; il s'agit
d'accidents « parasyphilitiques ».
Toutes ces opinions ont été fort bien exposées par M. Marie, dans une
étude parue dans la Gazette des hôpitaux (1G janvier 1894).
Aujourd'hui j'apporte un document nouveau dans la discussion. C'est
l'observation d'un malade que j'ai vu avec les signes d'un tabes classique,
plus tard il devient paralytique et je le considérai alors comme un
exemple incontestable d'association de tabes et de paralysie générale. Le
malade meurt les circonstances me permettent de faire l'autopsie et
l'examen méthodique des centres nerveux me démontre qu'il s'agit, non
d'une association de tabes dorsalis et de paralysie générale, mais simple-
ment d'une paralysie générale ayant débuté par la moelle avec prédomi-
nance des lésions dans les cordons postérieurs.
Dans le courant de l'année 1893, j'ai eu l'occasion d'aborder ce sujet
dans les leçons que j'ai faites sur la paralysie générale et j'ai pu citer plu-
sieurs faits cliniques ou anatomiques faisant voir la question sous ce jour
nouveau. Il résulte en effet de ces observations qu'un certain nombre, et
probablement la plupart des faits cliniques considérés jusqu'alors comme
des associations de tabes et de paralysie générale se rapportent à l'une des
DE LA PARALYSIE GÉNÉRÉE A FORME TABÉTIQUE , 33
formes spinales de la paralysie générale. En particulier dans cette leçon
j'ai fait allusion au malade dont je vais rapporter l'observation, mais
comme sa mort était récente je n'avais pu alors donner que le résultat des
premières constatations anatomiques ; on va voir que l'examen complet de
la moelle et du cerveau a confirmé les conclusions que j'avais cru pouvoir
adopter. '
Observation. - PARALYSIE générale A début spinal
, SIMULANT LE TABES. -
Au mois de mai 1891, je fus consulté par un malade âgé de 37 ans, /
présentant l'es signes d'un tabes classique. La marche était possible, même
sans l'appui d'une canne, mais elle était manifestement irrégulière. L'in-
coordination était beaucoup plus accusée dans l'obscurité et le malade
avait lui-même remarqué que la nuit il chancelait comme un homme
ivre. Le signe deJRomberg était très manifeste et la station debout, les
yeux fermés, n'était possible que si les pieds étaient écartés. Les pupilles
étaient égales,' légèrement contractées et insensibles à la lumière. Les
réflexes rotuliens étaient abolis aux deux genoux. Le malade se plaignait
d'une diminution de la puissance génitale ainsi que d'un certain degré de
faiblesse vésicale. Il éprouvait en outre dans les membres inférieurs, des
douleurs que l'on avait attribuées au rhumatisme pendant plusieurs
années, et qui dans ces derniers temps, en même temps que la marche
était devenue mal coordonnée, avaient pris nettement le caractère fulgu-
rant et s'étaient montrées sous forme de crises légères. La sensibilité au
simple contact et à la douleur était émoussée, et par places très affaiblie
aux jambes et aux cuisses, plus à gauche qu'à droite. '
Le malade ne présentait d'affaiblissement ni de la mémoire, ni de l'in- N
telligence; la parole n'était pas modifiée. On ne constatait aucun trouble
notable des divers appareils de l'organisme, sauf ceux dont nous' avons
parlé à propos de la vessie et ceux que nous allons signaler du côté de
l'estomac.
Il convient en effet de noter que le malade est un alcoolique, ayant
depuis longtemps, une existence irrégulière et des habitudes d'intempé-
rance, qu'il présente des troubles gastriques, de la lenteur de la digestion,
des aigreurs, parfois des pituites au réveil et enfin qu'il a souvent des
cauchemars caractéristiques. Aux mains et à la langue on ne constate
qu'un tremblement très léger. -
De plus X... est syphilitique depuis plus de il ans. Sa syphilis a été
d'intensité moyenne et traitée régulièrement à diverses reprises, en par-
ticulier dans ces dernières années.
A ces antécédents personnels, il y a lieu de joindre les renseignements
vm 3
31 NOUVELLE ICONOGRAPUIE DE LA SALPÊTRIÈRE
suivants sur l'hérédité quoique fort incomplets. Son père était buveur et
très grand fumeur, il est mort subitement à 53 ans. Sa mère d'inlelli-
gence ordinaire est morte encore jeune d'une tumeur ( ? ). Son grand-père
maternel est mort ayant plus de 60 ans atteint de démence depuis 4 ou
5 ans.
Ayant constaté les symptômes que j'ai énumérés plus haut je portai le
diagnostic de tabes dorsalis et j'envoyai le malade à La Malou.
A son arrivée dans celle station il se produisit un incident dont les dé-
tails me furent communiqués par le Dr Belugou. A la fin du voyage, soit
sous l'influence de la fatigue ou de quelques écarts de régime, il se pro-
duisit presque subitement une aggravation telle des troubles moteurs que
le malade ne pouvait plus se tenir debout sans être soutenu.
Cet incident n'est pas seulement intéressant, mais il est particulière-
ment important dans le cas actuel parce qu'il éveilla dans l'esprit de notre
confrère, très compétent en pathologie nerveuse, l'idée qu'il s'agissait
peut-être d'un ictus cérébral et qu'il fut de la sorte amené à examiner lé
malade à ce point de vue. Mais ne constatant ni perte de connaissance, ni
troubles de l'intelligence, ni modifications de la parole, ni symptômes
d'hémiplégie, il en arriva à confirmer le diagnostic de tabes classique et à
attribuer la paraplégie à une poussée congestive de la moelle.
Ces accidents de paraplégie ne furent du reste que passagers. Le malade
fut soumis de suite à la cure thermale, en quelques jours il put de nou-
veau marcher et à la fin de son séjour il y avait une grande amélioration
sur son état primitif, comme je le constatai à son retour à Paris au com-
mencementde juillet 1891.
Je revis encore le malade au commencement d'octobre de la même an-
née, je l'examinai avec le plus grand soin et je confirmai le diagnostic de
tabes dorsalis vulgaire. Je ne constatai aucun trouble intellectuel notable,
mais je fus cependant frappé de voir un malade encore jeune n'avoir que
peu de souci de sa santé, continuer à mener une existence irrégulière et
ne consentir à faire un traitement que dans le 'but avoué de pouvoir
s'adonner davantage aux plaisirs. Depuis lors je ne vis plus le malade
pendant plus de deux années. 1
En 1892 il fit une saison à La Malou et le 1 ? Belugou constata que le
tableau symptomatique s'était modifié. Il y avait une amélioration cer-
taine de la marche et une diminution des phénomènes douloureux, mais
le malade présentait une scansion de la parole, avec tremblement de la
langue, de l'affaiblissement intellectuel, de la diminution de la mémoire,
de l'inégalité pupillaire qui ne laissaient pas de doute sur l'existence d'une
paralysie générale. A plusieurs reprises il s'était produit des attaques
d'aphasie transitoire d'une durée de 5 il 10 minutes pendant lesquelles
DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE A FORME TABÉTIQUE 35
l'impossibilité de parler était complète. L'aphasie et l'amnésie verbale
disparaissaient ensuite en quelques heures ou quelques jours. C'est ainsi
que deux jours après l'une de ces attaques d'aphasie il ne pouvait se rap-
peler le nom des villes qu'il avait traversées quelque temps auparavant,
ni même le nom de La Malou où il se trouvait.
En 1893 il fil encore une cure à La Malou mais alors la paresse et l'af-
faiblissement intellectuels étaient plus manifestes, on constatait de l'achop-
pement syllabique, de la difficulté de la marche et un optimisme sur son
étal tout à fait caractéristique.
Rentré à Paris il continua à mener une existence peu régulière et en
janvier 1894 à la suite d'excès alcooliques il présenta dn délire des gran-
deurs. C'est dans ces conditions qu'il se présenta à l'Elysée demandant à
parler au Président de la République qu'il voulait inviter à ses noces,
auxquelles devaient assister tous les ambassadeurs, tous les états majors
et qui seraient célèbres dans l'histoire. Conduit à Ste-Anne le malade
présenta un violent accès d'agitation maniaque pendant lequel on cons-
tata des idées délirantes de grandeur et de persécution, de l'embarras de
la parole, du tremblement de la langue et des lèvres, de l'incontinence
des matières fécales, de l'abolition des réflexes rotuliens, mais des trou-
bles de la marche peu accusés. En particulier l'occlusion des yeux ne
paraissait exercer aucune influence sur la station débout non plus que sur
la marche et le malade pouvait facilement, les yeux fermés, aller d'un
bout de la salle à l'autre, tourner sur lui-même et revenir il son point de
départ sans aucune hésitation.
Les jours suivants l'agitation persista, la température s'éleva rapide-
ment, il se produisit de la sécheresse de la langue avec fuliginosilés des
lèvres, on constata les signes d'une vive congestion pulmonaire et le ma-
lade mourut le 28 janvier 1894.
Autopsie. Les méninges sont gorgées de sang dans toute l'étendue
de la surface du cerveau, principalement au niveau des lobes temporaux
et pariétaux. '
Les gros troncs artériels de la base, les artères sylviennes et leurs bran-
ches ne présentent aucune lésion apparente.
La dure-mère est saine, sans traces de pachyméningite.
L'encéphale pèse 1205 grammes.
L'hémisphère droit 515 grammes.
L'hémisphère gauche 524 grammes :
On enlève les méninges sur toute l'étendue de l'hémisphère gauche.
En général, elles sont épaissies, fibreuses et opaques au niveau des sillons
les plus accusés, et alors on les enlève sans produire d'ulcérations, ou
bien encore comme au niveau du lobe temporal elles paraissent amincies
36 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
et s'enlèvent difficilement en laissant une surface dépolie et légèrement
exulcérée. Mais on parvient cependant à les enlever sans produire de pro-
fondes ulcérations excepté au niveau du lobe pariétal inférieur.
L'hémisphère droit est conservé presque en entier avec les méninges
pour l'examen histologique. Dans les parties non conservées on constate
qu'il se décortique plus difficilement que l'hémisphère gauche, principa-
lement au niveau du lobe temporal. 1
Après l'ablation des. méninges on observe des plaques congestionnées
avec surface dépolie et exulcérée sur les deux hémisphères, surtout il
droite, sur les lobes pariétaux inférieurs, sur la circonvolution marginale
du corps calleux et sur le lobe temporal droit. Les lobes frontaux sont
relativement moins altérés.
Dans la profondeur du cerveau on ne trouve rien à signaler sauf une
congestion assez vive au niveau de la partie^ postérieure du noyau lenti-
culaire et de la partie correspondante de la capsule interne, de l'avant-
mur et de l'insula du côté gauche.
Le cervelet est très congestionné, surtout à la base.
Les ventricules latéraux sont trilatés, mais leur surface ne présente
aucune altération, non plus que celle du 4" ventricule.
La moelle comme le cerveau est congestionnée il sa surface. Les racines
antérieures et postérieures paraissent saines, elles ont partout conservé
leur volume ; on note particulièrement le volume normal des racines pos-
térieures qui ne paraissent pas altérées. Sur les coupes on remarque la
congestion de la substance grise, mais on ne note pas de dégénérescence
grise des cordons latéraux ou postérieurs, si ce n'est un peu pour ces
derniers il la région dorso-lombaire.
Le coeur est normal. L'aorte présente une plaque cartilagineuse au
niveau de la crosse.
Les poumons sont congestionnés sans broncho-pneumonie.
Le foie est assez résistant, congestionné et présentant l'aspect du foie
muscade.-4'"1'
Les reins paraissent atteints de dégénérescence graisseuse.
EXAMEN IIISTOLOGIQUE DE LA MOELLE ÉPINIÈRE ET DU CERVEAU.
Coupe faite ait niveau du tiers moyen de la région cervicale (l'l. IV, 1).
Les cordons de Goll sont altérés et se colorent vivement en rouge sur
les préparations au picro-carmin. La lésion s'étend jusqu'au niveau de la
commissure postérieure sur laquelle elle se réfléchit à la façon d'une bor-
dure.
Le septum médian et le septum intermédiaire sont épaissis et fibreux.
. DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE A FORME TABÉTIQUE 37
Le faisceau pyramidal croisé, surtout du côté droit, le faisceau latéral
profond, le faisceau de Gowers et même un peu le faisceau intermédiaire
présentent des altérations analogues mais en général moins prononcées
que dans les cordons de Goll.
. ' La sclérose est constituée dans les cordons de Goll par l'épaississement
des tractus inlertubulaires avec conservation de nombreux tubes dans les
mailles du tissu scléreux. L'épaississement des gros vaisseaux est très peu
marqué.
Dans les cordons latéraux on trouve au contraire l'épaississement et la
transformation fibreuse des gaines des gros vaisseaux, et le tissu intersti-
tiel qui entoure les capillaires est plus abondant que d'habitude.
Les faisceaux de Burdach, le faisceau cérébelleux direct, le faisceau
fondamental, le faisceau pyramidal direct, les cornes antérieures et posté-
rieures de la substance grise ne présentent aucune lésion.
Les racines antérieures et postérieures paraissent saines.
Les méninges sont épaissies sur tout le pourtour de la moelle. ,
Coupe faite au niveau de la région cervicale inférieure (PI. IV, 2). -
Les cordons de Goll présentent la même sclérose que dans la coupe pré-
cédente avec cette différence qu'en avant, au voisinage de la commissure
postérieure, la bande scléreuse s'étale davantage sur les parties latérales,
laissant le long du septum médian un espace linéaire moins scléreux.
Dans les faisceaux de Burdach existe, surtout à droite, une autre bande
scléreuse occupant en arrière la zone postéro-interne bordant le septum
médian, pour se diriger de là vers la tôle de la corne postérieure sur la-
quelle va s'insérer son extrémité antérieure.
Le faisceau pyramidal, le faisceau latéral profond, le faisceau de Gowers
ainsi que le faisceau intermédiaire sont sclérosés comme dans la coupe
précédente avec cette particularité qu'il y a une bande étroite plus sclé-
reuse sur le bord externe de la corne postérieure.
D'une façon générale les tractus péri-vasculaires sont plus épais, par-
tout dans la substance nerveuse sclérosée que dans la coupe précédente.
La substance grise est- saine, sauf peut-être l'extrémité de la corne pos-
térieure.
Les racines, antérieures sont saines. '
Dans les racines postérieures il y a épaississement du tissu intertubu-
laire avec disparition des petits tubes nerveux.
La pie-mère est épaissie, fibreuse, sur tout le pourtour de la moelle,
avec des chromoblastes abondants. Les parois des veines sont épaissies.
Les artères présentent de la périartérite et de l'endartérite très marquée
surtout au niveau de l'artère spinale antérieure.
Coupe faite au niveau de la région dorsale moyenne (PI. IV, 3 et 3 biS).
38 ' NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Les cordons de Goll présentent une sclérose générale qui s'arrête en avant
à une certaine distance de la commissure postérieure et qui, a ce niveau,
envoie une expansion dans la direction de la colonne vésiculaire de Clarke.
Les zones radiculaires sont également altérées, surtout celle du côté
droit dont la bande scléreuse vient se terminer en pointe sur tête de la
corne postérieure. `
Les faisceaux antéro-latéraux ne présentent plus, comme à la région
cervicale, une sclérose limitée à certaines parties, mais les gros tractus péri-
vasculaires sont épaissis à peu près partout et le faisceau pyramidal n'est
~pas plus altéré que le reste.
Les racines ne paraissent pas altérées ; il n'y a nulle part d'épaississe-
ment de la gaine, ni de dilatation des vaisseaux.
Les méninges présentent les mêmes lésions que dans la coupe précé-
dente.
Coupe faite au niveau de la région dorso-lombaire (Pl. IV, 4). Les fais-
ceaux postérieurs sont sclérosés dans toute leur étendue avec prédomi-
nance dans la partie postérieure du faisceau de Goll et dans la zone
radiculaire postérieure.
Dans le cordon antéro-latéral on constate un épaississement généralisé
des tractus de tout ordre, avec un peu de prédominance dans le faisceau
pyramidal. Cet épaississement est encore plus marqué sur le bord externe
de la corne postérieure.
La substance grise est le siège d'altérations importantes ; les cellules
nerveuses sont rares dans les cornes antérieures et parmi celles qui per-
sistent on en trouve aux divers stades de la dégénération atrophique.
Dans les colonnes de Clarke, les cellules sont également très rares et
manifestement en voie d'atrophie.
Les racines antérieures ont conservé des tubes nombreux et normaux,
mais séparés par un tissu interstitiel manifestement augmenté de quantité.
Les racines postérieures sont encore bien plus manifestement sclérosées
et l'on constate une raréfraction des tubes qui parait due à la disparition
des tubes de petit calibre (PI. IV, 7).
Les méninges présentent un épaississemenl fibreux très accusé, avec
lésions des veines et des artères (l'l. IV, 6).
Coupe faite au niveau de la ^région lombaire (Pl. IV, 5). -.Les lésions
ici sont beaucoup moindres que dans la coupe précédente.
Les faisceaux pyramidaux présentent à peine un léger degré de sclérose
diffuse.
Les cordons postérieurs sont encore le siège d'une sclérose occupant
surtout- la zone médiane et dans celle-ci la zone postérieure. Tout le long
Pl IV.
L Battaille C' Editeurs, a Paris IMP MONROCO a iarm s
DE LA PARALYSIE GÉNÉRALE A FORME TABÉTIQUE 39
des cornes postérieures et de la commissure postérieure on voit un large
ruban de substance saine. "
Les cordons antéro-latéraux, ainsi que toute la substance grise sont
absolument sains.
Il en est de même des racines nerveuses.
Les méninges sont toujours épaissies, mais la couche sous-pie-mérienne
est moins épaissie.
Coupe faite au niveau de la région inférieure du bulbe. Les méninges
sont épaissies avec altérations des parois des veines et des artères. On
trouve de la sclérose au niveau de la prolongation des faisceaux de Goll,
avec intégrité des faisceaux de Burdach excepté la périphérie où l'on
voit un anneau de sclérose. Dans la partie restante de la corne anté-
rieure gauche les cellules nerveuses ont presque disparu, celles qui per-
sistent présentent des lésions d'atrophie. Dans la corne antérieure droite,
au contraire, les cellules nerveuses sont normales, nombreuses et très
volumineuses.
Coupe faite au niveau de diverses circonvolutions de l'hémisphère droit du
cerveau. Les cellules nerveuses sont altérées et en voie d'atrophie dans
le lobe frontal et dans la région temporo-pariétale, tandis qu'elles parais-
sent moins modifiées dans le lobe occipital. Dans le lobe pariétal on trouve
des cellules atrophiées avec leucocytes dans les espaces péri-cellulaires.
Partout on constate la disparition des fibres transversales de l'écorce
ainsi que des fibres perpendiculaires de la première couche, presque au
môme degré dans le lobe occipital que dans les autres régions examinées.
Les vaisseaux sont très altérés, ils paraissent plus nombreux, sont con-
gestionnés, présentent dans leur gaine des exsudais avec leucocytes et gra-
nulations pigmentaires. Leurs parois sont épaissies.
Sous l'influence de l'atrophie cérébrale les noyaux de la substance
blanche paraissent plus abondants.
Dans celle observation nous voyons la maladie débuter par des phéno-
mènes nettement tabétiques : signes de Homberg, d'Argyll Roberston, et
de West pliai, troubles urinaires, douleurs fulgurantes, incoordination
motrice ; il n'était positivement pas possible à cette époque de porter un
autre diagnostic que celui de 13bes; if n'y avait aucun trouble intellec-
tuel. Puis quelques années après le début, les signes de la paralysie géné-
rale s'établissent en même temps que ceux du tabes s'effacent, et le ma-
lade succombe comme un paralytique général, avec les lésions classiques
de l'encéphale. Quant à la moelle, elle ne présente que des lésions ma-
croscopiques très peu accusées; au conlraire les lésions histologiquessont
40 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
très prononcées. Mais ces lésions se distinguent nettement du tabès :
d'abord, dans les cordons postérieurs, ce n'est pas la systématisation ré-
gulière du tabes que l'on observe lorsqu'on examine la moelle non sur
une seule coupe ou dans une seule région, mais dans son ensemble et aux
divers étages; de plus les cellules des cornes antérieures à la région
dorso-lombaire, et à la région inférieure du bulbe et même, en certains
points, celles des colonnes de Clarke sont atrophiées ; les cordons laté-
raux sont largement sclérosés; enfin les racines postérieures sont loin
d'être atteintes au même degré que dans le tabès, et ne présentent que de
Jégères lésions microscopiques. Voilà certes un tabes qui présenterait bien
~des anomalies réunies et qui serait singulièrement défiguré. Il y a donc
lieu, vu le nombre et l'importance des caractères distinctifs, de séparer du
tabes classique cette lésion spinale qui se fait remarquer par sa tendance
à la diffusion. Je possède d'ailleurs- quelques autres faits analogues : ils
montrent que la paralysie générale peut débuter par des symptômes spi-
naux revêtant la forme tabétique à ce point qu'on ne peut alors la distin-
guer du véritable tabes dorsalis, que ces symptômes talétiformes dispa-
raissent ou du moins s'atténuent avec les progrès de la maladie pour faire
place aux symptômes encéphaliques habituels de la paralysie générale,
enfin que la lésion spinale en pareil cas diffère par plusieurs traits du ta-
bes vulgaire avec lequel elle ne doit pas être confondue.
Je n'entends pas dire pour cela que le tabes vrai et la paralysie géné-
rale ne puissent s'associer comme le l'ont souvent la plupart des affections
du système nerveux, mais celte association est plus rare en réalité que ne
le faisait croire un examen trop superficiel des faits, et il importe il l'a-
venir de ne pas interpréter de cette manière, les cas où la paralysie géné-
rate débutant par des manifestations spinales précoces offre la plupart des
symptômes de la série tabétique.
UN ALGÉS1MÈTRE
APPAREIL POUR MESURER LA SENSIBILITÉ DE LA PEAU A LA DOULEUR.
par
A. MOCZVTKOWSKI,
Professeur des maladies du système nerveux à l'Institut clinique de St-Pétersbourg.
Dans le nombre des méthodes malheureusement inexactes des exa-
mens cliniques, rentrent également les méthodes d'examen de tous les mo-
des de la sensibilité cutanée. Le défaut principal des appareils usités dans
ce bnt consiste dans l'impossihilité pour l'expérimentateur de contrôler
les appréciations individuelles données par les malades de leurs impres-
sions sensitives, appréciations qui sont tout à fait personnelles. Par suite
de ce défaut, il devient tout à fait impossible de mesurer la douleur. Les
tentatives faites pour éviter ces obstacles n'ont pas donné ju'squ'à présent
des résultats satisfaisants. Dans le nombre des appareils recommandés, le
plus connu des cliniciens, est l'algésimètre d'un médecin d'Upsala, du
Dr Djoerustroem, en usage depuis 1877. Je crois inutile de donner ici la
description de cet appareil, suffisamment- connu de tout le monde. S'il
traduit en effet en chiffres les degrés de la douleur cutanée, il a cepen-
dant le défaut essentiel de ne pas exprimer la douleur d'un point de la
peau, puisque la surface de la peau couverte par la rainure de l'appareil
est trop considérable. Parfois il est même difficile de juger par laquelle
des deux surfaces de la rainure la douleur a été perçue. D'un autre côté
la rainure de l'appareil qui présente une assez grande surface peut em-
brasser des territoires de la peau très différents d'après 'leur susceptibi-
lité à la douleur.
La grandeur du pli, la profondeur â laquelle ce pli. est entré dans les
mors de l'appareil, la rapidité avec laquelle a été faite la pression, tout
cela exerce une grande influence sur l'amplitude de la déviation de l'ai-
guille. En outre, dans beaucoup d'endroits, la peau ne se laisse plisser.
J'ai vu survenir chez des malades analgésiques des ecchymoses après
l'application de l'appareil de 13ja;rustra;m. De sorte que, malgré l'ingé-
niosité de l'idée qui a présidé il sa construction, cet appareil n'est pres-
que nulle part employé, ni dans les cliniques, ni dans la clientèle privée.
A l'aide du courant faradique, on obtient des résultats non seulement
plus exacts, mais aussi plus faciles à contrôler. On croyait que la douleur
42 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
provoquée -par le courant faradique était équivalente à la douleur de
.cause mécanique. Il n'en est rien, puisque les résultats de Leyden, de
Munk, de Bernhard, de Drozdoff et de Erb sont contradictoires sur diffé-
rents points, et cela aussi bien par rapport au courant faradique, qu'à
l'excitation mécanique. Moebius a parfaitement raison en disant que l'ex-
citation faradique n'indique pas quel mode de la sensibilité cutanée a été
examiné.
La simple aiguille ou épingle a de nouveau repris son ancienne place
d'honneur, même dansdes cliniques dans lesquelles on cherche à tra-'
- duire en chiffres tous les 'résultais d'un examen clinique. On peut natu-
rellement dans beaucoup de cas obtenir à l'aide d'une épingle ou d'une
aiguille une idée sur l'état de la sensibilité à la douleur de la peau, mais
quand cette sensibilité n'est que faiblement troublée, l'expérimentateur le
plus habile pourra arriver à des résultats erronés, surtout s'il s'agit de
constater une diminution graduelle ou le rétablissement de cette forme'de
.sensibilité. Moebius arrive à la conclusion que nous ne possédons pas de
méthode pratique pour mesurer la sensibilité à la douleur de la peau (1).
Voilà pourquoi jusqu'à présent l'aiguille ou l'épingle sont l'instrument
usuel de l'examen de la sensibilité à la douleur cutanée. Malheureusement t
on se sert encore souvent du pincement qui amène des bleus, ainsi que
d'autres procédés barbares comme la brûlure ou la perforation de la peau
de part en part.
Je me permets de recommander à mes confrères un algésimètre dont je
me suis servi pendant la dernière année dans mes examens et leçons cli-
niques.
Le dessin représente ici l'appareil dans sa grandeur naturelle. Il est de
forme cylindrique, long de 10 centimètres. A son extrémité' supérieure se
trouve un renflement garni d'un anneau, dont la surface est entaillée
par des rainures verticales. Au-dessous de l'anneau, le long de la péri-
phérie du renflement sont gravées des petites lignes verticales, au-des-
sus de ces lignes se trouvent gravés les chiffres des nombres pairs jusqu'à
14. inclus; les lignes entre deux chiffres, indiquent les nombres impairs
correspondants, qui ne sont pas gravés, mais sous-entendus. La péri-
phérie du renflement est ainsi divisée en 15 parties égales. Le long du
tube cylindrique parallèle à son axe est gravée une ligne assez longue.
En imprimant un mouvement circulaire à la partie renflée de l'appareil,
on peut mettre n'importe laquelle des divisions en regard de cette ligne.
En bas de l'instrument se trouve un bouton, au milieu duquel est percé
un trou d'un millimètre de diamètre. Le diamètre de la circonférence
du bouton est égal à un centimètre. Le bouton est maintenu et poussé ? r
(1) Moebius, Allgemeine /Jiagnostik dei' Nerueal ? aahleeilen, 188G, page 118.
UN ALGÉSIMÈTRE 43
en bas par un ressort caché dans l'intérieur de la partie inférieure du
cylindre. En tournant la renflure à gauche jusqu'à l'arrêt, la ligne du
tube se trouve en regard du zéro de la division. Si
on appuie alors sur le bouton on voit apparaître
dans son trou du milieu la'pointe d'une aiguille,
qui est fixée au renflement et traverse tout le cylin-
dre. A zéro la pointe de l'aiguille ne dépasse pas le
niveau de la surface du bouton. A mesure qu'on
tourne le renflement il droite, l'aiguille dépasse la
surface du bouton, quand on presse dessus. Au
moment où en tournant on arrive de nouveau à
un arrêt, la longueur de la partie de l'aiguille
sortie a atteint son maximum. A mesure qu'on
tourne de nouveau à gauche le bout de l'aiguille
se cache de plus en plus.
La hauteur du tour de la vis dans le renflement
est égale à 1 mu 5, de sorte que l'aiguille après un
tour complet ne peut sortir qu'à une longueur de
1 mm 5 ; à chaque division du tour correspondrait t
ainsi une longueur d'aiguille d'un dixième de mil-
limètre; à 2 divisions, on aura 2 dixièmes de mil- /
limètre; au tour complet la pointe de l'aiguille
sera longue d'un millimètre et demi. On pourra
obtenir des fractions de millimètre, en arrêtant le
tour entre deux divisions à une distance détermi-
née ; par exemple au milieu entre deux divisions on
aura un vingtième de millimètre etc. Le bout de 1 aiguille a une forme
conique, dont la base et la hauteur sont égales à un millimètre. L'aiguille
est soigneusement polie. Pour plus de propreté le petit instrument est nic- .
kelé.
Pour s'en servir on tient l'instrument comme une plume ou un crayon
et l'on appuie avec la surface du bouton sur l'endroit dont on veut exami-
ner la sensibilité. On commence l'examen avec les chiffres au bas de la di-
vision, par exemple 2. Si le malade ne sent que l'attouchement, on tourne
la vis jusqu'à la 3e, 4e etc. division, jusqu'à ce que le malade accuse net-
tement une sensation de douleur. Pour contrôler les indications du malade,
on tourne dans le sens contraire.la vis jusqu'à zéro pour cacher la pointe,
ou on applique simplement le bouton sans appuyer dessus. Les piqûres ne
doivent pas être ni trop brusques ni trop lentes. Après avoir piqué on
laisse l'appareil en place pendant 3 à 5 secondes. Ceci est important par
suite de la période latente, qui précède la perception de la douleur. Une
- Fig. 2. ,
44 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
fois perçue la douleur persiste pendant un certain temps,si on n'augmente
pas la pression. Les piqûres produisent dans la peau des modifications
matérielles, traumatiques, de sorte qu'il ne faut pas piquer plusieurs fois
à la môme place ; et si les piqûres ont été fortes il faut laisser la peau se
reposer au moins pendant une ai deux heures. Parfois la douleur persiste
après la piqûre pendant plusieurs minutes, et si on fait immédiatement
une deuxième piqûre dans le voisinage de la première, on a il faire à une
perception de douleur compliquée, qui est le résultat de deux piqûres.
Tous les endroits de la peau ne donnent pas une sensation de douleur
de la même qualité. Dans les plis entre les phalanges des doigts du côté
de la paume de la main la douleur est très vive, sur le sommet du pouce
elle est très faible. A la surface externe des cuisses la douleur est aiguë et
désagréable. Par conséquent il est important d'expliquer au malade qu'on
ne lui demande pas de préciser le caractère de la sensation.' 11 suffit qu'à
mesure que la pointe de l'aiguille s'allonge, le malade puisse indiquer
exactement le moment, pour traduire la sensation par les mois : « ça fait
mal ». Si la piqûre est forte et prolongée, la douleur, après avoir atteint
son maximum pour la longueur donnée de la pointe, commence à s'aller
nuer et peut même complètement disparaître par suite de l'effet analgé-
sique de la pression. Cependant la première sensation de douleur aura
produit assez d'impression, pour pouvoir être comparée avec les effets des
piqûres consécutives. Si avec l'augmentation de la pression la douleur au
lieu de diminuer augmente, cela prouve qu'on a pris pour l'endroit exa-
miné une pointe d'aiguille trop longue; puisqu'elle a produit un effet au
delà « de la barrière douloureuse ».
En se servant de l'appareil il est nécessaire d'appuyer fortement. L'in-
tensi té de la pression est sans influence sur la force de la douleur. En adap-
tant un dynamomètre à mon appareil je me suis convaincu que des varia-
tions de pression entre 50 et 600 grammes n'avaient aucune influence sur
l'intensité de la douleur. Ce phénomène s'explique du reste facilement. A
la piqûre avec nne épingle la résistance de la peau est trop insignifiante
par rapport à la pression d'une si petite surface que la pointe d'une ai-
guille. La peau cède facilement à cette pression et la pointe de l'aiguille
s'y enfonce librement. Or pour enfoncer plus profondément dans le tissu
il faut augmenter la force de pression. D'un autre côté, par suite de la
forme conique de l'aiguille, sont irrités non seulement les éléments ner-
veux dans la direction de la profondeur, mais aussi ceux qui sont situés
dans la largeur. Ces deux raisons sont une cause d'augmentation de la
douleur.
Avec l'algésimètre les choses se passent autrement. Ici, avec l'augmenta-
tion de la pression la peau couverte par la surface du bouton subit égale-
UN ALGÉSIMÈTRE 45
ment la pression. Par conséquent, quel que soit le degré de pression, celle-
ci se répartit d'une façon uniforme sur la surface du bouton et sur la
pointe de l'aiguille. Outre cela, la pointe, quelle que soit la pression de
l'instrument, ne s'enfonce pas sensiblement davantage dans la peau.
Je dis « pas sensiblement davantage », parce que dans le centre du bou-
ton se trouve une ouverture dont le diamètre mesure un millimètre, dans
laquelle la peau peut s'enfoncer au moment de la pression par suite de la
différence de résistance de la surface du bouton et de la petite ouverture;
mais par suite des petites dimensions de cette ouverture, la peau s'y en-
fonce à peine, môme à une très grande pression.
La pression, qui certainement exerce une influence sur la circulation de
l'endroit de la peau qu'on examine, ainsi que sur l'excitabilité de ses orga-
nes nerveux terminaux, peut être considérée comme le point faible de
notre instrument. Mais cet inconvénient est certainement plus considéra-
ble dans l'appareil de Bjôrnstrm. Puisque la pression est une donnée
constante, elle n'empêche pas la comparaison des résultats obtenus.
Une autre remarque s'impose. L'algésimètre peut donner lieu à deux
sensations distinctes : la pression et la douleur, qui se manifestent diffé-
remment dans différentes circonstances : la pression peut diminuer la
douleur, et la douleur peut faire disparaître la sensation de pression. Dans
ces phénomènes la perception physique des sensations joue certainement
un rôle important. Mais n'importe quelle piqûre avec la plus fine aiguille
détruit ou irrite les appareils nerveux terminaux de la peau, destinés à
toutes les fonctions physiologiques de celle-ci. Pour le moment' nous ne
possédons pas de moyen pour irriter séparément chaque appareil physio-
logique de la peau, sans toucher en même temps les autres appareils de
fonctions physiologiques -distinctes, mais situés dans le voisinage. Entre
la sensation douleur et la sensation tactile, il n'existe que des différences
de quantité; la sensation de pression se trouve entre les deux. La sensa-
tion tactile provoquée par l'attouchement avec un corps solide devient
^douloureuse si l'attouchement devient une pression. C'est pour cela que
toutes ces sensations devraient être exprimées en poids. La particularité
de mon 1¡lgésimètre est de donner comme mesure, non une unité de poids,
qu'on est forcé de négliger, mais la longueur d'une pointe de dimensions
déterminées, et qu'on mesure en fractions de millimètre. Ce principe ne
me parait pas extraordinaire. En mesurant la sensibilité à la douleur par
le courant induit, on se sert bien de la distance des deux bobines et non
d'unité de poids.
L'algésimètre que je recommande est loin de l'idéal que nous cherchons
pour nos méthodes physiques d'examen clinique. Môme un de nos appareils
46 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
cliniques le plus précis, le thermomètre, donne aussi des indications qui
dépendent d'une quantité de circonstances fortuites.
Plus tard quand j'aurai recueilli un nombre suffisant d'observations,
je puhlierai un tableau topographique de la sensibilité à la douleur de
toute la surface cutanée. Pour le moment je me contente de donner un
aperçu général des résultats obtenus.
A juger d'après les recherches publiées jusqu'à présent, il n'existe au-
cune relation constante entre la sensation à la douleur et les sensations
thermiques, tactiles, de l'espace et de la pression.
- 17' En comparant les résultats obtenus avec l'algésimètre avec les résultats
obtenus par Bernhard en irritant les mêmes endroits de la peau par l'élec-
tricité, on trouve sur certains points des données contradictoires. Mes ré-
sultats sont sous plusieurs rapports diamétralement opposés aux résultats
obtenus avec l'algésimètre de BjüTnS(1vt11, d'après le travail de Water
Pacht (1).
L'intensité des sensations douloureuses n'est pas partout en propor-
tion inverse de l'épaisseur de la peau.
A épaisseur égale de la peau, c'est la densité du tissu sous-jacent qui en
différents endroits agit sur l'impressionnabilité à la douleur : plus la
couche sous-jacente est ferme, plus vive sera la douleur.
L'épaisseur de la couche épidermique a une grande influence sur la sen-
sibilité douloureuse; celte relation est en proportion inverse.
Les membranes muqueuses sont moins sensibles à la douleur que la
peau.
Leur sensibililé est sujette à des grandes fluctuations. Ainsi :
La surface interne de la lèvre inférieure, à mi-hauteur le long
UN ALGÉS131ÈTRE 47
et dans le voisinage des sutures osseuses la sensibilité douloureuse est plus
fine. Le centre de la sensibilité douloureuse la plus faible est la région du
bassin. De ce centre vers les bouts des doigts des extrémités supérieures
et inférieures la sensibilité douloureuse augmente graduellement. Le long
de la ligne médiane sur la surface antérieure du corps la sensibilité dou-
loureuse est moindre que dans les parties latérales. Cela est surtout pro-
noncé sur le nez, dont le dos est beaucoup moins sensible que les côtés.
La ligne médiane antérieure du tronc est moins sensible il la douleur que
la ligne médiane postérieure.
Aux pulpes des doigts la sensibilité douloureuse croît depuis le pouce
jusqu'au petit doigt. Aux doigts des pieds c'est moins prononcé.
Sur le dos des mains au contraire la sensibilité douloureuse augmente
du bord cubital au bord radial.
Sur la figure, la sensibilité douloureuse augmente le long d'une ligne
droite qui va de l'angle de la bouche au méat auditif externe, et de la mâ-
choire inférieure au sommet de la tête, c'est-à-dire d'avant en arrière et
d'en bas en haut.
La peau de la partie cartilagineuse du nez esl moins sensible à la dou-
leur que la peau de la partie osseuse.
Une différence marquée entre les deux parties du corps est surtout pro-
noncée sur les mains : à droite la sensibilité douloureuse est un peu plus
obtuse (à peu près de 0*05). En général elle est plus intense chez les fem-
mes que chez les hommes (de 0,05 à 0 mm. 2).
Les plus petites surfaces cutanées situées l'une près de l'autre ne possè-
dent pas tout à fait la même sensibilité douloureuse.
Oh observe chez différentes personnes de nombreuses variations indi-
viduelles aussi bien dans la sensibilité douloureuse absolue, que dans la
sensibilité douloureuse relative. Certains métiers (couturières, serruriers,
cordonniers et autres professions) ont une grande influence sur l'affai-
blissementde la sensibilité douloureuse de la peau, surtout sur la paume
des mains.
Les avantages de mon appareil sont les suivants : il permet d'exprimer les
sensations douloureuses en chiffres. Les résultats peuvent être contrôlés par
l'expérimentateur sur lui-même. Il n'exige pas une finesse particulière de
la part du malade pour déterminer le début d'une sensation douloureuse.
L'examen peut être fait pendant que le malade a les yeux ouverts, si on
ne veut pas en même temps examiner la faculté du malade de localiser la
douleur. Par suite d'une épaisseur relativement forte de la pointe de l'ai-
guille et de la hauteur insignifiante du cône, la piqûre ne donne jamais
de sang. L'examen ne demande pas beaucoup de temps. Enfin l'appareil
n'effraie pas les malades qui craignent la douleur.
SUR L'I,PIDIlYIlC SKIN DISE A SE.
ÉTUDE CLINIQUE ET IIISTOLOGIQUE
PAR .
THOMAS D. SAVILL
Médecin en chef de Paddington Infirmary (Londres).
Étude clinique.
Le nommé George Cookson, âgé de 49 ans, fut admis le 25 juin 1891
il Paddington Infirmary, convalescent d'une synovite du genou droit.
. Il était en bonne santé quand, le 22 juillet, apparut sur la joue droite
et le front une éruption de petites papules qui devinrent squameuses en
deux ou trois jours. Le le, août, elle avait complètement disparu il la
face mais à la même date une éruption semblable se montra à la face
antérieure des deux cuisses, et le 2 août à la face postérieure des deux
avant-bras. Les papules étaient disposées en groupes plus ou moins cir-
culaires, formant par leur confluence des plaques d'apparence érythé-
mateuse où l'on pouvait cependant reconnaître nettement leur caractère
[Dans un rapport fait il la Société médicale de Londres, le 30 novembre
1891, le Dr Thomas D. Savill a décrit « une maladie de peau épidémique, res-
semblant il certains égards a l'eczéma et au pityriasis rubra, ayant sévi prin-
cipalement dans le district ouest de Londres pendant l'été et l'automne de l'année
1891 ». L'auteur a réuni en moins d'un an 163 cas dé cette singulière all'ec-
tion. Elle constituerait une véritable entité morbide.
On peut la définir : « Une maladie contagieuse dans laquelle la lésion princi-
pale est une dermite, parfois vésiculeuse, se terminant toujours par une des-
quamation épidermique, accompagnée en général de troubles généraux, et évo-
luant d'une façon plus ou moins régulière en sept ou huit semaines ».
Depuis cette époque, de nouveaux cas ont été publiés en Angleterre, et le
nom de Maladie de Savill a été proposé et adopté pour désigner ['épidémie skin
disease.
Le mémoire qui suit traduit de l'anglais par le Dr H. Mcige est l'exposé de
recherches histologiques inédites entreprises par le 1)° T. D. Savill sur la peau
d'un malade ayant succombé au cours de cette affection].
. N. D. L. R.
f*J0UV. jCONOCin. DC L.A pAL.P¡'TRli ? RB T. \111, PL. VII
.MALADIE DE SAVILL
(Epidémie skin disease].
L. BATTAILLE ET C1
Éditeurs
SUR L'EPIDEMIC SKIN ])]SEASE 49
papuleux. Vers le 4e ou le 5e jour elles devenaient écailleuses (cette des-
quamation épidermique est un fait constant dans la maladie : elle se fait-
couche par couche, et sur les mains par larges lambeaux).
L'éruption s'étendit graduellement à tout le corps ; le 23 août, il n'y
avait pas une région de la tête, du tronc ou des membres qui n'ait été en-
vahie. Complètement sèche au début, cette éruption donnait lieu par la
suite à un suintement considérable dans les territoires de flexion des
membres. A certains endroits le derme était épaissi, oedématié, princi-
palement au visage. Il y eut aussi delà conjonctivite muco-purulente.
Au début, le malade éprouva un grand malaise, il perdit l'appétit, et
tomba plus tard dans la prostration. La langue d'abord très chargée se
dépouilla par la suite et devint sèche. -
,ter septembre ( ! 0° jour de la maladie). Bras, face et jambe gauches
très tuméfiés. Taches purpuriques sur la jambe gauche.
4 septembre. Persistance de l'oedème. Peau rouge brillante. Prostra-
tion profonde. Secousses musculaires. Conscience conservée, mais intelli-
gence torpide. Trois frissons dans la journée. Vomissements. Constipation.
Langue sèche, rouge, molle. Pas d'albumine. (La diarrhée et l'albumine
apparurent dans la suite quand le malade s'affaiblit graduellement).
11 septembre (4.6e jour de la maladie). Faiblesse extrême. Le malade
ne peut avaler à .cause des douleurs qu'il éprouve à la langue et dans la
gorge. Température très basse. La peau se desquame en larges lambeaux.
(Voy. la photographie du malade prise le 12 septembre et reproduite
pl. VII. On y voit nettement l'exfoliation générale de la peau et ce qui
persiste du rash).
1.4 septembre. Agitation. Le malade cherche à sortir de son lit. Il est
dans un demi coma dont on ne peut le faire sortir qu'avec grand'peine.
Il gâte. De temps en temps, secousses musculaires. Le malade répand une
odeur infecte.
16 septembre. Mort par asthénie 7 semaines après le début de l'affec-
tion. La fin ne peut être attribuée qu'à la maladie de peau, à la gastro-
entérite et à la diarrhée.
La température a été prise régulièrement depuis le commencement de
la maladie. Pendant les trois premières semaines elle est restée normale
ou inférieure à la normale. On a noté deux élévations de température : du
26 au 28 août, le thermomètre a varié chaque jour de 37°3 le matin à
38o4 le soir. Du 3 au 9 septembre la température s'est élevée graduelle-
ment jusqu'à 39°4 ; puis elle a baissé progressivement. L'élévation a coïn-
cidé avec l'époque où l'inflammation et l'oedème cutanés étaient les plus
intenses, et avec l'apparition des pustules en quelques endroits.
Pendant les six derniers jours de la vie, la température était 2 ou
vm 4
50 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
3 degrés au-dessous de la normale (avec de légères variations). Cet état t
a coïncidé avec la période de grand collapsus.
Autopsie. 24 heures après la mort.
Peau écailleuse sur tout le corps. Pigmentation des bras et des jambes.
Plèvres, péritoine, péricarde et coeur normaux. Poumons congestionnés
aux bases. Foie'normal. Rate grosse, molle, diffluente. Reins congestion-
nés ; capsules un peu épaissies mais facilement détachables. Dans l'esto-
mac, quelques taches ecchymotiques; muqueuse épaissie ; mucus abondant;
pas d'ulcérations. Intestins congestionnés; surtout la-première portion du
duodénum qui présente en outre les lésions du premier degré de l'ulcé-
ration. Ganglions mésentériques normaux. Cerveau : méninges épaissies et
adhérentes; pas d'autres lésions. Lésions d'arthrite chronique au genou
droit.
ÉTUDE IIISTOLOGIQUE (1).
Des morceaux de peau ont été recueillis 24 heures après la mort avant
que la décomposition ne soit survenue; ils ont été placés dans un mé-
lange à parties égales d'eau et d'alcool méthylique, renouvelé à plusieurs
reprises jusqu'au mois d'août 1894. Ce sont les travaux du D1' Emilio
Echeverria qui ont fait connaître pour la première fois les altérations histo-
logiques caractéristiques de l' « epidemic skin disease » (2).
Les lésions que j'ai observées confirment entièrement les constatations
faites par lui dans deux cas'à issue fatale. Mes coupes ont été faites
suivant les mêmes procédés, mais j'ai pu obtenir de meilleurs résultats en
adoptant la méthode suivante :
1° Lavage de la coupe dans l'eau. Coloration par le bleu (sol. aq. 20/0)
pendant 1 à 2 minutes.
2° Lavage à l'eau ; coupe plongée pendant 1 à 2 minutes dans une so-'
lution aqueuse de safran à 1 0/0 (colorai, des noyaux). /
3° Lavage à l'eau ; immixtion dans une solution de tannin à 33 1/2 0/0
pendant 1 à 2 minutes.
4° Lavage à l'alcool ; éclaircissement à l'huile de bergamote ; inclusion
dans le baume.
La coupe A (P1. V) montre l'épaississement des papilles. Les prolonge-
ments inter-papillaires de l'épiderme sont proportionnellement amincis : ce
qui s'observe rarement dans certains cas d'eczéma. On voit une abondante
prolifération cellulaire infiltrée dans le tissu'conjonctif épaissi du derme.
(1) Ces recherches ont été faites sous la direction du professeur Unna, à Hambourg.
(2) ! t ! onalscl'i{t f. prakl. Derm., nov. 1894.
Nouv. ICONOGR.. DE LA SaLPÊTRI1vRE T. VIII PL. V a, VI
COUPES DE LA PEAU DANS LA MALADIE DE SAVILL
(EPidl'mie Ski/J diseuse).
L. BATTAILLE ET C"
SUR L'EPIDEMIC SIiIN DISEASE 51
Elle est probablement secondaire à la lésion épidermique, car les couches
profondes sont moins altérées que les superficielles, et elle n'est pas aussi
apparente dans les cas bénins où la peau a été le siège d'une inflammation
moins vive. Les couches profondes de l'épidémie se montrent très foncées,
parce que les cellules n'y sont pas aussi grosses et que dans les couches
superficielles le protoplasma très abondant prend mal la couleur, tandis
que les noyaux agrandis dans les couches profondes la fixent davantage.
L'exfoliation des cellules superficielles qui constitue le symptôme inva-
riable et pathognomonique de la maladie, se voit aussi sur la figure A.
Je ferai remarquer également l'épaississement anormal de l'épidémie,
surtout dans la couche de Malpighi.
La coupe B à un plus fort grossissement montre plus clairement plu-
. sieurs de ces modifications. On y remarque l'absence de la couche gra-
nuleuse (moyenne ou kératohyaline) (Pl. V). On y voit aussi, quoique peu
nettement, les altérations des noyaux signalées plus bas. Je ferai observer
l'abondance du protoplasma des cellules à pointes de la couche de Mal-
pighi, surtout visible à la partie supérieure, et non pas dans toute l'é-
paisseur comme on le voit dans l'eczéma chronique. Dans 1' « epidemic
skin disease », les cellules à pointes de la couche profonde ne sont pas
notablement augmentées de volume, tandis que la couche superficielle
contient un grand nombre de grosses cellules mal colorées.
Il semble que dans cette maladie, la lésion progresse toujours de l'exté-
rieur à l'intérieur, envahissant successivement toutes les couches de la
peau. Dans un autre cas plus bénin j'ai trouvé la couche la plus superfi-
cielle seule atteinte.
A un grossissement de 500 diamètres (coupe C, grandeur naturelle
PI. V) on voit les prolongements épineux des grosses cellules de la cou-
che de Malpighi. Dans plusieurs de ces cellules on observe les altérations
nucléaires décrites par le Dr Echeverria et que celui-ci regarde comme
caractéristiques de la maladie. La partie centrale du noyau fixe forte-
ment la couleur ; mais la périphérie reste claire et se colore difficilement.
La lésion semble donc une dégénération transparente de la périphérie,
une péridiaphanie du noyau, ainsi que la nomme le Dr Echeverria.
La portion saine du noyau est, à de rares exceptions près, centrale.
Dans les colorations soigneusement faites (avec le safran, la fuschine) on
voit des stries partant du centre et s'irradiant vers la zone claire périphé-
rique. Ce sont peut-être des traînées de substance nucléaire qui ont
échappé à la dégénération.
La zone claire périphérique n'est pas produite par une simple rétrac-
tion du noyau, car, en dehors d'elle, on peut voir un espace incolore
compris entre les limites du noyau et le protoplasma. Dans ces cas, le
52 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
noyau entier est situé excentriquement dans cet espace incolore qu'entoure
le protoplasma cellulaire. Quand le noyau est ainsi rétracté on peut voir
nettement sa zone de dégénération.
J'ai observé ces modifications dans des cas bénins ; mais la zone claire
n'est pas aussi large, le nombre des noyaux atteints est moindre, et les lé-
sions sont limitées aux cellules les plus superficielles de la couche de Mal-
pighi.
Le cas de Georges Cockson dont je viens de donner la description et
auquel se rapportent mes coupes, a été, ainsi que deux cas du Du Eche-
verria, remarquablement grave.
J'ai étudié aussi trois autres cas de cette maladie, et j'ai trouvé que les
lésions variaient proportionnellement à la gravité de l'affection.
Dans ces observations, les symptômes furent moins graves que ceux dé-
crits dans le cas précédent. Leur durée fut d'une, deux, trois semaines
et demie. Deux fois, j'ai pu me procurer des morceaux de peau pendant
la vie; une autre fois, vingt minutes après la mort ; la peau a été mise
aussitôt dans l'alcool et examinée quelques semaines après. On ne saurait
donc considérer les lésions comme des altérations post mortem ou comme
résultant d'un durcissement trop prolongé.
Dans un morceau de peau pris en 1891, sur un autre malade pen-
dant la vie à une époque avancée de la maladie, le Dr Russell (1) a
trouvé une bactérie. Mais je n'ai pu en apercevoir aucune dans le cas
précédemment rapporté (Cockson). Je n'ai d'ailleurs pas poussé mes re-
cherches dans ce sens. J'ai obtenu des cultures pures d'une espèce carac-
téristique avec du sang de cet homme recueilli après la mort (2). Elles
ont été inoculées par moi à un lapin, chez qui la maladie s'est dévelop-
pée, et dans le sang duquel le Dr Russell a obtenu des cultures du même
microbe (3).
(1) Dritish Journal of Dermatoloqy, avril 1892.
(2) Voy. la monographie : « On an épidémie skin disease », p. 34, II. K. Lewis. Lon-
don, 1892.
(3) Consulter au sujet de l'epidemic skin disease : -
T. D. SAVrr.r,, Brit. Journ. of Dermatology, janvier, février, mars 1892 et Monat. f.
Prakt. Dermat. IIarnburg, mars 1892.
li3ri)., New-York Journ. of. Cutaneous et Gen-Urinary diseases July et Aug., 1894 ; et
Monat. sur Prakt. Derm. Hamburg, Band XIX, 1894. Voy. aussi Lancet etBritish med.
Journ. Vol. Il, 1894 (octobre et novembre).
D. B. Les, The clinical Journal, 31 octobre 1894, et Eciieveriua, Monat. für Prakt.
Derm. Ilamburg, Band XIX, 1891. ,
UN CAS DE , ,.
PARALYSIE BILATÉRALE DU MUSCLE DELTOIDE
1 1
PAR ÉLONGATION DES DEUX NERFS CIRCONFLEXES.
- PAR
A. SOUQUES et J.-B. CHARCOT
Chef de Clinique des maladies Interne de la Clinique des maladies
du système nerveux du système nerveux
M. le professeur Raymond a récemment présenté à son cours un malade
atteint de paralysie bideltoïdienne isolée, survenue dans des conditions
très intéressantes. C'est l'observation qui lui a servi de thème, que nous
allons relater, en nous bornant aux détails cliniques du cas et renvoyant,
pour tout ce qui concerne la discussion générale et la pathogénie, à la
leçon de notre maître, publiée ici même.
Joseph Gr...,.24 ans, facteur des Postes, entre le 23 octobre 1894, à la Sal-
pêtrière. 1 - .'
Ses antécédents héréditaires ne présentent rien d'intéressant à noter. Sa mère
est morte de suites de couches. Son père est bien portant. Il a neuf frères ou
soeurs qui sont en bonne santé. '
G... est né dans le département de la Drôme, où il a vécu et travaillé, comme
cultivateur, jusqu'au moment du service militaire. Il n'a jamais été malade
jusqu'ici. Quoiqu'il ait peu fréquenté l'école, il a cependant appris à lire, à
écrire et à compter. A l'âge de 21 ans, il est parti soldat et n'a fait qu'un an,
comme étant l'aîné de 9 enfants.
Pas de maladies vénériennes. Pas d'alcoolisme.
Le 26 août 1894, il vient à Paris pour entrer dans les Postes. Il prend le ser-
vice de « leveur de boites » le 1er septembre. C'était; dit-il, un métier assez
pénible mais il n'en a jamais éprouvé d'inconvénients.
Début DE la maladie actuelle. Le samedi soir, 13 octobre 1894, son ser-
vice fini, il se couche vers onze heures, comme d'habitude, sans avoir rien
éprouvé d'anormal dans sa journée. Il déclare spontanément qu'il s'est couché
sur' le dos, les mains jointes derrière la nuque, et s'est endormi ainsi. Depuis
son séjour il Paris, il lui arrivait parfois de s'endormir dans cette attitude bi-
zarre, sans du reste en ressentir aucune gène au réveil.
54 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Le dimanche matin, 14 octobre, il se réveille à son heure ordinaire, vers
5 heures, et constate avec stupéfaction qu'il ne peut plus lever son bras droit.
Il a éprouvé, en même temps, dans la région deltoïdienne correspondante, une
douleur contusive et y a vu de grandes secousses fasciculaires. Il a également
au réveil ressenti une douleur analogue, moins vive toutefois, dans la région
deltoïdienne gauche ; il pouvait cependant lever encore son bras gauche. Mais
trois heures après, les secousses fibrillaires s'y sont montrées et la paralysie
du bras s'est établie. Ces secousses musculaires ont duré environ 3 heures.
Seules les épaules étaient paralysées. Les bras, les avant-bras et les mains
étaient complètement respectés. :
Les phénomènes douloureux, dans les deux régions deltoïdiennes, ont persisté
toute la journée et toute la nuit. Ils se sont effacés le lendemain matin, 15 oc-
tobre,' pour reparaître la nuit suivante, et troubler le sommeil. Depuis lors,
les douleurs ont ainsi reparu toutes les nuits, assez sourdes, mais capables néan-
moins de réveiller plusieurs fois le malade.
État actuel (25 octobre 1894). Homme de petite taille, très musclé, d'as-
pect très vigoureux. -
Tout le mal siège dans les régions deltoïdiennes et consiste dans une paraly-
sie symétrique, un peu plus accusée à droite qu'a gauche, des deux muscles
deltoïdes.
La morphologie de la région intéressée n'est pas visiblement changée. On n'y
constate ni atrophie apparente ni secousses fibrillaires. Les deux bras sont pen-
dants sur les côtés du thorax, dont ils ne peuvent être écartés volontairement.
Une légère abduction est esquissée du côté gauche. L'élévation des bras est
tout à fait impossible, même à l'état d'ébauche. L'acte de porter les bras en
avant ou en arrière est extrêmement limité. Ces troubles paralytiques sont
tellement marqués que le malade a beaucoup de peine à mettre ses mains dans
ses poches et surtout il les en sortir. Lorsqu'on dit à cet homme d'essayer de
lever ses bras, on ne sent pas sous la main la contraction des muscles deltoï-
des. La rotation en dedans des humérus est conservée ; leur rotation en dehors
est très limitée (Pl. VIII et IX).
Quant aux muscles trapèzes, rhomboïdes, grands dentelés sus et sous-épi-
neux, ils ne sont pas touchés. Le malade peut écrire et coudre.
De même les muscles des mains, des avant-bras et des bras sont respectés.
Leur action n'est gênée, dans une certaine mesure, que par le défaut d'action
des deltoïdes.
Nouv. ICONOGR. DU LA SALPnui..RE T. VIII PL. 1111 & IX.
DOUBLE PARALYSIE DU DELTOIDE
(Attitude du malade dans l'extension maximum des bras).
UN CAS DE PARALYSIE BILATÉRALE DU MUSCLE DELTOIDE 55
schéma annexé à la leçon de M. Raymond). Le malade sent, dans cette zone^
toutes les impressions mais beaucoup moins, par comparaison, qu'au niveau
des autres points du corps.
Il n'y a aucun trouble trophique cutané, aucun trouble vaso-moteur.
L'état général est excellent ; les divers viscères sont intacts. On ne trouve à
noter qu'une kératite avec strabisme externe et amblyopie de l'oeil gauche,
dont l'origine remonte à la première enfance, et un petit tic dans la joue gau-
che.
M. Huet a pratiqué l'examen électrique. En voici le résumé : L'excitabilité
faradique et galvanique directe des diverses parties du deltoïde est très affaiblie ;
souvent NFC est < PFC et les contractions sont lentes. Lors même que NFC
reste > PFC, les contractions sont lentes. II y a donc de la réaction de dégéné-
rescence partielle, plus ou moins accusée, dans les divers segments du deltoïde
des deux côtés.
L'excitabilité faradique indirecte pour le nerf est conservée mais très nota-
blement diminuée.
L'excitabilité faradique du sous-épineux parait faible, comparativement aux
autres muscles voisins, mais cela tient à ce que ce muscle est difficilement ac-
cessible aux excitations électriques, étant recouvert, en grande partie, par les
faisceaux du deltoïde postérieur, très développés chez ce malade qui est forte-
ment musclé.
25 novembre 1894. L'amélioration, au point de vue de la motilité, est
appréciable. Les divers mouvements du bras sont très nettement esquissés.
L'abduction maximum est représentée par la photographie ci-jointe.
Telle est l'histoire de ce malade. Notre maître, M. Raymond, a fait res-
sortir l'intérêt de cette paralysie bideltoïdienne, en insistant sur sa bilaté-
ralité, sur sa limitation étroite aux seuls muscles deltoïdes et sur sa
curieuse palhogénie (élongation des nerfs circonflexes par l'attitude prise
pendant le sommeil). A ce triple point de vue, ce fait constitue une véri-
table « trouvaille » anatomo-clinique.
DEUX CAS D'HERMAPHRODISME ANTIQUE
PAR
HENRY MEIGE.
Dans une étude de critique artistique et médicale publiée en 1892 par
Y Iconographie de la ScalpoLrière (1), M. Paul Richer a rapproché le type
Hermaphrodite immortalisé par l'art grec de la conformation naturelle du
corps connue sous le nom d'Infantilisme et de Féminisme.
Ces anomalies morphologiques ne sont, pas rares. « Ne pourrait-on pas,
dit M. P. Richer, les classer dans une catégorie particulière d'hermaphro-
disme dans laquelle ce que l'on appelle les caractères sexuels secondaires,
d'ordinaire laissés de côté, seraient appelés à entrer en ligne de compte,
et que l'on pourrait désigner sous le nom (['hermaphrodisme antique* ! »
Les observations qui suivent et les remarques qui les accompagnent
viennent à l'appui de cette opinion (2).
.... x
La fusion des formes corporelles de l'homme avec celles de la femme
chez un même personnage n'est pas rare dans les reproductions figurées
de l'antiquité.
On a donné bien des explications de ce goût singulier. Tour à tour, on a
invoqué la religion, la philosophie, l'esthétique, et jusqu'à un raffinement
de libertinage. Toute oeuvre d'art portant en soi les reflets des idées et des
moeurs de son époque, on ne saurait négliger de faire valoir ces diverses
influences. Mais tous les arts, la sculpture et la peinture en particulier,
ont un point de départ commun qui est l'imitation de la nature. C'est aussi
leur but, non pas tout leur but, car si l'artiste s'attachait uniquement à la
copie servile de la réalité, son oeuvre resterait forcément inférieure aux
procédés de reproduction mécaniques, le moulage et la photographie par
exemple. A sa statue ou à son tableau, le sculpteur ou le peintre demande
davantage. Ils veulent qu'ils expriment une idée plus clairement et plus
complètement que ne le font les objets réels. Pour être parfaites leurs
oeuvres doivent être il la fois conformes' à la nature et à cette idée.
(1) Pal Hiciier, Les Hermaphrodites dans l'art. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière,
n 6, 1892.
(2) Elles sont extraites d'une étude plus générale que j'ai entreprise sur la morpho-
logie et la pathogénie de l'Infantilisme et du Féminisme, suivie d'une critique des prin-
' cipaux hermaphrodites de l'art antique, critique dirigée par les excellents conseils de
M. Paul nicher. Ce travail sera très prochainement publié. N
DEUX CAS D'HERI<IAPHRODISDIE ANTIQUE 57
La critique d'art s'adresse à ces deux caractères. Elle devient malaisée
pour les figurations où l'on ne peut retrouver le document naturel que
l'artiste a voulu idéaliser.
Tel est le cas des Hermaphrodites antiques.
Lemotmêmed' Hermaphrodite éveillant en général l'idée d'une monstruo-
sité, il semble inadmissible qu'une déformation corporelle aussi cho-
quante ait séduit les Grecs, observateurs habiles assurément, mais avant
tout soucieux de l'harmonie des formes.
Aussi, les archéologues se sont-ils ralliés pour la plupart à cette opi-
Ilion que les représentations d'hermaphrodites étaient purement conven-
tionnelles.
« Les artistes, dit Winckelmann, auraient voulu faire une image nou-
velle participant de la nature de l'homme et de celle de la femme. Ils
auraient composé un organisme nouveau en contradiction avec toutes les
données naturelles, mais possédant une apparence de vraisemblance par
la fusion des éléments du beau pris dans les chefs-d'oeuvre de l'art, sans
représenter cependant aucun type existant dans la nature ».
Sans doute, ajoute-t-il, l'hermaphroditisme existe dans la nature, et
n'était pas inconnu dans l'antiquité. Mais personne ne peulpenser sérieu-
sement qu'un type aussi rare et aussi anormal ait jamais fourni des élé-
ments vrais aux oeuvres d'art (1) ».
La conclusion qui s'impose est formulée catégoriquement par 0. Millier :
« Il est évident que l'art peut être considéré comme le créateur du type
hermaphrodite » (2).
, Cette'affirmation est peut-être trop absolue. En tous cas, Winckelmann
va trop loin en disant que « le type idéalisé par les Grecs est en contradic-
tion avec toutes les données naturelles ».
Hermaphrodisme est un terme mal défini lorsqu'il est appliqué à l'es-
pèce humaine.
S'il signifie, - comme c'est le cas pour certains animaux inférieurs,
qu'un même individu possède à la fois l'un et l'autre sexes et peut simul-
tanément jouer le rôle du màle ou de la femelle, il,né répond pas en téra-
tologie humaine à la réalité, car il n'existe jusqu'à ce jour aucun exem-
ple authentique de celle alliance des deux sexes anatomiquement et
,physiologiquement distincts.
Les tératologistes ont pris soin d'étendre la définition.
Geoffroy St-llilaire désigne sous le nom d'hermaphrodisme « la réu-
(1) Winckelmann, Gesc7a. d. li. 4. Buch. 2. Kap. §39.
(2) 0. Muli.eh, Ilandb. d. Arch., § 392. 2.
58 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE /
nion chez le même individu des deux sexes, ou de quelques-uns de leurs
caractères ».
C'est donner trop d'extension à un qualificatif déjà fort vague ; par là,
il est impossible de dire où commence l'hermaphrodisme et où il s'arrête.
En effet, les différences qui séparent les sexes ne portent pas seulement t
sur les organes destinés à la reproduction, autrement dit sur les camc-
tères sexuels primordiaux . Le dimorphisme s'établit progressivement sur
tout le corps, en suivant un plan général préétabli. Le squelette, la
peau, les glandes, l'habitus général, et jusqu'aux facultés psychiques, se
modifient dans un sens ou dans l'autre lorsque l'individu évolue normale-
ment vers l'un ou l'autre sexe. Les différences qui en résultent sont dési-
gnées sous le nom de caractères sexuels secondaires.
Nous ne connaissons rien des lois mystérieuses qui régissent cette dou-
ble évolution. Mais nous savons qu'elle peut être arrêtée ou pervertie, et
que chez le même individu ses deux modes peuvent parfois se manifester
simultanément. Tel être, qui par ses attributs sexuels mérite d'être appelé
homme, aura les formes corporelles propres au sexe féminin. Tel autre
pourvu des attributs de la femme, semblera par ses traits, sa musculature,
sa pilosité abondante, appartenir aussi au sexe mâle.
De là une variété infinie d'anomalies de développement qui se traduit
par le mélange en proportion ^variable de caractères mâle et femelle chez
un même individu.
La définition de Geoffroy St-Ililaire qui englobe toutes ces variétés
sous la dénomination d'Hermaphrodisme est par trop générale.
Avec plus de précision, Ahlfeld déclare que : « Un homme à seins
développés, présentant les apparences du féminisme, une femme a barbe,
une virago, ne sont pas des hermaphrodites. On ne leur donne ce nom que
si les organes de la génération sont affectés en même temps de quelque
vice de développement pouvant faire naître des doutes sur la sexualité
réelle de l'organisme ».
Voilà qui permet d'établir une différenciation plus précise.
On conservera le nom d'hermaphrodites aux individus dont les organes
génitaux, anormalement développés, peuvent donner lieu à des méprises
sur leur sexualité véritable. Telles sont, par exemple, les femmes chez les-
quelles le clitoris volumineux prend grossièrement les apparences d'un
pénis, ou les hommes chez qui, par suite d'une malformation uréthrale et
d'une ectopie testiculaire, les bourses réduites à deux feuillets accolés
simulent des grandes lèvres.
Les variétés de ces anomalies congénitales sont extrêmement nombreu-
ses. Elles ont leur intérêt en tératologie et en embryogénie. Sans y insister
davantage, il importe de retenir que, dans tous ces cas, les anomalies de
DEUX CAS D'HERMAPHRODISME ANTIQUE 59
développement portent sur les caractères sexuels primordiaux, sans pré-
judice des autres malformations corporelles.
De tels êtres, on le conçoit sans peine, ne sont pas faits pour tenter le
ciseau ou le pinceau d'un artiste, quelqu'épris qu'il soit des formes natu-
relles. Ce sont des monstres, et aucun d'eux ne pourrait se targuer d'avoir
servi de modèle au type si gracieux et si harmonieux de l'Hermaphrodite
antique.
A leur égard, l'opinion de Winckelmann est amplement justifiée.
Mais laissons de côté ces monstruosités inesthétiques, qui ont peut-être
eu pour les artistes un intérêt de curiosité, mais qui, tout au plus, n'ont
fourni prétexte qu'à des figurations licencieuses.
Une autre catégorie d'individus d'apparence bisexuée se rapproche infi-
niment plus des Hermaphrodites de l'antiquité.
Ce sont ceux dont les attributs sexuels primordiaux, exempts d'ailleurs
de malformations congénitales trompeuses ou de mutilations éventuelles,
ont subi un arrêt de développement, soit a partir de la naissance, soit seu-
lement au temps de la puberté.
Dans le premier cas, le corps conserve indéfiniment les caractères exté-
rieurs de l'enfance. Les attributs secondaires de l'un et de l'autre sexe
demeurent imprécis. L'être reste neutre.
Dans le second, on voit, par une sorte d'inversion évolutive, se déve-
lopper les caractères secondaires du sexe opposé.
C'est au premier de ces syndromes morphologiques qu'il convient de
réserver le nom d'Infantilisme ; au second, celui de Féminisme.
Et c'est dans cette dernière catégorie qu'on rencontre le prototype na-
turel de l'hermaphrodite antique.
Pour les hermaphrodites, comme pour les autres divinités anthropomor-
phes, la nature a fourni le modèle, l'artiste l'a idéalisé. Une tête de femme,
un torse d'athlète se divinisèrent sous le ciseau d'un sculpteur de génie.
Pareillement, naquit le type androgyne d'un corps humain que la nature
mit un jour sous les yeux d'un artiste de talent, et où les formes de la
femme se trouvaient harmonieusement confondues avec celles de l'homme.
Nombre d'Hermaphrodites, de Bacchus, d'Apollons, d'Eros, de Ganymé-
des, au sexe indécis ou double, ont peut-être été inspirés par la rencontre
fortuite d'une anomalie de développement aujourd'hui bien connue, le
Féminisme.
En 1890, à l'hôpital de la Pitié, dans le service de M. le professeur
Brouardel qui attirait souvent l'attention sur ces anomalies de la croissance,
60 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DELA SALPÊTRIÈRE
j'eus l'occasion d'observer deux cas, l'un d'infantilisme, l'autre de fémi-
nisme, dont voici l'histoire en résumé :
OBSERVATION -1. Louis P...., garçon jardinier, âgé de 17 ans, a con-
servé la taille et'les.formes d'un enfant de 10 à 12 ans. Le crâne est petit,
la face large et ronde, les joues grosses, le nez peu développé, les lèvres
épaisses, le menton fuyant perdu dans un bourrelet adipeux. Sur le front,
quelques rides donnent à la physionomie un aspect vieillot. *
Le torse est allongé, cylindrique, les seins un peu saillants, le ventre
assez proéminent (PI. X).. ,
Les Organes génitaux sont atrophiés. Au-desous de la masse graisseuse
prépubienne notablement, épaissie apparaissent une verge et des bourses
rudimentaires. Celles-ci sont réduites à deux replis cutanés accolés entre
lesquels sont compris les testicules du volume d'un gros pois. La verge
est très courte, le gland recouvert en entier par le prépuce.
Pas de poils sur le pubis, non plus qu'aux aisselles ni sur la ligure.
Les membres inférieurs sont enveloppés par une épaisse couche grais-
seuse, sans saillies musculaires. Les fesses sont fortes et leur pannicule
adipeux remonte haut. La cuisse est large en haut et s'amincit au genou.
Les lignes en sont très féminines.
Un peu au-dessus du condyle interne du fémur gauche, on voit une ci-
catrice consécutive à un abcès osseux. Le genou en est resté déformé.
Tous les muscles de la jambe gauche sont d'ailleurs atrophiés.
Les bras sont potelés ; les attaches du poignet fines, et les mains petites.
L'aspect général est celui d'un enfant.
Le caractère de Louis P. est aussi celui d'un gamin, turbulent et pleur-
nicheur.
Il a plusieurs frères et soeurs bien portants. Son enfance fut assez mala-
dive. A la suite de violentes douleurs dans les membres, des abcès sont
survenus. On en voit encore les cicatrices, sur la fesse, la cuisse, le genou
et la jambe, ainsi- qu'à l'avant-bras. ' .
En résumé il est resté, malgré ses 17 ans, un enfant : il en a le corps, il
en a la figure, il en a aussi le caractère et les goûts. C'est un infantile.
A retenir cependant la conformai ion de certaines parties du corps : les
hanches, les fesses, les cuisses et les extrémités. La forme en est infan-
tile, mais se rapproche aussi du type féminin. - t
Observation Il. Un Italien, Angelo C..., âgé de 40 ans, était entré
à la Pitié dans un service de chirurgie, pour y êlre opéré d'nn abcès osseux
situé au niveau du condyle interne du fémur.
La guérison ai peu près terminée, on le fit passer dans le service de M. le
professeur Brouardel pour y finir sa convalescence.
Nouv. ICONOGR· DE LA SALPÊTRIÈRE ` ' T. VIII PL. X
INFANTILISME
Chez un sujet âgé de 10 dus.
L BATTAILLE ET C"
EDTT1;URS
NOUV.tCOHOC.DELASALPÊTKtÈRE T. '\'111. PL. XI ,}, : XII.
PHOTOTYPE NhG. H. MEIGE. PHOTOCOL. DERTHAUD.
FÉMINISME
Chez un sujet âgé de 40 ans.
L. BATTAILLE ET C"
Éditeurs
DEUX CAS D'HERMAPHRODISME ANTIQUE 61
Cet homme parlait mal le français; était d'une intelligence assez
obtuse.
Il n'avait pas de profession, ayant essayé de tous les métiers, sans en
apprendre réellement aucun.
Paresseux, indolent, incapable de s'astreindre à un travail régulier, il
avait des goûts féminins, aimait les bijoux, les couleurs voyantes ; il était
aussi très superstitieux et très religieux. -
Timide et pusillanime à l'excès, il avait, quand on s'approchait de son
lit pour le découvrir, des gestes pudibonds et des mouvements de défense
comme un animal peureux.
Assez docile quand il voyait qu'on s'intéressait à son sort, il entrait dans
des colères furibondes contre ses camarades de salle, quand ceux-ci se per-
mettaient de le plaisanter sur ses manières et ses croyances, ou ce qui
arrivait plus souvent encore - d'équivoquer sur son sexe. Peut-être ces
railleries n'étaient-elles pas tout à fait imméritées : les moeurs d'Angelo
ne semblent pas avoir été irréprochables.
Voilà pour l'état mental.
Au physique, c'est un individu de taille au-dessus de la moyenne. Il
est peu musclé, et se tient mal (Pl. XI et XII).
La figure est sans expression : le regard craintif et inquiet. Le front bas,
étroit, ridé, l'oeil petit, le nez long et fortement busqué, les oreilles très
grandes, effilées par le haut, mal ourlées. Pas un poil de barbe sur le vi-
sage. La voix est celle d'un enfant. Le cou est grêle, les épaules tombantes
et étroites. Le tronc est arrondi. Les seins extrêmement développés for-
ment un relief tout à fait anormal, très apparent sur le profil. Le mame-
lon qui les surmonte est saillant au milieu d'une aréole glabre.
Le ventre plat au-dessus de l'ombilic est bombé au-dessous, la cicatrice
ombilicale enfoncée.
Les organes génitaux sont très atrophiés. Les testicules réduits au vo-
lume d'une noisette apparaissent entre les deux feuillets des bourses accolés
il la partie inférieure. La verge très petite, atteint il peine les dimensions
de celle d'un enfant de 8 à 10 ans. ,
Au-dessus d'elle, quelques poils rares, disposés comme chez la femme
au-dessus du mont de Vénus sans remonter le long de la ligne médiane.
Il en existe aussi, mais très peu, sous les aisselles.
Le bassin est notablement élargi. Les fesses sont reliées aux lianes par
une forte nappe graisseuse qui remonte sur les faces postérieure et latérale
du tronc. Cette couche graisseuse fait disparaître les sillons supérieur et
inférieur des lianes. En arrière, on voit la dépression lombaire inférieure,
la seule constante chez la femme; la supérieure n'est pas visible.
62 ' NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
La graisse de la région prépubienne est répartie suivant un triangle cur-
viligne, bombé, constant dans le type féminin. 1
Les cuisses, chargées de graisse à leur racine, en dehors principalement,
sont effilées vers le bas, sans reliefs musculaires.
Au genou el au jarret, même enveloppement adipeux, ainsi qu'à la
jambe. Le pied est étroit et plat. Le bras et l'avant-bras sont arrondis, le
poignet mince, la main petite et les doigts fins.
Corps et membres sont franchement féminins. Angelo marche l'échiné
un peu ployée, les cuisses fléchies sur les jambes, à petits pas, d'une
allure hésitante et serrant les genoux comme une femme. Cependant
il ne souffre plus de son membre opéré.
Dans la description précédente, on retrouve d'abord plusieurs des ca-
ractères de l'infantilisme : l'atrophie des organes génitaux, la voix grêle,
l'enveloppement graisseux du corps, l'absence de poils sur le visage.
Mais il y a plus. La conformation extérieure du corps a pris les appa-
rences féminines.
Epaules et poitrine étroites, bassin anormalement élargi, membres s'effi-
lant de la racine à l'extrémité, répartition de la graisse dans les régions
.lombaire, fessière et abdominale suivant le type féminin.
La face n'a pas cette rondeur pouponne qui caractérise' celle de l'in-
fantile. Les lèvres ne sont plus charnues et saillantes, le nez s'est allongé.
C'est le visage d'un adulte, mais c'est celui d'une femme plutôt que
celui d'un homme.
Enfin la disposition des poils el de la graisse dans la région pubienne, et
plus que tout cela, le développement inusité des seins, complète la ressem-
blance avec la morphologie féminine.
Au moral, même transformation : esprit léger, versatile, crédule; timi-
dité, pudibonderie, coquetterie.
En définitive, de corps et d'esprit, Angelo est une femme, dont l'appa-
reil sexuel est remplacé par des organes génitaux d'enfant.
A ces exemples fournis par la clinique, comparons les oeuvres d'art.
Les Hermaphrodites antiques peuvent se diviser en deux groupes :
Dans le premier rentrent les monuments figurés qui représentent des
personnages purement conventionnels cliez lesquels se marient les carac-
tères de la beauté pris dans l'un et l'autre sexe. C'est la réalisation par l'art
de l'idée philosophique ou mythologique. Parmi ces images on trouve de
fort belles oeuvres ; mais aucune d'elles n'est l'expression (l'une vérité mor-
phologique : c'est le type idéal.
DEUX CAS D HERMAPHRODISME ANTIQUE ' 63
Les artistes y ont exagéré les caractères sexuels primordiaux.
Tantôt c'est un corps de femme d'un beau modèle. Les courbes des cuis-
ses, des hanches et des membres sont harmonieusement fondues. La taille
est bien accentuée, les seins sont fermes et saillants. Le sexe mâle est in-
diqué par ses attributs génitaux, qui semblent rapportés sur ce corps tout
féminin. Tel est un hermaphrodite figuré sur un vase grec reproduit par
Fischbein (III, 21). V. Fig. 3 (1).
Plus rarement, il s'agit d'une forme mâle aux muscles accentués, aux
hanches étroites, à la poitrine large et forte sur laquelle l'artiste a appli-
qué deux seins volumineux. Exemple; l'Hermaphrodite de Florence, Fig. 4
(Gall. real., t. 2, ser. 4, pl. 60. Clarac, ho46, D. pl. 660).
Un second type, qu'on pourrait appeler type naturel, comprend des
images qui sont la reproduction souvent très exacte des anomalies obser-
vées dans la nature. Le sculpteur ou le peintre semblent avoir fidèlement t
copié les modèles que le hasard a mis sous leurs yeux. Ceux-là sont bien
les hermaphrodites dont Platon et ses disciples vantent la beauté hybride.
Les lignes du corps tiennent à la fois de celles de l'homme, de celles de
la femme et de celles de l'enfant. Les hanches sont fortes, mais sans excès,
les membres enveloppés de graisse.
(1) Personnage ithyphallique : les organes sexuels mâles n'ont pas été figurés sur le
dessin.
Fig. 3
Fig. 4
64 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÉTRIÈRE
Les deux sexes sont représentés par leurs attributs, mais toujours peu
accentués. Les seins sont petits, peu saillants, mais bien dessinés, les or-
ganes mâles sont ceux d'un enfant de cinq à dix ans. La ligure est celle
d'un éphèbe. - -- -
Le torse de 1 hermaphrodite (tu
musée de Berlin dont M. Paul Ri-
cher a fait une excellente critique
est un bel exemple de ce type na-
turel.
Plusieurs figurines en terre
cuite trouvées dans la nécropole
de Myrina par MM. E. Pottier et
S. Reinach, et dont j'ai pu, grâce
à l'obligeance de ce dernier, faire
des reproductions photographi-
ques, offrent une analogie frap-
pante avec la conformation cor-
porelle qu'on observe dans les cas
de féminisme, chez des sujets de
15 à 20 ans (Pl. XIII).
Chez les individus plus avancés
en âge les caractères de l'infan-
titisme sont moins accusés, mais
le féminisme est aisément reconnaissable.
On verra ces caractères naturels exactement rendus par l'art si on com-
pare au malade de l'observation II, une peinture sur fresque du musée
secret de Naples représentant un androgyne porteur des attributs de Bac-
chus (Fig. 5) (1)..
Pour nombre de figurations antiques les remarques précédentes sont ap-
plicables.
L'analyse méthodique des formes et leur comparaison avec les exem-
ples de féminisme observés de nos jours montrent qu'il existe une confor-
mation corporelle qu'on peut considérer comme le prototype naturel de
tout un groupe d'hermaphrodites antiques.
(1) Comme un grand nombre d'images de ce genre, ce personnage est ithyphallique.
Le gérant : Louis 13ATTAII.Lg.
.Imp. Vve Lounnor, 33, rue des 13atIgOOlleS, PariS.
Fig. 5.
j'l°UVEt..t..E JCONOGR. LA ¡;At..PLTn.JÈRC T. VI11, I·L. XII !
HERMAPHRODITES ANTIQUES
Terres cuites trouvées dans la Nécropole de Myrina.
^Collection Pottier et S. Reini1ch.)
L. BATTAILL.E ET Cw
ÉDITEURS
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA SALPETRIERE
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL
A PROPOS DE DEUX CAS DE CES AFFECTIONS
. PAR
F. RAYMOND
Professeur de Clinique des Maladies du Système Nerveux.
Leçons faites à la Salpêtrière, les 14 et 21 décembre 1894,
Recueillies par Léopold Lévi, interne du service.
Messieurs, /
La malade, qui va faire le sujet de cette leçon et de celle qui suivra, est
atteinte, selon toute probabilité, d'une affection encore mal connue et
dont l'étude est à peine esquissée dans vos livres classiques; dans certains
traités de pathologie nerveuse, elle a même été passée complètement sous
silence. Il s'agit, pour le dire de suite, d'une affection de la queue de cheval.
Je me trouve ainsi amené à aborder un chapitre de pathologie qui est en
quelque sorte placé aux confins de la pathologie de la moelle et de la pa-
thologie du système nerveux périphérique, et qui soulèvedes problèmes très
délicats de diagnostic et de traitement, lesquels intéressent à peu près
également le médecin et le chirurgien. Aussi ai-je pris le parti de vous
l'exposer avec quelques développements, surtout pour ce qui concerne deux
points de vue, celui du diagnostic et celui' du traitement, et sans avoir la
prétention d'épuiser la question. 1 Il
Laissez-moi d'abord vous présenter la malade qui me fournit l'occasion
de cette étude. 1
vin ' 1 5
66 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
.
..
A première vue, vous pouvez lire sur la figure de cette femme les traces
des violentes souffrances qu'elle a endurées, et qu'elle endure encore. Ces
souffrances l'ont amenée à faire usage de la.morphine et môme à en abu-
ser. Néanmoins elle"a conservé intactes la mémoire et l'intelligence. Elle
répond sans hésitation et avec netteté aux questions qu'on lui adresse. En
l'interrogeant, nous avons appris que les souffrances dont'elle se plaint
ont pour siège principal le membre inférieur gauche. Ce sont des douleurs
lancinantes qui, partant de la racine du membre, ou plutôt de la fesse,
s'irradient jusqu'aux orteils. Elles sont intermittentes et reviennent à des
intervalles irréguliers ; quelquefois, elles persistent pendant 8 à 15 jours,
Indépendamment de ces douleurs lancinantes, elle éprouve des douleurs
en ceinture, au niveau de la région lombaire.
En outre de ces douleurs spontanées, il existe une hyperesthésie cuta-
née au niveau de la cuisse et de la ses gauches, hyperesthésie qui se ma-
nifeste au moindre attouchement de la peau de ces régions. Celte hyperes-
thésie se retrouve avec une moindre intensité le long de la colonne verté-
brale, mais surtout dans la région lombaire. Enfin, la pression des muscles
de la cuisse et notamment du quadriceps crural provoque également des
douleurs.
Il existe chez cette femme d'autres troubles de la sensibilité qui, en
l'espèce, ont une importance de premier ordre ; ce sont : de l'anesthésie
du périnée ; de l'hypoesthésie à la face interne de la fesse gauche, qui dé-
passe le pli fessier' de quelques centimètres pour empiéter sur la cuisse ;
enfin de l'hypoesthésie du bord externe du pied gauche. Un schéma que je
vais faire placer sous vos yeux vous permettra de vous rendre un compte
exact de cette anesthésie (ou hypoesthésie) qui intéresse la sensibilité sous
ses trois modes. (V. fig. G et 7)
En poussant plus loin la recherche de ces troubles de la sensibilité,
nous avons acquis la preuve que l'anesthésie n'était pas limitée au tégu-
ment externe, qu'elle s'étendait à la muqueuse de l'urèthre, de la vessie,
de la vulve, à gauche, et du rectum..
Depuis longtemps d'ailleurs, la malade avait attiré notre attention sur
l'état de sa vessie. Elle a de l'incontinence d'urine, et elle nous a fort bien
signalé qu'elle n'éprouve pas le besoin' d'uriner, qu'elle perd jour et nuit
son urine, tantôt par gouttes, tantôt par plus grandes quantités, mais sans
jamais sentir le passage de l'urine.
En somme, l'ensemble des troubles de la sensibilité que nous relevons
chez cette femme peut se résumer dans ces quelques mots : anesthésie dou-
loureuse, à distribution bien définie. J'insisterai plus tard sur la signification
diagnostique de cetle distribution. \
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CUEVAL 67
* s .
1
En poursuivant l'examen des membres inférieurs de cette femme, nous
allons mettre en évidence des troubles très accusés de la molililé et de la
troplaicité. ' .
Remarquez d'abord comme son pied gauche est tombant. Il est en exten-
sion forcée, avec tendance à s'incliner sur son bord externe. Mais cette
attitude/n'est pas le lait dune contrac-
ture musculaire. Voyez en effet comme
ce pied se laisse mouvoir en tout sens,
comme il est ballant. Bref, c'est un pied
bot paralytique, un pied dont l'attitude
vicieuse est le fait d'une paralysie des ex-
tenseurs du pied.
Quant au reste,, les mouvements actifs
du pi dsont très limités; le redresse-
ment actif est presque impossible. Au
contraire, la malade peut, au comman-
dement, soulever son membre inférieur gauche au-dessus du plan du
lit, à la hauteur qu'on lui indique, et ! elle le fait sans la moindre ma-
nifestation d'incoordination motrice ; seulement, elle résiste moins bien
à gauche qu'à droite aux efforts que l'on fait pour s'opposer à ce mouve-
ment d'élévation. i
Les mouvements d'extension et de flexion de la jambe sur la cuisse, de
la cuisse sur le bassin s'exécutent également sans difficulté, mais non sans
douleur. Les mouvements d'adduction et d'abduction de la cuisse, de rota-
tation en dehors et en dedans dénotent, une impuissance fonctionnelle
relative très manifeste. L'exécution de tous ces mouvements provoque des
douleurs ainsi qu'un état de contracture dû quadriceps crural, accompagné
de secousses convulsives de ce muscle. Je vous ferai remarquer en passant
que ces secousses fibrillaires se produisent également sous l'influence du
contact d'un corps froid, de l'exposition\du membre à l'air, d'un pince-
Fig. 6.
l'1â. Î. ,
68 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
ment même léger de la peau, de la palpation du 1 uscle, de la percussion
du tendon rotulien. Habituellement, elles s'accompagnent d'une sensation
douloureuse. Des contractions fibrillaires semblables mais moins fortes
agitent parfois les muscles des mollets. l'
Vous pouvez constater ensuite que, comparativement au membre infé-
rieur droit, le membre inférieur gauche est atrophié. Celte atrophie est
plus prononcée au niveau de la région antéro-exterpe, où existe un méplat
très apparent. Quant au reste, oici les résultats des mensurations prati-
quées des deux côtés, à des niveaux égaux. ;
Au niveau de la partie moyenne de la cuisse, le pourtour du membre
mesure 44 centimètres à gauche et 48 à droite, soit une différence de
4 centimètres à l'avantage du côté droit. Au niveau des mollets, cette
différence se réduit à 2 cent. 1/2. 1
Je vais maintenant faire marcher la malade devant vous, et, soit dit en
passant, elle sera en état de le faire mieux qu'au'moment de son entrée;
n'empêche que sa démarche présente des anomalies dont vous vous ren-
drez compte* facilement. Voyez avec quelle exagération sa jambe gauche
se fléchit sur la cuisse, voyez comme le pied retombe sur le sol en deux
temps, d'abord sur la pointe, puis sur le talon. Vous connaissez le nom
que l'on donne à ce mode de déambulation : c'est le steppage. Notre malade
steppe donc de la jambe gauche et cela d'une façon très prononcée.
Indépendamment de cette parésie et de cette atrophie circonscrite a cer-
tains groupes de muscles du membre inférieur gauche, indépendamment
du steppage, l'examen de ce même membre nous fait constater.une exigé-
ration des réflexes rotuliens et des réflexes cutanés plantaires; par contre
on constate la perte des réflexes du tendon d'Achille. De plus, l'examen
électrique pratiqué par M. Iluet a révélé les signes de la réaction de dégéné-
rescence dans tous les muscles du groupe antéro-exte1'lle de la jambe gauche
A. droite, l'excitabilité électrique des muscles et des nerfs ne 'présente pas
de modification notable. Je vous signale encore en passant un léger trem-
blement des quatre membres, plus prononcé aux membres supérieurs, et
qui n'a pas grande signification en l'espèce ; il se rapporte simplement,
selon moi, à l'intoxication chronique par la morphine dont cette femme est
la victime.
Enfin, quand j'aurai attiré voire attention sur une eschare unilatérale,
située il la région sacrée gauche, près de la ligne médiane, de forme losan-
gique, mesurant 4 centimètres en longueur et 3 centimètres en largeur,
et qui subit des alternatives d'amélioration et de recrudescence, j'aura
épuisé rémunération des symptômes dont la réunion forme un ensemble
assez caractéristique pour nous conduire sur la piste du diagnostic que je
vous ai indiqué au début de cette leçon. »
SUII LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CUEVAL 69
*
..
Récapitulons un peu ces symptômes, dans l'ordre dans lequel je viens de
les relever :
C'est d'ahord une anesthésie du bord inférieur du pied gauche, du périnée,
de la fesse et de la vulve de ce même côté gauche, cle l'2crètlcre, de la vessie et
du rectum, avec incontinence d'urine; anesthésie coïncidant avec de l'hy-
peresthésie et des douleurs spontanées du membre inférieur gauche, de la
région sacrée et de la colonne vertébrale; c'estpourquoi,j'ai qualifié tout à
l'heure cette anesthésie de douloureuse. 1 .
Je vous ai fait constater ensuite l'existence d'une parésie des extenseurs
du pied, des adducteurs et abducteurs de la cuisse ; une atrophie des mus-
cles de la jambe et du pied, prédominante dans le domaine d'innervation du
sciatique poplité externe, accompagnée des signes de la réaction de dégéné-
rescence, et qui est cause, en majeure partie, de la chute du pied et du st,ep-
page. Soit dit en passant, les phénomènes de contracture douloureuse, que
je vous ai signalés du côté du quadriceps fémoral, me paraissent être l'ex-
pression d'une hypere : rcitaliilité neuro-musculaire en rapport avec une irri-
tation du nerf crural (racine, tronc, ou ramifications). Peut-êcre celte
irritabilité neuro-musculaire reconnait-elle pour cause les piqûres de
morphine, que la malade se fait dans sa cuisse gauche au niveau du vaste
externe et du droit antérieur.
Enfinje vous ai fait constater l'existence d'une eschare unilatérale il gau-
che de la rainure inlerfessière. ' *
Il me reste maintenant à vous faire connaître dans quelles circonstances
s'est développée l'affection dont est atteinte noire malade.
Celle-ci est âgée de 4G ans. Elle a été, abandonnée dès son bas-âge et
recueillie à l'hospice de Clermont (Oise). C'est vous dire qu'elle n'a pas
connu ses parents et qu'elle ne peut fournir aucune espèce de renseigne-
ments touchant son hérédité. Elle a toujours été bien portante pendant
son enfance, et, aussi loin que peuvent remonter ses souvenirs, elle ne se
rappelle pas d'avoir eu aucune lièvre éruptive, aucune maladie générale.
Les premières règles sont apparues à t'age de 9 ans ( ? ). Depuis cette
époque la menstruation a été régulière jusqu'au mois d'octobre 1892. Elle
a eu, à celle période de sa vie, une aménorrhée qui a duré six mois.
A 23 ans, elle fit une grossesse, accoucha à terme d'un enfant vivant,
qui mourut quelques heures après la naissance. Jamais de fausse couche.
Deux mois avant son accouchement, elle avait fait deux chutes sncces-
sives dans un escalier, mais elle put néanmoins conduire sa grossesse jus-
qu'à terme. Les suites de couches furent des plus simples.
1 t
70 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
r
Depuis cette époque jusqu'au mois'de décembre 1891, son histoire ne
révèle rien de particulier au point de vue médical. Elle ne faisait pas d'ex-
cès éthylique. Elle n'a pas contracté la syphilis.
Elle exerçait le métier pénible de blanchisseuse . Vers le mois de dé-
cembre 1891, elle tomba trois fois, à quelques semaines d'intervalle, dans
un bassin d'eau froide. Ces chutes paraissent avoir été tout à faitacciden-
i i
telles; d'ailleurs, elles n'ont été précédées d'aucun étourdissement, d'au-
cun trouble spécial ; et, il n'en est point résulté d'indisposition les jours
qui les suivirent. 1 1
Au lavoir, où elle passait la plus grande partie de sa journée, son tra-
vail consistait à prendre, dans un bassin d'eau froide placé à sa droite, du
linge qu'elle mettait dans un autre bassin placé à sa gauche. Il en résul-
tait un contact incessant avec l'eau froide ; d'autre part les pieds restant
immobiles, le tronc avait à exécuter, sans cesse, un mouvement de rota-
tion de droite à gauche. , i
Au mois de janvier 1892, survinrent quelques douleurs vagues dans la
région lombaire et dans le membre inférieur gauche, ce qui gênait un peu
la marche et provoquait une légère claudication, mais n'empêchait pas la
malade de se livrer à ses occupations habituelles.
Au mois de mars 1892, crises gastralgiques très vives, avec vomissements
fréquents, perte de l'appétit. Ces phénomènes douloureux durèrent un
mois environ et amenèrent un grand état de faiblesse.
La malade alla tant bien que mal jusqu'au 1er janvier 1893.
Le 31 décembre, elle était restée levée jusqu'à 2 heures du matin, sans
rien remarquer de particulier dans son état. Elle dormit comme d'habi-
tude ; mais au réveil, quand elle voulut se lever, elle s'aperçut que sa
jambe gauche était paralysée. Cette paralysie était flasque; elle s'accompa-
gna presque dès les premiers jours de constipation, de rétention d'urine^
avec incontinence par regorgement. La malade resta alitée tout le mois
de janvier et une partie de celui de février.
Le 13 février, elle fut admise à l'hôpital Tenon, où elle resta jusqu'au
3 avril. Le 6 avril, elle alla à l'hôpital Broussais, fut reçue d'abord en
chirurgie, à cause de sa rétention d'urine, puis passa rapidement en mé-
decine dans le service de M. le Dr B,,ti-tli', pour la paralysie de la jambe
gauche. , t 1
Voici, en quelques mots, les principales particularités cliniques cons-
tatées à cette époque parM. Barth et l'un de mes internes actuels M. Lévi.
Rétention d'urine avec incontinence par regorgement.
Sur la région fessière du côté gauche, près; de la ligne médiane du sa-
crum, eschare, de forme irrégulière, de la' grandeur d'une pièce de
Nouv. ICONOGR, DF LA SALPtTRI1'T<F T. VIII YL. XIV.
TROUBLES TROPHIQUES
dans un cas de lésion de la queue de cheval.
L EATTAILLE ET C"
F ? FURS
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 71
5 francs en argent. Du même côté et un peu plus en dehors, plusieurs
plaques rouges (PI. XIV).
Pied-gauche tombant, avec forcé musculaire diminuée. Mais la malade
peut, quoique difficilement, le ramener en flexion. Steppage. Pour mar-
cher, elle doit se servir d'un bâton.
Léger oedème à partir du 1/3 inférieur de la jambe gauche et sur le dos
du pied.
Réflexe patellaire gauche un peu diminué, le droit, est normal.
Douleur à la llexion de la jambe sur la cuisse. Hyperesthésie cutanée à
la région fessière, sous la plante du pied, à la partie inférieure de la co-
lonne vertébrale.
Sur la cuisse gauche, à la partie inféro-externe de la jambe et sur le dos
du pied, quelques plaques d'anesthésie. '
Voilà un tableau assez net, et dont il vous est facile de faire la compa-
raison avec celui de l'état actuel. L'état de la sensibilité du périnée ne fut
pas recherché à cette époque.
La malade fut soumise au traitement iodo-hydrargyrique. Son état eut
de la tendance à s'améliorer. Il en fut ainsi jusqu'au 24 mai. A cette épo-
que, sans cause connue, les douleurs vives, qui s'étaient atténuées, revin-
rent dans le membre inférieur gauche et la marche fut presque impos-
sible.
On note, le 13 juin, des douleurs dans les -deux cuisses, qui tendent à
prendre un caractère fulgurant et, en outre, des douleurs en ceinture
dans la région lombaire, surtout à gauche. Ces douleurs semblent partir
de la 3e vertèbre lombaire et suivre la crête iliaque. Elles sont exagérées
par la pression. "
Les .phénomènes vésicaux, qui ont été d'abord de la rétention d'urine,
se traduisent ensuite par de l'incontinence, avec des sortes de rémission
passagères. , .
Si j'ajoute que,' depuis cette époque, se sont produits des haut et des
bas, des douleurs plus ou moins vives, que la marche a été-plus ou moins
difficile, mais qu'il n'est survenu aucun symptôme- nouveau méritant
d'être noté, je vous aurai exposé, d'ans ses lignes essentielles,. l'évolution
de l'alfection dont souffre actuellement cette femme, et nous' serons en état
d'établir le diagnostic de la maladie, diagnostic qui va nous fixer sur le
pronostic 'et le traitement'. , " ' ,
... * ...
...... : ' * * " .. ,
i
Auparavant, permettez-moi, Messieurs, dé vous rapporter l'histoire
d'une de mes malades de Lariboisière, qui, par bien des côtés se rappro-
che du cas précédent.
72 NOUVËHE-iCOKOGMAPUIE DE LASALI'L1'ItIRG
Il s'agit d'une jeune fille de 19 ans, entrée dans mon service pour des
douleurs violentes dans le membre inférieur droit. 1. -
A son entrée, les douleurs étaient atroces; le moindre mouvement les
augmentait. Il fallut mille précautions pour transporter la malade du
brancard sur son lit. Après quelques instants de repos, il me fut possible
de procéder à un examen méthodique, et voici ce que je constatai :
Tout d'abord l'atlitude qu'avait prise la malade clans son lit me frappa.
Elle s'était couchée sur le côté gauche. La jambe droite libre, était en
flexion forcée.' D'une façon permanente, il existait dans presque toute
l'étendue de cette jambe droite une douleur sourde, profonde, pénible,
qu'exagéraient les moindres, mouvements. De plus, très fréquemment, à
dès intervalles variant de quelques secondes à 2 ou 3 minutes, la douleur
s'exagérait d'elle-même et cette crise de vives souffrances se traduisait
par des cris et par les contractions du visage de la malade.
Le plus petit mouvement du membre, le moindre attouchement à la
surface de la peau, principalement à la face antérieure de la cuisse et la
face interne du mollet droit, augmentait singulièrement l'intensité de la
douleur. La pression profonde paraissait plutôt l'atténuer.
Dans les conditions où se présentait la malade, on ne pouvait rechercher
ni les points douloureux de la cuisse, ni le signe de Lasègue.
Pourtant on pouvait constater, d'une façon très nette, l'existence d'un
point douloureux profond à la région sacrée, de chaque côté de la ligne
médiane, dans une étendue de 4 centimètres carrés environ.
, J'ajoute clu'à la racine du membre gauche se produisaient parfois des
élancements douloureux, mais infiniment moins pénibles que ceux de la
jambe droite, et survenant à des intervalles plus éloignés.
Tel était l'élément dominant de la situation. Mais je fus bientôt frappé
d'autres particularités importantes.
Pendant l'examen que je faisais, la jeune malade, devant moi, souilla
son lit, et les renseignements qu'elle me fournit m'apprirent qu'il en était
ainsi presque depuis le début de sa maladie. Elle avait déplus, de temps
il autre, de l'incontinence des matières fécales.
Je constatai, en outre, une anesthésie très nette du périnée et de la
vulve, de la fesse droite, du bord plantaire interne du pied droit ; une
diminution de la sensibilité à la face externe de la jambe, clans la région
péron iére. 1
Enfin, à la partie supérieure de la rainure inter-fessière existait une
eschare superficielle, de 8 centimètres de long sur 4 de large; elle empié-
tait sur la fesse droite.
Il exislait de Y atrophie de la fesse droite. A cause de la violence des
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE C EVAL 73
douleurs, je ne pus étudier la force du membre infé ienr droit, ni l'étal
du réflexe rotulien.
Enfin, la cuisse était le siège d'un oedème marqué surtout à sa partie
postéro-interne. L'étal général était satisfaisant, l'appétit diminué, les
urines ne contenaient ni sucre ni albumine. J
Dans les antécédents de la malade, on relevait un père buveur, très em-
porté, une mère nerveuse. Elle-même était d'une assez bonne santé anté-
rieure. A 17 ans, elle avait fait une chute violente sur la région des reins,
le lendemain même de l'établissement de ses règles. 1
Six mois avant le début des accidents actuels, nouvelle clrute sur lecoc-
cyx. Elle ressentit des douleurs assez vives dans la région des fesses, pen-
dant une huitaine de jours. La marche était gênée. Puis, peu à peu, elle
se rétablit.
Ce fut seulement six semaines avant son entrée à l'hôpital (9 octobre
1883), qu'elle commença par éprouver une douleur dans la jambe gauche
qui apporta une gêne assez sérieuse pour la marche.
Qualre jours après, subitement, tandis qu'elle marchait dans la rue,
elle fut prise de douleurs très vives dans la cuisse droite. Il lui fut impos-
sible de se tenir debout. On fut obligé de la transporter chez elle, et trois
jours après, on l'emmena à Lariboisière.
Lorsque je quittai cet hôpital le 25 décembre z9'3, la malade allait
beaucoup mieux, mais elle éprouvait encore des douleurs assez vives dans
la cuisse droite et au niveau du coccyx. Je n'ai pas eu de ses nouvelles
depuis. \
Vous voyez, Messieurs, que les deux tableaux cliniques que je , viens de
vous tracer ont enlre eux des points de ressemblance : f
L'intensité des douleurs siégeant dans un seul membre inférieur-et dans
la région sacro-coccygienne; l'anesthésie du périnée, et de certains terri-
toires du membre inférieur innervés par des branches nerveuses détermi-
nées, l'atrophie musculaire, les troubles vésico-anaux, t'eschareunitatératc.
Dans le premier cas, vous avez remarqué, en outre, que l'atrophie exis-
tait surtout dans le domaine du nerf sciatique poplité externe. *
Ce qui, en somme, constitue la caractéristique clinique de ces deux
cas, c'est la coexistence de troubles unilatéraux, de troubles de la sensi-
bilité et de la trophicité, et de phénomènes ano-vésicaux. Il y a ta une
association de symptômes, les uns de cause centrale, les autres de cause
périphérique, qui imprime à ces faits un cachet spéciale, et qui doit, à
première vue, éveiller dans l'esprit du médecin le soupçon d'une affection
delà queue de cheval.
74 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIÈRE
.
si
'r -- Dans quelles affections pouvez-vous rencontrer un ensemble sympto-
matique qui rappelle de plus ou moins près celui dont jé viens de 'vous
spécifier les traits caractéristiques ?
Je vous ferai remarquer d'abord que parmi ces traits il en est qui peu-
vent passer facilement inaperçus. Cela s'applique surtout à l'anesthésie et
à l'hypoesthésie. C'est ainsi que l'anesthésie a été méconnue chez la ma-
lade ici présente, pendant son séjour à l'hôpital Broussais. Bref, ce qui
frappe à première vue, ce qui domine la scène morbide, ce sont les dou-
leurs ou l'atrophie musculaire, ou les deux réunies. L'eschare au siège
peut manquer, de même que les troubles du côté de la vessie ou du rec-
tum, l'anesthésie peut passer inaperçue.
Quelles sont donc les affections dans lesquelles vous voyez dominer des
douleurs ou de l'atrophie musculaire ayant pour siège le membre inférieur
et la région sacro-lombaire ?
Dans le groupe des affections où prédominent les phénomènes doulou-
reux de siège approximativement semblable à celui que je viens de vous
indiquer, je vous signalerai d'abord l'artlmite ·12cnatisnaale dorso-lombaire
et le lumbago d'origine musculaire. Or, il s'agit là de maladies aiguës,
fébriles, se traduisant par des douleurs à siège bien déterminé. Avec un
peu d'attention, il sera toujours facile à un médecin tant soit peu instruit,
d'éviter une erreur de diagnostic.
Avec une autre affection douloureuse de la région sacro-fémorale, cette
question de diagnostic différentiel se pose dans des termes plus complexes.
La sciatique, Messieurs, présente des modalités variées au point de vue
étiologique. Je vous signalerai d'abord la sciatique névralgie; son début
brusque, l'existence de points douloureux fixes, bien faciles à mettre en
évidence, l'existence du signe de Lasègue, sont des caractères suffisants
pour vous mettre à l'abri d'une bonfusion avec une affection de la queue
de cheval.
La sciatique névrite présente des caractères différentiels tout aussi tran-
chés, qui sont : le trajet de la douleur, le caractère de celle-ci (douleur'
sourde avec paroxysmes), la marche de l'atrophie musculaire consécutive,
qui s'attaque en masse à tout le membre inférieur ou à tout un segment
de ce membre.
Une confusion est tout aussi facile à éviter dans les cas de sciatiques
bilatérales, qui sont habituellement symptomatiques d'une auto-intoxica-
tion telle que la glycosurie du diabète, ou d'une lésion du bassin, mais
qui peuvent n'être ni symptomatiques, ni secondaires ainsi que Clarcot
l'a démontré (1). -
(1) CIIARCOT, Clinique des maladies du système nerveux, t. I, p. 179.
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 75
Par contre, il y a lieu de faire le diagnostic différentiel des affections
de la queue de cheval avec une forme spéciale de sciatique compliquée, con-
sécutive à une lésion traumatique des branches d'origine du nerf dans le
petit bassin. En effet, G. Guinon etParmentier (1) ont vu, dans un cas de
ce genre, la névrite se limiter au domaine du sciatique poplité externe.
Or, vous vous rappelez que chez notre malade, l'atrophie musculaire
prédomine précisément dans la région innervée par ce nerf.
Mais vous trouverez des éléments suffisants de différenciation dans la
recherche des troubles vésicaux, de l'anesthésie du périnée, de l'eschare
fessière, toutes manifestations qui font défaut dans les différentes formes
de sciatiqués.
Le mal de Pott lombo-sacré s'accompagne assez souvent de pseudo-né-
vralgies simulant une sciatique d'abord unilatérale, avec paralysie motrice
partielle et incomplète ; la gibbosité, qui constitue par excellence la signa-
ture de l'affection, peut manquer. Il en est toujours ainsi quand l'affection
est simulée par l'hystérie. J'ai eu autrefois l'occasion d'adresser à Charcot
un malade dont l'observation figure dans les leçons du mardi (1888-1889).
C'était un homme de 24 ans, qui éprouvait des douleurs très vives dans la
partie inférieure de la région dorsale et dans la région lombaire ; il avait
en outre une démarche traînante. L'exploration de la colonne vertébrale
révélait l'existence d'une hyperesthésie très vive à la pression, avec sensa-
tion d'aura. Bref, il s'agissait d'un mal de Poil hystérique.
En somme, tous les cas que je viens de passer en revue ont comme trait
commun des douleurs siégeant dans la région lombo-sacrée ou dans l'un
des membres inférieurs.
D'autres fois, cette même question de diagnostic différentiel peut se
poser a propos de cas pathologiques dans lesquels domine l'atrophie mus-
culaire. Vous pouvez, par exemple, vous trouver en présence de monoplé-
gies crurales, en rapport avec une lésion spinale (cornes antérieures) ou
avec une névrite, ou avec l'hystérie. Je vais vous présenter une première
malade qui réalise ce dernier cas, et j'espère vous convaincre qu'il ne
saurait être question pour un médecin instruit de confondre la maladie
dont elle est atteinte avec une affection de la queue de cheval.
C'est une jeune fille de 16 ans, qui est victime de l'hérédité neuropa-
thique : deux de ses tantes sont sujettes à des crises convulsives ; un de ses
cousins germains est frappé d'idiotie; elle-même est migraineuse. Au mois
de février 1893, elle a présenté des accidents de pseudo-péritonite, accom-
pagnés de rétention d'urine. Elle est restée alitée pendant 10 mois ; dans
l'intervalle, elle a été atteinte d'une monoplégie du membre inférieur
(1) Id., p. 127.
