(1894) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 07] : clinique des maladies du système nerveux
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(1894) Nouvelle iconographie de la Salpétrière [Tome 07] : clinique des maladies du système nerveux

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE

LA SALPÊTRIÈRE

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX

Imp. Vve Lourdot, 33, me des Batignolles, Paris.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA

SALPÊTRIÈRE

CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME 'NEi ? f

1

G

FONDÉE PAR LE

PROFESSEUR CHARCOT (DE L'INSTITUT /

PUBLIÉE PAR

PAUL RICHER GILLES DE la TOURETTE

CHEF DU LABORATOIRE DE MÉDECIN DES HÔPITAUX

LA CLINIQUE ANCIEN CHEF DE CLINIQUE

ALBERT LONDE

DIRECTEUR DU SERVICE PHOTOGRAPHIQUE

Secrétaire de la Rédaction : HENRY MEICiE.

AVEC LA COLLABORATION DE MM.

BOGROFF (Odessa); p. BLOCQ; P. BONNIER; BOTTEY; E. BRISSAUD; CATHELINEAU(H.);CHAR-

COT (J.-B.); CHIPAULT (A.); DELPRAT(Amsterdam); DENY; DURET; DUTIL; EMIRZÉ (Smyrne); ESTE-

VÈS (Buenos-Ayres); FÉRÉ; GUINON (Georges); HALLION ; HUET; KATICHEFF (St-Pétersbourg); H.

LAMY; LANNELONGUE; LAUFENAUER (Buda-Pesth); LE DENTU ; P. LONDE; LUCO ORREGO (San-

tiago, de Cliili ; p. MARIE ; MARINESCO (Bucharest); H. MEIGE; H. MEUNIER; MICHAILOWSKI (Sofia);

MOCZUTKOVSKY (Saint-Pétersbourg); PARINAUD ; PARMENTIER; PITRES ; RAMADIER; L. RÉVIL-

LIOD (Genève); A. ROBIN; SABRAZÈS; T.SAVILL(Londres); C. SCHAFFER(Buda-Pesth);SÉGLAS;SE-

RIEUX ; SIKORSKY (Kiew); SOCA (Montevideo); SOUQUES; SURMONT; TARGOWLA; TERRILLON ;

TUFFIER; WEIL.

TOME SEPTIÈME

Avec 98 figures intercalées dans le texte et 48 planches.

PARIS

' ancienne maison DELAHAYE

L. BATTAILLE ET CIE, ÉDITEURS

23, PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE, 23

1804

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET

I

Nous avons eu récemment l'occasion d'observer un cas de cette singez

lière affection que Paget, xi) décrivit, le premier et dénomma en 1876 « os-

téite déformante » et dont, si l'on s'en rapporte au mémoire de M. Thi-

bierge (2) il n'existait en 1890 que 5 faits publiés en France.

A vrai dire, les observations en ce qui regarde notre pays semblent ne

pas s'être beaucoup multipliées depuis, car nous ne voyons guère à signa-

ler que celles de P. Marie (3) et de MM. Moizard et Bourges (4).

Nous savons cependant d'une façon certaine qu'il en existe d'autres spé-'

cimens dans les hôpitaux de Paris.

Les renseignements que nous avons recueillis à ce point de vue non*

permettent de compléter l'observation personnelle de M. Thibierge en re-

produisant la photographie de sa malade qui, avec son agrément, nous a'

communiquée par M. Henry Meige (PI. I) (5).

De même, M. P. Marie nous a envoyé une autre photographie que

nous plaçons en regard de celle d'un malade (PI. II, III) au sujet duquel

M. Albert Robin nous a remis une note fort importante qu'il se propose-

de compléter ultérieurement (6).

(1) Paget, Medico-chil'u¡'gical Society de Londres, novembre 1876.

(2) Thibierge, De l'ostéite déformante de Paget. Arcli. gén. de médecine, janvier

1890. p. 32.

(3) P. Marie, Un cas d'ostéite déformante de Paget. Soc, méd. des Adp. de Paris%-

10 juin 1S92.

(4) Moizard et Bourges, Arch. de méd. expérimentale, 1892.

(5) Photographie faite en 1890 à l'hôpital de la Pitié, dans le service de M. le profes-

seur Brouardel, où se trouvait alors la malade de M. Thibierge.

(6) Les photographies du malade de M. A. Robin ont été faites par M. Paul Londe,

son interne, qui a également recueilli une partie de l'observation clinique.

vu il 1

2 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

On voit donc que l'analyse que nous nous efforcerons de donner aussi

complète que possible d'un cas d'ostéite déformante peut encore offrir

quelque intérêt, d'autant que le cas que nous avons observé offre certaines

particularités que-nous. ferons bientôt ressortir.

. ? = II - \

R. li9 ans, mégissier, entré le 9 novembre 1893, salle Woillez, n° 6,

servicè-déM. Gilles de la Tourelle, hôpital Cochin.

A. H. Père mort à 74 ans ( ? ) mère morte vers 32 ans de refroidis-

sement ( ? ) 3 frères et 1 soeur : les frères sont bien portants; la soeur est

morte en bas-Age. On ne note dans la famille ni cancer, ni rhumatisme, ni^- »

goutt,e., ni diabète ; pas de géants ni de difformes.

.4."P. 'Pas de' maladies d'enfance; quelques maux d'yeux sans gour-

mes ni abcès ganglionnaires. Il a marché plutôt de bonne heure et n'a ja-

mais présenté de déformations rachitiques. Migraines depuis l'enfance

fréquentes, tous les mois, puis tous les 15 jours, très intenses, qui ont

persis,té..jusqu'u la mort; migraines ordinaires sans scotome. Pas de ma-

ladies infectieuses ; pas de syphilis, une blennorrhagie sans complications.

R. aservi ans dans, l'artillerie à pied; très vigoureux, il pesait au

moment du tirage -au sort -70 kilos et mesurait en hauteur 1 m. 72. Au-

cune observation n'a été faite au moment du passage à la révision.

En 1870, captivité de 8 mois à Posen dans les plus déplorables condi-

tions hygiéniques ; toutefois sa santé ne parait pas en.avoir été ébranlée.

z Marié 32 ans, il a eu G enfants : 3 survivent bien portants, le plus

jeune a trois ans. - 3 sont morts dont deux athrepsiclues; le 3° «était

noué» (rachitisme). - -

R. exerce depuis 1878 la profession de mégissier. De ce fait sa jambe

droite. est constamment exposée à l'air et à l'humidité ; peut-être trouve-

t-on là l'explication du début in situ de sa maladie..

, Début de la Éi-ol2tlioiî jusqu'à, l'entl'de.ll l'hôpital. En

1885,il,ya a environ 8 ans, l'affection actuelle semble avoir débuté insi-

dieusement par h jambe droite qui se recourbe en dedans dans sa totalité.

Puis la-déformation gagne la jambe gauche; en même temps le malade

« se tasse », sa taille diminue, il se courbe en avant. Le lout évolue sans

douleurs; la fatigué arrive vite. 11 ne précise' pas nettement le début des

déformations des bras. Quant à celles du en/ne, elles semblent remonter à

6 ans, et. ont eu un développement assez rapide, car un chapeau acheté à

cette époque était en trois mois devenu trop, petit, et depuis R. n'a jamais

pu trouver sans le commander un chapeau qui fut assez grand. En 1887

il a eu quelques douleurs de tête qu'il distingue nettement de ses migrai-

nes habituelles.

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 3

Les déformations thomciqlles semblent avoir débuté plus tardivement.

Depuis 4 ans elles ont occasionné des troubles dans le fonctionnement des

organes y contenus, en particulier de la dyspnée au moindre effort, qui,

jointe a la faiblesse des membres inférieurs, l'ont obligé a plusieurs re-

prises à suspendre son travail.

En résumé, il est assez difficile de préciser le début des diverses modi-

fications du squelette vu le caractère insidieux de ces accidents, sans réac-

tions, sans douleurs.

En février 1894, R. entre pour la première fois à l'hôpital par un atta-

que d'asystolie avec oedème des membres inférieurs. L'attention n'est

attirée que sur les accidents cardio-pulmonaires. Deux mois après il sort

amélioré.

En septembre crises douloureuses au niveau de la jambe droite sur la-

quelle il ne peut s'appuyer ; celle-ci est le siège d'un oedème rouge (éry-

sipèle ou périostite).

Bientôt les troubles cardio-pulmonaires reviennent à nouveau et il entre

le 9 novembre 1893 à l'hôpital Cochin en proie à une attaque d'asys-

tolie.

Les deux membres inférieurs sont le siège d'un oedème considérable;

oedème pulmonaire ; arythmie ; souffle tricuspidien ; pas de lésion mitrale.

Sous l'influence de la digitale les urines qui étaient très peu abondantes

tendent à revenir au taux normal ; l'oedème des membres inférieurs di-

minue on voit alors très nettement les déformations osseuses.

Aspect, du malade. R. debout présente l'aspect caractéristique des in-

dividus atteints de la maladie de Paget. Son attitude rappelle celle des

grands singes anthropomorphes. Les jambes sont torses, le corps ramassé

sur lui-même penche en avant, l'abdomen saillant, les bras dans cette po-

sition semblent trop longs pour le thorax trop court. La tète énorme, dis-

proportionnée, lléchie sur la poitrine, ajoute encore à cet aspect si spécial.

La déformation des membres inférieurs est très marquée; ils décrivent

un arc à concavité interne, laissant un écartement très considérable entre

les deux genoux. Les deux segments, cuisse et jambe, contribuent à la dé-

formation. Les os sont considérablement augmentés de volume dans leur

totalité, ce que la palpation permet de constater malgré l'oedème; diaphyses

et épiphyses sont hypertrophiées, sans toutefois qu'on note à leur surface

des rugosités très marquées.

Les tibias sont énormes surtout le tibia droit. Ils présentent la déforma-

tion dite en « lame de sabre » ; mais leur crête a disparu, remplacée par

une véritable surface arrondie. A ce niveau la pression détermine une cer-

taine sensibilité.

Les malléoles sont très développées ; on note situ un gros repli dû à

4 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈHË.

l'eecléme, et celte région dont la peau est distendue par de gros bourrelets

a pris l'aspect de l'éléphantiasis.

Le pied semble normal, de forte taille; pas d'irrégularités osseuses,

les orteils sont un peu rejetés en dehors.

Les genoux ne semblent pas déformés : les fémurs sont considérable-

ment augmentés de volume. Le bassin paraît intact autant qu'on en peut

juger : les crêtes iliaques sont normales. '

Les membres supérieurs présentent également une déformation marquée ;

l'oedéme'fort considérable en permet la facile exploration.

Les mains sont très grandes, régulières : elles ne semblent pas toutefois

atteintes par l'ostéopathie, si ce n'est en un point. En effet les 2e et 3° mé-

tacarpiens de la main droite sont très volumineux et la main est déformée

il leur niveau.

A part cela, la déformation du membre supérieur est comparable à celle

du membre inférieur. La courbure générale très accentuée est à concavité

interne; les os sont augmentés de volume. L'épaule parait très saillante,

ce qui est dû exclusivement aux os qui la constituent car les masses mus-

culaires sont très peu développées.

L'omoplate est hypertrophiée dans sa totalité, notamment au niveau de

l'épine ;'l,'acromion est énorme ; la lésion est symétrique.

Les clavicules, très volumineuses, font une saillie considérable limitant

en avant une dépression profonde de 2 à 3 centimètres dont le bord pos-

térieur est constitué par le trapèze.

Au milieu de ces deux dépressions émerge la tête, très volumineuse, pen-

chée sur la poitrine reposant sur le cou qui semble très court.

La face qui semble élargie, avec saillie considérable des os malaires,.est

asymétrique, étant encore plus développée il gauche qu'à droite. Le maxi 1-

laire supérieur ne présente rien de particulier. Par contre, le maxillaire

inférieur offre au niveau de sa portion^ horizontale droite -un épaississe-

ment très considérable qui empiète particulièrement sur la face interne

qui est hosselée. La branche montante est ég<llement -hypertrophiée. des

qui est. bosselée. La branche montante est également -hypertrophiée. des

deux côtés. La plupart des dents sont conservées... .

. Le crâne est encore plus asymétrique que la face. C'est du côté gauche

surtout que l'hypertrophie se remarque le plus; Les .fosses- temporales

semblent en partie effacées, surtout il gauche; du reste le temporal gauche

est beaucoup plus développé que le droit.

L'occipital est régulièrement augmenté dans ses dimensions ; ni irrégu-

larités, ni bosselures.

Le frontal n'est pas déformé, presque symétrique ; les arcades sourcil-

liéres sont très saillantes.

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 5

La circonférence du crâne prise immédiatement au-dessus des oreilles

est de 62 centimètres ; les cheveux sont conservés et abondants.

La colonne vertébrale est courbée en avant; les apophyses épineuses ne

semblent pas hypertrophiées.

Le thorax est énorme, globuleux ; les côtes semblent avoir doublé de

volume ; leurs articulations semblent ankylosées. Le sternum est égale-

ment hypertrophié, surtout dans sa moitié supérieure. Le thorax très gros

dans sa partie supérieure, évasé dans sa moitié inférieure, paraît très rap-

proché du bassin ; il est porté en avant.

Cette position détermine un très gros repli cutané au fond duquel se

trouve caché l'ombilic. Au-dessous de ce repli l'abdomen est porté en

avant et forme saillie. De ce fait le malade semble pour ainsi dire cassé

en deux parties. La respiration diaphragmatique est très entravée, de plus

le jeu des côtes est presque nul, ce qui explique en partie la dyspnée

constante du malade.

Le larynx et le corps thyroïde semblent normaux.

Cliniquement. R. offre tous les signes de l'asystolie. Le pouls est

petit, misérable, irrégulier. Les bruits du coeur sont sourds, étouffés, mu-

sicaux ; il existe un souffle tricuspidien très net. La congestion pulmonaire

est intense, généralisée, et se traduit par une toux persistante et une ex-

pectoration caractéristique. Régurgitation veineuse des jugulaires.

L'exploration des organes abdominaux est rendue impossible par la dé-

formation que nous avons signalée, l'extrémité inférieure des côtes repo-

sant presque sur les épines iliaques.

Les urines légèrement albumineuses ne contiennent pas de sucre.

L'oedème du tissu cellulaire sous-cutané est presque généralisé; sur-

tout énorme aux membres inférieurs.

Pas de troubles apparents du système nerveux ; point de fréquentes

migraines ; le malade n'a eu que quelques douleurs vagues dans les mem-

bres inférieurs. Réflexes rotuliens normaux. Pas de troubles de sensibilité

appréciables tout au moins, car l'infiltration considérable des membres in-

férieurs par l'oedème rend difficile l'exploration exacte des diverses sen-

sibilités cutanées. Pas de troubles sensoriels. La vue a baissé depuis quel-

ques années, mais l'acuité visuelle est encore relativement bonne.

Pas de trouble de l'intelligence.

Le malade meurt emporté par l'asystolie le 14 décembre 1893.

Autopsie 24 heures après la mort. Infiltration séreuse généralisée du

tissu cellulaire sous-cutané. Phlyctènes et début d'escharres dans les ré-

gions fessières.

Organes thoraciques . Poumons oedématiés, congestionnés, quelques ad-

hérences pleurales ; un peu d'hydrolhorax.

6 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Cceur hypertrophié, très dilaté, surtout au niveau de l'oreillette droite ;

teinte feuille morte du myocarde ; pas de lésions valvulaires. Quelques

taches atl1éromaleuses sur la face interne de l'aorte.

Organes abdominaux. Epanchement péritonéal ascitique très abondant.

Foie très volumineux, caractères du foie muscade ; poids : kilogs 170.

Rate normale. Reins très congestionnés, estomac et pancréas sains.

Système nerveux. Dure-mère très épaissie sans néoformations appa-

rentes ; adhère fortement par places à la surface interne du crâne ; décor-

tication facile des méninges. Cerveau mou, oedémateaux; pas de lésions

macroscopiques. De même pour le cervelet, le bulbe et la moelle épinière,

dont l'examen histologique sera publié ultérieurement.

Examen du squelette. Crâne. Tous les os du crâne sont hyper-

trophiés, en certains points leur épaisseur est énorme, c'est ainsi que la

coupe de la partie postérieure de l'occipital mesure 28 millimètres. Au

niveau de la bosse pariétale gauche on note 20 millimètres; aii niveau

de la bosse pariétale droite, 15 millimètres ; la région la moins épaisse me-

sure 13 millimètres.

La forme générale du crâne est asymétrique. Toute la moitié gauche de

la calotte crânienne est sensiblement plus développée que la droite.

Le frontal, le pariétal et l'occipital prennent part à cette hypertrophie.

Le diamètre bipariétal : = 12 cent.

occipito-frontal : = 21 cent.

La surface extérieure des os du crâne présente au niveau des points les

plus proéminents des plaques larges, étalées, surelevées, plus teintées que

les parties avoisinantes et qui semblent surajoutées pour ainsi dire à la

calotte crânienne. Ces singularités sont perceptibles au toucher.

Les sutures ont pour ainsi dire complètement disparu ; on ne retrouve

que quelques vestiges des sutures fronto-pariétales.

La surface interne est d'un aspect différent; elle est pour ainsi dire

nivelée, ne présentant plus ni dépressions ni digitations. Seuls, les sillons

des artères méningées sont accentués, beaucoup plus qu'à l'état normal;

pas de traces de sutures.

L'hypertrophie ne porte pas seulement sur la voûte crânienne, elle

atteint également les os de la base.

Les rochers sont augmentés de volume et les différents étages sont moins

accentués qu'à l'état normal. La base semble un peu nivelée. Les ailes du

sphénoïde ont une épaisseur .remarquable.

Les contours de la selle lim§3x§Tie sont également épaissis et la loge un

peu agrandie renferme une glande pituitaire qui, par comparaison faite

immédiatement avec celle d'un cadavre de même taille, offre des dimen-

sions sensiblement normales,

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 7

Membre inférieur droit.

Pied. Les phalanges et le métatarse son normaux. Les os du tarse

semblent un peu plus volumineux qu'à l'état normal, ce qui est surtout

apparent au niveau du calcanéum et de l'astragale.

Astragale : Diamètre antéro-postérieur = 7 cent.

Surface articulaire .... = 4 cent. 1/2

Calcanéum : Diamètre antéro-postérieur = 8 cent. 1/2

Hauteur - = 5 cent.

Jambe. Le tibia est très augmenté de volume ; courbé dans le sens

antéro-postérieur, décrivant une concavité postérieure et interne.

Sa crête arrondie, effacée, devenue une face, est irrégulière, mais sans

saillies ni dépressions profondes.

La face interne présente de nombreuses rugosités. A ce niveau l'os est

plus teinté. Inférieurement on y trouve une large gouttière très accentuée

répondant au passage des extenseurs.

La face externe est plus irrégulière encore : elle présente des plaques

osseuses surélevées, constituant de larges écailles de plusieurs centimètres

d'étendue et comme surajoutées au tibia normal. Cet aspect si particulier

n'existe qu'à cet endroit. Les dépressions ou saillies normales sont ici peu

accentuées.

Mensurations. Longueur = 0 m. 41. - Diamètre bimalléolaire

7 cent. 1/2. Surface articulaire inférieure = 3 cent. 1/2. Largeur

du plateau tibial supérieur = 9 cent. 1/2. La plus grande circonfé-

rence répondant à 0 m. 15 de l'extrémité supérieure = 17 cent. 1/2.

Poids = 670 grammes à l'état presque sec.

Le péroné a conservé sa forme, mais les saillies normales ou les dépres-

sions semblent un peu nivelées. Pas d'exostoses appréciables dans la con-

tinuité de l'os. Les deux extrémités sont augmentées de volume.

Fémur. Même aspect extérieur que celui du tibia ; très volumineux;

un peu plus courbé qu'à l'état normal. L'hypertrophie qui porte sur l'en-

semble est cependant plus sensible aux extrémités

Diamètre bicondylien = 0. 10 cent. La plus grande circonférence

au-dessus des condyles = 0. 17 cent. Longueur = 0. 47 cent. -Ex-

trémité supérieure très volumineuse avec conservation respective des

diverses parties. Poids = 860 gr.

Les rotules droite et gauche semblent normales.

Membre inférieur gauche. Pied ; même aspect que le pied droit.

Tibia. Moins volumineux que le droit, mais beaucoup plus irrégulier.

Il présente à l'union des 2/3 supérieurs avec le tiers inférieur un point

très rétréci constitué par une dépression considérable de la face interne.

On ne trouve pas d'exostose en celle région ni de traces de fracture.

8 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SAL1'l''s'l'ltll;Rl,

L'hypertrophie porte surtout sur les 2/3 supérieurs de l'os ; néanmoins

le 1/3 inférieur- est notablement augmenté de volume et revêt jusqu'aux

malléoles l'aspect cylindrique. Les faces interne et postériouro ont le

même aspect que celles du côté droit, mais bien moins accentué. La crête

tibiale est également effacée, arrondie. La plus grande circonférence =

10 cent. 1/2. Poids à l'état sec = 590 gr.

Fémur. Très volumineux, sensiblement pareil au fémur droit. La

ligne âpre est plus effacée que du côté opposé. Le grand et le petit tro-

chanter ainsi que la tète fémorale sont plus gros que du côté droit. Lon-

gueur aï cent. Diamètre bi-condylien - 9 cent. -1/ : i... ? Circon-

férence suscondylienne = 17 cent. Poids 900 gr.

Membre supérieur droit. Les os de la main droite contrairement il ce

que l'on observe ordinairement ne sont pas tous sains.

Deux métacarpiens, le 2e et le 3e sont beaucoup plus volumineux qu'à

l'état normal. Nous donnons ici leurs mensurations comparatives : -

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 9

Clavicule droite très volumineuse. - Poids 58 gr. Largeur de l'ex-

trémité externe = 0. 05 cent. Longueur (en lignedroite) = 6 cent. 1/2.

Le membre supérieur gauche est comparable au membre supérieur droit.

Sternum. Longueur = 23 cent. Appendice xyphoïde = Il, cent. ;

Manubrium : longueur = 7 cent. ; largeur à la base = 9 cent..

Cales. - Ne présentent pas de déformations accentuées; sont toutes

très volumineuses.

La colonne vertébrale semble peu intéressée. La moelle épinière a pu être

extraite sans difficultés.

La section de tous ces os à l'aide de la scie, particulièrement des os du

crâne, est fort difficile.

M. CatlLelineau, chef du Laboratoire de chimie de M. le professeur Four-

nier à l'hôpital St-Louis, a bien voulu faire l'analyse d'une clavicule, et

nous communiquer la note suivante dont il est inutile de faire ressortir

l'intérêt (I).

« Analyse chimique de la clavicule du nommé R. atteint d'ostéite

déformante de Paget ».

10 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

particulier d'une forte proportion de carbonate de chaux. Par contre la

magnésie n'entre que pour une faible part dans la composition des cen-

dres. Quant au fluorure, son taux reste normal.

Von Bibra (1) a donné l'analyse de la clavicule d'une femme de

25 ans.

La comparaison entre les résultats de cette analyse et de celle que nous

avons faite de la clavicule d'un sujet atteint de la maladie de Paget mon-

trera mieux les différences . -

SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 11

III

Revenons en quelques mots sur la précédente observation. Il n'est pas

douteux que le cas que nous avons observé appartienne à l'ostéite défor-

mante de Paget. Au point de vue des formes extérieures la comparaison

entre notre malade (fig. 1) et ceux que représentent les figures 2, 3, 4, se

rapportant à d'autres sujets atteints de cette affection, ne laisse aucun

doute sur le bien fondé du diagnostic (1).

Nous insistons sur cette déformation si particulière des tibias que l'on

observe chez tous les sujets, constante, et marquant pour ainsi dire le dé-

but de l'affection. Elle n'est cependant pas spéciale à la maladie de Paget,

car on la retrouve dans la syphilis héréditaire. Notre maître, M. le pro-

fesseur Fournier, a bien voulu nous communiquer une photographie de sa

(1) Fig. 1, cas personnel. Fig. 2, cas de P. Marie. - Fig. 3-4, d'après Lunn (Illus-

trated med. News), Londres, 23 février ils89, p. 1S3, 1SG; d'après des croquis de

JI. Henry Meige,

Fig. 1.

Fig. 2.

13 NOUVELLE ICONOGRAPUIE DE LA SAL1'L : 'l'ltIIIC,.

collection que nous avons placée en présence de celle du malade de M. Al-

bert Robin (pi. III), et ne s'en tenir qu'a l'incurvation du grand os de la

jambe, il serait bien difficile d'établir un diagnostic.

On se rendra un compte exact de ces déformations en considérant la

planche IV qui reproduit un squelette d'ostéite déformante de Paget dont

la figure a été donnée par l'Illuslratl'd médical News du 23 février 1889.

Du reste afin de les rendre encore plus évidentes nous avons (I'l. V)

placé à côté des pièces les plus importantes du squelette de notre sujet les

pièces similaires (sauf pour les métacarpiens) du squelette d'un individu

sain (1).

Mais si au point de vue des déformations et aussi de l'évolution cli-

nique de la maladie notre observation' se rapproche du type commun

, , " 1.

(1) Planche V. 1. Squelette de la jambe droite.atteinte d'ostéite déformantedePaget.

- 2. Os normaux. - 3. Fémur P ; Fémur N. - 4. Cubitus P ; Cubitus N. 5. Radius

P; Radius N. - C.' Humérus P ; Humérus N. - 7. Clavicule Il ; Clavicule Nez

8. Omoplate P ; Omoplate Ne 0. 2° et 3° métacarpiens atteints d'ostéite de Paget.

Fig. 3.

Fie. 4..

SUR UN CAS D OSTEITE DEFORMANTE DE PAGET

13

au point de se confondre avec lui, il n'est pas moins vrai qu'elle offre en

outre certaines particularités qui méritent d'être mises en relief.

Dans l'étude qu'il consacre à l'ostéite déformante et où sont analysées

42 observations, M. Thibierge s'exprime ainsi :

« En résumé,, l'ostéite déformante, est caractérisée par la déformation

et l'augmentation de volume (hyperostose diffuse) d'un grand nombre

d'os ; ses localisations les plus caractéristiques occupent les os du crâne,

le radius, les tibias (diaphyse et extrémité supérieure) et les clavicules.

Elle respecte au contraire d'une manière absolue les os des mains et des

pieds, les os de la face, sauf parfois le maxillaire inférieur dont les lésions

sont toujours peu considérables, elle atteint constamment les os symétri-

ques, mais les lésions prédominent toujours sur l'un d'eux ».

Or, en ce qui regarde le crâne et la face, si l'on veut bien se reporter à

notre description et considérer le dessin remarquable ci-dessus (fig. 5) que

Fig.5.

14 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

nous devons il l'obligeance de M. Rellery-Desfonlaines, on verra que l'ex-

trémité supérieure était fortement touchée par l'ostéite déformante.

« La face qui semble élargie, disions-nous, avec saillie considérable des

os malaires, est asymétrique, étant encore plus développée à gauche qu'il

droite. Le maxillaire supérieur ne présente rien de particulier. Par contre

le maxillaire inférieur offre au niveau de sa partie horizontale droite un

épaississement très considérable empiétant particulièrement sur la face in-

terne qui est bosselée. La branche montante est également hypertrophiée

des deux côtés ». -

A l'autopsie nous avons pu noter que le rocher, le sphénoïde, partici-

paient à cette hypertrophie ; de ce fait les divers étages de la base du

crâne étaient pour ainsi dire nivelés.

Quant au crâne proprement dit, il est hypertrophié dans sa totalité avec

prédominance à gauche très marquée, hypertrophie que l'on rencontre du

reste assez fréquemment dans les observations.

Ce que l'on peut dire, c'est que celte augmentation de volume n'est pas

régulière comme dans l'acromégalie de M. P. Marie, avec laquelle il faut

toujours compter pour le diagnostic différentiel.

De même, pour ce qui regarde les mains et les pieds. Dans notre obser-

vation les 2e et 3e métacarpiens de la main droite sont très volumineux et

les parties molles pendant la vie étaient manifestement déformées à leur

niveau.

Pour le pied droit, l'examen du squelette nous a montré qu'il y avait hy-

pertrophie manifeste des os du tarse, sans cependant que leurs dimensions

comparatives atteignissent celles des métacarpiens.

Terminons en disant que si l'examen macroscopique des centres ner-

veux n'a pas révélé de lésions évidentes, il convient d'attendre que les pro-

cédés de durcissement aient permis de faire des coupes microscopiques

de la moelle.

GILLES DE la Tourette, L. lI'IACDELAhI : ,

médecin des hôpitaux. interne des hôpitaux.

NOTE SUR UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET (1)

Homme de 64 ans, ancien jardinier. (PI. II.)

A. IL Père, cultivateur, mort il 76 ans d'une congestion cérébrale.

Grand-père, instituteur, mort à 76 ans d'une maladie inconnue.

Mère morte a 86 ans. Grand'mère maternelle morte à 104 ans. Ni al-

coolisme, ni goutte, ni syphilis connus dans la famille.

A. P. - Le malade a eu un érysipèle à 26 ans, une sciatique à 27 ans.

Il a beaucoup travaillé à son état et s'est habituellement surmené. A l'âge

de 50 ans, il a commencé à se courber en avant. Il est sourd depuis l'âge

de 56 ans et porte deux hernies inguinales depuis 5 ans. A 60 ans, atta-

que d'asystolie consécutive à des troubles respiratoires et circulatoires : il

est traité et remis par le régime lacté absolu.

Actuellement, déformation et hypertrophie du tibia droit, (Pl. II) moins

accentuées dans le tibia gauche, soupçonnées seulement dans les humé-

rus ; déformation du thorax et de la colonne vertébrale. Le début a été

insidieux, la marche lentement envahissante, sans manifestations doulou-

reuses.

Le malade a succombé à une crise d'asystolie consécutive à une insuffi-

sance mitrale d'ancienne date et sans cause connue.

Autopsie.

Poumon gauche. 820 gr., congestionné.

Poumon droit. - 880 gr., congestionné.

Coeur. 680 gr., insuffisance mitrale. Sclérose du myocarde.

Aorte. Très athéromateuse.

Foie. 1560 gr., type de foie muscade.

Rate. 310 gr., très indurée.

Rein, gauche. - 233 gr., congestion intense.

droit. 230 gr., congestion intense.

(1) M. le Dr Albert Robin, membre de l'Académie de médecine, nous a communiqué

la note suivante sur un malade atteint d'ostéite déformante de Paget, mort dans son

service de la Pitié. L'attitude générale et certaines pièces du squelette sont figurées

dans les planches II et III. Les analyses des urines et celles des os seront publiées inté-

7raleneai plus tard lorsque l'examen histologique des os confié à M. le professeur Re-

naut de Lyon sera terminé (N. D. L. R.).

16 , NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA S A LPÊTR I È R É.

Encéphale. 1290 gr., rien à noter.

UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET (1)

. 1

h'I. Eugène, menuisier, 68 ans, service de M. le Dr Gombault, hospice

d'Ivry.

A. IL Père mort de bronchite à 29 ans, variqueux. Mère vit encore;

âgée de 86 ans ; 6 frères ou soeurs morts en bas-àge. Plusieurs parents de

grande taille du côté maternel. Pas de cancer, goutte, rhumatisme, dia- 9

bète, etc. , ^

A. P. Pas de maladies de l'enfance; pas de maladies infectieuses.

Quelques traumatismes avant le développement de l'affection actuelle. Pas

de syphilis.

cJ ans, fracture des os du nez avec déformation consécutive. A I-1 ans

fracture juxta-épiphysaire, au niveau de l'extrémité inférieure du fémur

gauche.

FI. a eu deux enfants : l'un est mort de rougeole ; l'autre vit encore, âgé

de 39 ans, bien portant, de grande taille (1 m. 81).

Début de 1'(illctiojî, actuelle. Le début précis est difficile à établir, il

paraît remonter il 23 ou 25 ans, le malade étant âgé alors d'environ 45 ans.

Certains phénomènes douloureux semblent avoir précédé les déforma-

tions, mais ils n'ont jamais revêtu un type défini, occupantplutùt les deux

genoux que la continuité des membres.

Les déformations il leur début ont été plus remarquées par l'entourage

que par le malade lui-même.

Elles ont débuté par le tibia gauche. Bientôt elles ont évolué symétri-

quement, envahissant progressivement une grande partie du squelette;

mais, nous l'avons dit, passant presque inaperçues du malade lui-même.

C'est à peine s'il a remarqué la déformation très accentuée des bras, à

(1) Cette observation a été recueillie en 1S9` ? , dans le service de M. le Dr Gombault,

à l'hospice d'Ivry, par M. Henri Meunier, interne des hôpitaux, auquel sont dues

également les photographies reproduites PI. VI.

M. le Dr Gombault a bien voulu en oulre donner des renseignemenls sur l'évolution

ultérieure de la maladie et autoriser M. F. Michel à faire une photographie du malade

tel qu'il est aujourd'hui (Pl. VII) [N. D. L. R.]

vu 2

18 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

plus forte raison celle du bassin et du thorax; le malade dit d'ailleurs

avoir toujours eu le thorax bombé en avant.

Il reconnaît cependant que cetle disposition spéciale s'est accentuée, et

que depuis plusieurs années, il est forcé de se tenir penché en avant dans

la station debout. , , ...

Il fait remonter as années environ les déformations de la' face ; c'est

vers cette époque que le nez s'est spontanément déformé indépendamment

de l'ancienne fracture.

Mais c'est depuis deux ans seulement qu'il a remarqué que toutes les

coiffures étaient trop petites pour sa lête.

Depuis le début de l'affection actuelle, il a été en butte il plusieurs

traumatismes et s'est fait de nombreuses fractures qui semblent indiquer

un état-spécial de fragilité des os.

1 ? Quelque temps après le début des premiers symptômes, il tombe dans

une cave et se fait : une fracture du sacrum, une fracture du pubis gau-

che, une luxation de l'épaule gauche.

2°. Il fait plus lard un faux pas, tombe de sa hauteur et se casse la cuisse

droite.

3° Ale en lui essayant un bas élastique lui casse le péroné

droit' au l/3-.inférieur.. y

4° Contusion du poignet droit (sans fracture) ?

lui" Entorses' répétées des deux genoux. ,

Depuis plusieurs années, et lorsque déjà les déformations thoraciques

étaient' accentuées, ont apparu des troubles pulmonaires. Emphysème ;

bronchites répétées. La respiration est courte; expectoration ordinaire-

ment.abondante.

Aspect du malade (PI : VI). Ce qui frappe d'abord c'est la déforma-

tion de la tête, de la face surtout (PI. VII). La face est asymétrique, plus

développée dans sa moitié droite ; elle est élargie et cet élargissement est

dû il l'hypertrophie des os malaires plus marquée à droite et surtout des

apophyses montantes du maxillaire supérieur qui'font une véritable saillie

sous la peau et déforment complètement la région. Le nez qui présente les

traces de l'ancienne fracture est très élargi a sa base ; il est informe.

Le maxillaire inférieur est'épaissi en masse, mais régulièrement ; l'aug-

mentation de volume semble surtout s'êlre faite aux dépens de la face in-

terné. - ' ' '

Si l'on fait ouvrir la bouche, on. Constate que'le rebord- alvéolaire est

épaissi- au- ni veau des deux maxillaires, mais la déformation est extrême-

ment marquée au niveau du maxillaire supérieur. De plus la. concavité de

la voûte palatine a disparu, elle est remplacée' par une surface' plane. Le

NOUVELLE ICONOORAPHIE DE LA SALPt7RILRh . 44 ? T. vu, PL. 1.

'

OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET

Déformation des jambes et faciès. (Cas de Thibierge.)

L. BATTAILLE ET Ci.

UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 49

malade semble avoir conservé ses dents comme la moyenne des individus

de son âge.

Le crâne est augmenté de volume, mais régulièrement. La circonférence

de la tète donne 61 cent. : la mensuration faite il y a deux ans donnait

60 centimètres.

Le frontal est manifestement augmenté de volume, et les arcades sour-

cillières sont saillantes, ce qui fait paraître l'aeil plus petit que normale-

ment au milieu de cette hypertrophie généralisée.

Le thorax est déformé, globuleux, bombé en avant, aplati sur les côtés ;

le malade dit qu'il a toujours eu cette forme. Pas de nodosités en chape-

let ; les côtes ont leur apparence normale.

Le thorax se rapproche de l'ahdomen dont il est séparé par un sillon

profond très accentué.

La colonne vertébrale présente une saillie notable des apophyses épineu-

ses, des vertèbres dorsales inférieures et lombaires.

Les clavicules ont gardé leur volume normal, sauf à leur partie externe

qui semble augmenter. Les épaules ont leur aspect ordinaire.

Les membres supérieurs sont déformés et cette déformation apparaît sur-

tout sur les os de l'avant-bras. Cependant l'extrémité inférieure des deux

humérus est augmentée de volume. Les deux os de l'avant-bras sont très

épaissis et recourbés ; leur déformation consisle en une courbure à con-

cavité antérieure et inlerne qui est surtout marquée il droite.

Les radius sont plus développés que les cubitus.

Les mains ne sont pas indemnes. Le carpe du côté gauche est épaissi,

volumineux; il en est de même du 1er et du 2e métacarpiens du même

côté.

L'ostéopathie est très marquée aux membres inférieurs.

Les fémurs sont énormes. L'épaississement porte sur toute l'étendue

de l'os ; le grand trochanter est très gros; les condyles très volumineux

et au devant de ces condyles écartés en quelque sorte pour les recevoir se

place une rotule plus grosse à gauche qu'a droite qui ne mesure pas moins

de 9 centimètres de large.

Le fémur droit présente les mêmes caractères que le gaucho quant à

ses extrémités. Mais dans sa continuité on trouve en outre un cal volumi-

neux répondant au siège de l'ancienne fracture relatée plus haut. De ce

fait il existe un raccourcissement de 3 centimètres. Les masses musculai-

res environnantes sont très peu marquées, et le volume du membre est dû

presque en entier à l'hypertrophie du squelette sous-jacent.

Les tibias présentent la déformation dite en « lame de sahre » ; cette

déformation est plus marquée à gauche. L'hypertrophie porte sur toute

l'étendue de l'os : les extrémités supérieures sont très développées et con-

20 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

tribuent avec les condyles du fémur et la rotule a l'élargissement très mar-

qué des deux genoux. La crête du tibia est devenue une face. L'extrémité

inférieure est également élargie et les malléoles font une saillie anormale.

Les extrémités du péroné sont hypertrophiées. Les pieds sont grands.

Les premiers métatarsiens semblent épaissis; cependant le malade fait L

remarquer que depuis de longues années il n'a pas changé la pointure de

ses chaussures.

Le bassin prend part aux déformations. Les crêtes iliaques sont très

épaissies et le bassin semble évasé comme un bassin de femme.

Les déformations du thorax, des bras et des jambes donnent au malade

debout l'attitude typique de la maladie de Paget.

FI. se tient les jambes écartées, en arc de cercle, le corps penché en

avant; les bras pendants et incurvés semblent trop longs.

La taille a en effet diminué : depuis longtemps on avait fait remarquer

au malade qu'il rapetissait. Il mesurait 1"177 il 35 ans; -1°'i0 il 55 ans. Il

mesure actuellement 1"'60.

L'examen des organes thoraciques révèle l'ensemble complet des troubles

Cal'C110-1)I11111011a11'eS. Du côté des poumons : emphysème et bronchite géné-

ralisée ; du côté du coeur, les bruits sont sourds, lointains et étouffés. Le

pouls est petit avec dès irrégularités. Les artères sont athéromateuses.

-" Il a déjà existé plusieurs poussées de bronchite avec dilatation du coeur

droit et tendance à l'asystolie et il est incontestable que ce sont ces phé-

nomènes qui abrégeront la vie du malade.

Cependant l'état général est relativement satisfaisant; pas de troubles

digestifs.

Pas de troubles du système nerveux; ni paralysies, ni douleurs il carac-

tère déterminé ; intégrité des sphincters. Heftexesrotntiens normaux.

II

Ce malade qui, il n'en pas douter, est alleint de t'ostéite déformante de

Paget, s'éloigne cependant du type commun de cette affection par plusieurs

points.

Il est incontestable en particulier que les os de la face sont chez lui

envahis par la maladie au point que lé visage offre dans son ensemhle des

rapprochements avec le faciès de la leontirtsis ossea de Virchow.

De plus les mains sont loin d'avoir été respectées par l'ostéite. C'est

ainsi que le carpe du côté droit est épaissi et volumineux de même que les

premier et deuxième métacarpiens du même côté.

De même certains métatarsiens des deux pieds semblent participer il

l'hypertrophie osseuse généralisée, bien qu'à ce dernier point de vue il soit

difficile de préciser, en l'absence de l'examen direct des os du squelette.

NOUVELLE Iconographie de la SALPBTRILRE £ T. VII, PL Il.

Cas de 'l-1. Marie.

Cas de A. Robin.

OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET

(Habitus gênerai).

L. BATTAILLE ET Ci,

ÉDITEURS

UN CAS D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET 21

Enfin il est à noter que chez ce malade les os présentent une fragilité

exceptionnelle puisqu'il s'est cassé la cuisse droite en tombant de sa hau-

teur et qu'un bandagiste lui a brisé le péroné droit en lui essayant un

bas élastique. Cela tient probablement à la disparition de la matière or-

ganique et l'augmentation des sels, pari icu 1 ièrementdu phosphate de chaux

constatées dans les observations de MM. Gilles de la Tourelle et Magde-

laine (1) et de M. Albert Robin (2), les os gagnant alors en dureté ce

qu'ils perdent en élasticité.

Ce sont ces particularités qui nous ont engagé à publier cette observa-

tion.

Henri Meunier,

interne des hôpitaux.

(1) Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, n 1, 1891.

(2) lbid.

DE LA MORPHOLOGIE

DES CONTRACTURES RÉFLEXES INTRAIll'PNOTIQUIa.S

ET DE

l'action de la suggestion SUR CES contractures (1).

II

L'effet de la suggestion sur les contractures intrahypnotiques.

J'ai déjà annoncé, que j'ai employé la suggestion sous deux formes prin-

cipales : -1° hallucinations négatives; 2° hallucinations positives. Je veux

dès maintenant exposer les résultats de mes recherches.

A. Hallucinations négatives ou suggestions ELI311\.1N'l'ES.

cc) Les hallucinations négatives en ce qui concerne la sensibilité de la peau.

En suggérant l'hémianesthésie du côté droit je n'arrivai à faire s'effec-

tuer aucune contracture par des irritations tactiles de ce côté. Si la sug-

gestion de l'liémianestllésie concernait le côté gauche, la contracture faisait t

défaut de ce côté.

L'expérience suivante est instructive et curieuse.

Je suggère une hémianesthésie droite et j'applique l'excitation tactile

sur le milieu du corps, des deux côtés en même temps (par exemple à la

« glabelle ») alors je vois qu'une hémicontracture gauche se produit rapi-

dement, tandis que le côté droit reste flasque. En suggérant l'hémianes-

thésie gauche et en appliquantl'excilation de la même façon qu'auparavant

l'effet est seulement une hémicontracture droite.

Si je suggère de l'anesthésie circonscrite (anesthésie en segments géo-

métriques de Charcot) : la partie anesthésique n'entre pas en contracture.

Au moment où j'ordonne au malade qu'il sente de nouveau, la contrac-

ture apparait promptement.

b) Les hallucinations négatives de l'ouïe.

Si je suggère la perte de l'ouïe de l'oreille droite, le diapason placé de

ce côté n'a aucun effet.

Dans une expérience de ce genre, j'ai pu constater, que la suggestion

(1) Voy. le n° G de l'année 1893.

MORPHOLOGIE DES CONTRACTURES RÉFLEXES INTItAHYPNOT1QUES 23

restait active pendant une heure, et alors elle s'effaçait d'elle-même.

La surdité suggérée à gauche empêche l'apparition de la contracture

gauche. En appliquant le diapason au milieu du corps, au-dessus de la tête

il s'effectue toujours une contracture du côté où il n'y a pas eu de surdité

suggérée.

En suggérant de la surdité des deux oreilles, le diapason restait sans

effet des deux côtés.

L'effet de la suggestion de la surdité sur les mouvements associés de

l'oeil est aussi très intéressant.

Pendant une surdité suggérée à droite, le diapason du côté droit ne pro-

duisit aucun mouvement des yeux; mais ils se tournèrent promptement

du côté gauche quand le diapason vibra à ce côté. Pour une suggestion de

surdité du côté gauche ce fut la même chose, seulement les côtés chan-

gèrent.

Si on suggère une surdité bilatérale, les yeux ne se meuvent pas.

cet d) Les hallucinations négatives du goût et de l'odorat.

Ces suggestions produisent les mêmes effets que nous venons de voir

pour les autres sens.

J'insiste sur ce fait, que les phénomènes sub a, b, c et d, se produisent

avec la même promptitude aujourd'hui qu'il y a un an.

e) Les hallucinations négatives de la vue.

La morphologie des réflexes optiques est compliquée, de même aussi les

effets des hallucinations négatives quant à la vue.

Il y a un an, que j'ai essayé pour la première fois l'effet des hallucina-

tions négatives optiques chez le sujet ; alors j'avais noté les faits suivants :

1. Pendant une cécité suggérée à droite, l'excitation campimétriqueest

restée inactive sur cet ceil : par l'excitation de l'oeil gauche les contractu-

res se manifestaient de la façon suivante déjà connue : si l'excitation por-

tait sur la partie nasale de la rétine il se produisait une hémicontracture

gauche ; l'excitation de la partie temporale était suivie d'une hémicontrac-

[Lire droite et celle de la macula lutea faisait naître une contracture bila-

térale. >

2. Si l'oeil gauche était rendu aveugle par une suggestion, alors l'excita-

tion de cet oeil restait sans effet, mais par l'oeil droit j'obtenais les contrac-

tures suivantes, et régulièrement : une hémicontraclure droite par l'exci-

tation de la partie nasale de la rétine : une hémicontraclure' gauche par r

l'excitation temporale, et une contracture bilatérale par celle delà macula

lutea.

Les phénomènes précédemment décrits se produisaient de la même ma-

24 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

nière au mois de septembre de l'année 1892. Au mois de mars de l'année

courante les expériences donnaient encore les mêmes résultats. Aussi ai-

je été très surpris de voir qu'au mois de juillet les phénomènes se présen-

taient d'une façon nouvelle. Ces résultats ultérieurs concordent mieux avec

la morphologie des réflexes optiques.

1. Pendant une cécité droite suggérée, ilsurvenait seulement une hémi-

contracture gauche, provoquée par une excitation quelconque de l'oeil droit;

les membres droits restaient flasques. Par des excitations de l'oeil gauche

il se produisait seulement une hémicontracture gauche.

2. Si je suggérais de la cécité à ]>oeil gauche, je voyais se développer

par des excitations campimétriques appliquées à un oeil quelconque, uni-

quement une hémicontracture droite, l'état des membres gauches ne se

modifiant pas du tout.

Ces divergences des résultats des expériences nécessitent une explica-

tion ; je la donnerai en parlant des hallucinations positives.

Dans l'expérimentation suivante, dans laquelle je 6'M ? Y< ? ? H ! e/<p'HM'p/e-

gie au sujet, j'appliquai des excitations différentes ; je la considère comme

une hallucination négative.

1. En suggérant une hémiplégie gauche, le diapason vibrant près de l'o-

reille gauche reste sans effet, tandis que celui qui est près de l'oreille

droite produit une hémicontracture droite.

2. Pendant une hémiplégie droite (suggérée), le diapason à l'oreille

droite ne provoque aucune altération. Si je mets du sel au bout de la lan-

gue, c'est-à-dire si j'excite les deux côtés en même temps ; il s'effectue

seulement une hémicontracture gauche ; si je donne maintenant la sugges-

tion que l'hémiplégie droite s'est effacée, pendant que le sel reste tou-

jours sur la langue, une hémicontracture droite vient s'ajouter à l'hémi-

contracture gauche. ..

Par ces expériences, il est prouvé qu'avec une hallucination négative

la contracture réflexe fait défaut, autant pour les hallucinations négatives

portant sur la sphère sensorielle que pour celles qui portent sur la sphère

motrice.

B. Hallucinations positives.

Je me contente de résumer mes résultats dans les quelques lignes sui-

vantes :

a., En suggérant l'idée d'nne friction de la peau du côté droit du corps,

ou un bruit près de l'oreille droite, ou une sensation de sel sur la moitié

droite de la langue, ou enfin l'odeur de l'acide acétique sous la narine

droite l'effet est toujours une hémicontracture droite. Si les sugges-

tions énumérées se rapportent aux sens du côté gauche ou aux deux côtés

NOUVELLE Iconographie DE la SALPLTRiLRE

T. vu, PL. fil.

Tibias en « Lime de sabre » de la

Syphilis héréditaire.

(Collection A. Fournie)-).

Déformation du Tibia dans la

Maladie de Paget.

(Cas de A. Robin).

Fémurs, Tibias et péronés dans la Maladie de Paget.

(Cas de A. Robin).

OSTÉITE déformante DE PAGET

L. BATTAILLE ET Ci.

MORPHOLOGIE DES CONTRACTURES RÉFLEXES INTRAiIYPNOTIQUES 25

du corps, l'effet est une hémicontracture gauche ou une contracture bila-

térale.

Les effets des hallucinations négatives et positives se montraient tou-

jours de la même façon en ce qui concerne le sens tactile, l'ouïe, l'odorat

et le goût - il n'en était pas ainsi pour la vue.

L'année dernière, et au mois de mars de cette année, les résultats étaient

les suivants : -

1. Je suggérais la lumière d'une chandelle à l'oeil droit; au bout d'une

z minute une hémicontracture droite se manifestait; la même sugges-

tion à l'oeil gauche produisait une hémicontracture gauche; tandis que la

suggestion aux deux yeux, faisait naître une contracture bilatérale.

Je mentionne aussi ce fait, que je ne pouvais pas parvenir à suggérer

la lumière à une partie limitée de la rétine, puisque si je suggérais la lu-

mière tallt à la partie nasale qu'à la partie temporale, il survenait tou-

jours une hémicontracture droite par l'excitation de l'oeil droit et une hé-

mi contracture gauche par l'excitation de l'oeil gauche.

Les résultats, que j'ai obtenus au mois de juillet de cette année, sont

les suivants :

En suggérant de la lumière à l'oeil droit, j'étais surpris de voir survenir

une contracture bilatérale, de même la suggestion à l'oeil gauche faisait

apparaître une contracture bilatérale. Ce fait m'avait rappelé l'expérience,

où j'avais obtenu une contracture totale par l'excitation de la macula lutea.

J'essayais donc de localiser par suggestion la lumière à tel ou tel en-

droit de la rétine.

Et voilà mes résultats :

(Pour abréger, je citerai uniquement le texte de la suggestion et l'effet).

1. « Devant votre oeil droit une lumière brille ! » contracture bi-

latérale.

2. « Du côté de votre tempe droite il y a une lumière » - hémicon-

tracture droite.

3. « Vous voyez avec l'oeil droit une lumière ; elle est située devant

votre nez », hémicontracture gauche.

4. « Devant votre oeil gauche, une lumière brille », contracture bi-

latérale.

5. « Du côté de votre tempe gauche il y a de la lumière », hémicon-

traclure gauche.

6. « Vous voyez avec l'oeil gauche une lumière, qui est située devant

votre nez », hémicontracture droite.

Ces résultats sont semblables à ceux que nous avons obtenu par les ex-

citations campimétriques réelles.

Mais comment expliquer les résultats différents en ce qui touche les

26 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

hallucinations positives ? Voici l'opinion à laquelle je me suis arrêté :

Au commencement de mes expériences (en 1891), j'avais obtenu par

des hallucinations positives une hémicontraclure droite ou gauche, corres-

pondant il l'excitation suggérée pour l'oeil droit ou gauche. J'expliquais ce

fait en disant : puisque la projection fonctionnelle pour les yeux, comme

pour les autres sens est croisée, l'hallucination prend place dans l'hémis-

phère opposée. Par exemple la lumière suggérée à l'oeil droit produit une

excitation quelconque dans le centre optique (cortical) gauche ; cette ex-

citation se transmet à la région motrice de l'hémisphère gauche, et de la

aux faisceaux pyramidaux droits, c'est-à-dire aux membres droits. Le ré-

sultat est une hémicontracture droite. Cette opinion est soutenue aussi par

ce fait analogue que l'amblyopie hystérique siège toujours du côté où se

trouve l'hémianesthésie ; ce tableau clinique diffère sensiblement de l'hé-

mianopsie homonyme qui survient, si la lésion est au-dessus du tractus

options. Dans l'hystérie, un état fort analogue, sinon tout à fait identique

à l'état produit par la suggestion verbale, il ne s'agit pas d'une hémianes-

thésie sensitivo-sensorielle anatomique, mais psychique, et celle-ci dé-

pend de la projection fonctionnelle. C'est pourquoi les troubles visuels,

adjoints aux hémianesthésies hystériques sont des ambliopies croisées et

nonpasdeshémiopies. Pour la môme raison, cette suggestion positive : « il

y a de la lumière devant votre oeil droit », se rapporte l'hémisphère gau-

che. Les résultats des hallucinations positives sont donc suffisamment ex-

pliqués par la projection fonctionnelle.

Il existe évidemment une différence entre une excitation périphérique

réelle et une excitation suggérée, c'est-à-dire imaginée. Quand j'excite la

rétine par une excitation périphérique, alors il dépend de moi de diriger

l'irritation sur un endroit quelconque de la rétine, et de ce fait sur le centre

optique cortical arbitraire; aussi je peux déterminer la voie centrale que

l'excitation parcourt. C'est autre chose pour l'excitation centrale produite

par l'hallucination. Celle-ci s'effectue par la projection fonctionnelle ;

chaque hallucination positive produit une excitation dans le centre opti-

que du côté correspondant de l'oeil, et, nous l'avons déjà mentionné, une

hémicontracture peut en être l'effet unique.

Mais mes dernières expériences prouvent que nous pouvons agir, avec

les hallucinations positives, de la même façon qu'avec une excitation

réelle; la lumière suggérée dans la direction de la macula lutea produit

une contracture bilatérale ; celle qu'on suggère aux côtés gauches de la ré-

tine une hémi-contracture droite, et aux côtés droits de la rétine une hémi-

contracture gauche. Nous devons dire, que cette différence lient à ce fait

que l'exercice, est cause qu'après des excitations réelles souvent répétées, la

suggestion équivalentedonne le même résultatque l'irritation périphérique.

MORPIIOLOGIE DES CONTRACTURES RÉFLEXES INTRAHYPNOTI QUES 27

Il est donc intelligible de la même façon, que pendant une cécité droite

suggérée il survient seulement une hémicontracture gauche par l'excita-

tion de l'un des deux yeux. Pour expliquer ce cas, nous devons dire que

la suggestion s'effectuait par les projections anatomiques. Pour les expé-

riences antérieures (par exemple celle ou pendant une cécité droite, l'oeil

droit pouvait être excité sans effet), nous sommes autorisés.à supposer, que

l'individu n'était pas encore assez exercé.

C. SUGGESTIONS HÉTÉRONYMES.

Je citerai d'abord un exemple, pour expliquer, ce que j'appelle une

suggestion hétéronyme.

Nous savons que, pendant une surdité suggérée, les excitations acous-

tiques restent sans effet et nous pouvons ajouter, que les excitations des

autres sens produisent pendant une suggestion un retard ou même un ar-

rêt dans l'évolution des contractures. Par exemple, pendant qu'une sur-

dité droite est suggérée, le sel appliqué à la partie droite de la langue ne

détermine une hémicontracture droite qu'après un temps deux ou trois

fois plus long que de coutume. Les réflexes optiques sont totalement

empêchés pendant une suggestion de surdité. Si les suggestions acous-

tiques sont pour les oreilles des suggestions homonymes ou directes, ces

arrêts, produits par elles sur les autres sens, peuvent être appelés sugges-

tions hétéronymes ou indirectes.

Expériences :

1. « Vous êtes sourde de votre oreille gauche » (suggestion verbale) alors :

a) Je frictionne la face du côté gauche pendant cinq minutes, aucun

elfe), tandis que la friction de la face du côté droit produit une hémicon-

tracture droite rapide.

b) L'acide acétique placé sous la narine droite fait développer une hémi-

contracture droite après une durée de deux minutes, tandis que pour la

narine gauche l'effet, une hémicontracture gauche, se montre déjà au bout

d'un 1/3 ou 1/2 minute.

c) Le sel appliqué sur le côté gauche de la langue ne détermine une

hémicontracture gauche qu'après deux minutes ; du côté droit l'applica-

tion du sel est suivie tout de suite par l'hémicontracture droite.

2. « Vous ne sentez aucune odeur par la narine droite ».

c) Le sel appliqué sur le côté droit de la langue fait naître une hémi-

contracture droite après un laps de temps d'une minute, tandis que l'hé-

micontracture gauche débute au bout de 10 secondes, si le sel est appli-

qué du côté gauche.

b) L'hémicontracture droite, produite par le bruit du diapason, situé

auprès de l'oreille droite est aussi relardée par rapport à celle qui est pro-

duite par l'excitation de l'oreille gauche.

28

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIÈRE.

- 3. « Vous êtes complètement aveugle ». Le diapason doit longtemps-vi-

brer, pour produire en premier lieu une hyperlonie; la contracture sur-

vient seulement plus tard.

Pour mettre en lumière l'effet de la suggestion héléronyme je citerai

l'expérience suivante : (Elle fut faite pendant l'année 1892 ; alors les hal-

lucinations positives optiques s'effectuaient encore par la projection fonc-

tionnelle) ; « Vous avez devant votre zist droit une lumière fort intense »

à la suite de cette suggestion, une liémicontracture droite commence il

se développer; à ce moment je suggère « Vous voyez la lumière et vous

êtes sourde de l'oreille droite », alors l'hypertonie droite ne se transforme

pas à une contracture; si je fais cesser la surdité, l'hypertonie droite se

change tout de suite en contracture : si je suggère de nouveau une surdité

droite, l'hémicontracture droite s'efface.

La conclusion de mes nombreuses expériences est la suivante : une sug-

gestion hétéronyme rend plus difficile ou impossible le développement des

autres réflexes sensoriales.

Effet de la surdité suggérée sur les réflexes optiques produits par des

excitations campimétriques .

1. Je suggère la surdité de l'oreille gauche. Par l'excitation campimé-

trique de l'un des deux yeux, il se produit seulement une hémicontracture

droite.

2. Je suggère une surdité droite ; alors il ne se produit qu'une hémi-

contracture gauche par l'excitation de l'un des deux yeux.

3. En suggérant une surdité totale aucune contracture ne peut être

produite.

Comment expliquer ces phénomènes ? Reprenons les expériences par

ordre.

1. En suggérant une surdité gauche, la contracture réflexe rétinienne

Fig. 6.

MORPHOLOGIE DES CONTRACTURES RÉFLEXES INTRAHYPNOTIQUES 29

gauche fait défaut. Comme je l'ai démontré ultérieurement, nous pouvons

dire, que par une suggestion de surdité gauche, nous avons provoqué une

altération dynamique dans le champ auditif cortical droit, par laquelle la

faculté de perception de cet endroit est diminuée ; c'est pourquoi nous n'ob-

servons pas de réflexe acoustique de l'oreille gauche.

Puisque non seulement les réflexes acoustiques, mais ceux des yeux font

aussi défaut dans les circonstances précédentes, nous devons supposer, que

cette altération dynamique se propage du champ auditif cortical au champ

visuel cortical du même côté. C'est pourquoi nous ne voyons pas de con-

tracture apparaître pendant les excitations optiques. Quels sont les réflexes

rétiniens qui sont en contact avec le lobe occipital droit ? Ce sont les ré-

flexes, que nous pouvons produire par l'excitation de la partie temporale

de l'oeil droit et de la partie nasale de l'oeil gauche. S'il y a un obstacle

dans le champ visuel droit par une surdité suggérée gauche, alors les ex-

citations des parties mentionnées antérieurement, trouvent un centre cor-

tical « aveugle aux réflexes», tandisque lapartienasale de l'oeil droit et la

partie temporale de l'oeil gauche transmettent leurs excitations au champ

visuel cortical gauche, qui n'est pas altéré dans sa fonction ; c'est pour-

quoi l'hémicontracture droite qui s'effectue par ce centre, survient promp-

temen t.

2. L'explication reste la même pour le cas où il y a la surdité (suggérée)

gauche, ou

3. Une surdité totale.

Effet de la suggestion d'une anosmie sur les réflexes optiques,

a) En suggérant une anosmie droite, les hémicontractures gauches s'ef-

fectuent des deux yeux, mais les hémicontractures droites retardent. Ce

retard consiste en un rétrécissement considérable du champ des réflexes

optiques, déterminé par la contracture droite, tandis que le champ des ré-

Fit. 7.

30 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

flexes optiques défini par la contracture gauche a une étendue normale.

b) Quand la suggestion se rapporte à une anosmie gauche, ce sont les

hémicontractures gauches, qui éprouvent le retard, tandis que les hémi-

contractures droites surviennent promptement, car le champ des réflexes

optiques déterminés par la contracture gauche, est lui aussi plus rétréci.

L'explication de ces expériences est la même, que pour celles où nous

avons employé la surdité comme suggestion. Pendant une suggestion d'a-

nosmie droite, l'hémicontracture droite retardait, parce que en raison de

cette anosmie suggérée, l'altération dynamique dans le champ olfactif cor-

tical gauche se transmettait au champ visuel central gauche; ce dernier

était donc moins disposé pour des excitations ; de là le retard des hémicon-

tractures droites. Pour l'anosmie suggérée gauche c'est la môme chose ;

seulement c'est l'hémisphère droit qui est altéré.

Il nous reste à étudier, quel est L'EFFET DES deux hallucinations -NE ?

GATIVES DIFFÉRENTES.

En voici des exemples :

1. « Vous êtes sourde de l'oreille droite et vous voyez une lumière de-

vant l'oeil droit ». Il survient seulement une hémicontracture gauche.

2. « Vous êtes sourde de l'oreille droite et une lumière est devant votre

oeil droit ». Hémicontracture gauche; le côté droit du corps reste flas-

que.

3. « Vous êtes sourde de l'oreille droite et la lumière brille devant votre

oeil gauche ». - Hémicontraclure gauche.

4. « Vous êtes sourde de votre oreille gauche et vous voyez une lumière

devant votre oeil gauche. » - IIémicontracture droite.

Il est facile de comprendre ces expériences, en se rappelant celles qui

ont été faites pour les suggestions hétéronymes optiques. Dans les derniers

cas, l'excitation réelle du campimèlre est remplacée par une suggestion.

Au sujet des expériences des suggestions hétéronymes, il faut encore

Fig. 8.

MORPHOLOGIE DES CONTRACTURES RÉFLEXES INTR AnYPNOTIQUES 31

faire une remarque importante. En suggérant par exemple de la surdité,

j'ai non seulement empêché le développement des réflexes, mais j'ai aussi

altéré par cette suggestion les autres fonctions sensorielles. L'individu est

non seulement devenu sourd, mais l'acuité des appareils visuel, olfactif

et gustatif, a été aussi diminuée.

A titre d'exemple, je citerai l'expérience suivante :

La malade lisait avec l'oeil droit la cinquième ligne du tableau de Snel-

len à une distance de 104 centimètres. Si je suggérais une surdité gauche,

elle ne le pouvait lire qu'à une distance de 57 centimètres ; en faisant ces-

ser la surdité elle lisait de nouveau les mêmes lettres à une distance de

104 centimètres.

III

Je suis arrivé à la fin de mes expériences. J'ai décrit seulement dans cette

étude une partie des phénomènes que j'ai découvert. J'en publie les parti-

cularités dans un ouvrage spécial.

Je tiens pourtant à donner une esquisse de mon opinion sur ce sujet.

Le phénomène principal et dominant est la contracture réflexe. Pourquoi

et comment surviennent ces contractures il la suite des excitations périphé-

riques dans l'état hypnotique ?

La clef de ce phénomène est dans une particularité de l'état hypnotique,

qui a été décrite par M. Fendrassik et plus tard par M. Wiindt. D'après

M. Fendrassik l'aperception sensorielle ne manque pas dans l'hypnose,

au contraire elle est peut-être exagérée, mais la propagation des excitations

leur transmission à des parties différentes de l'écorce manque. Les associa-

tions, transmissions limitées, expliquent aussi les contractures réflexes,

parce que si un bruit se fait entendre auprès de l'oreille, la totalité de

l'excitation se transmet des centres sensoriels aux centres moteurs. Cette

transmission « en masse » détermine une modification musculaire toni-

que. Au contraire, l'état de veille, l'excitation se divise plus aisément et

dans toutes les directions : ainsi la quantité d'excitation qui parvient au

centre moteur est moindre, et aussi s'explique qu'un bruit subit et inat-

tendu produise un mouvement réflexe clonique, et non une contracture to-

nique.

M le professeur lloegyes donne une autre explication ; d'après lui, la

cause des contractures réflexes est une hyperexcitabilité de la substance

grise qui exécute la transmission des réflexes.

Les expériences instructives des M. Bubnoff et Heidenhain, touchent

aussi à cette question : c'est pourquoi je les mentionne. Ces auteurs pro-

duisaient par des injections de morphine (8, 16 cgr.) dans la veine faciale

du chien un étourdissement ; dans cet état, ils pouvaient provoquer des con-

tractures qui ressemblaient parfaitement à celles que nous venons de dé-

32 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. -

crire dans l'état hypnotique. En dénudant l'écorce cérébrale, ils excitaient

le- centre moteur des membres antérieurs, et déterminaient par des exci-

* talions électriques une contracture, laquelle pouvait être effacée par une

excitation tactile absolument de la même façon, que dans l'état hypno-

tique. On voit donc, que l'excitation directe de l'écorce suffit pour déter-

miner une contracture ; cette rigidité réflexe peut être obtenue aussi par

les excitations des autres parties de l'écorce. Ces expériences démontrent

d'une façon très nette, que la cause de la contracture ne peut pas être re-

cherchée dans une partie circonscrite de l'écorce.

Je vais parler maintenant des phénomènes produits par les hallucina-

tions négatives. Mais devance il est nécessaire d'être d'accord sur l'essence

de ces hallucinations. En suggérant une surdité droite, je vois que le sujet

ne perçoit pas les questions qu'on lui adresse ; il n'est donc pas douteux,

que dans ce .cas-là, l'excitabilité du centre psychosensoriel acoustique gau-

che est notaient diminuée.

C'est un fait commun de voir que, si nous sommes absorbés par une

idée, par un travail, nous n'entendons pas les bruits autour de nous, nous

n'apercevons pas la mouche qui nous incommode, etc. nous sommes

par nos associations d'idées, tellement occupés, que nous n'apercevons pas

ces choses gênantes ; mais plus tard nous pouvons en avoir une idée vague.

Avec une surdité suggérée, un état pareil se produit dans le sensorium

du sujet. Il y a une dépression de l'excitabilité; mais elle n'est pas tout à

fait éteinte, puisque si nous disons celle parole dans l'oreille sourde ;

« Votre surdité est guérie » ! Le sujet entend de nouveau. L'exemple cité

démontre par excellence cette règle générale, que pendant l'activité d'une

partie de l'écorce, l'excitabilité des autres parties est diminuée.

Nous pouvons donc dire, que par une suggestion de surdité ou de céci-

té (ou par une suspension de la fonction d'un sens quelconque) l'excita-

bilité des centres correspondants de l'écorce est notablement diminuée. La

confirmation expérimentale de ce fait est donnée par le résultat des sug-

gestions hétéronymes déjà connues.

Envisageons maintenant les phénomènes qui consistent en ce que, par

une suggestion éliminante, le réflexe correspondant fait défaut. Ce phé-

nomène m'avait donné dès longtemps l'idée, que les réflexes intra-hypno-

tiques se transmettent dans l'écorce et ne sont pas subcorticaux.

La transmission peut être faite par deux voies. Si par exemple le dia-

pason vibre devant l'oreille droite, alors l'excitation peut être transmise

aux voies motrices par les centres acoustiques subcorticaux (noyau bulbaire

du nerf acoustique) ; mais on peut aussi se figurer, que l'excitation dé-

passe ces centres subcorticaux et atteint par la voie acoustique sensorielle

centrale (laquelle est, comme on sait, croisée) le centre cortical acoustique

/ y

MORPHOLOGIE DES CONTRACTURES REFLEXES INTRAIIIPNOTIQI : '1;'S. 3S'

gauche, delà par des fibres d'association, elle se dirige vers le centre

leur gauche de l'écorce, où les faisceaux pyramidaux entrent en jeu etproa

duisent (puisqu'ils se croisent), une humicontracture droite. C'est ainsi,

qu'on peut expliquer, qu'une excitation de l'oreille droite produit une

hémicontracture droite.

Que la suggestion agisse directement sur l'écorce, c'est, je crois, un fait

indiscutable. Puisque en éliminant par une suggestion une partie senso-

rielle de l'écorce, la contracture réflexe faisait défaut, je pensai à un mé-

canisme cortical. Mais il y a aussi une autre hypothèse déjà mentionnée ;

on pourrait dire, que par une suggestion de surdité, la modification du

centre cortical acoustique a retenti sur le centre acoustique subcortical de

telle sorte qu'elle a empêché la fonction réflexe. Nous serions convaincus

de l'existence d'un mécanisme cortical, 1° si nous pouvions démontrer, que

le réflexe ne se transmet pas par la voie subcorticale, ou, 2°, au. contraire, si

nous pouvions prouver directement une transmission corticale de l'irrita-

tion. Nous pouvons nous servir de celte dernière méthode, si nous em-

ployons les hallucinations posilives. Il est indubitable qu'en suggérant

la vibration d'un diapason à la suite de cette hallucination, il se déve-

loppe une hémicontracture : le mécanisme de ce réflexe est en tous cas

cortical. L'hallucination est un procédé cortical, par conséquent son ré-

sultat, la contracture, ne peut être qu'un phénomène cortical. - Si je

suggère alors au malade, que le diapason vibre auprès de son oreille

droite, sans qu'il y aitvraiment un diapason, et si je vois s'effectuer la mê-

me contracture avec cette suggestion qu'après une excitation réelle - il est

bien évident, que par cette suggestion j'ai éveillé dans le centre cortical

acoustique la même altération que par l'excitation réelle. Si cette déduc-

tion est vraie, le mécanisme cortical n'est qu'une conséquence logique,

puisque le développement de l'hémicontracture ne peut pas s'effectuer au-

trement que par la transmission de l'excitation du centre acouslique au

centre cortical moteur, et par là aux faisceaux pyramidaux.

Dans un chapitre spécial, il a été parlé des suggestions hétéronymes.

Nous avons vu que la suggestion de la cécité droite a retardé le développe-

ment du réflexe acoustique droit, de même qu'une surdité droite a empê-

ché les réflexes optiques droits, etc. Comme règle générale, nous pouvons

donc dire : Une hallucination négative {suggestion éliminante) peut retarder

ou empêcher totalement le développement des réflexes obtenus par des autres

sens.

Il y a un phénomène, caractéristique dans ces hallucinations hétérony-

mes, c'est que le retard ou l'arrêt n'atteint toujours que les réflexes d'un

côté, c'est-à-dire la partie sensorielle d'un hémisphère. Par exemple une

anosmie droite suggérée ralentit les réflexes acoustiques droits, mais les

vu 3

34 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

réflexes gauches sont intacts, parce que l'effet de l'élimination du cenlre

olfactif gauche s'étend seulement au centre acoustique cortical gauche.

L'écorce droite est indemne ; cette circonstance nous fait voir la prompti-

tude des réflexes gauches. Nous devons donc conclure que l'altération dy-

namique que produit une hallucination négative, ne reste pas localisée au

centre correspondant, mais se transmet aussi aux centres sensoriels du

même hémisphère. Ces transmissions prouvent que par une suggestion

nous produisons des altérations moléculaires dans l'écorce cérébrale. '

L'hémicontracture produite par une hallucination positive nous révèle

le lieu où les images se localisent pendant l'hypnose. Puisqu'après une

hallucination acoustique droite, il se produit une hémicontracture droite,

il est évident que l'excitation s'est faite dans le centre acoustique gauche;

de là, se transmettant aux circonvolutions motrices gauches, elle gagne

par les voies pyramydales le côté droit du corps. Nous pouvons donc dire,

que les hallucinations positives s'effectuent dans l'hémisphère opposé. C'est

la même chose pour la localisation des hallucinations négatives.

Par la méthode que j'ai employée, il est prouvé :

z10 Que les réflexes intrahypnoliques suivent un mécanisme cortical.

2° L'hallucination positive est une excitation presque analogue ci une ex-

citation périphérique réelle, parce que le résultat avec les deux procédés est

le même, c est-à-dire une contracture.

3° Une hallucination négative ne reste pas limitée ci un lieu circonscrit,,

niais se transmet aux centres sensoriels d'un même hémisphère avec une in-

tensité plus ou moins grande.

Dans mes expériences, il est notamment un phénomène, qui a servi

comme mesure de l'action de la suggestion, c'est l'altération musculaire,

l'évolution ou la dissolution d'une contracture, et puisque celte altération

musculaire est un phénomène réflexe, et par suite facile à préciser, nous

ne pouvons trouver rien de mieux comme mesure de la suggestion.

L'association des réflexes intrahypnotiques avec la suggestion, comme nous

l'avons démontré, est à mon avis le procédé le plus exact pour l'investiga-

tion de la suggestion, de ce phénomène cardinal de l'état hypnotique.

CIIAIILCS SCHAFFEU,

Professeur agrégé à la Faculté de Budapest.

LES POSSÉDÉES DES DIEUX

DANS L'ART ANTIQUE

[Au cours d'une étude de critique médicale sur la Pythie de Delphes et

la divination enthousiaste dans l'Antiquité, j'ai été amené a réunir un cer-

tain nombre de représentations figurées se rapportant à des scènes d'ins-

piration prophétique. Recherchés d'abord en vue d'éclairer les textes an-

ciens qui forment la base de ce travail d'exégèse, ces documents une fois

découverts, m'ont paru mériter par eux-mêmes, un essai d'interprétation

à l'aide des données de la pathologie nerveuse (1).]

1

La préoccupation de reproduire exactement la nature a existé chez les

artistes de tous les peuples, et de tous les temps. Mais le choix des sujets

et leur interprétation dans l'art, ont subi des modifications successives, en

rapport avec l'évolution des idées.

La représentation du corps humain n'a pas échappé il cette loi, et en

particulier, la reproduction des difformités naturelles ou accidentelles a

été l'objet de tentatives diverses de la part de ceux qui ont cherché il les

figurer.

Les Anciens, les Grecs surtout, séduits par les formes harmonieuses,

s'attachèrent peu à rendre les expressions de la maladie. Mais ce ne fut

pas de leur part une répulsion systématique, et peu à peu la découverte de

nouveaux monuments vient prouver que le désir de reproduire le vrai l'a

parfois emporté sur celui de réaliser le beau.

Parmi les figurines en terre cuite trouvées dans les fouilles de Myrina,

Charcot et P. Bicher ont relevé plusieurs images qui répondent à des mal-

formations pathologiques évidentes. Ils ont montré également que certai-

nes statuettes de divinités égyptiennes (les dieux Bes, Phtah) ainsi ,que de

(1) Je dois remercier à ce sujet M. Kempfen qui a bien voulu faciliter mes recherches

dans les collections des monuments anciens. Et grâce à l'obligeance de .M. Salomon

Reinach, j'ai pu passer en revue presque tous les recueils archéologiques publiés en

France ou à l'étranger ; je lui suis, en outre, vivement reconnaissant de ses savants con-

seils.

36 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

certains pygmées, présentaient des caractères de ressemblance frappants

avec les formes des nains rachitiques (1).

On peut rcncontrer un grand nombre de documents decegenre, dans l'an-

liquilégroeco-romaine,surdes vases peints, des fresques, des bas-reliefs, etc.

D'ailleurs la maladie créant souvent la difformité, produit en même

temps le grotesque et le risible. A ce seul titre, quelques artistes sont

tentés de la reproduire, et prennent des inspirations dans les exemples que

la nature met chaque jour sous leurs yeux. L'art caricatural n'est pas tou-

jours conçu par une imagination fantaisiste : il n'est souvent qu'une copie

fidèle de types morbides bien définis.

Celle tendance se retrouve chez les peuples les plus primitifs. Dans la

collection de vases Péruviens conservée au Musée Ethnographique du Tro-

il est aisé de reconnaître de nombreuses malformations patholo-

gigues becs de lièvre, scolioses, déformations du crâne, de la face ou

des membres, etc., qui sonl assurément l'expression d'une anomalie

observée et rendue par un artiste soucieux d'imiter exactement la nature.

Ces exemplesne sont pas rares, et au sur et à mesure que se multiplient

les découvertes archéologiques, on voit s'augmenter le nombre des monu-

ments figurés de l'antiquité qui sont justiciables d'une interprétation mé-

dicale.

Sans doute, il ne faudrait pas attacher à ces reproductions de difformi-

tés la valeur d'un document scientifique. Une attitude insolite venait-elle

à attirer l'attention d'un artiste, il s'efforçait de la rendre avec toute la

précision dont il était capable, désireux de se rapprocher fidèlement de

son modèle, ou d'en obtenir un effet 1 risible, mais insouciant des causes

intimes de celte anomalie. De semblables documents ont cependant un

réel intérêt pour le médecin, en ce sens qu'ils sont des preuves sincères

de l'unité des types pathologiques à travers les âges.

Mais, malgré les incessantes trouvailles des archéologues, il faut recon-

naître que le nombre des oeuvres d'art de l'antiquité qui relèvent de la

critique médicale, est encore fort restreint. Pour l'hystérie en particulier,

les tentatives faites pour retrouver des représentations figurées de mani-

festations de la névrose dans l'art antique, sont restées infructueuses jus-

qu'à ce jour. 1

Dans. les Démoniaques dans l'arl, Charcot el P. Richer ont recueilli

un grand nombre de monuments figurés représentant des scènes de pos-

session ou d'exorcisme, et ce recueil constitue le plus gros chapitre de

(1) Charcot et P. Richer, Les difformes et les malades dans l'art. Voy. p. 9, masque

en terre cuite de Myrina, n° T77, du catalogue de Pottier et Reinact. Voy. aussi pour

les nains égyptiens et les pygmées, p. 12 et seq. ,

LES POSSÉDÉES DES DIEUX DANS L'ART ANTIQUE 37

l'Histoire Iconographique de l'Hystérie. Mais les premières représenta-

tions ne remontent pas d'après eux au-delà du VIe ou yc siècle.

« L'antiquité, écrivaient-ils en 1887, ne nous a pas fourni de matériaux

que nous ayons pu utiliser. Elle paraît avoir toujours évité de peindre la

maladie. Elle s'est tout au plus bornée à représenter quelques cas de dif-

formité. Si l'on a pu faire celle remarque que, même dans les représen-

tations de combats, elle usa le moins possible de l'effet terrifiant des bles-

sures et de l'effusion du sang, il va de soi qu'elle eût trouvé répugnants

les mouvements irréfléchis, les visages grimaçants, les gestes hors de lout

équilibre et de toute habitude que peuvent affecter les traits, les membres

et le torse pendant les attaques (1) ».

Cette judicieuse remarque donne une explication de l'insuccès des ten-

tatives faites pour retrouver dans l'antiquité des documents figurés se rap-

portant à l'hystérie.

Est-ce dire que la névrose n'existait pas à cette époque ? Une pareille

thèse ne saurait se soutenir; elle est en opposition formelle avec les lois

de l'humanité, et les textes abondent en descriptions explicites à cet égard.

Les anciens se sont-ils systématiquement refusés à figurer des scènes où

l'on puisse retrouver des traces de l'hystérie ? Non, assurément; et même,

ces représentations ne sont pas très rares, mais il faut les interpréter, et

découvrir, sous le voile légendaire qui la cache, la vérité pathologique igno-

rée des artistes mêmes.

L'hystérie rêvé lies aspects les plus disparates. Longtemps ellemérila son

nom de « maladie-protée. » « La grande névrose est la grande simula-

lrice (2). Elle fait des paralytiques, des aveugles, des sourds. Elle imite

les maladies de l'estomac, du poumon, du larynx, et jusqu'aux affections

cutanées. Il n'y a guère de maladies organiques des centres nerveux dont

elle ne puisse revêtir les caractères.

Et cependant, malgré ses manifestations multiples, elle conserve son

individualité, et se trahit toujours par des signes non équivoques.

Aussi, en raison de la variété même des symptômes qui la révèlent,

l'hystérie a-t-elle donné lieu aux plus diverses interprétations de la part

des artistes qui ontentrepris de la représenter, tout ignorants qu'ils fussent

de son existence.

Les premières figurations connues de démoniaques, une mosaïque de Ra-

venne et un ivoire du Ve siècle, ont surtout une signification symbolique.

(1) Charcot et P. nicher. Les Démoniaques dans l'art. Delahaye et Lecrosnier, Paris

1887, préface, p. VIII.

(2) Voyez la belle étude de il. le Dr A. Souques sur les Syndromes hystériques sima-

lale1l1's des maladies organiques de la moelle épiniere. Thèse. Paris 1891, Lecrosnier el

) ! abc, édit.

38 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Celles du Moyen Age revêtent le caractère religieux qui se conserve et se

développe dans les chefs-d'oeuvres des maîtres de la Renaissance et jusqu'au

XVIIe siècle. La grande attaque est une manifestation du diable, et c'est

dans les oeuvres d'art reproduisant des épisodes de la vie des saints qu'il

faut chercher les représentations de la névrose. C'est le temps des posses-

sions et des exorcismes. On est terrifié par la violence des crises convul-

sives, par les grimaçantes expressions du visage, par les gestes désordonnés

des démoniaques. Et certains artistes n'hésitent pas à les figurer, avec une

vérité parfois saisissante.

Ce n'était pas seulement de leur part une recherche de l'effrayant ou du

surnaturel, c'étai lune consciencieuse observation de la nature qu'ils avaient

sous les yeux.

Voyez le possédé de Gérasa sur une miniature des manuscrits de l'empe-

reur Olton (XI ? siècle) (1), le Jeune Possédé (2) dans la Transfiguration

de Raphaël ou dans celle de Déodat Dolmonl, enfin les nombreuses scènes

d'exorcisme que Rubens semble avoir affectionnées (3), etc.

Dans toutes ces oeuvres d'art on retrouve la même recherche de l'expres-

sion convulsée du visage ou des attitudes. Et plus le geste est violenl,

plus la figure est grimaçante, mieux l'artiste croit avoir donné l'impression

de la possession diabolique. C'est la reproduction de la variété démoniaque

de l'attaque hystérique dans sa plus complète manifestation.

Un maître dessinateur et peintre de la fin du XVIe siècle, Pierre Breu-

ghel, connu sous le nom de Breughel le drôle, le peintre des paysans, a in-

terprété d'une façon toute différente les accidents d'origine hystérique

qu'il a eus sous les yeux. C'était l'époque des fameuses épidémies de Danse

de Saint Guy qui sévirent avec fureur dans les Provinces Rhénanes et les

Pays-Bas. Des centaines de paysans parcouraient les campagnes, dansant

et sautant sur les routes, s'arrêtant dans les villages pour tourner en des

rondes échevelées, entraînant il chaque étape, dans leur tourbillon, de nou-

veaux prosélytes. Beaucoup de ces énergumènes n'étaient que des hystéri-

ques : les écrits du temps ne laissent aucun doute à cet égard, et les dessins

que Breughel en a fait, confirment pleinement ce diagnostic rétrospectif.

Les danseurs de St-Guy ont des attitudes auxquelles on ne saurait se mé-

prendre. Mais l'artiste a introduit dans ses compositions une note légère-

ment caricaturale, qui contraste d'une façon saisissante avec le caractère

religieux et terrifiant des scènes de possession diabolique.

(1) A la cathédrale d'Aix-la-Chapelle ; reproduit dans les Démoniaques dans l'art ;

consulter à ce sujet : Die Bilder der Ilandschrift des Kaisers Otto in Munster zu Aachen,

etc. von Stephan Beissel, Aaclien, Iiudolph Barth, 1886.

(2) Voy. Démoniaques dans l'arl, p. 25, et seq.

(3) Surtout la « possédée » de Vienne et aussi : « St-Ignace délivrant une possédée, »,

dont une réplique est à l'église St-Ambroise, à Gênes.

LES POSSÉDÉES DES DIEUX DANS L'ART ANTIQUE' 39

Ici cependant, la chose est hors conteste, il s'agit encore d'une mani-

festation de l'hystérie.

On pourrait citer encore d'autres interprétations des accidents convul-

sifs de la névrose où intervient une intention satirique, ou simplement t

anecdotique. Telles sont les gravures du XVIIIe siècle représentant les con-

vulsionnaires de St-Médard et les Miracles opérés sur le tombeau du diacre

Paris, et plus lard les scènes tumultueuses autour du baquet de Mesmer.

Suivant l'époque, et suivant leur esprit, les artistes ont varié leurs

compositions en les appropriant au goût du jour et en les adaptant à leurs

moyens. Mais, dans tontes ces représentations d'attitudes insolites et de

convulsions étranges, on retrouve la marque d'une vérité pathologique

indiscutable.

II

Ce qui est aujourd'hui universellement admis pour ces manifesations,

convulsives, ne peut-il l'être aussi pour les autres expressions de la né-

vrose ? Tout n'est pas désordre dans l'hystérie; et, au cours même de la

grande attaque classique, il est certaines phases moins bruyantes, bien faites

pour séduire l'artiste qui les voit se dérouler sous ses yeux.

Les attitudes passionnelles révèlent des aspects infiniment variés dont

chacune possède une expression esthétique qui lui est propre, et elles ne

manquent ni de sentiment ni de grandeur.

Charcot et P. Richer ont avancé cette opinion au sujet des monuments

artistiques où est figuré l'extase.

« Pour rendre toutes ces expressions si variées, les artistes on[ pu

trouver dans les sujets hystériques d'inappréciables modèles. Cette asser-

tion ne paraîtra point hasardeuse ni exagérée toits ceux qui, comme nous,

ont vu des hystériques, même filles du vulgaire, dans une certaine phase

de la grande attaque, prendre sous l'empire d'hallucinations d'ordre reli-

gieux des altitudes d'une expression si vraie et si intense que les acteurs

les plus consommés ne sauraient mieux faire, et que les plus grands artis-

tes ne sauraient trouver de modèles plus dignes de leur pinceau ».

Mais, ajoutent-ils « la physionomie extérieure de l'extase ne suffit pas

à la caractériser. Nous n'avons pas là, comme pour les crises de convul-

sions démoniaques, cet ensemble de signes qu'on peut appeler patllogno-

moniques ».

Cette réserve est sage; et il faut se garder d'une interprétation trop

hâtive des monuments figurés où les artistes n'ont pas reproduit un carac-

tère pathologique vraiment indéniable. Mais on doit retenir ce fait im-

portant, que parmi les manifestations extérieures de l'hystérie, certaines

40 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

postures et certains gestes peuvent être empreints d'un caractère esthéti-

que capable de tenter l'artiste qui les contemple.

Or, les Grecs, chez qui le culte du beau était en si grand honneur, se

trouvaient assurément peu séduits par les attitudes forcées et les figures

grimaçantes. Leurs artistes, épris de la beauté pure, ne pouvaient s'atta-

cher à ces représentations où domine l'inharmonie des formes.

Mais il n'est pas invraisemblable d'admettre qu'ils aient été frappés par

des manifestations moins désordonnées de la névrose, et qu'ils aient cher-

ché à les reproduire. Parmi les symptômes convulsifs eux-mêmes, il en

est qui ont pu les séduire, et ils ont dû tenter de les figurer dans les oeu-

vres d'art, en atténuant selon leur goût tout ce qu'ils y trouvaient d'ex-

cessif ou de choquant (1).

Ceci posé, on se trouverait néanmoins fort embarrassé pour retrouver

dans les monuments anciens les marques authentiques de la maladie, puis-

que les plus caractériques ont été négligées à dessein.

Mais l'interprétation des oeuvres d'art de l'antiquité n'est pas seulement

basée sur leur examen comparatif avec les documents du même genre re-

montant à une date moins lointaine. Les textes qui sont parvenus jusqu'à

nous sont des auxiliaires indispensables, et c'est grâce à eux qu'on a pu

reconstituer la'plupart des choses dupasse.

Aurait-on aussi sûrement pénétré le sens des figurations de démonia-

ques si l'on n'avait eu pour commentaires les écrits des exorcistes, les rap-

ports des médecins ou les Actes des Parlements ?

Les monuments figurés et les monuments écrits s'éclairent réciproque-

ment. Et l'on doit d'autant moins négliger de comparer les renseignements

fournis par eux, que l'époque à laquelle ils remontent se trouve plus re-

culée.

Devant la difficulté de rencontrer dans les oeuvres d'art de l'antiquité

des indications suffisamment précises sur les manifestations de l'hystérie,

il fallait s'adresser aux textes et voir s'ils étaient plus éloquents (1).

III -

Dans tous les temps et chez tous les peuples, les accidents convulsifs

(1) Cette opinion a paru très plausible il M. le Dr Paul Richer qui a bien voulu

s'intéresser à mes recherches. Je suis heureux de lui exprimer ici toute ma reconnais-

sance, car sa haute compétence sur ce sujet est pour moi une garantie inappréciable.

J'avais également soumis le projet de ce travail à M. le Dr Charcot qui m'avait vive-

ment encouragé à le poursuivre. A son approbation de mon entreprise, j'ai le pro-

fond chagrin de ne pouvoir ajouter son avis sur les résultats de mes recherches.

(2) Les textes auxquels il est fait allusion ici sont rapportés et commentés en détail

dans une autre partie de cette étude ; celle-ci traitant uniquement des documents icono-

graphiques.

110C'CI,I,H ICONOGRAPHIE DE LA SALPPRIF : RE.

T. VII. PL. IV.

SQUELETTE D'OSTÉITE DÉFORMANTE DE PAGET

· D'après l'llluslrated Médical News

L. BATTAILLE ET Ci-, ÉDITEURS.

LES POSSÉDÉES DES DIEUX DANS L'ART ANTIQUE 41

bruyants de la névrose ont frappé l'esprit de la foule. Et toujours, elle a

cherché à expliquer par une intervention surnaturelle des accidents qui

semblent échapper aux lois de l'équilibre vital.

Le Christianisme a imaginé la possession diabolique : il n'a rien inventé

de nouveau, et n'a fait qu'adapter à ses croyances les idées du monde païen.

Avant les possédées du démon existaient de longue date les Possédées des

Dieux. Pour dépouiller les divinités antiques de tous leurs privilèges sé-

duisants, on en fit autant d'incarnations de l'esprit du mal. Belzebub et

Lucifer prirent la place de Dionysos et d'Apollon. Et le Dieu des Enthou-

siasmes et des Fureurs Prophétiques devient le Diable qui torturait ses

possédées.

Cependant ces fureurs enthousiastiques et ces débordements des démo-

niaques ont bien des points de ressemblance. On trouve d'ailleurs dans

les histoires de possédées d'étranges inconséquences : chez les unes, c'est le

diable qui parle par leur bouche; chez d'autres au contraire, c'est la voix

de Dieu. La scholastique du temps s'accommodait sans peine de ces con-

tradictions surprenantes. Enfin, si l'on compare les descriptions des rites

divinatoires de l'antiquité aux scènes des exorcismes de l'Église chrétienne,

si l'on rapproche les orgies dionysiaques des épidémies prophétiques moins

éloignées de nous, on ne peut s'empêcher de reconnaître que toutes ces

manifestations tumultueuses semblent soumises à une même loi générale :

la loi de l'unité et de la constance d'un phénomène pathologique.

Il semble que, dans l'antiquité, les grandes agitations nerveuses se soient

produites de préférence à l'occasion de certains cultes.

Les textes anciens sont remplis d'exemples qui viennent confirmer cette

opinion. Et les cérémonies de divini tion enthousiaste, les danses des Mena-

des ou les orgies bachiques sont décrites par les écrivains de l'époque avec

des détails qui ne laissent aucun doute sur le caractère névropathique de

ces scènes désordonnées.

Les Curetés et les Corybantes (1), prêtres de Cybèle et de Rhéa, dan-

saient aux fêtes de la déesse au son des tambours, des trompes et des bou-

cliers frappés (2). Suivant une légende rapportée parNonnos, ils auraient

été les premiers éducateurs de Dionysos, dont les adorateurs ont con-

servé et amplifié plus tard le caractère chorégraphique de ces rites pri-

mitifs.

La vie des Curetés s'écoulait en rondes tumultueuses. Ils promenaient

de ville en ville l'image de la divinité, chantant et dansant sans trêve. Leur

esprit s'égarait au cours de leurs folles gesticulations, et il leur arrivait

(1) Strabon fait dériver le nom de Corybantes de Comptantes (sautant).

(2) 1'. Lucrèce, T,iv. IL

42 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTHI ÈHE.

parfois de commettre d'étranges actions. Parmi eux se trouvaient aussi les

Galles qui, dans leur délire, en arrivaient à se mutiler.

Si, comme certains mythographes le prétendent, le culte de Bacchus a

été importé de l'Orient, il n'est pas sans intérêt de rapprocher ces céré-

monies tapageuses et barbares de celles qu'on voit encore aujourd'hui dans

certaines sectes religieuses des pays musulmans, les derviches et surtout

les Aïssaouas.

L'analogie de ces débordements avec ceux des possédés du diable, avait 1

déjà été entrevue au XVIe siècle. On désignait sous le nom de coryúantis-

me ou coryúantiasme, les troubles hallucinatoires dans lesquels certains

démoniaques s'imaginaient voir des apparitions surnaturelles ou entendre

des voix diaboliques.

Les prêtres Saliens (de salire, sauter) sont dans l'antiquité romaine, les

analogies des Curetés et des Corybantes. « Ils doivent leur nom, dit Plu-

tarque, à ces sauts qu'ils font, lorsqu'au mois de mars, ils portent en pro-

cession les boucliers sacrés dans les rues de Rome, vêtus de tuniques de

pourpre, ayant un casque et de larges boucliers d'airain, qu'ils frappent

de leurs courtes épées ».

La procession se terminait par des festins qui étaient devenus prover-

biaux (Saliares epuloe, dapes). Là, se trouvaient aussi des vierges saliennes

qui prenaient part aux danses.

Des chants spéciaux étaient réservés pour ces cérémonies. C'était un lan-

gage tellement bizarre que personne au temps d'Horace ne pouvait arriver

à le comprendre, les prêtres les premiers.

Mais les plus complètes manifestations de ces rites orgiaques appartien-

nent au culte de Dionysos, le dieu des ivresses furieuses, avec son

bruyant cortège des Ménades, des Satyres, et des Thyiades qui l'entourent

de leurs farandoles échevelées.

C'est lui qui répand l'enthousiasme, ce trouble mental qui surprenait si

fort les anciens, et dont les degrés divers, l'allégresse bachique, le souf-

fle poétique et la folie divinatoire, étaient considérés comme des manifes-

tations d'une même inspiration surnaturelle, la Mania, envoyée par les

dieux.

On trouve dans Platon des réflexions bien intéressantes à ce sujet. Pour

lui, le délire prophétique n'est qu'une forme de la révélation qui peut

aussi revêtir d'autres aspects. Telle est l'ivresse mystique envoyée par

Dionysos. Tel aussi le pouvoir des Muses, et enfin la l'orme la plus pure,

la contemplation philosophique dans laquelle la raison s'unissant à la

pensée divine sans s'absorber en elle, procure à l'homme des jouissances

comparables aux délices d'Eros.

LES POSSÉDÉES DES DIEUX DANS L'ART ANTIQUE 43

Sans insister davantage sur cette conception platonicienne, il est bon de

retenir les paroles du philosophe à propos du pouvoir prophétique :

« Il est suffisamment prouvé, dit-il, que Dieu a donné le pouvoir di-

vinatoire à la démence humaine, car nul s'il possède ses esprits, ne s'illu-

mine de l'inspiration divine, prophétique et véridique ; mais seulement

si le sommeil a enchaîné la force de sa raison, ou bien s'il est égaré par la

maladie ou par un certain enthousiasme » (1).

Ainsi Platon avait constaté que les prétendus prophètes éprouvaient des

troubles mentaux particuliers, et il n'hésitait pas à les rapporter à un

état morbide.

Lui-même, dans un autre passage, les identifie à ceux que présentaient

les Corybantes, ou les Ménades, et il montre combien ce délire était con-

tagieux (2),

Cette forme bruyante et convulsive de la Mania, l'Enthousiasme, que

les prêtres de Delphes avaient si adroitement réglementée pour assurer le

fonctionnement des oracles, se manifestait librement au cours des cérémo-

nies religieuses en l'honneur de Dionysos.

Les fêtes célébrées en Grèce, et particulièrement à Athènes, au retour

du printemps, étaient l'origine des plus violents troubles nerveux. Elles

remontaient à une antiquité très haute.

La journée se passait en processions et en spectacles, où les fidèles se

livraient à des danses extravagantes. Beaucoup, au dire des auteurs, s'agi-

taient comme des insensés au point d'en perdre la raison, et de tomber par

terre privés de connaissance.

Des troupes de gens couronnés de fleurs, de fenouil, ou de lierre, les

vêtements en désordre, dansaient et chantaient à perdre haleine, déchirant

de leurs ongles et de leurs dents les entrailles toutes crues des victimes,

serrant des serpents dans leurs mains, les entrelaçant dans leur cheveux,

ou se roulant par terre avec les plus étranges contorsions.

Le soir, une foule hurlante s'abandonnait dans les carrefours, à des

transports que l'ivresse du vin ou des sens ne suffisent pas à expliquer.

Et au milieu de ce tumulte, certains se mettaient à prophétiser et pas-

saient pour les révélateurs de la pensée du dieu qui les possédait.

Il parait bien prouvé aujourd'hui que le culte de Dionysos existait depuis

longtemps en Grèce, avant l'arrivée d'Apollon. Et la divination enthou-

siaste régulièrement instituée à Delphes dans la suite, dérive des prophé-

ties incohérentes des adorateurs du dieu cher à la Grèce.

Après avoir recueilli lui-même la succession des oracles rendus par les

(1) Platon, limée, LXXI.

(2) Ibid., Ion. Y.

44 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIÈRE.

divinités chthoniennes. (Goea, les Nymphes, etc.). Dionysos « le premier

dit une. Scholiaste de Pindare, monta sur le trépied prophétique de Pytho

pour y révéler l'avenir ».

Plus tard seulement, apparut Apollon. Le culte du dieu Lycien s'im-

planta par la force de la victoire, et ses prêtres qui n'avaient pas de mé-

thodes divinatoires en propre, s'empressèrent d'adopter la tradition locale.

Ils conservèrent la révélation enthousiaste, mais ils en rapportèrent le pri-

ï ilège au nouvel occupant. -

Ainsi s'est formée la légende qui fait d'Apollon le fondateur de l'oracle

de Delphes.

Il n'en est rien : la Pythie était une Ménade, possédée de Dionysos; elle

n'a reçu son souffle d'Apollon que le jour ou ce dieu s'est installé en maître

dans son sanctuaire (1).

Les Bacchanales célébrées il Rome rappellent de très près les Dionysia-

ques d'Athènes d'où elles paraissent avoir été importées. 11 semble cepen-

dant qu'avant l'introduction du culte de Dionysos en Italie, des cérémo-

nies analogues eussent été instituées en l'honneur de la déesse Libéra.

Les Bacchanales servirent bientôt de prétextes aux plus affreux désor-

. dres. Le sanctuaire de Bacchus ouvert seulement à des femmes dans les

premiers temps, se transforma peu à peu en un lieu de débauche. Une

prêtresse du dieu, Pauculla Annia, se disant inspirée par lui, fut dit-on

l'initiatrice de ces institutions dissolues. Elle mit à la mode les fureurs

sacrées, et bientôt, hommes et femmes s'y abandonnèrent sans réserve.

Les adeptes devinrent si nombreux qu'au dire de Tite-Live, ils formaient

presque un peuple (jam jJl'ope jJop1l11lm). Des hommes et des femmes de

haut rang s'y mêlèrent; on en vint à décider qu'on n'admettrait plus

d'initiés de l'un ou de l'autre sexe au-dessus de vingt ans. Grâce à l'in-

discrétion d'une courtisane, nommée Ilispala Fecenia, le consul Poslhu-

mius put avertir le Sénat de ce scandale; mais plus de sept mille per-

sonnes se trouvèrent compromises dans cette affaire. La répression fut

violente; l'ordre se rétablit enfin. Les Bacchanales devaient cependant

reprendre un nouvel essor au temps des triumvirs, en Egypte, avec les

orgies d'Antoine et de Cléopatre, et plus tard, à Rome, sous les Empe-

reurs, qui donnèrent l'exemple de la plus complète licence.

Ainsi, dans l'antiquité hellénique et romaine, c'est à l'occasion de cer-

taines cérémonies religieuses qu'on voit se manifester ces accidents hys-

tériques, en tous points comparables à ceux qu'on observa plus tard au

moyen âge.

Il semble en effet que ces rites bachiques se soient continués dans les

siècles en conservant leurs caractères névropathiques.

(1) Voy. il ce sujet, Bouché-Leclercq. Ilistowe de la divination dans l'antiquité, Il vol.

LES POSSÉDÉES DES DIEUX DANS L'ART ANTIQUE 45

St-Augustin, en son temps, s'élève contre les danses extravagantes des

gens du peuple à certaines époques de l'année.

Plus tard, à l'occasion de la Noël, de la fète des Rois, et surtout de la

St-Jean, on vi t se reproduire les scènes des Dionysiaques et des Bacchana-

les.

On allumait, à ces dates annuelles, de grands feux sur les places publi-

ques, et tous les habitants dansaient autour une ronde échevelée en pous-

sant des cris sauvages. Là aussi, il arrivait souvent que quelques-uns de

de ces energumènes se roulaient par terre en faisant des gestes désordon-

nés, ou soudain se mettaient à prédire l'avenir.

On le voit, à plusieurs siècles de distance, le tableau n'avait pas changé.

Et les exemples abondent dans les anciennes chroniques.

.1'ai déjà rappelé les épidémies de danse de St-Guy du XIVe siècle dont

la nature hystérique n'est pas douteuse.

On voyait, en Allemagne et en Hollande, des hommes et des femmes

sortir nus ou presque nus de leurs maisons, se couronner de fleurs, et par-

courir les rues en dansant et en chantant. Plusieurs tombaient sur le sol,

hors d'haleine, et restaient ainsi longtemps inanimés. Leur ventre parais-

sait gonflé, et ils portaient une ceinture avec laquelle on les comprimait

quand ils se livraient par terre à des convulsions trop violentes. A peine

revenus à eux, ils recommençaient à danser et à hurler jusqu'à extinction

de forces. (1)

Quelques-uns poussaient des exclamations, des phrases entières que l'on

croyait dictées par le démon.

Sauvages (2) rapporte, d'après Mézeray, des détails analogues sur une

épidémie qui sévit en Hollande en 1373, et qu'on nomma mal de St-Jean.

« On croit, dit-il, que ce mal se communiquait à ceux qui regardaient les

malades trop attentivement ».

Il est impossible de ne pas saisir immédiatement la ressemblance entre

ces scènes el les orgies dionysiaques. On se demande même si elles n'ont

pas été inspirées par ces dernières. Sauvages rappelle à ce propos que les

habitants d'Abdère furent saisis d'une épidémie de ce genre après avoir

assisté aux représentations de 1 ? Iitdi,oiiiide d'Euripide; ils dansaient et

chantaient à l'imitation de Persée.

Il faut encore rapprocher de ces faits ceux qui se produisirent au XV. siè-

cle dans la Pouille, et qui sont décrits sous le nom de Tarenlisme. ·

Matthiole nous apprend que « ceux qui ont été mordus de la tarentule

chantent et crient, pleurent et se mettent à rire sans motif, qu'ils sont tous

(1) V. Brovius. Annales. 1314, no 13, p. 1501.

Raynaldus, 1314, no 13, p. 321.

(2) Sauvages, Nosologie, t. 2, p. î35.

46 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

furieux et exaltés tantôt assoupis et comme morts ». Il faut, pour les satis-

faire, avoir des musiciens il gages qui jouent sans interruption jusqu'à leur

guérison complète.

Il confesse d'ailleurs que tous ceux que frappe ce mal étrange n'ont pas

été mordus par la tarentule (1).

Ce sont encore des accidents de même nature qu'on retrouve dans les

pratiques de certaines sectes religieuses.

Au XVIIe siècle, les Cicètes sautaient et dansaient en priant Dieu.

Dans le pays de Galle, vers 1760, une secte de méthodistes, les Jumpers

(sauteurs), avaient pour usage de sauter et hurler pendant leurs prières.

Ils répétaient jusqu'à cinquante fois les mêmes mots ou les mêmes prières,

et s'excitaient en gesticulant jusqu'à tomber par terre.

« L'enthousiasme se communique à la foule qui, hommes et femmes

échevelés et habits en désordre, crient, chantent, battent des pieds, des

mains, sautent comme des maniaques, ce qui ressemble plus à une orgie

qu'à un service religieux. En sortant de là, ils continuent leurs grimaces

à trois et quatre milles de distance ; mais il en est, surtout parmi les fem-

mes, qu'on est obligé d'emporter dans un état d'insensibilité » (2).

On lit dans Teckel' :

« Au XIVe siècle, les troupes de danseurs étaient accompagnées de mu-

siciens qui excitaient leur ivresse ; et il est probable que les airs trop ani-

més, et les sons perçants des flûtes et des trompettes augmentaient jusqu'à

la furie l'extase, peut-être sans cela bénigne, de bien des malades. Dans

les temps ultérieurs, le but principal qu'on se proposait, en faisant de la

musique, était aussi de rompre la racine du mal lui-même par la violence

des accès (3) ».

Enfin, tout le monde a entendu parler des Derviches, des Ischours ou

Ecumeurs du Caire, des Aïssaouas, et des sectes religieuses de l'Inde, dans

lesquelles à la suite de danses furieuses, les fidèles se livrent il toutes

sortes de débordements ; les uns avalent des animaux repoussants ou des

matières immondes, les autres se font des blessures profondes, de véri-

tables mutilations, sans manifester le moindre signe de douleur.

Ici encore la crise est provoquée par une musique bruyante, par des

rondes et des gambades désordonnées. Et dans leur délire, ils commettent

les actes les plus barbares.

On pourrait multiplier à l'infini les citations de ce genre.

(1) P. A. Matthiole, Commental'ii in G libros, P. Dioscoridiis etc., p. 223.

(2) Abbé Grégoire, Ilsit. des sectes religieuses, éd. 1814, t. 1, p. 85.

(3) llecker. Mémoires sur la chorée du moyen âge, trad. de l'allemand par F. Dubois

(Annales d'hygiène et de méd. légale, 1834, t. XII, p. 313.

LES POSSÉDÉES DES DIEUX DANS L'ART ANTIQUE 47

Je ne fais que rappeler ces documents historiques bien connus pour l'

me limiter à l'étude iconographique.

M. P. Richer a d'ailleurs formulé une opinion qui confirme entièrement

cette interprétation des danses désordonnées.

« La chorée rythmique... qui ne saurait être confondue avec la chorée

vulgaire, doit être rangée, dans certains cas, parmi les manifestations de

la grande hystérie. Elle devient une preuve de plus en faveur de notre

manière de voir, et nous montre qu'il n'y a rien d'irrationnel à rapporter

à la grande hystérie les mouvements rythmés de la dansomanie(1) ».

Tous ces faits sont mieux connus que leurs analogues dans l'antiquité,

et leur comparaison met bien en lumière l'identité des phénomènes ner-

veux qui présidaient à leur apparition.

Eh bien ! Si l'on admet aujourd'hui sans conteste que ces manifestations

bruyantes du moyen âge, n'ont d'autre cause qu'une maladie, il est logique

d'attribuer la même origine à des débordements plus anciens qui s'en

rapprochent par tant de points de ressemblance.

IV

C'est donc dans les monuments figurés représentant les pratiques divi-

natoires, et surtout les rites bruyants du culte de Dionysos, qu'il faut re-

chercher les traces iconographiques de l'hystérie dans l'antiquité.

Si, en s'appuyant d'ailleurs sur les renseignements que fournissent

les documents écrits, on veut bien admettre que dans ces scènes religieu-

ses, une grande part des désordres doit être mise sur le compte de la né-

^ rose, on reconnaîtra facilement que leurs représentations peuvent être

une source féconde de renseignements pour le pathologiste.

Il est probable que les artistes n'ont pas cherché à figurer les attitudes

forcées et les gestes inharmoniques quand ils les observaient dans le com-

mun ; mais il n'en était plus de même quand ils les voyaient se produire

dans les cérémonies religieuses où ces mouvements étranges passaient pour

un signe de la possession des dieux. Certaines poses, par leur caractère es-

thétique et par le mystère qui présidait à leur apparition, devaient les

séduire à ce double titre. Pour eux ce n'étaient pas des malades vulgaires

en proie à une affection convulsive, étranges il est vrai, mais qui, en dé-

linitive n'auraient été que des malades : c'était le Dieu, le Dieu lui-même,

qui s'incarnait en ceux ou celles qu'il daignait posséder.

L'anthropomorphisme qui fait le fond de la religion grecque, à facilité

considérablement la croyance la « possession » des êtres humains parles

dieux.

(1) P. Richer, Études cliniques sur la grande hystérie, p. 617.

48 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIÈRE.

*

Ceux-ci n'étaient que des figures humaines invisibles, se promenant par

le monde, ayant vécu et vivant encore de la vie des mortels, partageant

leurs occupations, leurs passions, leurs plaisirs et leurs peines. Cette idée

qui se retrouve constamment dans la mythologie grecque, supprimait toute

entrave au commerce des dieux avec les hommes, et rendait très admis-

sible leur incarnation temporaire chez un individu par les paroles duquel

ils voulaient faire connaître leur volonté.

Or, l'Art antique est presque exclusivement consacré à la reproduction

de figures mythologiques chères au goût national. Il y a même une cer-

taine monotonie dans les répliques si fréquentes d'un même type figuré.

On répète a satiété le modèle familier, chaque artiste s'ingéniant à le per-

fectionner, sans en modifier le caractère. L'originalité y perd; ainsi s'ex-

plique la pauvreté des détails spéciaux. Il n'est cependant pas impossible

de retrouver de temps en temps une tentative d'observation personnelle.

Et dans les figurations des scènes dionysiaques en particulier, si nom-

breuses dans l'antiquité hellénique, on rencontre parfois des particularités

intéressantes, dénotant chez leurs auteurs une intention évidente de re-

produire exactement les détails qu'ils avaient observés.

Une étude dans ce sens méritait donc d'être tentée et les renseignements

qu'elle peut fournir ont un triple intérêt, pour le médecin, pour l'artiste,

et pour l'archéologue.

J'ai déjà consacré plusieurs mois à ces recherches, tant dans les collec-

tions publiques ou privées que dans les recueils iconographiques des

monuments de l'antiquité. J'ai consulté toutes les formes artistiques :

statues, bas-reliefs, vases peints, bronzes, médailles, terres cuites, pein

tures, etc., depuis les premiers temps de l'art hellénique jusqu'à la fin de

la période romaine. Si les documents que j'ai recueillis jusqu'à présent

sont loin d'atteindre le nombre et l'importance de ceux qu'on a retrouvés

dans les époques moins anciennes, je crois cependant en avoir déjà réuni

quelques-uns qui méritent d'être mis en lumière.

Comme ils n'ont pas tous le même intérêt, je me contenterai de rappor-

ter les principaux. Mais je ne doute pas qu'en persévérant dans celte voie

on ne puisse augmenter dans une notable proportion le nombre des repré-

sentations figurées de l'antiquité qui sont justiciables d'une interprétation

médicale.

V

Le premier monument qui m'ait paru présenter un certain intérêt médi-

cal est un bas-relief en marbre blanc de la galerie des Offices, à Flo-

rence (1).

(1) Je suis fort reconnaissant à M. Saglio qui m'a mis sur la trace de ce curieux do-

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Fin. 9. Une scène d'enthousiasme IIACIIIQUE.

d'après un bas-relief antique du Musée des Offices, il Florence.

LES POSSÉDÉES DES DIEUX DANS L'ART ANTIQUE 51

C'est Zannoni qui le premier l'a fait connaître. Après lui Welcker, puis

Diitschke en ont donné l'interprétation.

Il représente une scène de délire prophétique pendanl une orgie diony-

siaque.

A gauche, une Ménade, le haut du corps penché en arrière, la tète

renversée et les cheveux au vent, danse sur pointe des pieds, suivant le

mode ordinaire. Elle est velue d'une lonque « chiton » transparente,

au travers de laquelle se dessinent ses formes élégantes. Elle tient de la

main gauche un chevreau dont on ne voit que la moitié ; de la droite, une

couronne de lierre, offrandes qu'elle apporte au dieu. -

Celui-ci, debout au milieu de la scène, s'appuie du coude sur un arbre

(chêne ou platane) symbolisant une forêt. De la main gauche, il tient un

thyrse. Un manteau, dont une extrémité est relevée sur son épaule droite

couvre de larges plis la partie inférieure de son corps. Le bras droit, le

torse, le centre et le haut des cuisses sont nus. A ses pieds, un animal qui

cument iconographique. Voici les principaux renseignements que j'ai recueillis à son

sujet :

Ce bas-relief faisait partie autrefois des collections du Palais Riccardi, à Florence. 11

a été transporté aux Offices au commencement du XIX, siècle. - Il y est inscrit sous

le n° 333 de l'ancien catalogue et sous le n°jl6 du catalogue Dïtschke (3878). II.0,47.Larg.

0,4.'), marbre blanc, fendu au milieu, bordure moderne.

Voy. sur ce bas-relief ; °

F. G. Welcker Aile Venkma ? ler. Basreliefe und gesclmittne Steine. II partie. Gottingen,

18 : i0, p. 111. Dem Dionysos rasende Thyiaden, et la planche V. 9, Zannoni. Licurgo, T. 2.

Dritsclike, Antike Bitdwerke, Die Antiken mannorbildwerke der Ullizien in Florenz,

18zig, p. 226, n a10. Bas-relief bachique.

Je dois ajouter à ces renseignements ceux qui m'ont été communiqués par cl. Salo-

mon Heinach, lequel a consulté à ce sujet)1. )Iicha¡'lis (de Strasbourg) qui a vu ce bas-

relief en 1861. Pour ce dernier, le monument serait d'un intérêt médiocre, d'un travail

plat et insignifiant. Il n'est pas éloigné de souscrire à l'opinion émise par Ileydmann

(Mittheil. aus den Antiken Sammlungen, 1879, p. 7;i, ne 516) qui émet des doutes sur

l'antiquité de ce bas-relief.

