NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE
LA SALPÊTRIÈRE
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTEME NERVEUX
Imp. Vve Lourdot, 33, rue des Batignolles, Paris.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA
/O \
SALPÊTRIÈRE
\
CLINIQUE DES MALADIES DU SYSTÈME NERVEUX
FONDÉE PAR LE
PROFESSEUR CHARCOT (DE L'institut)
PUBLIÉE PAR
PAUL RICHER GILLES DE la TOURETTE
CHEF DU LABORATOIRE DE MÉDECIN DES HÔPITAUX
LA CLINIQUE ANCIEN CHEF DE CLINIQUE
ALBERT LONDE
DIRECTEUR DU SERVICE PHOTOGRAPHIQUE
Secrétaire de la Rédaction : HENRY MEIGE.
AVEC LA COLLABORATION DE MM.
BOGROFF (Odessa), BLOCQ (P.); CATHELINEAU (H.); CHARCOT (J.-B.); DELPRAT (Amsterdam); DENY ;
DURET; DUTIL; EM IRZÉ (Smyrne); ESTEVES (Buenos-Ayres); FÉRÉ; GUINON (Georges); HALLION ;
HUET; KATICHEFF (St-Pétersbourg) ; LAMY (H.); LANNELONGUE; LAUFENAUER (Buda-Pesth) ; LE
DENTU (A.) P. LONDE ; LUCO ORREGO (Santiago, de Chili); MARIE (P.); MARINESCO (Bucharest);
H. MEIGE; MICHAILOWSKI (Sofia); MOCZUTKOVSKY(Saint-Pétersbonrg); PARINAUD; PARMENTIER ;
PITRES; RAMADIER; L.RÉVILLIOD (Genève), SABRAZES ; SÉGLAS; SERIEUX ; SIKORSKY (Kiew);
SOCA (Montevideo); SOUQUES; SURMONT; TERRILLON ; TUFFIER; WEIL.
TOME SIXIÈME
Avec 58 figures intercalées dans le texte et 48 planches.
PARIS
ANCIENNE MAISON DELAHAYE
L. BATTAILLE ET CIE, ÉDITEURS
23, PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINE, 23
. 1893
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA SALPÊTRIÈRE
DEUX OBSERVATIONS
, POUR SERVIR
AU DIAGNOSTIC DES PARAPLEGIES SYPHILITIQUES
(Hôpital Saint-Louis. - Service de M. le Professeur Fournier).
Parmi les nombreux malades qui fréquentent la Clinique des maladies
cutanées et syphilitiques de l'hôpital St-Louis, nous désirons appeler l'atten-
tion sur les deux suivants qui nous ont fourni des observations intéres-
santes à plus d'un titre au point de vue des manifestations de la syphilis
sur le système nerveux et nous permettront d'exposer l'enseignement de
notre maître M. le professeur Fournier en la matière.
Ons. I. X., 23 ans, menuisier, entré le 20 octobre 1892, salle St-Louis n° 22,
Jiôpital St-Louis. A. 1. - Son père s'est suicidé par pendaison à 48 ans.
3 frères et soeurs bien portants. A. P. A marché il 9 mois : pas de maladies
d'enfance ; fièvre typhoïde à 10 ans ; pas d'alcoolisme.
En septembre 1890, alors âgé de 20 ans. il aurait eu sur le corps une éruption
roséolique qui fut traitée à l'hôpital du Midi par des frictions mercurielles et de
l'iodure de potassium. Le chancre avait passé inaperçu ; le malade a constaté
uniquement une adénopathie inguinale double. Depuis cette époque aucune au-
tre manifestation de la syphilis sur la peau ou sur les muqueuses. A noter qu'au
moment de l'éruption roséolique, X. n'avait pas la blennorrhagie et ne prenait
pas de copahu.
Arrivé au régiment deux mois après le début de sa roséole, X. reste un mois
à l'infirmerie où il est soigné par les frictions mercurielles et l'iodnre de potas-
sium.
La santé a été parfaite jusqu'au 14 juillet 1892 et depuis son séjour à l'infir-
merie, X. a cessé tout traitement spécifique.
Le 14 juillet, pendant la revue, sans cause apparente ; émotion, fatigue, etc,
il fut pris dit-il d'un « tremblement » subit dans les membres inférieurs sans
VI . 1
2 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.
douleur d'aucune sorte. Les jambes ne fléchirent pas sous lui, il put rester de-
bout, mais pour rentrer à pied a la caserne il lui fallut l'aide de deux camarades.
Le lendemain il entrait à l'infirmerie, incapable vu la difficulté de la marche,
de faire son service; puis à l'hôpital pendant un mois 1/2, puis il partait en
congé de convalescence et se trouvait libéré du service militaire. A l'hôpital le
traitement consista en frictions mercurielles tous les deux jours; 1 gramme de
KI par jour.
Depuis cette époque et jusque son entrée à l'hôpital St-Louis, il s'est réguliè-
rement soigné par le traitement mixte.
Au dire du malade lui-même, son état ne s'est ni modifié ni aggravé depuis
le premier jour.
Etat actuel. -Malade vigoureux, bien constitué. La principale chose dont il se
plaint est une difficulté considérable dans la marche. Il peut l'aire d'assez lon-
gues promenades à pied mais les jambes sont lourdes et il ne peut courir. Les
divers mouvements des deux membres inférieurs sont du reste bien conservés
en tant que résistance musculaire.
La démarche offre le caractère spasmodique : les pieds frottent sur le sol sur-
tout par le bout, écartés pour élargir la base de sustentation. Pas de signede Rom-
berg ; pas de phénomènes douloureux ni de troubles de la sensibilité locale,
générale ou sensorielle; pas d'atrophie des muscles.
Réflexes rotuliens très exagérés : le relèvement du pied produit immédiate-
ment de la trépidation spinale. Celle-ci survient presque spontanément dans le
lit par le simple effleurement des orteils par les draps ; crampes fréquentes
dans les mollets.
X. n'a jamais uriné involontairement, mais s'il ne pouvait satisfaire immédia-
tement le besoin qu'il éprouve, il pisserait dans son pantalon ; rien du côté du
rectum.
Pas de phénomènes oculo-pupillaires ; aucune manifestation actuelle de la sy-
philis.
Malgré un traitement intensif par les frictions et l'iodure, l'état reste station-
naire.
En résumé, un homme de 21 ans syphilitique depuis 18 mois à 2 ans
environ est pris subitement sans aucun prodrome, des phénomènes d'une
paraplégie spasmodique incomplète, mais assez marquée cependant pour le
mettre hors d'état de se tenir debout pendant longtemps et de continuer le
service militaire.
Les médecins du régiment qui le virent le lendemain et jours suivants
pensèrent à une paraplégie d'origine hystérique, à ce que nous raconta
le malade, sans toutefois pour cela, connaissant ses antécédents, négliger le
traitement spécifique qui continué depuis cette époque jusqu'à maintenant,
n'amena aucune amélioration.
Etant donné cet insuccès du traitement faut-il penser que leur première
opinion était la bonne ? Nous le ne croyons pas. X. n'a jamais présenté de
DIAGNOSTIC UES PARALYSIES SYPHILITIQUES 3
stigmales hystériques, autant que nous sachions; ils furent recherchés au
régiment, et il n'en présente pas actuellement ; or, à son âge, l'hystérie sur-
tout chez l'homme où elle est toujours si luxuriante ne reste guère mono-
symptomatique. De plus, il existe rarement bien que cela puisse se voir
toutefois, dans l'hystérie, des troubles vésicaux, peu marqués à la vérité
mais cependant très nets chez le malade.
D'autre part, la forme de sa paraplégie est bien typique : c'est celle
que l'on observe dans 80 0/0 des cas de syphilis médullaire, c'est dirions-
nous la forme commune. A la vérité elle est surtout l'apanage des sujets
plus vieux en syphilis, les formes flasques, douloureuses mais presque tou-
jours curables se montrant surtout précoces.
Nous disons formes curables ; celle en effet que présente le malade est
tout à fait d'une autre nature. Elle appartient celle myélite syphilitique,
forme commune dont l'anatomie pathologique est presque tout à faire,
mais dont la clinique peut être nettement établie ainsi qu'il suit. Début
de 3 à 6 ans après l'apparition du chancre, rarement plus tôt, souvent plus
tard; quelques phénomènes peu douloureux consistant surtout en four-
millements dans les pieds, dans les membres inférieurs avec sensations
d'eau chaude ou d'eau froide glissant tout le long du membre du haut en
bas ; miction difficile ; quelquefois rétention ; rarement incontinence; un
peu de constipation.
Cette première période peut durer des mois entiers sinon des années :
dans tous les cas elle est toujours insidieuse et il moins que les troubles
urinaires aient été très marqués dès le début, ce qui est rare, le malade
consulte rarement le médecin avant la deuxième période, c'est-à-dire à l'é-
poque où sont survenus des troubles sérieux de la marche. Le malade en
effet éprouve des lassitudes constantes dans les membres inférieurs, qui
le forcent à s'asseoir fréquemment; il ne peut plus courir bien qu'il fasse
encore de longues courses; enfin il remarque parfois que, dans son lit, lors-
que les faces planlaires ne sont pas bien appuyées à plat, que la pointe du
pied doit s'incliner, il se produit spontanément des crampes souvent très
douloureuses, et le tremblement de l'épilepsie spinale.
C'est alors généralement que les malades se décident à venir consulter
mais, c'est avec peine que nous le constatons, cette myélite d'origine incon-
testablement syphilitique n'estque difficilement influencéepar le traitement.
Pourquoi ? nous l'ignorons, car comment raisonner en l'absence de données
anatomo-pathologiques certaines. On a très rarement en effet l'occasion de
faire des examens microscopiques, car cette variété de myélite ne tue pas
ou très rarement. Elle est susceptible d'elle-même de s'arrêter a une période
de son évolution, et de fait elle s'arrête souvent en route. Nous connais-
sons des syphilitiques qui, après avoir eu les sensations particulières dans
4 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
les membres inférieurs que nous avons décrites ont vu leur réflexes s'exa-
gérer considérablement; sous l'influence de marches fatigantes la trépida-
tion spinale s'est montrée, passagère : puis un peu de parésie vésicale ;
alors tout est resté stationnaire ne gênant pour ainsi dire en rien le malade.
Peut-être si l'on obtient si peu de succès par le traitement spécifique
est-ce justement parce que les malades qui s'observent peu ne viennent
consulter qu'après cette première période toujours insidieuse, comme nous
l'avons dit : et il est possible que cette première période ait passé totale-
ment inaperçue chez notre malade, ce qui expliquerait cette soudaineté ap-
parente de la manifestation médullaire. Peut-être aussi est-ce bien parce
que cette première période est méconnue par les médecins consultés, et qui
sont en général peu au courant de ces manifestations à la vérité discrètes de
la syphilis médullaire, mais dont la marche n'en est pas moins inéluctable
et peut en somme conduire quoique rarement à l'impotence complète par
rigidité spasmodique.
Il doit se faire dans ces cas une lésion artérielle productrice de sclérose
et lorsque le tissu conjonctif est formé, l'iodure ne peut agir sur lui pas
plus que sur un tissu de cicatrice. Il faudrait donc pouvoir intervenir de
bonne heure, à cette période où les malades ne songent pas à attirer l'atten-
tion du médecin sur les lésions qui se font alors et ne rétrocéderont plus
une fois établies.
Il est singulier de voir que ce sont presque toujours les membres infé-
rieurs qui sont atteints; la myélite serait donc presque exclusivement lom-
baire. Nous croyons que dans la circonstance cette localisation est plus
apparente que réelle. Nous avons eu l'occasion d'examiner un grand nom-
bre de ces malades, carnous le répétons, c'est là la forme commune des my-
élopathies syphilitiques et souvent nous avons trouvé quelques phénomènes
d'engourdissement dans les membres supérieurs, dont les réflexes étaient
devenus plus forts qu'à l'ordinaire. Mais souvent surtout il y a des phéno-
mènes pupillaires consistant surtout en de la paresse, de l'inégalité, bien
plutôt que du myosis comme dans le tabes. Dans un cas même nous avons
observé la chute de la paupière supérieure droite, chez un malade dont les
membres supérieurs étaient fortement engourdis et certainement parésiés.
La prédominance dans la région lombaire n'en est pas moins incontestable.
C'est associées à cette forme commune de la paraplégie spamodique qu'on
observe parfois, dans un autre groupe de cas, des douleurs fulgurantes res-
semblant à s'y méprendre à celles du tabes vrai. A premier interrogatoire
du malade on pense à l'ataxie locomotrice et l'on est tout étonné de trou-
ver les réflexes exagérés et parfois de la trépidation spinale. En même
temps il existe du myosis, mais le signe de Romberg est fréquemment ab-
sent. Nous possédons par devers nous au moins 6 cas de cet ordre obser-
Nouv. ICON. DE LA SALPTTRIÊRE T. VI. PL. 1
Phototype Mlhcux
PHOTOCOLLOCRAPBJE Chêne & Longuet
PARAPLEGIE SYPHILITIQUE COÏNCIDANT
AVEC UNE ÉRUPTION CUTANÉE
L. BATTAILLI : : CIE Editeurs
DIAGNOSTIC DES PARALYSIES SYPHILITIQUES 5
vés à la Salpêtrière dans le service de M. le professeur Charcot et dont l'o-
rigine syphilitique était incontestable. Nous ajouterons que l'évolution de
ces cas se rapproche beaucoup plus de celle de la forme commune de la
myélite syphilitique que nous venons de décrire que du tabes vrai; souvent
l'affection reste stationnaire n'évoluant pas d'une façon presque fatalement
progressive comme le tabes.
II .
La deuxième observation que nous publions est intéressante à d'autres
points de vue; elle diffère radicalement de la précédente en ce que la pa-
raplégie est flasque au lieu d'être spasmodique. Il s'agit, comme nous le
verrons, d'une forme de myélite syphilitique dont l'évolution est tout à
fait autre.
Marie X. âgée de 39 ans, marchande de légumes, est entrée le 17 novembre
1892, salle Henri IV, no 10, hôpital St Louis.
A. H. Parents morts d'affections pulmonaires. ,
A. P. Sujette depuis l'adolescence a de fréquentes attaques d'hystérie. Bron-
cho-pneumonie à 29 ans. Mariée à 19 ans : 5 enfants, le dernier il y a ans.
Depuis 7 ans, chagrins ; dans ces derniers temps a dû supporter de nombreuses
privations; elle avait autrefois une place de marchande au marché St-Honoré
qu'elle a dû quitter pour se mettre revendeuse au panier ou sur une petite voi-
ture. Nie, mais faiblement, avoir fait des excès alcooliques. '
Elle entre le 17 novembre 1892 pour des syphilides papulo-squameuses du
tronc, des membres et de la face ; des syphilides croùteuses du cuir-chevelu ; le
corps est tigré par une série de macules larges aux membres inférieurs, grisâ-
tres et bistrées sur ce tronc ; jambonnées sur les membres supérieurs. Quelques
taches palmaires et plantaires sans saillies ; éruption abondante sans confluence.
Dans les aines petits ganglions durs. Alopécie par plaques. En même temps gale.
Elle semble ignorer le pourquoi de la maladie actuelle ; ne se souvient pas
d'un accident primitif et dit que ces taches sont apparues il y a'quelques semai-
nes et, coïncidant avec l'éruption, les phénomènes paralytiques dont nous allons
parler. Il est très difficile d'ailleurs d'obtenir des renseignements précis car sa
mémoire présente d'incontestables lacunes ; son état mental comme son état phy-
sique est tout à fait déprimé.
Etat du système nerveux. Femme pâle, amaigrie, très affaiblie, elle repose
constamment dans le décubitus dorsal ; elle répond péniblement sans troubles
toutefois de la parole, aux questions qu'on lui pose. (Pl. I) ? '- ,
Il lui est du reste très difficile de se lever, car elle ne peut se tenir sur ses
jambes, celles-ci se dérobant sous elle. Elle peut les détacher mais avec peine du
plan du lit mais la paralysie des membres inférieurs pour être incomplète n'en est
pas'moins évidente. Lorsqu'on la maintient assise sur le bord du lit les jambes
pendantes, on voit les pieds devenir violacés et se couvrir d'une sueur légère ; il
existe dans le tiers inférieur des 2 jambes un empâtement diffus très manifeste
gardant l'empreinte des doigts ; la peau est écailleuse. La pression des masses
0 NOUVELLE 1CONOGIi.IYlll DE LA SALPÊTRIÈRE.
musculaires des deux mollets fort flasques et amaigris est très douloureuse. Il
n'existe cependant pas de douleurs spontanées. Absence absolue des réflexes
rotuliens des deux côtés. Pas de troubles de sensibilité aux divers modes. Il est
difficile, étant donné la faiblesse des membres inférieurs, de juger s'il existe le
signe de Romberg.
Les membres supérieurs participent dans une certaine mesure à la paralysie :
la pression des mains est très faible, la malade ne peut se peigner ; on est obligé
de la faire manger.
Pas de phénomènes pupillaires.
Besoins impérieux d'uriner ; la malade urinerait dans son lit si on ne lui don-
nait immédiatement le vase ; de même pour les fonctions rectales.
Pas de troubles sensitifs ou sensoriels ni de rétrécissement du champ visuel ;
pas de zones hyperosthésiques ou hystérogènes. Sommeil sans cauchemars.
L'examen électique des muscles fait par M. Oudin porte : « Diminution de
l'excitabilité faradique et galvanique des muscles sans réaction de dégénéres-
cence ; néanmoins la forme de la contraction se rapproche de celle qu'on observe
dans les paralysies toxiques (alcool, etc.) ».
Traitement parles injections sous-cutanées do peptonate d'hydrargyre. Sirop
d'iodure de fer.
A partir des premiers jours de décembre l'état général s'améliore et la para-
lysie diminue. Les membres supérieurs recouvrent leurs mouvements ; la mar-
che bien qu'encore difficile et hésitante devient possible; les besoins d'uriner sont
moins impérieux. En décembre, alors que l'amélioration s'accentue de plus en
plus les réflexes rotuliens sont toujours absents.
Le diagnostic de myélite syphilitique produisant une paralysie flasque
presque complète des membres inférieurs moins marquée aux membres su-
périeurs, s'imposait ici étant donnée la coïncidence de la paralysie avec
l'apparition des syphilides papulo-squamens, l'existence de troubles des
sphincters et l'absence de troubles sensitifs toujours rares d'ailleurs dans
ces paralysies incomplètes.
Cependant on pouvait encore émettre deux hypothèses : l'empâtement
des membres inférieurs, les troubles trophiques et vaso-moteurs de la peau
et peut-être une prédominance de la paralysie du côté des groupes exten-
seurs, joints à la douleur qu'on provoquait en pressant les masses musculai-
res du mollet permettaient peut-être de penser à la paralysie alcoolique.
La profession de cette femme vendeuse des rues, les privations qu'elle
avait subies et au cours desquelles elle avait dû avoir recours à des bois-
sons frelatées plutôt qu'à des aliments reconstituants plaidaient encore en
cette faveur, de même aussi que l'absence des réflexes rotuliens et peut-
être les résultats de l'examen électrique. Mais il manquait les douleurs
spontanées et elle niait tout alcoolisme. Enfin les sphincters étaient pris
dans une certaine mesure.
On pouvait encore et surtout penser à une paralysie hystérique étant
données les attaques convulsives antérieures, cet état mental parliculier
DIAGNOSTIC DES PARALYSIES SYPHILIT1QES 7
avec lacunes de la mémoire; mais il n'y avait actuellement aucun stig-
mate sensitivo-sensoriel, la paralysie semblait avoir débuté insidieuse-
ment ; de plus les troubles vésicaux et rectaux sont rares dans les paraplé-
gies hystériques.
La coïncidence d'autres manifestations actuelles de la syphilis levait les
doutes et l'amélioration rapide survenue sous l'influence du traitement
spécifique montra que c'était bien à la vérole qu'il fallait attribuer ces acci-
dents tout en faisant des réserves au point de vue d'une association de
l'alcoolisme avec la syphilis.
Les paralysies flasques d'origine syphilitique qui revêtent le plus sou-
vent la forme de paraplégies ont des allures cliniques beaucoup plus va-
riées que la forme commune de la myélite spasmodique dont nous avons
esquissé les traits.
Certaines d'entre elles sont rapidement complètes, s'accompagnant de
phénomènes douloureux, de troubles très marqués des sphincters, et d'es-
chare au sacrum ; de ce fait elles peuvent entraîner la mort. Il est possible,
il est même à peu près certain que si l'on n'était pas intervenu par un trai-
tement approprié, la paralysie dans notre cas, se fut rapidement aggravée.
M. le professeur Fournier nous a communiqué l'observation d'un malade
de cet ordre chez lequel la paralysie des 4 membres lui presque subite et
devint très rapidement totale ; au bout de trois jours la mort survint par
envahissement bulbaire.
Il n'est pas moins vrai cependant que malgré leur gravité réelle ce sont
ces cas qui guérissent beaucoup plus souvent et beaucoup plus sûrement
que les myélites spasmodiques il marche lente et insidieuse.
Nous avons observé dans le service de M. Charcot chez une jeune femme
une paralysie presque complète des membres inférieurs avec troubles vé-
sicaux s'accompagnant de douleurs spontanées extrêmement vives qui gué-
rit rapidement sous l'influence du traitement spécifique.
La majeure partie de ces observations appartiennent à des individus jeu-
nes dans la syphilis.
Nous n'insistons pas davantage, car notre but dans cette note n'est pas de
passer en revue toutes les manifestations de la syphilis sur l'axe spinal,
car ces manifestations sont trop variées, néanmoins les deux types dont
nous venons d'esquisser la physionomie méritaient vu leur fréquence et
étant donné nos deux observations d'être mis en relief, car ils sont fré-
quemment observés. Aujourd'hui nous sommes bien fixés sur leurs allures
et leur évolution clinique. Mais nous n'en saurions dire autant en ce qui
regarde l'anatomie pathologique.
GILLES de la TOURETTE. HUDELO,
Ancien chef de clinique des maladies Chef de clinique des maladies
du système nerveux. cutanées et syphilitiques.
DEUX CAS DE MYOPATHIE PROGRESSIVE
DU TYPE LAVDOUZY-D>JJIJftINIJ
AVEC PSEUDO-HYPERTROPI3fE DE CERTAINS MUSCLES
Dans une leçon publiée en mars 1885, M. le professeur Charcot, par
l'étude clinique de plusieurs cas rassemblés dans son service^ montrait les
liens étroits qui relient entre eux les différents types de myopathie, et qui
n'en font en somme que des formes diverses d'une seule et même affec-
tion (1). Quelques mois plus tard, M. Pierre Marie et moi reprenions la
même question et, avec un certain nombre d'observations à l'appui, rap-
pelions les conclusions de notre maître (2).
On se trouvait alors en présence de trois types distincts de myopathie :
la paralysie pseudo-hypertrophique ; la forme juvénile de l'atrophie mus-
culaire de Erb ; l'atrophie infantile héréditaire de Duchenne de Boulo-
gne, sortie du cadre des amyotrophies myélopathiques depuis les tra-
vaux de MM. Landouzy et Déjérine. En effet, dès 1874 M. Landouzy faisait
le premier connaitre le signe de l'orbiculaire des paupières, caractérisé
par l'impossibilité de l'occlusion des paupières causée par la paralysie de
ce muscle et plus tard avec M. Déjérine fondait définitivement l'anatomie
pathologique de celle forme d'amyotrophie, connue communément aujour-
d'hui sous le nom d'atrophie myopathicjue du type Landouzy-Déjérine, ou
facio-scapul o-huméral.
Or il s'agissait de démontrer que ces trois espèces d'amyotrophies n'é-
taient que des formes diverses d'une seule et même affection : la myopa-
thie progressive. Je ne reviendrai pas ici sur les arguments qui ont été
fournis en faveur de celte idée, renvoyant pour cela à la leçon de M. Char-
cot, et à notre travail précédemment cité. La démonstration nous parais-
sait suffisante pour établir des conclusions basées sur ce fait : d'une part
(1) Charcot. Révision nosog·aplcique des a'op/tt'M musculaires progressives (leçon re-
cueillie par Pierre Marie et Georges Guinon, Progr. méd., 1 mars 1885) et Leçons sur les
maladies du système nerveux, tome III.
(2) Pierre Marie et Georges Guinon. Contribution à l'élude de quelques-unes des for-
mes cliniques de la myopathie progressive primitive ; paralysie pseudo-hyperlrophique,
forme juvénile de Br6, atrophie infantile héréditaire de Duchenne de Boulogne (Rev. de e
méd., octobre 1885, p. 793).
MYOPATHIE PROGRESSIVE DU TYPE LANDOUZY-DLJERINE 9
identité de nature de la paralysie pseudo-hypertrophiqueet delà forme de
Erb, établie par Erb lui-même dans ses importants travaux; d'autre part
également entre la forme de Erb et la forme facio-scapulo-humérale de
Landouzy-Déjérine, identité résultant de l'étude clinique, de l'évolution,
de l'hérédité, de la familialité, avec cette seule distinction que la face est
prise dans celle-ci et point dans celle-là, et encore la valeur de cette dis-
tinction est-elle fortement amoindrie par le fait qu'à un moment donné de
son évolution, lorsque la face est prise en dernier lieu, un cas de forme
facio-scapulo-humérale peut rester longtemps un pur type d'Erb (1).
Quoi qu'il en soit, en vertu du principe : deux quantités égales à une
troisième sont égales entre elles, on pouvait rapprocher l'un de l'autre les
deux types extrêmes : paralysie pseudo-hypertrophique et forme de Lan-
douzy-Déjérine. Mais la démonstration d'identité eut été encore plus écla-
tante, si on avait pu faire pour ces deux formes ce que M. Erb avait fait
pour la forme juvénile et la paralysie pseudo-hypertrophique. On connais-
sait avant lui l'atrophie dans la paralysie pseudo-hypertrophique (myopa-
thie avec prédominance de la pseudo-hypertrophie) ; il a montré l'hyper-
trophie dans la forme juvénile de l'atrophie musculaire (myopathie avec
prédominance de l'atrophie). Il fallait faire de même pour la forme facio-
scapulo-humérale, en constatant sa coexistence avec lapseudo-hypertrophie.
Je ne me place pas ici au point de vue histologique, car, sous le micros-
cope, rien ne ressemble plus à un muscle hypertrophié qu'au muscle atro-
phié (Friedreich, Gradenigo, Landouzy etDéjerine, etc.. Voir à ce sujet
P. Marie et Georges Guinon, mémoire cité, page 836), mais seulement au
point de vue clinique. Or aucun cas de ce genre n'avait encore été décrit
jusqu'au jour où M. Brissaud en 1890 en observa un et le fit connaître
dans une conférence faite à la Salpêtrière. Je dois à sa très grande obli-
geance de pouvoir rapporter in extenso l'observation de son malade, qu'il
a bien voulu me communiquer, avec les clichés photographiques qui en
ont été pris.
OBs. I (communiquée par M. le Dr Brissaud).
Myopathie progressive du type facio-scap2clo-Ituzzéral. - Face nettement envahie,
mais sans le signe de l'orbiculaire des paupières. - Pseudo-hypertl'ophie de
quelques muscles de la face, du deltoïde, des muscles du mollet.
M<MM )H ! MCM /ace, <t <MoMc, M MUMC/M M MM.
Le nommé Arn... Aimé, âgé de 42 ans, exerçant le métier de doreur sur bois,
est entré le 20 juin 1890 à l'hôpital St-Antoine, salle Littré, service de M. le
Dr Brissaud.
Antécédents héréditaires. Le père du malade est mort à 48 ans d'une affec-
(1) Voir à ce sujet les cas à début facial tardif de MM. Landouzy et Déjérine, in Rev.
de méd., 1886.
10 NOUVELLE ICONOGIt.1P111 DE LA SALPÊTRIÈRE.
tion intestinale (prolapsus du rectum ? ) : il était atteint de cataracte. La mère
est morte de suites de couches ; elle était malade de la poitrine.
Il a eu 7 frères et soeurs, dont 4 sont morts en bas âge d'affections inconnues
de lui. Une soeur est morte il '18 aus de la fièvre typhoïde. Il reste une soeur de
56 ans et un frère de 46 ans, tous deux bien portants. Ce dernier a ou 7 en-
fants, dont 3 sont vivants et en bonne santé et 4 sont morts de diarrhée infan-
tile et de broncho-pneumonie.
Antécédents personnels et histoire de la maladie. - Le malade a eu a 12 ans
une scarlatine, sans suites fâcheuses. Depuis l'année 1886. il est sujet à des
attaques de coliques néphrétiques, qui se sont renouvelées plusieurs fois.
Entre 18 et 20 ans, Arn.... s'aperçoit qu'il maigrit. Sa famille lui fait re-
marquer qu'il a une démarche « affectée » ; et lui-même note qu'il use ses
chaussures il la pointe, et davantage du pied gauche. A cette époque, il aban-
donne sou métier de menuisier en bâtiment pour celui de doreur sur bois.
Fig. 1. - Pseudo-hypertrophie dans la myopathie du type Landouzy-Déjcrine.
MYOPATHIE PROGRESSIVE DU TYPE LA\DUUZ1-11P.IERLNE. U
Un peu plus tard, au conseil de révision, le médecin lui fait remarquer que
ses omoplates sont saillantes, et on le réforme, en le prévenant qu'il est atteint
d'une maladie grave.
En 1869 (il avait il cette époque 21 ans d'âge) il va consulter Duchenne de
Boulogne. De l'examen qu'il subit alors, il se rappelle qu'on le fit en vain essayer
de siffler, de souffler, et que Duchenne lui fit observer l'immobilité de la lèvre
supérieure. L'acte du rire fut également trouvé singulier. D'ailleurs des obser-
vations analogues sur le rire, l'action de souffler, avaient déjà été faites dans
l'entourage du malade, et on s'était aperçu qu'il éprouvait une grande difficulté
à souffler une bougie allumée.
Pendant six mois, il fut électrisé par Duchenne de Boulogne le long du ra-
chis, il la main ,mais non il la face. Puis il cessa de le voir.
En 1870 (22 ans d'âge), sentant que la jambe faiblit, il entre à la Pitié dans
le service de Vulpian, où il reste trois mois, prenant de la noix nomique, et d'où
il sort pour aller accompagner son frère qui part comme soldat.
De 1870 à 1886 le malade peut marcher assez bien pour aller travailler à l'a-
telier, mais il voit progresser son incapacité motrice. Elle avait débuté par le
côté gauche (le bras, puis la cuisse) ; il 2v ans, c'est-à-dire trois ans plus tard,
le côté droit (bras en premier lieu) se prend à son tour. Le travail est possible,
mais devient de plus en plus difficile.
De dix à douze ans (1878-80) daterait une gène des mouvements des doigts,
en particulier du pouce, et de la main, qui oblige dès lors le malade il tenir ses
outils entre l'index et le médius.
Vers la même époque apparut le phénomène du dérobement des jambes, à la
suite d'une sorte de secousse ressentie dans les membres inférieurs. Au dessous
de la rotule droite on trouve une cicatrice, vestige des plaies consécutives à plu-
sieurs chutes qu'il fit de cette manière. A la fin de 1886, nouveau séjour à la
Pitié, dans le service de M. Dumontpallier, où on lui met des pointes de feu le
long du rachis.
De 1886 à 1890, le malade remarque que sa face grossit, que ses lèvres sont
plus saillantes. De plus il a souvent aux mains la sensation de l'onglée et la
cyanose y est assez fréquente.
Etat actuel. Aux membres supérieurs, l'omoplate a son bord spinal dis-
tant, à la vue, de plus de dix centimètres de la crête épineuse. Son angle supé-
rieur paraît remonté ; à droite, l'angle inférieur est écarté du tronc. La saillie
du deltoide est très marquée. Le creux axillaire est masqué en avant par une par-
tie du muscle grand pectoral. Le creux sous-claviculaire forme un méplat dont
les dimensions verticales sont supérieures aux dimensions horizontales.
Le bras, dont le bord externe dessine une ligne concave en dehors, est d'une
maigreur encore accentuée par le contraste de l'hypertrophie du deltoïde. Il of-
fre par suite l'aspect « en gigot. »
L'avant-bras est de volume moyen, mais l'eflilement du poignet commence
assez bas sur l'axe de l'avant-bras.
Ses mains étant en supination, on voit bien l'aplatissement des deux éminen-
ces thénars ainsi que de l'hypothénar gauche. Le pouce est légèrement écarté
12 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
des autres doigts, et sur celui de gauche, la seconde phalange est un peu fléchie
sur la première. La flexion des autres doigts sur la paume de la main est plus
forte à droite qu'à gauche.
Dans la pronation, on observe les mêmes caractères au pouce et aux autres
doigts de chaque main. Ceux-ci sont volumineux, surtout au niveau des pre-
mières phalanges.
Les masses musculaires sont très fermes au deltoïde, au trapèze, aux mus-
cles de l'avant-bras. Elles sont flasques aux pectoraux, aux muscles du bras.
A la paume de la main droite leur consistance est fort diminuée.
MENSURATIONS.
MYOPATHIE PROGRESSIVE DU TYPE LANDOUZY-DÉJER1NE. 13
chemise avec sa main gauche, il lui faut d'abord immobiliser le bras gauche
avec la main droite.
Si l'on place une épingle sur son lit, il est incapable de la saisir avec les doigts.
Il y arrive encore très bien lorsqu'elle est tenue en l'air.
Membres supérieurs. Au niveau de l'extrémité inférieure de la cuisse, les mus-
cles sont atrophiés. Le bord interne de la cuisse forme une ligne à concavité
interne. A droite l'articulation du genou paraît subluxée.
Il existe un notable degré de pseudo-hypertrophie aux deux mollets. Le mollet
gauche est notablement plus gros que la cuisse du même côté et l'un et l'autre
atteignent le volume des mollets d'un homme de taille et de force moyennes. Les
muscles sont extrêmement durs à ce niveau. Cette pseudo-hypertrophie s'est
développée principalement dans ces derniers temps, en particulier pendant le
séjour du malade dans le service.
Les deux articulations tibio-tarsiennes paraissent augmentées de volume. Le
pied est tombant.
MENSURATIONS.
14 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA S.\LPG'I'H1EIIE.
Face. Hypertrophie généralisée des muscles, marquée surtout au temporal
gauche et il l'orbiculaire des lèvres.
Les rides ne peuvent être produites au niveau du front. L'orbiculaire palpé-
bral ferme bien les yeux : il n'y a pas d'épiphora. Pas de troubles de la motilité
des yeux. Les plis naso-géniens sout très marqués.
Les mâchoires sont plus employées que les lèvres dans la parole. Le malade
ne peut former la circonférence labiale de la lettre 0, ni avancer et contracter
ses lèvres pour la prononciation de la lettre U. Il ne peut ni souiller ni siffler.
La langue n'est ni hypertrophiée ni atrophiée et elle est bien mobile. La luette
est un peu déviée il droite par sa pointe. Il n'y a pas de troubles de la dégluti-
tion. Le malade u'a pas remarqué que sa voix soit modifiée.
La sensibilité à la douleur, il la température et il l'électricité est conservée.
Cette dernière est un peu moindre au bras gauche qu'au bras droit. Pas d'anes-
thésie pharyngée. Conservation parfaite du sens musculaire.
Eu octobre 1890, le malade a eu une hydarthrose des deux genoux, survenue
pendant son séjour dans le service. Le mois suivant, il a accusé dans les bras
et les cuisses, quelques sensations douloureuses, qui ont cédé au salicylate de
soude.
Avant d'en venir au point qui nous occupe spécialement ici, il est bon
de signaler deux phénomènes constatés chez ce malade et qui sont un peu
anormaux dans la myopathie progressive. Ce sont les contractions fibrillai-
res qui existaient dans les muscles de la main, et l'état des réactions élec-
tro-musculaires.
Bien que l'absence des contractions fibrillaires soit un signe distinctif
des amyotrophies myopatlliques, il n'y a cependant pas là de raison suffi-
sante pour infirmer le diagnostic, qui est imposé par tous les autres signes :
habitus du malade, envahissement de la face, localisations spéciales de
l'atrophie, évolution. D'ailleurs ces mouvements fibrillaires étaient loin
d'être aussi accentués qu'ils le sont en général dans les amyotrophies myé-
lopatiliques (atrophie musculaire progressive de Duchenne-Aran, sclérose
latérale amyotrophique). Il n'y a là qu'une anomalie bonne à connaître
et c'est tout.
La présence de la réaction de dégénérescence, ou plutôt de l'inversion
de la formule d'électrisation dans certains muscles n'est pas non plus un
fait qui doive nous arrêter dans rétablissement du diagnostic. Il semble
que l'on doive désormais attacher moins d'importance aux signes tirés de
l'examen électrique des muscles dans ces cas. En effet MM. Bédard et Ré-
mond ont montré l'existence de la réaction de dégénérescence dans la pa-
ralysie pseudo-hypertrophique (1) maladie dont la nature purement muscu-
(1) Bédard et Rémond. Note sur un cas de paralysie pseudo-hypertrophique avec
réaction de dégénérescence (drch. 7éu. de méd., juillet 1891).
MYOPATHIE PROGRESSIVE DU TYPE L : 1\1)OUG1-LI : JI'sltIiili. 15
laire n'est plus mise en doute par personne. D'autre part on sait qu'elle peut
manquer complètement dans certaines amyotrophies d'origine spinale, et
spécialement la polioencepbalomyélite (1). La variabilité de ce phénomène
parait donc être très grande suivant les cas, d'où la nécessité de ne pas y
attacher une importance décisive en particulier chez le malade de M. Bris-
saud.
Mais le point le plus imporlant chez cet homme c'est la présence de la
pseudo-hypertrophie de certains muscles, associée avec l'amyotrophie myo-
pathiquedu type facio-scapulo humerai deLandouzy-Déjérime, absolument
comme cela existe dans le type scapulo-huméral de Erb. Notons qu'il s'a-
git bien ici d'ulle véritable pseudo-hyperlrophie et non pas de la conser-
vation relative de quelques masses musculaires et cela pour plusieurs rai-
sons.
Tout d'abord on a vu cette pseudo-hypertrophie se développer dans le
service. Donc ce n'étaient pas des muscles conservés. D'autre part ce n'é-
taient pas non plus des muscles régénérés, mais bien des muscles malades,
mais chez lesquels l'évolution myo-sclérosique avait marché du côté de
l'hypertrophie et non du côté de l'atrophie. En effet ces muscles avaient
perdu leur force. Leurs fonctions avaient été loin de se récupérer en même
temps que leur volume augmentait. C'est bien là la caractéristique de la
paralysie pseudo-hypertrophique : à savoir des muscles gros et durs qui
fonctionnent mal ou même point du tout.
Mais il y a plus et ce n'est pas seulement par les caractères précédents
que la réalité de cette pseudo-hypertrophie peut s'affirmer, mais encore
par les localisations spéciales chez ce malade. Je ne parle pas ici de la face,
au niveau de laquelle l'appréciation de la pseudo-hypertrophie est peut-
être plus facilement discutable (les lèvres des myopathiques paraissent,
dans la plupart des cas, pseudo-hypertrophiées, grâce à leur aspect exté-
rieur) (2). Mais si l'on considère, au niveau des membres, les muscles ou
les groupes de muscles pseudo-hypertrophiques, chez le malade de M. Bris-
saud, on constate précisément que la pseudo-hypertrophie s'est localisée en
des points qui sont habituellement les plus atteintsdans la paralysie pseudo-
hypertrophique pure décrite par Duchenne de Boulogne (3), à savoir : tout
d'abord les gastrocnémiens et ensuite le deltoïde.
D'après ces considérations, rien ne s'oppose, il me semble, à ce que l'on
(1) Voir à ce sujet : Charcot, Clinique des maladies du système nerveux ; leçons du pro-
fesseur, mémoires, notes et observations, publiés. par Georges Guinon, Paris 1892, t. I,
n° X (oplztlcalmoplégie externe et amyotrophie généralisée), page 203 et n° XI, p. 231
(extrait d'un mémoire de Georges Guinon et E. Parmentier sur le même sujet).
(2) Voir à ce sujet : Landouzy et Déjerine, P. Marie et Georges Guinon, Mémoires cités.
(3) Duchenne (de Boulogne), De l'électrisation localisée, etc... 30 édition, Paris, 1812,
p. 595 et suivantes.
16 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
admette qu'il s'agissait là de véritable pseudo-hypertrophie musculaire.
L'observation ci-dessus pourrait à la rigueur, aux yeux d'un critique
pointilleux, présenter un point faible, à savoir que le faciès myopathique
n'était pas absolument complet, et qu'il y manquait le signe cleLandouzy,
l'inocclusion des paupières par paralysie de l'orbiculaire. Mais est-ce là
une raison suffisante pour rejeter ce cas hors du type facio-scapulo-humé-
ral de la myopathie ? Tel n'était pas l'avis de M. Brissaud dans la confé-
rence qu'il fit à son sujet à la Salpêtrière.
En effet le signe de l'orbiculaire des paupières ne doit pas être consi-
déré comme absolument indispensable pour pouvoir affirmer l'envahisse-
ment de la face. II présente, c'est certain, une immense importance, en ce
sens que, lorsqu'il existe, le doute n'est plus permis. Mais en son absence,
l'aspect de la bouche, la paralysie de l'orbiculaire des lèvres, le rire en
travers (« rire jaune »), l'immobilité du front, etc.. sont, lorsqu'ils exis-
tent, des signes suffisants pour diagnostiquer la participation de la face. La
preuve en est que Duchenne de Boulogne ne l'avait point, qu'il existât ou
non, constaté chez ses malades, lorsqu'il décrivit la forme infantile héré-
ditaire de l'atrophie musculaire progressive, qu'il rattachait à tort aux
amyotrophies myélopathiques et que l'on sait aujourd'hui n'être autre
chose que la forme facio-scapulo-humérale de la myopathie.
Donc, à notre avis, ce cas rentre légitimement dans la forme facio-sca-
pulo-humérale.
Voici d'ailleurs la relation d'un autre cas, que j'ai eu l'occasion d'ob-
server à la Salpêtrière, dans le service de mon maître M. le professeur
Charcot, et dans lequel, le diagnostic de myopathie du type Landouzy-Dé-
jerine ne faisant aucun doute, j'ai pu constater la coexistence de la pseudo-
hypertrophie en certains muscles.
OBS. II. (personnelle).
Myopathie progressive de la forme {acio-scapulo-ll1l1Jlérale. Facies myopathique ty-
pique. Pseudo-hypertrophie de certains muscles et surtout dit deltoïde droit et du
triceps de la cuisse gnztcltc.
L'observation de ce malade a été publiée en 189U dans la Revue de médecine,
par MM. Le Noir et P. Bezançon (1). Pour plus de commodité, je suivrai la
description de ces auteurs, en la résumant brièvement, me bornant à insister
sur les modifications survenues depuis cette époque et les points particuliers
qui nous intéressent ici.
Le nommé Bon... Henri, âgé de 25 ans, ayant exercé la profession de facteur
, (1) P. Le Noir et Il. Bezançon. Observation de myopathie progressive primitive, type
facio-scapulo humerai de Landollzy-Vfjel'¡ne (llev. de méd. 1890, p.. 301).
MYOPATHIE PROGRESSIVE DU TYPE LA1YDOUG1-nJGnINE. 17
rural, est à l'hospice delà Salpétrière depuis l'aimée 1890. Toutes les modifica-
tions survenues dans son état depuis le travail de MM. Le Noir et Bezançon, se
sont donc produites sous nos yeux, puisqu'il a été suivi par eux jusqu'en no-
vembre 1889.
En ce qui concerne les antécédents héréditaires, on ne trouve dans la famille,
au point de vue névropathique, qu'une tante maternelle morte aliénée, et une
soeur, qui a eu de l'incontinence nocturne d'urine jusqu'à douze ans et de plus
a, depuis son enfance, des attaques de nerfs tous les mois. A d'autres points de
vue, on rencontre un grand-père paternel atteint de rhumatisme chronique et
un frère scrofuleux. Pas le moindre amyotrophique dans la famille.
Antécédents pei,soiiîiels et histoire de la maladie. Né a terme, il a eu dans l'en-
fance quelques accidents. A huit ans il fut atteint d'une chorée qui dura six
mois. A cette époque il s'aperçut que ses lèvres étaient volumineuses et qu'il
était incapable de siffler et de souffler, ce qu'il ne put d'ailleurs jamais faire de-
puis. Vers dix ans l'occlusion complète des paupières était déjà impossible et il
s'amusait dans ses jeux avec ses camarades, « à faire l'aveugle ».
Jusqu'à dix-sept ans, bonne santé néanmoins. A ce moment la maladie s'ac-
centue. Le bras droit s'affaiblit, ce qui détermine le malade, qui était garçon
d'hôtel, à changer de métier et à se faire facteur rural. On peut conclure de là
qu'à ce moment ses membres inférieurs étaient encore parfaitement sains, car
il put faire ainsi à pied, pendant deux ans, vingt-huit kilomètres par jour.
Mais bientôt ses jambes faiblissent. Il heurte les cailloux sur les grandes rou-
tes et plusieurs fois tombe. Enfin après quelque temps passé chez lui, son mé-
tier de facteur abandonné, il vient se faire soigner à l'hôpital. Soumis alors à
l'observation de MM. Le Noir et Bezançon, il se présentait dans l'état suivant,
qui ne s'est guère modifié aujourd'hui, sauf pour certains points que je signa-
lerai chemin faisant en y insistant plus ou moins suivant leur importance.
Front lisse, large, immobile, yeux larmoyants. Lèvres volumineuses et ren-
versées en « rebords de pot de chambre » laissant la bouche entr'ouverte. Oc-
clusion complète des paupières impossible ; dans cet acte, l'écart entre les
bords libres, qui était en déc. 1889 de à à 5 millimètres, est aujourd'hui d'un
centimètre environ.
Mouvements des lèvres impossibles. Méplat latéral en arrière des lèvres très
prononcé. Rire en travers. Atrophie des muscles de la houppe du menton. Rien
à la langue, au voile du palais, ni au pharynx.
Muscles de la nuque conservés, saillants et assez forts. Sterno-mastoïdiens
faibles, réduits au quart de leur volume. 1
Le thorax est le siège de cette déformation que j'ai étudiée chez les myopa-
thiques avec M. Souques (1). C'est d'ailleurs ce malade même que nous avons
présenté à la Société anatomique à l'appui de notre communication. Scapuloe
alatce très accentuées.
Atrophie considérable des pectoraux, du grand dorsal, du trapèze surtout
(1) Georges Guinon et Souques. Déformations thoraciques chez les myopathiques
(Bull. de 1« Soc. anat.; 1891).
vi. 2
18 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
dans la portion inférieure, du rhomboïde et du grand dentelé, dont les mouve-
ments ne s'exécutent plus. Conservation relative des autres muscles.
En ce qui concerne les membres supérieurs, il est survenu depuis 1889 quel-
ques changements qui méritent de nous arrêter. Leur aspect général est toujours
à peu près le même : le bras, gros à sa racine est mince et complètement atro-
phié jusqu'au coude; l'avant-bras est beaucoup plus volumineux. MM. Le Noir et
Bezançon ont noté l'état normal du deltoïde. Il n'en est plus de même aujour-
d'hui. Le deltoïde gauche, bien qu'encore assez gros, relativement au reste du
bras, est cependant certainement atrophié et a perdu beaucoup de sa force.
Quant au droit, il présente un volume considérable, et une consistance d'une
fermeté hors de proportion avec la flaccidité des autres muscles. Cependant sa
force est loin d'être en. rapport avec son volume et sa consistance apparentes.
Il est en effet très affaibli et le malade, pour porter son bras jusqu'à l'horizon-
tale, transversalement, est obligé de le lancer en l'air par un mouvement du
tronc et une fois cette position atteinte, il est à peine capable de l'y maintenir.
Ce sont bien là les caractères de la pseudo-hypertrophie musculaire : un mus-
cle gros et dur, mais impuissant.
D'ailleurs la sclérose n'a pas seulement évolué au niveau des deltoïdes, mais 's
encore au niveau des autres muscles des bras, ainsi qu'on peut s'en rendre
compte en comparant les mensurations actuelles à celles de MM. Le Noir et Be-
zançon. En effet au niveau de la partie supérieure du bras, la circonférencequi
était autrefois à droite de 24 centimètres et à gauche de 21 cent. 5, est aujour-
d'hui de 23 centimètres à droite et de 19 cent. 5 à gauche. Les dimensions des
autres parties du bras sont restées sensiblement les mêmes.
Le volume des avant-bras frappe tout d'abord, surtout du côté gauche, qui est
cependant le côté du corps le plus atrophié. En 1889 ce volume que MM. Le Noir
et Bezançon ont trouvé normal représentait, pour la partie moyenne, une circon-
férence, à droite de 19 centimètres et à gauche de 16 centimètres. Aujourd'hui
les mêmes mensurations donnent pour résultats : à droite 22 centimètres et à
gauche 24. centimètres. Le côté droit a donc gagné 3 centimètres et le gauche 8 cen-
timètres. Et cependant la force des muscles n'a pas dû augmenter, tant s'en
faut, si nous en jugeons d'après l'examen actuel et d'après les dires du malade.
Ils ne sont pas, c'est certain, sans aucune action, mais ils ne sont pas bien forts,
les extenseurs en particulier, qui sont cependant gros et durs, principalement
à gauche. A quoi donc attribuer alors cette consistance et ce volume des mus-
cles, sinon à la pseudo-hypertrophie ?
Pas de modifications notables du côté des muscles des mains.
Muscles de la paroi abdominale affaiblis. Impossibilité de relever le tronc,
quand il est couché sur le dos.
En ce qui concerne les membres inférieurs, le mal a fait d'assez grands pro-
grès, car, tandis qu'en 1889, le côté gauche était presque intact, aujourd'hui
l'atrophie y est nettement prononcée. Mais.il est survenu en outre une modifi-
cation très importante au point de vue spécial qui nous occupe ici. En effet au
niveau de la cuisse gauche, précisément celle dans laquelle le mal était depuis
1889 en pleine évolution, il s'est développé dans le muscle triceps, trois gros
MYOPATHIE PROGRESSIVE DU TYPE LA\UUUG1'-Ui : Jl : ltl\l;. 19
noyaux do pseudo-ltypertropllie, du volume d'une grosse mandarine et de deux ,
pommes d'api, d'une consistance l'orme, formant les trois sommets d'un trian-
gle il la face externe de la cuisse, ainsi que cela se voit bien sur le dessin ci-contre,
que je dois l'obligeance de M. le Dr P. Richer (us. 1). Ces noyaux contrastent
vivement avec l'atrophie de tout le reste de la cuisse, dont presque tous les
muscles sont considérablement atrophiés et affaiblis. Le triceps d'ailleurs n'est
pas plus fort que les autres et ses fonctions sont notablement réduites. J'ajoute
que j'ai pour ainsi dire vu se développer sous mes yeux ces noyaux de pseudo-
lypertropllie qui n'existaient pas à l'entrée du malade à la Salpétrière.
Rien de semblable ne s'observe il la cuisse droite qui est proportionnellement
il peu près dans le même état qu'en 1889.
Quant aux jambes, on serait fort tenté au premier abord de croire qu'il y
existe aussi de la pseudo-hypertrophie. A vrai dire une pareille affirmation
pourrait encore être soutenue, étant donné le volume relativement considérable
des muscles du mollet et leur consistance dure. Mais il n'y a peut-être pas en-
tre le volume de ces muscles et leur pouvoir fonctionnel, une disproportion suf-
fisante pour être aussi catégoriquement al11l'matif. Il est bon de noter cependant
que les gastrocnénicens, considérés comme normaux en 1889, sont aujourd'hui
un peu affaiblis, bien que leur volume n'ait pas sensiblement diminué.
Je n'insiste pas sur l'hahitus extérieur du malade, sur son ensellure, sur sa
démarche. Ces phénomènes ne sont pas moins caractéristiques aujourd'hui qu'il
y a trois ans.
Il n'a pas été pratiqué de nouvel examen électrique des muscles. En 1889,
MM. Le Noir et Bezançon ont noté l'absence de la réaction de dégénérescence.
Les réflexes rotuliens ont disparu.
Pas de troubles de la sensibilité.
Il me semble réellement que dans ces deux cas l'existence de la pseudo-
hypertrophie de certains muscles est tout à fait indiscutable ; ce caractère
tout particulier, qui a été noté avec soin au cours des observations, à sa-
voir la disproportion entre le volume et la consistance des muscles d'une
part et leur pouvoir fonctionnel d'autre part, est le signe distinctif de
cette sorte de lésion musculaire.
Quant à la conclusion qu'on en peut tirer, elle découle tout naturelle-
ment des quelques considérations que nous avons émises avant d'en venir
il la description de nos deux cas. Bien que certains arguments, suffisants
déjà, à notre a-us, plaidassent en faveur de l'identité des diverses formes
de myopathie, il manquait cependant, pour que la démonstration fût com-
plète et irréfutable, la constatation de la combinaison possible de la pseu-
do-hypertrophie avec la forme facio-scapulo-Ilumérale, comme cela existe
pour la forme scapulo-humérale ou jménilc de Erb, dont l'identité est
admise sans conteste. Cette constatation est précisément faite d'une façon
Certaine, au point de vue clinique, dans le cas de M. Brissaud et dans lé
20 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
mien. On en peut donc, conclure, conformément aux idées émises dès 1885
par M. le professeur, Charcot, M. P. Marie et moi, à l'identité des formes
diverses de myopathie : paralysie pseudo-hypertrophique, forme juvénile
de Erb, formé facio-scapulo-humérale de Landouzy-Déjérine. Et par là se
trouve vérifiée encore avec plus de certitude cette proposition que M. P.
Marie et moi émettions dans noire précédent travail sur ce sujet, il savoir
que dans la'maladie myopathique, le volume du muscle n'est rien, son
impotence fonctionnelle est tout. Le mal'évolue soit du côté de l'hyper-
trophie, soit du côté'de l'atrophie, lesquelles peuvent être tantôt isolées,
comme dans la paralysie pseudo-hypertrophique et la majorité des cas du
type facio-scapulo-huméral, tantôt associées comme dans la paralysie
pseudo-hypertrophique,' la forme scapulo-humérale de Erb et la forme
facio-scapulo-humérale de Landouzy-Déjérine. ' .
GEORGES GUINON.
rlouv. ICON de la SALPE'fRlI : RE 7. vi. rL. Il, III, IV, V.
PHOT3TYPI'S ? r.Asirs A. LONDF. PHOTOCOLLOGRAPHIE C & L
MYOPATHIE FORME FACIO-SCAPULO-HUMÉRALE
r r
NOUV. ICON. DE LA SALPETRIERE Y. 1 : . IL VI
Phototype négatif A Londe Photocollographie C. & L.
MYOPATHIE FACIO-SCAPULO-HUMÉRALE; PSEUDO-
HYPERTROPHIE DU TRICEPS CRURAL GAUCHE ET
DE L'AVANT-BRAS DU MÊME COTÉ
L. BATTAILLE 61 CIL, EDITEURS
DE L'HYSTÉRIE SIMULATRICE DES MALADIES ORGANIQUES
DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS (1).
Observation II (inédite), due à l'obligeance de M. le Dr Valmont de Paris, qui a
bien voulu nous aider de ses souvenirs et de ses notes dans la reconstitution
aussi exacte que possible des symptômes présentés par un petit malade de
sa clientèle.
Syndrome hystérique simulateur de l'hémiplégie spasmodique infantile ; crises
convulsives, hémiplégie droite avec contracture et atrophie; guérison complète.
A. H. âgé de 3 ans 1/2.
Antécédents héréditaires. Grand'mère maternelle atteinte d'aliénation
mentale.
Mère a dû être isolée dans sa jeunesse pour traitement d'hystérie il forme dé-
lirante. Cette affection s'atténue pendant sa seconde grossesse et diminue en-
core après l'accouchement de son second enfant qui fait le sujet de cette obser-
vation. Elle conserve néanmoins un caractère bizarre, se croit persécutée et
présente des signes de dégénérescence : gloutonnerie véritable, colères violentes
sans motifs, joie exubérante, larmes faciles, grossièreté de langage qui contraste
avec sa position sociale élevée.
Père de tempérament pblegmatique, sans tare nerveuse personnelle ni du
côté des siens.
Le premier enfant de cette famille, le frère du petit malade qui nous occupe,
peut être considéré comme un parfait imbécile ; il a 10 ans environ de plus que
son cadet.
Antécédents personnels . - Cet enfant a eu des convulsions dès sa plus ten-
dre enfance. Au cours d'une crise convulsive, plus longue que les autres, sur-
venue entre deux et trois ans, des médecins anglais et un médecin de l'hôpital
français de Londres auraient porté le diagnostic de méningite. Le petit malade
guérit cependant ; mais sa mère qui craint de le perdre l'entoure dès ce moment
de soins minutieux et extravagants.
Les crises convulsives augmentent d'intensité et de nombre. Les parents,
ayant quitté Londres pour habiter Paris, y consultent un médecin distingué des
hôpitaux qui, en présence des attaques, du caractère violent et emporté de l'en-
fant d'ailleurs soigneusement entretenu par sa mère, pense avoir affaire à des
attaques comitiales et ordonne du bromure de potassium, bientôt abandonné.
(1) Voyez le no 6, 1892.
22 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Etat actuel et marche de la le DrValmontvoit l'enfant pour
la première fois, au commencement de 1887, celui-ci est figé d'environ 3 ansi/2.
Les crises persistent; M. Valmont qui en a le témoin les décrit ainsi : dé-
but par rougeur subite et cris ; puis, fixité du regard ; enfin, convulsions plus
ou moins prolongées, suivies d'hypnose post-convulsivo. Ces crises se produi-
sent tous les jours et même pendant la nnit.
En vain veut-on reprendre le traitement bromure, la mère s'y oppose, on ne
sait pourquoi : tout traitement suivi est d'ailleurs impraticable dans cette famille
de névropathes.
Au mois de mars 1887, contracture brusque des muscles de la nuque qui force
l'enfant à marcher la tête renversée en arrière, la poitrine projetée en avant.
Bientôt, cette contracture gagne le muscle sterno-cléido-mastoïdien du côté droit
-et le torticolis s'ajoute à la raideur primitive. On se croit alors en droit de son-
ger à un début de mal de Poil cervical ; mais l'examen du petit malade est im-
possible. Il pousse des cris de fureur dès qu'on l'approche et sa mère exige des
médecins qu'ils le soignent à distance.
A noter encore à cette époque des troubles de la miction et de l'incontinence
des matières fécales.
Au mois d'avril, les contractures signalées précédemment ont à peu près dis-
paru, quand se manifeste un strabisme interne de l'oeil droit. Mais ce n'est en-
core là qu'un trouble passager, qui disparaît au bout de 3 ou si jours et qui réap-
paraît pour moins de temps.
C'est sur ces entrefaites qu'un jeune et savant professeur de la Faculté est ap-
pelé en consultation auprès du petit malade. Il constate une hémiparésie étendue
à tout le côté droit du corps, et en fait un signe avant-coureur d'hémiplégie com-
plète par lésion organique de l'hémisphère gauche. Les événements semblent en
elfet lui donner raison; la paralysie s'accentue, en conservant la forme hémiplé-
gique et la flaccidité complète des membres succède à leur parésie primitive.
Tout cela s'est fait progressivement, et les convulsions ont cessé au sur et à me-
sure que s'établissait l'hémiplégie.
Au mois de mai, c'est-à-dire un mois et demi après le début de l'hémiplégie,
tout le côté droit paralysé est envahi peu à peu par la contracture. Le bras se
plie à angle droit sur le devant de la poitrine ; la jambe est raide et allongée ;
le pied légèrement tourné en dedans, traîne pendant la marche, conformément à
la description de Todd, plutôt qu'il ne fauche. Mais la marche elle-même ne de-
vient possible pour le petit malade qu'en s'appuyant derrière une voiture de
poupée qu'on conduit devant lui. Il ne peut avec la main droite saisir les objets
qu'on lui présente, cette main ayant ses doigts repliés en griffe et le bras du
même côté restant collé au tronc.
Pas de chorée, ni d'athétose. Rien à la face ni à la langue.
La contracture des membres du côté droit ne tarde pas à s'accompagner de
leur atrophie musculaire ; cette atrophie, quoique généralisée, est plus marquée
pour certains groupes musculaires. Le muscle deltoïde droit est particulièrement
touché.
Troubles raso-moteurs el secrétaires du côté paralysé. '
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS 23
Réflexes rotuliens diminués ( ? )
La sensibilité générale est diminuée il droite ; la piqûre de la peau est il peine
sentie. L'examen des sens spéciaux n'a pas été fait.
L'intelligence est parfaitement conservée en dépit de toutes les bizarreries de
goût, de caractère et de sentiment. Bien qu'il n'y ait eu à aucun moment de l'a-
phasie véritable, il nous faut pourtant signaler une certaine hésitation dans
l'articulation de la parole qui rappelle de loin le langage de la paralysie géné-
rale et qui n'apparaît d'ailleurs que par intervalles.
Les fondions organiques s'exécutent bien. Au cours de sa paralysie, légère
poussée d'impétigo. Constipation habituelle. Avant sa paralysie, légère bron-
chite, scarlatine bénigne.
Les progrès de l'hémiplégie que nous venons de décrire se sont continués, à
peu près parallèlement pour chacun des symptômes, pendant une année presque
entière ; c'est seulement au mois d'avril 1888 qu'on constate une légère diminu-
tion île la contracture des membres paralysés, en même temps qu'une plus
grande facilité de leurs mouvements.
M. le professeur Charcot est alors appelé en consultation auprès de l'enfant
et M. le docteur Yalmont s'excuse presque d'avoir il lui raconter une série de
faits aussi étranges dans leur marche et dans leurs caractères. C'est précisé-
ment cette étrangeté qui fit porter il M. Charcot le diagnostic d'hystérie ; il se
basait d'ailleurs sur la mobilité et l'intermittence de plusieurs symptômes, sur
leur mode de début et par dessus tout, sur l'amélioration notable qui se mani-
festait déjà dans la paralysie du petit malade. Son examen dut intéresser vive-
ment l'éminent professeur, puisqu'il le fil durer plus d'une heure et qu'il ne se
prononça qu'à bon escient, encore que beaucoup de stigmates hystériques fis-
sent défaut.
Il nous suffirait à nous de nous abriter derrière une autorité si compétente.
Mais ce qui va suivre justifie si largement le diagnostic de M. le professeur
Charcot que nous ne pouvons le passer sous silence. Au bout de quelques jours,
M. Valmont qui fait du massage à l'enfant lui voit peu à peu reprendre les ha-
bitudes et les exercices de son âge ; l'hémiplégie, la contracture et l'atrophie du
côté droit ne tardent pas à disparaître complètement et moins de six mois après,
l'enfant pouvait être considéré comme tout à fait guéri.
Revu deux ans plus tard, vers l'âge de 7 ans, le petit hémiplégique d'autrefois
n'avait pas gardé la moindre trace de sa paralysie ; il était bien portant, quoi-
que un peu grêle et pâle ; mais il avait conservé son tempéramment nerveux
et irascible, ses bizarreries d'allure et d'esprit, bref, sa tare héréditaire.
Reprenant ici le système d'argumentation qui nous a servi il tirer les
conclusions de l'observation I, voyons pour quels motifs on pouvait aussi,
dans notre observation II, penser à une lésion cérébrale affectant le type
clinique de l'hémiplégie spasmodique infantile et comment on arrivait à
démasquer l'hystérie simulatrice.
Des trois facteurs essentiels de l'hémiplégie spasmodique infantile, à
24 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
savoir le jeune âge du sujet, la participation de l'écorce cérébrale aux lésions
et enfin, le laps de temps nécessaire il l'évolution complète des symptômes,
aucun ne manquait au syndrome que nous voulons analyser. L'enfant en
effet avait à peine dépassé 3 ans ; le début des accidents coïncidait assez
bien avec les attaques convulsives qui allaient jusqu'à déterminer un véri-
table état de mal et qu'il était parfaitement raisonnable de rapporter à des
lésions irritatives de l'écorce cérébrale.
A ces lésions irritatives auraient succédé des lésions destructives, et de
fait, les attaques avaient disparu à mesure que l'hémiplégie complète suc-
cédait à l'hémiparésie. Que manquait-il d'ailleurs il cette hémiplégie pour
être réputée de nature organique ? La contracture avait suivi la paralysie
flasque des membres, el l'atrophie musculaire avait suivi la contracture.
N'est-ce pas ta le processus classique de toute lésion cérébrale qui s'accom-
pagne de dégénérescence du faisceau pyramidal et qui aboutit à une incu-
rable infirmité ? Il ne faut pas s'étonner après cela qu'on ait affirmé la
nature organique de la lésion et qu'on ait porté par conséquent les pronos-
tics les plus sombres.
Comment donc démasquer l'hystérie ? Ce n'était certes pas, nous l'avons
vu plus haut, par la considération de l'hémiplégie en elle-même. On sait
sans doute que l'hémiplégie hystérique peut elle aussi s'accompagner de
contracture secondaire et, plus rarement même, à'amyotrophie : les travaux
de MM. Charcot et Babinski (1), de Féréol (2), en font foi avant bien d'au-
tres ; mais dans presque tous ces cas, ce qui avait fait attribuer l'atrophie
musculaire à l'hystérie, c'étaient les caractères nettement hystériques de
l'hémiplégie et de la contracture qui avaient précédé l'amyotrophie. Ici,
rien de pareil.
Les meilleurs signes en faveur de l'hystérie reposaient donc dans les an-
técédents du petit malade, dans cette succession d'accidents qui avaient fait
songer des médecins experts tour à tour à la méningite, au mal comitial et
au mal de Pott; tous ces phénomènes n'avaient été que passagers, quel-
ques-uns intermittents, ils étaient apparus sans raison et avaient disparu
de même. L'existence de troubles de la sensibilité générale, au défaut d'au-
tres stigmates hystériques, l'absence de troubles intellectuels et d'aphasie
pesaient également d'un grand poids contre l'idée d'une lésion organique.
Mais ce qui enlevait tous les doutes, c'était le dénoûment inattendu que
M. le professeur Charcot put saisir son origine, quand la contracture
commençait à céder et que les mouvements disparus revenaient du côté de
l'hémiplégie, après avoir laissé l'enfant infirme près d'un an. Dès lors,
l'hystérie s'imposait avec une force indiscutable et la suite le prouva bien.
Les deux observations qui précèdent nous ont fourni chacune un syn-
(1) et (2) Voir plus haut, page 28.
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS 25
drome hystérique simulateur à peu près complet, quoique différent, des
lésions de l'hémiplégie spasmodique infantile. A l'hémiplégie du mouve-
ment s'ajoutaient dans l'observation I l'hémichorée et la pseudo-athétose,
et dans l'observation II la contracture avec atrophie musculaire.
Mais il existe des types moins complets d'hémiplégie spasmodique, des
formes frustes où il y a dissociation et isolement des divers phénomènes du
syndrome clinique habituel. « Il peut arriver, dit M. Charcot (1) très ex-
ceptionnellement, il est vrai, que l'hémiplégie fasse place, pour ainsi dire
dès l'origine, à une hémichorée en tout semblable à celle que nous décri-
vions tout à l'heure. Une fois constituée, cette hémichorée persistera toute
la durée de la vie. Je suis à même de mettre sous vos yeux deux exemples
de ce genre. » Et M. le professeur Charcot insiste sur ce fait que dans les
deux cas, bien qu'il s'agisse d'hémichorée de nature organique, l'héiiiiaiies-
thésie fait complètement défaut.
En nous reportant à l'observa lion I, nous voyons que l'liémichorée; suite
de' frayeur, a existé seule pendant 7 ans. L'hystérie a donc copié dans ce cas
les types organiques décrits par M. Charcot. Nous pouvons fournir, croyons-
nous, un second exemple de ce genre dans l'observation suivante. -
Observation III. (Bouchut, rapportée par M. Raymond. Thèse Paris, 1875.)
Hémichorée. Hémiplégie consécutive au traumatisme.
Dans l'observation que nous venons de rapporter, nous sommes loin évi-
demment d'un syndrome clinique qu'on puisse rapprocher de l'hémiplégie
spasmodique infantile. Mais là n'est plus notre but : c'est le symptôme hé-
michorée que nous avons seulement en vue.
Est-il possible de voir dans le cas actuel une hémichorée de nature hysté-
rique, survenue à l'occasion d'un traumatisme ? Voilà toute la question.
Nous ne pourrions l'affirmer, puisque l'observation est incomplète et
que les stigmates hystériques n'ont pas été recherchés. Cependant, l'ates-
thesie a une certaine valeur à ce point de vue. Le parfait état de santé de
l'enfant, l'absence de troubles intellectuels bien caractérisés et d'aphasie ;
enfin, la prompte disparition des accidents, trop variés d'ailleurs pour re-
lever d'une lésion limitée, tout cela est plutôt en faveur d'une lésion dyna-
mique que d'une lésion organique de l'écorce cérébrale.
Impossible de nier la part d'influence du traumatisme, peut-être même
de la commotion cérébrale dans l'apparition des accidents ; mais cela suffit-
il à les expliquer ? L'auteur lui-même se croit forcé d'admettre une conges-
tion partielle, dont la résolution spontanée devait amener celle des troubles
nerveux produits par elle L'hypothèse de l'hysléro-traumatisme vaut bien
(1) Charcot, Leçons sur les malad. du syst. Hère., t. II, p. 335.
26 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
cette hypothèse, surtout si l'on admet d'après les données classiques, que
la localisation de l'hémichorée répond à cette partie centrale de la subs-
tance blanche qui avoisine les corps opto-striés et le tiers postérieur de la
capsule interne : on ne voit pas bien comment une congestion partielle au-
rait porté en même temps sur celle partie limitée du cerveau, sur les nerfs
moteurs de l'oeil et sur certaines parties de l'écorce.
A côté de l'hémicliorée hystérique, peut-il enfin se rencontrer une hémia-
thétose de même nature et se manifestant elle aussi a l'étal isolé ?
C'est ce que semblerait démontrer l'observation suivante, si incomplète
qu'elle soit. M. Oulmont, dans sa thèse, la donne comme un exemple
d'hénaicathétose po°itaitiue ; il n'y a pas loin delà à l'Mmiathétose hystérique,
surtout si l'on a égard au mode de début.
Observation IV. - IIélllialhétose primitive. - Gairdner, 1'Ite Laocel, 16 juin
1877, (citée dans thèse d'Oulmont. Paris. 1878).
Avant de terminer ce chapitre, nous ne pouvons passer sous silence dans
la récente communication de M. Babinski (1), ce qui a irait aux associa-
tions de l'hystérie avec les hémiplégies organiques. Il nous a été impossi-
ble de trouver pour l'hémiplégie spasmodique infantile des observations
analogues à celles que M. Babinski a rapportées pour l'hémiplégie des
adultes. Mais, si cet auteur admet que beaucoup de cas d'hémianesthésie
sensitivo-sensorielle, rapportés chez les hémiplégiques adultes à une lésion
postérieure de la capsule interne, sont le fait d'une association hystéro-
organique, il est logique de proposer la même explication pour les troubles
de sensibilité rencontrés dans l'hémiplégie corticale des enfants. Ainsi
s'expliqueraient les divergences des auteurs à ce sujet, les uns, comme
M. Raymond, niant les avoir souvent rencontrés, les autres, comme. Oul-
mont et M. P. Marie, prétendant au contraire qu'ils sont la règle dans l'hé-
miplégie spasmodique infantile. La question de savoir si une hémia-
nesthésie complète ne peut dépendre, dans certains cas, d'une affection
organique de l'encéphale n'en serait pas moins réservée.
En attendant que l'avenir nous éclaire plus complètement la-dessus,
« on a, dit M. Babinski (2), le droit d'affirmer à priori que toutes les ma-
ladies peuvent s'associer à l'hystérie et rien n'est plus facile il concevoir.
Si, en effet, un léger traumatisme, une simple émotion de toute autre
cause banale est susceptible de provoquer chez un individu bien portant
jusque-là, l'apparition d'accidents hystériques, il est tout naturel qu'une
affection organique ou dynamique du système nerveux, qu'un état patho-
logique préexistant, quel qu'il soit, puissent produire des effets analogues
(1) Babinski, Soc. méd. hôp., 11 nov. 1892.
(2) Id. loco cilato.
maladies organiques DE l'encéphale chez LES enfants S 27
et, en fait, les associations de l'hystérie avec d'autres maladies sont, d'a-
près ce que j'ai observé moi-même, chose des plus communes ». Mais c'est
là aussi chose trop nouvelle pour que nous y insistions davantage, en ce
qui concerne l'hémiplégie spasmodique infantile.
CHAPITRE Il
syndromes hystériques simulateurs des maladies par lésions
limitées de la zone motrice corticale.
Les lésions de la zone motrice corticale limitées à un seul des centres
moteurs de cette zone ou bien à deux centres voisins ne sont en rapport
constant avec leurs symptômes que s'il s'agit de lésions destructives de ces
centres moteurs et de paralysies partielles consécutives.
Ce rapport entre les lésions et leurs symptômes devient contingent pour
les lésions seulement irritatives des circonvolutions motrices et on ne sau-
rait préciser la topographie de la lésion corticale provocatrice d'après seu-
lement la forme de l'épilepsie ou de la contracture partielle. On peut en
effet rencontrer ces symptômes de la lésion irritative, alors même que la
lésion siège seulement dans le voisinage du centre moteur qui parait exclu-
sivement intéressé et qu'elle occupe plutôt une région non motrice de l'é-
corce.
Il y a donc une grande différence à faire au point de vue de la précision
topographique entre les lésions convulsivantes ou irritatives et les lésions
paralysantes ou destructives de l'écorce.
Telle est l'importante remarque faite par MM. Charcot et Pitres dans un
travail déjà cité sur « les localisations motrices de l'écorce cérébrale ».
Ils y ajoutent encore celle-ci, c'est que les lésions destructives des centres
moteurs entraînent des paralysies permanentes, tandis que les lésions irri-
tcrtües de l'écorce pro' oquent surtout des phénomènes passagers et inter-
mittents, comme les convulsions épileptiformes et les contractures.
Ce sont là des raisons suffisantes pour distinguer ces deux ordres de lé-
sions dans les rapports avec l'hystérie qui les pourrait simuler.
-1. Lésions irritatives
a). Convulsions
Il ne saurait être question ici des convulsions de l'épilepsie vraie, mais
seulement des convulsions épileptiformes (épilepsie partielle, jacksonienne
ou corticale) qui se distinguent des précédentes parce qu'elles débutent
28 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
par une aura motrice et peuvent se généraliser ou rester limitées à une
moitié du corps (hémispasme) ou à un seul groupe musculaire (monospas-
me). La généralisation des convulsions peut se produire avec une lésion
très limitée de l'écorce et encore, nous l'avons vu plus haut, il n'est pas
nécessaire que les centres moteurs soient directement intéressés. On peut
même dire que les convulsions épileptiformes, généralisées ou partielles,
indiquent plutôt des lésions limitées qu'étendues de l'écorce ; c'est pour-
quoi leur place était marquée dans le cours de ce chapitre.
Parlons d'abord des convulsions généralisées. Elles peuvent exister dans
l'hystérie, soit dans l'hystérie vulgaire à forme convulsive, soit dans
l'hystéro-épilepsie. Chez les enfants en particulier, la dissociation est fré-
quente pour les quatre périodes de la grande attaqne (1). Quand existe
seulement la période des grands mouvements et de l'arc de cercle, cette
période suffit en général au diagnostic, mais elle peut manquer comme la
période des hallucinations et la période de délire. L'attaque se réduit alors
à la période épileptoïde : c'est dans ce cas surtout qu'on peut douter si on
est en présence de convulsions épileptiformes ou simplement de convul-
sions d'hystéro-épilepsie.
Voici d'ailleurs deux faits assez convaincants à cet égard. Dans le pre-
mier, la période épileptoïde de la grande attaque d'hystérie avait seule
frappé le médecin traitant qui avait cru à une épilepsie vraie ou sympto-
matique d'une tumeur cérébrale. Dans le deuxième, il s'agissait seulement
d'un cas d'hystérie vulgaire à forme convulsive dans lequel une céphalée
persistante, jointe aux attaques périodiques, avait pu en imposer également
pour une lésion intra-crânienne.
Observation V.
Période épileptoïde faisant croire à une tumeur cérébrale dans un cas d'Itstéro-
épilepsie. Charcot (Leçons sur les mal. du syst. nerv. T. III, p. 90).
Observation VI.
Cas de petite hystérie avec céphalée persistante et attaques convulsives faisant pen-
ser à une lésion organique de l'encéphale. Charcot (Leçons sur les mal. du
syst. nerf. T. III, p. 62).
Nous retrouvons, en note, après cette observation, que l'enfant guérit,
comme M. le professeur Charcot l'avait annoncé, mais seulement après
qu'on eût obtenu son isolement et sa séparation d'avec sa famille.
La question du diagnostic est bien plus délicate et les difficultés sont
autrement sérieuses quand on se trouve en présence de convulsions par-
tielles.
(1) Charcot. Leçons du mardi, 1888, p. 203.
maladies organiques DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS S 29
Jusqu'à ces derniers temps, après les travaux de Bravais (1827) et de
Jackson (1863), on s'était habitué à considérer l'épilepsie partielle comme
un signe certain et exclusif de lésions corticales organiques. Pourtant,
Itard (1) (1825) et Maisonneuve (2) (1803) avaient eu soin déjà de distin-
guer des formes sympathiques d'épilepsie partielle dans lesquelles le sys-
tème cérébro-spinal ne paraissait pas atteint d'affection grave. M. IIu-
chard (3) en 1882 avait décrit « quelques convulsions partielles hystéri-
ques ».
Mais c'est à M. G. Ballet (4) que revient l'honneur d'avoir établi nette-
ment l'existence d' « accidents hystériques simulant l'épilepsie partielle ».
Son premier mémoire sur cette question coïncida avec une observation rap-
portée par Legrand du Saulle devant la Société médico-psychologique sur
un cas insolite de névrose convulsive (5) ; on conclut dans ce cas que le
diagnostic de lésion organique devait être abandonné pour les motifs sui-
vants : nombre excessif des attaques, calme dans les intervalles des accès,
absence de paralysies post-épileptiques et d'élévation de température ;
enfin, existence d'une hémi-anesthésie droite. On avait eu affaire vraisem-
blablement à une attaque d'hystéro-épilepsie incomplète et bornée à la
phase épileptoïde.
Depuis, M. G. Ballet a repris le même sujet en l'appuyant de nouveaux
faits (6) et M. le professeur Charcot a adopté pleinement sa manière de
voir, dans une de ses leçons (7). Ainsi, il est bien démontré que l'hystérie
peut s'approprier le masque de l'épilepsie partielle et que ces convulsions
partielles épileptiformes constituent souvent toute l'attaque d'hystérie.
Les accès de cette fausse épilepsie se montrent d'ordinaire par séries et
constituent alors dans l'hystérie un véritable état de mal épileptiforme.
Tantôt l'épilepsie partielle d'origine hystérique affecte la forme hémiplé-
gique, tantôt la forme monoplégique et celle-ci peut se localiser uniquement
à la face (monospasme facial). Dans tous ces cas et en l'absence des autres
phénomènes de la grande attaque d'hystérie (grands mouvements, poses
plastiques, hallucinations), on conçoit que le diagnostic devienne très déli-
cat. On pourra néanmoins affirmer encore la nature hystérique des convul-
sions partielles si la température reste normale, si les accès ne sont pas
suivis de paralysies, si enfin il n'y a pas de déchéance cérébrale et vitale.
Nous regrettons de ne pouvoir reproduire ici les observations de M. G.
(1) ITAnD, Archives gén. de médecine (1825), p. 403.
(2) Maisonneuve, Recherches et observ. sur l'épilepsie. Paris, 1803, p. 259. ,
(3) 13UClIARD, Concours médical, 1882, no 29.
(4) G. Ballet, Arch. neurologie, 188=, p. 127.
(5) Legu. Du SAULLE, Soc. médic. phych., 22 novembre 1883.
(6) G. Ballet, loco citato, no' 23 et 24. ,
(7) Charcot, Leç. sur les mal. du syst. nerv., t. III, p. 287.
30 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Ballet; mais elles ne concernent que des sujets adultes. Il était difficile
d'en trouver d'aussi nettes concernant les enfants (1). l'ourlant, dans les
trois qui vont suivre, l'observation VII permet d'affirmer que l'hystérie
était la seule cause des attaques d'épilepsie partielle, les observations VIII
et IX sont au contraire des exemples assez complexes d'associations hysté-
ro-organiques, où il est parfois embarrassant de faire la part exacte de la
névrose et de la lésion organique.
Observation VII.
Attaques hémiplégiques arec aura, sans perte de connaissance. Grande excita-
tion. Duvoisin (de Bâte), in Jahrb. f. liinder. Leipzig (1889).
Observation VIII (inédite).
Rédigée d'après les noies recueillies par notre collègue et ami Souques
à la consultation externe de la S3lpètrière.
Paralysie spinale : ))/<t)t< ! /<'. jf ? M/f'M< ? q/<'M partielle motrice.
Louise .1.... âgée de 10 ans. Examinée le 28 octobre 1891.
Antécédents héréditaires. Mère nerveuse sans maladie déterminée. Père
alcoolique. Dans la famille de la mère, une soeur morte aliénée ;i Niort, une
autre arriérée. Du côté des grands parents, pas de renseignements.
Antécédents personnels . A 4 mois, convulsions qui ont laissé une mono-
plégie brachiale droite. Depuis lors, vers t'age de 2 ans, elle aurait eu la rou-
"Cole. un peu plus tard le taenia.
A 3 ans, accès de frayeur en présence d'un grillage éclairé par le gaz. L'en-
fant croyait y voir des bêtes de toute sorte, criait, se déballait. Ces accès sont
revenus chaque soir pendant un mois.
Envoyée plus tard à l'école, elle y aurait eu des crises de nerfs ( ? )
Début. Au mois de mai 1891, elle a eu des crampes dans la main droite :
ses doigts se ferment dans la paume, le pouce en dedans, puis s'ouvrent et s'é-
cartent (durée de quelques secondes). Les crampes passent ensuite dans la
jambe droite qui se raidit et enfin daus la face du côté droit ; elles sont doulou-
reuses, mais ne durent que peu de temps, quelques-unes cependant de 15 il
20 minutes. Quelquefois il y a des secousses répétées, dans tout le côté droit : -.
mais toujours le début se fait par le bras droit. Ce n'est que depuis un mois que
les convulsions, d'abord localisées au bras droit, se sont étendues à tout ce
côté. Ces crises se répètent tous les jours plusieurs fois depuis un mois. Le
(1) Cette partie de notre thèse était déjà toute prête pour l'impression quand nous
avons eu connaissance du travail fait à la Salpêtrière par le Dr Ghilarducci et publié
dans les Archives de neurologie du mois de novembre 1892, sous le titre de Contribution
au diagnostic différentiel entre l'hystérie et les maladies organiques du cerveau. L'au-
teur y rapporte quatre cas d'hystérie à forme d'épilepsie partielle dont l'un est relatif à
un enfant de 14 ans. Nous renvoyons à ce travail très consciencieux pouf les détails de
l'observation. '
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS 31
côté gauche est toujours respecté. Jamais il n'y a eu de perte de connaissance.
Depuis un mois, il faut encore noter des troubles psychiques assez marqués :
agitation, cris, délire, coprolalie, extravagances de toute sorte.
État actuel. Malgré les désordres qui précèdent, c'est une petite fille très
intelligente, très avancée pour son âge.
Pas de stigmates permanents. Pas de rétrécissement du champ visuel. Pas
d'attaques. Pas de points douloureux.
Monoplégie brachiale droite avec amyotrophie surtout marquée à l'épaule et
au bras.
Nous venons d'assister il une de ces crises épilepliformes ; début par la main
droite, puis secousses étendues à la jambe et il la face du côté droit, doulou-
reuses dans les membres. Durée d'une minute euviron. Ni morsure de la lan-
gue, ni incontinence d'urine. Conscience parfaite.
Le diagnostic d'hystérie porté à la Salpètrière et qui a paru évident à
tous ceux qui ont vu l'enfant ne peut être pour cette raison rejeté à priori,
bien que les stigmates soient absents. Au reste, quand on veut s'expliquer
l'origine des attaques épileptiformes, on ne saurait la trouver dans la lé-
sion organique, puisque c'est la moelle qui est en cause dans la paralysie
spinale infantile et non l'écorce cérébrale. Reste donc l'origine hystérique
que viennent encore confirmer les caractères de l'attaque, l'absence de
paralysies consécutives et enfin, l'état de l'intelligence et des fonctions
organiques.
Observation IX.
Hémiplégie ancienne. Accès épileptiformes du côté de l'hémiplégie pouvant être
de nature hystérique. Amyotrophie hystérique. (Thèse de Souques).
S'il est une chose hors de doute, c'est assurément l'existence de l'hys-
térie. Mais tous les symptômes relèvent-ils de la névrose ? Là commencent
les difficultés (1).
Comment caractériser d'abord l'hémiplégie avec contracture survenue à
l'âge de 18 mois ? Les convulsions initiales provoquées par l'administra-
tion d'un vomitif, la contracture contemporaine du début de l'hémiplégie,
la disparition assez rapide de cette même contracture, sinon de l'hémiplé-
gie, puis, son retour brusque à l'âge de 7 ans, voilà tout autant de faits qui
ne cadrent qu'imparfaitement avec l'idée d'une hémiplégie par atrophie ou
sclérose cérébrale. Ce n'est pas ainsi, nous l'avons vu plus haut, que se
(1) Notre collègue et ami Souques nous a signalé cette observation de sa thèse sur-
tout au point de vue de l'épilepsie partielle qu'il avait hésité, nous dit'il ! à considérer
comme de nature hystérique, mais sans se prononcer catégoriquement contre cette opi-
nion. Il nous a donc permis d'interpréter dans ce sens les faits qu'il a observés. Nous
ne l'aurions pas tenté sans sa permission.
32 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
conduit d'ordinaire chez les enfants une hémiplégie purement organique.
Il y a pourtant un fait indéniable, c'est l'existence bien constatée d'une
hémiparésie droite avec asymétrie correspondante de la face et du tronc.
L'amyotrophie de la main droite, qui est venue se greffer sur cette hémipa-
résie, est déclarée sans conteste de nature hystérique. Y plus ,(le mo-
tifs à cela qu'a ne voir dans cetle amyotrophie qu'une nouvelle étape de
l'hémiparésie primitive ? Car enfin, il s'agit de troubles trophiques dans
les deux cas et l'on ne voit pas très bien pourquoi les uns seraient attribués
à une lésion organique et les autres à l'hystérie. Il est possible que les uns
et les autres relèvent de lésions organiques, mais les uns comme les autres
pourraient aussi bien relever uniquement de l'hystérie.
~ Quant aux accès d'épilepsie partielle, ils alternent il la fin de l'observa-
tion d'une façon très régulière avec les attaques franches d'hystérie et la
malade ne se trouve pas plus incommodée de ces accès que des attaques
d'hystérie. En faveur de leur commune origine, on peut encore invoquer
le nombre excessif des accès, leur constante délimitation au côté droit,
l'absence de toute paralysie consécutive et de toute déchéance cérébrale ou
vitale.
b). Contractures.
Dans quelles conditions les contractures peuvent-elles être rapportées
à des lésions limitées de l'écorce cérébrale ?
Ces conditions sont évidemment très restreintes, et la signification des
contractures partielles est rarement absolue au point de vue de la précision
topographique des lésions corticales. En présence d'une contracture par-
tielle, il y a d'abord à s'enquérir si elle rentre dans le groupe des contrac-
tures fraies ou spasmodiques, à éliminer par conséquent les pseudo-con-
tractures ou contractures myoha(lciques qui sont causées par des altérations
matérielles du muscle, ne sont modifiées ni par l'ischémie locale ni par les
anesthésiques généraux. Une contracture qui est alors reconnue spasmo-
dique ou névropathique peut dépendre soit de l'hystérie, soit de lésions
organiques des centres nerveux ou de lésions des nerfs périphériques.
En ce qui concerne les contractures d'origine nerveuse organique, si l'on
met à part les contractures dites réflexes par lésions des nerfs : traumatis-
mes, affections articulaires qui sont en général faciles à constater et les con-
tractures par lésions organiques de la moelle qui affectent de préférence la
forme paraplégique, il reste à imputer aux lésions organiques du cerveau
les contractures permanentes à forme hémiplégique ou monoplégique.
Le type de la contracture tardive des hémiplégiques est trop connu pour
que nous y insistions; il est d'ailleurs en rapport dans l'hémiplégie spas-
modique infantile avec des lésions plutôt étendues que limitées de l'écorce
cérébrale, et il s'ensuit une dégénérescence totale du faisceau pyramidal.
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS 33
La contracture peut suivre encore les monoplégies d'origine corticale,
dont les lésions sont le plus ordinairement localisées dans la zone motrice
du bras. C'est même celle contracture tardive, jointe à l'exagération des
réflexes tendineux et parfois à l'asymétrie de la face, qui permet d'affirmer
l'origine corticale d'une monoplégie. Ces faits se présentent rarement et
nous n'en parlons que pour arriver à établir une première catégorie de
contractures, les contractures tardives ou secondaires aux paralysies par-
tielles de l'écorce.
Ce ne sont pas les seules que nous ayons à signaler ici. On peut voir en
effet des contractures accompagner ou suivre des attaques convulsives qui
sont en rapport avec une irritation quelconque de l'écorce ; pour cette rai-
son, on donne à cette deuxième catégorie de contractures le nom de con-
tractures post-convulsives, quand elles s'installent à demeure après l'atta-
que, et dans ce cas, elles peuvent encore précéder la paralysie d'un temps
plus ou moins long, elles sont dites alors contractures précoces. Cela se
voit surtout au début et dans quelques cas d'épilepsie partielle (1).
En résumé, une lésion circonscrite de l'écorce cérébrale peut provoquer
des contractures partielles de deux ordres : les contractures tardives dont
le début est lent, la marche graduelle comme celle de la paralysie primi-
tive ; les contractures précoces à début brusque, suivant ordinairement des
attaques convulsives et pouvant précéder la paralysie complète des parties
primitivement atteintes de contracture.
L'hystérie peut-elle simuler ces deux ordres de contractures ?
Pour les contractures tardives qui résultent de la transformation en con-
tracture d'une paralysie primitive, voici comment s'exprime M. P. Ri-
cher (2) : « La paralysie (hystérique) est souvent un terrain favorable pour
le développement de la contracture, et de même que cela se rencontre
dans les cas de paralysie organique, il n'est pas rare devoir la contracture
envahir les membres atteints de paralysie hystérique. Mais le mode d'in-
vasion de la contracture se présente sous deux formes différentes. Le plus
souvent, il est brusque, contrairement à ce qui se passe pour les paralysies
organiques. Tout d'un coup, à la suite d'un traumatisme, d'une impres-
sion morale ou même sans cause appréciable, le membre paralysé devient
contracturé. Mais la contracture peut aussi s'établir par degrés et n'enva-
hir que progressivement les membres paralysés. Ce second mode de début
de la contracture est plus rare, mais il offre les plus grandes analogies
avec les cas de paralysies organiques avec contractures tardives ».
Quant aux contractures précoces, il n'est pas rare de les voir s'installer
en permanence après une attaque d'hystérie. Lorsque ces contractures sont
(1) Charcot, Leçons sur les mal. du syst. 7zei,v., t. 11, p. 252.
(2) P. Rlcucn, Paralys. et contr. hysté ? 1892, p. 45. ,
vi · 3
34 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
assez étendues, elles se dissipent d'ordinaire, sans traitement, dans un
laps de temps modéré; au contraire, quand elles sont partielles et non dou-
loureuses, on peut les voir « se prolonger plusieurs jours pour ne dispa-
raître qu'à la suite d'une nouvelle attaque, ou même persister d'une façon
indéfinie pendant des mois ou des années (1) ».
Comment donc dans tous ces cas démasquer la simulation par l'hystérie ?
Il existe presque toujours au début des contractures de cause organique
et dans les attaques convulsives qui les ont précédées : apoplexie, épilep-
sie partielle, un cortège de symptômes assez caractéristiques pour éloigner
toute idée de confusion. C'est au contraire la banalité des causes ou quel-
quefois leur absence totale qui est au début des contractures hystériques :
les traumatismes les plus insignifiants en apparence ou même déjà anciens,
les émotions un peu vives prennent ici une importance exceptionnelle.
Cela n'a rien d'étonnant après ce que nous ont appris les travaux de l'E-
cole de la Salpêtrière sur la diallièse de contracture chez les hystériques.
Nous savons encore que cette contracture atteint d'emblée son maximum
d'intensité et que cette intensité elle-même est plus considérable que n'est
d'habitude une contracture de cause organique. Le plus souvent d'ailleurs
des troubles divers de sensibilité et autres stigmates d'hystérie se surajou-
tent à la contracture primitive, tandis que les troubles trophiques sont
rares. Enfin, la marche de cette contracture est capricieuse, sa durée va-
riable et la terminaison par la guérison brusque est la règle habituelle,
qu'elle survienne spontanément ou sous l'influence des divers agents thé-
rapeutiques.
Mais le diagnostic n'est pas toujours aussi aisé. Chez les enfants en par-
ticulier il arrive souvent que la contracture est la première manifestation
de l'hystérie et que celle-ci est monosympGomatique (2).
On se trouve alors en présence d'accidents locaux, isolés qui, mieux que
tous les autres accidents de la névrose, simulent les affections chirurgica-
les ou les maladies organiques du système nerveux. Il faut donc les analy-
ser à fond pour les apprécier comme il convient et pour en tirer les indi-
cations les plus utiles au point de vue de la santé à venir des jeunes sujets.
C'est parfois de très bonne heure qu'on les constate et les jeunes garçons
y sont sujets aussi bien que les pelites filles. Suivant la judicieuse remar-
que de M. P. Richer, il y aurait encore erreur à croire que le tempérament
dit hystérique se rencontre toujours : « ce sont, dit-il, des enfants forts,
bien constitués, à intelligence moyenne et bien équilibrée, chez lesquels
l'hystérie borne ses manifestations aux troubles delà motilité et de la sen-
sibilité ; pas de pleurs faciles, de rires nerveux ni d'attaques convulsives...
(1) P. RICHER, op. cil., p. 9.
(2) P. Tricher, op. cit., p. 102.
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CUEZ LES ENFANTS 35
Cette dissociation des signes de la névrose se produit dans les cas d'hysté-
rie incomplète, telles que l'hystérie non convulsive et en particulier l'hys-
térie des enfants ».
Mais ces accidents d'HYS'rÉuiE locale ne sont souvent que de simples épi-
sodes et des signes avant-coureurs de phénomènes plus graves dans l'his-
toire des hystériques. Aussi n'avons-nous pas d'observations particulières
à présenter qui concerneraient uniquement les contractures hystériques
pouvant simuler les maladies organiques de l'écorce cérébrale. Les faits qui i
pourraient nous intéresser sont en général épars dans une foule d'observa-
tions d'hystérie infantile, perdus, pour ainsi dire, au milieu des autres
manifestations de la névrose; c'est surtout dans les leçons de Brodie (1)
qu'on les trouvera réunis en plus grand nombre el qu'ils sont le mieux
étudiés. Les contractures sont en effet le type de ces « affections nerveuses
locales » si bien décrites par l'auteur anglais et il est extrêmement rare
qu'on puisse les rapporter, quand elles existent seules, à des lésions orga-
niques des centres nerveux. Encore faut-il en être prévenu pour ne pas
se tromper ; c'est pourquoi nous avons cru utile d'insister sur ce point.
| 2. Lésions destructives.
c). Paralysies partielles
Ce qui a été dit dans le paragraphe précédent au sujet des contractures
est en grande partie applicable aux paralysies partielles par lésions limi-
tées de l'écorce cérébrale. Car, si nous avons pu distinguer, pour les be-
soins de l'analyse et de la description, une forme de contractures post-
paralytiques et une forme de contractures pne-paralytiques, les rapports
qui unissent la contracture il la paralysie peuvent encore devenir plus
étroits, la succession des deux états musculaires n'est plus alors aussi ap-
parente et ils arrivent à se confondre si bien dés l'origine qu'il devient
presque impossible de les décrire l'un sans l'autre ou l'un après l'autre.
Cela ressort plus évidemment encore du parallèle physiologique de la
contracture et de la paralysie qui, obéissant aux mêmes causes, frappent
également le muscle d'impuissance motrice, que le muscle soit flaccide ou
raide suivant la réaction spéciale du système nerveux.
Mais la pathologie a des exigences plus sévères et de même qu'elle rat-
tache en général les contractures à des lésions irritatives des centres ner-
veux, elle maintient les paralysies dans le cadre -de leurs lésions dest.ruc-
tires. Cette division peut n'être pas absolue; elle n'en rend pas moins
(1) Leçons sur les rr ? nerv. locales par Brodie, traduites de l'anglais par le Dr Douglas !
Aigre, 4880. - ZD
36 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
service pour l'intelligence d'un grand nombre de faits et nous avons vu
plus haut tout le parti qu'on en pouvait tirer propos de la précision topo-
graphique des lésions corticales du cerveau. Il n'y a de rapports il peu près
fixes qu'entre la forme des paralysies partielles permanentes et le siège des
lésions destructives de l'écorce.
C'est pourquoi nous pouvons distinguer pour les paralysies partielles,
bien mieux que pour les contractures, des formes qui correspondent direc-
tement aux lésions des divers centres moteurs. En nous bornant à la zone
motrice, suivant que la lésion limitée atteindra un centre unique ou deux
centres voisins, il y a lieu de décrire, après MM. Charcot et Pitres, des
monoplégies pures et des monoplégies associées dont ils donnent le tableau
suivant :
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS 37
d'origine corticale : au début de cette monoplégie, on trouvera d'ordinaire
un ictus, quelquefois de l'aphasie, les troubles de la sensibilité seront com-
plètement absents et la paralysie primitive ne tardera pas à être suivie d'une
exagération des réflexes tendineux et de la contracture des muscles para-
lysés.
Ces caractères essentiels des monoplégies d'origine corticale se retrou-
vent-ils dans l'hystérie ? Y a-t-il des types de monoplégie hystérique qui
puissent simuler, dans leur processus et sous toutes leurs formes, les dif-
férents types de monoplégie organique par lésion limitée de l'écorce ?
Si l'on tient compte des formes anormales de monoplégie hystérique, il
est possible à la rigueur de rencontrer de ces monoplégies avec contracture
et exagération des réflexes tendineux, où le début a été brusque et spon-
tané, où la sensibilité s'est maintenue intacte ; mais ce sont là des cas tou-
jours exceptionnels et qui rentrent parfois dans une classe à part (diathèse
de contracture). Nous préférons insister sur les formes vulgaires et mon-
trer que même pour ces formes, les erreurs sont faciles.
« Les paralysies corticales, dit M. P. Richer, sont celles qui offrent les
plus grandes analogies avec les paralysies hystériques : en effet, ces paraly-
sies sont limitées, incomplètes, transitoires et variables. Elles s'accompa-
gnent fréquemment de convulsions dans le membre ». - Autres analo-
gies. Il y a des monoplégies hystériques qui suivent les accès convulsifs de
la névrose et qu'on pourrait croire pour cela en relation immédiate avec
un ictus, si on n'a pas assisté à l'attaque. Quand au contraire les monoplé-
gies hystériques ont un début lent et progressif, il arrive souvent que
l'amyosthénie précède la paralysie complète et que celle-ci s'installe par
degrés, comme c'est fréquent dans les processus destructeurs de l'écorce.
D'autres fois, les monoplégies, avec ou sans contracture, sont surtout chez
les enfants les premières manifestations de l'hystérie qui ne se trahit par
aucun autre signe ; la nature de la paralysie reste alors d'autant mieux
méconnue que l'influence des causes nous échappe souvent^ soit qu'il y
ait disproportion entre un léger traumatisme local et l'étendue de la para-
lysie, soit qu'il y ait eu un long intervalle entre cette paralysie et le choc
initial. Enfin, dans les paralysies hystériques aussi bien que dans les
paralysies corticales, on peut constater la persistance de la contractilité
électrique.
Pour toutes ces causes, la confusion est donc possible et elle ne peut
que s'aggraver quand on en vient à examiner en détail chaque tpye de mo-
noplégie. On croyait, il n'y a pas longtemps encore, que si l'hystérie pou-
vait copier exactement les paralysies des membres, elle respectait toujours
la face. Cette opinion, émise par Todd en 1856, avait été défendue jus-
qu'en ces. derniers temps par M. le professeur Charcot. C'est seulement
38 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
depuis 1870, après les faits communiqués par MM. G. Ballet, Chantemesse
et Bonnet qu'on a admis l'existence de l'hémiplégie faciale cite : les hystéri-
ques et M. Charcot s'est rallié définitivement ai cette manière de voir, en
faisant remarquer toutefois que c'est là l'exception et non la règle (1). La
question reste encore fort complexe par ce double l'ait que l'hémispasme
facial peut simuler la paralysie du côté opposé, ainsi qu'en témoigne une
observation de Bourneville et Voulet (2), et que cet hémispasme peut lui-
même accompagner la paralysie, l'hémispasme occupant un côté de la face
et la paralysie l'autre côté (3).
Si nombreuses que soient les ressemblances entre les monoplégies hys-
tériques et les monoplégies corticales, il n'en existe pas moins des carac-
tères différentiels très importants que nous devons maintenant indiquer,
Un début brusque est plutôt en faveur d'une lésion organique de l'écorce
et cetle probabilité devient plus grande encore si des phénomènes apoplec-
tiformes ont précédé la monoplégie. Une période à' incubation précède au
contraire les monoplégies hystériques, pendant laquelle se développe l'in-
fluence du choc nerveux initial. - C'est surtout la considération des carac-
tères et de la forme de l'anesthésie qui fournit les éléments principaux du
diagnostic. Tandis que cette anesthésie fait défaut dans les paralysies cor-
ticales, elle atteint dans les paralysies hystériques non seulement la peau,
mais les parties profondes, elle se manifeste également pour tous les modes
de sensibilité et s'accompagne de la perte du sens musculaire. Sa distribu-
tion est pathognomonique, car elle se répartit d'une façon très régulière
en occupant exclusivement le membre ou le segment de membre paralysé
et elle se termine par des lignes nettement circulaires qui sont perpendi-
culaires au grand axe du membre. M. le professeur Charcot qualifie cette
distribution de morphologique, par opposition à la distribution anatomique
de l'anesthésie due aux lésions des nerfs. - Enfin, il est rare clans les mo-
noplégies hystériques de constater les modifications des réflexes, l'atrophie
musculaire et les troubles trophiques qui sont le cortège habituel des mo-
noplégies corticales par lésion matérielle. La présence des stigmates hys-
tériques et l'influence thérapeutique de la suggestion achèveraient de dis-
siper tous les doutes.
Observation X
Monoplégie hystérique du bras droit avec récidives. (1ul : nsTrn, in
JahrL. f. Kind" 1880, XV, p. 297).
Cette observation peut en effet se passer de longs commentaires et nos
(1) CIIARcor, Clin, des mal. du syst. nerf. Guinon, 1892, p. 28e'l.
(2) Bourneville et VOULE'f, De la conlr. /t.y<e<-. permanente, Paris, 1872.
(3) BnissAun et Marie, Prog. médit, 1888 et Ballet, Soc. més. hôpit., 1890.
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS 39
réflexions seront courtes. Il est clair que la nature hystérique de la mono-
plégie s'impose d'emblée de par son mode de début, quoique ce ne soit pas
un début ordinaire, et de par les troubles de sensibilité qui accompagnent
cette monoplégie. Plus tard, la marche alternante, la guérison brusque de
l'affection ne font que confirmer ce diagnostic et il ne saurait être ébranlé
ni par l'apparition de la céphalée frontale ou du ptosis, ni par les varia-
tions de l'excitabilité faradique. Ce ne sont pas là des faits suffisants, puis-
qu'ils sont isolés, pour invoquer une cause organique.
Mais il n'en est pas toujours ainsi et nous avons vu déjà à quelles diffi-
cultés de diagnostic on était exposé chez les enfants pour qui les paralysies
et les contractures sont souvent les premières, les seules manifestations de
l'hystérie. Ce n'est pas notre faute si nous ne pouvons fournir à l'appui de
notre dire un plus grand nombre d'observations. Notre tâche serait bien
plus facile s'il s'agissait des adnltes. Faut-il donc rappeler encore une fois
que nous avons seulement en vue l'hystérie infantile et que beaucoup de
choses sont encore à l'état d'ébauche dans le sujet qui nous occupe.
CHAPITRE III
SYNDROMES HYSTÉRIQUES SIMULATEURS DE L'APHASIE PAR LÉSIONS
ORGANIQUES DE L'ÉCORCE.
L'aphasie est un syndrome complexe qu'il faut décomposer pour en sai-
sir toutes les formes et les variantes. Cette complexité du syndrome ressort
des éléments nombreux qui concourent à assurer la fonction du langage.
Tantôt, c'est le mécanisme passif de la fonction qui se trouve atteint, les
images visuelles et auditives des mots ne pouvant plus arriver à leurs cen-
tres de réception, tantôt c'est le mécanisme actif et la transmission devient
impossible pour les images de l'articulation des mots et les images motrices
graphiques. « Lorsqu'il y a, dit M. le professeur Charcot (1), suppres-
sion de la mémoire pour l'articulation des mots, c'est l'aphasie motrice
d'articulation ou aphasie de Broca qui se présente. Lorsqu'il y a suppres-
sion de la mémoire qui permet de représenter les mots par l'écriture, on
dit qu'il y a agraphie et j'ai pu dire ailleurs que l'agraphie, c'était l'aphasie
motrice de la main. Il y a cécité verbale quand le sujet, non privé de la vi-
sion des caractères écrits, est devenu cependant incapable de comprendre
la signification des mots qu'il voit écrits ou imprimés. Enfin quand un
(1) CHARCOT, Leç. du mardi, ISSS, p. 300.
40 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
sujet qui n'est pas sourd entend qu'on lui parle et ne comprend cependant
pas la signification des mots qui viennent frapper son oreille, c'est qu'il est
privé de la mémoire auditive du mot et on le dit alors atteint de surdité
verbale » .
Telles sont les principales variétés d'aphasie que permet de distinguer
l'analyse des phénomènes physiologiques concourant à la formation du
mot, car on a pu dire avec raison que l'aphasie, c'était avant tout « une
amnésie, un oubli de la mémoire du mot (1) ». La question de l'aphasie
est donc uniquement une question intellectuelle, une affaire de coordina-
tion des éléments du mot; elle n'a rien à voir par conséquent avec la dif-
ficulté d'articulation des mots qui est produite par des troubles divers dans
les mouvements combinés des lèvres, de la langue et du voile du palais.
Ce qui n'est pas moins important à constater pour comprendre parfaite-
ment les diverses modalités cliniques de l'aphasie, c'est l'indépendance re-
lative, presque l'autonomie, des sources multiples dont nous tirons les élé-
ments du mot. Cette indépendance explique la dissociation possible des
opérations du langage et la perte unique d'une de ces opérations sans que
les autres soient modifiées. Les progrès de la physiologie pathologique
tendent en effet à distinguer dans l'écorce cérébrale autant de centres dif-
férents qu'il y a de mémoires partielles pour la production du mot.
L'aphasie hystérique, mieux que l'aphasie organique, réalise cette dis-
sociation des opérations du langage. C'est pourquoi nous avons cru devoir
poser ces préliminaires à l'étude des syndromes hystériques pouvant si-
muler l'aphasie provoquée par une lésion organique. Nous disons à dessein
« syndromes hystériques », parce que nous ne pensons pas que l'aphasie
hystérique se présente toujours sous la même forme.
Des études récentes ont nettement dégagé des autres formes d'aphasie
hystérique celle qui est considérée comme la plus commune et aussi la
plus caractéristique : nous voulons parler du mutisme hystérique. Mais
M. Charcot lui-même, qui a le plus fait pour la création de ce type clini-
que, n'hésite pas à corriger ou plutôt à atténuer les caractères trop abso-
lus qu'il avait d'abord attribués à ce type dans sa première description (2).
Il reconnaît qu'à côté du mutisme hystérique typique, idéal, dans lequel
l'aphasie domine la scène avec la conservation de la mimique et de la fa-
culté d'écrire, il existe des formes déviées, les unes avec un certain degré
d'agraphie, les autres sans aphasie totale et avec aphasie monosyllabique.
Certains hystériques peuvent donc être aphasiques sans être muets ; ce
n'est pas là la règle, mais on doit en tenir compte dans les subdivisions
(1) P. Marie, Prou. médic., 4 février 1888.
(2) Voir CIIAftCOT et CARTAZ, Leç. sur les mal. du syst. nerv., t. III, p. 481 et Leç. du
mardi 1888, n° 19.
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS 41
de l'aphasie hystérique. On lira plus loin l'observation d'un syndrome
hystérique qui simulait chez un enfant le type de l'aphasie motrice décrit
par Broca ; il n'y avait pas de mutisme (1).
D'autres fois l'aphasie chez les hystériques, revêt la forme de bégaiement.
Celui-ci peut d'ailleurs se combiner de diverses façons avec le mutisme,
mais il peut aussi se manifester seul. Ne s'agit-il pas en effet d'un vice
d'articulation dont l'étiologie est souvent en rapport avec les émotions et
qui atteint plus spécialement les enfants, en raison même de leur extrême
susceptibilité. M. G. Ballet a donné le premier une bonne description
clinique du bégaiement hystérique (2) ; ses observations sont relatives à
des sujets incontestablement hystériques. Mais, fait remarquer M. Pi-
tres (3), il est fort possible que le bégaiement observé chez certains en-
fants paraissant indemnes de toute tare néM'opathique soit cependant une
simple manifestation symptomatique de l'hystérie.
Nous n'insisterons pas davantage sur ces déviations du type classique de
l'aphasie hystérique, c'est-à-dire du syndrome spécial désigné sous le nom
de mutisme hystérique. Les caractères de ce syndrome sont assez nets pour
qu'on ne puisse pas les confondre avec ceux de l'aphasie organique : c'est
là surtout ce qui importe au diagnostic.
Le mutisme est rare en effet dans l'aphasie organique ; ce qui est le plus
fréquent, c'est l'aphasie motrice. Le malade peut prononcer quelques sons
articulés ou seulement des monosyllabes qu'il cite mal à propos ; mais il
est presque toujours atteint dans les autres modalités du langage, il a sou-
vent de la cécité ou de la surdité verbale, de la difficulté d'écrire ou de
s'exprimer par gestes. Le muet hystérique au contraire supplée par la mi-
mique et par la faculté d'écrire à son aphonie qui est absolue ; il n'y a pas
encore d'observation où l'on ait constaté chez lui de la surdité ou de la cé-
cité verbale.
M. le D'' Natier a pris la peine de réunir dans une assez longue étude (4)
toutes les observations de mutisme hystérique publiées jusqu'à ce jour ;
elles dépassent le chiffre de 70 et 12 environ concernent des enfants. Eu
égard aux difficultés du diagnostic, on peut les diviser, croyons-nous, en
trois catégories.
La première comprend les observations d'un diagnostic facile, dans les-
quelles l'apparition brusque du syndrome a suivi soit les attaques d'hys-
térie, soit une vive émotion ou un traumatisme portant sur une partie éloi-
(1) Voir aussi un cas rapporté par Soitza-Leite. Éludes de path. nel'v., Steinheil, Pa-
ris, 1889.
(2) G. Ballet, in Bullet. soc. medic. hôpit., 11 oct. 1889.
(3) Pitres, in op. cit., t. I, p. 310.
(4) NATIEti, lieu. mens, de largng., 1888, nez 4, 5, 8 et 9.
42 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
gnée des centres nerveux, tel que la section du tendon d'Achille. On peut
ranger dans la même classe les cas bien nets de mutisme absolu, puisque
ces cas ne se rencontrent pas dans les aphasies organiques, et ceux où, la
marche de l'affection étant intermittente, on a eu affaire il des aphasies
dites à répétition, en dehors de toute syphilis.
La deuxième catégorie renferme les observations dont le diagnostic est
rendu difficile par l'ignorance de la cause ou du mode de début et celles
où t'affection a suivi une marche progressive, un certain embarras de la
parole ayant précédé l'aphasie bien constituée. Que l'aphasie par exemple
soit constatée au réveil chez un sujet bien portant la veille, ou bien qu'elle
succède à une attaque apoplectiforme, il y aura bien des hypothèses à éli-
miner avant de songer à l'hystérie.
Enfin, dans notre troisième catégorie rentrent les associations patholo-
giques de l'aphasie avec d'autres affections : syphilis, fièvres éruptives, lé-
sions du larynx, traumatismes portant directement sur le crâne, paralysies
partielles pouvant être d'origine corticale et de nature organique ou seu-
lement dynamique. Dans tous ces cas, il faut démêler la part de l'hystérie
et de la lésion organique, ce qui complique infiniment le problème.
Parmi les observations qui vont suivre, l'observ. XI rentre évidemment
dans la première catégorie, bien qu'il s'agisse d'un type d'aphasie motrice
chez une enfant hystérique. Il en est de même pour l'observ. XII qui est
un cas à peu près classique de mutisme hystérique. Les observ. XIII et
XIV ont rapport au même syndrome hystérique provoqué par des causes
traumatiques d'inégale importance; mais la réserve pouvait s'imposer, au
moins dans un cas, de lésions infra-crâniennes ayant succédé au trauma-
tisme. Quant à l'observ. XV, elle prèle trop à la discussion pour que nous
tentions de la classer.
Observation XI.
Aphasie motrice hystérique citez une enfant de 11 rois. Attaques
convulsives (In thèse Peugniez, Paris 1885).
Observation XII (personnelle).
Mutisme hystérique suite de frayeur, giiéi-isoiî lente.
Eugénie A... âgée de 4 ails. Visitée aux Enfants-Malades. Salle Blaclle,
le 28 juin 1892.
Antécédents héréditaires . - A peu près nuls au point de vue nerveux.
Antécédents personnels. Aucune maladie antérieure.
A commencé à parler vers un an ; son langage et son intelligence paraissaient
même précoces. S'est développée d'une façon normale et régulière, a toujours
joui d'une santé robuste et n'a jamais eu d'attaques ni de convulsions.
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS 43
Début. Il y a 18 mois, l'enfant s'amusait dans la rue avec un chien qui
brusquement se jette sur elle et la renverse. C'est il partir de ce moment qu'elle
a complètement perdu l'usage de la parole.
Etat actuel. Enfant bien conformée. Joues pleines et colorées. Pas d'a-
symétrie faciale ; faciès intelligent, regard expressif et doux.
Entend et comprend tout ce qu'on lui dit, prend les objets qu'on lui désigne,
sourit quand on lui offre un bonbon, impossibilité absolue d'articuler des mots.
Les vains efforts qu'elle tente pour cela provoquent une mimique très vive.
Cependant, la personne qui l'accompagne nous affirme que l'enfant est en
progrès et qu'elle peut dire « oui », qu'on entend mieux ce qu'elle dit quand
elle parle bas. Pendant que cette personne nous cause, l'entant lui échappe et
va jouer avec ses pareils ; les sons qui sortent de sa bouche rappellent un sourd
grognement. ne faut pas songer il la faire écrire.
Sensibilité intacte. Aucun stigmate d'hystérie ne peut être constaté. Pas d'at-
taques.
Toutes les fonctions organiques s'exécutent bien et les sphincters ne sont pas
troublés.
Revue le 18 juillet, la petite fille parle beaucoup mieux, mais elle n'est pas
encore très intelligible pour ceux qui ne vivent pas près d'elle.
Observation XIII.
Empruntée au travail de M. Natier qui l'a tirée lui-même du mémoire de Bock
' (Werlner, cité par Kussmaul).
Mutisme hystérique d'origine traumatique.
Observation XIV.
Commotion cérébrale. Mutisme hystérique. Guérison instantanée (de Closmadeuc,
in Gaz. hebdomad. 1878, n° 18).
Observation XV (personnelle).
Mutisme à début brusque. Attaques convulsives.
Perte continuelle de salive.
Emilia Ai ..... âgée de 6 ans 1/2.
Entrée aux Enfants-Malades, salle Husson, n° 6, le 9 septembre 1891.
Antécédents héréditaires. Rien de spécial à noter au point de vue nerveux
du côté des grands parents, des parents ou des collatéraux.
Antécédents personnels. Pas de convulsions dans la première enfance,
mais tempérament nerveux.
Rougeole il ans 1/2. Coqueluche il 4 ans. Opérée vers cette époque pour
un genu valgum à l'hôpital Tenon et envoyée en convalescence dans une sta-
tion des Pyrénées.
Depuis son retour, on aurait noté des crises convulsives : mais l'enfant, vivant
44 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
à la campagne chez son ancienne nourrice, continuait néanmoins à se bien por-
ter et se développait d'une façon normale au point de vue du corps et de l'in-
telligence.
Début. Un beau jour, ses parents qui restaient il Paris furent avisés que
leur petite fille était devenue subitement muette ; jamais ils no purent en savoir
la cause et la nourrice qui s'étaient probablement trouvée en défaut de surveil-
lance ne paraissait pas en savoir davantage ou du moins ne voulait pas le dire.
Ceci se passait au mois de juillet 1891 et les crises convulsives auraient précédé
de un ou deux mois le début du mutisme.