76 NOUVELLE ICONOGRAPllIE DE LA SALPÊTRIÈRE
gauche qui, débutant par le pied gauche (février 1894), a successivement
envahi la jambe et la cuisse. Plus lard (novembre 1894), le bras du même
côté s'est paralysé à son tour. 01' sa monoplégie crurale s'accompagne d'une
hémianesthésie dont vous connaissez la signification. Cette jeune fille est
sujette à des attaques convulsives. Tout cela joint à l'évolution des acci-
dents ne. laisse subsister aucun doute relativement à la nature hystérique
de sa monoplégie.
Vous n'éprouverez pas plus d'embarras pour rattachera sa véritable
cause l'affection du malade qui s'avance devant vous, lorsque, en quelques
mots, je vous aurai mis au courant de son histoire.
Cet homme a 27 ans; il a été quartier-maître bord d'un. torpilleur.
Il parait être indemne de toute tare héréditaire. Le 22 août 1892, étant à
bord, en rade de Toulon, il fut pris pendant la nuit d'une violente
douleur dans la région des lombes, et d'une fièvre assez forte (39°). En
voulant quitter son hamac il s'affaissa ; ses jambes étaient paralysées et
fiasques. On le transporta à l'hôpital St-Mandrier. La fièvre le quitta au
bout de cinq jours, la rachialgie au bout d'un mois. Il se rétablit peu à
peu, mais non sans conserver de -traces de son atteinte de paralysie.
Actuellement, il est impotent delà jambe gauche qui est ballante, atro-
phiée. Il peut encore se servir de sa jambe droite, qui a été moins touchée
que celle de gauche. Grâce à un ingénieux appareil dont il est muni, et
qui lui maintient la jambe gauche, il peut marcher sans trop de diffi-
culté.
Tous ceux d'entre vous qui sont un peu avancés dans l'étude de la
pathologie nerveuse auront déjà reconnu que cet homme a été atteint
d'une poliomyélite aiguë lombaire, éteinte depuis longtemps, et dont il ne
reste plus aujourd'hui que des traces sous forme d'une monoplégie atro-
phique.
Les névrites peuvent également donner lieu à un ensemble symplom,ti-
que susceptible de vous donner le change avec celui que nous avons trouvé
réalisé chez nos deux premiers malades. Voici par exemple un homme qui
présente une forme particulière de polynévrite, d'origine indiscutable-
ment alcoolique. Cet homme avoue qu'il a fait des excès de boisson. Il a
de la gastrite, des pituites, du tremblement des mains. De plus, il a
des antécédents névropathiques : sa mère avait des attaques d'hystérie.
Lui-même a eu des accès de somnambulisme à )'age de 10 à 11 ans. Au
mois de ,juillet 1893, il a été pris de troubles urinaires, dysurie et polla-
kiurie. Puis, pendant près d'une année, il a souffert d'une rétention
incomplète d'urine, sans incontinence. Au mois de septembre 1894, il a
été en proie il des douleurs dans les cuisses, les mollets, il duténesme anal ;
sa puissance génitale s'est mise à baisser.
,
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 77
Actuellement, la pression des muscles des mollets développe chez lui
des douleurs, une sensation de brûlure, de pétillement au niveau des mus-
cles ; on constate une diminution des réflexes tendineux, le signe de Rom-
ber, une incoordination motrice peu marquée d'ailleurs, des troubles de
la sensibilité objective qui, comme ceux d'ordre subjectif, différent, eu
égard à leur expression et à leur siège, des [roubles sensitifs que nous
avons constatés chez nos deux premiers malades. Bref, l'homme que vous
avez devant vous réalise un exemple de pseucto-tahes alcoolique, et je
crois vous avoir convaincu, qu'il est facile de distinguer cette forme de
polynévrite des affections de la queue de cheval.
Il est une autre forme de névrite à marche progressive qui, à une phase
de son évolution, peut simuler dans une certaine mesure l'ensemble symp-
tomatique présenté par notre première malade. Je veux parler de la forme
d'amyotrophie connue sous le nom de type Charcot-Marie. A un moment
donné, nous pouvons trouver là une association de phénomènes doulou-
reux, d'anesthésie ou d'hypoesthésie et d'atrophie. Seulement, cette der-
nière évolue d'une façon progressive. Elle débute habituellement par les
muscles de la jambe et du pied d'un côté, pour envahir ensuite les parties
homologues du côté opposé. Les cuisses restent épargnées ; les troubles
vésicaux et rectaux font défaut.
Dans la myélite lombaire aiguë, vous observez, au début, de la paraplégie
en même temps que des troubles ano-vésicaux et mie eschare au siège.
Seulement les accidents éclatent avec brusquerie; d'emblée, la paraplégie
est complète des deux côtés; l'eschare est bilatérale et elle occupe la région
sacrée ; c'est plus qu'il n'en faut pour différencier celte forme de myélite
des affections de la queue de cheval.
On en peut dire autant de la myélite transverse, qui se caractérise par-
une paraplégie atrophique spasmodique, l'atrophie étant peu accusée
comparativement à l'élément contracture; d'ailleurs les accidents sont
bilatéraux.
Enfin une confusion du tabès dorso-lombaire avec une affection de la
queue de cheval serai inexcusable, car dans le cas de la première maladie,
même au début, nous constatons, indépendamment des douleurs fulgu-
rantes, l'abolition du phénomène du genou des deux côtés, le signe
d'Argyll-Robertson, quelquefois le phénomène de Romberg ; enfin l'anes-
thésie, quand elle existe, affecte une toute autre distribution.
1 -
Vous le voyez, Messieurs, qu'on envisage des maladies caractérisées
seulement par des manifestations douloureuses, ou seulement' par de l'a-
trophie musculaire, ou par les deux à la fois, douleurs et atrophie occu-
78 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
pant l'un des membres inférieurs et la région sacro-lombaire, nous n'en
trouvons pas qui réalise un ensemble symptomatique "susceptible d'être
confondu avec celui que présentent nos deux premiers malades. C'est que,
chez eux, nous avons affaire à une affection qui emprunte des traits en
partie aux paralysies périphériques, en partie aux paralysies centrales.
Pour qu'il en soit ainsi, il faut qu'elle siège en un point où elle intéresse
à la fois l'axe spinal et l'origine d'une partie des nerfs destinés au membre
inférieur. Il faut, en un mot, qu'elle siège à certain niveau du canal lombo-
sacré. C'est ce que j'essayerai de vous démontrer dans ma prochaine leçon.
' II
C" LEÇON DU 21 DÉCEMBRE 1894
Messieurs, 1
La conclusion à laquelle j'étais arrivé à la fin de ma dernière leçon était
celle-ci : l'affection de la malade qui est devant vous, et que vous connais-
sez maintenant dans ses moindres détails, ne peu siéger que dans le canal
lombo-sacre, parce qu'elle réunit, ai la fois, les caractères d'une affection
périphérique et d'une affection centrale ; dans' cette région seulement,
en effet, la moelle épinière et les nerfs lombaires ou sacrés, déjà consti-
tués, peuvent être atteints simultanément. /
Il nous faut chercher maintenant à déterminer exactement où siège cette
lésion dans le canal lombo-sacré, et quelle est sa nature ? Ainsi, seule-
ment, nous serons à même de nous prononcer sur la question de pronostic
et de traitement.
Pour arriver à la solution de ces questions, je me vois obligé de faire
une étude un peu détaillée de la pathologie des affections de la queue de
cheval. / 1
Ces affections de la queue de cheval nous intéressent à un double point
de vue. /
a) En raison de la lumière que leur étude a jeté et pourra jeter encore
sur les dégénérescences secondaires des cordons postérieurs, et sur la cons-
titution anatomique du système sensitif de la moelle.
b) En raison des succès que les chirurgiens ont déjà obtenus en inter-
venant contre des affections qui occasionnent souvent des souffrances
atroces, allant jusqu'à rendre l'existence/intolérable aux malades.
Or, il s'agit d'un chapitre de pathologie qui n'existe, je vous l'ai (lit
dans ma dernière leçon, qu'à l'état tout à fait embryonnaire dans quel-
" /
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 79
ques traités didactiques consacrés à l'étude des maladies du système ner-
veux : d'autres l'ont passé complètement sous silence. Je crois donc bien
faire, en profitant de l'occasion que me fournit notre malade, pour vous
exposer l'histoire des affections de la queue de cheval, avec quelques dé-
veloppements. '
Cette étude ne saurait être bien comprise de vous qu'autant que vous
aurez présents à l'esprit, d'une façon nette et précise, les rapports anato-
miques de la queue de cheval et le rôle qui revient aux différents nerfs
qui la constituent, dans l'innervation des membres inférieurs et des orga-
nes pelviens. ,' ' .
C'est dire qu'un préambule anatômique s'impose, avant que j'aborde
cette étude de pathologie et de clinique. Je le ferai aussi concis que possi-
ble, en ne vous rappelant que les notions d'anatomie, indispensables à
l'intelligence de ce qui suivra. Il ressortira d'ailleurs, de ce préambule,
que l'histoire des affections de la queue de cheval se confond, dans une
certaine mesure, avec la pathologie de ce prolongement terminal du ren-
flement lombaire, connu sous le nom de cône terminal. Je ne saurai donc
les séparer l'une de l'autre. 1 \
/ \
1 / '
Vous savez que sous le nom de queue de cheval, on désigne un gros fais-
ceau de nerfs, disposé en éventail allongé, et qui remplit la portion infé-
rieure du canal rachidien, à partir de la première ou de la deuxième ver-
tèbre lombaire. /
Ce faisceau est formé par les derniers/nerfs rachidiens, lombaires et
sacrés, destinés aux membres inférieurs ; ces nerfs naissent du renflement
lombaire par des racines qui sortent de moelle, dans une direction très
oblique, 'et parcourent ensuite un long trajet vertical avant de s'échapper
du canal des lombes et du sacrum, à travers les trous de conjugaison.
La figure (fig. 8) que je vous mets sous les yeux vous donne une repré-
sentation nette de cette disposition. Cette autre figure (fig. 9) queje place
également sous vos yeux, en même temps que ces belles préparations ana-
tomiques, dues à M. Julien et à ses élèves, est destinée à vous remettre
en mémoire les rapports de la partie terminale du névraxe et de la queue
de cheval avec les pièces qui constituent le canal rachidien. '
Au point de vue de l'étude clinique que nous allons entreprendre au-
jourd'hui, il importe que vous ayez ces rapports bien présents à l'esprit.
Vous voyez, en jetant un coup d'oeil sur notre deuxième figure (fig. 9),
que la moelle se termine inférieurement parmi cône effilé, le cône médul-
laire ou terminal (cor<UM terminale). Ce cône terminal n'est que l'extrémité
80 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTR1ÈRE
effilée du renflement lombaire, avec lequel il se
continue sans ligne de démarcation bien nette.
On a donc été obligé de fixer cette ligne
de démarcation d'une façon arbitraire. Voici
celle qu'a proposée M. le professeur Charpy,
de Toulouse, dans sa remarquable étude ana-
tomique des centres nerveux (in Traité d'ana-
lomie humaine, publié sous la direction de
P. Poirier) : le cône terminal, d'après Charpy,
est la partie de la moelle qui donne nais-
sance aux nerfs coccygiens ; il a pour limites,
en haut, le plan qui sépare le cinquième nerf
sacré du premier nerf coccygien, en bas, le
point ou le filll1n montre une égale épaisseur.
Il a une longueur moyenne de 10 millimè-
lres; mais sa forme est quelquefois effilée,
et sa longueur atteint alors 2 centimètres.
Ce mode de démarcation a l'avantage d'éta-
hlir une distinction nette entre le renflement t
lombaire considéré comme lieu d'origine des
nerfs lombaires et sacrés, et la portion ter-
minale du névraxe, qui n'a rien à voir avec
l'origine dé ces mêmes nerfs.
Je dois vous prévenir toutefois qu'il ne
saurait convenir au clinicien. Je vous mon-
trerai qu'en tenant compte des symptômes
attribués aux affections du cône terminal, il
est de toute nécessité de reporter plus haut la
limite supérieure de celui-ci, de la reporter
un peu au-dessus de l'émergence des 4e et De
paires sacrées.
Quoiqu'il en soit, le cône terminal corres-
pond, comme 'siège, à la 2c vertèbre lombaire ;
depuis les expériences de Longet et Cruveil-
Fig. 8. Extrémité inférieure de la moelle épinière et queue de cheval, vues par leur
face antérieure (d'après Testut).
D. Les trois dernières paires dorsales.
L. Paires lombaires.
S. Paires sacrées.
Co Nerf coccygien. '
1 dure-mère rachidienne ; 2 ligament dentelé ; 3 sillon collatéral postérieur ; 4.4 raci-
nes postérieures des nerfs rachidiens ; si racines antérieures dn côté gauche, les ra-
cines postérieures ayant été réséquées ; G queue de cheval ; 1.1 filuum terminale.
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 81
hier, il est admis que lorsqu'on fait pénétrer un instrument entre la pre-
mière et la deuxième vertèbre lombaires, on a les plus grandes chances
de traverser la moelle vers la base du cône terminal.
Fig. 9. z Les lignes verticales pleines indiquent la longueur du trajet intra-vertebrat
des 4e et 50 racines lombaires et des racines sacrées.
vin 6
82 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Le cône terminal est enveloppé par la dure-mère et par les nerfs de la
queue de cheval. Par son extrémité inférieure, ainsi que vous le fait voir
la ligure ci-jointe, le cône terminal se prolonge jusqu'au sommet du coc-
cyx, sous la forme d'un cordon mince, le filament terminal (lilum termi-
nale des auteurs allemands), appelé encore, ligament coccygien, ligament
caudal.
Ce filament terminal est. comme perdu au centre des racines nerveuses
qui vont constituer la queue de cheval. Il est engainé par la dure-mère
jusqu'au niveau de la deuxième vertèbre sacrée, de sorte qu'on lui dis-
tingue deux parties : la partie intra-durale, filament terminal interne, et
la partie extra-durale, filament terminal externe, qui va s'insérer sur les
vertèbres coccygiennes.
Fait important, la moitié supérieure du filament interne est médullaire,
c'est-à-dire formée par la moelle.
Quant au filament externe, il serait, suivant les uns, formés par la pie-
mère et par des vaisseaux ténus ; suivant d'autres (Luschka, Charpy), ce
sérail une émanation de la dure-mère. Peu importe d'ailleurs au pointde
vue de notre étude clinique (1).
En résumé, au renflement lombaire, qui s'étend de la 9e ou 10° vertèbre
dorsale à la 2e lombaire, et qui donne naissance aux racines des nerfs lom-
baires et sacrés, fait suite : 1
Le cône terminal qui est en rapport avec la 2" vertèbre lombaire ;
Le filament terminal interne, qui est en partie un prolongement de la
moelle, et qui s'étend de la 3e vertèbre lombaire à la 2° sacrée ;
Le filament terminal externe, qui occupe la portion du canal rachidien,
située au-dessous de la 2e vertèbre sacrée.
D'autre part, les nerfs lombaires, au nombre de cinq, dont les quatre
premiers vont former le plexus lombaire, s'échappent, vous le savez, par
les trous de conjugaison du segment lombaire du rachis, le trou par le-
quel sort le premier nerf lombaire se trouvant compris entre la première
et la deuxième vertèbre lombaire. ,
De même, les nerfs sacrés, également au nombre de cinq, les quatre
premiers donnant naissance, avec la collaboration du cinquième nerf lom-
baire, au plexus sacré, les nerfs sacrés, dis-je, s'échappent, les quatre
premiers, par les trous sacrés, le cinquième entre le sacrum et le coccyx.
Si maintenant, je vous mets sous les yeux, les chiffres qui expriment
la distance comprise entre l'émergence spinale des racines de ces nerfs et
le trou de conjugaison à travers lequel ils quittent le canal rachiden, vous
(1) Consulter, sur ce même sujet, la communication dj1 Tr (sur la structure du
filum terminal) à la Société de biologie, en 1892. \ /ItiV/vi 0Usi& » , 4
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE' CHEVAL 83
serez à même de vous renseigner, d'une façon exacte, sur les rapports
anatomiques des nerfs de la queue de cheval et des pièces qui constituent
le rachis. Ces chiffres, je les emprunte au récent Traité d'anatomie de
M. Testut, qui les a recueillis sur le cadavre d'un sujet de 18 ans :
Distances comprises entre l'émergence du nerf et son trou de conjugaison :
84 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
. RÉSUME DE L'INXERVATIOX DES PLEXUS LOMBAIRE ET SACHE.
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CUEVAL 85
RÉSUMÉ DE L'INNEIWATION DU CHURAL, DU PETIT SCL1'IIQI,'E
ET DU GHAXD SCIATIQUE.
86 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALI'L1'HII : RE
FlG. 10.
Territoires des nerfs cutanés du membre
inférieur, vus sur la face antérieure.
7, rameau crural du génito-crural. - 8, 8,
rameaux génitaux du plexus lombaire.
9, obturateur.- 10, crural. - 11, saphène
interne. 12, cutané péronier. 13, sa-
phène externe. 15, musculo-cutané du
sciatique poplité externe. 16, tibial an-
térieur. 17, plantaire externe. 18,
plantaire interne.
Fig. 11.
Territoires des nerfs cutanés du membre
inférieur, vus sur la face postérieure
(d'ap, TESTUT).
1, rameau- fessier du grand abdomino-
génital. 2, branches postérieures des
nerfs lombaires. 3, branches postérieu-
res des nerfs sacrés. 4, branches cuta-
nées du plexus coccygien. 5,5', petit
sciatique. - 6, l'émoro-cutané. - 9, ob-
turateur. - 94, saphène interne. 12,
cutané péronier. 13, saphène externe.
14, rameau calcanéen et rameau plan-
taire du tibial postérieur, t5, musculo-
cutané du sciatique poplité externe.
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 87
plexus sacré, de même que le sphincter anal, le releveur de l'anus et la
vessie.
Vous verrez quelles applications nous aurons à faire tout à l'heure de
ces notions d'anatomie.
Territoires des nerfs cutanés de la région plantaire (d'ap. Testut).
13, Saphène externe. 14, rameau calcanéen et rameau plantaire du tibial posté-
rieur. 4 î, plantaire externe. 1S, plantaire interne.
II
J'en ai fini de ces préliminaires anatomiques. Je vais aborder mainte-
nant l'histoire clinique des affections de la queue de cheval el, du cône ter-
iiiiial. le vais vous tracer d'abord la symptomatologie qu'on trouve réali-
sée dans les cas où une affection, telle qu'une tumeur, un processus
méningitique, une luxation des vertèbres, ayant son siège dans la portion
inférieure du canal rachidien, relentit simultanément sur les nerfs de
la queue de cheval et sur le segment terminal du névraxe.
J'insisterai ensuite sur les symptômes qu'on a observés dans des cas où
une lésion intéressait exclusivement le cône terminal, sans retentir sur
les nerfs delà queue de cheval.
Messieurs, les symptômes qu'on observe, dans le premier cas, lors-
qu'une lésion agit, par voie de compression, sur les branches nerveuses
qui constituent la queue de cheval, ces symptômes peuvent se résumer
dans ces quelques mois :
Fig. 11. ,
88 - NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE ,LA SALPÊTR1ÈRE
Paraplégie douloureuse, compliquée d'une anesthésie cutanée, assez
nettement circonscrite, n'affectant que les muscles innervés par le plexus
sacré, et de troubles de la miction et de la défécation, en rapport, à la fois,
avec une paralysie des sphincters et avec une anesthésie de la vessie et
du rectum.
Ajoutez, à ces symptômes, certains troubles trophiques, certains trou-
bles des fonctions génitales chez l'homme, certaines modifications des re-
flexes tendineux et des réactions électriques, et vous aurez une idée d'en-
semble très complète des éléments qui composent le tableau clinique des
affections de la queue de cheval.
Cela dit, voyons un peu comment se présentent ces diverses manifesta-
tions pathologiques, et pour cela, je vais les passer en revue, dans un or-
dre systématique, en commençant par les troubles de la sensibilité.
A. TROUBLES DE la sensibilité.
a) 77eh ? e.S ! <M ; douleurs. Quand il s'agit d'une affection sponta-
née, non traumatique, de la queue de cheval, le premier symptôme, en
date, consiste, presque toujours, en douleurs assez caractéristiques quant
à leur siège et quant à leur expression.
Ces douleurs, le plus souvent, sont localisées par les malades dans la
région du sacrum ; presque toujours elles s'irradient dans les membres
inférieurs ou seulement dans l'un d'eux.
Quelquefois, elles sont rapportées en une partie tout à fait circonscrite
du sacrum, circonstance qui peut avoir de la valeur au point de vue du dia-
gnostic ; c'est un point sur lequel j'aurai à revenir.
Môme quand elles sont continues, ce qui est rare, elles sont sujettes à
des exacerbations plus ou moins violentes. Il est tout à fait exceptionnel
qu'elles revêtent le caractère fulgurant. Presque toujours, elles sont con-
tusives et térébrantes, comparables à celles que provoqueraient des mou-
vements de vrille.
Habituellement, elles sont réveillées ou exagérées par la percussion du
sacrum, par le maintien du corps dans une même attitude, mais surtout
par les mouvements, par les efforts de toux ou autres.
Un malade de Laquer, dont j'aurai l'occasion de vous reparler, car son
histoire est particulièrement intéressante, était obligé, nuit et jour, de
changer incessamment de position, tant les douleurs devenaient violentes,
lorsqu'il était resté assis ou couché sur le dos ou sur toute autre partie du
corps, pendant quelque temps.
Il est fréquent que les douleurs s'atténuent ou s'apaisent pendant des
SUR LES affections DE la QUEUE DE CHEVAL 89
périodes de temps plus ou moins longues; ces rémissions, que nous avons
notées chez notre malade, peuvent survenir spontanément ou à la suite
de l'emploi de tel ou tel traitement. Elles peuvent avoir une durée très
longue.
Indépendamment des douleurs proprement dites, on a observé, chez
quelques malades, l'existence de zones d'hyperesthésie.
b) Anesthésie. L'anesthésie est une manifestation constante dans les
cas d'affection de la queue de cheval. Elle porte sur les différents modes
de la sensibilité ; dans quelques observations, on trouve mentionnée la
prédominance de l'analgésie.
Cette anesthésie est toujours circonscrite, et sa distribution, sujette à
quelques variantes, offre cependant une assez grande régularité.
Et, d'abord, il est extrêmement rare que l'anesthésie occupe toute l'é-
tendue des membres inférieurs. Elle est assez souvent symétrique ou à
peu de chose près.
Il est de règle qu'elle occupe la muqueuse de la vessie et du rectum, le
scrotum et la verge, la vulve et les grandes lèvres chez la femme, le pour-
tour de l'anus dans les deux sexes, ainsi que la région fessière inférieure.
Elle peut être limitée à ces régions qui, soit dit en passant, représentent
le domaine d'innervation d'une partie des branches nerveuses émanant
du plexus sacré et des plexus hypogastriques : branche périnéale du hon-
teux interne, etc., etc.
Cette circonscription de l'anesthésie se trouvait réalisée dans des cas où
l'autopsie a démontré ensuite l'existence d'une lésion limitée au cône
terminal. Je vous ai dit que je porterai une attention spéciale à cette par-
tie de notre sujet.
Habituellement l'anesthésie envahit les membres inférieurs, et alors
elle est le plus souvent limitée à la partie postérieure de la cuisse et de la
jambe, c'est-à-dire à une zone innervée par le petit sciatique,- ainsi que
vous le montrent les figures schématiques placées sous vos yeux (V.
fig. B).
Aux pieds, elle peut être limitée à la face plantaire. D'autres fois, elle
ne laisse intacte qu'une mince bandelette située le long du bord interne
(fig- C). l .
Vous saisissez, je suppose, l'importance qu'il y a à bien connaître ces
détails. "
c) Paresthésies : Dans l'un ou l'autre cas, on a noté de l'engourdisse-
ment, des fourmillements aux pieds, ou encore des sensations anormales
dans le rectum (sensation de brûlure, ou de corps étranger, de ténesme).
90 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
B. TROUBLES DE la motilité.
Ils se réduisent à une paralysie plus ou moins complète, souvent tran-
sitoire, de certains groupes de muscles, aux membres inférieurs. Je trai-
terai séparément des troubles moteurs qui ont pour siège la vessie et le
rectum.
Presque toujours, la paralysie est limitée aux muscles fessiers et à ceux
de la région postérieure de la cuisse et de la jambe, c'est-à-dire à un ter-
ritoire innervé par des branches motrices du plexus sacré ; c'est, ajoute-
rais-je même, un caractère des affections de la queue de cheval, sans
participation du renflement lombaire, que les muscles innervés par le
crural restent indemnes.
Donc, dans les cas types, la paralysie motrice est incomplète aux mem-
bres inférieurs, c'est pourquoi les malades sont généralement en état de
marcher un peu, avec ou sans le secours de béquilles. Voici d'ailleurs ce
que l'on peut dire des troubles de la démarche, dans les cas d'affections
de la queue de cheval.
Troubles de la démarche. Ces troubles de la démarche n'ont rien de
bien caractéristique. Il est exceptionnel que les malades soient dans l'im-
possibilité complète de se servir de leurs membres inférieurs, sauf dans
les cas d'origine traumatique, pendant les premiers jours ou semaines
qui suivent l'accident.
Quelquefois, ils ne peuvent marcher qu'en s'appuyant sur des béquil-
les ou sur le bras d'un guide. D'autres fois, il leur est possible de marcher
seuls, mais ils n'avancent que lentement, difficilement, en traînant un
pied, ou en frottant les plantes contre le sol. Notre malade, ainsi que vous
avez pu le voir, marchait en steppant de la jambe malade.
Habituellement aussi la difficulté de la marche est surtout grande pour
monter et pour descendre. 1
Naturellement les malades se fatiguent très vite. Il faut que vous sachiez
aussi que dans les affections de la queue de cheval, la démarche n'est pas
seulement gênée par la parésie motrice ; elle peut l'être par les douleurs
dont je vous parlais il y a un instant, et qui, dans bien des cas, dominent
la scène pathologique.
Ce qu'il importe de savoir et de retenir, c'est que jamais on n'observe de
troubles de la coordination chez ces malades. Tout au plus trouve-t-on
signalée, dans l'une ou l'autre observation, l'existence du signe de Romberg
(impossibilité de se tenir d'aplomb dans l'obscurité).
Parfois la parésie motrice se complique d'une atrophie plus ou moins
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 91
1
prononcée de quelques-uns des muscles paralysés, ,c'est le cas chez notre
malade. Cette atrophie est, le plus souvent, irréparable. ,
Troubles des réflexes tendineux. On a noté :
L'intégrité des réflexes tendineux ; /
L'affaiblissement des réflexes patellaires, allant jusqu'à l'abolition com-
plète, d'un seul ou des deux côtés ; /
Un certain degré d'exagération des réflexes'patellaires, coïncidant avec
l'abolition des réflexes du tendon d'Achille. /
Bref, il n'y a rien de caractéristique dans^'étal des réflexes tendineux.
Réactions électriques. - On en peut dire autant des modifications des
réactions électriques. t ...
Ainsi l'excitabilité électrique peut être normale, c'est ce qu'a constaté,
entre autres, Laquer, chez son malade. ' 1
D'autres fois, on constate une diminution de l'excitabilité galvanique et
faradique des nerfs qui fournissent aux muscles paralysés ; cette diminu-
tion peut aller jusqu'à l'abolition complète de l'excitabilité électrique.
Enfin, dans un certain nombre de cas, on constate, à l'exploration de
certains nerfs et de leurs muscles, les signes de la réaction de dégénéres-
cence ; notre malade en est un exemple.'
Soit dit en passant, la constatation de la réaction de dégénérescence,
coexistant avec de l'atrophie musculaire, a une grande signification pro-
nostique. Elle traduit l'existence, dans les muscles, de lésions dégénérati-
ves, le plus souvent irréparables, parce qu'elles sont la conséquence d'une
désorganisation profonde des centres trophiques de ces muscles ou des
nerfs qui en émanent. 1
Troubles des (onctions génito-urinaires et du gros intestin. Ces troubles
ne manquent jamais. Voici leurs caractères :
Par suite de l'anesthésie et de la paralysie motrice de la vessie, les ma-
lades présentent habituellement des alternatives d'incontinence et de ré-
tention d'urine, qu'on désigne sous le nom d'iscla2criecc°adoxale.
D'abord la vessie ne se vide point, parce que les malades ne ressentent
pas le besoin d'uriner, leur muqueuse vésicale étant frappée d'anesthé-
sie. Le voudraient-ils d'ailleurs qu'ils seraient souvent dans l'impossibi-
lité de le faire, les tuniques musculaires de leur vessie étant paralysées.
Et comme cette paralysie atteint, dans une certaine mesure, le sphincter
vésical, les urines s'écoulent au dehors par regorgement, sans que les ma-
lades en aient conscience, lorsque la distension de la vessie atteint un cer-
tain degré.
Des circonstances analogues se trouvent réalisées pour ce qui concerne
les fonctions du gros intestin. Quelquefois les troubles de la défécation
se réduisent à une constipation opiniâtre, qui ne cède qu'à l'emploi des
92 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIÈRE
laxatifs. Cette coprostase reconnaît pour cause l'anesthésie dû rectum,
compliquée ou non d'une parésie motrice de la dernière portion du gros
intestin, mais sans participation du sphincter anal. Quand ce'sphincter
est pris également, on voit la constipation opiniâtre alterner avec l'incon-
tinence des matières fécales, et ce cas est assez fréquent.
Il peut arriver aussi que la miction et la défécation soient douloureu-
ses. D'autres fois, les malades souffrent d'un ténesme très pénible.
Pour ce qui est des troubles des fonctions génitales, ils ne sont pas
aussi constants. Chez la femme, ils passent habituellement inaperçus,
pour des raisons faciles à saisir. Chez l'homme, on peut observer la dimi-
nution, voire la suppression de la puissance génitale. Un malade, dont
l'observation- a été publiée par Valentini, n'avait pas conscience des éja-
culations, lorsqu'il s'adonnait au coït. Un autre, dont l'observation a été
publiée par Bernhardt, de Berlin, éprouvait la sensation voluptueuse que
développent les rapports sexuels, quand il se livrait au coït, mais il n'é-
jaculait plus, preuve que, chez lui, les muscles bulbo et ischio-caverneux
étaient paralysés. Ce sont là des particularités intéressantes à connaître.
Troubles trophiques. Je vous ai déjà dit qu'une atrophie plus ou
moins prononcée envahit quelquefois les muscles paralysés. Beaucoup
plus souvent, on observe le développement d'ulcérations de décubitus, au
niveau du sacrum, aux fesses, d'un seul ou des deux côtés (c'est le cas
chez notre malade), au niveau des grands trochanters. Ces ulcérations
peuvent exercer une influence fâcheuse sur l'état général des malades, et
aggraver la cachexie terminale, qui est un des modes de terminaison des
affections de la queue de cheval.
SYMPTOMATOLOGIE SPÉCIALE DES AFFECTIONS LIMITÉES AU CÔNE
TERMINAL ET AU FILAMENT TERMINAL. \
Cette symptomatologie vous est connue après ce que je viens de vous
dire des troubles des fonctions génito-urinaires el du rectum dans les
affections qui intéressent la queue de cheval et la portion terminale du
névraxe. Elle se réduit, en effet, à ces troubles, ainsi que le démontrent
des observations publiées par Lachmann, par Kirchhoff, par Oppenheim.
Dans le cas de Lachmann, on a trouvé, à l'autopsie, un gliome dans la.
partie supérieure du filament terminal, qui, vous vous le rappelez sans
doute, est un prolongement direct de la moelle, constitué par du tissu
médullaire. La tumeur, longue de 6 centimètres, comprimait exclusive-
ment les nerfs destinés à la vessie. '
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 93
C'est ce qui explique que, du vivant du malade' les symptômes se soient
réduits à des troubles de la miction et de la défécation : incontinence d'u-
rine, alternant plus tard avec la rétention ; constipation opiniâtre. Détail
à noter, le malade avait eu des hématuries, par suite du développement
d'une cystite hémorrhagique, consécutive aux manoeuvres de cathétérisme ;
comme, d'autre part, il éprouvait des souffrances violentes clans la région
des reins et qu'il était dans un état de marasme très prononcé, on avait
diagnostiqué un cancer de la vessie. Vous voyez(là un exemple des erreurs
de diagnostic auxquelles exposent les lésions qui intéressent isolément
la région des centres de l'innervation réflexe de la vessie et du rectum, ou
les nerfs qui en partent.
Chez le malade de Kirchhoff, les accidents,' survenus à la suite d'un
traumatisme, ont débuté par une paraplégie motrice, qui s'est dissipée au
bout de quelque temps, pour faire place à une paralysie de la vessie et du
rectum. L'autopsie a révélé un foyer de dégénérescence, limité au cône
terminal, plus étendu à droite ; la queue de cheval n'était pas touchée.
Les choses se sont passées, à très peu de choses près, de la même façon
chez un malade d'Oppenheim. A la suite d'une chute sur la région du sa-
crum s'est montrée une paralysie motrice des jambes, avec de l'engour-
dissement, de la rétention d'urine. La paralysie motrice et l'engourdisse-
ment se sont dissipés au bout de très.peu de temps ; par contre, le ma-
lade est resté affligé d'une incontinence complète d'urine et des matières
fécales. Il n'avait plus conscience de ses évacuations ; enfin, il était com-
plètement privé d'érections. A cela se sont réduits les manifestations pa-
thologiques, jusqu'à la mort du sujet.
A l'autopsie, on a trouvé un foyer d'hématomyélie, limité au cône ter-
minal, sans altération de la queue de cheval. -
En présence d'un malade qui réalisait ce môme syndrome, c'est-à-
dire des troubles limités exclusivement à la sphère d'innervation de la
vessie et du rectum, le professeur RosentUal, de Vienne, n'a pas hésité à
porter le diagnostic d'affection du cône terminal. Vous voyez donc que
j'avais raison de réclamer, au nom des cliniciens, une délimitation du
cône terminal, autre que celle qui a été proposée par certains anatomistes,
notamment par M. Charpy. Il faut reporter la limite supérieure du cône
terminal immédiatement au-dessus du centre ano-vésical, qui siège au ni-
veau de l'émergence des 3a et 4e racines sacrées. -
94 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
. ÉTIOLOGIE.
Il me reste peu de chose à dire de l'étiologie des .affections de la queue
de cheval et du cône terminal, après les développements dans lesquels je
suis entré. Cette étiologie se résume, en somme, dans ces trois termes :
tumeurs ; traumatisme ; myélite et méningite.
J'ai fait faire par mon ami Ricklin, en vue de celte leçon, le relevé
des principaux cas d'affections de la queue de cheval et du cône terminal,
publiés jusqu'à ce jour ; je suis arrivé à un total de 29 cas, qui se décom-
pose ainsi, eu égard à la nature del'élémentétioloictne :
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 95
sur le siège. Dans un cas (Osier), une fracture sous-cutanée de la colonne
vertébrale a été occasionnée par un coup de feu, qui n'a pas atteint le
rachis directement, mais indirectement, le bas du dos se trouvant protégé
par une giberne.
Je vous signale encore une observation de Charcot, qui a fait l'objet d'une
très intéressante leçon clinique, et où, selon toute vraisemblance, un
foyer de myélite s'était développé dans la portion-inférieure du névraxe,
à la suite d'une contusion du sciatique. '
MODE DE DÉBUT ; MARCHE ; TERMINAISON. PRONOSTIC.
Les affections de la queue de cheval présentent deux principaux modes
de début, suivant qu'elles se développent, ou non, à la suite d'un trau-
matisme.
Dans le premier cas, les malades, en raison de la violence du choc
traumatique, perdent connaissance, au moment de l'accident. Quand ils
reviennent à eux, ils sont dans l'impossibilité de se servir de leurs jam-
bes ; ils ne peuvent pas se relever et encore beaucoup moins marcher. On
les transporte au lit et déjà ils se plaignent de ressentir une douleur plus
ou moins violente dans le bas du dos. Puis, au bout de très peu de temps,
ils présentent des troubles de la miction et de la défécation, en rapport avec
une paralysie sensitive et motrice de la vessie et du rectum.
Quand l'affection n'a pas une origine traumatique, il est de règle que
les douleurs ouvrent la marche, avec les caractères que vous leur con-
naissez, parce que je vous en ai dit précédemment. La parésie motrice,
l'anesthésie, les troubles de la miction,' de la défécation et des fonctions
génitales ne s.e montrent qu'en seconde date. En général ils évoluent
avec plus de lenteur que dans le cas d'une affection traumatique de la
queue de cheval.
Une fois la maladie constituée ad integrum, les douleurs passent habi-
tuellement par ces phases d'exacerbation et d'atténuation, sur lesquelles
j'ai insisté en vous exposant la symptomatologie.
Détail important : contrairement à ce qui arrive dans le cas d'une lésion
destructive de la moelle, siégeant à un ni1 : ea7¿ tant soit pen élevé, les acci-
dents, dans le cas d'une affection de la queue de cheval, ne subissent
que rarement une aggravation progressive. La paralysie motrice aussi
bien que l'anesthésie peuvent perdre en étendue et en intensité ; les trou-
bles des fonctions génito-urinaires et du gros intestin peuvent s'atténuer
à leur tour. Par suite, les malades échappent à ces complications vésica-
les (catarrhe simple, purulent, hémorrhagique) qui contribuent souvent
96 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
pour une large pari à accélérer le dénouement dans les cas de lésions du
segment dorso-lombaire de la moelle.
Une observation de Valentini et une autre d'Eulenburg sont très ins-
tructives sous ce rapport, c'est-à-dire montrent de quel degré d'amélio-
ration sont susceptibles les affections de la queue de cheval.
D'autre part, les malades, clans les cas d'affections de la queue de che-
val, conservent l'intégrité fonctionnelle d'une partie des muscles de leurs
. membres inférieurs, de ceux qui sont innervés par le nerf crural et l'ob-
turateur ; c'est là un point sur lequel j'ai déjà insisté. Aussi après une
première phase d'impotence, redeviennent-ils souvent à même de mar-
cher sans appui, ou en s'aidant d'une canne, de béquilles. C'est là, ne l'ou-
bliez pas, une circonstance d'un grand poids eu égard au pronostic.
En effet, par cela môme que les malades ne sont pas relégués au lit
d'une façon permanente, les ulcérations de décubitus, qu'on voit se déve-
lopper chez eux, se cicatrisent sans grande difficulté. Or, dans les cas de
myélite aiguë ou chronique avec impuissance motrice complète des mem-
bres inférieurs, les ulcérations de décubitus ont, sur le dénouement fa-
tal, la même influence fâcheuse que les complications que l'on observe du
côté de la vessie; elles ouvrent la porte aux infections septiques ; elles
engendrent la fièvre hectique et aggravent la cachexie terminale.
Enfin, une autre circonstance concourt à nous faire voir sous un jour
relativement favorable le pronostic des affections de la queue de cheval :
dans deux cas, une intervention opératoire a été tentée, avec un succès
relatif dans un cas, avec un succès complet dans l'autre. Je vais vous dire
quelques mots de ces deux faits, et du traitement en général, avant de
vous exposer la question de diagnostic ; c'est par là que je terminerai.
TRAITEMENT.
Ce traitement comprend des indications symptomatiques et des indica-
tions causales.
Les indications symptomatiques se rapportent ci peu près exclusivement
au traitement des douleurs. Vous recourrez, avec plus ou moins de suc-
cès, aux analgésiants, dont le type est l'antipyrine, sans vous faire d'illu-
sion sur l'efficacité durable de ces agents médicamenteux, lorsque les dou-
leurs sont en rapport avec une lésion organique incurable.
Dans un cas pareil, vous vous passerez difficilement ! , en dernier ressort,
des injections de morphine, qui constituent le moyen le plus rapide et le
plus héroïque dont nous disposons pour calmer les souffrances physiques,
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 97
mais dont vous n'êtes pas sans connaître les graves inconvénients (mor-
phinisme).
A quel titre agit au juste l'électricité, dirigée contre les douleurs et les
autres manifestations des affections de la queue de cheval ? c'est ce que je
ne saurais vous dire. Je constate donc simplement que l'électricité, sous
la forme de la faradisation périphérique, de la galvanisation du rachis et
des membres inférieurs, de la franklinisation, a quelquefois donné de
bons résultats : atténuation des douleurs ; diminution de l'anesthésie et de
la paralysie motrice aux membres inférieurs.
Contre la paralysie de la vessie et du gros intestin, vous pourrez recou-
rir aux injections de strychnine, maniées avec une extrême prudence.
Naturellement, vous ne négligerez pas les complications telles que le
catarrhe vésical, les ulcérations du décubitus.
Je passe aux indications causales.
D'après le tableau que j'ai mis sous vos yeux, en vous exposant l'élio-
logie des affections de la queue de cheval, vous avez pu voir que la syphi-
lis ne paraît jouer qu'un rôle restreint dans ce domaine encore peu exploré
de la pathologie nerveuse. Une seule fois, elle a été incriminée, dans une
observation d'Eisenlohr. Chez le sujet de cette observation, une cure par
les frictions mercurielles fut suivie d'une amélioration de la motilité aux
membres inférieurs, améliora lion de très courte durée.
Dans la suite, on fit prendre au malade du sublimé à l'intérieur. Cela
n'a pas empêché la maladie de s'aggraver progressivement. A l'autopsie
du sujet, on a trouvé une méningite spinale chronique de la queue de
cheval, avec dégénérescence secondaire des cordons postérieurs.
Il est à prévoir que lorsque des lésions de cette nature datent déjà de
loin, elles seront réfractaires au traitement spécifique, en admettant
qu'elles soient des produits directs ou indirects de la syphilis. Le traite-
ment spécifique ne me paraît avoir des chances sérieuses de succès qu'au-
tant qu'on aurait affaire à des productions gommeuses dans la portion
inférieure du canal rachidien.
Reste l'intervention chirurgicale. Celle-ci a été tentée dans deux cas
dont je vous ai déjà fait mention, et qui'résument, à eux deux, les cir-
constances dans lesquelles l'intervention opératoire est justifiée, à savoir :
Déformation du rachis, avec compression de la queue de cheval, à la
suite d'une luxation, d'une fracture ou de quelque autre affection du ra-
chis ; tumeur comprimant la queue de cheval.
La première des deux opérations, auxquelles je faisais allusion, a été
pratiquée en 1887, par un chirurgien anglais, Thorhurn. Il s'agissait d'une
luxation traumatique de la deuxième vertèbre lombaire (rotation à gauche
et en avant).-
vin 7
98 " " ' NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Le chirurgien fit l'ablation de l'arc vertébral qui comprimait les mé-
ninges et la queue de cheval. Il s'en suivit une amélioration considérable.
Au bout de dix-huit mois, le sujet avait repris ses occupations de mineur,
et il pouvait faire un parcours de plusieurs kilomètres en s'appuyant sur
une canne.
L'autre opération (observation de Laquer) a été pratiquée par le chi-
rurgien Renn, de Francfort, sur un jeune homme chez lequel on avait
diagnostiqué une tumeur de la portion sacrale du canal rachidien. Le dia-
gnostic s'est trouvé vérifié à la suite de l'ouverture du canal. La tumeur
était située en dehors du sac formé par la dure-mère. Elle a pu être enle-
vée sans grande difficulté, elle sujet qui, depuis des mois, était en proie
à des souffrances intolérables, s'est complètement rétabli. Voilà des faits
dont médecins et chirurgiens devront tenir compte à l'avenir.
DIAGNOSTIC.
La question de diagnostic que je me propose de vous exposer soulève
des problèmes variés, problèmes pour la plupart très délicats. Je vais
m'appliquer les poser en termes aussi nets que possible ; chemin faisant,
je vous montrerai dans quelle limite l'état actuel de nos connaissances
nous permet de résoudre ce problème.
Je distinguerai d'abord deux catégories de cas, suivant que des phéno-
mènes de paralysie sensitivo-motrice, siégeant aux membres inférieurs,
sont ou ne sont pas associés aux troubles de la miction et de la déféca-
tion, dont je vous ai fait connaître les caractères. Comme j'ai à coeur' de
me placer à un point de vue essentiellement clinique, j'envisagerai d'a-
bord les faits que vous avez le plus de chance de rencontrer dans la pra-
tique.
Vous êtes en présence d'un malade affecté d'une paralysie sensitivo-mo-
trice aux membres inférieurs, paralysie à disposition approximativement
symétrique. En outre, le malade est dans l'impossibilité de retenir ses
urines et ses matières fécales, et-il n'a plus conscience de ses évacuations
involontaires. L'anesthésie cutanée dépasse, en haut, la racine des
membres inférieurs; elle envahit les organes génitaux externes, le périnée,
la région fessière. Enfin, il peut se faire que le malade se plaigne d'é-
prouver des douleurs contusives ou térébrantes au siège, avec irradia-
tions dans les membres inférieurs.
Je dis qu'en présence d'un tel ensemble de signes objectifs et subjectifs,
vous pouvez affirmer, en toute assurance, et sans grand risque de vous
tromper, que votre malade est atteint d'une affection du contenu de la por-
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE C ? «J` 99
tion terminale du rachis, de la portion lombo-sacrée. On ne conçoit pas
une lésion bilatérale extra-rachidienne, donnant naissance à l'ensemble
des symptômes dont je viens de vous faire une énumération concise, étant
donné l'éparpillement des nerfs destinés aux organes qui sont le siège de
ces symptômes.
Je ne reviens pas sur ce que je vous ai dit, relativement à la prédomi-
nance, à l'exagération d'un symptôme pouvant donner le change à un
examen superficiel : mal de Pott sacré, hystérique, sciatique, lumbago ar-
ticulaire, etc. Il suffit d'un peu d'attention pour éviter de commettre une
confusion de ce genre; de même pour les névrites périphériques qui ont
si rarement cette localisation exclusive.
Une seconde question, qui se pose dès lors, question d'une haute im-
portance pronostique, est de savoir quelle partie de ce contenu intra-rachi-
dien est le siège de l'affection dont vous aurez ensuite à déterminer la
nature ?
Pour résoudre cette seconde question, il est indispensable de procéder
à une analyse minutieuse des troubles de la sensibilité- et de la mo-
tilité.
a) Une première éventualité, d'une interprétation très facile, est celle
où, aux membres inférieurs, la paralysie sensitivo-motrice est complète :
l'anesthésie occupe toute l'étendue des membres inférieurs, et elle re-
monte jusqu'au pubis en avant, jusqu'à la région des lombes en arrière.
Les malades ont de l'incontinence d'urine et des matières fécales, et ils
n'ont plus conscience de leurs évacuations. Ce cas, vous disais-je, est
d'une interprétation bien simple. Vous avez affaire à une lésion qui re-
montej1lsqu'Ù la partie supérieure du renflement lombaire. En effet, la
sensibilité et la motilité sont supprimées dans l'ensemble des territoires
innervés par les plexus lombaire et sacré. ,
b) Une seconde éventualité est celle où la paralysie sensitivo-motrice
est incomplète aux membres inférieurs. Je suppose que l'analyse des
troubles sensitifs et moteurs aboutisse aux constatations suivantes :
La sensibilité est abolie ou considérablement émoussée aux organes
génito-externes (scrotum, pénis, grandes lèvres), au périnée, au pourtour
de l'anus, à la région fessière inférieure, à la face postérieure de la cuisse
et des jambes, à la face plantaire des pieds (ou à la totalité des pieds sauf
à une bande située le long du bord interne).
La paralysie motrice respecte les muscles de la région antérieure et des
régions externe et interne de la cuisse; elle est limitée aux muscles fes-
siers et à ceux de la région postérieure de la cuisse, aux muscles des jam-
bes et des pieds.
100 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Dans ces conditions, vous diagnostiquerez une affection de la queue de
cheval ou de la partie correspondante de la moelle.
' Voici d'ailleurs quelle signification exacte il faut attribuer à ce dia-
gnostic :
Aussi bien les racines (4 premières paires lombaires), qui vont consti-
tuer le plexus lombaire, que la portion de moelle d'où émanent ces raci-
nes sont indemnes. L'affection à laquelle vous avez affaire, intéresse les s
racines du plexus sacré, ou la portion de la moelle d'où ces racines tirent
leur origine.
Il est difficile de préciser davantage ce diagnostic. En principe, cepen-
dant, vous diagnostiquerez une simple compression de la queue de cheval,
dans le cas où les douleurs, première manifestation en date, atteignent
une grande intensité et une grande violence, et où il n'existe pas d'atro-
phie musculaire ou seulement des traces, les signes de la réaction de
dégénérescence faisant défaut. Mais je me garderai bien d'attribuer à ce
précepte une valeur absolue.
c) Une troisième éventualité est celle où, aux symptômes que je viens
de vous énumérer à l'instant, se trouve associée une parésie, une para-
lysie motrice incomplète des muscles de la cuisse, innervés par le crural,
branche du plexus lombaire.
Il en était ainsi dans un cas de Leyden (Lehrbuch der Ruckenmarks
Krankheiten, t. II, p. '143) où, à l'autopsie, on a trouvé une luxation du
cartilage inter-vertébral qui relie les corps des tire et 1° vertèbres lombai-
res. C'est là un détail à retenir.
d) Une quatrième éventualité est celle où, aux symptômes d'une para-
lysie du rectum et de la vessie, s'associent également une paralysie sens-
tivo-motrice incomplète des membres inférieurs; seulement, à l'inverse de
ce qui avait lieu dans les cas des deux précédentes catégories, la paralysie
n'intéresse qu'une partie des territoires innervés par les rameaux du tri
plexus sacré.
Ainsi dans une observation d'Eulenburg, la paralysie, tant sensitive
que motrice, intéressait le domaine innervé par le sciatique, et ses bran-
ches, moins la zone d'innervation des péroniers ?
Au contraire, dans un cas de Kahler (Prayer medicin. lvocheiischi,ift,
1882, n°2, p. 18), où les accidents avaient été occasionnés par la luxation
de la 5e vertèbre lombaire, la paralysie sensitivo-motrice, aux membres
inférieurs, était limitée la zone d'innervation du péronier.
A propos de ces deux derniers cas, Eulenburg a fait remarquer que,
suivant une opinion courante des anatomistes, les branches du sciatique,
destinées aux muscles de la région postérieure de la cuisse et à ceux de la
face postérieure de la jambe, proviennent surtout des racines supérieures
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CUEVAL 101
du plexus sacré, tandis que les fibres du nerf péronier proviendraient
principalement des racines inférieures de ce même plexus. D'où cette
conclusion :
Que la distribution de la paralysie, telle qu'elle était réalisée chez le
malade d'Eulenburg, implique une lésion située à un niveau un peu plus
élevé que la lésion constatée chez le malade de Kahler. Chez ce dernier,
les seules racines inférieures du plexus sacré devaient être intéressées,
tandis, que, chez le premier, l'affection devait être limitée aux racines
supérieures de ce plexus.
B. Une dernière éventualité se rapporte à notre seconde catégorie
de cas. C'est celle où les manifestations pathologiques se réduisent à des
troubles de la miction et de la défécation, en rapport avec une anesthésie
et une paralysie de la vessie et du rectum, et associée à une zone d'anes-
thésie cutanée, à distribution bien nette : scrotum ou grandes lèvres, péri-
née, pourtour de l'anus, région fessière inférieure.
Cette éventualité, à en juger par les faits connus, est susceptible d'une
triple interprétation, eu égard au siège de l'affection intra-rachidienne.
1° Il peut y avoir en cause une affection du cône terminal ayant désor-
ganisé le centre dit ano-résical, le centre où les impressions parties de
la vessie et du rectum sont transformées en contractions réflexes de ces
mêmes organes.. ,
Il en était ainsi dans un cas publié par Kirchhoff (Arcchiv sur Psychia-
trie und Newenlr ? t. XV, fasc. 3, p. G07). Il s'agit d'un malade chez le-
quel les accidents incontinence d'urine et de matière fécale- s'étaient
développés la suite d'une chute sur les fesses. L'autopsie a révélé l'exis-
tence d'un foyer de myélite, limité au cône terminal, dont il occupait
surtoul la moitié droite; les nerfs de la queue de cheval n'étaient pas
altérés.
2° La lésion intra-rachidienne peut intéresser à la fois le cône terminal
et les racines du plexus sacré qui fournissent ai la vessie et au rectum.
C'est ce qui avait lieu chez un malade dont l'observation a été publiée
par Oppenheim, de Berlin (lclriv sur Psychiatrie und llTm2etL ? t. XX,
fasc. 1, p. 298). Ici encore les accidents se sont développés à la suite
d'une chute sur la région du sacrum (fracture de la première vertèbre
lombaire), et se réduisaient à la paralysie de la vessie et du rectum, il
l'impuissance génitale et à de l'anesthésie cutanée ayant la distribution
que je vous rappelais il l'instant. A l'autopsie, on a trouvé un foyer de
désintégration dans le cône terminal, au niveau des points d'émergence
des 3° et 4e paires sacrées. Ces'racines étaient elles-mêmes altérées, prin-
cipalement les postérieures. A ce même niveau, les cordons postérieurs,
102 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
les cornes postérieures et une partie des cordons latéraux étaient désor-
ganisés.
3° Enfin la moelle, y compris le cône terminal, peut être indemne et
la lésion intra-rachidienne se limiter aux nerfs qui se distribuent à la ves-
sie et à la dernière portion du gros intestin.
Les choses se présentaient ainsi chez un malade dont je vous ai déjà
parlé. Son observation a été publiée par Lachmann (Archiv sur Psychia-
trie und Nervenkr., t. XIII, fasc. 1, p. 50). Chez ce malade, ainsi que
je vous l'ai dit déjà, on avait diagnostiqué un cancer de la vessie, parce
que, indépendamment des altérations de l'urine, indépendamment de
l'incontinence et de la rétention, des douleurs, le malade avait eu des
hématuries (traumatiques) et se trouvait dans un état d'extrême consomp-
tion. Or, vous vous le rappelez peut-être, à l'autopsie, on a trouvé une
tumeur de la partie supérieure du filament terminal, qui comprimait
exclusivement les nerfs de la queue de cheval destinés à la vessie. Les
autres branches de la queue de cheval, ainsi que la moelle, étaient dans
un état de parfaite intégrité.
En récapitulant ces diverses catégories de faits, nous arriverons à dres-
ser une sorte de gamme, d'échelle des symptômes qui correspondent aux
affections ayant pour siège la portion inférieure du conlenu intra-rachi-
dien. Au sur et à mesure que l'affection remonte, depuis la portion infé-
rieure dit canal sacré jusqu'au niveau de la première vertèbre lombaire,
nous la voyons successivement se traduire par les manifestations sui-
vantes :
a) Des symptômes en rapport avec une paralysie de la vessie seulement t
ou de la vessie et du rectum (compression des nerfs destinés ci ces organes
1 par une tumeur du FILUM terminale).
. b) Ces mêmes symptômes associés à une anesthésie à distribution bien
. nette : scrotum ou grandes lèvres, périnée, pourtour de l'anus, région fes-
sière inférieure (lésion en foyer ayant désorganisé le centre ano-vésical, Il
la base du cône terminal).
c) Des alternatives d'incontinence et de rétention d'urine, d'inconti-
nence des matières fécales et de constipation, avec anesthésie de la zone
génito-périnéo-ano-fessi8re, et, en outre, une paralysie sensitivo-motrice
de la région cutanée et des muscles innervés par le péronier (affections des
racines inférieures du plexus sacré).
d) Ces mêmes symptômes, avec cette différence qu'aux membres infé-
rieurs la paralysie sensitivo-motrice est limitée aux domaines innervés
par les sciatiques, mais respecte le domaine d'innervation du péronier
(Affection des racines supérieures du plexus sacre') .
e) Ces mêmes symptômes, avec cette différence, qu'aux membres infé-
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 103
rieurs, la paralysie sensitivo-motrice s'étend à tout le domaine innervé
par le sciatique : paralysie des muscles de la région postérieure de la
cuisse, de tous les muscles de la jambe et du pied ; anesthésie de la face
postérieure de la cuisse et de la jambe, de la région plantaire, ou de toute
la surface du pied, moins le bord interne (Affection de toutes les racines
du plexus sacré, ou de la portion correspondante de la moelle).
f) Ces mêmes symptômes, plus une parésie des muscles de la cuisse,
innervés par des branches (crural et obturateur) du plexus lombaire
(Affection ayant occasionné une paralysie complète des racines du plexus
sacré et une paralysie incomplète des racines du plexus lombaire).
g) Enfin, une paralysie sensitivo-motrice complète de la totalité des
membres inférieurs, l'anesthésie remontant jusqu'à la partie inférieure
du ventre et du dos, avec paralysie de la vessie et du rectum (Affection
intra-spinale remontant jusqu'au renflement lombaire, ou affection, extra-
spinale intéressant à la fois les plexus lombaire et sacré) .
Il me reste, maintenant, à envisager les choses à un dernier point de vue,
que je qualifierai de rnédico-chiT1lr,qical. J'ai insisté sur ce que, dans deux
cas d'affection de la queue de cheval, l'intervention opératoire s'était pro-
duite avec un succès relatif dans un cas, avec un succès complet, dans
l'autre.
Ce sont là des faits encourageants. Ils ne manqueront pas d'inciter les
chirurgiens, dont l'audace ne connaît plus de bornes, à multiplier les
tentatives de ce genre. Encore faut-il que celles-ci aient des chances
sérieuses d'aboutir à un résultat utile. Pour qu'il en soit ainsi, trois condi-
tions préalables me paraissent devoir être réalisées.
Il faut d'abord qu'une opération ne soit pas tentée à une époque où
une affection de la portion inférieure du contenu intra-rachidien a déjà
entraîné à sa suite, des conséquences irréparables, sous forme d'une dégé-
nérescence ascendante occupant une grande étendue des cordons posté-
rieurs, à moins toutefois que l'intervention ne vise qu'un résultat pal-
liatif, par exemple celui de faire cesser des douleurs dues à une compression
dont la cause peut être supprimée. 1
Il faut, en second lieu, que la lésion en jeu soit justiciable de l'inter-
vention opératoire, et tel sera le cas lorsqu'il s'agit d'une compression
entretenue par une lésion extra-spinale, luxation de vertèbres, morceau de
vertèbres fracturées, tumeur extra-dure-mérienne. Au contraire, dans
le cas d'une lésion intra-spinale, l'intervention du chirurgien n'a plus de
raison d'être.
'101- NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
En troisième lieu, quand cette intervention est reconnue légitime, il
faut que le chirurgien soit renseigné d'une façon assez précise sur le siège
exact de la lésion, c'est-à-dire sur le point au niveau duquel il devra pro-
céder à l'effraction du canal rachidien.
Lorsqu'il y a eu traumatisme antécédent, la question de diagnostic to-
pographique est en général facile à résoudre, à la seule inspection du
rachis.
Il n'en est plus de même dans le cas d'une lésion intra-rachidienne telle
qu'une tumeur.
C'est alors au médecin d'éclairer le chirurgien sur cette question de
siège. Voici des points de repère qui devront vous guider, lorsque vous
serez appelé à trancher un problème de ce genre.
Je dois vous dire que j'ai emprunté quelques-uns des renseignements
qui suivent, à un auteur allemand, Valentini, qui a publié un très inié-
ressant mémoire sur les affections du cône terminal de la queue de cheval
(Zeitschrift für klin. Medicin, 1893, t. XXI fasc. 3, p. 245)' :
'1 Les affections intra-vertébrales qui siègent au niveau de la 12° vertè-
bre dorsale et de la 1 ro vertèbre lombaire se traduisent par les symptômes
de notre catégorie g) :
Paralysie totale des membres inférieurs, avec suppression des réflexes,
atrophie des muscles paralysés; l'exploration électrique des nerfs et des
muscles donne les signes de la réaction de dégénérescence. La sensibilité
est abolie dans toute l'étendue des membres inférieurs et l'anesthésie re-
monte jusqu'au-dessus du pubis. Elle se continue par une zone transver-
sale d'hyperesthésie, qui répond au territoire d'innervation des premières et
deuxième racine lombaires, dans les cas où la lésion siège au niveau de la
première lombaire. Lorsqu'au contraire elle siège au niveau de la 12° vertè-
bre dorsale, l'hyperesthésie fait place à l'anesthésie dans cette même zone.
Il n'y a pas lieu de compter sur une rétrocession des symptômes ; la
paralysie de la vessie et du rectum et le développement d'ulcérations de
décubitus mettent l'existence des malades en péril.
2.° Lorsque l'affection siège au niveau ou en aval de la 2° vertèbre lom-
baire, elle se traduit par la symplomatologie que nous connaissons pour
appartenir en propre aux affections de la queue de cheval (catégorie e) :
Aux membres inférieurs, la paralysie motrice se limite aux muscles fes-
siers, aux muscles de la région postérieure de la cuisse, et à la totalité des
muscles des jambes et des pieds. L'examen électrique des muscles paraly-
sés fait constater la réaction de dégénérescence. Les muscles delà face an-
térieure de la cuisse, ainsi que les adducteurs restent indemnes. L'anes-
thésie est circonscrite au pénis, au scrotum (aux grandes lèvres chez la
femme), à la région fessière, à la partie postérieure de la cuisse, il la par-
SUR LES AFFECTIONS DE LA QUEUE DE CHEVAL 105
tie postéro-latérale de la jambe ; enfin, au pied, l'anesthésie ne respecte
qu'une zone contiguë au bord interne. La vessie et le rectum sont paraly-
sés. Le pronostic est relativement favorable. En effet, il est assez habituel
qu'une partie des symptômes rétrocèdent, y compris ceux en rapport avec
la paralysie de la vessie et du gros intestin. Les malades échappent ainsi
aux complications graves du côté de la vessie. De même, l'impotence des
membres inférieurs n'étant pas complète, les malades ne sont point relé-
gués au lit à demeure ; par suite les ulcérations de décubitus n'acquièrent
pas la même gravité que lorsque l'affection siège plus haut.
3° Si l'on s'en rapporte à une observation de Leyden, les lésions qui
siègent entre la première et la deuxième vertèbre lombaires, au niveau du
cartilage intervertébral qui relie les corps de ces deux vertèbres, se tra-
duiront par les mêmes symptômes que ceux qui caractérisent les affections
de la queue de cheval, et, en plus, par une parésie des adducteurs et des
muscles de la région antérieure de la cuisse, avec anesthésie incomplète,
dans cette même région (catégorie f).
4° Lorsqu'une lésion siège au niveau des 3e et 4e vertèbres lombaires,
elle se traduira par les symptômes que nous connaissons comme étant ceux
des affections de la queue de cheval, sauf que le territoire innervé par le
péronier sera indemne (catégorie d). ,
5° Dans les cas de lésions circonscrites (luxation, fracture), siégeant au
niveau de la 5e lombaire, la paralysie sensitivo-motrice présentera, aux
membres inférieurs, une disposition inverse que dans les cas précédents ;
elle affectera tout le domaine innervé par le sciatique, mais en respectant t
le territoire d'innervation du péronier.
6° Enfin, une paralysie isolée de la vessie et du rectum pourra être oc-
casionnée par une tumeur de la première portion du filamment terminal,
comprimant la queue de cheval de dedans en dehors et modérément. Une
pareille tumeur répondra, comme siège, aux dernières vertèbres lombaires
et à la première sacrée.
Nous sommes maintenant en mesure, Messieurs, de revenir au cas de
notre malade. Le diagnostic de l'affection dont elle est atteinte comporte
la solution des deux questions suivantes : 1° à quelle hauteur siège le
processus morbide dans le canal lombo-sacré; 20 quelle est la nature
de ce processus morbide ? ` ?
Après ce que je vous ai dit, il n'est plus besoin d'entrer dans de longs
développements pour résoudre la première question. En prenant en consi-
dération l'ensemble symptomatique, il ne me paraîtpas douteux que la
lésion doit siéger au niveau de la deuxième vertèbre lombaire. Quant à la
106 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
nature de celle-ci, on peut supposer, selon toute vraisemblance, étant donné
l'évolution de l'affection, qu'il s'agit d'une plaque de méningite chroni-
que comprimant les paires rachidiennes et le cône terminal. Je rejette
l'existence d'une tumeur de la région, à cause de la marche de la maladie,
à cause surtout de l'amélioration très évidente survenue depuis quelques
mois dans l'état de cette femme.
Le traitement qui, dans ce cas particulier, a donné les meilleurs résul-
tats, a été la révulsion, à l'aide de pointes de feu au niveau de la région
sacrée, celles-ci étant appliquées tous les dix ou douze jours. Les dou-
leurs sont calmées par les injections sous-cutanées de morphine ; enfin, je
fais prendre à l'intérieur 50 centigrammes d'iodure de potassium par jour.
Plus tard, il y aura à se préoccuper des troubles trophiques, en parti-
culier de l'atrophie musculaire.
Messieurs, dans ce qui précède, j'ai laissé volontairement de côté
l'histoire des dégénérescences du cordon postérieur, consécutives aux af-
fections de la queue de cheval et du cône terminal. C'est qu'il s'agit là
d'une question d'anatomie pathologique, trop importante pour être traitée
en quelques mots.- J'aurai prochainement l'occasion d'y revenir et de vous
l'exposer avec tous les développements qu'elle comporte.
LE SEIN HYSTÉRIQUE .
PAR
GILLES DE LA TOURETTE
Professeur agrégé à la Faculté de Paris, médecin des hôpitaux.
L'affection que nous allons décrire, doit être, à notre avis, qui est aussi
celui de Fabre (1), rangée parmi les troubles trophiques liés à l'hystérie et
rapprochée de l'oedème sous la dépendance duquel elle paraît être. Elle
constitue l'une des manifestations les plus intéressantes de la névrose sur-
tout si l'on se place au point de vue chirurgical.
Le sein hystérique, en effet, a donné lieu à nombre d'erreurs de diagnos-
tic suivies parfois de l'ablation d'un organe qui, dans la circonstance, était
justiciable de la seule intervention médicale. Ces considérations et bien
d'autres encore légitiment les développements dans lesquels nous allons
entrer. Ajoutons que nous allons nous trouver en présence d'un des types
les plus nets de ces « hystéries locales » si bien étudiées par Brodie.
Wilis(2), à la fin du dix-septième siècle, paraît avoir le premier noté
cette manifestation. Une jeune fille de seize ans fut prise d'accidents hys-
tériques très violents après une contusion du sein. Le gonflement de cet
organe et la douleur qu'elle y ressentait coïncidaient toujours avec les con-
vulsions. Le mariage et une grossesse vinrent seuls mettre un terme à ces
phénomènes morbides ; l'hystérie disparut et avec elle le gonflement dou-
loureux de la mamelle. Après lui, Frédéric Hoffmann (3) rapporte deux
observations de gonflement douloureux des deux seins, coïncidant avec des
attaques d'hystérie. Nous ferons remarquer que l'une de ses malades avait,
en même temps, des sueurs de sang et de l'angine de poitrine hystérique.
Cette association presque constante d'une zone hystérique cutanée et de
troubles trophiques nous servira singulièrement dans l'interprétation
pathogénique du sein hystérique.
Mais, parmi les observations anciennes, aucune n'est plus intéressante
(1) FABRE, L'hystérie viscérale, ion-8", 1881.
(2) ÿo,ras, Pathologiæ cerebri et nervosi generis spécimen in quo agitur de moi-bis
convulsivis et scorhulo. Londres, 1678, cap. vi, obs. 1.
(3) Fred. Hoffmann, Opéra omnia. Genève, 1745, t. III, sect. I, cap. v. De morbo hys-
tel'Ïco.
108 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPTR1Î;RE
que celle de la « demoiselle Coirin », qui fut miraculeusement guérie sur
le tombeau du diacre Paris. Nous aurons à revenir sur ce cas curieux dans
lequel les accidents qui affectèrent le sein gauche s'étendirent presque sans
interruption, sur une période de seize ans, de 1716 à 1731 (1) et sur
celui d'Anne Augier, rapporté par le même auteur (2) et qui est, lui aussi,
digne de toute notre attention.
A la fin du siècle dernier, P. Pomme (3) consacre au sein hystérique
un passage de son livre qui mérite d'être sérieusement médité. La physio-
nomie ordinaire de cette affection y est très nettement esquissée et la forme
à tumeur n'a pas échappé à cet observateur qui connaît tous les dangers
d'une intervention chirurgicale en semblable matière.
« Le sein se gonfle quelquefois, dit-il, par l'effet de la cause vaporeuse,
c'est-à-dire par le reflux des règles ; j'ai vu plus d'une fois prendre ce
gonflement pour une véritable tumeur. Que de fautes en conséquence, et
que d'inconvénients ne voit-on pas arriver quand une chirurgie impru-
dente y apporte des secours ! Ces gonflements sont douloureux et d'autant
plus incommodes que les femmes en sont toujours alarmées ; l'air trop di-
laté dans le lissu cellulaire des mamelles, l'engorgement des veines mam-
maires par le reflux des hypogastriques, donnent lieu à cette erreur ; l'ap-
pl ication d'un linge trempé dans l'eau froide dissipe ordinairement le mal
et les alarmes qu'il avait causées ». ,
Au commencement de ce siècle ce sont les médecins et les chirurgiens
anglais qui reprennent cette question en l'étayant de nouveaux faits.
Watson (4) s'exprime ainsi qu'il suit dans sa Clinique médicale : « Les
chirurgiens connaissent bien le sein hystérique. Le sein devient doulou-
reux, sensible, et augmente un peu de volume. Un médecin timide et sans
expérience ne fait qu'aggraver le mal en prescrivant des sangsues et des
cataplasmes, et en examinant à chaque visite le sein, y fixant par ce pro-
cédé toute l'attention de la malade qui redoute un cancer ». '
Astley Cooper (5) rapporte plusieurs cas de cette affection. Celui d'lJ-
lisabeth Pollard, entrée dans le service du Dr Whyte, le 29 juillet 1834,
est un type du genre. Whyte attribua le gonflement douloureux du sein
(1) CAI.OEÉ de 111owrccuov, La vérité des miracles... Miracle opéré sur la demoiselle
Coirin pourrie depuis il 10 par un cancer au sein gauche. 1e démonstration, t : J. Colo-
gne, 1743.
(2) Id., La vérité des miracles... Miracle opéré sur Anne Augier, rongée depuis sept
ans par un cancer au sein qui s'était ouvert depuis trois azzs. 1 r- démonstration,
t. I.
(3) P. Pomme, Traité des affections vaporeuses des deux sexes, t. 1, p. 24. Paris, an
VII.
(4) Cité par Connard. Th. Paris, 181.
(5) Id.
LE SEIN HYSTÉRIQUE 109
gauche à la maladie désignée par A. Cooper, sous le nom de « tumeur
irritable ou névrose des mamelles ».
En 1837, Brodie rejette de l'hystérie les cas où il existe une tumeur
dans la mamelle. Bien que son opinion sur ce point soit erronée, il ne s'en-
suit pas moins que la description qu'il donne du sein hystérique sans tu-
meur forme la plus communément observée du reste mérite d'être
rapportée dans son entier. Elle est remarquable par sa précision et sem-
ble, de plus, être complètement ignorée de la majorité des chirurgiens
modernes qui se sont spécialement occupés des maladies du sein.
« Quelques jeunes femmes, dit-il (1), sont sujettes à une affection du
sein présentant une grande ressemblance avec les affections articulaires
de nature hystérique. M. A. Cooper, dans ses notes sur les affections du
sein, a relaté plusieurs de ces cas. La malade se plaint d'une douleur sié-
geant dans le sein et la moindre pression avec les doigts la fait crier. Par-
fois, le seul fait de palper l'organe produit des mouvements de tout le
corps ressemblant beaucoup à ceux de la chorée ; cependant si, avec un
peu d'adresse, on parvient à détourner complètement l'attention de la
malade, non seulement ces mouvements ne se produisent pas, mais, c'est
à peine si elle accuse de la douleur. Cette hyperesthésie ne se limite pas
au sein, elle s'étend dans l'aisselle et le long du bras. On ne perçoit au-
cune tumeur dans l'orgaue, mais quand l'affection est de date un peu an-
cienne, le sein devient plus volumineux, probablement par suite d'une
hyperémie secondaire ; pourtant il n'y a pas de rougeur de la peau, plu-
tôt, au contraire, un peu de pâleur avec un aspect généralement lisse.
« Il ne faut pas confondre ces cas avec ceux de tumeur douloureuse du
sein dontAstley Cooper donne dans son ouvrage des exemples illustrés
par des planches. Je crois qu'il faut les distinguer aussi de toute espèce
de tumeur se montrant chez des femmes qui ne sont aucunement prédis-
posées à l'hystérie. Dans ces cas dont il est question, la douleur et la sen-
sibilité sont bien moindres que dans le véritable sein hystérique et l'on
constatera presque toujours que la malade a parmi ses connaissances ou
amies, une malheureuse qui a été atteinte de cancer du sein. Aucune par-
tie du corps n'est, de la part de la malade, l'objet d'un examen aussi minu-
tieux que le sein, et il sera toujours possible, même dans un organe par-
faitement sain, de trouver des sensations qui ne s'étaient jamais accusées
jusque-la ; la crainte permanente se portant sur cet organe peut faire que
ces sensations vagues se transforment en une véritable douleur. C'est alors
que l'assurance, de la part du médecin, de l'intégrité complète de l'orga-
ne, rendra la malade heureuse et fera disparaître toute douleur, mais cette
(1) Brodie, Leçons sur les affections nerveuses louches, trad. franc., p. 36.
110 NOUVELLE ICONOGRAPIIIE DE LA SALPÊTR1ÈRE
assurance n'aura aucun effet dans un cas d'affection hystérique vérita-
ble ».
La description de Brodie est excellente sauf sur quelques points. En par-
ticulier, nous ajouterons que, du fait de l'hystérie, il peut se produire
dans le sein de véritables tumeurs susceptibles d'en imposer singulière-
ment au point de vue du diagnostic différentiel.
Landouzy (1) connaît la description de Brodie ; il a du reste été « con-
sulté par deux malades hystériques, l'une de vingt-trois ans, l'autre de
trente-cinq ans, qui éprouvaient des douleurs intolérables au sein gauche,
et auxquelles des chirurgiens distingués de Paris et de Châlons conseil-
laient l'amputation de la glande,-bien qu'on n'eût pu trouver aucun chan-
gement de volume ou de consistance, aucun signe de dégénérescence,
aucun des caractères propres aux tumeurs squirrheuses ou fibreuses ».
Briquet (2) enregistre ces Taits sans commentaires qui font également
défaut, lorsque plus loin (p. 481), il publie, un cas de « galactorrhée,
datant de sept ans, alternant avec des attaques d'hystérie », sur lequel nous
aurons à revenir.
Avec M. Liouville s'ouvre véritablement la période moderne de la ques-
tion et la thèse de son élève Connard(3), est un document qui mérité en-
core d'être consulté à plus d'un titre.
MM. Bourneville et Regnard (4), en 1877, analysent les cas déjà connus
à propos d'un nouveau fait qu'ils ont observé.
En 1883, Fabre (5) donne de cette manifestation, qu'il assimile aux phé-
nomènes de l'oedème hystérique, une interprétation qui nous parait fort
vraisemblable.
Puis viennent des observations isolées de Wever (6) et deFéré (7).
En 1890, Fowler (8) rapporte sept observations d'une maladie qu'il dit
lui être inconnue. Il s'agit là des tumeurs hystériques du sein déjà signa-
lées par A. Cooper et Brodie, mais que ces auteurs n'avaient pas rappor-
tées à leur véritable cause.
(1) Landouzy, Traité complet de l'hystérie, 1846.
(2) Briquet, Traité de l'hystérie, 1859, p. 207.
(3) Connard, Du sein hystérique ; étude sur le gonflement douloureux du sein chez
les hystériques. Th. Paris, 1876.
(4) BOURNEVILLE et REGNARD, lcon. phot. de la Salp., 1877-1878, p. 197.
(5) Fnsne, L'hystérie viscérale, op. cit., p. 100.
(6) WEVER, Ein Fait von Maslodynie auf hyslericher Basis, in FmuenG1'tz, Berlin,
1887, t. II, p. · 315. ·
(1) Féré, LeS douleurs hystériques et la simulation. Ri'Visla de NeUl'ologia e Psychia-
tria. Lisbonne, 1888, n" 2, p. 131.
(8) FOWLER, Neurotic tumors of breast. New- 101'k 11eU1'ol. Soc., 7 janvier 1890,in Me-
dical Record, n 9, 15 février 1890, p. 119.
LE SEIN HYSTÉRIQUE 111
En 1893, nous avons, au septième Congrès de chirurgie, apporté notre
contribution à l'étude de cette manifestation de la névrose (1).
Le sein hystérique, comme l'arthralgie, est un type de ces hystéries lo-
cales si bien décrites par Brodie. Dans l'étiologie, souvent on trouve notée
la contusion de l'organe. Le traumatisme local agit en influençant l'état
mental du sujet tout disposé parfois à favoriser cette localisation. C'est
ainsi que Brodie et Whyte signalent ce fait que beaucoup de femmes
avaient, dans leur entourage, des personnes atteintes de cancer de la ma-
melle et l'on sait combien, en matière d'hystérie, la contagion nerveuse
est à redouter.. -
En dehors de ces cas où l'on peut reconnaître la cause occasionnelle de
la manifestation, dans les autres on en est réduit à l'étiologie banale des
accidents hystériques. Il est permis toutefois de remarquer que souvent les
phénomènes que nous allons décrire, existent chez des femmes dont les
règles sont douloureuses et qui présentent, fait expressément noté par Fow-
ler, des zones hyperesthésiques ou hystérogènes du vagin ou du col de
l'utérus. Il est certain, étant donné les relations qui unissent les mamelles
à l'appareil de la gestation, que les troubles de ce dernier pourront influ-
encer singulièrement les organes de la lactation et y localiser l'hystérie.
Nous ne connaissons pas d'exemple de sein hystérique chez l'homme.
L'affection hystérique du sein n'est pas très rare et cependant elle est
fort -peu connue. Cela tient à ce que les médecins n'ont que rarement l'oc-
casion de l'observer, les femmes qui en souffrent se rendant presque toutes
dans les services de chirurgie où, le plus souvent, l'influence de la né-
vrose reste tout. à fait méconnue. ,
Qu'on veuille bien se reporter au Traité de chirurgie le plus récent, paru
en 1892 (2), et l'on y verra mise en doute l'existence même du sein hys-
térique.
Après avoir, au chapitre Mastodynie, décrit les tumeurs douloureuses
d'A. Cooper, l'auteur arrive aux cas où domine la simple congestion de
l'organe. « C'est cette forme, dit-il, que Connard a étudiée sous le nom
de sein hystérique. Il veut en faire une véritable manifestation de l'hys-
(1) Gilles DE la TOURETTE, Le sein hystérique elles tumeurs hystériques delà ma-
melle. 1- Congrès de chirurgie. Paris, 1893. C. R. p. 747.
(2)' : \IASSOX, édit. Paris.
112 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
térie et Wood (1) va encore plus loin, car il considère comme ayant une
origine hystérique, toutes les affections douloureuses du sein dans lesquel-
les les pressions fortes sont moins pénibles que les pressions légères.
L'hyperesthésie cutanée est fréquente chez les hystériques, et il est bien
certain que presque toutes les femmes, chez qui on rencontre le symptôme
mastodynie, sont très nerveuses, mais il ne s'ensuit pas qu'elles soient
hystériques. Si elles le sont, c'est sous une forme bien larvée et souvent
sans autre symptôme que celui qu'il s'agit d'expliquer, c'est-à-dire la mas-
todynie ». ' - ..
Pour l'auteur, le seul fait certain, c'est que souvent ces sortes de conges-
tions douloureuses, comme il les appelle, sont liées à des affections des
organes du bassin.
« J'ai observé, dit-il, un cas remarquable de cette forme de mastodynie
chez une femme qui avait subi une double ablation des annexes pour sal-
pingite. Trois mois environ après l'opération, le sein droit est devenu
douloureux et, au moment des crises, il devenait turgide, plus volumineux
que celui du côté opposé et la peau prenait une teinte légèrement rosée.
Cette malade avait autour de ses pédicules salpingiens des adhérences et
des exsudats douloureux qui probablement entraînèrent une irritation des
nerfs ».
Et comme conclusions si les procédés locaux de traitement ont échoué,
l'auteur conseille l'amputation du sein, de môme que d'autres chirurgiens,
recourent à l'extirpation des ovaires atteints d'une zone hystérogène.
Fort heureusement que ces idées ne sont pas partagées par tous les chi-
rurgiens français. Dans le cours de la môme année, notre maître, M. le
professeur Verneuil, nous a montré, dans son service de l'Hôtel-Dieu,
trois cas de mastodynie, dans lesquels l'influence de l'hystérie était indé-
niable.
Au point de vue de la fréquence, il ne faut donc pas se baser sur le
nombre des cas publiés et rapportés directement à la névrose, autrement
le sein hystérique serait une affection tout à l'ait exceptionnelle, ce qui
est loin de correspondre à la réalité des faits.
Presque toujours un seul sein est atteint ; toutefois, Fréd. Hoffmann et
Liouville ont relaté des observations où les deux mamelles étaient le
siège de l'affection. Nous avons nous-même abservé un cas analogue avec
prédominance très marquée cependant du côté gauche.
11 est difficile d'établir, d'après la lecture des observations, si la ma-
melle droite est plus souvent affectée que la gauche et réciproquement.
(1) WooD, Philadelphia med. Times, i oet. 1883, vol. XIII, p. 11.
LE SEIN HYSTÉRIQUE 113
Dans son ensemble, l'affection hystérique du sein consiste en une aug-
mentation temporaire ou permanente du volume de l'organe avec hyperes-
thésie considérable de la peau qui recouvre la mamelle.
Comme nous avons pu nous en assurer dans le service de M. Verneuil
- et le mécanisme du sein hystérique est là tout entier, - il s'agit d'une
zone hyperesthésique-hystérogène dont l'exaltation, mise en oeuvre par des
causes diverses, conduit, dans la plupart des cas, à un paroxysme convulsif
dont l'aura part de la mamelle.
Au moment de la crise, il se produit localement la série des phénomènes
vaso-moteurs, qui vont de la congestion simple à l'oedème et parfois peut-
être, comme nous le verrons, à la gangrène de la peau. Cette pathogénie
avait été déjà entrevue par Fabre qui a écrit (op. cit., p. 100) : « C'estpeut-
être une fluxion analogue à cet oedème qu'on observe au sein de certaines
hystériques ; un peu avant les règles, la mamelle est alors le siège d'une
douleur et d'une gêne. On constate une tension générale du sein ».
Reprenons maintenant les termes principaux de cette description som-
maire.
L'hyperesthésie de la peau du sein, notée dans tous les cas, ne diffère
pas des hyperesthésies du tégument externe des autres régions du corps.
Elle est beaucoup plus marquée lors d'une friction légère, superficielle,
qu'à l'occasion d'une pression large et profonde. Elle est parfois si exquise
que les malades ne peuvent supporter le frôlement de la chemise alors que,
dans certains cas, mais non dans tous, la pression du corset semble soula-
ger les phénomènes douloureux. Certaines malades toutefois doivent re-
noncer à cet appareil de contention des seins.
L'hyperesthésie existe à l'état permanent, mais elle s'accentue à certains
moments sous l'influence des causes qui président ordinairement à l'exal-
tation des zones hyperesthésiques, lesquelles se transforment alors en zones
hystérogènes. La pression directe, les émotions vives peuvent faire entrer
la zone du sein en action, de même qu'elle subit l'influence de l'excitation
des zones de voisinage, ou de celles qui, siégeant au niveau du vagin ou
de l'utérus, s'exaltent au moment des règles. D'où l'influence, notée par
tous les auteurs et particulièrement par Fowler, des menstrues sur les phé-
nomènes que nous décrivons.
Au moment où, sous l'action de ces diverses causes, s'exalte la zone de
la région mammaire, le ou les seins, nous savons combien la bilatéralité
est rare, deviennent spontanément le siège de picotements, d'élancements
parfois très douloureux, il caractère névralgique. La mamelle se tuméfie,
le mamelon s'érige, l'organe tout entier augmente dans des proportions
ovni 8
114 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTR1ÈRE
considérables qui peuvent en doubler le volume, sinon plus. Souvent la
douleur ne reste pas localisée ; outre les phénomènes de l'aura propagée :
sensation de strangulation, troubles céphaliques, etc., elle irradie, comme
l'avait vu Brodie, du côté de l'aisselle, du rachis, s'unissant aux phéno-
mènes douloureux partis d'autres zones hyslérogènes de voisinage, qui
s'exaltent pour leur propre compte. C'est ainsi qu'elle peut s'accompagner
des symptômes de l'angine de poitrine hystérique, ainsi que l'a noté Le
Clerc (1).
Angelo Cianciosi (2) a observé une jeune femme hystérique atteinte
d'angine de poitrine dont les accès furent précédés, à plusieurs reprises,
« d'engorgement de la mamelle gauche ». Cet engorgement était beau-
coup plus considérable lorsque les crises coïncidaient avec la période
menstruelle.
Au moment où le gonflement du sein est à son summum, l'accès éclate,
soit sous forme de chorée (rythmée), comme l'avait indiqué Brodie, soit
sous forme de paroxysme convulsif ordinaire. Toutefois, les douleurs qui
accompagnent le gonflement de la mamelle dominent le paroxysme et lui
donnent un caractère particulier.
Il va sans dire que le paroxysme convulsif n'est pas un accompagne-
ment obligé de l'exaltation de la zone hystérogène mammaire ; il est bien
rare cependant qu'au moment des crises de gonflement du sein, on n'oh-
serve pas quelques-uns des phénomènes prémonitoires ou constitutifs de
l'attaque.
Quel est, à cette période, l'aspect du tégument qui recouvre la mamelle
augmentée de volume ? Ici on rencontre les opinions en apparence les plus
contradictoires. Brodie note qu'il n'y a pas de rougeur de la peau, bien
plutôt il existe un peu de pâleur avec un aspect légèrement lisse.
Liouville dit que « les seins sont tuméfiés et augmentés d'un tiers envi-
ron. La peau qui les recouvre est chaude, rouge et tendue ».
Féré émet la même opinion. Il examinait une dame de quarante-cinq
ans devenue hystérique, lors de la ménopause, à l'occasion de chagrins de
famille et qui présentait certains accidents du côté des seins. Au début de
son examen, ceux-ci étaient parfaitement symétriques, sans aucune alté-
ration de couleur de la peau.
« La personne qui accompagnait la malade, dit-il, fit une observation
tout au plus désobligeante pour elle ; sous cette influence, en même temps
(1) LE Clerc, L'angine de poitrine hystérique, Th. Paris, 1887, p. 29.
(2) A. Cianciosi, Lo Sperimentale, 1878, cité par LE Clerc, op. cit., p. 29.
LE SEIN HYSTÉRIQUE 115
que la face rougissait, le sein gauche, qui était le siège du mal, se marbra
de petites plaques rouges, d'une sorte de rash sca1'latini{orme, dont les ta-
ches se confondirent bientôt pour former une rougeur uniforme qui dépas-
sait un peu de tous côtés la mamelle sans s'étendre dans la direction des
nerfs. En môme temps que cette rougeur apparaissait, le sein se gonflait t
en masse, et le mamelon s'érigeait. Toute la région était devenue le siège
d'une sensation de cuisson avec picotements de la peau et élancements
dans la glande mammaire, qui devint lourde. Il n'avait pas fallu une
minute pour que tous ces phénomènes arrivassent à leur apogée. »
Nous verrons que chez la demoiselle Coirin le sein avait un aspect vio-
let, presque noir. ,
Ces opinions diverses ne sont pas contradictoires pour nous qui connais-
sons la filiation de ces troubles vaso-moteurs, qui vont de la congestion
simple à l'oedème blanc, rouge ou violet (1). L'aspect du tégument peut
donc être variable, suivant les cas, pendant les paroxysmes ou dans leurs
intervalles.
C'est qu'en effet la tuméfaction et les autres phénomènes que nous ve-
nons de décrire, ne se bornent pas toujours à la durée du paroxysme lui-
même. Dans les cas simples, ou lorsque l'affection ne fait que débuter, le
gonflement disparaît avec l'accès douloureux, mais bien plus souvent,
surtout si les accès sont rapprochés, la tuméfaction persiste à des degrés
variables dans l'intervalle des paroxysmes, s'accompagnant toujours de
cette hyperesthésie cutanée exquise qui va s'exalter sous l'influence de
diverses causes.
C'est dans ces cas que la palpation révèle des particularités intéressan-
tes. « Quand l'affection est de date un peu ancienne, dit Brodie, le sein
devient plus volumineux par suite d'une hyperémie secondaire ». Toute-
fois, il a eu. soin de noter un peu auparavant « qu'on ne perçoit aucune
tumeur dans l'organe ».
Celte dernière affirmation prouve simplement que Brodie n'en a pas
constaté dans les cas qu'il a observés, autrement elle irait contre l'évidence
même des faits.
Pendant l'accès, il est presque impossible de palper le sein. La douleur
qu'on détermine est alors beaucoup trop vive pour que l'examen soit fruc-
tueux. Mais il n'en est plus ainsi dans l'intervalle des paroxysmes, surtout
si l'on prend soin de palper profondément et non plus superficiellement
la glande, l'excitation cutanée qui rend, en somme, l'examen toujours dif-
ficile, étant susceptible de produire l'exaltation de la zone hystérogène.
En se plaçant dans ces conditions d'examen, il sera donné de constater
(1) Voy. Gn.i.nam; la 'rouacTTr., Traité de l'hystérie, t. II, ch. IX (vient de paraître).
116 NOUVELLE ICONOGR 1PQIE DE LA SALPÊTRIÈRE
parfois l'existence dans la mamelle d'une ou de deux tumeurs, ne dépas-
sant pas généralement le volume d'un oeuf de poule et qui sont peu dou-
loureuses par elles-mêmes, si l'on tient compte de ce fait que l'hyperes-
thésie réside tout particulièrement dans les couches superficielles de la
peau.
Le mémoire de Fowler est très intéressant à ce point de vue. Chez sept
malades hystériques, il constata la présence d'une ou de deux tumeurs du
sein s'accompagnant des phénomènes douloureux et autres que nous avons
décrits. Dans six cas sur sept, -la tumeur était mobile sur les tissus sous-
jacents ; parfois, dans son voisinage, les conduits galactophores étaient ten-
dus et durs. Il n'existait pas d'engorgement ganglionnaire de l'aisselle.
Plusieurs de ses malades consultèrent des chirurgiens fort célèbres et
l'ablation de l'organe fut toujours conseillée. Cependant, elles guéri-
rent toutes par un traitement dont l'élément psychique fit en somme tous
les frais.
Dans un cas rapporté par Briquet, outre- les phénomènes d'hyperesthé-
sie précédemment décrits, il existait de la gnl((clo1'1'hée. Il est vrai de dire
que l'affection était survenue au cours d'une grossesse et que la malade
avait allaité son enfant. Le sein droit, à l'exclusion du gauche qui resta
normal, devint très volumineux et sécréta parfois, dans les vingt-quatre
heures, au dire, il est vrai, de la patiente, jusqu'à six litres « d'un lait
parfaitement épais et crémeux ». Le sein était chaud et douloureux, la ma-
lade ne le touchait qu'avec une extrême précaution.
Le passage qui va suivre montre bien qu'il ne s'agissait pas seulement
d'une galactorrhée d'origine hystérique, ainsi que le suppose Briquet, mais
bien des phénomènes du sein hystérique, tels que nous les connaissons,
l'hypersécrétion en plus née sous l'influence de la grossesse.
La malade voulait-elle, dit-il, donner à téter, « dès les premiers efforts
de succion, une douleur extrêmement vive s'éveillait dans lesein donné à
l'enfant; cette douleur devenait le prodrome d'une attaque de colvul-
sions hystériques ; c'était comme une aura de l'accès convulsif qui plus tard
fit rarement défaut ». -
On ne saurait être plus explicite. Ces phénomènes, entretenus, il est
vrai, par trois grossesses rapprochées, durèrent six ans et finirent par gué-
rir sous l'influence très problématique d'applications locales d'huile de
chènevis.
L'affection hystérique du sein, en tenant compte des périodes d'aug-
ment et de déclin, est presque toujours fort tenace et sa durée peut être
fort longue. On sait, du reste, combien il est difficile parfois de déplacer
un stigmate de la nature d'une zone hyperesthésique et le sein hystérique
n'est pas autre chose que la réaction d'un organe spécial, richement vas-
LE SEIN HYSTÉRIQUE 117
cularisé, sous l'influence d'une zone de ce genre. D'autant que l'affection
est presque toujours entretenue par une thérapeutique défectueuse : appli-
cations locales variées, compression élastique, qui ne conduisent en som-
me qu'à fixer de plus en plus cette manifestation d'ordre psychique qui
doit, de ce chef,' être traitée par des procédés tout à fait différents de ces
excitations localisées.
En résumé, le sein hystérique est une affection parfaitement caractéri-
sée qui est sous la dépendance d'une zone hyperesthésique-hystérogène
de la peau de la région mammaire, et d'un oedème du tissu conjonctif de la
glande qui peut revêtir les aspects blanc, rosé, ou violet de l'oedème hys-
térique.
A côté de cette forme où le gonflement du sein est uniforme, il s'en
place une autre susceptible de la même interprétation. Dans celle-ci l'oe-
dème, qui, -dans tous les cas, est dur, n'admettant pas l'empreinte du doigt,
se localise plus particulièrement en certains points sous forme de tumeurs
morbides ne s'accompagnant pas d'engorgement ganglionnaire, à moins
toutefois qu'il n'existe des ulcérations, comme dans certains cas que nous
allons analyser.
En tenant compte de tous ces faits, le diagnostic nous semble facile à
établir, et, cependant, il faut bien le dire, l'amputation a été faite plu-
sieurs fois et elle est encore conseillée de nos jours !
Connard rapporte (oh. cit., 'p. 23) que Boyer aurait ainsi amputé un
sein atteint d'un gonflement douloureux survenu à la suite d'une contu-
sion et s'accompagnant de crises hystériques. Celles-ci cessèrent avec l'a-
blation de l'organe. '
Il ajoute qu' « une jeune fille de dix-huit ans, hystérique depuis l'âge
de quinze ans, entra à l'hôpital Saint-Louis, dans le service de M. Péan,
pour des douleurs dans le sein gauche. Le sein était notablement gonflé.
On y percevait à la palpation quelques nodosités ».
M. Péan fit une amputation partielle de l'organe, mais les douleurs
persistèrent, s'exaspérant à l'occasion de crises hystériques qui se mon-
iraient au moment des menstrues.
Ce fait condamne, on le voit, toute intervention sanglante. Nous note-
rons encore que le microscope ne révéla, dans la partie amputée, rien autre
chose qu'une légère prolifération des éléments glandulaires.
Le diagnostic, si l'on lient compte des particularités que nous avons
exposées, ne saurait guère être hésitant. Toutefois pourra-l-il ne plus en
être de même lorsqu'aux phénomènes précédemment décrits se surajoutera
118 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
1
l'ulcération de la peau ou plus particulièrement du mamelon, signe si pré-
cieux, en clinique, des tumeurs malignes du sein.
Nous ne connaissons que deux observations de cet ordre, toutes deux
rapporté par Carré de Montgeron (1) avec une ligure à l'appui (Pl. XV).
La première a trait à la demoiselle Coirin qui guérit d'un « cancer au
sein » par l'application de terre recueillie sur le tombeau du diacre Paris.
Le cas vaut la peine d'être analysé, d'autant qu'il était resté jusqu'à ce
jour sans interprétation.
Au mois de septembre 1716, la demoiselle Coirin, alors âgée de
trente et un ans, fit coup sur coup deux chutes de cheval : la seconde fois,
elle tomba « sur le côté gauche de'l'estomac qui porte à plomb sur un tas
de pierres, ce qui lui cause une douleur si vive qu'elle en reste évanouie ».
Au bout de quarante jours, elle est prise de vomissements de sang qui
se répètent fréquemment et s'accompagnent de « foiblesses ».
« Dans une de ses foiblesses, qui lui arriva trois mois après sa chute,
comme on lui mettoit des linges sur l'estomac, on s'aperçut qu'elle avoit le
sein du côté gauche extrêmement dur, enflé el tout violet. Le chirurgien du
pays, nommé Antoine Paysant, ayant été consulté et ayant examiné son
sein, découvrit qu'elle avoit une grosse glande qui s'étendoit jusqne sous
l'aisselle du bras en arrière et une espèce de grosse corde de la largeur de
trois doigts qui gagnoit jusqu'au bout du sein. Ce chirurgien lui donna
des cataplasmes, lesquels lui faisoient distiller une quantité considérable
de sang par le bout du sein sans la guérir ni môme la soulager, son sein
lui faisant toujours de la douleur et étant de plus en plus dur.
«... On s'aperçut qu'elle avoit un cancer au sein du côté gauche, la
mamelle de ce côté étant devenue grosse comme la tète, excessivement
dure et tout enflammée. »
Ceci se passait en 1716. « Cependant l'humeur tranchante et corrosive
du cancer faisait toujours de funestes progrès, qui éclatèrent enfin de la
manière la plus affreuse vers la fin de l'année 1719. »
Un témoin oculaire, Anne Giroux, nous apprend « qu'il lui vint une
petite ouverture de pourriture au-dessous du sein et de la mamelle gau-
che ; que cette ouverture augmenta toujours de plus en plus, gagnant tout
autour du bout du sein, et qu'elle le cerna en peu de jours, de façon que
le bout de ce sein tomba en un morceau. Elle ajoute qu'elle a vu le hout
de ce sein détaché de la mamelle, qu'on le garda trois jours sur une ser-
viette pour le montrer aux chirurgiens qui avoient soin de ladite demoi-
selle et qu'elle avoit, ou qu'il y avoit, à la place de ce bout, un trou un
(1) Carré DE nIOVTGfiROY, op. cil., t. I, 1" et 7" démonstration.
LE SEIN HYSTÉRIQUE " 119
pen plus large qu'une pièce de douze sols, qui paroissoit assez profond,
et dont il sortoit sans cesse une eau qui puoit comme une charogne ».
En 1720, deux chirurgiens proposèrent l'amputation du sein, mais la
mère de la demoiselle Coirin refusa de consentir à l'opération, celle-ci ne
devant être que palliative puisque la maladie cancéreuse avait été déclarée
incurable. « Puisque sa fille n'étoit pas sûre de guérir par cette opération,
elle étoit bien aise de la lui épargner, et mourir pour mourir, il falloit
autant qu'elle ne souffrît pas. »
Ajoutons que, dès 1718, la malade avait été frappée tout d'un coup,
pendant la nuit, d'une paralysie de tout le côté gauche.
« Il lui prit un engourdissement dans le bras gauche qui, la nuit, dégé-
néra en paralysie qui luiôta tout l'usage de tout le côté gauche ; depuis ce
tems,il lui a été impossible de faireaucun mouvement de son bras ni de sa
main gauche, qui demeurèrent en tout tems froids comme de la glace et ne
pouvoit les changer de place qu'en les prenant avec son bras droit, en
poussant sa jambe gauche avec sa droite, ce qui est resté ainsi jusqu'à la
nuit du 11 au 12 août 1731. Que même sa cuisse et sa jambe gauches se
retirèrent de façon qu'elle avoit un creux au-dessous de la hanche assez
profond pour y pouvoir mettre le poing, et que, comme les nerfs de la
jambe s'étoient retirés, cette jambe paroissoit considérablement plus courte
que l'autre... Sa jambe gauche étoit toute retirée en arrière et comme re-
coquillée, et qu'elle étoit pâle, toute desséchée, froide comme de la glace,
même dans le plus chaud de l'été ».
Entre temps, la demoiselle Coirin a « des vomissements qui- la fatiguent
et des dévoiements qui l'épuisent : tantôt c'est une hydropisie qui s'em-
pare du bas-ventre, la presse et la suffoque, enfin ce sont des rétentions
d'urine qui la tourmentent » (1).
Le 9 août 1 î31, elle s'adresse à une vertueuse femme de Nanterre, la
charge de dire pour elle une neuvaine au tombeau du bienheureux Fran-
çois de Paris, d'y faire toucher une chemise et de lui apporter de la terre
prise auprès du sépulcre. Le lendemain 10, la pieuse femme se rend à
Saint-Mèdard...
« Le soir du lendemain 11 1 août, à peine la moribonde s'est fait mettre
la chemise qu'avoit touché le précieux tombeau, qu'elle éprouve à l'ins-
tant la vertu bienfaisante qu'elle y avoit puisée. » Forcée, de par sa pa-
(1) Dans une observation d'Eybert (Des diarrhées néV1'opathiques d'origine réflexe,
Th. Lyon, 1892, p. 56) relative à une femme de soixante-deux ans, il existait également
de la diarrhée d'origine hystérique, des hémoptysies, des ecchymoses des membres
inférieurs avec oedème in situ, et enfin une tumeur du sein, dure, non fluctuante, avec
tendance à l'ulcération, qui cependant disparut d'elle-même et peu à peu.
120 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
ralysie, de se tenir constamment sur le dos, « elle se retourna elle-même
dans son lit z
Le lendemain 12, elle s'empressa d'appliquer elle-même sur son « can-
cer » la précieuse terre, et « aussitôt elle remarque avec admiration que
le trou profond de son sein, d'où sortoit sans cesse depuis douze ans un
pus corrompu et infecté, s'étoit séché sur-le-champ et commençoit à se
refermer et à guérir ».
La nuit suivante, nouveau prodige. « Ses membres paralytiques qui
depuis tant d'années représentaient les membres d'un corps mort par leur
froid glaçant, leurs marques affreuses et leur raccourcissement hideux, se
raniment tout à coup ; déjà son bras a repris la vie, la chaleur et le mou-
vement ; sa jambe retirée et desséchée se déploie el s'allonge ; déjà le creux
de sa hanche se remplit et disparaît ;.elle essaye si elle pourra dès ce pre-
mier jour se servir de ces membres nouvellement rappelés à la vie, mais
dont la maigreur porte encore la livrée de la mort; elle se lève seule,elle
se soutient sur le bout du pied de cette jambe qui depuis si longtemps
étoit beaucoup plus courte que l'autre; elle se sert aisément de son bras
'gauche,'elle s'habille et se codl'e avec ses mains. »
Le miracle était consommé et la « demoiselle Aitermat certifie que la
demoiselle Coirin lui a fait voir sa mamelle gauche qui est parfaitement
guérie et à laquelle il revient un bout. Ce bout n'est pas néanmoins tout
à fait aussi gros que celui de la mamelle droite ». '
D'après ce flue nous savons aujourd'hui des troubles trophiques dans
l'hystérie, ce cas est d'une interpréta Lion facile.
Attaques syncopales d'hystérie nées sous l'inlluence d'un traumatisme ;
oedème bleu du sein gauche dont le processus est assez intense pour pro-
duire la gangrène de la peau, limitée au mamelon ; infection secondaire
de la plaie ainsi produite et suppuration qui détermine un engorgement
des ganglions axillaires ; phénomènes de paralysie s'accompagnant d'atro-
phie musculaire ; guérison subite de la paralysie et progressive de l'atro-
phie ; disparition de l'oedème et, par suite, guérison de l'ulcère par cica-
trice chéloïdienne simulant le mamelon disparu par gangrène : tels sont
les éléments de cette intéressante observation dans laquelle les phénomè-
nes du sein hystérique persistèrent pendant douze années et où le dia-
gnostic de cancer, pour lequel on proposa l'amputation, fut porté dès lé
début de l'affection.
La même interprétation s'applique au « miracle opéré sur Anne Au-
gier » qui n'est pas moins intéressant que le précédent.
En 1707,à l'âge de vingt-cinq ans, Anne Augier est subitement frappée
de paraplégie avec anesthésie s'accompagnant d'atrophie musculaire. En
effet, au bout de huit mois, « ses jambes se desséchèrent si entièrement
NOUV 1CONOOB. DF LA SAPLTR1ER
T. VIII. PL XV
î.0 ? yps N'G. A LONDE PHOTOCOIL. Chêne & LONGUFT.
L. BATTAILLE & Cive
ÉDITEURS
LE SEIN HYSTÉRIQUE 121
que les os n'en furent plus couverts que d'une peau aride, qui. collée
sur ces os, en laissoit voir toute la forme ».
De plus, « elle tombe de teins en tems dans des accès d'un mal épilep-
tique qui la prive de connoissance pendant trois ou quatre jours ».
Il y avait treize ans (1720) qu'elle était ainsi paralysée, « lorsqu'un de
ces malheureux vagabonds, qui couvrent le plus abominable libertinage
du voile de la mendicité », la voyant seule, essaye de la violer. « Forcé
d'abandonner sa proie, dans la rage qu'il en a, il lui porte avec fureur un
coup de sabot dans le sein du côté gauche. Ce coup forme bientôt un abcès
qui dégénère en cancer ».
En 1824, quatre ans plus tard, malgré les soins d'un habile chirurgien,
« le cancer s'ouvre en ulcère et forme ensuite une fistule sous l'aisselle
par où s'exhalent la pourriture et l'infection qui étoient les suites et les
effets du ravage que le cancer faisoitdans le sein ».
Au mois de mai 1727, sept ans après le traumatisme et l'apparition de
la tumeur, quatre ans après l'ouverture fistuleuse de ce singulier néo-
plasme, Anne Augier se fait transporter sur le tombeau de M. Rousse.
. Aussitôt elle guérit de sa paraplégie qui durait depuis vingt et un ans.
« En même temps la paralysie se dissipe et s'évanouit : une chair saine
et subitement régénérée remplit la place de la fistule et du cancer : toutes
les écorchures et les plaies (dues probablement au décubitus) sont couver-
tes d'une peau nouvelle; la miraculée lève au ciel les bras dont l'un avoit
été immobile depuis deux ans ».
D'après ces deux cas, on peut juger que le pronostic de l'affection hys-
térique du sein est relativement grave, puisque non seulement elle peut
s'étendre sur une période de douze années comme dans le cas de la de-
moiselle Coirin, mais encore donner lieu à des phénomènes gangreneux
susceptibles, ;1 leur tour, de déterminer des adénites et des fistules par in-
fection secondaire. '
ÉTUDES DE PHYSIOLOGIE MORPHOLOGIQUE
DE LA FORME DU CORPS EN MOUVEMENT (1).
PAR
PAUL RICHER
L'on sait quel rôle important le muscle joue dans les mouvements du corps.
C'est le véritable moteur- de la machine humaine. Il est le générateur de tout
travail accompli par cette machine.' ,
Si l'on songe, d'autre part, que le système musculaire compose à lui seul la
grande masse du corps, qu'il est en grande partie situé immédiatement sous la
peau, on comprendra toute l'importance qu'acquiert, au point de vue de la
morphologie du mouvement, l'état physiologique des muscles. Cet état se tra-
duira nécessairement par une modification de la forme extérieure correspon-
dante, et tout mouvement musculaire correspondra extérieurement à des for-
mes spéciales qui varieront avec sa nature et son étendue.
Ce sont ces formes qui intéressent particulièrement les artistes. La vivisec-
tion du muscle, sa contraction expérimentale sur les animaux, ou sur l'homme,
sous l'influence d'excitants variés, autres que l'incitation volontaire, les laissent
indifférents. Ce qui leur importe c'est le muscle humain en place, recouvert de
la peau qu'il soulève de façon différente, suivant qu'il est relâché, distendu ou
contracté. Ce point de vue que les physiologistes ont peut-être un peu néglige,
est cependant le seul qui considère le muscle dans les conditions normales de
son fonctionnement, le seul qui permette d'étudier la contraction musculaire
physiologique, dont la connaissance n'importe pas moins aux médecins qu'aux
artistes. v
Forme DU muscle SUR LE vivant
En dehors des états physiologiques différents dans lesquels il se trouve, le
muscle, sur le vivant, a une forme propre qu'il importe de bien préciser, cette
(1) Extrait d'un ouvrage Physiologie artistique de l'homme en mouvement par le
Dr Paul Richer, qui doit paraître prochainement à la libraire 0. Doin.
DE LA FORME DU CORPS EN MOUVEMENT 123
forme vivante ne dépend pas seulement du mode de structure du muscle lui-
même. Elle est, en outre, grandement inlluencée par les faisceaux et plans fi-
breux périmusculaires. Nous avons déjà fait remarquer, en effet, que tous les
muscles sont contenus dans une gaine aponévrotique plus ou moins dense au
milieu de laquelle ils glissent dans leurs phases de raccourcissement et d'allon-
gement. Cette enveloppe les maintient dans leurs rapports réciproques, et em-'
pêche les déplacements que le jeu des leviers osseux qu'ils font mouvoir, ne
manquerait pas d'entraîner. Les pressions que subissent les corps charnus
musculaires, de la part de cette enveloppe et des faisceaux qui la doublent en
certains points, ont pour effet d'altérer la forme du muscle lui-même, en y pro-
duisant des dépressions et des sillons bordés de saillies. Ces sillons se produi-
sent d'ordinaire dans le relâchement musculaire, et ont une direction perpendi-
culaire à la direction des fibres charnues.
Par contre, les faisceaux musculaires eux-mêmes, lorsqu'ils se contractent de-
viennent plus distincts, par suite de leur gonflement. Ils sont séparés par des
sillons dus à la cloison fibreuse qui les sépare et ne saurait se distendre en
proportion. Ces sillons, indices de la contraction musculaire, sont donc, par op-
position a ceux que nous venons de signaler, parallèles à la direction des fibres
charnues elles-mêmes.
Au gonflement caractéristique de la contraction musculaire, il faut donc ajou-
ter, pour certains muscles, la présence de sillons non moins caractéristiques.
Il convient de signaler aussi les dépressions qui se creusent au niveau de l'in-
sertion des fibres charnues sur les fibres tendineuses et les saillies des tendons,
lorsqu'ils sont superficiels.
L'étendue du raccourcissement et, par suite, le degré du gonflement différent
avec chaque muscle. Ils dépendent de la longueur des fibres charnues, et aug-
mentent avec celle-ci.
Plus le muscle est long, plus il se raccourcit, et plus l'opposition sera grande
avec la forme de sa contraction et celle de son relâchement. Par exemple, le
biceps, cylindrique dans le relâchement, devient presque sphérique une fois
contracté.