Malgré la haute compétence de ces archéologues, on ne peut se prononcer d'une façon

formelle en faveur de leur appréciation. Welcker croit fermement à l'authenticité du

monument, et Dutschke dit catégoriquement qu' « il ne le croit pas moderne » L'un et

l'autre l'interprètent de la même manière, comme une scène d'inspiration dionysia-

que.

Hauser a vu également ce bas-relief et a trouvé que la ménade de gauche ne se rap-

portait pas exactement à ses types figurés. Ce n'est pas une raison suffisante pour pro-

clamer qu'il est apocryphe. On pourrait faire la même critique à beaucoup d'autres

Ménades sur des monuments dont la date n'est pas discutable. Si le système d'IIauser

a des avantages pour faciliter les études des types figurés, il expose aussi à bien des er-

reurs en exagérant la classification des oeuvres d'art.

Welcker a donné du bas-relief de Florence une bonne reproduction au trait d'après

laquelle j'ai fait le dessin reproduit fig. 9. J'ai pu contrôler, sur une photographie toute

récente que j'ai eue entre les mains, l'exactitude du dessin de Welcker, et, jusqu'à preuve

du contraire, j'accepte ses conclusions et celles de Dtitschke sur l'authenticité et la si'

unification de ce monument.

52 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA A L l' Ih R 1 È Il E.

paraît être un tigre est accroupi dans la pose d'un sphynx. On retrouve

le même animal clans un grand nombre de scènes bachiques tantôt mêlé

aux ménades et aux satyres et participant à leurs gestes désordonnés, tan-

tôt immobile, purement symbolique (1).

Dionysos, couronné de lierre, regarde vers la droite. Sa figure est calme

et ne manque pas de majesté. Il contemple ses adoratrices que sa vue a

plongées dans l'enthousiasme divin.

L'une d'elles, assise sur un rocher, vêtue d'une tunique transparente et

d'une sorte de chemisette a plis onduleu; élève vers le dieu ses deux bras

nus entourés de serpents (2), tandis qu'elle baisse la tète.

Enfin le côté droit de la composition est occupé par un groupe de deux

personnages.

Une femme, velue d'une longue « chiton » transparente qui moule les

formes de son corps et descend en plis harmonieux jusqu'au sol, se ren-

verse brusquement en arrière entre les bras d'un homme qui s'avance pour

la retenir.

Cet homme, dit Welcker, ne joue qu'un rôle accessoire : il n'a pas plus

de signification qu'un objet inanimé. Il est là pour donner à la chute de

la femme une allure plus gracieuse. D'ailleurs, les hommes n'étaient pas

exclus des scènes bachiques qui se passaient en plein air. Au dire de Plu-

tarque, quand les Thyiades étaient surprises sur le Parnasse par la neige

et les tempêtes, des hommes venaient souvent à leur secours.

Tels sont les personnages et l'interprétation que les archéologues en

ont fait.

« Ce bas-relief, dit Welcker, bien mieux que les autres scènes bachi-

ques, donne l'idée de la possession psychique des prophétesses enivrées par

la musique et la danse, et surtout par le contact fanatisant du dieu ».

Entre les deux ménades de droite, se dresse une colonne ornée de feuil-

les corynthiennes et surmontée d'un trépied. Deux palmes y sont attachées

en manière d'ex-votos. Ce détail a son importance : il montre que la scène

enthousiastique a lieu en honneur de Dionysos et d'Apollon. On sait

quelle étroite fusion s'était faite entre leurs deux cultes, à Delphes en par-

ticulier. On retrouve le même décor sur plusieurs vases antiques dont la

provenance est hors de doute, la Pythie s'y trouvant figurée. Un des fron-

(1) Voy. sur une coupe du musée de )lmiicli (n° 332) une ménade tenant un thyrse

d'une main et une panthère ( ? ) de l'autre. Repr. dans Abhandl. Miinch. Akad. Taf. 4.

kl. IV. 2. et Baumeister. Denkmoeler des class. Althcrth. Tome lI, fig. 928. - Voy.

aussi Wieseler Il, 579. Ménade et panthère.

(2) Il ne nous reste aucune trace de cette sculpture, oeuvre de deux élèves de Phidias,

Praxias et Androstènes. (Pausanias X, 19, 3).

LES POSSÉDÉES DES DIEUX DANS L'ART ANTIQUE 53

Ions du temple de Delphes représentait le cortège de Bacchus avec les

danses des ménades qui* en faisaient toujours partie (1).

Il est donc légitime d'admettre avec Welcker et Dûtschke que la scène

se passe dans les environs de Delphes, sur les collines où se célébraient

les fêtes en l'honneur de Dionysos.

Soepe vagus Liber Parnassi vertice summo

Thyiadas effusis eventes crinibus agit,

dit Catulle (2).

L'époque à laquelle remonte ce monument est difficile à préciser. Diils-

chke fait remarquer avec raison qu'on trouve des contradictions dans la

composition : ainsi les plis du manteau de Dionysos et de la tunique de la

ménade de droite sont brisés dans le goût archaïque. La danseuse de gau-

che et la prophétesse assise ont au contraire des vêtements dont les plis

sont librement et largement traités. Dans la tète presque humaine de la

panthère on retrouve aussi une note contradictoire. Mais ceci n'est pas

rare dans les oeuvres archaïques, et on peut se ranger à l'opinion de Diils-

chke qui ne trouve rien de suspect dans ce bas-relief (3).

C'est Dionysos qui l'anime et elle prophétise à la façon de Cassandre

qu'Euripide nommait une Bacchante prophétique (avrezô7.oç Bâr.r). Le

rocher, sur lequel elle est assise, surplombe peut-être une de ces crevasses

mystérieuses d'où s'exhalait le souffle divin, au dire des auteurs grecs.

Diilschke incline vers celle hypothèse et donne déjà cette explication de l'ex-

pression extatique de la Ménade.

Il est certain qu'elle rappelle l'allure des hystériques dans la période

des hallucinations de l'attaque. Elle parle sans doute, prononçant ces phra-

ses entrecoupées qui servaient de trame aux oracles de Delphes, et qui n'é-

taient vraisemblablement que des lambeaux des discours recueillis pendant t

la phase délirante.

Peut-être l'artiste a-t-il voulu représenter la Pythie elle-même : la co-

lonne, le trépied et les palmes symboliques viendraient à l'appui de celte

opinion.

Enfin les serpents qui entourent ses bras indiquent bien qu'il s'agit d'une

(1) Voy. Pausanias, Les orgies des ménades sur le Parnasse, X, 32,5.

(2) Catulle, LIV,391.

(3) Des scènes d'inspiration prophétique analogues sont figurées sur des vases peints,

où les attitudes des personnages ne sont pas mouvementées. Mais on y retrouve les

mêmes accessoires symboliques : la colonne surmontée d'un trépied, les palmes, etc. -

Voy. Lenormant et de Wite : Elite des iiionuiiients céramographiques. F II. pl. XLII.

pl. XLV et pl. LXil, LXVIII. « L'inspiration prophétique de la Pythie qui tombait en

convulsions quand elle rendait des oracles est confondue avec la fureur orgiaque que

la liqueur bachique inspirait aux ménades. » La Pythie semblait une bacchante (sfxSctx-

/EUM9o ! t) en état d'ivresse (è1l 7rUPO ! 11Íf{-) (St-Jean Chrysostome).

54 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

scène d'inspiration prophétique. On se rappelle la fable de Pytho ; et les

écrivains de la Grèce racontent en maints endroits que, dans les cérémo-

nies de divination enthousiaste, les prêtres avaient coutume d'enrouler des

serpents autour des bras des prophétesses, afin de frapper l'esprit des con-

sultants (1).

Voyons maintenant l'interprétation qu'on peut faire de ce monument au

point de vue médical.

Sur les cinq personnages qui composent cette scène bachique, les deux

ménades de droite présentent seules un réel intérêt. Le dieu qui préside a

celle cérémonie mouvementée en éclaire simplement l'origine. L'homme

qui reçoit une des femmes entre ses bras, n'est qu'un comparse sans im-

portance. Et la ménade de gauche, qui apporte en dansant ses offrandes,

ne présente pas, dans ses gestes ni dans son attitude, de caractères suffisam-

ment indiqués pour qu'on puisse les rapporter iiiie manifestation patholo-

gique. Encore faut-il faire certaines réserves à son sujet, et j'aurai l'occa-

sion d'y revenir il propos des danses bachiques figurées.

Mais la femme assise, qui lève les bras en l'air, et qui semble absor-

bée par une vision intérieure, mérite plus d'attention. Elle parait com-

plètement étrangère à la scène qui l'entoure. La présence du dieu la trans-

porte et la met hors d'elle-même. Elle en est vraiment possédée.

La pythonisse élève ses bras vers le dieu. C'est un geste qui n'est pas

rare au cours des attitudes passionnelles de l'attaque hystérique; on le re-

trouve souvent décrit clans les récits des exorcistes : c'est tantôt une pose

d'humble adoration, tantôt un symbole de crucifiement, et, dans ce cas, la

raideur cataleptique est quelquefois notée.

Il serait assurément téméraire de vouloir préciser à quelle période de

l'attaque classique correspond le geste de cette ménade. Est-ce une attitude

passionnelle, ou une pose cataleptique ? Ou même ne serait-ce qu'un

stade des mouvements désordonnés qui ont reçu le nom de salutations ?

Il est impossible de se prononcer à coup sûr. Mais pour tous ceux qui on[

fréquenté les services de maladies nerveuses, l'analogie ne peut manquer

de ressortir entre l'attitude de cette figure antique et celles de certaines

grandes hystériques en attaque.

L'autre ménade, qui se renverse brusquement en arrière entre les bras

de l'homme qui la soutient, est encore plus intéressante au point de vue

de l'interprétation médicale.

« Elle n'est pas morte, dit Welcker comme on a pu le croire ; mais elle

(1) Voy. aussi Catulle : pars sese tortis scipeiilibiis incingebanl. - Sur la coupe de

Munich citée plus haut, les cheveux de la Ménade sont entremêlés de serpents.

Voy. aussi : lin II. 1·cheol. Napoli. Naoua série. Anno III. Tav. II.

LES POSSÉDÉES DES DIEUX DANS L'ART ANTIQUE 55

perd subitement connaissance. » Si l'on examine attentivement les détails,

on verra en elfet qu'il ne s'agit pas d'un évanouissement vulgaire.

Ce renversement violent du corps et de la tète en arrière, est caractéris-

tique des pertes de connaissance dans la névrose. La pose est forcée à des-

sein. Et bien que les contours soient harmonieusement tracés, on ne peut

se méprendre sur l'origine de cet ictus. Il faut noter en particulier la rai-

deur des jambes et la position des pieds juxtaposés en extension, le talon

détaché du sol. Ce n'est pas là une faute imputable à l'archaisme de la

composition : l'artiste a su traiter le torse et les bras avec une grande sou-

plesse, et il faut admettre que ces incorrections apparentes sont le fait de

l'observation judicieuse d'un phénomène qu'il lui a été donné de contem-

pler.

On peut donc, selon toute vraisemblance, interpréter cette figure comme

représentant un ictus hystérique chez une prophétesse de Dionysos.

Il est fort intéressant de rapprocher de ce bas-relief antique, certains

tableaux des maîtres italiens reproduisant des scènes de possession démo-

niaque.

Telle est la fresque d'Andréa del Sarte dans le cloître de l'Amlunciclta à

Florence, où l'on voit St-Philippe de Néri exorcisant une possédée. Une

femme tombe à la renverse entre les hras d'un homme qui la retient par

la taille ; sa tète est fortement rejetée en arrière, les cheveux épars. Les

membres inférieurs sont légèrement fléchis, et les pieds convulsés, la pointe

en dedans. La main droite est manifestement crispée.

Sur le dessin reproduit par Welcker, la main droite semble tombante,

inerte et molle. Elle m'a paru, sur la photographie du bas-relief lui-même,

en flexion un peu exagérée vers le bras. Je n'aurais pas attaché de valeur

à ce détail, si, sur un autre monument figuré représentant la chute d'une

ménade, je ne l'avais trouvé extrêmement accusé, et trahissant l'intention

év idente de l'artiste de reproduire celle attitude ; on peut donc y voir une

tentative pour indiquer une ébauche de contracture.

Sur la fresque d'Andréa del Sarte, on reconnaît aussi le gonflement du

cou, la turgescence de la face qui caractérisent la perte de connaissance

hystérique. La figure de la ménade antique est trop détériorée par le

temps pour qu'on puisse y découvrir les mêmes détails ; mais le gonflement

du cou, est encore très manifeste.

Dans la plupart des scènes représentant des démoniaques on retrouve le

comparse qui reçoit dans ses bras la possédée, et qui cherche, assisté par-

fois d'autres personnages, à maîtriser ses convulsions (1).

(1) Voy. dans les Démoniaques dans l'arl, St Benoit guérissant un possédé, d'après une

fresque de Louis Carrache. Sainte Claire délivrant une dame de Pise d'après Adam

von Voort (XVII, S.) - Et les possédées de Ruhens (Vienne, Gênes).

56 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Ce serait peut-être un argument en faveur de ceux qui voudraient con-

tester l'ancienneté du bas-relief de Florence, si on ne retrouvait la même

composition sur d'autres représentations antiques dont l'authenticité ne

peut être mise en doute.

Il est un autre rapprochement curieux qu'on peut faire au sujet de ce

bas-relief. Je veux parler d'un tableau tout moderne d'un artiste de talent

qui a été guidé dans sa composition par les maîtres de la neuropathologie.

M. Brouillet a exposé, au salon de 1887, une toile qui fit sensation, el

représentant- : « Une leçon du DI' Charcot Il la Salpêtrière ».

Sans vouloir porter de jugement sur la valeur artistique de celle oem re,

je rappellerai seulement le groupe de droite, où est figurée une hystérique

tombant en attaque entre les bras du chef de clinique qui se précipite pour

la retenir. La simple comparaison de ce groupe avec celui du bas-relief de

Florence méritait d'être faite. C'est le même renversement du corps et de

la tête en arrière, le gonflement du cou, la raideur des membres, la même

pose il la fois abandonnée el violente.

Seulement M- Brouillet qui a voulu faire vrai en même temps que beau,

a accentué les caractères somatiques tels que les contractures du pied el

de la main.

L'artiste ancien, s'il ne les a pas indiqués avec une semblable précision

scientifique a cependant montré par certains détails, qu'ils ne lui avaient

pas complètement échappé.

C'était aussi l'opinion de Welcker (1) : « Il faut avoir observé les dan-

ses des derviches, on de certaines sectes chrétiennes de l'Amérique du

Nord pour reconnaître dans ces belles figures la part qui doit être attribuée

aux manifestations extérieures de la possession et celle qu'on peut rappor-

ter à la fantaisie de l'artiste. »

Cet examen comparatif me paraît légitimer l'interprétation médicale de

ce bas-relief antique. Dans les tentatives de ce genre on ne saurait s'en-

tourer de trop de précautions. Et je n'aurais pas entrepris celte analyse

médico-artistique, si je n'avais eu d'autre part des arguments tirés de textes

anciens, qui viennent confirmer cette hypothèse à savoir que les scènes de

divination enthousiaste et les orgies dionysiaques étaient des manifesta-

tions pathologiques d'un délire, vraisemblablement d'origine hystérique.

(1) Welcker, loc. cil.

LES POSSÉDÉES DES DIEUX DANS L'A R ANTIQUE 57

VI

Sur un vase peint de la collection Jazz Ruvo, j'ai rencontré une autre

figure de ménade qui me semble aussi justiciable de la critique médi-

cale (1).

Au milieu d'une scène de pompe dionysiaque, se trouve un groupe re-

présentant une ménade soutenue par un personnage ailé et hermaphro-

dite.

(1) Voici, dans l'ensemble, la description de ce vase :

Les figures sont rouges sur fond rouge, avec quelques touches blanches, surtout dans

les accessoires.

Au milieu de la composition, sur un char traîné par deux panthères au galop, se

tient un jeune Bacchus, velu d'une chlamyde flottante, la tête couronnée de feuillage.

Une longue mèche de cheveux tombe sur son épaule. De la main gauche il tient les re-

nes ; de la droite, un thyrse. Une chèvre le précède, courant à toute vitesse ainsi qu'un

satyre complètement nu, qui tient un thyrse de la main droite. Un autre satyre obèse

le suit, tenant une torche dans chaque main, vêtu d'une clamyde, et chaussé.

A la partie supérieure, d'un côté une Bacchante danse suivant le mode ordinaire, te-

nant un tympanon iL la main.

De l'autre côté, se trouve le groupe des deux personnages décrits plus loin. En haut,

des bandelettes et des feuilles de lierre.

Enfin sur la face opposée du vase, sont trois figures ; un jeune homme nu, avec un

thyrse, une coupe et une grappe, accompagné de deux femmes portant les différents

attributs des danses dionysiaques.

Fig. 10.

58 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALI'L'l'R11 : 1tE.

Cette bacchante, les vêtements en désordre et les cheveux épars, tombe

sur les genoux, tandis que sa tête elle haut de son corps se renversent vio-

lemment en. arrière. Une étoffe souple et transparente dessine ses formes.

Le cou et le torse nus sont ornés de colliers, elles bras, nus également, de

bracelets. De la main droite, elle tient un tympanon, et de la gauche,

elle laisse tomber un thyrse qui se brise pendant sa chute.

L'hermaphrodite ailé qui la reçoit dans ses bras, est une de ces ligures

énigmatiques si fréquemment représentées dans les scènes dionysiaques,

et dans beaucoup d'autres compositions mythologiques.

La multiplicité des explications qu'on a proposées, pour interpréter ces

personnages symboliques, est une preuve de l'ignorance où nous sommes

de leur réelle signification. Est-ce un Eros ? Est-ce un Génie ? Peut-être,

comme on l'a hasardé, est-ce le génie ailé de Bacchus lui-même ? En atten-

dant que les archéologues aient fait la lumière sur ces mystérieuses images,

on peut passer outre, car, dans le groupe en question, l'hermaphrodite

ailé n'est pas la figure qui réclame une interprétation pathologique.

Minervini qui a donné une bonne description de ce vase (1), a montré

son importance au point de vue archéologique.

« Si le style n'est pas des plus parfaits, dit-il, il faut reconnaître que

la pompe dionysiaque y est rendue avec une expression de vérité et de

mouvement surprenants : et ce monument est un des plus précieux que

nous possédions sur ce sujet ».

« Au premier abord, on voit dans cette scène un sujet assez banal re-

produisant une fêle en l'honneur de Bacchus; mais après un rapide examen,

on y trouve une particularité importante qui attire toute l'attention des

archéologues.

« La figure qui réclame tout notre intérêt est celle de la Bacchante qui

tombe sur les genoux soutenue par un hermaphrodite.

Minervini, après avoir comparé certains détails d'attitude et de costume

à ceux qu'on retrouve sur d'autres représentations figurées, ajoute : « par

sa singulière position, cette ménade exprime bien le caractère du délire

dionysiaque : elle semble certainement possédée par le dieu ».

L'interprétation médicale vient confirmer l'opinion du savant archéolo-

gue. Car si l'on a pu reconnaître dans les figurations de démoniaques, des

marques indiscutables de l'hystérie, on peut, je crois, les retrouver sur

cette peinture antique, avec non moins de certitude.

Cette chute violente, ce renversement exagéré de la tête avec la saillie

du cou en avant, tout cet ensemble convulsif et désordonné, sont déjà des

indices non équivoques d'un ictus nerveux.

(1) Voy. Brrllelino (/¡'cheologico napolitano. N° 98, (24 dell' anno IV) juin 1856.

LES POSSÉDÉES DES DIEUX DANS L'ART ANTIQUE 59

Mais, il y a plus encore. La main gauche qui tenait le thyrse, ne l'a pas

laissé échapper par inadvertance ou par faiblesse, la force lui manquant

pour le soutenir ; elle est manifestement en contracture : les doigts sont

crispés sur la paume, et la main entière est en flexion forcée sur l'avant-

bras

Celui-ci même, plié à angle droit sur le bras, semble indiquer que la

raideur a déjà envahi tout le membre.

Ces détails sont trop significatifs pour pouvoir être mis sur le compte

d'une exécution fortuite. L'artiste qui les a indiqués, a fidèlement repro-

duit une observation consciencieuse de la nature. Ces attitudes inusitées

passant à ses yeux pour des manifestations de la possession divine, il s'est

attaché avec sollicitude il en figurer les caractères. Toute idée deprécision

scientifique était assurément bannie de son esprit; on ne peut cependant

s'empêcher de reconnaître qu'il a introduit dans son oeuvre, un élément de

vérité, qui, sans nuire à la valeur artistique, la rend particulièrement inté-

ressante pour le médecin et l'archéologue.

. VII

Dans un très grand nombre de scènes bachiques, les ménades sont repré-

sentées se livrant à des danses désordonnées et violentes dont le caractère

convulsif avait depuis longtemps frappé les observateurs.

Certains artistes ont rendu avec une grande sincérité des altitudes, qui,

pour paraître excessives, n'en sont pas moins véritables. S'il est rare de les

rencontrer dans les danses soumises à un rythme musical modéré, on

peut les retrouver dans les contorsions frénétiques de certaines sectes reli-

gieuses, aussi bien dans l'antiquité que de notre temps.

Il suffit de relire les rites orgiaques des Curetés, des Corybantes, des prê-

tres saliens, les scènes tumultueuses des Dionysiaques et des Bacchanales,

ou encore d'assister de nos jours aux cérémonies tapageuses des Aïssaouas,

pour se convaincre que ces poses outrées sont l'expression d'une réalité,

et non d'une fantaisie du dessinateur.

Doit-on les interpréter comme des manifestations d'un état névropathi-

que ? Ici sans doute, il faut laisser la plus large part à l'hypothèse.

Quand on rencontre, dans un document figuré, un caractère sur la nature

duquel il est impossible de se méprendre, une contracture, par exemple,

la critique médicale s'impose. Mais lorsqu'on n'a affaire qu'à des gestes ex-

cessifs et à des postures mouvementées, sans autre détail pathognomoni-

que, on doit se borner simplement à formuler une interprétation vrai-

semblable.

C'est, il faut le reconnaître, le cas le plus fréquent. Et quelque nom-

breuses que soient les représentations de ce genre dans les oeuvres d'art de

60 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

l'antiquité, elles ne peuvent fournir que des indications de valeur secon-

daire à la critique médicale.

Néanmoins, je crois qu'il ne faut pas les rejeter systématiquement, et

tout en reconnaissant leur importance accessoire, j'ai pensé qu'il n'était

pas inutile de les recueillir. Elles ont en effet l'avantage d'éclairer et de

compléter les renseignements fournis par les textes. D'autre part, ceux-ci

sont assez édifiants par eux-mêmes, pour qu'on puisse prétendre avec vrai-

semblance, que les personnages figurés dans les danses bachiques, étaient

dans un état nerveux spécial.

La plupart des représentations figurées de ménades -nous les montrent

dansant sur la pointe des pieds, le torse fortement rejeté en arrière, la tète

renversée d'une façon excessive, et le cou proéminent (Fig. 11) (1).

Les bras harmonieusement disposés indiquent cependant des gestes vio-

lents. Ils sont parfois entourés de bracelets ou de serpents. Les étoffes sou-

ples et transparentes dont les ménades sont vêtues semblent souvent dans

le plus grand désordre, et il n'est pas rare que le haut du corps soit mis à

nu (Fig. 12) (2).

(1) Voy. Wieseler. Il. 196, 564, 583, 616.

(2) Voy. Stackelberg. Die Graber der Ilellenen. Fig. 2L

Fig. 11.

Les possédées des dieux dans L'ART antique 61

Elles tiennent dans leurs mains les accessoires accoutumés des pompes

dionysiaques : des instruments de musique, cymbales ou tympanons, des

thyrses, des grappes de raisin, ou bien des torches et des animaux destinés

au sacrifice (1).

C'est à Scopas qu'on doit, au dire des archéologues, la première com-

position artistique qui a déterminé le type figuré reproduit depuis lors

avec une si grande fréquence. Le rhéteur Callistratos parle avec admira-

tion de l'oeuvre du maître. Nous en possédons probablement des répliques

sur un bas-relief en terre cuite coloré du musée Campana (2), et sur un

vase de marbre de Sosibios (3).

Le renversement de la tète et du corps en arrière y sont bien indiqués ;

mais sans caractère spécial.

On retrouve encore cette particularité chez plusieurs Bacchantes dont

un genou repose sur un autel, et qui soulèvent dans leurs mains des sta-

tuettes de divinités (4).

Il n'y a pas lieu d'insister sur les autres types figurés de ménades.

Ceux-ci sont très nombreux mais n'ont aucune signification médicale.

Telles sont les ménades couchées sur des dauphins dont il existe de fré-

quentes répliques sur les terres cuites anciennes (5) ; les ménades sur des

boucs, qu'on rencontre dans les scènes d'orgie bachique accompagnées de

l'aunes et de satyres dans des poses indécentes (G) ; Enfin certaines com-

(1) Voy. Panofka. Abhandl. Berl. Akad. 1S52. 341 et 132. Abb. 419.

Les danses des Torches sont souvent citées par les auteurs grecs. - Sophocle. Ant.

1132, Euripide. loin. 112. - Bacch. 306.

Consulter aussi pour les représentations figurées des scènes dionysiaques :

Annales de l'Institut de Corresp. Archéol. 1si4. Tav. II. - Jahrbuch des Kaiserl.

deutscli. rlrchéolog. Instituts. 1889. p. 158, Mon. Inéd. de l'Inst. de Corresp. Archéol.

T. V. pl. XXIX. - Tischbein. Rec. de vases. Tome III. 20, 21, 25.

(2) Campana opère plast. pl. 41. - et Baumeister. II. fig. 929. pl. XVIII.

(3) Wieseler II. 602. I. 140. - Clarac. pl. 135.

(4) Bouillon Musée I. 1. - Wieseler II. JG9, J 1 O. Froehner. Musées de France, pl. 27.

( : i) Voy. aussi Zahn, Pompéi, Wandgem, I, 64.

(6) Mùnchener Vase, N° 359. - et les peintures du musée secret de Pompéi.

Pic. 12.

62 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

positions symboliques, représentant des danses de ménades dans l'air, et

qu'on peut comparer aux envolements des sorcières pour le sabbat (1).

Les Furies sont aussi représentées dans des poses violentes, courant à

toute vitesse, les membres contorsionnés, des serpents dans leurs cheveux

et autour des bras. Elles ont de grandes analogies dans le geste et l'atti-

tude avec les ménades. On les reconnaît aisément dans les scènes qui re-

produisent des épisodes de la vie d'Oreste (2).

Les Fureurs de Lycurgue, roi de Thrace, qui, dans un accès de folie reli-

gieuse, tua sa femme el son enfant, ont inspiré fréquemment les artistes

grecs. Elles représentaient pour eux le plus haut degré de l'enthousiasme

prophétique, et il sont cherché à le rendre dans leurs compositions, en exa-

gérant les attitudes de ceux qui en étaient atteints.

On peut voir celle scène tumultueuse figurée sur un vase de marhre à

Florence, et l'on retrouve chez les adeptes, hommes ou femmes, que Ly-

curgue entraînait dans son délire, des poses mouvementées et des gestes

(1) Pitture d'Ercolona, I, 135. Baumeister, p. 933, ménade sur un centaure.

Mon. Inst. Marmordiscos, V. 29.

Cf. aussi Baumeister, Deukmter des class. Alterlhums, art. Ménades.

(2) Consulter à ce sujet :

Overbeck, Taf. 29, 5. - 29, 4. - Compl. rend. Sl-1'élersbourg, 1863, Taf. VI. - Wie-

seler, Denkm., II, 148. Mon. Inst., IV, 48. - Baumeister, l. c., fig. 1314. - \lillin-

gen, Peintures de vases, II, 68, et Baumeister, 1. c., fig. 1 : 3111.

Fig. 13.

LES POSSÉDÉES DES DIEUX DANS L'ART ANTIQUE 63

excessifs, rappelant ceux des ménades possédées par le dieu (Fig. 13) (1).

Dans ces divers monuments figurés, il serait hasardeux de soutenir

qu'on retrouve des traces manifestes de l'hystérie.

Les danses désordonnées n'ont jamais constitué un caractère certain de

la névrose, cependant, on l'a vu, elles en sont parfois une des manifes-

tations. Au cours de la période délirante, il n'est pas rare de les voir se

produire, et chez certaines malades, elles revêtent l'allure des danses que

les anciens nous ont décrites et figurées, témoin ce passage de l'obser-

vation d'une grande hystérique de la Salpêtrière :

« Gcn.... court à demi nue, les cheveux au vent, la tête renversée,

balançant le tronc en avant et en arrière, sautant d'un pied sur l'autre,

accélérant ou ralentissant sa marche, et élevant les bras qu'elle agite au-

dessus de sa tète..

Elle pousse des cris de bête féroce ou bien déclame des discours insen-

sés ». (2)

(1) Monuments inédits de l'Iiist. de corresp. Archéolog. T. IX ch. Pl. XLV. Le mythe

de Lycurgue sur un cratère de marbre. Welcker. Aile Deukmaler. Tome II, p. 94. Taf.

III. 8. Zannoni. Illustrazione di un antico vaso in marmo appartenante al principe

Corsini et cozzservato nel suo palazzo di l'irenze. Firenze. preno Cardetti, 1826. fol.

(2) Voy : Iconographie phot. de la Salpêtrière. t. I, p. 49, et P. Richer. Etudes cliniq.

sur la grande hystérie, 1885, p. 5.

Fig. li.

Fig. 15.

64 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Ainsi faisaient les ménades dans le cortège de Dionysos, et les adorateurs

du dieu, aux fêles qui se célébraient annuellement, se livraient la même

chorégraphie.

Enfin, si l'on veut bien comparer aux représentations anciennes, les

croquis d'une malade .faits d'après nature, par M. P. Richer, il y a pln-

sieurs années, on se rendra facilement compte de l'analogie des altitudes et

des gestes (Fig. 14 et 15).

Quoiqu'il en soit, il convient de ne pas exagérer la valeur de ce paral-

lèle, et, jusqu'à plus ample démonstration, il ne faut y voir qu'un curieux

rapprochement entre deux images similaires, ayant probablement même

raison d'être pathologique.

Il n'en est pas de même des personnages étudiés dans les deux premiers

monuments. Le caractère névropathique de leurs attitudes ne paraît pas

douteux. Ils justifient la tentative faite pour retrouver dans les oeuvres

d'art de l'antiquité, des indices figurés des manifestations de l'hystérie. (1)

Henry MEME.

(1) J'ai recueilli également un certain nombre de représentations figurées de la

Pythie et des Sibylles remontant à une date beaucoup moins éloignée. Ces docu-

ments, d'une importance secondaire, sont cependant intéressants, à rapprocher des

figurations antiques. lls donnent une idée de l'interprétation que les artistes chrétiens

ont su faire de ces prophétesses légendaires. Les caractères pathologiques ne s'y ren-

contrent pas ; on reconnaît néanmoins dans quelques images, l'indication des phéno-

mènes convulsifs qui sont le propre de la divination enthousiaste.

La Pl. VIII, reproduit une gravure tirée d'un volumineux ouvrage sur les Sibylles et

leurs oracles, oeuvre de compilation fort indigeste, écrite en un latin barbare, par un

prêtre de Harlem, Servatius Gallxus. Ce livre contient la biographie de toutes les pro-

phétesses célèbres, et leurs portraits gravés par IL de Ilooge. (Servatii Galloei Disser-

tationes de Sibyllis earumque oraculis cum figuris ameis. Amstelodaini, 168S).

Il s'agit ici de la Sibylle ou de la Pythie de Delphes que l'artiste a figurée en s'ins-

pirant d'un passage de Proclus (ad Porphyrium).

« Sibylla quie Delphis est, I)eum in se admittit duobus modis. Vel subtilissimo va-

pore calido et sicco ignere nature, qui exhalât ex hiatu speluncaj ; vel sedens in Sanc-

tuario in aheneo tripode sacro Apollini.. , .. Aliquando sedens in tripode sacro, in quo

se Deo venienti accommodat, vaticinationi firma; se componit, et sive hoc, sive preece-

denli modo, Pythia Deo tota repletur ».

Il serait oiseux d'insister sur les anachronismes de la composition. Mais il n'est pas

sans intérêt de constater l'attitude désordonnée des membres, et surtout la convulsion

des yeux de la Pythonisse.

Le gérant : Louis BATTAlr.r.E : .

Iniji. Vvo LounooT, 33, rue des Balignolles, Paris.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

DE LA STATION

lSous le litre de « jJh ? siologie lI/'lislÏljlle de l'h01l11lw l'II ? llOllrelUcul »

notre collaborateur. M. le D'' Paul Richer \a publier prochainement une

1res intéressante élude de morphologie humaine dont nous a\ on : , la bonne

fortune d'offrir aujourd'hui un chapitre inédit à nos lecteurs.

Le nouvel ouvrage de M. P. Richer continue la série des travaux que

celui-ci a entrepris sur l'analyse et l'interprétation des formes extérieures

du corps humain. Son « Anatomie artistique » (1) constitue la base fon-

damentale sur laquelle s'édifient peu à peu des éludes dans la même voie,

importantes pour le médecin autant que pour l'artiste.

Après avoir tiré parti des connaissance* d'anatomie pure pour donner

la description et l'explication des formes humaines, il fallait étudier les

modifications que le mouvement imprime à ces formes, chercher la raison

et les lois de ces changements, en un mot, il fallait tenter de décrire une

)MO)/tO/0t< ? Si'0/0.f ? «;.

Un pareil travail ne pouvait être entrepris que par un médecin doublé

d'un artiste. l1. P. Richer, réunissant ces deux avantages, a su éclairer

ses considérations scientifiques par de très nombreux dessins aussi in<-

- tructifs qu'élégants.

Il était en outre indispensable d'utiliser pour l'étude de l'homme en

mouvement, les procédés de photographie qui fournissent aujourd'hui de

si précieux renseignements. Dans ce but; M. Londe a imaginé un nom et

appareil de chronophotographie pour obtenir une série d'images distinctes

(1) l'. HILIlr.n, Anatomie artistique, Description des formes extérieures du corps hu-

main. Pion. Nourrit et Cie, Paris 1890. Yoy. Iconogr. de la Salpét1 ? 111, 1890, p. 20

vu 5

GG nouvelle C 0 1'\ 0 G Ii .\ l' 1111.; 11 ¡.; L.\ S.H l' ¡ : ; T Il II Il E.

d'un même mouvement à intervalles très rapprochés (1). L'examen de ces

images a permis de relever des particularités intéressantes qui passaient

inaperçues sans leur secours.

Le chapitre que nous publions traite des différents modes de station

chez l'homme sain. Il est d'un grand intérêt pour un artiste; mais son

importance n'est pas moindre pour le médecin; car, de la connaissance

exacte des lois de la station normale dépend l'interprétation judicieuse

des stations pathologiques.

Ces dernières feront l'objet d'une série d'études ultérieures, et nous

aurons l'occasion de donner dans notre prochain numéro une application

à la pathologie des résultats obtenus par l'examen des sujets normaux. De

même, M. P. Richer analysant chez l'homme sain la marche et les diffé-

rentes variétés d'attitude, en montrera bientôt les modifications sous l'in-

nuencedeiamatadie.

Ainsi naîtront d'une étude en apparence éloignée de la médecine, des

éléments de diagnostic nouveaux dont Charcot avait si bien compris la va-

leur (2) et dont, en artiste comme en savant, il aimait à faire usage].

N. D. L. H.

(1) Voyez pour la description de l'appareil de M. Londe, Science moderne et Internat,

nzecli : ,izz. photo ? Monatssch1'i{t, janvier 18UI, Mi'mchen.

(2) V. Ciiaiicot, Leçons du mardi, 30 oct. 1888, p. 21.

NoUVELLEtCOHOGTtAPHfEDELASALPTHtnE T. V.1, PL.

PHOTOTYPE Ne.CATir MICHE

OS DES MEMBRES DANS LA MALADIE DE PAGET COMPARÉS AUX OS

D'UN SQUELETTE NORMAL

L. BATTAILLE ET Ci.

ÉDITEURS

DES DIFFÉRENTS MODES DE STATION CHEZ L'HOMME SAIN

On désigne généralement sous le nom de station les manières les plus

simples de se tenir au repos, sans que le corps soit complètement aban-

donné à l'action de la pesanteur. Telles sont : la station debout, la station

à genoux et la station assise. Le décubitus n'est pas un état de station,

nous l'étudierons à part. Il en résulte que toute station est un acte de ré-

sistance aux lois de la pesanteur. Cette résistance est passive, en ce qui

concerne les os et les ligaments, elle est active lorsqu'elle nécessite, en ou-

tre, l'intervention de la force musculaire.

En général, les attitudes de station les plus usuelles, qui sont en même

temps des attitudes de repos, sont combinées au point de vue mécanique

de telle façon que les résistances passives, os et ligaments, y prennent une

part prépondérante et que l'action musculaire, cause de dépenses phy-

siologiques et par suite de fatigue, y soit économisée le plus possible.

Nous étudierons successivement :

1° La station verticale droite ou symétrique, et accessoirement la sta-

tion sur la pointe des pieds.

2° La station verticale hanchée ou asymétrique.

';0 La station sur un pied.

4° La station à genoux.

00 La station assise.

Station verticale droite ou symétrique.

Dans cette station, l'homme est debout portant également sur les deux

jambes qui sont en extension. Les pieds qui se louchent par le talon s'écar-

lent en avant, et leurs axes font un angle ouvert d'environ 35°. Le torse

est droit, les membres supérieurs retombent naturellement de' chaque

côté du corps. La face est verticale, l'oeil dirigé à l'horizon (Fig. 16)

Cette attitude se rapproche beaucoup de celle du soldat sans armes. Bien

que rarement prise par l'homme livré à lui-même, avec la correction que

nous menons d'indiquer, son élude n'en est pas moins de la plus haute im-

G8 NOUVELLE ICO ? O(I : .\I'IIIE))8 LA S A L P Ê'I'lt l È 11 15.

portance. Elle est pour ainsi dire le type de toute station. Son mécanisme

donne la clé de la plupart des problèmes que soulève l'équilibre du corps

humain. Elle est le point de départ qui nous permettra d'élucider facile-

ment le mécanisme des autres modes de station.

Mécanisme.

Le corps humain composé de différents segments articulés les uns avec

les autres ne peut se tenir droit de certaines conditions.

Il faut d'abord que ces différents segments offrent une résistance suffi-

sante pour pouvoir être soutenus et supportés les uns par les autres. Il

faut ensuite qu'ils soient maintenus dans un état d'extension réciproque.

Il faut enfin que le centre de gravité du tout passe par la base de sustenta-

tion. Nous avons déjà étudié la résistancedes divers segments du squelette,

véritable charpente et soutien de tout le corps.

La colonne vertébrale porte la tète et soutient le poids des parties sus-

pendues autour d'elle. Mais elle ne le fait pas sans subir une sorte de

compression dans le sens vertical, qui fait que l'homme, ainsi que nous

l'avons déjà fait remarquer, est toujours moins grand debout que lorsqu'il

est couché.

Nous avons déjà vu que les courbures de la colonne vertébrale augmen-

tent sa résistance et qu'au lieu de résister comme un, elle résiste comme

le carré du nombre de ses courbures plus un, c'est-à-dire comme 16 qui

est le carré de 4, nombre de ses courbures plus un. Mais il est faux de

dire que sa résistance est encore augmentée par le canal dont elle est in-

térieurement creusée, en vertu du principe de mécanique qui montre

qu'une colonne creuse résiste plus qu'une colonne massive, composée de

la même quantité de matière, tout étant égal d'ailleurs. Il suffît de fairc

remarquer que la colonne de soutien est exclusivement formée par la suc-

cession des corps vertébraux, et que le canal central n'est point creusé au

milieu d'eux, mais en arrière, pour montrer que le principe de mécanique

que nous venons de citer ne saurait trouver son application ici. Mais ce

principe est parfaitement applicable aux os longs des membres.

Le sacrum sur lequel repose la colonne vertébrale est solidement fixé,

dans les symphyses iliaques, aux os coxaux qui reliés entre eux, en avant,

par la symphyse pubienne forment avec lui une ceinture osseuse résistante

par l'intermédiaire de laquelle le poids du tronc avec la tète et les bras

se transmet aux membres inférieurs. Nous avons déjà fait remarquer com-

ment la forme de coin du sacrum avait pour résultat de répartir la pres-

sion sur toutes les parties du cercle pelvien.

Fie. 16. -- STATION VERTICALE DROITE OU SYMÉTRIQUE.

DE LA STATION 71

Les fémurs résistent il la pression du bassin il la manière decolonnes

creuses, et transmettent aux tibias le poids des parties supérieures. Enfin

les tibias soutiennent les fémurs et tout l'édifice repose, en dernière ana-

lyse, sur les os du pied. Nous savons que le squelette du pied est formé d'os

nombreux disposés à la manière d'une voûte dont l'appui postérieur est

au calcanéum et l'appui antérieur aux têtes des métatarsiens. Le bord

externe de la voûte repose également sur le sol. C'est par son sommet,

par l'astragale, que cette oîlte supporte tout le poids du corps.

Il nous faut rechercher maintenant comment il se fait que, lorsque

l'homme se tient debout, ses différents segments que nous venons de pas-

ser en revue et essentiellement mobiles les uns sur les autres, ne se trou-

vent pas entraînés par la pesanteur à se replier sur eux-mêmes à la ma-

nière des segments d'une lige articulée dressée sur le sol puis abandonnée

il elle-même.

Ce problème qui semble cependant un des plus élémentaires de la phy-

- siologie, n'est pas encore résolu d'une manière définitive et partage les

physiologistes en plusieurs camps. La plus ancienne théorie est la théorie

musculaire émise par Fabrice d'Aquapendante et qui a encore des parti-

sans. Elle admet que le redressement des divers segments du corps dans

l'attitude debout ne peut être maintenu que par la contraction incessante

de groupes musculaires antagonistes et en particulier des extenseurs. Une

autre théorie est la théorie mécanique imaginée parles frères Weber en

184G, admise depuis par de nombreux physiologistes. Elle fait jouer un

rôle capital à la distension des ligaments de l'articulation de la hanche et

de celle du genou, de telle sorte que l'extension de ces deux articles serait

maintenue en dehors de toute action musculaire par la seule force de la

pesanteur agissant en sens opposé des ligaments distendus.

Enfin il est une troisième théorie, celle de Giraud Teulon qui se rap-

proche de cette dernière, mais remplace la distension des ligaments par

la tonicité de certains groupes musculaires.

Il nous semble qu'aucune de ces théories n'est vraie à l'exclusion des

autres et que la vérité réside dans une sorte d'éclectisme qui, suivant les

régions et les circonstances, ferait intervenir la résistance active des mus-

cles ou la résistance passive des ligaments, ou les deux il la fois.

Et d'abord, il est facile de démontrer que la théorie musculaire est inad-

missible dans son ensemble et dans sa généralisation. Etablie d'une façon

indiscutable et admise d'ailleurs par les partisans de la théorie mécanique

pour les deux segments extrêmes de l'individu c'est-à-dire pour la

station de la tête sur la colonne vertébrale et pour la station de la jambe

sur le pied, elle est ruinée pour le resle du corps par la seule inspec-

tion du nu.

T2 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SAH'KTtUÈHE.

Un muscle contracté, comme nous l'avons déjà dit, n'a pas la même

forme qu'un muscle relâché. Il y a entre ces deux aspects différents d'un

même muscle opposition absolue. Ils ne peuvent coexister. L'un exclut

l'autre, tout comme les états physiologiques qui leur donnent naissance,

la contraction et le relâchement.

Il suffit tle regarder un homme nu clans la station debout bien équili-

brée, pour constater que les muscles triceps fémoraux, extenseurs de la

jambe sur la cuisse, sont dans le relâchement; de même pour les muscles

fessiers, extenseurs du tronc sur les cuisses, de même aussi pour les masses

sacro-lombaires qui étendent le tronc.

Force est bien alors de faire intervenir la théorie mécanique pour le

maintien en état d'extension des articulations dont les extenseurs sont

aussi manifestement relâchés.

Mais il faut bien observer ici que le relâchement de ces extenseurs no

se produit que lorsqu'ils ont assuré le parfait équilibre de la station et

qu'ils sont toujours 'prêts à se contracter de nouveau pour rétablir cet

équilibre, s'il vient à être rompu par une cause quelconque. C'est pour-

quoi. si, dans la station, l'extension de certains articles peut être maintenue

sans contraction musculaire et de façon toute mécanique, il n'en est pas

moins vrai que le concours de la contraction musculaire reste nécessaire

pour produire cette extension et pour rétablir les conditions de cet équi-

libre, lorsqu'elles viennent à être détruites.

Nous allons étudier successivement les conditions d'équilibre des diffé-

rents segments du corps les uns sur les autres. Mais auparavant nous cher-

cherons à définir la direction de la ligne de gravité dans la station droite.

De la ligne de gravité du corps dans la station droite.

La détermination du cenlre de gravité du corps humain a déjà fait l'oh-

jet de nombreuses recherches. On connaît le procédé de Borelli qui con

siste à placer l'homme étendu sur une surface horizontale mobile à la ma-

nière d'une balance. Lorsque ce plan mobile est parfaitement en équilibre

il est certain que le centre de gravité de l'homme couché dessus se trouve

dans le plan vertical qui passe par l'arête transversale servant de pivot.

D'autre part, il est bien évident que le centre de gravité est contenu

dans le plan sagittal médian qui divise le corps en deux parties latérales

que l'on considère de poids égal.

Reste à trouver le plan tatéro-fatérat qui diviserait le corps en moitié

antérieure et moitié postérieure et qui contient également le centre de

gravité. Ici le procédé de Borelli ne peut plus servir à cause de la diffi-

culté de placer l'homme sur le côté et de l'y maintenir. D'ailleurs, la si-

Nouvelle Iconographie DE la SALPCTRtLR ,r

T. VII. PL. VI

PHOTOTYPE NLGATIF H. MEUNIER

OSTEITE DÉFORMANTE DE PAGET

L BATTAILLE ET C"

Editeurs

DE LA STATION

73

[nation de ce plan varie nécessairement avec les attitudes. Pour la station

droite, nous avons tenté de la déterminer expérimentalement de la façon

suivante (Pl. IX à XII).

Nous prions un modèle préalablement chaussé de sandales à semelles

de bois parfaitement planes, de se tenir debout en équilibre sur la surface

de section d'une planche verticale d'un centimètre d'épaisseur. et dispo-

sée transversalement par rapport il lui. Un fil à plomb est installé à de-

meure sur le côté du sujet de manière qu'il rencontre la section de la

planche. Enfin l'ohservaleur se place à une certaine distance sur le pro-

longement de celte même planche et voit ainsi le sujet en expérience de

profil, traversé par la verticale du fil il plomb (PI. IX il XIIetFig. 17).

L'expérience comporte plusieurs temps. Le sujet est .invité à se tenir

en équilibre sur les deux pieds placés comme clans la station droite,' en

prenant contact avec la.planche successivement-par différents-points de la

longueur de la semelle, de. la pointe au talon. Chaque fois que1]' équilibre

est bien établi une photographie est laite, je n'ai.pas besoin d'ajouter que

l'objectif se trouve exactement sur le prolongement de la planche verticale

qui sert il l'expérience, c'est-à-dire perpendiculairement au plan médian

sagittal du sujet.

En dernier lieu, le sujet est photographié dans la station debout à la

Fil-. 17.

74 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

même place, mais reposant alors sur une large surface parfaitement hori-

zontale (l'l. XII).

Or, la solution du problème est tout entière dans les diverses photogra-

phies ainsi obtenues, et que le dessin ci-contre reproduit (Fig. 17).

Dans la première (1. Fig. 17), le modèle repose sur la pointe des pieds.

On voit que pour maintenir l'équilibre, le corps est forcé de se pencher

en avant et l'attitude ne se ressemble en rien il celle de la station droite.

Dans la deuxième (2. Fig. 17), le modèle repose sur les talons, et la

direction que prennent alors les membres inférieurs diffère considérable-

ment de celle qui est propre à ce mode de station.

Dans la troisième (3. Fig. 17), au contraire, le modèle repose sur le

milieu de la semelle et toute l'altitude se rapproche de celle de la station

droite normale bien équilibrée, ainsi que le confirme la quatrième photo-

graphie (4.. Fig. 17) qui représente le même sujet reposant sur un large

plan résistant.

11 est bien évident que le centre de gravité est contenu dans le plan

vertical latéro-tatéral qui passe par la section de la planche et qui est tracé

sur les photographies par le fil à plomb.

On peut donc conclure de l'examen des photographies en question que,

dans la station droite, la ligne de gravité passe bien en avant de l'articulation ici

tibia-tarsienne, dans un plan transversal situé en avant de l'apophyse du

cinquième métatarsien. Prolongée par en haut, cette ligne passe en avant

du moignon de l'épaule et traverse le pavillon de l'oreille vers son milieu.

Station de la tête sur la colonne vertébrale.

La tête repose sur la première vertèbre cervicale on atlas dont les sur-

faces articulaires supérieures forment son centre d'appui.

Lorsque le visage est vertical, la ligne de gravité

qui part du centre de gravité de toute la tète passe

un peu en avant de l'articulation occipito-alloïdienne.

D'où il suit que la tête tomberait en avant si elle

n'en était empêchée par la contraction des muscles

de la nuque, ainsi que je l'ai déjà fait remarquer plus

haut. Le système représente ici un levier du 1er genre

dont le point d'appui est au centre, la résistance en

avant et la puissance en arrière (Fig. 18). Mais cette

contraction des muscles de la nuque a pas peson cl être énergique, caria t

ligne de gravité passant très peu en avant du centre d'appui, le bras de la

résistance est fort court et celui de la puissance le dépasse certainement

en longueur. Il suffit de tourner le visage légèrement en haut pour que

Fig. 18.

DE LA STATION 75

la ligne de gravité passant par le point d'appui même, l'équilibre s'éta-

blisse sans le secours d'aucune force musculaire.

Il résulte de ce qui précède que si dans la station verticale les muscles

de la nuque sont tendus, ils ne forment jamais ces saillies en forme de

cordes qu'on observe dans certains mouvements, comme dans l'action de

résister il une force qui pousserait la tète en avant.

L'équilibre des diverses pièces de la colonne vertébrale se fait également

suivant la théorie du levier du 1er genre. Le point d'appui est au centre

des corps vertébraux, la'résistance est au centre de gravité du corps placé

en avant d'eux et la puissance dans les muscles du dos ou du cou qui em-

pêchent la colonne d'être entraînée en avant.

Pour la colonne lombaire, les forces se déplacent, le point d'appui de-

meurant toujours au milieu, au niveau des corps vertébraux. La ligne de

gravité du torse passe en effet en arrière des corps vertébraux lombaires

et constitue la résistance, pendant qu'en celle région la puissance qui fait L

équilibre à la pesanteur est en avant, aux muscles de l'abdomen ; d'où il

résulte que les muscles lombaires, dans la station droite, n'ont rien il sup-

porter.

Station du tronc sur les cuisses.

C'est par l'intermédiaire des deux seules cavités cotyloïdes que le tronc

tout entier, en y comprenant le poids de la tète et deux membres supé-

rieurs, porte sur les deux fémurs. Etant donnée la forme de « noix » des

deux articulations coxo-fémorales, l'équilibre est des plus précaires et ne

peut être maintenu que grâce à des dispositions spéciales. Nous savons

que tout autour de ces articulations sont de puissantes masses musculaires,

et les partisans de la théorie musculaire y font appel pour le maintien de

l'équilibre qui résulterait du jeu des muscles antagonistes placés en avant

et en arrière de l'articulation, la ligne de gravité passant par le plan

même de l'articulation. Certains prétendent même que la ligne de gravité

passe en avant de l'articulation et que les muscles fessiers n'ont le volume

qu'on leur connaît que pour empêcher, par leur contraction permanente,

la chute en avant. C'est une erreur ; sans diminuer l'importance des mus-

cles fessiers qui, dans certains cas, comme dans la flexion du torse en avant,

ont il supporter seuls l'effort de la pesanteur entraînant le torse en ce

sens, il nous faut considérablement restreindre le rôle qu'on leur a attri-

bué dans la station.

En effet, il est bien établi par l'examen du nu que, dans la station droite

bien équilibrée, les muscles fessiers sonl dans le relâchement le plus com-

plet. Nous devons en conclure que c'est en arrière de l'axe transversal qui

71 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

joindrait le centre des deux articulations coxo-fémorales, que passe la ligne

de gravité du tronc, et que c'est en avant qu'il nous faut chercher le contre-

poids. Or ce contre-poids existe et se trouve réalisé par la distension d'un

fort trousseau ligamenteux, le ligament de Bertin qui esl situé à bipartie

antérieure de l'articulation et'qui limite les mouvements d'extension dont

elle est susceptible. Peut-être faut-il y joindre, avec Giraud-Teulon, la

distension du muscle psoas-iliaque qui le recouvre en partie. J'ajouterai

que dans la station droite le muscle tenseur du l'acia lata est manifestement

tendu. L'équilibre du tronc sur les cuisses est ainsi assuré, comme je l'ai

déjà dit, d'après le mécanisme d'un levier du premier genre dont le point

d'appui est au centre articulaire, la puissance en arrière au point d'appli-

cation du centre de gravité du- tronc et la résistance en avant représentée

par les ligaments et les muscles distendus (Fig. 19).

Station des cuisses sur les tibias.

Les deux fémurs reposent sur les plateaux des tibias auxquels ils font

supporter tout le poids des parties du corps situées au-dessus. Ceux qui

pensent que la ligne de gravité passe au niveau ou en arrière de l'articula-

tion du genou sont obligés de faire intervenir la contraction énergique de

l'extenseur de cette articulation (quadriceps) pour empêcher la flexion

qui, dans ce cas, serait inévitablement causée par l'action seule de la pesan-

teur. Mais il n'en n'est pas ainsi, la ligne de gravité passe en avant du cen-

tre articulaire du genou qui, à l'instar de ce qui se passe pour la hanche,

se trouve maintenu en extension par la pesanteur, laquelle extension est

limitée par la distension des ligaments articulaires et en particulier des li-

gaments croisés (Fig. 20).

Il nous parait légitime de faire intervenir également dans une certaine

mesure la distension des masses musculaires des jumeaux. Ces muscles dont

les fibres charnues sont assez courtes ne sont pas susceptibles d'un allon-

gement considérable et dans la station droite l'extension du genou les

place dans un état de distension qui n'est pas très éloigné de la limite de

leur allongement.

Comme nous le verrons tout à l'heure ils jouent un rôle actif et impor-

tant dans le maintien de l'articulation du cou-de-pied; il y a lieu de pen-

ser qu'ils agissent également pour limiter l'extension de l'articulation du

genou.

DE LA STATION 77

Station (les jambes sur les pieds.

L'articulation tibio-tarsienne ne possède aucun appareil ligamenteux

qui puisse limiter les mouvements soit en avant, soit en arrière. en ré-

sulte que l'action musculaire seule peut, dans la station droite, fixer celle

articulation.

En quoi consiste et où réside cette action musculaire ?

La ligne de gravité du corps ainsi que je l'ai montré plus haut, passant

en avant de l'articulation tibio-larsienne, c'est donc en arrière que se

trouve la puissance qui empêchera la chute en avant, et cette puissance ne

saurait être ailleurs que dans le muscle gastrocnémien (fig. 21). Ce muscle

est-il contracté ou simplement distendu ? La distension d'un tissu con-

tractile comme le tissu musculaire n'est en rien comparable à la distension

78 N OUV C I. L E I C. O N O G 11 \ P II I E D E L A S A L P E T 11 1 È 11 H.

d'un tissu simplement résistant comme les ligaments, et la limite est quel-

quefois difficile à établir entre la distension musculaire et l'existence de

la contraction (1).

Néanmoins, si nous songeons que le relâchement du muscle du mollet

ne peut avoir lieu qu'à la condition de l'abaissement de la pointe du pied,

nous devons bien admettre que la situation que prend le pied dans la sta-

tion entraîne forcément un allongement du muscle grastocnémien. C'est

ainsi qu'un muscle long, bien qu'à courtes libres charnues, étendu de

l'extrémité inférieure du fémur au calcanéum, et passant en arrière de deux

articulations, le genou et le cou-de-pied remplirait, d'un même coup, vis-

u-v is de ces deux articulations, un rôle analogue par un même état de

distension soit simple, soit un état de contraction légère de ses fibres.

Il résulte de ce qui précède qu'autant les fesses d'un homme qui se

tient debout sont molles et relâchées, autant son mollet doit être, sans for-

mer une saillie exagérée, d'un dessin ferme ci arrêté.

Station des pieds sur le sol.

Les deux pieds reposent par la plante sur le sol, mais ne le louchent

pas dans toute leur étendue. Le pied reproduit la forme de voûte du sque-

lette et il ne repose sur le sol que par le talon, le bord externe et bipartie

antérieure.

Les deux pieds circonscrivent la base de sustentation par laquelle doit

passer la ligne de gravite de tout le corps pour qu'il y ait équilibre. Celle

ligne passe exactement, dans la station dont il est question ici, à distance

égale des deux pieds en avant d'une ligne qui joindrait les apophyses

des cinquièmes métatartiens.

Formes extérieures.

Dans la station verticale droite les deux parties du corps sont absolu-

ment symétriques. La verticale passe exactement par la ligne médiane de

la tète, du cou etdu tronc, puis descend entre les deux membres inférieurs

à égale distance de l'un et de l'autre.

Les axes des épaules et des hanches sont parfaitement horizontaux.

J'appelle axe des épaules une ligne transversale qui passerait par le cen-

tre articulaire des deux articulations scapulo-humérales. L'axe des han-

ches est une ligne de même direction traversant le centre des deux articu-

lations coxo-fémorales. (PI. XII).

C'est dans cette position qu'un modèle doit être mesuré. Je rappellerai

(1) Nous savons en effet qu'une des conséquences de l'élasticité musculaire est l'allon-

gement possible d'un muscle contracté.

D E LA S T A T 1 0 N

79

ici en quelques mois les proportions moyennes de l'homme telles que nous

les avons établies. (Voir, Nouvelle Iconographie, année 1892, page 310).

En examinant le profil d'un homme qui se tient dans la station droite,

on peut constater, il première vue, que les différents segments dont se com-

pose le corps et dont nous avons étudié plus haut le mode d'équilibre, ne

se trouvent point superposés de manière que l'axe longitudinal de cha-

cun d'eux se confonde avec la même verticale. Ils sont tous, au contraire,

plus ou moins inclinés les uns sur les autres, de telle sorte que leurs axes

décrivent une ligne brisée intéressante il bien connaître (fig. 22). / . ?

La ligne transversale qui joint les centres ar-

liculaires des deux épaules perce le profil en un

point qui se trouve situé au milieu d'une ligne

horizontale passant par la 2e pièce slernale (E.

Fig. 22). Une verticale tracée de ce point tombe

sur l'articulation tibio-tarsienne en- avant de la

malléole externe.

L'axe des hanches est toujours situé dans un

plan antérieur à l'axe des épaules. Sur le profil,

cet axe se projette en un point situé en avant et

au-dessus du grand trocbanter (II. Fig. 22).

La distance qui sépare les deux plans verti-

caux passant par l'axe des épaules et par celui

des hanches peut être mesurée par la perpendi-

cnlaire menée du point de la hanche (II) sur la

verticale abaissée du point des épaules. Chez un

homme de taille moyenne de 1 m. 63, cette per-

pendiculaire (II li) a 7 à 8 centimètres de lon-

gueur.

Cette distance varie avec les individus et elle

décroit en même temps que diminue la courbure

des reins. Je n'ai observé, chez aucun sujet sain,

celte distance réduite il zéro, c'est-à-dire l'axe

des épaules et des hanches dans le même plan

vertical.

Le minimum de distance a été observé chez un

acrobate adonné aux exercices de dislocation,

elle était réduite à 2 centimètres. Dans ce cas le

profil de la station droite prenait un aspect disgracieux et lorsque les bras

tombaient naturellement le long du corps, les mains au lieu de toucher

la face externe des cuisses se plaçaient en avant.

Celle distance augmente chez les sujets qui se cambrent, exagérant le

Fig. 22.

80 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA S A L P ET II 1 ÈR E.

redressement de leur taille. Sur un même sujet, elle s'exagère, s'il porte

les mains en avant et plus encore si les mains sont chargées de poids.

Une ligne tracée du centre des hanches au centre des épaules peut être

considérée comme l'axe du tronc (EU). Du centre des hanches au centre

de l'articulation tibio-tarsienne une autre ligne représentera bien qu'im-

parfaitement l'axe des membres inférieurs (Il T). Du centre des épaules au

centre d'articulation de la tête et du cou une 3e ligne formera l'axe du

cou (E 0). Et de ce dernier point une verticale s'élevant jusqu'au vertex

sera considérée comme représentant l'axe de la tète (0 V).

Ces quatre lignes représentant les axes des différents segments du corps

dans la station droite se succèdent en s'inclinant les uns sur les autres

de la façon suivante. De l'axe de la tête qui est vertical l'axe du cou se

dirige en arrière, puis l'axe du tronc se porte en avant, et enfin l'axe des

membres inférieurs se dirige il son tour en arrière.

En résumé, nous pouvons dire que la station verticale se compose d'une

succession de lignes obliques alternativement de sens inverse. Les angles for-

més par ces différentes lignes sont des angles obtus très ouverts. Ces angles

peuvent varier légèrement suivant la tenue du sujet. S'ils se ferment, le

sujet portant le menton et le ventre en avant, la taille totale diminuera,

s'ils s'ouvrent au contraire davantage par des mouvements inverses, la

taille augmentera. C'est pourquoi la mesure de la taille exige certaines

précautions pour être prise avec rigueur. Il faut placer ces différentes li-

gnes brisées clans une situation fixe et toujours la même. Ce résultat s'ob-

tient en accolant le sujet a un plan vertical, à un mur, auquel il touchera

de la tête, des épaules, des fesses et des talons.

Au point de vue des formes extérieures, les caractères morphologiques

de la station droite sont les suivants. Le centre est légèrement tendu et

les reliefs des muscles droits s'y accusent discrètement. Aux reins, les

muscles spinaux forment des reliefs mous et arrondis, souvent marqués

d'un ou plusieurs sillons transversaux. Les fesses sont aplaties et leur

forme se rapproche de celle d'un quadrilatère aux angles arrondis. Le

pli fessier est profond.

Les cuisses sont bridées sur les côtés par la tension de l'aponévrose iléo-

fémoro-tibiale. En bas et en avant, elles offrent les reliefs caractéristiques

du relâchement du triceps, saillies inférieures du vaste externe et du vas-

te interne. Le genou est lâche, la rotule descendue et saillante, et souvent

un sillon transversal se dessine au niveau de son extrémité inférieure

(Fig. 16).

Le jarret est tendu et les plans du muscle triceps sural sont nettement

accentués. Je n'ai pas besoin de m'étendre ici sur la raison anatomique de

ces formes qui se trouve exposée au chapitre du mécanisme et qui d'ait-

DE LA STATION 81

leurs se résume ainsi : tension des muscles abdominaux, relâchement des

muscles fessiers, des muscles lombaires, des quadriceps. tension des

muscles triceps suraux. Mais il est bien certain que ces formes ne subsis-

tent telles que tant que l'équilibre de la station demeure parfail. Si, par

exemple, le corps se penche un peu en avant, nous verrons aussitôt les

fesses changer de forme, saillir et se creuser en dehors. Si le corps pen-

che en arrière, la rotule se soulève attirée par le quadriceps qui se

contractent, d'où il résulte que le bourrelet sus-rotulien disparaît. On

voit également se dessiner sous la peau du cou-de-pied les tendons des

muscles antérieurs de la jambe.

Nous avons vu que la ligne de gravité du corps devait passer sous peine

de chute par la base de sustentation et que, chez l'homme debout, cette

base de sustentation est composée de la surface couverte par deux pieds et

de tout l'espace qui les sépare. Mais la ligne de gravité peut rencontrer

cette base en divers points de telle sorte que le tronc peut incliner en

tous sens d'une certaine quantité sans que l'équilibre soit détruit. Si

l'homme chausse des souliers à semelles rigides et prolongées en avant,

comme le font quelques clowns dans leurs exercices, on est surpris de

voir combien le corps peut s'incliner en avant sans qu'il y ait chute.

Lorsque les pieds sont écartés l'un de l'autre, la base de sustentation est

élargie et le tronc peut subir des déplacements beaucoup plus étendus

dans le sens de l'écartement des pieds.

Si l'homme ajoute à son propre poids des poids étrangers, s'il porte des

fardeaux, par exemple, il est obligé de prendre certaines attitudes carac-

téristiques et nécessitées par le maintien de l'équilibre qui ne peut exister

que si le centre de gravité du corps calculé avec le poids additionnel est

dans une verticale passant par la base de sustentation.

Si la charge est portée en arrière sur le dos, le tronc se penche en

avant pour contrebalancer le poids surajouté. Si elle est en avant, dans un

éventaire par exemple, ou bien lorsque des haltères sont maintenus au

bout des bras horizontalement tendus en avant, le corps prend une atti-

tude opposée. Le tronc se renverse en arrière pour faire équilibre.

L'homme qui porte un fardeau à la main se renverse de côté pour le même

motif. De plus il étend souvent le bras du côté où il penche pour déplacer

davantage le centre de gravité de ce côté.

En résumé, le déplacement du tronc d'un côté ou de l'autre est d'autant

plus accusé que le poids auquel il doit faire équilibre est plus lourd. Sous

un même volume de la charge, l'attitude du corps permettra de distinguer

les différences de son poids, et il sera facile de distinguer par exemple

l'homme qui porte un seau vide de celui qui porte un seau plein.

vu. 1. 6

82

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Station sur la pointe des deux pieds.

Mécanisme.

La plupart des auteurs professent que, dans l'acte de se dresser sur la

pointe des pieds, le pied représente un levier du deuxième genre, levier

dit inter-résistant, dont les exemples sont fort rares dans l'économie. La

puissance se trouverait en arrière appliquée au talon et représentée par le

triceps su rai, le point d'appui en avant au niveau des orteils pressant sur

le sol et la résistance au milieu, dans l'articulation tibio-tarsienne même

supportant le poids du corps (Fig. 23). M. le D' Imbert dans ses annota-

tions a la Physique médicale de Wundt, puis M. le D'' Bédard à Toulouse

dans une intéressante communication à la Société de Biologie, ont pré-

tendu que jusqu'à ce jour, les auteurs avaient lait erreur, et que, dans la

station sur les orteils, le pied représente un levier du 1er genre dont la

puissance se trouve, en arrière, au point d'insertion du triceps sural au

calcanéum, la résistance représentée par la ligne de gravité du corps, au

niveau de la nouvelle base de sustentation formée par les doigts du pied el

lecentre de rotation, au milieu, dans l'articulation tibio-tarsienne (Fig. 24).

La vérité est que le mouvement de soulèvement sur la pointe des pieds

peut s'exécuter indistinctement d'après ces différents mécanismes suivant

la position de la ligne de gravité, mais qu'il n'existe de stabilité que dans le

mouvement exécuté d'après le mécanisme du levier du '1 or genre. Il n'est

pas sans intérêt de faire remarquer que c'est d'après le même mécanisme

rng. 0.

Fis. 24.

NOUVLLLE Iconographie DL la SALPi : TIULR1 : . T, vu, PL. VII.

PHOTOTYPE Vl10AT11' f. MIfHEL. FHOTOCOL. 17ERTHAUU.

OSTEITE DÉFORMANTE DE PAGET

Habitus et facies.

L. BATTAILLE ET Ci

Éditeurs

DE LA STATION 88

qu'a lieu la station droite, puisque la ligne de gravite passe bien en avant

de l'articulation tibio-tarsienne.

Lorsque la position sur la pointe des pieds est réalisée, il est bien clair,

puisqu'il y a équilibre, que la ligne de gravité passe par la nouvelle base

de sustentation, mais, au moment où le mouvement va s'exécuter, qu'arri-

ve-t-il ?

Il est facile de démontrer qu'avant d'opérer son mouvement d'élévation,

le corps tout entier incline légèrement en avant de manière à amener le

centre de gravité au niveau des orteils où se trouvera la nouvelle base de

sustentation. Et ce n'est qu'ensuite que le mouvement d'élévation sur la

pointe des pieds a lieu.

En effet, « placez horizontalement sur une table, dit M. Bédard, à la

hauteur du nombril une règle qui la dépasse, approchez-vous le corps bien

droit jusqu'au contact avec le bout de la règle ; à ce moment, essayez de

vous dresser sur la pointe des pieds, la règle sera repoussée ». Et il vous

sera impossible de réaliser le mouvement sans repousser la règle, ce qui

montre bien que l'inclinaison du corps en avant en est la condition né-

cessaire.

La même expérience peut être répétée d'autre façon. Approchez-vous

le corps droit contre un mur de manière il le toucher de la poitrine el de

l'extrémité des orteils. Essayez de vous tenir sur la pointe des pieds, la

chose vous sera complètement impossible. Et la raison en est que cette si-

tuation vous place dans l'impossibilité de déplacer voire centre de gravité

en portant le haut du corps en avant.

L'expérienceétabl i donc dnepour que l'élévation etiastation sur la pointe

se produisent, il faul que le centre de gravité ait été préalablement porté en

avant. D'autre part, il est facile decomprendreque l'action du gastrocnémien

toute seule n'a d'autre effet que de rapprocher ses deux insertions, son in-

sertion supérieure fémoro-tibiale de son insertion inférieure au calcanéum,

mais qu'il ne saurait dépendre de lui de rendre fixe l'une ou l'autre de ces

insertions. C'est donc dans une force en dehors de lui que la cause de la

fixation de l'une ou de l'autre de ses extrémités doit être cherchée. Si

c'est l'insertion au calcanéum qui est rendue fixe, la contraction du gasiroc-

némien aura pour effet de fléchir le fémur sur le tibia, en même temps

que d'attirer le tibia en arrière, si c'est au contraire l'insertion supé-

rieure qui est fixe, c'est le calcanéum qui s'élèvera. Or la cause qui rend

fixe l'une ou l'autre de ces insertions doit être cherchée d'abord dans l'ac-

tion delà pesanteur.

Si la ligne de gravité du corps passe en avant de l'articulation tibio-

tarsienne, l'effort de la pesanteur s'opposant il la flexion de l'articulation

du genou et au déplacement en arrière de l'extrémité supérieure du tibia,

84 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

la contraction du gastrocnémien n'aura d'autre alternative que de soulever

le talon.

Si la fixité de l'insertion supérieure est obtenue par d'autres moyens, le

même résultat a lieu. Ainsi appuyons-nous le clos et les talons contre un

mur, nous nous élèverons sans difficulté sur la pointe des pieds. Nous re-

marquons en même temps que ce mouvement ne s'accomplit la con-

dition que le mur supporte une certaine pression. Qu'arrive-t-il alors ?

C'estalue le mur évite la chute en arrière et par suite l'inclinaison en ar-

rière-de l'extrémité supérieure du tibia et que l'insertion supérieure du

gastrocnémien se trouvant fixée, la contraction ne peut pas ne pas ame-

ner l'élévation de l'autre insertion c'est-à-dire du talon.

Remarquons que, dans ce cas, la ligne de gravité du corps peut passer

indistinctement par l'articulation tibio-tarsienne ou bien en un point situé

en arrière du talon. Si la ligne de gravité passe par l'articulation, le sys-

tème forme un levier du 2e genre. Si cette même ligne passe en arrière du

talon, nous sommes en présence d'un levier du 3° genre. Or dans les deux

cas, le soulèvement sur la pointe du pied peut également avoir lieu, mais

l'équilibre de la station ne peut exister sans point d'appui pris en ar-

rière sur un corps étranger.

Si nous reprenons l'expérience de la règle de tout-a-i'heure nous ver-

rons qu'il est possible de soulever le corps sur la pointe des pieds sans

toucher à la règle, mais il la condition de ne le faire qu'un instant, en per-

dant l'équilibre et en retombant aussitôt sur les talons pour empêcher la

chute imminente en arrière.

Grâce à quel mécanisme, ce soulèvement momentané a-t-il pu se pro-

duire ? ' ?

En vertu du même mécanisme que celui qui a été invoqué loti

Nous savons en effet que, dans la station droite, la ligne de gracile passe

bien en avant de l'articulation tibio-tarsienne et de l'articulation du ge-

nou. Cette dernière est donc maintenue en extension par la seule force de

la pesanteur. Et l'extrémité supérieure du tibia étant ainsi rendue fixe,

la contraction du gastrocnémien a pour effet nécessaire de soulever le

talon.

Mais comme, dans celle expérience, la ligne de gravité ne passe pas par

la nouvelle base de sustentation formée par les orteils, la chute en arrière

est inévitable. En effet l'équilibre de la station sur la pointe des pieds,

comme de toute espèce de station, ne peut être maintenu qu'à la condition

que la ligne de gravité passe par la base de sustentation.

Il résulte de ce qui précède que l'effort qui consiste à soulever le corps

sur la pointe des pieds peut être fait dans n'importe quelle position de la

DE LA STATION 85

ligne de gravité, c'est-à-dire d'après le mécanisme variable des divers gen-

res de leviers.

Mais la position n'est stable que si la ligne de gravité passant par les

orteils, le système représente un levier du 1er genre.

Formes extérieures.

Nous avons vu que, sur le profil de la station droite, les axes des diffé-

rents segments du corps formaient une succession de lignes alternative-

ment obliques en sens contraire. Dans la station

sur la pointe des pieds il s'en ajoute une nou-

velle par en bas obéissant à la même loi et re-

présentant l'axe du pied.

La verticale abaissée de l'axe des épaules ren-

contre le pied au niveau des articulations méla-

tarso-pllalangiennes et coupe l'axe du membre

inférieur à la hauteur du genou. (Fig. 25.)

Dans, ce genre de station, l'équilibre est assez

instable étant donné le peu d'étendue de la hase

de sustentation. Aussi cette base a-t-elle ten-

dance à s'élargir latéralement par l'écartement

des pieds, ou bien, sans déplacement des pieds,

par suite d'une simple torsion du pied en dehors

dont l'effet est de reporter l'appui sur les der-

niers orteils.

En résumé, cette station se distingue de la

station sur la plante par une sorte de projection

de tout le torse en avant el par une obliquité

plus grande de l'axe des membres inférieurs.

La caractéristique morphologique réside dans

la forme spéciale des mollets par suite de la

contraction énergique du muscle gaslrocnémien

dans son entier.

Il arrive également que les quadriceps, les

fessiers se contractent mais ce sont là des phé-

nomènes secondaires, car ils sont subordonnés à

l'établissement ou au maintien de l'équilibre ;

ils n'ont rien de nécessaire et disparaissent lorsque celui-ci est parfaite-

ment établi.

Fig. 20. t

1

86 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

II. Station verticale hanchée ou asymétrique.

Pline attribue il Polyclète l'introdnction de la station hanchée dans la

statuaire. On sait que depuis tous les artistes en ont usé el abusé. C'est que

ce mode de station parfaitement naturel- ce qui ne gâte rien - s'accom-

pagne d'une grande richesse et d'une grande variété de formes. Autant la

station verticale droite que nous venons d'étudier nous montre les deux

côtés du corps absolument symétriques avec accentuation des lignes droi-

tes, des verticales, des horizontales, autant la station hanchée amène des

différences entre les deux parties latérales du corps. Ici, pas deux régions

homologues qui n'aient la même conformation. Les lignes droites ont dis-

paru, partout des sinuosités ou des courbes. La préférence des artistes

pour ce mode de station est donc bien légitime et justifiera également les

détails circonstanciés dans lesquels nous allons entrer.

Comme pour la station droite, nous étudierons séparément et successi-

vement son mécanisme et son action sur les formes extérieures.

Mécanisme.

Dans la station hanchée, le poids du corps au lieu d'être supporté éga-

lement par les deux jambes, se trouve presque complètement reporté sur

une seule qui demeure dans l'extension comme une colonne rigide, pen-

dant que l'autre fléchie dans l'articulation du genou est portée un peu en

avant et ne sert plus qu'il affermir l'équilibre. La pression de cette der-

nière jambe sur le sol est fort minime, et ne dépasse pas de beaucoup le

poids du membre lui-même. Mais il arrive parfois qu'un rôle un peu plus

actif lui est dévolu, et lorsque la ligne de gravité tend il dépasser l'aire de

sustentation du pied sur lequel porte le poids du corps, c'est elle qui par

de légers mouvements contribue à l'y ramener (Fig. 28).

La jambe sur laquelle le corps s'appuie prend le nom de «jambe por-

tante ». Si cette jambe est la droite, on dit que l'homme hanche il droite.

Le membre inférieur droit est alors dans l'extension complète et le mé-

canisme qui maintient cette extension n'est autre que celui que nous avons

invoqué pour la station verticale droite. La lignede gravité du tronc passe

en arrière de l'articulation coxo-fémorale et en avant de l'articulation du

genou, d'où il suit que l'extension de ces deux articles est presque unique-

ment maintenue par le poids même des parties situées au-dessus d'elles et

limitée par la distension des ligaments et des muscles. Quant au maintien

de l'articulation tibio-tarsienne, le rôle actif du astrocnén ien est le mèn7e

dans les deux cas. L'autre membre inférieur est fléchi dans toutes les arti-

FiG. 28. - STATION VERTICALE HANCHEE

OU ASYMÉTRIQUE.

- DE LA STATION 89

dilations. Celte flexion est maintenue sans effort musculaire el est une des

conséquences de l'inclinaison du bassin de ce côté.

Le bassin, en effet, au moment où l'homme passe de la station droite à la

station hanchée subit un triple déplacement. Il exécute d'abord un mou-

vement autour de l'articulation coxo-fémorale de la jambe portante, rota-

lion autour d'un axe sagittal en vertu duquel il s'abaisse du côté opposé;

déplus il tourne légèrement auteur d'un axe vertical qui semble passer

vers son centre, d'où il suit que la hanche portante se porte un peu en ar-

rière, pendant que l'autre est déplacée en avant et cela d'autant plus que

.la la jambe fléchie est davantage portée dans le même sens, enfin le bassin

tout entier est déplacé latéralement du côté de la jambe portante. Ce dé-

placement latéral est nécessité par le transport de la ligne de gravité dans

l'aire de sustentation du pied portant.

Cette obliquité du bassin n'exige pour être maintenue que peu ou point

d'effort musculaire. Son mécanisme rappelle celui de l'extension de l'arti-

culation de la hanche et peut être ramené à un levier du premier genre,

dont le point d'appui se trouve dans l'articulation si puis-

sance en dedans représentée par la ligne de gravite du torse et la résis-

tance en dehors au point d'insertion à la crête iliaque du grand ligament

ilio-fémoro-tibial dont la distension limite le mouvement. Celle distension

est manifeste sur le nu et influe grandement sur la morphologie de la ré-

gion comme nous le verrons tout-à-l'heure. A la distension ligamenteuse,

s'ajoute la distension des muscles situés a la face externe de la hanche,

c'est en avant le tenseur du fascia lata, au milieu le moyen fessier, et en

arrière le faisceau supérieur du grand fessier.

Le tronc tout entier sous peine de chute latérale ne saurait suivre l'o-

bliquité du bassin. Il en résulte que la colonne vertébrale s'infléchit à sa

base pour ramener la partie supérieure du torse au-dessus de la base de

sustentation. La colonne subit donc une inflexion latérale dont la convexité

est tournée du côté où le bassin incline. Cette courbure siège généralement

au niveau de la jonction de la région lombaire et de la région dorsale. Elle

empiète sur les deux régions. L'anatomie nons apprend que la colonne

lombaire peut s'infléchir latéralement, sans qu'il s'y adjoigne aucun mouve-

ment de torsion ; mais il n'en est pas de même pour la région dorsale qui

ne peut s'infléchir sur le côté sans subir en même temps un mouvement

de rotation dû à la rencontre des surfaces obliques des apophyses articu-

laires et dont le résultat est de tourner la face antérieure de la colonne du

côté de la concavité de la courbure. Nous verrons que, dans la station han-

chée, l'une des épaules subit par rapport à l'axe des hanches un certain

degré de rotation dont la raison, pensons-nous, se trouve dans la torsion

delà colonne que nous venons d'indiquer.

90 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Cette courbure de la colonne vertébrale a pour effet de rapprocher les

côtes, du côté de la concavité, et, au contraire, du côté opposé, de les écar-

ter les unes des autres (je parle, ici, seulement des côtes inférieures en rap-

port avec la partie infléchie de la colonne dorsale); d'où il suit que le tho-

rax comprimé et comme tassé d'un côté, subit du côté opposé une vérita-

ble ampliation. Une des conséquences de cetle déformation du thorax est

une différence de niveau dans la hauteur des épaules. L'épaule est abais-

sée du côté où le thorax est déprimé pendant que la hanche du même côté

est'élevée; l'autre épaule est, au contraire, située il un niveau plus élevé,

soulevée pour ainsi dire par l'ampliation thoracique, au-dessus de la han-

che qui par contre est abaissée.

La partie supérieure de la colonne vertébrale est droite et ne subit

d'inflexions que suivant le port de la tête qui en s'inclinant de côté entraî-

ne une courbure cervico-dorsalede même sens ou de sens contraire que la

courbure dorso-lombaire.C'est ainsi que, sur un homme qui hanche, droite,

si la tête s'incline de ce même côté, toute la colonne offre l'image d'une

courbe unique étendue du sacrum à l'occipital. Si la tête penche gauche

la colonne prend alors la forme d'un S italique dont les deux parties de

courbure inverse sont formées l'une par la colonne dorso-lombaire, l'autre

par la colonne dorso-cervicale.

Formes extérieures.

Pour préciser la direction des diverses parties du corps dans la station

hanchée, je ferai comme j'ai fait pour la station verticale en considérant

les différents axes déterminés par des lignes joignant entre eux les diffé-

rents centres d'articulation. Mais ici le profil n'offre qu'un intérêt secon-

daire. On y retrouve d'ailleurs à peu de chose près les mêmes dispositions

que sur le profil de la station droite, tandis que la face antérieure ou

postérieure offre le plus grand intérêt.

Une ligne transversale passant par les centres d'articulations des deux

articulations scapulo-humérales forme l'axe des épaules. Cette ligne sur le

nu se trouve la hauteur de la deuxième pièce sternale (fig. 26 et 27).

Le centre articulaire de la hanche correspond sur le nu au milieu du

pli de l'aine mesuré de l'épine iliaque il la racine de la verge. Une ligne

tracée par ces points constitue l'axe des hanches.

Une ligne qui joint le milieu de l'axe des épaules au milieu de l'axe des

hanches forme l'axe du tronc. L'axe du membre inférieur a été tracé de

la ligne des hanches prolongée jusqu'au niveau du trochanter il l'arti-

culation tibio-tarsienne.

Sur la face postérieure, les mêmes axes peuvent être tracés avec des

DE LA STATION

91

points de repère différents. Ces préliminaires une fois posés, l'aplomb d'un

homme qui hanche est très facile à établir (Fig. 26 et 27). L'axe du membre

portant incline en haut et en dehors. L'axe des hanches penche du côté de

la jambe fléchie, et l'axe des épaules incline aussi mais du côté opposé. Une

ligne verticale menée du creux sus-sternal tombe sur le milieu de l'articu-

lation tibio-tarsienne de la jambe portante.

L'axe du torse, c'est-à-dire la ligne qui joindrait le creux sus-sternal au

milieu du pubis peut, suivant les circonstances, être incliné latéralement

(Fig. 27) dans un sens ou dans l'autre ou même demeurer parfaitement

vertical (Fig. 26). Il est légèrement incliné dans le même sens que l'axe

du membre portant, comme chez la plupart des statues antiques, ou bien,

il est incliné, parfois môme d'une façon très notable dans le sens opposé

(Fig. 27), ainsi qu'on l'observe fréquemment dans les oe11' l'es de la Re-

FiS. 2fi.

Fis. 21.

92 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

naissance. Dans ce dernier cas, la saillie de la hanche augmente, ainsi

que l'obliquité du membre portant, le torse dans son ensemble est comme

déjeté du côté de la jambe fléchie. Dans le premier cas, au contraire, le

haut du torse est plus d'aplomb au-dessus des hanches, mais ce résultat

ne peut être obtenu que grâce à une courbure plus accentuée de la colonne

vertébrale. Il nous faut ajouter encore un mouvement de rotation en sens

inverse des deux axes transversaux, l'axe des épaules et l'axe des han-

ches. Mais, comme dans la station verticale, ces deux axes ne se trouvent

point exactement au-dessus l'un de l'antre. L'axe des épaules est toujours

en arrière de celui des hanches, plus peut-être encore que dans la station

droite par suite d'une exagération de la cambrure lombaire qui s'observe

assez généralement. Il en résulte que malgré leur rotation réciproque, les

plans latéraux qui les renferment ne se croisent point. Ils sont obliques

l'un par rapport à l'autre, tendent à se rapprocher du côté de la jambe

fléchie et il s'éloigner du côté de la jambe portante.

Tout ce qui précède devient la raison de formes extérieures bien spécia-

les et qui méritent d'être étudiées avec quelques détails (Fig. 28).

Nous commencerons parles extrémités inférieures.

Les deux jambes offrent un contraste frappant non seulement par leur

direction générale, l'une étant étendue, l'autre fléchie, mais surtout par

la conformation même des parties. C'est ainsi que le mollet de la jambe

portante est tendu, accusant nettement les différents plans, pendant que

l'autre mollet n'offre que les surfaces arrondies d'un relâchement muscu-

laire complet. Mais les différences sont surtout frappantes aux cuisses. Elles

ne semblent pas avoir le même volume. Vue de face, la cuisse de la jambe

portante est étroite, son diamètre transversal est diminué, conséquence de la

distension du ligament ilio-fémoro-tibial qui comprime les chairs latérale-,

mentetlesrefouleenavant. Aussi le diamètre antéro-postérieur s'en trouve-t-

il augmenté. L'autre cuisse est, au contraire, presque uniformément arron-

die. Vue de face, elle parait beaucoup plus volumineuse.

En outre, on remarque, sur la cuisse portante, les reliefs fort accentuésau-

dessus de la rotule et que nous avons désignés sous les noms de reliefs in-

férieurs du vaste interne et du vaste externe, indice du relâchement de

ces muscles. En haut, au contraire, le muscle tenseur du fascia tata dessine

son corps charnu distendu et contracté, car il confond ses insertions infé-

rieures avec le grand ligament ilio-fémoro tibial dont nous venons de par-

ler, et il contribue avec celui-ci a limiter l'inclinaison latérale du bassin.

Des deux hanches, l'une est saillante, l'autre effacée.

Les fesses forment également un contraste saisissant. Du côté portant,

la fesse est plus étroite et saillante par suite de la contraction de la moitié

supérieure de ses muscles (moyen fessier). Cette forme s'accentue encore si

DE LA STATION 93

le grand fessier lui-même entre en contraction ce qui n'est pas nécessaire

au maintien de l'altitude, mais se produit quelquefois. Elle est bordée in-

férieurement par un sillon profond et le bord interne de la cuisse la dé-

borde de beaucoup latéralement. Le sillon interfessier est oblique.

L'autre fesse est aplatie et élargie ; par sa limite inférieure et externe,

elle se confond avec la cuisse. Le sillon médian des reins est incurvé laté-

ralement, et cette courbure se prolonge jusque vers la partie inférieure du

dos. Il est bordé, du côté de la convexité, par une masse sacro-lombaire sail-

lante, tendue et contractée, luttant contre l'incurvation vertébrale, pendant

que, de l'autre côté, la masse sacro-lombaire est molle et fuyante.

La région sous-scapulaire, du côté portant, est déprimée, le flanc se

creuse, et le défaut des côtes est marqué d'un pli transversal, pendant que,

de l'autre côté, la région sous-scapulaire est légèrement bombée, surmon-

tant le liane uni et distendu qu'elle continue sans démarcation arrêtée.

En avant, le sillon médian du torse subit une inflexion analogue il celle

de la colonne vertébrale. La poitrine affaissée du côté portant se déve-

loppe largement de l'autre.

La ligne des seins est oblique dans le même sens que la ligne des épau-

les.

Je ne parlerai pas ici de la forme du cou, ni de celle des membres su-

périeurs qui sont absolument subordonnées aux mouvements spéciaux

qu'on fera prendre il ces parties, mais qui n'ont aucun rapport obligé

avec le mode de station dont il s'agit.

III. Station sur un pied.

La station hanchée peut se transformer en station sur un pied le plus

simplement du monde. Il faut dire que l'équilibre uni-latéral est déjà tout

établi pour ainsi dire, et que l'acte de soulever légèrement le pied de la

jambe fléchie ne modifiera que bien peu l'altitude générale.

Dans certains cas, on pourra donc retrouver dans la station sur un pied

presque tous les caractères de la station hanchée. Mais les choses changent

si le pied soulevé est porté plus en haut et en avant, en arrière, ou sur le

coté.

Je ne saurais entrer ici dans la description de toutes les attitudes si va-

riées de la station sur un pied. Je me contenterai de désigner leurs carac-

tères essentiels et les conditions qu'elles doivent remplir.

Le déplacement d'un membre inférieur a pour effet de déplacer le cen-

tre de gravité du corps tout entier, et la condition première de la station

sur un pied, c'est que la ligne de gravité du corps passe par la nouvelle

base de sustentation.

91 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Aussi l'inclinaison du corps du côté de la jambe portante est-elle un ca-

ractère obligé de toutes les attitudes de la station unilatérale. Cette incli-

naison est plus ou moins accentuée, suivant que le pied s'éloigne plus ou

moins de la ligne médiane. Elle s'accompagne en outre d'inclinaison en

arrière si la jambe est portée en avant et d'inclinaison en avant si la jambe

est portée en arrière.

La plupart du temps, les bras s'écartent du torse et, par leurs mouve-

ments, contribuent, à la manière d'un balancier, à ramener la ligne de gra-

vité dans la base de sustentation lorsqu'elle tend à s'en éloigner.

La caractéristique morphologique de la station sur un pied se trouve

au niveau des masses musculaires, qui entourent le bassin. En premier

lieu, le moyen-fessier de la jambe portante est contracté pour empêcher la

chute latérale du bassin.

En outre, si le membre est porté en avant, il y a flexion de la cuisse

sur le bassin et contraction manifeste des fléchisseurs, tenseur du l'ascia

lata et couturier.

Si la jambe est portée en arrière c'est au contraire la contraction de

l'extenseur qui se produit et qui n'est autre que le grand fessier.

Aussi la forme des fesses est-elle bien curieuse il étudier dans la station

sur un pied suivant que la jambe est portée en avant ou en arrière.

Si nous prions le modèle de porter en arrière le membre inférieur droit,

par exemple, on voit aussitôt la fesse de ce côté devenir étroite, globuleuse

et allongée; la gouttière rétro-trochantérienne qui se creuse l'échancre en

dehors et lui donne un aspect réniforme. Le pli fessier disparaît presque,

et le bord inférieur du muscle se dessine avec son obliquité naturelle.

A la surface, les faisceaux musculaires secondaires apparaissent quelque-

fois. Le contraste est frappant avec la fesse du côté opposé qui est large et

aplatie. Mais si au lieu d'être porté en arrière, le membre inférieur est

porté légèrement en avant, on observe une transformation complète des

formes de toute la région. C'est la fesse opposée qui entre en contraction

ce qui s'explique par la nécessité de maintenir la rectitude du tronc en-

traîné par le poids de la jambe portée en avant, pendant que de ce même

côté. la fesse est large, distendue et aplatie. Dans la flexion légère du tronc

en avant, on voit les deux fesses se contracter simultanément.

Si l'homme s'élève sur la pointe d'un seul pied, l'équilibre devient

encore plus précaire. Les membres supérieurs s'écartent davantage et

cette station ne peut guère être maintenue que grâce il leur mouvement

de balancier dont l'effet est encore augmenté par les inclinaisons latérales

du torse alternativement de sens contraire. Ce que nous avons dit plus

haut à propos de la station sur la pointe des deux pieds et de la station

DE LA STATION 95

sur un seul pied nous dispense d'entrer ici dans de plus longs commen-

taires.

IV. Station à genoux.

Dans la station à genoux, le corps porte sur la rotule encastrée, pour

ainsi dire, dans la trochlée fémorale. Aussi la base de sustentation ainsi

fournie est-elle fort étroite, en outre qu'elle est arrondie. D'où il résulte

que, dans la station sur un seul genou, l'équilibre est presque impossi-

ble. La présence des deux genoux élargit latéralement cette base qui se

trouve agrandie dans le sens antéro-postérieur par le contact constant des

doigts de pied ou de la jambe elle-même avec le sol, de sorte qu'en somme

l'aire de sustentation de la station à genoux est bien plus grande que celle

de la station sur la plante des pieds, puisqu'elle a la forme d'un rectangle

dont les petits côtés varient suivant l'écartement des genoux et des pieds

et dont les grands côtés sont égaux à la longueur de la jambe.

Lorsque le corps est droit (Fig. 29).

la ligne de gravité passe au niveau des

genoux. Si le corps penche en arrière,

la ligne de gravité ramenée plus en

arrière passe plus près du centre de

la base cle sustentation et l'équilibre

est plus assuré.

Dans le premier cas, c'est-à-dire lors-

que le corps est droit, les aplombs du

corps diffèrent sensiblement de ce qu'ils

sont dans la station verticale. On ob-

serve en effet une inclinaison très pro-

noncée du bassin, en avant, d'ourésulte

une exagération de la cambrure lom-

baire. L'inclinaison du bassin en avant

est dû à l'insuffisance du muscle droit

antérieur, qui porté d'autre part par la

flexion du genou à un certain degré d'é-

longation, ne saurait se laisser distendre

davantage, et met obstacle au redresse-

ment du bassin. Si le torse penche trop en arrière la position devient extrè-

mement fatigante à cause de la contraction exagérée des extenseurs de la

jambe, destinée à empêcher la flexion de la cuisse sur la jambe. Mais si

cette flexion de la cuisse sur la jambe s'accomplit, il arrive que les fesses

prennent un point d'appui sur les talons et que la station à genoux se Lrans-

Fig. 29.

9C NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

forme en une sorte de station assise familière aux individus qui, par mé-

tier ou par sentiment religieux, doivent prolonger au delà d'un certain

temps ce mode de station.

Proportions de l'homme ci genoux. Nous avons vu plus haut que là

hauteur de la jambe mesurée du sol à l'interligne articulaire est égale a

deux hauteurs de tête. Or un homme à genoux est en réalité un homme

moins les jambes. On pourrait dire qu'il pose à terre par la face inférieure

des condyles fémoraux, car il n'en est séparé que par l'épaisseur peu con-

sidérable de la rotule. L'homme'debout ayant de hauteur sept têtes et de-

mie, n'en aura donc que cinq et demie, lorsqu'il est à genoux. Quant aux

mesures des diverses parties du corps, elles sont évidemment les mêmes

dans les deux cas, et je n'ai pas à y revenir ici.

Un point intéressant à relever cependant est la distance qui sépare du

sol les mains tombant naturellement le long du corps. En se reportant aux

mesures données plus haut, on verra que dans la station il genoux la

distance qui sépare l'extrémité des doigts du sol esl égale environ il une

tête.

Il est un mode de station qui est une variété de la station à genoux et

dont nous devons dire deux mois ici. Il s'agit de la station sur un genou,

l'autre jambe étant fléchie et portée en avant.

Celle altitude possède une stabilité remarquable tant cause de l'étendue

de la base de sustentation dans les divers sens que de la facilité avec la-

quelle le centre de gravité de tout le corps se déplace. Celte attitude

est donc éminemment propre à supporter les chocs ou les tractions.

Aussi la voyons-nous fréquemment prise dans les exercices de lutte. *

Nous la rencontrons aussi souvent chez les anciens tireurs d'arc et chez

nos tireurs modernes d'armes à feu. Elle est, en outre, d'un joli mou-

vement par le contraste des deux membres inférieurs, et est fréquem-

ment employée par les artistes chaque fois qu'un personnage doit se bais-

ser à terre pour l'accomplissement d'un acte quelconque. Elle est suscep-

tible alors de grandes variétés, suivant que le poids du corps porte

principalement sur le genou à terre ou sur la jambe fléchie et que cette

dernière est verticale plus ou moins inclinée. Inutile d'ailleurs d'insister

plus longuement.

V. Station assise.

Dans la station assise, les membres inférieurs n'entrent pour ainsi dire

pas en ligne de compte et le tronc porte directement sur le plan résistant,

DE LA STATION U7

sol ou siège. II repose sur les ischions recouverts des muscles fessiers. Le

bassin devient presque horizontal et la courbure des reins disparait. Les

cuisses fléchies à angle droit sur le tronc reposent par leur face infé-

rieure dans une étendue plus ou moins considérable sur le plan d'appui,

et suivant la hauteur du siège, les pieds touchent ou ne louchent pas le

sol.

La ligne de gravité passe alors par une base de sustentation fort large,

ce qui rend l'équilibre très stable. Cette base est surtout étendue en avant

par suite de la disposition des membres inférieurs fléchis et le torse peut

s'incliner fortement en ce sens sans crainte de chute.

Il n'en n'est pas de même en arrière, où la ligne de gravité dépassant

facilement la base de sustentation ne permet pas au tronc de se déplacer

beaucoup en ce sens. Cependant le tronc peut s'incliner d'une quantité

assez notable en arrière à la condition d'établir un contre-poids en avant,

soit en allongeant les jambes, soit en fléchissant un genou et en s'y accro-

chant par les mains.

Je ne parle pas des cas dans lesquels la chute en arrière est empêchée

par un dossier plus ou moins incliné qui fournit en même temps un ap-

pui à la tête. Car alors le corps se trouvant tout entier abandonné à l'ac-

tion de la pesanteur, il s'agit plutôt d'une variété du décubitus.

La station assise peut donc être variée de mille façons suivant que le

bassin repose à terre ou sur un siège plus ou moins élevé, que les mem-

bres inférieurs sont étendus ou diversement fléchis, et que le torse est in-

cliné en avant ou en arrière.

Dans la station assise, le buste droit, les formes extérieures du corps

diffèrent notablement de ce qu'elles sont dans la station droite. Les diffé-

rences existent surtout dans sa moitié inférieure, au ventre, aux reins et

au bassin. Elles sont la conséquence de l'horizontalité du bassin.

Le ventre est saillant et sillonné des plis transversaux qui se produisent

lors de la flexion du tronc en avant. La colonne lombaire se redresse et se

courbe même parfois en sens opposé. Les saillies des apophyses épineuses

lombaires s'accentuent. Les muscles lombaires situés de chaque côté sont

distendus et les fesses suivant leur volume forment en arrière et sur les

côtés, un relief plus ou moins accentué résultant du refoulement des par-

ties molles pressées entre le bassin et le plan résistant qui sert de siège.

Un homme assis offre en hauteur à peu près les mêmes proportions que

le torse (y compris la tête et le cou), d'un homme debout, c'est-à-dire qua-

tre hauteurs de tète. Nous avons vu, en effet, que chez un homme debout

la 11.1 tète comptée du vertex se terminait au pli fessier. Il est vrai que le

pli fessier est au-dessous de l'ischion, mais il faut rappeler que, dans la

station assise, l'ischion est séparé du sol par l'épaisseur du muscle fessier

vu 7

98 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

et de la peau, et qu'en outre le redressement de la colonne lombaire ajoute

quelque peu à sa hauteur. C'est donc autant qu'il en faut pour combler

d'une manière suffisamment exacte la distance qui sépare la face inférieure

de l'ischion du pli fessier. Et l'on peut s'en tenir aux proportions que je

viens de donner.

PAUL Richer

Chef du laboratoire de la clinique

des maladies du Système nerveux.

NOUVELLE ICONOGRAPI[IE DE LA SALPÉTIiIh'Dç

T, VII. PL. vin.

LA PYTHIE DE DELPHES

D'après une gravure de R. de IIOOGE (1688).

DU FAISCEAU DIT « BANDELETTE SOUS-OPTIQUE »

DANS LA. RACINE . POSTÉRIEURE DU THALAMUS.

Nous avons décrit sous le nom de « bandelette sous-optique » (1) un

faisceau épanoui en éventail, au-dessous de l'écorce des régions postérieu-

res et latérales de la région sphénoïdale, et dont les fibres se portent en

convergeant au-dessous de la couche optique, où elles contribuent à for-

mer la racine postérieure du thalamus. Arnold semble avoir voulu décrire

le même corps de fibres sous la désignation de faisceau tempoJ'o-tJ¡alami-

que. La forme et les rapports de ce groupe de fibres nerveuses sonl assez

difficiles à concevoir en dehors de la méthode des coupes successives ;

leur description dans l'espace ne se comprend que très difficilement en

raison de ce fait que leur direction est courbe : c'est seulement dans la

région inférieure du thalamus qu'elles forment un faisceau assez compact

et homogène pour être différencié des parties blanches ou grises adjacentes.

Les lésions du segment postérieur de la capsule interne au voisinage

du corps genouillé externe intéressent souvent la bandelette sous-optique.

A ce titre, il convient d'en déterminer avec autant de précision que pos-

sible la disposition anatomique normale. D'autre part, il nous semble dé-

montré qu'une certaine portion des fibres de la bandelette sous-optique

dégénèrent dans les déficits corticaux du lobe temporal. Quelques prépa-

rations normales dont nous reproduisons ici des agrandissements photo-

graphiques peuvent donner une idée assez nette du trajet de ce faisceau

sur les coupes vertico-transversales de l'hémisphère.

Comme toujours, nous avons pratiqué la sériedes coupes d'arrière en avant

et perpendiculairement il la ligne idéale qui réunit lacomiiiissui-e antérieure

à la commissure postérieure. Une coupe vertico-transversale (pi. XIII. A)

passant par le milieu du corps genouillé externe (GE) permet de voir la

bandelette sous-optique au niveau où elle est toujours le plus compacte.

Elle se distingue des parties avoisinantes par sa coloration claire (BSO). Le

plan de section ainsi repéré la fait voir toujours sous une forme identique

à elle-même : elle est assez régulièrement elliptique, son grand axe est ori-

(1) E. Brissaud. Anatomie du cerveau de l'homme. Paris, Masson, 1893, p. 193 et sa'

z100 - NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

zontal. Elle est limitée : en dedans, par la concavité externe du corps ge-

nouillé ; en bas, par la languette amincie de substance grise qui s'étale de

dedans en dehors il la base de ce noyau : elle confine ainsi Ù l'épendyme

ventriculaire; en dehors, elle Louche la queue du noyau caudé (NCC).

Enfin, en haut, elle est limitée par la couronne rayonnante du corps ge-

nouillé externe (RGE), et, un peu plus en dehors, par tes fibres du segment

postérieur de la capsule interne (CID).

Lorsqu'on veut se rendre exactement compte de la situation et des rap-

ports de la bandelette sous-optique, c'est au point que nous venons

d'indiquer qu'il faut faire la coupe : le couteau doit passer par le mi-

lieu du corps genouillé externe,' où il est apparent en arrière et

en dehors du pédoncule cérébral. Il ne faudrait pas faire la coupe plus

en arrière ; en effet, les libres dont se compose la bandelette sous-opti-

que sont dirigées d'avant en arrière et vont former la majeure partie du

stratum zonale du pulvinar. Une coupe vertico-transversale en arrière du

corps genouillé externe ne fait qu'abraser l'extrémité postérieure du pul-

vinar, où la bandelette optique, devenue stratum zonale, commence à épar-

piller ses fibres. Là est une des extrémités de la bandelette sous-optique,

celle qui représente la terminaison thalamique de la racine postérieure de

la couche optique. Si donc on cherche à se figurer le trajet de la bande-

lette sous-optique, il faut la prendre au plus près de son extrémité thala-

mique, dans la région que nous venons d'indiquer, c'est-à-dire au niveau

où les fibres du stratum zonale du' pulvinar se condensent pour former le

faisceau incrusté dans la'concavité externe du corps genouillé externe.

L'extrémité corticale de la bandelette sous-optique est, nous l'avons dit

en commençant, beaucoup plus diffuse, puisqu'ellc's'étalc'e'n éventail dans

une certaine région du' lobe sphénoïdal : Mais ces fibres, avant de diverger,

restent encore quelque temps groupées en un faisceau compact : c'est le tra-

jet de ce faisceau' que les coupes B, C, D permettent de suivre.

Sur la coupe B passant en avant du corps genouillé externe on reconnaît

la bandelette optique- ou tractus optique (BO) accolée aux fibres de la cap-

sule interne (CI). Immédiatement en dehors du tractus optique, toujours

reconnaissable il sa forme aplatie, on distingue la bandelette sous-optique

(BSO), allongée dans le sens transversal, et formant en partie la voûte du

ventricule sphénoïdal (V.s). Elle esl encore limitée en dehors par la queue

du noyau cauclé (NCC), au-dessus duquel elle s'étale de dedans en dehors.

En haut, elle est séparée du putamen par les fibres les plus antérieures du

segment postérieur de la capsule (CID).

Plus en avant encore (Pt. XIV, C) elle arrive au contact du noyau lenti-

culaire, situé au-dessus d'elle. La queue du noyau caudé (NCC), toujours

au-dessous, se rapproche de dehors en dedans de la lame grise de l'uncus

DU FAISCEAU DIT « BANDELETTE SOUS-OPTIQUE » 101

(Unc). On remarquera que l'uncus, auquel le tractus optique (BO) est im-

médiatement sus-jacent, se relève toujours en dos d'âne pour séparer la

bandelette sous-optique (BSO) du tractus optique (BO). 1

Sur la coupe D, qui passe en avant de l'extrémité antérieure du ventri-

cule, l'uncus s'est fondu dans la masse du noyau amygdalien (NA). Ce

gros uoyau sépare désormais par un long intervalle la bandelette optique

(BO) et la bandelette sous-optique (BSO). Celle-ci devient à ce niveau tou-

jours triangulaire. Le côté-supérieur du triangle est en contact avec la com-

missure antérieure (CA). Le côté inféro-externe est limité par les fibres

sphénoïdales du tapetum (TAP). Enfin, le côté inféro-interne concave

embrasse dans sa courbure toute la convexité externe du noyau amygda-

lien.

Sur une coupe encore plus antérieure, passant par la circonvolution de

l'hippocampe, en avant de l'uncus, les fibres de la bandelette sous-optique

s'écartent, se portent obliquement en bas et en dedans : leur coloration

sur les coupes vues par transparence devient foncée, parcequ'elles sont

dans le plan de la coupe, et non plus perpendiculaires à ce plan. Celles'

qu'on voit sur la coupe E appartiennent à la convexité antérieure du noyau

amygdalien : leur direction générale est telle qu'elles forment une conca-

vité regardant en haut et en dedans (PI. XV. E et F).

On distingue la même direction et la même courbure sur la coupe F, la

plus antérieure de toutes, et voisine de la pointe spbénoïdale. A ce ni-

veau, la bandelette sous-optique est sous-,jacente au faisceau unciforme

(FU), dont les libres semblent claires, par. transparence en raison de leur

direction antéro-postérieure. Il est a présumer'que le' faisceau unciforme

sépare complètement 'cette' extrémité de la bandelette sous-optique de la

région opto-striée; deméme,'il nous.parait vraisemblable qu'aucun groupe

important de fibres de la'bandelette sous-optique ne remonte vers la cap-

sule externe, au-dessus et en dehors du faisceau 'unciforme. Enfin, il est

il peu près certain que la majeure partie d'entre elles aboutit à l'extrémité

antérieure du lobe sphénoïdal, entre la pointe de ce lobe et la convexité

antérieure du noyau amygdalien.

Le nom de faisceau temporo-thalamidue adopté par Arnold mériterait

donc à notre avis d'être remplacé par celui'du faisceau sphénoïdo-lhala-

1nque .

Les deux ligures 30 et 31 donnent une vue très schématique du trajet

des libres de la bandelette sous-optique. -

E. Brissaud.

. Professeur agrégé, médecin des hôpitaux.

Fig. 30. Trajet et rapports de la bandelette sous-optique

On doit supposer que la queue du noyau caudé (NCC) est en partie visible par trans-

parence au-dessous de la racine inférieure du thalamus (Thl).

L'observateur regarde le cerveau par sa face supérieure ; la projection de la figure

est donc horizontale. Le noyau caudé (NCC) s'avance d'arrière en avant, à la partie ex-

terne du ventricule sphénoïdal, vers le noyau amygdalien (NA) qui ferme le cul-de-sac

antérieur de ce ventricule. La bandelette sous-optique (BSO), d'abord placée en dedans

de la queue du noyau caudé, et suivant approximativement le même parcours, se place

à sa partie supérieure, puis à sa partie externe, et s'épanouit en éventail sur la con-

vexité antéro-externe de la queue du noyau caudé et du noyau amygdalien. La racine

inférieure du thalamus, venue de la région du centre ovale qui est sous-jacente au

ventricule sphénoïdal marche de dedans en dehors, sous la forme d'une lame horizon-

tale ; arrivée en dehors de la queue du noyau caudé (NCC) et de la bandelette sous-

optique (BSO), elle se relève, enveloppe ainsi le noyau et la bandelette ; puis, finale-

ment, redevenue horizontale, mais marchant en sens inverse, c'est-à-dire de dehors en

dedans, elle passe au-dessus de la paroi ventriculaire, pour former la portion la plus

postérieure de l'espace perforé antérieur. Dans ce trajet, on peut constater que les fi-

bres les plus postérieures de la.racine antérieure du thalamus se dirigent d'avant en

arrière.

Fig. 31. - Trajet et rapports de la bandelette sons-optique.

Face interne de l'hémisphère gauche, où l'on voit par transparence le trajet de la

racine inférieure du thalamus (ThI).

CC. corps calleux ; TH, trigone cérébral ; DF, pilier descendant de la voûte aboutis-

sant au tubercule mamillaire (tir1). FVA, faisceau de Vicq d'Azyr émergeant du tu-

bercule mamillaire et remontant en dedans vers le tubercule antérieur du thalamus,

en dehors de la troisième portion de la racine inférieure (ThI) ; CA, commissure anté-

rieure ; S, vallée de Sylvius au-dessus de laquelle l'espace perforé antérieur (EPA) est

occupé par la portion horizontale de la racine inférieure du thalamus (Thl). VS,

ventricule sphénoïdal, avec la bandelette sous-optique (BSO). Celle-ci va envelopper le

noyau amygdalien (NA) à sa partie supérieure. La partie inférieure du noyau amygda-

lien est au contraire enveloppée par les fibres d'origine de la racine inférieure du tha-

lamus (Thl).

UN CAS DE PACIlYMÉNINGlTE CERVICALE SYPHILITIQUE

AVEC PARALYSIE DOUBLE DE LA SIXIÈME PAIRE

L'observation clinique qu'on va lire nous paraît de nature à établir une

relation étiologique directe entre la syphilis et une forme de méningite

spinale accompagnée d'atrophies musculaires, qui présente la plus grande

similitude avec la pachyméningite cervicale hypertrophique de Charcot

et Joll'roy. Non pas que du l'ait seul d'une syphilis avérée dans les anté-

cédents du sujet, nous nous croyions autorisé ai admettre la nature spécifi-

que de l'affection spinale. Mais celle-ci nous semble démontrée par l'évo-

lution même de la maladie, par la haute signification d'une phase initiale

de symptômes cérébraux, au cours de laquelle s'est produite une double

paralysie de la 60 paire - par les résultats du traitement antisyphilitique

qui a amené en quelques semaines la guérison de tous les accidents céré-

braux, en même temps que de la double paralysie oculaire.

Résumé DE l'observation. Syphilis 12 ans auparavant, accidents secondai-

res. Début de la maladie il y a 2 ans par des accidents cérébraux : céphalées,

vertiges, perte de la mémoire, gêne de la parole, puis diplopie (paralysie de la

(je paire); ultérieurement, violentes douleurs rachidiennes cervicales, irradiées dans

les membres supérieurs. Atrophie musculaire considérable dans les membres supé-

rieurs (surtout les avant-bras et les muscles de la main). Réaction de dégénéres-

cence dans un grand nombre de muscles. Paralysie des deux sixièmes paires. Ré-

sultat du traitement spécifique : amélioration considérable des symptômes céphali-

ques, guérison de la paralysie oculaire. Persistance des atrophies musculaires.

Ald... Fernand, 39 ans, artiste lyrique, entré le 8 juin 1892, dans le

service de M. le professeur Charcot, à la Salpêtrière (Salle Prus. 10).

Hérédité. Mère morte d'un cancer du soin à 63 ans, très nerveuse,

impressionnable, avait un tic dans la figure. Père mort à 33 ans d'une

congestion cérébrale en 2 jours, bien portant avant. Du côté maternel, il

y a eu des aliénés dans la famille (deux cousines du même sang enfermées

dans des maisons de santé). Un frère encore vivant et bien portant qui est

officier.

UN CAS DE PACIIYMÉNINGITE CERVICALE SYPHILITIQUE 105

Antécédents personnels. - Pas de maladie grave dans l'enfance ni la pre-

mière jeunesse. Rougeole. A fait ses études jusqu'en ae. lmpressionnahle

et emporté, il aurait eu au lycée une sorte de crise de somnambulisme en

plein jour. Jamais depuis. Rêvait habituellement tout haut la nuit.

A 22 ans il entre au théâtre. D'une éducation musicale insuffisante, il

a beaucoup de mal à apprendre ses rôles, et il a toujours été fortement

émotionné avant d'entrer en scène. Il ne mangeait jamais avant de jouer;

mais soupait ensuite et buvait beaucoup (de la bière, de l'absinthe, des

vins de toutes sortes).

Il y a une douzaine d'années, il contracte la syphilis au Brésil (chan-

cre induré sur la verge). Rentré en France à quelque temps de fil, il est at-

teint de plaques muqueuses dans la bouche et à l'anus, il perd tous ses

cheveux et il est tourmenté par de violents maux de tête qui l'empêchent

de dormir la nuit. Il consulta un médecin en province, qui diagnostiqua :

accidents secondaires de la syphilis et lui donna des pilules de mercure à

prendre. Au bout d'un mois de traitement il était guéri ; et depuis il n'a

jamais présenté de manifestations externes de la syphilis, et il n'a jamais

repris le traitement spécifique qu'à l'occasion des accidents actuels.

Marié il y a 8 ans, c'est-à-dire environ 4 ans après les premiers acci-

dents, il a communiqué la syphilis à sa femme. Celle-ci en effet a présenté

quelques semaines après son mariage une violente « inflammation » aux

parties. Puis elle a eu une éruption de boutons rouges sur les bras, non

prurigineux. Enfin elle a perdu ses cheveux et ses sourcils. Celle-ci n'a

pas eu d'accidents très graves : mais elle offre encore (1892) des traces de

l'infection syphilitique (gomme périostique claviculaire, gomme sous-

cutanée dans la région cervicale qui ont manifestement diminué de vo-

lume sous l'influence d'un traitement ioduré).