L'enfant fut repris par ses parents qui purent constater la continuation des
crises convulsives. Les attaques se répétaient quelquefois au nombre de 10 il 12
dans une journée. La petite malade tombait sans proférer un cri, elle ne per-
dait pas connaissance et pouvait se relever seule au bout de 1 il 2 minutes, de
convulsions ; elle ne se mordait pas la langue, mais après chaque attaque, elle
bavait beaucoup. '
Etat actuel. Il y a déjà 8 mois qu'Emilia llf..... est il l'hôpital, quand il
nous est donné de l'examiner, au mois de mai 1892 et son mutisme dure depuis
près d'un an.
C'est une enfant bien conformée au physique et qui jouit d'une bonne santé.
Figure un peu hébétée ; mais clic comprend tout ce qu'on lui dit et no parait
pas très méchante. Il n'y a pas d'asymétrie faciale, les lèvres ne sont nullement
pendantes et la langue est tout à fait normale malgré la perte continuelle de sa-
live par la bouche. Cette sécrétion est encore augmentée par les attaques.
Les attaques convulsives ne se produisent qu'assez rarement; elles sont de
courte durée, nombreuses pour un même accès et n'entraînent jamais de perte de
connaissance. Pas de paralysies, ni de contractures.
Le mutisme est absolu. Quand on la presse de répondre il une question ou
quand elle joue avec ses amies, la petite fille ne fait entendre qu'un sourd gro-
gnement. Le rire est facile et fréquent. Impossible de vérifier à cet âge s'il y a
faculté de lire ou d'écrire. Mais il n'y a certainement pas de surdité verbale.
Le caractère de l'enfant n'est pas modifié : affectueuse pour ses parents, elle
connait bien les personnes qui l'entourent et, se prête assez complaisamment à
ce qu'on exige d'elle.
Examinée au point de vue de la sensibilité, on peut la pincer avec les doigts,
la piquer avec une épingle, sans qu'elle réagisse à peine, surtout si on lui ferme
les yeux. Cette anesthésie est étendue il toute la peau. Pas de réflexes pharyn-
giens. Pas de points hystérogénes. Si on lui présente du rouge en lui disant que
c'est du bleu, ou inversement, elle proteste par sa mimique.
La peau est en outre très sensible aux impressions qu'elle reçoit et des pla-
ques d'urticaire naissent à l'endroit des piqûres.
Les fonctions organiques ne laissent rien à désirer et les sphincters ne sont
pas troublés. Urines normales.
Revue deux mois plus tard, cette petite malade est toujours dans le même
état.
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS 45
Dans cette observation, bien des signes sont en faveur de l'hystérie, le
début brusque du mutisme, ses caractères, les troubles de la sensibilité et
peut-être même les attaques convulsives.
Mais comment faire rentrer dans le même cadre l'hypersécrétion de
salive qui constitue une véritable infirmité ? Pourtant, cette hypersécrétion
augmente encore après les attaques et elle ne s'accompagne pas de paraly-
sie des lèvres ou de la langue. Nous avouons franchement notre embarras
a expliquer ce fait. Il nous est même impossible d'être très catégorique sur
la nature des attaques convulsives auxquelles nous n'avons pas assisté. A
cet âge de l'enfance, les convulsions sont suspectes et peut-être faut-il con-
fier au temps le soin d'éclairer complètement le diagnostic.
B. Lésions de la protubérance.
SYNDROMES HYSTERIQUES SIMULATEURS DES MALADIES DE LA PROTUBÉRANCE.
On sait que la protubérance on pont de Varole est le rapport anatomi-
que en avant et en haut avec les pédoncules cérébraux qui émergent de sa
partie supérieure, en bas et en arrière avec le bulbe rachidien qui va se
continuer avec la moelle épinière. On peut donc distinguer à la protubé-
rance deux régions : une région supérieure ou pédonculo-protubérantielle,
une région inférieure ou bulboprotubéranGielle, toutes deux comprises
dans l'encéphale et nous intéressant à ce litre.
Cette division n'est pas seulement anatomique, elle s'accorde encore
mieux avec la pathologie de la protubérance. En effet, les lésions de la
région pédonczsloprot2cbéz°azatielle donnent lieu au syndrome décrit en cli-
nique sous le nom de syndrome de Weber ; les lésions de la région bulbo-
protubérantielle donnent lieu au contraire au syndrome de Millard-Gubler.
C'est à ces deux syndromes et à leurs variétés qu'on peut ramener toutes
les affections de la protubérance.
On entend par syndrome de Weber, du nom de l'auteur qui l'a décrit
pour la première fois en 1865, une paralysie alterne du nerf moteur ocu-
laire commun d'un côté et des membres du côté opposé. Le syndrome
de 11lillal'd-Gubler consiste en une paralysie faciale totale d'un côté et une
hémiplégie des membres du côté opposé. En sorte que le fait dominant et
caractéristique de ces deux syndromes, c'est la. paralysie alterne, cette forme
de paralysie devant évoquer tout d'abord l'idée d'une lésion protubéran-
lielle.
Il n'est pas difficile d'expliquer la paralysie alterne quand on considère
.le NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
que c'est au niveau de la protubérance que se fait l'entrecroisement des
fibres du faisceau pyramidal, tandis qu'au même niveau le trajet est direct
pour les libres nerveuses du facial ou du nerf oculo-moteur commun.
Il est beaucoup plus difficile d'expliquer dans le syndrome de Weber les
paralysies partielles du nerf de la 3e paire et, par exemple, le ptosis par
paralysie isolée du muscle releveur de la paupière. La lésion ne siège pas
alors sur le tronc unique des filets de l'oculo-moteur commun qui émerge
du bord supérieur de la protubérance ; elle atteint ces filets avant leur réu-
nion, c'est-à-dire dans leur trajet protubérantiel et pédonculaire. Telle
est du moins l'explication que donne M. le professeur Charcot des paraly-
sies dissociées de la 3e paire : celle explication concorde parfaitement d'une
part avec le groupement anatomique des divers noyaux qui constituent l'o-
rigine réelle du moteur oculaire commun et d'autre part, avec le trajet
intra-pédonculaire des fibres qui émanent de ces divers noyaux (1).
Nous renvoyons à la même leçon du savant professeur pour la discus-
sion du cas unique que nous lui empruntons de simulation par l'hystérie
du syndrome de Weber. En lisant celle discussion vraiment admirable et
l'observation des phénomènes qui en font l'objet, on est frappé tout d'abord
de la précision et de la sûreté des méthodes qui permettent aujourd'hui
d'affirmer un diagnostic en pathologie nerveuse. Mais ce qui n'est pas
moins surprenant, c'est de voir jusqu'à quelle limite peut être poussée la
simulation par l'hystérie des maladies nerveuses à foyer circonscrit et quels
soins il faut apporter à démasquer la névrose, quand elle s'adapte aux con-
ditions de l'anatomie la plus fine et la plus rigoureuse.
Nous sera-t-il permis d'ajouter qu'en regard du cas d'hystérie simula-
trice du syndrome de Weber rapporté par M. Charcot, nous aurions pu pla-
cer un autre cas de paralysie alterne hystérique simulant le syndrome de
111 illurd-G2cbler que M. le Dr G. Tournant vient de publier dans sa thèse (2).
Ainsi aurait été complétée sous le rapport de la simulation hystérique toute
la pathologie de la protubérance; mais nous ne pouvons rapporter ici l'ob-
servation de M. le Dr G. Tournant, puisqu'il ne s'agit plus d'un enfant
comme dans les observations de M. le professeur Charcot.
Observation XVI.
Syndrome hystérique simulateur du syndrome de Weber : hémiplégie hystérique des
membres et faux ptosis du côté opposé. (Charcot, in op. cit., p. 329).
(1) Charcot, Clin. des mal. du syst. nerf. G. Guinon, t. 1, p 308.
(2) G. Tournant, thèse de Paris, mars 1892.
MALADIES ORGANIQUES DE L ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS 47
C. Lésions de l'appareil de la vision.
SYNDROMES HYSTÉRIQUES SIMULATEURS DES MALADIES DE L'APPAREIL DE LA
VISION PAR LÉSIONS ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE.
L'encéphale tient sous sa dépendance les fonctions sensorielles et les
fonctions motrices de l'appareil de la vision, puisque c'est dans les diver-
ses parties de l'encéphale que prennent leur origine apparente ou réelle
les nerfs optiques et les nerfs moteurs de l'oeil (3°, 4e et 6e paires crâ-
niennes).
Mais cette proposition, si elle est vraie en principe, ne saurait être géné-
ralisée dans la pratique. Il est évident en effet que tous les troubles des
mouvements ou du sens de la vision ne relèvent pas de lésions organiques
de l'encéphale; cette cause centrale n'en est même pas la cause la plus com-
mune. La plupart du temps, on trouvera l'explication de ces troubles dans
des dispositions spéciales du globe oculaire et dans une foule de causes
périphériques qu'il ne nous appartient pas d'indiquer ici.
Nous ne nous occupons que des cas très restreints où, l'analyse des di-
vers troubles sensoriels et moteurs de l'appareil de la vision ayant fait
écarter tout autre mode de pathogénie, on est en droit de supposer une
lésion intra-crânienne qui intéresse les nerfs optiques ou les nerfs moteurs
de l'oeil dans une partie quelconque de leur trajet ou de leurs origines.
1. Lésions sensorielles.
Il n'y a pas bien longtemps que l'expérimentation physiologique, s'ai-
dant des faits cliniques et de l'embryologie, a permis de suivre le trajet des
nerfs optiques, de station en station, à travers les centres visuels infrà-
corticaux ou basilaires, depuis la rétine jusqu'au lobe occipital.
L'accord est complet parmi les auteurs pour considérer les tubercules
quadrijumeaux et les couches optiques comme des centres visuels secondai-
res de la base où viennent aboutir les corps genouillés et les bandelettes
optiques, qui continuent de chaque côté le chiasma. Les divergences com-
mencent dès qu'il s'agit de délimiter exactement les centres visuels de
l'écorce cérébrale : Ferrier les localise uniquement dans le pli courbe,
Munk uniquement dans le lobe occipital ; enfin, les auteurs italiens, prin-
cipalement avec Tamburini et Luciani, les étendent à ces deux régions.
Quoiqu'il en soit, on est certainement autorisé aujourd'hui à établir
une relation entre certaines formes d'amaurose, même bilatérale ! , et des lé-
48 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
sions occupant, même d'un seul côté, la zone visuelle de l'écorce, quand
on n'a pu découvrir aucun indice de compression des bandelettes optiques
ou du chiasma, aucune lésion des corps genouillés ni des tubercules qua-
drijumeaux. Pour ce qui est de l'amaurose unilatérale, si l'on admet,
comme on tend il le faire, la décussation incomplète des nerfs optiques, il
est logique d'invoquer une lésion de ces nerfs entre le chiasma et les trous
optiques avant de songer à une lésion possible de l'écorce cérébrale.
Ce qui n'est pas très rare en clinique, c'est de voir certains sujets et en
particulier des enfants qui sont, en dehors de toute maladie bien caracté-
risée, frappés de cécité absolue dans un temps assez court par le fait de
lésions organiques dont il est souvent difficile de fixer le siège et la na-
ture. M. le professeur Panas a rapporté un cas assez typique à cet égard (1) :
il s'agit d'un jeune malade devenu amaurotique en quatre jours et dont la
vue s'est éteinte simultanément dans les deux yeux sans qu'il y ait eu une
maladie aiguë à l'origine de ces accidents. Chez ce même malade, il était
possible de localiser la lésion au niveau du chiasma, grâce à l'oedème pa-
pillaire révélé par l'examen ophtalmoscopique ; mais cet examen fût-il
resté négatif sous ce rapport qu'on pouvait hésiter entre une lésion des tu-
bercules quadrijumeaux ou une lésion située plus haut. Il était bien plus
difficile de préciser la nature de la lésion et le diagnostic a pu flotter long-
temps indécis entre une tumeur tuberculeuse, syphilitique ou sarcoma-
teuse et une méningite de la base jusqu'au jour où des vomissements sont
venus l'incliner du côté de la méningite chronique ( ? ). Nous avons dans
la mémoire un cas analogue observé aux Enfants-Malades : l'amaurose
double avec atrophie papillaire était l'unique lésion qu'on pût constater
chez notre petit malade de 8 à 10 ans; elle était survenue brusquement,
sans cause bien appréciable et on ne pouvait qu'avancer des hypothèses
sur le siège et la nature de l'affection primitive.
Le doute est donc bien permis quand, en présence de phénomènes amau-
rotiques, il faut décider, d'après seulement les commémora tifs et les signes
subjectifs, s'ils sont le fait de lésions organiques ou de lésions purement
dynamiques. Car l'hystérie est le type le plus commun de ces affections
qui, intéressant l'appareil sensitif dans son ensemble, principalement sous
la forme d'hémianesthésie, peuvent donner lieu à l'anesthésie plus ou
moins complète de la rétine, unilatérale ou bilatérale, mais toujours sine
materid (2).
(A suivre) A. BARD01.,
Interne des hôpitaux.
(i) Panas, Semaine méd., 21 novembre 1886.
(2) PARINAUD. Anesthésie de la rétine. Ann. d'ocul., 1886.
LA FARADISATION THÉRAPEUTIQUE
DES NERFS VASO-MOTEURS ET DU NERF PNEUMO-GASTRIQUE (1).
Le tabes dorsal peut être progressif ou stationnaire. La forme pro-
gressive peut offrir une période parétique. Dans les cas extrêmes le malade
ne peut ni marcher ni se tenir debout. Ce n'est que dans la période paré-
tique et notamment dans ces cas extrêmes qu'on ne peut rien attendre
de la faradisation vaso-constrictrice; au contraire elle provoque en général
dans la forme stationnaire comme dans les deux premières périodes de la
forme progressive un amendement notable, quoiqu'elle ne restitue pas la
fonction des organes génitaux et les réflexes tendineux. La parésie de la
vessie et l'incontinence de l'urine cèdent en général à une série de séances
si elles ne sont pas extrêmes
Je n'ai observé que deux cas où la maladie progressa malgré mon trai-
tement. Le pronostic dépend dans les cas non compliqués, de l'âge du ma-
lade et de la date de la maladie, c'est-à-dire de la contractilité des muscles
des artérioles dilatées.
Il est très difficile d'apprécier à priori le nombre de séances nécessaire
pour amener un amendement tout à fait satisfaisant. Dans les cas très avan-
cés il faudra se contenter d'une amélioration moindre. Une seule séance ne
suffit jamais (2). Il faut répéter les séances pendant quelques temps, 1, 2,
3 mois par exemple. Dans les premières phases de la maladie l'effet de la
première séance est en général plus considérable que l'effet des séances
suivantes qui continuent l'amélioration.
Il faudrait à mon avis continuer le traitement jusqu'à ce qu'il ne soitplus
suivi d'aucun résultat. Cependant il est rarement possible de constater que
l'amendement est définitif. Les malades se hâtent en général d'interrompre
le traitement pour retourner à leur travail. D'autre part le traitement est
quelquefois interrompu par des circonstances accidentelles. Je n'ai revu
(1) Voyez n" 6, 1892.
(2) Le malade n'est pas toujours content de l'effet de la séance quoiqu'on le voie mar-
cher beaucoup mieux. La plupart de ces sujets semblent en effet ne pas vouloir recon-
naître l'amendement immédiat parce qu'ils le croient impossible. Les autres semblent
regretter les contractions musculaires violentes de l'ataxie qui étaient accompagnées
de certaines sensations, tandis que la démarche tranquille leur est parfaitement insensi-
ble a cause de l'anesthésie, c'est encore enfin l'hypochondrie qui rend le malade trop
sceptique.
vi - 4
50 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
qu'un très petit nombre des tabétiques que j'ai traités par la faradisation
de la région claviculaire. Dans quelques cas, la maladie a fait des progrès
après l'interruption du traitement. Je crois pouvoir attribuer cette aggra-
vation au surmenage physique.
Je vois depuis plusieurs années, de temps en temps, deux hommes qui
paraissent parfaitement guéris du tabes par la faradisation. L'un d'eux,
officier d'infanterie, est toujours au service ; l'autre, sans fortune, change
souvent d'occupation ; tous les deux marchent bien, sans ataxie et ne sont
plus tourmentés par les douleurs caractéristiques. On dira peut-être que
deux cas ne suffisent pas pour établir la valeur du traitement. En tous cas
l'amendement pendant le traitement est la règle.
La galvanisation de la moelle épinière n'est pas toujours efficace et je
ne crois pas qu'elle soit rationnelle dans les deux premières périodes du
tabes. Elle ne peut agir à mon avis sur les vaisseaux dilatés que par la fer-
meture et l'ouverture du courant, ou bien si l'on pense qu'elle agit par
l'électrolyse, il faut songer que l'électrolyse doit exciter le tissu nerveux
comme agent chimique. Que de fois j'ai vu des crises douloureuses après
la galvanisation delà moelle épinière et une aggravation continue ! Ce pro-
cédé convient plus pour la période parétique du tabès.
La faradisation de la région claviculaire au contraire n'irrite pas du tout
le tissu de la moelle.
Je dois dire en outre que je ne me contente jamais de faradiser la- région
claviculaire ; suivant les indications, j'administre la cocaïneou la morphine,
dont je me suis toujours très bien trouvé.
Il me reste à parler de la faradisation de la région claviculaire dans la
névrite des membres supérieurs. Je pose les rhéophores du côté opposé à
l'affection pour éviter l'excitation du plexus brachial du membre malade.
Je compte sur le resserrement des vaisseaux de la pie-mère cervicale parce
que les vaisseaux des nerfs qui constituent le plexus brachial proviennent
au moins en partie de cette méninge. J'en attendais avant ma première ten-
tative un effet évident d'autant plus que la vascularisation des nerfs des
extrémités se fait par des vaisseaux qui sont longs et reliés entre eux par
de nombreuses anastomoses, mon attente ne fut pas trompée. La faradisa-
tion de la région claviculaire calme les douleurs de la névrite brachiale si
elle est faite du côté opposé à la lésion ; elle facilite les mouvements du
membre affecté et supprime le sentiment de lourdeur du bras malade qui
est presque constante dans cette maladie si fréquente chez nous.
La faradisation de la région inférieure du cou n'a pas d'influence sur
LA FARADISATION THÉRAPEUTIQUE 5t
les vaisseaux des nerfs des membres pelviens et reste sans effets dans la
sciatiffuo.
C'est de la faradisation du plexus de l'aorte que je dois traiter mainte-
nant. La faradisation de ce plexus nerveux est indiquée dans l'hyperémie
des viscères, notamment dans l'hyperémie du foie, de la rate, de l'ovaire
et de la matrice. J'en ai dit la raison plus haut. Mais je n'ose pas dire
qu'elle soit indiquée dans la péritonite. La gastrite et l'entérite exigent leur
thérapeutique spéciale.
La faradisation du plexus de l'aorte est indiqué dans la première période
de la coxalgie, les nerfs vaso-moteurs de l'articulation coxo-fémorale qui
émergent de la partie inférieure du grand sympathique n'étant nulle part
accessibles pour le courant induit et les nerfs vaso-moteurs des artères ilia-
ques primitives venant du plexus de l'aorte.
Je pose, comme je l'ai dit déjà plus haut, le rhéophore au-dessus de la
poignée du sternum sur la ligne médiane. Ce rhéophore doit être petit.
Je le renverse et je le tiens au-dessous du tampon humecté ; ce n'est alors
qu'un bord du tampon qui touche la peau au-dessus de la partie médiane
du sternum. Je pose l'autre rhéophore par toute sa surface conductrice sur
un point de la poitrine quelconque.
La faradisation du plexus aortique est la plus nouvelle de toutes les ma-
nipulations électriques dont je traite. J'avais jusqu'à présent peu d'occa-
sions pour étudier ses effets ; mais tout en reconnaissant la lacune que lais-
sent mes recherches, je me permets de relater ici tout ce que j'ai fait et ob-
servé par rapport à ce sujet, car l'intérêt qui s'y rattache est considérable.
Une observation fut faite dans le service de mon collègue L. Jokolossky
sur une femme qui offrait de l'hypérémie de la portion vaginale de l'uté-
rus. La coloration rouge de cette partie pâlit tout d'un coup au moment
du passage du courant.
Une autre observation fut faite sur une femme dont le foie était tuméfié
considérablement. Après la séance j'ai constaté avec mon collègue M. Teck.
à qui je dois cette observation, une diminution du volume du foie assez
considérable. L'observation fut répétée plusieurs fois avec le même résul-
tat. La malade mourut, et l'on constata à l'autopsie que le foie était le siège
de plusieurs carcinomes. Nous avons conclu de celte observation que le
foie était hyperémié pendant la vie et que la faradisation du plexus de
l'aorte diminuait l'augmentation de volume seule qui était due à l'hyper-
hémie.
La troisième observation fut faite sur un enfant qui souffrait d'une
coxalgie gauche. Les séances facilitaient les mouvements et calmaient à un
certain degré la douleur ; l'amendement n'était pas très considérable mais
52 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
néanmoins incontestable. Le traitement fut interrompu par une occasion
accidentelle et je n'ai point revu l'enfant.
Enfin je me suis convaincu dans ces derniers temps que la faradisation
du plexus aortique est utile dans la sciatique, si ce sont les parties supé-
rieures des membres pelviens et notamment les plexus lombaire et sciati-
que qui sont atteints.
Voilà. tout ce que j'ai fait touchant la faradisation du plexus de l'aorte.
C'est très peu. Les études sont à continuer, et j'espère que d'autres expé-
rimentateurs dirigeront leurs recherches de ce côté.
La faradisation du cou doit être quelquefois complétée par la faradisa-
tion du pneumogastrique.
La fréquence et la force des contractions du coeur sont augmentées, quelle
que soit la région du cou où porte l'excitation en haut ou en bas.
Le pouls est plus fréquent qu'à l'état normal pendant le repos, les bruits
du coeur sont forts. Le pouls est quelquefois très dur, plein et très fort
pendant la séance et immédiatement après et l'on ne peut constater qu'il
soit ralenti comme dans les cas parfaitement favorables. On observe cette
action du coeur excessive surtout chez les sujets dont le coeur est hyper-
trophié. Mais l'action du coeur est aussi excessive chez les sujets irritables
quoique à un moindre degré. Chez les sujets anémiques le courant qui
n'est pas assez modéré rend le pouls plus plein, plus fort et accéléré ; il
ne devient ni dur ni ralenti si le courant est trop fort pour le sujet. On
voit dans ces trois catégories des cas où la contraction des muscles des
artérioles doit céder à la haute pression du sang dans les artères et l'on
ne constate aucun effet encourageant de la faradisation.
Dans tous ces cas l'action excessive du coeur doit être modéré par la
faradisation du pneumogastrique. Je pose pour exciter ce nerf un rhéo-
phore au-dessus de l'articulation sterno-claviculaire gauche et je continue
la faradisation en augmentant le courant de temps en temps et peu à peu
jusqu'à ce que le pouls et les contractions cardiaques se modèrent. Si la
faradisation du pneumogastrique est faite après la faradisation de la région
claviculaire, le pouls radial présente une ondulation toute singulière.
Dans les cas où la faradisation du cou provoque une action du coeur
trop excessive on ne constate son effet encourageant qu'après la faradisa-
tion du pneumogastrique.
L'hypertrophie du coeur ne compliquait que quelques cas d'hémiplégie
cérébrale dans ma pratique. J'ai appris qu'elle est une contre indication
pour la faradisation du cou parce que celle-ci augmente la violence des
contractions du coeur, ce qui peut être dangereux. La faradisation du pneu-
LA FARADISATION THÉRAPEUTIQUE 53
mogastrique est la seule manipulation électro-thérapeutique qui convienne
dans ces cas. Elle n'est ni dangereuse ni suivie d'aucun sentiment inquié-
tant pour les sujets chez lesquels on l'emploie.
L'action du coeur doit être contrôlée chaque minute.
Il faut prendre soin que le rhéophore actif soit fixé à l'articulation
sterno-claviculaire et ne glisse ni en haut ni vers la région claviculaire ;
il doit être renversé et ne toucher qu'une ligne au-dessus de l'insertion
du sterno-cléido-mastoïdien, car si le rhéophore s'est déplacé ou s'il tou-
che le cou d'une grande partie de sa surface, la faradisation du pneumo-
gastrique prétendue se rapproche de la faradisation du cou vaso-constric-
trice et le grand sympathique est plus excité que le pneumogastrique. Il
est utile que le malade incline le tronc et élève la tête. C'est la seule mé-
thode pour éloigner la surface qui conduit l'excitation au grand sympa-
thique de l'insertion du muscle sterno-cléido-mastoïdien.
Il ne me reste à faire que quelques remarques techniques.
On peut se servir pour la faradisation vaso-constrictrice de tout appareil
qui permet d'augmenter la force du courant peu à peu et de commencer la
faradisation par un courant insensible. C'est en général par les appareils
français que ces conditions sont le mieux remplies.
Le malade doit être assis ou couché. Je préfère être debout pendant la
séance si le malade est assis pour éviter la fatigue des bras étendus.
Le courant ne doit jamais être trop fort. Un courant faible suffit souvent.
Un courant trop fort ne provoque pas le resserrement des vaisseaux ; il ex-
cite le centre vaso-dilatateur général comme l'indique le pouls radial. L'ex-
citation de ce centre par le courant induit trop fort me fut parfaitement
démontrée par quelques observations que j'ai faites avec mon collègue P. Do- '
brotvorsky. Je commence toujours par un courant minimal, ayant bien
humecté les tampons, et j'augmente le courant jusqu'à l'apparition des fai-
bles contractions des muscles sous-cutanés. La faradisation vaso-constric-
trice ne doit nullement inquiéter le malade ; celui-ci ne doit écouter ni le
picotement que produit le courant induit s'il est trop fort, surtout si les
tampons ne sont pas humectés suffisamment, ni le sentiment que provo-
quent les contractions musculaires fortes et inattendues. Chaque sensation
désagréable et inattendue peut exciter le centre vaso-dilatateur général.
Pour éviter ces contractions musculaires désagréables, il faut se garder
d'exciter pendant la faradisation de la région supérieure du cou, les nerfs
accessoires de Willis et le facial tandis que pendant la faradisation de la
région claviculaire c'est la contraction brusque du trapèze qu'il faut éviter.
Je pose .les rhéophores en lâchant de toucher des lignes et non des surfa-
54 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
ces. Je pose le rhéophore entre le cartilage thyroïde et le bord interne du
muscle sterno-cléido-mostoïdien de manière qu'il ne couvre pas du tout la
surface de ce muscle ; le rhéophore est dirigé vers la carotide et la plus
grande partie de sa surface est libre. Si je fais agir le second rhéophore en
même temps, je lui fais toucher une ligne qui est située immédiatement en
arrière de la branche ascendante de la mâchoire inférieure ; la plupart de
sa surface est ainsi libre.
Pour éviter la contraction du trapèze pendant la faradisation de la ré-
gion claviculaire, je ne touche qu'une ligne du cou qui est située à peu près
un doigt au-dessus de la clavicule. Je pose le rhéophore plus près de l'ar-
ticulation humérale que de l'articulation sterno-claviculaire pour éviter
l'excitation du pneumo-gastrique comme je l'ai dit plus haut. Je place le
rhéophore actif un peu plus haut que je ne fais ordinairement dans la fa-
radisation de la région claviculaire si le bras est soulevé par une contrac-
tion assez forte du deltoïde, grâce à l'excitation du plexus brachial.
Quant à la force du courant, on peut aller chez les personnes qui ne sont
pas irritables jusqu'aux contractions musculaires évidentes; on doit les
éviter chez les personnes irritables.
Je pose, en faradisant la région claviculaire, le second rhéophore au-des-
sous de la clavicule sur le muscle grand pectoral dont la contraction est
rarement pénible. Ayant posé les rhéophores de cette manière je les tiens
d'une main. Le malade étant couché, le bras ne doit pas être abaissé. Le
grand pectoral est alors distendu et sa contraction n'est possible que si le
courant est fort ; on est alors privé d'une mesure objective de l'effet du cou-
rant pendant la faradisation. J'élève le membre, je fléchis l'avant-bras et
je le place sur le ventre du malade.
Règle générale : il faut se diriger par les sensations du malade.
On excite quelquefois des nerfs sensitifs sous cutanés; entre autres des
nefs récurrents sans s'y attendre. Il faut alors reculer un peu le rhéophore.
S'il s'agit de l'hémiplégie cérébrale je pose les rhéophores du côté de
l'hémisphère lésé; et s'il s'agit d'une affection de la moelle épinière, je
faradise les deux régions claviculaires l'une après l'autre. Il faut en géné-
ral faradiser un nerf vaso-moteur pendant 3, 5, 10 minutes. Je juge de
l'effet du courant pendant la séance en observant le pouls de la radiale s'il
s'agit de la faradisation de la région claviculaire, le pouls de la carotide
s'il s'agit de la faradisation de la région supérieure du cou. Le pouls de
ces artères devient plus ample et ralenti en raison du resserrement de leurs
ramifications extrêmes. Le courant doit être augmenté si le pouls n'est pas
altéré après quelques minutes de faradisation. Ayant constaté une altéra-
tion du pouls incontestable je termine la séance ou je passe a la seconde
LA FARADISATION THÉRAPEUTIQUE E 55
exploration de l'état du malade pour apprécier l'effet de .la faradisation. Je
renouvelle la faradisation si c'est nécessaire.
Les règles que je me permets d'indiquer et que j'ai apprises de ma pra-
tique rendront la faradisation vaso-constrictive toujours tolérable et facili-
teront ce traitement électrique, dicté par la physiologie, à celui qui accep-
tera les théories et la méthode que j'ai exposées.
.T. KATICHEFF.
(St-Pétersbourg).
UNE RÉCENTE EXORCISATION EN BAVIÈRE
Au cours d'un voyage en Allemagne nous avons eu sous les yeux le récit
d'une intéressante exorcisation. Un jeune garçon de dix ans atteint
d'hystérie délirante fut considéré comme possédé du démon et conduit de
ce fait 'au cloître de Wemding pour y être exorcisé. Il le fut et avec
plein succès par le P. capucin Aurélian.
Cet événement causa grand bruit dans le pays. Le P. Aurélian en fit l'ob-
jet d'un rapport très documenté que publia la Gazette de Cologne (1).
Voici in extenso la traduction de ce document.
Rapport sur un cas d'exorcisation (13 et 14 juillet 1891) dans le cloître
des capucins de Wemding.
. (A) Avant-propos.
Depuis le mardi gras (10 février) les époux Zilk, meuniers à Oberlottermuhle,
remarquaient chez leur fils aîné Michel âgé de dix ans des phénomènes tout à
fait insolites. Non seulement il ne pouvait faire mais il ne pouvait encore en-
tendre réciter une prière sans tomber dans un accès de fureur très extraordi-
naire ; il ne souffrait près de lui aucun objet religieux ; il se permettait envers
ses parents les mauvais traitements les plus grossiers. Les traits de son visage
étaient tellement transformés qu'on dut conclure à l'existence d'un état extraor-
dinaire. Dans ces tristes circonstances, les parents cherchèrent secours près d'un
médecin, mais ce fut sans résultat. Alors, dans leur profond chagrin, ils s'a-
dressèrent au Révérend vicaire, M. Seitz de Durrwangen, pour voir si les priè-
res de l'Église ne parviendraient pas à débarrasser ce malheureux enfant de ses
souffrances. Le Révérend appela à diverses reprises la bénédiction de l'Église
sur cet infortuné. N'ayant remarqué aucune amélioration, il dirigea parents et
enfant vers notre cloître, dans la pensée que là peut-être le secours divin lui
serait accordé.
Au premier abord, nous constatâmes chez cet enfant les étranges phénomènes
signalés plus haut. Nous commençâmes par lui donner la bénédiction habituelle
des malades. Il montra alors une telle agitation, ou, pour mieux dire, une telle
rage et une telle fureur (solches Wuen und Toben) qu'on ne pouvait penser
qu'il une chose : l'influence démoniaque. Il déployait, en outre, une force muscu-
laire telle qu'il est impossible d'en voir une pareille chez un enfant de dix ans
(1) Eine Teufelaustreibung in Baiern. (Xoeuc/tc Zeilung, 8 Mai 1892).
UNE RÉCENTE EXORCISATION EN BAVIÈRE. 57
et que trois grandes personnes pouvaient à peine le maîtriser. La guérison que
les parents venaient nous demander et que nous avions nous-mêmes vivement
désirée ne fut pas obtenue. Leur douleur s'en accrut d'autant et ils rentrèrent
chez eux inconsolables. Cependant ils ne perdirent pas courage; ils songèrent
que quiconque se confie au Seigneur n'en éprouve aucune honte et revinrent
pleins de confiance demander plusieurs fois (sept à huit fois) notre secours. Dé-
sireux de le leur accorder, nous eûmes recours à tous les moyens. Nous donnâ-
mes à cet enfant la benedictio a doemone vexatorum et nous fimes, après en avoir
obtenu la permission du P. Provincial Fr. Xavier Kappelmayr, l'exorcisation
in satanam et angelos apostatas, telle qu'elle a été édictée par le pape Léon XIII
le 19 novembre 1890, et cela souvent, mais le secours désiré ne fut pas obtenu.
A diverses reprises nous envoyâmes les parents avec l'enfant à la célèbre Église
des pèlerins pour demander la bénédiction du prêtre des pèlerinages. Malgré
toutes ses tentatives, le résultat était nul ; le bon Dieu faisait attendre son aide,
voulant sans doute manifester avec un éclat particulièrement brillant la force
qu'il a' donnée sur la terre à ses prêtres.
Le 12 mai 1891, le vénérable évêque Pancrace d'Augsbourg était en visite
chez le curé de la ville M. Scheide, à Wemding. Le père du malheureux en-
fant, ayant eu connaissance de cette visite, demanda au vénérable évêque une
audience qui lui fut accordée. Dès que le père entra avec son fils dans la salle
d'audience, l'évêque en pleine conscience de sa force et de sa dignité épiscopale,
se dirigea vers eux, en disant : « ce n'est pas moi que tu tromperas, esprit
impur ». Néanmoins les phénomènes étranges ci-dessus mentionnés persis-
tèrent toujours. Quand le vénérable évêque donna la bénédiction, la tenue de
l'enfant le convainquit qu'il n'y avait chez celui-ci aucune supercherie, bien
plus que l'enfant était tourmenté par l'esprit immonde. Il faut ajouter point-
extrêmement important pour les faits ci-dessus signalés dont nous P. Remigius,
vicaire et P. Aurelian fûmes les témoins il faut ajouter que quelques autres
personnes (le père et la mère de l'enfant et d'autres assistants tant de leur pays
que de Wemding et des environs), peuvent confirmer ces choses.
Chaque fois que l'enfant devait passer près d'une église ou d'un crucifix,
près d'un monument érigé en l'honneur de la mère de Dieu ou de quelque au-
tre saint, arrivé il une distance d'environ trente pas, il devenait d'abord agité
et tombait ensuite à terre comme inanimé. On le portait à une distance notable,
de l'autre côté de ce monument pieux, et il pouvait dès lors continuer son che-
min. En outre, nous avons nous-même, ainsi que des centaines de personnes,
fait cette observation : à savoir que cet enfant montrait dans l'église une agita-
tion effroyable, tout à fait étrange, au moment de la transubstantiation et ne
pouvait jamais élever vers l'autel ses yeux qu'il tenait constamment fermés. Ce
malheureux resta près de six mois dans cette triste situation. Malgré toutes les
prières, son état ne s'améliora en aucune façon, bien plus il devint de plus en
plus pénible. C'est alors que le père écrivit an vénérable évêque d'Augsbourg
pour lui demander l'essai d'un exorcisme solennel. Le ` ? juin, il obtint l'auto-
risation demandée, l'évêque se réservant la liberté de choisir le prêtre qui ac-
complirait ce lourd devoir. Le père dût s'adresser aux capucins de Wemding en
58 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
qui l'évêque avait la plus grande confiance. Le vicaire de Durrwangen et celui
de Feuchtwangen avaient décliné une si lourde tâche, alléguant tous deux leur
jeunesse et leur inexpérience en la matière.
Le 5 juillet, le vénérable vicaire de Durrwangen nous écrivit pour nous de-
mander si nous pouvions entreprendre une exorcisation solennelle. Nous ré-
pondîmes par l'affirmative mais nous eûmes encore une difficulté à surmonter.
Durrwangen appartient au diocèse d'Augsbourg et Wemding à celui d'Eichstaett.
Le vénérable évêque ne pouvait nous donner aucune juridiction. Pour entre-
prendre « licite » l'exorcisme il Wemding nous avions besoin de l'autorisation
de l'évêque Léopold Il'Eichstoett, Elle nous fut accordée le 10 juillet. Ainsi ar-
més des pleins pouvoirs de l'évêque nous mandâmes les parents et l'enfant, le
13 juillet, jour où commença l'exorcisation.
(B) EXORCISATION SOLENNELLE.
Anxieux mais confiants dans le secours divin nous entreprîmes, nous P. Re-
miguès et P. Aurelian, l'exorcisme solennel, le 13 juillet à 7 heures du matin,
pour la première fois. Au préalable, nous avions fait former l'église, d'un côté
pour n'offrir aucune occasion il la curiosité publique dans cette première tenta-
tive, de l'autre pour n'avoir pas il rougir devant foule, au cas où le malin
esprit voudrait révéler certains secrets, même mensongers, comme il l'avait fait
au vicaire de Durrwangen quand celui-ci avait autrefois béni l'enfant. Toute-
fois, nous laissâmes dans l'Eglise, à titre de témoins, les parents du possédé,
un certain marchand d'ici M. Pscherr, notre frère lai et le portier du couvent.
Quelque temps avant le commencement de l'exorcisation, l'enfant se mit sous-
fleter ses parents d'une manière indescriptible. Nous dîmes de l'apporter dans
le sanctuaire et alors se joua une scène véritablement horrible. D'abord quand
on voulut exécuter notre ordre, le possédé se mit à pousser des cris effroyables
« ein furchterliches Gescbrei ». On aurait dit non la voix d'un homme mais bien
celle d'un animal sauvage. Ces cris étaient tellement violents que ce rugisse-
ment l'expression n'est pas trop forle fut entendu à plus de cent mètres
en dehors de l'église du couvent, et tellement abominable que tous ceux qui
les entendirent furent remplis d'horreur. Une telle scène laisse deviner quelle
fut notre émotion. Et cependant la suite devait être encore plus effrayante.
Quand le père voulut apporter son fils dans le sanctuaire il fût moins fort que
son faible enfant. Ce faible enfant jeta son vigoureux père par terre avec une
telle force qu'une profonde inquiétude nous saisit tous. Enfin, après une longue
lutte, le père put l'apporter, grâce à l'aide des témoins sus-nommés et de notre
frère lai Macarius qui déployaient toutes leurs forces. Par mesure de prudence,
nous lui fimes lier les pieds et les mains avec de fortes courroies, mais il re-
muait ses membres comme s'il n'avait pas eu d'entraves. Après ces préparatifs,
nous nous décidâmes à commencer l'opération pleins de confiance dans l'assis-
tance d'en haut. Nous procédâmes il l'exorcisme selon le grand rituel d'Eichs-
taetl. et exposâmes la sainte croix. Nous bénîmes l'enfant avec celle-ci et l'en-
fant se remit à pousser des cris affreux. En outre, il ne cessait de cracher sur
la croix et sur les P. Remigius et Aurélian. dans l'exercice de leurs fonctions.
UNE RÉCENTE EXORCISATION EN BAVIÈRE. 59
Ces cris et ces crachements durèrent ininterrompus jusqu'au récit des litanies
des Saints. Ensuite nous récitâmes en latin les formules d'exorcisme. Toutes
nos questions restèrent sans réponse. Montrant le plus grand mépris pour nous,
l'enfant nous crachait au visage il chaque demande. Le malin esprit voulait sans
aucun doute, par ce mépris, nous forcer il cesser l'exorcisme, mais grâce à la
force que Dieu nous avait donnée nous ne nous laissâmes pas effrayer et pour-
suivîmes la cérémonie. Lorsque, conformément au rituel, nous passâmes l'é-
tole violette autour du cou de l'enfant, nous pûmes dédaigner l'esprit immonde.
Ce signe, en effet, qui exprime la puissance du prêtre, lui causa de monstrueu-
ses douleurs qu'il exhala en hauts gémissements et soupirs. Le P. Aurélian
répéta l'exorcisation, et les mêmes phénomènes se montrèrent. Jusque là,
nous n'avions eu aucun résultat, mais notre confiance s'était accrue si grande-
ment que nous avions l'espérance de chasser l'esprit impur. L'après-midi, à
2 heures, le P. Aurélian en présence du P. Remigius et des témoins sus-nom-
més recommença l'exorcisation dans le choeur. Avant le commencement de la
cérémonie et pendant les litanies des saints, les mêmes scènes que dans la ma-
tinée eurent lieu. A la fin de l'exorcisation, lorsque je l'eus menacé de porter
le SI-Sacrement dans le choeur et de le forcer à adorer son maître, le diable
s'écria plein de rage : l'enfant est possédé. Preuve évidente de la présence réelle
de Jésus dans le St-Sacrement et preuve de la terreur que le diable a pour lui.
Dans une exorcisation ultérieure, à cette demande si un seul diable possédait
l'enfant, il répondit qu'ils étaient dix. Conjuré de quitter l'enfant, il répondit :
« je ne puis pas ». Au cours de toutes les autres séances d'exorcisations, l'es-
prit impur se tint tranquille ; il se bornait de temps en temps à me cracher au
visage avec mépris. Les douleurs qu'éprouvait le démon quand je le menaçais
du St-Sacrement, aucune plume ne peut les décrire : ses gémissements et ses
soupirs déchiraient le coeur. Toujours les phénomènes déjà décrits survenaient,
lors de la bénédiction avec la sainte croix et de la prière des saints. A toutes
mes questions, il ne répondait rien, mais témoignait son mépris par les crache-
ments incessants du malade sur ma personne et sur la croix. Ainsi après plu-
sieurs tentatives d'exorcisation, nous avions au moins obtenu ce résultat : le
diable reconnaissait qu'il possédait l'enfant.
Le lendemain, 14 juillet, le P. Remigius dut aller il Wolfenstadt. Les PP.
Angélicus et Joseph étant en mission à Bonissa, la lourde tâche incomba au
seul P. Aurélian. Je l'entrepris avec une grande anxiété. Cependant, confiant
dans l'assistance divine, dans le secours de la bienheureuse Vierge Marie, de
tous les Anges et de tous les Saints, tranquillisé par cette pensée que j'avais
entrepris une telle tâche non de moi-même mais de par les pleins pouvoirs de
deux évêques, j'avais l'espoir d'obtenir un résultat heureux ; et en réalité le
bon Dieu me secourut en ce jour. Après la sainte messe, à 7 heures du matin,
je commençais la cérémonie. Je laissai l'église ouverte. Etaient présents une
grande foule de gens au milieu desquels beaucoup de pèlerins. Tous sont té-
moins des événements. Pendant la bénédiction avec la sainte croix, pendant les
litanies des Saints, rage, fureur et crachements continuels. L'exorcisation com-
mença. Durant la cérémonie, je plaçai sur la tête de l'enfant la Sainte croix et
60 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
sur sa poitrine un petit reliquaire. Il est impossfble de dépeindre la douleur
que le méchant esprit devait souffrir. Le visage de l'enfant était déchirant ; sur
ses traits se lisait la douleur. Dans ces conditions, je conjurai le diable presque
pendant une heure. A diverses reprises je demandai 11,1 foule de prier avec moi,
car moi-même j'étais sur le point de désespérer. Ma prière fut enfin écoutée.
Je menaçai encore le diable du St-Sacrement. Avec des grimaces horribles du
visage, avec de hauts gémissements et avec les signes d'une vive douleur, ad-
juré d'abandonner l'enfant, le diable répondit « Non ». Je l'adjurai encore de
le quitter, je lui ordonnai de le faire de par la force divine et au nom de la
puissance que Dieu m'avait donnée. A cette demande et toujours au milieu des
mêmes phénomènes, j'obtins cette réponse : « je ne puis pas ». Pour éviter les
répétitions, je ferai remarquer que l'esprit malin répondait après de longues
objurgations et au milieu des phénomènes effrayants déjà décrits. Je continuai
à lui répéter d'abandonner l'enfant et de cesser une résistance inutile. Furieux,
il s'écria : « Je ne puis pas ». Pourquoi ne peux-tu pas quitter le corps de cet en-
fant, demandai-je ? Parce qu'elle le tient toujours ensorcelé, donna-t-il comme
raison. Je demandai qui, elle, une femme ? La réponse fut : Oui. Aussitôt je
demandai son nom. « Herz », répliqua-t-il. A ces mots, les parents du possédé
se frappant la tête et pleurant s'écrièrent ; « cette femme est notre voisine ». Je
l'interrogeai pour savoir si elle leur avait jeté le sort de la possession. Il dit :
« Oui ». Pour quelle raison, continuai-je ? « Parce qu'elle était en colère » dé-
clara-t-il. Cet enfant avait-il fait quelque mal à cette femme, achevai-je ? Non,
répondit-il.
Dans les exorcisations répétées l'adjurant de quitter l'enfant, lui déniant le
droit de tourmenter une créature de Dieu, il donne toujours et sans cesse la
même réponse : « Je ne peux pas ». Quand on lui demande pourquoi il ne peut
pas quitter cet enfant, il répond : « parce que cette Herz l'ensorcèle toujours ».
L'ensorcèle-t-elle encore maintenant. Oui. Ainsi, tant que cette femme
continuera son sortilège, tu ne pourras pas abandonner l'enfant, demandai-je
au possédé. Oui. Mais tu dois abandonner cet enfant, je t'en adjure, mal-
gré que cette femme l'ensorcèle encore. Dieu est plus puissant que toi, et ma
qualité de prêtre me donne barre sur toi. Alors il s'écria très méchamment :
« je ne peux pas ».
Je l'adjurai ensuite de me dire si et quand il quitterait l'enfant. Réponse : « je
ne peux pas ». Depuis combien de temps possèdes-tu cet enfant deman-
dai-je. Depuis une demi-année, répondit-il. Cette réponse est juste ; en
effet depuis six mois ce malheureux se trouve dans ce lamentable état.
Puis je l'adjurai de me dire pour quelle raison il tourmentait ainsi ce pauvre
enfant innocent, sur lequel du reste il n'avait aucun pouvoir puisque l'enfant
n'avait encore commis aucun péché mortel. « Parce que je le dois, répliqua-
t-il ». Pourquoi, demandai-je aussitôt. - Parce que cette Herz l'ensorcèle
toujours ; tant qu'il en sera ainsi je ne pourrai partir, répartit-il. Comme je
lui déclarais encore une fois qu'il devait néanmoins s'en aller, il répéta très mé-
chamment : « je ne puis pas. » Mais il faut pourtant que tu t'en ailles,
dis-je ; je t'adjure par le Dieu tout-puissant, de déclarer de suite et ouvertement
UNE RECENTE EXORCISATION EN BAVIÈRE. 61
quand tu t'en iras. « Je ne le sais pas », s'écria-t-il avec mépris. Enfin je
dis au diable de me dire son nom et il répondit : « Je ne le sais pas ».
J'étais entièrement épuisé et très grandement ému : Ces exorcisations duraient
depuis deux heures. Je terminai la séance. Mes souffrances durant ces jours,
mes sentiments pendant et après l'exorcisation, je laisse à chacun le soin de les
juger. Je veux seulement déclarer ceci, c'est que, après cette exorcisation, je
fis la promesse de dire une messe d'actions de grâce en l'honneur de la mère de
Dieu, de tous les anges et de tous les saints, si par leur intercession le bon
Dieu daignait m'exaucer. Effectivement, dans l'après-midi, mes prières furent
écoutées.
Plein de confiance comme le matin et encouragé par les nombreuses déclara-
tions que l'esprit malin avait faites dans la matinée, je repris l'exorcisation,
dans l'après-midi, à une heure, et cette fois-ci pour la dernière fois. Pendant la
bénédiction cruciale et les litanies des Saints, l'enfant était encore agité mais les
crachements avaient cessé. Usant des mêmes procédés que le matin, j'adjurai le
diable d'avouer la franche vérité et de dire s'il voulait abandonner ce corps.
Après de longues supplications, au milieu de gémissements et de soupirs dou-
loureux, sur un ton passablement humble, il dit : « Oui ». Encouragé par cette
réponse, je lui demaudai au nom de Dieu, de la mère de Dieu et de l'Archange
St. -Michel, s'il voulait le faire de suite. « Oui » Alors, pour la troi-
sième fois, je l'adjurai de déclarer en pleine vérité s'il vôulait s'en aller sur le
champ. Il répondit un « oui » décidé.
Quand, pour la dernière fois, le diable eut avoué qu'il voulait quitter l'en-
fant, je l'adjurai de ne rentrer ni dans le corps d'une des personnes ici présen-
tes ni dans celui de « la Herz » qui lui avait fait posséder l'enfant et de s'en re-
tourner au contraire aux lieux que Dieu lui avait assignés. Après une pause, je
lui posai cette question : «As-tu déjà abandonné l'enfant ». J'obtins comme ré-
ponse : « Oui ». Ainsi que tes compagnons. Oui. Pour la troisième
fois, je t'ordonne de me dire l'entière vérité. As-tu avec tes compagnons quitté
le corps de cet enfant ? Oui répliqua-t-il. Où es-tu maintenant ? dis-
je. Dans l'enfer, répartit-il. Tes compagnons aussi ? - Oui, répéta-t-
il. Au nom de la très sainte Trinité je te conjure, pour la troisième fois, de
faire connaître par un signe, si tes compagnons et toi êtes réellement en enfer.
Oui, nous sommes en enfer » répondit-il avec un accent horrible. Dans cette
dernière réponse il semblait véritablement que la voix venait de l'enfer. Jusque-
là le diable avait répondu sur un ton arrogant et insolent. Cette suprême réponse
était pleine de tristesse.
Alors des larmes coulèrent en abondance des yeux de l'enfant, signe que le
malin esprit l'avait réellement quitté. En effet, au moment où il me déclara pour
la troisième fois qu'il était en enfer, il partait. Antérieurement il m'avait tou-
jours menti. C'est du reste le père du mensonge. Je fis alors faire à l'enfant le
signe de la croix, regarder le crucifix, prononcer les noms de Jésus, de Marie
et de l'Archange St-Michel. Il le fit en pleurant à chaudes larmes. Je lui tendis
la croix et les saintes reliques à baiser ; il les baisa en les couvrant de pleurs.
Il récita ensuite le Pater noster et l'A2o Maria en poussant de profonds soupirs.
62 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Enfin j'achevai l'exorcisation. Cela fait, je plaçai cet enfant sous la protection de
la mère de Dieu, en le revêtant du quadruple scapulaire.
Grande était la joie que nous ressentions tous. Pour rendre hommage au
bon Dieu qui, par l'intermédiaire de son indigne serviteur, avait accompli cette
merveille. je me dirigeai accompagné de l'enfant et des assistants vers le maî-
tre autel et entonnai le Te Denm, Et puis je donnai la bénédiction avec le saint
ciboire.
Le lendemain, mercredi 15 juillet, le matin à 5 h. 1/2, eut lieu la messe
solennelle d'actions de grâce avec rosaire, ainsi que je l'avais promis. Pendant
la messe, l'enfant à genou sur un prie-Dieu dans le sanctuaire récita le rosaire,
entouré de nombreux fidèles, en signe de reconnaissance. Et tous les yeux se
mouillèrent de larmes, il la vue de cet enfant délivré de son mal.
Telle est l'histoire de cette difficile mission qui m'échut, du plus lourd devoir
qui puisse incomber ;1 un prêtre. Je dois au reste m'écrier avec le Psalmiste :
« Ce n'est pas à nous, Seigneur, ce n'est pas il nous mais c'est à votre nom
que l'honneur en revient ». Je ne puis pour ma part que remercier Dieu et cé-
lébrer l'infinie miséricorde qu'il a révélée si éclatante au sujet de cet enfant.
(C) Causes de la possession.
Le père de l'enfant est catholique, sa mère protestante. Ils vivaient ainsi sous
un mariage mixte. Mariés dans la foi protestante, ils faisaient suivre il leurs
enfants une école évangélique. Cependant le père fut un jour pris de remords ;
il voulut racheter ses fautes et envoya ses enfants à l'église catholique de Dur-
wangen. Ce revirement excita la haine des protestants qui firent tous leurs ef-
forts pour amener la ruine complète des meuniers. Ils leur demandèrent intérêt
et capital de l'argent qu'ils leur avaient prêté, ils ne vinrent plus il leur secours
dans le besoin, ils ne firent plus moudre leur blé chez eux, pour les réduire
rapidement il la mendicité. Et pour compléter leur malheur, la voisine Herz
ensorcela leur enfant. L'enfant en effet a une fois déclaré dans une extase dé-
moniaque qu'il avait été possédé après avoir mangé des « Uutzein » (1) une
cinquantaine environ que cette femme lui avait envoyés le mardi-gras. Ce
pauvre enfant avait fréquemment de pareilles extases. Un jour, dans une d'el-
les, le diable disait qu'il habitait autrefois une idole dans une île; il prédisait
de grands malheurs il cette Herz dont les malédictions l'avaient fait entrer dans
le corps d'im enfant qu'il serait bientôt obligé de quitter. Une autre fois, il di-
sait : « il vient maintenant une lettre de l'évêque ; il sera chassé ». Notre pro-
pre lettre, il l'avait annoncée aussi quelques jours avant.
Le père de l'enfant, qui était venu nous voir plusieurs fois, mit ordre à sa situa-
tion. Il se fit marier une nouvelle fois d'après le rituel catholique et ses enfants
furent baptisés il nouveau. Toutefois le possédé, tant qu'il fut dans son triste
état, ne put être baptisé : il était pris d'une telle rage et d'une si horrible fureur
que six hommes vigoureux ne pouvaient le maîtriser.
Si grand que fut en apparence le malheur des parents, la grâce divine fut
(1) On désigne sous ce nom, parait-il, un mélange de fruits (pommes, poires et pru-
nes) cuits et coupés en quartiers.
UNE RÉCENTE EXORCISATION EN BAVIÈRE. 63
encore plus grande. Le père devint de nouveau un fervent catholique : les en-
fants étaient gagnés pour notre Eglise et la mère elle-même, vivant dans la reli-
gion protestante ne tardera pas à rentrer dans le giron de l'Eglise catholique.
Qni n'admirera la sagesse de Dieu qui d'un tel mal a su tirer un si grand bien !
(D) Phénomènes consécutifs A la possession.
L'enfant se montrait maintenant très gai et très joyeux. Pendant la possession
il tenait constamment la bouche et les yeux clos ; on ne pouvait lui tirer aucune
parole. Depuis il est devenu très parleur. Ses yeux d'enfant brillent si clairs et
si innocents que c'est plaisir de s'y mirer. Durant la possession, il baissait sans
cesse les yeux maladivement vers sa poitrine et avait des secousses non natu-
relles dans le corps. Après il revint il l'état normal. Pendant les cinq séances
d'exorcisme, l'enfant tomba chaque fois dans une extase démoniaque « in einer
dasmonischen Ekstase » ; après chacune d'elles, il semblait à moitié mort, en-
tièrement raide et comme sans vie « ganz starr und wie leblos » Après la der-
nière exorcisation, le diable expulsé, l'enfant fut très tranquille et on ne re-
marqua chez lui aucun phénomène insolite. Au temps de la possession, il ne
pouvait souffrir près de lui aucun objet sacré ; après la guérison, il prenait de
ses propres mains la sainte croix et les reliques, les embrassait et s'aspergeait
avec de l'eau bénite. Je dois faire ici une remarque. Chaque fois que j'aspergeais
le possédé avec de l'eau bénite, il s'élançait furieux vers moi ; prenais-je de
l'eau ordinaire ce qu'il ne pouvait savoir - il demeurait tranquille. De
même, si je prononçais une prière d'église en langue latine, il entrait dans une
rage furieuse. Si je lisais au contraire un passage d'un classique, il me laissait
lire tranquillement.
Après l'expulsion du diable, l'enfant s'approchait volontairement du maître-
autel, examinant toutes les statues qui s'y trouvaient ; il se glissait de même et
spontanément autour de l'autel, ainsi que nous et d'autres témoins peuvent le
témoigner. Pendant la possession, la bénédiction avec la croix faisait tomber
l'enfant dans une explosion de fureur ; après la guérison, il montra le plus
grand respect pour le St-Sacrement. Durant la possession, il courait dans les
bois, autour du pays, comme un animal sauvage, une grande partie de la jour-
née et tout le monde le fuyait. Maintenant il se plait dans la solitude et tout le
monde l'aime.
Le bruit de cet événement se répandit dans toute la contrée. Catholiques et
protestants écoutaient étonnés cet événement qui tient du miracle. L'enfant en
effet était connu à dix lieues à la ronde et personne n'a osé s'élever contre
ces faits. Seul un parfait incrédule pourrait le faire. Quiconque viendrait nier
de nos jours l'existence de la possession avouerait par là qu'il méconnaît l'en-
seignement de l'Église catholique. Celui-là croira a la possession le jour où il
sera en enfer entre les mains du diable. Pour moi, j'ai l'autorité de deux évêques.
Depuis le 3 août 1891, d'après les rapports du père et du fils, tout est nor-
mal chez cet enfant. Il visite maintenant avec amour et en catholique l'église
catholique, prie avec ferveur, apprend bien à l'école au cours de la posses-
sion il ne pouvait les fréquenter et fait la joie de ses parents. Dans les trois
64 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
premiers jours qui suivirent l'expulsion du démon, il se passa des choses ef-
frayantes dans la maison des parents : on croyait il chaque instant que la maison
allait s'écrouler. Mais le quatrième jour, la tranquillité revint et elle existe en-
core. Le jour de l'Ascension de Marie, le père est venu avec son fils pour me
remercier encore une fois. Mon coeur était content de voir cet enfant en pleine
santé car la possession l'avait beaucoup fait maigrir.
Ce rapport a été écrit par le P. Aurélian qui chassa le démon, en éternel sou-
venir, pour les archives de la province d'Altoetting aussi bien que pour les
archives du cloître de Wemding. '
Wemding, le 15 août 1891.
P. Aurélian, capucin.
Tel est le rapport intégral du P. Aurélian. La Gazette de Cologne envoya
un de ses rédacteurs dans la région pour s'enquérir de ces événements. Le
rédacteur constata que dans le pays à Wemding, personne ne doutait de
l'authenticité de ces faits. Il y avait seulement quelques différences dans
les versions.
A l'origine de la maladie, les époux Muller s'étaient adressés au prê-
tre catholique de Feuchtwangen qui les avait envoyé au médecin du can-
ton. Celui-ci avait porté le diagnostic d'hystérie. Lorqu'il vit l'enfant
pour la première fois, la mère lui dit : « dans une demi-heure ça va le
prendre ». En effet, dans une demi-heure l'enfant se jeta sur un banc,
frappant autour de lui des mains et des pieds. Si le médecin lui signi-
fiait très énergiquement de rester tranquille, il obéissait à cet ordre.
Mais ce praticien ayant déclaré aux parents que leur fils serait plus vite
guéri dans un établissement spécial, ceux-ci décidèrent de ne pas le sou-
mettre plus longtemps au traitement médical. « Il faudrait encore men-
tionner, ajoute le rédacteur de la Gazette, que le diable principal qui pos-
sédait l'enfant devait être d'origine bavaroise ou tout au moins qu'il était
depuis longtemps acclimaté en Bavière, car il empruntait l'idiome bava-
rois et disait par exemple i moag net pour ich magnicht ». (1)
A. Souques.
(1) Nous joignons à l'intéressant article de notre collaborateur un plan de la cha-
pelle de Vallombrosa (Italie) dite des Bienheureux, dans laquelle on guérissait les pos-
sédés (Pl. VII). On remarque de chaque côté de l'autel deux excavations où étaient pla-
cés se faisant vis-à-vis, l'exorciste et le possédé. Tous les deux restaient enfoncés
là jusqu'au milieu de la poitrine, pendant trois heures après lesquelles le possédé était
censé guéri (N. D. L. R.). 1
Le gérant : Louis BATTAILLE.
Imp. Vve LOURDOT, 33, rue des Batignolles, Paris.
PHOTOTYPI : A. LONDS Photocollocrapmie C. & L.
CHAPELLE DE VALLOMBROSA, DITE DES BIENHEUREUX
- DANS-LAQUELLE ON-GUÉISAIT-L FÛ55ÉDÉ
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA SALPÊTRIÈRE
Hôpital Necker. Clinique chirurgicale (t)
ÉLONGATION ET RÉSECTION DU NERF MÉDIAN
POUR DEUX CAS DE NÉVRITE TRAUMATIQUE
Vous m'avez vu, Messieurs, pratiquer tout récemment l'élongation du
nerf médian chez un homme atteint de névrite traumatique de ce nerf.
Quatre jours après cette opération, un second malade atteint de névrite
traumatique du médian se présentait dans nos salles.
Vous avez pu voir que notre intervention, chez le premier malade, nous
avait donné un résultat fonctionnel excellent. Je vais aujourd'hui, chez
notre nouveau blessé, chercher à modifier également, par une intervention
rationnelle, les troubles tropliiques développés dans le territoire du nerf
lésé. '
Je veux d'abord vous rappeler l'histoire de ces deux malades, et je sai-
sirai l'occasion pour étudier avec vous la question si intéressante des né-
vrites traumatiques.
Voici dans quelles conditions se sont présentés nos deux blessés :
Le premier (celui sur lequel nous avons pratiqué l'élongation) s'est pré-
senté à l'hôpital dans les circonstances suivantes : le 27 mars 92, en tom-
bant au travers d'un vitrage, il s'était fait une plaie peu profonde mais
assez étendue en longueur à la partie interne de la région antérieure de
l'avant-bras gauche, en pleine région des vaisseaux et nerf cubitaux. En
outre, on constatait chez lui une contusion du thorax et surtout une en-
torse du poignet gauche.
(1) Leçons du 20 juin 1892 et du 10 janvier 1893 recueillies par M. F. L. Genouville,
interne du service.
vi I . 5
66 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
La plaie fut suturée et guérit rapidement. La contusion du thorax céda
à l'application de quelques ventouses scarifiées. Mais le poignet resta long-
temps douloureux et gonflé : ce qu'il y avait de particulier, dans cette en-
torse (assez accentuée pour mériter le nom d'arthrite traumatique), c'é-
taient les douleurs très vives dont se plaignait le malade, douleurs qui
siégeaient dans la partie antérieure de l'avant-bras et dans le poignet.
C'est au point qu'il ne put dormir pendant les douze premières nuits,
et cela malgré l'immobilisation dans un appareil ouaté avec attelle dorsale,
le tout appliqué par dessus le pansement de la plaie antibrachiale. Il était
pansé tous les deux jours, car ces douleurs nous étonnaient un peu, et nous
' le suivions de très près : nous constatâmes aussi un oedème prononcé et
persistant de tout l'avant-bras, bien qu'il n'y eut pas trace de lymphangite.
Au bout d'une quinzaine, la plaie était fermée complètement, les dou-
leurs et le gon(lement avaient presque entièrement disparu, mais, quand
nous supprimons tout enveloppement, nous constatons une raideur très ac-
centuée des articulations du poignet et même des doigts, avec une impo-
\ tence fonctionnelle très marquée des fléchisseurs des doigts. Il en résulte
que la main est en extension, et absolument incapable, par la raideur des
articulations et l'impotence des muscles, de rendre au malade le moindre
service. En même temps les doigts, dans la sphère du médian, étaient de-
venus insensibles, et ne sentaient même plus les doigts du masseur.
Le malade quitte l'hôpital le 16 avril, guéri de sa plaie, mais présen-
tant encore une raideur considérable du poignet et de la main. On lui pres-
crit des douches sulfureuses, du massage, et plus tard l'électrisation. Mais
rien n'y fait, et le malade rentre à l'hôpital le 25 mai, porteur maintenant
; d'ulcérations qui dénotent des troubles trophiques dans la sphère du nerf
médian. En effet, on constate d'abord un épaississement et une desquama-
tion de la peau dans tout ce territoire, avec des phlyctènes siégeant sur les
( doigts : l'une occupe la pulpe du pouce, une seconde la pulpe de l'index,
une troisième sur la seconde phalange de l'index ; cette dernière phlyctène
est ulcérée, le derme est en partie détruit à son niveau.
En outre on constate toujours, comme je vous le disais tout à l'heure, la
raideur du poignet et de la main, anesthésie complète au niveau des doigts
l environnant le médian, et enfin un certain degré d'atrophie de l'éminence,
t thénar. Enfin l'exploration électrique dénote une perte complète de la con-
tractilité des fléchisseurs de l'index et du médius, même a un fort courant
faradique ; on voit seulement se contracter quelques fibres de l'abducteur
du pouce, mais leur action est insuffisante pour entraîner le mouvement.
Pour terminer cet examen clinique, nous nous assurons que le malade
n'offre aucun antécédent hystérique : il ne présente aucun stigmate, en
particulier pas de rétrécissement du champ visuel.
ÉLONGATION ET RÉSECTION DU NERF MÉDIAN / 67
Le malade se présentait donc avec la triade symptomatique suivante :
paralysie, anesthésie et troubles trophiques dans le territoire du médian. Il
était donc bien évident que ce nerf avait dû être lésé. Mais la plaie causée
par l'éclat de verre siégeait dans la région des vaisseaux et nerfs cubitaux,
notablement en dedans du trajet du médian. On pouvait alors supposer
que le fragment de verre avait par cette voie, pénétré obliquement jus-
qu'au nerf médian. La lésion du médian par ce mécanisme était en somme
possible, et dès lors probable, quoique ce nerf n'ait pas paru touché lors
de la suture de la plaie, le lendemain de l'accident. Quoiqu'il en soit.
comme d'une part les lésions de névrite traumatique étaient évidentes,
et que d'autre part la blessure du médian par le fragment de verre était
encore l'hypothèse la plus vraisemblable, je me décidai il aller à la recher-
che du nerf médian, et dans ce but, le 3 juin 1892, je pratiquai dans le
quart inférieur de l'avant-bras, une incision longitudinale répondant au
trajet du nerf en question.
Le nerf médian était normal en ce point et il était clair qu'il n'avait pas
été lésé à ce niveau. Cependant les troubles trophiques étaient manifestes :
il y avait donc lésion certaine du nerf en un point quelconque.
Or deux traumatismes avaient porté sur cette région et avaient pu at-
teindre le médian. L'un était cette plaie par éclat de vitre, l'autre l'entorse
du poignet.
Ne trouvant pas de lésion du médian au niveau de la première, j'allai
mettre à nu le nerf médian à la face antérieure du poignet.
J. Là nous trouvâmes la lésion : le nerf nous apparut épaissi, d'aspect terne
et mat, ayant perdu l'apparence translucide d'un cordon nerveux normal,
enfin impossible à isoler de sa gaine celluleuse. Il devenait évident que,
lors de la chute, il y avait eu en même temps que l'entorse, une lésion du
nerf médian soit par tiraillement soit par contusion ou par tout autre mé-
canisme.
Quoiqu'il en soit nous constatâmes en même temps l'intégrité des os ;
pas le moindre signe de fracture, pas d'apparence de cal, c'était donc bien
une vulgaire entorse, comme nous l'avions reconnu dès l'entrée du ma-
lade.
Dans les traités classiques, on lit que la névrite traumatique peut se
présenter à titre de complication dans les fracturer, luxations, entorses et
contusions. Pour les fractures, point n'est besoin d'insister, le fait est bien
connu. Dans les luxations, on sait aussi qu'une extrémité osseuse déplacée
peut comprimer, contusionner, tirailler, en un mot léser un nerf et que le
résultat d'un tel traumatisme est souvent une névrite. Dans le cas de con-
Itisioii, violente ou chronique, on conçoit encore qu'un nerf puisse être
lésé. Mais dans l'entorse, la relation entre les lésions articulaires elles lé-
68 NOUVELLE ICONOGRAPIIIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
sions des nerfs est moins facile à saisir. Le fait est certainement rare et cu-
rieux, tellement curieux que, pour ma pari, c'est le premier que j'aie ja-
mais observé.
Lorsque j'ai trouvé le nerf avec celte couleur blanc mat, évidemment
malade au niveau de la face antérieure du poignet, vous m'avez vu hésiter
sur la conduite que je devais tenir : allais-je pratiquer l'élongalion ou la
résection ?
Il me sembla que la résection devait être réservée aux cas où le nerf
présentait soit un renflement cicatriciel (preuve de solution de continuité
des fibres) soit des adhérences trop intimes avec les tissus voisins. Ce n'é-
Lait pas là le cas, el, l'élongation me semblant indiquée, je soulevai le nerf
sur une sonde cannelée, jusqu'à 3 ou 4 centimètres de hauteur au-dessus
de l'avant-bras.
La plaie refermée est suturée et, par dessus le pansement sec nous ap-
pliquons un appareil plâtré.
Dans la soirée et les jours suivants, le malade accuse, au niveau de la
plaie, des élancements et des douleurs fulgurantes. Puis tout se calme et
8 jours après l'opération, le 11 juin, on renouvelle le pansement. Nous
constatons alors 1° que le pouce, l'index, et surtout le médius peuvent exé-
cuter quelques mouvements étendus; 2° que les doigts, bien qu'ils soient
encore engourdis, ont recouvré la sensibilité du contact ; 3° que les phlyc-
tènes ont disparu et que l'ulcération de l'index est cicatrisée. Aux panse-
ments suivants nous constatons de nouveaux progrès, et aujourd'hui (20 juin)
le malade est, comme vous avez pu le constater tout à l'heure dans la salle,
entièrement guéri de ses troubles trophiques, moteurs et sensitifs.
Quatre jours après l'opération pratiquée sur le malade dont je viens de
vous parler, le hasard nous amenait un jeune homme porteur de lésions
analogues. Ce 2e malade présentait, à 3 centimètres environ au-dessus du
pli de flexion du poignet, une cicatrice transversale, et au niveau des doigts,
dans le territoire du médian, des ulcérations analogues à celles quenous
avions constatées sur notre premier malade.
Ce jeune homme était tombé, le 26 février 1892 (il y a 4 mois environ)
sur un éclat de verre. Le médecin qui le pansa lui mit la main en flexion,
en lui disant qu'il craignait une plaie tendineuse ; ce renseignement, bien
qu'assez obscur, est pourtant une preuve que la plaie était profonde, et
que le médian a pu être touché. Dans quelles proportions a-t-il été atteint ?
Voilà ce que nous ne savons pas.
A-t-il été contus, tiraillé, sectionné complètement ou partiellement ?
Cette dernière hypothèse nous semble la plus rationnelle; car le seul fait
qu'il y a des troubles de nutrition indique que la section du nerf a dû être
plutôt partielle que totale.
NOUVELLE Iconographie DE la SALP122RIERC T VI. PL. VIII.
Phototype négatif A. LONDE Photocollographie Chêne ET LONGL-1 T
TROUBLES TROPHIQUES CONSÉCUTIFS A UNE BLESSURE
J DU NERF MEDIAN
LTq. ATTAILLE LT ..Cie
i'ditkurs
ÉLONGATION ET RÉSECTION DU NERF MÉDIAN 69
A l'examen purement objectif, ce jeune homme présente au niveau du
médius une ulcération terminale, à fond sanieux, et même gangreneux ; \
au centre on voit l'extrémité nécrosée de la' phalangette (PI.-VIII).
A l'extrémité de l'index, on remarque' une espèce de panaris qui a grande
analogie avec la lésion récemment décrite sous le nom de panaris analgé-
sique.
Ces ulcérations de l'index et du médius ont débuté il y a environ un
mois, c'est-à-dire deux mois et demi à trois mois après-le traumatisme.
On constate, en outre de ces troubles trophiques, une insensibilité abso-
lue des deux dernières phalanges du médius et de l'index,' ainsi que des {
faces interne du pouce et externe de l'annulaire. La première' phalange de
ces doigts n'offre qu'une notable diminution de la sensibilité. Mais, au ni-
veau des deux dernières phalanges, l'aneslhésie est absolue, totale et porte \
sur les trois modes de sensibilité, à la température, à la douleur et au con /
tact. C'est donc une anesthésie vraie.
La motilité, chez notre jeune malade, est aussi atteinte, mais moins
complètement que la sensibilité; les muscles de l'éminence thénar parais-
sent se contracter dans le mouvement d'opposition, qui s'exécute assez bien;
mais, si on lutte contre le pouce quand il se met en opposition, on a faci-
lement raison de sa résistance ; de plus (et c'est là un détail sur lequel
j'attire votre attention) à mesure que le pouce se laisse écarter,' il subit un \
mouvement de rotation et de renversement, qui le place sur l'alignement f
des autres doigts, presque en abduction. Il est vraisemblable que l'innerva-
tion des trois muscles superficiels de l'éminence thénar est partiellement
compromise, et qu'il en résulte une parésie de ces muscles, incapables de
résister à une poussée un peu vigoureuse, tandis que le court adducteur, )
innervé par le cubital en véritable interosseux qu'il est, a conservé son J
innervation intacte, intacte aussi sa contractilité.
Notons encore, pour compléter l'histoire de notre malade, un certain de-
gré de sensibilité de la cicatrice antibrachiale, mais rien de'cettè hyperes-
thésie douloureuse que l'on rencontre dans certains cas. Chez notre pre-
mier opéré, au contraire, la cicatrice ne présentait aucune sensibilité.
En résumé, ce second malade nous présente : : I° des troubles trophiques ;
2° des troubles de la sensibilité ; 3° des troublés de la motilité., et cela dans
le territoire innervé par les branches terminales du nerf médian. Le mé-
dian est donc lésé, et a probablement subi une section incomplète, trauma-
tisme qui semble éminemment favorable au développement de la névrite
avec troubles trophiques.
Voici donc deux malades chez lesquels le nerf médian a été lésé, et qui,
outre l'anesthésie et la paralysie consécutives à l'accident, ont présenté
tous deux des troubles trophiques. Or ces troubles trophiques à la suite de
70 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
lésions nerveuses traumatiques sont aujourd'hui bien connus ; ils sont dûs
à la névrite qui survient à la suite du traumatisme, dans un délai plus ou
moins rapide, comme nous le verrons tout à l'heure.
Quoiqu'il en soit, l'existence de la névrite consécutive aux sections in-
complètes des nerfs est bien démontrée par l'observation clinique et par
l'expérimentation sur les animaux, et si l'on ne peut dire que la démons-
tration en est absolument acquise, on peut du moins affirmer que la névrite
survient presque toujours dans les cas de plaies incomplètes des nerfs. Les
symptômes de ces névrites traumatiques sont les suivants :
n On constate généralement dans le territoire du nerf lésé une élévation
I de la température locale. Puis des changements se manifestent du côté de
, la peau, qui s'amincit et présente un aspect luisant que les Anglais carac-
térisent sous le nom de glossy slrin. A ce niveau, l'épiderme desquame ou
1 au contraire s'épaissit par places, donnant naissance sur les phalanges à
.des espèces de verrues. La sudation est abondante et s'exagère à la moindre
/ émotion, par exemple, quand on examine le malade (nous avons pu cons-
tater ce signe chez notre jeune blessé). Les poils deviennent grêles, puis
tombent et ne repoussent pas. Les ongles prennent l'apparence d'un cro-
cbet, d'une griffe, par suite d'une double incurvation dans le sens antéro-
postérieur et dans le sens transversal.
Il n'y a rien ici qui ressemble au doigt hippocratique des tuberculeux,
lequel est caractérisé aussi par un certain degré d'incurvation de l'ongle,
mais surtout par la forme en massue que prennent les extrémités des doigts,
forme qui résulte de troubles trophiques différents de ceux dont nous par-
lons.
Les troubles trophiques les plus curieux et les plus difficiles à expliquer
sont les éruptions que l'on observe dans les troubles trophiques consécutifs
aux lésions nerveuses ; quelquefois c'est un zona, avec de belles vésicules
d'abord transparentes ; quelquefois les vésicules sont plus petites, c'est de
/ l'eczéma ; dans d'autres cas, plus rares, on observe des bulles volumi-
neuses, pemphigoïdes. J'ai faitmouler, à Saint-Louis, un sujet qui présen-
tait une éruption pemphigoïde consécutive à une lésion nerveuse. Les trou-
bles trophiques ont apparu tardivement chez nos malades surtout chez
le 2e. Je voyais la semaine dernière, à l'Hôtel-Dieu, un malade porteur
r d'une grosse ampoule venue 8 jours après l'accident. Enfin j'ai retrouvé
Il dans mes notes, le cas d'un enfant de 3 ans chez lequel les phlyctènes
1 apparurent trois jours après le traumatisme. On observe quelquefois des
lésions plus profondes ; on a vu de véritables faux-phlegmons se produire;
/'puis des ulcérations d'un caractère spécial. Mais s'il y a de l'érythème et
de la rougeur la suppuration ne se produit jamais.
Je ne puis m'empêcher, Messieurs, d'établir un rapprochement entre
ÉLONGATION ET RÉSECTION DU NERF MÉDIAN 71
ces troubles trophiques par blessure des nerfs et le mal perforant classi-
que : chez notre premier malade, l'aspect des ulcérations rappelait, en
petit, l'aspect du mal perforant avec son ulcération centrale, son épaissis-
sement de l'épidémie au pourtour, et l'anesthésie des téguments circonvoi-
sins.
Mais il est d'autres analogies beaucoup plus frappantes et plus réelles :
je veux parler du panaris analgésique et des ulcérations de la syringomyé-
lie.
Le panaris analgésique, décrit en 1883 par un médecin breton, nommé
Morvan, est une lésion qui se montre sur les doigts, lésion ulcérative, tro-
phique, analogue aux ulcérations que présentent nos deux malades. Le
panaris analgésique est ordinairement indolent; il peut présenter de la
douleur et un aspect enflammé qui lui a fait donner le nom significatif de
faux phlegmon, mais sans tendance à la suppuration. Au contraire il tend
à l'ulcération, à la gangrène des parties superficielles, à la nécrose des os
et peut aboutir à l'ouverture des articulations phalangelliennes par nécrose
des ligaments capsulaires ; les lésions sont généralement multiples, s'ac-
compagnant de douleurs rhumatoïdes avec faiblesse et atrophie du mem-
bre. Il y a abolition complète de toute sensibilité.
Dans la syringomyélie, on observe aussi des troubles trophiques analo-
gues à ceux des névrites. Cette affection est, vous le savez, caractérisée par
des lésions centrales consistant en fonte de la substance grise qui constitue
la commissure grise de la moelle. Cette substance grise se transforme peu
à peu en une matière analogue à de la glu, d'où le nom de dégénérescence
gliomateuse. C'est là la lésion primitive. Mais secondairement, et presque
simultanément, cette fonte gliomateuseaccroîtiacavi té normalement presque
nulle du canal de l'épendyme : d'où l'aspect de la moelle creusée d'un ca-
nal central relativement considérable a été comparé à un roseau (syringo-
myélie) signifiant moelle en roseau.
Dans certains cas, les cornes antérieures peuvent être atteintes, et alors
s'ensuivront des troubles de la motilité, avec atrophie et paralysie des
muscles; d'autres fois c'est sur les cornes postérieures que s'étendra le pro-
cessus gliomateui, et des troubles de sensibilité spéciaux en seront la con-
séquence.
Les troubles de la sensibilité ont un caractère spécial ; ils sont dissociés,
c'est-à-dire qu'il y a perte de la sensibilité à la douleur et à la tempéra-
ture, avec conservation de la sensibilité du tact. C'est ce que M. Charcot a
appelé la dissociation syringomyélique de la sensibilité. Quand la lésion
gagne en outre les cordons postérieurs de la moelle, la sensibilité est com-
plètement abolie sous ses trois formes. Mais il y a encore, et c'est là que je
veux en venir surtout, des troubles trophiques exactement comparables
72 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
aux troubles trophiques de cause périphérique et traumatique. Ce sont des
ampoules, des maux perforants, des ulcérations du derme, voire même des
plaques de sphacèle, avec éruptions huileuses; parfois bouffissure et oedème
blanc ou bleu des extrémités des doigts. Il en résulte des lésions absolu-
ment analogues au panaris analgésique de Morvan.
Quelquefois, mais beaucoup plus rarement, peuvent se produire des
fractures présentant les caractères des fractures dites spontanées, et quel-
quefois aussi des arthropathies analogues à celles observées dans le tabes.
La maladie de Morvan est-elle identique à la syringomyélie ? Telle est
la question qui s'est posée depuis quelques années. Une autopsie de M. Jof-
froy semble établir que c'est une- seule et même maladie. Mais les parti-
sans de la réalité se fondent sur ce qu'il y a dissociation de la sensibilité
dans la syringomyélie et au contraire perte absolue et complète dans la
maladie de Morvan. Mais les observations cliniques ont montré depuis que
la dissociation pouvait aussi s'observer dans la maladie de Morvan ; nous
avons vu d'autre part que la perte de la sensibilité est quelquefois totale
dans le syringomyélie. Il semble donc qu'il y ait plus que de l'analogie
entre les deux affections, et qu'on puisse regarder la maladie de Morvan
soit comme un épisode, soit comme une forme atypique de la syringomyé-
lie (1).
Messieurs, cette digression sur le terrain de la médecine m'a paru né-
cessaire pour vous mettre en garde contre des erreurs de diagnostic. Ceux
d'entre vous qui voudraient étudier la question de plus près au point de
vue médical, trouveront ces faits développés dans une clinique de M. Char-
cot publiée dans la Gazette hebdomadaire du 11 avril 1890 et dans la
thèse de Brül1 (1890). M. Le Fort a également traité ce sujet dans une cli-
nique publiée dans le Mercredi médical du 30 décembre 1890.
Le diagnostic peut quelquefois se poser entre la syringomyélie de la ma-
ladie de Morvan d'une part, et d'autre part des névrites périphériques
causées par des traumatismes des nerfs : certes, dans le cas de nos deux
malades, l'hésitation n'était pas permise : toutes les fois qu'il y a plaie ou
cicatrice de plaie, et dans le voisinage des troubles nerveux trophiques, le
diagnostic s'impose. Mais il est, comme on en rencontre toujours en clini-
que, des cas dont l'interprétation demande à être examinée de plus près :
(1) La question s'est encore élargie depuis, et elle a reçue un regain d'actualité par
les récentes communications de M. le Dr Zambaco à l'Académie de Médecine. On sait
que pour cet auteur la maladie de Morvan ne serait autre chose qu'une lèpre larvée. Il
y aurait donc en face des troubles trophiques localisés dus à des névrites traumatiques
comme celles que nous venons de décrire, des troubles trophiques, identiques comme
aspect extérieur, mais non localisés, et dus à des lésions centrales du système nerveux,
lésions qui ressortiraient à trois maladies bien semblables, sinon identiques : la mala-
die de Morvan, la syringomyélie et la lèpre.
ÉLONGATION ET RÉSECTION DU NERF MÉDIAN 73
tels ces malades qui, ayant longtemps marché à l'aide de béquilles, voient
survenir des troubles trophiques du membre supérieur ; il faut alors savoir
reconnaître pour cause de ces lésions ulcératives la contusion chronique
par compression prolongée des nerfs dans l'aisselle.
D'autres fois, c'est une contusion violente qui a frappé un nerf : la dou-
leur a disparu, le malade a pu oublier le traumatisme, mais le nerf a été
lésé et une névrite se déclare peu à peu, ayant pour conséquences visi-
bles des troubles trophiques dont l'interprétation pourra devenir embar-
rassante et qu'on sera quelquefois tenté de mettre sur le compte de la
syringomyélie. Enfin nous avons dit que le cas est facile où les lésions ul-
cératives se produisent dans la sphère d'une plaie nerveuse bien et dûment
constatée. Mais il n'est pas rare de voir des cas de névrite extensive : le
médian seul a été touché et le premier il est atteint de névrite; mais le
cubital, son voisin, peut aussi se prendre au bout de deux à trois mois ; il
en résulte une sorte de généralisation des lésions qui pourrait donner le
change, si l'on n'était prévenu, et faire croire que le traumatisme périphé-
rique a donné naissance à une lésion des centres.
Néanmoins, dans les névrites consécutives aux traumatismes, les trou-
bles de la sensibilité sont généralement distribués par territoires nerveux,
tandis que, dans les maladies centrales comme la syringomyélie, l'anesthé-
sie se montre par segments de membre. Cette différence de distribution est
une indication précieuse dans les cas embarrassants.
En face de ces troubles trophiques, de ces névrites périphériques trau-
matiques, de quels moyens d'action pouvons-nous disposer ?
Autrefois on était obligé de s'abstenir dans la plupart des cas, ou bien,
quand les névrites s'accompagnaient de douleurs trop vives (car il y a des
névrites extrêmement douloureuses), il fallait se résoudre à l'amputation.
J'ai vu Nélaton amputer l'avant-bras chez un malade atteint de névrite
consécutive à une plaie de la main, et dont la névrite s'accompagnait de
douleurs atroces.
Aujourd'hui, grâce à l'antisepsie, et aussi grâce aux connaissances plus
étendues que nous possédons sur la physiologie normale et pathologique
des nerfs, nous pouvons intervenir sans aucun risque, et même avec de
grandes chances de succès ; deux procédés sont notre disposition : le pre-
mier, le plus simple, convient aux cas simples où le nerf est peu malade,
où il n'a pas subi de section même partielle, où il ne présente pas de ren-
flement cicatriciel à exciser : c'est l'élongation que j'ai pratiquée sur notre
premier malade et vous savez quel succès nous a donné cette première opé-
ration. Mais chez notre blessé d'aujourd'hui, la cicatrice paraît adhérente;
il nous faudra évidemment disséquer le nerf au milieu d'une gangue fibreuse
cicatricielle. Si la dissection est possible et si l'état du nerf le comporte, je
74 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
ferai l'élongation. Sinon, et je crois bien que c'est ici le cas, je serai forcé
d'en venir à la résection, suivie de la suture des deux bouts, en suppri-
mant la partie atteinte de névrite cicatricielle.
II
Ceux d'entre vous qui assistaient à ma leçon du 20 juin de l'année 1892,
il y a six mois, se rappellent m'avoir vu opérer un malade, atteint de
troubles trophiques dans la sphère du nerf médian, à la suite d'une plaie
de l'avant-bras par éclat de vitre. C'est ce même malade, guéri, que je vous
présente aujourd'hui. Vous pouvez voir ici, à la face antérieure de son
avant-bras, deux cicatrices, l'une verticale et rectiligne (c'est la cicatrice
de la plaie opératoire) ; l'autre oblique et légèrement courbe (c'est la trace
qu'a laissé la plaie par éclat de verre).
Vous connaissez déjà l'histoire de ce malade jusqu'au jour où je l'ai
opéré : il me reste donc, pour compléter son observation, à vous exposer
le manuel opératoire et les suites de l'intervention.
Le malade étant anesthésié, la région lavée et aseptisée par précautions
convenables, la main et l'avant-bras, enveloppés de compresses, sont re-
couverts par la bande d'Esmarch ; cette application de la bande d'Esmarch
est indispensable pour bien voir ce que l'on fait, et ne pas être gêné parle
sang dans la suture nerveuse.
Après l'incision verticale des téguments suivant l'axe de l'avant-bras, et
libération de leur partie profonde qui adhère au niveau de la cicatrice, on
tombe sur les tendons du grand palmaire et du petit palmaire, qui sont
disséqués, mobilisés, et réclinés : le premier en dehors, le second en de-
dans. Dans ce temps de l'opération, le ligament antérieur du carpe est en-
tamé pour donner du jour en bas, et permettre de mieux écarter les ten-
dons des palmaires.
On aperçoit alors le médian, qui présente les modifications suivantes :
le nerf présente une portion amincie, transparente, entre deux renflements
qui donnent au toucher la sensation de deux noyaux durs ; le noyau cen-
tral ou supérieur est le moins volumineux. L'inférieur ou périphérique
est plus gros ; de plus il est aplati et de teinte opaque et nacrée, preuve
macroscopique de dégénérescence.
Une bride de tissu cicatriciel rattache la partie malade du nerf aux cou-
ches profondes. Evidemment on se trouve ici en présence d'une plaie in-
complète dont le siège correspond assez exactement à la cicatrice cutanée.
Les deux renflements sont réséqués, ainsi qu'une tranche suffisante de
cordon nerveux, de manière à suturer des tissus sains ; une dernière sec-
tion bien nette est pratiquée, et, sur une largeur de 2 à 3 centimètres, les
deux bouts du nerf ainsi avivé sont mobilisés et soumis à une légère trac-
ÉLONGATION ET RÉSECTION DU NERF MÉDIAN 75
tion qui constitue même un certain degré d'élongation. La suture est alors
pratiquée au catgut très fin, par le procédé dit de Mikulicz, procédé qui
n'est autre que celui que j'ai depuis longtemps proposé pour la suture des
tendons.
Ce procédé consiste, je vous le rappelle, à passer d'abord dans chaque
extrémité du nerf, un fil qui le traverse suivant son diamètre; ce fil est
passé à un centimètre environ de la surface de section ; on le serre jus-
qu'à ce que les deux bouts du nerf viennent au contact, et on le noue sur
le côté. L'ensemble de ce premier point (fil d'appui) forme un véritable
cadre qui rapproche les deux extrémités du tronc nerveux et les main-
tient déjà sensiblement en contact. Pour obtenir une coaptation plus par-
faite, de nouveaux fils (sutures d'affrontement) sont passés en des points
superficiels du nerf, et au nombre de trois ou quatre. Ces fils d'affronte-
ment empêchent les déplacements latéraux (Fig. 2).
La plaie est suturée au crin de Florence et, pour plus de sûreté, un pe-
tit drain est placé pour 48 heures, dans l'angle inférieur de l'incision. Par-
dessus le pansement, un plâtre est appliqué pour maintenir la main en
flexion assez prononcée. Quant aux troubles trophiques de l'index et du
médius, nous appliquons purement et simplement à leur surface un pan-
sement au salol, sans toucher à la phalangette en voie de nécrose et d'éli-
mination, curieux de voir la guérison spontanée se faire ; nous avions le
droit de l'espérer si la suture réussissait complètement, et l'événement a
justifié mes prévisions.
Le 22 juin, premier pansement, nous retirons le drain. Depuis ce temps
la plaie opératoire est soumise au pansement rare : les fils sont enlevés le
dixième jour, et de ce côté rien d'intéressant à noter.
Du côté des troubles trophiques des doigts, au contraire, nous observons
des phénomènes des plus instructifs.
L'extrémité de l'index, qui était seulement ulcérée, mais dont l'ulcéra-
tion n'allait pas jusqu'à l'os, est guérie la première : le 8 juillet la croûte
qui s'était formée à l'extrémité du doigt, se détache.
Le 18 juillet, la cicatrisation est complète. Du côté du médius, l'extré-
mité de la phalangette nécrosée se détache le 4 juillet.
Le 18 juillet, on constate que la réparation se fait rapidement.
Le 16 août, la cicatrisation du médius est complète : on enlève l'appa-
Fig. 2. - Procédé de suture des nerfs.
76 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
reil plâtré qui est par conséquent demeuré 50 jours en place. On met encore
un petit pansement ouaté pour protéger la main et le 13 août tout panse-
ment est supprimé.
Quanta la sensibilité, complètement disparue au moment de l'opération,
elle a commencé à revenir assez rapidement, et, dès le pansement du 8 juil-
riel, on constatait un retour très manifeste de cette fonction : depuis lors, les
progrès de la sensibilité ont été lents, mais constants. '
Le 24 octobre, le malade, à qui nous avions bien recommandé de venir
nous montrer sa main, se présente absolument guéri : il a recommencé à
travailler le 10 octobre.
Nous constatons alors que l'index a guéri sans déformation : l'ongle est
seulement un peu plus court qu'à l'autre main.
L'ongle du médius a repoussé : toute trace de troubles trophiques a dis-
paru, et l'on ne voit plus qu'une petite cicatrice terminale déjà pâlie. On
remarque seulement un certain degré d'incurvation de l'ongle, tenant à ce
que le doigt est raccourci par la chute d'un bout de phalangette.
La force est revenue dans celte main, et les muscles se sont reformés.
L'exploration de la sensibilité est intéressante : à la piqûre, on trouve la
'1 sensibilité normale partout sauf au niveau des deux phalanges de l'index
et du médius : à ce niveau elle est notablement diminuée, mais non plus
abolie. En retournant l'épingle, et en agissant par pression seulement, au
(moyen de la tête, on trouve que cette pression, d'abord ne détermine au-
cune sensation particulière au niveau de la main ; mais au niveau des deux
phalanges en question, la pression détermine des fourmillements dans ces
deux doigts, et ces fourmillements sont d'autant plus accentués qu'on se
rapproche davantage de l'extrémité des doigts. A l'extrémité même, la
sensation de fourmillement est maxima.
Aujourd'hui (10 janvier 93) l'état s'est amélioré, la main a encore re-
pris de la force, l'incurvation de l'ongle et la cicatrice terminale ont ten-
dance à disparaître. Le retour de la sensibilité poursuit sa marche toujours
) lente, mais progressive.
En somme, ce malade est absolument guéri. Il nous signale quelques
engelures sur l'index, mais je ne vois rien d'étonnant à ce que ces lésions,
déterminées par le froid, se soient produites en un point de moindre ré-
sistance.
L'examen du fragment de nerf réséqué chez ce second malade a été exa-
miné au laboratoire du service par MM. Fabre-Domergue et Téloan, qui
nous ont remis la note suivante :
Le fragment enlevé, long de 2 centimètres présentait, vers sa partie mé-
diane un renflement très net ; après l'avoir plongé dans l'acide osmique
à 1 0/0, immédiatement après la section, on constatait que le bout péri-
ÉLONGATION ET RÉSECTION DU NERF MÉDIAN 77
phérique ne prenait pas la coloration noire caractéristique de la myéline,
coloration qui se montrait au contraire extrêmement nette au niveau du
bout central. Ce fait, à lui seul, établissait la dégénérescence du nerf au-
dessous du traumatisme.
L'examen histologique, pratiqué au moyen de coupes, a montré qu'il
ne s'agissait pas seulement d'une cicatrice fibreuse ayant amené l'atrophie
des tubes nerveux, mais qu'il y avait eu production d'un véritable névrome
par néoformation de tubes nerveux. Ceux-ci présentaient une disposition
enchevêtrée et irrégulière. Le renflement qui existait a la partie moyenne
du fragment excisé était causé par cette production anormale et répondait
au siège du névrome.
En somme, il s'est produit dans ce cas des phénomènes analogues à
ceux qui se passent au niveau de l'extrémité sectionnée d'un nerf dans un
moignon d'amputé.
A. LE DENTU,
Professeur de clinique chirurgicale.
Clinique médicale de l'Université de Genève.
TROIS CAS D'ARTHROPATHIES MYÉLOPATIIIQUES
Observation I.
Tabès dorsal. Troubles de la station, de la marche et de la sensibilité.
A1,thropathies multiples.
(Notes recueillies par MM. Maillart et Audeoud assistants).
Joséphine F. 59 ans, polisseuse.
Antécédents héréditaires. Son père s'est suicidé. Soeur alcoolique, morte
de néphrite. Pas d'autres cas nerveux dans la famille. ,
Antécédents personnels. Célibataire. Une fille mort-née à 14 ans, rhu-
matisme articulaire aigu. A 47 ans souffre de gastralgies, peut-être déjà
en rapport avec le tabes. Pas de maladie infectieuse, ni de syphilis, ni
d'excès alcooliques.
Maladie actuelle. A l'âge de 14 ans, pendant l'établissement de la mens-
truation, ont débuté des douleurs dans la jambe gauche. Un peu plus tard,
la jambe droite a été atteinte à son tour et pendant sept mois, la malade
a dû garder le lit. Puis elle a pu se lever et a repris peu à peu la faculté
de marcher. Les douleurs qui n'ont jamais cessé, ont pris par la suite le
caractère lancinant et fulgurant. Depuis l'âge de 48 ans la malade accuse
la sensation de sable sous les pieds. Vers l'âge de 53 ans elle aurait eu de
la diplopie passagère.
A 57 ans (Février 1890), le pied gauche commence à grossir au niveau
de l'articulation tibio-tarsienne.
Le gonflement articulaire progresse lentement sans aucune douleur et
sans l'empêcher de marcher.
En février 1891, la malade consulte un chirurgien qui lui fait faire
une bottine spéciale qui n'est pas supportée.
En janvier 1892, elle remarque une grosseur à la face postéro-inlel'l1e
du genou droit et des craquements à ce niveau, provoqués par les mouve-
ments. Peu à peu la grosseur envahit toute l'articulation, mais ce n'est
que cinq mois après que la marche devient presque impossible.
A plusieurs reprises elle a eu des crises gastralgiques et intestinales ;
1. )3ATTAILLI : ET <-CI"
Nouvelle Iconographie DE la SALPhCRIÈRâ Î DIi7.UR5 ^ T. VI. PL. X, XII
ARTHROPATHIE ET FRACTURE SPONTANEE TABÉTIQUES DEFORMATION DES PIEDS DANS LA MALADIE DE FRIEDREICH
Pl.T.IYl' A. L..., PIiOlOCOI.lOt7HAYN11 CHRNP CT LoNruir
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière £ T VI. PL. IX.
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ARTHROPATHIE ET FRACTURE SPONTANÉE TABÉTIQUES
b nTTAILL1 : LT -C'e
EDITEURS
TROIS cas d'artropathies MYÉLOPATIIIQUES 79
quelques-unes si violentes que la malade croyait en mourir. Ce sont des
douleurs en ceinture avec vomissements, et constipation. Elles se succè-
dent plus ou moins intenses pendant un jour ou deux, puis se dissipent
tout à fait. Ménopause à 51 ans.
Entrée à l'hôpital en août 1892.
Femme petite, cheveux châtains, yeux gris, a toujours eu un tempéra-
ment nerveux et une intelligence peu développée.
Les bras, surtout le gauche, ont perdu de leur force depuis quelques
années. Le dynamomètre marque 1 3 droite, 4 à gauche. La force est mieux
conservée aux extrémités inférieures.
La malade peut se tenir debout et si la marche est difficile, c'est à cause
des déformations articulaires. On ne peut apprécier s'il y a de l'ataxie,
mais le signe de Rombergest très accusé. Aussitôt, en effet, qu'elle ferme
les yeux ou qu'il fait nuit, la malade titube et tomberait si on ne la rete-
nait pas.
Les réflexes patellaires sont totalement.abolis.
Les troubles de la sensibilité sont trèsmarqués.
Ce sont des douleurs fulgurantes dans les quatre membres, se mon-
trant tout à coup pendant quelques jours, puis cessant sans cause. Il y a
des fourmillements aux quatre extrémités. Sensation de sable à la plante
des pieds, avec froid habituel. La sensibilité tactile est partout normale,
sauf au pied droit où existe une espèce de dysesthésie en bottine. La sen-
sibilité à la douleur (piqûre, pincement) est abolie aux deux membres
inférieurs. La sensibilité thermique est pervertie également aux membres
inférieurs ; le froid est quelquefois ressenti comme du chaud ; la chaleur
est perçue comme du froid, ou comme sensation tactile indifférente ; bouf-
fées de chaleurs et sueurs fréquentes.
Parfois incontinence nocturne d'urine.
Troubles trophiques. Les dents, excellentes jusqu'à l'âge de 39 ans, sont
tombées, toutes les trente-deux, non cariées : la malade les cueillait avec
les doigts. Les ongles, les cheveux, la peau sont normaux.
Arthropathies. Le genou droit est le siège d'un gonflement énorme, fu-
siforme, qui remonte jusqu'à mi-hauteur delà cuisse. (I'1. IXetX).
Il mesure environ 22 centimètres selon le grand axe. La circonférence
au niveau de la rotule est de 44 centimètres (elle est de 37 cent. à «au-
che). La synoviale est épaissie et distendue dans tous ses culs-de-sac par
du liquide. La rotule n'est pas déformée, mais le fémur semble diminué,
y compris ses condyles qui sont à peine perceptibles. Par contre, le tibia
surtout au niveau de son plateau supérieur est hypertrophié et élargi. Les
craquements articulaires simulant un sac de noix, indiquent que les carti-
80 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
lages sont érodés. Les mouvements actifs sont en partie possibles, mais
limités du côté de la flexion par le gonflement articulaire.
Le mouvement de flexion ainsi que celui de l'extension se fait par une
série de saccades accompagnées de craquements, comme le doigt à res-
sort.
La jambe tourne en se fléchissant et en s'étendant sur son axe longitu-
dinal. Dans l'extension totale, il existe des mouvements de latéralité sur
un arc de 45°. Dans la station, le membre se met en varus ou valgus. Tous
ces mouvements ne provoquent aucune douleur.
L'articulation tibio-tarsienne droite présente un gonflement avec dé-
formation de la partie inférieure du tibia, sans craquements, ni hydar-
throse, ni mouvements anormaux, ni douleur.
L'articulation tibio-tarsienne gauche affecte la forme d'une baonnette..
Fig. 3. Détails de l'appareil à suspension du professeur Revilliod.
TROIS cas d'arthropathies MYÉOPATHIQUES 81
Elle est le siège d'un gonflement qui remonte à quatre travers de doigt
sur le bas de la jambe et occupe le tarse. Le pied est déjeté en dedans. La
malléole externe déformée et épaissie louche presque le bord externe de la
plante du pied. L'extrémité inférieure du tibia est fracturée, fracture qui
s'est produite sans violence extérieure. Le fragment entièrement détaché
glisse au moyen d'une pseudarthrose sur la face interne du corps du tibia
et sur l'astragale. Il y a de forts craquements articulaires. Les mouve-
ments actifs se font assez bien ; les passifs sont anormaux comme direc-
tion et étendue. Dans la station, le pied se met en varus. Il n'y a ni rou-
geur, ni chaleur, ni douleur.
Les autres articulations ne présentent pas d'altération.
Il n'y a rien à noter du côté des principales fonctions.
La vue est un peu diminuée des deux côtés. Les pupilles sont puncti-
formes et présentent le signe d'Argyll Roberlson. Pas d'atrophie papil-
laire.
La malade a été soumise pendant quelques mois journellement à la sus-
pension, sans effet appréciable.
Observation II.
Tabès dorsal chez un syphilitique. Ataxie. Troubles oculaires et urinaires.
Crise upoplectiforme. Artliropathie du genou gauche.
(Notes recueillies par MM. Ruel et Audeoud assistants).
V. Antoine 51 ans, ancien horloger.
Antécédents héréditaires. Il n'y a pas eu dans sa famille d'autres nerveux
qu'un frère mort à 60 ans d'hémiplégie droite.
Antécédents personnels. Variole à 17 ans. A l'âge de 20 ans, le malade
contracte un chancre suivi d'accidents cutanés. Pneumonie à 36 ans. Excès
alcooliques fréquents.
Maladie actuelle. A 27 ans, l'oeil gauche est frappé subitementd'unstra-
bisme interne qui s'accompagne de diplopie. Le D' Dor constate une para-
lysie du droit externe qui aurait cédé en six semaines au traitement ioduré.
A 31 ans, sans cause appréciable surviennent des douleurs fulgurantes
et térébrantes des membres inférieurs, douleurs passagères revenant une à
deux fois par mois et d'emblée accompagnées d'ataxie et d'incontinence d'u-
rine. L'ataxie va en augmentant et reste longtemps le phénomène prédo-
minant.
A 47 ans (1889), le malade entre pour la première fois à l'hôpital.
Homme châtain, grisonnant, yeux gris, myosis sthénique, acuité vi-
suelle un peu diminuée, mais pas de signe d'Argyll Roberson, pas de
strabisme, pas de diplopie.
vi - 6
82 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
L'ataxie est très marquée aux membres inférieurs ainsi que le signe de
Romberg. Dans l'obscurité ou les yeux fermés, le malade est incapable de
marcher sans trébucher.
Les douleurs fulgurantes des extrémités inférieures ont sensiblement
diminué, mais la sensibilité tactile est fortement émoussée, presque abolie
à la plante des pieds. Il en est de même de la sensibilité à la douleur. La
notion de la position des membres est conservée. Les réflexes patellaires
sont abolis. Les réflexes cutanés (plantaire, crémastérien, épigastrique)
diminués. Incontinence d'urine fréquente. Pas d'albuminurie ; pas d'ar-
thropathie, pas de troubles vaso-moteurs, le malade reste quelques jours à
l'hôpital, puis retourne à son travail qu'il continue pendant deux ans.
- A 49 ans (février 1891) se trouvant dans son atelier exposé au soleil, il
est pris d'un éblouissement avec vertige. Il se sent défaillir et tombe à
terre sans perdre tout d'abord connaissance. On le relève atteint d'une
hémiplégie gauche complète et on l'envoie à l'Hôpital où il arrive dans le
demi-coma et le stertor.
Arrivé à l'hôpital, le malade reprend peu à peu le sensorium. L'hé-
miplégie est complète et flasque, jambe, bras, face inférieure et supé-
rieure (signe de l'orbiculaire. L. Revilliod) (1).
La sensibilité est très diminuée dans le domaine du trijumeau gauche.
Cinq jours après cette attaque, le malade peut déjà faire quelques mouve-
ments, sortir de son lit, mais il est incapable, même soutenu, de se tenir
debout. Sept semaines après l'attaque, il peut se lever, s'habiller seul,
marcher, soutenu par un aide, de sa démarche ataxique. Le dynamomè-
tre marque 34 à la main gauche, 57 à droite.
Un nouvel examen de la vue dénote toujours la présence du signe d'Ar-
gyll Robertson. L'acuité visuelle est de z à droite et de à à gauche.
Les papilles sont blanchâtres, les artères diminuées, mais il n'y a pas
l'atrophie papillaire classique.
Pas de dyschromatopsie ni de rétrécissement du champ visuel.
Peu à peu l'état du malade s'améliore si bien qu'on l'envoie en septem-
bre à l'asile des convalescents.
En octobre 1892, âgé de 51 ans, il rentre pour la troisième fois à l'hô-
pital. Les symptômes de l'ataxie sont au même point. Il a regagné de la
force aux extrémités supérieures, comme en témoigne le dynamomètre
qui marque 42 à gauche, 60 à droite. Tout vestige de l'hémiplégie gauche
a disparu, sauf le signe de l'orbiculaire qui persiste.
La vue s'est améliorée; l'acuité visuelle est normale des deux côtés. Le
/
(1) Boïadjew. Le signe de l'orbiculaire. Thèse de Genève, 1802.
NOUVELLE Iconographie DE la SALPÉTRltRE T. VI. PL. XI.
PHOTOTYPE Mt.GATtFA.LODt- PHOTOCOLLOGltAPHIF CHLNE ET LONOUET
ARTHROPATHIE TABÉTIQUE ? )3ATTAILLF. 1,T CIO
JIJI"FUF....
TROIS cas d'arthropathies i)IYÉLOPAT111QUES 83
signe d'Argyll Robertson persiste. A l'incontinence d'urine s'ajoute par-
fois celle des matières fécales.
Il s'est développé depuis quelque temps, sans que le malade s'en soit
aperçu, une arthropathie du genou gauche. C'est ce genou qui appuyait
constamment sur le tour pendant le travail d'horlogerie. Notons cependant
que notre malade n'a pas exercé son métier depuis près de deux ans.
L'articulation est augmentée de volume dans sa totalité, sa circonfé-
rence est de 38 centimètres 1/2, celle du genou droit 35. Il n'ya pas d'hy-
darthrose, pas de douleurs, pas de rougeur. Les mouvements passifs sont
accompagnés de froissements. Dans la station debout, le genou est en ré-
curvation soit convexe en arrière, concave en avant (PI. XI).
Pas d'autre arthropathie, ni de troubles trophiques.
Le traitement par la suspension n'a pas donné de résultat appréciable.
Observation III.
Maladie de Friedreich. Forme fruste. Déformations
caractériliques des pieds.
(Notes recueillies par M. Audeoud).
Humbert D. 16 ans, campagnard.
Antécédents de famille. Parents bien portants, ainsi que toute la famille,
sauf une soeur dont l'histoire est la suivante : Née avec des pieds normaux,
elle marche à 16 mois et se porte bien jusqu'à l'âge de 4 ans où elle con-
tracte la rougeole. Vers cette époque, le pied droit commence à se défor-
mer ; il se tasse dans le sens de la longueur ; le tarse grossit, sans présen-
ter la moindre apparence d'un processus inflammatoire.
La marche en est à peine gênée. La déformation allant progressivement
en augmentant, on fait subir à l'enfant à l'âge de 9 ans un traitement or-
thopédique pendant 3 mois. A l'âge de 13 ans, le pied devient équin; la
malade ne pouvant plus marcher que sur la pointe du pied, on fait la sec-
tion du tendon d'Achille. Six semaines après, l'enfant peut mettre la plante
du pied sur le sol.
Elle n'a jamais eu de douleur ni d'ataxie.
Actuellement (février 1893) elle est âgée de 18 ans, elle se porte bein,
marche sans difficulté, mais le pied est resté raccourci, comme par le fait
d'un arrêt de développement. La voûte plantaire est très accusée. Ce pied
est tout à fait semblable à ceux de son frère dont l'observation suit. Le
pied gauche est normal. Le réflexe patellaine est aboli des deux côtes.
Sauf cela, santé parfaite.
84 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Humbert a marché à 18 mois. A l'âge de 6 ans ses parents remarquent
qu'il a de la peine à fléchir son pied droit, le talon reste élevé. Peu à peu
le membre inférieur droit maigrit. A 7 ans le pied gauche commence à
présenter une déformation semblable et à se placer également en varus-é-
quin. Il n'y a ni ataxie ni trépidation. On met un appareil orthopédique
qui produit une amélioration passagère. A 15 ans, l'affection ayant fait de
nouveaux progrès, on fait une section des deux tendons d'Achille et du ten-
don du jambier postérieur droit, appareils plâtrés. Depuis cette époque,
l'enfant ne peut plus marcher seul, il peut à peine se tenir debout. L'an-
née suivante, à l'âge de 16 ans (novembre 1892) l'enfant est amené à l'hô-
pital. -
C'est un garçon aux cheveux et yeux bruns, joufflu, coloré, front étroit,
crâne petit. L'intelligence est peu développée, au-dessous de son âge. L'atti-
tude est un peu voûtée, quoique sans scoliose du rachis ; poids 34 k. 500,
Pas de troubles de la parole.
Pupilles égales, moyennes, réagissent bien. Regard éteint, un peu strabi-
que, alternant, mais la vueestbonne. Pas de nystagmus. Pas de troubles dans
la perception des couleurs; pas de rétrécissement du champ visuel.
Extrémités inférieures : La marche et même la station sont complètement
impossibles. Au lit il y a quelques mouvements de flexion et d'extension,
mais très limités ; les fléchisseurs moins faibles que les extenseurs. Les
masses musculaires sont peu développées. Les réactions électriques fara-
diques et galvaniques sont normales.
Les réflexes patellaires complètement abolis. Les sensibilités subjectives
et objectives normales. Sueurs froides des pieds.
Les extrémités supérieures n'ont pas la force normale. L'enfant ne peut
se suspendre par les mains. Les pieds présentent une déformation particu-
lière plus marquée à droite qu'à gauche (Pl. XII). Ils sont raccourcis sui-
vant leur grand axe ; comme s'ils avaient été comprimés d'avant en arrière.
La voûte plantaire est très accusée ; le tarse fait saillie sur le dos du pied.
Les orteils sont difformes. A gauche les 2e, 3e et 4e orteils sont aussi longs
que le premier; le 5e est déjeté en dedans, il recouvre complètement la
base de son voisin. Des deux côtés les orteils sont relevés, cependant les
tendons extenseurs ne font pas saillie. Il n'y a pas d'ankylose, ni rougeur
ni douleur. Le traitement par les injections Brown-Séquard et par la sus-
pension continuée pendant 2 mois 1/2 n'a pas donné une amélioration bien
notable.
Réflexions. C'est peut-être un peu forcer le diagnostic que de consi-
dérer ce cas comme une maladie de Friedreich. Nous nepouvons savoir en
effet si cet enfant est ataxique, puisqu'il est paraplégique. Les mouvements
dont il dispose sont trop faibles et trop limités, pour qu'on puisse se ren-
TROIS CAS D'ARTHROPATHIES MYÉLOPATHIQUES 85
dre compte de leur direction. D'autre part, il n'y a ni nystagmus, ni trou-
bles du langage.
Le diagnostic repose donc uniquement sur la déformation caractéristique
des pieds, sur l'abolition du réflexe rotulien, sur le facies et l'arrêt de dé-
veloppement du corps et de l'intelligence ; enfin sur l'existence d'une dé-
formation analogue du pied droit de la soeur de notre malade.
Nous n'avons d'ailleurs aucune autre interprétation satisfaisante à don-
ner de ce cas dont la photographie ressemble d'une manière frappante à
celle donnée dans la Nouvelle Iconographie, t. 1, 1888, Pl. X.
Dr L. REVILTIOD, Dr H. AUDEOUD,
Professeur de Clinique médicale à l'Université de Genève. leur assistant.
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE
ÉTUDE CLINIQUE ET ANATOMO-PATHOLOGIQUE
Travail du Laboratoire de la Clinique des Maladies
du Système nerveux (t)
En présence de statistiques imposantes, il se manifeste actuellement une
tendance à considérer un certain nombre de maladies cérébro-spinales
comme produites par la syphilis, alors même que les lésions anatomiques
dont elles dépendent ne présentent à aucun moment les caractères généra-
lement reconnus aux lésions syphilitiques. Quelque soit d'ailleurs le bien
fondé de cette manière de voir, on peut dire qu'elle n'est pas conforme à
la méthode scientifique qui a guidé la médecine de notre siècle dans ses
plus grandes découvertes. Sans doute nous ne connaissons que d'une ma-
nière bien grossière encore les altérations que le virus syphilitique peut
causer dans les organes ; il n'est pas impossible que, à la façon de certains
poisons, il agisse avec élection dans les centres nerveux sur tel système dif-
érencié, en n'intéressant primitivement que l'élément noble; mais on ne
peut voir encore là qu'une hypothèse curieuse, et non un fil conducteur
dans l'étude de la syphilis du système nerveux.
En attendant que les résultats des recherches bactériologiques aient ap-
porté ici la précision qu'on doit poursuivre aujourd'hui dans l'étude des
maladies infectieuses, il appartient à l'anatomie pathologique et à la clini-
que seulement de déterminer, autant qu'il est possible, les relations qui
existent entre la syphilis et les maladies nerveuses.
En conformité avec ce que l'on observe dans les autres organes, on sait
aujourd'hui que la syphilis peut donner naissance, dans les centres ner-
veux, à des tumeurs gommeuses, à des lésions conjonctives et à des lésions
vasculaires.
Ce sont surtout les lésions cérébrales de cette nature qui ont attiré l'at-
tention ; et, relativement aux nombreux travaux dont la syphilis cérébrale
(1) Ce mémoire a été présenté au concours des hôpitaux en décembre 1892. Depuis
qu'il a été déposé à l'imprimerie, plusieurs travaux ont paru sur le même sujet, entre
autres deux communications à la Société de Biologie : l'une de M. Sottas (15 avril 1893),
l'autre de MM. Gilbert et Lion (22 avril 1893).
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 87
a été l'objet, on peut dire que la syphilis médullaire a été peu étudiée jus-
qu'à ces dernières années.
A l'époque où parut en France sur ce sujet le travail de MM. Charcot et
Gombault (Archives de physiologie, 1873), le nombre des cas de syphilis
spinale publiés avec examen anatomique, s'élevait à peine à 3 ou 4 : un
fait dû à M. le professeur Potain, concernant une induration de la moelle
chez un nouveau-né, un autre relaté par M. Lancereaux dans son Traité
d'anatomie pathologique, où l'autopsie révéla l'existence d'une gomme in-
tra-protubérantielle accompagnée d'altérations du côté des méninges spi-
nales, et envahissement limité de la moelle dans la région dorsale infé-
rieure, un 3e enfin dû àMoxon (1). Ce dernier se rapporte à une paraplégie
mortelle : on trouva à l'examen microscopique de nombreuses petites
tumeurs dans la dure-mère spinale; à leur niveau la moelle était indurée.
Les travaux antérieurs de MM. Ladreit de La Carrière 2), Zambaco (3)
ont traité surtout la partie clinique de la question. Depuis cette époque,
la connaissance plus approfondie des troubles fonctionnels du système ner-
veux, si fréquents chez les syphilitiques, a permis de mieux dégager la
part qui revient en propre aux lésions anatomiques dans les complications
nerveuses de la syphilis. Plus récemment en France, les publications de
MM. Julliard (4), Déjerine (5), Ilomolle (G) ont contribué à nous faire con-
naître la syphilis de la moelle au point de vue anatomique. Dans un mé-
moire qui met à profil les travaux antérieurs et contient des observations
personnelles, MM. Gilbert et Lion (7) ont résumé nos connaissances rela-
tivement à la syphilis médullaire précoce. Ces auteurs ont distingué dans
les lésions un certain nombre de formes anatomiques auxquelles nous ferons
allusion plus loin. Tout dernièrement, M. Lancereaux (8) appelait l'atten-
tion sur l'artérite syphilitique médullaire. Nous devons signaler enfin les
grands progrès que doivent aux diverses publications de M. le professeur
Fournier nos connaissances sur la syphilis cérébro-spinale en général.
En Allemagne, une quantité considérable de travaux sur la syphilis de
la moelle a paru dans ces dernières années. Depuis l'article d'IIeubner qui
date de 1876 (Ziemssen's Haudbuch, vol. II) nous citerons seulement ces
noms de MM. Rumpf, Jurgens, Greif, Schmaus, Oppenheim, Siemerling etc.
dont les observations seront mises à contribution au cours de ce travail.
(1) Moxon, Guy's hôpital Reports, 1871.
(2) Ladreit de laCharrière, Thèse de Paris, 1861.
(3) Zambaco, Thèse Paris, 1862.