La surface du muscle contracté est d'autant plus uniforme qu'il est composé
d'un moins grand nombre de faisceaux musculaires distincts. Par exemple le
deltoïde est formé de trois parties, tiers moyen, tiers antérieur et tiers posté-
rieur dont le modelé dans le repos du muscle, ne présente guère de différence.
Dans la contraction, il n'en va plus de même. Et pendant que le tiers anté-
rieur et le tiers postérieur offrent une surface il peu près uniforme, le tiers
moyen est marqué d'un grand nombre de sillons qui limitent les faisceaux dis-
tincts dont il est composé.
Mais, en outre du simple relâchement et de la contraction avec raccourcisse-
ment dont nous venons de parler, il y a encore un autre état physiologique, du
muscle qui inllue sur la forme extérieure.
Le muscle, tout on restant inactif, peut être distendu, ce qui arrive lorsque
ses points d'attache sont éloignés au maximum. Ainsi, dans l'extension forcée
124 , NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
de l'avant-bras, le biceps est distendu ; dans la flexion forcée au contraire, c'est
le triceps. Dans la flexion du corps en avant, les fessiers sont distendus, dans
l'extension du tronc, ce sont les muscles grands droits de l'abdomen etc...
Un muscle distendu offre généralement un relief surbaissé marqué quel-
quefois de sillons dans le sens des fibres musculaires. La contraction peut
survenir dans un muscle distendu, et, dans ce cas, elle n'en modifie guère la
forme qui reste surbaissée, mais avec une plus ferme accentuation des divers
plans.
La contraction en rapprochant les attaches musculaires l'une de l'autre a
pour effet de faire cesser la distention ; le raccourcissement se produit, et,
avec lui, les formes de la contraction sur lesquelles nous avons insisté tout à
l'heure. - -
Au point de vue morphologique, il y a donc lieu de distinguer trois états
physiologiques du muscle, le relâchement, la contraction et la distension.
1° Sur l'homme vivant, le relâchement musculaire se traduit extérieurement
par un relief uniforme plus ou moins arrondi, quelquefois marqué de sillons
perpendiculaires à la direction des fibres charnues. Ces sillons sont dus soit
au froncement des fibres charnues repliées sur elles-mêmes, soit a la compres-
sion de certaines brides aponévrotiques. Enfin les tendons sont peu saillants et
se fondent avec les parties voisines. ? La distension qui est toujours accompagnée de l'allongement du muscle,
est la cause d'une forme extérieure tout a fait différente de celle du relâche-
ment. Le relief musculaire est moindre. Il se produit un aplatissement plus ou
moins considérable suivant le degré de la distension. On observe en outre quel-
ques sillons parallèles cette fois à la direction des fibres charnues et correspon-
dant aux cloisons de séparation des faisceaux secondaires.
3° Enfin la contraction est l'état actif du muscle ; mais le point sur lequel je
veux insister c'est qu'elle peut survenir sur un muscle relâché ou sur un mus-
cle distendu, avec cette différence toutefois que le relâchement cesse par
le fait même de la contraction, tandis que la distension peut persister à ses
divers degrés malgré l'état de contraction du muscle. C'est là d'ailleurs un
fait généralement admis, et la contraction musculaire est fort mal définie
lorsqu'on dit qu'elle consiste dans le raccourcissement et le gonflement du
muscle, car elle peut aussi bien exister avec son allongement et son amincis-
sement,
Sur l'homme vivant, il faut donc distinguer la contraction qui s'accompagne
de raccourcissement et celle qui s'accompagne d'allongement, car les formes
extérieures ne sont naturellement pas les mêmes dans les deux cas.
Un muscle contracté et raccourci est remarquable par la saillie de ses fibres
charnues et par le relief distinct des faisceaux secondaires qui le composent.
La forme d'un muscle contracté et distendu participe à la fois aux formes spécia-
les à la contraction et à la distention, c'est-à-dire qu'il se distingue par l'accen-
tuation des divers, faisceaux, dont il se compose, et par un relief des fibres char-
DE LA FORME DU CORPS EN MOUVEMENT 125
nues variable avec le degré de la distension, mais toujours moindre que le relief
dû au simple relâchement musculaire. '
La conclusion de ceci, aussi intéressante pour le physiologiste qui veut étu-
dier sur le nu le jeu de la machine humaine, que pour l'artiste qui veut repré-
senter le corps humain en mouvement, c'est que la saillie que fait un muscle ne
saurait à elle seule constituer un indice certain de l'état d'activité ou contrac-
tion, pas plus que son aplatissement ne coïncide toujours avec l'état de repos
ou relâchement.
On verra presque toujours sur un muscle distendu la contraction diminuer
le relief au lieu de l'exagérer. Pour juger sûrement de l'étal d'activité ou de repos
musculaire, il faut faire intervenir un autre élément d'appréciation qui consiste
dans le modelé spécial de la région.
Contraction musculaire PHYSIOLOGIQUE.
D'après ce qui précède, on pourrait croire que, dans un mouvement quel-
conque, les muscles contractés sont toujours ceux qni se trouvent du côté où
se produit le mouvement, par exemple les fléchisseurs, si la flexion se produit,
les extenseurs si c'est l'extension, et ainsi du reste, pendant que les muscles
distendus sont du côté opposé. La chose serait vraie si la pesanteur était sup-
primée, si le corps, par exemple, se mouvait dans un milieu aussi dense que lui.
Elle est presque exacte pour un homme plongé dans l'eau, pour un nageur par
exemple. Mais dans les- conditions ordinaires de la vie, il n'en va plus de
même.
Il ne faut pas oublier, en effet, que tous les mouvements du corps résultent
du conflit ou du concours de deux forces agissant simultanément, l'action mus-
culaire, d'un côté, et, de l'autre, la pesanteur. Ces deux forces agissent sur
les os qui font office de leviers. D'ordinaire, la pesanteur représente la résis-
tance, le muscle la puissance et l'articulation le point d'appui. Mais il arrive
aussi que les rôles *sont intervertis, et que la pesanteur devient la puissance,
pendant que la résistance est représentée par la contraction musculaire. Ceci
peut avoir lieu pour un même système, suivant sa position dans l'espace et
suivant la direction des mouvements. D'autres fois, contraction musculaire et
pesanteur, au lieu de se contrarier, agissent dans le même sens et s'ajoutent.
Prenons un exemple : '
Considérons les mouvements de llexion et d'extension de l'avant-bras sur le
bras. Dans le mouvement de flexion, le système représente un levier du z
genre. Le point d'appui est à l'articulation, la puissance au point d'attache des
muscles fléchisseurs, et la résistance au centre de gravité de l'avant-bras et
de la main.
Dans l'extension, les choses changent, et trois cas peuvent se présenter :
10 l'extension est produite sous la seule influence de la pesanteur, l'avant-Lras
retombe de lui-même, l'action musculaire est nulle ; 2° l'extension se fait len-
tement, et l'action musculaire est nécessaire pour contrebalancer en partie
126 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
l'action de la pesanteur. Dans ce cas, les muscles contractés sont toujours les
fléchisseurs, bien que mouvement soit d'extension, mais leur rôle est changé ;
ils résistent il la force qui entraîne le membre. Ils sont maintenant résis-
tance, et la pesanteur devient la puissance, dans le levier du deuxième genre
que représente alors le système ; 3° l'extension est très rapide et dépasse la vi-
tesse imprimée au membre par la seule influence de la pesanteur. Une nouvelle
intervention de l'action musculaire est donc nécessaire, mais elle n'est plus à
la même place. La contraction n'est plus dans les fléchisseurs, elle est dans
Y extenseur qui précipite le mouvement.
La contraction musculaire se présente donc ici sous deux aspects. D'un côté,
elle l'emporte sur l'action de la pesanteur, soit qu'elle la combatte, soit qu'elle
l'accélère. D'un autre côté, elle cède plus ou moins rapidement il la pesanteur
qui entraîne le membre et ne fait plus office que de modérateur. Dans le pre-
mier cas, la contraction musculaire est uu véritable moteur ; dans le second,
elle remplit le rôle d'un frein qui retarde le mouvement.
Il est encore un troisième cas, c'est celui dans lequel la contraction muscu-
, laire fait juste équilibre il la pesanteur, et maintient le membre immobile dans
une position donnée.
Cette dernière forme de la contraction a été appelée contraction statique.
La contraction dynamique est celle qui accomplit un travail mécanique en
élevant un poids il une certaine hauteur. On la désigne aussi sous le nom de
contraction dynamique avec travail positif.
J'appellerai contraction frénatrice celle qui simplement retarde la chute du
membre entraîné par la pesanteur. C'est la contraction dynamique avec travail
négatif des auteurs . '
Cette dernière forme delà contraction est d'un usage extrêmement fréquent
dans la mécanique humaine. Que l'homme se penche en avant, en arrière ou
sur le côté, qu'il s'accroupisse, qu'il abaisse lentement les membres après les
avoir élevés, c'est la contraction frénatrice qui intervient. En un mot, elle
existe dans une des phases de tout mouvement d'une vitesse lente ou modérée,
se produisant dans un plan vertical ou oblique. Elle a pour caractère de siéger
dans les muscles dont l'action est antagoniste du mouvement exécuté, dans les
fléchisseurs, par exemple, lors du mouvement d'extension, dans les élévateurs,
lors de l'abaissement, etc. Elle se présente, au point de vue morphologique,
sous les mêmes, apparences que la contraction dynamique. La forme du muscle
est la même dans les deux cas.
Les photographies instantanées montre que, dans les conditions de vitesse si-
gnalées plus haut, c'est-à-dire avec une vitesse lente ou modérée, la forme d'un
'membre ne diffère pas sensiblement qu'il s'étende ou se fléchisse, qu'il s'a-
baisse ou s'élève, etc.. Les planches XVI et XVII contiennent des exemples
parfaitement concluants pris dans les séries chrono-photographiques faites
récemment, avec M. Londe (Pl. XVI, fig. 1 et 2, 3 et 4. Pl. XVII, Riz. 1 et 2.
Néanmoins, j'ai constaté d'une façon très nette, entre ces deux formes de la con-
DE LA FORME DU CORPS EN MOUVEMENT 127
traction musculaire, une petite différence que ne donne point la photographie,
mais parfaitement appréciable à l'oeil.
Dans la contraction frénatrice, le muscle est le siège de petites palpitations.
11 n'y a pas là de différence fondamentale, car les palpitations peuvent se voir
aussi dans la contraction dynamique. Mais elles sont moins accentuées et plus
rares. En tout cas, l'opposition entre les deux formes de contraction est très
nette, car elles existent constamment, et en grand nombre, dans la contraction
frénatrice. La différence est frappante, lorsque l'on regarde le biceps alors que
l'avant-bras se fléchit et s'étend, le deltoïde alors que le bras's'élève et s'abaisse,
les masses sacro-lombaires alors que le tronc se fléchit ou s'étend, etc.
Cette palpitation du muscle se traduit sur les tracés obtenus avec le myogra-
phe par des irrégularités de la courbe musculaire toujours plus accentuées dans
la descente que dans la montée. Il semble que le muscle se décontracte par
saccades et non pas d'une façon uniforme.
Il ne serait pas sans intérêt pour l'étude que nous poursuivons en ce moment
de savoir exactement quelle est la valeur de l'effort musculaire déployé dans ces
diverses formes de la contraction. Malheureusement la solution du problème
est entourée des plus grosses difficultés qui découlent toutes de ce fait qu'il n'y
a aucune parité entre le travail musculaire intérieur et le travail extérieur pro-
duit ou travail mécanique. On a cherché alors la mesure de l'effort musculaire
dans la mesure de l'énergie qui est à son origine, laquelle énergie, suivant les
circonstances, se transformerait partiellement ou totalement en chaleur sensi-
ble. Mais la mesure de réchauffement des muscles n'a pas encore donné entre
les mains des divers auteurs des résultats concordants, et la question est en-
core il l'étude.
Aussi ai-je cherché théoriquement à me faire une idée des valeurs relatives
en question et voici les raisonnements très simples qui viennent à l'esprit.
Je suppose trois cas de flexion à angle droit de l'avant-bras sur le bras, dans
chacun desquels le biceps soit dans un état de contraction différent.
Dans le premier'cas, le membre est immobile, le biceps est en contraction
statique.
Dans le deuxième cas, l'avant-bras se fléchit, le biceps est en contraction dy-
namique avec travail positif. "
Dans le troisième cas, le membre s'étend, le biceps est en contraction dyna-
mique avec travail négatif (contraction frénatrice).
Dans les trois cas, l'effort musculaire est comparable, car le degré du rac-
courcissement du muscle est le même, la charge est également la même repré-
sentée par le poids de l'avant-bras. De plus, je suppose le temps égal dans les
trois cas, temps représenté si l'on veut par la fraction de seconde nécessaire
pour obtenir l'image chronophotographique.
Eh bien, si je ne puis comparer directement entre elles ces trois formes de
la contraction du biceps puisque j'ignore la valeur absolue de chacune, je n'en
arriverai pas moins au résultat cherché si je les compare à une autre force
128 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
toujours semblable à elle-même. Cette autre force est toute trouvée, c'est la
pesanteur qui agit à l'autre extrémité du levier.
Or, dans le premier. cas, : puisqu'il'y a équilibre il faut .bien admettre. que les
deux forces- sont égales'. '., . ' .. ,'.. 1
Donc Contration statique. =' P. ! j . ' . ? . ' ; ,
Dans le' second cas,1 puisqu'il y a' nexioll, . [1actio'n' musculire l'emporte sur la
pesanteur. ' ." ' ,>' , : . ? .
Donc : Contraction dynamique avec travail positif > P.
Dans le troisième cas', la' contraction musculaire cède à la pesanteur puis-
qu'il y a extension. ' i ,; 1 .. J ? ' ; '
Donc Contraction'dynamique avec travail négatif Pu ' '/ z
D'où nous pouvons conclure que l'effort statique est plus petit que l'effort
dynamique avec travail positif et plus grand-que 1,'effort dynamique' avec tra-
vail négatif. Et si nous comparons entre euxles'deu efforts dynamiques, nous
conclurons que l'effort avec travail positif est plus grand que l'effort avec tra-
vail négatif.
Il s'agit. de rechercher maintenant si l'examen de.nos photographies instanta-
nées obtenues par M.'L'onde, confirme cetto : vU/) de'l'esprit ? Troimérons-nous,
par exemple, sur les photographies comparables 'du' bicp.s en contraction dyna-
mique ou en contraction 'frénatrice,' des différences morphologiques correspon-
dant à des efl'orts'mlisculaircs différents ? , '.( ! .
Ce que j'ai dit plus haut ne semble pas confirmer cet a -priori. J'ai dit, en
effet, que les formes de la contraction frénatrice' étaient semblables à -celles de
la contraction dynamique,' et que l'image d'un membre qui s'étend rie'. différait
guère de celle d'un membre qui se fléchit. Ceci est certainement vrai d'une
manière générale. Mais en'y regardant de près; on trouve sur certaines de nos
photographies, entre les' deux formes de la contraction une petite différence non
pas dans' la fôrme générale du muscle, mais dans le degré -d'accentuation de
cette forme.
Sur les deux photographies de la planche XVI (lig. 3 et 4) qui représentent
la flexion et l'extention de l'avant-bras avec un poids dans la main, il est bien
évident que' le'' biceps' du'membre'qui se Iléclüt;;fo,rme,un,relief plus isolé, sou
ligné par une ombre plus forte que le relief du biceps du membre qui s'étend.
La saillie 'générale : du' 111usle' est' la" même clans, l leu.x. cas, mais dans l'exten-
tion le relief du biceps se confond avec celui, des. parties ,.voisines, tandis que
dans la flexidnilen est, séparé par un sillon, qui indique clairement une ten-
sion plus accentuée,du; muscle. - ... , , . , \
Nous ajouterons ;què ces différences de valeur entre les diverses. formes de
la contraction varient 'certainement avec la,vitesse dû-mouvement exécuté.
Plus le mouvement sera lent, plus ces différences s'atténueront; elles s'aécen-
tueront au contraire avec la- rapidité du mouvement. ,, . , 1
En effet,' si le. mouvement- de' flexion et dfextension de 'l'avant-bras s'exé-
cute très lentement, les deux efforts dynamiques, a la montée et à la descente,
Nouv. ICONOGR DE L... SnLPGTRIIRh T. VIII PL. XVI.
MOUVEMENTS DE FLEXION ET D'EXTENSION DE LAVANT-BRAS
SUR LE BRAS. (Cliché A l.uudr.)
L BATTAILLE ET C"
ÉDITFURS
DE LA FORME DU CORPS EN MOUVEMENT 129
tendent à se rapprocher de l'effort statique, sans toutefois y atteindre jamais,
du moins théoriquement, tant que le mouvement existe.
Lorsqu'au contraire, le mouvement augmente de rapidité, l'effort du muscle
qui retarde la chute du membre est d'autant moindre qu'il la retarde moins,
c'est-à-dire que le mouvement du membre se rapproche davantage de celui que
lui imprimerait la seule action de la pesanteur. Il en résulte que, dans ces cir-
constances, les différences ne peuvent que s'accentuer entre les deux formes
de la contraction dynamique.
Nous pouvons donc conclure que les images d'un membre qui s'étend, différe-
ront d'autant plus de celles du même membre qui se fléchit que la rapidité du
mouvement sera plus grande. -
L'expérience nous montre, en effet, que, dans les mouvements très rapides,
l'opposition est complète entre le membre qui se fléchit et le membre qui s'é-
tend. Les photographies (Pl. XVI, fig. 5 et 6) sont parfaitement concluantes.
Dans la flexion, le biceps forme un relief qui n'existe plus dans l'extension.
Je sais bien qu'alors le biceps est inactif au moment de l'extension et qu'il
no saurait plus être question de contraction frénatrice. Aussi je ne rappelle ce
cas que pour montrer le point extrême vers lequel tend la contraction fréna-
trice du biceps, alors qu'augmente la vitesse de l'extension de l'avant-bras sur
le bras.
Les quelques considérations quelque peu techniques dans lesquelles nous
venons d'entrer, ont une grande importance au point de vue de la morphologie
des membres en mouvement. Il en résulte qu'il n'est point toujours vrai que la
forme d'un membre dilfère suivant le sens du mouvement. Cela n'est vrai que
dans certaines conditions déterminées.
Il peut donc arriver que, sur l'image immobile d'un membre qui se meut, il
soit complètement impossible, dans certains cas, de distinguer dans quel sens
il se meut. D'où il résulte que, dans les mêmes circonstances, l'artiste ne
saurait donner au membre qui se fléchit d'autres formes qu'à celui qui s'é-
tend.
Prenons, comme exemple, la flexion et l'extension de l'avant-bras sur le bras,
celui-ci demeurant vertical.
C'est un des mouvements les plus simples de l'économie.
La flexion est obtenue par la contraction des muscles biceps, brachial anté-
rieur et long supinateur.
L'extension est sous la dépendance d'un seul muscle, le triceps brachial.
L'image obtenue par la photographie instantanée du membre au milieu de
son mouvement de llexion, ne diffère pas essentiellement de celle qui est obte-
nue au milieu du mouvement d'extension. Dans l'une comme dans l'autre, le
biceps apparaît manifestement contracté (PI. XVI, Gj.1 et 2). La contraction est
plus évidente encore, lorsque la main est chargée d'un poids. Dans ce cas, à la
contraction du biceps, on voit manifestement s'ajouter celle du long supinateur
(PI. XVI, fig. 3 et 4). Si une différence existe, c'est clans l'intensité seulement
de la contraction qui parait plus forte sur le membre qui se fléchit. La raison
VIII o . 9
130 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRILLIE
de ces apparences a été exposée plus haut, elle consiste dans ce fait due, dans
cet exemple, quel que soit le sens du mouvement, ce sont toujours les muscles
fléchisseurs qui entrent en contraction. Dans la flexion, ils font office de mo-
teurs (contraction dynamique) : dans l'extension, ils agissent à la manière d'un
frein (contraction frénatrice).
Il est bien entendu que ceci n'a lieu que lorsque le mouvement est lent ou
modéré, en tous cas, moins rapide que celui qui serait imprimé au membre par
la seule action de la pesanteur. Si au lieu de soulever un poids, la main, dans
ce même mouvement, opérait une traction sur un poids par l'intermédiaire d'une
poulie située en haut (Pl. XVI, fig. 1 et 2), ou observerait les mêmes phénomè-
nes, et le membre qui se fléchit ressemblerait considérablement au membre qui
s'étend..Seulement la contraction au"lieu d'être au biceps, se trouve il la partie
postérieure du bras, au.triceps. Je n'insiste pas sur ces faits qui sont évidents et
apparaissent très nettement sur nos photographies.
Mais les apparences changent si le mouvement est exécuté avec une grande
rapidité. Dans la flexion, les iléchisseurs sont contractés comme tout à l'heure,
mais ils sont manifestement relâchés dans l'extension (PI. XVI, ng. 5 et G). Il y
a, en outre, d'autres remarques fort intéressantes à faire sur ces mouvements
rapides. Nous y reviendrons plus loin en parlant du jeu des antagonistes.
Les. phénomènes analogues il ceux que nous venons d'observer dans la
llexion de l'avant-bras sur le bras se montrent naturellement en bien d'autres
circonstances, ainsi que je l'ai déjà fait remarquer plus haut.
C'est ainsi que dans les exercices avec haltères, le membre qui soulève l'hal-
tère ressemble absolument à celui qui le descend.
Dans les exercices aux anneaux, les deux phases du rétablissement, la mon-
tée et la descente sont presque semblables au point de vue morphologique.
Dans le pas sur place, le membre qui se lève a les mêmes apparences que
celui qui s'abaisse.
Dans l'exercice qui consiste à s'accroupir et à se relever, le modelé des
membres inférieurs est le même dans la descente et dans la moulée, etc., etc.
Je possède de nombreuses photographies instantanées où tous ces faits appa-
raissent avec la dernière évidence.
DU JEU DES ANTAGONISTES
Nous avons vu que les muscles sont disposés autour de articulations de telle
manière que le raccourcissement des uns amène la distension des autres. Les
muscles agissant ainsi en sens inverse sont appelés antagonistes.
Que se passe-t-il pendant la contraction d'un groupe musculaire, dans le
groupe antagoniste ? D'après la doctrine classique, quand un muscle se con-
tracte, un fléchisseur, par exemple, le muscle est inactif, il se laisse tout
simplement allonger et n'oppose d'autre résistance que celle de sa tonicité.
Malheureusement, les choses ne sont pas aussi simples que cela. Quelques au-
teurs, et en particulier M. Beaunis, ont démontré que, dans la plupart des cas,
les muscles antagonistes se contractent simultanément et due le mouvement
DE LA FORME DU CORPS EN MOUVEMENT 131
produit est la résultante' des contractions qui se produisent simultanément dans
les muscles antagonistes.
Sans entrer dans le détail des expériences sur les animaux entreprises par
M. Beaunis dans le but d'élucider cette intéressante question, je donnerai les
conclusions auxquelles est arrivé cet auteur.
Trois cas peuvent se présenter :
1° Les deux muscles (ou groupes de muscles) antagonistes se contractent
simultanément, c'est le cas le plus habituel, le type normal ;
2° Un seul des muscles se contracte, l'autre reste immobile, c'est l'excep-
tion ;
3o Un des muscles se contracte, le muscle antagoniste se relâche et s'al-
longe.
Ces faits expérimentaux observés sur des muscles dénudés et détachés par
une de leurs extrémités pour être mis en rapport avec un appareil enregis-
treur, sont interprêtés comme il suit par M. Beaunis.
Inutile de parler du second cas, dans lequel un des muscles reste immobile ;
le mouvement étant produit par la contraction d'un seul muscle, il n'y a besoin
d'aucune explication.
Dans le premier cas, lorsque les deux muscles antagonistes se contractent
simultanément, le mouvement n'aura lieu que si les deux contractions ne sont
point égales. Il se produira alors dans le sens de la contraction la plus forte et
son étendue sera proportionnelle à la difl'érence des deux contractions.
Dans le troisième cas, contraction d'un côté et relâchement de l'autre, le ré-
sultat est tout différent. Les actions- musculaires loin de se détruire, s'ajoutent
l'une à l'autre puisqu'elles entraînent le membre dans le même sens. La ré-
sultante au lieu d'être une différence est la somme des deux actions muscu-
laires.
Mais il ne faut pas oublier que toutes les expériences ont porté sur les ani-
maux et sur des muscles n'ayant plus leurs connexions physiologiques.
Il était intéressant de rechercher dans quelle mesure ces différents modes de
réagir des antagonistes peuvent s'observer chez l'homme dans le jeu régulier
des divers mouvements. Nous verrons que nos observations confirment au
moins en partie les expériences de M. Beaunis.
Considérons il nouveau un mouvement très simple, la flexion de l'avant-bras
sur le bras.
\
Dans le mouvement lent, la main n'étant chargée d'aucun poids, on remar-
que, lors de la flexion, un certain relief du triceps qui est le muscle exteuseur,
relief qui peut faire croire à un certain degré de contraction de ce muscle qui
est le muscle antagoniste. Nous serions ici dans le premier cas de M. Beaunis,
cas dans lequel les deux muscles antagonistes entreraient à la fois en contrac-
tion, l'un pour exécuter le mouvement, l'autre pour le modérer. Le résultat
obtenu est une différence suivante la théorie parfaitement juste de M. Beaunis.
L'elfort du muscle fléchisseur, dans ce cas, se trouve partiellement annihilé
par la résistance' active du muscle antagoniste contracté.
132 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Cette contraction de l'antagoniste toute faible qu'elle soit paraît évidente sur
nos séries chronophotographiques (PI. XVI, Hg. 1). Si l'on compare l'image du
membre qui se fléchit il l'image du membre soutenu et maintenu immobile dans
la même position, on voit, dans ce dernier cas, un relâchement évident se pro-
duire non seulement dans le biceps dont l'action devient inutile, mais aussi
dans le triceps. L'expérience suivante très facile il répéter, montre de la ma-
la la plus évidente, la contraction simultanée des muscles antagonistes.
Nous prions le modèle de laisser son membre inerte pendant que nous soule-
vons son avant-bras jusqu'à ce qu'il forme un angle droit avec le bras, nous
constatons que le biceps restodans le relâchement et que le triceps est légèrement
distendu. Mais si nous abandonnons le membre tout d'un coup en priant le
modèle de conserver la position, on voit très nettement le triceps se contracter
en même temps que le biceps.
Si maintenant, nous comparons l'image du membre qui se fléchit il celle du
membre qui s'étend, nous constatons que le triceps est moins contracté clans le
second cas que dans le premier (l'l. XVI, fig. 1 et 2). Fait de prime abord para-
doxal, puisque le triceps est le muscle extenseur, mais qui se comprend, si l'on
songe que, dans ce cas (mouvement lent), le muscle actif dans l'extension est
encore le fléchisseur dont la contraction n'a plus besoin de la modération de son
antagoniste.
On peut constater également que lorsque la contraction du biceps augmente
d'intensité, la contraction du triceps augmente également. Sur un membre qui
soulève en se fléchissant un poids très lourd, le corps charnu du triceps est
plus ramassé que dans le même mouvement de flexion Ù vide, ce qui indique
un état de contraction plus marqué dans le premier cas que dans le second
(PI. XVI, fig. 1 et 3).
Passons maintenant à l'étude fort curieuse de ce qui se passe dans les mêmes
mouvements de flexion et d'extension de l'avant-bras sur. le bras, exécutés
très rapidement et sans s'arrêter un certain nombre de fois de suite.
Nous voyons alors les muscles antagonistes je considère particulièrement
alors le biceps et le triceps se contracter fort énergiquement à tour de rôle
pour entraîner le membre alternativement chacun de son côté, et en même
temps nous constatons que chacun des muscles cesse son action subitement
avant que le membre ait achevé son mouvement qui se continue en vertu de la
seule inertie des parties.
Ainsi, prenons le membre au moment où il est étendu; le biceps se contracte
alors fort énergiquement et sa contraction persiste encore au moment où le
membre passe à l'angle droit, mais arrivé au point extrême de la flexion, le
muscle biceps est complètement relâché. La comparaison des deux figures 3 et
S de la planche XVII, est fort instructive. Toutes les deux sont prises sur le mem-
bre en mouvement, sur l'une (5), le membre se meut lentement, sur l'au-
tre (3), il se meut très vite. Sur la première, le relief du biceps est énorme.
Sur la seconde, le biceps est comme aplati.
A partir de ce moment, l'avant-bras s'étend alors sous l'influence d'une con-
Nouv. ILOA'O(.f(, fit Ln S ALPÊ 1 Kl lv R f.
T. vrn. PL. XVII
Mouvement .mec traction.
Mouvement rapide.
Mouvement lent.
MOUVEMENTS DE FLEXION ET D'EXTENSION DE L'AVANT-BRAS
SUR LE BRAS. (Suite). (Cli ? 1. 1.II1l1lr.)
L BATTAILLE ET C"
FOIT' un .
DE LA .FORME DU CORPS., EN MOUVEMENT 133
traction énergique du triceps nullement entravé par le biceps qui est complète-
ment relâché (ce qui n'a pas lieu dans le mouvement lent). Mais, avant que le
membre arrive ;i l'extension, le triceps est.déjà relâché et la photographie fig. Il
de la planche II, prise pendant le mouvement très rapide nous montre. un mem-
bre étendu a l'extrême avec un extenseur absolument flasque, ce qui, n'a point
lieu pour de mouvement lènt'(fîg. 6, PI. XVII), sur lequel nous voyons le tri-
ceps contracté.
Ainsi donc, dans ce cas, l'avant-bras se trouve pour ainsi dire lancé dans les
deux directions différentes, par la contraction; momentanée et alternative des
deux muscles antagonistes, à -la manière' d'une balle .-que. deux joueurs de
paume se-renvoient..... , ;, ;,
Nous pouvons retrouver ce jeu des antagonistes dans les diverses parties
d'un môme muscle (le deltoïde) lors de l'élévation d'un' bras en dehors. Le fait
est particulièrement saisissant et mérite que'nous nous' arrêtions un instant.
L'élévation des bras en dehors et sous la dépendance du muscle deltoide. Je
néglige pour le moment l'action synergique du grand dentelé. Mais le mus-
cle ne concourt pas.dans son entier à ce mouvement d'élévation, ses -deux tiers
antérieurs sont élévateurs, son tiers postérieur, au contraire,' est aliaisseur du
bras ; ce dernier tiers est donc antagoniste de l'autre portion du muscle.
Que le membre s'élève ou s'abaisse, la main chargée 'd'un poids ou à vide,
la forma du deltoïde ne change guère, et la contraction n'existe toujours que
dans les deux tiers antérieurs. Sur des photographies instantanées, qui repré-
sentent un homme abaissant un. bras pendant que l'autre s'élève et saisi juste
au moment où' les deux membres sont au même niveau,' il est impossible de
dire, d'après le seul examen morphologique des deux membres, lequel descend
et lequel monte.' .
Si le membre, dans ce mouvement, au lieu de porter un poids, exerce une
traction de haut en bas par l'intermédiaire d'une poulie placée en haut et d'une
corde, les choses changent. Le muscle en jeu est l'abaisseur, au.lieu d'être l'é-
lévateur, et c'est le tiers postérieur du deltoide qu'on voit alors se contracter.
La contraction est plus forte, cela va sans dire, dans l'abaissement que dans
l'élévation du membre, car dans ce dernier cas, le muscle ,ne fait, que retenir
]eoids entraîné par la pesanteur,- c'est la contraction frénatriccaliminuée encore
par les frottements de la corde sur, les poulies. Mais dans les deux@as ? 1.1, con-
traction est évidente. ' ' ' * '> ? :
Si maintenant nous considérons l'épaule du memhre qui se meut très' rapi-
dement, nous voyons' une opposition complète dans les formes.' suivant que le
membre monte ou descend. S'il monte, la contraction est aux deux- tiers anté-
rieurs du deltoïde, s'il descend, elle est au tiers- postérieur. Les photographies
instantanées sont très démonstratives.. ! ' .'
Dans ce cas. il nous, sera donc très facile sur. l'imagé du membre saisi au
milieu de son mouvement de dire dans quel sens s'exécute ce mouvement.
De 'même sur l'image du' membre arrivé'à son' point extrême d'élévation,
nous saurons s'il se meut lentement ou rapidement. Dans le premier) cas, la
contraction de la partie moyenne et antérieure du deltoïde se maintient, tandis
134 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
que, dans le mouvement rapide, elle n'existe plus bien avant que le membre
ait atteint la fin de sa course.
C'est encore la un exemple de cette sorte de contraction balistique qui lance
le membre dans une direction et cesse bien avant que le membre ait achevé
son mouvement.
Nous venons de constater, dans le mouvement rapide, sur le bras qui monte,
un relâchement du deltoïde bien avant que ce membre ait atteint la verticale,
de même on peut constater, lorsque le membre est en bas, près de la fin de r
sa course, un relâchement des abaisseurs (grand pectoral en avant, tiers pos-
térieur du deltoïde, grand rond, grand dorsal en arrière).
Nous pouvons, de ce qui précède, tirer quelques conclusions intéressantes
A. Dans les mouvements lents, il faut distinguer deux cas :
1° Ceux qui s'exécutent dans un plan vertical ou plus ou moins oblique ;
2° Ceux qui se passent dans un plan horizontal.
Les premiers sont influencés par la pesanteur, dans les seconds, la pesanteur
n'est pour rien.
Dans les premiers, quel que soit le sens du mouvement, l'action musculaire est
dirigée toujours du même côté, du côté de l'effort à faire pour vaincre entièrement
l'action de la pesanteur ou pour lui résister partiellement.
Exemples : dans la flexion ou l'extension de l'avant-bras sur le bras, celui-ci
restant vertical, l'effort musculaire est toujours au biceps ; dans la flexion
du corps en avant ou dans son redressement, l'action musculaire est toujours
aux extenseurs spinaux et fessiers ; dans l'élévation du bras en dehors ou dans
son abaissement, l'action musculaire est toujours aux muscles élévateurs, del-
toide, grand dentelé ; dans la flexion de la jambe sur la cuisse, celle-ci demeu-
rant dans le voisinage de la verticale, et dans son extension, l'action muscu-
laire est toujours aux fléchisseurs (muscles postérieurs de la cuisse). Les choses
changent si la cuisse fléchie sur le bassin est maintenue horizontale. Dans ce
cas, l'extension de la jambe est produite par l'extenseur triceps fémoral, qui
entre encore en contraction dans le mouvement de la jambe en sens inverse,
etc., etc...
Dans tous les cas, la forme du membre en action ne changera guère quel que
soit le sens du mouvement. '
Dans la deuxième série des mouvements lents, ceux qui se passent dans le plan
horizontal, les choses changent complètement et l'action musculaire se produit du
côté même oÙ s'effectue le mouvement. Exemple : si le membre supérieur étendu
horizontalement en dehors est mû alternativement en avant eten arrière, ce sont
des muscles différents qui entrent en action dans les deux mouvements ; mus-
cles situés en avant de l'épaule (tiers antérieur du deltoïde, partie supérieure
du grand pectoral) pour le mouvement en avant, muscles situés en arrière (tiers
postérieur du deltoïde) pour le mouvement en ce sens.
Les mouvements de rotation des membres sur leur axe obéissent aux mê-
mes lois. La rotation en dehors s'obtient par l'action d'autres muscles que la
rotation en dedans.
DE LA FORME DU CORPS EN MOUVEMENT 135
Dans les mouvements lents, j'ajouterai que les antagonistes du mouvement
sont généralement légèrement contractés. '
B. Dans les mouvements très rapides, il 11' ! J a pas de catégorie à établir; dans
tous ces cas, les choses se passent comme dans les mouvements qui ne sont pas influ-
encés par la pesanteur. L'action musculaire existe toujours du côté du sens du
mouvement par exemple, dans les fléchisseurs lors de la flexion, dans les exten-
seurs, lors de l'extension, et les muscles antagonistes sont manifestement re-
lâchés. '
Dans ce cas, la forme du membre est telle qu'a la seule inspection on peut
déduire le sens dans lequel le membre se meut.
NÉVRALGIE DE LA VIII0 RACINE POSTÉRIEURE
1 CERVICALE DROITE'
RÉSECTION INTRA-RACHIDIENNE DE CETTE RACINE ET DES RACINES
SUS ET SOUS-JACENTES. GUÉRISON OPÉRATOIRE ET FONCTIONNELLE.
M. le professeur Duplay a bien voulu nous autoriser à étudier et à
opérer dans son service le malade suivant dont l'observation présente le
plus grand intérêt au point de vue de l'élude des névralgies chirurgicales.
Ch. IIann, employé de banque, âgé de 34 ans, ne présente aucun
antécédent héréditaire important. Sa mère est morte, il un âge assez avancé,
de tuberculose pulmonaire, et son père de pneumonie.
Lui-même a eu en 1870 la scarlatine, puis en 1879 une blennorrha-
gieeten 1880 un chancre mou qui guérit en quelques jours. Pas de
syphilis, de rhumatisme, de paludisme.
Son affection actuelle a débuté en janvier z1891, sans cause appréciable :
un matin, en s'habillant, il sentit, au frottement de sa manche de chemise,
une légère douleur sur le bord interne du petit doigt droit, douleur qui
reparut les jours suivants, sous l'influence des contacts, même légers, et
qui fut traitée par des frictions de baume opodeldoch. Progressivement
elle s'aggrava, et au bout de quelques mois, devint permanente, avec des
exacerbations sous l'influence des traumatismes : dans l'intervalle de ces
exacerbations elle simulait un chatouillement désagréable, puis lorsqu'elles
survenaient prenait le caractère d'une douleur en éclair remontant le long
de la face interne du bras.
A partir de juin 1891, le malade, incapable d'écrire, dut quitter ses
fonctions d'employé de banque. 1
Depuis cette époque il s'est soumis à tous les traitements possibles ; les
iodures, les bromures, la phénacétine, l'hypnotisme, la métallothérapie,
les injections testiculaires, les bains galvaniques, l'électrisation galvani-
que furent successivement employés avec plus ou moins de persévérance;
en juin 1892 M. Ricard lui fit l'élongation de la branche dorsale cutanée
du cubital ; en septembre 1893, M. Chaput la section du cubital dans la
gouttière épitrochléenne.
NOUV. ICONOGR. DE LA SALPÊTRILRE
T. VIII. PL XVIII.
NÉVRALGIE DE LA VIII RACINE CERVICALE
DROITE
Le malade avant la réfection intradurale
de cette racine.
L. BATTAILLE ET Ci-
Éditeurs
NÉVRALGIE DE LA VIIIe RACINE POSTÉRIEURE CERVICALE DROITE 137
Aucune de ces tentatives ne fut suivie de succès. Le malade considère
même chacune d'elles comme ayant été corrélative d'une aggravation; du
reste, la dernière : section du cubital dans la gouttière épitrochléenne, a
provoqué une atrophie rapide des muscles dépendant de ce nerf, atrophie
sur laquelle nous reviendrons dans un instant.
Après l'abandon de ces tentatives médicales ou chirurgicales, le malade
s'adonna à la morphine : sans obtenir d'autre résultat qu'une atténuation
passagère de ses souffrances, il en augmenta progressivement la dose eten
vint à se faire une vingtaine de piqûres de 1 centimètre cube à 10 0/0, par
vingt-quatre heures.
Il en était là lorsqu'il nous fut envoyé (août 1894) par notre excellent
maître P. Delbet. Il était amaigri, pâle, les paupières oedématiées, sans
sucre ni albumine dans l'urine. Il portait en écharpe, enveloppés dans un
épais pansement ouaté, destiné à les préserver des contacts, sa main et
son avant-bras droits, qu'il découvrit devant nous avec d'infinies précau-
tions et en les maintenant immobiles. Le poignet était légèrement fléchi
sur l'avant-bras ; l'annulaire, et surtout le petit doigt fléchis sur le méta-
carpe. Il y avait une atrophie manifeste des muscles de la partie antéro-
interne de l'avant-bras, des interosseux et des éminences hypothénarien-
ne et thénarienne. Le petit doigt et la partie interne de l'avant-bras
étaient oedématiés, couverts de croûtes ichthiosiques, qu'accompagnait,
immédiatement au-dessous-du coude, une agglomération de petits ulcères
superficiels. La douleur était conlinuelle et consistait en un fourmille-
ment extrêmement pénible, localisé au petit doigt et à la partie interne
de la main ; toutes les 10 ou 15 minutes, sans motif, ou à la suite d'un
frottement, d'un changement de température, d'un courant d'air, cette
douleur locale prenait une intensité extrême et remontait le long de la
face interne de l'avant-bras jusqu'au coude : 'ces crises survenaient aussi
FIG. 13 et 14. - Zone d'hypoesthésie consécutive il la section du cubital au coude.
138 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
bien le jour que la nuit et empêchaient tout sommeil. D'autre part le
malade nous délimita sur son membre malade une zone d'anesthésie tac-
tile occupant : du côté dorsal, le petit doigt, la première phalange de
l'annulaire, la moitié interne de la première phalange du médius, la
partie correspondante de la main jusqu'à la tête cubitale ; du côté
palmaire, le petit doigt, la moitié des deux premières phalanges de l'an-
nulaire et la largeur correspondante de la main et de l'avant-bras jusqu'à
deux centimètres au-dessus du pisiforme (fig. 13 et 14). Sur toute cette
surface les contacls, quoique non sentis, déterminaient des crises doulou-
reuses : phénomène que le malade a remarqué pour la première fois
quelques jours après la section du cubital au coude.
Nous proposâmes une intervention qui, quelques semaines avant, nous
avait, dans un cas en apparence analogue, donné un résultat très satis-
faisant : l'arrachement total de la branche dorsale cutanée du cubital.
Elle fut faite dans les premiers jours de septembre. Une incision en L donl
la longue branche suivait le bord interne de la main depuis la tête du
cubitus jusqu'à la tôle du 5e métacarpien, et dont la courte branche croi-
sait à leur base le petit doigt, l'annulaire et le médius, nous
permit de relever un lambeau cutané à la face profonde
duquel furent soigneusement disséqués et réséqués le tronc
de la branche dorsale et les trois rameaux qui en nais-
sent ; l'opération fut terminée par l'arrachement des ex-
trémités périphériques des collatéraux dorsaux corres-
pondants. Ceci fait, le lambeau fut complètement suturé
au catgut et recouvert d'un pansement iodoformé. Cet an-
tiseptique provoqua un léger erythéme vésiculaire, qui
n'empêcha pas la réunion par première intention, sous
un seul pansement, sans troubles trophiques proprement
dits.
A la suite de notre intervention, la zone que nous
avions antérieurement notée sur le dos de la main comme
hypoesthésique, devint complètement anesthésique et
thermanesthésique (fig. 15). Cependant les douleurs ne
furent point améliorées : l'intensité de la douleur per-
manente, l'intensité et la fréquence des crises ne furent
nullement modifiées.
Nous ne savions plus que faire lorsqu'un nouvel examen vint substituer
au diagnostic, porté par ceux qui avaient vu le malade avant nous et par
nous-mêmes jusqu'à ce jour, de névralgie du cubital, le diagnostic de
névralgie de la VHP racine cervicale droite. La zone hypereslhésique fut
en effet, par cet examen, localisée au petit doigt et à la face interne de
Fic. 15. Après
arrachement de la
branche dorsale
cutanée du cubi-
tal, la zone d'hypo-
esthésie située du
côté dorsal se
transforme en zo-
ne d'anesthésie.
NÉVRALGIE DE LA Ville RACINE POSTÉRIEURE CERVICALE DROITE 13D
l'annulaire, à la partie interne de la main sur une largeur correspondante,
et, sur l'avant-bras et le bras, à deux bandes d'un centimètre et demi de
large : une bande antérieure passant en dedans du tendon du biceps,
une bande postérieure longeant le bord interne de l'olécràne ; ces deux
bandes ne se rejoignant pas en dedans du membre et laissant libre
tout de son long une surface large de 4 à 5 centimètres, commençant en
pointe au niveau de la tête cubitale; c'est en deux points bien détermi-
nés de celle zone hyperesthésique que les crises douloureuses avaient leur
point de départ : soit en un point situé sur le bord interne de la main,
soit en un autre point correspondant à l'olécrâne et situé en dehors el en
haut du névrome consécutif à la section du cubital,névrome que l'on fai-
sait rouler sous le doigt sans la moindre douleur (fig. 17 et 98). En somme
nous n'avions point affaire à une névralgie du nerf cubital mais, ainsi que
nous permettaient de l'affirmer les recherches encore inédites de l'un de
nous sur les fonctions des segments radiculo-médullaires, d'une névralgie
occupant avec une précision vraiment remarquable le territoire de la
VHP racine cervicale droite.
Une intervention nouvelle s'imposait : l'ouverture exploratrice du canal
rachidien au niveau de cette racine, et si l'on ne trouvait point de néo-
plasme ou d'hyperostose la comprimant, la résection intra-durale de sa par-
Fio. z Cicatrices et troubles trophiques du membre avant la
résection des racines postérieures.
Fie. 11 et 4S.- Zones et bandes d'hyperesthésie en pointillé. En noir, les taches point
de départ des crises douloureuses. \
140 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
tie sensitive entre la moelle et le ganglion, résection complétée par celle
des racines postérieures sus et sous-jacentes, pour se conformer à la don-
née physiologique qui admet l'insuffisance de la section d'une seule
racine pour anesthésier son territoire. Cette intervention fut proposée au
malade qui l'accepta immédiatement.
Après un laps de temps de 15 jours, nécessaire pour vérifier et faire
vérifier les résultats de notre examen, pour constater, grâce à l'obligeance
de notre ami et collègue Vialet l'état du reste parfaitement normal des
pupilles, du fond de l'oeil, et de la musculature oculaire, l'opération fut
entreprise le 11 novembre 1894. Le sommet de la VIIe apophyse épineuse
cervicale, sommet correspondant à peu près à la sortie de la moelle de la
8epaire radiculaire, fut pris comme centre d'une incision menée de la IVe
apophyse épineuse cervicale à la Ille dorsale (fig. 19). La peau, puis l'apo-
névrose ayant été divisées au bistouri de chaque côté de la crête apophysaire,
la couche musculaire fut, à la sonde cannelée et à la rugine, décollée de la
face latérale des apophyses et des lames jusqu'au niveau des apophyses
transverses% Ce décollement fut laborieux et l'hémorrhagie très abon-
dante nécessita à plusieurs reprises un tamponnement de quelques
minutes. Lorsque la plaie fut bien et définitivement exsangue, le le,* arc
dorsal, puis le VIIIe et le VIle arcs cervicaux furent réséqués à la pince
emporte-pièce; en un point, au niveau de l'extrémité externe de VIIe lame
gauche, l'ouverture d'un sinus intra-osseux nécessita le glissement entre
l'os et la dure-mère d'un petit tampon de gaze iodoformée. Les parois du
canal rachidien et en particulier les trois trous intervertébraux du côté
droit furent trouvés normaux. La dure-mère dont la consistance et l'aspect
étaient également normaux fut,incisée au bistouri, sur la ligne médiane,
dans toute la hauteur de l'ouverture osseuse. Le liquide céphalo-rachi-
dien se mit à couler, peu abondamment du reste, hors des mailles du
tissu sous-arachnoïdien et la dissociation de celui-ci mit bientôt t nu,
avec une netteté parfaite, la moelle et trois paires radiculaires que l'on
Fin. 19. - Tracé de l'incision.
NÉVRALGIE DE LA VIIIe RACINE POSTÉRIEURE CERVICALE DROITE
141
pouvait suivre facilement .de leur issue médullaire à leur passage à
travers la dure-mère. C'étaient sans doute les 7e et 8° paires cervicales
ainsi que la lre dorsale, c'est-à-dire les trois paires dont il nous fallait
couper les racines postérieures droites. La valve droite de la dure-mère
étant donc soigneusement reclinée à l'aide de deux pinces à griffe, la
8e racine postérieure dont les divers filets avaient été rassemblés et
soulevés sur un petit crochet à strabisme, fut sectionnée à l'aide d'un
ciseau bien tranchant, au ras de ses insertions médullaires et ra-
battue en dehors. II fut fait de même pour la 7e et la 'Ire dorsale. Les raci-
nes antérieures correspondantes se trouvaient ainsi wettement visibles ;
M. Gley qui assistait à l'opération, voulut bien, à notre demande, en faire
l'exploration électrique : c'était le seul moyen d'affirmer avec certitude
leur identité. Il se servit dans ce but d'un chariot de Dubois-Reymond
ivof. les bobines écartées an maximum : la nlus inférieure des racinPc
antérieures découvertes fut, la pre-
mière, isolée sur un petit écarteur en
ivoire et soumise au courant : il en ré-
sulta descontractions dans les muscles
grand dorsal et grand dentelé; la même
manoeuvre pratiquée sur la racine sus-
jacente provoqua des contractions des
muscles intrinsèques de la main, flé-
chisseurs des doigts (surtout du pouce
et des deux doigts externes), enfin, avec
beaucoup moins d'intensité, des supina-
teurs (fig. 20). Nous avions donc affaire,
avec certitude, aux racines -Ire dorsale
et 8° cervicale, et il devenait inutile
d'explorer la plus élevée des racines
mises à nu par notre incission dor-
sale, racine qui, baignée dans du liquide céphalo-rachidien et si-
tuée à la partie tout Ù fait supérieure de l'incision durale, était difficile
à isoler. Ajoutons que l'électrisation des racines antérieures 1 re dor-
sale et 8e cervicale ne détermina aucun phénomène vaso-moteur ou réflexe
et que d'autre part, l'électrisation, même avec un courant très intense, des
racines antérieures correspondantes, tout en ne provoquant également
aucun phénomène réflexe, parut produire, surtout pour la 8e racine anté-
rieure cervicale, une pâleur manifeste du territoire cutané correspondant :
l'absence d'un dispositif spécial ne permit pas de faire cette constatation
d'une manière plus scientifique. Ces recherches terminées, pour éviter
qu'il restât, dans le canal durai, trois bouquets flottants de filets nerveux,
Fin. 20. Position du membre déter-
minée par l'électrisation de la 8- ra-
cine cervicale droite.
142 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
nous finies sur chacun d'eux une nouvelle section au ras de leur passage
à travers la dure-mère : les racines postérieures se trouvèrent ainsi résé-
quées sur une grande étendue, depuis leur sortie de la moelle jusqu'au
moment où elles rejoignent les racines antérieures correspondantes.
Enfin, la dure-mère fut suturée au catgut, par points très rapprochés,
quelques sutures profondes au catgut passées dans les plans musculaires
et la peau suturée au fil d'argent. Le petit tampon qui avait été insinué au
cours de l'opération entre l'os et la dure-mère, sur la face antéro-latérale
' gauche du canal, fut laissé en place et fixé par un fil de soie ressortant
à l'angle inférieur de la place. De la gaze iodoformée et de l'ouate com-
plétèrent le pansement. L'opération avait en tout duré 2 heures 1/4.
Le réveil chloroformique fut- normal, sans vomissements, et sans le
moindre symptôme de shock.
Deux heures après avoir été reporté dans son lit, l'opéré se prêtait à un
examen détaillé. Depuis son réveil il n'avait pas eu de crises ni de dou-
leur quelconque,, et pouvait laisser à l'air, sur les draps, sa main et son
avant-bras qu'il préservait jadis des contacts avec tant de précaution.
Il fit mouvoir ses doigts, prit et soutint son verre rempli, écrivit quelques
lignes (fig. 21), sans souffrance et sans autre gêne des mouvements que
celle résultant des atrophies consécutives à l'ancienne section du nerf
cubital : toutefois les contractions musculaires, un peu Iremblées, se fai-
saient par petites saccades successives, comme celles des muscles fatigués
et la percussion du dos du poignet provoquait une légère extension de
la main. D'autre part tandis que la zone et les bandes d'hypéresthésie
avaient complètement disparu, nous pûmes constater, sans aucune hési-
tation possible, la présence d'une zone d'hypoesthésie tactile occupantla
face interne du membre et débordant même en dehors les limites du
territoire autrefois hyperesthésie. Cette zone englobait les zones anesthé-
siques résultant des opéra lions antérieures, zones qui se détachaient du
1
FiG. 21.- Spécimen de l'écriture du malade, deux heures après l'opération.
NÉVRALGIE DE LA VIIIe RACINE POSTÉRIEURE CERVICALE DROITE 143
reste, sur la zone nouvellement atteinte, par l'intensité beaucoup plus
grande, à leur niveau, des troubles sensitifs (fig. 22 et 23).
Au nouvel examen pratiqué le soir du même jour, je pus constater que
la partie brachiale de la zone hypoesthésique avait disparu.
Le lendemain, 12 novembre, il n'y avait plus trace d'hypoesthésie et
nous constations l'existence, depuis la première phalange du médius jus-
qu'à mi-hauleur du bras, de bandes hyperesthésiques antérieures et pos-
térieures correspondant peu près aux limites de la zone qu'occupait
les jours précédents l'hypoesthésie transitoire et situées par conséquent
Fia. 22 et 23. Zones d'hypoesthésie transitoire, constatée chez le malade le soin de
l'opération, et marquée en lignes obliques. Les lignes horizontales rappellent la dis-
tribution des anesthésies antérieures à l'opération.
Fic. 21 et 25. Bandes d'hyperesthésie légère constatées quelques jours après l'o-
pération et situées très en dehors de la région qu'occupaient les bandes d'hyperes-
thésie préopératoires.
144 NOUVELLE ICONOGRAPIIIE DE LA SALPÊTRIÈRE
bien en dehors du territoire qu'occupaient les bandes d'hyperesthésie
préopératoires. L'hyperesthésie constatée sur ces bandes nouvelles était
du reste très légère; il fallait un con lad prolongé ou brutal pour y pro-
voquer une sensation peu douloureuse de chatouillement (lig. 24 et 25).
Il n'y avait pas eu depuis la veille, la moindre douleur spontanée ou
provoquée. Les mouvements ne se faisaient plus par saccades, mais
régulièrement. La percussion du dos du poignet ne provoquait plus
d'extension de la main. Les réflexes des membres inférieurs étaient nor-
maux. La miction exigeait- un effort notable des muscles abdominaux,
tenant peut-être simplement à la position tout à fait horizontale de l'o-
péré. La pupille droite était un peu rétrécie. Le fonds de l'oeil était nor-
mal ; l'état général était excellent.
Le 13, état local et général toujours parfait; les petites ulcérations tro-
phiques, notées sur le membre malade avant l'opération se cicatrisent;
l'oedème dont il était le siège a disparu ; sauf les atrophies musculaires il
a repris, à très peu près, l'aspect d'un membre normal (fig. 2ü).
Le 16, le pansement est changé pour la première fois. Le tampon de
gazeiodoformée laissé dans le canal rachidien est retiré à l'aide du fil de
soie qu'on lui avait fixé.
Le 20, second pansement : la plaie parait complètement et solidement
réunie, ce qui nous décide à enlever les fils d'argent qui commencent à
couper la peau. Malheureusement, au cours de cette ablation, le malade,
pour retirer un livre placé sur son lit et qui allait tomber, lendit brusque-
ment les bras en avant : la cicatrice cutanée se rompit, et- sur une longueur
d'une dizaine dé centimètres les bords de' la plaie s'écartèrent. Celle mé-
saventure nécessita l'application de quelques nouveaux points de sulure,
d'un troisième'pansement et fut suivie d'une légère suppuration de la
surface décollée.' ' ' ' .' '
De^ce fait, l'opéré dont là- température : s'éleva à 38°, 3805,lé soir pen-
dantune' h.uita ine,' dutlprolonger son' séjour à l'hôpital' jusqu'au '11 dé-
cembre. , , . ,
FiG. 26. Etat du membre le surlendemain de l'opération : l'oedème et les
troubles trophiques préopératoires ont complètement disparu.
N'OUV 1t;01h04f[ 1 £ L.. ? 11HITI11`RF T, VIII ! 1. X, XXI, "Klf.
PHOT. hGf. 'HIPAIIy. PHOTOf""OJ, nrRTHAUD.
RESECTION INTRADURALE DES RACINES POSTÉRIEURES (VIIe, VIII'' CERVICALES
ET In" DORSALE DROITES.) QUATRE MOIS APRÈS L'OPÉRATION .
. ¡'tel1due lk mouvements de Iltxioli et d'extension de la tête, cicatrice opératoire.
NÉVRALGIE DE LA VIIIe RACINE POSTÉRIEURE CERVICALE DROITE 145
A cette date, il avait repris sa bonne mine, et un état général satisfai-
sant ; il pouvait, debout ou assis, tenir sa tête droite; les ulcérations
trophiques de l'avant-bras avaient disparu; enfin, fait primant tout le
reste, il n'avait eu, depuis le jour de l'opération, ni crises ni douleurs
spontanées ou provoquées et lui qui se faisait, ainsi que nous l'avons
dit, avant l'intervention, jusqu'à vingt piqûres d& morphine par jour,
avait pu y renoncer complètement.
Aujourd'hui, 20 mars 1895, quatre mois après notre intervention, la
guérison persiste absolument parfaite : il n'y a plus la moindre crise
douloureuses, les bandes hyperesthésiques postopératoires elles-mêmes
ont disparu, si bien que la main peut être utilisée pour écrire, et que notre
malade a repris ses fonctions d'employé de bureau : les troubles tro-
phiques cutanés ont complètement disparu. Il ne persiste somme toute
que l'atrophie musculaire et l'anesthésie dues aux opérations qui avaient
précédé la notre; toutefois, de plus, le membre est resté très susceptible
au froid, et, lorsqu'il est exposé à l'air, sa température s'abaisse très ra-
pidement en même temps qu'il prend une teinte violacée. Il n'y a pas trace
de trouble oculo-pupillaire ni d'altération du fond de l'oeil; il n'y a
aucune gène des mouvement du cou qui peut se fléchir et s'étendre aussi
amplement que chez qui que ce soit. Enfin l'état général est excellent,
notre opéré, a augmenté de 47 livres et personne ne reconnaîtrait dans le
garçon joyeux et endimanché d'aujourd'hui le désespéré que nous hésitions
à opérer, à cause de son mauvais état général.
Le malade dont nous venons de relater l'histoire était atteint, on
l'a vu au cours de son observation, non d'une névralgie d'un nerf, mais
d'une pseudo-névralgie radiculaire. Nous en avons fait le diagnostic par
la délimitation rigoureuse de la zone hyperesthésique qui correspondait
non au territoire cutané d'un nerf, mais au territoire cutané d'une racine.
Dans le cas particulier c'était le territoire de la VHP racine cervicale,
comprenant les deux doigts internes, la partie interne de la main, et deux
bandes antibrachiales et brachiales, l'une antérieure, passant un peu en
dedans du tendon du biceps, l'autre postérieure, passant sur la partie
interne de l'olécrane : territoire bien différent de celui du nerf cubital, qui
a seulement sous sa dépendance : du côté palmaire le petit doigt, la moitié
interne de 'l'annulaire et la partie correspondante de la main ; du côté
dorsal le petit doigt, l'annulaire moins la moitié externe de ses deux
dernières phalanges, la moitié interne de la première phalange du mé-
dius et la partie correspondante de la main. L'existence des bandes 11y-
peresthésiques antibrachiales eût dû, dès l'abord, nous faire rectifier le
146 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DELA SALPÊTRIÈRE
diagnostic jusque-là porté si nous n'avions pris la hande postérieure, la
seule accusée spontanément par le malade, pour une hyperesthésie du
tronc du nerf cubital lui-môme : un. examen attentif nous permit seul
d'affirmer que le nerf n'était nullement douloureux ; en même temps;
nous notions que la tache hyperesthésique olécrânienne qui étail par-
fois le point de départ des crises douloureuses n'avait rien à faire avec le
névrome consécutif à la section du cubital, névrome siégant plus bas et
plus en dedans, et parfaitement insensible. L'erreur de diagnostic qui
fut faite si longtemps dans iotre cas nous fait soupçonner qu'une erreur
analogue a du être, au moins quelques fois faite au membre supérieur
dans les mêmes conditions, et peut être même d'autres fois au membre
inférieur où la névralgie radiculaire des 2a et 3' paires lombaires s'accom-
pagnerait, à la partie postérieure de la cuisse, d'une bande d'hyperes-
thésie cutanée, suivant à peu près le trajet du sciatique et pouvant faire
prendre, à un examen- non prévenu, cette névralgie radiculaire pour une
névralgie du nerf sciatique lui-même.
Quoi qu'il en soit de celle probabilité le diagnostic de pseudo-névralgie
de la VIIIe racine, cervicale droite était, chez notre sujet, indiscutable.
La pathogénie de cette pseudo-névralgie en l'absence de tout symptôme
rachidien ou médullaire, restait du reste fort obscure.
Mais, ce qui devenait tout à fait explicable, c'était l'insuccès absolu
des interventions multiples tentées sur le nerf cubital : résection de ce
nerf dans la gouttière épitrochléenne, élongation de sa branche dorsale
cutanée, arrachement de cette branche. Il fallait désormais, pour avoir
quelques chances de réussite, s'attaquer aux racines postérieures elles-
mêmes, dans leur trajet intradural. Opératoirement, cela n'est pas diffi-
cile : après large ouverture du canal rachidien et du fourreau durai char-
ger la racine postérieure sur un crochet mousse, la sectionner d'abord au
ras de la moelle, ensuite au ras de la dure-mère, ce sont là des manoeu-
vres délicates mais praticables, et praticables avec une précision parfaite
(fig. 27, 28,.29). Moins donc que des difficultés particulières de techni-
que, nous craignîmes, avant d'intervenir, des troubles trophiques post-
opératoires rapides et graves dans le territoire des racines postérieures
réséquées ; en effet, quelques recherches physiologiques récentes ont dé-
montré le passage de fibres nerveuses trophiques par les premières racines
postérieures lombaires, et l'absence de fibres nerveuses de même nature
dans les autres racines postérieures n'est nullement prouvée. Notre malade,
prévenu de ces conséquences possibles, nous supplia de passer outre. Bien
lui en a pris : aucun trouble trophique n'est survenu et ceux mêmes qui
existaient sur le territoire des racines malades (oedème, pseudo-icthyose,
ulcérations plus ou moins profondes) ont complètement disparu ; résultat
NOUV. ICONOGR. DE LA SALP £ TRIÈRE
T VIII. PL. XIX.
PHOTOTYPE NEG. CHIPAULT. PHOTOGRAV. J. VITOU.
NÉVRALGIE DE LA VIII" RACINE CERVICALE
DROITE
Le malade quatre mois après la résection.
L. BATTAILLE ET C"
Éditeurs
NÉVRALGIE DE LA Ville RACINE POSTÉRIEURE CERVICALE DROITE 147
encourageant, mais qui ne préjuge rien pour les racines autres que celles
que nous avons réséquées. Plus remarquable encore a été le résultat thé-
rapeutique de notre intervention : dès le réveil du malade, ses douleurs
avaient, confirmation heureuse de notre diagnostic, absolument disparu,
et lui, qui depuis des années portait sa main en écharpe, dans un épais
pansement ouaté destiné à lui éviter tout contact et tout changement de
température, provocateurs de crises douloureuses atroces, pouvait, le soir
même de l'opération, se -servir de sa main pour manger sa soupe et pour
écrire sous nos yeux quelques lignes : tous ceux qui l'avaient vu la veille
étaient frappés de ce changement et l'opéré lui-même ne se lassait pas de
mouvoir sa main et ses doigts, véritablement stupéfait que ces mouvements
puissent s'accomplir sans douleur. Cette guérison, immédiate et parfaite,
date aujourd'hui de quatre mois. Est-elle définitive : nous connaissons
trop les récidives à longue échéance des névralgies par résection des
nerfs, pour l'affirmer, mais nous augurons bien de l'avenir, étant donné
le grand succès des interventions portant au niveau et au delà du gan-
glion gasserien du trijumeau, comparativement à l'insuccès fréquent des
interventions portant sur ce môme nerf en deçà de son ganglion : le triju-
meau n'est-il pas en effet, avant d'avoir été rejoint par sa racine molle,
une vraie racine postérieure crânienne, analogue aux racines postérieures
rachidiennes ?
Chez notre malade nous avons même fait beaucoup plus qu'on ne peut
faire au niveau du trijumeau : nous avons réséqué non seulement
la racine malade, mais encore les deux racines sus et sous-jacentes.
Nous avons agi ainsi parce qu'il nous est arrivé plus d'une fois, dans
Ftc. 21, 28, 29. Les trois temps de la résection intra-durale
des racines postérieures.
148... ? NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE .
"<'
le cours d'interventions médullaires, de sectionner en dehors ou en de-
dans de la dure-mère, une racine, sans constater à la suite de cette sec-
tion des troubles sensitifs. Peut-être avons-nous eu tort : il est en effet
fort possible que si la section d'une seule racine ne suffit pas pour anes-
thésier son territoire cutané, son irritation suffise pour 1'llyperestliésier.
L'histoire clinique de notre malade semble le prouver, et dès lors, dans les
cas où comme dans le noire l'hyperesthésie occupe une distribution bien
délimitée, la résection d'une seule racine pourrait suffire.
La détermination opératoire de l'identité de la racine à réséquer, diffi-
cile d'après l'examen de sa position et de la position du trou intervertébral
correspondant n'est, disons-le en terminant, réellement possible que par la
connaissance du rôle moteur de la racine antérieure correspondante, et par
son électrisation. On a vu que dans notre cas, M. Gley a bien voulu prati-
quer cette électrisation sur deux des racines que nous avions découvertes et
constater ainsi qu'il s'agissait très vraisemblement des racines lre dorsale
et 8e cervicale. C'est là une constatation physiologique intéressant; ce
n'est pas la seule que nous ayions pu faire chez notre opéré. On a vu que
l'électrisation des racines postérieures correspondantes a provoqué chez
lui une vaso-constriction manifeste de leur territoire. Enfin, insistons
sur ce fait que la résection de trois racines postérieures superposées n'a
provoqué qu'une hypoesthésie tout à fait légère qui disparut en vingt-
quatre heures, de la racine à l'extrémité du membre. Nouvelles preuves,
après tant d'autres, que la physiologie du système nerveux de l'homme
diffère, au moins par certains détails de la physiologie du système ner-
veux des animaux, même des plus élevés dans la série : les interventions
chirurgicales réservent, à ce point de vue, nous en sommes convaincus,
plus d'une surprise.
.. A. CUIPAULT ET A. DEMOULIN
Le gérant : Louis BA-UTAII.LF.
(mp. Vve I,omsnor. 33, rue îles Batignolles, 1 ,.tris.
NOUVELLE -ICONOGRAPHIE
DE LA SALPÊTRIÈRE
HÉMATOMYÉLIE DU CONE TERMINAL
par
F.RAYMOND
Professeur de Clinique des Maladies du Système Nerveux.
Leçon faite à la Salpêtrière, le 24 mai 1895, recueillie par
A. Souques
Chef de Clinique.
Messieurs,
Dans mes leçons du semestre dernier, j'ai abordé devant vous l'élude
des lésions de la queue de cheval et du cône terminal. Je me suis volon-
tairement borné à une simple esquisse. Un malade, entré récemment clans
nos salles, va me permettre de revenir aujourd'hui sur cette question. Le
cas est d'ailleurs typique et fort instructif. Laissez-moi vous l'exposer briè-
vement. '
Il s'agit d'un homme de 35 ans, maçon de son métier, indemne de
toute tare héréditaire. Nous avons relevé, dans son histoire pathologique
personnelle, deux pleurésies anciennes et certaines absences comitiales,
accompagnées d'automatisme ambulatoire, dont je vous ai entretenus lon-
guement vendredi passé. Mais ce sont là des épisodes accessoires. Je ne
veux pointy insister davantage et j'arrive au fait.
Un jour du mois d'août ')8M, noire homme était en Irain de ramasser
des fruits sons un arbre, lorsqu'il ressentit brusquement une violente
douleur dans la région .lombaire. Il tombe presque aussitôt, se (raine un
instant ;i terre el ne tarde pas ;i perdre connaissance. Cinq ou six heures
après, lorsqu'il retient il lui, il se retrouve dans son lit, en proie à de vi-
ves douleurs mal localisées. Il apprend alors de son entourage que des voi-
sins, attirés par ses Cris, étaient accourus et l'avaient transporté chez lui
VIII 10
10 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
en voilure. Pendant toute la durée du trajet, il n'avait cessé de se plaindre
et de pousser des cris au moindre contact. D'ailleurs, dès qu'il eut repris
ses sens, cette hyperesthésie extrême persistai ? tellement exquise que le
seul contact des draps occasionnait des souffrances intolérables. Le soir
même, il est pris d'un délire qui dure deux jours. A ce délire succède,
pendant trois semaines, un état de subdélirium, entrecoupé de quelques
'moments de lucidité. Le malade fut conduit à l'hôpital de Chàteaudun.
La les douleurs s'amendèrent, la marche redevint possible, de telle sorte
qu'il put quitter l'hôpital au bout de trente-sept jours.
Six semaines après l'ictus initial, l'hyperesthésie du début avait disparu
et les douleurs s'étaient circonscrites à la région des lombes. J'avais oublié
de vous dire que, dès le début, cet homme avait été pris de constipation
et de rétention d'urine. Or c'est là un phénomène capital sur lequel je ne
saurais trop appeler votre attention. Un médecin, mandé auprès de lui, le
premier jour, a dû le sonder et revenir les jours suivants pour vider la ves-
sie, jusqu'à ce que le malade ait été en mesure de se sonder lui-même. Le
passage du cathéter était, parait-il, perçu à cetle époque. Vous verrez tout
à l'heure qu'il n'en est plus ainsi. Au bout-ci'un mois environ, la rélen-
tion d'urine fait place à l'incontinence qui persiste depuis lors. La consti-
pation originelle subsiste, alternant parfois avec de l'incontinence des
matières. '
Les choses en étaient là lorsqu'au mois d'octobre 1893 ce malade fit un
premier séjour dans cet hospice. Il ne présentait alors que les troubles vé-
sico-rectaux dont je viens de vous parler. Sa démarche était absolument
normale. Il pouvait faire de longues courses sans gène ni fatigue. Ainsi, il
demandait une permission de sortie chaque semaine et en profilait pour
se rendre àpied de la Salpêtrière il Courbevoie. En avril 1894, cet homme
quitte l'hospice et rentre dans son pays. Malgré sa triste. infirmité vésicale, '
il s'occupe toute la journée aux champs et supporte sans fatigue les péni-
bles travaux de la moisson. Seul l'acte de lier les gerbes, qui nécessité une
altitude courbée excessive, réveillait ses douleurs lombaires. Je n'insiste,
Messieurs, sur ces détails que pour mettre en relief l'intégrilé de ses mem-
bres inférieurs et l'étroite localisation des troubles morbides. J'aurai l'oc-
casion de '0111'1 les rappeler plus lard, quand il me faudra discuter le siège
de la lésion.
- Inquiet de la longue durée de son mat, ce malade nous est revenu le
2 mars dernier. Nous l'avons examiné, à diverses reprises, très soigneuse-
ment. Voici les résultats de notre examen. z
Tout le syndrome morbide se limite aux membres inférieurs et au bas-
sin. Veuillez remarquer tout d'abord que,1, du côté des membres inférieurs,
tous les mouvements sonl normaux et s'exécutent avec une force et une
IIÉMATOMYÉLIE DU CONE TERMINAL 151
régularité parfaites. Les reliefs musculaires se dessinent, comme vous le
voyez, très nettement et très vigoureusement. Il n'y a, chez ce malade, ni
affaiblissement musculaire, ni atrophie, ni incoordination motrice, ni si-
gne de Romberg. Il marche comme tout le monde ; il se tient debout, les
yeux fermés, sans osciller. Seuls les réflexes tendineux, aux membres
inférieurs, ^sont altérés. Très diminué à droite, le réflexe rotulien est pour
ainsi dire aboli du côté gauche. De même les réflexes du tendon d'Achille
sont affaiblis des deux côtés. Ce sont là des altérations que je voulais sou-
ligner et que je vous prie de retenir.
Les troubles très accusés de la sensibilité contrastent étrangement avec
l'intégrité de la motilité. Vous allez en juger. Cet homme se plaint de
douleurs subjectives, localisées à la région lombaire et provoquées soit
par la pression soit par la percussion. Elles s'irradient sous forme de cein-
ture dans les régions des aines et de t'hypogastre. Mais je me hâte- d'ajou-
ter que ces douleurs, de caractère constrictif, sont sourdes et très tolérables.
Elles surviennent une ou deux fois par jour, sous forme de paroxysmes,
particulièrement à la suite d'efforts infructueux de défécation.
J'arrive maintenant aux troubles objectifs de la sensibilité et je vous
demande la permission d'y insister longuement. Eh bien ! la sensibilité est
intacte dans toute l'étendue des membres inférieurs, sauf clans le territoire
dessiné sur ce schéma (Fig. 30 et 31). Les limites de ce territoire anes-
thésié il s'agit ici d'anesthésie sont nettes et régulières. Elles encla-
vent symétriquement la région fessière inférieure et la partie moyenne de
la face postérieure de la cuisse. Ce territoire cruro-fessier se rétrécit de
haut en bas et se termine en pointe vers le creux poplité. Il occupe approxi-
malivemenl, il droite comme à gauche, le domaine culané du nerf petit
sciatique et des nerfs sacrés. Vous voyez, d'autre part, que l'anesthésie se
prolonge sur la face interne des deux cuisses, obliquement de bas en haut
et de dehors en dedans, jusqu'à la racine des bourses. Ce n'est pas tout .
Le pourtour de l'anus, le périnée, le scrotum et la verge sont également
anesthésiques. Il y a toutefois une différence dans le degré de l'anesthésie.
Tandis que dans le territoire cruro-fessier l'anesthésie est absolue et les
sensations tactiles, douloureuses el. thermiques entièrement abolies, dans
le territoire ano-périlléo-scrolal ces mêmes sensations sont au contraire
simplement affaiblies. Il s'agit ici d'hypoesthésie mais d'hypoesthésie
très manifeste. Je n'ai pas besoin de vous rappeler que ce territoire ano-
génital correspond à la distribution cutanée du nerf honteux interne.
Voilà bien, Messieurs, une topographie singulière. Je vous prie (le vou-
loir bien retenir la symétrie et' la localisation étroite de celle anesthésie
cutanée, car j'invoquerai tout il l'heure ces deux caractères, pour préciser
le siège de la lésion causale.
152 ' NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Avec celte anesthésie cutanée coexiste une anesthésie complète desmn-
qneuses an-reclale et lll'l;Illl'o-vICaIC. 1e dis complète parce que ces
]ï)ti({)]'cùsesst.6tt ? iL''insensn))cs. Ce malade, en effet, ne perçoit ni
le hesoin d'uriner ni le passage incessant de l'urine; il ne sent pas davan-
tage le passage des matières fécales. On peul le sonder et nous l'avons
fait sans qu'il s'en doute aucunement. J'ajoute que sa puissance virile
a baissé. Il a bien l'érection normale mais il n'éprouve pas dans le coït de
sensation voluptueuse. Il n'a pas davantage conscience de l'éjaculalion, à
tel point qne sa femme doit le prévenir que l'éjaculalion a eu lieu.
En somme, le passé pathologique de cel. homme comprend deux pha-
ses distinctes. Je neveux pas insister sur la première. Elle est remplie par
des absences conitiales, suivies d'automatisme ambulatoire, qui durent
quelques minutes, reviennent à intervalles variables et que nons avons eu
maintes fois l'occasion de constater. Je ne veux retenir que la seconde
phase. Elle est loule récente; elle remonte au mois d'août. 1893 cI. je
n'ai pas besoin devons rappeler les circonstances qui en ont marqué le
début. Elle est aujourd'hui stigmaliséc par une aneslllésic cutanée et mu-
queuse dont vous connaissez le degré et les limites, par une constipation
Fig. 30
- Fig. 31
UÉMAT0MYÉL1E DU CONE TERMINAL 153
opiniâtre, par une incontinence d'urine incessante et par des troubles gé-
nitaux significatifs. Ajoutez à ce complexus la diminution des réflexes
rotuliens et \ous aurez le tableau morbide dans son ensemble. Les princi-
paux viscères sont normaux ; l'état général est parfait. Tout se réduit, je
le répète, au syndrome précédent.
Messieurs, voilà un syndrome bien suggestif. Vous avez déjà deviné,
j'imagine, qu'il est sous la dépendance d'une lésion de la queue de cheval
ou du cône terminal. Il me sera d'ailleurs facile de vous en fournir la
démonstration et de préciser, sinon la nature, du moins la localisation
du foyer morbide. Il vous souvient sans doute que j'avais, dans mes pré-
cédentes leçons sur ce sujet, dressé une sorte d'échelle symptomatique et
établi une série de groupes distincts, chaque groupe symptomatique étant L
en l'apport avec tel ou tel niveau de la terminaison lombo-sacrée du né-
vraxe. Le moment est venu de vous remettre en mémoire quelques-uns de
ces syndromes, en vous les énonçant sommairement :
1° Symptômes en rapport avec une paralysie de la vessie seulement ou
de la vessie et du rectum à la fois. Ce syndrome a été observé dans un cas
de compression des nerfs destinés à ces organes par une tumeur du filmn
terminale.
2° Mêmes symptômes associés ci une anesthésie localisée nettement il la
verge, au scrotum (aux grandes lèvres chez la femme), au périnée, à la
marge de l'anus, à la région cruro-fessière. Ce tableau a été vu dans un cas
de lésions en foyer, ayant désorganisé le centre ano-vésical à la base du
cône terminal.
Je m'arrête ici. Dans la circonstance présente, il n'y aurait pas grand
intérêt à reproduire l'énumération complète des autres groupes sympto-
matiques. Le cas de notre malade reproduit avec une fidélité parfaite le
syndrome énoncé en second lieu. La lésion causale serait donc ici intra-spi-
nale et occuperait le cône terminal. L'hypothèse me paraît fort plausible,
mais je tiens il l'appuyer sur des arguments circonstanciés. Vous concevez,
en effet, qu'une lésion extra-spinale, intéressant dans l'intérieur du rachis
les filets radiculaires de la vessie et du rectum ainsi que les racines des
nerfs petits sciatiques et honteux internes, puisse reproduire le même
tableau clinique. Dans celle seconde hypothèse, il s'agirait d'une lésion
de la queue de cheval proprement dite. Or cette dernière supposition me
semble passible de graves objections. Vous n'avez pas oublié que, chez
notre malade, les membres inférieurs ont conservé leur motilité et leur
trupliicité normales et que l'anesthésie est exactement limitée aux domai-
nes cruro-fessier et ano-périnéo-génitaL Vous savez pareillement que cetle
anesthésie est bilatérale et presque absolument symétrique. Ne serait-il pas
surprenant qu'une lésion de la queue de cheval intéressât symétriquement 1
'1151 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
*
les racines des nerfs houleux internes, du petit sciatique et des nerfs du
rectum et de la vessie ? Ne serail-il pas encore plus surprenant qu'une pa-
reille lésion n'intéressât que les racines des nerfs précédents et respectât
les innombrables filets contigus qui constituent la queue de cheval ? .Je
vous avoue qu'une semblable sélection de la part d'une lésion brutale me
paraît invraisemblable, encore qu'elle soit possible.
La bilaléralité et la symétrie des symptômes, unies à leur étroite loca-
lisation, me semblent plaider hautemellt pour le siège intra-spinal du foyer
morbide. El ce foyer, à mon sens, doit être localisé dans le cône terminal.
Dans- ce cône en effet se trouvent les centres ano-vésical et génito-spinat.
De ce cône partent les 3e et lie paires sacrées qui vont innerver, par l'in-
termédiaire du plexus hypogastrique, la vessie elle rectum. Dans ce cône
doivent cheminer les origines spinales des nerfs petits sciatiques et lion-
teux internes. Un foyer morbide qui siégerait à ce niveau et détruirait
` les centres et les conducteurs que je viens de vous rappeler amènerait fa-
tulemcllt le syndrome clinique en question et ne produirait que ce syn-
drome. Point n'est besoin de vous faire observer que, dans le cas présent,
Me foyer doit intéresser presque exclusivement les filets sensitifs.
il l'appui decette manière de voir, je puis, Messieurs, vous citer le fait
suivant d'Oppenheim : consécutivement à une chute sur la région sacrée,
un individu est frappé de paralysie motrice avec engourdissement des
membres inférieurs, avec rétention d'urine. La paralysie motrice et l'en-
gourdissement se dissipent au bout de peu de temps. Mais le malade reste
affligé d'une incontinence complète de l'urine et des matières, de la perte
de l'érection et enfin d'une anesthésie cutanée localisée aux régions cruro-
fessière et ano-perineo-g6nita)e. Les choses persistent dans cet état jusqu'à
la mort du sujet. Savez-vous ce qu'on a trouvé à l'autopsie ? Un foyer d'hé-
matomyélie, limité au cône termina ! , avec intégrité des nerfs de la queue
de cheval. Je crois superflu de vous faire remarquer l'identité des symp-
tômes dans le cas d'Oppenheim et dans notre cas actuel. La superposition
est parfaite. Or cette identitcsymptomatique ne me semble explicable que
par une localisation identique du foyer causal.
On pourrait même aller plus loin et présumer l'identité de nature clans
les deux cas. Je m'explique. Dans l'observation d'Oppenheim, le sujet a
été victime d'un traumatisme qui a déterminé une hémorrhagie intra-spi-
nale. Notre malade, je vous le concède, n'a subi aucune violence exté-
rieure. Je pense néanmoins qu'il s'agit également chez lui d'hématomyétie.
Rappelez-vous le début brusque des accidents, à la suite d'une sorte d'ictus
qui n'est pas sans analogie avec les attaques apoplecli formes. N'est-ce pas
ainsi que procèdent les liémorrhagies ? Je me demande même quel autre
processus pourrait être soupçonné, dans l'espèce, chez un homme vigou-
UÉMAT0MYÉL1E DU CONE TERMINAL 155
reux, jusque-là en bonne santé. Un pareil mode de début cadre mal avec
l'hypothèse d'une tumeur dont l'évolution est essentiellement lente etpro-
gressive, avec l'hypothèse d'un foyer de myélite que rien ne permet ici de
supposer. Je sais bien qu'une tumeur peul rester plus ou moins longtemps
latente et se révéler un jour soudainement. Mais je ne vois aucune bonne
raison pour en soupçonner ici l'existence. D'autre part, notre malade n'est
ni alcoolique, ni syphilitique, ni atléromateux. Rien, chez lui, ne légitime
la possibilité d'un ramollissement médullaire. Donc, en raison du mode
de début, en raison de l'impossibilité de retrouver une autre origine, je
pense qu'il s'agit ici d'un cas d'hématomyélie. Resterait à rechercher la
raison intime de celle hémorrhagie intra-spinale. Dans quelle mesure ]'IL-
titude courbée, fatigante et prolongée, qu'avait cet homme en ramassant
des fruits, peut-elle être incriminée ? Dans quelle mesure ses antécédents
comitiaux peuvent-ils être invoqués ? C'est ce qu'il m'est impossible de
vous dire. Je livre ce double problème à vos méditations.
Au surplus, cette solution n'a qu'une médiocre importance. La nature
exacte du foyer morbide ne présente elle-même qu'un intérêt secondaire.
Il importait avant tout de résoudre un problème de topographie, problème
de haute importance, qui commande lepronosticet le traitement. J'espère
vous avoir convaincus qu'il s'agit d'une lésion du cône terminal et non
d'une lésion de la queue de cheval, d'une paralysie nucléaire et non d'une/
paralysie radiculaire.
N'allez pas croire, Messieurs, que les choses soient toujours aussi sim-
ples et qu'il soit toujours aussi facile de trancher le différend. La réponse
est souvent dillicile et les erreurs ne sont pas exceptionnelles. Je n'en
veux pour témoignage que le cas publié il y a plus de vingt ans par Erb (1)
et concernant un individu qui, à la suile d'une chute sur le siège, avait
eu une paralysie des deux membres inférieurs. Au bout de quinze jours
ce malade pouvait déjà marcher en s'appuyant sur deux cannes. Un exa-,
men, pratiqué six mois plus Lard, permettait de constater une paralysie
sensitivo-motrice limitée au domaine d'innervation du sciatique (moins le
territoire innervé par le tibial antérieur), respectant le domaine du crural
et de l'obturateur. Ce malade avait eu, en outre, de l'incontinence d'uri-
ne, de l'incontinence des matières par moments et une eschare de décubi-
tus. Le professeur Erb avait diagnostiqué une lésion de la queue de cheval,
située au-dessous de la cinquième vertèbre lombaire, au point
où les nerfs respectés par la paralysie s'échappent du canal rachidien.
L'autopsie de ce sujet fut pratiquée, sept ans plus tard, par Scllultze (2).
Elle permit de réformer le diagnostic, en révélant les traces d'une-
(1) Eiui. drchiv. sur Psychial., L. V, p. 185. ,
(2) ScuuLrL. Virchoiv's rlrchiv., t. LXX111 et Arclaiv. sur Psychiat., t. XIV.
156 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
ancienne fracture, située à la limite de la -1`3° vertèbre dorsale et de la
11'0 lombaire. A ce niveau, une esquille faisait saillie sur la ligne médiane
du canal rachidien, et s'enfonçait dans la partie médiane de la moelle, en
respectant les racines du nerf crural. Sdlllltzc (1) est revenu récemment
sur ce sujet el a longuement insisté sur les signes qui permettent de dis-
tinguer les lésions de la queue de cheval de celles du renflement lombaire.
Dans le fait personnel qu'il rapporte, une saillie osseuse de la deuxième
vertèbre lombaire et une zone douloureuse sus-jacente (vestiges d'une
ancienne fracture rachidienne) constituaient un point de repère très pré-
cieux. z
Il faut évidemment, dans les faits analo-
gues, tenir compte du niveau occupé par une
déformation rachidienne, c'est-à-dire des rap-
ports anatomiques connus des vertèbres avec
tel ou tel niveau du névraxe. Il faut' aussi et
surtout tenir compte de l'étendue transversale
de la lésion à l'intérieur du canal rachidien.
On conçoit qu'une saillie osseuse, plus ou
moins étendue dans le sens vertical mais très
limitée dans le sens transversal, puisse désor-
ganiser les centres spinaux du sciatique par
exemple, sans intéresser les racines du crural
qui cheminent latéralement, à ce niveau D'où
un syndrome identique à celui que produirait 1
une lésion située beaucoup plus bas et com-
primant les racines du nerf sciatique.
Un dessin, annexé au travail de Schultze
et dont voici la reproduction (Fig. 32), montre
bien comment deux lésions, situées à des ni-
veaux très différents dans la portion inférieure
du canal rachidien, peuvent engendrer le
même syndrome. Sur ce dessin, les deux
foyers sont figurés par les hachures que vous
voyez enAetl3. Les deux gros traits noirs Ncr
et Ncr, que vous apercevez de chaque côté,
représentent les racines des deux nerfs cru-
raux qui, du reste, émergent souvent ;'1 des
niveaux différents à droite et à gauche. Sup-
posez que le foyer A, respectant les racines
du crural, intéresse uniquement la partie in-
(1) SciiLurzE. Deulsclie Zeilscli. sur Neruerheilk., t. V, fasc. 2 et 3, p. 247.
Fig.32
IlÉMe1'l'OnIIGLIL DU CONE TERMINAL 157
férieure du renflement lombaire, d'où émanent les racines du nerf scia-
tique, vous aurez évidemment les mêmes symptômes que dans le cas où
un foyer, situé en 13, comprime les racines du sciatique, au point où celles
du crural et de l'obturateur ont déjà quitté le canal rachidien. Dans le pre-
mier cas, vous vous trouverez en présence d'une paralysie nucléaire et, dans
le second, d'une paralysie radiculaire. Le principal signe différentiel entre
ces deux variétés de paralysie consisterait, d'après Schultze, dans ce fait
que les contractions fibrillaires appartiennent surtout aux lésions spinales
ou nucléaires.
.J'ai insisté, dans mes précédentes leçons, sur un autre signe différentiel.
Je vous disais alors que, dans les cas de lésion destructive de la moelle occu-
pant un niveau un peu élevé, les symptômes subissent, en général, une ag-
gravation progressive, tandis que le contraire s'observe souvent dans les
lésions limitées à la queue de cheval. Valentini s'était exprimé déjà dans
le même sens. Mais Schultze n'admet point que cette manière devoir
puisse être érigée en règle générale. De fait, chez le malade de Erb, au-
topsié par cet auteur, la lésion intéressait, la moelle et la maladie dura
cependant sept années consécutives sans subir d'aggravation. Une ulcéra-
tion de décubitus s'était même cicatrisée spontanément. D'autre part,
Schultze (1) rapporte l'histoire d'un homme qui; consécutivement à un
traumatisme, avait présenté une eschare, de la cystite et de la pyélo-né-
pyrite. Cet homme succomha sept semaines après l'accident. Or, à l'autop-
sie, on constata une lésion intéressant exclusivement la queue de cheval
et résultant d'une fracture de la troisième vertèbre lombaire.
Pareils faits, Messieurs, méritent d'être retenus. Je ne crois cependant *
pas qu'ils puissent infirmer la règle générale que je viens de vous rappeler.
Cela étant, revenons à notre malade et voyons en terminant quel est le
traitement qu'il convient d'instituer. Je regrette presque de m'être arrêté
au diagnostic d'hématomyélie. S'il s'était agi chez lui d'une lésion de la
queue de cheval, je n'aurais pas hésité un instant à lui proposer une in-
tervention chirurgicale, c'est-à-dire la trépanation rachidienne. Il n'y a
pas très longtemps, deux médecins anglais, Schawet Busch (2), ont publié
un cas de lésion traumatique de la queue de cheval, où la trépanation du
canal rachidien et l'extirpation consécutive d'un thrombus organisé ont été
suivies d'une guérison à peu près radicale.
Mais, je vous le répète, je crois ici à l'existence d'une hématomyélie
du cône terminal. 11 faut en conséquence renoncer à toute intervention
chirurgicale et nous résigner à la médication palliative dont je Vous ai
déjà longuement entretenus.
(1) SCIIUI,TZR. A·cleiv. /'ürl'sc%iat., t. XIV, obs. 1.
(2) SCIIA W ET l3oscu. Bristol, mcdic clzirvri/. Jomna., sept. 1593.
CONTRIBUTION A LA MORPHOLOGIE DE L'11011101E SAIN
NOTE SUR UNE DÉVIATION DE LA COLONNE VE, lTÉ13liALIj
SE RENCONTRANT CHEZ UN GLAND NOMBRE DE SUJETS
BIEN PORTANTS.
par
PAUL RICHER
....... > ? JGfitrf'cTe Laboratoire du la Clinique des Maladies du Système Nerveux,
à la Salpèlrière.
L'on sait, et les arlisles en particulier le savent mieux que personne,
combien il est difficile, pour ne pas dire impossible, de trouver un indi-
vidu régulièrement constitué, dont la conformation soit à peu près irré-
prochable ou tout au moins exemple de véritables tares. Mais ce que l'on
sait moins, c'est quelles sonl les imperfections ou, pour mieux dire, les
déformations les plus fréquentes. J'ai observé, entre autres, une certaine
déformation de la colonne vertébrale qui se présente avec un tel carac-
tère de générafité qu'il m'a paru intéressant de la signaler. -
Mes recherches ont porté sur 40 sujets tous parfaitement bien portants
et choisis pour des éludes de musculature et de forme extérieure. Ils sont
tous compris entre 20 et 40 ans. Au point de vue des professions, ils se
répartissent ainsi : 19 font profession de poser dans les ateliers, 6 sont
forts à la Halle, 4 sont gymnasiarques, dont 2 sergents de l'Ecole de Join-
ville-le-Pont, 3 sont lutteurs de profession, deux autres boxeurs, deux au-
tres acrobates, enfin je compte encore un garçon boucher, deux infirmiers
et un médecin, un de nos confrères fort distingué et aussi fort versé dans
les exercices du corps.
J'ai étudié tous ces sujets avec 'soin. Tous ont été photographiés dans
des attitudes variées, mais aussi dans la position la plus simple, celle du
soldat sans armes, sous trois faces, eu avant, de côté et en arrière. Ces
dernières photographies toutes comparables entre elles sont des plus ins-
tructives. Et. il est permis d'y relever bien des points curieux.
Pour le moment je ne m'occuperai que du torse, et sur le torse je ne
considérerai que les trois points suivants :
1° Rectitude de la colonne vertébrale. Il ne s'agit pas ici des courbures
physiologiques qui oui lieu dans le sens aut61'o-postél'ie1ll', mais de la di-
NOTE SUR UNE DÉVIATION DE LA COLONNE VERTÉBRALE 159
rection verticale qu'affecte la colonne vue par sa face antérieure ou pos-
térieure et des déviations qu'elle peut subir dans le sens latéral. On sait
d'ailleurs qu'on a décrit une courbure latérale dorsale à convexité droite,
dite scoliose physiologique el attribuée, suivant les uns, au défaut de résis-
tance des corps vertébraux du côté gauche par suite de l'empreinte qu'y
laisse l'aorte de ce côté; et, suivant les autres, à la prédominance d'action
, du membre supérieur droit. 1- .-
2° Conformation postérieure du thorax. Dans sa partie supérieure le
thorax est recouvert par le scapulum entouré- de muscles .puissants. En "
bas il est masqué principalement par deux masses musculaires, L'on
dedans la masse des muscles spinaux, puis en haut et en dehors la. masse ?
formée par le grand dentelé. Je ne parle pas du grand dorsal uniformément- ' .'
étendu sur toute la région et qui ne fait que se modeler sur les formes
profondes. Entre les muscles spinaux et le grand dentelé, il existe un
espace étroit, de forme triangulaire, ,'\ sommet dirigé en haut et en dedans
vers l'angle inférieur du scapulum. En ce point, la cage thoracique n'est
plus séparée de la peau que par le corps mince du grand dorsal. Cet espace
est marqué, sur le nu, par un ou deux sillons obliques plus ou moins pro-
fonds qui suivent le bord inférieur du grand dentelé. On comprend très
bien que la profondeur de ce sillon est en rapport avec le développement
de la cage thoracique en cet endroit. Il s'accuse d'autant plus que la cage
thoracique est déprimée, et le plan des muscles spinaux est en même
temps surbaissé. Il est presque effacé, au contraire, si le plan osseux plus
saillant repousse en dehors les parties molles qui le recouvrent. Nous
avons donc recherché, sur nos sujets, si la cage thoracique en cet endroit t
était le siège d'une voussure ou d'une dépression.
3° Enfin nous avons porté notre attention sur l'horizontalité des épau-
les. Les deux épaules sont-elles exactement situées au même niveau ?
Eh bien ! si nous comparons à ces divers points de vue les 40 sujets dont
nous avons parlé, voici les constatations singulières que nous avons faites.
Pas un seul ne présente à la fois une rectitude parfaite de la colonne
vertébrale, une conformation thoracique postérieure semblable des deux
côtés, et les deux épaules exactement situées au même niveau.
Si nous examinons séparément chacun de ces points sur nos 40 sujets,
nous ne sommes pas beaucoup plus heureux au point de vue de la régu-
larité des formes et il est curieux de constater comment toutes les im-
perfections que nous avons relevées se reproduisent ai peu près avec les -
mêmes caractères chez tous.
Ainsi la colonne vertébrale n'est bien droite que chez deux sujets. Chez
tous les autres, c'est-à-dire chez 38 sur 40, elle est le siège d'une incur-
vatioll latérale dorso-lombaire, dont la convexité est tournée sur tous du
160 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SeILPL.'l'RI1311E
même côté, du côté gauche (Fig. : 3 : ;). Culte incurvation esl plus ou moins
accentuée. Elle esl minime sur 8 sujets, sur tous les aulres elle est 1res
nettement accusée.
Quant à la s.) Illélrie parfaite de la région sous-scapulaire, elle esl égale-
ment fort rare. Nous ne l'avons observée d'une façon indiscutable qu'une
seule fois. 11 existe presque toujours une différence bien marquée entre
les deux côtés du corps. On observe à droite une dépression fort nette,
révélée par les détails morphologiques sur lesquels nous avons insisté,
accentuation du sillon du grand dentelé, surbaissement du plan des mus-
cles spinaux, pendant qu'à gauche il existe une voussure thoracique ayant
pour effet d'uniformiser la région el de la rendre plus saillante. Ces par-
ticulari tés sont très évidentes dans la moitié des cas environ (21 fois
sur 40).. z
On peut donc légitimement établir
une corrélation entre l'incurvation ver-
tébratedorso-iombaireeL la déforma-
lion thoracillue, la voussure existant
toujours du côté de la convexité de la
courbure de la colonne, la dépression
correspomlant à la concavité.
L'inégalité de bailleur entre les deux
épaules est un rait aussi général que
les déformations précédentes. Nous n'a-
vons vu les épaules exactement situées
à la même hauteur que deux fois. Sur
tous les autres sujets il y avait inégalité
entre le niveau des deux épaules, mais
nous ne retrouvons pas ici la même
constance en ce qui concerne le siège
de la déformation. Ainsi l'épaule droite
est plus basse que la gauche sur 28 su-
jets, mais elle est plus haute sur 10 su-
jets, ce qui n'est pas une quantité né-
gligeable..
Celle déformation est particulière-
ment frappante. La différence de ni-
veau est souvent considérable, et l'é-
paule la plus basse est en même temps
comme détachée du tronc.
ot nous cherchons ta corrélation qui existe entre ces diverses déforma-
lions, nous dirons que l'incurvation vertébrale 0 ([0 convexité
Fig. 33.
Nouv. ICONOGR nr LA SAfPi11H¡"Jl1-
T. Vlfl. Il XXIII, xxiv & Xl.V.
PHOTOTypr; Z'I1 : G P. IZICHF71
INCURVATION DE LA COLONNE VERTÉBRALE CHEZ DES SUJETS SAINS
NOTE SUR UNE DÉVIATION DE LA COLONNE VERTÉBRALE 161
gauche est la plus fréquente, qu'elle s'accompagne très souvent d'une
dépression thoracique toujours située du côté de la et (le l'ahais-
sement de l'épaule correspondante.
En résumé, il me'paraît impossible de ne pas reconnaître là une véri-
table scoliose dorso-lombaire gauche, bien dûment caractérisée par les
signes vulgaires : incurvation de la colonne vertébrale, déformation thora-
cique et inégalité de niveau des épaules; mais remarquable par son siège
inusité (on sait, d'après les auteurs, que la scoliose la plus fréquente est la
scoliose dorsale droite), et surtout par son extrême fréquence, on pourrait
presque dire par sa constance, si nous nous en rapportions aux faits ob-
servés par nous (Voy. Pl. XXIII, XXIV et XXV.)
J'ajouterai que la scoliose physiologique des auteurs est toute autre que
celle que nous venons de décrire. Elle siège à la région dorsale, ]a con-
vexité est tournée à droite, et l'épaule la plus haute est l'épaule droite.
L'on pourrait donc se demander si la scoliose dorso-lombaire gauche que
nous venons de décrire ne sérail pas une courbure de compensation ame-
née par une scoliose dorsale droite primitive'qui ne serait autre que la
scoliose physiologique des auteurs. Le malheur est que cette scoliose phy-
siologique droite n'existe pas chez le plus grand nombre de nos sujets.
- Elle est en tous cas bien moins accentuée, ce qui renverserait les rôles et
n'en ferait plus qu'une courbure de compensation de .notre scoliose dorso-
lombaire gauche. Les quelques sujets qui nous ont paru la présenter avec
le plus de netteté font partie de la catégorie de ceux chez lesquels l'é-
paule droite au lieu d'être abaissée avait subi un certain degré d'éléva-
tion. Ce qui' donnerait, au moins pour une part, la raison des variations
que nous avons constatées dans le siège de l'élévation de l'épaule, malgré
la constance du siège de la convexité dorso-lombaire.
Lorsque la scoliose dorso-lombaire existe seule, l'épaule la plus élevée
est celle qui se trouve du côté de la convexité. S'il s'est développé une
courbure de compensation dorsale ou cervico-dorsale, c'est alors l'épaule
opposée qui se trouve sur.un plan plus élevé.
J'ai complété' les données qui précèdent en recherchant, chez les mêmes
sujets, quelle était la direction du torse dans son ensemble et du bassin
en particulier. ,
Le torse n'a subi aucune déviation latérale que dans la moitié 'des cas
environ, sur 19 sujets. Chez les 21 antres il est déjeté latéralement sans
qu'il y ait une prédilection marquée pour un côté ou pour Fautre, car
nous avons oullu : (l'évialiol. : iyauclie -11 fois el à droite 10 fois.
Quant au bassin il est. horizontal sur 29 sujets. Il incline à droite sur
7 sujets et à gauche sur si ? "* . , . .
Je ne pense pas que d'après ces chiffres on puisse établir une corréla-
162 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
lion entre ces deux déformations et celles que nous avons signalées tout à
l'heure.
Il y aurait lieu de rechercher maintenant la cause de cette courbure
vertébrale dorso-lombaire tellement fréquente que sur 40 sujets bien por-
tants et pris pour ainsi dire au hasard nous ne l'avons vue manquer que
deux fois.
Si l'on se rappelle les professions d'un certain nombre des sujets que
nous avons observés, on peut se demander si-celle déviation delà colonne
ne pourrait pas rentrer dans le cadre des déformations professionnelles
occasionnées par la contraction exagérée et exclusive de certains groupes
musculaires. Mais celle interprétation ne saurait être prise en considéra-
tion pour deux raisons. D'abord, si un bon nombre de nos sujets sont
adonnés aux exercices violents, d'autres en aussi grand nombre, la moitié
environ, ne se livrent il aucun exercice. Ils sont modèles pour les Beaux-
Arts, la plupart d'origine italienne et, comme chacun sait, en dehors des
séances de pose, incapables d'aucun travail.
En second lieu, parmi nos sujets habitués à un travail physique péni-
ble ou à des exercices fatigants, nous observons les professions les plus
diverses entraînant la mise en jeu des groupes musculaires les plus
variés.
Il est donc impossible d'établir une relation quelconque entre la dé-
formation vertébrale que nous avons signalée toujours la même, e,t les
conditions de travail ou d'existence si variées que nous présentent nos
sujets. *
Mais il est un point qui m'a frappé, c'est l'analogie, ou même la parfaite
ressemblance de la scoliose dorso-lombaire en question avec l'altitude
imprimée au lorse lors de la station hanchée. Le hanchement produit, en
effet, une modification des formes du torse bien connue des artistes et ca-
ractérisée essentiellement par une courbure latérale doMo-tombaire s'ac-
companant d'une saillie costale du côté de la convexité, pendant que du
côté de la concavité les côtes sonl déprimées, et par un abaissement de
l'épaule de ce dernier côté. Donc concavité de l'incurvation yertébrale,
dépression thoracique et abaissement de l'épaule s'observent du même
côté, du côté de la jambe qui supporte tout le poids du corps. Le hanche-
ment il droite reproduit donc ou exagère l'incurvation dorso-lombaire
gauche avec tous les caractères que nous avons signalés.
Il semhle qu'il y ail, ta plus qu'un simple rapprochement, et peut-être
y a-t-il lieu d'établir entre la scoliose dorso-lombaire gauche el, la station
hanchée une relation de cause à effet.
Si l'on songe combien est fréquente celle sorte de station, il suffit
d'admettre que la jambe droite est celle qui supporte le plus souvent le
NOTE SUR UNE DÉVIATION DE LA COLONNE VERTÉBRALE 163
poids du corps, pour comprendre la formation progressive de la scoliose
dont nous parlons, la même attitude fréquemment répétée finissant par
imprimer aux parties des modifications de texture qui rendent durables
des changements de forme primitivement passagers.
C'est ainsi que la station hanchée devient d'autant plus facile 'qu'elle est
plus fréquemment répétée et que, chez les individus qui la prennent sou-
vent par métier, chez les modèles, par exemple, il s'établit une différence
de plus en plus grande entre la facilité du hancher à gauche ou a droite,
en faveur de ce dernier qui est justement celui qui imprime au torse les
déformations de la scoliose dorso-lombaire dont il s'agit. D'autre pari,
ceux qui présentent cette scoliose à un degré un peu accentué ne peuvent
pas hancher indifféremment d'un côté ou de l'autre. Le hanchemelll à
droite leur est beaucoup plus facile, la raison en est aisée à comprendre,
et c'est leur attitude de prédilection. Il s'étahlit la un véritable cercle
vicieux, le hancher produisant la scoliose, et la scoliose à son tour favo-
risant le hancher.
Il y aurait lieu d'étendre ces recherches à un plus grand nombre d'in-
dividus, car le nombre de ceux que nous avons observés n'est pas assez
' considérable pour qu'il soit permis de généraliser. Il faudrait également
rechercher méthodiquement cette déformation chez l'enfant et chez la
femme sur laquelle nous l'avons également constatée plusieurs fois. Mais
on comprend tout l'intérêt qu'il y aurait à être fixé sur ce point de mor-
phologie, pour là juste appréciation des diverses scolioses qui relèvent
d'un processus morbide ou qui sont attribuées il l'influence fâcheuse de
certains exercices physiques et de certaines professions.
Une remarque en terminant. Celle scoliose dorso-lombaire gauche bien
que très facilement appréciable est, dans la majorité des cas, assez peu
accentuée pour échapper dans toute autre attitude que la station verticale
sur les deux pieds, attitude du soldat sans armes. Elle disparaît, en effet,
dans la Ilexion du torse en avant, de même que dans le décubitus sur le
ventre. Il est nécessaire pour sa manifestation que la colonne vertébrale
supporte le poids du torse, comme il arrive dans la station. Les signes les
plus évidents et les plus faciles à constater sont l'asymétrie de la région
sous-scapulaire et l'inégalité de hauteur des épaules. L'incurvation verté-
brale est d'une constatation plus délicate. Il est bien certain que le plus
souvent les déforma lions durables des corps vertébraux sont assez mini-
mes et qu'ils doivent échapper il l'investigation nécroscopique. Peut-être
est-ce là une raison pour laquelle les auteurs qui se sont occupés des
déviations vertébrales ne l'ont point signalée, du moins à notre connais-
sance. l '.
DU RAPPORT DE L'ECZÉMA CHRONIQUE AVEC
L'ANESTHÉSIE DE LA PEAU
PAR
le Professeur STOUKOVENKOFF (de Kieff).
La peau est un organe intimement lié avec le système nerveux. La
membrane épithétiate de la peau se forme des mêmes vésicules germinati-
ves técoderl1liques que tout le système nerveux avec les organes supérieurs
des sens. Dans l'économie générale de l'organisme, la peau se présente
comme l'organe par excellence de la sensibilité, transmettant au système
nerveux central toutes les sensations extérieures de douleur, de tempéra-
ture etc.
Ce rôle important de la peau comme organe dans la sensibilité con-
duit à la supposition que les centres trophiques de la peau sont situés,
avec les centres trophiques des nerfs de la sensibilité, dans les ganglions
intervertébraux et que les nerfs trophiques accompagnent les nerfs de la
sensibilité. \
Cette supposition est confirmée par analogie, par ce fait que les cen-
tres trophiques des muscles, organes du mouvement, sont situés, avec les
centres trophiques des nerfs moteurs, dans les cornes antérieures de la
moelle épinière et, plus encore, par les observations cliniques qui démon-
trent que les modifications trophiques de la peau sont toujours liées à des
troubles de la sensibilité et non du mouvement (James Rassel et autres).
Enfin, certaines recherches expérimentales [Max Joseph (1), Justus
Gaule (2)] montrent que les centres trophiques de la peau sont effective-
ment situés dans les ganglions, par conséquent avec les centres trophi-
ques des nerfs de la sensibilité.
Comme conclusion praliquede ce qui précède découle celle proposition
générale que les troubles trophiques de la peau doivent être accompagnés,
au moins fréquemment, de troubles dans la scnsihilité, c'est pourquoi
(1) Max Joseph. Expérimentale Ualer·srrclrnu7cr ? <o' dei Acliologie der Alapecia
areala, Mf)nn.ts))eftef. f. praktische Demi., 188(1, nez 11.
(2). Justus Gaule. Die /rophischen li,qen.w'har/e71 dcr ')'M'c ? Berliner Klinische
Wochenschrift, 1893, 44, 45.
, DU RAPPORT DE L'ECZÉMA CURONIQUE AVEC L'ANESTHÉSIE DE LA PEAU 165
' dans les affections de la peau où, pour une raison quelconque, on peut
soupçonner quelque modification dans l'influence trophique du système
nerveux, l'examen doit porter principalement sur l'étal de la sensibilité,
cutanée.
Pour l'étiologie de l'eczéma, les observations de nombreux auteurs
(Weir-Mitchel, Leloir, Bulkley et autres) indiquent cette affection comme
corrélative de troubles primitifs dans le système nerveux. Cependant, dans
toutes ces observations, un côté de l'examen, côté essentiel à notre avis,
la détermination du degré de sensibilité de la peau, est complètement
négligé. Dans un seul travail, celui de Rendu (1), nous trouvons des obser-
vations sur la sensibilité de la peau dans l'eczéma. Il est regrettable que
l'auteur ait trop restreint son sujet, se bornant à rechercher le degré de
, sensibilité delà partie attaquée de la peau, comparée à la partie saine
environnante, de sorte que, d'un côté, il n'a pu présenter le tableau géné-
ral de l'affection nerveuse, et de l'autre, il n'a pu exactemenl décider
la question de savoir si cette altération de la sensibilité était un phéno-
mène primitif ou si elle était le résultat d'altérations locales dues à l'ec-
zéma, en établissant par des faits la liaison existant entre les altérations du
système nerveux et 1 eczéma chronique.
Afin d'élucider plus exactement les données étiologiques qui président
à la genèse de l'eczéma chronique, j'ai chargé le Dr Nikolski, assistant de
ma clinique, d'examiner avec le plus grand soin l'état du système nerveux
en général et de la sensibilité de la peau en particulier chez les malades
affectés d'un eczéma chronique. Je considère les résultats obtenus sous ma
direction et mon contrôle immédiats par le Dr Nikolski comme si intéres-
sants que j'ai résolu de les porter à la connaissance de mes honorables con-
frères français (2).
(1) Rendu. Recherches sur les altérations de la sensibilité dans les affections de la
peau. Annales de derm. et de syph. l8ll-l815.