A... a voyagé beaucoup. Il est allé en Egypte, en Russie, en Amérique.

En 1890, il a eu pendant l'été à Alexandrie, quelques accès de fièvre in-

termittente. Il avait le frisson presque tous les jours : mais il a pu néan-

moins continuer à chanter, jamais il ne s'est alité. Ces accès de fièvre ont

duré pendant plus d'un mois ; puis ils n'ont pas reparu.

Octobre 1890. Etant à St-Pétersbourg, il a été pris tout d'un coup d'une

grande faiblesse générale avec apathie. Sa mémoire est devenue mauvaise :

et il s'est trouvé incapable d'apprendre de nouveaux rôles. Il oubliait mê-

me les anciens. Sa voix est devenue sourde et sa parole un peu embarrassée. *

Il souffrait en outre de vertiges continuels, et vers la même époque il a

éprouvé des douleurs sourdes dans les membres, et des céphalées inces-

santes, sans caractère bien spécial, autaut que sa mémoire peut le servir.

. Il a dû quitter le théâtre à cette époque et il a vécu jusqu'en 1891 tou-

jours en voyageant et s'occupant d'entreprises diverses.

106 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

Début de 1891. Les symptômes céphaliques qu'il avait éprouvés l'an

dernier prennent une grande intensité. Les douleurs de tête deviennent ter-

ribles ; il est dans un état vertigineux permanent , au point qu'il manque de

tomber à chaque pas. En même temps il voit double. Un médecin oculiste

consulté (à Oran) constate une paralysie de la 6c paire gauche, et ordonne

un traitement spécifique. Le malade le suivit pendant 8 jours seulement :

les vertiges et les maux de tête diminuèrent immédiatement ; mais la di-

plopie persista.

Rentré en France il passa quelque temps chez lui sans faire de traite-

ment. Il ressentit alors à la nuque des douleurs d'une grande violence .

Celles-ci se propageaient dans les membres supérieurs, dans les côtés de

la poitrine. Le cou était raide, et il ne pouvait tourner la tète à droite et il

gauche sans souffrir. Antérieurement déjà le malade avait éprouvé quelque-

fois des souffrances semblables, mais jamais avec une acuité pareille.

Avril 1882. Il entre à l'hôpital Beaujon. Pendant son séjour qui fut de

quelques semaines, il remarqua que les .membres supérieurs maigrissaient

énormément. z

L'atrophie musculaire envahit rapidement les avant-bras et les mains, si

bien qu'à sa sortie de l'hôpital le malade était incapable de manger seul.

La marche a toujours été possible, et le malade n'a jamais éprouvé de

troubles vésicaux.

Pendant que l'amaigrissement des muscles se produisait, les douleurs

n'ont fait qu'augmenter d'intensité dans les membres supérieurs. Elles

sont devenues très aiguës dans les mains surtout. Elles redoublaient tous

les soirs de 4 à 8 heures, et le malade a pris l'habitude d'une injection de

morphine à cette heure de la soirée.

Il entre à la Salpêtrière le 8 juin 1892.

État DU malade A l'entrée.

Il se présente avec une atrophie musculaire très accentuée, occupant le

thorax et les membres supérieurs dansjeur entier, avec prédominance dans

les avant-bras et dans les mains ;,une rigidité dn¡ C01,1 avec flexion légère

de la tête et une paralysie des deux sixièmes paires (PI. XVI).

Membres supérieurs ? L'atropine est très marquée aux mains. Les es-

paces interosseux sont déformés, les éminences aplatie.s. Les deux mains

sont en griffe, tous les doigts étant en demi-flexion, le,pouce seul étendu.

Le malade ne peut modifier, volontairement cette altitude ; mais les doigts

sont sans raideur, on peut les allonger facilement, sauf que l'extension est

arrêtée à la fin du mouvement par une résistance qui parait due il la

rétraction tendineuse, et par une douleur assez vive que le malade éprouve

à ce moment dans la partie antérieure de l'avant-bras. La main est dans

UN CAS DE PACHYMÉNINGITE CERVICALE SYPHILITIQUE 107

l'axe de l'avant-bras quand le membre supérieur est pendant au repos ; il

n'y a pas d'hyperextension du poignet.

Avant-bras très amaigris dans leur ensemble; mais l'atrophie porte

surtout sur les fléchisseurs et sur les extenseurs des doigts. Le relief des

radiaux et du long supinateur est conservé. Ces muscles fonctionnent par-

faitement ; le mouvement d'extension du poignet a lieu très bien par les

radiaux, mais l'extension des doigts est impossible. L'avant-bras est main-

tenu habituellement dans une situation plus voisine de la pronation que

de la supination. Le mouvement de supination complète est rendu impos-

sible par un certain degré de raideur articulaire du coude et par la douleur

que le malade éprouve.

Bras amaigris dans leur ensemble, sans atrophie musculaire localisée.

Tous les muscles fonctionnent, sans énergie il est vrai.

Épaule. Atrophie de tous les muscles, mais surtout du grand pectoral

des sus et sous-épineux. Le deltoïde et le trapèze ont moins souffert. Les

creux sous-claviculaires sont très prononcés, ainsi que les fosses scapulaires.

Le malade ne peut exécuter qu'un mouvement très incomplet d'élévation

du bras. Les mouvements imprimés à l'articulation de l'épaule sont très

douloureux. L'abduction du membre supérieur est limitée surtout par la

tension du grand pectoral qui semble rétracté.

La faiblesse des muscles est proportionnée à leur atrophie. Le malade

est incapable de manger seul, de s'habiller surtout à cause de l'inertie des

doigts.

Il y a une symétrie absolue dans la distribution de l'atrophie.

Réflexes tendineux du coude normaux.

Troubles trophiques très prononcés du côté de la peau des mains et des

doigts. La peau est lisse, luisante, semble collée sur les os.

Douleurs. Le malade éprouve encore des douleurs sourdes spontanées,

qui reviennent principalement tous les soirs vers 4 ou 5 heures. Dans la

journée, il est relativement tranquille. Elles siègent surtout dans les

avant-bras et dans les mains ; elles n'ont pas le caractère fulgurant : mais

le malade souffre « comme si ces parties avaient été rouées de coups ».

On ne constate pas d'anomalies dans les divers modes de sensibilité,

mais il existe une hyperesthésie très vive dans les doigts et les mains, sur-

tout à la face palmaire.

Les espaces intercostaux sont fortement déprimés. Le malade éprouve

clans la région slernale supérieure des douleurs semblables à celles qu'il

ressent dans les membres supérieurs.

Symptômes cérébraux. L'intelligence est intacte ; la mémoire seulement

est très affaiblie. Le malade est encore sujet à de fréquents éblouissements,

;'1 des vertiges qui le prennent tout à coup dans le courant de la journée.

108 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

La parole est embarrassée ; le malade a remarqué que sa langue deve-

nait pâteuse, il bredouille parfois, on ne constate pas cependant de trou-

ble caractéristique dans l'articulation. La langue n'est pas déviée. Pas de

déviation des traits de la face.

L'examen des yeux pratiqué par M. Parinaud a donné les résultais sui-

vants :

Pupilles égales, réagissent normalement à la lumière et à l'accommoda-

tion.

Paralysie de la 6° paire gauche. Parésie de la (le paire droite. Péri-névri-

te optique double; infiltration légère des deux papilles.

Acuité visuelle normale, pas de dyschromatopsie.

Examen de la région cervicale. Les apophyses épineuses de cette région

sont douloureuses à la percussion. La raideur de la nuque est assez mar-

quée : les mouvements de flexion et de redressement de la tête sont limités,

douloureux, ainsi que les mouvements de rotation à droite et à gauche.

Le malade évite toujours de faire ces mouvements.

La région cervicale n'est pas déformée, mais il existe une légère con-

vexité à grand rayon de la partie cervico-dorsale du rachis. Le malade

se tient voûté alors qu'il se tenait très droit autrefois.

Membres inférieurs. Rien d'anormal, ils participent à l'amaigrisse-

ment et à la faiblesse générale, mais ils n'offrent pas d'atrophie systéma-

tique, pas de douleurs. Les réflexes tendineux'sont normaux. La démarche

n'offre rien de particulier à noter. Elle est seulement un peu incertaine,

ce qui peut être dû à la faiblesse et à la diplopie qui gène considérable-

ment le malade, pas d'incoordination, pas de signe de Romberg.

Le malade est sujet à une constipation habituelle, mais il ne présente

aucun trouble vésical.

État du malade au 20 SEPTEMBRE 1892. Il a été soumis depuis son

entrée rigoureusement au traitement spécifique : (KI... 6 gr. ; frictions

mercurielles) avec des intervalles de repos. On a pratiqué la faradisation

des muscles atrophiés, d'une façon un peu irrégulière il est vrai.

Amélioration très marquée du côté de l'état général : il a engraissé, il

est plus fort, sa démarche est plus assurée.

Du côté des symptômes céphaliques, la mémoire est meilleure, la parole

est nette maintenant. Il n'a plus de vertiges du tout. Enfin la diplopie Il'

complètement disparu.

Mais l'atrophie musculaire a persisté à peu près telle qu'elle était au

début.

Voici les résultats de l'examen électrique pratiqué à cetle époque par

notre collègue et ami le Dr Huet.

Faradisation (appareil Dubois Raymond).

UN CAS DE PACIIYIItÉNiNGI'Cl; CERVICALE SYPHILITIQUE 109

110 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

UN CAS DE PACHYMÉNINGITE CERVICALE SYPHILITIQUE 111

Dans l'histoire qui précède nous relevons certaines particularités qui

n'appartiennent pas aux formes ordinaires de la pachyméningite cervi-

cale hypertrophique (1) : tels sont les accidents cérébraux du début, la

paralysie des moteurs oculaires externes, les altérations papillaires. De

tels symptômes traduisent la propagation de la méningite à la base de l'en-

céphale. Or on sait depuis les travaux de Virchowque la méningite syphi-

litique se localise avec prédilection dans celte région. Si bien que lors-

qu'on voit apparaître chez un syphilitique avéré des manifestations en

rapport avec une néoplasie de la hase (névrite optique, paralysies oculai-

res) lorsque ces manifestations coïncidant avec des céphalées intenses, cè-

dent au traitement antisyphilitique, on peut en toute certitude conclure

à la nature spécifique des lésions. Il n'en a point été autrement chez notre

malade.

Quant à l'envahissement ultérieur des méninges rachidiennes, c'est là

un fait commun dans la syphilis et la méningite syphilitique parait la

plus fréquente de toutes les méningites cérébro-spinales chroniques. Mais

habituellement les méningites syphilitiques ont tendance à se propager

vers la moelle; c'est la pachyméningite interne avec arachnitis et lepto-

myélite consécutives que l'on rencontre en pareil cas (2).

Dans l'observation précédente, la moelle n'a pas été touchée, mais les

racines rachidiennes ont été profondément altérées, car la paralysie atro-

phique des membres supérieurs est du type radiculaire. On doit admettre

qu'il s'agit là surtout de pachyméningite externe. La syphilis produit

cette lésion beaucoup plus rarement que la précédente, mais le fait n'est

pas sans exemple.

Virchow raconte avoir pratiqué l'autopsie d'un officier syphilitique, qui

avait été pris de douleurs dans le cou et dans les bras, puis de raideur de

la nuque et finalement de paralysie des deux bras. L'examen nécroscopique

montra une pachyméningite spinale avec adhérences au périoste des ver-

tèbres cervicales. Parfois la carie vertébrale précède la pachyméningite

externe. Darier a tout récemment fait connaître un fait du même genre (So-

ciété anatomique, 1893). Nous avons nous-mème publié antérieurement

une observation de méningite cervicale syphilitique associée à une para-

lysie totale du moteur oculaire commun qui guérit radicalement par le

(1) M. le prof, .loffroy a publié cependant (Archiv. gén. de médecine, 1S7G, vol. 2,

p. 5-i4) un cas de pachyméningite cervicale hypertrophique où les accidents bulbaires

occupent une place importante (vomissements, vertiges, diplopie). La maladie s'amé-

liora considérablement par un traitement non spécifique. La syphilis ne figure pas

dans les antécédents du sujet.

(2) Ilsowrrs (Zienssezz's IlazzdLuclc. Bd. 11. t Il. p. 299). Jucrvs (Clzaz·ilé Elzzzalen,

lS8o). OrpENnuM (Berlin, klin. Wochenschtifl, 1SS9).

112 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

traitement, malgré un commencement d'atrophie musculaire aux membres

supérieurs. (De la méningo-myélite syphilitique, thèse de Paris, 1893.)

Il n'est pas douteux que les lésions syphilitiques limitées aux méninges

ne soient les plus accessibles au traitement spécifique. L'insuccès partiel de

la thérapeutique, dans l'observation qui fait le sujet de cette note, s'expli-

que facilement par l'existence d'altérations névritiques anciennes et de

troubles profonds dans la nutrition des muscles, dénotés par l'atrophie

considérable et la réaction électrique de dégénérescence.

- II. LAMr,

Ancien interne des hôpitaux.

UN CAS D'HÉMIPAHAPLÉGIE SPINALE

AVEC ANESTHÉSIE CROISÉE D'ORIGINE SYPHILITIQUE

Les lésions traumatiques de la moelle épinière et en particulier les hé-

misections par instruments tranchants ou par balles de revolver sont la

cause la plus fréquente de 1'liéluipaiiplégie spinale avec anesthésie croi-

sée ou syndrome de Brown-Séquard. Mais celui-ci peut se rencontrer dans

beaucoup d'affections organiques ou inorganiques intéressant la colonne

vertébrale, les méninges ou la moelle : arthrite vertébrale, productions

méningées, foyers bémorrhagiques, tumeurs, syphilomes, hystérie.

De toutes ces causes, la syphilis est celle qui occupe le premier rang,

après le traumatisme; et l'hémiparaplégie spinale avec anesthésie croisée

répond à une forme de myélite 'syphilitique systématisée qui n'est pas

rare. Brown-Séquard en a rapporté quatre observations empruntées une à

Jaccoud, deux à Perroud(de Lyon) (1), la quatrième à Jackson (2).

Citons ensuite les observations de MM. Charcot et Gombault (3), Vi-

not (4), Berger (5), Mackenzie (G), Catuffe (7), Armstrong (8), et le cas de

Gilles de la Tourelle (9), relatif à une malade de M. le professeur Four-

nier.

Malgré la fréquence relative des observations de ce genre, celles-ci sont

encore assez rares pour qu'il nous soit permis d'en publier une que nous

(1) Archives de physiologie, 1869, p. 244.

(2) Journal de physiologie, T. VI.

(3) Archives de physiologie, 1813, p. 143.

(4) Thèse de Paris, 1816, obs. IL.

(5) Société silésienne pour l'avancement patriotique (Berlin. Klin. Woclaenschr.,

no 17, p. 234, 1876).

(6) A case of hemiparaplegia spinalis (The Lancel, 9 juin 1883).

(1) France médicale, 23 février 1886.

(8) Sypliilitic hemiparaplegia (Médical Record, 9 juil. 1892, lio 1131, p. 31).

(9) Th. de LAMY 1893, obs. IV, p. 62. Vov. aussi. - GALLAIU>, sur un cas d'affection

rare de la moelle d'origine syphilitique. Union médicale, no 13 : i, 1814. II. I\ümOEn.

Die Lehre von der Spinàlen Hémiplégie. Delltch. Arcla. f. Klin. Med., p. 169, 4S7î

(48 observations plus 2 cas inédits répondant au syndrome de Brown-Séquard.KETTLEEt,

un cas d'hémiparaplégie complètement guéri au bout d'un an (Journ. of. Amer. med.

ass., 23 sept. 1893).

vu 8

114 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

avons recueillie dans le service de notre maître, le Dr Gilles de la Touret-

te, à l'hôpital Cochin :

La nommée L..., Marie, âgée de 41 ans, est entrée salle Briquet, n° 19,

le 19 décembre 1893, pour une paralysie du membre pelvien du côlé

gauche.

C'est une femme de constitution faible, ayant subi des privations, d'in-

telligence médiocre, et s'étant observée assez mal.

Nous n'avons pas trouvé de maladies nerveuses dans ses antécédents

héréditaires ; son père est mort d'accident, sa mère de fluxion de poitrine.

A part une pleurésie en 1881, elle parait avoir été toujours bien por-

tante. Elle a contracté la syphilis à une époque qu'il est difficile de dé-

terminer. Cependant l'infection semble avoir eu lieu en 1884 ou 188 ? ).

A cette date, la malade a été atteinte de plaques muqueuses des parties

génitales et de la gorge, d'éruptions sur les membres (probablement sy-

pllilides papulo-squameuses), de céphalée nocturne, et vraisemblablement

d'iritis. Elle n'a suivi aucun traitement. Actuellement il existe encore

quelques cicatrices déprimées et arrondies sur les jambes.

L'infection syphilitique est restée silencieuse jusqu'au mois d'août 1893.

A cette date, la malade commence à ressentir de l'engourdissement, des

fourmillements dans le membre inférieur gauche, qui devient plus faible

que celui du côté opposé. Elle éprouve des douleurs au niveau de la ré-

gion lombaire, douleurs s'exaspérantparmoment, principalement la nuit,

et s'irradiant autour de la taille, surtout du côté gauche.

La miction devient plus difficile qu'auparavant. La malade est obligée

de pousser quand elle veut uriner. D'autres fois, elle laisse échapper les

urines, et même les matières fécales, s'il y a un peu de diarrhée.

Depuis, le membre inférieur gauche s'est progressivement affaibli au

point que la marche est impossible actuellement.

État actuel. 21 déc. 1893. Au lit, les membres inférieurs étant

en extension, le pied gauche n'occupe pas la même position que le pied

droit. La pointe est déviée en dedans, elle tombe de ce côté, en même

temps qu'il existe un certain degré d'adduction du pied : en somme celui-

ci est placé en varus équin léger.

Le membre inférieur gauche, sans être complètement privé de mouve-

ments, est cependant paralysé à un degré très notable. La malade peut

encore détacher le talon du plan du lit, mais elle ne peut l'élever à plus

de dix centimètres. Elle résiste assez énergiquement, quand on veut flé-

chir la jambe sur la cuisse ; au contraire elle n'oppose qu'une résistance

insignifiante à l'extension, quand on lui commande de maintenir sa jambe

fléchie.

Nol..\ ICONOCR. DE LA S AI PÉTRI f RE T. VU, PI IX & X

PHOTOTYPE NÉGATIF H t-tL1CI : hT A. l.ONDE

DETERMINATION DE LA LIGNE DE GRAVITÉ DU CORPS

DANS LA STATION DROITE

L. BATTAILLE ET C"

Éditeurs

UN CAS d'hÉMIPARAPLE GIE SPINALE 115

Le pied est extrêmement mobile et se laisse porter dans tous les sens,

sans que la malade puisse s'y opposer.

Le membre pelvien du côté droit peut accomplir tous les mouvements ;

il n'est nullement atteint par la paralysie.

La marche est impossible sans appui. Le pied gauche se place en varus

équin paralytique et la pointe abaissée et tombante, traîne sur 1 e sol par l'ex-

trémité desorteils, chaque fois que le membre se porte péniblement en avant.

La sensibilité est conservée dans le membre inférieur gauche ; il n'y a

pas cl'hyperesthésie ; nous n'avons pas trouvé de bande anesthésique au

niveau du siège présumé de la lésion médullaire et des nerfs qui émer-

gent en ce point.

A droite, c'est-à-dire du côté où le mouvement est intact, la sensibilité

au frôlement, au contact, il la pression persiste ; la sensibilité à la dou-

leur, à la chaleur et au froid est abolie dans tout le membre et sur la moi-

tié latérale et inférieure du tronc du même côté, jusqu'à la fosse iliaque

en avant, la crête iliaque en arrière. (Fig. 32 et 33). La transition des

parties anesthésiques aux parties saines se fait d'une manière insensible.

Sur leur limite il n'existe pas de zone d'hyperesthésie. Les résultats de

l'exploration de la sensibilité thermique n'ont pas été absolument cons-

tants la région antérieure et supérieure de la cuisse. Dans un premier

examen l'eau chaude, l'eau a la température ambiante, la glace donnaient

une sensation de tiédeur, tandis que plus loin la sensation de contact était

Fig. 32 et 33.

116 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

seule perçue. Dans d'autres examens, la sensibilité thermique était abolie

là comme ailleurs, d'une manière absolue.

Outre ces troubles objectifs, la malade accuse des troubles subjectifs de

la sensibilité : au niveau de l'hypochondre et du flanc gauches, sensation

d'eau froide coulant sur la peau, douleur insignifiante, frissons légers ou

plutôt sensation de froid dans la région dorsale; dans le membre anesthé-

sique, sensation de « chatouillements », qui sont apparus depuis quel-

que temps au niveau du mollet. Ce membre lui paraît plus froid que l'au-

tre ; à la main, la température de la peau semble être la même des deux

côtés. La partie moyenne du tibia gauche est spontanément douloureuse,

sans qu'elle soit le siège de gonflement. La malade ressent en outre de

temps en temps des fourmillements dans les membres supérieurs et jus-

que dans la face. A part cela, il n'existe dans ceux-ci rien d'anormal con-

cernant soit la sensibilité, soit la motilité.

Le sens musculaire est conservé dans les deux membres pelviens.

Le volume de ceux-ci, mesuré au centimètre, au niveau du mollet et de

la cuisse est le même des deux côtés. Il n'y a donc pas d'atrophie muscu-

laire du membre paralysé.

Pas de troubles trophiques.

Les fonctions vésicales sont peu touchées en ce moment ; de même cel-

les du rectum. Cependant, si la malade ne se surveillait pas, elle laisse-

rait, dit-elle, facilement échapper ses matières, qu'elle ne peut retenir en

cas de diarrhée.

Les réflexes rotuliens sont exagérés, surtout à gauche (deux ou trois

contractions musculaires pour un seul choc du tendon). Le redressement

de la pointe du pied produit, de ce côté seulement, de la trépidation épi-

leptoïde.

Le réflexe plantaire est aboli des deux côtés. Pas de troubles oculaires ;

jamais de diplopie; les pupilles sont égales, le réflexe lumineux est un

peu affaibli. Pas de lésions du fond de l'oeil.

La malade se plaint de vertiges, de sensations de défaillance, de palpi-

tations ; battements du coeur réguliers ; pas de lésion d'orifices.

Pas de fièvre.

Traitement : frictions quotidiennes avec 4 grammes d'onguent mercu-

riel double, iodure de potassium 4 grammes.

4 janvier 1894. La malade accuse toujours des faiblesses, des dé-

faillances, des palpitations qui augmentent notablement après les repas,

au point, dit-elle, qu'elle n'ose plus manger. L'appétit est médiocre. No-

tons aussi un état nerveux particulier qui l'ait que la malade se plaint tou-

jours de quelque chose et accuse les médicaments de produire tous les ma-

laises qu'elle ressent.

UN CAS D'fll : ilt'ARAPLEGIC aPIN.IL 117

Les symptômes paralytiques du côté des membres inférieurs semblent

s'être légèrement aggravés.

Celui qui est paralysé (le gauche), est plus faible, dit la malade, que

le jour de son entrée il l'hôpital. Ce matin, au lever, il est tombé comme

une masse inerte sur le plancher. Le talon est détaché avec un peu plus

de peine du plan du lit. Cependant la résistance à la flexion est la même

qu'auparavant.

Les sensations d'agacement qui n'existaient primitivement que dans le

mollet droit occupent maintenant tout le membre, la région fessière et l'hy-

pogastre qui parait lourd, pesant.

Depuis hier, la malade souffre dans la région lombaire gauche. La pres-

sion sur les apophyses épineuses des 11e et 12e vertèbres dorsales et pre-

mière lombaire est manifestement douloureuse. Elle l'est également sur

le côté gauche au niveau des points d'émergence des branches latérales

des nerfs correspondants.

Il y a quelques jours la malade ayant été purgée, a laissé échappé ses

madères fécales.

9 janv. Depuis trois ou quatre jours, la miction est devenue pé-

nible.

Il existe au sommet de la fesse droite, une petite eschare superficielle,

de la largeur d'une pièce de 0,50 centimes.

14 janv. Les frictions mercurielles ne paraissant pas avoir une action

suffisamment active, on pratique une première injection sous-cutanée de

la solution de peptonate mercurique ammonique de Delpech.

15 janv. La malade demande sa sortie de l'hôpital.

A. Jon.\i\D.

Interne des hôpitaux.

LA MÉTHODE CURATIVE DES PLATES, ET FRACTURES

DE LA TESTE HUMAINE. ·

AVEC LES POURTR.11'CS DES INSTRUMENTS NÉCESSAIRES

POUR LA CURATION D'ICELLES.

Par M. Ambroise Paré, chirurgien, ordinaire

du Roy et. Juré il Paris.

A PARIS.

De l'Imprimerie de JcNan le Royer, Imprimeur du Roy t's

Mathématiques demeurant en la nie St-Jacques tri

l'enseigne du Vray Potier près les Malhurins.

AVEC PRIVILÈGE DU ROY.

i;61.

Fig. 31.

'un des documents les plus intéressants qne

nous ait légués le siècle sur l'histoire

du trépan est certainement le petit volume,

aujourd'hui rarissime (1), publié en 1561

sous ce titre. C'est un petit in-octavo de

CCLXXVI feuillets, sans compter le titre, les

dédicaces : l'une « « M. Chapelain, conseiller

et premier médecin ordinaire du Boy», l'au-

tre « au lecteur»; les vers adressés à l'au-

teur : «Vers alexandrinsau lecteur par I. N. P.

à son ami A. P. aulheurdece présent livre », « Estienne de la Rivière, 1

l'auteur son ])on amy », « Ode de Mathurin Pasquet Champenois », « Ac'

Lectorem CI. Caron » ; enfin, placés à la fin de l'ouvrage, la table et le

permis d'imprimer « donné à Bloys le 8e jour d'octobre 1559 » et au-des-

sous duquel on lit : « Achevé d'imprimer le 28° jour de février 1561 ».

Les pièces préliminaires et la table sont en caractère romain, le coi-115

même de l'ouvrage entièrement en italiques, ce qui lui donne une vérifa-

hile élégance qu'augmentent encore les lettres ornées, fort nombreuses, el

(1) Nos dessins ont été faits d'après le bel exemplaire de la Faculté de médecine,

aimablement mis à notre disposition par : \1;\1. Hahn et Corlieu, bibliothécaires.

Fig. 311. - Ambroise Paré ¡\ 4 : i ans, d'après le portrait placé en tête de la Première

Édition des « Playes et Fractures de Teste Humaine » 4561. (Dessin de Madame

J. CONTAI,).

NoU\. ICONUCR. DE LA SALPLIRIIIjE T. \ Il. PL XI A XII

DÉTERMINATION DE LA LIGNE DE GRAVITÉ DU CORPS

DANS LA STATION DROITE

L BA fTA 1 LLE ET Ci.

1..D leur(,

PLAYES ET FRACTURES DE LA TESTE HUMAINE 121

dontnous reproduisons l'nn des meilleurs spécimens (Fig. 34), les en-tôle,

lefrontiscipe, entouré d'un médaillon très orné, et surtout l'admirable et

peu connu portrait de Paré à 45 ans, placé à l'envers du titre, et entouré

de sa devise « Labor improbus omnia vincit » (Fig. 35).

L'ouvrage lui-même est divisé en deux parties de longueur à peu près

égale, l'une portant sur « l'anatomie de la teste humaine illustrée par les

figures de ses parties », l'autre ayant trait « à la méthode curative propre-

ment dite de ses plaies et fractures ».

Ambroise Paré explique lui-même dans sa préface « au lecteur » pour

quelles raisons il a cru nécessaire un préambule anatomique aussi étendu.

« En suivant l'advis du bon homme Guidon de Chauliac en son chapitre sin-

gulier, amy lecteur, ou il enseigne tout homme bien ouvrant devoir conois-

tre le lieu du subiet auquel il oeuvre, à fin que son opération soit exemp-

te de toute erreur, je me suis persuadé ce que, de toute antiquité de temps

et soudain que l'art de médecine fut inventé, les plus fameux médecins

asclépiades ont reçu par commun accord, comme principe et théorème,

auquel en leur art il ne faut aucunement contrevenir, scavoir est que le

chirurgien (qui de touts les ouvriers usants de la dextérité manuelle est le

plus excellent) doit par nécessité scavoir exactement la composition du

corps humain auquel il oeuvre comme en son propre subiet et des parties

d'iceluy ; pour ce que lui défaillant ceste pièce, c'est-à-dire la cognois-

sance du corps subiet, il ne pourra faire opération qui soit bonne, et de

laquelle il puisse sortir avec asseurance de son honneur. Ce qui est prouvé

suffisamment par IIippocrate au commencement du livre de l'officine du

médecin... » Cette discussion sur la valeur de l'anatomie pour le chirur-

gien est trop longue pour que nous puissions la reproduire tout entière.

Elle mérite toutefois d'être lue, elle a la saveur littéraire des meilleures

pages de Rabelais.

L'anatomie de la teste humaine est certes d'un intérêt beaucoup moin-

dre : nous n'en analyserons ni les rares parties vraies, ni les nombreuses

inexactitudes, ni les figures « extraictes du livre d'Andre Vesale ». Notons

cependant au passage les théories physiologiques dont Paré orne çà et la sa

description : Les esprits animaux y jouent naturellement un rôle qui prèle

parfois au sourire. « De l'esprit vital est fait l'esprit animal emoyé du |

cueur par les artères carotides internes au cerveau pour ce qu'il était re-

quis qu'il fust mieux cuit et digéré... le rets admirable a été aussi l'ail, afin

que l'esprit y feit plus longue demeure pour illec estre mieux agile el

élaboré, subtilisé-et mis-en extrême perfection.» llinsi.pai : venus ou..cer- J 1

veau, les esprits animaux se promènent dans les ventricules qui ont cha-

cun leur fonction spéciale. « L'utilité et usage du ventricule moyen est de

servir comme de tribunal et consistoire à la faculté raisonnable lorsque

122 2 NOUVELLE ICONOGRAPHIE nI; 13 LA S A L P HT II 1 ÈR E.

l'âme par icelle veut faire ses jugements et prendre ses conclusions des

choses à soi présentées par l'imaginative, estimative on llhantasie... Le

siège de la mémoire est au ventricule postérieur, situé au cerehe.lle moins

humide et plus solide que mile autre partie du cerveau : pour ceste cause

plus apte et plus idoine à recevoir ces choses qui ont esté aux trois ven-

tricules recues et élaborées ». Ajoutons du reste que s'il arrive au cerveau

des humeurs « noires et visqueuses » les commissures sont là pour y re-

médier « le crâne étant en nostre corps comme une cheminée ou fourneau

de la maison; auquel toutes les fumées montent : si la nature l'eust fait

tout d'un os, les fumées ne s'en eussent pu exhaler ».

Après ces belles théories il est grand besoin de reprendre terre. C'est

ce que fait Paré dès les premiers mots de la seconde partie, de la partie

vraiment intéressante de son ouvrage. Ici, peu d'érudition : IIippocrate,

Galien, Guy de Chauliac et c'est tout, mais d'admirables descriptions cli-

niques semées de curieuses anecdotes chirurgicales.

Après avoir noté les signes « conjectura tifs» et les signes certains des

fractures du crâne, Paré étudie les variétés déjà admises par Hippocrate :

la fente, la contusion, l'enfoncure, l'incision, et la fracture « autre part

qu'à l'endroit où a été donné le coup ».

Dans la fente ou fracture linéaire, « s'il n'y a pas place suffisante pour

la traiter, faut premièrement raser le poil puis coupper le cuir musculeux

Fig. plan-

cette décorée du

croissant de

Diane de Poi-

tiers d'après .le.

PATTÉ.

et le péricrâne avec un rasoir » ; si les lèvres de la plaie

saignent, « lier le vaisseau, faisant un point d'aiguille,

commençant à passer l'aiguille à la partie extérieure au

travers de tout le cuir musculeux, puis la repasser par la

partie intérieure et faire le noeud dessus », enfin on doit

pratiquer « ouverture en l'os, avant le troisième jour s'il

est possible, principalement en esté », de façon « à don-

ner issue et transpiration il la matière ». On se servira

pour cela des diverses sortes de rugine.

A propos de la contusion « qui est la seconde espèce de

fracture » Paré décrit fort bien le cephaloematome, el les

dépressions crâniennes considérables « qui se fonl prin-

cipalement aux jeunes enfants, lesquels ont encore leurs os

tendres, gélatineux et mois ». Une ventouse, un tire-fonds

remettront l'os en place; s'il résiste à ces moyens on le

souléera après avoir rait une petite ouverture en son mi-

lieu, à l'aide d'un élévatoire à trois pieds. Si l'os est dé-

primé d'un côté seulement « faut l'eslever et donner

issue aux choses étranges, faire ouverture avec scies ».

« Davantage advient maintes lois que la première lahle durlll cr<1ne es ! en-

PLAYES ET FRACTURES DE LA TESTE HUMAINE 123

tière et que la seconde est rompue avec esquilles qui compriment la dnre

mère, qui esl aussi cause de la mort du patient : ce que j'ay veu advenir à un

gentilhomme de la compagnie de monsieur d'Estampes lequel fut blessé sur

la brèche du chasteau de llédin, d'un coup de hacquebute qu'il recul sur

l'os pariétal, dont le troisième jour mourut apoplectique. Dont advint que

pour l'envie que j'avais de cognoislre la cause de sa mort je lui ouvry le

crâne, auquel trouvay la seconde table rompue avec esquilles d'os qui

estaient insérées dans la substance du cerveau, encore que la première ta-

ble fust entière ».

Dans les « enfonceures qui est la troisième espèce de fracture » on en-

lèvera les esquilles séparées avec des élévatoires, des pincettes, des te-

nailles ; au besoin pour donner issue aux humeurs on

appliquera le trépan, « non sur l'os entièrement frac-

turé, de peur qu'en pressant dessus, on ne blessàt les

membranes : mais sur l'os sain et entier, et le plus près

de la fracture qu'on pourra ».

Dans la quatrième espèce de fracture, « qui est in-

cision, s'il advient qu'il y ait grande playe avec os du

tout coupé et que portion du cuir musculeux fut de-

meurée sans être entièrement coupée, ne faut parache-

ver de coupper le dit cuir, mais faudra séparer l'os qui

sera du tout coupé, d'avecques le péricrâne, afin de ré-

duire ledit cuir en son lieu pour servir de couverture

au cerveau, de peur que l'air extérieur ne lui face lé-

sion. »

Arrivons enfin il « la cinquiesme espèce de fracture,

qui se fait du côté opposite du coup ». « OEginete s'en

mocque », mais Paré l'a vu, « n'aguère sur l'un des ser-

viteurs de monsieur Du Mais » et conseille même, dans

les cas de ce genre, « de faire trépanation, plustôt que

laisser le patient mourir » après avoir appelé conseil

« tant de docteurs médecins que chirurgiens, de peur,

qu'on ne se trouve empêché si d'avanlure le patient

vient à mourir : car ce sera chose plus aisée a quatre

de le porter en terre qu'il ne serait un seul ».

. 1

« La cummunuu ou esinaiiittiueiu un cerveau » qui près A. pArti...

se produit dans toutes les fractures du crâne, rend du reste, même dans

les cas les plus simples, le pronostic fort incertain ; «Aucuns meurent de

bien petites fractures,' les autres réchappent de très grandes ». C'est ainsi '

que succomba le roi Henry II le onzième jour après un coup de lance qui

« lui (lilacera le cuir musculeux du front près l'os, transversalement jus-

. Fig. 37. Bistouri d'a-

124 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

ques au petit coin de l'oeil sénestre, sans l'aire aucune fracture aux os ; et

après son dècès on lui trouva en la partie opposée du coup, comme envi-

ron le milieu de la commissure de l'os occipital une quantité de sang es-

pandu entre la dure-mère et la pie-mère, avec altération de la substance

du cerveau ». Le duc de Guise échappa d'une plaie autrement grave en

apparence « Monseigneur François de Lorraine, duc de Guise, reçut de-

vant Boulogne un coup de lance, qui au-dessous de l'oeil dextre déclinant

vers le nez, entra et passa outre de l'autre part entre lanucque et l'oreille

d'une si grande violence que le fer'de la lance avec une portion de bois

fust rompue et demeura dedans en sorte qu'il ne peut estre tiré hors qu'a

grande forces, mesmes aux tenailles de mareschal : nonobstant toutesfois

ceste grande violence qui ne fust sans fracture d'os, nerfs, veines, artères

et autres parties rompues et brisées par ledit coup de lance, mondit Sei-

gneur grâces à Dieu fust guéry ».

Le pronostic est bien entendu, singulièrement aggravé par l'inflamma-

tion de mauvaise nature de la plaie avec « couleur blafarde et pus vis-

queux », par < les convulsions et spasmes survenant à la partie opposée du

coup.... ce qui est à raison de la douleur de la plaie, et aussi que les hu-

meurs et esprits naturellement courent vers la partie blessée; lesquelles

deux choses espuisent, sèchent et consument le costé de la partie saine, dont

puis après tombe en convulsion ». La mort devient certaine « lorsque le

patient perd sa ratiocination, n'a plus de mémoire, parle sans occasion, et

a les yeux ténébreux ».

Paré étudie longuement le régime des blessés, « le boire, le manger et

le dormir » sans oublier la saignée dont il était fort partisan, au point de

retirer à un de ses patients jusqu'à vingt-sept palettes en quatre jours. Il

décrit les pansements à appliquer, variables suivant les caractères et la

cause de la plaie : Tout cela est peu intéressant. On nous permettra donc

de feuilleter seulement, pour arriver de suite aux conseils chirurgicaux

que suscitent les « complications » des fractures du crâne : « Pour expur-

ger le sang et la sanie qui peut-être entre le crâne et la dure-mère, faut

mettre un peu de linge délié en deux ou trois doubles, avec un peu d'eau-

de-vie entre le crâne et la dure-mère ». Lorsque la dure-mère se lève et

sort grandement par le trou du trépan « faut faire plus grande ouverture

et si on voit qu'icelle tumeur ne se résolve et que l'on eust soupçon qu'il

y eust pus au-dessous, alors on doit faire incision à la dure-mère, avecques

une lancette ou avec une historié ». Quant au fungus « que les vulgaires

appellent le ne S. Fiacre, qui est une chose absurde et mal entendue,

pour ce qu'il n'y a point de maladies de saints, on le liera avec fils de

soye, le plus près de sa racine qu'on pourra, puis étant tombée, » on

appliquera dessus des siccatifs. Lorsque l'os est carié, ce qui est dû

PLAYES ET FRACTURES DE LA TESTE HUMAINE 125

à l'air, à la sanie qui imbibe l'os, à « l'indue application d'huilles

et autres médicaments humides et suppuratifs », il faut le dessécher

avec les poudres céphaliques « propres pour ayder à séparer l'os qui

sera altéré superficiellement », avec des cautères « qui seront de telle

figure que sera la figure de l'ulcère et os corrompu ». « Pour que la vertu

des remèdes puisse mieux consumer l'humidité superflue on poura percer

en divers lieux l'os carié avec la trépane perforative ». Enfin, lorsque l'os

ne tient presque plus, on l'enlève doucement ainsi que Paré le fit « à un

laquais de deffunt monsieur de Goulaines ». « Et dessus la dure-mère, dit-

il, trouvay trois cavitez à mettre le pouce, qui estaient remplies de vers

grousiantset mouvants, lesquels estaient chacun de grosseur environ d'ai-

guillette, ayant la teste noire. Or estait la portion d'os que nature avait

séparée de grandeur de la palme de la main et plus... et pour ceste cause

l'eis faire audit laquais un bonnet de cuir bouilly (pour résister aux injures

externes) qu'il porta jusques à ce que la cicatrice fut bien solide et la par-

tie fortifiée. Or il y a d'aucuns soy disants chirurgiens (mais plutost sont

Fig. 38 et 39. - Trépans perforatif et exfoliatif d'après Paré. -.

1`1 NOUVELLE 1 CON 0 G Il A l' il 1 DE LA SALPÊTRIÈRE.

de ces abuseurs coureurs et larrons), qui lorsqu'ils sont appeliez pour trait-

ter les playes de teste, ou il y aura quelque portion d'os amputé, font à

croire audit patient et aux assistants, qu'au lieu dudit os leur faut mettre

une pièce d'or. Et de fait en la présence du patient l'ayant receue, la ba-

tent et la rendent de la figure de la plaie et l'appliquent dessus et disent

qu'elle y demeure pour servir au lieu de l'os et de couverture au cerveau :

mais tost après la mettent en leur bource et le lendemain s'en vont lais-

sant le patient en cette impression. Les autres disent que par leur indus-

trie et grand scavoir ils font coalescer une piece de congourde au lieu de

l'os amputé et ainsi abusent les ignorants qui ne cognoissent que tant s'en

faut que cela se puisse faire, que nature ne peut souffrir mi petit poil en-

fermé en une playe ou autre petit corps estrange : Ce qui est prouvé par

Galien au quatrième livre de sa méthode ».

Enfin terminant son livre, Paré décrit le manuel opératoire de la trépana-

lion telle qu'il la pratiquait et vraiment ce manuel diffère bien peu de ce-

lui qu'on suit aujourd'hui « foret pour commencer à ouvrir le crâne, trépan

à chaperon et à pyramide qu'on enlève au cours de l'opération, couteau len-

ticulaire, » tels sont les instruments pour mener à bien l'ouverture du crâne

ouverture qu'on ne doit pas tenter « sur l'os fracturé du tout, sur les su-

tures, sur les sourcilles, aux parties iuférieures de la teste de penr que la

substance du cerveau ne sorte dehors pour sa pesanteur, sur les os breg-

matis des petits enfants lesquels ne sont encore assez solides pour sousle-

nir la trépane, sur les tempes à raison du muscle temporal... parce que

son compagnon opposé tireàsoy ladite mandibule inférieure, et parce que

le dict muscle se meust en maschant et en parlant, et partant, difficile-

ment est consolidé ».

Tel est, en quelques mots, le Traité des playes et fractures de la teste

humaine, au moins pour ce qui concerne le crâne et le cerveau. Quelques

chapitres sur les plaies des diverses régions de la face complètent l'ouvrage :

leur étude serait ici tout il fait déplacée : nous les notons donc seule-

ment.

Ajoutons du reste que notre analyse, où nous avons employé le plus

souvent possible les termes même de Paré ne peut donner qu'une idée

fort incomplète du livre, écrit clans un style d'une clarté et d'une viva-

cité absolument remarquables : c'est au point de vue littéraire une de ces

oeuvres rares qui laissent sous le charme, surtout lorsqu'après une pre-

mière lecture on peut sauter les pages trop vieillies. « Hara cara » comme

dit Carondans les vers latins qui précèdent le livre de Paré, ou comme

PLAYES ET FRACTURES DE LA TESTE HUMAINE 127

le dit « Mathurin l'asquet, champenois » dans t'ode qu'il dédie il l'au-

leur :

«... Douce Ambroisie

Dont Ambroise en ses écrits

Donne posture aux esprits. »

11. Cnu ? n,i : r,

Ancien interne des hôpitaux.

Le gérant : Loi n,\'IT'

Imp. \'vc COUHDOT, 33, rue îles Bt.ibnoliCS, Paris.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

REVUE DES MYOPATHIES"

DE LA STATION ET DE LA MARCHE

' CHEZ LES 311'O1'ATI31QUES

Les malades atteints de myopathie présentent au point de vue de leur

conformation extérieure, de leurs attitudes, de leurs différents mouvements,

et en particulier de leur marche, des irrégularités intéressantes qui, ana-

lysées et interprétées méthodiquement, contribuent à préciser le diagnos-

tic et viennent compléter les renseignements fournis par l'examen clinique.

(1) Il nous a paru intéressant de réunir dans le même numéro une série de mémoi-

res originaux, de photographies et de dessins inédits relatifs aux myopathies.

Le lecteur aura ainsi sous la main des documents écrits ou figurés faciles à consulter

et présentant entre eux une certaine cohésion.

Outre les observations inédites très complètes de cas récemment étudiés en France ou

à l'étranger, nous donnons une intéressante étude sur la station et la marche des uyo-

spathiques comparées à celles des sujets normaux. C'est là un chapitre de diagnostic peu

étudié jusqu'à ce jour, mais sur lequel nous avons cependant déjà publié les premiers

plusieurs travaux.

Nous reproduisons il ! extenso les examens électriques, car les renseignements qu'ils

fournissent sont dans l'espèce d'une importance capitale. Indépendamment des consta-

tations qui intéressent les cas au sujet desquels ils ont été faits, ils pourront servir de

guide, à ceux qui désireront les pratiquer eux-mêmes plus tard.

On trouvera aussi les principales indications bibliographiques se rapportant à la ques-

tion.

Enfin, pour rester fidèles à notre tradition, sans sortir de notre cadre, nous terminons

par un travail de critique médicale sur les amyotrophiques dans l'art.

Nous espérons que nos lecteurs feront un accueil favorable à cette innovation. L'im-

portance inusitée de. ce numéro, le nombre des mémoires, des planches et des figures,

et les soins apportés à sa rédaction témoignent du désir que nous avons de développer

encore l'oeuvre que nous avons créée sous l'inspiration de 111. le Pr Charcot, notre illus-

tre et regrette fondateur. '

(N. D. L. R.

vu 9

1,,0 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

L'étude complète de la morphologie des amyolrohllicloes au repos ou

en mouvement comporterait plusieurs longs chapitres : je me contente-

rai de signaler aujourd'hui plusieurs particularités dont la compréhension

sera facilitée par la comparaison des caractères de la station et de la mar-

che chez ces malades et chez les individus normaux.

La station chez l'homme sain a déjà été l'objet d'une élude publiée dans

l'Iconographie de la Salpêtrière ('1), et dans laquelle la question a été

traitéeavec lous les développements nécessaires. Je m'appuierai seulement

sur quelques conclusions de ce travail pour montrer les modifications que

la maladie apporte aux lois de la stalion chez les myopathiques.

Quant à leur démarche toute spéciale, qui ressortit il la pathologie, il sera

bon de faire précéder son étude par celle de la marche physiologique dont

j'exposerai rapidement les principaux caractères (2).

- I. De la station chez les myopathiques.

Parmi les malades atteints de myopathie dont j'ai pu faire l'examen

morphologique il la Salpêtrière, il en est une sur laquelle ont particuliè-

rement porté nos investigations. Son observation a été recueillie avec soin

par MM. Paul Londe et I-Ieury iVleie. Je n'entrerai donc pas dans les détails

de l'examen clinique non plus que dans ceux de l'excellent examen élec-

trique fait par M. Ilnet. J'attirerai seulement l'attention sur quelques faits

importants au point devue de la station et de la marche.

D'abord, l'état des muscles des membres inférieurs. Ceux-ci, comme on

peut s'en rendre compte par l'examen des planches XVIII et XIX, n'ontpas

subi un degré d'émaciation considérable. Ils semblent même en certains

points légèrement augmentés de volume. Mais s'ils ne rappellent pas les

membres remarquablement grêles de certaines variétés d'amyotrophie

ils n'ont pas non plus les formes herculéennes si bien décrites par Du-

chenne de Boulogne dans la paralysie pseudo-hypertrophique.

Néanmoins, si les reliefs musculaires semblent il peu près conservés, la

faiblesse est extrême. Les fessiers par exemple, les triceps fémoraux, de

même que les triceps suraux ont perdu presque toute action sur les leviers

osseux qu'ils sont destinés il mouvoir. L'examen des mouvements actifs

ou passifs, confirmé par l'étude des réactions électriques de ces muscles

est absolument formel à cet égard.

(1) P. UICIIEII. De la station. Nouv. leon. de la Salpêtrière. ? 2, 1804.

(2) La planche XVII reproduit les photographies de trois myopathiques de la Salpê-

trière : Cor., Gag., et Bonn. - Elle rend bien compte des attitudes et des anomalies

morphologiques de ces malades dans la station debout.

DE L\ STATION ET DE LA MVRCIIE CHEZ LES MYOPATHIQUES 131

Eh bien ! malgré celle impuissance fonctionnelle presque absolue, cette

malade peut se tenir debout clans un équilibre parfaitement stable. Les

memhres inférieurs si faibles pour accomplir les moindres mouvements

remplissent très convenablement dans la station, leur rôle de soutiens

rigides et résistants.

Ce phénomène qui semble il première vue paradoxal s'explique par les

résultais obtenus dans l'élude de la station chez l'individu sain; il vient

même à l'appui des conclusions auxquelles j'ai cru devoir me rallier à cet

égard.

J'ai déjà parlé, à propos de la station normale, des différents segments

en lesquels le corps humain peut être décomposé, tous ces segments étant

mobiles les uns sur les autres, la tête sur le tronc, le tronc sur les cuisses,

les cuisses sur les jambes, et ces dernières mo-

biles sur les pieds. La station debout n'est réa-

la condition que ces différents seg-

ments soient maintenus en état d'extension les

uns sur les autres et fixés dans celte position en

vertu d'un mécanisme pour lequel plusieurs

théories ont élé proposées (Fig. 40).

La théorie musculaire qui remonte il Fabrice

d'Aquapendente et adoptée par Borelli, 13éclarcl,

Beaunis, Itoelerer, etc. attribue il l'action des

muscles le rôle prépondérant.

La théorie mécanique imaginée par les frères

Weber en 1846 rapporte à l'action des ligaments

agissant il l'enconlre de la pesanteur lout le

mécanisme de l'équilibre. Enfin une théorie

mixte émise par Giraud Teulon, se rapproche de

celle des frères Weber, mais remplace la dis-

tension ligamenteuse, par la résistance due il la

tonicité musculaire. '

On a vu la part qui revient il chacune de ces

actions musculaires ou ligamenteuses dans l'é-

quilihre des différents segments du corps.

La tète, comme un le\'ier dont le point d'appui

est situé au niveau de l'articulation occipito-

atloïdienne est maintenue dans la rectitude par

l'action des muscles de la nuque. Ceux-ci repré-

sentent la puissance du levier dont la résistance

est constituée par le poids même de la tête qui tend il l'incliner en avant

et en bas. L'action des muscles de la nuque doit être assez efficace, car le

Fit. 40.

132 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

bras de levier auquel ils s'attachent est fort court. Aussi l'atrophie de

ces muscles produit-elle la flexion de la tète en avant.

Le fait est manifeste dans certains cas et on peut le constater chez notre

malade (pl. XIX).

Ce n'est pas là d'ailleurs un caractère constant chez les myopathiques ; z

il suffit en effet d'une très légère conservation de la puissance fonction-

nelle des muscles de la nuque pour ramener la tète en extension.

Examinons maintenant ce qui se passe dans la station du tronc sur les

cuisses.

Nous avons vu que les puissantes masses musculaires qui entourent

l'articulation de la hanche ne sont pas nécessaires au maintien de l'équi-

libre. L'examen du nu chez les sujets sains révèle, à n'en pas douter, ce

fait qui semble en désaccord avec les idées généralement admises, à savoir

que le grand fessier reste relâché dans la station droite, et qu'il ne prend

son aspect réniforme de contraction que si le tronc vient il s'incliner en

avant. L'équilibre est maintenu sans son intervention, el grâce ;'1 la résis-

tance du trousseau ligamenteux de la hanche (en particulier celle du liga-

ment de Berlin) qui s'oppose il la chute du corps entraîné en arrière par

la pesanteur.

L'examen de notre malade vient confirmer pleinement cette considé-

ration de physiologie normale. Chez elle en elfet, les muscles fessiers ont

perdu presque toute leur force contractile. Ils sont incapables de rame-

ner le corps à sa position d'équilibre quand celui-ci est incliné en avant.

Cependant, la station debout est possible, car elle n'exige pas le concours

de ces muscles.

Il en est de même des muscles quadriceps fémoraux chargés d'assurer

l'extension de la jambe sur la cuisse ; leur rôle étant inutile pour le main-

tien de la station debout, la malade reste en équilibre par le seul fait de

la résistance des ligaments qui limitent l'extension de l'articulation du

genou. Cependant elle ne peut pas contracter les muscles antérieurs de

sa cuisse, sur laquelle on ne constate jamais 'les reliefs caractéristiques de

la contraction du quadriceps.

Reste le maintien de l'articulation du cou-de-pied et c'est ta le point

délicat. Ici l'action musculaire paraît absolument nécessaire à la fixation

en équilibre de la jambe sur le pied. La pesanteur, entraînant le corps en

avant, sa chute ne peut être empêchée que par l'action des muscles posté-

rieurs de la jambe et en particulier du gros muscle gastro-cnémien.

Or, chez notre malade, la contraction volontaire de ce muscle est près-,

que nulle. Cependant elle se tient parfaitement debout sur ses pieds.

Comment la chose est-elle possible ? On peut, je crois, en donner l'in-

terprétation suivante :

NOUV. ICONOGR. DE LA SALPETRIÎ RE

T. VII, PL. XII

YrIOTOT'lPf : T71.0. E. PIÜSSAVD

PHOTOCO1.. RI RTHAUJ1

COUPES VERTICO-TRANSVERSALES DU CERVEAU MONTRANT LES RAPPORTS

DE LA BANDELETTE SOUS-OPTIQUE.

L. BATTAILLE FT C'

'DI'" URS

DE LA STATION ET DE LA MARCHE CHEZ LES MYOPATHIQUES 133

Si en effet le gastro-cnélnien de notre jeune malade a perdu presque

complètement sa-puissance-contractile, il n'est.pas détruit pour cela. Il

possède encore un volume respectable;- et- (lue 1 les7ttÎ ? oien les modifica-

tions de texture qu'il ait déjà subi, il possède lout- au moins )es qualités de

résistance et 'd'élasticité *. propres a tout tissu vivant. 01"ce sont ces qualités

en quelque sorte passives qui sont mises en jeu dans l'acte 'de la stalion.

Ces clualitéspasswes;;lé·tisu''nmsculaire lui-même parfaitement normal

les possède, ci chez J'nomme sain nous sommes tentes de croire avec Giraud

Teuton qu'elles ibiieii t'le principal rôle dans la station de la jambe sur le

pied. Mais ici'chez'notre" malade il ne saurait v avoir de doute sur ce mé-

canisme, ta-contractiiité 11111SClllilll'e>Lle pouvant plus être invoquée, le

muscle est alors parfaitement comparable -\ un grand ligament étendu du

fémur et du tibia au'talon. Et l'articulation, tihio-tarsienne se trouve ainsi

soumise au môme régime que les deux\au 1res articulations du'membre in-

férieur, le genou et la hanche. Il est vrai que* pour i-enipliilê rôle de li-

gament que nous lui attribuons ici, temusciegastro-cnémien doit être tendu.

Or, il ce propos, une circonstance éminemment favorable à la station se

réaliseriez nos malades. Je veux parler du raccourcissement du muscle.

Les rétractions musculaires sont fréquentes chez les myopathiques, elles ont

été signalées par la plupart des auteurs. Elles siègent aux membres supé-

rieurs aussi bien qu'aux'membres inférieurs. Le pied-bot équin est loin

une rareté (1). ~ -.

"

y

(l Pour bien mettre en évidence le rôle des rétractions tendineuses des muscles de

la jambe dans le mécanisme de la station debout, il. P. Hicher fait l'expérience sui-

vante 4ue nous avons répétée avec lui fréquemment. -

Les malades étant placés dans la station debout, on leur commande de relever la

pointe de leurs pieds, le poids du corps reposant alors uniquement sur les talons. Ce

mouvement s'exécute avec la plus grande facilité chez les sujets normaux et le pied

se place aisément à angle aigu sur la jambe. Il est complètement impossible au con-

traire chez les myopathiques qui s'efforcent en vain de détacher du sol la pointe de

leur pied ; tout au plus arrivent-ils parfois à soulever légèrement les orteils.

Cette incapacité fonctionnelle n'est pas, imputable à la faiblesse des muscles de la

région antérieure de la jambe, mais bien à la rétraction qu'ont subie ceux de la région

postérieure. Le fait-est confirmé par la résistance invincible que l'on rencontre lors-

qu'on veut fléchir le pied sur,la jambe ; à peine peut-on, dans la majorité des cas, ar-

river jusqu'à l'angle droit. Dans certaines déformations plus accentuées encore on

voit la face dorsale du pied continuer le plan antérieur de la jambe : tels sont les pieds-

bots signalés dans les observations de myopathies. ~s ? -

Une autre conséquence du raccourcissement des muscles de la région postérieure de

la jambe consiste en ce fait que les malades, lorsqu'ils marchent, n'appuient pas leur

talon sur le sol aussi complètement que le font les individus sains. On constate môme

parfois dans la station debout que le. talon est légèrement soulevé et l'on peut glisser

entre le sol et lui des règles plus du moins épaisses.

(II. JL)

134 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE E

Eh bien, si nos malades ne présentent pas de pied-bot, on peut constater

chez tous ceux dont le muscle du mollet a subi un certain degré d'altéra-

tion, une diminution plus ou moins considérable de la longueur de ce mus-

cle ; ce dont il est très facile de se rendre compte par le soulèvement de

la pointe du pied. Chez un homme sain, la flexion dorsale du pied place

celui-ci dans une position telle qu'il fait avec la jambe un angle aigu ou-

vert en avant. Chez nos malades le pied ne dépasse pas l'angle droit.

Nous pouvons donc en conclure que sous le rapport de la station de la

jambe sur le pied, nos malades, au lieu d'être placés par suite de leur dé-

chéance musculaire, dans des conditions d'infériorité vis-à-vis de l'homme

normal, sont au contraire particulièrement favorisés.

Ainsi donc pour nous résumer, inutilité de l'action musculaire pour la

station dû tronc sur les cuisses et des cuisses sur les genoux, puis trans-

formation du muscle du mollet en un véritable ligament qui supplée avan-

tageusement l'action musculaire, telles sont les raisons qui nous expli-

quent pourquoi nos malades, malgré la pauvreté de leur système muscu-

laire, peuvent se tenir parfaitement debout.

Si maintenant on considère le profil dans la station debout et si l'on se

rappelle la série des lignes obliques alternativement de sens inverse qui

peuvent la schématiser (fig. 40), on arrive nécessairement à cette conclu-

sion que : les stations pathologiques paraissent se rapportera deux types,

l'un dans lequel la hauteur II est réduite à zéro ou se retrouve en sens

contraire (fig. 41), c'est-à-dire dans lequel le plan des épaules est situé

en avant du plan des hanches, l'autre dans lequel II est conservé et plus

ou moins considérablement accru (fig. 42).

C'est à ce dernier type que se rattache la station des myopathiques et

des atrophiques d'une manière générale.

Quelles que soient les déformations du tronc dépendant soit de la ré-

traction musculaire, soit d'une atrophie spécialement localisée, l'attitude

des atrophiques présente dans son ensemble les mêmes caractères que

l'attitude physiologique. Les divers segments du corps sont obliques les

uns sur les autres dans le même sens, mais parfois avec une exagération qui

fait de la station myopathique une véritable caricature de la stalion nor-

male. Dans ce cas la longueur II h est augmentée.

La raison de cette ressemblance que nous pouvions prévoir d'après ce

que j'ai déjà dit est tout entière dans la similitude du mécanisme.

Chez l'homme normal cette obliquité des différents segments du corps

les uns sur les autres est une conséquence des lois d'équilibre que nous

avons étudiées tout à l'heure et en particulier de cette disposition de la

ligne de gravité en arrière de l'articulation de la hanche et en avant de

l'articulation du genou. Les mêmes conditions d'équilibre persistant

DE LA STATION ET DE LA MARCHE CHEZ LES MYOPATHIQUES S 135

chez les atroplliques, la même obliquité des divers segments du corps

persiste; elle augmente même dans le but d'assurer une stabilité plus

grande, d'autant plus nécessaire que les forces musculaires inutilisées

chez l'homme normal, mais toujours présentes pour rétablir l'équilibre

s'il vient a être rompu, font ici défaut.

Celte obliquité plus grande des différents segments du corps les uns sur

les autres réalise pour ainsi dire une augmentation dans le sens antéro-

postérieur de la base de sustentation analogue à celle qui a lieu dans le

sens latéral par suite de l'écarlement des pieds et sur laquelle la plupart

des auteurs ont alliré t'attention.

Fig. SI.

Fig. 12.

'136 NOUVELLE ICONOGRAPHIE Il LA SALPÊTRIÈRE E

II. - De la marche.

Avant de décrire les traits principaux de la démarche des myopathiques

el d'en rechercher la cause physiologique, je dois entrer dans quelques

détails sur la marche chez les sujets sains.

1° Élude de la marche chez les sujets normaux. Grâce aux remarquables

séries chronophotographiques obtenues récemment à mon instigation

par mon ami M. A. Londe, l'habile directeur du service photographique

de la clinique, j'ai pu entreprendre une étude très complète de la marche

normale, étude qui confirme pour la plupart les travaux de nos devan-

ciers, Marey, Carlet etc., mais qui, je l'espère, les complète au point de

vue particulier de l'analyse de l'action musculaire. Je ne veux pas entrer

ici dans tous les détails d'une étude complète de la marche et je me

bornerai aux côtés de la question directement en rapport avec la déviation

pathologique qui s'observe dans les myopathies.

Si l'on veut mettre quelque clarté dans une étude sur la marche, il faut

d'abord nettement définir ce qu'on entend parlas, et établir d'une façon

précise la nomenclature de ces éléments constitutifs de la marche, la

marche après tout n'étant qu'une succession de pas. Or qu'est-ce qu'un

pas' ! Littré nous dit qu'un pas c'est l'action de mettre un pied devant

l'autre pour marcher. On désigne aussi par pas l'espace qui s'étend d'un

pied à l'autre quand on marche. Ainsi dans le langage ordinaire un pas

est constitué par la série des mouvements qui se produisent entre l'action

d'un pied et celle de l'autre pied. M. Marey a fait très justement remar-

quer qu'au point de vue scientifique, cette définition devait être étendue

et qu'il fallait désigner par pas la série des mouvements qui s'exécutent

entre deux positions semblables d'un môme pied, de sorte que le pas de

M. Marey correspond il deux pas du langage ordinaire, c'est un double pas.

J'accepte la définition de M. Marey, mais je crois préférable de conserver

le nom de double pas qui a l'avantage de ne rien changera la signification

généralement admise et par suite ne saurait prêter ai aucune confusion'.

Le double pas est exécuté par chaque membre, non plus successivement

mais simultanément, de manière que le double pas droit par exemple em-

piète sur le double pas gauche de la moitié de sa longueur ou d'un pas, et

réciproquement.

Fig. 43,

DE LA STATION ET DE LA MARCHE CI ! EX LES MYOPATHIQUES s 137

Il est un moment, dans la marche, comme le démontrent très nette-

ment nos photographies instantanées, où les deux jambes étant écartées il

la manière d'un compas les 2 pieds reposent à la fois sur le sol, l'un par

la pointe, l'autre par le talon. C'est la période du double appui. Puis le

pied qui est en arrière quitte le sol pour se porter en avant et prendre à

nouveau un contact avec le sol un peu plus loin; pendant tout ce temps le

corps ne repose plus que sur un pied. C'est la période d'appui unilatéral.

Celle période est beaucoup plus longue que la première. La marche se com-

pose donc d'une succession dédoubles appuis et d'appuis unilatéraux alter-

nativement, droits et gauches.

Mais la période d'appui unilatéral doit encore être subdivisée. Pendant

celte période lemembre portant d'abord oblique en bas eten avantseredresse

peu à peu, devient vcrtical, puis oblique en sens opposé. En même temps

le membre qui a quitté le sol oscille d'arrière en avant, et prend les posi-

tions successives que j'indique ici (fig. 4H), jusqu'à ce que, louchant le sol

par le talon, il devienne membre portant à son tour.

Je désignerai par moment de la verticale, l'instant où la jambe portante

devient verticale et où sa direction est croisée par la jambe oscillante. Et

ce moment nous servira pour diviser la période d'appui unilatéral en

deux phases.

Une première phase est celle qui précède le moment de la verticale.

Dans celle phase le membre portant est oblique et haut et en arrière, le

membre oscillant est postérieur. Je le désignerai sous le nom de pas

postérieur. Dans une 2° phase (celle qui suit le moment de la verticale) la

jambe portante est. oblique en sens inverse, et la jambe oscillante est an-

térieure. Ce sera le pas antérieur.

Ainsi donc les diverses phases du double pas se succèdent dans l'ordre

suivant :

Fig. 44.

13S NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

1° Période du double appui.

DE LA STATION ET DE LA MARCHE CHEZ LES MYOPATHIQUES 139

la jambe portante dans le but de rapprocher le centre de gravité de la base

desustentation. C'est au moment de la verticale que correspond le maximum

d'amplitude latérale de l'oscillation : ces oscillations sont doubles des

oscillations verticales.

Il y a encore un mouvement d'inclinaison du torse en avant et en ar-

rière, mais il est fort peu accentué dans la marche normale.

Puis un mouvement de rotation sur son axe, conséquence du mouvement

en sens opposé des épaules et du bassin, aux mouvements desquels j'ai hâte

d'arriver parce qu'ils nous intéressent plus particulièrement.

Pendant la période de double appui, la face antérieure du bassin ne re-

garde pas directement en avant. Elle est oblique, tournée du côté de la

jambe qui est postérieure. Pendant tout le pas postérieur la même obli-

quité persiste en s'atténuant. Au moment de la verticale elle disparait.

L'axe transversal du bassin est parfaitement perpendiculaire à la ligne de

la marche. Puis l'obliquité se reproduit à nouveau mais en sens inverse

pour atteindre son maximum au moment du double appui.

En somme il se produit là un véritable mouvement de rotation autour

d'un axe vertical. Le centre de ce mouvement parait être à l'articulation

coxo-fémorale de la jambe portante, pendant que l'articulation de la jambe

oscillante occupe la périphérie.

Mais ce n'est pas tout. Le bassin pendant la marche reste-t-il parfaite-

ment horizontal ? N'incline-t-il pas à certain moment d'un côté ou de l'au-

tre ? C'est là un point délicat que les auteurs ont généralement passé sous

silence. Pour Giraud-Tenlon le bassin s'élève du côté de la jambe oscil-

lante. Il dit que ce mouvement d'élévation du bassin est nécessaire pour

permettre à la jambe oscillante d'accomplir son oscillation sans heurter le

sol du pied. Eh'bien ! en réalité, c'est le contraire qui a lieu. Nos photo-

graphies instantanées nous montrent que le bassin incline légèrement du,

côté de la jambe oscillante. Mais cette inclinaison est fort légère (Fig. 46,

D, G). Elle varie avec les individus, en tout cas on n'observe jamais

d'élévation ainsi que le veut Giraud-Teulon.

Je ne sais si nous devons voir là le rudiment de la démarche pathologi-

que que nous allons étudier tout à l'heure, mais à coup sûr il n'y a pas

entre ces deux démarches, la démarche normale et la démarche patholo-

gique, opposition ni contradiction.

Pour en finir avec la marche normale, je dois encore signaler un mou-

vement du torse, c'est un mouvement d'inclinaison latérale qui se produit

à chaque pas du côté de la jambe portante.

En somme tous ces mouvements du torse et en particulier les derniers

dont il vient d'être question sont en général très peu accentués. Ils échap-

pent d'habitude à l'observation. Ce sont eux cependant qui, suivant leur

140

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE

atténuation ou leur exagération, impriment pour une bonne part à la dé-

marche de chacun de nous son caractère particulier. Les uns marchent le

tronc raide et immobile, les autres exagèrent l'inclinaison latérale jus-

qu'au dandinement, etc. Je n'insiste pas.

Avant d'aborder l'étude du cas pathologique en question, je dois main-

tenant dire encore un mot de l'action des muscles du bassin et en parti-

culier des fessiers, pendant la marche. Les muscles antérieurs du bassin

concourent à la flexion de la cuisse sur le bassin, nous n'avons pas à en

parler. Mais le rôle des fessiers nous intéresse tout particulièrement. Le

grand fessier joue un rôle très restreint, tout au moins dans la marche

sur terrain horizontal. On peut le constater de visu.

Mais il n'en est pas de même des moyens fessiers dont l'action dans la

marche est capitale. On voit les moyens fessiers entrer en contraction à

chaque pas sur la hanche du côté de la jambe portante et celte contraction

dure tout le temps de l'appui unilatéral. La raison en saute aux yeux.

Elle s'oppose à la chute latérale du bassin entraîné par le poids du

membre oscillant, et elle maintient il peu près pendant celle phase d'ap-

pui unilatéral l'horizontalité du bassin. Nous avons vu cependant que son

action n'était pas complète, et que le bassin inclinait du côté oscillant,

mais très légèrement. '

2° Élude de la marche chez les myopathiques. Nous sommes maintenant

en possession de tous les éléments nécessaires^ la juste appréciation delà

démarche des myopathiques. Ces longs préliminaires n'auront pas été inu-

tiles, car ils en rendront la compréhension courte et facile.

On a déjà remarqué que ces malades présentaient en marchant un dan-

dinement particulier auquel on a donné le nom expressif de démarche de

canard. C'est sur ce point que je veux surtout insister.

Fig. 16. Inclinaisons opposées du tronc et du bassin pendant la marche : D, G,

chez un sujet normal ; D', G', chez un myopathique.

DE LA STATION ET DE LA MARCHE CHEZ LES MYOPATHIQUES 141

La démarche en canard tient à deux causes principales : 1° une incli-

naison latérale du bassin exagérée à chaque pas du côté de la jamhe oscil-

lante ; 2° une inclinaison latérale du tronc dans son entier qui se trouve

en même temps rejeté du côté opposé, c'est-à-dire du côté de la jambe

portante.

Quelle est la raison de ces deux phénomènes ? Elle réside tout entière

dans l'affaiblissement des masses musculaires du bassin et en particulier

des moyens fessiers. Le bassin n'étant plus retenu du côté portant par

une force suffisante, retombe nécessairement à chaque pas du côté oscil-

lant, entraîné par le membre qui y est suspendu.

Quand au mouvement du torse, il est la conséquence directe du mowe-

ment anormal du bassin. C'est une action de compensation : le tronc ne

pourrait suivre l'inclinaison verticale du bassin, sans entraîner la chute de

tout le corps. Pour garder l'équilibre et maintenir la ligne de gravité dans

la base de sustentation formée par le pied portant, il faut bien que le

haut du torse se rejette de ce côté. C'est en effet ce qui a I ieu. (I'ig. 1t6,1)',G').

Cette interprétation se trouve confirmée par ce fait que quelques myopa-

thiques ne présentent la démarche de canard que d'un seul côté.

Un de nos malades B... n'a qu'un seul moyen fessier atrophié, c'est

celui de droite (Voy. l'1.1'II). La chute latérale du bassin ne se produira

donc que pendant l'appui unilatéral droit, et celle chute se produira à gau-

che (Fig. 1t6 D'). Donc, dans la phase d'appui unilatéral droit, on obser-

vera une inclinaison du bassina gauche, et une inclinaison du torse du

côté opposé, c'est-à-dire à droite. Dans la phase d'appui unilatéral gau-

che, rien d'analogue ne se produit puisque de ce côté le moyen fessier

persiste.

Telles sont les considérations auxquelles l'élude de la marche normale

nous conduit pour trouer l'explication de la démarche des myopathiques.

Ce n'est là qu'un premier résultai, et il n'est pas douteux qu'en multi-

pliant les observations on n'arrive un jour à saisir bien d'autres particula-

rités intéressantes. Mais quelque peu nombreuses que soient encore ces

constatations, elles sont cependant de nature à confirmer l'importance

des études de morphologie humaine si utiles au nosographe et au clini-

cien. Telle était la conviction de M. Charcol, et telle est aussi la mienne.

PAUL RICHER,

Chef du laboratoire de la clinique des maladies

du système nerveux, à la Salpêtrière.

MYOPATHIE PRIMITIVE GÉNÉRALISÉE

I

Depuis les remarquables descriptions deDuchenlle de Boulogne (1), qui

restent des modèles d'observation clinique, les conceptions des neuro-pa-

thologistes se sont successivement modifiées, quant aux causes et à la na-

ture des atrophies musculaires.

L'atrophie musculaire progressive (type Aran-Duchenne) conserve son

indi, idualité clinique et anatomique. Les travaux de Charcot et de l'Ecole

de la Salpêtrière (2) ne sauraient laisser subsister aucun doute sur l'exis-

tence d'une atrophie musculaire consécutive aux lésions des cornes anté-

rieures.

D'autres amyotrophies d'origine nerveuse, centrales (syringomyélie, pa-

ralysies spinales de l'enfance ou de l'adulte, etc.), ou périphérique (névri-

tes)-, ont pris place à côté de la maladie de Duchenne-Aran, mais sans dé-

truire son autonomie.

Cependant un groupe important a été isolé : celui des myopathies pri-

mitives, dont Duchenne de Boulogne avait d'ailleurs décrit plusieurs for-

mes (atrophie musculaire progressive de l'enfance, paralysie pseudo-hyper-

trophique), mais dont la différence anatomique essentielle lui avait échappé :

l'absence de lésion nerveuse, le muscle étant primitivement atteint.

Cette distinction une fois établie, on s'est plu à multiplier les formes de

myopathies primitives, chacun croyant trouver dans une localisation par-

ticulière de l'atrophie un type clinique différencié.

A chacun de ces types, l'auteur qui l'observait pour la première fois a

donné son nom (type infantile Landoiizy-Dejerine, type Ziimmerlin, type

juvénile d'Erb, type Leyden-Moebius).

l'eu à peu, on s'est aperçu que la variété des groupes musculaires pri-

mitivement atteints par l'atrophie était infinie, et que celle-ci, limitée au

début, se généralisait souvent au point de perdre tous ses caractères dis-

tinctifs.

Aussi, après avoir morcelé à l'extrême le groupe des myopathies primi-

(1) Duciienxe de BouLOCHe, De l'Electr. local., 18 : i3, 1861 et 1S7` ? ,

(2) CIIARCOT¡ Mal. du syst. nerv., t. Il et 111, 1885, 1881. ,

MYOPATHIE PRIMITIVE GÉNÉRALISÉE H3

tives., semble-t-on revenir aujourd'hui à une conception plus synthétique

et tend-on à englober les différentes formes sous la dénomination géné-

rale de : Myopathie primitive progressive.

On a constaté en effet que le muscle pouvait conserver son relief exté-

rieur, ou même subir une notable augmentation (pseudo-hypertrophie)

tout en perdant ses propriétés contractiles. De plus, on a noté plusieurs

fois la coexistence de l'atrophie et de la pseudo-hypertrophie sur les mus-

cles d'un même sujet.

C'est encore à Charcot que l'on doit cette unification des myopathies

primitives (1). Et parmi ses élèves, Brissaud, P. Marie et G. Guinon,

Raymond, Babinski, ont apporté des faits nombreux à l'appui de cette

thèse (2).

Cette conception est aujourd'hui presque universellement admise, et

ceux qui pouvaient avoir le plus d'intérêt à voir leur nom consacré à cette

maladie sont les premiers à reconnaître que les cas observés par eux se

rapportent à une seule et même affection : la myopathie primitive progres-

sive.

La description a été reprise quelques années plus tard en Allemagne

sous le nom de Dysti,ol)hie musculaire progressive.

Dans une monographie très complète où il a relevé toutes les observa-

tions de myopathie publiées jusqu'à ce jour, Erb a confirmé les conclu-

sions de Charcot et de ses élèves (3).

Parlant d'abord de la paralysie pseudo-hypertrophique qui semble la

forme la plus fréquente et la mieux différenciée, il s'exprime ainsi :

« En vérité, il m'est survenu souvent des doutes au sujet de ces cas

pour décider s'ils appartenaient il la paralysie pseudo-hypertrophique ou

à la forme juvénile ». En effet, on peut ranger dans le groupe des pseudo-

hypertrophies tous les cas où la maladie a commencé dès la plus tendre

enfance et a été caractérisée surtout par l'impotence fonctionnelle dans

la marche, l'action de se relever, etc ? par une altitude caractéristique

(lordose lombaire) par une démarche étrange (en canard) et par une typer-

trophie de certaines parties du corps, principalement des mollets et d'autres

territoires musculaires. S'agit-il de vraie ou fausse hypertrophie, il peut

subsister des doutes à ce sujet. Ces cas forment cependant la plus grosse

partie du grand groupe des dystrophies musculaires.

(1) Ciiaucot. Révision nosographique des atrophies musculaires (leçons recueillies par

P. i\lariect G. Guinon. 1'1'0[/1'. méd., 1 mars 1885).

Voy. aussi : Ibid. Leçons sur les mal. du syst. zzerv" t. III.

(2) Pierre Marie et G. GuLVOrr. Contribution à l'étude de quelques-unes des formes

cliniques de la myopathie progressive primitive, Rev. de méd., Oct. 1883, p. 793.

(3) Enn. Dysll'ophia ml/sculm'is PI'o{JI'essiva¡ Leipsig, 1891.

'14 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

D'autre part, Erb lui-même dit, il propos de sa « forme juvénile ».

« On n'y observe pas seulement de l'atrophie : dans plusieurs mus-

cles, toujours les mêmes il est vrai (deltoïde, sous-épineux, triceps, fémur,

fascia lata, gastrocnémiens, il existe aussi de l'hypertrophie, tantôt vraie,

tantôt fausse (lipomatose), qui appartient au tableau de la maladie.

Dans quelques muscles on voit celle-ci succéder à l'atrophie. D'autres

muscles restent longtemps épargnés par la maladie. Mais il peut arriver

que toute la musculature soit atteinte. L'attitude, la forme du tronc et

des extrémités résultant de celte maladie des muscles, la position anor-

male des omoplates, la lordose lombaire, la faiblesse des bras et des cuis-

ses, tandis que les avant-bras sonl bien développés et les jambes hypertro-

phiées, les modifications spéciales des mouvements, la démarche de canard

enfin, sont, dans celte sorte de faits, aussi caractéristiques que connues ».

Par la comparaison de ces descriptions on peut voir combien intimes

sont les ressemblances enlre la paralysie pseudo-hypertrophique et la

forme juvénile. Il en résulte que dans la paralysie pseudo-hypertrophique,

on trouve toujours une atrophie atteignant plusieurs muscles, principale-

ment ceux de la moitié supérieure du corps, de la ceinture scapulaire et

des bras. « La localisation de cette atrophie, dit Erb, est partout exacte-

ment la même, atteignant toujours les mêmes muscles de la même façon

que dans la forme juvénile et la ressemblance existe également pour l'hy-

pertrophie de certains muscles. Les légères modifications dans ces locali-

sations ne sont sans aucun doute pas plus considérables entre les cas de

pseudo-hypertrophie et d'atrophie juvénile qu'entre les différents cas

d'atrophie juvénile ou de pseudo-hypertrophie ».

Les observations apprennent en outre que les muscles présentent des ana-

logies dans les deux formes quant il leurs propriétés objectives, leurs réac-

tions mécaniques et électriques, leurs secousses fibrillaires. etc. Enfin que

l'habitus des malades, leur démarche, leurs attitudes, etc. la marche et le

développement delà maladie, l'hérédité, Pédologie, sont semblables en

tous points dans les deux formes.

La conclusion qui s'impose est la suivante : « Entre la paralysie pseu-

do-hypertrophique et la forme juvénile il existe une concordance presque

complète dans la série des symptômes cliniques essentiels ».

Il en est de même des cas d'atrophie musculaire dite infantile, c'est-à-

dire de la forme avec envahissement primitif du visage, qui offre de gran-

des analogies avec la forme juvénile et la pseudo-hypertrophie.

« Au sujet de la forme juvénile, la ressemblance avec la forme infan-

tile de Duchenne a déjà été démontrée par Landouzy et Déjerine. Car le type

scapiclo-h2cnérccl de ces auteurs n'est évidemment pas autre chose que notre

forme juvénile et la similitude de ce type scapulo-huméral avec le type fa-

myopathie primitive généralisée 145

cio ? cctp2tlo-It2cnaéral semble, d'après les conclusions de ces mêmes auteurs,

ne pouvoir être mise en doute » (1).

Les points de ressemblance entre la paralysie pseudo-hypertrophique

et la forme facio-scapulo-humérale avaient été bien mis en évidence par

M. Brissaud qui présenta dans une conférence faite en 1890, à la Salpê-

trière, un myopathique du type facio-scapulo-huméral avec pseudo-hyper-

trophie de certains muscles (face, deltoïde, mollet).

Quelque temps après, M. G. Guinon faisait connaître un cas analogue

et comparant dans un très intéressant mémoire ces deux observations capi-

tales, il en lirait les conclusions suivantes :

« Bien que certains arguments, suffisants déjà à notre avis, plaidassent

en faveur de l'identité des diverses formes de myopathie, il manquait ce-

pendant, pour que la démonstration fut complète et irréfutable, la cons-

tatation de la combinaison possible de la pseudo-hypertrophie avec la

forme facio-scapulo-humérale, comme cela existe pour la forme scapulo-

humérale ou juvénile d'Erb, dont l'identité est admise sans conteste. Cette

constatation est précisément faite d'une façon certaine, au point de vue

clinique, dans le cas de M. Brissaud et dans le mien. Et par là se trouve

vérifiée encore avec plus de certitude cetle proposition que M. P. Marie et

moi émettions dans notre précédent travail sur ce sujet, à savoir que dans

la maladie myopathique le volume du muscle n'est rien, son impotence fonc-

tionnelle est tout » (2).

Enfin, en outre des réactions électriques similaires et de l'absence de

contractions fibrillaires qui appartiennent à presque toutes les variétés, un

dernier fait contribue à unifier les différents types, c'est le caractère fa-

milial qui leur est commun.

Quoiqu'il en soit de cette nouvelle manière d'envisager la question, il

reste encore bien des problèmes à résoudre. Si les localisations de l'a-

trophie n'ont pas la fixité absolue qu'on s'est plu à leur assigner autrefois,

on ne peut nier qu'elles semblent obéir à certaines lois, et que certains

groupes de muscles sont atteints avec une prédilection particulière. La

raison d'être de ces localisations nous échappe. C'est en multipliant et en

comparant les observations cliniques, les examens électriques et les re-

présentations figurées qu'on pourra peut-être trouver un jour l'explica-

tion de ces singularités.

(1) Eii3. loc. cit. Voy. aussi WOCGTSCI101'S61. Ueber Dystrophia 1nuscul. ]JI'o[Jl'essiva.

Th. Berlin, 1892.

(2) G. Guinon. Deux cas de myopathie progressive (type Landouzy-Déjerine) pl'imi-

tive, avec pseudo-hypertrophie de certains muscles. Nouv. Iconogr. de la Salpêtrière;

Ne 1, 1893.

vu 10

11(i nouvelle iconographie DE la salpêtrière

If

La malade dont nous publions aujourd'hui l'observation rentre assuré-

ment dans le cadre des myopathies primitives progressives. ^

Mais son cas`ne correspond^ exactement à aucune- des formes qu'on a

cherché à différencier autrefois. 'J ? " ^ ^""^s^-v. ;* ? 4

La localisation initiale dans les muscles du dos et* des-jambes/ la con-

servation apparente des reliefs musculaires de ces dernières, l'attitude

de la malade, sa. démarche, sa manière de s'asseoir et dé se relever ont

de grandes analogies, avec ce que l'on observe dans la paralysie pseudo-

hypertrophique. ^ y t '

Mais la généralisation rapide de la maladie, l'envahissement presque

simultané des membres supérieurs, et de la face, le peu d'accroissement

des masses musculaires des mollets et des cuisses, en un mot t,coiisei,-

vation apparente des formese`érieures,nelcoycordentpus avec les des-

criptions classiques (Duchenne de l3ouloyié `Jaccouél, Eutenburg et Cohn-

heim, Charcot, Damaschino, Berger, Raymond, Erb). V^ '

Notre malade se rapprocherait plutôt du type isolé par Leyden, et dé-

crit par Moebius (I), dans lequel la pseudo-hypertrophie manque ou est

seulement transitoire. C'est cettevâriété que Moebius considérait comme le

résultat d'une myélopathie primitive et que Damaschino (2) a ramenée au

groupe des myopathies primitives (paralysie pseudo-hypertrophique sans

pseudo-hypertrophie). ? "

Werding a publié des cas analogues qu'il rattache lui aussi aux myopa-

thies primitives ? t ? v >-, "" ? <->- '

Cependant Hoffmann dans un `mémoire récent : (3)'n'est"pâséloigné

d'admettre une double origine (myélopathie et myopathie) à, certains cas

d'amyotrophie héréditaire. Pour lui, les muscles d'une part, le système

nerveux de l'autre, peuvent être mis en cause simultanément.

Plusieurs observa lions, de Bembarclt^de Berlin) (4) viennent aussi à

l'appui de cette hypothèse. Les 'caractères propres à la myopathie primi-

tive se combinant à ceuxde 1"iiiyotropliie'd'oi.i"illE, nerveuse,' il devient

impossible dans certains cas de formuler un diagnostic en rapport avec les

-i- ' " ' ' v. i <

(1) 111oemcs. Uber dieheredit. Nervenkrankheiten. Samml ülin'. Vortr., 1879, n, 171. ·

(2) Damaschino, Gaz. des Hôpit., 1889. Voy. aussi : Hamon, Thèse Paris, 1883. RAY-

.)10riD,'A 1 ? ,ophies ? ? iusczzlcii ? ,es el myopathies primitives, 1886, GRADENoo, Contrib. al.

putogen. de.pseio/type ? oamMeoare. Mitano, 1883. -* .

(3) Hoffmann. Atrophie musculaire chronique spinale héréditaire dans l'enfance.

Deutsche Zeitschr. f. Nervensheilk. 1893, p. 427. Voy. aussi l'observation de Savill

dans le présent numéro.

(4) BERNIIARnT. Ueber die spinal-nevritische Form der progressive) ! Muskelatrophie.

Virchow's Archiv. f. path. Anat. und Phys. f. Klin. Medicin. 133 Band. 1893.

NOUV. 1.040GR. DE LA SALPTRli.RE T. VII PL. XIV

COUPES VERTICO-TRANSVERSALES DU cerveau montrant LES rapports

DE LA BANDELETTE SOUS-OPTIQUE.

L EATTAILLr ET C"

FUIT1a.Ul"a

MYOPATHIE PRIMITIVE GÉNÉRALISÉE 147

deux grandes divisions admises pour les amyotrophies. Mais les cas de ce

genre sont encore trop peu nombreux pour qu'on puisse en tirer des con-

clusions légitimes.

La constatation microscopique pouvant seule permettre de trancher la

question, nous nous contenterons de donner l'observation de notre malade

sous l'étiquette générale de myopathie progressive généralisée, sans cher-

cher à la rattacher à tel ou tel groupe encore mal défini ; et, sans entrer

dans la discussion de la cause première des symptômes, nous en ferons

simplement ressortir les particularités cliniques intéressantes.

ni

Observation.

PAULINE C. L. âgée de 27 ans, née il Paris, est entrée à la Salpêtrière, en

mars 1893-

' ' ANTÉCÉDENTS héréditaires.

mille et celle de son mari dont elle est la cousine à double titre.

Son arrière grand-père paternel (qui est aussi celui de son mari, et le trisaïeul

de notre malade) occupait au siècle dernier une assez haute situation ; il fut

ruiné par la Révolution et ses enfants privés de toutes ressources.

Son fils (bisaïeul de la malade) fit les guerres de l'Empire pendant 13 ans.

Après une vie assez aventureuse, il mourut à l'hôpital d'Elbeuf, à l'âgede80 ans

environ, « perclus de douleurs et de rhumatismes ».

Il laissait trois garçons. L'un deux, mourut jeune, de la poitrine.

Des deux autres enfants, l'un, Const. (grand-père paternel de la malade)

homme très doux, faible de caractère, bon ouvrier, mourut à l'âge de 68 ans,

broyé dans une scierie.

L'autre J. P. (grand-père maternel de la malade) exerçait le métier de ram-

piste. Il buvait, au dire des enfants, au moins deux litres d'eau-de-vie par jour,

et dans son ivresse il était très brutal. Il est mort à 75 ans, asthmatique ( ? )

mais solide encore, malgré ses excès.

Ces deux frères, Const. et J. P. L. ont épousé les deux soeurs Clém. et J. P.

Elles étaient filles d'un ancien officier P. mais non du même lit.

Jos. P. (grand-mère maternelle de la malade) née de la première fem-

me H. mourut il 24 ans des chagrins et des mauvais traitements que lui fit

subir son mari, J.-P. L. Elle eut de lui quatre enfants : deux filles, dont

la mère de la malade, et une autre, morte il 4 aus « d'humeurs froides » ; deux

lils (oncles maternels de la malade) : l'un, faible d'esprit, tombant souvent du

haut mal, et l'autre, homme intelligent et travailleur, père de trois enfants.,

bien portants, artistes, ou hommes de lettres.

Clém. P. (grand'mère paternelle de la malade) fille du second lit, était is-

sue d'une famille dont plusieurs membres sont morts fous ; une de ses tantes

très intelligente, avait été religieuse et était devenue supérieure de sa commu-

148 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

nauté. Sa mère, qui était restée aussi quelque temps dans un couvent pour se

faire religieuse en était sortie pour épouser P. après la mort de sa première

femme. Plus tard, elle devint folle, et fut enfermée il la Salpêtrière.

Clém. P. épousa donc Cons. et et eut deux enfants, l'un déséquilibré, a

été perdu de vue par la famille. L'autre est le père même de notre malade.

Clém. P. est morte il la suite d'une grande frayeur.

Ainsi le père et la mère de Pauline L..... sont les enfants des deux frères qui

ont épousé les deux soeurs. Ils sont doue doublement cousins.

Le Père est un homme placide, bon travailleur, mais très impressionnable.

Quand il éprouve une forte émotion il étouffe et ressent un grand malaise; tou-

tefois, il ne perd jamais connaissance. Il a lait les campagnes de Crimée et

d'Afrique et il en est revenu a\ cc; « les fièvres et des douleurs ». Il aurait eu

alors une « maladie des deux pieds » atteints 'symétriquement jusqu'aux chevil-

les, et couverts de croules et de boutons ( ? ). 11 est actuellement menuisier, se

porte assez bien, sauf un « asthme » qui le gène quand il fait un travail pénible.

La Mère de la malade âgée de 59 ans est bien portante, très active et intelli-

gente, elle a fait plusieurs métiers pour arriver à élever ses cinq enfants. Elle

a été couturière, puis marchande de vin ; actuellement elle est blanchisseuse.

Elle est très nerveuse, elle aussi. Dès qu'elle a une contrariété, elle sent

« quelque chose qui l'étouffé et lui serre le cou ». Elle éprouve un violent ma-

laise : mais elle ne perd pas connaissance, a le temps de s'asseoir, ne tombe pas

et ne se débat pas. Il y a 20 ans, il la suite d'une vive émotion, elle est deve-

nue tout à coup sourde de l'oreille gauche qui n'entend plus depuis ce temps.

Elle voit aussi fort mal de l'oeil gauche. Elle a eu 6 enfants et 3 fausses couches.

r Collatéraux. 1° L'aînée de ces enfants, une fille âgée de 35 ans, esta Ivry

aux Incurables. Sa maladie, au dire de la mère, est identique il celle de notre

malade. Elle aurait débuté à 15 ans par une faiblesse dans les jambes qui s'est

accentuée peu il peu. A Ivry, elle porte un appareil : corset avec béquilles ; mais

ne peut cependant pas marcher ni même s'asseoir. Ou lui a fait pendant long-

temps des pointes de feu sur la colonne vertébrale, mais sans résultai. Son état

mental est très médiocre : c'est, dit sa mère, une « idiote raisonnable ». Elle fa-

brique des histoires invraisemblables, toutes fausses; elle invente des contes, où

elle fait entrer tout ce qu'elle sait, car elle a beaucoup de mémoire.

, ? Le second enfant est mort âgé de 11 jours dans des convulsions.

30 Le troisième, une fille âgée do 28 ans, fut mariée une première fois il

un homme alcoolique et brutal. Elle a eu souvent des attaques de nerfs pen-

dant lesquelles elle criait, se débattait, mordait ses vêtements. Elle est restée

pendant 3 jours « comme folle » chez sa mère, à la suite d'une scène violente

avec son mari. Celui-ci d'ailleurs s'est pendu bientôt après. Sa femme s'est

remariée depuis avec un homme calme, mais infirme et souvent malade (anky-

lose du genou). Depuis lors, elle n'a plus eu d'attaques.

4° Le quatrième enfant est une autre fille de 27 ans ; elle a été toujours ma-

MYOPATHIE PRIMITIVE GÉNÉRALISÉE 1h9

ladive. Dans son enfance elle a en des rhumatismes, (fièvre, battements de coeur).

A la suite d'une visite qu'elle fit à la Morgue et qui l'impressionna vivement elle

eut la danse Saint-Guy. Soignée pendant 3 mois à l'hôpital do ]'Enfant-Jésus,

elle en est revenue bien portante ; mais elle a conservé pendant quelque temps

les « pieds tournés en dedans ». Elle s'est mariée deux fois. De son second

mari, elle a deux enfants, un petit garçon de 4 ans, remarquablement intelligent,

mais maladif, difficile à élever, toussant toujours, et « se plaignant du dos et de

l'estomac ? » ; une petite fille de 18 mois qui se porte bien.

,« "*8^Le cinquième enfant, est notre malade, myopathique.

6° Le dernier, un garçon de 22 ans, actuellement militaire, n'a jamais pu tra-

vailler sérieusement. Il est d'un caractère mobile, emporté ; entreprenant les

ouvrages les plus divers, sans jamais les terminer. a Il n'a pas de raisonnement

du tout » dit la mère.

ANT]CÉDEN1S personnels. - (Renseignements fournis par l'interrogatoire de

la mère.)

Étant en nourrice, Pauline L... fut gravement malade ; elle était devenue très

maigre et très chétive. La mère changea la nourrice, et l'enfant reprit rapi-

dement son embonpoint et même, dans ses premières années, elle paraissait

plus forte que ses soeurs aînées.

Réglée à 15 ans régulièrement, mais peu abondamment.

Elle alla à l'école où elle apprit à lire et à écrire, mais difficilement, car elle

n'avait pas de mémoire, et était extrêmement distraite. ,

Elle est très docile : mais se met vite en colère.

Elle a peu de mémoire. Sa mère lui donnait souvent de l'argent pour aller

faire une commission, elle oubliait son argent ou ce qu'elle avait acheté.

Son imagination est assez vive. Elle aime à broder des histoires sur les évé-

nements qui l'ont frappée, et qu'elle dénature le plus souvent.

Début DE la maladie. Jusqu'à 15 ans elle ne paraît avoir présenté aucun

symptôme anormal.

A 15 ans, on remarqua qu'elle tombait souvent. Étant alors en pension elle

s'affaissait parfois tout a coup sans perdre connaissance comme si « on lui eut

donné un coup sous les jarrets ». Cela d'ailleurs lui arrive encore. La jambe

gauche, ajoute-t-elle, a toujours été plus faible que la droite. Ce trouble de la

motilité du côté des membres inférieurs était précédé de douleurs. Elle éprou-

vait souvent « des douleurs dans les os » à en crier. La fatigue la prédisposait Ù

ces accidents.

Dès l'âge de 15 ans elle courait aussi très difficilement et d'une façon si par-

ticulière qu'elle « faisait rire ses camarades ».

A cette époque, ou un peu après, vers 16 ans, elle se plaignait souvent de

douleurs dans le dos le long de la colonne vertébrale. Déjà étant toute pe-

tite, et le fait est à noter, elle avait toujours « mal au dos ». Elle souffrait

aussi de violents maux de tète.

C'est aussi au début de la maladie qu'on avait remarqué qu'elle avait « un

creux dans le dos ». Elle fait évidemment allusion ici à la lordose. Mais elle

150 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

n'a noté aucune modification du volume de ses membres en plus ou en moins.

Dès l'âge de 17 ans, il lui devint impossible de se relever toute seule une

fois tombée. Désormais elle ne put courir.

Jusqu'ici il n'a été question que de troubles de la station et de la marche. A

18 ans les membres supérieurs furent atteints par la maladie. Le travail il l'ai-

guille devint difficile : pour coudre elle dut appuyer ses poignets sur ses genoux ;

elle ne pouvait tenir ses mains en l'air au devant de la poitrine. La main gau-

che dès ce moment devint plus faible que la main droite.

Depuis, elle est restée près de dix ans chez elle, ne pouvant sortir car, a

chaque instant, ellè tombait et ne pouvait se relever.

Elle n'a jamais eu d'attaques de nerfs, ni de pertes de connaissance.

État DE la malade (février 1894). Le faciès sans être caractéristique

comme celui de certains myopathiques, présente cependant quelques particula-

rités. Il est fatigué, épaissi ; les chairs sont flasques, les traits effacés, sans re-

lief. Une seule ride est accentuée, c'est le pli naso-géuien des deux côtés (Voy.

fig. 47 et PI. XVIII).

Les yeux sont peu saillants, moins gros, parait-il, qu'ils n'ont été autrefois.

La paupière inférieure offre une rainure horizontale marquant la limite du

globe occulaire ; cette dépression contribue a accentuer l'expression de fatigue

de la figure. Les paupières s'affrontent complètement dans la fermeture nor-

male. Mais l'occlusion forcée se fait faiblement, surtout à gauche. Les sourcils

sont bas, peu arqués.

Le front, sans rides, est un peu asymétrique en faveur du côté droit. Les bos-

ses frontales sont d'ailleurs très saillantes l'une et l'autre, limitées par une dé-

pression latérale et une autre inférieure, de telle sorte qu'a ce niveau, entre le

sourcil et la bosse frontale, le front présente un méplat qui fuit vers la tempe.

Le nez est petit, épaté. Un sillon profond sépare les narines des joues : celles-ci

sont flasques, tombantes.

La bouche est large, les lèvres minces : sans être hypertrophiées elles sont

un peu projetées en avant et le sillon menlo-labial est très marqué. On ob-

serve aussi sur le menton, une fossette verticale assez profonde. Une dépres-

sion au niveau des commissures semble abaisser les coins de la bouche. Ces

deux particularités contribuent à donner à la figure une expression de moue

et de tristesse (Voy. Gn ? 7).

On ne peut provoquer que peu de mouvements sur ce visage atone.

Il est très difficile, sinon impossible à la malade d'esquisser le plissement du

front, car les contractions du frontal sont presque nulles. Celles des sourciliers

sont très faibles.

La malade ne sait pas siffler, et quand elle essaye, ses lèvres restent plates et

molles, surtout : i gauche. Elle peut avancer ses lèvres comme pour donner un

baiser, mais elle a de la peine il montrer les dents. Quoique difficilement, elle

peut encore souffler une bougie.

On peut provoquer chez elle le nystagmus latéral dans le regard il droite ou

z gauche, mais non à coup sûr. La langue est légèrement déviée a droite. Elle

MYOPATHIE PRIMITIVE GÉNÉRALISÉE 151

n'est pas atrophiée, mais seulement un peu ridée longitudinalement. Elle se meut

bien dans tous les sens et peut se mettre en gouttière.

Enfin, l'étude de ces divers mouvements prouve : il que la motilité de la

face est atteinte surtout au front et aux lèvres ; 2° que le côté gauche fonctionne

moins bien que le droit.

Le rire ne paraît pas modifié. La malade parle sur un ton pleurard. Elle a un

défaut de prononciation qui donne ai sa parole un allure enfantine. Elle éprouve

dit-elle, de la difficulté à prononcer certains mots et en particulier certaines

lettres, U et 0 parmi les voyelles. G, J, X parmi les consonnes.

Tronc. - L'épaule gauche de Pauline L... est un peu plus basse que la

droite. Il existe en effet une déviation de la colonne vertébrale il concavité gaucho.

Le sein gauche est plus bas, le pectoral droit aplati. Le thorax en arrière est plus

bombé il droite. L'omoplate droite est plus élevée, plus saillante par son bord spi-

nal et par sa pointe, plus détachée en un mot. Il existe à la fois un certain degré

de lordose lombaire et de cyphose cervico-dorsale. On se rend bien compte de

cette ensellure lombaire quand on regarde la malade dans la station debout de

profil. Le ventre est projeté en avant. La concavité de la région lombaire est

encore accrue en haut par le détachement des omoplates, en bas par l'épaisse

masse graisseuse qui recouvre les fessiers (Voy. Fig. 49 et 50).

On peut donc déjà présumer que les muscles du tronc sont atteints. Ils ont

dû. l'être, nous l'avons vu, dès le début.

Les muscles du cou sont pris également. La résistance dans le mouvement

d'élévation des épaules (trapèze) se laisse facilement vaincre. La force d'exten-

sion de la tête est très notablement diminuée : ainsi s'explique l'attitude pen-

chée en avant qu'elle prend quand la malade est au repos. Les mouvements de

Fig. /17.

152 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

flexion de la tête en avant ou de flexion latérale sont faibles aussi, de même

que le mouvement de rotation. Le sterno-cléido-mastoidien est certainement

aminci (PI. XIX).

Quand on soulève la malade sous les coudes en lui disant de contracter ses

muscles on arrive, sans éprouver de résistance, à entraîner en haut les épaules.

La distance du bord spinal de l'omoplate a la ligne médiane est de 7 centi-

mètres et cette distance est la même mesurée au niveau de l'épine ou de la

pointe de l'omoplate (Pl. XVIII).

Membres supérieurs. Les deltoïdes sont très diminués ; le bras ne peut ni

d'un côté ni de l'autre être amené à l'horizontale dans le plan du corps.

Lorsqu'on regarde le profil du mognon de l'épaule, on ne constate pas de

modifications sensibles dans son contour extérieur ; mais en avant et en arrière

sont des méplats très accentués. Cela tient ;i la conservation du faisceau deltoï-

dien médian, les portions antérieure et postérieure ayant subi une atrophie

beaucoup plus prononcée.

Les mouvements d'adduction du hras sont trop faibles pour s'opposer à une

abduction provoquée. Les mouvements de rotation, quoique possibles, sont

pareillement affaiblis.

Les fosses sus et sous-épineuses sont aussi excavées. Les muscles du bras

sont certainement atrophiés, quoique la diminution de volume ne soit très sen-

sible qu'au niveau des deltoïdes.

La malade ne peut tenir les deux index réunis bout n bout si on cherche à

les séparer, quoique normalement ce mode de résistance soit très difficile ;main-

cre.

La flexion de l'avant bras est possible, mais difficile. L'extension de l'avant-

bras est faible.

Les muscles de l'avant-bras sont aussi atteints, quoique l'atrophie ne soit ici

guère apparente ; il s'ensuit que la flexion et surtout l'extension de la main

sont peu puissantes.

La pronation et la supination ne se font qu'avec peine.

L'extension complète des doigts est possible mais difficile à droite, et impos-

sihle à gauche. La flexion des doigts est assez forte pour pouvoir retenir le doigt

qu'on leur donne à saisir ; mais cependant plus faible que dans la normale.

Le dynamomètre marque à peine 4 ou 5 à droite comme à gauche.

L'opposition du pouce est plus faible que la simple adduction; pourtant

l'opposition'au petit doigt est possible, quoique faible, des deux côtés.

Les éminences de la paume de la main ne sont pas en apparence atteintes.

L'éminence thénar est un peu douloureuse la pression.

D'une façon générale tous les mouvements difficiles provoquent une douleur

qui empêche la malade de continuer le mouvement.

Réflexes tendineux ou périostiques des membres supérieurs inappréciables.

Membres inférieurs. Le grand fessier est atrophié et il en résulte la lordose.

Il est facile de voir en effet que les fesses ne se contractent que très faiblement L

dans la station debout. Une épaisse masse graisseuse dissimule cette atrophie

des fessiers et retombe sur les parties latérales et supérieures des cuisses. Au

MYOPATHIE PRIMITIVE GÉNÉRALISÉE

153

dessous de ce bourrelet il existe une dépression plus marquée qu'à l'état normal.

(Voy. Fig. u9 et 50).

La malade étant assise ne peut se lever que si elle a un point d'appui devant

elle. Alors elle met les mains sur ses cuisses, puis penchant fortement le haut

du corps en avant en s'inclinant à gauche elle arrive en s'appuyant sur une

table ci se redresser sur ses membres inférieurs préalablement étendus.

La cuisse gauche est sensiblement moins forte que la droite. Tandis que la

malade peut avec effort élever la jambe droite jusqu'à l'horizontale (triceps

crural) elle le tente inutilement à gauche. Cependant le volume des cuisses

est à peu près égal des deux côtés. Au-dessous du grand trochanter on remar-

que un gros paquet graisseux qui fait saillie sur la face externe de la cuisse.

Celle-ci vue de face, semble élargie en ce point; il en résulte un raccourcisse-

ment apparent de ce segment du membre inférieur. (Fig. 48).

Les mouvements du pied sont également très faibles. Les extenseurs notam-

ment sont assez atteints pour qu'il y ait chute du pied pendant la marche. Il

en résulte due les chaussures de la malade sont usées par la pointe qui frotte

sur le sol. '

A la flexion dorsale du pied, provoquée la malade ne résiste pour ainsi dire

pas. Néanmoins, on ne peut qu'à grand peine amener le pied il angle droit sur

la jambe. Il existe assurément un certain degré de rétraction des muscles de la

Fig. 48.

Fjg. 49.

Fig. 50.

154 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

région postérieure de la jambe (-istro-enémiens). La résistance est un peu

mieux conservée quand on cherche à abaisser le pied, elle est cependant très

rapidement vaincue.

Or, de tous les segments des membres la jambe, et surtout le mollet

est la région qui à le mieux conservé son relief. A ne regarder que les mol-

lets, on ne pourrait juger du degré de faiblesse des muscles, tant dans le

mouvement de flexion de la jambe sur la cuisse que dans le mouvement d'abais-

sement du pied (jumeaux et soléaire). Il existe donc là un certain degré de

pseudo-hypertrophie; mais pas de différence sensible entre les deux mollets.

Si l'on fait coucher la malade par terre elle ne peut se relever que très diffi-

cilement, grâce a une chaise ; elle grimpe alors le long de ses jambes.

Rien d'appréciable à l'oeil dans la forme des muscles abdominaux. Cependant t

l'action de s'asseoir sur le lit est très difficile.

Il n'existe pas de contractions fibrillaires visibles et la malade n'en accuse

pas la sensation. Pas de tremblement des mains. Mais les jambes naeollelit par-

fois pendant la marche.

La déglutition et la mastication se font régulièrement,

Marche. Pauline L. présente la démarche en canard typique avec balan-

cement alternatif du tronc des deux côtés à chaque pas. Le tronc s'incline du

côté du membre inférieur qui supporte le poids du corps, et plus fortement à

gauche droite. Quand la malade, portant le poids du corps sur le pied

gauche, incline sou torse à gauche, le côté droit du bassin s'abaisse pendant que

le membre inférieur droit se soulève. Cette chute du bassin du côté du pied qui

quitte le sol correspond à l'atrophie bilatérale des muscles pelviens, surtout à

celle du moyen fessier. Elle se produit aussi bien sur le pied droit que sur le

pied gauche, mais en sens inverse.

Sensibilité. La malade se plaint souvent de crampes d'estomac.

Elle a quelquefois de très violents maux de tête qui n'ont rien de caractéris-

tique quant à leur siège ni quant à leur moment d'apparition. Quand la cépha-

lée est très forte sa vue se trouble quelquefois.

La sensibilité au tact, à la douleur et à la température est bien conservée.

Le sens musculaire est intact aussi.

Troubles trop/tiques. Les membres sont froids au toucher surtout aux ex-

trémités qui sont rouge-violacées. La malade se plaint d'avoir facilement « les

pieds gelés » et « l'onglée ».

Sens. Ouïe, odorat, goût normaux.

OEil : Vision normale. Sensibilité conjonctivale un peu affaiblie à droite.

Pas de micromégalopsie.

Champ visuel :

NOUV. ICONOGN. DE LA SALPTRD'.H

T. vu, Pi.. XV

COUPES VERTICO-TRANSVERSALES DU CERVEAU MONTRANT LES RAPPORTS

DE LA BANDELETTE SOUS-OPTIQUE.

L. BATTAIL.1-E ET Cu

FmTtUeea

MYOPATHIE PRIMITIVE GÉNÉRALISÉE 155

Dyschl'omatopsie : la malade ne reconnaît pas le violet qu'elle confond avec

le rose et le bleu : elle distingue bien lë-jaune du rouge.

r z

' ' / 1 IV, . .

De cette observation de myopathie primitive progressive, nous retien-

drons quelques faits intéressants. ? A, ?

1° Le début, de la maladie, à l'âge de 15 ans- seulement, par les muscles

du dos, des lombes et du bassin. ' > ¡

2° L'envahissement rapide de l'impotence fonctionnelle pour les membres

inférieurs, les membres supérieurs et la face, él ! fI la localisation ltrétloani-

nante au côté gauche. ' J

3° Les douleurs très vives au commencement de la maladie. 1

4° La conservation apparente des formes .extérieures surtout aux membres

inférieurs (pseudo-hypertrophie sans hypertrophie). > r

5° Les modifications survenues dans la station et dans la marche, j

6° L'hérédité de la malade. ' ) - - - ** **~"^

Le faciès ne rappelle en rien celui qui a é6.décriL \ sous le nom de faciès

myopalhique (Lam10uz : y-Déjeri'ne) dans le type facio-scapulo-huméral. Mais

si l'on n'y remarque pas les caractéressp iau qu'ont bien fait ressortir

ces auteurs (inQcclusiIÍ,t1e paupières, saillie exagérée des lèvres), il ne

s'ensuitpas que les muscle8 : cle la face soient indemnes. L'exploration élec-

trique faite par M. Nllet confirme les résultats obtenus par l'examen de la

motilité volontaire. La forme des lèvres, minces, molles, en moue, se voit t

souvent chez certains myopathiques. Il faut aussi retenir Va déformation

cl'dnienne,cIi (1'éren Le de celle de l'occipitale sinalr;ë p r-l;llarie et Onànotl'.

La déformation vertébrale se rencontre, dans presque, toutes les formes

d'amyotrophies primitives. Elle est ici surtout exagérée^ clans le sens de la

lordose, comme dans la paralysie pseudo-hypertropliique. J" l i z

L' inclinaison de la tête et du cou en avant est intéressante il constater,

car elle n'est pas fréquemment notée, les muscles de la nuque conservant

en général la .force suffisante pour redresser la tête. Celte attitude, comme

l'a fait remarquer M. Paul nicher/contribue à augmenter le renversement

du tronc en arrière, ces deux inclinaisons en -sens contraire concourant

au maintien de l'équilibre dans la station debout., I-. ' ' ? `

La conservation d'un seul des trois faisceaux qui è ? attlyséttle', ileltoïrle

est intéressante à relever, car elle confirme l'indépendance des; trois por-

tions de ce muscle que l'anatomie comparée et la/physiologie différencient

déjà' suffisamment. Les observations de myopathie primitive où cette par-

ticularité est indiquée ne sont pas rares (Erb, Hoffmann, Singer).

On a déjà signalé également les productions graisseuses surajoutées qui

'156 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

dissimulent parfois l'atrophie des muscles. Notre malade en fournit de

nouveaux exemples (fesses, cuisses). Ces bourrelets adipeux peuvent, sui-

vant les cas, ou bien donner l'impression d'une hypertrophie vraie ou

fausse des reliefs musculaires, ou bien (comme ici aux jambes) combler

les méplats de l'atrophie au point de simuler une configuration extérieure

normale. Ils existent à un certain degré chez quelques sujets normaux et

M. P. Richer a attiré l'attention sur ces faits (1). Ils atteignent leur maxi-

mum de développement dans certaines races : les femmes Boschimanes,

par exemple, -auxquelles on a eu raison de comparer certains myopathi-

ques au point de vue de leur configuration extérieure.

Les rétractions tendineuses sont aussi fréquentes surtout qualtd l'atro-

phie est de date ancienne. Nous n'insistons pas sur le rôle qu'elles jouent

dans le mécanisme de la station, non plus que sur les troubles de la mar-

che, étudiés par M. P. Richer (2). Celui-ci a montré l'importance, auxpoints

de vue morphologique et physiologique, du raccourcissement des masses

musculaires qui est la conséquence de leur envahissement par le tissu fi-

breux.

Ce fait déjà signalé par Landouzy et Déjerinea été récemment confirmé

par les recherches anatomo-pathologiques de W. Roth (3). Cet auteur a

constaté que les fibres musculaires subissaient l'atrophie par leurs extré-

mités (atrophie longitudinale). Au sur et à mesure que se raccourcit la

partie contractile du muscle augmente la portion fibro-lendineuse qui le

remplace. Au point de contact de l'extrémité de la fibre musculaire en voie

d'atrophie et de la portion fibro-tendineuse en voie d'accroissement on

trouve les caractères d'un processus anatomiquement actif.

En même temps existe une atrophie transversale des fibres musculaires.

Et dans le voisinage des points où on la constate, on remarque aussi une

prolifération du tissu conjonctif interstitiel.

En outre, un certain nombre de libres musculaires subissent la trans-

formation fibro-tenclinense. Certains faits empruntés à l'anatomie compa-

rée montrent bien cette transformation des appareils musculaires en or-

ganes fibreux.

C'est vraisemblablement à cette double cause qu'est due dans une cer-

taine mesure la pseudo-hypertrophie. C'est assurément là la raison de la

grande dureté de certains reliefs musculaires pseudo-hypertrophiés, du-

(1) Voir PAUL Richer, Du rôle de la graisse dans la conformation extérieure du corps

humain. Nouv. Icon. de la Salpôtr., t. III, 1890, p. 21.

(2) Ibid. De la station el lamarche chez les myopathiques. Nouv. Icon. de la Salp.,

1894, ne 3.

(3) W. ROTfI, Sur la palhogénie de l'atrophie musculaire progressive. Ziegler's Bei-

trâge zur Pathol. Anatomie, 1893, t. XIII, fasc. 1, p. 1. - Rev. Neurol., 30 juin 1893,

p. 330.

MYOPATHIE PRIMITIVE GÉNÉRALISÉE 157

reté très appréciable au palper même quand les muscles sont mis dans le

relâchement (muscles du mollet ici, par exemple).