(4) Julliard, Thèse Lyon, 1879.
(5) Déjerine, Revue de médecine, 1884.
(6) Ilomolle, Progrès médical, 1876.
(1) Gilbert el Lion, Archives gén. de médecine, 1889.
(8) Lancereaux, Leçons cliniques, 1892.
88 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
ANATOMIE PATHOLOGIQUE.
Les lésions syphilitiques du cerveau, beaucoup mieux étudiées que celles
de la moelle se prêtent à une division généralement adoptée en : lésions
méningées, lésions vasculaires, tumeurs gommeuses des méninges ou du
cerveau lui-même. Il semble rationnel de se conformer à la même division
en ce qui concerne la moelle épinière. Notre intention dans le présent tra-
vail n'est pas de présenter une étude complète de toutes les variétés, des
lésions spinales de la syphilis.- Nous nous bornerons à la description de la
forme qui parait de beaucoup la plus commune, celle qui présente le plus
grand intérêt pratique, la méningite et la méningo-myélite syphilitique.
D'après nos examens personnels, et les faits bien observés que nous avons
relevés dans la littérature, nous avons acquis la conviction que c'est à
cette forme anatomique que se rapportent la très grande majorité des cas
de syphilis médullaire que la clinique met journellement sous nos yeux.
Les tumeurs gommeuses de la moelle constituent des lésions d'une extrême
rareté : on peut compter les observations qui en ont été publiées, et ce
sont les mêmes faits que l'on trouve reproduits partout. Les études à venir
nous apprendront s'il y a lieu de décrire il part l'artérite et la méningite
syphilitique médullaire, si les lésions vasculaires spécifiques dans la moelle
ont une autonomie au même titre que celle du cerveau. En l'état actuel
celle distinction rigoureusement comprise nous paraît difficile à faire : nous
verrons par la suite que ces deux ordres de lésions coexistent la plupart
du temps, et qu'elles sont intimement liées entre elles. On doit se borner,
dans la limite du possible à faire la part qui revient à l'une et il l'autre de
ces deux localisations dans les altérations médullaires et dans les symptô-
mes cliniques qui les traduisent.
C'est donc à un même processus initial que se rapportera la description
qui va suivre, et les seules variétés qu'il y aura lieu de distinguer sont
affaire d'intensité, d'évolution ou de localisation de celui-ci.
Mais avant d'aborder cette étude, il paraît tout indiqué de jeter un coup
d'oeil d'ensemble sur le processus généralement suivi par la syphilis dans
les divers organes et appareils où il a été bien étudié. Virclow en 1858 l'a
décrit admirablement (1) ; et il faut relire son travail sur la syphilis consti-
tutionnelle pour bien se pénétrer de la prudence avec laquelle on doit
avancer dans cette voie. La néoformation syphilitique, dit-il, a son origine
(1) Ueber die NI11ur der constitutionnel-syphilitischen Affectionen (Wirchow's Al'chiv.,
Bd. XV, p. 47.)
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 89
(et ceci est de la plus haute importance) dans le tissu conjonctif ou ses
équivalents... Les éléments nobles des tissus (cellules glandulaires, fibres
musculaires), s'atrophient secondairement sous l'influence de l'hyperpla-
sie du tissu conjonctif. Cette néoformation qui consiste essentiellement en
hyperplasies cellulaires avec vascularisation abondante, n'a aucun carac-
tère productif : ses éléments sont transitoires; ils aboutissent au bout d'un
temps plus ou moins long à la dégénération granuleuse, granulo-graisseuse.
Ils provoquent dans les organes où ils se développent des réactions du tissu,
variables suivant la structure de ceux-ci. Ces éléments n'offrent par eux-
mêmes aucun caractère spécifique : la néoplasie syphilitique, par ses ca-
ractères anatomiques, se rapproche tantôt des inflammations simples, tan-
tôt des inflammations dites spécifiques; elle présente alors des analogies
très grandes avec les produits de certaines maladies infectieuses telles que
la tuberculose, la morve, la lèpre. Dans l'histoire de ces lésions (leur
siège, leur évolution, etc.), onpeut trouver des particularités qui permettent
d'en diagnostiquer la nature dans les organes dont on connaît bien la struc-
1 ure. Mais, étant donné la réaction différente qu'elles provoquent dans les
di fférenls organes, on ne peut dire que l'on connaît les lésions syphilitiques
de l'un parce que l'on connaît celles de l'autre, et l'on ne saurait appliquer
intégralement aux produits gommeux du poumon la description des gommes
du testicule. L'anatomie pathologique nous montre enfin qu'il n'existe au-
cune différence essentielle entre les produits secondaires et tertiaires. On
trouve les mêmes lésions élémentaires dans la gomme et dans le chancre
induré. L'hépatite interstitielle qui devrait être tertiaire montre les mêmes
lésions que l'orchite ou l'iritis interstitielle qui est secondaire.
Partant de cette donnée fondamentale que la néoformation syphilitique
n'a qu'une durée passagère et qu'elle doit entraîner dans la moelle, comme
dans les autres organes, des altérations secondaires du tissu nerveux et
des réactions irritatives interstitielles qui n'ont rien de caractéristique par
elles-mêmes, nous devrons nous adresser aux lésions les plus récentes pour
en saisir les particularités.
Nous avons pu, grâce à l'obligeance de M. le Dr Merklen, examiner la
moelle d'un malade syphilitique, mort subitement dans son service à l'hô-
pital St-Antoine, 19 jours après le début d'une myélite. L'intérêt du cas
réside non seulement dans le peu de durée de la maladie, mais encore dans
ce fait que le malade n'a pas succombé aux progrès de sa myélite. Celle-ci
bien qu'elle fût assez accentuée pour se traduire par une paraplégie presque
complète avec participation des sphincters, n'avait pas donné lieu aux
grands délabrements, aux ramollissements étendus de la moelle^ souvent
observés en pareil cas ; et elle était assez peu avancée, pour permettre d'a-
percevoir la lésion en cause sous sa forme et dans sa localisation initiales.
90 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Observation I. (Due il l'obligeance de M. le Dr Merklen).
Homme de 50 ans. Chancre induré un an auparavant. Paraplégie flasque
à début subit, sans douleurs. Participation des sphincters. - 1J;lol't subite
19 jours après le début de la paraplégie.
Autopsie. Intégrité M peu près complète de la moelle et de ses méninges à l'oeil
nu. Examen microscopique : Arachnite elleptoméningite gommeuses diffuses, dans
toute la hauteur. Prédominance évidente de l'infiltration au pourtour des vaisseaux; '.
formations nodulaires autour des capillaires, phlébite gommeuse, péri-endophlé-
bite oblitérante, intégrité presque complète des artères spinales. Envahissement de
la moelle dans la région dorsale supérieure.
IL, 50 ans, marchand des quatre saisons, entre le 22 octobre 1892, salle
Axenfeld, n° 21, avec une impotence il peu près complète des membres infé-
rieurs. Dans son passé pathologique, en dehors de la syphilis, on ne note rien
d'important. En 1869, il aurait fait une chute sur le dos, a la suite de laquelle
il aurait ressenti quelques douleurs en ceinture. Mais cet accident n'a pas eu
d'autres suites. Il y a un an, chancre induré sur la verge. A la consultation de
l'Hôtel-Dieu, on lui a ordonné le traitement spécifique; mais il ne l'a pas suivi.
Le chancre a été suivi de roséole, de plaques muqueuses sur le scrotum. Il y
a 15 jours, en revenant de son travail, il a senti brusquement ses jambes fléchir
sous lui et il s'est affaissé dans la rue. Il a pu se relever lui-même et regagner
son domicile; mais la faiblesse des jambes a encore progressé dans les jours
suivants, au point que, 4 jours après sa chute, le malade a dû cesser tout tra-
vail. En même temps, incontinence d'urine et constipation.
Etat du malade à son. entrée. -Les membres inférieurs sont presque absolu-
ment impotents. Soulevés ils retombent en masse. La paraplégie est flasque : les
réflexes rotuliens sont abolis : pas d'épilepsie spinale. La sensibilité au contact
et à la douleur est conservée partout; mais la sensibilité à la température
est fortement diminuée sur les membres inférieurs et la partie inférieure du
tronc.
Les membres supérieurs sont indemnes. Pas de phénomènes cérébraux : rien
dans les yeux, les réflexes pupillaires sont conservés. Le malade n'a jamais eu
de douleurs et ne souffre en aucune façon.
Il présente actuellement des lésions syphilitiques manifestes : syphilides pig-
mentaires sur la peau du cou. Syphilides tuberculo-ulcéreuses sur les mem-
bres inférieurs, épididyinite double indolore.
Dans les viscères on ne constate rien d'anormal sauf une légère congestion
pulmonaire aux deux bases. Il existe des traces d'alhumine dans les urines. In-
continence des urines et des matières fécales. Fièvre légère : 38°5.
Diagnostic : myélite syphilitique.
Ordonnance : Kl, frictions mercurielles.
23, 24 et 25 octobre : même état.
2G octobre. Eschares fessières et sacrées au début. Le malade urine par
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 91
regorgement : l'urine est évacuée par la sonde. Quelques minutes après, l'infir-
mier de la salle le retourne pour panser ses eschares. A peine recouché sur le
dos, le malade meurt subitement, il 11 heures du matin.
Autopsie, 24 heures après la mort. La moelle épinière et ses enveloppes ne
présentent aucune lésion constatable à l'oeil nu. Tout au plus existe-t-il un peu
de congestion de la substance grise et une légère diminution de consistance
dans la région dorsale. La colonne vertébrale et la dure-mère sont parfaitement
intactes. Le cerveau, le bulbe elles méninges encéphaliques ne présentent rien
d'anormal à l'oeil nu.
Viscères : la rate est molle, et les reins sont un peu congestionnés. Le foie
et l'estomac n'offrent pas de lésions apparentes. Les poumons présentent seule-
ment un peu de congestion à leur base ; pas traces de tubercules aux sommets,
Le coeur est mou et flasque, le myocarde jaunâtre : pas de lésion valvulaire.
Les gros vaisseaux sont sains ; pas d'athérome. Rien d'anormal dans les voies
urinaires. Les deux épididymos présentent une augmentation de volume au
niveau de la tête.
Examen histologique. La moelle et le bulbe rachidien seulement ont été
examinés histologiquement, le cerveau qui avait paru sain à l'oeil nu n'ayant
malheureusement pas été conservé. La moelle avait été au préalable durcie
dans le liquide de Mûller ; des fragments prélevés dans les différentes régions
ont été inclus dans la celloïdine. Les coupes ont été colorées par le carmin,
l'hématoxyline, le carmin d'alun, traitées par les méthodes de Weigert et de
Pal.
Le microscope a montré : d'une part dans les enveloppes, des lésions impor-
tantes de la pie-mère et de l'arachnoïde, ainsi que des vaisseaux, qui les tra-
versent, et parmi ceux-ci, tout particulièrement des veines ; ces lésions mé-
ningo-vasculaires étaient étendues à toute la hauteur de l'axe spinal, depuis la
partie inférieure du renflement lombaire, jusqu'aux enveloppes du bulbe rachi-
dien ; d'autre part, des altérations de la moelle elle-même sur une faible éten-
due, dans la hauteur de 2 à 3 racines, au niveau de la région dorsale supé-
rieure. Nous décrirons ces lésions de bas en haut avec quelques détails.
Région lombaire inférieure. Les méninges et les vaisseaux périphériques
seulement sont intéressés. La pie-mère est épaissie sur tout le contour de la
moelle ; elle est le siège d'une infiltration cellulaire abondante ; et dans les pré-
parations colorées par l'hématoxyline, elle forme, sur les coupes transversales,
une bordure violette épaisse tout autour de la moelle. (PI. XIII, XIV, XV, fig. 2).
Les éléments de cette néoformation sont de petites cellules rondes munies d'un
noyau volumineux qui occupe presque tout le corps de la cellule. Pressées les
unes contre les autres en amas compacts, elles remplissent les intervalles des
faisceaux conjonctifs de la pie-mère, et s'accumulent surtout au voisinage des
vaisseaux capillaires, autour de ceux-ci elles forment comme une virole épaisse,
qui apparait parfois sur les coupes transversales comme un nodule embryon-
naire avec la lumière du vaisseau au centre.
Quant aux vaisseaux de calibre qui cheminent dans les méninges, la veine
spinale antérieure attire l'attention tout d'abord par son apparence anormale.
92 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Ses parois, considérablement augmentées d'épaisseur, sont criblées de petites
cellules rondes semblables à celles qui infiltrent les méninges : si bien qu'à un
grossissement moyen (obj. 2, Vérick), on ne reconnaîtrait pas la structure de
la veine, si l'on ne voyait à côté l'artère spinale antérieure intacte. Toutefois,
à l'aide d'un grossissement suffisant (obj. 7) on reconnaît tous les éléments de
la paroi veineuse; mais, entre les faisceaux conjonctifs onduleux qui en cons-
tituent la charpente, sont répandues des traînées de cellules rondes qui les dis-
socient. Ajoutons que le calibre du vaisseau a conservé néanmoins ses dimen-
sions normales.
La môme chose se voit en arrière vers le sillon médian postérieur : à côté
d'une artériole normale, plusieurs veinules dont les parois sont considérable-
ment infiltrées. Mais ici, les parois ont une épaisseur telle que la lumière du
vaisseau est réduite à une simple fente ; dans quelques-unes elle est tout à fait
oblitérée. Les éléments embryonnaires qui occupent la paroi se disposent géné-
ralement dans ces dernières sur deux rangées concentriques : la première ré-
pondant à l'adventice de la veine, la seconde il sa membrane interne. Au niveau
de ces deux zones, les cellules rondes sont tellement nombreuses qu'elles ca-
chent le tissu sous-jacent : dans l'intervalle des deux cercles, on reconnaît aisé-
ment avec un grossissement suffisant les éléments conjonctifs et élastiques de
la tunique moyenne.
La moelle elle-même n'est pas touchée dans cette région. En de certains points,
il existe seulement sous la pie-mère une zone de peu d'importance au niveau
de laquelle la couche de névroglie sous-méningée a légèrement augmenté d'é-
paisseur. Ceci se voit surtout sur les parties latérales ; quelques cellules rondes
disséminées pénètrent dans la moelle à ce niveau ; mais il n'existe pas de lé-
sions des éléments nerveux. La coloration d'un certain nombre de coupes par
la méthode de Weigert montre qu'il n'y a pas de dégénération.
Renflement lombaire et région dorsale inférieure. Même répartition des lé-
sions : intégrité de la moelle, infiltration des méninges et des veines. Sur toute
la périphérie les veines sont envahies sans en excepter une seule, tandis que les ar-
tères sont intactes. Dans la veine spinale antérieure, l'infiltration de cellules ron-
des devient de plus en plus compacte à mesure que l'on s'élève vers la région
dorsale inférieure : les parois sont 5 ou 6 fois plus épaisses l'état normal,
et la lumière du vaisseau est réduite d'autant. Sur les coupes transversales qui
intéressent les régions lombaire supérieure et dorsale inférieure (jusqu'à la
8e racine environ), on peut constater en un point variable, mais toujours limité,
de la paroi veineuse infiltrée, que les éléments embryonnaires sont en voie de
nécrose. (Voir Planches XIII, XIV, XV, figure 4, C). Cette nécrose avons-nous
dit, est toujours limitée à un point de la paroi ; dans quelques corps, elle com-
prend celle-ci dans presque toute son épaisseur ; dans la plupart elle est plus
circonscrite. On la reconnaît aisément à la teinte brun sale, terre de Sienne
que lui communique le picro-carmin. A ce niveau les noyaux qui partout ail-
leurs ont une affinité si vive pour tous les colorants nucléaires (hématoxyline,
carmin d'alun, etc.) ne se colorent presque plus ; un grand nombre d'éléments
sont transformés en blocs granuleux où l'on ne voit même plus de noyaux. Au sein
DE LA biÉNINGO-11YÉLITE SYPIIILITIQUE 93
du foyer de nécrose, avec un fort grossissement on aperçoit quelques noyaux
mal colorés, épars au milieu d'un amas de fines granulations d'un jaune bru-
nâtre. La figure indiquée plus haut reproduit fidèlement un foyer gommeux de
ce genre situé dans la paroi de la veine spinale antérieure. Comme on peut le
voir cette lésion considérable forme un contraste assez frappant avec l'intégrité
absolue de l'artère correspondante.
La méningite a peu d'importance comparativement ; elle est loin de s'éten-
dre à toute la périphérie. En quelques points cependant elle est très évidente,
en particulier au niveau de l'entrée des racines postérieures dans la moelle :
elle est essentiellement constituée par des amas considérables de petites cellu-
les rondes vivement teintées, formant une épaisse virole autour des vaisseaux
capillaires ; ces amas se présentent sur la coupe transversale comme de vérita-
bles nodules embryonnaires.
Dans tout le cordon latéral, et spécialement dans sa partie postérieure, le tissu
névroglique est plus développé qu'à l'état normal entre les tubes. Mais ceux-ci
ne sont pas altérés ; pas de zone décolorée sur les préparations traitées par la
méthode de Weigert ou de Pal.
Région dorsale moyenne. Les coupes ont été pratiquées aux différentes hau-
teurs (10e, Se, 6e racines). Le processus est sensiblement le même que dans la
région précédente. Là encore les lésions sont limitées à la pie-mère et aux vei-
nes périphériques. Celles-ci sont tellement infiltrées que leur lumière est ré-
duite à une fente étroite.
Dans quelques-unes (notamment les veines antérieures et postérieures), l'o-
blitération est complète.
Bien que la moelle soit relativement saine dans toute la région dorsale
moyenne, on y voit apparaître quelques altérations qui plus haut vont prendre
de l'importance. Dans la substance blanche, les travées pie-mériennes qui
conduisent les petits vaisseaux sont recouvertes de cellules rondes semblables
à celles qui ont envahi les tuniques veineuses ; leur lumière cependant paraît
restée libre et on y aperçoit des globules sanguins, masqués souvent par l'abon-
dance de l'infiltration. Celle-ci, très accentuée à la périphérie de la moelle, va en
diminuant d'importance vers les parties centrales, de telle façon que les cloisons
se présentent souvent comme des traînées de cellules 'embryonnaires en forme
de triangles très allongés à base périphérique.
Les tubes nerveux ne sont pas lésés toutefois ; pas de corps granuleux visi-
bles (autant qu'on peut en juger sur les coupes faites après inclusion) même
sur les préparations traitées par l'acide osmique et montées dans la glycérine.
Dans la substance grise, les cellules des cornes antérieures se colorent mal
par le carmin ; elles prennent une teinte jaune brunâtre, tandis que celles de la
colonne de Clarke sont d'un rose vif. De plus elles sont toutes arrondies, sans
prolongements et remplies de granulations. Leur noyau est visible cependant à
un fort grossissement, bien qu'il ne fixe pas la matière colorante plus vivement
que le reste du corps cellulaire. Un autre détail attire l'attention dans cette
partie de la moelle ; c'est la présence de taches irrégulières, d'un rose homo-
gène, sur Les préparations au carmin, et qui semblent constituées par un coa-
94 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
gulum amorphe. Elles paraissent occuper l'espace périvasculaire des capillaires
de la substance grise, dans les cornes antérieures et la commissure principale-
ment : on en voit également quelques-unes au niveau de la base des cornes pos-
térieures. Nous ne faisons que signaler ici la présence de ces taches ; car elles
ont véritablement peu d'importance. Mais nous allons les retrouver plus haut
très développées. Nous nous sommes assurés bien entendu qu'il ne s'agissait
pas là d'une pénétration de la masse d'inclusion dans les espaces libres de la
coupe. L'action prolongée de l'éther n'attaque nullement cette matière homo-
gène : d'ailleurs elle fixe les réactifs colorants tout différemment de la celloi-
dine et d'une façon beaucoup plus vive : enfin examinée attentivement et a un
fort grossissement, elle se montre non pas amorphe, mais composée de très
fines granulations réfringentes. -
Région dorsale supérieure. Ici non seulement les lésions méningées et vas-
culaires se poursuivent dans toute l'étendue de la région, mais les éléments de
moelle elle-même sont le siège d'altérations importantes dont le foyer maximum
est situé au niveau des 2e et 3e racines dorsales (Planche XIII, XIV, XV, fig. 1).
En haut et en bas celles-ci s'éteignent graduellement pour cesser complètement
à la partie inférieure du renflement brachial d'une part et vers la 6e dorsale de
l'autre. Comme ces lésions se présentent avec les mêmes caractères dans toute
la hauteur malgré leur intensité différente, nous les décrirons au niveau du
foyer.
Dans la substance grise, l'attention est attirée même à un faible grossisse-
ment par la présence sur les coupes transversales colorées au picro-carmin, de
grandes taches roses plus ou moins arrondies en certains endroits, tout à fait ir-
régulières en d'autres, qui tranchent par leur apparence homogène sur le reste
du tissu (loc. cit., fig. 1, A, A'). Ces taches occupent la commissure et les deux
cornes, surtout les antérieures : elles paraissent constituées par une substance
vitreuse ou colloïde qui se serait infiltrée dans les gaînes lymphatiques des
vaisseaux ou entre les éléments propres de la substance grise : il est fréquent
d'apercevoir la coupe transversale d'un vaisseau au centre des taches de ce genre
qui occupent la commissure. Dans les cornes antérieures au contraire, la ma-
tière colloïde en question paraît s'être infiltrée au sein même du tissu fonda-
mental, en avoir dissocié les éléments. Et sans nul doute sa présence ici n'est
pas sans relation avec les altérations des grandes cellules dont il sera question
dans un instant. On la voit encore s'insinuer dans le sillon médian antérieur
autour des vaisseaux qui sont logés dans celui-ci. Il semble que cette subs-
tance autrefois liquide et plus tard coagulée par les réactifs, ait envahi la
moelle par ce sillon. Bien qu'elle paraisse amorphe quand on l'examine avec
un objectif faible, on peut s'assurer, à l'aide d'un grossissement suffisant, qu'elle
est composée uniformément de granulations très fines et très réfringentes. Elle
se colore vivement par le carmin et l'hématoxyline.
Les cellules nerveuses des cornes antérieures sont toutes dans un état de
dégénérescence très avancé : atrophie, absence des prolongements, forme ar-
rondie, corps cellulaire rempli de granulations, telles sont en résumé les mo-
difications qu'on y constate. Un grand nombre d'entre elles ont disparu a peu
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 95
près complètement ; on n'en retrouve pour ainsi dire que des vestiges à l'aide
d'un fort grossissement. Nous n'avons rencontré ni hypertrophie, ni dégéné-
rescence vitreuse, ni vacuolisation de ces éléments. Dans la colonne de Clarke,
altérations du même genre, moins avancées.
Quant aux vaisseaux de la substance grise, les modifications qu'ils présentent
se réduisent à peu de chose : dilatation modérée des capillaires qui sont gorgés
de globules sanguins, éléments embryonnaires le plus souvent dans les gaines
lymphatiques. Le tissu névroglique ne montre pas d'indices d'irritation bien
nets : les cellules n'y sont pas hypertrophiées, le feutrage fibrillaire a sa den-
sité normale : il semble seulement que ce tissu ait perdu en partie son affinité
pour les substances colorantes, au pourtour des lacs de substance colloïde dé-
crits plus haut. Canal central oblitéré par une production abondante de petites
cellules à gros noyau.
On aperçoit enlin sur les coupes dans la substance grise, surtout au pourtour
des infiltrations colloïdes, de véritables corps granuleux pourvus d'un noyau :
on les voit bien surtout dans les préparations fraîchement montées dans la gly-
cérine. Ils sont en nombre modéré, situés en plein tissu nerveux : on n'en voit
pas de semblable dans les gaînes vasculaires.
Les cornes postérieures ne présentent rien d'anormal autre que la présence
d'une quantité assez grande de corpuscules amyloïdes ; ceux-ci se trouvent non
seulement au milieu de la substance même des cornes, mais aussi disséminés
dans les filets radiculaires qui en partent.
Dans la substance blanche les lésions nerveuses sont réparties d'une façon très
singulière. Elles sont limitées à des groupes de tubes isolés dans les deux cor-
dons latéraux (surtout le droit) et dans le cordon postérieur : les premiers sont
de beaucoup les plus importants et les plus nombreux (loc. cit., fig. 1, B, B'
B"). Chacun de ce groupe est composé de 20, 30, 40 tubes nerveux en voie de
destruction. Les moins avancés ont simplement leur cylindre-axe hypertrophié
et visiblement granuleux, tandis que tout autour de celui-ci la myéline est
transformée en granulations réfringentes non colorées par le picro-carnin. Les
plus malades sont représentés par un espace clair rempli de granulations et
montrent souvent à leur centre un débris de cylindre-axe atrophié, coloré en
rouge par le carmin, ce qui leur donne une fausse apparence de corps granuleux
muni de son noyau. Quelques cylindre-axes ont subi une hypertrophie colos-
sale (Pl. citée, lig. 6). On reconnaît la les altérations des tubes nerveux décrites
dans un grand nombre de myélites aiguës, expérimentales ou traumatiques
(Fromann, Charcot, Hayem, Joffroy etc.), La forme et la distribution de ces
territoires de dégénérescence mérite d'être signalée. Les uns sont situés sous la
pie-mère; les autres, en plein cordon latéral, sont généralement allongés dans
le sens des travées qui rayonnent de la pie-mère dans la moelle, rectangulaires
ou ovales. Dans leur voisinage les petits vaisseaux présentent des parois épais-
sies ; leur lumière habituellement très réduite est comblée par des globules
rouges tassés les uns contre les autres. On observe en quelques points de peti-
tes hémorrhagies. Mais il n'existe pas, au niveau de ces territoires de dégéné-
96 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
rescence, de prolifération interstitielle, pas d'infiltration embryonnaire sem-
blable à celle que nous observons dans les méninges.
Dans un point limité, à la périphérie des cordons postérieurs, au niveau de la
2e racine dorsale, les tubes nerveux sont détruits suivant un mode tout diffé-
rent (Fig. 4). L'infiltration embryonnaire de la pie-mère a visiblement envahi la
moelle. Le septum médian postérieur (smp) est considérablement épaissi par
un amas compact de petites cellules rondes ; tout au pourtour, celles-ci font
irruption au milieu même des faisceaux blancs, abandonnant les travées con-
jonctives qu'elles suivent le plus ordinairement. Les tubes nerveux sont com-
plètement détruits dans les points où la néoplasie a envahi la moelle de cette
manière (tu) ; leur destruction paraît avoir été beaucoup plus brutale que dans
les territoires décrits précédemment : débris de myéline mal colorés par les réac-
tifs, quelques corps amyloïdes, pas de corps granuleux, ni de cylindre-axes hy-
Fia. 4. Coupe transversale de la région dorsale supérieure. Une partie de la cir-
conférence postérieure de la moelle avec la pie-mère et l'arachnoïde adjacentes.
. Grossissement 60 diam. coloration par la méthode de Pal et le carmin d'alun.
Smp. Septum médian postérieur élargi et infiltré de cellules rondes ; vers sa base il
présente la coupe d'un petit vaisseau autour duquel l'infiltration redouble d'intensité.
Tms. Tissu médullaire sain (cordon postérieur). ,
Vp. Véinule de la pie-mère oblitérée.
Pm. Pie-mère épaissie et infiltrée de cellules rondes.
fg. Petit foyer gommeux intra-médullaire émané de la pie-mère ; le tissu nerveux est
déruit à ce niveau. Infiltration gommeuse diffuse au pourtour de ce foyer.
(Les deux photographies ci-jointes ont été faites au Laboratoire de la Faculté de mé-
decine par M. Von, que nous tenons à remercier ici de son obligeant concours.)
DE LA MÉNING 0 - MYÉLITE SYPHILITIQUE 97
pertrophiés : tels sont les détails que l'on peut y constater il l'aide d'un fort
grossissement. Quant aux éléments cellulaires qui composent l'infiltration, ils
sont ici beaucoup moins vivaces que ceux qui occupent les cloisons intersti-
tielles et qui n'ont pas fait irruption au milieu des tubes nerveux. Les colorants
nucléaires les teintent beaucoup moins fortement : nombre d'entre eux sont
remplis de granulations et en voie de régression. Dans un territoire de ce genre
situé sous la méninge, la régression des éléments est complète; et l'infiltration
est réduite à un amas granuleux encore teinté en rose pâle par le carmin, au
milieu duquel on aperçoit quelques débris de myéline. C'est la un véritable foyer
de nécrose.
Il nous reste à ajouter, pour ce qui concerne les lésions de la substance hlan-
che que les petits vaisseaux soûl altérés partout, même dans les régions où le
tissu lui-même est sain ; leurs parois out subi une hypertrophie fibreuse aux
dépens de la lumière qui est très réduite. En outre leur gaîne lymphatique ren-
ferme des cellules embryonnaires, eu abondance d'autant plus grande qu'on se
rapproche davantage de la méninge, et quelques rares corpuscules amyloïdes.
L'irritation interstitielle est limitée au trajet des capillaires : mais le tissu né-
vroglique semble avoir peu réagi. Les éléments n'en ont subi ni multiplication
ni hypertrophie : nulle part il n'existe de sclérose névroglique. Par place seu-
VI. 7
F1G 5. Même région que la précédente. - Ici l'infiltration est limitée au septum
smp. Le tissu médullaire est respecté sauf dans une région peu étendue sous la pie-
mère il droite de la figure. En vp, une veine dont les parois sont épaissies et modé-
rément infiltrées.
98 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
lement, et surtout dans le voisinage de la substance grise, les interstices des
tubes nerveux sont occupés par une substance colloïde teintée en rose par le
carmin, qui paraît absolument identique il celle dont nous avons signalé la pré-
sence dans la substance grise. Ici, comme dans la substance grise elle paraît
avoir pour siège non seulement les gaines lymphatiques de quelques capillaires,
mais aussi les intervalles qui séparent les éléments nerveux eux-mêmes. Mais
nulle part, dans les cordons blancs, elle ne forme sur les .coupes transversales
de larges lâches comme celles que nous avons décrites plus haut dans les cor-
nes antérieures et dans la commissure grise. Les tubes nerveux dans les régions
où cette matière colloide s'est infiltrée, paraissent sains pour la plupart.
Quant aux altérations méningées, elles sont présentes au niveau du foyer de
la lésion médullaire comme plus bas, et leurs caractères essentiels ne se sont pas
modifiés; c'est-à-dire qu'elles se résument dans une infiltration embryonnaire
diffuse et surtout péricapillaire et péri veineuse. Mais nulle part ailleurs que
dans cette région ces néoformations péri-capillaires ne prennent davantage l'ap-
parence des inflammations spécifiques. Ce sont de véritables nodules arrondis
avec 10, 1, lfi rangées concentriques de cellules embryonnaires, orientées au-
tour d'un capillaire central plus on moins obstrué par la néoformation. Sur
quelques coupes, peu nombreuses il est vrai, on aperçoit au sein de nodules
embryonnaires semblables, une cellule géante absolument typique entourée de
sa collerette de cellules épithélioïdes (Voir planche XIII, XIV, XV, fig. 5).
Ici encore, même contraste entre l'intensité des lésions veineuses et le peu
d'importance des lésions artérielles qui se bornent il une très légère péri-arté-
rite. La moitié au moins des veines de calibre qui cheminent dans la pie-mère
est oblitérée entièrement; les autres ont leurs parois plus ou moins envahies
par la néoformation. Dans les vaisseaux obstrués, tantôt l'infiltration embryon-
naire est énorme et couvre toute la paroi ; tantôt elle est au contraire discrète
et se limite aux circonférences interne et externe de la veine, ainsi que nous
l'avons déjà observé plus bas. Dans aucune autre région de la moelle, les veines
périphériques oblitérées n'existent en aussi grand nombre.
Il nous reste à signaler au niveau de la moelle dorsale supérieure, les altéra-
tions, peu étendues d'ailleurs, que présentent les racines nerveuses. Le proces-
sus offre ici une analogie complète avec celui que nous avons constaté en cer-
tains points de la moelle à cette hauteur : infiltration du périnèvre et des travées
interstitielles ainsi que des vaisseaux qui parcourent celles-ci, parfois irrup-
tion de la néoplasie au milieu des tubes nerveux, et finalement destruction plus
ou moins complète de ceux-ci. Toutefois ce dernier degré n'est atteint que dans
un nombre restreint de filets radiculaires et principalement dans les racines
antérieures. Sur les coupes transversales traitées par la méthode de Pal et la
double coloration, à l'aide du carmin d'alun, ces filets nerveux se montrent sous
la forme d'amas de cellules embryonnaires au milieu desquelles on reconnaît
quelques débris de myéline altérée. Sur la plupart des racines, la lésion est
limitée à l'enveloppe conjonctive : il en est ainsi d'ailleurs pour un grand nom-
bre de racines aux différentes hauteurs de la moelle.
Région cervicale. L'importance des lésions diminue dans la moelle aussi
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Fig.l.
Figez.
Henry Meige del. et lit]
Tome VI. PI. XIII, XIV, XV.
Fit, 3
Fig. 5.
Fi g. .
Fig. 6.
Lemercier Imp
EXPLICATION DE LA PLANCHE XIII, XIV, XV.
Fra. 1. Coupe DE la moelle au niveau DE la RÉGION DORSALE SUPÉRIEURE. (Coloration
au picro-carmin, grossissement 9 diam. Obj. 00 variable Verick).
A, A' exsudât colloide dans la substance grise. En A, cet exsudat occupe visible-
ment la gaine lymphatique d'un vaisseau.
B, B', B" - petits territoires de tubes nerveux dégénérés. Leur orientation dans
le sens des travées qui rayonnent de la pie-mère dans la moelle est à remarquer.
Même avec ce faible grossissement on aperçoit la coupe de volumineux cylindres-axes
(voir fig. 6).
FiG. 2. - Région lombaire. (Coloration au picro-carmin et à l'hématoyline,grossis-
sement 60 diam.). Leploméningile sans envahissement de la moelle. Les éléments de
la néoformation s'infiltrent dans les interstices du tissu conjonctif (A), se groupent
autour des capillaires (B).
FiG. 3. Renflement cervical, RÉGION du sillon médian antérieur. (Double coloration,
picro-carmin et hématoxyline, grossissement 50 diam.). Phlébite avec infiltration dif-
fuse et hémor1'hagie dans l'espace sous-arachnoïdien. Intégrité de la moelle.
A, A'. - Veines spinales antérieures, présentant une infiltration récente de leurs tu-
niques. La veine A est oblitérée par un coagulum teinté en rose.
B. Artère spinale antérieure intacte.
C. Artériole au pourtour de laquelle on voit la périartérite débuter.
D. - Petite liémorrhagie dans l'espace sous-arachnoïdien.
FiG. 4. COUPE transversale DE la VEINE ET DE l'artère spinales antérieures, au NI-
veau DE la région lombaire SUPÉRIEURE. (Double coloration, grossissement 60 diam.)
A. Artère spinale absolument saine.
B. Veine spinale antérieure. La lumière du vaisseau est réduite à une fente étroi-
te, l'épaisseur des parois est considérablement augmentée par l'infiltration dont cel-
les-ci sont le siège. En C un foyer de nécrose au niveau duquel les éléments sont en
voie de désintégration (phlébite gommeuse).
FiG. 5. UN nodule embryonnaire formé autour D'UN capillaire dans la PIE-MÈRE DE la
RÉGION dorsale SUPÉRIEURE (hématoxyline, grossissement 90 diam.). En bas et à droite
on voit une cellule géante très nette, entourée de sa collerette de cellules épithé-
lioïdes.
FIG. 6. CYLINDRES d'axe dans LEUR PREMIER stade DE DESTRUCTION (Hypertrophie) tels
qu'on les voit dans les petits territoires B, B' de la figure 1 (coloration au carmin,
grossissement 130 diam.)
100 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
bien que dans les méninges, à mesure que l'on s'éloigne de la région dorsale.
Jusque dans la partie moyenne du renflement cervical, on retrouve quelques
tubes nerveux à gros cylindre-axe, en voie de dégénération, semblables à ceux
que nous venons de décrire dans la région dorsale supérieure. Mais la lésion a
beaucoup moins d'importance ici ; les fibres dégénérées sont en nombre infini-
ment moins grand ; elles ne sont pas groupées par foyers comme dans la moelle
dorsale ; la plupart sont situées sous la pie-mère. La substance grise est abso-
lument intacte.
Quant à l'infiltration méningée, elle existe toujours, à l'état modéré, dans la
pie-mère,, envahissant par places l'espace sous-arachnoïdien, le feuillet profond
de l'arachnoïde, qui est adhérent à la pie-mère dans les points correspon-
dants. Au niveau du renflement brachial, elle diminue sur toute la périphé-
rie de la moelle pour se localiser avec une intensité toute particulière au niveau
du sillon médian antérieur (Voir planche XIII, XIV, XV, fig. 3). Une quantité
considérable d'éléments embryonnaires vivaces, à noyau fortement teinté par
l'hématoxyline est accumulée à l'entrée de ce sillon, dans l'espace sous-arachnoï-
dien et dans la profondeur de la scissure, en suivant les vaisseaux qui y che-
minent, presque jusqu'à la commissure grise antérieure. Au pourtour des
veinules qui cheminent en avant de la moelle à ce niveau, ces éléments s'agglo-
mèrent en amas plus compacts (loc. cit., fig. 3, A, A'), formant autour de cha-
cune d'elles un anneau épais, envahissant leurs tuniques en telle quantité que
la structure en est méconnaissable. Dans la plupart d'entre-elles, on aperçoit
nettement la lumière remplie de globules rouges ; quelques-unes sont oblitérées
entièrement. Tout près de l'entrée du sillon antérieur, à quelque distance de la
néoformation précédente, on aperçoit l'artère spinale antérieure aussi intacte
que dans les autres régions de la moelle (fig. 3, B, de la planche XIII, XIV,
XV). Nous retrouvons donc là le contraste maintes fois signalé entre l'état des
veines et celui des artères. Il est juste d'ajouter cependant qu'au voisinage des
veines infiltrées on aperçoit la coupe d'une artériole dont la tunique adventice
est légèrement envahie (loc. cit., C). Sur un certain nombre de préparations,
dans cette région, on peut constater un léger degré de périartérite semblable,
mais toujours au pourtour d'artérioles de second ordre.
En dehors des vaisseaux, et au milieu de l'infiltration embryonnaire qui oc-
cupe l'espace sous-arachnoïdien, il existe un foyer hémorrhagique assez impor-
tant (loc. cit., D) au niveau duquel les globules rouges déformés sont en voie de
destruction.
Bulbe rachidien. Des coupes pratiquées aux différentes hauteurs ont dé-
montré l'intégrité du tissu nerveux. Mais les méninges et les vaisseaux offrent
la même infiltration néoplasique que dans la moelle épinière ; et ceci s'applique
non seulement aux vaisseaux de calibres, extérieurs à la moelle allongée, mais
encore aux petits vaisseaux qui parcourent les travées conjonctives intra-bul-
baires. Ceux-ci ont leur gaîiie lymphatique remplie d'éléments embryonnaires,
surtout dans les parties périphériques ; leur paroi a subi un épaississement
conjonctif et leur calibre est diminué notablement. Bien que nous n'ayons pas
constaté dans le bulbe d'altérations de nature il expliquer la mort subite du
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 101
malade, il est certain que l'irrigation sanguine des noyaux bulbaires devait être
très défectueuse dans ces conditions.
Quant aux méninges bulbaires, elles sont notablement infiltrées sur toute
leur étendue : l'arachnoïde participe même à l'altération d'une façon plus ac-
centuée que dans tout le reste de l'axe spinal : elle est par places intimement
soudée à la pie-mère. Enfin dans les vaisseaux que supportent ces enveloppes,
nous trouvons la même opposition que partout ailleurs entre l'état des artères
et celui des veines : intégrité des unes, infiltration embryonnaire dans les tuni-
ques des autres. Toutefois tous les vaisseaux ici ont conservé leur calibre.
Ajoutons que les lésions dont il vient d'être question s'atténuent vers les
régions supérieures de la moelle allongée, pour disparaître à peu près complète-
ment au niveau du sillon bulbo-protubérantiel. Nous n'avons pas pu examiner
malheureusement la protubérance elle-même, ni les artères basilaires, qui n'ont
pas été conservées.
(A suivre.) H. Lanlr,
Interne de la Clinique des maladies du système nerveux.
DE L'HYSTÉRIE SIMULATRICE DES MALADIES ORGANIQUES
DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS (9 ).
Si les troubles hystériques de l'appareil de la vision ont été observés
depuis longtemps, c'est depuis peu que date leur véritable étude scientifi-
que (2). L'amblyopie hystérique qui, en raison de sa fréquence, peut comp-
ter aujourd'hui dans les stigmates de la névrose, est en rapport avec le
degré de rétrécissement du champ visuel. Ce rétrécissement, le plus sou-
vent bilatéral, quoique plus marqué du côté de l'hémianesthésie, est tou-
jours concentrique ; lorsqu'il envahit la macula, l'amaurose est constituée
et succède à l'amblyopie qui est le fait ordinaire. Habituellement aussi,
les hystériques ne s'aperçoivent pas de leur amblyopie et même de leur
amaurose, pourvu que celle-ci soit unilatérale. On en donne plusieurs rai-
sons, entr'autres l'intégrité de leur acuité visuelle et la conservation de
leur centre de vision binoculaire (PITRES) qui supplée il la perte de la vi-
sion monoculaire. « Chez certains malades toutefois, l'amaurose unilaté-
rale ne disparaît pas dans la vision binoculaire, soit que l'amblyopie
soit trop prononcée dans l'autre oeil, soit que la vision binoculaire n'exis-
tait pas ou existait imparfaitement avant la maladie (3) ». L'amaurose uni-
latérale est donc relativement fréquente, quoique les hystériques s'en plai-
gnent rarement. Il n'en est pas de même de l'amaurose bilatérale et on
peut compter dans la science les cas de cécité hystérique.
Pour être rares, les faits d'amaurose hystérique n'en méritent pas moins
une sérieuse attention, afin de pouvoir les distinguer des déterminations
organiques auxquelles ils empruntent certains éléments. Néanmoins, di-
sons-le de suite, cette simulation est toute de surface. Nous ne parlons pas
des cas les plus simples dans lesquels on a vu une cécité temporaire alter-
ner avec l'aphasie et suivre ou précéder les attaques hystériques (4) ; il y
a des cas plus embarrassants où la cécité, survenue progressivement, en
dehors de toute attaque, s'est accompagnée de maux de tête et a présenté
(1) Voyez le n" 1, 1893.
(2) Consultera cesujetGilles de la Tow ? 1891.Tr.clia. el thér. del'hystérie.T. I, p. 321.
(3) PARINAUD, Soc. cl'opltlctlm., 4 juin 1889.
(4) SRVESTRE, Soc. méd. hop.. 1882.
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS 103
une persistance extraordinaire (1) ; d'autres fois, elle a succédé à un ictus
et à des phénomènes de paralysie qu'on était tenté d'abord de rapporter à
une lésion matérielle. Môme dans les cas les plus difficiles en apparence,
il a suffi d'étudier les caractères de l'amaurose pour être renseigné sur sa
nature ; l'examen à l'ophtalmoscope aurait achevé de lever tous les doutes.
- C'est ainsi que le début brusque de l'affection, la superposition des trou-
bles de sensibilité conjonctivale et cornéenne et de l'amaurose (Gilles de
la Tourette) ont une grande valeur au point de vue de l'hystérie ; enfin,
ajoute M. Parinaud (2), si forte que soit l'anesthésie rétinienne des hysté-
riques, il n'y a jamais héméralopie et même la vision est meilleure aux
éclairages affaiblis ; de plus, il y a de la photophobie, ce qui a fait croire à
une hyperesthésie rétinienne, et des spasmes de l'iris ou des paupières.
Observation XVI.
Amaurose hystérique monolatérale ayant duré ans. Guérison complète et
subite sans traitement. - AllàIAIGNAC (de Bordeaux), Congr. d'ophtalm., 1887.
Observation XVII.
Cécité hystérique. - Amélioration par les métaux et les aimants. Disparition
par l'électricité statique. (DUJARDiN-13EAUNIETZ et ABADIE, Soc. méd. lcôp.,
1879).
2. Lésions motrices.
Dans la question si complexe des troubles moteurs de l'appareil de la
vision qui sont en rapport avec les lésions organiques et intra-crâniennes
des nerfs ou des centres moteurs de l'oeil, on peut commencer par établir
que ces troubles sont constamment le fait de paralysies des muscles oculai-
res, les spasmes des mêmes muscles n'intervenant alors que d'une façon se-
condaire et accessoire. C'est là un caractère fondamental qui nous servira
plus loin au diagnostic de la nature organique ou dynamique des lésions
de l'encéphale manifestées par des formes à peu près semblables de trou-
bles oculo-moteurs.
Avant de recourir d'ailleurs aux schémas anatomiques pour localiser les
lésions motrices de l'appareil de la vision dans les diverses parties de l'en-
céphale (base du crâne, pédoncules, noyaux protubérantiels, centres sus-
nucléaires et centres corticaux), il est indispensable de marquer la sépara-
tion clinique entre les paralysies périphériques et les paralysies centrales.
(1) ST-ANGE, Rev. méclic. Toulouse 1884 et rieuzal, Prog. méd., 1819, no 1.
(2) Parinaud, l72esllE. ? 'e<t., V. p. h.
104 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Deux ordres de faits cliniques peuvent être utilisés pour cela. La para-
lysie musculaire d'origine périphérique (branches terminales du nerf, tronc
nerveux basilaire et racines pédonculaires) s'accompagne au moins pendant
un certain temps du spasme du muscle associé de l'autre oeil. La paralysie
du même muscle d'origine centrale (nucléaire, sus-nucléaire ou corticale)
s'accompagne au contraire de la paralysie de ce môme muscle associé (Pa-
rinaud).
D'après le même auteur, le second moyen que nous ayons de distinguer
ces paralysies centrales des paralysies périphériques, c'est de bien étudier
et de bien définir les différents types de paralysies centrales. Or, un carac-
tère domine tous les autres dans les paralysies d'origine centrale, celui
des paralysies dissociées ou associées. S'agit-il de paralysies dissociées* ! Si
ces paralysies ne sont pas d'origine périphérique, on ne peut les imputer
qu'à des lésions nucléaires. S'agit-il de paralysies associées, de certaines
formes d'ophlalmoplégie ? Les lésions, quand elles ne sont pas périphériques,
peuvent être encore nucléaires, mais ce ne sont pas là les seules causes des
ophthalmoplégies. Des lésions sus-nucléaires (tubercules quadrijumeaux
et fibres commissurales) produisent aussi des ophthalmoplégies avec perte
des mouvements associés, mais involontaires des yeux. Un fait de Thomsen
confirme à cet égard les recherches physiologiques d'Adamuck, de Beaunis
et surtout de Knies. Enfin, dans l'écorce cérébrale, existent vraisemblable-
ment d'autres centres commandant aussi aux mouvements associés des yeux,
mais, seulement aux mouvements volontaires. Pour les Italiens (Angelucci)
et les Allemands (Knies), ces centres oculo-moteurs de l'écorce seraient
intimement associés aux centres visuels corticaux ; si leur localisation reste
encore à fixer par l'anatomie pathologique, leur existence est confirmée
cliniquement par des faits comme celui de MM. Raymond et Koenig (1).
Il est donc bien permis d'adopter les conclusions suivantes qu'a formu-
lées notre collègue Sauvineau dans sa thèse (2), à propos des ophtalmoplé-
gies sus-nucléaires et corticales :
« 1° Les troubles moteurs oculaires, ayant une origine sus-nucléaire, doi-
vent être associés et conjugués. On n'a jamais observé de paralysie corticale
par exemple de l'un des six muscles extrinsèques de l'eeil ;
2° Dans les lésions purement corticales de la motilité, les mouvements
involontaires des yeux sont conservés. Le jeu de la pupille, qui n'est pas
volontaire, est conservé dans les lésions corticales ».
Mais il est d'usage de faire rentrer dans la musculature de l'oeil le mus-
cle releveur de la paupière qui mérite d'être considéré à part. Bien que
doué de motricité réflexe, à cause de son noyau protubéranliel, ce muscle
(1) Raymond et Koenig, Soc. méd. hôpil., 1891.
(2) Sauuntau, Ophlalmuplégics. Thèse Paris, 1892.
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS 105
est en même temps doué de mouvements volontaires et prend part à la
mimique faciale. Comme tel, on lui a assigné un centre volontaire cortical
soit au voisinage du pli courbe (Grasset et Landouzy), soit plutôt dans la
zone motrice corticale (Rendu, Pétrina, Tripier). Il est certain que le pto-
sis isolé peut être dû à une lésion hémisphérique du côté opposé. C'est
donc la seule forme de paralysie dissociée qui, dans les paralysies de l'ap-
pareil de la vision, puisse reconnaître une origine sus-nucléaire. On peut,
sous ce dernier rapport, rapprocher la blépharoptose isolée ou monoplé-
gie palpébrale de certaines formes d'ophtalmoplégie indiquées plus haut
et dont l'origine est également sus-nucléaire.
Telles sont en résumé les principales formes de paralysies oculaires,
d'origine périphérique ou centrale, qu'on peut rapporter à des lésions or-
ganiques de l'encéphale et des méninges crâniennes. Nous avons insisté de
préférence sur leurs caractères cliniques qui sont, même au point de vue
de la localisation des lésions, la meilleure base que nous ayons actuelle-
ment. Ce sont là, pensons-nous, des données suffisantes pour aborder main-
tenant la comparaison de ces affections organiques avec les affections hys-
tériques des muscles de l'oeil.
Une première et importante remarque doit être faite tout d'abord à pro-
pos du mode suivant lequel l'hystérie frappe les muscles de l'oeil : c'est
qu'à l'inverse de ce qui a lieu pour les troubles moteurs de cause organi-
que, la paralysie de ces muscles est l'exception dans l'hystérie et leur spasme
y devient au contraire la règle commune. Cette conclusion est adoptée d'une
façon presque absolue par M. Gilles de la Tourette (1) qui s'appuie pour
la défendre sur ses recherches personnelles, sur celles de M. Borel (2) et
de M. de Lapersonne (3).
M. P. Richer croit sage d'atténuer la rigueur de cette conclusion. Cer-
tainement, on doit la faire entrer en ligne de compte dans le diagnostic
différentiel des affections organiques ou hystériques des muscles de lui) ;
mais le même auteur, d'accord avec MM. Parinaud et Morax, objecte avec
raison que beaucoup de troubles moteurs oculaires sont indécis, qu'on ne
saurait préciser souvent celui des deux états qui domine, contracture ou
paralysie, et qu'enfin, ces deux états peuvent coexister (4).
Quoiqu'il en soit, on n'a pu fournir encore dans l'hystérie une seule
observation précise de paralysie isolée des muscles oculo-moteurs. On a
décrit par contre un ophtalmoplégie hystérique ; mais c'est là un syndrome
si spécial par la dissociation de la motilité volontaire et inconsciente, par
(1) G. de la T'OMETTE, Tuf. clin, el de l'la,yslé9 ? t. 1, p. 431.
(2) Borel, P·og. médic, 1887.
(3) De Lapersonne, Bullet. médite. du Nord, 1891.
(4) P. Richer, Parai, et contr. hyslér., Paris, 1892.
106 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
l'intégrité de la musculature interne de l'oeil qu'on ne saurait le confon-
dre avec le même syndrome de nature organique.
Le seul trouble hystérique des muscles de l'oeil qui puisse prêter à cette
confusion est le ptosis pseudo-paralytique. Cette forme intéresse particuliè-
rement l'enfance et peut faire croire à la rigueur à des lésions méningiti-
ques ; dans certaines circonstances, dit M. Charcot, des oculistes de pro-
fession en on[ fait une paralysie de la 3° paire d'un pronostic très sombre.
Il importe donc de ne pas s'y tromper.
La paralysie du muscle releveur de la paupière est simulée dans le pto-
sis pseudo-paralytique par la contracture de l'orbiculaire, contracture qui
n'est pas assez caractérisée pour aller jusqu'au blépharospasme. La photo-
phobie est constante dès le début. Le ptosis est ordinairement incomplet,
Lorsqu'on dit au malade d'ouvrir l'oeil, il ne le peut pas ; mais à certains
mouvements et dans l'obscurité, le jeu des paupières se fait normalement.
En outre, M. le professeur Charcot a signalé l'abaissement du sourcil du
côté sain dans le ptosis pseudo-paralytique, tandis que dans le ptosis vrai
le malade cherche à suppléer à la paralysie du releveur par la contraction
du frontal et l'élévation du sourcil correspondant. Enfin, M. Gilles de la
Tourette a noté la superposition des troubles moteurs hystériques et des
troubles de la sensibilité de la région oculo-palpébrale, depuis la conjonc-
tive jusqu'à 2 centimètres environ en dehors de l'orbite.
En ce qui touche spécialement les enfants, un premier exemple de faux
ptosis a été donné plus haut au cours -de l'observation d'hystérie simula-
trice du syndrome de Weber. Les deux exemples qui suivent ne sont pas
moins intéressants.
Observation XVIII.
Hystérie chez une enfant de 13 ans. Ptosis pseudo-paralytique, puis blépharos-
passez Guérison spontanée. (In thèse de Peugniez 1885).
Observation XIX (inédite). ,
Communiquée par M. le D K.1LT, médecin-adjoint il la Clinique
ophtalmologique des Quinze- Vingts.
Ptosis pseudo-paraltique avec hémispasme facial; récidive.
A nes thés ie en plaques, crises nerveuses.
Augustine 11L.... âgée de 10 ans, se présente le 28 juin 1891 il la consulta-
tion externe des Quinze-Vingts avec toutes les apparences d'un ptosis de l'oeil
gauche.
Rien il signaler dans les antécédents héréditaires.
Dans les antécédents personnels, pas de maladies antérieures, mais tempé-
rament nerveux et petites crises ( ? ) assez fréquentes.
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS 107
Début du ptosis il y a 8 jours. A la suite d'un grand orage, cette enfant res-
sent de violents maux de tête et le lendemain, à son réveil, on constate qu'elle
ouvre incomplètement l'oeil gauche. Ce même jour, elle a des crises de nerfs
plus fortes que d'habitude.
Cette forme de ptosis est incomplète ; il y a de la photophobie et des douleurs
fronto-pariétales du même côté que le ptosis. Deux particularités font encore
douter de sa nature paralytique : 1° un léger degré de contracture des muscles
de la face il gauche et principalement de la commissure labiale gauche ; 2° une'
anesthésie répartie par plaques en divers points du corps.
Disparition progressive du ptosis au bout de 3 semaines.
Le 26 novembre 1891, le ptosis a reparu en dehors de toute attaque. Il siège
toujours à gauche : le sourcil gauche est abaissé et la commissure labiale gauche
est au contraire légèrement élevée par rapport au côté droit. Dans la mimique
faciale, la contracture labiale peut s'effacer tandis que le ptosis ne varie pas, la
pupille restant toujours couverte dans sa moitié supérieure. Langue non déviée.
Comme la première fois, on constate des plaques d'anesthésie absolue, surtout
au niveau du cou.
Pupilles réagissant normalement. Pas de diplopie. V = 2/3 pour chaque oeil.
Rétrécissement du champ visuel à peu près égal de chaque côté, de 60°-70°
pour le blanc, de 35-40 pour le violet, le rouge et le bleu.
Le 31 décembre 1891. Les phénomènes de ptosis et de spasme facial avaient
complètement disparu du côté gauche, quand hier, à la suite de violents maux
de tète, le front s'est trouvé plissé à droite dans le domaine du muscle frontal et
cette nouvelle contracture qu'on peut constater facilement à la vue et au toucher
entraîne l'élévation du sourcil correspondant. Le muscle releveur de la pau-
pière est intact des deux côtés, la fente palpébrale droite paraît même plus éle-
vée que la gauche, il cause de l'élévation du sourcil droit.
L'analgésie est toujours la même qu'au premier et au second examen.
DEUXIÈME PARTIE
HYSTÉRIE SIMULATRICE DES MALADIES ORGANIQUES
DE L'ENCÉPHALE AVEC LÉSIONS DISSÉMINÉES
Comme les lésions en foyer, les lésions disséminées de l'encéphale peu-
vent en intéresser les diverses parties et donner lieu aux mêmes symptô-
mes pour chacune de ces parties envisagée séparément. Mais là se bornent
les ressemblances, d'ailleurs théoriques, entre ces deux variétés de lésions.
Les maladies organiques qui en sont la conséquence offrent, nous l'a-
vons dit, un tableau clinique très différent. Les unes en effet, celles qui
relèvent d'une lésion unique ou en foyer, sont systématiques, prévues
108 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
dans le groupement et l'évolution de leurs symptômes ; les autres au con-
traire, celles qui accompagnent des lésions multiples et disséminées, échap-
pent dans leur ensemble à toute systématisation, elles n'obéissent à aucune
règle constante.
Le type de ces dernières maladies, les seules dont nous ayons mainte-
nant à nous occuper, c'est la méningite. Il n'est peut-être pas d'affection
plus difficile à décrire en pathologie, parce qu'il n'en est pas dont les ca-
ractères soient aussi variables, la marche aussi capricieuse. Serait-ce trop
s'avancer que d'affirmer des difficultés non moins sérieuses, et certes, plus
importantes, dans le diagnostic clinique de cette affection ? L'erreur est
surtout facile chez les enfants elle chapitre des pseudo-méningites mérite
chez eux autant d'attention que le chapitre des méningites vraies (West).
Parmi les pseudo-méningites, nous n'avons à décrire ici que lespseudo-
méningites hystériques. Cette étude doit être faite en premier lieu pour la
méningite aiguë, en second lieu pour la méningite chronique.
CHAPITRE PREMIER.
SYNDROMES HYSTÉRIQUES SIMULATEURS DE LA MÉNINGITE AIGUË.
Les divers symptômes de la méningite aiguë n'ont pas une égale impor-
tance. Non seulement aucun de cessymptômesn'estpathognomonique, aucun
même n'est indispensable au diagnostic de la maladie ; mais ils ne prennent
de valeur réelle que par leur mode de groupement et par leur évolution.
Encore ne faudrait-il pas regarder comme absolue la division par périodes
adoptée parles classiques. Car, même à ce point de vue, il serait facile de
prouver que les formes irrégulières signalées chez les adultes par M. Chan-
temesse (1), ne sont pas très rares chez les enfants.
Là n'est pas notre but. Nous devons au contraire, ces restrictions faites
pour la pratique, reconnaître dans la méningite aiguë des symptômes car-
dinaux qu'on peut constater dans la majorité des cas et qui peuvent au
moins servir à nous mettre sur la voie du diagnostic. Or, les auteurs dé-
crivent à la période d'invasion de la maladie trois phénomènes principaux
composant le trépied méningitique ; ce sont la céphalalgie, les vomissements
et la constipation. A ces symptômes essentiels s'en joignent souvent d'au-
tres, tels que la fièvre, l'adynamie, les convulsions, le délire, etc., etc.
Toute la question pour nous se réduit à voir d'abord si l'hystérie peut
simuler chacun de ces symptômes en particulier ; les observations démon-
(1) CIIANTIOEI : SSF.. Tht'se Paris, 1884.
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS 109
treront ensuite comment l'hystérie réalise leur groupement de façon à si-
muler la maladie elle-même. A ce propos, il n'est peut-être pas sans inté-
rêt de faire ressortir au préalable que certaines formes d'hystérie se rap-
prochent singulièrement du type habituel de la méningite par la variété
et la mobilité de leurs symptômes. Le diagnostic des deux affections n'en
devient alors que plus ardu. Avant donc d'étudier les différences de leurs
symptômes, voyons quels sont leurs points de contact.
La céphalalgie est un phénomène des plus constants dans la méningite
aiguë ; c'est aussi un phénomène banal dans l'hystérie où on le rencontre
sous toutes les formes. Quelquefois très mobile, la céphalalgie des hystéri-
ques peut se montrer d'autres fois intense et persistante comme dans les
maladies organiques de l'encéphale; les enfants en particulier s'en plai-
gnent vivement et on conçoit les craintes de leur entourage et l'embarras
du médecin quand il vient se joindre aux douleurs de tête de la somno-
.lence, de la fièvre et des vomissements (1).
Les vomissements, quoique plus rares, n'en ont qu'une valeur plus
grande dans le diagnostic de la méningite : ils se font sans efforts, alimen-
taires, puis bilieux. Ces mêmes caractères se retrouvent dans les vomisse-
ments spasmodiques de l'hystérie : ils surviennent « brusquement et sans
autre douleur que celle de l'acte même, ce qui les distingue des vomisse-
ments par gastralgie ou hyperesthésie gastrique (2) ».
La constipation manque assez souvent chez les enfants atteints de ménin-
gite. C'est un phénomène qui n'est pas moins contingent dans l'hystérie;
mais il suffit qu'on l'y observe pour que les deux affections dont nous faisons
le parallèle aient une analogie de plus.
La fièvre mérite une attention toute spéciale. Dans la méningite, elle est
en général modérée et la température suit une courbe assez irrégulière ;
quelquefois, elle est nulle ou à peu près. On a beaucoup discuté sur l'exis-
tence de la fièvre dans l'hystérie : affirmée d'abord par Briquet, elle a été
ensuite battue en brèche de toutes parts, puis remise à l'étude par M. le
professeur Debove (3) et par M. Barié (4). Les auteurs qui la décrivent
prétendent qu'elle n'offre rien de constant, qu'elle se distingue par son ex-
trême irrégularité et qu'il n'y a pas chez les hystériques deux tracés ther-
mographiques semblables. Par là la fièvre hystérique se rapprocherait jus-
qu'à un certain point de la fièvre des débuts de la méningite. Mais toutes
ces considérations ne valent pas les faits eux-mêmes. Aux cas bien nets de
(1) Consulter à cet égard les observ. XXII et XXIV de notre thèse, la dernière surtout
étant absolument typique.
(2) AXENFELD ET IIUCIIARD, Traité des névroses, p. 1018.
(3) DEBOVE, Soc. méd. des hôpit., 1885 et 1886.
(4) BAI\IÉ, id., 1886.
110 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
fièvre hystérique essentielle rapportés par MM. Debove et Barié, on peut
ajouter les cas beaucoup plus nombreux dans lesquels la fièvre hystérique
s'accompagnerait plus spécialement de phénomènes de pseudo-méningite.
Nous signalerons à ce sujet les observations rapportées chez des adultes par
Vulpian et par M. Chauveau ; on en trouvera d'autres dans des monogra-
phies de M. Berlholle (1) et de M. Dalché (2), enfin, dans les thèses de
M. Chantemesse (3) et de M. Macé (4). En ce qui concerne les enfants,
l'observation XXII de notre thèse, empruntée il M. Reynaud, n'est pas
moins caractéristique.
Nous n'insisterons pas sur les autres symptômes secondaires de la mé-
ningite aiguë : délire, adynamie ou somnolence, convulsions, etc. Leur sim-
ple énumération indique déjà que ce sont surtout des phénomènes d'ordre
nerveux, parfaitement imputables à l'hystérie. Nous avons hâte d'arriver
maintenant aux éléments de diagnostic différentiel entre les méningites
vraies et les pseudo-méningites hystériques. ' .
Un premier appoint est fourni par les caractères de la céphalalgie hysté-
rique qui se montre sous forme de crises et qui coïncide avec la présence
de zones hystérogènes du cuir chevelu. La constatation de ces zones, faite
en dehors des crises est d'une grande valeur pour le diagnostic, ainsi qu'en
témoigne l'observation XX rapportée dans notre thèse.
M. le professeur Pitres, tout en admettant que la fièvre est possible dans
la' pseudo-méningite hystérique, considère cette fièvre comme une grande
exception ; le pouls, dit-il, peut s'y rencontrer ralenti ou accéléré; on ne
l'a jamais trouvé irrégulier comme dans la méningite vraie (5). Le pouls et
la fièvre conservent donc malgré tout une importance séméiologique de
premier ordre.
Si l'on ajoute à cela que la pseudo-méningite hystérique procède par
crises et soubresauts dans sa marche, que les antécédents du sujet et la re-
cherche des stigmates donnent souvent des résultats positifs à celui qui
soupçonne la névrose, ou aura réuni un nombre suffisant d'éléments qui
permettront l'affirmation certaine du diagnostic. Dans un cas des plus inté-
ressants, M. Chantemesse (6) a pu s'aider avec avantage de la formule
chimique touchant l'inversion des phosphates dans l'hystérie paroxystique
(Gilles de la Tourette et Cathelineau).
La plupart des observations de pseudo-méningite hystérique qui ont été
(1) 13EnTrror.F, Soc. médico-ch11'u1'gic. Paris, 13 juin 1861.
(2) Dalché, Gaz. méclic. Paris, 17 janv. 1885.
(3) Chantemesse, v. p. h.
(4) Macé, Thèse Paris, 1888.
(5) Pitres, in op. cit., p. 206.
(6) CIIA¡.;rCJlESsc, Soc. médic. hôpil., 1891, nu 17.
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS 111
publiées depuis environ vingt ans sont relatives à des adultes (1) ; en
cherchant dans les auteurs, nous avons pu en réunir avec peine deux ou
trois relatives à des enfants et un heureux hasard a voulu que nous puis-
sions ajouter à ce nombre si restreint d'observations chez les enfants deux
autres qui nous sont personnelles.
Observation XX.
Accidents hystériques et choréiques ayant simulé la méningite aiguë.
(CIIARCOT. Leçons du mardi, n° 14, 1888).
Observation XXI
Syndrome hystérique ( ? ) simulant la méningite tuberculeuse. OLLIVIER, Con-
grès de Marseille pour l'avancement des sciences (19 sept. 1891).
Observation XXII
Rapportée par le Dl' Reynaud, dans la Loire médicale, no 3, 1886.
Pseudo-méningite hystérique avec fièvre, simulant une méningite tuberculeuse.
L'auteur de cette observation intéressante affirme que la marche des ac-
cidents méningitiques constitue ici une démonstration suffisante de leur
nature hystérique. Ce diagnostic est en effet fort probable, mais nous ne
pouvons nous empêcher de regretter que la recherche des stigmates de
l'hystérie n'ait pas été faite ; l'absence d'attaques convulsives n'autoriserait
pas à elle seule à rejeter un fonds véritable et permanent d'hystérie, comme
l'auteur le donne à entendre. Les stigmates dans le cas spécial auraient
peut-être manqué; nous aurions néanmoins le jugement plus tranquille.
Observation XXIII (inédite).
Rédigée d'après les notes de M. le Dr Guinon, chef de clinique-adjoint de
M. le professeur Grancher, et de M. COSTINFscu, externe de service.
Pseudo-méningite hystérique coïncidant avec les premières règles.
Stigmates d'hystérie. "
D... Marie, âgée de 14 ans, entrée le 25 avril 1892, n° 1, salle Parrot.
Antécédents héréditaires. Père inconnu. Mère séparée depuis 7 ans de sa
fille qui vit dans une pension où on l'occupe à des travaux manuels et où elle
paraît fort s'ennuyer.
Antécédents personnels. Fièvre typhoïde il l'âge de 6 ans : depuis cette
(1) Aux travaux déjà cités sur la matière ajouter les suivants ; ARNOZAN, 48 13, Gaz.
méd. de Bordeaux ; Boissnnn, 1883, Encéphale ; AYE1FLD ET HUCIIARD, Tir. des névroses,
1883 ; Huchard, Revue de méd. et de chier. pur., 1890, n- 31 ; Pitres, op. cit., p. 202.
112 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
époque, sujette il des crises nerveuses ( ? ) Bonne santé habituelle. Réglée pour la
première fois il y a 8 jours et il cette occasion, malaise général qui persiste encore.
État actuel. Jeune fille bien constituée. Au premier abord, il semble qu'elle
ait un ptosis double et une légère asymétrie faciale, la commissure labiale droite
étant plus abaissée que la commissure gauche ; mais il n'y a la rien de patho-
logique. Quand on l'interroge, elle paraît ennuyée de répondre et manque de
franchise.
La petite malade paraît très abattue ; son faciès est coloré et rouge. Elle sem-
ble dormir, les paupières mi-closes. Elle est couchée sur le côté droit, en chien
de fusil, la tête tournée vers le mur, fuyant le jour ; cependant, il n'existe pas
de véritable photophobie, car si on soulève la paupière, la pupille reste dans la
direction qu'elle avait, sans suivre l'élévation du voile palpébral (Guinon). Les
paupières 'retombent aussitôt qu'elles sont relevées. Il existe un peu de stra-
bisme interne de l'oeil droit. Les pupilles sont égales. Raie méningitique, mais
pas d'alternatives de rougeur ni de pâleur du visage. Pas d'opistllotonos, ni de
contracture des membres supérieurs : mais quand on soulève les deux membres
inférieurs, on sent une raideur assez marquée des deux côtés ; la résistance aux
mouvements communiqués est la même dans toute l'étendue des deux mem-
bres. Pas de paralysies. Réflexes rotuliens conservés. Pas de troubles sphinc-
tériens.
Sensibilité normale à la peau.
Attitude hostile à tout examen. Si on essaie de lui tourner la tête du côté du
jour, la jeune malade la ramène brusquement du côté du mur. Elle ne répond
que par monosyllabes aux questions qu'on lui pose ; son intelligence paraît au
premier abord assez obtuse. Elle se plaint pourtant d'une céphalée vague et dif-
fuse, sans localisation précise.
Pas de fièvre. Pouls = 10'(-, égal et régulier. Langue un peu sèche. Ventre
aplati, douloureux. Perte complète d'appétit, constipation, mais pas de vomisse-
ments. Rien à l'auscultation des poumons, ni du coeur; mais respiration Ï1'l'é-
gulière, profonde. Urines normales.
En examinant la vulve, on est frappé de la rougeur des petites lèvres, de
l'humidité des parties, qui sont très congestionnées, rouges et violacées, l'in-
terrogatoire n'ajoute aucun renseignement à ce que l'on sait de l'apparition des
premières règles depuis 8 jours.
En présence de ces phénomènes : abattement général, céphalée, consti-
pation, espèce de photophobie, accélération du pouls, léger strabisme,
raideur des membres inférieurs et surtout, attitude de l'enfant, on ne pou-
vait se défendre de songer à une méningite. C'était le diagnostic porté à
l'unanimité par les élèves du service. Cependant, les faits suivants ne cou-
cordaient pas avec ce diagnostic, d'abord les pupilles égales, le pouls égal
et régulier, puis l'absence de photophobie véritable, de vomissements et
de fièvre.
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS z3
Enfin, on fait lever l'enfant qui peut parfaitement se tenir debout. A la vé-
rité, elle essaie d'abord de s'accrocher aux barreaux du lit; mais sur l'ordre sé-
vère du chef de clinique, elle se décide à marcher et avance en effet fort bien,
la tête basse et l'air confus.
On recherche alors les stigmates de l'hystérie ; on constate de l'anesthésie pha-
rongée, de l'ovaralgie ci droite. Ces deux signes rapprochés des crises nerveuses
d'autrefois fortifient singulièrement le diagnostic d'hystérie qui se serait ma-
nifestée à l'occasion de l'établissement des règles et sous la forme d'accidents
méningi tiques.
27 avril. Nuit calme, bon sommeil. La constipation persiste, la miction se
fait bien. Pendanl la visite, attitude d'abattements, photophobie apparente. La
malade se cache la tète sous les draps quand elle est observée ; au contraire,
quand les élèves lui tournent le dos, elle les suit du regard et s'intéresse à
leurs faits et gestes. L'appétit est revenu.
28. Changement complet. Marie D.... se tient assise sur son séant, sou-
riant à tous, l'air satisfait et répondant un peu mieux ceux qui l'interrogent ;
mais si on insiste sur la maladie antérieure, elle témoigne de la mauvaise hu-
meur.
29. Tout va bien. La respiration et le pouls sont normaux, la constipa-
tion a cessé ; plus de céphalée, plus de raideur des membres inférieurs. L'en-
fant est gaie et s'habitue à son nouveau milieu, elle cause plus facilement que la
veille et avoue qu'elle s'ennuie beaucoup dans sa pension. Une tentative d'hyp-
notisme réussit très facilement.
12 mai. Revue à l'hôpital après son complet rétablissement, cette jeune
fille présente à l'examen une hémianesthésie sensitivo-sensonielle du côté gauche
du corps que nous devons ajouter à l'anesthésie du pharynx et à l'ovaralgie
droite signalées précédemment.
Peut-être y a-t-il dans celte observation une certaine part a faire à la si-
mulation volontaire; mais celle part nous parait aussi difficile il délimiter
que l'est bien souvent celle de l'hystérie dans les cas d'associations patho-
logiques. On ne peut nier sans doute que beaucoup d'hystériques soient
en même temps des simulateurs ; n'est-il pas moins évident que beaucoup
ne sont des simulateurs que parce qu'ils sont hystériques ? Opposer la simu-
lation il l'hystérie n'a donc pas sa raison d'être puisque les deux marchent
souvent de pair. Il serait bien plus scientifique de les envisager en bloc, ce
qui reviendrait a étudier surtout l'influence de l'autosuggestion sur le dé-
veloppement des manifestations de la névrose.
vi 8
H4 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Observation XXIV (inédite).
Recueillie dans le service de M. le professeur GRKNCIIEII sur les indications de
M. le Dr Guinon, chef de clinique-adjoint, et grâce à son extrême obligeance.
Accidents hystériques simulant successivement la méningite, la péritonite et l' ll1'é-
mise. Crises d'aboiement et secousses rhytmiques. -Stigmates d'hystérie.
Ch... Léon, âgé de 14 ans, écolier. Entré le 13 juin 1892, salle l3ouclrut, nO /1,.
La plupart des renseignements nous sont fournis d'une façon très précise par
la mère de l'enfant rlui est une femme intelligente.
Antécédents héréditaires. Rien relever de spécial au point de vue nerveux
du côté des grands parents ou des parents.
Antécédents personnels. Fils unique, né à terme, a marché vers 16 mois,
n'aurait parlé que vers l'âge de 3 ans. Au cours de sa première dentition, acci-
dents convulsifs assez fréquents qui se seraient continués jusqu'à l'âge de 5 ans.
Pas d'autres maladies.
Il y a 18 mois, en octobre 1890, l'enfant qui avait alors 12 ans fit une chute
dans un escalier de pierre. Il n'eu résulta tout d'abord qu'une large plaie du
cuir chevelu qui mit longtemps à se fermer. Aucun accident a noter jusqu'au
mois de mai 1892.
Dans les premiers jours du mois de mai 1892, notre petit malade qui se plai-
gnait depuis quelques temps de douleurs de tête perdit tout à coup l'appétit ; il
se mit à vomir incessamment et fut pris d'une si grande faiblesse qu'il dut garder
le lit.
Un médecin appelé à ce moment constata ce qui suit : L'enfant est dans un état
d'abattement très marqué avec une certaine obnubilation de l'intelligence qui
l'empêche de bien saisir les questions qu'on lui pose et d'y répondre convena-
blement. Il témoigne même à ce propos quelque mauvaise humeur et ne de-
mande que la tranquillité. Le jour, il se tient blotti dans le fond du lit sans
attitude spéciale, sans fuir positivement la lumière, mais la tête reposant sur
deux ou trois oreillers pour ne pas pas étouffer, dit-il. De temps en temps, il
pousse des cris plaintifs, porte la main à sa tête et répète souvent : « Oh là I
oh là I Pendant la nuit, pas d'insomnie, pas la moindre agitation, pas le moin-
dre cri.
Outre la céphalée qui est intense, mais sans localisation précise, le petit ma-
lade accuse de la rachialgie avec courbature généralisée. La sensibilité reste
normale sur toute l'étendue do la peau.
Pas de crises convulsives, pas de contractures ni de paralysies. Pupilles éga-
les ; regard un peu vague, mais sans déviations. Raie méningitique.
Pas de troubles sphinctériens.
La température reste normale. Le pouls est lent, régulier. Mais l'appétit est
complètement nul, bien que la langue soit à peu près bonne. L'enfant ne veut
prendre que de l'eau fraîche et vomit sans efforts jusqu'à 7 ou 8 fois par jour.
Pas de constipation, ventre normal, non douloureux.
Respiration très régulière. Rien à l'auscultation des poumons ou du coeur.
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CITEZ LES ENFANTS 115
Trois phénomènes particuliers sont encore à signaler :
1° Une sensation d'étouffement ci la gorge, nécessitant la position élevée de
la tête et que rien n'explique du côté des poumons ou du coeur ;
20 L'apparition d'un hoquet persistant au 2° et au 3e jour de la maladie ;
3° Enfin, une rétention d'urine presque absolue, avec un certain degré d'a-
nurie, qui oblige à pratiquer le cathétérisme.
En sorte que le diagnostic du médecin qui penchait au début vers la ménin-
gite à cause de la prostration, de la céphalée et des vomissements dût être ré-
formé après les trois premiers jours et en présence du hoquet, de l'anurie, on
pensa alors à une péritonite. Enfin, trois ou quatre jours plus tard, on se rejeta
encore du côté de l'urémie, ce qui faisait trois diagnostics différents en moins
de huit jours.
Quoi qu'il en soit, notre petit malade ne pouvait ni se lever ni se nourrir ;
les vomissements continuaient et on était forcé de lui donner des lavements de
sang et de pepsine. Ce n'est qu'au hout de 3 semaines que les vomissements
ont cessé et à ce moment, l'amaigrissement de l'enfant était déjà très sensible.
On se décide alors à le faire entrer à l'hôpital des Enfants-Malades.
Etat actuel. L'état actuel nous intéresse moins que ce qui précède. Cepen-
dant, on y trouvera la marque bien nette de l'hystérie et ce séra la une expli-
cation suffisante des accidents divers qu'a présentés notre malade.
13 juin. C'est un sujet bien constitué, assez grand pour son âge, un peu
maigre. Il porte encore au cuir chevelu, les cicatrices de son ancienne plaie de
tête. Caractère craintif, un peu sournois ; il ne répond que du bout des lèvres aux
questions qu'on lui adresse.
Les paupières recouvrent presqu'en entier l'état normal les globes oculai-
res ; ceux-ci sont animés d'oscillations rapides et incessantes dans le sens trans-
versal. Réactions pupillaires normales.
Depuis quelques jours, Léon Ch..... est atteint de crises convulsives avec aboie-
ment qui se répètent très souvent dans la journée, jusqu'à 20 ou 25 fois. En
même temps et dans l'intervalle de ces crises, il est agité de secousses rhylmi-
ques qui occupent toute la moitié supérieure du tronc et les membres supé-
rieurs.
Rien n'attire l'attention du côté des viscères et l'appétit est il peu près nor-
mal.
En présence de ces divers phénomènes qu'on considère sans hésiter comme
étant de nature hystérique, on se montre sévère pour l'enfant, on lui prescrit
l'isolement et les douches, ou le menace même du thermo-cautère.
15. Les crises ont beaucoup diminué de nombre. L'enfant se lève pour
aller à la douche ; il commence il mieux parler. Les secousses rhytmiques ne
se produisent guère qu'au moment de la visite et quand on l'observe.
On peut alors rechercher les stigmates de l'hystérie ; on constate en effet une
aneslhésie complète du pharynx et une anesthésie incomplète de la peau sur
toute une moitié du corps. Autographisme très marquée sur toute l'étendue de
la peau.
116 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
17. Les crises d'ahoiement ont complètement cessé et les secousses rhyt-
miques sont il peine ébauchées.
18. - Tous les accidents ont disparu.
CHAPITRE Il
SYNDROMES HYSTÉRIQUES SIMULATEURS DE LA MÉNINGITE CHRONIQUE.
Tous les ouvrages de pathologie médicale ont en général un chapitre
réservé aux formes chroniques de la méningite; mais la plus grande confu-
sion règne encore partout sur la délimitation exacte de ces formes et même
sur la dénomination qu'il convient de leur appliquer.
C'est ainsi que beaucoup d'auteurs confondent la sclérose atrophique lo-
tre du cerveau par lésions en foyer avec la méningo-encéphalile dont les
lésions sont disséminées d'une façon irrégulière sur les deux hémisphères
cérébraux. Celle première distinction a son importance ; elle est bien mise
en relief par M. Marie dans son article déjà cité du Dictionnaireeracyclopé-
dique sur l'hémiplégie spasmodique infantile. La sclérose et l'atrophie cé-
rébrales sont en effet des processus pathologiques communs aux lésions
d'origine vasculaire, lésions ordinairement localisées à un seul hémisphère
et sans participation des méninges (Cotard, Richardière, Jendrassik et
Marie), landis que les lésions de la méningo-encépllalite, tout particuliè-
rement signalées par Bourneville et ses élèves, ont pour caractère essentiel,
outre leur dissémination, l'adhérence de la pie-mère à l'écorce. Cette
deuxième distinction se tire donc comme la première de l'anatomie patho-
logique, en sorte qu'on est parfaitement autorisé aujourd'hui à opposer
l'origine méningée des lésions de la méningo-encéphalite à l'origine vascu-
laire des autres lésions de l'encéphale.
La clinique vient confirmer cette division dans la majorité des cas. Nous
avons insisté plus haut sur la répartition régulière ou symétrique des
symptômes propres aux lésions d'origine vasculaire. Rien de tout cela
n'existe dans le tableau symptomatique des lésions d'origine méningée ;
ce qui domine au contraire, c'est la bilatéralité des troubles moteurs, leur
distribution incohérente, la variété des troubles oculaires (nystagmus,
strabisme), et enfin la fréquence des troubles intellectuels qui peuvent
aller jusqu'à l'idiotie.
Il y a donc lieu de maintenir, sous le nom de ménillgo-encéphrtlite chro-
nique, un type particulier d'affection chronique de l'encéphale bien distinct
des autres types par son origine, sa nature et certains de ses caractères
cliniques. C'est à ce type que M. Marie croit devoir rattacher la plupart
MALADIES ORGANIQUES DE L'ENCÉPHALE CHEZ LES ENFANTS 11l
des cas décrits par M. Jules Simon sous le nom de sclérose cérébrale chez
les enfants. A part une question de mots, la description de cette maladie
donnée par notre excellent maître reste donc absolument vraie (1).
Nous n'entreprendrons pas pour la méningite chronique le même système
d'argumentation qui nous a servi à démontrer jusqu'ici comment l'hys-
térie pouvait simuler les types organiques, et comment cette simulation
pouvait être démasquée. Il s'agit de phénomènes trop nombreux et trop
complexes pour que l'analyse en lire quelque profit. Mais alors même que
nous ne saurions expliquer tous les faits, est-ce une raison suffisantepour
les rejeter ? Assurément non. C'est pourquoi nous jugeons tout commen-
taire inutile soit avant, soit après les deux observations qui vont suivre.
Observation XXV.
Enfant de souche névropatlcique. Pseudo-méningite tuberculeuse vers l'âge
de 8 ans. Attaques convulsives à 9 ans et succession bizarre de divers trou-
bles sensitivo-sensoriels et moteurs durant plus d'un mois. Guérison com-
plète. (111EDEL, in Berlin. Klin. Loch. 2 avril 1884).
Observation XXVI.
Accidents hystériques simulant une méningo-ezcéplcalite chronique ; cépha-
lée persistante, contracture des deux membres inférieurs el du membre su-
périeur gauche; attaques syncopales et convulsives ; délire : agraphie et
cécité verbale ; guérison. - (Pitres, Lec. clin. sur l'lagsl. et ? tY7Jn., 1891,
t. I, p. 199).
Tout cela durant sans amélioration depuis plus d'un an faisait redouter
il bon droit une l1u ! lIigo-encéphalite chronique. Cependant, M. Pitres penchait t
du côté de l'hystérie. L'événement lui donna raison. Après trois mois d'iso-
lement et d'hydrothérapie, les accidents se sont amendés : crises moins
fréquentes, céphalalgie moins vive, retour de la mémoire. L'enfant est re-
tournée dans sa famille et après diverses péripéties, elle a fini par guérir
complètement.
CONCLUSIONS GÉNÉRALES.
I. L'hystérie chez les enfants ne diffère pas essentiellement de l'hys-
térie chez les adultes et, comme chez les adultes, elle peut revêtir des for-
(I) J. Simon. Voir Revue mens, des maladies de l'enf. (déc. 1SS3, janv. 1884) et Confér
thémp. et clin,, t. II, 1887.
11S NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
mes permanentes et durables qui simulent les maladies organiques du sys-
tème nerveux.
IL En ce qui louche seulement les maladies organiques de l'encé-
phale, les « syndromes hystériques simulateurs » s'adaptent aussi bien aux
maladies par lésions en foyer qu'aux maladies par lésions disséminées des
divers organes encéphaliques. De là, deux catégories de ces syndromes.
III. On observe chez les enfants des syndromes hystériques de la
première catégorie qui simulent l'hémiplégie spasmodique infantile, les con-
vulsions, les contractures et les monoplégies d'origine corticale, l'aphasie,
le syndrome organique de Weber, l'amaurose et le ptosis. On observe encore
chez les enfants des syndromes hystériques de la deuxième catégorie qui
simulent la méningite aiguë et la méningite chronique.
IV. L'hystérie existe seule dans la plupart de ces syndromes simu-
lateurs et s'associe rarement chez les enfants aux diverses maladies de l'en-
céphale.
V. Le diagnostic obéit il des règles fixes et à des méthodes sûres qui
permettent en général de démasquer la simulation hystérique. C'est sur-
tout dans « les associations hysléro-organiques » qu'il est difficile de dé-
couvrir la névrose et de séparer ses manifestations des symptômes de la
maladie organique.
VI. Dans tous les cas, le pronostic et le traitement sont intimement
liés à l'exactitude du diagnostic qui n'intéresse pas moins le médecin que
l'avenir des enfants.
A. 13ARD01.,
Interne des hôpitaux.
LA DANSE MACABRE DU BAR (1)
Il existe dans l'église de la commune du Bar, chef-lieu de canton, à
9 kilomètres de Grasse, un vieux tableau peint à l'huile sur bois et re-
présentant une danse macabre fort curieuse et dont le thème s'éloigne de
celui généralement accepté dans ces sortes de représentations fort en vo-
gue au Moyen-âge (l'1. XVI).
D'ordinaire les danses des morts représentent des personnages de con-
ditions diverses : le pape, l'empereur, le riche, leserf attaché à la glèbe, la
belle jeune fille, etc..., entraînés séparément et tous ensemble dans une
sorte de branle général, par un squelette qui représente la Mort. « Nous
sommes tous mortels », telle est la moralité de ces scènes variées ou encore,
« Egalité de tous devant la mort ». Le peintre de l'église du Bar va plus
loin ; il cherche une moralité plus haute et montre ce que devient l'âme
après la mort selon que celle-ci l'aura surprise « dans la voie de Dieu ou
dans la fange du péché ».
L'état de péché est figuré par un trait emprunté à l'iconographie des
possédés. Chaque personnage porte sur sa tête un petit diable semblable à
ceux qu'on voit fuir dans les tableaux représentant des scènes d'exorcisme.
Suivant une tradition dont on trouve les traces jusque dans l'art grec,
l'âme séparée du corps est représentée sous la forme d'une petite figure
nue. Ici, comme sur les célèbres fresques d'Orcagna au Campo Santo de
Pise la petite figure nue sort de la bouche du mourant.
M. A. L. Sardou a donné une excellente description de cet intéressant
tableau, et les détails qui suivent sont en grande partie empruntés à son
travail (2).
La composition de l'artiste, expression naïve d'idées alors universelle-
ment admises comme articles de foi, a surtout le mérite d'être parfaite-
ment claire. Un certain nombre d'hommes et de femmes, se tenant par la
main, dansent une ronde au son du galoubet et d'une sorte de petit tam-
bourin ; ainsi que je l'ai déjà dit, on voit sur la tête de chaque danseur
gambader son diablotin.
(1) Nous devons la connaissance de ce document à M. Roux, pharmacien à Grasse.
(2) La danse macabre du Bar. Extrait du tome VIII des Annales de la Société des Let-
tres, Sciences et- Arts des Alpes-Maritimes, 1883.
120 ' NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
A la droite du musicien est un groupe de gens attirés par la curiosité et
le plaisir et qui paraissent fort tentés de prendre part à la danse. En avant
dudit groupe, la Mort, sous les traits d'un squelette ou plutôt d'un dé-
charné bande son arc et lance des flèches sur les danseurs. Un jeune homme,
mortellement frappé, se renverse ; et le diablotin qui dansait sur sa tôle
est descendu sur sa poitrine pour saisir l'âme exhalée avec le dernier souf-
fle du mourant.
Une femme portant sur le sein le trait qui vient de l'atteindre s'affaisse
à genoux.. Un robuste danseur git à terre .étendu sur le dos et un grand
diable cueille son âme. '
Au coin gauche du tableau, un autre diable tient par les pieds une âme
condamnée et la plonge dans les feux de l'enfer, ligure par la gueule en-
flammée d'un énorme dragon. Au-dessus se dresse l'archange Michel qui
suivant la tradition égyptienne fait la pesée des âmes. Il tient une balance
dont l'un des plateaux porte une et l'autre le Livre de Vie. Plus haut
encore, à l'angle du cadre, le Christ apparaît au milieu des nues : le fils
de Dieu étend le bras droit et montre le Livre fatal où sont inscrites toutes
les actions et toutes les pensées de Famé soumise au redoutable pesage.
Dans le bas un démon essaye, au moyen d'une baguette, de faire pencher
de son côté le plateau qui porte cette âme, proie qu'il convoite et qu'il
croit déjà lui appartenir. .
La scène que nous venons de décrire n'occupe que la partie supérieure
du tableau, dont les deux tiers inférieurs environ sont occupés par une
inscription composée de trente-trois vers provençaux monorimes, en ca-
ractères gothiques de 35 millimètres de haut.
C'est une sorte de commentaire ayant pour but d'appeler et d'arrêter
l'attention sur l'émouvant spectacle offert par l'artiste, et d'en faire res-
sortir la profonde et effrayante moralité.
Les costumes des personnages qui sont ceux des contemporains du roi
Louis XII ou de son prédécesseur Charles VIII permettent de fixer assez
exactement la date du tableau qui peut être attribué à la fin du XVe siècle;
les caractères de l'inscription sont de la môme époque.
J. M. Charcot (de l'Institut). PAUL Richer.
Le gérant : Louis BATTAILLE.
Imp. Vve LOURDOTr. 33, rue des Batignolles, Paris.
Nouvelle ICONOORAPHI& D1=. la Salpétrieri-- T \ t Pl. VI. 1 .
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LA DANSE MACABRE DU 13AR
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NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA SALPETRIERE
LÈPRE SYSTÉMATISÉE NERVEUSE A FORME
SYRINGOMYÉLIQIJE
Dans une récente communication il l'Académie de médecine (1) sur
la valeur de l'examen bactériologique dans le diagnostic des formes fous-
tes et anormales de la lèpre, l'un de nous a fait allusion à l'histoire d'un ma-
lade qui a été considéré pendant plusieurs mois comme un syringomyéli-
que et qui était en réalité un lépreux, ainsi que l'a démonlré d'une façon
positive l'examen bactériologique d'un petit fragment de nerf excisé sur
son avant-bras.
Les faits de ce genre n'ayant de valeur sérieuse que s'ils sont accompa-
gnés de détails très précis, nous avons pensé qu'il ne serait pas inutile
de publier in extenso l'observation de ce malade et de la faire suivre de
quelques considérations sommaires sur le diagnostic différentiel de la lè-
pre systématisée nerveuse et de la syringomyélie.
I
OBSERVATION.
Homme 46 ans, né en France de parents français, ayant séjourné pendant
dix ans (de 26 à 35 ans) à la 11lartin ique. A 29 ans, crlrparitiond'2crtela-
que d'anesthésie sur le mollet gauche, puis d'une plaque symétrique sur le
mollet droit. Extension graduelle de ces plaques. A 42 ans, développement
de troubles trophiques variés : maux perforants plantaires, excoriations des
mains, bulles peniphigoides aux jambes et aux avant-bras, chute et cldstro-
phie des ongles, ulcérations mutilantes des doigts et des orteils. Cicatrisa-
tion lente et récidives multiples jusqu'à 46 ans.
Etat actuel.* Persistance des troubles trophiques ou de leurs cicatrices. Dis-
(1) Séance du 29 novembre 1892.
\'1 . 0
122 NOUVELLE ICONOGRAPIIIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
sociation sensitive très nette (conservation de la sensibilité au contrat coïn-
cidant avec la perle des sensations de douleur et de température) sur les mem-
bres inférieurs, les organes génitaux, les avant-bras, les mains et quelques
parties du crâne et de la face. Examen bactériologique négatif du sang et
du pus. Découverte du bacille de Hansen dans un fragment du nerf excisé
sous la peau de F avant-bas.
B..... (François), couvreur, âgé de 46 ans, natif d'un village de la Cor-
rèze, entre à la salle 16 de l'hôpital St-André le 31 mars 1892, pour une
affection principalement caractérisée par des mutilations spontanées des
mains et des ulcères perforants de la plante des pieds.
Antécédents héréditaires. B... n'a pas connu ses grand-parents. Son père
est mort, à72 ans, huit mois après un ictus qui l'avait frappé d'hémiplé-
gie et d'aphasie. Sa mère, très migraineuse, a vécu jusqu'à 90 ans. Une
soeur, encore vivante, est sujette aux migraines ; une seconde est morte en
bas àge. Il a perdu deux frères, l'un à 10 ans, l'autre à 21 ans, d'affections
inconnues. Rien à signaler au point de vue névropathique chez les collaté-
raux.
Il s'est marié en France, à l'âge de 23 ans, et a eu six enfants. Le premier,
né avant son départ pour l'étranger, a succombé à la diphtérie ; des cinq
autres, nés depuis son retour en France, l'un est mort du croup, deux ont
succombé à des convulsions, un autre à des brûlures étendues. Le seul en-
fant qui reste actuellement vivant est une blonde fillette de deux ans et demi
qui a été nourrie au biberon et présente un léger degré de luxation con-
génitale de la hanche gauche, des déviations rachitiques des tibias et quel-
ques déformations du thorax liées à la même cause. Les cheveux, les sour-
cils, sont bien fournis et tout il fait normaux. Sur les ongles, on ne trouve
aucune striation, aucune hyperkératose, aucune irrégularité. Les dents
sont au complet et remarquablement blanches, sans le moindre vice d'im-
plantation. Les deux lobules des oreilles sont adhérents. Sur la peau et
sur les muqueuses il n'existe point de troubles sensitifs, de nodules, de ta-
che pigmentée, de vitiligo.
La femme de notre malade examinée attentivement jouit d'une excel-
lente santé.
Antécédents personnels . Nous relevons, à 14 ans, une entérite rebelle. A
25 ans, fièvre intermittente qui dura 13 mois. A 26 ans, B..... fit un
voyage en Hollande. Ouvrier dans une compagnie d'exploitation des forêts,
il travailla pendant trois mois non loin des côtes. Il n'a jamais entendu par-
ler de lèpre dans ce pays. Cette même année, il part pour la Martinique où,
dès son arrivée, la fièvre jaune le cloue pendant trois mois sur un lit d'hô-
pital. A 27 ans, il paie tribut il l'impaludisme et présente des accès du type
tierce pendant dix il onze mois. La rate reste très volumineuse. Pendant
LÈPRE SYSTÉMATISÉE NERVEUSE A FORME SYRINGOMYÉLIQUE 123
cinq à six ans il exerce sans encombres sa profession de couvreur. En de-
hors de son métier, il maniait, une fois par semaine environ, des quantités
considérables d'arsenic pour détruire des insectes nuisibles, ce qui lui cau-
sait parfois, dit-il, des coliques violentes.
Vers l'âge de 29 ans, il s'aperçoit un jour que son mollet gauche est
insensible sur une faible étendue ; pour s'en assurer, il expose sa jambe à
la flamme d'une bougie et brûle ses chairs jusqu'à la carbonisation, sans
éprouver la moindre douleur. Cette brûlure fut longue à guérir. La zone
d'anesthésie s'accrut progressivement. Une plaque également insensible se
développa peu après sur le mollet droit. A 33 ans, dysenterie rebelle. A
cette'même date, prurit très vif, généralisé, accompagné d'éléments érup-
tifs rouges, maculeux, extrêmement fugaces, sans desquamation,
A 35 ans, B..... rentre en France dans son village de la Corrèze. Pendant
quatre ans, il reste dans un parfait état de santé; cependant l'anesthésie
progresse et envahit le pied gauche. A l'âge de 41 ans, il vient habiter Bor-
deaux.
A42 ans, le 20 février, sans cause connue, sans traumatisme antérieur, le
malade ressent une douleur très légère et un engourdissement dans le gros
orteil du pied droit. Toute l'extrémité, la pulpe, le voisinage de l'ongle dé-
collé, sont soulevés par une phlyctène mollasse d'où la piqûre fait sourdre
un liquide roussàtre, sanguinolent. L'ongle tombe; un ulcère perforant com-
plètement anesthésique à la piqûre, ainsi que le constate un médecin, se
creuse à ce niveau, non sans déterminer quelques violentes douleurs. Des
applications phéniquées ont, à la longue, au bout d'un an, amené la guéri-
son de cette lésion. Quinze jours après, le bord interne de ce même orteil
gauche présente une nouvelle ampoule suivie d'une ulcération semblable
à la première : réparation au bout de huit mois, après un traitement topique
par l'iodoforme. Trois semaines plus tard, à l'âge de 43 ans, sur la face
plantaire du même orteil, vers sa racine, évolue un troisième ulcère à dé-
but phlycténoïde, profond, à bords taillés à pic et décollés, limitant un
creux d'un centimètre, de forme ovalaire, coupant le pli articulaire méta-
tarso-phalangien. A cette époque, un travail assez pénible exécuté dans
l'eau laisse les jambes engourdies, courbaturées et les genoux endoloris : ce
malaise disparaît après un mois de séjour au lit. Sur le cou, le malade avait
noté la présence de ganglions indurés, symétriquement disposés sur les
faces latérales, et qui auraient disparu dans un bref délai.
En mai 1889, sensations bizarres : il lui semblait, le soir, dans son lit,
que son buste et ses membres s'hypertrophiaient, prenaient des dimensions
démesurées. La peau était hyperesthésique. En même temps, mouvements
involontaires incessants et choréiformes des doigts. Pas de nodules cuta-
nés qui aient éveillé son attention.
124 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
A 44 ans, le pied gauche est atteint. Sur le gros orteil, répétition des
lésions sus-indiquées ; chute de l'ongle ; pas d'élimination de séquestres.
Un ulcère superficiel s'étale sur le bord interne de l'extrémité de la der-
nière phalange. Reslitittio ad integrum en 3 semaines. Concomitamment,
pendant l'hiver (le froid aggrave en effet son mal), une éruption huileuse
apparaît brusquement, pendant la nuit, autour des genoux. B... crevait ces
bulles auxquelles se substituaient des excoriations d'une durée de cinq a
six jours. Après un stade croûteux elles se recouvraient bientôt d'une cica-
trice souple, rosée, à contours irréguliers. Simultanément, soulèvements
bulleux, plus ou moins confluents, contenant un liquide séreux, sur les
malléoles, le cou-de-pied, les faces plantaires ; ils se formaient la nuit, sans
occasionner de douleur, et s'accompagnaient parfois d'un léger mouvement
fébrile; le malade, par suite de son insensibilité, n'était pas très incom-
modé par ces lésions, même dans la marche.
En février de cette même année (à 44 ans), un ulcère entoure le bout du
5e orteil gauche et laisse suinter un ichor fétide et jaunâtre ; le 3e jour de
son évolution, un débris d'os sec, ligneux, s'élimine, sans retentissement
douloureux notable : la pression provoquait à peine quelques sensations
pénibles. Les deux autres phalanges s'éliminent en 15 jours, si bien que le
petit orteil gauche s'est trouvé réduit de ce fait à un petit mamelon charnu
qui coiffe la tète du 50 métatarsien. Un soulèvement bulleux de la plante
du pied gauche s'accompagne de la production d'un large ulcère cratéri-
forme situé à deux travers de doigt en arrière des sillons métatarso-pha-
langiens des 2" et 3e orteils. Cet ulcère n'a jamais complètement guéri de-
puis lors; il subit des alternatives d'amélioration sous l'influence de la
saison chaude et du repos absolu, et d'aggravation pendant l'hiver et après
la marche. Il n'a cependant pas dépassé la largeur d'une pièce d'un franc
et ne s'est pas creusée au delà d'un centimètre.
Les mains, épargnées jusqu'alors, se recouvrent, à l'âge de 45 ans et pen-
dant l'hiver, brusquement, en une nuit, sans retentissement douloureux,
d'une dizaine de bulles pemphigoïdes qui confluent et forment de larges
soulèvements, plus particulièrement sur les doigts. Au niveau de la pulpe,
le contenu des bulles était de tous points semblable à la sérosité d'un vé-
sicatoire. Une de ces bulles, sur la face palmaire de la 2e phalange du mé-
dius droit, donne lieu à un ulcère qui creuse, pénètre le doigt jusqu'à la
face dorsale : le squelette de la 2e phalange faisant hernie dans la plaie a
été extirpé partiellement par le malade après cassure sans que cette ostéo-
clasie ait causé la moindre douleur; l'ulcère s'est cicatrisé quatre ou cinq
jours après l'élimination du séquestre.
A cette môme date, un ulcère envahit l'extrémité du petit doigt droit;
l'ongle est tombé mais a repoussé normal ; les phalanges se sont un peu
LÈPRE SYSTÉMATISÉE NERVEUSE A FORME SYRINGOMYÉLIQUE 123
infléchies. Deux mois après, le trajet fistuleux s'ouvre à nouveau et reste
suppurant ; il guérit enfin mais le doigt se ratatine, se raccourcit sans qu'il 1
y ait eu élimination osseuse à l'extérieur. L'ongle tombe une seconde fois,
et repousse à l'extrémité et sur le bord cubital du doigt sous la forme d'un
bloc corné irrégulier. Le doigt est resté incurvé. L'annulaire droit s'est
également infléchi après rétraction cicatricielle à l'union de la 2" à la 3e
phalange. Entre temps, apparition de bulles transitoires.
A cette époque, la main gauche se prend à son tour. Sur l'éminence thé-
nar, se développe un ulcère qui guérit au bout d'une vingtaine de jours; un
second évolue en même temps, à la racine du pouce : la rétraction cicatri-
cielle infléchit la première phalange. Puis l'annulaire et l'auriculaire gau-
ches paient tribut ci l'affection. L'hiver dernier (1892), une phlyctène ap-
paraît à l'extrémité de l'auriculaire. Une ulcération lui succède qui entraîne
la chute de l'ongle et la dénudation osseuse de la phalange ; l'os nécrosé
est retiré à l'aide d'une pince. De nouveaux trajets fistuleux se font jour
sur la deuxième phalange et au niveau du pli palmaire métacarpo-phalan-
gien ; le patient enlève lui-même des fragments d'os nécrosé ; par la plaie
s'échappent des filaments blanchâtres qui sont probablement des débris ten-
dineux. La guérison survient enfin ; elle est suivie d'une légère rétraction
cicatricielle. L'ongle a repoussé : c'est un rudiment corné informe, très
épaissi et lisse à son bord libre dont l'épaisseur mesure un centimètre. Sur
ces entrefaites, une ampoule couvre l'extrémité du petit doigt gauche,
amène la chute de l'ongle et un racourcissement avec renflement terminal
de la phalange en baguette de tambour. L'ongle a reparu mais rudimen-
taire. Ces phénomènes coïncidaient avec une anesthésie des avant-bras et
des mains ; trois doigts de la main droite (pouce, index et annulaire) n'é-
taient pas complètement insensibles. Depuis lors, les ulcères des mains ont
guéri. Mais fréquemment apparaissent des soulèvements bulleux de l'épi-
derme dans la paume des mains.
B... n'a jamais constaté sur sa peau la présence de nodosités. Il n'a eu
ni syphilis ni blennorrhagie. Il était de moeurs austères et n'abusait ni des
boissons alcooliques ni du tabac. Il affectionnait beaucoup le café en in-
fusion. Il n'a jamais eu de troubles de la mémoire, de l'intelligence, des
organes des sens. Pas de scoliose. L'appétit génital est conservé et le coït
est possible et voluptueux bien que depuis un an les testicules et la verge
soient devenus insensibles. Le gland a plusieurs fois été le siège de bulles
transitoires.
État DU malade le 13 JUIN 1892.
B... est un homme de taille moyenne, bien bâti, doué d'un excellent
appétit. Il dort bien et ne souffre pas. Il ne se plaint guère que de sueurs
126 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
profuses, surtout nocturnes, limitées à la poitrine, qui l'obligent à changer
de linge très souvent. Son état ne le préoccupe que médiocrement. Il jouit
de la plénitude de ses facultés intellectuelles ; il répond d'une façon très
précise el en faisant preuve d'une mémoire impeccable aux nombreuses
questions qu'on lui pose. Les appareils digestif, respiratoire et circulatoire
fonctionnent tout à fait normalement.
L'affection est surtout localisée aux mains et aux pieds. Nous ferons d'a-
bord un examen rapide des autres parties du corps, réservant pour la fin
la description des principales lésions et l'étude des troubles sensitifs et des
réactions électriques.
La tête ne présente, à première vue, rien d'anormal. Pas de calvitie;
pas de séborrhée. Le front est ridé ; les sourcils, la moustache sont bien
fournis. Teint hâté. Un petit placard d'acné sébacée partielle sur le lobule
du nez. Une exploration attentive ne découvre pas sur la face de troubles
de pigmentation, d'érythème, de nodules cutanés ni sous-cutanés ; les
oreilles, les paupières sont indemnes. Les muscles du visage fonctionnent
très régulièrement dans l'action de siffler, de souffler, de fermer les yeux,
de rire, de faire la moue, elc. Pas de strabisme, de nystagmus, de saillie
anormale du globe oculaire. On ne note aucun trouble du côté des organes
des sens ; champ visuel un peu rétréci concentriquement (fig. G). La cavité
buccale, la langue sont indemnes de toute altération, de toute néoplasie. Pas
de chute des dents. '
Le cou n'offre de particulier que trois ganglions du volume d'une olive,
durs, roulant sous le doigt. Pas de nodules, de taches pigmentées de plaques
achromiques. Au devant de la poignée du sternum on trouve cependant
une plaque diffuse, brunâtre ; le malade l'attribue aux ardeurs du soleil ;
elle présente toutefois des troubles sensitifs très importants indiqués ci-
dessous. Sur le tronc, l'abdomen, les fesses, les bras, les avant-bras, les
Fig. 6.
Nouvrcc IcoHOOrsnrHnr or. la SncpiranCars T. VI. PL. XVII, XVIII.
Phototype négatif A. LONDfi PHOTOCOLLOGRAPHIE Chêne et LONOUET
LÈPRE A FORME SYRINGOMYELIQUE
J3ATTAJLLE 12T ^C
raz ÉDITEURS r.
éDITEURS
LÈPRE SYSTÉMATISÉE NERVEUSE A FORME S YR I NG OM YÉL1 Q UE 127
cuisses, les saillies musculaires sont admirablement conservées; pas de
contractions fibrillaires. Les seins sont saillants; les artères ne sont pas
athéromateuses. Les deux nerfs cubitaux paraissent un peu plus volumi-
neux que normalement, mais ils sont très régulièrement calibrés; on les
palpe très facilement dans leur gouttière et on les suit, des deux côtés, jus-
qu'au creux de l'aisselle sans que le doigt soit arrêté par une seule inéga-
lité. Leur pression retentit, comme à l'état normal, sur le petit doigt. Dans
ces diverses régions, pas de lésions cutanées ni de troubles de pigmentations
autres que deux plaques brunâtres situées au devant de chacun des coudes,
à contours diffus. Dans la région épitrochléenne gauche, surface large com-
me la paume de la main, érythémateuse, rouge brunâtre, laissant persister
à la pression une légère pigmentation. Dans chaque aisselle on mobilise un
ganglion dur, du volume d'un oeuf de perdrix. Les ganglions inguinaux
sont hypertrophiés. Sur-le bas-ventre et la région lombaire, desquamation
furfuracée avec démangeaisons; celles-ci ont provoqué sur les cuisses quel-
ques lésions de grattage. On ne sent pas les nerfs poplités ; les nerfs scia-
tiques sont sensibles à la pression. Autour des genoux, sur le tiers infé-
rieurdesjambesainsi quesur les pieds, nombreuses cicatrices superficielles,
généralement lisses, violacées, plissées et comme exubérantes, arrondies
ou à contours irréguliers, variant de la grandeur d'une pièce de vingt cen-
times à une pièce de deux francs. Pas de scoliose ; pas de gibbosité ; pas de
point vertébral douloureux. Du côté des organes génito-urinaires on note
un hypospadias pénien et de l'hypoalgésie testiculaire sans atrophie; urines
et miction normales.
Main droite. (PI. 1VII). - Les doigts sont infléchis vers la paume, sur-
tout par leur dernière phalange. Les mouvements sont encore possibles sauf
l'adduction et l'abduction. La peau est sèche, rugueuse sur la face palmaire,
et parsemée, surtout autour des doigts, de cicatrices irrégulières, roses ou
blanchâtres, plus ou moins épaisses, traces d'anciennes lésions pemphi-
goïdes et d'ulcères anciens. La paume est concave ; ses plis sont bien accu-
sés ; l'épiderme y desquame en larges lamelles. Sur le milieu du bord cu-
bital, snrface cornée, déprimée, ovalaire, de la grandeur d'une pièce de
cinquante centimes, reliquat d'ulcère guéri. Les éminences thénar et hypo-
thénar sont affaissées et recouvertes d'un épiderme épaissi. Sur l'annulaire
(face palmaire), à l'union de la Ire la 2e phalange, cicatrice allongée dans
le sens de l'axe du doigt, recouverte desquames épaisses et cornées.
Sur la face dorsale de la main, la peau est lisse, rosée, moins plissée
que normalement au niveau des doigts. Sur le pouce, cicatrice d'ulcère
antérieur, de consistance cartilagineuse, à l'union de la lie à la 2e pha-
lange. Sur l'index, épaississement cicatriciel de la peau autour de la 1 rye ar-
ticulation interphalangienne ; il en est de même sur le médius. Les mus-
128 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
cles interosseux paraissent atrophiés. Le pouce a relativement conservé
sa mobilité. La 2e phalange du médius et de l'annulaire est coudée sur la
lr° par une ankylose fibreuse assez serrée, le médius a perdu la moitié en-
viron de la phalangine; il l'union de cette dernière avec la phalangette
(face palmaire) est une saillie cornée assez exubérante. La 3° phalange du
petit doigt a quasiment disparu ; elle se serait spontanément résorbée. Il
existe un rudiment d'ongle, tout il fait informe, implanté en dedans sur un
moignon rende en baguette de tambour. Le malade peut encore écrire mal-
gré la raideur des doigts. Les callosités de la peau signalées plus haut sont
d'origine cicatricielle.
Main gauche (Pl. XVIII). La face palmaire est très aplatie; les éminen-
ces thénar et hypothénar ont disparue L'attitude des doigts est la môme que
ponr le côté droit. La paume est dure, sèche, cornée, les plis y sont atté-
nués. En dedans de l'éminence thénar, large cicatrice transversale; il la ra-
cine de l'index, ulcère superficiel, rond, rosé, suintant, anestbésique, de
la grandeur d'une pièce de vingt centimes, entouré par des cercles concen-
triques d'épiderme corné. Les muscles du premier espace interosseux pa-
raissent atrophiés. Le pouce, infléchi par sa première phalange, n'est point
raccourci ; sur la pulpe, cicatrice rougeatre et ovalaire ; l'ongle est épais,
bosselé à sa partie médiane, longitudinalement strié, hyppocratique. Sur
l'index (3e phalange), trace d'un ancien ulcère ; l'ongle se recourbe au bord
libre. Le médius, à demi fléchi, est cicatriciel il son extrémité; au milieu
de la pulpe, petit ulcère grand comme un haricot. L'annulaire a perdu sa
troisième phalange ; ce doigt se termine par un renflement osseux, en ba-
guelle de tambour, muni d'un ongle rudimenlaire incurvé et, pour ainsi
dire, rentré. L'auriculaire gauche est boursouflé en son milieu, il l'union
de la 11'0 el de la 2e phalange il a l'aspecl (lit rcntoslt; il se termine en
s'effilant par un ongle atrophié, irrégulier, sillonné transversalement, for-
mant un bloc épais d'un centimètre il son bord libre.
Pied droit (fig. 7). Motitité normale. Quelques douleurs pendant la
flexion ou l'extension forcée des orteils. La peau est sèche, rugueuse, cou-
verle d'une desquamation furfuracée. Tous les ongles sont secs, d'un blanc
jaunâtre, striés transversalement. L'extrémité du 2° orteil est tuméfiée en
battant de cloche; l'ongle très altéré est tombé à plusieurs reprises, sans
douleur. Sur le bord externe du pied et un peu en arrière de la 5e articula-
tion mélatarso-phalangienne, épaississement ovalaire, cicatriciel, stigmate
d'un ulcère. La face plantaire est plaie. Vers la racine du gros orteil, elle
présente un ulcère long de trois centimètres suivant le grand axe du pied,
large de deux centimètres, profond d'un centimètre environ ; bords taillés
à pic, décollés, cornés ; fond rouge et sanguinolent. Cet ulcère est absolu-
ment anestbésique.
LÈPRE SYSTÉMATISÉE NERVEUSE A FORME SYR1NGOVLYÉLIQUE 129
Pied gauche (fig. 8). Les caractères de la peau et des ongles sont
identiques à ceux que nous avons mentionnés plus haut. Au milieu de la
plante et au niveau de la région métatarsienne, large ulcère anesthésique,
arrondi, de la grandeur d'une pièce de deux francs, il bords taillés à pic,
décollés, circonscrits par une zone d'épiderme blanchâtre, inégal, squameux.
Ces bords sont doublés par une hernie circulaire du pannicule adipeux
sous-cutané qui forme autour de l'ulcère un bourrelet d'aspect gélatineux.
Le fond de l'excavation est rouge, anfractueux et paraît constitué par les
muscles de la région plantaire. Le stylet n'atteint pas d'os dénudé. La flexion
du pied est douloureuse; pas de douleurs spontanées. Les lésions gran-
dissent en hiver.
La marche n'est en rien gênée par ces ulcères. Cependant, les promena-
des trop prolongées aggravent les lésions.
Pas de sudation exagérée sur les membres ; les mains et les pieds sont
plutôt secs.
Troubles sensitifs (fig. 9, 10). Tête et con. Sensiblité tactile nor-
male. La sensibilité à la piqûre est également conservée sauf au sommet
de la fêle et en avant de l'oreille droite. Les sensations de froid et de
chaleur sont abolies sur ces petites zones analgésiques et, de plus, sur le
front, au-dessus des arcades sourcilières.
Tronc. Les diverses sensibilités sont normales. Au pli fessier droit
le malade a eu une eschare ; il ce niveau, la sensibilité au contact est con-
servée. Mais il existe de l'analgésie et de la Ihermo-anesthésie.
Membre supérieur droit. Contact, chaleur, température sont conser-
vés dans les parties supérieures du bras ; au-dessous d'une ligne oblique
passant, en arrière, à 20 centimètres de l'épitrochlée et, en avant, G cen-
l'ig. 7 et 8.
130 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
timètres au-dessous de l'interligne articulaire, anesthésie à la piqûre comme
à la chaleur et au froid, mais persistance de la sensiblilité au contact. Cette
analgésie est superficielle ; si on enfonce l'épingle dans les régions sous-
cutanées, la douleur est réveillée par la piqûre. Celle-ci est perçue sur une
petite zone triangulaire de la paume de la main. Tout le reste du membre
présente la dissociation dite syringomyélique dans toute sa pureté.
Au membre supérieur gauche, la ligne à partir de laquelle on constate
la dissociation sensitive est il peu près la même que pour le membre droit.
Leslroubles sensitifs sont identiques à ceux que nous venons de décrire.
La main gauche est absolument insensible au froid et au chaud. Le contact
est perçu sauf sur le 3° doigt et en arrière de lui, dans les 3° et 4e espaces
interdigitaux. La piqûre n'est sentie que vers le milieu du pli cutané
moyen, à l'extrémité supérieure du pouce et de l'index.
Membre inférieur droit. La sensibilité au contact persiste partout,
mais le malade est insensible à la piqûre suivant une ligne qui limiterait
la moitié interne de l'aire de la cuisse. Toute la jambe et tout le pied sont
Fig. J et 10.
LÈPRE SYSTÉMATISÉE NERVEUSE A FORME SYRINGOMYÉLIQUE 131
absolument insensibles à la piqûre et à la température, bien que la sensi-
bilité au contact soit conservée.
Membre inférieur gauche. Même topographie des troubles sensitifs. La
dissociation existe sauf sur le milieu de la face postérieure de la cuisse, et
sur deux petits espaces situés l'un à la partie supéro-interne de la jambe,
l'autre en arrière, un peu au-dessus de la région rotulienne. La sensibilité
des muqueuses est normale.
Organes génitaux. - La verge n'a plus de réactions sensitives. Les tes-
ticules sont à peine sensibles à la pression.
Douleurs spontanées. Sensation de constriction élastique des jambes ;
fourmillements et picotements sur les pieds pendant la marche.
Troubles du sens musculaire. B..... éprouve de grandes difficultés à
tenir dans ses mains les objets de petit volume ; il ne reconnaît ni la forme
ni la nature de ce qu'on met entre ses doigts. Les membres supérieurs,
placés dans l'attitude du serment, présentent des mouvement lents des
doigts qui s'agitent dans divers sens. Pas de tremblement de la langue.
Les réflexes rotuliens, pupillaires, testiculaires et abdominaux sont nor-
maux.