(2) Le travail complet paraîtra incessamment en langue russe sous le nom du DI' : \i-
kolski. Je ne donne ici qu'un résumé de ces observations et de leurs conséquences. Pour
plus de clarté, les cas seront accompagnés de planches. ,
vin 11
LÉGENDE EXPLICATIVE DES SCHÉMAS DE TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ £
Fig. 34
Fin. 35
l"ig. ;36
Fig. 37
Fig. 38
Fig. 39
\ Fiv. '<1.)
Fig. 41
Fig. 2 .
Fig. 43 -
Fin. 44
Fie. 45
DU RAPPORT DE L'ECZÉMA CHRONIQUE AVEC L'ANESTHÉSIE DE LA PEAU 169
Je commencerai par un bref résumé des cas observés par nous qui ont
servi de base à nos déductions :
I. Un soldat de 23 ans est affecté depuis 3 ans d'un eczéma du dessus des
pieds. Hémianestbésio droite comprenant le côté droit de la langue elles orga-
nos supérieurs des sens, c'ost-a-diro la vue, l'ouic, le goût et. t'odorat. Auestbé-
sie de la peau du dessus du pied gauche et de la surface antérieure de la jambe
gauche. L'anesthésie de la peau comprend toutes les variétés de la sensibilité.
Tous les nerfs du côté droit sont douloureux à la pression. Le bras droit est
un peu plus faible que le gauche. Les réflexes tendineux et cutanés sont exal-
tés et semblables des deux côtés. Un eczéma artificiel, provoqué par des fric-
tious d'huile de croton sur deux endroits symétriques des extrémités supérieures,
s'est maintenu longtemps cl opiniâtrement sur le côté anastliésié. Une ampoule,
formée par un vésicatoire, a été plus grande et plus tendue sur la région ancs-
tbésiée que sur la région sensible. De profondes piqûres, faites dans la peau
du tôté aneslhésié, n'ont pas provoqué d'bémorrbagie. Les précautions les plus
minutieuses prises pour défendre les régions affectées contre toute irritation
extérieure pendant bien des mois qu'a duré le séjour du malade dans ma clini-
que et l'application d'un traitement local des plus actifs (onguent de plomb et
de zinc) n'out amené aucun résultat favorable. (Fig. 3'l et 16)
II. Un étudiant de 23 ans est affecté depuis 2 ans d'un eczéma récidivant
des doigts des mains. Anesthésie à la douleur des extrémités gauches. Faiblesse
de la jambe gauche. Grâce il un traitement fortifiant, l'eczéma, l'anesthésie et
la faiblesse ont disparu. (Fig. 33)
III. Un olliciér de 31 ans est affecté depuis ans d'un eczéma de la face, du
cou et des extrémités supérieures. Anesthésie des membres supérieurs et du
dos par zones : de toutes les variétés de la sensibilité, la tbermo-anesthesie per-
siste seule. Irritabilité; soubresauts la nuit; globus hystericus. Chaque fois que
les phénomènes nerveux empirent l'eczéma s'aggrave également. (Fig. 3Set37)
IV. Un servant d'église, âge de 32 ans, est affecté depuis 19 mis d'un eczéma
du dessus des mains. Anesthésie à la douleur des extrémités supérieures. Un
, . Fig. 46. Rétrécissement du champ visuel dans le cas I.
170 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA S"\LI'ITIIIIIOE v
traitement fortifiant et l'application locale de goudron et d'onguent diachylon
ont fait disparaître l'eczéma et l'anesthésie. (Fig. 38)
V. Une blanchisseuse de 30 ans est affectée depuis plusieurs années d'un
eczéma récidivant du dessus des mains, des cuisses et des jambes. Anesthésie
il la la douleur des extrémités supérieures et inférieures. (Fig. 39)
VI. Un employé de commerce, âge de 45 ans, est arrecté d'un eczéma ré-
cidivant des mains. Anesthésie il la douleur des extrémités supérieures. Irrita-
bilité générale. Sous l'action des calmants, l'eczéma et l'iiiesiliésie ont diminué
en peu de .temps. (Fig. 40)
VIII Un marchand, âgé de 40 ans, est affecté depuis 6 ans d'un eczéma
récidivant de la paume des mains. Anesthésie il la douleur des mains et'des
avant-bras ; de plus, une place ronde anesthésiée sur la poitrine. (Fig. 41).
VIII. Une^bonne, âgée de 53 ans, est affectée depuis plusieurs années
d'un eczéma récidivant du dessus des mains. Anesthésie à la douleur et anes-
thésie tactile des extrémités supérieures. Au bout de 3 ans, l'eczéma était resté
au même point, mais l'anesthésie n'occupait plus que les parties inférieures de
ces extrémités. (Fig. 42)
IX. Une servante de 28 ans est affectée depuis plus d'un an d'une érup-
tion récidivante des mains et des avant bras. Anesthésie de toutes les variétés
do la sensibilité dans les parties affectées. Un examen fait deux semaines plus
tard a montré certaines variations dans la répartition de l'anesthésie. (Fig. 43)
X. Un cordonnier, âgé de 31 ans, est affecté
depuis 4 ans d'un eczéma récidivant de la paume
des mains. Anesthésie il la douleur des mains, des
bras, de la poitrine et des jambes. (Fig. 44) ,
XI. Un soldat de 25 ans est affecte depuis 5
ans d'un eczéma chronique des mains, des bras et
des pieds. Anesthésie il la douleur du tronc et des
extrémités. (Fig. foi-5)
XII. Cas décrits en 1887 par le 1)" Nikolski (1).
Un soldat, âgé de 23 ans, est affecté depuis 14 ans
d'un eczéma de la paume dos mains. Anesthésie de
toutes les variétés de sensibilité, particulièrement
insensibilité il la douleur dans les extrémités supé-
rieures. Les courants faradiques ne provoquent pas
la moindre sensation douloureuse. (Fig. 47)
En comparant ensemble les 12 cas ci-dessus
décrits d'eczéma chronique, on'voit que la durée
de, l'état morbide de la peau a varié de 1 an à -19
ans ; les parties du corps attaquées de préférence
'par l'eczéma ont été les mains. L'éruption était,
jusqu'à un certain point, répartie symétrique-
ment entre le côté droit elle côté gauchedn corps.
(1) Travaux du 2° congrès des médecins russes. N
Fin. 47
DU RAPPORT DE L'ECZÉMA CUBONIQUE AVEC L'ANESTHÉSIE DE LA PEAU 171
Le caractère de la réparti lion de l'anesthésie a été le plus souvent régio-
nal (par membres ou par parties de membre), mais parfois aussi cérébral
(cas 1 et IItet périphérique (III dans la région musculo-cutallée), mais
ces deux caractères n'étaient pas sévèrement soutenus.
Pour les varioles de l'anesthésie, dans la majorité des cas, 7, on a ob-
servé l'anesthésie à la douleur; dans le plus petit nombre, 4, l'anesthésie
a toutes les variétés de sensibilité; enfin dans un cas l'anestllésie du sen-
timent de la douleur et du loucher. Parfois, chez un môme malade, l'anes-
thésie affectai t diverses formes selon les parties du corps atteintes (III et IX).
L'intensité de l'anesthésie variait depuis un affaiblissement insignifiant
de la sensibilité jusqu'à la perle absolue de cette faculté, ce qui s'observait
parfois chez un même malade.
Le cours de l'anesthésie a été lent dans certains cas (jusqu'à 3 ans) et
rapide dans d'autres (5 semaines, 3 mois). Dans la plupart des cas, l'ec--
zéma affectait les régions anesthésiées de la peau (8 cas) ; dans les autres, il
s'étendait aussi bien sur les régions anesthésiées que sur celles où la sen-
sibilité était normale. \
Des trois affections : la paralysie périphérique de la sensibilité, l'hysté-
rie et le syringomyélie, auxquelles on pourrait attribuer l'anesthésie ob-
servée dans les 12 cas cités, il faut tirer cette conclusion que tous ces cas
se rapprochent le pi us de l'hystérie, et dans 4. cas (I, II, III et IV) considérer
le diagnostic de l'hystérie comme indubitable, étant donné le cours de l'anes-
thésie, sa répartition caractérisque et les autres symptômes de l'hystérie.
La question de la coïncidence de l'eczéma avec l'hystérie a été peu trai-
tée jusqu'à présent dans la littérature spéciale. Leloir (1) mentionne les
cas d'Eulcnhurg et de Vulpian. Mais le cas de Vulpian a présenté un cours
particulier, car les pustules se convertissaient en ulcères. rltllanassio (2)
dit qu'on observe l'eczéma dans l'hystérie ; Adolphe Gautier (3), que l'ec-
zéma dans l'hystérie s'observe rarement. Une telle pauvreté de données
littéraires s'explique par ce l'ait que, dans les cas graves d'hystérie où do-
minent les phénomènes nerveux, toute l'attention des ocuropatliologistes
se concentre sur ces derniers, tandis que, dans les cas moins graves où
domine l'affection cutanée, les dermoloues, ne soupçonnant pas la possi-
bilité de désordres nerveux, négligent l'examen du système nerveux. Tous
les cas cilés d'eczéma auraient passé sans aucun éclaircissement si l'on n'a-
vait pas procédé ;I un minutieux examen de la sensihililë de la peau.
La présence de l'eczéma dans l'hystérie ne peut pas être considérée
comme une coïncidence fortuite, attendu que cette coïncidence se rencon-
(t) Leloir, Recherches cliniques e<atta<OH ! o-jM ? 0o ? tM.'w les affections cutanées
d'origine nerveuse. Paris, 1sus2.
(2) Alexandra .lthauassio, Des troubles trophiques dans l'hystérie. Paris, 1890.
(3) Adolphe Gautier, Des éruptions cutanées chez les hystériques. Thèse de Lyon,
15 mars 1893, publiée dans les Annales de derm. et de syph., 1893, n. 11.
172 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SAn'ÈTiUÈUE
tre dans toute une série de cas el que, dans beaucoup d'entre eux, on
observe un parallélisme complet dans le développement de l'hystérie et
de l'eczéma. .
De même, on ne peut penser que l'hystérie, entraînant la perte de la sen=
sibilité, prépare aussi un terrain favorable à la formation de l'eczéma pro-
venant d'influences extérieures, attendu que, d'une part, l'eczéma chez
les hystériques peut se développer, ainsi qu'on l'a vu dans les cas cités,
aussi-bien dans les régions où la sensibilité est normale, et que, d'autre
part, les observations cliniques démontrent clairement que les soins les'
plus minutieux pour préserver les régions affectées de toute irritation
extérieure, et cela pendant de longs mois, ne garantissent nullement la
guérison, ni môme la cessation d'éruptions nouvelles (I).
Nous basant sur les considérations qui précédent, nous croyons possible
de considérer l'eczéma, dans les cas décrits par le Il Nikolski, comme un
symptôme de l'hystérie. Présentement, grâce aux travaux des névropatho-
logistes et principalement à ceux de l'illustie observateur el professeur,
le regretté Dr-Charcot, nous savons que l'hystérie peut entraîner de pro-
fonds désordres trophiques, depuis les pustules jusqu'à la gangrène. Nous
avons pu nous convaincre par notre premier cas combien est altérée l'ac-
tivité vitale de la peau'chez les hystériques. Eu même temps, nos obser-
vations démontrent, dans toute une série de cas, la coïncidence de l'eczéma
avec l'hystérie, la distribution symétrique de l'éruption qui en indique
la provenance centrale, les aggravations et les améliorations dans le cours
de l'eczéma marchant parallèlement avec des variations semblables de
l'hystérie. Le cours même de l'eczéma chronique, toujours lent, avec des
intervalles de mieux et de pis relatifs, rappelle involontairement le cours
de l'hystérie. Enfin, dans certains cas, l'eczéma disparaît en même temps
que l'hystérie (IV) ce qui, plus que tout le reste, confirme la supposition
que l'eczéma, du moins dans les cas cités plus haut, était une des formes
si nombreuses esl variées de l'hystérie qui peut attaquer, tantôt isolé-
ment, tantôt il la fois, différents centres et conséquemmeut provoquer
des désordres psychiques, des convulsions, la paralysie, l'anaslbésie, des
altérations dans les fonctions de sécrétion, l'innervation des vaisseaux et
enfin l'eczéma si elle attaque/les centres trophiques. '
On peut accorder aux irritations extérieures qu'une importance secon-
daire, équivalant il celle qu'on leur accorde parmi les autres symptômes
de l'hystérie. De même que la paralysie dans le cours de l'hystérie peut
se développer tantôt indépendamment de toute lésion extérieure, tantôt à
.la suite d'accidents traumatiques, de même l'eczéma accompagnant l'hys-
térie peut se développer, dans certains cas, spontanément et dans d'au-
tres, à la suite d'irritations extérieures qui ne peuvent dès lors que favo-
riser et non provoquer cette affection.
ZONA GÉNÉRALISÉ A LA PRESQUE TOTALITÉ DE LA
MOITIÉ GAUCHE DU CORPS.
PAR
EDMOND FOURNIER
Interne des hôpitaux.
Le 15 décembre dernier entrait à l'hôpital Saint-Louis, sallellenri IV,
une femme de 23 ans, présentant sur la partie gauche du corps une érup-
tion tout à fait extraordinaire, constituée, si je puis ainsi dire, par une
série de zonas étages. 1
L'interrogatoire de la malade apprend qu'elle a encore ses père et, mère
et qu'elle est l'aînée de neuf enfants, dont six sont bien portants, les deux
autres étant morts d'accidents méningi tiques, l'un à 5 ans, l'autre à
14 mois. Personnellement, elle offre un passé pathologique des plus char-
gés. Elle a eu à 4 ans la scarlatine, à 5 ans la rougeole, à 10 ans la fièvre
typhoïde. A 15 ans, elle a été affectée 'durant plusieurs semaines d'abon-
dantes,hémoptysies, puis, environ un an après, d'une pneumonie, puis
d'une pleurésie droites. A cette époque, c'est-à-dire entre 15 et 18 ans,
a évolué une déformation thoracique que présente la malade, à savoir :
scoliose très accentuée à convexité gauche, portant surtout sur la région
dorsale et produisant une élévation considérable de l'épaule gauche.
A 20 ans, la malade s'est mariée; elle a eu un enfant qui est mort à
13 mois d'accidents méningitiques ; à la suite de ses couches elle aurait
eu une péritonite et une phtegmatia. Enfin, il y a un an, elle a subi une
hysterectomie vaginale, et, quelque temps après, a été opérée d'une her-
nie crurale.
L'examen de l'appareil respiratoire apprend ceci : submatité légère de
la fosse sus-épineuse droite, où l'auscultation permet de constater une
expiration prolongée, des craquements secs et un retentissement très net
des bruits du coeur.
La malade n'a pas d'antécédents nerveux, ni héréditaires, ni person-
nels ; elle ne présente pas de diminution de la sensibilité, pas de zones
d'analgésie ; aucun autre stigmate d'hystérie. On ne relève dans son passé
aucun accident nerveux, sauf une « crise » sur laquelle la malade donne
174 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SAU'È't'fUÈHË
des renseignements incomplets. Celte crise serait survenue sans aucun
motif, 4 ou mois après l'hyslercctomie ; elle a duré 4 heures el s'est
caractérisée par des convulsions et une perle de connaissance absolue. La
malade n'a aucun souvenir personnel de celle crise; mais elle affirme ne
pas s'être mordu la langue et n'avoir pas eu de miction involontaire.
Jamais, ni antérieurement, ni depuis la malade n'a eu semblable acci-
dent.
L'éruption pour laquelle la malade est admise à l'hôpital a débuté dans
les ou 3 premiers jours du mois de décembre, ets'est d'abord manifestée
au niveau du sein gauche. Deux jours avant toute manifestation cutanée,
la malade a présenté un ensemble de symptômes fébriles très accusés :
frissons violents, suivis de stades de chaleur et de sudation, état vertigi-
neux, subdélirium, céphalalgie, nausées, anorexie absolue. Puis, ont
éclaté au niveau du sein de très vives douleurs que la malade compare à
des piqûres d'aiguilles, à des élancements, des brûlures, des pointes de
feu ; douleurs excessives, je le répète, auxquelles, après 24 ou 36 heures,
a succédé le début de l'éruption.
Depuis lors, à des intervalles inégaux et toujours avec le même cortège
douloureux, sont survenues plusieurs poussées érnptives, dont les der-
nières ont évolué pendant le séjour de la malade à l'hôpital. Ainsi, tout
d'abord, c'est 3 ou 4 jours après que l'éruption du sein a été constituée
qu'apparut la grande poussée générale. A ce moment, avec une légère
s recrudescence de l'état fébrile, apparurent, partout où siège l'éruption
acluelle, de très vives douleurs, semblables il celles ressenties au niveau
du sein ; douleurs siégeant dans l'épaule gauche, dans l'lléulillloraa gau.
che, dans les lombes, l'abdomen du côlé gauche, dans la cuisse gauche.
Ces douleurs ont précédé de 24 heures l'apparition de l'éruption eu tous
ces points.
C'est dans cet état que la malade s'est présentée à nous le 1 ¡j décembre,
c'est-à-dire 5 ou jours après la grande explosion cutanée.
Depuis lors, la malade a été reprise à différents intervalles de douleurs
violentes, toujours situées dans la moitié gauche du corps, douleurs dont
certains paroxysmes ont été suivis de l'apparition de nouveaux éléments
vésiculeux et phlycténulàires, lesquels olltall'eclé une évolution semblable
il celle (1cs placards croÚtellellx de la grande éruption primitive.
C'est ainsi que sous nos yèllx sont apparus : le 23 décembre, un petit
groupe de vésicules au tiers moyen de la cuisse; un autre à la face dor-
sale du pouce; un truisième da liS la paume de la mai Il, au lIivcau t1e
l'éininence lliénar, et cela toujours avec des douleurs aiguës faisant pres-
que prévoir par leur siège le lieu d'apparition de l'éruption et précédant
cette éruption de quelques heures. Le '1"" janvier, nouveau groupe de vé-
T 111 L y%%hX vii
PIfOT. NLG MFJ.lFUX
PHOTOCO¡ nrRTHAUD
ZONA GÉNÉRALISÉ
,le la moitié gauche du con
1 Il ri.
ZONA GÉNÉRALISÉ A LA PRESQUE TOTALITÉ DE LA MOITIÉ GAUCHE DU CORPS 175
sicules à la face dorsale du 1 ? espace in ter-métacarpien; le 10 janvier,
petit groupe de 5 ou C'vésicules à la'face antérieure de l'avant-bras,.au-
dessous du pli du coude, et un autre sur la- face dorsale du pouce-; le
17 janvier, après une crise douloureuse intense dans le bras et clans la
main, apparition de quelques nouvelles vésicules dans le le' espace inter-
métacarpien : le 21 janvier, après- de très vives douleurs au sein et il la
cuisse, apparition d'un nouveau groupe de vésicules au-dessus du sein et
de G ou nouveaux petits éléments vésiculeux de la cuisse; enfin, le
26 janvier, apparition de nouveaux éléments au niveau du coude.
Le 31 janvier, la malade a encore ressenti de grandes douleurs au ni-
veau du sein ; mais ce dernier paroxysme n'a pas été suivi d'éléments
éruptifs. Depuis lors, la malade n'a plus subi de crises aiguës; les crises
qu'elle a ressenties ont changé de caractères : douleurs sourdes, persis-
tantes, continues, mais bien moins intenses que celles du début. Ces dou-
leurs ont persisté au moins un mois après la cessation des derniers symp-
tômes cutanés. -, , ,
-Durant son séjour à l'hôpital, la malade n'a plus été affectée de symp-
tômes fébriles ; la température est restée stationnaire autour de 37°. t1 la;
fin de son séjour seulement, du 6au,10 février, alors que tout phénol--
mène érupt.if avait disparu depuis onze jours, la malade a présenté un
certain mouvement fébrile ressortissant à un léger embarras gastrique et
semblant tout à fait indépendant de l'infection zostérienne.
Telle a été, dans son ensemble, l'évolution de cette éruption dont la mo-
dalité objective me reste à décrire : l'éruption est d'abord remarquable par
un caractère absolu ct'rerrilrtGrrLlité : Elle occupe, très exactement et très ri-
' goureusement, une des moitiés du corps, sur l'étendue que je vais dire
dans un, instant, en respectant absolument l'autre moitié, qui, je le répète à
dessein, est toujours restée complètement indemne.
Cette éruption hémi-latérale commence au niveau de l'épaule, pour se
terminer il la moitié de la cuisse du côté correspondant; c'est dire qu'elle
affecte : 1° toute la hauteur de l'hémi-lhorax gauche, et cela en avant et en
arrière; 2° toute la région de l'abdomen des lomhes et de la hanche du
même côté ; 3° la cuisse gauche dans ses 2/3 supérieurs environ ; 4° enfin,
elle descend sur le bras gauche jusqu'au niveau du pouce, en se limitant
sur ce membre à la face dorsale du premier espace intermétacarpien, et à
la face dorsale du pouce,' à la face antérieure du ler espace intermétacar-
pien et l'éminence thénar; enfin il la face antérieure de l'avant-bras, au-
dessous du pli du coude (PI..XXVI et XXYI1.)' ? ? .
Toutes les régions précitées sont le siège d'une'éruption intense, qui en
quelques points, comme aun ¡veau dn sein;' de\' iOIl L e\Lrl'lIlel1 ! CHteoÎl 1) lIntê,.
Comme modalité éruptive, cette éruption a eu pour caractère de débuter
176 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SdLI'1 : 'rRll ? 1tE
toujours par des éléments vésiculeux ou huileux, et le plus habituellement
par des vésicules du volume d'une demi-tète d'épingle, soit uniques, soit
le plus souvent multiples et agminées.
Ces éléments vésiculo-pitlycténulaires n'avaient qu'une existence éplié-
mère (2 à 3 jours en moyenne) ; puis bientôt ils se crevaieut, soit sponta-
nément, soit sous l'influence de frottements, pour faire place à une in-
crustation superficielle et jaunâtre. -
Cette forme définitive de l'éruption se présente sur la plupart des points
sous l'aspect d'enduits croûtelleux de diamètre et d'importance extrême-
ment variables. Quelques-unes ne. dépassent guère le volume d'une len-
tille ; mais la plupart constituent, par voie d'agmination, des incrustations
plus larges, de l'étendue d'une pièce de 20 centimes, de 50 centimes, voire
d'un franc. '
Ces agminations croûteuses sont alors remarquables par leur sinuosité
de contours.
Snr plusieurs points, où l'éruption a été particulièrementconl1uentc, il
s'est produit, et. cela toujours par voie d'aglllination, de véritables placards
croùtefleux, qui couvrent certaines régions ; ainsi les 2/3 de la région mam-
maire environ sont le siège cle placards croiltelleux qui, par leur étendue
considérable, aboutissent à couvrir une partie du sein.
Ces incrustations sont peu adhérentes ; on les voit de temps à autre, se
détacher en lamelles foliacées. Sous l'influence d'onctions graisseuses, elles
tombent du jour au lendemain et sont,alors remplacées par des surfaces
dénudées érosives ou subérosives, rouges, et tout à fais eczématoïdes d'as-
pect. '
' Les points qui ont été le siège de cette confluence éruptive sont : 1° le
sein, comme nous venons de le dire; 2° la région axillaire; 3° la région
scapulaire externe; 4° la région dorsale correspondant à la gibbosité dé-
terminée par l'incurvation des côtes : 50 la face externe 'et supérieure de
la cuisse, où l'on remarque un placard ayant au moins l'étendue de toute
la paume de la main. f
Toutes les autres régions de la moitié gauche du tronc sont le siège d'é-
ruptions de même ordre, mais offrant un degré bien inférieurdeconlluence.
Une éruption de même nature se remarque encore sur la cuisse, surtout
au niveau de la moitié externe, et au membre supérieur où elle est distri -
buée d'une façon bizarre; elle n'affecte l,i que l'avant-bras, au-dessous du
pli du coude, la main et aux pourtours de l'éminence thénar.
Sur le tronc, la confluence est telle qu'il n'est plus permis d'observer ce
qu'on appelle « le trajet anatomique du zona ». Alors qu'un zona n'oc-
cupe que le territoire d'une seule branche nerveuse, il est tout simple de
suivre l'éruption sur le trajet decette branche. Mais, clans le cas actuel, la
ZONA GÉNÉRALISÉ A LA PRESQUE TOTALITÉ DE LA MOITIÉ GAUCHE DU CORPS 177
dissémination et la généralisation de l'éruption ne permettent plus d'éta-
blir un rapport entre la distribution des éléments éniptifs et le trajet des
branches nerveuses. L'éruption, peut-on dire, esl partout, et cette ubiquité
exclut toute précision anatomique. -
En dépit de son étendue considérable et de son caractère insolite, cette
éruption rappelle de tous points le zona et doit être considérée comme
telle. Il est vrai quedes zonas d'une telle étendue sont exceptionnels ; j'ai
cherché, mais .en vain, dans la littérature médicale un cas analogue ; je
n'ai trouvé due des cas de « zonas doubles symétriques ou asymétriques »,
c'est-à-dire soit des cas de « zona bilatéral et symétrique du thorax », soit
des cas de zona « double siégeant au thorax du côté droit et a la cuisse du
côté opposé ». -
Nulle part non plus; je n'ai trouvé mention d'une éruption aussi vaste,
occupant un district cutané aussi étendu, se continuant, après un premier
et solennel orage éruptif, par une sérié de petites poussées successives.
Et néanmoins, je le répète, il ne serait guère possible de refuser à l'é-
ruption de notre malade la qualité de zona. En l'espèce, en' effet, celle
qualité semble bien évidemment ressortir des trois grands caractères sui-
vants : -
1° Unilatérrtlité absolue de l'éruption, premier caractère dont témoigne-
ront les deux photographies ci-jointes ;
20 Distribution analomique parallèle à certain tronc nerveux, comme
au bras, par exemple ; . -,
3° Caractère névralgique des douleurs accusées par la malade. Sans par-
ler même de la modalité éruplive, qui, sur tous les points et dans toutes
les poussées successives, a toujours élé celle du zona ;non plus encore que
des douleurs posl-rruplires, qui ont été si accentuées sur notre malade.
UN NOUVEAU TYPE D'HÉMIPLÉGIE ALTERNE
v IIYI'OGLOSSE gauche ET membres droits) z
PAR
Madame Anna GOUKOVSKY, d'Odessa (Russie)
{Travail de la Clinique médicale de Genève. Prof. LLON REVILLIOn).
Les types d'hémiplégie alterne connus et admis jusqu'ici sont : 1° le
type 1411llard-Gul)ler intéressant le facial d'un côté, les membres de l'au-
tre : 2° le type connu depuis Charcot sous le nom de syndrome de Weber,
caractérisé par la paralysie de la 111" paire d'un côté et des membres de
l'autre. On pourrait ajouter la paralysie alterne de la VIe paire qui a été
observée à la clinique de Genève et qui figure dans sa collection de photo-
graphies.
Ces formes spéciales d'hémiplégie indiquent une lésion protubérantielle
et peuvent présenter diverses variétés simples ou doubles plus ou moins
compliquées, lesquelles sonl exposées dans le tableau de Siegerson, repro-
duit par Nothnagel ('I).
Le cas que nous offrons dans ce travail se rapporte à l'hypoglosse gau-
che, qui s'est trouvé paralysé en même temps que le bras et la jambe du
côté droit. Ce serait donc encore un type d'hémiplégie alterne, type nou-
veau, car nous n'avons pu trouver son pareil dans nos recherches biblio-
graphiques. L'lli;miglossoplcgie, telle qu'elle est connue au,jourcrllui, ac-
compagne l'hémiplégie de la face et des membres du même côté, comme
l'indique le trajet dn faisceau moteur. Prenant son origine réelle au pied
de la circonvolution ascendante, la XII0 paire chemine avec le faisceau fion-
tal inférieur, passe dans le genou de la capsule interne, dans le'pédoncule,
entre le faisceau de la parole et le faisceau pyramidal, pour arriver après
son entrecroisement à son noyau sous le plancher du 4n venlricule, et de
là émerger entre l'olive et la pyramide antérieure. Dans toute la partie
cérébrale de son trajet jusqu'au pédoncule inclusivement, l'hypoglosse peut t
(1) Dublin, Med. Journ. 1918. Nolhnagel, Traité clinique de diagnostic des maladies
de l'r.rzcr'phale. Traduit par I\él'a\'al, 18S3.
UN NOUVEAU ^TYPE D HÉMIPLÉGIE ALTERNE 179
être compris dans les lésions corticales, centrales, capsulaires, pédoncu-
laires, qui donnent lieu il l'hémiplégie vulgaire. L'hémiparalysie de la
langue est alors homonyme. On observe en effet avec la paralysie de la face
et des membres d'un côté, la déviation de la langue du même côté. Dans ce
cas, ce signe est en général peu prononcé ; il est transitoire et, les noyaux
étant intacts, la paralysie ne s'accompagne pas d'hémiatrophie de la lan-
gue. ,
A part ces cas d'hémiplégie cérébrale, la paralysie unilatérale de la lan-
gue n'a guère été observée que dans l'hémi-alrophie faciale (maladie de
Iloulller), dans le tabes et dans les lésions du tronc même de l'hypoglosse,
lésions dues il des traumatismes ou des tumeurs, qui respectent l'axe céré-
bro-buibaire. -
Le cas de Souques (1), le seul qui se rapproche quelque peu du nôtre,
comme étant un exemple d'hémiplégie alterne de l'hypoglosse, était com-
pliqué d'une paralysie de la Vle et Vlle paires et concernait un enfant,
chez lequel les mouvements delà langue étaient difficilement appréciables.
Notre cas représente au contraire un type d'hémiplégie alterne dans toute
sa pureté. L'aspect du malade était si caractéristique au point de vue ana-
tomique que le diagnostic du siège de la lésion pouvait être posé avec une
certitude parfaite, comme l'a démontré M. le professeur llevilliod dans sa
leçon du S février 1894. Il supposa et dessina la lésion dans le sillon qui
sépare l'olive gauche de la pyramide gauche, à la sortie du nerf grand hy-
poglosse.
On pouvait constater en effet : '
1° Une hémiplégie complète des membres supérieur et inférieur droits,
sans paralysie faciale, sans aphasie motrice ou sensorielle, faitclui excluait t
déjà toute lésion centrale ou pédonculaire. La lésion ne pouvait exister
qu'au delà du point où le facial est dissocié du faisceau des membres.
La contracture des membres, qui était très prononcée el relalivement
précoce pour une dégénération descendante, indiquait également que le
faisceau pyramidal devait être intéressé sur un poinl très inférieur de son
trajet.
On pouvait constater enfin : 2° une paralysie complète avec déviation il
gauche et atrophie de toute la moitié gaucho de la langue. Cette atrophie
indiquait que la lésion siégeait au noyau ou au-dessous, par conséquent,
dans, la région hnlhaire.
De ces données topographiques découlait que la lésion ne pouvait se
trouver ailleurs que dans un point, qui intéressait ;1 la fois l'hypoglosse
gauche et le faisceau moteur droit ; ce point né pouvait donc être ailleurs
(1) Iconographie de la Salpêtrièrr, 1891, p. 3.'iS. Souques, Un cas d'hémiplégie al-
terne (type ))inard-Gn]))cr) compliqué de strabisme hilatéral et de Rtossoptëgie.
180 NOUVELLE ICONOGRAPIIIE DE LA SALPÊTRIÈRE
que dans le sillon qui sépare l'olive de la pyramide du même côté, et a )a
partie supérieure de celle-ci, soit avant l'entrecroisement des pyramides.
Une seule et unique lésion parfaitement limitée, pouvait commander aux
troubles fonctionnels des membres droits et de l'hypoglosse gauche. L'ab-
sence de tout autre signe ou symptôme pouvant laisser supposer d'antres
lésions sur d'autres points de l'appareil cérébro-spinal, faisait de ce cas un
type parfaitement pur d'hémiplégie alterne. Quant à la nature de la lésion,
on ne pouvait rien affirmer, si ce n'est que ses limites franches ne permet-
taient pas de supposer une extravasation hémorrhagique, de même que ses
allures non envahissantes et purement paralysantes, pouvaient faire ex-
clure une tumeur proprement dite. Enfin l'absence de syphilis et de tuber-
culose, éloignait l'hypothèse d'une gomme ou d'nne masse caséeuse. Ajou-
tons que l'hystérie et le' labes ne pouvaient entrer en cause pour expliquer
la déviation (spasme glosso-labié) ou l'atrophie 'de la langue. Il ne restait
donc que l'hypothèse d'un foyer de ramollissement comme devant être la
plus probable. .
Le rétrécissement de la pupille'gauche pouvait laissersupposerunepa-
chyméningite hémorrhagique de l'hémisphère du même côté.
, .
OBSERVATION
(D'après les notes recueillies par le Dr Audeoud, assistant de la clinique).
J... figé de 60 ans, sans antécédents morbides héréditaires ou personnels, né
it Notent (Loiret), chasseur d'Afrique. Il reçut en 1858 un coup de sabre au
bras droit et un coup de pied de cheval au genou gauche.
Depuis qu'il est établi il Genève, il mène une vie tranquille, assez misérable,
n'ayant pas souvent l'occasion d'exercer sa profession de comptable. Depuis un
an, il a quelques vertiges, des soubresauts dans les jambes et s'aperçoit que sa
langue et la prononciation sont un peu embarrassées. Cependant ses facultés
intellectuelles et l'usage de ses membres étaient dans leur état normal.
Le leur décembre 1893 il 10 heures du matin, étant il son bureau, il ressent
tout à coup un malaise, bientôt suivi de vertiges et de vomissements alimen-
taires. Il s'affaisse sur le plancher, sans toutefois perdre connaissance. Vingt
minutes après, on vient à son secours, on le relève et c'est alors qu'il s'aper-
çoit que son bras et sa jambe du côté droit sont paralysés. La face reste in-
demne, la parole aussi intacte qu'auparavant. Le 11 décembre il entre il l'hôpi-
tal.
Stalos. Homme vieilli, coloré, couperosé, étendu en décubitus dorsal.
L'intellect un peu déchu, la mémoire un peu abaissée. Cependant le malade
donne lui-même les renseignements exposés ci-dessus. Il n'y a pas d'aphasie
motrice, ni sensorielle, l'articulation des mots est seulement un peu embrouil-
lée par défaut de mobilité de la langue, qui est complètement déviée a gauche
(voir planche). Le raphé médian forme une courbe à concavité tournée de ce
Nou... ¡.ONOGn : 1>1 LA SI\l..Pi''TUIi'A¡i : T. VIII PL XXV 11 I
UN NOUVEAU TYPE D'HEMIPLÉGIE ALTERNE.
(Hypoglosse gauche et membres droits.)
(La dlSl ? I ? ioll dl" /111'/111>/'1 ? inférieur* lient ri la d"¡;JI /IIt/li ? de ? l>j,'rtill'¡ ? og"II,¡'i,/lIr )
L BATTAILLE E'I C"
FDITFI1R5
UN NOUVEAU TYPE D'HÉMIPLÉGIE ALTERNE 181
côté. La moitié gauche de cet organe est fortement diminuée de volume et d'é-
passeur elle est amincie, plissée et animée des mouvements fibrillaires, qui
n'existent pas au côté droit, lequel possède son volume normal. (Pl. XXVIII)
Il est remarquable de constater que les mouvements commandés s'exécutent
assez bien dans toutes les'directions, ainsi que la déglutition. ,
Les deux côtés de la face sont parfaitement symétriques, que la musculature
soient au repos ou en action.
Le malade ferme bien les deux yeux simultanément. Il ferme bien l'oeil gau-
cho seul. Il n'a jamais pu fermer l'oeil droit seul. Les pupilles sont inégales,
mais cette inégalité des pupilles varie. En effet le 11 décembre la pupille gau-
che = 1.
La pupille droite = 3, mais le lendemain les deux pupilles = 3.
Le 14 décembre, la gauche = 1, la droite = 2.
Le 15, la gauche - 1, la droite = 3.
Le 21, la gauche = et la droite = 1 (1).
Motilité des membres. Du côté gauche, le bras est parfaitement normal,
la jambe a un peu perdu de sa force, mais a gardé tous ses mouvements. Du
côté droit il y a hémiplégie complète des membres supérieurs et inférieurs,
avec contracture en flexion. L'avant-bras est fléchi à angle droit sur le bras,
la jambe à angle aigu sur la cuisse, le pied venant toucher la partie interne
supérieure de la cuisse gauche. Ces contractures sont rigides, permanentes,
elles résistent aux tentatives d'extension qui sont très douloureuses. Le malade
éprouve aussi de douleurs, spontanées dans les membres paralysés. Sauf cola
les sensibilités générale et spéciale (tact, température), sont normales.
Les réflexes des membres sont très exagérés de deux côtés. A droite on a de
la. peine à les obtenir à cause de la contracture. A gauche on obtient (2), 5 au
genou, fut, à l'olécrtille. Glonus\des pieds des deux côtés. L'examen des onze pre-
mières paires crâniennes indique leur état normal. Il n'y a pas de troubles vaso-
moteurs, ni sphinctériens. Rien a noter de particulier du côté des systèmes cir-
culatoire, respiratoire, génito-urinaire.
L'examen de l'urine indique l'absence d'albumine, mais -une forte réaction
d'urobiline. ' 1 - ' '
Cet état reste stationnaire, sauf les conséquences habituelles de'la cachexie
nerveuse, eschares sur' les saillies ossenses, gâtisme, 'déchéance des facultés
intellectuelles, qui ont entraîné la mort le 22 février 1891. ' -
, ' \
(1) C'est l'usage à' la clinique de Genève de représenter l'ouverture pupillaire par des
chiffres. " ,
L'ouverture normale étant = 3.
maxima - G... , . z
minima 1... -
(2) Le réflexe normal étant représenté par le chiffre 3.
maximum G.
minimum 0.
VIII 12
182
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETH)E)(E
Autopsie.
(Faite par ). le docteur Tilger, assistant a l'Institut pathologique.)
Homme de taille moyenne, dont la musculature et le tissu adipeux sont encore
bien conservés. Goitre parenchymateux. Pas d'oedème, Il existe une contracture
de la jambe sur la cuisse droite et de l'avant-bras sur le bras.
Encéphale. - La calotte crânienne est légèremontatrophiée, les sutures pres-
que disparues.
La dure-mère est épaissie sur les deux hémisphères : elle présente du côté
gauche, surtout aujiivcau du lobe occipital, à sa face interne, une pigmentation
jaune rougeatrc, très distincte et des fausses membranes en voie d'organisation.
A droite sa surface interne est tout à fait blanche et lisse. Dans le sinus longi-
tudinal, on trouve du sang liquide et quelques caillols rouges. Il y a un fort
oedème SO11S-araC111101(hell. La pie-mère est hyperémiée. Les ventricules laté-
raux et médian contiennent du liquide séreux.
L'épendyme présente partout un aspect finement granuleux, plus prononcé
au 4e ventricule.
La substance blanche est pâle et légèrement oedématiée. Dans le noyau len-
ticulaire gauche il sa partie inférieure se trouve un kyste de la grandeur
d'une, lentille, contenant un liquide légèrement trouble et dont la paroi est for-
tement pigmentée en brun.
Moelle allongée. - La face postérieure de la moelle allongée ne présente rien
de particulier, sauf que sa moitié gauche est d'un millimètre moins large que la
moitié droite. Eu examinant la surface antérieure du bulbe, on constate à peu
près à 2 millimètres au dessous de la protubérance un affaissement dans la moi-
tié gauche du bulbe. Cette partie affaissée a une largeur de 6 millimètres, et
une hauteur de 3"'1/` ? millimètres et occupe la partie supérieure de la pyramide
gauche. La partie de la pyramide gauche au niveau de la partie inférieure de
l'olive est fortement atrophiée. Elle a une largeur de 2ml/2 millimètres, tandis
que l'autre pyramide il la môme hauteur mesure 6 millimètres en largeur. La
pie-mère qui couvre la partie affaissée semble légèrement épaissie et est forte-
ment hyperémiéc. Par le loucher on a distinctement l'impression de fluctua-
tion (Fig 48).
Les racines de la XII0 paire gauche se compo-
;nl de quelques filets nerveux, très minces. Le
ronc du nerf, aussi bien dans ses ramifications
)olll'SIILV1CS dans la langue, qu'à son origine, S(,I11-
de lout;'¡ fail nlrophié (voir plus loin son examen
nicroscopi(lue). Les artères de la base du (-ci--
; can, de même que les artères sylviellnes,présl'Ilo
cut par place une coloration blanchâtre duc à des
'oyers d'endarlérile chronique déformante.
Le cordon latéral droit semble par contre être plus mince que le cordou cor-
Fig. 1,8.
UN NOUVEAU TYPE D'nEIIIPLÉGIE ALTERNE 183
respondant gauche, mais il n'existe pas de différence de couleur, ni de consis-
tance entre ces deux cordons.
Péricarde normal. Coe1l1' petit, flasque. A sa surface antérieure, on remarque
quelques taches brunâtres, situées dans le tissu adipeux sous-péricardique. Le
coeur contient passablement de sang liquide et des caillots rouges et couon-
neux.
L'oreillette droite est dilatée, l'endocarde épaissie. Le trou de l3otal est fermé.
Le ventricule droit est de grandeur normale et n'offre rien de particulier.
L'oreillette gauche est de grandeur normale; son endocarde est fortement
épaissi. Le ventricule gaucho est de dimension, normale, son endocarde est par
places épaissi. Les muscles papillaires olfrent des stries jaunâtres de dégéné-
rescence graisseuse. La musculature est en général colorée on brun pâle.
L'aorte présente de nombreux foyers de dégénérescence graisseuse, consta-
tées il l'examen microscopique et un peu d'endartérite déformante chronique.
Le poumon gauche est petit, flasque. La plèvre est lisse; il y a quelques
adhérences. Sur la coupe, existe une forte hyperémie et de l'oedème du tissu
pulmonaire. La muqueuse bronchique jusqu'aux bronchioles les plus fines est
fortament hyperémiéc. Le poumon droit est plus volumineux que le gaucho. Sa
plèvre est opaque, ne i-éllète pas la lumière ; par plaGes elle est couverte par des
minces fausses membranes fihrineuses. Sur la coupe du poumon, on constate
que le lobe supérieur est fortement hyperémié et oedématié : le lobe inférieur est
le siège d'une pneumonie fibrineuse à la période d'hépatisation grise.
Langue. La moitié gauche de la langue est distinctement atrophiée ; elle
est très mince, flasque, pâle, tandis que l'autre moitié offre une très bonne
consistance.
L'oesophage n'offre rien de particulier.
L'estomac est légèrement dilaté. Sa muqueuse pâle présente un peu l'état
mamelonné.
Le diaphragme remonte il droite jusqu'au bord inférieur de la 4m" côte, il gau-
che jusqu'au bord supérieur de la 5e côte.
Le péritoine est partout un peu épaissi.
Le cacnva est adhérent il la paroi antérieure (ancienne typlllite guérie).
La rate est agrandie, doublée de volume, molle, diflluonte, la capsule ridée.
La capsule surrénale gauche est atrophiée, la droite est normale.
Les uretères sont très dilatés, surtout dans leur partie inférieure.
Les reins sont de grandeur normale. Ils se décortiquent très facilement. Leur
surface est lisse. Sur la coupe, la substance corticale est assez large, relative-
ment pâle, trouble, traversée par des nombreuses stries blanches, jaunâtres. La
substance médullaire est hyperémiée.
La vessie est petite, fortement contractée. Elle est remplie d'un liquide trou-
ble séro-purulent, contenant passablement do sable urinairc. La muqueuse est
fortement hyprrémiée; elle présente un aspect sale, jaune, bleuâtre. La paroi
' est très épaissie et présente également sur la coupe un aspect sale, jaune grisâ-
tre.
184 nouvelle iconographie de la salpethière
Examen microscopique.
(Fait à l'Institut pathologique).
Langue. L'examen microscopique de la langue démontre qu'il la moitié
LI roi Io IL iiiuseti 1,t [tire est tout à fait normale. Les striations longitudinales et trans-
versales sont très nettes et distinctes. A la moitié gauche les fibres musculaires
sont amincies. Le sarcolème est partout bien distinct, mais la striation transver-
sale a tout à fait disparu. La striation longitudinale est par places encore visible,
mais très peu nette. Les noyaux ne se voient pas distinctement. On trouve seu-
lement par ci par la directement au-dessous du sarcolème des petits amas de
pigment qui indiquent encore les restes des noyaux. Le proloplasma est forte-
lI1entgranllleux Les granulations sont très petites, ne se dissolvent pas dans
l'acide acétique. Ce sont donc des gouttelettes graisseuses.
Le tissu adipeux entre les fibres musculaires est fortement développé et évi-
demment proliféré.
Nerfs de la XII paire (1). Celui du côté droit est tout à fait normal. Celui
dû côté gauche, examiné a l'état frais par dissociation, montre que les tubes
nerveux sont amincis. Le plus grand nombre de ceux-ci a subi une dégénéres-
cence graisseuse très prononcée. La gaine de Schwann qui par places, est tout
à fait affaissée, ne renferme que des petites gouttelettes graisseuses, qui se colo-
rent très. distinctement en noir avec l'acide osmique.
Pour, contrôler ce résultat, on pratique sur le nerf de la XIIO paire gauche,
durci dans l'acide osmique, des coupes sur lesquelles ou constate que le tissu
conjonctif interfibrillaire est fortement augmenté, fait surtout appréciable, si on
le compare avec les coupes pratiquées sur le nerf normal du côté droit.
Moelle épinière. - Après avoir été mise dans le liquide (le Millier, puis lavée
dans l'eau courante et durcie dans l'alcool, la moelle épinière présentait ma-
croscopiquement sur la coupe une différence de coloration entre le cordon laté-
ral droit et le reste de la substance médullaire. Tandis que celle-ci avait par-
tout sa coloration verdâtre, celui-là était blanchâtre.
Pour notre examen nous avons pris seulement trois morceaux de deux centi-
mètres de hauteur : un du renflement cervical (a), un de la région/dorsale (b) et
un du renflement lomlnire(c)(I i.40).\hrùs Icsavoir lavés dans de l'alcool à 70°,
puis plongés dans de l'alcool absolu, où ils sont restés une semaine, ils furent pla-
cés dans la cellouline, où ils restèrent huit jours. Enfin ils furent fixés sur des
bouchons et conservés dans de l'alcool Ù 70°. Les coupes laissaient déjà facile-
(1) Ce nerf a été examiné par le Dr Tilger.
Fin. 49
UN NOUVEAU TYPE D'HÉMIPLÉGIE ALTERNE 185
ment reconnaître à l'oeil nu du côté du cordon latéral droit et du faisceau de
Turk du côté gauche, une région blanchâtre, tranchant nettement sur les par-
ties avoisinantes verdâtres. Cela s'observait dans chacune des coupes des trois
morceaux. Sur les coupes du ronflement lombaire, cette tâche était d'une éten-
due beaucoup moins considérable que sur celles des renflements cervical et
dorsal. Ces coupes ont été colorées par l'bématoxyline, d'après la méthode de
Paal. Au microscope, on ne constata rien d'anormal dans la substance ner-
veuse des cornes antérieures et postérieures, ainsi que dans la substance bilan-
che de la moelle, il l'exception de la partie du faisceau latéral droit qui déjà il
l'oeil nu se distinguait par sa coloration du reste delà substance médullaire.
Ici il existait une atrophie notable des tubes nerveux et même une absence
complète des tubes à certains endroits. Les cellules de la névroglie par contre
étaient augmentées en nombre. Cet état d'atrophie nerveuse et d'hypertrophie
névroglique était surtout manifeste dans les coupes prises sur les morceaux
des régions cervicales et dorsales, tandis qu'elle était beaucoup moins forte,
quoique encore bien distincte, dans la partie lombaire. Outre cette méthode de
coloration, nous avons encore coloré les coupes avec de la nigrosine, substance
surtout favorable pour l'orientation topographique. Nous avons aussi coloré les
coupes avec du carmin boracique. Les lésions que nous venons de décrire
représentaient d'une manière très nette la dégénérescence descendante clas-
sique.
Bulbe rachidien. Comme nous l'avons dit plus haut, le bulbe présentait
déjà à l'oeil nu une atrophie de la pyramide gauche dont l'extrémité supérieure
seule était respectée.
Après avoir été durci et coloré par le même procédé que la moelle, le bulbe
fut coupé en série dont nous donnons dans le dessin ci-joint trois exemplaires.
La coupe n° 3 (Fi-. 50) représente celle qui, passant par le milieu des olives,
donne le trajet des hypoglosses depuis leur noyau au sillon latéral. L'esamenmi-
croscopique démontre dans chacune d'elles l'intégrité de toute la moitié droite du
bulbe, ainsi que des origines de l'hypoglosse gauche, depuis et y compris des
noyaux jusqu'à l'olive, tandis que la région représentée par l'olive gauche, la
pyramide antérieure gauche et le trajet juxta-olivaire de l'hypoglosse est au
contraire détruite par un ramollissement.
Dans les débris de l'olive gauche on constate en effet une prolifération cellu-
laire. Les cellules névrogliqucs sont relativement grandes et ont un noyau très
distinct ; quelques-unes ont même deux noyaux ; leur protoplasma est par-ci
Fig. 50 ,
186 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
par-là légèrement coloré en jaune. Dans ce foyer formé seulement de tissu
névroglique, les parois dos vaisseaux présentent une forte infiltration cellulaire.
Ce sont, dans la, membrane externe des petites cellules rondes, se colorant
fortement par le carmin et dans les membranes moyenne et interne des cellu-
les rondos et fusiformes, indiquant évidemment une inflammation formative
(voir Fis. 51).
Ces lésions s'observent surtout dans
quelques artères, situées entre l'olive et la
pyramide, artères dont la lumière est obli-
térée par l'épaississement de la paroi.
La iirnlifénilioiude la membrane adven- 1
lice s'observe aussi au tour des veinules, (pu \
semblent atteintes de périphlébite noueuse.
Quelques-unes de celles-ci sont oblitérées
par des thrombus rouges contenant du pig-
ment brunâtre. Enfin les capillaires sont
aussi en partie oblitérés surtout au niveau
du raphé et de son bord gauche.
Cet exposé anatomique vient donc confirmer les données fournies par
l'examen clinique. Il s'agissait en effet d'un foyer de ramollissement bien
limité à l'olive gauche et à la pyramide gauche, ramollissement dû à une
endarlérite chronique oblitérante, ayant détruit la majeure partie des ra-
cines de l'hypoglosse gauche.
Telle est la lésion, qui a donné lieu à une hémiplégie alterne des mem-
bres du côté droit et de la moitié gaucho de la langue. Notons la contrac-
ture précoce des membres paralysés el la dégénérescence descendante du
faisceau pyramidal, symptômes et lésions qui existaient déjà le onzième
jour de l'ictus apoplectique.
Fig. 51
VÊTEMENTS ET APPAREILS PROTECTEURS ÉTRANGES
PORTÉS DE JOUR ET DE NUIT PAR UN DÉGÉNÉRÉ PERSÉCUTÉ
PAR
LE FILLIATRE
Ancien interne- des asiles de la Seine, 1
Lauréat de la Faculté de médecine de Paris.
[L'observation suivante a été l'objet d'une communication faite en mars
1895, à la Société médico-psycboiogique, où le malade a été présenté. Le
résumé que nous en donnons ici, servira d'explication aux curieuses pho-
tographies inédites, reproduites ci-après.]
Edgard B... âgé de trente-huit ans, né à la Haye-Descartes (Indre-et-
Loire), ne parait pas avoir de charge héréditaire soit du côté paternel, soit
du côté maternel.
Antécédents personnels . - Né à terme à la suite d'un accouchement
normal, il marche à neuf mois; sevré à onze mois il parait assez intelli-
gent jusqu'à l'âge de sept ans. A partir de cette époque son père l'envoie
à l'école où ses maîtres n'ont jamais rien pu faire de lui : c'était un esprit
très distrait.
De treize ans jusqu'à trente-quatre ans Edgard B... est d'un caractère
des plus irritables ; au lieu de continuer sa profession de mécanicien, il la
quitte, à la suite d'une légère attaque de rhumatisme articulaire aigu, pour
prendre celle de marchand de nouveautés où il fatiguait tout autant; il
entre alors successivement dans différentes maisons de nouveautés à Sur-
gères chez son oncle, à Saintes, à Angoulème, à Bordeaux, ne se trouvant
jamais bien là où il était ; finalement il s'établit quincaillier après avoir
été tour à tour mécanicien et marchand de nouveautés.
Jusqu'à trente-quatre ans, sauf cette légère attaque de rhumatisme, il se
porte bien, ne ressent aucune douleur et fait même comme quincaillier de
bonnes affaires.
Vers cette époque, il ressent les « épreuves du pincement », il se trouve
lassé par l' « impulvérisation », il est pris de névralgies siégeant sur toute
188 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
la tête, sur le trajet des arcades dentaires, sur le devant et sur le derrière
de la poitrine.
Jusque-là (fin mars 1892), il n'avait jamais porté de préservateurs sur
le corps.
A peu près à la même époque où il ressentait ces douleurs, il croit avoir
hérité d'un cousin mort en Amérique, il se décide alors à partir pour
l'Amérique (mai 1892), pensant se faire rendre ainsi son pseudo-héri-
tage.
Quelque temps après son arrivée en Amérique, il quitte la maison d'é-
lectricité où il travaillait, sous prétexte que le fils du patron lui en voulait.
Obéissant ensuite aux « influences » (hallucinations auditives), il se pro-
mène de ville en ville et finalement revient en France où ces mômes « in-
fluences » lui apprennent qu'il a hérité d'un M. X. dont il est le fils pu-
tatif.
Un mois après son arrivée à Paris, il va trouver le commissaire de police
de son quartier afin de savoir si le procureur cle la République ne l'aurait
pas chargé de lui remettre une réponse au sujet de ses nombreuses récla-
mations.
Du commissariat, à cause de son équipement étrange, il nous est envoyé
directement à l'Infirmerie spéciale du dépôt.
En somme, Edgard B... est un déséquilibré avec des idées de persécution,
idées de grandeur, troubles de la sensibilité générale, et dont le délire ne
présente pas d'évolution systématique.
Voyons maintenant le côté le plus curieux de l'observation d'Ed-
gardB... : sa mise singulière et comment et pourquoi notre malade a été
amené à se harnacher de la sorte.
Un mois avant son départ pour l'Amérique (avril 1892), il portait déjà
un plastron dorsal et un plastron sternal en caoutchouc pour s'isoler des
« causes extérieures ». C'est également pour se protéger contre ces mêmes
causes extérieures qu'il porte nuit et jour des morceaux de porcelaine sur
le devant de la poitrine et qu'il avait fait creuser et cimenter dans son jar-
din un trou cylindrique dans lequel il se incitai ! , pendant plusieurs heu-
res de la journée, complètement nu. Une fois dans ce trou il en fermait
la partie supérieure au moyen d'une cloche à melon et y restait tant que
le soleil donnait sur la cloche.
Pendant les premiers mois de son arrivée en Amérique il ne portait que
son plastron dorsal, son plastron sternal et ses morceaux de porcelaine.
Huit mois après son arrivée en Amérique, les douleurs » de l'entre-côte
et du fiel » augmentant, il augmente les couches isolantes en se fabriquant
d'abord une première cuirasse en tôle, formée comme celle en cuivre, qu'il
NOUV. ICONOGR. DE LA SALPii'IFIÎH4 h.
T VIII Pt.. XXI'\{ a XXX.
ROTONDE ET CUIRASSE PROTECTRICES EN CAOUTCHOUC
ponces par un aliéné persécuté.
L. B ATT AILLE ET C"
n- 1 ? 1
Nouv Iconook, Ul : la SALI·Cvi·11NF T. ]IL X"X ! t xxxii.
CUIRASSES DE CUIVRE, DE CAOUTCHOUC ET DE PAPIER
ponces par un aliéné persécuté.
VÊTEMENTS ET APPAREILS PROTECTEURS ÉTRANGES 189
portera plus tard, de deux demi-cylindres de tôle, lui couvrant le clos, la
poitrine et une partie de l'abdomen.
La douleur de rentre-Côte h persistant, il la double bientôt d'une se-
conde cuirasse en papier blanc verre, le papier blanc verre servant à la
fois à renforcer les couches isolantes et à former avec le caoutchouc et la
tôle un excellent préservateur contre les causes extérieures. Sa cuirasse
en tôle, il la portail jour et nuit; la cuirasse de papier étant par trop
épaisse pour le jour, il ne la mettait que la nuit sur sa cuirasse en tôle.
Cette cuirasse en papier l'oblige, dit-il, à abandonner le lit et les draps,
pour se coucher' sur sa descente délit où il se trouve plus à l'aise et où
il souffre moins que sur son lit, le lit n'étant pas un isolant convenable.
A cette même époque, pour calmer ses douleurs de tête, il garnit de
papier de verre son bonnet pour la nuit et sa casquette pour le jour; puis
les douleurscontinuant, il ajoute successivement une, deux, trois et quatre
plaques de tôle au papier verre qui recouvre le fond de sa casquette, qui,
celle-ci, arrive à atteindre ainsi le poids de 3 kilogrammes. Quelques jours
avant son départ d'Amérique, de peur que les douleurs augmentent par le
fait de la traversée, il se confectionne une solide cuirasse en caoutchouc,
couvrant tout le torse et les épaules, pesant 8 kilogrammes passés et une
lourde pèlerine en caoutchouc, qu'il appelle sa rotonde, pesant 4 kilo-
grammes. \
Les planches ci-jointes nous en donnent une excellente idée. (Voy. Pl.
XXIX, XXX, XXXI et XXXII.)
La cuirasse en caoutchouca été faite avec une matrice de pâtissier, c'est-
à-dire un moule en caoutchouc très épais servant à y couler des fondants.
Il met cetle fameuse cuirasse,en caoutchouc, pour la première fois, la
nuit, sur le bateau, mais sans la porter dans le jour ; quant à sa rotonde
il la porte jour et nuit. ,
Il avait remarqué que depuis le moment où il portait tous ces isolants,
son corps était moins sensible aux douleurs ; il en conclut due la diminution
d'intensité des douleurs était due à son système d'isolement contre les
causes extérieures.
Arrivé à Paris, le 15 février 1894, il porte pendant le jour :
1° Son plastron de caoutchouc dorsal ; <- ,
2° Son plastron de caoutchouc sternal ; .
3° Un morceau de porcelaine enveloppé dans du papier collé, au-devant
des bronches ; ' .
4° Plusieurs couches de papier collé, au-devant de la poitrine ;'
5° Une cuirasse de fer-blanc qu'il remplace cinq mois après son arrivée
en France, par la cuirasse en cuivre.» IL préfère le cuivre à la tôle, parce
190 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTR1ÈRE
y*
que le cuivre est meilleur isolant, et se moulant plus facilement, forme
un vêtement plus coquet.
Le poids total de cette cuirasse est de G kil. 1/2.
6' Des genouillères en cuivre formées chacune d'une plaque de cuivre
entourée de papier collé. Remarquons qu'il n'emploie pas de papier filtre
ou de papier buvard, ceux-ci étant de nouveaux isolants.
7° Sa rotonde par-dessus le tout, pesant, comme nous l'avons déjà vu,
4 kilogrammes.
8° Enfin, comme coiffure, sa casquette dont le fond est garni de plusieurs
plaques de tôle et- pesa ni près de 1 kilogramme.
Pendant la nuit, il conserve sur son corps tout ce qu'il porte le jour;
mais, comme a pendant le sommeil, les causes extérieures ont plus de
prise sur vous », il renforce les couches isolantes de sa fameuse cuirasse en
caoutchouc, pesant 8 kilogrammes passés, et se couche par terre sur un
matelas, dans la position assise, le tronc appuyé de préférence dans
une encognure de sa chambre, pour que les murailles puissent lui ser-
vir de protecteurs.
Il s'isole en outre la tête, le tronc et les cuisses avec trois demi-cylindres
en cuivre, de 1 centimètre d'épaisseur sur 40 centimètres de profondeur,
GO centimètres de largeur, et placés de la façon suivante : Un cylindre pla-
cé de champ, dans l'encognure, contenant l'oreiller sur lequel reposent
la tète, le cou et le dos; les deux autres demi-cylindres bout bout, l'un
au-devant du thorax et de l'abdomen, l'autre couvrant les membres infé-
rieurs. Tous les soirs, comme il ne pouvait pas arranger seul tout cet équi-
pement, il priait une de ses voisines de lui aider.
Le 24 novembre 1894, cinq jours avant son arrivée à l'Infirmerie spé-
ciale, il constate que ses douleurs de tète, de l'entre-côte et des jambes
augmentent. Il se fait alors construire un casque en cuivre de 1G francs,
pesant 2 kilogrammes auquel il ajoute, la nuit, un masque en plomb
pour le protéger contre les douleurs de l'angle de l'oeil, origine, d'a-
près lui, du rhume de cerveau.
Depuis qu'il porte son casque et son masque, ces douleurs ont disparu.
Contre les douleurs de « l'entre-côte » et des épaules, il se décide à por-
ter en plein jour sa cuirasse en caoutchouc double au niveau « du fiel »,
un plastron de papier collé et au niveau de chaque épaule, un brassard en
plomb, les deux pesant près de 2 kilogrammes. '
Ainsi donc, en nous résumant dans ce tableau ci-dessous, nous arrivons
à trouver, comme poids total de son équipement, le chiffre de 29 kil.
ICI).
\1
VÊTEMENTS ET APPAREILS PROTECTEURS ÉTRANGES 191
LES PEINTRES DE LA MÉDECINE
SAMUEL VAN llOOGST RAATEN
- (école hollandaise)
par
- - HENRY MEIGE.
La peinture de l'Ecole Hollandaise mérite, à plus d'un titre, d'attirer
l'attention de la critique médicale. Ses artistes, observateurs consciencieux
et exécutants habiles, ont adapté leur talent à la représentation de toutes
les scènes de la vie humaine, et, tout en s'abandonnant parfois à leur fan-
taisie joyeuse ou à leur verve satyrique, ils sont restés, dans un irrépro-
chable réalisme, toujours fidèles à la nature et à la vérité.
Aussi, lorsqu'ils ont entrepris de peindre les difformités, les maladies
ou la mort, leurs oeuvres, indépendamment des rares qualités de compo-
sition et d'exécution qui les distinguent, sont-elles toujours des docu-
ments du plus haut intérêt pour le médecin qui y retrouve l'exacte repré-
sentation de la réalité.
Ayant eu l'occasion, dans le cours de ces dernières années, dé visiter
en détail plusieurs des grands musées de l'Europe, j'ai relevé dans cha-
cun d'eux, ainsi que dans quelques collections particulières, tous les
tableaux, des maîtres hollandais ou llamands dont le sujet pouvait avoir un
intérêt médical.
De la plupart, j'ai pu, grâce à l'obligeance des directeurs des musées,
me procurer des photographies qui, accompagnées d'une description ou
d'un croquis faits de visu, donneront, je l'espère, de ces oeuvres d'art un
aperçu suffisant.
Les sujets qui' peuvent intéresser le médecin sont très variés. Les uns
relèvent de la médecine proprement dite, les autres de la chirurgie. Tan-
tôt il s'agit de scènes de consultations, tantôt d'opérations, tantôt d'accou-
chements. Dans tous ces cas, la manière dont l'artiste a rendu l'expression
du malade et des médecins qui le soignent prèle à l'analyse. Les accessoires
obligés de toute scène médicale méritent aussi souvent d'être étudiés au
détail. En maintes circonstances, les peintres ont introduits dans leurs ta-
bleaux des personnages accessoires, infirmes ou défigurés par la maladie;
LES PEINTRES DE LA MÉDECINE 193
souvent même ils ont reproduit des difformités, dont ils ignoraient la na-
ture pathologique. Enfin les représenta lions de cadavressont innombrables.
La critique médicale de tous ces documents, loin d'amoindrir leur valeur
artistique, ne peut que mettre en relief les qualités d'observation de leurs
auteurs.
Les deux tableaux de l'École Hollandaise reproduits et analysés ci-
après, rentrent dans cetle catégorie d'oeuvres d'art.
Le génie incomparable de Rembrandt rayonna d'un si puissant éclat
qu'il fit éclore dans l'entourage du maître, un nombre considérable de
peintures portant l'empreinte de son inspiration et de sa manière, de
vrais chefs-d'oeuvre parfois dont les autenrs forcément relégués au
second plan, sont souvent à peine connus de nom aujourd'hui.
S'il est vrai que ces élèves d'atelier ou ces imitateurs lointains se soient
bornés souvent à pasticher les tableaux du maître, il serait injuste de,les
reléguer tous au rang secondaire de copistes.
Beaucoup d'entre eux ont fait preuve en maintes circonstances de qua-
lités originales, voire même de réel talent. Les,toiles de Gowe'rt Flinck, de
Ferdinand Bol, que possède le Louvre en sont un témoignage. Mais com-
bien d'autres, dont le nom et les oeuvres sont. à peu près ignorés en
France, méritent mieux qu'une simple citation !
Par exemple le musée Boymans, à Rotterdam renferme un Portrait
d'homme (1) signé Carel Fabrilius, qui longtemps fut attribué à Rem-
brandt ; et plusieurs autres oeuvres non signées de cet élève hors pair
passent pour être de la main du maître. Les mêmes méprises sont par-
faitement excusables pour certaines toiles de van den Eeckhout, de Aert
de Gelder, Philips et Salomon de Koninck, etc. qui ont poussé jusqu'à
la perfection l'art d'imiter leur maître.
D'autres ont introduit dans leurs oeuvres quelques louches plus origi-
nales. Nicolas Maas, par exemple, dont le Louvre ne possède qu'un ta-
bleau encore douteux, paraît-il, le Bénédicité (2), se reconnaît,
dans ses nombreuses peintures authentiques conservées en Hollande, par
une prédilection marquée pour le rouge dont il lire les plus heureux
effets (3). C'est là une signature toute personnelle qu'on ne retrouve
pas chez les simples pasticheurs de Rembrandt.
La liste de ces derniers est fort longue ; beaucoup d'entre eux méritent
(1) N°74 du Catal. 1S92.
(2) ? 2454 du Catal. -
(3) Voy. par ex. : La Fileuse, La Rêveuse (Amsterdam), La Servante curieuse (coll.
Siv.), La Songeuse, La Lecture (Bruxelles) etc.
194 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALP-TRIÈIIE
peut être l'oubli de leur nom; mais il serait injuste d'en multiplier le
nombre
On peul faire une exception, par exemple, en faveur de Samuel van
IIoogstraaten, en raison d'un excellent tableau, La Malade, dûment signé
de son monogramme, conservé dans la collection Van der IIoop, au Rijck.
Muséum d'Amsterdam.
Les Ilooostraiteii, comme les Breughel, sont les représentants d'une
de ces familles d'artistes hollandais ou la vocation de peintre se transmet-
tait comme un métier dans les familles, de père en fils.
Le plus ancien, né à Anvers (1), Dirck IIoogstraaten (1596-1640), sim-
ple apprenti chez un orfèvre, se fil d'abord remarquer par son adresse à.
ciseler l'argent. s'occupa bientôt de gravure, puis de peinture. Ses
tableaux d'un dessin correct et d'un vif coloris sont rares aujourd'hui.
Son fils, Samuel van IIoogstraaten, né et mort à Dordrecht (1 G27 -1 (78),
fit ses premiers essais de peinture dans l'atelier de son père, et devint
ensuite l'élève de Rembrandt. Rapidement il acquit la notoriété dont il
était digne, voyagea beaucoup, en Autriche où l'empereur Ferdinand
voulut l'attacher à sa cour, en Italie, en Angleterre, vendant fort cher ses
tableaux, enfin il revint se fixer dans sa ville natale où il ouvrit un atelier
très fréquenté, et mourut prévôt de la Monnaie.
Il peignait dans tous les genres, tableaux d'histoire, portraits, paysages,
natures mortes, etc. ayant hérité de son père la correction du dessin et
la fraîcheur du coloris, et appris à l'école de Rembrandt l'heureuse dis-
tribution des lumières et les mystères des clair-obscurs.
Jean Iloogslràalen, son frère, s'adonna également à la peinture et devint
membre de l'Académie des beaux-arts de Dordrecht (1649).
\Un de leurs neveux, David van Iloogstraaten, d'abord médecin à Dor-
drecht, philologue érudit, devint professeur, puis correcteur à l'Ecole
latine d'Amsterdam. Il a laissé plusieurs traductions et dictionnaires
longtemps renommés.
De cette famille laborieuse, Samuel van Hoogstraalen est le représentant t
le plus connu.
Il a fait preuve en peintured'un certain talent ; ce fut de plus un lettré
et un esprit fort cultivé (2).
(t) IIoogstraaten ou Iloogslncten est le nom d'une ville de la province d'Anvers, où
est né, vers la fin du XV. siècle, un controversiste, Jacques van Iloogstraaten, prieur
des dominicains de Cologne, célèbre par ses écrits passionnés contre la Réforme.
(2) On a de lui une Relation en vers de son voyage en Italie. Un Traité sur la pein-
ture ; un ouvrage curieux intitulé Le monde éclairé et le monde aveugle.
NOUV ICONOGR DF LA SALYI : THIFRF T VIII PL XXXIII
LA MALADE
(La Cllaiotiltse.)
Tableau de S \MUEL V : v f-Ioccs l'I2 ? 1'l'E
au Rij', ? 111<;lI11l d'Amsterdam.
L BATTAILLE 6T l" "
FOITfoIJRC,
LES PEINTRES DE LA MÉDECINE 195
Son nom est presque inconnu en France où n'existe an Louvre aucune
oeuvre de lui. Le nombre des tableaux qui peuvent lui être attribués avec
certilude est d'ailleurs assez restreint. Le musée de la Haye en possède un,
inti tulé Jeune dame se promenant dans la cour d'une maison de distinction (-1 )
helle.peintùre architecturale, majs frôideret vide. Il,) a deux' tableaux de
lui à Vienne; l'un, daté 'de 1652 ? représente une vue d'une place (là
Dordrecht. . ^-r ?
En flngleterre,'oiI van. Hoogstraaten paraît avoir séjourlréwssez long-
temps, plusieurs tableaux lui sont également attribués..
A Amsterdam, le Rijks-Museuni possède trois tableaux de S. van Hoogs-
Iraalel1 : ' .' ' . · .
Le Portrait de MaUhoeus van den BI : ouck, conseiller de la Compagnie des
Indes (2), La Malade; et Le Convive indigne, ce dernier sans signature,
attribué aussi â Eeckhout, ou simplement à L'Ecole'de Rembrandt.
La Malade (3) est -une peinture de premier ordre. Bien que signée du
nom d'un élève de Rembrandt, il semble qu'on y retrouve' la manière
de -L Steen clans l'agencement de l'intérieur éi des personnages, et la dis-
tinction de'Melzu dans les détails de l'exécution : ? .. , ..
La scène se passe dans une grande chambre aux tentures. sombres, com-
muniqnanLa'gauche par plusieurs degrés avec une. enQlac1e' de pièces. La
dernière, dont on ne voit qu'une partie dans l'encadrement d'une' porte,'
est pleine de lumière et richement décorée : on'y distingue la moitié
d'une cheminée ci colonnes avec des chenets de cuivre. La. chambre est
nue. Au fond, par une fenêtre ronde grillée on aperçoit plusieurs tableaux
suspendus aux murs d'une galerie sombre. A droite, un grand lit ci rideaux
verts, légèrement entrebâillés, laisse voir la blancheur des .draps.et des
oreillers. (III,Wa\111)., i ( . . . , '
Deux personnages seulement anime)1L cel intérieur un peu froid : /unë
jeune femme, la,nialadcr et un homme entre deux'ages,' le 'mé-
c1eci11 - debout derrière. elle. , . ? ...
La malade.est assise, une chaufferette sous les pieds,' le coude gauche
appuyé sur une table,' couverte d'un .lapis'rouge .à ornements noirs et
blancs, ;avec une serviette 'blanche, fine fiole et une sorte de panier : Ses
avant-bras sonl nus et elle croise nonchalamment ses mains sur sa taille;
(1) No l."i3 du Cat. l3redius (1801). Il. 2.\I : i, L. 1.10. Le pendant de ce tableau a été
vendu Il Londres en 1891.
(2) No G91 du Cat. Bredius (<S91). Legs L. Dupper. Très bon portrait sur un fond de
marine.
(3)N° G'J2 du Cat. Bredius (1891). II. 0,6'7. L. 0,53. Signé S. v. IL- Vendu en 1S33
8M llorill3. Collection' van der Iloop.
196 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
regardant en face, dans le vague. Elle est vêtue d'une robe bleu clair
et d'un caraco cle pique jaune bordé d'hermine ; un tablier a bavette d'une
étoffe blanche légère cache toute la moitié gauche de sa jupe. Sa tête est
prise clans une cornette blanche. A ses pieds, un chat est accroupi.
Derrière la malade et derrière la table, se tient debout le médecin, vêtu
de noir, une toque noire sur la tête. La tête levée, de' trois quarts, il
regarde le contenu d'une fiole qu'il élève de la main gauche à la hauteur
de son mit ; sa main droite qui tient des gants est appuyée sur sa poitrine.
Rien de plus.
De cette composition très simple se dégage un charme infini.
La pose de la jeune femme est pleine d'abandon el de nonchalance.
Son visage pâle, aux- traits doux et réguliers, ses yeux rougis témoignent
des mauvaises nuits passées sans sommeil.
Quel mal mystérieux est venu donner aux joues de cette belle personne
une si intéressante pâleur, ai tout son corps un tel alanguissement ?
C'est ce que le médecin, d'un air soucieux, cherche à pénétrer au travers
de la bouteille révélatrice. La lumière qui diffuse ses pâles rayons sur le
visage de la belle langoureuse, se joue en reflets dorés et on Iransparences
rougeâtres dans le contenu de la fiole uroscopique : contraste brutal qui
pourtant n'a rien de choquant, tant est noble et distinguée l'expression
des deux personnages.
Les scènes de ce genre ont été fréquemment reproduites par les peintres
hollandais. J. Steen, D. Teniers, G. Dou, etc., chacun à sa manière, les ont
traitées magistralement. Le médecin urologue jouissait alors d'un crédit
considérable. Comment n'aurait-on pas eu foi en l'habile hommequi, d'un
simple coup d'oeil, sans réactifs, sans instruments, souvent môme sans
interrogatoire, diagnostiquait la maladie avec autorité et instituait d'em-
blée son traitement ?
Le médecin de Van Uoogstraaten est, à n'en pas douter, un urologue
éminent; comme celui qui soigne la Femme hydropique de Gérard Dou. Il
pince les lèvres, cligne de l'oeil et fronce le sourcil de la bonne manière.
C'est un maître assurément. Ses clients habitent cle riches demeures ; lui
même est très soigneux de sa personne. Cependant son âge lui donne accès
auprès des femmes jeunes et belles, et il recueille leurs confessions.
Or, ce s'ont souvent des secrets bien délicats que révèle le conlenu de
ces fioles mystérieuses.
Nous serions mal en mesure d'en pénétrer le sens, si tous les artistes
's'étaient bornés, comme Van IIoogstraaten, à représenter seulement la ma-
lade et son médecin, sans personnages secondaires.
Mais parmi les peintres hollandais, il en est qui tout en reproduisant
avec hardiesse tout ce qu'on voit de la vie humaine, réservent encore un
/
. LES PEINTRES DE LA MÉDECINE ' 197
coin sombre-de leur tableau pour peindre ce qu'on ne voit pas, ou ce que
l'on feint de ne pas voir.
Ces audacieux ne dissimulent guère le diagnostic.
J. Steen place dans ses Visites du médecin de La Haye ou de Munich un
amour symbolique sur le coin d'une armoire on d'une cheminée, ou bien
il accroche à la muraille un tableau représentant des Centaures enlevant
des femmes nues, ou encore, dans les fonds, il laisse entrevoir quelque
vieille commère plaisantant un beau jeune homme qui sourit d'un air
entendu.
Schalken, derrière son Médecin empirique de la Galerie d'Aremberg, à
Bruxelles, cache mal un jeune garçon dont le geste trop significatif rensei-
gne amplement sur la cause de la maladie. Le médecin lui-même a grand
peine à garder son sérieux, et la plupart de personnages présents à la con-
sultation ont aussi des sourires équivoques ; seule, la malade semble trou-
ver la plaisanterie déplacée. -
Richard Brakenburgh est plus réaliste encore. L'attitude de sa malade
du Musée Boijmans, à Rotterdam, laisse facilement deviner la nature du
mal dont elle est atteinte.
Je ne fais que rappeler ces scènes de malades fréquemment reproduites
par les peintres hollandais et dont chacune sera le sujet d'une étude par-
ticulière.
Presque toutes sont considérées comme représentant des jeunes femmes
atteintes du « mal d'amour ».
Par comparaison avec les oeuvres analogues traitées par ces artistes plus
explicites que S. van Hoogstraaten, on est conduit à penser que La Malade
de la collection van der Hoop est de celles pour qui J. Steen a écrit cette
sentence :
Hier baat geon medicijn
Want het is minne pijn
Ici la médecine ne peut rien
Puisque c'est le mal d'amour.
« Mal d'amour », « fièvre d'amour », « maladie virginale », « ictère
blanc », « fièvre blanche », « pâles couleurs », « mal de langueur»,
« cachexie des jeunes filles », telles sont les principales dénominations cle
cette affection pour laquelle Jean Varandal, professeur à Montpellier, a
proposé le premier, en 1G15, le nom de « chlorose », maladie qui se dé-
veloppe, dit-il, « chez les jeunes filles les plus nobles et les plus belles,
chez les veuves ou autres, vivant dans l'abstinence de tout rapport sexuel. »
C'était déjà l'opinion d'Hippocrate et de Galien pour qui les « couleurs
verdâtres » étaient dues à la rétention du sang des règles, doctrine qui
fut admise sans conteste par les médecins du Moyen Age, de la Renais-
Vii{ 13
r
198 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
sance et jusqu'au XVIII6 siècle. Les études hématologiques récentes sont
venues modifier cette conception. La « cachexie virginale » est considérée
aujourd'hui comme étant sous la dépendance d'une altération des éléments
figurés du sang. C'est, pour employer le mot- un peu rébarbatif, mais
très précis -de M. Gilbert, une « hypoplasie angiohémalique ».
Voilà sans doute le diagnostic que le grave urologue à toque' noire
cherche à lire au fond de la fiole. Le liquide qu'elle contient a bien le ton
brun rougeâtre qu'il n'est pas rare d'observer dans l'urine des chloroti-
ques ; mais on peut douter que, par cet examen sommaire, le docteur re-
connaisse la présence des deux pigments caractéristiques, l'urobiline et
l'urohématine. - -
Que ne regarde-t-il plutôt le visage et le maintien de sa jeune cliente ?
Cette pâleur d'albâtre, ce teint de « cire vieillie », ces yeux humides et
fatigués, ces lèvres pâles, ces mains blanches et ces bras amaigris, cette
sensation de brisement du corps que l'on devine et celte rêverie que rien
ne distrait, voilà plus de symptômes qu'il n'en faut pour être édifié sur la
nature du mal. Et Samuel van lioostraaten a rendu tous ces détails avec
une remarquable expression de vérité, aussi bien dans la ligne que dans
la couleur.
Sa malade est une chlorotique.
Elle en a « les pâles couleurs », l'amaigrissement modéré, la fatigue
extrême, et l'on suppose bien qu'elle en a aussi l'état mental : la torpeur
des idées, et les rêvasseries obsédantes. C'est bien le mal de langueur, dont
la cause est souvent toute psychique, mal d'amour contrarié, si l'on veut
en croire Hippocrate qui avait déjà enseigné le remède.
Si, d'après un diagnostic fait sur peinture, il est permis de porter un
pronostic, on peut dire qu'il ne sera pas trop grave, à condition que la
bouteille uroscopique révèle au savant docteur le traitement efficace.
W. Burger, qui a décrit le tableau avec éloges (1), émet des doutes sur
la perspicacité du médecin. « Ce médecin là, dit-il, n'est pas si -subtil que
les médecins de Jan Steen, et il y a chance qu'il ne devine pas la maladie ».
Assurément, le praticien de Van IIoogstraalen n'a pas la douce bonho-
mie ni la compatissante ligure de son pendant du musée Van der Hoop (2).
Mais rien ne prouve qu'il soit plus ignorant. Il a d'ailleurs affaire à un
cas beaucoup plus grave. '
La Malade de J. Steen, bien qu'elle appuie nonchalament sa tète sur
un oreiller, et qu'elle abandonne mollement son bras au docteur, n'a pas
l'air bien dangereusement atteinte.
Son teint n'est pas inquiétant, ses yeux pétillent de malice, et ses lèvres
(1) W. Burger, Les musées de Hollande, t. II, p. 53.
(2) J. Steen, La Malade. Amsterdam, n° 1311 du Catal. Breius.
LES PEINTRES DE LA MÉDECINE 199
encore rouges sourient à demi. Malade d'amour,elle l'es t. peut-être, elle aussi,
mais pas de la même façon. Le médecin parti, vienne le remède absent,
elle décrochera la guitare pendue à la muraille el se mettra à chanter.
Tel l'est pas le cas de la triste cliente du médecin de S. van Iloogstraa-
ten. Ses lèvres décolorées ne sourient pas, son oeil est perdu dans une
rêverie maladive, el son pâle visage révèle une atteinte profonde. La ca-
chexie chlorotique a commencé son oeuvre de lent dépérissement.
Encore moins peut-on la comparer a d'autres « malades d'amour », chez
qui le mal n'est pas souleiiienlpsycliique, mais s'affirme nettement comme
la conséquence physiologique d'un « amour dont la flamme a été couron-
née ».
Jan Steen, dans plusieurs de ses tableaux, laisse aisément deviner que
la maladie suit un cours tout naturel. Schalken, 13raclcenburg ne dissimu-
lent même pas la proéminence caractéristique de cet « étal intéressant ».
Entre ces fantaisies réalistes et la tenue sévère et distinguée de la ma-
lade de Van Moogstraaten, il n'y a pas de rapprochement possible.
S'il n'était pas téméraire de proposer des diagnostics précis pour les
nombreux tableaux intitulés vaguement : La Malade on pourrait, ne fut ce
que pour faciliter les classifications, nommer celui de Samuel van Iloous-
taaten La Chlorotique.
Le Convive Indigne (1) est une importante composition religieuse qu'en
raison de l'absence de signature et de tout caractère personnel, on ne peut.
attribuer avec certitude à Samuel van Iloogstraaten. Maison peut affirmer
il coup sûr qu'elle a été exécutée sous l'influence de Rembrandt, et-qu'elle
ne serait pas indigne de ses meilleurs élèves.
Tout l'intérêt médical de ce tableau réside dans l'altitude et la physio-
nomie d'un personnage ligoité qu'emportent plusieurs hommes, et qui
mérite d'être rapproché des figurations analogues où le ligolté était selon
la croyance du temps, « possédé du démon », autrement dit en proie à
une crise d'hystérie.
Les analogies sont assez frappantes pour qu'une photographie de ce ta-
bleau ail été classée parmi les documents supplémentaires que Charcot et
Paul Bicher avaient réunis il la Salpêtrière, après la publication de leur
volume sur les Démoniaques dans l'Art.
Le document est resté inutilisé, faute do renseignements.
Une récente visite au musée d'Amsterdam m'a permis de voir de près
l'oeU\ re en question et, si j'ai pu me convaincre qu'il ne s'agit pas d'une
(t) N" G90 du 'canal. llredius (1891), II. 1,12. L. 1,06, Fig. 0,97, provient du
musée de la Haye, 1808, Acheté en 1802 comme Eeckiout.
200 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊT1UÈRE
figuration de démoniaque selon le type classique, il m'a paru que Le Con-
vive indigne pourrait être placé à côté des possédés justiciables cle la criti-
que médicale.
La scène est empruntée à un passage des Evangiles, selon St-Malhieu,
(Chapitre XXII). .
1° Jésus, parlant encore en parabole, dit : . ..
2° Le royaume des cieux est semblable à un roi qui fit les noces de son fils.
ao Il envoya ses serviteurs pour appeler aux noces ceux qui y étaien conviés ;
mais ils refusèrent d'y venir.
'1° Il envoya encore d'autres serviteurs avec ordre do dire aux convies : J'ai
préparé mou festin, j'ai l'ait tuer mes boeufs et tout ce que j'avais fait engrais-;
ser : tout est prêt, venez aux noces.
5° Mais il ne les écoutèrent pas et s'en allèrent, l'un il sa maison des champs,
l'autre à son négoce. '
6° Les autres se saisirent de ses serviteurs et les tuèrent, après, les avoir
accablés d'outrages.
7° Le roi l'ayant appris, fut irrité, et ayant envoyé ses armées, il extermina
ces meurtriers, et brûla leur ville. o. 1
8° Alors il dit ;f ses serviteurs : le festin des noces est prêt, mais ceux qui y
avaient été appelés n'en ont pas été dignes. '
9° Allez donc dans les carrefours, et appelez aux noces tout ceux que vous
trouverez.
10° Et ses serviteurs se répandirent dans les rues, rassemblèrent tous ceux
qu'ils trouvèrent, bons et mauvais, et la salle des noces fut remplie de convives.
11° La roi entra ensuite pour voir ceux qui étaient il table; et il vit un
homme qui n'était point revêtu de la robe, nuptiale...
12° Et il lui dit : Mon ami, comment êtes vous entré ici sans avoir la
robe nuptiale ? Et cet homme ne répondit rien.
13° Alors le roi dit il ses serviteurs : Liez-lui les pieds et les mains, et
jetez-le dans les ténèbres extérieures ; c'est la qu'il y aura des pleurs et des
grincements de dents.
1 ? Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus.
Telle est la donnée. Voyons maintenant comment l'artiste l'a comprise.
La scène' représente la salle du festin (i't. XXXIV).
Au premier plan, et en pleine lumière, debout, de profil, dans une at-
titude majestueuse, se tient le Roi, sur lequel l'attention est attirée dès
l'abord. Figure noble, à traits réguliers, barbe blanche entière et. longs
cheveux retombant en boucles sur le cou. Il est coiffé d'un épais turban
blanc, vert et or, surmonté d'une petite couronne d'or, ornée de pierre-
ries. Sur le côté, une grosse pierre précieuse maintient une aigrette blan-
che rejetée en arrière.
Son costume est somptueux : une robe blanche brodée d'or tombant jus-
Nouv ICUN041t UE LA SALPTJ(It.IH : . T. VIII. PL. XXXIV.
« LE CONVIVE INDIGNE O
(Ecole de Rtllllbrllllllt.)
au kiwi; Muséum d'Amsterdam.
L BATTAILLE ET C"
LES PEINTRES DE LA MÉDECINE 201
qu'à la cheville bordée d'hermine aux poignets, serrée au-dessus de la
ceinture par une écharpe verte et bleue à glands d'or. Sur les épaules, un
lourd et long manteau de pourpre à large bordure d'or et de pierreries,
retenu par une riche agrafe au devant de la poitrine. Aux pieds, des
chaussures également ornées de pierres précieuses.
Le bras et la main gauches sont cachés par ce manteau. D'un geste impé-
ratif, la main droite, qui tient un sceptre d'or, commande l'expulsion du
convive indigne contre lequel un chien aboie en montrant ses crocs.
Cette belle figure royale est traitée avec grandeur et hardiesse. On y re-
trouve, dans tous les détails, l'influence de Rembrandt : les jeux de lumiè- ,
rc largement distribués d'un côté, les clairs-obscurs très profonds ménagés
dans l'ombre, les empalements, et les frottis de brun qui donnent aux
blancs, aux bleus et aux verts une si curieuse valeur. On peut lui re-
procher cependant d'être un peu prétentieuse.
Le groupe de serviteurs qui emporte le convive expulsé occupe tout le
côté gauche de la composition. Il est d'un agencement heureux et d'une
belle couleur.
Au premier plan, deux hommes vigoureux, l'un le dos complètement
tourné et la tète baissée tient les jambes, l'autre, de profil, maintient d'une
main le bras gauche du convive, et de l'autre soutient son épaule droite.
C'est un solide gaillard bien pris dans une sorte de cuirasse rose et or,
une ceinture vert foncé autour des reins ; sa belle tète, encadrée de che-
veux bruns bouclés,, se détache hardiment à côté d'une figure de vieillard
à barbe et à cheveux blancs qui occupe avec plusieurs autres personnages,
dont un nègre, l'arrière-plan de ce groupe très mouvementé et très vivant.
Le convive indigne est enlevé précipitamment les pieds les premiers par
ces serviteurs robustes. Il est vêtu d'une robe brun verdattre larges
manches; sur la poitrine apparaît la chemise entr'ouverte au col. On ne
voit de lui que ses épaules, ses deux bras ligottés au poignet, et à sa tête.
Cette tète, brusquement renversée en arrière, est d'une exécution
magistrale. La pâleur extrême du visage, éclairé de reflets légèrement ver-
dâtres, les yeux qui regardent en haut et en arrière avec une expression
de supplication languissante, la bouche entr'ouverte d'où semble s'échap-
per un dernier appel à la pi lié et à la clémence, tout cela est d'un effet sai-
sissant et commande l'émotion. C'est là qu'est la partie la plus intéressante
de l'oeuvrc. C'est là surtout que l'artiste a fait preuve d'une originalité
bien réelle, abandonnant, sans démériter, les procédés du maître qu'il a
si scrupuleusement suivis pour exécuter la ligure du Roi.
Le reste de la composition est d'un intérêt secondaire. La partie droite
est occupée par deux jeunes enfants aux cheveux bouclés, l'un blond, l'au-
tre brun, deux petits pages souriants qui portent la queue du manteau
202 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
, royal. Devant eux une table avec un tapis, un plat et uqe aiguière renver-
sée. Derrière eux, deux valets affairés apportent des victuailles. Ces der-
nières figures sont asse : f3ncgligées.
Le fond de la toile représente la table du festin chargée de riche vais-
selle. Les convives les plus éloignés sont vus de face, les autres de dos.
Parmi ces derniers, un homme pauvrement vêtu se retourne d'un air
maussade vers l'expulsé. A sa droite, une vieille femme se penche pour lui
parler; ses 3 eux enfoncés sont presque clos : on dirait une aveugle.
Le passage des Evangiles qui a inspiré ce tableau ne permet guère de
croire à première lecture qu'il s'agisse d'une scène de possession. On s'ex-
plique mal cependant la nécessité de faire lier les bras et les jambes d'un
homme pour le mettre il la porto, quand une dizaine de serviteurs vigou-
reux sont là pour se charger de ce soin. Le convive indigne ne s'est pas
prêté de bonne grâce il cetle expulsion inattendue, et il a dû faire une sé-
rieuse résistance comme en témoigne le désordre de ses vêtements.
Or, il faut se rappeler que, dans les figurations religieuses, les possédés
ont souvent les membres ligottés.
J'ai vu dernièrement dans la cathédrale de Malines une Guérison de
Possédé qui fait partie d'une série de vingt-cinq panneaux sur bois,
peints par un inconnu de l'Ecole Flamande du XIV. siècle et représentant
la vie de Saint Bombant. Ce possédé qui est particulièrement intéres-
sant par ses attitudes et son faciès, a les bras et les jambes emprison-
nés dans des menottes en l'et- qui paralysent tous ses mouvements. Je si-
gnale en passant ce document nouveau qui s'ajoute à ceux qu'on a recueillis
sur ce sujet.
Le tigottage du Convive indigne pourrait donc être, il défaut de plus am-
ples renseignements, un argument en faveur de la possession diabolique.
. D'autres détails permettent-ils de supposer que l'auteur du tableau ait
eu l'intention de représenter un possédé ?
La le le est rejetée en arrière, le cou proémine, la bouche est entr'ou-
verte et les yeux renversés vers le haut laissent voir largement le blanc de
la sclérotique. Tout ceci n'est pas en contradiction avec certaines attitudes
des hystériques. Mais la bouche n'est pas crispée, la langue ne sort pas, et
les yeux sont simplement relevés sous la paupière supérieure. Ce n'est pas
l'aspect du visage dans la variété démoniaque de la crise d'hystérie. On
dirait plutôt que le Convive indigne ¡cuL de tomber en attaque En tout cas,
la pâleur du visage, l'abandon de la tète, le renversement des yeux et l'ou-
I verture de la bouche autorisent penser qu'il s'agit d'un ictus nerveux.
Reportons-nous maintenant à la parabole de St-Malhieii :
' On avait convié au repas de noces tout le peuple recruté dans les carre-
fours, « bons ou mauvais » (9.IU).
LES PEINTRES DE LA MÉDECINE 203
Les bons revêtirent de somptueux habits c'est-à-dire témoignèrent
de leur désir d'honorer le Seigneur. Les mauvais n'en firent rien.
Or, « le roi étant entré pour voir ceux qui étaient à table, vit un homme
qui n'était pas revêtu de la robe nuptiale » - un homme qui n'avait rien
fait pour mériter le royaume des cieux (2). -Et il l'expulsa « là où il v a
des pleurs et des grincements de dents » (-13) c'est-à-dire en enfer,
avec les démons.
Il n'est pas inadmissible que l'artiste chargé d'interpréter le passage de
Saint Mathieu, pour bien montrer l'état d'impureté du Convive indigne, ait t
cherché à le représenter comme possédé du démon.
Les paraboles des Evangiles prêtent bien des interprétations. Et celle-ci
n'est en contradiction ni avec le texte ni avec l'esprit du chapitre. La
« robe nuptiale » n'est ici qu'une figure, et le peintre l'a bien compris,
car si l'on voit assis à la table du festin des personnages révolus d'habits
magnifiques, il en est d'autres, - tels que l'homme qui se retourne brus-
quement et sa voisine, la femme aveugle, -- qui portent des vêlements
très vulgaires. Les bons se cachent indifféremment sous le manteau du riche
comme sous la robe du pauvre.
Pour symboliser l'esprit du mal, il fallait en figurer une manifestation
objectivement saisissable ; l'artiste a choisi celle qui de son temps sem-
blait la plus évidente : il a représenté un possédé du diable, c'est-à-dire
une phase de l'attaque hystérique. -
Il lui a répugné sans doute de représenter dans une scène aussi impo-
sante les contorsions violentes et la grimaçante mimique des démoniaques,
telles que les peintres flamands, Rubens et Jordaens surtout, les ont repro-
duites si souvent.
Il a été séduit par une attitude moins désordonnée, mais non moins
émouvante, de l'attaque d'hystérie.
Dans cette interprétation hypothétique, il serait hasardeux de s'aventu-
rer et de préciser davantage. Mais ainsi peuvent s'expliquer les analogies
qui rapprochent le personnage du Convive indigne des autres représenta-
tions de possédés.
On doit encore rapprocher la figure du Convive indigne d'une peinture
signée du nom d'un des meilleurs élèves de Rembrandt, le Rêve de Jacob
par F. Bol, an musée de Dresde.
La tôle du Jacob endormi, couché près d'un buisson, les yeux clos, la
bouche demi-ouverte, offre les plus grandes analogies avec celle du con-
vive indigne ; le même modèle semble avoir inspiré les deux peintres, à
moins qu'on ne veuille regarder le tableau du musée d'Amsterdam comme
étant, lui aussi, de la main de F. Bol.
Une telle supposition n'aurait rien d'invraisemblable, F. Bol (IG09-
201 NOUVELLE ICONOGItAI'171G DE LA SALPÊTRIÈRE
4G8'I) et Samuel van lïoogstraaten (1G27-IG78) Jurent contemporains et
travaillèrent l'un et l'autre dans l'atelier de Rembrandt.
Les autres tableaux de S. van lloostraaten ont moins de similitudes
que ceux de F. Bol avec le Convive indigne. Dans le Songe de Jacof¡ en par-
ticulier, outre la ressemblance frappante des deux personnages principaux
(Jacob d'une part, le Convive indigne de l'autre), on retrouve derrière le
dormeur une tête d'enfant qui semble la réplique de celle du petit page qui
porte la queue du manteau royal. Les draperies de l'ange qui se dresse
majestueusement devant Jacob sont aussi traitées dans le môme goût.
La pose un peu prétentieuse de cet ange rappelle enfin l'attitude empha-
tique durci. C'est un reproche dont ne sont pas exempts plusieurs person-
nages de F. Bol, surtout dans ses dernières oeuvres.
En l'absence de signature, et en raison de ces analogies, il est donc per-
mis de supposer que le Convive indigne fait partie de l'oeuvre de F. Bol.
La plus grande réserve s'impose cependant lorsqu'il s'agit d'attribuer un
nom d'auteur aux toiles non signées de l'Ecole de Rembrandt, et l'on com-
prend que le Convive indigne, malgré ses réelles qualités d'ordonnance
el d'exécution, soit resté jusqu'à présent au nombre des tableaux dont
l'anonymat déprécie totalement la valeur.
Le gérant : Louis 13nTrnm.5.
Imp. Vvr Lounuor, 33, rUe des 13a61gnolles,l'aris.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA SALPÊTRIÈRE
LA LÉSION MÉDULLAIRE
DE -
L'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET
par
GILLES DE LA TOURETTE et MARINESCO.
Nous avons eu l'occasion de faire deux autopsies d'une affection assez
rare, la Maladie osseuse de Paget, et deux fois nous avons rencontré dans
la moelle des lésions qui nous paraissent mériter l'attention des observa-
teurs. Leur description ressortira de l'exposé que nous allons en faire.
La première autopsie a trait au malade dont l'un de nous, avec M. Mag-
delaine, a donné l'histoire clinique dans le numéro de janvier 1894 de la
Nouvelle Iconographie de la Salpêtriè1'e (1).
Il s'agissait d'un homme de 49 ans exerçant la profession de mégissier,
chez lequel l'affection paraissait avoir débuté, huit ans auparavant, par la
jambe droite pour se généraliser ensuite à presque toutes les pièces du
squelette. En effet, il l'inverse de ce que l'on observe généralement, non
seulement la plupart des os longs étaient atteints mais encore les os du
crâne et de la face étaient hypertrophiés. Déplus, les os du tarse des deux
côtés et surtout les 2e et 3e métarcapiens droits étaient beaucoup plus vo-
lumineux qu'à l'état normal. La maladie avait donc eu une certaine ten-
dance à évoluer vers l'acromégalie, ce mot étant pris dans son sens géné-
ral etnon spécial, ou mieux spécifique, applicable l'affection décrite par
M. P. Maire.
Le malade mourut d'asystolie ainsi qu'il arrive si souvent en pareils
(l) GILLES de \ TOUIIETTI : i : r Lcor.ms. Sur un cas d'ostéite déformante de Paget.
Nouv. Icon. de la Satp., n- 1, 1894, p. 1.
vin lk
206 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE'
cas. Pendant la vie, les réflexes rotuliens avaient été constatés normaux.
Il n'avait existé ni troubles des sphincters ni phénomènes sensitifs, objec-
tifs ou subjectifs.
Nous passons sur les résultats généraux de l'autopsie. Nous nous con-
tenterons de faire remarquer que l'examen chimique des os pratiqué par
M. le Dr Cathelineau, chef du laboratoire de chimie de M. le professeur
Fournier à l'hôpital Saint-Louis, montra que la proportion des matières
organiques du squelette qui, par rapport à la proportion des matières
minérales peut varier normalement entre 25 à ! ! 2 p. zoo, n'était plus
dans le cas actuel, pour le tissu osseux sec, que de 18 à 70p. 100, c'est-à-
dire presque moitié inférieure à la proportion normale.
En même temps la chaux était augmentée dans ses combinaisons avec
l'acide phosphorique et l'acide carbonique ; on notait ce fait particulier
d'une forte proportion de carbonate de chaux. Par contre la magnésie
n'entrait que pour une faible proportion dans la composition des cen-
drès.
M. A. Gombault, directeur du laboratoire d'anatomie pathologique de
la Faculté, auquel nous adressons nos remerciements, voulut bien, sur
notre demande, faire lui-même l'examen pathologique des os. Malheureu-
sement les pièces que nous lui envoyâmes étaient déjà sèches, ayant été
préparées en vue de leur conservation dans le musée Dupuytren. De ce
fait M. Gombault ne pût que nous remettre la note suivante :
« L'examen au microscope ne révèle guère que ce que montre très bien
l'examen à l'oeil nu de la pièce sèche. Raréfaction de l'os à la surface,
raréfaction au voisinage immédiat du canal central. Etal compact con-
servé avec raréfaction commençante dans la zone intermédiaire. La raré-
faction superficielle est la plus importante et pénètre très loin. Sur certains
points elle rejoint la raréfaction centrale en sorte qu'il y a des îlots d'os
compact complèlemenls isolés. Cette raréfaction est par endroits très forte
car il existe des régions où l'os l'orme une très fine dentelle à mailles très
larges.
« Il ne semble pas qu'il y ait formation d'os nouveau. Les canaux de
il,ivei-s.5'élai-gisseiit, communiquent les uns avec les autres, mais restent
orientés normalement, c'est-à-dire parallèlement à la longueur de l'os.
On n'en voit pas qui deviennent perpendiculaires soit à la surface exté-
rieure, soit au canal central.
« Etant donnée la préparation déjà subie par les os, on ne peut rien
dire du périoste et de la moelle. Cependant celle-ci est abondante dans
les canaux élargis : il semble qu'elle se dispose plutôt suivant le mode
fibreux et qu'elle contienne plus d'éléments cellulaires fusiformes que
d'éléments ronds ».
LA LÉSION MÉDULLAIRE DE L'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 207
L'examen macroscopique du système nerveux central, sauf un état
oedémateux du cerveau, qui participait du reste à l'infiltration de tous les
tissus d'un individu mort en asystolie, n'avait révélé rien de particulier.
Le cervelet, le bulbe parurent également normaux. La moelle épinière
avait été enlevée et parut saine à un examen macroscopique. Une partie
cle la moelle cervicale resta adhérente au bulbe, l'autre ne fut peut-être
pas extraite du canal rachidien car nous n'avons retrouvé dans le liquide
de Millier où elle avait été immédiatement placée que la moelle dorsale et
lombaire.
L'examen que nous en avons fait après durcissement nous a révélé
l'existence de lésions des cordons postérieurs qu'aucun trouble pendant
la vie n'avait pu nous faire prévoir. Elles sont,cependant d'une certaine
importance, non seulement parce qu'elles permettent peut-être d'établir
des rapprochements enlre la maladie de Page ! et certaines affections spi-
nales il déterminations osseuses (exemple le tabès), dans lesquelles on ob-
serve des troubles trophiques du côté des os, mais encore parce que leur
connaissance provoquera désormais, nous l'espérons, l'examen minutieux
(clinique et anatomique) du système nerveux jusqu'alors assez négligé
dans l'ostéite déformante. Voici, du reste, ce que nous avons constaté
(fig. 52). Ajoutons qu'il n'a pas été recueilli de nerfs périphériques.
La moelle enlevée n'a pas été examinée microscopiquement à l'état
frais. Elle a été mise à durcir dans une solution de bichromate de po-
tasse (liqueur de tlIüller). Une fois durcie, on constate il l'oeil nu dans la
région des cordons postérieurs, une coloration jaune pâle qui tranche
d'une façon très nette sur le fond plus foncé du reste de la substance
blanche. Celle altération existe surtout dans tout le trajet de la région
dorsale; elle est très peu accusée au niveau de la région lombaire où il
est même difficile d'affirmer son existence. Sa topographie est variable
Fig. : ;2.
208 Nouvelle iconographie DE La SALPÊTRIÈRE
suivant le niveau des coupes de la région dorsale. La zone radiculaire
moyenne est partout respectée. Près du sillon médian postérieur, la dé-
coloration n'est pas aussi accentuée. Sur des morceaux de moelle qui ont
été traités par l'acétate de cuivre, ces différences de coloration existent
constamment à l'oeil nu. Cependant si on fait des coupes et qu'on les co-
lore avec du picro-carmin ou par la méthode de Weigert-Pal on constate
que les régions si altérées à l'oeil nu le sont beaucoup moins an réalité 1
microscopiquement. En effet, le picro-carmin ne fait voir'dans la partie
. des cordons postérieurs que nous avons trouvé altérée macroscopique-
ment, qu'une raréfaction légère des fibresinerveuses avec un peu d'épais-
sissement du tissu de soutènement. On ne constate pas de véTit sclé-
rose des cordons postérieurs. Il est vrai que les fibres à il]3,Cli4 soi plus
clairsemées dans les régions des cordons postérieurs qui avoisinent l"sil-
lon postérieur et clans la zone radiculaire postérieure. Cependant," il est a
bon de noter que ces fibres qui semblent dégénérées ne constituent pas un
ensemble qui puisse donner l'impression d'nne véritables clérose des cor-
dons postérieurs. Notons ensuite qu'un bon nombre des fibres nerveuses
à myéline, des régions qui paraissent malades à l'oeil nu, ne fixant pas
d'une façon intensive ia laque chromo-hénialoxylique.
Les cornes antérieures sont intactes. Les colonnes de Clarke paraissent
saines. Les racines antérieures et postérieures semblent normales,
Microscopiquement, on trouve également dans la partie postérieure du
cordon latéral, une diminution des libres il myéline qui se traduit par
une teinte pâle de cette région, constatable également à l'oeil nu sur des
1 coupes.
Dans la région lombaire, on constate à l'oeil nu, mais très atténuées, les
mêmes lésions que le microscope relève également, mais avec une sem-
blable atténuation.
Les résultats que nous venons d'exposer furent communiqués à la So-
ciété médicale des hôpitaux dans la séance du 1 juin 1894.
Ils appelaient de nouvelles recherches, la région cervicale 'de la moelle
n'ayant pas été examinée, et les nerfs périphériques n'ayant pas été re-
cueillis.
Le 21 juin 1894, nous faisions une deuxième autopsie. Il s'agissait d'un
homme de 59 ans chez lequel la maladie était cliniquement aussi caracté-
risée que possible. Il succomba à une congestion pulmonaire et à un oedème
généralisé. Ajoutons que jamais il ne présenta de phénomènes pouvant
faire soupçonner une affection du système nerveux : paralysies, douleurs
diverses, troubles des sphincters. Les membres inférieurs étaient oedéma-
tiés à un tel degré que l'appréciation des réflexes rotuliens était impos-
sible.
NOUVELLE Iconographie DE la SALPÊTRIÈRE
T. VIII. PL. XXXV.
COUPES DE LA MOELLE (RÉGION DORSALE)
DANS UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET
LA LÉSION MÉDULLAIRE DE L'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 211
L'examen macroscopique des nerfs périphériques révéla les particulari-
tés suivantes. Les nerfs sont considérablement augmentés de volume. C'est
ainsi que le sciatique gauche, au niveau de la fesse, mesure 18 millimètres
de diamètre. Le sciatique poplité gauche au niveau du jarret mesure un
centimètre de diamètre. Ajoutons que ces nerfs siègent au milieu de tis-
sus oedématiés d'une façon chronique, ce qui pourrait peut-être, au pre-
mier abord, être invoqué pour expliquer ces particularités.
Les lésions macroscopiques de la moelle que nous avons rencontrées ont
leur maximum dans la région dorsale particulièrement dans la région
moyenne et inférieure (Pl. XXXV).
Ces lésions sont constatables à l'oeil nu sur la moelle à l'état frais ; elles
donnent même immédiatement une idée très nette de la topographie de
la région envahie. '
Dans les préparations traitées par la méthode de Pal, on constate que
la zone radiculaire moyenne et toute la bande de substance blanche qui
avoisine la corne postérieure et qui se dirige vers la commissure posté-
rieure sont normales, tandis que la partie médiane des cordons postérieurs
et la zone radiculaire postérieure (de la nomenclature de Flechsig) tran-
chent par leur coloration pâle sur les régions précédentes. Ces différences
de coloration dans les cordons postérieurs existent sur toute l'étendue de
la région dorsale inférieure et moyenne et sont encore plus évidentes
quand on considère les coupes par réflexion au lieu de les examiner par
transparence. A l'examen microscopique on voit que cette pâleur est en
relation avec une raréfaction des fibres nerveuses. Sur des préparations
traitées par la fuchsine (ancienne méthode de Weigert) on constate que
dans cette région pâle le nombre des fibres fines comparativement aux
fibres grosses est plus grand que dans la région radiculaire moyenne et que
le tissu interstitiel est légèrement épaissi.
Le triangle de substance saine qui avoisine la corne postérieure affecte
une topographie variable dans la région lombaire supérieure et dans la
région dorsale. l
Dans la région lombaire supérieure et moyenne où la lésion n'est pas
aussi prononcée que dans la région dorsale inférieure et moyenne, les
deux triangles de substance saine s'avancent vers le sillon postérieur, tan-
dis que dans la région dorsale inférieure et moyenne ces triangles de
substance saine s'écartent et sont séparés par une bande de subtance alté-
rée. Il en résulte une configuration tout à fait particulière qui diffère de
celle du labes dont la lésion porte essentiellement sur la région radicu-
laire moyenne.
Les racines postérieures et les colonnes de Clarke sont intactes en ce
212 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTRIÈRE
qui regarde leurs fibres nerveuses. De même semble intacte la zone de
Lissauer. m
Les cornes antérieures et postérieures, les racines antérieures et posté-
rieures sont saines.
Dans les préparations traitées par la fuchsine et par le carmin, on cons-
tate une injection considérable de la substance grise antérieure et posté-
rieure etaussi de la substance blanche dans le domaine des vaisseaux du
sillon postérieur.
Nous avons noté que les troncs nerveux des membres inférieurs en
particulier subissaient une augmentation de volume plus marquée dans le
sens transversal. Ces troncs nerveux étaient oedématiés.
,
A ces lésions macroscopiques correspondaient des altérations microsco-
piques consistant dans l'hyperplasie de la gaîne lamelleuse des faisceaux
nerveux et dans l'augmentation du tissu conjonctif intra-fasciculaire.
Les faisceaux nerveux qui se trouvent disséminés dans le tissu conjonctif
périfasciculaire sont quelquefois divisés par les cloisons conjonctives qui
partent de la face interne des gaines lamelleuses en 2 ou 3 faisceaux se-
condaires. La gaîne lamelleuse présente une hypertrophie concentrique et
constitue quelquefois un gros anneau autour des faisceaux nerveux. Le
tissu conjonctif qui se trouve à la face interne des gaines lamelleuses est
riche en élément cellulaires et présente une vascularisation considérable.