D'une façon générale, l'intérêt de cette observation réside principale-

ment dans ce fait que la dystrophie musculaire a envahi rapidement tous

les muscles du corps; l'examen des mouvements spontanés et provoqués

ainsi que l'exploration électrique montrent que l'impotence fonctionnelle

est très accentuée. Néanmoins, la configuration extérieure du corps n'a pas

subi de changements bien appréciables. Mais si l'étude morphologique de

la malade ne permet pas de prévoir jusqu'à quel point sa faiblesse muscu-

laire est grande, elle révèle cependant des modifications dans la station et

dans la marche qui sont l'indice d'une altération incontestable des pro-

priétés contractiles du muscle et qui confirment encore le diagnostic.

ce titre, l'observation de Pauline L. se rapproche de celle du petit

malade Lang. de MM. P. Marie et G. Guinon au sujet duquel ils disaient :

« En résumé, et nous insistons sur ce point qui pour nous est d'une im-

portance majeure, voilà un malade présentant au point de vue fonctionnel

l'aspect le plus complet de la pseudo-hypertrophie dans la station debout,

clans la marche, dans l'acte de se relever, et qui cependant, quand on

examine les muscles, ne présente ni hypertrophie ni atrophie, bien que

l'affaiblissement musculaire soit considérable et occupe un grand nombre

démuselés tant aux extrémités inférieures, qu'aux extrémités supérieu-

res (1) ».

Nous devons dire aussi quelques mots de l'hérédité de Pauline L.

On a depuis longtemps attiré l'attention sur le caractère familial propre

il toutes les myopathies. Notre malade n'échappe pas à la règle puisque

une de ses soeurs est atteinte de la môme maladie qu'elle. Mais à côté de

l'hérédité similaire, on a aussi signalé l'alternance des myopathies avec les

autres affections nerveuses, et la rencontre fréquente dans une même fa-

mille de différentes tares névropathiques et d'amyotrophies. Le cas de

Pauline L. obéit encore il cette loi.

Une de ses soeurs est morte dans les convulsions. Une autre a eu une

chorée probablement hystérique, une troisième a présenté de grandes at-

taques classiques.

Dans ses ascendants, les accidents nerveux sont fréquents. Sa mère a

des attaques de nerfs frustes, et a perdu subitement l'ouïe du côté gauche

à la suite d'une crise. Son père est émotif, asthmatique. Un de ses oncles

tombe du haut mal.

En remontant plus haut dans son hérédité on trouve encore d'autres

tares, une arrière grand'mère enfermée comme folle à la Salpêtrière et

(1) P. Marie et G. GUINON, IOC. cil., Obs. I, p. 801.

158 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE E

issue d'une famille où il y a eu plusieurs aliénés; un grand-père buveur,

plusieurs parents à l'esprit bizarre. Il n'est pas sans intérêt de noter aussi

que certains membres de sa famille ont été atteints de scrofulose et de tu-

berculose (une tante, un grand-oncle, des neveux). L'alternance des ma-

ladies nerveuses et de la tuberculose est un fait sur lequel on a déjà attiré

plusieurs fois l'attention (1).

Enfin, la consanguinité a été constatée souvent dans les ascendants des

myopathiques. Or le père et la mère de Pauline L. étaient les enfants

de deux frères ayant épousés deux soeurs.'De cette double parenté naissait

une double prédisposition à la maladie.

Nous n'insisterons pas longuement sur l'état mental de notre malade.

Celui-ci se rapproche à certains égards de l'état mental des hystériques :

la variabilité du caractère, qui est léger, presque enfantin, l'imagination

vive, la propension à broder des histoires plus ou moins romanesques,

sont des faits qu'il est bon de noter et de rapprocher des troubles de la

vision des couleurs que nous avons signalés. On ne saurait méconnaître

qu'il y a là l'ébauche des stigmates psychiques et physiques de la névrose;

mais ceux-ci sont peu accentués.

Pour terminer, nous attirerons l'attention sur l'arbre généalogique de

Pauline L. Il n'est pas sans intérêt de suivre l'évolution des quatre

générations sur lesquelles nous avons pu recueillir des renseignements,

de voir la répartition des individus robustes ou à facultés brillantes et des

sujets physiquement ou psychiquement amoindris, enfin d'envisager dans

leur ensemble les résultats d'un mariage doublement consanguin. Il serait

téméraire de chercher à tirer des conclusions d'un exemple isolé. Mais

c'est en multipliant les documents de ce genre et en comparant leurs don-

nées qu'on pourra peut-être découvrir un jour la loi qui régit l'apparition

des maladies familiales dont la myopathie primitive progressive semble

faire partie au premier chef.

PAUL LONDE et Henry MEIGE.

(1) Comparez l'hérédité des malades de Savill et de Souques.

GÉNÉALOGIE DE PAULINE L.

EXAMEN DE L'EXCITABILITE ÉLECTRIQUE DES NERFS

ET DES MUSCLES

DANS UN CAS DE MYOPATHIE PRIMITIVE PROGRESSIVE

Les examens de la contractilité électrique des nerfs et des muscles chez

les malades atteints de myopathie primitive progressive constituent un

des éléments les plus importants du cliagnostic. Ils méritent d'être publiés

en détail, car les indications qu'ils fournissent sont de nature à préciser

la localisation de la dystrophie et à renseigner sur son évolution.

Conformément aux résultats obtenus jusqu'à ce jour dans la presque,

totalité des cas de myopathie primitive, cet examen a fait reconnaître chez

la malade Pauline Legr. dont l'observation clinique a été publiée par

MM. Paul Londe el Henry Meige, une diminution simplement quantitative

de la contractilité musculaire, proportionnnée dans une certaine mesure à

l'atrophie ou aux altérations de la contractilité volontaire des muscles. La

diminution de l'excitabilité faradique des muscles est moins caractérisée

par l'apparition plus ou moins tardive des contractions minima, que par

la diminution d'étendue et de puissance des contractions. Il en est de

même pour l'excitabilité galvanique : les contractions minima se montrent

souvent encore avec des courants d'assez faible intensité, mais l'ampleur

des contractions provoquées par des courants plus forts est notablement

diminuée ; pour certains muscles toutefois, ceux des cuisses notamment,

les contractions minima n'apparaissent que tardivement. Conformément

à la règle généralement reconnue pour les altérations de l'excitabilité

électrique des muscles dans les myopathies primitives, il n'existe ici au-

cune altération qualitative, et rien qui rappelle plus ou moins la réaction

de dégénérescence. Nous rapportons ci-dessous les résultats détaillés de

l'exploration électrique des nerfs et des muscles de cette malade ; on peut

les résumer, d'une façon générale, comme il suit :

Aux membres supérieurs la diminution de l'excitabilité électrique des

muscles, comme l'atrophie d'ailleurs, est surtout marquée dans les mus-

cles de la ceinture scapulaire et des bras. Aux avant-bras les altérations

de l'excitabilité électrique sont plus accusées dans les extenseurs que dans

les fléchisseurs et sont beaucoup moins prononcées qu'aux épaules et aux

JO X cr TA B 1 L r T ÉLECTRIQUE DES NERFS ET DES MUSCLES 161

bras. Aux mains la diminution de l'excitabilité électrique est peu accusée.

Pour les membres inférieurs les altérations quantitatives de l'excitabi-

lité électrique sont très prononcées aux fesses et anx cuisses; aux jam-

bes elles sont moins accusées et portent davantage sur les muscles du

mollet que sur les muscles antéro-externes.

A la face il n'y a que des altérations moins importantes à signaler.

I. MEMBRES supérieurs et ceinture scaruLantr.

,1. - Courants faradiques.

(L'exploration faradique des membres supérieurs a été faite avec l'appa-

reil à chariot de Tripier, grand modèle, et la bobine induite à gros fil ;

intermittences assez fréquentes, 15 à 20 par seconde ; courant inducteur

de 3 grands éléments Leclanché. Méthode polaire : électrode sternale

cm X Hem; électrode différente, grosse olive 3x2'="'

Deltoïde. La partie antérieure est très atrophiée, surtout dans ses fais-

ceaux internes, et un peu plus à droite qu'à gauche. A droite : C. minima

avec un écartement des bobines de 85mm ; il 8O ? n C. encore très faibles

et seulement clans les faisceaux externes ; a gauche : C. minima à 95mm ;

à 85mm C. encore faibles, apparentes surtout dans les faisceaux externes.

La partie postérieure est aussi très atrophiée, surtout dans ses faisceaux

internes ; l'atrophie semble à peu près aussi prononcée à gauche qu'il

droite bien que la contractilité faradique reste un peu plus forte à gau-

che : à droite, C. minima à 85mm ; à 80mm C. encore très faibles ; à

gauche, C. minima à 95mm.

La partie moyenne se fait remarquer au contraire par son volume encore

assez considérable. À droite : C. minima à 100'nm ; C. assez fortes à 90 ? ;

les C. produisent le déplacement du bras u 8m ? à gauche : C. minima

a 103 ; C. avec déplacement du bras à 90.

(Bien que la contractilité faradique soit plus forte à gauche qu'à droite,

l'élévation volontaire du bras est plus faible, ce qui tient à ce que l'in-

suffisance fonctionnelle du grand dentelé est plus prononcée à gauche).

Trapèze. La portion cIl/tien la ire est bien conservée ; cependant à droite

la contractilité faradique y est nettement beaucoup plus faible qu'à gau-

che. A droite, à 105n1tn C. minima ; à 95 C. encore faibles ; à gauche,

à 125 C. minima ; à 110 C. déjà assez fortes, avec déplacement.

La portion moyenne ou élévatrice est relativement assez bien conservée ;

comme pour la précédente la contractilité faradique est plus faible à droite

qu'à gauche; de même, à l'occasion des mouvements volontaires, l'épaule

est plus facilement soulevée à gauche qu'à droite et le gonflement produit

par la contraction du muscle y est plus accusé. A droite, à 85 C. minima ; 5

VII il

102 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE E

à 80 C. encore très faibles ; à gauche, à 90 C. minima ; à 80 C. encore

assez faibles, mais avec élévation du scapulum.

La portion inférieure ou adductrice est très atrophiée des deux côtés et

les bords spinaux de l'omoplate fortement écartés de la ligne médiane,

mais verticalement dirigés, tandis que les angles inférieurs font une saillie

assez prononcée en arrière. La contractilité faradique est très faible, pres-

que nulle dans cette portion du muscle, tandis que dans les muscles sous-

jacents il se produit des contractions très nettes. La malade peut cepen-

dant rapprocher les épaules en arrière, mais celle adduction du scapulum

s'accompagne de son élévation et est faite en grande partie par le trapèze

moyen et beaucoup aussi par le rhomboïde.

Rhomboïde n'est pas ou n'est que peu atrophié. A droite, à90mra C. mi-

nima ; à 80 C. assez bonnes avec déplacement du scapulum. A gauche,

résultats Ù peu près semblables : cependant l'excitabilité est un peu plus

forte de ce côté.

Sus-épineux. La fosse sus-épineuse est un peu excavée à droite comme

à gauche. De 75 à 80mm, il semble se produire des C. dans le muscle sus-

épineux, mais elles sont masquées par les C. provoquées dans le trapèze.

Mêmes résultats à gauche qu'à droite.

Sous-épineux. Tandis que la fosse sous-épineuse est excavée dans sa

partie externe, en raison surtout de l'atrophie du deltoïde postérieur, elle

est assez bien remplie dans sa partie interne et le m. sous-épineux semble

peu atrophié.

A droite : à 100mm C. minima ; de 90 a 85 C. assez bonnes ; a gauche :

mêmes résultats.

Grand rond. A droite : à 90'n- C. minima ; il 75, C. assez bonnes ;

à gauche : mêmes résultats, excitabilité un peu plus forte.

Grand dorsal. A droite : 8J'°u' C. minima; à 75 C. encore assez faibles ;

- gauche : comme à droite.

Grand pectoral. Notablement atrophié des 2 côtés. A droite : à 90 C.

minima ; à 85 C. encore faibles ; a gauche : à 95 C. minima, à 85 C.

faibles, mais un peu plus étendues qu'a droite.

Biceps. Très atrophié et très faible des deux côtés. A droite : à 95 C. mi-

nima ; à 75 C. encore faibles ; à gauche : comme à droite.

ConAco BUACIIIAL et brachial ANTÉRIEUR très atrophiés. A 80 ? pas de

C. appréciables ou C. très faibles masquées par l'effet de la propagation

de l'excitation au nerf médian.

Triceps. Notablement atrophié et faible. Longue portion : à droite : à

90 C. minima ; à 80 C. encore faibles ; à gauche : idem ;

Portion externe : ci droite : à 90 C. minima ; a 80 C. faibles ; à gau-

excitabilité électrique DES neufs ET DES MUSCLES S 163

che peu près comme à droite, cependant C. un peu plus fortes, C. mini-

ma à 9 ? .

Portion inféro-interne : il droite : a 100 ? C. minima ; à 85 C. assez fai-

bles, mais plus fortes que dans les portions précédentes ; - gauche : : *

comme à droite.

Les avant-bras se placent habituellement en pronation. La supination

ne peut être complète et reste un peu limitée. De même l'extension com-

plète de l'avant-bras sur le bras ne peut être obtenue volontairement,

ni passivement, et dans leur plus grande extension possible les avant-bras

forment avec le bras un angle d'environ 1700 ouvert en avant. Les avant-

bras sont aussi inclinés sur le bras de dedans en dehors et de haut en bas,

formant avec lui un angle obtus d'environ 1600 ouvert en dehors.

Les muscles ont conservé un volume sensiblement normal ; cependant

le long supinateur il droite, le long supinateur et les radiaux à gauche sont

un peu amaigris. Malgré la conservation de leur volume, les muscles ont

une force notablement diminuée : dans la flexion de l'avant-bras sur le

bras, la contraction du long supinateur est très manifeste, mais la malade

ne peut s'opposer avec quelque énergie à ce que l'on ramène l'avant-bras

en extension ; la flexion et l'extension du poignet sont également très

faibles et la malade ne peut s'opposer aux mouvements passivement com-

tuniqués ; il en est de même pour la flexion et l'extension des doigts.

Long supinateur. A droite : un peu amaigri; u 80m' C. minima; à î0 C.

très faibles ; à gauche : à peu près comme à droite, cependant un peu

moins amaigri, la contractilité électrique y est aussi un peu plus forte :

C. minima à 85 ?

Premier radial : A droite : à 80 C. minima ; à 70 C. faible ; à gau-

che : C. minima à 85.

Deuxième radial : Comme le précédent.

Extenseur commun des doigts : A droite : à 90 C. minima ; à 85 C. en-

core faibles ; à 80 C. assez bonnes ; a gauche : la contractilité est no-

tablement plus faible qu'a droite : à 80 et il 75 C. encore très faibles,

C. minima de 80 à 85.

Cubital postérieur : A droite, à 80 C. faibles; à gauche, C. plus

faibles qu'à droite; à 75 C. encore très faibles.

Long abducteur du pouce : A droite, à 95 C. minima ; à 80 C. bonne;

galiclie, à 90 C. minima, à 80 C. nettes, mais plus faibles qu'à

droite.

Court extenseur du pouce : A droite, à 105 C. minima.

Long extenseur du pouce : A droite, à 100 C. minima ; à 90 C. bonnes.

Extenseur propre de l'index : A droite, à 90 C. plus faibles que pour

le précédent.

161. NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Extenseur propre du petit doigt : A droite : comme l'extenseur de l'in-

dex ;

A gauche, ces quatre derniers muscles sont beaucoup moins excitables

qu'il droite et il 80mm leurs C. sont encore très faibles.

Palmaires : Des deux côtés C. minima à 107, C. bonnes à 100.

Rond PROSATEUR : C. minima à 105 des 2 côtés.

FLÉCHISSEUR superficiel : Idem.

Fléchisseur profond : Des deux côtés C. minima à 10 ; C. encore fai-

bles à 100 ; C. bonnes à 90.

Cubital antérieur : Comme le précédent.

A la main tous les muscles présentent un volume sensiblement normal

et une force de contractilité volontaire assez considérable. La contractilité

faradique est la même des deux côtés.

Court abducteur du pouce : il 95mm C. minima.

COURT fléchisseur du pouce, opposant, adducteur du pouce : C. minima

il 95mm.

Adducteur DU petit DOIGT, court fléchisseur DU PETIT doigt.

Opposant : C. minima à 90mm.

1er Interosseux dorsal : C. minima à 100mm.

2e, 3e et 4° Interosseux dorsaux : C. minima à 95mm.

NERF radial (au niveau du bord externe du bras, il la partie inférieure

de la gouttière de torsion) : à 90mm C. assez faibles dans les m. postérieurs

de l'avant-bras. (Des contractions se produisent aussi par propagation de

l'excitation dans le triceps, et dans les m. antérieurs de l'avant-bras et

sont relativement plus fortes que celles produites dans les m. posté-

rieurs).

NERF médian au PL du couDE : A 105 C. minima, les C. se produisent

surtout dans les m. de l'éminence thénar; à 90 C. fortes dans les pro-

nateurs, les m. de l'éminence thénar, et les palmaires, C. plus faibles

dans les fléchisseurs; à 100 C. assez bonnes, même distribution.

NERF médian au poignet : à 105 C. minima; à 90 C. bonnes dans les

m. de l'éminence thénar, C. aussi dans les fléchisseurs; à 100, idem,

mais C. plus faibles.

NERF cubital au coude : A H5 C. minima, se produisent seulement dans

l'adducteur du pouce ; il 110 C. plus accusées dans le même m. ; C. fai-

bles dans le cubital antérieur; à 100 C. assez bonnes dans tous les m. de

la main innervés par ce nerf et dans le cubital antérieur, C. faibles dans

le fléchisseur profond (C. aussi dans les palmaires et les m. de l'éminence

thénar).

NERF cubital au poignet : A 105 G. minima, se produisent seulement

dans l'adducteur du pouce (C. aussi dans les autres m. de l'éminence thé-

excitabilité ÉLECTRIQUE DES nerfs ET DES MUSCLES 165

nar); à 90 C. bonnes dans tous les m. de l'éminence hypothénar, dans les

interosseux et l'adducteur du pouce (Des C. se produisent aussi et sont

assez fortes dans les autres m. de l'éminence thénar, et dans les fléchis-

seurs à l'avant-bras).

Les résultats de l'excitation de tous ces nerfs sont les mêmes à droite

et à gauche.

2. Courants galvaniques.

(Méthode polaire : électrode sternale 8 X 11, électrode différente :

grosse olive, 3cm X 2cm, 5 Les excitations sont faites alternativement avec

le pôle négatif et le pôle positif, et en laissant passer le courant le moins

longtemps possible pour éviter les effets de la polarisation, et se trouver

dans des conditions absolument semblables d'intensité, mesurée d'ailleurs

à l'aide d'un galvanomètre apériodique). Les réactions rapportées ci-des-

sous sont celles obtenues sur le côté gauche; celles du côté droit sont

semblables ; partout les contractions obtenues sont vives.

DELTOïDE antérieur : A 1 m A., VIII él LS, première NFC ; 3 m A, XVI,

première PFC; 4mA., XVIII, NFCC>PFC" (1).

Deltoïde moyen : 2 1/4 m A, X élc5, NFC > PFC ? 3 m A., XII, NFC >

PFC'.

DELTOïDE POSTÉRIEUR : 2 '1/2mA, XII, NFC settle ; 3 1/2mA, XIV,

NFC > PFC ?

Grand pectoral : 4 m A., XVI, NFC"' seule ; 5 m A, XVIII, NFC encore

faible et seule, pas de C à PF.

Biceps : 1 1/2 m. A, XII, première NFC"' ; 4 m A, XVIII, 1" PFC ?

5 m A, 11, NFCC > PFC ?

Triceps, longue portion : 1 1/2 m A, X, première NFC" ; 3 m A, XIV,

NFC > PFC ?

Triceps, partie moyenne : 1 1/ m A, VIII, première NFC"' ; 3 m A,

XII, 1"'PFC ? 3 1/2 m A, NFCC > I'FC ?

Triceps, partie inférieure : 2 m A, X, NFC" seule ; 3 m A, XII, NFC

>NFC'.

Long supinateur : 1 3/4 m A, X, NFC" > PFC" ; 3 m A, XIV, NFC'

>PFC".

(Des contractions sont provoquées en même temps dans des muscles

assez éloignés, comme le triceps et les fléchisseurs des doigts, et sont plus

fortes due celles produites dans le long supinateur).

(1) Par la lettre C suivie d'un accent nous désignons les contractions faibles, elles

sont d'autant plus faibles que la lettre est suivie de plus d'accents ; au contraire les

contractions fortes sont désignées par la lettre C. une ou plusieurs fois répétée.

Les chiffres romains indiquent le nombre d'éléments employés ; c'étaient de petits

éléments de Gaifl'e au bioxyde de manganèse et chlorure de zinc.

166 nouvelle iconographie de la salpêtrière

Radiaux : 1/` ? m A, XIV, NFC" > PFC'" (en même temps C. dans le

triceps et les fléchisseurs, comme précédemment).

Extenseur COMMUN : 2mA, XII, NFC ? > PFC"' ; 4mua, XVIII, NEC

> PFC' (mêmes C. que plus haut dans le triceps et dans les fléchisseurs).

Cubital postérieur : 2 m A, XII, NFC'' > PFC".

Long abducteur, EXTENSEURS propres du pouce : i/2 m A, XIV, NFC"

> PFCC" ; 4 m A, XVIII, NFC' > PFC" (les contractions produites dans

ces muscles sont masquées en grande partie par les contractions provo-

quées dans les muscles voisins, le long supinateur notamment, et surtout

dans des muscles assez éloignés, comme les fléchisseurs des doigts et le

triceps).

Palmaires : 3/4 m A, VI, NFC" > PFC ? 2 1/2 m A, XIV, NFC > PFC.

Fléchisseur superficiel : 3/4 m A, VI, NFCC"' seule ; 1 1/2, X, NFC">

PFC" ; 3 1/2, XVIII, NFC > PFC.

Fléchisseur profond et cubital antérieur : 3/4 m A, VI, NFCC" seule ;

1 m A, VIII, NFC" > PFC ? 2 1/2, XIV, NFC > PFC.

Thénar (opposant du pouce) : 1/2 m A, XX, NFC" > PFC" ; 1 m A,

XXVI, NFC"> PFC'.

IlYpoïHÉNAR (adducteur du petit doigt) : 3/4 m A, XXVI, NFC'">

PFC".

le,, Interosseux dorsal : 1 m A, X, NFC" seule ; 1 1/2, XIV, NFCC' >

PFC".

Neuf médian au coude : 3/4 m A, VIII, NFC" > PFC ? ; 1 3/4, XIV,

NFC'' > PFC. ; 3 1/2, XVIII, NFCC (légt Te) > PFC > POc'" (Ire POc).

Nerf médian au poignet : 3/4 m A, XIV, NFC"' > PFC'" ; 3, XXII,

NFC > PFC ; 3 1/2, XXIV, NFC (légert Te) > PFC > POc'.

NERF radial : 1 1/4 m A, X, Il ? NFC" seule; 2 m A, XIV, NFC seule :

3 m A, XVIII, NFCC > POC" > PFC ?

NERF cubital au coude : 3/4 m A, VIII, NFC" > PFC" ; 2 m A, XIV,

1Vh'C > PFC ? 3 1/4 NFCC (légèrement Te) > PFC > POC".

II. Membres inférieurs.

1. Courants faradiques.

(L'examen faradique des membres inférieurs, ayant été fait dans le lit

de la malade, a été pratiqué avec un petit appareil portatif à chariot de

Tripier, actionné par grands éléments Leclanché, avec intermittences

rapides ; bobine inductrice il gros l'il; méthode polaire : électrode sternale

8 X 11 ; électrode différente, grosse olive, 3 ? X 2cmü. Les nombres sui-

vants ne sont donc pas comparables, d'une façon absolue, à ceux obtenus

pour les membres supérieurs accole grand chariot; leur comparaison rela-

NOUV. r LA SAl.pi : TlUiE T. VII, PL XVI

PHOTOTYPE NLOATI1 A. LONDE. PHOTOCOLL. 1> : RTHAVD.

PACHYMÉNINGITE CERVICALE SYPHILITIQUE

L. BATTAILLE ET C1'

]',n, >-UFs

excitabilité électrique DES nerfs ET DES MUSCLES 167

tive pourra être faite quand on saura que pour le jambier antérieur la

contraction minima se produit avec un écartement des bobines de 40mm

pour le petit chariot, et de 55mm pour le grand et que pour l'extenseur

commun des orteils la contraction minima a lieu avec un écartement de

50mm pour le petit et de 65 ? pour le grand chariot. La diminution de

l'excitabilité faradique ressort nettement d'ailleurs des résultats habituel-

lement obtenus sur d'autres personnes avec les mêmes appareils, dans les

mêmes conditions. Les réactions s'étant montrées à peu près identique-

ment semblables des deux côtés, nous ne rapporterons que l'examen détaillé

du côté droit).

Grand fessier : Notablement diminué de volume, mais contractilité vo-

lontaire encore assez bonne, de même que la contractilité faradique; à

55 ? C. minima. ' \

Moyen fessier : Très atrophié; à 3 ? pas de C. apparentes; (on ne

peut employer de courants plus forts à cause des douleurs provoquées et

des mouvements réflexes qui empêchent dese rendre compte s'il y a ou non

contraction clans ce muscle).

Les cuisses, bien qu'atrophiées notablement, paraissent relativement

encore assez volumineuses, mais la palpation dénote que ce volume est dû

en grande partie au tissu adipeux sous-cutané assez développé et que les

muscles, les antérieurs.surtout, sont plus atrophiés qu'on ne le croit au

premier abord. Leur force est d'ailleurs extrêmement amoindrie, la ma-

lade détache avec peine le talon du lit et ne peut maintenir longtemps sa

jambe étendue sur la cuisse quand le pied est soulevé. Les muscles posté-

rieurs sont également très faibles, elle Ilécllit volontairement assez bien la

jambe sur la cuisse, mais n'offre aucune résistance à son extension passive.

Vaste interne : 50 ? C. minima ; il 40 et à 35, C. encore très faibles;

Vaste externe : idem ;

Droit antérieur : 45'C. minima;

Couturier : 50 C. minima; "' . ir, "S ^ *

Tenseur du eascia lata : 45 C. minima ; \ -

GRAND ADDUCTEUR : idem ; .. \

Grand adducteur : idem ; - l , ., ' -, »

triceps fémoral : 40 C. très faibles; " : ,

(Aux jambes le volume des muscles parait sensiblement normal, aussi

bien pour les muscles antéro-externes que pour les muscles postérieurs,

mais leur puissance est notablement affaiblie. Le malade étend et fléchit

facilement`les orteils; elle-étend~et fléchi t. aussi - facilement le pied, mais

elle n'oppose qu'une résistance très faible à leur extension ou il leur flexion

passive.

Jambier antérieur : 10lUlU C. minima ; iL 30mm C. encore faibles (en

168 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

même temps C. dans l'extenseur commun plus fortes mêmes que dans le

jambier antérieur).

Extenseur commun : 50mm C. minima; à 40 C. bonnes, (extension bien

accusée des orteils).

Long péronier : 50m1l1 C. minima ; à 40 C. assez bonnes mais en même

temps C. dans l'extenseur commun, plus fortes même dans ce dernier

muscle.

COURT péronier : 45mm C. minima.

PEDIEUX : 45mm C. minima. -

Jumeau externe : C. minima entre 45 et 50 mm (en môme temps C. pro-

pagées à l'extenseur commun).

Jumeau interne : 5 o III C. minima (C. également dans l'extenseur com-

mun).

Soléaire : Comme les précédents.

Fléchisseur commun : 40 ? C. faibles; elles se trouvent masquées par

des C. simultanées dans l'extenseur commun.

Fléchisseur Du gros orteil : Comme le précédent.

Nerf péronier : A 75 ? C. minima (C. dans l'extenseur commun seule-

ment) ; à 70mm idem; à 65 des C. apparaissent aussi dans le jambier anté-

rieur et les péroniers mais sont faibles ; à 60 les C. sont encore plus fai-

bles dans le jambier antérieur et les péroniers que dans l'extenseur com-

mun.

2. Courants galvaniques.

(Mômes conditions que pour les membres supérieurs. Nous ne rappor-

tons que les réactions du côté gauche, celles du côté droit étant d'ailleurs

à peu près identiques).

Vaste interne : ire NFC à 5mA, XII éléments ; la 1re PFC apparaît seu-

lement vers 7 m A, XVI éléments; à 9 m A, XX, NFC' > PF C". Les C. sont

vives comme d'ailleurs toutes celles obtenues aussi sur les autres muscles

des membres inférieurs. Sur ce muscle, de môme que sur les autres par-

ties du triceps crural la contractilité galvanique est très diminuéenon seu-

lement par le fait de l'apparition tardive de la C. minima, mais aussi par

le fait du peu d'étendue des C. obtenues avec des intensités pins élevées.

Vaste externe : 5 mA, XVI, NFC"" seule : à 7 m A, XX, NFC>PFC".

Droit antérieur : 8 m A, XX, NFC" > PFC".

Jambier antérieur : Ire NFC ? à 3 1/2 m A, XX ; i™ PFC"" à 4 1/2 m

A, XXIV ; à 5 m A, XXVI, NFC > PFC"" (1).

(1) Pour ce muscle comme pour les suivants, ainsi que pour les muscles et les nerfs du

membre supérieur, une résistance assez considérable se trouve surajoutée dans la bat-

terie entre le VIIIe et leX° élément, par suite d'une fêlure du verre du IXo élément qui

excitabilité électrique DES nerfs ET DES MUSCLES 169

Extenseur commun : à 3mA, XX, NFC" > PFC ? m A, XXVI,

NFC' > PFC".

Long péronier : 4 m A, XXII, NFC > PFC ?

Extenseurs propre du gros orteil : 3 m A, ZVh NFC' > PFC ?

Pédieux : 3 m A, XXX, NFC"" seule; 4 1 /2 m A, XXXVI, NFC'>PFC.

Jumeau externe : 3 1/2 m A, XXVI, NFC" > PFC ? 5 m A, XXX, NFC'

> PFC".

Jumeau interne : 4mA, XXVI, NFC" seule; 6mA, XXX, NFC>PFC ?

Soléaire : 3 1/2 m A, XXVI, NFC'' > PFC ?

Nerf péronier : 2 1/2 m A, XVI, 1 re NFC ? ; 3 m A, XVIII, NFC' >

PFC ? 4 m A, XX, NFC > PFC"' ; 5 m A, XXII, NFCC > PFC' > POC" ;

6 m A, XXIV, NFCCC > PFC > POC (POC devient ici presque égal à PFC).

III. Face.

1. Courants faradiques.

(Grand chariot de Tripier; bobine induite à gros fil; intermittences

rares, 2 par seconde; méthode polaire : électrode sternale 8 X 11 ; élec-

trode différente, petite olive).

Carré du menton : à droite, C. minima il 1'lOm ? à gauche, 11Ou'ill ;

M. de la houppe : droit, 105; gauche, idem;

Triangulaire des lèvres : 100mm des 2 côtés ;

Orbiculaire des lèvres : 100mm;

Élévateur de la lèrre supérieure et de l'aile du nez : à droite 100mra ; à

gauche, 103 ;

Petit, zygomalique : 100 ? des 2 côtés ;

Grand zygomatique : 95 ? .

Dilatateur des narines : 100 ? ;

Myrtifol'1ne : 100mm;

Transverse du ne ? 105 ;

Pyramidal : droit 105 ; gauche 100 ;

Sourcilier : 100;

Frontal : 100 ;

Orbiculaire des paupières : 105 ;

Masséte1' : 105 des 2 côtés ;

Temporal : 95, mais les C. minima ne peuvent être suffisamment explo-

rées à cause de l'implantation des cheveux qui avancent sur le front.

Nerf facial (tronc dans l'oreille externe) : à 95 C. surtout dans les bran-

ches moyennes' du nerf; 92 C. dans tous les muscles.

s'est vidé de liquide et n'en contient plus qu'une très faible quantité; cette résistance

surajoutée n'existe pas pour les muscles de la cuisse.

170 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Rameaux supérieurs : 107 C. dans le frontal, le sourcilier, le pyra-

midal ;

Rameau de l'orGic2clcric°e des paupières : 110 ;

Rameaux moyens : 104.

Branche inférieure : 106.

2. - Courants galvaniques.

(Méthode polaire : électrode sternale 8 crnx Il ; électrode différente,

petite olive,18-- >< -

Carré du menton : 1 J/2 111 A, VI éléments, NFC' > l'1 C'.

Orbiculaire des lèvres : 2 m A, VI, NFC" seule ; 2 J/2 m A, VIII, NEC

> PFC ?

Élévateur commun : 1 1/2 III A, VI, NFC seule; 2 1/2 m A, VIII, NIJC

> PFC'" .

Orbiculaire des paupières : 3/4 m A, IV, NFC'>PFC"; 1 1/2 m A.

YI, NrC > 1>rc' ;

Frontal : 1/2 m A, VI, NFC" seule ; 1 m A, VIII, NFC > PFC".

Zygomatiques : 1/2 m A, VI, NFC" seule; 2 mua, VIII, NFC > PFC'.

Masséter : 3/4 m A, VIII, Ire NFC'' : 1 1/2 m A, X, NFC seule, 2 m ,

NFCC > PFC". '

Nerf facial : Rameaux supérieurs ; ,1/2 m A, VI, NFC'' ; 1 m A, X, NFC

> PrC'.

Rameau de l'orbiculaire : 1/2 m A, VI, NFC" seule ; 1 1/4 m A, VIII,

Ni CC > Pl C'.

Rameaux moyens : 1 1/4 m A, VI, NFC> PFC' ; 2 m A, VIII, NFCC >

PFC'.

Branche inférieure : 3/4 m A, VI, NFC" > l'1C"' ; 1 1/4 m A, VIII,

NFCC > PFC.

Les résultais précédents sont ceux obtenus sur le côté gauche; les réac-

tions du côté droit, sont sensiblement semhlables.

E. 11 U E'l',

Chef adjoint du laboratoire de la clinique

des maladies du système nerveux.

NOUV. ICONOGR. DE LA SALPLTRILRt- T. VU, PL. XVII

MYOPATHIE PRIMITIVE PROGRESSIVE

Attitude' de trois malades dans la station debout.

L BATTAILLE ET Cil

Éditeurs

UN CAS DE MYOPATHIE PRIMITIVE PROGRESSIVE

AVEC ATTITUDES VICIEUSES EXTRAORDINAIRES

Sous ce titre, nous avons, le 13 avril dernier, présenté à la Société mé-

dicale (1), avec notre maître M. Brissaud, un malade présentant des dé-

formations excessives. C'est en effet le degré extraordinaire de la défor-

mation qui constitue le côté véritablement' curieux de ce cas. D'autre

part, l'observation de cet homme renferme quelques points intéressants à

souligner. Les voici en détail.

Aimable R... ? monteur en fer, agé de 27 ans, est entré le 11 avril 1894

dans le service de M. Brissaud.

Ses antécédents héréditaires n'offrent rien d'intéressant à noter. Sa mère est

morte à 51 ans de tuberculose pulmonaire. Son père, âgé de 60 ans, est bien

portant : il est fortement alcoolique et très violent. Notre malade était le qua-

trième d'une famille de 8 enfants ; six sont morts, (cinq en bas âge, un à 26 ans

de tuberculose pulmonaire) et le septième qui a 18 ans est en bonne santé. Les

grands parents sont morts très âgés. Du côté des collatéraux (oncles, tantes,

cousins, cousines, etc.) il n'y a rien de spécial à mentionner. Personne dans la

famille n'aurait eu de maladie analogue à la sienne ni même d'affection névro-

pathiquo.

Quant aux antécédents personnels nous avons appris que R..... était né avant

terme (8 mois) et qu'il avait marché de bonne heure. Il a eu la rougeole vers

six ans. Il a été en classe de 8 à 12 ans et a appris à lire et à écrire assez faci-

lement, quoiqu'il ait souvent fait l'école buissonnière. Durant cette période il

était comme lotis les enfants de son âge : il jouait et courait sans aucune gène;

il était même, dit-il, toujours le premier à la course. Vers 12 ans, il apprend z

le métier de serrurier et il 14 ans 1/2 rentre dans une fonderie de Saint Denis. j

A 15 ans 1/2 (novembre 1882) il tombe accidentellement d'uue hauteur de vingt <

mètres et reste une heure sans connaissance : il n'avait ni fracture ni luxation j

et se plaignait simplement de douleurs dans les reins. Six, semaines, après ? il . 1

pouvait reprendre son dur travail sans se ressentir de cet accident. A 16 ans,

il aurait eu « un tour de reins » : il a fait un faux pas en roulant une brouette

et a senti un craquement dans la région rénale. Cet incident a nécessité un repos

de quatre jours.

(1) l3mss.wn r/r Souques. liociélé métl. des hop. de Paris, 13 avril lS9l.

172 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

C'est un an après, à 17 ans, qu'il a remarqué que ses épaules et ses bras

devenaient faibles, particulièrement dans les mouvements d'élévation. Dans

ces mouvements ses omoplates devenaient saillantes. Ses camarades l'avaient

surnommé « les ailes ». Il a remarqué, vers la même époque que ses épaules

maigrissaient. A l'âge de 20 ans, la faiblesse des membres supérieurs s'était

accentuée, au point qu'il a été obligé de renoncer son métier. Il n'avait encore

rien remarqué du côté des membres inférieurs. A 21 ans, ceux-ci ont commencé

à faiblir et l'ascension des escaliers est devenue difficile. Il a été réformé par le

conseil de révision et de 21 à ` ? 5 ans a exercé des métiers d'infirme, travaillant

sur les marchés de St-Denis, portait des paquets, gagnant mal sa vie, souvent

sans ressources, sans nourriture et sans abri.

A partir de 25 ans, il a été obligé de renoncer il tout travail et de vivre de

chanté.

Le malade ne peut dire la date précise du début des déformations qui sonl

venues, dit-il, lentement et progressivement. Il n'a jamais remarqué qu'il ne

pouvait pas fermer complètement ses yeux. De même il a toujours pu siffler

comme aujourd'hui, c'est il-dire fort mal, mais ce fait ne l'a jamais frappé.

Durant cette longue évolution, il n'a jamais éprouvé la moindre douleur.

Pas d'alcoolisme, pas de maladies vénériennes.

Etat actuel (avril 1894). Pas de troubles de la sensibilité objective ou

subjective ; pas de troubles vésico-rectaux ou génitaux. Absence de troubles

intellectuels. Les divers viscères : coeur, poumons, etc. sont normaux et fonc-

tionnent régulièrement.

Tout' se borne à une atrophie musculaire et à des déformations considérables.

La description suivante sera presque exclusivement morphologique : a cet

égard les Planches ci-jointes (XX et XXI) nous dispenseront de longs commentai-

res. Quant aux détails de l'atrophie musculaire, on les trouvera dans la note très

soignée qui nous a été obligeamment communiquée par notre collègue et ami,

11. Huet et qui se trouve reproduite plus loin in extenso.

Tète. La face est symétrique, unie et sans rides. Le front est lisse et ne

peut être ridé : c'est il peine s'il y a esquisse de mouvement des muscles fron-

taux ; les sourciliers se contractent normalement. L'occlusion normale des

yeux est incomplète ; il reste un écartement de 3 à 4 millimètres entre les bords

libres des deux paupières ; leur occlusion forcée est possible, mais clans cet état

les orbiculaires résistent a peine à l'ouverture passive. Aussi les yeux sont-ils

en pseudo-exorbitisme, la sclérotique élrmt;plus découverte que normalement.

Les plis naso-labiaux n'existent pas au repos. Les lèvres sont grosses, saillan-

tes mais au contact l'une de l'autre, de sorte que l'orifice buccal reste fermé. Les

fonctions de ces organes sont très troublées. Les labiales sont assez correctement

prononcées. Les actes de siffler et de souiller se font il l'aide des buccinateurs

qui, en tendant l'orbiculaire des lèvres, élargissent transversalementl'orifJcehuc-

cal. Ces actes sont très dilliciles. Le malade ne peut du reste sifilcr qu'a tra-

vers les dents. Il peut froncer un peu les lèvres en les avançant et esquisser la

moue. Dans le rire, les sillons naso-labiaux et jugaux s'accentuent fortement,

plus du côté droit que du coté gauche, car la paralysie atrophique semble plus

UN CAS DE MYOPATHIE PRIMITIVE PROGRESSIVE 173

marquée il gauche qu'à droite. Le rire est niais et transversal, plus facile du

côté droit.

Les masseters, les ptérygoïdiens, les temporaux sont respectés ainsi que les

muscles moteurs des yeux. Les pupilles sont égales, réagissent bien et l'acuité

visuelle est intacte. Les muscles du menton paraissent indemnes. De même la

langue, le pharynx, le voile du palais, le larynx sont normaux anatomiquement

et physiologiquement.

En somme, faciès myopathique très accusé de face et surtout de profil, à l'état

de repos et à l'état d'expression. En outre, le crâne est proportionnellement

plus développé que la face. La région occipitale présente l'aplatissement décrit

chez les myopathiques par MM. P. Marie et Onanoff.

Cou. Les deux sterno-mastoïdiens sont très atrophiées et dans les positions

latérales de la tête se dessinent peine. Les omo-hyoïdiens semblent respectés,

de même que les muscles de la région postérieure. Tous les mouvements s'exé-

cutent ; le malade résiste bien à la flexion passive de la tête et mal à son ex-

tension. ,

MEMHHES supérieurs. La morphologie des épaules est anormale. Les del-

toïdes ont gardé leur relief et le-droit parait pseudo-hypertrophié. Pareillement

le sus et sous-épineux ont un aspect à peu près normal. Les trapèzes ont dis-

paru Les omoplates n'ont aucune fixité; elles flottent en tous sens. Leurs bords

spinaux sont détachés en ailes et distants de la crête épineuse des vertèbres de

11 centimètres à droite, de 8 à gauche. Les omoplates sont élevées en masse et

viennent surplomber les clavicules, si le malade essaie de lever les bras. Leur

face postérieure regarde en dehors ; leur angle supéro-externe est abaissé et

porté en avant et en dehors ; les angles supéro-interne et inférieur sont égale-

ment' surélevés.

Les clavicules, très saillantes, sont dirigées horizontalement de dehors en

dedans.

Les bras sont très grêles ; il semble que les muscles ont à peu près disparu.

Quanl aux avant-bras, ils forment un contraste avec les bras il canse de leur

volume et de leur forme relativement normaux. L'atrophie porte surtout sur le

long supinateur et les radiaux. Les mains ne semblent pas intéressées.

Les réflexes olécrâniens sout absents.

174 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

peine convexes. L'abdomen est proéminent; sa paroi amincie fait supposer une

atrophie notable de ses muscles.

Vu de dos, le malade présente une déformation excessive : omoplates sur-

élevées et écartées en ailes, absence de scoliose, mais lordose monstrueuse dans

la région dorso-lombaire (PI. XX et XXI).

La masse commune est peu atrophiée. Le diaphragme est intact.

Le bassin est fléchi sur les cuisses et ne peut être redressé.

Membres inférieurs. Les fessiers sont atrophies et l'anus apparaît béant

dans un sillon interfessier très élargi.

Les cuisses sont très amaigries. Les jambes et les pieds semblent respectés.

UN CAS DE MYOPATHIE PRIMITIVE PROGRESSIVE 175

A la face l'excitabilité électrique est aussi notablement diminuée dans

l'orbiculaire des paupières, dans l'orbiculaire des lèvres, et dans la por-

tion de l'élévateur commun qui élève la lèvre supérieure ; dans les au-

tres muscles il n'y a pas d'altérations manifestes de la contractilité

électrique.

I. - Membres supérieurs. Ceinture scapulaire. Tronc

1. Courants faradiques.

(Exploration faite avec le petit appareil il chariot de Tripier ; courant induc-

teur de deux éléments Leclanché; bobine induite à gros fil ; intermittences fré-

quentes. Méthode polaire; électrode sternale 8 X 11 : électrode différente,

grosse olive 3 cm. X 2 cm. S).

Les muscles de la ceinture scapulaire sont pour la plupart très atrophiés ;

l'atrophie.est en particulier très marquée pour le trapèze et le grand dentelé.

Aussi les omoplates sont-elles fortement détachées du tronc, même au repos,

les avant-bras reposant sur les cuisses, pendant que le malade est assis ; dans

ces conditions l'angle inférieur et le bord spinal du scapulum font une forte

saillie en arrière, l'angle supérieur et interne est remoulé et fait saillie dans le

triangle sus-claviculaire, tandis que le moignon de l'épaule est abaissé et porté

en avant ; le bord spinal est fortement oblique d'avant en arrière et de haut en

bas, et très faiblement de dehors en dedans, de sorte que le parallélisme avec

la crête épineuse subsiste mais ne se fait plus suivant la direction verticale; la

base de l'épine de l'omoplate, fortement remontée, se trouve au niveau de l'a-

pophyse épineuse de la 11'0 vertèbre dorsale, dont elle est éloignée latéralement

de 7 à 8 cm. : les angles inférieurs de l'omoplate sont éloignés de la crête épi-

neuse de 6 il 7 cm.

Lorsque le malade cherche à élever les bras, ce qu'il ne peut guère faire que

latéralement, sans atteindre l'horizontale, car les bras ne s'écartent guère du

tronc au delà d'un angle de 4S., les déformations précédentes s'exagèrent beau-

coup : l'angle interne du scapulum soulevé par la portion élévatrice du trapèze

et surtout par l'angulaire de l'omoplate, se porte fortement en haut et en avant

et dépasse de 3 à 4 cm. par en haut le niveau de l'apophyse épineuse de la

7° vertèbre cervicale, il se trouve presque sur une même ligne transversale

que l'angle du maxillaire inférieur, qui de son côté s'en trouve rapproché par

le renversement de la tête en arrière ; l'angle inférieur du scapulum est consi-

dérablement élevé en même temps qu'il subit un fort mouvement de bascule

qui le rejette en arrière, il se trouve ainsi au niveau de l'apophyse épineuse de'

la 20 vertèbre dorsale, dont il est distant latéralement de 4 à 5 cm. tandis qu'il

est détaché de la paroi thoracique dans le sens antéro-postérieur par une dis-

tance de 7 à 8 cm. ; de cette façon le bord spinal, très obliquement dirigé d'a-

vant en arrière, de dehors en dedans et un peu de haut en bas, se trouve si-

tué dans un plan presque horizontal.

176 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Trapèze : très atrophié dans ses trois parties, mais la portion adductrice l'est

plus que la portion élévatrice et celle-ci plus que la portion claviculaire.

Dans la portion claviculaire les premières contractions n'apparaissent qu'avec

un écartement des bobines de 65mm, bien plus tard que pour un muscle nor-

mal ; en même temps des contractions se montrent dans l'angulaire de l'omo-

plate produisant le déplacement du scapulum ; dans ce dernier muscle d'ail-

leurs les contractions apparaissent déjà il 75mm (à cet écartement des bobines

il se produit déjà aussi des C. dans le deltoïde par excitation des nerfs du pexus

brachial).

Dans la partie élévatrice de faibles C., soulevant seulement les faisceaux mus-

culaires, apparaissent à 30mm à droite, et produisent à 0 un léger déplacement

du scapulum ; à gauche, bien que l'atrophie paraisse presque aussi prononcée,

la contractilité faradique est un peu meilleure, les C. minima apparaissent à

40mm, elles sont plus fortes qu'a droite, à 30mm, et le déplacement du scapu-

lum est assez accusé à 0.

Dans la portion adductrice des C. apparaissent à 30mm à gauche, mais elles

sont insuffisantes même il 0 pour produire l'adduction du scapulum ; adroite

les C. sont encore plus faibles qu'a gauche et les C. minima n'apparaissent

guère qu'à 0.

Les muscles des gouttières vertébrales, sous-jacels, long dorsal, etc., sont

plus excitables et leurs contractions se produisent déjà à 55 ou 60mm.

Les muscles sacro-lombaires présentent aussi des C. nettement accusées il

1 ? pour côté gauche et à 401nra pour le côté droit.

Rhomboïde notablement atrophié ; il gauche les C. apparaissent à ! >·0 ? ; il

droite seulement à 30mm.

(Malgré l'atrophie des adducteurs du scapulum le rapprochement des épaules

cn arrière est possible, et se fait encore assez bien avec élévation simultanée

du scapulum par le rhomboïde et le trapèze moyen ; en bas l'adduction se fait

suffisamment bien pour que les bords spinaux soient en même temps parallèles

à la colonne vertébrale, les angles inférieurs restant toutefois fortement déta-

chés du tronc).

Angulaire DE l'omoplate : C. m. il 75nim.

STERNO-CL'IDO-3[ASTOIDIEN très notablement atrophié, surtout dans son fais-

ceau claviculaire ; contractilité faradique très diminuée; C. m. à G0'nm ; C. en-

core très faibles à 50mm (pendant l'excitation du sterno-mastoïdien des C. assez

fortes apparaissent déjà dans le peaucier du cou il 60'nm).

Sus-rINEUx : ne parait pas notablement atrophié ; à gauche, C. minima il

65mm ; C. avec déplacement il 55 ? ; il droite, C. minima il 55, C. avec dépla-

cement à 50.

Sous-épineux : n'est pas sensiblement atrophié; C. m. à 65, C. avec déplace-

ment à 60"'m, à peu près de même des deux côtés.

Grand rond : ne semble pas atrophié notablement, C. m. il 65; C. avec dé-

placement à 55.

Grand pectoral : très notablement atrophié : C. m. à 40 ? ; C. encore faible

à 30"n" des deux côtés.

UN CAS DE MYOPATHIE PRIMITIVE PROGRESSIVE E 177

DELTOIDE : relativement peu atrophié il droite, un peu plus a gauche, conserve

cependant un volume assez considérable qui contraste avec l'atrophie énorme

des muscles du bras.

Portion antérieure : à droite, n'est que peu atrophié, et l'atrophie est appré-

ciable surtout dans sa partie supérieure : C. ni. il 80mm, il 70mm C. assez bon-

nes, il 65, C. bonnes ; - gauche, l'atrophie est plus marquée et porte surtout

aussi sur la partie supérieure : C. m. a 70n ? à 60 C. assez bonnes.

Portion moyenne : à droite, n'est guère atrophiée, si ce n'est un peu dans sa

partie supérieure, C. m. à 70 ? il GO C. assez bonnes; a gauche, un peu

plus atrophiée, dans sa partie supérieure surtout, C. m. à 6ai ? : C. assez bon-

nes il Õ51llI11.

Portion postérieure : il droi'te, n'est guère atrophiée : C. m. à 70; C. assez

bonnes Ù 60; - il gauche, sensiblement atrophiée dans sa partie supérieure :

C. m. il 0 : il 55 C. assez bonnes.

Biceps : considérablement atrophié des deux côtés ; cependant la contractilité

faradique bien que très diminuée est encore très appréciable; à 60111111 C. m. :

à 50 C. encore très faibles, mais nettes.

ConAco brachial : comme le précédent.

Brachial antérieur : très atrophié des 2 côtés ; à 50mI" C. extrêmement fai-

bles.

Triceps, longue portion : très atrophiée : il 65 ? C. m. ; à 50 ? C. encore fai-

bles, mais nettes.

Portion moyenne : très atrophiée : il 50 C. m. : il 40mm C. encore très faibles.

Portion inférieure : comme la portion précédente ; cependant C. un peu plus

fortes.

Les muscles des avant-bras conservent pour la plupart un volume d'apparence

normale contrastant avec la maigreur extrême de ceux des bras. Toutefois le

long supinateur et les radiaux sont notablement atrophiés, un peu plus à droite

qu'a gauche. Néanmoins le long supinateur peut suppléer au biceps et au bra-

chial antérieur pour produire la flexion de l'avant-bras sur les bras, mais ne

peut opposer dans ce mouvement qu'une résistance très minime.

Long supinateur, radiaux : les C. minima n'apparaissent guère que vers

50mol11 : à 30mm les C. provoquées sont encore très faibles et ne produisent pas

de déplacement des leviers qu'ils doivent mouvoir, ce déplacement est entravé

parles C. des muscles antérieurs de l'avant-bras, qui apparaissent déjà à 70miu

l'excitation portant sur les muscles postérieurs.

Extenseur commun : malgré le volume bien conservé en apparence de ce

muscle, sa contractilité volontaire est notablement affaiblie; la main peut être

portée dans la prolongation de l'axe de l'avant-bras mais elle ne peut être éten-

due davantage; de plus la résistance qui peut être opposée à la flexion passive

du poignet et des doigts est très faible.

Les C. faradiques minima apparaissent vers 55 ou 60 ? ; les C. restent très

faibles à 40 et à 30mm le déplacement des doigts est peu apparent et se trouve

entravé par les C. simultanées provoquées dans les fléchisseurs.

vu 12

178 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Cubital postérieur : il peu près comme le précédent; apparition des C. mini-

ma it 65.

Long abducteur, long et COURT extenseur DU pouce. EXTENSEUR DU PETIT doigt :

contractilité meilleure que dans les muscles précédents, C. m. apparaissent

vers 70mm ; à 60mm déplacement déjà bien accusé.

Extenseur DE l'index : Dans ce muscle au contraire la contractilité est faible,

il se comporte à peu près comme l'extenseur commun. c

Les fléchisseurs diffèrent notablement des extenseurs et se comportent sen-

siblement comme des muscles normaux au point de vue de la contractilité

volontaire et de la'contractilité faradique :

Palmaires. Fléchisseur superficiel : C. m. à 75 ; à 70 et à 65, C. avec dé-

placement bien accusé.

Fléchisseur profond. Cubital antérieur : C. m. vers 70 ; C. avec déplace-

ment à 55 ;

Rond pronateur : C. m. vers 65 léger déplacement à 60m' ;

Aux mains les muscles conservent aussi un développement normal.

COURT abducteur, opposant, court fléchisseur du pouce : C. m. vers 55 ;

C. avec déplacement à 50mm.

Adducteur du pouce. Adducteur du PETIT DOIGT : C. m. à 60 ; déplacement il 55.

1er 2e, 3°, 4e Interosseux dorsaux : idem.

Nerf médian (au coudé) : à 80mm C. seulement dans les muscles du thénar ;

à 75 C. apparaissent aussi dans les autres muscles ; à 70 C. avec déplacement

assez accentué pour tous les muscles.

(au poignet) : à 70 C. m. ; à 65 C. avec déplacement.

NERF cubital (au coude) : C. m. il 80 ; déplacement bien accentué à 70.

- (au poignet) : à 65, C. m. ; il 55 C. avec déplacement bien accusé.

NERF radial : à 60 C. m. mais très faibles, apparentes surtout dans le cubital

postérieur ; à 50 C. plus accentuées mais faibles encore, masquées par la pro-

pagation de l'excitation aux fléchisseurs (seulement soulèvement des tendons de

l'extenseur commun et des extenseurs propres) ; il 40 C. encore faibles.

2. Courants galvaniques.

(Méthode polaire : électrode sternale, 8 cm. X Il ; électrode différente, grosse

olive 3 cm. X cm. 5).

Trapèze (partie moyenne) : 10 m. A. NFC"' ; 12 m. A. NFC">PFC'" ; 15 m.

A. NFC'>PFC" (1).

Grand pectoral : 10 ni. A. NFC'>PFC ?

DELTOIDE, partie antérieure : à 2 1/2 m. A. NFC", C. faible mais nette ; pas

de C. à PF. ; 6 m. A. NFC>PFC ?

Partie moyenne 5 m. A. NFC>PFC ?

(1) La lettre C suivie d'un accent indique que les contractions sont faibles ; elles sont

d'autant plus faibles que la lettre est accompagnée de plus d'accents (ainsi C"' indique

des C. très faibles) ; la lettre C seule indique des C de moyenne étendue ; et la lettre

une ou plusieurs fois répétée des contractions fortes et d'autant plus fortes que la lettre

est plus de fois répétée.

UN CAS DE MYOPATHIE PRIMITIVE PROGRESSIVE 179

Partie postérieure : 4 m. A. NFC' seule ; 6 m. A. NFCC>PFC".

Biceps : 3 m. A. NFC"' seule; 4 m. A. id. ; 6 m. A. NFC'>P1"C ?

Triceps, longue portion : 5 m. A. NFC' seule.

Portion moyenne : 5 m. A. NFC'" ; 7 ni. A. NFC'>PFC ?

Long supinateur : 4 m. A. 1re NFC'" ; m. A. NFC">P1"C'" ; 7 1/2 NFC'

>PFC'.

Radiaux : idem.

Extenseur commun : 3 m. A. NFC"' seule ; 4 m. A. NFC">PFC" ; 6 m. A.

NFC'>PFC'.

Cubital postérieur : comme le précédent. t.

Palmaires : 2 m. A. NFC" seule : 3 m. A. NFC'>PFC"; 5 m. A. NFCC

>PFC.

Fléchisseur superficiel 2 m. A. NFC"' seule ; 2 1/2 m. A. NFC'>PFC" ;

4 1/2 m. A. NFC>PFC.

Thénar (opposant du pouce) : 2 m. A. NFC" seule; 2 1/2 m. A. NFC'>PFC".

IlYlIOT11r,NAII (adducteur du petit doigt) : 2 1/2 m. A. NFC ? seule; 3 m. A.

NFC'>PFC'.

le'' Interosseux dorsal : 3 1/2 m. A. 1FC'>PFC"' : 5 1/2 m. A. NFC>PFC'.

Nerf médian (au coude) : 2 m. A. NFC" seule ; 3 m. A. NFC'>PFC' : 4 1/2

m. A. NFCC>PFC'POC'.

Nerf cubital (au coude) : 2 m. A. NFC" ; 3 m. A. NFC'>PFC" ; 5 NFCC

>PFC'>POC.

II. Membres inférieurs.

1. Courants faradiques.

Les résultats rapportés ci-dessous sont ceux fournis par le côté gauche; les

réactions du côté droit sont sensiblement semblables.

Grand fessier : un peu atrophié : des C. apparaissent nettement avec un

écartement des bobines de 45""= ; avec un écartement de 30mm les C. sont un

peu plus étendues ; elles sont plus étendues encore à 0 bien que restant nota-

blement plus faibles l'état normal.

Moyen fessier : assez fortement atrophié ; C. minima apparaissent vers 20mm ;

il 0 C. encore très faibles.

Les muscles de la cuisse sont notablement amaigris ; les extenseurs conser-

vent cependant une force assez considérable, ils produisent avec une énergie

assez grande l'extension de la jambe sur la cuisse et s'opposent encore assez

bien à sa flexion passive ; les fléchisseurs sont au contraire bien plus affaiblis

et n'opposent qu'une résistance minime il l'extension passive de la jambe.

Vaste interne : notablement atrophié ; à 15mlll C. minima ; à 31)mm C. encore

faibles ; il 30 ? C. assez bonnes, mais relativement plus faibles qu'il l'état

normal. '

Droit antérieur : C. minima il 40mm; à 30111111 C. encore faibles.

Vaste externe : C. minima à 48 ? ; à 35mm C. assez bonnes.

Tenseur DU fascia Latta : C. minima à 50mm ;

180 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Couturier : Ce muscle est un des mieux conservés aux membres inférieurs ;

il se tend fortement pendant les contractions volontaires, et il se contracte éga-

lement bien sous l'excitation électrique; C. miuima entre 65 et 70mm ; Ù 60mm

C. déjà fortes.

Grand adducteur : C. m. à lion-. Pectine et moyen adducteur : C. m. à 45 ?

Muscles internes : droit interne, demi-membraneux et demi-tendineux. Biceps

fémoral : C. m. il 30 ? ; à 20 ? C. encore très faibles ; il 0 C. encore faibles.

Les muscles de la jambe, les muscles antëro-externes comme les muscles

postérieurs, ne paraissent pas atrophiés ; leur force reste encore très bonne ;

la flexion dorsale du pied et l'extension des orteils se fait bien et la résistance

opposée dans cette position par le malade est encore considérable, bien qu'un

peu plus faible peut-être qu'a l'état normal ; l'extension du pied sur la jambe

est également forte et dans cette position la résistance semble à peu près nor-

male.

Jambier antérieur : C. m. à 55 ? ; Jumeau externe : C. m. à 55 ? ;

Extenseur commun : C. m. il 50 ? ; , Jumeau interne : C. m. à 60 ? ; ,

Long péronier : C. m. à q,5mm ; Soléaire : C. m. à 55 ;

Court péronier : C. m. il ! J;5 ? ; Flécii. commun : Mi ;

TVTENS. du gros orteil : C.in.à45'"m; Fléchisseur propre du gros orteil :

Pédieux : C. m. a 4.0 ? ! 15 ;

Nerf péronier : C. m. à 63 ? : à 60 ? C. déjà assez fortes.

2. Courants galvaniques.

(Méthode polaire : électrode sternale 8x11; électrode différente : grosse

olive, 3 cm.X2 cm. 5).

Grand fessier : il 10 m. A. NFC" seule; à 15 m. A. NFC'>PFC".

Moyen fessier : à 12 m. A. pas de C. appréciables ; à 15 m. A. NFC">PFC ?

Vaste interne : il 6 m. A. 1 NFC"' il 10 m. A. NFC' encore faible; à

11 1/2 m. A. 1 ? PFC"' ; il 15 m. A. NFC>PFC'.

Vaste externe : 6 m. A. 1"C NFC"' ; 7 m. A. NFC"; 11 m. A. NFC'>PFC ?

(1° PFC).

Droit antérieur : 5 m. A. NFC"' seule : à 10 m. A. ire PFC et NFCCI'FC ?

Couturier : 4 1/2,m. A. NFC" seule ; 6 m. A. NFC>PFC" ;

Tenseur du fascia lata : 10 m. A. NFC" seule ; 15 m. A. NFC'>PFC ?

Grand adducteur 8 m. A. NFC'PFC ?

Jambier antérieur : 6 m. A. 1re NFC ; 8 m. A. 1re PFC ; 8 m. A : NFCC>

PFC".

Extenseur commun : 4 1/2 m. A. 1 NFC ; 7 m. A. NFCC>PFC".

Long péronier : 4 m. A. NFC' seule ; 6 m. A. NFC>PFC' (1'° PFC).

Court péronier : 6 m. A. NFC>PFC'.

Extenseur propre du gros orteil : 5 m. A. 1 ? NFC ; G m. A. NFC'>PFC".

Pédieux : 4 m. A. NFC" seule ; G m. A. NFC'l'JC".

Jumeau externe : 3 1/2 m. A. lrc NFC" ; 5 m. A. NFCI'FC' (1« PFC).

Jumeau interne : 3 m. A. Ire NFC' ; 4 m. A. NFCC>PFC".

UN CAS DE MYOPATHIE PRIMITIVE PROGRESSIVE E 181

Fléchisseur commun : 6 1/2 m. A. NFC'>PFC".

Nerf péronier : 1 1/4 m. A. 1re NFC"; 3 m. A. NFCC seule; 4 m. A.

NFCC>PFC" = POC" ; 7 m. A. NFT>PFCe = POC.

III. Face.

1. Courants faradiques.

(Exploration faite avec le grand chariot de Tripier ; bobine induite à gros fil ;

intermittences peu fréquentes, 2 à 3 par seconde ; courant inducteur de 3 grands

éléments Leclanché.

Méthode polaire : électrode sternale 8 X 11 ; électrode différente, petite olive,

18 ? X 12mm). Les résultats obtenus sont il peu près identiquement sem-

blables il droite et à gauche).

Carré du menton ; M. de la houppe du menton ; Triangulaire des lèvres :

C. minima à 90w ?

Orbiculaire des lèvres : Contractilité un peu diminuée; C. minima il 85.

Élévateur commun : Contractilité un peu diminuée surtout dans la partie qui

s'insère il la lèvre supérieure : C. minima apparaissent à 85mm dans la portion

du muscle qui élève l'aile du nez, et il 80mm seulement dans la portion qui élève

la lèvre supérieure.

Dilatateur des narines : C. m. à 100 ;

Transverse du nez : 90 ; Buccinateur : 95 ; Grand et petit zygomatiques : 90 ;

Orbiculaire de paupières : Contractilité un peu diminuée, surtout dans la par-

tie qui occupe la paupière supérieure; C. minima apparaissent entre 80 et 85 ?

Frontal : 95 ; Sourcilier : 92 ; Pyramidal : 90 ;

Masséler : 100.

Nerf facial (tronc dans l'oreille externe) : C. m. entre 75 et 80 : les C. de

l'orbiculaire des lèvres et de l'orbiculaire des paupières sont plus faibles que

celles des autres muscles.

Rameau frontal : C. m. à 100 : Rameau orbiculaire : C. m. il 85 ;

Rameaux moyens : de 90 il 85 C. dans les ni. du nez, les zygomatiques, et

l'élévateur de, la lèvre supérieure ; de 80 il 85 C. dans l'orbiculaire des lèvres ;

Branche inférieure : C. m. il 95. .

2. - Courants galvaniques.

(Méthode polaire : mêmes électrodes que pour les courants faradiques).

Carré du menton : VIn éléments, 2,5 m. A. 110 NFC"' ; X, 3,5 m. A, NFC'

Orbiculaire des lèvres : X, 3,5 m. A. pas de C : XH, 5 m. A. NFC'>PFC ?

Elévateur commun de l'aile du 11t ? et de la lèvre supérieure : VIII, 2 m. A.

NFC' dans la partie qui élève l'aile du nez ; X. 3,5 m. A. NFC;>PFC'" ; à NF,

élévation bien accusée de l'aile du nez, élévation faible de la lèvre supérieure :

il PF élévation seulement de l'aile du nez ; XII, 4,5 m. A. NFC>PFC" : il PF

élévation de l'aile du nez et aussi, mais plus faible de la lèvre supérieure.

Zygomatiques : VIII, 2 m. A. NFC' seule; X, 3 m. A. NFC>PFC'.

182 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Frontal : VIII, 1 m. A. NFC ; X, 2, 5 m. A. NFC>PFC'.

Masséter : VIII, 2,5 m. A. NFC"' ; X, 3,2 m. A. NFC seule ; XII, 4,5 m. A.

NFC>PFC'.

Nerf facial : Rameau frontal : VIII, 1 m. A. NFC' ; X, 2 m. A. NFC ; XII,

3 m. A. NFCC>PFC'.

Rameaux moyens : VIII, 1,5 m. A. NFC' seule; X, 2,5 m. A. NFC>PFC'

(C. plus faibles dans l'orbiculaire des lèvres que dans les autres muscles).

Branche inférieure : VI, 1,5 m. A, ire NFC' ; VIII, 2,5 m. A. NFC>PFC' ;

X, 3,5 m. A. NFCC>PFC.

En somme, cette observation, intéressante par ce fait qu'on voit réunis

chez un même sujet les trois principaux types de la myopathie primitive,

constitue surtout une curiosité par le degré excessif des déformations. On

retrouve la même variété, beaucoup moins accusée cependant, dans un cas

de MM. Landouzy et Déjerine (1), et dans l'observation de M. Savill.

Dans notre cas, les attitudes vicieuses sont tellement extravagantes qu'elles

constituent, pour ainsi dire, la caricature des déformations qu'on ren-

contre communément dans la myopathie.

A cet égard, elles méritent d'être soulignées. Dans la station assise et

vu de profil, le malade présente une ensellure dorso-lombaire qui rap-

pelle la morphologie des femmes boschimanes. PI. XX.

Pour passer la station debout, il commence par prendre appui sur ses

genoux avec les mains, puis il incline le tronc en avant en se soulevant

légèrement (Fig. 51). Dans un second temps, il descend sa main gauche

au-dessous du genou correspondant, étend le membre supérieur droit,

grimpe avec la main gauche le long de la cuisse pour placer son poing sur

la fesse gauche. Enfin dans un troisième temps, il redresse le tronc et la

tête et vient placer sa main droite sur la fesse du même côté. (Fig, 52) (2).

Placé par terre, clans le décubitus horizontal il parvient seul il se met-

tre debout. Il prend d'abord un appui sur le sol avec ses coudes et réussit

ainsi à fléchir le tronc. Arrivé alors à s'asseoir, il appuie ses mains sur le

parquet, fléchit les memhres inférieurs en arcboutant ses talons et se sou-

lève jusqu'à la stalion accroupie. A partir de ce moment il passe, pour

se mettre debout, par la série d'attitudes que nous avons indiquées ci-

dessus.

Dans la station debout, les jambes sont écartées, les deux pieds repo-

sant sur le sol tantôt par toute la plante, tantôt par la pointe de l'un ou de

l'autre. Le bassin fléchi sur les cuisses, l'abdomen très proéminent, la

(1) Revue de médecine, 1885, p. 259 et 269.

(2) Les Fig. 51 et 52 qui reproduisent des dessins du malade faits par M. Henry Meige

représentent les deux stations intermédiaires pour passer de la station assise à la sta-

tion debout, figurées Pl. XX.

UN CAS DE MYOPATHIE PRIMITIVE PROGRESSIVE 183

tête et le thorax en extension exagérée, joints à l'attitude des membres

supérieurs, donnent il l'habitus général de ce malade une allure de défi

invraisemblable. Pl. XX el XXI.

Il est juste de faire remarquer que ces diverses attitudes sont difficiles à

prendre el pénibles à garder quelques minutes. Néanmoins le malade peut

marcher, monter et descendre des escaliers sans trop de difficulté. Il

marche « en canard » en se balançant il l'excès. Cette intégrité, très rela-

tive il esterai, des fonctions de relation, contraste étrangement avec le

degré de l'amyotrophie et des déformations.. 1

A. Souques,

Chef de la Clinique des maladies du système nerveux.

Fig. 51

Fig. 52.

UN CAS D'AMYOTROPHIE PRIMITIVE.

ACCOMPAGNÉE DE RÉACTIONS ÉLECTRIQUES ANORMALES ET DE ,

. TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ. (I). ' a , ' "

I

Nos connaissances sur les amyotrophies sont loin d'être actuellement

très précises. Elles ne nous permettent pas de faire une classification sa-

tisfaisante des différentes formes de ces maladies. Aussi, chaque observa-

tion clinique nouvelle, quelque modeste qu'elle soit, peut avoir son im-

portance. C'est ce qui m'engage à publier pour mémoire le cas suivant

que j'ai observé pendant quatre ans et demie.

Au point de vue clinique, ce cas correspond à la « forme infantile de

paralysie musculaire progressive » décrite par Duchenne de Boulogne (2).

Mais une des particularités les plus intéressantes de celle observation

consiste en l'existence de réactions électriques qui n'ont pas encore été

observées dans ce type d'amyotrophie (3). '

D'accord avec les idées généralement admises à ce sujet je crois pou-

voir donner avant d'exposer le cas en question une classification qui résume

les différents cas d'amyotrophies qu'il m'a été donné d'observer. j

Si l'on définit l'amyotrophie : une atrophie musculaire qu'accompagne

une paralysie proportionnelle, la première division clinique qui se pré-

sente il l'esprit est la suivante : . .

1° Les cas où les muscles présentent des réactions électriques anormales,

ou dans lesquels ils ont seulement perdu d'une façon uniforme leur exci-

tabilité par les courants galvaniques.

II0 Ceux où l'on n'observe aucune altération.

Une telle division, d'après les opinions reçues, correspondrait ;umUomi-

quement à la suivante :

(1) .Mémoire inédit traduit de l'Anglais par 11. le Dr Henry Meige.

(2) Ilocuewr. nr ]JOll.Oûl''¡ : . De l'élecl1'isalion localisée, 1853, 1861 et 1872.

(3) Il convient de rappeler cependant que M. Brissaud a déjà signalé le premier en

1890 la présence de la réaction de dégénérescence chez un myopalbiquc du type facio-

scapulo-huméral. (Obs. rapportée par M. G. Guinon. Iconogr. de la Salpêtrière, 1893.,

1\'01). (lUI). y

1 , 1 . >

· NOU ? IGON04R L6 LA SALPLIRILR4 7· 'II, Pp II 11

' \

MYOPATHIE PRIMITIVE

(Cas de Savill.)

L. BATTAILLE ET C"

Éditeurs

NOUV. ICONOCR. DL LA SALPL.T(tILRL T. VII, PL. XXIII

MYOPATHIE PRIMITIVE

(Cas de Savill.)

L. BATTAILLE ET C"

Éditeurs

UN CAS D'AMYOTROPHIE PRIMITIVE 185

A. Les amyotrophies de cause spinale ou par lésion des nerfs périphé-

riques.

B. Les myopathies primitives, où la lésion porte uniquement sur la libre

musculaire, tantôt diminuée, tantôt accrue dans son volume.

A. Dans le premier groupe rentrent différentes maladies décrites sous

les noms suivants :

1° Paralysie spinale infantile,

Poliomyélite antérieure aiguë (Kussmaul),

Myélite aiguë des contes antérieures,

Paralysie spinale atrophique aiguë,

Paralysie essentielle des enfants,

Ces cas s'observent chez les enfants, leur début est brusque. Plusieurs

muscles des membres sont atteints à la fois; tous ces muscles ou quelques-

uns d'entre eux seulement recouvrent dans la suite leurs propriétés.

2° Atrophie musculaire progressive (type Ductienne-Aran).

Paralysie essentielle des adultes.

Atrophie musculaire spinale chronique.

Po/<o)Mye7/<e antérieure subaiguë.

Paralysie spinale atrophique subaiguë ou chronique.

Ici, le début est lent, progressif. La maladie s'observe chez les adultes,

sa marche est chronique; l'éminence thénar est la localisation favorite de

l'atrophie qui envahit progressivement les autres muscles.

3° Névrites périphériques multiples ou localisées. La paralysie l'emporte

ici souvent sur l'atrophie.

4" Atrophies musculaires liées à des poliomyélites antérieures secondai-

res a d'autres lésions spinales. Le type de ce groupe est la sclérose laté-

mie rt1nyotrophiljue ou maladie de Charcot (1).

On rencontre d'ailleurs incidemment des lésions du même genre dans

la myélite transverse et la syringomyélie.

5° Atrophies musculaires d'origine articulaire décrites par Charcot, (2).

On y observe le plus souvent une diminution de la contractilité muscu-

laire aux deux courants, et quelquefois d'autres modifications.

B. Dans le second groupe rentrent les différentes espèces d'amyolro-

phies que n'accompagnent aucunes réactions électriques anormales, ou

seulement celles qui sont en relation avec le degré de l'atrophie, affections

probablement indépendantes de toute lésion de la moelle ou des troncs

nerveux.

1° Paralysie pseudo-hypertrophique, de Duchenne (3).

(1) CuAncor. Leçons sur les Mal. du Syst. Nerv., T. II, ISS5, p. 234.

(2) Ibid., T. III, ]SS-7, p. 23.

(3) Ducuravr, loc. cil.

186 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

2° Différentes variétés d'amyotrophies qui se distinguent entre elles par

la répartition de l'atrophie au début dans certains groupes musculaires;

mais qui tendent avec le temps à se généraliser. Elles apparaissent dans

l'enfance ou l'adolescence, et sont en général héréditaires :

Atrophie musculaire infantile progressive de Duchenne (1) qui débute

par la face.

Atrophie musculaire progressive d'Erb (2) commençant par la ceinture

scapulaire.

Atrophie musculaire progressive de Leyrlen (3) débutant par les jambes.

Type frrcio-scapulo-h2lzzérrrl de Landouzy-Déjerine (4).

Il est très vraisemblable, comme Charcot l'a fait observer, que toutes

ces formes, y compris la paralysie pseudo-hypertrophique de Duchenne,

ne sont que des modalités diverses d'une seule et même maladie (5).

Dans ces différentes variétés on n'a pas noté de changements caractéris-

tiques des réactions électriques. On prétend môme que la réaction de dé-

générescence ne s'y observe jamais.

C'est dans ce groupe qu'on peut à divers titres faire rentrer le cas sui-

vant, bien qu'à ma connaissance il soit le seul de son espèce publié jus-

qu'à ce jour et qu'il ne réponde pas exactement aux types décrits dans la

classification précédente.

Il

. i

Il s'agit d'une jeune lille, nommée Susan S. admiseür l'âge de 18 ans,

le G novembre 1889 à « Paddington Infirmary » où elle est restée en trai-

tement jusqu'à ce jour (février 1894).

Cette jeune fille n'a jamais pu exercer aucun métier.

Elle a séjourné toute sa vie dans différents quartiers de Londres.

A ntécédezts héréditaires.

Le père, qui vit encore, est, au dire de sa femme un homme aimant la

bonne chère, mais non un ivrogne. Sa mère avait une mâchoire ( ? ) proé-

minente, et bavait d'ordinaire en mangeant. Un de ses cousins a eu des

accès d'épilepsie et une tante s'est suicidée. Il y aurait eu aussi des scro- \

fuleux dans sa famille. '

La mère esl bien portante. Elle a perdu son père à Page de 80 ans. On

ne retrouve dans sa famille aucune maladie ayant produit des impotences

(1) Ibid. l. c.

(2) Erss. Deutsche. Archiv. sur Klin. Méd., 1884, '

(3) LEYDEN. Klin. der Ruckenmarks-Ifranklaeilen. Bd. II, 1875.

(4) LANUOUZY et Déjerine. Rev. de médecine, 1886.

(5) CHARCOT. Leç. sur les Mal. du syst. nerv. T. III, 1881, p. 190.

NU : 1 ? ICONOGR. DE LA SALPLTRILRE T. VII, PL. XVIII

MYOPATHIE PRIMITIVE GÉNÉRALISÉE

Les formes extérieures sont relativement bien conservées, tandis que l'impotence fonctionnelle

est très grande pour tous les muscles.

L. HATTA1LLE ET c11 ? w ?

UN CAS D'AMYOTROPHIE PRIMITIVE 187

musculaires ou des difformités. Pas d'attaques, pas de paralysies tardives,

pas de troubles mentaux.

Elle a eu 8 grossesses :

1° Une fille morte à 20 ans de « bronchite » ; elle était née sourde et

muette, le palais divisé, et « le cerveau pas très solide ». La mère affirme

qu'elle était déformée comme notre malade, et que cette difformité avait

commencé s'accuser à peu près au même âge.

2° Un garçon âgé de 29 ans, « maigre, mais bien portant ».

3° Un garçon mort de « fièvre rhumatismale et de maladie de coeur » à

l'âge de 23 ans. Il n'était déformé d'aucune manière. ,

4° Un enfant mort-né après un intervalle de 10 années sans grosses-

ses.

5° Notre malade.

60 Une fausse couche au deuxième mois.

7° Un garçon de 16 ans; de 4 à 10 ans il était sujet à des attaques d'é-

pilepsie « causées par une peur ». Pas d'atrophie musculaire, ni de dif-

formités.

8° Une fille de 11 ans qui a une « maladie de coeur et la danse de

St-Guy ». D'après la mère, elle a eu une « fièvre rhumatismale » et « elle

ne pleurait pas comme tout le monde ». Mais elle n'est pas comme la ma-

lade, et elle ferme très bien les yeux.

Antécédents personnels.

Notre malade est venue au monde normalement et, toute enfant, elle

était très bien portante, sauf quelques légères convulsions qu'elle a eues à

l'âge de 3 jours. La mère affirme qu'elle n'a jamais pu fermer les yeux

convenablement.

A un an, elle fil une chute dans un escalier, mais elle ne fut pas blessée

grièvement.

Dans son enfance, elle était vive, alerte; à 15 mois, elle pouvait mar-

cher et se lever très aisément.

A l'âge de 7 ans ; on a remarqué qu' « un des os du milieu du dos pa-

raissait grossir ». La malade resta étendue sur le dos pendant environ

deux ans, mais d'une façon intermittente. Cependant la déformation du

dos s'accentuait légèrement et progressivement.

Etant enfant, son visage avait bonne apparence; mais dès la huitième

année, la face se modifia ; la mâchoire inférieure devint proéminente et

la parole embarrassée. Environ à la même époque, les pieds commencèrent

à se déformer comme on les voit actuellement. A 10 ans, elle était grande,

mais très maigre, assure la mère. Tous ces symptômes se sont progressive-

ment accentués dans la suite.

Jamais d'attaques, sauf les convulsions à l'âge de 3 jours.

188 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Les règles ont apparu à 11 ans, et se sont continuées depuis régulière-

ment.

La malade était clans l'impossibilité de marcher depuis l'année 1880. En

188, elle attendit à StMary's Hospilal pour que le chirurgien opérât son

pied droit; mais la permission ne lui en fut pas donnée. Depuis, elle est

devenue progressivement de plus en plus maigre et, en même temps, plus

faible. On ne peut incriminer l'alcool ni aucune autre cause clans ses an-

técédents.

7 novembre 1889. "

C'est à cette date que j'ai commencé à observer cette jeune fille, âgée

alors de 18 ans.

Elle était dans l'impossibilité absolue de marcher.

Quand on voulait la mettre dans la station debout, elle se tenait sur les

orteils de son pied droit et cherchait un appni.

La déformation spinale était très apparente. (Voy. PI. XXIII). Il y avait

une faiblesse considérable et une impotence de tous les muscles, plus mar-

quée dans les extenseurs que dans les fléchisseurs.

Voici l'examen détaillé du système nerveux fait à cette époque :

Elat mental : Intelligence saine. Caractère doux et simple, mémoire

bonne, opérations mentales lentes. Elle peut écrire son nom et copier

quelques mots. Education très précaire. La parole est lente etpeu distincte,

surtout en raison de l'impossibilité d'articuler les labiales.

La voûte palatine est anormalement élevée.

La face est sans expression, car les lèvres ne peuvent plus être rap-

prochées, l'inférieure lloltant comme un voile au vent. Les paupières ne

peuvent pas s'affronter par leurs bords et restent séparées d'un demi pouce.

Un peu d' « exophtalmie » et un léger gonflement du cou dans la région thy-

roïdienne. (Fig. 53).

Les deux mains et les deux pieds sont très congestionnés. Ii, ides.

Squelette et système musculaire.

La principale difformité consiste en une lordose très accentuée. L'angle

formé par les vertèbres lombaires et la région sacrée est presque droit.

Quand la malade est couchée, sur le dos, il y a une distance d'au moins

six pouces entre son épine dorsale et le plan du lit. Quand elle est tenue

debout par un aide, les fesses font une saillie énorme. tell

Cette attitude ainsi que la lordose paraissent dues à la diminution de

volume et à la faiblesse* des' muscles grands (les mus-

cles de l'abdomen, et à l'action non contrebalancée des muscles spinaux

qui semblent avoir conservé un certain volume et toute leur force.

Il existe en outre une légère rotation de la colonne vertébrale qui amène

l'épaule gauche en avant. Gomme conséquence de celle déformation spi-

NUUV. ICONOl. DE LA SALPiTRIfRE T. VII, PL. XIX

PHOTOTYPE NÉ(,Alll A. LONDE. PHQRQCOLL. BFPTHAUD.

MYOPATHIE PRIMITIVE GÉNÉRALISÉE

Inclinaison de la tète et du cou. - Ensellure.

L BATTAILLE ET C"

Éditeurs

UN CAS D ? i)IYOTROP[Ilr PRIMITIVE '[g9

nale, on remarque une protl'Usion des cartilages costaux inférieurs, plus

accentuée à droite.

Bras. Les masses musculaires des deltoïdes semblent totalement

absentes, et les omoplates sont projetées en arrière comme des ailes.

Les muscles des bras et des avant-bras sont notablement affaiblis. (Bras :

6 pouces 1/4. -- Avant-bras : 7 pouces). Des deux côtés, la faiblesse est

plus grande dans les extenseurs; on constate une résistance plus forte

dans l'extension passive que dans la flexion. La main tombe sur l'avant-

bras et s'incline vers le bord cubital. (I'l. XXII). La malade est incapable

d'écarter les hras de son corps, et ne peut que faiblement étendre les

mains. Le long supinateur est atrophié autant que les autres muscles.

Jambes. À gauche, la flexion peut se faire un peu, mais non l'exten-

sion. Les deux pieds sont dans la position dn « talipes equinus », le droit

à un degré très accentué, le gauche un peu moins. On peut ramener le

pied à angle sur la jambe ; mais il revient tout de suite à sa position pri-

mitive. (PI. XXII).

L'atrophie semble un peu moins accusée au bras et à la jambe gauches

que du celé droit ; mais il n'y a pas un muscle du corps qui ne soit Iffli-

bli ni diminué de volume. Nulle part on n'observe d'hyperlrophie.

Enfin, il existé dans les mains et les pieds un mouvement continuel qui

ressemble à de l'athétose. Mais on n'a jamais noté de tremblements fibril-

laires dans les muscles.

Fig. 33.

190 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Sensibilité. Hyperesthésie légère généralisée, également marquée

sur tout le corps.

Réflexes. Tous les réflexes superficiels sont exagérés. Les réflexes

patellaires existent, mais sont diminués des deux côtés,

OEil. Le fond de l'oeil est normal, et les mouvements du globe ocu-

laire se font naturellement.

Sens. Tact et autres sens spéciaux normaux.

CoeMr. Poumons. Organes abdominaux. Normaux. Le foie proémine

considérablement en raison de la déformation vertébrale.

Examen électrique. A cette date (novembre 1889) les réactions élec-

triques étaient sommairement les suivantes :

1° Diminution de la contractilité faradique, sauf dans les fléchisseurs

de l'avant-bras et les jambes au-dessous des genoux où il y avait au con-

traire une exagération.

2° Légère diminution de la contractilité galvanique accompagnée d'un

très léger changement qualitatif en quelques endroits.

22 juin 1890. - Aucun changement appréciable n'est survenu dans

l'état de la malade jusqu'à ce jour.

M. le Dr Kilner, chargé des examens électriques à St-Thomas'Hospital

a examiné les muscles avec grand soin, et m'a remis une note très intéres-

sante à ce sujet.

Il ressort de cet examen que la contractilité faradique est en général

diminuée; mais cependant qu'elle est augmentée d'une façon sensible

dans les fléchisseurs de l'avant-bras et de la jambe.

La contractilité galvanique estaussi en général très diminuée; de plus,

on remarque une modification qualitative en ce sens queK. C. Cet A.C. C

sont plus voisins l'un de l'autre que normalement. La contractilité galva-

nique est accrue dans les fléchisseurs des avant-bras des deux côtés et de

la jambe gauche seulement, et ici K. C.C est presque égal à A. C.C. (1).

Note de M. le D Kilner :

Courants induits. - Tous les muscles réagissent, mais il faut em-

ployer un courant plus fort que chez les individus sains.

Exception faite pour les fléchisseurs de l'avant-bras, où il faut employer

un courant moins fort que dans la normale ; de môme aussi pour les flé-

chisseurs des jambes

On se rend bien compte de ce fait en appliquant sur le deltoïde un cou-

rant qui ne produit aucune contraction dans ce muscle, tandis qu'il pro-

voque facilement la contraction des fléchisseurs.

(1) Dans la notation anglaise A.C.C et K..C.C correspondent à la notation française

P.F.C et N.F.C.

UN CAS D'AMYOTHOPUIE PRIMITIVE 191

Une autre particularité il noter, c'est que si l'on place une des électro-

des auprès de l'angle externe de l'oeil gauche, on remarque une déviation

conjuguée des yeux. Ceci ne s'observe pas de l'autre côté, pas même avec

les courants constants.

Courants constants. Le fait principal consiste en une résistance

d'une faiblesse inusitée, très marquée aux extrémités supérieures, surtout

à gauche. En outre, la contraction musculaire est très faible; mais elle ne

paraît pas retardée.

La force de contraction des fléchisseurs des bras et des jambes, bien

que beaucoup plus grande que celle des autres muscles, est presque sem-

blable. Pour tous les muscles il faut employer un courant beaucoup plus

fort que normalement, mais, bien qu'il y ait une certaine modification

qualitative, elle n'est cependant pas très accusée.

Les changements électriques, de même que l'atrophie sont plus accusés

à gauche qu'à droite, en général.

Les muscles de la face innervés par le nerf facial ne réagissent pas aussi

bien que ceux qu'innerve le nerf maxillaire inférieur.

Dans le tableau I, les réactions normales des différents muscles sont

représentées arbitrairement par 1 pour les courants induits. L'inten-

sité du courant constant qui donne le premier l'apparence d'une légère

contraction, est donnée en milliampères : 1 1/2 représentant la normale

pour le pôle et 3 1/2 pour le pôle positif négatif. (1)

Les photographies reproduites (Pl. XXII et XXIII) ont été faites en juin

1890, et mettent bien en évidence les déformations dont nous avons parlé.

L'atrophie des membres est suffisamment apparente pour qu'il soit inutile

de donner des mensurations.

Pendant quatre ans et demi, j'ai continué il observer la malade, et je,

n'ai constaté que peu de changements dans son état. De temps en temps

elle s'est plaint de douleur dans la région du foie, mais il a été impossi-

ble d'en reconnaître exactement la cause. Le viscère est cependant très

saillant par le fait de la courbure vertébrale, et son examen est très

facile. /

Le 18 mars 1891, j'ai constaté une certaine sensibilité douloureuse dans

(1) L'auteur entend par « réactions normales » celles qui se produisent chez les su-

jets sains avec le courant minimum nécessaire pour produire une contraction muscu-

laire. Quant aux chiffres de 1 1/2 et 3 1/2 milliampères choisis par le Dr Kilner, ils re-

présentent la moyenne des résultats obtenus par lui dans les examens électriques de

sujets normaux. Il est certain qu'ils varient dans une certaine mesure, suivant les per-

sonnes, et suivant les differentes parties du corps. Dans le cas présent, étant donné

que, des deux côtés, presque tous les muscles de la malade sont atteints, on doit consi-

dérer ces chiffres uniquement comme des points de repère.

192 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

. TABLEAU 1

Il .. Réactions électriques de Suzan. S., âgée de 19 a))6'.

.. 22 juin 1890

Examen, du Dr Kilner.

Nouv ICONOGR DL LA S ALPÈTR I Ê-RC

MYOPATHIE PRIMITIVE GENERALISEE

Altitude dans la station assise et dans la station debout (profil).

L. BATTAILLE ET CI.

ÉDITEURS

UN CAS D'AMYOTROPHIE PRIMITIVE 193

ment; aujourd'hui en effet (février 1894) la malade est incapable de se

nourrir toute seule. Les bras et les jambes sont repliés sur eux-mêmes par

les contractures des fléchisseurs.

Au point de vue du traitement, on a employé les courants faradiques

et galvaniques dans la première période de la maladie; et cela pendant un

temps très long, mais sans aucun bénéfice.

On a essayé aussi de différents moyens pour corriger la déformation

vertébrale, mais encore sans succès. Quant au traitement médical, il a été

dirigé surtout dans le but d'améliorer la nutrition générale; mais cette

méthode n'a pas eu plus d'efficacité que les autres. La maladie progresse

en dépit de tout.

2 février 1893. - Le Dr T. E. IIillier, aux soins duquel la malade

est confiée actuellement, m'informe que les douleurs des troncs nerveux

et des muscles ont disparu. La circonférence des membres gauches

(bras, avant-bras, cuisse, jambe) excède celle des membres droits de 1/4

de ponce. Actuellement les membres du côté droit sont plus atrophiés

que ceux du côté gauche.

- III

L'observation précédente nous a conduit à faire les remarques sui-

vantes :

Au point de vue de l'hérédité, la famille paternelle semble présenter

une prédisposition aux affections nerveuses. De plus, une soeur de la ma-

lade, et peut-être deux autres personnes (sa grand'mère et une autre soeur)

paraissent avoir été atteintes de la même maladie.

D'après le récit de la mère, l'affection aurait débuté de très bonne heure

dans les orbiculaires des paupières. A 7 ans, s'est montrée la déforma-

tion vertébrale. L'année suivante, on a remarqué la déformation des pieds,

et bientôt après la face et la parole ont été altérées. A 10 ans, la faiblesse

musculaire générale est assez prononcée pour attirer l'attention de la mère.

Dès sa 15° année, la malade ne pouvait plus marcher.

L'évolution de la maladie peut se résumer ainsi :

Début dans la première enfance par les muscles de la face, faiblesse enva-

hissant lentement et progressivement tous les muscles volontaires du corps.

L'atrophie et l'impotence musculaire prédominaient d'une façon notable «

l'âge de 18 ans dans les extenseurs ; elles se sonl accompagnées de déforma-

tions considérables, et de modifications très nettes des réactions électriques.

A l'âge de 20 uns environ, ont apparu dans les troncs nerveux des dou-

leurs qui on disparu depuis.

Les symptômes relevés pendant les quatre ans et demi que la malade" a

vu 13

191 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

pu être observée par moi méritent aussi quelques remarques. Je signa-

lerai sept points principaux :

1° La non-fermeture des paupières et des lèvres, ainsi que l'exophtal-

mie sont dues à ce fait que tous les muscles de la face sont atrophiés.

2° L'atrophie progressive de tous les muscles volontaires s'est accentuée

peu à peu d'une façon considérable. Elle est néanmoins plus accusée dans

les extenseurs que dans les fléchisseurs des extrémités.

Cette atrophie est si intense que l'on ne peut sentir par la palpation la

moindre masse musculaire dans le triceps crural ni dans le deltoïde.

Nulle part il n'y a eu d'augmentation de volume des muscles.

3° La force musculaire a diminuée peu et peu au 'fur et à mesure que

l'atrophie s'accentuait. Elle a toujours été proportionnelle (autant qu'on a

pu le juger) au volume du muscle conservé. Aussi les fléchisseurs des

extrémités ont-ils toujours été, et^ sont-ils encore aujourd'hui plus forts

et plus gros que les extenseurs.

4° Déformations. En outre de la déformation de la face, il faut noter

celle des mains et des pieds ainsi que l'ensellure dorsale.

La position des mains et des pieds est due à l'action non contrebalancée

des fléchisseurs conservés partiellement. On y observe, quoique peu ac-

cusée, une agitation spasmodique ; cependant aux poignets et aux chevilles

on peut faire exécuter tous les mouvements passifs.

L'ensellure dorsale me paraît due en partie il la faiblesse des muscles

abdominaux qui laissent retomber le thorax en arrière et qui ne compen-

sent plus l'action des spinaux, bien conservés ; en partie aussi à la fai-

blesse des muscles grands fessiers qui laissent le bassin s'incliner en avant

quand la malade est dans la position assise.

5° Je n'ai jamais pu observer le tremblement fibrillaire décrit par Du-

chenne dans quelques cas d'amyotrophies. Mais la malade a toujours eu,

sauf pendant son sommeil des mouvements incessants, difficiles à préci-

ser, lesquels s'augmentaient encore quand on l'examinait ou qu'elle était

émue. Cela ressemble beaucoup plus à des mouvements choréifol'mes qu'à

tout autre espèce de tremblements.

6° Les réactions électriques n'étaient pas comparativement aussi accen-

tuées quand la malade était âgée de 18 ans; mais on notait les réac-

tions de dégénérescence (1). L'examen du Dr Kilner est très important, et on

voit, par ses résultats, d'accord avec les miens, qu'il existait une modifi-

cation quantitative aux courants faradiques et galvaniques, et en outre des

changements qualitatifs anormaux.

(1) A savoir : 1° Diminution de la contractilité faradique. -2° Changement du rapport

entre KCC et ACC. 3o Augmentation de la contractilité galvanique en un ou deux

endroits.

UN CAS D'.1\ITO'l'ROPfllr PRIMITIVE 195

7° L'lryjrere.,l,lrésie de la peau à l'âge de 18 ans au moment de l'entrée à

l'hôpital et les douleurs à la pression sur le trajet des troncs nerveux ob-

servées à 21 ans, sont, à n'en pas douter, des faits d'une importance con-

sidérable. Ils ne sont pas mentionnés par Duchenne dans le tableau clini-

que qu'il a tracé.

Une question se pose maintenant, à savoir si les deux derniers symptô-

mes sont de nature il nous empêcher de classer ce cas dans le groupe des

« amyotrophies infantiles progressives » de Duchenne.

Je ne le crois pas. Car les caractères essentiels se retrouvent ici : l'héré-

dité, l'époque du début delà maladie, sa localisation initiale, son évolu-

tion progressivement envahissante.

Les douleurs nerveuses, et les réactions électriques n'ont été observées

que tardivement ; mais je ne puis pas affirmer positivement que les troncs

nerveux n'étaient pas sensibles au moment de l'entrée de la malade. Les

troubles électriques existaient certainement à celle époque.

Les douleurs nerveuses ont disparu maintenant et, pensant que la mo-

dification des réactions électriques avait pu être transitoire et accidentelle,

ou que peut-être il y avait eu une erreur d'observation, j'ai demandé au

Dr Kilner de vouloir bien vérifier l'état des réactions musculaires aujour-

d'hui. Cet examen a été fait obligeamment le 19 février 1894, quatre ans

après le premier examen, et les résultats en sont consignés dans le ta-

bleau II.

« Avec les courants induits, les fléchisseurs de la jambe et surtout ceux

de l'avant-bras sont assez excitables pour l'emporter sur les extenseurs.

Pour tous ces muscles, la contraction après le stimulus ne se fait pas

aussi rapidement que s'ils étaient sains.

Avec les courants constants, tous les muscles présentent un fort degré

de dégénération ; la contraction est lente et faible ; mais avec le pôle po-

sitif la contraction se montre plus rapidement qu'avec le pôle négatif.

La résistance est plus grande que normalement. »

On peut voir que les modifications électriques des muscles sont plus

accentuées aujourd'hui qu'elles ne l'étaient en 1890, mais elles restent

cependant de même ordre.

Il existe une diminution considérable de l'excitabilité faradique de tous

les muscles, excepté de celle des fléchisseurs de l'avant-bras et de la jam-

be, celle-ci restant sensiblement normale.

La contractilité par les courants constants est aussi diminuée quantita-

tivement, et en général K.C.C. et A.C.C. se rapprochent l'un de l'autre.

Dans les fléchisseurs du bras et de la jambe l'excitabilité galvanique est

légèrement accrue, et K.C.C. = A.C.C.

En d'au Ires termes, nous sommes ici en présence d'une diminution gé-

196

NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

TABLEAU Il

Réactions électriques de Suzan. S., à l' £ lge de 23 ans.

19 février 1894

Examen du Dr Kilner.

NUJV. IGUNU4R DL LA SALPETR1.RL

T VII, PL. XXI

MYOPATHIE PRIMITIVE GÉNÉRALISÉE

Attitude dans la station debout (face et dos).

L BATTAILLE ET Ci.

Éditeurs

UN CAS D'111TOTROPIIIG PRIMITIVE 197

Nous voyons la myopathie primitive s'attaquer à certains groupes mus-

culaires ayant souvent des connexions homologues, comme ici les exten-

seurs, ou, dans d'autres cas, affecter une disposition qui a fait créer, sui-

vant les auteurs, des types différents. (Type facio-scapulo-huméral, type

péronier, etc.).

Des observations récentes tendent à prouver que la paralysie pseudo-

hypertrophique et les autres variétés de myopathies dites primitives,

ne sont que des modalités d'une seule et même maladie, pouvant se pré-

senter en même temps chez le même individu, ou bien atteignant diffé-

rents membres d'une même famille, toutes étant dans un certains sens

héréditaires (1).

Bien plus, voici un cas qui revêt l'aspect clinique de ceux qu'on range

dans la myopathie primitive ou idiopathique. Et cependant, ici, on cons-

tate des modifications très notables dans les réactions électriques.

Aussi peut-on se demander si, en définitive, les deux grandes variétés

d'amyotrophies rappelées plus haut, ne seraient pas produites toutes les

deux par une lésion des nerfs ou de la moelle ?

La lésion dans le cas des myopathies dites primitives, surviendrait dès

les premiers temps de la vie, pouvant être passagère et disparaître ulté-

rieurement ; ou bien devenant chronique, elle ne s'accompagnerait pas

pendant la vie des modifications électriques ordinaires, et, après la mort,

la lésion anatomique trop peu accusée, échapperait aux investigations.

Il n'est certes pas facile en effet de proclamer, après autopsie, l'absence

complète de lésions du système nerveux, et, pendant la vie, un change-

ment très léger ou transitoire des propriétés électriques peut assurément

passer inaperçu de l'observateur le plus consciencieux.

D'ailleurs, des cas d'amyotrophie du type Duchenne et de myopathie

primitive ont été observés clans la même famille (2). Il faut bien admettre

la parenté de ces affections ; et les cas de paralysie pseudo-hypertrophi-

que où l'on a noté des modifications électriques ne sont pas inconnus (3).

Enfin, le cas présent que j'ai l'honneur de soumettre a la critique mé-

dicale, correspond précisément à l'un de ces types d'amyotrophies que l'on

range dans les myopathies primitives sans lésion nerveuse, et cependant

l'on a constaté pendant la vie des signes certains d'une affection du sys-

tème nerveux.

Thomas D. SAVILL.

(de Londres).

(1) Voy. Charcot. Leç. sur les mal. du syst. nerv., t. III, 1886, p. 204 et sq.

(2) GENAS ET Douillet, Loire médicale, nos 7 et S, 1885.

(3) B1DARD ET MMOND, Arch. gén. de méd., juillet, 1891.

LES AMYOTHOPHtQUES DANS L'ART

« La médecine, écrivait Charcot en 1t;7 (t) au sujet d'une étude sur

un buste d'Esope, est en possession de décider si telle ou telle imperfec-

tion des traits, d'attitude ou de conformation appartient à la nature ou

au ciseau, et si conséquemment elle accuse chez l'artiste ou une grande

habileté ou une grande impéritie ».

Les remarquables études de critique médicale des' monuments de l'art

que firent dans la suite Charcot et ses élèves, Paul Bicher, Gilles de la

Tourelle, elc., sont venus confirmer par de nombreux exemples l'opinion

du maître.

Mais le champ des recherches de ce genre est loin d'être épuisé, et au

sur et à mesure que se découvrent des particularités cliniques nouvelles,

le nombre des documents figurés justiciables de l'interprétation médicale

s'accroît dans une semblable proportion.

Parmi les affections qui modifient d'une façon singulière la forme exté-

rieure des individus, les amyotrophies tiennent une des premières places.

Il est peu de maladies qui apportent un trouble plus profond dans la mor-

phologie du corps et de la face, dans l'attitude, la marche et les mouve-

ments des sujets qui en sont atteints.

Les artistes désireux de reproduire les bizarreries de la nature ont dû l

être frappé de ces étranges déformations, et ont pu chercher à les repro-

duire, tout en ignorant la cause intime de leur apparition. Nous avons

entrepris de rechercher ces documents iconographiques.

Tout d'abord, est-il possible de retrouver dans l'art des figurations de

cette altération de la face décrite sous le nom de Faciès myopathiques

C'est Duchenne (de Boulogne) qui a le premier décrit ce faciès dans la

maladie qu'il appelait atrophie musculaire progressive de l'enfance (2), et

qu'il considérait comme une forme de celle atrophie musculaire progres-

sive de l'adulte qui porte aujourd'hui son nom.

MM. Landouzy et Déjerine ont repris et complété la description de Du-

(1) J. M. Charcot kt A. DECIIA.\IIIIIE, De quelques marbres antiques concernant des étu-

des anatomiques, Gaz. hebd. de llléd. et de Chirurgie, T. IV, n 25, 1857.

(2) Duchenne (de Boulogne), De l'éleclrisation localisée, 30 édition, 1872.

LES AMYOTROPHIQUES DANS L'ART 199

chenne dans leur important mémoire sur la myopathie atrophique progres-

sive (1).

Peu de temps après, dans une note à la Société médicale des Hôpi-

taux (2), M. Landouzy a résumé en un tableau très précis tous les carac-

tères du facies myopathique :

« Prise dans son ensemble, la physionomie des myopathiques parait

étrange, bizarre, inerte, froide, chagrine et un peu niaise.

« La bouche est élargie, les lèvres, légèrement écartées, presque tou-

jours asymétriques, paraissent grosses, saillantes. Parfois la lèvre infé-

rieure, dans sa totalité, tantôt dans une moitié seulement, paraît tom-

bante, abaissée, presque retournée, mettant ci découvert une partie de la

muqueuse.....

« Le front, d'un poli d'ivoire est remarquablement lisse...

« Les yeux grands ouverts, autant que l'occlusion imcomplète des pau-

pières pendant le sommeil, prêtent aux malades quelque chose de la phy-

sionomie des exophtalmiques ; le regard, qui paraît déjà un peu singulier

par le fait de la grande ouverture palpébrale, le paraît encore plus par

ce détail, que la fente palpébrale est asymétrique.....

« Immobile, le masque des malades éveillait par son étrangeté et son

atonie l'idée de quelque état morbide; animé, ce masque, comme par un

changement de décor, dénonce avec éclat l'atrophie des muscles faciaux,

prélude ou compagne d'une atrophie musculaire diffusante et progres-

sive ».

(1) LANDOUZY ET Déjerine, De la myopathie atrophique progressive, Rev. de Médecine,

('év. avril 1885, et Acad. des Sciences, janvier 1884.

(2) Landouzy, Note sur le faciès myopathique el sa valeur dans la séméiotique de l'en-

{anl et de l'adulte. Soc. méd. des Ifup. '1886.

Fiâ. 51.

200 0 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Nous n'insistons pas sur les troubles de la mimique bien décrits égale-~

ment : le rire triste, en travers et en bas, ou rire jaune, qui résulte de ce

fait que les orbiculaires des paupières n'apportent pas le concours de leurs

contractions ponr exprimer la joie bienveillante ; le parler bnbote; l'im-

possibilité de siffler, de simuler la moue ou le baiser, etc..

L'ensemble de ces modifications de la physionomie dans la myopathie

primitive donne aux malades un air bêta, une apparence de stupidité et

d'abrutissement qui expliquent les erreurs de diagnostic plusieurs fois

commises à leur égard. On a souvent pris pour une idiotie, ou un arrêt

de développement ce masque singulier, résultant de la dystropbie mus-

culaire faciale chez des sujets dont l'intelligence était parfaitement con-

servée (Fig. 54).

Aussi avions-nous pensé que ce faciès si spécial aurai pu tenter quelque

artiste désireux de reproduire un type de stupidité ou de bestialité. Les

emprunts de ce genre faits dans le domaine des déformations pathologi-

ques ne sont pas rares.

Mais, malgré nos recherches, les documents que nous avons pu recueil-

lir jusqu'à présent ne nous paraissent pas justiciables d'une critique mé-

dicale bien certaine.

Dans l'oeuvre de Raphaël, la difformité tient une place importante.

Un des cartons des tapisseries destinées à la chapelle Sixtine, conservé

au musée de South Kensington représente les apôtres St Pierre et St Jean

à la porte du temple rendant la santé à un infirme (1).

L'incurvation des membres de celui-ci rappelle les déformations rachi-

tiques ; mais le sujet est bien musclé. Quant à la face, elle est intéressante

par sa maigreur, par la proéminence des lèvres dont l'inférieure est tom-

bante, et par l'onverture exagérée de l'oeil. On ne saurait cependant se

prononcer il coup sûr et dire s'il s'agit la d'une masque de myopathique

ou d'un faciès rachitique. Cependant les stigmates du rachitisme sont bien

plus accentués sur la figure d'un autre infirme situé à gauche de la com-

position et se traînant sur les genoux.

Le peintre Ch. Le Brun a laissé de curieuses études sur la physio-

nomie humaine qu'il compare dans certains cas à celle des animaux. Il fit

sur ce sujet le 27 mars 1671, une conférence à l'Académie royale de Pein-

ture et de Sculpture. Un de ses élèves, Nivelon, a exposé son système,

et il nous reste cinquante-huit planches gravées d'après les dessins du

maître.

Parmi ces dessins, il en est un qui représente un profil d'homme que

Le Brun compare à celui de liîne : la proéminence, le renversement et

(1) Voy. CHARCOT ET P. Richer, Les malades et difformes dans l'art, p. 62.

LES AMYOTROPIIIQUES DANS L'ART 201

l'ouverture des lèvres 7 sont très accusés. En même temps les yeux sont

saillants et le front lisse, mais non fuyant. L'ensemble de la physionomie

exprime la stupidité et l'inertie. Il a certainement, comme on peut le voir

en le comparant au profil d'un myopathique, Bonn. de la Salpêtrière,

de grandes analogies avec le facies myopathique (Fig. 54 et 55).

Dans son volumineux ouvrage sur la Physionomie (1), Lavater donne

quelques figures qui rappellent de fort loin seulement l'aspect de la face

des amyot-rophiques (2).

Mais si les oeuvres d'art, anciennes ne nous ont fourni que de médiocres

indications, en revanche, nous avons la bonne fortune de pouvoir publier

les photographies d'un buste fait à la Salpêtrière par M. Paul Richer d'a-

près un malade qu'on peut considérer comme un modèle de facies myopa-

thique (type Landouzy-Déjerine). On sent que l'auteur a non seulement

rendu, avec une exactitude scrupuleuse toutes les particularités intéressan-

tes de la face, du cou et des épaules ; mais encore qu'il connaissait la rai-

son d'être de toutes les modifications morphologiques causées par la ma-

ladie (PI. XXIV).

Le lecteur pourra y trouver la vérification figurée des caractères précé-

demment décrits.- On les reconnaîtra également bien indiqués sur un

(1) LAVATER, L'art de connaître les hommes par la physionomie, en 10 vol. Paris,

1835.

(2) Parmi les différentes formes de lèvres dessinées par Lavater, il en est qui sont

épaissies, retournées et parfois entr'ouvertes (voy. tome Il, Pl. 92, fig. 5. - PI. 93,

fig. 3, 5, 6 et 7. Pl. 95, F. 5 et S).

Mais ce sont là, il faut le reconnaître, des indications beaucoup trop vagues.

De même, on ne peut faire aucune critique médicale des caricatures de Hogarth que

reproduit Lavater. Les quatre-vingt figures que l'artiste s'est amusé à accumuler sur

une seule page ne sont que l'expression des fantaisies de son imagination.

Fig. 55.

202 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

dessin inédit d'une jeune myopathique dû aussi à M. Paul Richer (1)

(Fig. 56).

(1) Le buste de myopathiques est celui du malade Bonn., dont M. G. Guinon a complété

l'observation dans V Iconographie de la Salpêtrière (1893, £ 10 1, p. 17) ; l'observation

originale a été publiée par il\I. p. Le Noir et Bezançon (Rev. de médecine, 1890, p. 3U i).

Ce malade a été présenté plusieurs fois par l. Charcot dans ses leçons comme type

de facies myopathique. La photographie du même malade est reproduite Pl. XVII

(à droite).

La Fig. 56 représente la malade Lavr. dont l'observation a été publiée par MM. P.

Marie et G. Guinon dans leur travail sur la myopathie progressive primitive (Rev, de

médecine, oct. 1885, obs. IV, p. 818).

Voy. aussi pour le facies myopathique dans le présent numéro, les photographies du

malade de M. Souques (PI. XX et XXI), la malade de M. Savill (Pl. XXII et XXIII) et

notre dessin Fig. 53 d'après une photographie de cette dernière.

Fig.5G.

NOUV. ICONOGN. DE LA SALPtTll : 'ftI : T. VII, PL. XXI

PHOTOTYPE NÉG. A LONDE. PHOTOCOLL. BEF{THAUD.

BUSTE DE MYOPATHIQUE

Par M. le 17· PAUL Richer

{ LES AMY0TR0PHIQUES DANS L'ART 203

Si les monuments figurés reproduisant le facies myopathique paraissent

jusqu'à ce jour peu nombreux dans les couvres d'art, les représentations

d'atrophies musculaires des membres sont mieux connues. ,

Dans les Malades et les Difformes dans 1'Art, Charcot et P. Bicher en ont

signalé quelques exemples. Le plus grand nombre se rapporte à des

amyotrophies consécutives, soit à des déformations osseuses ou articulai-

res, soit à des paralysies. 1

Tel est l'infirme figuré sur un des compartiments de la porte du Bap-

tistère à Florence due à Andréa de Pise et montrant le Christ guérissant

des malades. ;

L'atrophie des muscles de la jambe qui accompagne souvent les pieds-

bots y est bien indiquée (Fig. 57). i

On ne peut cependant pas prétendre qu'il s'agit de déformations du pied

comme on en ohserve dans certaines amyotrophies primitives; car dans

ces cas, c'est surtout l'extension exagérée du pied que produisent les ré-

tractions fibreuses. On peut faire la même remarque pour un homme

figuré sur une fresque de Girolamo del Santo, à Padoue.

Sur une ancienne fresque de Florence (Capellone degli Spagnoli) attri-

buée à Taddeo Gaddi ou à Andrea del Florence, et représentant un groupe

de malades- qui viennent implorer leur guérison, un enfant porté sur les

épaules d'un homme lève en l'air ses deux bras très amaigris et terminés

parties mains difformes. Il est vraisemblable, comme l'ont avancé Charcot

et P.' Richer, qu'il s'agit là d'une figuration de paralysie infantile avec

. Fig. 1.

204 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

l'atrophie et les déformations articulaires qui en sont la conséquence.

Sur la même fresque, un homme étend son bras à l'extrémité duquel la

main tombe comme dans la paralysie radiale; mais on n'y remarque au-

cune trace d'atrophie.

L'atrophie musculaire fait partie des symptômes de la lèpre. M. P. Ma-

rie a montré que le masque de certains lépreux n'était pas sans présenter

de grandes analogies avec le facies myopathique. On sait d'ailleurs les

discussions qui ont élé soulevées sur. l'identité de l'atrophie lépreuse avec

l'atrophie qu'on observe dans la syringomyélie et la maladie de Morvan.

La lèpre, qui fit de si cruels ravages au moyen-âge a tenté le pinceau

d'artistes de haute valeur.

Parmi eux, Albrecht Durer a rendu avec une vérité saisissante les troubles

atrophiques de la maladie. Sur une eau forte tirée des Actes des apôtres,

un lépreux est figuré à la porte du temple au moment où passent St-Jean

et St-Pierre. L'émaciation des membres supérieurs est extrême. L'attitude

de la main en griffe est caractéristique.

Les mêmes caractères s'observent sur deux dessins d'Hans Burgkmair

représentant, l'un St-Édouard le confesseur, roi d'Angleterre, l'autre Adé-

laïde, reine d'Italie, puis impératrice d'Allemagne, guérissant des lépreux.

Nous ne faisons que rappeler ces documents figurés, l'analyse et la repro-

duction de plusieurs d'entre eux ayant été déjà publiées dans ce recueil (1).

Quelque peu nombreux qu'ils-soient, ils ont cependant leur intérêt, car

ils prouvent encore une fois qu'on peut rencontrer dans les monuments

de l'art des représentations iconographiques de toutes les expressions de

la maladie.

Henry Meige.

(1) Voy. Iconogr. de la Salpêtrière, T. I, 1888, p. 42, 132, et T. IV, 1891, p. 327, et

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(1) Les indications bibliographiques qui précèdent faisaient suite au mémoire de

M. Savill. Nous avons jugé qu'il ne serait pas inutile de les compléter par les sui-

vantes. (H. M.)

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Le gérant : Louis I)ATTAILLE.

Imp. Vve tOUIlDot, 33, rue des Ba,ignolles, Paris.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

REVUE DES ARTHROPATHIES D'ORIGINE NERVEUSE (1)

AIITIIIIOPATIIIES NERVEUSES ET TROUBLES

DE LA SENSIBILITÉ (2).

Messieurs,

Plusieurs cas d'arlliropalhies d'origine nerveuse qui se trouvent réunis dans

le service, m'engagent à vous parler de l'influence immédiate des altérations

do la sensibilité en général sur les troubles de la nutrition des tissus. Je vais

faire passer sous vos yeux un certain nombre de tabétiques dont quelques-uns

vous sont déjà connus. Sans entrer dans les détails de leur histoire (vous les

trouverez relatés soigneusement dans un mémoire de MM. Souques et J. 13.