Examen électrique pratiqué à la clinique de M. le Professeur Bergonié
par M. Regnier.
Face. Résistance de la peau considérable, surtout au niveau du front
et des tempes, moins grande sur la partie antérieure du maxillaire supé-
rieur, moins grande encore sur la partie externe de la joue, la lèvre infé-
rieure et le menton. Cette résistance est telle qu'il faut employer un cou-
rant faradique intense pour produire la contraction des muscles de la
face. Mais tous (sans exception) se contractent au courant faradique. Inu-
tile d'ajouter que cette intensité varie avec la résistance opposée par la peau.
Au niveau de l'épaule, du dos, du bras, la résistance n'offre rien d'anor-
mal et tous les muscles se contractent énergiquement au faradique. Sur leur
trajet, les nerfs restent très excitables. Le médius et le radial donnent des
contractions des muscles de l'avant-bras absolument normales. Auxavant-
bras, la résistance augmente considérablement, mais les contractions aux
faradiques sont encore normales.
Aux deux mains, résistance encore très grande.
Les intérosseux, les muscles des éminences thénar et hypothénar, ne
réagissent pas à la main gauche. Seuls les muscles de l'éminence thénar se
contractent à la main droite.
Au niveau des cuisses, résistance et contractilité normales.
Jambes. Résistance plus grande à gauche qu'à droite et contractilité
faradique conservée dans tous les muscles.
Courants galvaniques. Partout réaction normale N F C > P F C, ex-
132 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
cepté au niveau de la main gauche où la réaction est nulle. Au niveau de
la main droite, réaction conservée uniquement à l'éminence thénar : en ce
point, réaction ambiguë de dégénérescence N F C = P F C.
A noter dans cet examen la résistance énorme de la peau à tel point
que dans une première exploration on a dû faire prendre un bain salé au
malade. Il semble que celte résistance soit assez exactement superposée
aux variations de sensibilité. La sensibilité électro-musculaire est normale.
II
Telle était l'observation détaillée du malade au mois de juin 1892.
Elle soulevait de grandes difficultés d'interprétation relatives au siège des
lésions premières qui tenaient sous leur dépendance les troubles trophi-
ques et sensitifs et surtout à la cause pathogénique de ces lésions. Aussi le
diagnostic restait-il en suspens. Il existait bien quelques raisons qui de-
vaient faire soupçonner la lèpre, telles que le séjour du malade à la Mar-
tinique et l'âge relativement avancé auquel s'était développé le mal ; mais
c'étaient là plutôt de simples présomptions que des preuves démonstratives.
D'autre part, la constatation sur une grande partie de la surface du corps
de dissociations sensitives très remarquables, l'absence de nodosités le long
des nerfs cubitaux, l'absence de tubercules sous-cutanés, de taches carac-
téristiques pigmentées ou vitiligineuses, enfin l'intégrité parfaite des mus-
cles de la face cadraient plus facilement avec l'idée de syringomyélie.
Dans l'incertitude, nous priâmes AIiVI. les D" Le Dantec et Vergniaud,
répétiteurs à l'école principale du service de santé de la marine qui ont
séjourné l'un et l'autre à la Guadeloupe et en Cochinchine et y ont vu un
grand nombre de lépreux, de nous donner leur avis. Après avoir très atten-
tivement examiné le malade ilsnous déclarèrent qu'ils ne trouvaient aucun
signe permettant d'affirmer qu'il était lépreux. Nous portâmes donc le dia-
gnostic de syringomyélie.
Des doutes s'élevèrent cependant dans notre esprit sur le bien fondé de ce
diagnostic après que nous eûmes pris connaissance de la communication
de M. Zambaco à l'Académie de médecine (1); dès lors, convaincus que les
seules ressources de l'examen clinique étaient insuffisantes à éclaircir ce
cas, nous résolûmes de le soumettre, sans plus tarder, au critérium bacté-
riologique.
Pendant le mois d'août, à diverses reprises, le sang de notre malade, re-
cueilli au voisinage des lésions, fut examiné minutieusement. La recherche
du bacille de lIansen poursuivie avec ténacité resta absolument négative.
(1) Séance du 23 août 1802.
LÈPRE SYSTÉMATISÉE NERVEUSE A FORME SYRINGOMYÉLIQUE 133
Le procédé de Kalindero qui consiste à étudier au point de vue microbien
la sérosité d'un vésicatoire, échoua malgré notre persévérance à multiplier
le nombre des préparations aux 2e, 3°, 4e, 5e jours après l'application du
révulsif : c'est donc là une méthode tout à fait infidèle. Le pus sanieux
qui s'écoulait des ulcères a également été examiné plusieurs fois et tou-
jours sans succès.
Nous résolûmes alors de faire l'examen bacillaire d'un filet nerveux ;
si les troubles trophiques n'étaient que le reflet de lésions nerveuses c'était,
en dernière analyse, celles-ci qu'il fallait explorer.
Après avoir obtenu le consentement du malade, pénétré de l'innocuité
que présentait pour lui l'excision d'un petit filet nerveux dans une zone in-
sensible, nous avons réséqué pour en faire des examens microscopiques, une
branche superficielle du nerf musculo-cutané, au tiers moyen de l'avant-
bras gauche.
Le 28 août, à 10 heures du matin, nous faisons, le long du bord radial,
dans une région analgésique, une incision de six centimètres, Le bistouri
est dirigé parallèlement à un filet du nerf musculo-cutané que l'on sent
sous la peau. Celui-ci est mis à nu sans difficulté ; on en excise un centi-
mètre.
Une moitié est placée dans l'alcool absolu ; l'autre moitié est plongée
dans une solution d'acide osmique à -1/40. Sutures au crin de Florence;
pansement antiseptique; guérison rapide sans suppuration.
Le premier fragment, immergé pendant 12 heures dans l'alcool absolu
puis pendant 2 heures dans le chloroforme chimiquement pur, est inclus
dans la paraffine et coupé, dans divers sens, au microtome de Viallanes.
Les coupes, débarrassées de la paraffine il l'aide du xylol, traitées par les al-
cools successifs, sont plongées dans un bain de fuchsine phéniquée de Ziehl-
Neelsen et mises pendant quelques minutes à 5 sur l'étuve à air libre ;
décoloration par l'acide sulfurique au 1/5e ; coloration du fond au bleu de
méthylène aqueux. L'examen pratiqué avec l'oculaire 8 et l'objectif à im-
mersion 3, Omm de Zeiss fait constater, dans chaque coupe, un grand nombre
de bacilles qui tranchent en rouge vif sur le fond bleu de la préparation. Ils
restent colorés par les solutions simples de fuchsine après l'action de l'a-
cide sulfurique à 1/5. Ce sont de petits bâtonnets, droits ou légèrement
incurvés, grêles, dont la longueur varie de 1 à 1, fI-; ils sont relativement
très nombreux puisqu'on peut en compter plus de 25 dans le champ du
microscope. Quelques-uns sont réduits à un trait punctiforme. Ils ne pa-
raissent pas être contenus dans les éléments cellulaires ; ils sont libres,
situés entre les fibrilles nerveuses, isolés ou le plus souvent groupés en
amas irréguliers. Quelques-uns, très courts, sont disposés en chapelet.
Nous n'avons trouvé ces bacilles que dans les faisceaux nerveux ; l'épi-
134 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
nèvre, les espaces interfasiculaires, le périnèvre, les vaisseaux ne semblent
pas en contenir.
Dans les coupes du fragment immergé dans l'acide osmique pendant
24 heures, il nous a été impossible de déceler la présence des bacilles,
même en prolongeant considérablement l'action des réactifs colorants.
Ce dernier fragment, après lavage dans l'eau distillée, a été coloré en par-
tie par le picro-carmin de Ranvier et coupé après inclusion à la paraffine,
en partie coupé sans coloration préalable et traité sur lame par l'éosine
hématoxylique de Renaut.
A l'examen microscopique comparé à celui d'un filet nerveux super-
ficiel de l'avant-bras tout à fait normal et traité par les mômes procédés
on trouve un épaississement très net de l'épinèvre qui est constitué par
de nombreux faisceaux fibreux entrelacés, coupés çà et là de libres élasti-
ques, dénués de cellules embryonnaires. Les vésicules adipeuses s'y pré-
sentent un peu moins abondantes que normalement. Quant aux vaisseaux,
leurs tuniques sont notablement sclérosées aussi bien dans ces points que
dans les autres parties constitutives du nerf.
Le tissu conjonctif interfasciculaire est très épaissi, très ondulé, contenant
ça et là des cellules connectives peu apparentes. Les gaines lamelleuses sont
manifestement hypertrophiées. Dans l'intimité des faisceaux nerveux, le
tissu conjonctif s'est en grande partie substitué l'élément noble; il forme
des travées épaisses, entrecroisées, infiltrées de cellules jeunes et dissocie, en
quelque sorte, les fibres nerveuses qui ont survécu. La plupart de ces
libres ne sont plus représentées que par des gaines vides, encombrées de
cellules embryonnaires et dépourvues de cylindre axe. La myéline, dont il
reste à peine quelques traces, n'est plus disposée en élégants manchons
mais bien en blocs noirâtres, arrondis ou ovalaires, dépourvus de lumière
centrale.
Ce nerf a donc subi un double processus de névrite interstitielle et paren-
chymateuse quil'a finalement transformé en un cordon fibreux. Nousn'avons
pas trouvé de cellules géantes dans les nombreuses coupes que nous avons
examinées, mais les bacilles que nous avons rencontrés en grand nombre
au milieu des fibres nerveuses ayant bien les apparences morphologiques
et les réactions histo-chimiques des bacilles de Ilansen, nous croyons pou-
voir légitimement conclure de l'ensemble de nos examens qu'il s'agit, dans
ce cas, d'une névrite lépreuse.
Ce nerf appartenait donc à un lépreux; MM. Roux et Vaillard à qui
nous avons soumis nos préparations ont d'ailleurs confirmé ce diagnostic
bactériologique.
LÈPRE SYSTÉMATISÉE NERVEUSE A FORME SYRIYG0111YÉLIQUE 135
III '
Le malade a été tenu en observation depuis le mois d'août 1892. Le
26 septembre, sa sensibilité, explorée minutieusement, fournissait le schéma
ci-dessous (fig. il, ils»; les parties anesthésiques étaient entourées de zones
d'altération graduelle de la sensibilité.
En novembre, B..., qui avait quitté l'hôpital pour reprendre son travail,
nous revient avec un gros panaris du médius gauche, le doigt tuméfié en
boudin est rouge, profondément infiltré. Il suppure par un trajet fistuleux
situé sur la pulpe; ce panaris évolue d'ailleurs sans douleur. L'examen du
pus, pratiqué sur un très grand nombre de lamelles, n'a pas révélé la pré-
sence d'un seul bacille lépreux. En revanche, il contenait des microcoques
pyogènes et plus particulièrement des staphylocoques. Ce panaris traité
par des pansements antiseptiques a rapidement guéri.
En janvier 1893, le malade revient à l'hôpital et l'on constate alors, pour
Follet 12.
136 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
la première fois, l'apparition sur le Ironc et les fesses de plaques érythé-
mateuses caractéristiques qui, il elles seules, auraient mis sur la voie du
diagnostic. MM. le Dantec et Vergniaud, en voyant ces lésions, ont sans
hésitation reconnu leur nature lépreuse. Ce sont des taches à contours géo-
graphiques très irrégulièrement découpés, asymétriques, les unes ne me-
surant pas plus de 4 ou 5 centimètres carrés, les autres plus larges, attei-
gnant jusqu'à 25 ou 30 centimètres de diamètre. Le centre de ces plaques
est rose pâle, légèrement dépigmenté ; leur périphérie est bordée par une
bande plus foncée d'un rouge violacé à reflets bistrés. La rougeur s'ef-
face sous la pression des doigts tandis que la teinte bistrée persiste.
La surface de ces taches est lisse et ne présente d'autres modifications
que la présence d'un petit nombre de papules miliaires plates ou à peine
acuminées, rosées, discrètes, tantôt isolées, tantôt réunies en petits groupes
de quatre à huit. Sur ces plaques, dont la forme et la distribution topogra-
phiques sont indiquées sur les schémas ci-contre (fig. 13, J1), la sensibi-
lité au contact et à la douleur persiste, mais il y a de l'analgésie. Les sensa-
Fig. 13 et Il.
LÈPRE SYSTÉMATISÉE NERVEUSE A FORME SIRINGU1111ELIQUE 137
tions thermiques sont seulement affaiblies, excepté sur la plaque sternale
où elles sont abolies. Les troubles sensitifs ne sont d'ailleurs pas exacte-
ment limités par les contours des plaques ; ils empiètent ra et là sur les
téguments du voisinage, dont l'apparence est restée normale, et ils font au
contraire défaut sur certaines parties de l'aire des taches. Celles-ci se sont
développées pendant les grands froids de l'hiver ; elles s'effacent graduel-
lement à mesure que la température s'élève. Au moment où nous écrivons
ces lignes (14 février), elles sont à peine visibles.
IV.
Le cas que nous venons de rapporter n'est pas le seul où la lèpre ait pris
les apparences symptomatiques de la syringomyélie au point de donner le
change, môme après un examen clinique des plus complets. Il en a été
publié un certain nombre d'autres, parmi lesquels il convient de signaler
deux observations récentes qui sont dues l'une à M. Thihierge (1), l'autre
à M. Chauffard (2).
La première a trait à un malade qui a plusieurs fois séjourné dans divers
services hospitaliers de Paris et de la province. Tenu pour lépreux à Lille,
dans le service de M. Leloir, son observation, prise par M. Baude, figure
sous cette rubrique dans les Annales de dermatologie (1889, p. 947). Il
est considéré ultérieurement comme syringomyélique par M. Rendu (3) ainsi
que par M. Bruhl (4). Il s'agit, dans ce cas, d'un homme de 4.5 ans, né à
Spa (Belgique) qui, après avoir résidé au Tonkin de 1883 il 1886, vit se
développer sur ses membres inférieurs des ulcères perforants plantaires,
puis de l'atrophie musculaire des extrémités. Il avait, en outre, une paré-
sie des orbiculaires des paupières(occlusion incomplète des yeux), de l'anal-
gésie avec thermo-aneslhésie aux bras et aux jambes. Les nerfs cubitaux
étaient tuméfiés, indurés et sillonnés de nodosités moniliformes qu'on
pouvait percevoir sur une largeur de plusieurs centimètres. Pas de dévia-
tion du rachis.
L'observation de M. Chauffard est celle d'un homme de 4.1 ans qui a fait
deux ans de service militaire à la Guyane et huit mois au Sénégal. La mala-
die a débuté à 39 ans par de l'amyotrophie des mains. On constata, plus
tard, une parésie atrophique très marquée des muscles de la face, de la dis-
(1) Thibierge. Un cas de lèpre systématisée nerveuse avec troubles sensitifs se rappro-
chant de ceux de la syringomyélie. Soc. méd. des hôp., 13 mars 1891.
(2) Chauffard. Lèpre systématisée nerveuse simulant la syringomyélie. Soc. méd. des
hop., 4 novembre 1892.
(3) Société médicale des hôpitaux de Paris, séance du 27 février 1891.
Brulil. Contribution à l'étude de la syringomyélie. Thèse de Paris, 1889-90. Obser-
vation VIII (communiquée par M. Chipault), p. 154.
vi 10
13S NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
sociation syringomyélique très nette de la sensibilité sur les membres supé-
rieurs, le tronc, le crâne et la face. Le nerf cubital très hypertrophié était
un peu noueux. Pas de lâches. Pas de déviation de la colonne vertébrale
(du moins il n'en est, pas parlé dans l'observation).
Ces faits démontrent, semble-t-il, que la symptomatologie de la lèpre
peut, dans ses grandes lignes, se superposer pour ainsi dire, il celle de la
syringomyélie et rendre le diagnostic très difficile sinon impossible de prime
abord. Les troubles trophiques n'ont rien de caractéristique ; on les re-
trouve dans l'une et l'autre affection avec leurs localisations et leurs formes
variées. Les dissociations sensitives que quelques auteurs considéraient na-
guère comme propre à la syringomyélie, s'observent dans beaucoup d'au-
tres circonstances. Rosenbach (1) les avait constatées dans la lèpre.
MM. Quinquaud (2), Leloir et Baude (3), Thibierge (4), Marestang (5),
Chauffard (6), en ont également cité des exemples; nous même en fournis-
sons une observation probante.
Ces dissociations sensitives se retrouvent d'ailleurs dans l'hystérie (7),
dans les névrites périphériques vulgaires (8) dans le tabès (9). Elles n'ont
donc pas la valeur pathognomonique que certains auteurs et entre autres
M. MOlTo\\' (10) ont voulu leur attribuer et on ne saurait plus tabler sur
elles pour asseoir un diagnostic différentiel.
En comparant, avec les observations de syringomyélie franche, les faits
de M. Thibierge, de M. Chauffard et le nôtre nous relevons quelques par-
ticularités sur la signification desquelles il nous semble bon d'insister.
1. - Ces trois malades avaient antérieurement vécu dans des pays où
la lèpre est endémique. Le premier était resté pendant trois ans, en Algé-
rie et au Tonkin ; le second avait été soldat à la Guyane française pendant
(1) Rosenbach. Ueber die neuropathischen. Symptôme der Lepra, Neurologisches Cen-
tl'alblatt, 4 août 1884.
(2) Quinquand. Les troubles de la sensibilité chez les lépreux, Bull. de la Soc. franc,
de Dermatologie, 1890, p. 118.
(3) Baude. Loc. cil.
(4) Thibierge. Loc. cil.
(5) .Marestang. Contribution à l'étude du diagnostic différentiel de la lèpre anesthési-
que et de la syringomyélie. Revue de médecine, 1891.
(6) Chauffard. Loc. cit.
(7) Pitres. Leçons sur les anesthésies hystérique, Bordeaux 1887. Leçons cliniques sur
l'hystérie et l'hypnotisme 1891. Charcot. Leçons du mardi.
(8) Babinski, Soc. méd. des lc6p., séance du 4 nov. 1892. Discussion à la suite de la
communication de lI. Chauffard. - Charcot fils. Dissociation de la sensibilité dans les
traumat. des nerfs. Soc. de biol. séance du 10 déc. 1892.
(9) Joffroy et du Cazal. Soc. méd. des hôp., 13 mars 1891. Discussion à la suite de la
communication de Ici. Thibierge.
(10) The diagnosis of Leprosy, especially the differentiatÏo¡1 of the anesthetic fortl1. from
syringomyela. J01t1'1 ! . 0/' CIII(1 ? 1. and Glenilo. Urinary diseases, janvier 1890, p. 1.
LÈPRE SYSTÉMATISÉE NERVEUSE A FORME SYXINGOMYÉLIQUE '139
2 ans et au Sénégal pendant 8 mois ; le troisième enfin a, pendant six ans,
exercé son métier de couvreur à la Martinique. Ces renseignements doivent
être pris en très grande considération et peser d'un grand poids dans la
discussion du diagnostic. On comprend néanmoins qu'ils ne suffisent pas
pour trancher d'une façon péremptoire la question : ils ont la valeur de
probabilité, rien de plus.
2. La maladie, chez les trois sujets que nous avons en vue, s'est
montrée chez des adultes. Elle a débuté dans les cas de M. Thibierge et de
M. Chauffard à 40 et 39 ans, dans le nôtre, il l'âge de 29 ans. Or l'évolu-
tion de la syringomyélie commence généralement dans le jeune âge. Néan-
moins l'argument qu'on pourrait tirer de l'âge auquel a débuté ou a paru
débuté l'affection est des plus spécieux ; en effet la lèpre peut se montrer
chez les tout jeunes enfants et sous des modalités très diverses et la syrin-
gomyélie, se manifester dans l'âge mûr sans qu'on trouve dans le passé des
malades un antécédent susceptible d'être mis sur le compte d'une affection
médullaire.
3. Dans les trois cas de lèpre à forme syringomyélique que nous
venons de citer, on a noté des symptômes céphaliques. Le malade étudié
par MM. Leloir, Baude et Thibierge a eu de l'anesthésie périorbitaire et
une paralysie bilatérale de l'orbiculaire palpébral. Celui de M. Chauffard
avait une parésie de presque tous les muscles de la face et la dissociation
sensitive intéressait le visage jusqu'au niveau d'une ligne circulaire qui
circonscrirait le sommet du crâne en passant par le sommet du front, de
l'occiput et des tempes. Dans notre cas, les muscles de la face étaient épar-
gnés, mais la dissociation sensitive occupait les régions sus-orbitaire et
frontale.
Sans doute ces troubles céphaliques ne sont pas sans importance, mais
appartiennent-ils exclusivement à la lèpre ? Force est de répondre par la
négative.
Pour ce qui est des troubles sensitifs, M. Roth a noté (1) la participation
du trijumeau et particulièrement de sa racine ascendante dans 5 cas de sy-
ringomyélie sur 18 ou 19. L'anesthésie partielle de la face et des muqueu-
ses ne serait donc pas rare dans cette affection.
La plupart des nerfs crâniens peuvent d'ailleurs être troublés dans leurs
fonctions lorsque le processus syringomyélique gagne le bulbe. C'est ainsi
que chez deux syringomyéliques dont le diagnostic a été vérifié par l'au-
topsie et dont M. Ghabanne a relaté brièvement les observations dans sa
(1) Roth. Du diagnostic de la gliomatose médullaire. Recueil des travaux de neuro-
pathologie et de psychiatrie dédié par ses élèves à M. le professeur Kochvnikoff à pro-
pos du 2u' anniversaire de sa thèse inaugurale, 1890. Cité par il. A. Raichline dans sa
thèse : Sur un cas de syringomyélie avec manifestations bulbaires, Paris, 1892, page 48.
0 NOUVELLE ICONO G R A 1» U IE DE LA SALPÊTRIÈRE.
thèse (1), l'un de nous a observé de l'ltémiatropllie linguale et une paraly-
sie du voile du palais; dans un des cas on constatait en outre une hémia-
trophie de la face, dans l'autre, une simple hémiparésie. M. Raicltline (2)
qui a consacré sa thèse à l'étude des manifestations bulbaires de la syrin-
gomyélie, a montré que si la participation du bulbe est rare au début et ne
se manifeste, dans la majorité des cas, que par des troubles de la sensibilité
du côté de la face et des muqueuses, les accidents bulbaires sont plus fré-
quents et beaucoup plus graves aux périodes ultimes, quand le processus
morbide généralisé dans la moelle épinière envahit les noyaux d'origine
des nerfs crâniens et surtout des pneumogastriques.
Si donc les symptômes céphaliques sont plus rares dans la syringomyélie
que dans la lèpre ils n'en existent pas moins dans celle dernière maladie
et leur constatation ne permet pas de conclure sûrement dans un sens plu-
tôt que dans l'autre.
4 On en peut dire autant des déviations du rachis. Elles sont, en effet,
très fréquentes dans le syringomyélie et tout à faitexceptionnelles dans la lè-
pre. Elles faisaient défaut notamment dans les trois cas do lèpre systémati-
sée nerveuse que nous étudions, mais elles manquent aussi dans un bon
nombre de cas de syringomyélie de telle sorte qu'on ne saurait leur accor-
der une très grande valeur dans le diagnostic différentiel des deux affec-
tions.
5 L'hypertrophie des nerfs cubitaux est un symptôme que tous les
auteurs qui se sont occupés de la lèpre considèrent comme capital.
Ces nerfs étaient augmentés de volume et noueux chez les malades de
M. Thibierge et de M. Chauffard ; dans notre cas, ils ne présentaient aucune
inégalité; ils étaient très réguliers, quoique peut-être un peu plus gros
que normalement, mais d'un calibre et d'une consistance uniformes. Ils ne
se différenciaient en rien comme calibre et comme consistance des nerfs cu-
bitaux d'un syringomyélique vrai dont un filet nerveux superficiel examiné
au point de vue bacillaire s'est montré dépourvu de bacilles.
Ainsi donc les nerfs cubitaux peuvent, dans des cas de lèpre nerveuse bien
avérés, être indemnes de toute nodosité.
6- La présence de larges macules hyperhémiques et de troubles sensitifs
à leur surface est un symptôme qui, jusqu'à plus ample informé, appar-
tient en propre à la lèpre. Ces tâches n'ont pas été constatés par MM. Thi-
bierge et Chauffard; elles sont d'ailleurs le plus souvent très fugaces. Dans
(t) Cliabanne, Contribution à l'étude de l'lténtiatrophie de la tangue, 7'/t. de Bordeaux,
1891.
(2) Raichline, loc. cil,
LÈPRE SYSTÉMATISÉE NERVEUSE A FORME SYRING01111'ÉLIQUE 'Ht
notre cas elles ont apparu alors que le microscope avait déjà levé les incer-
titudes du diagnostic.
7 C'est en effet dans l'examen bactériologique pratiqué avec toutes les
précautions que nous avons prises dans nos recherches et qui ont été indi-
quées dans la communication faite par l'un de nous à l'Académie de mé-
decine, qui réside le principal, nous serions môme disposés à dire, le seul
élément certain de diagnostic dans les cas douteux.
A. Pitres, J. SABRAZÈS,
Doyen de la Faculté .. Cher du laboratoire de la Clinique.
de médecine de Bordeaux.
NOTE SUR UN CAS D'I11'PERTRICE10SE DE LA
PARTIE INFÉRIEURE DU CORPS CHEZ UN ÉPILEPTIQUE
L'hypertrichose localisée a ta partie inférieure du corps et aux membres
inférieurs se développe quelquefois en conséquence de lésions de la moelle
épinière, myélite chronique (Scllieferdecl : er) , paraplégie traumatique
(Jelly), pachy-méningite spinale (1). On la range parmi les troubles tro-
phiques, et on l'assimile aux hypertrichoses plus fréquentes que l'on
observe sur le trajet des nerfs blessés. Dans tous ces cas le principal carac-
tère de la nature pathologique du développement exagéré des poils consiste,
en dehors de la localisation, dans la netteté de ses limites qui tranchent
sur les régions voisines. Cependant, en dehors des noevi qui paraissent
d'ailleurs plus fréquents chez eux (2), on peut observer chez des dégénérés
des hypertrichoses locales qui peuvent en imposer par leur distribution
pour des hypertrichoses symptomatiques. L'exemple suivant m'a paru di-
gne de remarque.
B..., 28 ans.
Antécédents héréditaires : Père mort phthisique à 52 ans. Mère,
atteinte de strabisme convergent du côlé droit a été sujette à des pertes de
connaissance pendant sa jeunesse ; sa mère et une de ses soeurs sont mor-
tes paralysées. Elle avait 39 ans quand B... son fils unique est né; au
sixième mois de la grossesse elle avait eu une grande frayeur.
Antécédents personnels. B... est né il terme et facilement. Il a marché
à 18 mois, n'a pas eu de convulsions. Variole et rougeole. Premier accès
d'épilepsie à la suite d'une frayeur à t'age de' ans. Pendant deux ans et
demi les attaques se reproduisent environ tous les deux mois, puis se sus-
pendent pendant deux ans. Il a commencé alors à avoir des vertiges, il
sentait quelque chose qui lui serrait la gorge et il se frappait la poitrine.
Après la mort de son père, il avait onze ans, les accès sont redevenus plus
fréquents et plus forts.
Ses accès étaient annoncés d'abord par un engourdissement dans le
pouce gauche qui se fléchissait dans l'adduction. Depuis plusieurs années
l'accès est précédé par une sensation de houle qui monte du nomhril vers
la gorge. Le bras et la jambe gauches se convulsent les premiers, perte de
connaissance, quelquefois miction, quelquefois morsure de la langue. Plu-
(1) Poumayrac, Élude sur les hypertrichoses. Th. Bordeaux, p. 6 î.
(2) Ch. Féré, Note sur la fréquence et sur la distribution de quelques difformités de
la peau chez les épileptiques (C. IL Soc. de biologie, 1893, p. 57). - Filandeau, Étude
sur les noevi, th. 1893.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpétrièrt T. VI. PL. XIX.
PHOTOTYPE négatif A. LONDE PHOTOCOLLOGRAPHIE Chêne ET Lonouet
HYPERTRICHOSE CHEZ UN ÉPILEPfIQUE
, 1. j3ATTAILLE ET ....cI ?
éditeurs
HYPERTRICHOSE CHEZ UN ÉPILEPTIQUE 148
sieurs fois le malade a conservé de la contracture dans le membre su-
périeur gauche à la suite des accès. Sous l'influence du traitement bro-
mure les accès et les vertiges ont diminué : en 1887 il avait 11 accès et 8
vertiges. Depuis le mois de décembre 1890 jusqu'au mois de mai 1892, il
n'a rien eu ; depuis il a eu un accès et six vertiges.
État actuel. - Taille 1,60, envergure 1,60, poids oscillant de 47 à 51
kilog. Légère asymétrie cranio-faciale, léger aplatissement du côté gau-
che apophyses lémuriennes assez fortes, voûte palatine ogivale, bonne den-
tition, strabisme convergent de l'oeil gauche, la pupille est plus étroite de
ce côté, nystagmus vertical de l'oeil gauche, quelquefois associé à de peti-
tes contractions de l'élévateur de la narine du même côté. B est assez for-
tement pigmenté, ses cheveux et sa barbe sont noirs. Le nez tranche sur
le reste de la figure par son aspect cyanose, de couleur violet foncé. Les
mains sont aussi cyanosées, épaisses. Ces troubles de la circulation augmen-
tent l'hiver; ils paraissent avoir légèrement diminué depuis que le ma-
lade a moins d'accès. La force dynamométriques des fléchisseurs des doigts
est de 45 kilog pour la main droite, de 40 pour la main gauche. Il ne pré-
sente sur les membres et le tronc aucune déformation notable. Il n'a
aucune trace de paralysie, ni de contracture, ni de phénomènes spasmodi-
ques quelconque, pas de troubles grossiers de la sensibilité, pas de dou-
leurs rachidiennes spontanées ou provoquées. Les réflexes tendineux sont
normaux aux membres inférieurs et aux membres supérieurs. Aucun trou-
ble de la marche, ni de la miction, ni de la défécation. Tandis que sur les
membres et la partie supérieure du tronc il n'existe que quelques poils fo-
lets à peine colorés, les membres inférieurs, les fesses et le pourtour du
bassin, sont couverts de poils abondants longs et noirs ; beaucoup de poils
ont deux centimètres et demi de long ; ils forment un véritable caleçon. La
limite de cette hypertrichose est surtout intéressante sur la partie posté-
rieure du corps : les poils s'arrêtent sur une ligne transversale passant un
peu au-dessous de l'apophyse épineuse et de la deuxième lombaire. La pho-
tographie n'a pu rendre qu'incomplètement la différence de coloration de
la partie supérieure de la partie inférieure du corps qui est tout il fait frap-
pante sur le sujet. En avant, la région velue se prolonge des aines vers
l'ombilic en diminuant graduellement el la transition est beaucoup moins
brusque (Pl. XIX).
Ce fait montre que l'hypertrichose à localisation systématique peut se
montrer en dehors des maladies organiques du système nerveux auxquelles
elle est ordinairement liée. Il semble que chez notre malade le développe-
ment anormal des poils soit dû à un trouble d'évolution congénital dont la
nature résle à éclairer. Co. Féré
.Médecin de BicNl'c
SUR UN CAS D'AHTlIROPATI11E TABÉTIQUE
DES DEUX HANCHES
M. le professeur Charcot a rapporté, dans une leçon qui a été recueillie
et publiée par A. Dulil dans l'Iconographie de 18)2, l'observation d'un
homme dont le tabes a débuté à t'age de 28 ans par une arlhropalhie don-
ble et en quelque sorte simultanée des deux hanches. Nous venons d'obser-
ver dans son service un nouveau cas d'arthropathie coxofémoralo ressem-
blant beaucoup au précédent avec quelques différences; ici l'arthropathie
n'a pas été le premier symptôme de l'ataxie ; en outre elle s'est produite
successivement à un intervalle notable dans les deux articulationssymélri-
ques. Il existe d'ailleurs dans la science d'autres faits analogues parmi
lesquels nous rappellerons celui de 0 ! uni)) (1), l'obsenalion publiée par
Boume, ille et Forestier (2), enfin celle de M. Raymond (3).
Comme le dit M. Charcot dans la leçon à laquelle nous faisions allusion :
« Il y a ainsi dans l'histoire du tabes quelques groupements de symplû-
mes, quelques lypes assez bien définis qui, sans nnl doute, répondent à
des localisations précises des lésions médullaires dont on déterminera la
topographie quelque jour. » C'est à ce titre qu'il peut èlre intéressant de
comparer l'observation qui suit à celles du même genre que l'on connait
déjà.
Jean Moneg, âgé de lil ans entre dans le service de M. le professeur
Charcot, le 8 mars 1893.
Antécédents héréditaires. Père : mort il y a 4 ans à 72 ans sans pa-
ralysie. Il était en enfance depuis G mois environ. Il avait probablement
un morbus cota setilis dans la hanche droite, (lepLIIS55 ou 60 ans. C'était
un cultivateur; il ne buvait pas, il s'était très bien porté jusqu'à t'age de
60 ans.
Sa mère a 78 ans ; elle est bien portante.
(1) 01uvî-es complètes de J. 11f. Charcot, L. If, p. 41.
(2) Observation prise dans le service de M. Charcot et publiée dans la thèse de Fores-
tier (Paris, 1814).
(3) Ubservalion XVIII de la thèse de Michel Joseph. (Paris, 1811).
SUR UN CAS D ARTHROPATHIE TABÉTIQUE DES DEUX HANCHES S 145
Grand-père paternel mort à 75 ans, il aurait eu des douleurs rhumatoï-
des dans sa vieillesse.
Grand'mère paternelle : morte à 72 ans.
Grand-père maternel mort vers 60 ans il avait eu la cataracte et l'opéra-
tion avait réussi.
Grand'mère maternelle morte à 20 ans ; elle serait morle d'une fluxion
de poitrine.
Sa mère était fille unique.
Son père avait 3 soeurs et 1 frère du premier lit ; 2 frères et 5 soeurs du
dernier lit. Plusieurs sont morts, mais Jean Moneg ne peut dire de quoi ni
à quel âge. Il a un cousin diabétique du côté paternel au 4e degré. Ces ren-
seignements s'accordent donc pour attribuer au côté paternel l'hérédité ar-
thritique et nerveuse qu'a subie le malade.
Antécédents personnels. - Le malade est fils unique.
Pas de convulsions dans l'enfance, élevé au sein par sa mère.
Rougeole vers 12 ans.
Vers 10 ans rhumatisme articulaire aigu qui a duré 3 ou 4 mois.
Né dans la Corrèze, habite la Corrèze. Scieur de long puis marchand de
vin. Pas d'excès, dit-il. Pas de syphilis. Pas de cicatrice sur la verge.
En somme la seule particularité intéressante est que le malade a eu une
forte attaque de rhumatisme tout à fait généralisée.
On lui mit vésicatoires et sangsues sur,le côté gauche et en. avant. Pas de
délire.
D'après ce que dit le malade il se pourrait bien que les articulations de
la colonne vertébrale mêmes aient été prises. Il faut donc retenir non seu-
lement que cette attaque de rhumatisme a été intense et prolongée, mais
aussi qu'elle paraît avoir touché le coeur si l'on prend en considération la
révulsion énergique qui a été faite sur le côté gauche et en avant.
Début de la maladie actuelle, 1884-1885. En 1884 et 1885 c'est-à-dire
il y a 7 u 8 ans, il éprouva des fourmillements dans les orteils des deux côtés,
surtout la nuit. Dans la journée quand il marchait il ne sentait rien. Cela
dura 2 ou 3 mois. Céphalée qui revenait souvent le soir. Tôle lourde sur-
tout frontale.
La même année il éprouva une douleur dans l'aine du côté gauche. Avec
quelques frictions cela disparut.
Au môme moment ou un peu après le malade ressentit les premières
douleurs en éclair ; elles le surprenaient soit dans la journée au travail et
alors il sursautait soit et plutôt dans la nuit. Elles revenaient tous les mois
environ et elles duraient quelquefois toute une nuit. Elles siégeaient sur-
tout dans le genou, le mollet et le pied. Dans la hanche il ne sentait rien.
146 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Elles étaient, bien entendu, bilatérale. Hyperesthésie cutanée pendant et
après les douleurs (1).
Vers 1887 ou 1888 (2). Il eut aussi vers cette époque des troubles diges-
tifs. Les digestions ont été pénibles pendant 3 ou 4 mois sans grande dou-
leur. Il avait de la céphalée et une pesanteur épigastrique.
1889, Arthropathie de la hanche gauche. Cette dyspepsie revint en
1889 au mois d'août et dura 3 mois environ. A ce moment (en septembre)
il éprouva pour la première fois la sensation de dérobement des jambes;
c'était en montant un escalier.
Il avait remarqué parfois une hyperesthésie des lèvres au contact et par
contre de l'anesthésie des gencives surtout à droite. Cela revient de temps
en temps encore.
En novembre en maniant un fût de vin de 134 litres sur le chariot, dans
sa cave, il fit un faux mouvement d'abduction brusque et forcée de la cuisse
gauche en dehors et il éprouva aussitôt une douleur assez vive dans l'aine
de la hanche gauche, en môme temps qu'il entendit un craquement. Il est
probable qu'il se fractura le col du fémur. Le malade ne tomba pas. il
se produisit rapidement du gonflement. Il continua à marcher pendant
8 jours ; le mouvement de llexion de la cuisse sur le bassin étant très
pénible, puis il fut obligé de s'aliter. Il resta au lit 3 mois.
Le médecin fit le diagnostic de luxation, dit-il, sans essayer la réduction.
Il eut beaucoup de peine à marcher jusqu'en juin.
C'est à cette époque qu'il éprouva les premiers phénomènes vésicaux,
cela consistait soit en ténesme vésical (formes audias) ou en difficulté pour
uriner. Il eut les mêmes symptômes du côte du fondement.
1890, 1° Crise gastrique. -Il alla à la Bourboule de juin à juillet ('1890).
(Bain, douche dans le bain et eau minérale à l'intérieur). Il ne pouvait pas
supporter la douche sur la colonne vertébrale. Au bout de 10 jours il fut
pris la nuit d'une crise de douleurs dans le ventre, puis dans l'estomac. Il
eut d'abord des nausées sans pouvoir vomir; on lui donna un vomitif et il 1
continua à vomir pendant 3 jours. Il vomit surlout des glaires; il ne pouvait
rien supporter. On lui dit qu'il avait bu avec excès de l'eau minérale. Mais
il a eu là une crise de la gastrique bien caractérisée : la douleur le prenait
des deux côtés du ventre au-dessus de l'aine « pour venir se fixer à la région
épigastrique » suivant la description de Charcot.
(1) Aphonie ou dysphonie transitoire qui durait une demi-journée environ et revenait
tous les 2 ou 3 mois. Ces troubles de la voix ont disparu en 1889 depuis sa première
saison de la Bourboule. Toux nerveuse surtout le soir qui vint et disparut avec les trou-
bles de la voix.
(2) Il vit double pour la première fois ; cela dura d'une façon permanente pendant 2
ou 3 mois. Depuis cette diplopie n'est pas revenue.
SUR UN CAS D'ARTHROPATHIE TABÉT1QUE DES DEUX HANCHES 147
Déjà il avait eu une crise analogue au moment où il avait pris le lit pour
sa hanche gauche. On lui avait fait une piqûre de morphine ; il fut pris de
vomissements surtout bilieux qui durèrent 2 jours.
Il revint à Paris immédiatement pour repartir en août à la Bourboule.
Il y fit une saison de 21 jours environ.
Après cette saison i I avait plus de force dans sa jambe et se trouvait mieux
d'une façon générale. Il pouvait marcher un peu avec un bâton et recom-
mencer à reprendre ses occupations chez lui.
1891, Arthropalhies de la hanche droite. Au mois d'avril 1891 la
cuisse droite commença à enfler le soir. Le gonflement siégeait surtout à
l'aine ; il y avait là, dit-il, « des glandes ». L'enflure disparaissait en par-
tie le matin. Il y avait un mois environ qu'il avait remarqué cette enflure
lorsqu'un jour, après un trajet de chemin de fer de 5 heures dans une
foire où il était allé pour vendre une jument; sa jambe droite fléchit com-
plètement sous lui au point qu'il mit un genou en terre. Il n'éprouva que
peu de douleur à ce moment ; il put regagner à pied le chemin de fer. Le
gonflement de la cuisse et de la hanche augmenta sans que le malade éprou-
veut de la douleur ou de la fièvre.
De retour chez lui, le lendemain, il avait un gonflement de tout le mem-
bre inférieur droit (Il mai 1891). Il souffrit pendant 2 jours de douleurs
très pénibles, mais fixées dans toute la jambe.
Il resta 3 mois au lit sans bouger la jambe droite qu'on lui avait défendu
de remuer. Il n'avait pas d'appareil.
Pendant cette période il eut une crise de vomissements qui dura 7 à 8
jours. Douleurs dans le ventre et dans l'estomac ; vomissements glaireux.
Il ne pouvait rien garder.
C'était donc la 2° crise gastrique. En fin juillet 91 il repartit pour la
Bourboule. Il retira moins de profit de cette saison que de la précédente.
Voyant qu'il n'allait pas mieux et sous le coup d'une sensation d'éner-
vement qui l'empêchait de rester en place et qui siégeait surtout dans les
hanches, dit-il, il partit le 2 octobre pour La Malou. Il y resta 25 jours
environ. (Bain et piscine).
Au bout de 7 à 8 jours il eut encore du gonflement de la jambe droite
surtout vers les chevilles. Maintenant encore lorsqu'il a marché un peu
trop il a de I'oedème des malléoles du côté droit seulement.
De retour de La Matou il se trouva un peu mieux, mais en décembre 1891
il fut pris comme d'ordinaire par des douleurs de ventre puis des crampes
d'estomac ; il eut des nausées et des vomissements surtout glaireux. Cela
a duré G à 8 jours environ (3" crise gastrique). La crise est suivie de quel-
ques jours de fatigue, après lesquels il se sent plutôt mieux.
148 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
1892. Nouvelle crise en mars 92 puis en' juin (lie et De crises gas-
triques).
Après la crise de juin il alla à La Malou en juillet. Il se trouva bien de
sa saison. En novembre nouvelle crise, une autre en lin décembre (6° et
7e crises gastriques).
1893. La dernière est survenue au commencement de février. A
cette dernière crise il a souffert davantage de l'estomac. Ces crises auraient
donc une tendance à devenir de plus en plus fréquentes.
Entre ces crises le malade a quelquefois des douleurs dans les épaules
ou dans les reins ; mais ces douleurs ne sont pas aussi \ ives que les dou-
leurs de jambes.
Autres symptômes. - Le malade signale de l'engourdissement cubital.
Il y a 4 ans vers la mi-novembre 1887 le malade éprouva pour la pre-
mière fois de l'engourdissement du petit doigt du côté gauche, comme s'il
était mort. Cela dura environ d'une façon permanente pendant 3 mois. Cela
a coïncidé avec la diplopie. '
Vers la même époque il aurait vu aussi le scotome scintillant : « c'étaient
des traits de feu en zigzags ». Mais sans qu'il y eut simultanéité entre le
scotome et l'engourdissement du petit doigt gauche. Il n'a jamais eu l'en-
gourdissement du petit doigt à droite
État actuel. - Actuellement il souffre surtout de la difficullé qu'il a
pour marcher.
Moneg Jean a les apparences d'une bonne constitution. Il était en effet
robuste et fort au travail.
Examen des yeux. Son facies n'a rien de particulier, sauf une inéga-
lité pupillaire bien nette sinon très apparente. Les pupilles d'ailleurs ne
réagissent pas à la lumière - mais l'accommoda lion esl normale des deux
côtés.
L'acuité visuelle a un peu diminué. La lumière vive, le soleil ou le feu,
les charbons ardents, est mal supportée par le malade : il est obligé de se ga-
rantir les yeux. Il a môme des conserves pour se protéger du soleil de la
route. Cette légère photopsotie dure en effet depuis 4 ans.
Pas de dyschromatopsie. Pas de lésions du fond de l'oeil.
Examen du malade nu. Examiné nu et en face Jean Moneg présente
un élargissement des hanches, une obliquité excessive des cuisses en dedans
et en bas, due il l'écartement qu'elles ont subi à leur racine. Les talons
étant réunis il reste un espace de plusieurs centimètres enlre les cuisses,
les genoux et les jambes (pl. 1). Pour se tenir en équilibre le malade
reporte la partie supérieure du corps en arrière. L'équilibre est d'ail-
leurs un peu instable. Le malade oscille continuellement. Si on lui dil
de fermer les yeux, il perd alors l'équilibre foui à fait. La taille est de
Nouvelle Iconographie Dr la Salpétrièrh T. VI PL XX.
Phototype négatif A. LONDE PHOTOC01.LOGRAPHiE Chêne ET Longuet T
ARTHROPATHIES TABÉTIQUES DES DEUX HANCHES
Ec.irtement anormal des deux cuisses
. J3ATTAILLE ET ....cIl ?
ÉDITEURS
Nouvelle Iconographie de la SALPÉTRIl1 : Rr r. VI PL. XXII,
PHOTOTYPE négatif A LONDE PHOTUCOLLOGRAPHIE Chêne LT LONOUl-T
ARTHROPATHIES TABÉTIQUES DES DEUX HANCHES
Dans cette position les têtes fémorales sont luxées au-dessus et en article
des cavités articulaires et viennent faire saillie sous la peau
l3ATTAILLE et ...cI ! !
éditeurs
Nouvelle Iconographie Dr la Salpétrièrc '1. vi PL. X,t.
PHOTOTYPE négatif A. Londe Photucollographie Chêne et Lomouh
ARTHROPATHIES TABÉTIQUES DES DEUX HANCHES
Obliquité anormale du pli fessier
^Battaille et ...cil !
éditeurs
SUR UN CAS D'ARTIII ! OI'ATlI18 TABÈT10UI ! DES DEUX UANCUES 149
lu. 57 au lieu de 1 m. 65 qu'il avait z 21 ans. Comme il dit avoir grandi
un peu après 21 ans, il aurait baissé de plus de 8 centimètres.
D'autre part l'élargissement des hanches est manifeste. Grâce à cet élar-
gisement la ligne du bassin prend une forme arrondie exagérée comme
dans le sexe féminin. Mais tel qu'il est le diamètre transversal du niveau
des hanches reste an-dessous du diamètre des épaules.
L'examen attentif des hanches, donne l'explication de ces deux modifi-
cations des proportions du corps ; diminution de la taille et élargissement
des hanches.
Quand on palpe la région on se rend facilement compte que le bord su-
périeur du grand trochanter est fortement remonté par rapport au bassin.
Il est immédiatement au-dessous de la crête iliaque et fortement reporté
en dehors par rapport à celle-ci, de telle sorte qu'il faut déprimer forte-
ment les téguments pour arriver sur la crête iliaque. Il en résulte que le
bord supérieur du grand trochanter au lieu de correspondre au milieu du
pli de l'aine comme dans l'état normal est en réalité au-dessus de l'épine
iliaque antérieure et supérieure. Nous pensons rejeter ici ce que M. Char-
cot disait de Piq... dont il a rapporté l'observation dans sa leçon : « Le
bassin est donc descendu dans son ensemble entre les fémurs qu'il a écar-
tés,.les tètes fémorales ayant glissé dans les fosses iliaques externes. » Vu
de dos le malade présente un aplatissement des fesses et une obliquité
anormal du pli fessier en haut et en dehors. En voici l'explication : « L'é-
largissement des hanches entraine l'aplatissement des fesses et l'abaissement
du bassin a pour conséquence une obliquité du pli fessier qui d'horizontal
devient oblique de bas en haut et de dedans en dehors. Ce changement de
direction s'explique facilement par la descente de l'ischion qui maintient
l'extrémité interne du pli fessier » (l'1. XXI).
Quand la malade étant debout, on lui dit de se pencher en avant on voit, : 1 un certain degré d'inclinaison en avant, les fémurs se déboiter tout à
coup et les grands trochanters se reporter en arrière pour apparaître sous
la peau (Pl. XXII).
Il semble alors que le tronc soit suspendu à deux membres inférieurs.
Cette luxation spontanée et temporaire est indiquée par un craquement et
un ressaut très net dû probablement à un mouvement d'échappement de
tètes fémorales hors des cavités articulaires.
Examiné de côté, le malade offre un peu l'attitude en cordon de la pa-
ralysie pseudo-hypertrophique.
11 semble que par ce renversement du corps en arrière, le malade cher-
che à assurer le maintien des tètes articulaires dans leur cavité. En effet
ici il ne s'agit pas de cambrure lombaire; il y a un mouvement de rotation
du bassin autour de son axe transversal de façon à ramener en arrière la
150 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
base du sacrum. Dans le décubitus horizontal la dislocation des hanches
est également très manifeste. Quand on a saisi le grand trochanter on peut
lui imprimer un mouvement de va et vient assez étendu d'avant en arrière
sans d'ailleurs que le malade perçoive aucune douleur : il s'agit là d'une
mobilité anormale. Il n'y a pas d'empalement autour des hanches.
Jean Moneg marche avec peine, il se déhanche ; la fatigue vient rapide-
ment. Il est obligé de s'aider de cannes et cela est à peine suffisant.
Force musculaire intacte à la jambe gauche, un peu diminuée à la jambe
droite. Moindre résistance au mouvement d'extension à droite. 4
Pas d'atrophie musculaire. -
Aux mains le dynamomètre donne 50 à droite, 45 à gauche.
Réflexes rotuliens : abolis. Réflexe du coude normal à gauche diminué
à droite. Réflexe du poignet également diminué à droite.
Pas de troubles de la sensibilité au loucher, même pas de retard. Cepen-
dant à la ellcive droite le Loucher est bien moins perçu qu'a gauche.
D'autre part le contact de la lèvre ou de la moustache cause un chatouille-
ment qui n'existe pas à gauche. Un peu de retard aux jambes pour la sen-
sibilité à 50° ou à 0°.
Pas de trouble du goût, ni de l'odorat, ni de l'ouïe.
Constipation légère avec rémission.
Sensation de froid aux pieds depuis le début de la maladie dès 1885.
Coeur : souffle diastolique doux à la base, se propageant vers l'appendice
xiphoïde le long du bord droit du sternum.
Pointe du coeur dans la 6e espace intercostal ou du moins, derrière la
6e côte un peu en dehors. Pouls bondissant. Pas d'athérome radial ou fé-
moral.
Pouls capillaire.
Palpitations depuis 12 ans environ. Pas d'étourdissements.
Quelques migraines peu marquées étant jeune homme.
Caractère devenu un peu irritable. Depuis quelque temps cauchemars
(précipice affreux).
Urines : ni albumine, ni sucre. Nous joignons à cette observation la note
que M. le D'' Richer, chef de laboratoire de M. Charcot, a bien voulu nous
remettre au sujet de Jean Moneg, M. Richer qui a étudié d'une façon toute
particulière les proportions du corps humain (1) fait ressortir dans les li-
gnes qui suivent les principales modifications apportées à ces proportions
par la double arthropathie coxo-fémorale dont est atteint notre malade :
« Chez un sujet normal la ligne épitrochantérienne est située à environ
(1) P. Richer, Nouvelle Iconag1'aphie de la Salpêtrière, 1892. Canon des proportions du
corps humain et note in leçon déjà citée de M. Charcot.
SUR UN CAS D'ARTHROPATHIE TABÉTIQUE DES DEUX HANCHES 151
5 centimètres au-dessus de l'épine iliaque antérieure et supérieure. Elle
coupe en avant le pli de l'aine en son milieu et aboutit en arrière au som-
met du sacrum.
Chez le malade, la ligne épitrochantérienne est située à 5 centimètres
au-dessus de l'épine iliaque antérieure et supérieure et le milieu du pli
de l'aine étant situé à environ 5 centimètres au-dessous de cette épine,
il s'ensuit que cette ligne qui normalement devrait passer en ce point, en
est distante d'environ 10 centimètres.
Il est de même pour les points de repère postérieurs ; le sommet du sa-
crum qui est placé chez un sujet normal au niveau de la ligne épitrochan-
térienne se trouve chez notre malade descendu de 9 cent. 5.
La taille est actuellement de 1 m. 57, pendant que son livret militaire
porte 1 m. 05. La perte serait donc de 8 centimètres, ce qui ne serait
qu'un minimum si nous nous reportons aux données qui précèdent ».
Au cours de cette observation nous avons signalé les quelques particula-
rités intéressantes qui sont la conséquence de l'arthropathie double de la
hanche ; nous n'y insisterons pas, on peut s'étonner que des lésions aussi
marquées entraînent une aussi légère impotence. Mais parmi les symptômes
qui chez ce malade ont coïncidé avec la double arthropathie coxo-fémorale
quelques-uns méritent peut-être une mention particulière ; nous voulons
parler surtout des crises gastriques. Sur les 5 cas d'arthropathies doubles
de la hanche que nous avons cités, 2 fois il y avait des crises gastriques
dans l'observation d'Audibou et dans le cas publié par Bourneville et Fo-
restier. En y joignant notre observation on aura dans la moitié des cas la
coïncidence de ces deux phénomènes. Il est vrai qu'il ne s'agit ici que d'une
petite série de faits. Par contre les troubles de la sensibilité aux membres
inférieurs ne paraissent pas fréquents dans ces cas. Nous ne les avons rele-
vés que dans l'observation de M. Raymond où il excitait une « anesthésie
des deux jambes presque complète (1) ».
A cela rien d'étonnant puisque le siège de la lésion qui cause l'anesthé-
sie quelle qu'elle soit est différent du siège supposé de la lésion qui amène
les arthropathies.
Le rhumatisme et particulièrement le rhumatisme articulaire aigu n'est
pas souvent noté dans les antécédents dès ataxiques. Nous avons vu le rhu-
matisme chronique signalé dans l'observation de M. Babinski (2) et dans
l'observation V du mémoire de Truc, observation recueillie dans le service
de M. J. Renaut de Lyon (3). Dans notre cas il s'agit de rhumatisme arti-
(1) Loc. citato. ' "
(2) Babinski, Bulletin de Soc. anal., 1887.
(3) Truc, Lyon médical, 1883.
z2 NOUVELLE ICONOGRAPHIE m. LA SALPHTmÈDË
laire aigu etc'est presque certainement lui qui a causé l'insuffisance aorti-
que dont est atteinte J. Moneg. Or dans les observations d'insuffisance
aortique chez les alaxiques, le rhumatisme articulaire aigu paraît avoir été
bien rarement relevé (1). Il faut donc penser il cette coïncidence et à cette
cause possible de la lésion cardiaque.
Enfin au point de vue éliologique nous n'ajouterons qu'un mot relatif à
l'absence de syphilis chez notre malade quoique nous l'ayons recherchée
attentivement (2).
- P. Londe
Interne de la Clinique des maladies du système nerveux.
(1) Bacakakis, Thèse de Paris, 1883.
(2) « Buzzard a mis en lumière la coexistence fréquente des arthropathics et des cri-
ses gastriques dans le tabès. 11 a relevé un ensemble de zig cas d'arthralgics dont 12 2
se compliquaient de crises gastralgiques » (F. Haymond, Vict. encyclop. des se. médi-
cales. Art. Tabes dorsalis). On retrouve donc ici l'existence des crises gastriques dans
la moitié des cas ou à peu près. Pour Buzzard, n les deux phénomènes (crises gastri-
ques et arturopathies) sont liés à des lésions situées dans le bulbe, au voisinage du
noyau d'origine du pneumogastrique » (Ilermann Eichorsl, t. III de sa Path. int., p. 221,
traduct. Dutil).
DE LA MËMNGO-MYËLITE SYPHILITIQUE
ÉTUDE CLINIQUE ET ANATOMO-PATHOLOGIQUE
Travail du Laboratoire de la Clinique des Maladies
du Système nerveux (Suite) (I).
En résumé, un homme de 50 ans, syphilitique depuis un an, actuelle-
ment encore sous l'influence manifeste de l'infection (épididymite double,
syphilides cutanées) et en dehors de toute autre cause, est frappé
presque subitement d'une paraplégie grave. Au bout de 19 jours de
maladie il est dans le même état au point de vue de la motilité des
membres inférieurs : des troubles trophiques (eschares fessières) commen-
cent à se produire; et quelques symptômes légers d'infection secondaire
apparaissent. La mort subite, survenue à ce moment, ne trouve d'ex-
plication satisfaisante à l'autopsie ni dans l'envahissement des centres
nerveux supérieurs, ni dans une thrombose ou embolie d'origine infec-
tieuse. Ajoutons d'ailleurs que les lésions viscérales constatées à l'autopsie
permettent de penser que l'infection secondaire n'en était encore qu'à son
début : nous ferons remarquer en particulier l'intégrité de l'appareil ex-
créteur de l'urine si fréquemment infecté chez les malades de ce genre.
Peut-être la mort subite a-t-elle été causée ici par une altération ancienne
du myocarde qui a été trouvé mou, flasque, jaunâtre à l'autopsie. Bien que
ce point particulier n'ait point été élucidé d'une manière satisfaisante,
nous pouvons dégager de l'histoire de notre malade un renseignement in-
téressant : La mort n'a pas été causée par l'infection septique qui ne man-
que pas de se produire dans la plupart des myélites graves et que l'on
pourrait supposer susceptibles de modifier les lésions appartenant en propre
à ces myélites. L'examen microscopique seul a révélé, dans les méninges,
les vaisseaux et dans la moelle, des altérations importantes dont les carac-
tères essentiels peuvent être résumés ainsi :
1° Les altérations méningo-vasculaires sont beaucoup plus étendues en
hauteur que les lésions médullaires ; elles sont en réalité diffuses et on les
rencontre à un degré à peu près égal sur toute la hauteur de l'axe spinal
(l) Voy. le n° 2, 1893.
VI
11
154 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
et jusque sur les méninges bulbaires, alors que la moelle n'est intéressée
que sur une étendue relativement restreinte, au niveau de la région dor-
sale supérieure.
2° Ces altérations consistent essentiellement en une infiltration abon-
dante de petites cellules rondes, munies d'un gros noyau qui occupe pres-
que tout le corps cellulaire et se colore vivement par l'hématoxyline, le
carmin, etc. Ces éléments sont pressés les uns contre les autres en amas
compacts sans interposition de substance intercellulaire; par places péné-
trant la pie-mère et l'espace sous-arachnoïdien d'une façon diffuse, mais
plus habituellement groupés autour des vaisseaux sanguins. Disposés sur plu-
sieurs rangées, en un manchon épais autour des capillaires, ils figurent sur
la coupe transversale de véritables nodules au centre desquels on voit géné-
ralement la lumière du vaisseau plus ou moins oblitérée. Dans quelques
nodules de ce genre occupant la pie-mère, nous avons signalé, clans la ré-
gion dorsale, la présence de cellules géantes typiques : on a ainsi l'appa-
rence complète d'une granulation spécifique.
En ce qui concerne les vaisseaux de calibre contenus dans les méninges,
nous observons un contraste remarquable entre la participation très accen-
tuée de toutes les veines à l'infiltration et l'intégrité complète des artères,
sauf un très léger degré de périartéri te sur quelques artérioles de second
ordre. Ce sont les mêmes petites cellules rondes qui envahissent les parois
veineuses, et en telle abondance par endroits qu'on a peine à retrouver
sur la coupe les éléments normaux de la veine. La néoformation, étendue
d'une façon diffuse à toute la paroi vasculaire, redouble d'intensité au
pourtour des vasa vasorum. La périphlébite existe seule sur certaines vei-
nes ; sur un grand nombre d'entre elles elle s'accompagne d'endophlébite
oblitérante. Enfin à la hauteur de la région dorso-lombaire, dans l'épais-
seur même de la paroi de la veine spinale antérieure doublée ou triplée
par l'infiltration, nous avons pu constater un foyer de nécrose des plus
nets, où les éléments en voie de destruction se coloraient mal, en un
mot une véritable gomme intrapariétale.
3° Dans la moelle elle-même, intéressée ainsi que nous l'avons vu, au
niveau de la région dorsale supérieure, les lésions sont de deux ordres :
a) Les unes résultent de la propagation de l'infiltration méningée; elles
sont évidentes dans la substance blanche au niveau des cordons postérieurs,
à la hauteur de la 1 ? racine dorsale. En ce point, on peut voir, le long
des travées de la pie-mère qui pénètrent la moelle, et dans la paroi des
petits vaisseaux qui occupent ces travées, des amas de cellules rondes sem-
blables à celles qui infiltrent les méninges. Par endroits celles-ci font irrup-
tion au sein même des faisceaux nerveux, et les fibres, comprimées, refou-
lées, sont détruites pour ainsi dire mécaniquement. La photographie
DE LA IIÉNINGO-IIYÉLITE SYPHILITIQUE 155
ci-jointe donne une idée très nette de ce processus d'envahissement (Voir
11g. 4) (1).
b) Les autres sont apparemment indépendantes de l'infiltration méningée.
Elles intéressent d'une part la substance grise centrale sur une hauteur
de 5 à G racines, et d'autre part la substance blanche des cordons latéraux
sur une étendue un peu moindre.
La substance grise, dans toute la moitié supérieure de la moelle dorsale
est creusée de cavités nombreuses qui occupent la commissure et les cornes
antérieures principalement (La présence de ces cavités dans la substance
grise, soit dit en passant, est à mettre en regard de l'anesthésie thermique
constatée chez le malade). Elles se montrentcomblées sur les coupes par un
coagulum, qui rempli légalementpar endroits le sillon médian antérieur. On
a l'impression, après l'examen d'un certain nombre de coupes, qu'il s'agit
là d'un exsudai primitivement liquide, ayant envahi la substance grise cen-
trale par le sillon médian antérieur, pour s'infiltrer entre les éléments de
celle-ci, soit en suivant les gaines périvasculaires, soit en creusant des loges
artificielles au sein du tissu fondamental si délicat de cette partie de la
moelle. Cet exsudat se serait arrêté aux limites de la substance blanche,
qui lui aurait opposé une barrière plus résistante; il aurait cependant
pénétré légèrement dans la partie profonde des tordons latéraux, mais
en diffusant et sans y former de cavités comparables aux précédentes. Les
éléments nobles des cornes antérieures, les grandes cellules ont beaucoup
souffert. Elles sont ratatinées, sans prolongements, chargées de pigment;
elles se colorent mal ; un grand nombre d'entre elles sont entièrement dé-
truites (nous avons vu au contraire que dans les autres régions de la
moelle ces éléments avaient conservé leur apparence normale). Par contre
le tissu névroglique de la substance grise est à peine altéré : le tissu fon-
damental des cornes antérieures parait raréfié, dissocié par l'exsudat
décrit plus haut, lorsqu'on l'examine avec un fort grossissement; mais
on n'y constate pas la moindre prolifération active.
Dans la substance blanche, les lésions que nous avons décrites présen-
tent un intérêt tout particulier eu égard à leur distribution et à leur carac-
tère tout à fait initial. Limitées aux cordons latéraux, et plus spécialement
à la partie postérieure de ces cordons, elles se sont présentées sous la
forme de petits territoires circonscrits, disséminés en plein tissu médul-
laire sain, les uns superficiellement situés sous la méninge infiltrée, les au-
tres (et ceux-là plus nombreux) plus profonds, quelques-uns même au con-
tact de la substance grise; et tous présentant dans leur direction, ce caractère
commun, à peu près constant, d'être orientés dans le sens des septa qui ray-
(1) Iconographie n° 2, 4bye3, p. 96.
156 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
onnent de la pie-mère dans la moelle (Voir Cig.1, Pl. XIII,XIV,XV) (l).Les
plus caractéristiques on t la t'orme d'un ovaleallongé, dont legrand axe secon-
fondavec celui de la travée circonscrite par deux des cloisonsen question. Au
niveau des territoires ainsi disposés, l'examen lepl us attentif ne fait découvrir
rien autre chose que des tubes nerveux dans leur premier stade de destruc-
tion : d'énormes cylindre-axes granuleux, privés de leur gaîne de myéline ;
dans quelques tubes, la myéline transformée en un amas de fines granula-
tions qui ne se colorent pas par le picro-carmin, enfin par endroits, de
simples trous à l'emporte-pièce représentant la place d'un tube nerveux
disparu. A peine le tissu névroglique ambiant a-t-il commencé il prolifé-
rer ; d'infiltrations embryonnaires au niveau de ces territoires dégénérés, il
n'y a pas trace. Ajoutons que le tissu nerveux clans leur intervalle, est par-
failemenl. normal. Mais il convient de placer ici une remarque importante :
les petits champs de dégénérescence que nous venons de décrire se rencon-
trent sur toutes les coupes en plus ou moins grand nombre dans la hau-
teur des 4 ou 5 premières racines dorsales surtout clans le cordon latéral
droit; mais en examinant une série de coupes successives, on constate
qu'ils ne se superposent exactement que dans une faible hauteur. A 4 ou
5 millimètres de distance, leur forme, leur distribution sur les coupes se
modifient notablement. On est autorisé il en conclure que d'une part les
tubes nerveux ne sont altérés que sur une faible étendue de leur parcours,
et que d'autre part le nombre des tubes malades dans la région supérieure
de la moelle est beaucoup plus considérable qu'on ne pourrait se l'ima-
giner d'après l'aspect d'une coupe transversale donnée.
Relativement aux altérations considérables que nous avons signalées dans
les vaisseaux des méninges, les lésions vasculaires observées dans la substance
blanche de la moelle semblent de peu d'importance. Elles sont cependant
très notables il y regarder de près. Les petits vaisseaux qui parcourent les
cloisons conjonctives émanées de la méninge offrent des parois infiltrées
de cellules rondes d'autant plus abondantes qu'on se rapproche plus de la
périphérie. Dans le cordon latéral tous ont un calibre extrêmement réduit
par suite de l'hypertrophie de leur paroi ; les amas de cellules embryon-
naires qui remplissent leurs gaines lymphatiques doivent contribuer d'ail-
leurs pour une part à diminuer encore la lumière de ces petits vaisseaux.
Mais nulle part nous n'avons rencontré les gaines lymphatiques distendues
par des corps granuleux ainsi qu'on l'observe dans certaines formes de
myélites aiguës. D'ailleurs nous avons signalé dans la description la rareté
relative de véritables corps granuleux dans la moelle, particularité qui
tient sans doute au degré peu avancé de la lésion.
(1) Iconographie, n" 2, 1892.
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 157
Quelle relation doit-on établir entre l'infection syphilitique présentée
par le malade et la méningo-myélite que nous venons de décrire ? S'agit-il
d'une coïncidence, d'une complication étrangère à la syphilis, ou bien au
contraire d'une lésion due à l'action directe du virus syphilitique sur la
moelle et ses enveloppes ? Nous devons nous demander tout d'abord si les
lésions constatées peuvent être mises sur le compte de la syphilis, si elles
sont en harmonie avec le processus habituel des lésions syphilitiques. La
néoformation syphilitique, nous dit l'anatomie pathologique a toujours son
point de départ dans le tissu conjonctif ou ses équivalents : jamais elle ne .
frappe primitivement les éléments nobles des tissus (Virchow, Lancereaux).
Or, que voyons-nous ici ? D'un côté des lésions méningées et vasculaires,
de l'autre des altérations des éléments nerveux dans les deux substances de
la moelle. Pour une part au moins, la myélite est évidemment et sans dis-
cussion secondaire il la méningite; la néoplasie cellulaire, qui envahit les
méninges, pénètre de la pie-mère dans la moelle et détruit les tubes ner-
veux.
Restent à expliquer les altérations du cordon latéral et de la substance
grise, en apparence indépendantes des lésions méningées. Les tubes nerveux
qui ont subi une dégénération primitive sont groupés par petits foyers,
dont la forme et la disposition sont tout à fait en harmonie avec la distri-
bu l ion vasculaire dans le cordon latéral. L'existence deces petits foyers nous
paraît s'expliquer tout naturellement de la façon suivante. Les travées
vasculaires sont chargées de cellules embryonnaires qui envahissent par
places le tissu adjacent en détruisant les tubes nerveux plus ou moinspro-
fondément. N'est-il pas tout naturel d'admettre qu'un faisceau de tubes
du cordon latéral ainsi détruit sur un point dégénère au-dessous ou au-
dessus ? et ne doit-il pas en être de même des faisceaux détruits par l'infil-
tration méningée propagée à la périphérie de la moelle ? Une interpréta-
tion semblable a déjà été donnée par M. le professeur Hayem (1) dans deux
cas remarquablement étudiés de méningo-myélite aiguë, à propos de lé-
sions identiques à celles dont il est question.
Pour ce qui regarde la substance grise, nous pensons que les altérations
dont elle est le siège ne sont pas non plus primitives : et nous pourrions re-
produire ici il l'appui les arguments généraux donnés par M. llayem dans le
même travail, tirés de la facilité avec laquelle lasubstance grise participe se-
condairement aux divers processus pathologiques dans la moelle. Mais dans
le cas particulier, nous insisterons surtout sur l'importance des lésions
vasculaires, et la gène circulatoire qui en a forcément résulté. N'est-il pas
rationnel d'admettre qu'un arrêt complet du cours du sang dans les veines
(1) HAYEH, Note sur deux cas de myélite centrale aiguë et diffuse (Archives de phy-
siologie, 1814, p. 603).
158 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
a dû retentir tout spécialement sur celte partie si riche en vaisseaux et si
fine de structure de l'axe spinal. Le premier effet de cet obstacle a été la
stagnation du sang dans les capillaires : d'où nutrition insuffisante, atro-
phie des grandes cellules. On ne saurait dire avec précision quelle est l'o-
rigine de l'exsudat colloïde infiltré dans la substance des cornes antérieu-
res et de la commissure grise. Mais n'est-il pas permis d'admettre que les
conditions mécaniques défectueuses dans lesquelles avait lieu la circulation,
l'augmentation de pression dans les vaisseaux, ont contribué pour une part
au moins à sa pénétration au sein du tissu ? En résumé nous pensons qu'on
doit comprendre de la façon suivante l'ordre de succession et la dépendance
réciproque des lésions constatées : lepto-méningite et a1'l/chnite spinales
étendues à toute la hauteur de la moelle, avec participation des veines mé-
ningées ; altérations secondaires dans la moelle, en partie par propagation
des lésions méningées, en partie consécutivement à la gêne de la circulation.
Mais les néoformations syphilitiques ne sont pas vraisemblablement
seules à affecter primitivement la trame conjonctivo-vasculaire des orga-
nes. Pouvons-nous aller plus loin, et, dans le cas présent, affirmer la na-
ture syphilitique de la lésion, de par ses caractères anatomiques ? Ce n'est
pas dans la moelle elle-même que nous devons chercher ces caractères spé-
cifiques. L'atrophie pigmentaire des cellules, la production d'exsudats
colloïdes, l'hypertrophie des cylindre-axes sont des modifications bien
connues aujourd'hui, et qui se retrouvent dans un grand nombre de pro-
cessus aigus et chroniques n'ayant rien à voir avec la syphilis. D'ailleurs
nous avons considéré ces, lésions comme secondaires; rien d'étonnant alors
si elles n'ont pas de caractères spéciaux. Mais nous devons porter notre
attention sur les méninges et sur les vaisseaux, siège de la néoformation.
Ici nous trouvons tous les signes d'une inflammation intense : néofor-
mation abondante d'éléments embryonnaires, dilatations vasculaires, dia-
pédèse des globules rouges, etc. Mais par un certain nombre de ses carac-
tères, celle-ci s'écarte des inflammations franches, vulgaires, pour se
rapprocher singulièrement, en certains points surtout, des inllammations
dites spécifiques. Nous rappellerons seulement : dans la disposition des
éléments néoformés, la tendance manifeste à se grouper en nodules, la for-
mation de véritables granulations embryonnaires pourvues de cellules
géantes (1); dans l'évolution de cette néoformation, la production de foyers
de nécrose limités, soit dans les parois vasculaires, soitdansl'inGltrationdif-
fuse qui a envahi la moelle par endroits : toutes particularités qui ne se
retrouvent que dans les caractères anatomiques d'un certain nombre d'in-
flammations spécifiques désignés parfois sous le nom de granulomes (Vir-
(1) La présence de cellules géantes dans les lésions spécifiques de la syphilis a été
maintes fois signalée (Bizzozero, Malassez, Baumgarten, Lancereaux).
DE LA lIfÉNINGO-111YÉLITE SYPTIILITIQUE 159
chow) et qui peuvent être réalisées par deux maladies infectieuses, pour ne
citer que les plus vulgaires : la tuberculose et la syphilis. La première
pouvant être éliminée ici en toute certitude, nous nous croyons en droit
d'admettre que les lésions des méninges et des vaisseaux, dans le cas actuel,
présentent des caractères objectifs qui permettent d'affirmer leur nature
syphilitique.
L'observation qui précède peut être considérée comme réalisant sous la
forme la plus commune le type anatomique de la maladie que nous envi-
sageons ici, et dont les caractères essentiels à ce point de vue peuvent être
résumés ainsi :
1° Absence ou très peu d'importance des lésions macroscopiques. Elle
correspond aux paralysies syphilitiques que l'on considérait autrefois
comme étant de nature fonctionnelle, à l'époque où toute l'attention des
observateurs était portée du côté des altérations osseuses du canal rachidien,
et où l'on croyait les ostéites des vertèbres seules capables parmi les lésions
syphilitiques, de produire des paraplégies, par compression de la moelle.
Ce sont les cas auxquels Zambaco, dans sa thèse, faisait allusion quand il
disait que l'absence des lésions anatomiques semblait être la règle.
2° Altérations microscopiques importantes, savoir : leptoméningite et
arachnite spinales avec participation constante des vaisseaux méningés.
Lésions médullaires consécutives aux précédentes .
Nous ajouterons que cette forme anatomique correspond le plus souvent
au type clinique de la myélite transverse dorsale, c'est-à-dire que les symp-
tômes essentiels consistent dans une paraplégie avec participation des
sphincters, avec des variétés très nombreuses dans l'intensité des symp-
tômes et l'évolution clinique.
Le sujet étant ainsi nettement délimité nous signalerons rapidement les
cas analogues que nous avons pu relever dans la littérature.
Heubner, dans son article Syphilis de la moelle du Ziemssen's Itazdb2ccl
signale la prédilection de la néoformation syphilitique pour la périphérie
de la moelle : elle se développe de préférence, dit-il, dans les enveloppes
molles, dans l'espace sous-arachnoïdien; elle peut envahir la substance
médullaire, détruire ou comprimer les racines nerveuses qui en partent.
Ilomolle en 1876 a publié une observation de syphilis spinale, avec
examen anatomique, qui se rapproche de la nôtre à bien des égards (1). La
moelle présentait dans ce cas à l'oeil nu un ramollissement dans la région
(1) IIonou.E, Progrès médical, 1816.
1G0 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
dorsale inférieure. Au microscope, on constatait une myélite, annulaire
diffuse avec méningite. Les éléments embryonna ires, dit l'auteur, son t grou-
pés autour des vaisseaux qui forment autant de centres d'infiltration. Dans
la substance grise, « le tissu, qui paraît raréfié est infiltré çà et là par une
matière amorphe qui s'est colorée par le carmin. A l'union des cornes an-
térieure et postérieure du côlé gauche se voit une sorte de lacune comhlée
par celte matière amorphe qui sépare les éléments de la substance grise. »
M. le professeur IIayem (1874) à propos des deux cas de myélite cen-
trale auxquels nous avons déjà fait allusion, et dont nous avons signalé
l'analogie complète au point de vue des lésions anatomiques avec l'obser-
vation précédente, fait remarquer que l'un des deux malades était presque
sûrement syphilitique, et déclare que l'on n'a pas suffisamment tenu compte
de la syphilis dans l'étiologie de certaines myélites (1).
Dans les publications plus récentes, et principalement depuis que l'on
met en usage couramment clans les laboratoires d'histologie la méthode des
inclusions et les doubles colorations, les auteurs se sont appliqués à dé-
crire et à mettre en valeur les altérations des enveloppes et des vaisseaux
nourriciers de la moelle dans les cas de ce genre. Greiff (2) en 1882 si-
gnale la coexistence de la méningite spinale (arachnite et leptoméningite)
avec les lésions des vaisseaux qui cheminent à la surface de la moelle. Le
premier, il décrit les altérations des veines dans les lésions syphilitiques
des centres nerveux. Il admet qu'il y a une relation intime entre la mé-
ningite d'une part, l'artérite et la phlébite d'aulre part. L'infiltration de
la tunique adventice des vaisseaux accompagne la méningite : l'endartéri te,
l'endophlébite sont secondaires. Toutefois ces deux ordres de lésions peu-
vent évoluer ultérieurement pour leur propre compte et d'une façon indé-
pendante.
Les conclusions du travail de Rumpl' (3) (1885) sur les altérations vas-
culaires dans la moelle des syphilitiques sont en grande partie conformes
aux précédentes. Dans un cas analogue, il constate au niveau d'un foyer
occupant la moelle dorsale une inflammation intense des artères et des
veines, qui sont presque complètement obstruées et dont les parois sont
infiltrées de nombreux éléments cellulaires : les méninges participaient à
l'inflammation. Comme Greiff, et conformément à l'opinion anlérieure-
ment émise par Koester (4), il incline à admeltre que la lésion débute dans
la tunique adventice et dans les vaso-vasorum, les altérations de la tuni-
que interne étant secondaires.
(1) UAYMt, Archives de Physiologie, 1874.
(2) Ueber Ruckenmarck Syphilis (Archiv. V. Psychiatrie Bd. XII).
(3) Ueber Gehirn und Ituck. Syphilis (Arch. V. Psychiatrie Bd. XVI p. 410).
(4) Koester (Berlin, kl. Woch, 1876, n° 31).
DE LA 1ÉNINGO-[YÉLITE SYPHILITIQUE ICI
Gilbert et Lion (1) (1889) admettent que la méningo-myélite diffuse em-
bryonnaire caractérise probablement le stade initial des productions médul-
laires syphilitiques. A propos d'une observation personnelle, ces auteurs
décrivent avec détail cette forme de lésion anatomique. Ici les altérations
ne sont pas le plus souvent appréciables à l'oeil nu. Les lésions microsco-
piques sont représentées par une prolifération luxuriante de jeunes cellu-
les qui occupent plus particulièrement la pie-mère et les prolongements
que celle-ci envoie dans la moelle... Celles-ci s'agglomèrent principalement
autour des vaisseaux, elles pénètrent dans les tuniques vasculaires elles-
mêmes qu'elles dissocient.... la lumière des vaisseaux est ordinairement
étroite ; parfois elle est complètement oblitérée... Enfin les lésions ménin-
gées spinales occupent toute la hauteur ; la moelle n'étant intéressée que
secondairement et dans une région limitée du renflement cervical.
En 1891 Siemerling (2) a rapporté un cas de syphilis médullaire avec
autopsie, qui rentre de tous points dans notre description, et qui présente
des analogies remarquables avec notre observation I. Il s'agit d'une femme
de 47 ans, frappée de paraplégie subite un an après l'accident primitif, et
dont la maladie évolua en moins d'un mois. Les lésions médullaires à l'oeil
nu étaient insignifiantes. Mais le microscope révéla l'existence d'un foyer
de méningo-myélite dans la région dorsale inférieure. Un foyer gommeux
microscopique émanant de la pie-mère, et s'avançant en forme de coin dans
la moelle détruisait une partie du cordon antérieur et la corne antérieure
correspondante. Il existait à ce niveau des lésions importantes dans les
vaisseaux spinaux antérieurs; mais tandis que la veine était complètement
oblitérée, l'artère présentait seulement, une infiltration embryonnaire de sa
tunique adventice. L'auteur relève le contraste remarquable entre l'état
des veines et celui des artères. Ajoutons que les altérations méningo-vas-
culaires se poursuivaient loin du foyer médullaire, comme dans notre ob-
servation I, et qu'elles se retrouvaient jusque dans la région cervicale, avec
le même contraste entre les lésions veineuses et artérielles.
De ces quelques exemples, choisis dans la littérature parmi ceux qui se
rapportent au type de lésion anatomique qui nous occupe, nous ne vou-
lons retenir que ce fait : l'accord unanime à reconnaître l'existence d'une
méningo-myélite avec des caractères à peu près constants, à l'autopsie des
syphilitiques qui ont succombé il une paraplégie évolution plus ou moins
rapide. Les auteurs s'entendent généralement à admettre que les lésions
(1) Gildeut et Lion. De la syphilis médullaire précoce (Archives générales de médecine
1889).
(2) Zur Syphilis des Centralnervensystems (Arch. f. Psychiatrie Bd. XXII IIeft 1).
162 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
premières en date occupent les méninges et les vaisseaux et que les élé-
ments nerveux sont intéressés secondairement, soit par propagation directe
de l'infiltration méningée à la moelle, soit par suite des troubles circula-
toires qui résultent des oblitérations vasculaires. Ces deux modes d'alté-
rations coexistent la plupart du temps, avec prédominance de l'un ou de
l'autre suivant les cas : de telle sorte que l'on serait presque autorisé en
ne tenant pas compte des lésions méningées, parfois très légères dans cette
forme, à décrire à part la phlébite et l'artérite médullaires syphilitiques,
La comparaison de l'artérile médullaire avec l'artérite syphilitique céré-
brale, ingénieusement tentée par M. Lancereaux, conduit à admettre dans
la moelle un processus identique au ramollissement cérébral par thrombose
artérielle (1.) Toutefois le régime circulatoire est ici tellement différent
de celui du cerveau, qu'en l'absence de fait anatomique probant, on peut
dire que l'histoire du ramollissement médullaire est encore à faire aujour-
d'hui. L'apparition d'une paraplégie rapidement développée autorise-t-elle
à elle seule à déclarer que la lésion en cause doit être une thrombose ar-
térielle dans les cas de ce genre ? Notre observation I qui fait mention d'o-
blitérations veineuses très étendues, en regard d'une intégrité à peu près
absolue du système artériel, commande une certaine réserve à cet égard,
tout en étant favorable à l'idée que les troubles circulatoires sont en cause.
Les opinions des auteurs s'accordent assez généralement aussi en ce qui
concerne la forme initiale des lésions vasculaires. Dès qu'Heubner eut dé-
crit l'artérite syphilitique cérébrale (1874) la discussion s'est immédiate-
ment engagée sur ce sujet, et elle n'est certes pas close aujourd'hui. On
sait que, pour Heubner, la lésion débute vers l'endartére, et plus spéciale-
ment entre les lames élastiques de la membrane interne et l'endothélium :
il en résulte un bourgeonnement latéral qui fait saillie dans la lumière du
vaisseau. La tunique adventice est envahie ultérieurement : des cellules
rondes s'accumulent autour des vasa nourriciers, et par l'intermédiaire de
ceux-ci, font irruption jusque dans la végélation de l'endartère : telle est
l'artérite d'IIeubner constituée.
La plupart des auteurs ont reconnu l'exactitude de cette description;
mais l'interprétation a été combattue en ce qui concerne l'ordre de succes-
sion des lésions. MM. Lancereaux, Baumgarten, intervertissant la proposi-
tion, placent la lésion initiale dans la tunique adventice. Koester insiste
sur le rôle des vasa vasorum ; Greiff, Rumpf ainsi que nous l'avons vu,
inclinent à admettre cette opinion. Les altérations de l'endartére seraient
secondaires ; si elles sont parfois en apparence primitives, c'est que celles
des vasa vasorum peuvent rétrocéder à un moment donné. Enfin le fait t
de Siemerling, notre observation I nous paraissent de nature à donner une
(1) LANCEREAUX, Leçons de clinique médicale (Paris, 1892).
DE LA MÉNINGO-MYÉLITB SYPHILITIQUE 163
confirmation éclatante à l'opinion de MM. Lancereaux et Baumgarten. La
lésion artérielle peul êlre saisie ici à sa phase initiale : or la périarlérile
existe seule.
Suivant M. Lancereaux, la présence de gaines lymphatiques autour des
vaisseaux sanguins des centres nerveux pourrait expliquer la fréquence
des lésions syphilitiques dont leurs parois sont le siège, étant connue la
prédilection du virus syphilitique pour l'appareil lymphatique. La même
remarque pourrai I s'appliquer au sac lymphatique qui entoure les centres
nerveux et qui n'est autre que la cavité, arachnoïdienne. Cette hypothèse
très plausible cadre bien avec l'envahissement des vaisseaux de dehors en
dedans.
Pourtant si l'accord est assez général sur ce point, il n'est pas unanime.
Nous ne saurions passer sous silence, même dans cet historique rapide, le
fai très intéressant publié par Moeller en 1891 (1). Il s'agit d'un syphiliti-
que avéré, infecté deux ans auparavant : une paraplégie développée en
quelques heures emporta le malade en moins de mois. La moelle fraîche
paraissait saine à l'oeil nu. Mais le microscope montra des lésions consi-
dérables des vaisseaux méningés, veines et artères, et des altérations dé-
génératives dans la substance blanche de la moelle. La pie-mère offrait une
multiplication cellulaire généralement limitée au pourtour des vaisseaux.
Or un examen attentif des vaisseaux malades montra dans ce cas que le
processus débutait constamment dans la tunique interne des veines et des
artères. On pouvait constater tous les degrés, depuis un léger épaississe-
ment de l'endartère jusqu'à l'oblitération complète; les autres tuniques
restant normales. Sur un petit nombre de vaisseaux seulement, dont la
tunique interne avait végété, il existait une prolifération cellulaire abon-
dante dans l'adventice.
En présence d'un fait semblable, en contradiction avec les précédents,
émanant d'un auteur compétent, la conclusion à tirer est renfermée dans
le dilemme suivant : ou bien la syphilis met en usage deux processus diffé-
rents et inverses l'un de l'autre dans les lésions vasculaires qu'elle produit
(proposition peu satisfaisante pour l'esprit étant donné surtout que le fait
de Moeller se rapporte, comme la plupart des précédents, à une syphilis
récente), ou bien il s'agit, dans le cas actuel, de lésions vasculaires indé-
pendantes de la syphilis. Nous nous garderons bien de trancher la ques-
tion, Moeller lui-même est très réservé dans ses conclusions : il fait remar-
quer seulement que son observation n'est pas favorable à l'opinion de
Baumgarten, Koester, Rumpf, et considère que le débat n'est pas résolu.
La plupart des faits que nous venons de passer en revue, se rappor-
tant à des lésions de date récente, présentent encore les conditions les plus
(1) Moeller, ZurKentniss des R. Syphilis (Annal, f Derm. u. Syph., 1891, p. 207).
164 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
favorables à la solution d'une question du plus haut intérêt, et qui n'a
cessé de préoccuper les auteurs : la spécificité des lésions constatées au
microscope. Il serait certes prématuré actuellement de vouloir indiquer
nettement les caractères différentiels des altérations syphilitiques mé-
dullaires dans les formes que nous avons en vue ici, et cela pour la
simple raison qu'il n'existe pour ainsi dire pas de description anato-
mique précise de myélites aiguës dont l'agent infectieux soit connu. Bour-
ges (1) a publié tout récemment un fait de myélite expérimentale consé-
cutive à l'injection des produits de, cultures atténuées de streptocoques : il
a observé des altérations primitives des éléments nerveux, sans participa-
tion aucune des méninges ni des vaisseaux. Le terme de myélite convient
donc ici à proprement parler, et nous avons vu que la syphilis procède
tout différemment. Mais des recherches plus étendues sont nécessaires pour
permettre de se prononcer à ce sujet. Quoi qu'il en soit, les détails anato-
miques consignés dans notre observation personnelle (foyers gommeux mi-
croscopiques des méninges et des parois veineuses, granulations embryon-
naires avec cellules géantes) et que nous avons trouvés confirmés par d'au-
tres observations, permettent d'affirmer que, dans certains cas au moins,
les lésions de la méningo-myélite diffuse des syphilitiques présentent les
caractères objectifs des lésions spécifiques. Un rapprochement se présente
ici tout naturellement il l'esprit entre les lésions que nous étudions et les
lepto-myélites tuberculeuses, si bien décrites par M. Raymond (2), mon-
trant une fois de plus l'analogie entre les deux infections. Les formes dif-
fuses, dit M. Raymond, sont les plus fréquentes, le gros tubercule de la
moelle étant l'exception; et même dans ces formes diffuses, il n'est pas
rare de trouver, à l'aide du microscope, au milieu de la masse infiltrée la
caractéristique anatomique, c'est-à-dire le tubercule.
Nous n'avons guère envisagé jusqu'ici que des cas récents, pour la plu-
pari mortels a brève échéance, avant que les réactions irritatives du tissu
n'aient pour ainsi dire défiguré le caractère initial des altérations. Lors-
que les désordres anatomiques moins étendus permettent une survie plus
longue, l'aspect des lésions se trouvera singulièrement modifié par l'entrée
en scène de ces réactions secondaires ; pas toujours assez cependant pour
empêcher de reconstituer leur mode d'évolution et de reconnaître dans ses
(1) Société de Biologie, Séance du 18 février 1893.
(2) Raymond. Des différentes formes de lepto-niyéliles tuberculeuses (Revue de méde-
cinq 1886, p. 230). - ,
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPIIILITIQUE 165
traits essentiels le processus méningo-vasculaire précédemment étudié.
L'observation suivante en est une preuve.
Observation IL
Syphilis datant de 1 an. Paraplégie complète développée en 7 jours : paralysie
flasque d'abord, puis contracture au bout de 3 mois. - Rétention d'urine.
scltare sacrée, infection septique. Mort un an 1/2 après le début de la pa-
raplégie (1).
Autopsie. - Lepto méningo-myélite scléreuse, avec participation des vaisseaux
nourriciers de la moelle (périartérite et périphlébite).
Lecl... Emile, 26 ans, employé de chemin de fer, entre à l'IIôtel-Dieu le
24 février 1889. Sans antécédents héréditaires notables. Croup à l'âge de 5 ans ;
trachéotomisé. Pas d'autre maladie grave avant de 25 ans. A cette époque
(octobre 1888) il contracte un chancre induré sur la verge. A la suite, roséole
limitée au tronc; plaques muqueuses à la face interne des joues, dans le pha-
rynx : depuis cette époque il ne s'est pas produit d'autres accidents cutanés sy-
philitiques.
Le 7 octobre 1889 (c'est-à-dire un an après le chancre), le malade est pris do
rétention d'urine ; depuis 7 à 8 jours déjà, il souffrait d'une constipation pres-
que absolue. Il se met au lit, et le lendemain, appelle un médecin qui retire de
la vessie par la sonde 2 litres d'urine. Le jour suivant, il Veut se lever ; mais à
peine a-t-il mis pied à terre qu'il sent ses jambes se dérober sous lui et qu'il
est contraint de se recoucher. L'affaiblissement va en augmentant graduelle-
ment, si bien que le 7e jour, la paralysie est absolue : en même temps survien-
nent des douleurs .spontanées sous forme d'élancements. Pendant les mois qui
ont suivi, état stationnaire de la paraplégie, persistance de la rétention d'urine :
il était obligé de se sonder. Le malade prétend qu'au début de sa paraplégie, les
membres inférieurs étaient complètement insensibles, et que la sensibilité est
revenue au bout de quelque temps.
En novembre 1889 eschare coccygienne qui s'étend vers le sacrum, lente à se
cicatriser, s'accompagne d'un érysipèle.
Janvier 1890. La paralysie, qui avait été llasque jusqu'ici, s'accompagne
de contracture : les jambes se fléchissent par instant sur les cuisses, la raideur
apparaît. Cependant dans les premiers mois de l'année 1890, une amélioration
légère se produit sous l'influence du traitement spécifique : le malade peut dé-
tacher les jambes du plan du lit. Mais bientôt, à la suite d'un nouvel érysipèle
elles redeviennent aussi impotentes qu'au début. La sensibilité reste intacte
sous tous ses modes ; mais le malade ressent des douleurs spontanées violentes
qui, partant des pieds, remontent jusqu'au niveau de l'eschare coccygienne.
Décembre 1890. Même état : les membres inférieurs sont immobiles, con-
(1) M. le Dr Lancereaux dans le service duquel ce malade a succombé a bien voulu
nous permettre d'en publier l'observation, ainsi que l'examen anatomique de la moelle
que nous publions plus loin. Nous l'en remercions bien vivement.
166 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
tracturés, les jambes demi-fléchies sur les cuisses. Quelques mouvements de
flexion et d'extension des pieds seulement sont possibles. Les réflexes patellai-
res sont très exagérés ; on produit très facilement des deux côtés la trépidation
spinale par le redressement du pied sur la jambe. Les masses musculaires de
la cuisse et de la jambe dans leur ensemble sont amaigries : le groupe antéro-
latéral est manifestement atrophié aux deux jambes ; il existe uu méplat très
prononcé à ce niveau. Les muscles sont légèrement douloureux à la pression.
Pas d'oedème des extrémités. Par l'exploration électrique, on n'obtient aucuue
contraction dans les muscles des membres inférieurs ; mais les excitations éner-
giques provoquent des mouvements convulsifs du pied. Persistance de la réten-
tion d'urine ; pas de constipation.
Malgré les pansements antiseptiques, l'eschare sacrée se développe de nou-
veau et fait de grands progrès. A partir du mois de décembre 1890, le malade
présente des poussées fébriles en relation manifeste avec la résorption septique
au niveau de cette eschare. La température s'élève à plusieurs reprises au-
dessus de 39°, et une fois au-dessus de 40°. Il maigrit, perd l'appétit, s'affai-
blit considérablement dans les premiers mois de 1891, et succombe le 12 mai
1891 à la suite d'un nouvel érysipèle de la région sacro-coccygienne.
Autopsie. - Du côté des centres nerveux, pas d'altérations macroscopiques
importantes. Rien d'anormal dans la cavité crânienne : les méninges sont sai-
nes, la pie-mère se détache facilement de la surface cérébrale
Le cerveau est normal à la surface et sur les coupes ; ainsi que la protubé-
rance et le bulbe. Du côté de la moelle, on ne constate aucune altération du
canal rachidien ; les enveloppes spinales paraissent saines il l'oeil nu, les vais-
seaux qui serpentent à la surface de la moelle sont gorgés de sang. Sur les cou-
pes, la substance grise a paru seulement congestionnée dans toute la hauteur.
Poumons. Pas de lésions tuberculeuses ; le lobe inférieur du poumon gau-
che est transformé en un bloc hépatisé : le parenchyme est ferme sur la coupe,
et il présente çà et là des noyaux grisâtres, mais sans foyer purulent. Le coeU/'
est sain. Les reins sont de volume normal, sans adhérence de la capsule; mais
le parenchyme est très décoloré et diminué de consistance. Le foie est augmenté
de volume, présente de la dégénérescence graisseuse, mais pas de lésion syphi-
litique. Le testicule gauche présente au niveau du liile un tissu fibreux épaissi qui
se prolonge avec les cloisons conjonctives de l'organe.
Examen de la moelle épinière après durcissement dans le liquide de Millier.
La moelle nous a été confiée après durcissement. On pouvait constater à l'oeil
nu, une déformation de l'organe occupant la région dorsale supérieure, depuis
la 2e jusqu'à la 5e racine. Dans cette région, la moelle présente une forme obli-
que ovalaire; sa configuration sur la coupe est méconnaissable. La consistance
paraît augmentée ; il existe manifestement une sclérose diffuse étendue à toute
la surface de la coupe, mais surtout prononcée dans la' région postérieure.
La moelle reprend peu à peu sa configuration et sa consistance normales dans
la région dorsale inférieure. A partir de ce point, ou constate l'existence d'une
DE LA MÉPTINGO-111YÉLITE SYPHILITIQUE 167
double dégénération pyramidale très nette, s'étendant jusqu'à la partie inférieure
du renflement lombaire. Cette dernière région paraît absolument saine, à part
la double dégénération en question.
Dans la moelle cervicale, jusqu'au bulbe, les coupes transversales montrent
une dégénération ascendante, parfaitement systématisée des cordons de Goll.
L'examen microscopique a porté sur ce foyer malade, à diverses hauteurs et
sur les régions cervicale, dorsale inférieure et lombaire. Le bulbe, le cerveau,
qui avaient paru sains à l'oeil nu, n'ont pas été conservés.
Coupes au niveau du foger malade (entre la 2e et la 5e racines dorsales).
A un très faible grossissement (obj. 00 Verick, oc. 1) on peut constater, sur
les préparations colorées au picro-carmin ou par la méthode de Weigert, que les
lésions sont surtout médullaires . La pie-mère est peu touchée ; elle est modéré-
ment épaissie ; en outre elle paraît plus adhérente qu'à l'état normal au tissu
médullaire sous-jacent ; car dans les points où elle se trouve écartée de la sur-
face de la moelle, une partie du tissu médullaire est restée adhérente à la face
profonde de la méninge, et il existe une véritable déchirure.
Quant à la moelle elle-même, sa configuration n'est pas reconnaissable : la subs-
tance grise est tellement déformée qu'il faut une recherche attentive pour en re-
connaître les différentes parties. Les cornes antérieures et postérieures du côté
droit sont à peu près conservées ; mais la corne antérieure gauche est rétractée,
atrophiée. Il existe, dans la substance blanche de larges territoires de sclérose,
Fig. 15. Coupe de la moelle dorsale, au niveau du foyer de la lésion, colorée par la
méthode de Veigert. a) Grand foyer de sclérose occupant les cordons postérieurs et les
cornes postérieures ; il présente la coupe de vaisseaux à parois énormes. Le sillon mé-
dian a disparu. b) Petit foyer de sclérose occupant le cordon latéral gauche. c) Région
des cordons antérieurs restée saine (colorée en noir. d) Corne antérieure gauche atro-
phiée. e) Artère spinale antérieur dont les parois sont hypertrophiées et le calibre très
réduit (voir fig. 00).
168 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
bien mis en évidence par la coloration de Weigert. Le plus vaste comprend les cor-
dons postérieurs et envahit la corne postérieure gauche. Tous deux ont uneforme
triangulaire il base élargie, contiguë à la pie-mère. Dans tout le reste delà subs-
tance blanche, il existe une sclérose diffuse, mais moins intense. Une petite ré-
gion des cordons antérieurs, seule a conservé sa configuration normale (Fig. 1S).
Sur les coupes les plus inférieures de cette série qui a 2 ou 3 millimètres de
hauteur, on voit l'artère spinale antérieure présenter tout à coup un épaississc-
ment très marqué de ses parois ; sa lumière est réduite à une fente transver-
sale.
A l'aide de grossissements plus considérables (objectifs 2 à 7 Vésick), on
peut constater que la pie-mère n'est pas seulement épaissie, mais qu'elle pré-
sente en de certains points des amas de petites cellules rondes que l'hématoxy-
line colore fortement en violet. Cette infiltration, peu abondante à la vérité,
s'observe a la face profonde de la pie-mère et avec prédominance dans la ré-
gion postérieure. Elle envahit légèrement le tissu médullaire sous-jacent.
L'examen de l'artère spinale antérieure il ce nivean montre que le rétrécis-
sement de son calibre est dû a une véritable hypertrophie concentrique des tu-
niques musculaires et surtout adventice du vaisseau (fig. 16). Le tissu conjonctif
de cette dernière est beaucoup plus abondant et plus dense qu'à l'état normal. De
plus l'adventice présente des traces d'inflammation récente : elle est pénétrée,
vers sa limite interne, d'éléments embryonnaires ronds, vivement teintés par
les réactifs nucléaires. La tunique musculaire est certainement beaucoup plus
épaisse que dans une artère spinale normale, mais sans traces d'inflammation
récente. L'endartère n'a pas pris part au processus. Fait a noter : il quelques
millimètres de distance, la même artère présente une épaisseur normale de ses
tuniques. L'endothélium seulement présente quelques traces d'irritation. On
trouve, tombées dans la lumière du vaisseau, de grandes cellules endothéliales
des formes les plus bizarres, renfermant 3, 4 noyaux et davantage.
Les veines de calibre qui cheminent dans la pie-mère, sont plus altérées que les
Fig. 16. - Coupe transversale de l'artère spinale antérieure. Périartérite ancienne : rétré-
cissement concentrique du calibre du vaisseau.
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 169
artères. Les unes ont leurs parois épaissies et couvertes de cellules rondes(fig. 15);
d'autres sont oblitérées par des thrombus déjà anciens, complètement fibreux,
et montrant la coupe de vaisseaux des nouvelles formations creusés dans leur
épaisseur (Fig. 17).
Dans la moelle elle-même, les lésions sont considérables dans les deux subs-
tances. La substance grise est tellement déformée qu'on a peine à reconnaître
les vestiges du canal de l'épendyme. On le retrouve cependant au voisinage de
la corne antérieure gauche, oblitéré et présentant une légère infiltration cellu-
laire à son pourtour. La corne antérieure droite est le siège d'une bcmorrbagie
abondante. Un vaisseau capillaire dilaté, qui la parcourl dans toute sa longueur
suivant son grand axe, s'est rompu en plusieurs endroits de son trajet, de telle
sorte qu'une longue fissure hémorrhagique parcourt la corne d'un bout à l'autre.
Avec l'objectif 7 on voit que la corne est parsemée d'une quantité considérable
de globules rouges, disséminés dans toute son étendue. La corne antérieure du
côté opposé est atrophiée, mais ne présente pas d'hémorihagies semblables.
Les vaisseaux de la substance grise n'offrent pas d'alléralions de leurs parois;
le tissu lui-même est peu infiltré. Mais on constate des modifications importan-
tes du côlé de la névroglie et des grandes cellules. La corne droite antérieure ne
présente pas une seule grande cellule, on peut dire, qui paraisse normale sur
les coupes. Les unes sont situées en plein foyer hémorrhagique, les autres au
voisinage du foyer : elles sont toutes atrophiées, arrondies, ovoïdes, sans prolon-
gements pour là plupart, remplies de granulations. Quelques-unes d'entre elles
présentent dans leur intérieur des apparences très nettes de formations vacuo-
vi. 42
Fig. 17. Coupe d'une veinule de la pie-mère (région dorsale supérieure). On voit qe-
la tunique adventice de cette veine est infiltrée d'une quantité assez considérahle d'élé
ments cellulaires, le reste de la paroi étant normal, la lumière libre.
170 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
laires. Sur la plupart cependant, noyau reste visible ainsi que son nucléole.
.Mêmes lésions dans la corne antérieure gauche. Il existe dans les deux cornes
des stades plus avancés d'atrophie des grandes cellules ; mais alors elles sont
méconnaissables ; le ratatinement est complet, le noyau finit par disparaître ;
la cellule est remplacée par un bloc de granulations jaunâtres. Dans les pré-
parations on ne constate pas la présence de véritables corps granuleux dans la
substance grise : ceux-ci apparaissent seulement au voisinage des cordons
blancs.
La névroglie de la substance grise présente un état d'irritation très marquée ;
ceci en particulier au voisinage du foyer hémorrhagique qui occupe la corne an-
térieure droite. Le tissu fondamental est formé d'un feutrage beaucoup plus
dense qu'il l'état normal, les fibrilles en sont plus apparentes. Mais l'attention
est attirée surtout par la présence de cellules de Deiters hypertrophiées dont les
prolongements sont vraiment monstrueux. Ce sont de gros filaments onduleux,
parfois à coudures brusques, se colorant en rouge intense par le carmin. Leur
diamètre dépasse en moyenne celui d'un cylindre-axe volumineux : quelques-
uns atteignent le double. Ils se rencontrent également dans les 2 cornes. Nulle
part, dans la substance blanche, on ne rencontre d'éléments semblables.
Les cornes postérieures sont également très intéressées des deux côtés. A gau-
che, la corne envahie par la zone de sclérose qui occupe les cordons postérieurs
est méconnaissable. A droite, on en retrouve les vestiges. De gros vaisseaux di-
latés, aux parois peu altérées, en marquent le trajet. La névroglie a proliféré
abondamment; les cellules nerveuses sont atrophiées.
Les lésions des cordons blancs ne le cèdent pas en intensité à celles de la subs-
tance grise. Nous avons déjà signalé leur distribution en examinant la moelle as
un faible grossissement. En examinant à l'aide de l'objectif 2 Vérick la large
bande scléreuse qui occupe les cordons postérieurs, on peut voir que les lésions
les plus avancées correspondent à la partie périphérique d'une part (sous-ménin-
gée) et à la région du septum médian postérieur d'autre part. Les parois des pe-
tits vaisseaux sont énormes (5 ou 6 fois plus épaisses qu'a l'état normal) ; leur
lumière rétrécie d'autant; un grand nombre sont oblitérés. Des éléments cellu-
laires teintés en violet par l'Itéinato-,3]iiie infiltrent ces parois en nombre plus
ou moins considérable : parmi ces éléments, les uns sont petits, ronds, à gros
noyau vivement coloré ; les autres, ovoïdes, plus volumineux, à noyau relative-
ment moins important et teinté plus faiblement. En plusieurs endroits, on voit
des vaisseaux capillaires creusés dans leurs parois épaissies.
Immédiatement autour des parois vasculaires épaissies, on voit sur les coupes
un tissu dense, manifestement /Ï ? 7/S ? présentant une coloration rouge brun,
très différente de la teinte rose clair que prennent les parois vasculaires
elles-mêmes sous l'action du carmin. Ce tissu est formé de fibrilles innombra-
bles, très serrées, formant des touffes, des gerbes, des tourbillons qui s'entre-
croisent sous des directions variées. Souvent ces tourbillons s'orientent d'une
façon concentrique autour des parois vasculaires : les fibrilles viennent s'insérer
directement sur la paroi du vaisseau. Nulle part dans cette région il n'existe de
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 171
gaine 1 sympathique distendue apparente autour des petits vaisseaux. Il semble
qu'elle ait été oblitérée par l'hypertrophie des tuniques du vaisseau.
La réaction indiquée par M. Malassez pour différencier la névroglie du tissu
conjonctif (action successive de la potasse à 40 0/0, de l'acide acétique et du
carmin) fait mieux apparaître encore la différence de structure et de coloration
de la paroi vasculaire conjonctive et de la sclérose ambiante névroglique.
Dans quelques coupes, la dilatation vasculaire et le nombre des vaisseaux
prennent une importance telle que les parois vasculaires se touchent en plu-
sieurs points. Dans ces régions il existe alors de véritables nappes de sclérose
conjonctive vraie.
La destruction des éléments nerveux est complète, surtout dans la partie cen-
trale des cordons postérieurs. Il ne persiste pas un seul tube nerveux recon-
naissante. Des corps granuleux cellulaires se montrent seulement à la périphé-
rie du territoire malade, dans les parties où la sclérose est moins avaucée,
c'est-à-dire vers la région profonde des cordons postérieurs, au voisinage de la
commissure grise. Dans cette partie, on voit encore quelques tubes nerveux en
voie de destruction. La sclérose n'a plus l'apparence fibrillaire que nous venons
de signaler; mais on voit entre les tubes comme de fines granulations. Cette
apparence est due à ce que les fibrilles sont ici coupées perpendiculairement il
leur direction. La lésion est ici moins ancienne, et sans doute la conservation
d'un grand nombre de. tubes nerveux empêche les fibrilles névrogliques de se
grouper en tourbillons, comme nous l'avons vu plus haut.
Dans les cordons latéraux et antérieurs, ce
sont encore des lésions scléreuses que l'on cons-
tate, mais moins avancées que dans les cordons
postérieurs. L'origine périvasculaire de la sclé-
rose est parfaitement indiquée dans le cordon
autéro-latérrll druit : on peut voir la lésion au
premier degré, pour ainsi dire, dans celte région,
La névroglie se condense autour des petits vais-
seaux auxquels elle forme une bordure colorée
en rouge sur les préparations au carmin.
Dans les régions antéro-latérales de la subs-
tance blanche, les petits vaisseaux sont altérés
suivant le même mode que dans les cordons
postérieurs, mais à un degré beaucoup moindre.
Sur un grand nombre d'entre eux la gaîne lym-
phatique est apparente, distendue par des élé-
ment cellulaires.
A la partie inférieure du foyer malade, au
voisinage de la -lie racine dorsale, l'aspect de la
lésion se modifie, par suite de la présence d'un
véritable petit foyer gommeux, microscopique situé en plein faisceau latéral
gauche (Fig. 18).
Ce foyer, qui présente il l'oeil nu les dimensions d'une tête d'épingle paraît
jig. z Une partie périphéri-
que du petit foyer gommeux qui
occupe le cordon latéral gauche
dans la moelle dorsale supérieure.
.172 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
être plus récent que les lésions précédentes. Il est constitué de la façon suivan le :
il la périphérie une couronne de capillaires oblitérés dont chacun est entouré
d'un manchon épais d'éléments embryonnaires, vivement teintés par l'hématoxy-
line (fig. 18). Le centre du foyer est au contraire privé de vaisseaux : il est constitué
uniquement par une infiltration cellulaire abondante, au milieu de laquelle on
distingue, il l'aide d'un fort grossissement quelques fibrilles névrogliques raréfiées
ne prenant pas la coloration du carmin. Les éléments nobles du tissu ont tota-
lement disparu. Tout a tait au centre, les cellules se colorent rnal : leurs noyaux
prennent une teinte blafarde par l'hématoxylinc : le carmin donne il l'ensemble
du tissu une coloration d'un brun sale. Dans cette partie centrale, il existe une
perte de substance sur toutes les coupes.
Le petit territoire dinuitrattongom-
incuse circonscrite se poursuit jusqu'au
niveau de la 4e racine dorsale. Au-
dessous, dans la même région, c'est-à-
dire dans le cordon latéral gauche, la
moelle offre une cavité en forme de
fissure demi-circulaire qui renferme
par places une sorte de coagulum très
finement granuleux, teinté en rose
clair par le carmin. Cet exsudât se voit
anssi il l'intérieur d'un certain nombre
de gaines vasculaires dans la même
région.
Racines rachidiennes. Elles pré-
sentent des lésions scléreuses très ac-
centuées. Dans une racine postérieure
gaucho par exemple, au niveau du
foyer, on constate que la moitié de la
coupe transversale environ est occupée
par une vaste nappe de tissu conjonctif
adulte, qui s'est développé autour d'un
vaisseau. Il n'existe plus un seul tube
nerveux dans cette partie. Dans toutes
les racines d'ailleurs, les parois vascu-
laires sont hypertrophiées : d'épais trac-
tus conjonctifs en partent, se ramifiant et s'infiltrant entre les tubes. II existe
un grand nombre de petits tuhes grêles comme on n'en voit pas dans les racines
normales, et beaucoup de gaines vides (Fig. 19).
Vers la fin de la série, apparaît tout à coup une infiltration considérable dans
une des racines postérieures du côté gauche. La coupe est couverte d'éléments
cellulaires jeunes, vivement teintés par l'hématoxyline, il tel point que, sur les
préparations traitées par la double coloration, on ne distingue plus d'éléments
nerveux. La pie-mère adjacente est très infiltrée par les mêmes éléments.
Fig. 19. - Coupe transversale d'une racine
antérieure de la région dorsale. On voit,
autour des vaisseaux, et principalement
sous le périnèvre, des champs de scléro-
se au niveau desquels les tubes nerveux
ont disparu.
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 173
Coupes pratiquées au-dessous du foyer précédent.
Les lésions vont en diminuant graduellement jusqu'à la région dorsale infé-
rieure. La sclérose diffuse de la région postérieure de la moelle s'atténue, au
point qu'au niveau de la 7e racine dorsale, il n'en reste qu'un petit territoire ir-
régulier, de forme triangulaire, dans le cordon postérieur droit. La base de ce
petit triangle louche la pie-mère qui est épaissie et infiltrée en ce point. Elle pré-
sente en cette région un gros vaisseau qui chemine dans son épaisseur, et dont
la lumière est tout à fait oblitérée par un thrombus ancien et organisé. On ne
saurait dire avec certitude s'il s'agit d'une artère ou d'une veine.
Il existe une dégénérescence pyramidale double, plus accentuée du côté gau-
che, et d'autant mieux systématisée que l'on descend plus bas.
La substance grise reprend son apparence normale dans la moelle dorsale in-
férieure : les grandes cellules recouvrent leur forme, leurs dimensions : elles
sont seulement chargées do pigment. La névroglie n'est pas hypertrophiée. La
seule lésion à ce niveau consiste en héniorrhagies fisszt2-ai,es intersticielles telles
que nous en avons rencontrées au niveau du foyer principal. Elles existent d'ail-
leurs dans toute la hauteur de la moelle dorsale.
Les altérations méningées et celles des gros vaisseaux périphériques cessent
d'exister vers la 6° racine dorsale. Cependant la tunique .adventice de la plu-
part des veines renferme beaucoup plus d'éléments cellulaires que dans une
moelle normale.
Dans le renflement lombaire, il n'existe pas d'autre altération médullaire im-
portante que la double dégénération pyramidale. Mais les racines à ce niveau
présentent une lésion singulière, qui consiste en hémorrhagies interstitielles. Il
existe, sur les coupes transversales, des foyers hémorrhagirrues importants,
dans les racines postérieures surtout. Dans l'une d'entre elles, un foyer de ce
genre a détruit un faisceau volumineux en entier : les globules sanguins y sont
déformés, en partie détruits. Le périnèvre est très épaissi en ce point. Quant t
au reste de la racine, il n'a pas souffert ; les tubes nerveux sont au contact les
uns des autres, présentent leur volume normal. Seulement (nous signalons le
fait sans y attacher plus d'importance) tout au pourtour du foyer en ques-
tion, la myéline se teinte en rouge par le picro-carmin, au lieu de fixer l'acide
picrique comme il l'état normal ; de plus cette myéline a perdu son aspect stra-
tifié en couches concentriques. Dans les racines antérieures existent des lésions
absolument semblables, mais moins importantes.
Coupes pratiquées au-dessus du foyer de la lésion.
Dans la région cervicale, la lésion importante est la sclérose systématisée des
cordons de Goll.. Mais il existe en outre un léger degré de sclérose marginale,
qui intéresse principalement les cordons latéraux.
Les méninges sont saines, les vaisseaux importants ne présentent rien d'a-
174 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
normal. Toutefois, dans le renflement cervical, la pie-mère présente au niveau
de l'entrée du sillon médian antérieur une infiltration embryonnaire assez abon-
dante qui se prolonge dans ce sillon.
Enfin la substance grise est le siège de petites hémorrhagies semblables à
celles que nous avons rencontrées dans la région dorsale (surtout dans la corne
antérieure gauche). Ce sont des extravasations des globules sanguins le long
des capillaires dilatés ; par endroits de véritables petits foyers.
L'examen anatomique qui précède nous a démontré dans les méninges,
les vaisseaux et la moelle, l'existence de lésions diffuses, anciennes pour
la plupart, en grande partie éteintes, mais dont les caractères et les locali-
sations nous permettent de reconstituer l'évolulion.
Le foyer principal, occupant une hauteur de il 3 racines dans la moelle
dorsale supérieure, présente une sclérose diffuse delà substance blanche,
dont l'origine méuingo-vascuiaire ne saurait faire de doutes. La prédomi-
nance des lésions scléreuses ;1 la périphérie, la fusion intime de la pie-
mère et du tissu médullaire sous-jacent signalent la participation de la
méninge au processus pathologique. L'origine nettement péri-vasculaire
des foyers de sclérose dans le tissu médullaire lui-même montre bien la
part des vaisseaux.
La nature de la lésion originelle qui a atteint les méninges et les vais-
seaux nous est indiquée par les vestiges importants qui en ont subsisté.
C'est une infiltration de cellules rondes très évidente en certains endroits
de la pie-mère, el surtout autour des vaisseaux et dans les parois de ceux-
ci ; infiltration de tout point semblable il celle que nous avons rencontrée
clans notre observation I. En un point, cette infiltration est circonscrite sous
la forme d'un foyer gommeux- microscopique, situé dans le cordon latéral
gauche. Ajoutons que ici, comme dans le cas précédent, veines et artères
sont intéressées et que la périphlébite, la périartérite sont les lésions do-
minantes. Les méninges sont touchées également sur une étendue en hau-
teur bien plus grande que la moelle ; et dans la région cervicale, où celle-
ci est relativement saine, nous trouvons dans l'espace arachnoïdien, à
l'entrée du sillon antérieur et autour des vaisseaux qui pénètrent en ce
point, une accumulation de cellules rondes semblable à celle que nous
avons décrite et figurée précédemment (voir fig. 3, pl.1111,11V, XV) (1).
Mais nous avons affaire ici à une lésion qui compte un an 1/2 d'existence;
et suivant la règle, l'inflammation spécifique dans les points qu'elle a tou-
chés d'abord a fait bientôt place à l'hyperplasie réactionnelle du lissu in-
tersticiel. C'est un épaississement fibreux de la pie-mère et des parois
(1) Iconographie no 2, 1893.
DE LA 111ÉNINGO-i<IYÉLI'1E SYPHILITIQUE 175
vasculaires. La moelle elle-même nous montre une sclérose névroglique
avancée que l'on pourrait désigner comme sclérose méningo-vasculaire, à
ne considérer que sa répartition : îlots de sclérose isolés autour des petits
vaisseaux, bandes de sclérose le long des travées conjonctives, taches de sclé-
rose triangulaires, à base périphérique, rappelant leur forme, les infiltra-
tions gommeuses qui émanent de la pie-mère et qui pénètrent dans la moelle
en manière de coin ou de triangle. Tels sont les caractères essentiels de la
lésion, qui justifient la dénomination de méningo-myélite scléreuse appli-
quée par MM. Gilbert et Lion à des cas analogues. Même processus dans
les racines spinales ; sauf ici que la sclérose consécutive présente les ca-
ractères de la sclérose conjonctive vraie.
Sans doute y a-t-il lieu de faire une part importante aux lésions vasculai-
res, dans le mécanisme des graves altérations que nous a montrées la subs-
tance grise. Les dilatations capillaires, les nombreuses hémorrhagies inters-
ticielles signalées dans presque toute la hauteur de l'axe gris semblent en
effet plutôt en relation avec la gène circulatoire qu'avec l'inflammation, si
l'on considère que les caractères inflammatoires étaient en ce point beau-
coup moins accentués que dans la substance blanche.