Les fibres nerveuses ne sont pas altérées ou sont plus clairsemées à l'in-
térieur de ces faisceaux nerveux.
La lésion que nous avons constatée macroscopiquement est donc sous
la dépendance de la prolifération du tissu conjonctif des gaines lamelleu-
ses et du tissu intrafasciculaire (périendonévrite).
Le bulbe, la protubérance et l'encéphale nous ont paru sains.
Quelle est maintenant la signification des lésions que nous avons cons-
tatées dans la moelle et dans les nerfs phériphériques.
Dans notre première communication, en présence d'un fait jusque-là
unique nous nous étions demandés en ce qui regardait la moelle que nous
avions seule examinée s'il ne s'agissait pas d'une lésion artificielle due au
durcissement. Nous avions éliminé cette hypothèse par ce fait que l'alté-
ration avait un caractère systématique, intéressant les cordons portérieurs,
surtout dans la région dorsale. Il était bien difficile d'admettre que l'ac-
tion du durcissement se fût uniquement exercée sur cette partie.
L'existence de semblables altérations dans un second fait montre qu'il
s'agissait bien là de lésions spontanées et non provoquées.
Nous nous étions aussi demandés si ce n'était pas là une lésion contln-
gente accidentelle pour ainsi dire, analogue à celles que l'on observe chez
LA LÉSION MÉDULLAIRE DE L'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 213
les personnes âgées par exemple. Nous ferons la même réponse pour que la
précédente objection.
Les lésions que nous avons notées dans deux cas consécutifs semblent
donc bien appartenir à la maladie osseuse de Paget.
Ceci admis, si nous essayons de pénétrer plus avant dans l'intimité du
processus, nous remarquerons que, dans la moelle, l'altération est consti-
tuée par une lésion d'origine probablement endogène attendu que les fi-
bres des racines postérieures sont intactes. Cette lésion cantonnée dans
certaines parties des cordons postérieurs n'est pas une véritable sclérose,
bien que le tissu interstitiel, la névroglie soit en légère prolifération.
L'examen à un fort grossissement nous a fait voir dans la partie médiane
du cordon postérieur qui avoisine le sillon postérieur un très grand nom-
bre de fibres fines, résultat, pensons-nous, d'un processus d'atrophie de
ces fibres nerveuses.
Quant aux nerfs que, dans ces cas, nous avons trouvés augmentés de
volume, ils sont le siège d'une névrite interstitielle très probablement d'o-
rigine vasculaire.
Il est vrai que nous avons noté aussi une congestion très intense de la
moelle et qu'on pourrait admettre que les lésions médullaires seraient
,aussi dues à des troubles de circulation. Cependant il importe de faire
remarquer que cette congestion médullaire qui était beaucoup moins mar-
quée que dans notre premier cas, semble récente et en rapport avec l'as-
phyxie à laquelle le malade a succombé.
Nous ne dirons qu'un mot des relations qui pourraient exister entre
les altérations osseuses de la maladie de Paget et les lésions du système
nerveux que nous avons rencontrées.
Dans notre première communication, nous avons émis l'hypothèse, sous
toutes réserves, que ces altérations osseuses seraient des troubles tro-
phiques dépendant des lésions médullaires. Le cas nouveau que nous pu-
blions n'infirme ni ne corrobore cette opinion dont la consécration ré-
clame encore de nouveaux faits.
LA PELADE POST-ÉPILEPTIQUE,
par
CH. FÉRÉ,
Médecin dé Bicétre.
Les troubles trophiques du système pileux à la suite des chocs nerveux
ont été observés principalement sous forme de canitie, mais aussi sous
forme d'alopécie (1). A la suite d'attaques d'hystérie, on peut aussi ren-
contrer une sécheresse particulière des cheveux qui se divisent à leur ex-
trémité (2). A la suite des paroxysmes épileptiques, on observe encore des
troubles trophiques des cheveux : Reinharta cité un enfant qui présentait
de temps en temps des changements de couleur ; plus souvent, ce sont de
simples changements de tons qui paraissent tenir à la sécheresse des che-
veux (3).
J'ai eu occasion plusieurs fois d'observer chez les épileptiques de mon
service des plaques de pelade qui guérissent sans aucun traitement et gé-
néralement assez vite. '
Si la contagion ne pouvait pas être constalée dans le service, on ne
pouvait pas répondre qu'elle n'avait pu se faire au dehors, les malades
obtenant facilement des sorties, même de plusieurs jours. Il était permis,
cependant en raison de l'évolution des lésions, d'en soupçonner l'origine
nerveuse. Mais les conditions étiologiques n'étaient pas faciles à établir
quand il s'agissait de malades ayant des accès fréquents et qui en général
n'étaient pas suivis de troubles trophiques de ce genre. Un seul malade a
été atteint deux fois .
La relation dé la cause à l'effet est plus facile à établir quand il s'agit
de malades qui n'ont que des accès rares et quand la pelade à évolution
(1) Cil. Fi'.ot, La pathologie des émotions, 1892, p. 2ai.
(2) Ch. Féré, Note sur un trouble trophique des cheveux survenant à la suile des
attaques chez les hystériques (C. Il. Soc. de biol., 1885, p. 394).
(3) Ch. Déité, Les épilepsies et les épileptiques, 1890, p. 216.
LA PELADE POST-ÉPILEPTIQUE 215
si spéciale se manifeste immédiatement après. J'ai déjà eu l'occasion d'ob-
server un cas de ce genre il y a plusieurs années (1) :
Ons. I. Un épileptique de 32 ans à des attaques convulsives et des vertiges
depuis l'âge de 13 ans. Les attaques se reproduisent environ une fois par se-
maine, et les vertiges un peu plus souvent.
Depuis 4 ans qu'il est soumis il la bromuration progressive (il prend aujour-
d'lui dix grammes de bromure de potassium par jour), les vertiges ont à peu
près complètement disparu, et les attaques sont devenues moins fréquentes
il lui arrive d'être tranquille pendant 2, 3 et même 4 mois.
Cependant le bénéfice est moins considérable que le malade lui-même ne se
l'imagine, parce que. les attaques qui autrefois étaient isolées, se montrent main-
tenant par séries de 2 ou 3, qui laissent en général après elles un abattement
considérable qui dure 2 ou 3 jours, et incomparablement plus profond que celui
qui suivait les attaques isolées.
Il n'avait eu aucun accès depuis le 26 mars (1891), lorsque le 30 juillet, il
eut à une heure d'intervalle deux accès convulsifs très violents à la suite des-
quels il a dû rester couché. -
Deux autres accès se produisirent dans la nuit suivante. Le malade, bien que
plus abattu que d'ordinaire, s'alimentait; on s'occupa de lui d'une façon à peu
près constante pendant 2 jours, et il est bien certain qu'à ce moment ses che-
veux, coupés d'ailleurs très courts ne manquaient en aucun point. Le 2 août
au matin, le malade trouva son oreiller jonché de poils, et il constata l'existence
de plaques dénudées qui étaient le siège d'une très légère démangeaison.
Ces plaques étaient au nombre de quatre, trois dans la région pariéto-occipi-
tale gauche et une plus grande, un peu à droite du tourbillon des cheveux. Ces
plaques étaient absolument blanches et régulièrement arrondies, il n'y restait
aucune trace de poils, la pression n'y déterminait aucune empreinte. A leur
limite, les cheveux semblaient absolument sains ; ils étaient réguliers, sans au-
cune altération de coloration, ne se laissaient pas arracher. Du reste, les quatre
plaques ont été mesurées dans le sens antéro- postérieur et dans le sens trans-
versal, et leurs dimensions n'ont pas varié dans la suite. La démangeaison a
disparu au bout de peu de jours. L'oedème du cuir chevelu a été recherché à
plusieurs reprises sans résultat.
Le 18 août, on a commencé à voir de petits poils se montrer uniformément
sur toute l'étendue des plaques, excepté sur la plaque du côté droit la plus
grande (22 millimètres sur 26) où ils sont manifestement plus visibles au
centre qu'à la périphérie. * \
Depuis cette époque, les poils ont repoussé graduellement avec leur couleur.
Il est complètement impossible au commencement d'octobre, lorsque tous les
cheveux venaient d'être coupés, de distinguer l'ancien emplacement des
plaques.
(1) C. li. de la Sac. de Biologie, 1892, p. 18.
216 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Depuis lors le malade a encore eu deux séries de trois crises, mais la chute
des cheveux ne s'est plus reproduite.
L'observation suivante présente les plus grandes analogies avec celle-ci
mais son intérêt se trouve relevé par les photographies que nous avons
pu faire prendre en temps opportun :
OBS. II. D..., 28 ans, est à Bicêtre depuis 1883, il est épileptique depuis
l'âge de 13 ans, il avait eu des convulsions dans l'enfance comme ses huit frè-
res. Il a des attaques et des vertiges. Sous'l'influence de la bromuration ,pro-
gressive, les paroxysmes ont diminué notablement.
. Dans la nuit du 15 au 16 décembre 1894, il a eu quatre accès consécutifs,
n'en ayant pas eu depuis plusieurs semaines. Dès le lendemain on remarqua
que les cheveux tombaient, et au bout de deux jours le cuir chevelu avait pris
l'aspect qu'il devait garder pendant plusieurs semaines.
.. Les photographies .1 et (Pl . XXXVI) prises le 21 décembre rendent bien
compte de la situation. On peut compter sur toute l'étendue du cuir chevelu
plus.de 50 plaques dénudées. La plupart ont l'étendue d'une pièce de cinquante
centimes ou d'une pièce de 1 franc. Elles sont en général régulièrement arron--
dies et disséminées sans règle. A la partie postérieure et à droite on voit 3 ou
4 plaques conglomérées, mais dont la forme circulaire est bien reconnaissable :
sur la région fronto-pariétale vers la droite de la ligne médiane, il existe une
plaque dénudée beaucoup plus étendue et ayant six centimètres dans le sens
antéro-postérieur et 4 et demi dans le sens transversal.
Toutes'ces plaques ont un aspect uniforme, toute trace de poils a disparu,
la peau est lisse et saine sans aucune desquammation, sans aucune trace de
grattage, sans oedème. Elles ne sont le siège d'aucune sensation morbide, mais
la sensibilité y paraît normale ; toutefois il faut noter que l'état mental du sujet
ne se prête pas une étude convenable. Sur la limite des plaques les poilssont
absolument normaux et leur implantation est solide. -
Dans les deux jours qui ont suivi, les plaques occipitales paraissent s'être
légèrement étendues, surtout celles qui sont réunies. A partir de cette époque
toutes sont restées stationnaires. 1
Le 21 lévrier, on constatait que les plus petites plaques étaient couvertes de
petits poils fins sur toute leur étendue, on n'en apercevait que quelques-uns
sur les plaques moyennes et aucun sur la grande plaque frontale. Les plus pe-
tites plaques se sont comblées au cours du mois de mars.
. Dans le mois suivant, les plaques conglomérées et les plaques qui avaient
primitivement les dimensions de 1 franc se sont garnies de poils un peu pâles
d'abord puis plus foncés.
Le 20 mai toutes les plaques des régions postérieures et latérale sont disparu,
et il est impossible de distinguer leur position par la couleur des cheveux. A
cette époque la grande plaque frontale persiste; elle est toujours assez réguliè-
NOUV ICONOCR DE LA SALPtTR ! ÈRF T. \111 PL. XXXVI E XXX\1T.
PELADE POST-EPILIPTIQUE
L. BATTAILLE ET C"
LA PELADE POST-ÉPILEPTIQUE 217
rement ovalaire, et elle ne fait que commencer à se couvrir de petits poils fins
et peu colorés. Mais la croissance a été très lente, et ce n'est guère que vers la
fin de juin que les poils ont repris leur densité, leur volume et leur couleur,
de telle sorte qu'on ne peut pas reconnaître le siège de la lésion ancienne.
Les photographies III et IV (Pl. XXXVII) ont été prises le 8 juillet, les che-
veux étant coupés de façon à ne pas laisser échapper une différence de nuance
sur une région limitée. On n'y voit que des traces linéaires d'anciennes cicatrices.
Dans ce cas comme dans le premier, l'évolution des lésions n'a été
troublée par aucune intervention médicale soit générale, soit locale; on
peut dire qu'elle a été absolument spontanée.
La similitude de ces deux faits et leur ressemblance avec ceux que j'ai
fréquemment observés sans pouvoir préciser aussi nettement le mode de
début, me semblent de nature à permettre de caractériser cette alopecie
post-épileptique.
A la suite des accès sériels surtout, on voit se produire chez quelques
épileptiques une chute de cheveux, sous forme de plaques généralement
multiples, assez régulièrement arrondies, atteignant à peu près d'emblée
leurs dimensions définitives, ne présentant jamais aucune trace de con-
gestion ou de lésions de grattage, ni d'altération de la peau ou des cheveux ,
ni à leur surface, ni à leur périphérie, et guérissant spontanément dans
l'espace de quelques semaines ou de quelques mois.
Ces faits qui par leur évolution rappellent la pelade nerveuse méritent
d'être rangés parmi les troubles trophiques post-paroxystiques de l'épi-
lepsié.
INFANTILISME CHEZ LA FEMME
par
HENRY MEIGE.
Le terme d'Infantilisme a été introduit depuis peu d'années dans la lit-
térature médicale. Les vieux auteurs' ont fait allusion lorsqu'ils ont dé-
crit l'habitus extérieur des individus de sexe douteux. Mais le mot ne
figure même pas dans les Dictionnaires de médecine elle sujet n'a été jusqu'à
ce jour l'objet d'aucune étude spéciale. Lorrain, Lasègue. Tardieu, ont
employé ce qualificatif en diverses occasions. Un élève de Lorrain, Fan-
neau de la Cour, a consacré sa thèse à l'étude de l'infantilisme et du fémi-
nisme chez les tuberculeux (1). Brouardel (2) a maintes fois insisté sur
les particularités physiques et psychiques des infantiles. Depuis, Joll'roy,
Barety (3), Bourneville et Sollier (4), Paul Bicher (5), Capitan (G),
Ch. Feré (7), etc., ont décrit un certain nombre d'exemples de cette con-
formation corporelle.
Plus récemment, Brissaud a consacré une leçon (8) à l'étude de l'infan-
tilisme et a montré les analogies qui le rapprochent du myxoedème. ,
Dernièrement, j'en ai rapporté moi-même plusieurs exemples (9).
Dans un récent travail (10) j'ai essayé de donner une description plus
(1) Panneau ¡JE la Cocu. Le féminisme et l'infantilisme chez les tuberculeux, thèse
Paris, 1811. '
(2) BnouAuDEL. Sur le surmenage intellectuel et la sédentarité dans les écoles, Bullet.
de l'Acad. de médecine, 21 juin 4887. î.
(3) BARETY, De l'Infantilisme, du sénilisme, du féminisme, du masculisme, et du fa-
cies scrofuleux, Nice médical, 1876.
(4) Progrès médical, 1887.
z) PAUL Hiciier. Les hermaphrodites dans 1'(I1,t. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière,
n° G, 1892. x 5<
(6) Médecine moderne, 14 oct. 1893.
(7) Cn. Féré. Contribution à l'étude des équivoques des caractères sexuels accessoires.
Rev. de médecine, 10 juillet 1893.
(8) BRISSAUD. Leçons sur les maladies nerveuses (Salpêtrière, 1893-94), recueillies et
publiées par Henry Meige, XXV- leçon.
(9) lierrnv MEME. Deux cas d'hermaphrodisme antique, Nouv. Iconog. de la Salpê-
trière, no 1, 1893.
(10) Henry MEME. L'Infantilisme, le féminisme el les hermaphrodites antiques. L'An-
thropologie, 1895, ne 3 et seq.
INFANTILISME CHEZ LA FEMME 219
complète de la morphologie des infantiles et de montrer les liens patho-
géniques qui unissent cette anomalie de développement du corps humain
aux autres affections dystrophiques congénitales.
L'infantilisme a été surtout décrit chez l'homme où il est plus facile-
ment reconnaissable.
Il existe aussi chez la femme.
Une définition de l'Infantilisme est nécessaire, le mot ayant été souvent
employé pour désigner une autre anomalie corporelle, proche parente
assurément au point de vue pathogénique, mais morphologiquement bien
différente, le Féminisme. '
L'enfant, lorsqu'il vient au monde bien conformé, possède un appareil
sexuel différencié ; mais les caractères sexuels secondaires qui appar-
tiendront en propre à l'homme ou à la femme sont chez lui confondus et
restent longtemps méconnaissables. Qu'il soit garçon ou qu'il soit fille,
organes génitaux mis à part, c'est toujours, à très peu près, la même forme
corporelle : pas de seins, pas de poils, même torse cylindrique, même
bassin, même enveloppement adipeux des membres, même voix, mêmes
instincts. C'est un enfant : sa morphologie est neutre.
Arrive la puberté : le torse et les épaules s'élargissent, le corps et le
visage se couvrent de poils, la peau se durcit et se fonce, les muscles
saillent au-dessous d'elle, la ,voix devient forte et grave. Un homme naît
de ce corps indécis. 1
Inversement, si c'est une fille, le bassin s'aggrandit, la peau reste fine
et glabre sur le visage et sur le corps, à l'exception du pubis et des ais-
selles ; une épaisse couche adipeuse continue d'envelopper les reliefs mus-
culaires ; la voix se renforce un peu ; puis les seins deviennent proémi-
nents. La femme, dit-on, s'est formée. ,
Ainsi s'effectue normalement la croissance, et pour deux adultes de
sexes différents, issus de deux corps d'enfant morphologiquement identi-
ques, les formes extérieures semblent nettement préétablies.
Mais les anomalies du développement sont extrêmement nombreuses ;
elles portent sur tous les appareils et se manifestent tantôt par excès,
tantôt par défaut. Ainsi voit-on des géants ou des nains, quand le tissu
osseux subit ab oro"une perturbation trophique; des obèses, des myopathie-
ques, quand le (issu conjonctif ou le tissu musculaire sont atteints pour
leur part; et toutes les variétés d'affections, dites familiales, qui sont la
conséquence d'une dystrophie originelle du système nerveux.
L'arrêt trophique peut aussi porter sur l'appareil''sexuel. Alors on voit
220 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
l'individu revêtir un habitus corporel spécial qui constitue ['Infantilisme.
L'infantile, quel que soit son âge, conserve les caractères physiques et
psychiques de l'enfant. z
Il peut grandir, parfois même exagérément : mais il garde de l'enfant
les formes extérieures comme aussi son état mental.
Torse arrondi, ventre un peu gros, membres potelés enveloppés de
graisse, peau fine et rosée ; visage, pubis, aisselles, vierges de tout poil,
voix grêle, verge minuscule, testicules gros comme des pois, l'infantile
n'est jamais qu'un grand enfant.
La ressemblance se poursuit au moral. Ces enfants qui devraient avoir
depuis longtemps atteint l'âge de raison s'amusent de joujoux; ils rient
d'une gaminerie, pleurnichent pour un rien, s'emportent à l'occasion des
plus futiles motifs, ont des peurs ridicules et appellent leur maman à la
moindre émotion.
A côté de l'infantilisme congénital prend place l'infantilisme acquis.
Lorsque, par suite d'une mutilation volontaire ou éventuelle, les glandes
sexuelles sont détruites ou atrophiées, le corps conserve encore les carac-
tères extérieurs de l'enfance.
Souvent aussi, on voit se développer les attributs sexuels secondaires
du sexe oppose. L'infantile mâle revêt alors une morphologie hybride qui
doit être décrite à part sous le nom de Féminisme. Ici, en effet, la neutra-
lité du corps n'est plus la même. Le féminin participe à la fois des formes
de la femme et de celles de l'homme, ou plus exactement de celle de l'ado-
lescent déjà pubère.
En résumé :
Le terme d'Infantilisme. doit être réservé pour désigner un syndrome
morphologique caractérisé par la conservation chez l'adulte des formes ex-
térieures de l'enfance, et la non-apparition des caractères sexuels secon-
daires. 1
L'infantilisme s'observe toujours chez des individus dont l'appareil 1
sexuel a subi un arrêt dans son évolution. ·
L'infantilisme est congénital, quand l'atrophie des organes génitaux re-
monte à la période foetale. Il est acquis, quand l'arrêt de développement
survient après la naissance, par accident, mutilation ou maladie.
Comme corollaire de l'atrophie génitale apparaît le syndrome morpho-
logique suivant :
Face arrondie, joufflue. Lèvres saillantes et charnues. Nez peu déve-
loppé. Visage glabre. Peau fine et de couleur claire. Cheveux fins, sourcils
et cils peu fournis.
Torse allongé, cylindrique. -
Ventre proéminent.
NOUV. ICONOGR I>E LA SALPETRf7 : RE T \11 ! YI X,> ? III.
PHOTOTYPE NEi. HNfP,. M.r.1l F P.010C.L BERTHAUD
INFANTILISME CHEZ LA FEMME
L BATTAILLE FT C"
Éditeurs
INFANTILISME CHEZ LA FEMME 221
Membres potelés, effilés de la racine aux extrémités.
Une couche adipeuse assez épaisse enveloppe tout le corps, et masque les
reliefs osseux et musculaires. , .
Absence de poils au pubis et aux aisselles.
Larynx peu saillant. Voix grêle. Corps thyroïde- réduit..
Organes géni taux rudimentaires.
Tel est le signalement de l'infantile. .
L'infantilisme existe isolé ou associé il d'autres affections dystrophiques.
La plus fréquente de ces associations est le zayxwcdème infantile (Bris-
saud) (1).
On observe aussi l'infantilisme chez les idiots, les imbéciles, les arriérés
(Bourneville, Sollier, Féré) et aussi chez les crétins et les goitreux (Bris-
saud).
Très fréquemment les infantiles sont en même temps des épileptiques
(Féré) ou des hystériques (Richer, Capitan).
L'infantilisme coexiste également avec les anomalies de développement
qui portent sur les systèmes osseux conjonctifs ou musculaires. Il est
alors associé au'nanisme (Gapitan), au gigantisme (Capitan, Reichlin), au
rachitisme, à l'obésité (Féré), à l'atrophie musculaire, etc.
Les affections osseuses inflammatoires sont d'ailleurs fréquentes chez
les infantiles. .
Un état mental infantile accompagne toujours la malformation corpo-
relle. Il concorde avec celui de Page que paraît conserver le corps : légè-
reté, naïveté, pusillanimité, pleurs et rires faciles, irascibilité prompte
mais fugace, tendresses excessives et répulsions irraisonnées.
En outre, les facultés morales, affectives et intellectuelles subissent
souvent des perturbations en rapport avec les accidents psychopathiques
qu'on peut rattacher à l'hystérie, fréquemment associée à l'infantilisme.
Le cas suivant est un bel exemple d'Infantilisme chez la femme. La
photographie qui l'accompagne (Pl. XXXVIII) suppléera à la brièveté de
la description. , ...
Il s'agit d'une jeune fille, Marie R..., ouvrière, entrée l'hôpital de la
Pitié, le 30 juillet 1890, dans le service deVl. le professeur Brouardel.
' Elle a toutes les apparences d'une fillette de 12 a 14'ans, encore impu-
bère. Elle était' cependant il celle 'époque âgée de trente ans.
Aucun signe extérieur ne révèle chez elle la transformation sexuelle
qui aurait dû la rendre femme.
(1) BIIISSAUIJ, Leçons sur les maladies nerveuses, Salpêtrière (1893-94). Paris, Masson-
édit.
VIII 15
222 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Pas un poil au pubis, ni sur les grandes lèvres, non plus que dans le
creux axillaire.
Les seins n'ont pas poussé : ils sont réduits au mamelon, très peu
saillant.
Le torse est allongé, cylindrique, sans échancrure au niveau de la
taille.
Le ventre au-dessous de l'ombilic est proéminent.
Le périmètre du bassin est sensiblement égal à celui des épaules.
Le sujet est maigre; mais même chez les femmes maigres, le tissu
adipeux des fesses et des flancs forme toujours un relief notable qui contri-
bue à élargir le contour de ces régions suivant un type facile à reconnaî-
tre. Ici, il n'en est rien et la morphologie reste neutre, infantile.
La figure aussi est restée enfantine, avec un aspect vieillot. La voix est
grêle.
Les organes génitaux sont normalement constitués; mais sont restés
ceux d'une petite fille ; les grandes lèvres ne font qu'une très faible saillie
et le mont de Vénus est à peine dessiné. D'ailleurs, les règles n'ont jamais
paru.
Cette femme-enfant était hystérique, sujette à des attaques assez fré-
quentes.
Son état mental était resté enfantin. Elle s'amusait encore aux jeux des
petites filles, travaillant avec légèreté, raisonnant comme un enfant. Elle
était douce, docile, timide et craintive, mais sans coquetterie et sans pudeur.
En somme, physiquement, elle répond exactement au signalement de
l'infantile dont elle a aussi l'état psychique.
L'infantilisme chez la femme n'est pas aussi connu que l'infantilisme
chez l'homme. Il ne semble pourtant pas qu'il soit moins fréquent.
On l'observe associé au myxoedème congénital chez les idiotes et les
arriérées. Le myxoedème tardif entraîne en outre chez la femme une série
de modifications qui semblent faire subir à son corps une évolution rétro-
grade vers l'enfance : arrêt des règles, chute des poils, etc.
L'observation précédente montre que l'infantilisme peut exister isolé-
ment chez la femme, comme on l'observe chez l'homme, en dehors d'au-
tres troubles du développement.
Ici encore le corps conserve les attributs de l'enfance. L'infantile femme
reste une grande fillette à laquelle la puberté n'apporte pas ses modifica-
tions ordinaires. Les seins ne grossissent pas, les poils ne poussent pas
au pubis et aux aisselles, le torse reste cylindrique, les hanches ne su-
INFANTILISME CHEZ LA FEMME 223
bissent qu'un faible élargissement et l'échancrure de la taille se dessine
à peine.
L'état mental reste également celui de l'âge que semble conserver le,
corps.
L'infantilisme n'est pas la seule anomalie morphologique qui s'observe
cliez la femme à la suite des malformations génitales.
Au féminisme qui apparaît chez le jeune homme, correspond chez la
femme une anomalie morphologique inverse, à laquelle on donne quel-
quefois le nom cle masculisme. Le terme de Virilisme seraitpeut-étrepréfé-
rable.
Cette forme corporelle est caractérisée par l'adjonction des attributs
sexuels secondaires du mâle sur un individu du sexe féminin.
Le bassin reste étroit, les épaules s'élargissent, les membres fortement
musclés offrent des reliefs heurtés. Les seins sont peu développés. Les
poils envahissent tout le corps, jusqu'au visage.
Les femmes à barbe sont des exemples de virilisme plus ou moins
complets.
Celui-ci peut d'ailleurs exister sans.que les organes génitaux soient mal-
formés. Il ne manque pas de viragos, normalement sexuées, qui, par leur
squelette, leur forte musculature, leur abondante pilosité, leur grosse voix
et leurs goûts masculins, représentent des modalités de la combinaison des
caractères sexuels secondaires chez un même individu.
Le virilisme constitue donc au point de vue morphologique un habitus
corporel qui mérite d'être mis en parallèle avec le féminisme. Il repré-
sente une anomalie évolutive qui peul coexister avec d'autres troubles du
développement tels que le gigantisme ou l'obésité.
La femme à barbe des fêtes foraines est .souvent en même temps une
femme géante ou une femme colosse..
Mais ici encore il importe de distraire de cette catégorie, les cas de
pseudo-hermaphrodisme dans lesquels une malformation des organes géni-
taux a pu causer des équivoques sur la sexualité réelle du sujet.
On ne dira pas qu'un individu est entaché de virilisme si par suite d'une
conformation vicieuse de son appareil sexuel, les testicules sont inappa-
rents, et si une disposition vicieuse des bourses simule une vulve et un
vagin, quand bien même cet individu présenterait tous les caractères se-
condaires du sexe masculin (1). Un tel être est un homme, un homme
(t) Tel un cas rapporté par le Dr Guermonprez (de Lille). Une erreur de sexe avec
ses conséquences, 'i8" ! t), Quarré, édit. Lille.
224 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
anormal assurément, mais l'élément de différenciation primordial, le
testicule lui assigne sa place parmi les mâles.
Le virilisme est un syndrome morphologique qui s'observe chez la femme
pourvue de ses attributs sexuels primordiaux, normalement ou anormale-
ment constitués.
Il est caractérisé par la présence des caractères sexuels secondaires de
l'homme chez un individu du sexe féminin : largeur des épaules, amplitude
du thorax, musculature forte et saillante, système pileux envahissant tout
le corps, parfois même la figure, voix l'orle et goûts masculins.
Selon les cas, les seins peuvent- être bien développés ou notablement
réduits. ,
*
..
L'étude de ces anomalies cllez la femme aussi bien que chez l'homme
a un double intérêt.
Elle conduit à rattacher quelques habitus corporelsanormaux aux affec-
tions dyslrophiques qui s'accompagnent de troubles du développement.
Elle permet de discerner, au point de vue morphologique, un certain
nombre de types entre lesquels on peut répartir les modalités si variées
qu'affecte le corps humain.
Le médecin et l'artiste ne peuvent s'en désintéresser.
MALFORMATION DES ORGANES GÉNITAUX,
. INFANTILISME ET FÉMINISME
CHEZ UN ÉPILEPTIQUE.
P. C. J. Van BRERO.
Médecin de l'asile des aliénés à Buitenzorg (Java).
D.. , javanais âgé environ de 22 ans, est entré à l'asile le 12 octobre
1893, parce qu'il avait blessé son beau-frère avec un couteau, ayant été
déjà auparavant souvent la cause de querelles dans son village.
D'après les renseignements recueillis, D..., est épileptique, mais on ne
connaît pas la date de début de ses attaques. Une de ses soeurs est morte
aliénée.
Les attaques d'épilepsie ne sont pas fréquentes, quoique le malade ne
prenne pas de médicaments. Après ses accès, il est incohérent, agité, irri-
table et souvent même agressif. En dehors des crises, il est apathique. Il
passe la plus grande partie de son temps à faire des houppes de fil, qu'il
attache sur ses habits. I ! est assez dément. Il ronge ses ongles.
D'après son dire, son mariage a été rompu par suite de son impotence
coenndi. Il est à remarquer que pendant ses accès il n'a pas d'érections.
Habitus extérieur. Le corps est enveloppé de graisse, mais sans
excès, peu musclé ; nulle part on ne voit les reliefs musculaires.
La figure ronde est imberbe et la peau du corps est glabre.
Pas de poils aux aisselles, ni sur les bourses, ni sur le périnée (1). Sur
le pubis se voient quelques poils, dont beaucoup sont gris et disposés
comme chez la femme.
Taille : 1»,59. Poids : Wi kilos.
(1) Les indigènes de Java sont généralement peu poilus.
226 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIÈRE
Le crâne est asymétrique, la moitié gauche aplatie en arrière, les yeux
ont une disposition oblique comme chez les Chinois ; l'expression ordinaire
du visage est l'hébétude.
La voix est celle d'un enfant.
Le cou est élégant, le larynx très peu saillant, les épaules étroites. Le
thorax est cylindrique, les seins un peu saillants, la partie la plus élevée
coïncidant avec le mamelon.
Le ventre tombant est déformé au-dessous de l'ombilic par une cica-
trice large et profonde dans la région de l'aine gauche.
Le bassin est large, ainsi que les hanches. Les cuisses sont grasses, ont
une forme fuselée et des lignes féminines ; les fesses sont très développées
et arrondies ; sur la région sacrée se trouvent les fossettes qu'on observe
d'ordinaire seulement chez la femme.
Les membres inférieurs ainsi que les supérieurs sont d'un beau mo-
dèle, plus ou moins gracile et le tout donne l'aspect d'un habitus infantile
prêt à se transformer en habitus féminin. (l'1. XXXIX).
Les organes génitaux sont atrophiés.
Le gland est petit et n'est pas recouvert par le prépuce ; les testicules
sont de la grosseur d'une noisette.
Outre cet arrêt de développement, il existe une malformation congé-
nitale, qui me semble aussi intéressante que rare.
La peau cle la verge est soudée par ses bords latéraux avec celle des
bourses, en sorle qu'on ne voit de la verge que le gland, la peau de la sur-
face antérieure du pénis et la partie correspondante du prépuce, où se
trouve une cicatrice en forme d'étoile provenant de la circoncision rituelle;
(notre malade est musulman).
A un examen superficiel, ces organes génitaux présentent l'aspect sui-
vant : le gland dirigé en dehors des deux feuillets des bourses, forme la
masse principale et simule assez bien les organes génitaux de la femme.
L'illusion serait sans doute plus complète si le prépuce n'avait pas été ré-
duit par la circoncision.
En examinant cependant plus attentivement la région, on voit que la
peau de la face antérieure de la verge se distingue nettement de celle des
bourses tant par les plis qu'on y trouve d'ordinaire que par une pigmen-
tation plus abondante.
Sur le pénis, on constate un hypospadias incomplet du premier degré;
c'est-à-dire qu'entre l'orifice du gland et celui de la fissure inférieure sub-
siste un pont très étroit du tissu du gland.
Cette fissure inférieure a une longueur d'un demi-centimètre à peu près.
Le feuillet interne du prépuce se confond insensiblement avec la peau
NOUV. ICONOGR Dt Ln SALPÈr¡Ji'ÎE
T VIII PL ? I.
INFANTILISME, FÉMINISME, ET MALFORMATION DES ORGANES GÉNITAUX
Chez un épilcptiquc
INFANTILISME ET FÉMINISME CIIEZ UN ÉPILEPTIQUE 227
des bourses en sorte que si l'on relève le pénis par ce qui reste du prépuce,
les bourses se trouvent entraînées avec le gland.
En résumé :
Par ses caractères sexuels primordiaux, notre malade appartient aux
hermaphrodites vulgaires, car, en outre d'un léger arrêt de développe-
ment, il existe une malformation des organes génitaux.
Par ses caractères sexuels secondaires, il se rapproche de ces cas d'her-
maphrodisme que M. Paul Richer (1) a proposé de nommer l' Hennaphro-
disme antique et des individus connus sous le nom d'Infantiles et de Fémi-
nins sur l'étude desquels M. Henry Meige est revenu dernièrement (2).
C'est surtout au point de vue de la morphologie des dégénérés que ce
fait présente de l'intérêt.
(1) Paul Rccucn, Les hermaphrodites dans l'art. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière,
n° 6, 1892.
(2) Henry Meige, Deux cas d'lae·magh·oditisme antique. Nouv. Iconogr. de la Salpê-
trière, n° 1, 1895 et Henry MEME. L'infantilisme, le féminisme et les hermaphrodites
antiques. L'Anthropologie, n° 3-4, 1895. -
LES PEINTRES DE LA MÉDECINE
(Ecoles flamande et hollandaise).
LES OPÉRATIONS SUR LA TÈTE
par
HENRY MEIGE.
Les artistes de l'École flamande et de l'Ecole hollandaise ont excellé
dans la peinture des scènes de la vie courante. La contemplation journa-
lière de leurs semblables suffisait le plus souvent à inspirer les sujets de
leurs tableaux.
Un buveur attablé, une vieille femme en prières, un boulanger, un
fripier, les clients arrêtés devant leurs boutiques, un repas de famille, une
kermesse champêtre, il n'en fallait pas davantage pour tenter le pinceau
des Van Ostade, des Nicolas Maas, des Gérard Dou, des Van Miens, des
Jean Steen, des D. Teniers, etc.. pour ne citer que les plus illustres re-
présentants de l'art national des Pays-Bas.
Chacun savait, suivant sa manière, utiliser ces données banales, pour
en tirer une oeuvre supérieure, toujours empreinte d'un cachet de vérité
irréprochable.
Puisant ainsi leurs inspirations, dans leur propre entourage, ils ont été
amenés à reproduire les événements saillants de leur existence privée ou
ceux qui survenaient dans leur milieu ordinaire. C'était tantôt quelque
fête imprévue, quelque réjouissance mémorable, quelque jour glorieux
dignes d'être célébrés, tantôt aussi, quoique plus rarement, quelque aven-
ture malencontreuse.
De ce nombre étaient les accidents ou les maladies qui, troublant mo-
mentanément le cours de la vie régulière, attiraient plus vivement l'atten-
tion sur l'individu frappé, et sur les personnages nouveaux introduits pour
la circonstance. Malades et médecins ne manquent pas dans la peinture fla-
mande ou hollandaise. Les uns comme les autres y sont représentés avec
ce talent qui dénote chez l'artiste une remarquable finesse d'observation
jointe à une connaissance profonde de la nature humaine.
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 229
On ne lit pas seulement le diagnostic du mal dont le patient est atteint;
on comprend ce qu'il doit souffrir, comme aussi l'on devine les réflexions
que son état inspire au médecin appelé à le secourir.
Dans toutes ces peintures de la vie d'intérieur, le naturalisme est par-
fait : consciencieux sans brutalité, très simple sans être naïf. L'artiste
reproduit ce qu'il voit, avec franchise et sans parti pris. Chacun, bien
entendu, imprime à son oeuvre une note personnelle ; mais cette note est
toujours l'expression d'un esprit libre et d'un jugement sain. -
Braves gens aux moeurs paisibles, épris des vraies joies de la vie, penseurs
profonds sans austérité, les Flamands et les Hollandais savent adoucir les
tristesses par leur bienveillante philosophie. Leur art l'ait de placidité, de
vérité et de bon sens est fécond en enseignements moraux. Comme tous
ceux qui aiment la joie et dont le coeur est bon, ils se sont montrés compa-
tissants aux misères humaines, mettant l'esprit et la verve au service de
leur talent.
Fins observateurs, joyeux vivants, critiques spirituels, consolants mora-
listes, leurs chefs d'oeuvres évoquent le souvenir des meilleures pages de
Molière et de Rabelais.
On conçoit aisément qu'avec le même esprit et aux mêmes époques, ils
aient été séduits par les mêmes sujets. Les scènes médicales ne pouvaient
les laisser indifférents, et en particulier celles où, soit le patient, soit le
médecin, prêtaient à la satire. D'ailleurs, le Malade imaginaire, comme le
Sganarelle ignorant et prétentieux, sont des types éternels de la comédie
humaine : ils ont été, sont, et seront de tous les âges et de tous les pays.
leurs ridicules, bafoués sans cesse et sans cesse renaissants, sont une source
intarissable de comique, et ce comique a sa philosophie. C'est plus qu'il
n'en fallait pour tenter le pinceau des peintres des Pays-Bas.
Aussi le chilfre de leurs oeuvres qui méritent d'attirer l'attention de la
critique médicale est-il considérable. Charcot et Paul nicher en ont déjà
signalé un grand nombre dans leurs beaux ouvrages sur les Démoniaques
les Malades et les Difformes dans l'Art. Mais ils sont loin d'avoir épuisé
la série des documents figurés qui touchent de près ou de loin à la repré-
sentation des maladies. Le champ d'études qu'ils, ont si brillamment inau-
guré contient encore une ample moisson dont la récolte sera doublement
profitable à l'art et à la science.
*
,. ,.
L'intérêt médical d'une oeuvre d'art réside, tantôt dans la nature même du
sujet qu'elle représente, tantôt dans les détails de la composition, selon
que l'artiste reproduit des malades et des médecins, ou selon qu'il fait
figurer dans une scène quelconque des personnages secondaires atteints
de maladies ou de difformités.
230 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Les nombreuses peintures intitulées Le Médecin, la Malade, la Consulta-
tion, l'Opération, etc., ne sont donc pas les seuls documents qui relèvent
de la critique médicale. Dans les tableaux de genre, dans les compositions
religieuses ou historiques, dans les fantaisies allégoriques ou burlesques,
il est fréquent de rencontrer des types pris sur nature qui sont la copie
exacte de malformations corporelles ou d'anomalies morbides.
C'est ainsi, par exemple, qu'à côté des deux scènes de consultation de
J. Steen, au musée de La Haye (1), dont le sujet reproduit franchement
des épisodes de la vie médicale, un autre tableau du même maître, La Mé-
nagerie, où ne figurent ni malade ni médecin, mérite cependant d'être si-
gnalé, grâce à la présence d'un personnage du second plan, un serviteur
presque nain, pied-bot et rachitique, qui reproduit une difformité naturelle
' très exactement rendue. -
Les infirmes, boiteux, culs-de-jatte, paralytiques, estropiés de toutes
sortes, qui constituent le personnel obligatoire des OEuvres de miséricorde,
des Rondes de Gueux, des Mendiants, etc., rentrent dans la même catégo-
rie de personnages accessoires appartenant il la pathologie.
Enfin, un groupe important est constitué par les peintures représentant
des affections dont la nature morbide, alors ignorée par l'artiste, est au-
jourd'hui bien reconnue. Tels sont les Possédés et les démoniaques dont les
contorsions mises sur le compte de l'esprit malin, n'étaient que des mani-
festations convulsives de l'hystérie.
Lés scènes médicales proprement dites sont tellement nombreuses qu'il
est nécessaire d'établir entre elles une classification.
L'intérêt peut porter uniquement sur l'homme de l'art : médecin, chi-
rurgien, dentiste, apothicaire, etc., sans oublier les charlatans de foire.
Le plus souvent le groupe principal est composé par le médecin et son
malade, l'opérateur et son opéré. L'un et l'autre sont justiciables de la
critique médicale.
Pour faciliter la répartition des documents, on peut établir les divisions
suivantes : Scènes de médecine, Scènes de chirurgie, Accouchements, Char-
latans, etc.
Entre les Scènes de médecine, il est difficile d'établir une classification
basée sur la nature même de la maladie. Les éléments du diagnostic ex
pictura sont toujours assez douteux.
Néanmoins certains détails physiques qui n'ont pas échappé au peintre,
ou la présence d'objets accessoires bien significatifs, permettent parfois une
affirmation.
C'est ainsi que nul ne peut contester l'exactitude du titre du tableau de
(1 ) La Jeune femme malade, ii- 31g, et la Visite du Médecin, n 3f.
* ) LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 231
Gérard Dou, au musée du Louvre, la Femme hydropique : la tuméfaction
du ventre et de la cheville de la malade, ses yeux bouffis, son teint blême,
et la syncope qui la renverse inanimée sur son fauteuil, sont des signes in-
discutables d'un oedème généralisé consécutif à une affection cardiaque ou
rénale .
Pareillement, la Malade de Samuel van Hoogstraaten, au musée d'Ams-
terdam, représente très vraisemblablement une Jeune fille chlorotique (1).
Une analyse méthodique des caractères morbides que le peintre a souvent t
bien indiqués sans en connaître la signification précise, permet ainsi de
répartir la plupart dès scènes de médecine proprement dites suivant les
différents chapitres de la pathologie interne. "
Les maladies de peau, la syphilis, la lèpre, les maladies épidémiques, la
peste en particulier rentrent dans d'autres catégories plus aisément recon-
naissables.
Les Scènes de chirurgie sont en grand nombre. Leur classification scien-
tifique est facile à faire. La méthode la plus simple consiste à grouper en-
semble toutes les oeuvres d'art qui représentent des interventions chirur-
gicales portant sur la même région du corps. On distinguera ainsi les
opérations sur la tête, sur les membres, sur les extrémités, etc.
Rarement, il s'agit d'interventions graves. Les opérations de petite chi-
rurgie sont les plus fréquentes : la saignée, la pose des ventouses, l'avulsion
des dents, le pansement des plaies légères, etc., et, dans la peinture reli-
gieuse, la circoncision.
Enfin, les Scènes de dissection, la peinture de pièces anatomiques ne sont
pas rares dans la peinture flamande ou hollandaise, comme aussi la re-
présentation du cadavre dont les sujets religieux contiennent des exem-
ples d'un réalisme parfait. >
* * ,
.. Y
Les oeuvres d'art qui représentent des opérations sur la tête sont assez
nombreuses pour pouvoir être subdivisées en plusieurs catégories,' suivant
le siège de l'opération.
Il y a d'abord les opérations qui portent sur la face.
Un très grand nombre ont trait à l'extraction des dents. Les dentistes
populaires et les charlatans de foires se sont toujours entourés d'accessoi-
res mystérieux ou de parades retentissantes dont la bizarrerie et le pitto-
resque ne pouvaient manquer d'attirer l'attention des peintres de genre.
Le mal de dent, malgré sa douloureuse réalité, n'excite que médiocrement
la compassion ; on sait que cette souffrance, quelqu'exaspérante qu'elle
(1) Voy. la critique médicale de ce tableau : Henry Meige, Les peintres de la méde-
cine : Samuel van Hooslz·aceferz. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, n" 3, \S9.
232 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
soit, ne met pas en danger les jours du patient, et l'on rit volontiers de
ses contorsions, de ses hurlements, de ses larmes même, quand il confie
sa mâchoire à l'habile homme qui se l'ait fort d'extirper la cause du mal
sans douleur. Il y a là matière à plus d'une étude naturaliste, à bien des ré-
flexions humoristiques et même philosophiques. Les peintres flamands et
hollandais ne les ont pas négligées. Chaque musée d'Europe possède au
moins un Dentiste de leur façon.
J'en connais, pour ma part, plus d'une vingtaine de la main des maîtres
les plus célèbres.
Celui de Gérard Dou, au musée du Louvre, est un vrai chef-d'oeuvre.
Du même peintre, il en existe un autre au musée de Dresde, dont une
réplique se voit dans la galerie Six, à Amsterdam.
Un arracheur de dents d'Adriaen Brauwer se trouve au musée Kums, à
Anvers, un autre au musée de Cassel.
Van Ostade a son dentiste à Vienne ; 7/oHt/<o/'6'<, à Dresde ; Jan Steen, il
La lIaye D. Teniers, à Florence ; Jan Victors, à Amsterdam; Théodore
llo1ltúouts, à Madrid. Celui de Johannes Lingelbuch, à Amsterdam, opère à
cheval. A Rotterdam, on en voit un autre sans nom d'auteur, etc., etc.
Il y en a beaucoup plus. Je cite seulement ceux que j'ai vus. Chacun de
ces documents, offre un réel intérêt médical, en particulier pour l'histoire
des procédés et des instruments utilisés autrefois dans l'extraction des dents.
Les opérations sur les yeux, le ne : ; ou les oreilles ne semblent pas avoir
joui de la même faveur artistique.
Il n'en est pas de même des opérations sur le crâne.
Les dessins ou les peintures des artistes flamands et hollandais qui re-
présentent des opérations chirurgicales sur le crâne sont relativement
nombreux. '
J'ai pu, jusqu'à ce jour, en recueillir douze exemples qui méritent d'être
étudiés aux points de vue médical, artistique et anecdotique.
La scène principale est toujours la même; le décor, les personnages se-
condaires et les accessoires varient suivant les cas.
Le patient, assis sur un siège spécial, le haut du corps elles bras main-
tenus par des cordes ou des liens, présente à l'opérateur tantôt son front,
tantôt le sommet du crâne, tantôt la région mastoïdienne.
Le chirurgien, armé d'un bistouri ou d'une sonde, fait une incision à
la peau ou semble explorer la plaie. Souvent aussi il a l'air d'extirper
une tumeur de forme sphérique.
Les personnages accessoires sont, soit des aides qui maintiennent le
patient, soit les parents ou les amis qui l'accompagnent, soit enfin d'au-
LES OPÉRATIONS SUII LA TÈTE 233
tres clients qui attendent leur tour, ou qui, déjà opérés, sont pansés par
des servants. 1
Tous ces documents sont de la main d'artistes flamands ou hollandais
du 1V au XVIIe siècle. '
En voici la liste par noms d'auteurs et suivant l'ordre chronologique :
Jérôme VAN Aeken dit Jérôme Boscu, peintre hollandais (1450-1516).
Les pierres dans la tête. - Rijks Muséum d'Amsterdam.
Opération chirurgicale burlesque. Musée du Prado, à Madrid.
JAN SAKDERS, dit Van IIemessen, peintre flamand de la seconde moitié du
XVIe siècle.
Le chirurgien de village. Musée du Prado, à Madrid.
Pierre BREUC,111 ? 1, LE Vieux, dessinateur et peintre flamand (1530-1569).
Une gravure. Cabinet des Estampes, Rijks Muséum d'Amsterdam.
Une autre gravure. Collection du Dr Brissaud. ,
N. WEYUMAKS, graveur hollandais de la Ire moitié du XVIIe siècle.
Une gravure. Cabinet des Estampes, Rijks Muséum d'Amsterdam.
Andries BOTII, peintre hollandais (1610-1650).
Un tableau de la collection de M. D.-A. Koenen à Nieuwer Amstel.
David Teniers, peintre flamand (1G10--IG90).. v
Une opération chirurgicale. Musée du Prado, à Madrid.
Frans IIALS LE jeune, peintre hollandais (1617-1G69).
Le Charlatan. Musée Boijmans, à Rotterdam.
Jean STEEN, peintre hollandais (1626-1679).
L'opérateur. Musée Boijmans, à Rotterdam.
L'opérateur. Musée de Bruxelles.
Le Charlatan. Rijks Muséum d'Amsterdam.
Avant d'entrer dans la description de chacune de ces oeuvres d'art, il
importe de rappeler brièvement les idées médicales et chirurgicales qui
avaient cours au XVI et au XVP siècles relativement aux opérations prati-
quées sur la le le.
La prédilection des artistes flamands et hollandais pour les opérations
chirurgicales sur le crâne cause au premier abord quelque surprise. La
chirurgie crânienne n'a rien en soi de particulièrement esthétique. S'il
s'agissait de la grande chirurgie cérébrale qui commence à se répandre
21Ji NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
depuis quelques années, et qui se montre si grosse de promesses, on com-
prendrait u la rigueur l'intérêt des peintres pour un mode de traitement
touchant de si près au grand ressort de la machine humaine. Mais il ne
saurait en être question dans les peintures qui nous occupent. L'opération
représentée est toute superficielle : elle se borne à une simple incision,
accompagnée parfois d'une apparence d'extirpation de tumeur.
Ce n'est pas que la chirurgie intra-crânienne fut inconnue aux XVe, XVIe
et XVIIe siècles. Sans remonter aux crânes préhistoriques sur lesquels on
croit reconnaître des indices certains de trépanation, on sait qu'llippocrate
a décrit deux trépans : le trépan ;1 tarière et le trépan à couronne avec
pyramide. Ce dernier semble d'ailleurs avoir été inconnu de Galien.
Au XIVe siècle, Guy de Chauliac cite les trépans à tarière utilisés par
« les Parisiens, et ceux de Boulogne ». -- Au XV. siècle, Bertapaglia, et au
XVIe, Jean de Vigo, emploient le trépan à couronne. Quelques années
plus tard, Ambroise Paré dans son Traité des plaies de la tête (1561) et
presque simultanément Andréa a Cruce, dans son Livre de chirurgie (1573)
décrivent et font reproduire l'arsenal et le manuel opératoire de la trépa-
nation (1).
Dans un travail iconographique récent, Chipault et Daleine ont repro-
duit plusieurs planches extraites du Livre de chirurgie d'Andrea a Cruce,
célèbre médecin italien qui vécut à Venise vers 1560. Ces planches don-
nent une excellente idée de la laçon dont se pratiquait la trépanation au
XVIE siècle (2).
« Le patient couché sur le ventre, retenu par des liens ou par les draps
bien sanglés, les bras libres ou non, suivant qu'il était plus ou moins
« raisonnable », avait la face appuyée sur un oreiller, et, l'opération se
faisant sans anesthésique, criait tout à son aise. Pendant ce temps, le chi-
rurgien écarte les bords de la fente osseuse, ou trépane, soit avec le tré-
pan à main, soit avec le trépan à villebrequin. Quant au personnage à
l'allure doctorale qui se tient debout auprès de lui, c'est très vraisembla-
blement le médecin dédaigneux de toucher à la plaie, et qui se contente
de donner des conseils, de la voix et du geste, en éclairant le champ opé-
ratoire. Les aides chirurgiens étalent le cerat, roulent des bandes, font
chauffer les linges, ce qu'on regardait comme d'une importance capitale.
Il était même bon de promener de temps en temps, à légère distance du
(1) Voyez l'historique de la trépanation dans le remarquable ouvrage de A. Chipault.
Chirurgie opératoire du système nerveux, 2 vol., Paris, 1871.
(2) A. Chipault et E. Dalème, Notes iconographiques sur l'histoire de la trépanation
Nouv. iconogr. de la Salpetrière, no 4, 1891.
LES OPÉRATIONS SUR LA TÈTE 235
champ opératoire un cautère bien chaud, pour « ranimer les esprits ani-
maux ».
« Les personnages accessoires de ces petites scènes sont pris sur le vif
et singulièrement naturels; n'oublions pas le chien, le chat elles rats qui
semblent des hôtes plus intimes et plus familiers qu'ils ne le sont aujour-
d'hui.
Ces dessins destinés à illustrer un ouvrage scientifique ont une signifi-
cation plus précise que les oeuvres d'art isolées. Ils ont été certainement
exécuté d'après nature et l'on peut les considérer comme d'exactes copies
des scènes de trépanation,
Les documents qui nous occupent ne leur sont guère comparables.
Le patient est assis, ou debout, jamais couché sur le ventre. Et le siège
de l'opération est presque toujours la région frontale, plus rarement la ré-
gion mastoïdienne.
Parmi les « ferrements* » qui sont à portée de la main du chirurgien ne
se voient ni les couronnes (modioli), ni les tarières (terebra), ni les'archets,
ni les villebrequins, ni les scies (serruloe), ni le meningophyla.1J pour dé-
coller et protéger la dure-mère.
L'opérateur est en général armé d'un long bistouri il lame courbe, tels
que ceux qui sont figurés dans le Traité des plages et fractures de la teste\
humaine, d'Ambroise Paré (1). Parfois il tient à la main une sorte de
sonde boutonnée, ou un couteau à lame triangulaire qui a quelques grossiè-
res analogie avec le phacotus d'Andrea à Cruce employé pour élargir l'ou-
verture du trépan. Les autres instruments sont des pinces rappelant assez
les pinces à os (forceps mordens, ossifrangens, attractor), des ciseaux, des
curettes, des crochets (raspatoria), Dans un seul document on voit une
sorte de maillet.
Enfin, plus que tous ces détails d'instrumentation, la composition de
nos peintures laisse entendre qu'il ne s'agit pas d'une intervention aussi
grave que la trépanation. Le chirurgien est un joyeux compère, ou quelque
fat d'une gravité burlesque. Le pansement est des plus sommaires, et les
aides se recrutent au hasard parmi les compagnons bénevoles de l'opéré.
*
.. Y
La présence de tumeurs parfaitement visibles sur le front de la plupart
des patients fait penser à une opération différente de la trépanation : l'ex-
tirpation d'une tumeur du crâne.
(1) l'oy. A. CIIIPAULT, La méthode curative des playes et fractures de la teste humai-
ne, etc. par Ambroise Paré. Nouv. Icon. de la Salpêtrière, n, 2, 1894, p. 123.
236 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Quelles sont donc les tumeurs du crâne justiciables d'une intervention
chirurgicale ? '
D'abord les tumeurs bénignes du cuir chevelu- désignées vulgairement
sous le nom de loupes en raison, parait-il, de leur analogie avec la tumé-
faction produite par la morsure du loup (1). Lipomes ou kystes sébacés,
généralement sphériques, faciles il énucléer, le plus souvent indolores, ils
causent une gêne insignifiante, et leur augmentation de volume seule
pousse à la longue les patients à se faire opérer. Leur siège de prédilection
sur le cuir chevelu, leur ablation facile, sans grands dangers et sans grande
douleur autorisent à penser qu'il s'agit sur nos dessins et nos peintures
des tumeurs de ce genre.
Tout au moins doit-on considérer comme vraisemblable que les artistes
se sont inspirés de ces difformités pour figurer les protubérances qui
ornent le front de leurs malades.
Le traitement de ces tumeurs superficielles est des plus simples. Les
instruments représentés suffisent amplement : un bistouri, une sonde, une
pince, il n'en faut pas davantage pour les extraire. Le pansement, un ban-
dage autour de la tête, tout primitif qu'il est, peut à la rigueur être suf-
fisant. Pour plusieurs tableaux, ce diagnostic est parfaitement défendable.
Dans d'autres., il semble que la tumeur soit d'une autre nature. Ce n'est
pas la masse sébacée sphérique ou aplatie(tcclpcc, lest2dines), molle comme
du miel (meliceres), comme de la bouillie (athérome, d'9,p«, bouillie) ou
comme du suif (stéatome) ; c'est un corps dur, irrégulier, d'aspect osseux
ou pierreux. Alors on se perd en conjectures.
S'agit-il d'un corps étranger venu de l'extérieur, pierre ou projectile, ou
d'une exostose crânienne ? Serait-ce une de ces tumeurs des sinus frontaux
d'origine parasitaire, kyste hydatique, ou abcès produit par une larve d'in-
secte comme on en a signalé des exemples ? Peut-être même a-t-on affaire
à ces ostéomes éburnés des sinus, durs au point d'émousser les meilleurs
tranchants, qui parfois viennent faire saillie sous la peau, comme on en
voit un exemple opéré par Jobert au musée Dupuytren ?
Il faut rappeler seulement pour mémoire ces curiosités pathologiques
qui occasionnent en général des accidents très graves et qui nécessitent
toujours une opération délicate et dangereuse, car si leur diagnostic est
déjà fort ardu sur le vivant, a fortiori doit-on l'entourer de réserves quand
il s'agit d'une figuration sans aucun but scientifique.
- ' Nous nous bornerons donc à dire, en ce qui concerne les tumeurs figu-
rées sur la partie médiane du front, qu'on peut les considérer pour la plu-
(1) Le nom allemand de la loupe, Wolrgesclawulsl (tumeur de loup) confirmerait cette
étymologie.
LES OPÉRATIONS SUR LA TÈTE 237
part comme des loupes, parce que celles-ci sont de beaucoup les plus fré-
quentes et les plus bénignes, et aussi parce qu'elles sont susceptibles d'être
extirpées sans grande ell'usion de sang, sans dangers et sans trop vives
douleurs.
. r
Un tel diagnostic peut salisfaire; mais il n'est pas le seul qui justifie
une intervention opératoire sur la région crânienne^
Les plaies de tête, les fractures du crâne pourraient être mises en cause;
mais sur aucun document ne se voit de brisure ni d'enfoncement de la
boîte crânienne, et la plaie est toujours le fait et non le but de l'opération.
Ces accidents auraient cependant pu donner matière à des compositions
satiriques. A. Paré (1) parle en effet « d'aucuns soy disans chirurgiens,
mais plutost abuseurs, coureurs et larrons, qui lorsqu'ils sont appelles
pour traiter les playes cle Leste, où il y aura quelque portion d'os amputé,
font accroire au malade et aux assistants qu'au lieu dndit os leur faut
mettre une pièce d'or. Et de fait, en la présence du patient l'ayant receûe,
la battent et la rendent de figure de la playe, et l'appliquent dessus, et
disent qu'elle y demeure pour servir au lieu de l'os, et de couverture au
cerveau ; mais tost après la mettent en leur bourse, et le lendemain s'en
vont laissans le patient en ceste impression »
Cette jonglerie, signalée également par Franco, prêtait à la critique
humoristique. Mais il ne saurait en être question dans notre cas : la pièce
d'or martellée, si habilement escamotée par l'opérateur, n'est figurée
nulle part.
.
Parmi les pratiques chirurgicales qui furent en honneur au XVIe et au
XVII0 siècles, un certain nombre d'opérations se faisaient encore sur la
tète, et en particulier dans les régions frontale,. temporale et mastoï-
dienne.
C'étaient d'abord les saignées dont les médecins ne se montraient pas
ménagers.
Paul d'Egine, qui faisait autorité en ce temps-là, affirmait (2), que
« ces incisions profitent à la migraine, aux délluxions qui tombent sur
les yeux, et aux douleurs précédentes d'une défluxion chaude ».
« Semblablement il a voulu que les incisions du front profilent aux dé-
fluxions chaudes qui tombent sur les yeux, aux rougeurs de la face, et
lorsqu'on sent au front comme courir des petits vermisseaux ou fourmis.
« Quant aux incisions du devant de la teste, le même Paul dit, qu'elles-
(1) A)113BOISE P.11É, Op. 072 ? t., livre VIII, ch. XXII.
(2) Paul n'EG1NJ;, liv. VI, ch. 5, G, 7.
VIII '
1ü
238 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
servent à la défluxion abondante qui descend des veines d'en haut, et
tombe sur les yeux » (1).
Ambroise Paré conseille, encore d'après Paul d'Egine, l'incision des
artères temporales dans la maladie nommée scotomise ou vertigo (2).
« La maladie nommée 1'el'/igo est un subit esblouïssement et offusca-
tion de la veiie, causée d'un esprit vaporeux et chaud, qui monte par les
artères carotides à la teste, et remplit le cerveau, faisant un mouvement
des humeurs et esprits contenus en iceluy, lequel est inégal, confus et
turbulent, comme quand nostre corps tournoyé, ou quand on a beu trop
de vin fort, puissant et sans eau...
« Les signes sont-que les malades on[ la veiie perturbée, si tant peu ils
tournent le corps, ou regardent quelque chose qui tourne comme une roue,
ou l'eau courante, ou autre chose ayant un mouvement subit. Si la cause
vient du cerveau, les malades ont douleur et grande pesanteur de teste,
bruit aux oreilles, et ne sentent le plus souvent rien par le nez.
« Pour la cure, Paulus OEgineta commande faire l'incision derrière les
oreilles, combien qu'il semblerait meilleur faire l'incision des artères qui
sont aux temples; mais si elle vient d'autre partie, peu profite : et partant
le docte médecin y pourvoira ».
Ambroise Paré a également conseillé contre la migraine l'incision de
l'artère temporale du côté où siège la douleur. Ayant expérimenté sur
lui-même ce mode de traitement, il déclare avoir été complètement
guéri (3).
La région frontale n'était pas seule exposée aux interventions de ce genre.
Un autre siège de prédilection des incisions vasculaires fut la région mas-
toïdienne.
Paul d'Egine y coupait et cautérisait les artères.
« Les incisions des veines derrière les oreilles, dit Fabrice d'Aquapen-
dente, servent pour les yeux, pour la tête, pour la rêverie, pour l'assou-
pissemént, et semblables dispositions de la tête qui proviennent de replé-
tion (4) ». %
Plusieurs documents figurés représentent des opérations sur la région
mastoïdienne. Il faudra se rappeler ces pratiques chirurgicales quand le
moment sera venu d'en faire la critique.
Fabrice d'Aquapendente se montre aussi partisan de l'incision des artè-
res ou des veines du front et des tempes ; mais, pour que l'opération soit
(1) Fabrice D'AQUAPE1mE11fE, Opémtiol ! s chi1'll/'gicales (1G'r3), tome II, chap. III.
(2) Amiikoisi : 6q,,iiv)-es coinplèles, L. XV, ch. 111. De scolomie ou vertigo.
(3) A. l'ané, liv. XV, ch. IV.
(4) Loc. cil., ch. 111.
LES OPÉRATIONS SUR LA TÈTE 23U
complète, il conseille de la terminer par l'application du cautère potentiel.
Le cautère potentiel ({onlenelle Oll (onticllle) était souvent utilisé alors.On
l'appliquait « à l'endroit où la suture coronale et sagittale se joignent et
rencontrent ensemble, comme estant très profitable et très utile pour atti-
rer, reveller et évacuer les humeurs peccantes qui sont dans le cerveau,
de peur qu'icelles venans à croupir trop longtemps en iceluy, ou bien a
Huer trop impétueusement sur les parties inférieures, n'excitent divers
fâcheux accidents en plusieurs parties du corps. C'est pourquoi Mesué et
Albucrasis (L. VI, ch. 2) estiment que ce dit remède est particulièrement
propre aux maladies froidesel humides du cerveau, telles que sont la céplut-
lée, le vertige, l'éblouissement, la céphalalgie, l'endormissement, là para-
lysie et autres semblables qui ne proviennent que de la rétention qui se
fait desdites humeurs dans le cerveau ; item aux déflluxions qui tombent
sur les yeux, narines, oreilles, luette, gosier; aux douleurs des dents, des
gencives, de la gorge, sans oublier les délluxions qui tombent sur l'esto-
mach (1) ».
Or, « il est raisonnable d'appliquer le remède susdit en cette partie là,
de laquelle lesdites humeurs intérieures peuvent beaucoup plus librement
sortir que d'aucun autre endroit du crâne, qui est partout fort dur, épais,
et solide, fors qu'aux endroits de sutures ».
Fabrice d'Aquapendente dans ce langage d'antan, donne maintes autres
raisons qui justifient à ses yeux l'excellence du cautère potentiel,
Les « humeurs noires et visqueuses » apparaissent toujours comme la
source de toute les maladies cérébrales. C'était la croyance du temps, « le
crâne étant, selon A. Paré, en notre corps comme une cheminée ou four-
neau de la maison, auquel toutes les fumées montent : si la nature l'eut
fait tout d'un os, les fumées ne s'en eussent pu exhaler ». Heureusement,
grâce aux incisions des vaisseaux et aux cautères mis en bonne place, les
a humeurs peccantes » n'étaient plus menacées de « croupir trop long-
temps » ni de « (luer trop impétueusement sur les parties inférieures ».
Cette étrange physiologie pathologique semble bien naïve. Nous serions
cependant assez embarrassés pour lui substituer aujourd'hui une doctrine
pathogénique rigoureuse. Le vrai progrès de la science a été surtout de
faire table rase de toutes ces explications fantaisistes et d'avoir appris à
se taire au lieu de se payer de mots ronflants.
Telles qu'elles sont, ces théories anciennes devaient être rappelées, car
elles vont aider à l'interprétation des scènes médicales qui nous occupent.
Ou peut les résumer ainsi : au XVe et au XVIe siècles, un grand nombre
(1) FA1JI\ICE IJ'AQUEPENIJENTE, loc. cil., ch. I.
2't0 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
de maladies, parmi lesquelles les céphalées, les migraines, les vertiges,
les pertes de connnaissance, et toutes les formes du délire et de la folie,
étaient attribuées à l'accumulation dans le crâne de substances nocives.
En conséquence, toutes les opérations, artériotomie, phlébotomie, cauté-
risation, etc., susceptibles de donner issue à ces produits malénciants,
étaient tentées sur les malades.
Et voici qu'une nouvelle hypothèse se présente.
Les patients figurés qui subissent des opérations sur le crâne ne.seraint-
ils pas tombés entre les mains des chirurgiens pour des affections céré-
brales sans lésion apparente. Autrement dit n'aurait-on pas affaire à des
migraineux, des vertigineux, des délirants, des maniaques, etc., ayant
recours pour mettre un terme à leurs souffrances, aux interventions san-
glantes dont les bienfaits ne semblaient pas douteux à cette époque ?
Rien ne s'oppose à ce que l'on accepte cette interprétation : le manuel
opératoire et la nature des instruments ne la contredisent nullement et
les maladies désignées alors sous les noms d' « assoupissement », d' « en-
dormissenent» etc., représentent aujourd'hui des affections dites nerveu-
ses ou mentales.
Ainsi, dans l'état de la chirurgie crânienne au XVI et au XVIe siècles,
les opérations pratiquées sur le crâne peuvent se rapporter à des tré-
panations, à l'extirpation de tumeurs, au traitement des plaies ou fractures
du crâne, ou au traitement de certaines affections du ressort de la patho-
logie nerveuse (céphalées, vertiges, paralysies, perles de connaissance, etc.),
ou enfin il la cure des maladies mentales.
Dans les oeuvres d'art dont nous avons entrepris la critique, il ne s'agit
jamais de trépanations ni de traitement des fractures du crâne. Il faut y
voir plutôt des opérations ayant pour but l'extraction de tumeurs béni-
gnes du cuir chevelu telles que les loupes, ou l'incision des vaisseaux san-
guins préconisée contre les maladies nerveuses et mentales.
Abandonnons pour un instant 'les renseignements de la pathologie
pour faire appel aux souvenirs des traditions populaires.
Au XVe et au XVIO siècles, on disait vulgairement en Hollande en par-
lant d'un individu mal équilibré : « Il a une pierre dans la tête o. La
pierre, en France, est devenue un « grain », une « araignée », un « han-
neton », etc.
Et lorsqu'un insensé avait été guéri de sa folie, on disait qu' « on lui
avait extrait la pierre de la tête ».
Ce dicton populaire était très commun dans les farces où l'on ne man-
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 241
quaitpasde l'appliquer au personnage chargé du rôle d'un sot naïf et
pusillanime.
La locution remonterait, paraît-il, aux romans du roi Arthur.
Cette explication jette une lumière nouvelle sur les documents figurés
relatifs aux opérations sur la tête et l'on est tenté d'y voir uniquement
la reproduction des scènes burlesques représentées dans les farces d'au-
trefois.
Il faut certainement tenir grand compte de l'influence de cette tradi-
tion : elle suffit dans quelques cas à éclaircir tout le mystère. Mais l'inté-
rêt médical n'en subsiste pas moins et si l'opération figurée est souvent
imaginaire, les détails des personnages et des accessoires n'en sont pas
moins copiés sur la nature et à ce titre méritent d'être étudiés.
S'il est vraisemblable en effet que le dicton populaire ait été le point
de départ de plusieurs compositions artistiques qui représentent des opé-
rations sur la tête, il est certain que les artistes ont transporté la scène
dans le milieu médical de leur temps et choisi leurs médecins parmi ces
chirurgiens « abuseurs, courreurs et larrons », dont parle A. Paré, leurs
patients parmi les malheureux à l'esprit faible et crédule, vraiment mala-
des peut-être, mais d'un mal invisible dont chacun se gaussait. Le décor
et les accessoires étaient en outre inspirés par les demeures et les instru-
ments du temps.
La plupart de ces peintures sont manifestement satiriques. Et la satire
portait d'autant plus juste qu'elle s'adressait à des scènes dont chacun
pouvait être témoin à l'occasion. Les peintres ne se sentaient d'ailleurs
nullement retenus par le respect d'une profession qui donnait prise à
toutes les critiques, tant était grand le nombre des charlatans exploiteurs,
tant était éhonté le cynisme de leurs procédés.
Les « arracheurs de pierre » ne sont pas aussi imaginaires que les
pierres mêmes qu'ils étaient censés extraire. En tous temps les fourbes
se montrent ingénieux pour exploiter les faiblesses d'autrui.
Un malheureux, simple d'esprit, un détraqué, ou même un aliéné vé-
ritable est une proie facile. Avec d'alléchantes promesses de guérison, de
beaux discours remplis de mots qu'il ne comprend pas et qui le terrori-
sent, on l'amène aisément à accepter les traitements les plus invraisem-
blables. Les charlatans adroits savent la puissance de leurs suggestives
propagandes, et ils ne se font pas scrupule d'en user et d'en abuser au
besoin.
C'est là sans doute qu'il faut chercher l'origine de la croyance « aux
pierres dans la tôle » et de l'opération singulière inventée pour en débar-
rasser les crédules patients. -
Les exemples abondent en médecine mentale d'individus qui rapportent
213 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTR1ÈRE
leurs souffrances à des causes imaginaires et qui font une interprétation
délirante d'un symptôme réellement douloureux.
Bien souvent les maux de tète sont mis sur le compte d'un corps étran-
ger que des aliénés persécutés affirment exister dans leur crâne et il en est
qui, même de nos jours, sollicitent une intervention sanglante; l'ouver-
ture de la boite crânienne et l'extraction du corps étranger leur semble la
seule opération vraiment capable de les guérir.
Beaucoup d'aliénés s'imaginent avoir dans le ventre une bêle qui ronge
leurs entrailles. D'autres se figurent du'ils ont dans la le le clos insectes
grouillants, des « araignées », des « nids de perce-oreilles », etc.
En dehors des aliénés véritables, il est toute une catégorie de malades
non moins disposés il assigner les causes les plus bizarres aux douleurs
dont ils souffrent, et à subir tous les traitements qui leur sont proposés.
Ceux-là s'appellent aujourd'hui les neurasthéniques et l'ont sait qu'une
céphalée atroce et persistante est un des symptômes les plus pénibles de
cette affection. Pour se guérir du « casque de plomb » qui les écrase, pour
sauver leur tête qui « éclate », ils sont prêts à tous les sacrifices, la dou-
leur de l'opération fût-elle cent fois pire.
Et que de gens souffrant de migraines rebelles essayent des traitements
les plus douloureux ! Ceux qui sont atteints de névralgies faciales en arri-
vent à se faire arracher successivement toutes les dents, ou se soumettent
à des opérations redoutables.
Fous de douleur, la locution n'est pas une simple image ils s'a-
bandonnent sans réfléchir entre les mains de ceux qui leur promettent, le
plus souvent a tort, de faire cesser leur torture.
On a sérieusement proposé pour guérir les persécutés et les hypocon-
driaques obsédés par l'idée qu'ils avaient en quelque partie de leur corps,
une bête malfaisante cause de tous leurs maux, d'endormir ces malades
sous le chloroforme, de faire sur eux un simulacre d'opération, et de leur
montrer au réveil le « crapaud » ou le « serpent » qui les torturait, d'après
leur dire. Ce traitement qui ne manque pas de logique a malheureusement
peu de chances de succès, les aliénés de ce genre ayant une imagination
inépuisable pour découvrir de nouvelles causes, chaque fois plus surpre-
nantes, à leurs souffrances.
Telle dut être la clientèle ordinaire des arracheurs de pierre : neurasthé-
niques, migraineux, malades atteints de névralgies cruelles, parfois même
véritables aliénés, qui, fous de douleur et affamés de soulagement, se pré-
cipitaient, les yeux fermés, chez le guérisseur de passage.
Celui-ci, physicien dénué de scrupules, empirique ignorant, mais exploi-
teur malin, savait merveilleusement tirer parti de leur crédulité et de leur
désir de guérir.
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 243
Connaissant les croyances populaires, il savait que ceux dont on disait t
qu'ils avaient « une pierre dans la tète » étaient des sots crédules ou des
malades prêts à subir tous les traitements. Frotté de quelques lectures
médicales, il n'ignorait pas le rôle thérapeutique attribué aux incisions
vasculaires du crâne dans les affections douloureuses de la tête.
Mais, pour une clientèle grossière, il fallait des procédés grossiers.
Les « humeurs peccantes qui croupissent au cerveau » n'étaient pas assez
faciles à mettre en évidence. Un habile tour de passe-passe rendait l'opé-
ration compréhensible à tous.
Le boniment suggestif n'était pas difficile à faire. Les malades souffrent
de la tète, n'est-ce pas ? Oui. Et de quelle souffrance ? Ne sentent-
ils pas que leur tôle éclate ? Assurément. Quelque chose comprime
leur crâne en dedans, quelque chose de dur, comme une pierre qui pèse
sur le front ? Eh bien ! Voilà précisément la cause du mal, et c'est le
malade lui-même qui vient de la dire. Qu'on se rassure ! Le cas n'est
pas grave. Si le patient veut prendre la peine de s'asseoir, en un instant
il sera soulagé. Enlever une pierre de la tête, mais c'est l'enfance de l'art !
Voyez plutôt celle-ci, cette-ta, cette petite, cette grosse, et le plein panier
que voici, ce sont pierres de la tête, extirpées à la pointe du scalpel, sur
cent malades qui sont sortis guéris, comme en témoignent ces parchemins
dont chacun est invité à prendre connaissance,
Ces accessoires ne manquent jamais dans les scènes figurées.
Pouvait-on ne pas se laisser convaincre ? Devait-on laisser échapper cet
espoir de soulagement ?
Les malheureux malades n'hésitaient pas.
Aussitôt assis sur le fauteuil opératoire, un aide les ligotte solidement,
maintient leurs bras, soutient leur tête, et au besoin leur bande les yeux.
Sévère et sûr de lui, le chirurgien s'avance, armé d'un long bistouri,
et, soudain, d'une main ferme, il fait au front une forte entaille. Le pa-
tient hurle et se débat, il veut fuir, mais en vain : les liens et les aides
paralysent ses mouvements. Cependant l'opérateur saisit delà main droite
une énorme pince et fait mine de la plonger dans la plaie. En même
temps, il approche sa main gauche demi fermée;et, dextrement, en pres-
tidigitateur expérimenté, fait passer dans les mors de la pince la pierre
qu'il dissimulait entre ses doigts.
Le tour est joué. La pierre de la tête est extraite. On peut la voir, la
toucher, et le patient aveuglé par le sang, ahuri par la douleur, reste
convaincu que ce maudit caillou sort véritablement de son cràne.
Bien plus, on lui fait aisément dire qu'il éprouve un réel bien être. On
lui affirme qu'il est guéri, et il le croit. Un bandage appliqué sur sa plaie,
244 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
il s'en va, répandant aux alentours le hruit de sa guérison miraculeuse
qui ne manquera pas d'attirer de nouveaux' clients.
Un tableau de Jan Steen, an musée de Rotterdam, est une reproduc-
tion parfaite d'une de ces jongleries charlatanesques. Les pierres- tombent
à profusion de la main gauche de l'opérateur dans un plat que soutient
une vieille femme, tandis que, de la main droite, le prestidigitateur san-
glant, fait une incision derrière l'oreille du patient ligotté sur sa chaise
et hurlant de douleur. Et même, derrière lui, un petit garçon prépare
dans un panier des pierres de réserve qu'il saura faire passer au moment
opportun.
Tant de naïveté de la part du malade, tant de cynisme de la pari de
l'opérateur, n'ont rien d'invraisemblable. On a vu pire en ce temps-la;
on en voit autant de nos jours, sous d'autres formes. La crédulité et la
fourberie humaines varient suivant la mode, mais ne disparaissent jamais.
Ainsi s'expliquent beaucoup de documents figurés relatifs aux extractions
de pierre de,la tête. Le manuel opératoire varie suivant les cas; mais la'
donnée reste la même.
. Peintures naturalistes d'une scène de la vie réelle, mordantes satires
contre les charlatans éhontés, fines critiques des malades trop crédules,
ces oeuvres d'art sont conformes au goût et à l'esprit des artistes de l'école
flamande et hollandaise.
En dehors de leurs qualités artistiques, elles constituent de curieux
documents sur les moeurs médicales de l'époque.
Enfin, chacune d'elles renfermant plus d'un détail intéressant pour le
médecin, mérite d'être décrite et analysée méthodiquement.
Jérôme van Aeken (van Bosch),
peintre hollandais (150=151G).
HiéronY1n1lS van Aeken, plus généralement connu sous le nom de .li-
rôme Bosch ou Bos, est un des plus anciens représentants de la vieille
école hollandaise du XVc siècle. Il fut, dit-on, un des premiers artistes
néerlandais qui peignirent à l'huile.
Né à Bois-le-Duc dans l'ancien Brabant (Itertogen-Bosch, d'où lui vient
son surnom) entre 14U et 14go, il semble avoir vécu la plus grande
partie de sa vie dans cette ville où il mourut en 1G1G (1).
Jérôme Bosch a été le créateur d'un genre qui n'a pas manqué d'admi-
(1) 11 existe plusieurs artistes du mrmo nom qu'il ne faut pas confondre avec Jérôme
van Aeken : Louis van den fiosch ( ? -9507) peintre dp lleurs. ]3alttiaZai- van de ! )
Bosch (Anvers, 1615-1115), peindre d'ateliers.
LES OPÉRATIONS SUR LA TÈTE 245
râleurs. Il a même eu des imitateurs célèbres, dont le principal fut Pierre
Bruegel, Brauwer, Teniers, etc., se sont aussi inspirés de ses oeuvres.
Bosch fut avant lotit le peintre des allégories fantastiques ou grotesques
et ses tableaux ont été très appréciés de son temps. Plusieurs lui furent,
dit-on, commandés par Philippe le Bel ; le plus grand nombre ont fait les
délices de Philippe II et on les retrouve en Espagne où l'artiste est connu
sous le nom d'El Bosco. `
On pénètre difficilement aujourd'hui le sens caché de ces allégories fan-
tastiques. Peut-être y parviendrait-on à grand renfort d'hypothèses éru-
dites ; mais souvent les conjectures échouent devant un tel dévergondage
d'imagination.
L'impression qu'on éprouve en présence de la plupart de ces peintures
est que l'on a a(Taire à l'oeuvre d'un fou. Ces compositions extravagantes
semblent l'expression d'un état mental qui, pour le médecin, n'est pas
moins intéressant à étudier que les scènes où Bosch a reproduit soit des
infirmes, soit des malades, soit les praticiens de son temps. \
Beaucoup de ses tableaux paraissent la reproduction d'hallucinations
maladives, et certains aliénés d'aujourd'hui, si par hasard ils dessinent ou
s'ils peignent, ne trouvent pas de plus folles inventions.
La Tentation de Saint Antoine a fourni à J. Bosch prétexte à de nom-
breux tableaux. Le musée de Bruxelles en possède un bel exemple; un
autre est au musée d'Anvers. A Madrid, il n'y a pas moins de trois Tenta-
tions de Saint-Antoine qui lui sont attribuées avec certitude.
Là, les bêtes les plus apocalyptiques pullulent au milieu des plus inco-
hérents paysages.
Jusque dans les sujets religieux les plus graves, on retrouve les animaux
invraisemblables, les plantes animées, les pierres grimaçantes, et ces my-
riades de monstres composites, confectionnés non seulement avec des tron-
çons empruntés à tous les êtres vivants, mais avec des parcelles de tous
les éléments : des arbres qui gesticulent, des rochers qui se pâment de
rire, des flammes qui poussent des feuilles et des fruits.....
Sans doute, chacune de ces créations délirantes peut être décomposée
par morceaux et chaque morceau pris isolément n'est que la représentation
d'un objet réel. Mais la portée allégorique de ces combinaisons disparates
reste toujours fort obscure.
Elles ont, il faut le reconnaître, d'étranges analogies avec les oeuvres
artistiques exécutées par quelques individus sous l'influence d'une excita-
tion cérébrale artificielle, par exemple dans l'ivresse que procure l'alcool,
les essences et surtout l'opium ou le haschich.
Les grands Imaginatifs ont souvent et spontanément de pareilles pous-
sées incohérentes. Jérôme Bosch était assurément de ce nombre. Dans les
246 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
arts comme dans les lettres, les exemples ne sont pas rares de ces sortes
d'impulsions déréglées. Parfois, au milieu de l'oeuvre entière d'un artiste
on trouve une note discordante qui traduit ce désordre psychologique pas-
sager. D'autres fois, après une ère de créations raisonnables, apparaît une
série des productions progressivement incompréhensibles, indice d'un dé-
rangement cérébral qui va croissant. Chaque oeuvre d'art porte en soi le
reflet de l'état mental de son auteur.
Jérôme Bosch mérite peut-être la première place parmi les artistes ima-
ginatifs outrance. Il fut d'ailleurs secondé par les circonstances, car il ne
rencontra aucun obstacle il ses écarts d'imagination.
Rien n'était plus propre il développer sa tendance au fantasmagorique
que l'enseignement religieux de son époque. Les contes fabuleux inventés
par l'Eglise du Moyen Age, les descriptions terrifiantes du démon et des
tortures infernales, les comparaisons brutalement réalistes usitées pour
flétrir les péchés et les vices, ce répertoire imagé que les prêtres savaient
employer si il propos pour jeter l'épouvante dans famé des fidèles, tout
cela prêtait merveilleusement aux amplifications d'une imagination mala-
dive, et Bosch ne fit aucun effort pour en réfréner les écarts.
Il plut ainsi aux puissants de la terre. Le farouche persécuteur que fut
Philippe II, avait rempli son oratoire de l'Escorial des diableries d'El
Bosco et se perdait en sinistres rêveries devant ces peintures énigmatiques
et affolantes (1).
La plupart de ces tableaux sont aujourd'hui au musée du Prado où ils
n'ont plus le succès dont ils ont joui au temps des monarques inquisi-
teurs. Ils attirent cependant le visiteur par leur étrangeté, et ils surpren-
nent par la fraîcheur du coloris et la finesse des détails. L'Adoration des
mages, la Chute des anges rebelles, la Création d'Aam et d'Eve (2) sont
avec les trois Tentations de Saint Antoine (3) des compositions où la pro-
fusion des monstres, la bizarrerie des paysages n'exclue pas le sentiment
et la grandeur. Malgré soi, on s'oublie volontiers devant cette peinture de
visionnaire et l'on s'attarde à déchiffrer les énigmes qu'on y pressent ca-
chées.
Mais à côté de la fantasmagorie, on sent poindre la satire. '
Dans les divagations de son pinceau délirant, J. Bosch se montre aussi
le précurseur des réalistes et des moralistes qui font la gloire des Ecoles
flamande et hollandaise, les Bruegel, les Brauwer, les J. Steen, les Te-
(1) Les sept péchés 1 capitaux, les délices terrestres et les châtiments des vices en
enfer, etc....
(2) Musée du Prado, nos 1175, 1179, 1180.. z
(3) Id., n° 14 ï6, 447î, 1178. Il existe encore d'autres tentations de Saint Antoine at-
tribuées à J. Bosch, à Anvers, à Vienne.
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE M7
niers, etc. Réaliste et moraliste, J. Bosch l'est plus qu'aucun autre, sans
souci de la pudeur. Ses damnés, dans leur nudité insolente, ne dissimu-
lent pas les fautes qui les condamnent à l'enfer et leurs châtiments, ex-
pressifs sont d'un exemple inquiétant.
J. Bosch s'abandonne plus librement à la verve humoristique et à la
philosophie bon enfant qui devaient être le triomphe de ses successeurs,
dans les scènes rustiques dont il a laissé quelques rares études.
Les misères humaines ont leur côté grotesque que les peintres hollan-
dais se sont complu à faire ressortir. Boiteux, bossus, estropiés, culs-de-
jatte, abondent clans leurs compositions familières. La peinture des OEuvres
de miséricorde a été le prétexte le plus fréquent de toutes les figurations
réalistes.
Un dessin de J. Bosch, conservé à Vienne dans la collection Albertine,
prouve que les difformités du corps humain ont tenté son crayon réaliste.
A cet égard il est aussi le précurseur de P. Bruegel, de Brauwer, de van
der Venne et des Teniers.
En France, Callot s'est rendu célèbre par ses dessins inspirés des mê-
mes sujets. Lui aussi, avait l'amour du fantastique, comme en témoignent
ses tentations de Saint Antoine.
Il n'est pas sans intérêt de constater en passant la fréquence de cette
tendance aux compositions follement imaginatives chez les artistes qui
sont enclins à reproduire les difformités et les bizarreries naturelles du
corps humain.
La verve satyrique de Bosch se manifeste encore avec éclat dans la pein-
ture des scènes médicales, dont on trouve chez les maîtres flamands et
hollandais de si fréquentes répliques.
Ici, l'humoriste avait beau jeu, car les médecins de son temps prêtaient
à bien des critiques. Leur science était le plus généralement faite de
mots ronflants et de costumes prétentieux auxquels les esprits simples
pouvaient seuls se laisser prendre. Leur charlatanisme éhonté méritait t
d'être bafoué par la satire du simple bon sens. J. Bosch a senti leur suf-
fisance grotesque et il l'a peinte. Il a frappé juste comme plus tard, avec
de meilleures armes, devait frapper Molière, écrasant sous le ridicule
aussi bien le médecin ignorant et dénué de scrupules que le malade ima-
ginaire, dupe trop naïve de tant de billevesées.
*
.. x
Il existe, au musée d'Amsterdam, dans la salle de la vieille école hol-
landaise un tableau attribué à J. van Aeken, acquis en 1893 et qui n'est
pas encore catalogué (1).
(1) J'avais remarqué cette peinture lors d'une récente visite au musée d'Amsterdam.
248 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
C'est une petite peinture sur bois dans un cercle d'environ 25 centi-
mètres de diamètre, inscrit dans un rectangle de 40 à 50 centimètres de
côté. Les angles sont remplis par des peintures en camaïeu brun, repré-
sentant des animaux fantastiques, des arbres grimaçants, des pierres à
figures humaines qui sont tout à fait dans le goût de Bosch.
Un petit fanion, à gauche et en bas, porte le monogramme B dont l'ar-
tiste signait ses tableaux.
Sur le cadre en bois, on lit ces mois :
IIYERONYMUS VAN AEKEN GEZEGD BOSCH - HET SNYDEN VAN DEN KEI
(lliéronymus t'ail Aoken sicnaoaaIaé l3oscli-Les pierres de la tête).
, La scène ^peinte sur le cercle intérieur représente un chirurgien gro-
tesque opérant sur le front d'un patient assis sur un fauteuil en bois. Au
second plan et à droite,plusieurs personnages forment un groupe autour
d'une table (PI. XL). 1
L'opérateur, debout, de profil, pourvu d'un nez volumineux et d'une
lèvre inférieure proéminente, dirige la pointe d'un scalpel à lame courbe
vers le front de son client. Ce doit être un habile homme, car il opère à
distance, et à main levée. 11 fait une moue dédaigneusedes plus comiques :
pour lui, le cas est banal, et sera guéri en un instant.
Il est vêtu d'une longue robe traînante, rose tendre, à grand col évasé,
à larges manches serrées aux poignets, fendue sur le côté et laissant voir
sa jambe droite prise dans une sorte de maillot blanc. Ses pieds sont ju-
chés sur des sandales bizarres dont la semelle en bois repose par trois
pieds élevés sur le sol. Sur sa tète est planté un grand bonnet mou.
L'opéré est un gros petit »homme à ventre tout rond, et courtes jambes.
Il est assis sur un massif fauteuil de bois fixé par les pieds à un large
socle pour empêcher tout mouvement de bascule, et il y est solidement
maintenu par une bande d'étoffe entourant son gros ventre et attachée au
dossier. Ce meuble primitif est l'accessoire obligé de toutes les scènes de
ce genre, précurseur grossier des fauteuils perfectionnés utilisés de nos
jours pour les opérations sur la face, par les dentistes, les oculistes, etc.
Le siège est évidé'et sert à loger les sandales à semelles de bois de dif-
férente hauteur que l'opérateur devait mettre à ses pieds pour dominer
plus ou moins la tête du patient.
M. Obreen, directeur général du Rijks Muséum a eu l'extrême obligeance d'en faire
faire pour moi la photographie reproduite PI. XL. Je suis heureux à cette occasion de
rendre hommage à sa libérale érudition et de lui exprimer publiquement toute ma re-
connaissance, ainsi qu'à M.Van der Kellen, directeur du cabinet des estampes, au même
musée.
Nouv. ICONOGR DE LA S»t t.*TuiiÎH
T. VIII PL XL.
« LES PIERRES DANS LA TETE »
Tableau de Jérôme van .\1'1\1)\ (va : : Bosch) au Rijks Muséum d'Amsterdam
(Ewlc holla1JJ.\isc, XVe Siècle)
L. BATTAILLE ET C"
LES OPÉRATIONS SUR LA TÈTE 249
Ge petit homme, bien calé dans son fauteuil de bois, ne semble avoir
aucune inquiétude au sujet du traitement qu'il va subir. Sa bonne grosse
face rondelette exprime la confiance dans l'habileté de l'opérateur et dans
le succès de l'opération. La tête semble rasée en avant, comme il est indi-
qué dans les manuels opératoires de l'époque.
Voilà le groupe principal.
A droite et en arrière, une sorte de coffre ouvert par devant dans l'inté-
rieur duquel on aperçoit un grand pot.
Un second médecin est assis à droite, de profil, vêtu d'une longue robe
blanche à ceinture verte, d'un manteau rose, et 'd'un capuchon à collet
vert foncé; il est coiffé d'un petit bonnet pointu rose. Avec l'index de sa
main gauche, il montre un objet rond, rosé, déposé sur la paume de sa
main droite allongée sur la table. C'est la pierre de 1(,te.
Evidemment, il en parle avec compétence et il obtient l'assentiment
d'un homme vêtu et capuchonné de vert qui se penche pour regarder la
pièce à conviction, s'appuyant d'une main sur le coffre, l'autre main ap-
pliquée sur sa poitrine dans un geste de déférente approbation. Entre les
deux un autre personnage se penche et regarde également avec attention
la pièce intéressante. -
Sur le coffre est une tumeur semblable déposée sur un parchemin.
Au dernier plan, une femme à capuche blanche se lamente et essuie
ses larmes avec sa main droite.
A droite, un servant vêtu de rose, avec un bonnet vert, attache un
bandage autour de la tête d'un homme à barbe rare. Celui-ci, vient de
subir une opération du même genre ; il semble s'en être tiré sans trop de
mal et se prête d'assez bonne grâce au pansement. De la main droite, il
tient une longue baguette. ,
Le fond du tableau est des plus simples. A droite, c'est un mur nu et
brun ; dans le haut, une niche toute ronde loge un hibou, l'oiseau de
Minerve qu'on retrouve dans un grand nombre de scènes médicales sati-
riques.
A gauche de la composition, le mur s'arrête net, et laisse voir un petit
paysage très vert, au premier plan duquel est une table ronde en bois il
trois pieds grossiers, avec un broc d'étain, un verre, et un grand vase en
verre taillé et émaillé
Par terre, devant l'opéré, un chapeau à longs poils et une sorte de
fouet.
L'intention satirique est flagrante dans cette petite scène peinte avec
un coloris d'une rare fraîcheur. Les roses, les blancs et les verts y sont
d'une parfaite conservation. Quant au dessin il est assez fruste, mais in-
tentionnellement caricatural. L'opérateur esl grotesque, l'opéré l'est en-
250 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTR1ÈRE
core davantage. La gravité du médecin qui discute sur le corps du délit
est non moins comique. Il est certain qu'il épuise sur cette question tout
son répertoire de mots amphigouriques, et c'est ce qui inquiète si fort la
pauvre femme, au point qu'elle ne peut retenir ses larmes, car le patient
lui-même n'a pas l'air bien malheureux.
Si l'on en juge par la proéminence de son abdomen, on peut croire
qu'il est venu,se faire opérer « pour l'assoupissement et semblables dis-
positions de la tête qui proviennent de réplétion », comme dit Fabrice
d'Aquapendente.
*
..
J'ai vu dernièrement au musée du Prado un tableau qui offre avec le
précédent les plus grandes ressemblances.Le catalogue de 1893 ne lui attri-
bue pas de nom d'auteur. Il est porté comme appartenant l'école hollan-
daise du XVe siècle (1) et intitulé « Opération chirurgicale burlesque». Ici
aussi, la peinture est comprise dans un cercle inscrit lui-même dans un
carré rempli par des ornements d'or sur fond sombre, avec deux vers en
vieux hollandais écrits en caractères gothiques.
Le sujet est analogue. Un chirurgien, vêtu et coiffé de la façon la plus
grotesque, armé d'un énorme scalpel, fait une incision sur la tète d'un
vieillard. Un homme et une femme ridiculement accoutrés assistent à l'o-
pération. Les coiffures de ces personnages, leurs vêtements et tous les
accessoires sont aussi fantasques qu'incompréhensibles : des chandeliers
monstres, des entonnoires bizarres, des sortes d'artichauts et de tulipes
étranges, etc... dont la signification reste assez obscure.
L'agencement des personnages, le dessin et le coloris des figures gro-
tesques, enfin la disposition circulaire de la composition dans un carré
rempli d'ornements, autorisent à supposer qu'il s'agit bien d'une oeuvre
d'El. Bosco.
Cette opinion est aussi celle du P. C. Justi (2).
M. le Directeur du musée du Prado a bien voulu me faire envoyer le
calque de l'inscription en caractères gothiques qui entoure le tableau : elle
contient les deux vers suivants :
Meester snyt de Kye ras,
Myn name is Bibbert Das.
qui signifient, d'après M. Obreen.
Maître, opérez moi de la pierre rapidement,
Mon nom est Blaireau Frissonnant.
(1) N 18G0, Haut. 0.49, larg. 0.3 : i. il.
(2) C. Jt'STI, De Werke des Hieronymus Bosch in Spanien. Jahrbuch der Koniglich
Preussischen Kunstsaunulmigen, Berlin, 18S9, t. 10, p. 121.
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 251
La satire, on le voit, s'adresse en même temps à l'opérateur dont l'ac-
coutrement est du dernier grotesque, et il l'opéré qui, pour se guérir d'un
mal imaginaire, a sollicité une intervention sanglante, manifestement
inutile.
Cette peinture, comme la précédente, est conforme au dicton populaire
dont nous avons parlé. On peut y voir la reproduction des scènes jouées
dans les farces en Hollande. Mais, connaissant le goût de J. Bosch pour la
caricature fautasmagorique, on peut croire aussi qu'il a voulu faire une
satire burlesque des physiciens de son temps.
Jan Sanders, dit Van Hemessen
peintre flamand de la 2- partie du XV' siècle.
Van Hemessen (1) est le surnom d'un peintre flamand, Jan Sanders,
un des derniers représentants, avec les Pourbus et les Claeis, de la vieille
école nationale d'Anvers qui'résista quelque temps à l'influence de l'ita-
lianisme. Il peignitentre 1500 et 1555, el continua les traditions de Quen-
tin Matsys.'On trouve son nom inscrit dans la corporation de St-Luc
(comme élève de Henri van Cleet le vieux). Sa fille, Catherine van He-
messen, mania aussi le pinceau avec succès (2).
Van IIemessen, est surtout connu par ses peintures religieuses dont les
meilleures sont à Munich'et à Vienne.
Le musée du Louvre possède de lui un tableau : Le jeune Tobie rendant
la vue ci son père (n° 2001).
À Londres, à Bruxelles, à Anvers, etc., on voit encore diverses oeuvres
de van Hemessen. 1
Dans les salles basses du musée de Prado, à Madrid, où sont réunis
tant de chefs-d'oeuvres des vieilles écoles flamandes et hollandaises, se
trouve un tableau de van Hemessen, intitulé : El cir2jano de' lugar, Le
Chirurgien de village (3), titre vague comme la plupart de ceux qui
servent à désigner les scènes médicales. C'est une bonne peinture sur pan-
neaux en bois raccordés qui semble avoir été coupée dans tous les sens,
mais suffisamment conservée pour faire ressortir les qualités de son auteur :
dessin mouvementé, vigoureux et hardi, coloris riche, parfois excessif,
surtout dans les bruns et les -rouges, beaucoup de finesse dans les détails,
(1) Hemessen esl le nom d'un village des environs d'lnvers.-
(2) Un bon portrait d'homme signé de son nom et daté de 1552 se trouve dans la Na-
tional Gallery, à. Londres.
(3) N 1396 du catal. 1893. Col. de Philippe III. Haut. 1 mètre, larg. 1.41.
252 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
de l'originalité dans les figures d'hommes ou de vieillards, une grande
douceur dans les expressions féminines (1).
Il n'y a guère à reprocher que la dimension des personnages du pre-
mier plan, qui sont de grandeur naturelle et se trouvent tous plus ou
moins tronqués par le cadre. - - ,.....
La scène est expliquée de la façon suivante sur lé catalogue (2) :
« Le Chirurgien de village. Avec un couteau, il relire une pierre du
front d'un soldat, dont là mère se trouve mal à la vue de la'blessure ».
Celle description sommaire est inéxacte..T'ai pu m'en rendre compte en
voyant l'original dont la Pli. XLI donne une reproduction.
Il s'agit d'une opération chirurgicale en plein air. ' .
Le personnage principal, le chirurgien, opère debout, de face, sur le
front d'un patient assis sur un fauteuil. A sa droite, une vieille femme
maintient la tèle de l'opéré, une jeune fille apporte un,plat d'étain pour
le pansement. A sa gauche, un personnage âgé renverse la tète en arrière
et lève les bras en l'air, les mains croisées.
Le chirurgien, un vieillard, est coiffé d'un. chapeau à bords ronds en-
touré d'une étoffe sombre qui retombe sur l'épaule gauche. La face ridée
est remarquablement expressive : l'oeil profond, mi-clos, le nez fort sur
lequel chevauchent des besicles rondes, la bouche large, relevée aux coins
par un sourire un peu goguenard. C'est un vieux praticien qui n'en est
pas à son- coup d'essai. '
Il a une bonhommie compatissante aux misères humaines ; mais il est
cuirassé contrera vue du sang et les cris de douleur. Tout en opérant,
il doit conter à son client quelque histoire pour le distraire, le plaisan-
ter sur ses appréhensions et le rassurer sur les suites du traitement.
Il est habile : sa main droite tient légèrement le scalpel à manche courbe
dont introduit délicatement la pointe au fond de la blessure. Il est fort :
sa main gauche bien appuyée sur la joue du patient s'oppose aux mouve-
ments intempestifs et maintient la tête avec fermeté : ses doigts marquent
leur empreinte sur la peau. Enfin il est propre : car il a relevé ses man-
ches,.et opère, comme aujourd'hui, les avant-bras nus. '
L'opéré est assis devant lui sur une sorte de fauteuil en bois. Il y est
solidement maintenu par une écharpe bariolée fixée aux deux bras du
siège et passant au devant de la poitrine. Impossible de remuer les bras
qui, eux aussi, sont emprisonnés sous l'écharpe.' Mais les mains- sont li-
bres et elles ont leur langage : la gauche s'appuyant fortement sur un'des
(1) Le musée du Prado possède un'autre tableau de Van Ilemessen : Une Vierge
avec V En fànï Jésus. ' · '' " ' 'o' " ' ' .
(2) D. PEDRO nE Madrazo. Calai, des tableaux du Musée du Prado à Madrid, je édit.
1893, p. 246.
Noo ? ICONOGI( OF LA SmrErmfrsr. r. lit 1'1.. XLI
« LE CHIRURGIEN DE VILLAGE »
Tableau de JAN SA1\DI,RS (van Hemessen) au Musée du Prado (Madrid).
(Lcole flamande, seconde moitié du XVI* Siècle-).
L BATTAILLE ET Cie
Nouv Iconogr. n tw SwtvfiiRnfiRR ' ` · ? ·-··· A 4- -· '- i. ? i.f Yt, xtm.
« LES PIERRES DANS LA TÈTE »
(;1'.\\ 111C d'après un dessin de ]1¡rRRE 13RUI : GI,L le vieux, au cabinet des estampes du Musée d'Amsterdam.
(1-cole Ibn1.\l1de, XVI" Siècle}.
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 253
montants du siège, dans un geste de recul et de défense, la droite se
relevant sur l'avant-bras immobilisé, comme pour demander grâce.
On ne voit que jusque mi-corps le vêlement orné de broderies avec col
de fourrure de ce personnage. Rien cle martial dans son costume. L'appa-
rence de sa plaie a pu seule laisser supposer qu'il s'agissait d'une bles-
sure de guerre, par une pierre de fronde ou un projectile d'arquebuse.
La peau du front est incisée verticalement de la naissance des cheveux
à la racine du nez ; les lèvres de la plaie bien écartées laissent voir le fond
saignant, et, au milieu, un corps étranger de la grosseur d'une noix, que
l'opérateur énuclée avec la pointe de son scalpel. Voilà ce que l'on a pu
prendre pour une pierre de fronde. Nous verrons bientôt qu'on peut en
donner d'autres explications.
La figure du patient qui supporte cette extirpation douloureuse est des
plus expressives. Il souffre, et souffre beaucoup. Ses dents sont serrées ;
ses lèvres entr'ouvertes laissent passer ses gémissements ; des larmes cou-
lent de ses yeux ; les muscles de la douleur et de l'effroi se contractent :
les sourciliers, les pyramidaux, les zygomatiques, et les peauciers du
cou. Enfin, il fait effort pour dérober son front saignant au fer qui l'en-
taille, raidissant sa nuque et son cou.
Mais ses efforts sont vains. Sa tète est solidement maintenue à gauche
par la main gauche de l'opérateur et en arrière par une aide qui l'immo-
bilise dans ses deux mains.
C'est une femme âgée, à la figure compatissante, qui connaît sa consi-
gne et tient ferme le crâne de l'opéré. Une cornette sur la tète, elle a l'air
d'une soeur de charité accoutumée il seconder les chirurgiens dans toutes
leurs besognes. La plaie béante ne lui fait pas oublier son devoir. Sa
main gauche est un appuie-tète sur lequel on peut compter : elle ne craint
pas d'appliquer ses doigts un peu fort pour empêcher que le patient ne
se blesse dans un mouvement inopportun.
Derrière elle, une jeune femme an visage très doux, coiffée également
d'une cornette transparente, apporte un bol d'étain dans lequel elle pré-
pare quelque onguent. La tête est pleine de charme, d'une jeunesse et
d'une fraîcheur exquises.
A droite de la composition, et derrière le chirurgien, se voit le person-
nage, coupé il mi corps qui représente, d'après le catalogue, « la mère du
soldat se trouvant mal à la vue de la blessure ». S'il est douteux que l'opéré
soit un soldat, il est certain que ce dernier personnage n'est pas une
femme. Les traits du visage sont gros et durs, les clj ? ux courts et frisés.
Les lèvres, le menton et le cou sont couverts de poilb lianes et rudes : c'est
une vraie barbe qui n'a pas été rasée depuis plusieurs jours. Quant au
costume, c'est une'longue robe à larges plis avec col de fourrure, et il n'y
vm '1 i
25J NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
a pas de coiffure sur la tête. Le doute n'est, pas possible, surtout si l'on
considère les figures et les costumes féminins tels que Van Hemessen a cou-
tume de les traiter. Ici, c'est un homme, et un vieil homme.
Reste à comprendre son attitude. Il est possible qu'il s'agisse d'un éva-
nouissement au début. Une syncope complète s'accompagnera il de résolu-
tion musculaire; les mouvements volontaires cessent même avant la perte
de connaissance. Ici les bras levés, les mains croisées impliquent un geste
expressif, défini, voulu.
C'est la mimique du désespoir, de l'angoisse éplorée. Les yeux sont clos,
mais volontairement, pour nepas voir le spectacle de la blessure. La perte
de connaissance viendra peut-être tout à l'heure; mais assurément elle
n'est pas encore venue.
L'individu qui se lamente et qu'émeuvent la vue du sang et les gémis-
sements de l'opéré se retrouve dans la plupart des scènes de chirurgie :
c'est un type pris sur nature qui ne pouvait échapper à l'observation des
artistes. En général, c'est une femme au coeur sensible qui ne peut rete-
nir ses larmes. Van Ilemessen a peint un homme prêt à tomber en pâmoi-
son, sans doute pour mieux faire comprendre tout ce que l'opération avait
d'impressionnant.
Ce vieillard émotif a son intérêt, mais accessoirement. Il occupe mal-
heureusement dans la composition une place trop importante pour le rôle
qu'il est appelé a remplir et il nuit à la clarté de l'ensemble.
Aussi ne reste-t-il guère de place sur le panneau pour le fond et les
accessoires.
Dans le lointain on aperçoit un grand château avec fossés, poterne, tou-
relles, etc., puis quelques maisons à pignons en escalier et un clocheton.
Sur les bords des fossés des hommes se promènent en causant, des fem-
mes transportent des paquets de linge.
Les accessoires obligés de tout chirurgien en plein vent sont disposés
sur une table, à gauche devant la jeune femme qui porte un bol d'étain.
On y voit un grand parchemin couvert de caractères gothiques, sans doute
quelque précieux diplôme du vénérable opérateur. A côté, des pots d'on-
guent, une pince coupante à mors courbes, une boîte à scalpels, une ser-
viette, un écheveau de fil, un pot cerclé d'osier, un ballon bouché avec un
tampon de parchemin, un broc d'étain, et un panier d'oeufs.
Enfin, en haut d'une perche on distingue une sorte de planchette à la-
quelle sont suspendus par des ficelles de petits corps arrondis. On pour-
rait croire à des éporges ou à des tampons pour arrêter les hémorrhagies.
N'est-ce pas plutôt une série de corps étrangers extirpés avec succès
par l'opérateur, et exposés comme pièces à conviction pour attirer le
public. -
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE ? S ?
La planchette est peut-être une enseigne à boniment comme on en voit
sur tant de scènes de charlatans et de médecins de village.
Telle est cette oeuvre peu connue de van IIemessen qui, chronologi-
quement, prend place parmi les premières représentations picturales des
opérations sur la tête.
Faut-il y voir la reproduction authentique d'une opération sérieuse-
ment faite pour extirper un corps étranger ayant pénétré dans le front ?
On peut le soutenir, non sans vraisemblance. L'intention humoristique
qui éclate dans les compositions de Jérôme Bosch ne se retrouve plus ici.
Le cas paraît vraiment grave. Le patient porte au front une entaille de
dimension respectable, et il saigne abondamment; nous avons vu comme
il souffrait. L'assistante en cornette, au regard plein de compassion, rem-
plit son rôle avec une sévère conscience, et sa jeune acolyte ne se laisse
pas distraire de sa préparation pharmaceutique. Seul, le vieux chirurgien
semble bien augurer de l'issue de son intervention, et son sourire quel-
que peu gouailleur donne il réfléchir.
Opérerait-il aussi allègrement si quelque projectile avait fait au crâne
de son client une brèche aussi profonde ? On peut en douter, bien
qu'il y ait sur la table une pince qui a pu servir à retirer des fragments
osseux.
Peut-être n'a-t-il à extirper qu'une tumeur superficielle, quelque li-
pome, ou quelque kyste sébacé, facile à énuclécr, et sans danger aucun,
dans la région où il opère. Il faut.le souhaiter pour le patient.
Mais, en dépit de ces suppositions, aussi élogieuses pour l'opérateur que
pour l'artiste qui aurait ainsi reproduit une scène de chirurgie sérieuse,
on ne peut s'empêcher de songer ici encore à l'opération des chirurgiens
en plein air. Le corps étranger qui baigne dans le sang de l'incision fron-
tale est peut-être une de ces fameuses « pierres de la télé » qui existaient
seulement dans l'imagination des malades, mais qui prenaient corps en
glissant dextrement de la main du charlatan sur le front entaillé du patient.
La coupure est faite au lieu d'élection, la pierre a la forme voulue,
l'opéré est ligotté selon les règles, l'arsenal opératoire est au complet; il
ne manque ni le parchemin, ni l'écriteau, ni les réclames parlantes; on
y voit même le panier d'a;ufs frais, humbles honoraires des physiciens de
village.
Cependant il faut y insister encore, car de tous les documents ana-
logues, celui-ci se distingue par sa sévérité l'intention satirique est
presque insaisissable. L'idée même qu'il s'agit d'une allégorie aux « pier-
res de la tête » ne peut venir que par comparaison avec les tableaux des
256 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
humoristes qui ont traité ce sujet, J. van Bosch, P. Brueghel, J. Steen, etc.