Charcot) (3) je me contenterai d'insister sur certains symptômes, très propres

il faire ressortir la corrélation dont il s'agit.

Les artbropatbics du tabès, qui ne surviennent le plus souvent que clans la

maladie confirmée, sont, vous le savez, constituées par des lésions aussi variées

et aussi considérables qu'il est possible de les concevoir. Vous en trouverez une

description parfaite dans les excellentes leçons de mon collègue et ami, P. Marie,

sur les maladies de la moelle épinière. Laissez-moi seulement vous rappeler som-

mairement les faits essentiels.

Imaginez des hydarthroses énormes, des atropines ou des hypertrophies ten-

(1) Ainsi que nous l'avons dit dans notre précédent numéro nous pensons qu'il peut

y avoir profit à grouper de temps en temps les travaux sur un point de pathologie

intéressant et d'actualité. Il va sans dire que seuls les mémoires inédits trouveront ici

leur place. Le prochain fascicule sera également consacré en partie à l'étude des ar-

thropaltiies d'origine nerveuse. (N. D. L. R.)

(2) Leçon de JI, le Dr Brissaud faite à la Salpêtrière le i mai 1S94 et recueillie par

M. le Dr Henry Meige.

(3) Voy. Iconogr. de la Salpêtrière, ne 4, 1894.

vu 14

210 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE E

Ilinenses, ligamenteuses, cartilagineuses, osseuses, atteignant les plus extraor-

dinaires proportions, des dislocations articulaires qui semblent incompatibles

avec la fonction du membre intéressé, et vous aurez seulement alors une idée

de certaines déformations labéliqucs, toutefois avec une particularité capitale :

l'absence complète de phénomènes douloureux.

Tout étant relatif, je ne prétends pas qu'il n'existe dans le tabès que des ar-

tllropatllies indolores Il est clair qu'un genou dont la circonférence mesure

chez l'homme sain 33 centimètres cujnoycunc, et chez un malade GO à 80 cen-

limolros, n'est pas sans présenter quelque réaction douloureuse. Mais alors les

douleurs sont indépendantes de la lésion articulaire. Elles sont la conséquence

de la distension excessive des parties molles, et c'est pour cela qu'elles appa-

raissent dans les arlhropalhies il développement rapide. Eu tout cas, le tabétique

voit son épaule se déformer ou son genou se disloquer de la manière la plus

invraisemblable, sans que rien il l'avance ait pu lui faire pressentir qu'une affec-

tion quelconque se préparait dans ses jointures.

Le plus souvent, l'accident se produit tout d'un coup : c'est en se réveillant

le matin que le malade en constate la gravité apparente et soudaine.

Le mal est fait; la lésion est acquise et définitive.

Voilà ce qu'il importe de retenir; et l'on a lieu de s'étonner qu'un phéno-

mène aussi surprenant n'ait pas attiré l'attention des cliniciens avant Charcot.

C'est à Charcot en effet que revient encore l'honneur d'avoir fait cette im-

portante découverte clinique. Sa première description de l'artllrollathie tabéti-

que remonte il 1868.

L'année suivante, Bail, son élève, en recueillait et publiait des exemples

nombreux.

Ce fut un événement scientifique.

On vivait à cette époque sur le fonds commun de l'ataxie locomotrice progres-

sive. La description de Duchenne de Boulogne n'était pas bien ancienne : elle

faisait article de foi. A peine commençait-on il croire qu'il ne s'agissait pas d'une

simple névrose.

D'abord on contesta l'authenticité même des cas signalés par Cllarcot.

Les Anglais cependant, et il leur tète J. Paget, aussi compétent que personne

en matière tl'afl'eclions osseuses et articulaires, acceptèrent ses conclusions.

Paget ne fit que quelques réserves relatives à l'interprétation tics phénomènes

patbogéniques : je vais y revenir.

Yolkmann, non moins expert, consentait à reconnaître dans ces artLropa-

thies quelque chose d'assez spécial : il semblait frappé de leur polymorphisme.

Mais il supposait que les mouvements violents des ataxiquos (rapportés par

Duchenne de Boulogne, à la perle du sens musculaire), étaient la raison d'être

de ces traumatisâtes spontanés. Au genou, par exemple, la dislocation de la

jointure pouvait résulter de la contraction brusque et désordonnée du groupe

musculaire antérieur qui distend ;'1 l'excès les ligaments postérieurs ou les liga-

ments croisés de l'articulation.

Il n'est pas contestable qu'un effort) môme léger, entraîne souvent chez les

ataxiques des désordres qui ne se produiraient pas dans une articulaI ion saine.

ARTITROPATIIIES NERVEUSES ET TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ 211

Mais la part qui revient aux influences extérieures est faible ; la lésion arti-

culaire préexistante J'emporte sur les causes occasionnelles.

Ces faits et ces discussions n'ont plus pour vous, Messieurs, l'intérêt qu'ils

avaient pour ceux de la génération précédente. C'était en effet la révélation

inattendue de tout un nouveau groupe de troubles nutritifs jusqu'alors incon-

nus en neuropalliologie.

Les médecins et les chirurgiens ne pouvaient se résoudre à avouer qu'une

lésion aussi grossière leur avait totalement échappé : et les anatomistes pouvaient

aussi bien faire leur mes culpa, car, si t'arthropathie est monstrueuse

sur le vivant, les pièces sont plus surprenantes encore.

Comme on avait peine à se pardonner la méconnaissance d'un phénomène si

éclatant, comme il fallait trouver une explication à cet impardonnable oubli,

quelques-uns, et non des moins autorisés, supposèrent que si /'arthropathie tahé-

tique n'avait jamais été décrite, c'est qu'elle était peut-être une affection nou-

velle. Ainsi avant Cliarcot, elle n'aurait pas existé ! on ne décrit que ce qui

peut se voir.....

Sans doute, dans certains cas, celle thèse est soutenable. Mais ce n'est pas

dans le cas du tabès.

Si vous tentiez l'exégèse des cas de tabès observés avant Duchenne, vous

n'y réussiriez probablement pas. Toutes les impotences fonctionnelles non trau-

matiques étaient confondues sous la rubrique par trop compréhensive de para-

plégie. Ce qui est bien plus remarquable, c'est que les chirurgiens d'autrefois,

habitués au diagnostic des maladies articulaires, aient laissé passer la variété

d' « arthrite » qui nous intéresse, sans qu'il soit possible d'en retrouver dans

leurs écrits une description même rudimentaire. D'autre part, ne soyez pas sur-

pris que les médecins aient fait le silence le plus complet sur les arthropathies

tabétiques. Les lacunes de ce genre abondent en neuropalliologie. Chaque jour,

nous voyons rattacher à une lésion des centres nerveux des troubles multiples

qui semblent n'avoir avec celle-ci aucun rapport. Les exemples récents de ce

que j'avance vous sont connus, ils sont déjà classiques : la syringomyélie, la

lèpre, la maladie de Morvan, considérées d'abord comme absolument distinctes

les unes des autres, tendent il se grouper aujourd'hui, et vous savez le parti que

la nosographie a pu tirer de ce rapprochement. Ces maladies-là, elles aussi, sont

de celles qui donnent lieu il des troubles trophiques parmi lesquels les arthro-

pathies figurent en première ligne. Le temps a eu raison de toutes les hésitations,

et personne, à l'heure actuelle, ne voudrait contester l'authenticité des altéra-

tions articulaires dans les affections chroniques de la substance grise spinale.

Je reviens aux caractères cliniques des arthropathies.

Le genou, la hanche, l'épaule, l'articulation tibio-tarsienne, le poignet, les

articulations du tarse, la temporo-mavillaire, toutes les articulations en un mot

peuvent être atteintes, et l'ordre dans lequel je viens de vous les énumérer est

approximativement celui de leur fréquence décroissante. Il ne semble pas qu'un

effort soit nécessaire pour que l'affection locale se déclare. Ce qui frappe im-

médiatement, c'est le gonflement considérable de la région articulaire. D'un

moment il l'autre, l'aspect de la jointure est transformé. La peau est lisse,

212 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

distendue, brillante, sillonnée de veines. Voyez le genou de cette ataxique :

c'est une surface arrondie, sans reliefs ni dépressions, parcourue en tous sens

par des varicosités bleuâtres : on dirait le ventre d'un enfant ascitique. La

J1uctuation est plus qu'évidente, elle permet d'affirmer l'existence d'une collec-

tion qu'on peut évaluer à plus de 500 grammes. Nous ne connaissons pas

d'hydarthroses capables d'un pareil développement et surtout d'une telle ins-

tantanéité.

Il n'est pas admissible que la synoviale permette la transsudation soudaine

d'une si grande quantité de liquide. Une hémorrhagie seule est capable d'un

pareil résultat. Je puis d'ailleurs, Messieurs, vous dire immédiatement que cette

supposition n'est pas gratuite. Une malade dont vous parlerai dans un instant

avec quelques détails, sujette ai des poussées arthropathiques depuis nombre

d'années, fut prise, il y a quelques jours, de douleurs scapulaires qui nous

obligèrent à une intervention. Elle s'était réveillée un matin avec une enflure

énorme de tout le moignon de l'épaule droite. Le tégument était réduit a une

telle minceur qu'il semblait devoir éclater.

Je n'ai pas à vous dire que cet accident n'est pas il craindre, mais il résultait

de la distension des parties molles une douleur qui me décida il demander il

mon collègue, M. Chaput, le remède immédiat. Les mouvements passifs qu'on

imprimait à l'articulation étaient presque absolument indolores. La ponction

donna issue à une quantité de sang pur que nous avons pu évaluer à

300 grammes.

Chose remarquable, le gonflement no siège pas seulement au niveau de l'arti-

culation. Chez le premier malade, atteint d'arthropathie du genou, vous consta-

tez que l'infiltration s'étend il la totalité du membre depuis le pied jusqu'au pli

de l'aine. C'est un oedème d'une extrême dureté, sans persistance de l'impression

digitale. Malgré cette enflure pseudo-élephantiasique, vous voyez cet homme

s'avancer encore assez librement en s'appuyant sur une canne. Il déclare que la

marche n'est pas douloureuse et qu'il serait bien plus alerte s'il se sentait sur un

point d'appui solide : mais son genou est complètement luxé en dedans et c'est

chose étonnante qu'il puisse encore progresser ainsi. Vous entendez, lorsqu'il

fait porter le poids de son corps sur sa jambe droite, le craquement de sa join-

turc.

Comparez cette tolérance de 1'3rthropathie tabétique avec la réaction doulou-

reuse de la moindre hydarthrose rhumatismale aigué, et vous conviendrez que

la différence est grande.

Si l'arthropathic du tabes a le plus souvent un début soudain, elle a par

contre une évolution remarquablement lento. J'entends par évolution la ré-

sorption progressive du liquide épanché. Tantôt quelques semaines, tantôt

six mois, un an, quelquefois davantage, voilà les délais entre lesquels peut

varier le processus de réparation. Il est même des sujets chez lesquels le gon-

flement du premier jour persiste indéfiniment.

C'est seulement lorsque l'infiltration s'est dissipée qu'on est en mesure d'ap-

précier l'importance et la gravité des dégâts articulaires. En vain, nous cher-

chons à retrouver les saillies osseuses qui sont nos points de repère dans l'ex-

ARTHROPATHIES NERVEUSES ET TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ 13

ploration des jointures. Les épiphyses lorsqu'elles subsistent ne sont

plus à leur place. Là où se trouvait antérieurement une tète osseuse, nous

devinons une cavité. Chez la malade que nous avons ponctionnée, nous enfon-

çons les doigts entre la face inférieure de l'acromion et l'extrémité supérieure

de l'humérus. Je ne vous parle pas de la tête numérale : il n'y en a plus. La dia-

physe flotte dans une capsule que l'anatomie normale ignore. Le quart supé-

rieur de l'os a littéralement fondu.

Si tel est le mode d'évolution le plus habituel des arthropathies du tabès, je

dois vous dire, Messieurs, que vous pourrez en observer un autre, dans lequel

les déformations se font peu il peu, sans fracas, insidieusement. Le résultat est

le même. C'est toujours la dislocation terminale, avec ceballotage des extrémi-

tés osseuses dans des sortes de pseudartliroses identiques a celles des bras et

des jambes d'un polichinelle. Mais il est rare que l'évolution lente ne soit pas

agrémentée de temps à autre par quelques poussées aiguës ou subaiguës.

Jusqu'ici, il n'a été question que des atrophies du squelette. Les hypertro-

phies cependant, quoique moins importantes, ne sont pas exceptionnelles. Elles

se combinent avec l'atrophie sur les mêmes surfaces diartlirodiales, de façon à

rendre la jointure encore plus méconnaissable.

Enfin, je vous rappellerai que, parmi les arthropathies du tabès, il en est de

graves et de bénignes. La gravité n'est relative l'incapacité fonctionnelle;

et celle-ci peut être absolue. Tel était le cas chez la « Vénus ataxique » dont

les débris informes sont le plus bel ornement du musée pathologique delà Sal-

pêtrière. Mais vous n'aurez jamais à craindre les complications ou les dan-

gers des arthrites aiguës, septiques ou suppurées : pas de fistules, pas d'abcès,

pas d'infection secondaire. Sans doute, un traumatisme qui offenserait sérieuse-

ment une articulation frappée d'artliropathie pourrait être le point de départ de

phénomènes inflammatoires aigus. Les accidents de ce genre ne sont pas rares,

mais ils guérissent toujours avec une rapidité singulière. On peut même affir-

mer que le pronostic d'un traumatisme quelconque est invariablement plus fa-

vorable pour une jointure atteinte d'arthropathie labélique que pour une join-

ture saine.

Jusqu'à présent, je n'ai rien fait que paraphraser la description magistrale de

Charcot. J'arrive à la pathogénie, et maintenant ma tâche devient plus difficile.

Les lésions primitives désarticulations sont peu fréquentes. Il n'y a guère

plus d'inflammations primitives des synoviales qu'il n'y a de péritonites ou de

pleurésies primitives. Lorsqu'une infection n'est pas en cause, les altérations

articulaires sont presque toujours, sinon toujours, consécutives à des troubles

dont le siège primordial est le périoste ou la moelle osseuse. Il ne saurait être

question des cartilages : la goutte est à peu près la seule maladie qui en fasse

son lieu d'élection. Il est donc vraisemblable que la première pertubation mor-

bide affecte les éléments vivants et par conséquent proliférants de l'os. Vous

n'ignorez pas d'ailleurs l'existence de ces fractures spontanées auxquelles les

tabétiques sont si souvent exposés et qui surviennent inopinément a l'occasion

du moindre effort. La friabilité du tissu osseux relève d'un processus de dénu-

trition que l'annlomie pathologique et la chimie biologique ont analysé dans ses

211 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE E

moindres détails. J'invoquerai encore un autre exemple : L'usage a consacré-

le nom de pied labélique à un effondrement des os du tarse, qui se produit Ù la

suite de la raréfaction du tissu spongieux. La fréquence de cette lésion vous

est connue, et vous savez aussi qu'elle est toujours primitivement osseuse. La

synoviale tarsienne n'y participe pas. C'est une séreuse dont nous ne connais-

sons guère l'hydarthrose. C'est parce qu'il existe une ostéite que le pied s'é-

crase et prend cet aspect informe qui rappelle assez bien le pied cassé delà chi-

noise. Ainsi, les troubles tro[Oiclucs osseux c'est là que j'en veux venir

sont primitivement hériosliyues ou médullaires. On peut dire d'une manière gé-

nérale que les perturbations nutritives sont d'autant plus grandes que les tissus

qu'elles affectent ont plus de vitalité. Vous savez l'intensité des phénomènes

vitaux dont le périoste et la moelle sont doués, et vous ne pouvez être surpris

de l'importance si remarquable des arthropathies tabétiques.

Il me faut à présent ouvrir une parenthèse. Les altérations trophiques du

tabès ne se produisent pas uniformément ou indifféremment, avec le

même degré de fréquence, dans toutes les variétés cliniques de la maladie de Du-

chenne. D'autre part, vous n'ignorez pas que si les symptômes du labes consis-

tent en des troubles de la sensibilité et de la motilité, la proportion de ceux-ci et

de ceux-là n'est pas constante et invariablement égale. 11 est des cas dans lesquels

les troubles moteurs font presque totalement défaut; il en est d'autres où les

modifications de la sensibilité, de quelque nature qu'elles soient, n'ont qu'une

durée éphémère et passent en quelque sorte inaperçues. Nous serions en droit

par conséquent d'admettre, pour les besoins de la démonstration, en dehors de

la forme commune ou sensitive-motrice, une forme motrice pure et une forme

sensitive pure. Il ne faudrait pas voir dans cette division autre chose qu'un

schéma didactique, attendu que le lobes sensilif et le tabès moteur sont en fait

des exceptions. Mais les exceptions en pareille matière ne sont point il dédai-

gner. De même que la tératologie peut rendre d'immenses services a l'analomie

normale, de même les maladies atypiques et, si l'on peut dire ainsi, monstrueu-

ses, peuvent nous fournir de précieux renseignements sur la nature et l'évolu-

tion des cas vulgaires.

Pour vous convaincre de l'existence du labes moteur pur, je vais vous en

présenter un assez heau spécimen.

Voici un homme de 45 ans dont la démarche est franchement ataxique : il

lance ses jambes il droite et a gauche et les laisse retomber en talonnant, il a

de la diplopie intermittente, il a le signe de Rombcrg, le signe de Westphal le

signe d'Argyil-Robertson, il a la miction entrecoupée, bref, c'est un tabétique

dans toute la force du terme. Si, parmi les phénomènes Ilue j'éuumèrc, quel-

ques-uns doivent être rapportés à des troubles de la sensibilité musculaire,

aucune autre forme de sensibilité n'est compromise. La vision, l'audition, le

tact sont respectés. Qui plus est, les douleurs fulgurantes, si caractéristiques de

la période initiale du tabès n'ont jamais été ressenties. Vaguement, tout fait

an début, il y 8 8 ou 10 ans, le malade se souvient d'avoir éprouvé une douleur

en ceinture.... ? et c'est tout. Voilà une l'orme de tabes dans laquelle la phase

ARTHROPATHIES NERVEUSES ET TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ 215

initiale ou phase douloureuse pr;u-ataxique n'a vraiment compté pour rien, et

c'est pour cela que nous dirons que le tabes est purement moteur.

Voici maintenant un type inverse : vous avez sous les yeux un homme de

60 ans, grand, vigoureux, taillé en hercule et qui ne vous semble pas bien ma-

Il n'a jamais eu la syphilis, du moins il nous a élé absolument impossible

d'en découvrir chez lui le moindre vestige. Cet homme marche d'un pas délibéré

sans fatigue, sans la plus petite trace d'incoordination, et c'est cependant lui aussi

un tabétique. Depuis près de vingt-six ans, il est sujet il des crises do douleurs

fulgurantes, quelquefois atroces et que rien ne peut calmer en dehors dol'acé-

tauifide à haute dose ou de la morphine de temps a autre. Le caractère de ces

douleurs est tout à fait significatif : coups de canif, coups de couteau, éclairs,

aucune des comparaisons classiques ne manque son répertoire. Pas un jour

ne se passe sans de cruelles souffrances. Les membres inférieurs principalement

sont affectes. Les réflexes hatcllaires sont abolis, la pulpe digitale est engourdie,

fourmillante. La vision est sérieusement touchée. Une amllly-ohic double de date

récente annonce t'amaurose -Il venir. Les fonctions génitales sont éteintes de-

puis 15 ans. Tontccla ne sul11t-il pas, et au-delà, pour affirmer encore le tabès ? 9

Ici, contrairement à la formule de tout il l'heure, nous pouvons dire que nous

sommes en présence d'un tabéliqnc chez lequel la phase initiale ou phase dou-

loureuse, prac-ataaillue, dure indéfiniment. Le tabès esl purement sensitif.

Je vous reparlerai bientôt de ce malade qui présente d'autres manifestations

très démonstratives de la lésion spinale dont nous le supposons atteint. Pour le

moment, supposons que nous ayons la preuve matérielle de celte lésion : ne

pensez-vous pas que nous la trouvcrions presque absolument identique a celle

du malade précédent ? Jonc prétends pas que. pour des symptômes si distincts,

les altérations médullaires du labes sensitif ci du tabès moteur soient mathéma-

tiquement superposables. Je crois même fermement le contraire. 11 me semble

hors de doute que la dégénéralion envahit dans un cas des systèmes do fibres

qu'elle épargne dans l'autre, et réciproquement. Toujours est-il que nous avons

affaire, ici comme 1-li à une sclérose systématique des cordons postérieurs. Or

ceci nous conduit à l'étude pathogénique des troubles du tabès, et je vais, Mes-

sieurs, vous montrer au préalable les types (l'3l'thropatltie les plus favorables

cette étude.

Voici une femme sûrement tabétique chez laquelle il nous est absolument

impossible de retrouver aucune trace de syphilis. Elle n'est pas alcoolique, elle

n'a éprouvé jamais aucun accident morbide spontané auquel nous puissions

rattacher le labes : il ne nous reste à incriminer que des excès sexuels.... C'était

encore, vous le savez, comme un article de foi qu'on admettait jadis l'influence

ëtiotogiquedes plaisirs vénériens. Mais, où commence l'excès ? .... Nous laisse-

rons cela dans le vague.

Celte femme est en lire dans le tubes à l'âge de 26 ans, c'est-à-dire depuis

19 ans. -- Des. douleurs fulgurantes très vives siégeant au niveau du mollet et

de la [liante du pied survenaient par crises durant un mois environ.

Seize ans après le début douloureux que je vous signale, apparut pour la

première fois un peu d'incoordination. Voilà donc une « ataxie » qui, pendant

216 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

seize ans au moins n'a été que purement sensitive. Pour vous édifier sur la

certitude de ce diagnostic, je vous dirai dès à présent que le tableau symptoma-

tique se trouve aujour(l'hui réalisé à peu près au complet : signe de Westphal,

signe d'tlryll-l3ol)ertson, amaurose, arthropathies, etc C'est de l'année

1872 à l'année 188S que les phénomènes douloureux ont progressivement clt-

teint leur maximum d'intensité. Puis, ils ont commence il décroître ; à l'heure

actuelle, ils n'ont pas totalement disparu. J'ajouterai que l'incoordination n'est

pas très prononcée. D'ailleurs, s'il faut rattacher l'incoordination tabétique il la

perte du sens musculaire, notre malade a de bonnes raisons pour n'avoir pas

l'incoordination caractéristique du tabès : elle n'a pas en effet le signe de

Ronll)crj qui, presque toujours, annonce l'ataxie véritable. S'il lui est assez

difficile de marcher régulièrement, cela tient surtout à la réunion de deux au-

tres phénomènes : l'amblyopie et l'arthropathie dont je vais vous

parler.

Le 20 novembre 1888, en portant un sac de pommes, elle ressentit des

douleurs dans le genou gauche et s'aperçut que la jambe de ce côté était oedé-

mateuse. Déjà le genou lui semblait déformé. - Le 21 janvier 1889, le gonfle-

ment envahit sans cause appareille la totalité du membre inférieur. La défor-

mation s'exagère et l'articulation du genou a acquis une mobilité tout à fait

anormale (Fie. G8).

Vous pouvez constater aujourd'hui que les

contours osseux de la jointure sont absolument

méconnaissables. Le condyle externe à disparu ;

la jambe forme avec la cuisse un angle obtus

ouvert en dehors. L'infiltration est moins abon-

dante qu'aux premiers jours, mais il s'en faut

qu'elle se soit complctement résorbée (PI. 1\\-).

D'ailleurs, la peau reste encore lisse, tendue

et sillonnée de veines nombreuses. Non seule-

ment la douleur est nulle. sauf par périodes

d'une très courte durée, mais la marche est pos-

sible. Malgré la dislocation extraordinaire de

l'articulation, vous voyez celle femme circuler

assez aisément en s'appuyant sur un bâton ; je

ne saurais vous dire en vérité sur quelles sur-

faces cartilagineuses elle fait porter le poids de

son corps. Je tiens seulement il, insister sur

l'infiltration dilluse qui a marqué le début de l'arthropatie et sur l'absence ac-

tuelle'de douleurs après la longue et douloureuse période des crises fulgurantes

pne-ataxiques.

Un type d'arthrupathie très analogue à celui-ci, tant par l'évolution que par

l'aspect morphologique, vous apparaît chez cet autre malade que-je vous présente

maintenant. Vous reconnaissez la même déformation angulaire du genou, la

même distension oedémateuse. Il est remarquable que les arthropathies du genou

qui se développent brusquement affectent. le plus souvent cette singulière dis-

Fig. 58.

ARTHROPATHIES NERVEUSES ET TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ 217

position : Vous la verrez figurée sous une forme schématique dans la dix-neu-

vième leçon de Pierre Marie (1) (Fig. 59). Il s'agit dans noire cas d'un homme

de quarante-six ans, atteint de syphilis

à vingt-deux ans.C'est seulement il l'âge

de trente-sept ans qu'il a éprouvé ses

premières douleurs fulgurantes dans la

région cubitale. Trois ans après, il com-

mençait à souffrir de douleurs d' « arra-

chement » dans les orteils, et, quoi

qu'il n'existât cette époqueaucun plié-

nomèue ll1oteur,M. Charcot portait déjà

le diagnostic de labes. Il n'y a que dix-

huit mois que le tableau symplonialique

s'est dessiné définitivement : inconti-

nence d'urine, impuissance sexuelle,

dérol)cmciil des jambes, sensation de

lapis sous les pieds, etc. En ce momcnt

même, il est sujet à des crises d'étouf-

fement nocturne. Notez ce dernier symptôme car il implique presque nécessai-

rement la participation du bulbe au processus anatomique de la dégénération

tabétique. Or, vous n'ignorez pas que certains auteurs ont été frappés de la coïn-

cidence des arthropathies avec les crises dyslméiflues de de là Ù admet-

tre que les dislropliies articulaires sont sous la dépendance d'une lésion bulbaire,

it ! i'y a pas bien loin. Celte hypothèse à vrai dire, n'est pas suffisamment jus-

tifiée. Vous en verrez la meilleure preuve dans l'histoire des arthropathies sy-

ringomyéliquos où l'intervention du bulbe est inadmissible.

Pour en revenir il notre malade, retenez que t'arthropathie colossale dont il

est affligé remonte au maximum à sept mois.

Brusquement, sans douleurs préalables, sans traumatisme, sa jambe droite

s'est infiltrée et son genou s'est déformé. Nous ne savons plus. oÙ est le condyle

fémoral externe. La rotule se promène au devant de ce qui fut le genou, en

haut, en bas, en dehors et cependant ici encore ni la station, ui la progression

ne sont abolies. La seule difficulté que le malade éprouve pour se tenir debout

et pour marcher, lient à l'énorme poids d'oedème qu'il a il porter. Le membre a

l'aspect élépliantiasidue. L'infiltration au-dessous du genou conserve l'impression

digitale. Au-dessus du genou, elle est d'une tout autre nature : les tissus sont

coriaces, durs, sans élasticité, presque ligneux par places. A partir du triangle

de Scarpa, le tégument de l'abdomen reprend sa souplesse normale (Pl. XXVIII).

Pour expliquer un pareil oedème, De)JOVe suppose que la capsule articulaire

rompue laisse le liquide synovial s'insinuer dans le tissu conjonctif du membre.

Je n'y contredis pas à priori. Il est toutefois permis de se demander si la syno-

vie, liquide visqueux et bien peu dilfusible, est capable de donner lieu il une

telle variété d'infiltration, surtout si l'on considère qu'il en faudrait une quantité

vraiment énorme pour produire une pareille hypertrophie. Je vous ai dit tout

(1) Leçons sur les maladies de la moee (page ni).

Fig. 59.

218 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

à l'heure que l'épanchement des arthropathies était souvent do nature hémor-

rhagique. Une infiltration sanguine me paraît donc pour le moins aussi vrai-

semblable. Quanta la persistance en quelque sorte illimitée de l' « oedème», après

la résorption du sang, elle peut s'expliquer par une prolifération de tous les

éléments conjonctifs dans les interstices musculaires. Par la seulement nous

pouvons concevoir celte sensation de dureté éléphantiasiquo ou même cette ré-

sistance d'ostéosarcome que vous constatez sur toute la surface crurale.

Je vous parle de prolifération embryonnaire. Voilà encore, Messieurs, une

variété de dystrophie dont il est impossible de méconnaître l'existence au cours

du ioicsrLaissons de côté, pour l'illstant, celle des tissus mous. Les lésions hy-

pertro171liantes du périoste ne sont pas moins irrécusables que les lésions atro-

phiantes. Le mot d'ostéite ne satisfait pas à la définition du fait brûlai. A côté

de la raréfaction du tissu spongieux, nous constatons l'hyperplasie. Les extrê-

mes se touchent. S'il existe un centre trophique dont l'altération matérielle ou

fonctionnelle préside il ces variations contradictoires de la nutrition osseuse, il

faut soupçonner que le molle d'activité du centre en question éprouve des modi-

fications irritatives absolument inverses suivant les cas. Les résultats étant

diamétralement opposés, nous ne pouvons concevoir que l'activité morbide soit

comme on dit en physique, de même sens.

Pour établir un contraste avec les arthropathies hyperlrophiantcs que vous

venez de voir, je vais maintenant vous montrer une malade chez laquelle les

extrémités osseuses ont littéralement fondu dans le liquide synovial, sans hydar-

throse préalable. Chez cette ataxique (Pl. XXVII), âgée de plus de cinquante ans,

le tabès remonte à l'année 1867. Les douleurs fulgurantes tiennent la placcla plus

importante dans son histoire. En 1882, elle se luxa l'épaule gauche. Nous ne sa-

vons sous quelle influence et elle l'ignore elle-même. La réduction pratiquée par

un chirurgien ne fut nullemeut douloureuse; mais immédiatement après, loti[ le

membre supérieur gauche, y compris la main,

s'infiltra d'un oedème considérable. Admet-

trons-nous que la tête lmméralcavait été décol-

tee ? L'accident est bien ancien et nous sommes

mal informés. Ce qui est certain, c'est que l'a-

pophyse humérale s'est complètement résor-

bée. Il n'en existe plus trace dans la capsule

articulaire. On peut tourner le bras dans tous

les sens, autour de son axe longitudinal et

cette torsion passive, dexlrorsum et sinislror-

S1l111, n'a pour limite que l'inextensibilité du

tégument. Vous voyez, en tous cas, que la

paume de la main peut reposer de trois façons

différentes sur le plan du lit : d'abord dans

la situation anatomique normale, puis dans

une supination et dans une pronation égale-

ment invraisemblables (Fig. 60. 1, 2, 3).

Par la spontanéité et la brusquerie de son arthropathie, par la soudaineté

\

Fig. GO. \

ARTHROPATHIES NERVEUSES ET TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ 219

de J'oedème, par l'absence complète de toute réaction douloureuse locale, cette

malade, tourmentée depuis tant d'années par les douleurs fulgurantes, vous

fournit, elle aussi, un beau spécimen de tabes sensitif.

Un dernier symptôme mérite considération : au niveau de la jointure malade

s'est montrée, peu de temps après la luxation, une large ecchymose. L'épan-

chement sanguin péri-articulaire peut dépendre de l'hémorrhagie qui marque

le début de ]'arthropathie. Il n'est pas impossible qu'un gros caillot ainsi formé

il la racine du membre, fasse obstacle à la circulation en retour et devienne

ainsi une cause de l'infiltration oedémateuse ; mais il reste toujours à se deman-

der pourquoi, l'affection locale débute par une hémorrhagie ? La friabilité des

parois vasculaires est peut-être une dystrophie tabétique ? Un trouble vaso-

moteur d'origine spinale ajoute peut-être ses effets il ceux do l'altération arté-

rielle ? Vulpian affirmait que les phénomènes vaso-moteurs sont rares dans le

lobes. Si celle proposition est vraie d'une manière générale, ne faut pas lui

reconnaître une valeur absolue. Straus a signalé des éruptions cccLymotirlues;l il

la suite des grandes crises fulgurantes, plus spécialement au niveau dos régions

endolories. Le purpura 1n ! }élopathiqltl' de Faisans appartient au même ordre de

faits. Or je vous ai dit que chez notre malade une vaste ecchymose avait

accompagné la luxation spontanée. La parenté des suffusions sanguines et des

oedèmes chez les ataxiques me semble donc très étroite et je suis tout disposé il

les rapporter au même ordre de troubles vaso-moteurs.

L'occasion est propice pour soutenir cette thèse.

Je reviens au malade que je vous montrais tout il l'heure : cet homme de soi-

xante ans qui, depuis vingt-six ans a des douleurs fulgurantes quotidiennes, et

qui souffre, « jour et nuit, mort et passion », n'a jamais présenté le moindre phé-

nomène moteur. Chez ce malade, atteint de « pied tabélique » du côté gauche,

l'effondrement du tarse a été précédé d'un oedème considérable de la région

tibio-tarsienne avec une éruption purpurique. La lésion osseuse du pied gauche

date déjà de plusieurs années. Or voici que depuis deux mois, un oedème absolu-

ment semblable s'est montré au membre inférieur droit dans la même région que

celui du côté gauche, avec le même piqueté hémorrhagique ; et notre malade

(qui sait s'observer), dit qu'il sent venir la déformation du pied droit, comme est

venue celle du pied gauche. Souhaitons qu'il se trompe; mais n'oublions pas que

l'oedème et le purpura du pied gauche ont précédé la déformation du pied tabé-

tique. Il est donc peu probable que l'oedème ait été la conséquence de l'eirtllro-

pathie. C'est l'inverse qu'il faut plutôt admettre.

Je viens de vous présenter une série de malades atteints de labes sensitif et

je me suis efforcé de vous prouver par des faits purement cliniques les rela-

tions de leurs troubles trophiques avec leurs douleurs fulgurantes. Cela, Mes-

sieurs, n'implique pas que les arthropathies n'existent que dans le labes sensitif .

Les formes d'ataxie complètes, classiques, sensitivo-motrices, de beaucoup les

plus fréquentes nous en donnent des preuves nombreuses. Mais, je serais sur-

pris que les cas de ! nlws moteur ou presque exclusivement moteur nous en

fournissent autant d'exemples. Pour ma part, j'en ai cherché, sans en trouver

un seul.

220 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

D'ailleurs, considérez les arthropathies spinales consécutives il des myélo-

pathics autres que le tabès, et vous y trouverez, j'en suis certain, la confirma-

tion de ce que j'avance. La syringomyélie qui donne lieu, comme vous le savez,

à des dystrophies articulaires identiques celles de l'ataxie, me parait d'autant

plus apte à produire cet accident qu'elle est plus douloureuse. Les douleurs

de la syringomyélie, comme il résulte des observations rassemblées dans la

thèse de Crilzmann, affectent très souvent le caractère fulgurant. Un malade,

actuellement dans nos salles, et dont l'histoire a été longuement commen-

tée par M. Charcot, vous offre un type d'arthropathies multiples liées à la

syringomyélie. Les déformations sont absolument semblables. J'imprime à ses

jointures des mouvements passifs et vous en entendez les craquements il dis-

tance. Il a des douleurs fulgurantes qui surviennent par crises espacées ; cha-

que crise est le prélude d'une poussée articulaire.

J'appelais votre attention, il y a un instant, sur une difformité toute particu-

lière des membres inférieurs chez les sujets atteints d'arlhropathies du genou il

début brusque. Je vous demande d'y insister une dernière fois. Un auteur amé-

ricain M. James Ilendrie Lloyd rapporte, dans un récent travail, un cas d'arlhro-

pathie survenue chez un malade atteint de paralysie générale progressive (1).

Il vous suffit de jeter les yeux sur la figure an-

nexée à cet opuscule et que j'ai fait reproduire ici

(rig. 1), pour vous convaincre de la similitude

absolue des lésions articulaires et de l'oedème con-

comitant avec ceux que je vous ai décrits. Mais,

je ne doute pas un instant que la maladie pri-

mondiale ftlt le tabès, j'entends la maladie qui a

été le point de départ des arthropathies. D'ail-

leurs, le patient avait souffert de douleurs ful-

gurantes el, qui plus est, l'autopsie a démontré

l'existence d'une sclérose systématique des cor-

dons postérieurs.

De tout ce qui précède, Messieurs, il résulte

que, si les arthropathies myciopatinques ne sont

pas nécessairement le propre du tubes, elles sont

toujours caractérisées par un ensemble de phé-

nomènes CL par une evomtion que le labes réalise sous la tonne la plus typique.

Elles figurent avec leur maximum de netteté dans le tableau clinique du

tab('s sensitif. Elles accusent un mode de réaction spécial des éléments ana-

tomiques, en présence de certaines excitations des conducteurs sensitifs. Ceci

revient il dire qu'il n'y a pas de troubles Irophiqucs primitifs : les (roubles

trophiques sont toujours secondaires ; les troubles de la sensibilité sont tou-

jours les premiers en date. Nous examinerons dans la leçon suivante les

arguments physiologiques qui confirment cette corrélation.

(il suivre). E. Brissaud.

(1) .T. II. LLOYD. AI'lhropalhy in (Jelleml paresis, I' ! n ! ade1;)hia)fospitn[t{epo)'tsfot'

1892. '

Fig. Gl.

NOUV. ICONOGR. DE LA SALPtfqILKE T. VII, PL. XXV

ARTHROPATHIES TABÉTIQUES DES DEUX GENOUX

L BATTAILLE ET C"

Éditeurs

TROIS CAS D'ARTIIIOP : 1THIE TABÉTIQUE

BILATÉRALE ET SYMÉTRIQUE

Les trois observations suivantes ont trait à des cas cl'arLhropathie tabéti-

que bilatérale (l). La première frappe les épaules, les deux autres les ge-

noux. Les faits de ce genre publiés jusqu'ici sont relativement rares. Max

FlaloAv (2), en 1888, a pu réunir 449 cas d'arthropathies dont 41 bilaté-

rales. Dans celte statistique, l'épaule esl prise 27 fois et six fois bilatérale-

ment, le genou GO fois et 13 fois des deux côtés. C'est, du reste, moins à

cause de celte rareté relative que du caractère monstrueux des déformations

que nous relatons ici, dans une iconographie, et comme simple recueil de

faits, les exemples qui suivent.

Observation I.

Emma de Poori., 51 ans, entre le 22 avril 1893, salle Piorry, n° 17.

Antécédents héréditaires. Pas d'antécédents héréditaires névropathiques

connus.

Comme antécédents personnels, il faut noter une tendance aux lipothymies

dans l'enfance et l'adolescence, de l'incontinence nocturne d'urine jusqu'à 16 ans

et une fièvre typhoïde à 18 ans.

Elle s'est mariée à l'âge de 18 ans (en 1859) ; un an après, elle accouche d'une

petite fille qui meurt il 11 mois, après avoir présenté une éruption suspecte. Du

reste, la malade semble avoir contracté la syphilis de son mari, dès la première

année de son mariage. Son mari avait alors un chancre pour lequel il se soignait.

Elle-même a eu une éruption cutanée de nature vénérienne, au dire de plusieurs

médecins qu'elle a consultés. Elle a eu depuis deux enfants nés à terme et qui

sont morts l'un de croup, l'autre tué an Tonkin. Jamais elle n'a fait de fausse

couche.

Histoire de la maladie. Le début du tabès actuel semble remonter à

1862 et s'être fait par des troubles rectaux : constipation opiniâtre, alternant

avec de la diarrhée, et accompagnée d'insensibilité au passage des matières

fécales, à Ici point que la malade était obligée d'aller sur un vase et de s'en

rendre compte devisa. A la même époque, elle avait des crises laryngées avec

toux coquel uchoïde, crises annoncées par une piqûre douloureuse dans la

(1) Ces malades ont été présentés à son cours par notre cher maître M. Brissaud.

(2) Thèse de Berlin, 1888.

222 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE E

gorge suivie de secousses de toux et s'accompagnaul de rejet de sécrétions

aqueuses. Ces crises revenaient presque tous les jours, trois on quatre fois par

jour. Elles ont duré environ 4 ans.

En 1863, sont survcnnes des douleurs fulgurantes typiques, localisées d'abord

a la partie postérieure de la cuisse droite, et survenant sous forme de paroxysmes

durant un ou deux jours, laissant une exquise byperostbésie cutanée et séparés

les uns des autres par des intervalles tout au plus hebdomadaires. Un an après,

les douleurs se sont montrées au niveau de la cuisse gauche, et, plus tard, au

niveau des jambes (région du tibia en particulier). Ces douleurs, provoquées

par le froid ou la fatigue sont restées localisées aux membres inférieurs pen-

dant do longues années : elles ont toujours respecté tronc (exception faite

pour une plaque constrictive do la région dorso-lombaire) et n'ont envahi les

memhres supérieurs que beaucoup plus lard.

Vers la même époque, se fait l'apparition de troubles vésicaux sons forme de

mictions impérieuses et plus tard d'incontinence d'urine.

En 1869, l'incoordination motrice fait son apparition dans les membres infé-

rieurs, d'abord dans la jambe et le pied gauche. En 1871, elle était déjà très

incoordonnée et ne pouvait ni descendre un escalier ni marcher seule dans la

ruc.

Pendant une,dizaine d'années, elle reste dans une période stationnaire, tour-

mentée par les douleurs fulgurantes et cette incoordination motrice.

En 1881, elle ressent des douleurs fulgurantes dans les membres supérieurs

droit et gauche (au niveau des mains et des coudes, jamais dans les épaules).

Elle continuait pouvoir écrire et coudre.

En 1882, survient une arthropathie de l'épaule gauche. Un jour, en voulant

monter au lit, elle est menacée de tomber. Elle se cramponne au dossier, et en-

tend à ce moment son épaule craquer. Le lendemain matin, elle sent son mem-

bre supérieur gauche lourd et paresseux ; elle le regarde et le trouve avec stu-

péfaction gonflé jusqu'au poignet. Elle n'en souffrait aucunement et n'avait pas

eu de crise récente de douleurs. On enveloppe le membre dans un appareil dex-

trasé qu'on enlève quatre mois après. L'oedème avait disparu, mais la malade

ne pouvait pas lever son bras. On remet le membre dans l'appareil qu'en en-

lève une seconde fois, cinq mois après. L'épaule et le membre supérieurs

étaient alors, dit la malade, dans l'état actuel. Durant cette période, les dou-

leurs fulgurantes ne s'étaient pas montrées dans les membres supérieurs. De-

puis elles sont revenues, à intervalles variables, particulièrement dans les

épaules.

En 1883, à la suite d'un faux pas, se montre une arthropathie dans le pied

gauche, accompagnée d'oedème.

En 1887, paralysie de la troisième paire de l'oeil droit et diplopie qui a per-

sisté depuis.

En 1888, arthropathie de l'épaule droite : un jour qu'elle était assise par

terre et voulait se lever, elle s'appuie sur le dossier de son lit et entend aussitôt'

son épaule craquer. Le lendemain matin, le membre correspondant était gon-

né par une ecchymose très étendue qui empiétait sur le thorax. Cette ecchy-

NOUV. ICONOGR.. DE LA SALP £ Tf(ILKL T. VU pu £

\

PHOTOTYPE : ILOATII' A. a. londe.

PHOTOCOL. BERTHAUD

ARTHROPATHIES TABETIQUES DES DEUX GENOUX

L BATTAILLE ET Ci,

Éditeurs

TROIS CAS d'aRTHROPATIITE TABÉTIQUE 223

mosc n'avait rien de nouveau pour elle, car déjà, depuis deux ou trois ans, il

lui arrivait de se réveiller avec une ecchymose étendue, soit dans l'un soit

dans l'autre membre supérieur. Ces ecchymoses n'étaient ni précédées ni sui-

vies de crise douloureuse. L'ecchymose du .membre supérieur droit s'est effacée

progressivement et l'articula lion s'est déformée peu à peu. '

Dans ces dernières années, il est survenu un phénomène nouveau : des

mouvements involontaires cboréiformos dans les membres, inférieurs (cuisses

et jambes).- Ces mouvements amyotaxillties sont assez étendus et se montrent

sous l'orme de petits paroxysmes, séparés par dc's intervalles de repos, durant

quelquefois plusieurs heures.. ; :

Étal actuel (,Ùce1ll{m,'ISIJ3). -'Nous ne ferons que signaler la'porsistancé'

des douleurs fulgurantes, de l'incontinence'd'urine, de l'incoordination motrice

(qui a condamné la malade au lit depuis un an 1/2) des mouvements chôréifor-

mes, etc... ' :

Les réflexes rotuliens sont abolis. ' ; : ' " :

Du côté des yeux, on trouve un ptosis très peu -'prononcé de l'oeil droit. La'

paupière supérieure recouvre en grande partie le globe de l'oeil ;'les mouvez

ments des yeux s'accomplissent normalement dans toutes les directions. Néan-

moins la malade a de la diplopie qu'elle a constatée il l'époque même ou 1,,( paù-'

pière supérieure s'est- abaissée. Les pupilles- un peu dilatées,, irrégulières, -ne !

réagissent ni il la la lumière ni à la convergence. Dans l'oeil droit, kératite inters-

Pas de lésions du fond de l'oeil.

Au point de vue de la sensibilité objective, anesthésie complète dans les deux

pieds. Dans les jambes, les cuisses et le tronc jusqu'à la région mammaire, les

sensations tactiles sont très diminuées, les sensations douloureuses et thermi-

ques perçues mais avec retard. Aux membres supérieurs 'et à la face,- le contact

est conservé mais l'analgésie est assez marquée quoique incomplète.. '. >

La -notion de position est tout à fait abolie dans lés membres inférieurs. :

Pas de troubles vaso-moteurs ni Lroplliques, cutanés ou vasculaires. .

Arthropathies. Dans lés deux épaulés les lésions sont identiques. L'épaule

n'a plus son relief arrondi ; sa face latérale est aplatie. Les extrémités, externes

de t'acromion et de la clavicule forment un relief très accusé sous lai peau, sans

ètre hypertrophiées. Ou enfonce les doigts sous cette voûte et on sent, aisément

la cavité glénoïde. En effet, la loto de l'humérus' cl la partie 'supérieure, do sa,

diaphyse ont complètement disparu ; elles se sont résorbées sans, laisser, les

moindre vestige de-leur existence. L'extrémité supérieure delà diapbyse. hume-

rale se présente sous forme de baguette terminée en pointe, hérissée dé petites !

aspérités, ainsi qu'on s'en rend aisément compte, eu la prenant entre ses doigts.;

Cette résorption du quart supérieur des deux humérus explique' la morphologiëz

si curieuse de la région scapulaire (PI. XXIX 'et Y11); c'esL-i ? lit;e.levnéplat de;

la face externe do ['épaule et le relief.relatif de la voûte 'acl'omi07Claviculaioe..

Celte disparition osseuse donne ,1 l'articulation scapulo-humcrlle.tme.mobi-.

lilé invraisemblable. La dislocation est. telle qu'on peut mettre les 'membres

supérieurs dans les altitudes les plus extraordinaires et faire faire, par exem-

ple, au membre deux ou trois tours complets autour de 'son axe longitudinal.

224 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE

Inutile d'ajouter que celte arthropathie est tout il fait indolente en dehors

bien entendu des crises de douleurs fulgurantes. Malgré ces lésions, la ma-

lade se sert encore passablement de ses membres supérieurs, du moins de ses

mains et de ses avant-bras. Kilo ne peut pourtant pas élever ses bras jusqu'à

l'horizontale.

Les troubles de la sensibilité cutanée objective ne sont pas plus marqués au

niveau de l'épaule que dans le reste des membres supérieurs.

Quant à 1 ? iiiiyo[ropiiie, si elle existe, il est difficile d'en apprécier le degré, en

raison de l'émaciation générale du corps.

Du côté des membres inférieurs, on trouve une arthropathie (hypertrophiante)

dans le pied gauche. C'est un pied tabétique d'un type spécial. L'ostéo-arthro-

pathie semble porter surtout, sinon exclusivement, sur l'astragale et les os de

la première rangée du tarse. Le pied apparaît élargi au niveau de l'articulation

tibio-tarsienne; il est ou outre fortement dévié en dedans. Aussi voit-on une

saillie considérable en dehors, formée par la tête du péroné et par l'astragale.

La voûte plantaire est plus excavée que normalement, de même que l'arc du

bord interne. En outre, ce bord interne semble raccourci.

Le métatarse et les orteils ont une configuration normale. De même, la partie

péronéo-tibiale de l'articulation ne semble pas notablement altérée. Les mouve-

ments de l'articulation tibio-tarsienne se font sans douleur aucune.

OBSERVATION II.

Elisa Berg. (1), 45 ans, domestique, entre le 11 août 1890, salle Cruveillicr,

n° 22 (service de M. le Prof. Charcot).

Antécédents héréditaires . Son père est mort en 1871 de mort subite. Il était

percepteur il Flavigny. C'était un homme excessivement violent et emporté qui

criait toujours et se mettait en colère sans raison. C'était un exalté aux convic-

tions politiques ardentes. (En 18c8, il avait fait partie d'un complot dirigé con-

tre Napoléon). « Le monde, dit la malade, l'appelait un original ».

Sa mère est morte d'affection cardiaque : elle n'avait pas de manifestations

névropathiques.

E. B... a eu 7 frères ou soeurs. Quatre sont morts en bas âge de ( ? ). Il lui

reste un frère qui est bien portant, et deux soeurs : l'une est atteinte d'eczéma

chronique généralisé ; l'autre est une nerveuse qui, il la suite de la moindre

contrariété, tombe dans des attaques de nerfs et cela depuis sa jeunesse.

Quant à ses grands parents, dans la branche maternelle, ils sont morts âgés

le grand-père d'hémiplégie gauche, la grand'lllel'e de paralysie il 87 ans. C'é-

taient d'excellentes gens, sans névropathie. Du côté paternel, son grand-père

était un original et un avare : il cachait son argent dans des trous du chemin,

dans le jardin, pour en indiquer la cachette et aussitôt le changer de place. Il

est mort subitement. Sa grand' mère est morte, à 60 ans, paralysée des quatre

membres.

Parmi les oncles et les tantes, il n'y a il signaler qu'une tante du côté mater-

(1) Cette malade avait fait l'objet d'une leçon de M. Charcot.

TROIS CAS Il'ARTn110PATUlB TABÉTIQUE 225

nel. C'était une dévole ayant des hallucinations de la vue : elle voyait la Vierge

et les Saints dans les buissons. Elle a eu la tête dérangée pendant un an. Elle

était de plus alcoolique.

Rien, dans les collatéraux, du côté paternel. Le père était fils unique.

Antécédents personnels. - Aucune maladie ni dans la première ni dans la

seconde enfance (sauf hypertrophie amygdaiicnne).

A 12 ans, première menstruation et depuis règles toujours régulières.

A 18 ans, variole.

A 22 ans, elle se marie et devient veuve au bout de six mois (son mari meurt

de tuberculose pulmonaire) sans avoir eu d'enfants.

A 25 ans, elle se remarie. De ce mariage, pas d'enfants mais une fausse cou-

che de six mois, tout au début du mariage. L'enfant était mort mais ne présen-

tait, paraît-il, aucune lésion cutanée. Du reste, la malade nie la syphilis et ni

l'interrogatoire, ni l'examen physique ne révèlent actuellement aucun stigmate

spécifique.

Dans son ménage, elle a été très malheureuse. Son mari était un vieux sol-

dat, fortement alcoolique qui la rouait de coups. Un jour il lui a luxé la mâ-

clIO ire ; une autre fois, il l'a presque étranglée. Elle a ainsi vécu pendant 17 ans

(elle n'est divorcée que depuis 3 ans). En ell'et, son mari avait commencé à la

brutaliser de la sorte six mois après le mariage.

Durant tout ce temps, elle a fait des excès génésiques, de toute espèce, auxquels

elle attribue son mal. Il parait que, dès le premier jour du mariage, son mari

l'a forcée au coït ab ore (et cela jusqu'au moment du divorce), sans préjudice du

coit normal répété cinq il six fois par nuit (dans les trois premières années du

mariage). Elle attribue sa fausse couche à ces excès. Enfin elle se livrait, en ou-

tre, à la masturbation. Ces habitudes d'onanisme, elle les avait contractées dès

l'âge de 12 ans et n'avait cessé que vers 35 ans. Elle se masturbait tous les

jours, la nuit et le jour, avant son mariage et assez fréquemment après. Elle dit

qu'elle a toujours eu dos désirs vénériens violents et désordonnés, avec une

certaine préférence pour les plaisirs solitaires. Depuis dix ans, elle a cessé ces

manoeuvres, craignant pour sa santé, mais elle est encore tourmentée par des

appétits qui font d'elle une espèce de nymphomane.

Histoire de la maladie.- - C'est au milieu de ces excès, ci l'âge de 26 ans

il y a 19 ans qu'aurait débuté le tabès. Le début s'est fait par des

douleurs fulgurantes. Une nuit, sans cause connue, cette femme a été prise de

douleurs dans le mollet droit. C'était, dit-elle, comme des éclairs : « ça va aussi

vivement que l'éclair, ça s'arrête instantanément pour reprendre après, c'est

comme des zig-zag ». Elles out duré toute la nuit, horribles, intolérables, conti-

nues, lui arrachant des cris. Elle ne pouvait supporter ni qu'on entrât dans sa

chambre, ni qu'on ébranlât même très légèrement le parquet. Depuis lors, ces

douleurs sont revenues avec des caractères identiques, presque tous les mois il

l'origine, de préférence au moment de ses règles et pendant la nuit. Les points

de la peau où siégeaient ces douleurs étaient d'une sensibilité exquise. Et mal-

cette hyperesthésie, il n'y avait, (lit-elle, ni rougeur ni gonflement, ce qui

faisait parfois croire aux gens qu'elle ne souffrait pas. Le malin, plus de dou-

vu 15

22G NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE ¡;;

leurs, calme presque complet un peu d'inappétence, faciès altéré durant 24 il

48 heures et tout était fini; elle reprenait ses occupations ordinaires comme si

elle n'avait jamais souffert.

Deux ans après ce début, ces douleurs se sont fait sentir, dans les mêmes con-

ditions, au membre inférieur gauche, toujours au niveau du mollet. A partir de

ce moment, elles se sont produites simultanément dans les deux membres in-

férieurs, au niveau des mollets, revenant tous les 30 ou 40 jours, diurnes

ou nocturnes, ne dépassant guère 24 heures comme durée.

En somme, durant 6 ou 7 ans, ces douleurs se sont renouvelées environ

tous les mois avec les mêmes caractères de localisation, de durée et de fulgu-

ration atroce.

A partir de ce moment, elles sont devenues plus fréquentes, plus violentes

si possible, et se sont généralisées divers segments des membres inférieurs :

mollets. talons, plantes du pied, jarret. Pendant un au - il y a 7 ans les

douleurs fulgurantes, au moment des crises, se sont montrées dans l'épaule

gauche. Depuis elles n'ont pas reparu en celle région.

Certaines régions ont été épargnées : la ceinture, le tronc, le cou, la face et

même les membres supérieurs, sauf cependant la sphère du cubital qui semble

avoir été parfois le siège de quelques élancements légers.

Jamais de crises viscérales.

Bref, depuis le début jusqu'au moment actuel, c'est-à-dire depuis 20 ans, les

douleurs fulgurantes on[ presque exclusivement frappé les membres inférieurs,

surtout les jamhes et les pieds (creux poplité, mollet, talon et plante des pieds).

A peine quelques douleurs moins vives du reste, clans la face postérieure des

cuisses et encore dans la moitié inférieure seulement. Une fièvre typhoïde sur-

venue il 28 ans n'a apporté aucune modification il cet état.

La dernière crise a eu lieu il l'hôpital Tenon, il y a une dizaine de jours.

Kilo a duré cinq il six jours.

Pendant de longues années, tout le mal semble s'être borné il ces crises dou-

loureuses. A aucune époque, elle n'a eu de diplopie ni de troubles oculaires. Ja-

mais de troubles vésicaux... Pas d'incoordination motrice.

Début des arthropathies. La malade n'avait jamais remarqué de trouble

moteur du côté des membres inférieurs : ni parésie, ni incoordination, ni déro-

blement des jambes. Elle travaillait et marchait sans gêne et sans fatigue, dans

l'obscurité comme en plein jour. Peu de temps avant le début de l'arthropathie,

elle avait fait, un jour, cinq ou six lieues il pied. Cependant, il cette même épo-

que (quelques mois avant l'arthropathie) elle avait entendu les gens dire qu'elle

ne marchait pas absolument comme tout le monde, qu'elle avait l'air d'une

femme « en ribote », mais elle-même déclare ne s'être jamais aperçue de trou-

bles dans sa démarche ni de gène aucune ;« sa marche, dit-elle, n'avait ja-

mais changé » avant son accident articulaire.

Le 20 novembre 1888, vers 9 heures du matin, elle aidait il décharger une

voiture. On lui charge sur l'épaule un demi-sac de pommes. A peine a-t-elle

cette charge que, sans avoir fait un seul pas, elle éprouve non des craque-

ments ni des douleurs mais une simple sensation de déviation dans la jambe

NOUV. ICONOCR DL LA SALPÊTRii.RL T. VII, PL. XXVII

ARTHROPATHIES TABÉTIQUES DES DEUX EPAULES

L BATTAILLE ET C"

ÉCITFURS

TROIS CAS D'A TI T il TI 0 P .\ 'r III F. : TA B B T 1 QUE 227 ^i

gauche. Elle laisse tomber le sac mais ne tombe pas elle-même. Elle va alors

s'asseoir dans la cuisine, marchant avec quelque difficulté mais sans douleur.

Elle regarde sa jambe, no remarque qu'un peu d'enflure au genou gauche,

et croit il une simple entorse. Elle a continué il marcher mais avec gène.

Dans l'après-midi, l'enllnre était énorme : le genou, dit-elle, était deux fois

plus gros que maintenant; la jambe, dans son tiers supérieur, était aussi un

peu enflée. L'enduro est alors devenue douloureuse et les douleurs l'au-

raient empêchée de dormir la nuit suivante, Kllc applique, avant de se coucher,

un cataplasme laudanisé sur la région. Le lendemain matin, la douleur avait

disparu. L'oedème persistait toujours pareil : les jours suivants il diminua peu

à peu et, dix jours après l'accident, le genou avait à peu près repris son

volume normal. Elle s'est alors levée et a repris ses occupations. Elle marchait

sans douleur, sans boiserie, sans gêne.

La production de cette arthropathie n'a pas été immédiatement précédée

d'uue crise do douleurs fulgurantes : elle s'est faite à peu près vers le milieu

d'une période intercalaire, quinze jours au moins après un paroxyme dou-

loureux.

Le 21 janvier (deux mois après cet accident), elle va chercher des pissenlits

dans les champs : il faisait, parait-il, très froid et très humide. Elle revient,

s'occupe du ménage, comme d'habitude, sans rien remarquer de particulier. Le

soir, en se couchant, elle s'est aperçue avec stupéfaction que son genou droit

était énormément enflé, plus gros qu'il n'est aujourd'hui. La jambe tout entière et

le pied du même côté étaient pareillement très augmentés de volume. Elle s'est

couchée ainsi, n'a éprouvé aucune douleur dans la nuit et a travaillé le lende-

main et les jours suivants. Elle a consulté le médecin qui lui a parlé de mala-

die de coeur et lui a ordonné du strophautus et de la digitale pendant fi5 jours.

Cependant, tout le mois de février, le genou et la jambe restaient oedématiés.

Le Dry... lui avait proposé l'amputation, mais elle refusa et vint à Paris

trouver le Dr L... qui parla, dit-elle, également d'amputation et l'adressa a

1'llôtel-Dieii, en mai 1889, où elle rentra, dans le service de M. Tillaux.

L'oedème de la jambe avait alors disparu.

De juin il septembre 1889, elle put travailler, sans douleur, ni gêne marquée.

Elle se croyait guérie mais ses deux genoux restaient toujours augmentés do

volume. Au mois d'août, elle avait été il Lourdes en pèlerinage et en était reve-

nue dans le même état.

En septembre les deux genoux, le droit surtout auraient beaucoup grossi.

Elle rentra alors (le 29 septembre 1889) dans le service de M. G. Séc où elle

resta jusllu'au 29 décembre.

Depuis lors, de plus en plus gênée dans la marche, elle a passé dans divers

services hospitaliers, à Laénnec, chez M. P. Mario, la Charité, enfin a l'hôpi-

tal Tenon d'où elle .est venue à la Salpêtrière.

Depuis six mois, amblyopie légère, et depuis six mois difficultés plus grandes

dans la marche. Elle marche avec un bâton depuis son retour de Lourdes et

avec des béquilles depuis peu.

228 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Etat actuel (août 1890). - L'étal général est très satisfaisant ; les divers

viscères sont normaux ; il n'y a ni albumine ni sucre dans les urines.

En dehors des arthropathies des genoux, la malade présente les signes tabé-

tiques suivants : le signe do Romhcrg, du myosis bilatéral avec perte du réflexe

lumineux, de l'atrophie papillaire avec un peu d'amblyopie et des douleurs

fulgurantes typiques. De plus, on ne trouve pas les réflexes rotuliens mais les

déformations des genoux rendent cette recherche difficile. Enfin en raison de

ces mêmes déformations, il est difficile de rapporter les légers troubles de la

démarche il l'incoordination motrice.

L'intérêt se concentre sur (les genoux. Le membre inférieur gauche est

dévié et déformé; la jambe se fléchit sur la cuisse jusqu'à l'angle droit. Au

contraire, l'extension n'est pas limitée. Lorsque le membre est en extension, la

jambe est très déviée en dedans et son axe forme avec celui de la cuisse un an-

gle obtus, ouvert en dedans, -dont le sommet serait au genou. Quant au genou,

il est très déformé et très hypertrophié : les llyperostoses portent sur les extré-

mités articulaires du fémur et du tibia ; mais il est dillïcile de se rendre exac-

tement compte de leur siège précis, aussi bien que de l'état des parties fibreuses

de l'article.

Quant au membre inférieur droit, la flexion de la jambe est loin d'aller jusqu'à

l'angle droit. L'extension est normale et le membre apparaît alors dans une atti-

tude vicieuse très accusée : l'axe de la jambe forme avec celui de la cuisse un

angle obtus ouvert en dehors. Le genou est plus déformé et plus volumineux

que celui du côté opposé ; le condyle interne fait une très grosse saillie en de-

dans. Ici encore les ostéopathies portent sur les extrémités osseuses du fémur

et du tibia.

Dans les deux genoux, les rotules sont relativement peu hypertrophiées, les

craquements nombreux, l'indolence absolue, la mobilité latérale très nette, tout

épanchement absent.

Dans les membres inférieurs, on ne constate ni troubles Irophiqucs ou vaso-

moteurs, ni amyotrophie notable. La sensibilité objective est conservée, mais

les sensations thermiques et douloureuses sont perçues avec retard.

2 février 1892. La malade, après avoir passé plusieurs mois à Vichy, est

revenue à la Salpêtrière. Les signes précédents sont identiques sauf l'amblyopie

qui a abouti à l'amaurose complète. Le myosis bilatéral est moins marqué mais

les pupilles sont encore plutôt rétrécies que dilatées.

8 mai 1894. - Aucune modification nouvelle n'est survenue dans l'état local

ou général.

Orservation III.

Marins B..., âgé de 46 ans, courtier en vins et en chevaux.

Antécédents héréditaires. Grand-père paternel mort hémiplégique.

Père syphilitique mort d'une affection pulmonaire indéterminée.

Mère morte à 68 ans d'apoplexie cérébrale.

Le malade a peu connu ses autres parents et ne peut donner sur eux des

renseignements bien précis.

Nouv. ICONOGR. DE LA SALPÊTRILRh

VII, PL. RW 111

ARTHROPATHIES TABÉTIQUES DES MEMBRES INFERIEURS

L BATTA1LLE ET C1'

Éditeurs

TROIS CAS d'ARTHROPATHIE TABÉTIQUE 22 ! )

Antécédents personnels . - Le malade, jusqu'à l'âge de 22 ans, a toujours été

bien portant ; il cette époque, il contracta un chancre induré qui fut suivi de

plaques muqueuses, roséole, calvitie, etc., ces accidents syphilitiques furent

traités avec soin. A cet âge, notre malade était d'une grande force musculaire

et exerçait d'ailleurs le dur métier de coltineur il Marseille.

Histoire de la maladie. Vers de 26 ans, ayant changé son métier

pour celui de courtier en vins et en chevaux, il éprouva de temps il autre do

très violentes douleurs dans la région lombaire et dans l'épaule droite. Ces

douleurs disparurent vers l'âge de 3'" ou 35 ans. A l'âge de 3c ans, se trou-

vant au Colorado, il dut subir l'opération de l'uréthrotomie par un rétrécis-

sement sur l'origine et sur la nature duquel il ne peut donner de renseigne-

ments. A l'âge de 39, ans il y a 7 ans, il commença à éprouver

des douleurs fulgurantes d'une grande intensité. Ces douleurs siégeaient dans

les mollets et dans les cuisses. En même temps, sensation d'un corset de fer

étreignant son thorax, quelques vagues douleurs également dans le domaine

des nerfs cubitaux. Pendant les trois années suivantes, le malade n'a eu à

se plaindre que de ces douleurs fulgurantes qui le prenaient par accès d'une

intensité effroyable. Il y a 4 ans, il ces douleurs fulgurantes s'ajoutent des

douleurs de morsure ressenties surtout dans le talon et dans les doigts de

pied. La marche était normale. C'est il cette époque que le maladn va con-

sulter le professeur Charcot qui lui remit par écrit les symptômes qu'il cons-

tata alors, soit : signe de I ? Oïiibl'i9, signe de Westphal et persistance telle des

douleurs fulgurantes qu'il lui prescrivit l'usage de la morphine.

Il y a 18 mois, apparurent une incontinence d'urine assez fréquente, des

pertes séminales et, après le coït, une douleur violente dans la région anale.

Quelques mois après apparut une impuissance génitale absolue. C'est vers cette

même époque qu'apparaissent des troubles dans la marche, la sensation d'épais

tapis sous les pieds, le dérobement des jambes, la démarche ataxique. Pendant

cl mois, fréquemment la nuit, il fut pris de crises d'étouffement.

Il y a 5 mois, le malade s'aperçoit que son genou droit enfle progressivement ;

tout le membre inférieur du même côté ne tarde pas il s'oedématier, mais, en

dehors des accès de douleurs fulgurantes et des douleurs de broiement, aucune

douleur spéciale n'accompagne ces phénomènes. Il y a 2 mois, en se levant un

matin, le genou céda brusquement et à partir de ce moment la marche sans

béquilles ou sans canne devient impossible. Environ 1 mois après, la jambe

gauche se mit il enfler à sou tour mais sans atteindre le volume de la jambe e

droite.

Le malade entre alors dans le service de M. le D1' Millard il l'hôpital Beau-

jon; notre collègue et ami Meunier, interne du service, a bien voulu avec l'au-

torisation de M. Millard nous l'envoyer.

Etal actuel. Le malade est un homme de haute stature ; d'une grande

force musculaire autrefois, ses muscles sont actuellement très émaciés. Son

corps est couvert de tatouages qu'il s'était fait faire pendant son séjour dans les

colonies. Les signes de tabès qu'il possède sont les suivants : Douleurs fulgu-

rantes d'une grande intensité siégeant a droite dans la partie postérieure de la

230 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

cuisse et dans toute la jambe, il gauche dans le mollet et dans le pied. Ces cri-'

ses durent plusieurs jours de suite avant de disparaître pour reparaître rapide-

ment. Douleurs de broiement et de morsure d'une grande intensité dans les pieds

et dans le talon. Douleurs constrictives dans la région thoracique. De temps il

autre fourmillements dans les deux mains et sur tout dans le petit doigt et dans

la région cubitale des deux avant-bras. La sensibilité cutanée est normale sur

toute la surface du corps, tronc, face et membres ; la région lombaire pré-

sente une zone limitée d'hyperesthésio. Le signe de Westphal étant donné la

déformation des doux genoux ne peut être recherché. Quoique la sensibilité de

cette région soit intacte, le réflexe plantaire n'existe pas. Le signe de Romborg

ne peut être recherché, la station debout étant impossible. (Ces signes avant

l'apparition des arthropathies avaient été constatés par M. Charcot). Le signe

d'Aryll-Robertson est très net. Aucun trouble de la mobilité dans les membres

supérieurs : dans ceux-ci, comme dans les membres inférieurs, conservation

absolue du sens musculaire. n'y a pas d'incoordination motrice apparente dans

les membres inférieurs, la marche sans béquilles est impossible par suite des

arthropathies. Incontinence d'urine de temps il autre; constipation très opiniâ-

tre. Digestion très bonne. Coeur, pancréas, foie normaux. Rien d'anormal dans

les urines.

Les membres inférieurs sont déformés; les cuisses sont le siège d'une infil-

tration considérable ; la pression ne détermine aucun godet persistant ; les

jambes au contraire, qui sont également d'un volume anormal, présentent un

oedème blanc, facilement dépressible ; les chevilles sont très oedématiées et dou-

loureuses à la pression. La peau est très tendue mais normale, sauf au niveau des

chevilles ou elle est un peu écaillcuse et rougcâtrc.

Le membre inférieur droit est d'un volume considérable, la cuisse est cylin-

drique, toutes saillies ou dépressions musculaires sont effacées ; sa circonfé-

rence, à 31 cm. de l'épine iliaque antéro-supérieurc, est de 59 cm., le mollet

droit très oedématié mesure 46 cm. Le genou est gros, déformé; l'exploration

est rendue un peu difficile par l'oedème avoisinant. La circulation collatérale est

très apparente et remarquable par son développement. Saillies apophysaires et

condyles normaux n'existent plus, toutes les parties sont hypertrophiées et

déformées, l'hydarthrose est considérable. Tous les mouvements volontaires

sont possibles. La flexion provoquée est normale, l'extension exagérée; les

mouvements de latéralité sont très marqués. Ces mouvements sont accompa-

gnés de craquements d'une grande intensité. Lors de la station debout, possible

pour le malade en s'appuyant sur une canne, la cuisse forme avec la jambe un

angle il sommet externe. Le membre inférieur gauche présente dans son en-

semble, mais avec un volume très inférieur, les mêmes particularités que le

droit. L'arthropathie du genou toutefois est beaucoup moins prononcée, l'hy-

darthrose est moins abondante, les saillies anormales moins considérables; les

mouvements volontaires et provoqués sont normaux. Les mensurations don-

nent les résultats suivants : cuisse 51, cm., mollet fil cul. Le malade peut se

tenir sur cette jambe et, lorsqu'il marche avec ses béquilles, c'est elle seule qui

soutient l'elfort.

TROIS CAS D'ARTIIIIOPATIIILE TABfbTIQUE 231

Nous avons suffisamment insisté, au cours des observations précéden-

tes, sur les détails cliniques. Nous tenons simplement à souligner ici, chez

nos trois malades, l'anesthésie profonde des articulations intéressées et

l'intensité des douleurs fulgurantes, intensité tellement grande, qu'elle

fit conseiller par notre regretté maître, M. Charcot, une thérapeutique

dont il était avare en l'espèce : les piqûres de morphine. Ces douleurs ont

précédél'arthropathie pendant plusieurs années, mais il est il noter qu'elles

ont siégé non sur les articulations atteintes, mais surtout, exclusivement

pour ainsi dire, dans les régions sous-jacentes. De sorte que nous retrou-

vons ici ce fait, remarqué par M. Straus dans les ecchymoses spontanées,

que la douleur siège au-dessous du point frappé.

Au point de vue de la forme de l'arthropathie, nos faits rentrent dans le

type classique : usure et atrophie à l'épaule (Obs. 1), ostéophytes et hy-

pertrophie aux genoux (Obs. II et 111). D'ailleurs, qu'il s'agisse d'atrophie

ou d'hypertrophie, la nature de la lésion est toujours identique.

L'observation I en serait une nouvelle preuve, si cela était encore né-

cessaire, puisque chez celle malade on retrouve les deux types atrophique

et hyperlrophique réunis. Du resle, c'est par le caractère excessif des dé-

formations, ainsi que le montrent les photographies, que nos cas présen-

tent un certain intérêt.

Dans l'observation III, on voit encore aujourd'hui un oedème considéra-

ble des deux membres inférieurs, surtout du côté droit. Dans ce dernier

membre, au-dessous du genou, il s'agit d'un oedème vulgaire; au-dessus,

dans la cuisse l'oedème est dur, impénétrable au doigt. On dirait plutôt

un pseudo-lip8me qu'une infiltration oedémateuse véritable. Il est clirfi-

cile de dire dans quelle mesure ce pseudo-lipôme enlre dans l'hypertro-

phie du membre. Il se pourrait que les tissus osseux et musculaires n'y

fussent pas absolument étrangers.

Enfin, il nous semble que la bilatéralilé et la symétrie des arthropa-

thies plaident plutôt, au point de vue pathogénique, la cause d'une lésion

spinale que celle d'une névrite périphérique.

A. Souques et J. B. Charcot.

DES ARTHROPATHIES SYRINGOMYIJLIQULS

HISTORIQUE

En jetant un coup d'oeil sur les indications bibliographiques on se

rend facilement compte que l'histoire des arthropathies syringomyé-

li crues ne remonte pas hien loin. Sauf quelques observations clairse-

mées, ce n'est guère qu'à partir de 1880, et surtout de 1884, que l'on voit

les observations se multiplier. La raison en est bien simple; si la con-

naissance anatomique de la syringomyélie est déjà ancienne (1), la des-

cription clinique de cette maladie ne date que de 1882 avec Scllnltze et

Kahler. Ce n'est qu'en 1889 que M. le professeur Dehove démontra le

premier en France à la Société médicale des hôpitaux les caractères clini-

ques de la syringomyélie.

Dans les observations deSLeudener, de Langhans, de Strumpett, le dia-

gnostic de la nature de l'arthropathie n'était donc pas possible à faire. Le

diagnostic de était paralysie spastique. Les malades des deux

premiers auteurs ont été considérés comme des lépreux. Looft (cité par

Gombault) (2) , dans un mémoire sur l'anatomie pathologique de la lèpre

anesthésique donne ces cas comme exemples de syringomyélie dans la

lèpre, bien à tort suivant nous, puisque la preuve de l'existence de la

lèpre n'était pas possible à faire dans le cas de Steudener daté de iS(iî,

Hansen n'ayant découvert le bacille de la lèpre qu'en 1871. Déplus le

cas de Steudener ne pouvait pas être un cas de lèpre à cause de l'arthropa-

thie (avec fracture et luxation) bien caractérisée du poignet droit. « La

mutilation » de la lèpre, n'atteint qu'exceptionnellement les articulations

tibio-tarsienne el radio-carpienne (Leloir), et encore ne s'agit-il pas

ici d'arthropathies. Nous n'avons pas à insister pour le moment sur les

ressemblances ou la coexistence de la lèpre avec la syringomyélie; nous

y reviendrons au chapitre du diagnostic.

Parmi les titres d'observations que nous avons passées en revue il en est

(1) Ilallopeau le premier montra on 1869 que les myélites peuvent donner lieu iL la

production cle cavités.

(2) Revue neurologique, 1 sU, p. 378, note.

DES ARTnnOPATlIIES SYRINGOMYÉLIQUES 233

encore un qui est étranger en apparence a la syringomyélie : c'est la ma-

ladie de Morvan, ou paréso-analgésie, ou panaris-analgésique. Mais tandis

que la lèpre est distinguée de la maladie qui nous occupe, par la grande

majorité des auteurs, la maladie do Morvan au contraire est rattachée il la

syringomyélie et n'en est plus considérée que comme une variété depuis

les travaux de MM. Joffroy et Achard (1890-1891) (1). A l'autopsie de

malades atteints de maladie de Morvan, ces auteurs trouvèrent une syrin-

gomyélie typique.

A propos de la maladie de Morvan nous ferons remarquer que nous

n'avons pas compté dans notre statistique les arthrites ou arthropathies

des doigts si fréquentes dans ce type morbide. Ces arthrites sans doute

rentrent dans les troubles trophiques mais elles sont souvent secondaires

aux troubles trophiques cutanés. D'où la difficulté de leur classification.

Dans ces dernières années, on a vu se multiplier les publications sur

les arthropathies syringomyéliques. A l'étranger plusieurs articles ont été

écrits sur l'ensemble de la question, par exemple ceux de Sokoloff et de

Graf d'ailleurs tout, récents. En France, il n'y a comme travail de ce genre

que la leçon de J. M. Charcot. Tout récemment J. B. Charcot vient de

mettre en relief un des points les plus intéressants de la symptomatologie

de cette affection.

, KTIOLOCIE. SYMPTOMES

Siège. Il nous paraît utile de déterminer d'abord le siège le plus

fréquent des arthropathies. Leur localisation habituelle est en elle( leur

caractère le plus distinctif, par rapport aux arthropathies tabétiques. En

compulsant toutes les observations précédemment signalées on arrive à

dresser le tableau suivant :

234 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

mann. Dans son second mémoire 189, J. Hoffmann rapporte l'observation

de Ferdinand IL (ohs. XIII) chez lequel il a trouvé en l'absence de toute

arthropathie une production osseuse au-dessus du muscle anconé; elle

était longue, de l'épaisseur d'un doigt et terminée en pointe par le bas.

Quoiqu'il ne s'agisse pas là d'arlhropathie, ce fait devait être évidemment

rapproché des précédents, car dans l'observa lion de J. M. Charcot, où il y

Fig.G2.(l)

avait arthropathie de l'épaule et du poignet droits,

on trouvait au-dessus du coude deux productions os-

seuses fort analogues, l'une de la grosseur d'une noi-

sette, située au niveau du tendon du triceps, l'autre

ayant 5 cent, de long sur 4 de large, et située « mani-

festement dans l'épaisseur du muscle triceps ». Quoi-

qu'il n'y ait pas eu d'arthropathie du coude il s'agit

d'une ossification péri-articulaire comme dans le cas

d'Hoffmann (Fig. G2). -

On pourrait encore ajoutera notre statistique un cas

d'arthropalhie de l'articulation mé(acarpo-phalan-

gienne du pouce gauche également rapportée par J.

llofmann dans son 1° mémoire (obs. X). Nous la met-

tons à part pour suivre l'exemple de Graf qui ne tient

pas compte de son observation d'arthropathies méta-

carpo-phalangiennes des 2e et 4e doigts. Ces artliro-

pathies meiacarpo-phatangiennes ne sont donc pas

rares. Il en existait une aussi dans le cas de Strüm-

pell, etc.

Nous avons ajouté à la liste de Graf deux observa-

tions publiées avant son mémoire, l'une de Déjerine

dans laquelle il est dit que les extrémités inférieures

du radius et du cubilus étaient légèrement gonflées,

l'autre de Parmentier où il est question d'arlhropathie

du genou droit. Chez le malade de Déjerine il y avait

sur le cubitus, à la réunion du 1/3 supérieur avec les

a/3 inférieurs, une llyperostose du volume d un oeuf de pigeon eliagnos-

tiquée non syphilitique par Ricord.

Certains auteurs ont considéré la scoliose comme étant le résultat d'une

polyarthrite vertébrale (Kroenig) (2). Roth, au contraire, pense qu'elle

est d'origine musculaire, et causée par l'atrophie des muscles lransversai-

(1) Nous remercions M. Bourneville de nous avoir prêté les clichés des dessins déjà

publiés dans le Progrès médical. Nous remercions également 11. Il. Meige du nouveau

dessin qu'il nous a donné. ,

(2) Zeitschrift f. ! clin. lI1ed., T. XIV, 1888.

DES ARTHROPATHIES S S y H 1 N G 0 IY É L ¡ QUE S 233

res épineux. Brubi dit qu'elle est favorisée surtout par la contracture.

Malgré cette divergence d'opinions, la scoliose rentre dans les troubles

trophiques et les signes polio-myéliques médians de Charcot. C'est aussi

l'opinion de Morvan, pour qui elle viendrait se placer à « à côté du pa-

naris, de l'artlhropatliie, de la fracture spontanée, de l'osiéopliyte ». A ce

titre la scoliose renlrerait dans notre cadre; pourtant nous la laisserons de

côté : 1° à cause de l'absence de renseignements anatomiques capables de

fixer la question : 2° parce que par sa fréquence (50 z0 ]31,iilil) elle cons-

titue un trouble trophique spécial qui mérite d'être étudié à part (1) ;

3° parce que son développement progressif n'a aucune analogie avec le dé-

but habituel de l'arthropathie. M. le Professeur Raymond rapporte un fait

de C. Koenig qui est probablement, pour le labès, un exemple d'arthro-

pathie vertébrale. Or dans ce cas il ne s'agissait pas de scoliose. Le ma-

lade, tabétique depuis 10 ans, perçut un craquement au moment d'une

chute, et peu après se produisait un tassement de la colonne vertébraie

avec diminution delà taille et raccourcissement du ventre (2). Hallion

(loc. cilalo) rapportant les faits de Pi 1res et Paillard etKroenig, tabes avec

déviations vertébrales variables, insiste sur la brusquerie du début.

Pour conclure,' alors même due l'on prouverait l'existence de lésions

articulaires dans la scoliose syringo-myéiique elle resterait distincte de

l'arthropathie.

D'autre part, on n'a pas encore signalé de cas d'arthropathie véritable

de la colonne vertébrale chez les syringo-myéliques.

Il est temps d'en revenir à l'arthropathie proprement dite. Le tableau

de ses localisations est très significatif. Elle est beaucoup plus fréquente

aux membres supérieurs, contrairement à ce qui se passe dans le tabes, et

pour le membre supérieur sa fréquence est plus grande pour les articula-

lions les plus rapprochées de la racine du membre (Voy. PI. XXIX et XXX).

Elle n'a guère plus de prédilection pour un côté que pour l'autre. Nous

ajouterons qu'elle n'a presque jamais été jusqu'à présent à la fois bilaté-

rale et symétrique. Elle peut affecter les 2 côtés du corps chez le môme

sujet comme dans un cas de Sol;olofl' et un autre de Nissen (poignet droit

et coude gaucho, coude droit et épaule gauche). Deux observations, celle

de Schlesinger et la 3° de Sokoloff, offrent même des exemples de bilatéra-

lité symétrique : mais ce sont là les seuls cas de ce genre. Quand les ar-

thropathies sont multiples, elles siègent plus souvent du môme côté, au

nombre de deux ou trois au plus. Ainsi on a au se prendre à la fois l'é-

panle, le coude et le poignet gauches (Sokoloff), la hanche droite, la

(1) Nous renvoyons le lecteur à la thèse u'IMiion, 1892. Des déviations vertébrales

névropalliiques, Paris.

(2) Dict. des Se. ? née ? Art. tabes flot salis.

236 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

4e articulation métacarpo-pllalanienne droite et la tibio-tarsienne droite

(Strumpett). On a vu aussi les associations suivantes : épaule et coude

gauches (Nissen), ou épaule et poignet droits, ou bien genou et pied gau-

ches (Graf). Le fait intéressant à relever nous paraît être la tendance uni-

latérale de l'affection. Nous l'opposerons a)a tendance du tabès à affecter

des articulations symétriques (1) particulièrement, les deux hanches (2),

ou les deux genoux (3), ou les deux pieds (4), ou les deux épaules.

Les plus rares arthropathies ont .été rapportées celles de la hanche par

S trümpell; Sclml tze et Schlesinger ;

Celles du genou par,Graf, Parmentier et Schlesinger ;

Celles du pied par Graf, Morvan et Strumpcli.

Ces arthropathies quoique rares ne peuvent être mises en doute, grâce

surtout ai l'autopsié de Sir(iiiipell.

Fréquence, sexe. La fréquence absolue des arthropathies au cours de

la syringomyélie est de 10 0/0 d'après Sokoloff; ¡;'est en somme la fré-

quence des arthropathies tabétiques par rapport au tabès.

Les hommes sont 3 fois plus souvent atteints que les femmes, mais il

faut dire que la syringomyélie est deux fois plus fréquente chez les hom-

mes que chez les femmes, d'après Wichmann et Bruttan, cités par Graf, et

.même, 3 fois. plus, fréquente chez les premiers suivant Roth cité par Bruhl.

Age. Graf estime que ! 'age où surviennent surtout les arthropathies

est 40 ans, et pourtant parmi les 4 observations qu'il en rapporte le pre-

mier signe de l'arthropathie s'est révélé 2 fois avant 20 ans, une fois à

17 ans et une fois à 9 ans. Dans le cas de Bernhardt il s'agit d'un jeune

homme de 19 ans. Charcot considérait la syringomyélie comme débutant

dans le jeune âge; c'est souvent entre 15 et 25 ans. Or l'arthropathie peut

être un signe précurseur; il n'est donc pas étonnant qu'elle survienne

parfois chez les jeunes sujets. .

Epoque d'apparition. Ce n'est, dans beaucoup de cas, que long-

temps après le début de I'arthropathie que le malade vient consulter le

médecin. D'abord'en effet il n'est pas 'gêné clans ses mouvements et la dou-

leur, nous le verrons, est ordinairement absente. Lorsque le médecin voit t

pour la première fois le malade les signes polio-myélites antérieurs atro-

phie musculaire et postérieurs dissociation de la sensibilité ne sont pas

(1) Flatow. Thès. de Berlin 1888, -il a ? 'tll1'opathies bilatérales sur 1 r9 cas, et P. Ma-

rie, Maladies de la moelle. La bilatéralité existait 13 fois sur GO aux genoux ; 8 fois sur

39 aux pieds ; 9 fois sur 38 il la hanche ; 6 fois sur 27 à l'épaule.

(2) Voir Arthropathie tabétique des deux hanches par P. Londe. Nouvelle Iconographie

de la Salpêtrière, 1893.

(3) Souques et J. B. Charcot. Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, 1894.

(4) Thèse de Pavlidès, 1888, et Chauffard, Soc. médical. des hôpitaux, 1883. Sur 7 cas

4 fois les 2 pieds étaient pris.

NOUV. ICONOCR. Lt LA SALPllrFtIt'Rh

T. VII, PL. XXIX & XXX

ARTHROPATHIES SYRINGOMYÉLIQUES ET DEVIATION VERTEBRALE

DES ARTHROPATHIES SYRINGOMYÉLIQUES S 237

toujours évidents. Ainsi chez les malades de J. M. Charcot et Dutil c'est

tout juste si l'on trouva une ou deux zones cutanées peu étendues présen-

tant de la dissociation de la sensibilité. Dans deux observations de Graf

l'arthropathie semble avoir été la première manifestation de la maladie.

Il est à remarquer que le malade va souvent consulter un chirurgien

pour sa maladie articulaire, parce qu'elle est pour lui le premier accident

grave. Pour toutes ces raisons il faut admettre avec Graf que si l'arthro-

pathie n'est pas toujours précoce elle appartient du moins il la première

période de la maladie.

Pourtant l'apparition de la première arthropathie peut être relativement

tardive comme chez la malade de J.B. Charcot reconnue syringomyélique

depuis deux ans.

Signes antérieurs. Les symptômes qui ordinairement précèdent les

manifestations articulaires sont, dans la grande majorité des faits, les trou-

bles trophiques cutanés du côté des mains comme dans les observations

d'Hoffmann (XI, X. XIV), de Nissen (I), de Czerny (II), de Karg (I), de

Gessler, de Weil ; d'autres fois c'est la scoliose (obs. de J.-B. Charcot et

Critzman et obs. I de Nissen). Enfin ce peut être des douleurs fulgurantes,

exemple le cas de J. M. Charcot et Dutil. Leur malade avait eu plusieurs

années auparavant des douleurs lancinantes et fulgurantes, paroxystiques,

exclusivement dans les jointures, tantôt dans une articulation, tantôt dans

une autre. Il est important de retenir cette particularité car de semblables

douleurs font penser au tabès. J. Hoffmann aussi a insisté sur les dou-

leurs dans la syringomyélie, mais il a relevé surtout des douleurs compa-

rables il des brûlures ou il des sensations de froid glacé.

Prodromes éloignés. Mais ce qui est plus particulier c'est de voir

dans certains cas la douleur se localiser, et en quelque sorte prédire l'arti-

culation qui sera prise.

Ainsi dans une observation de Morvan où il s'agit d'une arthropathie

de l'épaule droite (XVII) la malade ressentait depuis plusieurs années des

douleurs dont le point de départ était à l'épaule et qui s'exaspéraient aux

changements de temps. Le malade de Weil avait depuis 30 ans de légères

douleurs à l'épaule gauche lorsqu'apparut spontanément une nuit une

tuméfaction indolore de l'article.

Prodromes immédiats. Comme prodromes plus immédiats encore et

également localisés, nous trouvons signalés mais rarement des troubles

trophiques cutanés dans la région même de l'article menacé. Le malade

de Karg remarqua une petite pustule sur le côté externe de son coude

droit, 3 semaines avant l'apparition d'une enflure spontanée considérable

de ce même coude. Dans l'observation de Remak plusieurs grosses bulles

étaient apparues au niveau de l'épaule gauche, avaient creusé un ulcère

238 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

profond, et l'arthropathie s'était déclarée après guérison de l'ulcère.

Début. = Nous arrivons au début même de l'arthropathie. Il esl géné-

ralement brusque qu'il soit ou non provoqué par un traumatisme violent

ou léger. Quelquefois il est progressif. Enfin on a vu dans certains cas

vraiment difficiles il interpréter l'article suppurer d'emblée.

Début traumatique. Presque toujours, dit Graf, il y a un trauma-

tisme signalé au début de l'arthropathie syringomyélique. Graf s'appuie

sur les nombreux faits de Striimpell, Schul tze, Nissen (1 et II), Sokoloff (1)

Gessler; sur ses 2" et 30 observations. Il s'agit dans ces cas de trauma-

tismes importants, comme la chute d'une échelle (Nissen). La malade de

Schlesinger était tombée dans l'eau ; l'action du froid peut être invoquée

ici comme cause occasionnelle. D'autres fois le trauma est insignifiant ou

nul. Dans l'observation I de Graf le point de départ de l'arthropathie a

été un mouvement d'élévation du bras. Dans l'observation XII de G. Hoff-

mann, l'arthropathie ne s'est développée que 3 ou 4 jours après une chute

sur le poignet. Chez la malade de J. B. Charcot, la chute eut lieu sur

l'épaule gauche, et c'est en se retournant que la malade éprouve dans l'é-

paule droite une vive douleur.

Début spontané progressif. - Cette même malade est un exemple de

début progressif de J'arthropathie. Il se développa chez elle progressive-

ment un hydarthrose de l'épaule qui fut ponctionnée plus Lard. Même dé-

but progressif, mais spontané, dans l'observation de Blocq et P. Ber-

bez.

Début spontané brusque. Le début spontané lui-même peut avoir lieu

brusquement, exemple l'observation II de Nissen, dans laquelle sans pro-

vocation extérieure l'épaule et le coude gauche se tuméfièrent. Ici il y eut

deux articulations prises il la fois.

Suppuration d'emblée. - Enfin Czerny (III), Hoffmann (1er mémoire),

Karg (I) ont vu la suppuration d'emblée. Dans le premier cas, sans cause

apparente, il survint avec des frissons une tuméfaction rouge, doulou-

reuse à la main gauche. La suppuration donnait lieu à une ouverture

spontanée 3 jours après et l'on trouvait une destruction ligamenteuse avec

luxation de l'extrémité inférieure du cubitus. La dernière phalange de

l'index se gangrena. Il y avait une température de 4..05. Malgré l'amputa-

tion la mort arriva par septicémie.

Ce malade avait de l'atrophie des 2 mains, mais il n'est pas dit qu'il ait

eu des ulcérations aux mains.

Chez le malade de Karg (J. B. 43 ans) il y eut ouverture également

spontanée du coude droit qui contenait du sang et du pus. Les extrémités

articulaires étaient privées de cartilage. Il n'y avait pas eu de douleur

contrairement au cas précédent. La suppuration de l'article avait été

NOUV. ICONOGR. DL LA SALPÊTRIÈRE

T VII. PL. XXXI & XXXII

REPRODUCTIONS DE TROIS ETUDES DE P. BRONZET POUR SON TABLEAU

« LE CHRIST DELIVRANT UN POSSEDE » A L'EGLISE SAINT-LAZARE (MARSEILLE)

L BATTAILLE ET C'*

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DES ARTHROPATHIES S VRIN GO MYÉLI Q UES 239

précédée de la formation d'une pustule sur le côté externe de la région.

Ces cas en somme sont exceptionnels quoi qu'ils paraissent moins rares

que dans le tabes. Nous passons donc immédiatement a la description de

l'arthropathie syringomyélique typique.

Arthropathie il forme d'hydarlhrose : 1" rapide; 2° progressive. En gé-

néral les choses se passent de la façon suivante.

Il se produit très rapidement un gonflement quelquefois considérable

de la jointure atteinte. Que le début ait été spontané, ou bien qu'il ait été

marqué par un traumatisme, le plus souvent ce gonflement est absolu-

ment indolore : il n'y a ni douleur spontanée, ni douleur a la palpation

de l'articulation, en un mot aucun trouble subjectif de la sensibilité.

Nous verrons que par contre il existe souvent dès celte période des

troubles objectifs de la sensibilité. Le gonflement gardait un peu l'em-

preinte du doigt dans l'observation de J. M. Charcot et Dutil. L'absence

de douleur explique l'étonnement du malade lorsqu'il découvre sa lésion

soit en travaillant, soit à son réveil. Il faut même parfois une visite du

médecin pour que l'arthropathie soit découverte.

L'attention du patient n'est attirée que par un vague sentiment de gêne

au niveau de l'articulation; s'agissait du poignet dans le cas auquel

nous faisons allusion. La tuméfaction est d'origine à la fois périarticulaire

et articulaire. Les segments des membres adjacents à lajointure sont infil-

trés dans une certaine étendue, et d'autre part, l'épanchement articulaire

est assez abondant pour nécessiter une ponction chez bon nombre des

malades. Dans le cas de Weil l'lydartlirose de l'épaule gauche formait

une tumeur fluctuante grosse comme la tète d'un enfant. Cette arthro-

pathie indolore était apparue brusquement la nuit. Dans les exemples

précédents on peut dire qu'il s'agit d'une h ! ldarlll1'ose aiguë, d'ailleurs

sans rougeur ni sans douleur locales.

D'autres fois (J. B. Charcot) c'est petit à petit que se forme l'épanche-

ment articulaire, c'est peu à peu qu'il atteint un volume plus ou moins

considérable. C'est ce qui s'est passé aussi dans l'observation de P. Berbez.

L'arthropathie revêt ici la forme d'une hydarthrose chronique. Le liquide

que l'on retire de ces hydarthroses est tantôt limpide, tantôt trouble, quel-

quefois sanguinolent.

Au bout d'un certain temps, généralement quelques semaines, jusqu'à

2 ans dans le cas de Schlesinger, aec ou sans ponction, l'hydarthrose

guérit en laissant ordinairement une impotence légère, rarement très mar-

quée après une première atteinte. En effet si on ne les a pas déjà consta-

tées, on découvre alors des lésions articulaires profondes. Il est pour ainsi

dire constant de trouver des craquements en rapport avec l'état des tètes

osseuses (usure des cartilages). Les ligaments et les capsules conservent

240 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

désormais une certaine laxité. Les extrémités articulaires peuvent être à

volonté luxées ou tout au moins subluxées et tandis que les mouvements

actifs sont possibles ou impossibles, les mouvements passifs ont une éten-

due anormale. Touscesphénomènes, pourpeu qu'ils soient prononcés, sont

l'indice d'une déchirure capsulaire ou ligamenteuse. L'article est alors vé-

ritablement disloqué (Schlollcrgelcnk). On peut apprécier dans certains

cas les déformations des épiphyses, surmontées d'exostoses articulaires.

Nous avons vu qu'il pouvait exister des productions osseuses soit intr2-cap-

sulaires, soit extra-capsulaires.Dans d'autres cas qui semblent plus rares,

au lieu de lésions bypertropbiques on trouve au contraire les os en voie

d'atrophie.

Signalons en passant les lésions de la diaphyse des os ; ce sont soit des

fractures spontanées comme dans le tabes ce qui est rare, soif des exosto-

ses (exemple : obs. II de Graf).

Récidives. Arthropathies simultanées. -Dans beaucoup d'observations,

ce n'est pas seulement une poussée d'hydarthrose que l'on trouve relatée,

c'est 2, 3 ou davantage, et si la gène fonctionnelle a été nnlle ou peu

marquée après la première, elle s'aggrave nécessairement à chaque nou-

velle atteinte. La récidive surplace est donc un des caractères de la maladie.

Nous avons déjà signalé l'atteinte successive de plusieurs articulations.

C'est presque toujours du môme côté et le plus souvent sur le même mem-

bre qu'une deuxième arthropathie se développe. Dans l'observation de J.

M. Charcot l'épaule droite fut prise un mois après le poignet droit. Dans

un cas de Sokoloff il y eut 2 ans d'intervalle entre la luxation du poignet

droit et la tuméfaction indolore du coude gauche.

Dans le deuxième cas du même auteur il y eut plusieurs années aussi

entre l'atteinte de l'épaule et du coude gauches. Chez son troisième malade

2 ans de distance séparent l'atteinte du coude droite ! celle du coude gau-

che. Dans le cas de Striimpell l'articulation tibio-tarsienne s'est prise 3 se-

maines après la quatrième métacarpo-phalangienne. La femme de 43 ans

de Nissen offre un exemple de deux arthropathies simultanées (épaule et

coude gauches). L'observation III de Schlesinger est encore un exemple

d'arthropathies simultanées, celle fois symétriques (1).

Forme douloureuse. Nous avons insisté sur l'absence de douleurs

dans l'arthropathie syringomyélique. C'est en effet lit un des caractères

qui la rapproche de l'arthropathie tabétique. Mais de même que celle-ci,

la première aussi peut être douloureuse. Dans quelques cas la douleur

peut être le phénomène prédominant et même exclusif. On note dans

(1) L'auteur ne précise pas les jointures atteintes, il dit simplement : les articulations

des deux jambes dans leur ensemble (saromtliche).

DES ARTllIt01'ATIIIES SYRINGOMYÉLIQUES 241

l'observation de Strümpell : chute sur le côté droit; aussitôt fortes doit-

leurs dans la hanche droite pendant 9 mois. Ces douleurs disparurent

alors pour revenir de temps en temps dans la suite ; ces douleurs furent

à un moment donné intolérables. Après un début traumatique les dou-

leurs furent assez vives dans le premier cas de Sokoloff. Elles étaient

insignifiantes dans la première observation de Nissen. Il faut remarquer

que les malades qui ont eu de la douleur, comme les précédents, avaient

subi un traumatisme. Exemple encore du cas de Schlesinger.

(A suivre) PAUL Londe et .I. PEHREY

vu 16

UN CAS DE BIDACTYLIE DE LA MAIN DROITE

PAR AMPUTATION CONGÉNITALE

On divise les anomalies congénitales des membres en deux catégories :

les anomalies par excès et les anomalies par défaut. Ces dernières que

nous envisagerons ici exclusivement ne reconnaissent pas un mécanime

univoque.

Jusqu'à Chaussier, on les considérait comme relevant d'un arrêt de dé-

veloppement. Cet auteur fit voir, en 1812, qu'elles peuvent être produites

par une mutilation intra-utérine. Depuis lors, latl;inson et surloutMont-

gomerry (1) en ont rapporté des exemples authentiques.

Après Montgomerry, qui donna la première théorie scientifique de ces

amputations, les observations deviennent nombreuses. Il nous suffira de

citer : il l'étranger celles de Zagocoski, Credi etc., ci en France celles de

Ilillairel, Longuet, Lannelongue, Ladmiral, l'roust, Jenuel, Tournier, Bar,

etc. On trouvera, du reste, toutes les indications bibliographiques dans

les thèses récentes de Rouget (2), Dumas (3), Osmonl (4) et Lhomme (3).

Dans certains cas, le mécanisme de l'anomalie est facile à retrouver. Il

est évident que les exemples d'ectrodaclylie avec transmission héréditaire,

pendant une ou plusieurs générations, ne peuvent s'expliquer que par un

arrêt de développement. D'autres fois, au contraire, il est facile de prou-

ver que l'absence d'un ou plusieurs doigts de la main est la conséquence

d'une mutilation intra-utérine. La chose est certaine lorsqu'on assiste a la

naissance de l'enfant et que l'on trouve dans le délivre les pièces à^con-

viction, sous forme de segments amputés. Il en est de même des faits où

l'on constate sur les membres soit des sillons congénitaux, soit surtout

une cicatrice située à l'extrémité du moignon.

Malheureusement il n'en est pas toujours ainsi. D'une part la transmis-

sion héréditaire, et, de l'autre, les sillons et les cicatrices peuvent faire

défaut. Dans ces conditions il est fort difficile, particulièrement chez des

(1) MoNToo.MEnuY, DuGlins jour. of. med. Sci., 1832, t. II, p. 140.

(2) Rouget, Amputations congénitales et ainlwm. Th. Paris, 1889.

(3) DUNAS, Des sillons congénitaux. Th. Bordeaux, 1890.

(4) OS110NT, Contrib. à l'étude des ampul. congénil. Th. Paris, 1892.

(5) Lll0515fE, Recherche sur les amput. cozgézil. Th. Paris, 7 décembre 1893.

UN CAS bE l31bACTYLIE nr LA MAIN DROITE E 243

adultes, de savoir s'il y a eu arrêt de développement ou amputation con-

génitale. Les renseignements fournis par des personnes étrangères à la

médecine, ayant vu la naissance de l'enfant, sont souvent sujets à caution

et ne doivent être acceptés que sous bénéfice d'inventaire. Quant cette

anamnèse fait défaut, le diagnostic pathogénique rétrospectif devient

encore plus délicat. A cet égard, l'observation suivante constitue un pro-

blème assez difficile il résoudre.

OBSERVATION ^/

La nommée Perricr (Thérèse), marchande de mercerie, âgée de 60 ans, entrée

au mois de juin 1893, salle Broca, lit n° 9.

Antécédents héréditaires . Le père est mort, probablement éthylique. La

mère, qui avait toujours été bien portante, succomba des suites d'un refroidis-

sement. Récemment, un frère est mort âgé de 80 ans et ayaut toujours joui

d'une bonne santé.

Les parents n'étaient pas consanguins et aucun d'eux ne présenta de malfor-

mation analogue à celle de la malade « pas plus ascendants que collatéraux ».

Antécédents personnels. - Née il 7 mois : élant enceinte d'elle, sa mère lit

une chute dans laquelle elle se fractura plusieurs côtes ; nous n'avons pu savoir

combien de temps après cette chute la malade vint au monde. Elle était la der-

nière de cinq enfants tous parfaitement conformés.

Ses parents ne lui ont jamais parlé de sa main, mais les gens du pays lui

ont donné ultérieurement quelques renseignements. C'est ainsi qu'on lui a dit

que « au moment de sa naissance, ses phalanges saignaient encore ».

Réglée seulement il 23 ans et toujours bien depuis cette époque.

A 24 ans, habitant dans un pays marécageux, elle contracta des fièvres qui

furent d'ailleurs de peu de durée. '

Mariée à 27 ans : une fausse couche de 3 mois et trois enfants. Deux de ces

enfants sont morts : l'un de convulsions il l'âge de 4 ans. Elle a perdu l'autre

il 3 mois, également a la suite de convulsions. Une fille est encore vivante,

mariée et âgée de 30 ans. Tous ces enfants étaient bien conformés.

La ménopause est arrivée à 57 ans.

Il y a environ un an, la malade a commencé à avoir des pertes ; ces pertes

d'abord blanches et jaunes sont devenues rapidement sanguinolentes et fétides.

A la suite de ces pertes la malade perdit l'appétit, elle maigrit considérablement

et fut elle-même frappée de la teinte jaune ocreuse que prenaient ses téguments.

Etal actuel (4 avril 1894). La malade a un épithélioma utérin; elle a

toujours des pertes, non plus sanguinolentes, mais presque séreuses ou à peine

teintées de rouge. L'amaigrissement et la faiblesse sont très marqués, les tégu-

ments décolorés et présentant la teinte jaune paille. La marche est difficile et

il existe de l'anorexie élective ; la vue seule des viandes et de la graisse occa-

sionne des nausées.

Légère adénopathie sus-claviculaire gauche.

2H, NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Description de la malformation du membre supérieur gauche Voy. Fig. 63 (1). '

La malade présente depuis sa naissance une déformation du membre supérieur

gauche. Ce membre, dans son ensemble, a des dimensions sensiblement infé-

rieures à celles du membre opposé. La main semble, à première vue, avoir

subi une amputation irrégulière, comme celle que produirait une machine.

Fig. 63.

L index et le médius

sont absents : seuls les

métacarpiens, correspon-

dant ces deux doigts,

existent.

A l'annulaire, il y a un

rudiment de phalange

d'environ un centimètre :

on le sent parfaitement

sous la peau qui se renfle

Ù son niveau sous forme d'un petit tubercule, et l'on constate qu'il peut se

fléchir et s'étendre sur le métacarpien avec lequel il s'articule.

Seuls le pouce et le petit doigt sont relativement développés.

Les phalanges Au petit doigt sont soudées entre elles. Il n'y a pas d'ongle,

mais la malade raconte qu'elle portait jadis à l'extrémité de son auriculaire un

petit fragment pointu assez semblable il de la corne et qu'elle arracha à Page

de 12 ans parce que « cela la griffait sans cesse ». Cet ongle n'a pas repoussé.

Le pouce a également ses phalanges soudées entre elles : il porte un ongle

auquel un sillon longitudinal, médian, donne une apparence de hifidite. A la

place de chaque doigt, sur la face palmaire, correspond un petit tubercule d'as-

pect rosé. La peau, du reste, est normale et l'on n'y trouve pas de traces de

cicatrices : les plis qu'on y rencontre paraissent bien être naturels. Cette peau

est lisse et parfaitement mobile sur les parties sous-jaccntes.

Le pouce et le petit doigt ne peuvent se rejoindre : ils n'arrivent même pas

au parallélisme. Les mouvements de flexion et d'extension du poignet se font

bien. Ceux de latéralité sont abolis. La supination est impossible pour l'avant-

bras.

Mensurations comparées des deux membres.

UN CAS DE BIDACTYLIE DE LA MAIN DROITE 243

Le sein droit est plus petit que le gauche, le grand pectoral du côté droit est

également atrophié et le hord antérieur de l'aisselle il peine marqué.

La sensibilité est la mémo des deux côtés.

La malade est de taille normale, bien conformée et ne présente aucune

malformation congénitale aux autres membres ni il la face.

Enfin elle utilise merveilleusement sou rudiment de main : c'est ainsi qu'elle

a pu longtemps travailler la terre « tout aussi bien et même mieux que cer-

taines personnes ayant leurs deux mains complètes », elle coud en maintenant

la pièce d'étoffe de la main droite et en tirant l'aiguille de la gauche. Elle peut

également écrire avec sa main gaucho. -f ?

En somme, tout se borne à une anomalie de la main droite. Sans doute,

le membre supérieur droit est atrophié dans son ensemble, mais celle

atrophie d'origine réflexe (amputation des doigts) n'esl. pas très manifeste

au niveau de l'épaule et du bras. Elle s'accuse surfont au niveau du tiers

inférieur de l'avant-bras et de la main. En ce point, elle forme un con-

traste frappant avec la main du côté sain. Du reste, les divers segments

de ce membre supérieur droit (épaule, bras, avant-bras, carpe et méta-

carpe) ont conservé une forme régulière. En vérité, l'anomalie porte ex-

clusivement sur les doigts : les trois doigts du milieu font défaut, le pouce

et le petit doigt sont très atrophiés. Cette main dans son ensemble rappelle

une pince de homard. Parmi les anomalies congénitales des doigts, celle

espèce de bidactylie constitue un type curieux dont on retrouve quelques

exemples dans les auteurs.

S'agit-il, dans l'observation précédente, d'ectrodaclylie, au sens étymo-

logique du mot, c'est-à-dire d'arrêt de développement ? Ne s'agit-il pas

plutôt d'amputation congénitale ? Contre l'existence d'un arrêt de dévelop-

pement, on peut invoquer l'absence de transmission héréditaire dans une

famille passablement nombreuse, l'absence de toute autre anomalie chez

notre malade et aussi l'aspect si spécial de sa main. On pourrait, il est

vrai, faire valoir, en faveur de ce mécanisme mystérieux, le défaut de

cicatrices à l'extrémité du moignon. Mais nous ferons remarquer que cette

malade est une femme âgée, chez laquelle la cicatrice a déjà pu s'effacer.

D'autre pari, pour l'existence d'une amputation congénitale, on peut in-

voquer l'absence des conditions précédentes. Peut-être, pourrait-on aussi

accorder quelque crédit au récit de la malade et à cette histoire de main

sanglante à la naissance, racontée par des voisines. Il est vrai que ce récit

manque de contrôle scientifique. Il nous semble néanmoins plus logique

de supposer ici une amputation congénitale qu'un arrêt de développe-

ment, tout en faisant quelques réserves sur celle pathogénie.

A. Souques, Henri T.ECLEBC,

Chef de clinique des maladies Externe de la clinique des maladies

du système ncrveus...lu s-stW ne nervew.

RAPPORT DE L'ORIGINE DES NERFS RACHIDIENS

AVEC LES APOPHYSES ÉPINEUSES

I

Le diagnostic de niveau des lésions de la

moelle est devenu, en dehors de son intérêt

anatomique et clinique, d'une réelle utilité

thérapeutique, depuis qu'un certain nombre

d'affections intra-rachidiennes sont entrées

dans le domaine chirurgical.

Mais pour devenir pratique, ce diagnostic

doit avoir pour corollaire la connaissance du

rapport des paires rachidiennes ou des seg-

ments médullaires correspondants avec des

points de repère appréciables sur le vivant :

avec la série des apophyses épineuses, seules

utilisables dans ce but. C'est là une question

qui ne semble pas jusqu'à présent avoir attiré

l'attention. Les traités d'anatomie n'en par-

lent pas ; les figures qui y représentent la

moelle et les racines médullaires ne peuvent

être d'aucune utilité pour la préciser, car

elles montrent la moelle et les racines, soit

séparées de toutes leurs connexions, soit il

est vrai dans le canal osseux, mais sans que

Figure Ce Le rapport des nerfs rachidiens et des

apophyses épineuses, d'après Jadelot. « A tête, B

trou occipital, C éminences épineuses, D prolon-

gement rachidien, E méninge fendue dans sa partie

postérieure et rejetée en devant, F les corps des

vertèbres sciés dans leur partie moyenne, G le fais-

ceau des nerfs lombaires et sacrés, II le ligament

dentelé, a, b, c, d, e, f, g, h, paires cervicales, i, k,

1, m, n, o, p, q, r, s, t, u, v, paires dorsales, x, y,

z, w, quatre paires lombaires. La dernière paire

lombaire et les paires sacrées sont cachées par les

premières paires lombaires. Les éminences épineu-

ses des vertèbres sont désignées dans chaque ré-

gion séparément par des chiffres arabes. Les chiffres

romains indiquent l'endroit où les nerfs de chaque

région percent la méninge ».

NERFS RACIIIDIENS ET APOPHYSES ÉPINEUSES S 247

soient conservés de points de repère utilisables pour le sujet qui nous

intéresse ; nous devons donc renoncer à utiliser ces figures, et pour une

Figure ( ! : ). « Schéma représentant le rapport qui existe entre les apophyses épineuses

et l'origine des nerfs rachidiens » (d'après le professeur Tillaux).

248 NOUVELLE ICONOGRAPUIE DE LA SALPÊTRIÈRE

raison analogue, le mémoire où Pfilzner étudie le rapport de l'origine des

racines avec les trous intervertébraux.

Les très rares documents que nous ayons pu consulter avec fruit se

réduisent en somme aux sui-

vants : 1° Une brochure de

Jean-François Jadelot « Des-

cription anatomique d'une tête

humaine extraordinaire suivie

d'un essai sur l'origine des

nerfs, Paris, Tuclls, an VU n.

L'auteur « pour rendre plus

fructueuse l'application des

moxas dans les maladies de la

moelle », y étudie le rapport

de l'origine des nerfs rachi-

diens et des apophyses épi-

neuses « d'après plusieurs ra-

chis d'adulte ». Il condense

ses résultats en une figure que

nous reproduisons pour la

première fois (ng. 64) et une

table, utilisée dans l'anato-

mie chirurgicale de Malgaigne,

ainsi rluedans l'anatomie topo-

grapbique j.lu professeur Til-

taux où elle est accompagnée

d'une figure nouvelle (fig. GS).

2° Ünecourtenole basée sur

la dissection d'un seul adulte

vigoureux dans la plaquette

in-4° de Nu ! m : « l3eoGcachtitta-

gen und Unte1'sÙc ! mn[jen cuis

dem Gebiele der Anatomie, Phy-

siologie, llJUI jJnlctischell Medi-

zin, in-4°, Ileidelberg, -1849,

in-u, p. 11 ». - 3° un mémoi-

re de Reid (The Relations bet-

ween tlie superlicial origins of

FtGunn 66. - Dessin orthographique de Reid, pris sur un homme adulte (1/4 de gran-

deur naturelle).

NERFS RACHID1ENS ET APOPHYSES ÉPINEUSES 249

the spinal nerves l'rom the Spinal cord and the spinous processes of the ver-

tehra;, Journal o1'ccnaGoa, 1889, p. 341),

basé sur six dissections dont 5 sur des

adultes hommes, et une sur une adulte

femme. Reid donne la liste de ses men-

surations dans chacun de ces cas et de plus

deux figures, l'une reproduisant l'une de

ses dissections (fig. GG) ; l'autre destinée

à montrer les de niveau de cha-

que origine radiculaire (lig. 67).

Les recherches jusqu'ici faites sont on

le voit., fort restreintes, et de plus toutes,

sauf une, ont été faites sur des adultes

hommes. Même pour ce cas spécial, les

résultats obtenus n'étant pas concordants,

il nous a semblé utile de les vérifier.

D'autre part nous avons étendu nos re-

cherches aux femmes et aux enfants, lais-

sés jusqu'à présent complètement de côté.

En tout nous avons eu à notre disposition

3 foetus nés avant terme, (2 féminins, 1

masculin), 2 nouveau-nés à terme (2 mas-

culions), enfants (3 garçons 4 1 ? et 9 9

ans; 5 filles, J, 7, 7 1 ? 13 ans), et 7

adultes, dont 2 .hommes.

II

Jadelot « enlevait une moitié latérale

du rachis, de façon à conserver les émi-

nences épineuses dans leur entier, et à

laisser intactes les parties contenues dans

le canal rachidien. La méninge était en-

suite divisée dans toute son étendue, pour

mettre à découvert l'origine des nerfs ».