Tout porte donc à croire que, chez notre second malade, les lésions étaient
à l'origine identiques, au moins dans leurs caractères, essentiels, à celles
que nous avons rencontrées chez le premier ; mais que la durée plus longue
du mal en a modifié l'aspect et la nature.
Parmi les cas du même genre que la littérature renferme, nous signale-
rons tout spécialement l'observation de MM. Charcot et Gombault (1873),
la première qui ait été publiée avec un examen histologique détaillé (1). Le
début de l'affection médullaire, dans ce cas, remontait à 10 ans. Au bout
de ce temps, une nouvelle poussée d'accidents syphilitiques se produisit du
côté de l'encéphale ; et la malade fut emportée rapidement. L'autopsie mon-
tra une induration de la moelle dorsale au niveau du cordon latéral gau-
che. Au microscope, on constate que l'arachnoïde et la pie-mère épaissies
étaient intimement soudées à la moelle à ce niveau, englobant les racines
nerveuses atrophiées. Le cordon latéral correspondant était le siège d'une
sclérose très avancée, au point que tous les éléments nerveux avaient dis-
paru. Les auteurs font remarquer à ce propos qu'il est rare de voir une
destruction aussi complète des éléments nerveux dans les autres variétés
de sclérose médullaire. D'épais tractus conjonctifs servant de support à des
vaisseaux couverls de noyaux nombreux, traversaient ce cordon sclérosé.
Au môme niveau d'ailleurs existait une sclérose diffuse de toute la moel-
(1) CHANCIT et GOMIIAULT. Sur un cas de lésions disséminées des centres nerveux chez
une femme syphilitique, Archives de physiologie, 1873, p. 143.
1/6 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
le; dans le cordon latéral du côté opposé, l'épaississement névroglique a f-
fectait la forme d'une plaque triangulaire à base tournée en dehors, lesom-
met étant contigu à la corne antérieure. On conçoit sans peine qu'il l'aille
renoncer il chercher dans une lésion aussi ancienne, les caractères plus ou
moins spécifiques de l'inflammation. Aussi est-ce principalement sur les
caractères des altérations récentes constatées du côté de l'encéphale que
MM. Charcot et Gombault s'appuient pour conclure à la nature syphilitique
des lésions rencontrées dans les centres nerveux de leur malade.
(A suivre.)
II. Lancr,
Interne de la clinique des maladies du système nerveux.
Le gérant : Louis BATTAII.1,E.
Imp. Vve LOURDOT, 33, rue des BallgDolies. Paris.
Au moment de paraître nous apprenons
la mort subite de notre cher et vénéré
maître
M. le Professeur J.-M. CHARCOT
>
Dans le prochain numéro nous dirons
ce que fut notre illustre Directeur. La
Rédaction de l'Iconographie s'associe à
la profonde douleur de sa Famille.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA SALPÊTRIÈRE
DES INDICES PIIYS10NOM1QUES
DE LA. DÉMENCE APATHIQUE.
Parmi les différents aspects sous lesquels se présente la démence, il y a
une forme très simple qui réunit tous les symptômes principaux de cette
maladie et peut servir de modèle clinique. On lui donne la dénomination
de démence apathique. On peut la constater dans le vaste groupe des démen-
ces secondaires, dans l'idiotisme et aussi dans les maladies qui ont pour
cause de graves inflammations du cerveau en foyer ou diffuses et qui se
terminent par l'atrophie de cet organe.
Les indices psychiques les plus évidents de la démence apathique sont :
l'affaiblissement ou la perte de la mémoire et un état général d'indifférence.
Ces deux indices nous font présumer un affaiblissement notable et môme
la disparition totale des fonctions psychiques, produite par l'atrophie de
l'écorce cérébrale (Kraft-Ebing).
L'expression de la physionomie des malades atteints de démence nous
présente toujours des transformations plus ou moins appréciables et même
dans les cas graves, la physionomie des malades (comme nous le fait re-
marquer très justement Spielmann) est privée de toute expression (1).
Les signes particuliers de la physionomie d'un malade en démence peu-
vent être différents, cependant on peut constater par l'observation, que les
marques physionomiques de la démence sont toujours les mêmes, qu'elles
se répètent dans tous les cas, seulement elles atteignent à des degrés variés
et se combinent de différentes manières.
I. L'affaiblissement du muscle orbitaire inférieur est le premier indice de
la démence. Cet indice est si constant et si visible qu'il peut être considéré
comme le meilleur dans les cas douteux.
(1) Spielmann. Diagizostik der Geisleskrathhcilen, 188 ? pag-. 2 î6.
VI ' 13
178 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Dans les conditions normales, la contraction de, ce musclé fait prendre
à la paupière une position telle, qu'elle adhère complètement à l'oeil et -
couvre non seulement la sclérotique mais encore la partie inférieure de
la cornée; le lac lacrymal se présente alors sous formé d'un golfe visible-
ment détaché de l'ouverture des paupières par sa partie inférieure qui z
prend une direction horizontale. Lorsque la contraction du muscle orbi-
taire inférieur est forte, les positions respectives que nous venons de dé-
crire changent : la paupière se relève en masse, la partie inférieure du
lac lacrymal se déplace et par suite le lac lacrymal lui-même se rétrécit,
s'allonge en forme de fissure qui va de haut en bas et à l'intérieur. Ces
transformations se voient bien sur la photographie d'un de mes collègues
où le muscle orbitaire inférieur est contracté par l'effet de la volonté,
tantôt celui de l'oeil droit, tantôt celui de l'oeil gauche. (l'l. XXII-XXV,
Fig. 1 et 2.
Hormis les signes dont je viens déparier, si la peau est peu élastique,
on peut remarquer des plis verticaux qui se dessinent légèrement en forme
d'éventail et qui descendent de l'angle interne de l'oeil en passant par la
surface latérale du nez et sur la joue. Tels sont les indices de la contrac-
tion du muscle orbitaire inférieur de l'oeil.
Par contre, lorsque le muscle sus-nommé se relâche, la paupière ne
couvre plus du tout la cornée ou elle y adhère à peine ; le lac lacrymal
n'a plus la forme d'un golfe détaché, il se confond avec l'ouverture des
paupières, y pénètre insensiblement, la caroncule est béante, le limbe de
la paupière ne s'applique plus aussi exactement sur le globe de l'oeil et
l'écoulement des larmes dans le canal lacrymal ne se fait plus aussi faci-
lement. Les transformations que je viens de décrire sont bien visibles sur
les photographies ci-jointes :
Pl. XXII-XXV. - Fig. 3. Démence secondaire, suite d'un délire Cllro-
nique. (Etudiant de l'Université. -Deux ans de maladie. Refus de
nourriture, puis symptômes de démence.)
Mimique : Affaiblissement du muscle orbitaire inférieur et de tous les
muscles de la face.
Pl. XXII-XXV Fig. 4. M. Scb. professeur d'une école moyenne,
marié, âgé de 36 ans. Paralysie générale progressive. La maladie com-
mença en 1881 et la mort eut lieu en novembre 1890. La photographie a
été prise au mois de septembre 1890. Voici son état à cette époque; em-
barras peu considérable de la parole, légère oblitération de la mémoire,
indifférence complète pour les affaires les plus importantes; le malade ne
lit pas, ne pense pas il sa femme, mais il conserve l'appétit, il est glouton,
irritable. Parfois il est agité. La photographie a été tirée en plein air.
Mimique : Affaiblissement du muscle orbitaire inférieur, affaiblissement
Nouvelle Iconographie de LA S...r.ptIR1"-Jil
FIG. 1
FIG. 2
FIG 3
FIG 4
PHOrOl\Pl : . I-.ICATII' A LOND'" 1 HÜTOCOILOC';¡'{AP1-'IE Cill N1 & A LONCU1T T
INDICES PHYSIONOMIQUES DE LA DÉMENCE APATHIQUE
Louis BATTAILLE & ca,
ÉDITEURS
T Il . PL X%VI-4XX,
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE
FIG. b
FIG. 6
FIG 1
F ! G R
PHOTOTYPE r- : I'CATIF A LONDF PHOTOCOLLOGRAPHIE CHENE Je fONLUFt t
INDICES PHYSIOGNOMIQUES DE LA DÉMENCE APATHIQUE
Louis BATTAILLE & Cl"
DES INDICES PUYSIONOMIQUES DE LA DÉMENCE APATHIQUE j
peu important des muscles inférieurs de la face, légère contraction des
muscles frontaux, rudesse dans les traits du visage.
PI. XXVI-XXIX. Fig. S. Ex-chef d'orchestre militaire. Para-
lysie générale progressive. Le malade est indifférent, apathique ; léger em-
barras de la parole qui est quelque peu lrccclrhlmsilue; lorsqu'il parle, les
muscles de la face tremblent; l'écriture frémissante aussi, mais pas alaxi-
que ; idées de grandeur ; le malade est plongé dans le silence, il ne com-
munique avec personne, n'est pas avide de nourriture, au contraire il
faut l'engager à manger; perte totale du vouloir, soumission complète,
absolue, automatique. La photographie a été tirée en plein air.
Mimique : Affaiblissement notable du muscle orbitaire inférieur, affai-
blissement de tous les muscles inférieurs de la face, 'visage en masque, la
pupille gauche est plus dilatée que la droite.
Pl. XXVI-XXIX. Fig. G. M. Genz.professenr, 38 ans, a fait abus de
boissons alcooliques pendant plusieurs années. Au mois de juin 1890, le
malade est pris d'un délire alcoolique aigu accompagné d'une forte amnésie
du présent, du délire de la persécution, d'insomnie. Guérison au bout
de 4 mois. La photographie a été tirée en chambre pendant la période d'a-
mélioration.
Mimique : Affaiblissement des deux muscles orbitaires inférieurs et du
muscle élévateur gauche de la paupière. Inégalité des pupilles.
Pl. 1YVI-1111. -Fi. 7. Employé de la ville de Zitomir, 29 ans. Pa-
ralysie générale progressive à son origine, fatigue générale ; idées hypo-
condriaques, indifférence complète intermittente, calme enfantin, eupho-
rique.
Mimique : Affaiblissement notable des deux muscles orbitaires inférieurs,
affaiblissement général médiocre de tous les muscles innervés par la bran-
che inférieure du facial, contraction modérée des muscles frontaux.
PL XXVI-XXIX. Fig. 8. 32 ans, idiot. Indifférent, ne s'occupe de
rien, taciturne.
Mimique : Affaiblissement du muscle orbitaire inférieur et de tous les
muscles de la face.
On peut constater l'affaiblissement du muscle orbitaire inférieur non
seulement dans la démence apathique, mais aussi dans d'autres affections
savoir : 1° dans les polioencéphalites et dans les polioencéphalomyélites ;
1° dans les neurasthénies ; 3° dans la lassitude intellectuelle, émotionnelle
ou physique ; 4° dans la masturbation.
Dans les affections bulbaires, l'affaiblissement du muscle orbitaire infé-
rieur ainsi que celui des autres muscles sont des symptômes toujours cons-
tants. Au contraire, dans la neurasthénie, l'onanisme et après les grandes
180 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
fatigues produites par un état de tension de l'intelligence et de l'àme, l'af-
faiblissement du muscle orbitaire inférieur a un caractère transitoire et
disparaît lorsque le malade reprend ses forces. L'absence des autres indices
mimiques delà démence et la présence des indices mimiques de l'agitation
de l'âme ou bien d'un état émotionnel quelconque facilitent le diagnostic
de ces affaiblissements passagers du muscle dont je m'occupe ce que dé-
montrent les figures 9 et 10, pl. XXX.
Pl. XXX. Fig 9. Jeune homme de 17 ans. Service pénible. Nuits
passées sans sommeil, au travail. Souffrances morales. Delà une neuras-
thénie cérébro-spinale accompagnée d'un abattement général. La maladie
a duré 8 mois, puis gérison. La photographie a été tirée à l'intérieur pen-
dant la maladie.
Mimique : Affaiblissement du muscle orbitaire inférieur.
PI. XXX. Fig. 10. Garçon de 12 ans. Masturbation.
Mimique : Affaiblissement du muscle orbitaire inférieur, forte contrac-
tion du muscle sourcilier (position oblique des sourcils, surtout du sourcil
gauche), dilatation des pupilles.
En sorte que pour la figure 10, nonobstant la faiblesse du muscle orbi-
taire inférieur, toute supposition d'un état de démence disparaît, vu l'ex-
pression douloureuse de la physionomie (contraction du muscle sourcilier)
et vu aussi cette expression d'humilité dans l'attitude du sujet.
Quelle que soit la cause de l'affaiblissement du muscle orbitaire infé-
rieur, il donne toujours à la physionomie ou plutôt au regard du malade
une expression de fatigue, de lassitude. Cet air de fatigue, cette expression
de lassitude dans le regard ont principalement pour cause l'affaiblissement
du muscle orbitaire inférieur.
Le tableau bien connu de Kaulbach, « Narrertlactus » où les physiono-
mies des fous sont rendues avec un si grand talent d'observation, nous mon-
tre cet air de fatigue dans l'expression du visage d'un personnage couronné,
d'une mère en démence et d'un chef d'armée.
L'affaiblissement du muscle orbitaire inférieur est souvent accompagné
d'un léger affaiblissement du muscle orbiculaire. Alors le limbe de la ca-
vité orbitaire se détache avec plus ou moins d'intensité, les yeux sont en-
foncés (voyez les figures 7 et S).
L'affaiblissement du muscle élévateur de la paupière supérieure est le second
indice de la démence. Cet indice n'est pas visible sur la figure n° 4, mais
il l'est distinctement sur les figures nOS 5, G et 7 ; pour ce qui est de la fi-
gure n° G, il est visible sur l'oeil gauche seulement. La parésie de ce mus-
cle se reconnaît à la position que prend la paupière supérieure par rapport
à la pupille, c'est-à-dire que le limbe de la paupière se rapproche de la
NOVVtLLF ICONOGRAPHE DE LA SALPPTR7ERF
FIG 9
FIG. 10
FIG t i
F : G z ? 0
PHOTOtIlü Ni0AT17 A LONDF PHOTOCOLLOGRAPHIE OHiNl : d et. 10t<.Gu..r
INDICES PHYSIOGNOMIQUES DE LA DÉMENCE APATHIQUE
Louis BATTAILLE 4. C : >
ÉDITEURS
DES INDICES PnYSIONOMIQUES DE LA DÉMENCE APATHIQUE 181
pupille et en couvre la partie supérieure (1). L'observation est encore
rendue plus facile par ce fait que la parésie n'est pas la même dans les
deux yeux (voyez la figure 6).
La combinaison des parésies des deux muscles sus-nommés (du muscle
élévateur de la paupière supérieure et du muscle orbitaire inférieur) pro-
duit le tableau typique d'un regard éteint (figures et 7), c'est là un indice
caractéristique de la démence. Nous pouvons constater cette expression
dans le regard du philosophe du tableau de Kaulbach.
Le troisième indice de la démence gît dans l'affaiblissement total des mus-
cles innervés par le nerf inférieur de la face. Dans la plupart des cas, tous
ces muscles s'affaiblissent simultanément; cependant cet affaiblissement
attaque tout d'abord les muscles qui se dirigent vers la lèvre supérieure,
c'est-à-dire le muscle grand zygomatique, le petit zygomatique, le muscle
profond de la lèvre supérieure et le muscle élévateur de la lèvre supé-
rieure et de l'aile du nez. L'affaiblissement de ces muscles est générale-
ment bien caractéristique et donne au visage une forme toute particulière ;
le visage s'allonge, devient inanimé, les traits s'aplanissent. C'est ce que
l'on voit sur la ligure n° 7 (l'employé de Zitomir).
Si l'on observe avec soin toutes ces transformations dans le visage du
malade, jour par jour, on pourra constater aussi un changement de profil.
Si, de temps en temps, en partant d'un point déterminé, delà glabelle
par exemple, ou de tout autre point choisi d'avance, l'on mesure la dis-
tance jusqu'à la commissure des lèvres, on pourra constater un affaisse-
ment de quelques millimètres de l'ouverture de la bouche, en sorte que,
dans le langage vulgaire lorsque l'on dit « que la figure s'allonge et tombe »,
cette manière de s'exprimer a sa raison d'être. Si l'on examine avec atten-
tion ce genre de physionomies, on pourra constater que les formes du vi-
sage changent positivement en relation directe avec l'affaissement des
muscles.
L'analyse et l'examen de ces transformations fournissent des données
certaines dans la question de savoir quels sont précisément les muscles qui
sont affaiblis et à quel degré d'intensité.
Il est aisé par exemple de voir (2) sur la figure 5, que la lèvre supé-
rieure, en s'abaissant, en tombant pour ainsi dire sur la lèvre inférieure,
a provoqué, sur le menton, la formation d'un sillon transversal assez pro-
(1) Toutes ces photographies ont été faites de manière à avoir les axes visuels ho-
rizontaux.
(2) En examinant les photographies, il est bon, il est même indispensable de procé-
der cet examen de 'deux manières : au moyen d'un miroir concave à distance et au
moyen d'une forte loupe de près ; le premier procédé nous donne un aperçu général,
le second fixe les détails.
1812 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
fond, assez large, comme il arrive pendant la contraction du muscle éléva-
teur du menton ; cependant dans le cas donné il n'y a aucune contraction
dans ce muscle. On peut le voir aussi sur la figure 7, mais avec moins d'in-
tensité.
On peut apprécier également les formes extérieures d'une physionomie
pathologique en se servant des règles générales, c'est-à-dire, d'après les
altérations dans les plis ou dans les traits du visage. Dans l'affaiblissement
des muscles de la face dont je parle, les plis se détendent ou disparaissent
complètement. Sur les ligures 5 et 8, les.plis naso-labiaux sont effacés et
ceux qui prennent naissance au coin intérieur de l'oeil sont très peu visi-
bles.
L'affaiblissement des muscles qui se rendent à l'ouverture de la bouche
produit un changement tout particulier dans l'ouverlure des lèvres ; les lè-
vres deviennent proéminentes, l'ouverture de la bouche s'allonge. Cette
transformation est visible sur la figure 5 et aussi très distinctement' chez le
personnage couronné du tableau de Kaulbach. Cela tient, à ce qu'il parait,
à ce que le muscle orbiculaire des lèvres l'emporte de beaucoup sur les
muscles qui se dirigent vers l'ouverture de la bouche.
Lorsqu'il y a affaiblissement des muscles inférieurs de la face et que
cet affaiblissement est appréciable dans quelques-uns de ces muscles, à des
degrés d'intensité différents, les muscles du front, les frontaux principa-
lement, sont absolument indemnes, ce qui produit un contraste plus ou
ou moins tranchant entre le portrait mimique supérieur et inférieur du
sujet. Le personnage couronné du tablean de Kaulbach peut servir de mo-
dèle typique dans ce genre : le mnscle frontal est contracté, le muscle or-
bitaire inférieur et tous les muscles de la face sont affaiblis. La ligure
n° Il, pl. XXX nous représente la même chose :
PI. XXX. Juif, âgé de 36 ans. Démence secondaire.
Mimique : Léger affaiblissement des muscles innervés par le nerf infé-
rieur de la face, parésie des muscles élévateurs de la paupière supérieure
(plus apparente à droite qu'à gauche), contraction énergique des muscles
frontaux et des muscles sourciliers.
Si l'on analyse la corrélation qui existe entre le système musculaire fron-
tal et le système musculaire facial, on arrive tout naturellement à cette
conclusion, que l'affaissement de la paupière est la principale cause de
cette forte contraction des muscles frontaux dont le rôle est de compenser
dans leur action ce que les élévateurs de la paupière ont perdu de force et
de vie. C'est ainsi que l'on explique, depuis Mutchinson, la contraction
considérable des muscles frontaux dans les ophthalmoplégies où il y a
ptose (1). Pour le cas spécial dont je m'occupe, cette explication peut être
(1) Nouvelle ! cono[j1 ? III, 991-1J ? .
T. VI. PL. XXXI
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
FIG. 13 3
PHOTOTYPE NÉGATIF A. LONDE PHOTOCOLLOGRAPHIE CHÊNE ET LONOUET
INDICES PHYSIOGNOMIQUES DE LA DÉMENCE APATHIQUE
LOUIS BATTAILLE & C's
ÉDITEURS
DES INDICES PII1SIONOhiIQUES DE LA DÉMENCE APATHIQUE 183
considérée comme vraie, mais dans la démence apathique, il est à présu-
mer que les symptômes sont plus compliqués. Et en effet, sur la figure
n° 11 même, nous voyons que, s'il y a contraction des muscles frontaux dont
l'action serait indispensable pour l'élévation de la paupière, il y a aussi
simultanément contraction de leurs antagonistes les sourciliers (élévation
du limbe intérieur du sourcil et abaissement du limbe extérieur). Hormis
les cas où il y a ptose, le contraste entre le système musculaire facial et le
système musculaire frontal se remarque assez souvent dans la démence ;
on peut le constater même dans les cas où il n'y a pas abaissement de la
paupière, comme par exemple sur la figure n° 12 : pl. XXX.
PI. XXX. M. Makaroff, âgé de 36 ans, lieutenant retraité. Démence
secondaire. Délire chronique avec idées de persécution.
Mimique : Affaiblissement des muscles palpébraux inférieurs et de tous
les muscles de la face; forte contraction spasmodique du muscle frontal,
du muscle élévateur de la paupière supérieure et du muscle sourcilier des
deux côtés. La photographie a été tirée en plein air, en été, par un jour de
soleil et cependant il n'y a pas clignement des yeux à cause de l'affaiblis-
sement des muscles orbiculaires des paupières et de la contraction considé-
rable des muscles frontaux.
En sorte qu'il y a là un contraste évident : akinésie dans certains mus-
cles et hyperkinésie dans d'autres. On observe aussi ce contraste dans la ma-
ladie de Parkinson ; Charcot l'a constaté (1). Sans entrer dans l'explication
de ces phénomènes que j'examinerai avec plus de détails dans mes études ul-
térieures sur la mimique pathologique, je me borne pour le moment à cons-
tater la différence qui existe dans la contraction du système musculaire su-
périeur et du système musculaire inférieur de la face. Ce contraste est un
fait observable non seulement dans la mimique pathologique, il est visible
également là aussi où il n'y a pas démence. Voyez l'exemple suivant
(Pl. XXXI).
l'l. XXX. Fig. 13. M. Vr., 29 ans, conducteur de chemin de fer.
Hypocondrie et neurasthénie, homme peu intelligent.
Mimique : Léger affaiblissement dumuscle inférieur de la paupière, léger
affaiblissement de tous les muscles innervés par le facial inférieur, forte
contraction du muscle frontal.
Un examen électrique minutieux, à l'aide d'un courant induit et d'un
courant constant, a démontré que la réaction des muscles était absolument
normale, mais les muscles de la face sont peu développés ; les muscles fron-
taux au contraire le sont beaucoup plus. Il est évident qu'une partie du
système musculaire savoir : les muscles de la face, n'ont pas reçu de la na-
(1) Nouvelle Iconog1 ? III, 192.
184 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
luire un développement aussi complet que les muscles du front. Ce manque
de développement a été observé par Erb (1), pour le muscle trapèze par
exemple.
Bien que notre sujet soit passible de toute espèce d'expressions émotion-
nelles, l'examen de la mimique a prouvé que c'est la mimique frontale qui
joue le plus grand rôle. Lorsque le sujet parle, raconte et même lorsqu'il
est émotionné, c'est la mimique frontale qui est le premier, le principal
indice de l'état émotionnel du patient, ce qui nous prouverait que le sys-
tème musculaire frontal est non seulement plus développé par la nature,
mais encore qu'il est plus fréquemment excité pour le travail émotionnel,
ce genre de mimique étant plus impressionnable et plus facile.
Dans mon album photographique il y a plusieurs épreuves absolument
analogues il celle qui est représentée dans la figure n° 13 ; j'ai cependant
avancé cette opinion, que cette mimique était pourtant anomale. On peut
l'observer souvent chez les sujets atteints d'hérédité morbide. C'est ce que
j'ai prouvé dans mon article sur la mimique (2).
Si l'on met en parallèle le fait de la prédominance innée de la muscula-
ture frontale et de la mimique avec le fait similaire qui se développe dans
la démence, on pourra admettre que dans les états pathologiques, à la suite
de l'affaiblissement de certaines émotions et de leurs substratums, les au-
tres mouvements expressionnels acquièrent une intensité qu'ils n'avaient
pas jusqu'alors.
Je n'insiste pas sur cette explication, je ne l'avance que pour généraliser
des faits indubitables.
Il est donc évident, qu'il est absolument nécessaire de distinguer les
deux genres de l'hyperkinésie frontale ; l'un d'eux, le genre ophthalmoplé-
gique, celui de Ilutchinson, git dans l'action prépondérante du muscle fron-
tal, en cas de parésie du muscle élévateur de la paupière seulement ; l'au tre,
le genre mimique, dans l'action prépondérante de plusieurs muscles fron-
taux (le frontal, le sourcilier, l'orbitaire supérieur et le pyramidal du nez),
dans les cas où il y a affaiblissement du système musculaire inférieur de
la face.
L'hyperkinésie mimique frontale peut-être ou congénitale ou acquise,
dans la démence par exemple. Les deux genres de l'hyperkinésie savoir :
l'hyperkinésie ophthalmoplégidue et l'hyperkinésie mimique peuvent se
rencontrer chez le même sujet; nous le voyons sur la figure 11 où par
suite de l'affaiblissement du système musculaire inférieur, tous les muscles
frontaux prédominent, mais où, d'autre part, l'affaissement de la paupière
(1) Erb, Neurologisches Centralblalt, 1889, p. -7 et 34-40.
(2) Nell1'olo[f. Centralblalt, 1886, p. 4' ! 0.
DES INDICES PHYSIONOMIQUES DE LA DÉMENCE APATHIQUE 185
a provoqué une contraction compensatrice du muscle frontal plus visible
du côté où la paupière est la plus affaissée.
L'oplathalmoplégie interne est le quatrième indice de la démence apathique :
inégalité des pupilles, forme irrégulière, troubles dans les réflexes des
muscles ciliaires et des sphincters iriens.
Ces symptômes sont des indices connus depuis longtemps dans la para-
lysie générale progressive, on peut les observer presque toujours. Dans les
antres espèces de démence on les observe beaucoup plus rarement. Dans
les cas de démence primaire ou secondaire où l'on constate une ophthal-
moplégie interne, ce symptôme est en corrélation absolue avec les autres
indices anatomiques de la démence.
Le cinquième indice de la démence git incontestablement dans cette trans-
formation spéciale, caractéristique de la mimique et de la physionomie que
les cliniciens cherchent à déterminer lorsqu'ils disent : « le visage a prix
la forme d'un masque et produit une impression de rudesse et de bestialité ».
Cette altération caractéristique de la physionomie était connue depuis long-
temps des aliénistes ; son apparition a été justement considérée comme un
indice incontestable prouvant qu'une psychose, aiguë ou chronique à son
origine, commence à prendre une forme incurable.
Le visage qui a subi toutes ces altérations donne l'impression d'une
plénitude étrange ou bien il est oedémateux et privé de son caractère mi-
mique déterminé. La figure 4 et en partie la figure 5 nous fournissent des
exemples de ces transformations. On peut observer ces particularités non
seulement dans la démence paralytique, mais aussi dans les autres formes
de la démence secondaire.
Deux phénomènes servent de base dans ces transformations physiono-
miques, ce sont : 4° l'affaiblissement des muscles de la face ; 2° des varia-
tions dans la circulation et la nutrition des tissus mêmes, savoir : dans le
derme, dans la couche sous-cutanée. Tous ces changements produisent en
partie cet embonpoint étrange, si connu des cliniciens et des aliénistes et
que l'on ohserve également chez les ivrognes et les crétins.
L'affaiblissement des muscles de la face et le degré de cet affaiblisse-
ment peuvent être observés aisément dans la région orbitaire et dans la
région frontale, par cette raison que, d'une part, le plus ou moins d'in-
tensité avec laquelle les paupières ferment le globe de l'oeil, et d'autre
part, la position des sourcils et la hauteur à laquelle ils se trouvent au-
dessus de l'orbite, peuvent servir de point de départ dans la comparaison.
L'observateur se trouve dans des conditions moins favorables en ce qui con-
cerne les muscles de la face spécialement, pour cette raison que la forme,
la profondeur et la position des sillons naso-lahiaux subissent des variations
individuelles considérables et très diverses.
J86 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Cependant, la force de ces muscles, lo degré de leur contraction peuvent t
être déterminés pendant leur action.
C'est ce principe que j'ai adopté après avoir essayé tous les moyens. En
effet, si un muscle se contracte, son relief est visible. C'est grâce à cela que
M. Erb a pu déterminer exactement le degré d'atrophie congénitale de
certains muscles au moyen de courants d'induction.
Pour ce qui concerne les muscles de la face, il est à considérer que la
plupart des fibres musculaires se terminent non sous la peau, comme dans
les muscles du squelette, mais dans la peau môme (chorion) et que beau-
coup d'entre elles aboutissent aux papilles de la peau, en sorte que le tissu
lui-même de la peau offre une surface étendue à laquelle les muscles sont
fixés par des milliers de points d'attache. Lorsque l'un de ces muscles se
contracte, l'impression qu'il produit est différente de celle que produit un
muscle quelconque du squelette. Le biceps brachial par exemple, en se con-
tractant glisse sous la peau, comme un corps étranger, montrant son relief
à travers la peau, tandis qu'un muscle de la face, le grand zygomatique, le
petit zygomatique, en se contractant, forment un pli sur le limbe de leurs
points d'attache inférieurs, relevant, ramassant et retroussant toute la peau
de la joue qui se trouve au-dessus et dans laquelle leurs fibres nombreuses
sont répandues, produisant souvent des plis supplémentaires. La peau en-
vahie par des milliers de ces fils invisibles rend très fidèlement le travail
du muscle caché sous elle. Dans l'affaiblissement des muscles faciaux, cette
fidélité de transmission disparaît tout d'abord; la peau rend bien encore, il
est vrai, les principaux plis aux points extrêmes du muscle, savoir : à ses
points d'attache aux tendons, aux fascias, aux aponévroses, mais les points
intermédiaires restent intacts, peu mobiles, Pendant la contraction mimi-
que, la peau qui couvre le muscle affaibli, fait l'effet d'une membrane
inerte, privée de son substratum vital ; en sorte que l'on peut affirmer
que l'affaiblissement des muscles de la face agit principalement sur les fi-
bres qui sont attachées au chorion même. Si l'on examine, par exemple, le
sourire d'un dément, on pourra constater que la contraction du grand zy-
gomatique, tout en produisant un sillon naso-labial bien visible ainsi qu'un
agrandissement de l'ouverture de la bouche, laisse cependant peu de mo-
bilité à la peau des joues. Chez l'homme bien portant, au contraire, le sou-
rire produit immédiatement un mouvement général de la peau, depuis le
coin de la bouchejusqu'à l'angle extérieur de l'oeil.
Lorsque le système musculaire mimique est au repos, la tension tonique
diminuée des muscles se transmet surtout aux fibres cutanées dont nous
venons de parler ; voilà pourquoi la physionomie perd cet air de finesse
et de noblesse qui lui est propre pour devenir replète, rude tout comme
chez les aliénés chroniques ; (figure 4). D'autres causes, d'ailleurs, contri-
DES INDICES PHYSI0N0MIQ UES DE LA DÉMENCE APATHIQUE 187
huent encore aux transformations physionomiques que nous venons de
décrire, savoir : des variations dans la circulation et aussi peut-être un
trouble trophique.
Pour ce qui concerne la circulation du sang et de la lymphe, l'affaiblis-
sement des muscles produit naturellement un ralentissement dans la cir-
culation veineuse du sang et du fluide de la lymphe. Dans la démence pa-
ralytique, il y a encore parésie des vaso-moteurs. Tout cela à son tour in-
due sur les conditions de nutrition de la peau de la face et lui prête son
expression oedémateuse et replète.
Pour ce qui est des des troubles trophiques en particulier, l'examen (1)
a prouvé, que dans la paralysie générale progressive, les muscles ne subis-
sent pas de réaction de dégénérescence, comme on pourrait le croire à la
lecture des observations mal fondées de Svietline et publiées par lui. Les
muscles ne subissent aucune dégénérescence ; toutefois des troubles tro-
phiques dans les tissus sont possibles.
Les trois phénomènes dont je viens de parler : l'affaiblissement des mus-
cles, le ralentissement de la circulation du sang et les troubles trophiques
des tissus étant les causes de la rudesse et de l'aspect aricataral du visage
chez les déments, je ne puis signaler pour l'instant d'autres phénomènes
producteurs. Schüle parle aussi de la contracture des muscles; Kraft-Ebing
l'affirme également (2). Dans les formes bien déterminées de la démence
que j'ai examinées, ce phénomène ne joue aucun rôle prépondérant. Voilà
pourquoi, je m'abstiens, pour l'instant, de toute analyse et de toute cri-
tique au sujet de ce phénomène, me réservant de le faire dans des articles
ultérieurs.
En résumé, je puis avancer que la forme la plus simple de la démence,
la démence apathique est toujours caractérisée par l'affaiblissement des mus-
cles de la paupière inférieure, des muscles élévateurs de la paupière supé-
rieure, de tous les muscles faciaux, par certains troubles trophiques et
enfin par une ophthahnoplégie interne. Ce dernier indice apparaît pres-
que exclusivement dans'la démence paralytique et beaucoup moins souvent 1
dans les autres formes de la démence, en sorte qu'il peut être considéré
comme un indice moins constant dans la démence. On constate encore plus
rarement ou plutôt à un degré d'intensité moindre un affaiblissement dans
les muscles du squelette ; cet affaiblissement ne peut être observé que dans
les cas de démence très grave. Cependant, on observe plus souvent un
affaiblissement de la branche motrice du trijumeau; en sorte que l'alfai-
blissement des muscles des paupières et celui des muscles innervés par la
(1) Archiv. sur Psychiatr. XI, p. î îi-î9î. F. Fischer und. Prof. Fr. Schultze. Ueber
electrische Erregbarkeit, etc.
(2) Lehrbuch d. Psychiatrie 1888, p. ti3.
188 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
partie inférieure du nerf facial constituent les indices les plus pathogno-
miques de la démence. C'est surtout dans la démence paralytique et non
dans les autres formes de la démence, que le nerf hypoglosse est attaqué,
en sorte que les parésies de l'hypoglosse ne sont pas le propre de la dé-
mence. D'un autre côté, l'ophthalmoplégie externe, comme telle, n'est
pas aussi le propre de la démence. Les.paralysies bulbaires n'entrent donc
pas directement dans le programme de la démence. Apparemment l'oph-
thalmoplégie interne, que l'on obsene le plus souvent dans la clémence
paralytique, se rapporte à la catégorie des phénomènes bulbaires constants
dans cette maladie, plutôt qu'aux symptômes fondamentaux de la démence.
Il ne peut y avoir guère de doute dans la question du caractère des pa-
ralysies ; dans ces paralysies, on n'observe pas de réaction de dégénéres-
cence et même pour la paralysie générale progressive, l'observation a
prouvé de la façon la plus évidente, que la réaction électrique des muscles
affaiblis pouvait être normale (1). La faiblesse mimique des muscles dé-
pend évidemment d'un changement d'innervation dans les centres situés
au-dessus des noyaux sous-corticaux. Le caractère même de l'affaiblisse-
ment des muscles confirme le fait ci-dessus. J'ai évité de lui donner le nom
de parésie (bien qu'il y ait parésie positivement), vu la variabilité et l'in-
constance de ce phénomène. Et en vérité, les parésies de la démence va-
rient de jour en jour, d'heure en heure ; par suite d'un certain effort vo-
volontaire, ou par suite d'une excitation émotionnelle, un muscle faible
peut produire une contraction assez forte ; c'est vrai non seulement pour
les muscles faciaux, mais aussi pour le muscle élévateur de la paupière.
La véritable signification de ces parésies peut être expliquée principale-
ment par les phénomènes mêmes que nous présente ce muscle. Il est fort
remarquable, en effet, que la parésie de ce muscle ne soit jamais complète,
même dans les ophthalmoplégies certaines, lorsque les autres muscles de
l'oeil sont déjà complètement paralysés (2). Ce fait démontre que l'éléva-
teur de la paupière, indépendamment du noyau de l'oculo-moteur, tire
son innervation d'une autre source encore, de l'écorce cérébrale par exem-
ple, directement ou bien par l'entremise du thalamus optique (3). Les
autres muscles mimiques se trouvent très probablement dans des condi-
tions identiques.
Le fait de la dépendance où se trouve l'innervation mimique vis-à-vis
de l'écorce cérébrale, ressort de la corrélation intime qui existe entre l'é-
(1) Arch. (ill' Psychialr., XI, loc. cil
(2) Nouv. lconogr., III, p. 192.
(3) Recherches de Bechtereff in Neurol. Centralblat, 188G, p. 311. Voyez son rapport
détaillé sur la fonction du thalamus, dans Westnik Psychialrii, 18SU.
DES INDICES PIIYSIOiT011t1QUES DE LA DÉMENCE APATHIQUE 189
tat psychique du malade en démence et sa mimique, cet état peut être
formulé comme suit :
1° Les muscles faciaux ne sont affaiblis que pour l'expression ; pour
les autres fonctions ils conservent leur action.
2° Au commencement de la démence, on peut toujours constater des iu-
dices d'affaiblissement du muscle palpébral inférieur et aussi des autres
muscles et vice versa.
3° Entre le degré d'affaissement psychique et la faiblesse des muscles, il
y a une corrélation quantitative : plus la démence est forte, plus les paré-
sies des muscles sont apparentes et réciproquement.
4° Entre les symptômes psychiques et mimiques de la démence, il y a
une corrélation qualitative à savoir : l'âme du malade ayant conservé la
faculté de certaines affections, une expression mimique correspondante
s'imprime sur le visage; lorsque les affections se sont affaiblies au contraire,
ou qu'elles sont éteintes, l'image mimique correspondante s'efface.
La comparaison entre les malades des figw'es 4 et 5 nous présente à cet
effet un intérêt sérieux.
Le malade (figure 4), professeur dans un collège, homme fort intelligent,
à mesure que la maladie se développe chez lui, devient parfaitement indif-
férent pour tous les intérêts sérieux de la vie, il ne lit,plus, ne converse
pas, n'écrit pas, ne pense pas aux personnes qui lui sont proches, mais il
est encore fort glouton, ne songe qu'à manger ; il est prêt à entrer dans une
assez forte colère, si on le contrarie ou s'il a faim. Conséquemment, con-
formément à ces particularités, le muscle de la colère, le pyramidal du nez
apparait fortement (plis transversaux à la racine du nez, abaissement du
limbe intérieur du sourcil) ; les autres muscles de la face sont relativement
plus faibles.
Le malade de la figure 5 est apathique, il ne s'irrite pas même quand
ses besoins ne sont pas satisfaits; si on le contrarie, il cède et il a perdu
considérablement la faculté émotionnelle. La physionomie exprime par
suite une extrême bonhomie.
Tout ce que j'ai énoncé jusqu'ici prouve absolument que la faiblesse de
la musculature dans la démence découle indirectement ou directement des
troubles qui affectent l'écorce cérébrale. Cette conclusion fondée sur les
faits cliniques est bien conforme à celle que M. Schütz avait tirée de ses
recherches purement anatomiques (1).
En admettant, par conséquent, le caractère cortical des parésies que j'ai
décrites, on appréciera toute la justesse des remarques faites par deux sa-
vants (2) qui disent que les paralysies oculaires d'origine corticale n'ont
(1) Schùlz. Anatom. Unlersuckung. AI'ch. f. Psychiat. XXII, page 583
(2) G. Guinon et l ? Parmcntier. Nouvelle Iconogr. III p. 187.
190 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
pas encore été observées. Il est question incontestablement de l'ophthalmo-
plégie externe comme telle et non de la parésie du muscle élévateur de la
paupière en sorte qu'il me paraît impossible d'expliquer les parésies mi-
miques autrement qu'en les rapportant en partie au moins à l'écorce cé-
rébrale.
Enfin, pour ce qui est des altérations dans l'écorce cérébrale dans la
démence, il faut, selon toutes probabilités, les considérer comme des
processus atrophiques, quelle que soit d'ailleurs leur origine. Joignez-y
la démence paralytique et vous serez encore dans le vrai. Bien que l'on
ait toujours considéré, jusqu'à nos jours, cette dernière maladie comme
inflammatoire, les recherches minutieuses faites dans un laboratoire di-
rigé par un savant fort compétent prouvent que, dans certaines formes de
la paralysie générale progressive, c'est un état maladif atrophique systéma-
tisé et non un état inflammatoire qui joue le principal rôle (1).
On peut donc admettre que la démence apathique, dont les caractères
cliniques sont l'affaiblissement et la privation des fonctions psychiques,
est caractérisée anatomil]lleml'lItpar l'atrophie systématisée de l'écorce céré-
brale et mi1niquement par l'affaiblissement ou la privation totale de la mi-
mique.
J. SIIi01tS11Y,
Professeur à l'Université de Kiew (Russie).
(1) Schùtz. l. c. p. 583.
LE JUIF-ERRANT A LA SALPETRIERE
ÉTUDE SUR CERTAINS NÉVROPATHES VOYAGEURS
INTRODUCTION
De toutes les légendes populaires, celle du Juif-Errant est sans contredit
une des plus universellementrépandues. La mystérieuse figure du Marcheur
Eternel a toujours séduit le peuple; d'ailleurs, les romanciers, les poètes,
les érudits, les peintres ont étudié, commenté, reproduit sous mille for-
mes ses traits immuables et saisissants. Qui ne connaît la complainte fa-
meuse réimprimée chaque année au bas d'une image d'Epinal d'un sou ? " ?
Ce juif célèbre, ce voyageur barbu que rien ne pouvait retenir dans ses
pérégrinations interminables, les médecins n'y prenaient point garde.
Quel intérêt pouvait-il avoir pour eux ? '
Or, dans une de ses leçons du mardi à la Salpêtrière (1), M. le Profes-
seur Charcot rapportant l'histoire d'un nommé Klein, israélite hongrois :
« Je vous le présente, dit-il, comme un véritable descendant d'Ahasvérus
ou Ccartopliil2cs, comme vous voudrez dire. Le fait est qu'à l'exemple des
névropathes voyageurs dont j'ai déjà parlé, il est mû, constamment, par
un besoin irrésistible de se déplacer, de voyager, sans pouvoir se fixer
nulle part. C'est ainsi que, depuis trois ans, il ne cesse de parcourir
l'Europe, à la recherche de la fortune qu'il n'a pas encore rencontrée ».
Ce cas n'était pas isolé. El nous avons été amenés à retrouver plusieurs
exemples analogues parmi les Israélites cosmopolites qui viennent faire
halte à la Salpêtrière.
C'est toujours la même histoire; c'est, à très peu près, toujours la môme
figure. Chaque année, on oint se présentera la clinique de pauvres diables
misérablement vêtus. Leur face amaigrie, aux rides profondes et tristes,
disparaît sous une barbe immense et jamais peignée. D'un ton lamentable,
ils content une histoire pleine de douloureuses péripéties, et si on ne les
interrompait, il semble que jamais on n'en verrait la fin.
Nés bien loin, du côté de la Pologne ou dans le fond de l'Allemagne,
dès leur enfance, la misère et la maladie les oilt accompagnés partout. Ils
(1,) Charcot, Leçons du Hardi, 19 fév. 1889, p. 347 et ses.
192 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
ont fui le pays natal pour échapper à l'une et à l'autre; mais nulle part
ils n'ont encore rencontré le travail qui leur convient ni le remède qu'ils
cherchent. Et c'est après des lieues et des lieues parcourues à pied, sous
la pluie et le vent, par le froid, et dans le plus affreux dénuement qu'ils
viennent échouer à la Salpêtrière dont la renommée les attirait.
Comment ont-ils vécu pendant ces longs voyages ? Rarement de leur tra-
vail : ils ne savent pas ou ne peuvent pas travailler. La charité publique,
et surtout les sociétés philanthropiques juives ont subvenu, de ville en ville,
aux plus pressants besoins. D'ailleurs ils se contentent de peu, étant dé-
nués de tout. -
Presque tous ces israélites sont des neurasthéniques renforcés, dressant
la liste de leurs souffrances, et s'attardant à la lecture des sensations obsé-
dantes qu'ils ont méticuleusement analysées et mises en notes : - Maux de
tète tenaces, digestions pénibles, insomnies persistantes, douleurs erra-
tiques dans le dos et les membres, etc., etc.
Plusieurs, franchement hystériques, ont des attaques classiques suivies
parfois d'hémiplégies et d'hémianesthésies qu'une émotion, un traumatis-
me font apparaitre ou disparaître.
Mais tous présentent en outre un état mental spécial : Ils sont obsédés
constamment par le besoin de voyager, d'aller de ville en ville, de clinique
en clinique, à la recherche d'un traitement nouveau, d'un remède introu-
vable. Ils essayent toutes les médications qu'on leur propose, avides de nou-
veautés ; mais bientôt ils les repoussent, inventant un prétexte futile pour
ne plus continuer, et l'impulsion reparaissant, ils s'enfuient un beau jour,
entraînés par un nouveau mirage de lointaine guérison.
N'oublions pas qu'ils sont Juifs, et qu'il est dans le caractère de leur race
de se déplacer avec une facilité extrême. Chez eux nulle part, et chez eux
partout, les Israélites n'hésitent jamais à quitter leur demeure quand il s'a-
git d'entreprendre une affaire importante, et en particulier, s'ils sont ma-
lades, pour aller à la recherche d'un remède efficace.
Toujours à l'affût des choses neuves, et toujours renseignés de bonne
heure, grâce à leurs relations cosmopolites, on les voit venir de tous les
coins du monde pour consulter les médecins en renom. Un des leurs a-t-
il été guéri ? Tous le sauront ; et, au cas échéant, chacun sera prêt à es-
sayer du remède.
De plus, étant Israélites, ils sont particulièrement exposés à toutes les
manifestations de la névrose. C'est chose remarquable qne la grande fré-
quence des maladies nerveuses dans la race juive. Chez elle, qu'il s'agisse
d'épilepsie, d'hystérie, de neurasthénie, ou de maladies mentales, la pro-
portion est toujours considérable. Maintes fois M. Charcot est retenu sur
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 193
ce point, et son expérience en cette matière est basée sur des centaines de
faits (1).
Le premier israélite voyageur (2) qui l'ait frappé était un marchand de
tapis, venu de Bou-Karah, à Paris, il y a, une quinzaine d'années, et qui
apparut un beau matin dans un costume étrange, vêtu d'une longue tuni-
que noire, la taille serrée par une ceinture à boucle d'argent incrustée de
turquoises, les cheveux à longues boucles coupés suivant une forme spé-
ciale et recouverts d'un petit bonnet persan. Il ne savait pas un mot de
français, et c'est par une lettre en hébreu qu'il lit voir, qu'on apprit sa
religion et sa nationalité.
Il fut difficile de lui faire expliquer sa maladie. Il se plaignait surtout
d'impuissance génitale et en était très affecté. Mais il est probable que le
traitement qu'on lui donna fut efficace et que, de retour dans sa patrie, il
en fit grand éloge, car depuis cette époque, il ne se passa pas une année
sans que M. Charcot ne vit venir à lui des Israélites du même pays, et se
plaignant des mêmes symptômes. Leur costume a bien subi quelques chan-
gements et ils s'habillent à peu près suivant la mode courante ; mais ils
conservent la coupe de leurs cheveux et leur petit bonnet, qu'ils cachent
sous un chapeau haut de forme.
A la Salpêtrière on peut toujours voir un juif explique en traitement.
Tantôt il vient de Russie ou de Hongrie, tantôt de Turquie, d'Arménie.
Beaucoup viennent d'Odessa; quelques-uns des Indes anglaises. Un d'entre
eux, pauvre rabbin de Tétouan, vint, pendant plusieurs mois, faire traiter
sa sclérose en plaques. Il arrivait tous les jours, ponctuellement, accompagné
de sa fille, et vêtu de son costume marocain bien connu dans le service.
Dans un voyage que nous avons eu la bonne fortune de faire avec M. Char-
cot en Tunisie et en Tripolitaine, nous nous rappellerons toujours plusieurs
Israélites qui, à son grand étonnement, l'arrêtèrent dans les rues de Sousse,
de Tripoli, de Malte. C'étaient d'anciens malades qui avaient autrefois tra-
versé la Méditerranée pour venir à Paris chercher auprès de lui un remède
à leur névrose.
Il faut donc faire une large part chez nos voyageurs, à la facilité avec
laquelle les Israélites savent se déplacer ; mais il ne serait pas juste d'attri-
buer uniquement il cette qualité de leur race, les pérégrinations vraiment
surprenantes qu'on leur voit faire.
Ceux-ci sont d'abord profondément névropathes ; les observations en font
foi. Et par surcroît, ils sont soumis il des impulsions irrésistibles qui les
(1) M. le D Dutil doit faire paraître prochainement une étude sur la pathologie des
Juifs où la question sera traitée dans son ensemble. On y verra développées et vérifiées
les précédentes assertions.
(2) Communication orale.
Vi. 14
194 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
entraînent dans un vagabondage perpétuel. Leur idée obsédante n'est pas
absurde en soi ; rien n'est plus légitime que d'aller à la recherche d'un
travail lucratif, ou d'un remède efficace. Ce qui n'est plus raisonnable,
c'est de ne jamais pouvoir continuer une oeuvre entreprise, un traitement
institué : c'est d'aller chercher toujours autre chose et ailleurs. Ce qui est
pathologique, c'est de ne pouvoir résister à ce besoin de déplacement que
rien ne justifie, qui souvent même sera préjudiciable.
Eh bien ! En dehors de l'intérêt qu'offrent ces cas au point de vue neu-
ropathologique, il nous a paru curieux de comparer l'histoire de ces mala-
des avec celle du personnage légendaire qui semble les synthétiser : le Juif-
Errant. Et nous avons été amenés à penser que ce dernier pourrait bien
n'être qu'une sorte de prototype des Israélites névropathes pérégrinant de
par le monde.
LA LÉGENDE DU JUIF-ERRANT
Presque toutes les légendes tirent leur origine d'observations populaires
portant sur des faits matériels. Le merveilleux surajouté en dénature bien-
tôt le caractère au point qu'il est souvent impossible d'en reconstituer les
origines. Et les exégètes ont beau jeu pour édifier des hypothèses qu'un
mot peut à leur gré infirmer ou confirmer.
La légende du Juif-Errant est soumise à ces mêmes lois. A des observa-
tions naïvement recueillies de Juifs vagabonds, barbus, bizarrement accou-
trés, et toujours sans ressources, le besoin du surnaturel et du miraculeux
a fait substituer la conception idéaliste de l'Eternel voyageur expiant par
des pérégrinations interminables la dure parole dite au Christ sur le che-
min du Calvaire.
Nous avons donc recherché les origines de la légende, et nous en avons
analysé les principales versions ainsi que les commentaires auxquels elles
ont donné lieu. Pour compléter celte étude, nous avons consulté les estam-
pes anciennes et modernes qui ont popularisé le type du Juif-Errant. Et il
nous a paru intéressant de rapprocher les anciens récits dans toute leur
naïveté des observations de nos malades, ainsi que les dessins primitifs des
photographies et des croquis que nous avons faits à la Salpêtrière (1).
Nous serons très bref sur la légende elle-même, renvoyant pour tous les
détails aux livres des exégètes qu'elle a passionnés. -
C'est Grégoire de Tours (2) qui, le premier, nous la lit connaître. Mais
(1) Nous devons à l'obligeance de M. Abel Delafosse de précieux renseignements bi-
bliographiques et iconographiques pour lesquels nous tenons à lui exprimer nos' remer-
ciements bien sincères. '
(2) Grégoire de Tours, Epislola ad Sulpilium BilU1'iensem, trad. de l'abbé Marottes, II,
74` ? , P· 118..
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 195
c'est à Matthieu Paris (1), bénédictin anglais qui vivait au temps de IIen-
ri III qu'on doit le premier récit détaillé : Cartophilus (ou Cartaphilus),
portier du prétoire de Ponce Pilate, frappa Jésus-Christ d'un coup de poing
au moment où celui-ci franchissait le seuil de la porte, et lui dit : « Marche !
Jésus, va donc plus vite. Pourquoi t'arrêtes-tu » Jésus se retournant 1
lui répondit : « Je vais. Mais toi, tu attendras ma seconde venue : tu mar-
cheras sans cesse ». Et Cartophilus se mit en route pour ne plus jamais
s'arrêter. Et :
Ne morra pas voirement
' Jusqu'au jour del jugement.
ajoute Ph. Mouskes (2), évêque de Tournay dans sa Chronique rimée.
Ce Cartophilus avait été longtemps mêlé à la foule des disciples de Jé-
sus-Christ. Et, attiré par la nouveauté des idées qu'il entendait émettre,
frappé par les prodiges qu'il voyait accomplir, il était devenu un fervent.
Instinctivement, il prévoyait une grande innovation et voulait être prêt à
en tirer parti ; il pressentait une force nouvelle et songeait à en profiter.
Mais lorsqu'il vit Jésus condamné, rester sans défense contre ses bourreaux
et subir toutes les humiliations et tous les supplices, alors il se prit a dou-
ter, et bientôt perdit toute confiance.
« Ce qu'il faut remarquer, c'est qu'ayant vu Jésus aller à la mort, il ne
voulut plus reconnaître en lui qu'une puissance magique et qu'il jugea
comme des prestiges les surprenantes merveilles qui l'avaient saisi et qui
l'entouraient encore... (3) ».
Ne voit-on pas là déjà une analogie frappante entre la conduite de ce Car-
tophilus et celle de ces névropathes voyageurs attirés par le renom d'une
grande personnalité médicale, pleins d'espoir et de confiance en ses pré-
ceptes, mais bientôt désabusés et méfiants, abandonnant leur ancienne foi,
« cherchant partout de plus puissants enchanteurs, et ne les trouvant ja-
mais (4) ».
Dans une autre version de la légende que relate une lettre datée de
Schleswig le 19 juin 4556., imprimée à Leyde en 1G02, et traduite à Bor-
deaux en 1609, il est question « d'un grand homme ayant de longs cheveux
qui lui pendoient sur les espaules, Juif de nation, nommé Ahasvérus, cor-
donnier de son métier, qui avait esté présent il la mort de Jésus-Christ et
depuis ce temps-la a tous jours demeuré en vie (5) ».
(1) Dlatthoei Paris, llislonia Major, in fol. édit. Will Wats., p. 352, Londini, 1640.
(2) Chronique rimée de Ph. Mouskes, ed. Reiffemberg, p. 491.
(3) J. Collin de Plancy, Légende du Juif-Errant, 1847, in-8, Paris. '
(4) Ibid. '
(5) Lettre de Leyde, 1602. 1 -
196 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Dès lors les deux légendes s'entremêlent, et un juif du nom d'Ahasvérus
ne cesse de courir le monde sur l'ordre du Seigneur.
Les apparitions se multiplient. On le rencontre en toutes les villes de
l'Europe. Et le peuple croit volontiers à son existence miraculeuse ; seuls,
les érudits discutent et se permettent de douter. « Plusieurs ont disputé
de cet homme et de son histoire, pro et contra ; les uns affirment qu'il est
vrai homme naturel ; les autres nient cela, et que c'est un spectacle mau-
vais, comme il est rapporté par leurs raisons » (1).
Les commentateurs abondent, et chacun disserte longuement; mais c'est
surtout en Allemagne que sont fréquentes les apparitions de celui qu'on
y appelle : der Eivige Jade, le Juif-Eternel.
On le voit à Hambourg en 1542, en 1564 (Bulenger) (2), en 4566 (Bou-
trays) (3), à Strasbourg, où il « parlait allemand », à Lubeck en 1601 ; à
Leipsick en 1642. On le trouve en Autriche, à Vienne en 1599, en Russie
à Moscou en 1613 ; à Bruxelles en 1640.
Il apparaît en France (4), en Champagne, sur la route de Paris où des
gentilshommes qui se rendaient à la cour de Henri IV firent sa connais-
sance (1604).
(1) Discours véritable du Juif-Errant. Bordeaux, 1608. Voyez aussi : Chrysostomus
Duduloeus. Von einen Juden von Jérusalem, Akasoe·us 7enazzzzl. Augsburg, 1619, in-4-.
Et Christophorus Schultz : Dissertatio lzisloricct de Judoeo non morlali. Regiomonti,
In-4,, 1698.
(2) Champfleury, Histoire de l'Imagerie populaire, Paris, Dentu, 1886.
(3) Bulenger, llisloria siti tempo1'is.
zut. Bouthrays, Commentarii lzislo·ici, 1610, in-folio. -
Fig. 20. - OE AR BOUDEDEO » le Juif-Errant breton.
Croquis d'après une image populaire du cabinet des Estampes de la Bibliothèque Nationale.
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 197
Toutes les provinces tenaient à honneur d'avoir vu le Juif-Errant tra-
verser leurs frontières : Metz, Poitiers, Avignon, Rennes, etc., se font
gloire de sa visite.
En 1575, deux ambassadeurs du duc de Holstein à Madrid, Christophe
Elseinger et Jacobus le rencontrèrent en chemin : ce fut en langue espa-
gnole qu'il leur apprit sa triste destinée.
Tous les peuples l'ont chanté : les Anglais dans une ballade fameuse
The Wandering Jew. Les Suédois, les Hollandais lui consacrent de longs
poèmes ; les Suisses le nomment : le Juif courant.
Les Bretons ont sur lui un gwerz mélancolique « Ar Boudedeô » dont
voici quelques strophes qui résument le principal épisode de la légende CI) ;
Moi, Boudedeo, le malheureux, je vis Jésus ressusciter Lazare, frère de Mag-
deleine ; je le vis aussi délivrer un grand nombre dépossédés ; mais ce fut en vain
que je vis tous ces miracles, malheureux que je suis !
Quand la croix fut faite on la lui mit sur les épaules, pour monter sur le
mont Calvaire. En voyant le peuple courir, je pris mon enfant, et j'allai sur le
seuil de ma maison pour le voir passer.
Et Jésus, accablé de fatigue et n'en pouvant plus, voulut se reposer un peu
devant ma boutique, et je lui dis d'un ton insolent : Retire-toi vite de devant
ma boutique, car tu es un méchant 1
Ta présence me fait tort ; elle deshonore et souille ma maison ; retire-toi, te
dis-je, méchant, maudit sorcier 1 Va à la mort, que tu n'as que trop méritée !
Et Jésus me répondit d'une voix douce et dolente. Je vais me retirer, homme
sans coeur, homme malheureux 1 Bientôt je me reposerai dans mon Père ; mais
toi, tu n'auras pas de repos dans ce monde, tu marcheras jusqu'à la fin du
monde 1
.................................
Et quand j'eus vu notre Sauveur mourir sur la croix entre deux voleurs,
souffrant des douleurs infinies, je commençai mon voyage qui ne devait pas
finir, la mort dans ) ? une et je dis un triste adieu à Jérusalem 1.....
En France, une première complainte est écrite a Bordeaux au commen-
cement du XVIIe siècle, en 1609 (2). Le Juif-Errant y raconte ses longs
voyages.
le fay, dit-il, icy bas pénitence
Touché je suis de vraye repentence.
(1) Champfleury, loc. cit. Traduction du guerz du Juif-Errant, A1' l3oudedeô, par F.
M. Luzel. '
(2) Discours véritable d'un Juif-Errant, lequel maintient avec paroles probables avoir
été présent à voir crucifier Jésus-Christ, et est demeuré en vie. Chanté sur l'air des Da-
mes d'honneur.
198 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Je ne fay rien que d'aller tracassant
De pays en autre demandant en passant. z
Mais la seconde complainte, communément datée de Bruxelles en Bra-
bant (177riz) est de beaucoup la plus' importante. C'est un chef-d'oeuvre
dans l'espèce, et si le nom de son auteur est resté inconnu (1), les vingt-
quatre couplets qui la composent demeurent gravés dans toutes les mémoi-
res ainsi que l'image mirifiquement enluminée qui l'accompagnent. C'est
là que pour la première fois, il prend le nom d'Isaac Laquedem, mot dérivé
de l'Hébreu la Kedem qui veut dire : de l'ancien monde, du temps passé (2).
Plus près de nous, le Juif-Errant a séduit encore bien des poètes et des
romanciers.
Goethe a voulu en faire une épopée.
Béranger a utilisé la légende pour chanter l'humanité et la fraternité.
E. Sue (3) a écrit un -long roman.
Scribe et St-Georges (4) ont composé un livret d'opéra dont Halévy a
fait la musique.
Pierre Dupont (5) en a tiré un poème qui est loin d'avoir la saveur naïve
de la complainte. Et Gustave Doré qui en a fait de vastes illustrations, ne
paraît pas avoir compris la figure du Juif-Errant avec la même sincérité
que les imagiers populaires.
LES PORTRAITS DU JUIF-ERRANT
« Toutes les éditions populaires de la Légende, dit M. Ch. Nisard, don-
nent des portraits du Juif-Errant d'après un même modèle. Il serait sans
doute digne d'un artiste et d'un antiquaire, de remonter à la source et d'en
découvrir l'auteur (6). »
» certes il serait intéressant de connaître l'auteur de ce type primitif sur.
lequel paraissent calqués tous les autres. Cependant, tout en continuant à
ignorer son nom, nous sommes portés à croire que son dessin n'est pas seu-
lement une composition fantaisiste ; mais bien l'exacte reproduction d'un
modèle que cet artiste a eu sous les yeux.
Le Juif-Errant des estampes anciennes est bien un vrai Juif-Errant, et
c'est le Juif-Errant de la Salpêtrière.
« La première gravure connue d'après le Juif-Errant, dit Champfleury
(1) Paul Boiteau l'attribue àBerquin (Légendes pour les enfants, Hachette, 1861,in-18).
(2) Groesse, Tradition du Juif-Errant, du Sage von Evigen Juden, Dresden, 1844, in-8.
(3) E. Sue, Le Juif-Errant, Paris, 1811, 4 vol. in-12.
z (4) Scribe et St-Georges, Oeuvres complètes de Scribe, 3' série, t. 5, Paris, 1874-77.
(5) Pierre Dupont, La légende du Juif-Errant, illustrée par G. Doré. Paris, 1862, in-
folio.
(6) Ch. Nisard, Histoire des livres populaires et de la littérature du colportage, t. 1,
p. 493, cité par Champfleury.
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 199
qui en a patiemment recueilli la collection, est celle tirée de la « Courte
description et aventure d'un Juif nommé Ahasvérus ». Imprimé à Bautzen
en 1602, chez .Wolfang Suchnach; cet in-quarto en allemand comporte qua-
tre feuilles et se trouve à la bibliothèque de Munich » (fig. 2).
La figure du Juif dans cette vignette très simple présente déjà les carac-
tères typiques sur lesquels nous reviendrons : la longue barbe frisée et in-
culte, le nez fort, rait triste et le sourcil contracté douloureusement.
Une gravure allemande sur cuivre (1), datée de 1618 reproduit à peu
près les mêmes caractères. Les traits de la physionomie en sont finement étu-
diés et le sentiment douloureux hien rendu. Nul doute ici que la figure ait
été dessinée d'après nature et que l'artiste ait cherché à rendre fidèle-
ment et naïvement l'expression de son modèle (fig. 3).
Les Flamands, les Hollandais, les Suédois ont aussi dans leur imagerie
ancienne des portraits d'Ahasvérus où l'on retrouve toujours la recherche
d'un type uniforme. Le vêlement seul change suivant les pays et suivant
les âges.
Dans les pliegos espagnols, les graveurs, amoureux du symbole, le repré-
sentent « portant au milieu du front une croix lumineuse qui lui ronge le
crâne et dévore éternellement son cerveau ». ' '
En France, « l'image d'Ahasvérus, entre toutes, a été la plus populaire
de celles qui ont fait gémir les presses d'Epinai, de Metz, de Nancy. Par-
tout, depuis le commencement de ce siècle, le Juif-Errant a décoré la ca-
bane du pauvre, ayant pour pendant Napoléon. Il semble que le peuple
(1) Cette gravure donnée par Champfleury fait partie d'un livret allemand intitulé :
« Vrai portrait d'un Juif de Jérusalem nomné Ahasvértis ». imprimé il Augsbourg chez
.la Veuve Sara Mangin. Edité par Wilhelm Pater Zimmermann, graveur, 1618.
Fig. 21. - Le Juif-Errant, d'après la plus ancienne gravure connue.
Bibliothèque de Munich, reproduite par Champfleury.
200 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
donnait une place égale dans son esprit 1 ces deux grands marcheurs (1) ».
La plus ancienne gravure française est de Le Blond (2) vers le milieu
du XVIIe siècle. Une autre fort intéressante (fig. 4) que M. Garnier con-
sidère comme originaire des imageries de Chartres, nous laisse un portrait
remarquable du Juif-Errant (3). Celui-ci ne forme qu'une partie de la
planche dans laquelle on voit trois autres compartiments reproduisant les
principaux épisodes de la légende. La figure du Juif est traitée avec beau-
coup de sincérité. Elle est pour nous particulièrement précieuse, car elle
(1) Champfleury, loc. cit.
(2) Le Juif-Errant. Le Blond excudit avec privilège du Roy, entre 1640 et 1650.
(3) Chez Bonnet (31, rue St-Jacques, Paris : Imprimerie de Chassilignon, rue Git-le-Coeur.
Fig. 22. AHASVÉRUS, fac-simile d'une gravure allemande de 1618, d'après Champfleury.
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 201
se rapproche d'une façon frappante de celle de nos malades, principale-
ment de celui de l'observation III.
Un portrait analogue (fig. 5) qui pourrait bien avoir été copié sur le
précédent, sert de frontispice à la légende publiée dans le Midi de la France.
Le dessin en est étrangement fruste ; mais le caractère général du sujet
est assez bien conservé.
A la Bibliothèque nationale, on trouve au cabinet des Estampes dans le
portefeuille qui a pour titre : Complaintes et Légendes, la série presque
complète des images coloriées du Juif-Errant éditées en France, à Epinal,
Metz, Nancy, lIont1>éliard, Rennes, Orléans. La plus ancienne (fig. 6), et
non la moins curieuse, teintée de deux tons seulement, jaune et violet,
est de Desfeuilles, graveur. Elle date de 1816 à 1850. Le personnage a bien
le type des juifs allemands ou polonais. Le nez, la barbe et les cheveux
Fig. 23. Le Juif -Errant (extrait d'une image populaire donnée par Champfleury).
202 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
sont classiques. Il est vêtu d'une longue houppelande que nous retrouve-
rons sur presque tous nos malades avec quelques modifications que la mode
a fait intervenir.
- Nous donnerons encore (Gg. -13) le croquis d'un profil intéressant pris sur
un image de Dembour et Gengel (Metz, 1842). Contrairement à ce qu'on
observe sur la plupart des portraits du Juif-Errant où l'artiste accentue
l'expression de douleur et de lassitude (1), on est ici en présence d'un
homme à la face souriante. Mais son rire n'est pas franc. Il a quelque chose
de forcé et de pénible. Cela tient à la présence sur le front des rides pro-
fondes qu'on retrouve sur presque toutes les images et qui sont l'empreinte
laissée par les longues misères et les cruelles douleurs.
(1) Personne ne l'a jamais vu rire, Chrysostomus Duduloeus, V. Martin Zeiller. Let-
tres et Écrits, Ulm, 1636, II, p. 701, ep. 587.
Fig. 24. - Frontispice de la légende du Juif-Errant, publiée dans le Midi de la France
d'après Champfleury.
LE JUIF ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 203
Or ce même sourire triste et faux nous l'avons vu bien souvent sur la
face d'un de nos malades (Moïse). Il n'est pas inadmissible de supposer que
l'artiste qui a dessiné ce portrait l'eût observé sur son modèle.
Il serait trop long de passer en revue toutes les variétés de composition
et de facture qu'on peut voir dans cette collection. Chaque artiste a donné
sa note personnelle dans -un détail souvent sans importance. Le costume
surtout a prêté aux variations les plus disparates. Ahasvérus se montre tan-
tôt vêtu à la turque, un turban sur la tête, tantôt à la cosaque, avec un bon-
net de fourrure, tantôt déguisé en bandit d'opéra-comique, une plume au
chapeau. Mais le plus souvent on l'habille il l'allemande : un feutre il lar-
ges bords sur ses cheveux longs et bouclés, une longue lévite à grands re-
vers, et des bottes plus ou moins déformées.
Aussi sans nous attarder il cette étude iconographique, nous allons don-
ner de suite- les observations de nos malades ; mais il importe de remarquer
dès maintenant combien tous les portraits du Juif-Errant ont entre eux de
caractères communs, et avec quelle fidélité les artistes se sont attachés à
Fig. 25. Le Juif-Errant, d'après une estampe de Desfeuilles, imagier à Nancy. Bi-
bliothèque nationale, cabinet des estampes (complaintes et légendes), 1820, d'après
Champfleury.
204 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
conserver son type primitif. Sans doute on peut supposer que beaucoup de
ces portraits ont été copiés les uns sur les autres : le fait n'est pas rare chez
les imagiers populaires. Mais il faut bien reconnaître que les plus anciens
sont précisément les plus frappants ; et c'est avec ces grossières reproduc-
tions de la nature, naïvement mais fidèlement exécutées qu'on devra surtout
comparer les dessins des névropathes voyageurs.
Nous espérons faire reconnaître alors que le Juif-Errant de la Légende,
et le Juif-Errant des cliniques ne sont qu'un seul et même type : un névro-
pathe voyageur, pérégrinant sans cesse, apparaissant aujourd'hui, dispa-
raissant demain, suivi bientôt d'un autre qui lui ressemble en tous points :
Juif qui est errant
Parmy le monde, pleurant et soupirant
Un troisième viendra semblable aux précédents, puis un quatrième, et
ainsi de suite.
(A suivre) IIENRY MEME
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE
ÉTUDE CLINIQUE ET ANATOMO-PATHOLOGIQUE
Travail du Laboratoire de la Clinique des Maladies
du Système nerveux (Suite) (1).
Les lésions méningées de la syphilis peuvent se limiter aux enveloppes
immédiates des centres nerveux, aussi bien dans la moelle que dans le
cerveau, c'est-à-dire à la pie-mère et à l'arachnoïde ; mais parfois elles
ont pour point de départ la dure-mère. A côté des lepto-myélites diffuses
que nous avons eues en vue précédemment, il y a donc lieu de distinguer
une pachyméningo-myélite syphilitique. On conçoit qu'ici les lésions ma-
croscopiques deviennent évidentes : l'inflammation avant de se propager à
la moelle épinière envahit les 3 tuniques, qui s'épaississent, contractent
entre elles des adhérences.
La carie syphilitique des vertèbres peut être le point de départ d'une telle
lésion, car elle s'accompagne fatalementd'une pachyméningite externe, de la
même manière que la carie syphilitique des os du crâne peut se propager à la
dure-mère cérébrale. Bien que ces altérations rachidiennes aient attiré les
premières l'attention des observateurs, on peut dire aujourd'hui qu'elles
représentent la grande exception, relativement au nombre de cas où la
syphilis se localise d'emblée sur les enveloppes molles de la moelle. Nous
envisagerons ici exclusivement les faits de cet ordre, laissant également de
côté les tumeurs gommeuses des méninges (dont les observations ne sont
pas moins rares) pour nous limiter aux formes diffuses de la pachyménin-
gite syphilitique.
Tel est le cas dans l'observation suivante, qui nous a été communiquée
par notre cher maître, M. Brissaud.
(1) Voy. les no' 2 et 3,. 1893;
206 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Observation 111.
Syphilis 8 ans auparavant : K la suite, violentes céphalées spécifiques, puis douleurs
très intenses dans la région cervicale du rachis. Plusieurs ictus apoplecliformes,
En 1892, paraplégie avec participation delà vessie; ictus répétés, quelques trou-
bles cérébraux (perte de mémoire, lenteur de parole) raideur de la nuque el
exagération considérable des réflexes tendineux aux membres supérieurs. Mort
des suites d'un érysipèle de la face.
Diagnostic : Méningite cérébro-spinale syphilitique, pachyméningite spinale avec
envahissement de la moelle. -
Ger... Euphémie 43 ans entre le 28 février 1892 Ù l'hôpital Sain.t-Antoine,
salle Lorain n° 7 (service de M. le doct. Brissaud). '
Rien de particulier dans les antécédents héréditaires. Pas d'accidents nerveux
dans l'enfance. Mariée do bonne heure, elle a eu 6 grossesses dont 2 fausses
couches. Devenue veuve il y a 10 ans, elle a eu, depuis cette époque, beaucoup
de chagrin. Il y a 8 ans, elle a contracté la syphilis d'un officier son amant, les
accidents secondaires ont été constatés et soignés par son médecin.
Depuis lors la malade a présenté une série d'accidents ininterrompus. Ce
furent d'abord des céphalées d'une grande violence, localisées dans la région oc-
cipitale principalement. Puis elle a eu des douleurs très intenses dans la région
delà nuque. Ou voit encore aujourd'hui la trace des nombreuses pointes de feu
qui ont été appliquées dans cette région. A plusieurs reprises, depuis la même
époque, elle a vu double. Après une période de répit, les céphalées et les dou-
leurs cervicales reprirent plus violentes que jamais ; et la malade dut entrer il
y a 2 ans à l'hôpital Tenon (dans le service de M. Talamon).
Elle présentait à cette époque (1889) de la raideur de la nuque avec des dou-
leurs intermittentes d'une intensité très grande à ce niveau ; une grande fai-
blesse des membres inférieurs. Elle eut, pendant son séjour à l'hôpital, plusieurs
ictus non suivis de paralysies. Elle présentait de la lenteur de la parole, et un
léger frémissement des lèvres. Diagnostic hésitant entre méningite cérébro-
spinale syphilitique et pseudo-paralysie générale syphilitique. Un traitement
spécifique fut institué; elle quitta l'hôpital améliorée mais non guérie.
Il y a 2 mois, nouvel ictus apoplectiforme non suivi de paralysie ; même
accident il y a 3 semaines. Survient alors un grand affaiblissement général ; les
douleurs cervicales reparaissent (1), la faiblesse des membres inférieurs aug-
mente, et la malade entre dans le service de M. Brissaud le 28 février 1892.
'Au moment de son admission (28 février 1892) la malade présente un amai-
grissement considérable. Elle répond avec peine, comme une personne fati-
guée aux questions qu'on lui pose. Mais ses réponses sont parfaitement rai-
sonnables. La parole est lente, légèrement bredouillée, mais l'articulation des
syllabes est assez distincte. La malade prononce bien : artilleur d'artillerie.
(1) Il n'est pas spécifié dans l'observation si ces douleurs rachidiennes et les céplialées
qui les ont précédées se produisaient plutôt la nuit que le jour. , , )
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 207
Etat psychique normal, sauf une certaine apathie ; caractère doux. La mé-
moire fait un peu défaut, surtout quand l'interrogatoire se prolonge.
Elle présente une paralysie presque complète des deux membres inférieurs.
Dès qu'on la met sur ses pieds, elle s'affaisse immédiatement. Au lit, elle exé-
cute quelques mouvements, mais très lentement et très incomplètement. Aucune
espèce de résistance musculaire dans les différents segments des membres in-
férieurs.
Les membres supérieurs sont affaiblis également, mais il un degré beaucoup
moindre. Les réflexes tendineux sont très exagérés aux quatre membres (sur-
tout du côté gauche pour le membre supérieur). La trépidation spinale se pro-
duit très facilement aux membres inférieurs, plus fortement du côté gauche.
Les avant-bras sont considérablement amaigris, en masse, sans atrophie mus-
culaire localisée. Il y a une diminution de volume évidente des thénars et hy-
pothénars.
Pas de troubles de la sensibilité sauf une légère hypoesthésie dans tout le
côté gauche. La malade se plaint surtout de douleurs spontanées dans la région
de la nuque, avec irradiations dans l'épaule droite. A la percussion, à la palpa-
tion, le rachis est douloureux dans toute la hauteur, non seulement dans la
région cervicale, mais jusque dans la région dorsale inférieure. ,
Raideur marquée de la nuque, les mouvements de la tête sont gênés.
Du côté des yeux : nystagmus très prononcé. Les mouvements des globes
oculaires s'exécutent bien ; mais les mouvements réflexes de l'iris sous l'in-
fluence de la lumière sont abolis ; les réflexes accommodateurs sont affaiblis
considérablement.
A la face, il y a une légère déviation de la commissure labiale à droite, sur-
tout quand la malade ouvre la bouche ; pas d'autre anomalie dans la sphère des
nerfs crâniens.
La vessie est prise; la malade est incapable de retenir longtemps ses urines.
Ultérieurement, pendant son séjour à l'hôpital, elle a eu de l'incontinence abso-
lue.
Comme stigmate extérieur de syphilis, on constate actuellement sur los jam-
bes, les cicatrices d'ulcérations guéries : le fond présente une teinte cuivrée,
leur surface est gaufrée, principalement sur les bords qui sont décolorés.
Malgré l'emploi du traitement spécifique, l'état de la malade resta stationnaire
pendant les mois de mars et d'avril.
lor mai. La malade vomit depuis quelques jours.
5. Elle a un ictus. En lisant le journal, elle a tout il coup pâli, s'est ren-
versée en arrière et a perdu connaissance pendant quelques secondes. Cyanose
pendant Ja durée de l'ictus ; pas de convulsions. A la suite, vomissements et
violente congestion de la face.
6. Les vomissements continuent. Elle n'a aucun souvenir de ce qui lui
est arrivé hier. -
7. Plus de vomissements. Recrudescences des douleurs dans le cou et
dans les deux épaules ; la malade y éprouve une sensation très-pénible de froid.
208 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
On note quelques secousses fibrillaires dans les muscles de l'épaule. Réflexes
tendineux toujours très exagérés, même aux membres supérieurs.
La malade contracte un érysipèle de la face à la fin du mois de mai, et meurt
cinq jours après dans le service d'isolement.
Autopsie. Il n'existe de lésion importante que du côté du système ner-
veux. Congestion assez marquée du foie et des reins. Pas de lésions pulmo-
naires ; absence complète de tubercules.
A l'examen macroscopique du cerveau il n'existe d'altérations qu'à la base.
En cette région, la pie-mère offre un épaississement fibreux manifeste, avec
adhérence intime au tissu nerveux sous-jacent, notamment dans l'espace inter-
pédonculaire et jusqu'au niveau du chiasma : les deux nerfs oculo-moteurs sont
englobés dans cet épaississement. Les artères de l'hexagone, ainsi que les
vertébrales et le tronc basilaire ont leurs parois hypertrophiées : ces vaisseaux
cheminent dans un tissu fibreux dense.
A la face antérieure de la protubérance, la pie-mère se comporte de la même
manière : elle est intimement soudée, au niveau du sillon bulho-protuhérantiel,
à la face antérieure de la pyramide droite : la consistance du tissu nerveux est
manifestement diminuée en ce point. La lésion va eu s'atténuant sur les olives.
Sur les parties latérales du bulbe, les enveloppes sont seulement épaissies.
L'épendyme a une apparence granuleuse sur le plancher du 4° ventricule.
Plus bas, à partir de la moitié inférieure des olives, des lésions méningées
s'étendent à toute la périphérie du bulbe. On ne saurait en détacher les ménin-
ges, sans enlever le tissu nerveux sous-jacent.
Les origines des nerfs crâniens, à partir de la 6° paire sont recouvertes d'un
tissu fibreux épais.
Sur les coupes, à l'aeil nu, on ne constate aucune lésion au foyer, ni dans le
Cerveau, ni dans le mésocéphale.
Examen macroscopique de la moelle. Dans toute la région cervicale, la
moelle est entourée d'une épaisse virole formée par les 3 méninges hypertrophiées
et soudées entre elles. Il n'y a pas d'adhérences avec le périoste des vertèbres.
Dans la région cervicale supérieure, le diamètre de l'organe est plus que dou-
blé, en comprenant les enveloppes. Les trois méninges sont aussi bien impos-
sibles à séparer les unes des autres qu'à détacher de la moelle.
Vers le renflement cervical, la dure-mère cesse d'être adhérente à la face an-
térieure, mais reste soudée aux faces latérales et postérieures de la moelle. La
forme de celle-ci est parfaitement conservée : la substance grise a sa configura-
tion normale. Les cordons postérieurs seuls paraissent avoir souffert : ils pré-
sentent une coloration grisâtre, leur tissu est diminué de consistance.
La même lésion se poursuit jusqu'à la région dorsale supérieure. Dans la ré-
gion dorsale moyenne, la moelle reprend son apparence normale. La dure-mère
n'est plus épaissie; les méninges internes se détachent facilement; elles pa-
raissent seulement un peu épaissies. Rien d'anormal dans les régions dorsale,
inférieure et lombaire.
de la MÉN 1 NG O-IYÉLIT syphilitique 209
Examen microscopique.
La protubérance, le bulbe il ses différentes hauteurs, le rendement cervical,
la moelle dorsale et lombaire différents niveaux ont été examinés bistologi-
quement, après durcissement des pièces dans le liquide de Millier et inclusion
dans le collodion. Nous avons examiné également des coupes du chiasma, du
moteur-oculaire commun, des racines spinales au niveau du rendement cervical.
Renflement cervical. En examinant les coupes à l'aide d'un faible grossis-
sement il ce niveau, on constate que la méningite est limitée il la demi-circon-
férence postérieure delà moelle. (Fig. 26).
Les 3 méninges sont soudées entre elles et unies intimement à la moelle
dans l'étendue des cordons postérieurs. Les racines postérieures il leur origine
sont recouvertes par les enveloppes épaissies. Sur une préparation traitée par le
picrocarmin, la dure-mère apparaît il ce niveau, comme une large bande de
tissu conjonctif fibreux, dense, teintée en rose clair, et creusée de vaisseaux
nombreux.
L'arachnoïde et la pic-mère sont confondues en une seule nappe de tissu con-
jonctif fibrillaire, moins compact, où l'hématoxyline colore des noyaux nom-
breux, au pourtour des petits vaisseaux principalemenl. Les parois de ceux-ci
sont le siège d'une infiltration embryonnaire abondante; un grand nombre de
petits vaisseaux sont oblitérés et montrent une transformation fibreuse com-
plète.
La moelle épinière elle-même présente une dégénérescence correspondant à la
symphyse méningée, c'est-à-dire comprenant les cordons postérieurs, les cor-
nes postérieures et la partie la plus reculée des cordons latéraux. Cette dégé-
nération non systématisée, s'étend dans la moelle sous forme d'un triangle, dont
la base très élargie, répond à la périphérie, dans l'étendue qui correspond il la
méningite, et dont le sommet, très-aigu, va se prolonger jusqu'à la substance
grise de la commissure. Le sillon médian postérieur est complètement effacé.
A l'aide d'un plus fort grossissement (obj. 2 à 7 Yérick) on peut voir que,
dans ce territoire médullaire dégénéré, pénètrent des travées volumineuses, par-
ties de la périphérie. Ces travées portent des vaisseaux il parois relativement t
énormes, et dont la lumière est réduite il une fente. L'hématoxyline y colore
vi 15
Fig. 26. Méningite spinale limitée à la région postérieure de la moelle : symphyse
méningo-médullaire. - Envahissement par propagation des cordons postérieurs et de
la partie la plus reculée des cordons latéraux. (Moelle cervicale).
210 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
des noyaux peu nombreux relativement à l'épaisseur des parois. Il n'y a pas là
d'infiltration embryonnaire comparable à celle qui existe autour des capillaires
des méninges.
Dans cette région dégénérée, la coupe est, pour ainsi dire, couverte de corps
granuleux, disséminés entre les éléments nerveux qui persistent ou situés dans
la gaîne lymphatique de quelques petits vaisseaux. Ces corps granuleux sont
faciles à apercevoir dans les préparations fraîchement montées dans la glycéri-
ne. Par place ils forment des amas ; c'est à leur abondance que le tissu semble
devoir sa grande fragilité dans cette région.
Les fibres^ nerveuses sont gravement-lésées, presque toutes en voie de des-
truction ; un grand nombre d'entre elles ont disparu complètement. Mais on ne
voit pas, sous le microscope, un seul point de la région qui en soit totalement
dépourvu.
Dans le reste de la moelle (cornes antérieures, cordons antéro-latéraw, sauf
leur partie postérieure), on ne constate pas de lésions appréciables. Les grandes
cellules des cornes antérieures se montrent normales comme nombre et comme
structure ; les petits vaisseaux ne présentent pas d'hypertrophie de leurs parois,
comme dans la région dégénérée.
Les méninges sont un peu épaissies sur les parties antéro-latérales de la
moelle; mais pas d'une façon comparable à l'hypertrophie qu'elles présentent
dans la région postérieure. Au niveau du cordon antéro-latéral droit, quelques
petits vaisseaux méningés ont leurs tuniques infiltrées de cellules rondos et sont
plus ou moins oblitérées ; mais la moelle n'est pas intéressée à ce niveau.
Fait intéressant à noter : les vaisseaux nourriciers de la moelle ne présentent
d'altérations de leurs parois que dans l'étendue où les méninges elles-mêmes
sont touchées. Ainsi en avant, au niveau du sillon médian antérieur, l'artère
et la veine spinales se montrent normales sur la coupe.
Racines cervicales. - Nous avons examiné séparément des coupes transver-
sales de racines à ce niveau. Les postérieures en particulier ont beaucoup souf-
fert. Elles étaient englobées dans les méninges épaissies ; et nous avons eu
grand peine à les détacher : des lambeaux de tissu fibreux y sont restés adhé-
rents. Au microscope, on constate sur les coupes qu'un grand nombre de filets
radiculaires sont transformés en cordons fibreux compacts, traversés par des
vaisseaux à parois hypertrophiées, sans aucune trace de filets nerveux. D'autres
montrent des tubes rares et altérés. Sur toutes, le névrilemme est épaissi ; 1,
mais on ne voit d'infiltration cellulaire, ni dans les parois des vaisseaux, ni dans
les travées conjonctives.
Les racines antérieures présentent des modifications du même genre, mais
beaucoup moins prononcées. Sur toutes les coupes de ces racines, on voit que
les méninges adjacentes sont confondues avec le périnévre épaissi ; elles pré-
sentent de nombreux petits vaisseaux oblitérés.
Région dorsale supérieure.
Comme lésion importante dans cette région, il n'existe qu'une double dégéné--
ration pyramidale, plus accentuée à gaucho, qui trouve son explication dans
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 211
les lésions rencontrées plus haut. Elle est mal limitée en dehors, car elle touche
en un point à la périphérie, sans respecter le faisceau cérébelleux direct.
Du côlé des méninges, léger épaississement dans la région postérieure, mais
sans envahissement de la moelle. Les cordons postérieurs sont absolument
sains.
Sur les préparations colorées* par la méthode de Weigert, les racines posté-
rieures il ce niveau se montrent décolorées; elles renferment il peine quelques
fibres prenant la coloration noire de l'hématoxyline. Sous ce rapport elles con-
trastent avec les racines antérieures qui sont saines.
Région dorsale moyenne (6e, 7" racines).
La méningite reparaît il ce niveau : les 3 méninges sont soudées entre elles
et fort épaissies il la surface du cordon latéral droit ; mais le tissu médullaire
sous-jacent n'est pas intéressé. La double dégénération pyramidale signalée plus
haut, n'atteint pas cette région.
Dans le renflement lombaire, il n'existe aucune apparence anormale du côté
des méninges, de la moelle, ni des racines.
Bulbe rachidien et protubérance.
Sur les coupes transversales qui passent à la partie tout il fait supérieure de
l'entrecroisement des pyramides, on voit que, à la surface de la pyramide anté-
rieure droite, les méninges, fibreuses, très épaissies sont étroitement adhérentes
il la substance nerveuse. La pyramide correspondante est dégénérée, et l'on
y constate il peu près les mêmes lésions que dans les cordons postérieurs au
niveau de la moelle cervicale. Sur les coupes traitées par la méthode de Pal, la
surface de cette pyramide se montre décolorée. La pyramide du côté gauche n'a
pas souffert, bien que la méninge soit également hypertrophiée il ce niveau.
Cette altération de la pyramide droite s'arrête au niveau du sillon hulbo-pro-
tubérantiel.
Dans la protubérance elle-même, il existe, sur le plancher du 4e ventri-
cule, au niveau du calamus, une petite hémorrhagio récente et de peu d'impor-
tance, n'intéressant pas les noyaux sous-jacents. Les noyaux d'origine des nerfs
lnllho-protubéranticls ne présentent pas de modifications importantes. Cepen-
dant, dans la moitié gauche do toute la région, les cellules nerveuses qui com-
posent ces noyaux paraissent peu nombreuses et diminuées de volume relative-
ment il celles du côté opposé, bien que toutes celles qui sont présentes aient con-
servé noyau et nucléole bien apparents. Le contraste entre les deux côtés, sans
être très accentué, est constant sur toutes les coupes à peu près. Ceci s'appli-
que en particulier au noyau de l'hypoglosse, au noyau moteur central (antéro-
latéral, accessoire de l'hypoglosse, noyau inférieur du facial). Les vaisseaux
présentent d'ailleurs, dans la substance grise du 4° ventricule, une gaine lym-
phatique distendue de corps granuleux cellulaires.
L'épendyme est épaissi, semble friable. En un point répondant à la partie
gauche du bec du calamus (coupes passant par la partie inférieure des olives), il
existe une infiltration embryonnaire compacte, sous forme de nodule arrrondi.
212 ) NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Coupes du nerf optique droit Il sa sortie du chiasma (fig. 2ï).
Sur toute la périphérie, le périnèvre se montre épaissi. En deux endroits
principalement il existe une tuméfaction de l'enveloppe du nerf, formée d'un
amas de petites cellules rondes à gros noyau.
Toute la région périphérique du nerf est dégénérée ; un grand nombre de
fibres nerveuses ont disparu. Cette zone marginale présente en outre la coupe
de petits vaisseaux dont les parois sont pénétrées de cellules rondes exactement
semblables il celles qui infiltrent le périnèvre. Dans la partie centrale au con-
traire, bien que les travées interstitielles soient augmentées d'épaisseur et les
parois des capillaires infiltrées légèrement, le tissu nerveux lui-même est nor-
mal. Les coupes du nerf oculo-moteur droit ont montré des lésions exactement
semblables il celles du nerf optique ; sauf que l'infiltration cellulaire est un peu
plus diffuse ici. Les tubes nerveux sont aussi plus raréfiés que dans le chiasma.
Coupes du tronc basilaire.
Le tronc basilaire et les artérioles qui cheminent à la surface do la protubé-
rance montrent une hypertrophie notable de leur tunique interne, composée
d'une couche dense de tissu conjonctif. Mais la lumière est restée perméable
dans tous les vaisseaux de calibre. En outre; sur presque toutes les artères,
l'adventice est épaissie, plus ou moins confondue avec le tissu fibreux amhiant;
et les vaso-vasorum sont oblitérés en grand nombre. La tunique musculaire
paraît normale; l'élastique est comme tendue, et ne décrit pas de sinuosités
comme on en voit sur les coupes d'une artère saine.
A plus d'un litre, cette observation diffère des deux précédentes. Au
point de vue clinique, les accidents médullaires se montrent à une époque
beaucoup plus éloignée du début de l'infection, étala suite d'une série
d'accidents (céphalées spécifiques, rachialgies violentes, raideur de la nu-
que), qui font défaut dans les cas I et IL A l'autopsie, point n'est besoin
du secours du microscope ici, pour constater l'importance des lésions : la
Fig. 27. - Coupe transversale du nerf optique droit à sa sortie du chiasma. Épaississe-
ment et infiltration du périnèvre; dégénérescence des fibres nerveuses de la zone péri-
phérique (Méthode de PAL).
DE LA 11GNINGO-llLYi : LITE SYPHILITIQUE 213
moelle, dans la région cervicale, est entourée d'une épaisse virole compo-
sée de 3 enveloppes hypertrophiées et soudées entre elles (voir iig. 23).
Cette énorme méningite s'est propagée à la moelle elle-même, d'une façon
diffuse, dans l'étendue de sa demi-circonférence postérieure.
A partir de la région cervicale, la lésion va en diminuant vers le haut et
vers le bas ; mais l'examen attentif du mésocéphale et du cerveau nous a
démontré que la méningite, se poursuivant jusque sur le bulbe et la pro-
tubérance, atteignait la base du cerveau, au niveau de l'espace inter-pé-
donculaire. Les nerfs de cette région, le chiasma, sont intimement adhé-
rents à la pie-mère épaissie qui les recouvre. L'examen hislologique
d'ailleurs confirme l'existence d'une leptoméningite ancienne, qui a eu
pour conséquence la destruction des fibres a la périphérie des cordons
nerveux en question (voir fig. 26).
Une autre particularité, que nous a également révélée dans ce cas l'exa-
men histologique pratiqué au niveau du foyer même de la lésion rachi-
dienne, c'est que les vaisseaux nourriciers de la moelle et ceux des ménin-
ges ne sont intéressés que sur les points correspondant à la méningite
elle-même. En particulier l'artère et la veine spinales antérieures offraient
une apparence normale sur les coupes pratiquées au niveau du renflement
cervical. En un mottes altérations vasculaires, dans ce cas, n'ont pas pré-
senté, relativement à celles des méninges, l'indépendance que nous avons
signalée à plusieurs reprises dans les observations précédentes. Enfin le
microscope n'a pas montré de caractères spécifiques dans les lésions cons-
tatées : il s'agit d'une néoformation fibreuse, d'une véritable cicatrice en-
globant les 3 méninges, qui sont intimement soudées à la moelle : tout au
plus existe-t-il quelques cellules rondes au pourtour des petits vaisseaux
qui sont plongés dans ce tissu cicatriciel, et de ceux qui pénètrent dans la
moelle au niveau du territoire dégénéré; mais rien qui rappelle les for-
mations gommeuses ou le tissu de granulations.
Nous n'hésitons pas pour notre part à rattacher à la syphilis les lésions
spinales qui viennent d'être décrites. L'absence de caractères spécifiques
n'est pas faite pour nous surprendre ici plutôt que dans telle hépatite sclé-
reuse, ou telle sclérose syphilitique du testicule. Nous avons affaire d'ail-
leurs, selon toute vraisemblance, à une lésion de vieille date, dont l'ori-
gine remonte aux premiers accidents cérébro-spinaux éprouvés par le ma-
lade, c'est-à-dire à 7 ou 8 années. Ajoutons que l'ordre d'enchaînement
des différents accidents nerveux dans cette longue période, débutant par
des céphalées syphilitiques, pour s'accompagner plus tard des symptômes
d'une méningite spinale chronique, contribue à donner à l'affection un ca-
ractère très particulier et qui se retrouve dans de nombreux cas du même
genre. Nous aurons l'occasion d'insister plus loin sur ce point.
214 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
En parcourant la littérature médicale à ce sujet, on trouve un certain
nombre de faits publiés, qui paraissent, pour ainsi dire, calqués sur le
précédent jusque dans leurs moindres particularités. Ces faits se rappor-
tent à la syphilis cérébro-spinale, en ce qui concerne les lésions du moins;
ils mériteraient de figurer dans les ouvrages classiques sous la désignation
de méningite cérébro-spinale syphilitique. Les seuls qui nous occupent ici
sont ceux où la moelle est envahie secondairement aux enveloppes ; ceux-
ci constituent une variété de méningo-myélite syphilitique.
Depuis longtemps, Virchow avait désigné la base du cerveau, et spécia-
lement l'espace inter-pédonculaire, la région du chiasma, comme un lieu
de prédilection des méningites syphilitiques : cette localisation particulière
s'observe tout particulièrement ici. La méningite basilaire, qui ne
va pas sans intéresser plus ou moins profondément les nerfs crâniens au
voisinage desquels elle se développe, tend à se propager vers le bas, c'est-
à-dire vers la moelle épinière. Jiirgens (1) a l'ait remarquer il ce propos
que la syphilis, dans les centres nerveux, paraissait suivre fréquemment
une marche descendante. Nous verrons plus loin comment celte évolution
particulière se traduit souvent très nettement en clinique.
Les méninges rachidiennes sont intéressées ici d'une manière très accen-
tuées ; les lésions prédominent d'une façon il peu près constante à la région
cervicale, el, dans cette forme plus que dans toute autre, la dure-mère prend
part au processus. En résumé, ainsi que le fait remarquer Jurgens, la lésion
consiste en une pachyméningite interne avec arachnite et leptoméningite.
Il en résulte une véritable symphyse méningée, qui a pour conséquence
inévitable les plus graves désordres anatomiques du côté de la moelle épi-
nière.
Dans l'important travail auquel nous venons de faire allusion, Jfir-
gens rapporte 5 observations qui justifient la description précédente. Un
fait analogue a été publié par Oppenheim (2), dans un intéressant mémoire
sur la syphilis cérébro-spinale. Une femme de 27 ans, ayant contracté la
syphilis 7 ans auparavant, présente des accidents cérébraux, puis une pa-
raplégie qui l'emporte en quelques mois. A l'autopsie on constate l'exis-
tence d'un rétrécissement syphilitique du rectum. Les lésions rencontrées
du côté des centres nerveux justifient le diagnostic de méningite cérébro-
spinale syphilitique, porté du vivant de la malade. Les méninges cérébra-
les sont épaissies et opaques au niveau de la base et du chiasma optique
en particulier. Les nerfs crâniens sont recouverts d'un tissu de nouvelle
(1) Jurgens, Ueber Syphilis des Rüchenmarks und seiner Haute. Ch(l1'ité-Annalen, 1885,
p. 72J.
(2) Oppenheim, Zur Kentniss der syphilitischen Erkrankungen des centralen Nervensys-
tems (Berlin. Klin. Wochenschrifl, 1889, 11,, 48, r9).
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 215
formation, très vascularisé. Les grosses artères de la base (tronc basilaire,
vertébrale) ont leurs parois épaissies; leur adventice est confondue avec le
tissu ambiant. La méningite va en augmentant d'intensité du côté de la
moelle épinière. Dans les 2/3 supérieurs, il existe une hypertrophie colos-
sale des méninges qui sont unies entre elles et ai la moelle; la dure-mère
est complètement soudée à l'arachnoïde ; la moelle elle-même est très alté-
rée dans toute l'étendue de cette méningite ; le tissu montre au microscope
un grand nombre de cellules rondes et de corps granuleux.
Nous signalerons encore une observation identique de Heuhner (1), une
autre de Bruberger (2). Il est permis de penser que ces faits ont été souvent
compris par les auteurs classiques dans la description des méningites spi-
nales chroniques. Il est démontré aujourd'hui qu'il y a lieu, au moins pour
un certain nombre d'entre eux, de substituer la syphilis à l'inlluence du
froid humide ou d'autres causes aussi peu importantes souvent invoquées
dans l'étiologie de ces affections spinales.
En dépit des différences importantes qui séparent ces pachy-méningiles
propagées a la moelle épinière des leptomyélites étudiées précédemment
nous avons cru pouvoir les réunir à celles-ci sous le titre de méningo-myé-
lites parce que le processus fondamental ne diffère pas essentiellemeW dans
ces deux variétés : dans les deux cas nous avons signalé la localisation ini- i-
tiale sur les méninges et la propagation de l'inllammalion a la moelle;
enfin la participation des vaisseaux nourriciers de la moelle, ayant pour
conséquence inévitable des troubles circulatoires et une nutrition insuffi-
sante des éléments nerveux.
Si l'importance des lésions méningées est généralement plus considéra-
ble dans les faits de la seconde catégorie; et si, d'autre part les altéra-
tions vasculaires semblent parfois avoir une indépendance relative, dans
ceux de la première, nous avons vu qu'un examen anatomique attentif ne
permettait pas d'établir entre eux une distinction radicale.
SYMPTOMES
Il ne saurait être question, en l'étal actuel, de décrire chacune des for-
mes cliniques de la syphilis médullaire en regard d'une forme anatomique
exactement déterminée. Le but du précédent chapitre a été avant tout
d'indiquer, il l'aide de quelques faits particuliers étudiés du plus près pos-
sible, le processus général des lésions syphilitiques de la moelle. Mais,
ainsi que nous le verrons dans la suite, il est de certains types cliniques,
aujourd'hui bien connus, qui se reproduisent sous nos yeux d'une façon
(1) 111-.UBNER (Zienzssezz'a Uandbuch, Bd. Il, Ilhlfte 1).
(2) Buudeugeii, IVi1'c ! tvw's .41,chiv., Bd. LX, 1814.
2leu NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
trop constante, trop monotone, pourrait-on dire, pour ne pas se rattacher
à une lésion également constante aussi bien dans sa localisation et son
évolution que dans sa nature. Or l'anatomie pathologique n'a pas encore
prononcé d'une façon précise à l'égard de toutes ces variétés. Quoiqu'il en
soit nous nous attacherons à décrire les formes les mieux caractérisées cli-
niquement de syphilis médullaire, en prenant soin d'indiquer dans quelle
mesure on peut en rapporter les particularités symptomatiques aux lésions
anatomiques que nous avons rencontrées.
Ainsi dans la très grande majorité des cas, les symptômes qui traduisent
l'envahissement du tissu médullaire sont annoncés par une série de trou-
bles prémonitoires, signalés par tous les auteurs, et que l'on est autorisé
à rapporter aux lésions premières en date : soit qu'il s'agisse de phéno-
mènes d'irritation en relation avec l'inflammation desméninges (IIeubner),
soit que ces prodromes soient la conséquence de l'ischémie médullaire ré-
sultant du rétrécissement de calibre des vaisseaux nourriciers. Nous dé-
crirons ces deux périodes en donnant à l'appui quelques observations
nouvelles.
PÉRIODE PRÉMONITOIRE
Mentionnée par la plupart des auteurs (Zambaco, Ladreit de La Char-
rière, Heubner, Gilbert et Lion), cette période prodromique consiste es-
sentiellement en troubles de la sensibilité : douleurs rachidiennes plus ou
moins irradiées ; fourmillements, engourdissements dans les membres.
M. le professeur Charcot dans une clinique toute récente à la Salpê-
trière (1), montrait que, dans certains cas, la rachialgie qui précède les
affections syphilitiques de la moelle et les annonce, présentait des carac-
tères très spéciaux et méritait d'être dénommée rachialgie syphilitique,
au même titre que les céphalées bien connues, qui précèdent d'ailleurs
souvent aussi les complications cérébrales.
Voici alors comment les accidents se succèdent. Un malade, syphiliti-
que depuis un temps variable, généralement peu considérable sans
qu'il y ait de loi absolue à cet égard, comme nous le verrons est pris
tout à coup de céphalées d'une intensité toute particulière, offrant
d'ailleurs les caractères classiques des céphalées spécifiques. Des symp-
tômes cérébraux tantôt légers, tantôt graves se montrent en même temps :
vomissements, état vertigineux sub-continu avec exacerbations, parfois
même état comateux passager ; ou bien c'est une paralysie d'un nerf crâ-
nien et tout spécialement d'un des nerfs moteurs de l'oeil.
(1) Cette clinique a été publiée depuis (Médecine moderne, 17 juin 1893).
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 217
Jusqu'ici tous les accidents paraissent être en relation avec une poussée
de méningite syphilitique cérébrale localisée a la base principalement. Mais
voici que le tableau clinique se transforme, et que la maladie entre dans
une seconde phase, la phase rachidienne, pour ainsi dire, celle qui doit nous
occuper tout spécialement ici. Les troubles cérébraux graves ont disparu
ou à peu près ; les douleurs céphaliques très atténuées commencent à s'ir-
radier vers la région cervicale du rachis, et au bout de quelques jours
elles ont fait place à une rachialgie très particulière dont les caractères
sont les suivants. Semblable en cela aux céphalées qui ont précédé, la
douleur rachidienne se produit principalement la nuit. Dans l'observation V
elle apparaît vers 10 heures du soir; d'autres fois c'est vers le matin,
de 1 à 3 heures (observ. VI), ou bien elle présente deux maximums
dans la nuit après le coucher, et vers le matin (observ. IV). Sa localisa-
tion déÎ1nilive n'a rien de constant; mais elle finit par objecter, chez un
même sujet, toujours le même siège dans son retour périodique. Les ma-
lades indiquent le plus souvent un foyer douloureux avec des irradiations
tout au pourtour; et cette particularité n'est pas non plus sans analogie
avec ce que l'on sait de la céphalée syphilitique. C'est ainsi que chez le ma-
lade W... qui fit l'objet de la leçon de M. le professeur Charcot(ohserv.V),
la rachialgie, après avoir occupé d'une façon transitoire la région intersca-
pulaire, se cantonna définitivement dans la région lombaire sur une lar-
geur à peu près égale à celle de la main, s'irradiant vers les deux flancs,
surtout du côté droit.
Localisée à la région cervicale, la rachialgie s'accompagne de raideur de
la nuque avec douleurs irradiées dans le cou, dans les membres supérieurs.
Les mouvements communiqués ou spontanés provoquent des élancements
douloureux. Ainsi l'une de nos malades ressentait dans ces conditions des
élancements jusque dans l'extrémité des doigts (observ. VII). Si elle
occupe la région dorso-lombaire du rachis, elle peut se propager aux
régions correspondantes du tronc sous forme de douleurs extrêmement
violentes, comparables à des brûlures, à des déchirements qui obligent
les malades à avoir recours aux révulsifs cutanés, aux injections de mor-
phine (observ. IV, V).
Au bout de quelques jours à quelques semaines, la moelle elle-même
est envahie; et sa participation se traduit par l'apparition de paraly-
sies que nous aurons à étudier ensuite. Les phénomènes d'irritation
méningée disparaissent généralement alors (bien que ce ne soit pas une règle
absolue) ; et le malade n'est plus qu'un paraplégique vulgaire, présentant
plus ou moins. complet le syndrome de la myélite transverse (ex. observ. V,
VI, X).
Lorsque l'évolution de la maladie est telle que nous venons de l'indi-
218 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
quer, on est en présence d'un type morbide véritablement très spécial,
que la syphilis semble seule capable de réaliser, et dont les différentes
étapes peuvent se résumer ainsi : méningite cérébrale - méningite cé-
rébro-spinale syphilitique, méningo-myélite.
.IÜrgens (1) se fondant exclusivement sur un certain nombre d'exa-
mens anatomiques, avait émis l'opinion que les lésions syphilitiques, dans
les centres nerveux, suivaient une marche descendante. Il semble que cli-
niquement il soit possible de suivre cette évolution descendante dans
beaucoup de cas. M. le professeur Charcot faisait récemment cette remar-
que, en même temps qu'il attirait l'attention sur la rachialgie syphilitique.
Toutes ces particularités se retrouvent dans l'observation suivante, qu'on
peut considérer comme un bel exemple de méningite cérébro-spinale sy-
philitique, au cours de laquelle s'est produite une hémiplégie spinale.
Observation IV.
(Due il l'obligeance de M. le ])1' Gilles de la Tourelle).
Accidents de méningite cérébrale syphilitique survenus dans le cours de la pre-
mière année de l'infection. - Paralysie de la 3e paire, céphalées nocturnes ac-
compagnées de vomissements . Ultérieurement rachialgie spécifique. Dans
une 3e étape, envahissement de la moelle épinière, marqué par une hémiplégie
spinale (syndrome de l3rotcc-Séitarcl) et plus lard par une paraplégie.
Amélioration sous l'influence du traitement spécifique.
(Cette malade a été vue en consultation et traitée par MM. les professeurs
Charcot et Fournier. Nous remercions vivement M. Gilles do la Tourette qui
en a recueilli l'observation, et a bien voulu nous la communiquer).
1\1me il-I... 22 ans. Bonne santé habituelle avant son mariage. Pas d'antécédents
nerveux personnels ou héréditaires. Se marie en janvier 1890 avec M. 1\1.. at-
teint 3 mois avant son mariage d'un chancre de l'index droit suhi de roséole
légère. Jusqu'à l'époque actuelle (juillet 1892) les accidents de Mme M. ont été
remarquablement bénins.
Vers le commencement de mars 1890, Mme M. est atteinte de boutons périllé-
aux. Elle se présente le 2 mai à la consultation de M. le professeur Fournier,
qui porte le diagnostic de syphilis (plaques muqueuses hypertrophiques végé-
tantes, éruptions disséminées) et prescrit le traitement mcrcuriel.
De maiàjuin de la même année, elle ressentit de violentes névralgies dans le
côté gauche de la tête. Celles-ci ont duré 2 mois; elles étaient surtout nocturnes,
et d'une intensité telle que la malade était obligée de se lever pour prendre de
l'antipyrine. Parfois elles s'accompagnaient de vomissements.
Le 28 août 1890 elle accouche d'un enfant mort depuis 2 mois environ.
En mars 1891, la suite d'un refroidissement, elle contracte une arthrite
(1) JURGENS. Charité Annales, 1885.
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 219
rhumatismale aiguë de l'épaule gauche. Puis les névralgies nocturnes reviennent
à divers intervalles. A la suite d'une de' ces crises névralgiques, en mai 1891,
survint subitement une chute de la paupière supérieure gauche, avec diplopie,
sans déviation apparente du globe oculaire. Ceci dure jusqu'en août 1891 : à
cette époque, elle suit un traitement par les frictions etl'io(lure. Subitement
la vision normale se rétablit, et le ptosis disparaît.
Le Ier septembre 1891 elle se rend à X. après un voyage très fatiguant. Aus-
sitôt son arrivée dans cette ville, elle ressent, sans fièvre, des douleurs intenses
au niveau de la nuque, le long de la colonne vertébrale, particulièrement dans
la région lombaire. Ces douleurs irradiaient dans les deux côtés du thorax, par-
ticulièrement à gauche vers les 5e et 6e côtes : elles étaient très violentes et né-
cessitaient des piqûres de morphine.
Puis apparut une paralysie des membres supérieurs et inférieurs gauches
sans ictus. ' '
La paralysie de la jambe gauche s'est établie progressivement en 15 Ù 20 jours
(du 10 au 30 septembre) ; elle est absolue. La piqûre est parfaitement sentie.
Le bras gaucho est un peu moins paralysé : il persiste quelques mouvements
d'adduction de l'avant-bras. Pas d'insensibilité.
Vers le 15 septembre, réapparition dos phénomènes oculaires, ptosis, myosis,
diplopie.
Octobre. Les douleurs des deux côtés du thorax sont atroces : la malade
les compare à des brûlures, à des crochets qui traversent les chairs ; elles sont
diurnes mais surtout nocturnes, survenant une heure après le coucher et vers
cinq heures du matin en particulier.
La vessie est prise ; il existe des besoins fréquents et impérieux d'uriner. La
malade doit faire de violents efforts pour rendre quelques gouttes d'urine ; il
existe aussi do l'incontinence. Constipation opiniâtre : les matières sont moins
bien senties que d'habitude au passage ; quelquefois incontinence.
Fin d'octobre. Survient au sacrum une eschare de la dimension d'une pièce
de 5 francs. Elle met un mois à guérir.
Depuis que la paralysie des membres du côté gauche est survenue, la malade
n'a pas suivi de traitement spécifique : elle a pris seulement une petite quantité
d'iodure de potassium. M. le professeur Fournier, consulté à la fin d'octobre,
prescrit de l'iodure et des frictions mercurielles.
Le bras gaucho guérit au bout de quinze jours. En novembre 1891 la jambe
gauche recouvre ses mouvements. A mesure qu'ils reviennent la malade res-
sent des crampes dans le membre inférieur gauche, et le mollet est le siège
d'une douleur persistante.
A cette époque, la jambe droite se paralyse en 8 jours. Au moment où le
membre inférieur droit se paralyse, l'inférieur gauche, la région abdominale
du côté gauche deviennent insensibles a la piqûre. Le membre inférieur droit
au contraire était le siège d'un vide hyperesthésie (hémiparaplégie spinale avec
hémianasthésie croisée).
Vers janvier 1892, douleurs à la nuque surtout quand la malade retourne un
peu brusquement la tète.
220 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
15 janvier 1892. - Les troubles observés sont franchement médullaires. Il
ne s'agit pas du tabes, car le réflexe rotulien est exagéré, les signes de Romberj et
d'A. Roberson manquent absolument. L'hémiparaplégie spinale persiste. Cystite
purulente. Par deux fois troubles cérébraux congestifs subits. Douleurs en cein-
ture.
La paralysie devient un peu moins accentuée dans le membre inférieur droit, t,
dans le courant du mois de janvier. La malade traîne la jambe d'abord et fauche
ensuite.
Février 1892. Même état. Alternatives de rétention et d'incontinence d'u-
rine. - -
25 juin. Douleurs de tète horribles du côté gauche. Sensation de torsion
du globe oculaire. Puis paralysie du moteur oculaire externe gaucho avec myo-
sis. Les douleurs disparaissent le jour où s'établit la paralysie oculaire.
ET.\T actuel (7 juillet 1892).
Malade de taille moyenne, blonde, amaigrie, notablement anémique. Organes
thoraciques absolument sains.
Paralysie très marquée, mais, toutefois incomplète du membre inférieur droit, t,
sans amyotrophie. Cependant les masses musculaires sont un peu moins fermes,
que celles du membre inférieur gauche. Pas de troubles de sensibilité. La
malade ne peut marcher qu'en s'appuyant sur une canne et soutenue. La jambe
droite est jetée en avant, fauche en décrivant un arc de cercle. Réflexe rotu-
lien droit très exagéré, avec trépidation spinale.
Réflexe rotulien gauche exagéré également; mais pas de trépidation de ce côté.
Réflexes olécraniens normaux.
Douleurs toujours très vives dans le côté droit au niveau des 4e, 5e, 6 ? ver-
tèbres dorsales, s'irradiant dans les espaces intercostaux jusqu'au sein. Dou-
leurs spontanées et exagérées par la pression, constantes, diurnes et nocturnes.
Cependant le sommeil est assez bon.
OEil gauche : Myosis, impossible de porter l'oeil en abduction ; diplopie (pa-
ralysie de la te paire).
OEil droit normal.
Besoins impérieux d'uriner, rétention ; constipation.
La malade est sujette il de légères syncopes ou évanouissements, sans aura.
Pas de troubles sensitivo-sensoricls.
Depuis le 6 juillet, prend par jour 4 gr. d'iodure de potassium. On fait une
injection quotidienne de peptonate de mercure de 0, 010 milligrammes. - Poin-
tes de feu sur la colonne vertébrale tous les 6 jours.
Le 30 juillet l'état est le suivant : cessation complète des douleurs du côté ;
la marche est meilleure. Mme M. peut aller et venir en s'appuyant sur le bras
de son mari. Mais il existe toujours de la trépidation spinale du pied droit. Celle-
ci est apparue également à gauche, légère et n'entravant pas la marche. Etat t
stationnaire de la paralysie oculaire.
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 221
L'histoire suivante paraît copiée, pour ainsi dire, sur la précédente, en
ce qui concerne les prodromes de l'affection médullaire. Seulement ici, les
premiers accidents syphilitiques, au lieu d'être récents, remontent à -1G ans.
Une particularité également bien digne d'intérêt, dans l'observation qu'on
va lire, c'est qu'il s'agit d'un névropathe, et que l'apparition d'accidents
syphilitiques du côté des centres nerveux paraît avoir été déterminée par
un traumatisme moral, un revers de fortune.
Observation V.
(Communiquée par le M. le prof. Charcot ; le malade a fait l'objet d'une
leçon clinique il la Salpêtrière).
. Syphilis certaine (plaques muqueuses, psoriasis palmaire). Seize ans plus lard, à
l'occasion d'un revers de fortune, accidents nerveux graves : céphalées nocturnes
d'une grande intensité. Rachialgie nocturne, d'abord cervico-dorsale, puis
lombaire. Ensuite paraplégie spasmodique avec participation des sphincters.
Disparition de tous les accidents cérébraux.
W... 41 ans, israélite, représentant de commerce. Entre à la Salpêtrière,
dans le service de M. le professeur Charcot, salle Bouvier iio 20, le 18 mars 1893.
Antécédents héréditaires. Père mort des suites d'un accident de voiture il
l'âge de 70 ans; très vigoureux, n'avait jamais fait de maladie ; un peu buveur,
surtout dans les derniers temps de sa vie. Mère morte en couches a 34 ans,
bien constituée; n'était pas nerveuse. Pas d'antécédents nerveux dans la fa-
mille, à la connaissance du malade.
Antécédents personnels. Né d'un second mariage de son père, il a eu
2 frères et 1 soeur du même lit. Les deux frères sont morls de maladie aiguë
(fièvre typhoïde ? ), sa soeur vit encore ; elle est mariée, pas nerveuse, mais mal
portante depuis un accouchement difficile.
W. lui-même n'a jamais fait antérieurement de maladie il proprement par-
ler ; mais il eut quelques accidents nerveux. A la mort de l'un de ses frères,
qu'il apprit tout d'un coup, sans préparation, il eut, à l'âge de 19 ans, une sorte
d'absence cérébrale, suivie d'une faiblesse très grande dans les membres infé-
rieurs. Cela dura 6 semaines ; on était obligé de le faire marcher. Plus tard ( à
de 30 ans), il perdit une soeur (née du premier mariage de son père) qu'il
aimait beaucoup. Il eut une sorte de crise nerveuse pendant la cérémonie fti-
nèbre ; il voulait se jeter dans la tombe. A la suite, il fut malade pendant
1 mois : battements de coeur terribles.
A de 2S ans, il eut des plaques muqueuses il l'anus et dans la bouche :
la syphilis a été reconnue par le Dr Duplouy, médecin des hôpitaux de Roche-
fort, qui ordonna des pilules mercurielles, plus tard du sirop de Gibert, et
enfin K I. Le malade s'est soigné régulièrement tous les ans depuis cette épo-
que; il chaque' printemps, il reprenait de l'iodure pendant 6 semaines.