Au Chirurgien de village de van Hemessen il faut réserver une place à
part parmi les peintures d'opérations sur la tète. Il se pourrait en effet
que ce tableau eut élé inspiré par une scène de chirurgie véritable, et non
par un tour de prestidigitation.
En tout état de cause, on ne peut méconnaître les qualités remarqua-
bles de cette peinture, les belles tôles des deux femmes, la figure si inté-
ressante du chirurgien, et. enfin, au point de vue médical, l'expression de
la douleur du patient, son curieux tigottage sur le siège opératoire, et les
accessoires de l'opérateur. Le personnage qui paraît tomber en pamoison
a aussi son intérêt. - '
Pierre Bruegel le Vieux ou le Drole,
peintre llamand (1530-15G9)
et ses descendants.
Parmi les représentants de la vieille peinture flamande, aucun ne tra-
duit le caractère national avec plus de verve et de naturalisme que Pierre
Bruegel, surnommé le Vieux ou le Drôle.
Il se révèle dans ses estampes comme un dessinateur original et auda-
cieux ; dans sa peinture, il est un des plus forts coloristes de son époque.
Fin observateur, humoriste plein d'entrain, philosophe railleur et bon
enfant, il poursuit brillamment l'oeuvre de réalisme moral naïvement
inaugurée par ses devanciers, et où triomphèrent plus tard tant de maîtres
des Pays-Bas.
Bruegel est le nom d'un village voisin de Broda, où l'artiste naquit vers
1530. On ne lui connaît pas d'autre nom.
Tout jeune, il vint à Anvers où il travailla sous la direction de Pierre
Coecke, un des hommes les plus érudits de son siècle, peintre, sculpteur,
graveur, architecte et géomètre. Puis il entra chez un célèbre marchand
d'estampes, Jérôme Cock, pour le compte duquel il travailla longtemps.
Jérôme Cock était l'éditeur des oeuvres de Jérôme Bosch. Pierre Bruegel
fut séduit par ce genre fantastique dans lequel Bosch était passé maître.
11 le copia d'abord, il l'imita ensuite, amplifiant le côté grotesque de ces
fantaisies folles.
Tout son oeuvre traduit cette influence première dont il ne chercha pro-
bablement pas à se défaire. Un voyage qu'il fil en France et en Italie,
vers ne modifia nullement sa manière. Pierre Bruegel le Vieux
resta toute sa vie le dessinateur des fantaisies burlesques qui l'ont fait
surnommer Bruegel le Drôle (lViesen Bruegel), et le peintre des scènes
rustiques de la vie flamande qui lui ont valu le nom de peintre des pay-
sans (Bairen Bruegel).
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 257
La plupart de ses estampes datées de 1553 à 1558 ont été publiées par
Jérome Cock.
Il est probable qu'il ne s'adonna sérieusement à la peinture qu'à partir
de l'année 1559, date de son célèbre tableau du musée de Vienne, La
dispute du Carnaval et du Carême. L'empereur Rodolphe II lui commanda,
pour sa collection de Pragues, plusieurs peintures qu'il paya fort cher.
La plupart sont aujourd'hui à Vienne.
Sur la fin de sa vie, en 1563, P. Bruegel vint se fixer à Bruxelles où
il épousa la fille de son premier maître, Marie Coecke, beaucoup plus
jeune que lui. Il mourut six ans après, en 1569, laissant deux fils, Pierre
et Jean, qui devaient continuer ainsi que leurs descendants les brillantes
traditions paternelles.
La famille des Bruegel ne compte pas moins de vingt-six peintres, dont
chacun a laissé des oeuvres importantes.
Des deux fils de Pierre Bruegel le Vieux, l'aîné est connu sous le nom de
Pierre II Brueghel (avec un H) d'Enfer, peintre de sujets infernaux et dia-
boliques, d'incendies, de massacres, et aussi copiste des oeuvres de son père.
L'autre fils, Jean I Brueghel de Velours a peint un nombre considérable de
tableaux dans tous les genres : fleurs, paysages, natures mortes, animaux,
marine, histoire, etc. d'une exécution très soignée, mais surchargés de
détails, et d'un coloris souvent faux. Il fut l'ami et le collaborateur de
Rubens.
Jean I Bruegel de Velours a eu deux fils peintres, et trois filles qui ont
épousé trois peintres dont David Teniers et Jérôme Van Kessel. Huit petits-
fils et quatre arrière petits-fils ont continué la tradition familiale.
L'oeuvre de Pierre Bruegel a dû être considérable. Cependant le nombre
des estampes ou des tableaux qu'on peut lui attribuer avec certitude est
relativement restreint. La cause principale de cette difficulté vient de ce
que ses descendants ont laissé eux aussi de nombreuses oeuvres d'art. Son
fils, Jean Bruegel de Velours, a même fait un certain nombre de copie des
oeuvres de son père. L'autre fils s'appelait également Pierre ; en général
il signait en faisant précéder son nom de l'initiale P. de son prénom, et il
intercalait un II après le G. Les principaux tableaux de Pierre Bruegel le
vieux sont signés BRUEGEL sans II et portent une date (1559 à 1568).
Comme son inspirateur Jérôme Bosch, Pierre Bruegel le Vieux a des-
siné ou peint des sujets religieux, des scènes rustiques, des allégories fan-
tastiques, et des fantaisies burlesques. '
Parmi toutes ces compositions, plusieurs présentent au point de vue
médical un réel intérêt. Les attitudes et les expressions de ses personna-
ges sont prises sur le vif avec une remarquable finesse d'observation, et
258 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
rendues avec un grand caractère de vérité : ils constituent pour le méde-
cin des documents réalistes dont l'exactitude ne peut être mise en doute.
La note caricaturale y est rarement exagérée. Pierre Brueghel s'est contenté
-de reproduire le grotesque et le ridicule tel qu'il existe dans la nature. Il
l'a souvent choisi dans les difformités humaines, sans cesser de s'y montrer
compatissant. Sa satire n'est pas exempte de pitié : elle est d'une gaieté
pleine de bonhommie et toujours morale. Elle porte sur des réalités, et
ses compositions allégoriques elles-mêmes puisent leurs éléments dans des
faits d'observation journalière.
.. *
»* *
Les dessins et les peintures de Pierre Bruegel le Vieux, sont aujourd'hui
disséminés dans toutes les collections de l'Europe. On conçoit qu'il soit.
* difficile de dresser une liste complète de celles de ces oeuvres d'art qui
relèvent de la critique médicale. Le nombre des documents que j'ai recueil-
lis à ce sujet est donc susceptible de s'accroître un jour ou l'autre. Plu-
sieurs d'entre eux ont été déjà signalés. Il suffira de les rappeler sommai-
rement. ' 1.
La première place doit être donnée à une scène rustique du plus haut
intérêt médical, dont Charcot et P. Richer les premiers ont donné la si-
gnification exacte (1).
Il s'agit d'une de ces processions de danseurs et de danseuses contor-
sionnés et grimaçants, fort en honneur au XVe siècle, dans les Pays-Bas,
pour invoquer le pouvoir miraculeux de St-Jean, ou de St-Guy. La criti-
que médicale de ce curieux document a été magistralement faite. Il de-
meure avéré que Pierre Bruegel a rendu avec une vérité parfaite les atti-
tudes des malades qui prenaient part à ces singuliers pèlerinages et qui
pour la plupart étaient des hystériques en proie, soit à des attaques du
type ordinaire, soit à des manifestations choréiformes de la névrose.
D'après Charcot et Paul Richer, les croquis de cette scène de proces-
sionnaires hystériques, seraient dans la collection de l'archiduc Albert, à
Vienne
Mais le dessin original à la plume fait par Pierre Bruegel existe dans la
collectionles estampes duIlijla lIuseum d'Amsterdam, etsuivantM.Obreen,
directeur général, son authenticité ne peut être mise en doute (2).
Au bas du dessin on lit ces mots : Ceux-ci sont les. pèlerins qui, le jour de
Saint-Jean, doivent danser à 11leulenbeeck, près de Bruxelles, et quand ils ont
dansé ou sauté par-dessus un pont, ils sont guéris du mal de Saint-Jean ,
(1) Voyez Les Démoniaques dans l'art (Charcot et P. Richer), p. 3.
(2) Le dessin a été gravé en 1642 par A. Iloudius (La Haye) et décomposé en trois
parties. Des exemplaires de ces gravures se voient au cabinet des Estampes (Paris).
/
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 259
pendant une année entière. Ce dessin porte la date 'de 1569, année où l'ar-
tiste vivait à Bruxelles et à la fin de laquelle il mourut.
Une procession du même genre a lieu de temps immémorial, le mardi
de la Pentecôte, à l'église de St-Willibrod, à Epternach, près de Luxem-
bourg.
La légende du dessin à la,plume du Rijks Muséum montre qu'il ne s'agit
pas de cette dernière comme le pensaient Charcot et P. Richer (1), mais
d'une cérémonie analoguequi avait lieu le jour de la St-Jean à Meulenbeeck
près de Bruxelles. /
Un remarquable tableau de P. Bruegel, au musée de Naples, la Para-
bole des aveugles, a été également cité et reproduit par Charcot et P. Ri-
cher, dans les Démoniaques dans l'art (2). Il en existe au Louvre une
bonne reproduction : x
Le musée du Louvre possède, depuis 1892, un très joli petit tableau de
P. Bruegel signé et daté de 1568, un an avant la mort de l'artiste. Il est
intitulé « Les mendiants » et provient de la collection de Paul Mantz (3).
Dans une cour entourée de murs en briques, cinq estropiés circulent,
accoutrés de vêtements étranges garnis de queues de renards, et ayant
sur la tète des sortes de mitres. Ils sont tous gravement éclopés, et se
traînent sur des pilons et des béquilles. Mais ils sont de joyeuse humeur
et ont l'air de mener grand tapage. /
Cette jolie peinture, pleine de fraîcheur et riche en détails réalistes est
un document qui n'a pas encore été signalé et dont l'intérêt médical ré-
side principalement dans la nature des difformités accidentelles 'de chacun
des estropiés ainsi que dans la forme des appareils, pilons, béquilles, etc.
utilisés pour remédier à leurs infirmités.
La Bataille des maigres contre les gras, au Musée de Vienne, est une pein-
ture remarquable, une des plus anciennes de l'artiste (1559). C'est une
étude fort curieuse de morphologie humaine où l'on voit à côté de la
maigreur squelettique la plus réaliste, des types d'obésité pris sur nature
et traités avec des détails d'une absolue vérité.
Bien des estampes et des tableaux de Pierre Bruegel le Vieux contien-
nent encore des personnages difformes ou infirmes très justement obser-
vés et habilement reproduits. Tel est le Combat entre des pèlerins et des
estropiés près d'un cimetière, au Musée de Berlin.
Les descendants de Bruegel le Vieux, tout en modifiant leur peinture
(1) Charcot et P. Bicher. Les Démoniaques dans l'art, p. 36.
(2) Loc. cit. p. 14..
(3) Haut. 0,17, long. 0,21, ne 1918 bis.
/
260 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
selon leur caractère, n'ontpas abandonné l'étude des documents naturels.
De Pierre Brueghel II le Jeune, existe au musée Kums (Anvers) un
tableau représentant les OE2cvres de Miséricorde, 1675. J'ai rarement vu
pareille agglomération d'infirmes et d'estropiés ; un cul-de-jatte qui se
traine sur le ventre, les jambes en l'air, atteint au summum des difformi-
tés humaines.
Deux infirmes sont particulièrement intéressants : un jeune enfant qui
s'avance soutenu par sa mère et une vieille femme paralysée de tout un
côté du corps. Ils représentent deux types d'hémiplégiques très bien obser-
vés : hémiplégie infantile, ou peut-être hémiplégie hystérique, chez l'en-
fant ; hémiplégie d'origine cérébrale chez le vieillard.
Dans le Toucher, l'un de ses cinq tableaux du musée de Madrid (n° 1232),
représentant les cinq sens, Jean Brueghel de Velours a placé sur une table
une collection d'instruments de chirurgie, peints avec la minutie de détails
qui lui est coutumière. Il y a là des renseignements très précis sur l'ar-
senal chirurgical au XVIIe siècle (1).
Une curieuse gravure d'après Pierre Bruegel le Vieux m'a été obligeam-
ment communiquée par M. Obreen, directeur général du Rijks Muséum,
auquel elle avait été signalée par M. van der Kellen, directeur du cabinet
des Estampes. La légende qui se trouvait au bas a malheureusement été-
coupée.
Le décor est simple et rustique.
C'est une grande salle aux murs nus sur lesquels sont accrochés quel-
ques ustensiles professionnels : des bassins, des ciseaux, un couteau, un
blaireau, des bandes d'étoffes. Çà et là, sur des plancheltes, des pots d'on-
guent, des fioles. Un grand parchemin auquel sont appendus d'énormes
sceaux garantit la compétence des opérateurs. C'est là que la gravure est
signée BRUEGEL INVEN (IT) 1557.
Une porte vitrée grand'ouverte laisse voir un paysage au bord de la
mer. Par l'imposte, on aperçoit l'enseigne où est peint un canard; à côté,
deux plats sont suspendus.
Un rideau à demi ouvert sépare le fond de la pièce du laboratoire : on
y distingue un fourneau, une cornue, des fioles, des pots, une cheminée
avec un chaudron pendu à la crémaillère. 1
Sur le rideau, une banderolle porte ces mots : T HVIS VA NELS : la
maison de Nels (probablement contraction du nom de Nelis).
(1) Sur un autre tableau de Jean Brueghel de Velours, au musée de Madrid, intitulé
l'Abondance est représenté un personnage polymastique (no 1236). Cette figure allégo-
rique est sans intérêt médical.
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 261
Une femme à demi cachée regarde curieusement derrière le rideau les
scènes mouvementées, à la fois bouffonnes et impressionnantes, qui se pas-
sent dans la grande salle d'opérations.
Ici en effet l'on opère en grand. Il n'y a pas moins de quatre patients
ligoités sur leurs chaises, sans compter ceux qui font irruption dans la
pièce dans l'espoir de se faire opérer au plus tôt.
A gauche de la composition quatre personnages forment un premier
groupe.
Le patient, un gros gaillard, maintenu sur un fauteuil de bois à large
dossier par un lac qui étreint sa large poitrine, hurle et se débat vigou-
reusement. Il est vêtu à la façon des paysans, assez misérablement d'ail-
leurs : son haut de chausse est largement déchiré au genou droit. De la
main droite il tient son bonnet appliqué sur le bras du fauteuil.
Un aide, à sa gauche, s'efforce de le maintenir, mais sans succès. D'un
geste violent, l'opéré le repousse avec rage, crispant ses gros doigts sur la
figure du malheureux et lui enfonçant brutalement son pouce dans l'oeil
droit. Dans cette position vraiment critique, le pauvre diable pousse des
cris lamentables; il n'oublie pourtant pas son rôle et continue à maintenir
le patient sur son siège.
Entre la poitrine de ce dernier et le lien qui le fixe au fauteuil est passé
un bâton court qui doit servir à resserrer ce lien par torsion.
L'opérateur est un vieillard velu d'une longue robe à col de fourrure,
coiffé d'un bonnet à oreilles; un grand binocle rond sur son grand nez,
un menton de galoche et les lèvres serrées, il travaille avec attention à sa
besogne barbare. Armé d'énormes pinces, de vraies tenailles, dont il tient
un manche dans chaque main, il laboure froidement le front de son client
dont le sang coule à (lois sur l'épaule droite. Ni la large blessure qu'il
vient de faire, ni l'affreuse grimace, ni les cris du patient et de l'aide,
n'émeuvent.ce maître tcnailleur. Il n'en est pas à son coup d'essai : par
terre, gisent sur un parchemin, à côté d'un large couteau, deux pierres
rondes, témoignages de ses prouesses antérieures. A la ceinture, il porte'
dans une corne tout un arsenal de scalpels, pinces, curettes, ciseaux, etc.,
à portée de sa main. Ses pieds sont chaussés de sandales à semelle de bois
semblables à celles que nous avons vues dans le tableau de Jérôme Bosch.
Au bas de sa robe, P. Bruegel a placé une inscription : « Den Deken Ronse
in Vlaedere ». Le Doyen de Ronse, en Flandres (1).
Derrière ce haut personnage, un homme, à moitié caché, se précipite
pour prêter main forte à l'aide éborgné par le patient.
Du même côté, sur un plan postérieur, deux individus semblent dis-
(1) Ronse ou Henuix est un village des environs d'Audenarde (Flandre orientale).
262 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
cuter violemment. L'un d'eux, un chirurgien sans doute, à l'affût d'une
opération, soulève le chapeau de l'autre et découvre une tumeur sur
son front. « Ah ! pauvre homme, semble-t-il dire, qu'avez-vous là ? vite,
opérons, s'il en est temps encore ».
Mais l'autre ne l'entend pas ainsi, il se dérobe de son mieux ; pas très
vite, car à la place du pied droit il a une espèce de pot qui doit singuliè-
rement retarder sa fuite. Il a dû déjà avoir maille à partir avec les chi-
rurgiens, il veut défendre son crâne : au besoin môme il est prêt à jouer
du couteau qu'il tient dans sa main gauche. Qu'on le laisse en paix, ou
gare les représailles ! -
Ce duo satirique est d'un réalisme moral tout à fait expressif.
A droite du dessin, une autre opération. Cette fois, le patient est une
femme sérieusement emmaillottée et bien fixée il son fauteuil de bois. Son
corps et ses bras sont emprisonnés sous une large bande de fourrure, atten-
tion délicate réservée au sexe faible pour adoucir la constriction des liens
sur la poitrine. Seulement, comme en ce jour de délire opératoire, il y
avait pénurie d'aides, le chirurgien, pour maintenir la tête de sa cliente,
n'a trouvé rien de mieux que de fixer au dos du fauteuil un long bandeau
qui passe sur ses yeux : procédé tout simple qui, en outre, a l'avantage de
ne pas exposer la pauvre femme à la vue de son sang et de celui des autres
opérés. D'ailleurs, au cas échéant, l'opérateur a sous la main un ustensile
infaillible pour faire tenir la patiente en repos : c'est un petit balai fixé
au dos du fauteuil avec lequel il saura la fustiger, jusqu'à ce qu'elle en-
tende raison. Grâce à ces précautions savantes, l'opérée reste assez calme,
se contentant d'ouvrir la bouche pour gémir, faute de mieux.
De ses cris, le chirurgien n'a cure. C'est un petit homme à l'air décidé,
vêtu d'une longue houppelande largement bordée de fourrures, et coiffé
d'un étrange bonnet, sorte de panier cylindrique dont le couvercle pend
sur l'oreille, et au fond duquel on voit comme le goulot d'une bouteille.
Bien campé sur ses jambes, le corps rejeté en arrière, audacieusement,
il incise la peau du front avec un énorme bistouri : c'est le premier temps
de l'opération. Pour le second, la pince est prêle sur un meuble voisin
et sur un tabouret tout proche les rugines, les sondes, les marteaux, les
curettes sont il profusion. -
La pierre est prête aussi, car il faut bien qu'elle soit quelque part,
et comme la malade n'y voit goutte, point n'est besoin de se gêner : la
provision est tout bonnement préparée sur ses genoux et il y a au moins
trois pierres de dimensions fort respectables. Quel soulagement pour cette
femme quand son bandeau relire, elle pourra voir les trois galets qu'elle
savait bien être logés dans son crâne ! Comme elle a eu raison d'avoir
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 2C3
confiance en l'habile homme qui a si merveilleusement réussi cette
triple extraction ! .
Troisième fauteuil. Là, l'opération est terminée. Le patient, la tête enlou-
rée d'un linge, semble attendre un pansement plus complet. Pour se dis-
traire, il regarde le gros homme qui se débat, sous la tenaille, et il sourit.
Chacun son tour, n'est-ce pas ? - Ce peu charitable personnage a le pied
gauche sur son chapeau, le bras gauche en écharpe, et, un énorme coute-
las sous le bras droit. Un hibou est perché sur le dossier de son siège.
Par terre, auprès de lui, une vieille femme tout à fait grotesque est
assise dans un grand panier, une jambe passée par dessus le bord, un pot
en équilibre sur sa tête de sorcière; elle s'occupe à souffler Sur une es-
pèce de cornue dans un chaudron.
Enfin le quatrième et dernier fauteuil est occupé par un gros compère
dont un chirurgien racle le front avec le dos d'un scalpel. Il pousse des
cris affreux, ouvrant une bouche énorme'et tirant la langue de travers.
C'est sûrement un fameux buveur, car il tient encore dans la main gauche
un grand pot à couvercle d'étain appuyé sur son genou. Pour le moment,
il ne peut en faire usage, ayant le corps et les bras immobilisés par une
large courroie de cuir qui le fixe au dossier de son siège : avec un homme,
inutile d'employer un lac rembourré. L'opérateur s'apprête à introduire
l'index de la main gauche dans la plaie. Derrière lui sur une petite ta-
blette ronde, trois pierres sont déposées.
Voilà déjà bien des clients. Mais il faut croire que la journée est bonne,
car il en arrive encore, et l'on n'en voit par la fin.
Par la porte entre précipitamment, saluant avec l'air d'un heureux ra-
coleur, un homme sur le dos duquel est juché un gros moine à figure
contrite, portant au front la marque indéniable de la pierre de tête. Un
autre le suit en geignant, montrant à deux mains le siège du même mal.
Puis un troisième et peut-être d'autres encore.
On ne chôme pas dans le métier d'arracheurs de pierres et le cabinet
du Doyen de Ronse est extrêmement fréquenté..
\
Il s'agit bien évidemment ici d'une composition satirique; mais la sa-
tire doit porter sur des faits dont l'auteur a pu juger par lui-même et
qu'il s'est plu à ridiculiser. Dans ses oeuvres les plus fantaisistes, P. Brue-
gel s'inspire toujours des documents naturels, au moins pour l'exécution
des détails. Il n'a pas inventé de toutes pièces cette scène de chirurgie
burlesque et s'il a figuré tant d'arracheurs do pierre de la tête, c'est qu'il
a eu plusieurs fois l'occasion de les voir à l'oeuvre sur les places publi-
ques ou dans les officines des villages flamands.
En outre, dans la' gravure précédente, l'intention satirique ne vise pas
264 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
seulement la passion opératoire des physiciens peu scrupuleux, elle frappe
aussi la fièvre d'opération qui sévissait sur les malades elles faisait se
précipiter sous le bistouri.
Il semble qu'il y ait eu alors une sorte de délire de la pierre poussant
les malades à voir dans un caillou du crâne la source de tous leurs maux
et à implorer des spécialistes la bienfaisante extirpation.
Les engouements de ce genre pour des médications nouvelles, adroitement
prônées, sont chose fréquente dans l'histoire médicale.
Il fut un temps où la saignée fit rage. On saignait pour un rhume, pour
un panaris, pour une fluxion. On saignait pour la fièvre, et l'on saignait
contre la fièvre, pour l'excès de sang et pour le défaut de sang. On saignait t
pour chasser la maladie, et les gens bien portants se faisaient saigner pour
la prévenir...
De nos jours, on voit encore, de semblables errements, car la raison
perd ses droits devant la souffrance et l'espoir de guérir peut conduire à
toutes les folies.
La maladie des pierres de tête et son traitement chirurgical ont dû jouir
de la faveur singulière qui fait se propager si rapidement les affections
et les procédés thérapeutiques il la mode.
Les extracteurs de pierre en ont largement bénéficié, si l'on en juge par
les documents figurés que nous ont laissé sur leur étrange pratique les
artistes flamands et hollandais.
Le gé1'a11t : Louis IiATTAILLE·
Imp. Vve LOURDOT, 33, rue des Batignolles, Paris.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA SALPÊTRIÈRE
OPHTALMOPLEGIE EXTERNE BILATÉRALE
ET HÉMIPLÉGIE DROITE,
CONSÉCUTIVES A LA ROUGEOLE
par
M. le Pr F. RAYMOND
Leçon faite à la Salpêtrière le 14 Juin 1895 et recueillie par
M. le Dr A. Souques
Chef de clinique.
Messieurs, /
Le petit malade, qui est assis devant vous, est atteint d'ophtalmoplégie
externe bilatérale et d'hémiplégie droite, survenues au cours d'une maladie
infectieuse : la rougeole. Avant de discuter la nature de ce syndrome mor-
bide et de préciser le siège de la lésion originelle, il me semble nécessaire
de vous exposer l'évolution clinique des accidents. La connaissance de ces
données est d'ailleurs, dans le cas présent, indispensable à la solution du
problème. Les voici donc en substance.
Louis Th...., âgé de huit ans, a eu une première enfance pénible et ma-
ladive : des convulsions à dix-sept mois, de l'incontinence nocturne jusqu'à
trois ans, une fluxion de poitrine à six ans et enfin des bronchites répé-
tées jusque dans ces derniers temps. Mais je ne veux point insister sur ce
chapitre; j'arrive immédiatement à l'origine des troubles actuels.
Au mois de mai 1894, le jeune Th.... contracte une rougeole qui le
tient couché durant quinze jours. Pendant son séjour au lit, l'enfant se
plaint un matin de fourmillements dans la main droite mais on n'attache
aucune importance celle plainte. Quelques jours après, il demande à
manger. La mère s'aperçoit alors avec stupéfaction que cetle main droite
vin 18
266 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPLTRIÈI1E
est maladroite et faible, qu'elle saisit mal et laisse échapper les objets,
qu'elle presse sans énergie, qu'elle est, en un mot, paralysée. Bientôt, la
convalescence étant venue, on commence il lever l'enfant. Jugez du dou-
loureux étonnement de la mère, quand elle constata que son fils marchait
très difficilement et « trébuchait comme s'il avait bu ». Trébuchait-il à
cause d'une parésie du membre inférieur droit ? S'agissait-il simplement
de titubation et de démarche ébrieuse ? Nous n'avons pu obtenir, sous ce
rapport, de renseignements précis. 11 est très possible que le trouble de
la démarche relevàt d'une double cause : de la titubation et de l'hémipa-
résie. -
Quoi qu'il en soit, les souvenirs de la mère sont, au contraire, très
fidèles au sujet de l'apparition des phénomènes oculaires. Elle les a re-
marqués en même temps que la paralysie de la main droite, dès que le
catarrhe de la rougeole a disparu, dès que l'enfant a pu rouvrir les yeux.
Je tiens à souligner, en passant, l'apparition simultanée des troubles
oculaires et de la paralysie motrice, apparition insidieuse, presque
latente, sans malaise, sans étourdissements, sans vertiges, en pleine pé-
riode d'état de la rougeole, ou au commencement, tout au plus, de la
convalescence. Ce mode de début comporte, en effet, des enseignements
que j'invoquerai tout à l'heure. Je poursuis donc mon récit.
Notre malade, au bout de quelques semaines, est envoyé il la campagne.
C'était au mois d'août. Là les troubles, au lieu de s'amender, s'accentuent.
Ainsi l'enfant marche beaucoup plus mal : il tombe fréquemment, il telle
enseigne qu'il est incapable de courir ou de descendre seul un escalier.
C'est dans ces conditions qu'il est conduit, une première fois, à la con-
sultation de. la Salpêtrière. Il nous a été facile de contrôler les troubles
que je viens de' vous raconter. Du côté des yeux, l'oeil gauche était dans
une position normale 'et. l'oeil droit dévié en dehors. Dans l'oeil gauche,
IF , , . 9
les mouvements de latéralité étaient totalement perclus, l'élévation très
limitée mais l'abaissement normal. Dans l'oeil droit, l'abaissement se fai-
sait également bien, tandis que .l'élévation' et les 'mouvements latéraux
restaient 'très incomplets ? Il existait en outre un certain ptosis bilatéral
qui donnait au visage cette expression spéciale, co « faciès d'Ilutchinson »
que vous connaissez bien. La photographie que.voici; prise il cette époque,
me disperisera de commentaires (l'I. XLIII). J'ajoute que les pupilles
étaient écàles ? quel les,, i,àagissaie ii normalement à la lumière et à l'ac-
commodation et que, d'autre part, l'acuité visuelle était intacte.
Ainsi se présentait, en octobre dernier, l'ophtalmoplégie externe de cet
enfant. Du côté des membres, nous notions deux phénomènes distincts : une
titubation manifeste qui donnait à la démarche un caractère incertain et
ébrieux et, en outre, une hémiparésie droite. Cette hémiparésie droite, avec
Nouv Iconogr. 1.>I.. la SAL}>Tklt¡.U. T VIII. VL. XLIII.
OPHTALMOPLEGIE EXTERNE BILATERALE
Avec hémiplégie droite, consécutive'; ;t l.t la rougeole.
L. BATTAILLE ET C"
EDITFURS
OPllTALIV1OPLÉGIE EXTERNE BILATÉRALE ET HÉMIPLÉGIE DROITE H67
participation du facial inférieur, se compliquait d'une légère atrophie de la
main. Il s'agissait là d'amyotrophie simple, c'est-à-dire, sans modifications
qualitatives (ni même quantitatives) de l'excitabilité électrique.
Tel était, au total, le complexus symptomatique. La sensibilité, en par-
ticulier, ne présentait aucune altération : les sensations périphériques
étaient normalement perçues. C'est à peine si le petit malade accusait
quelques fourmillements insignifiants dans les jambes. 1
Depuis cette époque, nous avons revu l'enfant à diverses reprises et at-
tentivement suivi l'évolution des phénomènes. Ainsi, en mars 1895, deux
signes nouveaux étaient survenus, à savoir, un nystagmus provoqué par
les mouvements d'élévation des globes oculaires et un tremblement du
membre supérieur droit, provoqué par les mouvements volontaires. Ce
tremblement, en effet, n'existait point au repos, mais il apparaissait dès
que l'enfant voulait saisir un verre, une fourchette, un objet quelconque,
et s'exagérait quand il voulait porter cet objet à la bouche. C'était un
tremblement intentionnel, à grandes oscillations lentes et irrégulières,
limité au côté droit, tout à fait semblable à celui de la sclérose en plaques.
Ni l'ophtalmoplégie ni l'hémiplégie ne s'étaient notablement modifiées.
Par contre, la titubation semblait moins accentuée, aussi la démarche
était-elle moins troublée : l'enfant écartait moins les pieds, ses pas étaient
moins incertains et plus réguliers.
Récemment ce petit malade est entré dans nos salles et nous avons pu
l'examiner à loisir. Il ne me reste plus maintenant qu'à vous mettre au
courant de l'état actuel. Vous connaîtrez ainsi, Messieurs, les différentes
phases du processus et la situation 'présente, un an après le début des ac-
cidents. Eh bien ! le tableau a peu varié. Vous voyez que ce petit malade
présente une hémiplégie droite, avec participation du facial inférieur,
sans troubles sensitifs ni vaso-moteurs, sans autres troubles trophiques
qu'un léger amaigrissement de la main. Les réflexes tendineux sont
exaltés du côté droit mais le clonus du pied y fait défaut. Vous voyez
que, dans la marche, la jambe droite traîne et que le pied correspondant
frotte le sol. Vous voyez, d'autre part, qu'il existe encore une légère titu-
bation avec entraînement et menace de chute du côté droit. Vous voyez
aussi qu'il existe un tremblement intentionnel, assez faible du reste, dans
la main droite.
Quant aux troubles oculaires, ils sont aujourd'hui notablement amen-
dés. Sans doute, il y a toujours un certain degré de ptosis ; encore est-il
beaucoup moins prononcé qu'à l'origine. Dans l'oeil droit, les mouvements
de latéralité et d'abaissement sont normaux; seule l'élévation du globe
est limitée. Dans l'oeil gauche, l'élévation et l'abduction sont encore im-
Il 1)68 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
parfaites. Le nystagmus vertical, par contre, reste très accusé et aussi
marqué qu'au mois de mars dernier.
Pour résumer en quelques mots cette évolution morbide, on peut dire
'qu'il s'agit aujourd'hui d'un syndrome nerveux complexe, caractérisé es-
sentiellement par une hémiplégie droite avec tremblement intentionnel,
par de la titubation et par des troubles oculaires ; d'un syndrome nerveux
qui s'est développé insidieusement, sans ictus, au cours d'une rougeole,
et qui, après avoir subi une phase d'augment et d'aggravation progres-
sive, tend à rétrocéder lentement. Il importait de connaître ce mode
d'apparition et cet enchaînement des phénomènes, avant d'aborder la dis-
cussion approfondie du cas.
Ces données étant connues, il ne nous reste plus, Messieurs, pour ré-
soudre le problème, qu'à déterminer le siège et. la nature de la lésion cau-
sale. Et d'abord, quel est son siège ? Très probablement dans la région
protubérantielle supérieure. Mais ceci demande démonstration.
Permettez-moi, au préalable, de vous remettre en mémoire quelques
brèves notions d'anatomie topographique, concernant l'origine réelle du
nerf moteur oculaire commun. Vous n'ignorez pas que IIeusen et Voel-
ckers, que Rallier et Pick, les premiers par des expériences intéressantes,
les seconds par des autopsies confirmatives, ont fixé cette origine dans la
Fio. 53. Origines réelles du nerf moteur oculaire commun du côté gauche (d'après
Testut).
III. Nerf moteur oculaire commun du côté gauche. V. trijumeau ; 1, plancher du
4' ventricule. 2, aqueduc de Sylvius. 3, glande pinéale. 4, ventricule moyen.
5, coupe du pédoncule cérébelleux moyen. 6, coupe transversale de la moitié gauche
de la protubérance. 1, coupe vertico-latérale de la protubérance et du, pédoncule
cérébral droits passant un peu en dehors de la ligne médiane. 8, noyau du moteur
oculaire externe du côté gauche (éminentia terres). 9, noyau du pathétique du
côté droit. 10, noyau externe se rendant après entrecroisement avec son congénère
dans le nerf moteuroculaire commun pour aboutir finalement au muscle droit interne;
a, centre du petit oblique ; b, centre du droit inférieur; c, centre du droit supérieur
et du releveur de la paupière; d, centre du droit interne; e, centre photo-moteur; i
f, centre accommodateur.
OPHTALMOPLÉGIE EXTERNE BILATÉRALE ET HÉMIPLÉGIE DROITE 269
colonne grise, située au-dessous de l'aqueduc de Sylvius et dans la paroi
du troisième ventricule. Ils ont; montré que cette colonne grise se com-
pose, en réalité, d'une série de centres successifs, destinés aux divers
muscles des yeux (Fig. 3). En avant, sur la paroi du troisième ventricule,
vous apercevez les centres des muscles de l'accommodation et des muscles
de l'iris. Puis, sous l'aqueduc de Sylvius, d'arrière en avant, les centres
des muscles droit interne, releveur de la paupière et droit supérieur, droit
inférieur, petit oblique. Enfin vient le noyau du nerf pathétique. Le
schéma de Perlia(Fig. 54), ainsi que vous pouvez vous en rendre compte,
concorde avec les données précédentes. Veuillez remarquer, je vous prie,
que ces centres occupent la partie supérieure de la protubérance, non loin
des tubercules quadrijumeaux, des pédoncules cérébelleux supérieurs et.
FIG. 54. Schéma montrant la disposition des différents groupes de cellules nerveuses
qui constituent le noyau d'origine du nerf oculo-moteur commun (d'après Perlia).
III. Nerf oculo-moteur commun. IV. Nerf pathétique avec son noyau d'origine -n. c,
noyau central, e. ? noyau d'Edinger Westphal n. v. a, noyau ventral antérieur
ou supérieur,-n. v. p, noyau ventral postérieur ou inférieur, - n. d. a, noyau dorsal
antérieur ou supérieur, n.d.p, noyau dorsal postérieur ou inférieur, - n. a. m, noyau
antérieur médian, n. a. 1, noyau antérieur latéral.
270 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÉTRIÈRE
de la couche optique; que les centres du nerf moteur oculaire droit tou-
chent presque ceux du moteur oculaire gauche. Ces centres, situés en effet
de chaque côté de la ligne médiane, sont presque au contact. N'oubliez pas
enfin que les fibres du faisceau pyramidal s'épanouissent dans la protubé-
rance en plusieurs fascicules, séparés les uns des autres par des fibres
transversales, venues surtout des pédoncules cérébelleux moyens (Fig. 55).
Ces notions sommaires d'anatomie normale vont nous permettre d'a-
border le diagnostic topographique. Imaginez un foyer morbide, occupant
la région protubérantielle et situé au-dessous de l'aqueduc, de manière à
intéresser les noyaux gris et les fibres du faisceau pyramidal gauche.
Dans cette supposition, les centres accommoda Leur et photo-moteur sont
complètement respectés. Que va-t-il se passer ? Quels sont les signes qui
vont traduire la présence d'une pareille lésion ? La réponse, Messieurs,
s'impose. Vous aurez évidemment une ophtalmoplégie externe et une
qphtalmoplégie externe bilatérale, car les centres droits et gauches de
la troisième paire sont contigus sur la ligne médiane et qu'un foyer
atteignant ceux du côté gauche doit presque fatalement intéresser ceux
Fio. 55. (d'après A. Van Gehuchten).
OPHTALMOPLÉGIE EXTERNE BILATÉRALE ET HÉMIPLÉGIE DROITE 271
du côté droit. De fait, l'ophtalmoplégie externe d'origine nucléaire se
conçoit malaisément et n'existe guère, en réalité, avec le caractère unila-
téral. Les preuves abondent dans la pathologie et je n'en veux pour té-
moignage que l'ophtalmoplégie externe des tabétiques. Voilà donc un pre-
mier résultat. En second lieu, un pareil foyer altérera par compression
ou par destruction les fibres du faisceau pyramidal gauche et en consé-
quence surviendra une hémiplégie droite, une hémiplégie vulgaire, de
type cérébral, avec participation par suite du facial inférieur, parce que
le foyer occupe la région supérieure de la protubérance et qu'il siège, par
hypothèse, au-dessus ou au niveau de l'entrecroisement des fibres cortico-
bulbaires du nerf facial. C'est, en effet, dans cette région, comme vous le
savez, que se fait cet entrecroisement. La face doit donc participer à l'hé-
miplégie. -
Voilà donc un deuxième signe. Ce n'est pas tout. Il pourra survenir
encore de la titubation, du nystagmus. Le voisinage des pédoncules cé-
rébelleux moyen et supérieur, du cervelet et des organes que je vous rap-
pelais plus haut, explique suffisamment l'existence de ces derniers signes.
Est-il besoin maintenant de vous faire remarquer que le complexus
symptomatique (ophtalmoplégie externe bilatérale, hémiplégie droite, ti-
tubation, nystagmus vertical) réalisé par une lésion imaginaire de pareil
siège n'est que le paradigme physiologique du syndrome constaté chez
notre petit malade ? Or identité de symptômes signifie, dans l'espèce, iden-
tité de localisation morbide. Il serait superflu d'insister sur ce point.
Soit, allez-vous me dire, mais comment expliquer alors l'amyotrophie de
la main paralysée ? Vous n'ignorez point, Messieurs, que l'atrophie mus-
culaire est assez fréquente chez les hémiplégiques vulgaires, qu'elle se
produit rapidement, qu'elle ne s'accompagne pas de troubles électriques
et qu'elle se localise très fréquemment aux petits muscles de la main. Jus-
qu'ici donc point de difficulté. Quanta la pathogénie de cette amyotro-
phie des hémiplégiques, vous savez comme moi qu'elle est encore mal élu-
cidée. D'aucuns ont prétendu qu'elle indique la participation de la couche
optique au foyer morbide. Je ne voudrais pas me porter garant de cette
supposition ; je ne vous la signale que sous bénéfice d'inventaire. Si elle
répondait à la vérité, le siège du foyer supposé, dans notre cas, au voisi-
nage de la couche optique, pourrait légitimer pareille hypothèse; mais
encore une fois, Messieurs, je ne veux pas m'en porter garant. Au sur-
plus l'interprétation importe peu.Il me suffit que l'amyotrophie fasse par-
tie des complications de l'hémiplégie cérébrale. Et le fait est hors de con-
testation.
Tout concorde donc, chez cet enfant, pour faire admettre l'existence
d'un ou de plusieurs foyers morbides dans la partie supérieure du pont
272 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIÈRE
de Varole, intéressant la région de l'aqueduc et la moitié gauche de la
protubérance. Une lésion, ainsi localisée, partiellement'destructive ou
plutôt compressive, peut et doit produire le syndrome en question.
Vous voyez que, grâce aux données de l'anatomie et de la physiologie,
le problème topographique s'est singulièrement éclairé. Il est nécessaire
maintenant de serrer la question de plus près, je veux dire de rechercher l'
le mécanisme, la pathogénie, la nature de cette lésion protuhérantielle.
Ces dernières années, grâce aux progrès de la bactériologie, le rôle des
infections dans le déterminisme des lésions des centres nerveux a été mis
en lumière par la méthode expérimentale. Les expériences récentes de
MM. Gilbert et Lion, )3oux et I'ersin, Roger, Bourges, Enriquez et Hallion,
Widal et Bezançon, Charrin, etc., ont montré que certaines toxines d'origine
bactérienne peuvent déterminer des altérations du système nerveux central.
Des lésions analogues ont été rencontrées chez l'homme, à la suite de ma-
ladies infectieuses. Assurément le dernier mot n'est pas encore dit, mais
il semble bien que ce genre de recherches doive fournir un jour la solu-
tion de plusieurs problèmes neuropalhologiques.
La rougeole, Messieurs, est une maladie infectieuse au premier chef. Il
est donc probable que, chez ce petit garçon, des toxines introduites et
charriées dans le sang soient venues exercer leur action délétère sur la
région prolubérantielle. Il se peut que cette action se soit exercée direc-
tement sur les éléments nerveux. J'admettrais plus volontiers un intermé-
diaire, c'est-à-dire la détermination d'artérites infectieuses. Ces artérites
auraient favorisé à leur tour la production de foyers de ramollissement
ou d'hémorrhagie. S'agit-il ici d'hémorrhagie ou de nécrobiose ? Encore
que l'apparition insidieuse et progressive du syndrome clinique plaide
pour l'existence du ramollissement, je ne voudrais pas éliminer catégori-
quement la possibilité d'un foyer hémorrhagique.
On peut donc supposer qu'un ou plusieurs rameaux artériels, émanés
du tronc basilaire vers sa partie supérieure, ont été frappés au cours de
la rougeole. Il en est résulté d'abord une diminution de leur calibre et
partant une irrigation insuffisante, une ischémie des territoires corres-
pondants, puis une obstruction plus ou moins complète de leur lumière
et par suite la détermination de foyers nécrobiotiques. L'évolution du
complexus symptomatique : apparition lente, aggravation progressive,
enfin rétrocession partielle, ne démentirait pas un pareil processus. L'éta-
blissement d'une circulation collatérale pourrait rendre compte de la ré-
trocession. D'autre part, l'évolution du mal est parfaitement compatible
avec la production d'ext1'avasats sanguins, consécutivement à la fragilité
post-infectieuse des parois artérielles.
Mais quels sont donc les rameaux qui ont été atteints d'artérite ou de
OPHTALMOPLÉGIE EXTERNE BILATÉRALE ET HÉMIPLÉGIE DROITE 211
capillarité infectieuse ? Ce sont évidemment ceux qui vont irriguer les
noyaux situés au-dessous de l'aqueduc de Sylvius, c'est-à-dire les centres
postérieurs des nerfs moteurs oculaires communs ainsi que l'origine des
pathétiques. Les centres antérieurs des nerfs de la troisième paire, à sa-
voir, les centres accommodateur et photo-moteur, étant respectés, il est
vraisemblable que ces derniers ne sont pas irrigués par les mêmes ra-
meaux. Vous savez que la protubérance reçoit ses vaisseaux du tronc ba-
silaire el que ses artères se divisent en médianes et en latérales (Fig. 5G).
Or les artères protubérantielles médianes, qui correspondent aux médianes
antérieures de la moelle, naissent de la partie supérieure du tronc basi-
laire, se dirigent directement en arrière, en suivant la ligne médiane, et
viennent s'épanouir au-devant et un peu en dehors de l'aqueduc de Syl-
vius. Elles fournissent par conséquent aux noyaux des nerfs pathétiques
Fic.. 56. Les artères médianes antérieures et postérieures du bulbe et de la protube-
rance annulaire (d'après Duret).
271 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
et oculo-moteurs communs. Les artères protubérantielles latérales (Fig. 57)
se perdent, à droite et à gauche, dans l'épaisseur du pont. Une lésion por-
tant à la fois sur les artères latérales gauches et sur les artères médianes
donnera lieu à des altérations du faisceau pyramidal gauche et des noyaux
situés au-dessous de l'aqueduc et réalisera le syndrome nerveux que pré-
sente notre malade. Que cette lésion artérielle post-morbilleuse ait abouti
à la production de petits foyers nécrobiotiques ou hémorrhagiques, peu
importe. Le résultat est totalement identique.
Pourquoi donc les filets iriens et ciliaires sont-ils respectés ? Parce que
les centres antérieurs des noyaux de la troisième paire, qui occupent le
troisième ventricule, sont assez nettement séparés des centres postérieurs
et qu'ils reçoivent sans doute une irrigation différente. C'est là une hy-
pothèse qui demanderait d'être confirmée par des recherches anatomiques
nouvelles. Dans tous les cas, la clinique plaide pour l'indépendance rela-
tive des centres antérieurs et des centres postérieurs du nerf moteur ocu-
Fic. 5 ? Les artères de la face antérieure de la moelle allongée et de la protubérance
annulaire (d'après Duret). 1, artères radiculaires du nerf accessoire de Willis.
2, artères spinales antérieures.- 3, artères radiculaires du nerf pneumogastrique.
4, artères radiculaires du nerf glosso-pharyngien. 5, artères radiculaires du nerf
oculo-moteur externe. 6, artères radiculaires du nerf facial et du nerf acoustique.
7, artères radiculaires du -trijumeau. - 8, artères radiculaires du nerf hypoglosse.
OPHTALMOPLÉGIE EXTERNE BILATÉRALE ET HÉMIPLÉGIE DROITE 275
laire commun. Il semble donc que ces deux parties du long noyau de la
troisième paire sont chacune sous un régime anatomique indépendant.
La fréquence de l'ophtalmoplégie externe non compliquée d'ophtalmoplé-
gie interne, et réciproquement, légitime, à mon sens, pareille suppo-
sition.
Il serait superflu, Messieurs, de pousser plus loin cette discussion. Il
s'agit ici, à mon avis, d'artérite infectieuse, consécutive à la rougeole,
d'artérite des rameaux que je vous signalais plus haut, d'artérite ayant
déterminé des altérations protuhérantielles dans une région que j'ai es-
sayé de préciser. 1
Vous n'ignorez point, Messieurs, que les lésions vasculaires jouent
aujourd'hui un rôle primordial dans l'interprétation des poliomyélites et
des polioencéphalites. Les observations récentes de Goldscheider et de
Siemerling ne laissent aucun doute à cet égard. Or les noyaux des nerfs
moteurs bulbaires'et protubérantiels ne sont, en définitive, que la prolon-
gation des cornes antérieures de la moelle.
Cela étant, je vous laisse le choix entre la production de petits foyers de
ramollissement et l'existence d'extravasats sanguins. Je ne tiens qu'à la
topographie et à la pathogénie grossière que je viens de vous exposer lon-
guement.
J'ai peut-être poussé un peu loin cette étude anatomique et physiologi-
que, pour établir l'origine nucléaire de l'ophtalmoplégie. Cela me dispen-
sera d'insister sur la pathogénie de l'hémiplégie droite et de la titubation.
Elle ressort avec évidence de la topographie même des foyers morbides,
je veux dire des fonctions des systèmes anatomiques intéressés.
Les détails précédents me dispenseront, en outre, d'insister sur telle ou
telle supposition que vous pourriez imaginer. Ne serions-nous pas, par
hasard, en présence d'une méningite basilaire localisée, englobant les
troncs des nerfs oculaires et lésant simultanément le pédoncule cérébral
du côté gauche ? Je ne le pense pas. A défaut d'autres raisons, l'intégrité
de la musculature interne'des yeux suffirait pour faire rejeter une sem-
blable hypothèse. Ophtalmoplégie externe, vous ai-je dit, est à peu près
synonyme de lésion nucléaire. Je ne reviendrai donc pas sur ce chapitre.
S'agirait-il, par aventure, d'un cas de polynévrite ? Je n'ignore pas qu'il
a été publié sous cette rubrique des faits très singuliers. Ainsi M. Dam-
maron-Meyer (1) a cité un cas d'ophtalmoplégie externe, associée à une
paralysie des membres inférieurs et de certains nerfs crâniens (facial, hy-
poglosse, vague et phrénique). On avait porté le diagnostic de polioencé-
phalite supérieure, analogue aux observations de Wernicke. A l'autopsie
(1) Bulletin médical, 1888.
276 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
on trouva la colonne médullaire grise et les noyaux bulbaires absolument
intacts. On découvrit, par contre, les altérations d'une polynévrite à la-
quelle participaient et les nerfs de la base du crâne et ceux des membres.
Un tel exemple est assurément très instructif et doit être retenu. J'ai ob-
servé moi-même un enfant de sept ans, qui fut pris de rougeole, le 22 mars
1894, et, quelques jours plus tard, de paralysie des membres avec inconti-
nence des matières et de l'urine. Tous ces phénomènes s'amendèrent pro-
gressivement, et, dans le courant du mois de mai, la guérison était com-
plète. Y a-t-il eu, dans ce cas, une lésion des nerfs périphériques ? Je ne
le pense pas. Je me rattacherai plus volontiers l'incontinence des
sphincters m'y oblige à l'hypothèse d'une lésion spinale légère,
ayant entièrement guéri. Ici la moelle aurait été lésée, comme l'a été
la protubérance chez notre malade d'aujourd'hui.
Il est, du reste, évident que le cas de IVI. Dammaron-Meyer n'est nul-
lement comparable à celui-ci. L'existence, chez ce petit garçon, d'une hé-
miplégie cérébrale suffit pour faire éliminer la supposition d'une névrite
périphérique. Une seule chose pourrait être supposée : ce serait la sclé-
rose en plaques. N'étaient le jeune âge de cet enfant et l'ophtalmoplégie
externe, je souscrirais volontiers à pareille hypothèse. Tout en rejetant
l'existence d'une sclérose en plaques, je tiens cependant à faire quelques
réserves à cet égard. '
Nous voici donc arrivés, Messieurs, à une solution satisfaisante du pro-
blème topographique et pathogénique que nous avions posé en commen-
çant. Un mot, avant de finir, sur le pronostic du cas. Vous vous rappelez
que l'évolution des accidents nous a permis de constater une certaine
amélioration de la titubation et de l'ophtalmoplégie. Je dois vous faire re-
marquer, pour ce qui concerne l'ophtalmoplégie, que le degré de la para-
lysie musculaire varie beaucoup d'un moment à l'autre, dans le courant
d'une même journée. Kalischer a bien mis cette particularité en relief,
dans un travail très documenté, paru il y a trois mois (1). Il faudrait donc
éviter de prendre un phénomène purement transitoire pour une amélio-
ration durable. Néanmoins, je crois que l'amendement survenu chez notre
petit malade est bien légitime. J'espère pour lui, sinon une guérison com-
plète, du moins une amélioration notable, grâce à une médication tonique
combinée avec l'électrothérapie, grâce aussi et surtout aux efforts de la
nature médicatrice.
(1) KALISCIIEII, Deuts. Zeit. fil1' Ne1'venheilk., t. VI, l'asc. 3 et 4, p. 252, 1895.
CONTRIBUTION A LA NATURE HYSTERIQUE DE LA
TÉTANIE DES FEMMES ENCEINTES
par
GILLES DE LA TOURETTE ET BOLOGNESI.
Nous avons eu récemment l'occasion d'observer une femme dont l'his-
toire clinique est susceptible croyons-nous de jeter un certain jour sur les
rapports de la tétanie des femmes enceintes avec l'hystérie. Mais, avant d'ex-
poser ce cas intéressant par le menu, nous croyons utile d'entrer dans
quelques considérations sur cette question de la tétanie dont l'évolution
est encore loin d'être close (1).
*
..
On n'ignore pas que c'est a partir du mémoire de Dance (2) que la
tétanie jusqu'alors fort mal décrite prit véritablement rang dans la noso-
logphie médicale. La dénomination de tétanos intermittent que lui attri-
buait l'auteur français, si elle étaitl mauvaise parce qu'elle préjugeait la
nature des symptômes observés, était cependant bonne en ce sens qu'elle
établissait un rapprochement d'une exactitude souvent irréprochable.
Nous ferons remarquer, en outre, qu'en décrivant les attaques de la jeune
femme qui fait le sujet de sa première observation, Dance n'hésitait pas
il comparer le serrement de la gorge qui les accompagnai it la sensation
qu'éprouvent les hystériques pendant les phénomènes prémonitoires des
paroxysmes convulsifs. Mais il n'alla pas plus loin.
En 1852, Lucien Corvisart (3) au nom de tétanos intermittent substi-
tuait celui de tétanie, terme adopté immédiatement par Trousseau qui allait
donner une bonne description de ce syndrome.
La tétanie est une affection paroxystique sujette à récidives. De la
forme bénigne ou moyenne, Trousseau (4) trace le tableau suivant :
« L'individu éprouve une sensation de fourmillement dans les mains et
dans les pieds, puis une certaine hésitation, une certaine gêne dans les
(1) Gilles DE 1..\ TOU1SSTTE, Traité clinique et thérapeutique de l'hystérie, 2e partie,
il, p. 12G, 1895.
(2) Dance, Etude sur le tétanos intermittent. Arch. de médecine, t. XXVI, 1831, p. 9.
(3) L. ConvisAmr. De la contracture des extrémités ou tétanie. Th. Paris, 18 : ;2.
(4) Trousseau, Clinique méd. de l'Hôtel-Dieu, éd. de 1862, p. 112.
278 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA^SALPÊTRIÈRE
mouvements des doigts et des orteils, qui n'ont plus leur liberté habituelle
d'action. Bientôt la convulsion tonique commence et se traduit par la rai-
deur des parties affectées, raideur que la volonté est impuissante à vaincre
complètement, quoiqu'elle lutte encore contre elle et que les malades puis-
sent encore faire agir dans une certaine limite les muscles contracturés,
mouvoir et même étendre un peu les doigts. Cette contraction involontaire
augmente, elle est douloureuse et tout à fait analogue à la crampe, à la-
quelle d'ailleurs les patients la comparent ».
Lorsque la contracture affecte les membres supérieurs, les doigts se ser-
rent les uns contre les autres, c'est la « main d'accoucheur » ; le bras
restant en extension ou en flexion, la main peut à son tour s'incurver for-
tement sur le poignet. Rarement les doigts sont écartés. « Aux extrémités
inférieures, les'orteils se fléchissent sous la plante du pied en se resser-
rant les uns contre les autres, le pouce se portant au-dessus d'eux, la face
plantaire se creusant d'une manière analogue à ce qui se passe à la main;
tandis que la face dorsale se cambre vigoureusement, le talon est tiré en
haut par la contraction des muscles de la partie postérieure de la jambe;
celle-ci est étendue sur la cuisse et la cuisse sur le bassin ».
Dans la forme grave, la contracture se généralise aux muscles du tronc
pour gagner le larynx et occasionner des accidents asphyxiques.
Nous avons dit que la tétanie procédait par accès. Pour les provoquer,
dit Trousseau, il suffit « d'exercer une compression sur les membres affec-
tés, soit sur le trajet des principaux cordons nerveux qui s'y rendent, soit
sur les vaisseaux, de façon à gêner la circulation artérielle et veineuse ».
C'est cette excitabilité exagérée des muscles et des nerfs qu'étudieront plus
tard Weiss (1), Erb (2) et Chvostek.
Dans l'une des observations qu'il publiait ultérieurement, Trousseau
notait le fait suivant :
« Je plaçai, dit-il (3), une ligature sur la cuisse droite, de manière à
comprimer les muscles, les vaisseaux et les nerfs. Les orteils correspon-
dants se contracturèrent rapidement; puis, bientôt après, ceux du pied
gauche entrèrent en contracture. Mais la synergie réflexe ne s'arrêta pas
là ; presque aussitôt les deux mains se contractèrent, et enfin la malade
eut une violente crise d'hystérie ».
Ainsi donc, chez certains malades atteints de tétanie, la compression
d'un membre : peau, muscles, filets nerveux, veines ou artères, est suscep-
tible de faire disparaître des contractures ou de déterminer des crises
(1) WEiss, Beitràge zur Tétanie. Wien. med. Woch., 1863, p. 683.
(2) Enu, Zur Lehre von der Tetanie nebst Delllerkungen ueber die Priifung der elec-
tischenErregbarkeit motorischer Nerven. Arch. f. Psych., t. IV, p. 271, 316, 1873.
(3) Trousseau, Clin. méd. de V Hôtel-Dieu, t. IV, p. 209.
NATURE HYSTÉRIQUE DE LA TÉTANIE DES FEMMES ENCEINTES 279
d'hystérie. Or, si l'on se reporte aux recherches faites à la Salpêtrière, on
verra que, chez certains sujets atteints de ce que M. Charcot appelait la
diathèse de contracture, on peut déterminer l'apparition de cette dernière
par l'application sur un membre de la bande d'Esmarck. De même, il
peut exister le long des membres, à l'attache des tendons ou en n'importe
quel point du tégument cutané, des zones hystérogènes dont la compres-
sion est susceptible de produire des crises convulsives. Ces deux variétés
de phénomènes sont incontestablement identiques à ceux que provoquait
Trousseau et qu'il croyait spéciaux à la tétanie, maladie particulière, indé-
pendante, suivant lui, de la névrose;
La possibilité de la nature hystérique de certains cas, au moins, de téta-
nie fut longtemps méconnue et l'on s'efforça d'attribuer à cette affection
'les causes les plus variées dont on trouvera l'exposé dans le récent traité
de Fraiicl,[-Ilocliwai-1 (1).
En 1886, M. le professeur Raymond (2) faisait entrer la question dans
une phase nouvelle. La tétanie n'est pas une entité morbide, c'estun syn-
drome appartenant il divers états pathologiques ; il termine ainsi qu'il suit
son exposé étiologique : « A notre idée, les prédispositions morbides
héréditaires ou acquises, et en première ligne l'hystérie, jouent un rôle
considérable dans le développement de la tétanie, que nous ne considère-
rons pas comme une maladie sui generis, mais comme un simple syn-
drome. »
Déjà en 1881, dans une leçon faite à l'Hôtel-Dieu, le même auteur (3)
étudiant un homme de trente-deux ans atteint d'une affection convulsive
dont il discutait le diagnostic, s'exprimait en ces termes (op. cit., no 7,
p. 125) : « Par le côté étiologique, on peut, jusqu'à un certain point,
comparer cette névrose aux chorées rythmiques des hystériques, tandis
que, au point de vue symptomatique, elle rappelle tout à fait la tétanie, et
puisque l'hystérie peut produire toute espèce de modalités pathologiques
nerveuses, pourquoi ne produirait-elle pas la tétanie ? »
En 1888, il revient sur cette question et publie, dans le Bulletin médi-
cal (4), une leçon dans laquelle, à propos d'un nouveau cas, il étudie les
rapports qui unissent l'hystérie au syndrome tétanie.
Les idées de M. Raymond avaient déjà trouvé un écho autorisé, car en
1887, M. Letulle (5), dans un travail sur les relations qui existent entre
(1) ruaNCm : IIocEwnnx, Die Tetanie, in-8o de 142 pages. Berlin, 1891.
(2) F. nA \ M01W, Dict. encycl. des se. m,id, , art. Tétanie, 1886.
(3) F. HA\MOND, Névrose convulsive et rythmique à forme de tétanie chez un homme
de 32 ans. Progrès médical, nos 6 et 7, 1883. -
(4) F. RAYMOND, Des rapports probables de l'hystérie et de la tétanie. Bulletin médi-
cal, 1888, p. 599. -
(5) LETULLE, De l'hystérie dans le saturnisme. Bulletin médical, 1887, p. 723,.740.
1
1 .
je
NOUVELLE ICONOGIiAPLIIE DE LA SALPÉTRIÈHE
tracture des deux avant-bras accompagnée d'anesthésie : « Pourrait-on
voir, dans cette contracture localisée aux extrémités supérieures, dans
cette tétanie saturnine, autre chose qu'une contracture hystérique ? La
rapidité d'action de la thérapeutique serait là, s'il était besoin, pour lever
tous les doutes. »
L'opinion émise par M. Raymond devait rencontrer un défenseur con-
vaincu dans M. Zaldivar (1) qui, rappelant les faits de Dance, de Trous-
seau que nous avons signalés, n'hésite pas à attribuer le signe de Trousseau
et celui de Weiss (contracture provoquée du facial) à la diathèse de con-
tracture.
Avec M. Raymond, il considère la tétanie comme un syndrome dont les
phénomènes peuvent être déterminés par des causes fort diverses : intoxi-
cation par l'absorption de farine de seigle ergoté ; maladies du système
nerveux central ; extirpation du corps thyroïde. Mais la forme essentielle,
celle où les précédents facteurs étiologiques font défaut, doit être attribuée
à l'hystérie.
Les faits récemment publiés par Nicolajevic (2), Schlesinger (3), celui
de J. Kulich (4), relatif à un ouvrier de 19 ans qui avait présenté anté-
rieurement des crises d'hystérie joint au cas plus complexe de Minor (5),
sont de nature à corroborer son argumentation.
Il est à remarquer que dans les deux cas de Nicolajevic et de Schlesinger
(qui semblent, du reste, se rapporter à une seule et même malade), il
existait du laryngo-spasme comme, d'ailleurs, dans nombre d'observations
de la forme grave de la tétanie. Certaines attaques de contractures avec
spasme de la glotte rentreraient donc dans le cadre de cette affection.
Or, on sait que ces attaques de spasmes ont parfois un pronostic des
plus graves. Mais faut-il généraliser et attribuer l'hystérie toutes les for-
mes graves de contractures avec laryngo-spasme ? Il ne semble pas qu'il
doive en être ainsi, si nous en croyons M. Vautier (6) qui donne à certains
de ces faits une origine stomacale. A la vérité, on ne trouve dans sa thèse
qu'une observation personnelle.
Il n'est pas jusqu'à la forme épidémique de la tétanie (celle due aux
(1) Zaldivar, De la nature hystérique de la tétanie essentielle. Th. Paris, 1888.
(2) NICOLAJEVIC, Ueber die Beziehungen der Tétanie zur Hystérie. Wien. med. Woch.,
1893, p. 526.
(3) Schlesinger, Soc. des méd. de Vienne. Anal, in Médecine moderne, 1893, p. 53a.
(4) J. Kulich, Casopis ceskych lékara no 11, 189=r. An. in Rev. Veut ? 15 avril 1891,
p. 205. ,
(5) un cas d'hystéro-tétanie. Soc. de neurologie et de psycla. de Moscou, séance
du 21 avril 1895. An. in Rev. Neurol., n" 14, 30 juillet 1895, p. 421.
(G) Vautieh, Contrib. à l'élude des crises de tétanie dans la dilatation stomacale,
Th. Paris, 1892.
NATURE HYSTÉRIQUE DE LA TÉTANIE DES FEMMES ENCEINTES 281
intoxications, à t'ergotisme par exemple) que la contracture hystérique ne
puisse simuler.
Lorsqu'on relit l'histoire de l'épidémie de tétanie qui sévit à Gentilly
clans une école de filles et donna naissance aux rapports d'Ilillairet, de
Magnan, de Jules Simon (1) et à la thèse de Mattraits (2) on ne peut s'em-
pêcher de rapprocher les faits observés, qu'on ne pensa pas alors à inter-
préter dans le sens de la névrose à ceux plus récemment rapportés par
M. Hirt (3) et dans le développement desquels personne ne songe à mettre
en doute l'influence de l'hystérie. '
Aussi dans son récent Traité de l'hystérie, l'un de nous (4) se croyait-
il autorisé à conclure :
1° Que l'hystérie revendique une grande partie des contractures dites
essentielles des extrémités ou tétanie dans leurs formes les plus bénignes
et les plus graves ;
2° Que la tétanie hystérique peut sévir de façon épidémique chez les
enfants en particulier;
Qu'à part ce dernier cas, où l'hystérie est le plus souvent monosympto-
mastique, le diagnostic, en se fondant sur la constatation des stigmates, la
diathèse de contracture en particulier, sans compter les véritables crises
d'hystérie convulsive qui coexistent souvent, n'offrira en général aucune
difficulté, aujourd'hui qu'on sait attribuer à la névrose ce qui lui appar-
tient.
Ajoutons qu'au moins en ce qui regarde notre pays, il y aura bien
rarement lieu de se préoccuper d'autre chose ,que de la tétanie hystérique.
Depuis 10 ans, il n'a passé à la Salpètrière, dans le service de M. Charcot,
aucun sujet atteint de tétanie non hystérique, si ce n'est la femme de
30 ans dont l'ohservation a été recueillie par M. Lamy, ancien interne de
la Clinique (5).
Et si, à la vérité, d'autres faits de tétanie ne relevant pas de l'hystérie
ont été publiés en France par Dreyfus-Brissac, Ballet, Laprévotle, etc. (G),
il n'est pas moins vrai que le syndrome envisagé dans ce sens est fort
(1) Jules Simon, De l'épidémie de tétanie de Gentilly ^Seine). Progrès médical, 1S7G,
no. 49, : jQ.
(2) Mit-traits, Quelques faits à propos d'une épidémie de tétanie. Th. Paris, 1877.
(3) Hun, Ueber eine von ihm an einer Dorsfchule (Gross-Tinz bei Leignitz, beobach-
tete Epidémie von hysterischen Kroempfen. Jahresb. d. Schles. Gesellesch. f. vaterl.
Cuit. 1892, Breslau, t. LXX, p. 56 et Berl. klin. Wochens., 1892, p. i ? li.)
(4) Gilles liE la Tourette, Traité clinique et thérapeutique de l'hystérie, 2'' partie,
t. II, p. 131, in-8o, 1S95.
(i) Obs. I, in Thèse DUFOUII, Conlribut. à l'étude de la tétanie ; tétanie des individus
sains ou tétanie essentielle. Th. Paris, 1892.
(G) Voir Th. Vautier, op. cil.
mu 19
282 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTR1ÈRE
rare chez nous, puisque M. Comby (1) dans une correspondance à propos
du Congrès de Rome (1894) pouvait s'exprimer ainsi : « En assistant
aux discussions de la section de pédiatrie, j'ai compris le désaccord qui
nous sépare dans les livres et les journaux au sujet de certaines ma-
ladies et de certains syndromes que nos confrères d'Allemagne et d'Autri-
che décrivent comme fréquents, alors que nous, Français, nous les décla-
rons très rares ou même exceptionnels. Je veux parler de la tétanie et du
spasme de la glotte, qui, pour Kassowitz, Escherich et bien d'autres sur
les bords de la Sprée ou du Danube, seraient des accidents extrêmement
communs, tandis que les médecins des bords de la Seine ne les observe-
raient presque jamais ».
*
..
L'observation qui va suivre est un exemple de plus en faveur de l'ori-
gine hystérique de la tétanie. A l'inverse de ce qu'on pensait autrefois,
la grossesse n'y joue que le rôle d'agent provocateur car, on va le voir
sans que nous ayons besoin d'insister davantage, la lecture seule de l'ob-
servation suffit à dissiper tous les doutes qui pourraient exister sur la na-
ture réelle, dans ce cas, du syndrome tétanique.
P. L. âgée de 31 ans, ménagère, nous est adressée par M. le D Bouilly. Elle
était entrée dans le service d'accouchements de l'hôpital Cochin pour des acci-
dents convulsifs pouvant faire penser à la tétanie chez une femme enceinte.
Elle entra à l'hôpital Cochin, salle Blanche, n° 2, service de M. Gilles de la
Tourette, le 2 février 1895.
Antécédents héréditaires. Père. Mort à 64 ans d'une pneumonie, a l'hô-
pital Laennec. Il aurait été très longtemps malade. Il avait eu la fièvre typhoïde
en 1870 à l'âge de 44 ans et depuis ne se serait jamais bien rétabli. D'un ca-
ractère très vif, emporté, toujours très exalté, il était alcoolique et avait, au dire
de la malade, tous les ans une attaque pendant laquelle il était comme fou pen-
dant 3 à 4 jours. Il se roulait par terre et poussait des cris violents ; on ne pou-
vait pas l'approcher. Pendant cette attaque, il n'avait pas d'écume aux lèvres,
ni de sang dans la bouche.
Les antécédents du côté des ascendants paternels sont inconnus. Le père de
la malade avait un frère qui est mort à 65 ans d'un cancer de l'estomac.
Mère. La mère de la malade est encore vivante et a 60 ans. Elle est
blonde et grasse comme sa fille. Elle a par moment des étouffements qui la
font tomber par terre et pendant cette chute elle rend de l'eau par la bou-
che en grande quantité. La crise dure environ 3/4 d'heure pendant lesquels
on croirait que l'intéressée va mourir. Elle sort de sa crise courbaturée pendant
2 à 3 jours. Cette crise survient tantôt toutes les semaines, tantôt tous les
mois.
(1) Comby, Médecine moderne, 11 avril 1894, p. 457.
NATURE HYSTÉRIQUE DE LA TÉTANIE DES FEMMES ENCEINTES 2R';
Elle a eu 5 enfants. Il lui en reste deux :
Un fils qui paraît très fort mais a souvent des accès de toux sèche. Il est
marié sans enfant.
Une fille qui est la malade actuelle.
Les 3 autres sont morts jeunes, deux du croup et un troisième eu nourrice.
Ménopause à 30 ans. - /
Du côté des ascendants maternels, le grand-père est mort à 39 ans, en 15 jours,
d'une fluxion de poitrine. ,
La grand'mère maternelle est morte à 60 ans de fatigues et de sénilité
précoce.
Antécédents personnels. La malade a eu une enfance maladive. Jusqu'à
de 3 ans, elle ne marchait pas et était presque tout le temps dans les con-
vulsions. '
Elle a commencé à parler a un an et demi.
Varicelle a 2 ans 1/2. Rougeole à 3 ans. Fièvre typhoïde à 5 ans.
Après ces maladies, elle s'est assez bien portée et avait acquis un certain
embonpoint. Elle avait déjà, étant enfant, un mauvais caractère. Elle était ca-
pricieuse, volontaire, difficile à tenir, et trépignait facilement des pieds quand
on la mettait en colère. Elle avait des rêves fatigants et peu de sommeil.
Réglée à 13 ans, c'est à l'époque de «ses premières règles qu'elle commença
avoir des crises à forme tétanique ressemblant aux crises actuelles et pour
lesquelles elle fut soignée pendant quinze jours il l'hôpital des Enfants-Mala-
des. On lui faisait prendre du bromure de potassium.
Enfui les règles se sont établies régulièrement et les crises ont disparu jus-
qu'à l'âge de 20 ans époque de son mariage.
Dans cet intervalle de 7 années, la malade avait cependant présenté quelques
phénomènes nerveux tels que : irascibilité ; journées entières à rire ou à pleu-
rer sans motif, puis étouffements à la fin de ces crises qui duraient 2 à 3 jours.
La malade sentait une boule qui partait du creux de l'estomac, lui montait à
la gorge et l'empêchait de respirer.
Elle n'a cependant jamais eu de grandes crises à tomber par terre.
Le sommeil était toujours agité par des rêves, des cauchemars avec visions
d'animaux, chutes dans des précipices.
Enfin elle se marie à 20 ans avec un homme jouissant d'une bonne santé,
d'un tempérament calme, non buveur.
Rien d'anormal ne se passe pendant les premiers mois de son mariage. Ce-
pendant, ses règles viennent deux fois par mois et, dans l'intervalle des règles,
elle a des pertes blanches.
Au bout de 6 mois, sans interruption des règles, elle a tout à coup une perte
de sang abondante pendant 15 jours.
Au bout de 9 mois de mariage survient un arrêt des règles et une première
grossesse.
Pendant toute cette grossesse, .elle ne présente rien de particulier, si ce n'est
les quelques phénomènes nerveux que nous avons signalés tout à l'heure.
Elle n'a pas de crises de tétanie. '
284 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALI'ÊTRlÈIIE
Elle accouche normalement terme d'une fille qui a actuellement 1,1 ails et
est bien portante. Cette fillette n'a jamais en de convulsions ni d'attaques de
nerfs; mais elle rêve et cause tout haut la nuit.
Elle ne se lève pas la nuit et ne pisse pas au lit.
Notre malade étant nourrice de' son enfant voit ses règles revenir juste un an
après son accouchement.
Réglée une seule fois, elle est reprise à nouveau d'un arrêt de la menstrua-
tion et d'une deuxième grossesse. Même état nerveux que pendant la première
grossesse pendant les cinq premiers mois, puis dans le cours du 5e mois survint
un beau jour une crise tétaniforme analogue à celles qu'elle avait eues à l'époque
de sa puberté. Voici comment évolua cette'crise : deux ou trois heures avant
l'attaque la malade se sentit mal il 'son aise; elle était prise par instant de
bâillements et de bouffées de chaleur à la gorge; la boule lui montait de l'es-
tomac et l'étonffait.. Puis, au moment du dîner, sur le point de se mettre, à
table (il y avait des amis invités), après s'ètre servie comme d'habitude de
ses mains, pendant les apprêts du festin, elle fut prise d'engourdissement
dans les mains et d'une absence complète de la sensibilité au contact. Elle ne
sentait pas les objets qu'elle touchait et se demandait si elle allait ne plus pou-
voir, se servir do ses membres supérieurs. Les mains étaient raides, mais non
douloureuses." '
Cette première crise dura une heure et se termina par une abondante
émission d'urine. Il est bon d'ajouter que, au moment de ses crises, la malade a
toujours envie d'uriner et urine beaucoup (deux litres au moins).
Une deuxième crise beaucoup plus accusée survint 3 jours après.
La malade était dans son lit, couchée avec son mari ; il était environ 5 heu-
res du matin. Depuis la veille au soir,. suivant son expression, les nerfs la tra-
vaillaient. Elle n'avait pas dormi ; il lui semblait que des milliers de bêtes res-
semblant à des fourmis lui couraient partout dans le corps, dans les bras, dans
les jambes, dans la tête. ' - 1 ils, ,
Elle était agitée par un besoin irrésistible -lie. mouvements ; elle se levait,
marchait,' se recouchait, remuait, gesticulait, ne pouvait rester en placé.
Elle avait des bourdonnements d'oreilles ;"c'était, dit-èllc, comme un roule-
ment de voitures.. . ' * \
Tout lui sautait dans'la face, son nez, ses oreilles, ses yeux, sa bouche, et il
lui semblait que cela était très visible sur son visage, demandant : \son'mari
s'il apercevait ces mouvements désordonnés qui étaient purement imaginaires.
Tout à coup, à 5 heures du matin, elle sent ses bras devenir raides et se con-
tracturer (pli. XLIV et XLY). ? .
Les bras s'éloignent du corps. L'avant-bras est en demi-flexion sur le bras,
les coudes écartés du tronc. Le poignet reposant sur le ventre est fortement
fléchi sur l'avant-bras. ' . . - - -' z
Les doigts .sont tellement fléchis dans la paume de la main que les- ongles
pénètrent dans la chair et laissent des écorchures après la crise. ' . ,
Celte fois, il n'y'eut pas de pronation du pouce. *"
La malade ressentait des douleurs excessives dans les membres surtout
Nouv. ICONOG. ! JE LA SALP £ TRI1- RE
T VI11 PL. %LIV LT XLV
cHWTW OL 1<kRHnUI·.
ACCIDENTS TETANIQUES D'ORIGINE HYSTERIQUE
Chez une femme enceinte.
L. BATTAILLE ET C"
NATURE HYSTÉRIQUE DE LA TÉTANIE DES FEMMES ENCEINTES ' · 28ü
quand on la touchait pour essayer d'empêcher les contractures de se produire.
Le moindre frôlement des bras et des mains produisait de vives douleurs
(hyperesthésie cutanée).
Pendant la crise la malade avait des bâillements et sentait sa boule l'étouffer.
Les jambes ne furent pas prises.
La durée de cette crise fut de 10 heures. Le calme reviut peu à peu. La
souffrance disparut. Les doigts se détendirent. Il resta encore un peu de fai-
blesse, puis tout disparut.
Il y eut un intervalle de 10 jours sans crise et jusqu'à la fin de cette deuxiè-
me grossesse, il survint tous les dix jours des crises identiques comme forme
et comme intensité aux précédentes. Enfin, la malade accoucha normalement à
terme, d'une fille qui a actuellement 9 ans et est bien portante. Elle a été, pen-
dant 10 mois, nourrie par la mère et au petit verre en même temps.
Elle n'a marché qu'à 2 ans 1/2.
Très nerveuse, coléreuse, elle trépigne facilement des pieds. Elle pleure sou-
vent, ne dort pas la nuit mais n'a jamais eu de vraie crise.nerveuse.
La malade eut son retour de couches au bout de six semaines et les règles se
montrèrent pendant les 10 mois que dura l'allaitement.
Deux ans et demi après ce deuxième accouchement arrêt des règles pendant
3 mois, puis fausse couche. Pas de retour de couches.
Deux mois et demi après, nouvelle fausse couche. Puis la malade est ensuite
réglée régulièrement pendant 4 mois.
Pendant tout ce temps,, elle n'a pas eu de crises. Survient une nouvelle
grossesse.
Les crises tétaniques apparaissent au bout de 5 mois, plus fortes que les pré-
cédentes et se montrant tous les quinze jours.
Cette fois, les jambes sont prises ; la malade a de la raideur et de l'engour-
dissement des orteils, cependant, elle pouvait marcher. Ce n'est qu'au bout
de 5 ou 6 crises que les jambes ont été envahies, les crises allant d'ailleurs en
augmentant.
Elle accouche à terme normalement, d'une fille qui ne, fut pas allaitée au sein
et mourut à 6 mois de convulsions, en nourrice.
Les crises avaient disparu avec l'accouchement.
Au bout de six semaines, la malade se trouve de nouveau enceinte et fait
une fausse couche de 3 mois 1/2 sans avoir eu de crises. Peu de temps après
cette fausse couche arrive une nouvelle grossesse. Cette fois, les crises appa-
raissent dans le cours du quatrième mois, encore plus accusées que précé-
demment. Les jambes sont contracturées ; les cuisses en adduction; les jambes
en rotation interne ; les pieds, en extension forcée ainsi que les orteils, sont
en pied-bot varus équin ; la marche est impossible.
Les crises qui durent une à deux heures environ se répètent tous les 10 ou
12 jours jusqu'à l'accouchement qui se fait normalement à terme.
L'enfant est une fille âgée de 5 ans aujourd'hui, très nerveuse, elle a des
crises convulsives à la moindre contrariété, grince clos dents, trépigne des pieds.
Insomnie, cauchemars, cris, pleurs; cris incohérents la nuit. Elle ne pisse
286 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIÈRE
plus au lit depuis un an, mouvements convulsifs la nuit. On l'a trouvée une
ou deux fois sur le tapis endormie.
Trois ans et demi se passent sans crise. Une nouvelle grossesse survient et au
quatrième mois apparaissent les crises tétaniformes avec participation des bras
et des jambes comme précédemment. Le tronc et la face ne sont pas pris.
Cette fois les crises reviennent tous les 8 jours. Elle accouche normalement
à terme d'un garçon qui a 14 mois 1/2 et est en nourrice. Après l'accouche-
ment, pour la première fois, elle.adeux crises, l'une deux heures après la par-
turition, la seconde deux jours après, puis tout cesse pendant quelques mois, la
malade ne présentant que les phénomènes nerveux qu'elle a d'habitude.
Une nouvelle grossesse survient et cette fois c'est dans le cours du troisième
mois que les crises se montrent plus violentes, s'accentuant de plus en plus,
complètes, tout le corps y participant, plus fréquentes, survenant bientôt toutes
les 24 heures, tantôt le jour, tantôt la nuit.
C'est alors que la malade effrayée vient consulter à l'hôpital, est reçue par
M. Bouilly qui nous l'adresse deux ou trois jours après, avec le diagnostic de .
crises tétaniques chez une femme enceinte de 7 mois ayant déjà eu 5 accouche-
ments et 4 fausses couches. La malade est admise dans notre service et on pro-
cède à son examen.
La malade ne présente rien d'anormal du côté des appareils cardio-vasculaire,
respiratoire et digestif.
Du côté du système nerveux, on retrouve les phénomènes déjà signalés :
insomnie, rêves, cauchemars, caractère irrégulier, sensation de boule, étouf-
fements, bâillements.
Stigmates hystériques. Sensibilité cutanée : sensation de contact con-
servée.
Douleur. Diminution générale sans hémianestllésie. Hyperesthésie géné-
ralisée au moment des crises, très exaltée quand on touche les membres con-
tractures.
Chaleur. Diminution considérable de la sensibilité il la chaleur. Avec le
thermoaesthésiomètre de Motchutkowsky la malade ne sent rien à 50°. Elle com-
mence un peu à sentir vers 85°.
Réflexes^ Pharyngien aboli. Rotuliens normaux ; un peu plus forts à
droite.
Zones hystérogènes. - Colonne dorsale dans sa moitié supérieure. Vertex.
Points ovariens.
Toutes ces zones sont douloureuses et si la pression est continuée un certain
temps, elle provoque des étouffements, des bâillements, la crise tétaniforme
s'esquisse, des contractures apparaissent.
Diathèse de contracture très manifeste.
Organes des sens. Vue. Pas de dyschromatopsie.
Rétrécissement concentrique du champ visuel à oo des deux côtés. La ma-
lade dit qu'elle voit parfois les objets en double (diplopie non vérifiée par l'exa-
men). Micromégnlopsie très manifeste.
Abolition du goût. ' '
NATURE HYSTÉRIQUE DE LA TÉTANIE DES FEMMES ENCEINTES 287
Ouie. Diminution de l'acuité auditive a droite.
Olfaction. Diminution de l'odorat.
La malade surveillée pendant son séjour, nous avons pu être le témoin
oculaire de plusieurs crises généralisées.
Un agent provocateur très manifeste de la crise est l'émotion. Dès que la
malade sait qu'on va la voir, dès que la visite des élèves a lieu, la crise se
produit, dans les premiers temps du séjour ;i l'hôpital. La crise est en général
précédée d'une aura caractérisée par des bourdonnements d'oreilles, des batte-
ments des tempes, des étouffements et des bâillements répétés, une agitation
continue; puis les contractures apparaissent. Tantôt les membres supérieurs
sont en demi-flexion, tantôt en extension. Tantôt la main prend l'attitude de la
main de l'accoucheur qui va pénétrer dans le vagin ou du pauvre qui demande
l'aumône, tantôt au contraire les doigts sont fortement fléchis dans la paume
de la main, avec ou sans pronation du pouce. Les membres inférieurs sont
toujours en extension avec adduction, extension forcée du pied dont les orteils
sont fortement fléchis. Le pied prend l'attitude du pied-bot varus équin.
Pendant cette dernière grossesse, la malade a eu des crises généralisées et
cette fois, suivant son expression, son ventre lui semblait ne plus exister ; il
était d'ailleurs devenu insensible ainsi que tout le bas du corps. Le thorax au
contraire est hyperesthésie et la douleur empêche la malade de respirer. Les
membres supérieurs contracturés sont douloureux.
Les crises ont une durée de 1 à 2 heures et se répètent tous les jours dans
les premiers temps, puis par la simple suggestion, le raisonnement, la persua-
sion, la malade finit par se rendre compte que son état ne présente rien de
grave, qu'elle va parfaitement guérir, aussi les crises diminuent-elles de fré-
quence, ne se montrent bientôt plus que tous les 8, 15 jours et enfin pendant
tout le 9° mois de sa grossesse les attaques disparaissent pour ne plus reve-
nir. La malade conserve cependant, son état nerveux ordinaire avec bâille-
ments, étouffements, cauchemars, mais elle, est débarrassée de sa tétanie.
Enfin, le 23 avril 1895 apparaissent les douleurs de l'enfantement; on l'en-
voie au Pavillon d'accouchement où elle met au monde, dans la journée, une
fille bien conformée du poids de 2 k. 650.
L'accouchement s'est fait sans difficulté, sans crises et la malade revue avant
son départ de l'hôpital, 12 jours après l'accouchement, est en parfait état ainsi
que l'enfant. Elle 'conserve encore quelques bâillements et parfois quelques
étouffements. Mais elle s'acquitte fort bien de son nouvel état de nourrice sans
aucune souffrance et sans crises de tétanie.
UN CAS DE GANGRÈNE CUTANÉE D'ORIGINE HYSTÉRIQUE
par
VEUILLOT.
Dans une .leçon faite, cette année, il l'hôpital Cochin et que nous avons
publiée, Bolognesi (1), M. Gilles de la Tourette étudiait les trou-
bles. trophiques et particulièrement, la gangrène cutanée d'origine hysté-
rique..11 présentait à ses auditeurs un malade âgé de 20 ans dont nous
désirons aujourd'hui rapporter l'histoire clinique in extenso, renvoyant à
la leçon précitée de notre maître et surtout à soir Traité de l'hystérie pour
l'interprétation des phénomènes que nous allons, décrire.' Nous'y joignons
des documents figurés que M. Durais, attaché à l'Institut Pasteur, a bien
voulu recueillir à notre intention. Nous insistons seulement sur les élé-
ments éruptifs situés au pourtour de la région oedématiée et gangreneuse
que M. Gilles de la Tourette considère comme étant presque pathogno-
moniclues dans l'espèce. ,
Lom... Louis, âgé de 20 ans, ayant exercé de multiples, professions ; en der-
nier lieu, saltimbanque, est entré le 20 mars 1895, salle Chauffard, à d'hôpital
Cochin dans le service de 1C. le Dr Gilles de la Tourette.
Antécédents héréditaires. - ? Du côté paternel aucun renseignement, le malade
étant,enfant naturel. Du côté maternel, L... n'a pas connu ses grands-parents ;
mais sa mère est une grande, hystérique; elle a actuellement encore de fré-
quentes attaques. Il a trois frères et une soeur, tous actuellement bien portants,
Son plus jeune frère est somnambule nocturne.
Antécédents personnels. Rougeole à 11 ans. Vers 17 ans, presque coup sur
coup, la fièvre typhoïde, .puis il peine convalescent la syphilis, et trois mois plus
tard chute d'un 3e étage sur une marquise de marchand de vin. Ce n'est que
vers cette période que son hystérie s'accuse ; mais déjà depuis sa jeunesse il eu
avait présenté l'état mental particulier et divers symptômes prémonitoires.
Pas de noctambulisme chez lui ; mais presque chaque nuit, d'aussi loin qu'il
se souvienne, il est sujet à des cauchemars terrifiants ou professionnels. Il
avoue d'ailleurs l'alcoolisme.
L... n'a jamais eu d'attaques convulsives. Mais il a de fréquents étourdisse- 1
(1) Gilles DE la Tourette, Troubles trophiques cutanés d'origine hystérique; état
mental des vagabonds. Bulletin médical, ne 48, 16 juin 1895.
Nouv. ICONOC DF Lp SALPFTHIr'HG T. VIII PL. XI.\'I.
GANGRÈNE CUTANÉE D'ORIGINE HYSTÉRIQUE
L BATTAILLE ET C"
UN CAS DE UANGHËKE CUTANÉE D'OHIGINE HYSTÉRIQUE : l8\)
ments : battements dans les tempes. obnubilation de la vue, chute sans perte
de connaissance. Pas de morsure de la langue, pas de mictions involontaires,
ni de crises nocturnes. Depuis de 18 il a change nombre de fois de
métier : d'abord apprêtcur sur étoiles, puis tireur de papiers peinls, livreur,
couvreur, vendangeur, enfin saltimbanque. Il raconte que c'est depuis sa fièvre
typhoïde et sa syphilis, qu'à certains moments, sans motifs, il ne peut plus
rester en repos ; il lui faut changer de place, il part alors chercher du travail
ailleurs. Mais il a gardé conscience de tous les détails de sa vie, il n'y a pas
de lacunes dans sa mémoire, c'est un vagabond impulsif.
L... se présente il la consultation de l'hôpital St-Louis pour une ulcération
qu'il porte à la cuisse gauche. Comme M. le professeur Fournier en récuse
catégoriquement la nature syphilitique, M.'Gilles de la Tourette qui a l'occasion
do voir le malade le reçoit dans son service à l'hôpital Cochin.
État actuel. 27 mars 1895. Il existe au niveau de la partie inféro-externe
de la cuisse gauche, il 8 centimètres de l'interligne articulaire du genou, une
plaie ovalaire à grand diamètre de G centimètres dirigée un peu obliquement de
haut en bas et de dedans en dehors, à petit diamètre transversal un peu irré-
gulier de 3 cent. 1/2. C'est une ulcération superficielle, rouge-grisâtre, peu
granuleuse, atone. Les bords sont légèrement surélevés, durs, non décollés,
ressemblant il ceux des vieux ulcères variqueux. On constate d'ailleurs sur les
deux membres inférieurs des dilatations veineuses, peu prononcées au niveau
des cuisses, très saillantes aux mollets (PI. XLYI).
Toute la partie externe de la cuisse gauche est le siège d'un oedème blanc et
dur, il limites mal tracées, se fondant graduellement avec les tissus sains, s'éten-
dant en bas jusqu'à l'interligne du genou, en haut jusqu'au pli de l'aine, entourant
de tous côtés l'ulcération. Il existe en outre à la face antérieure du genou, im-
médiatement au-devant de la rotule, trois éléments éruptifs spéciaux ; les deux
inférieurs agminés, le supérieur séparé des précédents par un intervalle d'un
centimètre et demi. Tous trois de même aspect, ils présentent en moyenne les
dimensions d'une lentille. Ce sont des papules, légèrement surélevées, reposant
sur une peau saine, avec un rebord périphérique nettement délimité, et un
point central déprimé, ombiliqué, sec, de couleur gris-noirâtre.
L... ignore la date d'apparition de ces trois éléments. Mais il se souvient
qu'au niveau même où siège actuellement l'ulcération, il existait un « bouton »
semblable. Ce « bouton » aurait peu à peu augmenté de volume, puis l'eschare
centrale tombée spontanément ou arrachée par le grattage aurait fait place à
une plaie, qui en 4 ou 5 jours aurait acquis les dimensions actuelles et
chaque jour augmente de plus en plus.
Tous ces phénomènes se sont passés sans douleur.
Stigmates. - Côté gauche. Au niveau de la cuisse sur laquelle siège l'ul-
cération, dans une zone limitée par des lignes circulaires passant en haut à deux
travers de doigt au-dessous du pli inguinal, en bas à un travers de main au-
dessous de l'interligne du genou, abolition complète de la sensibilité au tact, à
la douleur, à la température (thermo-custhésiomètro à 110"; Glace). Mêmes
zonos anesthésiques sur la partie inférieure de la jambe s'arrêtant ;1 l'articula-
290 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
tion tibio-tarsicnne, sur la partie supérieure du bras, et inférieure de l'avant-
bras, sur toute la moitié antéro-latérale gauche de l'abdomen, du thorax, du
cou et de la face. Perte du sens musculaire du bras gauche.
Côté droit. Simple diminution de la sensibilité dans les régions symétri-
ques aux zones d'anesthésie du côté gauche.
Enfin larges plaques anesthésiques sur les faces postérieures droite et gauche
du tronc, sur la nuque et la région occipitale.
Pas de zones hystérogènes. Point douloureux épigastrique.
Anesthésie bucco-pharyngienne complète. Le malade avalait de l'étoupe en
llammée, et se transperçait les joues avec des aiguilles. '
Du côté des sens, ouïe diminuée à gauche, odorat obnubilé des deux côtés,
goût complètement aboli. Champ visuel rétréci à 25° à gauche, à 40° à droite.
Dyschromatopsie, confusion du bleu et du violet. Pas de micromégalopsie, ni
de polyopie.
1er avril. Le traitement institué fut le suivant : chaque jour deux pilules ful-
minantes (poudre de rhubarbe) et une cuillerée d'iodure de potassium sous
forme d'une simple solution de sel marin. En outre pour pouvoir suivre quoti-
diennement les résultats de ce traitement uniquement psychique, la plaie fut
isolée sous un verre de montre maintenu par un apparoil plâtré fenêtre il son
niveau.
5 avril. On constate que la cicatrisation a déjà progressé d'un centimètre en
bordure. Mais la plaie ayant un peu suinté, on lève l'appareil pour le pansement,
et on remarque qu'aux points de contact du verre de montre plusieurs ilots
sphacéliques se sont produits. On refait un nouveau pansement, mais en ayant
soin de faire reposer les bords du verre de montre sur un coussinet de gaze
iodoformée.
10 avril. 2A levée du pansement : les ilots de sphacèle sont cicatrisés, la
plaie se rétrécit de plus en plus. Les deux éléments papuleux les plus inférieurs
ont pâli et se sont flétris en s'affaissant comme s'ils avaient contenu du liquide
qui se serait résorbé.
17 avril. 3e levée du pansement : la plaie est réduite aux dimensions d'une
amande, mais le malade réclame sa sortie.
1er mai. Le malade se présente de nouveau à l'hôpital. L'ulcération est re-
venue sous l'influence des mouvements, de la marche et du frottement du pan-
talon, le malade ayant négligé tout pansement.
Le même traitement psychique est ordonné. La cicatrisation marche rapide-
ment et est complète au bout de 15 jours; le malade quitte l'hôpital le 20 mai
LES PEINTRES DE LA MÉDECINE.
(ÉCOLES FLAMANDE ET HOLLANDAISE).
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE
PAR R
HENRY MEIGE.
. (Suite et fin.) CI)
\
Pierre Bruegel le Vieux ou le Drôle
Peintre flamand (1530-1569)..
Abandonnant la clinique du féroce Doyen de Ronse, où gémissent tant
de malheureux ligottés sur leurs sièges chirurgicaux, P. BRUEGEL, nous
conduit sur une place publique de village, où des opérateurs moins huppés,
mais non moins habiles, se livrent avec ardeur à la même pratique, et font,
en plein air, une moisson fructueuse de « pierres de tête ».
Là aussi, on taille et l'on extirpe eh grand. Il y a foule, et, par toutes
les rues, arrivent en bousculade, infirmes, loqueteux, paralytiques, et
surtout des porteurs de tumeurs du crâne.
On se précipite, on s'écrase; les derniers venus se lamentent et récla-
ment à grands cris qu'on ne les oublie pas. Car l'heure s'avance, et peut-
être faudra-t-il attendre jusqu'au lendemain l'opération tant souhaitée.
Cette scène grotesque, pleine de réalisme et de mouvement, est bien
dans le goût des compositions de P. Bruegel ; l'influence de van Bosch s'y
révèle en maints détails d'une fantaisie un peu folle, où l'allégorie devient
souvent incompréhensible. P. Bruegel y a ajouté sa verve satirique et
sa moqueuse philosophie. 1
Le dessin original existe-t-il encore ? Je ne sais. Mais l'excellente gra-
vure qu'en possède M. le Dr Brissaud, et dont il a bien voulu m'autoriser
à donner la critique et la reproduction, ne laisse aucun doute sur l'authen-
ticité de ce document (PI. XL VII).
C'est une gravure sur cuivre de 50 centimètres sur 30, au trait, fine-
ment exécutée.
(1) Voy. Iconographie de la Salpêtrière, n' 4, 1895.
2\J NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SAH'ÈTKIÈHE
Sur un parchemin garni de sceaux, en bas et à droite, on lit : P. llnw-
gel, iurenlor..
Et tout en bas de la composition :
II. COCK. EXCUD. CUM. PRIVILEGIO. 1559
Jérôme Cock était, on se le rappelle, le célèbre marchand d'estampes
d'Anvers qui fut chargé d'éditerles oeuvres de van Bosch, et chez qui
Pierre Bruegel travailla longtemps, copiant d'abord les fantasmagories de
van Bosch, pour y publier plus tard ses compositions personnelles, ins-
pirées du même goût et appelées au même succès.
La date de 1559 est celle de l'année où P : Bruegel semble avoir com-
mencé à s'adonner à la peinture. Il n'abandonna pas complètement cepen-
dant la gravure, puisque on trouve des dessins gravés datés de la dernière
année de sa vie, 1569. Les danseurs de MenleenbecLsonl de ce nombre.
L'orthographe du nom BRUEGHEL avec un II précédé de l'initiale P du
prénom n'est pas, comme nous l'avons dit, celui de la signature des oeu-
vres attribuées avec certitude à Pierre Bruegel l'Ancien. Mais la signature
de la gravure n'est pas de la main de l'artiste qui signait en lettres capi-
tales (Voy. le Doyen de Ronse).
D'ailleurs la.date 1559 ne permet pas de supposer que l'auteur soit
Pierre Brueghel I d'Enfer, Pierre Bruegel l'ancien ne s'étant marié qu'en
15G3. ,
Sur la table d'opération se voit un monogramme, un P qui surmonte les
trois lettres A. M. E. accolées : c'est celui du graveur Pieter van der IIeide,
en latin Pelrus a Merica.
M. Obreen, l'obligeant directeur général du Rijks Muséum d'Amster-
dam, m'a fait savoir qu'il existait au Cabinet des Estampes de ce musée,
deux exemplaires de cette même gravure. L'une, éditée par Jérôme Cock,
est identique. à celle que j'ai reproduite ici. L'autre porte l'adresse d'un
éditeur postérieur aux initiales T. G. et ne diffère pas de la précédente.
Mais, au bas,. se trouve l'inscription hollandaise suivante : ,
«. Ghy lieden vau Maltegem, wilt em wel syn gesiut :
Ich vroullexe wil hier vock wel worùen'uemint
Om V. te genesen hen ich gecomen hier
'- r T\l\Vell dicnsie, met mynondernieestérssen fier.
Compt vry,,(Icn meesten met tien minsten, sonder verbcyen ,
Hë.bdy de wo'sp int liooft, oft loteren. V. de IÜ'ycu ?
T. G. Excudit.
En voici' la traduction littérale : '
Vous, habitants dé Mallegem, soyez bien d'accord :
, Moi, femme sorcière, je désire être aimée de vous,
Nouv. ICONOGR WF IA A S ? P¡ : OTRltRF T. VIII Pt. XI.VII.
« LES PIERRES DE TETE »
Gravure d'après un dessin de l'IFRRF ]31tUI-CFL LE vieux, 1·`.tnlu Flamande. (\'I Sicl.)
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE aU3
Pour vous guérir, je suis arrivée ici,
A votre service, avec mes aides, fièrement.
Entrez librement, les grands et les humbles, venez sans retard. '
Avez-vous la guêpe dans la lêle, ou est-ce que les pierres vous gênent ? .
La scène se passe sur un carrefour de village. Une table dressée sur
deux tonneaux supporte l'attirail du charlatan femelle. Des pots d'onguent.
des fioles, un gros scalpel, et deux énormes vases il col étroit, munis de
lanières pour les porter en bandouillère. Sur l'un d'eux est perché un
oiseau fantastique, le bec traversé par une sorte cle sonde à entonnoir.
Un instrument étrange, placé là sans cloute pour jeter l'épouvante dans
famé des badauds, est appuyé contre la table ; croissant aiguisé emmanché
sur une longue perche sur lequel se rabat une lame il dents de scie, c'est
en vérité un engin terrifiant.
D'un côté delà table, cinq pratiques viennent acheter quelque pommade
merveilleuse : quatre femmes enveloppées de mantes avec des cornettes
grotesques et un petit homme qui s'empare d'un des pots. Une des fem-
mes, de face, ouvrant une bouche énorme, semble faire un éloge bruyant
de ces produits thérapeutiques.
Cependant la parade et le boniment préparatoires sont finis. Les clients
accourent en foule, et s'il faut craindre quelque chose, c'est qu'ils ne de-
viennent trop encombrants et que, dans leur ardeur, ils ne renversent
tout.
Aussi, fort prudemment, le compère chargé d'attirer le public, plie
bagage, et cherche à mettre en sûreté ses précieux instruments. Borgne ou
aveugle, assez misérablement vêtu, la tète coiffée d'un bonnet à oreilles,
percé clans le fond et laissant passer de longues mèches de cheveux, il
porte sur l'épaule gauche une grosse viole, et tient sous son bras droit un
panier chargé de bouteilles, déboîtes, et de bandes à pansement. Pourra-
t-il traverser sans accident le Ilot humain qui l'enserre ?
Pour compléter l'attirail de réclame, d'énormes parchemins sont accro-
chés au bout d'une pique, munis de sceaux volumineux. Ils sont couverts
d'inscriptions et sur l'un d'eux est dessiné un monstrueux bistouri. Un
grand nombre cle tumeurs ou de pierres sont également attachées
par des ficelles à l'extrémité de la pique.
Il est impossible de pénétrer le sens des inscriptions. Elles sont com-
posées d'un assemblage baroque de mots puisés dans plusieurs langues.
On y lit, en latin, petll1n, qttttttdo, etc., en hollandais, coma, der, etc., et : '1 la fin un nom propre : Jan Kernakel. Tout cela est parfaitement incom-
préhensihle et n'est écrit que pour l'effet décoratif. P., Bruegel s'est amusé
sans doute à parodier le jargon des charlatans guérisseurs comme a fait
Potière dans 1%' Médecin malgré lui. Le latin dans un boniment fait bon
294 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRILIHE
effet ; les diplômes que nul ne peut lire sont a la portée de tous et en im-
posent toujours au vulgaire.
Au milieu de la scène, la besogne tranchante est commencée.
Un patient est ligotté comme il l'ordinaire sur un grand fauteuil de bois.
Il a déjà subi la bienfaisante extirpation ; son front est entouré d'une ban-
de, sous laquelle est passée la lame d'un couteau, servant sans doute à
clore temporairement la plaie saignante. Un aide verse sur la tête de l'o-
péré le contenu d'une cruche, et dans ses cheveux ébouriffés on devine
en avant la place du'occupait la « pierre de tète ». Sur le dos du fauteuil
est perché un oiseau fantastique, au bras est attaché un vieux soulier qui
sert, faute de mieux, comme boite à instrument. On y voit une de ces fa-
meuses tenailles qui avaient raison des « pierres de tête » les plus re-
belles.
L'opération a dû parfaitement réussir : la pierre est là, sur une table,
à côté d'un plat qui contient quelque onguent, un couteau et des bandes.
L'opéré n'a pas l'air mécontent; il cligne les yeux sous la douche qui
tombe sur sa tête, et, de côté, regarde malicieusement celui qui lui suc-
cédera sur le fauteuil opératoire. '
Non loin de là, arrive en effet un client bien malade : il ne peut même
plus marcher. Un homme et une femme le transportent à grand'peine, il
pousse des hurlements affreux, et la douleur apparemment lui fait perdre
la tête, car il ne s'aperçoit pas qu'en se cramponnant à l'un des porteurs,
il renverse le contenu de son escarcelle et que les pièces de monnaie
s'égrènent sur le chemin. Il est bien excusable, d'ailleurs, ce pauvre dia-
ble, ayant sur le front une tumeur qui pour le moins doi être du volume
d'une grosse orange. Elle est même si grosse qu'il a fallu la soutenir avec
des bandes de peur qu'elle ne tombe sur le nez.
Si l'on n'était pas renseigné sur la nature des tumeurs de ce genre, on
ne manquerai pas de dire qu'il s'agi t d'une énorme loupe : la ressemblance
est parfaite. Et si P. Bruegel a voulu représenter une tumeur imaginaire,
il est certain qu'il s'est inspiré de la forme de celles, bien réelles, qu'on
observe souvent dans cette région.
Derrière ce lamentable bonhomme, arrive en clopinant, conduit par
une matrone à l'oeil sévère, un malheureux infirme dont l'état n'est pas
moins alarmant. Celui-ci, en de meilleurs temps, dut accomplir de hauts
faits d'armes. Aujourd'hui, il est bien mal loti : sa jambe droite, repliée et
racornie, repose sur un pilon de bois qu'un vieux bas ne dissimule guère,
il traîne derrière lui son membre déformé et son pied en griffe. Cependant
il a conservé, malgré son infirmité et sa béquille, quelques restes cle sa
splendeur guerrière. Un grand sabre bat à son côté, sa tête est couverte
d'un casque, la visière baissée ; il porte encore des brassards de fer. Un
LES OPÉRATIONS SUR LA TÈTE 295
cheval le suit, tête basse, flairant son pied difforme ; il est conduit par une
femme à cornette qui montre du doigt son front, réclamant aussi sans
doute pour elle-même une intervention de l'opérateur.
Au milieu de la gravure se tient la « femme sorcière », personnage im-
portant, un peu écrasé par la foule des clients qui se disputent les pre-
i-nières places. Elle a mis son costume des grands jours : une robe brodée
aux épaules, une collerette à dents également couverte de broderies. Ce
vêtement d'apparat est protégé par un grand tablier attaché sur le côté
avec des agrafes armoriées. A la ceinture pend un étui qui renferme des
ciseaux et des pinces. Enfin, par dessus sa coiffe, un bonnet doctoral re-
hausse encore sa taille et son prestige.
La commère sait son métier et ne néglige aucun des accessoires. C'est
une habile faiseuse et son sourire rusé laisse entendre qu'elle connaît tous
les tours.
Cette femme a-t-elle existé réellement, ou n'est-ce là qu'une fantaisie
de P. Bruegel ? Je ne sais. Ce qui est certain, c'est que les femmes pre-
naient une part active aux opérations charlatanesques. Nous les avons vues
préparant les pansements ou tenant la tête de l'opéré dans le tableau de
van IIemessen. Chez le Doyen de Ronse, une vieille femme à tête de sor-
cière, fait chauffer quelque médicament. Nous les verrons encore, aidant
l'opérateur dans un tableau d'A. Both, et dans un autre de Jan Steen. Le
Charlatan de ce dernier au musée d'Amsterdam, laisse même opérer à main
armée une vieille qui lui sert de second, pendant qu'il fait le boniment.
Le charlatan femelle de P. Bruegel n'est donc pas une invraisemblance
et celui-ci a pu voir la « femme sorcière » de Mallegem exerçant son lu-
cratif métier.
Pour le moment, elle présente au public une grosse pierre ronde ; elle en
explique la nature, elle en démontre la facib extirpation, elle certifie la
guérison. Et chacun de s'émerveiller.
Un des assistants, placé au premier rang et qui appuyait ses deux mains
sur la table pour mieux voir, passe soudain à l'état de patient. D'un geste
brusque la chirurgienne lui saisit le menton avec sa main droite et le force
à tourner la tête, face au public.
Chacun peut voir alors sur le front de cet homme une tumeur bien ronde
et hien saillante dont il va falloir le débarrasser. Un comparse, coiffé d'un
étrange casque, éclaire avec une lanterne le front du malade. Il porte à
son côté un gros sac d'où sortent des instruments.
Le nouveau client est-il un vrai malade venant réclamer les bienfaits
de l'extirpation ? On peut en douter. Ce n'est peut-être qu'un habile com-
père destiné à attirer les badauds. 11 y a en effet quelques raisons de croire
à colle nouvelle supercherie. L'artiste a attaché sur la manche de ce client
296 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE'
de contrebande une petite clochette assez significative. C'est lui apparem-
ment qui a servi à répandre dans le village le bruit des cures merveilleuses
de la nouvelle arrivée. C'est lui aussi qui va servir d'exemple pour prouver
au public que l'opération se fait sans douleur et pour crier bien haut la
guérison qu'elle procure.
Il n'est pas d'ailleurs le seul comparse de la parade :
Un autre homme, dissimulé sous la table, puise dans un panier les « pie-
res de tête » qui serviront tout à l'heure à faire le tour de passe-passe.
Il cligne de l'oeil d'un air entendu en montrant les tumeurs factices. Une
tète de marotte à demi-cachée dans sa large manche laisse supposer que là
sera dissimulée la provision qu'il est en train de l'aire. Mais nous sommes
assurés qu'il sera discret : un cadenas lui ferme la bouche.
Voilà deux rusés compères qui vont être d'un grand secours. Et qui noirs
dit que le patient ligotté sur la chaise, celui dont le regard malicieux se
porte de côté sur les autres malades, ne joue pas lui aussi son rôle ? C'est
peut-être encore une amorce pour les clients. Une telle fantaisie est bien
dans le goût de P. Bruegel le Drôle : elle renferme une juste satire de
celle faiblesse humaine que vise Rabelais dans la parabole des moutons
de Panurge. Ne suffit- pas souvent d'un grelot bien attaché au cou d'un
homme pour entraîner à sa suite toute une foule aveuglée ?
Tel est, autant qu'on puisse en conjecturer, le sens allégorique qui se
cache dans cette partie de la gravure de P. Bruegel et qui domine aussi
dans toute la composition. Dans l'esprit, comme dans mains détails du des-
sin, l'artiste se montre le digne continuateur des Fantaisies morales de Jé-
rôme Bosch.
Si l'allégorie n'est guère douteuse, le réalisme des détails n'est pas
moins évident, et, tout en faisant la part de la fantaisie caricaturale, on
peut affirmer que P. Bruegel a pris sur le vif les types qu'il a reproduits.
On s'en rend compte aisément en passant en revue les individus qui se
pressent autour de l'opérateur et de ses aides. Il n'y a pas moins de seize
personnages composant le public de cette scène charlatanesque, et occupant
toute la moitié droite de la gravure. Chaque figure a son expression ; l'un
est émerveillé, et l'avoue hautement; l'autre, attentif, cherche à pénétrer
le sens du boniment. Celui-ci s'attendrit à l'idée de la douleur et du sang
répandu; les yeux de celui-là brillent de l'espoir d'être bientôt soulagé.
Les uns, déjà opérés peut-être, ont le front ceints de bandes. Les autres, les
derniers venus, laissent voir, sous leurs coiffures, la maudite tumeur.
Il en est un, coiffé d'une boite, on ne sait pourduoi, qui fait une
affreuse grimace. Un oeil clos, la face contractée d'un seul côté, la langue
tirée de travers, il a vraiment le masque de la paralysie faciale.
Une femme arrive, juchée sur les épaules d'un homme, hurlant de lou-
LES OPÉRATIONS SUR LA TÈTE 297
tes ses forces, et levant les bras au ciel : « Il faut qu'on lui retire la « pierre
de tête ». Elle veut être opérée sur lè champ. Elle l'exige ! » Ne serait-
ce pas quelque hystérique paraplégique ? Une fameuse cliente pour la sor-
cière qui semble s'y connaître et la regarde d'un oeil satisfait.