Les mesures étaient prises « sur les ra-

chis ainsi préparés et soutenus verticale-

FIGURE 67-. -Variations du rapport de niveau entre l'origine dés nerfs rachidiens et le

sommet des apophyses épineuses, d'après Reid. Les zones blanches numérotées de la

bande verticale de droite représentent les sommets des apophyses, les zones grises

des quatre bandes gauches l'étendue verticale que peut occuper chaque racine.

250 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

ment, avec la précaution d'y conserver leurs courbures naturelles ».

Niihn opérait de même. Reid., « après avoir dénudé la face postérieure

du rachis et les côtes jusqu'à leurs angles, sans toucher aux ligaments,

sciait chaque arc an centre de l'apophyse épineuse et tout près de l'apo-

physe articulaire. Puis il ouvrait la dure-mère sur la ligne médiane pos-

térieure, la rabattait en dehors et par ablation attentive de l'arachnoïde

Figure 68.- Reproduction en grandeur naturelle d'une partie d'un des dessins obtenus

par notre procédé; à gauche, détail des origines radiculaires (femme adulte petite :

1 m. 52).

NERFS RACIIIDIENS ET APOPHYSES ÉPINEUSES 251

mettait à nu les racines postérieures de leur sortie de la moelle à leur pas-

sage à travers la dure-mère; le niveau exact de l'origine médullaire de

chaque racine était marqué en enfonçant une aiguille dans la substance

médullaire. Sur la pièce ainsi préparée, était placé bien horizontalement

un verre, où l'on traçait la projection verticale des os, de la moelle et des

nerfs à l'aide d'un bloc prismatique de bois a axe perpendiculaire à celui

du verre. En dirigeant les yeux le long d'un bord du prisme sur n'importe

quel point de la pièce, on pouvait le reporter sans erreurs sur le verre.

L'image obtenue était transportée sur une feuille de papier et vérifiée au

compas. Le dessin orthographique obtenu était réduit de moitié au panto-

graphe » (Fig. 68).

La technique que nous suivons, au moins aussi exacte que les précé-

dentes, permet d'obtenir des renseignements beaucoup plus complets.

Nous prenons d'abord à la règle millimétrique et au compas d'épaisseur,

un dessin en grandeur égale de la partie postérieure du rachis, disséquée

sur le sujet couché; puis, les arcs étant enlevés successivement avec la

pince emporte-pièce Mathieu, nous superposons à ce premier dessin un

second dessin pris avec les mêmes précautions, de la dure-mère, et des

racines dans leur trajet extra-dural; enfin sur la même feuille un troisième

dessin, fait après incision médiane et rabattement bilatéral des méninges

reproduit la moelle et la portion intra-durale des racines : nous avons ainsi

trois figures superposées et qui faites avec des encres de couleurs diffé-

rentes, donnent un ensemble très net. Du reste, les dessins ainsi obtenus

sont beaucoup trop complexes pour être encore lisibles après la réduction

nécessaire pour la reproduction. Nous y avons donc pris simplement par

décalque les apophyses épineuses et les racines, et c'est ce décalque qui

a été réduit par la photographie, ce qui assure la parfaite exactitude du

dessin définitif.

III.

Avant de donner le résultat de nos recherches sur le rapport des origi-

nes radiculaires avec les apophyses épineuses, il nous semble utile de

noter quelques détails de topographie médullaire, qui nous permettront

d'analyser plus rationnellement la question spéciale qui fait l'objet de

cette note et que nous avons parallèlement étudiés : niveau topographique

des limites supérieure et inférieure de la moelle, de ses segments régio-

naux, des trous inter-vertébraux c'est-à-dire de l'issue rachidienne des ra-

cines.

La limite supérieure de la moelle, déterminée par la 1 ? paire cervicale,

ne se trouve pas, comme nous le lisons partout, au niveau du bord supé-

252 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

rieur de l'arc de l'atlas, mais à mi-chemin entre cet arc et le bord posté-

rieur du trou occipital.

La limite inférieure de la moelle, indiquée par la dernière racine

coccygienne, se trouve d'ordinaire chez l'homme adulte, aux environs de

la tre apophyse lombaire. Chez la femme adulte, elle est habituellement

un peu plus basse, sa position moyenne étant au niveau du bord supé-

rieur de la 2° apophyse. Cette légère différence paraît simplement tenir à

la cambrure lombaire plus marquée chez la femme, cambrure qui relève

les apophyses lombaires et raccourcit à partir de la 9° ou 10e apophyse

dorsale jusqu'à la De lombaire, la ligne apophysaire. En effet, si l'on prend

le niveau de l'extrémité inférieure de la moelle non plus par rapport aux

extrémités apophysaires, mais par rapport à la face postérieure des corps

vertébraux, on trouve pour l'homme et la femme, le niveau moyen exac-

tement au même point : à la hauteur du cartilage intervertébral enlre la

4r et la 2e lombaire. Chez l'enfant, la moelle est au même niveau que

chez l'adulte, sans qu'on retrouve la différence sexuelle précitée. Chez

le nouveau-né, la moelle descend un peu plus bas habituellement que chez

l'adulte; en moyenne à la partie inférieure de la 2e apophyse lombaire :

elle n'a sans doute pas encore complètement achevé son ascension foetale

bien connue.

Contrairement aux recherches d'Aeby, de Havenet, nous avons toujours

constaté que le niveau de l'extrémité inférieure de la moelle varie de quel-

ques millimètres, suivant qu'on met le cadavre en extension ou en flexion

extrême : une fracture par extension a donc, à niveau égal, un peu moins

de chance de léser la moelle qu'une fracture par flexion.

Ajoutons que le niveau de l'extrémité inférieure de la moelle présente

d'après Cruveilhier des variations individuelles considérables et chez l'a-

dulte peut osciller de la 11e dorsale à la 3e lombaire. Nous n'avons jamais

rencontré de divergences aussi considérables, malgré que nos recherches

faites simplement en réséquant deux axes lombaires à la pince emporte-

pièce, aient été au nombre de plus de soixante.

Les limites des segments régionaux de la moelle, on pourrait le deviner

rien que par les faits précédents, ne correspondent pas aux limites des

segments rachidiens de même nom. En effet la moelle cervicale (limitée

par le bord inférieur de la 8° paire cervicale) se termine au niveau du

6° espace inter-épineux cervical ; la moelle dorsale (allant du bord supé-

rieur de la 4r paire dorsale au bord inférieur de la 12°) se termine au

niveau de la 9e apophyse épineuse dorsale, la moelle lombaire va de celte

apophyse au bord inférieur de la 12e; la moelle sacrée occupe la partie

supérieure du canal lombaire. Ces moyennes, déjà connues et que nous

avons contrôlées nous ont paru également satisfaisantes pour l'homme et

NERFS RACllIDIENS ET APOPHYSES ÉPINEUSES 253

pour la femme ; chez le nouveau-né et le petit enfant,

nous avons trouvé la limite inférieure de la moelle

dorsale plus haut que chez l'adulte, au niveau de la

8e apophyse épineuse. Nous ne pensons pas qu'il s'a-

gisse là d'un hasard de série, car Pfitzner est arrivé à

un résultat analogue dans des recherches faites avec

un procédé et pour un but différent du nôtre, et nous

verrons plus loin que la réalité du fait est en rapport

avec toute une série d'autres constatations anatomiques.

Le rapport de niveau des trous intervertébraux et,

par conséquent, de l'issue rachidienne des racines, avec

le sommet des apophyses épineuses est à peu près tou-

jours et partout le même : ce qu'on pouvait prévoir,

puisque ses variations, régionales ou autres, ne peu-

vent avoir qu'une cause : l'obliquité variable des apo-

physes épineuses. Aussi, à la région cervicale, où ces

apophyses sont presque exactement antéro-postérieu-

res, les trous intervétébraux se trouvent-ils juste au

milieu de l'intervalle entre l'apophyse de même nom

et l'apophyse sous-jacente; à la région dorsale où les

apophyses sont extrêmement obliques, les trous se

trouvent au niveau du sommet de l'apophyse épineuse

de la seconde des vertèbres placés au-dessus, ou même

au niveau de l'espace inter-épineux sus-jacent à celle

apophyse ; à la région lombaire le rapport redevient le

même qu'à la région cervicale.

Ajoutons que chez l'enfant où les apophyses épi-

neuses dorsales sont moins obliques et moins lon-

gues, les trous intervertébraux dorsaux ne s'élèvent

que bien rarement, sinon jamais, au-dessus de l'apo-

physe épineuse de la 2e vertèbre sus-jacelte.

IV

En somme, les trous intervertébraux ne s'élèvent 1

que fort peu au-dessus de l'apophyse épineuse de leur

vertèbre ; au contraire, les segments régionaux médul-

laires sont beaucoup plus haut dans le canal que les

segments- rachidiens correspondant. La différence

s'accentue à mesure que l'on descend. Les paires radi-

culaires présentent donc avant d'atteindre le trou

i'iGL'XE tis. - benema au rapport entre les apophyses et les racines chez un adulte

homme de 1 m. 76 ; à droite sont numérotées les apophyses épineuses ; à gauche les

racines (au quart).

254 NOUVELLE ICONOGRAPIIIE DE LA SALPÊTRIÈRE

^intervertébral par lequel elles vont sortir, un trajet

oblique de haut en bas et de dedans en dehors et d'au

tant plus oblique que l'on considère une racine plus

inférieure : des recherches particulières sont dès lors

nécessaires pour déterminer à quelle apophyse épi-

neuse correspond, ponr une racine donnée, le point

de départ médullaire de ce trajet.

Notons tout d'abord que les quatre racines (anté-

rieures et postérieures, droites et gauches) appartenant

à la même tranche médullaire naissent au même ni-

veau, sauf des différences minimes et exceptionnelles.

On peut donc, et c'est ce que nous avons fait, les re-

présenter sur une figure schématique par un seul fais-

ceau.

C'est là une simplification d'autant plus heureuse

que même en comparant seulement tout d'abord les

résultats obtenus dans les conditions en apparence les

plus analogues, par exemple chez les adultes hommes,

on trouve des différences individuelles considérables.

Elles ont tellement frappé Reid qu'il s'est contenté

de donner les détails de ses mensurations sans essayer

d'en tirer de conclusions générales. Tout en ayant

également trouvé des variations très notables, nous

croyons cette réserve excessive. En effet; de nos sché-

mas personnels nous paraît ressortir très nettement

une formule qui, fait important, concorde également

d'une façon satisfaisante avec les figures et.les ta-

bleaux de .Tadelot, de Nûhn et de Reid lui-même.

Cette formule très pratique à canse de sa simplicité,

est la suivante : « A la région cervicale, il faut ajou-

ter un au numéro d'une apophyse déterminée par le

palper pour avoir le numéro des racines qui naissent

à son niveau; à la région dorsale supérieure il faut

ajouter deux; à partir de le Gaz apophyse épineuse dor-

sale jusqu'à la 11e il faut ajouter trois; la partie

inférieure de la 11° apophyse dorsale, et l'espace in-

ter-épineux sous-jacent répondent aux trois dernières

paires lombaires ; la 12e apophyse dorsale et l'espace

sous-jacent aux paires sacrées ». Sans doute une telle

formule ne prétend pas à l'exactitude mathématique.

Figure 10. Schéma analogue. Femme adulte, 1 m. 63 (au quart).

NERFS RACIIIDIENS ET APOPHYSES ÉPINEUSES 255

Les racines sortiraient-elles toujours, ce qui, nous Pavons dit, est loin d'è-

tre le cas, du même point de la longueur de la moelle, que les variations

individuelles des apophyses épineuses ne permettraient pas tant de préci-

sion. Notre formule n'en est pas moins suffisante pour permettre démettre

le doigt sur une lésion médullaire il travers le rachis, et guider une inter-

vention chirurgicale.

Figure 71. Schéma analogue. Fillette de 14 ans, 1 m. 40 (au quart).

Figure 72. Schéma analogue. Garçon 12 ans, 1 m. 28 (au quart).

Figure ï3. - Schéma analogue. Fillette 5 ans, 1 m. 10 (au quart).

Figure 74. Schéma analogue. Nouveau-né, sexe féminin, 80 cent. (au quart).

256 6 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Ajoutons que cette formule est applicable aussi bien à la femme adulte

qu'à l'homme adulte.

Chez l'enfant il faut la modifier légèrement, au moins pour les racines

dorsales, et les premières lombaires.

Elles naissent en effet plus haut dans le rachis, la différence commen-

çant à devenir notable vers la 2e ou la 3e racine dorsale, s'accentuant

jusqu'à la 9e cervicale pour diminuer ensuite et disparaître au niveau de

la 2e lombaire. -

On dira donc : « chez l'enfant, a la région dorsale supérieure, delà

lrc à la 4e apophyse il faut ajouter 3 pour avoir le numéro de la racine

correspondante; à la région dorsale moyenne de la 5e à la 9 apophyse il

faut ajouter 4 ».

Quelle est la raison de cette différence de niveau entre l'origine des pai-

res dorsales de l'adulte et celles de l'enfant ?

Il ne faut pas la chercher dans une plus grande obliquité et une plus

grande longueur des apophyses épineuses faisant correspondre leur som-

met à Une paire plus basse ; au contraire les apophyses épineuses dorsales

de l'enfant sont proportionnellement moins longues et moins obliques que

celles de l'adulte, si bien que la différence indiquée est plus considérable

encore lorsqu'on prend, au lieu d'elles, les arcs, pour point de repère.

Cette différence ne peut tenir non plus à la longueur proportionnelle

plus grande de la portion cervicale du rachis, chez l'enfant, puisque la

moelle dorsale de l'enfant commence au même niveau rachidien que celle

de l'adulte, et que du reste la différence ne se manifeste qu'au niveau

des premières paires dorsales. Elle ne lient pas non plus à une brièveté

générale relative de la moelle puisque chez l'enfant et chez l'adulte le cône

terminal se trouve au même niveau et même plutôt plus bas que chez

l'adulte.

Elle ne peut donc tenir qu'au développement même de la moelle dor-

sale, prenant dès lors à partir de 6 ou 7 ans (époque où les racines gagnent

leur niveau adulte) un développement proportionnel plus grand que celui

de la portion du rachis dans laquelle elle est contenue.

Ce n'est là qu'une hypothèse, mais elle est en rapport avec les faits

précités, et de plus corroborée par un détail anatomique que nous n'avons

trouvé nulle part signalé et que nous a révélé notre méthode des dessins

superposés.

Chez l'adulte, tandis que les racines cervicales, les racines lombaires et

les racines sacrées se dirigent plus ou moins obliquement mais par un trajet

direct, de leur origine médullaire à leur trou intervertébral les racines

dorsales présentent une direction différente dans leur portion intradurale

NERFS RACHIDIENS ET APOPHYSES ÉPINEUSES 257

et dans leur portion extradurale, leur portion intradurale très longue,

étant oblique en bas en dehors, tandis que leur portion extradurale est

oblique en haut et en dehors : d'où coudure plus marquée pour les se, 9°

et K3C et s'atténuant au niveau des dernières.

Or, chez l'enfant au-dessous de 7 ans, cette coudure ne se retrouve pas

et toutes les racines, de leur origine médullaire à leur issue rachidienne,

suivent un trajet direct : la cause de leur déviation ultérieure ne peut être

que l'abaissement relatif de la moelle dorsale, supposé tout à l'heure pour

une autre cause, et dès lors bien probable.

A. CIIIP1ULT.

VII

17

LES POSSÉDÉS DE P. BRONZET

Le nombre des oeuvres d'art représentant la possession démoniaque est

considérable, mais toutes n'offrent pas le même intérêt au point de vue

médical. Si, parmi les artistes qui se sont attachés a traiter ce genre de

sujet, il en est beaucoup, et des meilleurs, pour lesquels la copie de la

nature fut toujours un principe capital, on en trouve aussi un grand

nombre dont les compositions purement CO11\-O111101111e11OS sont en contra-

diction avec les phénomènes pathologiques mis autrefois sur le compte de

la possession par le diable.

Ce parti-pris, ou celte négligence, ne sauraient assurément retirer toute

leur valeur artistique à certaines oeuvres de maîtres qui s'approchent de la

perfection par tant d'autres qualités.

Si, dans le jeune Possédé de la Transfiguration de Raphaël, il est im-

possible de retrouver des signes caractéristiques de l'hystérie, le mérite

du tableau n'en est pas diminué, et il reste néanmoins un des chefs-d'oeu-

vres du Vatican (1).

Cependant, on ne peut méconnaître la supériorité de l'artiste qui, sans

nuire aux autres mérites de son oeuvre, a su observer [fidèlement la na-

ture et en donner une exacte interprétation.

Les Possédées de Rubens sont à cet égard des monuments de premier

ordre. Il a fallu toute l'intuition du génie, jointe à une rare acuité d'ob-

servation, pour saisir et fixer avec tant d'effet et de sûreté les traits fonda-

mentaux d'un tableau si changeant et si complexe.

Le type créé par Rubens, et qu'il s'est plu à reproduire dans différentes

compositions (2), est une image fidèle de la nature; il reste, à plus de

deux siècles de distance, empreint d'un tel caché de vérité qu'on peut y

découvrir tous les signes d'une affection nerveuse alors méconnue.

L'Ecole Italienne, plus idéaliste, répugnait à reproduire les gestes dé-

sordonnés et les contorsions grimaçantes du visage des possédés. Plusieurs

grands maîtres cependant n'ont pas omis certains détails qui les avaient

frappés, et qui ne leur semblaient pas de nature à nuire à l'harmonie de

(1) Voy. Charcot et P. Richer, Les Démoniaques dans l'art, p. 28.

(2) V. Les Démoniaques dans l'art, p. 55 et 59.

LES POSSÉDÉS DE P. BRONZET 259

leur composition. Tels sont les possédés d'Andréa del Sarto, du Domini-

quin, où se retrouvent des caractères indéniables de la névrose.

Raphaël savait voir la nature et la copier ; ses nombreux desseins en

font foi. Il est inadmissible qu'il n'ait jamais observé, soit de vrais possé-

dés, soit des malades atteints d'affections nerveuses. C'est donc intention-

nellement qu'il a faussé la vérité, désireux d'atténuer l'impression de

désordre et d'horreur, pour donner à l'ensemble de sa composition plus

d'harmonie et de sérénité. Aussi, sans porter atteinte à la grandeur de

son talent, peut-on néanmoins constater qu'il a souvent sacrifié l'étude

scrupuleuse d'un modèle authentique ai la recherche d'un idéal tout de

convention.

Beaucoup des peintres de son école ont encore exagéré cette tendance,

et n'ayant pas à leur service les éminentes qualités du maître, ont produit

des oeuvres secondaires, où la froideur systématique de l'exécution n'est

rachetée ni par le sentiment de l'idéal, ni par une exacte observation de

la nature.

Aussi bien, faut-il se garder d'une systématisation trop exclusive

dans la critique médicale des oeuvres d'art. Il ne suffit pas d'entrevoir

dans un sujet, la possibilité d'une représentation pathologique; il est

indispensable d'en analyser les détails et de rechercher les conditions dans

lesquelles l'artiste a puisé son inspiration.

A cet égard, les documents que nous publions aujourd'hui ne seront

pas inutiles. Ils sont un exemple de l'interprétation de la possession dé-

moniaque par un peintre, qui assurément n'est pas sans valeur, mais qui

a puisé tous ses renseignements dans des conventions traditionnelles mises

en regard. Les qualités de ceux qui se sont efforcés au contraire, d'ob-

server et de rendre la vérité naturelle en paraîtront plus saisissantes.

Il s'agit d'un peintre de notre siècle, Pierre Bronzet, dont le nom n'est

guère connu qu'en Provence.

Il vivait très retiré, travaillant consciencieusement à des tableaux de

sainteté, pour les communautés et les maisons religieuses de Marseille.

Pendant quelque temps même, il porta l'habit de trappiste et passa les

dernières années de sa vie à St Barthélémy, dans une maison de santé

desservie par les frères Saint Jean-de-Dieu, près de la vallée des Aygalades,

aux environs de Marseille. Il y mourut en 1883, laissant le souvenir d'un

artiste honnête et travailleur. Son frère, Jean Bronzet, était également

peinlre, mais de moindre mérite.

Pierre.Bronzet a peint un grand nombre de toiles dontquelques portraits,

et plusieurs compositions religieuses, réparties dans différentes églises du

(1) Ibid., p. 24 et 50,

260 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Midi (1). Parmi ces dernières, celle qui nous intéresse aujourd'hui se trouve

à l'église St-Lazare, à Marseille. ?

Elle représente le Christ guérissant un possédé. ?

La scène est tirée des Evangiles : Jésus débarquant sur la terie ? cls Gé-

raséniens délivra un homme possédé d'un nombre considérable de démons,

qui, sous son ordre, entrèrent aussitôt dans un troupeau de pourceaux .....

paissant non loin de là. Tout le troupeau se précipita dans la mer, où il

périt. -

Cette scène a déjà tenté nombre d'artistes. Elle est représentée sur les

plus anciens monuments qui nous soient parvenus au sujet de la pos-

session démoniaque : sur une mosaïque de Ravenne, et sur un ivoire du

Ve siècle, sur une miniature des manuscrits (le l'Empereur Othon (Aix-la-

Chapelle, XIe siècle) ; sur une miniature d'un livre de choeur de la cathé-

drale de Sienne (XV° siècle) ; sur une gravure au burin d'après Van

Orley (XVI siècle) (2).

Citons encore, pour mémoire, un tableau reproduisant le même sujet,

du à un maître inconnu de la fin du siècle et conservé au couvent

de St François de Sales, à Florence ; plusieurs dessins de Sébastien le Clerc;

une eau-forte de S. Parrocel (XVIIe siècle) ; plusieurs estampes du 1VI11°

siècle, etc.

Le tableau de Pierre Bronzet est d'une composition étroite. Au milieu,

sur le premier plan, un jeune homme presque nu, les reins entourés d'une

étoffe aux plis durs, s'appuie du genou droit sur un rocher. La jambe

gauche est tendue, mais non raidie ; le pied repose par la pointe sur le

sol : on n'y observe aucune trace de contracture. Le torse nu est bombé,

le ventre un peu en retrait.

Le bras droit est tendu en haut, le poing fermé, les muscles conlractés.

L'avant-bras gauche, replié à angle droit, sur le bras encadre la tète ; le

poing est fermé, mais naturellement.

La tète est légèrement fléchie en avant et à gauche ; les yeux très lar-

gement ouverts, convulsés vers la droite, les sourcils et le front plissés.

La bouche est entr'ouverte, mais la langue est rentrée.

Un homme, masqué en partie par le possédé, le soutient sous les épaules.

A gauche, le Christ drapé dans un long manteau, étend ses mains au-

dessus de la tète du jeune homme. Plusieurs personnages dans les seconds

plans regardent le Christ aec dévotion, ou le possédé avec effroi.

Dans l'ensemble, celle scène est froide. Les personnages sont correcte-

(1) Ces renseignements nous ont été communiqués, il y a déjà quelques années, par

le regretté Dr Bernard (de Marseille), ancien interne à la Salpêtrière.

(2) Voy. pour les détails et la critique médicale de ces monuments : Les Démoniaques

dans l'arl. passim.

LES POSSÉDÉS DE P. BRONZET 261

ment dessinés, les plis des draperies sont élégants et harmonieux ; le mou-

vement est en général bien rendu. Mais la composition manque de vie.

On sent que l'artiste a voulu éviter de dessiner les attitudes violentes

pour faire prédominer le sentiment de la sérénité divine.

A ce titre, son oeuvre mérite d'être rapprochée de celles de l'École de

Raphaël.

Pour le possédé en particulier, il n'est pas douteux que son altitude ait

été composée conventionnellement, selon le goût de l'École romaine. On

se rend bien compte de ce fait, en examinant les études au crayon ou il

l'huile que fit Bronzet avant de commencer son tableau.

Sur le dessin que nous reproduisons (pl. XXXII), on voit une esquisse'

du possédé. Le dessin en est correct, un peu froid. Mais la pose est cher-

chée, elle est toute conventionnelle. C'est un modèle d'atelier qui la donne,

et' non un malade dont l'artiste aurait pu s'inspirer.

Il y manque d'ailleurs des détails caractéristiques, tels que les contrac-

tures, la raideur des membres qu'on retrouve au contraire si exactement

rendus par Rubens et son école. La tète est renversée en arrière avec une

expression de douleur et d'angoisse qui ne manque pas d'effet tragique ;

mais ce n'est pas le renversement excessif, avec saillie exagérée du cou

et cetle courbure raide du corps qui. accompagne les grands ictus hystéri-

ques.

L'étude peinte, que Bronzet fit avec le même modèle, est encore moins

mouvementée.

On peut lui reprocher surtout la position du bras droit et de la jambe

gauche, complètement tendus suivant la môme ligne oblique, tandis que le

m ... Il

bras gauche et la jambe droite sont repliés tous les deux. Il y a dans cette

attitude une symétrie excessive qui nuit il la vivacité du mouvement.

Une esquisse antérieure, vraisemblablement faite sans modèle, est d'une

allure bien plus vigoureuse.

Sur le tableau de l'Eglise St-Lazare, la tête du possédé est inclinée en

avant. C'est encore une faute au point de vue de la vérité des attitudes.

Plus intéressants sont les deux dessins reproduits (PI. XXXI). L'artiste

a cherché évidemment à se rapprocher des figurations anciennes des dé-

moniaques. Il a indiqué la convulsion des yeux, la rotation de la tête et

la saillie des muscles du cou. Mais il lui a paru déplacé de figurer la pro-

trusion de la langue, et l'absence de ce signe enlève encore un carac-

tère de vérité son esquisse.

Dans l'une de ces tètes, l'influence de l'école raphaëlique est très ma-

nifeste ; l'expression diabolique est extrêmement atténuée. Ce n'est pas un

possédé, c'est un martyr, oubliant ses souffrances dans un ravissement

céleste.

262 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Il suffit de rapprocher de ces esquisses la tête de la possédée de Rubens,

du musée de Vienne, pour saisir immédiatement la différence qui sépare

ces compositions conventionnelles d'une très exacte interprétation de la

nature. La convulsion des yeux, la protrusion de la langue, le rejet de la

tête en et le gonflement du cou, montrent suffisamment avec

quel soin Rubens savait observer la nature, et avec quelle fidélité il la tra-

duisait (voy. fig. 7u).

L'oeuvre de Bronzet mérite donc les mêmes critiques que l'Ecole dont il

semble s'être inspiré. Il a sacrifié à la convention, il a systématiquement

rejeté tout ce qui dans la nature lui paraissait imcompatihle avec la ma-

jesté des choses divines.

Assurément, l'idéalisme peut à juste titre revendiquer ses droits quand

il s'agit de peinture religieuse et symbolique. Et nos critiques ne s'a-

dressent qu'à l'interprétation défectueuse des phénomènes pathologiques

mis sur le compte de la possession démoniaque.

Mais, puisqu'on admet aujourd'hui sans conteste que ces accidents

relèvent de l'hystérie, c'est un mérite de plus dans l'oeuvre d'un artiste,

quand on y retrouve la traduction fidèle des détails que la nature permet

d'observer.

Il existe encore à l'église célèbre de St-Maximin (Var) un autre tableau

de Bronzet représentant la guérison d'un possédé par St Dominique. C'est

une oeuvre très inférieure. Le possédé, couché dans un chemin, est vu en

raccourci, la tête au premier plan. L'exécution en est médiocre, et la

pose est absolument fantaisiste.

Bronzet n'avait jamais vu sans doute de démoniaques, ou n'avait jamais

assisté à de grandes crises hystériques. Peut-être aussi, confiant dans l'in-

terprétation que ses maîtres préférés avaient faite de ces scènes, alors mys-

térieuses, il s'est borné à accepter servilement leurs représentations con-

venues, et à les reproduire avec quelques légères modifications. Si au

lieu de puiser ses enseignements dans l'école de Raphaël, il s'était ins-

piré de maîtres tels qu'Andréa de) Sarto, le Dominiquin, et surtout

Rubens, il est probable que, sans rien perdre de ses qualités d'exécution,

son oeuvre aurait gagné en vérité et en vigueur.

PAUL Richer et Henry MEIGE.

Fig. 75.

TÈTE DE POSSÉDÉE

d'après UNE ESQUISSE PEINTE DE rubens.

1AC-BTMILE D'UNE lithographie DE J. SCARLETT D : 1VIS,

Le gérant : Louis B.\TTAILLE.

Imp. Vve LounnoT, 33, rue des Batignolles, Paris.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

REVUE DES ARTHROPATHIES NERVEUSES

(Suite.;

UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE ATYPIQUE.

Le syndrome soiaonayéliq7ce : présente des variations nombreuses en

raison même de la localisation anatomique variable du processus morbide.

Si la triade symptomatique : atropine musculaire, dissociation de la

sensibilité et troubles trophiques, est nécessaire pour établir le diagnostic,

l'importance que peut prendre chaque symptôme dans le tableau clini-

que imprime au cas particulier sa physionomie propre ; d'où la variation

des types syringomyéliques et les difficultés du diagnostic.

Le cas que nous allons relater se signale par sa localisation monoplégi-

que et par la prépondérance des troubles trophiques des appareils articu-

laires ; les autres symptômes passent au second plan. Il vient s'ajouter aux

cas déjà connus d'arthropathies syringomyéliques et présente un intérêt

particulier par l'absence d'atrophie musculaire manifeste.

Résumé de l'observation. Monoplégie brachiale. Dissociation delà sen-

sibilité. - Arthropathies multiples. - Luxation spontanée de l'épaule droite.

Cplao-scoliose. - Déformations cicatricielles des doigts. Dermogra-

phisme. Troubles de la sécrétion sudorale.

Observation.

P..... Félix, 52 ans, paveur, né à Rodez; n'a connu ni son père ni sa mère.

Variole à 8 ans. Aucune maladie nerveuse ; pas de syphilis. Céphalalgies fré-

quentes ; caractère vif. Marié à 33 ans, a eu 2 enfants, dont un est mort à

2 mois de convulsions ; un garçon de 13 ans, nerveux.

Le début remonterait A 17 ans ; a cette époque, il la suite d'un long séjour

dans l'eau, le malade eut un gonflement considérable de la région externe de

la jambe gauche, d'où, dit-il, est sorti un séquestre mince et long, et un abcès à

la paupière supérieure gaucho ; il vint Ù Paris et fut soigné par Chassaignac.

A la même époque, le côté droit du tronc devint proéminent. La tuméfaction

de la jambe dura deux ans ; clic fut indolore, sauf au début, et le malade put

continuer son travail pendant toute cette période.

vu 18

266 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE E

Réformé du service militaire pour cicatrice adhérente au niveau de la jambe

gauche, et non pour anomalie de conformation du tronc.

A 24 ans, pneumonie avec accidents cérébraux.

A 38 ans, à suite d'une chute, dit-il, qui a occasionné un arrêt de travail

de 15 jours, son épaule gauche se « déboitait » facilement ; il la réduisait lui-

même en faisant de l'extension forcée ; il n'y eut ni gonflement considérable ni

douleur.

A différentes époques, les accidents du travail lui ont occasionné des panaris

aux doigts, peu douloureux, en général, qui lui on[ laissé des cicatrices défor-

mantes. Ainsi, à 24 ans, panaris au pouce droit, sortie d'un séquestre, cicatrice

déformante, mobilité anormale de la 2e phalange. A 30 ans il eut son .uidex

droit écrasé, la 3e phalange est restée ankyloséc. A 31 ans, blessure de l'annu-

laire droit, panaris, envahissement de l'avant-bras ; rétraction de l'annulaire

et de l'index. A 38 ans, écrasement du petit doigt droit, sorties d'esquilles,

mobilité latérale anormale de la 3e phalange. A 43 ans, piqûre du médius droit,

panaris indolore. Chute des ongles à la suite de ces accidents.

En janvier 1894 il ont une bronchite aiguë avec fièvre et délire ; 8 jours après

le début de sa maladie, il s'est aperçu du gonflement de son épaule droite, du

poignet droit et de l'impotencc de tout le membre supérieur.

Le 17 mai, il se présente il la consultation de chirurgie de l'hôpital Lariboi-

sière ; on l'a envoyé à l'électrothérapic annexée au service du Dl' Dreyfus-Brisac

où nous l'avons examiné.

État actuel (juin 1894). Le malade est de taille moyenne, le facies est co-

loré, ridé; dyspnéitlue : il est voûté, l'épaule droite est tuméfiée ; il se plaint

de l'impotence de son membre supérieur droit.

Motilité. On ne remarque pas d'atrophie visible des muscles des membres

et du tronc, sauf au niveau de l'hypothénar droit qui est aplati. Paralysie du

bras droit ; elle diminue il mesure que l'on se rapproche de la racine des mem-

bres. L'attitude de la main est en « dos de fourchette ». Les 3 derniers doigts

sont en dcmi-llcxion. La flexion volontaire de la main est nulle ; seuls quelques

petits mouvements des doigts sont possibles ; l'extension est limitée ; les mou-

vements passifs de la main et des doigts sont limités. A l'avant-bras, la flexion

volontaire est réduite ainsi que la pronation et la supination ; les fonctions du

triceps paraissent intactcs : l'extension de l'avant-bras est énergique. Les mou-

vements volontaires du membre en totalité sont peu étendus ; l'abduction du

bras atteint il peine un angle de 45°. Les mouvements passifs sont libres dans

tous les sons. En élevant le bras la hauteur du corps on produit une luxation

s,ous-acromiale de la tète de l'humérus que l'on sent dans l'aisselle ; en l'abais-

sant, la réduction se produit. Lorsque le bras est en repos, la tête de l'humérus

est sentie en dehors et en arrière (PL XXXIII et XXXIV).

Tous les mouvements du membre supérieur gauche sont libres, sauf l'éléva-

tion du bras qui est limitée.

Les membres inférieurs ne présentent rien d'anormal.

Les muscles du dos et les masses lombaires paraissent normaux ; les mouve-

ments latéraux du tronc s'exécutent bien : le malade peut soulever un poids de

NOUV. ICONOGR,. DE LA SALPÊTRIÈRE £ T VII. PL XXXIII & XXXIV

SYRINGOMYÉLIE

Arthropathie de l'épaule et scoliose.

L BATTAILLE ET C"

Éditeurs

UN CAS DU S y R 1 N G 0 l Y ÉLI ATYPIQUE 267

10 kilogrammes avec la main gauche; les mouvements contrariés démontrent

une force normale des masses lombaires; toutefois colles du côté gauche parais-

sent plus fortes que du côté droit.

Tremblement fiúritlaÍ1'(' dans les muscles de la région postérieure de l'avant-

bras droit.

Le réflexe patellaire est un peu augmente : ') droite, normal il gaucho. Pas de clo-

nus du pied. Le réflexe plantaire existe ; le réflexe tendineux du poignet est

affaibli à droite, normal il gauche. Secousses dans les jambes, survenant pen-

dant la nuit; ceci peut être attribué aux abus alcooliques.

Examen ]¡LECTHlQCE.

L'excitabilité faradique est mesurée par la distance des bobines du cltarriot

Dubois Raymond ; l'excitabilité galvanique en milliampères(galvanomètre pério-

disque).

2G8 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE E

région de la face antérieure de l'épaule ; normale sur le reste du bras droit'et

du corps.

Sensibilité ci la chaleur, examinée avec le tttermo-estliésomètre. A 85°, com-

plètement abolie sur la l'ace palmaire des doigts et de la main ; sur le dos de la

main, sensibilité retardée à 80° ; non perçue à 50°.

Avant-bras, sensibilité abolie à 50°, face interne insensible il 40°; le reste du

bras et l'épaule est sensible à 35°. La sensibilité du reste du corps il la chaleur

est normale.

Sensibilité au froid (glace). Complètement abolie sur la face palmaire des

doigts et de la main ; il sent une fraîcheur sur le dos de la main ; complètement

abolie il l'avant-bras. Au bras, diminution dans la région antéro-externe; sen-

sible sur la région postéro-interne. A l'épaule, diminuée sur la face antérieure ;

normale sur les autres faces ainsi que sur tout le reste du corps.

Sens musculaire Il se rend mal compte delà position de ses doigts, mais re-

connaît bien la position donnée il la main, il l'avant-bras et au bras.

La sensibilité des muqueuses paraît normale.

Les réactions oculo-pupillaires ne paraissent pas altérées ; le champs visuel

est normal. Vue presbyte. Pupilles égales ; les réactions pupillaires existent,

mais sont un peu paresseuses. Pas de rétrécissement de la fente palpébrale.

Sensibilité faradique (examinée avec le pinceau métallique). Bobine à fil fin.

Distance des bobines mesurées en centimètres.

NOUV. ICONOGR DE LA SALPTTRILRE T. VII. PL. XXXV & XXXVI

SYRINGOMYÉLIE

Arthropathies et déformations des mains.

L BATTAILLE ET C"

UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE ATYPIQUE 2G9

ment diminuée du côté droit ; sonlinge est toujours souillé sur la moitié gauche.

La peau de la paume de. la main droite est épaissie, lisse, couverte de fines

squammes blanchâtres : le dos de la main est violacé. !

Les doigts de la main droite et le pouce gauche sont le siège de cicatrices

déformantes ; les ongles sont striés, déformés, calleux (PI. 111VI). .

Dentition très' mauvaise : toute la mâchoire supérieure est dépourvue de

dents ; il ne reste qu'une canine cariée ; celles dé la mâchoire inférieure sont

cariées. ' ' ' . , ' ' : ,

Lésions articulaires. L'épaule droite est augmentée de volume (PI. XXXIII

et XXXIV), avec un aspect globuleux; la circonférence passant. par l'aisselle

et au niveau du bord de l'acrom.ion est de 43 centimètres ; la mémo circonfé-

rence il gauche est de 37 centimètres ; la peau n'est pas tendue ; pas d'oedème,

ni d'infiltration musculaire ; l'axe antéro-prostéieur est augmenté. Au moment

de notre examen (fin mai) la tète de l'humérus restait dans la cavité glénoïde';

actuellement (mi-juin) elle est en luxation postéro-exlernc ; en élevant le bras,

on produit facilement la luxation de la tête en bas. A la palpation, la tête de

l'humérus paraît inégale, érodée ; la cavité articulaire semble déformée et

élargie. On entend des craquements très manifestes il chaque mouvement du

bras. Il n'y a aucune douleur ni spontanée, ni au moment où l'on produit la

luxation. - , '

Le coude droit est augmenté de volume ; on sent ai la palpation la déformation

des surfaces articulaires et de l'infiltration dans la gaîne tendineuse du triceps.'

Le poignet est augmenté de volume ; vaginite des gaînes tendineuses de t'a-

vant-bras (PI. XXXVI). '

A l'épaule gauche, on entend des craquements articulaires. '

Raideur articulaire de la hanche gauche. Altérations de nombreuses petites

articulations des deux mains ; relâchement de l'articulation de la Il et 2°{pha,-

lange du pouce droit ; même relâchement au pouce gauche ; enkylose de l'arti-

culation de la phalangine et de phalangette de l'index droit; la phalangette^ du

médius et épaissie : mouvements anormaux dans l'articulation de 2e et 3e - plil-

lange du petit doigt droit. , . "

Cypho-scoliose. Il existe une déformation du tronc avec gibbosité droite

et postérieure ; la déformation est provoquée par une scoliose courbure' dort-

sale droite et une cyphose dorsale ; il existé également une légère voussure en

avant. La courbure n'intéresse que le segment dorsal du rachis, on ne voit pas

de courbure compensatrice (PI. XXXV). La marche du malade n'est pas gênée

par la difformité ; il traîne légèrement les jambes par suite de faiblesse iiiiisciii-

laire, mais il n'y a pas de claudication; il se sert- d'une canne.- Il' n'affectionne

pas la situation couchée parce qu'elle provoque la toux; on peut exagérer, et

redresser la courbure dorsale ; dans les mouvements latéraux du tronc le malade

déploie une force suffisante; ces mouvements n'occasionnent aucune douleur.

Etat général : Appétit et fonctions digestives bonnes. Bronchite chronique;

râles disséminés ; hruits cardiaques voilés ; foie augmenté de volume ; faiblesse

des jambes. Ni sucre ni albumine dans l'urine. Etat psychique un peu déprimé ;

pleure facilement.

270 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Aucun phénomène bulbaire; sensibilité et motilité de la face normales. Pas

de nystagmus. Déglutition normale. Olfaction et goût, non altérés. Pas de

vertige; rien du côté du larynx, ni de la langue, Pas de goitre, pas de signe de

Romhcr. Sphincters intacts.

Fin juin. L'état du malade a peu changé; l'impotence du membre supérieur

droit persiste, la laxité de l'épaule paraît un peu diminuée; la distribution de la

sensibilité parait également légèrement modifiée, la sensibilité tactile et esthési-

que est améliorée au niveau de la main et de l'avant-bras ; J'anesthésie termi-

que et au froid persistent. -

S'agit-il de syringomyélie ?

La thermo et psycllI'o-anesthésie ('¡'vxpà., froid), l'analgésie avec conser-

vation relative du tact, la sciolose, les troubles trophiques diverses et les

arthropathies, appartiennent au syndrome syringomyélique. Quant à l'a-

myotrophie, bien qu'elle ne soit pas très évidente, plusieurs signes vien-

nent témoigner de l'existence des troubles amyolrophiques, tels : la contrac-

tion lente, traînante des muscles il la suite de l'excitation mécanique et

électrique, l'abaissement considérable de l'excitabilité électrique et le

tremblement fibrillaire de certains groupes musculaires de l'avant-bras.

Rossolimo et Kojevnikotr (1) ont signalé la dissociation de la sensibilité dans

l'hystérie; mais dans le cas actuel, il y a absence des troubles sensoriels,

une disposition spéciale de J'anesthésie qni n'est pas celle de l'hystérie,

des lésions articulaires qui ne se rencontrent pas dans l'hystérie.

Dans la névrite périphérique on ne voit pas généralement de dissociation

de la sensibilité; toutefois plusieurs auteurs (2) ont signalé des cas de né-

vrite périphérique où la dissociation de la sensibilité à type syringomyéli-

que existait. Dans la névrite, l'anesthésie est située dans la région du nerf

atteint; il existe de la douleur au niveau du nerf et enfin l'atrophie mus-

culaire est rapide.

Pour les mêmes raisons nous devons écarter la possibilité d'une névrite

du plexus brachial (3) à la suite de la luxation de l'épaule. Ajoutons en-

core la multiplicité des arthrites, l'indolence et la facilité de réduction et

enfin l'absence d'atrophie musculaire notable. Puis les lésions nerveuses

à la suite de la luxation de l'épaule donnent lieu à des paralysies qui oc-

cupent le territoire du plexus brachial avec prédominance élective sur le

nerf radial (C. Bouilly), or chez notre malade c'est justement le territoire

du nerf radial qui est le moins atteint.

(1) Rossoumo, Hystérie simulant la gliomatose. Revue de médecine russe, 1892, t. 38,

page 216.

KojnvxtKOFF, Société de neurologie et de pscla. de Moscou, 1891-92.

(2) BERGEII, cité par Bath, 2° congrès des médecins russes, Moscou, 1887.

ZIEIIL, Deut. mediz. Wochenscler., 1889, n° n.

J. B. CUAI\COT, Société de biologie, 10 décembre 1892.

(3) VERIIOOGEX. Dissociation de la sensibilité dans un cas de lésions des nerfs du plexus

brachial. Journal de médecine el de chirurgie de Bl'1lxelles, 3 février 1891, no 5.

UN CAS DE SYRINGOMYÉLIE ATYPIQUE 271

Mentionnons la lèpre nerveuse ; les troubles de la sensibilité, les lésions

trophiques, des amyotrophies existent dans cette affection. Quelques au-

teurs tendent même à identifier la lèpre et la syringomyélie (1). Mais, sans

vouloir résoudre ce point de litige, les signes qui caractérisent la lèpre :

pigmentation spéciale, nodules lépreux, localisation de l'anesthésie au ni-

veau des taches lépreuses, localisation spéciale des troubles moteurs etc.,

l'ont défaut dans notre cas.

Est-il bien nécessaire de discuter les maladies médullaires suivantes ?

L'absence d'amyotrophie visible, les troubles trophiques, la cypho-scio-

lose, la marche lente de l'affection, la dissociation de la sensibilité excluent

l'atrophie musculaire progressive et la sclérose latérale amyotrophique.

L'absence de douleurs, de rigidités, de contractures excluent la pachy-

méningite cervicale. L'absence de la démarche ataxique et de douleurs ful-

gurenles, des crises viscérales, des troubles visuels font également écarter

l'ataxie. Nous n'y trouvons aucun signe de sclérose en plaques.

Notre malade présente plusieurs signes de la maladie de Morvan : la

sensibilité tactile qui est presque abolie au niveau de la face palmaire des

doigts; les panaris, l'unilatéralité de la lésion. D'autre part, nous avons

les troubles trophiques considérables, la sciolose, les arthropathies qui

militent en faveur de la syringomyélie. Sans préjuger la question de l'i-

dentité de la maladie de Morvan et de la syringomyélie, question encore

pendante, nous dirons qu'il s'agit ici d'une forme mixte : syringomyélie

type Morvan, décrite par Charcot.

Quant à la localisation de la lésion médullaire, nous avons vu que les

lésions musculaires sont peu prononcées, le processus morbide est donc

localisé plutôt vers les cornes postérieures. Il s'agirait ici du type médian

postérieur de la classification anatomo-physiologi(jue de Charcot. Le côté

droit est principalement atteint, il doit en être de même de la lésion; enfin

elle occupe le membre supérieur, le siège de la lésion est donc le ren-

flement cervical.

Notre cas se distingue par certaines particularités du type commun. Tout

d'abord la marche ; l'affection a débuté par des lésions trophiques ; la sco-

liose a été un des premiers symptômes; viennent ensuite les panaris mul-

tiples suivis de grosses déformations; les troubles sensitifs ont dû être

tardifs, étant donné que le malade lui-même ne s'en est pas aperçu et il

ne porte aucune trace de brûlure : la luxation de l'épaule gauche puis de

l'épaule droite, survenues à la suite d'un traumatisme peu important, ont

dû être favorisées par une lésion trophique latente.

Les lésions trophiques et sensitives sont localisées sur le membre droit;

(1) ZA.)ii3,co, LAJAIII), l3aumsi, etc. Acad. de J1léd. oct.-décem. 1892 et 9 mai 1893 (d'a-

près Grasset et Razzier, traité).

272 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

c'est la forme monoplégique de la syringomyélie décrite déjà par les au-

teurs CI).

Les lésions articulaires sont prépondérantes, et lui impriment une phy-

sionomie spéciale. On pourrait l'appeler s ! J1'ingo1n ! Jélie arlhropalhique (2).

La luxation plus récente de l'épaule droite est survenue sans cause ap-

préciable, spontanément au cours d'une bronchite aiguë. Elle est réduc-

tible Ù volonté ; on peut la produire sans provoquer de douleur au malade.

Les craquements sont appréciables à distance; la douleur spontanée fait t

défaut. Nous n'avons pas trouvé la dissociation de la sensibilité localisée

à l'articulation, signalée par J.-B. Charcot (3).

La déviation siège en général à la région dorsale ; sa convexité regarde-

rait habituellement, d'après IIallion, le côté atteint le premier et le plus

fortement. Notre cas confirme en tout point cette assertion. La scoliose

qui a été un des premiers symptômes de l'affection a débuté à droite,

côté où sont actuellement localisés les troubles trophiques et sensitifs.

On sait que la cause des déviations dans la syringomyélie est encore

obscure. Les théories proposées pour expliquer ces déviations peuvent être

ramenées à deux (4) : 1° Théorie musculaire (paralysies, contractures) ;

2° Théorie trophique (osseuse, articulaire, ligamenteuse). On ne saurait

expliquer ici la déviation par une action vicieuse des muscles du rachis. Il

ne s'agit ni d'une faiblesse des muscles d'un côté, ni d'une contracture;

nous avons vu que lesmuscles du dos sont intacts, le malade peut incliner

le tronc latéralement et résiste fortement au redressement; d'autre part on

peut redresser la courbure rachidienne; enfin la courbure est à la région

dorsale, or c'est dans la région lombaire que siège ordinairement la cour-

bure dans les cas où la contracture est en cause.

Nous avons vu, en outre, que le système musculaire en général est peu

touché dans notre cas.

D'autre part, le malade porte des traces nombreuses de lésions osseuses

et articulaires. La scoliose relevait d'une altération ostéo-articutaire des

vertèbres de même ordre que celle que l'on constate au niveau des doigts

et des articulations du bras. Ce cas vient à l'appui de la théorie attri-

buant à des lésions trophiques les déviations vertébrales dans la syringo-

myélie. J. TARGOWLA.

(1) Déjerine et SOTTAS : Syringomyélie unilatérale à début tardif ; Société de Bio-

logie 23 juillet 1892.

(2) BEOnsz : Société clinique 1885.

NISSEN : Congrès de la soc. alleni. de chirurgie (juin 1892. c. rendu in Sem. médicale

15 juin 1892).

Charcot : Progrès médite., 29 avril 1893. a

SO¡¡ : \ERERY : Berlin. Klin. Wochenschr., 27 novembre 1893.

GRAF : Neurolog. Centralb., 1893, p. 699.

(3) J.-B.CiiAi',coT : Arthropathies syringomyéliques et dissociation de la sensililité,lie-

vue Neurologique 15 mai 1894.

(4) Hallion, Des déviations vertébrales névropalhiques, thèse de Paris, 1892.

ARTHROPATHIES NERVEUSES ET TROUBLES

DE LA SENSIBILITÉ (1)

(Suite et fin).

Les arthropathies ne sont pas, Messieurs, les seuls troubles trophiques qu'on

observe dans le tabès. Je vous ai déjà parlé incidemment des oedèmes et du

purpura ; il existe encore d'autres lésions, soit de l'appareil vasculaire, soit

du muscle cardiaque, soit des différents viscères, sur lesquelles les auteurs

classiques vous renseigneront en détail.

La question que je veux discuter devant vous, est la suivante :

Existe-t-il un rapport constant entre le siège des troubles de la sensibilité en

général et celui des altérations trophiques concomitantes ? Par exemple, les

arthropathies apparaissent-elles de préférence dans les régions qui ont été le

siège de douleurs fulgurantes ? Trouvera-t-on des transformations dégénératives

dans les muscles privés de leur sens musculaire, dans l'estomac si le malade a

éprouvé des crises gastriques, dans le larynx si l'on a constaté des ictus laryn-

gées ?

Avant d'entrer dans l'étude des faits qui pourront nous instruire à cet égard,

je dois vous rappeler, Messieurs, ce que l'on entend par sensibilité. Ne croyez

pas que je veuille vous ramener au rudiment.... Si je parais, en remontant si

haut, m'écarter de mon sujet plus qu'il ne convient, j'espère vous montrer que

cette digression n'est pas été inutile ; du moins elle me permettra, à moi, de

me faire mieux comprendre.

La sensibilité n'est pas seulement une propriété des organes des cinq sens

c'est une propriété commune ,'1 toutes les parties vivantes, sans exception. Quel-

ques sensibilités viscérales sur lesquelles je reviendrai bientôt vous sont déjà

connues ; mais il y a plus encore. On parle et non sans raison de sen-

sibilités de tissus. Beaunis (1) dans son très intéressant ouvrage sur les sens-

tions internes définit de la façon suivante cette propriété absolument générale.

« C'est la sensibilité provoquée ou spontanée que présentent les tissus et les

organes, il l'exclusion des sens spéciaux. On lui a donné aussi le nom de sensi-

bilité commune ou profonde H.

(1) Leçon faite à la Salpêtrière le 11 mai 1894, et recueillie par 111. le Dr Henry Meige.

(2) Beaunis, Les sensations internes, Paris, Alcan, 1889.

274 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Ces deux derniers mots sont assurément trop vagues ; peut-être serait-il pré-

férable de dire sensibilité organique ou histologique. Comme je n'ai pas la pré-

tention de régir la terminologie technique, convenons d'appeler, si vous y

consentez provisoirement sensibilité organique celle qui ne nous est fournie

par aucun des cinq sens spéciaux.

Tout d'abord, un premier point est à élucider : La sensibilité organique est-

elle consciente ? Il est certain que dans l'immense majorité dos cas, les sensa-

tions que nous éprouvons, même celles qu'on appelle sensorielles, ne sont pas

conscientes, aperçues, comme on dit dans le langage de l'École. C'est-il-dire que

par habitude, nous faisons abstraction d'une foule de sensations perçues ; par

habitude, nous ne sentons plus le sol sur lequel nous marchons, nous ne sentons

plus les vêtements qui nous couvrent; et inversement, si notre sensibilité est

émoussée ou lésée, nous savons quelles sensations sont perverties ou nous man-

quent. C'est ainsi que les tabétiques accusent la fausse sensation d'un tapis épais

sous leurs pieds. Ce fait, vulgaire en clinique nerveuse, démontre que la notion

de contact du sol, phénomène rendu inconscient par habitude chez l'homme

sain, est redevenue, quoique altérée chez l'homme malade, un phénomène

conscient.

Imaginez que toutes les sensations perçues soient conscientes au môme de-

gré, la vie dite de relation deviendrait impossible. Si nous entendions tous les

bruits du dehors, si nous voyions tous les objets qui nous entourent, nous

rentrerions vraiment dans le chaos ! Sans doute, toutes ces sensations sont bien

perçues en fait ; mais l'attention, heureusement, en annihile un certain nombre

pour se concentrer momentanément sur une seule : les autres restent dans le

domaine de l'inconscient, elles ne sont pas aperçues. C'est donc bien « l'esprit

qui oit et qui voit ».

Une comparaison simple permet de bien saisir ce mécanisme :

Un appareil photographique, instrument inconscient enregistre sous forme

d'images tous les objets placés devant l'objectif : c'est comme s'il voyait tout,

comme s'il retenait tout, car la sensibilité de la plaque imprégnée de sel d'argent

est infiniment supérieure il celle de l'écorce cérébrale ; elle conserve toutes

les images que l'objectif l'oeil de l'appareil a laissé passer il l'état de

vibrations lumineuses. C'est un organe dépourvu de discernement. Non seu-

lement rien ne lui échappe, mais tout a pour lui la même valeur. Aucun détail

du paysage le plus compliqué, aucune branche, aucune feuille de l'arbre le

plus touffu, aucune pierre du sol, en un mot rien n'est oublié parmi tous les

objets dont les rayons lumineux se sont réfractés dans la lentille. Bien mieux

que l'écorce cérébrale, la glace photographique mérite d'être appelée plaque

sensible. Or, comparez l'image photographique avec celle qu'aperçoit le cerveau

d'un peintre qui cherche à reproduire aussi fidèlement que possible le même

paysage. Le tableau du peintre est comme une épreuve obtenue avec l'appareil

photographique vivant, Elle n'a pas gardé l'empreinte de toutes les lignes, de

toutes les couleurs et de toutes les ombres ; elle n'a pas décomposé tous les

rayons lumineux avec la précision et l'impartialité de la lentille de verre. L'é-

ARTHROPATHIES NERVEUSES ET TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ 275

corce cérébrale a fait son choix. Le peintre a fait abstraction de telle partie

pour donner plus de valeur telle autre. Il a fait du paysage que tous les yeux

voient de la même façon, quoique chose de personnel, une oeuvre où s'affirme

l'individualité d'un cerveau qui a sa manière de voir. Autant d'artistes, autant

d'oeuvres différentes. Ne nous étonnons pas si l'artiste, qui trouve dans le

profil et l'éclairage d'un site pittoresque certains motifs de préférence person-

nels n'apprécie généralement la meilleure photographie que comme un docu-

ment inintelligent et brutal.

En résumé, qu'il s'agisse de sensations visuelles ou de toute autre sensation,

le cerveau n'a conscience que do celles sur lesquelles notre attention est rete-

nue. Les autres cependant, pour latentes qu'elles soient, ne laissent pas moins

sur le cliché cortical quelques traces de leur passage. Nous en avons la preuve

dans la réviviscence d'impressions plus ou moins anciennes, restées pour nous

absolument inconscientes.

Je ne vous rappelle ici, Messieurs, que des faits d'observation générale et sur

la nature desquels on n'a guère à discuter. Mais, en connaissons-nous d'analo-

gues dans le domaine des sensations viscérales ? En d'autres termes, si nous

avons des sensations viscérales, organiques, cellulaires, ces sensations sont-

ellec conscientées ? A cette question, vos livres classiques vous répondront à

peu près de la façon suivante : un grand nombre de viscères, de membranes,

de tissus sont dépourvus de sensibilité il l'étal sain. Leur sensibilité ne paraît

s'éveiller qu'a l'état morbide. Par exemple, les tendons qu'on peut sectionner

sans provoquer une douleur vive chez un sujet normal, deviennent d'une sen-

sibilité exquise lorsqu'ils sont enflammés. Il est vrai que les gaines tendineu-

ses sont assez riches en filets nerveux et la sensibilité du tendon est emprun-

tée à la synoviale. On en peut dire autant (la preuve en est l'aile aujourd'hui),

du plus grand nombre des séreuses. Un homme bien portant ne sent pas son

péritoine. Comment expliquer les atroces douleurs des péritonites aiguës, si

le péritoine n'est pas pourvu de terminaisons nerveuses sensibles ? Il n'est

même pas besoin de supposer un processus inflammatoire pour concevoir et af-

firmer la sensibilité des organes profonds. Si l'anatomie normale et l'anatomie

pathologique étaient impuissantes à nous démontrer le trajet et la distribution

des conducteurs de cette sensibilité, la clinique toute seule y suffirait. Et ici,

permettez-moi de faire une petite incursion dans le domaine des psychoses.

Certains troubles dynamiques, d'ordre purement viscéral, se manifestent, en

dehors de toute lésion apparente, avec une netteté qui ne permet pas de mé-

connaître l'appareil sensible des organes profonds. La neurasthénie, surtout

lorsqu'elle affecte la forme hypocondriaque, vous apparaîtra, je l'espère, comme

une preuve de' ce que j'avance. Nous avons vu ensemble un assez grand

nombre de ces malheureux qui viennent à la consultation de chaque, semaine,

pour se plaindre il nous d'une fouie de maux presque toujours les mêmes. C'est

le coeur, c'est l'estomac, c'est le foie, c'est la moelle épiuière, c'est le cerveau

surtout qu'ils déclarent le siège de leurs souffrances. Notre examen, aussi cons-

ciencieux qu'il puisse être, ne nous révèle aucune altération matérielle. Ne nous

276 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

pressons pas de déclarer que tant de maux accumulés sur la même victime

soient purement imaginaires. Nous avons affaire de vrais malades, qui plus

est, à des malades qui souffrent. Ceux que, par bonheur, chacun de nous peut

guérir, conservent un souvenir très précis des douleurs qu'ils ont jadis endu-

rées ; ce n'est pas sans raison qu'ils nous reprocheraient de les avoir taxées de

chimériques. Encore une fois, ils ne sont pas des, malades imaginaires. Le

malade imaginaire de Molière n'était pas un neurasthénique. Sous prétexte que

vous ne trouvez pas une hypertrophie de la rate, une atrophie du foie, une pa-

raplégie spasmodique, n'allez pas conclure que la rate, le foie, la moelle épi-

nièrene souffrent pas réellement. Lorsqu'on vient se plaindre à vous d'une né-

vralgie faciale bien caractérisée, prétendez-vous que la douleur ne peut-être

qu'imaginaire attendu que la peau du visage, les muqueuses et les dents sont

saines ? Il ne faut jamais dire en clinique : « Ceci ne peut pas être, ceci ne doit

pas être ». Rappelez-vous l'aphorisme de Stahl : « Non quod fieri polest, non

quod fieri débet, sed quod fieri solet ».

On prétend, il est vrai, que la neurasthénie n'est pas une affection des nerfs

périphériques, mais purement un trouble cérébral. Je ne le nie pas a priori

mais rien ne me le prouve. En tous cas, hypothèse pour hypothèse, j'incline à

croire qu'un trouble cérébral où les sensations viscérales dominent, ne peut

guère survenir qu'à titre de retentissement central d'une stimulation périphéri-

que. Si les douleurs des neurasthéniques sont des hallucinations sensitives vis-

cérales, aucun fait n'établit que les viscères eux-mêmes n'ont pas été à un

moment donné en souffrance. Toutes les hallucinations sont des réveils d'ima-

ges corticales. S'il existe des hallucinations viscérales, c'est donc que les viscè-

res ont, pour me servir du vocable adopté, une représentation corticale. Les sen-

sations viscérales, par conséquent, sont du domaine de la conscience. C'est ce

qu'il fallait démontrer.

D'autres faits encore, qu'il me semble utile au moins de signaler, viennent à

l'appui de ce qui précède. Si nos multiples sensibilités organiques peuvent

s'exaspérer dans l'état morbide, elles peuvent aussi s'atténuer. Telle sensation

qui n'est pas consciente chez l'homme sain, devient ainsi consciente chez l'hom-

me malade. On dit communément que « pour être bien portant, il ne faut pas

sentir son corps ». Le jour où cesse l'équilibre fonctionnel qui correspond à la

parfaite santé, se réveille en nous soudain la sensibilité viscérale endormie,

cette sensibilité dont nous avons dès l'origine perdu le souvenir si nos organes

n'ont jamais cessé de fonctionner normalement. Nous ne sentons pas notre

coeur quand il bat d'un rythme régulier mais nous sentons douloureusement le

moindre faux pas cardiaque. Le meunier se réveille quand la roue du moulin

s'arrête.

Ainsi, Messieurs, les sensations viscérales peuvent être perverties dans l'é-

tat de maladie, soit par excès, soit par défaut. La symptomatologie du tabes

ARTHROPATHIES NERVEUSES ET TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ 277

nous présente des exemples nombreux de ces perversions, et il en est une dont

je m'engage vous entretenir un instant son intérêt d'actualité.

Frenkcl a remarqué récemment due la sensation de fatigue pouvait disparaî-

tre ou s'amoindrir considérablement au cours du tabes (1). Un ataxique, par

exemple, garde parfois les bras étendus horizontalement pendant vingt-cinq mi-

.nutes sans que la moindre fatigue résulte de cette altitude prolongée. Que les

plus vigoureux d'entre vous tentent l'expérience et ils verront que ce tour de

force leur est interdit. C'est la jusqu'ici un fait isolé, mais les médecins n'en

ont pas encore recherché systématiquement l'existence, et si par hasard, on

eu constatait la fréquence chez les tabétiques, il acquerrait une grande impor-

tance au double point de vue de la séméiologie et de la pathogénie de certains

symptômes du labes. '

D'ailleurs, la fatigue est un sujet dont on s'occupe trop activement depuis

quelques années pour que je ne cède pas a la tentation de vous en parler en

cette occasion. Vous jugerez bientôt que la présente digression a aussi son

utilité.

Les physiologistes ne se sont guère occupés de la fatigue avant Heimlioltz et

Dubois-Roymond. Des travaux récents de Ranke, Mosso, Richet, Abelous et Lan-

glois, Albanese et Supino ont singulièrement éclairci le problème.

Et d'abord, qu'est-ce donc que la fatigue ? J'avoue que la définition est dif-

ficile et je ne m'y risquerai pas. Impuissance musculaire, gêne pénible, faiblesse

douloureuse, dira-t-on ? En fait, la fatigue est une sensation, et, en tant que

sensation, elle est indéfinissable. On ne peut pas plus la définir qu'on ne peut

définir un parfum ou une couleur. Cela se voit, cela se sent, cela s'éprouve en

vertu d'un acte de conscience dont nous sommes tous également bons juges ;

et rien de plus.

Si les physiologistes à cet égard n'en savent pas plus long que nous tous, ils

ont eu du moins le grand mérite de pousser l'analyse du phénomène bien au delà

de la sensation perçue. La fatigue ne consiste pas seulement en une sensation ;

elle n'est pas seulement subjective : elle est objectivement caractérisée par un état

spécial des muscles que la méthode graphique permet d'apprécier de visu. La

sensation et le fait matériel sont naturellement solidaires l'un de l'autre, mais

le fait, au point de vue expérimental n'est pas toujours objectivement constata-

blé, alors que, selon toute probabilité, la sensation est déjà subjectivement perçue.

La clinique (où tout nous ramène) vous fera comprendre qu'il en puisse être

ainsi. Les neurasthéniques dont je viens de vous parler, ne sont-ils pas dès

le matin brisés, fourbus, anéantis par une fatigue insurmontable, sans que

leurs muscles aient fourni la veille un travail exagéré ? Vous savez même qu'ils

sont en général bien plus fatigués le matin que le soir. Dans un instant, vous

vous expliquerez mieux cette aberration morbide de la sensibilité musculaire.

Retenez seulement que la fatigue est une sensation de provenance musculaire.

Du reste, Mosso l'a dit en excellents termes : « La fatigue estiudépendante de

(1) Neurolog. Ceiatralbl., le, juillet 1893, p. 434.

278 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

l'influence psychique : c'est un phénomène périphérique. » Comment et pour-

quoi se produit-elle ? Tout démontre qu'elle résulte d'un effort, d'une lutte plus

ou moins douloureuse, plus ou moins prolongée contre une résistance que nous

ne pouvons vaincre. Et, cette incapacité do vaincre n'est autre chose qu'une sorte

de paralysie passagère. Le muscle fatigué ne se contracte plus. Si le muscle ne

se contracte plus, c'est parce qu'il a, au cours de ses contractions réitérées, fa-

briqué des produits toxiques exerçant sur lui-même une action vraiment cura-

risante. La paralysie en question n'est donc pas d'origine centrale ; elle ne

tient pas non plus à une modification matérielle ou dynamique de la fibre striée ;

l'intoxication limite ses effets aux plaques terminales des nerfs moteurs. A ce

titre donc, on peut la comparer à l'intoxication par le curare.

Il me serait difficile d'insister sur la nature du poison. Longtemps on a accusé

l'acide lactique. On croyait que les muscles surmenés en produisaient abon-

damment. Vous savez tous que Cb. Richet a fait justice de cette opinion. Je me

bornerai donc à vous rappeler l'ingénieuse expérience par laquelle Gabelous a

démontré la curarisation spontanée des muscles fatigués.

La grenouille est l'animal choisi. On lie l'artère du membre postérieur droit.

On fait passer un courant induit de l'anus à la bouche de façon à obtenir dans

un temps donné une tétanisation complète. On laisse alors la grenouille en re-

pos, puis, de nouveau, l'on ouvre le circuit. Les muscles épuisés après la pre-

mière excitation, ne sont plus capables d'une nouvelle tétanisation. Si l'on ex-

cite alors le nerf de la patte gauche, la contraction est insignifiante ou nulle. Au

contraire, l'excitation du nerf de la patte droite, -celle dont l'artère a été liée

provoque de fortes contractions dans cette patte. La conclusion à tirer de cette

expérience est la suivante : les muscles de la grenouille en se contractant jus-

qu'à la tétanisation ont produit des substances toxiques dont l'action est para-

lysante. Ces substances ne parvenant pas il la patte postérieure droite (puisque

l'artère est liée), les muscles de cette patte peuvent encore se contracter sous

l'influence d'une excitation nouvelle.

L'expérience montre encore autre chose le poison n'a pas d'effet nocif sur

les conducteurs nerveux eux-mêmes. S'il en avait un, les muscles de la patte

droite ne se contracteraient pas, attendu que les nerfs de cette patte sont im-

prégnés de substances toxiques aussi bien que ceux de la patte gauche. D'autre

- part, l'excitation électrique directe des muscles do la patte gauche détermine en-

core des contractions, alors que l'excitation du nerf n'en produit plus. La con-

clusion qu'il est permis de tirer de tous ces faits est donc que la substance toxi-

que (qui ne lèse pas le muscle et qui ne lèse pas le nerf) exerce son pouvoir

paralysant sur une partie du système neuro-musculaire intermédiaire au nerf

et au muscle. Cette partie intermédiaire, c'est la plaque terminale.

Telle est, Messieurs, la fatigue expérimentale. Il nous faut maintenant nous

demander si la fatigue physiologique lui est comparable et si l'état des muscles

d'un homme qui se fatigue peut être assimilé à celui des muscles tétanisés d'une

grenouille.

ARTHROPATHIES NERVEUSES ET TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ 279

D'abord, on peut admettre que la raideur des jambes après une marche exces-

sive phénomène bien connu de nous tous est une sorte de tétanisation

commençante. Et quant a ta sensation même, nous avons le droit de la consi-

dérer comme l'expression subjective de l'intoxication ri ses débuts. C'est l'aver-

tissement qui nous engage à ne pas aller plus loin, a nous reposer, c'est-à-dire

à prendre tout le temps pour éliminer le poison fraîchement élaboré. Préve-

nus de l'imminence du danger, nous sommes rarement exposés à en subir les

extrêmes conséquences. Un fait clinique qui prouve suffisamment qu'il en

doit être ainsi, nous est fourni par la maladie d'Addison. Ce que l'on appelle l'as-

thénie addisonienne n'est autre chose qu'une sensation de fatigue générale. Vous

savez que les sujets atteints de maladie bronzée ne quittent guère le lit. A quel-

que heure de la journée que vous entriez dans, les salles, vous les trouvez tou-

jours couchés. Ils se disent toujours « éreintés, courbaturés, comme s'ils s'é-

taient livrés au travail le plus pénible ». Ni les toniques, ni l'hydrothérapie,

ni le massage, ni, à plus forte raison, les encouragements ne peuvent les tirer

de leur torpeur. Or vous n'ignorez pas non plus que les capsules surrénales,

dont la tuberculisation est la lésion sine qua non de la maladie d'Addison, sont

destinées à détruire les substances toxiques d'origine musculaire. Les expérien-

ces d'Albanese (1) ont bien mis en évidence ce rôle protecteur des capsules.

Lorsqu'on produit artificiellement la fatigue chez des grenouilles acapsulées,

on voit survenir une parésie de tous points comparable à celle qui résulte de

l'injection des substances toxiques élaborées par des muscles fatigués. Sur une

grenouille dont les capsules surrénales sont respectées, l'injection de ces pro-

duits « de désassimilation » n'entraîne qu'une fatigue temporaire. Sur une

grenouille acapsulée, la môme injection détermine une fatigue persistante. De

même, chez l'addisonien. « Les substances toxiques je cite Albanèse qui

s'accumulent dans l'organisme après la suppression de la fonction surrénale

sont de même nature que les poisons élaborés au cours d'un travail musculaire

exagéré.... Ainsi s'expliquent cette asthénie, cette fatigue invincible qui acca-

blent l'addisonien ».

Ne vous arrêtez pas, Messieurs, aux cas de cancer surrénal dont la sympto-

matotogie ne comporte pas l'asthénie addisonienne, pas plus qu'elle ne comporte

la pigmentation cutanée. Si la tuberculose des capsules surrénales donne lieu

il ces deux ordres de phénomènes, hien plus souvent que ne fait le cancer, c'est

qu'elle est réellement destructive du tissu capsulaire. Du même coup, elle sup-

prime la fonction protectrice. Le cancer, par contre, au moins dans un grand

nombre de cas. n'est pas foncièrement destructif. L'histoire d'une foule de can-

cers viscéraux nous le prouve. Les cellules méta typiques et môme atypiques

gardent longtemps quelque chose de leurs attributions originelles. De là, l'ab-

sence du syndrome addisonien dans le cancer capsulaire.

Cette digression me ramène a notre point de départ. La sensation de fatigue

(1) Arch. de plesiol., 1893, n 4, p. 470.

280 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

qui nous avertit de la tétanisation musculaire commençante, est le phénomène

conscient, grâce auquel nous savons sans le savoir que nos muscles ont aban-

donné à notre organisme des substances nuisibles. Un tabétique qui n'éprouve

pas cette sensation, tel était le malade de Frenl;el -, continue d'élaborer ses

poisons paralysants, mais il n'en est pas avisé. S'il peut maintenir vingt-cinq mi-

nutes les bras étendus, du moins ne peut-il pas les maintenir ainsi plus long-

temps. L'effet produit sur la plaque terminale par le corps toxique est le môme,

celle différence près, que les bras retombent le long du tronc, réellement

fatigués, mais sans la sensation de fatigue préalable. Les fibres de la sensibilité

musculaire, chargées de donner l'éveil, n'ont pas fonctionné ; et si le tabétique

n'est pas tétanisé, c'est que ses capsules surrénales, fonctionnant toujours de

façon normale, ont détruit la substance curariforme, au sur et à mesure qu'elle

se produisait. Tout au plus a-t-il besoin d'un peu de repos pour réparer ses

forces, exactement comme la grenouille d'Albaneso.

Si je suis entré dans tous ces détails, c'est, Messieurs, ainsi que je vous le

disais tout à l'heure, en raison de l'actualité du sujet. Mais il existe bien d'au-

tres perturbations de nos sensibilités organiques auxquelles les mômes consi-

dérations pourraient s'appliquer. Les accès d'angine de poitrine qui surviennent

au cours du labes, signalés depuis longtemps par Charcot et plus récemment

étudiés par Letulle, sont des exemples de ces hyperesthésies viscérales démon-

trant que l'ataxie n'entraîne pas seulement des troubles scnsitivo-sensoriels.

J'en pourrais dire autant de la sensibilité des voies respiratoires si gravement

affectée dans les ictus laryngés dont nous devons la connaissance à Féréol. Les

crises gastriques, les coliques néphrétiques, les coliques spermatiques dont on

a peut-être un peu négligé l'étude malgré leur fréquence, relèvent du môme

ordre de faits. Il s'agit toujours de manifestations morbides qu'on peut rappor-

ter aux appareils sensitifs des organes, des tissus, des éléments anatomiques

profonds.

Toutes les sensations qui nous sont fournies par l'ensemble de ces sensibili-

tés intimes, correspondent à ce « sons de la vie » qui résume sans doute la

conscience des zoopbytes, nos vrais premiers parents. La résultante de tant de

sensibilités ignorées s'appelle encore dans le langage de l'Ecole, cénesthésie, ou

sensibilité commune (7.o ! 11à, commun, li ! irrel1tn" sensation). Littré délinitlacéncs-

thésie « une espèce de sentiment vague que nous avons de notre être, indé-

pendemment du concours des sens. » C'est, en d'autres termes, la somme

des avertissements périphériques de nos états d'organes.

Je puis maintenant vous dire de la cénesthésie ce que je vous disais tout à

l'heure des sensations sensitivo-sensorielles. Elle est consciente ou inconsciente

suivant les cas. Si elle était consciente à tout moment, notre vie psychique n'y

suffirait pas. La merveilleuse divisiou du travail qui préside aux fondions de

notre être, laisse à la moelle épinière une partie de la besogne. C'est la moelle

qui est toujours la première informée de ce qui se passe dans l'organisme, et

elle réagit en conséquence. L'acte réflexe,. simple ou complexe, est sa réponse

à l'avertissement périphérique. Lorsque le cerveau intervient, c'est souvent

ARTHROPATHIES NERVEUSES ET TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ 281

pour donner un ordre sommaire il la moelle qui l'exécute dans son entier. Je

marche en vous parlant, mais mon cerveau ne calcule pas les mouvements que

vous me voyez faire; ma moelle, une fois l'ordre reçu, se charge de diriger, en

les coordonnant, tous les actes musculaires que cette progression automatique

exige. Les centres de coordination sont des groupements de cellules motrices

reliées chacune à chacune suivant une disposition perfectionnée par l'habitude :

les voies de communication sont préétablies, mais l'habitude seule les rend

praticables ; c'est là une hypothèse nécessaire. Un poète dont la muse subtile

s'est inspirée souvent de psychologie pure, a merveilleusement défini le rôle de

l'habitude « cette étrangère qui s'installe dans la maison » :

Elle conduit les pieds de l'homme,

Sait le chemin qu'il eût choisi,

Connaît son but sans qu'il le nomme

Et lui dit tout bas : « Par ici » (1).

Mais redescendons sur terre.

Pour que les contres de coordination fonctionnent régulièrement, il est indis-

pensable que la moelle épinière soit bien informée. Alors, et de colle façon

seulement, se trouve réalisé l'état d'équilibre nerveux qui correspond au bon

fonctionnement de tous les appareils. Ce ne sont pas uniquement les organes

de la vie de relation qui exigent le va et vient régulier du courant nerveux par

les voies centripètes et par les voies centrifuges. Ce sont aussi les organes de

la vie végétative, les viscères, les vaisseaux sanguins et lymphatiques, les tissus

conjonctifs et jusqu'au tissu osseux lui-même. L'équilibre dont il s'agit est indis-

pensable, par ce fait, au jeu normal des « échanges nutritifs ». A une stimula-

tion périphérique excessive, transmise par les conducteurs centripètes de la

sensibilité commune, la moelle répondra par un mode d'activité plus grande

ou plus faible des centres organiques ou viscéraux. Les échanges nutritifs subi-

ront une perturbation, dont le mécanisme intime nous échappe, mais qui se

traduira matériellement par des hypertrophies ou des atrophies, par des con-

gestions, des hémorrbagies, des ischémies, de la cyanose, etc.

Tous ces phénomènes appartiennent au tabès, et nous savons que dans cette

maladie, c'est le système des conducteurs centripètes qu'on peut soupçonner

toujours d'être affecté le premier. Vous entrevoyez donc la direction dans la-

quelle il faut chercher l'explication des troubles trophiques, c'est-à-dire nutri-

tifs en général, quelle que soit leur localisation.

Marinesco a récemment consacré deux mémoires d'une conception fort ori-

ginale à l'influence de la sensibilité organique sur les troubles trophiques d'o-

rigine nerveuse (2). Je vous y renvoie ; vous y verrez une très heureuse ap-

plication a la pathologie des notions que j'empruntais antérieurement à Beaunis

touchant la sensibilité organique. L'ingérence des altérations primitives de la

(1) SULLY Piiunuoxntr, La vie intérieure.

(2) iMauinlsca, Ueber Verænderungen der Xerven und des Ruckenmarks nach Am-

putationen ; ein Beitrage zur Ncrvcnlrophik. Neurol. Cent·alG., 1892 ; et Sur un cas de

lésion traumatique du trijumau et du facial avec troubles (rophiques consécutifs, in

Arch. clelasiol., juillet, 1893, p. ICI.

vu 19

282 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE E

sensibilité dans l'étude des dystrophies tabétiques est donc une vue pathogéni-

quo essentiellement nouvelle. C'est bien pour cela que j'ai tant insisté sur- ces

formes rares de labes sensitif, dans lesquelles les troubles trophiques et spécia-

lement les arthropathies semblent avoir une importance et une fréquence beau-

coup plus grandes que dans le tabes moteur.

Au demeurant, le 1(ib(,s n'est pas la seule maladie Ilui justifie la loi de corré-

lation dont je vous entretiens. Ne connaissez-vous pas les hémi-atrophies facia-

les qui font suite à la névralgie du trijumeau, les atrophies musculaires qui

résultent des arthrites douloureuses, les éruptions vésiculcuses ou huileuses il

cicatrices indélébiles qui succèdent la névralgie intercostale du zona ? Je

pourrais multiplier les exemples. Laissez-moi vous en rappeler encore un. Der-

nièrement, je vous montrais une femme hémiplégique chez laquelle les deux

membres paralysés et, plus spécialement le bras gauche étaient le siège d'une

vive douleur. Or ces deux membres et surtout le membre supérieur étaient

frappés d'atrophie; ce dernier, réduit de volume dans sa totalité, n'a presque

plus de relief musculaire ; la peau elle-même est comme parcheminée, et les

extrémités digitales ont subi un amincissement qu'on peut qualifier de scléro-

dermique. Chez cette femme, nous avons également assisté plusieurs fois à des

troubles vaso-moteurs caractérisés par des oedèmes transitoires. A cette occa-

sion, je vous faisais remarquer combien sont fréquentes les douleurs sponta-

nées et continues des membres paralysés, dans l'hémiplégie d'origine cérébrale.

Je vous en reparlerai dans une occasion prochaine, mais, dès maintenant,

sachez qu'elles n'ont rien à voir avec celles qui résultent de la contracture per-

manente. Je crois qu'elles sont plus communes dans les cas de localisation

corticale que dans ceux de localisation sous et il Ine semble, malgré

l'insuffisance d'une statistique personnelle déjà importante, que les douleurs

des hémiplégiques appartiennent principalement aux formes atrophiantes. Si

ce que j'avance doit trouver une confirmation dans l'avenir et je m'étonne-

rais qu'il en fût autrement vous conviendrez que les faits cliniques s'accor-

dent avec une presque absolue unanimité pour donner à la loi dont je vous par-

lais tout il l'heure une valeur tout à fait générale.

Je reviens une dernière fois au tabès.

,> J'ai distingué pour les besoins de la démonstration deux types cliniques,

l'un moteur, l'autre sensitif qui ne sont à vrai dire, qu'exceptionnels en

fait. Les types mixtes sont infiniment plus vulgaires. Mais dans tous, quels

qu'ils soient, la lésion semble invariablement la même : vous avez nommé la

sclérose systématique des cordons postérieurs. Est-il vrai de dire que cette alté-

ration soit identique dans la forme sensitive et dans la forme motrice, c'est-

à-dire chez les sujets qui souffrent et chez ceux qui ne souffrent pas ? A cette

question que vous vous êtes assurément posée, je crois qu'on peut répondre

catégoriquement : Non.

Sans doute, le trajet de dégénération intéresse dans tous les cas le môme

territoire médullaire : les mûmes régions sont sclérosées. Mais il ne s'en suit

Nouv. ICONOGR. DE la SALPtTRrl : RE ? . Vfl. PL. XXXVI

ARTHROPATHIES TROPHIQUES DES DEUX GENOUX D'ORIGINE MYÉLITIQUE

L BATTAILLE ET Ch

Éditeurs

ARTHROPATHIES NERVEUSES ET TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ 283

pas que, dans ces régions, les mêmes conducteurs nerveux soient affectés au

même titre et à un égal degré. Vous savez du reste que la sclérose fasciculée

postérieure n'est jamais complète, en dehors de certains faits réellement excep-

tionnels. Presque toujours, on retrouve sur les coupes transversales, au milieu

même du champ de sclérose, des tubes nerveux très bien conservés. De ce fait,

on pourrait, à mon avis, conclure d'une façon générale, que, dans le tabès

sensitif, les cylindraxes épargnés sont ceux qui président aux fonctions centri-

pètes des muscles, et, inversement, que dans le labes moteur, les cylindraxes sub-

sistants conduisent la sensibilité sensitivo-sensorielle et la sensibilité organique.

Nos procédés d'investigation sont malheureusement encore trop imparfaits

pour établir une distinction anatomique et physiologique entre ces deux ordres

de conducteurs. J'ajouterai que les meilleures méthodes techniques dont nous

disposons aujourd'hui nous fournissent, lorsqu'on les compare les unes aux

autres, des résultais contradictoires.

Colorez, d'une part, une moelle tabétique par les réactifs de Weigert ou de

Pal et, d'autre part, la coupe immédiatement sus-jacente par le picro-carmin

de Ranvier : vous constaterez une différence très considérable clans le nombre

des cylindraxes conservés sur les deux coupes. Rien ne prouve d'ailleurs qu'un

tube nerveux très réduit de calibre ne puisse garder peu près intactes ses pro-

priétés conductrices essentielles.

Mon savant maître et ami, M. A. Gombault, a même tranché la question dans

son étude des névrites périaxiles. Sans nul doute il existe des névrites segmentai-

res périaxiles dans la continuité des cordons médullaires comme il y en aune dans

les nerfs périphériques ; et l'appréciation d'une lésion nerveuse, basée sur la per-

sistance ou la disparition de la gaine myélinitlueest rien moi iis que précise. Je veux

dire par la qu'ou n'est pas on droit de conclure de la désintégration de la myéline

;t la dégénération du cylindraxe, pas plus dans les maladies de la moelle que

dans celles des troncs nerveux. Même si l'on fait abstraction de la sclérose en

plaques où le cylindraxe, compact, dissocié ou en voie de multiplication (1),

reste bon conducteur, on peut admettre que dans la plupart des myélites sys-

tématiques, les tubes nerveux respectés sont toujours en assez grand nombre.

Résumons tous ces considérants, et la question se trouvera résolue de la fa-

çon suivante : dans le tabès sensitif, les fibres centripètes de toutes les sensibi-

lités subiraient la dégénération ; dans le tabès moteur, ce seraient les fibres de

la sensibilité réllexe : dans le tabes complet, ce seraient les unes et les autres.

Envisagé de la sorte, le premier problème que nous nous sommes posé, re-

lativement aux rapports réciproques des altérations de la sensibilité et des

troubles trophiques, inc semble plus facile à résoudre.

Et voici la solution que je vous propose d'adopter sous bénéfice d'inventaire.

Nos organes (us, muscles, glandes, etc.), sans exception sont dans un état d'é-

(1) Voy. à ce sujet un récent travail de AhcnAEL Popoit (de Charkow) sur l'histologie

de la sclérose disséminée du cerveau et de la moelle épinière Neurol. Centralb., 1894,

n- 9.

28't NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

lJuilihre trophique, lorsque leurs nerfs centripètes conduisent au centre spi-

nal les stimulations nécessaires et suffisantes pour provoquer, de la part du

centre spinal, la réaction nutritive normale. L'équilibre trophique est donc,

comme l'a très justement établi Marinesco, un acte réflexe, et la nutrition de

tous les éléments constitutifs de notre organisme esl intimement lié il leur ac-

tivité vitale. Or un élément, qui n'a pas d'activité, qui ne fonctionne pas, s'a-

trophie. Donc l'excitation périphérique, cutanée, viscérale ou conjonctive, qui

détermine l'activité de l'élément, détermine aussi sa nutrition.

Mais l'acte réflexe qui résume en lui seul tout phénomène trophique n'est

pas un acte simple. Un acte réflexe, quel qu'il soit, ne s'effectue pas invaria-

blement par une seule et même voie. Le pincement d'un orteil a pour premier

effet, la rétraction du membre inférieur. L'écrasement d'un orteil a pour effet

non seulement la rétraction du membre, mais encore une secousse convulsive

plus ou moins généralisée et un cri plus ou moins plaintif.

Il existe donc dans toute la hauteur delà moelle une série d'arcs clias(al(i jnes nI-

flexes qui suivent des chemins détournés et qui superposés les uns aux au très par-

tir du point de pénétration de la racine postérieure correspondent il la la région exci-

tée. Parmi ces arcs réflexes, il en est un, ou plusieurs, dont le trajet a longue

portée s'étend, dans le sens centripète, jusqu'à l'écorce cérébrale, et, dans le sens

centrifuge, jusqu'aux racines antérieures de la région excitée. Le faisceau pyra-

midal n'est pas autre chose qu'un segment d'arcs réflexes; c'est un système de

fibres chargées d'utiliser pour la fonction motrice, des sensations emmagasi-

nées depuis un temps plus ou moins long dans l'écorce grise de l'hémisphère,

c'est-à-dire sur un point où le grand arc réflexe a fait escale. Si, dans le tabès,

les fibres centrifuges de ce grand arc réllexe sont respectées, en d'autres ter-

mes, si le faisceau pyramidal continue d'exercer son influence motrice sur les

cellules des cornes antérieures de la moelle, ces dernières conservent la fa-

culté d'actionner la fibre striée et les muscles ne s'atrophient pas. Il subsiste

assez de « sensations-souvenirs » dans la substance cérébrale pour entretenir la

fonction trophique musculaire, alors même que l'arc réllexe direct qui va de

la racine postérieure il la racine antérieure correspondante est interrompue.

Un malade atteint de tabès moteur, peut ainsi garder indéfiniment des muscles

puissants quand bien même il a perdu complètement la sensibilité musculaire

proprement dite. Un malade atteint de tabes sensitif a des troubles trophiques

articulaires et surtout osseux, parce que les centres spinaux de réaction nutri-

tive qui régissent l'équilibre fonctionnel des tissus osseux ou cartilagineux ne

connaissent rien de l'écorce cérébrale.

Le faisceaau pyramidal, appelé quelquefois, et à juste titre, faisceau volon-

taire, n'exerce aucune inlluence sur ces tissus ; aussi, chez l'adulte, les troubles

trophiques d'origine corticale ne sont-ils jamais primitifs. Il ne s'en suit pas

que l'atrophie musculaire soit chose rare chez les tabétiques ; c'est, an contraire,

une complication assez commune dans la forme ordinaire, classique, sensitivo-

motrice. Du moins peut-elle s'expliquer par le fait que l'action cérébralc tro-

phique est insuffisante pour entretenir la nutrition de la fibre striée. Sans nier

l'existence que nul ne conteste-des névrites périphériques dans l'atrophie

ARTHROPATHIES NERVEUSES ET TROUBLES DE LA SENSIBILITÉ 285

musculaire des tabétiques, on peut d'autant mieux concevoir la pathogénie de

celte atrophie, en ajoutant l'influence des désordres sensitifs il celle du repos

prolongé ou de l'inaction relative dans les cas de grande incoordination.

La disjonction que je viens de faire entre les actes réflexes il court trajet et il

long trajet chez les ataxiques, trouve sa confirmation dans un symptôme bien

connu et de signification presque pathognomonique : je veux parler du signe

d'Argyll Robertson. Sous l'influence d'une excitation lumineuse, la pupille ne

se contracte plus. C'est un acte réllexe qui manque ; c'est l'équivalent du signe

de Westphal caractérisé par l'absence du réflexe patellaire. Mais la contraction

pupillaire, en tant que phénomène lié il l'accommodation n'est pas modifiée.

L'accommodation est un acte sinon toujours volontaire, du moins toujours céré-

hral. 11lle comporte l'intervention de conducteurs centripètes à long trajet

puisque je peux à volonté accomoder ou ne pas accomoder. L'accomodation exige

donc l'intégrité d'une fraction du faisceau pyramidal. VA de même qu'on voit

chez certains tabétiques une paralysie atrophique des muscles succéder tardi-

vement il un état de nutrition presque irréprochable de la fibre striée, de même

on peut voir l'accommodation disparaître pour faire place il une immobilité para-

lytique de la pupille. \

Mais, ce sont là des complications ultimes et, en tout cas contingentes, dont

on ne peut rendre responsable le processus de sclérose primordiale qui fait le

fond du tabès.

Je voudrais vous avoir démontré que le trouble trophique, envisagé a son

point de vue le plus général, est étroitement associé une perturbation fonc-

tionnelle.

S'il est des états morbides dans lesquels le trouble de la fonction dépend du

trouble de la nutrition, il peut exister aussi tels états morbides où le trouble de

la nutrition dépend du trouble delà fonction. Dans ce tout petit coin du vaste

champ que la biologie permet aux médecins d'explorer, vous voyez surgir

inopinément le problème de la cause finale : l'organe est-il fait pour la fonc-

tion ou la fonction est-elle faite pour l'organe ?

Je ne quitterai pas le terrain de la clinique pour résoudre la question inso-

luble entre toutes.

E. Brissaud,

Professeur agrégé.

DES ARTHROPATHIES SYRINGOMYÉLIQUES

[Suite et fin) (1).

Troubles objectifs de la sensibilité. Dissociation localisée et corrcorrri-

tante. Pour en revenir la règle générale on voit des malades s'éton-

ner eux-mêmes du peu de douleur qu'ils ont éprouvé, étant donnée la

gravité du traumatisme qui a marqué le début de l'arthropathie. Cette

analgésie, tout au moins relative, nous amène il parler du phénomène le

plus important qui soit associé à l'artliropathie, à savoir la dissociation, de

la sensibilité. Il existe une superposition très remarquable et même très

précise dans quelques cas de la localisation de l'arthropathie et de la loca-

lisation de ce trouble objectif de la sensibilité. Dans l'observation si inté-

ressante de J.-B. Charcot, il semble bien y avoir eu en outre coïncidence

clans l'apparition de ces deux phénomènes. Dans celle de J. M. Charcot et

Dutil, la dissociation de la sensibilité n'existait qu'au niveau des deux

zones, précisément superposées aux arthropathies de l'épaule et du poi-

gnet. Dans quelques observations l'analgésie et la thermo-anesthésie de la

région ont paru précéder l'arthropathie.

Ainsi chez certains malades on trouve notées des cicatrices disséminées

de brûlures anciennes et notamment au niveau de la jointure prise.

La question est de savoir si, l'arthropathie existant, il y a toujours

analgésie et thermo-anesthésie de la peau et des parties profondes. Pour

ce qui est de la sensibilité cutanée, la règle quoique générale ne parait

pas absolue. Dans le troisième cas de Graf on trouve notée la conservation

de la sensibilité il la température au genou gauche affecté depuis l'enfance

d'une arthropathie syringoll1yélique. Il existait par contre de l'hyperes-

thésie localisée il ce niveau avec sensation de chaleur.

On trouvait d'ailleurs chez ce malade une diminution de la sensibilité

il la douleur et à la température aux deux jambes.

Chez le sujet de Lloyd il n'y avait pas non plus superposition de trou-

bles objectifs de la sensibilité et de l'arthropathie (hanche droite).

La sensibilité des parties profondes a pu être appréciée lors des inter-

ventions chirurgicales (2). Or est remarquable de voir que presque

(1) Voir le n° 4.

(2) Voir le mémoire de A. Chipault, Rev. chirurgie, 1891.

DES ARTHROPATHIES SYRINGOMYÉLIQUES 287

toutes ces opérations ont été faites sans anesthésie, et cependant sans dou-

leur pour le malade. Jamais du moins les observateurs n'ont particulière-

ment signalé de douleurs dans ces opérations. Nous verrons quelle impor-

tance ces faits ont pour le diagnostic et comment ils éclairent la pathogénie

de l'affection.

Troubles subjectifs de la sensibilité. - 'Troubles vaso-moteurs. - Nous

avons noté la douleur comme prodrome de la lésion articulaire; nous

avons insisté sur ce fait que la douleur, quand elle existe, n'est pas en

général en rapport avec les désordres articulaires. Nous ne reviendrons

pas sur ces faits, nous contentant d'ajouter qu'au cours de l'arthropathie

devenue chronique les malades ont parfois des périodes douloureuses

(Exemple : malade de J.-B. Charcot).

Quant aux [roubles' vaso-moteurs, au moment où se fait l'arthropa-

thie ils sont essentiellement liés à la production de l'arthropathie elle-

même et de l'infiltration périarticulaire. Celle-ci est aussi allribuable clans

certains cas, pour les arthropalhies tabétiques du moins, aune rupture

capsulaire (Debo, e). - -

Evolution. L'arthropathie a pour conséquence un certain nombre

de désordres articulaires ou Fpériarticulaires sur lesquels nous devons re-

venir.

Les craquements sont chose vulgaire. Ils peuvent constituer dans quel-

ques cas l'unique symptôme de la lésion. Habituellement accessoires ils

sont remarquables à la fois par leur intensité et leur indolence, tout au

moins relative. Us sont dus surtout au frottement des surfaces articulaires

dépouillées de leur cartilage et quelquefois il des fractures parcellaires sem-

blables à celles que Charcot a décrites dans les arthropathies tabétiques.

Les luxations sont ou bien temporaires, récidivantes, ou bien permanen-

tes. Le malade de J. M. Charcot offrait un bel exemple de luxation per-

Fig. 76.

288 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

manente de la tête du cubitus au poignet, ou inversement « subluxation

du carpe vers la face antérieure des os de l'avant-bras ». Elle était réducti-

])le, mais, comme il arrive souvent, difficile ou même impossible à main-

tenir réduite. C'est dans ces cas qu'une thérapeutique appropriée peut

rendre le plus de service au malade (Fig. 7C).

Les luxations peuvent apparaître soit dès le début, soit après la dispa-

rition de l'épanchement articulaire.

Dans des cas exceptionnels on a vu (Blasius) l'issue des os luxés à tra-

vers la peau.

A côté des luxations il faut signaler les attitudes vicieuses qu'entraînent

les déformations des fêtes osseuses. Ainsi dans l'observation de Roth (va-

riété hypertrophique) le coude gauche était fortement fléchi à 100°. Les

extrémités articulaires étaient fortement épaissies et bosselées. Il y avait

deux fistules conduisant sur un séquestre.

On note souvent comme dans l'arthropathie tabétique une déviation de

l'axe des membres malades.

Nous n'insisterons pas pour le moment sur les déformations articulai-

res dont la description trouvera mieux sa place à l'anatomie pathologique.

Contentons-nous de dire qu'elle résulte d'une hypertrophie osseuse, le

plus souvent. La région atteinte conserve de ce fait même et en dehors de

tout épanchement une tuméfaction généralisée. Mais à ce titre on peut

distinguer suivant Charcot une forme atrophique rare et une forme hyper-

trophique plus commune. Contrairement à ce qui se passe dans le tabes

la forme hypertrophique ne tend pas nécessairement vers l'atrophie. Le

type atrophique a été rencontré notamment dans l'observation II de Karg;

chez le malade en question les extrémités articulaires de l'humérus, du

radius et du cubitus droits manquaient au coude sur une longueur de 5 il

10 centimètres. Dans le 2e cas de Nissen la tète de l'humérus était égale-

ment atrophiée. On trouve de nombreux exemples de la forme hypertro-

phique. Souvent les deux processus sont associés. Ainsi on voit signalées

dans la première observation de Nissen l'atrophie de la tète Immorale à

côté de l'hypertrophie de la cavité articulaire.

Il n'est pas fréquent que l'atrophie musculaire soit superposée il l'ar-

thropathie. Cependant cela se voit. Ainsi chez le malade de J. M. Charcot

« les muscles de l'épaule droite ont subi un degré notable d'alrophie et

cette atrophie a bien les caractères d'une amyotrophie d'origine spinale;

elle s'accompagne en effet de contractions fibrillaires des plus nettes ». Il

n'y a pas là d'ailleurs d'étroite corrélation comme entre i'arthropathie

d'une part, l'analgésie et les troubles de la sensibilité thermique d'autre

part.

Chez le malade précédent, il existait en outre une déformation muscu-

DE S ARTHROPATHIES SYRINGOMYÉLIQUES 289

laire périarticulaire qui était probablement le résultat de l'altération de

l'humérus. La masse charnue du biceps était raccourcie et contournée

comme si le tendon du muscle était devenu trop long, par suite peut-être

du glissement de ce tendon en dehors ou en dedans de la coulisse humé-

rale dite « bicipitale ». Peut-être y avait-il eu rupture ou arrachement

du tendon a son insertion. Quoiqu'il en soit de l'interprétation, le muscle

avait pris une apparence à la fois athlétique et monstrueuse (fig. 77.).

Complications. L'évolution essentiellement chronique, ou passagère-

ment coupée de poussées aiguës, des arthropathies syringomyéliques

peut être brusquement modifiée par l'apparition insolite de la suppura-

tion. La suppuration est notée dans 7 cas au moins [Steudener, Laughans,

Czerny (cas 2), Karg (cas 1 et 2), Roth, Hoffmann, [le, mémoire]. Presque

toujours il s'agit du poignet, deux fois seulement du coude. En présence

de celte localisation prédominante, il est permis d'incriminer une infec-

tion dont le point de départ serait les solutions de continuité cutanéessi fré-

quentes aux extrémités supérieures. Cette pathogénie serait altribuable du

moins aux arthropathies secondairement suppurées. Jamais l'examen bac-

tériologique n'a été pratiqué. Néanmoins il faut établir suivant nous une

distinction très nette entre les artropathies suppurées secondairement avec

réaction fébrile et les arthropathies suppurées d'emblée sans réaction

comme Karg en cite un exemple.

Dans ce cas le pus mêlé de sang se fit jour spontanément. La pathogénie

de cette dernière forme reste entourée de la plus grande obscurité. S'il

s'agit d'une infection dont l'origine serait dans le cas de Karg la pustule

(trouble trophique cutané), qui a précédé t'arthropathie, il devrait y avoir

réaction fébrile, et signes inflammatoires locaux. L'absence de douleur

n'a, nous le savons, rien qui doive étonner dans une arthropathie syrin-

gomyélique. Par contre, on a incisé une arlhropathie il cause d'une élé-

vation de température sans retirer de l'articulation autre chose qu'une sé-

rosité transparente, sanguinolente (Sokoloff).

Le pronostic de ces arthropathies suppurées varie donc considérablement

suivant qu'il s'agit d'une véritable arthropathie suppurée d'emblée sans

Fig. 'il.

290 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

réaction ni locale, ni générale ou d'une arthropathie avec nécrose (cas

de Roth) car la nécrose est une complication de plus à signaler, - ou

d'une arthropathie compliquée d'arthrite, d'infection évidente pouvant se

terminer par la pyohémie. La première n'a qu'une gravité très relative.

La seconde est évidemment plus grave. La troisième est extrêmement

grave; il faut remarquer qu'elle ne se développe que dans un état de ca-

chexie assez prononcé.

L'arthropathie suppurée simple guérit par l'arthrotomie (Sokoloff).

L'arthropathie avec nécrose aboutit à l'établissement de fistules. L'arthro-

pathie avec arthrite infectieuse peut aboutir à la mort.

Pronostic. même en dehors de la suppuration, qui est exceptionnelle,

l'arthropathie syringomyélique a par elle-même une certaine gravité. Il

n'est pas nécessaire d'insister sur l'infirmité qui résulte de la dislocation

d'une articulation (Schlottergelenk). Nous avons vu d'autre part qu'il

existait des degrés dans l'intensité des lésions depuis le plus simple cra-

quement jusqu'à la dislocation complète. Il y aurait donc lieu de distin-

guer ici comme pour les arthropathies tabétiques (Charcot), une forme bé-

nigne (1) et une forme maligne avec pas mal d'intermédiaires.

Anatomie pathologique et pathogénie. Ce chapitre comporte deux

divisions : 1° Lésions articulaires et périarticulaires ; 2° Lésions de la

moelle, des nerfs, etc.

La première partie de cette étude, seule, a été faite. Quant aux lésions

nerveuses qui tiennent sous leur dépendance l'arthropathie, leur histoire

n'est même pas ébauchée pour ce qui est de la syringomyélie. La patho-

génie en un mot de l'affection appartient au domaine de l'interprétation

par hypothèse.

Lésions articulaires et périarticulctires. Elles ont été étudiées non

seulement à l'autopsie des malades, mais encore et surtout au cours des

arthrotomies ou des résections entreprises dans le but d'améliorer l'état

d'une articulation malade, impossible traiter par de simples moyens

orthopédiques (2). La première arthrotomie, opération indiquée dans

l'arthropathie suppurée, a été l'aile par Steudener. Mais dans les cas de

suppuration on peut admettre que l'aspect de la jointure a été modifié par

la présence du pus et les phénomènes inflammatoires. Ce sont les ré-

sections, pour arthropathie simplement trophique, qui sont le plus favo-

rables à l'étude. La première a été faite par Blasius ; viennent ensuite les

(1) La forme bénigne de l'arthropathie tabétique comportait elle-même l'hydar-

throse.

(2) Pour tout ce qui a trait à la question traitement, qui en somme est surtout du

ressort de la chirurgie, nous renvoyons le lecteur au très intéressant article de A. Chi-

pault : De quelques interventions récentes pour arthi opathies trophiques, Revue de

chirurgie, 1891, p. 1037, et au mémoire du même auteur publié dans le présent numéro.

DES ARTHROPATHIES SYRINGOMYÉLIQUES 291

opérations de Czerny et de Sokoloff, etc. Ces opérations nous renseignent

surtout sur les lésions de l'articulation des coudes pour laquelle on est le

plus souvent intervenu. Ce sont des altérations hypertrophiques en géné-

ral ; celles-ci d'après Graf sont en elfe plus fréquentes au coude et au

poignet; la variété atrophique se rencontre surtout à l'épaule. Les pièces

du Musée de la Salpêtrière sont aussi celles d'un coude (obs. de P. Berbez

et P. Blocq) (1) (Fig. 78).

A. l'épaule la tète humérale d'une part, la cavité glénoïde d'autre part,

peuvent être tantôt épaissies, tantôt détruites. La coïncidence des proces-

sus hypertrophique et atrophique peut exister non seulement dans la

même articulation, mais sur le même os.

Dans la variété hypertrophique on constate non seulement une prolifé-

ration osseuse (ostéophytes) mais aussi une néoformation du tissu con-

jonclir qui remplit quelquefois la cavité articulaire. Des fragments, déta-

chés des extrémités osseuses, flottent, souvent nombreux, libres ou fixés

(1) Ce cas appartient à l'Historique des Arthropathies syringomyéliques. L'impor-

tance des constatations nécroscopiques nous l'a fait placer dans le chapitre d'anatomie

pathologique. Voy. la relation détaillée de l'autopsie faite par M. P. Blocq in Bullet.

de la Soc. Anat., 1887, p. 83.

Fig. 78.

292 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

par un pédicule conjonctif. Sur l'os lui-même on trouve un épaississement

de la substance compacte (Nissen). Les cartilages sont détruits ou il n'en

reste que la périphérie. La synoviale distendue présente une couronne de

villosités hypertrophiées. La capsule est épaissie et par place ossifiée.

Sokoloff pense que les productions osseuses extra-capsulaires distinguent

les arthropathies tabétiques et syringomyéliques de l'arthrite déformante ;

le relâchement des ligaments, la dégénérescence graisseuse des muscles

voisins appartiennent aussi aux. arthropathies neuropathiques.

Quant aux productions osseuses extra-articulaires il est difficile de leur

assigner un siège précis soit dans les aponévroses, soif dans les tendons,

soit dans les muscles, soit dans le tissu cellulaire sous-cutané. On ne pos-

sède pas d'examen microscopique, ni d'examen chimique.

Pathogénie. Les arthropathies syringomyéliques dépendent-elles

d'une lésion médullaire ? et de laquelle ? Telles sont les questions que

nous devons poser, sinon résoudre, dans ce chapitre. La réponse à la pre-

mière question ne nous paraît pas douteuse : C'est bien la lésion médul-

laire qui entraîne l'arthropathie. Ne voyons-nous pas celle-ci affecter une

localisation correspondant la syringomyélie ? Les arthropathies des

membres supérieurs sont de beaucoup les plus fréquentes parce que la

lésion siège de préférence a la partie supérieure de la moelle. D'autre

part elles sont si rarement symétriques parce que le gliôme est générale-

ment très asymétrique dans son développement. Doit-on faire entrer en

ligne de compte ici les névrites périphériques ? Rien ne le fait supposer.

Si l'on a décrit des névrites périphériques dans l'arthropathie tabétique

(Pitres et 'aillard, Déjerine), on a décrit aussi des cas sans névrite pé-

riphérique (teboul). La symétrie fréquente des arthropathies tabétiques,

leur développement soudain et rapide plaident en faveur de leur origine

médullaire. Dès le commencement de leur histoire, c'est dans la moelle

que l'on a cherché la lésion causale (Charcot et.JofTroy) (1).

Mais on ignore encore quelle est la lésion médullaire de l'artropatllie.

Tout ce qu'on peut faire pour le moment c'est de chercher le rapport qu'il

y a entre la lésion médullaire inconnue et les troubles trophiques articu-

laires. Ces derniers se produisent sans doute dans des conditions analo-

gues à celles qui accompagnent la production des troubles trophiques

cutanés : ces conditions sont l'analgésie et la thermo-anesthésie. Pour ce

qui est de l'analgésie profonde articulaire, nous avons vu qu'elle a coïncidé

avec l'arthropathie toutes les fois qu'on a pu la constater dans une opéra-

tion. D'autre part nous avons vu la thermo-anesthésie cutanée être super-

posée à ]'arthropathie (.J..M. Charcot, .1. B. Charcot). Malheureusement

toutes les observations ne sont pas claires sur ce point particulier. Dans

(\)Arch. physiol., 1870.

DES ARTHROPATHIE S SYRINGOMYÉLIQUES S 203

une observation de Graf où cette thermoanesthésie cutanée n'existait certai -

ne ment pas il y avait cependant des troubles subjectifs de la sensibibilité

à la température (sensations de chaleur). M. Marinesco établit une étroite

relation entre les troubles trophiques d'une part (1), les troubles de la

sensibilité la la douleur etn la température d'autre part. Il n'est pas besoin

de faire intervenir ici l'existence hypothétique du cenlre ni des nerfs tro-

phiques. Charcot rejetait celle hypothèse. M. Brissaud émettait dernière-

ment la même opinion dans nne de ses leçons à la Salpêtrière (2). Nous

renvoyons le lecteur à cette leçon très suggestive.

Diagnostic. On peut avoir à faire le diagnostic de t'arthropathie

syringomyélique dans deux conditions très différentes suivant qu'il s'agit

d'une syringomyélie confirmée ou d'une affection non déterminée encore.

Dans ce dernier cas c'est l'étude de t'arthropathie qui permettra parfois

de reconnaître la syringomyélie elle-même.

Chez un sujet reconnu syringomyélique on ne confondra guère l'arthrol)a-

thie qu'avec une arthrite déformante ou avec une lésion articulaire pure-

ment traumatique.

L'arthrite déformante n'a ni le début brusque, ni l'évolution rapide, ni

l'apparence disloquante de t'arthropathie. Elle est plus souvent doulou-

reuse, il n'y a jamais d'épanchement notable. Si l'arthropathie syringo-

myélique eût été connue plus tôt, on eût abrégé sans doute les discussions

(Virchow, Sir J. Paget) qui se sont longtemps opposées à l'établissement

de la maladie de Charcot.

Il pourra être diflicile de se prononcer d'emblée sur la nature d'une

lésion articulaire (luxation par exemple) consécutive à un traumatisme

chez un syringomyélique. S'il est reconnu que le traumatisme a été grave

ce qui sera le premier point à éclaircir, l'indolence ne sera pas un signe

suffisant. Il faudra tenir compte de l'absence de phénomène inflamma-

toire et surtout de l'évolution, grand épanchement, production d'ostéo-

phytes, récidive, etc. D'ailleurs il est permis d'admettre que dans certains

cas une articulation traumatisée ne devient arthropathie que secondai-

rement. 1. 1

Nous passons au second point du diagnostic. Une arthropathie syringo-

myélique précoce ne peut guère être confondue qu'avec une arthropathie

tabétique. Pourtant puisqu'on a pu prendre pour des lépreux des syringo-

myéliques avec arthropathies, nous dirons un mot de ce diagnostic.

Diagnostic avec la lèpre. Nous avons vu dans l'historique plusieurs

(1) MAIIINI;CO et Si : ou : us. Sur un cas de lésion traumatique du trijumeau et du facial.

Arch. de physiologie, 1893.

(2) Leçons du 4 et du 11 mai 1894, recueillies par M. II. Meige. Nouvelle Iconographie

de la Salpêtrière, 1891, ne, i et 5.

294 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

cas d'arthropathies syringomyéliques mises sur le compte de la lèpre du

vivant du malade. Il est vrai que ces observations appartiennent à une

époque où la syringomyélie était peu ou pas connue. Les signes à invo-

quer en faveur de la syringomyélie sont d'après Mareslang (-I) : « la disso-

ciation des troubles sensitifs, dite syringomyélique; l'intégrité des mus-

cles superficiels de la face ; l'absence de taches sur la peau ; l'intégrité du

système pileux ; les déviations de la colonne vertébrale ». Sont au

contraire en faveur de la lèpre pour le même auteur les signes suivants :

l'abolition de la sensibilité tactile ; l'atrophie et la parésie des muscles

superficiels de la face ; l'épaississement des nerfs avec renflements nodu-

laires ; la présence de taches sur le corps, surtout si celles-ci sont insen-

sibles; la résorption spontanée des phalanges ; des altérations excessives

des ongles; la chute complète ou partielle des poils ; la présence du bacille

de Hansen dans les parcelles des tissus ulcérés. La résorption spontanée

des phalanges qui s'accompagne quelquefois d'amincissement de la peau

mais jamais d'inflammation ni d'oedème, peut envahir les métacarpiens et

les métatarsiens et amener le raccourcissement et l'amincissement des

mains et des pieds. En somme il n'y a rien ia de semblable à ce que nous

avons observé dans la syringomyélie. Jamais les lésions articulaires de la

lèpre ne remontent au-delà des articulations radio-carpiennes ou tibio-

tarsiennes qu'elle n'atteint qu'exceptionnellement. La dissociation de la

sensibilité est exceptionnelle dans la lèpre et quand elle existe les limites

de son territoire au lieu d'être nettes et droites sont beaucoup plus décou-

pées. Enfin les taches achromatiques ou Ifypercllromiques n'appartiennent

qu'à la lèpre. Par contre la scoliose est un signe de syringomyélie.

Il n'était peut-être pas inutile d'insister puisque dans ces derniers

temps on a voulu assimiler la syringomyélie la lèpre. Bien plus on vient

de prouver anatomiquement la coïncidence de la syringomyélie et de la

lèpre (2). Quelles que soient les conclusions qui sortiront du débat, quoi-

que nous sachions déjà que la syringomyélie puisse être l'aboutissant de

maladies différentes, il n'est pas sans intérêt de constater qu'il n'y a pas

dans la lèpre d'arthropathies telles que celles de l'épaule, du coude par

exemple. Ces arthropathies seraient donc un moyen de diagnostic clinique

de la syringomyélie par gliose spinale.

Le diagnostic peut rester hésitant entre une arthropathie tabétiljue et

une arthropathie syringomyélique. Nous n'en voulons pour preuve que le

(1) 111ARESTAXG, Diagnostic différentiel de la lèpre anesthésique et de la syringomyélie.

Revue de médecine, 1891, p. 781 ,

(2) Un cas de syringomyélie causée par la lèpre. (Un caso de syringo-miela dipendente

dalla labbra) par Sooza-llnmrm de Lisbonne. Congrès médical international de Rome

et Revue neurologique, 1891, p. 301, n° 10.

DES ARTHROPATHIES SYRINGOMYRLIQUES 295

cas de J. M. Charcot. Les arthropathies chez le sujet en question présen-

taient les allures classiques de l'arthropathie tahétiIue. Depuis 7 ails il

avait des douleurs il caractère fulgurant; il avait eu au début de l'hypi;-

resthésie plantaire. Le seul caractère un peu particulier des douleurs ful-

gurantes avait été leur localisation au voisinage des jointures. Mais la ra

pidité de leur invasion, l'hypéresthésie cutanée qui les accompagnait,

ajoute M. Charcot, leur violence, leur apparition sous forme de crises, la

description qu'en avait tracé le malade répondaient bien au type classique

des douleurs fulgurantes du tabes dorsalis. Il est vrai qu'il y avait eu des

bulles sur les mains, mais à la rigueur ces derniers symptômes n'excluaient

pas le tabès. Enfin ou découvrit l'atrophie musculaire et la dissociation de

la sensibilité (Fig. 79).

Il faut savoir que la valeur de ce symptôme n'est pas absolue. Voici ce

qu'en dit M. Raymond (1). «... On retrouve la dissociation dans beau-

^1) Arch. de neurologie 1895, p. 125, n° 7S. - Contribution à l'élude des tumeurs

névrogliques de la moelle épinière.

Fig. 79. Arthropathie syringomyélique de l'épaule et du poignet.