De chancre induré, il n'a aucun souvenir : rien dans son histoire qui per-
mette de penser à l'existence d'un chancre extra-génital. Pas d'accidents cutanés
222 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE. -
autres qu'un psoriasis palmaire, apparu 2 ou 3 ans après les plaques iiiuqtieti-
ses, diagnostiqué par un médecin qui ordonna du sirop de Gibert. Guérison
définitive au bout d'un mois.
Bonne santé jusqu'à la fin de l'année 1892. Marié : 3 enfants admirablement
portants. Il gagnait beaucoup d'argent dans l'exploitation des inventions nou-
velles ; lorsque, en novembre 1892, il apprit tout coup que sou banquier avait
fait faillite. Il perdait, dit-il, 500,000 francs.
A la suite de cette nouvelle, sa santé s'est dérangée. Des céphalées terri-
bles sont apparues la nuit, avec tous les caractères des céphalées spécifiques; elles
se produisaient régulièrement toutes les nuits vers 1 heure du matin, et le pri-
vaient de sommeil. Il se faisait alors une injection de morphine, ce qui lui per-
mettait de dormir 1 heure ou 2 ; mais la céphalée reparaissait vers 3 heures du
matin. Dans la journée, il dormait bien dans son fauteuil. Ces céphalées se sont
ainsi répétées chaque nuit pendant une période de 4 à 5 semaines. La douleur
siégeait principalement dans la région occipitale, et de là, s'irradiait en arrière
jusque dans les épaules et dans la région inlerscapalaire.
Pondant le mois de janvier 1893, les céphalées nocturnes ont rait place à des
douleurs rachidiennes lombaires (l'une gra1l ! le jnt(,lIit( ? EI]es revenaient ia unit
la même heure que les céphalées (1 à 3 heures du matin). Le malade était
obligé de se lever, afin de s'appliquer des cataplasmes, de prendre de l'antipy-
rine. Leur siège principal étail la région dorso-lombaire médiane, sur une sur-
face à peu près égale il celle de la main. De ta elles s'irradiaient vers les deux
flancs, surtout clans le liane droit : le malade les compare il une griffe qui lui
aurait déchiré la peau.
La vessie a été prise de très bonne heure. Dès le mois de décembre, alors
que le malade n'avait encore que des céphalées, il se produisit de la rétention
d'urine : on a dû le sonder une fois.
Pendant le mois de janvier 1893, survient en quelques jours une faiblesse
croissante des jambes, surtout de la jambe droite. La marche a été difficile de-
puis cette époque; mais jamais le malade n'a eu de paralysie complète, l'obligeant
à garder le lit.
Examen du malade ci son admission . - Il présente une paraplégie spasmodique
incomplète avec prédominance de la faiblesse et du spasme dans le membre in-
férieur droit. La marche est possible ; elle se fait même assez bien et assez vite
à l'aide d'une canné. Le caractère spasmodique de la démarche existe, atténué.
Seulement, quand on commande au malade de presser le pas, la jambe droite est
visiblement gênée par la raideur, et la plante du pied frotte parfois le sol.
Au repos, la tonicité des muscles est normale ; il n'y a pas de raideur perma-
nente. La force musculaire est considérable dans les différents segments des
membres inférieurs ; cependant elle paraît diminuée à droite. Au niveau du
pied, du genou, on arrive il triompher des efforts de résistance du malade. Les
réflexes rotuliens sont très considérablement exagérés, et ;'1 peu près également
des deux côtés. Un simple choc sur le tendon patellaire donne lieu à plusieurs
secousses convulsives dans les muscles de la cuisse; La trépidation spinale est
produite avec la plus grande facilité il droite Comme il gauche.
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 223
Le malade éprouve toujours des douleurs nocturnes lombaires, telles qu'et-
les ont été décrites plus haut; mais elles sont moins intenses. Dans le jour il
se plaint seulement de lourdeur des reins : il ne souffre aucunement clans les
membres inférieurs.
La sensibilité objective est absolument normale sous tous ses modes dans l'é-
tendue des deux membres inférieurs : contact, température, douleur, tout a été
exploré négativement.
La miction se fait toujours difficilement et lentement : le malade accuse des
spasmes de la vessie au moment où il veut uriner. Il n'est plus nécessaire de re-
courir à la sonde cependant. Constipation tenace, qui exige l'usage presque
continuel de purgatifs.
Aux membres supérieurs, rien d'anormal autre qu'une exagération très no-
table des réflexes tendineux aux coudes et aux poignets, mais le malade n'y
accuse ni faiblesse ni douleur. La sensibilité y est également normale.
Rien dans le domaine des nerfs crâniens ; l'examen des yeux n'a montré au-
cune espèce d'anomalie. L'état psychique et mental du malade n'offre rien de
particulier à mentionner : il est seulement un peu loquace et expansif, sa mé-
moire est bonne ; et il renseigne fort bien sur son histoire.
On est tout à fait fondé à admettre, dans les cas de ce genre, une ana-
logie complète entre les accidents cérébraux et ce qui'se passe du côté de
la moelle épinière. Ainsi les céphalées spécifiques semblent en rela-
tion avec une poussée inflammatoire de méningite encéphalique, au
même titre que la rachialgie nocturne traduit l'envahissement des envelop-
pes de la moelle. Dans uneseconde phase de la maladie, l'apparition d'une
paralysie dans le domaine des nerfs crâniens, d'accidents du côté de la
moelle épinière indiquent la participation du tissu nerveux.
Toutefois ici, les symptômes cérébraux du début peuvent être relative-
ment bénins, disparaître sans laisser de traces; et le tableau clinique se
rapporter à un moment donné, à une affection exclusivement médullaire :
tel est le cas dans l'observation précédente. Dans la suivante, où la mar-
che des accidents fut exactement pareille, on put constater, la phase ai-
guë de la maladie une fois passée, les vestiges d'une névrite ancienne du
trijumeau, et d'une parésie de l'oculo-moteur commun.
224 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.
Observation VI.
(Communiquée par M. le professeur Charcot).
Chancre induré en 1886. Cinq ans plus tard (1892) début des accidents nerveux
par des vertiges accompagnés de vomissements, des céphalées. L'année suivante
rachialgie cervicale et lombaire revenant régulièrement toutes les nuits. Au bout
de quelques jours, envahissement de la moelle : paralysie des si membres. Antélio-
ration considérable par le traitement spécifique. Reliquat de la maladie en jan-
vier 1893 : paraplégie spasmodique exagération des réflexes tendineux aux
membres supérieurs anesthésie dans le domaine du trijumeau gauche, avec
opacité de la cornée (nérrite ancienne du trijumeau) perte des réactions pu-
pillaires de l'oeil droit.
Amb... 32 ans, tonnelier, se présente à la consultation de la Salpêtrière au
mois de février 1893.
Pas d'antécédents nerveux héréditaires. Le malade lui-même a fait, à de
H ans, une scarlatine grave qui s'est compliquée d'adénite suppurée de l'ais-
selle. Il prétend que sa paupière supérieure du côté gauche aurait commencé il
tomber peu de temps après cette maladie. Dans tous les cas, il affirme que 4 ans
plus tard, à l'âge de 18 ans, le ptosis de l'oeil gauche était complet. Cela aurait
suffi à le faire réformer du service militaire. L'oeil droit n'avait rien ; d'ailleurs
la vue était normale.
En 1882, il est opéré par un oculiste, pour remédier il cette chute de la pau-
pière qui le gênait considérablement.
En 1886, chancre induré de la verge, et à quelque temps de ]Ù, plaques mu-
queuses dans la bouche. Il n'a jamais remarqué d'éruptions cutanées. Quel-
ques maux de tête peu intenses à la même époque, mais pas d'accidents nerveux.
Il a pris alors des pilules et des médicaments, dont il ne saurait dire le con-
tenu.
En 1887, un ptosis de l'oeil droit, se produit lentement, exactement comme cela
avait eu lieu du côté gauche, sans troubles de la vue d'ailleurs.
Marié en 1888, il a eu depuis une fille qui se porte parfaitement. Pas d'au-
tres enfants ; sa femme n'a pas eu de fausses couches : elle a d'ailleurs toujours
été bien portante.
En 1891 commence la série d'accidents qui s'est poursuivie jusqu'à ce jour.
En octobre, A... est pris dans la journée d'étourdissements passagers, qui le
forcent il s'asseoir, à s'appuyer aux murs dans la rue. En même temps il éprouve
des maux de tête d'une intensité modérée, qui se produisent nuit et jour, mais
plus forts la nuit, occupant principalement la région occipitale. A la même épo-
que il eut de la diplopie intermittente, en lisant surtout ; mais sans strabisme
apparent. Soigné par l'antipyrine et par les douches, il n'éprouva pas de chan-
gement notable jusqu'en mars 1892.
Vers cette époque, il fut pris une nuit de vomissements tenaces qui persistè-
rent jusqu'au matin : ces vomissements, qui avaient lieu sans effort, s'accompa-
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPIIILITIQUE 225
gnërent d'un état vertigineux des plus pénibles, qui ne le quittait pas même une
fois couché.
A la suite, pendant 1 mois 1/2 environ, il eut des vomissements constants,
suivant presque immédiatement les repas; et il resta dans un état sub-vertigi-
neux presque continuel.
En mai 1892, les vomissements cessent : aux maux de tète s'ajoute alors une
rachialgie très particulière qui survenait toutes les nuits. Dans la journée, le
malade souffrait à peine ; mais il partir de 10 heures du soir jusque ers le le-
ver du jour, il ressentait de violentes douleurs dans la colonne vertébrale. Beau-
coup plus intenses que les céphalées n'avaient jamais été, elles se localisaient
principalement dans deux régions ; au niveau des reins et entre les deux épau-
les. De la elles se propageaient dans les flancs d'une part (surtout à gauche),
et d'autre part dans les épaules et dans les bras (surtout du côté droit).
Cette rachialgie s'est accompagnée au bout de quelques jours d'un état géné-
ral des plus graves : paralysie complète des 4 membres et de la langue, (fini-
culté de la déglutition. On était obligé de l'alimenter avec du lait. Le malade
eut en même temps de la difficulté à uriner et de la constipation ; mais jamais
d'incontinence. Il avait parfaitement conscience de ses besoins.
Soigné énergiquement par l'iodure de potassium et les frictions mercurielles,
il éprouva, dans l'espace de 3 semaines, une amélioration considérable ; il pou-
vait remuer les quatre membres au lit (juillet 1892), puis il put bientôt mar-
cher.
Depuis cette époque, il est resté dans un état à peu près stationnaire, tout en
s'améliorant lentement. Le mouvement est bien revenu, surtout dans les mem-
bres supérieurs ; mais la marche est restée pénible.
Actuellement (février 1893), le malade se présente avec une paraplégie spas-
modique légère ; la raideur est un peu plus accentuée dans le membre inférieur
gauche. Néanmoins la tonicité musculaire des membres inférieurs est normale
au repos. La démarche est légèrement spasmodique ; le malade traîne un peu
la jambe gauche, qui se fléchit difficilement lorsqu'il veut marcher vite, mais
sans frotter la pointe du pied sur le sol. Etant assis, il lui est impossible de
croiser les jambes l'une sur l'autre. La vessie est très peu prise, il est long il
uriner, mais il n'a jamais eu ni rétention, ni incontinence.
Les réflexes rotuliens sont très exagérés des deux côtés ; pas de trépidation
spinale. Aux membres supérieurs, les réflexes du coude et du poignet sont très
notablement exagérés du côté gauche; à droite ils sont simplement un peu plus
forts qu'à l'état normal. Il n'existe pas d'atrophie musculaire, ni le moindre
trouble de sensibilité aux membres ; mais à la face, il y a une hypoeslhésie dans
le territoire cutané de la branche ophtalmique de Willis du côté gauche. La cor-
née du même côté est opaque ; et le malade distingue à peine les objets de cet
oeil. Il prétend que, pendant la grande maladie qui l'a tenu 3 semaines au lit en
juillet de l'an.dernier, il a eu l'oeil gauche très rouge, très injecté et que l'anes
thésie de la face, l'opacité de la cornée remontent il cette époque. Il semble donc
qu'il se soit produit à cette époque une névrite du trijumeau qui aurait eu pour
vi 16
226 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
conséquence l'anesthésie signalée et des troubles trophiques du côté de l'oeil.
L'examen des yeux, pratiqué par M. Parinaud il la Salpêtrière, a montré d'au-
tre part que la cornée du côté gauche était insensible. A droite les réactions pu-
pillaires sont abolies. Il existe actuellement un peu de ptosis des 2 côtés; mais
on ne saurait admettre une relation entre la syphilis et ce ptosis double : la chute
de la paupière gauche s'est produite en effet 11 ans avant l'infection syphiliti-
que, graduellement et sans trouble de la vision d'ailleurs : la chute de la pau-
pière droite a eu lieu après l'infection il est vrai, mais d'une façon toute sem-
])fable à la première, et elle a été manifestement indépendante des troubles
nerveux dont il vient d'être question. - '
On conçoit aisément l'importance considérable qu'il y a il reconnaître
la signification de cette période prodromique avant que le tissu médullaire
ne soit profondément lésé; car l'intervention d'un traitement spécifique
bien conduit peut prévenir des désordres irrémédiables. L'observation pré-
cédente témoigne de cette heureuse influence. Mais elle est encore beau-
coup plus nette dans la suivante que nous avons recueillie cette année dans
le service de M. le professeur Charcot. Ici le traitement iodo-mercuriel.a a
pu être institué avant l'apparition de tout symptôme médullaire à propre-
ment parler ; et la guérison complète a été obtenue (1).
Observation VII.
Epoque de l'infection syphilitique 1'estée inconnue, mais la malade en a présenté des
manifestations certaines l'année précédente. Tuméfaction indolente des ganglions
de l'aine, suivie de douleurs à exacerbations nocturnes dans les crêtes tibiales,
de céphalée 9 mois plus tard, raideur de la nuque, avec douleurs vives irra-
diées dans les bras, les avant-bras et jusque dans les doigts. Atrophie muscu-
laire des avant-bras et des petits muscles de la main, sans réaction de dégéné-
rescence. Phénomènes céphaliques : paralysie totale du moteur oculaire commun
à gauche, quinte de toux, vomissements d'origine nerveuse.
Traitement spécifique. Guérison complète en l'espace de trois )) : OM,) ? 6'HCfM-
lencerat d'une très légère parésie du moteur oculaire commun.
Dal... Dominiquette, 38 ans, couturière entrée le 17 mars 1892 dans le ser-
vice de M. le professeur Charcot, il la Salpêtrière, salle Cruveilher, iio 27.
Antécédents héréditaÍ1'es. Son père exerce encore le métier de marbrier, il
(1) Dans cette observation, la méningite spinale a certainement intéressé les racines
spinales, tandis que la moelle a été respectée. Nous n'avons pas l'intention d'aborder
ici l'étude de toutes les variétés. Mais dans une publication ultérieure, nous montrerons
que la lésion, se propageant exclusivement aux racines rachidiennes, peut produire
un ensemble symptomatique très-analogue à celui de la pachyméningite cervicale ; et
cela même indépendamment de toute altération des vertèbres. Dans le même ordre d'i-
dées, le professeur Kahler de Vienne avait distingué une polynévrite radiculaire syphi-
litique (Die multiple syphilitische Wurzelneuritis. Zeilsclerift fitr Ileilkunde, Bd.
VIII, 1887).
DE 1 LA 1TÉNINCO-IYIYÉLI'f13 SYPHILITIQUE 227
l'âge de 74 ans. C'est un homme très vigoureux qui est atteint seulement d'un
asthme. -Sa mère âgée de 66 ans, est d'une bonne santé et pas du tout ner-
veuse.
Quatre enfants, tous vivants.
Il n'y a pas de maladies nerveuses dans les collatéraux ou les ascendants ; le
grand-père maternel seulement était hémiplégique.
Antécédents personnels. Notre malade a toujours été chétive, mais d'une
santé satisfaisante. Pas de convulsions dans l'enfance, jamais de crises de nerfs.
Réglée il 13 ans, toujours bien. Une pneumonie à 15 ans. Mariée à 28 ans,
elle a eu cinq enfants, dont quatre n'ont pas vécu au delà de quelques jours.
Elle prétend que ses enfants étaient bien constitués. Le dernier seul a vécu : il
a actuellement 10 mois et se porte bien. Son mari dit-elle est bien portant.
Son dernier accouchement a eu lieu il la Clinique delà rue d'Assas d'une fa-
çon absolument normale. Onze jours après, la malade rentrait chez elle, sans
avoir eu un instant de fièvre. Elle se souvient qu'on lui mettait le thermomètre
et qu'elle n'a pas dépassé 27°, même le lendemain de l'accouchement.
Pendant sa grossesse, vers les derniers mois, elle eut des glandes très volu-
mineuses dans les deux aines. Cette tuméfaction ganglionnaire était absolument
indolore, mais elle ne peut dire si elle eût en même temps une ulcération 2 la
vulve. A quelque temps de là, elle ressentit dans les deux jambes des douleurs
sourdes qu'elle localise d'une façon très précise dans les deux crêtes tibiales.
Ces douleurs étaient continues ; mais s'exagéraient le soir et la nuit au point
d'empêcher la malade de dormir. En même temps elle eût une série de migrai-
nes, dit-elle qui s'accompagnaient de vomissements (Il est à noter qu'elle n'é-
tait pas sujette il la migraine antérieurement).
Les douleurs dans les crêtes tibiales persistèrent plusieurs semaines après
l'accouchement; mais la malade ne remarqua ni éruptions cutanées, ni maux
de gorge, ni chute de cheveux.
Eu juin 1891 survinrent des douleurs dans les membres supérieurs. C'étaient
des douleurs sourdes et profondes que la malade localise dans la continuité des
bras et des avant-bras. Par instants en outre, se produisaient des élancements
douloureux assez intenses pour arracher des cris il la malade. Ces élancements
avaient pour siège non seulement les membres supérieurs, mais aussi la partie
supérieure du thorax.
La malade ne peut spécifier si en même temps elle eut de la raideur de la
nuque : mais elle mentionne très nettement le retour vespéral et nocturne de
ces douleurs. Dans la journée elle était dans un calme relatif; mais elle ne
pouvait dormir la nuit.
' Elle consulte il ce moment un médecin qui lui fit prendre des pilules (elle
ne sait dire de quoi) et de l'iodure de potassium. Il se produisit une améliora-
tion notable ; car dans les mois d'août, de septembre et d'octobre 1891, la malade
se rétablit complètement, les douleurs avaient entièrement disparu.
A la fin de novembre 1891, nouvelles douleurs, cette fois-ci partant très net-
tement de la région cervicale. Les mouvements de flexion et de torsion du cou
étaient très pénibles (la malade se croyait un torlicolis). Puis les phénomènes
228 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
douloureux reparurent dans les épaules et dans les bras comme la première
fois.
Jusque la, la malade avait travaillé à son métier de couturière, sans éprouver
aucune gêne du côté des mains ni des yeux.
Elle remarque seulement vers le mois de décembre 1891 qu'elle était obligée,
pour enfiler son aiguille, de regarder de côté.
En janvier 1892 diplopie très nette ; puis les douleurs lancinantes gagnèrent
les deux mains. Dans la main gauche elles n'occupaient que les deux derniers
doigts : dans la main droite au contraire elles prédominaient dans les trois premiers.
A ces symptômes douloureux est venue ensuite s'ajouter de la faiblesse muscu-
laire : la malade est devenue incapable de rien tenir de la main gauche en
outre cette main a un peu maigri. A la même époque, douleurs très ives tout
le long de la colonne vertébrale.
La marche est restée bonne cependant ; mais ce qui la rendait pénible, au dire
de la malade, c'étaient des retentissements douloureux qui se produisaient à
chaque pas clans la région sternale. Jamais la malade n'a éprouvé la moindre
douleur dans les membres inférieurs.
Du côté de la vessie pas de troubles bien nets, sauf que, il y a deux mois,
pendant 2 ou 3 jours, la malade a éprouvé de la difficulté à uriner. Elle était
obligée d'attendre plusieurs minutes avant de pouvoir émettre une goutte d'u-
rine. Jamais d'incontinence.
Dans le cours du mois de février, la diplopie augmente et devient de plus en
plus gênante. Vers la fin du même mois l'oeil gauche se ferme complètement ;
les douleurs lancinantes augmentent d'intensité dans les membres supérieurs.
La malade ne fait aucun traitement sérieux (friction avec un baume quelcon-
que).
Elle entre à l'hôpital le 17 mars. Examen le 22 mars 1892.
Malade d'aspect chétif, petite, membre grêles. Elle ne tousse pas cependant
et ne présente aucune espèce d'affection viscérale. Elle se présente dans l'état
suivant. Raideur de la nuque ; les mouvements sont limités et douloureux -
occlusion complète de l'oeil gauche faiblesse et douleurs dans les deux mem-
bres supérieurs avec atrophie légère du côté gauche.
Examen de la région du cou. Pas de déformation ni de déviation ; mais les
mouvements de la colonne cervicale sont limités et pénibles.
Ce sont surtout les mouvements de flexion de la tête qui sont limités. Il est
impossible il la malade de rapprocher le menton de la région sternalc. Si l'on
veut lui faire exécuter ce mouvement d'une façon passive, on éprouve une ré-
sistance énergique due à la contraction des muscles de la nuque. De plus on
provoque des douleurs vives qui s'irradient dans la région sternalc, dans les
deux régions claviculaires et la racine des membres supérieurs. La pression, la
percussion sur les apophyses épineuses de la région cervicale est douloureuse.
Il en est de même sur les parties latérales des vertèbres cervicales : mais
c'est surtout dans les creux sus-claviculaires, au niveau des nerfs du plexus
brachial que l'on provoque de vives douleurs. Elles s'irradient aussi vers les
bras et vers la région sternale.
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 229
Les mouvements de torsion du cou, d'extension de la tête sont limités à la
moitié environ de leur étendue normale.
Membres supérieurs. Il existe une atrophie musculaire évidente dans le
bras, l'avant-bras et la main du côté gauche.
Le bras et l'avant-bras de ce côté mesurent 1 centimètre de moins en circon-
férence, que du côté droit. La main gauche présente un aplatissement des émi-
ncnces, surtout de 1'liytliénar. Il existe une dépression manifeste des espaces
interosscux, surtout marquée pour les deux derniers espaces du côté dorsal de
la main. Au repos cette main présente un léger degré de griffe des interosseux.
Elle est dans la situation suivante. Légère flexion des 4 derniers doigts dans
leurs deux dernières phalanges (très légère pour l'index et de plus en plus mar-
quée pour les autres, jusqu'au 5° doigt où elle est maxima). L'extension com-
plète des phalanges est impossible. En outre le 40 doigt est très écarté du 30 est
très écarté aussi du 5°; la malade est incapable de rapprocher les doigts sans
faire un mouvement de flexion complète. On peut donc conclure qu'il existe
une atrophie des interosseux, marquée surtout pour les deux derniers dorsaux.
Ajoutons que les mouvements passifs sont libres ; que la flexion des doigts
s'exécute bien, ainsi que les mouvements du pouce.
Au bras et à l'avant-bras gauche on ne saurait dire avec précision si l'atrophie
l'emporte dans tel ou tel groupe des muscles.
Il n'existe pas de troubles trophiques marqués du côté de la peau et des ongles.
État de la motilité.- - Tous les mouvements sont possibles dans les membres
supérieurs (sauf les mouvements sus-indiqués des doigts de la main gauche) ;
mais ils sont très faibles des deux côtés surtout à gauche. A noter une certaine
paresse du biceps des deux côtés, tandis que le long supinateur se contracte très
activement et semble prendre la part la plus active à la flexion de l'avant-bras.
La flexion des doigts est particulièrement faible : à droite la pression de la
main gauche est insignifiante, à gauche elle est tout fait nulle.
Le sens musculaire est parfait dans les membres supérieurs ; il n'y a pas la
moindre ataxie, même les yeux fermés.
Sensibilité. Troubles subjectifs : La malade a des douleurs de deux sortes ; les
unes sourdes et continues, peu intenses, siégeant dans les épaules, dans la con-
tinuité des bras et des avant-bras, les autres lancinantes et passagères. Cel-
les-ci sont beaucoup plus pénibles. Au dire de la malade elles ne se produiraient
qu'à l'occasion des mouvements, quand elle se lève par exemple, quand elle mar-
che. Il semble que ce soient particulièrement les mouvements delà colonne ver-
tébrale qui les provoquent. Elles partent du cou s'irradient de là dans les omo-
plates, dans les bras, jusque dans les doigts (deux derniers de la main gauche
surtout).
Les troubles de la sensibilité objective sont beaucoup moins importants. Le
contact léger est parfaitement senti et localisé. On note seulement une légère di-
minution de la sensibilité à la piqûre et à la température : A gauche, dans la
sphère cutanée du brachial cutané interne et du cubital (principalement de ce
dernier); à droite, surtout dans la sphère du musculo-cutané et du radial (à l'a-
vant-bras surtout).
230 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Les réflexes tendineux aux membres supérieurs (coudes et poignets) sont
normaux.
L'examen électrique des muscles n'a révélé aucune anomalie. Il y avait seu-
lement une très légère diminution de l'excitabilité faradique dans les muscles
atrophiés de la main droite, et de la main gauche, mais pas de réaction de dé-
générescence.
Aux membres inférieurs, rien d'anormal. Les réflexes sont présents, sans
exagération ; la marche est parfaite, sans incoordination aucune. La malade se
plaint seulement « que cela lui retentit dans le cou et dans la poitrine » et elle
indique la région sternalc.
Pas de signe de Romberg.
Face. L'oeil gauche est complètement fermé par la chute paralytique
de la paupière supérieure ; le sourcil du même côté est un peu élevé. En dehors
du ptosis, il existe d'une façon très manifeste une rétraction du globe de l'oeil
avec rétrécissement de la fente palpébrale.
La paupière supérieure se laisse soulever sans difficulté ; et l'on constate du
larmoiement, une dilatation pupillaire énorme avec immobilité complète du globe
de l'oeil, sauf pour les mouvements en dehors. Il y a donc paralysie totale de
la 3e paire gauche.
L'examen ophtalmoscopique pratiqué par M. Parinaud n'a révélé aucune lé-
sion du fond de l'oeil. Rien d'anormal dans l'oeil droit pas de paralysie as-
sociée.
L'on ne remarque pas d'asymétrie faciale ; seulemement la langue est mani-
festement déviée à gauche. Les mouvements de la langue se font bien ; mais la
malade trouve qu'elle parle moins parfaitement qu'auparavant. Elle dit surtout
que, quelques jours avant son entrée à l'hôpital, elle a eu la parole très gênée.
Le goût, Fouie, l'odorat sont parfaits.
Le réflexe pharyngé est très exagéré. En mettant le doigt dans la gorge on
provoque une quinte de toux avec larmoiement qui durent plusieurs minutes.
Depuis quelque temps, elle a des quintes de toux coclueluclloïde, qui se pro-
duisent spontanément ou qui sont provoquées par la déglutition des aliments.
Elle ne vomit pas actuellement ; mais il y a 6 semaines elle a eu une série de
vomissements accompagnés d'un grand abattement, et parfois d'état syncopal
passager. Ce malaise a duré 8 jours : la malade vomissait tout ce qu'elle prenait.
Elle a été soumise dès son admission au traitement suivant :
Pointes de feu à la nuque.
Frictions quotidiennes à l'onguent mercuriel ;
Iodure de potassium : 6 gr. chaque jour.
Ce traitement a été suivi avec des intervalles de repos (d'une semaine sur
trois). On a cru pouvoir négliger l'électrisation des muscles, étant donné le peu
de gravité de l'atrophie, et l'absence de réaction de dégénérescence; dételle
sorte que les effets du traitement peuvent être attribués à la médication spécifi-
que uniquement. Jamais elle n'a eu de fièvre.
15 avril. Amélioration considérable. La nuque est moins raide ; les mou-
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 231
vements sont encore douloureux ; mais il n'y a plus de douleurs lancinantes
spontanées. Les muscles de l'avant-bras et de la main gaucho ont repris du vo-
lume.
L'extension complète des deux dernières phalanges des doigts n'est pas en-
core possible : mais il n'y a pas de griffe à proprement parler.
Le ptosis de l'oeil gauche existe encore; mais l'oeil n'est plus complètement
fermé. La diplopie maintenant gêne la malade dans la marche.
L'amélioration s'accentue graduellement pendant le mois de mai.
Le ^2 juin. La malade demande sa sortie. Elle peut être considérée comme
guérie, sauf que la paralysie de l'oculo-moteur gauche n'est pas tout à fait dis-
parue.
Les mouvements du cou sont parfaitement libres et non douloureux. Dans la
flexion extrême de la tête seulement, la malade accuse une légère douleur il la
nuque.
L'atrophie des muscles de la main gauche a disparu entièrement; les doigts
exécutent tous les mouvements, se rapprochent, s'écartent, s'étendent et se flé-
chissent avec une entière liberté. La pression dynamométrique donne :
16 kilog. à gauche ;
19 kilog. à droite.
L'oeil gauche ne présente plus de ptosis, ni de rétraction du globe oculaire, ni
de rétrécissement de la fente palpébrable. La diplopie persiste encore dans les
directions du regard à droite, en haut et en bas ; pas de diplopie quand la ma-
lade regarde en face. La pupille gauche est encore plus dilatée que la droite ;
mais elle réagit, faiblement il est vrai, la lumière et à l'accommodation.
3 septembre 1892. La malade revient nous voir il la Salpêtrière : elle a
continué il prendre du sirop de Gibcrt avec des intervalles de repos. La guérison
s'est parfaitement maintenue.
Rien d'anormal maintenant du côté de la colonne vertébrale et des membres
supérieurs : plus de douleurs du tout. Dynamomètre, 19 kilog. il gauche, 20 ki-
log. il droite. La circonférence des bras et des avant-bras est la même des deux
côtés. OEil gauche : pupille normale, réflexe pupillaire paresseux mais présent ;
très légère diplopie dans la direction extrême du regard à droite.
Le fait qui précède mérite d'être rapproché d'une intéressante observa-
tion, que nous trouvons dans un récent travail de Goldflam,sous le titre de
méningite cervicale syphilitique(1). Un homme de 40 ans, atteint 9 semai-
nes auparavant d'un chancre induré de la verge, et présentant au moment
de l'examen de la roséole et des papules syphilitiques, éprouve un matin
au réveil des douleurs dans la nuque, puis dans les deux épaules. Le cou
est rigide, la tète fléchie : les mouvements d'extension, de rotation sont
impossibles. Il existe une vive hyperesthésie dans le domaine du plexus
(t) GOLDFLAM. Hïene¡' Kfini1 ? 1893.
2g) NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
brachial ; les mouvements des épaules sont impossibles à cause des dou-
leurs qu'ils réveillent. Après 24 frictions mercurielles, tous les accidents
cutanés disparaissent. Les douleurs, l'hyperesthésie cessent : il persiste
seulement un peu de raideur de la nuque, mais les mouvements de latéra-
lité sont possibles maintenant. Goldllam fait remarquer à ce propos que la
méningite syphilitique pure comporte le meilleur pronostic de toutes les
variétés de syphilis spinale; mais il ajoute que la méningite va le plus
souvent de pair avec la myélite, el que celle combinaison parait être de
beaucoup la forme la plus fréquente. -
Dans un grand nombre de cas, les troubles prémonitoires de l'affection
médullaire offrent des caractères beaucoup moins spéciaux. La rachialgie
si particulière, que nous avons rencontrée dans les précédentes observa-
tions, fait défaut. On ne retrouve pas l'enchaînement de symptômes clini-
ques indiquant cet envahissement de haut en bas des méninges cérébro-
spinales, qui donne parfois il la maladie une physionomie tellement
singulière qu'on ne saurait en méconnaître la nature, même en dehors de
toute anamnèse. Peut-être faut-il admettre alors que les lésions méningées
sont moins étendues, qu'elles le cèdent en importance aux altérations des
vaisseaux nourriciers de la moelle dont elles sont inséparables, et que les
phénomènes observés sont exclusivement sous la dépendance de l'ischémie
médullaire (voir observation II par exemple).
Quoi qu'il en soit, un grand nombre de malades, qui se présentent at-
teints de paraplégie, prétendent n'avoir éprouvé comme symptôme pré-
curseur que de légers troubles subjectifs de la sensibilité dans les mem-
bres inférieurs, tels que des engourdissements, des fourmillements des
extrémités, parfois une douleur lombaire peu intense, et principalement
des phénomènes vésicaux (dysurie, légère incontinence). Ceux-ci en
effet sont habituellement signalés comme très précoces dans les observa-
tions.
Toutefois par un examen on peut se convaincre, dans certains cas,
qu'il y a lieu de soupçonner un processus analogue à celui que nous avons
étudié précédemment. L'observation suivante en fait foi. La encore, la
série des accidents nerveux est inaugurée par des céphalées d'une grande
violence ; et, après une période d'accalmie, apparaissent des douleurs
sourdes dans la région lombaire et dans les membres inférieurs, précé-
dant la paralysie. Examiné à ce moment, le malade se présente atteint
d'une paraplégie spasmodique, sans le moindre phénomène cérébral en
apparence. Mais l'examen des yeux fait découvrir une paralysie de l'ac-
commodation avec perte des réflexes pupillaires, qu'il est permis de
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 233
considérer comme le veslige d'une parésie de l'oculo-moteur; d'autant
mieux que le malade a eu antérieurement de la diplopie.
Observation VIII.
Chancre induré, 2 ans avant les accidents médullaires. Début par des troubles de
sensibilité dans les membres iifé)-ieiiis et tle l'iiieoiiii)ie)ice (1' ? i,iiie, - Puis fai-
blesse des membres inférieurs, qui aboutit à une paraplégie complète dans l'es-
pace de 24 heures.
Paralysie flasque au début, avec exagération des réflexes tendineux et trépidation
épileptoïde du pied plus tard ; au bout de 3 mois, rigidité modérée des muscles
aux membres inférieurs. Phénomènes cérébraux légers et transitoires. - Iné-
galité pupillaire et paralysie de l'accommodation de l'oeil gauche.- A l'oplrtlcnl-
moscope, décoloration des deux pupilles . - Incurabililé de la maladie malgré
un traitement énergique.
Nie.... Prudent, 32 ans, journalier, entré dans le service de M. le Professeur
Charcot, le 25 mai 1892. Salle Prus. N° 8.
Le malade n'a jamais eu d'affection grave antérieure, et n'a jamais présenté en
particulier d'accidents nerveux. Il est d'une constitution assez chétive ; et il a
été réformé au conseil de révision pour faiblesse, ne tousse pas cependant, n'a
jamais craché le sang, ne s'enrhume pas facilement. Pas de tare héréditaire.
Marié depuis plusieurs années, il a eu un enfant do 2 ans qui se porte ad-
mirablement, dit-il. Il a contracté la syphilis il y a deux ans, sa femme n'est
pas malade il ce qu'il prétend. D'ailleurs, c'est un homme très soigneux de lui-
même, et il s'est bien traité. C'est dans le service de M. le Professeur Fournier
il St-Louis, que la syphilis a été diagnostiquée et soignée au début. Il s'y est
présenté avec une éruption de syphilides sur le corps : le chancre existait encore
sur la verge. Pas d'accidents graves au début d'ailleurs.
Le malade a consciencieusement suivi les prescriptions de M. Fournier depuis
cette époque, se traitant au mercure pendant un mois, se reposant ensuite 15 jours,
et recommençant ainsi de suite. Dans ces temps derniers, il a joint l'iodure de
potassium au mercure.
Au mois d'octobre 1891, il a eu des céphalées violentes pendant 4 mois. Il lui
semblait qu'on lui ouvrait le crâne. Soigné encore par M. Fournier à cette épo-
que il n'a pas présenté, dit-il, d'autres accidents (ni troubles oculaires, ui para-
lysie d'aucune sorte).
Depuis le mois d'avril 1892, le malade a pris un métier fatigant : celui de
livreur dans une librairie. Il partait avec une petite voiture il bras, vers 9 heures
du matin, pour rentrer il 6 heures du soir. ayant marché toute la journée. Ce
rude métier l'a fatigué beaucoup, dit-il, d'autant plus qu'il n'est pas extrême-
ment robuste. Ajoutons que le malade n'est pas buveur.
Depuis 6 semaines, avant son admission, malaise général, perte d'appétit,
mauvaises digestions. Puis des douleurs sourdes dans les reins et dans les mem-
bres inférieurs sont apparues, et il a commencé il perd ! ' £ ' les urines.
agit NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Depuis 3 semaines, faiblesse dans les jambes et il n'en pouvait plus à la fin
de sa journée. Enfin, pendant les 15 derniers jours, il n'est pas allé une seule
fois il la garde-robe et la faiblesse des jambes a été en augmentant.
Le 25 mai, il entre à la Salpêtrière.
Examen du malade ci l'entrée. - Homme d'une taille au-dessous de la moyenne
d'aspect chétif, mais assez bien musclé; faciès fatigué, anémié. Lorsqu'il s'est
présenté hier à la consultation, il marchait seul avec l'aide de deux béquilles.
Ce matin la marche est tout à fait impossible ; la paraplégie est devenue presque
complète cette nuit. Examen des membres inférieurs ; - la vaolilité est très tou-
chée des deux côtés : le malade soulève un peu les talons au-dessus du plan du
lit, mais il est incapable de garder le membre inférieur dans l'extension, lors-
qu'il est soulevé, la jambe retombe de son propre poids. Tous les mouvements
sont possibles, mais d'une grande faiblesse et d'une grande lenteur. Les mus-
cles lombaires sont très affaiblis ; le malade a toutes les peines du monde à s'as-
seoir et à se retourner sans aide dans son lil.
Sensibilité. Le contact, la douleur, la température sont perçus partout sur
le tronc aussi bien que sur les membres inférieurs. Mais il y a une hyperes-
thésie manifeste sur la partie inférieure du tronc et sur les deux cuisses. Cette
hyperesthésie a pour limite en haut la ligne ombilicale, sur le bas-ventre en
particulier elle est très vive.
Les réflexes rotuliens sont très forts des deux côtés. Par la percussion du ten-
don rotulien, le pied est projeté très loin, mais sans brusquerie et avec une
certaine lenteur. Par le redressement de la pointe du pied, on produit une tré-
pidation épileptoïde très accentuée. Les réflexes plantaires sont très forts
aussi.
Comme douleurs spontanées, le malade accuse des douleurs sourdes, peu in-
tenses, à exacerbations, mais n'offrant pas le caractère fulgurant, dans le dos,
dans la partie interne des cuisses, les jambes, les pieds, sans localisation plus
précise.
Les membres supérieurs sont absolument sains, mais il est à noter que les ré-
flexes du coude et du poignet sont manifestement exagérés.
La colonne vertébrale ne présente aucune dilTormation mais elle est sënsibtea
la pression surtout inférieurement ('12" v. dorsale et ire v. lombaire). La par
une pression même légère, le malade accuse une vive douleur.
Comme phénomènes céphaliques, on note quelques troubles de la vision. Voici
le résultat de l'examen oculaire, fait par M. Parinaud.
OEil gauche. - Pupille plus large que la droite, absence de réflexe pupillaire
pour la lumière ; réllexe affaibli, mais non aboli pour la convergence. Paraly-
sie de l'accommodation.
OEil droit. Les réactions pupillaires sont normales. Le malade accuse une
diplopie légère dans les directions latérales externes du regard. Il n'y a cepen-
dant aucun trouble paralytique du côté des muscles des yeux ; et la diplopie n'est
pas constatée au moment de l'examen fait avec le verre coloré. A l'examen
ophtalmoscopique, décoloration des deux papilles. -
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 23j
Troubles du côté des sphincters. La paralysie du sphincter vésical persiste ; l'in-
continence d'urine est absolue. La constipation est toujours très accentuée.
Ordonnance. Frictions mercurielles. fodure de potassium 6 grammes.
Pointes de feu sur la colonne vertébrale.
5 juin 1892. La paralysie motrice a encore augmenté aux membres infé-
rieurs. Il est impossible maintenant au malade de détacher le talon du plan du
lit : elle est peut-être encore plus marquée à droite. Les muscles au palper sont
d'une flaccidité remarquable, non douloureuse d'ailleurs.
L'hyperesthésie cutanée existe toujours dans la région indiquée plus haut.
Sur le bas-ventre, elle est tellement vive que le simple contact d'une cuiller en
métal à la température de la salle arrache des cris au malade. Le contact est
perçu partout sauf dans la jambe et dans le pied gauches (fait qui n'existait pas
lors du premier examen). La piqûre légère est sentie, même dans cette ré-
gion.
Dans le membre inférieur droit, le malade accuse une sensation d'engourdis-
sement profond qui n'a rien de douloureux d'ailleurs.
Les réflexes rotuliens sont toujours très forts malgré la flaccidité des mus-
cles. L'incontinence d'urine persiste ; la constipation résiste aux purgatifs.
L'inégalité pupillaire est maintenant très accentuée : la pupille gauche est
toujours la plus large. La paralysie de l'accommodation persiste dans l'oeil du
même côté.
Légère eschare sacrée au début.
15 juillet 1892. - Amélioration légère de la paralysie motrice, surtout à
gauche. Les troubles objectifs de la sensibilité sont très accentués maintenant,
taudis qu'ils faisaient défaut au début de la maladie. De plus ceux-ci prédomi-
nent du côté gauche, de sorte que le malade présente ébauché le syndrome de
Brown-Séquard (anesthésie au contact, au chaud et au froid modéré sur le pied
et la jambe gauche). Le sens musculaire est parfait.
Amélioration notable du côté des yeux. Le malade n'accuse plus de diplopie
du tout : les pupilles sont parfaitement égales et réagissent bien il la lumière.
La paralysie de l'accommodation qui existait à gauche a maintenant disparu
entièrement.
21. L'amélioration obtenue du côté des membres inférieurs ne s'est pas
maintenue ; la paraplégie est à peu près complète aujourd'hui. Quelques mou-
vements des orteils seulement sont possibles. En outre, perte de la notion de po-
sition des membres inférieurs, qui n'existait pas au début. Le malade se plaint
maintenant de vives douleurs en ceinture et en particulier d'un point doulou-
reux permanent au niveau de la région épigastrique.
La maladie a évolué depuis le début sans fièvre : la température a été prise
régulièrement matin et soir depuis le jour de l'entrée, et jamais elle n'a at-
teint 38°.
Pas le moindre trouble trophique, pas d'atrophie musculaire aux membres
inférieurs. L'excitabilité faradique des muscles est absolument normale comme
qualité et comme intensité. La recherche de l'excitabilité galvanique est rendue
236 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
impossible par ['hyperesthésie cutanée aux cuisses et par l'intensité des réflexes
cutanés. Au passage du moindre courant, il se produit des convulsions toniques
dans tous les muscles du membre. Il en est ainsi aux jambes, alors même que le
malade n'a pas conscience de la douleur causée par l'application de l'électrode.
29 août. Les muscles des membres inférieurs, qui étaient restés flasques
jusqu'ici sont maintenant le siège de contractures intermittentes, qui se produi-
sent indépendamment de la volonté du malade, et qui entraînent des mouve-
ments de flexion ou d'extension du membre. L'eschare sacrée est cicatrisée.
3 septembre. L'état du malade s'est aggravé singulièrement depuis quel-
ques jours. Il ne mange plus; il a maigri; son teint est cachectique. Il se plaint
d'une douleur sourde permanente tout le long de la colonne vertébrale, avec
points de côté thoraciques. Il éprouve en outre un peu de raideur de la nuque,
et des douleurs profondes et continuelles dans les épaules et dans la racine des
bras. Les réflexes tendineux sont toujours exagérés aux membres supérieurs.
Les frictions mercurielles, qui avaient été suspendues depuis 4 semaines, sont
reprises.
15. Amélioration : les douleurs et la rigidité de la nuque ont disparu.
Mais la paraplégie n'est pas modifiée : les contractures musculaires continuent
se produire d'une façon intermittente. L'incontinence d'urine est aussi abso-
lue qu'au début ; mais il n'existe pas de symptômes d'infection du côté des voies
urinaires.
Tel est l'état du malade, 4 mois après le début de sa paraplégie. Ajoutons
qu'il a été fait environ 60 frictions mercurielles, chacune avec 4 gr. d'onguent
napolitain, et que notre malade a pris de l'iodure à la dose de 6 gr. par jour,
avec des intervalles de repos, depuis son admission à la Salpêtrière.
Il n'est pas exceptionnel enfin que la période prémonitoire manque en-
tièrement, ou bien que les symptômes qui la caractérisent soient tellement
légers que leur signification soit aisément méconnue. Il semble que cela
ait lieu plus fréquemment dans les formes graves, qui évoluent clinique-
ment avec les allures de la myélite centrale aiguë. Les accidents médullai-
res, les paralysies se développent avec une grande rapidité, parfois d'une
façon soudaine. On est tenté d'admettre ici que la moelle a été intéressée
directement et sans l'intermédiaire des enveloppes. C'est dans cette forme
principalement que l'on tend aujourd'hui à faire intervenir les thromboses
des vaisseaux nourriciers de la moelle, par analogie avec ce qui se produit
dans le ramollissement cérébral. Notre observation I en est un exemple.
Nous avons vu que, malgré l'importance considérable des altérations vascu-
laires, on ne pouvait faire abstraction des lésions méningées, et que les cas
de ce genre appartenaient bien pour la plupart au type anatomique de la
méningo-myélite.
DE LA nIÉNINGO-niYÉLITE SYPIIILITIQUE 237
PÉRIODE DES PARALYSIES MÉDULLAIRES
Des diverses formes de paraplégies syphilitiques.
Quelqu'ait été le mode de début : que la période douloureuse prépara-
toire ait présenté les caractères particuliers signalés clans les obser-
vations précédentes, ou que ces prodromes aient été seulement ébau-
chés, la lésion médullaire une fois constituée se traduit cliniquement dans
la grande majorité des cas par un ensemble symptomatique très analogue
à celui de la myélite transverse dorsale, c'est-à-dire par une paraplégie ac-
compagnée tôt ou tard d'un état spasmodique des muscles, et compliquée
d'une façon presque constante de paralysie des sphincters. On peut d'ail-
leurs admettre, suivant la remarque du professeur Erb, que les affections
syphilitiques de la moelle épinière ont contribué pour une large part à
l'édification de ce type clinique de la myélite transverse.
Ce n'est point là toutefois une règle absolue; et l'ensemble symptoma-
tique se rapporte parfois à la myélite transverse cervicale (voir observa-
tion III). Mais les statistiques montrent que cette forme est exception-
nelle : dans le mémoire de MM. Gilbert et Lion, on trouve 40 fois la
paraplégie sur h.4. cas de syphilis spinale.
En dépit des grandes variétés qui s'observent dans l'intensité des symp-
tômes, dans la gravité de l'évolution, les faits les mieux connus peuvent
être répartis dans un des deux groupes suivants : paraplégies syphilitiques
communes paraplégies syphilitiques graves.
(A suivre.) H. Lamy,
Ancien interne de la Clinique des maladies du système nerveux.
SUR UNE ESQUISSE RETROUVÉE DE RUBENS
REPRÉSENTANT LA GUÉRISON DE POSSÉDÉS
« Nous avons trouvé il la Bibliothèque nationale, disent MM. Charcot et
P. Richer dans leur beau livre sur les Démoniaques dans l'art, une gravure
d'après un tableau de Rubens représentant St François de Paule le montant
au ciel. De nombreux personnages de tous rangs assistent il cette ascension.
Au premier plan, des miracles s'accomplissent. On délivre de son suaire
un mort qui ressuscite ; plus en avant, deux démoniaques, un homme et
une femme sont en proie aux convulsions. Ces deux figures offrent de nom-
breux points de ressemblance avec les démoniaques du musée de Vienne,
mais autant que permet d'en juger la gravure, ils ne les égalent pas à notre
point de vue particulier. »
Et MM. Charcot et P. Richer ajoutent en note : « Dans le coin à droite
se trouve la mention suivante : Pet. Paul Rubens pioxit. Gicill. Collaert
excudit. D'autre part nous avons rencontré dans le catalogue des oeuvres
de Rubens qui fait suite à la Vie de Rubens par André van Ilasselt, Bruxel-
les, 1840, sous le numéro 495, l'indication d'un tableau représentant
St Fraraçois montant au ciel avec la mention : gravé par Lommelin. Quoi
qu'il en soit, nous n'avons trouvé aucune autre indication sur le tableau
de Rubens lequel peut-être n'existe plus. »
M. Gilles de la Tourette qui rapporte ces lignes vient de publier ici
même (1) une note fort intéressante, sur ce point, accompagnée de deux
photographies, qui reproduisent l'une, la gravure du Louvre signalée par
MM. Charcot et P. Richer, l'autre, un tableau appartenant à M. Tou-
douze. Ce tableau comme la gravure du Louvre représente St François de
Paule montant au ciel ; il n'est pas signé. Ce n'est certainement pas une
étude du maître; ce « n'est qu'une copie, assez mal habile d'ailleurs, due
à une peintre fort peu expérimenté dans son art ». Quoique la composition
reste la même dans son ensemble, il y a de telles différences de détails que
même en admettant les licences artistiques de l'époque, M. Gilles de la
de la Tourette pense que la gravure du Louvre n'a pu être exécutée sur le
(1) Gilles de la Tourette : Sur un tableau perdu de Rubens représentant la guérison de
« possédés » (Nouvelle lconog. de la Salpêt. 1892, p. 189).
PHOTOTYPE NÉGATIF A LONDE £ PHOTOCOLLOGRAPHIE CHÊNE & LONGUET
UNE ESQUISSE DE RUBENS
LOUIS BATTAILLE & C'
- . 1 -. . ? 0. -. 1. - ?
SUR UNE ESQUISSE RETROUVÉE DE RUBENS 239
tableau de M. Toudouze ou mieux sur l'original de ce tableau. Il ajoute
que Rubens a probablement fait deux St François de Paule montant au ciel
comme il a fait deux St Ignace délivrant une possédée et conclut : « les rap.'
prochements que nous avons faits du tableau appartenant à M. Toudouze
avec la gravure du Louvre ne nous donnent aucun indice pour retrouver
le tableau jJ1'Ùnitif aujounl' hui égaré. Ils nous permettraient plutôt de croire
qu'il doit y en avoir deux d'égarés au lieu d'un. Nous trouverions une con-
firmation de cette hypothèse dans ce fait que la gravure du musée du Lou-
vre fut exécutée par Collaert, alors que l'indication donnée par Van IIas-
selt porte : « gravé par Lommelin. »
Nous avons, en juin dernier, trouvé au musée de Munich une esquisse
de Rubens représentant St François de Paule montant au ciel (1). C'est une
esquisse mi-grisaille mi-couleur, une étude imparfaite par place, mais sin-
gulièrement finie dans le groupe des démoniaques, chez lesquels on retrouve
les qualités habituelles du maître. Les malades qui implorent les secours du
saint ne sont certainement pas des pestiférés, comme on pourrait le croire
d'après la rubrique du catalogue. Ce sont : un ressuscité, d'une part, et deux
démoniaques typiques, de l'autre. La planche photographique (Pl. XXXII)
ci-jointe nous servira de témoignage. Si on la rapproche de la gravure
du Louvre on est tout d'abord frappé de la ressemblance. Dans les deux,
l'idée est identique, le plan général pareil. Et même certains détails, sur-
tout au premier plan, sont assez superposables, par exemple le groupe du
ressuscité et de la vieille femme qui le regarde avec étonnement. De même,
la personne agenouillée dans le coin de droite a dans les deux composi-
tion le même vêlement et la même attitude. Le geste seul diffère. Les deux
démoniaques et les personnages qui les entourent sont évidemment dissem-
blables mais présentent cependant quelques traits communs. Nous ferons
remarquer que dans l'esquisse de Munich la facture est sur ce point très
supérieure à la gravure du Louvre. On trouve dans celle-là les qualités
que le maître a mises dans les démoniaques du musée de Vienne (St Ignace
guérissant les possédés). La tète, le tronc, les membres ont l'attitude et
les contorsions classiques ; les yeux sont convulsés en haut, la bouche lar-
gement ouverte, le visage grimaçant. Il ne s'agit plus dans ce premier plan
d'esquisse mais bien d'une étude parachevée. Les personnages qui au con-
traire forment le second plan sont simplement esquissés. Cependant si on
compare les groupes latéraux du fond avec ceux de la gravure du Louvre
on retrouve, dans les deux oeuvres, quelques traits communs; le groupe
(t1 Ce tableau se trouve dans le cabinet XII, à contre-jour, dans un coin très obscur.
Il est inscrit au catalogue de a l'Ancienne Pinacothèque », sous le numéro 763, avec
cette légende : Der in der Luft schwebende heilige Franz de Paula wird von Pestknan-
ken légende : angerufeu. Theilweise in Farbe gesetzte Grisaillenskizze ».
AeK Mm .M/f a ! tye) ? eM. Theilweise in Farbe gesetzte Grisa.itlenskizze ".
240 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
droit de l'esquisse correspond au groupe gauche de la gravure et inverse-
ment.
Mais à côté de ces ressemblances que de différences. Il est facile devoir
que certains personnages de la gravure font défaut dans l'esquisse de Mu-
nich et réciproquement, que d'autres sont surajoutés, que les poses, les
gestes, les costumes sont très dissemblables dans les deux oeuvres.
Que peut-on conclure de ce parallèle ? La gravure du Louvre a-t-elleété
faite d'après l'esquisse originale de Munich ? C'est l'opinion de M. le vi-
comte Delaborde, secrétaire perpétuel de l'Académie des Beaux-Arts qui a
bien voulu nous donner son avis et dont la compétence en pareille matière
est indiscutable. Les graveurs de l'époque se permettaient, avec ou sans
l'autorisation du peintre, des licences souvent très grandes qu'excusait
parfois la destination de leur oeuvre. Les exemples de ce genre ne sont pas
rares dans l'histoire de la gravure. En mettant sur le compte d'une licence
artistique les différences qu'on trouve dans ces deux oeuvres, on pourrait
donc supposer que l'esquisse du musée de Munich a servi de modèle à la
gravure du Louvre.
D'autre part, on pourrait formuler une seconde hypothèse basée sur les
grosses différences qui existent entre ces deux compositions. Un peintre qui
veut faire un tableau commence d'ordinaire par en brosser un certain nom-
bre d'esquisses, identiques quant au fond, variables quant à la forme. Ru-
bens, voulant faire un tableau représentant S. François de Paule guérissant
des possédés, a dû en faire plusieurs esquisses. Mais Rubens a-t-il fait ce
tableau ? Nous l'ignorons. Dans tous les cas, ce n'est pas un mais deux ou
trois au moins qu'il en faudrait ayant servi de modèle, l'un à la gravure du
Louvre, l'autre à la copie que possède M. Toudouze, le troisième vraisem-
blablement à la gravure de Lommelin. Sans cela, on ne s'expliquerait pas
les différences de ces trois oeuvres. Si ces trois tableaux ont été peints, on
doit jusqu'à nouvel ordre les considérer comme égarés. Mais il se pourrait,
en somme, que Rubens n'en eût fait aucun et s'en fut tenu à de pures es-
quisses qui auraient étéprises comme modèles. Dans cette supposition, ces
esquisses seraient également égarées, sauf une.
Quoi qu'il en soit, nous connaissons aujourd'hui une esquisse de Rubens
représentant S. François de Paule guérissant des possédés. Cette esquisse
se trouve à « l'ancienne Pinacothèque » de Munich.
. A. Souques,
Le gérant : LOUIS BtTTAIt,LE.
Imp. Vve LOURDOt. 33, rue des Batiguolles,haris.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
A q
DE LA SALPÊTRIÈRE
JEAN-MARTIN CHARCOT
La rédaction de la Nouvelle Iconographie m'a demandé de faire revivre
un instant la grande figure de son directeur, de noire vénéré maître le
professeur Jean-Martin Charcot qu'une attaque soudaine d'angine de poi-
trine vient d'enlever à l'affection de ses élèves, à la vénération du monde
scientifique tout entier. J'ai aussitôt accepté presque heureux de payer
ainsi une partie de la dette de reconnaissance que j'avais contractée, ef-
frayé il la réflexion de la tâche que je venais de m'imposer. Une seule chose
m'encourage, c'est de me sentir en communauté complète d'idées avec les
lecteurs de ce journal, amis ou disciples du fondateur de l'Ecole de la
Salpêtrière. Aussi bien, c'est plutôt encore le maître lui-môme que je vou-
drais évoquer que son oeuvre, car tous ici la connaissent et se sont nour-
ris de ce merveilleux enseignement qui pendant près d'un demi-siècle a
jeté sur la médecine française un lustre incomparable.
J.-M. Charcot naquit à Paris le 29 novembre 1825. Son père, modeste
carrossier, était plus artiste qu'artisan : le plus clair de ses gains passait à
la recherche et quelquefois à l'exécution de chars somptueusement ornés
dont les modèles dessinés par lui-même font encore l'admiration des gens
du métier. Aussi de son père hérita-t-il, au moins, d'une passion véritable
pour les arts, pour le dessin dans lequel il excellait, et l'hôtel qu'il habita,
lorsque la fortune lui devint clémente, décoré sur ses propres plans, en
partie par lui-même c'étaient là ses loisirs passe-t-il à juste litre
pour le joyau des logis parisiens.
Étudiant en médecine studieux, nommé en 1848 interne dans la même
promotion qne Vulpian, son ami entre tous, il attira l'attention de Rayer
qui le prit comme chef de clinique. Rayer occupait alors la situation pré-
pondérante que son élève devait avoir vingt ans plus tard; il reconnut
VI 17
242 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
dans Charcot un esprit d'élite et le favorisa de tout son pouvoir. Jamais,
du reste, élève ne fut plus respectueux et plus reconnaissant, et c'est avec
enthousiasme que récemment encore il me parlait du maître qu'il avait
pourtant surpassé. Rayer qui le savait pauvre l'avait placé près d'une riche
famille qu'il a soignée jusqu'à sa mort avec le dévouement de tous les
jours d'un médecin ordinaire, car cet homme au masque dur était avant
tout un grand coeur. Il put ainsi séjourner longtemps en Italie où il acquit
une éducation artistique qui n'avait d'égale que son instruction médicale.
Puis, il aborda les concours dans lesquels lui, le professeur incompara-
ble, il eût certainement échoué sans la protection de son maître. A cette
époque, la médecine n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui, ce qu'il a puis-
samment contribué Ù le faire. La faveur allait aux rhéteurs, il ceux qui,
bourrés de lieux communs par un entraînement spécial qui n'avait rien à
faire avec la science, pouvaient parler d'abondance sur le premier sujet
qui leur était proposé. Rien n'était moins dans le tempérament de Charcot
que ces joutes oratoires où les mots ronflants remplaçaient les arguments
d'ordre scientifique. Il eût succombé sans Rayer : pourtant une fois il dé-
cita du sort en sa faveur. Cet homme au masque dominateur, qui au fond
était un timide, avait été vaincu sur ce que j'appellerai irrévérencieuse-
ment en médecine le terrain du discours français. Mais quand vint l'argu-
mentation de la thèse de son adversaire, il se ressaisit, fort qu'il était d'un
savoir qui n'avait pas besoin pour briller d'emprunter des formules de
rhétorique. Possédant à fond les langues étrangères, ils étaient trois
alors il la Faculté : Leudet, de Rouen, Vulpian et lui il triompha en
étalant un luxe de bibliographie dont ses juges ne furent pas les derniers
à être étonnés.
C'est qu'il n'exista jamais plus grand travailleur. Son occupation cons-
tante, en dehors de l'examen des malades dans lequel il excellait, était la
lecture des publications françaises et étrangères. Il les allnotait, en faisait
des extraits que jusqu'à ses derniers jours il collectionna et colla lui-même
dans des cahiers spéciaux comme un étudiant il ses débuts. Sa mémoire
s'était tellement affinée à ce labeur de bénédictin qu'il pouvait, vingt ans
après qu'il avait été publié, donner l'indication exacte d'un travail qui
souvent était passé pour tous complètement inaperçu. Combien de ce fait
n'a-t-il pas facilité les recherches de ses élèves ! Bien mieux, ce fut lui
qui révéla pour ainsi dire aux Anglais la valeur de Todd et qui mit en
pleine lumière les travaux de Brodie. Je tiens cette opinion d'un médecin
anglais, grand parmi les illustres et qui, comme tous ses compatriotes,
professait pour mon maître la plus vive admiration.
Il faut le dire, du reste, en dehors des joies de la famille qu'il goûta au
suprême degré, en dehors de l'intérêt, sans cesse en éveil, qu'il portait à
JEAN-MARTIN CHARCOT 243
ses élèves, Charcot n'aima que la science, les arts et la philosophie. Ceux
qui ont vécu dans l'intimité de sa fréquentation journalière diront s'ils lui
ont jamais vu prendre part à une conversation futile.
Amateur passionné des voyages, il les faisait toujours servir son ins-
truction. Il en rapportait de nombreux documents, visitant les hôpitaux,
les églises, les musées, où son espri sagace, son oeil pénétrant, auquel rien
n'échappait, découvrait un ex-voto, un tableau qui lui permettait d'écrire
avec notre ami Paul Richer, les Démoniaques elles Difformes dans l'art qui
sont toute une évocation de la pathologie nerveuse du passé. Aussi son
commerce n'était-il véritablement agréable que pour un certain nombre
d'esprits d'élite qu'il admettait à ses soirées du Mardi et avec lesquels il
conversait sur les sujets les plus élevés. J'ai vu dans son salon du quai
Malaquais ou du boulevard Saint-Germain passer les personnalités les plus
diverses qu'il tenait sous le charme de sa haute philosophie. Ses audi-
teurs l'entouraient, et il discutait avec ardeur, s'emportant parfois, car il
était rebelle il la contradiction ; son masque froid et sévère, encadré de
longs cheveux rares aux tempes, qui lui donnait une ressemblance frap-
pante avec le Premier Consul, se dégelait, pour aiusi dire. Ses yeux, abri-
tés derrière d'épais sourcils, profondément enfoncés dans l'orbite, bril-
laient d'un éclat particulier; il se levait, toujours discutant, de sa haute
chaise qu'il affectionnait, lui l'homme de l'immobilité physique, faisait un
pas ou deux, puis revenait il sa place, fendant l'air du geste tranchant et
quasi sacerdotal qui lui était familier, et nous, ses élèves, admirions sans
réserves sa science profonde des hommes et des choses qui en faisait un
lutteur jamais vaincu.
Mais je m'aperçois que je me laisse entraîner par mes souvenirs, d'hier,
hélas ! qui se pressent en foule. Jevoudrais pourtant mettre quelque ordre
dans l'exposé d'une vie si touffue, si complètement remplie.
Nommé agrégé à la Faculté et médecin des hôpitaux, il prit, en 1862,
pour ne plus le quitter, un service dans celle ville de cinq mille âmes
qu'est la Salpêtrière, dans ce pandémoniumdes infirmités humaines. Avant
lui, cette place n'était guère recherchée. Les jeunes médecins des hôpi-
taux, au nombre desquels il était alors, n'y séjournaient que rarement;
c'était pour eux un lieu de passage bien plus qu'une station scientifique.
Charcot comprit au contraire quelle mine était à sa disposition, et sans
retard il se résolut il l'exploiter. C'est alors que s'affirme sa haute science
dans toutes les branches de la médecine. Le Charcot du public n'est qu'un
' spécialiste, génial il la vérité dans le domaine des affections nerveuses,
alors que parmi ses collègues il était déjà célèbre lorsqu'il dirigea ses élu-
des de ce côté. Dans son service.de l'Infirmerie, il recueille Ions les ranz
244 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
matisants infirmes qui peuplent les dortoirs du grand hospice, et lui qui
préludait dans la carrière qu'il devait illustrer par une thèse sur la 'goutte,
il établit les lignes de démarcation qui séparent le rhumatisme chronique
de l'affection goutteuse. Son livre sur les maladies des vieillards est un re-
flet brillant de son enseignement d'alors.
La récompense de ses travaux est la chaire d'anatomie pathologique où
il remplace son ami Vulpian pour lequel on crée celle de pathologie expé-
rimentale. Charcot publie alors ses recherches sur les maladies du foie,
des reins et des poumons qui, traduites dans toutes les langues, sont de-
venues classiques. C'est là que s'affirme sa doctrine. Charcot a une mé-
thode de travail et une méthode d'exposition qui lui sont propres : la mé-
thode anatomo-clinique et la méthode des types.
Il observe, et avec quel soin, ses élèves seuls le savent, un malade, une
série de malades, en recueille l'histoire clinique avec une précision incom-
parable, accumule les matériaux, et contrôle patiemment les faits à la lu-
mière des documents anatomiques ; seulement alors il conclut sans jamais
s'être laissé arrêter dans sa route par les théories d'une physiologie pré-
conçue. Pour son exposé, dans un groupe de faits, il ne prend pas les ex-
ceptions, les formes frustes, comme il les appelle, viendront plus tard,
- il crée des types et les décrit comme il les conçoit avec pièces anatomi-
ques à l'appui. Depuis plus de vingt ans que ses recherches sur les mala-
dies des poumons, du foie et des reins sont publiées, est-ce que le lobule
pulmonaire de Charcot ne reste pas debout ? Est-ce que sa conception des
cirrhoses et des néphrites ne régente pas encore la pathologie ? Et ses idées,
il les soutenait avec âpre té.
Est-ce à dire qu'il niai le progrès, cet homme qui étai t le progrès même ?
Nullement. Il avait conscience, c'était de l'orgueil peut-être, mais com-
bien légitime ! que ce qu'il avait affirmé, il l'avait fait à bon escient
après des études approfondies de clinique et de laboratoire. Qui lui a ja-
mais démontré qu'il s'était trompé ? Rien dans la pathologie humaine ne
lui était étranger; il a fait des découvertes dans toutes ses branches, elles
« cristaux de Charcot » restent encore la caractéristique de certaines alté-
rations du liquide sanguin.
J'arrive du reste à ses études sur les maladies nerveuses dans lesquelles
il a brillé d'un éclat incomparable. En même temps qu'il professait il l'É-
cole de médecine, de 1872 à 1882, son cours d'anatomie pathologique,
Charcot, menant les deux choses de front, créait à la Salpêtrière l'ensei-
gnement des maladies du système nerveux. Tout était à faire dans le vieil
hospice : une salle se transforme en laboratoire pour les investigations mi-
croscopiques ; dans une autre, il place ses instruments de physiologie ex-
JEAN-MARTIN CHARCOT 245
périmentale en même temps qu'il crée un laboratoire de photographie d'où
est sorti ce Journal, un musée où prendront place les moulages, les dessins,
les pièces anatomiques qu'il recueille. Puis, tous les jours, il fouille les
vieux dortoirs où sont relégués sous le nom général de paralytique tous les
infirmes par maladies du cerveau ou de la moelle épinière.
C'est l'époque où Duchenne, de Boulogne, son rival en génie, décrit l'a-
taxie locomotrice, l'atrophie musculaire sous toutes ses formes. Charcot
marche avec lui dans cette voie féconde, et son tour, de ce groupe confus
des maladies de la moelle non différenciées, il sort la sclérose en plaques,
la sclérose latérale amyolrophique (maladie de Charcot), les arthropathies
des ataxiques (Charcot' s joints diseuse), enfin à l'aide de sa méthode ana-
lomo-clinique, fait pour ainsi dire sienne la doctrine des localisations cé-
rébrales qui avait suffi à illustrer Ferrier et Broca.
De 1802 à 1876 son enseignement il la Salpêtrière sur les maladies or-
ganiques du cerveau et de la moelle jette sur la médecine française un lus-
tre incomparable. C'est alors qu'il publie la série de ses travaux sur l'hys-
térie et sur l'hypnotisme qui n'est qu'un corollaire de la névrose. En 1862,
prenant possession de son service, Charcot, entre le pavillon des incura-
bles et celui des épileptiques, avait trouvé une section dite des hystéro-
épileptiques où les convulsionnaires étaient confondus pèle-mêle dans un
même quartier sur la porte duquel Dante eût tracé son « Lasciate ogni spe-
roi clc'iactrcite ». C'était l'enfer de la Salpêtrière.
Au début il ne vit rien de plus que ses devanciers dans ces paroxysmes
à formes si changeantes, dans les convulsions de ce Protée comme on ap-
pelait alors l'hystérie. Mais il observait, notant les attitudes, dessinant les
phases de l'attaque, et un jour la lumière se fit, le voile se déchira : il ve-
nait de découvrir l'indépendance complète des deux névroses, l'hystérie
et l'épilepsie. Et comme toujours il appuyait sa démonstration, non pas
seulement sur des phénomènes objectifs susceptibles en somme d'une in-
terprétation variable suivant les observateurs, mais sur un ensemble de
stigmates physiques tirés des troubles de la sensibilité, de la marche de la
température, au-dessus de toute contestation. Là encore il procédait par
la méthode des types, et. sa description de la grande attaque hystérique
ou « attaque de la Salpêtrière » est encore celle qui doit servir de base à
toute description en la matière. Par un dernier respect d'une nomencla-
ture employée dans les salles du vieil hôpital, il lui conservait le nom
d'hysléro-épileptiq1le, mais plus tard il se ravisa. « Il ne faut plus employer
ce terme, disait-il, il pourrait prêter à confusion, l'hystérie et l'épilepsie
n'ont aucune parenté ».
Cette découverte de l'unité, de l'indivisibilité de l'hystérie dans ses for-
246 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
mes jusque-là réputées épileptiques était grosse de conséquences tant au
point de vue doctrinal que thérapeutique. Outre la révolution féconde
qu'elle faisait dans la nosographie, elle permettait d'espérer la guérison
pour toute une catégorie de malades considérés jusqu'alors comme incu-
rables et traités comme tels. Les efforts de Charcot tendirent dès ce mo-
ment à trouver une thérapeutique rationnelle de la grande névrose.
Combien de fois, alors que j'étais son interne ou son chef de clinique,
n'ai-je pas entendu dire au courant d'une discussion sur les travaux de
mon maître : « L'hystérie à la Salpêtrière, vous la cultivez, vous ne la
guérissez pas ». Quand cela venait aux oreilles de Charcot, il répondait :
« Pour apprendre à guérir il faut d'abord avoir appris à connaître, le dia-
gnostic est le meilleur atout du traitement ». C'était il lui que s'adressait
ce reproche de n'être pas un thérapeute ! à Charcot qui a donné la- vérita-
ble formule du traitement de l'hystérie et de l'épilepsie, qui a trouvé le
seul moyen de guérir les vertigineux auriculaires qu'on abandonnait avant
lui à leur sort infortuné, à lui qui en thérapeutique n'a jamais reculé de-
vant aucune expérimentation, dont la maxime en la matière était « que le
bon remède est celui qui guérit ». Qu'on relise donc à ce sujet un de ses
derniers travaux, sorte de testament philosophique, la « Foi qui gué-
rit (1) » ! .
Cet esprit scientifique rigoureux avait, en thérapeutique comme en pa-
thologie, des indulgences extrêmes ; il prenait son bien partout où il le
trouvait, toujours curieux de nouvelles choses, ne reculant pas devant les
pires audaces.
Il le montra quand, vers 1878, il fui conduit par ses études sur l'hysté-
rie à entreprendre ses recherches sur l'hypnotisme. Ce fut une stupéfac-
tion générale dans le monde savant qnand on vit Charcot, cet esprit scien-
tifique si pondéré, se commettre avec des sujets magnétisés, comme on
disait alors, démontrer qu'ils dormaient véritablement, que certains ma-
gnétiseurs honnêtes, ils étaient si rares, avaient entrevu une part de la
vérité. Charcot, du reste, n'y alla pas demain-morte; il porta directement
sa communication, fruit de ses expériences, à l'Académie des sciences.
Et l'on y retrouvait sa méthode : constatation des phénomènes hypnoti-
ques d'après un ensemble de signes physiques impossibles à simuler; pas
de divagations creuses dans le domaine de la suggestion ; des faits suscep-
tibles d'un contrôle immédiat par tous. L'hypnotisme est un état morbide
qui, de même que l'hystérie dont il dérive, a son déterminisme et ses
lois : c'est une maladie que l'expérimentateur fait naître, raison de plus
pour ne pas la provoquer à tort et il travers, car elle peut conduire il de
(1) Revue hebdomadaire, 3 décembre 1892.
JEAN-MARTIN CHARCOT 247
terribles accidents nerveux. Établissant les lois physiques du somnambu-
lisme, Charcot éclairait encore un coin obscur de ce merveilleux que ses
travaux sur l'hystérie poursuivis dans l'histoire des démoniaques rédui-
saient à néant.
La lutte fut vive : on ne voulut plus voir dans Charcot qu'un « hypno-
tiseur », et ses découvertes dans toutes les branches de son art furent vo-
lontairement oubliées par ceux qui n'avaient pas eu cette peine pour celles
qu'ils avaient faites. Certains affectèrent des airs bienveillants et firent
mine d'excuser ce qu'ils appelaient ses erreurs. Mais lui, pour toute ré-
ponse, multiplia ses leçons, ses communications, convia ses détracteurs à
ses expériences, porta la question devant le grand public en ouvrant toutes
larges les portes de son amphithéâtre, et il eut une fois de plus gain de
cause.
Hélas ! il ne l'a pas dit en chaire, mais je sais pertinemment qu'il re-
gretta sa victoire, car après celle-ci, les études des phénomènes de l'hyp-
nose si complètement dédaignées avant lui prirent une extension considé-
rable, beaucoup trop grande à son avis. Tel qui la veille dans la capitale
ou la province était un médecin ignoré se révéla au public étonné comme
un guérisseur admirable, un hypnotiseur de première force. Ce qui n'était
pas bien difficile, les malades dormant d'eux-mêmes ! La voie scientifique
dans laquelle Charcot s'était engagé, celle des déterminations physiques
de l'hypnotisme, fut complètement abandonnée, et alors on assista à tous
les écarts d'une suggestion sans contrôle. Les salles de la Salpêtrière se
peuplèrent des malheureuses victimes des hypnotiseurs à la mode : la
science n'ayant plus rien à voir dans ces expériences que dominait le lucre
ou une curiosité malsaine, on vit refleurir la magie, l'occultisme, toutes
ces herbes mauvaises qu'entretiennent soigneusement les exploiteurs.
L'hypnotisme envahit le prétoire ; des juges firent l'instruction d'une
affaire, des tribunaux condamnèrent sur l'avis sollicité de magnétiseurs de
tréteaux.
Charcot fut profondément attristé d'avoir ouvert la route à cette marée
qu'il ne pouvait plus endiguer et qui, en montant chaque jour, se char-
geait d'impuretés. Au lendemain d'un procès célèbre où l'on vit ce singu-
lier spectacle d'un professeur de droit administratif intronisé expert en
matière d'hypnotisme, M. Charcot me dit douloureusement ému : « En
voilà pour dix ans, les esprits sont affolés, les appétits sont déchaînés, rien
de ce qu'on pourra faire de scientifique dans le domaine de l'hypnotisme
ne sera estimé à sa valeur : et puis je gène trop de monde quand je dis que
l'hypnotisme est dangereux et que fous les sujets ne sont pas hypnolisa-
bles ». J'aurais bien d'autres choses il dire sur ce sujet, j'y reviendrai cer-
tainement quelque jour.
248 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Ce fut en -188 que l'enseignement que Charcot faisait depuis vingt ans
à la Salpêtrière fut officiellement consacré. Il quittait la chaire d'anatomie
pathologique pour prendre possession de celle des maladies du système
nerveux qu'on créait pour lui. Rien ne changea du reste dans le vieil hos-
pice, car il avait pourvu à tout : peu à peu les laboratoires s'étaient agran-
dis, il en avait créé de nouveaux. L'amphithéâtre où il enseignait étant de-
venu trop petit, l'ancienne cuisine de l'hôpital où pouvaient loger cinq
cents auditeurs avait été transformée, munie d'appareils à projections élec-
triques. Un service d'électrothérapie unique au monde avait été installé,
puis des laboratoires particuliers pour un auriste, un oculiste, un laryn-
gologiste qui apportaient au maître l'appoint de leurs connaissances spé-
ciales. Je ne veux pas décrire cet « Institut » pour employer le terme con-
sacré, il est connu de tous et a servi de modèle en Europe à bien des
créations de même ordre qui ne l'ont jamais égalé.
Charcot resta plus de trente ans à la Salpêtrière, la mort interrompit
seule ses leçons qu'il professa jusqu'au dernier jour de l'année scolaire
avec le même éclat, avec la même ponctualité. Il a succombé debout dans
la plénitude de son talent.
Tous les matins vacances comprises, il ne s'accordait guère qu'un
mois de congé par an il se rendait exactement à neuf heures et demie
dans son service où l'heure de midi le trouvait encore, car il fit toujours
passer ses malades de l'hospice venus de tous les pays du monde avant ceux
de sa clientèle. Ceux-ci du reste l'adoraient : non seulement il les soignait,
mais il était vis-à-vis d'eux d'une bienfaisance aveugle dont certains du
reste ne manquaient pas d'abuser. Je crois bien qu'il s'en apercevait, mais
sa main qu'il donnait si rarement était toujours grande ouverte pour la
charité.
Ponctuel, il exigeait de ses chefs de service la même régularité; il fallait t
que tout fût prêt pour ses cours. Le mardi matin, jour de grande leçon (le
vendredi il en faisait une autre de clinique extemporanée), il revoyait
une dernière fois les malades sur lesquels il devait disserter, et si quel-
qu'un d'entre eux n'était pas présent, c'étaient des emportements extraor-
dinaires, surtout aux environs du : 1 el' janvier. Les jeunes internes qui ve-
naientd'entrer en service se le tenaient pour dit et, la fois suivante, personne
ne manquait à l'appel. Jamais il ne fil une leçon sans que celle-ci fût pré-
parée de longue main, documentée à l'excès. Au sortir de l'amphithéâtre,
quand il désirait qu'elle fût publiée, il disait à l'un de ses élèves : « Voici
mes notes, vous les rédigerez. » La rédaction n'était pas difficile, il n'y
avait rien à changer; la leçon était écrite tout entière de sa main, dans ce
style ferme, vigoureux, sans inutilités, dont la précision et la clarté font
notre admiratioll.
JEAN-MARTIN CHARCOT T 249
Personne plus que lui ne posséda le don de l'enseignement. Ayant à
traiter parfois des sujets où il abordait les régions les plus élevées de la
médecine et de la philosophie, l'aphasie et les divers éléments du lan-
gage, par exemple, il tenait pendant deux heures ses auditeurs sous le
charme de sa parole. C'était là qu'il fallait le voir pour le connaître et
l'apprécier à sa juste valeur. Il devenait un tout autre homme, se transfi-
gurait, pour ainsi dire, s'échauffait, discutant avec feu les opinions con-
tradictoires, s'élevant aux plus hauts sommets de l'éloquence, entraînant
les applaudissements d'un auditoire auquel il communiquait sa passion
pour la science.
En l'entendant s'exprimer ainsi sans une redite, sans un remplissage,
dans une langue toujours châtiée, on se demandait si c'était là le Charcot
des concours d'antan, rebelle il l'éloquence. Je pense pour ma part qu'il
avait dû toujours être ce qu'il était quand je l'ai connu ; mais je crois aussi
qu'il n'avait jamais su parler pour ne rien dire.
Charcot, pour son enseignement, usait de toutes les découvertes de la
science moderne : il fut un des premiers à se servir des projections électri-
ques dans l'impossibilité où il était de montrer simultanément à trois cents
auditeurs la pièce microscopique qu'il apportait à l'appui de sa démonstra-
tion clinique. De même, décrivant les grandes attaques hystériques et les
phénomènes de l'hypnose, placé sur une estrade qui dominait la foule, il
faisait ces démonstrations si mouvementées que la gravure a maintes fois
reproduites.
De ce fait, certains envieux, dont les cours étaient délaissés, osèrent, il
faut le dire pour leur honte, prononcer le mot de charlatanisme ; j'incline
à croire que ce n'était pas le seul rayonnement de la lumière électrique qui
les avait offusqués dans ce merveilleux enseignement.
Le mercredi 9 août, il m'avait admis à sa table dans cette petite maison
de Neuilly qu'il aimait tant. Je lui avais porté, pour qu'il le lût et le cor-
rigeât, un des derniers chapitres du Traité de l'hystérie que je faisais sous
sa direction, car aucun de ses élèves n'a jamais publié un travail de quel-
que importance sans qu'il l'eût relu et corrigé de sa main. Et combien ga-
gnait-on à ses annotations !
Il était tout joyeux, devant partir le lendemain en excursion archéolo-
gique avec deux de ses élèves : les professeurs Debove et Strauss, et M. Valle-
ry-Radot, gendre de son collègue de l'Institut, de M. Pasteur, son ami
fidèle dans certains mauvais jours. Quand il fut parti, ses lettres arrivè-
rent pleines d'entrain et de gaieté : la dernière, datée du 15, était plus
joyeuse que les autres, il annonçait son retour. Le 16 au matin, il était
mort.
Avec lui disparaît la plus grande figure médicale de la seconde moitié
250 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
du dix-neuvième siècle, qui grandira encore dans l'avenir, lorsque ceux
qu'il avait heurtés de sa farouche franchise lui auront rendu la justice qui
lui était due.
La Nouvelle Iconographie à perdu son chef vénéré, celui qui toujours
bienveillant la guidait d'une main ferme. Tous ici nous conserverons pieu-
sement la mémoire de notre maître si regretté, et pour l'honorer nous
continuerons à marcher sans défaillances dans la voie scientifique qu'il nous
avait tracée.
- Gilles de la TOURETTE.
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE
ÉTUDE CLINIQUE ET ANATOMO-PATHOLOGIQUE
Travail du Laboratoire de la Clinique des Maladies
, du Système nerveux (Suite et fin) (1).
I. Paraplégies SYPHILITIQUES communes.
Cette forme de paralysies syphilitiques répond, avons-nous dit, au
type clinique de la myélite tralmerse dorsale telle que nous la trouvons
décrite dans les ouvrages classiques (Leyden, Charcol, Vulpian). La plu-
part des auteurs qui ont étudié les complications médullaires de la syphi-
lis se sont peu attachés à faire ressortir les particularités symptomatiques
de celles-ci : un grand nombre d'entre eux déclarent du reste que les pa-
ralysies syphilitiques n'offrent aucun caractère spécial.
Et il n'y a rien là et priori, s'il en est vraiment ainsi, qui doive nous
étonner et encore moins nous faire douter de la nature spécifique de ces
paraplégies : ne sait-on pas que le ramollissement cérébral par artérite
syphilitique ne se différencie en rien au point de vue symptomatique de
n'importe quel ramollissement cérébral par thrombrose artériel le ? et n'est-
il pas bien établi aujourd'hui en pathologie nerveuse que la localisation
d'une lésion en régit les manifestations cliniques bien plutôt que la na-
lure de celle-ci ?
Toutefois l'analyse clinique ne saurait être faite de trop près ici ; et, ne
fussent-elles que des nuances, les particularités des paraplégies syphi-
1 i t iqnes méritent d'être notées en vue du diagnostic. Nous avons vu com-
bien les accidents de la période prodromique étaient parfois significatifs
à cet égard. Mais n'en est pas toujours ainsi, car il n'y a guère de loi
absolue en pathologie : les accidents du côté de la moelle, les paralysies
peuvent apparaître sans avoir été précédées des symptômes qui traduisent'
dans certains cas d'une manière si singulière l'envahissement des méninges
médullaires par l'inflammation spécifique. Nous pensons, en nous fondant
principalement sur les observations qui précèdent, que le processus anato-
(1) Iconographie n°" 2, 3 et t, 1593.
252 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
mique est au fond toujours le même, autrement dit que ces cas appartien-
nent bien aussi à la méningo-myélite syphilitique.
Le professeur Erb, dans une publication récente (1), déclarait que les
paraplégies syphilitiques le plus communément observées en clinique lui
paraissaient présenter des caractères assez spéciaux pour être distinguées
comme un type morbide à part, auquel il proposait la dénomination de
paralysie spinale syphilitique.
Le développement de la maladie, suivant Erb, a lieu d'une façon pro-
gressive. Les symptômes se constituent dans le cours de semaines, de mois,
parfois même d'années. Ce sont d'abord des paresthésics, des douleurs dans
les membres inférieurs, dans le rachis ; de la faiblesse et de la raideur des
jambes ; des troubles vésicaux. Ceux-ci peuvent précéder tous les autres,
exister seuls pendant longtemps. Plus lard la maladie évolue jusqu'à la pa-
résie spasmodique, rarement jusqu'à la paraplégie complète. La démarche
spasmodique est alors typique. Mais, règle générale, la paralysie à propre-
ment parler reste peu accentuée : on peut constater que le malade conserve
une grande force musculaire dans les différents segments des membres
inférieurs.
Ce qu'il y a de remarquable, c'est que la tonicité permanente des mus-
cles, la contracture est rarement portée à un haut degré, tandis que les ré-
flexes tendineux sont très exagérés et qu'il existe presque delà trépidation
spinale.
Les troubles de sensibilité sont toujours relativement légers, parfois
même à peine indiqués. Les plus constants sont les troubles subjectifs : les
malades se plaignent d'engourdissement, de fourmillements dans les extré-
mités ; mais, règle générale, ils ne souffrent pas. Par contre les troubles
objectifs manquent souvent; ou bien s'ils existent, ils sont insignifiants,
très limités, se bornent à un mode quelconque de la sensibilité.
La parésie vésicale qui est constante, et qui se traduit par de l'inconti-
nence ou de la rétention d'urine selon les cas, s'accompagne dans la règle
d'impuissance sexuelle.
Tel esten résumé le tableau clinique de la paralysie spinale syphilitique
d'Erb. L'auteur ajoute que les troubles trophiques, les eschares du décu-
bits font défaut, sauf dans quelques cas graves; que l'on n'observe pas d'a-
trophie musculaire, enfin que l'excitabilité électrique des muscles n'est
pas modifiée. La moitié supérieure du corps reste indemne, dans les cas
non compliqués : on n'observe rien d'anormal du côté des membres supé-
rieurs, des nerfs crâniens ou des fonctions cérébrales. Enfin l'affection
présente une tendance très manifeste à s'améliorer dans une bonne moitié
(1) Ueber syphililische Spinul-Paralysie (Separat-Abdtruck ctus Neurolog. Celltralblall,
1891, n° 6).
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 253
des cas. Après un traitement spécifique bien conduit, on peut voir des
malades guérir de leur paraplégie à peu près entièrement. Mais souvent
elle reste stationnaire en dépit de toutes les médications mises en usage.
Erb déclare que cetle paralysie spinale syphilitique, lorsqu'elle existe
isolée, constitue une maladie autonome et bien caractérisée, mais il re-
connaît qu'elle est souvent combinée à d'autres formes cliniques de la sy-
philis spinale ou cérébro-spinale. En l'absence d'examen anatomique, il
incline fort à croire qu'un ensemble symptomatique aussi monotone, pour
ainsi dire, reconnaît une lésion constante qu'il localise dans la moelle dor-
sale et qu'il suppose située clans la moitié postérieure de celle-ci, envahis-
sant symétriquement les cordons postérieurs, les cornes postérieures et la
moitié postérieure des cordons latéraux.
L'auteur a eu le mérite incontestable de bien dégager des autres com-
plexus plus ou moins analogues une des formes cliniques incontestable-
ment les plus fréquentes de paralysie médullaire syphilitique. Nous avons
eu celle année même, a la Salpêtrière, dans le service de M. le professeur
Charcot, l'occasion de vérifier à plusieurs reprises l'exactitude de sa des-
cription. Toutes les observations de ce genre offrent une similitude com-
plète entre elles. La suivante, par exemple, réalise dans ses moindres détails
le tableau de la paralysie spinale syphilitique telle que Erb la comprend.
Observation IX.
Chancre induré en avril 1891. Début des accidents en avril 1892 par de lé-
gères douleurs dans les membres inférieurs et de la lenteur dans la miction.
Ensuite paraplégie à développement rapide. Ultérieurement amélioration
de la paraplégie, mais raideur spasmodique du membre inférieur droit.
Diminution légère de la sensibilité dans le membre inférieur gauche, im-
puissance génitale et persistance des troubles vésicaux. Pas de phénomènes
cérébraux.
CIIaf... A. 3 ans, graveur sur acier, se présente a la consultation de la Sal-
pêtrière le 20 septembre 1892.
Mère, un frère et une soeur morts de la poitrine. Un frère s'est tué en se
précipitant par la fenêtre dans un accès de fièvre chaude. Il n'y a dans la fa-
mille ni nerveux ( ? ) ni aliénés à la connaissance du malade.
Lui-même n'a jamais eu antérieurement d'affection grave. Il n'a pas présenté
d'accidents nerveux dans son enfance ; mais il était sujet à de grandes colères.
Soldat pendant 4 années, il a contracté les fièvres intermittentes en Tunisie,
mais il a eu seulement 2 ou 3 accès de fièvre fort légère et de courte durée (Il
y a de cela 7 ou 8 ans).
Au régiment plusieurs blennorrhagies et un chancre mou, accompagné de bu-
bon inguinal suppuré. Depuis sa sortie du régiment, il exerce la profession de
254 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
graveur sur acier; et il a vécu longtemps en Angleterre. Pas buveur, mais il a
fait beaucoup d'excès de femmes.
L'an dernier (avril 1891), il contracte à Londres un chancre sur la verge :
c'était un ulcère dur, non douloureux, qui a duré 2 ou 3 mois et n'a pas sup-
puré. Il a consulté à Londres un médecin qui lui a dit que c'était un chancre
syphilitique et qui lui a donné des médicaments il prendre il l'intérieur. A la
suite de ce chancre, une éruption de papules rouges s'est produite sur toute la
surface du corps. Il a eu aussi des boutons dans les cheveux et des plaques
muqueuses dans la bouche et il l'anus. 11 a pris pendant près de 3 mois les mé-
dicaments que le médecin de Londres lui avait ordonnés ; puis il ne s'est soi-
gné de nouveau qu'il l'occasion de la maladie actuelle.
En avril 1892, il ressent des douleurs sourdes dans les deux membres infé-
rieurs, principalement au niveau des tendons d'Achille. Quelque temps après,
survient une grande difficulté à uriner, une grande lenteur dans les mictions
surtout au début. Puis un jour, en faisant une promenade il sent une faiblesse
croissante dans les jambes, et il est obligé de rentrer chez lui. Les jours suivants,
l'impotence musculaire augmente encore, au point qu'il est obligé de garder le
lit pendant près d'une semaine ; au lit d'ailleurs les mouvements des membres
inférieurs étaient parfaitement libres.
Depuis cette époque, il n'a cessé d'avoir les jambes faibles, surtout la droite;
jamais cependant il n'a été obligé de reprendre le lit de nouveau, et la marche
a toujours été possible depuis lors. Mais la raideur a envahi très rapidement les
membres inférieurs, surtout le droit. En même temps, le malade a commencé
à perdre ses urines dans son pantalon. Il n'a jamais eu d'incontinence complète
cependant. Depuis la même époque, impuissance sexuelle absolue.
Rentré en France il y a 4 mois, il est allé consulter il Laril)oisière M. Troi-
sier, qui lui a ordonné des frictions mercurielles et de l'iodure de potassium ;
et il a fait ce traitement depuis 3 mois 1/2 avec des intervalles de repos. Le
malade prétend n'avoir pas été soulagé d'une façon bien nette; toutefois il faut
tenir compte de ce fait qu'il pratiquait ses frictions d'une manière défectueuse.
Étal actuel. Malade vigoureux, d'un état général excellent : il ne présente
plus de traces extérieures de l'infection spécifique. La marche est possible,
même sans canne : mais elle est visiblement gênée par la raideur de la jambe
droite. Le genou ne se fléchit pas et la pointe du pied frotte le sol à chaque pas.
La jambe gauche est beaucoup plus'souple ; et grâce à elle, le malade peut mar-
cher assez librement et assez vite.
Pas d'incoordination, pas de signe de Romberg.
La sensibilité est fort peu intéressée ; d'abord le malade ne souffre pas. 11
éprouve seulement quelques engourdissements dans le pied et dans lajambe (sur-
tout à gauche). Objectivement on constate que la sensibilité tactile est absolument
conservée partout. Seulement le froid et la piqûre sont moins bien sentis à gau-
che qu'à droite (sur la jambe et sur le pied). Le froid est perçu comme douleur
et non comme froid daus ces parties, et même a la cuisse gauche. A droite au
contraire, le froid est parfaitement reconnu ; mais.il y a une légère diminution
de la sensibilité il la piqûre sur la face dorsale du pied droit.
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 355
motilité. Tous les mouvements sont possibles aux membres inférieurs : ils
sont seulement gênés par la raideur il droite. On constate une grande puissance
musculaire dans les différents segments des membres, le malade étant assis.
Cependant à droite, la résistance peut être vaincue, dans l'articulation tibia-
tarsienne en particulier.
Pas la moindre atrophie musculaire ; les réactions électriques dos muscles
sont normales. '
Les réflexes rotuliens sont exaltés au plus haut degré aux membres inférieurs ;
bien qu'il n'y ait pas de tonicité permanente très accentuée dans ces muscles.
Le réflexe est plus fort il droite. De ce côté, on peut produire, par le redresse-
mont brusque du pied, une trépidation épileptoïde inépuisable; à gauche, elle
s'épuise au bout de 2 ou 3 secousses.
Les membres supérieurs ne présentent aucun trouble du mouvement et de
la sensibilité ; les réflexes tendineux y sont normaux.
Pas de sensibilité de la colonne vertébrale. Aucune anomalie dans les yeux,
ni dans la sphère des nerfs crâniens. Les troubles urinaires persistent (inconti-
nence légère).
Ainsi, chez un homme vigoureux de 34 ans, syphilitique depuis un an,
et indemne de toute autre tare morbide, les accidents médullaires sont
annoncés par des douleurs sourdes dans les extrémités ; puis survient de la
dysurie, et une faiblesse des membres inférieurs, qui l'oblige à garder le
lit quelques jours. La paralysie n'est pas complète, et la marche est bien-
tôt possible de nouveau ; mais celle-ci reste gênée, principalement par la
raideur des jambes qui ne tarde pas à apparaître. Examiné à 5 mois de là,
le malade se présente avec une paraplégie spasmodique typique accompa-
gnée de parésie vésicale plus prononcée du côté droit ; les troubles de
la sensibilité objective se bornent à une paresthésie au froid sur la jambe
et le pied du côté opposé (syndrome de Brown-Séquard ébauché).
Un tel ensemble clinique doit faire soupçonner et rechercher avec soin
la syphilis dans les antécédents d'un malade. La statistique de Erb montre
en effet, dans un espace de 10 années, une proportion de 35 à 40 0/0 de
paraplégies syphilitiques, sur les myélites dorsales prises en bloc. Mais
quelle est la valeur diagnostique des particularités indiquées par Erb dans
la syphilis ? L'auteur est lui-même très réservé sur ce point; et il avoue
qu'il n'y a pas de critérium absolu qui permettent de différencier la para-
lysie spinale syphilitique d'une myélite transverse quelconque.
Pour notre part, nous en avons observé tous les symptômes chez des
malades indemnes de syphilis, autant que l'examen et l'interrogation le
plus minutieux ont permis de s'en assurer. Il ne semble donc pas que ce
soit sur les caractères de la paraplégie elle-même que l'on puisse fonder
les éléments d'un diagnostic différentiel en dehors de toute anamnèse.
256 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Mais il convient de placer ici une remarque importante. Le type clini-
que de paraplégie syphilitique indiqué par Erb, s'il se présente parfois
bien isolé et sous sa forme pure (l'observation précédente en est un exem-
ple),est fréquemment associé, soit dans le passé soit dans le présent, à des
particularités cliniques de peu d'importance en apparence, mais qui n'en
présentent pas moins le plus haut intérêt en vue du diagnostic. Et pour
notre part nous serions tenté de rechercher les éléments d'un diagnostic
différentiel, en dehors des caractères de la paraplégie elle-même, dans
les circonstances antérieures ou concomitantes, qui peuvent témoigner de
la nature syphilitique de la maladie. Nous verrons par la suite qu'elles se
retrouvent dans un bon nombre de cas, lorsqu'on prend la peine de les
rechercher.
Ces circonstances sont de deux ordres : 1° Caractères de la période pré-
monitoire ; 2° Vestiges actuels d'une poussée de méningite cérébro-spinale,
qui a marqué le début des accidents nerveux. '
Mentionnons par exemple les paralysies oculaires persistantes, ou plus
on moins complètement guéries ; des accidents légers du côté des membres
supérieurs, tels que des raideurs passagères, une exaltation notable des ré-
flexes tendineux sans paralysies... etc.
Nous avons insisté assez longuement sur la période prodromique des pa-
ralysies médullaires, sur les caractères particuliers de la rachialgie syphi-
litique, pour n'avoir pas il y revenir. Nous nous contenterons de prouver,
par une observation nouvelle, que le tableau clinique de la paraplégie sy-
philitique de Erb peut se trouver réalisé il un moment donné de l'évolu-
tion d'une méningo-myélite syphilitique typique.
Le malade suivant, lorsqu'il s'est présenté à notre examen, était atteint
d'une paraplégie vulgaire. Mais les événements antérieurs à sa paraplégie
nous paraissent assez caractéristiques pour justifier il eux seuls le diagnos-
tic de paraplégie syphilitique, indépendamment de tout autre renseigne-
ment. Quant aux symptômes actuels, seule l'exagération considérable des
réllexes tendineux aux membres supérieurs pouvait mettre sur la voie d'une
poussée méningitique antérieure, ayant irrité légèrement les faisceaux mé-
dullaires sous-jacents.
Observation X.
Chancre induré 8 ans avant les accidents nerveux. Poussée aiguë de ménin-
gite cérébro-spinale syphilitique, à marche manifestement descendante.
Ultérieurement paraplégie spamodique légère avec troubles vésicaux. 1 ? xa-
aération des réflexes aux membres supérieurs. Disparition de tous les acci-
dents cérébraux. Coexistence de lésions syphilitiques cutanées.
Ney... 27 ans, élève en pharmacie, entre le 10 mars 1880 à l'hôpital St. An-
toine, salle Damaschino, dans le service de M. le Dr Brissaud.
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 257
Père mort tuberculeux. Le malade connaît assez mal sa famille, et ne saurait
dire s'il a des antécédents nerveux.
Personnellement, il a toujours eu une bonne santé jusqu'ici. Pas de maladies
graves, pas de fièvres éruptives dans l'enfance, autant qu'il s'en souvienne. Sol-
dat pendant 4 mois seulement, il n'est jamais sorti de France, et n'a jamais eu
d'accident d'impaludismo.
Il y a 8 ans environ (1884), il remarqua sur la verge la présence d'un chan-
cre non douloureux, accompagné d'adénite inguinale double. Ce chancre gué-
rit avec des applications de calomel. Le malade ne fit à cette époque aucun trai-
tement interne ; il ne se préoccupa pas d'ailleurs de cet accident, qui ne fut
suivi, dit-il, ni de rougeur sur la peau ni de céphalées.
En 1886, il remarqua pour la première fois sur la peau des jambes, des bras,
de la poitrine, une éruption assez discrète de gros boutons du volume d'une
pièce de 1 franc recouverts de croûtes. Sans consulter de médecin, convaincu que
cette éruption était une conséquence éloignée de son chancre, il prit des pilules
de protoiodure d'une façon suivie, en alternant avec de l'iodure de potassium. Il
fit ce traitement pendant 4 ans. L'éruption en question avait disparu dès le dé-
but ; et pendant 4 ans il fut tranquille.
En 1891, une large plaque recouverte de croûtes apparut au niveau de l'aine
gauche ; elle dura 1 mois 1/2.
En 1892, il se portait fort bien ; il entra à cette époque chez un pharmacien
comme élève. -
En janvier 1893, il ressentit un point douloureux dans la région intersca-
pulaire. Deux jours plus tard, la douleur augmentait d'intensité et gagnait toute
la région cervicale du rachis. Les mouvements de la tête étaient très gênés et
très douloureux, comme s'il avait eu le torticolis. Ces douleurs étaient conti-
nuelles ; mais à de certains moments, sans heure fixe, dans la journée, elles
s'exaspéraient. En même temps il ressentit des céphalées extrêmement violen-
tes, survenant la nuit seulement. Au bout d'une dizaine de jours, les accidents
cérébraux devinrent très sérieux : il eut du délire nuit et jour, il perdit con-
naissance en partie. Toute cette période n'a laissé dans son esprit qu'un sou-
venir confus ; et les renseignements sont complétés par sa famille.
Mais vers la fin du mois de janvier 1893 les céphalées disparurent, l'état
mental redevint ce qu'il était auparavant. Seulement les douleurs de tête firent
place à des douleurs rachidiennes dans la région dorsale et lombaire inférieure.
Ces douleurs étaient aussi violentes que celles de la région cervicale l'avaient
été : le malade ne pouvait plus se baisser ; la marche était bonne cependant. Mais
2 ou 3 jours après l'apparition de la rachialgie lombaire, elles faiblirent
d'une façon évidente ; puis se produisit une incontinence d'urine (mictions fré-
quentes absolument inconscientes; l'urine coulait en jet).
Février 1893. Le malade est dans l'étal suivant : paraplégie incomplète
plus marquée il droite, incontinence d'urine. La tête est complètement dégagée,
la mémoire bonne, dit-il. Il entra à la Salpêtrière dans le service de M. Charcot
pendant le mois de février, et y fit un séjour de 20 jours, pendant lequel on
VI 18
258 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
lui administra le traitement spécifique. Son médecin l'avait soigné uniquement
à l'antipyrine et au chloral.
Etat actuel (25 mars 1893). Malade de petite taille, peu vigoureux, mais
sans aucune lésion viscérale. L'étal mental paraît normal aujourd'Ini : il ren-
seigne bien sur les divers événements de sa maladie, sauf un léger défaut de
précision dans les dates. Il se présente avec une paraplégie légère qui n'empê-
che pas la marche.
Quand on lui commande de marcher lentement, et qu'il s'aide de sa canne,
rien d'anormal n'attire l'attention il première vue. Mais vient-il il hâter le pas,
la marche est visiblement gênée. Il traîne légèrement la jambe droite; parfois la
plante du pied frotte sur le sol. En outre cette jambe est raide, elle se plie diffi-
cilement dans les mouvements de la marche. Par instants, on observe une légère
trépidation, au moment où c'est le membre inférieur droit qui porte le poids du
corps. La démarche, dans son ensemble donne une impression de maladresse
évidente ; mais elle n'offre pas le caractère spasmodique très accentué.
Quand on commande au malade de se tenir debout les pieds au contact, il
oscille et éprouve une grande difficulté à garder cette altitude ; mais cette dif-
ficulté est due il l'impuissance musculaire relative, et non il un défaut du sens
musculaire. On ne saurait voir là rien de semblable au signe de Romberg : l'oc-
clusion des yeux n'augmente pas les oscillations.
Au lit, dans un fauteuil, les mouvements des membres inférieurs sont parfai-
tement libres. La puissance musculaire est conservée. Il n'y a pas d'atrophie
des muscles ; les réactions électriques sont normales. La sensibilité est absolu-
ment intacte, sous tous ses modes, dans toute l'étendue des membres inférieurs.
Les réflexes rotuliens sont considérablement exagérés des 2 côtés : la trépi-
dation épileptoïde du pied est facile à produire à droite comme à gauche ; quand
le malade est fatigué, elle est inépuisable.
Le malade se plaint seulement de ressentir des fourmillements dans la jambe
et dans le pied du côté droit. Ces fourmillements durent depuis le début de la
paraplégie ; ils n'ont d'ailleurs rien de pénible. En outre il se plaint d'un sen-
timent de lourdeur dans le membre inférieur droit. L'incontinence d'urine
persiste.
Aux membres supérieurs, la motilité est parfaite, la sensibilité est normale.
Mais on constate une exagération très marquée des réflexes tendineux, surtout il
droite. Au coude, au poignet, violentes contractions réflexes des muscles par la
moindre percussion des tendons. Les muscles périscapulaires du côté gauche
présentent une atrophie évidente (sus et sous-épineux, grand pectoral princi-
palement). Le malade a beaucoup souffert dans celte région au début de sa ma-
ladie, en même temps qu'il ressentit pour la première fois des douleurs rachi-
diennes.
Il existe encore actuellement des stigmates de syphilis a la surface de la peau. /
Aux membres inférieurs, cicatrice d'ecthyma à fond brunâtre, à bords plissés ?
- à la partie interne du genou gauche, un placard allongé, ovale, à fond violacé,
ardoisé, recouvert de croûtes. En outre, dans la région inguinale gauche et à la
partie postérieure du scapulum du même côté, deux cicatrices de même forme
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 259
que ce placard, à fond blanc gaufré, et dont la limite est marquée par un fin li-
seré de teinte cuivrée : en certains points, formations chéloidiennes à la surface
même de ces cicatrices.
Nous pourrions également invoquer les observations V et VI comme
exemples de paralysies spinales, précédées d'une poussée de méningite
cérébro-spinale syphilitique absolument typique.
Dans d'autres cas, alors même que les troubles de sensibilité de la pé-
riode prodromique sont moins caractéristiques, il est parfois possible de
retrouver une ébauche de celle-ci, pour ainsi dire, dans l'histoire de la
maladie. Nous n'en voulons pour exemple que l'observation VIII rap-
portée plus haut, dans laquelle les étapes successives des accidents nerveux
peuvent se résumer ainsi : céphalées spécifiques ouvrant la scène, rachial-
gie lombaire, paraplégie spasmodique.
A elle seule l'existence d'accidents cérébraux à un moment donné de la
maladie, et principalement au début, est encore un argument de haute
importance au même point de vue. Dans un important travail sur la syphi-
lis des centres nerveux, Oppenheim (l)a émis cette opinion, très fondée, à
notre avis, que la syphilis spinale s'accompagne pour ainsi dire presque
toujours de symptômes cérébraux. C'est avant tout, dit-il, une maladie
cérébro-spinale. Les troubles cérébraux en question peuvent d'ailleurs
être très variés, suivant lui : paralysies oculaires, lésions ophtalmoscopi-
clues; ou bien encore ictus, troubles psychiques, étals comateux passa-
gers, etc.
Réciproquement on pourrait dire que la syphilis cérébrale s'accompagne,
dans un très grand nombre de cas, d'accidents médullaires ; et si la plupart
du temps les symptômes spinaux sont marqués par l'importance des pre-
miers, l'anatomie pathologique a démontré là aussi la fréquence des lé-
sions cérébro-spinales. Suivant la prédominance des localisations, tel
malade appartiendra la syphilis cérébrale, tel autre à la syphilis cérébro-
spinale, ou à la syphilis médullaire. Sans vouloir envisager ici ces divers
types cliniques qui se relient entre eux par des transitions insensibles, et
nous limitant toujours aux formes dans lesquelles les accidents médullaires
sont de beaucoup les plus importants, nous insisterons seulement sur l'im-
portance qu'il y a à rechercher les moindres symptômes encéphaliques,
alors môme que le malade n'en accuse pas, et en particulier à pratiquer
avec soin l'examen des yeux. Il est inutile de rappeler, parmi les accidents
nerveux delà syphilis, la fréquence des paralysies oculaires, bien connue
depuis les travaux de M. le professeur Fournier. On sait également que ces
(1) Oppenheim. Zur Kentniss der sypliilitisclier Erkrankungel1 des centralen l'IeJ'vel1-
systems (Berlin, klin. Woch., 1889, nos 48 et 49).
260 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
paralysies sont souvent incomplètes, partielles, transitoires. L'observation
VIII est encore fort instructive à cet égard : chez ce malade, atteint
d'une paraplégie syphilitique vulgaire, l'examen oculaire pratiqué par
M. Parinaud permit de découvrir une paralysie de l'accommodation, avec
perte des mouvements réflexes de l'iris dans un des deux yeux. Grâce à
l'intégrité de l'oeil du côté opposé, la vision n'en était nullement incommo-
dée. L'existence d'une légère diplopie antérieure, permet de rattacher dans
ces conditions, les symptômes observés il une paralysie incomplète de l'o-
culo-moteur commun. -
Dans un récent travail deGajkiewicz(l)sur la syphilis des centres nerveux
accompagné d'observations personnelles, il est fait mention de troubles ocu-
laires légers (inégalité pupillaire, anomalies dans les mouvements réflexes
de l'iris) dans cinq observations de paraplégie syphilitique qui se rappor-
tent au type clinique envisagé ici.
En voici une du même genre que nous avons recueillie à la consultation
deM. le professeur Charcot à la Salpêtrière. Les symptômes oculaires ont
si peu d'importance chez de tels malades qu'on hésite à porter le diagnos-
tic de syphilis cérébro-spinale : ils n'en ont pas moins une grande signifi-
cation à notre point de vue.
Observation XI.
Chancre induré de la verge en 1888 ; accidents secondaires. Céphalées vio-
lentes en 1889 ; la même année, paraplégie spasmodique développée gra-
duellement, avec troubles vésicaux. Diplopie transitoire. Etat du malade
en 1892 : paraplégie spasmodique ; dilatation pupillaire avec perle des
mouvements réflexes de l'iris pour l'oeil gauche.
Men... Eugène, 26 ans, ferblantier, se présente à la consultation de M. le
professeur Charcot Ù la Salpêtrière en décembre 1892.
Bonne santé habituelle : n'a jamais eu de maladie grave dans l'enfance ni
dans l'adolescence. Il a fait 30 mois de service militaire à Belfort. Étant au ré-
giment, à l'âge de 23 ans (1888), il contracta un chancre induré de la verge,
accompagné d'une double adénite inguinale non douloureuse. Un mois après, il
eut une roséole intense sur toute la partie supérieure du corps ; puis des pla-
ques muqueuses il l'anus et dans la bouche.
En même temps, il eut un iritis de l'oeil droit, qui fut parfaitement soigné
et qui guérit complètement au bout de 20 jours. Il prit il ce moment de la li-
queur de Van Swieten à l'intérieur pendant un mois.
Pendant l'année 1889, il perdit ses cheveux ; puis il eut, pondant 2 mois, de
violentes céphalées vespérales. La même année (un an après son chancre), il
ressentit de la faiblesse des jambes, et des engourdissements légers dans les ! 1) Syphilis des centres nerveux. Paris; Ballière 1892.
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 261
pieds. Sa marche était mal assurée, il titubait. Réformé en mai 1890 pour sa
paraplégie, il éprouva alors des accidents vésicaux ; il urinait dans son panta-
lon sans s'en apercevoir. Plusieurs fois il lui est arrivé de laisser aller ses ma-
tières dans le lit sans en avoir conscience.
Vers le début de l'année 1890, il se souvient d'avoir éprouvé pendant un mois
1/2 environ une diplopie très nette.
Depuis cette époque, il n'a jamais guéri complètement. Aggravation momen-
tanée de la paraplégie en juin 1890. Un beau matin ses jambes se dérobent sous
lui, et la marche devient impossible. Il fut transporté à l'hôpital du Midi, où on
lui prescrivit de l'iodure de potassium (6 gr.) pendant 2 mois 1/2, et des poin-
tes de feu sur le rachis. Amélioration notable : il sortit, marchant presque aussi
bien qu'aujourd'hui.
Depuis le mois d'octobre 1890, il se soigne régulièrement avec de l'iodure de
potassium, et du mercure. L'amélioration a continué lentement.
Etat actuel (décembre 1892). Bon état général. Paraplégie spasmodique
évidente, plus accentuée du côté gauche. La marche se fait bien, à l'aide d'une
simple canne ; il écarte bien les jambes en marchant, fait d'assez grands pas,
mais la pointe du pied frotte souvent contre le sol. La jambe gauche surtout est
raide, ne se fléchit pas pendant la marche.
La force musculaire est conservée dans les membres inférieurs cependant ;
elle est égale des deux côtés. Pas d'atrophie. Les muscles répondent normale-
ment aux excitations électriques.
Il n'existe pas de troubles appréciables de la sensibilité : le contact, la tem-
pérature, la douleur, sont parfaitement perçus et localisés. Le malade accuse
dans les 2 genoux une sensation de constriction pénible par instant. II prétend
éprouver tous les soirs dans les deux jambes des douleurs fulgurantes, qui s'ac-
compagnent de contractions spasmodiques des muscles. Les jambes s'étendent
et se fléchissent tour il tour indépendamment de sa volonté.
Les réflexes rotuliens sont très exaltés des deux côtés : la trépidation épilep-
toide se produit adroite comme à gauche. De ce côté-ci elle est inépuisable.
Les troubles vésicaux existent toujours, bien qu'ils soient moins accentués
qu'autrefois. Quand il veut se retenir de pisser, il laisse échapper involontaire-
ment quelques gouttes d'urine dans son pantalon. Le malade n'a pas eu de rap-
ports sexuels depuis le commencement de sa paraplégie.
Examen des yeux (fait par M. Parinaud) : inégalité pupillaire. La pupille gau-
che, un peu dilatée, réagit à peine à la lumière et l'accommodation. La pupille
droite (côté de l'iritis secondaire) est normale, et réagit bien. Pas de lésion du
fond de l'uil ; acuité normale.
Môme coïncidence, dans le cas suivant, de symptômes oculaires légers et
d'une paraplégie syphilitique conforme au type vulgaire. On ne saurait
préciser la nature de la lésion qui tient ici sous sa dépendance l'abolition
presque complète des mouvements réflexes de l'iris : nous nous contentons
de relever ce fait. Celte observation est intéressante à un autre point de
262 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPETRIERE.
vue. A la contracture très accentuée des membres inférieurs s'ajoute un
état spasmodique très évident des membres supérieurs, se traduisant par
l'exaltation considérable des réflexes tendineux, des raideurs passagères.
Or les troubles vésicaux étant dans ce cas très peu importants, les douleurs
peu intenses, et les troubles subjectifs de la sensibilité absolument nuls,
du moins à l'époque où nous avons pu observer le malade, nous avions
sous les yeux un tableau clinique très analogue à celui du tabès dorsal
spasmodique. -
L'exaltation des réflexes tendineux aux membres supérieurs dans la pa-
raplégie syphilitique n'a pas échappé à quelques observateurs. M. Marie
signale expressément cette particularité dans une récente leçon, parue dans
la Semaine médicale (1893). Notre maître M. Brissaud (1) a publié deux
cas de tabes dorsal spasmodique développés sous l'influence de la syphi-
lis, qui ne sont pas sans analogie avec le suivant.
Observation XII.
Chancre induré 6 ans avant le début de la maladie. Evolution lente el gra-
duelle d'une paraplégie légère accompagnée de spasmepresque dès le début.
Troubles de la sensibilité et troubles du côté des sphincters extrêmement
légers. Actuellement (3 ans après le début de la paraplégie) paraplégie
spasmodique très accentuée sans troubles de sensibilité et sans troubles vé-
sicaux. Exagération notable des réflexes aux membres supérieurs ; en
un mot, tableau du labes dorsal spasmodique. Dans les yeux : abolition
des réflexes lumineux pupillaires, paresse des réflexes accommodateurs.
Pell... Philibert, 38 ans, menuisier, entré le 4 avril 18H2 dans le service de
M. le professeur Charcot, salle Prus, n° 2.
Pas de maladie nerveuse clans la famille à la connaissance du malade. Lui-
même, toujours vigoureux et bien portant n'a fait qu'une fièvre typhoïde légère
dans son adolescence. Il a été soldat en Afrique, mais n'a jamais eu de fièvres
intermittentes.
En 1883 il contracta sur la verge un chancre induré qui a été reconnu et
traité il St-Louis dans le service de M. le professeur Fournier. Les accidents se-
condaires ont été très bénins ; et il a pris du mercure environ pendant un mois
seulement. Depuis cette époque, il n'a jamais repris le traitement.
Il y a 3 ans aujourd'hui, le malade a commencé à ressentir une certaine gêne
dans la marche. C'était une faiblesse légère accompagnée de raideurs passagè-
res dans les deux memhres inférieurs ; de sorte qu'il butait contre les pierres,
qu'il montait difficilement les escaliers. Une fois, après être resté assis long-
temps il la terrasse d'un café, il est tombé par terre en se levant pour se mettre
en marche. Souvent ses jambes s'embarrassaient l'une dans l'autre. n'a
éprouvé à cette époque qu'un sentiment do pesanteur, de gêne dans la région
(1) Semaine médicale, 1891, p. 413.
DE LA lIiÉNINGO-niYÉLITE SYPHILITIQUE 263
lombaire, plutôt pénible que véritablement douloureux. Dans les membres in-
férieurs il n'a jamais souffert, dit-il.
Il est entré pendant quelques jours alors dans le service de M. Fournier qui
lui a donné le traitement spécifique. Il est sorti amélioré après quelques jours
de traitement ; mais la maladie depuis cette époque a continué à faire des pro-
grès. La raideur des membres inférieurs est devenue de jour en jour plus mar-
quée, au point que la marche est devenue presque impossible sans canne. Mais
jamais le malade n'a été obligé de garder le lit.
La marche de l'affection a été graduellement progressive, sans phase aiguë.
Le malade n'a jamais éprouvé d'autres souffrances que les douleurs de reins
peu intenses qu'il avait déjà ressenties au début de sa paraplégie.
Etal du malade ci son admission. -, Homme d'apparence vigoureuse ; l'état
général est parfait. Il se présente avec une paraplégie spasmodique des plus
accentuées, qui ne le condamne pas à garder le lit cependant ; car il se lève seul,
marche dans la salle avec l'aide d'une simple canne. Seulement il est incapa-
ble de descendre les escaliers.