Tout ce peuple crie, s'agite, se bouscule et mène grand tapage. Le bruit
attire aux fenêtres les habitants des maisons voisines qui regardent curieu-
sement par leurs contre-vents entr'ouverts.
Cependant, au loin, les villageois continuent leur vie journalière; plu-
sieurs hommes transportent des sacs de blé dans un moulin au bord d'un
ruisseau. A l'horizon s'étend un rideau d'arbres que domine un clocher
pointu, une nappe d'eau où vogue une barque à voile. Petit paysage bien
hollandais comme P. Bruegel aime à en faire entrevoir dans un coin de
ses dessins et de ses peintures, non sans quelques erreurs de perspective.
Dans ce fond tout simple, l'artiste a encore voulu jeter une note fantai-
siste. On voit surgir du sol, au bord de l'eau, une excroissance cornue,
étrange, incompréhensible. Un panier est enfoncé sur la pointe, et, de là
tombent de petites boules semblables à celles que le charlatan garde en
réserve dans ses paniers. Un petit homme semble très effrayé de ce spec-
tacle et se sauve en levant les bras au ciel. -Peut-être Bruegel a-t-il voulu
faire entendre ainsi que c'est dans le sol qu'il faut chercher la graine des
« pierres de tête ».....
La scène, on le voit, est largement remplie. Mais P. Bruegel n'aimait
pas laisser des vides dans ses compositions. Deux coins lui restaient au
bas du dessin : il y a ajouté deux groupes accessoires.
A droite, dans un oeuf monstrueux 'dont la coquille brisée laisse voir
l'intérieur, un chirurgien opère avec un scalpel sur le front d'un patient,
Celui-ci est une mine inépuisable de « pierres de tète ». Relevant de la
main droite le cuir chevelu largement incisé, l'opérateur fait tomber avec
la pointe de son bistouri toute une grêle de pierres qui s'échappent par un
trou ménagé dans le petit bout de l'oeuf.
Il est à remarquer que, dans le dessin, ces pierres font pendant aux piè-
ces de monnaie qui s'échappent de l'escarcelle d'un des clients. L'allégorie
est facile à saisir : les « pierres de tète » vont se transformer en bonnes
espèces sonnailles ; telle est leur destinée, pour la plus grande satisfaction
des hardis compères qui savent les extraire à propos.
A gauche de la gravure, derrière un pan de mur à demi démoli, on re-
connaît un coin de l'intérieur d'une officine médicale, des bocaux, des
graines, deux pots de pharmacie dont un porte l'inscription Setier (senne),
l'autre Iloitich (miel). C'est apparemment la demeure du praticien de l'en-
droit, que les clients ont désertée pour courir au plus habile. Le confrère
abandonné est 'là, accoudé sur le mur, regardant d'un oeil attristé le
vin 20
;¿98 ' . NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
succès inouï du charlatan femelle. A la maison plus de pratiques, toutes
pour la nouvelle venue. -
Une vieille femme assise à côté de ce pauvre homme lui tient des pro-
pos consolants. Elle a dans la main une des fameuses tumeurs, et montrant
la sorcière du doigt, elle sourit d'un air de pitié : « Quelle honte pour la
profession que de la voir exercée par une telle friponne ! Et que le public
est niais de se laisser prendre à de telles jongleries ! »
Ce groupe exprime d'une façon bien significative la satire morale que
renferme toute la composition. Ici encore P. Bruegel vise les physiciens
exploiteurs de la crédulité populaire en dévoilant leurs trucs. En même
temps, il se gausse des naïfs qui se laissent abuser par de belles paroles,
des diplômes gigantesques, et une chirurgie de prestidigitateur.
* .
Les deux dessins de P. Bruegel que nous venons de voir, se complètent
réciproquement. Ils montrent la vogue insensée qu'eut la maladie des
pierres de tête, et l'adresse avec laquelle médecins de ville et médecins de
campagne, docteurs en chambre et charlatans en plein vent, surent favo-
riser cette croyance pour leur plus grand profit. Ils nous apprennent en-
core que les femmes ne répugnaient pas à exercer elles-mêmes cette lucra-
tive jonglerie.
Ainsi se dévoile un curieux chapitre de la chirurgie populaire du
XVI" siècle. '
Nicolas Weydmans.
. Peintre et graveur hollandais (1re moitié du XVIIe siècle)...
Une gravure de N. WETDMAKS, peintre et graveur hollandais de la pre-
mière moitié du XVIIe siècle, représente encore une scène d'extraction de
«pierres de tête »..Ie dois la connaissance de ce document il l'amabilité de
M. van der Kellen, directeur du Cabinet des Estampes au Rijks Muséum
d'Amsterdam (Fig. 58).
L'opérateur, coiffé d'un turban que surmonte un bonnet pointu, est vêtu
à la façon des charlatans du XVII" siècle. C'est un homme entre deux
âges, portant la barbe en pointe et de longues moustaches relevées en crocs.
L'opérée c'est une femme a le costume d'une petite bourgeoise :
bonnet Henri II, fraise à gros tuyaux, guimpe bordée de fourrure, corsage
lacé par devant.
Ces deux personnages sont debout.
Le charlatan maintient le menton de sa cliente entre le pouce et l'index
cle sa main gauche. De la main droite armée d'une sorte de bistouri a lame
très courte, il fait sur le front une incision. La douleur est vive, la femme
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊIE 299
pousse un cri et cherche à repousser le chirurgien avec ses deux mains.
Mais à l'encontre de ce qu'on voit dans la plupart des figurations de ce
genre, la malade est debout ; ses bras ne sont pas attachés, sa tète est sim-
plement maintenue par le chirurgien et par un aide placé derrière elle.
Ce dernier est un gros garçon qui porte un chapeau à plumes, le con
entouré d'une fraise, plongeant sa main gauche dans une petite sacoche
pendue il sa ceinture.
Cette sacoche contient peut-être une réserve de « pierres de tête », à
moins qu'elle ne soit destinée à recevoir les honoraires du charlatan.
« Pierres de tète » et pièces de monnaie font d'ailleurs pendant sur une
table, montrant clairement la transformation lucrative qui s'opère ici, grâce
à l'intervention de l'habile physicien. Il y en a de toutes les formes et de
toutes les tailles ; un sac demi ouvert doit renfermer les échantillons de
minime grosseur. Sur la table sont encore disposés des instruments de
chirurgie : ciseaux, scalpels, pinces, boites, etc.
FIG. 58. - Les « pieuhes de 1ÊTE »
d'après une gravure de Nicolas TT'eijdmans (XVIIe siècle), au Cabinet
des Estampes du Rijks Muséum (Amsterdam).
300 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Enfin, dans le fond, un poteau supporte une enseigne à personnages
malheureusement tronqués et un parchemin avec sceau sur lequel l'artiste
a signé : N. Weydmans invent, et. se. `
Cette gravure, d'un dessin et d'une exécution médiocres, porte en lé-
gende les deux vers suivants :
« Loopt, loopt met groot rerblyden,
Hier salmen twyf van Kye Snyden.
Courez, courez avec grande réjouissance,
On fera ici l'opération des pierres de tête.
Le principal intérêt de ce document réside dans la double explication
qu'on peut en donner.
Il s'applique en effet également bien à la reproduction d'une séance
d'opération charlatanesque en plein air, et à la représentation d'une
scène burlesque, extraite d'une farce populaire. Le petit nombre des per-^
sonnages, leurs costumes dépareillés, leurs gestes à effet, faisant face
au public, font croire volontiers qu'il s'agit d'une scène jouée sur quelque
théâtre ambulant. On sait que cette plaisanterie faisait souvent les frais des
représentations populaires.
A tout prendre, dans l'un ou dans l'autre cas, il s'agit d'une comédie :
jonglerie de charlatans, ou pitrerie de mimes, c'est toujours une satire
,- visant l'absurde croyance aux « pierres de tête », la crédulité des badauds
et la fourberie des médecins de carrefours.
Frans Hals le jeune.
Peintre hollandais (i6n( ? )-i6G9).
L'Ecole hollandaise possède un représentant bien curieux dont le nom 1
mérite de figurer à côté de ceux de sesplus grands peintres; c'estFnAi\'S HALS,
novateur surprenant, dessinateur ferme et hardi, coloriste incomparable.
On a dit de lui qu'il était la peinture faite homme. C'est qu'en effet il
étonne par la simplicité et la justesse de ses procédés, par la sûreté de sa
palette dont il juxtapose les tons, sans les mélanger. Nul nesaittraiterplus
vivement un sujet, avec de larges touches qui, de près, font croire à une
ébauche, et, de loin, donnent l'impression du fini le plus consciencieux.
Cette facture d'une aisance si supérieure surprend d'autant plus qu'on
est accoutumé à trouver chez les peintres hollandais moins de vivacité dans
l'exécution, plus de recherche dans le détail.
» Aussi Frans liais eut-il des élèves qui s'efforcèrent de le copier. Aucun,
il est vrai, ne parvint il imiter sa manière au point de donner le change
comme il est arrivé pour Rembrandt et ses sectateurs.
Nouv Iconogr. DR LA$wLPRThifhh T V111 PL YLtlll.
« LES PIERRES DE TÈTE »
Tableau de FRANS HALS LE JEUNE, peintre hollandais (X\'[[c Siècle).
Musée 13oijmans, a Rotterdam.
L. BA1TAILLE ET C"
EOITFUNS
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 301
Au nombre de ceux qui ont cherché à s'inspirer de sa peinture, se trou-
vent plusieurs de ses parents, son fils Frans liais le jeune, son frère Dirk
Hals, et ses élèves V. L. van der Vcnne, J. C. Verspronck, Adriaen van
Ostade, Adriaen Brouwer, etc. D'autres peintres, plus éloignés de lui, ont
aussi, dans une certaine mesure, subi son influence, Jan Steen, G. Ter
Borch, G. Metzu, etc. ; mais beaucoup ont dû renoncera employer ses pro-
cédés, n'ayant ni la vivacité de dessin, ni la sûreté de coloris de ce maître
inimitable.
Frans liais, né à Anvers en 1580, vint tout jeune à IIaarlem où il se
fixa, et où il devait peindre pour l'Hôtel de Ville ces magnifiques tableaux
de Corporations qui rivalisent avec ceux de van der IIelst. Sa première
femme Anneke Iiarmens mourut en 16-16. L'année suivante, il épousa Lijs-
beth Reynier. Frans Hais mena une existence assez désordonnée, et, se
trouvant sans ressources vers la fin de sa vie, il dut être secouru par les
magistrats de la ville.
Un de ses fils, Frans Hais le Jeune, né à IIaarlem entre 1617 et 1623,
s'efforça de peindre d'après les enseignements paternels. Il ne put attein-
dre-à celte perfection ; on a cependant de lui quelques bons tableaux de
genre et des natures mortes. Il mourut 1 IIaarleln en 1659.
..
Frans liais le Jeune est l'auteur d'un tableau conservé au musée Boij-
mans, à Rotterdam, intitulé Le Charlatan (1), et qui ne manque ni d'origi-
nalité ni de vigueur(Pi. XLVIII). '
Il s'agit encore de l'opération dés « pierres de tète ».
L'opérateur est un vieillard rasé d'une gravité bouffonne. Debout, pen-
ché en avant, très absorbépar sa besogne délicate, il regarde sous ses pau-
pières baissées, au travers d'un pince-nez à verres ronds, le front de,son
client; sa lèvre inférieure, aux coins tombants, fait une moue de mauvais
augure. Evidemment, le cas est grave et demande une intervention diffi-
cile : c'est du moins ce qu'il importe de laisser croire au patient. ¡
Ce savant homme est vêtu d'une grande robe grise, à collet et à larges
manches ; sa tête est enveloppée d'une étoffe précieuse ornée de glands
qui retombent sur les oreilles ; par dessus, est posé un grand bonnet au-
quel est attaché en avant un parchemin portant des caractères hébraïques
et trois sceaux verts. ·
L'opéré est assis devant lui, la tête renversée en arrière, les poings rele-
vés à la hauteur des épaules et crispés par la douleur. Une serviette nouée
(1);\0 91 du catal. 1892. Chêne. Haut. 0,48. Larg. 0,37. Offert par Mme Vve P. J.
van Wageningen 1814.
Une copie faite par A. Verdoel est au musée de Leipsig.
302 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
autour du cou protège ses vêlements ; ses longs cheveux ondulés pendent
en arrière. -
L'extirpation ne se l'ait pas sans douleur : le patient hurle de tous ses
poumons, ouvrant'une bouche énorme, raidissant son cou, fronçant les
sourcils, roulant les yeux, contractant tous les muscles de son visage,
dans une expression de souffrance et d'horreur d'une vérité saisissante.
Celte tête est fort intéressante. L'artiste s'est cerlainement appliqué à
rendre le masque de la douleur avec toute l'exactitude possible, et il a
parfaitement réussi.
Il est curieux de comparer le visage de cet homme, défiguré par les cris
et les contractions douloureuses; celui de la Possédée deRubens du musée
de Vienne. On trouve au premier abord de grandes analogies dans l'exé-
cution des deux figures. Mais on s'aperçoit bientôt que dans la Possédée
de Rubens, la protrusion de la langue, la convulsion des yeux en haut, le
gonflement du cou, sont l'exacte copie du faciès qui s'observe a certaines
périodes de la grande attaque hystérique, tandis que la mimique du malade
de Frans Hais le Jeune est simplement celle de l'extrême douleur.
Il n'est pas impossible d'ailleurs que Frans Hais le Jeune, dont la famille
était originaire d'Anvers, ait subi l'inlluence de Rubens. Le troisième
personnage du tableau, un jeune négrillon, se retrouve aussi quelquefois
dans les oeuvres du maître flamand.
Ce petit nègre, la tète de profil, entourée d'un madras de couleur,
de grosses perles aux oreilles, soutient un plat dans lequel tombent les
pierres.
Devant lui, sur une table à tapis rouge, sont disposés tous les accessoires
de l'opération : un réchaud où chauffe une cornue a col large et court, un
vieux livre déchiqueté, un pot de pharmacie, de petites fioles bouchées
avec du parchemin, un étui a scalpels joliment ouvragé, un couteau ;i
manche d'ivoire, des ciseaux, une lancette, des crochets, etc.
Enfin, sur le fond qui est un mur nu, un parchemin est suspendu. Une
réclame de six vers à peu près indéchiffrables y est écrite; un sceau rouge
porte encore des restes de la signature.
Nous sommes ici chez un arracheur de pierres plus cossu que les char-
latans en plein air de P. Bruegel. Son costume est recherché, ses instru-
ments sont richement travaillés ; le groom noirsurtout indique que le pro-
priétaire a le moyen de s'offrir un serviteur peu ordinaire. Ce médecin-là
a une réputation bien établie, une clientèle de choix, et il sait, se mettre
(1) Voy. PAUL Richer et fiExnY Mi : ion, Les Possédés de Bronzet, Nouv. Icon. de la
Salpi^-trièi,e, n" 4, 1894.
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 303
à la hauteur cle son crédit. Le négrillon à boucles d'oreilles et le diplôme
hébraïque à sceaux verts font sans aucun doute sur les clients une impres-
sion excellente.
Quant à l'opération, elle ne peut guère varier.
La main droite, armée d'un bistouri, incise plus ou moins profondé-
ment la peau du front, tandis que la main gauche, munie de fortes pinces,
saisit une pierre habilement conduite au bon endroit. Elle ira bientôt
rejoindre celles que le petit nègre a déjà reçues dans le bassin. C'est tou-
jours le même tour de passe-passe, et il est probable, vu le nombre déjà
grand des pierres recueillies par le groom, que cet exercice de prestidigi-
tation devait être renouvelé plusieurs fois pendant la même séance. Enle-
ver une pierre de tête eut été d'un effet médiocre; faire sortir une douzaine
de cailloux du crâne d'un pauvre malade, voilà au contraire la preuve
d'une habileté peu commune ! 1
Adriaen Brouwer et Adriaen Van Ostade.
peintres hollandais (XVII0 siècle).
Deux élèves de Frans Hais, deux amis qui fréquentèrent longtemps son
atelier, Adriaen Brouwer et Adriaen van Ostade, ont reproduit un certain
nombre de scènes médicales. Cependant je n'ai pu découvrir jusqu'à pré-
sent aucun dessin ni aucune peinture de ces artistes, relatifs à des opéra-
tions sur la tête.
Adriaen Brouwer (Haariem, 1608-Anvers, 1641) a peint beaucoup
de chirurgiens rustiques. A la Pinacothèque de Munich, il nous montre une
Opération sur le pied (1) chez un étuviste de village. Il a encore traité ce
sujet dans un tableau du musée de Vienne. Le Pr Charcot possédait une
esquisse se rapportant à la même opération (2). Au musée du Louvre (col-
lection La Caze) se trouve un bon tableau d'A. Brouwer représentant une
Opération sur l'épaule (3). Le Médecin de village qui est à Munich opère
sur le bras (4). Un Arracheur de dents existe au musée Kums, à Anvers ;
un autre est au musée de Cassel.
Adriaen VAN OsTADE (Haarlem, 1610-1685), tout en réservant son
talent pour la peinture des paysanneries et des intérieurs rustiques, semble
avoir eu moins de prédilection pour les sujets médicaux. On lui attribue
cependant un Dentiste au musée de Vienne. Son Charlatan (5) du musée
d'Amsterdam est justement placé au nombre de ses meilleurs tableaux.
(1) N 880. Dorfbaderstrcbe, Voy. : Les difformes et les malades dans l'art, p. 114.
(2) Voy. Nouv. Icon. de la Salpétrière, 1890, p. 95.
(3) N 1915. L'Opération.
(4) No 885. Der Dorfarzt.
(5) Ne 1012. Legs Dupper.
304 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIERE
En dehors des scènes médicales proprement dites, les peintures d'Adriaen
Brouwer et d'Adriaen van Ostade contiennent souvent des personnages qui
ne peuvent manquer d'attirer l'attention du médecin. Ne dirait-on pas que
la plupart de leurs paysans sont atteints de difformités naturelles ? Dans
chaque tableau reparaissent les mêmes types de rustres au crâne volumi-
neux, au nez, au menton et aux pommettes saillants, aux mains en bat-
toirs, aux pieds, énormes, au dos gibbeux, véritables portraits d'acromé-
galiques qu'on est tout surpris de rencontrer en telle profusion.
Si A. Brouwer, par suite de son existence déréglée et vagabonde, fut in-
capable de fonder un atelier, il n'en est pas de même d'Adriaen van Ostade
dont les élèves devinrent bientôt des maîtres à leur tour.
Parmi ceux qui ont reproduit des scènes intéressantes pour le médecin,
il faut citer : -
Cornelis DUSAERT (1660-J70fr) dont nous connaissons deux eaux fortes
médicales :
La Ventouseuse et le Chirurgien (1).
Richard BRACIiENBURGII (1650-1702), dont le musée Boijmans, à Rot-
terdam, possède un curieux tableau intitulé : « Il n'y a pas de remèdes aux
maux de l'amour (2) ».
Enfin, un peintre qui devait les surpasser tous, subit aussi l'influence
d'Adriaen van Ostade. Celui-là fut JAN STEErr dont nous aurons bientôt à
analyser les curieuses peintures.
Andries Both
peintre hollandais (9G1-lG;iO). c...
Deux frères, Jan etANDRIEs Both, étroitement unis dans leur vie intime
et dans leurs goûts artistiques, ont confondu leurs talents dans la plupart
des oeuvres qu'ils nous ont laissées.
Fils de Dirck Both, peintre sur verre d'Utrecht, l'aîné, Jan, naquit
dans cette ville vers 1610, le plus jeune, Andries, un an.ou deux plus
tard. Tous les deux, ayant reçu de leur père les premières notions de dessin,
étudièrent la peinture dans l'atelier d'Abraham Bloeniiei-1.
Puis, selon la coutume, ils partirent pour l'Italie en visitant la France
sur leur passage. Là commença leur oeuvre de collaboration, véritable-
ment touchante. Jan peignait les paysages, Andries les animait. Leurs ta-
bleaux, d'un dessin correct et d'un coloris distingué, eurent bientôt un
légitime succès, surtout après que les deux frères eurent profité à Rome,
des enseignements de Claude Lorrain. Jan Both peut, sans démériter, pren-
(1) Voy. Les malades et les difformes dans l'art, p, 118.
(2) No 33.
Nouv Iconogr D" L ;S ! \b'.3T ? T. VIII. PL XLIX] 1 L.
« LES PIERRES DE TETE »
Tableau J'AXDRIES Boni, peintre hollandais (XVIIe Siècle).
Collection de NI. 1). A. 1\ ? CI1, : . Vieuwcr Amstd.
« UNE OPERATION CHIRURGICALE »
Tableau de David Teniers le jeune, peintre flamand (XVIIe Siècle).
Vlusie du Prado, : '1.tdlld.
L. BATTAILLE ET C"
Editi-urs
. LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE . " 305
dre place à côté des meilleurs paysagistes'hollandais' tels que Adriaen van
der Velde et Albert Cuyp. ' ' :
Quant à Andries, il profita des conseils d'un de.ses compatriotes, venu,
quelques années auparavant en Italie, Pieter van Laer, plus connu sous le
surnom de Bamboccio (Bamboché), peintre des gueux et des paysans, dont
les oeuvres fort appréciées donnèrent naissance au genre qui prit son nom,
les Bambochades (1).
Jan Both a produit davantage, ayant vécu plus longtemps que son jeune
frère, et étant revenu en zip4.0 se fixer dans sa ville natale, à Utrecht. Il y
fil école, et mourut en 1652. Ses Paysages italiens sont répandus dans
presque tous les musées de l'Europe. -
Andries Both mourut d'une façon tragique; à Venise, en 1650. A la suite
d'un copieux festin,' il tomba de sa gondole et se noya dans un canal.
On voulut voir, dans cet accident, une punition du ciel, Andries Both
ayant aidé, dit-on, lors de son séjour à Rome, à jeter un ecclésiastique
dans le Tibre ' . , - '
Les tableaux d'Andries Both sont pen nombreux, si l'on distrait de son
oeuvre les scènes champêtres qu'il peignit pour animer les paysages de son
frère. La plupart représentent des intérieurs rustiques, des groupes de
paysans ou de mendiants, dans le genre de Pieter van Laer.
On a de lui un Arracheur de dents en plein air, dont les personnages
sont dessinés avec beaucoup de verve et de sincérité. Une gravure du ca-
binet des Etampes de Rijks Muséum représente aussi un Dentiste d'après
A. Both.
*
* *
, Parmi les rares tableaux qui portent le nom d'Andries Both, il en est
un qui fait partie de la collection de M. D. A. Koenen, à Nieuwer Amstel,
lequel sur la demande de M. Obreen, directeur général du Rijks Mu-
séum, a bien voulu m'en faire faire une reproduction. (PL' XLIX.)
Il s'agit d'une scène de chirurgie populaire, et, vraisemblablement,
d'une extirpation de « pierres de tête ». '
L'artiste nous montre l'intérieur d'une misérable officine de village où
de pauvres diables viennent chercher le remède à leurs maux.'
Trois personnages forment le groupe principal, à gauche de la compo-
sition : l'opérateur, l'opéré et une vieille femme qui fait l'office d'.un aide :
Le chirurgien est pauvrement' velu. Son costume n'est pourtant pas
sans prétention : il a sur les manches et sur les cuisses des crevés de cou-
leur claire, sur la tôle un bonnet à oreilles, aux genoux d'énormes jarre-
tières. A sa ceinture pend une gaîne contenant un couteau grossier. Sauf
(1) Le musée de Cassel possède de lui un Charlatan montrant sa patente à la foule.
306 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
les crevés, le bonnet et les jarretières, c'est aussi le costume de son client.
Ce dernier est assis sur un escabeau de bois, présentant son front à l'o-
pérateur, debout devant lui et penché en avant.
L'opération est encore la même : incision sur le front avec un bistouri
tenu de la main droite, tandis que la main gauche s'empare de la pierre
néfaste. Seulement ici, le chirurgien, dont les ressources sont sans doute
fort modiques, ne possède pas la fameuse pince à extirpation qui fait ce-
pendant si bon elfe Il emploie donc sans hésiter l'instrument que la
nature met à sa disposition, et c'est entre le pouce et l'index qu'il va sai-
sir la tumeur supposée. Il est bien possible que celle-ci soit dissimulée
dans le creux de sa main gauche : les trois derniers doigts sont repliés de
façon à en donner le soupçon.
Mais le client ne voit rien, car la douleur est vive ; il crie fort et serre
convulsivement les poings.
Le chirurgien ne s'en soucie guère et sourit d'un air goguenard, prêtant
plutôt l'oreille aux propos de son aide.
Celle-ci est une vieille femme, horriblement bossue, la tête entourée
d'un linge blanc, et qui bavarde, lout en maintenant les épaules de l'opéré
avec ses grosses mains.
Quatre autres personnages occupent la droite du tableau. 1
Au fond, une jeune femme assise sur un banc, la gorge demi-nue, un
fichu blanc sur les épaules et un tablier sur les genoux, regarde avec in-
quiétude le pauvre opéré qui geint. Peut-être attend-elle son tour, et le
spectacle qu'elle a sous les yeux l'impressionne vivement. Comme tous
1 les personnages d'A. Both, elle a les mains énormes, de grosses mains de
' paysans déformées par le travail.
Adroite, trois hommes. Un debout, au milieu, bien en lumière, coiffé
d'un bonnet dans lequel est passé une cuiller de bois, son ventre respec-
table sanglé d'une ceinture de cuir, ses petites jambes prises dans des bas
blancs mal tirés et les pieds dans de gros souliers pleins de paille. Celui-ci
ne passera pas sur la sellette : c'est un ami qui est venu pour accompagner
le patient : aussi est-il plein de courage, et de la main droite il l'exhorte à
supporter vaillamment sa souffrance. Dans sa main gauche, il tient par
le cou un canard, qui sera sans doute pour le chirurgien le prix de sa
belle opération.
Plus à droite, est assis un client qui vient d'être opéré. Il a la tête en-
tourée de linges et montre avec sa main droite l'endroit de son front où
1 son mal siégeait.
Il tient dans la main gauche un petit corps ovoïde, peut-être la tumeur
qu'on lui a extirpée.
Derrière lui, se tient debout un troisième individu, portant mousta-
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 307
ches et barbiche, drapé dans un grand manteau, et coiffé d'un feutre a
larges bords.
Le décor est simple.
Sur les murs, à gauche, des rayons supportent des vases, des pots, des
cornues, des palettes, une tête de mort, etc. : un parchemin et des instru-
ments sont suspendus au-dessous. Au milieu, un tableau représentant un
paysage ; à côté est une gourde et un parchemin ; il droite, une porte avec
des statuettes sur la corniche.
Par terre, devant l'opéré, un bassin avec des linges, un vase au col
ébréché et trois pierres. *
..
Ce sont ces pierres qui permettent de supposer que l'opération pratiquée
par le chirurgien populaire est du même genre que celles qui ont été re-
présentées par van Bosch, P. Brueghel etc. L'extirpation des « pierres de
têle » n'était donc pas seulement l'apanage de certains spécialistes diplô-
més comme le Doyen de Ronse, ni des charlatans ambulants comme la
sorcière de Mallegem; elle était tombée dans la pratique courante, et les
barbiers de village savaient, eux aussi, en tirer profit, comme en témoigne
l'oeuvre d'Andries Both.
D'ailleurs, le lieu d'élection de l'opération était bien connu des barbiers
rustiques accoutumés à la saignée. Parmi les « quarante-sept veines sai-
gnables » du corps humain, il y en avait quinze à la tète, dont la frontale
ou préparale, une des plus faciles à découvrir et des moins dangereuses à
inciser. Cette saignée était spécialement recommandée contre les céphalal-
gies tenaces.
Le chirurgien d'1. Botll, qui paraît un fin matois, avait sans doute ajouté
à l'une de ses saignées familières, la jonglerie des « pierres de tête » qui
réussissait à merveille sur le public crédule.
David Teniers le Jeune.
Peintre flamand (1610-1690).
David T> : z\1>;lls LE Jeune est peut-être le plus connu des peintres des
Flandres. Il personnifie le genre familier et rustique, inauguré par
P. Bruegel le vieux'.
Son nom évoque tous les épisodes de la vie domestique et surtout ton-
tes les joyeusetés champêtres, les franches lippées des kermesses llaman-
des, les danses grivoises aux sons des cornemuses, et les longues beuveries
dans les cabarets enfumés.
Dans tous les musées, dans toutes les collections, on retrouve des va-
308 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
riantes de ces réjouissances rustiques : il semble que l'artiste ait vécu sa vie
lout entière dans une perpétuelle succession de noces et de festins.
Il a cependant abordé d'autres sujets ; du moins s'est-il essayé dans pres-
que tous les genres. Tour il tour, il a été peintre d'histoire, de chasses, de
soldats, d'animaux : il s'est même aventuré, mais sans grand succès, jus-
qu'à peindre des scènes religieuses. Il a aussi aimé l'allégorie et, ses Ten-
tations de 'St-Antoine, dont les répliques 'sont si nombreuses, paraissent
avoir été inspirées par les compositions fantastiques de van Bosch et de
P. Bruegel.
A ne compter que ses oeuvres réputées authentiques, on est arrivé au
chiffre respectable de sept cents tableaux.
Teniers le Jeune naquit à Anvers en 1610. Son père fut son premier
maître. Mais ce fut surtout Rubens qui exerça sur lui une heureuse in-
fluence. Il prit Teniers en affection, le fit collaborer il plusieurs de ses
oeuvres, et le maria, en 1637, à sa pupille,, la fille de Bruegel de Velours.
Dès lors, la fortune de Teniers ne fit que prospérer de jour en jour. Il
devint peintre de l'archiduc Léopold Guillaume d'Autriche, gouverneur
des Pays-Bas espagnols. La reine Christine de Suède, le roi Philippe IV
d'Espagne, se disputèrent ses magots que méprisait si fort Louis XIV.
Il se fixa à Bruxelles vers 1650, il y vécut près de quarante ans, et tout
en continuant de peindre avec une prodigieuse fécondité, il s'occupa des
fabriques de tapisseries flamandes et fonda- l'académie des Beaux-Arts
d'Anvers. Teniers le Jeune mourut à Bruxelles en 1690, âgé de 80 ans.
Ce grand artiste était d'une famille d'artistes.
Son père, David Teniers le Vieux (H;82-1G ! i9), a laissé un certain nom-
bre de compositions rustiques et de peintures allégoriques. Pour ne parler
que de celles qui offrent un intérêt médical, je rappellerai que le Musée
des Offices possède un tableau de lui, intitulé le Médecin, et représentant
un empirique examinant des urines.
Le vieux Teniers a peint également des gueux et des infirmes. J'ai sou-
venir d'avoir vu à l'Eglise St-Paul d'Anvers une peinture, d'ailleurs assez
médiocre, qui lui est attribuée : Les Sept OEuvres de miséricorde, où sont
figurés des malades, des loqueteux et des amputés.
Teniers le père eut quatre fils : David Teniers le Jeune, Julien, Théo-
dore et Abraham. On croit avoir des tableaux de ce dernier au musée du
Prado.
Le fils et le petit-fils du grand Teniers, David III Junior et David IV
continuèrent en Portugal la tradition picturale de la famille, mais leurs
oeuvres sont malaisées il reconnaître et d'un mérite secondaire. Teniers le
Jeune eut aussi une fille, qui épousa Jean Erasme Quellin, connu par ses
grandes peintures décoratives.
LES OPÉRATIONS SUR LA TÈTE 309
David Teniers le Jeune fut trop vivement séduit par tous les épisodes de
la vie rustique pour ne pas saisir le côté pittoresque et humoristique des
scènes médicales dans les intérieurs villageois.
Son Médecin de village du musée cle Bruxelles, qui représente un em-
pirique examinant des urines, est une peinture remarquable, où l'on re-
trouve toutes les qualités d'observation et d'exécution du maître flamand.
Le musée du Prado, qui renferme tant, de chefs-d'oeuvre de David Te-
niers, possède deux tableaux représentant des opérations chirurgicales.
Dans l'un (1), il s'agit d'une Opération sur le pied, faite à un vieillard
par un barbier de village assisté d'un jeune homme et d'une vieillefemme.
Les, barbiers, on le sait, pratiquaient couramment la saignée, et l'on in-
cisait souvent, près de la cheville, lès veines appelées alors saphènes en
dedans, ou sciatiques en dehors, pour guérir les maladies des reins, des
organes génitaux, et surtout les névralgies du nerf sciatique. Il est possible
qu'on ait affaire ici à ce genre d'opération. Peut-être aussi le barbier se
faisait-il pédicure à l'occasion.
L'autre Teniers du Musée du Prado représente- une Opération sur la tête.
Nous y reviendrons avec détails. L'artiste a d'ailleurs traité plusieurs fois
ce môme sujet.
Il faut encore signaler, comme contenant quelques individus malades ou
estropiés qui peuvent intéresser le médecin, une peinture de Teniers le
Jeune, les OEuvres de la Miséricorde, dans la collection Steengracht, à la
Haye. C'est une variante du tableau du Louvre (no 2157) portant le môme
titre. Dans les OEurl'es de la Miséricorde de la collection Steengracht se
trouve un curieux estropié, amputé des deux jambes, marchant sur les ge-
noux à l'aide de courts pilons et soutenu par deux petites béquilles sous
les aisselles :
Enlin, il n'est pas rare de trouver, au milieu des scènes champêtres si
abondantes dans l'oeuvre de Teniers, des personnages contrefaits qui sont
une exacte copie de difformités naturelles.
Le tableau de Teniers du musée de Madrid (2), représentant une Opéra-
tion sur la Tête, doit prendre place il côté des documents que nous avons
déjà étudiés. A vrai dire, on ne peut affirmer qu'il s'agisse de l'extirpa-
tion charlatanesque des « pierres de tôle ». Mais, comme dans d'autres des-
(1) ? 13G du calai. 1893.
(2) 1\0 1136 du catal., 1893, Haut. 0,33, Larg. 0,2,ï.
310 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÉTR1ÈRE
sins ou peintures l'artiste a traité ce sujet avec des détails caractéristiques,
ce tableau doit être cité ici (Pl. L).
Dans une chambre fort modeste, aux murs nus et peu éclairée, un prati-
cien villageois opère un paysan. Tous les deux sont pauvrement velus.
L'opérateur debout, sa trousse pendue à la ceinture, le pied droit posé sur
le banc où est assis son malade, promène une sorte de sonde sur le crâne
de ce dernier, tandis qu'avec la main gauche il écarte les cheveux et sou-
tient la tête. Le patient souffre cruellement, ferme les yeux, ouvre la bou-
che et croise les mains comme pour demander grâce.
Derrière eux, une vieille femme regarde, debout, une coiffe blanche sur
la tête, les mains croisées sous son tablier, un panier passé au bras gauche.
Elle est pleine de compassion pour le malheureux opéré.
A droite du tableau, un jeune garçon aux longs cheveux frisés fait
chauffer un emplâtre au-dessus d'un réchaud. Dans le fond, un homme
sort par une petite porte, emportant un grand pot, et se retourne pour re-
garder le groupe principal.
Le mobilier est primitif. Un poêle, une table et un seul banc de bois.
Aux murs sont accrochés des crânes d'animaux, des couteaux. Sur des
rayons, des fioles et des pots de pharmacie. Au plafond pend un poisson
empaillé. Par terre, près du chirurgien, des cruches et des bouteilles.
Un hibou est perché sur le contre-vent.
De quelle opération s'agit-il ? Nulle pari on ne voit les pierres révéla-
trices, et le point où le chirurgien semble concentrer toute son attention
ne correspond pas au lieu d'élection des « pierres de tête ». Il est vrai
que ces dernières étant tout artificielles, leur siège pouvait -être aban-
donné à la fantaisie de l'opérateur.
Ce n'est pas non plus la place où se faisaient les saignées des veines de
la tête (frontales, temporales, auriculaires, nasales, oculaires ou occipi-
tales).
L'emplâtre, que le jeune aide l'ait chauffer au-dessus du réchaud, laisse
supposer qu'il s'agit d'une plaie accidentelle que le chirurgien nettoie
avant de la panser.
Peut-être aussi a-t-il enlevé une véritable loupe du cuir chevelu...
Faute de détails précis, toutes ces suppositions sont admissibles.
Cependant, il est permis de penser que la jonglerie des « pierres de
tète » devait tenter la verve humoristique et pittoresque de Teniers, bien
plus qu'une banale opération de petite chirurgie. Nous en aurons bientôt
la preuve.
LES OPÉRATIONS SUR LA TÈTE
311
David Teniers a encore représenté deux opérations sur la tête.
Je ne sais s'il s'agit de dessins ou de peintures, ni dans quelle collection
publique ou privée ceux-ci sont conservés. Mais ces oeuvres d'art ont été
gravées en manière noire par Jan van der Bruggen, graveur, né à Bruxel-
les en 1649. Elles ont été récemment retrouvées dans la collection des
Estampes du Rijks Muséum et M. Obreen a eu l'obligeance de m'en en-
voyer les calques reproduits Fig. S9 et Fig. 60.
L'une d'elles (Fig. 59) représente un médecin barbu, à longs cheveux, et
Fit.. 39. Une opération sur la tête,
gravure de Jan Yan der Bruggen, d'après David Teniers.
Cabinet des Estampes du Rijks Muséum (Amsterdam).
312 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
coiffé d'une toque, opérant sur la tempe droite d'un homme qui crie très
fort et cache ses deux mains dans son chapeau. Tout en maniant son bis-
touri, le chirurgien parle à son client et cherche à le distraire. Ce der-
nier n'en souffre pas moins et sa mimique est des plus expressive : les.
contractions de son visage, la grimace de sa bouche et de ses yeux rendent
admirablement la violente douleur qu'il éprouve : c'est, à très peu près,
le facies si caractéristique de l'opéré de Frans liais le Jeune.
Il est possible, mais non certain, qu'il s'agisse ici d'une extraction de
« pierres de tôle ». Peut-être a-t-on simplement affaire à une saignée de
la veine temporale, opération très recommandée contre les maux d'yeux
ou d'oreilles. Cependant la palette fait défaut. L'opération est donc diffi-
cile à préciser, comme pour le tableau du musée de Madrid.
La gravure est signée I. V. B. F. monogramme de Jan van der Bruggen.
L'autre gravure du cabinet des Estampes d'Amsterdam ne prèle à aucune
ambiguïté (Fig. 60). Là, il s'agit vraiment de « pierres de tête», et môme
le malade auquel on les extrait a subi plus d'une opération pour ce motif.
Fig. 60. « Les Pierres de tête ) »
gravure de Jan van der Brugger, d'après David Teniers.
Cabinet des Estampes du Rijks Muséum (Amsterdam).
LES OPÉRATIONS SUR LA TETE ' 313
Il est assis sur le classique fauteuil de bois, mais sans y être allaché.
Son pauvre crâne est lout lacéré par les incisions antérieures : le cas est
rebelle sans doute et a nécessité plusieurs interventions tranchantes. -
Pour le moment, la pierre siège au milieu du front et le chirurgien,
armé de fortes tenailles, fait mine de l'extirper avec effort. Comme lou-
jours, cela ne se passe pas sans douleur, car le patient crie, grimace, serre
les poings, et lape du pied. Mais l'opérateur n'en a cure el ne perd pas sa
gravité bouffonne.
Son manuel opératoire, pour simple qu'il parait, n'en est pas moins
impressionnant. On comprend que son malade pousse des hurlements
affreux à la seule approche d'un instrument aussi terrible que des te-
nasilles.
Dans le fond, il gauche, un petit garçon joue avec une des pierres déjà
extraites déposées sur une table. Par une porte entr'ouverte, on aperçoit
une vieille femme assise et un autre personnage, avec un fond de paysage.
La pièce, très simple, est pauvrement meublée : des cruches, des plats,
quelques ustensiles de pansement sur un rayon. Par terre, gisent les pier-
res que le chirurgien a extirpées précédemment.
Moins scrupuleux que le confrère de Mallegem qui déplore dans sa
boutique déserte le succès de la « femme sorcière », ce praticien rustique
n'a pas hésité à exploiter la jonglerie lucrative de l'opération des « pierres
de tête ». Il parait même la pratiquer avec une sorte de fureur, si l'on
en juge par les incisions multiples qui ornent la tête de son client et par
la profusion de cailloux qui jonchent le sol de sa demeure.
Jan Steen
Peintre hollandais (1626-1619).
JAN Haucksz Steen naquit Leydeen 1626 où il eut pour premier maître
Nicolas Knopfer; puis il étudia chez Adriaen Van Ostade, a Haartem.
Enfin, il fréquenta assidûment à la Haye l'atelier de Jan van Goyen, dont
il épousa la fille Grietje van Goyen en 4Gh9, l'ayant, parait-il, assez forte-
ment compromise.
Jan Steen était fils d'un brasseur de Leyde, et, dès son jeune âge, il
prit l'habitude do la vie facile et des joyeux festins. Les critiques austères
lui en font souvent le reproche. Ne doit-on pas plutôt s'en féliciter, puis-
qu'il a su puiser dans ces agapes familières tant de sujets spirituels traités
avec tant de talent. S'il méprise les compositions sévères, si sa verve éclate
surtout a la fin des repas copieux, s'il faut, pour que son pinceau s'anime,
que les fioles soient vides et que son ventre soit plein, qu'importe si l'oeuvre
produite apparaît magistralement composée, pétillante d'esprit, peinte avec
vin 21 t
314 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
une hardiesse étonnante, toujours joyeuse, parfois libre il l'excès, mais
jamais malsaine, laissant transparaître la satire morale an milieu des pins
folles orgies.
Jan Steen n'aurait peut-être pas peint ses meilleures réjouissances do-
mestiques, sa Fête de Rois, sa Fêle de Si-Nicolas, etc., s'il n'eÙt élé en
même temps le patron jovial et bon enfant de la brasserie du Serpent (1654)
devenue plus tard brasserie de l'Etrille, il Dclfl, cl s'il n'eût mené avec les
siens figurants ordinaires de ces joyeuses scènes de famille - la vie
bohème dont on lui fait reproche.
D'ailleurs, ses entreprises commerciales ne lui réussirent guère. En
leu7, il dut abandonner sa brasserie de Délit; il séjourna quelque temps
à Leyde, puis à Ilaarlem où mourut sa femme. ' ,
Jan Steen revint à Leyde vers 1670 - il rouvrit un nouveau cabaret et
épousa en secondes noces, Maria van Egmond, veuve d'un libraire. Il
mourut dans sa ville natale, le 3 février 1679.
r
On a dit, qu'après Rembrandt, Jan Steen étail le maître le plus origi-
nal de la Hollande. Si c'est aller trop loin quand on envisage l'ensemble
de son oeuvre, ce n'est que justice pour nombre de ses tableaux.
Jan Steen ne s'est pas borné à peindre de joyeuses ripailles. Sans par-
ler de quelques scènes bibliques où son talent ne s'épanouit qu'à demi, il
a excellé dans la représentation de tous les épisodes de la vie domestique
et ses peintures d'intérieur restent d'inimitables chefs-d'oeuvre.
Son esprit gouailleur ne pouvait négliger les médecins. Ils lui ont sou-
vent inspiré des compositions pleines d'humeur et de verve. Nul, mieux
que lui, n'a su personnifier le type du Sganarelle.
Fréquemment, Jan Steen s'est complu à mettre en présence de graves
docteurs avec des clientes jeunes et jolies. Il affectionnait ces « malades
d'amour auxquelles il a su donner une si intéressante langueur, avec un
si malicieux sourire à l'adresse de l'homme de impuissant il deviner
la vraie cause de la maladie. Tels sont Le Médecin de la Pinacothèque de
Munich (1), La Visite du médecin et la Jeune femme malade du musée de
La Haye (2), La Malade du musée d'Amsterdam ( : 3), La Visite Ii la malade
de la collection Steengracht, à la Haye, etc.
Jan Steen a peint aussi des praticiens en plein air, un Dentiste au musée
de la Haye (4), un Charlatan au Rijks Muséum d'Amsterdam (5).
(f) No 392.
(2) Ne- 349, 339.
(3) N" 1319. El prohablement aussi le n° 1380, intitulé Le couple buvant, où une
jeune femme semble avaler avec peine une médecine sous les yeux d'un jeune docteur.
(4) V° 3t6.
(5) No 1312.
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 315
On trouve enfin dans ses scènes d'intérieurs des personnages grotesques
dont les difformités présentent parfois de l'intérêt. J'ai déjà cité le servi-
teur pied-bot et rachitique de La Ménagerie du musée de la Haye (1).
Trois tableaux de Jan Steen représentent des Opérations sur la tête :
Le charlatan, au Rijks Muséum d'Amsterdam.
L'opérateur, au musée de Bruxelles.
L'opérateur, du musée Boijmans, il Rotterdam.
Dans le Charlatan du Rijks Muséum, Jan Steen nous fait assister il une
opération en plein air, sur une estrade dressée au pied d'un arbre touffu,
près d'un village, au milieu du va el vient des habitants (Fig. 61).
L'installation est bien faite. Rien n'y manque, ni la table recouverte de
fioles et de pois,, ni le parchemin largement scellé, ni le violon de la pa-
rade. On y voit même un singe jouant avec une pipe, précieux comparse
pour attirer les badauds.
Sur l'estrade, le Charlatan, face au public, débite son boniment avec
preuves à l'appui. Vêtu d'une robe de docteur et coiffé du haut bonnet,
de la main droite il présente à ses auditeurs un stylet sur lequel est piqué
un corps arrondi, tumeur ou « pierre de tète » sans doute. De la main
gauche il fait un geste explicatif.
Derrière lui, on opère déjà.
Et c'est une femme qui opère : une vieille, au visage crevassé de fortes
rides, un gros binocle sur le nez, un voile noir sur la tète. L'air décidé,
la bouche un peu railleuse, la main sûre et légère, elle fait, à l'aide d'une
longue aiguille tranchante, derrière l'oreille de son client, une incision
qui n'est pas indolore, si l'on en juge par les contorsions de ce dernier.
L'opéré est assis sur un grossier fauteuil de bois, les bras attachés par
de bonnes cordes et c'est en vain qu'il cherche à esquiver le tranchant du
fer; la vieille imperturbable suit tous ses mouvements et continue sans
broncher son opération. Le patient fait une affreuse grimace, ferme les
yeux, hurle à pleine bouche, bat l'estrade de ses gros souliers; mais les
liens tiennent bon et le forcent à rester sur la sellette.
En outre, un aide, un pitre il large bouche, le crâne pris dans un bon-
net noir et recouvert d'un béret il créneaux, tient entre ses mains la tète
de l'opéré. Ce burlesque personnage, qui porte une large collerette dentée
et un manteau où sont peints des ciseaux gigantesques, couvre de ses
éclats de voix les cris du malheureux client : il faut que chacun suppose
que l'opération se fait sans douleur,
(1) \' 347.
,310 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈTnl1;11E
Près du fauteuil opératoire est, posé un panier d'oeufs : ce sont les ho-
uoraires du cluirlatau.
Pour voir cet. habile homme et ses acolytes, les gens du village viennent
en foule. Deux malades, un homme, l'oeil couvert d'un bandeau,'et une
vieille, toute cassée, écoulent' avec intérêt le boniment ; des enfants jouent
etrient,autourdet'est.rade;unpet.itgarçonpasseas.sissurutianc;))ne
petite fille s'arrête le nez en l'air : un riche bourgeois, au ventre imposant,
regarde d'un air digne et entendu ; un chien, l'épagneufclier ;i Jan Sleen,
flaire le sol au premier plan. '
A droite, une affreuse mégère, sordidement vêtue, arrive à grands pas,
poussant, dans une brouette, son mari, abominablement ivre, la chemise en
lambeaux, les bas lombes, le chapeau de travers, mais tenant encore d'une
main sou verre et de l'autre un broc d'étain. 1,L la femme interpelle le
charlatan : Opérez donc celui-ci ; il en a grand besoin el faites en sorte de
le guérir du mal d'ivrognerie qui ne le quille guère.
Voilà bien la note burlesque et sarcastique du peintre, et, dans ce
tableau, elle éclate avec tout le naturalisme qui lui est familier.
yuantn l'opération pratiquée par la vieille commère, il esl difficile d'en
préciser la nature. On peul remarquer cependant qu'elle est. faite à l'imi-
tation des saignées de derrière l'oreille, usitées pour la guérison des assou-
pissements, migraines, vertiges, etc., et pour évacuer les humeurs « crou-
pissantes du cerveau », qui engendrent toutes sortes de folies. -
D'autre part, la pièce que le charlatan présente au public n'esl proha-
Fio. 61. Le Charlatan, d'après le tableau de Jan Steen,
au Rijks .Muséum d'Amsterdam.
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 317
blement pas autre chose qu'une « pierre de tête », extirpée au client qui
est sur l'estrade, ou à tout autre qui l'a précédé.
Retenons surtout qu'une partie de la besogne opératoire est confiée à
une femme, et même que, dans ce document, c'est elle qui paraît jouer le
rôle principal. Un opérateur du sexe faible était sans doute un attrait de
plus pour les clients, hien qu'à vrai dire les charmes de la vieille que nous
montre Jan Steen soient fort peu séduisants.
On sait d'ailleurs qu'au moyen âge, la pratique de la chirurgie, consi-
dérée comme métier manuel par conséquent déshonorant resta
longtemps livrée aux seuls barbiers et charlatans, et à quelques vieilles
commères aussi ignorantes que peu scrupuleuses. La race n'en est pas
complètement perdue encore aujourd'hui.
Au musée de Bruxelles, on voit un autre Opérateur de Jean Sleen (Fig.ü2).
Celui-ci travaille à demeure, dans son officine garnie de bocaux et de
cornues, avec le traditionnel crocodile pendu au plafond. Le médecin est
un homme âgé, à la figure sévère, coiffé d'un haut bonnet, proprement
vêtu ; un petit tablier couvre ses jambes, il sa ceinture pend une trousse de
couteaux.
Son client, assis devant lui, la chemise défaite laissant le col à nu, res-
FiG. 62. L'Opérateur, d'après un tableau de JAX Steen au musée de Bruxelles.
318 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
semble beaucoup à celui du charlatan d'Amsterdam : mêmes cheveux,
même menton allongé, même attitude du corps, même mimique doulou-
reuse. Jan Steen s'est certainement servi du même modèle.
Le chirurgien opère lui-même, tenant dans la main droite une- lige bou-
tonnée dont on ne distingue pas l'extrémité inférieure. De la main gauche,
il tend, entre le pouce et l'index, la peau de la région parotidienne où est
pratiquée l'opération.
En arrière une vieille femme, coiffée de blanc, s'apitoie sur les souffran-
ces de l'opéré. 1
Au fond, à droite, on enlrevoit, par l'ouverture de la porte, 'un petit
paysage.
L'opération semble une réplique de celle que fait la vieille commère
sur l'estrade du Charlatan d'Amsterdam. Avec son instrument qui pour-
rait être une espèce de sonde, le chirurgien semble découvrir un Vaisseau,
en arrière et au-dessous de l'oreille. Peut-être est-ce une simple saignée,
peut-être opère-t-il un ganglion enl1ammé de la région parotidienne.
II ne faut pas oublier en effet que les barbiers furent les premiers chi-
rurgiens et que( parmi eux, se rencontrèrent des opérateurs d'un réel
mérite. Il y eut, en France, dès le XVIe siècle, une variété de barbiers,
connus sous le nom d'inciseurs qui pratiquèrent hardiment des opérations
que les chirurgiens diplômés n'osaient pas entreprendre : ils réduisaient
les hernies, extrayaient les pierres de la vessie, etc., et souvent avec succès.
C'est peut-être dans la boutique d'un de ces précurseurs de la chirurgie
moderne que Jan Steen nous a conduits.
Aucun détail précis ne permet de croire qu'il s'agisse de la jonglerie des
« pierres de tête ».La scène dans son ensemble présente un caractère plus
sérieux que la charlatanerie du musée d'Amsterdam. La peinture en est
moins finie, et l'on peut supposer que c'est là une étude faite sur nature
par Jan Steen, utilisée plus tard avec quelques modifications pour d'autres
tableaux.
L'Opérateur du musée Boijmans, à Rotterdam, contient en effet des ré-
miniscences du Charlatan d'Amsterdam et de l'Opérateur du musée de
Bruxelles.
Nous sommes dans un intérieur bien hollandais (PI. LI).
A gauche, une fenêtre à vitreaux demi-ouverte; au-dessous, une table
chargée de fioles, de mortiers, de bandes etc. Par terre, une lanterne e
allumée, un pot, un plat de faïence rouge rempli de pierres, une bou-
teille, et un chapeau où est passée une pipe.
Au fond, sur le mur, une étagère supportant des cruches et des vases de
toutes formes. Un escalier conduit dans une autre pièce peu éclairée.
Nouv. ICONOGR. Dp 1.10. SAJPIUII'¡'¡ T vin PLLI.
« LES PIERRES DE TETE »
Tableau de .IA : oI SrEE : oI, peintre hollandais, Siècle).
tl1",éc BOijn1.111"" .'1 Rotterdam.
L. BATTAILLE ET C"
Enl"tFURS
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 319
Du plafond pend un crocodile empaillé.
Le groupe principal, bien éclairé par la fenêtre, se compose de cinq per-
sonnages : le médecin, son client, une vieille femme qui aide à l'opéra-
tion, et deux jeunes gens qui s'en amusent fort.
Le médecin est un homme âgé : il n'a presque plus de cheveux, et sans
doute plus de dents, car son menton vient presque rejoindre son nez que
chevauche un binocle à verres ronds ; vêtu d'un habit brun à crevés
blancs, une collerette plissée autour du cou, il a, dans le feu cle l'opéra-
tion, rejeté de côté son bonnet rouge bordé de fourrures. Cependant il
conserve une gravité bon enfant, et ce n'es.[ pas son moindre mérite, car
tout le monde rit franchement autour de lui, hormis le patient qui hurle
cle toutes ses forces.
Ce pauvre homme en effet s'imagine subir une opération terrible : on
le croirait à moins. Le chirurgien avec son bistouri, lui gratte fort désa-
gréablement la région parotidienne.' Le mal ne serait pas grand, si, en
même temps, l'opéré ne sentait dégringoler sur son cou toute une cascade
de pierres, et, surtout, s'il ne voyait celles-ci s'accumuler dans le bassin
d'étain que la vieille femme met juste à portée de ses yeux.
El les pierres tombent, tombent toujours : ..... C'est une grêle. Déjà, il
y en a par terre un plein bassin, sans compter celles qui ont roulé sur le
plancher ; le plat que tient la vieille en est presque rempli, et il en tombe
encore
Le patient semble en avoir un tombereau dans le crâne !
C'est un homme du commun, les vêtements en désordre, un linge blanc
noué autour du cou, le pied droit sur un grossier tabouret de bois, le bas
tombé sur la cheville laissant la jambe à nu; sur sa tête est un bonnet
jaune avec un grelot.
Il est assis sur un fauteuil à dossier demi-circulaire et, pour la forme,
on l'y a attaché avec des liens de paille. Mais il ne fait aucun effort pour
s'échapper : il a si grand désir de voir vider son crâne. Tout au plus a-t-il
un petit recul de tête quand la pointe du scalpel le pique un peu vivement.
En revanche, il pousse des cris lamentables, et ferme à demi les yeux en
ouvrant la bouche de travers.
Une corneille perchée sur un barreau du fauteuil lui becqueté les
doigts ; mais il n'y prend garde, étant tout à sa douleur.
Devant lui, debout, et penchée en avant pour recueillir les pierres dans
son plat d'étain, se tient la vieille assistante. La façon dont elle mord sa
lèvre supérieure, pour ne pas rire trop ostensiblement, est d'un naturel
parfait et d'un comique inimitable. C'est qu'elle aussi est du métier, et
elle sait toute l'importance de la gravité professionnelle.
La tête prise dans une cornette blanche et recouverte d'un voile noir,
20 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
un fichu blanc sur les épaules, cette aide expérimentée porte à la ceinture,
attachés par des chaînes, un petit sac, un couteau dans sa gaîne etplusieurs
clefs. En garde-malade soigneuse, elle a de courtes manches revers blancs,
et un tablier devant elle.
Or, les pierres tombent toujours dans le bassin. Mais d'où tombent-
telles ?
Jan Steen nous le dit sans détour. Derrière le chirurgien est un jeune
garçon qui puise à pleines mains dans un panier rempli des mêmes pierres.
Ce joyeux acolyte, qui n'a pas la gravité comique de son maître ni le
sourire contenu de l'assistante^ joue cependant un rôle important. C'est lui
qui passe au moment voulu une poignée de cailloux à l'opérateur. Ce
dernier les enferme dans sa main gauche, et, tandis que de la droite il
pique légèrement la peau de son client, il laisse échapper une à une les
prétendues « pierres de tête », qui vont joncher le sol ou remplir le plat
d'étain.
Voilà le mystère éclairci.
Il faut convenir que le patient est d'une simplicité rare. Tel est d'ail-
leurs l'avis de tous les assistants. Le jeune homme chargé de la réserve de
pierres s'en donne à coeur joie et ne se tient plus de rire. Un autre, dont
on ne voit que la tête derrière la vieille femme, rit aussi joyeusement.
Et ils ne sont pas les seuls a se réjouir.
Par la fenêtre entr'ouverte, des badauds qui regardent, s'amusent à peu
de frais. Un gros homme accoudé rit en fumant sa pipe; deux autres et
une femme qui se pressent derrière lui partagent l'hilarité commune.
Comment ne rirait-on pas de voir un pauvre niais assez crédule pour être
dupe de cette grossière supercherie ? ... Car ici tout se fait au grand jour.
Le « truc des pierres de tête » est visible pour tous. L'opérateur ne se
cache ni de ses aides ni des étrangers. Son charlatanisme est innocent
puisque, à moins d'être aveugle, nul ne peut s'y laisser prendre. Et,
qui sait ? peut-être^ce tour de passe-passe ne sera-t-il pas inutile.
Quand le naïf opéré sera bien convaincu que la cause de son mal n'existe
plus, que toutes les pierres de sa tête sont extraites, il ira mieux sans
doute, étant plus rassuré, et sera, pour un temps, guéri de sa toquade.
Ce dernier tableau de Jan Steen termine la série des documents que j'ai
recueillis concernant les Opérations sur la tête.
De tous ceux que nous avons passés en revue, il est certainement le plus
explicite et confirme ce que nous disions au début de cette étude sur la
singulière pratique de l'extirpation des « pierres de tête ».
LES OPÉRATIONS SUR LA TÊTE 321 1
- La verve malicieuse du joyeux peintre-cabaretier y éclate en' maints
détails pris sur le vif. 1
Le bonnet ? grelot dont est coiffé le patient laisse entendre qu'un grain
de folie n'est pas étranger au mal pour lequel on l'opère.
La lanterne allumée dans un coin renferme aussi une allégorie familière
à Jan Steen, et qu'il a pris soin d'expliquer dans d'autres peintures. On
la retrouve en effet dans un tableau de la collection van der Hoop,
L'Orgie qui passe à juste titre pour un des meilleurs, mais aussi des
plus lestes, du maître hollandais. A côté de la lanterne se trouvent un
hibou, des chandelles et des lunettes et sur une pancarte on peut lire ces
deux vers :
Wat baeter karts af bril
Als den vijl niet sien vieil' !
A quoi servent chandelles et lunettes
- Puisque le hibou ne veut pas voir ? -
Cette saillie qui vise l'ivrogne endormi dans l'Orgie, et que dévali-
sent ses compagnes de débauche, convient tout aussi bien il l'aveugle
client de l'Opérateur, qui se laisse si naïvement duper.
D'ailleurs, l'allégorie n'est pas nouvelle. Nous avons vu un hibou dans
le tableau de van Bosch, un autre dans le Teniers du Prado.
Reste il savoir si cet oiseau qui « ne veut pas voir » symbolise toujours
la crédulité aveugle des malades, ou s'iln'cst pas l'emblème de l'ignorance
des médecins arracheurs de pierres....
CONCLUSIONS.
L'étude critique désoeuvrés artistiques des écoles lia mande et hollan-
daise représentant des Opérations siti 1(i 1(,Ie, nousfaitconuaître de curieux
détails sur quelques pratiques chirurgicales usitées dans les Pays-Bas, aux
XVe, XVIe et XVIIe siècles. -
La majorité de ces documents figurés reproduit des opérations fictives,
pratiquées dans le but de débarrasser certains malades d'une pierre qu'ils
croyaient enfermée dans leur tête, et laquelle ils attribuaient toutes leurs
souffrances. 1
L'opération consistait en une incision légère delà peau, suivie d'un tour
de passe-passe ayant pour but de faire tomber sous les yeux du patient une
pierre que le chirurgien dissimulait dans une de ses mains, et qu'il affir-
mait être sortie de la tète.
Le lieu d'élection de l'opération était de préférence la région frontale,
parfois aussi-la-ré71on mastoïdienne... - - - -- - .
322 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÈT11.l¡ ! : ¡m
Le patient était assis sur un siège spécial (1), le corps et les bras atta-
chés avec des cordes, la tète maintenue par un aide.
Un linge enduit de quelque onguent serré autour du front suffisait
pour le pansement.
L'opération était pratiquée aussi bien par les chirurgiens à demeure
que par les charlatans ambulants.
On se rend compte par le nombre relativement grand des représenta-
tions de ce genre du succès dont a dû jouir cette jonglerie opératoire.
Médecins de ville ou de village, opérateurs au petit pied de l'espèce des
barbiers, physiciens, rebouteux, mires, etc., surent en tirer de lu-
cratifs profits. -
Déjà en usage au XVe siècle, comme le montre van Bosch, l'opéra-
tion des « pierres de tète » semble avoir l'ait rage au temps de P. Brue-
gel le Vieux. Cent ans plus lard, elle était encore de mise, s'il faut en
croire J. Steen. Il est vrai que le nombre croissant des rieurs, qui n'en
sont plus dupes, fait présager son prochain discrédit.
Les femmes elles-mêmes opéraient les « pierres de tête ».
Les artistes qui ont voulu ligurer ces tumeurs imaginaires se sont inspi-
rés cle la forme des tumeurs véritables du cuir chevelu connues sous le nom
de loupes.
La clientèle ordinaire des arracheurs de pierres était vraisemblablement
composée par des malades souffrant de céphalalgies violentes, par des mi-
graineux, des neurasthéniques, etc., et même par de véritables aliénés.
En dehors de ces représentations d'extirpations fictives, quelques docu-
ments figurés semblent reproduire des opérations réelles.
Il s'agit vraisemblablement cle saignées, portant sur les veines des ré-
gions frontale ou auriculaire, préconisées contre les maux de tête, et en
général contre toutes les affections nerveuses ou mentales.
(1) Tous les barbiers possédaient dans leur boutique une chaière (chaire) sur laquelle
s'asseyait le client à raser ou à saigner.
Le gérant : Louis
Imp. Vve Louhdot, 33, rue îles B.Uiônolles, Paris.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA SALPÊTRIÈRE
DEUX CAS DE MYÉLITE TRANSVERSE AIGUË
PAR
le D' J. NAGEOTTE,
chef des travaux d'anatomie pathologique à la Clinique de la Salpêtrière.
Les deux observations qui suivent ont été recueillies presqu'en même
temps à l'hôpital Lariboisière dans le service de notre maître, M. le pro-
fesseur Raymond, alors que nous avions l'honneur d'être son interne. Les
hasards de la clinique réunissaient ainsi sous nos yeux deux cas dont
l'expression symptomatique se ressemble singulièrement : les ressem-
blances continuent sur le terrain anatomo-pathoiogique tant que l'on s'en
tient aux apparences grossières ; elles cessent si l'on s'astreint à une élude
minutieuse des éléments du processus morbide. C'est qu'en effet les deux
malades dont nous allons rapporter l'histoire étaient atteintes d'affections
aiguës de la moelle bien différentes par leur étiologie : l'une a succombé à
une lésion infectieuse que les circonstances ne nous ont pas permis de
déterminer exactement, mais qui n'était certainement pas syphilitique;
l'autre au contraire était une syphilitique avérée et sa lésion médullaire
relève de la syphilis.
Obs. 1 (1). C..., àgée de 31 ans, couturière, entre le 11 février 1892
à l'hôpital Lariboisière, salle Trousseau, n°18, dans le service deM. Ray-
mond.
Elle a eu dans son enfance des convulsions, dont elle a gardé du stra-
bisme convergent ; c'est tout ce que l'on peut trouver en fait d'antécédents
morbides; d'un caractère assez emporté, riant et pleurant facilement, la
malade n'a jamais présenté d'accidents nerveux définis ; elle a eu 2 accou-
chements normaux à tous égards, le dernier il y a 7 mois.
(1) Recueillie par M. Bigeard, externe du service.
VIII 22 12
\ ! 9a ? ,cN6Bt : tLE iCONOG'RAPU)E DE LA SALPÈTIUÈRE
o. ? LS ' ?
La m 4ê-qui l'amène à l'hôpital a débuté sans fièvre et sans malaise
général le 13 janvier 1892 ; ce jour-là elle ressentit une sorte d'engour-
dissement et de faiblesse dans la jambe etlepied droits; lepied était glacé.
La malade continua à marcher durant 5 jours encore, mais la faiblesse de
la jambe droite augmenta au point qu'elle dut s'aliter; elle entra à l'hô-
pital St-Antoine, où on lui fil prendre 4 douches. Le lle jour de la mala-
die l'engourdissement gagna la jambe gauche; le lendemain cette jambe,
sur laquelle.la malade s'appuyait en prenant sa douche, fléchit sous le jet
d'eau et dès lors la station debout fut impossible. Le 13e jour de la mala-
die la paralysie des sphincters vésical et anal s'ajouta à la paraplégie ; il
survint enfin'des eschares sacrées et trocitantériennes dont la date d'appa-
rition ne peut être précisée, leur indolence absolue ayant empêché
la malade de les remarquer. C'est dans cet état que la malade, sortie
de St-Antoine depuis plusieurs jours, arrive à la salle Trousseau.
La paraplégie est flasque et complète, le moindre mouvement volontaire
des membres inférieurs est impossible, mais il existe des soubresauts
involontaires, les pieds « sautent tout seuls » suivant l'expression de la
malade. Les réflexes rotuliens sont abolis, il n'y a pas de trépidation épi-
leptoïde du pied. Les muscles sont flasques, surtout à droite; ils rie sont
pas douloureux, ils se contractent bien sous l'influence du courant faradi-
que, mais il faut employer un courant un peu plus fort à gauche qu'à
droite.
L'incontinence des urines et des matières fécales est absolue.
La sensibilité est gravement atteinte dans toute la moitié inférieure du
corps. La sensibilité à la piqûre est abolie dans tout le membre inférieur
droit et cette abolition remonte sur le tronc, où elle se limite en dedans
par la ligne médiane, en haut par une ligne horizontale passant par l'épi-
gastre ; au membre inférieur gauche l'anesthésie à la piqûre ne remonte
pas au delà d'une ligne passant en avant par le muscle couturier, en ar-
rière par la limite supérieure de la fesse. Dans tout ce territoire la sensi-
bilité au contact est conservée, surtout à gauche, mais diminuée ; le cha-
touillement de la plante du pied est encore perçu, mais d'une façon peu
intense. La sensibilité à la chaleur est abolie complètement en avant dans
toute la moitié droite du corps jusqu'à une ligne horizontale passant par
l'épigastre ; en arrière les températures élevées sont encore perçues. A
gauche, dans la zone symétrique, il existe une thermo-anesthésie qui
n'est pas non plus absolue. La sensibilité au froid est abolie dans toute
la moitié inférieure du corps, depuis une ligne horizontale passant par
l'épigastre. En somme il existe une abolition plus ou moins complète du
sens de la température répartie symétriquement au-dessous d'une ligne
passant à l'épigastre, tandis que la sensibilité à la piqûre est conservée
DEUX CAS DE MYÉLITE TRANSVERSE AIGUË ? -; s i ? $7
dans la moitié gauche du tronc et à la partie supérieure de la face anté-
rieure de la cuisse gauche. Ajoutons qu'on observe encore une petite zone
sensible à la piqûre, à la face dorsale des quatre derniers orteils. Il s'agit
donc de troubles dissociés de la sensibilité et non d'une anesthésie complète.
Ces troubles sensitifs persistent jusqu'à la fin ; une dernière exploration
faite l'avant-veille de la mort donne les mêmes résultats.
L'examen de la sensibilité provoque de nombreux réflexes cutanés dont
la malade n'a pas conscience, car le sens musculaire est aboli.
- Subjectivement la malade accuse une sensation très intense et très per-
sistante de froid qui occupe le pied et la jambe droite et s'arrête au-dessus
des mollets. Elle ressent également par instants des picotements mal loca-
lisés en même temps qu'il se produit des soubresauts de tendons spontanés.
Il existe une vaste eschare sacrée et deux eschares trochantériennes : : -
ces ulcérations sont indolentes, la peau des membres inférieurs s'ulcère
sous l'influence des moindres traumatismes.
La tête et les membres supérieurs sont indemnes.
L'état général est mauvais ; la malade est très faible ; elle ne s'alimente
pas. Les bases pulmonaires présentent de la congestion hypostatique. La
température oscille entre 38° et 39°.
Les jours suivants l'état s'aggrave encore ;^il survient des vomissements
fréquents ; les poumons s'encombrent de plus en plus. La malade, dont
l'intelligence était absolument libre lors de son entrée dans la salle, tombe
dans un assoupissement progressif qui aboutit au coma; la température
monte entre 40° et 41°. La mort survient le 28 février.
Autopsie. Les membres supérieurs présentent une rigidité cadavéri-
que très marquée; les membres, inférieurs au contraire sont flasques, un
peu oedématiés, les pieds tombants.
Il existe au niveau du coccyx une eschare profonde, à demi-détachée,
large comme la main, s'étendant jusqu'à l'anus. Le coccyx est dénudé
mais le canal rachidien n'est pas ouvert. Une fusée purulente traverse la
fesse droite et aboutit au pli fessier. Autour de l'eschare et à la partie su-
périeure des cuisses il existe un semis de petites plaques gangreneuses
superficielles, allant du volume d'un grain de chenevis, à celui d'une
pièce de 50 centimes. -
Le canal rachidien ne présente aucune lésion appréciable.
La moelle étant enlevée et les méninges incisées, on aperçoit en arrière,
entre les racines postérieures, une plaque blanchâtre, molle, nettement
circonscrite, qui occupe toute la hauteur du renflement lombaire. Cette
plaque n'est autre chose qu'une infiltration purulente de l'arachnoïde. Il
existe une autre plaque plus' petite un peu plus haut.
328 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Les veines postérieures de la moelle sont extrêmement congestionnées
dans toute la moitié inférieure de la moelle.
A part un aspect un peu blanchâtre, comme lavé, on ne note aucune
autre altération des méninges, des racines et de la surface de la moelle.
La consistance de la moelle est normale ; à peine note-t-on une légère
diminution à la région dorsale supérieure. Sur les coupes transversales,
dans la même région, la substance grise tranche moins nettement qu'à
l'état normal. La substance médullaire est assez fortement congestionnée.
Le bulbe, la protubérance, le cervelet et le cerveau ne présentent pas
la moindre lésion macroscopique. -
Le pannicule adipeux est partout très épais ; il mesure environ 2 cen-
timètres au niveau des mollets, sans être là plus épais qu'ailleurs. Les
muscles des membres inférieurs ne présentent aucune atrophie apprécia-
ble : ils sont bien colorés, mais n'offrent pas la rigidité cadavérique des
muscles des membres supérieurs ; seuls les muscles de la région anté-
rieure de la jambe, les péroniers, les muscles de la région postérieure de
la cuisse, le tenseur du fascia lata, le couturier, présentent une colora-
tion légèrement plus pâle, mais la différence est à peine accusée.
Les poumons présentent des adhérences lâches mais étendues ; ils con-
tiennent quelques petites pierres aux sommets. Il existe un oedème consi-
dérable des deux côtés, mais pas de noyau d'hépatisation.
Lecceur est petit, mais sain. Le péricarde contient deux cuillerées d'un
liquide clair. L'endocarde est sain. Le foie est tuméfié, mou, de couleur
violacée avec des marbrures jaunes ; sur une coupe son tissu est collant.
La rate est grosse, molle, un peu diffluente. Les reins sont anémiés.
La vessie est marbrée de taches congestives ; sa muqueuse est couverte de
petites exulcérations ; l'urine qu'elle contient est louche et fétide. Les
veines qui partent du bas-fond de la vessie sont thrombosées.
L'utérus et les annexes sont sains.
Examen histologique . La coloration de Pal montre l'existence d'un
grand foyer de myélite au niveau duquel le tissu ne se colore plus et, par
conséquent, ne contient plus de myéline. Nous étudierons d'abord le to-
pographie du foyer.
Cette lésion commence au niveau de la 2e racine dorsale ; dès le début
elle envahit les deux commissures, la partie postérieure des cornes anté-
rieures, se prolonge un peu dans les cordons antérieurs le long de la
scissure, empiète légèrement sur les cordons postérieurs et envoie un
prolongement le long de chaque corne postérieure, prolongement plus
large à droite qu'à gauche (Fig. 62).
A mesure que l'on descend la tache s'agrandit rapidement; elle envoie
de chaque côté une mince bande qui borde la scissure antérieure ; dans
DEUX CAS DE MYÉLITE TRANSVERSE AIGUË 329
les cordons antéro-latéraux, tout au pourtour des cornes antérieures, il
en part des pointes irrégulières qui se dirigent vers la périphérie. '
Au niveau de la 3e dorsale ces pointes irrégulières se transforment en
larges expansions qui atteignent presque la pie-mère.
Dès la 4e dorsale la moelle est envahie sur presque toute sa surface de
section ; il ne reste plus qu'une partie des cordons postérieurs, surtout
du cordon postérieur gauche, et une mince bordure irrégulière à la péri-
phérie de la moelle (Fig. 63).
Jusqu'à la 5e dorsale la topographie varie peu ; il reste toujours un
secteur intact dont la pointe est vers le col de la corne postérieure gau-
che et dont la base embrasse la circonférence depuis l'émergence des raci-
Fro. 63. Coupe de la moelle au niveau de la 3e dorsale (coloration du Pal).
Fio. 64. Coupe de la moelle au niveau de la 5e dorsale.
330 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
nes postérieures droites jusqu'à un point situé un peu en avant de l'émer-
gence des racines postérieures gauches (Fig. 64). '
A partir de la 5e dorsale l'étendue de la tache diminue et sa topogra-
phie reprend successivement des aspects très comparables à ceux qui ont
été décrits pour la partie supérieure de la lésion. Néanmoins la tache de
myélite diminue beaucoup moins vite par en bas que par en haut. La
corne postérieure droite reste toujours plus malade que la gauche.
La lésion se termine au niveau de la 8e racine dorsale par une simple
tache située dans la commissure postérieure (Fig. 65).
L'ensemble du foyer de myélite forme ainsi un fuseau allongé, plus
effilé en bas qu'en haut. La prédilection de la lésion pour la substance
grise est évidente, mais au niveau de la tête des cornes antérieures l'ex-
tension par en haut et par en bas est moins considérable que partout ail-
leurs. Les limites de la tache sont partout remarquablenent nettes; on
voit partir de son pourtour un grand nombre de bandes rayonnées, au
centre desquelles il existe un vaisseau altéré; les vaisseaux volumineux
semblent donc exercer par leur contact une action destructive sur la myé-
line; cette disposition est nette surtout au niveau du tractus vasculaire
qui pénètre dans la scissure antérieure.
Par rapport aux différents faisceaux de la moelle, on constate que les
cordons antérieurs ont été à un certain niveau à peu près complètement
envahis par la lésion ; il en est de même pour le faisceau pyramidal droit
et pour le cordon postérieur du même côté (à part de très légères bandes
postérieure et interne) ; par contre le faisceau pyramidal gauche et toute
la moitié postérieure du cordon postérieur gauche ont été à peu près
respectés.
Pour étudier la structure du tissu pathologique, il faut utiliser des
coupes colorées par le carmin, l'hématoxyline, la nigrosine et aussi des
préparations faites par la méthode de Pal. Les lésions vasculaires qui pa-
Fig. 65. Coupe de- la moelle au niveau de la 8e dorsale.
DEUX CAS DE. MYÉLITE TRANSVERSE AIGUË 331
raissent être la cause de tout le processus morbide, attireront d'abord
notre attention.
Dans l'intérieur du foyer de myélite il existe une congestion sanguine
.très marquée ; les vaisseaux irrégulièrement dilatés se laissent traverser
par de nombreux leucocytes, reconnaissables à leur noyau irrégulier.
On suit toutes les phases de cette diapédèse de leucocytes qui, sans s'accu-
muler beaucoup autour du vaisseau malade, se diffusent assez rapidement
dans le tissu médullaire environnant.
Ces leucocytes paraissent avoir une action directe sur les éléments ner-
veux, car le long des gros vaisseaux qui pénètrent dans le foyer et qui
sont déjà chargés de cellules migratrices, on voit souvent une bande très
régulière de tissu dont la myéline a disparu ; cette bande semble bien
être en rapport avec la zone de diffusion des leucocytes. -
La lésion des vaisseaux ne se borne pourtant pas exclusivement à la dia=
pédèse de globules à noyaux lobulés, en bien des points on voit que leurs
parois épaissies ne contiennent pas seulement des leucocytes polynucléai-
res, entre les éléments normaux, mais qu'il existe également une infiltra-
tion discrète de' noyaux plus petits arrondis, de volume très égal, qui
répondent de tout point à la description des cellules embryonnaires. Cet
aspect, qui rappelle par certains points celui des lésions syphilitiques des
vaisseaux médullaires, est loin d'être caractéristique ; les éléments diapé-
désés, à noyaux irréguliers, que l'on ne voit pas dans les lésions vascu-
laires de la syphilis nerveuse, sont infiniment plus nombreux que les
cellules embryonnairesànoyaux ronds et en somme les altérations des vais-
seaux sont ici bien évidemment sous la dépendance d'une cause pyogène.
La syphilis, à moins de complication infectieuse, n'est pas pyogène. S'il
s'agissait ici d'une infection secondaire surajoutée à une lésion syphiliti-
que, on n'observerait pas une uniformité aussi complète dans la disposi-
tion des lésions ; les deux processus ne pourraient pas être fondus d'une
façon aussi parfaite ; en certains points on trouverait une dissociation qui
permettrait de caractériser chaque lésion séparément. L'étude microscopi-
que des vaisseaux du foyer de myélite, corroborée d'ailleurs par tout le
reste de.l'examen histologique, permet donc de rejeter dès maintenant
l'idée d'une lésion syphilitique.
En dehors des vaisseaux qui viennent d'être décrits et qui sont le siège
d'un processus actif, on en voit d'autres, dont les parois sont peu ou pas
infiltrées et dont la gaine lymphatique, considérablement distendue, con-
tient un, deux ou même trois rangs de corps granuleux (Fig. 66).
Entre les vaisseaux le tissu est constitué par de très nombreux corps
granuleux, séparés les uns des autres par des lignes de points arrondis
qui ne sont autre chose que la section transversale des cylindres-axes
S32 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
dénudés. Ces cylindres-axes, légèrement tuméfiés, un peu irréguliers par
places, sont en somme relativement peu lésés; ça et là, au voisinage des
parties saines, on voit encore des tubes nerveux à myéline épars, mais la
myéline est boursouflée, irrégulière et manifestement lésée le plus sou-
vent. Le réticulum névroglique reste à peu près intact et on le distingue
encore fort bien dans tout ce tissu. Dans la substance grise les cellules
nerveuses sont encore conservées, mais elles sont altérées dans leur forme ;
leursprolongements sont peu nombreux et elles paraissent globuleuses dans
leur ensemble ; leur protoplasma est trouble et homogène, ou au contraire
tacheté ; leur noyau est intact ou légèrement déformé.
Les racines antérieures qui émergent du foyer de myélite sont fort peu
altérées; quelques fibres ont seulement leur gaine de myéline boursou-
flée et leur cylindre-axe un peu tuméfié.
Sur les coupes colorées par la méthode de Pal, on voit dans toute l'é-
tendue de la lésion des débris myéliniques sous forme'd'une fine pous-
sière, ramassée en petits groupes du volume d'un corps granuleux.
Les méninges, au niveau du foyer, ne présentent pas des lésions diffé-
rentes, ni plus intenses que partout ailleurs.
En dehors du foyer de myélite il existe, dans le reste de l'axe nerveux,
deux ordres de lésions à décrire :
1° Des lésions diffuses des méninges qui reconnaissent vraisemblable-
ment la môme cause que le foyer lui-même, et qui sont de même nature ;
2° Des dégénérations descendantes et ascendantes qui sont consécutives
aux altérations des éléments nerveux.
FiG. 6G.- Un point du foyer de myélite vu à un fort grossissement (nigrosine). On voit
quelques tubes encore pourvus de myéline ; les points foncés les moins volumineux
sont des cylindres-axes dénudés et tuméfiés. Au centre est un vaisseau entouré d'une
couronne du corps granuleux.
DEUX CAS DE MYÉLITE TRANSVERSE AIGUË 333
La pie-mère, du haut en bas de la moelle, est le siège d'une infiltration
leucocytique discrète, mais très régulière; entre les faisceaux conjonctifs
on aperçoit des leucocytes disséminés, plus abondants autour des vaisseaux
d'où ils semblent sortir. Cette infiltration devient massive dans la scissure
antérieure et dans le sillon postérieur au renflement cervical et dans la
partie supérieure de la région lésée; les leucocytes forment là de vérita-
bles lacs autour des vaisseaux, en écartant et en refoulant les faisceaux
conjonctifs. Dans la partie inférieure de la moelle les leucocytes s'accumu-
lent également dans les sillons antérieur et postérieur, mais ne s'avancent
pas dans les tractus pie-mériens qui garnissent les scissures. A la face in-
férieure du bulbe et de la protubérance il existe des amas semblables, soit
dans l'épaisseur de la pie-mère, soit, surtout, autour des racines des
nerfs crâniens ; dans l'espace interpédonculaire on aperçoit un véritable
lac purulent qui envoie des prolongements dans les gaines lymphatiques
des vaisseaux perforants postérieurs, jusqu'à une certaine distance.
Un certain nombre des veinules qui cheminent à la surface de la pie-
mère, appartenant soit au système postérieur, soit au système antérieur,
sont également le siège d'une diapédèse dont on peut suivre tous les
stades. Les artères ne sont pas lésées.
Dans l'intérieur du parenchyme médullaire les vaisseaux ne sont lésés
que tout à fait au voisinage du foyer de myélite.
Toutes ces cellules qui infiltrent soit les fentes interstitielles de la pie-
mère, soit les parois vasculaires, affectent une disposition générale très
comparable à ce que l'on observe dans la méningo-myélite syphilitique,
sauf pourtant que dans la scissure antérieure et en certains points de la
base de l'encéphale les amas sont plus compacts, à bords plus tranchés et
à configuration plus irrégulière que ceux que l'on voit dans la syphilis.
Mais la grande différence réside clans la nature des cellules infiltrantes;
au lieu des noyaux ronds, petits, réguliers, entourés d'une couche à peu
près invisible de protoplasma, qui constituent l'infiltration syphilitique,
nous avons ici des cellules à protoplasma très visible, à noyaux irrégu-
liers ou même bourgeonnants, tantôt bien colorés, tantôt diffus dans une
cellule en voie de dégénérescence. En un mot ce sont des leucocytes essen-
tiellement différents de ceux qui sont appelés électivement par l'agent
morbide de la syphilis, ces leucocytes sont en voie de dégénérescence en
bien des points et le terme d'infiltration purulente discrète convient par-
faitement pour caractériser l'ensemble des processus ; il faut bien remar-
quer toutefois que nulle part le pus n'est collecté.
Les lésions de l'élément nerveux, avons-nous vu, pour intenses qu'elles
soient, ne vont habituellement pas jusqu'à la destruction. En plein foyer
de myélite lés cylindres-axes sont dénudés, altérés, les cellules nerveuses
334 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
déformées, mais la vitalité de ces éléments persiste. Il en résulte que les
dégénérescences secondaires sont relativement minimes.
A l'oeil nu on les voyait sur la pièce durcie, où elles tranchaient
par une teinte un peu plus claire. Sur les coupes colorées il faut em-
ployer de forts grossissements pour voir que dans les régions appro-
priées, un certain nombre de tubes nerveux sont en train de s'altérer ;
la myéline est boursouflée et le cylindre-axe plus ou moins déformé,
décrit des anses dans sa gaîne trop large,
Les nerfs et les muscles examinés n'ont pas présenté de lésions appré-
ciables.
La lésion médullaire est donc constituée par un foyer de myélite d'origine
évidemment infectieuse ; quelle que soit la porte d'entrée de l'agent mor-
bide, qu'il ait pénétré par la voie vasculaire ou par la voie lymphatique,
il est évident que les vaisseaux ont joué un rôle prépondérant dans l'évo-
lution du processus morbide : L'altération des éléments'nerveux est la con-
séquence des modifications de la nutrition amenées dans le foyer inflam-
matoire soit par les perturbations circulatoires, soit par les produits
toxiques élaborés, soit, et c'est là l'hypothèse la plus probable, par la
réunion de ces deux causes. La forme singulière du foyer, ses limites
nettes et irrégulières montrent jusqu'à l'évidence qu'il ne saurait être
question d'une altération parenchymateuse primitive.
Par sa configuration, par la conservation relative des éléments nerveux,
ce foyer de myélite rappelle d'une 'façon frappante, à l'état aigu, la dispo-
sition des lésions chroniques de la sclérose en plaques. Cette analogie
évidente n'a rien qui doive surprendre étant donné que la sclérose en
plaques est rapportée actuellement à un processus infectieux.
L'extension plus considérable de la lésion au niveau de la substance
grise, sa tendance manifeste à fuser le long de l'axe de la moelle s'expli-
que peut-être par la vascularisation plus abondante de cette région ; mais
on peut se demander aussi si cette disposition n'est pas en rapport avec la
structure intime de la substance grise qui, ainsi qu'on le sait, permet
'facilement le cheminement des liquides dans son intérieur; peut-être
s'agit-il d'une infection de proche en proche par des liquides contaminés.
Dans cette hypothèse il existerait une certaine analogie entre la disposition
de la lésion dans le cas actuel et la configuration des foyers d'hématomyé-
lie qui filent le long de la substance grise à une distance quelquefois
considérable de leur point d'origine.
Quoi qu'il en soit, il aurait été fort intéressant de déterminer quel est
l'agent morbide, si l'infection est unique ou si une infection secondaire,
provenant des eschares et des lésions vésicales, ne s'est pas surajoutée à
DEUX CAS DE MYÉLITE TRANSVERSE AIGUË 335
une lésion primitive. Malheureusement le cadavre était, au moment de
l'autopsie, dans un état de putréfaction déjà avancée et les ensemencements,
pratiqués tant avec la pulpe médullaire qu'avec le sang des veines vésica-
les thrombosées, n'ont fourni que des impuretés. Néanmoins l'examen
histologique a montré une très grande uniformité dans la nature des lé-
sions, aussi bien dans l'intérieur même du foyer qu'en dehors, à la surface
de la moelle. Il est donc très vraisemblable que nous avons eu sous les
yeux la lésion primitive dans toute sa pureté, sans mélange de complica-
tion pyohémique. 1
En résumé on peut conclure de toute cette discussion que la lésion mé-
dullaire était un foyer inflammatoire développé sous l'influence d'un agent
infectieux pyogène.
L'interprétation des symptômes est aisée; le développement du foyer
inflammatoire, sans avoir détruit complètement les éléments nerveux, les
a mis néanmoins dans l'impossibilité de fonctionner et a provoqué ainsi
une interruption complète entre les centres médullaires inférieurs et
l'écorce cérébrale, d'où la paraplégie absolue, malgré l'intégrité d'une
portion de faisceau pyramidal gauche.
Il faut remarquer que, malgré l'intégrité du renflement lombaire il ne
s'est pas produit de contracture des membres inférieurs paralysés, contrai-
rement à ce qui se passe dans les lésions transverses de peu d'étendue. Ici
la lésion, par son importance et son acuité, a provoqué une perturbation
complète dans le fonctionnement des régions de la moelle situées au-
dessous d'elle. Le tonus musculaire a été aboli, les muscles paralysés sont
entrés dans un état de relâchement extrême et les réflexes tendineux ont
complètement disparu, ce qui prouve qu'il n'est pas besoin d'une lésion
transverse totale pour abolir le pouvoir réflexe des centres médullaires.
Les réflexes cutanés persistaient encore il est vrai. Les réflexes se compor-
taient de même dans l'observation qui va suivre, mais la lésion transverse
était totale. '
La sensibilité a été moins éprouvée quelamotilité et on comprend assez
bien cette différence en constatant qu'il est resté un tout petit territoire
de cordons postérieurs intact sur toute l'étendue du foyer morbide. Ce
territoire est un peu plus étendu à gauche qu'a droite, et en effet les trou-
bles sensitifs sont un peu moins accusés à gauche, aussi bien en étendue
qu'en intensité. Les différentes sensibilités ne sont pas également attein-
tes ; le tact simple et la sensibilité électrique superficielle sont moins
émoussés que la sensibilité à la chaleur et surtout à la piqûre ; on observe
même en certains points une véritable dissociation syringomyélique.
Faut-il en conclure que les conducteurs de ces différentes sensibilités
occupent dans la moelle des places différentes ? ' ?
336 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Les troubles trophiques et la paralysie des sphincters sont habituels
dans les lésions médullaires étendues quel que soit leur siège; leur exis-
tence dans le cas actuel n'a donc pas lieu de surprendre.
UNS. II. Myélite transverse syphilitique aiguë.
B. Léontine, âgée de 40 ans, blanchisseuse, entre le 15 novembre 1892
à l'hôpital Lariboisière, salle Trousseau, lit n°44. Elle est paraplégique
depuis trois semaines environ.
Antécédents héréditaires. Son père est mort d'une fluxion de poitrine;
il n'a pas été longtemps malade.'Sa mère est bien portante. Elle a eu une
soeur qui est morte de la poitrine. On ne trouve aucune lare névropathi-
que dans sa famille.
Antécédents personnels . - La malade s'est toujours bien portée jusqu'en
1883; elle n'a fait aucune maladie grave et n'a jamais présenté d'acci-
dents nerveux.
En 1883, elle contracta la syphilis. Pendant trois mois elle fut soignée
à la consultation externe. Cette syphilis, sur l'existence de laquelle il n'y
a aucun doute possible, parait avoir été de moyenne intensité.
En '1885, à la suite de maux de tête violents, à paroxysmes vespéraux,
elle fut prise subitement de paralysie du côté gauche de la face. L'oeil gau-
che était tourné en haut et en dehors ; la langue était paralysée, la pronon-
ciation très difficile; la commissure labiale droite était attirée en dehors
et en haut. En même temps la malade éprouvait une certaine difficulté à
marcher, ses jambes ployaient sous elle et elle avait la sensation de mar-
cher sur un corps mou, par conséquent un certain degré d'anesthésie.
Elle fut alors soignée à la consultation externe de l'hôpital Lariboisière;
on lui donna du sirop de Gibert et de l'iodure de potassium ; la guérison
fut complète en 3 mois.
Dans le courant de 1891 elle eut une fluxion de poitrine et quelques
accidents culanés syphilitiques au bras gauche.
Maladie actuelle. Le 26 octobre 1892 la malade ressentit un engour-
dissement dans la jambe droite, qui devint bientôt impotente; au bout de
3 jours la paralysie était complète. En même temps survenait une réten-
tion d'urine qui, après quelques fluctualions, s'est installée définitivement
et persiste encore actuellement ; il n'y avait encore aucun trouble du côté
du sphincter anal.
Deux jours après le début des accidents la jambe gauche se prenait de
la même façon que la droite, sans autres phénomènes douloureux qu'une
sensation assez pénible d'engourdissement et de fourmillement.
Ces accidents aigus avaient été précédés pendant quelques semaines de
DEUX CAS DE MYÉLITE TRANSVERSE AIGUË 337
phénomènes prémonitoires, portant principalement sur la sensibilité. La ma-
lade ressentait dans les mollets et dans les chevilles des douleurs assez
aiguës, qui survenaient par crises et qui ressemblaient assez bien à des
douleurs fulgurantes, sauf qu'elles étaient moins rapides, moins instanta-
nées. Ces crises se succédaient assez nombreuses pendant 3 ou 4 jours ;
puis cessaient pour se reproduire quelques jours plus tard; elles laissaient
après elles un endolorissement vague de tout le membre.
Vers la fin de cette période la malade s'est aperçue que ses chevilles en-
flaient légèrement et que les crises douloureuses s'accompagnaient de
marbrures violacées ou noirâtres sur les pieds et à la partie inférieure des
jambes; ces marques, qui paraissent avoir été ecchymotiques, d'après la
descriplion que la malade en donne, mettaient plusieurs jours à disparaître.
En un mot il semble bien qu'il se soit produit des suffisions sanguines
intradermiques pendant le cours de crises douloureuses, ainsi que cela
s'observe parfois dans l'ataxie locomotrice.
Etat actuel. La malade est clouée au lit par une paralysie absolue de
tous les muscles de la moitié inférieure du corps. Les bras sont libres.
L'intelligence est intacte. Il n'existe aucune trace des troubles céphaliques
antérieurs. La voix est rauque, mais, d'après la malade, il en est ainsi
depuis 17 ans, c'est-à-dire dès avant sa syphilis. ,
Les membres inférieurs et l'abdomen sont le siège d'un oedème assez
considérable ; les téguments sont mous, jaunâtres, le doigt y détermine la
formation d'un godet profond; à la face externe des jambes on voit des
vergetures violacées qui sont la conséquence de la distension des tégu-
ments. Il n'existe pas d'eschares.
Le ventre est un peu ballonné et la respiration semble gênée : néan-
moins le jeu du diaphragme est normal.
Les membres inférieurs sont absolument paralysés; il est impossible à
la malade de leur imprimer le moindre mouvement volontaire ; elle ne
peut pas mouvoir ses doigts de pied si peu que ce soit. Néanmoins il se
produit quelquefois des mouvements spasmodiques involontaires des jambes,
surtout de la jambe droite ; ce sont des secousses rapides qui se produis
sent cinq ou six fois de suite, sans que la malade en ait conscience.
La paralysie est flasque; les réflexes cutanés et tendineux sont abolis;
pourtant lorsqu'on relève brusquement la pointe des pieds, on détermine
dans le triceps crural une petite contraction, particulièrement à droite.
Le volume des muscles ne paraît pas diminué.
Le sphincter anal, est complètement paralysé ; la rétention d'urine per-
siste et l'on est obligé de pratiquer le cathétérisme deux fois par jour;
avant son entrée à l'hôpital, la malade se sondait elle-même. Les sensa-
tions de besoin sont abolies.
338 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
La sensibilité est complètement abolie depuis une ligne horizontale qui
passe par la 4° vertèbre dorsale ; au-dessus de cette ligne elle est amoin-
drie sur une hauteur de trois travers de doigt environ. Tous les modes de
la sensibilité sont également atteints : le tact, la douleur, la sensation de
température, la sensibilité profonde, le sens musculaire, le sens de l'ex-
posé, en un mot toute la moitié inférieure du corps n'existe pas pour la
malade, qui ne souffre pas. Néanmoins les réflexes cutanés persistent et il
arrive fréquemment que les explorations de la sensibilité déterminent des
secousses analogues à celles qui se produisent spontanément.
Cet état reste stationnaire pendant une huitaine de jours.
Le 20 novembre la malade se plaint de ressentir quelques fourmille-
ments dans les avant-bras. L'urine est devenue fétide. L'appétit, qui était
assez bien conservé jusque-là, se supprime; la malade n'accepte plus
qu'un peu de lait ; la langue est sèche. La température monte à 38°5 le soir.
Bientôt il se développe une eschare sacrée large comme la paume de la
main, à évolution rapide. Puis la fièvre augmente, avec de grandes oscil-
lations,la malade tombe dans le subdélirium et meurt le -1 er décembre 1892,
emportée par des complications septiques.
Autopsie. Les membres inférieurs sont fiasques; les membres supé-
rieurs sont en état de rigidité cadavérique. Toute la partie inférieure du
corps est oedématiée ; les articulations des genoux et des cous-de-pied
contiennent une assez grande quantité dé liquide filant. Il existe une
large eschare sacrée en voie d'élimination ; on aperçoit également au
niveau des deux talons des eschares au début de leur évolution.
La moelle ne présente rien de caractéristique à l'oeil nu, sauf une vas-
cularisation anormale des méninges dans toute son étendue et une certaine
diminution de consistance dans sa région dorsale supérieure. Sur une
coupe pratiquée dans cette région on voit sourdre des gouttelettes de
sang noir d'une multitude de vaisseaux dilatés; les cornes antérieures
sont ramollies et s'enfoncent au-dessous de la surface de section ; la subs-
tance blanche a pris une teinte grisàtre. '
Les racines antérieures ont perdu leur teinte nacrée depuis la région
cervicale inférieure jusque vers le milieu de la région dorsale; elles n'ont
pourtant pas diminué de volume.
Le bulbe et la protubérance n'offrent aucune lésion macroscopique, sauf
un léger dépoli de l'épendyme du 4° ventricule. '
Le cerveau paraît complètement sain.
Aux poumons on remarque une hépatisation pseudo-lobaire de tout le
lobe inférieur gauche et de la plus grande partie du lobe inférieur droit.
Le coeur est flasque, sans lésions de l'endocarde.
DEUX CAS DE MYÉLITE TRANSVERSE AIGUË 339
Le foie est très volumineux ; il pèse 1800 grammes ; le bord antérieur
est émoussé; à la surface convexe du lobe droit on aperçoit une série de
petites dépressions arrondies, du volume d'une lentille ou plus petites,
groupées en petits amas confluents ou isolées. Le fond de ces dépressions
est tomenteux et hérissé de petites villosités très vasculaires, dont quel-
ques-unes atteignent le diaphragme pour former des adhérences très té-
nues. A la coupe ces dépressions répondent à de petits foyers de sclérose
très vasculaire qui pénètrent irrégulièrement dans le foie où ils forment
des travées anastomosées, toujours assez superficielles. On voit des lésions
analogues, mais moins étendues dans le lobe gauche du foie. Le reste du
parenchyme hépatique n'est pas sclérosé. Les reins sont sains. La vessie,
à parois épaissies, présente une muqueuse congestionnée et légèrement
exulcérée ; l'urine qu'elle contient est louche et un peu fétide.
Examen histologique. L'étude des coupes, pratiquées de distance en
distance sur toute la hauteur de la moelle et colorées par le procédé de
Pal, montre qu'il existe un grand foyer de myélite dans la région dor-
sale ; la configuration de ce foyer varie suivant les points, ses limites très
nettes sont irrégulières ; on le distingue facilement à l'oeil nu sur les cou-
pes où il forme une large tache non colorée.
La lésion commence au niveau des radicules supérieures de la 8e paire
cervicale ; son étendue est très peu considérable, elle forme une petite
bande transversale qui comprend la commissure postérieure et une petite
zone adjointe des cordons postérieurs; elle s'arrête latéralement/aux cols
des cornes postérieures; en arrière elle envoie un petit prolongement le
long de la scissure postérieure.
Un peu au-dessous elle s'étend rapidement, envahit les 2 cornes an-
térieures dans leur moitié postérieure et envoie en arrière deux prolon-
gements qui' gagnent la périphérie en suivant les cornes postérieures et
en empiétant un peu sur la substance blanche avoisinante.
Au niveau de la 1" dorsale la lésion a déjà envahi la presque totalité
de la surface de section de la moelle ; elle ne laisse libre en arrière qu'un
petit secteur dont la base s'adosse à la pie-mère ; en avant il reste un dou-
ble secteur comprenant la moitié antérieure des deux cornes antérieures.
Encore ces territoires sont-ils couverts de taches diffuses.
Au niveau de la 3e paire dorsale la lésion est presque totale ; il ne
reste qu'une très mince et très régulière bordure à la périphérie, quelques
tubes épars et le réticulum d'une partie de la corne antérieure droite. En
employant un plus fort grossissement on voit que tous les tubes myélini-
ques qui persistent sont fortement altérés.
La lésion reste à peu près la même, sauf que le réticulum de la corne
340 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
antérieure disparaît à son tour, sur toute la hauteur des 3e, 4e et 5e raci-
nes dorsales.
A partir de la G° dorsale on voit reparaître quelques secteurs de myé-
line en arrière, puis en avant ; ceux-ci disparaissentplus bas en changeant
de place, mais en somme les territoires pourvus de myéline vont en aug-
mentant assez lentement.
Au niveau de la 8e dorsale la tache de myélite n'occupe plus que la
substance grise, dont elle dessine très bien la forme; elle empiète un peu
en arrière sur la substance blanche ; par contre elle laisse sortir en avant
la tète des cornes antérieures.
Enfin au niveau de la 9e dorsale il ne reste plus qu'un très petit point
dans la commissure grise et un autre en dedans de l'extrémité de la corne
postérieure droite : Celte dernière petite tache descendjusqu'à la 10° racine.
En résumé il existe une lésion, énorme, comprenant une étendue de
10 racines, envahissant la totalité de la surface de section sur la hauteur
de 3 racines. Il faut remarquer sa forme en fuseau, la symétrie qu'affecte
l'extrémité inférieure par rapport l'extrémité supérieure, sa prédilection
pour la substance grise, qu'elle abandonne la dernière ses deux extré-
mités, enfin l'immunité relative de la tête de la corne antérieure, qui se
dégage la première en hau comme en bas. Dans son ensemble elle n'affecte
pas une disposition en rapport avec la distribution générale des vaisseaux
dans la moelle, puisque dès son origine elle empiète sur les deux grands
territoires vasculaires antérieur et postérieur; mais certains détails, tels
que la forme plus ou moins régulièrement en secteur des portions épar-
gnées, semblent déjà indiquer que les vaisseaux jouent un grand rôle
dans sa pathogénie.
Dans toute l'étendue de la lésion les vaisseaux sont gorgés de sang et
énormément dilatés, sauf dans quelques points limités. où le tissu est né-
crosé. Cette congestion extrême, ne dépasse guère les limites'du foyer. Il
faut noter qu'à ce niveau, comme dans le reste de la moelle; les vaisseaux
nourriciers de la moelle ont leur calibre parfaitement libre, aussi bien
l'artère et la veine du sillon antérieur que les vaisseaux radiculaires anté-
rieurs et postérieurs. Les artères sont même indemnes de toutes lésions
de leurs parois;. les .veines présentent au contraire pour la plupart une
infiltration discrète de; leurs tuniques par des noyaux petits, égaux et ar-
rondis, mais leur lùmiËire'n'a pas subi le moindre rétrécissement.' '
Les vaisseaux intra-médullaires, à part quelques lésions diffuses qui
seront décrites plus loin, ne deviennent malades qu'à une très faible dis-
tance du foyer morbide. Il faut remarquer qu'ils ne paraissent exercer
aucune action de voisinage sur le tissu, encore sain, qu'ils traversent.
Nouv. ICONOGR de la SALPETRILRI T viii PL LII
PHOTOTYPE NLG. A LONDE PHOTOCOLL. BERTHAUD
MYELITE TRANSVERSE AIGUË
Coupes de la moelle.
L BATTAILLE ET "
Nouv Iconogr. ut- la SAL"THI¡ : -RE T. VIII. PL. lui
Ne'; A LUNDI- . PHOIOCOLL FU RTHAUD.
MYÉLITE TRANSVERSE AIGUË
Coupe de la moelle. ? BATTAILLE ET C"
ÉOITkURS
DEUX CAS DE MYÉLITE TRANSVERSE AIGUË 341
En dehors de la distension considérable, déjà mentionnée, en dehors
de la couronne de corps granuleux que présentent certains capillaires,
les lésions vàsculaires consistent en une infiltration, parfois énorme, des
parois par des cellules embryonnaires il noyaux régulièrement arrondis.
L'endothélium et la tunique musculeuse sont intacts ; l'accumulation de
cellules embryonnaires se fait uniquement clans la tunique adventice.
Dans la scissure antérieure les noyaux arrondis, serrés autour des vais-
seaux, forment une infiltration discrète dans le tissu conjonctif avoisi-
nant. Parmi ces cellules embryonnaires à noyaux arrondis on ne voit
pour ainsi dire pas de leucocytes polynucléaires ; partout les noyaux sont
petits, de calibre égal, parfaitement arrondis ; quelques-uns pourtant ont
une forme légèrement allongée, mais il est extrêmement rare d'apercevoir
un noyau bourgeonnant. Notons l'absence de toute cellule épithélioïde.
Vers le milieu du foyer on aperçoit de chaque côté, dans les faisceaux
antéro-latéraux, un ou deux petits triangles mal colorés par le carmin ;
ces triangles, dont la base est à la périphérie, répondent à des points très
limités de nécrose, de ramollissement vrai ; ils sont constitués par un dé-
tritus friable, d'aspect craquelé sur les coupes, et ne contiennent plus que
fort peu de noyaux colorables ; leurs vaisseaux sont vides de sang et
affaissés ou remplis par un coagulum amorphe ; à la périphérie de ces
îlots, dans le tissu encore vivant, on voit également des vaisseaux throm-
boses et remplis de fibrine.
Le tissu médullaire, dans le foyer inflammatoire, est constitué par des
corps granuleux serrés les uns contre les autres et séparés par un poin-
tillé qui représente la coupe des clim es-axes dépouillés de leur myéline
et altérés, mais non détruits. De place en place on aperçoit des cellules
de la névroglie considérablement tuméfiées, les unes encore très recon-
naissables à leurs prolongements étoilés et à leurs connexions avec les
fibres névrogliques, les autres, au contraire, transformées en une masse
arrondie, munie de un ou plusieurs noyaux (I'L. LU).
Dans la substance grise les cellules nerveuses ne sont pas détruites,
mais elles sont tuméfiées pour la plupart, et ne possèdent plus guère de
prolongements visibles ; leur protoplasma est homogène ou, au contraire,
granuleux; leur noyau est tantôt intact, tantôt allongé, tantôt muni d'un
nucléole énorme ; enfin on en voit dont le noyau est en train de se disper-
ser dans le protoplasma sous forme de petites boules peu colorées.
Dans les points même où la lésion est totale, les racines antérieures
sont relativement peu malades ; un très grand nombre de tubes sont sains;
les autres présentent un cylindre-axe tuméfié, déformé, parfois déchiqueté
sur les bords, souvent contourné dais sa gaîne élargie.
En dehors du foyer de myélite, la moelle présente dans toute sa hauteur
VIII 23
342 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
/
des traces discrètes d'inflammation vasculaire, caractérisée, comme dans
le foyer, par une infiltration embryonnaire des parois. Ces lésions sont
disséminées et peu marquées.
La pie-mère est beaucoup plus atteinte; elle présente, dans toute son
étendue, un épaississement assez notable, mais surtout une infiltration
embryonnaire très nette ; les mêmes noyaux ronds dont il a été question
plus haut, se glissent entre les faisceaux conjonctifs, en formant des lignes
par place des amas très caractéristiques. Ils s'accumulent particulièrement
autour des vaisseaux, mais on en voit également dans les fentes lymphati-
ques, loin de tout-capillaire sanguin. Cette lésion est particulièrement in-
tense dans le tractus pie-mérien qui remplit la scissure antérieure. On la
voit, également très nette, sur l'enveloppe de beaucoup de racines anté-
rieures et postérieures ; de cette enveloppe l'infiltration tend à gagner
l'intérieur des radicules, en suivant les tractus conjonctifs.
Enfin si les artères nourricières sont partout intactes, il n'en est pas de
même des veines qui cheminent à la surface de la dure-mère. Celles-ci
présentent, pour la plupart, une infiltration discrète de leurs parois ; en
certains points, et particulièrement dans la veine du sillon antérieur, l'in-
filtration se concentre en un ou deux nodules très caractéristiques.
Au niveau du bulbe et de la protubérance il existe des lésions intersti-
tielles des nerfs crâniens et des méninges qui sont exactement de la même
nature que les lésions méningées et radiculaires qui viennent d'être dé-
crites. ,
La pie-mère du bulbe présente à peine quelques traces de méningite. Les
artères sont saines ; par contre quelques veines présentent une infiltration
embryonnaire de leur paroi.
Les racines de l'hypoglosse sont saines. Les nerfs mixtes, des deux côtés,
mais surtout à gauche, ont leur gaîne pie-mérienne assez fortement
épaissie et infiltrée de noyaux ronds. Les racines du glosso-pharyngien
sont les plus atteintes; les vaisseaux qui cheminent dans leur épaisseur
sont accompagnés de traînées de noyaux arrondis ou légèrement fusifor-
mes. On aperçoit, attenant à l'enveloppe conjonctive de quelques filets
radiculaires et faisant saillie à l'extérieur, de petites granulations arron-
dies formées par des cellules fusiformes concentriques entremêlées de
cellules arrondies; dans les points favorables on peut se convaincre que
ces granulations sont situées sur le trajet de vaisseaux de moyen calibre
et développées aux dépens de leurs parois. En somme il s'agit évidemment
de nodules infectieux syphilitiques anciens, puisqu'ils sont formés en
majeure partie de cellules allongées qui trahissent une évolution fibreuse.
Au niveau de la protubérance on aperçoit une infiltration moitié em-
bryonnaire, moitié fibreuse des vaisseaux qui cheminent entre les fasci-
DEUX CAS DE MYÉLITE TRANSVERSE AIGUË C 343
cules des nerfs moteurs oculaires externes ; l'enveloppe fibreuse de ces
fascicules présente des traces manifestes d'irritation et porte un assez '
grand nombre des granulations péri-vasculaires décrites plus haut; elles
se groupent habituellement par 4 ou 5 dans les espaces étoilés qui sépa-
rent les fascicules. En outre tout autour de l'émergence de ces nerfs la
méninge présente de petites plaques d'infiltration embryonnaire. Entre
l'origine du moteur oculaire externe gauche et la méninge qui recouvre le
bord inférieur de la protubérance, on aperçoit plusieurs veines assez volu-
mineuses dont les parois sont fortement infiltrées.
Les nerfs faciaux sont moins altérés, néanmoins on voit plusieurs petites
granulations dans leurs interstices et les veines qui avoisinent leur émer-
gence sont malades.
Les deux trijumeaux sont très lésés ; ils contiennent un grand nombre
de granulations péri-vasculaires d'aspect plus ou moins fibreux.