Ostéome du tendon du biceps (00')

396 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE E

coup d'autres maladie, l'hystérie (Charcot), la névrite alcoolique (Lance-

reaux), la névrite traumatique (J. B. Charcot), la lèpre (l3abinslci, Leloir),

l'hématomyélie (Miner), l'ataxie locomotrice (Parmentier), enfin je l'ai

vu une fois, mais de la façon la plus nette, chez un malade atteint de [il-,

meur extra-médullaire ». On la rencontre aussi dans la meningomyctiLe

syphilitique (1).

Ce qui permit dans le cas de M. Charcot de faire le diagnostic c'est

l'ensemble des signes positifs précédents et l'absence de tout phénomène

tabétique attire que les douleurs fulgurantes. Mais comme nous l'avons

déjà relaté, ces douleurs ont été signalées dans la syringomyélie. 13mhl

les a notées 7 fois sur 3G cas. Elles n'en éveillent pas moins l'hypothèse

possible de tabès. Aussi faut-il chercher s'il est possible de distinguer l'ar-

thropathie syringomyélique par les caractères propres à chacune de ces

arthropathies.

Dans un rapide parallèle qui nous servira de conclusion, voyons donc

en quoi elles diffèrent et en quoi elles se ressemblent.

Les arthropathies syringomyéliques se séparent surtout des arthropa-

thies tahétiques par leur siège. Nous rappellerons que d'après la statisti-

que de Barré qui porte sur 56 cas, de tabès dorsalis :

NOUV. ICONOGR. DE LA SALPffRitRE £ T. Vli. PL. XXXVIII

ARTHROPATHIES TROPHIQUES DES DEUX GENOUX

Le même malade après double résection.

L. BATTAILLE ET C"

DES ARTHROPATHIES SYRINGOMYÉLIQUES S 297

tre cas les deux fémurs, les avant-bras, la colonne vertébrale, l'omoplate.

Dirons-nous avec Sokoloff que c'est à l'arthropathie til)élique qu'appar-

tiennent les gros épanchements, l'évolution chronique ? La revue critique

que nous avons faite nous interdit d'attribuer exclusivement ces particu-

larités à l'arthropathie du tabes. Bien au contraire nous sommes frappés

avec Graf des ressemblances profondes qui permettraient en quelque sorte

d'attribuer à la syringomyélie le tableau de la maladie de Charcot.

Dans l'arthropathie tabétique on a précisément insisté sur la même

indolence, les mêmes désordres articulaires ; l'arthropathie tabétique, elle

aussi, est digne du nom de « Schloller gelenk ». Même dans les exceptions

nous trouvons des ressemblances. Ainsi, sur 4 cas d'arthropathies tahéti-

tiques, dit M. Quénu (1), 20 étaient douloureux et 34 indolents. La

suppuration aussi a été notée dans le tabes. M. Charcot dès l'année 1875,

le 28 mai disait à la Société anatomique qu'il connaissait 3 cas de suppu-

ration sur 50 observations, il propos des cas de Bourcoret. Dans le tabès

la suppuration se manifeste avec les mêmes symptômes singuliers avec ou

sans élévation de température. Le malade de Bourceret semble être mort

de pyohémie. Le genou du côté de la hanche arthropalhidue était suppuré

comme la hanche. Ainsi, en admettant que l'arthropathie syringomyélique

est plus exposée à la suppuration, probablement en raison des troubles

trophiques cutanés, ce n'est qu'une nuance. '

Les troubles trophiques cutanés localisés au niveau de l'arthropathie

sont sans doute plus spéciaux à la syringomyélie.

L'arthropathie tabétique de même que l'arthropathie syringomyélique

débute plus souvent soudainement, plus rarement graduellement. Le

traumatisme y est moins souvent noté (9 fois sur 88 cas,' Comité de Lon-

dres).

Enfin au point de vue de l'anatomie pathologique, les processus hyper-

trophique et atrophique, l'association des deux processus (Babinski) sur le

même os appartient à l'une et à l'autre arthropathies.

Ainsi pour conclure, le meilleur signe qui permettrait de les distinguer,

celui qui par exemple a eu le plus d'importance dans le cas de J. M. Char-

cot, serait la dissociation localisée de la sensibilité. Encore n'est-ce pas là

un symptôme ressortissant il l'arthropathie' elle-même. Il n'y a pas en

réalité de caractère artlwopatllique distinctif. Aussi le diagnostic, comme

presque toujours, doit-il s'appuyer sur une anal \ se minutieuse de l'en-

semble des symptômes présentés par le malade. Si l'on cherchait ;t se

baser sur l'aspect de l'arthropathie seulement, on s'exposerait à l'erreur.

Paul Lot'H .1. Perrey

(1) Traité de chirurgie, t. III, art. arthropathies.

vu 20

298 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

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En tout 44 observations, qui représentent 60 arthropathies environ, car plusieurs

peuvent coexister chez le même sujet.

P. LONDE.

LES ARTHROPATHIES TROPHIQUES

AU POINT DE VUE CHIRURGICAL.

Les arthropathies trophiques intéressent le chirurgien au point de vue

de leur diagnostic et de leur traitement.

I

La nécessité de leur diagnostic oblige l'opérateur il la connaissance pra-

tique de toutes leurs formes, depuis celles qui par l'étendue des destruc-

lions osseuses, l'indolence, la concomitance de troubles centraux divers,

sollicitent dès l'abord son attention, jusqu'aux formes difficiles à reconnaî-

tre, môme pour un esprit prévenu : forme aiguë, simulant l'arthrite rhu-

matismale ou blennorrhagique, le phlegmon péri-articulaire; forme hy-

darthrose se rapprochant des hydarthroses diverses; formes chroniques,

imitant au gros orteil l'hallux valgus d'origine fonctionnelle; imitant

au genou le genu valgum compliqué d'arthrite ; imitant, surtout au cou

de pied, certaines ostéo-arthrites tuberculeuses, lorsqu'à l'hypertrophie.

osseuse se joignent de l'empalement irrégulier des tissus péri-articulaires

et des troubles trophiques; imitant, surtout au genou etau coude, l'ostéo-

sarcome, lorsqu'à l'hypertrophie osseuse et à l'hydarthrose se joint un

oedème dur péri-arliculaire avec peau lisse et veinosités donnant à l'arti-

culation fusiforme l'aspect d'un abdomen d'ascitique; imitant, surtout à

la hanche, les arthrites sèches, les fractures séniles; imitant un peu par-

tout les arthrites plastiques ankylosantes.

De longs détails seraient nécessaires pour donner à ces diverses ques-

tions l'extension qu'elles méritent : ils répéteraient en partie ce qu'on a

dit dans ce numéro de l'Iconographie et dans le précédent. Je préfère donc

limiter mon étude clinique aux cas où l'articulation trophique acquiert

une occasion chirurgicale presque sûre par l'adjonction de quelque élé-

ment connexe : traumatisme à son début ou pendant son évolution; infection

surajoutée : troubles trophiques graves ; nature chirurgicale de l'affection

nerveuse causale.

300 NOUVELLE ICONOGRAPIIIE DE LA SALPÊTRIÈRE

a) « D'ordinaire, dit M. Brissaud dans une leçon récente, la part qui

dans l'arthropathie revient aux influences extérieures est faible; la lésion

centrale préexistante l'emporte sur les causes occasionnelles ». Cette règle,

non absolue, implique des exceptions. Parfois en effet le malade indique

au début de son arthropathie un effort, une chute, un choc, qui n'ont

pas eu plus d'importance que les traumatismes analogues si souvent invo-

qués par les patients comme point de départ d'une arthrite tuberculeuse.

Plus rarement l'arthropathie apparaît ou s'aggrave il la suite d'un trauma-

tisme vraiment grave, qui lui donne pendant quelque temps une allure

chirurgicale tout il fait particulière.

Voici deux exemples inédits, l'un de celle apparition, l'autre de cette

aggravation post-traumatique; dans les deux cas il s'agissait d'arthropa-

thies tabétiques.

La première n'a pu être diagnostiquée que par l'observation, fortuitement

renouvelée à long intervalle, du blessé qui, en 1889, vint se faire soignera

la consultation chirurgicale delà Charité pour une fracture du radius gau-

che, fracture de siège et d'aspect normaux, consécutive

à une chute violente sur la paume de la main, et, dès

lors, n'ayant en rien l'allure d'une fracture spontanée.

Traitée par l'immobilisation et par le massage, cette frac-

ture guérit facilement, sans rien de particulier. Or, il y

a quelques semaines, cet individu venait me trouver,

porteur d'une arthropathie des plus nettes du poignet

autrefois traumatisé. Dès après cessation des massages

il avait souffert, dans son articulation, de douleurs sour-

des, puis dans le membre de douleurs en éclairs; des

poussées fugaces d'hydarthroses avaient laissé derrière

elles une hypertrophie vérilahlement énorme de la tète

radiale, subluxée en arrière du carpe, avec ballance de

l'articulation radio-carpienne. En même temps s'étaient

développés les symptômes d'un tabès classique, sans acci-

dents sensitifs ou moteurs du côté du membre artbropa-

thique, sauf une analgésie complète de l'articulation

atteinte (Fig. 80).

Mon second exemple a trait a un malade, âge de 41 ans, dont 1 allection

médullaire, manifestée seulement par des crises de douleurs fulgurantes

clans les membres inférieurs et l'abdomen, remontait à ans environ lors-

que je l'observai pendant l'hiver dernier. Il s'était légèrement heurté en ' ·

tombant le coude gauche et, quelques instants après s'était développée

une hydarthrose considérable, aveeépanchemenl clans la bourse rct.ro-o)6-

crânienne, puis oedème s'étendant jusqu'à moitié du bras et de l'avant-bras :

Fig. 80.- Arthro-

pathie tabétique

dupoignet, ayant t

évolué consécu-

tivement à une

fracture du ra-

dius.

ARTHROPATHIES TROPHIQUES AU POINT DE VUE CHIRURGICAL 301

le tout était absolument indolore même au palper et aux mouvements \o-

lontaires ou provoqués (les uns et les autres un peu limités) de l'articula-

tion. La peau avait sa sensibilité normale, légèrement exagérée au niveau

d'une ecchymose épicondylienne, trace de la chute. La déformation du mem-

bre était considérable et cependant le lendemain, 20 heures après l'acci-

dent, toute trace d'épanchement avait disparu. Le malade avait refusé même

un simple massage ou de l'immobilisation, affirmant qu'un accident pareil

lui était arrivé plusieurs l'ois, toujours il la suite

d'un choc minime, et s'était constamment ter-

miné en quelques heures. Dans l'intervalle de

ces poussées aiguës, il gardait seulement une

gène légère des mouvements de pronation et de

supination, en rapport avec une mobilité ex-

cessive de l'articulation, une hypertrophie con-

sidérable de la tète radiale subluxée en arrière

du condyle humerai, et une déviation à 40° de

l'axe de l'avant-bras sur l'axe du bras, dans

l'extension du membre. En somme il s'agissait

d'un véritable coude « valgus », rappelant tout

à fait le genou « valgum » d'origine arthropa-

thique, dont nous citons plus loin un fort bel

exemple (Fig. 81 et 82).

J'ajoute que cette observation, en dehors de

l'intérêt qu'elle présente au point de vue de

l'influence du traumatisme sur les poussées ai-

guës d'une arthropathie tabétique, me parait

curieuse par la difficulté du diagnostic entre ces

poussées et une hémarthrose simple (chez un

hystérique, si l'on veut, pour expliquer l'indo-

lence articulaire). C'est du reste ce diagnostic

cl liémarlhrose que avais cl abord porte, en y joignant, sur la durée des

accidents, un pronostic tout à fait erroné : erreurs qu'on pourrait peut-

être éviter en attribuant une importance plus grande que je ne lis à l'ex-

istence des poussées antérieures, de caractère si particulier, et en recher-

chant avec soin, dès l'abord, les symptômes d'une affection médullaire.

b). Les. arthropathies trophiques peuvent revêtir une allure chirurgi-

cale très accentuée, non plus par l'ingérence d'un traumatisme à leur dé-

but ou pendant leur cours, mais par l'addition à leurs lésions essentielles

trophiques de lésions infectieuses : l'arthropathie n'est plus alors une

Fig. 81 et 82. Arthropathie

tabétique du coude pendant

et entre les crises hydar-

throsiques de cause trau-

matique. La déviation de

l'avant-bras en dehors sur

ces deux figures, n'est pas

due à la flexion du coude,

mais à la subluxation de

l'extrémité supérieure du

radius, déviant en dehors

l'axe de l'avant-bras.

302 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE E

arthropathie trophique simple, mais une arthropathie tropho-infectiense.

Alors, au moins dans quelques cas, l'infection surajoutée à l'élément

trophique ne se limite pas à l'articulation, mais envahit les nerfs péri-ar-

ticulaires, véritable lieu de moindre résistance. Ce fait, peu connu, et

dont nous donnerons tout à l'heure un exemple probant, rapproche les ar-

thropathies secondairement infectées d'un groupe de lésions articulaires

moins connu encore : les arthrites infectieuses secondairement trophiques,

c'est-à-dire les arthrites où l'infection, d'abord articulaire, produit, pour

des raisons mal connues, des névritespéri-articutaires à marche ascendante;

ces faits, si intéressants, différent du reste trop de ceux que nous décri-

vons .ici pour qu'une étude simultanée en soit possible : elle fera l'objet,

de notre part, d'un très prochain travail.

Les arthropathies trophiques secondairement infectées peuvent revêtir

un certain nombre de types bien distincts tenant à la nature de l'infection

ou au mode de réaction des tissus dystrophiés.

Notons d'abord parmi ces types, et lout a fait à part, l'arthropathie tro-

photuberculeuse, moins rare sans doute que ne pourrait le faire croire

l'absence complète de documents bibliographiques, puisque nous en

avons observé deux exemples. Dans le premier, étudié chez notre maitre

M. de Saint-Germain, il s'agissait du reste, avouons-le, plutôt d'une ar-

thrite tuberculeuse sur un membre trophique que d'une arthrite tubercu-

leuse dans une articulation trophique : en effet, on sait combien sont rares

les véritables arthropathies trophiques dans la paralysie infantile, et c'est

à la suite de cette affection que chez mon petit malade s'était développé

un pied-bot paralytique qu'envahit plus tard la tuberculose. Un pan-

sement de Scott, soigneusement appliqué, ne produisit aucun résultat,

et l'amputation s'imposa ; je trouvai l'articulation tibio-tarsienne bourrée

de fongosités qui avaient fusé dans la bourse rétro-calcanéenne et dans la

gaîne des péroniers ; en outre, point intéressant, l'examen des nerfs péri-

articulaires permit de constater une périnévrite manifeste avec bacilles

dans leur tissu conjonctif. Dans une seconde observation, plus pro-

bante au point de vue de la nature trophique des lésions articulaires, l'ar-

thropathie de cause tabétique siégeai au niveau de l'articulation métatarso-

phalangienne du gros orteil gauche, fortement dévié en dehors et porteur a

l'angle de déviation, d'un mal perforant : l'ulcération, chez ce malade que

je voyais de temps en temps, finit par ouvrir l'articulation qui suppura,

se nécrosa, et, un an environ après son ouverture, se bourrait de fongo-

sités à bacillesqui nécessitèrent l'amputation de l'orteil dans la continuité

du métatarsien.

Les arthropathies tropho-suppurées proprement dites sont plus fréquen-

ARTHROPATHIES TROPHIQUES AU POINT DE VUE CHIRURGICAL 303

tes, et revêtent deux types bien distincts : l'arthropathie tropho-suppurée

aiguë, l'arthropathie tropho-suppurée nécrotique.

La première de ces deux formes est souvent signalée parles auteurs dans

le cours du tabes, de la syringomyélie ou, beaucoup plus rarement, d'autres

myélopatllies. Elle siège sur n'importe quelle articulation : parfois, fait sin-

gulier, sans réaction locale ou générale; beaucoup plus souvent avec tout

le cortège symptomatique des arthrites suppurées ordinaires, souvent en-

core aggravé par la cachexie médullaire. La porte d'entrée de l'infection

est d'ordinaire facile à retrouver : plaie, éruption ou ulcération trophique,

soit à l'extrémité du membre, soit sur la peau même qui recouvre l'arti-

culation ; lésion viscérale : uréthrite, cystite, pneumonie. En somme, l'ar-

thropathie suppurée aiguë relève certainement de microbes très différents

suivant les cas, mais, à ce point de vue, les documents précis manquent;

disons toutefois que dans un cas décrit par Mossé : arthropathie tabétique

du coude suppurée dans le cours d'une pneumonie, il est peu probable,

étant donné les symptômes constatés, quel'infection articulaire -,il[ été pneu-

mococcique ; nous avons en effet démontré autre part que les arthrites à

pneumocoques se distinguent des arthrites dues aux microbes ordinaires de

la suppuration par le peu de douleur el de chaleur locale, la pâleur des

téguments péri-articulaires, un oedème tout spécial dur et blanc, très

étendu : symptômes qui n'existaient pas dans le cas de Mossé.

Notons du reste que l'infection articulaire peut être consécutive à la sup-

puration des bourses séreuses environnant l'articulation trophique : les

cas de Bail et de Jean sont des exemples de cette variété intéressante de

périartbrite chez des tabétiques, et Sokoloff rapportait récemment une

observation, où, chez une syringomyélique, la bourse rétro-otécranienne

avait suppuré à l'exclusion de l'articulation du coude, contenant seule-

ment du liquide sanguinolent et sans doute non infecté.

La forme tropho-nécrotique des arthropathies tropho-suppurées a, moins

que leur forme tropho-suppurée aiguë, forme que nous venons de décrire,

attiré l'attention des neurologistes.

Elle peut exceptionnellement survenir dans une grande articulation, à

la suite d'une arthropathie tropho-suppurée aiguë devenue fistuleuse : il

en fut ainsi dans un cas de Roth où l'arthropathie siégeant au coude gau-

che chez un syringomyélique, aboutit, après une longue Iistulisation, à la

nécrose de t'otécrane.

Mais il est de règle que t'arthropathie tropho-suppurée nécrotique

siège aux extrémités, pied ou main, sans dépasser le carpe d'une part, l'ar-

ticulation tihio-tarsienne d'autre pari. Alors, parfois, la porte d'entrée

de l'infection est à une certaine distance de l'articulation malade : ainsi

chez un tabétique que nous avons observé, et qui portait un mal perforant

301 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

pulpaire du gros orteil gauche qu'il laissait sans pansement, nous avons vu

'survenir une arthrite suppurée des articulations tarsiennes qui finit par

ahoutir à l'élimination nécrotique du scaphoïde. Beaucoup plus ordi-

nairement, l'arthropathie tropllo-nécroliclue est due il l'ouverture directe

de l'articulation dystrophiée par une ulcération, elle-même trophique d'or-

dinaire ; la synoviale s'enflamme, les surfaces osseuses se dénudent, se dé-

litent, s'éliminent sous l'orme de séquestres poreux, fragiles, noirâtres :

cette élimination, qui s'accompagne d'un suintement séro-purulent, met

des mois et des années à se l'aire, presque toujours sans réaction locale ou

générale et sans douleur. Ce processus localisé aux articulations métatarso-

phalangiennes ou interphafangiennes caractérise la 3e période du mal per-

forant. Très rarement il s'étend au loin, gagnant le métatarse et le tarse :

M. Ilayem en a vu un exemple chez un tabétique atteint en outre d'arthro-

patllie du genou et de fractures multiples spontanées de jambe ; IIoschtet-

ter et Leroy, Vincent, l'ont noté dans des fractures vertébrales anciennes,

Porson, Polosson, Schneiber à la suite de plaies des nerfs des membres

inférieurs.

Il est à prévoir que ces diverses variétés d'arthropathies tropho-nécroti-

ques, consécutives à l'ouverture de l'articulation par une ulcération

cutanée, ne doivent pas présenter grand intérêt au point de vue bactério-

logique : en effet, 7 arthropathies métatarso-phalangiennes consécutives au

mal perforant nous ont montré dans le liquide séro-purulent les microbes

les plus variés, sans rien d'intéressant.

c). Les faits que nous venons d'étudier nécessitent croyons-nous, pour

être appréciés à leur valeur exacte, un examen d'ensemble des lésions

articulaires qui peuvent faire partie du cortège symptomatique du mal

perforant en en modifiant parfois le pronostic et la thérapeutique.

Ces arthropathies peuvent être divisées en arthropathies ouvertes et ar-

thropathies fermées. z

Les premières constituent la presque totalité du groupe des arthropa-

thies tropho-suppurées nécrotiques que nous venons de décrire. Elles siè-

gent répétons-le, les unes il distance de l'ulcération trophique, les autres

en continuité avec elle, ces dernières revêtant deux types : grandes arthro-

pathies du tarse postérieur, petites arthropathies du métatarse et des or-

teils.

Les arthropathies fermées du mal perforant peuvent de même se limiter

aux articulations immédiatement voisines de l'ulcération ou envahir toute

l'extrémité jusqu'à l'articulation radio-carpienne ou tibio-tarsienne.

Leur variété limitée, qui siège dans les articulations des phalanges en-

ARTHROPATHIES TROPHIQUES AU POINT DE VUE CHIRURGICAL 305

tre elles ou bien avec le métacarpe et le métatarse se montre sous trois for-

mes :

1° Une forme discrète qui se révèle seulement par des craquements,

une mobilité articulaire anormale : cette forme demande à être cher-

chée ; on la découvrira d'ordinaire, surtout à l'articulation métatarso-

phalangienne du gros orteil, en faisant jouer transversalement l'une sur

l'autre les surfaces articulaires : symptômes minimes, et qui cachent

parfois une destruction étendue des cartilages ou des extrémités osseuses

ainsi que nous l'avons constaté dans un cas où l'arthropathie siégeait à

l'articulation métatarso-p halangi en-

ne du gros orteil gauche, il côté d'un

mal perforant guéri.

2° Une forme atrophique, qui pré-

sente en raccourci le tableau clinique

des arthropathies nerveuses classi-

ques : poussées mu 1 tip les d'liyda i, ilii,o-

ses laissant à leur suite une articula-

tion ballante où jouent, à distance

l'une de l'autre, les extrémités osseu-

ses très réduites de volume. Nous

avons observé deux fois cette forme

beaucoup moins commune que la

précédente : chez notre premier ma-

lade, tabétique et porteur d'un du-

Fig. 83 et su Arthropathie syringomyé-

lique de l'articulation métacarpo-phalan-

gienne du pouce, avec destruction presque

complète de la ivre phalange.

rillon trophique métatarso-phalangien du gros orteil, la tète de la

première phalange était complètement résorbée ; chez l'autre, syringo-

myélique, porteur d'une cicatrice étoilée de l'extrémité du pouce, la pre-

mière phalange du pouce gauche avait disparu, laissant un doigt ballant,

extrêmement raccourci, qui donnait à la main une ressemblance étonnante

avec une patte de singe (Fig. 83 et 84). - : 3° Enfin une forme hypertrophiante qui dévie le gros orteil en dehors,

et les autres en marteau.

Il va du reste de soi que nous sommes loin de faire des déviations des

orteils, toujours ou même ordinairement, des troubles trophiques. Bien

souvent, au contraire, il s'agit là d'une lésion de cause arthritique ou trau-

matidue, méme chez les individus porteurs de dystrophies cutanées qu'el-

les localisent à l'angle interne d'un valgus ou sur le dos d'un orteil

ennarteau-(Fig. 85). Dans quelques cas exceptionnels seulement, il faut

considérer la déviation comme étant elle-même dénature trophique : nous

en avons vu un exemple très net chez un paraplégique par fracture verté-

brale, paraplégique qui gardai t le lit, dont les pieds étaient garantis du poids

306 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

des couvertures par un cerceau, et chez qui se développa en quelques mois

unhallux valgus des plus marqués. La déviation de l'orteil me paraît dans

cette condition très logiquement comparable, comme modalité clinique, au

genu valgum trophique, variété remarquable et bien connue de l'arthro-

pathie tabétique fémoro-tibiale.

Au lieu de rester limitée à l'articulation voisine du mal perfo-

rant, comme dans les formes précédentes, l'arthropathie fermée du

mal perforant peut s'étendre, envahir tout le carpe ou tout le tarse.

Cette-nouvelle variété revêt'deux formes très différentes l'une de

Fig. S ? Petites arthropathies

du pied, chez un tabétique :

Forme hypertrophiante (ar-

ticulation métatarso-phalan-

gienne du gros orteil) et forme

nécrotique (articulation méta-

tarso-phalangienne du petit or-

teil)- à côté de cette dernière,

tête du métatarsien, nécrosée

et extraite avec une pince.

l'autre.

1° Une forme ankylosante qui s'observe

dans la syringomyélie, dans la lèpre, à la suite

des plaies des nerfs. Elle transforme le carpe

ou le tarse en des massifs osseux dont, à la

longue, les synoviales et les cartilages dis-

paraissent, et où du reste, étant donné le

peu de mobilité normale des articulations

correspondantes, la dissection peut seule ré-

véler l'intensité des lésions.

2° Une forme destructive où tout au con-

traire, malgré l'apparence clinique, les alté-

rations anatomiques sont souvent assez res-

treintes, cantonnées, soit au tarse antérieur,

soit aux articulations astragalo calcanéennes,

soit à la tibio-tarsienne.

Dans ces deux formes, l'intérêt pronos-

tique du mal perforant disparaît devant la

gravité des lésions articulaires : il reste sim-

plement un auxiliaire précieuxpour le diag-

nostic patbogénique (1).

On voit combien sont nombreuses les va-

riétés d'arthropalhie du ni'il perforant : ar-

thropathie ouvertes, soit à distance soit en continuité avec l'ulcération,

(1) Une fois sur deux du reste (18 fois sur 31 cas réunis par nous), ces grandes arthro-

pathies du pied évoluent sans concomitance d'un mal perforant. On groupait, il y a quel-

ques années, celles de ces grandes arthropathies rencontrées dans le tabès sous le nom

de pied tabétique, en laissant dans l'ombre celles analogues existant dans la syringo-

myélie, les fractures vertébrales, les lésions des nerfs. Nous croyons préférable de réu-

nir les unes et les autres sous le nom plus compréhensif de grandes arthopathies tro-

phiques du pied, ou même sous celui de pied trophique qui rappelle non seulement les

lésions articulaires mais encore les lésions connexes constantes du tissu cellulaire et de

la peau.

ARTHROPATHIES TROPHIQUES AU POINT DE VUE CHIRURGICAL 307

et alors petites ou grandes; arthropathies fermées, soit voisines et petites

avec leurs trois formes : fruste, atrophique, hypertrophique, soit éloignées

et étendues avec leurs deux formes : ankylosanle ou destructive.

La diversité clinique est encore augmentée par les variétés de coexistence

et de succession de l'ulcération cutanée et des accidents articulaires. A ce

point de vue toutes les associations qu'on peut imaginer sont possibles :

elles sont dominées par une seule loi : la ténacité et la durée habituelle-

ment plus grandes pour la lésion articulaire que pour le mal perforant; loi

que nous avons autrefois démontrée avec nolre excellent maître M. Tuilier

pour la forme la plus légère des arthropathies du mal perforant, la petite

arthropathie fruste, et qui est vraie pour toutes.

Ajoutons que dans toutes ces arthropathies du mal perforant, sauf dans

les variétés les plus atténuées, la lésion osseuse joue un rôle beaucoup

plus considérable que la lésion synoviale : ce ne sont donc pas, somme

toute, des arthropathies mais des ostéo-arthropatllies. Elles aboutissent

même à l'ostéopathie presque sans mélange dans les nécroses phalangien-

nes de la syringomyélie type Morvan ; il en était de même chez un ma-

lade à qui nous vîmes le calcanéum se nécroser après un mal perforant ta-

lonnier de nature indéterminée.

il) Les arthropathies consécutives aux affections chirurgicalesde la moelle

ou des nerfs vont, de même que les précédentes, nous montrer des types

nombreux et importants.

Celles qui ont pour cause un traumatisme des nerfs forment un groupe

tout à fait particulier d'arthropathies ankylosantes préférant, quelque soit

le niveau de la lésion nerveuse, les petites articulations de la main ou du

pied et ne s'étendant que rarement et accessoirement au cou de pied, au

poignet, au coude. Leur début est tantôt rhumatoïde, ainsi que l'ont bien

vu pour la première fois W. Mitcliell, Morehouse et Keen, tantôt, et plus

fréquemment je crois, indolore et progressif : il se fait, en tout cas, quel-

ques jours ou quelques semaines après l'accident, et mène plus ou moins

rapidement à l'ankylose des articulations atteintes, ankylose souvent

fibreuse, parfois même osseuse avec atrophie des extrémités articulaires

constatée directement par Blum, l3owlby et nous-mêmes.

A côté de ces arthropathies consécutives aux plaies des nerfs, arthropa-

thies que cesplaies provoquent souvent, presque constamment, les arthro-

pathies consécutives aux lésions chirurgicales delà moelle sont de pu-

res curiosités pathologiques. Les observations, récemment réunies par

M. Jeannel, en sont rares et souvent douteuses. Dans les tumeurs du

rachis ou des méninges, les auteurs n'en citent pas, peut-être par oubli,

808 NOUVELLE IC ON 0 GRA PITIE DE LA SALPÊTRIÈRE

car il y a quelques mois, en examinant une femme porteur d'un sarcome

des premiers arcs dorsaux, suivi de paraplégie, nous avons trouvé dans

les deux genoux une hydarthrose considérable qui s'était développée sans

que la malade s'en doutai, en même temps qu'un oedème dur, éléphan-

tiasique, remontant des deux côtés jusqu'à mi-cuisse. Les deux symp-

tômes : oedème et hydarthrose, relevaient bien probablement tous les

deux de la lésion médullaire : en tout cas rien autre, dans l'état de la

malade ne permettait de les. expliquer. Dans le mal de Poil, c'est

une- forme un peu différente, hydarthrose avec début subaigu pseudo-

inflammatoire, qu'affectent les accidents articulaires signalés sur les

membres paraplégies par J. K. Mitchell, Gull, Michaud, Bail, Vincent :

l'absence d'autopsie ne permet pas du reste de rejeter pour ces faits, à

coup sûr, l'hypothèse d'hydarthrose tuberculeuse. Plus probantes

sont les arthropathies observées à la suite de traumatismes médullaires ;

et si nous croyons devoir repousser comme douteuse une observation de J.

K. Mitcheti où les symptômes articulaires, mobiles, se montrèrent chez un

rhumatisant à la suite de fracture rachidienne, une autre de Gull où ils

se manifestèrent à la fois au poignet et au cou-de-pied chez un paraplé-

gique par fractures, nous croyons indiscutables : le cas de Joffroy et Salmon,

où à la suite d'hémisection gauche de la moelle dorsale se montra dans le

genou gauche une douleur assez vive s'accompagnant, de rougeur et de

gonflement des parties molles avec épanchement assez abondant dans l'ar-

ticulation ; le cas d'Alexandrini où une fracture de la colonne cervicale fut

suivie d'épanchements sanguins dans toutes les articulations du côté droit

paralysé ; les cas de Vignes (hémisection gauche de la moelle par coup

d'épée) et de Lannelongue (plaie de la moelle par balle), où dans le pre-

mier le genou du côté paralysé, dans le second les genoux des deux côtés

se remplirent de liquide, au milieu du membre gonflé par l'oedème.

Ajoutons que nous avons observé un fait tout à fait analogue à ces deux

derniers. Notre malade était un adulte, très vigoureux, qui à la suite d'une

fracture de la Xe dorsale, avait eu une paraplégie sensitive motrice com-

plète ; il avait été de suite immobilisé dans une gouttière de Bonnet; le

5° jour, alors qu'il n'avait ni eschare, ni cystite, ni élévation de tempéra-

ture, apparurent sans douleurs, dans les deux genoux et les deux cous de

pied, des épanchements considérables. L'oedème ne dépassait pas les mal-

léoles. Ces accidents restèrent stationnaires ainsi que la paraplégie jusqu'à

la mort qui survint, au bout de trois mois, par pneumonie. A l'autopsie,

je trouvai dans les articulations malades une quantité notable de liquide

(200 grammes dans le genou droit), des ligaments très distendus, des

cartilages érodés. sans lésions osseuses même au microscope. Un peu de

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Fig. 86, 87, et 88. - Pied tabétique. A. Aspect clinique et B lésions osseuses (vues en place et après écartement de l'astragale).

310 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

liquide pris par ponction dans le genou gauche une quinzaine avant la

mort avait été reconnu aseptique par inoculations et cultures.

En somme les altérations articulaires par lésion chirurgicale de la

moelle affectent généralement la forme hydarthrose : parfois avec début su-

baigu, pseudo-inflammatoire, assez analogue à celui des arthropathies su-

baiguèstahétiques décrites par Fort; plus souvent avec début lent, indolore :

l'hydarthrose n'est souvent dans ce second cas que la conséquence articu-

laire de l'oedème du membre, tout en pouvant acquérir un volume suffi-

sant pour jouer un rôle à part, utile à distinguer dans le tableau clinique.

Notons enfin après ces observations un cas exceptionnel de W. Milchell,

ou à la suite de plaie par balle de la moelle cervicale, les articulations

des doigts s'ankylosèrent suivant le processus des arthropathies ankylo-

santes consécutives aux plaies des nerfs.

On n'oubliera du reste pas que toutes les arthropathies trophiques d'ori-

gine chirurgicale peuvent s'infecter, et à la suite d'inflammation viscérale,

d'eschare, de mal perforant, devenir tropho-suppurées, tropho-nécroti-

ques comme toute autre arthropathie trophique. Variétés tout à fait ex-

ceptionnelles et dont les exemples rapportés plus haut par nous en étu-

diant d'une manière générale les complications infectieuses des artropa-

thies trophiques sont trop rares pour que nous jugions utile de les rap-

peler.

II

On voit combien sont variées les arthropathies trophiques qui peuvent

se montrer au chirurgien, et combien elles différent du type médical et

classique de la maladie de Charcot. Il était donc nécessaire de les décrire

plus particulièrement.

En étudiant la thérapeutique chirurgicale des arthropathies 'trophiques,

nous allons au contraire, loin de nous limiter, étendre le champ de notre

examen, et passer en revue toutes leurs variétés cliniques. Dans ce but,

nous les classerons en arthropathies trophiques pures et arthropathies

tropho-infectieuses (1).

Disons dès l'abord que pour les unes comme pour les autres, letraitement

que nous allons étudier sera presque toujours purement local et sympto-

matique. Un traitement pathogénique qui serait l'idéal n'est de mise que

dans un nombre fort restreint de cas. Dans les lamnectomies pour fractu-

(1) Nous laisserons ici de côté les arthralgies hystériques qui, nous n'avons pas be-

soin de le dire, ne sont pas des arthropathies. Nous reviendrons sur les erreurs chirur-

gicales auxquelles elles ont donné lieu dans un prochain travail, fait en collaboration

avec notre excellent maître M. Gilles de la Tourette, sur l'Hystérie chirurgicale.

ARTHROPATHIES TROPIIIQUES AU POINT DE VUE CHIRURGICAL 311

res vertébrales l'un des plus fréquents bons effets de l'intervention est la

disparition ou la diminution des troubles trophiques : les troubles tro-

phiques articulaires lorsqu'ils existent profitent, comme les autres, de

cette influence heureuse. Une fois chez un malade lamnectomisé par nous,

cinq mois après une fracture dorsale inférieure, nous avons vu en quelque

semainesse cicatriser une arthropathie métatarso-pha langienne nécrotique :

résultat précaire, en l'absence de toute amélioration sensitivo-motrice.

Dans les arthropathies par traumatismes de nerfs, la suture de ceux-ci,

lorsqu'ils sont coupés, leur désenclavement lorsqu'ils sont maltraités par

un cal, seront, avec une utilité plus pratique, le préliminaire indispensa-

hile de toute tentative sur les articulations ankylosées. Tout au contraire,

dans les arthropathies consécutives aux scléroses systématiques ou non de

la moelle, le traitement local est le seul à tenter.

a) Arthropathies trophiques pures. - 1° Les arthropathies trophiques

pures n'exigent du reste, dans l'immense majorité des cas, qu'un traite-

ment non sanglant : les palliatifs médiaux sont seuls de mise dans les ar-

thropathies de cause cérébrale, dans les arthropathies rhumatoïdesou hy-

darthrosiques de cause médullaire. Dans les arthropathies ankylosantes

par traumatisme des nerfs, le massage, les mouvements articulaires

longtemps répétés seront nécessaires : dans ces cas la marche et l'im-

portance de l'amélioration à espérer dépendent uniquement de la patience

et du courage du blessé. Dans les arthropathies tabétiques ou syringomyé-

liques, c'est à peu près tout le contraire. Il faut que le malade apprenne

à craindre une lésion dont il se soucie peu, n'en souffrant pas, et qu'il

expose sans cesse à des faux mouvements, à des fractures parcellaires, à

des luxations : un appareil orthopédique obviera en partie à ces perpé-

tuels dangers. Bien exceptionnellement, on devra tenter quelque chose de

plus.

2° Ce qui dans ce sens est autorisé le plus souvent, ce sont les inter-

ventions destinées à évacuer les produits morbides qui distendent l'arti-

culation malade.

D'ordinaire c'est du liquide, formé plus ou moins rapidement. Lors-

qu'il est en quantité considérable, faisant souffrir le malade par cette

quantité même, la ponction, au besoin suivie d'un lavage articulaire an-

tiseptique, est tout indiquée. En cas de récidive, on peut la répéter, ou si

le liquide se reproduit sans cesse, la remplacer par une arthrotomie dis-

crète qui permet, par cautérisation ou tamponnement, de modifier la sur-

face synoviale el de supprimer les fragments osseux mobiles qui l'irri-

312 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

lent et exposent l'articulation a des faux mouvements perpétuels. Par une

telle intervention, tout à fait inoffensive, Czerny dans une arthropathie

tabétique tiuio-tarsienne, «'0111' dans une arthropathie tabétique du genou,

Mailler dans un cas analogue ont obtenu des résultats très satisfaisants. Il

en a été de même chez un malade que nous avons opéré il y a un an,

pour une arthropathie du genou à forme atrophique, avec hydarthrose

et nombreux fragments osseux mobiles. Tous les 8 ou 10 pas, sans doute

par interposition entre les surfaces articulaires d'un de ces fragments,

l'extension du genou s'arrêtait il mi-chemin pour se compléter brusque-

ment au bout de quelques instants : les béquilles n'empêchaient pas tou-

jours le malade de tomber, et le port d'un appareil orthopédique était

impossible il cause du volume de l'hydarlhrose, inutilement ponctionnée

il plusieurs reprises. J'ouvris le genou des deux côtés de la rotule, évacuai

le liquide et les fragments osseux, et maintins douze jours en contact avec

la surface tibiale largement détruite un drain de gaze iodoforméc. L'arti-

culation immobilisée dans un appareil plâtré, le malade put marcher,

sans récidive de l'hydarthrose ni faux pas, au moins pendant les G mois

où nous l'avons suivi.

3° Dans les cas de ce genre on serait peut être autorisé il joindre à l'ar-

throtomie évacuatrice une arthrodèse immobilisatrice. L'intervention n'en

serait guère aggravée, et pourrait ainsi grandement faciliter l'orthopédie

post-opératoire. Sokoloff a très utilement employé ce mode opératoire chez

un syringomyélique, en suturant la tête humérale à l'acromion ; je ne

crois pas qu'il ait eu d'imitateur.

4° Peut-on aller plus loin et demander le résultat orthopédique, non

plus à un appareil ou à une arthrodèse, mais aux extrémités ostéo-articu-

laires elles-mêmes ?

Si la lésion causale est une myélite guérissable et guérie, une telle

intervention est absolument légitime, quelle que soit l'intensité et la mul-

tiplicité des troubles trophiques articulaires. Mais les arthropathies de

cette nature sont rares. Deux fois seulement elles ont sollicité une inter-

vention chirurgicale, et ces deux observations appartiennent il M. Jeannel.

Dans la première les arthropathies étaient survenues dans le cours d'une

myélite aiguë de nature indéterminée, et avaient survécu à celle myélite,

en anl;ylosant en flexion les deux genoux, au point de forcer la malade à

garder le lit : la résection orthopédique des deux genoux fut suivie d'un

résultat parfait et durable. Dans la seconde, une myélite aiguë s'était dé-

veloppée dans le cours de la grippe chez un homme de 53 ans, et après

guérison avait laissé les deux genoux ankylosés, l'un en abduction, l'au-

ARTHROPATHIES TROPHIQUES AU POINT DE VUE C UIRURGIC.1L 313

re en adduction, presque il angle droit sur la cuisse. L'ankylose du genou

droit était complète, celle du genou gauche incomplète; elles rendaient

la marche complètement impossible; M. Jeannel réséqua le genou droit,

quinze jours après le genou gauche; il se fit des deux côtés une réu-

nion osseuse complète et rectiligne; la station debout et la marche rede-

vinrent possibles, ainsi que M. Jeannel le constatait encore ces temps der-

niers, un an et demi après son intervention : les photographies qu'il a

bien voulu nous envoyer prouvent combien satisfaisant a été le résultat

obtenu (Pl. XXXVII et XXXVIII).

Il serait audacieux d'en escompter un .semblable dans les arthropathies

que surveille une lésion 'médullaire incurable- : tabes ou syringomyélie;

il ne faut pas alors perdre de vue que le processus articulaire continuera

sans doute après l'intervention son évolution commencée.

Si celle-ci se fait suivant le type hypertrophique, peut-être ne s'oppose-t-

ellepas à toute tentative d'orthopédie osseuse opératoire. Dansune arthro-

pathie syringomyélique hyperthrophiqué dû. coude, Sokoloff a obtenu, par

« artllroplatie », un résultat réellement assez satisfaisant, et l'amplitude

des mouvements de l'articulation augmenta très-notablement après l'opé-

ration. - Plus souvent, on a tenté, dans les cas dé ce genre, la résec-

tion simple, destinée à obtenir une ankylose en bonne position. Rolter et

Scltlanbe l'ont obtenu chacun sur une hanche et sur une tibio-tarsienne

tabétiques ; Millier et M. Kirmisson y ont également réussi quoique pro-

visoirement, sur des genoux tabétiques; M. Quenu dans un cas, et nous-

même dans cinq, ont obtenu de bons résultats analogues sur des arthropa-

thies des orteils à forme hypertrophianle.

Mais, si l'arthropathie évolue suivant le type atrophique, la résection

ne donne que des résultats nuls ou passagers : nuls si la résection ne peut

dépasser la zone d'atrophie osseuse, passagers si elle la dépasse, car le pro-

cessus d'origine médullaire détruit les surfaces osseuses mises en contact

après avoir détruit les surfaces articulaires. Sokoloff, chez un syeingomyé-

tique dont il réséqua le coude atteint de lésions destructives énormes, note

que, « six mois plus tard, l'articulation était à peu près aussi mobile et

impotente .qu'avant » ; Czerny, chez un ataxique dont la tête humorale

était presque complètement détruite, eut un résultat également.. nul ;

Scllange, sur un genou et sur un pied tabétique, M.. Jeanne ! dans-une

observation inédite de genou tabétique, ne purent obtenir l'ankylose déviée.

En somme, l'orthopédie osseuse ne parait devoir jouer dans la thérapeu-

tique chirurgicale des arthropathies trophiques qu'un rôle exceptionnel, et

qui le deviendrait plus encore s'il était prouvé que les arthropathies primi-

tivement hypertrophiques se transforment tôt ou tard en arthropathies

atrophiques.

vu 21

3L4 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

5° L'amputation peut-elle quelquefois s'imposer en l'impossibilité de

toute orthopédie par appareil ou par opération ? Peut-être, mais à mon

avis seulement si l'arthropathie, siégeant au membre inférieur, retient

seule et invinciblement le malade au lit : il en était ainsi dans le cas

de M. Nelaton, qui amputa la cuisse pour une arthropathie tabétique

du genou, dans le cas de M. Marchand qui amputa la jambe pour un

pied tabétique, dans un cas analogue que nous avons publié avec notre

maître 11. Tuffier et dont nos dessins peuvent donner une idée. Ces trois

malades, incapables avant l'intervention, de faire un pas, même avec des

béquilles ont pu, après elle, reprendre une vie active. semble donc

bien que si, théoriquement, amputer un membre pour une arthropathie

médullaire simple soit une énormité, il faille, en pratique, savoir par-

fois s'y résoudre.

b) Arthropathies iropho-infectieuses. Les interventions sanglantes

sont d'apparence beaucoup plus logique, et du reste beaucoup plus souvent

indiquées que dans les arthropathies trophiques simples, lorsqu'on se

trouve en présence d'une arthropathie compliquée d'infection, qu'il s'a-

gisse de l'espèce désignée par nous sous le nom d'arthropathie tropho-

suppurée aiguë, ou de celle que nous appelons arthropathie tropho-sup-

purée nécrotique.

Dans l'arthropathie tropho-suppurée aiguë, la nécessité constante de

l'intervention ne peut même être mise en doute ; l'hésitation ne peut

porter que sur le mode opératoire à suivre. Faut-il simplement ponction-

ner, comme l'a fait Mossé dans une arthropathie tabétique du coude;

arthrotomiser comme l'ont tenté Steudener dans une arthropathie syringo-

myélique du poignet, Sonnenburg dans une arthropathie du genou, nous-

mêmes chez un petit paralytique infantile était atteint d'arthrite suppurée

du genou, suite d'ostéomyélite de l'extrémité inférieure du fémur; résé-

quer, comme l'a fait Czerny chez des syringomyéliques à l'épaule el au

coude ; amputer même comme l'ont fait Czerny au poignet chez une syrin-

gomyélique, le professeur Verneuil à la jambe et M. Poncet à la cuisse

pour des arthrites suppurées consécutives à des ulcérations trophiques de

la peau, chez des paralytiques infantiles ? Cela doit dépendre et de la gra-

vité des phénomènes infectieux, et de l'état plus ou moins avancé des lé-

sions médullaires, et aussi de la destruction ou de la multiplicité des arti-

culations dystrophiées. Lorsque les conditions sont bonnes, c'estl'arthro-

tomie qu'on choisira ; lorsqu'elles seront mauvaises, on lui préférera

l'amputation.

On n'oubliera pas du reste que des bourses séreuses suppurées peuvent

ARTIIROPATLIIES TROPHIQUES AU POINT DE VUE CHIRURGICAL 315

envelopper une arthropathie elle-même non suppurée, témoin le fait déjà

cité par nous de Sokoloff : ce chirurgien avait vu, chez un syringomyé-

lique, se développer brusquement, en même temps que des symptômes

généraux graves, une arthropathie du coude, avec gonflement, craque-

ments et sans douleurs. En même temps survenait à la face postérieure de

l'avant-bras une collection qui incisée donna issue à du liquide fibrino-

purulent. Les symptômes généraux ne s'amendant pas, Sokoloff fit l'ar-

Llirotomie ; il n'y avait pas de pus, mais un liquide sanguinolent et vis-

queux. Le résultat fonctionnel fut du reste assez satisfaisant, et le malade

sortit de l'hôpital avec une bonne articulation mobile.

En somme la détermination opératoire peut être fort délicate dans les

arthropathies trophiques suppurées ; elle l'est peut-être moins dans les

arthropathies tropho-nécrotiques.

En effet,si celle-ci siège sur une grande articulation, comme dans le cas

de Blasius où, chez une syringomyélique, l'extrémité inférieure de l'hu-

mérus s'était luxée à travers la peau, puis nécrosée, la résection de toutes

les parties osseuses malades s'impose : l'étendue des lésions osseuses et la

gravité des accidents infectieux peuvent même parfois conduire à faire

l'amputation, soit secondairement à la résection,soit d'emblée, comme chez

un malade de Czerny, qui, syringomyélique avancé, avait à la suite de

l'ouverture de l'articulation radio-cubito-carpienne par un abcès péri-ar-

ticulaire, fait une nécrose de l'extrémité inférieure du cubitus avec décol-

lement par le pus des muscles de la main et de l'avant-bras, et phénomènes

septiques des plus graves.

Au niveau des petites articulations ou les arthropathies tropho-nécroti-

ques sont beaucoup plus fréquentes, l'intervention habituelle doit avoir

également pour but d'enlever les parties osseuses nécrosées : mais là d'or-

dinaire suffit un traitement très simple : le curage de l'articulation ma-

lade, avec un pansement aseptique, plutôt qu'antiseptique, à cause de la

susceptibilité trophique du membre. Si ce moyen joint à une immobilisa-

tion prolongée, ne réussit pas et ceci d'ordinaire à cause de la sclérose du

tissu cellulaire et de la peau péri-articulaire, on aura le droit de tenter

l'exérèse du foyer tropho-infectieux : amputation dans la continuité du

métatarsin, comme chez un de nos malades dont un mal perforant avait

ouvert et nécrosé la '1 l'a articulation métatarso-phalangienne, amputation

sous-astragalienne, comme chez un autre où des ulcérations trophiques

avaient mis à nu et nécrosé une partie du métatarse, et dont une de nos

figure représente le moignon.

Ajoutons en terminant cette revue des traitements suivis clans les ar-

thropathies tropho-infectées que, chez nos deux malades atteints d'artlhro-

pathie tropllo-tuberculeuses, nous avons jugé nécessaire de faire, et fait

31G NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

avec succès des amputations destinées à supprimer il la fois le membre

inutile et le foyer bacillaire.

c) Considérations générales sur les interventions chirurgicales dans les ar-

thropathies trophiques. Nous venons de passer en revue les interventions

chirurgicales tentées clans les artllropalllies

trophiques. Nous avons dit que, si l'arthropa-

thie est simple, elle ne relève du chirurgien

que dans un petit nombre de cas, et cela dans

un but orthopédique, non curatif ; nous

avons vu ensuite que les arthropathies trophi-

ques compliquées d'infection étaient toutes

chirurgicales, et que la discussion pouvait y

porter non sur la nécessité d'une interven-

tion, mais sur le choix du mode opératoire.

Il nous reste à chercher si le terrain sur lequel

on opère dans tous ces cas terrain modifié

parla lésion nerveuse médullaire ou névriti-

que, offre des avantages ou des dangers parti-

culiers.

Il offre, disons-le d'abord,presque toujours,

un avantage réel : les tissus dyslrophiés sont

en même temps analgésiques, et l'opération peut se faire sans chloro-

forme : parmi les opérateurs, Czerny et Sokoloff sont cependant les

deux seuls il en avoir profilé; nous ajouterons que nous n'avons pas

oublié d'en faire autant chez le malade il qui nous avons fait l'artho-

tomie du genou, et chez ceux à qui nous avons fait des curages articu-

laires pour petites arthropathies tropho-névrotiques. L'analgésie profonde

explique également qu'on puisse, sans anesthésique, inciser et cureter les

panaris des syringomyéliques : l'indifférence d'un de nos malades à l'ou-

verture d'un panaris périostique, opération si douloureuse d'ordinaire, a

même éveillé de notre part les premières craintes sur l'existence d'une lésion

nerveuse que nous diagnostiquions à cetle époque (il y a 8 ans) névrite

phériphérique chez un teinturier et que son évolution ultérieure devait

nous faire ranger sans hésitation dans les syringomyélies forme Mor-

van.

On ne devra pas oublier du reste que l'analgésie n'existe pas dans toutes

les arthropathies trophiques : circonstance fâcheuse car alors les tissus

sont, ainsi que nous nous en sommes assurés plusieurs fois, à peine sus-

ceptibles à l'action de la cocaïne ou de l'éther et l'on devra recourir, dès

Fig. 89. - Amputation sous-as-

tragaliennepourulcération tro-

phique du gros orteil avec né-

crose d'une partie du métatarse

ARTHROPATHIES TROPHIQUES AU POINT DE VUE CUIRURGICAL 317

qu'il s'agira d'entreprendre une opération un peu étendue, aux anesthé-

siques généraux.

Les interventions pour arthropathies présentent en dehors de cette cir-

constance fâcheuse, des difficultés opératoires spéciales et utiles il prévoir.

Les tissus péri-articulaires dystrophiés saignent beaucoup, et l'hémostase

y est très pénible : on sera souvent obligé de serrer dans le fil à ligature

à la fois les vaisseaux athéromateux et le tissu environnant. Il en fut ainsi

dans notre intervention citée plus haut pour pied tabétique, dans l'inter-

vention pour genou tabétique faite par Nélaton-Reboul. En outre, s'il s'a-

git, comme dans les deux cas précédents, d'amputation, on devra tailler

les lambeaux très loin de l'articulation malade : on risquerait autrement

de ne pouvoir les mettre en contact, à cause de leur sclérose, et par consé-

quent de ne pouvoir obtenir de réunion par première intention. Inconvé-

nient d'autant plus grave que les plaies en tissus trophiques s'infectent

avec une facilité particulière : la suppuration s'est montrée sous forme

de petits abcès successifs au niveau de la ligne opératoire dans les cas de

Wolff, de Sokoloff et de Kirmisson : dans ce dernier, au moment de la

mort qui survint subitement et tout à fait imprévue, cinq mois après

l'intervention, il existait encore, au côté interne du genou, un foyer fistu-

leux, conséquence d'un abcès apparu et incisé depuis quelques jours.

Lorsque des mouvements spasmodiques désunissent les surfaces rappro-

chées, dans les arthropathies suppurées, le danger d'infection est encore

plus grand : presque toujours alors les lambeaux se sont décollés et spha-

celés, puis des fusées purulente sont nécessité de nouvelles interventions

qui n'ont pas toujours empêché l'infection d'emporter l'opéré.

En somme, dans les interventions sur les arthropathies trophiques,

le terrain est mauvais, aussi bien au point de vue du résultat opéra-

toire direct que du résultat fonctionnel définitif. Ce sont là des contrin-

dications qui ont leur poids, même en mettant de côté, ainsi que parais-

sent le permettre les faits publiés, toute influence fâcheuse de l'interven-

tion sur la marche de la lésion médullaire.

A. Chipault.

LES MIRACLES DE SAINT IGNACE DE LOYOLA

L'an de grâce 1491, dans cette partie de l'Espagne qu'on nomme la

province de Guipuzcoa, sous le règne des Rois Catholiques don Ferdinand

et dona Isabelle, naquit, de Beltran Yanez de OCiaz y Loyola, seigneur du

château et domaine de ce nom, et de doua Maria Saens de Balda, l'un et

l'autre issus de la plus ancienne noblesse biscaïenne, un fils, le dernier

de treize enfants, auquel fut donné le nom d'Inigo (1).

Il devait, quarante-trois ans plus tard, entouré d'une dizaine de disci-

ples secrètement réunis comme des conjurés dans une cliapelle souter-

raine de l'Abbaye de Montmartre, jeter les premières bases de l'ordre de

la Compagnie de Jésus (15 août 1534).

Il devait en 1541 s'en faire nommer Général.

Mort à Rome en 1556, il devait enfin être canonisé soixante-six ans

plus tard, sous le nom de Saint Ignace de Loyola.

D'abord page de Ferdinand V, menant une vie tonte mondaine, mêlée

de nombreuses galanteries, il se battit bravement au siège de Pampelune

(1521) où il reçut une blessure qui le rendit à jamais boiteux. Dès lors,

il se retira du monde, s'adonna à la lecture des livres pieux et mena une

vie ascétique. Il eut des rêves, des visions, des extases, et bientôt se crut

appelé à la mission de propager le christianisme dans tout l'univers.

Ses austérités excessives, ses allures d'illuminé, ses récits d'appari-

tions merveilleuses, étonnèrent ses contemporains, mais les laissèrent

longtemps incrédules. On le vit s'armer Chevalier de la Vierge, prêt à

combattre un Maure mécréant; puis, exténué de misère et de souffrances,

continuer cependant ses jeùnes et ses macérations. Enfin, hideux de mal-

propreté et couvert de baillons, il allait, par humilité, mendier son pain

de porte en porte, sous les huées de la populace.

On le crut fou. Bientôt, on le crut mort. «

Il n'en était rien. Retiré dans une caverne, il vivait en anachorète, et un

jour, il s'embarqua pour la Terre Sainte. La, il tenta d'entraîner quelques

disciples pour mener à bonne lin ses vastes projets. On reconduisit : son

ignorance le rendait incapable de défendre victorieusement ses idées. Il

(1) D'après P. Ribadeneiua. Vie de Saint Ignace de Loyola.

NOUV ICONOGR. DE LA SALPÊTRIÈRE £

T. Vil. PL. XXXIX

IGNACE DE LOYOLA GUÉRISSANT UN ÉPILEPTIQUE

d'après esquisse à la plume et à la sépia destinée à illustrer une

Vie de saint Ignace de Loyola.

L BATAILLE ET C"

Éditeurs

NOUV. ICONOGR. DE LA SALPÊTRIÈRE

T. Vif. PL XL

IGNACE DE LOYOLA CHASSANT LES DÉMONS DU CORPS

DES ÉNERGUMÈNES

d'après esquisse à la plume et à la sépia destinée à illustrer une

Vie de saint Ignace de Loyola.

L BATTAILLE ET Ci.

ÉDITEURS

LES MIRACLES DE SAINT IGNACE DE LOYOLA 319

le comprit, el, revenu en Espagne, se mit en devoir de parfaire ses

études, malgré ses trente-deux ans. Il ne rougit pas de s'asseoir à l'école

il côté des jeunes enfants, et il parvint ainsi, à force de travail et de pa-

tience, à combler les lacunes de son éducation.

Puis il voyagea de nouveau, en France, en Italie, dans les Pays-Bas, etc.,

et bientôt il eut des adeptes. Sa persévérance, sa foi, son énergique vo-

lonté, et aussi le merveilleux dont il entourait son existence, attirèrent à

lui quelques catholiques fougueux, inquiets des progrès menaçants du

protestantisme, et rebutés par la discipline ignorante et farouche de l'E-

glise du Moyen-Age.

L'ordre des Jésuites, ébauché dans la chapelle souterraine de Montmar-

tre, était, après bien des rebuffades et bien des hésitations, définitivement

approuvé par le pape Paul III en 1540. Les soldats de la nouvelle milice

furent éparpillés dans tous les pays du monde; ils combattirent la Ré-

forme, défendirent lespapes, liront trembler les princes et les peuples,

devinrent les maîtres du monde chrétien.

Et l'ancien page galant de la Cour, le mendiant bafoué dans les rues,

l'ascétique pèlerin de Jérusalem, le Général de la Compagnie de Jésus, eut,

la suprême satisfaction devoir, avant sa mort, que son oeuvre avait atteint,

sinon dépassé, toutes ses aspirations.

« Pèlerin bizarre, fanatique convaincu, dit de lui Philarète Chasles,

livré aux hallucinations extatiques, mais persévérant, hardi, impertur-

bable dans son dessein, il réussit... La carrière que César ou Mahomet ont

parcourue, n'est pas plus merveilleuse que celle d'Ignace de Loyola... »

La vie d'Ignace de Loyola mériterait d'être étudiée page par page. Nom-

bre des épisodes que ses biographes nous ont rapportés comportent une

intéressante critique médicale. Le fondateur de la Compagnie de Jésus fut

un visionnaire, un extatique, un halluciné, peut-être un hystérique.

« Une nuit qu'il veillait, la glorieuse Reine des anges lui apparut, son très

cher Fils entre ses bras, l'éclairant de sa splemlide lumière, le charmant de sa

douce présence (1) »...

« Une nuit, comme il était il genoux, devant l'image de la bienheureuse

Vierge Marie... soudain le démon, croit-on, ébranla tout le château de Loyola

d'une si étrange façon que les vitres des fenêtres de sa chambre furent bri-

sées (2) »...

Une autre fois, étant en prières, il voit le démon sous forme de ser-

pent (3).

(1) La vie de SI-Ignace de Loyola, par le P. CUAIILES CLAm, Plon, Nourrit, 1891, p. 20.

(2) Ibid., p. 25.

(3) ;\)AFFE ! 0, De vila et moribus ? ? ? ! < ! < ! : Loyola : , 1. I, chap. 1.

320 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Hallucinations de la vue, hallucinations de l'ouïe, reparaissent à cha-

que chapitre de son histoire.

« A l'office de Notre-Dame, il fut élevé en esprit, et vit comme avec les yeux

une image de la Trinité qui lui représentait d'une façon sensible ce qu'il sentait

en dedans (1) ».

Il vit le Seigneur, il vit la Vierge, les Anges, et les âmes de tous ses

amis, et toujours resplendissant dans une auréole de feu.

Souvent ces hallucinations survenaient à la suite de jeûnes prolongés.

Une fois qu'il resta sept jours sans prendre de nourriture, il se crut « as-

sailli par des démons qui le rouaient de coups » (3). D'autres fois, « il

chassait les diables avec un bâton ».

Il eut aussi à plusieurs reprises des crises de léthargie : .-

« Un samedi, il l'heure de compiles, il tomba en extase; il cette vue, grand

nombre d'hommes et de femmes, le croyant mort, se disposaient il l'enterrer,

si l'un deux n'eût constaté que son coeur battait encore faiblement. Ce merveil-

leux état dura jusqu'au samedi suivant, à la même heure. Alors, en présence du

plusieurs personnes qui le gardaient, il ouvrit les yeux, et, comme réveillé d'un

doux sommeil, il dit amoureusement : « Ali ! Jésus... (2) ».

Ces exemples pris au hasard suffisent amplement. Ils sont en tous points

conformes à ceux qu'on retrouve dans la plupart des Vies des Saints. Leur

critique a été faite trop souvent pour qu'il soit nécessaire d'y insister. On

ne saurait en effet méconnaître la nature pathologique de ces hallucina-

tions et de cette léthargie. Nous nous contentons de les signaler en passant.

Notre intention n'est pas en effet d'entreprendre une analyse des épiso-

des de la vie de St Ignace qui peuvent donner lieu à une interprétation

médicale des faits et gestes de ce visionnaire.

Nous voulons seulement commenter un certain nombre de dessins an-

ciens destinés à illustrer une Vie en gravures de St Ignace de Loyola et

composés d'après les écrits de ses premiers biographes, Joanne Petro Maf-

feio, (4) et surtout Pedro de Ribadeneira (5).

Ce Ribadeneira, né à Tolède en 1527, fut un des premiers disciples

d'Ignace de Loyola et fit beaucoup pour la propagande de la compagnie de

Jésus en Espagne, dans les Flandres et les Pays-Bas.

Il était d'un esprit remarquablement simple. Plusieurs de ses écrits

(1) P. CIIARLES CLAIR, l. C., p. 59. 111ArrEIO, 1. I, ch. 7.

(3) Maffeio, 1. I, c. 5 et 6.

(2) Ibid., p. 60.

(4) Maffeio, De vila et l1w¡'ibus Igz2alét Loyolse, qui Socielalem Jesu /b ? id6[ : )t<, 3 vol.,

Rom. 1585. (1 édit.).

(5) P. RIBADE-.\rIRA, Vila Ignalii Loyola, Societalis Jesu fundaloris, 5 vol.- 1 ? édit.,

Naples, 1582, suivie de beaucoup d'autres, traduite en toutes les langues.

LES MIRACLES DE SAINT IGNACE DE LOYOLA 321

sont d'une naïveté lamentable. Dans un ouvrage intitulé pompeusement

« Fleur des vies des Saints » (1599-1610, 2 vol. in fol.) parlant de l'en-

fance de St Nicolas, il dit :

« Cet enfant, en naissant donna des marques qu'il était choisi par

Dieu, car, au même instant qu'il commença à vivre, il commença aussi à

le révérer ; sitôt qu'il sut ce que c'était que de manger, il sut ce que c'é-

tait de jeûner ; car, ayant coutume de prendre tous les jours souvent le

sein de sa nourrice, les mercredis et les vendredis il ne le prenait qu'une

fois le jour, vers le soir, sans qu'on put lui faire avaler autre chose pen-

dant qu'il tétait.... (1) ».

Une telle crédulité est affligeante. Cependant Ribadeneira a une qua-

lité : il est sincère dans ses descriptions.

Ignace de Loyola fut aussi thaumaturge. Et son fidèle historien se com-

plait à décrire les miracles qu'il a opérés.

Les deux dessins que nous. reproduisons (Pl. XXXIX et Pl. XL) ont

trait à deux guérisons merveilleuses survenues il Azpeitia (2).

Le premier représente Ignace de Loyola guérissant un épileptique : lisons

hystérique. ,

« Il y avait à l'hôpital un infirme nommé Bastida, qui, depuis de longues

années, était atteint d'épilepsie ( ? ). Lés crises étaient fréquentes, et si violen-

tes que plusieurs hommes pouvaient peine le contenir. Un jour que sa furie

était pire que jamais, le saint, qui était présent, s'approcha du malade, fit une

courte prière, les yeux fixés au ciel, et toucha de la main la tête de Bastida.

A ce contact, celui-ci ouvrit les yeux comme au sortir d'un profond sommeil,

et se trouva si parfaitement guéri, que; de toute sa vie,'il ne ressentit plus au-

cune atteinte de ce terrible mal (3) ».

Il s'agit ta, à n'en pas douter, d'une de ces guérisons d'attaque hysté-

rique à la suite de l'imposition des mains, comme en sont peuplées les

chroniques de l'époque.

L'artiste a rendu fort exactement celte scène en tous points comparable

à celles que Charcot et P. Richer ont reproduites et commentées dans

les « Démoniaques dans l'art ».

(t) Trad. de l'abbé Daras, t. XII, p. 81.

(2) Ces dessins font partie d'un cahier de croquis originaux faits à la plume et om-

brés à la sépia, reproduisant les principaux épisodes de la vie de St Ignace de Loyola

d'après illnffeio et Ribadeneira. Ils ont appartenu en 1792, à Joseph-Jean-Marie Bonese,

d'Andorno (Italie) et sont aujourd'hui en la possession de 11. Théophile Belin, éditeur,

qui a eu l'extrême obligeance de les mettre à notre disposition. Aucun d'eux n'est

signé. Ils étaient destinés à illustrer une Vie en gravures de St Ignace de Loyola ;

ils ont été gravés, et plusieurs de ces gravures ont été reproduites dans l'ouvrage du

P. Charles Clair.

(3) Ribadeneira, l. c., p. 45, et Cn. Clair, l. c., p. 184.

322 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE E

L'attitude du malade est bien observée. Il est en léthargie; les yeux

fermés, la bouche demi-close ; la tête tombe mollement sur l'épaule gauche,

et le bras du même côté pend, flasque. Tout le corps s'abandonne,

inerte, entre les bras de l'homme qui fait effort pour le soutenir. C'est une

masse lourde et sans vie.

Le reste de la composition ne manque pas de caractère. Les personnages

de gauche sont expressifs et heureusement disposés. La pose du saint a

de la grandeur et de la simplicité. Enfin la facture est habile, le 'trait

assuré, et l'éclairage vigoureux.

On peut reprocher le vide laissé sur la droite de la scène. Mais ce n'est

qu'une esquisse et l'artiste se réservait peut-être de la compléter.

Les miracles opérés par Ignace de Loyola sont innombrables; ils

ressemblent d'ailleurs à tous ceux qu'on met sur le compte des autres

Saints.

« La nouvelle des merveilles que Dieu opérait par son serviteur à Azpeitia

ne tarda pas à se répandre. On accourait de divers lieux, souvent fort éloignés,

pour lui présenter des malades.

Une dame de Gamaya souffrait depuis des années d'une fièvre continue ; dé-

sespérée des médecins, elle était réduite par la phthisie à un tel état de faiblesse

et de maigreur, qu'elle n'avait plus que la peau sur les os. Ses parents, non

sans peine, la transportèrent il Azpeitia, tremblant qu'elle ne vînt il mourir en

route. Quand ils arrivèrent, le saint prêchait au peuple. Ils entendirent le ser-

mon, puis ils déposèrent à ses pieds la malade, qui lui dit avec une grande foi :

« Père, voyez en quel état je suis ; donnez-moi votre bénédiction, et priez Dieu

de me rendre la santé ». Il s'excusa, répondant qu'il n'était pas prêtre, et qu'il

' ne pouvait la bénir. Cependant vaincu par ses instances, il fit sur cette pauvre

femme le signe de la croix. A l'instant même elle se trouva si bien portante

qu'elle pût d'elle-même regagner sa maison, bénissant Dieu du pouvoir accordé

à son serviteur. Peu de jours après, elle revint lui offrir, en actions de grâces,

des fruits et des poissons. D'abord, il ne voulut rien accepter, et lui conseilla

de vendre le tout pour en donncr l'argent aux pauvres ; mais pour ne pas la

contrister, il accueillit son petit présent, et en fit largesse, devant elle, aux

malades de l'hôpital (1) ».

On peut, non sans vraisemblance, supposer qu'il s'agissait ta d'un de

ces cas d'SHO/'e.'r qui ne sont pas rares chez les hystériques mystiques.

Sous l'influence d'une vive impression morale, la guérison survient

souvent.

Voici encore d'autres miracles.

« Une honnête femme avait depuis fort longtemps un bras desséché au point

do ne pouvoir s'en servir. Elle eut la dévotion de baiser la robe du Bienheureux

Père, et aussitôt son infirmité disparut sans laisser de trace ».

(1) P. C. CLAm, loc. cil., p. 18't.

LES MIRACLES DE SAINT IGNACE DE LOYOLA 323

Il s'agissait sans doute d'une contracture hystérique. L'image qui repré-

sente cette scène montre bien l'attitude caractéristique dela main etdu bras.

« C'est encore par la vertu du signe de la croix qu'il délivra une femme

possédée du démon, et une autre que le mauvais esprit obsédait de visions et

d'horribles fantômes ».

Le nombre de possédés et d'énergumènes que Saint Ignace de Loyola

délivra du démon fut en effet considérable.

Notre seconde planche représente un de ces exorcismes.

Le dessin n'est pas aussi soigné que celui de la précédente. Le trait est

moins sûr, les attitudes moins énergiquement rendues. La femme qui se

traîne à genoux n'a rien de caractéristique au point de vue qui nous oc-

cupe, non plus que l'homme qui joint les mains, à droite au premierplan.

Les petits diables noirs sortant de leurs bouches nous indiquent seuls

qu'ils étaient possédés.

Un des personnages du second plan est plus typique. La convulsion de

la tète et des yeux est bien indiquée. C'est assurément un démoniaque. Il

semble même que la main droite soit en extension forcée sur l'avant-bras ;

tout le membre parait raidi.

Quant au saint, son expression est difficile il saisir. Enfin, l'ensemble

est assez confus. Mais il faut ici encore tenir compte des imperfections

d'une première esquisse, et aussi des injures que le temps a fait subir à la

valeur des parties ombrées (1).

L'album auquel ont été empruntées ces images contient un grand nom-

bre de dessins d'une réelle valeur artistique. Les visions d'Ignace de Loyola

y tiennent la plus grande place. Elles ne sont assurément pas justiciables

des mômes critiques, la fantaisie de l'artiste en faisant tous les frais.

Aussi, avons-nous choisi ces deux sujets entre autres, en raison de leur

intérêt plus particulièrement médical. Ils viennent s'ajouter au nombre

déjà grand des documents figurés dans lesquels on retrouve une reproduc-

tion fidèle des désordres imputables à la pathologie nerveuse.

Henry Meige. L. Battaille.

(1) Signalons, à propos des guérisons d'énergumènes par Ignace de Loyola, le beau

bas relief en bronze de l'autel du Saint, au Gésù de Rome.

On y voit un homme possédé du démon qui se renverse en arrière dans une attitude

très expressive. La tête que, par un artifice heureux, l'artiste (Ange Rossi) a fait sortir

du cadre, peut passer pour une des bonnes figurations de l'expression démoniaque :

saillie exagérée du cou, convulsion des globes oculaires, protrusion de la langue, tous

les caractères y sont fidèlement rendus. (Reproduit en héliogravure dans le livre du

P. Ch. Clair).

Le gérant : Louis Battaille

Imp. Vvo Lounnor, 33, rue des Balignolles, Paris.

NOUVELLE ICONOGRAPHIE

DE LA SALPÊTRIÈRE

« DÉLIRE DE MAIGREUR »

CHEZ UNE HYSTÉRIQUE

I

Jusqu'à ces dernières années, on s'est à peu près exclusivement, borné,

en matière d'hystérie, à une pure et simple constatation de faits. L'inter-

prétation est enfin venue et a montré que la grande névrose est une mala-

die mentale. On a cherché et on a trouvé, dans toute manifestation de

l'hystérie, une origine psychique. Ces travaux ont eu pour conséquence

d'introduire dans l'étude de chaque accident hystérique un élément nou-

veau et tout il fait fondamental, puisqu'il nous fait saisir la véritable cause

du mal. Il s'ensuit que telle ou telle dénomination ancienne est devenue

vague, incomplète et partant insuffisante.

Ces critiques peuvent s'appliquer justement au terme d'anorexie. Elles

ne datent pas d'aujourd'hui, du reste. Déjà Lasègue, en 1873, écrivait :

« le nom d'anorexie aurait pu être remplacé par celui d'inanition hysté-

qui représenterait mieux la partie la plus saillante des accidents (1) ».

Inanition vaudrait certainement mieux qu'anorexie, mais il a encore

l'inconvénient de ne pas rappeler l'origine mentale de l'amaigrissement :

Ce mot n'a, d'ailleurs, pas fait fortune. Sollier (2) a proposé le terme de

sitieirgie qui signifie : je repousse les aliments. Il est préférable à celui

d'anorexie, mais il est un peu barbare et n'est d'ailleurs pas suffisamment

explicite. Le mot d'anorexie, qui signifie étymologiquement perte de l'ap-

(1) LASt : ü¡;r.. De {l'Anorexie hystérique (Archiv. cn. de méd ? lSi;3 et Elud. méd.,

t. 11, 1. d;i). -

(2) Soi.i.un. Anorexie hystériquc (silieiric hysli;riclue). l1ev. de méd., 181)1, p. G2j.

328 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

petit, a survécu. Or plusieurs anorexiques hystériques n'ont pas perdu

l'appétit. Dans tous les cas, qu'ils l'aient perdu ou non, c'est à la suite

d'une idée fixe consciente ou subconsciente. Ici c'est le désir déraisonna-

ble de maigrir, là celui de mourir.... C'est toujours un véritable déliro. Il

va sans dire qu'il est indispensable de faire suivre le mot délire de qua-

lificatifs tirés de la nature de l'idée fixe. Le titre, que nous avons inscrit

en tète de cette observation, nous semble pleinement justifié par l'his-

toire qui suit. -

II

Julie R..., 19 ans, entre le 17 avril 1894 à la Salpêtrière. Elle nous

fait elle-même le récit qu'on va lire, récitconfirmé et complété, à certains

égards, par ses parents et par le médecin de sa famille.

Au point de vue de son hérédité, il est important de signaler qu'une

de ses soeurs est d'une émotivité excessive et qu'une de ses tantes mater-

nelles a souffert pendant vingt ans de crises convulsives d'hystérie.

Julie n'a eu que la rougeole dans sa première enfance. A l'aige de 9 ans,

elle fait une chute dont le souvenir va jouer un grand rôle dans son exis-

tence. Un jour, dans l'escalier, elle tombe sur le côté droit du corps et

particulièrement sur la hanche. Il en résulte une contusion de la hanche

accompagnée de douleurs, de gonflement et de rougeur, très appréciables

le lendemain de l'accident. Le surlendemain, on l'a conduite chez un

chirurgien qui diagnostiqua une coxalgie et ordonna un bain salé quotidien

et l'immobilisation absolue au lit. L'enfant devait être inunolii 1 isée j usq u'il

l'àge de quinze ans. Au bout de trois il quatre semaines, les conséquences

de la contusion de la hanche avaient disparu. Alors, en l'absence de sa

mère, l'enfant enfreignit souvent la consigne et se leva toute seule du lit.

Elle ne boitait pas, elle ne souffrait pas dans le genou. La hanche restait

seule un peu endolorie.

Six mois après la chute, on la reconduisit au D'' T... qui fut frappé de

la rapidité de la guérison et conseilla un an de vie à la campagne. La

guérison était en effet complète ; il ne persistait qu'une hyperesthésie loca-

lisée à la région externe de la hanche. Cette hyperesthésie a persisté jus-

qu'au commencement de celte année, c'est-à-dire pendant dix ans. Ce

n'était pas, en vérité, une dernialgie réelle. «Je crois, dit la malade,

que c'était de l'appréhension ; j'avais peur qu'on y louchât ». Le con-

tact incessant des vêtements n'était pas douloureux, en en'et, alors que

le frôlement le plus léger d'une main étrangère réveillait une douleur ex-

quise angoissante, presque syncopale. La simple idée d'un contact possible

la faisait même naître.

Nouv. ICONOGR. DE LA SALVLTRILRE T. VII PL. XLI ,k XLII

PHOTOTYPE NLG A. LONDE.

Avant le traitemcnt.

PHOTOCOL. DERTHAUD.

Après le traitement.

DELIRE DE MAIGREUR CHEZ UNE HYSTERIQUE

L BATTAILLE ET C"

DÉLIRE DE MAIGREUR CHEZ UNE HYSTÉRIQUE 329

C'est dans cet état, vers l'âge de 11, ans que Julie entra en pension au

couvent du Sacré-Coeur à St-Ouen, où elle resta jusqu'à 1G ans. D'abord

d'une grande piété, elle ne tarda pas, il la suite de quelques moqueries,

à devenir assez espiègle et assez dissipée. Elle était d'ailleurs douce,

bonne, gentille, très intelligente et très avancée pour son âge. Elle était

extrêmement sensible et aimait beaucoup qu'on s'occupât d'elle. Au moin-

dre reproche, à la moindre contrariété, elle éprouvait une sensation de

constriction à l'épigastre et à la gorge et perdait connaissance; elle tom-

bait en syncope, suivant son expression.

En dehors de ces attaques syncopales et de son hyperalgésie de la han-

che par idée fixe, de « sa manie de la hanche », comme dit sa mère, elle

était à cette époque forte et bien portante. Comme elle avait un cer-

tain embonpoint, elle fut en butte, à ce sujet, à quelques railleries de

la part de ses compagnes. Lorsqu'on l'appelait boulotte, « c'est bien, di-

sait-elle intérieurement, je vais m'efforcer de maigrir ». Ces railleries,

répétées à diverses reprises, firent naître en elle l'idée fixe de maigrir.

Sous l'empire de cetle idée, et pour la réaliser, elle passait parfois des

jours entiers sans manger. Quand, poussée par la faim, elle avalait quel-

ques aliments, son estomac resserré, dit-elle, se contractait ; elle étouffait

et vomissait. De 12 à 16 ans, elle a eu trois ou quatre fois des Avilisse-

ments semblables. Chaque fois, il s'agissait de vomissements qui se répé-

taient durant un ou deux mois, d'une manière d'ailleurs très irrégulière.

Ces troubles n'avaient ni altéré sa santé ni sensiblement diminué son em-

bonpoint.

A 16 ans, sa famille pour des raisons pécuniaires la retira du couvent

et lui fit suivre des cours, afin qu'elle préparât son brevet supérieur. Elle

devint de plus en plus préoccupée de maigrir; elle se trouvai trop grosse

(elle pesait 60 kilogr.) Ellevoulaitavoir la taille fine, comme certaines de

ses amies qui risquaient, de temps il autre, une allusion, nullement mé-

chante du reste, à son embonpoint. C'esl surtout, il partir de cet âge, qu'elle

fut tourmentée par l'idée de maigrir.

Le 4 février 1894, en train d'analyser « le Ciel », elle avait travaillé

de midi à six heures sans bouger, lorsque tout à coup sa douleur de la

hanche se réveilla très vive et s'accompagna d'une attaque syncopale. Son

père la coucha et lui appliqua aussitôt un vésicatoire sur la hanche. Le

Dr P..., médecin ordinaire de sa famille, conseille le repos au lit avec ex-

tension continue du membre malade. Le corset est bien entendu supprimé.

Elle resla couchée jusqu'au mois de mai. Pendant ce laps de temps,

en mars, survinrent des vomissements qui devinrent bientôt incessants,

incoercibles. Elle vomissait absolument tout ce qu'elle prenait. Mais

330 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

« c'était exprès, déclare-L-elle, au commencement j'aurais plllll'i111St81111',

si j'avais voulu, puis c'est devenu une affaire d'habitude ».

Le Dr P..., qui soignait la malade à cette époque, a eu l'exlième obli-

geance de nous adresser une lettre documentée sur son état.

« Cependant le mal ne fait qu'empirer, écrit-il ; les douleurs de hanche

augmentent; des vomissements fréquents surviennent; la malade maigrit

considérablement; en présence de l'aggravation des symptômes, je con-

seille de s'adresser au Dr T... On la conduit il Paris au mois de mai. Le

De T ? avait déjà vu la malade il t'age de dix ans pour des douleurs de la

hanche attribuées à une inflammation épiphysaire. Il diagnostique de nou-

veau : ostéite épiphysai1'e de l'os iliaque, péritonite de voisinage causant les

vomissements. On ramène la malade il Ch... ; on la met au repos absolu et

on essaie de différents toniques. L'état loin de s'améliorer s'aggrave de

jour en jour; les vomissements de plus en plus fréquents permettent à

peine l'alimentation. Au mois d'août 1892, survient dans la fosse iliaque

du côté malade une sorte d'empâtement des plus douloureux. Suivant l'i-

dée du Di' T... je crois il une péritonite enkystée. Comme la malade va de

plus en plus mal, on demande au Dr T... de venirpour ouvrir, s'il le faut,

le péritoine ».

La malade était en effet clans un état lamentable et n'avait plus la force de

se soulever. Le Dr T... en vacances, ne peut venir lui-même ; il indique un

de ses élèves. Fort heureusement le D'' P... juge le cas inopérable et dé-

sespéré, en déclarant qu'il faut s'attendre d'une minute à l'autre à un dé-

nouement fatal. Au moment où on s'attendait à la voir trépasser, elle se

dresse tout à coup sur son lit et crie à son père qui la veillait : papa, je

suis guérie; donne-moi de l'eau, je veux faire ma toilette. On lui donne

de l'eau et elle plonge à plusieurs reprises sa tête dans la cuvette. A par-

tir de cet instant, les vomissements cessent. La veille au soir, le médecin

lui avait appliqué des pointes de feu sur son empâtement iliaque. Elle

avait aussitôt senti un grand soulagement : « Chose extraordinaire, dit le

médecin, il survint une amélioration considérable dans la région. » Le

lendemain matin, le gonflement avait diminué; se croyant guérie, elle

tint à son père le petit discours précédent. En effet huit jours après, les

vomissements reparaissent, à propos d'une ingestion d'huîtres et devien-

nent incessants.

« Les douleurs de la hanche vont s'atténuant de jour en jour, continue

le Dr l'... et au contraire l'état général et nerveux va plutôt en s'aggra-

vant. Au mois de décembre on conduit la malade à la maison Dubois. Au

bout de quelques jours on la ramène comme définitivement perdue et

devant mourir prochainement. Les vomissements sont devenus absolu-

ment incoercibles ; l'estomac ne supporte pas le moindre atome de nour-

DÉLIRE DE MAIGREUR CHEZ UNE HYSTÉRIQUE 331

riture ni de liquide. Les lavements de peptone qui la soutenaient

encore ne sont plus gardés. La malade est réduite à l'état de squelette ;

sa faiblesse est extrême; à la fin de janvier 1893 on attend sa mort tous

les jours ».

Or, le 6 février, elle lient à son père ce langage : « Papa, voilà

un an que je suis malade, et les hommes ne peuvent me guérir. Puis-

que vous.êtes impuissants à me guérir, je vais m'adresser ailleurs. Ap-

portez-moi de l'eau de Lourdes; je suis sûre que ça va me guérir; je

veux la boire, mais devant des témoins afin qu'ils puissent témoigner d'une

guérison dont je suis sûre ».

Il est indispensable d'ouvrir ici une parenthèse.

M. X.... ami de sa famille, personnage très dévot., venait souventvoir la

malade depuis le début de son mal. En juin 1892, il lui avait apporté une

statuette deN. D. de Lourdes; il lui communiquait des journaux religieux

où il était question de miracles. Deux guérisons miraculeuses avaient

spécialement frappé l'esprit de Julie.

Donc, le 6 février, à 8 heures du matin, elle dit aux deux témoins :

« Vous allez voir que c'est la Ste-Vierge qui va me guérir ». Et elle prend

sa statuette et boit deux cuillerées d'eau de Lourdes. Elle ne les vomit

pas. Aussitôt après elle mange un morceau de chocolat qu'elle ne vomit

pas davantage, puis une orange, un bonbon qu'elle garde de même. A

midi elle prend un oeuf et le soir un potage. Et le tout, sans vomissements

ni nausées, « elle, écrit encore le Du' 1).... qui ne supportait pas une goutte

de liquide depuis plus de six mois. C'était le miracle attendu : elle était

sauvée ! ».

A partir de ce jour, elle se remet à manger de tout et reprend ra-

pidement ses forces. Mais en juin son appétit diminue et en juillet les

vomissements reviennent. Elle demande alors elle-même d'aller à Lour-

des ; elle y va avec sa tante. Elle était tellement affaiblie qu'on hésita à

la plonger dans la piscine. « Mais celle fois le pèlerinage n'est peut-être

pas suffisamment suggestif car son état est peu modifié. Elle vomit toujours

de temps en temps, et se plaint de temps en temps de sa hanche ».

Sa situation ne s'améliorait pas. Au commencement de décembre, pen-

dant neuf jours, elle fait réciter à sa mère et à ses soeurs, tous les soirs.

un chapelet devant sa statue de N. D. de Lourdes.

Le 10 décembre, la neuvaine est finie et la guérison n'est pas venue.

Aussi, quand sa mère monte la voir, elle est prise de délire : « Maman,

mais c'est affreux ! je grille ;... tu ne sens pas le roussi ? Je suis perdue !

Regarde l'enfer devant moi ; je vois les damnés, je suis damnée ! ... ». La

nuit, elle avait vu en rêve un lieu sombre et noir où flambait un cercle de

flammes. Celait évidemment l'enfer.

332 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Et en effet, à partir de' ce moment, par instants elle se croit damnée.

« La Ste Vierge l'a abandonnée et ne l'a pas guérie, sans doute parce

qu'elle a fait des mauvaises confessions et de mauvaises communions ».

Elle a fait, se rappelle-t-elle, une mauvaise première communion, car

elle n'a pas avoué, il cette époque, des pratiques d'onanisme et toutes ses

confessions ultérieures ont été par suite mauvaises.

En présence de cet état physique et psychique, leur P... conseille à ses

parents de la conduire à la Salpêtrière (17 avril 1894). '

A son arrivée, elle se trouve seule avec sa mère dans le cabinet de con-

sultation. En entrant, nous la voyons à genoux devant sa statuette de

Lourdes qu'elle implore.

Julie est une jeune fille de taille un peu au-dessus de la moyenne. Sa

maigreur est extrême ; son visage ridé et émacié la fait paraitre très âgée.

Les os de la face, les omoplates, les côtes, les apophyses vertébrales, les

os du bassin et des membres font un relief très accusé. Partout des méplats

profonds ont remplacé les saillies normales. C'est presque la morphologie

d'un squelette. La planche XLI, nous dispense de plus longs commentai-

res, si on songe en outre que le poids total du corps est de 29 kilogr.

La peau est brune, ridée, flasque, sèche et trop large pour les parties

qu'elle recouvre. Les cheveux sont secs et raréfiés par places, particulière-

ment derrière les oreilles où se voient deux plaques alopéciques. Les ongles

sont slriés, irréguliers. Il est vrai que la malade les ronge incessamment.

Le tissu graiseuxa pour ainsi dire à peu près disparu et le tissu mus-

culaire participe vraisemblablement il l'émaciation. Mais c'est surtout le

pannicule adipeux qui a fait les frais de cet amaigrissement. Les divers

appareils respiratoire, circulatoire, digestif, urinaire, etc..., semblent

normaux. Le pouls, petit, mais égal et régulier, bat à 90. La température

du corps est sensiblement abaissée ; elle atteint à peine 3° 8. La région

de la hanche, l'articulation coxo-fémorale ne présentent ni signe actuel ni

vestige de coxalgie. Toute douleur spontanée ou provoquée a disparu à ce

niveau. D'ailleurs, il nous a été impossible de déceler aucun stigmate sen-

sitivo-sensoriel d'hystérie. Malgré cette déchéance somatique, les forces

physiques sont relativement bien conservées. Elle marche comme tout le

monde, avec des mouvements un peu lents cependant, mais sans se fati-

guer rapidement.

L'état mental de la malade est également très troublé. Elle répond tou-

tefois très correctement et très raisonnablement aux diverses questions

qu'on lui pose. Mais elle est triste, apathique, indifférente en apparence.

Elle est au fond préoccupée par des idées de remords, de culpabilité et de

damnation.

DÉLIRE DE MAIGREUR CHEZ UNE HYSTÉRIQUE 333

« Elle a, dit-elle, contracté dès son jeune âge, des habitudes d'ona-

nisme qu'elle a conservé jusqu'à ces derniers temps. Lors de sa première

communion, elle a oublié de les confesser. Elle a par suite fait une série

de mauvaises confessions et de mauvaises communions. Elle sera donc

damnée. Car la Vierge ne veut pas lui pardonner sans doute, autrement

elle l'aurait guérie.... M.

Et elle pleure et se désole. Pourtant elle a encore confiance en la Vierge.

A tout instant elle l'intercédé et lui demande des grâces. Ainsi elle lui i

demande tantôt des flots de larmes, tantôt un rayon de soleil. Et si le

soleil luit ou si des larmes lui viennent, elle se met à espérer sa guérison

et son pardon : la Vierge ne l'a pas tout à fait abandonnée. Si, par contre,

elle ne lui envoie pas ce qu'elle demande, la voilà désespérée, triste et

malheureuse. Puis, au cours de notre interrogatoire, elle s'écrie : « je

crois que je suis sauvée, je viens de répandre des larmes.... ».

Au mois de novembre dernier, elle a été à confesse et a avoué pour la

première fois ses péchés d'onanisme. Le soulagement n'a été que momen-

tané, car elle n'a pas lardé à se rappeler d'autres péchés du même genre

auxquels elle n'avait pas pensé. Et ses idées de culpabilité et de damna-

tion ont persisté.

« ....Elle voudrait cependant bien guérir, car elle est effrayée de se

voir si maigre, mais elle ne croit plus sa guérison possible.... Elle est

trop coupable.... Puisqu'elle est damnée, elle n'a plus besoin de vivre

.... » Aussi a-t-elle fait, en février dernier, une ou deux tentatives de

suicide, sans succès du reste. Elle s'était enfoncé une aiguille dans le

creux de l'estomac. Elle n'a cependant pas le dégoût de l'existence, et

ne demande qu'à guérir. Mais il est impossible de la convaincre de l'ina-

nité de ses pensées : « Elle ne peut pas guérir; elle sera damnée. Il lui

est donc inutile de manger. Elle se laissera mourir de faim tout simple-

ment, lentement, mais n'attentera pas directement à ses jours, car le

suicide est défendu par la religion.... ».

La mère à accepté pour sa fille l'isolement que nous lui avions pro-

posé. Elle est repartie à Ch... laissant Julie à la Salpêtrière. La séparation

n'a pas été trop pénible pour la malade; quelques pleurs et puis la con-

solation est vite venue. Il a été convenu que l'isolement serait absolu, que

toute visite serait interdite ainsi que toute lettre jusqu'à nouvel ordre.

Dans ces conditions, après avoir rappelé à la malade l'inanité de ses

idées, les dangers de son amaigrissement progressif et la nécessité im-

médiate de manger, nous lui avons déclaré sévèrement que, si elle ne

mangeait pas de bonne volonté, nous aurions recours à l'alimentation par

la sonde.

334 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE E

Il paraît, d'après son récit ultérieur, que cette menace l'a vivement

frappée et effrayée. Quoi qu'il en soit, elle a accepté sans aucune objec-

tion et sans aucune résistance deux potages, un beassteacket un litre de

lait. Elle n'a rien vomi. Il en a été de même le lendemain et le sur-

lendemain. Le 22 avril, on a ajouté à ce régime deux oeufs.

A partir du 24, elle a pris tous les jours deux litres de lait, deux pota-

ges, deux 'oeufs, deux beassleack et deux bonnes rations de légumes secs.

En outre, la malade a été condamnée à garder le repos au lit pendant

presque toute la journée.

Elle a subi ce régime, sans modification, pendant près de trois mois.

Aucun incident pathologique n'est survenu, durant celte période, sauf

un petit vomissement le 1 CI' et le 2 mai et un peu de diarrhée du au 8

mai. L'appétit était excellent et les digestions parfaites.

Les heureuses conséquences de ce traitement n'ont pas tardé à se mon-

trer. Une métamorphose s'est opérée progressivement. Au bout de cinq

semaines, Julie pesait 3S kilog. 500 gr. ; la température, qui avait rapi-

dement atteint 36°, oscillait autour de36°5. A partir du 5 juin, le thermo-

mètre monta à 36Q8 le matin et u 31° le soir, et à partir du 18 du même

mois, il oscilla entre 37°7 et 37°4. Le 15 juillet, la malade pesait 59 ki-

tour. et avait l'aspect reproduit par la Planche XLII.

La simple comparaison entre le poids, la température et les photogra-

phies, pris le 18 avril et le 15 juillet, nous dispensera d'insister sur le con-

traste. En moins de trois mois, notre malade a gagné 30 kilogr., c'est-à-

dire a doublé son poids et acquis un embonpoint très enviable. La peau a

repris sa coloration, ses propriétés et ses fonctions; l'alopécie n'existe plus;

le tissu cellulo-adipeux' s'est amplement garni de graisse ; les méplats et

les reliefs osseux ont disparu ; bref, la morphologie du corps est devenue

normale. La transforma lion physique est aujourd'hui tellement grande

que la malade est tout à fait méconnaissable. Les forces et la vigueur ont

augmenté en proportion directe.-

D'ailleurs l'état mental a subi une transformation parallèle. Les idées

délirantes de culpabilité et de damnation n'existent plus. La malade se les

rappelle nettement, et en comprend l'inanité. Toute trace de délire reli-

gieux s'est effacée. Son intelligence est'redevenue absolument normale.

En résumé, physiquement et psychiquement notre malade ne présente

aucune espèce de trouble. On peut la considérer comme guérie de tous

ses accidents.

Du 25 juillet au 15 août elle est reprise de quelques vomissements. Le

15 août, on lui prescrit un peu de glace en lui présentant ce remède comme

infaillible. Les vomissements cessent du premier coup. Ils n'out pas re-

DÉLIRE DE MAIGREUR CHEZ UNE HYSTÉRIQUE 335

paru depuis, el, au point de vue physique et moral, son état ne laisse rien

a désirer.

III

Tels sont, les principaux détails de cette longue histoire. On nous con-

cédera que notre malade, encore qu'elle ne présente pas de stigmates sen-

sitivo-sensoriels actuels, est une véritable hystérique. L'existence anté-

rieure d'attaques syncopales et d'une fausse coxalgie suffirait à le prouver.

D'autre part, il suffit de lire l'évolution des accidents, leur guérison brus-

que, leur retour inopiné, pour être convaincu que tout, chez elle, est

d'origine hystérique.

Du reste, l'étude du cas, au point de vue psychologique, est bien pro-

pre à lever tous les doutes. Elle éclaire d'une manière saisissante l'origine

et la filiation des phénomènes.

Une fillette de 9 ans, prédisposée par son hérédité, tombe un jour ac-

cidentellement sur sa hanche droite. Il s'ensuit un gonflement douloureux

qui ne tarde pas à guérir, mais qui laisse à sa place, suivant [un méca-

nisme bien connu, une hyperalgésie d'ordre psychique. Cette hyperalgé-

sie par idée fixe persiste pendant dix ans. A certains moments, elle surgi L

dans la conscience, devient très vive et, par association d'idées, entraine

des troubles divers : ballonnement du ventre et vomissements ou bien

angoisse et crises syncopales, etc. A l'origine on commet une erreur de

diagnostic, d'ailleurs très excusable, on dit coxalgie et on prescrit un

traitement approprié. Plus tard, lorsque les accidents graves surviennent,

par suite de l'erreur originelle, on songe à un abcès ossifluent et à une

péritonite de voisinage. Si l'état général l'eut permis, on eut même pra-

tiqué la laparotomie.

L'apparition et l'enchaînement de tous ces troubles, consécutivement à

l'hyperesthésie de la hanche, sont en somme assez faciles à concevoir et à

supposer. Ce n'est qu'un nouvel exemple d'hystérie simulatrice de la

coxalgie, de la péritonite, etc. Il serait plus intéressant de saisir le méca-

nisme qui a présidé à l'association de toutes ces idées. Il est vraisemblable

que le diagnostic du médecin, ses questions, son exploration, son traite-

ment, etc., n'ont pas été sans inlluence. Malheureusement la malade, à

l'état de veille, n'en sait rien. Nous n'avons pu, d'autre part, connaître ses

idées subconscientes. Etant donné la docilité parfaite de la malade, nous

n'avons pas, les premiers jours, provoqué le somnambulisme. Et plus lard

nos tentatives n'ont pas réussi, sans doute parce qu'elle était guérie. Nous

verrons tout il l'heure comment on peut rattachera « sa manie de la han-

che » il son idée fixe de maigrir.

336 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.

L'origine de cette idée est très facile à comprendre.

Julie, vers Page de 13 ou 14 ans, est l'objet de quelques railleries et de

quelques quolibets touchant son léger embonpoint. Dans l'état d'épuise-

ment nerveux où elle se trouvait et [qu'entretenaient son hyperalgésie et

quelques attaques, le désir de maigrir devait naître dans son esprit, afin d'é-

viter les allusions de ses camarades. Elle était au surplus assez coquette.

Pour réaliser ce désir, le moyen le plus sûr et le plus simple était ou de

ne pas manger ou de vomir ce qu'elle avait ingéré. C'est en effet l'idée

qui lui vint et tels furent les moyens qu'elle mit en oeuvre. Ce fut bientôt

une idée fixe.

Durant deux ou trois ans, ce désir de maigrir resta relativement latent.

Mais lorsque seize ans arrivèrent, l'âge par excellence de la coquetterie,

les railleries de ses amies devinrent pénibles et très désagréables. Elle

voulut maigrir il tout prix. Elle refusa systématiquement due manger et ne

tarda pas il vomir. Elle maigrit d'une manière effrayante, il tel point qu'elle

fut deux ou trois fois sur le point de mourir. Une première fois, dans un

accès d'exaltation religieuse, elle fut subitement guérie par l'ingestion de

deux cuillerées d'eau de Lourdes. Une seconde fois, la Vierge resta sourde

à ses prières. Alors, se croyant abandonnée de la Vierge, elle chercha la

raison de cet abandon : « Elle était une grande coupable, elle avaitfait une

série de confessions et de communions sacrilèges et commis une infinité

de péchés mortels. La Vierge l'avait trouvée indigne de pardon et de gué-

rison. Elle mourrait donc en état de péché mortel, elle serait damnée. »

Tout, jusqu'aux idées de culpabilité et de damnation, s'enchaîne logi-

quement dans ce délire.

Quels sont les liens qui rattachent ce délire de maigreur à l'hyperalgé-

sie de la hanche par idée fixe ? A seize ans, lorsque l'idée de maigrir devint

obsédante et envahit complètement le cerveau, nous avons vu que le début

avait été marqué par un retour de la douleur de la hanche, suivi aussitôt

d'attaque syncopale. L'hyperalgésie était tellement exquise que le contact

du corset devint intolérable. Le corset fut supprimé. Et comme sans corset,

déclare-t-elle, elle paraissait encore plus grosse, le désir de maigrir repa-

rut plus impérieux.

En somme, il est possible de retrouver derrière chaque épisode l'idée

qui l'a déterminé, de relier les uns aux autres les divers anneaux de cette

chaîne et d'en faire un système ininterrompu. Il nous semble superflu d'in-

sister davantage sur ce point.

Nous désirons, en terminant, appeler l'attention sur un autre côté de

cette curieuse observa lion, à savoir sur la rapidité du relour il l'embon-

DÉLIRE DE MAIGREUR CHEZ UN II1STÉItIQUE 337

point primitif. En moins de trois mois, la malade a augmenté de 30 ki-

logr. C'est là un chiffre très éloquent par lui-même. On ne voit pas, pen-

dant ou après la convalescence des maladies organiques débilitantes, les

sujets augmenter de poids avec tant de rapidité. Les hystériques seuls

semblent capables de si brusques retours. Pourquoi la nutrition chez eux

peut-elle subir des variations si grandes en si peu de temps ? Après une

maladie organique, l'influence du système nerveux sur la nutrition géné-

rale s'exerce lentement et inconsciemment. Sans doute, chez l'hystérique,

cette influence trophique est activée par l'idée de grossir et, dans ces con-

ditions, produit rapidement des résultats merveilleux.

Cette rapidité de la restitutio ad integrum n'a d'analogue que la rapidité

de l'amaigrissement. Sous l'influence d'une idée fixe, d'un délire d'inani-

tion, on voit l'hystérique maigrir avec une facilité extraordinaire et arri-

ver ainsi, en peu de temps, au marasme et à la consomption. Il n'est même

pas exceptionnel que le dépérissement physique ne dépasse les dernières

limites. Ces limites, variables suivant chaque individu, une fois dépassées,

la mort est fatale. Lorsque chez l'animal l'émaciation progressive dépasse

les 6/10 du poids initial, la mort paraît immanquable. Il en est vraisembla-

blement de même chez l'homme. Quelque vive que soit alors l'idée de gué-

rir et d'engraisser de nouveau, il est trop tard ; les limites sont dépassées.

Et la mort s'ensuit inévitablement.

Ainsi moururent quatre malades dont parle Charcot (1) ; ainsi mourut

cette malade de P. Janet (2), pour avoir trop rêvé « aux vilains navets de

la pension »; ainsi sont morts hien d'autres hystériques anorexiques. Les

exemples en sont malheureusement trop fréquents. Fort heureusement,

dans notre cas, le dépérissement n'a pas dépassé les limites permises ; il a

cependant été assez loin pour montrer jusqu'où peut aller le délire de

maigreur. 1

E. Brissaud

Professeur agrégé, médecin de l'Hôpital

Saint-Antoine.

. A. SOUQUES.

Chef de clinique des maladies du

système nerveux.

(1) Charcot, Leçons sur les mal. du syst. nerv., t. III.

(2) P. Etat mental des hystériques (l31bliol. Charcot Debove, p. 24li).

LE NERF LABYRINTIIIQUE

Nous laisserons de côté la partie purement topographique de l'anatomie

du nerf labyrinthique, pour nous attacher à la recherche de sa significa-

tion morphogénique et de sa définition physiogénique établies sur plu-

sieurs homologations avec d'autres appareils nerveux mieux connus.

Beaucoup des faits que nous allons rapporter sont assez peu répandus pour

n'avoir pu encore être exploités sous une orientation de recherche systé-

matique ; certains de nos procédés d'homologation sont assez spéciaux pour

paraître spécieux tout d'abord ; cependant l'exposé que nous allons tenter

de résumer méthodiquement louche en réalité aux questions les plus ins-

tantes de la physiologie nerveuse et en particulier à celle encore si défec-

tueusement posée du sens musculaire et de la psychomotricité.

Les données les plus récentes de l'embryogénie comparée des nerfs crâ-

niens, dues aux travaux parfois contradictoires de llis (1), Gegenhaur,

J. Beard (2), Allis (3), Howard Avers (4), Dohrn (5), Froriep (G), Kupf-

fer (7), Van Wijhe (8), 0. IIertwig (9), et particulièrement de l'réc1. llous-

say (10) établissent l'homodynamie des ganglions de la ligne latérale et

(1) His, Zur Entwicklungsgeschichte des acustico-facial Gcbietes beim Menschen.

Arch. f. Anal. und. l'hys., 1891.

(2) J. Bemru, On the segmentai sensé organs of the lateral Line, etc. Zool. An ?

1884. -On the cranial ganglia and the segmentai sense organs of Fishes, id., 1885. -

The system of branchial sense organs and their associated ganglia in Ichthyopsida.

Qzrart. Journ. of ? nie ? ,. se., 1885. - The Development of the peripheral Nervous syst. of

verteb., id. 1888.

(3) ALLIS, The Anatomy and Developm. of the latéral Line system in Amia Calva,

J. blorphol., 1890.

(4) IIowaru-Ayers, The Ear of man, its past, its present, its future. lVood's Iloll Biol.

Lect., 1890. The vertebrate Ear, J. of Dlorphol.. May. 1892.

(5) DOIIRN, Beurtheilung der Metamerie des Kopfes, Dlitltheil. Zool SI. Naples, 1890.

(6) Froriep, Zur Entwicklung de Kopfnerven. Verlzandl. Anal. Gesell. 1891. Zur

Frage der sogenannten Neuromérie, id., Vienne 1882.

fi) Kupspch, Die Entwicklung der Kopfnerven der Vertebraten, Verhandl. anal. Ge-

sellsch, Munich. 1882.

(8) VA ? Wniin, Uber die Mesodermsegmente und die Entwicklung der Nerven des Se-

lachier-Kopfes, Verltandl d. K. Anal. wis., Amsterdam, 1892.

(9) O. Ilewrwrc, Tr. d'Embryologie. (Trad. Julin.) 1891.

(10) FR EU. iloussay. Etudes d'embryologie sur l'axolotl., Compl. Rend., 1885 ; Fente

branchiale auditive, Soc. de Biol., 18 juin 1890; Etudes d'embryologie sur les vertébrés

Arch. de Zool. exp. 1890 ; id ? l3ullelizz scientifique de la France el de la Belgique (1891);

LE NERF LABYRINTHIQUE 339

nous permettent d'attribuer aux papilles labyrinthiques et au nerf qui les

unit aux centres une signification morphologique assez correctement définie;

d'autre part les recherches d'Edinger, (1) les derniers travaux de Koelli-

ter (2) et surtout de Bechterew (3), enfin l'application de la méthode de

Golgi et des idées de Ramon y Cajal dans l'étude des fibres du nerf cochléaire

par Hans Ileld (4), ont complété les connaissances extrêmement confuses

que nous possédions sur les voies centrales du nerf labyrinthique par un

ensemble de données assez exactes pour nous autoriser à composer un

schéma que nous ne ferons que décrire. Qu'il nous soit permis d'ajouter

à ces résultats concrets nos interprétations particulières des images que

véhiculent les conducteurs labyrinthiques, des fonctions des papilles et

des noyaux et enfin une homologation assez complète des conducteurs et

noyaux labyrinthiques avec ceux d'une racine spinale postérieure.

I

Signification morphogénique.

Trois cordons neurodermiques dorsaux, le médullaire, qui est im-

pair et médian, le neural (intermédiaire de Dis), et le latéral (IIoussay),

qui sont pairs, se développent simultanément dans le sens longitudi-

nal au début de la vie embryonnaire. Survient la segmentation métamé-

rique transversale. Le ruban médullaire, devenu gouttière et tube médul-

laire, reste indivis, mais prend, surtout dans la région céphalique, un

aspect moniliforme qui donne la série des dilatations cérébrales succes-

sives, et plus bas les ttetlrototltes médullaires (Houssay). Le ruban neural

est fragmenté clans toute sa longueur et fournit la rangée de ganglions

neuraux, qui sont les spinaux dans le tronc et d'après Houssay s'efface-

raient dans le segment céphalique devant la prédominance d'autres for-

mations ganglionnaires. Nous verrons qu'au moins pour le métamère

auriculaire, on retrouve la signification du ganglion spinal dans le gan-

glion de Scarpa=Corti. Le ruban latéral se fragmente aussi, mais très iné-

galement. Dans la région céphalique ou branchiale, il forme les ganglions

latéraux, qui sonl les ganglions crâniens ; au delà il reste indivis et

continue à s'appeler nerf lalérrtl (Houssay). Sur ce nerf latéral se montrent

cependant, chez beaucoup de vertébrés inférieurs et d'embryons, les traces

très nettes d'une neurotomie latérale, restée virtuelle comme celle de la

Signification m5tamnrique des organes latéraux, Arch. de Zool. exp., 1891. Voir égale-

ment. Notice sur ses travaux scientifiques, Paris, 1894.

(1) EDir;c.Eii, Anatomie des centres nerveux, 18S9. Trad. Siraud.

(2) Iv`n.r.n;ea, /7and&;/e/t der Gewebeleltre des Mensch., 1893.

(3) 131-,ClITI.11] : NV, Provodiachlchié pouli mozga, Kazan, 1893.

(4) Haxs Un.)), Die centrale GehoerIeiLung, Arch. f. Anal, und Physiol., 111, 1890.

310 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

moelle, et qui n'est manifestée que par l'apparition d'organes sensoriels

latéraux et de branches vasculaires répétant le type de la région bran-

chiale. -

Beard, Allis, Ayers, Dohrn et Houssay ont montré que morphogéni-

quement l'oreille du vertébré est un organe sensoriel de la ligne latérale ;

de plus, Houssay a signalé chez l'axolotl l'esquisse d'une évagination

branchiale entoclermique qui avorte sous l'expansion rapide du ganglion

latéral auriculaire. Celui-ci s'interpose entre l'invagination ectodermique,

antérieure* à la vésicule auriculaire, et l'évagination entodermique cor-

respondante ; de telle sorte que la branchie ne s'y ouvre pas et que l'o-

reille interne trouve ainsi la place d'une l'ente branchiale avortée, comme

tous les organes de la ligne latérale. Si l'on se reporte à ce que cet auteur

a décrit de la fente branchiale cristallo-hypopliisaire que l'interposition

rétinienne empêche également de s'ouvrir, on voit que nous ne pouvons

considérer la fossette et la vésicule auditives comme homologues du cris-

tallin de l'oeil, car elles apparaissent après t'avortement de la branchie.

Au surplus, le mode de développement des deux organes est tout à fait

différent. Quant à l'évagination ectodermique, elle ne fait que s'esquisser

chez l'axolotl.

Nous avons montré ailleurs (1) que pliysiolo(si(luemeii L, l'oreille de l'hom-

me n'avait fait que développer d'une façon extraordinaire les fonctions

simples des organes latéraux dans un plan qui n'a aucunement dévié de

la destination générale de toutes les formations auriculaires et préauricu-

laires. L'oreille interne est donc une formation ectodermique homologue Il

tous les organites sensoriels de la ligne latérale. C'esl, non une hranchie

avortée, mais une vésicule formée par l'invagination et t'enkystement de

l'épiblaste sensoriel localement amplifié.

Si, comme l'admet Houssay, les ganglions crâniens, olfactif ciliaire,

trijumeau, faciaux, auriculaire, glossopharyngien et vagues, n'ont rien de

commun avec les ganglions spinaux des racines postérieures, issus du ru-

ban intermédiaire ou neural, et comme nous devons retrouver dans la tète

les homologues des ganglions spinaux pour expliquer les analogies remar-

quables qui existeront par la suite entre le nerf labyrinthique et une ra-

cine spinale postérieure, comme d'autre part la fossette ectodermique auri-

culaire s'accole de près au tube ectodermique médullaire, il nous semble

nécessaire de rechercher entre ces deux invaginations épiblastiques com-

mentseront représentés, même virtuellement, le ganglion spinal du tronc,

le ganglion latéral crânien, les rameaux supra, pra) et posthranchiaux.

Nous pensons que la masse ganglionnaire comprimée entre le tube mé-

(1) P. BONNIEII, Le sens auriculaire de l'espace, Th. de Paris, mai 1890.

LE NEItr LAB7RINTIIIQUE 357

l71ante, dues il la propagation d'ondes alternativement dilatautes et con-

densantes.

Sans entrer dans de trop complexes exposés physiologiques qui exige-

raient l'étude du fonctionnement et des fondions de toutes les formations

inertes de l'oreille humaine, nous nous bornerons il énumérer les diverses

formes de deux grandes fonctions des papilles labyrinthiques, telles que

des recherches encore personnelles et isolées nous ont conduit à les for-

muler.

1° Les crêtes ampullaires, par la combinaison de leurs analyses, nous

fournissent les notions d'altitude et de variations d'altitude du segment

céphalique, avec le sens, la durée et la vitesse de ses déplacements. C'est

l'orientation subjective directe. Cette fonction est en elfet purement sub-

jective dans son analyse, et ses appréciations n'ont aucune base objective.

Elle fournit des images d'attitude et de mouvement dans un espace qui

n'a aucune signification objective, aucun aspect sensoriel.

2° La macule utriculaire nous renseigne sur la tension et les variétés

de tension des liquides labyrinthiques et endocraniens, qui sont commu-

niquants. Fonctions manoesthésiques.

3° Elle nous indique également les variations de tension dues aux va-

riations de la pression du milieu ambiant, et spécialement aux variations

lentes. Fonctions bai,esthésiqites.

4° La macule sacculaire permet, comme les macules otocystiques, d'ap-

précier l'incidence des ébranlements communiqués; elle fournit les ima-

ges de localisation objective et d'extériorisation. C'est l'orientation objec-

tive.

5° Le tympan sphérique qui la recouvre la rend accessible aux variations

rapides de pression extérieure, tels que les ébranlements, qu'elle perçoit

de façon analytique, en tant qu'ébranlements. Fonctions séisestlcésiyrces.

6° La papille cochléaire perçoit ces mêmes ébranlements; elle les classe

non plus, comme le saccule, selon la rapidité de leur succession, mais se-

lon l'acuité de la sensation tonale dont cette papille spirale est le siège

dès que les ébranlements se succèdent avec une certaine rapidité. Fondions

auditives.

7° Toutes les papilles recouvertes de formations inertes, et spécialement

d'otolithes, sont sensibles aux trépidations communiquées à l'inertie de

celles-ci par la paroi osseuse sous-jacenle. Fondions sismesthésiques.

8° Enfin nous pouvons ajouter du'il l'orientation objective, qui nous

permet de définir l'espace ébranlé par rapport à nous, correspond, par

renversement, l'orientation, subjective indirecte qui nous permet de définir

notre position dans un espace objectivement connu. C'est donc encore une

fonction auriculaire.

vu 24

358 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Cherchons les centres et conducteurs utilisés par chaque fonction.

1° Papilles aHMet ! ? ? L'onextatto subjective directe commande un

grand nombre de fonctions réflexes et volontaires.

a) On conçoit que l'analyse des variations d'attitude du segment cépha-

lique intervienne tout d'abord dans l'appropriation motrice des efforts qui

maintiennent ou font varier d'une façon inconsciente ou consciente cette

attitude céphalique, et qu'elle régisse secondairement la coordination des

efforts moteurs élémentaires destinés il réaliser ou à faire varier cette atti-

tude. Le nerf vestitulaire et ses noyaux ne manquent pas de correspondants

cérébelleux qui peuvent présider à la coordination et il l'appropriation

. Fig. 93.

LE NERF LABYRINTHIQUE 359

simplement réflexe; quand le maintien ou la variation d'attitude céphali-

que est volontaire, l'excitation part des images d'attitude céphalique que

nous devons localiser au niveau des centres moteurs de la tête.

b) L'attitude de la tête joue un rôle considérable dans l'équilibration

inconsciente ou consciente. Dans l'attitude debout, la tête est le point le

plus éloigné de la base de sustentation et mesure les oscillations de l'axe

du corps autour de la verticale.