Il présente la démarche spasmodique typique : il s'avance i pas lents, les
membres inférieurs raidis dans l'extension, les genoux collés l'un contre l'au-
tre, traînant la pointe des pieds sur le sol. Il a de la peine à s'asseoir précisé-
ment à cause de cette raideur, et se laisse tomber brusquement sur la chaise.
Une fois assis, il lui est impossible de croiser les jambes l'une sur l'autre.
Examinés au lit, les membres inférieurs se présentent dans l'état suivant : ex-
tension complète, rigidité permanente des muscles aux cuisses et aux jambes -
cette rigidité est très marquée, mais elle n'est pas poussée au degré extrême
qu'elle atteint dans certains cas de tabès dorsal spasmodique. Lorsque l'on per-
cute le tendon rotulien, le triceps fémoral se durcit encore davantage pendant
une seconde ; mais il n'y a pas il proprement parler de production de mouve-
ment réflexe, car l'extension complète du membre ne le permet pas. Le pied est
à angle droit sur la jambe : on n'obtient pas un relâchement suffisant des mus-
cles du mollet pour pouvoir produire le phénomène de l'épilepsie spinale. Les
mouvements volontaires (flexion, extension des jambes, abduction) sont limités
et gênés visiblement par la raideur. Mais le malade oppose une grande résis-
tance lorsqu'on le lui commande, aux mouvements provoqués dans les différents
segments des membres inférieurs.
La sensibilité des membres inférieurs est absolument intacte partout et con-
servée dans tous ses modes.
Les seules douleurs que le malade éprouve sont localisées le long de la co-
lonne vertébrale et suivant les deux plis inguinaux. Ce sont des douleurs sour-
des, continuelles, et assez peu intenses pour ne pas l'inquiéter du tout et no pas
l'empêcher de dormir. On constate objectivement une légère hyperesthésie il la
percussion des apophyses épineuses depuis la 6e dorsale environ jusqu'en bas. Il
existe aussi une légère hyperesthésie à la piqûre au niveau de la région in-
guinale gauche.
Du côté des sphincters, on trouve seulement à noter ce fait, que le malade est
toujours long à uriner. Le début de la miction surtout est difficile ; et il est
264 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
obligé de pousser fortement. Mais jamais il n'a eu de rétention véritable; jamais
non plus d'incontinence.
Membres supérieurs. Le malade accuse une faiblesse et une légère douleur
mal définie dans le membre supérieur droit, surtout l'avant-bras et la main. Ce-
pendant il a l'usage parfait de ses bras. On constate une légère diminution de la
force musculaire il la pression de la main droite. De plus les mouvements de la
main droite se font avec beaucoup moins de souplesse que ceux de la main gau-
cho. Parfois, dit le malade, il se produit une raideur passagère de cette main ;
« elle est maladroite, »
On constate en outre une exagération très grande des réflexes au coude clan
poignet dans les deux membres supérieurs. Ces réflexes sont aussi forts que dans
la sclérose latérale amyotrophiquola mieux confirmée.
Il n'existe pas la moindre atrophie ni la moindre perversion de la sensibilité
objective aux membres supérieurs.
Le réflexe massétérin semble fort ; mais on ne saurait dire s'il est exagéré
d'une façon pathologique, tandis que pour les réflexes des membres supérieurs,
cela ne fait pas de doute.
Dans la sphère des nerfs crâniens, il n'existe pas d'autre anomalie que la
suivante. Les mouvements réflexes de l'iris ne se produisent pas du tout sous
l'influence de la lumière : les mouvements réflexes de l'accommodation se pro-
duisent très faiblement, mais ne sont pas absolument abolis. (Examen fait par
M. Parinaud.)
20 avril. - Môme état ; mais il y a des variations légères dans la raideur des
muscles aux membres inférieurs. Ce matin, la tonicité musculaire est beaucoup
plus modérée que lors du premier examen. La percussion du tendon rotulien
amène une projection brusque de la jambe en avant, avec plusieurs secousses
du muscle triceps de la cuisse. La trépidation épileptoïde du pied est très facile
il produire par le redressement de celui-ci; elle est inépuisable. Une trépidation
spontanée se produit dans les membres inférieurs, sous l'influence du froid
pendant que le malade est découvert.
3 juin. - Même état. Le malade se plaint depuis hier d'une névralgie fa-
ciale droite très pénible, qui occupe toute la moitié de la face et du crâne : pas
de points douloureux. Pas d'anomalies du goût ni de l'odorat. Le lendemain la
névralgie a disparu.
Au 15 septembre 1892, le malade est toujours dans le même état. Même dé-
marche spasmodique, môme absence de troubles de la sensibilité aux membres
inférieurs, même exagération des réflexes aux membres supérieurs. Les
troubles vésicaux sont si légers, qu'ils méritent il peine qu'on en parle. Les
mouvements réflexes de l'iris sont toujours nuls pour la lumière, très affaiblis
pour l'accommodation. Légère inégalité pupillaire.
Le malade a été soumis au traitement spécifique et aux révulsifs, sur la co-
lonne vertébrale depuis son entrée, sans que son affection se soit modifiée sen-
siblement.
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 263
La MARCHE de la paraplégie syphilitique, dans sa forme la plus com-
mune, est essentiellement chronique. A aucun moment de la maladie on
n'observe d'élévation de température, sauf cependant lorsqu'il se produit
accidentellement une infection secondaire du côté de l'appareil urinaire,
ou à la faveur des eschares de décubitus. Mais nous avons vu que les trou-
bles trophiques graves étaient exceptionnels dans cette forme.
Ainsi que le fait remarquer Erb, la paralysie reste incomplète dans
tous les cas ; et, dans la plupart d'entre eux, malgré la gêne évidente de
la marche, due à l'état spasmodique des membres inférieurs, la paralysie
motrice à proprement parler existe à peine. L'affection peut, il est vrai,
s'aggraver momentanément, traverser une phase aiguë surtout au début ;
mais si les malades sont condamnés à prendre le lit, c'est d'une façon
passagère, et le traitement antisyphilitique intervient alors d'une manière
efficace.
Bien que ce soit là, on peut dire, la forme la plus favorable, au point
de vue du pronostic, des paralysies médullaires de la syphilis, et que l'a-
mélioration sous l'action du traitement s'observe environ dans la moitié
des cas, la guérison complète n'en est pas moins exceptionnelle. Nous
avons vu que l'intervention d'un traitement bien conduit pouvait arrêter
dans son évolution la méningite spinale syphilitique avant que la moelle
n'ait été touchée (Voir observ. VU et le cas de Goldllam cité plus haut) (1).
Mais soit que la période prémonitoire n'ait pas présenté de caractères si-
gnificatifs, soit que ces caractères aient été fréquemment méconnus en tant
qu'indices d'une complication syphilitique, les observations de ce genre
sont rares.
Dans la majorité des cas, la paraplégie spasmodique reste définitive;
elle pourra s'améliorer lentement dans la suite, mais le traitement spéci-
fique n'aura plus guère d'influence sur elle.
Toutefois, si la variété la plus commune de paraplégie syphilitique reste
bénigne, si elle permet le plus souvent la marche, il n'en est pas toujours
de même ; et il y aurait lieu de distinguer une forme grave de paraplé-
gie syphilitique commune. 11 ne s'agit pas là d'une maladie différente :
les traits essentiels de l'affection sont les mêmes, l'ordre d'évolution des
différents symptômes n'est pas changé ; mais le tableau clinique est singu-
lièrement plus accentué. Les troubles du mouvement sont assez importants
pour condamner le malade au lit d'une façon définitive ou à peu près; la
paralysie motrice peut être alors très marquée, bien qu'elle ne soit géné-
ralement pas complète. Elle s'accompagne d'ailleurs tôt ou tard de con-
tracture comme précédemment. Quant aux troubles de la sensibilité, ils
(1) UeberHlickenmarksyphiiis (TVienel' Ifliail·, u. 3 Ileft., 1893).
266 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
acquièrent ici une importance qu'ils n'avaient pas dans la variété précé-
dente.
Les membres inférieurs^ la partie inférieure du tronc parfois, sont le
siège d'une anesthésie qui peut porter sur tous les modes de sensibilité,
plus ou moins profonds, rarement absolue cependant. Dans la règle, l'anes-
thésie n'est pas égale des deux côtés : elle est plus marquée sur un des mem-
bres inférieurs que sur l'autre, tandis que la paralysie du mouvement est
plus profonde du côté opposé il celui où l'anesthésie prédomine. Depuis la
publication du mémoire de MM. Charcot et Gombault (1), les auteurs ont
signalé la fréquence du syndrome de Brown-Séquard dans les paraplégies
syphilitiques. Tous ces détails se retrouvent au grand complet dans l'ob-
servation VIII.
Les troubles subjectifs de la sensibilité s'accentuent en proportion : dou-
leurs en ceinture, zones d'hyperesthésie, points pseudo-névralgiques, tels
qu'on les retrouve dans la plupart des myélites transverses graves.
En outre on peut voir apparaître un certain nombre de symptômes qui
font défaut dans la variété précédente : tels, les eschares profondes de dé-
cubitus, voire même l'atrophie musculaire dans les membres paralysés, la
perte de l'excitabilité électrique des muscles. Ces deux dernières particu-
larités sont toutefois la grande exception : elles appartiennent bien plutôt
aux paraplégies syphilitiques à évolution rapidement mortelle dont il sera
question plus loin. Nous les trouvons néanmoins signalées dans l'observa-
tion II due à M.' le Dl' Lancereaux, que l'on peut considérer comme une
forme grave de la paraplégie syphilitique commune.
Enfin et surtout la maladie se montre incurable ou à peu près ; les es-
chares de décubitus constituent un danger perpétuel pour les malades, et
la terminaison fatale peut avoir lieu au bout de un, deux, trois ans du fait
des infections secondaires, dont ces troubles trophiques constituent la porte
d'entrée la plus ordinaire.
IL Paraplégies syphilitiques graves.
Les auteurs ont émis pendant longtemps des doutes au sujet des relations
de cette forme extrêmement grave de la maladie avec la syphilis. Jul-
liard (2), dans sa thèse, rapporte le fait suivant, d'après Bnoadbent : « En
1859 on en observa il Paris deux cas simultanés, l'un au Midi chez Ricord,
l'autre chez Trousseau. C'étaient deux jeunes gens en pleine période se-
condaire, qui eurent une paraplégie rapidement progressive et fatale. A
(1) Archives de Physiologie, 1873.
(2) JULLIARD, Élude critique sur les localisations spinales de la syphilis, Paris, 1879,
p. 12.
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 267
l'autopsie, on observa une inflammation générale et avancée, et du ramol-
lissement de la moelle. Trousseau était disposé à considérer la syphilis
comme la cause de cette phlegmasie ; mais Ricord, avec sa prudence habi-
tuelle, refusa de prononcer le mot de myélite syphilitique, bien que ce
ne fut pas le premier cas de ce genre qu'il eût vu dans ses salles ».
C'était surtout l'invraisemblance de complications si graves dans une
période peu avancée de l'infection syphilitique qui motivait la méfiance
des observateurs à cet égard, à une époque où l'on croyait fermement que
les manifestations viscérales étaient le monopole de la syphilis tertiaire.
IIeubner n'admet aussi l'influence de la syphilis dans les myélites ai-
guës qu'avec de grandes réserves. Et même plus récemment, Erb, dans un
mémoire auquel nous avons fait longuement allusion s'exprime à peu près
de la manière suivante sur ce point : « Dans quelques cas, on a observé un
développement rapide de la maladie. Elle ahoutit à une paraplégie com-
plète dans l'espace de quelques jours, avec paralysie du momement, de la
sensibilité, des sphincters, décubitus, etc.. Il reste encore à établir s'il
s'agit là aussi d'une forme d'affection spinale syphilitique ».
Actuellement cependant le nombre assez considérable de faits de ce
genre permet de soupçonner là autre chose qu'une coïncidence fortuite.
Parmi les observations de syphilis médullaire précoce que MM. Gilbert et
Lion ont relevées dans les différentes publications, on en trouve 10 sur 44
qui s'y rapportent. L'observation souvent reproduite de M. Déjerine (Re-
vue de médecine, 1884.) est un exemple typique de cette redoutable compli-
cation. Un homme de 38 ans, syphilitique depuis un an, éprouve pendant
quelques jours des douleurs sourdes le long de la colonne vertébrale. Puis
un matin, il ressent en se levant de la faiblesse dans les membres infé-
rieurs : l'après-midi du même jour, la paraplégie est complète. A son en-
trée à l'hôpital, le lendemain, on constate une paralysie flasque absolue
des deux membres pelviens, avec perte des réflexes tendineux. La sensi-
bilité y est abolie; et cette anesthésie remonte sur la paroi abdominale,
jusqu'à la base de la poitrine. La vessie et le rectum sont paralysés. Le
7e jour, une eschare apparaît au sacrum, et le malade meurt le jour sui-
vant.
On trouve des observations analogues dans les thèses deBeaudouin (1),
de l3re(ean (2).
D'ailleurs les lésions anatomiques qui ont été constatées dans quelques
cas à l'aide du microscope ne laissent aucun doute sur la relation possible
d'une pareille affection avec la syphilis. Nous citerons en particulier le
(1) nEAUnOL : OE. Thèse de Paris, 1889.
(2) BnrTreo. Thèse de Paris, 18S9.
268 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
fail de Siemerling (1) auquel nous avons déjà fait allusion. Notre observa-
tion I se rapporte précisément à cette forme de la maladie.
Celte paraplégie grave se montre comme une complication essentielle-
ment précoce de la syphilis. La plupart des faits observés se sont produits
dans la première année, dans les 15, 16 premiers mois qui ont suivi l'ap-
parition du chancre induré. L'observation suivante, en tout point compa-
rable à celles que nous venons de rappeler, nous a été obligeamment com-
muniquée par notre collègue et ami le D'' Souques.
Observation XIII.
Chancre induré 13 mois auparavant. Pas de traitement. Paraplégie apoplec-
ti fornze, accompagnée d'abolition des réflexes tendineux et de l'excitabilité
électrique des muscles aux membres inférieurs. Anesthésie absolue du mem-
bre inférieur droit. Rétention d'urine. Traitement spécifique inefficace.
Eschare sacrée. Mort par septicémie un mois après le début de la maladie.
Pas d'autopsie.
M. X... 35 ans, professeur, contracte un chancre induré en septembre 1888.
Deux mois après apparaît une roséole très accentuée suivie de plaques mu-
queuses la bouche et au pharynx. Malgré l'avis du médecin qui l'a vu il la fin
de l'évolution du chancre et pendant celle des accidents secondaires, il ne fait t
aucun traitement.
Le début des accidents médullaires s'est fait brusquement, 13 mois après l'ap-
parition du chancre, dans les conditions suivantes. M. X... part de Paris le
30 septembre à 8 heures du soir, pour se rendre à la ville qu'il habite. Pendant
le voyage, la nuit, il veut uriner et ne peut pas. Le lendemain la rétention per-
siste. Dans la nuit, il se livre au coït.
Le 2 octobre. X.. va à pied à son institution et fait sa classe : Ù 10 heures
du matin, il s'affaisse lourdement sans perte de connaissance. Son médecin ap-
pelé sur le champ, constate une paraplégie motrice absolue. L'anesthésie est
complète dans le membre inférieur droit; la sensibilité est conservée du côté
gauche. Pas do fièvre. La vessie est distendue ; le malade n'a pas uriné depuis
36 heures. Le cathétérisme immédiatement pratiqué amène 1 litre d'urine char-
gée en couleur, trouble, fortement ammoniacale. Prescription : un grand bain,
10 ventouses scarifiées il la région lombaire.
3. A la suite d'un interrogatoire pressant, le malade avoue les antécé-
dents ci-dessus notés. Les réflexes tendineux et la contractilité faradique sont
entièrement abolis aux membres inférieurs ; l'impotence motrice est absolue.
La rétention d'urine nécessite le cathétérisme qui est pratiqué 2 fois par jour,
jusqu'au 14 octobre où l'incontinence succède à la rétention.
Prescription : 2 cuillerées de sirop de Gibert par jour, 2 grammes d'onguent
napolitain en frictions matin et soir sous les aisselles.
(1) Siemerling. Aichiv. f. Psychiatrie, Rd XXII, H. 1.
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 269
A partir de ce jour, la maladie évolue sans qu'aucune amélioration ait jamais
été constatée. Le malade succombe le 2 novembre 1888 à d'accidents pyobé-
miques ayant leur source dans une eschare énorme du sacrum, dont le débuta
eu lieu pendant le 1er septénaire de la maladie. Les progrès de cette gangrène
ont été des plus rapides, malgré les précautions d'antisepsie les plus rigoureu-
ses prises dès le début. '
Aucun symptôme cérébral n'a été noté pendant cette maladie. Jusqu'à la fin
les fonctions intellectuelles ont été intactes.
Pas d'autopsie.
On est frappé, dans la plupart des cas de ce genre, de la brusquerie
avec laquelle apparaît la paraplégie. Ce n'est pas à dire que toutes les pa-
raplégies syphilitiques qui se produisent avec cette rapidité auront une
évolution rapidement fatale dans la suite. Mais il en est presque toujours
ainsi particulièrement dans celte forme grave. Elle est généralement an-
noncée par une courte phase prodromique. Tel malade, pendant une se-
maine, éprouve des douleurs sourdes le long de la colonne vertébrale.
(Dejerine) Tel autre n'éprouve comme avertissement qu'un peu de fatigue
dans les jambes le matin même du jour où il tombe paralysé. Ou bien les
accidents débutent par des troubles vésicaux : dans l'observation qui pré-
cède, notre malade est atteint d'une rétention d'urine complète, 2 jours
avant que la paraplégie se produise.
La paralysie des membres inférieurs survient en une nuit (Siemerling),
en quelques heures (Déjerine, Baudouin) ; notre malade (obs. XIII) tombe
lourdement frappé d'une véritable attaque de paraplégie.
Le début peut avoir lieu toutefois d'une façon différente. Ainsi l'on peut
voir une parésie légère des membres inférieurs s'exagérer tout à coup et
se transformer en une paraplégie absolue. Tel est le cas de la malade de
Julliard (1).
M. Lancereaux (), dans ses Leçons cliniques, a récemment appelé l'atten-
tion sur ces formes de paraplégie à début rapide, en faisant ressortir les
analogies qu'elles présentent dans leur mode d'apparition et dans leur évo-
lution ultérieure, avec les paralysies cérébrales de même nature, qui sont
dues à des thromboses artérielles. Cette opinion est très justifiée par l'exis-
tence souvent constatée d'altérations considérables du côté des vaisseaux
nourriciers de la moelle épinière chez les syphilitiques. Nous nous som-
mes suffisamment expliqués sur ce point il propos de l'anatomie pathologi-
que, tout en faisant des réserves quant il présent sur le mécanisme du ra-
mollissement médullaire.
L'intensité des symptômes est ici tout autre que dans les autres formes
(1) Julliard (loc. cil., page 50).
(2) LANCEREAUX. Leçons de clinique médicale, Paris, 1892, p. 213.
270 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
de paraplégies syphilitiques. C'est une paralysie absolue du mouvement que
l'on observe ici le plus souvent : le malade est incapable de faire mouvoir
même les orteils. L'insensibilité peul être également complète sous tous ses
modes dans les membres inférieurs et la partie inférieure du tronc (Déje-
rine). Cependant il arrive aussi que l'anesthésie est limitée à un côté (ob-
servation XIII ou incomplète (Siemerling). Rappelons que dans notre
observation I il est fait mention d'une anesthésie thermique des membres
inférieurs, particularité qu'il n'est pas sans intérêt de mettre en regard des
altérations de la substance grise rencontrées dans ce cas.
Les réflexes tendineux sont régulièrement affaiblis, le plus souvent abolis
dès le début; et, dans les formes particulièrement graves, cette abolition
des réflexes persiste jusqu'à la fin de la maladie. Les muscles des membres
inférieurs présentent alors jusqu'à la fin une flaccidité complète. Siemer-
ling a observé dans son cas, des oscillations singulières dans l'état des ré-
flexes patellaires. D'abord fortement diminués des deux côtés, ils montrè-
rent une exagération passagère dans la suite, pour s'affaiblir de nouveau au
bout de quelques jours.
Les altérations de l'excitabilité électrique dans les muscles appartien-
nent encore aux formes suraigues. Souvent abolie (Déjerine, voir notre
obs. XIII) ou profondément diminuée (Julliard); l'excitabilité électrique
peut cependant demeurer intacte (Siemerling).
La paralysie complète du rectum et de la vessie est une règle absolue.
L'on voit enfin apparaître, et souvent d'une façon très précoce, de vastes
eschares de décubitus, n'offrant aucune tendance à la cicatrisation. La
maladie, jusqu'alors apyrétique, s'accompagne alors d'une fièvre septique,
à laquelle se joignent parfois des accidents de pyélo-cystite, de néphrite
ascendante, ou bien une congestion pulmonaire d'un fâcheux présage ; et
dans ces conditions, l'issue fatale ne tarde pas à survenir, sans que l'in-
fluence du traitement spécifique ait modifié en rien la marche du mal.
L'évolution de ces paraplégies graves, comme on le voit, présente une
analogie complète avec celui de la maladie que l'on désigne sous le nom
de myélite centrale aiguë.
Rappelons que M. le professeur Hayem en 1874, à l'occasion des deux
observations qu'il a publiées sous ce titre, fait allusion pour la première
fois à l'influence possible de la syphilis dans les cas de ce genre.
Les formes de paraplégies ci-dessus décrites sont de beaucoup les plus
importantes et les plus fréquentes des manifestations cliniques de la mé-
ningo-myélite syphilitique. Il est certain toutefois qu'elles ne sont pas les
seules. Nous avons vu que l'envahissement de la moelle pouvait se tra-
duire exceptionnellement par les symptômes d'une myélite transverse cer-
vicale (observ. IV), intéressant les quatre membres en prédominant plus ou
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 271
moins d'un côté. Le cas rapporté par Weidner, et reproduit dans le mé-
moire de MM. Gilbert et Lion, en est encore un exemple. Dans une inté-
ressante observation de Buttersack, accompagnée d'un examen anatomique
qui révéla l'existence de lésions syphilitiques non seulement du côté de la
moelle, mais dans d'autres organes, et dans le foie en particulier, une
leptomyélite spécifique se traduisit par une grande faiblesse des quatre
membres mais sans paralysie à proprement parler (1). Ces variantes dans
le tableau clinique sont évidemment en relation avec l'étendue, la profon-
deur, ou la localisation des lésions secondaires de la moelle.
Nous ne saurions passer sous silence enfin quelques faits de pseudo-
tabes syphilitiques qui rentrent au point de vue anatomo-patlologique
dans les méningo-myélites syphilitiques.
En fait les observations publiées dans la dénomination de pseudo-tabes
syphilitiques se partagent en deux catégories : celles dans lesquelles une
affection plus ou moins analogue au tabes s'est montrée, sous l'influence
manifeste de la syphilis, et s'est trouvée améliorée ou même guérie par
le traitement - celles où l'autopsie a permis de constater des lésions spé-
cifiques absolument étrangères au tabes ordinaire, alors que le diagnostic
d'ataxie locomotrice avait été justifié par les symptômes observés du vivant
des malades.
Cette dernière catégorie de faits seule nous occupe ici; ils sont d'ailleurs
extrêmement rares ; et à notre connaissance, il n'en existe actuellement que
4 cas authentiques publiés. Un de ces faits appartient à Oppenheim (2), un
autre à Brasch (3), deux à Eisenlohr (4). Bien que le tableau clinique, dans
ces cas, ait rappelé à s'y méprendre celui du tabes le mieux confirmé, on
a pu observer quelques particularités, de nature à faire douter du diagnos-
tic porté tout d'abord. Ainsi Oppenheim remarque que chez son malade,
malgré l'abolition des réflexes rotuliens, on pouvait produire la trépidation
du pied; plus tard le signe de Westphal fit place à une exaltation consi-
dérable des réflexes rotuliens. Le diagnostic de tabes fut alors définitive-
ment écarté.
Il est hors de doute que ces particularités du tableau clinique tiennent
à la localisation fortuite des lésions syphilitiques dans les cordons posté-
(1) 13oxrnsncx (Archiv. f. Psychiatrie, Bd. 17, p. 603, 4ss6).
(2) Oppenheim (Bel'l. kl. Woch., 1888).
(3) Buasch (Neurologisches Centmlbl., 1891).
(4) Eisenloiih. Festschrift sur Eroffnung d. Allgent. Krankenh. Ilamburg, Eppen-
dorf.
272 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
rieurs et les racines de la moelle, ctspécialement au niveau des régions qui
tiennent sous leur dépendance les symptômes cardinaux de l'ataxie locomo-
trice. Mais il paraît en être très rarement ainsi : et, au point de vue clini-
que, il est permis de dire que la syphilis médullaire n'affecte jamais les al-
lures d'une affection systématisée de la moelle épinière, de même que les
lésions anatomiques qu'elle produit sont essentiellement diffuses.
Quelques remarques au sujet de l'étiologie.
Bien qu'il soit fort difficile d'apprécier exactement la fréquence chez les
sypliilitiques des accidents spinaux que nous venons d'étudier, on est en
droit de dire qu'ils sont relativement rares. Erb, dans sa statistique, ne
compte que 30 à 3o cas de paraplégie syphilitique, observés pendant une
période de 10 ans. En 1889, MM. Gilbert et Lion, en réunissant leurs ob-
servations personnelles à toutes celles qui étaient publiées à cette époque,
ont réuni 56 cas de syphilis médullaire précoce.
Relativement à l'époque d'apparition des complications médullaires, on
ne saurait formuler de loi absolue, ne considérer que les faits. Toutefois
les statistiques montrent que, dans la majorité des cas, elles appartiennent
aux premières années de l'infection syphilitique.
Erb sur 22 cas personnels de paraplégies syphilitiques, n'en a vu que 4
se développer après la 9° année qui a suivi le chancre. Les plus précoces
se montrent dans le courant de la première ou de la seconde année, et
même pendant les premiers mois. Il en fut ainsi dans sept des observations
personnelles que nous avons rapportées. Dans un travail tout récent sur
la syphilis de la moelle épinière, Goldflam (1) relate 18 cas du même
genre, dont un seul apparut plus tard que la 2° année.
Il n'est pas sans intérêt de remarquer à ce propos que l'action du virus
syphilitique paraît s'exercer de très bonne heure sur les centres nerveux.
Sans vouloir émettre autre chose qu'une hypothèse à ce sujet, il n'est pas
inadmissible que certaines céphalées, certaines rachialgies de la période
secondaire soient en relation avec des poussées congestives du côté des
méninges cérébro-spinales de même nature que celles qui précèdent dans
certains cas les lésions organiques des centres nerveux. Jarisch et Finge
n'ont-ils pas signalé une exagération des réflexes tendineux et cutanés
accompagnant l'apparition des exanthèmes syphilitiques, à l'époque où
les ganglions lymphatiques sont engorgés, la rate tuméfiée ; Lang et
(1) Goldflam. Ueber Illickenmarck Syphilis (M'e/tC) ? ? : : 7t, 2 und 3 IIen z
DE LA MÉNINGO-MYÉLITE SYPHILITIQUE 273
Schnabel (1) n'ont-ils pas constaté il l'ophlalmoscope une congestion cho-
roïdo-rétinienne ?
Toutefois il n'existe pas de loi absolue, établissant une concordance en-
tre les différentes périodes de la syphilis et la forme des lésions spécifi-
ques de la moelle épinière, au moins en ce qui concerne les méningo-
myélites que nous venons d'étudier.
Admettre par exemple que toute altération syphilitique des centres
nerveux est falalement limitée, circonscrite parce qu'elle se développe à
une période éloignée des premiers accidents infectieux, admettre due la
gomme solitaire ou les productions pathologiques plus ou moins analogues
caractérisent seules la période tertiaire, c'est s'exposer à méconnaître la
nature des lésions des méningites diffuses que nous avons signalées (Ob-
serv. III. Observation d'Oppenheim citée plus haut) (2). Depuis longtemps
Virchow a ruiné cette conception théorique de la division absolue de la
syphilis en 3 périodes; il a pensé que, la nature des lésions élémentaires
n'étant pas différente dans les produits secondaires ou tertiaires, le plus
ou moins d'extension de ces lésions ne constituait pas un caractère suffi-
sant pour permettre de les considérer comme des espèces irréductibles.
N'est-on pas autorisé à admettre aujourd'hui que la diffusion plus ou
moins grande des lésions anatomiques, aussi bien pour la syphilis que pour
la tuberculose, est affaire de virulence plus ou moins considérable de l'agent
pathogène ? Et la virulence de l'agent spécifique de la syphilis, atténuée
selon toute vraisemblance dans les productions morbides dites tertiaires, ne
peut-elle pas, s'exaltant tout il coup sous une influence quelconque, don-
ner naissance de nouveau à des désordres anatomiques analogues à ceux
des premières périodes de l'infection..
Nous n'avons pas à aborder ici toutes ces questions, qui se rapportent à
l'histoire de la syphilis en général. Nous ferons remarquer seulement en
terminant que la localisation du côté du système nerveux des lésions sy-
philitiques que nous avons envisagées, n'est pas toujours sans relation avec
l'état de prédisposition de celui-ci. Deux de nos observations sont spécia-
lement instructives à ce sujet. Notre malade W. (obs. V) est un névropathe
avéré. A deux reprises, et à l'occasion de chocs moraux, il a présenté des
accidents hystériformes. Seize ans après l'accident primitif, survient un
grave revers de fortune, qui le plonge dans un état de neurasthénie pro-
fonde : des céphalées spécifiques apparaissent alors et une paraplégie se
déclare au bout de quelques mois. Dans l'observation VIII les accidents mé-
dullaires sont précédés d'un surmenage physique inaccoutumé. La syphi-
(1) Lang, Vierlel Jal ! 1'schl'ift f. Dermatologie uncl syphilis, ISSI, p. 499. - Schnabel,
môme journal 1881, p. 4î3.
(2) Berlin, klin. IVach., 1889.
VI 19
274 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
lis, jusqu'ici bénigne, avait été parfaitement soignée depuis deux ans : le
malade peu vigoureux change alors de profession et prend un métier très
pénible. Un mois plus tard il éprouve des douleurs lombaires, de la fai-
blesse des membres inférieurs, et il devient paraplégique dans l'espace de
quelques jours.
Ne semble-t-il pas qu'il y ait à tirer de là un enseignement applicable
à l'hygiène des syphilitiques, et tout particulièrement de ceux qui sont
prédisposés aux complications nerveuses par leur hérédité ou leurs anté-
cédents personnels ?
CONCLUSIONS
I. -N.1'C0111QUE111CN'l', le type qui s'observe le plus communément dans
les lésions syphilitiques de la moelle épinière se rapporte il une méningo-
myélite diffuse, accompagnée d'une façon constante d'altérations du côté des
vaisseaux nourriciers de la moelle. Les lésions des méninges et des vais-
seaux qui les traversent sont les premières en date; elles commandent vi-
siblement dans leur forme et dans leur répartition les désordres anatomi-
ques des éléments nerveux.
IL Dans une première variété, la lepto-méningo-myélite existe seule ;
dans une seconde variété la dure-mère prend part au processus. La pa-
chyméningite, indépendamment de toute altération du canal rachidien, se
rencontre plus fréquemment à la région cervicale (sans que l'on soit en me-
sure de donner une raison satisfaisante de cette particularité).
III. La méningite spinale s'accompagne souvent d'altérations du
même genre du côté de l'encéphale et plus spécialement de méningite de
la base, de la région interpédonculaire et du chiasma.
IV. Les lésions méningées semblent parfois le céder en importance
aux altérations vasculaires qui les accompagnent; à tel point qu'on serait
presque autorisé, faisant abstraction des premières, à décrire à part l'arté-
rite syphilitique de la moelle, comme on distingue la méningite et l'arté-
rite syphilitique du cerveau. Une observation attentive montre toutefois
que cette distinction n'est généralement pas possible à faire en ce qui con-
cerne la moelle, et que les deux ordres de lésions prennent toujours leur
part respective au processus, bien qu'elles semblent parfois évoluer d'une
façon presque indépendante.
D'ailleurs l'examen anatomique de plusieurs cas de ce genre, à une pé-
riode tout à fait rapprochée du début, en montrant, du côté des vaisseaux,
DE LAM É NIN G 0 - M Y ÉLI TES SYPHILITIQUE 275
l'existence de lésions exclusivement veineuses suffit à indiquer que l'on ne
saurait assimiler, dans tous les cas au moins, les altérations médullaires
observées au ramollissement cérébral par thrombose.
V. En ce qui concerne les caractères anatomiques particuliers aux
méningo-myélites syphilitiques étudiées ici, les formes de lésions récentes
seules peuvent donner des renseignements précis : l'examen histologique
est nécessaire. Ces caractères doivent être recherchés dans les altérations
des méninges et des parois vasculaires.
Un premier fait paraît acquis, c'est que les lésions des veines spinales
se montrent les premières, et restent généralement dans la suite plus in-
tenses que celles des artères. Le début de la lésion, dans les cas les plus
favorables à cetle recherche, a lieu par la tunique adventice des vaisseaux,
par les vasa vasorum, conformémenl à l'opinion de MM. Lancereaux,
Baumgarten, Koester.
Il serait prématuré actuellement de vouloir fixer d'une manière défini-
tive les particularités anatomiques qui distinguent les méninge-myélites
syphilitiques des autres lésions analogues, par ce seul fait que nous sommes
encore insuffisamment renseignés sur l'étiologie dans la plupart des myé-
lites aiguës. Toutefois, même dans ces formes diffuses, l'examen micros-
copique peut révéler la présence de lésions spécifiques assez caractéristi-
ques pour permettre de conclure à la nature syphilitique de la maladie
(granulations embryonnaires avec cellules géantes, foyers gommeux mi-
croscopiques émanant des méninges, ou dans les parois vasculaires elles-
mêmes - (Observ. 1). La tuberculose, il est vrai, peut donner lieu à des
lésions semblables.
Vit Cliniquement les formes les mieux caractérisées de méningo-myé-
lite syphilitique présentent dans leur évolution deux périodes correspon-
dant aux localisations de la syphilis sur les méninges d'abord et sur la
moelle ensuite.
La période prodromique est marquée par des troubles de la sensibilité en
relation avec la méningite spinale. Ceux-ci consistent principalement en
une rachialgie qui rappelle parfois les céphalées de la syphilis cérébrale,
ainsi que l'a montré M. le professeur Charcot; à lel point qu'elle mérite-
rait d'être dénommée rachialgie syphilitique. Il est très commun d'obser-
ver à cette période, et souvent a son début, des accidents cérébraux plus ou
moins graves, céphalées, paralysies oculaires.
Les paralysies spinales syphilitiques caractérisent la deuxième périodes
celle des lésions médullaires. Ces paralysies, dans les formes les plus com-
munes, se présentent sous l'aspect clinique d'une myélite transverse dor-
sale de moyenne gra\ ilé, c'est dire qu'elles consistent en paraplégies spus=
276 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
modiques généralement incomplètes, accompagnées constamment de troubles
dans le fonctionnement des sphincters de la vessie et du rectum.
La nature syphilitique de ces paralysies pourra être soupçonnée à bon
droit, non pas en prenant pour base d'un diagnostic différentiel les carac
[ères de la paralysie elle-même, mais en se fondant sur les particularités in-
diquées plus haut de la période prodromique, et sur la coexistence de phé-
nomènes cérébraux dans le passé ou dans le présent.
VII. Dans quelques cas rares, les-paralysies syphilitiques évoluent
avec une grande rapidité, ai la suite d'une période prodromique courte et
peu significative, et avec les allures de la myélite centrale aiguë, pour
aboutir à la mort en l'espace de quelques jours a un mois. L'existence plu-
sieurs fois constatée de lésions spécifiques dans l'examen anatomique de
cas de ce genre ne laisse aucun doute sur la nature de cette redoutable
complication de la syphilis, bien que les auteurs aient pendant longtemps
émis des doutes sur ce point.
II. LAMY,
Interne de la clinique des maladies du système nerveux.
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE
ÉTUDE SUR CERTAINS NÉVROPATHES VOYAGEURS
(Suite ! ).
LES NÉVROPATHES VOYAGEURS
Les observations qui vont suivre ont toutes été recueillies à la Salpê-
trière.
Les malades, venus de loin pour demander une consultation à M. Char-
cot, sont tous israélites. Il y a là assurément autre chose qu'une banale
coïncidence; nous nous expliquerons plus loin sur cette question. Mais
hâtons-nous de le dire, il n'est pas invraisemblable de supposer que, l'at-
tention une fois attirée sur cette forme de névropathie, on puisse rencon-
trer des cas semblables parmi des individus de races et de religions différen-
tes. Les exemples abondent, dans tous les peuples et dans toutes les
classes de la société, de gens qui sont poussés par un perpétuel besoin de
mouvement, et dont la vie se passe en déplacements continuels. Beau-
coup ne sont pas juifs ; mais la proportion de ceux-ci est assurément con-
sidérable. Les observations suivantes en font foi.
Observation I.
Klein, israélite hongrois, 23 ans. C'est le malade dont M. Charcot
a retracé l'histoire pleine de péripéties (2) :
Il a d'abord traversé l'Allemagne, s'arrêtant ci Dresde, à Leipsick, il Breslau,
il Berlin, exerçant un instant dans chacune de ces villes, son métier de tailleur,
dans le but de ramasser quelque argent lui permettant de continuer son voyage.
De Berlin, il passe en Angleterre qu'il trouve « triste » et où il ne reste que
deux mois. De là, riche de 70 shellings, il se rend à Anvers où il s'installe
pendant 4 mois ; mais l'ouvrage venant il manquer, il part pour Bruxelles, où,
à son grand désappointement, il ne trouve pas de travail.
Bientôt son trésor s'épuise, et n'ayant plus que 4 francs en poche, il prend le
parti de se rendre à Liège, à pied. Mille misères l'attendaient dans ce voyage
(1) Voir numéro 4, 1893.
(2) Charcot, Leçons du mardi, 1889, p. 348.
278 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
pédestre qui n'a pas duré moins de cinq jours. Les deux premiers jours, il dut
marcher sous une pluie battante, à travers des chemins défoncés. Le matin du
3e jour, c'était le 2 août 1888, la pluie ayant cessé un instant, il se couche vers
9 heures, tombant de fatigue et trempé jusqu'aux os, le long de la route sur la
terre humide. Là, il s'endort lourdement, reposant sur le sol par le côté droit
du corps. Il a dormi jusqu'à 2 heures de l'après-midi. Il est certain que, pen-
dant toute la durée de son sommeil, il n'a pas changé un instant de position,
' car c'est seulement sur le côté droit que ses vêtements ont été couverts de boue.
Au réveil, il ressentait dans toute l'étendue du membre supérieur droit et dans
la cuisse ainsi que dans le genou du même côté, des douleurs vives accompa-
gnées d'un sentiment d'engourdissement fort pénible. Il lui fallait cependant
malgré tout se remettre en marche : il n'était qu'à mi-chemin, et ses ressour-
ces pécuniaires étant complètement épuisées, il ne devait plus compter que sur
la charité publique. 11 rassembla toutes ses forces et continua sa route clopin
dopant, traînant sa jambe gauche dont il souffrait beaucoup. Enfin il arriva à
Liège, le 50 jour, dans un état déplorable et fut reçu à l'hôpital anglais où il
resta traité, paraît-il, pour un « rhumatisme », à l'aide de l'électricité. Sa fa-
mille lui ayant sur ces entrefaites, envoyé quelque argent, il se rend à Spa,
toujours à pied, et de là à Yerviers où il entre encore à l'hôpital. Il y éprouva
quelque soulagement de sa douleur sous l'influence de bains de vapeur locaux
qui lui furent administrés. Il quitte Yerviers pour Metz où il arriva boitant
plus que jamais. L'association israélite, de cette ville lui donna quelques se-
cours d'argent qui lui permettent de prendre le train pour Cbalons-sur-Marne.
De Chutons, toujours souffrant et boitant, il se met en route à pied pour Pa-
ris, marchant environ quatre heures par jour, et vivant de quelques aumônes
qui lui sont faites, par ceux de ses coreligionnaires qu'il rencontre dans les
villes où il s'arrête chemin faisant.
Je n'ai pas cru, Messieurs, devoir vous épargner les détails relatifs à toutes
ces pérégrinations singulières parce qu'elles révèlent chez notre homme, si
je ne me trompe, un état psychique particulier qui nous conduit à le considé-
rer comme un anormal, un déséquilibré. Il était important également de bien
mettre en relief les misères, les privations, les fatigues excessives dont il a
souffert pendant ses voyages, et d'insister aussi sur cette malencontreuse
matinée du 3 août où il est resté couché dormant pendant plusieurs heures,
sur la terre humide, reposant par le côté droit du corps. Ce sont là, en effet,
des circonstances qui nous paraissent avoir joué un rôle important dans le
développement de la maladie.
Klein a fait son entrée à Paris le 11 décembre 1888, le lendemain il se pré-
sentait à la Salpêtrière où il a été admis dans le service de clinique.
Il faisait vraiment peine à voir; déguenillé, sale, pâle, amaigri, tombant de
fatigue et tout ahuri, il présentait vraiment l'image poignante du complet dénû-
ment. Il avait les pieds meurtris, et pendant plusieurs jours, il ne se sentit pas
le courage de sortir un instant du lit. Enfin lorsque sous l'influence du repos
. et d'une alimentation à discrétion, il se fut un peu remis, l'examen que nous
fimes de son état nous apprit ce qui suit :
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 279
Aucune lésion viscérale quelconque..
Les lésions du système nerveux constituent tous les symptômes : Contracture
spasmodique du bras droit de l'avant-bras et de la main qui est déformée suivant
le type d'extension cubital. Ces déformations remontent aux premiers jours
qui ont suivi la journée du 2 août 88. Anesthésie complète et sous tous les
modes du membre supérieur droit limitée en gigot.
Au membre inférieur droit, contracture analogue au niveau de la hanche et
du genou, anesthésie en manchon de la hanche au genou. Les mouvements
sont douloureux, mais pas d'inflammation. Pas de stigmates sensoriels, sauf
la perte du goût sur une moitié droite de la langue.
Pas d'attaques ni de points hystérogènes.
Rêves pénibles : des chiens le poursuivent venant de droite à gauche.
Pas de symptômes neurasthéniques (céphalée, plaque sacrée) ; pas de confusion
de l'esprit, de vertiges.
M. Charcot conclut :
« Il est remarquable que, chez notre homme, on ne rencontre pas de symp-
tômes neurasthéniques bien accentués. L'hystérie paraît être chez lui pri-
mitive : pour le moins c'est elle qui, de beaucoup, domine la situation. Evi-
demment il s'agit d'un cas d'hystérie traumatique avec contracture.
« Il était d'ailleurs, antérieurement peut-être, déjà spécialement prédisposé à
la névrose hystérique; c'est un israélite, remarquez-le bien, elle fait seul de ses
pérégrinations bizarres, nous le présente comme mentalement soumis au régime
des impulsions; a la vérité, la recherche des antécédents héréditaires n'a pas
Fig. 28 et 29.
280 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
fourni de résultats précis ; mais il nous a raconté l'histoire d'un de ses grands
pères mort en z8 en Russie, « sous le knout ( ? ) », et cette circonstance est bien
de nature à faire supposer, pour le moins, que sa famille a dû vivre plus d'une
fois sous le coup d'émotions dramatiques.
Sous l'influence du traitement, une amélioration considérable est survenue
dans l'état physique et moral de ce malade.
Mais ses récents malheurs ne l'ont, paraît-il, nullement guéri de sa manie
des voyages, car il se propose aussitôt qu'il sera remis sur pied de partir pour
le Brésil.
Observation II (1).
Moser B. dit Moïse, âgé de 38 ans, juif polonais, né près de Varsovie.
Il a pérégriné dans tous les pays de l'Europe.
Tout enfant, il fut recueilli par l'autorité militaire russe et placé dans une
école spéciale où il reçut une certaine instruction. Pressé de quitter la religion
juive par ses supérieurs, il lutta longtemps avant de se décider à renier la foi
de ses pères ; se sentant près de succomber, il s'enfuit brusquement et quitta la
Russie. Il avait alors 15 ou 16 ans et ne savait aucun métier.
Dès cette époque, il se mit il errer de pays en pays, sans but bien arrêté.
A Buda Pestai il s'est marié, et il a séjourné quelque temps dans cette ville,
où il a eu trois enfants.
Mais cette halte était trop longue il son gré et le besoin de voyager le tour-
mentait sans cesse.
Il conduisit alors sa famille à Jérusalem où il la laissa pour aller parcourir le
monde. De cinq en cinq ans, il y retournait en pèlerinage, revoyait les siens
pendant quelques jours, puis repartait vers de nouveaux pays.
Comment a-t-il vécu pendant ces voyages incessants ? Ne sachant et ne pou-
vant faire aucun métier, il a dû compter sur la charité publique, et la solida-
rité de ses coréligionaires. A cet égard, il est peu explicite. D'ailleurs, il a dû
se contenter de très peu ; souvent même, il a dû manquer de tout.
Quant à la raison de ces déplacements perpétuels, « c'était, dit-il, pour trou-
ver un remède au mal dont je souffrais depuis l'âge de 25 ans, mal qui ne me
laissait ni trève, ni repos, et pour lequel j'ai été consulter tous les spécialistes
du monde. »
En effet, dans un volumineux dossier de paperasses crasseuses qui ne le quitte
jamais, il nous montre des ordonnances datées de toutes les universités de
l'Europe et signées des noms les plus illustres.
Il a vu Meynert, Leyden, Erb, Kussmaul, etc. L'an dernier il est allé consulter
Van Lair.
Il a parcouru plusieurs fois et dans tous les sens, la Pologne, l'Allemagne,
l'Autriche, la Belgique, l'Angleterre etc.
(1) Une partie de cette observation nous a été communiquée par notre ami M. le Dr
Dutil, chef de clinique à la Salpêtrière que nous remercions Lien vivement de son obli-
geance ; nous avons également observé le malade à la Salpêtrière dans le courant de
l'année 1892.
Nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière T. VI. PL. XXXIV.
MOSER B. DIT MOISE.
L. BATTAILLE ET Cio, Éditeurs
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 283
Enfin la renommée de l'école de la Salpêtrière l'attira à Paris dans le courant
de l'année 1892.
Il fit son apparition dans un accoutrement sordide. Vêtu d'une longue lévite
noire, usée et rapiécée, couverte de graisse et de poussière, luisante aux man-
ches et aux revers, un pantalon trop long, frangé dans le bas, une chemise
d'une saleté repoussante. Des souliers tout percés de trous. Sur la tête, un cha-
peau haut déforme indescriptible.
Son faciès rappelle celui des juifs polonais ou allemands :
La face maigre, aux traits fortement creusés, disparaît dans une large barbe
malpropre, frisant sur les côtés. D'épais cheveux retombent sur les oreilles et
sur la nuque en papillottes graisseuses. Le front haut et rond est sillonné en
travers de rides profondes. Les sourcils épais se rapprochent au-dessus du
nez par deux plis très accentués. Ces rides donnent la physionomie une ex-
pression à la fois douloureuse et attentive. Les yeux petits, mais vifs et intel-
ligents, sont bridés par un clignotement des paupières, comme pour éviter la
poussière ou la lumière vive ; le clignotement ajoute encore il l'air pleurard
et réfléchi. Le nez long et busqué tombe sur des lèvres fortes un peu retour-
nées. Un pli profond le sépare des joues et sa mobilité est telle qu'on ne sait
jamais si cet homme va rire ou pleurer.
Il marche à tous petits pas, le dos raidi, légèrement voûté, l'air humble et
misérable, arrêtant les passants comme pour demander une aumône. Il parle
sur un ton lamentable, presque toujours en allemand; et cependant il sait t
l'anglais, le turc, le russe et l'hébreu.
Dans sa poche il garde soigneusement une bible, ses précieuses ordonnances
cosmopolites, et une petite fiole qui contient tantôt un cordial, tantôt du lait,
tantôt même de l'urine qu'il veut faire examiner.
Dès son entrée dans le cabinet de M. Charcot, il commence la longue his-
toire de ses souffrances, et suivant le procédé familier aux neurasthéniques, il
sort une liste détaillée des symptômes qu'il éprouve et en commence la
lecture.
Voici le résumé de cette auto-observation où se retrouvent la plupart des
signes classiques de la neurasthénie :
Céphalée persistante, consistant en une sensation pénible dépression autour
de la tête et prédominant ;i la partie postérieure, un peu au-dessus de la région
occipitale.
Douleurs vagues le long de la colonne vertébrale, se montrant particulière-
ment marquée entre les deux épaules et à la région sacrée.
Dans les membres, aux jointures et dans les muscles, des douleurs vagues,
qui changent de place : « des rhumatismes qui se promènent ».
Troubles gastriques divers : digestions pénibles, ballonnement du creux épi-
gastrique, éructations, prolongées et répétées un grand nombre de fois après
chaque repas.
Insomnie : cauchemars très compliqués dont la description est presque im-
possible à comprendre.
Il accuse en outre une foule de sensations obsédantes en divers points du
284 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
corps : tiraillement des yeux vers le fond de l'orbite, impression de froid con-
tinuelle sur la joue droite. Picottements à fleur d'épiderme qui parcourent tous
les membres, etc., etc.
Toutes ces impressions, le sujet paraît les avoir observées, analysées et mé-
ditées longuement. Il les décrit avec une loquacité et une mimique singulière-
ment expressives. Quand il commence le récit détaillé d'une nouvelle sensa-
tion, rien ne peut l'arrêter dans son discours. Il poursuit son interlocuteur
dans toutes les pièces, dans toutes les cours de l'hôpital, et si l'on parvient à lui
échapper, il se tourne vers une autre personne à laquelle il recommence son
récit lamentable. -
Parfois, il décrit ses souffrances sur un ton enthousiaste, se complaisant dans
les détails, fier en quelque sorte de la méticuleuse analyse qn'il en a faite.
Puis, tout à coup, il s'attendrit sur son sort malheureux et se prend à larmoyer
de la façon la plus attendrissante. Sa voix est pleine de sanglots, ses yeux sont
remplis de larmes, il joint les mains dans une supplication pressante : « Mon Di !
Mon Di 1 Soulachez moi, mon bon Mossi ! » dit-il en se précipitant vers M. Char-
cot, puis il lui prend la main et la baise respectueusement en courbant son
échine et avec une esquisse furtive d'agenouillement.
Mais si on lui propose un traitement, aussitôt il prend un air attentif et sé-
rieux cherchant à se bien pénétrer des paroles qu'on lui dit; puis, peu à peu il
esquisse un sourire, ses petits yeux malins se clignent à demi, il hoche la tête
d'un air sceptique. « Non 1 ce n'est pas cela qui lui convient. Il le sait bien,
lui. Il a tout essayé; médications internes, hydrothérapie, pointes de feu, etc.
Non 1 ce n'est pas encore cela. »
Et avec son sourire et son hochement de tête, il s'en va, paraissant dire :
« Allons ! ceux-ci ne sont pas plus forts que les autres »
Ce pauvre diable est cependant resté près d'un an à Paris, venant régulière-
ment tous les jours à la Salpêtrière où il suivait un traitement par l'électricité.
Comme c'était chose neuve pour lui, il en fût enchanté, et même, il crut avoir
trouvé là le soulagement après lequel il courait depuis si longtemps. Il demanda
à M. Charcot un certificat qui lui permit d'obtenir de M. Rothschild l'argent
nécessaire pour acheter un appareil électrique. Il voulait l'emporter dans son
pays, en Russie, où il espérait terminer heureusement ses jours, ayant entre
les mains un procédé de guérison certain.
Mais pendant qu'il attendait ses subsides, il s'aperçut que le traitement per-
dait peu à peu de son efficacité. De nouveaux symptômes qu'il observa en
lui, n'étaient pas guéris par l'électricité (1). Il recommença alors ses jéré-
miades, arrêtant M. Charcot tous les jours dans le service, ou bien le chef de
clinique, les internes, les externes ; heureux quand il pouvait trouver une oreille
complaisante, un nouvel auditeur se laissant attendrir par ses lamentations.
Mais à la fin, voyant qu'on faisait la sourde oreille, que chacun l'évitait, le
fuyait, redoutant son triste bavardage, il disparut. Qui sait vers quels nou-
(1) C'étaient surtout des pollutions nocturnes dont il avait, disait-il, 20 à 30 chaque
nuit.
VI. Pal. XXXV
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
PHOTOTYPE NÉGATIF A. LONDE PHOTOCOLLOGRAPHIF LttENJo : A LONr.UFr
GOTTLIEB M.
ISRAÉLITE NÉVROPATHE VOYAGEUR
]3ATTAIJ.LE ET ^C
f DITEURS
. LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 285
veaux pays il a dirigé sa marche vagabonde ? A quels médecins il a été répéter
son histoire misérable, cherchant toujours une introuvable guérison.
Observation 111 (personnelle).
Gottlieb M., âgé de 42 ans, apparut à la Salpêtrière au mois de fé-
vrier 1892.
Dénué de toutes ressources, il venait demander un lit l'lapital. Les salles
étant pleines, on ne put le recevoir de suite, mais on lui promit de l'admettre,
s'il revenait le surlendemain. Pendant le peu de temps qu'il resta dans le ser-
vice, nous pûmes recueillir son histoire, et faire de lui un croquis et des photo-
graphies. Mais, malgré une aumône assez large qui lui fut faite, pour l'aidera il
attendre le surlendemain, il ne revint pas. Son apparition avait duré quelques
heures seulement.
Il était né dans un village des environs de Dilua. Son origine devait être fort
obscure : jamais il n'avait appris il lire ni il écrire et cependant, comme ses
congénères, il parlait couramment plusieurs langues, le russe, l'allemand et un
peu l'anglais. Il a commencé à voyager de très bonne heure par nécessité, ou
simplement par goût de la vie errante ; il n'est pas explicite a cet égard. De
bonne heure aussi, il a fréquenté les hôpitaux, d'abord ceux de son pays où il
a été traité pour les affections les plus diverses. A St-Pétersbourg, il est resté
longtemps dans un service où on le soignait, dit-il, pour une maladie de foie ( ? )
Mais ne pouvant trouver en Russie de remède il ses maux, il s'adressa à l'Al-
lemagne, puis à l'Autriche, quêtant dans chaque université une consultation pour
son mal de tète, sa douleur de dos, ses points de côté. Ce fut en vain.
Il se décida alors il passer en Angleterre, et pensait avoir trouvé enfin il Lon-
dres un soulagement à ses souffrances. Ce ne fut qu'une bien courte accalmie,
car il s'aperçut bientôt que si les médecins amélioraient son état, le climat de
l'Angleterre lui était particulièrement défavorable. Cruel dilemme qui l'obséda
péniblement et dont il ne put se tirer qu'en passant le détroit et en venant cher-
cher en France la guérison rêvée.
Il se présenta il plusieurs consultations d'hôpitaux, dans un état de dénue-
ment extrême, espérant être admis et soigné. Mais jamais reçu, et toujours mé-
content des remèdes qu'on lui proposait, il se décida à venir à la Salpêtrière
dont il avait entendu parler depuis longtemps.
Il arriva l'air profondément misérable, vêtu de la façon la plus sordide. Ses
habits étrangement disparates, témoignaient de leur origine cosmopolite : une
longue houppelande tachée de graisse et frangée au bas, couvrant un gilet atta-
ché avec des ficelles et une chemise russe noire de crasse.
Ses souliers informes accusaient les longues pérégrinations qu'ils avaient dû
faire.
Dans une poche, il serrait précieusement une bouteille de verre blanc il moi-
tié pleine d'un liquide trouble d'odeur alcoolique : « C'est un cordial, nous dit-
il, pour me remonter quand je me sens trop faible ».
286 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
L'ensemble de la physionomie exprime la souffrance et l'inquiétude. Et quand
il parle, sa voix sourde est plaintive, pitoyable. La tête est longue, étroite aux
cheveux coupés ras. Le front couvert, anguleux, cerclé de rides très profondes.
Les sourcils touffus et rapprochés dans un pli douloureux. Les yeux petits,
tristes et malpropres. Le nez court, aplati. La bouche large et les lèvres épais-
ses sous une moustache inculte. Le sillon naso-labial très accentué se perd en
bas dans les joues amaigries d'où part une longue barbe d'un gris sale couvrant
le haut de la poitrine.
Tout en lui, on le voit, donne l'impression d'une cruelle misère et d'une
longue souffrance. Il ne tarit pas en histoires interminables sur ses douleurs et
les traitements du'il a subis, s'attardant aux plus menus détails, et analysant
toutes ses sensations avec une profusion de gestes qui facilite heureusement
l'intelligence de son mauvais allemand.
Il souffre de la tête, depuis longtemps, surtout en arrière, dans la nuque et
dans le cou.
Fig. 30. - Gottlieb 11f.
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 287
Il accuse aussi des douleurs dans le dos et se plaint de points de côté très
pénibles, sans qu'il ait jamais eu cependant de maladies de poitrine.
Il souffre aussi dans les membres, partout, dans les jointures, dans les mas-
ses musculaires ; et ses douleurs qui ne cessent jamais passent du bras à la
jambe, de la main au pied, pour reparaître a l'ancienne place et recommencer
de nouveau, sans trêve aucune. Il accompagne la description de ces douleurs
erratiques d'une mimique des mains très mouvementée et sa figure prend une
expression lamentable de désespoir.
Pas de paralysies, pas d'anesthésies. Il voit assez bien-, dit-il ; mais sa vue
se fatigue vite.
Il mange mal, n'a pas d'appétit et se plaint de ses digestions. Il dort mal éga-
lement.
Quand on l'interroge sur les traitements qu'il a suivis, il semble qu'il énu-
mère en répondant tous les chapitres de la thérapeutique. Il paraît avoir expé-
rimenté la médication révulsive sous toutes ses formes : sinapismes, vésicatoi-
res, pointes de feu, etc. Les douches ne lui font aucun bien. L'électricité l'a
soulagé quelque temps : et c'est a elle qu'il attribue l'amélioration éprouvée en
Angleterre.
Comme on lui a vanté les méthodes de traitement de la Salpêtrière, il désire
en essayer. Mais quand on lui énumère les moyens thérapeutiques employés,
il hoche la tête d'un air sceptique, et esquisse un sourire : « J'ai fait tout cela,
dit-il ; ce n'est pas ce qu'il me faut ».
Il s'est laissé examiner et photographier avec une docilité parfaite, se lançant
aussitôt qu'on le lui permettait dans la description de ses maux.
Puis il est parti promettant de revenir. On ne l'a jamais revu.
Observation IV (1).
Sigmund S... hystéro-neurastliénique, accidents nerveux provoqués par
un coup de foudre.
Israélite, lui9 ans, né d'un père allemand etd'une mère italienne; son grand'père
paternel est mort a 106 ans et s'est toujours très bien porté ainsi que sa
grand'mère. Ils ont eu 5 enfants : 3 garçons et 2 filles. L'une d'elle est morte
en couche, pas de renseignements sur les autres.
L'aîné de ces 5 enfants, père du malade mourut a 88 ans, rhumatisant.
Du côté maternel, son grand'père était musicien, organiste. Il n'a pas connu
sa grand'mère. Ils ont eu 3 enfants dontl'ainéc, mère du malade, morte jeune,
était très douce, calme et jamais malade. Des deux autres enfants, deux gar-
çons, l'un était musicien, l'autre instituteur.
S. a eu deux frères et une soeur : L'aîné fut peintre : il n'a jamais été ma-
lade, le second est commerçant. La dernière, mourut de la poitrine.
(1) Une partie de cette observation nous a été obligeamment communiquée par notre
excellent ami M. le Dr Georges Guinon, ancien chef de clinique à la Salpêtrière. La
seconde partie (1893) nous est personnelle.
288 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Tous leurs enfants sont bien portants et aucun n'a eu d'affection nerveuse.
Sigmund S. est le quatrième enfant : Marié 2 fois, la première fois a une
italienne grande musicienne qui est morte à 24 ans à la suite d'une hémoptysie
et dont il a eu 4 enfants bien portants, et tous musiciens entrés dans des con-
servatoires.
Sa seconde femme a actuellement 49 ans. Il n'en a eu qu'un enfant, musi-
cien aussi.
Dès son enfance, il montra des dispositions spéciales pour la musique.
A 8 ans il apprit le violon, el à 15 ans, il jouait devant Liszt, IIaus Bulow,
Verdi qui lui prédirent un brillant avenir musical. Il entra au Conservatoire
où il resta jusqu'à 20 ans.
Il apprit là les langues étrangères, le français l'anglais; par sa mère, il avait L
appris l'italien. Dès lors, il commença à voyager, allant donner des concerts en
tous les points du monde. Il était très recherché comme premier violon solo.
En 1872, il vint à Paris où il parlait très couramment le français.
En 1882 il parcourut l'Amérique : Chicago, New-York etc., il comprenait et
s'exprimait très correctement en anglais.
Au mois d'août 1882, de retour en Europe, il se trouvait à Bruxelles.
C'est là qu'au cours d'nne promenade qu'il faisait avec son collègue, Henri W...
il fut surpris par un violent orage. Tout à coup en passant près d'un arbre
de la rue Royale, il est violemment jeté par terre et perd connaissance pour ne
revenir à lui que 16 heures après l'accident dans son appartement où on l'a-
vait transporté.
Il n'a conservé aucun souvenir de ce que s'est passé. Il sait, mais seulement
par ce que lui a raconté W..., que la foudre est tombée sur l'arbre près du-
quel il se trouvait, que cet arbre a été brisé, et que lui, est tombé sans connais-
sance.
Ses vêtements ont été déchirés par les personnes qui sont venues lui porter
secours ; mais il n'est pas sûr qu'ils aient été brûlés; par contre ses cheveux du
côté gauche l'ont été. - Quant à sa barbe qu'il portait longue à cette époque,
il ne peut rien dire.
Des parcelles de bois qui avaient pénétré sur le dos de sa main gauche ont
été retirées alors : on voit encore les cicatrices.
Mais, fait plus grave, il son réveil il s'est trouvé paralysé de tout le côté gau-
che. Les membres supérieur et inférieur raidis, contractures, et couverts d'ecchy-
moses multiples. La face a dû participer il la paralysie, car avait, dit-il, beau-
coup de difficulté à parler, sa langue étant comme empâtée.
La sensibilité n'a pas été examinée.
24 heures après cet accident, son impressario le fait partir pour Vienne dans
un compartiment spécial.
C'est pendant ce voyage qu'apparurent les premières attaques, sur lesquels
il ne peut d'ailleurs donner aucun renseignement. La première eut lieu à
Cologne, la seconde à Salzburg, on lui a dit qu'elles duraient de 2 il 3 heures.
A Vienne, il est resté couché près de deux ans ; il était soigné par le Dr Loe-
rich (douches, frictions, électricité) sans qu'il en retirât un grand bénéfice.
nouvelle Iconographie DE la Salpêtrière
T. VI. Pt. XXXVI
PHOTOTYPE NÉGATIF A LONDE PHOYOCCLL@GRAPHIF GHCAE d LONCUFT
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ÉDITEURS
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 289
Pendant ce séjour, les attaques se renouvelaient fréquemment, mais d'une
façon irrégulière ; parfois plusieurs dans une journée ; d'autres fois quelques
jours se passaient sans attaques.
Elles survenaient sans que le malade puisse affirmer si elles étaient précédées
ou non d'aura. Leur caractère rappelle celui de l'attaque d'hystéro-épilepsie
type : arc de cercle, grands mouvements, attitudes passionnelles, etc. C'est
ainsi du moins qu'on les a décrites.
Pendant cette période l'appétit reste normal. Urines normales. Insomnies
sans cauchemars.
Le caractère de S. changea complètement dès ce moment. Il devint colère,
emporté, ne supportant pas la contradiction. Il fut même brutal avec sa femme
et ses enfants employant dans ses emportements des mots grossiers qui ne lui
étaient pas habituels. A la suite de ces colères, il tombait en attaque, et celle-ci
terminée, il pleurait abondamment.
Sa mémoire fut aussi considérablement touchée, surtout pour les faits rappro-
chés. Il gardait encore nettement le souvenir de principaux événements de son
enfance et de toute sa vie jusqu'à son voyage à Bruxelles. Il se rappelle bien la
promenade dans le jardin public ; mais non l'orage et son accident, dont il a
connu les détails par son impressario.
Il perdit aussi la mémoire des langues étrangères qu'il avait apprises. Un de
ses amis d'Amérique étant venu le voir six mois après son accident fut tout sur-
pris de voir que S... ne comprenait plus un mot d'anglais, alors qu'aupara-
vant il l'entendait et le parlait fort couramment. Il en fut de même pour le fran-
çais, et aussi pour l'Italien qu'il avait cependant appris de sa mère, laquelle
parlait habituellement cette langue aussi souvent que l'allemand.
La mémoire musicale était presque entièrement abolie. Lui qui composait au-
trefois des airs et qui jouait de mémoire avec une grande facilité, il devint
incapable de se rappeler un seul motif entendu. Mais il continuait à lire la mu-
sique couramment.
En 1885, il alla consulter le professeur Benedicld qui l'examina soigneuse-
ment et fit même une leçon sur lui, portant le diagnostic de paralysie par ful-
guration. Pendant 8 mois, il suivit un traitement par les douches, la galvanisa-
tion et la gymnastique suédoise. Ses attaques en furent diminuées. C'est depuis
cette époque qu'il commença à ressentir l'aura classique : douleur au niveau
du vertex, vertiges, bourdonnements d'oreilles, battements dans les tempes,
constriction à la gorge. Mais l'amélioration des symptômes paralytiques fut très
lente. Il pouvait cependant marcher avec des béquilles.
Il se rendit alors il Toeplit ? oÙ il fut pris de coliques hépatiques pour lesquelles
on lui conseilla d'aller prendre les eaux il Carlsbad. Là le D1' Schnee porta le
diagnostic d'épilepsie et lui fit des applications de pointes de feu sur l'épaule et
le côté gauche du dos : on voit encore les cicatrices.
A la deuxième séance, le malade fut subitement guéri de sa paralysie : il put
se lever et marcher. La sensibilité, très obtuse auparavant, était revenue.
vi. ' 20
290 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
L'ouïe très affaiblie depuis 1882, redevint bonne. Les attaques cessèrent tout à
fait.
Seuls, les maux de tête, la plaque sacrée, le gonflement de l'estomac, les
bouffées de chaleur après les repas, dont il se plaignait depuis longtemps, per-
sistèrent sans amélioration notable.
Presque complètement rétabli, il reprit peu à peu son métier de violoniste;
mais la mémoire ne lui revint guère, pas plus pour les faits que pour les langues
et pour la musique. Il ne pouvait jouer qu'avec la musique sous les yeux. Aussi
dut-il renoncer aux concerts et donner des leçons de violon.
Cela dura jusqu'en 1889.
Le 12 août 1889, on crie « au feu » dans sa maison, S... voit l'incendie,
pousse un cri, et tombe en attaque.
Au bout d'un quart d'heure il se réveille : il était de nouveau paralysé du
côté gauche, mais moins fortement que la première fois. Le membre supérieur
était surtout atteint. Il y avait une raideur assez prononcée.
Les attaques se reproduisent alors, mais moins fréquentes et moins longues
qu'autrefois. Elles surviennent généralement à la suite d'une émotion, d'une
contrariété, et durent de 6 à 12 minutes. Elles sont toujours précédées d'aura.
La dernière attaque, il y a 12 jours, a duré 6 minutes.
Mais la mémoire s'affaiblit de plus en plus. Les insomnies sont fréquentes.
S... se remit alors en quête d'un traitement pour sa maladie.
A la fin d'août 1889, il consulta à Vienne le D1' Beck qui lui donna un certi-
ficat constatant qu'il était atteint d'attaques d'épilepsie, et lui permettant de
suivre un traitement d'électrothérapie gratuit.
En novembre 1889, il alla à Bruxelles consulter le Dr Viemont qui lui délivra
un nouveau certificat : paralysie et attaques d'épilepsie survenues à la suite
d'un coup de foudre.
Il se présenta à la Salpêtrière en février 1890.
Examiné le 4 mars, on constatait les symptômes suivants :
Le bras gauche tombe verticalement le long du corps, la main est aplatie, les
doigts demi-fléchis, le pouce fléchi dans l'intérieur de la main.
L'épaule du même côté élevée, conservant continuellement une attitude de
défense, à cause de la douleur. Cette douleur excitait déjà lors de la première
paralysie.
Les membres paralysés sont contracturés, surtout le supérieur qui présente
une sorte de raideur élastique.
Les mouvements passifs sont difficiles à cause de la douleur et de la raideur.
Les mouvements actifs ne dépassent pas l'angle droit dans la flexion et l'horizon-
tale dans l'élévation.
La résistance aux mouvements est presque nulle, et douloureuse pour le coude,
l'épaule, le poignet.
La jambe gauche est traînante. Les mouvements du genou douloureux et liz
mités.
T m. PL. XXXVII.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE
PHOTOTYPE NIGATIF A. LONDE £ PHOTOCOLLOGRAPH11' CHÈN1" A LONGUET
ROSA A.
3L. ATTAIf.t& £ <-C
éditeurs
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 291
A droite la résistance et les mouvements sont bien conservés. -
Pas d'atrophie musculaire appréciable.
Examen dynamométrique : Le 5 mars, main gauche : 6 ; le 7 mai : 14 ;
main droite : 23, 43.
Examen électrique (par M. le Dr Yigouroux). Réactions électriques normales.
Les mouvements sont seulement limités par la raideur des muscles antagonistes.
Réflexes un peu exagérés à droite.
Points hystcrogcnes : 1° Au-dessous du sein gauche ; 20 Les deux testicules
très douloureux, le gaucho surtout, la peau aussi bien que le testicule lui-même;
3° Point pseudo-ovarien à gauche.
. Sensibilité. Profonde, affaiblie dans tout le côté gauche à la douleur, abolie
au membre supérieur. Anesthésie en manche de veste. (Fig. 31, 32).
Au toucher, abolie sur le bras gauche, - au froid, presque aholie sur le bras
gaucho, diminuée dans tout le côté gauche.
Odorat, presque normal. Goût, aboli à gauche, très faible u droite.
Ouïe, abolie à gauche, très faible à droite.
L'examen a été fait par M. le D1' Gellé qui a formulé les conclusions suivantes :
L'oreille gauche, totalement sourde, offre une caisse du tympan normale, et un
appareil d'accommodation normal donc surdité nerveuse.
Le 7 mai 90, l'examen de la sensibilité permet de constater la dissociation sy-
ringomyélique sur le bras gauche. Le tact est bien conservé (pinceau),
la douleur n'est pas perçue, - le froid et le chaud sentis comme un contact.
(il suivre) Henry Meige
Fig. 31 et 32. ,
NOTES ICONOGRAPHIQUES
SUR L'HISTOIRE DE LA TRÉPANATION.
Dans le cours de recherches sur la médecine opératoire du crâne et du
cerveau, notre attention a été adirée par un certain nombre de documents
iconographiques, auxquels nous consacrerons quelques notes très brè-
ves. Celle que nous publions aujourd'hui contient des dessins empruntés
au Livre de chirurgie d'A. Cruce (1573) et à l'Encyclopédie ('177.). Il est
curieux de voir combien en ces deux cents ans, la pratique et le matériel
de la trépanation ont peu varié. Du reste, les divergences seraient égale-
ment bien minimes si nous comparions aux instruments des chirurgiens
du XVIe ou du XVIII0 siècle ceux qu'on employait il y a encore une tren-
taine d'années. C'est ainsi que sauf le trépan il pyramide mobile (trépan
de Bichat) la planche de l'atlas de Von Bruns atlas de chirurgie classi-
que en Allemagne vers 18G0 reproduit presque exactement la planche
de l'encyclopédie : ce n'est que dans ces toutes dernières années que la
chirurgie cranio-cérébrale a pris l'essor opératoire qu'elle méritait.
1. La chirurgie d'iL Cruce. « Cruceius ou A. Cruce (Jean André),
dit M. Hahn dans une notice bibliographique du dictionnaire Dechambre,
était de Venise et ilorissait vers 1500. Après avoir servi en qualité de chi-
rurgien sur les flottes vénitiennes il enseigna la chirurgie avec éclat dans
sa ville natale. Il a publié un ouvrage sur les découvertes en chirurgie fai-
tes avant lui et intitulé : « Ghirurgia universelle e perfetta » Venise 1583
et 1605, in-folio, divisé en 7 livres. Le même ouvrage a paru en latin
sous le titre de Ghir1trgiæ universalisopus absolunem Venesiis 1596, in-
folio ». Ces renseignements ne nous semblent pas tout à fait exacts, car la
Bibliothèque de la Faculté de médecine possède un exemplaire d'A. Cruce
en latin daté de 1573, et dont voici le titre exact. CIIIBUBGIAE j 1 JOAN-
NIS ANDREÆ A CUUCE 1 VENETI MEDICI 1 LIBIII SEPTEiVI 1
Quant plllrimis t)M<n(MtCM{0 ? 'itMM imaginibus Arti Ghi1'1wgicæ opportunis 1
suis locis exornali Theonicam Practicam ac verissimam 1 Experientiat
continentes 1 I\ QUIBUS EA mll'\IA QU.11 OPTI1(0 CIIIRUHGO in CUn.l1\DIS 1 \'UL-
1\I : BIBUS CONVENIRE 1'ID1.1\"rUn, OIIDI\1 QUODAM I AIIPLISSI5f0 C01CI.nII POS-
SUi\'T : 1 NUi"\C PRIMUM IN LUCEM EDI'1'1 1 GU1/t Indice copiosissimo
1'mun omnium memoJ'(/bili7lln 1 CUM l'BLVII.I ? G11S 1 VENETllS 1
NOTES ICONOGRAPHIQUES SUR L'IIISTOIRE DE LA TRÉPANATION N 293
APUD JORDANUM ZILETTUM, 1573. - Enfin l'exemplaire de 142 feuil-
les doubles in quarto, se termine par la mention VENETIIS, Aud Jorda-
num Zilettuzz 1 MOLXXIII.
Le traité de Andréa a. Cruce contient sept livres. Le premier qui étudie
la tète occupe à lui seul plus de la moitié de l'ouvrage : c'est avec le Traité
des fractures du crâne de Bérenger de Carpi (1535) et le Traité des plaies
de télé de Paré (1561), l'un des documents les plus curieux que nous pos-
sédions sur la chirurgie cranio-cérébrale du XVI" siècle. Du reste, si l'au-
teur vénitien connaît Bérenger de Carpi, il ignore ou paraît ignorer le tra-
vail de Paré, à peu près contemporain.
Andréa a Cruce, après quelques notions anatomiques sur le crâne, étu-
die les symptômes, externes et internes de ses fractures : « Casus, vonaitus,
vertigo, obcoecatio, sanguinis ore, a1l1'ibus mit naribus e1ll(lIIatio, ob1llutes-
centia, stupor, rigor febris, paralysis, apoplexis ehilepsa, conc7clsio, delirium
s01llnus super fluus, membrane denigratio, et 'lJ1ÛlIeris siccitas e : ri1llia ».
Sur tout ceci, rien de bien particulier à noter.
Plus curieux sont les préceptes thérapeutiques que nous trouvons en-
suite, et parmi eux quelques-uns valent certes la peine d'être notés. « Dès
que le médecin arrive près du malade, il doit de suite faire raser les che-
veux autour de la plaie puis bien peser en son esprit les manoeuvres qu'il
va pratiquer ; si la plaie contient un fragment de pierre, ou de bois ou de
fer, ou d'os fracturé ou des cheveux, qu'il les enlève avec ses doigts, une
pince ou quelque autre instrument, « cito atque eleganter ». S'il y a une
dépression du crâne qu'il puisse réduire, ou une pièce détachée qu'il puisse
enlever, il le fera, de même que si la plaie de la peau n'est pas assez grande,
il l'agrandira. Le patient sera laissé en lieu obscur, et, lui promettant la
guérison, le chirurgien l'exhortera à la tranquillité, à la patience, à l'o-
béissance et il la gaieté ; tout en disant, à son jugement, la vérité aux as-
sistants, amis et parents ». En outre, il prendra soin de placer le malade
en bon air, il veillera sur sa nourriture et sa boisson, sur ses évacuations,
sur ses heures de sommeil et de veille, et lui évitera toute émotion.
La manière de traiter chacune des diverses places de tôle. « La simple
et légère plaie de tête la contusion sans solution de continuité ou frac-
ture manifeste du crâne la plaie contuse sans fracture la fracture
sans plaie du cuir chevelu et sans lésion des membranes la fracture ou-
verte avec ou sans lésion des membranes ; cette manière est l'objet de pré-
ceptes nombreux, sur lesquels nous n'insistons point, ayant l'intention d'y
revenir dans une note ultérieure sur le Traité des plaies de tête de Paré.
Le côté M'aiment original du livre d'A. Cruce, c'est le côté iconographi-
que ; on ne saurait se figurer l'innombrable quantité de trépans, de tariè-
res, d'instruments divers utilisables pour la perforation du crâne qui y
2C11 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
sont figurés. Il est du reste bien évident qu'A. Cruce n'en est point l'in-
venteur, et qu'ils faisaient partie de l'arsenal chirurgical de l'époque, puis-
que Paré qu'A. Cruce ne connaît point, nous l'avons déjà dit, avait
figuré, 12 ans avant lui bon nombre de ces « ferrements ». Ajoutons qu'on
peut en faire remonter quelques-uns à IIippocrate, à Chauliac, il Vigo, à
Bérenger de Carpi, mais que la plupart restent d'origine inconnue.
Citons les pinces (rolselli) assez analogues aux pinces à dissection ordi-
naires, les pinces ci os (forceps morclens, ossifrangens, uttructor), les cro-
chets (raspaloria) pour soulever les fragments osseux peu adhérents, les
scies (serrulie) qui ressemblent singulièrement aux scies il crête de coq
d'aujourd'hui, les ciseaux (<c6-, cyclisca), pour élargir les fentes de frac-
ture, soit avec la main, soit avec le maillet (malleolus). Les bords de l'ori-
fice crânien étaient égalisés avec le couteau lenticulaire (phacotus), portant
à son extrémité une lenlille pour ne point piquer la dure-mère; les mé-
ninges pendant les différentes manoeuvres étaient protégées il l'aide des
méningophylax, insinués enlrel'os et la dure-mère,
Fig. 33.
Fig. 34.
Fig. 35.
NOTES ICONOGRAPHIQUES SUR L'HISTOIRE DE LA TRÉPANATION 295
La perforation du crâne se faisait avec les tarières ou les trépans. On
leur faisait décrire ou bien des demi-cercles dans un sens puis dans l'au-
tre, ou hien des cercles toujours dans le même sens. Le premier mouve-
Fin-. 26.
Fig 37.
Fig. 38
296 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
ment était obtenu, soit en faisant rouler le manche de l'instrument dans
la paume de la main autour de son axe de droite à gauche, puis de gauche
à droite, soit avec un archet, en appuyant au menton la palette mobile su-
périeure. Les circulaires complets s'obtenaient, soit avec un manche en T
manoeuvré comme celui des vrilles ordinaires, soit avec un ruban formant
ficelle de toupie, soit avec un arbre excentrique comme celui des trépans
actuels.
Fig. 39.
NOTES ICONOGRAPHIQUES SUR L'HISTOIRE DE LA TRÉPANATION 291
Ces mécanismes mettaient en action, soit un foret, soit une tarière py-
ramidale, soit une tarière à ailes (terrera duaGzus, quatuor, placrimis, alis
muni la), soit une tarière en pomme de pin, soit une tarière à plusieurs
pointes (tebrera izzcccizcctcc), soit enfin une couronne. A. Cruce donne la
ligure de couronnes sans dents, de couronnes ordinaires à dents et surtout
de nombreux dessus des pièces imaginées pour empêcher la couronne
d'enfoncer dans le crâne, pour rendre le trépan « ahaptiston ». Ce sont
souvent des ailes en plus ou moins grand nombre, ou des pyramides à base
supérieure, à pointe inférieure se confondant avec les dents de la scie, et
groupées autour de la couronne. Tous ces modèles ne sont que des déri-
vés du « divinmn inst1'1wwntwn mBsjlulat1l1n » de Jean de Vigo (1517).
D'autres couronnes étaient rendues « ahaptiston » par un rebord plus ou
moins saillant et plus ou moins haut placé - moyen indiqué déjà par Ga-
lien. Enfin, il était tout naturel de rendre ce rebord mobile, en en fai-
sant un cylindre engainant la couronne et montant ou descendant il l'aide
d'un pas de is ou bien, en perçant la couronne de trous placés à diverses
Fig. 40.
Fig. 41.
Fig. 2.
Fis. 43.
298 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
hauteurs et dans lesquels on introduit des chevilles : modification que note
déjà Guy de Chauliac (1363). -
Ajoutons qu'un instrument spécial permettait de manoeuvrer sans dan-
ger tarières ou couronnes même lors de fractures comminutives : C'était le
triploïde dont les trois pieds appuyaient au-delà des fragments mobiles sur
les parties solides du crâne.
L'ouvrage de Cruce, en dehors des dessins purement techniques dont
nous venons de parler, contient trois curieuses compositions qui nous ini-
tient à ce que pouvait être à la lin du XVI" siècle en Italie une opération
chirurgicale. Le patient couché sur le ventre, retenu par des liens ou par
les draps bien sanglés, les bras libres ou non, suivant certes qu'il était plus
ou moins « raisonnable » avait la face appuyée sur un oreiller, et, l'opé-
ration se faisant sans anesthésiques, criait tout il son aise. Pendant ce
temps, le chirurgien écarte les hords de la fente osseuse (Pl.111VIII)
ou trépane, soit avec le trépan à main (Pl. XXXIX) soit avec le trépan
à villebrequin (I'1. XL). Quant au personnage à l'allure doctorale qui
se tient debout auprès de lui, c'est très vraisemblablement le médecin
dédaigneux de toucher il la plaie, et qui se contente de donner des con-
seils, de la voix et du geste, en éclairant le champ opératoire; les aides
chirurgiens étalent le cérat, roulent des bandes, font chauffer les linges,
ce qu'on regardait comme d'une importance capitale. Il était même bon
Fig. 44.
Fig. 45.
Nouv. Iconographie de la Salpêtrière.
T VI. PI. XXXVIII.
UNE TRÉPANATION A LA FIN DU SEIZIÈME SIÈCLE,
d'après Andréa Cruce de Venise. - L'opérateur parait écarter les bords de la fente osseuse à l'aide du ciseau.
L. BATTAILLE ET CI°, LUITEUftS.
Nouv. Iconograpille de la Salpêtrière
T. VI. PI. XXXIX.
L'opérateur, sur les conseils du médecin qui éclaire et « réchauffe » la plaie, trépane il l'aide du trépan : '1 main.
D'après le même auteur.
L. f3.vrrw.cr sT et C", l;nmun·.
Nouv. Iconographie de la Salpêtrière.
T. VI. PI. XL.
L'opérateur se sert d'un trépan manoeuvré comme les trépans actuels.
D'après le même auteur.
L. Battaille et CI., Editeurs.
Fig. 46. Les instruments de la trépanation en 11G, d'après l'Encyclopédie. 1 : ne-
poussoir ; 2 et 3 : . Rugnies ; 4 : Trépan exfoliatif ; 5 : Trépan perforatif ; G : Couronne de
trépan ou trépan couronné ; 7 : Pyramide la couronne ; 8 : Coupe d'une couronne et de
sa pyramide ; ) : Clé du trépan; 10 : Tire-fond; 11 : Arbre du trépan; 12 : coupe de la
portion qui reçoit les trépans perforatif, exfoliatif ou couronne; 13 : couteau centiculaire ;
14 et 15 : 5 cevadoires ; 16 : méningophylan ; 11 : Petit levier ou houlette .qui a le înêrfle
usage que l'instrument précédent, '
Nouvelle Iconographie DE la. Salpêtrière
T. VI. PL. XLI.
Pi., xi.i. Un chirurgien trépanant avec le trépan : 1 couronne conique. D'après l'Ency-
clopédie (11115).
L. 13wrTw.i.is et Cie, Éditeurs.
NOTES ICONOGRAPHIQUES SUR L'HISTOIRE DE LA TRÉPANATION 303
de promener de temps en temps à légère distance du champ opératoire un
cautère bien chaud, pour « ranimer les esprits animaux ».
Les personnages accessoires de ces petites scènes sont pris sur le vif et
singulièrement naturels ; n'oublions pas le chien, le chat et les rats
qui semblent des hôtes plus intimes et familiers qu'ils ne sont aujourd'hui.
Enfin jetons un coup d'oeil sur le mobilier élégani'et luxueux figuré par
le dessinateur avant d'abandonner A. Cruce et de passer au XVIIIe siècle.
II. Les instruments de la trépanation au X VIIIE siècle. Fig. 46. - Deux
siècles plus tard, on avait mis de côté la plupart des instruments que nous
venons de voir décrire par A. Cruce. On employait encore les tenailles, le
couteau lenticulaire; les élévatoires, au lieu d'être simplement maniés à la
main, étaient d'ordinaire montés sur le triploïde ou basculaient sur le che-
valet inventé par J. L. Petit et modifié par Louis ; parmi les trépans on em-
ployait le « trépan exfoliatif », qui par rotation, écaillait les couches super-
ficielles du crâne, le trépan « perforatif » terminé par une pointe triangu-
laire, enfin et surtout le trépan « à couronne conique » dont la découverte
remontait à Guillemeau (-1591.) et que Sabatier, en 1796 décrit comme
suit. cc L'arbre du trépan doit être construit de manière que la palette qui
le termine par en haut et l'espèce de boule qui est au milieu roulent sur
leuraxe ; autrement les mains des chirurgiens éprouveraient un frottement
qui lui serait fort incommode. Les couronnes diffèrent en grandeur. Les
plus grandes conviennent le mieux. Elles sont terminées inférieurement par
une scie de forme circulaire dont les dents sont bien affilées. Leur forme
est celle d'un cône tronqué. Cette disposition les empêche d'agir avec au-
tant de promptitude et de facilité, parce qu'elles portent sur tous les points
de l'ouverture que l'on fait au crâne ; mais elle met la dure-mère à l'abri
du déchirement qui pourrait y arriver sans cela... Chaque couronne porte
sa pyramide, c'est-à-dire une lige d'acier pointue, laquelle est fixée à son
milieu au moyen d'une vis qui entre dans un écrou, et qui la surmonte
d'une ligne au plus. Cette pyramide sert à assujettir la couronne sur le
lieu qu'on se propose d'ouvrir, mais comme elle en déborde les dents, et
qu'elle percerait l'épaisseur entière du crâne avant que celles-ci eussent
totalement détaché la pièce osseuse à enlever, on la démonte, quand il le
faul, avec une pièce destinée à cet usage, et qui se nomme la clef de la
pyramide.
C'est du trépan à couronne conique, que se sert l'élégant chirurgien
représenté par l'Encyclopédie (1765), trépanant, après incision cruciale
des parties molles, en manchettes de dentelle, le petit doigt levé XLI.
On sait du reste combien la trépanation était alors à la mode. Tout le
monde cite les 28 trépanations que subit Philippe de Nassau, mais on sait
moins que les grands seigneurs ne dédaignaient pas de faire de cette opé-
304 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
ration une distraction au moins passagère. « Le duc d'Epernon, nous dit
Mlle Aissé dans ses lettres, s'est pris de fantaisie pour la chirurgie ; il sai-
gne et trépane tout ce qui se rencontre. Un cocher, l'autre jour, se cassa
la tète : il le trépana. Je ne sais s'il aurait pu réchapper, mais ce qu'il y a
de sûr, c'est que le pauvre homme fut bientôt expédié avec un pareil chi-
rurgien (1) ».
Ajoutons, pour donnera l'anecdote tout son charme, que le duc d'Eper-
non n'avait jamais fait la moindre étude de médecine.
A. CmPAULT et E. DALE1NE.
(1) Mlle Aissé, Lettres Ii Madame Cctlendrini, 5° édition, 1816, p. 145, lettre X, 1727.
Le gérant : Louis Battaille.
Imp. Vve Luunnôr, 33, ruCd¡¡gBaL'guollcs,l'ai,s.
NOUVELLE ICONOGRAPHIE
DE LA SALPETRIERE
DE LA MORPHOLOGIE
DES CONTRACTURES RÉFLEXES INTRAHYPNOTIQUES
ET DE L'ACTION DE LA SUGGESTION SUR CES CONTRACTURES
Les expériences de M. le professeur Charcot et plus tard celles de M. Hei-
denhain, nous ont fait connaître ce fait intéressant : la friction de la peau
chez des sujets hystériques hypnotisés produit une contracture dans les
muscles du corps.
Si l'on pratique disait Charcot des frictions sur la peau des hypnotisés,
dans le stade de somnambulisme, les muscles sous-jacents se contractent;
cette contracture peut disparaître par les mêmes excitations. M. Charcot et
ses élèves expliquent ce fait par un réflexe automatique sans intervention
d'une cause psychique; M. Heidenhain est du même avis, car pour lui
aussi la conscience n'entre pas en jeu dans la production de ces symptô-
mes. Au contraire, l'école de Nancy suppose une action psychique : le su-
jet hypnotisé sait bien de quoi il s'agit, mais ne peut empêcher le dévelop-
pement des contractures.
Nous ne trouvons aucune autre explication dans les littératures fran-
çaise et allemande. Mais des médecins hongrois ont ci té des faits remarqua-
bles ce sujet. M. le professeur Laufenauer etsurtoutM. le professeur Hogyes
se sont occupé particulièrement des contractures réflexes des hystériques
somnambules. Ils ont donné communication de leurs travaux à la Société
Royale des médecins hongrois de Budapest et à l'académie des Sciences de
cette ville, mais ils n'ont pas eu l'occasion jusqu'ici de publier leurs résul-
tats.
Comme chef de clinique de M. Lau{enaner j'ai eu la bonne fortune d'é-
tudier de près ces phénomènes et de faire il ce sujet diverses expériences.
VI 21
306 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Avant déparier de mes recherches personnelles, je veux rappeler en quel-
ques lignes les résultats très intéressants obtenus par MM. IIogyes et Laurc-
ta2aer.
Ces auteurs éminents ont produit des contractures musculaires chez
différents sujets hypnotisés, (il s'agit de 10 malades hystériques) non seu-
lement par des excitations tactiles mais aussi par des excitations senso-
rielles quelconques. Si nous envisageons les faits décrits par M. Ilogyes, nous
voyons deux types dans l'évolution des contractures, chez plusieurs mala-
des il s'agit d'une hémi-cont1'actufe, c'est-à-dire que sous l'influence d'une
excitation sensorielle la moitié du corps du côté où l'excitation a été por-
tée, entre en contracture ; dans une autre série de malades les contractu-
res se répartissent sur le membre supérieur du côté excité et sur le mem-
bre inférieur du côté opposé. Ce sont les contractures croisées. Si l'exci-
tation porte sur les deux côtés du corps en même temps, la contracture est
bilatérale, généralisée.
M. Horpes est aussi de l'avis de M. Charcot sur la natnre réflexe de ces
contractures. Je ne veux pas détailler les expériences si intéressantes do
MM. Hogyes et Laufenauer ; je me contente de signaler ce fait important,
trouvé par eux, il savoir que des excitations sensorielles quelconques peu-
vent faire naître des contractures réflexes chez des sujets hystériques hyp-
notisés.
Mais je crois devoir donner la description de la méthode d'investigation
employée par M. Hogyes et par moi-même. Nous avons employé comme
excitation tactile le doigt ou le manche du marteau il réflexes ; pour les ex-
citations gustatives nous nous sommes servi de sel pulvérisé, pour les ex-
citations auditives, du diapason. Pour avoir des excitations visuelles
M. Hogyes employait le morceau de papier du campimètre. Le sujet fixant
le bouton du campim8tre comme dans la recherche du champ visuel nous
mettons en mouvement un petit papier'blanc dans les différents méridiens.
Pour étudier l'effet des excitations olfactives, nous avons fait usage d'un
tampon imbibé d'acide acétique. '
Voici comment j'ai été amené il faire ces recherches : Parmi les malades
hystériques de mon service il s'en trouvait une, chez laquelle une excita-
tion quelconque provoquait dans l'état hypnotique une hémicontracture, si
elle agissait sur un côté du corps. Ainsi, si je niellais du sel sur le côté droit
de la langue, le côté droit du corps se contracturait; si je faisais retentir
le diapason près de l'oreille gauche, la contracture se présentait sur le
côté gauche. En faisant agir des excitations sur les deux côtés du corps, la
contracture devenait bilatérale ou généralisée.
J'avais donc dans cette malade un sujet très pratique pour étudier les
circonstances morphologiques de ces contractures, puisqu'elles se manifes-
MORPHOLOGIE DES CONTRACTURES RÉFLEXES INTRAIIYPNOTIQUES 307
taient constamment de la même façon. D'autre part je ne me suis pas con-
tente d'étudier les phénomènes physiologiques, j'ai aussi employé la sug-
gestion. La place me manque pour énumérer les circonstances qui m'ont
conduit à utiliser aussi la suggestion ; j'en signalerai une seulement. C'est
que je croyais que la contracture,' apparaissant toujours d'une manière
prompte et exacte, pouvait être une donnée précise de l'effet de celle sug-
gestion. J'avais donc dans la contracture un phénomène physiologique per-
mettant de mesurer les phénomènes psychologiques.
Dans une série d'expériences, j'ai employé une hallucination négative
comme suggestion, c'est-à-dire, que j'ai exclu une perception sensorielle
par la suggestion. Etant arrivé à une crédulité parfaite par des suggestions
répétées et énergiques, il m'était facile alors de suggérer de la surdité, de
l'amblyopie, etc. Je dois insister sur ce fait que la suggestion doit être
énergique, et elle doit porter sur toutes les variations des aperceptions ; par
exemple si on suggère la surdité, il ne suffit pas de dire au sujet qu'il
est sourd ; il faut énumérer les différents bruits, voix etc. pour lesquels il
doil être sourd. Par les suggestions énergiques je suis parvenu à produire
une surdité telle, que le sujet n'entendait pas le diapason vibrant forte-
ment, et, comme preuve, je constatais que la contracture ne s'effectuait pas;
du même si je suggérais une agousie du côté gauche de la langue, le sel
appliqué sur ce côté ne produisait pas de contracture, mais au moment où
j'ordonnais au malade, de sentir, la contracture, jusqu'ici absente, apparais-
sait tout de suite, etc.
Je dois déjà faire remarquer, que je ne me contentais pas seulement
d'examiner l'effet direct des hallucinations négatives, mais je me deman-
dais aussi, par exemple si une surdité droite n'avait pas quelque influence
sur les autres réflexes sensoriels du même côté ? Je signale tout d'abord le
fail, que la production des autres réflexes est notoirement retardée, ou
même empêchée. J'appelle ce procédé la suggestion indirecte ou héterony-
me. Ce phénomène compliqué trouvera son interprétation ultérieure-
ment.
Enfin j'ai étudié les hallucinations positives. Par exemple je suggérais à
l'individu, qu'il entendit le bruit d'un diapason, alors il n'y avait aucun
bruit. Dans ces cas-là, j'ai observé que cette suggestion verbale suffisait à
produire une hémicontracture semblable à celle que produit un bruit vé-
ritable. De même, si je suggérais au malade qu'il sente du sel sur toute
la langue, une contracture bilatérale se produisait, etc.
Telles sont à grands traits les recherches que j'ai faites. J'entre dès main-
tenant dans la description de mes expériences, en signalant d'avance qu'el-
les m'ont mis dans la possibilité d'élucider le mécanisme et la nature de
308 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
ces contractures intrahypnotiques et d'envisager de près la nature de la
suggestion et la localisation des hallucinations.
En ce qui concerne la valeur de mes recherches, je crois la trouver dans
la possibilité de provoquer des contractures par la suggestion, puisque
nous avons dans ces contractures un index palpable des suggestions psychi-
ques. Naturellement j'ai employé la plus grande réserve pour éviter des
erreurs dans ces recherches, erreurs qui pouvaient d'autant plus facilement
se produire, qu'on doit admettre avec M. Moll : « que la suggestion in-
consciente et involontaire est le plus souvent la source des fautes qui peu-
vent être commises dans les recherches hypnotiques ».
Avant d'exposer mes recherches, je veux rappeler les caractères mor-
phologiques des contractures qui forment la base des expériences sugges-
tives. Notamment, je veux parler des contractures réflexes produites par des
excitations acoustiques, gustatives, olfactives et tactiles et seulement à la fin
aborder les réflexes optiques, lesquels sont plus compliqués que les autres.
Alors seulement en m'appuyant sur la morphologie de ces contractures,
j'étudierai l'effet de la suggestion sur leur production, et pour finir, je don-
nerai une esquisse de ma conception de ces phénomènes.
Le sujet sur lequel j'ai fait mes recherches est une fille de 26 ans, laquelle
présentait depuis plusieurs années les symptômes caractéristiques de la
grande névrose. Pendant le temps qu'elle a été l'objet de mes expériences,
elle avait une anaesthésie cutanée du côté droit, en outre il y avait t une dimi-
nution très accentuée du goût, de l'odorat et de l'ouïe de ce côté. Les réflexes
tendineux étaient fort exagérés. Il y avait un rétrécissement du champ vi-
suel considérable de l'oeil droit, et l'oeil gauche était totalement amblyopi-
que. L'examen du fond de ]'oeil révèle que l'oeil droit est sain ; l'oeil gau-
che présente une choroïdite circonscrite, qui siège en dedans de la papille
et se manifeste par une augmentation du pigment, au milieu duquel ap-
paraît la couleur blanche de la sclérose.
La réaction pupillaire est normale autant à la lumière qu'à l'accomo-
dation. Si l'oeil droit fixe quelque chose, l'oeil gauche se tourne en dehors ;
cet oeil reste en arrière dans tous les autres mouvements. L'amblyopie est
survenue chez la malade après une grande attaque pendant l'année 1892.
Cette cécité hystérique persiste également dans les visions monoculaire,
binoculaire, et stéréoscopique.
L'hypnose s'obtient en faisant fixer un bouton brillant ; le début de cet
état se trahit toujours par une contracture généralisée. Le corps est entiè-
rement tétanique ; la contracture s'efface, si on pratique, par exemple, des
frictions sur la peau.
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière
T VI, PL XLI.
CONTRACTURES PRODUITES PAR LES EXCITATIONS VISUELLES.
MORPHOLOGIE DES CONTRACTURES RÉFLEXES INTRAIIYPNOTIQUES 309
si
Morphologie des contractures hypnotiques.
J'ai déjà mentionné, que chez le sujet en question, il se produit : pendant
l'état hypnotique sous l'influence d'une excitation sensorielle quelcon-
que, une hémicontracture si l'excitation est appliquée sur un côté du corps,
et une contracture généralisée si l'excitation porte sur les deux côtés. Je
commence la description de mes expériences par l'étude des excitations
tactiles. '
Excitations tactiles.
a). Si je frictionne avec la hampe du marteau la peau du côté droit de
la face, malgré l'anesthésie qui siège là, une contracture survient au bout
de quelques secondes. Ce sont les muscles corrugateur et frontal, qui com-
mencent à se'contracturer ; peu de temps après, de petites secousses appa-
raissent dans le muscle orbiculaire de la bouche, enfin le côté droit de la
face tout entier entre en contraction tonique, pendant que les muscles de
la face du côté gauche ne présentent qu'une tonicité peu accentuée. Le
front se ride en plis horizontaux profonds ; le sillon nasolabial s'accen-
tue et les lèvres se disposent comme pour sifller. Cette contracture de la
face est suivie de mouvements des doigts de la main droite ; ils se fléchis-
sent et s'étendent, puis la main se ferme et le bras droit devient rigide tout
d'un coup. L'épaule droite est soulevée, le bras est en totalité étendu et
tourné en dedans ; la main se ferme et entre en extension sur l'articula-
tion métacarpienne. Les muscles du cou du côté droit sont eux aussi en
contracture, et la tête est tournée du côté droit. Après la contracture du
bras survient la rigidité du membre inférieur droit. Cette rigidité tonique
débute dans les orteils par des mouvements pareils à ceuxque nous venons
de voir se produire aux doigts. La position du membre inférieur droit
après la contracture est la suivante : le pied est en flexion plantaire, le
genou est fortement plié et tout le membre est en adduction. Nous voyons
donc, que la contracture débute par des mouvements dans les petits mus-
cles ; les doigts de la main comme les orteils du pied présentent cet état
avant la rigidité totale des membres. J'insiste aussi sur le fait qu'avant l'é- -
volution complète de la contracture les muscles sont flasques.
Pendant que la contracture se manifeste toujours de la même façon à la
face et au bras, on observe à la jambe des différences, qui tiennent à la
situation du corps. Si la' malade est assise ? la contracture survient de la
façon précédemment décrite ; mais si elle est couchée, la contracture s'ef-
fectue de la même façon qu'au bras, que le membre.inférieur
n'est pas plié au niveau du genou, mais étendu en totalité. '
310 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
b. La contracture siège au côté gauche, si l'excitation tactile est appli-
quée à la face gauche.
c. Si je frictionne le milieu du crâne, une contracture généralisée se
produit. L'évolution est toujours la même, comme pour l'hémicontractu-
re, seulement la contracture survient à la fois des. deux côtés.
Les contractures s'effectuent en 15-20 secondes. Les photographies ci-
jointes la mettent bien en évidence (I'1. XLII et XLIII). En variant le point
d'excitation, l'évolution des contractures varie aussi, mais ce sont toujours
les muscles excités qui se contractent les premiers. Ainsi, si l'excitation
était faite sur le pied droit, c'est une flexion plantaire, qui survenait la
première; puis le membre inférieur se contractait, bientôt suivi de la
contracture des muscles du bras et de la face. Si l'excitation était appliquée
sur la main, l'ordre du développement des contractures était le suivant :
la main, le bras, la face, et en dernier. lieu l'extrémité inférieure.
Nous arrivons par ces faits expérimentaux il la conclusion, que le déve-
loppement de la contracture suit la propriété fonctionnelle; par exemple :
l'excitation du bras produit en premier lieu une contracture du bras, l'ex-
citation du membre inférieur, la contracture de celui-ci.
La propagation des contractures se produit vraisemblablementd'aprèsdes
règles anatomiques, analogues il celles, que nous observons pour l'évolution
des convulsions dans l'épilepsie Jacksonienne.
Quel est le sort de ces contractures ? .
Elles persistent sans se modifier, mais si nous employons une excitation
nouvelle soit de la peau soit de l'ouïe ou des autres appareils sensoriels,
les contractures disparaissent. Par exemple, si je fais des frictions sur la
peau du pied quand les muscles sont contracturés, la disparition commence
à se manifester au pied par les mêmes mouvements de flexion et d'extension,
que nous venons de décrire pour l'apparition de la contracture, el se pro-
page dans le même ordre. Avant la disparition complète le sujet pousse un
soupir, ce qui prouve que les muscles respiratoires étaient eux aussi con-
tracturés. Les contractures peuvent être détruites par des excitations quel-
conques, il n'est pas nécessaire d'employer la même excitation qui a serv 1'
a les produire ; ainsi je peux par une excitation acoustique, près de l'oreille
du même côté du corps, faire disparaître une contracture occasionnée par
une excitation ladite.
La disparition s'effectue aussi en 15-20 secondes. ,
Con,cl1ysions : 1. L'excitation- tactile de la peau du côté droit est suivie
d'une llémicontracture localisée sur le côté droit du corps ; de même l'ex-
ci talion appliquée au côté gauche produit une -11 ém i con li-tctui-e,g;i Licli e.
2. L'excitation des parties correspondantes- du corps (par exemple la
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière £ T. VI, PL XLII & XLII7.
PHOTOTYPIE BI-THAUD
HÉMICONTRACTURES PRODUITES PAR DES EXCITATIONS TACTILES
ET GUSTATIVES UNILATÉRALES.
MORPHOLOGIE DES CONTRACTURES RÉFLEXES INTRAIIYPNOTIQUES 311
« glabella ») donne naissance à une contracture bilatérale, c'est-à-dire
que nous voyons survenir une contracture généralisée.
3. La contracture produite peut être effacée par une excitation senso-
rielle quelconque.
4. Si les muscles sont seulement à l'état d'hypertonie, l'excitation re-
nouvelée ne fait pas cesser cette hypertonie, mais détermine une contrac-
ture.
J'insiste enfin sur le fait que l'hémianesthésie observée chez la malade,
ne gêne en rien la production des contractures-provoquées par l'excitation
tactile, elles se produisent avec la même promptitude que du côté gauche
non anesthésique.
Il est nécessaire de faire remarquer aussi que les deux côtés du corps
sont indépendants l'un de l'autre ; c'est-à-dire que s'il y a une hémicon-
tracture droite, et si je frictionne des points de ce côté du corps, l'hémi-
contracture droite se dissipe, mais le côté gauche qui était flasque, devient
contracturé à son tour. D'autre part, nous pouvons longtemps exciter le
même point du corps, sans que l'autre côté se contracte ; seulement si
celle excitation dure très longtemps, l'autre côté se contracte aussi.
Parmi les excitations tactiles, je comprends aussi l'application de l'élec-
tricité. Si j'emploie un courant électrique de 3 milliampères en appliquant
la kathode au côté droit et l'anode au côté gauche, une contracture droite
se manifeste, et inversement, si l'application des électrodes est renversée. Si
j'emploie des courants alternatifs, la contracture survient toujours du côté
où se trouve la kathode ; la variabilité des contractures est très rapide ; si
le courant est de 5-6 milliampères ; elle est plus lente, si celui-ci n'a que
0, - 1 m. ap.
Excitations acoustiques.
Comme excitation acoustique, j'ai employé le diapason (Sol 3) dans la
majorité de mes expériences, mais j'ai aussi expérimenté avec d'autres ex-
citations acoustiques, sans trouver une différence dans l'effet produit. En'
résumant mes recherches, je peux dire :
1. Le son du diapason, appliqué à l'oreille droite produit une hémi-
contracture droite : appliqué à l'oreille gauche, une hémicontracture gau-
che.
2. Si le diapason est posé sur le milieu du cràne, une contracture gé-
néralisée se produit.
Nous voyons donc, que les effets produits par les excitations acoustiques
sont conformes à ceux des excitations tactiles ; l'évolution des contractures
est aussi la même.
312 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Les recherches du transfert à l'égard des excitations acoustiques ont don-
né des résultats assez curieux.
Après une durée de 20 secondes, le diapason appliqué à l'oreille droite
détermine une hémicontracture droite, laquelle entre en résolution après
une minute; alors survient une hémicontracture, gauche. Si le bruit du
diapason cesse, cette hémicontracture gauche disparaît d'elle-même. A ce
moment toute la musculature du corps est en résolution, mais après 4 mi-
nutes une contracture généralisée se manifeste spontanément, laquelle
cesse d'elle-même après 2 1/3 minutes. Les 5 minutes suivantes, les extré-
mités sont, en résolution complète (I'1. XLIV et XLV).
Si nous récapitulons ces différents stades, nous pouvons décrire les pha-
ses suivantes. : .
1. Après une durée de 20 secondes du bruit produit près de l'oreille
droite : hémiconlracture droite : .
2. Après une durée d'une minute continuant à l'oreille droite : l'hé-
micontracture droite cesse, elle est remplacée par une hémicontracture
gauche ; . ,
3. (Le diapason enlevé) après 2 minutes, l'hémicontraéture gauche ces-
se, il y a une résolution complète ; . ,
4. Au bout de 4 minutes une contracture bilatérale survient ;
5. Après 2 1/3 minutes, résolution complète ;
G. Pendant les 5 minutes suivantes, la résolution persiste.
Les expériences suivantes prouvent la similitude des excitations acous-
tiques et des excitations tactiles, en ce sens, que le début des contractures
acoustiques suit aussi la projection fonctionnelle ; c'est-à-dire que la partie,
du corps, qui se trouve la plus proche du diapason vibrant, entre la pre-
mière en contracture. Ainsi : .
1. Si le diaparon sonne à l'oreille gauche, les muscles de la face se con-
tractent les premiers (après une période de petits mouvements) et sont
suivis par ceux du bras et du membre inférieur gauchos; en définitive, une
hémicontràcture gauche se présente. La résolution suit le même ordre.
2. Si le diapason est posé au-dessus de la main, c'est le'bras qui com-
mence la série des contractures, et bientôt suivent les coiiti,.tc[Lti-esdLt moiii-
bre inférieur et de la face. '
3. La contracture débuté dans le membre inférieur et gagne aussitôt le
bras et la face, si le diapason est situé au-dessus du pied.
4. Si-nous mettons le diapason au-dessous du. pied pour déterminer une
résolution d'une hémicontracture, alors c'est le membre inférieur, qui
entre en résolution le premier pour être bientôt suivi par' la résolution de
la contracture du bras et de la face.
Je constate, que le sujet peut indiquer le lieu où le diapason.est placée
Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière T. VI, PL XLIV & XLV.
PHOTOTYPIE B1 ? THAUD
CONTRACTURES PRODUITES PAR DES EXCITATIONS AUDITIVES
ET VISUELLES.
MORPHOLOGIE DES CONTRACTURES RÉFLEXES INTRADI PNOTIQUES 313
si même nous fermons ses yeux ; il éprouve une sensation de picotement
et de fourmillement à cet endroit. Ces sensations subjectives expliquent
les contractures acoustiques ; ce sont des sensations de la peau analogues
aux excitations tactiles.
Le son du diapason a un effet assez intéressant sur les mouvements des
yeux; si nous le posons au-dessus du front, alors les yeux se tournent en
haut : de même ils se tournent en bas, si le diapason vibre au-dessous du
menton, et c'est la même chose pour le diapason posé au côté droit ou gau-
che les yeux se tournent toujours du côté d'où le son vient. Si nous en-
levons brusquement le diapason, les yeux restent tournés dans la direction
du diapason entendu.
Les yeux se tournent donc, vers la source du son, suivant en association
le bruit du diapason. Le bruit cessant brusquement, ils restent fixés en
contracture dans la direction prise. Ce fait intéressant fût découvert par
M. liogyes.
Excitations gustatives.
Les contractures provoquées par des excitations gustatives se manifes-
tent conformément à celles des excitations tactiles et acoustiques.
1. Si nous mettons du sel pulvérisé sur le côté gauche de la langue tirée
il survient une hémicontracture gauche dont les modalités sont analogues
aux autres déjà décrites; l'excitation gustative du côté droit de la langue
détermine une hémicontracture droite.
2. En mettant du sel sur le bout de la langue, c'est-à-dire sur les deux
côtés, une contracture généralisée apparaît.
Excitations olfactives.
Il en est exactement de même pour les excitations olfactives.
Excitations optiques.
Tous les réflexes étudiés jusqu'ici, c'est-à-dire tactiles, acoustiques, gus-
tatifs et olfactifs, sont caractérisés en général par ce fait qu'ils apparais-
sent toujours et exclusivement du côté où l'excitation agissait. Le diapa-
pason vibrant à l'oreille gauche, donnait une hémicontracture gauche ;
excitant avec le sel la moitié droite de la langue, nous avions une hémi-
contracture droite, etc. Seulement l'excitation bilatérale produisait une
contracture bilatérale.
Très différents sont les réflexes qui apparaissent à la suite de l'excita-
tion de lui). Tandis que les expériences déjà décrites démontrèrent, qu'ci
l'excitation unilatérale de l'un quelconque des appareils sensoriels corres-
pondait une contracture unilatérale (hémicontracture), l'irritation de la
314 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
rétine unilatérale donne au contraire une contracture bilatérale. Si par ex-
emple l'oeil gauche fixe une lumière ou le bouton blanc du campimôtre,
c'est-à-dire si la macule jaune se tourne vers ce point brillant, alors apparaît
une contracture totale ou bilatérale. Donc, il faut admettre que l'excitation
unilatérale du nerf optique produit une contracture bilatérale.
Le réflexe rétinien produit-il donc toujours une contracture bilatérale ?
Mes expériences ont démontré, qu'on peut provoquer aussi une hémi-
contracture en excitant la rétine, de la manière suivante :
Irritons la rétine latéralement, de-telle façon que l'excitation soit locali-
sée exclusivement sur la moitié temporale ou nasale de la rétine. Expéri-
mentons d'abord avec l'oeil droit.
Le malade fixe avec ses yeux le bouton du campimètre, le cercle étant
dans le plan horizontal. En conduisant la petite carte blanche, comme ob-
jet lumineux excitateur de dehors en dedans, j'excite la moitié nasale de
l'oeil droit. Au moment, où l'objet excitant est arrivé à peu près à 80 de-
grés, la moitié droite du corps fait un mouvement convulsif et devientrai-
de. Nous avons produit une hémicontracture droite, pendant que la moitié
gauche restait tout à fait flasque (fig. 47).
Puis nous excitons la moitié temporale de l'oeil droit. Maintenant l'ob-
jet excitant produit à 40-50 degrés une hémicontraclure gauche pendanl que
la moitié droite du corps reste flasque. En résumant les réflexes qui se
rapportent à l'oeil droit, nous voyons que :
1. L'excitation de la macule jaune; (l'excitation étant portée dans le plan
vertical passant par la macule jaune) produit une contracture bilatérale.
2. L'excitation du côté nasal de la rétine droite produit une hémicon-
tracture droite.
3. L'excitation du côté temporal delà rétine droite donne une hémicon-
tracture gauche.
Fig. 47.
MORPHOLOGIE DES CONTRACTURES RÉFLEXES INTRAnYPNOTIQUES 315
Examinons maintenant l'oeil gauche, qui est atteint, comme nous le
savons, de cécité hystérique. Malgré cet état nous pouvons produire les
réflexes rétiniens. Et voici ce qu'on observe :
1. L'excitation de la macule jaune, dans le plan vertical, produit une
contracture bilatérale. Ce qui s'accorde avec le résultat, que nous avons
obtenu avec l'excitation de l'oeil droit.
2. L'excitation de la moitié temporale de la rétine gauche produit une
hémicontracture droite.
3. L'excitation du côté nasal de la rétine gauche produit une hémicon-
tracture gauche.
Ainsi en résumant tous les réflexes optiques, nous pouvons les grouper
de la manière suivante :
1. Une contracture bilatérale apparaît chaque fois que nous excitons
l'oeil droit ou le gauche au niveau de la macule jaune ou dans le plan ver-
tical qui passe par celle-ci.
2. Une hémicontracture droite sera le résultai de l'excitation du côté
nasal de la rétine de l'oeil droit ou du côté temporal de la rétine de l'oeil
gauche.
3. Une hemicontractnre gauche sera produite en excitant le côté tempo-
ral de la rétine de l'oeil droit et le côté nasal de la rétine de l'oeil gau-
che. '
Par ces résultats nous voyons tout de suite, que nous pouvons produire
des hémicontractures homonymes en excitant les moitiés homonymes des
deux rétines qui fonctionnent simultanément. Ainsi l'analogie avec l'hé-
miopie homonyme est évidente, et puisque l'hémianopsie est explicable
par la sémidécussation optique, nous ne pouvons chercher le motif des
réflexes de la rétine que dans cette décussation même.
Par conséquent nouspouvons établir le mécanisme des réflexes rétiniens
de la manière suivante.
L'excitation produite par la lumière, parvient le long du nerf optique
au tubercule antérieur du corps quadrijumeau, centre optique subcortical,
ou au lobe occipital, centre cortical ; duquel de ces deux points passe-t-elle
à la voie molrice ? c'est ce que démontrent mes autres déductions. Ces
dernières ont prouvé avec précision, que les réflexes intrahypnotiquessont
produits par un mécanisme cortical et ainsi nous sommes forcés de suppo-
ser, que les réflexes de la réline passent aussi de l'écorce occipitale aux
circonvolutions motrices. Donc l'excitation, produite par la lumière sur le
côté nasal de la rétine droite, suit le chiasma optique, et en conséquence
parvient il l'autre côté, au lobe occipital gauche. D'ici l'excitation passe il
l'écorce motrice gauche et puisque les faisceaux pyramidaux se croisent
316 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
au-dessous du bulbe, il est évident, que l'excitation passe de nouveau au
côté droit : ainsi le résultat sera une hémicontracture droite.
Par ce mécanisme nous pouvons comprendre sans peine, que l'irritation
de la moitié temporale de la rétine droite et de la moitié nasale de la réti-
ne gauche produira chaque fois une hémicontracture gauche, l'irritation
des moitiés opposées des rétines donnera une hémicontracture droite. De
cette manière le problème des hémicontractures trouve son explication.
Mais comment expliquons-nous la contracture bilatérale, qui se présente
lors de l'excitation de la macule jaune ? Tout simplement par cette raison
que la macula lutea d'un oeil est liée aux deux centres subcorbicaux (1Ve¡,-
oiclie), et ainsi en excitant une macule jaune, les deux centres se trouvent
excités en même temps. Par suite le réflexe suit en même temps les deux
faisceaux pyramidaux : le résultat ne peut être qu'une contracture bila-
térale.
Les réflexes du nerf optique nous donnent ainsi un moyen expérimental,
avec lequel nous pouvons déterminer, comment se rendent il la réline le
fascicule croisé et non-croisé de l'opticus ? Nous le constatons très simple-
ment, en déterminant avec le campimètre les contractures de la manière
suivante.
Expérimentons avec, l'oeil droit, dirigeons l'arc du campimètre dans le
méridien vertical et procédons avec la carte blanche en excitant de bas en
haut. Nous voyons, que quand la macula lzetéa de l'oeil droit regarde le
bouton du campimètre à 78 degrés, il se produit une contracture bilaté-
rale.