Les moteurs oculaires communs ne présentent que des altérations mini-
mes, mais à droite, au niveau de l'émergence, il existe sur le bord supé-
rieur de la protubérance une plaque considérable d'arachnoïdite, avec
infiltration de la paroi des veines. La méninge très épaissie présente, outre
une infiltration embryonnaire générale, plusieurs nodules arrondis, plus
ou moins bien limités, où les cellules arrondies sont beaucoup plus ser-
rées qu'ailleurs.
Les nerfs pathétiques, aussi bien le droit que le gauche, sont couverts
de granulations péri-vasculaires à moitié fibreuses. Ce sont les nerfs qui
paraissent être les plus atteints ; tout l'espace dans lequel ils cheminent
est le siège d'une méningite très intense, avec infiltration des parois des
veines qui traversent cet espace. Les artères échappent à la lésion.
Tous les nerfs dont il vient d'être question ne présentent d'ailleurs pas
la moindre lésion parenchymateuse ; leurs fibres sont parfaitement saines
aussi bien dans leur trajet à travers le bulbe, la protubérance ou les pé-
doncules cérébraux qu'après leur émergence. Les noyaux d'origine sont
complètement sains.
Les vaisseaux de la substance nerveuse ne sont pas altérés, sauf les vei-
nules et les capillaires sous-épendymaires qui sont manifestement infil-
trés. L'épendyme présente quelques légères granulations.
En résumé la plupart des nerfs crâniens sont le siège d'altérations in-
terstitielles, diffuses, qu'il faut évidemment mettre sur le compte, de la
syphilis ; ces altérations, tout en gardant en partie un aspect embryon-
naire, peuvent très bien être anciennes, si nous en jugeons par les autres
cas de méningo-myélite ou de méningo-encéphalite qui se sont déjà pré-
sentés à notre observation. D'ailleurs en bien des points on trouve des
344 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
traces manifestes d'une évolution fibreuse qui donne l'impression d'une
lésion arrêtée dans sa marche et en voie de guérison.
Les dégénérescences secondaires de la moelle sont très peu marquées
sur les coupes colorées par la méthode de Pal (il n'a pas été fait de cou-
pes par la méthode de Marchi). Ce résultat se comprend si l'on songe d'une
part à la conservation relative des cylindres-axes dans le foyer de myélite,
d'autre part à la brièveté de la maladie. Néanmoins on voit sur la figure 5
une légère dégénérescence irrégulière dans l'aire du faisceau pyramidal ;
celte dégénérescence, dont la signification n'est pas absolument claire,
disparaît bientôt au-dessous. Enfin les figures 1 et 2 montrent dans les
faisceaux de Burdach une très légère dégénérescence symétrique ; cette
dégénérescence, qui existe dans des points où la basé de la corne posté-
rieure est altérée et qui ne remonte pas plus haut, paraît devoir être mise
sur le compte de la virgule de Schultze. ,
Les nerfs et les muscles examinés n'ont présenté aucune lésion appré-
ciable.
L'étude histologique des lésions hépatiques est fort intéressante, parce
qu'elle nous montre, dans un autre organe, un processus morbide qui est
absolument comparable à celui que nous venons de décrire dans la moelle.
Au niveau des points déprimés le tissu hépatique est parcouru par des
travées fibreuses qui partentdes espaces portes et morcellent les lobules en
fragments très petits. Ce tissu est lâche; il ne contient pas de fibres élas-
tiques ; il est tellement riche en capillaires que, lorsque ceux-ci sont rem-
plis de sang, on croirait avoir affaire à un angiome. Ces travées scléreuses
semblent être constituées simplement par les parois épaissies des capil-
laires du foie, après la disparition de cellules hépatiques.
Toute cette sclérose esl précédée par une infiltration embryonnaire
pél'icapillaire, qui pénètre dans l'intérieur des lobules en étouffant les
cellules hépatiques sur son passage. La régression des cellules embryon-
naires laisse le tissu de sclérose décrit plus haut ; mais il reste par places
des amas arrondis de cellules embryonnaires très caractéristiques. Par
places on aperçoit de véritables cellules géantes.
En quelques points les veines-portes présentent des lésions de périphlé-
bite et d'endophlébite qui se rattachent au même processus.
Au niveau des points malades le péritoine est hérissé de villosités
fibreuses dont quelques-unes sont fortement infiltrées de cellules em-
bryonnaires.
La forme du foyer de myélite, les différents détails de structure qui
ont été énumérés plus haut montrent bien que tout le processus morbide
est sous la dépendance de l'altération des vaisseaux.
DEUX CAS DE MYÉLITE TRANSVERSE AIGUË 345
D'autre part la forme particulière des lésions vasculaires, les lésions
concomitantes des méninges, celles du foie, qui sont si caractéristiques,
enfin l'évolution des accidents et les commémoratifs établissent d'une fa-
çon indiscutable qu'il s'agit, la d'une lésion syphilitique.
Cette lésion est fort intéressante par son étendue inusitée, par sa forme
rapide. Elle ressemble extérieurement d'une manière frappante à celle
qui a été décrite dans l'observation précédente. On croirait ces deux cas
calqués l'un sur l'autre, aussi bien au point de vue clinique qu'au point
de vue anatomique. Ces ressemblances montrent une fois de plus que des
infections de nature très différente peuvent arriver exactement au même
résultat, sans employer exactement les mêmes moyens.
Il existe néanmoins entre ces deux cas des différences très remarquables
et dont l'étude est instructive. Au point de vue clinique, sans parler de
l'absence de commémoratifs chez C... ? absence qui n'a souvent pas de
valeur, nous voyons que dans le premier cas les accidents graves n'ont été
annoncés par aucun symptôme prémonitoire. Il n'en a pas été de même
chez la deuxième malade qui, il maintes reprises, a reçu de ces avertisse-
ments qui précèdent habituellement l'explosion dès accidents graves de la
syphilis cérébro-spinale : céphalalgies, paralysie faciale transitoire, impo-
tence passagère des membres inférieurs ; puis, peu de temps avant la para-
plégie définitive, douleurs paroxystiques dans les jambes. A part cela,
l'évolution des accidents et leur durée ont été très analogues ; la maladie a
duré environ 5 semaines dans un cas et (i dans l'autre.
Au point de vue anatomique les différences ne sont pas moins grandes
et, par leur, nature, elles sont encore plus importantes, parce qu'elles sont
0 décisives. C'est d'abord la présence, dans le reste du système nerveux et
dans le,foie, de lésions que l'on a l'habitude de considérer comme carac-
téristiques de la syphilis dans un cas, l'absence complète de lésions ana-
logues dans l'autre cas. C'est enfin et surtout la nature très différente des
lésions vasculaires dans les deux cas. On comprend fort bien que deux
espèces de lésions vasculaires aient en fin de compte exactement la même
action sur les tissus; due l'altération des parois soit due à un virus ou à un
autre, la circulation et la nutrition des organes n'en reçoit pas moins la
même atteinte; et c'est ce qui explique la ressemblance extraordinaire de
ces deux foyers de myélite qui ne reconnaissent pas la même étiologie.
Aussi on comprend que la détermination précise et exacte de la nature des
altérations vasculaires ait beaucoup plus d'importance, pour juger de la
nature de la maladie, que l'étude des réactions amenées dans les tissus
par ces altérations.
Ici nous nous trouvons en présence d'une diapédèse intense de leucocy-
tes à noyqux irréguliers chez la première de nos malades, d'une infiltra-
346 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE ,
/
lion de cellules noyau, arrondi chez la deuxième. Que les cellules embryon-
naires, à noyau petit, arrondi, à protoplasma tellement mince qu'on ne
le voit pas, proviennent ou non du sang et pénètrent par effraction à tra-
vers les parois des vaisseaux, ou bien qu'elles proviennent du retour à
l'état embryonnaire et de la prolifération des cellules fixes du tissu con-
jonctif, il n'en est pas moins vrai /qu'elles diffèrent essentiellement des
leucocytes à noyau multilobé, ou simplement irrégulier, à protoplasma
relativement abondant. Dans le premier cas nous avons affaire à une in-
flammation pyogène, car c'est du véritable pus qui transsude des vais-
seaux et qui tend bientôt il dégénérer ; dans le deuxième cas au contraire
nous sommes en face d'une réaction toute différente, les leucocytes ne
sont plus les mêmes, ce qui indique une différence radicale entre les deux
infections.
On voit donc que, malgré la similitude d'allure, malgré la ressemblance
considérable dans l'ensemble des lésions, il existe des arguments absolu-
ment probants pour classer la première de nos observations parmi les
myélites infectieuses relevant de causes encore inconnues et la deuxième
parmi les myélites syphilitiques. Notons que dans la 2e observation, en
l'absence de recherches bactériologiques, aucun détail histologique ne
nous permet de soupçonner qu'une infection, associée à la syphilis,
donne à celle-ci une marche spéciale. Il est, croyons-nous, au moins très
vraisemblable que nous nous trouvons en face d'une lésion pure.
La dernière observation est fort importante au point de vue de l'étude
de la syphilis médullaire, car elle représente un type extrême de la série,
variée à l'infini, des formes anatomiques et cliniques de cette affection. A
l'autre extrémité de la série nous placerons l'observation d'atrophie mus-
culaire syphilitique publiée par notre maître, M. le professeur Raymond
en 1892 (Bulletin de la soc. med. des hôp.).
Dans un cas nous avons une altération lente, plastique, des vaisseaux
médullaires qui se rétrécissent graduellement et mettent un obstacle pro-
gressif à la nutrition des tissus ; petit à petit les éléments nerveux s'atro-
phient et il se développe une amyotrophie chronique, à évolution pro-
gressive.
Dans l'autre cas nous nous trouvons en face d'un foyer véritablement
inflammatoire, dont l'évolution aiguë a mis hors d'usage très rapidement
les éléments nerveux sur une étendue limitée ; cette inflammation a été
tellement vive qu'elle a produit quelques points de nécrobiose par suite
d'oblitérations vasculaires consécutives au désordre circulatoire et à la
stase hyperhémique. C'est une allure toute spéciale de la syphilis qui ha-
bituellement a une évolution néoplasique plutôt qu'une marche inflam-
DEUX CAS DE MYÉLITE TRAXSVERSÉ AIGUË 3t7
matoire. Ici l'activité du processus est très grande; les lésions vasculaires
qui, mécaniquement, auraientpeu d'importance par leur étendue, parais-
sent avoir une action dynamique considérable ; les vaisseaux, quoique leur
musculature paraisse intacte, sont forcés et nous assistons à tous les trou-
bles circulatoires qui caractérisent l'inflammation au sens traditionnel du
mot. C'est une myélite hyperhémique et nécrobiotique, suivant la dénomi-
nation de Gilbert et Lion qui me paraît fort juste.
On ne saurait trop insister sur ce fait que les troubles circulatoires ne
sont pas, dans le cas actuel, sous l'influence d'une cause mécanique : d'une
part les gros vaisseaux de la moelle sont intacts, d'autre part le dévelop-
pement du tissu embryonnaire dans les parois des vaisseaux intra-médul-
laires est loin d'être assez considérable pour mettre un obstacle quelconque
au cours du sang. Si en certains points il s'est fait des obstructions vascu-
laires qui ont amené la formation de petits foyers de nécrose, elles sont
de cause interne et imputables bien plutôt aux perturbations inflamma-
toires de la circulation qu'à l'étal anatomique de la paroi.
Il ne faut donc pas considérer toutes les lésions syphilitiques de la
moelle, même parmi celles à début rapide, comine des ramollissements
amenés par l'obstruction subite de vaisseaux préalablement rétrécis. Le
processus morbide n'est pas aussi simple et aussi uniforme que pourrait
le faire supposer la rapidité du début; à côté des cas, sans doute plus
nombreux de beaucoup (1), où le foyer médulla.re, comme le foyer céré-
bral, succède à la mort d'un territoire brusquement anémié par une cause
mécanique, il faut faire une place aux phénomènes inflammatoires, avec
toutes les conséquences, y compris les foyers de nécrobiose, qui peuvent
résulter pour les éléments nerveux d'une dilatation, avec stase, des vais-
seaux. ,
La dénomination de myélite syphilitique, appliquée à la cause anatomi-
que de certains accidents aigus de la syphilis médullaire, me paraît donc
être, clans un certain nombre de cas, parfaitement justifiée. En d'autres
termes le ramollissement de la moelle, au sens propre du mot, peut aussi
bien être un ramollissement inflammatoire qu'un ramollissement isché- ? nique.
(1) Soi tas, Contribution à l'élude anatomique et clinique des paralysies spinales
syphilitiques, th. de Paris, 1894,
RAPPORT MÉDICO-LÉGAL SUR UN MILITAIRE DÉSERTEUR
ATTEINT D'AUTOMATISME AMBULATOIRE
par
ALFRED FOURNIER, J. CH. KOHNE et GILLES DE LA TOURETTE.
Nous soussignés, etc., invités à formuler notre opinion sur l'état men-
tal deM. X... âgé de 23 ans, brigadier d'infirmerie au .... régiment de...,
en garnison à X... actuellement en état de désertion.
Exposons ce qui suit :
M. X... était en garnison à l...lorsque, le 29 mars 1895, il quitte brus-
quement le corps auquel il était affecté pour s'enfuir à l'étranger où, le
13 avril 1895, il tentait de se suicider en se tirant une balle de revolver
dans la région frontale droite. Le projectile glissa sur l'os et restant sous-
cutané put être extrait. A peine rétabli de sa blessure M. X... s'enfuit
brusquement de B... où il était alors, à C... d'où il écrivit lui-même à sa
famille qui le rejoignit et avec laquelle il rentra en France.
. M. X... a donc quitté son corps pour déserter ;
Il a commis une tentative de suicide.
Est-il possible d'établir sous quelle influence il a tenté de se suicider ?
Sous quelle inlluence il a déserté ? Est-il responsable de sa désertion ?
Telles sont les questions qui nous ont été posées et que nous allons ten-
ter de résoudre. 1
Pour ce faire, nous avons interrogé et examiné M. X ? interrogé les
personnes de son entourage, pris connaissance des documents écrits ci-
annexés (dans l'original), ce qui nous a permis d'établir ce qui suit.
1 .
M. X... est né en 1872 du mariage consanguin de deux cousins ger-
mains qui ont eu 7 enfants. Il est le 4" de ces enfants et, chose digne de
remarque, les trois qui l'ont précédé auraient succombé en bas âge il des
accidents convulsifs ou méningés. 1
AUTOMATISME AMBULATOIRE 349
/
Tableau généalogique DE M. X... INCULPÉ DE DÉSERTION.
350 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Incapable, au moins par accès, de contrôler par lui-même ses propres
actes, il pense que la discipline du régiment le forcera au devoir. Il s'en-
gage pour 4 ans, le leu. mars 1894 et passe rapidement brigadier. Bien
noté, aimé de ses chefs, bon soldat en un mot, il peut prétendre au grade
prochain de maréchal des logis lorsque, sans raison apparente, il quitte
l'escadron et demande à passer avec son grade à l'infirmerie régimentaire,
mettant ainsi de lui-même un obstacle presqu'insurmontable à son avan-
cement. Entre temps (1895), il contracte la syphilis qui se traduit actuel-
lement chez lui par une alopécie caractéristique.
Le 29 mars 1895, étant à la cantine du régiment, il se lève subitement
laissant intacte la consommation qu'il a demandée ; puis au lieu de sortir
du quartier par la porte de la caserne qui lui est grande ouverte, il tra-
verse la rivière qui borde les bâtiments, se servant, pour guider le bateau,
de son sabre en guise d'aviron. Il gagne la chambre qu'il a en ville, revêt
des vêtements civils et part pour l'étranger. z
Le 13 avril 1895, il se tire une balle de revolver dans la région frontale
droite : on trouve sur lui une lettre dans laquelle il donne les motifs de sa
détermination.
Il n'en est pas d'ailleurs à sa première tentative de suicide, pas plus
nous l'avons vu qu'à sa première fugue.
A Londres, il a songé à se couper la gorge avec un rasoir ; à Paris à se
précipiter du haut des tours de Noire-Dame. En octobre 1894, à II. même,
il a absorbé une dose de poison (sublimé corrosif) mais « l'instinct de con-
servation écrit-il a pris le dessus » et il s'est débarrassé du toxique
. à l'aide d'un ipéca.
Ainsi qu'il l'établit lui-même, c'estsurtqut depuis 1889 qu'il est obsédé
par l'idée fixe d'attenter à ses jours, c'est cette idée fixe, cette monomanie
qui l'envahit elle domine tout entier. Et les raisons qu'il donne pour
expliquer, à sa façon, sa détermination, sont caractéristiques en l'espèce :
« Je suis, écrit-il, un de ceux qui n'auraient jamais dû exister ».
Notons qu'il est d'apparence robuste, malgré la syphilis qu'il a contrac-
tée et que la situation de fortune à laquelle il pourra prétendre un jour pa-
raît de tous poinls satisfaisante.
Aussi tout bien considéré, et à ne juger que la tentative de suicide
qu'il a faite, pouvons-nous répondre qu'il l'a commise sous l'influence
d'une obsession morbide qui domine son être moral et en fait un mono-
mane nettement caractérisé, car aucun mobile extrinsèque ou autre, tant
soit peu plausible, n'est à relever pour légitimer,au moins dans une mesure
appréciable, sa fâcheuse détermination.
On pourrait à la vérité objecter que, se voyant déserteur, envisageant les
conséquences de son acte délictueux, 'il 1 a cherché à se soustraire par la mort
AUTOMATISME AMBULATOIRE 351
aux pénalités qu'il a encourues. Les tentatives antérieures de suicide faites
pendant qu'il était libre de ses actes suffisent à ruiner cette hypothèse.
Il affirme d'ailleurs qu'il recommencera et nous croyons pouvoir dire que
dès maintenant il est indispensable de le soumettre à une surveillance
médicale rigoureuse de tous les instants. S'il doit faire, avant de passer en
conseil de guerre, de la prison préventive, qu'il soit interné dans un asile
d'aliénés sans quoi,il est de toute probabilité qu'il profitera de l'isolement
où il sera placé pour attenter de nouveau à ses jours.
. II ,
Si une monomanie véritable explique la tentative de suicide de M. X.,
l'acte de désertion qu'il a commis peut-il, lui aussi, être imputé à une ob-
session délirante ? Suicide et désertion relèvent-ils dans la circonstance
du même trouble mental ?
A notre avis ces deux actes doivent être dissociés, bien que tous les
deux, nous allons le montrer pour la désertion, aient une même origine
vésanique.
M. X... n'avait d'ailleurs pas besoin de déserter pour se suicider,à la ca-
serne même il a fait une première tentative dé suicide.
On pourrait dire cependant que, dans son esprit, la fuite à l'étranger
constitutive de la désertion lui fournissait de plus grandes facilités pour
en finir avec l'existence. Nous pensons néanmoins qu'il faut chercher ail-
leurs que dans le désir du suicide les mobiles qui l'ont poussé à quitter le
régiment.
Souvenons-nous en effet que sa fugue du 29 mars 1895 n'est pas la pre-
mière qu'il ait effectuée. Deux fois déjà il a quitté le toit paternel pour
marcher et errer au hasard. Déplus, à peine rétabli de sa blessure alors
qu'il se dispose à rentrer en France avec sa mère qui l'a rejoint, il s'enfuit t
subitement, erre dans la campagne sous la pluie et ce n'est qu'après plu-
sieurs heures de cette singulière déambulation qu'il prend le train pour
X... A peine aussi sorti de l'état morbide temporaire où il se trou-
vait, il écrit à sa mère pour l'informer de l'endroit où il est. Et les
expressions dont il se sert alors ne peuvent se rencontrer que sous la
plume d'un véritable malade ; autrement il faudrait supposer qu'il est au
courant des dernières découvertes en pathologie mentale.
« Je te demande bien pardon, écrit-il à sa mère, de t'avoir rendue in-
quiète. Je me rappelle vaguement avoir marché toute une journée malgré
la pluie et j'ai pris le train à 2 h. 54 pour X... ce malin. Ne te figure pas
que j'ai agi ainsi pour ne pas rentrer en France, au contraire, plus que
jamais j'éprouve le besoin d'en finir avec cette position-là ».
Sa tentative de suicide, il ne la regrette pas, mais cette fugue stupide il
352 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
la déplore, c'est malgré lui qu'il l'a accomplie. « Son absence » est de
l'inconscience. S'il eût voulu se dérober par la fuite au châtiment qui l'at-
tendait à sa rentrée en France, il est clair que son premier soin eût été de
prendre le train pour X... au lieu d'errer de longues heures sous la pluie,
dans la ville ou les environs de la ville qu'il veut quitter.
II a obéi à une véritable impulsion; il fallait qu'il marchât, tel a été le
déterminisme de l'acte qu'il a accompli.
En un mot, il a été en proie à un de ces accès d'automatisme ambula-
toire, il a obéi à une de ces « impulsions morbides à la déambulation »
que M. Duponchel (1), professeur agrégé au Val-de-Grâce, a observé lui
aussi et décrit chez des militaires déserteurs comme M. X...et déserteurs
sous l'influence d'une impulsion morbide de même ordre.
Or ces signes sont des syndromes épisodiques de la folie héréditaire,
ils se voient chez les vésaniques et aussi chez les hystériques et les épi-
leptiques.
De l'hystérie M. X... n'a pas les stigmates.
On pourrait à la rigueur penser que s'il n'a jamais présenté d'accès con-
vulsifs de nature épileptique il en possède les équivalents psychiques cons-
titutifs des fugues. Mais les signes de la folie- héréditaire sont chez lui
assez accentués pour qu'il ne soit pas nécessaire de chercher ailleurs
que dans sa dégénérescence mentale des éléments d'appréciation pour le
diagnostic.
Deux fois,alors qu'il était libre de ses actes, il a effectué des accès d'auto-
matisme ambulatoire; un troisième nettement caractérisé s'est montré
alors qu'à l'étranger, déjà déserteur, il n'avait plus redouter de pénalités
de ce fait.
Aussi n'hésitons-nous pas à assimiler à un accès de déambulation sa
fuite du régiment, c'est un phénomène de même ordre que les précédents.
Il l'a accomplie sous l'influence d'une même impulsion délirante.
Tout dans l'accomplissement de cette fugue tend d'ailleurs à le prouver.
Il est parti subitement de la caserne sans absorber la consommation qu'il
s'était fait servir à la cantine. Au lieu de sortir tranquillement par la porte
du quartier, ainsi qu'il lui était licite, il a préféré s'embarquer sur la ri-
vière dans un bateau, se servant, véritable automate, de son sabre en guise
d'aviron.Toutneconcoure-t-il pas a établir qu'il était alors dans unde ces
états morbides où, si l'exécution d'actes physiques coordonnés en appa-
rence est, possible, l'état moral ne reste pas moins inconscient, absent
comme il l'écrit lui-même à propos de son 4° accès.
(1) Duponchel, Elude clinique et médico-légale des impulsions morbides à la déambu-
lation observées chez des militaires. Ann. d'hygiène et de mécl. légale, juillet 1888.
AUTOMATISME AMBULATOIRE 353
Doit-on toutefois avoir confiance dans ses déclara lions et, il l'exemple de
M.Duponchel, ne convient-il pas encore de songer il la possibilité de là si-
mulation chez les militaires déserteurs qui excipent de leur inconscience
pour échapper aux sévérités de la loi qu'ils ont enfreinte.
Nous croyons qu'il faut éliminer cette nouvelle hypothèse, les fugues
antérieures à celle du 24 mars 1894, celle en particulier consécutive à sa
tentative de suicide, n'ayant en aucune façon besoin d'être excusées et
partant simulées.
Enfin, si dans les circonstances qui ont accompagné la fugue du 29 mars
1895 constitutive de la désertion, on se refusait à voir au premier abord
des actes relevant de l'inconscience puisqu'il a pu changer de vêtements,
.prendre un billet de chemin de fer, etc. et si s'appuyant sur ces faits on
voulait conclure à la responsabilité de M. X... nous dirions encore avec
M. Duponchel, qu'en pareil domaine il ne faut pas s'arrêter aux apparences.
« Les gens dont nous avons parlé, écrit-il, vivent de la vie du commun
des mortels ; on ne songe pas à les interner mais ils ont des échappées
vers le monde de la folie et commettent, sous l'influence d'un état morbide
que l'art du médecin doit découvrir et mettre en relief, des délits militaires
ou de droit commun, des incartades ou des fugues qui rentrent dans la
catégorie des cas prévus et excusés par l'article Ci du Code pénal ».
Cette citation mieux que toute discussion doit nous servir de conclusion
en ce qui regarde la fixation de l'état mental' de M. X... dans ses rapports
avec l'acte cle désertion qu'il a commis. ' ,
Cependant, s'il faut préciser, nous dirons : "
1° M. X... est un déséquilibré héréditaire avec monomanie du suicide,
il y a lieu de ce fait de le soumettre à une surveillance médicale de tous
les instants ;
2° L'acte de désertion qui lui est reproché a été commis sous l'influence
d'une idée délirante, d'une « impulsion morbide à la déambulation ».
M. X... ne saurait donc être rendu responsable de cette « fugue'incons-
ciente ».
'(Muni de ce rapport médico-légal, M. X... est rentré au corps ; il a été
placé immédiatement en surveillance à l'hôpital et ultérieurement ré-
formé.)
MYOPATHIE ATROPIIIQUE PROGRESSIVE
CHEZ
U111YS'l'LRIQUD ATTEINT D'INCONTINENCE D'URINE
par '
GASNE,
interne des hôpitaux.
Le cas suivant est un exemple de ces associations morbides où se com-
plaît l'hystérie. Intéressant par le fait de la complexité du diagnostic
il éclaire en outre par certains côtés la pathogénie de l'incontinence d'u-
rine si rarement observée dans la névrose. A ces divers titres il nous a paru
mériter d'être publié.
Résumé : Atrophie musculaire chez un homme de 44 ans avec déformation.
Début il y a 18 mois par le membre supérieur gauche. Prédominance sur
les muscles de l'épaule gauche et sur ceux de la jambe droite, face légère-
ment atteinte, hypertrophie de certains muscles, réflexes conservés, réactions
électriques normales. Troubles de la sensibilité nettement hystériques, in-
continence d'urine également rapportée à l'hystérie. ,
Sat... Pierre, né Aubusson (Creuse), figé de 44 ans, maçon, entre salle 'Goil-
ley, service de M. le Dr Gilles de la Tourette, le 8 octobre 1895.
Enfant assisté, il n'y a malheureusement aucune possibilité de relever ses
antécédents familiaux. Lui-même n'est ni syphilitique, ni alcoolique, il n'avait
jamais eu aucune maladie quand il entre à la Charité en 1891, il y a trois ans et
demi, pour une adénite cervicale qui s'était développée lentement. On lui extirpe
un paquet ganglionnaire, une cicatrice encore bien visible sur le côté gauche
du cou marque la trace de l'opération. Après sa sortie de la Charité il se pro-
duit quelque suppuration et Sat... Pierre doit entrer dans le service de M. le
Dl Quenu à l'hôpital Cochin. La il aurait eu de grandes attaques avec perte de
connaissance et mouvements désordonnés ; sur ces attaques lui-même ne sait
donner aucun renseignement, il avait perdu le souvenir même de leur exis-
tence, c'est une infirmière témoin de ces crises qui les lui rappelle aujourd'hui.
Un an se passe environ sans aucun trouble de la santé, puis surviennent des
douleurs, assez vagues d'abord, qui permettent à Sat... de travailler encore,
MYOPATHIE ATROPHIQUE PROGRESSIVE 355
mais le forcent cependant à consulter plusieurs fois son médecin. Ces douleurs
deviennent de plus en plus vives, en même temps les mouvements surtout
ceux du bras gauche deviennent difficiles. Au bureau central, examiné par
M. le Dr Lejars, il est reçu dans le service que celui-ci dirige alors à la Pitié. Si
l'on en croit le malade, le diagnostic porté d'abord aurait été celui de luxation de
l'épaule gauche, diagnostic reconnu inexact le lendemain par M. Lejars lui-
même qui fait remarquer son erreur aux élèves et conseille au malade d'entrer
à la Salpêtrière. Quoi qu'il en soit on lui applique des pointes de feu sur tous
les points où il souffre, les traces de ces pointes de feu encore très nettes mon-
trent que les épaules, les poignets, la bourse antibrachiale des radiaux, les
hanches, les genoux étaient-le siège des douleurs. Sorti de la Pitié au bout de
quelques jours il ne peut depuis se servir de son bras gauche, ses jambes com-
mencent a perdre leurs forces il y a sept mois environ, elles se déforment peu
à peu et depuis quelque temps la maladie semble avoir une allure plus ra-
pide.
Notre malade présente donc des troubles sensitifs et des atrophies musculai-
res ayant amené des'déformations et des impotences fonctionnelles variées.
Nous nous débarrasserons d'abord des troubles de la sensibilité objective qui,
si nous rappelons l'existence d'attaques antérieures, nous permettent d'affirmer
l'hystérie chez Sat...
L'anesthésie cutanée occupe une superficie considérable, ainsi que le montre
le schéma ci-contre (Fig. 67 et 68). Dans toutes les régions teintées le malade ne
perçoit ni le frôlement, ni la piqûre, ni le thcrmoesthésiomctrca 80°, ni la glace
promenée sur la peau. La perte du sens musculaire aux quatre membres est
complète. Les autres sens ne sont pas respectés davantage, notre malade a une : 111esthésie du' goût et de l'odorat absolue, son champ auditif est rétréci à
Fig. 61 et (j8.
356 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
gauche il un degré tel que la surdité est presque complète de ce côté, il en est
de même du champ visuel qui au périmètre ne s'étend pas à gauche au delà du
r 30e degré, De ce même côté gauche le malade ne distingue aucune couleur.
Les troubles de la sensibilité subjective sont caractérisés par des douleurs,
qui ainsi que nous l'avons vu, ont été le phénomène dominant au début de l'af-
fection, depuis que le malade est dans notre service il se plaint surtout de l'é-
, paule gauche, et delà hanche du même côté sans qu'il y ait il ce niveau de
, tuméfaction ou de rougeur visibles. Mais il se fait sous nos yeux, du 26 octobre
au 10 novembre, une* poussée d'apparence inflammatoire dans les gaines
, antibrachialcs des tendons des radiaux. Cette poussée symétrique cirac-
térisée par une douleur spontanée très vive au niveau des gaines, douleur
que la pression et les mouvements de la main exagéraient fortement, et en : outre par une tuméfaction fluctuante des plus nettes. Remarquons que la
douleur à la pression à ce niveau était d'autant plus frappante que toute la
région était le siège d'une anesthésie totale. , .
Avant d'aborder l'étude des troubles du système moteur de la face et des
membres disons qu'il y a un tremblement variable des doigts, c'est-à-dire que
tantôt ce tremblement est très accentué et que tantôt il est impossible à
déceler. De.même nous avons vu quelquefois presque" tous les muscles du
' malade être agités de secousses fibrillaires fréquentes, rapides, s'accentuant
. jusqu'à être un véritable tressaillement, et le lendemain même l'examen atten-
, tif du.malade ne plus montrer aucune secousse dans les masses musculaires.
Les réflexes rotuliens sont conservés, le gauche est un peu plus fort que le
droit. »
Jusque vers les premiers jours du mois de novembre 4895 jamais il n'y eut
la moindre incontinence d'urine, le malade dit au contraire qu'il urinait un peu
difficilement, qu'il était obligé de pousser pour uriner et que souvent il ne
pouvait émettre d'urine malgré un besoin pressant. Or à la date du 10 novem-
bre il a eu plusieurs fois des mictions involontaires et de lui-même âtdemandé
il avoir son lit garni de caoutchouc. Il n'y a jamais eu-de constipation, jamais
non plus d'incontinence des matières fécales. -
Les pupilles sont'légèrement inégales, .la droite plus large que la gauche.
Elles réagissent normalement.
La face ne présente pas à première vue un caractère particulier qui puisse
; attirer l'attention ; les] rides, les sillons sont nets, le malade peut relever et
froncer les sourcils, fermer lés yeux et tirer les commissures de ses lèvres for-
tement en arrière, il peut soufrer avec une certaine-force, il n'est pas gêné
pour manger, il ne bave pas. Cependant nous observons qu'il est très facile
' malgré les efforts énergiques' du- malade de relever l'orbiculaire des paupières
surtout'du côté droit ; depuis un mois fréquemment les larmes s'écoulent sur
les joues; en relevant la moustache on s'aperçoit que les lèvres sont renversées
en dehors, en ectropion; enfin depuis quelque temps le malade qui sifflait fort
bien est dans l'impossibilité absolue de siffler.
'' ' Au contraire les déformations des membres sont frappantes.
.âu &-
MYOPATHIE ATROPHIQUE PROGRESSIVE
Chc7 un hystérique.
i
MYOPATHIE ATROPHIQUE PROGRESSIVE - 357
Membre supérieur. Le membre supérieur gauche abaissé en masse semble
n'être plus retenu au tronc que par des liens insuffisants. Une ligne passant
par les deux acromions loin d'être horizontale est fortement abaissée vers la
gauche et la ligne horizontale tirée par l'acromion gauche passe environ à
8 centimètres au-dessus de l'acromion droit.
Le côté droit d'ailleurs semble normal, le trapèze fait une saillie nettement
accentuée ; le deltoïde est bien conservé, le bras s'élève en abduction très faci-
lement à angle droit, seul le pectoral semble atteint, sa place est marquée par
un méplat, quand on le fait contracter on sent seulement quelques faisceaux
tendus au milieu d'une masse de consistance molle et l'adduction se fait sans
force.
A gauche au contraire on ne ,voit pas la saillie du trapèze, le mouvement
d'élévation de l'épaule est absolument impossible, le malade supplée vaguement
à ce mouvement en inclinant vers la droite sa colonne vertébrale ; le deltoide
est volumineux, au moins aussi saillant que du côté opposé mais sa consistance
est très nettement fibreuse et il est impossible d'élever le bras en abduction à
plus de 30° ; le pectoral dont le relief inférieur est très abaissé de ce côté sem-
ble presque complètement disparu dans ses faisceaux supérieurs, et le malade
ne peut résister lorsqu'on cherche à écarter le bras du thorax.
Des deux côtés le biceps se contracte en boule avec force, tandis que le tri-
ceps resté mou il droite, de consistance plus fibreuse à gauche permet facile-
ment à l'un et à l'autre côté de fléchir l'avant-bras sur le bras malgré la
résistance du malade. Les deux avant-bras et les deux mains ont leurs saillies
musculaires normales, mais on remarque qu'à droite, au repos la main est tout
entière déjetée vers le bord cubital, les doigts se fléchissent et s'étendent facile-
ment, mais le dynamomètre ne marque que 32 ; de même la main s'étend et se
fléchit sur l'avant-bras, elle se porte facilement vers le bord cubital, mais toute
inclinaison sur le bord radial est impossible : le mouvement de supination ne
peut se faire qu'après avoir fléchi l'avant-bras sur le bras et en portant forte-
ment le coude en dedans, le grand supinateur dessine du reste une corde sail-
lante, mais lorsque l'avant-bras est étendu sur le bras le mouvement de supi-
nation est impossible. A gauche au contraire la main n'est pas portée vers le
bord cubital, elle s'incline très facilement sur le bord radial, mouvement ab-
solument impossible du côté opposé, le mouvement de supination est difficile
mais beaucoup ' moins qu'à droite, le dynamomètre marque également 32.
Signalons sur les deux mains, les nodosités articulaires, caractéristiques de
rhumatisme chronique et quelques craquements clans l'articulation radio-
cubitale supérieure droite.
Tronc. Les muscles sus-épineux, sous-épineux et sous-scapulaires sont
normaux des deux côtés. Les muscles du tronc paraissent également indemnes,
il n'y a pas de déviation marquée de la colonne vertébrale. - ,
Membres inférieurs. -A gauche les masses musculaires sont bien conservées
partout. Tous les mouvements se font assez facilement excepté le mouvement
de flexion de la jambe sur la cuisse, couché le malade ramène dillicileiiielit son
vin 24
iJ5S NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALl'Ê : TIlIÊ¡OE
talon vers' fesse, enfin il résiste peu quand on essaie d'étendre son pied
préalablement fléchi. '
A droite les muscles sont manifestement atrophiés dans tous les segments
du membre mais surtout dans la jambe : le pied est dans une position vicieuse,
il est en équinisme peu prononcé du reste niais la pointe en est fortement por-
tée en dedans, au repos le bord interne incurvé présente une concavité marquée,
tandis que le bord externe est irrégulier et convexe ; remarquons que le gros
orteil fortement dévié en dehors passe au-dessous des autres orteils. Les mou-
vements de ceux-ci sont conservés aussi bien les mouvements d'extension que
ceux de flexion. L'atrophie des masses musculaires de la jambe semble porter
autant sur les muscles de la partie postérieure que sur ceux de la région antéro-
latérale, cependant la flexion du pied sur la jambe est impossible, tandis que
le malade résiste assez bien lorsqu'on s'oppose au mouvement d'extension.
Enfin le malade rapproche plus facilement de ce côté son talon de la fesse
correspondante. Le relief des fesses esta peu près normal, un peu moins saillant
à gauche qu'à droite. La marche se fait assez péniblement surtout depuis trois
mois. Le malade s'avance les jambes écartées, le pied droit dont la pointe
tombe légèrement est porté fortement en dehors par une sorte de mouvement
de circumduction et très souvent la pointe accroche le sol, enfin eu arrivant à
terre le pied semble s'aplatir fortement, s'étaler.
Il nous faut encore signaler l'état des ongles extrêmement altérés à tous les
orteils mais principalement aux gros orteils où des stries transversales très
profondes les déforment complètement.
Yoici les mensurations que nous avons relevées à la date du 12 novembre
1895 : au lieu qu'à gauche la jambe a 24 centimètres de circonférence au tiers
inférieur et 32 au niveau du mollet, la droite n'a que 20 cent. 1/2 et 28 centi-
mètres ; la cuisse gauche mesurée à trois endroits donne les chiffres suivants :
35 1/2, 42 et 47 1/2 et la droite 34, 40 1/2 et lieu centimètres.
En mesurant les membres supérieurs du haut en bas nous trouvons au con-
traire à gauche 35, 30, 27, et 25 1/2 pour 37, 27, 26 1/2 et 23 'à droite.
Remarquons ici que le deltoïde gauche mesuré à sa partie moyenne est plus
gros de 3 centimètres que le deltoïde droit (30 au lieu de 27). L'avant-bras
donne à gauche 25 1/2, 23 1/2, 21 et 18 pour 25 1/2, 24 1/2, 20 et 17 i/2 à
droite.
L'examen électrique des muscles montre que ceux-ci réagissent normalement
et qu'il n'y a pas de réaction de dégénérescence, bien que la contractibitité fara-
dique (appareil à chariot, méthode polaire) et galvanique (galvanomètre de
Gaine) soit diminuée dans les muscles les plus atteints.
En résumé il s'agit d'un individu manifestement hystérique et présen-
tant une atrophie musculaire touchant très légèrement les muscles de la
face : orbiculaire des paupières, orbiculaire des lèvres, etc., louchant
plus fortement les membres ; aux membres supérieurs avec prédominance
considérable du côté gauche sont atteints surtout le trapèze, le deltoïde, le
MYOPATHIE ATROPHIQUE PROGRESSIVE 359
grand et le petit pectoral, le triceps brachial, le long supinateur, les ra-
diaux, pendant que les sus et sous-épineux, les sous-scapulaires, les mus-
cles fléchisseurs de la main et des doigts sont respectés ; aux membres
inférieurs la prédominance est au contraire très nette du côté droit où la
déformation, équinisme et aplatissement de la voûte plantaire, montre
que l'atrophie a surtout porté sur les muscles de la région antéro-externe
de la jambe.
Nous pensons qu'il s'agit dans ce cas d'une myopathie atrophique pro-
gressive, c'est-à-dire d'une de ces variétés d'atrophie musculaire où les
recherches les plus minutieuses n'ont permis de trouver aucune lésion
nerveuse ni périphérique, ni centrale.
Nous ne pouvons en faveur de notre diagnostic faire intervenir l'hé-
rédité directe si souvent signalée dans ces cas, mais nous nous ap-
puyons surtout sur la localisation très particulière de l'amyotrophie, sur
le caractère normal des réflexes et des réactions électriques, sur la per-
sistance de faisceaux contractiles dans les masses dégénérées, sur l'appa-
rente hypertrophie de certains muscles très atteints comme le deltoïde
gauche par exemple.
Mais notre malade présente un certain nombre de symptômes dont l'ab-
sence constitue des signes négatifs des plus importants pour le diagnostic
de l'amyotrophie d'origine myopathique, nous croyons que ces symptômes
sont sous la dépendance de l'hystérie associée chez notre malade à l'affec-
tion musculaire : tels sont d'abord les troubles de la sensibilité cutanée
abolie aussi bien pour le tact que pour la douleur et les sensations thermi-
ques, et dont le mode de distribution, l'association aux troubles des orga-
nes des sens ne sauraient laisser de doute, combien même on n'aurait pas
le commémoratif d'attaques antérieures.
Il en est de même des soubresauts musculaires qu'on aurait pu pren-
dre pour des contractions fibrillaires et du tremblement dont la varia-
bilité surtout et l'exagération même éloignent toute idée d'une cause
organique. ,
Restent les troubles vésicaux caractérisés en ce moment par l'inconti-
nence des urines. On sait combien peu fréquente est l'incontinence d'u-
rine d'origine hystérique ; dans son Traité de l'hystérie, notre maître
M. le Dr Gilles de la Tourette insiste sur cette rareté de l'incontinence
primitive et permanente, et dans les cas qu'il cite elle était toujours liée
aux paralysies ou aux contractures des membres inférieurs.
Bien qu'il ne soit pas facile de démêler ce qui appartient à la paralysie
ou à la contracture qui peuvent également donner naissance à l'incon-
tinence d'urine, nous pensons qu'il s'agit ici d'une paralysie du sphinc-
ter vésical, et nous pensons que cette paralysie est complètement indé-
360 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
pendante de lésions organiques quelconques. En elfet après avoir her-
métiquement clos les yeux de notre malade, nous lui avons introduit
dans la vessie un cathéter métallique, le malade est resté absolument
inconscient de cette opération, la traversée de la portion membraneuse
en particulier, d'une sensibilité si délicate, n'a donné lieu à aucune
manifestation ni de résistance locale, ni.de réaction motrice involontaire ;
le contact du bec de la sonde sur les parois vésicales n'est pas senti da-
vantage.
Cette anesthésie au tact, se retrouvait à un degré égal pour la sen-
sibilité thermique, facilement explorée par injection, à travers le cathé-
ter, d'eau chaude dont la température se transmit rapidement aux parois
métalliques de la sonde, le malade accusa seulement une légère sensation
au niveau du méat, la région membraneuse n'était le siège d'aucune
sensibilité.
En injectant lentement de l'eau dans la vessie il nous fut facile de voir
que la sensibilité à la distension persistait bien que très diminuée, à
4.50 centimètres cubes le malade en effet accusa une légère envie d'uri-
ner, mais nous pûmes facilement injecter 850 centimètres cubes sans
que cette envie devînt le moins du monde pénible; la facilité avec
laquelle la vessie se laissa distendre sans réagir par une contraction spas-
modique nous fait penser que l'incontinence est sous la dépendance
non d'une contracture du corps de la vessie mais d'une paralysie du
sphincter, l'anesthésie de cette région superposée à la paralysie, le fait
que l'incontinence est surtout nocturne tandis que dans la journée le
malade peut retenir ses urines, la coexistence d'autres phénomènes net-
tement hystériques nous permettent de rattacher il l'hystérie les troubles
vésicaux.
Quant aux douleurs accusées par le malade au niveau des différentes
articulations, elles semblent indépendantes de l'affection et peuvent être
rapportées au rhumatisme chronique, qui a laissé sa marque sur les arti-
culations déformées des doigts et des orteils.
ÉTUDE MORPHOLOGIQUE SUR LA
MALADIE DE PARKINSON
PAR
PAUL RICHER et HENRY MEIGE.
L'habitus extérieur du corps dans la Maladie de Parkinson est tellement
caractéristique qu'il suffit d'avoir vu un sujet atteint de cette affection
pour être en mesure de faire le diagnostic des cas nouveaux qui se présen-
tent. Dans toutes les observations publiées, les descriptions des attitudes
et du facies concordent avec une unanimité remarquable. Aussi a-t-on pu
tracer un tableau quasi-schématique des signes extérieurs de cette maladie,
et l'on peut l'appliquer à presque tous les cas cliniques.
Dans l'ensemble, les sujets atteints de maladie de Parkinson parais-
sent soudés, figés.
Ils ne se déplacent qu'avec des précautions infinies, et sont avares de
gestes, comme s'ils craignaient de se briser en se remuant. Ils rappellent,
comme disait Charcot (1), en paraphrasant un mot de Parkinson, « ces
automates qu'on peut voir dans les exhibitions défigures de cire animéès »
(as a pièce ofmachinery).
Si l'on ajoute à cette soudure apparente de tous les segments du corps,
le tremblement, qui d'ailleurs peut parfois faire défaut,on se représente dans
son ensemble l'habitus extérieur du Parkinsonien et on est en demeure
de diagnostiquer la maladie à l'occasion.
Ces signes physiques si caractéristiques demandent cependant à être
étudiés plus en détail. Outre les différences d'ordre secondaire inhérentes
à la variété des cas cliniques, il y a lieu de pousser plus à fond l'analyse
des modifications morphologiques apportées par la maladie de Parkinson
à la forme extérieure du corps humain.
Depuis le travail de Charcot et Vulpian paru dans la Gazette hebdoma-
daire en 1861, on s'est préoccupé de compléter la description ébauchée
dans le mémoire de Parkinson (Essa on the Shaking palsy., 1817).
i
(1) Leçons du mardi, 1881-88, p. 436
302 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
M. Charcot a insisté fréquemment dans ses leçons sur l'habitus extérieur
des Parkinsoniens.
L'un de nous, ayant eu l'occasion d'examiner et de dessiner la plupart
des cas de paralysie agitante qui se sont présentés à la Salpêtrière depuis
plusieurs années, décrivait comme il suit, dans ce journal, l'aspect mor-
phologique de ces malades.
« Dans la station debout (1), le tronc est. penché en avant et la tête in-
clinée dans le même sens. De plus, les membres supérieurs sont fléchis
dans leurs diverses jointures, les coudes sont faiblement écartés du tronc,
et les mains, qui subissent aussi une déformation spéciale, reposent sur
la ceinture. La flexion prédomine également aux membres inférieurs et
les genoux sont généralement plus ou moins fléchis. Tous les différents
segments du corps sont fixés dans l'attitude que nous venons d'indiquer
par une rigidité musculaire généralisée qui est la cause de l'immobilité
qu'affectent ces sortes de malades et de la lenteur de leurs mouvements.
Quant au facies, « L'immobilité des traits, et la fixité du regard lent à
se déplacer, en sont les traits les plus caractéristiques. Il faut y joindre
ce qui constitue l'expression. A ce point de vue, la face pourrait être di-
visée en deux parties : le front et lé reste du visage. En effet, toute la par-
tie du visage qui se trouve au-dessous de la ligne des yeux se fait remar-
quer par une placidité et une impassibilité caractérisées par l'absence de
rides. C'est un masque vide dont la vie semble absente : ni douleur, ni
plaisir, absence de toute expression. Au front, c'est toute autre chose;
les rides se creusent et donnent à celle partie de la face une expression
en rapport avec leur direction variable d'ailleurs, suivant les malades.
« Entre ce front mouvementé, expressif ou ridé contradictoirement, et
le reste de la face impassible, plaçons les yeux fixes et immobiles, grands
ouverts, avec une absence presque complète de clignement, et nous aurons
les éléments fondamentaux de ce masque étrange et saisissant ».
A part quelques rares exceptions, où la rigidité prédomine dans les
muscles extenseurs, et où les malades se présentent le torse et la tête for-
tement rejetés en arrière (2) et les bras étendus (3), on peut dire que la
description précédente est applicable à la majorité des cas. - -
Nous ne parlons pas des formes hémiplégiques dans lesquelles une moi-
tié du corps seulement offre l'attitude classique, la maladie unilatérale d'a-
(1) P. RICHE". Habitude extérieure et faciès dans la paralysie agitante. Nouv. Iconogr.
de la Salpêtrière, 1888, p. 213.
(2) Voy. A. DU'CIL. Sur un cas de paralysie agitante à forme hémiplégique avec atti-
tude anormale de la tête et du tronc {extension). Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière, 1880,
p. 165. ·
(3) Voy. le remarquable travail sur les formes cliniques et le diagnostic de la mala-
die de Parkinson de M. E. Bechet, Th. Paris, 1892, Obs, X et XII,
ÉTUDE MORPHOLOGIQUE SUR LA MALADIE DE PARKINSON 3U3
bord, tendant presque toujours à se généralisera l'autre côté et ahoutissant
en fin de compte à une double hémiplégie parkinsonienne.
Une malade du service de M.-le Dl' Raymond, entrée depuis 3 ans à la
Salpêtrière, nous a paru représenter le schéma clinique presque parfait
de la maladie de Parkinson.
Dans la série des représentations figurées des principaux types de pa-
thologie nerveuse que l'un de nous a entrepris de réaliser par la sculp-
ture, ce beau modèle de morphologie morbide devait trouver sa place.
La statuette dont on verra les photographies (Pl. LVI il LVIII) est la copie
aussi fidèle que possible de là malade en question.
Voici d'abord son histoire que nous a obligeamment communiquée
M. Dufour, interne de la clinique.
Observation. Gell, journalière, âgée de 58 ans, est entrée le '1' : 2 juil-
let 1892, salle Rayer, lit n° 12, à la Salpêtrière, dans le service de
M. le Professeur Charcot. *
Antécédents. Son père elsa mère sont morts de vieillesse. Elle-même
n'a jamais eu de maladies; elle était seulement sujette aux migraines.
Elle a eu onze enfants : neuf sont morts en bas âge, deux sont vivants et
auraient eux-mêmes des enfants bien portants, à l'exception d'un seul
d'une santé un peu délicate. 1
Il y a ans, la malade a éprouvé une grande frayeur. Ou lui a annoncé
subitement que sa fille venait de mourir. Il n'en était rien. Celle-ci, vrai-
semblablement hystérique, était tombée en léthargie. Elle est restée dans
cet état pendant trois jours.
Début de la maladie actuelle. Deux ans après cette grande émotion,
'qui avait été suivie d'une période de travail excessif, la malade s'est aper-
çue qu'elle tremblait. Le tremblement a débuté par la main droite. Il
existait pendant le repos et s'augmentait par la fatigue. Puis tout le ment- 1
bre supérieur droit s'est mis trembler et plus tard la jambe droite. La
mâchoire inférieure tremble depuis deux ans et la langue depuis 8 mois.
Le tremblement a envahi le côté gauche depuis 6 mois seulement. L'en-
vahissement a suivi la même marche qu'à droite : d'abord le membre su-
périeur, puis la jambe qui, même actuellement, n'est que peu- atteinte.
Dès le début sont survenues des douleurs très vives aussi bien dans les
jointures que dans les divers segments des membres, mais uniquement'
localisées au côté droit du corps. '
Peu à peu tous les mouvements, et en particulier la marche, sont deve-
nus très difficiles. '
Etal actuel le Ier juin 1895. Un simple coup d'eeil jeté sur la malade
364 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
assise ou en marche permet défaire le diagnostic. Il s'agit d'un cas typi-'
. que de paralysie agitante.
Faciès. La face est figée, sans expression ; la tête inclinée en avant,'
le tronc, légèrement affaissé, également penché en avant, les avant-bras
fléchis et collés au corps ; les jambes demi-fléchies en un mot l'aspect
d'un vieillard soudé, avec une exagération remarquable de la raideur et
une immobilité presque complète des articulations dans tous les mouve- -
ments. ,
S'agit-il de s'asseoir ? La malade se laisse tomber lourdement sur sa chaise,
tout d'un bloc, sans modifier en quoi que ce soit l'attitude de la moitié su-
périeure du corps. Il faut lui tirer les mains pour la mettre debout et
l'installer en équilibre sur sa base. , ' .
Les pieds glissent péniblement sûr le sol,- lé corpset la'tête
penchés en avant, les avant-bras fléchis et serrés contre la poitrine : on
dirait que la malade fait une succession de faux pas. Bientôt l'allure s'ac-
cétëre, lespas se-précipitent, retardant cependant sur le mouvement du
corps, si bien que la chute en avant semblerait inévitable, si la malade ne
se dirigeait vers le mur ou vers un lit, auquel elle se rattrape. De temps
en temps, malgré elle, elle marche à reculons, faisant une dizaine de pas
environ.
Tremblement. Les quatre membres et la tête tremblent; le tronc
n'est agité que de mouvements communiqués; le côté gauche tremble
moins que le droit, les membres supérieurs moins que les inférieurs.
Les oscillations ont une amplitude assez grande ; elles ne sont pas très
rapides et disparaissent pendant les mouvements.
Tout le membre oscille mais d'autant plus qu'on se rapproche de l'ex-
trémité. ? ?
A la main, et surtout adroite, ce sont de petits mouvements alternatifs,
rythmés, de flexion et d'extension des 4 derniers doigts, au devant des-
quels passe le pouce. La malade « file de la laine ». -
Aux pieds c'est le « mouvement de édccle o. A la face, la lèvre inférieure,
et la supérieure légèrement, tremblent de haut en bas, sans que cela gêne
beaucoup la parole.
La langue se meut continuellement d'avant en arrière.
Troubles vaso-moteurs. La salivation est très abondante avec écoule-
ment dé salive par la bouche. Il y a de l'hyperhyclrose surtout au tronc et
} à la figure. '
Les chevilles et les pieds sont fortement oedématiés.
On constate au niveau des muscles un certain degré de contracture, qui
entrave les mouvements spontanés et provoqués, et crée une impotence
telle qu'on est obligé de faire manger la malade.
Nouv Iconogr de la SAU"l : TRrtftl : . T VIII PL. LVI A lviii
PHOTOTYPE NLG A. LONDE.
ATTITUDE ET FACIES
Dans la maladie do Parkinson.
Statuette de M. le U I'.tul IRcitcu, d'apms une l11,tI.\dc de 1.1 Salpêtrière.
L. HA1 ? AILLE ET C"
- 5--
ÉTUDE MORPHOLOGIQUE SUR LA MALADIE DE PARKINSON 365
Les réflexes sont conservés.
Il est pénible pour la malade de rester quelque temps dans la même
position. A toute minute, si elle est assise, il faut lui donner les mains
pour la lever et l'asseoir de nouveau. Elle a besoin d'avoir les muscles
étendus. Dans le lit, même nécessité de changer son attitude qui devient
bientôt insupportable. Elle y a toujours froid el recherche la chaleur. Elle
redoute de se coucher et se lève toujours de grand matin. Le peu de som-
meil qu'elle a est bon.
Etat intellectuel. - Rien de particulier à signaler. La malade s'inté-
resse il ses voisines plus malades qu'elle, elle donne des renseignements
sur la manière dont elles ont passé la nuit et leur rend les services que
comporte son état.
/ Elle n'a jamais eu d'ictus apoplectiformes ; elle mange bien et pré-
sente seulement quelques hémoptysies, qui sont en rapport avec de petits
foyers de congestion pulmonaire.
On le voit, par la lecture de cette observation, il s'agit d'un cas de ma-
ladie de Parkinson parfaitement conforme aux descriptions classiques.
La maladie a débuté brusquement, à la suite d'une émotion vive; la
raideur et le tremblement, localisés d'abord à la main droite, ont envahi
peu à peu le bras, la jambe du même côté, puis le côté opposé du corps,
de la. même façon.
Les attitudes sont caractéristiques. La malade présente les phénomènes
bien connus de l'antépulsion el de la rétropulsioll. Les doigts sont défor-
més, inclinés vers le bord cubital, «filant de la laine ». Les segments
du corps et des membres sont soudés dans la demi-flexion.
Le tremblement existe aussi dans les muscles des lèvres et la malade
laisse écouler sa salive, ce qui donne au facies certaines analogies avec
celui des malades atteints de paralysie gtosso-tabio-taryngée (1).
Un seul fait semble anormal : c'est la crainte du froid. On sait en effet
que les Parkinsoniens se plaignent tout au contraire d'avoir toujours trop
chaud, et qu'au lieu de s'envelopper d'ouate, comme fait cette malade,
ils aiment à dormir, au coeur même de l'hiver, sans couvertures, avec
leur seul drap. -
Malgré cette anomalie, le diagnostic s'impose, et cette observation
ajoutée il celles, déjà nombreuses, de maladie de Parkinson typique,
n'aurait qu'un intérêt limité, si nous n'avions eu l'occasion, à propos de
cette malade, de faire un certain nombre de remarques sur la morphologie
(1) Voy. le buste reproduit précédemment. Nouv. Iconographie de la Salpêtrière,
ne 6, 1895.
366 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
du corps mis à nu. Quelques-unes de ces remarques ont été récemment
communiquées par l'un de nous à la Sociélé de Biologie (1).
On néglige généralement de l'aire déshabiller les paralytiques agitants ;
un coup d'oeil suffit pour reconnaître l'affection qui les amène. Aussi,
bien des détails passent-ils inaperçus, ces'détails ont cependant leur im-
' portance tant au point de vue du diagnoslic des cas frustes que des hypo-
thèses que l'on peut faire sur la palhogénie de la maladie de Parkinson.
L'étude de « nu » que nous avons faite au sujet de cette malade de la
Salpêtrière nous a permis de relever les particula-
rités suivantes.
D'abord, en ce qui concerne le mécanisme de la
station, la maladie de Parkinson présente des ano-
malies intéressantes.
Si l'on se rapporte au schéma établi par l'un
de nous (2) au sujet de l'inclinaison des différents
segments du corps chez l'homme sain dans la sta-
tion verticale droite et symétrique, on s'aperçoit t
que la soudure caractéristique de la maladie cle
Parkinson entraine des modifications très notables.
On peut diviser le corps de l'homme sain en qua-
tre segments : tête, cou, tronc et jambes. Les axes
de ces différents segments sont. respectivement in-
clinés les uns sur les autres, et formés des lignes
obliques alternativement de sens inverse. Les an-
gles que font entre elles ces différentes lignes sont
des angles obtus très ouverts.
Une ligne tracée du centre des hanches au centre
des épaules peut être considérée comme l'axe du
tronc. Du centre des hanches au centre de l'articu-
lation ,tiLio-tarsienne, une aulre ligne représente
approximativement l'axe des membres inférieurs.
Du centre des épaules au centre d'articulation de la
tête et du cou, une troisième ligne forme l'axe du
cou. Le quatrième axe, celui de la tête est formé par
la verticale éle,'éedecedernier pointj usqu'au vertex.
Cher,l'homme normal, 1 axe de la tète est vertical, celui du cou se dirige
1
(1) 1'.\1.1. Richer, Société de Biologie, 21 déc. 1895.
(2) Paul Richer, Physiologie artistique, Paris, Doin, 1895, p. 180.
Fic. 69.
ÉTUDE MORPHOLOGIQUE SUR LA MALADIE DE PARKINSON 367
en bas en arrière ; l'axe dû tronc se porte au contraire en avant, et celui
des membres inférieurs revient en arrière (Fig. 69).
Il en est tout autrement chez le sujet atteint de maladie-de Parkinson,
dans les cas de beaucoup les plus fréquents où la soudure apparente des
muscles maintient tous les segments du corps dans une demi-flexion.
L'axe de la tète est oblique en avant, moins oblique cependant que
celui du cou qui se rapproche de l'horizontale. L'angle formé par ces deux
axes est toujours ouvert en arrière ; mais il est moins obtus que dans la
normale, les malades ayant tendance à relever la tête sur le cou, pour
regarder devant eux.
L'anomalie est complète en ce qui regarde l'axe du tronc qui, au lieu
de se renverser en arrière, est au contraire très incliné en avant. L'axe des
jambes subit aussi une inclinaison de sens inverse pour arriver à rétablir .
l'équilibre du corps : au lieu d'être oblique en bas et en arrière, il est
incliné en bas et en avant.
De là résulte que la ligne brisée formée par la
réunion de ces 3 dernières lignes forme deux an-
gles obtus ouverts en avant.
L'inclinaison des axes segmentaires du corps
dans le même sens, explique l'instabilité de l'équi-
libre des Parkinsoniens. Le tronc, le cou, et la tète
tendent à se porter en avant et en bas et les mala-
des sont constamment menacés de « piquer une
tête ». C'est d'ailleurs ce qui leur arrive fréquem-
ment lorsqu'ils se mettent en marche, et la festi-
nation croissante dé leur pas a pour but de remé-
dier à cette chute imminente de la partie supé-
rieure de leur corps en avant.
Dans la station debout, ils corrigent tant bien
que mal ce défaut de stabilité, par la flexion des ge-
noux qui reporte un peu en arrière le troncetla tète.
Le schéma obtenu en traçant sur l'homme sain
les axes des différents segments du corps, montre
en outre que la verticale abaissée du centre des , 1
épaules tombe sur l'articulation tibio-tarsienne; en
avant de la malléole externe, croisant l'axe du
1-in.lU.
memuremteneur environ au uers 1l11el'leur (le la ,¡am11e.
Chez le Parkinsonien, cette verticale tombe beaucoup plus en avant
près de l'extrémité digitale du pied (Fig. 70).
Il en résulte que la perpendiculaire a baissée du centre des hanches sur
la verticale des épaules, au liel) d'être dirigée en arrière comme chez
368 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
l'individu'sain, se trouve reportée en avant. Et même, sa longueur dé-
passe notablement la moyenne (Fig. 71).
Il y a ici une exagération en sens inverse de celle que nous avons signa-
lée chez les malades atteints de myopathie progressive. Chez ces derniers
en effet, la cambrure exagérée du dos, exagère la longueur dé la distance
en question, mais dans le même sens que chez l'homme sain (Fig. 71).
Fic;. 11.
Il ne faut pas oublier cependant que dans certai-
nes formes cliniques des maladies de Parkinson, le
tronc et la tête peuvent être renversés en arrière
d'une façon excessive. La remarque précédente ne
s'applique donc pas d'une manière absolue à tous
les cas de paralysie agitante ; mais elle reste vraie
pour le type dit de flexion, qui est de beaucoup
le plus fréquent.
La raideur musculaire des Parkinsoniens en-
traîne aussi des modifications de l'attitude dans la
station assise. Les malades se laissent tomber tout
d'une pièce sur leur chaise, et une fois assis, ils
restent immobiles, le tronc penché en avant, le dos
plus ou moins voûté, comme s'ils étaient toujours
prêts à se.lever.
Les jambes ne sont jamais repliées en arrière
sous le siège, mais verticales, ou allongées en
avant. Quand le talon n'est pas fortement appuyé,
le tremblement lui fait battre le sol d'un mouvement
rythmique, synchrone au reste des secousses dont
le corps entier est agité.
L'un de nous a dessiné autrefois une malade de la Salpêtrière, bien
connue de ceux qui fréquentaient le service de le Dr Charcot (1).
« Elle restait, dans l'angle de la grande salle, près de la fenêtre, en
regard de son lit, immobile sur son siège, courbée en avant et comme re-
croquevillée sur elle-même, les mains ramenées sur les cuisses, les deux
pieds relevés sur les barreaux d'une chaise, tournant vers ceux qui pas-
saient des regards obliques pour suppléer au défaut de mobilité de la tôle
véritablement soudée entre les deux épaules (1) ».
Les autres formes de station sont très rarement réalisés par les Parkin-
soniens. C'est ainsi qu'ils ne prennent jamais l'attitude hanchée, qui dé-
truit la symétrie du corps, et nécessite le relâchement de certains grou-
pes musculaires d'un seul côté. L'état de demi-contraction permanente
des muscles chez ces malades rend suffisamment compte de la difficulté
(1) P. Richer, Un type de paralysie agitante, Nouv. lconogr.de la SalpGtriére,1888,p.40.
Nouv. ICONOGR. DE LA SALPiTRIt.h T. VIII. PL. LIX & LX
PHOTOTYPE Nl : ( : . A. LONDE £ PHOTOCOLL. B1 : RTHAUD.
L ATTITUDE ET FACIES .
r Dans la maladie de Parkinson.
D'après un malade de la Salpêtrière.
L BATTAILLE ET C"
ÉTUDE MORPHOLOGIQUE SUR LA MALADIE DE PARKINSON 369
qu'ils éprouvent à conserver cette attitude pendant un certain temps.
Mais cela n'implique pas qu'ils soient dans l'impossibilité absolue de
se tenir dans la station hanchée, ni même dans d'autres modes de station
où l'équilibre est plus difficile à conserver.
Quand la maladie n'a pas atteint son stade ultime où un certain de-
gré de parésie surajouté à la raideur s'oppose à la réalisation des mouve-
ments, la station hanchée, la station sur un pied, la station sur les talons,
où sur les pointes est encore possible.
Elle n'est jamais de longue durée ; mais si le malade concentre son at-
tention sur l'exercice qu'on lui commande de faire, il l'exécute en géné-
ral sans trop de difficultés. La raideur et le tremblement disparaissent
pour un temps plus ou moins long, suffisant pour permettre tous les
mouvements volontaires. L'effort, il est vrai, ne peut pas être longtemps
soutenu et cela d'autant moins que l'évolution de la maladieestplus avancée.
Ces remarques ne sont pas seulement applicables à la malade que nous
avons choisie comme type de la maladie de Parkinson. Nous avons eu
l'occasion de les faire un grand nombre de fois.
La Planche LIX, LX présente un autre malade de la Salpêtrière, OH ?
qui a souvent servi autrefois aux démonstrations cliniques de M. le profes-
seurCharcot. Sur les photographies que notre ami, M. A. Londe,en a faites
dans les mômes positions (face, dos, profil) que la statuette, on retrouve
les mêmes attitudes, les mêmes inclinaisons des axes segmentaires du
corps, et une morphologie identique où prédominent les caractères de la
demi-contracture musculaire. Celle-ci est seulement rendue moins appa-
rente par la couche adipeuse sous-cutanée plus épaisse chez 011... que
chez notre vieille femme.
Sur cette malade, il faut encore, au point de vue morphologique, dis-
tinguer deux ordres de signes, ceux qui dépendent de la vieillesse et ceux
qui dépendent de la maladie.
Parmi les premiers on doit ranger l'émaciation générale et les plis
cutanés qui en sont la conséquence et qu'on observe tout particulièrement
à la région abdominale où les attaches profondes de la peau à l'ombilic
leur impriment une direction toute spéciale, et à la région fessière vers
la partie inférieure.
Les apparences de la sénilité sont certainement exagérées par le mal
lui-môme, car cette malade n'a que 62 ans et on lui donnerait bien da-
vantage. 1
La peau est fine et le pannicule adipeux a presque entièrement disparu
sur tout le corps. Les dernières traces en restent à la région fessière, point
d'élection chez la femme pour l'accumulation de la graisse. En cet endroit,
la peau trop lâche retombe à la partie inférieure où elle forme, de chaque
370 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
côté de la rainure interfessiére, au-dessous du bord inférieur du muscle
fessier, deux petites poches qui renferment les restes du tissu adipeux au-
trefois si abondant en ce point. Ces formes sont la confirmation saisis-
sante de la théorie émise autrefois par l'un de nous sur l'horizontalité du
pli fessier absolument indépendante du bord inférieur du muscle fessier
qui est oblique (1).
L'état de maigreur propre à cette malade, favorise singulièrement ici
notre examen et nous permet de saisir, jusque dans leurs moindres détails,
les modifications qu'imprime la maladie au système musculaire tout entier.
Tous les muscles paraissent contractés. Ils offrent les formes spéciales
caractéristiques de la contraction musculaire (2) et la contraction est per-
sistante. Nulle part n' apparaît le relâchement musculaire. Partout, aux
membres, comme au torse et au cou, dans les groupes synergiques ou
antagonistes, les muscles apparaissent raidis, dessinant les faisceaux se-
condaires dont ils sont composés et séparés des muscles voisins par des
sillons qui donnent à l'ensemble du corps un peu de l'aspect heurté de
l'écorché.
C'est ainsi que nous voyons le grand pectoral, le grand fessier, le del-
toïde - pour ne citer que ceux-là - dessiner les faisceaux divers dont ils
se composent. On dirait autant de muscles distincts.
A J'avant-bras, le long supinateur forme une saillie caractéristique. Ja-
mais pour obtenir ce simple degré de flexion du coude nous ne voyons ai
l'étal normal le long supinateur entrer en contraction. La corde qu'il
forme ici, acquiert presque l'importance d'un signe pathognomonique.
Au bras, le biceps malgré la pronation de l'avant-bras est contracté,
fait paradoxal puisque nous savons que normalement le biceps n'inter-
vient dans la flexion de l'avant-bras que lorsque son action supinatrice
n'est pas entravée, c'est-à-dire lorsque l'avant-bras est préalablement mis
en supination. -
1 A la partie postérieure du bras, le triceps est aussi rigide que le bicèps,
' et ainsi par tout le corps.
A l'abdomen où il existe une éventration au niveau de la ligne blanche,
- accident fréquent chez la femme qui a eu de nombreux enfants (celle-ci
en a eu ils la tension permanente des muscles droits est la cause de
cette apparence trilobée de la portion sous-ombilicale. Comprimés par
les deux muscles droits écartés de la ligne médiane, les intestins forment
une saillie médiane au niveau de l'éventration et deux latérales au niveau
de l'aponévrose qui les sépare des grands obliques.
(1) PAUL Richer, Anatomie artistique.
(2) Voir à ce sujet Paul Richer, Physiologie artistique, le chapitre sur la contrac-
tion musculaire physiologique. '
ÉTUDE MORPHOLOGIQUE DE LA MALADIE DE PARKINSON 371
Les membres inférieurs ne sont pas moins intéressants à étudier, tous
les muscles y dessinant des saillies distinctes. Les formes du genou sont
simples comme celles qui résultent de la contraction du quadriceps.
Sur le dos du pied se dessinent les tendons des orteils qui sont recro-
quevillés sur le sol.
Cet état de contraction persistante, ou pour mieux dire de contracture
du muscle, ne persiste pas toujours égal à lui-même; il varie d'intensité.
Il semble au contraire que cette contracture .soit, il l'instar de ce qui se
passe dans certaines formes de contractures hystériques, dans- un état
instable. Elle diminue et augmente tour il tour. Elle s'atténue même
parfois presque complètement pour reprendre ensuite avec plus de vi-
gueur. Ces variations qui surviennent spontanément se reproduisent sous
l'influence de causes variées. La contracture augmente sous l'influence
des émotions et de la fatigue. Elle peut cesser sous le plus léger attouche-
ment, sous l'influence des mouvements communiqués ou du massage, mais
pour renaître peu après. Néanmoins ces manoeuvres procurent aux mala-
des un véritable soulagement.
En examinant de près chaque muscle on constate qu'il est animé de
petites vibrations. On voit sa surface parcourue par de fines ondulations
qui sont évidemment dues aux contractions isolées et successives des fibril-
les musculaires. · -
Ces contractions fibrillaires sont indépendantes du tremblement dont
elles n'ont point le synchronisme.
Mais elles nous paraissent être la cause de la rigidité continue carqcté-
rustique de cette affection, rigidité qu'elles maintiennent par l'effort d'un
certain nombre d'entre elles. L'effort est momentané, mais incessamment
renouvelé par la participation de nouvelles fibrilles. La théorie que l'on
a donnée de certaines contractures en disant que les fibres musculaires
se contractaient les unes après les autres, se suppléant et se succédant sans
cesse, nous semble parfaitement applicable ici.
Chez la malade que nous avons sous les yeux le tableau morphologique
se complète par une exagération du système veineux sous-cutané, consé-
quence de la compression que les muscles tendus exercent sur les veines
profondes. C'est la même cause, toute proportion gardée, qui, chez les
athlètes, amène, par suite de la répétition fréquente et exagérée de la con-
traction musculaire, la dilatation des veines superficielles.
Pour conclure, en outre de son intérêt séméiologique, l'examen mor-
phologique auquel nous venons de nous livrer nous paraît confirmer l'o-
pinion émise par Vulpian et qui attribue la raideur dans la maladie de Par-
kinson à un léger degré de contracture, à ('encontre de certaines tendan-
ces récentes qui en feraient la conséquence d'un état myopathique spécial.
LE TRAITÉ DES FRACTURES DU CRANE
DEBÉRENGER DE CARPI (1518)
1 PAR
A. CHIPAULT et E.DALEINE.
1·'ic. 12. - Lettre ornée, d'après la lre
édition du Traité des fractures du
crâne, de Bérenger de Carpi.
ers 50 ans, pendant un second et court
séjour à Bologne où, sans doute après
un exil, il venail d'être rappelé par
Laurent de-Médicis, Bérenger de Carpi
publia, cédant aux sollicitations de ses
élèves, « scolasticis suis, o quotiens
roganlibus » nous dit-il lui-même,
dans e court espace de 1) ans, les trois
^ouvrages qui l'ont rendu célèbre : son
Traité des fractures du crâne, puis ses
deux Traités d'anatomie.
*
..
Le premier de ces ouvrages, celui
qui nous intéresse le plus directement forme, dans 1 édition originale
écrite en latin, un petit in-4° de CV folios portant le titre de :
TRACTATUS DE Fractura CALVE SIVE
Cranei A CARPO EDITUS.
Le livre débute par une dédicace de l'auteur « Excelso ac illustrissimo
Laurentio Medici Urbini D. z- Invictissimo. S. » suivie de cette pièce de
vers non sans charmes, adressée par «Dominieus Foiiielus Brixiensis, », à
Bérenger de Carpi « Chirurgicæ Masæ professorem .».
« Mystica signis avet Capitis, modulante. Paratus
Natura hos tenues, nosse magisteria ?
Subnixa ut meninx dura Pia molle sorori ?
Et vere in sensu consita vis vigilet ?
Carpe quod ex Carpo medices dédit auspice Laurus
- TRAITÉ DES FRACTURES DU CRANE DE BÉRENGER DE CARPI 373
Phillyrides fueris ? major et Ampycide ?
Ex acheronteo vitales traxeris Auras
v Cardine, vel potior virgula Atlantiade ?
Sicq ; instauratas naturam, secula, gentcm
Seuseris ut vita perpete muiidtis ci[. ,
Les derniers folios du livre sont occupés, le folio Clin par l'index, le
folio CV par les errata ; enfin, au verso de ce dernier se trouve l'indica-
tion suivante : « Finis tractatus de fractura calve ab eximio artium et
Il mec11cinædoctore domino Magistro Jacobo Berenga Il trio Carpensi pu-
blice chirurgiam ordinariam in almo il Gymnasio Bononiensi doceiltean Il
no virginei partus l'ID1V111 Quinto Idus Decêbris. Impressum Bononiae
Il per Hieronymum de Benedictis (1).
(1) Le traité des fractures du crâne a été encore édité en 1535, 1629, 1651, etc. Notons
seulement l'édition de 1535 qui porte le titre modifié dé < Tractatus perutilis'II et coin-
pletus de fractura Il cranei, ab eximio artium et me Il dicinæ doctore D. llagistro Jacobo
Berengario Car Il pensi publice chirurgiam ordinariam in almo Il gymnasio Bononiensi
docente oeditus », puis au-dessous du frontispice ces deux vers : « Laurento Medices
medicam mandavimus artem, Ut Lauro merito condecoretur opus » et la date MDXXXV.
Enfin, à la fin de l'ouvrage au recto du folio CXI, « Venetijs per Joan. Ant. de \ico-
linis de Sabio. Expensis D. Joan. Baptistae Pederzani. Anno Domini Il : 11D1XXV Il
Mense Octobris.
Il n'est pas inutile non plus, croyons-nous, de donner l'indication bibliographique
exacte des éditions originales des Traités d'Anatomie de Bérenger de Carpi.-Le premier
a pour titre : « Carpi Commen 1 l 'tari eu amplissi mis Additioni Il bus super anato Il miâ
Mùdini una cum textu ejusdê Il ad pristinù z verâ Il nitorê Il redacto. » Il comprend
CCCCCXXVIII folios et se termine sur cette indication : « Hic finiunt commentaria cum
digressionibus amplissi Il mis una die compositis : Altéra vero sub Impressorio Il cudine
positis : auctore eximio artium et medici Il næ doctore Dominio Magistro Jacobo Be Il
rengario Carpensi Chirurgiam ordinariâ Il in Almo Gymnasio Bononiensi docê Il te Anno
Virginei parlus Il 1\ ID X XI. Impresslllll Bononiae per Hieronymum de Benedictis pridie no-
nas martii MDXXI ».-Le second ouvrage d'anatomie de Bérenger a pour titre It Isagogoe
breves plucide Il ac uberrime in Anatomia hu Il iiiani corporis a communi me Il dicorû
Academia usitatâ a Il Carpo in Almo Bononiê Il si Gymnasio ordinariâ Il Chirurgiâ Docête
ad suorû scolasticorû Il pi-ces in lucem Il date et se termine au recto dufolio 80 parl'in-
dication suivante « Ilic finiût Uberrime ac brèves Isagoge anatomice : diligêlius Il q
antea figurate : AuthoreEximio Artm ac medicine Do Il ctore Divo M. Jacobo Berengario
Carpensi : Regii Lepidi : seu Lingobardie : ac Bononie cive : Chi Il rurgiâ ordinariâ in
AIIno Bononiêsi. Gy Il innasio docente : addito Plutonis et Il IIarpagi dissecti dialogo au-
tho re Parthenio Foroiulêsi Carpi Il amicissimo. Anno Il virginei partus 1523. Sub Il die
XV Julii. Il Impressum et noviter reviscum Bononie : per Bene dictum IIectoris Biblio-
polus Bononiensem ».Le second ouvrage n'est en somme qu'unrésumé du premier et l'au-
teur ledit lui-même« qui nô estcôtêtus de bis : recuratad nostrauberrima : super Mundi-
ni anatomia cometaria » ; laplupart des planches des «Isagogoe creves» sont elles-mêmes
prises dans les « Commentaria » : quelques-unes cependant sont nouvelles, par exemple
celle que nous reproduisons dans notre figure 3 ; d'autres, parmi Its planches du pre-
mier ouvrage, ne sont pas reproduites dans le second : telles sont les trois planches plus
que singulières consacrées aux organes génitaux de la femme, folios CCXXY, CCXXVI
et la planche du folio CCCCCXIX, qui représente le Christ en écorché, fantaisie étrange
dans un livre dédié à Jules de Médicis « Reverendissimo iu Christo Patri et Domino
, vin ' 25
374
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
Suivant l'usage du temps, Bérenger de Carpi nous raconte dans un
assez long préambule que l'ouvrage lui a été inspiré dans un songe par
Mercure : « AppaJ''llil quidam galero <ya//6[to uectus, lallariú1lsqne pennatus
azureis, a1lrell11lque virga1n serpente involulam manu fereus », puis il entre
dans le vif de son étude qu'il va, nous dit-il, diviser en deux parties : la
première ayant trait à la classification des fractures du crâne; la seconde
à leurs signes, pronostic et traitement.
La première partie, sur laquelle, suivant l'auteur lui-même, « il faut
passer rapidement », énumère l'incision, la contusion, la perforation du
D. Julio de Medicis Tituli. S. Laurentii in Damaso P. Cardinali ». Nous nous sommes
permis, quoiqu'elle s'éloigne fort de notre sujet, de reproduire ici cette planche, très
réduite (Fg. 15). Nous regrettons de ne pouvoir, à cause de sa longueur, donner égale-
ment le curieux dialogue qui se trouve à la fin des « Isagogæ » ; « Plutoni et IIarpagi
- dissecti dialogus ». Signalons au moins la note qui le précède ; elle en fera comprendre
le sujet, tout en donnant sur les moeurs des étudiants de jadis une curieuse indication
(, Quum humani corporis sectionem publice ut sit liaberemus; et nonnulli discipulorum
(ut moris est inter ipsos nato livore) per jocum atque risum caput pudenda que subri-
puissent. Parthenius amenissimo ingenio juvenis : Inde nactus argumentum hoec lusit »
Terminons cette note bibliographique en constatant que les deux ouvrages d'anato-
mie de Bérenger de Carpi ont un frontispice assez analogue ; une partie de ce frontis-
pice, reproduite dans notre figure 5, représente l'auteur dirigeant une « anatomie ».
Fio. î3.- Frontispice de la 2e édition du Traité des fraclures du crâne (1535).
TRAITÉ DES FRACTURES DU CRANE DE BÉRENGER DE CARPI 375
cràne, puis toute cette série de variétés de fractures aux noms barbares et
dont quelques-unes « ragamia, da7eaIa, aberia, empiasma, marusis, hoe-
sens » n'auraient pas été déplacées dans les nomenclatures du siècle der-
nier. *Les notant seulement, rapportons en détail une observation signalée
par notre auteur d'aphasie consécutive à la rupture des vaisseaux méningés,
observation dont le diagnostic rétrospectif ne nous semble pas douteux.
« L'une des espèces de lésions du chef, dit-il, est celle où, le crâne non
fracturé, sont rompus certains nerfs du cerveau, ou certaines veines des
membranes, soit par un mouvement violent, soit par une chute ou un
coup avec une chose pesante, capable de mouvoir le cerveau : le plus
dans un corps sec comme sont les corps des vieillards, chez qui plus apte
à être mû et rompu est le cerveau à cause de sa moelle qui est desséchée
et diminuée comme il appert du VIe des aphorismes de Gallien co LVILI.
A tous ceux dont le cerveau a été mû par quelque action, il est nécessaire
qu'ils deviennent de suite sans voix, comme j'ai vu cette année sur le
puissant duc Hercule de Marschiotis qui reçut plusieurs coups d'un objet
'pesant ; il n'eut pas de fracture du crâne, et malgré tous les soins il mou-
rut et je ne dis pas seulement par rupture des nerfs du cerveau, surtout
de ceux d'où naissent'les nerfs réversifs qui sont dits les nerfs de la voix,
Fie. 14.- L'aspect du cerveau ouvert, d'après les Isagogoe brèves de Bérenger de Carpi,
1" édition, 1523.
'376 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
mais je dis que chez lui fut rompue certaine veine du cerveau et peut-
être certains nerfs : de quelle veine advint la mort, à cause du sang pu-
tréfié en un point non reconnu : et cette espèce de lésion est mauvaise parce
que les médecins ne savent le lieu de la veine et que s'ils le savaient ils
pourraient ouvrir le crâne et émonder le sang et la sanie et guérir leur
malade ».
Après ces considérations, l'auteur entre dans sa seconde partie :
Il y étudie tout d'abord, la symptomatologie des fractures du crâne et,
pour commencer, les signes de la lésion osseuse même : signes présomptifs
et signes « manifestes aux sens ». Il n'accorde pas confiance, pour re-
connaître une fracture totale, il la douleur dans la tète que l'on provoque
en tirant sur un fil tenu entre les dents, et préfère pour arriver à ce
diagnostic faire souffler fortement le patient, la bouche et le nez fermés :
si quelque chose sort par la fissure, c'est qu'il y a très probablement pé-
nétration ; celle-ci devient tout à fait sûre si un emplâtre appliqué sur le
trait de la fracture « se diminue el dessèche au niveau de celui-ci ». En
passant, notre auteur discute la possibilité des fractures du crâne à l'op-
posite du coup. Celse, Avicenne, Nicolas 1 lorentinus les admettent, Di-
nius Gentilis et Guy de Chauliac les nient; quant à Bérenger de Carpi, il
pense que beaucoup d'observations rattachées à celte variété sont tout
simplement des fractures par double choc, aux deux extrémités d'un dia-
mètre crânien : c'est là une hypothèse reproduite depuis bien des fois et
tenue aujourd'hui pour vraie dans bon nombre de faits, sans, je crois bien,
qu'on songe à en faire honneur à celui qui l'a émise pour la première
fois. Quoi qu'il en soit, arrivons aux symptômes attribués par Bérenger de
Carpi à la lésion des membranes. « Avicenne, dit-il, pense que la pa-
ralysie se produit du côté de leurs blessures et le spasme du côté opposé ;
or dans la plupart des cas c'est le contraire qui advient : c'est-à-dire du
côté de la blessure le spasme et du côté opposé la paralysie. Il se peut du
reste que l'un survienne et point l'autre, ou même, malgré la lésion
des membranes, ni l'un ni l'autre ». S'il y a, cle plus, lésion du cerveau,
on constate, en outre des symptômes précédents, l'issue de la matière
' cérébrale, et. il peut survenir au-dessous de la fissure, un apostême
souvent fort petit, « ainsi que j'ai vu, dit Bérenger, à Bologne, sur le
révérend seigneur Priamus de Peppulisqui avait une fissure capillaire du
crâne, chez qui m'étant servi de raspatoires pour savoir si elle pénétrait
jusqu'à la face interne du crâne, ce qui était vrai, j'en vis 'sortir une
certaine quantité de sanie, et quoi qu'elle fût fort petite, la fièvre qui
était très vive, cessa, et les inquiétudes, et l'insomnie, et tous les acci-
dents : et j'ai vu cela dans beaucoup d'autres cas ». Les accidents céré-
braux peuvent avoir du reste pour seule cause l'enfoncement du crâne,
TRAITÉ DES FRACTURES DU CRANE DE BÉRENGER DE CARPI 377
qui chez les tout petits enfants est rarement suffisant pour produire de la
compression. A ce propos, Bérenger de Carpi insiste sur l'existence nor-
male d'un contact intime entre la face interne du crâne et la dure-mère.
« Je ne peux pas, dit-il, ne pas m'étonner que certains auteurs et non
des moindres, tiennent la dure-mère pour toujours distante du crâne
excepté au lieu des commissures », elle adhère au contraire partout, ce
qu'on voit bien en soulevant doucement le crâne, comme on fait dans les
dissections habituelles : « Je dis toutefois que j'ai fait l'anatomie de foetus
de quatre ou cinq mois, dans lesquels les commissures n'étaient encore
proches comme clans ceux menés à perfection ; or la dure-mère et le péri-
crâne étaient joints solidement partout où n'y avait point d'os... et chez
l'adulte, les membranes adhèrent encore davantage au niveau des commis-
sures et pour cela n'est-il point mauvais en opérant de s'écarter d'elles ».
Son élude symptomatique terminée, Bérenger passe aupronostic «ouest
Fm. 5.- Le Christ en écorché, d'après les Isagogoe brèves creux de Bérenger de Carpi,
1re édition, 1523.
378 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
toute utilité finale de médecine et qu'il faut bien connaître ». Il insiste tout
d'abord sur ce fait important que les plaies du cerveau sont loin d'être
mortelles. « Pour ma part, dit-il, j'ai vu jusqu'à ce jour six hommes dont
une notable partie de la substance du cerveau était sortie et qui sont gué-
ris. A côté, certains au bout de peu de temps sont morts apoplectiques ;
d'autres d'eux ont porté une paralysie d'un côté, mais ils ont vécu deux
ans. Quant à ceux guéris, j'en ai vu et traité trois il Carpi alors que j'étais
jeune et pour mon âge ai-je été assez habile : et j'ai eu de sincères et ha-
biles médecins en ma société, à la première et seconde visite, lorsque j'ai
extrait des lèvres des plaies de grands fragments de cerveau qui étaient
sortis du crâne ; j'en ai vu un autre dans la cité de Pistoie, que soi-
gnait un certain Angellus, juif, assez habile chirurgien ; j'en ai vu enfin
deux à Bologne, l'un un certain Vincentius Ragatia, l'autre le seigneur
Paul, neveu du cardinal d'Istrie : celui-ci avait dans le cerveau une
plaie vraiment profonde, produite par le fer d'une épée ; et ce fer, long
de quatre doigts, resta piqué tout un jour perpendiculairement dans la
plaie; j'eus la plus grande peine à le voir et à l'extraire ; à la place qu'il
occupait resta un trou où je plaçai une tente pendant 50 jours ou à peu
près. A ce moment, l'humidité qui sortait jusque-là, aqueuse et abondante,
étant venue à rien, j'enlevai la tente pour laisser se fermer la plaie ; mais,
vers le 60e jour, survint, par rétention de la matière dans le cerveau, une
grande crise d'épilepsie avec tremblements et frissons de tous les membres.
Ce que voyant, je fis soulever le malade par les pieds pour abaisser sa
tôle, et avec le stylet, j'ouvris peu à peu la fistule qui pénétrait sous le
FiG. 16.- Bérenger de Carpi dirigeant une dissection, d'après le frontispice de ses Trai-
tés d'anatomie.
FiG. i i. Les instruments de la trépanation, d'après Bérenger de Carpi. a) Trépan a
ailes.
TRAITÉ DES FRACTURES DU CRANE DE BÉHENGEIt DE CARPI 319
crâne, dans lequel je trouvai une grande quantité de matière laiteuse,
laquelle évacuée, l'épilepsie cessa aussitôt, et le malade revint en bonne
connaissance. Aussi, de nouveau je plaçai la canule; l'humidité dessécha
et mon malade revint la santé, puis vécut ensuite très longtemps et arriva
à l'épiscopat. Et, j'en atteste Dieu, que lui-même jurait que, même
au commencement de son mal, il coïtait avec une servante de la maison,
sinon tous les jours au moins un jour sur deux et qu'il buvait chaque jour
trois ou quatre fiasques de Malvoisie : d'où je crois qu'il a bien guéri par
spéciale volonté de Dieu ». Somme toute la perle de matière cérébrale est
moins mauvaise qu'on ne dit; mais de très mauvais signes sont : l'affais-
sement des lèvres de la plaie, la noirceur de l'os, les frissons ainsi que
le facies hippocratique et la photophobie.
Le traitement des fractures du crâne est général et local. Le traite-
ment général consiste, d'après Bérenger, dans toute une série de précau-
tions sur lesquelles il insiste avec sollicitude : le choix du local où l'air
«doit être chaud, soit qu'il le soit dénature, soit qu'on le rende tel parce
que tout froid est très nuisible aux plaies de tète. ainsi que le dit Avi-
cenne... Donc, par les temps froids, on le réchauffera avec du feu, et non
du feu de charbon, mais de bon bois sec d'où ne sort point de mauvaise
fumée ». Il ne suffit même pas que l'air de la chambre soit chaud, il faut
qu'il soit <f non fétide et au besoin parfumé ». « Ce que j'aime le mieux
Fin. iS, 19,SO,Sf,S,S3,Sr,8a. Les instruments de la trépanation, d'après Bérenger de
Carpi (suite) b,c,d,e) trépans en forme de fraise, f,g,h.i) trépans d'emploi peu pratique.
380 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
pour y réussir, ajoute Bérenger de Carpi, c'est de l'eau-de-vie, ou bien
des caryophilles, du bois d'Alep, des roses sandales et un peu d'ambre,
soit mis à bouillir clans de l'eau, soit placés sur une pelle,chaude, pro-
menée dans la chambre bien close ». D'autre part on évitera les mouve-
ments du malade, « mouvements qui agitent les tumeurs ».On ne cessera
pas la diète avant le 20° jour, « car on n'a jamais entendu dire qu'un
blessé soit mort de faim » ; si l'on est forcé de donner quelque viande on
préférera la viande de poulet, de perdrix ou de faisan, et surtout, si cela
est possible, « les cervelles de gallinacés, car suivant Avicenne, et'd'au-
tres, ils réconfortent le cerveau et retiennent les flux de sang ». Le vin
peut être permis de 'temps en temps. Le sommeil du jour doit être évité,
« car il empêche celui de la nuit qui est bon ». Le coït est nuisible « car
il débilite et toute cause d'affaiblissement doit être évitée chez un malade
en traitement : « or Aristote dit que de tous les animaux, l'homme est
FIG. 86, 8 i, 88. Les instruments de la trépanation, d'après Bérenger de Carpi (suite)
j) tréphine à rebord. k et l) grand et petit élévatoire.
TRAITÉ DES FRACTURES DU CRANE DE BÉRENGER DE CARPI 381
celui que le coït déprime le plus ».- A c6té de ce traitement général, s'im-
pose un traitement local, qui n'est pas moins important. « Il est inutile,
diBérenger de Carpi, de décrire tous les instruments qu'il peut être néces-
saire d'employer, car, en présence d'un cas particulier, le chirurgien doit
imaginer s'il ne les a point, ceux dont il a besoin..., il m'est arrivé plus
d'une fois, dans de telles circonstances, d'en faire fabriquer ou d'en fabri-
quer moi-même que je n'avais pas encore vus et que je n'ai pas eu l'occa-
Fie. 89, 90, 91. Les instruments de la trépanation, d'après Bérenger de Carpi (suite)
m et 1/) grattoirs, o) crochet.
882 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
sion d'employer depuis ». Notre auteur restreint donc sa description a
ceux qu'il emploie d'ordinaire et dont nos figures donnent une exacte
idée : trépans en forme de couronne ou de fraises, pinces, élévatoires,
scies, rugines, et lenticulaires : instruments dont plusieurs se sont con-
servés traditionnellement jusqu'à nous, tandis que'd'autres sont de temps
en temps retrouvés, et décrits comme nouveaux par des chirurgiens in-
suffisamment informés. « Personne, ajoute Bérenger de Carpi, en don-
nant un conseil, qui ne manquera jamais d'à-propos, même aujourd'hui, ne
doit se servir de ces ferrements avant de les avoir vu plus d'une fois
employer par un maître habile et expert, de les avoir essayés sur le
cadavre, et de bien connaître quelles sont les parties solides et les par-
ties fragiles du crâne, ainsi que les points où convergent les veines et les
nerfs ». Il faut du reste savoir, non seulement les employer, mais les
employer à propos, lorsqu'il est indiqué d'intervenir. «La fracture est-
elle capillaire, c'est-à-dire pour mieux parler, douteuse, car on ne
sait jamais si celte fracture est pénétrante ou non, on incise crucialement
le cuir chevelu et l'on relève les quatre lambeaux et après avoir impré-
gné le trait de fracture d'un liquide noir on le gratte avec un raspatoire
et si cet instrument enlève tout le liquide c'est que la fracture ne pénètre
point : il suffit alors, avec le même instrument, d'enlever de suite tout
l'os fêlé et de panser avec des siccatifs. » Si la fracture est pénétrante,
on attendra les accidents pour perforer complètement l'os et alors pour
agir, on laissera de côté les raspatoires qui manoeuvrent trop lentement
et l'on préférera les tarières. « Celle qui me plaît par-dessus tout, dit
Bérenger de Carpi, est celle avec une pointe : préalablement fixée au
manche rotateur elle est placée à l'endroit le plus apte à l'évacuation
et là, par rotation, perfore l'os. On agira d'abord avec un instru-
ment étroit et mince, puis avec un plus large, et enfin avec un.
plus large encore jusqu'à ce que soit créée une voie suffisante pour
l'évacuation de la matière contenue sous le crâne; et l'on remettra
la pointe dans ces divers instruments jusqu'à ce que soient creusés
deux trous de l'épaisseur de l'os ou à peu près. Ensuite sera enlevée la
pointe du ferrement pour ne point blesser avec elles les méninges : ou
bien on prend un autre ferrement de même grandeur, mais sans pointe,
et avec lui l'on perforera totalement le crâne, jusqu'à la méninge : ainsi
en sécurité et bref temps et sans grande secousse de tête sera parfait le
travail ». S'il reste au pourtour de l'orifice des aspérités, on les enlèvera
avec le couteau lenticulaire et le maillet de plomb. « Quelques-uns qui
en telle manière ont enlevé l'os, posent en sa place une coque de calebasse
sèche : ce' que je ne blâme ni ne loue ; dans un cas seulement j'approuve
tout à fait l'application d'une telle coque, c'est là où a été enlevée une
TRAITÉ DES FRACTURES DU CRANE DE BÉRENGER DE CARPI 383
grande partie du crâne, de peur que les tentes et les bandes ne pèsent sur
les méninges et neproduisenl un aptjstème ». Après les fractures capillai-
res et pénétrantes, dont nous venons de décrire le traitement, se placent
les fractures plus rares ; dans l'espèce « qui est lésion avec enlèvement de la
superficie de l'os » il faut le perforer de même manière que dans les fis-
sures pénétrantes; dans la marasis, où l'os est enfoncé en dedans, « les mé-
decins doivent bien examiner où faire la perforation de l'os, qui ne se fera
proprement sur l'os enfoncé, qu'elle enfoncerait encore davantage mais
qui doit se faire en empiétant assez sur l'os sans pour que cela nesoitpas;
lors d'hoesena, espèce oÙ l'os bascule vers le cerveau, on n'opérera que s'il
survient des accidents : « l'os sera perforé en lieu sain l'environ du lieu
comprimé, et l'on fera un trou suffisant pour pouvoir introduire un éléva-
toire etsoulevei@ l'osà son aide; » dans Papostatismos « où les parois cru-
niennes sont complètement enlevées jusqu'aux méninges », il faul souvent
égaliser l'orifice avec le lenticulaire ou l'agrandir lorsqu'il ya rétention de
matière; dans l'empiasma, ou fracture comminutive, on enlèvera le plus
Fig. 92, 93,94. Les instruments de la trépanation, d'après Bérenger de Carpi (suite
et fin) p) scie, q) ciseau, r) lenticulaire..
384 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
tôt possible les fragments qui ne sont point capables de vivre; enfin s'il
y a plaie pénétrante avec corps étranger, on enlèvera celui-ci, puis on
agrandira l'orifice osseux.
Tels sont les conseils chirurgicaux donnés par Bérenger de Carpi, il y a
trois siècles et demi, on peut les trouver incomplets, sans base anatomique
sérieuse, timides même en quelques points : on sera sûrement plus indul-
gent pour eux, au moins à ce dernier point de vue, si l'on songe qu'ils eus-
sent paru, tout au contraire de ce qui nous semble, il n'y a pas vingt ans,
d'une hardiesse excessive et dangereuse.
ERRATUM
Le mémoire de M. Paul Richer sur « une déviation de la colonne vertébrale
se rencontrant chez un grand nombre de sujets bien portants », paru dans le
n° 3 de cette année, était accompagné d'une note qui, par suite d'une erreur
typographique, s'est trouvé supprimée, lors de la mise en page.
Comme cette note constate l'antériorité d'un travail de M. le Dr Clozier sur
un sujet analogue, notre collaborateur nous demande de réparer l'omission en
la publiant dans le présent numéro. C'est ce que nous faisons ci-après.
N. D. L. R.
« Dans une note lue à l'Académie de médecine le 28 novembre 1893, M. le
D'' Clozier de 13eauvais appelle l'attention sur une déviation du squelette qui
n'est pas sans analogie avec ce que nous avons observé et qu'il appelle : asymé-
trie acquise entre les deux moitiés latérales du corps humain.
Il constate : .
1" L'abaissement de l'épaule droite ;
2" Des déformations concordantes de la cage tboracique ;
3° Des déviations de la colonne vertébrale ;
4° Des malformations du bassin ;
50 Le raccourcissement et l'abaissement du membre inférieur droit.
Pour ce qui est de l'abaissement de l'épaule droite nos observations confir-
ment celles du Dr Clozier. Elles en diffèrent pour le reste.
La déformation thoracique que nous signalons consiste en une voussure pos-
térieure à gauche et une dépression postérieure à droite. Le Dr Clozier a cons-
taté lé contraire, une voussure postérieure à droite et une dépression posté-
rieure à gauche.
M. Clozier place l'incurvation latérale convexité gauche « il la région
moyenne du dos ». Elle est dorsale selon lui. Celle que nous avons vue se
trouve à cheval sur la région dorsale et la région lombaire ; elle est dorso-
lombaire.
Enfin nous n'avons rien signalé du côté du bassin et des membres inférieurs.
M. le Dr Clozier pense que la série des déformations qu'il signale reconnaît
pour cause la verticalité ou la dilatation de l'estomac. -
Quant à la déformation spéciale que nous avons décrite elle reconnaîtrait,
suivant nous,- une toute autre cause ».
P. R.
TABLE DES MATIÈRES
Algésimètre, par MOCZUTKOWSKI, 41.
Automatisme ambulatoire (Rapport mé-
dico-légal sur un militaire déserteur),
par A. FOURNIER, S. KOHNE et Gilles
DE la TOURETTE, 348.
Dégénéré persécuté (vêtements étran-
ges), par LE FILIATRE, 187.
Déviation de la colonne vertébrale chez
les sujets sains, par P. Richer, 158.
Eczéma chronique. Rapports avec l'anes-
thésie de la peau, par Stoukovenkoff,
164.
Epidémie Skindisease (maladie de Savill),
par T. D. SAvu.L, 48.
Forme du corps en mouvement, par P.
RICHEH, 14.
Gangrène cutanée d'origine hystérique,
par VEUILLOT, 288.
13é»zatoxnyélie du cône terminal, par F.
Raymond, 149.
Hémiplégie alterne (Un nouveau type),
par ANNA GOUKOVSKY, 178.
Hermaphrodisme antique (deux cas), par
HENRY Meige, 56.
Infantilisme chez la femme, par Henry
Neige, 218.
Infantilisme et féminisme chez un épilep-
tique, par VAN BRERO, 223.
Maladie de Little (La notion étiologique de
l'hérédo-syphilis), par A. Fournier et
GILLES DE la TOURETTE, 23.
Maladie de Parkinson (Etude morpho-
logique), par PAUL Richer et HENRY
MEME. 361.
Migraine ophtalmique et aphasie, par
J. M. CHARCOT, 4.
Myopathie progressive chez un hystéri-
que atteint d'incontinence d'urine, par
GASrrE, : 3.ïr.
Myélite transverse aiguë (deux cas), par
NAGEOTTE, 325.
Névralgie de la VIlle racine postérieure
cervicale droite, par A. Chipault, 134.
Ophtalmoplégie externe bilatérale consé-
cutive à la rougeole, par F. RAYMOND,
265.
Ostéite déformante de Paget (la lésion
médullaire), par GILLES DE la TOURETTE
et MARINESCO, 203.
Paralysie générale à forme tabétique,
par A. -10leFROY, 30.
Paralysie bilatérale' du deltoïde, par
F. RkYlIOND, 13.
Paralysie bilatérale du deltoïde (un cas),
par Souques et J. B. Charcot, 53.
Pelade post-épileptique, par FEUE, 214.
Peintres de la médecine, par HENRY MEI-
GE. Les opérations sur la tête, 229, 291.
Samuel Van Hoogstraaten, 192.
Queue de cheval (Etude d'ensemble sur
ses affections), par F. RAYMOND, 65.
Sein hystérique, par GILLES DE la Tou-
RETTE, IOG.
Traité des fraclures du crâne de Béren-
ger de Carpi, par A. CHIPAULT et E.
DALEINE, 372.
Tétanie des femmes enceintes (naturehys-
térique), par Gilles DE la TOURNETTE et
BOLOGNNSI, 277.
Zona généralisé à la moitié du corps, par
E. Fournier, 173.
TABLE DES AUTEURS
BOLoGNrsi et Gilles DE la TOURETTE. Té-
tanie des femmes enceintes (nature hys-
térique), 277.
BRERO (van). Infantilisme et féminisme
chez un épileptique, 225.
J. M. Charcot. Migraine ophtalmique
et aphasie, 3.
J. B. CIIARCOT et Souques. Paralysie bi-
latérale du deltoide, 53.
Chipault (A.). Névralgie de la VIII0 paire
cervicale droite, 134,
CHIPAULT et DALEINE. Traité des fractures
du crâne de Bérenger de Carpi, 372.
Féré (Ch.). Pelade post-épileptique, 214.
FOURNIER, IOI3NE et GILLES DE la Tou-
nETTE. Automatisme ambulatoire (Rap-
port médico-légal sur un militaire déser-
teur), 348. '
Fournier et GILLES DE la TOURETTE. La
notion étiologique de l'hérédo-syphilis
dans la maladie de Little, 23.
FouRNIER (Edmond). Zona généralisé à la
moitié du corps, 173.
GASNE. Myopathie progressive chez un hys-
térique atteint d'incontinence d'urine,354.
Gilles DE la TOURETTE. Le sein hystéri-
que, 106.
GILLES DE la TOURETTE et BOLOGNESI.
Nature hystérique de la tétanie des fem-
mes enceintes, 277. ,
GILLES DE la TOURETTE et A. Fournier.
Notion étiologique de l'hérédo-syphilis s
dans la maladie de Little, 23.
GILLES DE la TOURETTE, KOHNE et A.
Fournier. Automatisme ambulatoire,349.
GOUKOWSKY (A.).Un nouveau type d'hémi-
plégie alterne, 178.
Joffroy (A.).Paralysie généraleà formeta-
bétique, 30.
Kohne (J.), A FOURNIER et GILLES DE la
ToURETTE. Automatisme ambulatoire.
LE FILIATRE, Dégénéré persécuté. 187.
Marinesco et GILLES DE la TOURETTE. La
lésion médullaire de l'ostéite déformante
de Paget, 205.
MEIGE (Henry). Deux cas d'hermaphro-
disme antique, 56.
Infantilisme chez la femme, 218.
Les- peintres de la médecine (Samuel
Van Hoogstraaten), 192.
Les peintres de la médecine. (Les opé-
rations sur la tête), 229, 291.
MEME (Henry) et Paul Richer. Etude
morphologique sur la maladie de Par-
kinson, 362
1VIOCZUTIio\VSIiI. Un algésimètre, 41.
NAGEOTTE. Deux cas de myélite transverse
aiguë, 325.
RAYMOND (F.). Hématomyélie du cône ter-
minal, 149.
Paralysie bilatérale du deltoïde, 13.
Étude d'ensemble sur les affections de
la queue de cheval, 65. >
Ophtalmoplégie externe bilatérale con-
sécutive à la rougeole, 265.
Richer (Paul). Déviation de la colonne
vertébrale chez les sujets sains, 158.
Forme du corps en mouvement, 121.
RICIIER (Paul) et HENRY MEME. Étude
morphologique sur le malade de Par-
kinson, 361.
Savill (T. D.). « Epidémie skin disease))'
48.
Souques et J. B. Charcot. Un cas de pa-
ralysie bilatérale du deltoïde, 53.
Stoukovenkoff. Rapport de l'eczéma chro-
nique avec l'anesthésie de la peau, 164.
VEULLLOT. Gangrène d'origine hystéri-
que, 288.
TABLE DES PLANCHES
Dégénéré persécuté (vêtements et appa-
reils protecteurs étranges), XXXI,XXXII,
XXXIII, XXXIV.
Déviation de la colonne vertébrale chez
les sujets sains, XXIII, XXIV et XXV.
Epidémie Skin Disease. Habitus extérieur,
VII.
- Coupes de la peau, V et VI.
Formes du corps en mouvement. Flexion
et extension de l'avant-bras, XVI et
XVII.
Gangrène cutanée d'origine hystérique,
XLVI.
Hémiplégie alterne (Un nouveau type),
XXVIIl,
Hermaphrodisme antique, X, XI, XII et
XIII.
Infantilisme chez la femme, XXXVIII.
Infantilisme et féminisme chez un épi-
leptique, XXXIX.
Maladie de Parkinson (Etude morpholo-
gique), LVI à LX.
Maladie de Little, I, JI et Ill.
Myopathie progressive chez un hystéri--
que, LIV, LV.
Myélite transverse, LU, LUI.
Névralgie de la T7/f/° paire cervicale
droite, XVIII, XIX, XX, XXI et XXII.
Ophtalmoplégie externe bilatérale consé-
cutive à la rougeole, XLIII.
Ostéite déformante de Paget (Lésion mé-
dullaire),XXXV.
Paralysie générale ci forme tabétique
(coupes de la moelle), IV.
Paralysie bilatérale du deltoïde, VIII et
IX.
Pelade post-épileptique , XXXVI et
XXXVII.
Peintre de la médecine.
Samuel Van 7yooys< ! *aa<e) ! (la Mala-
de), XXXIII. r.
Ecole de Rembrandt (le Convive indi-
gne), XXXIV.
- Les opérations sur la tête (Jérôme van
Bosch), XL.
(Jan Sanders, van IIemessen), XLI.
(Pierre Bruegel), XLII, XLVII.
(Frans liais le jeune), XLVIII.
(Adries Both), XLIX.
(David Teniers), L.
(Jan Steen). LI.
Queue de cheval (troubles trophiques con-
sécutifs aux lésions), XIV.
Sein hystérique (miracle de la demoiselle
Coirin), XV.
Tétanie des femmes enceintes (nature
hystérique), XLIV et XLV.
Zona généralisé à la moitié du corps,
XXII et XXVII.
TABLE DES FIGURES
Algésimètre de Moczutkowski, 2.
Déviation de la colonne vertébrale chez
les sujets sains, 33.
Eczéma chronique (rapport avec les trou-
bles de la sensibilité), 34, 35, 36, 37, 38,
39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 4) ? 47.
Flématomyélie du cône tei->,2.i;ial. Trou-
bles de la sensibilité, 30, 31.
Disposition anatomique des racines, 32.
Hémiplégie alterne. Examen histologique
du bulbe et de la protubérance, 48, 'r9,
50, 51.
Hermaphrodisme antique, 3, 4, 5.
Maladie de Parkinson (Etude morpholo-
gique), ti9, 70, 71.
Myélite transverse aiguë. Coupes de
moelle, 63, 64, 65, 63.
Myopathie progressive chez un hystéri--
que. Troubles de la sensibilité, 67, 68.
Névralgie de la VIIIE paire cervicale
droite, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29.
Oplttalmopl{qie externe bilatérale consé-
cutive à la rougeole.
- Origine du nerf oculo-moteur commun,
53, 54, 53.
Circulation bulbo-protubérantiell,e, 56,
57.
Ostéite déformante de Paget, lésion mé-
dullaire, 52.
Paralysie bilatérale du deltoïde. Trou-
bles sensitifs, 1 et 2.
Peintres de la médecine. Les « pierres
de tête ».
Nicolas Woijdmans, 58. D. Teniers,
59 et 60. Jan Steen, 61 et 62.
Queue de cheval. Trouble de sensibilité,
67. Disposition anatomique des nerfs
et rapports avec le canal rachidien, 8, 9.
Distribulion périphérique des nerfs,
10, 11, 12.
Traité des fractures du crâne de Béren-
ger de Carpi, 72 à 74.
Le gérant LOUIS BATTAII,LG.
Imp. Vve louiidot, 33, rue des Batignollet4, Paris.