L'étude de la signification du signe de Bomberg (1) nous permettra d'ex-

poser brièvement le mécanisme de l'équilibration ( Fig. 93).

Trois grandes sources d'informations périphériques forment le système

d'investigation sur lequel est étayée l'équilibration consciente ou incons-

ciente. C'est d'abord la vue, qui nous montre les objets variant de distri-

bution perspective à chaque déplacement de la tête. Dans la recherche du

signe de Romberg, la vue est supprimée. Il reste l'orientation subjective

directe, qui fournit les images d'attitude du segment céphalique et par suite

celles du corps entier quand il observe une certaine rigidité, et d'autre

part le sens des attitudes segmentaires du reste du corps, tronc et membres,

que l'on a souvent appelé sens musculaire, bien que peu de nos organes

soient aussi profondément ignorés de notre conscience que le muscle. Ces

attitudes segmentaires sont révélées par la tactilité péri-articulaire et

tégumentaire, en tant que localisation tactile.

L'orientation vestibulaire exige l'intégrité des conducteurs et noyaux

des nerfs ampullaires ; le sens des attitudes segmentaires dépend de celle

des cordons postérieurs de la moelle et des noyaux correspondants. Sui-

vant que l'un ou l'autre, ou l'un et l'autre de ces appareils d'orientation

segmentaire se trouve lésé, irrité, faussé ou supprimé, le signe de Romberg

prend des caractères différents.

L'ataxique dont les cordons postérieurs sont atteints et dont le nerf ves-

tibulaire est sauf, sent parfaitement les oscillations autour de la verticale

et cherche à rectifier l'attitude aussitôt qu'elle varie. Mais il cherche les

mouvements de ses jambes comme l'aphasique cherche l'articulation de ses

mots. Il ne sait où les prendre, ses gestes incohérents trahissent l'incoordi-

nation motrice due non à un trouble de motricité, mais à des erreurs d'ap-

propriation, qui, elles, sont dues à l'absence où à la viciation des images

d'attitudes segmentaires. Si l'on a pu dire plaisamment d'un boiteux « qu'il

louchait un peu d'une jambe », nous dirons de notre ataxique qu'il bégaie

des deux. Il jette ses jambes à la rencontre des attitudes segmentaires que

son labyrinthe- intact lui révélera comme pouvant réaliser son équilibration

générale. D'autre part, l'ataxique dont le nerf labyrinthique est en plus

(1) P. l3owcEn, Syndrome de Ménière, Signe de Homberg et agoraphobie dans la

maladie de l3right. Progrès médical, 1893.

360 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

étranglé de sclérose, tombe sans même s'en douter. C'est le signe de Itom-

berg complet. Le malade n'a pas le besoin de rectifier une attitude qu'il

n'a même pas senti se fausser.

Chez le sourd-muet (James et Aloys Kreidl) dont le labyrinthe est si

souvent atteint dans sa totalité, et chez bon nombre de nos brightiques

ou néphrasthéniques (1), dont l'appareil vestibulaire était hors d'étal de

compenser les transsudations exagérées ou les paroxysmes neurovascu-

laires, le signe de Romberg est tout différent, que l'appareil d'orientation

subjective soit lésé dans l'organe périphérique, ou clans ses conducteurs,

ou clans ses noyaux cérébelleux ou cérébraux (2). Le malade ne sent plus, les

yeux fermés, son manque d'équilibre, que par le sens articulaire du mem-

bre inférieur, son labyrinthe le trompe sans cesse ou ne l'avertit plus.

S'il est poussé en avant, ou s'il s'y sent illusoirement poussé, ses gastro-

cnémiens se contractent, le talon se lève, etc. ; les mouvements des pieds

n'ont aucunement les caractères outrés de ceux de l'ataxique. Il cherche

son équilibre qu'il a perdu ou cru perdre comme on le cherche sur des

échasses, par petits mouvements tendant il placer la base de sustentation

sous le centre de gravité qui varie ou semble varier de position. C'est le

sens des attitudes segmentaires qui seul fournit les images d'attitude to-

tale correctes et régit l'équilibration dans sa motricité. L'homme ivre

dont l'encéphale et le labyrinthe sont congestionnés et en rupture de

compensation, a des illusions d'attitude pouvant aller jusqu'à l'impulsion,

et qu'il cherche à corriger avec une grande logique. L'incohérence des

mouvements dans la marche et l'attitude ébrieuses n'est qu'apparente.

L'ivrogne titube parcequ'il est sans cesse à la recherche d'un équilibre

perdu ou senti perdu. Sa titubation est parfaitement correcte et légitime.

Mais son point de départ est une illusion sensorielle qui la fait paraître

incohérente.

Cette équilibration est avant tout consciente et volontaire, bien que

notre attention ne s'y fixe que rarement. Si l'on considère que les images

d'attitudes sont indispensables à la motricité volontaire, et que ce qui est

conscient dans la motricité volontaire, c'est l'attitude et non l'acte mus-

culaire, c'est la volonté de maintenir, de faire varier une attitude actuelle

ou d'en réaliser une imaginaire, on sera porté à regarder avec nous les

zones dites motrices comme purement sensorielles, mais régissant direc-

tement une motricité purement réflexe et inconsciente dans son exercice

intime, par une association d'automatismes organiquement coordonnés,

capables de réaliser autant d'attitudes segmentaires que nous pouvons en

(1) P. BO : 'iNlF.I1, Brightisme auriculaire (l3ull. de Soc. d'Olologie de Pans, juin 1892).

(2) Il en est naturellement ainsi de toute lésion intéressant l'appareil labyrinthique

périphérique ou central.

LE NERF LABYRINTHIQUE 36t

connaître ou en imaginer. La volonté motrice ne serait donc que le ré-

flexe moteur (1), issu d'une certaine faconde désirer une attitude ou un

changement d'attitude, c'est-à-dire un geste, par irritation spéciale des

zones sensorielles qui sont le siège des représentations d'attitudes, et tout

à fait comparable au réflexe issu non des centres, mais de la périphérie

sensorielle.

Le nerf vestibulaire des centres corticaux dans la pariétale ascendante,

dite zone motrice, et que le cerveau de Bertillon nous fait regarder comme

centre des images d'attitude céphalique. Bechterewy fait aboutir les fibres

issues du noyau des cordons grêles, provenant du cordon de Goll, véhicu-

lant les notions d'attitudes segmentaires du reste du corps. Les cas de

Dana et d'Allen Slarr (2) nous semblent confirmer cette interprétation.

D'autres importants faisceaux médullaires doivent également aboutir

aux zones dites motrices.

D'autre part, le cervelet, qui joue un grand rôle dans l'équilibration et

la coordination, reçoit également des fibres vestibulaires et médullaires

qui se donnent rendez-vous au vermis supérieur. Ces fibres nous semblent 1

devoir être physiologiquement homodynames.

De plus en plus la notion des images d'attitudes segmentaires, véhiculées

par le nerf ampullaire et les cordons postérieurs, pénètre comme un coin

.dans la question si obscure et si peu correctement posée du sens muscu-

laire ; et nous pensons qu'elle se substituera l'hypothèse si étroite de

Ferrier sur la valeur purement motrice des circonvolutions centrales.

Il serait facile de compléter ce que nous avons dit de l'appropriation

motrice aux fonctions d'équilibration par l'étude du rôle des images d'at-

titude segmentaire clans l'appropriation motrice et locomotrice en général.

Ce qui est conscient, dans le geste, c'est la variation d'attitude; c'est donc

une image d'espace et non de force. Celle-ci n'est appréciée qu'après l'ef-

fort lui-même.

c) Les variations d'attitude de la tète commandent des mouvements

compensateurs des globes oculaires; comme les troubles labyrinthiques

provoquent desréactionsoculomotrices quenousavons exposées ailleurs (3).

Dans le signe de Romberg l'incohérence labyrinthique se manifeste par

l'incohérence motrice des globes oculaires, livrés à différentes formes de

nystagmus que l'on constate derrière les paupières abaissées. L'oeil n'est

plus fixé par la vision et n'obéit qu'à l'ocnlomotricité réflexe issue des

noyaux labyrinthiques. De plus l'orientation visuelle objective repose sur

(1) La pariétale ascendante, Soc. de Biologie, 29 juin 1894.

(2) Communication à la Soc. de Neurologie, New-York, 2 octobre 1894 (V. Sem. mé-

dicale du 21 octobre).

(3) Réflexes auriculaires, Soc. d'Otologie de Paris, rév. 1S91, et Vertige, ltueff, éd.

3G3 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

la connaissance de l'attitude céphalique. C'est dans cette double adapta-

tion physiologique que nous pouvons utiliser les rapports du nerf vesti-

bulaire avec les noyaux bulbaires oculomoteurs et peut-être aussi avec la

région du pli courbe.

il) Enfin la continuité et la contiguïté qu'on ohserve entre le noyau in-

terne et les noyaux du glosso-pharyngien et du pneumogastrique expli-

quent surabondamment, par une simple application des lois de Pfliiger,

les irradiations de l'un à l'autre de ces noyaux, avec l'association si fré-

quente du vertige sous forme'd'imperception, de surperception, d'illusion

ou d'hallucination d'attitudes ou de mouvements, de la nausée, des palpi-

tations et d'autres phénomènes bulbaires du ressort du pneumogastrique,

glycosurie, polyurie, etc.

2° Papille utriculaire. - e) Nous avons montré ailleurs que le fonc-

tionnement normal des formations tympaniques de l'oreille interne et

moyenne exigeait un équilibre constant entre la pression intralabyrinthi-

que et endocrânienne, la pression de l'air tympanique et la pression at-

mosphérique. La papille utriculaire fournit les perceptions manoesthési-

dues indispensables à la régulation réflexe de ces tensions. Cette régulation

est avant tout affaire de vaso-motricité. Le centre vaso-moteur général, et

probablement les centres vaso-moteurs de l'oreille trouvés par M. Duval et

Laborde sont situés dans le bulbe à la hauteur de l'union du noyau in-

terne et du noyau glosso-pharyngien. Ce noyau, noyau central de Roller ou

central inférieur del3eclaterew, appartient au champ inférieur de la forma-

tion réticulée et se trouve en arrière des olives inférieures, sur le passage

du faisceau vestibulaire décrit par Bruce. Sa proximité d'un des noyaux

du nerf vestibulaire et ses rapports nécessaires avec l'appareil manomé-

trique, qui apprécie la variation de tension endolabyrintliique et endocrâ-

nienne d'un liquide qui n'est produit que par une transsudation liée à la

vasomotricité, nous porte à croire que le noyau interne est en rapports

avec le noyau vasomoteur et que ce noyau contient les centres manoes-

ihésiques de la régulation vasomotrice réflexe.

f) Les variations du rythme respiratoire et cardiaque qui accompagnent

les variations de tension doivent nous faire examiner les rapports possibles

entre les noyaux du nerf vestibulaire et les centres de pneumogastrique.

Nous ne connaissons pas le détail des voies conductrices dans l'intimité de

la masse grise complexe qui forme les noyaux juxtaposés de la VIIIe paire,

de la IXe et de la ? nous ne pouvons douter, encore d'après les lois de

Pllüger, que cette conductibilité n'existe et ne serve de voie réllexe de la

variation compensatrice du rythme respiratoire et circulatoire.

Mislawsky a décrit un noyau respiratoire, qu'Obeisteiner appelle le

noyau des colonnes antérieures. C'est un noyau moteur que les expérien-

LE NERF LABYRINTIIIQUE 363

ces de Mislawsky semblent faire présider a l'exercice du soufllet thoracique.

Ce novau est réuni au nucleus ambig1l11S du pneumogastrique par des

fibres qui s'associent en partie à celles du faisceau solitaire et remontent

avec elles (Bechterew).

3° Papille sacculaire. - g) Les perceptions sismesthésiques, purement

tactiles, auront leur centre dans la zone pariétale avec les autres percep-

tions de même ordre. De même les perceptions seiseslhésiques qui sont

localisables, etprésident aux perceptions d'orientation objective.

4° Papille cochléaire. h) Les centres auditifs ont été localisés dans

les deux premières temporales; le cerveau de A. Bertillon montre que

c'est surtout dans la première qu'il faut les chercher. Les perceptions

cochléaires parviennent au lobe temporal peut-être directement si l'on

accepte les voies douteuses des stries acoustiques, mais sûrement par l'in-

termédiaire du noyau antérieur et du tubercule acoustique d'abord, et

aussi, par l'olive supérieure, l'anse latérale, le noyau du ruban de Reil,

le tubercule quadrijumeau postérieur et le corps genouillé interne. L'écorce

temporale perçoit le son sans le localiser ni l'extérioriser, l'orientation se

fait ailleurs. Elle semble élaborer les images de mémoire auditive, qu'elle

emmagasine. Les rapports avec les centres pariétaux de l'orientation et

les centres frontaux du langage sont assez mal connus.

i) Nous avons étudié ailleurs (Réflexes auriculaires) les voies réflexes

d'un grand nombre d'irradiations d'origine labyrinthique. Nous n'y insis-

terons plus ici. Nous ne ferons que rappeler ce point important :

Le nerf labyrinthique est l'homologue d'une racine spinale postérieure;

comme elle il véhicule les acquisitions d'une tactilité spéciale, qui fournit L

les images labyrinthiques que nous avons énumérées. Comme elle aussi il

apporte des notions d'attitude segmentaire indispensables à la locomotricité

et à l'appropriation motrice réllexe ou volontaire de l'équilibration. Il

commande en oulre d'importants réflexes de régulation circulatoire et

respiratoire, et d'accommodation oculomotrice.

Pierre BONNIER.

DEUX CAS DE SYNDROME DE WEBER

Charcot, en 1891, a proposé de donner le nom de Syndrome de Weber à

la paralysie alterne de l'oculo-moteur commun d'un côté du corps, et des

membres et du facial inférieur de l'autre. C'est en effet Weber qui a publié

en 1803 la première observation typique de ce syndrome. Mayor, 15 ans

plus tard, en rapporta un fait absolument analogue. Du reste, dans les leçons

de Charcot, on peut retrouver les indicationsd'observationssemblables(mais

plus ou moins complètes), publiées antérieurement ou postérieurement au

travail de Weber. Tantôt il s'agit d'hémiplégie vulgaire due à une lésion pé-

donculaire, mais sans participation de l'oculo-moteur, comme dans les faits

d'Andral, Gintrac et Duchêne; tantôt c'est bien le syndrome de Weber

complet, mais il s'y ajoute des phénomènes indépendants du foyer pédon-

culaire qui enlèvent, à ces faits la netteté désirable (1).

Il est juste de faire remarquer qu'avant Weber, Gubler avait décrit des

faits de ce genre sous le nom de paralysies alternes supérieures, et, à pro-

pos du cas caractéristique de Luton, avait déterminé le siège anatomique

de ce syndrome. « Etant donné, disait-il, une paralysie du moteur ocu-

laire commun gauche avec une hémiplégie totale droite, on devra diagnos-

tiquer une lésion du pédoncule cérébral gauche. » Ce point d'historique,

comme du reste la pathologie du pédoncule, est complètement étudié dans

le récent travail de d'lstros (2).

En raison de la rareté des faits de ce genre, les deux observations sui-

vantes nous ont paru dignes d'être rapportées ici.

uns. I. - Antoinette Pas..., Agée de 27 ans, couturière, entre le 7 novem-

bre 1893, salle Duchenne (le Boulogne, dans le service de M. Brissaud.

Sa maladie a débuté il y a 2 ans 1/2 par une céphalée généralisée qui a duré

deux ans et qui. durant quelques mois, a été tellement atroce qu'elle a produit

une insomnie complète. En janvier 1893, cette céphalée persistant encore, la

malade a été prise de névralgie du trijumeau droit, avec points douloureux au

niveau des dents, de la narine et de l'oeil. Bientôt est survenue, d'abord dans

(1) Nous rappellerons que le syndrome des Benedickt correspond à des faits analogues,

mais dans ce syndrome l'hémiplégie est remplacée par l'hémilremblelllenl.

(2) D'Aslros : Pathologie du pédoncule cérébral. Revue de Médecine, 1891.

NOUV, ICONOGR. DE LA SALPÊTRIÈRE T Vif. PL. XLIII & XLIV

DEUX CAS DE SYNDROME DE WEBER

L. BATTAILLE ET C"

DEUX cas DE syndrome DE WEBER 365

l'oeil droit et puis dans l'oeil gauche, une amblyopie. Cette amblyopie progressive

a abouti, en 3 mois, il une amaurose de l'oeil droit.

Il y a un mois (octobre 1893), elle a ressenti durant quelques jours des dou-

leurs dans les membres du côté gauche, bientôt suivies de paralysie de ce côté.

Cette hémiplégie gauche s'est faite sans perte de connaissance et progressivement

dans l'espace de huit jours. Le membre inférieur est resté paralysé quelques

jours seulement et ensuite a repris ses mouvements peu à peu. Le membre su-

périeur, au contraire, est toujours resté entièrement et complètement paralysé.

En même temps que cette hémiplégie, est survenue une paralysie de la troi-

sième paire droite (strabisme externe et ptosis incomplet remarqués par la malade).

Actuellement (9 novembre 1893) on constate le syndrome de Weber classique :

paralysie totale et complète du moteur oculaire commun droit et hémiplégie

vulgaire du côté gauche

1° Au point de vue hémiplégie, le facial inférieur gauche est intéressé ; la

langue est tirée du côté paralysé, l'occlusion isolée do l'oeil gauche est impossible.

Le membre supérieur gauche est totalement paralysé ; les doigts, la main,

l'avant-bras et le bras sont tout à l'ait immobiles. Il est flasque, mais en immi-

nence de contracture ; les réflexes olécrftnien et carpien sont exagérés.

Quant au membre inférieur correspondant, il est simplement parésié et la

malade s'en sert convenablement. Le réflexe rotulien est très exagéré mais sans

trépidation spinale. Du reste, le réflexe rotulien du côté droit est également

exalté. Malgré cette intégrité relative, la station debout et la marche sans aide

sont impossibles; la malade est instable et ne peut rester en équilibre ; elle se

sent incliner vers le côté gauche, au point de tomber, si on ne la retient pas.

Quand elle marche, elle traîne la jambe, mais ne penche pas. On note enfin une

Ieérailchoesfleésae anclae, pour tous les modes de la sensibilité.

Au membre supérieur, il y a une légère atrophie musculaire en masse. Le

périmètre donne les chiffres suivants, pris au bras il 15 centimètres au-dessus

de l'olécrane et à 8 centimètres au-dessous à l'avant bras.

Bras gaucho = 18 cent. Avant bras gauche = 16 cent.

Bras droit = 20 cent. 1/2 Avant bras droit t = 18

Il n'y a pas d'autres troubles trophiques ni vaso-moteurs appréciables.

2° Du côté des yeux, il y a paralysie complète et totale de la troisième paire

du coté droit. La déviation du globe oculaire est très apparente. La paupière

est un peu abaissée : la pupille dilatée ne réagit point. Il y a en outre atrophie

de la papille et névrite ancienne (contours irréguliers et vaisseaux amincis).

Impossibilité des mouvements d'adduction, d'élévation et d'abaissement. La

vision est abolie dans cet oeil, sauf pour la lumière.

Dans l'oeil gauche, il n'y a aucune paralysie du mouvement; sa situation est

normale. La pupille est un peu dilatée mais réagit normalement. Il y a égale-

ment atrophie .par névrite delà papille et même aspect ophthalmoscopillue qu'à

droite. L'acuité visuelle est simplement diminuée.

3° Comme troubles accessoires, il faut signaler une certaine torpeur de l'in-

telligence et de la mémoire et des rires spasmodiques très faciles. La voix est

un peu monotone et scandée, comme dans la sclérose en plaques.

366 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Les réservoirs sont intacts. Le coeur et le poumon ne présentent aucun bruit

morbide. L'état général est très satisfaisant.

29 décembre. La malade est prise d'hémiparalgsie droite du voile du pa-

lais : Les liquides reviennent par les narines, la voix est nasonnée. La luette

est déviée vers la gauche et le voile asymétrique se soulève un peu moins bien

du côté droit que du côté gauche.

La contracture dans le côté hémiplégique s'est sensiblement accentuée. Le

ptosis de l'oeil droit est complet (PI. XLI1l). L'l1émihypoestl1ésie a disparu.

15 janvier 189. - Etoul1'ement et oppression. La voix, outre qu'elle est

toujours nasonnée, prend les caractères cunucoïdes de la voix de tête, comme

si le larynx était paralysé. Ces troubles durent quelques jours et disparaissent.

21' février. La paralysie du voile du palais s'est amendée. Les boissons ne

reviennent plus par le nez, mais la luette reste déviée. La voix est toujours

nasonnée et monotone.

La contracture hémiplégique est complète : exagération du réflexe et clonus

du pied gauche. '

21 mars. - La malade peut se lever seule de sa chaise, se tenir debout sans

menace de' chute. Elle marche dans la salle en s'appuyant aux lits : sans cet

appui; 'elle'oscille et menace dé tomber du côté gauche. Le ptosis est toujours

complet; eh dehors des vestiges de sa paralysie du voile, de ses troubles de la

voix'et de la vision, là malade ne' présente rien d'intéressant à signaler.

En résumé, cette femme présentait à son entrée le syndrome de Weber typi-

que, compliqué de troubles de la vision par névrile optique. Depuis son entrée,

sont survenus une paralysie du voile du palais et quelques phénomènes respi-

ratoires et laryngés très passagers. Le processus morbide n'est donc pas resté

stationnaire ; il a progressé. Dès le début, la malade fût soumise au traite-

ment.antisyphiiitiquè intensif : frictions et iodure de potassium. Les frictions

furent' cessées au bout' d'un mois. L'iodure de potassium (5 gr. par jour) a été

continué jusqu'à la fin du mois de mars, pendant cinq mois. Il semble donc,

malgré les caractères de la céphalée initiale, que la syphilis ne soit pas ici en

jeu. Du reste la malade n'en portait aucun stigmate et les antécédents étaient

muets à cet égard. Etant donné ses antécédents héréditaires, on devait songer à

la tuberculose ? Elle. cil en effet sept frères ou soeurs ; cinq sont morts de

tuberculose pulmonaire, à' l'âge adulte. Et elle a toujours habité avec eux en

famille.' La contagion a donc été possible et le diagnostic de lésion tuberculeuse

semblé vraisemblable,' sans être toutefois certain.

Ous. IL Rivo... Henri, âgé de, 21 ans se présente le 31 janvier 1894 à

la consultation du.mardi à la; Salpêtrière dans l'état suivant :

Il offre le tableau d'une. hémiplégie droite complète respectant le facial supé-

rieur. La paupière gauche tombante indique une paralysie du moteur oculaire

commun gauche qui, où le verra, est totale. Enfin il a de l'embarras do la parole.

Il suffi t : d\11l examen, très superficiel pour reconnaître là le syndrome de Weber

typique et le cas vaut la peine d'être étudié en détail (pli. XLIV).

Dans l'histoire du malade on ne trouve pas de traces de la maladie actuelle au-

DEUX CAS DE SYNDROME DE WEBER 367

delà du mois de novembre dernier (1893). A cette époque il eut de la diplopie

pour la première l'ois.

A la fin du mois de décembre il se plaignit de ne plus sentir ses trois derniers

doigts de la main droite ; ils étaient comme morts. La sensation do contact n'y

était plus bien nette ; puis la main est devenue comme violette. Pourtant il s'en

servait encore assez bien malgré l'engourdissement. Ce n'est que vers le 8 janvier

que sa main devint incapable de lui servir. Il continua pourtant de vaquer a

ses occupations. Il se contenta d'aller consulter à Beaujon où on lui prescrivit

des frictions au baume opodcldoch.

Le 15 janvier sa jambe droite se mit traîner; il disait à sa mère qu'il mar-

chait comme un homme ivre. Il marchait encore en boitant.

A cette époque il remarqua, dit-il, en se couchant le soir que son bras trem-

])lait. Cela se serait reproduit 2 ou 3 jours de suite.

Depuis le 24 janvier il ne peut plus rien faire. Il marche plus difficilement

et de plus sa parole s'est embarrassée.. Depuis quelques temps déjà il parlait

rarement.

Il n'a jamais ou de vomissements sauf après des quintes de toux.

Examen du malade à son entrée. Riv. Henri arrive en traînant la jambe

droite péniblement. Pendant la marche le pied droit est porté en avant avec une

certaine raideur. La jambe résiste peu aux mouvements provoqués.

L'avant-bras droit est fléchi à angle droit au devant de la poitrine et impotent.

Le membre supérieur droit est raide et résiste aux mouvements provoqués. La

main est beaucoup moins forte que celle du côté opposé.

Il s'agit d'une hémiplégie qui intéresse la face d'une façon très notable. L'a-

symétrie n'est pas manifeste au repos. Mais vient-on à faire parler ou à faire sou-

rire le malade, la commissure gaucho fonctionne seule. Par contre l'orbiculaire

est peu ou pas atteint. La langue est tirée droite, fait qui a son importance comme

nous le verrons dans la suite. La mobilité de la langue est intacte. Remarquons

en passant que l'asymétrie faciale est beaucoup moins nette quand le rire s'ac-

centue. L'hémiplégie n'était pas spasmodique à ce moment. Les réflexes tendi-

neux étaient égaux des 2 côtés il n'y avait pas de trépidation épileptoïdc. Il n'y

a pas non plus de troubles de la sensibilité du côté paralysé. Le contact y est

aussi bien perçu qu'à gauche. Pourtant peut-être la sensibilité à la douleur est-

elle légèrement diminuée il la main droite. Il n'existe pas non plus de troubles

subjectifs de la sensibilité, engourdissement ou autres.

Avec les symptômes précédents, ce qui frappait le plus dans l'aspect du ma-

lade était la paralysie du moteur oculaire commun gauche consistant en chute

de la paupière, mydriase; les mouvements du globe oculaire sont à peu près im-

possibles dans l'élévation, l'abaissement, l'adduction. L'abduction seule est possi-

ble et même permanente dans une certaine mesure. Il s'ensuit de la diplopie

également permanente et le malade pour éviter la sensation vertigineuse qui en

résulte ferme volontairement et complètement l'oeil gauche, de sorte qu'il se

présente l'oeil fermé tandis qu'en réalité le ptosis n'est pas complet. Pour cette

raison sans doute il n'y a pas d'élévation du sourcil gauche.

Riv. Henri malgré son air étonné, et la lenteur de ses mouvements, malgré

368 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

sa torpeur apparente, répond parfaitement bien aux questions posées. Il lit encore

très bien, dit sa mère qui l'accompagne, et c'est la sa principale distraction car

il s'ennuie beaucoup. Or il présente un embarras de parole absolument compa-

rable à celui d'un paralytique général, et tout d'abord on serait tenté d'en con-

clure à tort qu'il en a les troubles intellectuels.

En effet il parle lentement, bredouille tout en cherchant ses mots :

Il ne s'agit pas de logoplégie, nous l'avons vu, et cet embarras de parole doit-

être considéré comme un léger degré d'aphasie motrice :

La suite de l'observation le démontre.

1er février. Deux jours plus tard, on observait une aphasie motrice com-

plète et pure, avec cette particularité que le malade ne profère aucun son tout

en ayant conservé l'intelligence comme par le passé.

Il s'inquiète dans une certaine mesure de son état et ne veut pas rester à

l'hôpital. Il voit très bien ce qui se passe autour de lui, et parfois sourit à ce

qu'on lui dit. La motilité de la langue est toujours intacte.

3. La marche devient de plus en plus difficile et le malade perd facile-

ment l'équilibre. Actuellement il n'existe pas de troubles vasomoteurs. On a vu

qu'il y en aurait eu, au début, a la main.

7. Les jours suivants ces symptômes s'accentuent, la diplopie persistant

toujours, le malade s'alite. Pas de céphalée.

15. Tendance au gâtisme. Il y a eu pour la première fois de l'inconti-

nence d'urine. Depuis 4 ou 5 jours céphalée moins violente, sans prédomi-

nance d'un côté.

19. - Il gâte complètement ; pourtant il se fait toujours bien comprendre

de sa mère. Son état intellectuel est le même quoique avec moins d'inquiétude.

Les réflexes patellaires sont exagérés du côté droit; il y a de la trépidation.

Au membre supérieur ces réflexes sont impossibles à provoquer à cause de

la raideur ; l'avant-bras est contracturé en flexion absolument impotent tandis

que la jambe peut encore être élevée au dessus du plan du lit.

Examen des yeux par M. le Dr Koenig, que nous remercions de son obligean-

ce, à la date du 19 février.

« OEil gauche. La paupière supérieure recouvre en grande partie le globe

de l'oeil. Il n'y a aucun pli à la peau. Le sourcil est élevé. L'oeil est fixé on

dehors quand on sollicite les mouvements.

On constate que l'élévation, l'abaissement et l'adduction sont totalement per-

dus. Dans l'abduction l'oeil atteint sans difficulté la commissure externe.

La pnpille est très dilatée; elle réagit faiblement à la lumière. L'accommo-

dation est nulle. Il faut un verre convexe z 4 dioptries pour ramener p. p. à

0,25 centimes. L'acuité visuelle est normale. Pas de vice de réfraction.

OEil droit. - La paupière supérieure est un peu rétractée ; elle laisse a dé-

couvert le globe de l'oeil quand on provoque le regard en haut. Dans ce sens

les mouvements du globe sont limités ; dans les autres ils sont normaux.

La pupille droite réagit et ses dimensions sont normales.

Parésie de l'accommodation. Il faut un verre sphérique convexe -f- 2 D pour

ramener p. p. à 0,25. Pas d'anomalie de la réfraction. Acuité visuelle normale.

DEUX CAS DE SYNDROME DE WEBER 369

Pas de lésions du fond de l'oeil. Pas de rétrécissement du champ visuel ».

La déglutition déjà pénible depuis quelques jours est maintenant défectueuse.

Le malade avale quelquefois de travers quoique sans rejet par le nez. D'ailleurs

le voile du palais n'est pas tombant, et se relève bien quand on l'excite.

L'appétit est plutôt exagéré. Jamais de vomissements. Sueurs abondantes.

Quand le malade est arrivé il avait un peu de dyspnée : celle-ci a plutôt dimi-

nué sous l'influence des pointes de feu.

L'auscultation donne les renseignements suivants : Ramollissement des deux

sommets avec râle sous-crépitants abondants sous la clavicule gauche et dans

la fosse sus-épineuse droite. Dans cotte dernière région la respiration est souf-

llante, presque caverneuse.

La tuberculose pulmonaire dont il s'agit ici n'est pas un accident surajouté ;

on en jugera par les antécédents suivants :

Antécédents personnels. A l'âge de 2 ans le malade était chétif; il avait

des glandes dans les aines. « 11 reprit le dessus » vers 7 ans et se porta bien

jusqu'à 18 ans. Il aurait été accepté pour le service militaire à cet âge. Mais

l'année qui suivit il fut soigné pour l'anémie. 11 toussait même, mais « de la

gorge » dit la mère. Il avait des quintes de toux qui provoquaient des vo-

missements. Quoi qu'il en soit, à 19 ans, on le réforma, et il entra comme

commis dans une maison de quincaillerie. En outre il existe des traces éviden-

tes de tuberculose dans la famille, et qui plus est une tare nerveuse.

Antécédents htréditaires.-J1 ! ère : 57 ans bien portante.

Père : a eu une attaque d'apoplexie en 1870, suivie d'hémiplégie droite avec

aphasie au moins au début. Son fils, le malade actuel est né le 28 août 1872,

son père étant hémiplégique depuis 2 ans ; celui-ci est mort en 1878 gâteux à

St. Antoine (1).

Frères et Soeurs :

1. Frère mort il 18 ans de phtisie galopante.

2. Soeur bien portante. Il lui reste 2 enfants sur 6.

3. Soeur bien portante. 2 enfants vivants.

4. Frère un peu vif.

5. Soeur bien portante.

6. Soeur institutrice, restée nerveuse depuis une fièvre typhoïde.

7. Soeur institutrice.

8. Frère mort à 4 mois du carreau.

9. Le malade, conçu par un père hémiplégique âgé de 43 ans.

10. Frère né en 1875. A eu de l'incontinence nocturne d'urine disparue depuis

la puberté. Il a actuellement 19 ans.

Tels sont les détails de ces deux observations. Dans ces deux cas, il

s'agit du syndrome typique de Weber. La lésion principale intéresse le

pédoncule et le nerf de la 3e paire.

(1) Ainsi le fils a hérité de la tare cérébrale du père et, chose curieuse, il a eu son

hémiplégie du même côté.

370 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Dans la première observation, l'hémiplégie gauche et la paralysie du

moteur oculaire commun droit indiquent une lésion pédonculaire droite ;

dans la deuxième, c'est le pédoncule gauche qui est intéressé puisque ce

sont les membres du côté droit et le moteur oculaire commun gauche qui

sont paralysés. Cette localisation pédonculaire gauche, dans le second fait,

suffirait peut-être à expliquer l'existence de l'aphasie.

L'aphasie est rare dans le syndrome de Weber mais, fait digne de re-

marque, toutes les fois qu'on l'a constatée il s'agissait d'hémiplégie

droite. On ne l'a jamais vu eu effet coexister avec une hémiplégie gauche,

ce qui semble prouver qu'elle est occasionnée par la destruction du faisceau

de l'aphasie (Raymond et Artaud). Nous ferons remarquer cependant que

tous les auteurs ne sont pas d'accord sur l'interprétation de ces troubles

de la parole. La plupart ne voient pas là une aphasie véritable, mais de l'a-

narthrie ou de la dysarthrie. Or notre cas sérail en faveur de l'hypothèse

de Raymond et Artaud, puisqu'il ne peut pas être question de logoplégie,

le malade n'ayant aucune déviation de la langue et pouvant la mouvoir

dans tous les sens. Il est vrai qu'on pourrait supposer aussi, hypothèse

qu'avait soulevé notre maître M. Brissaud, une double localisation : un foyer

pédonculaire et un foyer cortical, ce dernier expliquant l'aphasie.

Dans l'observation I, nous ferons encore remarquer quelques phénomè-

nes surajoutés, tels que la névralgie faciale droite et l'hémiparalysie éga-

lement droite du voile du palais, ce qui semblerait en rapport avec une

lésion diffuse et extensive. Quanta l'atrophie des nerfs optiques, nous croi-

rions volontiers qu'elle relève de la stase papillaire, qui d'ailleurs est de

règle dans les néoplasmes intra-cràniens.

' Quant à la nature de la lésion, elle est peut-être identique dans les

deux cas. Mais à cet égard nous ne pouvons faire que des suppositions.

Dans l'observation I, les antécédents héréditaires tuberculeux plaident en

faveur de la tuberculose. La syphilis ne semble pas être en jeu. L'âge de

la malade et la progression des symptômes semblent devoir faire exclure

l'hémorrhagie et le ramollissement vulgaire.

De même, chez le second malade, l'hypothèse d'hémorrhagie ou de ramo-

lissement pédonculaire ne semble pas davantage admissible et, en l'absence

de tout stigmate de syphilis, en présence de lésions avancées du sommet

et des antécédents tuberculeux, il est plausible d'admettre l'existence

d'un foyer de même nature.

A. Souques. PAUL LoNDE.

Chef de clinique Inlerne des Hôpitaux,

des maladies du système nerveux.

NOTE SUR DEUX CAS DE TRAUMATISME RACHIDIEN

AVEC INTERVENTION CHIRURGICALE

Sur 27 traumatismes rachidiens vus par moi dans le cours de l'année

1893, j'ai jugé à propos d'intervenir seulement deux fois : la première

il s'agissait d'une lésion médullaire basse, récente, avec compression os-

seuse permanente, la seconde d'une lésion radiculaire : ce sont, j'y ai insis-

té depuis longtemps, les deux seules variétés de traumatismes rachidiens

où le chirurgien ait chance d'être utile. Mes interventions n'ont pas fait

exception à la règle : elles ont été suivies l'une et l'autre d'un succès sur-

veillé pendant dix-huit mois, succès non point partiel, mais aussi parfait

que possible ; l'un de mes malades (planche I), garçon meunier, qui était

paraplégique, porte sur son dos des sacs de farine de cent et deux cents

kilos; l'autre (planche II), qui avait une monoplégie cervico-brachiale

avec impossibilité du moindre travail est serrurier de charpente et passe

ses dimanches à faire de la bicyclette : ce ne sont pas là des demi-guérisons.

J'ajouterai que ma seconde intervention est intéressante, non seulement

au point de vue thérapeutique, mais encore au point de vue opératoire,

la technique employée dans ce cas étant absolument nouvelle.

Observation I. Fracture de la Vie dorsale ; déplacement en arrière d'un frag-

ment osseux demi-circulaire comprimant la moelle. Ablation de ce fragment

Guérison.

Le 5 mai 1893 entrait : i l'hôpital d'Orléans un garçon de vingt-deux ans qui,

en tombant d'un toit, cinq jours avant, s'était fait au niveau de la partie dorso-

lombairo du racbis une lésion dont le seul symptôme local était une vive

douleur à la pression de la lt° apophyse épineuse dorsale. Il n'y avait aucune

gibbosité. Le membre inférieur gauche était entièrement paralysé, sauf

pour quelques mouvements minimes du couturier; les muscles de la fesse

gauche étaient également atteints. Le membre inférieur droit présentait sa

motilité normale. Les troubles de la sensibilité, caractérisés par de l'anes-

thésie et de l'analgésie sans thormanesthésic, occupaient la verge, les bourses

sauf leur partie supero-externe, le périnée, la région périanale; sous une

forme atténuée, ils s'étendaient à une partie de la région fessière, à une mince

bande sur la face postérieure de la cuisse droite, puis s'accentuant à nouveau

372 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

occupaient la partie postéro-eterne du creux poplité, du mollet et toute la moi-

tié inférieure de la jambe, y compris le pied. Sur le membre inférieur gaucho,

ou constatait seulement une très légère hypoesthésie du pied disparaissant par

atténuation au niveau de la cheville, sauf il son côté postéro-evterne, où elle

remontait un peu plus haut; fait a noter, il y avait de ce côté, sur la zone hy-

poeslhésique, une thermanestliésie manifeste, aussi intense pour le froid que

pour la chaleur. La sensibilité il la pression profonde était, il droite et à

gauche conservée (Fig. 94 et 95). -Des deux côtés, le rellexe crémastérien était

conservé, le rotulien très médiocre, le plantaire nul ; le pincement de la peau

provoquait, sur le membre inférieur paralysé des tremblements fibrillaires des

muscles sous jacents. L'urèthre était insensible au cathéter, la vessie au

cathéter et il la distension par l'urine ou une injection. Le sphincter de la ves-

sie était paralysé et ses parois parésiées, mais toutes les heures environ elles

émettaient une petite quantité d'urine, par action réflexe involontaire et non

sentie, sans assistance des parois abdominales. L'anus et le rectum, aussi

haut qu'on pouvait remonter, étaient anesthésiés : le rcleveur de l'anus fonc-

tionnait normalement; le sphincter anal était paralysé; de même les parois

du rectum, et sans doute aussi du colon descendant, étant donné le tympanisme

du flanc gauche. Rétention des matières, qui étaient de consistance normale.

Pas de turgescence du pénis, sensibilité testiculaire conservée.

J'intervins le 11 mai, c'est-à-dire onze jours après l'accident et six après

mon premier examen. La reclinaison des muscles des gouttières me permit de

suite de constater une saillie très notable de la partie supero-cxterne do la lame

gaucho XIe de la dorsale, par rapport à l'apophyse épineuse et il la lame droite de

cette même vertèbre, ainsi que par rapport aux arcs sus et sous-jacents. Le

fragment déplacé était peu mobile, et après résection sous périostée des arcs XII

XIIe dorsaux et 1er lombaire je vis qu'il faisait partie d'une esquille formée non

seulement par la lame mais aussi par la masse latérale de la vertèbre et la partie

Fig. 94 et 93. - Distribution des troubles sensitifs chez le malade de l'obs. I. - Les

lignes horizontales indiquent l'anesthésie et l'analgésie, les lignes obliques la ther-

manesthésie.

LE NERF LABYRINTHIQUE 341

dullaire et la fossette auriculaire correspond homologiquement à tout

cela.

Il est bon de noter que cette masse ganglionnaire est de même origine

que le ganglion facial auquel elle est primitivement soudée ; d'autre part

nous verrons les prolongements de ses éléments bipolaires se conduire vis-

à-vis de la moelle absolument comme ceux d'une racine spinale posté-

rieure se comportent de leur côté : Houssay a décrit un rameau postbran-

chial du ganglion auriculaire, qui semble devoir s'effacer par la suite.

Cet auteur attribue un certain rôle dans la formation de l'appareil sym-

pathique à la racine primaire de la formation intermédiaire. Or on a

retrouvé (Erlitzki (1) des fibres de Remak dans certains points du tronc

labyrintique.

Ce que nous chercherons à meltre en évidence, c'esl que plus tard le

nerf labyrinthique est formé des prolongements centraux et périphériques

de cellules bipolaires identiques à celles des ganglions spinaux et que le

nerf labyrintique se conduit, répétons-le, vis-à-vis des noyaux médullai-

res comme une racine spinale postérieure. Si donc le ganglion auriculaire

primitif est le jumeau du ganglion facial, qui, lui, semble bien naître de

la chaîne latérale,' il affirme néanmoins de plus en plus par la suite son

identité de ganglion spinal. '

Cet organe branchial auriculaire, qui doit fournir la vésicule primi-

tive, va subir des transformations parallèles il celles du tube médullaire,

à l'élément nerveux près.

Neurotome médullaire, ganglion auriculaire neuro-latéral etépaississe-

ment auriculaire branchial ont au début un aspect identique d'éléments

neurodermiques embryonnaires. Ils sont formés de cellules plutôt épithé-

liales, qui vont chez les deux premiers bientôt évoluer vers deux types pro-

lozoïques bien tranchés L'élément il type amibien, en araignée, avec

ses ramosités éparses ou accolées en un prolongement unique ou double de

Deiters, sera la cellule nerveuse. On la trouve dans le neurotome médullaire

et dans le ganglion auriculaire neuro-latéral. Elle manque dans la papille

branchiale. L'autre élément, à type infusoriforme, produira l'appareil épi-

thélial d'isolement et de soutènement, gangue névrogiique, gaine des pro-

longements, épithélium sensoriel de soutènement, d'isolement, cellules de

Deiters, de Corti, de Claudius, etc. Il se distingue par la plasticité et la va-

riété de ses formations cilio-culiculaires. Dans la papille, ses productions

ciliaires vont fournir les pinceaux des cellules sensorielles et de soutène-

ment, ces derniers se laissant détacher en masse pour former les mem-

branes operculaires, tecloriales, cupules terminales des crêtes, membrane

(1) EnLlTzKI, De la structure du tronc du nerf auditif. Arch. de neurologie, 1882, no 7.

vu 23

312 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

de Corti. Les productions cuticnlaires donneront les membranes basales et

réticulaires, les gaines des prolongements, etc.

Les cellules nerveuses, à type amibien, étendent vers d'autres éléments,

nerveux ou nérrogliques dans le neurotome médullaire, nerveux d'une

part et épithéliaux de l'autre clans l'appareil neuro-latéral, -des prolon-

gements ramifiés de différents types où l'on trouve tous les intermédiaires

depuis les ramuscules les plus branchus jusqu'aux liges de Deilers les plus

longues, qui ne sont sans doute que des ramosités à longue portée, voya-

geant-de compagnie et faisant gaine névroglique commune jusqu'au point

où elles se séparent pour finir en ramosités délicates. Celles-ci forment un

chevelu au pourtour d'autres éléments normaux dans les amas gris ganglion-

naires des centres, tandis que dans la papille épithéliale, elles forment de

délicats plexus intra-ectodenniques qui se terminent au voisinage de cel-

lules ciliées, - dites sensorielles et purement épithéliales, mais douées

d'irritabilité propre comme les infusoires libres ou fixés, d'une façon

encore peu connue. Il nous semble très vraisemblable que le dernier pro-

longement du plexus embrasse la cellule infusoriforme ciliée sans la péné-

trer, et que là comme dans les ganglions centraux, il y ait uniquement rap-

ports de contiguïté et non de continuité ni de pénétration. L'élément

amibien nerveux palpe la cellule infusoriforme et perçoit son irritation

spécifique comme l'amibe palpe l'infusoire libre. Le nerf perçoit non l'ir-

ritation directe de l'agent extérieur qui produit la sensation, mais une

irritation cellulaire et il l'a perçoit par contact. C'est le premier stade de

ces transformations tactiles qui d'un ébranlement oscillatoire finiront par

former dans les centres une image sensorielle toute différente dans sa spé-

cificité.

Les cellules épithéliales des papilles labyrinthiques sont donc homolo-

gues des gaines épithéliales des prolongements du nerf et de la névroglie

des centres. Elles sont baignées par le liquide endolymphatique qui est en

réalité l'homologue du liquide ventriculaire, puisque la fossette auricu-

laire s'est refermée sur lui comme la gouttière médullaire a fait pour le li-

quideoù baignait l'embryon. Les deux formations sont homologues. L'oreil-

le membraneuse a donc la signification morphologique d'un cerveau dilaté

par une hydropisie ventriculaire qui aurait réduit la majeure partie de sa

paroi à n'être plus qu'une enveloppe fibreuse. Son revêtement non papil-

laire, formé de cellules plates ou cubiques simples, a la signification d'un

épendyme.

La gaine lamelleuse des faisceaux qui constituent le tronc du nerf laby-

rinthique les abandonne au niveau des papilles, s'évase et va former sous

l'épithélium la tunique hyaline du labyrinthe membraneux, avec ses

épaississenients en végétations dans les canaux semi-circulaires, en dents

LE NERF LABYRINTHIQUE 3'j3

de Ifuschl;e sur la bandelette sillonnée du limaçon et en cordes de Nuel

et liensen sur la partie striée de la membrane basilaire.

La pie-mère des centres accompagne le nerf et se retrouve dans la paroi

membraneuse du récipient endolymphatique sous la forme de couche

connecto-vasculaire irrégulièrement pigmentée comme la pie-mère elle-

même. Elle donne spécialement la bande vasculaire du limaçon, le liga-

ment spiral et une partie de l'épaisseur de la protubérance de Huschke.

La capsule endothéliale sous-arachnoïdienne accompagne le tronc dans

le conduit, passe avec lui dans le labyrinthe, sans interruption chez la

plupart des vertébrés, et se développe en espaces péri lymphatiques. Ceux-ci

communiquent en outre avec la capsule sous-arachnoïdienne par l'aque-

duc du limaçon, les gaines vasculaires, et d'autres petites pertuis (Sie-

benmann). La périlymphe est donc l'homologue du liquide céphalo-rachi-

dien. Tous ces récipients endocrâniens sont communiquants en divers

points.

L'arachnoïde s'arrête au fond du conduit. Toute séreuse devient en effet

inutile dans le labyrinthe. Ce n'est d'ailleurs qu'une adventice propre aux

centres, mobiles dans la loge crânio-racllidienne.

Le périoste du conduit continue la dure-mère et se continue dans le

labyrinthe. Enfin la capsule labyrinthique est un petit crâne annexé au

grand.

Nous voyons donc que le nerf labyrinthique aura à mettre en rapport

deux organes dont l'homologation morphogénique est complète, et dont

tous les termes, sauf l'élément nerveux, se retrouvent de part et d'autre,

bien qu'avec des valeurs légèrement différentes. Si l'oreille membraneuse

peut être schématiquement considérée comme un petit cerveau purement

épithélial, un morceau d'ectoderme rentré comme la moelle à son début,

le ganglion neuro-latéral se distingue dès le début des formations du ruban

médullaire. Il ne s'incurve pas, reste au contraire convexe et plein, et

s'enfonce sous l'ectoderme, comme les ganglions spinaux.

Dans le tronc ses homologues deviennent ganglions spinaux des racines

rachidiennes postérieures; dans le métamère auriculaire de la tète, il de-

vient ganglion neural auriculaire, et l'invagination de la fossette auricu-

laire lui permet de rester sous-ectodermique. Il est longtemps enfermé

entre l'invagination médullaire et l'auriculaire; puis à mesure que les

deux formations s'éloignent par l'accroissement du corps embryonnaire et

l'expansion mésodermique, ses prolongements centraux et périphériques

s'étirent, surtout les centraux qui vont former la plus grande partie, la

partie efférente du nerf labyrinthique ; sa partie afférente étant constituée

par les prolongements sous-oclodermiques ou sous-papillaires.

Les derniers unissent les éléments papillaires épithéliaux aux éléments

344 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

bipolaires du ganglion neural ; les autres unissent les éléments neuraux

aux éléments médullaires; ceux-ci entrent à leur tour en rapport par voie

efférente avec d'autres centres secondaires.

Le nerf labyrinthique est donc compose en fait de racines primaires

aboutissant à certains amas nucléaires du bulbe et de la protubérance, et

de racines secondaires unissant ces noyaux à d'autres amas gris de l'axe

cérébro-spinal.

Nous étudierons les racines primaires et les éléments bipolaires qui les

émettent sous le nom de formations neurales ; nous examinerons ensuite

sous le nom de formations médullaires les autres noyaux et conducteurs

secondaires contribuant à former le système complexe des voies labyrin-

thiques centrales.

II

Homologation.

Cette origine neurale du nerf labyrinthique l'a fait à juste titre consi-

dérer par quelques auteurs comme une racine postérieure médullaire, dont

le ganglion spinal se fragmenterait à mesure que se divisent les papilles

auxquelles il distribue ses prolongements périphériques. Il formerait ainsi

une paire mixte avec le facial. Cependant Ayers rattache le nerf sacculaire

au glosso-pharyngien.

L'homologation du nerf labyrinthique avec une racine médullaire pos-

térieure, homologation qui semble devoir s'imposer, nous sera très utile

pour le classement des conducteurs nombreux que nous aurons à étudier.

Les libres des racines postérieures sont de deux ordres (Bechlerew).

a). Les unes, internes, plus épaisses, s'engainant de myéline avant les au-

tres, se dirigent pour la plupart vers la base de la corne postérieure et

particulièrement vers une formation de grosses cellules, colonne de Clar-

cke, d'où partent des prolongements centraux qui gagnent plus spéciale-

ment le cervelet. a') Le nerf labyrinthique possède également de son

côté de grosses fibres internes, à engaînement précoce, qui se dirigent

aussi pour la plupart vers les noyaux postérieurs, prolongement de la base

des cornes postérieures, et particulièrement vers une formation de grosses

cellules, noyau de Deiters, d'où partent des fibres centrales qui gagnent

plus spécialement le cervelet. C'est le nerf vestibulaire.

l). Les racines postérieures ont d'autre part des fibres minces et grêles

à engaîneinent tardif qui aboutissent en partie à la tète de la corné posté-

rienre. b') De même le nerf labyrinthique a des fibres externes minces,

tardivement engainées qui se terminent dans le noyau antérieur Ci le tu-

bercule acoustique, prolongements de la tête des cornes postérieures. C'est

le nerf cochléaire ou auditif.

LE NERF LABYRINTHIQUE : H5

III

Formations neurales.

Le ganglion neural auriculaire, ganglion spinal, reste assez longtemps

soudé à celui du facial, puis le facial et le ganglion géniculé s'en isolent ;

la masse qui correspond véritablement au ganglion auriculaire se frag-

mente pour former le ganglion vestibulaire, le ganglion cochléaire et un

ganglion intermédiaire qui correspondra au saccule et à l'ampoule posté-

rieure. Cannieu (1) a montré que ce ganglion, dit de Boettcher, n'était

qu'une émanation directe du ganglion vestibulaire ou de Scarpa.

Les papilles labyrinthiques n'étant que des formations purement ecto-

dermiques, ce ganglion neural est tout à fait assimilable à un ganglion

sous-ectodermique émettant ses prolongements amibiens vers la surface

épithéliale au travers de la couche des éléments infusoriformes. Il esl

constitué, dans sa forme adulte, par des cellules bipolaires ; ce sont même,

remarque Cannieu, les premières décrites chez l'homme; on en doit la

première mention à Corti. Au lieu de présenter sur leur pourtour une

série de prolongements divisés en ramosités courtes et délicates, ces cellu-

les, ne devant entrer en rapports de contiguïté avec d'autres éléments de

la périphérie ou des centres qu'à de grandes distances, réunissent tous

leurs prolongements rameux en deux prolongements en apparence simples,

formés selon toute vraisemblance d'un grand nombre de filets à marche

parallèle, qui ne se sépareront, que d'une part vers la périphérie sous la

surface ectodermique ou au milieu d'elle, en plexus délicats ; et d'au-

tre part vers les centres leur entrée dans les cordons postérieurs, d'abord

en branches ascendantes et descendantes, puis en un véritable chevelu de

ramilles enchevêtrées, analogues aux ramosités émanées directement des

cellules nucléaires auxquelles elles communiquent leur irritation. Ce sont

donc des cellules rameuses comme celles de la moelle, mais leurs ramifi-

cations voyagent longtemps de compagnie dans une même gaine avant de

s'éparpiller.

On a donné le nom de centres trophiques aux cellules de ces ganglions

neuraux. Toute cellule est centre trophique pour ses propres prolonge-

ments afférents et efférents directs; et la racine postérieure étant surtout

composée de ces prolongements des cellules du cordon neural segmenté,

celles-ci sont des centres trophiques pour leurs deux faisceaux de prolon-

gements périphériques et centraux, comme chaque cellule centrale est

centre trophique pour ses ramifications et son prolongement complexe de

Deiters.

(1) Cannieu, Recherches sur le nerf auditif, ses rameaux el ses ganglions, 1894.

31G NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

Ces cellules sont encapsulées dans de petites loges formées d'éléments

à noyaux que Coyne et Cannieu regardent comme un endothélium tapis-

sant une formation conjonctive, et que nous considérons comme un for-

mation intermédiaire à la névroglie des centres et à l'épithélium de son-

tènement et d'isolement des papilles. Le noyau de ces cellules est remar-

quablement gros.

Les prolongements périphériques perdent leur gaine de Schwann en

sortant des biles osseux du labyrinthe. Les centraux perdent la leur pro-

gressivement il mesure qu'ils s'approchent des cellules des ganglions mé-

dullaires.

Cannieu a bien montré que la seule fragmentation complète du ganglion

neural auriculaire était celle qui correspondait à la division des fibres

elles-mêmes en nerf vestibulaire et en nerf cochléaire; - avec le gan-

glion de Scarpapour le premier et celui de Corti ou ganglion spiral pour

le second. Il serait facile de diviser, au moins virtuellement, le ganglion

de Scarpa, ou ganglion vestibulaire, en autant de ganglions qu'il y a de

faisceaux se rendant aux taches criblées. Il nous suffira de retrouver dans

la fragmentation des faisceaux et du ganglion un vestige de la fragmen-

tation des papilles labyrinthiques.

1° La macule utriculaire est primitivement, ou du moins chez les pre-

miers vertébrés, pourvus de labyrinthe (Petromyon), une macule double

(Ayers). Il n'en reste guère de trace el c'est bien un seul faisceau qui part

de la macule utriculaire, s'adjoignant deux autres faisceaux issus, l'un de

la crête ampullaire transversale, l'autre de la croie horizontale. Ces fais-

ceaux s'accolent et sortent par la tache criblée supérieure, formant le ra-

meau supérieur de Scli2ctclGe.

2° Un quatrième faisceau se détache de la macule sacculaire par la tache

criblée moyenne et se jette dans le prolongement de la masse du ganglion

de Scarpa (Cannieu) dont Bôltcher avait voulu faire un ganglion indépen-

dant. De l'ampoule postérieure ou sagittale sort par la tache criblée de

Reichert un rameau indépendant qui aboutit également au ganglion de

Scarpa et forme avec le précédent le rameau moyen de Schwalbe. Corti et

Schwalbe avaient également cru devoir faire un ganglion isolé du prolon-

gement du ganglion de Scarpa (Cannieu).

Cet auteur a aussi décrit une bande cellulaire, remarquable chez la soit-

risetqu'on retrouvechez l'homme, émanée égaiementdu ganglion de Scarpa,

et émettant des fibres qui se distribuent à la partie inférieure du premier

tour de spire du limaçon et qui doivent être considérées, selon lui, comme

l'équivalent morphologique du nerf qui, chez les vertébrés inférieurs, se

rend à la papille de la Illgena.

3° La pars irtitialis cocue a disparu chez nous ; la pars ùasilaris est de-

LE NERF LABYRINTHIQUE 3n

venue la papille cochléaire d'où partent un grand nombre de fibres qui abou-

tissent soit directement, soit après un certain parcours dans la rampe spi-

rale osseuse, aux cellules du ganglion de Corti, formant le rameau inférieur

de Sr,huallre.

En résumé nous ne pouvons reconnaître aucune différence entre les deux

fragments du ganglion primitif, sauf dans le groupement des éléments bi-

polaires. Ceux du ganglion de Scarpa sont disséminés dans le tronc vesti-

bulairependant toute l'étendue du conduit auriculaire interne, le ganglion

s'étirant sous t'écartement des faisceaux vestibulaires divisés au niveau des

biles osseux. Ceux du ganglion de Corti sont rangés en colonne spirale

dense et régulière, formant une gerbe presque immédiatement sous le bile

spiral.

Une coupe transversale du tronc labyrinthique dans le conduit nous

montre deux troncs isolés par une cloison conjonctive. L'un, formé de

fibres assez fortes qu'on a comparées (Ertitzky) aux fibres des racines anté-

rieures de la moelle, encombré des éléments du ganglion de Scarpa, occupe

une position supéro-postérieure; c'est le nerf vestibulaire. L'autre forme

un faisceau compact de fibres d'une épaisseur de moitié moindre que celle

des fibres vestibulaires, sans interceptions cellulaires. Ce nerf cochléaire

est donc placé en bas et en avant. Au-dessus d'eux passe le tronc du facial,

épais et dur; sous le facial se trouve l'intermédiaire de Wrisberg, qui finira

par se joindre à lui et qui reçoit un nombre variable de fibres émanées

d'éléments en îlots disséminés dans le tronc vestibulaire et décrits par

Erlilzky. On trouve dans le tronc vestibulaire des fibres de Remak qui sem-

blent faire défaut dans le tronc cochléaire.

Chez l'homme, le nerf cochléaire ne contient pas d'éléments cellulai-

res; mais chez la souris et le chat, par exemple, le tronc cochléaire sort

d'un prolongement bulbaire, formé de substance blanche et grise, qui

pénètre avec le nerf dans le conduit et que Cannieu a particulièrement 1

étudié. Il le rapproche du bulbe olfactif tout en remarquant certaines dif-

férences. Nous pensons que son homologation peut être faite d'une autre

façon, et que cette formation mixte, placée entre les cellules du ganglion

de Corti (ganglion spinal des racines postérieures), et les cellules du noyau

antérieur (tête des cornes postérieures), avec lesquelles elle se continue

d'ailleurs, ne peut être assimilée qu'aux cellules et aux fibres de la subs-

tance gélatineuse de Itolando, bien que la névroglie y soit moins abon-

dante.

Tous ces prolongements centripètes des cellules du ganglion auriculaire

neural, divisé en ganglions de Scarpa et de Corti, et qui sont les homolo-

gues des racines postérieures de la moelle, forment à leur entrée dans le

tronc bulbo-protubérantiel deux faisceaux distincts et séparés par une

348 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

cloison conjonctive. Le nerf vestibulaire devient la racine antérieure, in-

terne. Le nerf cochléaire sera la racine postéro-externe. Nous étudierons

leurs faisceaux constituants après avoir décrit les noyaux primaires du

nerf labyrinthique.

IV

Formations médullaires.

En montant de la moelle à la protubérance, les colonnes grises qui for-

ment les cornes postérieures ont subi dans le bulbe d'importantes modifi-

cations.

Tout d'abord la tète a été séparée de la base par l'inclinaison en avant

des libres des cordons postérieurs qui après leur entrecroisement vont se

placer derrière les fihres motrices ; puis la moelle s'est ouverte en arrière

par la dilatation de l'épendyme devenu le lit du quatrième ventricule.

Sous cette double action la base des cornes postérieures, adjointe au canal

épendymaire, est maintenant isolée sur le plancher ventriculaire, tandis

que la tète, repoussée en dehors après sa décapitation, est repoussée en

avant il mesure que les faisceaux il destination cérébelleuse s'unissent pour

former le corps restiforme.

La base des cornes postérieures donne successivement les noyaux sen-

sitifs du pneumogastrique et du glosso-pharyngien, puis les noyaux conti-

gus du nerf veslibulaire, c'est-à-dire le noyau interne, le noyau de Bech-

terew et le noyau deDeiters. Ce dernier, avec ses grosses cellules et surtout

par la destination de ses fibres afférentes et efférentes, nous apparaît com-

me le prolongement des colonnes de Clarke, que nous retrouvons plus

haut le long de la racine supérieure du trijumeau, jusque sous les tuber-

cules quadrijumeaux antérieurs.

La tête des cornes postérieures, après avoir fourni les noyaux de la ra-

cine inférieure ou bulbaire du trijumeau, est repoussée en avant du corps

restiforme et donne les deux amas qui constituent les noyaux du nerf co-

chléaire, noyau antérieur et tubercule acoustique.

Quanta la substance gélatineuse, on la suit le long du faisceau inférieur,

du trijumeau, puis elle semble disparaître chez l'homme. Nous pensons

qu'elle se retrouve dans le prolongement bulbaire du nerf cochléaire ob-

servé chez la souris et le chat par Cannieu, et qu'elle s'est chez nous ab-

sorbée dans la partie protubérantielle du noyau antérieur.

Noyaux de la base.

1° Le noyau interne (VIII i) (Clarke, Meynert, IIubuenin), noyau dorsal

médian, noyau principal de Schwalbe, noyau central de Stieda, noyau

médian de la racine postérieure de Krause, partie médiane du noyau supé-

Nouv. ICONOCIt DE LA SALPÊTRIÈRE

T. VII PL XLV .1 XLVI

Y ? `'f r« ? \ Après l'opération.

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LlTAF^C`RVICALE, LIGATURE DES APOPHYSES EPINEUSES

L BATTAILLE ET C1"

LE NERF LABYRINTHIQUE 31,9

rieur de IIenle, noyau triangulaire, etc.) s'étale sous le plancher du qua-

trième ventricule, au-dessus du noyau sensitif des nerfs vagues, qu'il 1

continue d'ailleurs en dehors, s'étend au-dessus des noyaux du glosso-

pharyngien et du vague à mesure qu'ils s'enfoncent et atteint presque les

noyaux de l'hypoglosse en dedans, recouvrant les noyaux de l'abducens et

du facial placés au-devant de lui. Il est formé de cellules analogues à celles

de la base des cornes postérieures, petites (20 f'-) et de forme variée (Fig. 90).

2° Le noyau de Bechterew (B), noyau vestibulaire, noyau angulaire, noyau

d'origine dit nerf vestibulaire de Fleclsig, est situé en arrière du corps

restiforme, en dehors du noyau interne. Il jette un grand nombre de pro-

longements dans le tronc du corps restiforme dans la direction du cervelet.

3° Le noyau de Deiters (D), est placé en dedans du corps restiforme et

en avant du noyau interne. C'est le noyau externe de Meynert, de Clarke,

le noyau médian des racines antérieures de Krause, le noyau latéral de

Stieda et Schwalbe, la partie externe du noyau supérieur de IIenle, le noyau

dorsal latéral, le noyau à grosses cellules, etc. Celles-ci peuvent atteindre

100 p chez l'homme. Ce sont les plus gros éléments de toute cette masse

nucléaire complexe qui est l'homologue de la base des cornes postérieures ;

ils établissent de plus la correspondance entre les grosses fibres de la ra-

cine vestibulaire et un faisceau cérébelleux direct qui aboutit au vermis

supérieur comme celui de Flechsig. Nous en faisons pour ces raisons l'ho-

mologue de la colonne vésiculeuse de Clarke.

Noyaux de la tête. '

4° Le noyau antérieur (VIII a) d'IIu;uenin et Meynert, l'accessoire de

Sclnvalbe, le noyau latéral des racines antérieures de Krause, l'inférieur

de Henle, le noyau acoustique, est placé entre les deux racines du nerf

labyrinthique, dans le triangle formé par leur confluent et la partie anté-

rieure du corps restiforme. On en a fait l'homologue. du ganglion spinal

(Onufrowicz). Il ne s'en rapproche par aucun caractère essentiel, et,

comme le montre très bien Cannieu, c'est en réalité un noyau terminal,

homologue selon nous de la tête d'une corne postérieure; il n'appartient

d'ailleurs qu'à la branche cochléaire du nerf labyrinthique. On lui recon-

naît une partie protubérantielle et une partie bulbaire. La première con-

tient de grosses cellules avec de gros noyaux et peu de prolongements.

Ce caractère seul, avec un aspect encapsulé, le rapproche des ganglions

spinaux, mais comment admettre deux formations ganglionnaires sur la

même racine postérieure, car nous savons que le ganglion de Corti a déjà

la signification d'un ganglion spinal ? Sa partie inférieure contient des

cellules à type moteur, mais moins grandes que celles des cornes posté-

rieures.

350 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

5° En arrière de ce noyau, sur le flanc du corps restiforme et superfi-

ciellement, se trouve le tubercule acoustique, tubercule latéral, ganglion

acoustique superficiel, formé de petits éléments, de 10 f. Ce noyau (TA)

n'est qu'un prolongement latéral du noyau antérieur.

Tels sont les cinq noyaux primaires du nerf labyrinlhique, correspon-

dant aux cornes postérieures de la moelle. Le noyau interne, le noyau de

Bechterew et le noyau de Deiters, qui sont les prolongements de la base

des cornes postérieures, reçoivent les grosses fibres du nerf vestibulaire qui

correspondent aux grosses fibres internes des racines postérieures. Le

noyau antérieur et le tubercule acoustique, prolongement de la tète des

cornes postérieures, reçoivent les fibres grêles du nerf cochléaire, homo-

logues des fibres minces externes des racines postérieures.

V

Nerf vestibulaire.

Un grand nombre de fibres pénètrent directement dans la moelle allon-

gée et se dirigent d'avant en arrière, laissant en dedans l'olive supérieure'

(OS), le noyau du facial (VII), la racine sensible du trijumeau (V), en de-

hors le corps restiforme et se jettent clans le noyau de Deiters (D), le noyau

de Becblerew(B) et surtout le noyau interne (VIII i)(Fig.90). D'après Edin-

ger, d'antres fibres se détachent de ce faisceau principal, traversent le corps'

restiforme et parviennent en le suivant dans le cervelet jusqu'aux noyaux

du toit (NT) et au noyau globuleux (G). Ce faisceau n'est pas admis par

tous les auteurs (Bechterew) ; ce serait en effet un prolongement direct des

cellules du ganglion de Scarpa atteignant les noyaux cérébelleux. S'il

existe réellement, il n'a pas son homologue dans la moelle.

Ce nerf vestibulaire est avant tout cérébelleux. En effet, après son in-

terception dans les noyaux de la base, c'est-à-dire l'interne, celui de Bech-

terew et surtout le noyau de Deiters, on voit partir, mais surtout de ce,

dernier, un important faisceau qui se dirige vers le vermis supérieur du

cervelet. Ce faisceau est l'homologue du faisceau cérébelleuxdirectdehlecll-

sig, qui des cellules de la colonne de Clarke remonte vers le même vermis

supérieur. De ce noyau de Deiters partent encore deux faisceaux cérébel-

leux, l'un vers ]'embolus (E) et le corps dentelé (CD), l'autre vers le

noyau du toit du même côté et vers celui du côté opposé.

Du vermis supérieur, rendez-vous commun des fibres cérébelleuses di-

rectes et croisées de la moelle et du nerf vestibulaire, et d'un grand nombre

de fibres provenant des noyaux cérébelleux, fibres que nous n'avons pas

fait figurer sur notre schéma, des fibres se dirigent par le pédoncule céré-

belleux supérieur vers le noyau rouge (NB) du côté opposé, et de celui-ci

NOUV ICONOGR, DE LA SALPÊTRIÈRE

T. Vit. PL. XLVI

FRACTURE DORSO-LOMBAIRE; LAMNECTOMIE; GUÉRISON

L BATTAILLE ET Ci.

Éditeurs

Fig. 90. Projection de toutes les fibres homologues du nerf labyrinthique et d'une

racine médullaire postérieure. Nous avons dû. pour la clarté de la figure, représenter

la section de la moelle en sens inverse de la protubérance, de façon à rendre les homo-

logations plus faciles. Cette inversion est nécessitée par les décussations bulbaires. Le

système des fibres noires d'origine cochléaire correspond à celui des racines grêles

externes de la moelle, et nous avons poursuivi l'homologation au delà des noyaux

primaires. Celui des fibres grises comprend le nerf vestibulaire et les grosses racines

internes de la moelle.

VIII a. Noyau antérieur.- TA. Tubercule acoustique.- VIII i. Noyau interne. D. n

de Deiters. B. n. de Bechterew. Str. Stries médullaires. V. Racine sensitive

de trijumeau. VI. Noyau de l'abducezs. VIf. Noyau du facial. IX. N. Glosso-

pharyngien.- OS. Olives supérieures.- T. Noyaux trapézoïdes.- NG. Noyau des cor-

dons grêles. - NC. Noyau des cordons cunéiformes. NI. Noyau du toit. G. Noyau

globuleux. te. Embolus. CD. Corps dentelé. - R. Noyau du ruban de Reil. -

Q. A. Tubercule quadrijumeau antérieur. - Q. P. Tubercule quadrijumeau posté-

rieur. - N. R. Noyau rouge de Stilling. - N. P. B. Noyau postéro-basilaire de la

couche optique. - C. G. I. Corps genouillé interne. - C. Cordon de Burdach. G

Cordon de Goll. - W. Racines du nerf intermédiaire de Wrisberg.

35 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

s'élèvent d'autres fibres vers le lobe pariétal (Bechterew). Nous verrons

qu'elles semblent devoir aboutir particulièrement à la pariétale ascen-

dante.

Du noyau de Bechterew et de l'interne partent encore d'autres fibres

cérébelleuses vers les noyaux du toit et peut-être les autres.

Ces fibres cérébelleuses issues des noyaux de la base sont les homolo-

gues de celles qui de la base, et en particulier de la colonne de Clarke,

s'élèvent, dans le cordon de Burdach, passent du côté opposé jusqu'au

noyau des cordons cunéiformes (n C) et se dirigent ensuite (Bechterew)

vers le vermis cérébelleux supérieur.

C'est par ce double système de fibres que doivent être véhiculées les

images d'attitude céphalique (f. vestibulaires) et d'attitudes segmentaires

du tronc et des membres (f. médullaires), indispensables il l'équilibration

réflexe (vermis) et volontaire (pariétale ascendante), et en général à tout

l'exercice réflexe ou volontaire de la motricité appropriée au maintien ou il

la variation des attitudes (1).

Du noyau interne et du noyau de Deiters partent d'autres systèmes de

fibres, qui s'entrecroisent en avant au raphé, passant de l'autre côté, se

mêlent aux fibres ascendantes qui proviennent des parties profondes de la

moelle et gagnent avec elles l'anse latérale qu'elles contribuent à former et

aboutissent à l'écorce pariétale (Bechterew). Ces fibres ontpour homologues

les fibres issues de la base des cornes médullaires et qui par le faisceau

de Burdach et le noyau des cordons cunéiformes d'une part, par la

commissure antérieure, où elles s'entrecroisent, par le faisceau fondamen-

tal antéro-latéral (Bechterew), d'autre part, gagnent également l'écorce

pariétale.

Quel point de l'écorce pariétale desservent-elles ? Dans le bulbe, un

faisceau part du noyau de Deiters et aboutit au noyau de l'oculomoteur

externe (VI), et par celui-ci peut intervenir dans toute l'oculomotricité ré-

flexe, grâce aux connexions des noyaux oculomoteurs entre eux. Or l'in-

fluence des perceptions ampullaires sur les mouvements compensateurs

des globes oculaires est aujourd'hui démontrée depuis les observations de

Cyon, Hogyes, Delage et d'un grand nombre de cliniciens (2). Il ne serait

pas inadmissible que le lobule du pli courbe, qui intervient dans l'oculo-

motricité volontaire, ne soit tenu au courant des perceptions ampullaires

d'attitude céphalique, et des perceptions d'attitudes segmentaires de tout

le corps.

Du noyau interne (et peut-être aussi de celui de Deiters) partent des

fibres que Ileld a pu suivre jusqu'au noyau du facial (VII). Nous trouvons

(1) V. La Pariétale ascendante, Note à la Soc. de Biologie, 29 juin 1894.

(2) Réflexes auriculaires, Soc. d'Otologie de Paris, 2 février 1891.

NOUV. Icon ocr. de la Salpêtrière

T. VII PL. XLVIII

FACIES DANS LA PARALYSIE GLOSSO-LABIO-LARYNGEE

(Buste exécuté par M. le Dr l'aul Richer d'après une malade de la Salpêtrière).

L BATTAILLE ET C"

ÉDITFURS

LE NERF LABYRINTHIQUE 353

dans cette voie réflexe une des sources de l'accommodation et de l'inter-

ception stapédienne. Ces fibres qui unissent les noyaux de la base aux

noyaux moteurs ont pour homologues les fibres médullaires unissant les

cornes postérieures aux cellules motrices antérieures.

Du noyau interne et du noyau de Deiters, des fibres gagnent l'olive su-

périeure (0 S), dont nous allons examiner les remarquables connexions.

Signalons seulement maintenant le faisceau décrit par Edinger, unissant

cette olive supérieure du noyau de l'abducens (VI).

Enfin de la partie antéro-interne du noyau de Deiters et d'îlots situés

en dedans de lui, descend un fort faisceau de fibres que nous n'avons pu

figurer, parallèlement au faisceau longitudinal postérieur, jusqu'au ni-

veau de l'entrecroisement des cordons postérieurs. C'est la racine de Rol-

ler ou racine descendante vestibulaire, qui par l'intermédiaire du noyau

de Deiters unit les cordons postérieurs au cervelet. Ce n'est donc pas une

racine réelle du nerf labyrinthique, mais un faisceau cérébelleux des cor-

dons postérieurs qui traverse le noyau de Deiters (Edinger, Bechterew).

Bruce a décrit un faisceau unissant le noyau de Deiters à l'olive infé-

rieure.

VI

Nerf cochléaire.

Il forme la racine postéro-externe du nerf labyrinthique. La plus grande

partie de ses fibres se jettent dans le noyau antérieur (VIII a) ; d'autres,

plus externes, aboutissent au tubercule acoustique (T A) ; enfin certains

auteurs admettaient des fibres qui, sans s'arrêter au tubercule acoustique,

formant les stries médullaires, arrivaient dorsalement jusqu'au raphé, le

parcouraient en parlie d'arrière en avant et remontaient du côté opposé

dans l'anse latérale jusqu'aux lobes temporaux. Bechterew et les auteurs

plus récents n'admettent pas ces fibres directes. L'anatomiste russeiinter-

prète tout autrement les connexions des stries médullaires dont il fait une

commissure cérébelleuse.

Si ces fibres existent réellement, elles auront pour homologues les fibres

des racines postérieures qui traversent sans s'y arrêter (Bechterew) les

cornes postérieures, s'engagent dans la commissure postérieure, remontent

du côté opposé dans la portion interne de la colonne latérale, traversent

la partie externe de la formation réticulée tandis que les fibres acousti-

ques prennent sa partie interne, et gagnent l'écorce pariétale.

Le nerf cochléaire a des rapports mieux établis avec l'écorce temporale.

Du tubercule acoustique partent des fibres décrites par Hans Ileld,

Bechterew et Koelliker, qui parcourent la surface du plancher du qua-

trième ventricule, dépassent et contournent les masses grises du noyau

354 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

interne (VIII i), celles de l'hypoglosse, plongent dans le raphé, le par-

courent et remontent du côlé opposé dans l'anse latérale et aboutissent les

unes à l'écorce temporale directement, les autres au tubercule quadriju-

meau postérieur (Q P). De ce noyau partent des fibres soit vers le corps

postéro-basilaire (n P. B) de la couche optique, soit vers le corps ge-

nouillé interne (C G 1) et de là vers l'écorce temporale. Ces libres ont

pour homologue le faisceau qui part de la tête de la corne postérieure,

traverse la commissure postérieure,. rejoint dans le faisceau interne de

l'anse latérale les fibres médullaires dont nous avons parlé plus haut et

aboutissent à l'écorce pariétale.

Certaines de ces fibres se comportent vis-à-vis de l'audition, en la vé-

hiculant par le tubercule quadrijumeau postérieur, le corps genouillé

interne et aboutissant à l'écorce temporale, comme les fibres du nerf opti-

que qui aboutissent à l'écorce occipitale en passant par le tubercule qua-

drijumeau antérieur, le corps genouillé externe, se comportent à l'égard

de la vision.

Ces fibres directes aboutissant à l'écorce temporale sans interception

nucléaire ont également leur faisceau homologue dans l'appareil optique.

La tactilité tégumentaire véhiculée par la moelle vers l'écorce pariétale

emprunte des voies conductrices tout à fait comparables.

Du même tubercule acoustique, des fibres, décrites par .Monakow, s'en-

gagent à travers les noyaux de la base et se divisent en deux faisceaux

dont l'un postérieur se dirige obliquement vers l'olive supérieure du côté

opposé, et l'autre atteint directement l'olive supérieure du même côté.

Nous verrons plus loin les connexions de ces noyaux.

Du noyau antérieur, des fibres partent en arrière, en dehors du corps

restiforme, le contournent, reviennent en avanl, passent entre le noyau

du facial (VII) et la racine du trijumeau (V) et atteignent l'olive supé-

rieure du côté opposé. Koelliker admet un faisceau parallèle au dernier et

qui semble aboutir au noyau du facial.

Un second faisceau se dirige en arrière et en dedans, et gagne, d'après

Held, l'anse latérale du même côté, et probablement la temporale corres-

pondante.

Un troisième contribue à former les fibres du corps trapézoïde et atteint

l'olive supérieure opposée (Edinger). Un quatrième aboutit à l'olive su-

périeure du même côté. Un cinquième se termine dans le noyau trapézoïde

opposé (lleld), un sixième aboutit au noyau trapézoïde correspondant.

Enfin un faisceau entre également dans la composition du corps trapé-

zoïde, traverse le raphé, passe en arrière de l'olive supérieure opposée, et

remonte dans l'anse latérale vers l'écorce temporale. Ce faisceau qui unit t

directement le noyau antérieur à l'écorce du côté opposé est homologue

LE NERF LABYRINTHIQUE 355

des fibres qui partent de la tête de la corne postérieure, s'entrecroisent t

dans la commissure postérieure, remontent également par la colonne laté-

rale, traversent la formation réticulée et atteignent l'écorce pariétale op-

posée.

De l'olive supérieure part un important faisceau qui atteint le noyau du

toit du même côté (Edinger, Bechterew). Un deuxième aboutit au noyau

trapézoïde correspondant (lfeld) ; un autre traverse le raphé et monte dans

l'anse latérale vers le lobe temporal (Ileld). Un autre, parti de l'olive su-

périeure se termine dans le noyau du ruban de Reil ; un autre encore

quitte le noyau trapézoïde opposé pour une destination analogue. De ce

noyau du ruban de Reil partent des fibres vers le tubercule quadrijumeau

antérieur correspondant, et vers le postérieur, ce dernier présentant avec

l'écorce les rapports que nous avons vus plus haut. De ce noyau part un

autre faisceau qui passe dans l'hémisphère opposé et aboutit vraisembla-

blement à la temporale du même côté.

L'olive supérieure est enfin en rapport avec le nerf oculomoteur externe

par un important faisceau (Edinger, Bechterew), et sans doute aussi, par

le faisceau longitudinal postérieur, avec tout l'appareil de l'oculomotricité.

Nous voyons donc par cet exposé purement anatomique que le nerf

vestibulaire est plutôt cérébelleux et le cochléaire surtout cérébral. Une

dernière question se pose cependant. A quelle région du lobe temporal et

du lobe pariétal aboutissent les fibres du nerf labyrinthique ? Nous l'ap-

prenons par l'examen du cerveau d'Adolphe Bertillon, qui était gaucher

de naissance, et n'avait en revanche gardé que l'usage du nerf labyrinthi-

Hémisphère droit. Hémisphère gauche.

Fig. 91 et 92.

356 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

que droit (Fig. 91 et 92). Nous trouvons du côté opposé une remarqua-

ble hypertrophie de la ,1re temporale et des deux tiers inférieurs de la pcc-

riétale ascendante, atrophiées toutes deux du côté droit. Nous avons donc

considéré la pariétale ascendante comme le centre cortical de l'appareil 1

des fibres du nerf vestibulaire. C'est également là qu'aboutissent les fibres

originaires du faisceau de Goll, par l'intermédiaire du noyau des cordons

grêles (I3ecIIterew) et il est aisé de remarquer le rôle de ces conducteurs

vestibulaires et médullaires vis-à-vis de la motricité volontaire appro-

priée à l'équilibration.

VII

Applications physiologiques.

Si nous cherchons à exploiter ces données anatomiques en vue d'une

interprétation du rôle physiologique des noyaux et conducteurs de l'appa-

reil labyrinthique, il nous est indispensable de rappeler tout d'abord les

fonctions que nous avons cru devoir attribuer aux papilles de l'oreille in-

terne.

On considère généralement l'oreille comme étant avant tout l'organe

de l'ouïe. L'audition est certainement la plus consciente des fonctions au-

riculaires, mais c'est aussi la plus récemment acquise. L'immense majo-

rité des êtres pourvus d'oreilles ou d'appareils analogues n'entend pas (1).

Quant au sens de l'espace il n'est guère encore défini. Nous avons depuis

plus de dix ans entrepris l'étude de la physiologie comparée des organes

auriculaires, et nous pouvons actuellement résumer ainsi brièvement leurs

fonctions.

Tous les appareils préauriculaires et auriculaires, depuis les organes

en massue des Méduses, les balanciers des Diptères, les otocystes de la

plus grande partie des êtres organisés, jusqu'aux formations labyrinthiques

des Vertébrés, en passantpar l'organe central du Cténopbore et les organes

latéraux des Vertébrés inférieurs, tous ont sans exception une double ap-

propriation. Ils servent d'une part renseigner l'animal sur les attitudes

et variations d'attitudes, c'est-à-dire les mouvements passifs ou actifs, du

segment qui porte l'appareil de signification auriculaire. C'est cette pre-

mière et universelle fonction que nous avons appelée orientation subjective

directe. Ils le renseignent d'autre part sur la pression et les variations de

pression'du milieu qui les baignent. L'audition, qui est la plus récente, la

plus consciente et la moins générale des fonctions auriculaires, n'est que la

perception de variations extrêmement légères et rapides de la pression am-

(t) l'. l3ovarn, L'audition chez les invertébrés. Rev. scient., déc. 1890.

NOTE SUR DEUX CAS DE TRAUMATISME RACHIDIEN 373

postéro-latérale gauche de son corps : ce demi-anneau, par ses deux pointes

médianes repoussées en arrière, rétrécissait il l'extrême la partie gaucho du

canal et comprimait, avec la précision d'une expérience physiologique, la partie

gauche de la moelle, ainsi que je m'en assurai après ouverture du sac durai.

J'enlevai avec assez de peine, et par fragments, l'esquille tout entière : libérant

ainsi complètement la moelle sur laquelle je suturai la dure-mère et, sans drain,

les parties molles (Fig. 96).

Il n'y eut acucune élévation de température, et dès le premier pansement,

le 14 mai, je pus constater la cicatrisation complète de la plaie.

La guérison fonctionnelle de mon opéré commença dès les premiers jours son

évolution, évolution lente et régulière dont voici les phases successives.

12 mai. Flexion facile de la cuisse sur le bassin : adduction très légère

du même segment.

13 Adduction plus marquée; légère contraction du quadriceps, insuffisante

pour soulever le talon du lit. Les troubles sensitifs du membre inférieur

gauche ont disparu. Sur le membre inférieur droit, la bande d'anesthésie cru-

rale s'est effacée; les régions anesthésiques de la jambe, du pied, de la fesse ne

sont plus que légèrement hypoesthésiques, avec un retard considérable des per-

ceptions tactiles à leur niveau, mais l'analgésie partout ou elle existait a per-

sisté. Rien de nouveau du côté des réflexes ou delà vessie.

19. - Les contractions du quadriceps ont une force suffisante pour soulever

le talon du lit. L'aneslliésic et l'analgésie fessières se limitent une zone péria-

uale très restreinte; sur le membre inférieur droit, l'li3,pooslliésie avec retard

vu 25

Fig. 96. - Mécanisme de la compression osseuse de la moitié gauche de la moelle chez

le malade de l'obs. I. Déplacement en arrière d'un séquestre en demi-anneau dé-

pendant de la XIe vertèbre dorsale.

374 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

de la perception et l'analgésie ne remontent plus au-dessus de la cheville. Il

existe un peu d'hésitation sur la nature des sensations au niveau du mollet : le

malade ne sait si on le pique, le pince ou lui tire les poils ; il perçoit ces essais

divers sous forme de légère douleur. Seul le frôlement du bout du doigt est senti

comme contact simple. Les réflexes plantaires ont complètement reparu. La

sensibilité vésicale à la distension a des tendances à reparaître. Il a semblé ce

matin au malade qu'il allait uriner ; il a eu une « épreintc » vésicale, épreinte

restée infructueuse ; en le sondant aussitôt après, on a retiré 220 grammes

d'urine qui sont sortis en bavant, malgré la persistance concomitante de la sen-

sation de besoin.

Du 20 au 28, l'état sensitivo-moteur est à peu près stationnaire, de même

que l'état des réflexes. Besoin d'uriner toutes les doux heures environ. Le ca-

thétérisme est chaque fois nécessaire. La quantité d'urine et d'urée sécrétée par

vingt-quatre heures est considérable : 3 litres ci demi avec 18 grammes par litre.

L'état général est très satisfaisant.

29. Les mouvements recommencent à progresser : le malade lève les ta-

lons du lit et fait quelques mouvements d'extension du pied. L'anesthésie a

presque totalement disparu ; l'analgésie se limite aux organes génitaux et il la

zone périanale. Sensation pénible et constante de froid dans le pied gauche,

avec abaissement de température de plusieurs degrés par rapport au pied droit.

Les réflexes sont tous normaux, sauf les rotuliens, aussi difficiles il obtenir

qu'antérieurement. L'état vésico-rectal est stationnaire ; la polyurie a brusque-

ment diminué depuis vingt-quatre heures : le malade a sécrété dans cette der-

nière période 1700 grammes d'urine avec en tout 31 grammes d'urée; c'est

presque le retour il la normale.

Pendant la première quinzaine de juin, les mouvements du membre inférieur

gauche reprennent toute leur activité. Manifestement, les péroniers latéraux sont

les derniers muscles il redevenir normaux. Les dernières traces d'anesthésie et

d'analgésie cutanées disparaissent. L'urètllre, la vessie le rectum restent

insensibles ; cependant il y a quatre ou cinq fois par jour des mictions vo-

lontaires ; le jet de l'urine est relativement vigoureux, intermittent, sans que

les poussées soient provoquées par la contraction des muscles abdominaux. Le

passage de l'urine u'est pas senti. Les réflexes rotuliens sont toujours il peu près

absents.

A la fin de juin, j'applique au malade assis dans son lit et soulevé par l'ap-

pareil de Sayre, un solide corset plâtré ; et, deux ou trois jours après, je lui

permets de se lever. La marche est d'abord pénible ; le malade est obligé de

soulever fortement la jambe gauche à chaque pas, la pointe du pied étant nota-

blement pendante et la plante, lorsqu'elle appuie sur le sol, s'étalant comme dans

les pieds plats paralytiques : phénomènes qui tiennent à la parésie légère des

extenseurs des orteils et des péroniers latéraux. Rapidement, cette gêne disparut,

les béquilles puis la canne devinrent inutiles, et, dans l'hôpital, le malade mon-

tait et descendait les escaliers sans difficulté.

En fin juillet, il ne gardait plus, pour tout symptôme de sa lésion médullaire,

qu'une parésie rectale il peu près complète, avec anesthésie ano-rectale. Le

NOTE SUR DEUX CAS DE TRAUMATISME RACHIDIEN 375

fonctionnement de la vessie était devenu tout il fait normal ; la sensibilité. de

la vessie et de l'urèthre avaient reparu. Sorti de l'hôpital, le malade avait pu

constater l'étal satisfaisant de ses fonctions génitales.

En octobre, le corset plâtré est remplacé par un corset orthopédique.

Actuellement, c'est-à-dire un an et demi après l'opération, ce corset est lui-

même abandonné. Mon opéré il repris sans aucune fatigue sa profession très

pénible de meunier de manutention : il porte sur le dos, plusieurs heures par

jour, des charges pesant cent livres et plus. Ses muscles, non seulement des

membres supérieurs, mais des lombes et des membres inférieurs se sont ex-

traordinairement développés : seul le membre inférieur gauche, membre para-

lysé par le traumatisme, est un peu amaigri : il est toutefois aussi fort que

l'autre et le blessé peut sauter sur lui il cloche-pied. La région lombaire est

d'une souplesse extraordinaire : les mouvements de flexion et d'extension vo-

lontaires y sont plutôt plus étendus que normalement. PI. XLV. Les arcs et

les apophyses enlevées se sont reproduits presque intégralement et l'on voit

même sous la peau la saillie habituelle de ces dernières. En somme il ne

reste, comme trace de l'opération, qu'une cicatrice linéaire placée un peu il

gauche de la ligne médiane, et comme stigmates de la lésion médullaire,

qu'un légère parésie rectale sans anesthésie, et une notable susceptibilité au

froid du membre inférieur gauche. Les réflexes rotuliens sont redevenus,

depuis un temps indéterminé, absolument normaux, ni diminués ni exagérés.

OusEUVATiON. 11. Subluxalion antéro-latcrale droite de la 11'° vertèbre cervicale

sur la 1 ? Paralysie et atrophie des muscles dépendant des lie et ¡Se segments ra-

diculo-médullaires du côté gauche, par élongation des racines correspondantes.

Exagération du déplacement vertébral et des accidents dans' la station debout.

Ligature des vertèbres, succès fonctionnel complet.

1 1 '

Le 22 juillet 1893, 11L.... vigoureux garçon de ans' se fit. en tombant

d'un arbre, une luxation cervicale immédiatement suivie de paralysie des qua-

tre membres. En quelques semaines, celle paralysie disparut, mais le blessé

resta incapable de tout travail : l'inclinaison de la tête sur l'épaule, partielle-

ment atténuée par une scoliose compensatrice, était en effet considérable, et,

de plus les mouvements de l'épaule et du bras gauche restaient restreints., et

difficiles. Cette gêne, relativement minime le matin, s'accentuait, dès que \et 1

malade était debout, pour atteindre une heure après le lever un maximum

qu'elle gardait toute la journée. En même temps le membre supérieur gauche

qui pendant le décubitus avait sa sensibilité et sa température normales deve-

nait le siège de fourmillements très pénibles et d'une sensation de froid coïnci-

dant avec un abaissement réel de sa température; le pouls radial devenait}ai-

ble et mou : enfin l'inclinaison de la tête s'accentuait d'une façon très marquée,

les efforts faits par le malade avec ses muscles du .cou exagérant encore céte

inclinaison au lieu de l'atténuer.

Je pus, à plusieurs reprises, constater tous ces phénomènes et préciser,

d'une manière que devaient confirmer absolument l'opération et ses résultats,

37G NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

le siège exact de la luxation et la causc des paralysies concomitantes. En effet,

le palper de la nuque et le toucher buccal me portèrent à diagnostiquer une

subluxation en avant et a droite de la IV0 vertèbre cervicale sur la Ve. Les

accidents paralytiques, siégeant tous du côté gauche, c'est-à-dire du côté opposé

a la déviation, étaient localisés aux muscles suivants : portion claviculaire du

sterno-mastoïdien, portion claviculaire du grand pectoral, portion moyenne du

grand dentelé, sus et sous-épineux, deltoïde, biceps, et très légèrement supina-

teurs ; tous ces muscles étaient non seulement paralysés, mais encore atro-

phiés, sans présenter du reste de réaction de dégénérescence. Les fourmille-

ments signalés plus haut occupaient une zone recouvrant en calotte l'épaule et

descendant sur le bord externe du bras et de l'avant-bras, jusqu'à la pointe du

radius, avec deux maxima, l'un au niveau de l'articulation acromio-claviculaire,

l'autre a l'insertion deitoldienne inférieure; cette même zone était le siège d'une

légère hyperesthésie cutanée; il n'y avait pas d'autres troubles de la sensibi-

ité (Fig. 97 et 98). Les réflexes du membre supérieur gauche et de toutes les

autres parties du corps étaient absolument normaux.

En somme, la localisation des symptômes physiques et des accidents fonc-

tionnels était parfaitement parallèle, les muscles paralysés et la région cutanée

atteinte dépendant des 4° et 5e segments radiculo-médullaires alors que la luxa-

tion s'était faite il la jonction des vertèbres correspondantes. D'autre part, la

limitation bien précise des accidents sans retentissement aucun du côté des

membres inférieurs ou des organes vésico-rectaux, le siège des troubles sen-

sitifs du même côté du corps que les troubles moteurs, l'exagération des uns

et des autres par la station debout en même temps qu'augmentait l'inclinai-

son latérale de la tête, leur situation du côté opposé à cette inclinaison me

sollicitèrent il leur reconnaître pour cause l'élongation des 4° et 5e racines

cervicales gauches ci l'exclusion de toute lésion médullaire actuelle : très pro-

bablement du reste, la moelle avait été autrefois commotionnée ou contuse,

Fig. 97 et 98. - Distribution de t'hyperestliésie chez le malade de l'obs. Il«

NOTE SUR DEUX CAS DE TRAUMATISME RACHID1EN 377

témoin la paraplégie passagèrement observée, mais comme c'est la règle, les

symptômes consécutifs à cette commotion ou il cette contusion avaient disparu.

A mon avis, tous les symptômes persistants étaient donc d'origine radiculaire.

Des minerves de toutes sortes, employées depuis près d'un an, n'ayant

donné aucun résultat, j'intervins le 28 juillet 1893, en ayant pour but de

réduire le déplacement dans la mesure du possible et par des ligatures ou

sutures vertébrales, de le maintenir réduit. Une incision menée de la protu-

bérance occipitale à deux centimètres au-dessus de la 7° apophyse épineuse

me permit de dénuder, en passant sous le périoste, les apophyses épineuses et

les arcs des cinq premières cervicales. Du côté gauche, j'allai jusqu'aux apo-

physes transverses. Après un tamponnement de quelques minutes, le suinte-

ment veineux qui se faisait sur les parois de cette plaie vraiment large et pro-

fonde s'arrêta : je pus alors vérifier et faire vérifier aux chirurgiens assistants

l'exactitude de mon diagnostic; la IVe vertèbre cervicale était bien subluxée

en avant et à droite de la Vie. Comme je l'avais

espéré, cette subluxation était en grande partie

réductible par traction énergique sur la tête. Dès

lors, pendant qu'un aide maintenait cette réduc-

tion, j'enroulai à G ou 6 reprises un fort fil d'ar-

gent autour de la IIIe apophyse épineuse au-des-

sus de sa fourche, puis le faisant passer, bien

tendu, sur le bord gauche de la IVe apophyse

épineuse, j'allai enrouler sa terminaison, aussi

solidement et aussi près de l'arc que je pus, au-

tour de la Ve. Je m'assurai que le lien ainsi placé

maintenait la luxation réduite, je suturai le pé-

rioste, les muscles et la peau, puis mis une

volumineuse et solide minerve plâtrée. L'opéra-

tion avait en tout duré deux heures et demi.

Elle fut parfaitement bien supportée. Le ma-

lade n'eut ni choc ni fièvre, et se levait le 8° jour.

Il carda sa minerve un mois.

Fig. 99. - Ligature réductrice

des apophyses épineuses chez

le malade de l'obs. II.

Son histoire, pendant ce mois, est peu intéressante : sans doute les fourmille-

ments, la faiblesse du pouls ne furent plus constatés, mais il était difficile de

faire dans cette amélioration la part de l'appareil orthopédique ; en outre celui-

ci empêchait l'examen des muscles.

Lorsqu'il fut enlevé, le 31° jour, on put voir de suite que la tête était à très

peu près droite, et que la légère inclinaison persistante ne s'exagérait pas par

la station debout ; celle-ci ne provoquait plus de fourmillements ni de faiblesse

du pouls dans le membre gauche, qui accomplissait avec une souplesse déjà plus

grande les mouvements d'abduction et d'adduction de l'épaule, de flexion du

coude et de supination du poignet, notés avant l'intervention comme plus ou

moins altérés.

J'ai revu l'opéré il y a quelques jours, c'est-à-dire dix-huit mois après l'opé-

ration. Le déplacement vertébral appréciable autrefois par le toucher buccal ne

378 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

peut plus être perçu. La tête a gardé sa quasi-rectitude ; elle accomplit avec

aisance tous ses mouvents, sauf la flexion qui s'arrête à mi-chemin, entravée

sans aucun doute par le lien que j'ai mis sur les apophyses : les muscles autrefois

atteints du cou et de l'épaule ont repris leur volume et leur fonctionnement nor-

maux. Sans aucun fourmillement, sans fatigue du bras si impuissant jadis, mon

opéré qui reste debout 14 à 15 heures par jour, en travaille de 8 à 10 à la ser-

rurerie de charpente, métier pénible s'il en fut, et passe' ses dimanches à faire

de la bicyclette,; c'est dire' que sa guérison est absolument parfaite (Pl. XLVI

et XLVIII - ...

Voici donc deux traumatismes rachidiens où le résultat de l'intérven-

),ion n'a pas été seulement une amélioration, mais une guérison, et

j'ajouterai une guérison qui ne fût pas survenue spontanément. L'esquille

osseuse, qui chez le premier de mes opérés comprimait la moelle, ne serait

pas disparue toute seule, et la luxation qui chez le second élongeait les

lie et 5e racines serait restée ballante si je. ne l'avais fixée par ligature.

Or l'une et l'autre déterminaient, on l'a vu au cours des observations, des

accidents graves avec impotence complète : dans le premier cas, ils affec-

taient le'type de paralysie médullaire que j'ai décrit sous le nom de type

jambier, dans le second le type que j'ai décrit sous le nom de typé brachial

supérieur. ...

Je ne saurais du reste insister ici sur les détails cliniques de ces obser-

vations; détails dont la discussion m'entraînerait trop loin et m'obligerait

a .citer, à l'appui de mes opinions, toute, une, série de faits, dontje compte

faire l'objet d'une publication ultérieure.

\ ? Í i . A. CI11PAULT. ,

LE .FACIES, DANS LA- PARALYSIE .

. GLOSSO-LABIO LARYNGÉE^ ' .' .

C'est Duchenne (de Boulogne) qui a le premier attiré l'attention sur le

faciès des malades atteints « d'une affection, paralytique qui, sans cause

connue, envahit successivement les muscles de la langue, ceux du voile du

palais, et l'orbiculaire des lèvres, qui produit conséquemment des trou-

bles progressifs dans l'articulation des mots'et dans la déglutition', qui, à

une période avancée, se complique de troubles de la respiration, .dans la-

quelle eiirin-les sujets succombent ou à l'impossibilité, de s'alimenter, ou

pendant une syncope (1) ». ' ' V , - .. , ..

, Dans sa première description (1868), Duchenne donnait à celle affection

le nom de paralysie musculaire progressive de la langue, du voile dit, palais

et des lèvres (2). Trousseau proposa le nom plus concis et qui est resté de

Paralysie glosso--lll,ùio-larYlIgée.. 1 . '

La lésion des noyaux bulbaires inférieurs qui en est le substratum ana-

toxique' fait proposer par Wernicke le nom de polio-encéphalite infé-

rieure. ) , ,

La planche XLVIII reproduit la photographie d'un buste exécuté par

M. le Dr Paul Bicher d'après une malade de la Salpêtrière. On y retrouve

tous les caractères dû Jades décrit par Duchenne (de Boulogne).

« La paralysie de l'orbiculaire des lèvres donne une prédominance de

force tonique aux muscles qui meuvent les coiumissures, et .,qui, agissent

sur faièv-re supérieure.- Il en résulte que la Jigné : qui sépare les lèvres,

quand elles sont rapprochées, s'agrandit transversalement,. et que-les li-

gnes naso-labiales se creusent et s'arrondissent par l'action* des élévateurs

de la lèvre supérieure, ce qui donne' à la physionomie un air pleureur(3).

La bouche reste béante, et les lèvres flasques sont parfois atrophiées,

tantôt dans leur totalité, tantôt d'un seul côté. Les malades ne peu-

vent rire, siffler, souffler, faire la moue, donner un baiser. Il leur est

impossible de prononcer certaines lettres, les voyelles o et u, les labiales,

(1) Duchenne (ne 13om.ocnc.) Electrisalion localisée. Edit. 1872, p. 510.

(2) IDID. Arch. gén. de méd., sept. et oct. 1868.

(3) Duchenne (de BOULOGNE), loc. cit.

380 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE

et aussi les linguales et les dentales, car la langue est également paraly-

sée. Elle apparaît dans l'ouverture buccale, molle et ratatinée, pendante.

Et par l'angle commissural le plus déclive s'écoule un filet de salive qui ne

tari [jamais. Les mouchoirs deviennent insuffisants : il faut des serviettes,

et jusqu'à des alezes, pour étancher ce flux que rien ne peut retenir.

Mais tandis que toute la musculature inférieure de la face, (orbiculaire

des lèvres et muscles du menton), frappée par la paralysie, demeure inerte

et sans vie, le haut du visage conserve au contraire toutes ses qualités

expressives. Si la lésion reste limitée, les sourciliers, les frontaux, les py-

ramtdaux traduisent par leurs contractions ordinaires l'attention, l'éton-

nement, la tristesse ou la colère. L'oeil garde son éclat et sa vivacité et

autour de lui l'orbiculaire palpébral peut encore dessiner les rides du rire

franc.

Le contraste est frappant ; mais il disparaît à la longue quand à la po-

lio-encéphalite inférieure vient s'ajouter la supérieure.

Ce faciès si spécial n'est pas d'ailleurs, comme le croyait Duchenne, la

caractéristique d'une maladie autonome. C'est un syndrome commun à plu-

sieurs états pathologiques (1); on le retrouve toutes les fois que les noyaux

inférieurs de la colonne grise motrice bulbaire sont atteints, et l'on sait

que la polio-encéphalite inférieure survient souvent à titre de complica-

tion ultime dans un certain nombre d'affections médullaires, telles que

l'atrophie musculaire progressive, la sclérose latérale amyotrophique,

l'ophtalmoplégie et parfois le tabès (2).

Enfin le même syndrome s'ohserve sans que les noyaux du bulbe soient

intéressés : dans les paralysies, dites pselldo-vulvaires, par lésions corti-

cales ou sous-corticales, par lésions basilaires ou névritiques, et peut-

être même sans lésion organique (cas de Wilks, Oppenheim, Eisenlohr,

IIoppe, Senator).

Henry Meige.

(1) CIIAIICOT, Leç. du mardi, 1887-88, p. 222.

(2) Charcot, Leçon publiée par J.-B. Charcot et Dutil, Progrès médical, juin 1893.

TABLE DES MATIÈRES

Amyotrophies dans l'art, par Henry MEIGE,

198.

Amyotrophie primitive avec réactions élec-

triques anormales, par T. Savill, 184.

Arthropathies nerveuses et troubles de la

sensibilité, par E. BI11SSAUD, 209, 273.

Arthropathie tabétique (Trois cas d') bilaté-

rale et symétrique, par A. Souques et

J. B. CHARCOT, 221.

Artropathies trophiques au.point de vue chi-

rurgical, par A. CHIPAULT, 299.

Arthropathies syringomyéliques , par PAUL

LONDE, et J. PERREY, 232, 286.

Arthropathies syringomyéliques (bibliogra-

phie), par P. LONDE, 298.

Bandelette sous-optique, par E. Brissaud,

99.

Bidactylie (Un cas de) de la main droite par

amputation congénitale, par A. Souques

et Henry LECLERC, 242.

Contractures 'réflexes intra - hypnotiques

(De la morphologie des), par Schaffer, 22.

Délire de maigreur chez une hystérique.

par E. Brissaud et A. Souques, 327.

Hémiplégie spinale avec hémi-anesthésie

croisée d'origine syphilitique, par A. Jo-

RAND, 113

Miracles de St Ignace deLoyola, par H.111E-

GE et L. B1TTAILLN, 318.

Myopathie primitive généralisée, par

P. LONDE et HENRY MEIGE, 142.

Myopathiques (de la station et de la mar-

che), par P. RICUEx, 130.

Myopathie primitive progressive (examen

de l'excitabilité électrique dans la), par

E. Hoet, 160.

Myopathie primitive progressive avec atti-

tudes vicieuses extraordinaires, par A. Sou-

QUES, 171.

Myopathies (bibliographie), par H. MEIGE

et T. SAVILL, 205.

Nerf labyrinthique, par P. BONNIER, 338.

Origine des nerfs rachidiens. Rapports avec

les apophyses épineuses, par A. CHI-

PAULT, 243.

Ostéite déformante de Paget (Sur un cas d'),

par Gilles DE la TOURETTE et MAGDE-

laine, 1.

(Note sur un cas d'), par A. Robin, 15.

(Un cas d') par H. Meunier, 17,

Pachyméningite cervicale syphilitique (Un

cas de), par H. Lamy, 104.

Paralysie glosso-labio-laryngée (Le facies

dans la), par IIenry-Meige, 3S0.

Playes et fractures de la teste humaine (La

méthode curative des), par A. Paré et

A. CIIIPAULT, 118.

Possédées des dieux dans l'art antique, par

H. iU' E(GE, 3ô.

Possédés de P. Bronzet, par PAUL RICHER

et HENRY MEIGE, 258.

Station (De la), par P. Richer, 65

Syndrome de Weber (Deux cas de), par

A. Souques et PAUL LONDE, 364.

Syringomyélie atypique (Un cas de), par

.1. TARGO\'LA, 266.

Traumatisme rachidien (Note sur deux cas

de) avec intervention chirurgicale, par

A. CHIPAULT, 371.

TABLE DES AUTEURS

BRISSAUD. Du faisceau dit : Bandelette sous-

optique, 99.

Arthropathies nerveuses et troubles de la

sensibilité, 209, 273.

BRISSAUD et A. Souques. Délire de maigreur

chez une hystérique, 225.

Bonnier. Le nerf labyrinthique, 336.

Charcot (J.-B.) et A. Souques. Trois cas

d'arthropathies tabétiques, 221.

CHIPAULT (A.) La méthode curative des playes

et fractures de la teste humaine par A.

Paré, 118.

- Rapport de l'origine des nerfs rachidiens

avec les apophyses épineuses, 246.

Les arthropathies trophiques au point de

vue chirurgical, 299.

- Note surdeux cas de traumatisme rachi-

dien avec intervention chirurgicale, 369.

Gilles DE la TOURETTE et MAGDELAI1OE. Sur

un cas d'ostéite déformante de Paget, 1.

IIUET. Examen de l'excitabilité électrique

dans la myopathie primitive progressive,

160.

JORAN[) (A.) Un casd'hémiparaplégie spinale

avec hémianesthésie croisée d'origine sy-

philitique, 113.

LANIY (H.) Un cas de pachyméningite cervi-

cale syphilitique, 104.

ECLERC (H.) et H. Souques. Un cas de bi-

dactylie de la main, par amputation con-

génitale, 242.

LONDE (P.) et Henry MEIGE. Myopathie pri-

mitive généralisée, 142.

1.ONDE (Paul) et J. PERREY. Des arthropathies

syringomyéliques, 232, 286.

MEIGE (Henry) Les possédées des dieux dans

l'art antique, 35.

Meige (H.). Les amyotrophies dans l'art,

198.

MEIGE (H.) et Paul LoNDE. Un cas de myopa-

pathie primitive généralisée, 142,

MEIGE (H.) et P. RICIIER. Les possédés de

P. Bronzet, 258.

Meige (H.) et L. BATT.%II.IE. Les miracles de

St-Ignace de Loyola, 318.

MEIGE (H.) Le facies dans la paralysie glos-

so-labro-laryngée, 379.

Meige (H.) et T. SAVILL. Bibliographie des

myopathies, 205.

Meunier (Henri). Un cas d'ostéite déformante

de Paget, 17.

PERREY et (J.) et P. LONDE, Des arthropa-

thies syringomyéliques, 232, 286.

BICHER (Paul), De la station, z.

De la station et de la marche chez les

myopathiques, 130.

Rtcttt : e (Paul) et Henry MEME. Les possédés

de P. Bronzet, 258.

ROBIN (A). Note sur un cas d'ostéite défor-

mante de Paget, 15.

SAVILL (T). Un cas d'amyotrophie primitive

avec réactions électriques anormales, 184.

SAYILL (T.) et H. Meige Bibliographie des

myopathies, 205.

Schaffer. De la morphologie des contrac-

tures réflexes intra-hypnotiques, 22.

Souques (A.) Un cas de myopathie primitive

progressive avec attitudes vicieuses ex-

traordinaires, 171.

Souques (A.) et J.-B. Charcot. Trois cas

d'arthropathie tabétique, bilatérale et sy-

métrique, 221.

Souques (A.) et H. LECLERC. Un cas de bi-

dactylie de la main droite par amputation

congénitale, 242.

Souques (A.) et Btttssnuu. Délire de mai-

greur chez une hystérique, 325.

SOUQUES (A.) et Paul Londe. Deux cas de

syndrome de Weber, 363.

Targoavla (J.) Un cas de syringomyélie

atypique, 266,

TABLE DES PLANCHES

Amyotrophie primitive avec plusieurs

symptômes des amyotrophies spinales,

XXII, XXIII.

Arthropathie syringomyélique et déviation

vertébrale, XXIX, XXX, XXXV, XXXVIII,

XXXIX.

Arthropathie tabétique des deux genoux

chez une femme, XXV, XXVI.

- Chez un homme, XXVI 11.

- Des deux épaules, XXVII.

Arthropathie trophique des deux genoux

(avant et après double réfection), XXXVII,

XXXVIII.

Bandelette sous-optique (coupes transver-

sales du cerveau), XIII, XIV, XV.

Délire de maigreur chez une hystérique

(avant et après le traitement), XLI, XLII.

Facies myopathique, par Paul Richer,

XXIV.

Lamneclomie pour paraplégie traumatique,

XLV.

Ligne de gravité du corps humain (détermi-

nation de la), IX, X, XI, XII.

Luxation cervicale avant et après les ligatu-

res. des apophyses épineuses, XLVI,

XLVII.

Miracles d'Ignace de Loyola, XXXIX,

XL.

Myopathie primitive avec déformations

extraordinaires, XX, XXI.

Myopathie primitive généralisée, XVIII,

XIX.

Myopathie primitive progressive (attitudes

de trois malades dans la station debout),

XVII.

Ostéite défonnante de Paget, VI.

Habitus et faciès, VII.

Fémurs, tibias et péronés, III.

Habitus général, I et II.

Squelette, IV.

- Os comparés à ceux d'un squelette nor-

mal, V.

Pachyméningite cervicale syphilitique,

XVI.

Paralysie glosso - labiolaryngée (faciès),

XLVIII.

Possédés de Bronzet, XXXI, XXXII.

Pythie de Delphes d'après une gravure de

R. de Hooge (1688), VIII.

Syndrome de Weber (Deux cas), XLIII,

XLIV.

Syringomyélie (déformation des mains),

XXXVI.

TABLE DES FIGURES

Ambroise Paré (portrait), 35.

Amyotrophie, (faciès), 53.

Amyotrophiques dans l'art, 55, 56, 57.

Anesthésie dans l'hémiparaplégie spinale,

32, 33.

Apophyses épineuses, ligature réductrice, 99.

Arthropathies tabétiques des deux genoux,

58, 59.

de l'épaule, 60.

du pied, 85, 86, 87, 88.

du coude avec hydarthrose, 81, 82.

- du poignet, 80. ,

Arthropathies des deux genoux dans la pa-

ralysie générale, 61.

Arthropathies syringomyéliques du poignet,

62, 76, 77.

- du coude, 78.

de l'épaule, 79.

- ostéome du tendon du triceps, 79.

- du pouce, 83 et 84.

Bandelette sous optique, (trajet et rapport),

30, 1.

Bidactylie congénitale, 63.

Cerveau, région ou aboutissent les fibres du

nerf labyrinthique, 91,93.

Compression de la moelle dans un trauma-

tisme rachidien, 96.

Equilibration, (schéma pour expliquer le

mécanisme de l'), 93.

Faciès myopathique, 47, 53, 54, 55, 56.

Instruments d'Ambroise Paré, 36, 37.

Marche (différents temps de la), 44, 45.

Marche (inclinaisons opposées du tronc et

du bassin chez l'homme sain et chez le

myopathique, 46.

Myopathie, déformations excessives, 51, 52.

Myopathie, (facies) 54.

Myopathie primitive généralisée (faciès) 47.

- attitudes, 48, 49, 50.

Nerf labyrinthique, 90, (préjection de tou-

tes les fibres numologues).

Nerfs rachidiens, rapports avec les apophy-

ses épineuses, 61" 65, 66, G7, 68, 69, 70, 71,

72, 73, 74. ·

Ostéite déformante de Paget. Habitus ex-

térieur, 1, 2, 3, 4, 5.

l'as (simples et doubles), 43.

Pied tabétique, 86, 87, 88.

Possédées des Dieux dans l'art antique. Scè-

ne d'enthousiasme bachique, 9.

Ménades d'après un vase peint de la col-

lection Jatta, 10.

- Ménade dansant, 11, 12, 13.

- Attitudes d'hystériques rappelant celles

des Ménades figurées sur les vases anti-

ques, 14, 15.

Possédées (d'après une esquisse peinte de

Rubens), 75.

Rétrécissement du champ visuel, schémas,

6, 7, 8.

Station à genoux, 29.

Station de la tête sur la colonne vertébrale,

18.

Station du tronc sur les cuisses, 19.

Station des cuisses sur les jambes, 20.

Station des jambes sur les pieds, 21.

Station (équilibre de la), 17.

Station sur la pointe des pieds, 23, 24, 25.

Station verticale droite ou symétrique d'a-

près Paul Richer, 16.

Station verticale hanchée ou asymétrique,

26, 27, 28.

Station (inclinaison des différents segments

du corps humain), 22, 40.

Stations pathologiques, 41, 42.

Trépans perforatifs, et exfoliatifs, d'Am-

broise Paré, 38, 39.

Troubles de la sensibilité après traumatisme

rachidien, 94, 95, 97, 98.