Un fait caractéristique de cette contracture, c'est qu'elle apparaît dans
la musculature des deux moitiés du corps tout d'un coup et avec une inten-
sité égale. Les membres des deux côtés, au moment où la carte blanche du
campimètre arrive à 78 degrés, se raidissent et la catalepsie tétanique des
extrémités droites est identique à celle des extrémités du côté gauche. z
Si nous avançons avec la carte excitante jusqu'au point 0, nous ne pouvons
pas modifier la contracture déjà développée ni dans son extension, ni dans
sa qualité. Il faut remarquer en outre un fait important : c'est que si nous
procédons du centre à la périphérie de l'arc c'est-à-dire dans le sens cen-
trifuge, la contracture bilatérale se résout au même point où les membres
sont devenus tétaniques, savoir à 780. Après avoir fait disparaître la
contracture bilatérale, dirigeons l'arc du campimètre à 30 degrés vers le
dehors, et procédons à l'excitation delà rétine vers le centre. Nous voyons
qu'à 87° la contracture bilatérale se présente tout d'un coup, mais non pas
avec la même intensité, parce que pendant que le bras et le pied droit sont
dans une catalepsie tétanique, le bras et le pied gauche soûl seulement
dans un étal d'hypertonio notable. En conduisant la carte excitante vers
MORPHOLOGIE DES CONTRACTURES RÉFLEXES INTRAUYPNOTIQUES 317
le centre, à 70-68° l'hypertonie gauche se change en catalepsie, analogue
à celle que nous voyons à la moitié droite. La marche de l'excitation vers
le centre ne change pas la contracture bilatérale déjà égale.
Maintenant, éloignons-nous de nouveau de 30°, du plan médian jusqu'au
méridien marqué 120° dans la table campimétrique. Ayant relâché la con-
tracture précédente, nous renouvelons l'irritation, et ainsi nous voyons
qu'à 76° le résultat ne sera qu'une hémicontracture droite, tandis que la
moitié gauche du corps reste tout à fait flasque. En avançant vers le centre
nous produisons à 52° une catalepsie tétanique momentanée à gauche. En-
fin, en dirigeant l'arc du campimètre dans le méridian horizontal, nous
voyons, que nous avons à 70°-80° seulement une hémicontracture droite,
à laquelle une hémicontracture gauche exactement correspondante ne s'a-
joute qu'il 488°-50°. En procédant vers le centre, nous ne pouvons pas mo-
difier la contracture bilatérale; mais si nous amenons la carte irritante du
centre vers la périphérie, nous pouvons constater, qu'à 50° s'efface l'hé-
micontracture gauche et il 800 l'hémicontracture droite.
Résumons les résultats que nous avons obtenu jusqu'ici :
Irritant le quart supérieur nasal de l'oeil droit nous avons vu que, l'ex-
citation dans le plan vertical à la macula lutea donna une hémicontrac-
ture bilatérale, qui se produisit dans les deux moitiés du corps au même
moment et avec la même intensité. A mesure que nous nous éloignons du
plan médian vers le méridian horizontal, nous produisons une hémicon-
tracture se formant indépendamment à droite, pendant que ],hémicontrac-
ture gauche se joint (seulement à l'excitation des points plus centraux de
la rétine) à l'hémicontracture droite déjà développée.
En renouvelant ce procédé expérimental pour le quart nasal inférieur
de l'oeil droit, nous obtiendrons le même résultat; plus nous nous appro-
chons du plan médian, plus s'approche le point de la rétine qui produit
la contracture gauche, du point de la rétine qui donne une catalepsie droite.
L'excitation étant portée en haut du méridien vertical, nous avons à 78°
une contracture bilatérale. Pour nous expliquer en peu de mots nous pou-
vons dire : bien que l'irritation du côté nasal de la rétine droite produise
non seulement une hémicontracture droite, mais encore une hémicontrac-
turegauche, néanmoins l'hémicontracture droite se présente à l'irritation
des points plus périphériques de la rétine, tandis que la catalepsie gauche
apparaît avec l'excitation des points de la rétine plus centraux, plus voi-
sins de la macula lutea. Ces deux sortes de points, qui produisent une hé-
micontracture droite et gauche, sont éloignés l'un de l'autre au méridien
horizontal, tandis qu'ils coïncident dans le plan vertical passant par la ma-
cula lutea.
Procédons maintenant à l'irritation du côté temporal de la rétine droite.
318 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
D'après ce qui vient d'être dit nous pouvons résumer brièvement nos résul-
tats. En excitant dans le méridien horizontal, nous obtenons d'abord (par
suite de l'excitation d'un point plus périphérique) une hémicontracture
gauche (720), tandis que l'hémicontracture droite se présente à l'excilalion
d'un point plus central. Pour la moitié temporale de la rétine droite le fait,
qu'on peut comparer avec ce qui se passe pour la moitié nasale, esl in-
verse ; ces deux sortes de points s'approchent de plus en plus au sur et à
mesure que nous approchons du plan médian.
En opérant pour la rétine droite en toutes ses parties avec le campimètre
de la manière précédemment détaillée, nous voyons qu'en la partie péri-
phérique de la rétine il y a des séries de points de deux espèces, lesquels
réunis, donnent des courbes ou des cercles de deux espèces. Par l'excita-
tion des points de l'un des cercles nous produisons une hémicontractures
droite, par l'excitation des points de l'autre cercle une hémicontracture
gauche. Ces deux cercles ne coïncident pas, mais ils sont séparés l'un de
l'autre à peu près de 20-30 degrés, et ainsi il faut qu'ils se coupent. Ces
deux points d'intersection sont situés l'un et l'autre sur le plan méridien
vertical du point fixe. Là coïncident donc les deux espèces de points, qui
produisent une hémicontracture droite et gauche; ainsi il faut, qu'à l'ex-
citation faite en ces deux points, corresponde une contracture bilatérale, ce
que démontrent mes expériences souvent répétées.
La série des points périphériques de la moitié nasale de la rétine, re-
présente le lieu des points de la rétine dont l'irritation donne une hémi-
contracture droite, tandis que la série de points plus centraux constitue
le lieu des points dont l'excitation produit une hémicontracture gauche.
Sur la moitié temporale de la rétine droite sont situées les deux séries de
points inverses; savoir, les points qui donnent une hémiconlracture droite
et qui ont un siège plus central, et ceux, dont l'irritation produit une hémi-
contracture gauche, situés à la périphérie.
Maintenant nous pouvons résumer très brièvement nos expériences dé-
taillées sur l'oeil gauche. Ici nous pouvons démontrer sur la rétine aussi
des points de deux espèces, situés sur deux arcs, dont l'excitation produit
seulement une hémicontracture droite ou gauche. Les deux arcs se coupent
dans le plan médian, vertical passant par la macula lutea, et de l'irrita-
tion des deux points d'intersection résulte aussi une contracture bilatérale.
Ces deux arcs se comportent, comme des moitiés rétiniennes à fonction
identique. Pour la moitié temporale de l'oeil gauche : l'irritation des poinls
de l'arc périphérique donne une hémicontracture droite, tandis que l'arc
central donne une hémicontracture gauche ; ce fait coïncide exactement
avec les observations correspondantes de la moitié rétinienne. nasale de
l'oeil droit. Pour la moitié nasale de l'oeil gauche : l'arc périphérique donne
MORPHOLOGIE DES CONTRACTURES RÉFLEXES INTIIAII1PNOTIQUES 319
une hémicontracture gauche, pendant que l'arc central produit une hémi-
contracture gauche ; ce fait coïncide avec les observations de la moitié tem-
porale de la rétine de l'oeil droit.
Ainsi nous avons traité la morphologie bien compliquée, mais exacte, des
réflexes de la rétine pendant l'hypnose. Mes conclusions définitives sont
les suivantes :
1. Si nous excitons la rétine droite ou gauche dans un plan vertical pas-
sant par la macula lutea et des deux côtés de celle-ci, nous produirons
toujours une contracture bilatérale.
2. Sur la rétine il y a deux lieux séparés, dont l'irritation produit une
hémicontracture. La partie la plus périphérique nasale de la rétine droite
et la partie la plus périphérique temporale de la rétine gauche produit ex-
clusivement une hémicontracture droite, tandis qu'à l'irritation du segment
le plus périphérique de la rétine droite et du côté nasal de la rétine gau-
che apparaît une hémicontracture gauche.
3. Ces relations des réflexes de la rétine trouvent leur explication dans
la sémidécussation du nerf optique, nous pouvons donc établir la réparti-
tion de l'opticus sur la rétine, en nous appuyant sur nos résultats ; et cela
de la manière suivante.
tv) Le faisceau non-croisé du nerf optique droit occupe par la plupart de
ses filets la moitié temporale de la rétine de l'oeil droit jusqu'à la périphé-
rie de la rétine ; une faible partie dépasse la moitié nasale de la rétine,
mais occupe seulement la région centrale de celle-ci.
b) Le faisceau croisé de l'opticus droit occupe par la plupart de ses fi-
lets la moitié nasale de la rétine de l'oeil droit jusqu'à la périphérie de la
réline; une faible partie dépasse la moitié temporale de la rétine où elle
occupe seulement la région centrale.
c) Le passage réciproque du faisceau croisé et non-croisé de l'opticus
droit (démontré sub. a et b), a lieu dans un plan vertical passant par la
macule jaune.
d) Quant à la rétine de l'oeil gauche, c'est-à-dire à ses moitiés homolo-
gues (temporale et nasale), nous constatons les mêmes particularités que
nous avons dit sub. a, b, et c.
En résumant ces résultats, nous' sommes frappés de cette circonstance,
que nous puissions obtenir seulement du bord le plus périphérique des
moitiés de la rétine une hémicontraclure, tandis que l'irritation des par-
ties plus médianes des moitiés temporales ou nasales de la rétine produit
une hémicontracture opposée. Nous pouvons dire que ce résultat est inté-
ressant, parce qu'en expliquant les relations, des réflexes énumérés avec
la semidécussation du nerf optique, nous avons renvoyé à l'analogie, qui
rapporte ces symptômes à l'hémiopie homonyme bilatérale circonscrite si
320 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
intense. Mais dans l'itéiniopie, la ligne séparant la moitié voyante de la ré-
tine de la moitié aveugle, est située verticalement sur le point fixé et ainsi
elle sépare exactement les deux moitiés de la rétine d'un oeil.
En abordant la question, il ne faut pas oublier, que dans mes recher-
ches il s'agit seulement des contractures réflexes ; la vision ne joue aucun
rôle en produisant ces réflexes, car ces contractures mêmes apparaissent
avec l'excitation des parties de la rétine qui ne fonctionnent pas, même à
l'état normal, comme des points visuels dans la recherche campimétrique ;
et particulièrement dans le cas présent, ou, comme nous le savons, il y a
un rétrécissement concentrique considérable du champ visuel, l'oeil gauche
étant même aveugle tout il fait. Ainsi il faut que nous distinguions - com-
me le fil le premier M. llogyes les parties de la réline qui produisent
Fig. 48.
MORPHOLOGIE DES CONTRACTURES RÉFLEXES INTR.1U1'PNOTIQUES 3 : H
seulement des réflexes, des autres parties dont l'excitation éveille une sen-
sation de la lumière.
Ce disant, je ne veux pas prétendre qu'il existe liI une fonction spéciale
de la rétine, mais j'en veux retenir seulement le fait suivant.
Nous savons, que cette faculté de la rétine de percevoir la lumière se ré-
duit vers la périphérie. Et nous avons vu, que nous obtenons justement les
contractures réflexes des parties les plus périphériques de la rétine qui ne
peuvent pas servir à voir. Delà s'ensuit, que déjà les points moins sensi-
bles de la rétine suffisaient à produire des réflexes optiques. De ce dernier
fait nous pouvons conclure, que les fibres dites surpassantes du nerf opti-
que, vers leurs organes terminaux, ne sont pas assez sensibles pour éveiller
des sensations de lumière, mais suffisent à effectuer des mouvements ré-
flexes. Cette interprétations'accorde avec le fait, qu'avec l'hémiopie homo-
nyme bilatérale nous ne trouvons pas un champ isuel s'étendant à l'autre
côté. Autrement je m'en rapporte à M. Heddens, selon qui la sensibilité
de réflexe des yeux est liée évidemment à des filets nerveux différents des
filets qui servent à la division.
La justesse de cette assertion est évidente aussi dans ce cas ; l'oeil gau-
che comme l'a découvert la recherche stéréoscopique n'est pas sensibleà la
lumière, néanmoins nous en pouvons recevoir tous les réflexes de la rétine.
Pour résumer, j'exprimerai mon opinion en ces termes.
Le faisceau non croisé de l'opticus droit pourvoit à la moitié temporale
de la rétine de l'oeil droit par des filets nerveux éveillant des sentiments de
lumière et en même temps des mouvements, des réflexes ; la moitié nasale
de la rétine possède seulement des fils donnant des réflexes. Le fascicule
non croisé de l'opticus s'étend ci la moitié nasale de la rétine de l'ail droit par
des filets nerveux conduisant des sensations de lumière et des réflexes, il la
moitié temporale avec des filets nerveux donnant seulement des mouvements
réflexes.
Mêmes conclusions pour les parties homologues de la rétine de l'oeil
gauche.
(A suivre)
Chaules SCHAFFER,
Professeur agrégé à la Faculté de Budapest.
vi 22
OSTÉO-ARTHROPATIIIE AIGUË CHEZ UNE ALIÉNÉE
K. S. Z-aïa (1) âgée de 40 ans, mariée, a deux enfants, n'a jamais souf-
fert de maladies somatiques aiguës ou chroniques. Ses règles étaient nor-
males, quoique toujours très abondantes. Avant sa maladie, elle ne pré-
sentait rien d'anormal au point de vue psychique, sauf un amour-propre
exagéré et une certaine tendance il l'affectation. Peu de temps avant l'ap-
parition des troubles psychiques, elle eut une grossesse suivie d'un avorte-
ment. L'apparition des troubles psychiques eut lieuen 1885, vers le 17 avril.
La maladie débuta par un état dépressif et par des accès spasmodiques ;
bientôt ces phénomènes firent place à une période d'excitation motrice,
pendant laquelle la malade se déshabillait, chantait des cantiques et des
chansons, et parfois refusait toute nourriture. Le 17 mai 1885 elle a été
placée à l'hôpital Préobragenscki : La malade est presque immobile; son
visage et ses yeux présentent des signes d'abattement ; elle ne répond pas
aux questions. Elle est très anémique.
18 mai-8 juin. Elle saute d'un lit il l'autre, elle se dépouille de ses
vêtements et ne garde que sa chemise ; elle gesticule, prend des poses plas-
tiques, chuchote, chante en français et en polonais, rarement en russe.
Elle refuse de prendre les remèdes et se donne le titre de docteur. Il y a
des jours où elle reste étendue de tout son long, la tête renversée en ar-
rière, les yeux fermés, les dents serrées, en gardant un silence absolu. Le
sommeil et l'appétit sont satisfaisants.
9 juin-2 juillet. - La malade est plus calme, mais elle continue à chan-
tonner doucement, assise près de la fenêtre.
3 novembre 1885-12 mars 188G. Elle reste étendue sur son lit, se
couvre souvent la tète avec un mouchoir, froisse ses vêlements; elle est
calme, elle répond d'une manière incohérente aux questions qu'on lui
pose.
13 mars 1886-22 décembre 188G. Elle s'est mise peu à peu aux
ouvrages manuels. Elle travaille régulièrement et constamment. Elle est
(1) Les données annmncsliqties auxquelles on a joint la description de la marche de
la maladie jusqu'au ler février 1801, sonl fournies parles observations de l'hôpital pl'éo-
bragencki où la malade a élé placée à deux reprises.
OSTÉO-ARTnIiOPATnIE AIGUË CHEZ UNE ALIÉNÉE 323
indifférente à sa situation; rien ne l'intéresse. On remarque un certain af-
faiblissement de l'activité intellectuelle. L'état général est satisfaisant.
)fui-25 décembre. La malade se plaint de céphalée et garde le lit.
2-4 février. Etat fébrile. Aucun changement dans l'état psychique.
5-6 février. Mal à la tête, vomissement, langue chargée ; la malade
garde le lit.
7 février. Les vomissements ont cessé et la température est redeve-
nue normale ;
8 février, 3 mars. La situation ne s'est pas modifiée.
10-11 mars. La malade se plaint de nouveau de céphalalgie et de
nausées ; elle reste couchée.
29 mars-10 avril. - Céphalalgie.
11 avril-26 septembre. - La malade est calme et n'accuse aucune souf-
france, elle répond assez régulièrement aux questions.
Il y a affaiblissement de la réflexion et de la mémoire. Elle travaille avec
zèle et régularité. L'appétit et le sommeil se maintiennent.
27 septembre. A l'extrémité interne de la clavicule droite on cons-
tate l'apparition d'une enflure dure et douloureuse au toucher; cette dou-
leur persiste à la pression.
A la fin de novembre 1887 ces symptômes douloureux disparaissent.
1.CI' décembre 1887-10 février 1888. Pas de changement dans l'état
psychique et physique. La malade continue à se livrer à divers travaux.
11 février 1888. - La malade est transférée à l'hospice Catherine à
Moscou; elle y reste jusqu'au 26 mars 1890. Pendant cette période l'état
reste stationnaire.
27 mars 1890. La malade est réintégrée à l'hôpital Préobragenski ;
elle est très agitée.
10 avril. - Elle prend aux cheveux une garde-malade qui veut l'obli-
ger à se laver, lui arrache le sceau des mains et cherche à la frapper.
7-11-12-19. La malade est agitée et dort mal.
25. Elle urine sous elle. Le reste du mois elle garde le lit.
1-2-7-9-11-12-17-30 mai. Elle reste couchée.
7-30 juin. Idem.
2-5 juillet. L'appétit est nul. La malade frappe une malade de ses
compagnes et l'expulse de la salle; elle frappe également la garde-malade.
7-9 juillet. - Elle reste au lit.
H-12-lG-18-22 août. Idem.
16-30 septembre. Idem. Pendant tout le mois d'octobre elle reste
couchée.
Le zip. Elle urine sous elle.
A partir du Il,' février 1891, la malade est confiée a ma surveillance.
321 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA sALPIsTItt1 : RU.
État présent La malade est immobile ; elle reste assise ou étendue sur
son lit ; la tension des muscles du cou, du visage, des extrémités infé-
rieures, du dos et du ventre est très prononcée ; la tête est penchée en
avant et il est impossible de lui faire changer de position ; dans la région
de la glabelle la peau forme des rides profondes : les yeux sont fermés ; il
est impossible de soulever les paupières ; les lèvres et la mâchoire sont
serrées ; le visage a une expression morose et mécontente ; les extrémités
supérieures sont fléchies à angle droit et ramenées vers le tronc; les
mains présentent les anomalies suivantes : les doigts, quoique n'étant pas
courbés à la 2c et à la 3° phalange, sont ramenés vers la paume; le pouce
est roide et serré contre la surface radiale de l'index ; par suite de la
pression produite par les doigts, les tissus cutanés de la paume sont usés ;
les tentatives faites pour redresser les doigts causent à la malade une dou-
leur très vive. Dans la région du cou et de la poitrine, la colonne verlé-
brale s'incurve en formant une concavité antérieure; le ventre est en
forme de voûte. Les mouvements passifs dans les articulations radio-car-
piennes rencontrent une grande résistance ; dans les articulations du coude
et de l'épaule, ils sont à peu près impossibles. La tension des muscles des
extrémités inférieures est bien moins prononcée; la malade est incapable
de se lever; si on l'oblige à marcher en la soutenant, elle déplace ses
pieds avec beaucoup de lenteur, sans flexion des articulations du genou ;
les mouvements passifs dans les articulations coxo-fémorale et tibio-tar-
sienne sont possibles, la résistance est insignifiante. L'excitabilité mécani-
que des muscles des troncs nerveux (phénomène facial) n'est pas aug-
mentée. Les réflexes rotnlien et plantaire sont conservés, la sensibilité
douloureuse aussi. Les tissus cutanés sont secs, rudes au toucher et se
rident facilement; ceux des jambes et des pieds sont plus pâles et plus
froids que dans les régions supérieures du corps. Les gencives sont ramol-
lies. L'appétit est bon. (On nourrit la malade). Le sommeil est passable.
La malade garde un silence absolu.
MARCIIE ULTÉRIEURE DE LA MALADIE
1-2 février 1891. La malade urine sous elle.
4-7 Elle chantonne pendant l'espace d'une demi-heure.
18 Elle se mord à la partie inférieure de l'avant-
bras. Il se produit une ecchymose. Interrogée, la malade se met pleurer.
18-22 février. - Apparition des règles.
24-28 La malade garde les aliments dans sa bouche.
2-3 mars. Herpès labialis ? la lèvre inférieure.
20 La malade urine sous elle.
OS'l'LO-.111'f111t01'.1TI11E AIGUË CHEZ UNE ALIÉNÉE 325
24 mars. Ecoulement de salive, sueur visqueuse sur le visage.
30-31 OEdème des pieds ; les tissus cutanés sont pâles. La
quantité d'urine émise dans l'espace de 24 heures est de 1800 centimètres
cubes; sa couleur est jaune paille; elle ne dépose pas et ne contient ni
sucre ni albumine. Constipation.
2 avril. L'oedème des pieds disparait. La constipation persiste pen-
dant tout le mois ; l'évacuation de l'intestin, provoquée par les lavements,
s'effectue du 4e au 5e jour.
Mois de mai. - La constipation persiste pendant toute la durée du
mois.
21-28 mai. Menstrues. Pendant tout le temps qui vient de s'écouler
la malade a gardé un silence absolu.
1-10 juin. La malade chantonne de temps en temps et embrasse les
mains du médecin. Des lâches bleu-pourpre apparaissent aux cuisses.
25 juin. Pendant la nuit il survient un gonflement de l'articulation
cubitale gauche.
26 juin. La température du corps est normale ; la température de la
peau sur la face interne de l'articulation et dans la région inférieure de
l'épaule est relativement plus élevée que sur la face externe où elle est
normale, les tissus cutanés sont pâles, sauf à la surface interne des articu-
lations, où l'on remarque deux taches irrégulières de la grandeur d'une
pièce de 3 kopeks ; ces taches ont une teinte bleuâtre ; on ne remarque ni
oedème ni infiltration du tissu cellulaire sous-cutané; les muscles, princi-
palement ceux du côté antérieur, sont durs ; l'articulation est fusiforme ;
en haut, le gonflement envahit la région inférieure de l'épaule, les tenta-
tives faites pour redresser ou courber l'extrémité occasionnent de la dou-
leur ; la pression exercée sur les tissus mous et les condyles est douloureuse ;
il n'y a pas de fluctuation ; l'extrémité est courbée à angle droit.
27. La température du corps est normale. Les tâches bleuâtres dis-
paraissent sans laisser de traces. Quand on mesure avec un ruban la cir-
conférence de l'articulation, on trouve une différence d'un à 10 centimètres
par rapport au côté sain ; la mesure de l'épaule vers les condyles au moyen
du compas d'épaisseur donne une augmentation de là 1, 5 centimètres.
28-30. - La température est normale. Les phénomènes de tension mus-
culaire décrits plus haut disparaissent progressivement; l'extrémité malade
et les doigts des deux mains demeurent courbés.
ler juillet. Soir t. 38°.
3-6. t. normale.
6. zut. matin 37, 2°, soir 38, 1.
7. t. soir 37, 7°.
9. - OEdème du côté externe de l'articulation et de la région inférieure
326 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
de l'épaule ; à partir du 13 l'intestin commence à fonctionner librement du
3° au 4° jour; dans la région fémorale les lâches bleu-pourpre ont dis-
paru.
21 juillet. Les métatarsiens el les articulations libio-larsiennes des
deux extrémités sont oedémateux ; l'oedème est plus prononcé du côlé gau-
che que du côté droit.
25. L'oedème des extrémités inférieures diminue considérablement.
Le gonflement et la sensibilité de l'articulation cubitale diminuent aussi et
les mouvements passifs y deviennent possibles. La température de la peau
sur la face interne de l'articulation est presque normale. Le réflexe tendi-
neux du muscle triceps du côté sain est fiasque; les réflexes rotuliens sont
plus actifs. L'urine ne présente ni sucre ni albumine. Le sommeil et l'ap-
pétit sont bons.
31. - Apparition de périostite limitée dans la région moyenne de la
jambe gauche.
2 août. Le volume de l'articulation cubitale diminue encore. Sur sa
face interne la température de la peau est normale.
A partir du 4 l'intestm fonctionne normalement. La malade commence
à pouvoir remuer librement le pouce et l'index ; les autres doigts demeu-
rent courbés.
5. - L'oedème du côté externe de l'articulation cubitale disparaît; l'é-
tendue des mouvements passifs s'accroît davantage.
8. - L'codème des extrémités inférieures disparaît. Les doigts des mains
se resserrent de nouveau.
12. La tension des muscles apparaît de nouveau des deux côtés, les
mouvements passifs dans les articulations de l'épaule et du coude rencon-
trent une résistance considérable.
23-24. Herpès à la lèvre supérieure.
28-29. - - La malade urine sous elle.
1er septembre. Les phénomènes de tension musculaire s'accentuent
encore.
3-7. Menstrues ; léger oedème de la plante des pieds.
1` ? -in. Herpès à la lèvre inférieure.
16. La mesure des deux articulations cubitales au moyen du ruban
et du compas d'épaisseur, fournit des chiffres identiques. Les mouvements
de flexion et d'extension redeviennent possibles. La tension musculaire est
considérable.
12. Les phénomènes de tension musculaire disparaissent, sauf dans
le corrugateur du sourcil ; la nutrition musculaire est normale. La malade
continue à garder le silence. Son immobilité est presque complète.
13-17 octobre. La malade prie et se lient à genoux dans l'attitude de
OSTÉO-AHT1tH01'ATIIIE AIGUË CHEZ UNE ALIÉNÉE F 327
la prière. Elle embrasse les mains de ceux qui l'approchent. Elle prie or-
dinairement le matin.
17-25 octobre. La prière finie, elle chante des morceaux d'opéras.
Elle manifeste des penchants sexuels.
25-31. Elle répète pendant des heures entières, en la scandant et en
paraissant y attacher une signification particulière, la phrase suivante :
« ca soie pocleovccnc, ia sebe s grobou ostrtnon ». Elle chante pendant la plus
grande partie du jour. Ses chansons ont un caractère érotique. A l'appro-
che d'un homme, elle se roule sur le plancher, urine et expulse des matiè-
res fécales. A partir du 29 les règles apparaissent. L'appétit augmente.
Poids 129 livres.
1-3 novembre. Les règles continuent. La malade continue à être mal-
propre.
A partir du 4 elle reprend ses habitudes de propreté.
5-30. Elle change constamment de place, chante et prend des poses.
Poids du corps : 126 livres 1/2.
1-14 décembre. Le visage de la malade prend une expression de joie
et de contentement. Elle chante pendant l'espace de 10 heures par jour.
Le sommeil et l'appétit sont bons.
15-20. Elle prend une des malades pour son mari et lui fait des cares-
ses ; quand on essaye de l'en détourner, elle se répand en injures obscènes.
21-22. Elle est immobile; elle est en extase, sont visage offre tout
le temps une expression de bonheur extraordinaire.
22-25. Menstrues. La malade s'égratigne les oreilles, le cou, les ma-
melons ; elle se masturbe ; pendant des journées entières elle danse en exé-
cutant des mouvements rythmiques.
29-31. Elle urine sous elle.
1-14 janvier 1892. Elle déchire et rejette ses vêlements, se masturbe,
prend des poses obscènes ; elle continue il se faire des égratignures ; elle
chante, annonce qu'elle est enceinte et demande de la toile pour faire des
langes il son enfant. Poids du corps : 134 livres.
15-18. Menstrues. La malade annonce qu'elle vient d'accoucher, elle
montre son enfant imaginaire et se masturbe.
19-31. Elle chante plus rarement; elle exécute des mouvements ca-
dencés et continue à prendre des poses. Elle tient des discours ; son langage
est un assemblage de mots informes tirés de différentes langues elle répète
ces néologismes dans un certain ordre et avec une intonation particulière.
- 1 ? février. Apparition d'un abcès purulent dans la partie moyenne
de l'avant-bras gauche, du côté cubital : tout autour rougeur intense. Poids
du corps : 126 livres.
2. La rougeur des tissus cutanés occupe presque toute la largeur de-
3t; NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
l'os cubital ; le tissu cellulaire sous-cutané est infiltré. Le soir, la tempé-
rature est de 38°. On constate également une élévation de température de
la peau.
3-9 février.- La température du corps est normale. Au centre de la ré-
gion atteinte par le processus phlegmoneux survient la mortification des
tissus cutanés avec élimination de petits fragments du tissu cellulaire. Ab-
sence de pus. Le processusse termine par la formation d'une eschare ; l'in-
filtration disparaît, la rougeur cesse et la température de la peau redevient
normale. Bandage sec sans application de substances médicamenteuses.
10. Sur le côté externe de l'avant-bras gauche, aux endroits indi-
qués sur la figure, apparaissent les phénomènes morbides suivants : en deux
endroits a) pustules avec eschares au centre ; sur un troisième point, b) bulle
ayant la forme et la grosseur de la moitié d'un pois, avec segment infé-
rieur occupé par un liquide purulent, et segment supérieur rempli de sé-
rosités; clans la région de l'apophyse styloïde, c) pustule avec eschare,
infiltration et rougeur à l'enlour; d) eschare occupant la place des tissus
mortifiés par suite du phlegmon.
11-12. Le contenu de la bulle a été absorbé, l'épiderme exfolié adhère
fortement à la peau ; rougeur tout autour; l'infiltration a disparu.
13-17. Les pustules ont peu à peu disparu; à leur place sont res-
tées des eschares avec pigmentation à l'entour.
18-29. Desquamation de l'épiderme dans toute la région qu'occu-
pait le phlegmon. Dans le courant du mois, la malade s'est montrée moins
remuante ; elle chante moins et se livre moins à la masturbation ; sa loqua-
cité continue ; parfois elle pleure, elle s'irrite facilement.
II-XII. Dans le même état.
C'est à cette phase de la maladie que nous nous arrêterons. Quoique ce
cas continue à être soumis à mes observations, et que je ne considère pas
celles-ci comme entièrement terminées, je le publie maintenant, sans atten-
dre le développement ultérieur du tableau général de la maladie, l'affec-
tion morbide qui sert de thème à ma communication ayant déjà passé par
tous les stades cliniques de son développement. En décrivant séparément
Fig. 49.
OSTÉO-AHTliROPATllIE AIGUË CHEZ UNE ALIÉNÉE 329
une affection somatique chez une aliénée, telle que celle de l'articulation
cubitale, en lui attribuant une importance spéciale, et en-indiquant l'inté-
rêt scientifique qui s'attache à la détermination des rapports qui existent
entre cette affection et la maladie qui en est la cause, j'apporte en outre des
données également détaillées sur l'état psychique de la malade, les cas de
ce genre n'étant pas encore du nombre de ceux qui ont été suffisamment
étudiés, et la psychiatrie ne s'étant pas encore formée à leur sujet d'opinion
bien définie et universellement adoptée. Les uns, en effet, rapporteront ce
cas à la catatonie, les autres, à la folie catatonique délirante, d'autres enfin
à l'amentia chronique.
Remettant à l'époque où la maladie aura entièrement achevé son déve-
loppement l'analyse des symptômes psychiques, de même que ma conclu-
sion générale, je me bornerai pour l'instant à indiquer que, dans sa mar-
che, la maladie tend à prendre une forme cyclique. En effet l'alternat des
deux états, expansion et dépression, épisodique durant les premières an-
nées de la maladie, présente dans ces derniers temps, un cycle bien dé-
terminé de deux phases, l'exaltation et la dépression, avec phénomènes
morbides spéciaux pour chacune d'elles dans la région psychomotrice ; en
outre le complexus symptomatique psychique et les affections somatiques,
que nous avons notées, doivent être regardés, dans l'appréciation de ce cas,
comme l'effet clinique général d'une seule et même maladie.
Le tableau symptomatique des changements somatiques a présenté les
phénomènes suivants : herpès labial, sueur visqueuse du visage, periostitis
clavicïtl(o d., cruris sin., osteo arthropathia extr. sup. sin., phlegm01"e an-
tibrachii sin., oedème de l'articulation tibio-tarsienne et de la plante des
deux pieds, taches violacées des tissus de la peau dans la région située au-
dessus du genou, abaissement de la température de la peau des extrémités
inférieures. Tous ces phénomènes, sauf l'ostéo-arthropathie, se retrouvent
isolés ou réunis dans les diverses formes de maladies mentales et se rap-
portent en partie aux troubles trophiques, en partie aux troubles vaso-
moteurs. En passant en revue les troubles trophiques qui accompagnent
les maladies mentales, nous indiquerons ceux qui ont été solidement éta-
blis au point de vue clinique. Ces troubles comprennent des modifications
de la peau et des formations épidermoïdales, qui se manifestent par la
gerçure et la rudesse excessive de l'épiderme, la formation anormale du
pigment (nigrities), la décoloration de la peau (vitiligo) et des cheveux,
l'irrégularité de la croissance de ces derniers, les éruptions cutanées, prin-
cipalement les eczémas et les diverses poussées herpétiques, l'atrophie
des ongles, leur fendillement et leur friabilité, les modifications du tissu
cellulaire sous-cutané, sous forme d'épaississement du tissu adipeux, de
330 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
phlegmons diffus (1) et de furoncles, les modifications de l'enveloppe mu-
queuse, déterminant l'hémorragie, crachements de sang; les modifications
des muscles sous forme d'atrophie ou de tumeur sanguine, le ramollisse-
ment ou l'ossification des cartilages, le ramollissement des os s'étendant
à tout le squelette ou principalement aux côtes, enfin les entités cliniques
et anatomo-pathologiques telles que l'otématome, les décubitus chroniques
et aiguës et le mal perforant.
La littérature fournil peu d'indications sur les affections des articula-
tions chez les aliénés; nous ne connaissons sur ce sujet que la communi-
cation publiée en 1872 par M. With Zencher (2). L'auteur de celle com-
munication, se basant sur des considérations théoriques et sur l'observation
clinique de trois cas d'affection simultanée de psychose et d'arthritis dé-
formant s'est efforcé d'établir pour l'une et l'autre forme un lien réciproque
entre la maladie cérébrale et la lésion des articulations. Au point de vue
clinique, cette communication est trop incomplète et trop inexacte, et les
observations elles-mêmes présentent trop de contradiction pour pouvoir
satisfaire les exigences de la vérité scientifique. C'est pourquoi, ne pou-
vant trouver dans ce travail de données suffisamment concluantes, je dois
me borner il constater son existence. Passons maintenant à l'examen des
troubles observés chez notre malade dans la région de l'articulation cubi-
tale gauche. En analysant les phénomènes morbides qui constituent l'af-
fection dont il est question, nous trouvons ce qui suit : variations inégales
de la température de la peau, apparition sur la peau de taches de teinte
bleuâtre, oedème du tissu cellulaire sous-cutané, infiltration des muscles,
modification du périoste et des os formant l'articulation des membres, prin-
cipalement de l'épaule, affaiblissement de la motilité et état morbide de
l'articulation, qui devient fusiforme avec l'élévation épisodique de la tem-
pérature du corps, le développement subit de l'affection, et son cours
éphémère avec terminaison par la restitution ad inlegrum, sans le secours
d'agents thérapeutiques. L'ensemble de ces modifications nous donne le
droit de désigner cette affection sous le nom d'ostéo-arthropathie. Ici plu-
sieurs questions se présentent. De quelle manière celle affection s'est-
elle développée ? Est-elle l'indice de quelque maladie constitutionnelle
ou de quelque forme aiguë de lésions connues, telles que l'arthrite rhu-
matismale, l'ostéo-myélite, haemarlhrosis sub. haemophilia et arlhritis sub
trauma, et si elle n'appartient il aucune de ces affections, comment s'expli-
que alors sa pathogénie ?
(1) On a observé en outre des lésions organiques de la moelle épinière de différentes
sortes. Ilelweg. Messager de psychiatrie 2. VU. livr. Il rapport.
(2) Deformirende Gelenkentziindung bei Gusteskrarkcu Allgem. Zcitschrift für Psy-
chiatrie, B. XXIX, 4. 3.
OSTÉO-ARTHROPATHIE AIGUË CHEZ UNE ALIÉNÉE 331
Il est hors de doute que, dans le cas qui nous occupe, nous n'avons eu
affaire ni à une maladie chronique, affection tuberculeuse, syphilitique
ou rhumatismale de l'articulation, ni aux maladies aiguës citées plus
haut. Le développement, la marche et l'issue de la maladie ne permet pas
d'admettre, en effet, que nous ayons eu affaire aux affections appartenant à
la première de ces catégories; quant à celles de la seconde catégorie, elles
doivent être également rejetées, vu l'absence ici de symptômes cardinaux
se rapportant aux troubles qui accompagnent ces affections. En outre l'is-
sue de la maladie, qui s'est effectuée sans nécessiter l'emploi de moyens
thérapeutiques, doit faire écarter les deux catégories. D'un autre côté,
l'absence d'haemophiliae ne permet pas de diagnotiquer l'Iaoeaarthnosis
sub haemophiliae. En général, nous devons dire que la position sus-men-
tionnée de l'extrémité, déterminée par la tétanie, rend inadmissible l'ac-
tion d'une influence traumatique. Il est impossible d'indiquer les moments
favorables au mécanisme d'une lésion traumatique dans telle ou telle
forme ; il ne peut être question ni de luxation, ni d'entorse ; lors des épan-
chements sanguins qui se produisent dans l'articulation sub trauma, cette
dernière prend une configuration tout autre que celle que nous avons
observée : les taches bleuâtres que nous avons mentionnées n'ont rien de
commun avec les ecchymoses d'origine traumatique, leur teinte était ré-
partie également sur toute la surface qu'elles occupaient, sans modification
progressive de la qualité et de l'intensité dans n'importe quelle direction ;
leur disparition a été soudaine et complète et non progressive, ainsi que
cela s'observe lorsque les ecchymoses et les stases e trauma commencent à
disparaître. Il nous a paru nécessaire de nous étendre sur tous ces détails
dans toutes les autres conditions analogues, parce que chaque fois qu'il est
question de troubles somatiques d'une certaine nature chez les aliénés,
on ne manque pas de les attribuer au trauma, que l'on considère même
dans certains cas comme l'unique élément étiologique, contredisant en
cela ceux qui affirment que, chez les aliénés, ces troubles peuvent se dé-
velopper par une voie purement organique et sans qu'on puisse les attri-
buer au trauma. Les conditions, ou plutôt la possibilité des conditions,
dans lesquelles ces affections ont pu être observées, ontsous ce rapport une
influence non moins considérable. L'idée que le trauma doit nécessaire-
ment exister dans leur pathogénie prend le caractère de condition sine qua
non. Il suffit, par exemple, de rappeller de quelle façon s'est résolue et
se résout encore maintenant la question de l'origine de l'otématome chez
les aliénés; et cependant, les observations cliniques et anatol1lo-patho]ogi-
ques récentes démontrent que, sans certains rapports, l'affection en ques-
tion présente par elle-même une unité déterminée et non pas un phéno-
mène accidentel quelconque dépendant de conditions extérieures. Il nous
332 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
est donc impossible de nous arrêter à aucune des formes de l'affection
inflammatoire habituelle de l'articulation. Nous n'avons pas davantage le
droit de rapporter cette affection à une lésion de la moelle épinière, les
symptômes cliniques propres à ce genre de lésions faisant défaut.
Ces considérations, ainsi que l'existence des troubles trophonévrotiques
qui précédent (periostites claiic21lae) qui accompagnent (herpès Lerbialis pe-
rio.sf,iLis cricris, troubles des nerfs de l'intestin) et qui suivent (phlegmon
antibrachial, lésion huileuse de la peau) l'ostéo-artI1l'0pathie, nous obligent
à reconnaître que ces affections prises dans leur ensemble, ont un élément
pathogénique commun et à considérer l'ostéo-arthoropathie comme étant
de même nature qu'elles. Il n'entre pas dans notre plan d'examiner les
causes de ces troubles trophiques ; c'est pourquoi nous ne parlerons pas
des théories qui s'y rattachent. Actuellement, l'existence des troubles tro-
phiques n'est plus mise en doute par personne, et rien n'est mieux établi
en pathologie que l'existence de ces troubles et leur développement dans
les affections des centres nerveux et des nerfs (Charcot) où se trouvent les
lésions qui déterminent les troubles trophiques dans les maladies menta-
les. De quelle nature sont-elles ? c'est ce que l'avenir nous apprendra.
L'examen clinique des cas analogues et l'étude attentive du tableau symp-
tomatique des troubles trophiques qui s'offrent avec une telle abondance
et un caractère si bien défini et qui ont probablement quelque lien avec
certaines formes déterminées de maladies mentales doivent nous suffire
pour le moment.
M. POTOVSKI,
Médecin-adjoint de l'hôpital Préobragenski
pour les aliénés à Moscou.
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE
ÉTUDE SUR CERTAINS NÉVROPATHES VOYAGEURS
(Suite et fini).
Examen des yeux. - Pas de lésions du fond de l'oeil ; les pupilles réagissent,
quoique faiblement. Un peu d'achromatopsie pour le bleu et le vert. Mi-
cromégalopsie, à gauche pas de diplopie monoculaire. Le champ visuel exa-
miné le 26 février 1890 montre un rétrécissement concentrique à 10° des 2 côtés
le 5 mars à 40°, le 7 mai à 70". (Fig. 11 et Fig. 12).
Au commencement du mois de mai 1893, S. a reparu à la Salpêtrière, où nous
avons pu continuer son observation.
En quittant l'hôpital vers la fin de l'année 1890, porteur d'une recommandation
de M. Charcot, il s'est rendu à Vienne, dans le service de M. le Pr Benedickt où
il est resté tout l'été suivant régulièrement un traitement par les douches et
l'électricité.
Son état, déjà notablement amélioré après son séjour à Paris, continua à de-
venir meilleur. Les attaques s'espaçaient, devenaient de plus en plus frustes,
durant deux à trois minutes il peine. Les mouvements des membres paralysés,
quoique pénibles et difficiles encore, se faisaient sensiblement mieux. Les dou-
(1) Voir numéros et 5, 1S93.
Fig. 50.
331 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
leurs de tête et la rachialgie persisteront seules sans amélioration. Il resta tout
l'été à Vienne, espérant que la guérison arriverait peu il peu. Cependant, sa main
restait raide et il ne pouvait plus tenir son violon.
Pendant six semaines il alla suivre uu traitement par les bains froids dans une
station des environs de Vienne.
Puis, désireux de rentrer dans sa famille, il partit pour Ilambourg, Il y resta
près de deux ans, se soignant lui-même avec un appareil électrique, continuant
les douches et les autres traitements prescrits antérieurement. Ce qui ne
l'empêcha pas d'ailleurs d'aller successivement consulter tous les médecins de
Hambourg. Mais après avoir essayé des multiples remèdes que chacun d'eux
lui conseillait, et n'en tirant aucun bénéfice, il se remit à se traiter lui-même
d'après les conseils des maîtres de Paris et de Vienne. Son état restait sta-
tionnaire.
Au mois d'août 1892, le choléra fit son apparition à Hambourg, l'épidémie
fut des plus graves, et en raison de sa soudaineté et de son intensité le service
médical s'y fil, au début, au milieu de la plus grande confusion. Le 29 août, on
vint lui annoncer qu'une de ses filles venait d'être atteinte subitement par la
maladie, et que, ramassée dans la rue, elle était morte en quelques heures.
Cette terrible nouvelle produisit sur S..., l'effet accoutumé des violentes
émotions. Il eut une grande attaque d'hystérie et à son réveil, un nouveau phé-
nomène apparut : un tremblement dans le bras et la jambe du côté droit, trem-
blement qui persiste encore aujourd'hui, et qui venait ajouter une nouvelle
infirmité à la longue liste de ses malheurs.
Il consulta de nouveau à ce sujet les médecins de Hambourg.
Les bains de mer lui furent conseillés. Il alla donc passer à Schevenil1 ! ), en
Hollande, une saison de 2 mois. Il n'en tira aucun bénéfice, et se rendit à Ams-
terdam où il prit conseil du Dl' Berns. Il se soigna quelque temps dans cette
ville ; mais ses ressources déjà fort entamées par son séjour aux bains de mer,
vinrent à manquer totalement. Il retourna à Hambourg dans sa famille.
Fig. 51.
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 835
Pendant toute cette période les attaques se reproduisirent a intervalles de
plus en plus éloignés, et de plus en plus brèves ; mais chaque émotion, chaque
colère les réveillaient encore.
Cependant le tremblement persistait moins fort qu'au début, mais toujours
très pénible et mettant le malade dans l'impossibilité de se servir de son bras
droit pour les travaux délicats.
Alors S... qui avait conservé au milieu de toutes ses pérégrinations un très
bon souvenir de la Salpêtrière, et qui avait en M. Charcot la plus grande con-
fiance, se décida à faire le voyage de Paris où il est venu s'installer pendant
quelque temps, jusqu'à sa complète guérison, dit-il.
C'est lui qui nous a raconté les derniers épisodes de sa triste existence, et
nous avons pu l'étudier loisir.
Son faciés diffère un peu de celui des autres malades voyageurs dont nous
avons donné les observations. C'est que S... n'est pas d'une origine aussi vul-
gaire. Il a reçu une éducation complète ; il a vécu, aux jours heureux où il était
un virtuose du violon, dans un monde très relevé, et il a conservé des allures
plus distinguées. Il s'habille d'une façon convenable, met des gants et du linge
propre ; il se rase fréquemment et la barbe légendaire manque dans son ob-
servation.
Cependant sa physionomie porte l'empreinte des stigmates déjà observés. Le
front est creusé de grosses rides. Les plis des sourciliers sont accentués très
fortement. L'oeil que cachent un peu des lunettes, est triste, enfoncé, cerclé de
paupières plissées. Les joues très creuses, les pommettes proéminentes, le sil-
lon naso-labial profond. C'est bien la même expression douloureuse, le même
visage las et désespéré à la fois.
Les accidents neurasthéniques déjà signalés à son premier voyage n'ont fait
que s'accroître depuis.
La douleur de tête « en casque » ne le quitte presque jamais. II se plaint
surtout de son dos et de ses reins. Chez lui la « plaque sacrée » est spécialement
douloureuse. Il marche raidi et évite de ployer l'échiné.
Les douleurs se retrouvent aussi dans les membres, mais légères, erratiques,
sauf l'épaule gauche dont il n'a cessé de souffrir depuis le fameux coup de fou-
dre de Bruxelles.
C'est le jour surtout qu'elles sont intenses. La nuit, elles se calment un
peu.
Il souffre plus assis que debout, et plus aussi quand il est immobile que quand
il marche. Les changements de temps, les orages surtout exagèrent son mal.
Il n'est pas rare qu'il ait une attaque quand le temps est orageux.
Le nouveau phénomène qui date du 29 août 1892 est un tremblement qui in-
téresse tout le côté droit du corps : bras, jambe et tête.
Il a franchement l'allure d'un tremblement hystérique.
Il n'est pas constant ; il disparaît même complètement quand le malade est
tranquille de corps et d'esprit. Mais à la moindre émotion il reparaît. Il est plus
fort dans la station assise.
33G NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Ce tremblement imprime à la mar,cLe une sorte d'allure sautillante, le malade
s'avançant sur la pointe du pied.
De plus le haut du corps est rejeté en arrière.
La jambe gauche traîne encore un peu.
Un autre symptôme qui date de la même époque ; c'est une sorte de sanglot,
une inspiration brusque accompagnées d'un rejet rapide dans la tête en arrière
et d'une grimace qui se reproduit intervalles inégaux. Quand on demande des
explications sur ce phénomène, le malade dit qu'il est forcé de faire ce mouve-
ment, parce que quoique chose l'oppresse, le sert à la gorge. De lui-même, il
le compare fort judicieusement avec la dernière période de l'aura, ou le début
d'une attaque qui avorte.
L'appétit est faible. Après les repas le ballonnement devient excessif, il doit
défaire tous ses vêtements, et il éprouve un grand malaise. Il est généralement
constipé et irrégulier dans ses garde-robes.
Les symptômes hystériques décrits dans la première partie de l'observation
persistent pour la plupart.
La raideur des membres existe encore, au point qu'il faut un temps très long
au malade pour porter sa main sur sa tête. y arrive cependant, des deux côtés;
il ne souffre pas, dit-il : mais il est raide. La déformation de la main gauche,
la parésie de la jambe du même côté s'observent encore. Toutefois S..... trouve
une légère amélioration sur l'état de ces membres lors de son premier voyage.
L'anesthésie cutanée est nettement limitée à toute la moitié gauche du corps
(bras, jambe, face). (Côté hémiplégie).
La sensibilité est bien conservée sur tout le côté droit. (Côté du tremblement).
Les sens spéciaux sont altérés à gauche.
L'examen du champ visuel fait le 10 mai a montré un rétrécissement concen-
trique il 30 degrés des 2 côtés. (Fig. 13).
Pour l'oeil gauche, dischromatopsie pour le violet et le bleu. Micromégalopsie.
Fig. 52.
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 337
L'ouïe est totalement abolie à gauche.
L'odorat et le goût sont parfois altérés au dire du malade.
L'état mental n'a pas subi de modifications notables. S... n'a pas recouvré la
mémoire des langues apprises autrefois (italien, anglais, français). Il ne peut s'ex-
primer qu'en allemand.
Il est bien pareil il ses congénères quand on le met sur le chapitre de ses
souffrances, et son ton larmoyant est caractéristique. Toutefois, étant plus édu-
qué, il est plus discret dans ses doléances.
Signalons, pour terminer, un renseignement qu'il nous a donné. Il a toujours
été très grand marcheur, infatigable, dans les excursions, il faisait les ascen-
sions de montagne les plus périlleuses et fournissait des courses surprenantes.
A ces observations de Juifs névropathes errants, vient s'ajouter celle
d'une femme israélite dont l'histoire et les symptômes morbides concor-
dent absolument avec ceux des précédents.
La Juive Errante n'a pas la popularité du Juif-Errant. Ni les légendes,
ni l'Imagerie n'ont vulgarisé son histoire. Un seul ouvrage portant ce titre
dû a la marquise de Vieuxbois (1), n'offre pas grand intérêt pour le sujet
qui nous occupe.
Il s'agit ici d'une malade, souffrant d'accidents neurasthéniques classi-
ques avec quelques symptômes d'hystérie et des attaques frustes. Nous
retrouvons chez elle les mêmes lamentations, les mêmes souffrances ; elle
garde dans sa poche le paquet d'ordonnances et l'élixir réconfortant qui
semblent être des stigmates de son état mental. Son facies reflète les grands
traits de ses congénères mâles ; et sa mise concorde parfaitement avec l'ex-
térieur pitoyable des israélites errants. Chez cette femme, c'est encore le
désir de trouver un remède à ses souffrances qui l'a entraînée dans ses
pérégrinations à travers la Russie, l'Allemagne et la France. C'est l'espoir
d'une guérison promise par les récits de ses compatriotes qui l'a poussée
il accomplir ce long voyage à la Salpêtrière. Et sa confiance était si abso-
lue, la certitude du succès si parfaite qu'elle a immédiatement trouvé un
bénéfice immense au traitement simple qui lui a été prescrit.
Combien de temps durera cette heureuse suggestion ? ! ) esta craindre
qu'un jour ne germe en son faible cerveau, une idée malencontreuse qui
vienne gâter tous les bienfaits de sa première cure. Elle repartira alors
vers de nouvelles cliniques, et recommencera à vagabonder d'un médecin
à l'autre. Peut-être reviendra-t-elle nous redemander conseil dans
quelques années, pour disparaître encore, suivant le cycle fatal de ses im-
pulsions voyageuses,
« Juive errante »
parmi le monde, pleurant et soupirant.
(1) La Juive Errante, Paris, lSiîi, 2 vol. in-S".
vi. 23
338 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Observation V (personnelle).
Rosa A..., Israélite, âgée de 17 ans est née en Russie à Dugnan.
Sa mère s'est mariée à (le 13 ans. Son père n'était lui-même âgé que de
"15 ans.
Ils ont eu 15 enfants dont beaucoup sont morts.
Au dire de la malade, il n'y aurait jamais eu do maladies nerveuses dans sa
famille ni du côté paternel, ni du côté maternel. Elle seule est névropathe.
Elle a épousé un marchand israélite de santé assez mauvaise, et qui mourut
à 35 ans. De ce mariage sont nés deux enfants qui sont actuellement bien por-
tants Ù Kicw.
Rosa A... ? n'a fait aucune maladie sérieuse jusqu'à ces dernières années.
Elle souffrait souvent de maux de tète, et de quelques douleurs vagues dans
le dos et les membres ; mais c'étaient de très légères indispositions. Elle a dû
éprouver des émotions douloureuses assez fréquentes depuis quelque temps,
chagrins (le famille et revers de fortune dans le détail desquels elle no veut pas
entrer, mais dont le souvenir l'impressionne péniblement.
Elle habitait Kiew depuis (le 20 ans, et c'est là qu'elle a commencé à
ressentir les premières douleurs qui l'obsèdent aujourd'hui et qui rentrent toules
dans le cadre des accidents neurasthéniques.
Mais le premier événement qui a commencé à l'inquiéter sur son état de
santé, c'est une hémoptysie abondante survenue brusquement il y a 2 ans, et
bientôt suivie de plusieurs autres à intervalles irregutiers. Elle en fil[ Irès
affectée et c'est à partir de cette époque qu'elle commença à consulter tous les
médecins de Kick.
On lui conseilla d'aller en traitement à ce qu'elle fit de suite. C'est
pendant son séjour en celle ville, qu'elle eut une première attaque.
Se promenant avec une amie, elle se sentit tout d'un coup défaillir; elle per-
dit connaissance et serait tombée si on ne l'avait soutenue. Cela dura quelques
minutes pendant lesquelles elle resta étendue sur le dos, raidie ( ? ), mais sans
se débattre.
Quelques jours après, elle eut une seconde attaque, puis une troisième et de-
puis lors celles-ci se reproduisent il intervalles II·l'1 ! jltllCt'S. Elles les pressent
et les redoute; aussi craint-elle de sortir seule de peur de tomber dans la rue,
Les jours d'orage sont surtout appréhendés.
A elle fut soignée parle D' Schreiber qui lui fil du massage sur le dos.
L'amélioration tardant à venir, elle se rendit à Munich où elle ne resta que
quinze jours, les médicaments qu'on lui prescrivit lui parurent absolument inef-
ficaces, car elle eut trois attaques rapprochées, semblables aux précédentes.
Elle partit pour Reiclten/tall où elle fut soignée sept semaines par le Dr Orle-
nau.
Puis, il lui fut conseillé d'aller prendre les eaux à Wiesbaden où elle resta
quatre mois.
Depuis longtemps déjà, elle caressait le projet de venir il Paris pour consul-
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 339
ter M. Charcot. Des Russes de Kicw lui avaient fait grand éloge de la Salpê-
trière : « là, lui disaient-ils, est la seule médecine pour votre mal, et M. Char-
cot est le seul médecin qui le connaîtra. » Malheureusement, elle fut longtemps
avant d'avoir les ressources nécessaires pour accomplir le voyage ; mais, un
beau jour, grâce à ces mystérieux subsides que les Israélites voyageurs savent
obtenir de leurs coreligionnaires, elle apparut il la Salpêtrière, pleine d'espoir
et de confiance. Son visage rappelle par bien des points celui des malades déjà
étudiés. Le front ridé, les sourcilliers souvent contractés en un pli douloureux ;
les yeux petits, clignotants et cerclés de fines rides ; le sillon naso-labial très
accentué et les commissures basses. C'est aussi la même mobilité d'expression
la même mimique excessive pendant les mêmes longues jérémiades.
Chaque phrase est accompagnée d'une grimace exagérée et des gestes exubé-
rants, passant sans transition de la tristesse à la joie, de l'inquiétude à la con-
fiance.
Son costume porte aussi l'empreinte des longues pérégrinations ; une robe
usée de couleur indécise, un manteau rapiécé, des souliers fatigués, un cha-
peau informe et cependant on y sent une certaine prétention, une tentative d'é-
légance.
Rosa A., a étudié longuement et méticuleusement les sensations pénibles
qu'elle éprouve. - Elle en sait plus, dit-elle, que bien des médecins ; et elle
connaît les bons remèdes.
Une longue liasse d'ordonnances crasseuses ne la quitte jamais ; elles sont
datées de toutes les villes où elle a consulté ; et elle les conserve précieusement :
« pour voir dit-elle, si on ne lui ordonne pas les mêmes remèdes dont elle a pu
apprécier l'inefficacité. Aussi, fut-elle toute heureuse quand on lui ordonna à
la Salpêtrière un médicament nouveau pour elle, des pilules à l'oxyde de zinc.
C'est bien la meilleure médecine qu'elle ait prise, et elle trouve son état très
amélioré depuis qu'elle suit ce traitement.
Après quelques minutes d'entretien, ou la voit sortir de sa poche une petite
fiole contenant un liquide qu'elle appelle « éther » et qui ne la quitte jamais.
Quand elle est fatiguée, elle en prend cinq gouttes sur un morceau de sucre et
cela prévient souvent les attaques.
L'interrogatoire n'est pas toujours pisé à faire, en raison de l'excessive loqua-
cité de la malade. Dès qu'on lui pose une question, elle entame un long discours
qui l'entraîne à des digressions confuses sur des sujets souvent fort éloignés de
la question posée. On est sans cesse obligé d'interrompre son verbiage pour )a ra-
mener au fait ; car si ou l'abandonne il elle-même, elle ne connaît plus de bor-
nes et parlerait pendant des heures entières, toujours sur un ton monotone et
dolent, cherchant il apitoyer sur ses malheurs, heureuse quand elle s'attarde il
décrire par le menu ses sensations.
D'elle-même, elle nous annonce, non sans fierté, qu'elle parle cinq langues
couramment, le russe, le polonais, l'allemand, l'hébreu et un peu le français.
C'est surtout en allemand qu'elle nous répond, très correctement. Elle a, paraît-
il, reçu une bonne éducation et se considère comme intellectuellement bien au-
340 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
dessus de sa condition misérable. Sa mémoire ne parait pas avoir été touchée.
Le phénomène sur lequel elle attire d'abord l'attention, c'est le mal de tête
qui répond bien au type neurasthénique (céphalée en casque, plaque occipitale).
Elle accuse en outre des douleurs vives avec élancements dans tout le côté gau-
che de la face (oeil, oreille, front) et du crâne.
Dans le dos, douleur sourde le long de la colonne vertébrale avec maximum
dans la région lombo-sacrée.
Douleurs vagues dans les membres, surtout le bras et la jambe droits ; le poi-
gnet de ce côté a été le siège d'un gonflement douloureux qui a presque complè-
tement disparu aujourd'hui. -
Toutes ces douleurs sont plus vives les jours de pluie, et surtout d'orage.
La sensibilité est conservée il peu près intégralement dans tous ses modes.
Il faut noter cependant une hypoesthésie il la piqûre du côté gauche de la
face, et sur les membres du côté droit (correspondant aux régions où s'accu-
sent les plus vives douleurs).
Les sens spéciaux ne sont pas atteints d'une façon très appréciable.
L'odorat, le goût, l'ouïe, normaux. La vue est faible ; la malade est myope et
voit mal, surtout de l'oeil gauche. Pas de rétrécissement du champ visuel, pas
d'achromatopsie.
Les mouvements se font bien ; quelquefois limités pour les bras par une dou-
leur dans l'épaule ; mais pas de contracture, pas de paralysie. La pression
des mains est forte.
La marche est normale. On remarque cependant une certaine raideur de la
colonne vertébrale, causée par la vigilance des muscles vertébraux, pour éviter
les douleurs.
Les viscères sont normaux : coeur, poumons, foie, etc.
L'appétit conservé; les digestions pas trop pénibles, sauf parfois une sensa-
tion de plénitude et des bouffées de chaleur après les repas. - Selles régu-
lières.
Rosa A... est restée environ un mois il Paris, suivant le traitement qu'on lui
avait prescrit avec une ponctualité scrupuleuse. Elle s'est trouvée très sen-
siblement améliorée, et est revenue le 15 juin pour en exprimer sa satisfaction.
Les douleurs ont diminué, et depuis qu'elle est il Paris, elle n'a jamais eu d'at-
laques. Elle a hâte de retourner en Russie pour montrer à ses parents et amis,
les bienfaits de son traitement de la Salpêtrière; elle déclare qu'aucune autre
médecine ne lui a jamais fait tant de bien. « Aussi, ajoute-t-clle, je comprends
aujourd'hui tous les éloges qu'on me faisait de M. Charcot. II peut compter sur
moi désormais, et tous ceux de mes compatriotes qui souffriront de mon mal,
je les enverrai à la Salpêtrière ».
Ayant fait renouveler son ordonnance pour emporter la-bas une ample pro-
vision de pilules d'oxyde de zinc, elle est repartie pour la Russie confiante et
rassérénée.
Après lecture de leurs observations, on ne peut s'empêcher de recon-
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 3H
naître qu'il existe entre ces différents malades de nombreux point de res-
semblance, et déjà il est aisé d'entrevoir des analogies avec le Juif-Errant
de la légende.
Nous allons essayer d'en faire ressortir les points principaux.
ESSAI NOSOGRAPIIIQUE SUR LES NÉVROPATHES VOYAGEURS
Tout d'abord, on est frappé de l'origine même de ces malades.
Tous semblent être partis d'une même source située sur les confins de l'Al-
lemagne, de la Pologne et de l'Autriche. Tous parlent l'allemand de préfé-
rence aux autres langues. Et cependant tous sont polyglottes comme leur
ancêtre, le Juif-Errant : « En quelque lieu qu'il allât, nous apprend un
écrit de 1618, il parlait toujours la langue du pays (1) ». Quoi qu'il en
soit, l'origine germanique paraît indéniable; peut-être tous sont-ils alle-
mands ; mais n'osent pas le crier trop haut en France.
Un exégète d'une grande érudition M. Ch. Schoebel (2), qui est en
même temps un orientaliste indianisant et hébraïsant, a étudié la légende
(1) La grande aptitude des Juifs pour les langues est un fait bien connu. On lit dans
la « Cosmographie universelle » d'André Thevet, Paris, 1575, tome I, livre III, ch. VI,
p. 15. histoire d'un juif esclave chez le l'OY du Cap verd (Sénégal). « Entre autres (es-
claves) estait un juif natif de Marroque, aagé de quarante neuf ans, qui aussi avoit
été vingt six ans, tant en Afrique qu'en quelques endroits des Indes Orientales d'Asie.
J'ose bien dire qu'alors que ce pauvre Alhanar (c'était son nom) vivoit, il avoit la
plus heureuse mémoire d'homme qui fust au monde : car il savoit parler de vingt huict
sortes de langues toutes différentes, et en chacune d'icelles, lire et escrire, et s'il eust
ouy parler un homme dix ou doux jours entiers, conversant avec luy, et luy donnant
les choses à entendre, il eust plus apprins en ce peu de temps, qu'un autre n'eust
faict en deux ans. Il me souvient, qu'un marchant anglois, estant de mon temps par
delà, adverti de la mémoire gaillarde de cet esclave, le voulut avoir avec luy, pour luy
servir de Trucheman : ce que Adallach (en traitant maitre du juif) son maître accorda :
comme de fait l'anglois le tinst environ un mois, communiquant ordinairement avec
luy. Un jour entre les autres ledit anglois lui commença à discourir la généologie des
roys, roynes, princes et grands seigneurs de son païs : la manière de vivre que ceux
d'Angleterre ont tenue depuis qu'ils ont receu le christianisme ; les guerres et batail-
les qu'ils ont eues contre leurs voisins escossois et françois : la richesse et revenu du
royaume, avec sa largeur et grandeur, ses villes, rivières, goulfes et promontoires. Ce
que l'esclave retinst si bien, le mettant secrettement par escrit, et en fit tellement son
profit, que, quelques temps après devant son maistre Adallach et ledit marchant, il
commença à discourir et dire de mot à mot en un jour, ce que l'autre lui avait raconté
en un mois, suyvant les histoires et chroniques angloises : voire les mesmes mots, il
les proféroit en sorte, que l'ayant parler on eust jugé qu'il eust demeuré au païs bien
vingt ans, jaçoit qu'il n'eut jamais veu ny parlé à anglois, qu'à celuy seul. (Note com-
muniquée par M. Abel Delafosse).
(2) Charles Schoebel, La légende du Juif-Errant, Maisonneuve, 18 vil.
342 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
du Juif-Errant au point de vue mythique, et en a recherché l'origine et
l'évolution.
Pour lui la légende est essentiellement germanique : c'est même pour
les Allemands une légende nationale.
Le peuple errant, ce n'est pas le peuple Juif, c'est le De2ctsch, qu'il s'ap-
pelle Vandale, Normand, ou Wisigoth. S'il y a des Juifs errants, ce sont
des Juifs Allemands (Heimathlos : sans patrie).
Cette assertion de M. Schoebel est en partie, confirmée par nos obser-
vations.
Poussant plus loin son étude d'exégèse, cet auteur s'attache à démontrer
que la légende du Juif-Errant, « par une sorte de compromis entre le
merveilleux païen et le merveilleux chrétien » se confond avec la légende
du Chasseur sauvage, et par elle, avec le mythe de IVodccua vegtcenan, le dieu
qui est sans cesse par voie et par chemin.
Il voit une analogie singulière entre la parabole hébraïque de Caïn, le
premier meurtrier auquel Dieu commanda : « Tu seras agité et fugitif sur
la terre ». Et Loki, chef des Ases, qui commit le premier crime, lW1'1ns-
lang.
Fig. 53. Le Juif-Errant, d'après une gravure de la fabrique d'imagerie de Metz
donnée par Champfleury.
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 343
« Dès lors, les Ases ont couru le monde entier, et on dirait que c'est
d'eux que leurs descendants, les Germains, tiennent le penchant irrésisti-
ble qui les pousse à quitter sans esprit de retour le sol natal, pour se ré-
pandre dans tous les pays du monde... Le Juif-Errant Allemand a changé
sa constitution exotique primitive, à l'instar de ce qui se passe sur le sol
allemand à l'égard de ses congénères vivants, dont un grand nombre pré-
sente le phénomème étrange de Juif à cheveux blonds )) (1).
Certes, ce sont là d'ingénieuses explications. Mais tout en faisant une
large part à l'importance de cette origine germanique, nous croyons qu'elle
est insuffisante pour expliquer les pérégrinations des névropathes voya-
geurs. La pathologie chez eux revendique ses droits.
Nous irons également à l'encontre de l'opinion de M. Sclioebel lorsqu'il
refuse aux Juifs le goût des voyages. « La prédilection supposée aux Juifs
pour l'existence errante, écrit un Israélite (2), est un des axiomes créés
par le fanatisme de la race arienne ». Assurément les Israélites n'en-
tendent pas la vie nomade à la façon des Tziganes ou Gitanos. Ils sont
plutôt enclins à s'implanter solidement dans le pays où ils arrivent. Que
d'efforts font alors certains peuples pour s'en débarrasser ! Mais, comme
nous l'avons déjà fait remarquer plus haut, ils n'hésitent jamais à aban-
donner leur résidence, quand l'espoir d'une entreprise heureuse les attire
au loin. C'est précisément ce trait fondamental de leur caractère qui cons-
titue chez eux une prédisposition aux déplacements faciles. C'est ce qui
fait que nos névropathes errants sont surtout des Israélites.
Nous l'avons déjà fait remarquer, la proportion des névropathes est
grande dans la race Juive. Les statistiques dressées à la Salpêtrière où
viennent se présenter des malades de toutes races et de toutes religions,
sont des plus éloquentes à cet égard. Est-ce à dire que les Israélites sont
tous victimes d'une névrose héréditaire et qu'ils en porteront la marque
dans leur descendance ? - Assurément non. Il est heureusement de très
nombreuses exceptions qui sont elles-mêmes une conséquence presque
inévitable de cette hérédité nerveuse, et, si, parmi les Juifs, les désordres
nerveux abondent, il faut reconnaître qu'on rencontre souvent chez eux
des intelligences supérieures, des esprits merveilleusement équilibrés, des
aptitudes artistiques et scientifiques de premier ordre. Plus que les
autres, ils sont soumis à celle loi d'alternance, si inconstante dans ses
manifestations, qui fait s'entrecroiser les grandes puissances intellectuelles
et les débilités cérébrales. A côlé de cette hérédité de race, il faut placer
l'hérédité personnelle. Nous manquons malheureusement de renseigne-
(1) Sclieehel, loc. cil., p. 64. - Virchow a constaté au Congrès anthropologique
d'Iéna (août 1816) une proportion de 11 pour 100 de Juifs blonds en Allemagne.
(2) J. Derembourg, Revue critique du 30 sept. 1816, p. 21 i, note 1.
344 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
ments précis à cet égard dans quelques observations, soit que le malade
n'ait conservé aucun souvenir de sa famille, soit que ses réponses n'aient
pas été assez concluantes. L'un d'eux S., est d'une famille où les musiciens
et les peintres abondent : il est bien vraisemblable que comme lui, musi-
cien, beaucoup d'entre eux étaient des nerveux à des degrés divers.
Il n'est pas besoin d'ailleurs, pour confirmer celte hypothèse, de retrou-
ver dans les ancêtres ou les collatéraux des accidents nerveux similaires.
L'hérédité en neuropathologie revêt des formes multiples. On voit se
suivre ou s'entrecroiser les névroses et les affections organiques, l'arthri-
tisme et le diabète. Dans les statistiques qui portent sur les israélites en
particulier cette alternance a été souvent notée et il n'est pas rare de voir
un diabétique formant le trait d'union qui relie les deux moitiés d'une
chaîne névropathique héréditaire.
Quelles ont été les causes occasionnelles de cetle maladie du voyage ?
Des traumatismes comme dans le cas de Klein. Des émotions violentes
comme chez S..., (la foudre qui tombe, un incendie, la mort de sa fille, etc.)
C'est l'étiologie même de leurs attaques, car ceux-ci sont des hystériques.
N'est-ce pas à la suite d'une émotion poignante, la vue de Jésus-Christ sous
la torture du calvaire, que Cartophilus s'enfuit de sa demeure, et se mit à
pérégriner ? Chez les deux autres malades, les causes brutales n'existent pas :
ils trouvent en eux-mêmes, l'impulsion qui les entraîne à voyager (besoin
de consulter un médecin nouveau, de tenter un autre remède). Les pre-
miers ont mené jusqu'à un certain âge une existence presque normale, et
cependant ils ne pouvaient se fixer longtemps nulle part, trouvant tou-
jours un prétexte pour aller chercher ailleurs une nouvelle occupation.
Les seconds semblent avoir toujours vécu de leur vie vagabonde. Mais chez
les uns et les autres, la misère, les souffrances et les privations de toutes
sortes, les fatigues excessives, ont dû contribuer pour une large part à l'é-
closion des accidents nerveux. En somme c'est le chapitre (,Llolociqtie de
la neurasthénie et de l'hystérie, avec toutes ses variantes. Peut-être y a-t-
il lieu de faire intervenir comme dans l'observation de S..., ce fait que
les douleurs dont il souffre sont moindres pendant la marche que pendant
le repos. On pourrait trouver ta une explication toute simple du besoin
de pérégriner. La chose mérite d'être contrôlée par des observations ulté-
rieures.
L'existence de ces pauvres hères, misérablement dotés au physique
comme au moral, est un véritable problème.
c N'ayant point de ressource
En maison ni en bien
ils peuvent vivre cependant. Grâce quels subterfuges ? Peut-être, l'es-
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 345
prit éminemment pratique de leur race les pousse-t-il à tirer parti de leur
extérieur pitoyable et exciter ainsi la générosité publique. - Il est certain
qu'ils ne restent jamais dénués de tout. Et pour expliquer leur modeste
rente qui semble ne jamais s'éteindre, la tradition a imaginé l'intervention
miraculeuse :
J'ai cinq sous dans ma bourse
Voilà tout mon moyen
En tous lieux, en tous temps
J'en ai toujours autant.
Ces cinq sous mémorables deviennent deux schillings dans la légende
anglaise et un groschen dans les récits allemands. La solidarité des Israé-
lites envers leurs semblables ne les enrichit pas ; mais elle leur ouvre dans
toutes les villes du monde des maisons de crédit où ils vont toucher ce re-
venu modique qui la fait éternellement riches, tout en restant éternelle-
ment pauvres.
Ce n'est pas d'ailleurs en frais de costume qu'ils gaspillent leur avoir.
Le vêlement du Juif-Errant a toujours frappé ceux qui l'ont rencontré,
autant par sa pauvreté que par sa bizarrerie.
a Son habit tout difforme
Et très mal arrangé
attirait toujours l'attention du public. Il y a même chez eux parfois une
sorte d'entêtement à conserver le costume national, comme chez les mala-
des observés par M. Charcot. Ce fait avait frappé les écrivains et les des-
sinateurs :
« De grandes chausses il porte à la marine
Et une jupe comme à la florentine,
Un manteau long jusqu'en terre traînant
Comme un autre homme il est au demeurant ».
Si dans les images on retrouve souvent le costume allemand ancien, cel-
les qui représentent le Juif-Errant vêtu à l'orientale ne sont pas rares et
semblent bien se rapporter aux israélites levantins qui sont venus pérégri-
ner dans nos pays.
Au cours de cette étude, où nous avons été appelés à examiner les Israé-
lites errants, nous avons été rapidement frappés par les caractères com-
muns typiques de leurs traits et de leur habitus extérieur
Ce sont des hommes de 30 à 40 ans en moyenne, mais auxquels on
donnerait facilement le double de leur âge, grâce à leur visage sillonné de
grosses rides et à celte barbe proverbiale qu'ils laissent croître indéfini-
ment.
346 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Jamais on n'avait vu
Un homme aussi barbu
est-il dit dans la complainte, et plus loin :
A voir votre visage
Vous paraissez fort vieux
Vous avez bien cent ans
Vous montrez bien autant.
A quoi Isaac Laquedem répond :
Chose sûre et certaine
Je passe encore trente ans.
J'avais douze ans passés
Quand Jésus-Christ est né.
La barbe du Juif-Errant est peut-être le trait le plus caractéristique de
sa figure. Les imagiers primitifs l'ont rendue avec une grande sincérité.
Celles qu'on voit sur les plus anciennes estampes reproduisent aussi exac-
tement que possible celles des malades des observations Il et III, l'une
frisant dans toute sa longueur, l'autre s'enroulant en papillotes sur les
côtés et se confondant avec les cheveux, bouclés eux aussi. Malheureuse-
ment de nos jours, l'imagination des artistes les a entraînés dans des fan-
Fig. 54. - Le vrai portrait du Juif-Errant, tel qu'on l'a vu passer à Avignon
le 22 avril 1784. - Croquis pris à la Bibliothèque nationale.
LE JUIF -ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 347
taisies pleines de verve, il est vrai, mais qui n'ont plus rien de la sincé'-
rité de leurs prédécesseurs. Dans la dernière image d'Epinal (1) et dans
les illustrations de G. Doré (2), le Juif-Errant est doté d'une barbe invrai-
semblable qui balaye le pavé de Bruxelles.
Il serait d'ailleurs puéril de donner à un caractère aussi instable, une
valeur excessive. Un coup de rasoir peut le faire disparaître. C'est le cas
de S. qui lors de sa première visite possédait une barbe opulente et qui,
la seconde fois, nous apparut rasé. Mais la longue barbe inculte et le peu
de soin que les malades en prennent, sont sans doute une conséquence de
leur état mental. Ayant l'esprit toujours occupé de leurs souffrances, ils
n'ont pas plus de souci des soins corporels élémentaires que de leurs vête-
ments misérables. Ce sont pour eux de trop mesquines préoccupations à
côté de celle de leur santé.
La physionomie de tous les névropathes voyageurs exprime la souffrance,
la lassitude et le désespoir.
Leur face est amaigrie, les pommettes saillantes au-dessus des joues creu-
sées. Les rides du front sont remarquables. On les retrouve chez tous les
malades et sur tous les portraits. Très longues, très profondes, elles se
perdent en haut dans l'attache des cheveux, formant autour du front un
triple ou un quadruple cercle. Au-dessus du nez deux sillons obliquement
ascendants sont l'indice de la fréquente contraction des sourciliers, les
muscles de la douleur.
L'oeil est petit, triste, enfoncé, cerclé de rides qui s'enchevêtrent, et le
brident parfois en un clignotement furtif. Le nez tantôt long et busqué,
plus souvent large, épaté, comme il se voit fréquemment dans la race ger-
manique.
Un profond sillon sépare le nez et les lèvres des joues, gagnant les com-
missures qu'il abaisse, et ajoutant encore à l'expression douloureuse.
Ce portrait, on le voit, n'est pas celui d'un homme heureux. C'est le
« vieillard ridé qui jette un regard mélancolique sur les murs des cités
auprès desquelles il passe (3) ».
C'est celui d'un homme qui souffre et qui s'inquiète vivement de souf-
frir sans trouver de remède.
Ce qui est surtout remarquable dans le facies des névropathes errants,
c'est la grande mobilité d'expression de leur physionomie.
La richesse de leur mimique est extrême, et de même qu'ils exagèrent
les récils des souffrances qu'ils éprouvent, de même aussi, ils accompa-
gnenl ces récils d'un luxe de grimaces et de gestes d'ulle infinie variété.
(1) Imagerie d'Epinal, Le Juif-Errant. Pellerin et Cie, n° 5 bis.
(2) P. Dupont, loc. cit.
(3) Champfleury, loc. cit.
348 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
La note dominante est l'expression douloureuse. Mais qu'une idée joyeu-
se, un espoir de guérir, leur arrive soudain, aussitôt le masque change, et
devient radieux pour être remplacé bientôt par l'ancienne tristesse quand
revient la pensée de la maladie obsédante.
Il nous reste maintenant il passer en revue les symptômes morbides que
présentent les malades dont nous avons retracé l'histoire.
La prédominance des accidents neurasthéniques est manifeste et l'on est
tenté d'en faire des neurasthéniques au premier chef.
La céphalée est constante : c'est la forme en casque de Charcot enserrant
la tête comme dans un étau circulaire, ou la plaque occipitale qui s'étend
aux muscles de la nuque (plaque cervicale).
Puis la rachialgie que les malades décrivent en se plaignant de douleurs
dans le dos, entre les deux épaules, et au niveau des reins (plaque sacrée).
Certains, comme le ditM. Levilltin (1), cc attrilment même une importance
exagérée à ces souffrances, croyant qu'elles sont le signe d'une maladie
pulmonaire grave quand elles siègent entre les omoplates ». La douleur
(1) F. Levillain, La neurasthénie, A. lllaloine, 1891.
Fig. 55. - Le Juif-Errant, d'après une image populaire tirée du Cabinet des Estampes
à la Bibliothèque Nationale.
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE ^49
rachidienne communique à la colonne vertébrale une raideur spéciale qui
fait que les malades marchent à tout petits pas, évitent de se pencher en
avant, de se tourner trop vite : on dirait qu'ils ont peur de réveiller cette
douleur par un mouvement trop brusque.
Ils accusent aussi des sensations douloureuses dans tous les membres,
souvent appelées par eux « rhumatismes » et dont le principal caractère
est de sauter d'un membre à l'autre du jour au lendemain.
L'insomnie est fréquente, accompagnée de rêves pénibles et de cauche-
mars.
Un signe sur lequel tous attirent l'attention, c'est l'état de faiblesse mus-
culaire dans lequel ils se trouvent (Amyosthénie). Sensation de brisement,
de courbature, de fatigue invincible dont on ne doit pas chercher l'expli-
cation dans les longues courses fournies par les malades, car elles existent
encore quand ils ont passé quelques jours de repos à l'Hôpital. « Les jam-
bes fléchissent quand ils sont debout, les genoux ploient alternativement,
surtout en marchant » (Dutil).
' Les troubles dyspeptiques manquent rarement : sensations de lourdeur,
de gonflement de l'estomac après les repas ; bouffées de chaleur au visage,
éructations répétées.
Du côté de l'appareil génital, nous devons signaler la spe1'mat01Thée qui
devient par son abondance une cause d'épuisement rapide, et qui affecte
profondément le malade.
La sensibilité générale est aussi atteinte et ses altérations se manifestent
par des sensations bizarres que les malades décrivent avec un grand luxe
de détails parfois incompréhensibles : fourmillements, picotements, brû-
lures, etc.
Les phénomènes oculaires ne font pas défaut. Tous se plaignent de souf-
frir des yeux, de ne pouvoir fixer longtemps un objet, ni lire, ni écrire,
sans ressentir une fatigue douloureuse rapide.
Si chez certains malades les phénomènes morbides semblent se limiter
à ces symptômes purement neurasthéniques comme dans les observations II
et III, il en est d'autres chez qui l'hystérie domine la situation et se mani-
feste avec un bruyant appareil.
A la suite d'une émotion, d'un traumatisme, une attaque se déclare sui-
vie bientôt de plusieurs autres qui évoluent suivant le t5pe classique : aura
perçue par le malade ; bourdonnements d'oreilles, vertiges, battements
dans les tempes, sensation de constriction à la gorge (boule hystérique),
perte de connaissance, arc de cercle, grands mouvements, attitudes pas-
sionnelles. Au réveil, sensation de fatigue extrême, parfois hémiplégie
généralement accompagnée de contractures. llémianesthésies limitées à la
racine des membres.
350 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
L'examen révèle la présence de points hystérogènes, d'un rétrécisse-
ment concentrique du champ visuel ; dyschromatopsie, micromégalopsie.
Les accidents neurasthéniques et hystériques peuvent d'ailleurs se su-
perposer. Le malade do l'ohservation IV est un type
traumatique. Il offre presque an complet les symplômes des deux névroses,
tandis que dans l'observation I les phénomènes restent peu accusés pour
l'une et l'autre affection.
En remontant pour un instant à la légende, il faut convenir que les
renseignements d'ordre purement médical sont peu nombreux sur le Juif-
Errant. Le fait n'a rien de surprenant. Cependant il est un passage du
livre de Mathieu Paris CI), un des écrits les plus naïfs elles plus sincères,
qui permet de supposer que Cartophilus a été bel et bien hystérique : « A
certaines époques, dit-il, il fait une maladie qu'on croirait incurable; il
est comme ravi en extase; mais bientôt guéri, il renaît et revient à l'âge
qu'il avait avant ». -Et cette autre phrase de Collin de Plaucy (2) : « Pen-
dant un mois, il s'obstine à repousser tout aliment; mais chaque nuit le
sommeil rétablissait ses organes ».
Sans y chercher autre chose qu'une curieuse analogie il n'est pas inutile
de rapprocher ces renseignements de ceux qui nous ont été laissés sur les
hystériques extatiques et anorexiques.
Nous arrivons à l'examen de l'état mental des névropathes voyageurs.
Ici encore la neurasthénie revendique ses droits. L'asthénie psychique
produit des désordres intellectuels et moraux. C'est l'impotence fonction-
nelle du cerveau qui amène l'impossibilité de suivre une voie tracée,
de continuer un travail, un traitement entrepris. L'esprit vacille dans
toutes les directions et se laisse entraîner n'importe où. Qu'une idée soit
suggérée alors, ou qu'elle germe spontanément sous forme d'impulsion,
le malade s'y abandonnera tout entier et la suivra jusqu'à ce que' la fatigue
cérébrale l'en empêche. Or, cette fatigue n'est pas longue à venir car « ces
malades ne sont plus les maîtres de leur énergie psychique ». Ce sont de
véritables abouliques. Aussi sont-ils perpétuellement indécis et mobiles.
L'affaissement moral se traduit par les idées tristes et le découragement.
Avant toutes choses, la préoccupation de leur santé les obsède. Nous avons
suffisamment insisté déjà sur les fastidieuses doléances dont ils accablent
les médecins, sur les interminables descriptions qu'ils font de leur mala-
die, sur leurs larmes, leurs sanglots, leur mimique lamentable.
Ils tombent à la longue dans une sorte d'état hypochondriaque, et vont
jusqu'à songer au suicide ; mais sans jamais l'exécuter.
Au milieu de leur désespoir, ils retrouvent pourtant quelquefois des
(1) Mathieu Paris, loc. cil.
(2) Collin de Plancy, loc. cil., p. 112.
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 351
lueurs d'espérance quand un médecin a su gagner leur confiance. Leur
état s'améliore ; mais c'est un mieux très passager. Une nouvelle cause dé-
pressive ne tarde pas à surgir. Et la maladie reparaît.
La mémoire est souvent touchée, soit dans son ensemble, soit partielle-
ment. Témoin le cas de S. qui a oublié trois langues sur quatre qu'il par-
lait couramment.
Ainsi les phénomènes de dépression psychique tiennent une large place
dans les troubles mentaux.
Mais ils ne sont pas toujours les seuls, el de môme que l'hystérie s'a-
joute à la neurasthénie, de même aussi les impulsions apparaissent au mi-
lien de l'affaissement intellectuel. L'influence héréditaire joue en cela un
grand rôle. Et c'est à ces nouveaux facteurs qu'on doit attribuer les brus-
ques départs, les lointains voyages entrepris tout à coup, sans raison plau-
subie, ou sous le couvert de prétextes irraisonnés.
Cette impulsion peut d'ailleurs venir du dehors. On est frappé de la fa-
cilité avec laquelle ces malades s'abandonnent au médecin qui les conseille
et du soin qu'ils mettent à exécuter scrupuleusement le traitement pres-
crit. Malheureusement en ceci comme en toutes choses, ils sont incapables
de suivre longtemps leur idée, et s'il survient un nouveau docteur, ils ou-
blient tout de suite le premier, pour se confier aveuglement à celui-là.
M. le D'' Ph. Tissié (1) dans une thèse fort intéressante, a réuni sous le
titre des « Aliénés voyageurs » plusieurs groupes de malades. Il distingue
en particulier parmi eux, les captivés qui conservent leur conscience, ou
à peu près, pendant leurs voyages. Ils savent où ils vont et ce qu'ils font;
mais ils ne marchent que pour obéir à une volonté toute puissante, un
désir impérieux qui les entraîne et les maîtrise. Chez eux, pas d'hési-
tations, pas de demi-mesures. Ils ne connaissent pas d'obstacles.
« X... avant de s'échapper songe à une ville dont le nom a frappé ses
oreilles. Il se figure y rencontrer des monuments superbes. Le désir de la
visiter s'empare de son esprit, et un beau jour, il part, abandonnant tout,
mais, cruelle déception, la réalité ne répond pas il la splendeur du rêve ».
Et cependant, on le voit reparlir quelques temps après pour aller visiter
une localité nouvelle, « sans autre raison que celle de satisfaire son be-
soin ».
Voilà un cas qui se rapproche singulièrement de celui de nos israélites
errants.
C'est encore dans la même série de malades qu'il convient de faire ren-
trer les militaires observés par M. le D' Duponchel (2), professeur au Val-
(1) Ph. Tissié, Les aliénés voyageurs, 0. Doin, 1887.
(2) E. Duponchel, Elude clinique et méd. légale. - Des impulsions morbides Il la
déambulation observées chez des militaires. Paris, 1888.
352 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
de-Grâce ; pour lui, certains soldats poussés à la déambulation, ne seraient
que des suggestionnés, la suggestion venant d'eux-mêmes ou du dehors.
M. Duponchel donne à ce phénomène le nom de déterminisme ambulatoire.
Nous arrivons de la sorte il cette conclusion que les névropathes voya-
geurs sont avant tout des neurasthéniques dont ils présentent tous les stig-
mates physiques et psychiques, l'hystérie pouvant parfois se surajouter.
Existe-t-il d'autres catégories de malades chez lesquels on observe éga-
lement des pérégrinations étranges ? Assurément. Et il faut savoir faire
le Diagnostic. - En première ligne, il faut citer l'affection que M. Charcot
a décrite sous le nom d'« Automatisme comitial ambulatoire » (1). « Il
s'agit là d'une « forme » ou, comme on dit encore, d'un « équivalent
épileptique » marqué par l'accomplissement inconscient d'actes de la vie
ordinaire, plus ou moins compliqués, avec impulsion à marcher, à se dé-
placer, il voyager. » Le malade peut entreprendre un long voyage avec
une apparence d'intelligence et de lucidité souvent parfaites. « Des actes
automatiques remarquablement compliqués, rappelant absolument par
leur aisance et leur précision ceux de la vie consciente, tant ils semhlent
parfaitement adaptés il un but » peuvent être exécutés au cours de l'atta-
que, sans que les spectateurs puissent remarquer quelque chose d'anormal.
Là se bornent les analogies, et le diagnostic est aisé à l'aire.
Dans le mal comitial ambulatoire, il est presque toujours possible en
effet de retrouver les traces d'accidents épileptiques vulgaires, crises con-
vulsives, morsures il la langue, urinalion involontaire, etc.
Et lors même que ces stigmates n'existent pas, comme chez un des
malades de M. Charcot, le diagnostic s'impose par l'amnésie presque com-
plète des faits qui se sont passés pendant le voyage.
Nous ne dirons qu'un mot des courtes pérégrinations accomplies pen-
dant l'état de somnambulisme. Qu'il s'agisse de somnambulisme naturel ou
provoqué, de noctambulisme, ou de vigilambulisme, l'attitude des malades,
leur démarche, les chemins bizarres qu'ils prennent, la courte durée de
leurs promenades dont le but reste toujours mal défini, tout cela n'a rien
de commun avec la vie vagabonde des névropathes errants.
Parmi les aliénés voyageurs, M. Tissié considère aussi les Délirants : ce
sont ceux qui, partant d'une idée absurde, accomplissent logiquement les
actes secondaires. Tels sont les réformateurs de l'humanité, les prophètes,
les inventeurs qui parcourent le monde pour répandre leurs doctrines, et
accomplissent souvent de surprenants voyages.
Tels sont aussi les hallucinés avertis par une voix qui leur crie : « Tu es
roi. Tu es Dieu » et qui partent à la recherche de leur royaume et de leurs
adorateurs.
(1) Charcot, Leçons du mardi, 1887-88, p. 16S et Leçon du 21 février 1889, p. 304.
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 353
Le Juif-Errant, par certains actes de sa vie, méritait de prendre place
parmi ces aliénés voyageurs :
« A plusieurs époques, il lui vint de curieuses hallucinations ; il se per-
suada souvent que lui-même était le Messie immortel, qu'un ennemi l'avait t
enchanté, qu'il oubliait sa propre puissance, et qu'il pourrait par le mou-
vement rompre le charme dans le cercle duquel il languissait compri-
mé » (1). C'est là, il faut en convenir, un délire bien systématisé et qui
ne manque pas d'analogies avec celui des malades de M. Tissié.
On peut même trouver dans certaines versions allemandes de la légende
des passages où le Juif-Errant était devenu de persécuté persécuteur.
« Il aurait accompli plusieurs meurtres, partant de l'idée que les Juifs
redeviendraient une nation, s'il crucifiait un chrétien ». Dans certains
pays, le Juif-Errant passe pour porter malheur; ceux qui l'ont vu mour-
ront dans l'année..
« L'empereur Frédéric Barberousse (2) s'est noyé en Cilicie trois mois
après avoir vu le Juif-Errant, lequel lui promenait l'empire du monde.
Frédéric II, son petit-fils, fut étouffé par Manfred, sous des coussins, dans
les mêmes conditions.
Toutefois, cet aspect funeste du Juif-Errant est assez rare, et dans la
légende, il est plutôt bonhomme, quoique très malheureux.
Peut-on confondre l'état mental des névropathes voyageurs avec celui
des vrais hypochondriaques ? L'erreur n'est pas possible quand la vésanie
est nettement accusée. Les idées de l'hypochondrie ont un caractère de
ténacité, de fatalité très spécial. Elles sont généralement fixes et obsédan-
tes ; les malades sont inaccessibles aux encouragements. Ce n'est pas le cas
des neurasthéniques qui se laissent t yolonl iers consoler et dont l'esprit mo-
bile saute facilement d'une idée à une autre. Il n'en est pas moins vrai que
les limites peuvent être difficiles à établir entre les deux psychoses.
Il n'est pas aisé de porter un pronostic sur l'avenir des névropathes voya-
geurs ; car ils échappent, par leur maladie même, aux observations com-
plètes. On ne peut que répéter ce qui a été dit sur le pronostic de la neu-
rasthénie et de l'hystérie dont ils souffrent. « Ces deux névroses associées
sont particulièrement tenaces, et presque incurables : bien qu'il ne s'agisse
pas d'affections organiques, une neurasthénie profonde, compliquée d'hys-
térie, entraînant avec elles la misère intellectuelle et morale pour toujours
peut-être, sont des choses incontestablemenl très graves (Charcot).
La neurasthénie, dit Beard, peut ouvrir la porte à toute une série de
désordres nerveux. « Beaucoup de mélancoliques qui entrent dans les
asiles, ont passé par un long stage de neurasthénie, avant d'en arriver aux
(1) Collin de Plancy, loc. cil., p. 104.
(2) Collin de Plancy, loc. cit.
vt 24 lue
354 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
troubles permanents de la psychose ». On peut en dire autant de bien des
dipsomanes et de morphinomanes.
En ce qui concerne spécialement la maladie des voyages dont ces mala-
des sont atteints, on peut affirmer qu'elle ne cessera que le jour où une
impossibilité absolue les mettra dans l'obligation de cesser toute pérégri-
nation. Qu'adviendra-t-il alors ? l'avenir nous l'apprendra peut-être.
Est-il donc impossible de songer à améliorer leur état ? Certes non, on
peut obtenir par un traitement approprié un mieux sensible, mais avec
cette restriction toutefois que ce mieux sera passager.
Le traitement institué à la Salpêtrière amène, le fait est certain, pendant
les premiers temps, une diminution des symptômes les plus pénibles.
L'hydrothérapie, les médicaments toniques et calmants et surtout l'électri-
sation d'après la méthode de M. Vigouroux produisent de bons résultats.
Et la figure radieuse des malades qui suivent ce régime, atteste pendant
les premiers jours la satisfaction qu'ils en retirent. Malheureusement c'est
un bien-être éphémère, et ils reviennent bientôt entamer de nouveau le
chapitre de leurs doléances; jusqu'au jour où, désespérés, ils parlent pour
aller se faire soigner ailleurs.
Pour terminer l'histoire des israélites errants nous dirons encore un mot
d'une question médico-légale qui n'est pas sans importance. Les vagabonds
sont-ils tous neurasthéniques ou hysléro-neurasthéniquesl
Dans une de ses belles leçons du mardi sur l'hystéro-neurasthénie,
M. Charcot a fait une remarque dont l'intérêt est grand à cet égard : « On
compte, dit-il, parmi les hospitalisés, une assez forte proportion de gens
sans profession avouée, sans domicile fixe, des vagabonds, en un mot, qui
sont exposés à chaque instant, à tomber sous le coup de la police. Or,
l'hystéro-neurasthénie paraît chose vraiment fréquente parmi les miséra-
bles, les loqueteux, les gens sans aveu, qui fréquentent tour à tour les pri-
sons, les asiles de nuits, et les dépôts de mendicité.
« Serait-ce que le vagabondage conduit à l'hystéro-neurasthénie, ou que
celle-ci inversement conduit au vagabondage ? Question délicate, intéres-
sante au premier chef, au point de vue social, et qui méritera certaine-
ment quelque jour d'être l'objet d'une étude approfondie ».
M. le professeur Benedick (1) de Vienne s'est attaché il résoudre la ques-
tion posée par M. Charcot ; pour lui les vagabonds ne seraient que des
neurasthéniques vagabonds. - Tous les neurasthéniques ne pérégrinent
pas assurément. Mais le fait s'observe chez beaucoup d'entre eux ; aussi
M. Benedick formule-t-il les conclusions suivantes : « Le vagabondage ac-
cidentel doit disparaître du Code pénal, et devenir un appel obligatoire
(1) Benedick, Le vagabondage el son traitement.
LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE 355
de secours pour la société. Dans ces malheureux accidentellement sans
domicile et sans moyens de subsistance, le mot technique de vagabond,
doit même disparaître de la langue ; ils représentent des malheureux arri-
vés au comble de la misère...
Le premier élément constituant du vagabondage, c'est la neurasthénie phy-
sique, morale et intellectuelle, qui rend difficile ou impossible aux indivi-
dus de gagner leur vie par le travail continuel, régulier et spontané.
« Chez les vagabonds, la neurasthénie morale et principalement la fai-
blesse de volonté est dominante; ainsi ils travaillent sous une pression
morale, alors qu'ils sont incapables de travailler, abandonnés à eux-mêmes,
c'est-à-dire en liberté.
Les vagabonds neurasthéniques, pour M. Benedick, seraient curables,
et la société devrait pourvoir à leur traitement.
Ces conclusions sont pleines d'une sage philanthropie ; mais il ne fau-
drait pas en exagérer la portée ; on risquerait fort de voir se grossir rapi-
dement le nombre des vagabonds. Il y aurait bien des vagabonds nulle-
ment neurasthéniques tentés d'exploiter la neurasthénie à leur profit.
Fig. 56. - Le Juif-Errant, d'après une gravure d'Epinal reproduite par Champfleury.
3SG NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Il est loin de notre pensée de vouloir traiter cette question difficile;
mais en ce qui concerne la catégorie de malades que nous venons d'éLu--
dier, nous sommes portés à croire que leur vagabondage est bien la consé-
quence de leur névrose, et que s'ils ne peuvent se fixer nulle part, c'est
qu'ils sont soumis au régime des impulsions multiples qui germent en
leurs cerveaux déprimés de neurasthéniques.
Ces pauvres diables ne sont donc pas seulement des malheureux dignes
d'une aumône. Ce sont de vrais malades, de tristes névropathes, souffrant
plus de leur névrose que de la misère qu'ils traînent avec eux. Leurs la-
mentables doléances, pour être fastidieuses, ne sont pas mensongères. On
doit tenter de leur venir en aide par les moyens qu'offre la thérapeutique.
Sans doute, en raison même de leur besoin de pérégriner, ils échappent
à tout traitement méthodique. Mais on ne doit pas pour cela les honnir.
Et il faut avoir pour les Juifs-Errants des cliniques, un peu de cette pitié
des bourgeois de Bruxelles pour le Juif-Errant de la légende.
« Nous pensions être un songe
Le récit de vos maux.
Nous* traitions de mensonge
Tous vos plus grands travaux.
Aujourd'hui nous voyons
Que nous nous méprenions ».
Le Juif-Errant existe donc encore aujourd'hui ; il existe sous la forme
qu'il avait prise aux siècles passés. Sa figure, son costume, ses manières
conservent les mêmes caractères à travers les âges. C'est que ce mystérieux
voyageur est un malade; ce qui nous frappe en lui, c'est précisément le
cachet spécial que lui imprime sa maladie, et qu'on retrouve dans toutes
ses apparitions.
Cartophilus, Ahasvérus, Isaac Laquedem relèvent de la pathologie ner-
veuse au même titre que les malades dont nous venons de retracer l'his-
toire.
BIBLIOGRAPHIE 1
La Bibliographie Médicale est indiquée en notes. Consulter en outre pour
la Bibliographie de la Légende :
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Philippe Mouskès. - Chronique, publiée par le baron de Reiffenborg.
Bruxelles, 1836-38-lu5, 3 vol. in-4".
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LE JUIF-ERRANT A LA SALPÊTRIÈRE E 357
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Bruges, s. d. in-12. (Réimprimé Rouen, 1751, in-4").
- Discours véritable d'un Juif-Errant. Bordeaux, 1608.
Crysostomus Duduloeus. Von einem Juden von Jérusalem, Ahasvérus
genannt. Augsbourg, 1619, in-4°. (Autres éditions 1634, in-8°, -1GG1, in-S°).
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s. 1., 1645, in-4°.
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Ahasvérus... s. I. 1687, in-4°, (autre 1697, in-4°).
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1668, in-4.
Thilo (Gottfriaed). - lOEeletema historicum de Judoeo imnzorlali. Witteber-
goe, 1668, in-4°, (autre ibid. 1671, in-4-).
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beur-, 1689, in-4". (Autres, 1693, in-4° ; - ibid. 1698, ion-110; ibid., 1711,
in-4° ; Iéna, 1734, in-4°).
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Loeb (Isidore). - Le 'Juif de l'histoire el le Juif de la légende. Paris (L.
Cerf), 1890, in-16 [8° II 5. 524].
Henry MEIGE
Nouvelle Iconographie DE la SALPI1;TRIi ? E T. VI) PL. XLVII.
PHOTOTYPE nlcatii- a, Lokdf. PNOT. H6RTHAUD
Théophraste Renaudot
fondateur des Consultations Charitables.
- (ijSG-t6sî).
L BATTAILLE ET ct ? Éditeurs,,
RENAUDOT MÉDECIN
Le 4 juin dernier a été inaugurée rue de Lutèce, la statue de Théophraste
Renaudot, dont l'exécution avait été confiée à l'habile sculpteur Alfred
Boucher.
Cet événement contemporain intéresse toute la médecine et tous les mé-
decins. C'est en effet une réparation, trop tardive, il est vrai, mais qui
venge dignement un homme de coeur de l'injustice de ses coritempo-
rains. C'est aussi un succès bien mérilé par celui qui pendant de longues
années a combattu avec énergie pour l'aire accomplir cet acte de justice.
Déjà en 1884, M. le Dl' Gilles de la Tourette, ayant en sa possession des
documents inédits sur Théophraste Renaudot, entreprit de faire revivre
l'homme et son oeuvre, grosse de généreuses innovations.
Son livre (1) fut une surprise et un succès.
Il y avait eu en France au commencement du XVIIe siècle, un homme
d'un grand savoir et d'un esprit vraiment supérieur auquel nous devons
plusieurs des institutions les plus charitables et les plus puissantes de no-
tre siècle.
Il avait fondé le premier Bureau d'Adresse, le premier Hôtel des Ventes,
le Mont-de-Piété. Il avait inauguré la première Gazette. 11 avait créé enfin
les Consultations Charitables, son plus grand Litre de gloire peut-être à la
reconnaissance de la postérité, car c'était la première base de l'Assistance
Publique.
Et seuls, quelques rares érudits auraient pu dire que cet homme s'ap-
pelait Théophraste Renaudot.
Nous ne pouvons malheureusement pas retracer les multiples innova-
tions que tenta ce réformateur philanthropique, mais nous devons dire un
mot de celles qui touchent directement à la médecine.
Après avoir commencé ses études médicales à Montpellier, Renaudot
voyagea en Italie où il étudia les institutions mises en vigueur par les pa-
pes pour apporter un soulagement à la misère qui faisait alors de si cruels
ravages. Il vint ensuite il Paris ; mais ses idées révolutionnaires pour l'é-
(1) Théophraste Renaudot, d'après des documents inédits. in-8, Plon et Cie. Paris,
1884.
360 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
poque ne purent s'y faire accepter. Il dut s'en retourner àLoudun, sa ville
natale où il conquit rapidement une célébrité.
Sa renommée croissante attira sur lui le regard d'un homme tout puis-
sant caché sous un hahit modeste : le père Joseph, l'Éminence Grise.
Cet homme impénétrable, doué d'une perspicacité surprenante, com-
prit vite tout le parti qu'il pourrait tirer du jeune médecin, intelligent,
tenace, passionné pour les idées neuves el belles.
Il sut l'attirer il la cour et le fil nommer médecin ordinaire du roi
Louis XIII, malgré ses attaches protestantes.
Renaudot qui écrivait alors son Traité des Pauvres , employa toute son
influence pour « mettre en pratique et établir toutes les inventions et
moyens par luy recouverts pour l'emploi des pauvres valides, et traitement
des invalides el1nalades, et généralement tout ce qui sera utile et convena-
ble au règlement desdits pauvres... » (Brevet du 44°jour d'octobre 1612).
Fig. 57. Allusion aux succès remportés par les Français sur les Espagnols,
et que Renaudot relate dans sa gazette au grand désespoir de ces derniers.
RENAUDOT MÉDECIN 361
L'année suivante, il était nommé Commissaire général des pauvres du,
royaume, mais il ne put se mettre à l'oeuvre que dix-sept ans plus tard en
1629, par la protection de Richelieu qui aplanit toutes les difficultés et
fil cesser toutes les vexations qu'on opposait à ses « innocentes inven-
tions ».
Ce fut rue de la Calandre, au Grand Coq que s'établit le « Bureau d'a-
dresse ou de rencontre » « où chacun peut donner et recevoir des avis de
toutes les nécessitez et commoditez de la vie et société humaine ». Là, tout
était gratuit pour le malheureux : renseignements, conseils, remèdes etc.
Et un appel fut lancé aux âmes charitables pour créer ainsi un intermé-
diaire facile entre le patron et l'ouvrier, le riche et le pauvre, le méde-
cin et le malade.
Là naquit un véritable mont-de-piété et notre premier hôtel des ventes.
Mais Renaudot, dédaignant les calomnies de ceux qui le traitaient d'usu-
rier ou de fripier, demeurait avant tout charitable et humain. Il restait
surtout médecin, et hygiéniste très prudent, ne voulant pas que les hardes
ou meubles apportés à son bureau « sortent d'un lieu infecté par quelque
maladie contagieuse ».
L'article suivant de son inventaire est digne d'être cité en entier :
« XXI. Les pauvres artizans et autres mêmes gens malades qui, faulte
d'une saignée ou de quelque autre léger remède, encourent souvent de
longues et périlleuses maladies qui réduisent souvent leur famille à l'Hô-
tel-Dieu, trouveront icy l'adresse de médecins, chirurgiens et apothicaires,
qui sans doute ne voudront pas céder à d'autres l'honneur de consulter,
soigner et préparer gratuitement quelques remèdes à ces pauvres gens qu'on
leur adressera ».
Cet appel à la générosité des médecins et des apothicaires ne fut pas
sans réponse, et, si la Faculté vit naître d'un oeil soupconneux une orga-
nisation qui donnait une place si prééminente à un homme qu'elle ne s'é-
tait pas agrégé, de nombreux philanthropes vinrent mettre à la disposi-
tion de Renaudot les secours de leur bourse et de leur savoir.
Alors furent instituées les Consultations Charitables, dont le mode de
fonctionnement n'a presque pas changé de nos jours.
« Le mardi de chaque semaine, et plus tard tous les jours, dans la grande
salle du Bureau d'adresse, siégeaient une quinzaine de médecins, « divi-
sés en plusieurs tables ». Les malades se présentaient devant eux; si le
cas était simple, un médecin suffisait; si le cas était difficile, plusieurs
docteurs se réunissaient, donnaient chacun leur avis, et, après avoir dis-
cuté, remettaient au patient une consultation écrite. Les apothicaires pré-
sents exécutaient l'ordonnance, et délivraient les médicaments. Les chirur-
giens pratiquaient la partie manuelle de la prescription. »
362 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
Les pauvres ne payaient rien, les riches donnaient leur obole; mais
ces libéralités n'étaient pas considérables et l'on sait pertinemment que
l'entretien des consultations coûtait personnellement à Renaudot [plus de
2.000 livres par an.
Ce n'est pas tout. Si le malade était trop impotent pour se rendre rue
de la Calandre, des médecins choisis il cet effet, allaient le visiter à domi-
cile. On traitait même par correspondances avec la province.
Et, quelle que soit l'idée qu'on se fasse de ce procédé, il n'en est pas
moins certain qu'on lui doitun livre, modeste d'apparence, mais riche en
observations et en conseils précieux. « La Présence des Absens, ou facile
moyen de rendre présent au médecin l'état d'un malade absent ; dressé par
les docteurs en médecine consultant charitablement à Paris pour les pau-
vres malades. » Ce livre, écrit en entier de la main de Renaudot est notre
premier traité de diagnostic clinique, débarassé des préjugés d'alors et
du rationalisme de la médecine aristotélique.
A la fin du volume se trouvaient des livrets rappelant nos feuilles d'ob-
servations médicales actuelles, et des figures schématiques pour représen-
ter objectivement l'état du malade. Avons-nous changé de méthode au-
jourd'hui ?
Bientôt, cet homme infatigable résolut d'instituer un enseignement à
côté de son oeuvre de charité publique.
Pendant deux ans ce furent de simples conversations médicales entre les
docteurs du Bureau d'adresse, hommes instruits et distingués qui échan-
geaient leurs idées scientifiques et discutaient leurs opinions dans l'inti-
mité.
Mais un jour s'ouvrit un cours public : le premier lundi de novembre
1633 commencèrent les Conférences du bureau d'adresse.
« Là, le jeune s'y façonne, le vieil y rafraischit sa mémoire, le docte
s'y fait admirer, les autres y apprennent et tous y rencontrent un diver-
tissement honneste ».
Tout esprit pedantesque était banni et toutes les opinions même « con-
traires à celles de l'escliole » pouvaient y être librement exprimées.
Tous les sujets étaient abordés, et à la fin de chaque conférence, on
proposait deux questions qui étaient traitées à huitaine.
Le succès fut immense et en 1636 il fallait s'inscrire à l'avance pour
avoir une place le mardi.
Renaudot qui avait créé la première Gazelle et compris l'importance de
la publicité, fit imprimer les comptes rendus de ces séances hebdomadai-
res. Le tout forme cinq gros volumes qui de son vivant eurent, chose rare
à cette époque,, deux éditions.
Ainsi se trouva fondée une véritable école de sciences médicales et allé-
RENAUDOT MÉDECIN 363
rentes, un corps professoral de médecins, chirurgiens et apothicaires, de
conférenciers pour les sciences dites accessoires, un Laboratoire et une
Clinique.
Mais un tel succès devait rencontrer des jalousies terribles. La Faculté
qui n'avait pas vu d'un bon oeil l'installation de ce concurrent actif et in-
telligent, s'apercevant due les élèves désertaient l'antique enseignement
pour accourir en foule aux conférences du Bureau d'adresse, la Faculté
commença alors une sourde campagne contre Théophraste Renaudot.
Pendant longtemps celui-ci soutenu par Richelieu et par sa haute situa-
tion de médecin ordinaire du roi, parvint à résister à toutes les intrigues.
Mais la Faculté ne cessant de revenir à la charge, fil des progrès croissants.
Elle adressa requêtes sur requêtes, intenta procès sur procès, finit par ga-
gner à sa cause le Parlement et un grand nombre de personnages influents.
Richelieu tomba malade et mourut, bientôt suivi dans la tombe par le roi
lui-même.
Renaudot restait sans appui ci la veille du jour où il allait fonder un hô-
pital modèle.
Il fut vaincu. Tout s'écroula autour de lui ; ce long échafaudage de bon-
nes oeuvres et d'oeuvres utiles tomba en poussière. Il lui fut défendu d'exer-
cer la médecine ; la Faculté s'empara même de ses dépouilles et installa des
médecins de son choix dans le bureau d'adresse pour diriger les Consulta-
tions charitables que Renaudot avait fondées. On falsifia ses institutions, on
falsifia ses écrits (1). On supprima sa pension de Commissaire général des
(1) Principalement ses Extraordinaires, sortes de résumés des faits intéressants sur-
venus pendant l'année,
Fig. 58. - Caricature de Renaudot en crieur des « feuilles volantes »
de son Bureau d'Adresse.
364 NOUVELLE ICONOGRAPHIE DE LA SALPÊTRIÈRE.
pauvres, à lui qui avait tant donné de sa bourse pour secourir les malheu-
reux.
Il n'en continuait pas moins à diriger sa Gazelle, et bien que frappé
d'hémiplégie il s'efforçait de tenir ses lecteurs au courant de toutes les nou-
velles. Réduit à la plus extrême misère, il distribuait encore des secours
aux malheureux.
Il mourut d'une attaque d'apoplexie le 25 octobre 1653.
Guy Patin, son ennemi mortel qui avait dirigé contre lui les attaques
incessantes de la Faculté, écrivit à ce sujet : « Le vieux Théophraste Re-
naudot mourut ici le mois passé, gueux comme un peintre. »
M. Gilles de la Tourette a heureusement fait sortir d'un injuste oubli
cette belle et généreuse figure. A celui dont la maxime était : « Prêtez sans
rien espérer, » et qui, abreuvé de dégoût pendant sa vie, resta si long-
temps méconnu, la postérité devait une réparation. La statue élevée sur
l'emplacement du bureau d'adresse perpétuera à jamais la mémoire du
médecin Théophraste Renaudot, le plus grand philanthrope du XVIIe siè-
cle.
GEORGES GUINON,
Ancien chef de Clinique a la Salpêtrière.
NOUVELLE Iconographie DE la Salpêtrière T VI. PL LV.11
PHOTOTYPF A. LOND> THEOPHRASTE RENAUDOT PHOT. CHÈNE * LONGUET
MONUMENT D'ALFRED BOUCHER
ÉLEVÉ RUE DE UThCE
L. BATTAILLE & Ct ÉDITEURS
TABLE DES MATIÈRES
Arthropalhies myélopathigues. Trois cas
par Revilliod et Audcoud, 78.
Arthropathie tabétique des deux hanches,
par P. Londe, 145.
Chm'cot..1. M. par Gilles de la Tourette,
241.
Contractures réflexes. (Sur la morphologie
des) par Schaffer, 322.
Danse macabre de Bar, par J. M. Charcot et
P. Richer, 119. t -
Démence apathique. Indices physionomi-
ques par J. Sikorsky, 111.
Exorcisation récente enbavière, par A. Sou-
ques, 56.
Faradisation thérapeuthique des nerfs vaso-
moteurs et du nerf pneumogastrique
(suite et fin), par Katicheff, 49.
Ilypertrichose de la partie inférieure du
corps chez un épileptique, par Féré, 142.
Hystérie simulatrice des maladies organi-
ques de l'encéphale chezles enfants, (sui-
te), par A. Bardol, 21, 102.
Juif-Errant à la Salpêtrière. Etude sur cer-
tains névropathes voyageurs, par IIenry
Meige, 19t, 277, 333.
Lèpre systématisée nerveuse à forme syrin-
gomyélique par Pitres et Sabrages, 121.
dlénizzqo-myélitesyp7zilitique, par II. Lamy,
86, 153, 205, 251.
Myopathie progressive, type Landouzy-De-
jerine (deux cas), par Georges Guinon, 8.
Névrite traumatique, deux casd'élongation
et résection du nerf médian, par Le Dentu,
65.
Ostéo-arthropathie aiguë chez une aliénée,
par Potovski, 322.
Paraplégies syphilitiques, (Deux observa-
tions pour servir au diagnostic), par Gilles
de la Tourette et IIudelo, 1.
Renaudot médecin, par Georges Guinon, 359.
Rubens, sur une esquisse retrouvée par
Souques, 238.
Trépanation, notes iconographiques par
Chipault et Daleine, 292.
TABLE DES AUTEURS
Bardot, 21, 102.
Le Dentu, Go;.
J. M. Charcot et P. Richer, 119.
Chipault et Daleine, 292.
Féré, 142.
Gilles de la Tourette et Iludelo, 1, 2H.
Georges Guinon, 8, 359.
Katicheff, 49.
Lamy, 86, 153, 205, 251.
P. Londe, 1'iG.
Meige, 191, 277, 333.
Pitres et Sabrages, 121.
Potovski, 322.
Revilliod et Audcoud, 78.
Schaffer, 305.
Sikorsky, 17 7.
Souques, fiG, 35.
TABLE DES PLANCHES
Arthropathie et fracture spontanée tabéti-
ques, IX, X, XI.
des deux hanches, XX, XXI, XXII.
Charcot, portrait, XXXIII.
Cliapelle de Vallombrosa, dite des Bienheu-
reux, dans laquelle on guérissait les pos-
sédés, VII.
Contractures réflexes, XLII à XLVI.
Danse macabre du Bar, XVI.
Déformation des pieds dans la maladie de
Friedreich, XII.
Ilypel'tl'ichose chez un épileptique, XIX.
Indices physionomiques dans la démence
apathique, XXIL à XXXI.
Juif-Erranl à la Salpêtrière, XXIV à
XXXV11.
Lèpre à forme syringomyélique, XVII,
XVIII.
Dléningomyélile syphilitique, coupes de la
moelle, XIII, XIV, 'XV.
Myopathie, forme facio-scapulo-humérale
avec pseudohypertrophie des mollets et
du deltoïde, II, III, IV, V.
- Forme facio-scapulo-humérale avec pseu-
dohypertrophie du triceps crural gauche,
et de l'avant-bras du même côté, VI.
Paraplégie syphilitique coïncidant avec
une éruption cutanée, 1.
Renaudot médecin, XLVII et XLVIII.
Rubens, une esquisse retrouvée, XXXII.
Trépanation . Notes iconographiques ,
XXXVIII à XLI.
Troubles trophiques consécutifs à une bles-
sure du nerf médian, VIII.
TABLE DES FIGURES
Champ visuel dans : lèpre nerveuse, 6.
contractures réflexes, 47.
Juif-Errant à la Salpêtrière, 20, 21, 22, 23,'
24, 25, 30, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56.
llléningo-myélite syphilitique, coupes de la
moelle, 4, 5, 15, 16, 17, 18, 19, 26, 27.
Pied dans la lèpre nerveuse, 7, 8.
Pseudo-lzypertropTzie dans la myopathie,
type Landouzy-Dejerine, 1.
Renaudot, 57, 58.
Sensibilité, dans la lèpre systématisée, 9,
10, 11, 12, 13, 14.
- Chez les névropathes voyageurs, 28, 29,
31, 32.
Suspension, appareil du professeur Revil-
liod. 3
Suture des nerfs, 2.
Trépanation, notes iconographiques, 33, 34,
35, 36, 31, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45,
46.
Troubles trophiques, chez un aliéné, 49.
Voies optiques, Schéma, 48.
Le gérant : Louis Battaille.
Imp. Vve Lourdot, 33, rue des Balignolles, Paris.